dimanche, 07 mars 2010
Mai 68: du col Mao au Rotary?
Archives de "Synergies Européennes" - 1986
Mai 68: du col Mao au Rotary?
On n'a pas fini de parler de Mai 68, même s'il ne reste plus grand'chose de l'effervescence des campus de Berkeley, Berlin ou Paris. Le soixante-huitardisme s'est enlisé dans ses contradictions, s'est épuisé en discours stériles, malgré les fantastiques potentialités qu'il recelait. Examinons le phénomène de plus près, de concert avec quelques analystes français: d'une part Luc FERRY et Alain RENAUT, auteurs de La pensée 68, essai sur l'anti-humanisme contemporain (Gallimard, 1986) et, d'autre part, Guy HOCQUENGHEM, qui vient de sortir un petit bijou de satire: sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary (Albin Michel, 1986). Pour RENAUT et FERRY, la pensée 68 comportait deux orientations possibles: la première était "humaniste"; la seconde était "anti-humaniste". L'humanisme soixante-huitard était anti-techniciste, anti-totalitaire, pour l'autonomie de l'individu, pour l'Eros marcusien contre la civilisation, pour le pansexualisme, pour l'effacement du politique, etc. Pour FERRY et RENAUT, ces valeurs-là sont positives; elles forment le meilleur de l'aventure soixante-huitarde. Pour nous, ce sont au contraire ces idéologèmes-là qui ont conduit aux farces actuelles des "nouveaux philosophes", à leur valorisation infra-philosophique des "droits de l'homme", au retour du fétichisme du "sujet", à la régression du dis-cours philosophique, à l'intérêt porté aux scandaleuses niaiseries d'un Yves MONTAND qui se prend pour un oracle parce qu'il est bon acteur... Ces farces, ces amu-sements stériles, ces assertions pareilles à des slogans publicitaires pour margarine ou yaourts ont permis le retour d'une praxis libérale, le néo-libéralisme, auquel ne croyait plus qu'une poignée d'aimables plaisantins presqu'octogénai-res. Ou encore, Madame Thatcher qui, selon les paroles officieuses de la Reine Elizabeth II, serait bel et bien restée "fille d'épicier" malgré son fard oxfordien. Ipso facto, le petit gauchisme de la pansexualité éroto-marcusienne, le baba-coolisme à la Club Med', le néo-obscurantisme talmudiste de BHL, les éloges tonitruants du cosmopolitisme à la SCARPETTA ou à la KONOPNICKI acquièrent une dimension "géopolitique": ils renforcent la main-mise américaine sur l'Europe occidentale et avalisent, avec une bienveillance très suspecte, les crimes de la machine de guerre sioniste. Décadentistes d'hier et traîneurs de sabre sans cervelle, illuminés moonistes et vieux défenseurs d'un "Occident chrétien", se retrouvent curieusement derrière les mêmes micros, prêchent les mêmes guerres: il n'y a que le vocabulaire de base qui change. L'effondrement du soixante-huitardisme dans ce que RENAUT et FERRY appellent "l'humanisme" s'est également exprimé à l'intérieur des partis de gauche: de l'Eurocommunisme à la trahison atlantiste du PSOE, au révisionnisme du PCI et au mittérandisme atlantiste: le cercle des rénégats est bouclé. HOCQUENGHEM trouve les mots durs qu'il faut: Montand? Un "loufiat râleur géostratège mégalo" (p.73); Simone Veil? Un "tas de suif" (p.73); Serge July? Un "parvenu" (pp. 108 et 109); Jack Lang? Il a la "fu-tilité des girouettes" (p.134); Régis De-bray? Un "ex-tiers-mondiste à revolver à bouchons" (p.129); BHL, alias, sous la plume d'HOCQUENGHEM, Sa Transcendance Béachelle? Un "aimable Torquemada d'une inquisition de théâtre" (p.159) qui ne tient qu'à l'applaudimètre (p.164); Glucksmann? "Tortueux" (p.179), "So-phiste et fier de l'être" (p.185), etc. HOCQUENGHEM fustige avec une délectable méchanceté et une adorable insolence tous les gourous mielleux, à fureurs atlantistes récurrentes, pourfendeurs de "pacifistes allemands gauchistes", que l'ère Mitterand a vomis sur nos écrans et dans les colonnes de nos gazettes. HOCQUENGHEM, comme presque personne en France, défend le pacifisme allemand que BHL et GLUCKSMANN abreuvent de leurs insultes de néo-théocrates et de leurs sarcasmes fielleux, parce que ce paci-fisme exprime la volonté d'un peuple de se maintenir hors de la tutelle yankee, de s'épanouir en dehors de l'hollywoodisme cher à SCARPETTA et à KONOPNICKI, par-ce que ce pacifisme est, malgré ses insuf-fisances, la seule idéologie d'Europe puis-samment hostile au duopole yaltaïque.
Voilà où mène l'humanisme post-soixante-huitard: aux reniements successifs, au vedettariat sans scrupules, comme si l'humanisme devait nécessairement me-ner à cette indulgence vis-à-vis des histrions, des pitres et bateleurs de la rive gauche. L'humanisme ainsi (mal) compris ne serait que tolérance à l'égard de ces ouistitis débraillés alors qu'un humanisme sainement compris exigerait la rigueur des autorités morales et poli-tiques (mais où sont-elles?) à l'encontre de ce ramassis d'incorrigibles saltimban-ques.
Heureusement pour la postérité, Mai 68 a aussi été autre chose: un anti-humanisme conséquent, une rénovation d'un héritage philosophique, un esprit pionnier dont on n'a pas fini d'exploiter les potentialités. RENAUT et FERRY, qui chantent le retour du "sujet" donc de la farce prétendument humaniste, signalent les œuvres d'ALTHUSSER, de FOUCAULT, de LACAN et de DERRIDA. Ils voient en eux les géniaux mais "dangereux" continuateurs des traditions hegelienne (Althusser) et nietzschéo-heidegerienne (Foucault, Derrida). Pour ces philosophes français dans la tradition allemande, le "sujet" est vidé, dépouillé de son autonomie. Cette auto-nomie est illusion, mystification. L'hom-me est "agi", disent-ils. Par quoi? Par les structures socio-économiques, diront les marxistes. Par des "appartenances" di-verses, dont l'appartenance au peuple historique qui l'a produit, dirions-nous. L'homme est ainsi "agi" par l'histoire de sa communauté et par les institutions que cette histoire a généré spontanément (il y a alors "harmonie") ou imposé par la force (il y alors "disharmonie").
Certes le langage de la "pensée 68" a été assez hermétique. C'est ce qui explique son isolement dans quelques cénacles universitaires, sa non-pénétration dans le peuple et aussi son échec politique, échec qui explique le retour d'un huma-nisme à slogans faciles qui détient la for-ce redoutable de se faire comprendre par un assez large public, fatigué des dis-cours compliqués.
Si l'avénement du fétiche "sujet" est récent (le XIXème dit FOUCAULT), il est contemporain de l'avènement du libéralisme économique dont les tares et les erreurs n'ont cessé d'être dénoncées. Et si la "pensée 68" s'est heurtée au "sujet", elle a également rejeté, au nom des spé-culations sur l'aliénation, la massification des collectivismes. La juxtaposition de ces deux rejets ne signifie par nécessairement l'existence de deux traditions, l'une "humaniste" et l'autre "anti-huma-niste". Une voie médiane était possible: celle de la valorisation des peuples, valo-risation qui aurait respecté simultané-ment la critique fondée des dangers re-présentés par le "sujet" (l'individu atomisé, isolé, improductif sur le plan historique) et les personnalités populaires. Aux "grands récits" abstraits, comme ce-lui de la raison (dénoncé par Foucault) à prétention universaliste, se seraient sub-stitués une multitude de récits, expri-mant chacun des potentialités particu-lières, des façons d'être originales. Quand les étudiants berlinois ou parisiens pre-naient fait et cause pour le peuple viet-namien, ils étaient très conséquents: cette lutte titanesque qui se jouait au Vietnam était la lutte d'un peuple particulier (cela aurait pu être un autre peuple) contre la puissance qui incarnait précisément l'idolâtrie du sujet, le chris-tianisme stérilisant, la non-productivité philosophique, le vide libéral, la vulgarité de l'ignorance et des loisirs de masse.
La "pensée 68" a oscillé entre le libé-ralisme à visage gauchiste (ce que RE-NAUT et FERRY appellent "l'humanisme") et l'innovation révolutionnaire (ce qu'ils appellent "l'anti-humanisme"). Elle a ou-blié un grand penseur de la fin du XVIIIème: HERDER. L'humanisme de ce dernier est un humanisme des peuples, non des individus. Le vocable "huma-nisme" est trop souvent utilisé pour dé-signer l'individualisme non pour désigner les créativités collectives et populaires. Or tous les anthropologues sérieux seront d'accord pour nous dire que l'homme n'est jamais seul, qu'il s'inscrit toujours dans une communauté familiale, villa-geoise, clanique, ethnique, etc. La "pensée 68", notamment celle de FOUCAULT, et la pensée d'un LEVY-STRAUSS nous ont dévoilé une "autre histoire", une histoire qui n'est plus celle du "grand récit de la raison". La raison, en tant qu'instance universelle, est une apostasie du réel. Le réel se déploie au départ d'instances multiples, sans ordre rationnel. FOUCAULT et LEVY-STRAUSS s'inscrivent ipso facto dans le sillage de HERDER qui estimait que l'historicité de l'homme se déployait au départ de sa faculté de par-ler une langue bien précise (Sprachlich-keit), donc au départ d'une spécificité inaliénable. Au "grand récit" abstrait de la raison, se substituait dès lors les merveilleux "petits récits" des peuples poètes. Ce sont ces récits-là que la "pen-sée 68", pour son malheur, n'a pas su re-découvrir; pourtant, avec Mircea ELIADE, Gilbert DURAND, Louis DUMONT, etc. les occasions ne manquaient pas.
Le philosophe allemand contemporain Walter FALK (Université de Marburg) a résolu le problème, sans encore avoir ac-quis la réputation qu'il mérite: si le "grand récit" rationaliste n'est plus cré-dible, si le structuralisme d'un LEVY-STRAUSS nous conduit à désespérer de l'histoire, parce que nous serions invo-lontairement "agis" par des "structures fixes et immobiles", le modèle de l'histoire ne sera plus "téléologique" (comme le christiano-rationalisme occidental et son dérivé marxiste) ni "structuralo-fixiste" (comme lorsque LEVY-STRAUSS chantait les vertus des "sociétés froides"). Le modèle de l'histoire sera "potentialiste", au-delà du néo-fixisme du "réarmement théologique" de BHL et au-delà des résidus de téléologie progressiste. Pour FALK, le potentialisme équivaut, en som-me, à deux pensées, que l'on ne met ja-mais en parallèle: celle des fulgurations phylogénétiques de Konrad LORENZ et celle de la pensée anticipative d'Ernst BLOCH. Comme chez FOUCAULT, les struc-tures qui agissent les hommes ne sont plus simplement stables mais aussi va-riables. FALK développe là une vision réellement tragique de l'histoire: l'huma-nité ne marche pas vers un télos para-disiaque ni ne vit au jour le jour, bercée par l'éternel retour du même, agie sans cesse par les mêmes structures échap-pant à son contrôle.
L'histoire est le théâtre où font irruption des potentialités diverses que le poète interprète selon ses sensibilités propres. Là réside ses libertés, ses libertés d'a-jouter quelques chose au capital de créa-tivité de son peuple. La "pensée 68" est entrée dans une double impasse: celle d'un "anti-humanisme", très riche en po-tentialités, enlisée dans un vocabulaire inaccessible au public cultivé moyen et celle d'un "humanisme" sans teneur phi-losophique. Le potentialisme de FALK et le retour des récits historiques des peu-ples ainsi que des récits mythologiques constitueront les axes d'une "troisième voie" politique, impliquant la libération de notre continent.
Vincent GOETHALS.
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samedi, 06 mars 2010
Althusius' Societal Federalism: A Model for the EU?
Althusius’s Societal Federalism:
A model for the EU?

Let us first briefly start with the life of Johannes Althusius (1557-1638) himself. Besides being a jurist and prolific Calvinist political thinker, Althusius was engaged in active politics of the city of Emden. As a syndic of that city, he had become the main instigator of the arrest of the city’s provincial lord, count of Eastern Frisia, by Emden’s city councillors that transpired on 7 December 1618. Althusius vigorously defended the councillors’ decision as a ‘legitimate act of self-defence and resistance’ against the provincial lord’s infringements on the city’s rights, considering it an ultimate resolve ‘warranted under every natural and secular law’.[1] As will become apparent with the discussion of his work, the right of resistance to tyranny of a government that does not respect the rule of law is a key part of his federal thought.[2] His most famous work Politica Methodice Digesta (Politics Methodically Digested, first published in 1603), which will be taken here as the main source of Althusius’s federal thought, in a similar vein justifies the right of the Dutch provinces to secede from the crown lands of the Spanish ruler.
Nevertheless, we would do injustice to Althusius’s work if we thought that his federalist thought consisted only of the effort to defend the rights of cities or provinces against tyrannical rulers. Quite the contrary. Althusius, as a witness to wide scale social changes of the early modern period, primarily strove to strike a balance between individual freedoms and responsibilities coming from shared communal belonging. On the one hand, people at the beginning of the 17th century were no longer as tied to their place of birth as in the medieval times, and especially bourgeoisie was becoming increasingly emancipated from the nobility. On the other hand, newly acquired freedoms did not lead people to perceive themselves as lone individuals and they retained the older idea of considering themselves citizens with mutually binding responsibilities. Althusius’s model of ‘bottom-up’ societal federalism was meant to provide such an answer to a potential clash between demands of private associations and smaller political communities, and more encompassing political bodies such as province or realm. Besides the rights of communities, Althusius therefore to the same extent defends the necessity of inter-communal cooperation and solidarity. We will now move on to discuss Althusius theoretical assumptions on the nature of society, which serve as the pillar of his unique kind of federalism.
The Consociation as the Basic Element of Societal Federalism
Similarly to other political thinkers, Althusius starts Politica Methodice Digesta by explaining his philosophical presuppositions. In the first chapter, Althusius names consociatio as the basic element of society. More precisely, by this term Althusius understands a partially autonomous community that comes into existence through a social compact freely agreed between persons or consociations, thus uniting them into a new social whole.[3] Every human community is such a consociation: they are not just of public nature (as city, province, or realm are), but also private, including families, kinships, guilds, and professional colleges.
This particular theory of social contract is based on Althusius’s observations of the social nature of human beings. Although he does not deny aggressive or selfish impulses present in the human nature, he nevertheless believes, very much in the Aristotelian spirit, that all humans are just as well endowed with ‘the instinct for living together and establishing civil society’.[4] Human beings are ‘symbiotes’—they have natural capacity to form cooperative unions with other human beings. Notwithstanding whether this social compact is concluded tacitly or explicitly, it comes from the general human need to share ‘whatever is useful and necessary’ for their life, that is, goods, services, and rights. Every consociation first comes to existence only because there are persons who are able to see beyond their immediate individual interests and are willing to contribute to the welfare of an integrated and interdependent social whole. The act of founding of a consociation is an act of decision: every consociate expresses that he sees some common, higher values and needs that he might share with other human beings. Thus, the modern liberal idea of considering human beings atomised individuals only capable of maximising their personal interest is rejected by Althusius from the start. Symbiotes – be it persons or consociations – come together to consensually form a consociation ‘for the common advantage of the symbiotes individually and collectively’.[5] Pure self-interest (Rousseau’s l’amour propre) alone would never allow them to form any consociation with mutually shared responsibilities in the first place. Indeed, as it was already noted above, in the Althusius’ time it still remained an unquestioned assumption that citizens should contribute to the common good of the community.[6]
It therefore might not be surprising that sharing of material resources and services is an intrinsic part of the consociation building—because it provides ‘hard’ material basis for the day-to-day functioning of the consociation, that is, for the subsequent communication of other goods, services, and rights within the community. In sharing their resources and services, consociates do not rely on the centralistic administrative apparatus of the state – the activity is entirely in their own hands and it is also up to them to secure the communication of goods, rights, and services politically. Althusius’s thought thus contains a remarkable and untraditional ‘socialist’ element. As Thomas Hueglin notes, ‘such considerations are socialist because the distribution and use of scarce resources is not left to the highest bidder but remains under co-operative control’.[7] Furthermore, it is untraditional, because even though it emphasises collective good, it is not collectivist. It is dependent on the previous consent of symbiotes deciding which services should be delegated to the level of their consociation and which should be retained by lower consociations. In those areas where the consociation members decide that they have common interest, public property, conduct of public works, and voluntary charity are the ultimate acknowledgments of their long-term shared interests.[8]
The Consociational Government
After this brief exposure to Althusius’s general theory of consociations, the reader might rightly ask where does politics and federalism in particular have a place in all this. Althusius’s answer is strikingly simple: politics is the process of consociation building, and federation (or rather, as we will see, federalising) is the result of this perpetual process. We can easily ascertain this assumption from the following quote, where Althusius defines politics as
the art of consociating men for the purpose of establishing, cultivating and conserving social life among them. It is also called “symbiotics.” The subject matter of politics is therefore consociation, wherein the symbiotes pledge themselves, each to the other, by an explicit or tacit pact, to the mutual communication of whatever is useful and necessary for the exercise and harmony of social life.[9]
Almost by definition, the participation in a consociation requires active political engagement of the symbiotes in the continuous process of community building and renegotiation: communication of goods, rights, and services. As it was mentioned already above with regard to the sharing of material resources, it is only the political decision of the symbiotes that decides on the functional scope of the consociation. The consociation is therefore founded by a social compact of symbiotes. Interestingly enough, the social contract is for Althusius present at the basis of both private and public consociations. Although private and public consociations clearly differ in their purpose, as private consociations have particular, limited aims, such as economic gain, or perpetuating kinship relations, they share with public consociations the same consociational element: the communication of goods, rights, and services between their members. In this sense, both are all ‘political’.[10] Althusius was clearly not a modern feminist arguing for the politicisation of private life, nevertheless, he acknowledged that husband and wife form a consociational partnership, where each partner of the ‘contract’ shares his or hers particular resources for the benefit of a higher whole, i.e. the family. Althusius, although not dismissing the distinction between public and private as the distinction between limited and shared aims, rejects the modern limitation of the political to the public sphere. It is this communicative political element that is present in all consociations that allows the city, as the first public consociation Althusius considers in his work, to emerge as a consociation of private consociations in the first place.
When dealing with Althusius’s theory of social contract we have to furthermore distinguish it from the theories of other social contract thinkers such as Thomas Hobbes. As can be clearly seen from the discussion above, parties to the consociational contract of Althusius are not giving up all their political rights and freedoms to an all-powerful legislator (leviathan). The created consociation has clearly defined functions and purposes, which are decided by unanimity by its constituting members. The ‘politics’ of establishing of a consociation, and of renegotiation of its functional scope (i.e., what would be today constitutional amendment) is therefore distinguished from the administration or governance of that consociation. ‘True’ politics is the communication of goods, rights, and services between symbiotes: a permanent process of consociation building and renegotiation of its tasks. Administering the concluded common affairs comes only afterwards, as ‘second-order’ politics that has as its task the enactment and enforcement of communally agreed rights and duties. The government of a consociation has as its purpose the administration of the commonwealth commissioned by the people. In other words, the contract with the government, which by signing promises to uphold the consociations’ laws, is therefore only a part, although a crucial one, of the previously concluded social pact. As Thomas Hueglin remarks,
the sphere of governance and power is defined as part of the process of communication, and not a regulatory superstructure with an entirely different logic of social intervention. Political community, in other words, is a common social enterprise including all essential cultural, economic, and political activities.[11]
Maintaining the order and authority is an essential part of every social compact, but the government cannot wilfully decide on those issues, which were not explicitly delegated to its authority by the consociation as the organised body of the people as a whole. The sovereign is not absolute, he always rules according to law and his only ‘purpose is to co-ordinate and regulate that community’s process of communication. It is not to prescribe its goals and aspirations in any absolute or uncontrolled way.’[12] People never at any point give away their sovereign rights to the government—as the respect for their laws is always the source of the government’s legitimacy—they only delegate to the government the conditional authority required for the management and enforcement of the community’s laws.
Every consociation’s political representation therefore consists of two levels, which would be relatively close to the modern understanding of legislative and executive. The first level consists of elected representatives, who in the council represent the consociation as the organised body of the people as a whole, that is, as a consociation of smaller consociations, who united into that consociation for the common purpose. They enact new laws, to which the sovereign is bound, renegotiate the terms of the original consociational contract, and hold the executive accountable for his actions. In the worst of all cases, they can even depose the ruler from the office. In the majority of their decisions, they exercise their powers as a collegium, that is, collectively through the means of a majority vote. In this role, as Althusius notes, ‘the administrators and rectors of the universal symbiosis and realm represent the body of the universal association, or the whole people by whom they have been constituted.’[13] It is crucial not to misunderstand the point here as these representatives do not represent the ‘demos’ in the common way of understanding it (i.e., as a community of individuals), but only the organised body of the people. Althusius once again goes beyond mere individualism and collectivism when he underlines that the council of representatives neither embodies the general of the people une et indivisible (J.-J. Rousseau), nor a mere association of private wills (liberal democratic thinkers). They embody the common will, but this will is the product of plurality of communities, whose reason for participating in the consociation is the long-term desire to overcome individual differences. The purest manifestation of this consociational desire is the willingness to use a majority vote in those matters, on which individual consociations previously decided as being the common values and interests their consociation will share. Only when decisions would concern these constituent units individually, as in the case of constitutional amendment, the council would be once again required to decide unanimously or perhaps by a qualified majority vote.
The magistrate or a body of administrators elected by the council of representatives forms the second level of the political representation. They preside over the council’s meetings, enact and enforce its laws and have higher authority than any of the councillors taken individually, but are ultimately subject to the council’s will when taken collectively. The magistrates are responsible to the council and in turn, the council representatives are responsible to the constituent communities of the consociation. We will now proceed to further discuss this system of political representation in relation to Althusius’s proposals for the federal constitution of the polity.
Federalism – Federalising Consociations
In the previous two sections of this text, we have been trying to expose the ‘societal’ element of Althusius’s societal federalism. Politics was shown to be a process of consociation building as it establishes and renegotiates the terms of the communication of goods, rights, and services of a consociation. Consequently, governance is the administration and enforcement of the essential laws agreed by the lawful representatives of the consociation, as by the organised body of the people. Our following task will be to elaborate how Althusius’ theory of consociational politics enables him to develop a unique theory of ‘ascending’ (or ‘bottom-up’) federalism.
Firstly, let us highlight that for Althusius, consociations are not generally constituted by individuals—but by other communities. Perhaps only the family, as the basic social unit, might be said of consisting of individuals. Nevertheless, strictly speaking, even here we do not find socially alienated selves, but a husband and wife: persons with distinctive roles, who share their specific qualities for the benefit of their children and the family as a whole. The association of several families then forms more inclusive private consociations, such as kinship groups, colleges, or guilds. A public consociation (universitas) for Althusius for the first time emerges when several private consociations join to form an inclusive political order (politeuma).[14] It is the first organised body of people, assembling itself through the exercise of ‘natural’ symbiotic right (jus symbioticum). This inter-consociational compact gives rise to the legal order of the city (jus civitatis). It is an organised public body created by families, kinship groups, various collegia, and guilds (collegia artificum), that is, private consociations, all living in the same locality. By the virtue of this consociation, the formerly private persons become citizens. For Althusius, this first public consociation has the pre-eminent political nature – it is here where for the first time people gather not merely in order to pursue their private goals – but to pursue common good. By this consociation, Althusius has primarily in mind the city (civitas), but he also acknowledges that villages or countryside have similar status as the city’s rural counterparts. It is also at this point that we can fully appreciate the ‘societal’ element in Althusius federalism. It is by this element that we can distinguish it from modern federal models—since Althusius includes non-territorial private consociations into his federal framework. It is the consociation of these more ‘primordial’ social units that creates the city as the first public consociation.
If we tie this up to our discussion of the political representation, we find that in the city it is the prefect or consul (or a collective body of administrators) that serves as the city’s government. Likewise, the senate exercises the role of the council of representatives of the organised body of the people of the city, making the prefect subject to its laws. Thus, Hueglin remarks that ‘things done by the senatorial collegium are considered as done by the whole city that the collegium represents.’[15] On day-to-day laws, the senate decides by a majority vote, but a more far-reaching consensus, or even unanimity, is required in those matters that touch the constituent consociations of the city individually, not collectively.
The similar structure of the political representation is mirrored by higher levels of the federal polity. In this vein, Althusius discusses the province and the commonwealth. Let us just briefly remark that at the provincial level the provincial lord has the same role as the prefect in the city and the estates or orders (ecclesiastical, and secular, which themselves consist of nobility, burgers, and agrarians) fulfil the same duties as the senate. Again, it is the orders taken together that represent the organised body of the people of the province and the provincial head, although their superior in terms of political authority, is bound to the laws in his decision-making. The duties to be performed at the provincial level are to be first decided by the mutual consent of all the symbiotes, as they are represented in the provincial council gathering the provincial orders.[16] Exactly the same principles apply to the commonwealth, which unites several provinces, represented by the universal council of the realm and the commonwealth’s supreme magistrate.
We can see that at every level of the organised body of the people there is the same pattern of dual political representation. The councillors not only represent the common will of the consociation as such through the exercise of a majority vote, but they are also magistrates of lower communities that constitute the consociation. Their role is to be delegates of these lower consociations and as these delegates, they are bound to respect the common will of their own consociation and represent it in the higher council accordingly. Althusius’ federal polity is therefore
a kind of co-sovereignty shared among partially autonomous collectivities consenting to its exercise on their behalf and within the general confines of this consent requirement.[17]
Thus even the representatives remain ultimately ‘constrained by their oath of loyalty’ to the organised body of the community. Althusius explains this at some length in the Chapter XVIII of his book, it is worth to quote him at some length:
The people first associated themselves in a certain body with definite laws (leges), and established for itself the necessary and useful rights (jura) of this association. Then, because the people itself cannot manage the administration of these rights, it entrusted their administration to ministers and rectors elected by it. In so doing, the people transferred to them the authority and power necessary for the performance of this assignment, equipped them with the sword for this purpose, and put itself under their care and rule.
It is therefore difficult to speak of the division of powers between legislative and executive when dealing with Althusius’ societal federalism: a magistrate at every level of this federal polity might be at the same time a mandated legislator at the council one level higher. The universal council of the realm gathers provincial magistrates, who are in turn politically responsible to their provincial councillors. Nevertheless, taken collectively as the universal council, they form a ‘legislative’ body that promotes the interests of the organised body of the people as a whole and the supreme magistrate is for his actions accountable to this council.
A Model for the European Union?
Althusius’s societal federalism could be discussed at much greater depth, but due to the constraints of available space, we have to move on to briefly consider the applicability of Althusius’s proposals to the EU. On the first sight, the EU to a certain extent already functions according to Althusius’s federal model. Both the EU Council and the Council of Ministers largely function on the principle of inter-governmental bargaining, with the requirement of unanimity on ‘constitutional’ principles and majority or qualified majority voting for the issues of collective interest. A crucial difference lies however in the fact that national governmental representatives can be only weakly controlled by their national parliaments. Furthermore, national parliaments themselves have not been federalised from below by towns, cities, and regions. The line of political accountability is therefore broken and citizens have limited means of holding their representatives accountable except for limited amount of periodical elections. The keen reader might observe that for Althusius there would be no role for the European Parliament: there would be no ‘demos’ at the European level to be represented, if speak of it in terms of individuals, but only a common will to consociation of European nations or regions. We might return to this very interesting topic in one of the future articles.
Summary
Althusius’s societal federalism gives us a picture of a dynamic federal polity that integrates society from bottom-up. It starts at the level of families and private non-territorial consociations, which constitute its societal or horizontal element, than continues through the city as its first locus of public power, and ends at the level of universal commonwealth. The consociations in this federation dynamically reorganise themselves, renegotiating their values and interests. Each level of the federal polity is constituted by a council of representatives constituted by the delegated magistrates of the next lower level together with an magistrate or magistrates, who in turn represent the interests of this consociation at the next higher level of the polity.[18] In the final analysis, the whole political order is legitimate, when it functions as a representative consociation of consociations. If this model would be applied to the European Union, it might be able to deliver more pluralised governance, normative commitment to social solidarity, which would be however first subject to the consent of consociated members, and finally, popular control over the decision-making that would spring from the lowest levels of society to the highest level of Europe.
- Stanislav Maselnik
Endnotes:
[1] Quoted in Thomas O. Hueglin, Early Modern Concepts for a Late Modern World: Althusius on Community and Federalism (Waterloo, Ontario: Wilfrid Laurier University Press, 1999), 15. The original source is Heinz Antholz, Die politische Wirksamkeit des Johannes Althusius in Emden (Cologne: Leer, 1954).
[2] The right of resistance against unlawful decisions of government is also something that makes his work close to other early federalist thinkers, notably John C. Calhoun (1782–1850). Calhoun, in the so-called Nullification Crisis, got himself into a very similar situation as Althusius in Emden – he supported American states’ rights against their infringement by the US federal government. See J. K. Ford, Jr., ‘Inventing the Concurrent Majority: Madison, Calhoun, and the Problem of Majoritarianism in American Political Thought’, The Journal of Southern History, 60 (1994), pp. 19-58.
[3] Hueglin, Early Modern Concepts for a Late Modern World: Althusius on Community and Federalism, 86.
[4] Quoted in Ibid., 87.
[5] Quoted in Ibid.
[6] Indeed, even Adam Smith in his On the Wealth of Nations and Bernard Mandeville in The Fable of the Bees in the 18th century still justified their early free market economic theories by claiming that maximal economical freedom will ultimately be for the benefit of the community as a whole. See for example Emma Rothschild, ‘Adam Smith and the Invisible Hand’, The American Economic Review, 84 (1994), pp. 319-322.
[7] Hueglin, Early Modern Concepts for a Late Modern World: Althusius on Community and Federalism, 94.
[8] Althusius for instance mentions that the city should have the oversight over the following range of public services: all public political buildings, security, temples, theatres, courtyards, roads, ports, bridges, granaries, water mills, public water systems, and ‘other public works’. See Johannes Althusius, The Politics of Johannes Althusius (Boston: Beacon Press, 1964), chap. V-VI, http://www.constitution.org/alth/alth.htm.
[9] Ibid., chap. 1.
[10] Hueglin, Early Modern Concepts for a Late Modern World: Althusius on Community and Federalism.
[11] Ibid., 95.
[12] Ibid., 98.
[13] Althusius, The Politics of Johannes Althusius, chap. XVIII.
[14] Ibid., chap. V-VI.
[15] Ibid.
[16] Althusius suggests seven general areas of these duties, which may indeed be delegated to the level of commonwealth, if necessary: ‘(1) the executive functions and occupations necessary and useful to the provincial association; (2) the distribution of punishments and rewards by which discipline is preserved in the province; (3) the provision for provincial security; (4) the mutual defence of the provincials against force and violence, the avoidance of inconveniences, and the provision for support, help, and counsel; (5) the collection and distribution of monies for public needs and uses of the province; (6) the support of commercial activity; (7) the use of the same language and money; and (8) the care of public goods of the province’, Ibid., VII-VIII.
[17] Hueglin, Early Modern Concepts for a Late Modern World: Althusius on Community and Federalism, 4.
[18] Ibid., 142.
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vendredi, 05 mars 2010
Jean-Jacques Rousseau: souveraineté populaire et nationalisme
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986
Jean-Jacques Rousseau: souveraineté populaire et nationalisme
Aux origines du fascisme? Réflexions sur les thèses de Noel O'Sullivan
par Thierry MUDRY
Le nationalisme français des origines dans lequel, si l'on en croit le professeur Sternhell, le fascisme plonge ses racines n'a pas été tendre avec Rousseau pas plus qu'avec Kant: Maurras et La Revue d'Action Française ont repris contre Rous-seau les sarcasmes de Voltaire et les Cahiers du Cercle Proudhon , expérience "fasciste" avant l'heure (1), à laquelle participèrent des hommes venus du syndicalisme révolutionnaire (dont Edouard Berth) et du nationalisme intégral, n'ont pas épargné non plus le malheureux Rousseau, père présumé de la "démocratie", en reprenant contre lui les attaques de Proudhon (2). Les fascistes, et parmi eux tout particulièrement l'Espagnol José-Antonio, reprirent à leur compte la polémique anti-rousseauiste des maurrassiens. Barrès, de son côté, s'en prenait au "kantisme de nos universités", au "kantisme" d'un Bourdeiller qui transformait les jeunes Lorrains en déracinés en leur enseignant des vérités et une morale universelles (3).
Apparemment donc, rien n'est plus éloigné de l'univers intellectuel du fascisme que la pensée d'un Rousseau ou celle d'un Kant. Pourtant, pour Noel O'Sullivan (Fascism, J.M. Dent & Sons, London and Melbourne, 1983), Rousseau et Kant sont d'une certaine façon à l'origine du phénomène fasciste! Noel O'Sullivan définit en effet le fascisme comme l'avant-dernière manifestation, avec le communisme, d'une tradition politique "activiste" européenne dont Rousseau (et éventuellement Kant) serait le père (4).
Noel O'Sullivan oppose le style politique activiste à un style politique limité, étroitement lié au développement du concept d'Etat depuis la fin de l'ère médiévale (le style politique activiste étant lié, lui, à la notion de "mouvement"). Parmi les caractéristiques de ce style limité, l'auteur cite:
- la loi conçue comme seul lien social (dans la tradition activiste, c'est un tout commun exprimé dans une idéologie qui tient lieu de lien social);
- la distinction entre la vie publique et la vie privée, entre l'Etat et la Société (dans la conception activiste, la politique devient une activité totale. Il n'y a pas d'existence apolitique de la société ou de l'individu qui, de sujet, se transforme en citoyen ou militant);
- le pouvoir y est toujours objet de suspicion (dans la conception activiste, le pouvoir n'est plus pensé comme intrinsèquement suspect -pervers- et les garanties constitutionnelles contre son abus sont ignorées);
- l'Etat est pensé comme une unité territoriale particulière, produit de l'histoire (le style activiste s'oppose à l'ordre international établi pour des raisons d'ordre idéologique; le plus souvent, il allie le messianisme révolutionnaire à une volonté d'expansion nationale).
Noel O'Sullivan situe les origines du style politique activiste dans la dernière partie du XVIIIème siècle. Alors apparurent:
- une nouvelle théorie sur l'origine et la nature du Mal et une nouvelle conception de la politique; celle-ci est désormais conçue comme une croisade activiste contre le Mal et n'a plus pour objet essentiel d'assurer la paix et la prospérité. Depuis Rousseau, on ne considère plus le Mal comme une part intrinsèque de la condition humaine -l'homme est né innocent et libre- mais comme une conséquence de l'ordre (social) établi. Ainsi se dessine une rupture avec le pessimisme anthropologique chrétien qui est à la base de la tradition politique médiévale, voire absolutiste, puis contre-révolutionnaire (Bonald, de Maistre, Donoso Cortes).
- la doctrine de la souveraineté populaire: la légitimité, désormais, réside dans le peuple, vient "d'en bas" (mais s'exprime le plus souvent d'une manière extra-constitutionnelle et extra-parlemen-taire). La conception du "peuple" peut varier: il peut s'agir du Tiers-Etat (c'est-à-dire de la classe moyen-ne) opprimé par les aristocrates et les prêtres, ou du prolétariat exploité par la bourgeoisie capitaliste, ou encore de la Nation dominée par l'étranger ou menacée par l'ennemi extérieur et l'"ennemi intérieur" (Juifs, Francs-Maçons, etc.).
- une nouvelle conception de la liberté: la li-berté pour les partisans du style politique limité (Locke) concernait la relation purement extérieure entre les différents sujets et entre les sujets et leur gouvernement; la liberté signifiait alors la sécurité pour les personnes et leurs propriétés. Avec Kant et Rousseau, une nouvelle conception de la liberté ap-paraît à la fin du XVIIIème siècle: la liberté comme réalisation de soi (dans la soumission à l'impératif catégorique ou à la volonté générale. La "vraie li-berté" dans la soumission inconditionnelle à la vo-lonté générale chez Rousseau évoque la "vraie li-berté" chez Hobbes, conçue dans la soumission in-conditionnelle au souverain -monarque ou as-semblée- nécessaire si l'on veut éviter le retour à l'état de nature où les personnes et les biens seraient la proie des "loups") mais aussi la liberté comme sa-crifice de soi.
Cette conception intérieure de la liberté devient affirmation et lutte contre le monde extérieur. Ainsi, pour Robespierre, la liberté dont la fin est la "vertu", réalisation de soi, requiert la terreur contre les ennemis de la liberté (Rousseau n'écrivait-il pas déjà que celui qui ne voulait pas être libre, c'est-à-dire se soumettre à la volonté générale, il fallait le forcer à la liberté?). Le terrorisme et la guerre accompagnent nécessairement, si l'on en croit Noel O'Sullivan, une telle conception de la liberté.
Dans le style politique activiste fondé sur le sacrifice de soi, la politique devient prioritairement une "affaire" de jeunes (O'Sullivan de citer "Jeune Italie" de Mazzini -il aurait pu citer aussi les "Burschenturner" allemands).
Autre caractéristique du "style activiste": le volontarisme ou la croyance en la capacité illimitée qu'a la volonté humaine, particulièrement celle d'un homme ou de certains hommes (une élite), de trans-former l'ordre social et l'homme du commun lui-même.
Au terme de cette démonstration, dont on vou-dra bien excuser le caractère énumératif, il apparaît que le fascisme fut "the most extreme, ruthless and comprehensive expression of the new activist style of politics, which the western world has yet expe-rienced" (pages 41 et 84). Autrement dit, le fascisme poussa la logique de l'activisme à son terme.
Noel O'Sullivan qualifie le fascisme de "poli-tique théâtrale" et attribue la paternité de cette poli-tique à Rousseau.
En effet, dans Le contrat social, Rousseau rejette le style politique limité (qui, à son époque, caractérise aussi bien le despotisme éclairé que l'absolutisme!) parce qu'il ne connait pas l'enga-gement des masses (fût-ce de masses numériquement limitées comme le préconisaient les bourgeois li-béraux des débuts du XIXème siècle, limitées par la propriété et les "capacités") et parce que son objectif est d'assurer la paix et la prospérité (ainsi le des-potisme éclairé qui repose sur l'intervention éco-nomique de l'Etat). Ces Etats, constate Rousseau, courent à leur perte en ne créant pas ce sens de la solidarité ou de l'unité spirituelle, qui est la ca-ractéristique d'un peuple grand et libre, et cor-rompent leurs sujets en ne leur inspirant pas le désir de se sacrifier dans des actes héroïques sans lesquels la vie est dénuée de toute dignité. Rousseau, dans ses Considérations sur le Gouvernement de Pologne cherche à compléter Le contrat social par une théorie de l'activisme politique destinée à trans-former les membres d'un Etat de sujets passifs en citoyens actifs et vertueux, amoureux de leur Etat et de leur Patrie: ainsi l'Etat pourrait-il acquérir cette unité spirituelle qui le renforcerait et renforcerait donc la liberté collective et l'existence humaine pourrait enfin acquérir ce sens et cette dignité qui lui manquent grâce à l'héroïsme et au dévouement à la Patrie.
Pour cela, Rousseau préconisait, outre la sup-pression de la distinction traditionnelle entre la vie privée et la vie publique (la politique devenant une activité totale), un système d'éducation publique sous le contrôle direct de l'Etat, la part la plus importante de cette éducation consistant en une éducation physique collective (l'inspiration lacédé-monienne est ici manifeste); la soumission des grou-pes sociaux et des intérêts particuliers à la volonté générale. Autre trait marquant: le refus des insti-tutions représentatives: Rousseau prônait un style politique théâtral reposant sur des spectacles publics (jeux, fêtes, cérémonies) qui permettrait une large participation des masses en même temps qu'une identification de celles-ci à la Patrie et à l'Etat, en somme, une manière de démocratie directe. Ces techniques destinées à assurer la "nationalisation des masses" et la "socialisation de l'individu", d'abord appliquées en France pendant la Révolution, seront, après la normalisation opérée par l'Empire, ré-cupérées par les nationalistes allemands Jahn et Arndt (5) et leurs disciples, les Burschenturner, puis par le national-socialisme et le IIIème Reich (bien qu'Hitler dira à Rauschning s'être inspiré de ses adversaires sociaux-démocrates, sans mentionner ses précurseurs nationalistes) (6). En Italie, les idées de Rousseau seront reprises par Mazzini et puis, après la Grande Guerre, mises en pratique par d'Annunzio à Fiume (lors de la Régence du Carnaro) et bien sûr par le fascisme.
A ceux qui, malgré ces prémisses, s'étonneront encore de voir Rousseau transformé en créateur du fascisme, Noel O'Sullivan concède que l'influence de Rousseau sur le fascisme ne fut pas directe: le fascisme procéda en effet à une révision du style activiste en substituant un "activisme dirigé" à "l'activisme spontané" des origines (7).
Cette révision de l'activisme fut entamée lors de la dernière décennie du XIXème siècle. A cette époque se fit jour l'idée qu'un mouvement activiste ne pouvait reposer entièrement sur la spontanéité des masses mais devait encadrer et diriger les masses d'en haut (8). Le fascisme devait réduire cet acti-visme dirigé à trois éléments: le chef, le mouvement, le mythe qui met les masses en mouvement (page 114).
Déjà chez Rousseau (qui entrevoit dans ses Considérations sur le Gouvernement de Pologne, la nécessité d'un législateur de la trempe d'un Moïse, d'un Lycurgue et d'un Numa) (9) apparaît un certain pessimisme à l'égard des masses. Mais c'est surtout après 1848/49 que la désillusion gagne les milieux activistes: en France, avec Napoléon III, une dictature plébiscitaire fondée sur l'appel direct aux masses clôt la Révolution de 1848 et restaure un régime d'"Ordre"; la Commune de 1871, qui est un échec, laisse la place à la IIIème République et à ses politiciens opportunistes. En Italie et en Allemagne, l'unité nationale (inachevée) fut le fait non des masses mais, au-dessus d'elles, de la diplomatie traditionnelle d'un Cavour et d'un Bismarck (10).
L'impuissance historique des masses à réaliser l'idéal activiste donne alors naissance à la théorie des élites (Pareto, Mosca et Michels) et à la "psychologie des foules" de Le Bon dont on peut dire qu'elles inspirèrent aussi bien Lénine (Que Faire?) et Sorel (Réflexions sur la violence), qui entamèrent une révision révolutionnaire du marxisme en rejetant le kautskysme, qu'Hitler (Mein Kampf) qui entama une révision révolutionnaire du nationalisme völkisch alors pris dans les rêts du conservatisme allemand (11).
Pour Lénine, les sociaux-démocrates ne doi-vent pas s'attendre à un soulèvement prolétarien spontané. Aussi préconise-t-il la création d'une élite de révolutionnaires professionnels. Pour Sorel, l'u-topie, construction intellectuelle, n'est génératrice que de révoltes; seul le mythe peut conduire les masses à la révolution. Aussi Sorel propose-t-il au prolétariat le mythe de la grève générale. Quant à Hitler, il met la propagande diffusée par une organisation de combat au service de l'idéologie völkisch, du mythe racial proposé aux masses allemandes. Hitler applique les recettes de Le Bon: Le Bon ne décrit-il pas le chef qui, ayant suffisamment de "prestige" (de charisme) et con-naissant la psychologie des foules et ses lois, saura manipuler les masses?
O'Sullivan montre enfin l'importance de la Grande Guerre et de ses suites dans le triomphe de l'activisme dirigé sur l'activisme spontané: le putsch bolchevik appuyé sur les thèses de Rosa Luxemburg, écrasé par les Corps-Francs, la marche sur Rome, prouvent dans l'immédiat après-guerre la supériorité de l'activisme dirigé sur la spontanéité des masses.
Mais la Grande Guerre a montré aussi l'impact du mythe national sur les masses et fourni aux acti-vistes un modèle d'organisation calqué sur l'armée. Mussolini et ses amis d'extrême-gauche retiendront la leçon!
Noel O'Sullivan rompt avec l'analyse idéo-logique classique du fascisme qui fait de celui-ci l'héritier d'une réaction contre le XVIIIème siècle, portée en France par le maurrassisme (version Nolte: Le fascisme dans son époque, tome I), ou née de la rencontre du maurrassisme et du sorélisme (cf. Sternhell La droite révolutionnaire): cette hostilité au XVIIIe siècle se manifestait en Alle-magne dans le courant du "pessimisme culturel" puis dans la "Révolution Conservatrice" auxquels de nombreux auteurs attribuent une responsabilité importante dans la naissance de l'idéologie nazie (selon Jean-Pierre Faye, auteur de Langages totalitaires, le langage de la Révolution Conser-vatrice a rendu acceptable le langage hitlérien de l'extermination).
En revanche, le livre d'O'Sullivan n'est pas sans rapports avec Les origines de la démocratie totalitaire écrit par J-L. Talmon (Calmann-Lévy, Paris, 1966). Dans ce livre, l'auteur oppose la démocratie (empirique) libérale à la "démocratie" (messianique) totalitaire" qui conduit au com-munisme, l'une et l'autre plongeant leurs racines dans la pensée du XVIIIe siècle individualiste et rationaliste. La démocratie totalitaire qui "ne re-connaît basiquement qu'un seul plan d'existence, le plan politique", qui ne conçoit la liberté "qu'à travers la poursuite et la réalisation d'un but collectif absolu" (page 12) évoque par plus d'un trait le style activiste décrit par O'Sullivan. Talmon oppose ensuite le totalitarisme de droite (le fas-cisme) au totalitarisme de gauche, pourtant assez proches l'un de l'autre: le totalitarisme de gauche ne conçoit-il pas le citoyen idéal sur le modèle spartiate ou romain comme "superbement libre tout en étant un prodige de discipline ascétique. Membre à part égale de la Nation souveraine, il n'a de vie ni d'intérêts extérieurs au destin collectif"(page 22). Talmon donne d'ailleurs aux totalitarismes de droite et de gauche un même ancêtre: Rousseau. Ainsi Talmon croit discerner, dans Le contrat social, "la transformation de la pensée de Rousseau, qui passe du rationalisme individualiste au collectivisme de type organique et historique. L'être connaissant qui veut librement être transformé en produit de l'en-seignement et du milieu ambiant d'abord, puis, passé les traditions, en produit du milieu ambiant et, pour finir de l'esprit national. De la même manière, l'idée et l'expérience patriotiques font passer la volonté générale, vérité à découvrir, dans le fonds commun, avec toutes les particularités qu'il comporte. C'est à ce point que l'apport de Rousseau se dédouble pour influencer deux courants; d'une part, la tendance individualiste nationaliste et éventuellement collectiviste de gauche, et, d'autre part, l'idéologie nationaliste irrationnelle de droite, avec ses affinités pour le romantisme politique allemand de Fichte, Hegel, Savigny. Le passage au rationalisme a lieu dans les Considérations sur le Gouvernement de Pologne (page 345). Le propos de Talmon rejoint ici celui de Noel O'Sullivan.
Noel O'Sullivan ne croit pas que le fascisme ait été un regrettable accident dans l'histoire euro-péenne et place résolument le fascisme dans une tradition politique européenne activiste dont il ne serait qu'une des manifestations parmi les plus radi-cales. Malgré sa pertinence, la thèse d'O'Sullivan apparaît insuffisante: peut-on mettre dans le même sac les nationalismes populaires libéraux et démo-cratiques du XIXème siècle, les divers socialismes, le radicalisme patriotique et républicain français, le bolchévisme et les fascismes sous prétexte qu'ils partagent une même conception activiste de la vie (politique)? N'est-ce pas là nier la spécificité idéologique et institutionnelle de chacun de ces phénomènes? Noel O'Sullivan ne néglige certes pas l'étude de la Weltanschauung fasciste mais, à son sens, il n'y a pas réellement de projet sous-tendu par une idéologie fasciste, ou alors il ne s'agit que d'un masque: l'idée selon laquelle le fascisme réaliserait l'union du nationalisme et du socialisme, idée défendue par Georges Valois en 1926 et par Meinecke en 1946, ne rend pas la dimension du fascisme selon O'Sullivan (une telle union est-elle d'ailleurs propre au fascisme)? Le fascisme a-t-il réalisé dans la théorie et dans les faits cette union? Et de quel nationalisme, de quel socialisme s'agit-il ici? Pour l'auteur, qui reprend à son compte les assertions de Rauschning sur l'hitlérisme et de Megaro sur le fascisme italien, le fascisme est un pur dynamisme qui tend à mobiliser les masses de manière permanente sans leur assigner de buts précis. Les traits de la Weltanschauung fasciste entrent parfaitement dans ce cadre: un corporatisme instrumental destiné à encadrer les masses et non à résoudre la question sociale, une conception de la révolution permanente produit paradoxal d'un conservatisme radical, le "führerprinzip" qui évite au fascisme les débats internes d'ordre idéologique, la mission messianique de la Nation fasciste dont les linéaments ont été dessinés en Italie par Mazzini et en Allemagne par les radicaux du Parlement de Francfort, l'autarcie.
La thèse de Noel O' Sullivan traduit une mé-fiance anglo-saxonne envers la tradition politique européenne qui, née de la Révolution française, prend ses distances avec les Révolutions anglaises et américaine et la pensée whig d'un Locke; qui met l'accent sur le pouvoir et non sur le détachement bourgeois vis-à-vis du pouvoir (dans le lexique poli-tique européen du XIXème siècle, le terme "libéral" ou "libéral-démocratique" désigne l'exigence de li-bertés politiques qui permettent l'engagement du ci-toyen, non son retrait dans la sphère privée), dont les fondements sont souvent laïques c'est-à-dire in-différents aux considérations morales (dans le mon-de anglo-saxon, les fondements de l'action politique sont exclusivement moraux). Cette tradition politi-que européenne ne peut produire selon les Anglo-Saxons que le totalitarisme, communiste ou fasciste.
Thierry MUDRY.
NOTES
(1) Dans "Combat" (février 1936, n°2), Pierre Andreu décrit sous le titre "fascisme 1913" l'expérience des Cahiers.
(2) Par exemple, dans un article intitutlé "Rousseau jugé par Proudhon" sont abondamment cités des passages de La Justice dans la Révolution et dans l'Eglise dans lesquels Rousseau est qualifié par Proudhon de "premier de ces femmelins de l'intelligence..." (Cahiers du Cercle Proudhon, 3ème et 4ème cahiers, mai-août 1912, pages 105 à 108).
(3) Cf. Les Déracinés et les Scènes et doctrines du Nationalisme.
(4) Dernière manifestation en date de cette tradition: le terrorisme des Brigades Rouges, de la Fraction Armée Rouge et d'Action Directe.
(5) L'idéal humain de Jahn et Arndt (des citoyens allemands héroïques dévoués au Bien Comun, des Germains aux mœurs pures et simples) tout autant que leur idéal politique activiste les rapprochaient de Jean-Jacques.
(6) Sur l'Allemagne, l'ouvrage de référence est The nationalization of the masses de George Mosse (1975).
(7) Comme exemples d'activisme spontané, on peut citer les Girondins et les anarchistes, les uns et les autres victimes de l'activisme dirigé, discipliné, de leurs concurrents montagnards et bolcheviks. Dès la révolution française, l'activisme dirigé semble apparaître sous la Terreur, puis chez les conspirateurs babouvistes dont l'héritage passe avec Buonarroti aux sociétés secrètes révolutionnaires du XIXème siècle: une élite de conspirateurs doit préparer la chute des tyrans (carbonarisme, voire blanquisme).
(8) A cette époque apparaissent d'ailleurs en France avec la Ligue des Patriotes, les premières manifestations modernes de la propagande de masse (cf Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire).
(9) Mais aussi chez Saint-Just pour qui "le peuple est un éternel enfant".
(10) Noel O'Sullivan éclaire dans son ouvrage le destin particulier de l'Italie et de l'Allemagne: la vulnérabilité de ces deux pays à l'égard du fascisme ne s'expliquerait pas, selon l'auteur, par le caractère tardif (et partiel) de l'unification nationale mais plutôt par les caractéristiques mêmes du mouvement d'unification qui se développa en Italie et en Allemagne sous les auspices de l'activisme (national et libéral, puis national-démocratique, voire socialiste): "In both countries the ideal of unification was shaped and moulded within the framework of a new acticvist style of politics which tended naturally towards demagogic extremism. The fact that unification itself was the work of politicians who despised activism is beside the point; what matters is the fact that they themselves encouraged activist dreams for their own purposes" (page 181).
(11) Hitler a-t-il pris connaissance de l'œuvre d'un Le Bon ou d'un Pareto? Cette hypothèse semble improbable, mais cela est sans importance: Hitler s'est laissé porter par l'esprit du temps, un élitisme et un darwinisme social ambiants.
Dans le début des années 1920, et dans Mein Kampf, Hitler se livrait à une critique "révolutionnaire" du nationalisme völkisch. Il s'en prenait d'abord aux méthodes d'action politique des Völkischen, méthodes qu'il jugeait inefficaces et auxquelles il prétendait substituer un activisme politique (Hitler ne faisait là que renouer avec les méthodes employées par les agitateurs antisémites allemands Heinrici et Böckel dans les années 1880/90. Ce ne fut d'ailleurs qu'apèrs l'échec des expériences Heinrici et Böckel que les antisémites völkisch abandonnèrent l'acti-visme). Il s'en prenait ensuite au caractère bourgeois et intellectuel des formations völkisch et prétendait conférer au nouveau mouvement völkisch un caractère populaire, "ouvrier" et "socialiste" marqué (d'où l'adoption du drapeau rouge et du qualificatif de Parti "ouvrier" national-socialiste"). Là encore rien de très original à vrai dire: déjà certaines formations völkisch avaient récupéré le qualificatif de "socialiste" -exemple: le Parti socialiste allemand -et puis le "socialisme allemand" comme mot d'ordre). En cela, Hitler fut approuvé par de nombreux militants völkisch qui, plus tard, devaient s'estimer trahis par les compromis d'Hitler avec l'Eglise et la monarchie, les capitalistes et les Junkers, l'armée et la bureaucratie, la légalité weimarienne et l'Occident, etc.
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mercredi, 03 mars 2010
G. Faye: Simulierte Heterogenität
Simulierte Heterogenität

Auch in seinem Buch über die Neue Konsumgesellschaft - für Faye kurz "La NSC" - setzt sich der Autor mit Rationalismus und Egalitarismus auseinander. Zwar erfährt der Leser wenig über eine pragmatische Zielorientierung, mit der die Krise der Gegenwart überwunden werden soll. Jedoch wird der Widerspruch, den seine Ausführungen auslösen können, ein Indikator dafür sein, wann unsere Krise zu Ende gedacht und gelebt wird.
Faye beherrscht die a-moralische Sichtweise; daher die Präzision seiner Beobachtungen. Er erkennt Hedonismus und Konsummanie als kardinale Werte der Neuen Konsumgesellschaft und liefert anschauliche Beispiele dafür, dass der Beginn des Zeitalter des homo consummans (gefülltes Portefeuille kombiniert mit kleinbürgerlichem Geist) hinter uns liegt. Ihm gelingt es, den Begriff der Lebensqualität und das Dogma des ökonomischen Wohlstands einer luziden Kritik zu unterziehen. Lebensintensität wird von der Neuen Rechten zur Tugend zukünftigen Menschseins erkoren.
Fayes Kernausse, durchaus ein Ansatz zu einer kritischen Theorie, lautet: Wo früher vertikale (regionale, nationale) Differenzen vorherrschten, dominiert heute - Folge des Egalitarismus - eine horizontale, nur simulierte Heterogenität. Diese löste eine soziologisch heterogene und kulturell gemeinsame Gesellschaftsstruktur ab. Unsere Zivilisation, das System, ist hingegen soziologisch homogen und gerade kulturell atomisiert. Faye sieht die Neue Konsumgesellschaft als gigantisches Theater; Konflikten drohe die Unbegrenzbarkeit.
Was tun? Ohne Eskalaton werde es keine historische Erneuerung geben. Möglich, dass Faye sich als positiver Nihilist einer postmodernen Neuen Rechten verstanden wissen will. Seine symbolträchtige Anlehnung an den Gott Dionysos - dionysische Freuden sind Fayes Programm für die Posthistoire - will nachvollzogen sein: Denn der fernen Rückkehr des Apoll gilt es zu harren. Für Autor und Leser keine ungefährle Aporie; nicht alle Triebhaftigkeiten des Gehirns bewahren die Maske einer Errungenschaft des Geistes.
Aufmerksamkeit ruft Fayes Rezeption der unorthodoxen Soziologen Jean Budrillard und Michel Maffesoli hervor. Im westlichen Nachbarland verlieren Links-Rechts-Schemata ihre Argumentationswirkung. Die Mühe lohnt, über subtile Grenzüberschreitungen nachzudenken. Erste Reflexionen ergeben ein faszinierendes Relief.
Guillaume Faye, La NSC - La Nouvelle Société de Consommation. Le Labyrinthe, Paris 1984. Buchbesprechung in: DESG-inform, 3/85.
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mercredi, 24 février 2010
Postmortem Report: Cultural Examinations from Postmodernity
Dr. Sunic' Newest Book !
Editorial Reviews
Product Description
Tomislav Sunic is one of the leading scholars and exponents of the European New Right. A prolific writer and accomplished linguist in Croatian, English, French, and German, his thought synthesizes the ideas of Oswald Spengler, Carl Schmitt, Vilfredo Pareto, and Alain de Benoist, among others, exhibiting an elitist, neo-pagan, traditionalist sensibility. A number of themes have emerged in his cultural criticism: religion, cultural pessimism, race and the Third Reich, liberalism and democracy, and multiculturalism and communism. This book collects Dr. Sunic’s best essays of the past decade, treating topics that relate to these themes. From the vantage point of a European observer who has experienced the pathology of liberalism and communism on both sides of the Iron Curtain, Dr. Sunic offers incisive insights into Western and post-communist societies and culture. Always erudite and at times humorous, this highly readable postmortem report on the death of the West offers a refreshing, alternative perspective to what is usually found in the cadaverous Freudo-Marxian scholasticism that rots in the dank catacombs of postmodern academia.
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T. Sunic: Amérique réelle, Amérique hyperréelle

Synergies Européennes – Bruxelles / Zagreb – février 2009
Tomislav SUNIC :
Amérique réelle, Amérique hyperréelle
Un phénomène important est survenu dans les relations entre les élites américaines détentrices du pouvoir et les élites médiatiques. Au début du 21ème siècle, l’Amérique, contrairement aux autres pays européens, se vante ouvertement qu’elle garantit une liberté d’expression totale. Pourtant, les médias américains osent rarement soulever des thématiques considérées comme contraires à l’esprit postmoderne de l’américanisme. De fait, la « médiacratie » américaine postmoderne opère de plus en plus en liaison avec le pouvoir exécutif de la classe dominante. Cette cohabitation se déroule sur un mode mutuellement correcteur, où les uns posent des critères éthiques pour les autres et vice-versa. Les principales chaînes de télévision et les principaux journaux d’Amérique, comme CNN, The New York Times ou The Washington Post suggèrent aux hommes politiques la ligne à suivre et vice-versa ou, pour un autre sujet, les deux fixent de concert les critères du comportement politique général qu’il faudra adopter. Parmi les citoyens américains, l’idée est largement répandue que les médias représentent un contre-pouvoir face au système et que, de par leur vocation, ils doivent être par définition hostiles aux décisions prises par les élites au pouvoir. Mais en réalité, les médias américains ont toujours été les porte-paroles et les inspirateurs du pouvoir exécutif, bien que d’une manière anonyme, sans jamais citer les noms de ceux qui, au départ de la sphère gouvernementale, leur filaient des tuyaux. Depuis la première guerre mondiale, les médias américains ont eu une influence décisive, dans la mesure où ils ont créé l’ambiance psychologique qui a précédé et soutenu la politique étrangère américaine, en particulier en poussant les politiques américains à bombarder au phosphore les villes européennes pendant la seconde guerre mondiale. La même stratégie, mais avec une ampleur réduite, a été suivie, partiellement, par les médias américains lors de l’engagement US en Irak en 2003.
Médias et classe dominante : opérations conjointes
Dans le choix des mots, la classe dominante américaine et ses courroies de transmission dans les médias et l’industrie de l’opinion ne fonctionnent plus d’une manière disjointe et exclusive l’une de l’autre ; elles opèrent conjointement dans le même effort pédagogique de « répandre la démocratie et la tolérance » dans le monde entier. « Qu’il y ait ou non un soutien administratif au bénéfice des médias », écrit Régis Debray, « ce sont les médias qui sont les maîtres de l’Etat ; l’Etat doit négocier sa survie avec les faiseurs d’opinion » (1). Debray, figure de proue parmi les théoriciens de la postmodernité, ne révèle au fond rien de neuf, sauf que dans la « vidéo-politique » postmoderne, comme il l’appelle, et qui est distillée par les médias électroniques modernes, les mensonges des politiciens semblent plus digérables qu’auparavant. En d’autres mots, le palais présidentiel n’a plus d’importance politique décisive ; c’est la tour de la télévision qui est désormais en charge de la « haute politique ». L’ensemble des discours et récits politiques majeurs ne relève plus de la « graphosphère » ; il entre dans le domaine de la « vidéosphère » émergente. En pratique, cela signifie que toutes les absurdités que pense ou raconte le politicien n’ont plus aucune importance de fond : quel que soit leur degré de sottise, il faut qu’elles soient bien présentées, qu’elles suscitent l’adhésion, comme sa propre personne, sur les écrans de la télévision. Il peut certes exister des différences mineures entre la manière dont les médias, d’une part, et la classe dominante américaine, d’autre part, formulent leur message, ou entre la façon dont leur efforts correcteurs réciproques se soutiennent mutuellement, il n’en demeure pas moins vrai que la substance de leurs messages doit toujours avoir le même ton.
La télévision et les médias visuels ont-ils changé l’image que nous avons du monde objectif ? Ou la réalité du monde objectif peut-elle être saisie, si elle a été explicitée autrement qu’elle ne l’est par les médias ? Les remarques que les universitaires ou d’autres hommes politiques formulent et qui sont contraires aux canons et aux vérités forgées par les médias se heurtent immédiatement à un mur de silence. Les sources et informations rebelles, qui critiquent les dogmes de la démocratie et des droits de l’homme, sont généralement écartées des feux de la rampe. C’est vrai surtout pour les écrivains ou journalistes qui remettent en question l’essence de la démocratie américaine et qui défient la légitimité du libre marché.
Significations à facettes multiples
Les hommes politiques américains contemporains ont de plus en plus souvent recours à des références voilées derrière un méta-langage hermétique, censé donner à ses locuteurs une aura de respectabilité. Les hommes politiques postmodernes, y compris les professeurs d’université, ont recours, de plus en plus, à une terminologie pompeuse d’origine exotique, et leur jargon se profile souvent derrière une phraséologie qu’ils comprennent rarement eux-mêmes. Avec la propagation rapide du méta-discours postmoderne au début du 21ème siècle, la règle, non écrite, est devenue la suivante : le lecteur ou le spectateur, et non plus l’auteur, devraient devenir les seuls interprètes de la vérité politique. A partir de maintenant, le lexique politique est autorisé à avoir des significations à facettes multiples. Mais, bien sûr, cela ne s’applique pas au dogme du libre marché ou à l’historiographie moderne, qui doit rester à tout jamais en un état statique. Le discours postmoderne permet à un homme politique ou à un faiseur d’opinion de feindre l’innocence politique. De cette manière, il est libre de plaider l’ignorance si ses décisions politiques débouchent sur l’échec. Ce plaidoyer d’ignorance, toutefois, ne s’applique pas s’il osait tenter ou s’il désirait déconstruire le proverbial signifiant « fascisme » qui doit rester le référent inamovible du mal suprême.
Dans un essai de 1946, un an après la défaite totale du national-socialisme, Orwell notait combien le mot « fascisme » avait perdu sa signification originelle : « il n’a maintenant plus aucune signification sauf dans la mesure où il désigne quelque chose qui n’est pas désirable » (…). On peut dire la même chose d’un vaste éventail de référents postmodernes, y compris du terme devenu polymorphe de « totalitarisme », qui date du début des années 20 du siècle passé, quand il est apparu pour la première fois et n’avait pas encore de connotation négative. Et qui sait s’il aura toujours cette connotation négative si on part du principe que le système américain, monté en épingle, pourrait, en cas d’urgence, utiliser des instruments totalitaires pour garantir sa survie ? Si l’Amérique devait faire face à des affrontements interraciaux de grande ampleur (on songe aux clivages raciaux de grande envergure après les dévastations causées par l’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans en 2005, qui pourrait être le prélude de plus graves confrontations ultérieures), elle devra fort probablement adopter des mesures disciplinaires classiques, telles la répression policière et la loi martiale. On peut imaginer que la plupart des théoriciens postmodernes n’émettraient aucune objection à l’application de telles mesures, bien qu’ils esquiveront probablement le vocable « totalitaire ».
Incantations abstraites
Il y a longtemps, Carl Schmitt théorisa et explicita une vérité vieille comme le monde. Notamment, que les concepts politiques acquièrent leur véritable signification si et seulement si l’acteur politique principal, c’est-à-dire l’Etat et sa classe dominante, se retrouvent dans une situation d’urgence soudaine et imprévue. Dans ce cas, toutes les interprétations usuelles des vérités posées jusqu’alors comme « allant de soi » deviennent obsolètes. On a pu observer un tel glissement après l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 à New York (un événement qui n’a pas encore été pleinement élucidé) ; la classe dirigeante américaine a profité de cette occasion pour redéfinir la signification légale d’expressions comme les « droits de l’homme » et la « liberté de parole ». Après tout, la meilleure façon de limiter les droits civiques concrets n’est-elle pas d’abuser d’incantations abstraites sur les « droits de l’homme » et sur la « démocratie » ? Avec la déclaration possible d’un état d’urgence à grande échelle dans l’avenir, il semble tout à fait probable que l’Amérique finira par donner de véritables significations à son vocabulaire politique actuel. Pour les temps présents, toutefois, la postmodernité américaine peut se décrire comme une sémantique transitoire et un engouement esthétique parfaitement idoine pour assumer une surveillance dans les sphères académiques et politiques, sous le masque d’un seul terme : celui de « démocratie ».
Contrairement au mot, le concept de postmodernité désigne un fait politique ou social qui, selon diverses circonstances, signifie tout et le contraire de tout, c’est-à-dire, finalement, rien du tout. La postmodernité est tout à la fois une rupture avec la modernité et sa continuation logique sous une forme hypertrophiée. Mais, comme nous avons déjà eu l’occasion de le noter, en termes de dogme égalitaire, de multiculturalisme et de religion du progrès, le discours postmoderne est resté le même que le discours de la modernité. Le théoricien français de la postmodernité, Gilles Lipovetsky, utilise le terme d’hypermodernité lorsqu’il parle de la postmodernité. La postmodernité est hypermodernité dans la mesure où les moyens de communication défigurent et distordent tous les signes politiques, leur font perdre toutes proportions. De ce fait, quelque chose que nous allons considérer comme hypermoderne doit simultanément être considéré comme ‘hyperréel’ ou ‘surréel’ ; c’est donc un fait gonflé par une prolifération indéfinie de mini-discours ; des mémoires historiques et tribales travesties en panégyriques aux commémorations de masses honorant les morts de la guerre. De nouveaux signes et logos émergent, représentant la nature diversifiée du système mondial américanisé. Lipovetsky note que « très bientôt, il n’y aura plus aucune activité particulière, plus aucun objet, plus aucun lieu qui n’aura pas l’honneur d’un musée institué. Depuis le musée de la crêpe jusqu’à celui des sardines, depuis le musée d’Elvis Presley jusqu’à celui des Beatles » (2). Dans la postmodernité multiculturelle, tout est objet de souvenir surréel et aucune tribu, aucun style de vie ne doit se voir exclu du circuit. Les Juifs se sont déjà taillé une position privilégiée dans le jeu global des cultes de la mémoire ; maintenant, c’est au tour d’une myriade d’autres tribus, de styles de vie ou de divers groupes marginaux cherchant à recevoir leur part du gâteau de la mémoire globale.
Obsession de la « race »
Officiellement, dans l’Amérique multiculturelle, il n’y a ni races ni différences raciales. Mais les quotas de discrimination positive (« affirmative action ») et l’épouvantail du racisme ramènent sans cesse le terme ‘race’ à l’avant-plan. Cette attitude qui se voit rejetée, de manière récurrente, par l’établissement postmoderne américain, est, de fait, une obsession ressassée à l’infini. Les minorités raciales réclament plus de droits égaux et se font les avocates de la diversité sociale ; mais dans les termes mêmes de leurs requêtes, elles n’hésitent jamais à mettre en exergue leur propre ‘altérité’ et le caractère unique de leur propre race. Si leurs requêtes ne sont suivies d’aucun effet, les autorités courent le risque de se faire accuser d’ ‘insensibilité’. De ce fait, pourquoi n’utiliserait-on pas, dès maintenant, les termes d’Hyper-Amérique hyperraciale ? Ce qui importe, ici, c’est que le lecteur saisisse ces termes dans leur sens aléatoire car la postmodernité, selon les circonstances, peut se donner des significations contradictoires.
L’Amérique est un pays aussi moderne qu’il a voulu l’être. La modernité et la religion du progrès font partie du processus historique qui l’a créé. En même temps, toutefois, les éléments méta-statiques de la postmodernité, en particulier l’ ‘overkill’, les tueries excessives, que l’on voit à satiété dans les médias, sont désormais visibles partout. La postmodernité a ses pièges. Afin de les éviter, ses porte-paroles font usage d’approches particulières du discours moderne en recourant à des qualifiants apolitiques et moins connotés. Dans le monde postmoderne, écrit Lipovetsky, « on note la prédominance de la sphère individuelle sur la sphère universelle, du psychologique sur l’idéologique, de la communication sur la politisation, de la diversité sur l’homogénéité, de la permissivité sur la coercition » (3). De même, certaines questions sociales et politiques apparaissent désormais sous les feux de rampe alors qu’elles étaient totalement ignorées et inédites au cours des dernières décennies du 20ème siècle. L’éventuelle impuissance sexuelle d’un candidat à la présidence est désormais considérée comme une événement politique de premier plan —souvent plus que sa manière de traiter un thème important de la criminalité publique. La mort d’un enfant en bas âge dans une Afrique ravagée par les guerres en vient à être considérée comme une affaire nationale urgente. Même le supporter le plus ardent du multiculturalisme aurait eu grand peine à imaginer, jadis, les changements phénoménaux qui se sont opérés dans le discours pan-racialiste des élites américaines. Même le progressiste américain le plus optimiste de jadis, avocat de la consommation à outrance, n’aurait jamais imaginé une telle exhibition colossale de permissivité langagière ni l’explosion de millions de signes de séduction sexuelle. Tout chose se mue en sa forme plus « soft » que suggère la nouvelle idéologie ; depuis l’idéologie du sexe jusqu’à la nouvelle religion du football en passant par la croisade idéologique contre le terrorisme réel ou imaginaire.
Transformations sémantiques
La culture de masse à l’âge de la néo-postmodernité, comme l’écrit Ruby, facilite le développement d’un individualisme extrême, au point où la plus petite parcelle d’une existence humaine doit dorénavant être perçue comme une commodité périssable ou hygiénique. « La personnalité de quelqu’un est jugée d’après la blancheur de ses incisives, d’après l’absence de la moindre gouttelette de sueur aux aisselles, de même d’après l’absence totale d’émotion » (4). La culture des mots en langue anglaise a, elle aussi, été sujette à des transformations sémantiques. Actuellement, ces mots transformés existent pour désigner des styles de vie différents et n’ont plus rien en commun avec leur signification d’origine. C’est pourquoi on pourrait tout aussi bien appeler l’Amérique postmoderne « Amérique hypermoderne », désignation qui suggère que, dans les années à venir, il y aura encore plus d’hyper-narrations tournant autour de l’hyper-Amérique et du monde « hyper-américanisé ».
Et qu’est-ce qui viendra après la postmodernité ? « Tout apparaît », écrit Lipovetsky, « comme si nous étions passés d’un âge ‘post’ à un âge ‘hyper’ ; une nouvelle société faite de modernité refait surface. On ne cherche plus à quitter le monde de la tradition pour accéder à la modernité rationnelle mais à moderniser la modernité, à rationaliser la rationalisation » (5). Nous avons donc affaire à la tentative d’ajouter toujours du progrès, toujours de la croissance économique, toujours des effets télévisés spéciaux pour, imagine-t-on, nourrir l’existence de l’Amérique hyperréelle. Le surplus de symbolisme américain doit continuer à attirer les désillusionnés de toutes races et de tous styles de vie, venus de tous les coins du monde. N’importe quelle image télévisée ou n’importe quelle historiette de théâtre sert désormais de valeur normative pour une émulation quelconque à l’échelle du globe —ce n’est plus le contraire. D’abord, on voit émerger une icône virtuelle américaine, généralement par le truchement d’un film, d’un show télévisé ou d’un jeu électronique ; ensuite, les masses commencent à utiliser ces images pour conforter leur propre réalité locale. C’est la projection médiatique de l’Amérique hyperréelle qui sert dorénavant de meilleure arme propagandiste pour promouvoir le rêve américain. Nous voyons se manifester un exemple typique de l’hyperréalité américaine lorsque la classe politique américaine prétend que toute erreur générée par son univers multiculturel ou tout flop dans son système judiciaire tentaculaire pourrait se réparer en amenant dans le pays encore plus d’immigrants, en cumulant encore davantage de quotas raciaux ou en gauchisant encore plus ses lois déjà gauchistes. En d’autres termes, la hantise d’une balkanisation du pays, qu’elle ressent, elle croit pouvoir s’en guérir en introduisant encore plus de diversité raciale et en amenant encore plus d’immigrants de souche non européenne. De même, les flops du libre marché, de plus en plus visibles partout en Amérique, elle imagine qu’elle leur apportera une solution, non pas en jugulant la concurrence sur le marché, mais en acceptant encore davantage de concurrence grâce à plus de privatisations, en encourageant plus encore la dérégulation économique, etc. Cette caractéristique de l’ ‘overkill’, de la surenchère postmoderne est l’ingrédient constitutif principal de l’idéologie américaine, qui semble avoir trouvé son rythme accéléré au début de l’âge postmoderne. Jamais il ne vient à l’esprit de l’élite américaine que le consensus social dans une Amérique multiraciale ne pourra s’obtenir par décret. Pourtant, si l’on recourrait à des politiques contraires à tous ces efforts hyperréels en lice, cela pourrait signifier la fin de l’Amérique postmoderne.
Tout doit pouvoir s’expliquer selon des formules toute faites
Déjà à la fin du 20ème siècle, l’Amérique a commencé à montrer des signes d’obésité sociale. C’est la nature irrationnelle de la croyance au progrès qui a crû démesurément à la manière des métastases et qui, de ce fait, annonce, le cas échéant, la fin de l’Amérique. Lash notait, il y a déjà pas mal d’années, que tout à la fin du 20ème siècle, les narcisses américains savoureraient les plaisirs sensuels et se vautreraient dans toutes les formes d’auto-gratification. ‘Prendre du plaisir’ est une option qui a toujours fait partie des prescrits de l’idéologie américaine. Cependant le narcisse américain postmoderne à la recherche du plaisir, comme le nomme Lipovetsky, a d’autres soucis actuellement. Son culte du corps et l’amour qu’il porte à lui-même ont conduit à des crises de panique et des anxiétés de masse : « L’obsession à l’égard de soi se manifeste moins dans la joie fébrile que dans la crainte, la maladie, la vieillesse, la ‘médicalisation’ de la vie » (6). Dans l’Amérique hyperrationnelle, tout doit absolument s’expliquer et s’évacuer à l’aide de formules rationnelles, peut importe qu’il s’agisse de l’impuissance sexuelle d’une personne particulière ou de l’impuissance politique du président des Etats-Unis. La nature imprévisible de la vie représente le plus gros danger pour l’homo americanus parce qu’elle ne lui offre pas sur plateau une formule rationnelle pour lui dire comment éviter la mort ; l’imprévisibilité de la vie défie par conséquent la nature intrinsèque de l’américanisme. Tout effraye l’homme américain aujourd’hui : du terrorisme au rabougrissement de son plan retraite ; de l’immigration de masse incontrôlée à la perte probable de son emploi. Ce serait gaspiller du temps de dénombrer et de chiffrer les maux sociaux américains en ce début de troisième millénaire : songeons à la pédophilie, à la toxicomanie, à la criminalité violente, etc. Le nombre de ces anomalies croîtra de manière exponentielle si la marche en avant du progressisme postmoderne américain se poursuit.
Tout est copie grotesque de la réalité
Chaque postmoderne utilise un méta-langage qui lui est propre et donne sa propre interprétation aux significations de l’histoire. Si nous acceptons la définition de la postmodernité que nous livre le théoricien français Jean Baudrillard, alors tout dans l’Amérique postmoderne est une copie grotesque de la réalité. L’Amérique aurait donc fonctionné depuis 1945 comme un gigantesque photocopieur xérographique, produisant une méta-réalité, qui correspond non pas à l’Amérique telle qu’elle est mais à l’Amérique telle qu’elle devrait être pour le bénéfice du globe tout entier. La seule différence est la suivante : à l’aube du 21ème siècle, le rythme doux et allègre de l’histoire de jadis s’est modifié continuellement, s’est mis à s’accélérer pour passer à la cinquième vitesse. Les événements se déroulent à la vitesse d’une bobine de film, comme détachés de toute séquence historique réelle, et s’accumulent inlassablement jusqu’à provoquer un véritable chaos. Selon Baudrillard, qui est à coup sûr l’un des meilleurs observateurs européens de l’américanisme, l’hyperréalité de l’Amérique a dévoré la réalité de l’Amérique. C’est pourquoi une question doit être posée : pour parachever le rêve américain, les Américains du présent et de l’avenir ne sont-ils pas sensés vivre dans un monde de rêve projeté ? L’Amérique ne se mue-t-elle pas dans ce cas en une sorte de « temps anticipatif » (« a pretense »), en une sorte de fiction, de métaréalité ? L’Amérique a-t-elle dès lors une substance, étant donné que l’américanisme, du moins aux yeux de ses imitateurs non américains, fonctionne seulement comme un système à faire croire, c’est-à-dire comme une « hypercopie » de son soi propre, toujours projeté et embelli ? Dans le monde virtuel et postmoderne d’internet et de l’informatique, toute mise en scène d’événements réels en Amérique procède toujours déjà d’un modèle de remise en scène antérieur et prêt à l’emploi, sensé servir d’instrument pédagogique pour différents projets contingents. Par exemple, les élites militaires américaines disposent de toutes sortes de formules possibles pour tous cas d’urgence qui surviendrait, en n’importe quel endroit du monde. On peut dès lors parier en toute quiétude qu’un scénario, selon l’une ou l’autre de ces nombreuses formules, pourra aisément correspondre à un événement réel sur le terrain. En bref, raisonne Baudrillard, dans un pays constitué de millions d’événements « fractaux », bien que surreprésentés et rejoués à satiété comme ils le sont, tout se mue en un non événement. La postmodernité rend triviales toutes les valeurs, même celles qu’elle devrait honorer pour sa propre survie politique !
De nouvelles demandes sociales émergent sans fin
L’Amérique et sa classe dirigeante pourraient peut-être un jour disparaître, ou, même, l’Amérique pourrait se fractionner en entités étatiques américaines de plus petites dimensions ; dans l’un ou l’autre de ces cas, l’hyperréalité américaine, cependant, continuera à séduire les masses partout dans le monde. L’Amérique postmoderne doit demeurer le pays de la séduction, même si cette séduction fonctionne davantage auprès des masses non européennes et moins auprès des Américains de souche européenne qui, en privé, rêvent de se porter vers d’autres Amériques, non encore découvertes. Dans un pays comme l’Amérique, écrit Baudrillard, « où l’énergie de la scène publique, c’est-à-dire l’énergie qui crée les mythes sociaux et les dogmes, est en train de disparaître graduellement, l’arène sociale devient obèse et monstrueuse ; elle se dilate comme un corps mammaire ou glandulaire. Jadis, cette scène publique s’illustrait par ses héros, aujourd’hui elle s’indexe sur ses handicapés, ses tarés, ses dégénérés, ses asociaux —tout cela dans un gigantesque effort de maternage thérapeutique » (7). Les marginalisés de la société et les marginaux tout court sont devenus des modèles, qui ont un rôle à jouer dans la postmodernité américaine. La « vérité politique » est d’ores et déjà devenue une thématique de la scène privée et émotionnelle, dans le sens où le membre d’une secte religieuse ou le porte-paroles d’un quelconque « lifestyle » (mode de vie) peut émettre sans frein ses jugements politiques nébuleux. Un toqué bénéficie d’autant de liberté de beugler publiquement ses opinions politiques que le professeur d’université. Il arrive qu’un serial killer devienne une superstar de la télévision, aussi bien avant qu’après ses bacchanales criminelles. En fait, comme la quête de diversité ne cesse de s’élargir, de nouveaux groupes sociaux, et, avec eux, de nouvelles demandes sociales émergent sans fin. Le stade thérapeutique de la post-Amérique, comme l’appelle Gottfried, est le système idéal pour étudier tous les comportements pathologiques.
En ces débuts du 21ème siècle, les postmodernistes aiment exhorter tout un chacun à remettre en question tous les paradigmes et tous les mythes politiques, mais, en même temps, ils adorent chérir leurs propres petites vérités étriquées ; notamment celles qui concerne l’une ou l’autre « vérité » de nature ethnique ou relevant des fameux « genders ». Ils continuent à se faire les avocats des programmes d’ « affirmative action » (= de « discrimination positive »), destinés à « visibiliser » les modes de vie non européens et à valoriser les narrations autres, généralement hostiles aux Blancs. Le terme « diversité » est devenu le mot magique des postmodernistes : c’est une diversité basée sur une légitimation négative, dans le sens où elle rejette toute diversité d’origine européenne en mettant l’accent sur la nature soi-disant mauvaise de l’interprétation que donne l’homme blanc de l’histoire.
Les narrations postmodernes ne peuvent être soumises à critique
Bien que la plupart des postmodernistes tentent de déconstruire la modernité en utilisant l’œuvre de Frédéric Nietzsche et en s’en servant de fil d’Ariane, ils persistent à soutenir leurs propres ordres du jour, micro-idéologiques et infra-politiques, basés sur la valorisation d’autres races et de modes de vie différents. Ce faisant, ils rejettent toute autre interprétation de la réalité, surtout les interprétations qui heurtent de front le mythe omniprésent de l’américanisme. L’approche intellectuelle sous-tendant leurs micro-vérités ou leurs micro-mythes ne peut être soumise à critique, en aucun circonstance. Leurs narrations demeurent les fondements sacro-saints de leur postmodernité. Pour l’essentiel, la narration de chaque tribu ou de chaque groupe apparaît comme un gros mensonge commis sur le mode horizontal, ce qui a pour effet que chacun de ces mensonges élimine la virulence d’un autre mensonge concurrent. Le protagoniste d’un mode de vie quelconque et bizarre, présent sur la scène américaine, sait pertinemment bien que sa narration relève de la fausse monnaie ; mais il doit faire semblant de raconter la vérité. Finalement, et dans le fond, le discours de la postmodernité est un grand discours de méta-mensonge, de méta-tromperie.
Si vous adoptez la logique de la postmodernité permissive et la micro-narration hyperréelle d’un zélote religieux ou d’un quelconque tribal de la planète postmoderne, indépendamment du fait qu’il souhaite ou non devenir l’hôte d’un talk show télévisé, ou devenir une star du porno, ou le porte-paroles imaginaire d’une guérilla, alors vous devez implicitement accepter également l’idée d’un « post-démocratie », d’un « post-libéralisme », d’une ère « post-holocaustique » et d’une « post-humanité » dans une post-Amérique. Comme toutes les grandes narrations de la modernité mourante peuvent être remises en question en toute liberté, on peut trouver plein de bonnes raisons pour remettre en question et pour envoyer aux orties la grande narration qui se trouve à la base de la démocratie américaine. En utilisant le même tour de passe-passe, on pourrait remettre au goût du jour en Amérique des penseurs, des auteurs et des hommes de science qui, depuis la fin de ce Sud antérieur à la guerre civile ou, plus nettement encore, depuis la fin de la seconde guerre mondiale en Europe, ont été houspillés dans l’oubli ou ont été dénoncés comme « racistes », bigots ou « fascistes » ou ont reçu l’un ou l’autre nom d’oiseau issu de la faune innombrable de tous ceux que l’on a campés comme exclus. Les auteurs postmodernes évitent toutefois avec prudence les thèmes qui ont été dûment tabouisés. Ils se rendent compte que dans la « société la plus libre qui soit », les mythes antifascistes et anti-antisémites doivent continuer à prospérer.
Tomislav SUNIC.
(extrait du livre « Homo Americanus – Child of the Postmodern Age », publié à compte d’auteur, 2007, ISBN 1-4196-5984-7, pp. 146 à 156 ; trad. franc. : Robert Steuckers).
Notes :
(1) Régis DEBRAY, Cours de médiologie générale, Gallimard, 1991, p. 303.
(2) Gilles LIPOVETSKY/Sébastien CHARLES, Les temps hypermodernes, Grasset, 2004, p. 124.
(3) Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Gallimard, 1983.
(4) Christian RUBY, Le champ de bataille postmoderne, néo-moderne, L’Harmattan, 1990.
(5) Gilles LIPOVETSKY/Sébastien CHARLES, Les temps hypermodernes, Grasset, 2004, p. 78.
(6) Ibidem, p. 37.
(7) Jean BAUDRILLARD, Les stratégies fatales, Grasset, 1983, p. 79.
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mardi, 23 février 2010
Soyons différentialistes!

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995
Soyons différentialistes!
Un professionnel du marketing me disait, il y a quelques semaines, la nécessité, dans notre monde moderne régi par la publicité, d'être identifié rapidement. Ainsi, on a accès aux médias parce que l'on est catalogué socialiste, gaulliste, nationaliste, écologiste, etc. Ce sont là des étiquettes commodes mais somme toute très réductrices. Cette règle actuelle, qui consiste à passer sous les fourches caudines de la “réduction”, nous sera appliquée que nous le voulions ou non. Dès lors, ce professionnel du marketing m'a demandé: vous, les synergétistes, comment vous définiriez-vous en un seul mot? C'est le terme “différentialiste” qui n'est apparu comme le plus proche de notre démarche.
Etre différentialiste, en effet, c'est être pour le respect des différences, des variétés, des couleurs, des traditions et donc hostile à toutes les tentatives d'uniformiser le globe, de peindre le monde en gris, de sérialiser outrancièrement les gestes de la vie quotidienne et les réflexes de la pensée.
Etre différentialiste, c'est être fondamentalement tolérant et non pas superficiellement tolérant comme se piquent de l'être beaucoup de vedettes du prêt-à-penser. Etre différentialiste, c'est respecter les forces numinales qui vivent en l'autre, de respecter les valeurs qui l'animent et s'incarnent en lui selon des modalités différentes des nôtres.
Etre différentialiste, c'est donc être hostile à cette sérialisation planétaire à l'œuvre depuis plus d'un siècle, c'est refuser que tous les peuples soient soumis indistinctement aux mêmes règles dites universelles. C'est reconnaître à chaque communauté le droit de se développer selon ses rythmes propres. C'est être du côté de la loi de la différAnce, du processus de différAnce générateur de différEnces provisoires, pour reprendre le vocabulaire de Derrida, c'est-à-dire du côté de la créativité, des mutations permanentes et constructives, qui suscitent à chaque seconde des formes durables mais mortelles, marquées de cette finitude qui oblige à l'action et sans laquelle nos nerfs et nos neurones s'étioleraient, se laisseraient sans cesse aller aux délices de la mythique Capoue.
Le différentialisme est en fait une rébellion constante pour préserver ce travail permanent de différAnce à l'œuvre dans le monde, pour empêcher que de terribles simplificateurs ne le bétonnent, ne l'oblitèrent. Mais pour que différAnce il y ait, il faut que soient préservées les différEnces car c'est sur le socle de différEnces en expansion ou en déclin que les hommes dynamiques ou réactifs créeront par différAnce les formes nouvelles, qui dureront le temps d'une splendide ou d'une discrète différEnce. Le différentialisme est donc une rébellion pour garder la liberté de se plonger dans le processus universel de différAnce, armé des vitalités ou des résidus d'une différEnce particulière, qui est nôtre, à laquelle le destin nous a liés.
Pour nous l'Europe sera différentialiste ou ne sera plus! Une Europe soustraite par les terribles simplificateurs au processus universel de différAnce, privée de ses différEnces vivaces ou abîmées, ne sera plus qu'une Europe étouffée par l'asphalte des idéologies-toutes-faites, une Europe qui n'aura plus la souplesse intellectuelle pour faire face adéquatement aux défis planétaires qui nous attendent. Nous ne voulons pas d'un modèle américain, de plaisirs sérialisés, nous voulons sans cesse de l'originalité, nos critères nous portent à aimer le cinéma ou la littérature d'un Chinois inconnu des pontifes médiatiques, d'un Latino-Américain brimé par sa bourgeoisie ou ses militaires aux ordres de Washington, d'un Africain qui n'a pas accès aux plateaux de Paris ou de New York, d'un Indien qui refuse les modes pour faire revivre en lui, à chaque instant, la gloire de l'univers védique! Notre différentialisme est donc ouverture permanente au monde, combat inlassable contre les fermetures que veulent nous imposer la “political correctness” et le “nouvel ordre mondial”.
Mais cette propension à tout bétonner est aujourd'hui au pouvoir. Comme l'écrivait Pierre Drieu la Rochelle dans son Journal: «J'ai mesuré l'effroyable décadence des esprits et des cœurs en Europe». Or depuis la rédaction de ce texte, la chute n'a fait que s'accélérer. C'est contre elle que nous avons voulu réagir en nous implantant partout en Europe: pour dialoguer, comparer nos héritages à ceux des autres, pour opposer nos différEnces et participer ainsi au processus de différAnce, pour épauler ceux qui agissent en dehors des grands circuits commerciaux d'une culture homogénéisée, mise au pas, stérilisée.
Notre mouvement s'accroît, bon nombre d'initiatives s'adressent à nous pour œuvrer en commun: j'en veux pour preuve les associations allemandes ou italiennes qui vont participer conjointement à nos universités d'été, qui nous fournissent des orateurs, qui travaillent chacune sur leur créneau, j'en veux pour preuve les journaux, grands et petits, qui s'adressent à nos cadres pour remplir leurs colonnes, j'en veux pour preuve ce théâtre de rue lombard qui pratique, de concert avec “Synergies”, le gramscisme dans sa version la plus pure. En effet, Antonio Gramsci pariait justement sur ce théâtre spontané des rues et des masses, animé par des “intellectuels organiques”, pour jeter bas le cléricalisme dominant à son époque. Berthold Brecht ne disait pas autre chose. La contestation radicale de cette fin de siècle est notre camp, notre seul camp. Nous ne luttons pas pour faire advenir en Europe une grande idéologie verrouillée, un iron heel de nouvelle mouture, mais justement pour préserver ces spontanéités culturelles qui corrodent les raides certitudes des bigots de toutes espèces.
Gilbert SINCYR.
00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, anthropologie, différencialisme, ethnopluralisme, nouvelle droite, synergies européennes, identité | |
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lundi, 22 février 2010
Bertrand de Jouvenel, analyse du pouvoir, dépassement du système: l'impact de la revue "Futuribles"
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998
Bertrand de Jouvenel, analyse du pouvoir, dépassement du système: l'impact de la revue Futuribles
Intervention de Laurent Schang lors de la 6ième Université d'été de "Synergies Européennes" (Valsugana/Trento, 1998)
Singulier destin que celui de Bertrand de Jouvenel des Ursins, aristocrate républicain, non-conformiste des années de l'entre-deux-guerres et fédéraliste européen fondateur du Club de Rome, titulaire de chaires académiques à Paris mais aussi à Oxford, Manchester. Cambridge, Yale ou Berkeley, auteur d'une trentaine de traités théoriques en politologie et sciences économique et sociale, témoin et acteur de cinquante ans de haute diplomatie mondiale (tour à tour en tant qu'envoyé spécial puis conseiller expert auprès des principales instances dirigeantes, membre de la Commission des Comptes de la Nation et de la Commission au Plan), président-directeur général de la S.E.D.E.I.S. (Société d'Etude et de Documentation Economique, Industrielle et Sociale), directeur de revues de prospective dans lesquelles il mit en équation parmi les premiers la méthodologie de la prospection dans le domaine des ³sciences² sociales (l'art de la conjecture ou stochastique: sagesse du philosophe et prudence du politique) synthétisée en un néologisme, Futuribles, qui devait donner l'intitule d'une revue créée et dirigée par son fils, Hugues de Jouvenel, et qui sur la fin de ses jours dut intenter un procès à l'historien Zeev Sternhell, qui dans sa somme Ni Droite ni Gauche, I'idéologie fasciste en France,I'évoquait en une figure prédominante de l'intelligentsia pro-fasciste française. On se souvient que Denis de Rougemont, à qui bien des convergences doctrinales reliaient Bertrand de Jouvenel, se vit lui aussi obliger de traîner Bernard Henri Lévy devant les tribunaux pour les mêmes accusations publiées dans le livre L'idéologie française.
Singulier destin en effet pour ce fils né le 31 octobre 1903 de Henry de Jouvenel, sénateur et ambassadeur français radical-socialiste mais de tradition familiale catholique et royaliste, et de Sarah Claire Boas, fille d'un riche industriel juif et franc-maçon. Jean Mabire, dans sa bio-bibliographie Bertrand de Jouvenel, la mauvaise réputation, écrit: ³Curieux personnage qui a toujours été décalé, en avance ou en retard sur son temps, jamais en prise sur le réel, mais d'une singulière lucidité sur l'évolution du monde qu'il a regardé toute sa vie avec un mélange de scepticisme et d'enthousiasme, qui l'apparente par plus d'un trait à son vieil ami Emmanuel Berl².
De l'économie dirigée aux Futuribles
Solidement appuyé sur ses brillantes études de droit et sciences à l'Université de Paris, Bertrand de Jouvenel se passionne pour la politique internationale et devient reporter auprès de la Société des Nations, cependant qu'il s'attèle très tôt à relever et théoriser l'essence du pouvoir dans ses multiples expressions et échafaude sa pensée-monde. Ses reportages pour La République, un quotidien parisien, lui assure la reconnaissance de ses pairs. L 'Economie Dirigée, formule qu'il crée pour la circonstance, est publiée en 1928, Vers les Etats-Unis d'Europe en 1930. Pacifiste, ardent promoteur de la réconciliation franco-allemande, et conscient de l'étroitesse de la dichotomie Droite-Gauche, il constitue avec Pierre Andreu et Samy Béracha La Lutte des Jeunes, hebdomadaire non-conformiste à la pointe des idées planistes, personnalistes et fédéralistes où l'on peut lire Jean Prévost, Henri De Man ou Pierre Drieu la Rochelle. Peu de temps attiré par l'expérience prolétaro-fasciste du PPF, il s'en eloigne vite, et, résistant, il passe la frontière suisse en 1943, poursuivi par la Gestapo. Il reprendra après guerre ses fonctions de penseur et analyste, enseignera a l'I.N.S.E.A.D. de 1966 à 1973, à partir de quand il professera au C.E.D.E.P.. Professeur honoris causa de l'Université de Glasgow, il crée entre 1954 et 1974 deux périodiques: Analyse et Prévision, Chroniques d'Actualité et ¦uvre au sein du Comité International Futuribles et de I'Association Internationale Futuribles. Bertrand de Jouvenel s'éteint en 1987.
Mais, une fois évoqués ces quelques éléments d'éclaircissement biographique, nous n'avons encore rien dit, et tout reste à définir du monumental travail théorique, analytique et prospectif de Bertrand de Jouvenel. Ainsi sa pensée, englobant la totalité des connaissances issues des sciences humaines, doit-elle être abordée d'un point de vue politologique comme une tentative de mise en relation hiérarchique des trois partenaires de tout mouvement social: I'individu, la société, l'Etat/nation, intégrée dans la vaste perspective d'ensemble du devenir éternel de la civilisation. ³Quelle Europe voulons-nous?², cette question essentielle doit être comprise comme le fil conducteur de sa pensée critique.
L'Etat, Minotaure absolutiste
Guidé par sa volonté de puissance, I'Européen a conquis la planète, et l'histoire de l'Occident est devenue l'histoire du monde.. Comment donc expliquer ³la balkanisation² de l'Europe post-1945, son écartèlement entre les puissances asiatique et américaine, le dépérissement du citoyen libre à la base de la philosophie européenne en producteur/consommateur; comment mesurer, enfin, dans l'optique de dégagement des futurs possibles (sur lesquels nous reviendrons) la dégénérescence des structures sociales dans leur articulation organique en un Tout mécanique parasité par l'Etat, ³Minotaure² absolutiste auquel l'individu-citoyen est jeté en pâture, cellule impuissante devant la mégamachine statocratique? La réponse, pour Bertrand de Jouvenel, se trouve dans cette même volonté de puissance. Pour mobiliser les énergies et rationaliser cet appétit insatiable de supplantation de la nature par la culture, la civilisation s'est dotée de l'arme idéologique, et tout le travail des temps modernes consistera à renforcer la souveraineté nationale et l'autorité illimitée du souverain au détriment du citoyen. Ce que le Pouvoir, minoritaire, exige, la majorité nationale doit s'y soumettre.
Au centre du système, la démocratie, qui, indissociable du principe national, consacre non pas le règne de la personne et de la communauté, expression la plus directe du génie européen, mais celui d'un ³self-government² autocratique, prétendant exprimer la volonté majoritaire et modeler le genre de vie de tous ses ressortissants. Le droit se substitue à l'esprit, la liberté devient axiome.
Avec le gonflement de l'Etat, le Pouvoir s'est affirmé, droit illimité de commander au nom du Tout social par la destruction progressive (le mot a son importance) de tous les corps intermédiaires. Le passage de la monarchie à la démocratie, considéré comme un progrès dans le gouvernement des hommes, est davantage progrès dans le développement des instruments de coercition: centralisation, réglementation, absolutisme. Avec la démocratie, le serpent se mord la queue et la civilisation, de puissance, devient
impuissante, privée de ses ressources légitimes que sont la spiritualité, I'esprit d'entreprise ou l'association libre.
Que le pouvoir soit toujours égal à lui-même, indépendamment des expressions idéologiques dont il se pourvoit, seulement mené par son égoïsme ontologique et usant des forces nationales à cette fin, ne fait aucun doute pour Bertrand de Jouvenel dont l'¦uvre, magistrale et trop ignorée, peut se décomposer comme suit:
-connaissance de la politologie;
-des sociétés aristocratiques à l'avènement de la démocratie, le triomphe du Pouvoir;
-³Quelle Europe?² Thésée contre le Minotaure;
Bertrand de Jouvenel, analyse du pouvoir et dépassement du système:
I. Connaissance de la politologie:
La science politique est une discipline hybride, ‹³instaurée par des immigrants de la philosophie, de la théologie, du droit et, plus tard, de la sociologie et de l'économie, chaque groupe apportant sa propre boîte d'outils et s'en servant²,‹ qui présente deux aspects complémentaires: l'efficacité, qu'incarne Bonaparte sur le pont d'Arcole, debout, prêt à charger, entraîneur exalté; la précision, magnifiée par le roi Saint Louis, assis, serein, conciliateur. (cf. De la Politique Pure, v. aussi De la Souveraineté).
Dans ses Lettres sur l'esprit de patriotisme (Letters on the Spirit of Patriotism, 1926), Bolingbroke indique quatre déterminants du politique:
1) - I'objectif patriotique;
2) - une grande stratégie mise en ¦uvre pour atteindre son but;
3) - une série de man¦uvres actives et souples destinées à mener à bien cette stratégie;
4) - le plaisir intense attaché à son exécution.
Dix constantes invariables en sciences politiques
Cette conception sportive du politique, Bertrand de Jouvenel la reprend mais pour en atténuer sensiblement le caractère de noblesse: ³L'observation nous permet, malheureusement, de craindre que le plaisir de manipuler les hommes ne soit goûté pour lui-même, alors même que l'opération ne s'inspire d'aucun but élevé, ne se consacre à aucune fin salutaire²..
Jouvenel dénombre dix constantes invariables relatives aux sciences politiques:
- I'élément identifiable le plus petit dans tout évènement politique, c'est l'homme faisant agir l'homme.
- est politique, tout ce qui est accompli dans le registre ³du champ social pour entraîner d'autres hommes à la poursuite de quelque dessein chéri par l'auteur². De fait, ³la théorie politique est collection de théories individuelles qui figurent côte à côte, chacune d'elles étant impénétrable à l'apport de nouvelles observations et à l'introduction de nouvelles théories² (richesse des théories normatives et pauvreté en théories représentatives).
- faisant sienne la définition de Leibniz, Bertrand de Jouvenel considère la société comme ³complexe d'individus réunis par un modèle de comportement où l'individu exerce sa liberté².
- il convient de distinguer l' eventus opération préparée et contrôlée tout au long de son déroulement, et l' eventum, sans auteur identifiable, rencontre d'enchaînements créant un phénomène incontrôlable.
- I'Etat comporte dans sa définition deux sens antagonistes: une société organisée avec un gouvernement autonome ou chacun est membre de l'Etat; un appareil qui gouverne hors des membres de cette société.
- le problème politique, du ressort des sciences humaines, n'est pas soluble, ³il peut être réglé, ce qui n'est pas la même chose²,
- pour la même raison, ³il est particulièrement hasardeux de supposer que dans la politique les hommes agissent d'une manière rationnelle².
- I'essence même du Pouvoir tient dans sa dualité, égo-ïsme et socialisme, car le principe égo-ïste fournit au Pouvoir la vigueur de ses fonctions, le socialisme attestant la préservation de l'ascendant des dirigeants.
- par conséquent le pouvoir ne se maintient que par sa vertu à préserver l'obéissance des citoyens, et leur croyance dans sa légitimité.
- les trois valeurs cardinales de tout Pouvoir étant: légitimité, force, bienfaisance.
Il n'existe qu'une finalité au Pouvoir, se maintenir en toujours croissant. Pour ce faire, I'appareil d'Etat use de ses services rendus. Le commandement qui, en dehors de tout altruisme, se prend pour fin, est amené à veiller sur le bien commun, ayant besoin du consentement des forces sociales pour assurer son hégémonie parasitaire. Dans son Pseudo Alcibiade, dialogue entre Socrate et Alcibiade inspiré de Platon, Jouvenel fait dire à Alcibiade ces propos qui résonnent comme une profession de foi: ³Pour le politicien qui désire obtenir d'un grand nombre de gens et dans un bref délai une certaine décision ou action, il faut absolument faire appel à l'opinion actuelle que les gens ont du bien, accepter cette opinion telle qu'elle est; et c'est elle, précisément que tu as pour but de changer. Ce que les gens considèrent aujourd'hui comme le bien, voilà la donnée sur laquelle se fonde le politicien, celle qu'il emploie pour faire agir les gens comme il le désire. Voilà la façon dont le jeu se joue².
Privation des libertés, recul des corps intermédaires
Or, possédant désormais les rouages de l'Etat, les grands dossiers, les représentants du Pouvoir se convainquent de leur souveraineté; de délégués du souverain, ils se muent en ³maîtres du souverain² (cf.. Proudhon, in Théories du mouvement constitutionnel au XIXième siècle). De cette situation se nourrit le dualisme du Pouvoir. Sa croissance apparaît moins aux individus comme une entreprise continuelle de privation des libertés que comme un facteur de libération des contraintes sociales. Ainsi le progrès étatique induit-il le développement de l'individualisme, et vice-versa, la nation livrée au Pouvoir, niant systématiquement toute distinction entre ses intérêts et ceux propres de la société civile.
Comment le progrès de l'intrusion étatique a-t-il coïncidé avec le nivellement de la Nation? Le fait que ce travail de sape soit dans la destinée même de l'Etat ne suffit pas à expliquer ce recul des corps intermédiaires. La raison profonde est à rechercher dans la crise ouverte par le rationalisme, philosophie du progrès qui a accompagné à partir du XVIlième siècle la technicisation de l'Occident. Déjà les rêveries platoniciennes, héritières d'utopies plus anciennes encore, avaient entretenu dans la pensée antique la confusion sur un gouvernement attaché en tout temps aux seules aspirations des gouvernés. Cette dangereuse chimère, méconnaissant la nature humaine, a entravé la constitution d'une science politique véritable et engendré toutes les révolutions qui menacent périodiquement la civilisation. A l'origine du processus, le Contrat Social, vue de l'esprit qui réduit la société à l'état d'un club de célibataires et oublie la nature fondamentalement communautaire de l'Homme, dépendant du groupe (avant d'être homo sapiens, l'individu est d'abord homo docilis), et agissant ³dans un environnement structuré²..
De l'atomisation ainsi provoquée s'impose l'obéissance au Pouvoir, la croyance dans sa légitimité, l'espoir dans sa bienfaisance. La soumission à la souveraineté, ³droit de commander en dernier ressort de la société², introduit la suprématie arbitraire d'un représentant ou groupe de représentants, titulaire de la volonté générale, laquelle est censée participer au débat à travers l'opinion, coquille vide, majorité floue n'obéissant qu'aux passions du moment, guidée par la propagande, incapable de dégager une ligne politique cohérente: ³De simples sentiments ne peuvent rien fonder en politique. Il y faut une pensée, consciente des éléments du problème, qui connaisse les limites dans lesquelles il est susceptible de solution, et les conditions auxquelles il peut être résolu² (extrait de Quelle Europe?). La partitocratie n'agit pas autrement, qui s'adresse non à l'intelligence du militant, mais à son partiotisme prosélyte, sa fidélité servile au centralisme démocratique du parti.
Le tandem police/bureaucratie
Pour avoir retiré au droit sa force transcendante, le rationalisme a condamné la législation à n'être plus que convention utilitariste, dénuée de morale, seule expression de la versatile volonté humaine. La Raison érigée en dogme a inauguré l'ère des despotes éclairés, sceptiques, incrédules, et convaincus de devoir corriger le peuple pour le conformer à la Raison au moyen du tandem police bureaucratie.
Ainsi, à chaque Pouvoir nouveau correspond une notion du Bien, du Vrai, du Juste aussi éphémère que lui et indéfiniment modifiable au gré des opinions de l'époque. Rien ne retient plus la machine dès lors, puisque, si l'autorité doit se conformer au droit, le droit n'est que l'ensemble des règles édictées par elle, sous couvert de représentation populaire. L'autorité législatrice ne peut qu'être juste, par définition.
Mise en place de la démocratie totalitaire
D'espace de liberté, le droit devient à son tour sujet du Pouvoir; I'Homme, de réalité physique et spirituelle, devient ³légal².. Consécration du monisme démocratique, ³l'exécrable unité² de Bainville, la centralisation ne connaît plus de limite: ³anéantissement des pouvoirs locaux devant le pouvoir central, développement des exigences du pouvoir central à l'égard des sujets et rassemblement entre ses mains des moyens d'action² (Du Pouvoir). Son contrôle est total: direction de l'économie nationale, direction de la monnaie nationale, contrôle du commerce extérieur, contrôle des changes, monopole de l'éducation, mainmise sur l'information.
La confusion démocratique du pouvoir et de la liberté du peuple est à la source du principe despotique moderne. Armé de l'anonymat que lui confère son identification au peuple, le Pouvoir n'en écrase que mieux l'individu sous le poids de la totalité, opprime l'intérêt particulier au nom de l'intérêt général. Le Tout veut, le Tout agit, le régent a l'autorité du Tout. La démocratie totalitaire est en place. On le voit, la politologie selon Jouvenel ne tient aucun compte de l'armature idéologique des régimes: ³Les discussions sur la démocratie sont frappées de nullité car on ne sait pas de quoi on parle². Le discours omniprésent des philosophes camoufle à peine leur travail de justification des politiciens en place. Remontant à l'essence du Pouvoir, Jouvenel délivre la science politique de son fardeau de concepts et s'astreint à ne traiter que de Realpolitik au sens le plus pur du terme.
Et où la démocratie entend la marche de l'Histoire au sens marxiste comme un inexorable progrès vers la libération de l'individu aliéné, Jouvenel dresse le panorama de deux mille ans de régression planifiée.
II. Des sociétés aristocratiques à l'avènement de la démocratie, le triomphe du Pouvoir
Si la grande mutation de notre civilisation peut être datée au tournant des XVlIIième et XlXième siècles avec l'acquisition toujours accélérée de forces nouvelles qui dégagèrent l'Homme de l'emprise du Créateur, la marche du Pouvoir, elle, lui est bien antérieure, et correspond à l'émergence même d'une autorité constituée et légitimée au sein des sociétés les plus primitives.
D'origine gérontocratique et ritualiste, le Pouvoir primitif, par essence conservateur, est supplanté par l'essor de la classe guerrière, qui répond au besoin d'ébranlement social caractéristique des périodes de trouble.
Le déplacement d'influence observé engendre une nouvelle élite, l'aristocratie regroupée en une pyramide gentilice bientôt mutée en ploutocratie au fil des conquêtes. Noblesse devient synonyme de richesse du temps de la Grèce homérique.
Parallèlement, I'expansion nécessite la nomination d'un chef à l'autorité absolue, concédée par les autres chefs de gentes regroupés dans le Sénat. L'histoire conservera le souvenir de l'lmperium extra muros de Rome, où la fonction politique du dux s'associe au caractère religieux du Rex. Cette dualité historique du pouvoir royal, ³symbole de la communauté (...) sa force cohésive, sa vertu mainteneuse (...) il est aussi ambition pour soi (...) volonté de puissance, utilisation des ressources nationales pour le prestige et l'aventure².
Un appareil stable et permanent
Le roi, ainsi nanti, ne tarde pas à s'opposer aux gentes dont la puissance propre l'oblige à composer et pour acquérir l'autorité directe, indiscutable qui lui fait défaut, il se tourne vers les couches plébéiennes. L'appui de la plèbe transforme la royauté en monarchie, comme Alexandre le Grand soutenu par les Perses contre les chefs macédoniens.. Bureaucratie, armée, police, impôt construisent un appareil stable et permanent qui jamais plus ne sera démenti: I'Etat.
L'apport du christianisme à la souveraineté, en lui conférant un droit divin, selon la formule de Saint Paul: ³Tout Pouvoir vient de Dieu², avertit le roi qu'il est serviteur des serviteurs de Dieu, protecteur et non propriétaire du peuple. Le système médiéval fondé sur la Loi divine et la Coutume populaire incite le Pouvoir pendant de longs siècles à la modération. Saint Paul dans ses épîtres ne se réfère-t-il pas à la tradition juridique romaine, laquelle place la souveraineté dans les mains du Peuple!
Il faudra la crise de la Réforme et les plaidoyers de Luther en faveur du pouvoir temporel pour que le Pouvoir se défasse de la tutelle papale et que soit introduite la remise en cause de l'intercession de l'Eglise entre Dieu et le Roi. Au siècle suivant Hobbes déduira le droit illuminé du Pouvoir non de la souveraineté divine mais de la souveraineté du peuple. A sa suite, Spinoza dans son Traité théologico-politique rompt définitivement avec la tradition augustinienne et annonce le souverain despote. Dieu terrestre au pouvoir seulement limité par le droit accordé aux sujets. ³Est esclave celui qui obéit au seul intérêt d'un maître. Est sujet celui qui obéit aux ordres dans son intérêt². Rousseau et Kant assignent pareillement un droit illimité au commandement, mandaté par le peuple empêché de l'exercer par lui-même. Mais, à l'opposé de Montesquieu, il méconnaît la représentativité parlementaire: ³La Souveraineté ne peut être représentée (...) les députés du peuple ne sont donc et ne peuvent pas être représentants (...) Le peuple anglais pense être libre: il se trompe fort; il ne l'est que durant l'élection des membres du Parlement, sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien². (in Du Contrat Social).
L'Occident: un processus ininterrompu de croissance étatique
L'Occident, depuis sa segmentation en royaumes rivaux, a connu un processus ininterrompu de croissance étatique. La volonté d'agrandissements, la soif d'expansion explique l'organisation d'infrastructures toujours plus efficaces. Les périls extérieurs ont permis de démultiplier les droits de l'Etat se présentant comme étroitement lié aux intérêts du peuple. ³Ainsi la guerre accouche-t-elle de l'absolutisme², ce que magnifia Richelieu: ³ne permettre aucune division à l'intérieur, les entretenir toutes à l'extérieur, ne point souffrir de partisans de l'étranger mais avoir partout les siens².
La Nation se forme autour du Trône. Le Roi incarne les peuples agrégés en un Tout à la seule validité psychologique. Aussi la Révolution ne doit-elle être envisagée qu'en tant que rénovation et renforcement du Pouvoir de la part d'un corps social qui, de spectateur de la monarchie, entend s'approprier le commandement. Bertrand de Jouvenel écrit ³le trône n'a pas été renversé, mais le Tout, le personnage Nation, est montré sur le trône². Et d'ajouter: ³Qu'on cesse donc d'y saluer des réactions de l'esprit de liberté contre un pouvoir oppresseur. Elles le sont si peu qu'on ne peut citer aucune qui ait renversé un despote véritable². La fonction historique de la Révolution n'est pas à rechercher dans la punition morale du despote mais bien plus dans la sanction biologique de son impuissance.
Et dans ce plein essor du sentiment national, Hegel théorise le premier une doctrine cohérente du phénomène nouveau qu'est l'Etat-Nation, ³ce qui commande souverainement à nous et à quoi nous sommes incorporés². Hegel voit dans l'Etat la conception à venir de la société, être collectif, infiniment plus important que les individus, au pouvoir bureaucratique et savant, à la volonté qu'il qualifie non arbitraire mais connaissance de ce qui doit être et doit pousser le peuple dans le but que lui assigne la Raison.
Suffrage universel, méritocratie, droits del 'Homme
L'organicisme de Spencer et Durkheim, le positivisme de Comte et les théories transformistes de Lamarck et Darwin, héritiers de l'enthousiasme industriel du XlXième siècle, iront tous dans le sens de l'accroissement indéfini des fonctions et de l'appareil gouvernemental.
Pour se maintenir, le Pouvoir, dont les dimensions actuelle ont pris, avec le développement des moyens de communication, une importance inégalée, dispose de trois armes imparables:
- le recours au suffrage universel, ce qu'avaient déjà compris Napoléon, Bismarck et Disraeli qui consacre le césarisme, la large classe des dépendants se reposant sur l'omnipotence étatique contre l'aristocratie bourgeoise, puissance financière mais sans assise populaire;
- la ³méritocratie², très relatif renouvellement des élites qui facilite beaucoup l'extension du pouvoir en offrant à tous la perspective d'une participation au Pouvoir, complicité spécifique à la démocratie;
- les Droits de l'Homme, qui répandent l'illusion de la garantie des intérêts absolus de l'individu contre la société convention collective, mais que contourne aisément le Pouvoir, qui jouit du prestige de la Souveraineté, et de la collusion tacite liant l'individualisme social avec la philosophie politique absolutiste d'un gouvernement se réclamant des masses.
Le triomphe de la démocratie dans la cohésion opérée entre l'Etat et la Nation prend une tournure téléologique. Bertrand de Jouvenel parle d' ³incubation de la tyrannie².
III. Quelle Europe? Thésée contre le Minotaure.
³L'Etat moderne n'est autre chose que le roi des derniers siècles, qui continue triomphalement son labeur acharne, étouffant toutes les libertés locales, nivelant sans relâche, et uniformisant². Régulateur impérieux de toutes les existences individuelles, il ne protège pas les droits locaux, particuliers, mais réalise une ³idée², I'idée nationale et sociale mêlée. Le paradis plané. Le partisanisme agressif, I'étatisme spoliateur, le nationalisme fiévreux, I'idéalisme cynique concourent à son succès. Le pouvoir de faire concentré, ne reste plus à l'individu que celui de consommer, fonction irresponsable, le pouvoir d'achat, qui porte toutefois en germe le ferment possible d'une révolte, provoquée par la paupérisation et l'inégalité quantitative croissante des pouvoirs de consommation, derrière quoi pourrait se profiler de nouvelles revendications sociales, morales et politiques. Quelle ligne adopter? Bertrand de Jouvenel postule cinq fronts à établir en vue de restaurer la civilisation:
- nier et ¦uvrer au démantèlement de l'Etat national unitaire, monstrueuse concentration de pouvoir et unique impulsion à toutes les forces et toutes les vies de la société. ³Le mal serait en voie de guérison si l'Etat cessait d'être un appareil à travers lequel une volonté générale dicte à chacun ce qu'il doit croire, faire et sentir².
- supprimer la dichotomie producteur-citoyen, renouer avec l'antique conception de l'homme libre, I'habitant, le citoyen accompli dans sa capacité à s'affirmer comme personne, comme Etre et Devenir.
- procéder à l'étude critique des penseurs à l'origine de la Civilisation de Puissance: Hobbes, Rousseau, Kant, Bentham, Helvétius et Destutt de Tracy, conceptions fausses et mortelles de la société.
- reprendre conscience que la nation n'est pas sentiment d'association mais d'appartenance commune à une foi, une morale unanimement respectées. Un droit inviolable parce que hors d'atteinte du Pouvoir.
- instaurer une nouvelle charte des peuples, reposant sur les particularismes linguistiques, culturels, traditionnels et coutumiers. Un libertarisme féodal que Jouvenel traduit par ces mots ³le traditionalisme, I'esprit conservateur des gloires et des coutumes propres au groupe, une fierté de corps qui préfère des conduites spécifiques à d'autres qu'on lui propose comme plus rationnelles, une adhésion affective à la localité plutôt que le dévouement à l'idéologie qui transcende le cadre géographique².
Un libertarisme de type féodal
Une position non-conformiste éminemment proche du personnalisme, qui met l'accent sur la personne humaine, le fédéralisme, la liberté d'association spontanée, I'appartenance à la communauté contre l'omnipotence du Pouvoir. ³Il faut des hommes internationaux par croyance, comme étaient les clercs du Moyen Age² (in Quelle Europe?). Jouvenel opte pour une autorité internationale ayant une prise morale directe sur les peuples, gouvernement des gouvernements, ³ultramontanisme² fédéral à l'échelle européenne sur le modèle de la ³République chrétienne².
Nécessité historique, ce super-gouvernement européen n'aura aucune prétention à l'universalisme du type O.N.U., dont la vanité ne lui échappe pas: ³Ne commet-on pas une erreur lorsqu'on préfère un édifice universel et théorique, à un édifice plus limité, mais réalisable² (in: Quelle Europe?). C'est de la solidarité des instincts, de l'union des sentiments, du respect commun des coutumes particulières que fécondera la résistance à l'hégémonie nationale étatique, ultime rempart de la civilisation européenne.
Ainsi le régime de l'anonymat consacre-t-il non l'ère libertaire des philosophes mais l'ère sécuritaire des tyrans. L'acquisition de droits sociaux s'est accompagnée de l'abandon correspondant des droits individuels les plus élémentaires. L'envahissement de la protection sociale a pris une telle arnpleur qu'il réclame à son tour qu'on s'en protège. Si l'Utile a pris le pas sur le Bien, la faute en revient d'abord aux philosophes modernes.
³Où est donc votre fleuve que je m'y désaltère? Mirages. Il faut retourner à Aristote, Saint Thomas, Montesquieu. Voilà du tangible et rien d'eux n'est inactuel². Sachons, nous aussi nous montrer réceptifs au message anti-étatique et communautariste de Bertrand de Jouvenel. Pour que vive l'Homme Européen, responsable, citoyen, libre!
* * *
Avant de clore cet exposé nécessairement succinct parce que synthèse d'une ¦uvre qui s'est voulue analytique, il convient de parfaire notre connaissance de Bertrand de Jouvenel par quelques éclaircissements sur le concept des Futuribles. Plutôt qu'un historique de la revue du même nom, dirigée par son fils, Hugues de Jouvenel, voyons ensemble ce que recouvre ce terme: ³Futuribles² est un néologisme repris par Bertrand de Jouvenel à un jésuite du XVIième siècle, Molina, théologien espagnol, contraction des mots ³futurs² et ³possibles². Il désigne les différents avenirs possibles selon les différentes manières d'agir. En ce sens, Bertrand de Jouvenel publie en 1964 un essai intitulé L'art de la conjecture, traité théorique où Jouvenel expose le procédé employé par lui dans la réalisation, depuis 1961, de travaux de prospective sur les modifications structurelles du système social et politique. Prévoyance comme action de l'esprit qui considère ce qui peut advenir et non futurologie (pseudo-science proposée par Ossip Flechtheim en 1949 sur la base de la connaissance), ce à quoi il oppose le principe de la ³conjecture raisonnée².
Les péchés mortels de la politique
Au sortir de 1945, Jouvenel jetait les bases de cet aspect proleptique de sa réflexion: ³Si terribles qu'aient été leurs conséquences, ces erreurs sont moins coupables dans leur principe que les fautes, véritables péchés mortels de la politique, qui sont causées par l'impuissance des dirigeants à calculer les répercussions lointaines de leurs actes, par le mépris des règles établies et des maximes avérées de l'art de gouverner²..
En préface de L'art de la conjecture, Bertrand de Jouvenel ajoute: "Susciter ou stimuler des efforts de prévision sociale et surtout politique, tel est le propos de l'entreprise Futuribles, formée, grâce à l'appui de la Fondation Ford, par un petit groupe offrant un éventail de nationalités et de spécialités, assemblé par une commune conviction que les sciences sociales doivent s'orienter vers l'avenir (...) Ainsi l'avenir est pour l'homme, en tant que sujet agissant, domaine de liberté et de puissance, et pour l'homme, en tant que sujet connaissant, domaine d'incertitude. Il est domaine de liberté parce que je suis libre de concevoir ce qui n'est pas, pourvu que je le situe dans l'avenir; j'ai quelque pouvoir de valider ce que j'ai conçu (...). Et même il est notre seul domaine de puissance, car nous ne pouvons agir que sur l'avenir: et le sentiment que nous avons de notre capacité d'agir appelle la notion d'un domaine ³agissable²".
Les quatre règles des "Futuribles"
Quatre règles fondent la démarche:
1) sans représentation, pas d'action.
2) l'action suivie, systématique, s'adresse à la validation d'une représentation projetée dans l'avenir.
3) l'affirmation du futur vaut toutes choses égales d'ailleurs, selon la vigueur de l'intention.
4) l'homme qui agit, avec une intention soutenue, pour réaliser son projet, est créateur d'avenir.
Depuis, colloques, séminaires, projets soumis à la D.A.T.A.R. (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale) se sont accumulés, que renforcent depuis 1974 la revue Futuribles et la publication régulière d'actes et de livres. ³A mesure que l'avenir devient plus flou et offre une marge de liberté plus grande à nos actions² (cf. La Revue des revues, n°20), Futuribles poursuit le travail initié par Bertrand de Jouvenel et conserve en ligne de mire la mise en garde de Martin Heidegger (in: Le Tournant): Ne pas ³prendre purement et simplement en chasse le futur pour en prévoir et calculer le contour - ce qui revient à faire d'un avenir voilé la simple rallonge d'un présent à peine pensé².
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dimanche, 21 février 2010
La leçon du philosophe et sociologue Hans Freyer
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987
La leçon du sociologue et philosophe Hans Freyer
Ex: http://vouloir.hautetfort.com/
Pour Hans Freyer (1887-1969), sociologue allemand néo-conservateur (« jeune-conservateur », jungkonservativ) qui sort du purgatoire où l'on avait fourré tous ceux qui ne singeaient pas les manies de l'École de Francfort ou ne paraphrasaient pas Saint Habermas, la virtù de Machiavel n'est pas une "vertu" ou une qualité statique mais une force qui n'attend qu'une chose : se déployer dans l'aire concrète de la Cité, dans l'épaisseur de l'histoire et du politique. Fondateur de l’École de Leipzig, d’où seront issus les meilleurs cadres de la sociologie historique de Weimar (il est parmi les fondateurs, avec Werner Conze, de la nouvelle histoire sociale allemande), puis de la sociologie nazie et une grande partie des sociologues conservateurs allemands d’après-Guerre (not. Helmuth Schelsky), ce sociologue a une solide formation de philosophe, dont l’ouvrage fondateur, Theorie des objektiven Geistes (1928) qui poursuit les pensées de Hegel et de Wilhelm Dilthey, va préparer le projet sociologique, not. dans son ouvrage Soziologie als Wirklichkeitswissenschaft (1930), d’une « révolution de droite » qui prendrait acte de l’anomie de la société industrielle et de l’échec de la lutte des classes, en lui opposant un État autoritaire. Ayant pris ses distances avec le nazisme – il sera professeur à Budapest entre 1941 et 1945 – il est l’exemple même du penseur conservateur, du théoricien de cette Révolution conservatrice qui aura grand mal à se justifier au moment de la dénazification. Il n’en est pas moins l’un des premiers sociologues professionnels qui, après la mort de Max Weber et de Georg Simmel, dont il ne cesse de se nourrir de manière critique, va lancer des projets innovateurs en sociologie industrielle, des organisations et de l’administration publique.
Victor Leemans, qui avant-guerre avec Raymond Aron introduisit en Belgique et en France les grands noms de la sociologie allemande, écrivait, à propos de Hans Freyer, dans son Inleiding tot de sociologie (Introduction à la sociologie, 1938) :
« Pour Freyer, toute sociologie est nécessairement "sociologie politique". Ses concepts sont toujours compénétrés d'un contenu historique et désignent des structures particulières de la réalité. Dans la mesure où la sociologie se limite à définir les principaux concepts structurels de la vie sociale, elle doit ipso facto s'obliger à prendre le pouls du temps. Elle doit d'autant plus clairement nous révéler les successions séquentielles irréversibles où se situent ces concepts et y inclure les éléments de changement, Les catégories sont dès lors telles : communauté, ville, état (Stand), État (Staat), etc., tous maillons dans une chaîne processuelle concrète et réelle. Ces concepts ne sont pas des idéaltypes abstraits mais des réalités liées au temps. (...)
Selon Freyer, aucune sociologie n'est donc pensable qui ne débouche pas dans la connaissance de la réalité contemporaine. À ce concept de réalité ne s'attache pas seulement la connaissance des structures immédiatement perceptibles mais aussi et surtout la connaissance des volontés de maintien ou de transformation qui se manifestent en leur sein. La connaissance sociologique opte nécessairement pour une direction déterminée découlant d'une connaissance de la Realdialektik (dialectique réalitaire [ou dialectique réelle, c'est-à-dire non simplement discursive])... ».
Une sociologie de l'homme total
Malgré cette définition courte de l'œuvre de Freyer, définition qui veut souligner le recours au concret postulé par le sociologue allemand, nous avons l'impression de nous trouver face à un édifice conceptuel horriblement abstrait, détaché de toute concrétude historique. Ce malaise, qui nous saisit lorsque nous sommes mis en présence de l'appareil conceptuel forgé par Freyer, doit pourtant disparaître si l'on fait l'effort de situer ce sociologue dans l'histoire des idées politiques. Avec les romantiques, les jeunes hégéliens (Junghegelianer), Feuerbach et Karl Marx, le XIXe siècle montre qu'il souhaite abandonner définitivement l'homme des humanistes, cet homme perçu comme figure universelle, comme espèce générale dépouillée de sa dimension historico-concrète. Désormais, sous l'influence et les coups de boutoir de ces philosophies concrètes, l'épaisseur historique sera rendue à l'homme : on le percevra comme seigneur féodal, comme serf, bourgeois ou prolétaire.
Une « objectivité » qui doit mobiliser l'homme d'action
Mais ces hégéliens et marxistes, qui dépassent résolument l'idéalisme fixiste de l'humanisme antérieur au XlXe, demeurent mécaniquement enfermés dans la vision de l'homo œconomicus et n'explorent que chichement les autres domaines où l'homme s'exprime. À cette négligence des matérialistes marxistes répond l'hyper-mépris des économismes d'un Wagner ou d'un Schopenhauer, d'un Nietzsche ou d'un Jakob Burckhardt. L'homme total n'est appréhendé ni chez les uns ni chez les autres. Pour Freyer, les essayistes et polémistes anglais Carlyle et John Ruskin nous ont davantage indiqué une issue pour échapper à ce rabougrissement de l'homme. Leurs préoccupations ne les entraînaient pas vers des empyrées légendaires, néo-idéalistes ou spiritualistes mais les amenaient à réfléchir sur les moyens de dépasser l'homme capitaliste, de restituer une harmonie entre le travail et la Vie, entre le travail et la création intellectuelle ou artistique.
Dans deux postfaces aux travaux de Freyer sur Machiavel (ou sur l'Anti-Machiavel de Frédéric Il de Prusse), Elfriede Üner nous explique comment fonctionne concrètement la sociologie de Freyer, qui cherche, au-delà de l'abstractionnisme matérialiste marxiste et de l'abstractionnisme humaniste pré-marxiste, à restaurer l'homme total. Pour parvenir à cette tâche, la sociologie et le sociologue ne peuvent se contenter de décrire des faits sociaux passés ou présents, mais doivent forger des images mobilisatrices tirées du passé et adaptées au présent, images qui correspondent à une volition déterminée, à une volition cherchant à construire un avenir solide pour la Cité.
La méthode de Freyer repose au départ, écrit Elfriede Üner, sur la théorie de "l'esprit objectif" (Theorie des objektiven Geistes). Cette théorie recense les faits mais, simultanément, les coagule en un programme revendicateur et prophétique, indiquant au peuple politique la voie pour sortir de sa misère actuelle. Le sociologue ne saurait donc être, à une époque où le peuple cherche de nouvelles formes politiques, un savant qui fuit la réalité concrète pour se réfugier dans le passé : « Qu'il se fasse alors historien ou qu'il se retire sur une île déserte ! », ironisera Freyer. Cette parole d'ironie et d'amertume est réellement un camouflet à la démarche "muséifiante" que bon nombre de sociologues "en chambre" ne cessent de poser.
Les écrits de sociologie politique doivent donc receler une dimension expressionniste, englobant des appels enflammés à l'action. Ces appels aident à forger le futur, comme les appels de Machiavel et de Fichte ont contribué à l'inauguration d'époques historiques nouvelles. Fichte parlait d'un « devoir d'action » (Pflicht zur Tat). Freyer ajoutera l'idée d'un « droit d'action » (Recht zur Tat). « Devoir d'action » et « droit d'action » forment l'épine dorsale d'une doctrine d'éthique politique (Sittenlehre). L'activiste, dans cette optique, doit vouloir construire le futur de sa Cité. Anticipation constructive et audace activiste immergent le sociologue et l'acteur politique dans le flot du devenir historique. L'activiste, dans ce bain de faits bruts, doit savoir utiliser à 100 % les potentialités qui s'offrent à lui. Cette audacieuse mobilisation totale d'énergie, dans les dangers et les opportunités du devenir, face aux aléas, constitue un "acte éthique".
Une immersion complète dans le flot de l'histoire
L'éthique politique ne découle pas de normes morales abstraites mais d'un agir fécond dans la mouvance du réel, d'une immersion complète dans le flot de l'histoire. L'éthique freyerienne est donc "réalitaire et acceptante". Agir et décider (entscheiden) dans le sens de cette éthique réalitaire, c'est rendre concrètes des potentialités inscrites dans le flot de l'histoire. Freyer inaugure ici un "déterminisme intelligible". Il abandonne le concept de "personnalité esthétisante", individualité constituant un petit monde fermé sur lui-même, pour lancer l'idée d'une personnalité dotée d'un devoir précis, celui de fonctionner le plus efficacement possible dans un ensemble plus grandiose : la Cité. L'éthique doit incarner dans des images matérielles concrètes, générant des actes et des prestations individuels concrets, pour qu'advienne et se déploie l'histoire.
Selon cette vision freyerienne de l'éthique politique, que doit nécessairement faire sienne le sociologue, un ordre politique n'est jamais statique. Le caractère processuel du politique dérive de l'émergence et de l'assomption continuelles de potentialités historiques. Le développement, le changement, sont les fruits d'un déplacement perpétuel d'accent au sein d'un ordre politique donné, c'est-à-dire d'une politisation subite ou progressive de tel ou tel domaine dans une communauté politique. Le développement et le changement ne sont donc pas les résultats d'un "progrès" mais d'une diversification par fulgurations successives [fractales], jaillissant toutes d'une matrice politico-historique initiale. La logique du sociologue et du politologue doit donc viser à saisir la dynamique des fulgurances successives qui remettent en question la statique éphémère et nécessairement provisoire de tout ordre politique.
Une sociologie qui tient compte des antagonismes
Cette spéculation sur les fulgurances à venir, sur le visage éventuel que prendra le futur, contient un risque majeur : celui de voir la sociologie dégénérer en prophétisme à bon marché. Le sociologue, qui devient ainsi "artiste qui cisèle le futur", poursuit, dans le cadre de l'État, l'œuvre de création que l'on avait tantôt attribué à Dieu tantôt à l'Esprit. L'homme, sous l'aspect du sociologue, devient créateur de son destin. Au Dieu des humanistes chrétiens, s'est substitué une figure moins absolue : l'homo politicus... Cette vision ne risque-t-elle pas de donner naissance aux pires des simplismes ?
Elfriede Üner répond à cette objection : la reine Rechtslehre (théorie pure du droit) du libéral Hans Kelsen, idole des juristes contemporains et ancien adversaire de Carl Schmitt, constitue, elle aussi, une "simplification" quelque peu outrancière. Elle n'est finalement que repli sur un formalisme juridique qui détache complètement le système logique, constitué par les normes du droit, des réalités sociales, des institutions objectives et des legs de l'histoire. Rudolf Smend, lui, parlera de la "domination" (Herrschaft) comme de la forme la plus générale d'intégration fonctionnelle et évoquera la participation démocratique des dominés comme une intégration continue des individus dans la forme globale que représente l'État.
Cette idée d'intégration continue, que caressent bon nombre de sociaux-démocrates, évacue tensions et antagonismes, ce que refuse Freyer. Si, pour Smend, la dialectique de l'esprit et de l'État s'opère en circuit fermé, Freyer estime qu'il faut dépasser cette situation par trop idéale et concevoir et forger un modèle de système plus dynamique, capable de saisir les fluctuations tragiques d'une ère faite de révolutions. L'idéal d'une intégration totale s'effectuant progressivement ne permet pas de projeter dans la praxis politique des "futurs imaginés" qui soient réalistes : un tel idéal s'abrite frileusement derrière la muraille protectrice d'un absolu théorique.
À droite : utopies passéistes, à gauche : utopies progressistes
La dialectique de l'esprit et du politique (de l'État), c'est-à-dire de l'imagination constructive et des impératifs de la Cité, de l'imagination qui répond aux défis de tous ordres et des forces incontournables du politique, n'a reçu, en ce siècle de turbulences incessantes, que des interprétations insatisfaisantes. Freyer estime que la sociologie organique d'Othmar Spann (1878-1950) constitue une impasse, dans le sens où elle opère un retour nostalgique vers la structuration de la société en états (Stände) avec hiérarchisation pyramidale de l'autorité. Cette autorité abolirait les antagonismes et évacuerait les conflits : ce qui indique son caractère finalement utopique. À "gauche", Franz Oppenheimer élabore une sociologie "progressiste" qui évoque une succession de modèles sociaux aboutissent à une société sans classes et sans plus aucun antagonisme : cet espoir banal des gauches s'avère évidemment utopique, comme l'ont indiqué quantité de critiques et de polémistes étrangers à ce messianisme. Freyer renvoie donc dos à dos les utopistes passéistes de droite et les utopistes progressistes de gauche.
Ces systèmes utopiques sont "fermés", signale Freyer longtemps avant Popper, et trahissent ipso facto leur insuffisance fondamentale. Les concepts scientifiques doivent demeurer "ouverts" car l'acteur politique injecte en eux, par son action concrète et par son expérience existentielle, la quintessence innovante de son époque. Freyer privilégie ici l'homo politicus agissant, le sujet de l'histoire. Les acteurs politiques, dans l'optique de Freyer, façonnent le temps.
L'idée essentielle de Freyer en matière de sociologie, c'est celle d'une construction pratique ininterrompue de la réalité [les époques sont en relation les unes aves avec les autres dans la dynamique de la continuité historique]. Aux époques politiquement instables, les normes scientifiques (surtout en sciences humaines) sont décrétées obsolètes ou doivent impérativement subir un aggiornamento, une re-formulation. L'histoire est, par suite, un chantier où œuvrent des acteurs-artistes qui, à la façon des expressionnistes, recréent des mondes à partir du chaos, de ruines. Freyer, écrit Elfriede Üner, glorifie, un peu mythiquement, l'homme d'action.
Le peuple (Volk) est le dépositaire de la virtù
Le personnage de Machiavel, analysé méthodiquement par Freyer, a projeté dans l'histoire des idées cette notion expressionniste/ créatrice de l'action politico-historique. Le concept machiavelien de virtù, estime Freyer, ne désigne nullement une "vertu morale statique" mais représente la force, la puissance de créer un ordre politique et le maintenir. Virtù recèle dès lors une qualité "processuelle", écrit Elfriede Üner. Par le biais de Machiavel, Freyer introduit, dans la science sociologique jusqu'alors "objective" et statique à la Comte, un ferment de nietzschéisme, dans le sens où Nietzsche voyait l'existence humaine comme un imperfectum qui ne pouvait jamais être "parfait" mais qu'il fallait sans cesse façonner et travailler.
Le "peuple", dans la vision freyerienne du social et du politique, est, grâce à sa mémoire historique, le dépositaire de la virtù, c'est-à-dire de la "force créatrice d'histoire". Le peuple suscite des antagonismes quand les normes juridiques et/ou institutionnelles ne correspondent plus aux défis du temps, aux impératifs de l'heure ou au ni veau atteint par la technologie. Un système "ouvert" implique de laisser au peuple historique toute latitude pour modifier ses institutions.
Le système freyerien est, en dernière instance, plus démocratique que le démocratisme normatif qui, à notre époque, prétend, sur l'ensemble de la planète, être la seule forme de démocratie possible. Quand Freyer parle de « droit à l'action » (cf. supra), corollaire d'un « devoir éthique d'action », il réserve au peuple un droit d'intervention sur la trame du devenir, un droit à façonner son destin. En ce sens, il précise la vision machiavelienne du peuple dépositaire de la virtù, oblitérée, en cas de tyrannie, par l'arbitraire du tyran individuel ou oligarchique.
Relire Freyer
Relire Freyer, contemporain de Schmitt, nous permet de déployer une critique du normativisme juridique, au nom de l'imbrication des peuples dans l'histoire et du décisionnisme. L'État de droit, c'est finalement un État qui se laisse réguler par la virtù enfouie dans l'âme collective du peuple et non un État qui voue un culte figé à quelques normes abstraites qui finissent toujours par s'avérer désuètes.
Et cette volonté freyerienne de s'imbriquer totalement dans le réel pour échapper aux mondes stérilisés des réductionnismes matérialistes, économistes et caricaturalement normatifs que nous lèguent les marxismes et libéralismes vulgaires, ne pourrait-on pas la lire parallèlement à Péguy ou aux génies de l'école espagnole : Unamuno avec sa dialectique du cœur, Eugenio d'Ors, Ortega y Gasset ?
► Robert STEUCKERS, Vouloir n°37/39, 1987.
1) Hans FREYER, Machiavelli (mit einem Nachwort von Elfriede Üner), Acta Humaniora, Weinheim, IX/133 p.
2) Hans FREYER, Preussentum und Aufklärung und andere Studien zu Ethik und Politik (herausgegeben und kommentiert von Elfriede Üner), Acta Humaniora, Welnheim, 222 p.
¤ Compléments bibliographiques :
- Les Fondements du monde moderne - Théorie du temps présent, H. Freyer, Payot, coll. Bibliothèque scientifique, 1965.
- « Romantisme et conservatisme. Revendication et rejet d'une tradition dans la pensée politique de Thomas Mann et Hans Freyer », C. Roques, in : Les romantismes politiques en Europe, dir. G. Raulet, MSH, avril 2009.
- « Die umstrittene Romantik. Carl Schmitt, Karl Mannheim, Hans Freyer und die "politische Romantik" », C. Roques, in : M. Gangl/ G. Raulet (dir.), Intellektuellendiskurse in der Weimarer Republik. Zur politischen Kultur einer Gemengelage, 2. neubearbeitete und erweiterte Auflage, Frankfurt/M., Peter Lang Verlag 2007 [= Schriftenreihe zur Politischen Kultur der Weimarer Republik, Bd. 10]. [cf. sur ce thème : Les formes du romantisme politique]
- Nationalité et Modernité, D. Jacques, Boréal, Montréal, 1998, 270 p.
- The Other God that Failed : Hans Freyer and the Deradicalization of German Conservatism, J. Z. Muller, Princeton Univ. Press, 1987. Cf. [pt] Reinterpretar Hans Freyer.
- « The Sociological Theories of Hans Freyer : Sociology as a Nationalistic Program of Social Action », Ernest Manheim in : An Introduction to the History of Sociology, H. E. Barnes (éd.), Chicago Univ. Press, 1948.
¤ Citation :
- « Il faut une volonté politique pour avoir une perception sociologique ».
¤ Liens :
- « La sociologie historique en Allemagne et aux États-Unis : un transfert manqué », G. Steinmetz [ref.]
- « De Tönnies à Weber : sur l'existence d'un "courant allemand" en sociologie », S. Breuer
- Die Bewertung der Wirtschaft im philosophischen Denken des 19. Jahrhunderts, H. Freyer (1921)
¤ Évocations diverses :
1) LE CARACTÈRE INHUMAIN DU CAPITALISME : Mais comment se présente plus précisément le capitalisme moderne comme système d’action? Un grand sociologue humaniste du XXe siècle, Hans Freyer, peut nous aider à répondre. Dans son livre Theorie des gegenwärtigen Zeitalters (Théorie de l’époque actuelle, 1956), il parle des "systèmes secondaires" comme de produits spécifiques du monde industrialisé moderne et en analyse la structure avec précision. Les systèmes secondaires sont caractérisés par le fait qu’ils développent des processus d’action qui ne se rattachent pas à des organisations préexistantes, mais se basent sur quelques principes fonctionnels, par lesquels ils sont construits et dont ils tirent leur rationalité. Ces processus d’action intègrent l’homme non comme personne dans son intégralité, mais seulement avec les forces motrices et les fonctions requises par les principes et par leur mise en œuvre. Ce que les personnes sont ou doivent être reste en dehors. Les processus d’action de ce genre se développent et se consolident en un système répandu, caractérisé par sa rationalité fonctionnelle spécifique, qui se superpose à la réalité sociale existante en l’influençant, la changeant et la modelant. Voilà la clé qui permet d’analyser le capitalisme comme système d’action. (S. Magister)
2) En ce qui concerne la tradition sociologique allemande, qui est marquée par l'influence de nombreuses conceptions philosophiques (notamment celles du système de Hegel), elle subit en particulier l'influence néfaste de la distinction opérée par Wilhelm Dilthey (1833-1911) entre les systèmes de culture (art, science, religion, morale, droit, économie) et les formes «externes» d'organisation de la culture (communauté, pouvoir, État, Église). Cette dichotomie fut encore aggravée par Hans Freyer (1887-1969) qui distinguait les « contenus objectifs » ou « signification devenue forme », qui sont les « formes objectivisées de l'esprit » dont l'étude relève des « sciences du logos », de leurs « être et devenir réels » qui sont l'objet des « sciences de la réalité ». Le caractère insupportablement artificiel de cette opposition ne saurait être mieux démontré qu'en rappelant que dans cette conception, le langage lui-même est défini comme un « assemblage de mots et de significations, de formes mélodiques et de formations syntaxiques », comme si on pouvait appréhender le langage indépendamment de l'organisation sociale des hommes qui l'emploient. Bien entendu, les langues (Langage) présentent aussi des structures intellectuelles qu'on ne peut expliquer par la sociologie sans tomber dans l'erreur du sociologisme; mais ces structures ne constituent que la moitié du problème. En outre, les entités intellectuelles objectives ne peuvent jamais être opposées au devenir social, mais seulement former avec lui une corrélation fonctionnelle dans des complexes d'action culturelle (A. Silbermann). Dilthey lui-même adoptait à cet égard une position radicalement plus ouverte, aussi bien dans ses explications réelles, opposées à son projet, que dans beaucoup d'autres occasions, comme le prouvent ses tentatives pour établir les fondements psychologiques des sciences humaines et ses tentatives périodiques pour mettre sur pied une éthologie empirique (que l'on pourrait également définir comme une science empirique de la culture). Le danger que recèle cette distinction consiste avant tout dans ce qu'elle ouvre la voie à une sorte de distinction hiérarchique à une culture « supérieure », en quelque sorte proche de l'« esprit », et une culture « inférieure » ; celle-ci se confond facilement avec le concept de « civilisation » (matérielle), ce qui introduit dans toute cette approche du problème une évaluation patente. Il semble préférable de passer de ces conceptions fortement teintées de philosophie à une approche plus réaliste. Après la destruction totale de l'ancienne théorie des aires culturelles par l'ethnologie moderne, la dernière possibilité apparente de séparer certains contenus culturels de leurs rapports fonctionnels avec la société a définitivement disparu. (R. König)
3) La conférence « Normes éthiques et politiques » que Freyer a tenue en mai 1929 devant la Kant-Gesellschaft, souligne encore la primauté de l'État [comme fondement de la vie politique] sur le peuple. « L'État est celui qui rassemble et éveille les forces du peuple au service d'un projet culturel caractéristique ; sa politique est le fer de lance dans lequel le peuple devient historique ». Deux ans plus tard [en pleine crise de la République de Weimar], Freyer voit la signification véritable de la « révolution de droite » dans la résolution avec laquelle elle mobilise le peuple contre l'État. Et trois ans plus tard, il est avéré, pour Freyer, « qu'il existe aussi un véritable esprit du peuple en dehors des frontières politiques de l'État-Nation ». L'esprit du peuple, lit-on alors dans un sens tout à fait national-populiste, « doit être autre chose qu'un contexte fondé sur la politique. Le peuple doit être autre chose qu'un rassemblement d'hommes au sein d'un système étatique » (1934). Les singulières variations qui caractérisent la définition par Freyer du rapport de l'État et du peuple sont bien mises en valeur chez Üner (Soziologie als „geistige Bewegung“. Hans Freyers System der Soziologie und die „Leipziger Schule“, 1992). (S. Breuer)
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samedi, 20 février 2010
Réflexions sur la chute des empires
Colloque de Londres, 19 novembre 1995
Réflexions sur la chute des empires
(Intervention de Robert Steuckers)
1.
Lorsqu'après la perestroïka, après la chute du Mur de Berlin, après le retrait des troupes soviétiques hors d'Europe orientale, après l'effondrement des structures étatiques soviétiques en 1991, les Etats-Unis sont demeurés la seule et unique superpuissance en lice sur la scène internationale et le Président Bush pouvait effectivement espérer qu'un “Nouvel Ordre Mondial” allait émerger sous la direction de son pays, béni par le Tout-Puissant. Mais la tâche de diriger le monde n'est pas aisée, si l'on se souvient des prophécies du Prof. Paul Kennedy sur l'“hypertrophie impériale”. Bon nombre d'empires dans l'histoire ont sombré dans le déclin jadis simplement parce qu'ils ne pouvaient plus contrôler tous les territoires se trouvant sous leur juridiction ou, pour être plus précis, toutes les grandes voies de communication de l'Empire sur terre comme sur mer. Cette tâche nécessite une mobilisation constante de tous les moyens militaires, diplomatiques et économiques.
- Mobiliser les moyens militaires coûte très cher et soumet la nation impériale au risque de négliger ses problèmes domestiques, comme l'éducation et la santé. L'écroulement de l'empire peut alors avoir pour cause un manque de dirigeants et de gestionnaires qualifiés pour les grandes entreprises ou même pour les armées, ou par un le poids excessif des classes sociales exclues.
- Mobiliser tous les moyens diplomatiques implique une recherche constante de nouveaux alliés fiables. Mais l'art de la diplomatie nous enseigne qu'il faut éviter de trop se fier aux alliés qui risquent de devenir trop puissants et de vous lancer un défi ultérieurement. Aujourd'hui, les Etats-Unis, en tant que seul superpuissance demeurant en lice, essaiyent de mobiliser des musulmans modérés autour de la Turquie, des musulmans fondamentalistes-conservateurs autour de l'Arabie Saoudite, des musulmans fondamentalistes révolutionnaires autour du Soudan, afin d'acquérir un certain contrôle de l'Asie Centrale, de la région du Golfe ou de l'Afrique du Nord. Ce constat doit nous amener à poser une question: ces nouveaux alliés seront suffisamment fiables à long terme? Une partie d'entre eux, ou même l'ensemble, ne pourrait-elle pas évoluer comme l'Iran et devenir en un tourne-main des ennemis fanatiques de la superpuissance dirigeante? Les philosophes parmi nous se remémoreront la dialectique du Maître et de l'Esclave chez Hegel. L'Esclave obéira aussi longtemps qu'il ne pourra pas faire autrement, tant qu'il sera payé pour accomplir sa tâche. Il se rendra indispensable. Mais dès qu'il prendra conscience de son pouvoir en tant qu'adjoint ou qu'allié, il défiera son Maître. C'est là une loi de l'histoire bien connue.
- Mobiliser tous les moyens économiques implique de dépenser des sommes considérables pour la défense et de rogner dans les autres domaines, comme la santé et l'éducation. Sur le long terme, avec une telle politique, la solidarité nationale s'évanouit, la nation cesse d'être une communauté, le sens du respect mutuel disparaît, la moralité publique demeure un vague souvenir et la cohésion du pays ne peut plus œuvrer pour soutenir la puissance de l'Etat sur la scène internationale. Le manque d'investissements dans le domaine de l'éducation conduit à engager du personnel enseignant à l'étranger, même dans des pays potientiellement ennemis. Les Etats et les peuples soumis à la superpuissance impériale peuvent tirer avantage du fait que les charges militaires sont supportées par la puissance hégémonique et investir dans les affaires sociales domestiques, gagnant du même coup en cohésion et en qualité d'enseignement, c'est-à-dire en pariant sur une politique qui leur donnera très vite de meilleures gestionnaires et de meilleurs ingénieurs.
A cause de l'“hypertrophie impériale” et à certaines faiblesses domestiques, les Etats-Unis doivent aujourd'hui pratiquer la politique suivante dans le monde:
- Premièrement, contrôler l'Asie Centrale pour contenir la Russie;
- Deuxièmement, contrôler la région du Golfe pour contenir et l'Irak et l'Iran ou pour empêcher toute affirmation européenne ou japonaise dans cette zone recelant les plus grands gisements de pétrole du globe;
- Troisièmement, contrôler tous les pays situés entre la Méditerranée et la Corne de l'Afrique;
Cette triple nécessité implique d'ores et déjà de déléguer du pouvoir à la Grande-Bretagne, pour qu'elle négocie avec les challengeurs islamiques en Algérie; à l'Allemagne, pour qu'elle négocie directement avec l'Iran, comme l'a annoncé officiellement la semaine dernière le Ministre des Affaires Etrangères allemand, Klaus Kinkel, dans les colonnes du plus important des hebdomadaires de l'Europe continentale, Der Spiegel (Hambourg). Si le boycott de l'Iran est la politique officielle de Washington, la nouvelle politique de Berlin à l'égard de Téhéran sera celle du “dialogue critique”.
Déléguer de telles tâches à Londres ou à Berlin constitue en fait un recul de la stratégie impériale américaine parce que cela signifie réintroduire Londres et Berlin dans des zones d'où ces pays avaient été exclus au cours des événements de ce siècle par une intervention directe ou indirecte des Etats-Unis. Il nous reste à poser une question: les Etats-Unis seront-ils capables de contrôler entièrement la politique des diplomates et des industriels allemands en Iran, surtout sur les Allemands agiront dans les premières étapes de leur “dialogue critique” avec l'accord tacite de Washington? La délégation de pouvoir indique que l'hypertrophie impériale n'est déjà plus gérable.
2.
Mais outre la difficulté croissante à contrôler tout ce qui devrait être contrôlé, comment l'impérialisme se présente-t-il aujourd'hui?
a) L'IMPÉRIALISME MILITAIRE. L'impérialisme militaire de la seule superpuissance de 1995 consiste en résidus d'alliances forgées au temps de la Guerre Froide. L'OTAN ne peut évidemment plus avoir le même but et les mêmes objectifs aujourd'hui qu'il y a dix ans lorsque Berlin était encore divisé par un Mur et des champs de mines et quand les troupes russes étaient concentrées en Thuringe, à 70 km de Francfort, où l'on trouve l'aéroport stratégique le plus important d'Europe Centrale. L'évolution la plus logique que pourrait subir l'OTAN dans les années à venir serait une fusion du pilier européen avec l'UEO et un désengagement graduel des Etats-Unis sur le théâtre européen. L'UEO, en tant que pilier européen de l'OTAN, absorbera dans une seconde phase des nouveaux pays comme l'Autriche, la Hongrie, la Slovénie et la République Tchèque, donnant à l'alliance un profil beaucoup plus européen et de moins en moins atlantique. Ensuite, nous devons espérer une fusion graduelle de l'UEO et de l'OSCE, afin d'établir la paix dans toute l'Europe et en Asie septentrionale et centrale. Espérons que cette OSCE acquerra de plus en plus de substance dans les décennies qui viennent.
b) L'IMPÉRIALISME DIPLOMATIQUE. La première tâche que se donnera Washington, c'est de susciter du désordre partout dans le monde, spécialement dans les régions d'importance hautement stratégique, afin qu'aucune autre puissance ne soit en mesure de les contrôler et de glâner quelques bribes d'hégémonie régionale. ce désordre mobilisera des forces qui ne pourront plus consacrer leurs énergies à des fusions régionale ou à des processus de pacification ou à des processus impériaux au sens antique et non impérialiste du terme. La tâche que s'assignera Washington —comme le fait généralement toute puissance hégémonique— sera d'éviter l'émergence de tout challengeur. Mais sera-t-il possible, sur le très long terme, de confiner la Turquie dans un rôle mineur si la Turquie reçoit pour mission de coordonner les énergies des peuples turcophones d'Asie Centrale et deviendra ainsi une puissance hégémonique sur un groupe de pays comptant plus de 130 millions d'habitants? Sera-t-il possible d'obliger Berlin à suivre gentiment toutes les politiques suggérées par Washington si l'Allemagne, en tant que pays industriel très puissant et très efficace, amorce un travail en tandem avec une grande puissance pétrolière comme l'Iran, potentiellement forte aussi sur le plan militaire? Surtout si l'on se souvient que la première guerre mondiale a éclaté en partie parce que l'on voulait éviter que l'industrie de l'Allemagne de Guillaume II n'exerce une domination hégémonique sur le Moyen-Orient...
c) L'IMPÉRIALISME TECHNOLOGIQUE. Washington contrôle le commerce mondial par le biais du GATT ou du FMI. Mais l'idéologie qui se cache derrière ces structures nées immédiatement après la seconde guerre mondiale est une idéologie du libre-marché, visant à détruire toutes les barrières douanières protectrices, pour créer, en bout de course, un monde unifié, heureux et uniforme, soit le monde que craignait de voir émerger un Georges Orwell. Les barrières douanières était un système utilisé par les pays les moins puissants au niveau industriel pour aider leur population à développer en toute autonomie une industrie nationale, capable d'évoluer selon les schèmes culturels du peuple autochtone. Entre 1944 et 1946, les Etats-Unis, étant devenus le pays industriel le plus puissant, désiraient maintenir le monde tel qu'il était à ce moment-là de l'histoire, où Washington régnait sur de vastes groupes de pays dévastés ou sous-équipés. Le développement du Japon et de l'Allemagne, de même que celui des Nouveaux Pays Industriels (NPI) d'Asie orientale, constituent un danger pour le marché domestique américain lui-même, tout simplement parce que le Japon, l'Allemagne, Taïwan et Singapour n'ont pas la charge de financer une armée colossale et une technologie militaire hautement avancée capable d'intervenir partout dans le monde. Le résultat est que les voitures et les gadgets japonais envahissent les magasins aux Etats-Unis, en vertu du principe du libre marché imposé jadis par Roosevelt et Truman, mais les voitures et les gadgets américains n'envahissent pas les boutiques japonaises...
Mais dans un domaine, l'Amérique se défend sans efforts avec un indéniable succès: dans les médias. Elle garde un atout gagné lors de la seconde guerre mondiale: l'utilisation généralisée d'un anglais appauvri à travers le monde entier, comme une sorte de nouveau pidgin. Mais ce phénomène de “pidginization” permet à l'Amérique de lancer partout dans le monde des produits scientifiques ou culturels, de mettre sur pied des banques de données et de contrôler l'industrie informatique. Mais cet état de “pidginization” ne constitue-t-il pas une situation temporaire? Des méthodes pour apprendre la langue anglaise ont été répandues dans le monde, si bien qu'une élite pragmatique, qui n'est ni américaine ni britannique, est désormais capable d'utiliser cette langue correctement et d'envoyer des informations en anglais dans les banques de données ou sur internet. C'est déjà le cas, surtout dans les pays européens où l'anglais s'apprend et s'enseigne facilement parce que les langues locales lui son apparentées, comme en Allemagne, en Scandinavie et dans les pays du Bénélux. De ce fait, des informations reposant sur une base culturelle différente peuvent désormais modifier l'idéologie dominante en utilisant la langue de l'idéologie dominante. D'autres schèmes philosophiques ou spirituels peuvent d'ores et déjà avoir un certain impact sur l'idéologie globale et relativiser ses certitudes. A la fin du processus, l'idéologie globale ne sera plus la même. Les cultures dominées infiltreront le discours dominant. Un processus semblable se déroulera du fait de l'anglicisation de l'Inde. D'ores et déjà les Indiens écrivent et impriment en anglais et injectent simultanément des conceptions et des modes de pensée indiens dans l'ensemble de la sphère anglophone ou dominée par l'anglais. L'Inde devient ainsi, petit à petit, la première voix du monde non-européen et non-blanc, directement dans la langue d'origine européenne la plus répandue dans le monde.
3.
Comment lutter contre ces diverses formes d'impérialisme?
a) Contre l'IMPÉRIALISME MILITAIRE, la meilleur politique que l'Europe puisse suivre aujourd'hui est une politique d'inertie, une politique qui s'interdit d'embrayer sur les bellicismes américains et les condamnations unilétérales d'ennemis désignés par Washington. La meilleur chose que les puissances européennes puissent faire, c'est d'attendre, de retarder les paiements dans le cadre des alliances avec les Etats-Unis, de développer lentement le pilier européen et de favoriser à terme la fusion avec l'UEO. Mais nous devons également être fort attentifs et ne pas nous faire dérober des opportunités au Moyen-Orient, ne pas nous faire barrer l'accès à des voies maritimes ou fluviales ou à des marchés équilibrés avec des puissances de moindres dimensions en dehors d'Europe, puissances que nous ne pourront jamais considérer comme des semi-colonies mais toujours comme des partenaires à part entière.
b) Face à l'IMPÉRIALISME DIPLOMATIQUE, les journalistes, politiciens, intellectuels, professeurs d'université, initiatives privées européens doivent sans cesse suggérer des alternatives à l'actuel Ordre mondial, qui est basé sur une idéologie accordant trop d'importance à l'argent et trop peu d'importance à la culture, l'éducation, la recherche, les traditions et la religion. Nous devons combler le “vide spirituel” qui s'est constitué au fil des décennies, justement parce que nous n'avions pas de “vide technologique”.
c) Contre l'IMPÉRIALISME TECHNOLOGIQUE, nous devons absolument focaliser nos attentions sur la responsabilité de chacun pour les atouts irremplaçables que nous offre la Terre-Mère, c'est-à-dire focaliser nos attention sur les matières écologiques, parce que l'environnement malade de ce XXième siècle finissant nous a fait découvrir que toutes les choses que recelait la Terre avaient des limites et qu'il n'est plus possible désormais d'ignorer ces limites purement et simplementn comme nous l'avait enseigné une certaine philosophie étroitement rationaliste et cartésienne, surtout dans le cadre de nos pratiques économiques. Nous devons également respecter le principe de RÉCIPROCITÉ au niveau global. Ce n'est pas une bonne politique de laisser des continents entiers mourir de faim ou plongés dans les plus affreux désastres de la guerre, du génocide ou des dissensions civiles. Nous ne pouvons pas offrir à l'Afrique une solution qui serait purement et simplement une reprise du vieil impérialisme colonialiste ni accentuer le néo-colonialisme financier en Amérique latine: seul sera cohérent l'avenir qui généralisera les principes de coopération et de réciprocité. Par exemple, les productions bon marché des pays du Tiers-Monde doivent être taxées si elles sont importées chez nous mais de la façon suivante: les pays du Tiers-Monde exportateurs doivent avoir la chance d'acheter des produits de haute technologie dans les pays riches qui importent les biens qu'ils produisent, de façon à ce que les travailleurs des pays développés puissent conserver leur emploi; l'économiste français Lauré suggère une TVA pour les produits du Tiers-Monde qui serait thésaurisée pour acheter des produits de plus haute technologie ou d'autres biens nécessaires au pays importateurs; en effet, les pays industriels ne peuvent tolérer une dialisation de leurs propres sociétés, ou quelques happy fews viveraient dans l'opulence à côté de masses clochardisées. Les sociétés duales émergent quand les marchandises bon marché du monde extérieur remplacent les mêmes marchandises produites dans le cadre domestique. Une telle situation crée les problèmes que nous connaissons: chômage et misère dans les pays développés, pas de décollage et famine dans les pays en voie de développement. Un cul-de-sac dont nous devons tous sortir.
Et si le GATT vise en dernière instance à interdire les douanes, il ne dit rien de bien précis quant aux normes. La stabilisation des marchés domestiques pourrait dès lors s'opérer dans l'avenir non pas en appliquant des tarifs douaniers mais en imposant des normes de qualité afin de protéger des branches performantes de l'économie domestique et d'éviter ainsi le chômage, de conserver l'emploi et d'empêcher toute dualisation de la société.
Les chutes d'empires au cours de l'histoire ont toujours obligé les peuples à agir localement, à se tourner vers la planification régionale. Ce fut le cas immédiatement après l'effondrement de l'empire romain en Europe. Aujourd'hui, l'aménagement territorial sur base régionale est redevenu une nécessité, surtout dans les régions demeurées en marge, comme l'“Arc Atlantique” (du Portugal à la Bretagne) ou le Mezzogiorno. Même aux Etats-Unis, l'idée d'un vaste réaménagement territorial sur base régionale est aujourd'hui perçue comme une nécessité plutôt urgente, ainsi que nous le constatons dans les mouvements biorégionalistes et communautariens, qui peuvent être considérés comme les deux projets politiques les plus intéressants d'Outre-Atlantique à ce jour. Mais ce retour aux racines et aux faits régionaux est possible aujourd'hui en interaction avec des technologies globales telles Internat. La coopération, les échanges d'informations, l'éducation interculturelle sont désormais possibles sans violence ou sans contrôle colonial, c'est-à-dire sans qu'il ne soit nécessaire de perdre ses racines ou ses traditions. Etre membre d'un peuple spécifique, parler une langue très difficile et très ancienne, apprendre les langues antiques, mortes ou subsistantes, s'immerger totalement dans une tradition religieuse ou culturelle seront des atouts et non plus des inconvénients. Mais pour atteindre cette diversité globale, nous allons devoir nous armer de patience. La route sera longue qui nous mènera à cette diversité. Mais nous invitons tous les hommes à marcher joyeusement avec nous dans cette direction.
Comme l'écrivait récemment Hermann Scheer, un ingénieur allemand spécialisé en énergie solaire, dans son ouvrage Zurück zur Politik (Piper, Munich, 1995), nous devons combattre pour construire un ordre économique global permettant à chaque Etat de forger sa propre politique énergétique et écologique, afin de démanteler les monopoles en économie, en politique et dans les médias, de lutter pour imposer un nouvel ordre agricole débarrassé des monopoles céréaliers et des manipulations génétiques, pour restaurer l'agriculture écologique et créer des systèmes de communication respectueux de l'environnement.
Comme l'écrivait le philosophe italo-slovène Danilo Zolo (in Cosmopolis, Feltrinelli, Milano, 1995), “le vieux modèle hiérarchisant... sera remplacé par une nouvelle logique, la logique du pacifisme faible, c'est-à-dire un pacifisme qui n'est pas le pacifisme habituel et conventionnel, visant à supprimer définitivement les guerres dans le monde, mais un pacifisme nouveau qui respecte la diversité des cultures et accepte la compétition entre les intérêts divergents”. Mais sans planétariser les guerres et les conflits.
Atteindre une anti-utopie de ce type est possible. Mais, comme je viens de le dire, le chemin qui y mène est très très long. Et je répète: marchons joyeusement dans cette direction.
Robert STEUCKERS.
00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, déclin, décadence, empires | |
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vendredi, 19 février 2010
Der Engel der Vernichtung
Der Engel der Vernichtung
Angriff gegen den aufklärerischen Optimismus, verdunkelt von Kraftworten: Zum 250. Geburtstag von Joseph de Maistre
Günter Maschke - Ex: http://www.jungefreiheit.de/
La neve sulla tosta, ma il fuoco nella bocca!", rief ein begeisterter Italiener aus, der das einzige überlieferte Portrait Joseph de Maistres betrachtete, das kurz vor dessen Tode entstand. Das Haupt weiß, wie von Schnee bedeckt und aus dem Munde strömt Feuer: De Maistre gehört zu den wenigen Autoren, die mit zunehmenden Jahren stets nur radikaler und schroffer wurden und sich der sanft korrumpierenden Weisheit des Alters entschlungen, gemäß der man versöhnlicher zu werden habe und endlich um die Reputation bemüht sein müsse. Fors do l'honneur nul souci, außer der Ehre keine Sorge, war der Wahlspruch des Savoyarden, und zu seiner Ehre gehörte es, immer unvermittelter, schonungsloser und verblüffender das Seine zu sagen.
Der Ruhm de Maistres verdankt sich seinen Kraftworten, mit denen er den ewigen Gutmenschen aufschreckt, der sich's inmitten von Kannibalenhumanität und Zigeunerliberalismus bequem macht. "Der Mensch ist nicht gut genug, um frei zu sein", ist wohl noch das harmloseste seiner Aperçus, das freilich, wie alles Offenkundige, aufs Äußerste beleidigt. Beharrliche Agnostiker und schlaue Indifferenzler entdecken plötzlich ihre Liebe zur Wahrheit und erregen sich über den kaltblütigen Funktionalismus de Maistres, schreibt dieser: "Für die Praxis ist es gleichgültig, ob man dem Irrtum nicht unterworfen ist oder ob man seiner nicht angeklagt werden darf. Auch wenn man damit einverstanden ist, daß dem Papste keine göttliche Verheißung gegeben wurde, so wird er dennoch, als letztes Tribunal, nicht minder unfehlbar sein oder als unfehlbar angesehen werden: Jedes Urteil, an das man nicht appellieren kann, muß, unter allen nur denkbaren Regierungsformen, in der menschlichen Gesellschaft als gerecht angesehen werden. Jeder wirkliche Staatsmann wird mich wohl verstehen, wenn ich sage, daß es sich nicht bloß darum handelt, zu wissen, ob der Papst unfehlbar ist, sondern ob er es sein müßte. Wer das Recht hätte, dem Papste zu sagen, daß er sich geirrt habe, hätte aus dem gleichen Grunde auch das Recht, ihm den Gehorsam zu verweigern."
Der Feind jeder klaren und moralisch verpflichtenden Entscheidung erschauert vor solchen ganz unromantischen Forderungen nach einer letzten, alle Diskussionen beendenden Instanz und angesichts der Subsumierung des Lehramtes unter die Jurisdiktionsgewalt erklärt er die Liebe und das Zeugnisablegen zur eigentlichen Substanz des christlichen Glaubens, den er doch sonst verfolgt und haßt, weiß er doch, daß diesem die Liebe zu Gott wichtiger ist als die Liebe zum Menschen, dessen Seele "eine Kloake" (de Maistre) ist.
Keine Grenzen mehr aber kennt die Empörung, wenn de Maistre, mit der für ihn kennzeichnenden Wollust an der Provokation, den Henker verherrlicht, der, zusammen mit dem (damals) besser beleumundeten Soldaten, das große Gesetz des monde spirituel vollzieht und der Erde, die ausschließlich von Schuldigen bevölkert ist, den erforderlichen Blutzoll entrichtet. Zum Lobpreis des Scharfrichters, der für de Maistre ein unentbehrliches Werkzeug jedweder stabilen gesellschaftlichen Ordnung ist, gesellt sich der Hymnus auf den Krieg und auf die universale, ununterbrochene tobende Gewalt und Vernichtung: "Auf dem weiten Felde der Natur herrscht eine manifeste Gewalt, eine Art von verordneter Wut, die alle Wesen zu ihrem gemeinsamen Untergang rüstet: Wenn man das Reich der unbelebten Natur verläßt, stößt man bereits an den Grenzen zum Leben auf das Dekret des gewaltsamen Todes. Schon im Pflanzenbereich beginnt man das Gesetz zu spüren: Von dem riesigen Trompetenbaum bis zum bescheidensten Gras - wie viele Pflanzen sterben, wie viele werden getötet!"
Weiter heißt es in seiner Schrift "Les Soirées de Saint Pétersbourg" (1821): "Doch sobald man das Tierreich betritt, gewinnt das Gesetz plötzlich eine furchterregende Evidenz. Eine verborgene und zugleich handgreifliche Kraft hat in jeder Klasse eine bestimmte Anzahl von Tieren dazu bestimmt, die anderen zu verschlingen: Es gibt räuberische Insekten und räuberische Reptilien, Raumvögel, Raubfische und vierbeinige Raubtiere. Kein Augenblick vergeht, in dem nicht ein Lebewesen von einem anderen verschlungen würde.
Über alle diese zahllosen Tierrassen ist der Mensch gesetzt, dessen zerstörerische Hand verschont nichts von dem was lebt. Er tötet, um sich zu nähren, er tötet, um sich zu belehren, er tötet, um sich zu unterhalten, er tötet, um zu töten: Dieser stolze, grausame König hat Verlangen nach allem und nichts widersteht ihm. Dem Lamme reißt er die Gedärme heraus, um seine Harfe zum Klingen zu bringen, dem Wolf entreißt er seinen tödlichsten Zahn, um seine gefälligen Kunstwerke zu polieren, dem Elefanten die Stoßzähne, um ein Kinderspielzeug daraus zu schnitzen, seine Tafel ist mit Leichen bedeckt. Und welches Wesen löscht in diesem allgemeinen Schlachten ihn aus, der alle anderen auslöscht? Es ist er selbst. Dem Menschen selbst obliegt es, den Menschen zu erwürgen. Hört ihr nicht, wie die Erde schreit nach Blut? Das Blut der Tiere genügt ihr nicht, auch nicht das der Schuldigen, die durch das Schwert des Gesetzes fallen. So wird das große Gesetz der gewaltsamen Vernichtung aller Lebewesen erfüllt. Die gesamte Erde, die fortwährend mit Blut getränkt wird, ist nichts als ein riesiger Altar, auf dem alles, was lebt, ohne Ziel, ohne Haß, ohne Unterlaß geopfert werden muß, bis zum Ende aller Dinge, bis zur Ausrottung des Bösen, bis zum Tod des Todes."
Im Grunde ist dies nichts als eine, wenn auch mit rhetorischem Aplomb vorgetragene banalité supérieure, eine Zustandsbeschreibung, die keiner Aufregung wert ist. So wie es ist, ist es. Doch die Kindlein, sich auch noch die Reste der Skepsis entschlagend, die der frühen Aufklärung immerhin noch anhafteten, die dem Flittergold der humanitären Deklaration zugetan sind (auch, weil dieses sogar echtes Gold zu hecken vermag), die Kindlein, sie hörten es nicht gerne.
Der gläubige de Maistre, der trotz all seines oft zynisch wirkenden Dezisionismus unentwegt darauf beharrte, daß jede grenzenlose irdische Macht illegitim, ja widergöttlich sei und der zwar die Funktionalisierung des Glaubens betrieb, aber auch erklärte, daß deren Gelingen von der Triftigkeit des Glaubens abhing - er wurde flugs von einem bekannten Essayisten (Isaiah Berlin) zum natürlich 'paranoiden' Urahnen des Faschismus ernannt, während der ridiküle Sohn eines großen Ökonomen in ihm den verrucht-verrückten Organisator eines anti-weiblichen Blut- und Abwehrzaubers sah, einen grotesken Medizinmann der Gegenaufklärung. Zwischen sich und der Evidenz hat der Mensch eine unübersteigbare Mauer errichtet; da ist des Scharfsinns kein Ende.
Der hier und in ungezählten anderen Schriften sich äußernde Haß auf den am 1. April 1753 in Chanbéry/Savoyen geborenen Joseph de Maistre ist die Antwort auf dessen erst in seinem Spätwerk fulminant werdenden Haß auf die Aufklärung und die Revolution. Savoyen gehörte damals dem Königreich Sardinien an und der Sohn eines im Dienste der sardischen Krone stehenden Juristen wäre wohl das ehrbare Mitglied des Beamtenadels in einer schläfrigen Kleinstadt geblieben, ohne intellektuellen Ehrgeiz und allenfalls begabt mit einer außergewöhnlichen Liebenswürdigkeit und Höflichkeit in persönlich-privaten Dingen, die die "eigentliche Heimat aller liberalen Qualitäten" (Carl Schmitt) sind.
Der junge Jurist gehörte gar einer Freimaurer-Loge an, die sich aber immerhin kirchlichen Reunionsbestrebungen widmet; der spätere, unnachgiebige Kritiker des Gallikanismus akzeptiert diesen als selbstverständlich; gelegentlich entwickelte de Maistre sogar ein wenn auch temperiertes Verständnis für die Republik und die Revolution. Der Schritt vom aufklärerischen Scheinwesen zur Wirklichkeit gelang de Maistre erst als Vierzigjährigem: Als diese in Gestalt der französischen Revolutionstruppen einbrach, die 1792 Savoyen annektierten. De Maistre mußte in die Schweiz fliehen und verlor sein gesamtes Vermögen.
Erst dort gelang ihm seine erste, ernsthafte Schrift, die "Considérations sur la France" (Betrachtungen über Frankreich), die 1796 erschien und sofort in ganz Europa Furore machte: Die Restauration hatte ihr Brevier gefunden und hörte bis 1811 nicht auf, darin mehr zu blättern als zu lesen. Das Erstaunliche und viele Irritierende des Buches ist, daß de Maistre hier keinen Groll gegen die Revolution hegt, ja, ihr beinahe dankbar ist, weil sie seinen Glauben wieder erweckte. Zwar lag in ihr, wie er feststellte, "etwas Teuflisches", später hieß es sogar, sie sei satanique dans sons essence. Doch weil dies so war, hielt sich de Maistres Erschrecken in Grenzen. Denn wie das Böse, so existiert auch der Teufel nicht auf substantielle Weise, ist, wie seine Werke, bloße Negation, Mangel an Gutem, privatio boni. Deshalb wurde die Revolution auch nicht von großen Tätern vorangetrieben, sondern von Somnambulen und Automaten: "Je näher man sich ihre scheinbar führenden Männer ansieht, desto mehr findet man an ihnen etwas Passives oder Mechanisches. Nicht die Menschen machen die Revolution, sondern die Revolution benutzt die Menschen."
Das bedeutete aber auch, daß Gott sich in ihr offenbarte. Die Vorsehung, die providence, leitete die Geschehnisse und die Revolution war nur die Züchtigung des von kollektiver Schuld befleckten Frankreich. Die Furchtbarkeit der Strafe aber bewies Frankreichs Auserwähltheit. Die "Vernunft" hatte das Christentum in dessen Hochburg angegriffen, und solchem Sturz konnte nur die Erhöhung folgen. Die Restauration der christlichen Monarchie würde kampflos vonstatten gehen; die durch ihre Gewaltsamkeit verdeckte Passivität der Gegenrevolution, bei der die Menschen nicht minder bloßes Werkzeug sein würden. Ohne Rache, ohne Vergeltung, ohne neuen Terror würde sich die Gegenrevolution, genauer, "das Gegenteil einer Revolution", etablieren; sie käme wie ein sich sanftmütig Schenkender.
Die konkrete politische Analyse aussparen und direkt an den Himmel appellieren, wirkte das Buch als tröstende Stärkung. De Maistre mußte freilich erfahren, daß die Revolution sich festigte, daß sie sich ihre Institution schuf, daß sie schließlich, im Thermidor und durch Bonaparte, ihr kleinbürgerlich-granitenes Fundament fand.
Von 1803 bis 1817 amtierte de Maistre als ärmlicher, stets auf sein Gehalt wartender Gesandter des Königs von Sardinien, der von den spärlichen Subsidien des Zaren in Petersburg lebt - bis er aufgrund seiner lebhaften katholischen Propaganda im russischen Hochadel ausgewiesen wird. Hier entstehen, nach langen Vorstudien etwa ab 1809, seine Hauptwerke: "Du Pape" (Vom Papste), publiziert 1819 in Lyon, und "Les Soirées de Saint Pétersbourg" (Abendgespräche zu Saint Petersburg), postum 1821.
Die Unanfechtbarkeit des Papstes, von der damaligen Theologie kaum noch verfochten, liegt für de Maistre in der Natur der Dinge selbst und bedarf nur am Rande der Theologie. Denn die Notwendigkeit der Unfehlbarkeit erklärt sich, wie die anderer Dogmen auch, aus allgemeinen soziologischen Gesetzen: Nur von ihrem Haupte aus empfangen gesellschaftliche Vereinigungen dauerhafte Existenz, erst vom erhabenen Throne ihre Festigkeit und Würde, während die gelegentlich notwendigen politischen Interventionen des Papstes nur den einzelnen Souverän treffen, die Souveränität aber stärken. Ein unter dem Zepter des Papstes lebender europäischer Staatenbund - das ist de Maistres Utopie angesichts eines auch religiös zerspaltenen Europa. Da die Päpste die weltliche Souveränität geheiligt haben, weil sie sie als Ausströmungen der göttlichen Macht ansahen, hat die Abkehr der Fürsten vom Papst diese zu verletzlichen Menschen degradiert.
Diese für viele Betrachter phantastisch anmutende Apologie des Papsttums, dessen Stellung durch die Revolution stark erschüttert war, führte, gegen immense Widerstände des sich formierenden liberalen Katholizismus, immerhin zur Proklamation der päpstlichen Unfehlbarkeit durch Pius IX. auf dem 1869 einberufenen Vaticanum, mit dem der Ultramontanismus der modernen, säkularisierten Welt einen heftigen, bald aber vergeblichen Kampf ansagte.
Die "Soirées", das Wesen der providence, die Folgen der Erbsünde und die Ursachen des menschlichen Leidens erörternd, sind der vielleicht schärfste, bis ins Satirische umschlagende Angriff gegen den aufklärerischen Optimismus. Hier finden sich in tropischer Fülle jene Kraftworte de Maistres, die, gerade weil sie übergrelle Blitze sind, die Komplexität seines Werkes verdunkeln und es als bloßes reaktionäres Florilegium erscheinen lassen.
De Maistre, der die Leiden der "Unschuldigen" ebenso pries wie die der Schuldigen, weil sie nach einem geheimnisvollen Gesetz der Reversibilität den Pardon für die Schuldigen herbeiführen, der die Ausgeliefertheit des Menschen an die Erbsünde in wohl noch schwärzeren Farben malte als Augustinus oder der Augustinermönch Luther und damit sich beträchtlich vom katholischen Dogma entfernte, der nicht müde wurde, die Vergeblichkeit und Eitelkeit alles menschlichen Planens und Machens zu verspottern, - er mutete und mutet vielen als ein Monstrum an, als ein Prediger eines terroristischen und molochitischen Christentum.
Doch dieser Don Quijote der Laientheologie - doch nur die Laien erneuerten im 19. Jahrhundert die Kirche, deren Klerus schon damals antiklerikal war! -, der sich tatsächlich vor nichts fürchtete, außer vor Gott, stimmt manchen Betrachter eher traurig. Weil er, wie Don Quijote, zumindest meistens recht hatte. Sein bis ins Fanatische und Extatische gehender Kampf gegen den Lauf der Zeit ist ja nur Gradmesser für den tiefen Sturz, den Europa seit dem 13. Jahrhundert erlitt, als der katholische Geist seine großen Monumente erschuf: Die "Göttliche Komödie" Dantes, die "Siete Partidas" Alfons' des Weisen, die "Summa" des heiligen Thomas von Aquin und den Kölner Dom.
Diesem höchsten Punkt der geistigen Einheit und Ordnung Europas folgte die sich stetig intensivierende Entropie, die, nach einer Prognose eines sanft gestimmten Geistesverwandten, des Nordamerikaners Henry Adams (1838-1918), im zwanzigsten und einundzwanzigsten Jahrhundert zur völligen spirituellen, aber auch politischen und sittlichen Anomie führen würde.
Der exaltierte Privatgelehrte, der in St. Petersburg aufgrund seiner unbedeutenden Tätigkeit genug Muße fand, sagte als erster eine radikale, blutige Revolution in Rußland voraus, geleitet von einem "Pugatschev der Universität", was wohl eine glückliche Definition Lenins ist. Die Prophezeiung wurde verlacht, war Rußland doch für alle ein Bollwerk gegen die Revolution. Er entdeckte, neben Louis Vicomte de Bonald (1754-1840), die Gesetze politisch-sozialer Stabilität, die Notwendigkeit eines bloc des idées incontestables, Gesetze, deren Wahrheit sich gerade angesichts der Krise und des sozialen Atomismus erwies: Ohne Bonald und de Maistre kein August Comte und damit auch keine Soziologie, deren Geschichte hier ein zu weites Feld wäre. De Maistre, Clausewitz vorwegnehmend und Tolstois und Stendhals Schilderung befruchtend, erkannte als erster die Struktur der kriegerischen Schlacht und begriff, daß an dem großen Phänomen des Krieges jedweder Rationalismus scheitert; der Krieg war ihm freilich göttlich, nicht wie den meist atheistischen Pazifisten ein Teufelswerk; auch ihn durchwaltete die providence.
Endlich fand de Maistre den Mut zu einer realistischen Anthropologie, die Motive Nietzsches vorwegnahm und die der dem Humanitarismus sich ausliefernden Kirche nicht geheuer war: Der Mensch ist beherrscht vom Willen zur Macht. Vom Willen zur Erhaltung der Macht, vom Willen zur Vergrößerung der Macht, von Gier nach dem Prestige der Macht. Diese Folge der Erbsünde bringt es mit sich, daß, so wie die Sonne die Erde umläuft, der "Engel der Vernichtung" über der Menschheit kreist - bis zum Tod des Todes.
Am 25. Februar 1821 starb Joseph de Maistre in Turin. "Meine Herren, die Erde bebt, und Sie wollen bauen!" - so lauteten seine letzten Worte zu den Illusionen seiner konservativen Freunde. Das war doch etwas anderes als - Don Quijote.
Joseph de Maistre (1753-1821): Außer der Ehre keine Sorge, lautete der Wahlspruch des Savoyarden, und zu seiner Ehre gehörte es, immer unvermittelter und schonungsloser das Seine zu sagen
Günter Maschke lebt als Privatgelehrter und Publizist in Frankfurt am Main. Zusammen mit Jean-Jacques Langendorf ist er Hausgeber der "Bibliothek der Reaktion" im Karolinger Verlag, Wien. Von Joseph de Maistre sind dort die Bücher "Betrachtungen über Frankreich", "Die Spanische Inquisition" und "Über das Opfer" erschienen.
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jeudi, 18 février 2010
Réalité virtuelle et économie
Archives de Synergies Européennes - 1995
RÉALITÉ VIRTUELLE ET ÉCONOMIE
La lecture d'Aristote nous enseigne que l'argent naquit pour faciliter le troc, et que dès lors il est une convention, un artifice, un signe. Ce signe alimenta l'imagination et développa l'illusion qui corrompit les âmes et les sociétés, car il magnifia la richesse créée par l'argent-papier en lieu et place de la richesse réelle issue de la production de biens et de services. L'éthique aristotélicienne se fondait sur le concept de la limitation des richesses; tant que l'économie de troc fonctionnait, il ne pouvait y avoir de richesse illimitée car, par exemple, la récolte de grains est limitée comme le sont les semailles. Mais l'argent introduisit le concept de richesse illimitée; et contrairement aux grains de céréales, les monnaies peuvent s'accumuler indéfiniment, et quand cela survient, la richesse se transforme en une fin en soi, et non plus en un moyen; l'homme ne vit plus de la richesse, il vit pour elle.
Le Moyen Age condamna le développement des taux d'intérêt, considérés comme anti-naturels sur base d'une éthique aristotélicienne; cependant, le judaïsme et le protestantisme les prirent à leur compte, développant ainsi le commerce et l'économie en général. Actuellement, les chroniques économiques journalières qui nous retracent les turbulences économico-financières mondiales nous révèlents par la même occasion l'hégémonie décisive de la sphère financière sur le plan réel de la production, l'investissement, l'emploi et le salaire. Ceci est un phénomène à portée planétaire, mais dont le pouvoir de nuisance nous semble se manifester avec une véhémence toute particulière dans les économies périphériques (notamment en Amérique latine, ndt), excessivement dépendantes des financements externes. La globalisation financière est à l'origine de la concetration d'énormes actifs dans les mains de quelques méga-opérateurs qui obtiennent de forts taux d'intérêt, aux dépens des pays périphériques qui se trouvent ainsi sous leur pouvoir direct. Du reste, il est significatif que le commerce mondial ne dépasse pas 4000 milliards de dollars tandis que l'argent électronique qui circule dans le “marché ouvert” atteindra les 210.000 milliards à la fin de 1995.
En 1990, le Prix Nobel d'économie fut octroyé à un trio de fins connaisseurs dans l'art de maximiser les rentes speculatives: Harry Markowitz, Merton Miller et William Sharpe. Plus tard, en 1991 (Ronald Coase) et en 1994 (John Nash, Reinhard Selten et Janos Harsanyi), les Prix Nobel récompensèrent les travaux apportant les signes d'une science encore plus fine dans ce domaine. Nous y voyons une manifestation éblouissante de la dérive financière et des significations qu'elle est en mesure de proposer. Sous le doux euphémisme de “produits dérivés”, l'ingénierie financière sauvage invente tout un large éventail d'accords financiers d'où naît une immense timballe financière grâce à laquelle des sommes énormes peuvent être gagnées après avoir parié des sommes bien plus minimes. Spéculer avec des instruments aussi volatiles crée des risques élevés: dès que le moindre maillon de la chaîne s'interrompt, il en résulte des pertes astronomiques; par exemple, si un pays en voie de développement entre en cessation de paiements, ce sont des milliards de dollars “dérivés” qui volent instantanément en fumée.
Un système développé de satellites, ordinateurs et autres moyens technologiques à portée globale amplifient la dimension des transactions financières de tous types qui débordent le monde de l'économie réelle, en rapidité comme en intensité. L'argent électronique dégage une chaleur moite: cette fiction est propice au pullulement de la faune “yuppy”, qui jongle tour à tour avec des profits mirobolants et avec des banqueroutes foudroyantes, au rythme éperdu des capitaux lancés dans leur course à travers les divers marchés de capitaux.
A l'ère de la réalité virtuelle, quand les signes se rebellent envers les réalités, il est nécessaire de récupérer l'essence des valeurs philosophiques. Les finances doivent être remises dans un état de subordination à l'égard des productions réelles de biens et de services, car c'est de là que des possibilités naissent pour l'être humain de se réaliser en tant que tel. La dépendance des populations humaines envers le pouvoir diffus et essentiellement cruel du monde financier est extrêmement dangereuse, elle annule le pouvoir décisionnel des gouvernements et ne saurait avoir qu'un impact social traumatique. Les stratégies de développement qu'il nous faut créer, une fois pour toutes, seraient basées sur la production et les exportations: la production des choses au-dessus du règne des signes.
Manuel Agustin GAGO.
(article tiré de Disenso, n°4, hiver 1995).
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mercredi, 17 février 2010
Culture médiatique
Archives de Synergies Européennes - 1995
Alberto Buela:
Culture médiatique
A en croire l'intuition du philosophe danois —sans doute le plus grand d'entre eux, Søren Kierkegaard (1813-1855), pasteur protestant contre sa religion, le protestantisme, père de la philosophie existentialiste—, la culture médiatique trouverait sa source en Luther: «Oh, Luther, combien énorme est ta responsabilité! Car plus j'y songe, plus j'entrevois que si tu as entrepris d'abattre le Pape... c'est pour introniser le Public. Tu as enseigné aux hommes à vaincre par la force du nombre» (Journal intime, 1854).
Un des ingrédients de la culture médiatique est le public comme masse de consommateurs. Les peuples deviennent des marchés solvables. Et, à coup sûr, la valeur d'un programme télévisuel est proportionnelle aux indices d'écoute. Nous entendons par “culture médiatique” l'ensemble des manifestations émises par les mass media qui tendent à fondre en un même amalgame uniforme le message émis et l'homme qui le reçoit.
La culture médiatique est une culture d'interposition entre l'homme et les choses. Mais à vrai dire, c'est en matière de culture au vide intersidéral qu'elle correspond. Car la culture est essentiellement l'activité de l'homme cultivant son propre être, son humanitas. Et c'est ce devenir humain qui est, sans plus, la racine ultime de la culture. D'où cette contradictio in terminis lorsqu'il est fait mention de cette sorte d'entité mi-chair mi-poisson qu'est la culture médiatique.
Par rapport à celle-ci, l'homme en est réduit purement et simplement à un consommateur: en tant que lecteur, auditeur ou téléspectateur. Les messages médiatiques sont indifférents aux individualités auxquelles ils s'adressent; maigre exutoire, celui proposé par certains journaux dans le “courrier des lecteurs”. Tous ces messages sont uniquement conçus en fonction d'un accroissement escompté de la consommation des produits dont la publicité soutient économiquement les mass media. Publicité et consommation, telles sont les finalités auxquelles l'être humain est confronté, dans ce qui pourrait être qualifié de “cercle herméneutique de production de sens”.
De pas son exaltation paroxystique du public, la culture médiatique est l'expression la plus achevée de la modernité; elle gave un public anesthésié d'images télévisées à travers cette immense vitrine que constituent les innombrables écrans de télévision. L'existence en est réduite au niveau de celle des stocks de marchandises, si sagement alignés, par la publicité qui ne connaît d'autre vocation que de vendre: et en l'occurence, de tout vendre. Le sens ultime de l'existence est compris dans ce tout.
la société opulente, celle de l'ostentation, des shoppings, a réduit la domaine du privé au dégré zéro: depuis la mise à nu de l'inconscient par Freud jusqu'aux dernières manipulations génétiques, depuis les bombardements défoliants sur la forêt amazonienne jusqu'aux cartes de crédit qui rendent impossible l'intimité des dépenses, depuis les édifices en verre jusqu'aux vêtements transparents.
Toute vie privée, comprise comme domaine d'expression de la singularité et de l'unique, ayant été balayée par le message homogénéisant de la culture médiatique, la voie est largement ouverte à l'anéantissement des identités des hommes et des peuples, pour en arriver au règne du blue jeans et du light, adoptés par un homme moderne qui n'est plus que pure apparence d'humanité.
Apparences dans le vêtement, dans le langage, par un baby talk monosyllabique qui permet de paraître plus rude, par la démarche, en se balançant pour paraître plus méchant, par l'allure, en affichant une barbe de quelques jours pour faire “bonne impression”. Mais, bien sûr, paraître ne suffit pas: l'essentiel est d'apparaître. Il faut se montrer en public. Le leitmotiv sera d'attirer l'attention par un aspect de “transgresseur light”. Avec des vêtements paraissant défaits et vieillis mais de bonnes marques. Avec des cheveux à l'indienne mais soigneusement couverts de gel. Avec un mouchoir qui pend un peu à la façon tzigane mais en soie italienne. Est-il malaisé d'ironiser sur l'intensité des soucis que de tels transgresseurs peuvent causer aux tenants du pouvoir en place? La dissidence pourrait-elle être plus finement domestiquée?
Tel est l'empire des choses et, pour ainsi dire, des entités, qui, n'obéissant qu'à la loi de leur inertie, écransant l'être humain et donnent ainsi le ton de cette fin de millénaire. Ainsi donc, être signifie avoir. Et cela va jusqu'à acheter des choses dans le seul but de les posséder, indépendemment de l'usage qui peut en être fait. Le zapping, succession d'images tronquées, devient une attitude générale face à la vie. L'image, apparence de la réalité, s'est imposée en lieu et place des concepts véhiculés jadis. Ne voyons-nous pas la part des photos s'accroître dans la presse, les textes se faisant au contraire de moins en moins denses.
Les voyages de masse, le pélérinage des touristes qui voudraient être partout mais qui en définitive ne se dirigent nulle part, nous montrent l'homme moderne sous son jour le plus authentique: un voyeur qui veut tout regarder, même s'il a du mal à voir. Car pour voir il faut posséder une vision préalable de l'objet recherché. Connaissance préconceptuelle. Le regard qui voit est celui qui s'insère dans une totalité de sens. Platon affirmait: «La meilleure preuve qu'une nature soit douée ou non de sagesse, c'est la capacité que seul le sage possède, d'avoir une vision d'ensemble» (République, 537a, 10-15).
Or, c'est à une succession ininterrompue d'images tronquées et sans aucun sens que se livre l'homme médiatique. Lorsque celui-ci se spécialise en quelque chose, c'est dans l'art que nous pourrions qualifier de “minimalisme”. Le profil de l'homme médiatique est light, sa pensée est faible, privée de convictions. Seul savoir en mesure de l'intéresser: celui de savoir ce qui se passe; il ne songe à poursuivre nulle investigation personnelle ni a fortiori nul changement en quoi que ce soit. Moralement, il ne parvient même pas à être un hédoniste: il ne cherche pas le plaisir, il ne fait qu'être permissif. De cette permissivité il glisse vers un scepticisme et une indifférence généralisée envers toute vérité. L'interminable tolérance qui l'anime en toutes circonstances est le berceau douillet de son relativisme et de son atomisme social.
Ces jours-ci (15 décembre 1994), le projet de “télévision interactive” a connu une première phase d'accomplissement. Le firme nord-américaine Time Warner a installé dans cinq foyers de la ville d'Orlando un ordinateur, une télévision et une imprimante grâce auxquels les usagers visionneront des films choisis parmi une cinquantaine, commanderont leurs courses dans plusieurs magasins de la ville, dialogueront avec leurs voisins, utiliseront le service de coursiers et liront sur écran les nouvelles locales du journal Orlando Sentinel.
Tout indique que désormais la télévision, la vidéo, le téléphone, le courrier, l'informatique et beaucoup d'autres éléments s'intègreront dans une autoroute informatique dont le vecteur sera la fibre optique. L'interactivité intégrera l'homme en tant que simple apparence, son image parlant à sa place tandis que l'homme en chair et en os en sera réduit à taper sur le clavier de son terminal.
Autrefois, avant même que n'apparaisse la télévision, Leopoldo Marechal affirma: «Bien rares sont ceux aujourd'hui qui ne reconnaissent et ne vénèrent la radiotéléphonie, un des miracles de la science qui a le plus contribué à exlater la foi en un avenir plein d'artifices admirables, qui, en meublant leurs maisons et en démeublant leurs âmes, permettra aux humains d'atteindre le règne d'une béatitude débarrassée de tout casse-têtes».
Meubler leurs maisons de divers appareils électro-domestiques et démeubler leurs âmes: l'homme perd la capacité d'instaurer des valeurs, construire un monde lorsque seuls des désirs préfabriqués l'anime. Sa liberté n'est plus qu'une illusion. Son pouvoir est celui que les mass media lui offrent. Le développement des communications nous a fait passer de l'ère atomique à l'ère satellitaire ou informatique; le sens naturel du monde, comme lieu pour habiter, est annulé: le monde devient un écran où la virtualité supplante la réalité.
L'accès instantané à l'informatisation, la planétarisation des produits choisis par les mass media incitent l'homme dérivé de la culture médiatique à croire que ce qui apparaît est réel. L'éloignement de l'homme envers lui-même ne connaît dès lors plus de frontière. Dans les sociétés dépendantes comme sont les nôtres, en ce cône méridional du continent américain, l'aliénation médiatique atteint des niveaux invraisemblables. La boîte à assomer, autrement dit la télévision, s'adresse à une population dont 40% survivent dans la pauvreté absolue pour proposer une vision totalement mercantile du monde. Notons que 85% de cette même population possède un téléviseur.
Serait-ce par hasard, à cause précisément de cette masse d'hommes et de femmes constamment menacés de noyade par les flots déchaînés de la misère, et qui parviennent de temps à autre à émerger pour assister au spectacle de la société de consommation, que nos technocrates de service appellent nos sociétés du doux euphémisme d'“émergentes”? Songeons aux 15.000 Mexicains qui tous les ans meurent de diarrhée dans la région de Chiapas. Qu'en est-il de ceux qui périssent, en dehors de toute statistique, en Bolivie, au Pérou, au Paraguay et au Brésil, emportés par le choléra?
Ce sont des millions de personnes qui vivent le nez collé à l'écran, voyant, désirant, rêvant un monde auquel ils n'auront jamais accès, et qui pour eux existe réellement, alors que, pour notre part, nous savons qu'il n'est que virtualité et apparence.
A l'adage hégélien, selon lequel tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel, nous pouvons rétorquer désormais que tout ce qui est apparent est réel et que tout ce qui est réel est apparent. L'illusion rationaliste a véritablement été éventrée par la mystification, plus puissante et plus radicale, qu'est la culture médiatique. L'homme conditionné par celle-ci, après avoir pris l'image pour une réalité, en finira par jeter sur sa réalité environnante un regard lourd de scepticisme: car sa réalité finit par être moins réelle à ses yeux que les images télévisées. De ce fait, il marquera son renoncement face à l'entreprise médiatique de déculturation et de colonisation culturelle. L'homme abandonne sa capacité d'être soi-même en perdant son appartenance, son enracinement, ses valeurs, son langage.
L'homme médiatisé ne médiatisera rien qui lui soit propre; au contraire, il est l'objet de cette médiatisation qui accapare son être. Combien de fois n'entendons-nous pas affirmer innocemment: «Je ne peux vivre sans la télévision, la radio, le walkman, le journal, etc.». L'homme secrété par la culture médiatique réalisara les travaux les plus abrutissants, les plus aliénants, comme si la réalité dans laquelle il baigne ne fût telle; la réalité s'efface et il n'a de cesse de s'identifier au message que les mass media lui envoient sans discontinuer. Deux exemples extrêmes illustrent cette dialectique. Nous trouvons le premier dans les transports en commun, à Buenos Aires, avec les colectiveros: faune si commune et quotidienne, dont la réalité s'écarte notablement de celles des passagers et dont le souci n'est pas de prendre soin de cette clientèle mais bien d'accomplir leur mission au rythme des messages que les radios, tournées à plein volume, leur divulguent: telle est la réalité illusoire dans laquelle ils se plongent. A l'autre extrême se trouvent les yuppies de la Bourse, engloutis dans la masse des données que leur vomissent leurs ordinateurs, contemplant les va-et-vient de leur fortune. La transaction financière est douée d'une vélocité bien supérieure à celle de l'opération commerciale, d'où une “mobilité électronique”, ainsi dénommée par l'économiste Marcelo Lascano, qui permet au spéculateur de réaliser plusieurs transactions financières, totalement fictives, sur une opération commerciale réelle. Couronnées de succès, de telles transactions transforment le yuppie en un millionnaire virtuel, fermé certes à toute considération quant à la virtualité de sa richesse. Son contact avec la réalité, à travers les revers de fortune occasionnels, le remplira de perplexité.
Ce chemin est-il sans retour? Existe-i-il une sortie? Il se trouve des sociologues, des anthropologues, des intellectuels, qui se fondent sur un volontarisme optimiste pour parier que notre société et nos peuples d'Amérique latine ont suffisamment de forces inconscientes pour rejeter les valeurs de la contre-culture imposée par les mass media. Nous voyons, pour notre part, une possibilité de sortie non pas dans un appel romantique adressé au Volksgeist mais en une prise de conscience qui nous permet, face aux mass media et à leurs techniques, leur toute-puissance, de dire: NON. Mais NON peut se dire de plusieurs façons. L'une de ces façons consiste à clôturer toute possibilité de contact. Il faut éteindre la télévision a conseillé Jean-Paul II l'année passée. L'autre de ces façons, tournée vers le discours heideggerien, est de dire “NON et OUI” aux objets techniques. Avoir la capacité de nous en emparer dans la seule mesure de leur utilité. L'utile étant ce que détermine l'être.
Il s'agit d'une désaffection, un détachement envers les choses, envers la technique comme déesse salvatrice, envers la consommation. Ce qui conduit nécessairement à une conduite austère. Heidegger caractérise cette attitude par l'antique vocable germanique Gelassenheit, sérénité. Ainsi affirmait-il, “la sérénité envers les choses et l'ouverture aux mystères nous ouvrent la perspective d'un nouvel enracinement”. Les philosophes grecs dénommaient phroneseos cette sorte d'hommes, ce qui, par la suite, a été mal traduits par “prudents”. Nous préférons traduire, comme le philosophe italien Giorgio Colli (1917-1978), par “savants”. Mais “savant” au sens véritablement, profondément, étymologique, dérivé de sapio, qui signifie “saveur” (et non au sens donné par le terme hellénique sophos). N'est pas sage celui ayant englobé de vastes quantités de données encyclopédiques, à la façon des érudits, mais celui capable de prendre son temps pour goûter la vie.
Nous voyons ainsi comment la dialectique médiatique, apparemment sans retour, peut être dépassée par la science de se donner le temps nécessaire à donner à chaque chose sa place.
Prof. Alberto BUELA.
(article tiré de Disenso, n°4, hiver 1995).
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mardi, 16 février 2010
Slavoj Zizek: le philosophe le plus dangereux d'Occident
Slavoj Zizek : le philosophe le plus dangereux d'Occident |
« Slavoj Zizek – philosophe issu de la minuscule Slovénie, dont la renommée sulfureuse est devenue mondiale : le bandeau entourant son dernier le présente comme “le philosophe le plus dangereux d’Occident” – fait paraître ces jours-ci un essai qui vise à requinquer l’idée communiste. Après la tragédie, la farce ! est un livre hirsute, aux accents prophétiques : dressant le bilan d’un capitalisme libéral rongé par des contradictions insurmontables, il prédit même que l’avenir devrait se jouer entre le socialisme et le communisme. Féru de psychanalyse lacanienne, le philosophe résume son programme par une formule qui pastiche Marx : “Dans nos sociétés, les gauches critiques n’ont fait jusqu’à présent que souiller ceux qui sont au pouvoir ; ce qui importe, c’est de les castrer...” Slavoj Zizek résiste toujours mal au plaisir d’une bonne provocation. Son succès doit sans doute beaucoup à ce tempérament. On se délecte du personnage mal peigné, agité, tonitruant, zézayant, qui plonge la philosophie dans un bain d’extravagance balkanique. Le lire est un exercice parfois éprouvant, en particulier quand il brasse le jargon lacanien. Sa désinvolture intellectuelle peut agacer. Ses concepts restent souvent fumeux (comme cette idée communiste qu’il manipule sans vraiment la définir). Mais on sort de ses livres intrigué, dérangé, stimulé et récompensé par quelques passages d’une grande drôlerie : Slavoj Zizek est un marxiste de tendance Groucho. Aux Etats-Unis, ses conférences sont prises d’assaut. A Buenos Aires, près de 2500 personnes se sont massées pour l’écouter philosopher en plein air. A Londres, Tokyo ou New Delhi, sa réputation n’est plus à faire. La France, en revanche, s’est longtemps montrée plus réservée sur ce philosophe sorti de nulle part. A cet égard, une page est en train de se tourner. La récente venue de Slavoj Zizek à Paris aura été l’occasion d’une véritable intronisation. […] Le Nouvel Observateur a décidé d’organiser le match au sommet en opposant l’énergumène slovène au champion hexagonal, Bernard-Henri Lévy. […] “Vous savez, glisse Zizek, quel est le problème de Bernard-Henri Lévy ? Cela fait des années qu’il essaie de pénétrer le marché américain, avec le soutien de CNN, mais ça ne marche pas! Pour lui, c’est un mystère: comment se fait-il qu’Alain Badiou, le philosophe le plus radical de la gauche européenne, réussisse mieux que lui aux Etats-Unis ? Moi, j’y vois plutôt un bon signe. Cela montre qu’on ne doit pas sous-estimer intellectuellement les Etats-Unis !” »
L’Hebdo, 21 janvier 2010 |
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Les visions d'Europe à la base de la "Révolution Conservatrice"
Université d'été de la F.A.C.E. (juillet 1995) - Résumé des interventions
Vendredi 28 juillet 1995 (après-midi)
Les visions d'Europe à la base de la “Révolution Conservatrice”
(Intervention de Robert Steuckers)
Première question: la révolution conservatrice allemande a-t-elle développé des visions d'Europe nouvelles et vraiment spécifiques? Réponse: pas vraiment. Des visions d'Europe très différentes se bousculent dans les corpus théoriques de ceux qu'Armin Mohler compte parmi les représentants de ce courant de pensée, né au cours d'une longue “période axiologique” de l'histoire, soit une période où de nouvelles valeurs se pensent, s'insinuent (lentement) dans les esprits et s'installent dans la société et dans le concert des nations. Les valeurs que représente la “révolution conservatrice” sont des valeurs qui entendent remplacer celles mises en avant pas les formes involuées de christianisme anorganique et par l'idéologie des Lumières, induite par la révolution française. L'idéologie de la révolution conservatrice ne date donc pas de ce siècle. Elle n'est pas tombée subitement du ciel après 1918.
La RC consiste en un interprétation nouvelle de l'héritage nationaliste, protestant et hégélien (où la “nation” particulière, en l'occurrence la nation allemande) est l'instrument du Weltgeist); elle est une traduction idéologico-politique des philosophies de la Vie, mâtinée de darwinisme ou de biologisme matérialiste (Haeckel) voire d'une interprétation vitaliste du “mystère de l'incarnation” cher à beaucoup de catholiques populistes et/ou conservateurs; enfin, elle est un espace idéologique où l'on tente de concrétiser la vision nietzschéenne de la volonté de puissance ou la notion bergsonienne d'“élan vital”.
En ce qui concerne les visions d'Europe, la RC a aussi des antécédents. A l'époque des Lumières, les intellectuels européens décrivent l'Europe comme un espace de civilisation, de “bon goût”. Mais un certain pessimisme constate que cette civilisation entre en déclin, qu'elle est inadaptée aux premières manifestations d'industrialisme, que le culte de la raison, qui est son apanage, bat de l'aile et que le modèle français, qui en est le paradigme, vient à être de plus en plus souvent contesté (hostilité à la “gallomanie”, non seulement dans les pays germaniques, mais aussi dans les pays latins).
Herder propose dans ce contexte une vision, une manière de voir (Sehweise), qui met en exergue le sens de l'individualité historique des constructions collectives. Contrairement à Rousseau, qui raisonne en termes d'individus, de nations et d'universalité, et qui juge, péremptoire, que l'Europe est “moralement condamnable”, Herder voit des peuples et des cultures enracinés, dont il faut conserver et entretenir les spécificités. L'Europe qu'il appelle de ses vœux est un concert de peuples différents et enracinés. L'Europe, telle qu'elle existe, n'est pas “moralement condamnable” en soi, mais il faut veiller à ne pas exporter, en dehors d'Europe, une européisme artificiel, basé sur les canons de la gallomanie et du culte figé d'une antiquité greco-romaine ad usum delphini. L'Europe dont rêve Herder n'est pas une société d'Etats-personnes mais doit devenir une communauté de personnalités nationales.
Tel était le débat juste avant que n'éclate la révolution française. Après les tumultes révolutionnaires, Napoléon crée le bloc continental par la force des armes. Ce bloc doit devenir autarcique (Bertrand de Jouvenel écrira dans les années 30 l'ouvrage le plus précis sur la question). Napoléon a à ses côtés des partisans allemands de ce grand dessein continental (Dalberg, Krause, le poète Jean-Paul). Ce bloc doit être dirigé contre l'Angleterre. A Paris, le Comte d'Hauterive décrit ce bloc autarcique comme un “système général”, orchestrée par la France, qui organisera le continent pour qu'il puisse s'opposer efficacement à la “mer”. Dès 1795, le Prussien Theremin, dans un ouvrage écrit en français (Des intérêts des puissances continentales relativement à l'Angleterre), s'insurge contre la politique anglaise de colonisation commerciale de l'Europe et des Indes. Le système libre-échangiste anglais est dès lors un “despotisme maritime” (idée qui sera reprise par l'école des géopolitologues, rassemblée autour de la personne du Général Haushofer). Le Baron von Aretin (1733-1824), revendique une “Europe celtique”, fusion de la romanité française et de la germanité catholique de l'Allemagne du Sud, qui s'opposerait au “borussisme”, à l'“anglicisme” et au “protestantisme” particulariste. Après 1815, les “continentalistes” ne désarment pas: Welcker propose une alliance entre la France et la Prusse pour réorganiser l'Europe; Glave, lui, propose une alliance entre la France et l'Autriche, pour exclure la Russie et l'Empire ottoman du concert européen. Woltmann, dans Der neue Leviathan, propose une Gesamteuropa contre l'universalisme thalassocratique, thèses qui annoncent celles de Carl Schmitt. Bülow suggère l'avènement d'une “monarchie européenne universelle” qui procèdera à la conquête de l'Angleterre et unifiera le continent par le truchement d'un projet culturel, visant à éliminer les petits particularismes pouvant devenir autant de prétextes à des manipulations ou des pressions extérieures.
Parmi les adversaires conservateurs et légitimistes de Napoléon, nous trouvons les partisans d'un équilibre européen, où toutes les nations doivent s'auto-limiter dans la discipline (principe en vigueur dans l'Europe actuelle). Les Républicains nationalistes (Fichte, Jahn) qui se sont opposés à Napoléon parce qu'ils l'accusaient de faire du “néo-monarchisme” veulent un repli sur le cadre national ou sur de vastes confédérations de peuples apparentés par la langue ou par les mœurs. Les partisans de la restauration autour de Metternich plaident pour un bloc européen assez lâche, la Sainte-Alliance de 1815 ou la Pentarchie de 1822. La Restauration veut réorganiser rationnellement l'Europe sur base des acquis de l'Ancien Régime, remis en selle en 1815. Franz von Baader, dans ce contexte, suggère une “Union Religieuse” (qui sera refusée par les catholiques intransigeants), où les trois variantes du christianisme européen (catholicisme, protestantisme, orthodoxie) unifieraient leurs efforts contre les principes laïques de la révolution française. A cette époque, la Russie est considérée comme le bastion ultime de la religion (cf. les textes du Russe Tioutchev, puis ceux de Dostoïevski, notamment le Journal d'un écrivain). Cette russophilie conservatrice et restauratrice explique l'Ostorientierung de la future RC, initiée par Moeller van den Bruck. Le continentaliste russophile le plus cohérent est le diplomate danois Schmidt-Phiseldeck qui plaide, dans un texte largement répandu dans les milieux diplomatiques, pour un eurocentrage des forces de l'Europe, contre les entreprises colonialistes; Schmidt-Phiseldeck veut l'“intégration intérieure”. Il avertit ses contemporains du danger américain et estime que la seule expansion possible est en direction de Byzance, c'est-à-dire que la Pentarchie européenne doit lever un corps expéditionnaire qui envahira l'Empire Ottoman et l'incluera dans le concert européen. Cette volonté d'expansion concertée et paneuropéenne vers le Sud-Est sera reprise en termes pacifiques sous Guillaume II, avec le projet de chemin de fer Berlin-Bagdad qui suscitera la fameuse “question d'Orient”. Görres, ancien révolutionnaire, voit dans l'Allemagne recatholicisée l'hegemon européen pacifique, contraire diamétral du bellicisme moderne napoléonien. L'Allemagne doit joue ce rôle parce qu'elle est la voisine de presque tous les autres peuples du continent: elle en est donc l'élément fédérateur par destin géographique. L'universalité (c'est-à-dire l'“européanité”) de l'Allemagne vient de l'hétérogénéité de son voisinage, car elle peut intégrer, assimiler et synthétiser mieux et plus que les autres.
Constantin Frantz met en garde ses contemporains contre les fanatismes idéologiques: l'ultramontanisme catholique, le particularisme catholique en Bavière, le national-libéralisme prussien, le capitalisme, etc. Le Reich doit organiser la Mitteleuropa, se doter d'une constitution fédéraliste, conserver et renforcer sa place au sein de l'équilibre pentarchique européen. Mais celui-ci est en danger, à cause de l'extraversion que provoquent les aventures coloniales de l'Angleterre, qui se cherche un destin sur les mers, et de la France, qui s'est embarquée dans une aventure algérienne et africaine. Les Occidentaux provoquent la guerre de Crimée, en prenant le parti d'un Etat qui n'appartient pas à la Pentarchie (la Turquie) contre un Etat qui en est un pilier constitutif (la Russie).
Sous Guillaume II, les plans de réorganisation de la Mitteleuropa, plans tous parfaitement extensibles à l'ensemble de notre sous-continent, se succèdent. La plupart de ces projets évoquent une alliance et une fusion (d'abord économique) entre l'Allemagne forgée par Bismarck et l'Empire austro-hongrois. Dans l'optique des protagonistes, il s'agissait de parfaire une élargissement grand-allemand du Zollverein, en marche depuis le milieu du siècle. Le Français Guillaume de Molinari, “doctrinaire” du libéralisme, envisage une alliance entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Suisse, dans un article qui connaîtra un grand retentissement dans les milieux industriels et diplomatiques: «Union douanière de l'Europe centrale» (in: Journal des économistes, V, 4, 1879, pp. 309-318). Paul de Lagarde, l'orientaliste aux origines intellectuelles du mouvement pangermaniste (Alldeutscher Verband) et, pour certains, du national-socialisme, la “Mitteleuropa” devait se limiter aux espaces germaniques et s'organiser comme un bloc contre la Russie. Paul de Lagarde est ainsi le premier homme de droite, élaborant des projets européens, qui est russophobe et non pas russophile. La russophobie étant une tradition de gauche au XIXième siècle. La tradition pangermaniste/pré-nationale-socialiste est donc russophobe et la RC, initiée par Moeller van den Bruck, reste russophile, en dépit de l'avènement du bolchevisme. Telle est la grande différence entre les deux mouvements. En 1895, l'industriel et économiste autrichien Alexander von Peez exhorte les Européens à prendre conscience des dangers du panaméricainisme, incarné par les actions de la Navy League de l'Amiral Mahan. Pour von Peez, l'Europe doit se constituer en un bloc pour s'opposer à la Panamérique, sinon tous les peuples de la Terre risquent de périr sous les effets de l'“américanisation universelle”. Plus tard, ce type d'argumentation sera repris par Adolf Hallfeld, Giselher Wirsing et Haushofer (dans sa dénonciation de la “politique de l'anaconda”).
Les libéraux de gauche Ernst Jäckh et Paul Rohrbach restent russophobes, parce que c'est la tradition dans le milieu politico-idéologique dont ils sont issus, mais suggèrent une alliance ottomane et militent en faveur du chemin de fer Berlin-Bagdad. En fait, ils reprennent l'idée d'un contrôle européen (ou simplement allemand) de l'Anatolie, de la Mésopotamie et de la Palestine que l'on trouvait jadis chez Schmidt-Phiseldeck. Mais ce contrôle s'effectuera dans la paix, par la coopération économique et l'aide au développement et non pas par une conquête violente et un peuplement de ces régions par le trop-plein démographique russe. L'alliance entre les Empires européens et la Sublime Porte sera une alliance entre égaux, sans discrimination religieuse. Paradoxalement, ce faisceau d'idées généreuses, annonciatrices du tiers-mondisme désintéressé, hérisse les Britanniques, déjà agacés par l'accroissement en puissance de la flotte allemande, créée non pas pour s'opposer à l'Angleterre mais pour faire pièce à la Navy League américaine. Ce n'est donc pas le pangermanisme, dénoncé effectivement dans les propagandes anglaise et française, qui est le véritable prétexte de la première guerre mondiale. Les discours nationalistes et racialistes des pangermanistes ne choquaient pas fondamentalement les Anglais, qui en tenaient d'aussi radicaux et d'aussi vexants pour les peuples colonisés, mais cette volonté de coopération entre Européens et Ottomans en vue de réorganiser harmonieusement les zones les plus turbulentes de la planète.
Robert Steuckers n'a pu, en deux heures et demie, que nous donner une fraction infime de ce grand travail sur l'Europe. A la suite des thématiques et des figures analysées, son texte écrit compte une analyse de la situation sous Weimar, les pourparlers entre Briand et Stresemann, la vision européenne des conservateurs catholiques et de Hugo von Hoffmannstahl, la logique paneuropéenne dans l'école de haushofer et plus particulièrement chez Karl C. von Loesch, les idées de Ludwig Reichhold, celles du Prince Karl Anton Rohan (ami d'Evola), du grand sociologue Eugen Rosenstock-Huessy, de l'esthète Rudolf Pannwitz, de Leopold Ziegler, la diplomatie classique de Staline pendant la seconde guerre mondiale (qui explique la russophilie d'une bonne part de la droite allemande, conservatrice ou nationaliste). Le texte paraîtra in extenso sous forme de livre.
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dimanche, 14 février 2010
Günter Maschke: Der Fragebogen
Günter MASCHKE: Der Fragebogen
◊ Wo möchten Sie jetzt am liebsten sein?
Ich bin, wo ich bin.
◊ Wofür lassen Sie alles stehen und liegen?
Für ein bestimmtes Antiquariat.
◊ Was bedeutet Heimat für Sie?
Die Möglichkeit, arglos zu sein.
◊ Was ist Ihnen wichtig im Leben?
Lesen.
◊ Was haben Ihnen Ihre Eltern mitgegeben?
Vom Vater hoffentlich Durchblick.
◊ Welches Buch hat Sie nachhaltig beeinflusst?
Von Adorno „Minima Moralia“ und von Carl Schmitt „Der Begriff des Politischen“.
◊ Welches Ereignis ist für die Welt das einschneidendste gewesen?
Die Entdeckung Amerikas.
◊ Was bedeutet Musik für Sie?
Der frühe Udo Lindenberg, Chansons.
◊ Was möchten sie verändern?
Die Mentalität der Deutschen.
◊ Woran glauben Sie?
An Gott.
◊ Welche Werte sollen wir unseren Kindern weitergeben?
Resistenz gegenüber der veröffentlichten Meinung.
◊ Welche Bedeutung hat der Tod für Sie?
Er wirkt im Voraus erzieherisch,und er hält zur Bescheidenheit an.
(Erst im Heft Nr. 24/1998 der „Jungen Freiheit“ (Berlin) erschienen).
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mardi, 09 février 2010
Mandelbrot repose le problème: le chaos, nouvelle science
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1988
Mandelbrot repose le problème
Le chaos, nouvelle science
par Manuel TOHARIA
«La Science classique s'arrête là où débute le chaos».
Cet aphorisme communément accepté est valable depuis à peine une décennie. L'ancienne géométrie ne résoud plus les problèmes. Mais ces dernières années, les scientifiques se sont de plus en plus penchés sur le problème des désordres, des turbulences, des discontinuités, des «monstruosités». Et les philosophes, les sociologues, les politologues se sont élancés dans leur sillage…
Les défenseurs des nouvelles théories du chaos prétendent que le siècle prochain n'aura en mémoire, de la science du XXième siècle, que trois disciplines: la relativité, la mécanique quantique et le chaos. Il s'agit probablement d'une exagération; bien que, en y pensant bien, le monde dans son ensemble, si l'on dépasse ce qui est simplement anthropocentrique, soit effectivement dirigé par la relativité dans le macrocosmos, par les lois quantiques dans le microcosmos, et… est-il également mené par le chaos, à notre échelle humaine, pour tout ce qui ne s'explique pas par l'ordre?
Qu'entendons-nous réellement par chaos? Depuis que les physiciens essaient de comprendre le monde, la science a fait abstraction des désordres de l'atmosphère, de la mer turbulente, des oscillations au sein des populations animales et végétales, des variations, sans explications parfois, des rythmes du cerveau et du cœur, bref, de la nature, quand elle montre son côté irrégulier, discontinu, et donc chaotique.
Dans les années 70, un groupe de scientifiques, qui étaient généralement isolés et qui ne s'étaient pas consultés au préalable, s'intéressèrent, en même temps, aux questions qui, apparemment, n'étaient pas soumises aux lois scientifiques et qui, par conséquent, s'avéraient incompréhensibles. Les physiologistes découvraient l'existence d'un certain ordre, assez surprenant, dans le chaos qui se produit dans un cœur humain, lors d'une mort subite. Les écologistes étudiaient les oscillations survenant dans le nombre d'individus existants au sein de l'espèce du ver à soie, le rombix mori. Les économistes prétendaient appliquer de nouvelles analyses aux cracks financiers et, en général, aux mouvements boursiers. Les météorologistes voulaient comprendre pourquoi les nuages ont telle ou telle forme et pourquoi les rayons tombent de telle ou telle façon. Les astrophysiciens voulaient expliquer la concentration de matière dans les étoiles et dans les galaxies. Les mathématiciens, finalement, lançaient de nouvelles théories sur les systèmes dynamiques et analysaient les nouvelles figures géométriques ramifiées de façon apparemment capricieuse… Il y a un plus de dix ans, un physico-mathématicien français déchaîna une polémique scientifique en affirmant que la turbulence dans les fluides était à mettre en relation avec un certain élément étranger, relié à la notion mathématique —et non physique— de l'infini, élément qu'il baptisa «élément attractif étranger».
Toute cette inquiétude, soulignée par Mandelbrot, s'est aujourd'hui généralisée sous le nom global de chaos, tout un mouvement de restructuration scientifique —et en même temps, de la pensée humaine dans tous les domaines— qui met en question l'essence même de la science en tant qu'édifice des savoirs acquis.
Un symptôme exprimant bien l'intérêt éveillé par cette nouvelle approche de la science apparaît dans le fait qu'aux Etats-Unis, le Pentagone, la CIA et le Département de l'Energie consacrent des sommes sans cesse croissantes aux recherches menées sur des phénomènes du chaos dans tous les domaines de l'activité humaine. Et dans les universités et les grands centres de recherches du monde entier commencent à proliférer des instituts se livrant à des recherches sur le chaos et sur les problèmes y afférant.
L'image du désordre
Cette nouvelle science a conçu, grâce à certaines méthodes informatiques très particulières, d'étranges images de synthèse pour tenter de décrire la subtilité surprenante des structures les plus complexes et les plus arbitraires que l'on puisse imaginer. Et, au cours de ces premiers balbutiements, s'est créé un nouveau langage à base de néologismes que peu de gens comprennent, comme les fractales et les bifurcations, les intermittences et les périodicités, les diféomorphismes de la serviette pliée et les applications des escargots planes… Ce sont les nouveaux concepts d'une science nouvelle, les équivalents des quarks et des gluons que durent inventer les physiciens quand ils allèrent au-delà du proton et du neutron.
Pour certains, la physique du chaos devient la science des processus plus que la science des états fixes; quelque chose comme la science du devenir au lieu de la science de ce qui est. Tout cela devient fort abstrait, mais derrière cette obscurité du langage innovateur qui prétend expliquer ce qu'auparavant personne n'expliquait, on trouve des phénomènes naturels, bien courants: la fumée d'un cigare qui monte en volutes désordonnées, le drapeau qui oscille de son propre mouvement, le jet d'eau qui sort du robinet et qui change de forme sans raison apparente… Le chaos est présent autour de nous, sans que nous nous en rendions compte: dans les nuages, dans les bouchons des autoroutes et des routes, dans le vol d'un avion, dans la façon dont tombent les feuilles d'arbres à l'automne, dans la circulation du sang dans les artères et dans les veines, dans l'apparition soudaine d'un conflit violent entre régions d'un même pays que des mois auparavant, le monde entier appelait Yougoslavie…
Préceptes pour l'avenir
Les scientifiques disent que tous ces phénomènes peuvent être décrits par les nouvelles lois du chaos, qui sont valables tant pour le nuage de tempête que pour les décisions d'un exécutif d'assurances. Ce qui vient à signifier, dans un certain sens, que le chaos élimine les barrières existant, actuellement, entre les différentes disciplines scientifiques. Ainsi l'élimination des spécialisations qui commençaient, ceci dit en passant, à s'asphyxier l'une l'autre à cause de l'isolement qu'elles finissaient par engendrer.
Pour revenir aux trois révolutions de la pensée scientifique qui resteront peut-être comme échantillon du génie des hommes du XXième siècle, un physicien du chaos a dit: «La relativité a éliminé l'illusion newtonienne d'un espace et d'un temps absolus, la mécanique quantique a supprimé le rêve newtonien d'un procédé unique de mesure des phénomènes physiques, qui soit contrôlable et non indéterminé, et finalement, le chaos élimine l'utopie laplacienne de la prédictabilité déterministe».
Curieusement, et en dépit des difficultés suscitées par ces nouvelles façons de penser, le chaos est ce qui se rapproche le plus de nous, celui qui s'exerce à notre échelle humaine, dans l'univers que nous touchons et que nous voyons. Les grands monstres de l'astrophysique relativiste, comme par exemple les trous noirs, ne sont pas aussi étranges que les monstres infimes —quarks, leptons— gouvernés par la tyrannie quantique. En échange, la fumée d'une cigarette, les embouteillages du vendredi, l'arrêt cardiaque subit ou la forme d'un nuage d'été nous sont familiers, ils sont bien proches de nous.
Pourtant nous nous rendons maintenant compte que les scientifiques ne possèdent aucune explication pour beaucoup de ces phénomènes. En effet, ce que nous savions peut-être, c'est comment se comportait une seule molécule de matière, mais pas comment se comportent, ensemble, des millions de millions de molécules. Ce qui nous manquait peut-être, c'était une nouvelle science capable de franchir l'abîme séparant la connaissance du comportement d'un objet isolé —par exemple, une goutte d'eau, un cheveu, une cellule de tissu cardiaque ou épithélial, un neurone, une particule de fumée, une voiture sur une route dégagée— de la connaissance du comportement de millions d'objets égaux et rassemblés.
Il nous faut un nouveau savoir capable de relier la science et les chaos. Apparemment, nous le possédons déjà: il s'agit simplement de la science du chaos.
Manuel TOHARIA.
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lundi, 08 février 2010
Neue Formen der Weltpolitik
Neue Formen der Weltpolitik
machen.
Oswald Spengler, Aus einem Vortrage "Neue Formen der Weltpolitik", gehalten am 28. April 1924 im Überseeclub zu Hamburg.
http://www.ueberseeclub.de/vortrag/v...1924-04-28.pdf
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Ondergang van het Avondland - Het decadentiebegrip bij Spengler en Evola
ONDERGANG VAN HET AVONDLAND
HET DECADENTIEBEGRIP BIJ SPENGLER EN EVOLA
door Peter LOGGHE
Ex: http://www.peterlogghe.be/
Decadentie, verval van beschaving, het houdt de mensheid – en in elk geval het bewuste, het denkende deel ervan – al eeuwen in de ban. Het klinkt banaal, maar net als mensen hebben culturen, beschavingen geen eeuwigheidsduur en voelt iedereen bijna met de elleboog aan wanneer wij ons in een opgaande fase of in een neergaande fase van onze beschaving bevinden. Decadentie is een niet eenduidig te vatten fenomeen, er werden ganse boekenkasten over volgeschreven : niet alleen zijn er verschillende vormen van decadentie en verval, economisch, cultureel, demografisch, militair en tenslotte politiek, maar de verschillende vormen kunnen elkaar versterken of de invloed van deze of gene vorm afzwakken. Twee vragen houden geïnteresseerden bezig :
- Hoe ontstaat decadentie ? Wat is decadentie en waardoor ontstaat ze ?
- Zijn er wetmatigheden werkzaam ? Verloopt decadentie overal en altijd volgens een bepaald stramien en kunnen we m.a.w. het verloop, de uitkomst van de decadentie voorspellen ? Kunnen wij het proces positief beïnvloeden ?
1. OVER DE ACTUALITEIT VAN HET DENKEN OVER DECADENTIE
Niet alleen historici, cultuurfilosofen en sociologen hadden en hebben oog voor deze vragen, Evola, Spengler en Nietzsche zijn namen die in dit verband automatisch in het oog springen, maar ook natuurwetenschappers als Konrad Lorenz of prof. Eibl-Eibesfeldt laten zich in dit verband niet onbetuigd. Zo noteerde Karl Heinz Weissmann in TeKoS 113 : “Lorenz liet zich niet afschrikken en duidde de eigenlijke ondermijning van elk organisme aan als “decadentie”. Onder decadentie verstond hij als bioloog het “verstoren van de totaliteit van het systeem” (…) “ (1). Maar wij kunnen nog een stap verder zetten. Ook het fenomenale boek van J. J. Tolkien, In de Ban van de Ring – met de meesterlijke verfilming – kan zonder enig probleem in de literatuur over decadentie worden ondergebracht. Dreiging van buiten (Sauron !) wordt gecombineerd met interne zwakte (Theoden in Rohan, tot hij door Gandalf wordt geholpen, en Denethor in Gondor).
Over decadentie is eigenlijk in veel culturen nagedacht, de meeste traditionele maatschappijen hadden er zelfs mythes over – we komen er nog op terug. De eerste moderne denker over decadentie, meent althans Gerd Klaus Kaltenbrunner (2), was Niccolo Machiavelli (gestorven in 1527). Hij noemt hem zelfs een groot theoreticus van de decadentie. Machiavelli studeerde vlijtig op de antieke geschiedenisschrijvers en als diplomaat en politicus in het politiek zeer woelige en verdeelde Italië – de periode van De Medicis - deed hij ervaringen op, die hij combineerde met de conclusies die hij uit zijn studies trok. Hij ontwikkelde een theorie over de oorzaken van het politieke verval en de voorwaarden voor politieke grootheid, vernieuwing en regeneratie, heropstanding zeg maar. Hij droeg zijn Discorsi op aan die jongeren van zijn tijd die het verval afwezen en een nieuwe virtu voorbereidden. De necessità, waarover Machiavelli het heeft, staat los van elk determinisme en daarom kan Niccolo Machiavelli eigenlijk in geen enkel opzicht worden beschouwd als een pessimist. Want het is steeds mogelijk – houdt Machiavelli ons voor – met scheppingskracht het verval tegen te houden. En die kringen die het algemeen belang kunnen terugbrengen tot haar kern, houden ook het welzijn van de gemeenschap het best in stand. Die staten, die institutionele voorzorgsmaatregelen tot zelf-vernieuwing afwijzen, schrijft Machiavelli, zijn het best toegerust en hebben veruit de beste toekomstperspectieven, want het middel om zich te hernieuwen, bestaat erin terug te keren tot de eigen oorsprong. Want alle begin moet iets goeds hebben ! Het moet dus mogelijk zijn, schrijft een historicus-filosoof in de 16e eeuw, om met oorspronkelijke inzichten vanuit dit begin opnieuw te starten.
Op zich een optimistische ingesteldheid, misschien kenmerkend voor de renaissance-mens van de late Middeleeuwen. Latere cultuurfilosofen zullen opnieuw aanknopen bij de cyclische theorieën, en ipso facto het geheel eerder pessimistisch inkleuren.
Is er iets actueler te vinden dan het fenomeen decadentie ? Is er een prangender vraag dan : houdt Europa het vol ? Worden wij niet onder de voet gelopen ? Hoe een economie draaiende houden met een demografische ontwikkeling zoals in gans Europa ?
De laatste decennia toonden ons een eigenaardige revival – een eigenaardig woord in dit verband – van het nadenken over decadentie. Een nieuwe oogst aan filosofen en theorieën over ondergang. Er was niet alleen Fukuyama - het einde van de geschiedenis, u weet wel – of Samuel Huntington met Botsende beschavingen (3), wij moeten het niet eens meer zo ver zoeken om de relevantie en de toepasbaarheid van het begrip decacentie en de cultuurtheorieën vast te stellen. Concreet : het opiniestuk van filosoof Paul Cliteur in De Standaard van 14 en 15 februari 2004, met als titel Het decadentie cultuurrelativisme. Het artikel mag gekoppeld aan het recente boek van dezelfde Paul Cliteur, Tegen de decadentie (4). Zonder de stellingen van de heer Cliteur aan een kritisch onderzoek te onderwerpen, wil ik er gewoon even op wijzen dat de filosoof een rechte lijn trekt tussen het antieke Griekenland en Europa. Hij legt ons de volgende redenering voor : Een beschaving, die open staat voor àlle tradities, die alle waarden de moeite waard vindt, is decadent, is een beschaving die niet meer in zichzelf gelooft, is voorbestemd om ten onder te gaan.
Wij blijven rond de centrale vraag draaien : wat is decadentie ? Is ze onvermijdelijk ? En is het stellen van de vraag of onze beschaving decadent is geworden, niet onmiddellijk het beste bewijs dat wij inderdaad decadent zijn ?
Toevallig een artikel in Junge Freiheit voor ogen, Die heroische Existenz im Geistigen (5).
Daarin stelt de reeds geciteerde Weissmann de filosoof-socioloog Arnold Gehlen (1904-1976) aan het publiek voor, de man die zich vooral bezighield met het bestuderen en het koel analyseren van “het verval”. Wanneer begint het proces van verval in een gebouw, dat mensen hebben opgetrokken en dat ze in een relatief korte tijdspanne zien ontbinden ? Gehlen is dé anti-romanticus, en wie probeert zijn conservatisme te verklaren vanuit een nostalgische blik op het Wilhelminische Duitsland bijvoorbeeld, wens ik veel geluk toe. Arnold Gehlen verwierp het streven naar voormoderne toestanden, dit leek hem totaal nutteloos en zinloos, zonder doel. De fase van de sociale ordening zijn we endgültig voorbij, schrijft de Duitse auteur kort na de Tweede Wereldoorlog, die tijden komen niet meer terug. Wij bevinden ons in het tijdperk van Mensch und Technik, culturele vormen verstenen, grote geestelijke opwellingen zijn niet meer te verwachten. Pessimisme pur sang ? Later zou Gehlen hier en daar wel correcties aanbrengen en zou hij proberen de mens weer iets centraler te zetten en opnieuw het statuut van “natuurlijk wezen” meegeven. Maar hij bleef een pessimist. Hij ziet uiteindelijk maar twee mogelijke houdingen : ofwel, wat hij omschreef als de nihilistische houding, het grote Opgeven, het meedrijven met de stroom, “het zal mijn tijd wel doen” – ofwel de heroïsche houding, bereid zijn dat oorspronkelijke, dat aparte te realiseren, maar in het besef dat de wereld waarschijnlijk toch verloren is.
Even terugkomen op Paul Cliteur, die de superioriteit van de Westerse moderne wereld dik in de verf zet. De betreurde Julien Freund, Frans socioloog, had het in zijn bijdrage voor één van de dossiers “H” van de uitgeverij L’Age d’Homme (6) over de decadentietheorie van J. Evola. En in tegenstelling tot diegenen die de superioriteit van de moderne wereld poneren, beklemtoonde de Italiaanse filosoof juist “de decadente natuur van dezelfde moderne wereld”, wat ook betekent dat ze gedoemd is om te verdwijnen.
Deze inleiding besluiten ? Het fenomeen decadentie heeft zowat iedereen beziggehouden, wetenschappers van alle slag en soort, politieke denkers, filosofen, schrijvers van alle politieke gezindten en overtuigingen. Elkeen probeerde het begrip in te passen in het eigen denk- en waardensysteem. Zelfs marxisten als Lukacs – het marxisme is toch eerder een liniair gerichte filosofie ? – vonden het thema zo interessant dat ze erover publiceerden. Maar decadentie is een thema bij uitstek van rechts, van het conservatieve kamp. Anderen leggen het conservatieve kamp graag een verkrampte houding t.o.v. decadentie in de mond. Maar : “Lorenz hield het decadentieproces echter niet voor onvermijdelijk. En rechts neigt er slechts uitzonderlijk naar om de idee van een involutie aan te houden, de idee dus van een onvermijdelijke neergang, hoe sceptisch hij voor de rest ook staat tegenover het begrip “vooruitgang”. Normaal gezien vindt men (in het conservatieve kamp) voorstanders van de idee van een wisselend spel van opgang en verval, van een alternerend proces, waarin decadentie en hergeboorte elkaar opvolgen.” (7)
Het kan wellicht nuttig zijn de twee belangrijkste epigonen van het conservatief denken over decadentie, tevens de filosofen met de meest uitgesproken – én tegelijk de meest omstreden - mening hierover, aan u voor te stellen. Het is de bedoeling van deze bijdrage om de aandacht te richten op het begrip decadentie bij de Duitse filosoof Oswald Spengler, auteur van het veel geciteerde maar minder gelezen Untergang des Abendlandes (8) verschenen in 1923, en bij Julius Evola, de Italiaanse filosoof en auteur van o.a. Rivolta contro il mondo moderno (9), verschenen in 1934.
2. OSWALD SPENGLER – met Duitse Gründlichkeit
Belangrijkste werken van Oswald Spengler :
1918 Untergang des Abenlandes, Band I
1920 Preussentum und Sozialismus
1921 Pessimismus
1922-1923 Untergang des Abendlandes, Band I + II
1924 Neubau des deutschen Reiches
1924 Politische Pflichten der deutschen Jugend
1931 Der Mensch und die Technik
1932 Politische Schriften
1933 Jahre der Entscheidung
Postume uitgave bezorgd door Hildegard Kornhardt
1937 Reden und Aufsätzen
1941 Gedanken
Postume uitgaven bezorgd door Anton Mirko Koktanek
1963 Briefe 1913-1936
1965 Urfragen
1966 Frühzeit der Weltgeschichte
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Op het leven zelf van Oswald Spengler gaan wij niet uitgebreid in, maar geïnteresseerde lezers willen wij graag doorverwijzen naar de studie van Frits Boterman (10). Een zo uitgebreide en goed gedocumenteerde studie dat wij in de loop van deze bijdrage nog graag wat zullen verwijzen naar de bevindingen van de heer Boterman.
Oswald Spengler werd geboren in 1880 en stierf in 1936, drie jaar na de machtsovername door Hitler, en drie jaar voor het begin van de Tweede Wereldoorlog. Boterman beschrijft Spengler als een man die zowel thuis hoort in de 19e eeuw – romantisch, visionair en met een zwak voor metafysici – als in de 20e eeuw – met zijn nuchterheid, diagnosticerend, futurologisch, en een groot zwak voor techniek. Hij erfde van zijn moeder de gevoelige geest, zijn sterk geworteld pessimisme en een bepaald künstlerisches aanvoelen. Spengler zelf zag zich graag als een dromer, een dichter en een visionair. Hij wilde de geschiedenis niet wetenschappelijk aanpakken, omdat de geschiedenis daarmee te kort zou worden gedaan. Neen : “Geschichte wissenschaftlich behandeln zu wollen, ist im letzten Grunde immer etwas Widerspruchvolles. Natur soll man wissenschaftlich behandeln, über Geschichte soll man dichten” (11). Maar Boterman ziet tegelijkertijd de gladschedelige beursmakelaar, met harde ogen, totaal illusieloos, vol cynisme, het gezicht van de andere Spengler, die tot politieke daden bereid was, die Mussolini vereerde, en de Weimardemocratie verafschuwde. Hij zag in de autoritaire staat de voorbode van een nieuw, imperiaal caesarisme, misschien één van de laatste overlevingsfases van de Avondlandse beschaving.
Het geschiedenisbeeld van Oswald Spengler
In wezen is Oswald Spengler dus een introvert, gevoelig persoon, een kunstenaar, een romantische estheet. En reeds zeer vroeg kwam hij tot de bevinding dat de lijnvormige of dialectische vooruitgangsidee op een leugen berustte, berustte op wishfull thinking eerder dan op de realiteit. Spengler hield het bij het bestaan van een aantal soevereine culturen, waarvan elk apart haar eigen leven, wil, voelen en lotsbestemming had. En deze culturen, die met de kracht van de oerwereld in een bepaald gebied ontstaan, zijn eigenlijk het best te vergelijken met plantaardige organismen, die opbloeien, rijpen, verwelken en tenslotte afsterven. Dit biologisme, dat ook in andere wetenschapstakken zijn invloed liet gelden, werd tevens één van de aanvalspunten van tegenstanders van Spengler : waarom zouden culturen, die niets plantaardigs hebben, een ontwikkeling doormaken als planten ?
Spengler onderscheidde 8 culturen – organismen :
De Egyptische (met inbegrip van de Kretenzische en de Minoïsche)
De Babylonische cultuur
De Indische cultuur
De Chinese cultuur
De Grieks-Romeinse cultuur
De Arabische cultuur
De Oud-Amerikaanse, Mexicaanse cultuur
De Avondlandse cultuur
In het Rusland van Dostojevski’s figuren zal Spengler de kern zien van een nieuwe cultuur, in zoverre Rusland erin slaagt zich te ontdoen van het uit het Westen geïmporteerde marxisme.
Elke cultuur, meent Oswald Spengler, is een in zich gesloten gansheid, een vensterloze monade, waarin alle niveau’s morfologisch samenhangen. Boterman schrijft dat ze de uitdrukking is van een onvervangbare ziel, die elke cultuur belichaamt. Zelfs de meest prozaïsche uitdrukkingen, instellingen, etc., hebben ook steeds een symbolische waarde. Ze zijn de getuigen, samen met de mythes, de religies, kunst en filosofie, van een supra-individueel levensgevoel, een fundamentele houding ook t.o.v. tijd en ruimte, verleden en toekomst. Binnen de Avondlandse cultuur hebben luidsprekers, een cheque, de dubbele boekhouding geen geringere symbolische waarde dan de gotische dom, het contrapunt in de muziek.
De cultuur van Griekenland en Rome omschrijft de auteur als apollinisch : ze is gericht op het heden, is a-historisch, en valt voor het genie van de plastiek (beeldhouwwerk bvb.), ze is somatisch. De Arabische cultuur, waar Spengler ook de Perzische, de vroegchristelijke en de Byzantijnse wereld toe rekent, krijgt het etiket magisch mee : haar oersymbool is de grot, en in de centrale koepelbouw vindt het grotgevoel haar hoogste uitdrukking, net als in de apocalystiek en de alchemie, en de goudgrond van de Byzantijnse mozaïeken. De oud-Egyptische cultuur is “een incarnatie van de zorg”, en die grondhouding vindt men terug in de bewateringsaanleg, de beambtenhiërarchie en de mummiecultus, het hiëroglyfenschrift, en de keuze voor basalt en graniet voor de beeldhouwwerken. De auteur omschrijft de Avondlandse cultuur als faustisch. Ook deze cultuur, waarvan het grondsymbool de ruimte is – let op de gotische dom, in de hoogte gebouwd, fuga’s van Bach, de moderne techniek – is ondertussen aan haar verval begonnen, bevindt zich in de fase van de beschaving, de laatste fase van elke cultuurcyclus. Elke cultuurcyclus omvat ongeveer een periode van duizend jaar.
Kritiek kreeg Oswald Spengler met emmers over zich: de marxistische theoreticus George Lukàcs had het in zijn boek Die Zerstörung der Vernunft over het dilettantisme van Spengler, de cynische openheid, absurditeiten en mystiek van de auteur. Thomas Mann, de liberale rationalist Theodor Geiger (“één van de ergste boeken van onze eeuw”), iedereen had wel iets over de theorieën in Untergang des Abendlandes te zeggen (12). Gerd-Klaus Kaltenbrunner schat de situatie juister in als hij vermeldt dat zoveel schuim op de mond van critici meestal een teken is van de armoede van de tegenargumenten. En een figuur als Theodor Adorno vindt dat Oswald Spengler zijn tegenstander nog steeds niet heeft gevonden.
Frits Boterman past het geheel goed samen : Untergang des Abendlandes was het meest gelezen geschiedenisfilosofisch werk van de Republiek van Weimar, en zijn auteur heeft de 20e eeuw heel duidelijk mee bepaald (13).
Welke kenmerken zijn er Boterman nu bijgebleven als zeer belangrijk ? Wij sommen ze even op :
Spengler heeft de bedoeling met zijn Untergang de diagnose van de cultuurcrisis te stellen en tegelijkertijd een prognose over de ondergang van faustische cultuur. Aan de hand van de zgn. morfologische methode probeerde de Duitse filosoof culturen met elkaar te vergelijken en de crisis van de westerse cultuur in zijn laatste fase, die van beschaving, te beschrijven. Boterman stelt dat Spengler de bedoeling had niet louter de populaire cultuurgeschiedenis te schrijven maar hij wilde doordringen tot een diepere laag van de historische werkelijkheid, de fundamentele vragen des levens aansnijden, en de metafysische kern van het leven vatten (leven, tijd, lot). Boterman noemt dit de metafysische laag in het werk van Oswald Spengler, hij was op zoek naar de “metaphysische Struktur der historischen Menschheit” (14), hij wilde op een intuïtieve manier doordringen tot een diepere laag van de werkelijkheid en de “onzichtbare” patronen van de geschiedenis blootleggen. Spengler verweet anderen dat ze zich te weinig met metafysica bezighielden, en zal door Julius Evola hetzelfde verwijt krijgen toegespeeld !
Het cultuurcyclisch systeem. Naast de metafysische kern van het leven is er het leven zelf, de ontwikkeling ervan, het biologische leven van de cultuur als een organisme. Culturen zijn organismen die te vergelijken zijn met dieren of planten. Hiermee maakt hij ook de evolutie van cultuur naar beschaving duidelijk. Dit is de tweede laag, de cultuurmorfologisch-cultuurcyclische laag
Er is de derde laag: het geheel van de politieke consequenties die Oswald Spengler uit zijn cultuurfilosofie trok. Vooral in het tweede deel van zijn Untergang worden zijn politieke ideeën verder ontwikkeld. Ze werden ook op een later moment aangebracht dan de vorige twee niveau’s. De drie niveau’s bevatten een hoge samenhang en de uitspraak van Tracy B. Strong, aangehaald door Frits Boterman, vat het geheel goed samen : “Paradoxaal genoeg is hij zowel een onbuigzaam reactionair als ook een mysticus” (15). Wat Spengler op politiek vlak nastreefde, was Duitsland een nieuwe zonnereligie geven, en een wereldrijk. Vergeten we de tijdsomstandigheden niet : het eerste deel van Untergang des Abendlandes was grotendeels reeds in 1913 geschreven en werd gepubliceerd in 1918. Het tweede deel, met de focus op de politieke gevolgtrekkingen van een en ander, pas in 1922-1923.
Spenglers ergste vijand, Heinrich Rickert, verweet hem zijn modern biologisme. En van dat biologisme een verband leggen naar Nietzsche is heel eenvoudig, want ook de filosoof met de hamer is schatplichtig aan dit biologisme, dat leert dat zijn niet alleen betekent dat het zijnde moet worden behouden, maar zich moet vermeerderen, vergroten, aan uitbreiding doen. De Wille zur Macht. De cultuurmorfologie van Spengler wordt door Rickert op een hoopje geworpen met Nietzsche.
Nu kan de invloed van Friedrich Nietzsche op de auteur van Untergang moeilijk worden overschat, maar het zou een fout zijn niet te wijzen op de invloed van de filosoof Danilevski en van de historici E. Meyer en Friedrich Schiller.
Oswald Spengler sprak zich meermaals uit tegen absolute waarheden en eeuwige waarden, wat in zijn cultuurfilosofie regelmatig terug komt. Er is géén universele geschiedenis van de mensheid en elke moraal is cultureel bepaald. Ook Spengler is iemand die zich verzet tegen een eurocentrische benadering van de mensheid, zonder daarom ook maar even te vervallen in de in bepaalde milieus zo mondain staande “weg-met-ons”- mentaliteit. Spengler laat echter ook aan duidelijkheid niets over : het Westen gaat onvermijdelijk ten onder, de vrijheid van de mens is uiterst beperkt, en elke filosofie was en is tijdsgebonden, dus relativistisch en perspectivistisch. Hij legde als cultuurcriticus bloot wat er aan cultuurwaarde, religie, bezieling en geestelijke vitaliteit was verdwenen. In tegenstelling tot Nietzsche geloofde de auteur van Der Untergang niet meer in regeneratie van cultuur : Nietzsche heeft als geen ander – vandaar zijn invloed op zovelen, ook nu nog – de culturele symptomen van zijn tijd geanalyseerd en geïnterpreteerd als tekenen van verval en achteruitgang. Hij merkt overal de tekens van vermoeidheid, van uitputting en decadentie. En waar een figuur als Thomas Mann blijft steken in zijn Bildungsbürgertum, is Friedrich Nietzsche een stuk verder gegaan en kan men in zijn Uebermensch het Nietzscheaans genezingsproces zien. De therapie van Nietzsche is heel radicaal en superindividueel : enkelingen zullen de therapie van Nietzsche wel kunnen volgen – en genezen ? – maar daar heeft een ganse cultuur of natie niet veel aan, natuurlijk. Mann schreef over Nietzsche de volgende waarderende woorden : “..als vielmehr der unvergleichlich grösste und erfahrenste Psycholog der Dekadenz” (16). Alleen de Uebermensch kan de decadentie overwinnen. Decadentie bij Friedrich Nietzsche is veel minder een mechanisch, een automatisch proces dan bij Spengler. Decadentie ontstond – althans volgens Nietzsche – op het moment dat duidelijk werd dat God dood was en dat de mens in zichzelf de zin van het leven moest vinden. Wie kan zich met deze waarheid staande houden ? Alleen de Uebermensch, de mens die brug is geworden, en die gedreven is door de gedachte van de eeuwige wederkeer en door de wil tot macht is bezield.
Ze zijn beiden decadentie-filosofen, Nietzsche en Spengler, maar hun visie op het ontstaan en de uitrol van de decadentie is erg verschillend, dus ook de “oplossingen”. Maar ook gelijkenissen springen in het oog. Zo stelde Nietzsche vast dat de decadentie in de Griekse wereld – het ijkpunt voor Nietzsche en zovele andere 19e en 20e eeuwse denkers – dan is gestart op het moment dat de cultuur geïntellectualiseerd werd. Dit gebeurde door een figuur als Socrates die alles in vraag begon te stellen en die het weten tot grootste deugd verhief (17).
Ook Spengler zag een en ander analoog gebeuren, en zal hieraan het begrip Zivilisation verbinden. Maar waar Spengler deze versteende cultuur onvermijdelijk op haar einde zag toestappen, ontwaarde Nietzsche wel degelijk ontsnappingswegen. Lebensbejahung, Wille zur Macht, hetgeen wij hierboven reeds opsomden. Maar in de Griekse cultuur gebeurde juist het tegenovergestelde : reeds verzwakt door de socratische levenshouding wordt ze volledig vernietigd door de overwinning van de christelijke moraal.
Maar Spengler nam veel over van Nietzsche, zoveel is duidelijk : hij geloofde sterk in diens Umwertung aller Werte, de antithese cultuur-beschaving is zonder Nietzsche niet te begrijpen. Spengler voltooide de Nietzscheaanse boodschap en gaf er een metapolitieke en politieke inhoud aan. Hij heeft Nietzsche misbruikt, zullen anderen zeggen. Voor Spengler was de figuur van de Uebermensch een echt Luftgebilde, Spengler geloofde niet in de verbetering van de menselijke natuur en deelde de ondergang in bij de onvermijdelijkheden. Hij zag Nietzsche als de laatste romanticus. Politiek gezien brak de periode aan voor de nieuwe Caesars, niet voor een nieuwe Goethe. Nietzsche daarentegen was geen politiek denker, hij was op zoek naar individuele waarheden en oplossingen, terwijl Oswald Spengler geloofde in collectiviteiten, waaraan de mens is overgeleverd (18). Omdat de cultuur in de visie van de ondergangsfilosoof Spengler niet meer te regenereren was, moest zijn cultuurfilosofie in dienst staan van de harde politiek van het Duits imperialisme en zijn nieuwe Caesars – de laatste fase van de Zivilisationsperiode. De laatste doet dus het licht uit.
De levensfilosofie van Oswald Spengler
De Duitse cultuurfilosoof was duidelijk een man van de moderne wereld, hij gebruikte heel wat moderne begrippen en had heel wat te danken aan Nietzsche. Frits Boterman wees hier in zijn biografie op. Toch merkt dezelfde auteur op dat Spengler zich ook verzette tegen de rationalistische en natuurwetenschappelijke werkelijkheidsconceptie van zijn tijd. Op die manier sloot de Duitser zich aan bij de filosofische stroming van de Lebensphilosophie, een verzameling van - zowel naar methodiek als naar afbakening van interessegebied – antirationalisten (19). De heer Boterman stelt vast dat – hoewel we het ons nog moeilijk kunnen voorstellen – het Leben hét centrale thema was in de Duitse filosofie tussen 1880 en 1930. De Lebensphilosophie legde de nadruk op het intuïtieve, irrationele en gevoelsmatige van het leven, en was gericht tegen het natuurwetenschappelijk positivisme. Spengler kwam dus met zijn cultuurfilosofie niet zomaar uit de lucht vallen in Duitsland. Zijn zoektocht naar de “achterliggende” waarheid lag in dezelfde lijn als Schopenhauer, Nietzsche, Dilthey, Freud en Sorel. De invloed van deze levensfilosofische school reikte ver, buiten Duitsland en in geheel Europa.
Frits Boterman onderneemt een meer dan verdienstelijke poging om de algemene lijnen van de Lebensphilosophie samen te vatten; wij geven de grote lijnen (20) :
De levensfilosofie gaat er in het algemeen van uit dat er geen transcendente realiteit bestaat, behalve het bestaan zelf. Het vertrekpunt is de Diesseitigkeit (het leven op aarde).
T.o.v. het primaat van het rationeel positivistisch denken stelden de levensfilosofen het primaat van het gevoel, de beleving, de intuïtie (de Tiefenerlebnis van Oswald Spengler). Belangrijk zijn dus de emotionele momenten die de mens zijn plaats in de totaliteit van het leven doen beleven.
Spengler moet worden gesitueerd in de brede stroom van deze Lebensphilosophie. Merkwaardig is wel dat hij hier niet helemaal in past : immers, Frits Boterman merkt op dat, hoewel de Duitser de natuurwetenschappelijke werkelijkheidsconceptie bestreed, hij haar bestaansrecht helemaal niet betwistte.
In bijlage, de drie vergelijkende tafels uit Der Untergang des Abendlandes, waarin Oswald Spengler steeds op een analoge manier enkele culturen naast elkaar zet.
Op het vlak van de filosofie en de geesteswetenschappen zette hij in deze vergelijking de volgende culturen naast elkaar : de Indische, de Antieke, de Arabische en tenslotte de Avondlandse cultuur.
In de 2e vergelijking – op het vlak van kunst : de Egyptische, de Antieke, de Arabische en de Avondlandse
En tenslotte op het vlak van de politiek : de Egyptische, de Antieke, de Chinese en de Avondlandse
De vergelijkende tabellen worden in de oorspronkelijke, Duitse taal gebracht, een Nederlandse vertaling heb ik immers niet gevonden.
3. JULIUS EVOLA – met Romeinse virtù
Belangrijkste werken van Julius Evola :
1926 L’uomo come potenza. I tantri nella loro metafisica e nei loro metodi di autorealizzazione magica.
1928 Imperialisme pagano. Il fascismo dinnanzi al pericolo euro-cristiano
1931 La tradizione ermetica. Nei suoi simboli, nella sua dottrina e nella sua “Arte Regia”
1932 Maschera e volto dello spiritualismo contemporaneo. Analisi critica delle principali correnti moderne verso il « sovranaturale ».
1934 Rivolta contro il mondo moderno
1937 Il mistero des Graal e la tradizione ghibellina dell’Impero
1950 Orientamenti. Undici punti
1953 Gli uomini e le rovine
1958 Metafisica del sesso
1961 Cavalcare la tigre
1963 Il cammino del Cinabro
De metafysica die Julius Evola (1898-1974) in zijn werken uiteenzet (in Rivolta, zijn hoofdwerk, maar ook in andere werken), en die hij steeds zelf heeft omschreven als “transcendent realisme”, omvat een involutionistische filosofie van de geschiedenis (van beter naar minder dus), gebaseerd op het dubbele axioma dat geschiedenis een proces van verval is, en de moderne wereld een fenomeen van decadentie. Deze geschiedenisfilosofie identificeert zich eigenlijk totaal met de wereld van de Traditie. Wat men in de moderne wereld als “politiek” omschrijft, betekent in het perspectief van de Traditie slechts een geheel van gedegradeerde vormen van een superieure vorm van politiek, gebaseerd op de ideeën van autoriteit, soevereiniteit en hiërarchie.
Involutie is de zin van de geschiedenis, zegt Julius Evola
Volgens Pierre-André Taguieff in Politica Hermetica, nr. 1, 1987 (21) is het Evoliaans denken eerder een denken over decadentie dan een denken over restauratie. Zijn radicale kritiek op de moderne wereld is even coherent als overtuigend, terwijl zijn politieke ideeën bepaald zijn door nostalgisch utopisme, irrealistisch – nog eens, volgens de auteur Taguieff. Hij (Evola) streeft een ideaal regime na, dat echter door elke historische realiteit wordt verraden, want in de realiteit omgezet. Dat is de voornaamste reden waarom wetenschapper Taguieff vindt dat Evola sterker staat in het bepalen van decadentie, dan in het neerpennen van politieke alternatieven. Maar zijn interpretatie en zijn onderzoek naar het decadentiebegrip bij Julius Evola is zo helder geschreven, dat wij hem in ons artikel
meermaals zullen moeten citeren.
Het thema van de decadentie kan elke aandachtige lezer terugvinden in alle vruchtbare periodes in Evola’s leven. Natuurlijk is er veel plaats voor het thema van zijn metafysica van de geschiedenis ingeruimd in het hoofdwerk, Rivolta, het volledige tweede deel van het werk. Het thema van de “decadentie” neemt een centrale plaats in in het werk van de Italiaanse filosoof : de fundamentele thesis is de idee van de decadente natuur van de moderne wereld, en is te vinden in de Rivolta (22). Maar ook in de andere werken, La dottrina del Risveglio. Saggio sull’ascesi buddista en Cavalcare la tigre en tenslotte Gli uomini e le rovine, zijn veel verwijzingen terug te vinden. Het voornaamste werk heeft als kern, de vraag hoe te reageren in een tijdperk van algemene, uitsluitende dissoluzione.
In tegenstelling tot heel wat moderne denkers, die vertrekken van een sociologische vaststelling van wat is en wat verkeerd loopt, vertrekt Evola in zijn studie over het begrip decadentie – en hierin is hij toch wel origineel – van de primordiale wereld van de Traditie, de oorspronkelijke Traditie, als absoluut referentiepunt. De moderne wereld wordt bestudeerd vanuit dit ijkpunt, en niet omgekeerd. Een drieledig standpunt : een axiologische visie, als een legitiem systeem van normen en als enige authentieke weg dus.
En de decadentie, aldus Evola, is een ziekte die al heel lang in deze samenleving sluimert, maar die geen mens durft uit te spreken. Ook bleven de symptomen lange tijd verborgen, door allerlei ogenschijnlijk positieve ontwikkelingen aan ons oog onttrokken. “De realiteit van de decadentie is nog verborgen door de idee van vooruitgang, door idyllische perspectieven, ons door het evolutionisme aangeboden” (23), gemaskeerd dus door de idee van vooruitgang, en “gesecondeerd door de superioriteit van de moderne beschaving”. Zo zal het gevoel van de val ons maar duidelijk worden tijdens de val zelf. Om weerstand te kunnen bieden, moet de kleine minderheid, aldus Evola, het referentiepunt, de Traditie, leren kennen. En de twee modellen die Evola naar voren schuift om het involutieproces dat de geschiedenis is, te leren kennen, ontwikkelt hij uit de traditionele leerstellingen : de doctrine van de 4 tijdperken en de wet van de regressie van de kasten.
De doctrine van de 4 tijdperken
In het tweede deel van zijn Rivolta stelt Julius Evola een “interpretatie van de geschiedenis op traditionele basis” voor (24). De geschiedenis evolueert niet, maar volgt het proces van regressie, van involutie, in de zin van het zich loskoppelen van de suprawereld, van het verbreken van de banden met het transcendente, van het macht van het “slechts menselijke”, van het materiële en het fysieke. Dit juist is het onderwerp van de doctrine van de vier tijdperken. En de moderne wereld past als gegoten in de vorm van het vierde tijdperk, de Kali Yuga, het IJzeren Tijdperk. Reeds Hesiodos beschreef de vier tijdperken als het Gouden Tijdperk, het Zilveren, het Bronzen en het IJzeren Tijdperk. Het zelfde thema vinden wij terug in de Hindoetraditie (satya-yuga – tijdperk van het zijn, de waarheid in transcendente zin, tretâ-yuga – tijdperk van de moeder, dvâpara-yuga – tijdperk van de helden, en kali-yuga of het sombere tijdperk) naast zovele andere mythen over zowat de ganse (traditionele)
Wereld. Evola heeft deze cyclustheorie van René Guénon, die ze opnieuw in Europa binnenbracht.
De metafysica van de geschiedenis had een belangrijk gevolg : als de geschiedenis inderdaad het proces van progressieve involutie volgt, van het ene, hogere tijdperk naar het lagere tijdperk, dan kan het eerste tijdperk – althans de doctrine – niet dat zijn van de primitief, van de barbaren, maar wel dat van een superieure staat van de menselijke soort. Het gevolg was dat Evola, naast andere auteurs, onmiddellijk ook de evolutietheorie afwees.
De metafysica van de geschiedenis schrijft een onontkoombaar lot voor, een onweerlegbare koers. Evola legt er de nadruk op dat “hetgeen ons in Europa overkomt, niet arbitrair of toevallig gebeurt, maar voortkomt uit een precieze aaneenschakeling van oorzaken” (25). En “net als de mensen hebben ook beschavingen hun cyclus, hun begin, hun ontwikkeling en hun einde… Zelfs als de moderne beschaving moet verdwijnen, zal ze zeker niet de eerste zijn die verdwijnt en ook niet de laatste…. Cycli openen zich en sluiten af. De traditionele mens was bekend met de doctrine van cycli en alleen de onwetendheid van de moderne mens heeft hem en zijn tijdgenoten doen geloven dat zijn beschaving, die haar wortels heeft in het tijdelijke en het toevallige, een ander en meer geprivilegieerd lot zou kennen” (26)
Wanneer begonnen zich de eerste tekenen van decadentie te manifesteren volgens de Italiaanse cultuurfilosoof ? “De eerste tekenen van moderne decadentie zijn reeds aan te wijzen tussen de 8ste en 6e eeuw voor Christus…. Het komt er dus op aan het begin van de moderne tijden te laten samenvallen met wat men de historische tijden heeft genoemd…. Binnen de historische tijden en in de westerse ruimte duiden de val van het Romeinse Rijk en de komst van het christendom een tweede etappe aan van de vorming van de moderne wereld. Een derde etappe tenslotte doet zich voor met het ineenstorten van de feodale en Rijkswereld van het Middeleeuwse Europa, en bereikt haar hoogtepunt met het humanisme en de reformatie. Van dan af aan, en tot in onze dagen, hebben machten – al dan niet openbaar – de leiding genomen van alle Europese stromingen op het materiële en spirituele vlak” (27)
De etappes van de decadentie – de wet van het verval van de kastes
Het is in het 14e en 15e hoofdstuk van het tweede deel van zijn Rivolta dat we de belangrijke uitleg krijgen over de objectieve wet van de val van beschavingen. Ook hier is er opnieuw zwaar tol aan René Guénon betaald, zoals ook P. A. Taguieff opmerkte (28). De wet van de vier kastes beantwoordt grotendeels aan de doctrine van de vier tijdperken, want in de vier kastes vindt men de waarden terug die volgens deze doctrine opeenvolgend domineerden in één van de vier tijdperken van de regressie. Voor Evola verklaart deze wet ten volle het involutieve karakter in alle sociaalpolitieke aspecten. In alle traditionele maatschappijen zou er een gelijkaardige stratificatie hebben bestaan : aan de top staan overal de vertegenwoordigers van de spirituele autoriteit, daarna de krijgsaristocratie, erop volgend de bezittende burgerlijke stand en tenslotte de knechten. Deze vier “functionele klassen” corresponderen aan bepaalde levenswijzen, elk met zijn eigen gezicht, eigen ethiek, rechtssysteem in het globale kader van de Traditie (29). “De zin van de geschiedenis bestaat nu juist in de afdaling van de macht en van het type van beschaving van de ene naar de andere van de vier kastes, die in de traditionele maatschappijen beantwoorden aan de kwalitatieve differentiering van de belangrijkste menselijke mogelijkheden” (30). Evola vatte in zijn autobiografisch werk Le chemin du cinabre deze regressie en het belang ervan voor de geschiedenis als volgt samen : “Na de val van die systemen die berustten op de zuivere spirituele autoriteit (“sacrale maatschappijen”, “goddelijke koningen”) gaat in een tweede fase de autoriteit over in handen van de krijgsaristocratie, in de cyclus van de grote monarchieën, waar het “goddelijk recht” van de soeverein nog slechts een restecho is van de waardigheid van de eerste leiders. Met de revolutie van de Derde Stand, met de democratie, het kapitalisme en de industrialisering gaat de effectieve macht over in handen van de derde kaste, de eigenaars van de rijkdom, met een even grote transformatie van het type van beschaving en van de heersende belangen. En uiteindelijk kondigen socialisme, marxisme en communisme – en realiseren het ook ten dele - de ultieme fase aan, de komst van de laatste kaste, de antieke kaste van de slaven, die zich organiseren en de macht veroveren. Zij zet de regressie door tot in de laatste fase” (31). Op de creditzijde van de Italiaanse filosoof mag in elk geval genoteerd worden dat hij ook op momenten dat het niet “opportuun” werd geacht, want men moest zijn beschermheer niet de haren in strijken, er steeds op gewezen heeft dat Europa door Amerika werd bedreigd : niet militair, maar politiek, economisch en vooral cultureel. Amerika, dat is voor Evola een perversie van de waarden, en deze perversie leidt onvermijdelijk tot bolsjewisme. Amerika doekte in Europa de laatste restanten op van een feodale en traditionele maatschappij. De Amerikaans liberale weg leidt de beschaving naar haar laatste fase. Metafysisch plaatst de Italiaan Amerika en Sojwet-Rusland in hetzelfde kamp : het zijn twee kanten van dezelfde munt. Communisme is de laatste fase van de involutie, die wordt voorafgegaan door de derde fase, die van de liberale bezitters.
De tweedeling van de beschaving : traditionele versus moderne maatschappij
Het zal onze aandachtige lezers natuurlijk al duidelijk geworden zijn dat er tussen moderne maatschappij en traditionele maatschappij een bijna letterlijk te nemen “onmacht tot communiceren” bestaat, toch in het concept van Julius Evola. En uit de wet van de regressie van de kasten valt al evenzeer een vergankelijkheid van de moderne wereld af te leiden, wat ook heel wat “modernen” zal choqueren. Het verdwijnen van de moderne wereld heeft voor de filosoof slechts “de waarde van het puur toeval” (32) En bovenop het beschavingspluralisme, waarover Spengler het heeft, moet u in Evola’s model rekening houden met het “dualisme van de beschaving”. Er is de moderne wereld en er zijn aan de andere kant die beschavingen die haar vooraf zijn gegaan, tussen die beiden is er een volledige breuk, het zijn morfologisch gezien totaal verschillende vormen van beschaving. Twee werelden waartussen bijna geen contact mogelijk is, want zelfs de betekenis van dezelfde woorden verschilt. Een begrip van de traditionele maatschappij is derhalve voor de grote meerderheid van de modernen onmogelijk (33).
En zoals in de vertaling van een artikel, dat wij in TeKoS (34) afdrukten, vermeld, kunnen tijds- en ruimtebeschavingen terzelfdertijd en naast elkaar bestaan. Moderne wereld en traditionele maatschappijen : twee universele types, twee categorieën.
Tekens van decadentie – diagnose van het heden als geheel van regressieve processen
Als denker van de Traditie heeft Julius Evola een misprijzen voor de moderne westerse wereld, en daarin wordt hij gevolgd én voorafgegaan door nogal wat denkers van de Conservatieve Revolutie. De symptomen waren voor de meeste auteurs in dezelfde hoek te zoeken, alleen over de remedies was men het minder eens. Ook het alternatieve staatsmodel, welk mechanisme de staats- of rijksordening moest leiden, was voor de meesten verschillend.
In hetzelfde artikel over het decadentiedenken van Julius Evola somt auteur Taguieff de symptomen op (35) :
1. Het egalitarisme, pendant van het universalisme van het joods-christelijk type. En Evola benadrukt de christelijke wortels van de egalitaire wortels.
2. Het individualisme. Samen met Guénon bestrijdt Evola het individualisme, want door het bestaan ervan wordt elke transcendentie genegeerd, te beginnen met die die “de persoon” belichaamt. De moderne vergissing : persoon met individu verwarren.
3. Het economisme, de overwaardering dus van productie (productiviteit, aanbidden van de afgod van de materiële vooruitgang, het integraal economisch materialisme, vergoddelijking van geld en rijkdom. Evola is schatplichtig aan Werner Sombart.
4. Het rationalisme, de ideologische implicaties van het paradigma van de “moderne wetenschap” – de neoreligie van de Vooruitgang, het scientisme – verwerping van elke contemplatieve gedachte t.v.v. een weten, gestuurd door een technische actie.
5. De ontbinding van de staat, van de macht, en vooral van de spirituele macht, van de idee zelf van hiërarchie, in en door democratie, liberalisme en communisme. De massificatie van de volkeren, zodat gedragingen, geëgaliseerd en geïnfantiliseerd, beter controleerbaar worden.
6. Het humanisme in zijn historische vormen: het humanisme of het humanitaire cosmopolitisme, de bourgeoisie met haar fundamentele sociale, morele en sentimentele aspecten, en het valse koppel van het liberaal utilitarisme (gericht op de opperste waarde van het welzijn, gebaseerd op de norm van profijt) en het “spiritueel evasionisme”.
7. De verschillende vormen van “seksuele revolutie”, met daarin de hegemonie van de vrouwelijke waarden (broederschap, veiligheid), de groeiende gelijkmaking en uitvlakken van de seksuele verschillen, het oprukken van psychoanalyse als “de demonie van de seksualiteit”, waardering van de “derde sekse”.
8. Het verschijnen van valse elites, oligarchieën van verschillende types, plutocratie, dictators en demagogen, moderne intellectuelen. Twee signalen onderzocht Evola nauwkeurig : het verlies aan zin voor aristocratie, de kracht ervan en de originele traditie, en aan de andere kant de ontbinding van de artistieke vormen, getuige daarvan de twijfel van de moderne muziek tussen intellectualisering en primitieve hypertrofie van zijn fysieke karakter.
9. De ondergang van hetgeen Evola superieure rassen noemt, ras niet te begrijpen in een biologische opvatting.
10. Opkomst van allerlei vormen van neospiritualisme, de zgn. tweede spiritualiteit, met een term eigen aan Spengler. Het vernielen van de traditionele vormen van religie en ascese, hertaald in een “humanitaire democratische moraal”. Evola omschrijft dit neospiritualisme als de evenknie, het evenbeeld van het westers materialisme.
11. De overbevolking. Evola behoort niet tot de natalistische vleugel van de Conservatieve Revolutie: bezorgd is hij niet door ontvolking, hij zoekt menselijke kwaliteit, géén kwantiteit.
12. Het totalitarisme, mogelijk gemaakt door het organisch concept van de staat te vernietigen, en belichaamd door een nieuwe paradoxale formatie : de idôlatrie van de staat en de atomisatie van de gemeenschap. Vanaf dan reflecteert hetgeen beneden is, niet meer hetgeen boven is, want er is geen boven meer. Elke afstand is afgeschaft. De totale horizontaliteit van de geatomiseerde maatschappij – de som van perfect uitwisselbare individuen – is de voorwaarde voor het verschijnen van de pseudostaat, die de totalitaire staat in wezen is.
13. Tenslotte het naturalisme in al zijn varianten : biologisme, materialisme, collectivisme, ja, zelfs nationalisme.
Slotopmerking : wat is decadentie voor Julius Evola ?
Het moet al duidelijk geworden zijn : de negatie van de Traditie is het beginpunt van decadentie en verval. Decadentie kan in de ogen van Evola het best omschreven worden als het toaal verlies aan “oriëntatie naar het transcendente” (36). Had ook Friedrich Nietzsche het niet over “God is dood” als beginpunt van het Europees nihilisme ? In die mate is de moderne maatschappij dan ook volledig tegengesteld aan de traditionele maatschappij en is de toegang naar het transcendente voor haar afgesloten. In zijn later werk Orientamenti zal de Italiaan de lijn doortrekken en noteren dat het antropocentrisme eigenlijk het begin betekent van de decadente moderniteit. Hierin ligt trouwens de scherpste kritiek van Evola aan het adres van Oswald Spengler, iets wat we nu gaan ontdekken.
4. JULIUS EVOLA OVER OSWALD SPENGLER
De twee belangrijke cyclisten, beiden actief in wat men later de Conservatieve Revolutie is gaan noemen, moesten elkaar vroeg of laten wel ontmoeten. Evola kwam een aantal keren in Duitsland spreken voor bvb. de Herrenclub, maar tot een ontmoeting tussen de beide filosofen is het nooit gekomen. We mogen ervan uitgaan dat Spengler de Italiaan niet kende en ook zijn werken niet had gelezen. Vergeten we trouwens niet dat het magnus opum van Evola pas in 1936 verschijnt, en dat Spengler hetzelfde jaar overleed. Maar Spengler kende bvb. ook de naam van Vico niet, wat erop kan duiden dat hij weinig kennis had over de Italianen. Evola kende het werk van Spengler wel, hij las alle werken van de Duitser, niet alleen Der Untergang des Abendlandes, maar ook zijn Jahre der Entscheidung. En in een tweetal artikels ging de Italaanse filosoof dieper in op de betekenis van Spengler voor het traditioneel denken en poogde hij tevens een traditionele kritiek te formuleren op de fundamenten van het Spengleriaans denken. Evola vertaalde Der Untergang des Abendlandes in het Italiaans in 1957 en vatte in zijn inleiding enkele punten van kritiek samen. Verder schreef hij in Vita Italiana in 1936 over de Duitse ondergangsfilosoof. De beide artikels werden in 1997 in het Frans vertaald en uitgegeven (37).
Voor Julius Evola is Spengler géén moderne auteur, in die zin dat hij met zijn werk het gevoel wekt reëel te zijn, te appelleren aan iets dat groter is dan zichzelf. De beschaving, aldus Spengler, ontwikkelt zich niet volgens het ritme van een continue vooruitgang naar de “beste” beschaving. Er bestaan slechts verschillende culturen, afzonderlijk van elkaar. Tussen culturen bestaan hoogstens verbindingen van analogie, maar er is géén continuïteit.
Evola merkt op dat dit de centrale ideeën van Spengler zijn, die op geen enkele manier terug te brengen zijn tot een persoonlijke filosofische stelling. Want op een of andere manier leefden dezelfde ideeën ook reeds in de antieke wereld, onder de vorm van cyclische wetten die de culturen en de volkeren leidden. Alleen, dit maakt ook direct dé grote zwakte uit van Spengler, want op geen enkel moment wordt er ook maar gewag gemaakt van het transcendente karakter van de cyclische wetten van de culturen : “Hij ontwierp zijn wetten als nieuwe naturalistische en deterministische wetten, als een reproductie van het somber lot dat planten en dieren (…) te wachten staat: ze worden geboren, groeien en verdwijnen. Zo had Spengler geen enkel begrip van de spirituele en transcendente elementen die aan de basis liggen van elke grote cultuur. Hij is de gevangene van een laïcistische stelling die de invloed onderging van de moderne ideeën van de levensfilosofie, het Faustisch activisme en het aristocratisch elitisme van Friedrich Nietzsche” (38). En Evola komt tot de essentie : Spengler heeft niet begrepen dat er boven de pluraliteit van culturen en hun ontwikkelingsfasen een dualiteit van cultuurvormen bestaat. Hij benaderde dit concept nochtans op het moment dat hij culturen in opgang plaatste tegenover culturen in neergang, en cultuur t.o.v. beschaving. Maar, zegt Evola, hij slaagde er niet in om de essentie van de tegenstelling bloot te leggen.
De Spengleriaanse opvatting van de aristocratische cultuur is schatplichtig aan Nietzsche, Julius Evola had er al op gewezen, de Duitse filosoof van Der Untergang zal er nooit van loskomen : “Het ideaal van de mens als een prachtig roofdier en een onverwoestbaar heerser bleef het geloofspunt van Spengler, en referenties naar een spirituele cyclus blijven bij hem sporadisch, onvolmaakt en verminkt vanuit zijn protestantse vooroordelen. De aanbidding van de aarde en de devotie voor de klassen van knechten, de graafschappen en de kastelen, intimiteit van tradities en corporatieve gemeenschappen, de organisch georganiseerde staat, het allerhoogste recht toegekend aan het ras (niet in biologische zin begrepen, maar in de zin van gedrag, van diep ingewortelde viriliteit), dit alles is het fundament van Spengler, waarin volkeren zich in de fase van de cultuur ontwikkelen. Maar eigenlijk is dit alles te weinig… In de loop van de geschiedenis is een dergelijke wereld eerder te vinden reeds als het gevolg van een eerste val. We bevinden ons dan in de cyclus van de “krijgersmaatschappij”, het traditionele tijdperk dat vorm krijgt eens het contact met de transcendente realiteit verbroken werd, en die ophoudt de creatieve kracht van de beschaving te zijn” (39). Oswald Spengler gaat dus in de eerste plaats niet ver genoeg in zijn analyses, en verder haalt hij ook niet de juiste referenties aan. Daarom, schrijft Julius Evola op pagina 11, “komt Spengler ons eerder voor als de epigoon van het conservatisme, van het beste traditionele Europa, die haar ondergang bezegeld zag in de Eerste Wereldoorlog en het ineenstorten van de laatste Europese rijken”.
Toch kan Evola zich vinden in de beschrijving van de beschaving in verval : “Massacultuur, anti-kwalitatief, anorganisch, urbanistisch en nivellerend, diep anarchistisch, demagogisch en antitraditioneel”. En verder wijdt hij enkele zinnen aan de twee wereldrevoluties die het Westen in Spengleriaans opzicht zullen nekken : “Een eerste, interne, heeft zich al gerealiseerd, de sociale revolutie van de massificatie en assimilatie (…). De tweede revolutie is zich aan het voorbereiden, de invasie van de gekleurde rassen, die zich in Europa vestigen, zich europeaniseren en die de beschaving naar hun hand zullen zetten” (40). En dan opnieuw de kritiek van de Italiaanse filosoof : als antwoord op deze bedreigingen “weet Spengler slechts het ideaal van het mooie beest op te roepen, het eeuwige instinct van de krijger, latent aanwezig in periodes van ondergang, maar klaar om op te springen als de volkeren zich in hun vitale substantie bedreigd voelen (…). Dit beantwoordt volledig aan de visie van een tragische Faustische ziel, dorstend naar het eeuwige, wat voor Spengler juist model stond voor het Leitmotiv van de westerse cyclus”. Deze weg vindt Evola zeer vaag en onduidelijk, want de opkomst van de grote rijken, met hun binoom massa-Caesar, waren de emanatie van de kanker van het vernietigend cosmopolitisme, van het demonisch karakter van massa’s en dus uitingen van de decadentie zelf. Het echte alternatief zou er juist in bestaan de massa’s als massa te vernietigen en in haar nieuwe articulaties te provoceren, nieuwe klassen, nieuwe kasten (41). Niets van dit alles bij Spengler, stelt Evola bijna teleurgesteld vast, er is maar één ankerpunt, zijn Pruisen, zijn Pruisisch ideaal. Spengler zag Pruisen niet in nationale dimensies, maar eerder als een levenswijze : niet hij die in Pruisen is geboren, kan zich Pruis noemen, maar “dit type kan men overal vinden, het is een teken van ras, van gedisciplineerde toewijding, van innerlijke vrijheid in het uitvoeren van de taak, autodiscipline”. Evola besluit met te stellen dat dit Pruisen op zijn minst een solide traditioneel referentiepunt is, maar betreurt toch dat Spengler niet verder is gegaan.
5. ENKELE VERDIENSTEN VAN DE BEIDE HEREN
De betreurde Armin Mohler vatte de betekenis van Oswald Spengler in een aantal rake punten samen. Wij kunnen de voornaamste punten bij uitbreiding ook toepassen op de Italiaanse ondergangsauteur :
Spengler trekt in crisissituaties ondergrondse stromingen van het denken met een radicaliteit in het bewustzijn, wat voor hem hoogstens door een Georges Sorel werd voorgedaan. En die gedachtenstroming is een denken over de realiteit, gestart door de Stoa en Herakleitos, dat vanaf de start afzag van valse troostende gedachten of van de voorspiegeling van ordenende systemen. Dit denken – dat ook dat van Spengler is – staat boven elk optimisme of pessimisme. Geschiedenis is een in elkaar lopend proces van geboorten en ondergang en er blijft de mens niets anders over dan deze realiteit met heroïsche aanvaarding te ondergaan.
Een tweede verdienste, schrijft Mohler, is het opnieuw in baan brengen van het cyclisch denken, vanuit een stroom van Europese en buiten-Europese denkers. T.o.v. het aan invloed winnende liniair denken - zeker na de overwinning van het liberaal kapitalistische mens- en maatschappijbeeld - is het nodig en noodzakelijk dat een alternatief, ook op intellectueel vlak, geboden wordt op de vooruitgangsidee (42). De originaliteit bestaat hierin dat hij het organisch concept van de Duitse Romantiek overbracht op de cyclische gedachte en deze van toepassing verklaarde op zijn acht cultuurkringen. Hij combineerde de cyclische idee met het probleem van de decadentie en het verval van de cultuur. Een fundamentele breuk dus met de optimistische liberale vooruitgangsidee, en vooral nuttig in het doorprikken van de zeepbel, als zou er slechts één manier bestaan om naar de wereld te kijken.
Werd er van wetenschappelijke hoek vaak kritiek uitgebracht op de cyclische cultuurfilosofen – vooral het determinisme werd als onwetenschappelijk van de hand gewezen – dan is diezelfde kritiek even goed van toepassing gebleken op het liniaire beeld van de geschiedenis : ook hier speelt een determinisme mee, dat wetenschappelijke kringen al evenmin kunnen accepteren. Match nul, zullen wij maar zeggen, of is de eerste helft pas gespeeld ? Het is belangrijk te beseffen dat Spengler er samen met Toynbee, Sorokim Pitrim en anderen, voor heeft gezorgd dat de liniaire geschiedenisfilosofie – een uitvloeisel van de drie monotheïstische godsdiensten en hun wereldlijke realisaties – een cyclisch geschiedenisbeeld tegenover zich kreeg, dat eerder of opnieuw aanknoopte bij de oude, heidense, polytheïstische godsdiensten : een tijdlang hield de liniaire geschiedenisfilosofie vol, dat zij en zij alleen wetenschappelijke waarde had. Sinds het oprukken van de cyclische geschiedenisfilosofie kan zij dit niet meer volhouden.
Tenslotte heeft niemand zo duidelijk en onverbiddelijk als Spengler gewezen op de sterfelijkheid en vergankelijkheid van culturen en tot het einde toe doorgedacht. Sommige one-liners moeten toch doen denken : “De blanke heersers zijn van hun troon gestoten. Vandaag onderhandelen zij waar ze gisteren nog bevalen en morgen zullen ze moeten smeken om nog te mogen onderhandelen. Ze hebben het bewustzijn verloren van zelfstandigheid van hun macht en ze merken het niet eens”.
De verdienste van Julius Evola in dit alles : de Italiaanse filosoof verruimde de blik van Spengler en voegde er een transcendente, spirituele dimensie aan toe. Verder wees hij erop dat het proces van het sombere tijdperk, de finale fase dus, zich eerst bij ons heeft ontwikkeld. Daarom is het niet uitgesloten dat we ook de eersten zullen zijn om het nulpunt te passeren, op een moment waarop andere beschavingen zich nog in de fase van ontbinding zullen bevinden.
Voetnoten
(1) Weismann, K., Het rechtse principe, TeKoS, nr. 113, pag. 5
(2) Kaltenbrunner, G-K, Europa, Seine geistigen Quellen in Porträts aus zwei Jahrtausenden, regio – Glock und Lutz, Sigmaringendorf, 1987, pag. 36 e.v.
(3) Huntington, S., Botsende beschavingen, Uitgeverij Anthos, Baarn, 1997, ISBN 90 763 4115 x
(4) Cliteur, P., Tegen de decadentie, Arbeiderspers, Amsterdam, 2004, 223 blz., 16,95 euro)
(5) Weismann, K., Die heroische Existenz im Geistigen, in Junge Freiheit, nr. 6/04, 30 januari 2004, pag. 17
(6) Freund J., Evola ou le conservatisme révolutionnaire, in Guyot-Jeannin, A., Julius Evola, Les dossiers H, L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, 1997, pag. 187
(7) Weissmann, K., Het rechtse principe, TeKoS, nr. 113, pag. 5
(8) Spengler, O., Der Untergang des Abendlandes. Umrisse einer Morphologie der Weltgeschichte, Verlag C. H. Beck, München, 1973, eerste uitgave 1923,1249 pagina’s
(9) Evola, J., Rivolta contro il mondo moderno, Ulrico Hoepli, Milano, 1934, 482 pagina’s
(10) Boterman, F., Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes, Cultuurpessimist en politiek activist, Van Gorcum, Assen/Maastricht, 1992, ISBN 90-232-2695-X, 402 pagina’s.
(11) Kaltenbrunner, G-K, Europa, Seine geistigen Quellen in Porträts aus zwei Jahrtausenden, Regio – Glock und Lutz, Sigmaringendorf, 1987, pag. 396
(12) Kaltenbrunner, G-K, Europa, Seine geistigen Quellen in Porträts aus zwei Jahrtausenden, Regio – Glock und Lutz, Sigmaringendorf, 1987, pag. 397-398
(13) Boterman, F., Kultur versus Zivilisation: Oswald Spengler en Nietzsche, in Ester, H., en Evers, M., In de ban van Nietzsche, Damon, Dudel, 2003, pag. 161-176
(14) Spengler, O., Untergang des Abendlandes, pag. 3
(15) Strong, T. B., Oswald Spengler – Ontologie, Kritik und Enttäuschung, in Ludz, P. C., Spengler heute, München, 1980, pag. 88
(16) Mann, T., Betrachtungen eines Unpolitischen, geciteerd in Ester, H., en Evers, M., In de ban van Nietzsche, Damon, Dudel, 2003
(17) Evers, M., Het probleem van de decadentie : Thomas Mann en Nietzsche, in Ester, H., en Evers, M., In de ban van Nietzsche, Damon, Dudel, 2003, pag. 130
(18) Boterman, F, Kultur versus Zivilisation: Oswald Spengler en Nietzsche in Ester, H., en Evers, M., In de ban van Nietzsche, Damon, Dudel, 2003, pag. 175 e.v.
(19) Boterman, F., Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes, Cultuurpessimist en politiek activist, Van Gorcum, Assen/Maastricht, 1992, pag. 67
(20) Boterman, F., Oswald Spengler, Der Untergang des Abendlandes, Cultuurpessimist en politiek activist, Van Gorcum, Assen/Maastricht, 1992, pag. 68
(21) Politica Hermetica, nr. 1, Métaphysique et Politique – René Guénon, Julius Evola, L’Age d’Homme, Paris, 1987, 204 pagina’s
(22) Evola, J., Rivolta contro il mondo moderno, misschien gemakkelijkst in zijn Franse vertaling te lezen. Révolte contre le monde moderne, Les Editions de l’Homme, Montréal-Brussel, 1972, 501 pagina’s
(23) Evola, J., Révolte contre le monde moderne, Les Editions de l’Homme, Montréal-Brussel, 1972, pagina 9
(24) Evola, J., Il cammino del Cinabro, in Franse vertaling te lezen : Le chemin du Cinabre, Archè, Milano, 1982, pagina 123-124
(25) Evola, J., Révolte contre le monde moderne, Les Editions de l’Homme, Montréal-Brussel, 1972, pagina 487
(26) Evola, J., Révolte contre le monde moderne, Les Editions de l’Homme, Montréal-Brussel, 1972, pagina 493
(27) Evola, J., Révolte contre le monde moderne, Les Editions de l’Homme, Montréal-Brussel, 1972, pagina 493 e.v.
(28) Taguieff, P. A., Julius Evola, penseur de la décadence, in Politica Hermetica, nr. 1, Métaphysique et Politique – René Guénon, Julius Evola, L’Age d’Homme, Paris, 1987, p. 27
(29) Evola, J., Le chemin du cinabre, Arché-Arktos, Carmagnola, 1982, pagina 125
(30) Evola, J., Révolte contre le monde moderne, Les Editions de l’Homme, Montréal-Brussel, 1972, pagina 449
(31) Evola, J., Le chemin du cinabre, Arché-Arktos, Carmagnola, 1982, pagina 125
(32) Evola, J., Révolte contre le monde moderne, Les Editions de l’Homme, Montréal-Brussel, 1972, pagina 12
(33) Evola, J., La tradition hermétique, Ed. Traditionelles, Paris, 1975, pagina 26
(34) Evola, J., Waarom tijdsbeschavingen en ruimtelijke beschavingen een verschillende geschiedenis hebben, in TeKoS, nr. 57, pagina 13 en volgende
(35) Taguieff, P. A., Julius Evola, penseur de la décadence, in Politica Hermetica, nr. 1, Métaphysique et Politique – René Guénon, Julius Evola, L’Age d’Homme, Paris, 1987, p. 31 en volgende
(36) Evola, J., Chevaucher le tigre, Trédaniel, Paris, 1982, pagina 269
(37) Evola, J., L’Europe ou le déclin de l’occident, Perrin & Perrin, 1997
(38) Evola, J., L’Europe ou le déclin de l’occident, Perrin & Perrin, 1997, pagina 7-9
(39) Evola, J., L’Europe ou le déclin de l’occident, Perrin & Perrin, 1997, pagina 10
(40) Evola, J., L’Europe ou le déclin de l’occident, Perrin & Perrin, 1997, pagina 14
(41) Ibidem
(42) Evola, J., L’Europe ou le déclin de l’occident, Perrin & Perrin, 1997, pag. 15-16
(43) Mohler, A., Oswald Spengler (1880-1936) in Criticon, nr. 60-61, pagina 160-162
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samedi, 06 février 2010
Wessen Gegner?
Wessen Gegner?
Doch diese Begriffe sind so mit Gefühlen, mit dem Lebenssinn wie mit der Feindschaft von Millionen berknüpft, dass es schon deshalb für den einzelnen, der aus der Phrase zur Einsicht in die Tatsachen zu gelangen sucht, ungeheuer schwer ist, sich hindurchzukämpfen.
Im Kampf gegen die Unklarheiten des Denkens und die Unaufrichtigkeit des Wollens will der "Gegner" den einzelnen helfen, zu weitsichtigeren übergeordneten Meinungen zu gelangen. Er bekämpft ebenso die falschen Hoffnungen der Schlagwort-Idealisten wie die Hoffnungslosigkeit, d. h. Trägheit und Müdigkeit derer, die keinen Boden mehr unter den Füssen fühlen.
In allen Lagern mehren sich die Menschen, die sich auf der Suche nach Erkenntnis der wirklichen Zusammenhänge in dem heutigen Geschehen nicht mehr mit den Parteischlagworten und der Schuld der anderen begnügen können. Der "Gegner" stellt sich denen, die auf neuen und vergessenen Wegen den Sinn dieser Zeit und die Lösung der uns brennenden Fragen zur erfahren streben, zur Verfügung.
Vielleicht sind manche Perspektiven irrig, manche Anschauungen sogar falsch. Wem schadet das?
Wir sammeln die Fragestellungen in den Bewusstsein, dass überall unter dem Chaos der Meinungen das Wissen um die Zeit, das Bewusstsein für das, was im Grunde vor sich geht, zu wachsen und zu reifen beginnt.
Man möge sich darüber beruhigen, dass der "Gegner" kein "Programm" habe, es gibt heute Wichtigeres zu entwickeln als Programme. Es gilt die Konzeption einer neuen einheitlichen Weltanschauung, die hier und dort bereits sichtbar wird. Denn erst eine neue an dem riesenhaften Wissen früherer Kulturen geschulte Sinngebung wird die bedeutenden Teilergebnisse der heutigen offiziellen Wissenschaften und die ungeheuren Wirtschaftskräfte, die diese jetzt vergehende Epoche herausgebildet hat, für Deutschland, für Europa, für alle Länder der Erde fruchtbar machen können.
Bewusst oder unbewusst - der Mythos der Zeit bildet uns bereits, und wir ihn.
Erst grosse, aus tiefen Erkenntnissen stammende Gedanken und Aufgaben werden die von den verschiedenen Grundeinstellungen zum gemeinsamen Werk vordringenden Gegner wirklich verbinden können - hierzu ist der "Gegner" eine Vorarbeit.
Der Gegner, Heft 1/2, 1932.
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Das Wesen der Aufklärung
Das Wesen der Aufklärung
[...]
Und selbst die Moral, dieses Urgebiet der Freiheit, soll ein "Gesetz" der Freiheit finden, das moralische Gesetz in mir, in Parallele zu dem Gesetz der Himmelsmechanik, dem gestirnten Himmel über mir, das Gesetz: allgemeingültig zu handeln, wie Kants kategorischer Imperativ es fordert.
Dieses Gesetzesdenken will etwas. Alle Aufklärung ist zweckhaft. Es will herrschen. Erkenntnis ist nicht mehr Staunen und Betroffensein vom Seienden und seiner Fülle, wie es die griechische "Theorie" gewesen war, ujnd wie sie das gesamte abendländische Denken bisher vertreten hatte. Das aufgeklärte Wissen will rechnen ujnd darin absehen von allen qualitativen Gehalten, die man ja nicht errechnen kann. Es will nicht mehr Substanz, es will Funktion, Regel, Verbindung immer gleichen Geschehens, das man in Quantität, in Zahl und mathematischer Formel ausdrücken kann. Und es will - so sagt Kant äusserst charakteristisch - der Natur als der uns Menschen erkennbaren Erscheinungswelt ihre Gesetze, ihre Regelhaftigkeit in Gemässheit unseres Denkens über sie "vorschreiben". Es will verfügen, gebieten, ordnen und verwerten. Es will herrschen gemäss dem praktischen Sinn aller Aufklärung: es will die Welt gestalten gemäss der Einsicht in ihre Gesetzlichkeit. Und eben da schlägt die Geburtsstunde unserer modernen Technik. Sie ist das legitime Kind der Aufklärung, ihr Erbe an das 19. Jahrhundert und nicht zuletzt auch uns selbst. Verwertung der Naturgesetze zur Lebensgestaltung: das ist der Wille der aufgeklärten Wissenschaft von der Natur.
Theodor Steinbüchel, Zerfall des christlichen Ethos im XIX. Jahrhundert. Josef Knecht, Frankfurt am Main 1951.
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vendredi, 05 février 2010
Le bourgeois selon Sombart
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1979
Le bourgeois selon Sombart
par Guillaume Faye
Dans Le Bourgeois, paru en France pour la première fois en 1926, Werner Sombart, une des figures les plus marquantes de l'école économique "historique" allemande, analyse la bourgeoisie comme l'effet d'une rencontre entre un phénomène de "psychologie historique" et des faits proprement économiques. Cette analyse le sépare de la pensée libérale comme des idées marxistes.
Comme pour Groethuysen, le bourgeois représente d'après Sombart, "l'homme de notre temps". "Le bourgeois", écrit-il, représente la forme la plus typique de l'esprit de notre temps". Le bourgeois n'est pas seulement un type économique, mais "un type social et psychologique".
Sombart accorde au bourgeois l'"esprit d'entreprise"; et c'est, effectivement, de notre point de vue, une de ses caractéristiques jusqu'au milieu du XXème siècle. Mais Sombart prophétise qu'à la fin du XXème siècle, la bourgeoisie, largement "fonctionnarisée" et créatrice de l'Etat-Providence aura perdu cet esprit d'entreprise au profit de la "mentalité du rentier".
Cependant, elle a conservé ce que décelait Sombart à l'origine de sa puissance: "la passion de l'or et l'amour de l'argent ainsi que l'esprit de calcul", comme le note également d'ailleurs Gehlen.
"Il semblerait, écrit Sombart, que l'âpreté au gain (lucri rabies) ait fait sa première apparition dans les rangs du clergé. Le bourgeois en héritera directement".
Sombart, décelant le "démarrage" de l'esprit bourgeois au Moyen Age, en relève une spécificité fondamentale: l'esprit d'épargne et de rationalité économique (1), caractère qui n'est pas critiquable en soi, à notre avis, mais qui le devient dès lors que, comme de nos jours, il est imposé comme norme à toutes les activités de la société (réductionnisme).
Il ne faut donc pas soutenir que l'esprit bourgeois ne fait pas partie de notre tradition culturelle; de même, Sombart remarque que le mythe de l'or était présent dans les Eddas et que les peuples européens ont toujours été attachés à la "possession des richesses" comme "symboles de puissance".
Dans notre analyse "antibourgeoise" de la civilisation contemporaine, ce n'est pas cet esprit économique que nous critiquons "en soi", c'est sa généralisation. De même l'appât des richesses ne peut être honni "dans l'absolu", mais seulement lorsqu'il ne sert qu'à l'esprit de consommation et de jouissance passive.
Au contraire, le goût de la richesse (cf. les mythes européens du "Trésor à conquérir ou à trouver"), lorsqu'il se conjugue avec une volonté de puissance et une entreprise de domination des éléments s'inscrit dans nos traditions ancestrales.
La figure mythique -ou idéaltypique- de l'Harpagon de Molière définit admirablement cette "réduction de tous les points de vues à la possession et au gain", caractéristiques de l'esprit bourgeois.
Pour Sombart, le "bourgeois vieux style" est caractérisé entre autres par l'amour du travail et la confiance dans la technique. Le bourgeois "moderne" est devenu décadent: le style de vie l'emporte sur le travail et l'esprit de bien-être et de consommation sur le sens de l'action. En utilisant les "catégories" de W. Sombart, nous pourrions dire, d'un point de vue anti-réductionniste, que nous nous opposons au "bourgeois en tant que tel" et que nous admettons le "bourgeois entrepreneur" qui doit avoir sa place organique (3ème fonction) dans les "communautés de mentalité et de tradition européennes", comme les nomme Sombart.
L'entrepreneur est "l'artiste" et le "guerrier" de la troisième fonction. Il doit posséder des qualités de volonté et de perspicacité; c'est malheureusement ce type de "bourgeois" que l'univers psychologique de notre société rejette. Par contre, le "bourgeois en tant que tel" de Sombart correspond bien à ce que nous nommons le bourgeoisisme -c'est-à-dire la systématisation dans la société contemporaine de traits de comportements qualifiés par W. Sombart d'"économiques" par opposition aux attitudes "érotiques". Sombart veut dire par là que la "principale valeur de la vie" est, chez le bourgeois, d'en profiter matériellement, de manière "économique". La vie est assimilée à un bien consommable dont les "parties", les unités, sont les phases de temps successives. Le temps "bourgeois" est, on le voit, linéaire, et donc consommable. Il ne faut pas le "perdre"; il faut en retirer le maximum d'avantages matériels.
Par opposition, la conception érotique de la vie -au sens étymologique- ne considère pas celle-ci comme un bien économique rare à ne pas gaspiller. L'esprit "aristocratique" reste, pour Sombart, "érotique" parce qu'il ne calcule pas le profit à tirer de son existence. Il donne, il se donne, selon une démarche amoureuse. "Vivre pour l'économie, c'est épargner; vivre pour l'amour, c'est dépenser", écrit Sombart. On pourrait dire, en reprenant les concepts de Sombart, que le "bourgeoisisme" serait la perte, dans la bourgeoisie, de la composante constituée par l'esprit d'entrepreneur; seul reste "l'esprit bourgeois proprement dit".
Au début du siècle par contre, Sombart décèle comme "esprit capitaliste" l'addition de ces deux composantes: esprit bourgeois et esprit d'entreprise.
L'esprit bourgeois, livré à lui-même, systématisé et massifié, autrement dit le bourgeoisisme contemporain, peut répondre à cette description de Sombart: "Type d'homme fermé (...) qui ne s'attache qu'aux valeurs objectives de ce qu'il peut posséder, de ce qui est utile, de ce qu'il thésaurise. Grégaire et accumulateur, le bourgeois s'oppose à la mentalité seigneuriale, qui dépense, jouit, combat. (...) Le Seigneur est esthète, le bourgeois moraliste".
Sombart, opposant la mentalité aristocratique à l'esprit "bourgeois proprement dit" (c'est-à-dire dénué de la composante de l'esprit d'entreprise), note: "Les uns chantent et résonnent, les autres n'ont aucune résonnance; les uns sont resplendissants de couleurs, les autres totalement incolores. Et cette opposition s'applique non seulement aux deux tempéraments comme tels, mais aussi à chacune des manifestations de l'un et de l'autre. Les uns sont artistes (par leur prédispositions, mais non nécessairement par leur profession), les autres fonctionnaires, les uns sont faits de soie, les autres de laine". Ces traits de "bourgeoisime" ne caractérisent plus aujourd'hui une classe (car il n'y a plus de classe bourgeoise) mais la société toute entière. Nous vivons à l'ère du consensus bourgeois.
Avec un trait de génie, Werner Sombart prédit cette décadence de la bourgeoisie qui est aussi son apogée; décadence provoquée, entre autres causes, par la fin de l'esprit d'entreprise, mais également par cet esprit de "bien-être matériel" qui asservit et domestique les Cultures comme l'ont vu, après Sombart, K. Lorenz et A. Gehlen. Le génie de Sombart aura été de prévoir le phénomène en un temps où il était peu visible encore.
Le Bourgeois, livre remarquable, devenu grand classique de la sociologie contemporaine, se conclut par cet avertissement, dont les dernières lignes décrivent parfaitement une de nos principales ambitions: "Ce qui a toujours été fatal à l'esprit d'entreprise, sans lequel l'esprit capitaliste ne peut se maintenir, c'est l'enlisement dans la vie de rentier, ou l'adoption d'allures seigneuriales. Le bourgeois engraisse à mesure qu'il s'enrichit et il s'habitue à jouir de ses richesses sous la forme de rentes, en même temps qu'il s'adonne au luxe et croit de bon ton de mener une vie de gentilhomme campagnard (...).
Mais un autre danger menace encore l'esprit capitaliste de nos jours: c'est la bureaucratisation croissante de nos entreprises. Ce que le rentier garde encore de l'esprit capitaliste est supprimé par la bureaucratie. Car dans une industrie gigantesque, fondée sur l'organisation bureaucratique, sur la mécanisation non seulement du rationalisme économique, mais aussi de l'esprit d'entreprise, il ne reste que peu de place pour l'esprit capitaliste.
La question de savoir ce qui arrivera le jour où l'esprit capitaliste aura perdu le degré de tension qu'il présente aujourd'hui, ne nous intéresse pas ici. Le géant, devenu aveugle, sera peut-être condamné à traîner le char de la civilisation démocratique. Peut-être assisterons-nous aussi au crépuscule des dieux et l'or sera-t-il rejeté dans les eaux du Rhin.
"Qui saurait le dire?"
Guillaume FAYE.
(janvier-février 1979).
(1) La vie aristocratique et seigneuriale était plus orientée vers la "dépense".
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jeudi, 04 février 2010
Zum 150. Todestag von Ernst Moritz Arndt
Karlheinz Weissmann:
Arndt, Diwald, der Patriot schlechtin
Zum 150. Todestag von Ernst Moritz Arndt
Am 27. Januar 1970 hielt Hellmut Diwald vor der Siemens-Stiftung in München einen Vortrag über Ernst Moritz Arndt. Das Datum lag kurz vor dessen 110. Todestag, einen Monat nach dessen 200. Geburtstag. Das Gedenken war dürftig gewesen, der neue Zeitgeist duldete keinen Bezug auf jemanden, der im Ruch des Nationalisten und Antisemiten stand.
Diwald wußte das genau und also auch, daß er mit seinem Thema und der Art der Darstellung ein Tabu brach, ein junges Tabu zwar, aber eines, das rasch, geschickt und mit erheblicher Wirkung etabliert worden war: das Tabu, sich anders als negativ über die deutsche Nationalgeschichte zu äußern.
Diwald, der zu dem Zeitpunkt politisch noch ein unbeschriebenes Blatt war, wollte gegen dieses Tabu verstoßen. Sein Vortrag entwickelte das Thema unter dem Gesichtspunkt der Rolle Arndts für das „Entstehen des deutschen Nationalbewußtseins“. Damit war die Absicht verbunden, ältere wie jüngere Verzeichnungen zu korrigieren. Arndt erschien bei Diwald nicht als Teutomane, sondern als jemand, der um den Anteil am Gemachten jeder Nation wußte, der nicht naiv an das Organische glaubte, sondern von der Notwendigkeit überzeugt war, die Nation zu erziehen und zu mobilisieren, der kaum etwas hielt von der selbstverständlichen Güte des einfachen Mannes, aber Respekt vor dem Volk hatte, und insoweit Demokrat war, aber nicht der Jakobiner, zu dem ihn Metternich im Negativen, die DDR im Positiven machen wollten, keinesfalls ein Reaktionär, obwohl er der monarchischen Idee anhing, eher ein konservativer Revolutionär im präzisen Sinn: „Die Schwächlichen und Elendigen fliehen zu dem Alten zurück, wo ihrer Furcht vor dem Neuen graut.“
Diwald wollte der Persönlichkeit Arndts Gerechtigkeit widerfahren lassen, sie in den historischen Zusammenhang einordnen, des Spätabsolutismus und der Französischen Revolution, des Idealismus, der Romantik, der „Deutschen Bewegung“, der Befreiungskriege und des Vormärz. Das persönliche – auch das in Teilen schwere – Schicksal Arndts trat dagegen zurück, und Diwald setzte die Akzente so, daß selbst Arndts übel beleumdete Schrift Über den Volkshaß ihren Sitz im Leben erhielt, die ganz abgeblaßte Lage Deutschlands unter dem napoleonischen Joch wieder hervortrat.
Diwald war aber nicht nur als Historiker interessiert. Er schloß seinen Vortrag mit den Worten: „Wir haben später diesen `deutschen Lehrer, Schreiber, Sänger und Sprecher´ nicht bei seinen lorbeerbekränzten, adagio handelnden, sich mit der Obrigkeit arrangierenden Zeitgenossen, unseren Olympiern, einziehen lassen. Das wäre ungerecht gewesen, eine Kränkung Ernst Moritz Arndts, denn gerade ihm ist die gleichgültige Reverenz nicht zuzumuten, mit der wir schon so lange die herausragenden Figuren unserer Geschichte sterilisieren und festgerahmt an die Wände der Museen hängen.“
Es lag darin Bewunderung für ein konsequentes Leben, wenn auch wohl keine Prognose für das eigene Schicksal, obwohl man sagen könnte, daß die Erfahrungen, die Diwald in den folgenden Jahren machen mußte, denen Arndts ähnelten. Und ihn erwartete nicht einmal der Trost, den das Alter für Arndt bereitgehalten hatte, nur dasselbe Bewußtsein, dem inneren Gesetz Genüge getan zu haben.
Abbildung: Umschlag eines Reprints aus dem DDR-Verlag der Nation, 1988!
Article printed from Sezession im Netz: http://www.sezession.de
URL to article: http://www.sezession.de/11446/arndt-diwald-der-patriot-schlechthin.html
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dimanche, 31 janvier 2010
Citation de Gustave Le Bon

On rencontre beaucoup d’hommes parlant de libertés, mais on en voit très peu dont la vie n’ait pas été principalement consacrée à se forger des chaînes.
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Quelle philosophie politique de l'écologie?

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1990
Robert STEUCKERS
Quelle philosophie politique de l'écologie?
Les bons scores des Verts français à la suite des dernières campagnes électorales dans l'Hexagone, la persistance des Grünen ouest-allemands et les sondages favorables aux listes écologistes en Belgique pour les prochaines élections (12% à Bruxelles!) obligent tous les militants politiques, de quelque horizon qu'ils soient, à développer un discours écologique cohérent. En effet, pour la décennie qui vient, pour les premières décennies du XXIième siècle, se dessine une nouvelle bipolarité entre, d'une part, les nationaux-identitaires, animés par une forte conscience historique, et, d'autre part, les Verts, soucieux de préserver le plus harmonieusement possible le cadre de vie de nos peuples. Cette bipolarisation est appelée à refouler graduellement dans la marginalité les anciennes polarisations entre partisans du laissez-faire libéral et partisans de l'Etat-Providence. C'est en tout cas ce qu'observe un professeur américain, Peter Drucker (1), dont la voix exprime des positions quasi officielles. Toutes les formes de libéralisme, malgré le sursaut tapageur des années Reagan, sont appelées à disparaître en ne laissant que les traces de leurs ravages moraux et sociaux; en effet, les impératifs de l'heure sont des impératifs globaux de préservation: préserver une conscience historique et préserver un cadre de vie concret contre les fantasmes de la «table rase» et contre le messianisme qui promet, avec un sourire vulgairement commercial, des lendemains qui chantent. Ces impératifs exigent des mobilisations collectives; dès lors, beaucoup de réflexes ne seront plus de mise, notamment l'engouement dissolvant pour l'individualisme méthodologique, propre du libéralisme, avec sa sainte horreur des obligations collectives structurantes qui, elles, parient sur le très long terme et ne veulent pas se laisser distraire par les séductions de l'instant (le «présentisme» des sociologues).
Le libéralisme politique et économique a engendré la mentalité marchande. C'est un fait. Même si d'aucuns, dans des clubs agités par une hayekite aigüe, croient pouvoir prouver que les choses auraient pu tourner autrement. On connaît le bon mot: avec des "si", on met Paris en bouteille. L'histoire est là qui montre l'involution lente mais sûre du libéralisme théorique d'Adam Smith à la déliquescence sociale totale que l'on observe chez les hooligans de Manchester ou de Liverpool, chez les consommateurs de crack du Bronx ou dans la déchéance ensoleillée et sidaïque de San Francisco. Le fantasme libéral de la perfectibilité infinie (2), qu'on lira à l'état pur chez un Condorcet, a induit les peuples à foncer bille en tête vers les promesses les plus fumeuses, dans une quête forcenée de plaisirs éphémères, de petits paradis d'inaction et de démobilisation. La jouissance hédoniste de l'instant est ainsi devenue le telos (le but) des masses, tandis que les gagneurs, plus puritains, tablaient sur la rentabilité immédiate de leurs investissements. Jouissance et rentabilité immédiates impliquent deux victimes: l'histoire (le temps), qui est oubliée et refoulée, et l'environnement (l'espace), qui est négligé et saccagé, alors que ce sont deux catégories incontournables dans toute société solidement assise, deux catégories qui résistent pied à pied aux fantasmes du «tout est possible - tout est permis» et qu'il sera toujours impossible de faire disparaître totalement.
Ce résultat navrant du libéralisme pratique, de cette vision du monde mécanique (qui a le simplisme extrême des mécaniques) et de ces suppléments d'âme moralisants (participant d'une morale auto-justificatrice, d'une morale-masque qui cache l'envie intempérante de tout avoir et tout maîtriser), nous force à adopter
1) une philosophie qui tienne compte du long terme, tout en préservant
a) les ressources de la mémoire historique, laquelle est un réceptacle de réponses acquises et concrètes aux défis du monde, et
b) les potentialités de l'environnement, portion d'espace à maintenir en bon état de fonctionnement pour les générations futures;
2) une pratique politique qui exclut les discours moralisants et manipulateurs, discours gratuits et a fortiori désincarnés, blabla phatique qui distrait et endort les énergies vitales.
Enfin, l'état du monde actuel et la bipolarisation en train de s'installer nous obligent à déployer une stratégie précise qui empêchera 1) les rescapés du bourgeoisisme libéral d'investir le camp des «identitaires historicisés» et 2) les rescapés de l'égalitarisme caricatural des vieilles gauches, vectrices de ressentiments, d'investir le camp des «identitaires éco-conscients». Cette stratégie peut paraître présomptueuse: comment, concrètement, réaliser un double travail de ce type et, surtout, comment affermir une stratégie en apparence aussi détachée des combats quotidiens, aussi régalienne parce que non partisane et non manichéenne, aussi réconciliatrice de contraires apparemment irréconciliables? Les traditions gramsciennes et la métapolitique nous ont enseigné une chose: ne pas craindre les théories (surtout celles qui visent la coincidentia oppositorum), être attentif aux mouvements d'idées, même les plus anodins, être patient et garder à l'esprit qu'une idée nouvelle peut mettre dix, vingt, trente ans ou plus pour trouver une traduction dans la vie quotidienne. Organiser une phalange inflexible d'individus hyper-conscients, c'est la seule recette pour pouvoir offrir à son peuple, pour le long terme, un corpus cohérent qui servira de base à un droit nouveau et une constitution nouvelle, débarrassée des scories d'un passé récent (250 ans), où se sont multipliés fantasmes et anomalies.
Une société de pensée a pour mission d'explorer minutieusement bibliothèques et corpus doctrinaux, œuvres des philosophes et des sociologues, enquêtes des historiens, pour forger, en bout de course, une idéologie cohérente, souple, prête à être comprise par de larges strates de la population et à s'inscrire dans la pratique politique quotidienne. Les idéologies qui nous ont dominés et nous dominent encore dérivent toutes d'une matrice idéologique mécaniciste, idéaliste, moralisante. Le libéralisme dérive des philosophies mécanicistes du XVIIIième siècle et de l'idéalisme moralisant et hédoniste des utilitaristes anglais. Ce bricolage idéologique libéral ne laissait aucune place à l'exploration féconde du passé: dans sa méthodologie, aucune place n'était laissée au comparatisme historicisant, soit à la volonté de se référer à la geste passée de son peuple pour apprendre à faire face aux défis du présent, à la mémoire en tant que ciment des communautés (où, dans une synergie holiste, éléments économiques, psychologiques et historiques s'imbriquent étroitement), si bien qu'un Jacques Bude (3) a pu démontrer que le libéralisme était un obscurantisme, hostile à toute investigation sociologique, à toute investigation des agrégats sociaux (considérés comme des préjugés sans valeur).
Par ailleurs, la philosophie linéaire de l'histoire que s'est annexée le libéralisme dans sa volonté de parfaire infiniment l'homme et la société, a conduit à une exploitation illimitée et irréfléchie des ressources de la planète. Pratique qui nous a conduit au seuil des catastrophes que l'on énumerera facilement: pollution de la Sibérie et de la Mer du Nord, désertification croissante des régions méditerranéennes, ravage de la forêt amazonienne, développement anarchique des grandes villes, non recyclage des déchets industriels, etc.
Le marxisme a été un socialisme non enraciné, fondé sur les méthodes de calcul d'une école libérale, l'école anglaise des Malthus et Ricardo. Il n'a pas davantage que le libéralisme exploré les réflexes hérités des peuples ni mis des limites à l'exploitation quantitative des ressources du globe. En bout de course, c'est la faillite des pratiques mécanicistes de gauche et de droite que l'on constate aujourd'hui, avec, pour plus bel exemple, les catastrophes écologiques des pays naguère soumis à la rude férule du «socialisme réel». A ce mécanicisme global, qui n'est plus philosophiquement défendable depuis près d'un siècle, se substituera progressivement un organicisme global. Les pratiques politico-juridiques, l'idéologie dominante des établissements, notamment en France et en Belgique, sont demeurées ancrées solidement dans le terreau mécaniciste. L'alternative suggérée par le mouvement flamand, appuyée par les sociologues de la Politieke Akademie créée par Victor Leemans à Louvain dans les années 30 (4), a été soit éradiquée par l'épuration de 1944-51 soit récupérée et anémiée par la démocratie-chrétienne soit refoulée par une inquisition têtue qui ne désarme toujours pas. Or cette alternative, et toute autre alternative viable, doit se déployer au départ d'une conscience solidissime de ses assises. Ces assises, quelles sont-elles? Question qu'il est légitime de poser si l'on veut prendre conscience de la généalogie de nos positions actuelles, tout comme les néo-libéraux avaient exhumé Adam Smith, Mandeville, Condorcet, Paine, Constant, etc. (5), au moment où ils se plaçaient sous les feux de la rampe, avec la complaisance béotienne de la médiacratie de droite. L'archéologie de notre pensée, qui conjugue conscience historique et conscience écologique, a ses propres chantiers:
1) Les textes de la fin du XVIIIième siècle, où on lit pour la première fois des réticences à l'endroit de la mécanicisation/détemporalisation du monde, portée par des Etats absolutistes/modernistes, conçus comme des machines entretenues par des horlogers (6). L'idéologie révolutionnaire reprendra à son compte le mécanicisme philosophico-politique des absolutismes. L'hystérie des massacres révolutionnaires, perçue comme résultat négatif du mécanicisme idéologique, induit les philosophes à re-temporaliser et re-vitaliser leur vision du politique et de l'Etat. Dans sa Critique de la faculté de juger (1790), Kant, auparavant exposant des Lumières, opère une volte-face radicale: les communautés politiques ne sont pas des systèmes d'engrenages plus ou moins complexes, mais des Naturprodukte (des produits de nature) animés et mus par une force intérieure, difficilement cernable par la raison. Le poète Schiller prendra le relais du Philosophe de Königsberg, popularisant cette nouvelle attention pour les faits de monde organiques. Dans ce Kant tardif, l'organicisme que nous défendons prend son envol. Intellectuellement, certains libéraux, cosmopolites et universalistes qui battent l'estrade du petit monde parisien depuis quelques années, se revendiquent d'un Kant d'avant 1790; le philosophe de Königsberg s'était pourtant bien rendu compte de l'impasse du mécanicisme désincarné... Remarquons, par ailleurs, qu'un Konrad Lorenz a puisé énormément de ses intuitions dans l'œuvre de Kant; or, ne l'oublions pas, il pourfend simultanément deux maux de notre temps, a) l'égalitarisme, stérilisateur des virtualités innombrables et «différenciantes» des hommes, et b) le quantitativisme, destructeur de l'écosystème. Notre axe philosophique part de la volte-face de Kant pour aboutir aux critiques organicistes très actuelles et pionnières de Konrad Lorenz et, depuis son décès, de l'épistémologie biologique de ses successeurs (Rupert Riedl, Franz Wuketits). De cette façon, nous formulons une double réponse aux défis de notre fin de siècle: 1) la nécessité de replonger dans l'histoire concrète et charnelle de nos peuples, pour ré-orienter les masses distraites par l'hédonisme et le narcissisme de la société de consommation, et 2) la nécessité de prendre les mesures qui s'imposent pour sauvegarder l'environnement, soit la Terre, la Matrice tellurique des romantiques et des écolos...
2) La révolution épistémologique du romantisme constitue, pour nous, la carrière immense et féconde, où nous puisons les innombrables facettes de nos démarches, tant dans la perspective identitaire/nationale que dans la perspective éco-consciente. C'est un ancien professeur à la faculté des Lettres de Strasbourg, Georges Gusdorf (7), qui, dans son œuvre colossale, a dévoilé au public francophone les virtualités multiples du romantisme scientifique. Pour lui, le romantisme, dans sa version allemande, est mobilisateur des énergies populaires, tandis que le romantisme français est démobilisateur, individuo-subjectif et narcissique, comme l'avaient remarqué Maurras, Lasserre et Carl Schmitt. En Allemagne, le romantisme dégage une vision de l'homme, où celui-ci est nécessairement incarné dans un peuple et dans une terre, vision qu'il baptise, à la suite de Carus (8), anthropocosmomorphisme. Gusdorf souligne l'importance capitale du Totalorganizismus de Steffens, Carus, Ritter et Oken. L'homme y est imbriqué dans le cosmos et il s'agit de restaurer sa sensibilité cosmique, oblitérée par l'intellectualisme stérile du XVIIIième. Nos corps sont des membres de la Terre. Ils sont indissociables de celle-ci. Or, comme il y a priorité ontologique du tout sur les parties, la Terre, en tant que socle et matrice, doit recevoir notre respect. Philosophie et biosophie (le mot est du philosophe suisse Troxler) se confondent. Le retour de la pensée à cet anthropocosmomorphisme, à ce nouveau plongeon dans un essentiel concret et tellurique, doit s'accompagner d'une révolution métapolitique et d'une offensive politique qui épurera le droit et les pratiques juridiques, politiques et administratives de toutes les scories stérilisantes qu'ont laissées derrière elles les idéologies schématiques du mécanicisme du XVIIIième.
3) Dans le sillage de la révolution conservatrice, le frère d'Ernst Jünger, Friedrich Georg Jünger (1898-1977), publie Die Perfektion der Technik (1939-1946), une sévère critique des mécanicismes de la philosophie occidentale depuis Descartes. En 1970, il fonde avec Max Himmelheber la revue Scheidewege qui paraîtra jusqu'en 1982. Cette œuvre constitue, elle aussi, un arsenal considérable pour critiquer le fantasme occidental du progrès infini et linéaire et dénoncer ses retombées concrètes, de plus en plus perceptibles en cette fin de siècle.
4) Enfin, dans les philosophies post-modernes, critiques à l'égard des «grands récits» de la modernité idéologique, le fantasme d'un monde meilleur au bout de l'histoire ou d'une perfectibilité infinie est définitivement rayé de l'ordre du jour (9).
Dans la sphère métapolitique, qui n'est pas «sur orbite» mais constitue l'anti-chambre de la politique, la tâche qui attend cette phalange inflexible des militants hyper-conscients, dont je viens de parler, est d'explorer systématiquement les quatre corpus énumérés ci-dessus, afin de glâner des arguments contre toutes les positions passéistes qui risqueraient de s'infiltrer dans les deux nouveaux camps politiques en formation. Traquer les reliquats de libéralisme et les schématisations d'un intégrisme religieux stupidement agressif —qui relève davantage de la psychiatrie que de la politique— traquer les idéologèmes désincarnants qui affaiblissent en ultime instance le mouvement écologique, traquer l'infiltration des réflexes dérivés de la vulgate jusqu'ici dominante: voilà les tâches à parfaire, voilà des tâches qui exigent une attention et une mobilisation constantes. Mais elles ne pourront être parfaites, que si l'on a réellement intériorisé une autre vision du monde, si l'on est intellectuellement armé pour être les premiers de demain.
Robert Steuckers,
Bruxelles, 15 août 1990.
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