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mardi, 30 juin 2009

Le "destin" dans la pensée germanique des origines d'après Franz Murawski

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Le «destin» dans la pensée germanique

des origines d'après Friedrich Murawski

 

Le divin dans la pensée des anciens Ger­mains ne s'exprimait pas par la bouche de prêtres ou par le biais d'une église ou dans l'exiguïté d'un temple. Le divin est au-des­sus de toute organisation hiérarchique de la religion; de ce fait, cette dernière est superflue car elle institue un espace cir­conscrit à côté de la vie, espace qui est seul considéré comme sanctifiant. Dans les religions ecclésiales, la vie et ses ex­pressions multiples sont subordonnées et opposées à une organisation religieuse qui s'arroge le droit de détenir à elle seule le sens du sacré.

 

Comme les païens de l'ancienne Germanie se passaient d'église, leur religiosité igno­rait forcément la «révélation» (du «juste chemin» qu'indique l'église) ou la dogma­tique ou encore le péché, la prière et la grâce. Ces absences ont induit les chré­tiens à croire que les Germains avaient une conception fataliste du destin. Celui-ci envoyait arbitrairement heurs et malheurs et les hommes avaient à subir passivement ces lubies, sans jamais pouvoir les contre­carrer. Une analyse philologique méticu­leuse des mots signi­fiant «destin» dans les plus anciennes langues germaniques pul­vérise cette critique issue de la propa­gande chrétienne. Le mot allemand «Schick­sal» est récent; il contient la ra­cine «schick», du verbe «schicken» (envoyer), et présuppose donc l'existence préalable d'une personne divine qui «en­voie» des aléas favorables ou défavo­rables. Avant que n'ait été forgé le mot «Schick­sal», les Germains et les Scandi­naves uti­lisaient les termes «sköp» ou «skap» et «örlög» ou «urlac», signifiant «déter­mina­tion ori­ginelle» ou «loi origi­nelle». Ces mots dérivent des verbes «skapu» (créer) et «lagu» (déposer). Cette loi ou détermi­nation originelle désigne la nécessité de tou­tes les choses qui devien­nent, existent et passent, mais elle est im­personnelle; pour les choses non hu­maines, elle cor­res­pond à ce qu'est la des­tinée (heil)  pour les hommes. Le cours de toute vie humaine est donc déterminé par la ren­contre du destin (des faits in­contour­na­bles) et de la destinée (trajectoire per­sonnelle).

 

Mais le destin ne peut être lu ou deviné. Il n'est pas inscrit en chiffre dans les astres: contrairement à la civilisation sémitique de Babylone, le centre et le nord de l'Eu­ro­pe ne connaissent pas la superstition de l'astrologie, déviation abâtardie de la cro­yance proche-orientale en la révélation. La révélation et l'astrologie trahissent un dé­ficit de la personnalité proche-orien­tale, aux yeux du Dr. Murawski. En effet, celle-ci semble incapable de prendre une dé­ci­sion et d'accepter des responsabilités par­ce que trop faible ou trop couarde. Il lui faut un support extérieur à elle: en l'oc­cur­­rence le signe hypothétique qui vo­gue­rait entre les astres.

 

Le destin ne concerne donc que les cho­ses extérieures à l'homme; il n'est pas une personne ni une force impulsée par une personne mais il est le tout, la totalité cosmique, qui porte en soi toutes les lois qui la régissent. Le chemin de chaque homme dépend de sa hamingja (heil),  de sa destinée. L'homme ne re­çoit donc pas une «grâce» par la générosité d'une di­vinité extérieure à lui mais exprime dans tous les actes de son existence ce qu'il porte au fond de lui. La destinée d'une vie n'est donc pas quelque chose qui est offert, donné, envoyé, mais quelque chose qui croît en l'intérieur même du corps et du cerveau qui la portent et qui sont plongés dans la lutte éternelle et quo­tidienne contre les défis du destin, du monde, des choses, du cosmos. Cette lutte exige un lourd tribut: les meilleurs peu­vent gagner ou perdre.

 

Mais gagner ou perdre sont des destinées individuelles. Ce qui compte en dernière instance, ce qui est essentiel, c'est de main­tenir intacts l'honneur et la paix in­té­­rieure du peuple auquel on appartient. La sau­vegarde de ce peuple, sa perpétua­tion dans le temps, constituent un bon­heur vraiment essentiel qui transcende tous les bonheurs ou malheurs individuels, au-delà de la mort des corps. Quand cette convic­tion est profondément ancrée, quand elle est vécue même dans le cœur du plus humble ressortissant du peuple, on ne peut parler, comme les chrétiens, de fatalisme sombre. C'est là un mensonge historique. Une telle attitude devant la vie, au contraire, est le gage le plus solide de la joie créatrice. D'une joie créa­trice qui n'a pas besoin de sauveur, de parousie.

 

Un tel sens du divin est incommensura­blement plus profond que la misérable ca­­ri­cature de divin person­nalisé qui trans­paraît dans les platitudes dogmatiques du judéo-christia­nisme. Le sens du destin per­met d'affirmer majestueusement la vie dans toute sa plénitude. Il interdit par ailleurs de cultiver la peur de Dieu et son corol­laire, l'humilité servile, l'auto-amoin­dris­sement masochiste.

 

Source: Dr. Friedrich MURAWSKI, Das Gott. Umriß einer Weltanschauung aus germanischer Wurzel, Faksimile Verlag, Bremen, 1981; adresse: Fak­si­mi­le-Verlag, Postfach 10 14 20, D-2800 Bremen 1).    

lundi, 29 juin 2009

"Le choc des civilisations" de Samuel Huntington

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2003

"Le choc des civilisations" de Samuel Huntington

Conférence de Metz

Samedi 27.09.03

Présentation d’un ouvrage de géopolitique : HUNTINGTON (Samuel P.), Le Choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 1997.

 

 

Introduction.

 

Identification de l’auteur : Samuel P. Huntington est professeur à l’Université de Harvard.  Il dirige le John M. Olin Institute for Strategic Studies.  Il a été expert auprès du Conseil national américain de sécurité (N.S.C.) sous l’administration Carter (1977-1981).  Par ailleurs, il est le fondateur et l’un des directeurs de la revue Foreign Policy.  Il s’agit donc d’un personnage important au sein de l’ « école de géopolitique » américaine.  Et il n’est pas négligeable de signaler que son livre a été salué par deux autres théoriciens américains de renom :

-         Zbigniew Brzezinski, lui-même conseiller du président des Etats-Unis de 1977 à 1981, expert au Center for Strategic and International Studies, professeur à l’université Johns Hopkins de Baltimore et auteur notamment du Grand Echiquier paru en 1997.

-          Henry Kissinger, conseiller en matière de sécurité nationale et ministre-secrétaire d’Etat (à partir de 1973) sous les présidents R. Nixon (1969-1974) et G. Ford (1974-1977).  Henry Kissinger a publié récemment La Nouvelle Puissance Américaine.

 

Avant de rentrer dans une explication plus approfondie des grands thèmes développés par Huntington dans chacun des chapitres de son ouvrage, il est nécessaire de retracer brièvement sa genèse et les objectifs poursuivis par son auteur.

 

Le livre est issu d’une réflexion amorcée par Huntington dans un article publié durant l’été 1993 dans la revue Foreign Affairs.  Cet article s’intitulait The Clash of Civilizations ? et était rédigé sous forme d’hypothèse : Les conflits entre groupes issus de différentes civilisations sont-ils en passe de devenir la donnée de base de la politique globale ? Selon les éditeurs de la revue, cet article a suscité des réactions et des commentaires en provenance de tous les continents.  A tel point que Huntington, afin de répondre à ses laudateurs comme à ses détracteurs, a approfondi sa réflexion et a couché sous forme de thèse cette fois-ci, une nouvelle grille de lecture des relations internationales dans le livre constituant l’objet de notre conférence.  Il a été publié pour la première fois en 1996 par Simon et Schuster sous le titre : The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order.  Il a été traduit en français dès 1997 chez Odile Jacob.  Cette œuvre est plus intéressante que celle publiée par Brzezinski car elle témoigne d’une véritable recherche et n’hésite pas à se référer à des auteurs importants comme Toynbee- Spengler - Braudel - De Maistre.  En substance, le professeur Huntington y affirme :

 

« Le monde d’après la guerre froide comporte sept ou huit grandes civilisations.  Les affinités et les différences culturelles déterminent les intérêts, les antagonismes et les associations entre Etats.  Les pays les plus importants dans le monde sont surtout issus de civilisations différentes.  Les conflits locaux qui ont le plus de chance de provoquer des guerres élargies ont lieu entre groupes et Etats issus de différentes civilisations.  La forme fondamentale que prend le développement économique et politique diffère dans chaque civilisation.  Les problèmes internationaux les plus importants tiennent aux différences entre civilisations.  L’Occident n’est plus désormais le seul à être puissant.  La politique internationale est devenue multipolaire et multicivilisationnelle. »[1]

 

L’objectif poursuivi par Samuel Huntington est avant tout de donner aux dirigeants politiques américains et pourquoi pas européens une nouvelle grille de lecture des relations internationales.   Certains ont accusé Huntington de théoriser et de justifier dans son ouvrage la confrontation entre les Etats-Unis et le reste du monde, bref d’adopter une logique ouvertement belliciste.  Nous pensons que cet avis est erroné si nous nous en tenons au texte réel d’Huntington.  La réflexion de Huntington n’est pas le fruit de son imagination, elle s’appuie sur des faits concrets.  Huntington constate ainsi le déclin de l’Occident et l’émergence de nouveaux pôles de puissance aux intérêts divergents.   Sa logique n’est donc pas offensive mais plutôt défensive.  Ce livre résonne comme un signal d’alarme à l’adresse de la classe dirigeante occidentale : si vous ne tenez pas compte de cette nouvelle réalité qu’est l’émergence des autres civilisations, le triomphe de notre civilisation risque bientôt de n’être plus qu’un souvenir d’ici quelques dizaines d’années.  N’en doutons pas, la thèse de Huntington est destinée à constituer un paradigme, un modèle permettant de décrypter la réalité confuse en matière de politique internationale.  Son livre est à ce titre truffé de concepts opératifs réutilisables dans l’interprétation de nombreux événements politiques, concepts que je tenterai de dégager au cours de cette conférence.  A la doctrine Truman qui a dominé toute la période de la guerre froide, doit succéder la doctrine Huntington.  Huntington précise toutefois que, comme toute théorie des relations internationales, sa doctrine n’est pas infaillible.  Elle ne saurait rendre compte de tous les événements politiques d’importance survenus après la guerre froide.  Toutefois, elle permet d’en expliquer une majorité et c’est en cela qu’il estime sa théorie plus valide que les autres.

 

Chapitre premier : Le nouvel âge de la politique globale.

 

Dans son chapitre premier, Huntington passe en revue toutes les théories survenues après la guerre froide afin de donner de nouveaux repères aux géopolitologues.  Il analyse leurs qualités et leurs défauts à la lumière d’une règle simple mais efficace.  En géopolitique, une théorie est semblable à une carte topographique.  Plus une carte est détaillée, plus elle reflète la réalité mais l’abondance d’informations représentées la rend d’autant plus compliquée à lire.  Au contraire, une carte simplifiée n’indiquant que les axes principaux de communication se lit plus aisément à l’instar d’une théorie plus englobante des faits politiques permettant d’apporter une réflexion d’ensemble sur la réalité internationale.  Toutefois, si elle est trop simplifiée, la carte risque de perdre le voyageur tout comme une théorie trop abstraite qui contribuerait moins à interpréter les faits qu’à enfermer l’analyste dans une logique trop réductrice.  L’auteur ne veut donc pêcher ni par excès de détails, ni par simplification outrancière des événements internationaux.  

 

A la lumière de ces critères de qualité, il n’est pas inutile de développer brièvement les quelques théories qu’Huntington entend dépasser.

 

Un seul et même monde : euphorie et harmonie :   La fin de la guerre froide a pu sembler signifier la fin des conflits importants et l’émergence d’un monde relativement harmonieux.  La formulation de ce modèle la plus connue est celle de Francis Fukuyama, qui a avancé la thèse de « la fin de l’histoire ».  Selon Fukuyama, nous pourrions la définir en ces termes : « Nous avons atteint le terme de l’évolution idéologique de l’humanité et de l’universalisation de la démocratie libérale occidentale en tant que forme définitive de gouvernement. »  L’avenir ne sera pas fait de grands combats exaltés au nom d’idées ; il sera plutôt consacré à la résolution de problèmes techniques et économiques concrets.  Au vu et au su du nombre de conflits qui ont éclaté après la fin de la guerre froide, Huntington déclare que la réalité jure trop avec cette théorie pour qu’elle puisse nous servir de repère.

 

Deux mondes : « eux » et « nous » : Quoi de plus facile au sortir de la guerre froide que de diviser le monde en deux entités bien distinctes !  Division qui se prête admirablement bien à tous les manichéismes.  Ainsi certains ont eu coutume de diviser le monde entre le Nord et le Sud, c’est-à-dire, entre les pays modernes, développés et les pays traditionnels, sous-développés ou en voie de développement.  D’autres préfèrent à cette séparation matérielle, une séparation culturelle entre l’Occident et l’Orient.  Huntington réfute la validité tout comme l’utilité de cette division en terme géopolitique.  Il est effectivement improbable que l’on vit un jour apparaître une coalition des pays sous-développés désireuse de faire la guerre aux « capitalistes du Nord ».  De même la division culturelle entre Occident et Orient relève plus de nos propres fantasmes que d’une réalité bien établie.  Autant l’unicité de l’Occident peut-elle être partiellement prouvée en matière économique, politique et culturelle [même s’il est douloureux pour nous Européens de le reconnaître].  A ce sujet, nous renvoyons nos auditeurs à l’ouvrage d’Alexandre Zinoviev : L’Occidentisme[2].  Autant la réalité orientale est multiple.  Quoi de plus différentes entre elles constate Huntington que les sociétés hindoues, musulmanes ou encore chinoises.  Cette théorie est donc caduque car elle caricature trop la réalité.

 

Cent quatre-vingt-quatre Etats environ : D’après la théorie « réaliste » des relations internationales, les Etats sont les acteurs majeurs, et même les seuls importants dans les affaires mondiales.  Pour assurer leur survie et leur sécurité, les Etats s’efforcent immanquablement de maximiser leur puissance.  Si un Etat constate qu’un autre est en train d’accroître sa puissance et peut donc devenir une menace potentielle, il s’efforce de protéger sa sécurité en accroissant sa propre puissance et/ou en s’alliant à d’autres Etats.  Ces hypothèses permettent de prédire les intérêts et les actions des cent quatre-vingts quatre Etats environ qui existent dans le monde d’après la guerre froide.  Ce paradigme étatique donne une image bien plus réaliste et opératoire de la politique globale que les paradigmes unitaire et binaire.  Pour autant, ses limites sont importantes.  Il suppose en effet que tous les Etats perçoivent de la même façon leurs intérêts et agissent de la même façon.  Cette théorie ne saurait donc expliquer pourquoi le Canada ne s’arme pas afin de résister à une invasion potentielle des Etats-Unis.  Elle ne saurait non plus expliquer pourquoi les pays européens ont décidé de se réunir en une entité politique plus large.  Huntington constate que les valeurs, la culture et les institutions influencent grandement la façon dont les Etats définissent leurs intérêts.  Des Etats qui ont une culture et des institutions similaires ont des intérêts communs.  Des Etats démocratiques ont des points communs avec d’autres Etats démocratiques.

 

Un pur chaos : L’affaiblissement des Etats et, dans certains cas, leur échec accréditent une quatrième image, celle d’un monde réduit à l’anarchie.  Ce paradigme s’appuie « sur le déclin de l’autorité gouvernementale, l’explosion de certains Etats, l’intensification des conflits tribaux, ethniques et religieux, l’émergence de mafias criminelles internationales, le fait que les réfugiés se comptent par dizaines de millions, la prolifération des armes de destruction massive, nucléaires ou autres, l’expansion du terrorisme, la persistance des massacres et des nettoyages ethniques. »[3]  Comme le paradigme étatique, le paradigme chaotique est proche de la réalité.  Il donne une vision imagée et précise d’une bonne partie de ce qui se produit effectivement dans le monde.  Cependant, ce paradigme n’est pas opératoire ; on ne saurait effectivement prendre de décision politique rationnelle si l’on considère que le monde fonctionne comme un pur chaos.  Le monde s’il devient de plus en plus chaotique, ne va pas sans un certain ordre, celui des civilisations !

 

Chapitre II : Les civilisations hier et aujourd’hui.

 

Encore faut-il s’entendre sur la définition d’une civilisation.  Aux XVIIIe et XIXe siècles, le concept de « civilisation » servait à désigner toute société évoluée, notamment en terme matériel et institutionnel par opposition aux sociétés dites « barbares ».  Ce n’est évidemment pas le sens que prend le terme « civilisation » dans l’ouvrage d’Huntington.  Il n’étudie pas « la civilisation » comprise dans un sens universaliste.  Il critique même cette conception purement occidentale à certains passages du livre.  Au contraire, il étudie « les civilisations » caractérisées selon lui par divers éléments :

 

-         Premièrement, une civilisation est une entité culturelle.  Parmi les éléments culturels clés qui définissent une civilisation, Huntington dénombre le sang, la  langue, la religion, la manière de vivre.  Il constate que de tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est en général la religion.  Beaucoup de civilisations se sont identifiées au cours de l’histoire avec les grandes religions du monde.  Au contraire, des populations faisant partie de la même ethnie et ayant la même langue, mais pas la même religion, peuvent s’opposer, comme c’est le cas au Liban, en ex-Yougoslavie et dans le subcontinent indien.

  

-         Deuxièmement, les civilisations sont englobantes, c’est-à-dire qu’aucune de leurs composantes ne peut être comprise sans référence à la civilisation qui les embrasse.  Pour reprendre les termes de Toynbee, « les civilisations englobent sans être englobées par les autres ».  Une civilisation est ainsi le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d’identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer des autres espèces.  Les civilisations sont les plus gros « nous » et elles s’opposent à tous les autres « eux ».

 

-         Troisièmement, Huntington constate que les civilisations sont mortelles mais qu’elles sont des réalités d’une extrême longue durée.  Les Empires naissent et meurent, les gouvernements vont et viennent, les civilisations restent et survivent aux aléas politiques, sociaux, économiques et même idéologiques.

 

-         Enfin, puisqu’une civilisation est une entité culturelle, elle ne revêt pas de fonctions politiques telles que maintenir l’ordre, dire le droit, collecter les impôts, mener des guerres, négocier des traités, etc.  Seul le Japon est à la fois une civilisation et un Etat tandis que la Chine est une civilisation qui se veut être un Etat.  Nous rajouterons que dans les cercles de Synergies Européennes, nous affirmons que l’Eurosibérie est une civilisation qui doit être un Etat !

 

Enfin, après avoir donné sa définition de ce qu’est une civilisation, Huntington dénombre sept grandes civilisations contemporaines (ou plutôt six et demi) :

 

-         La civilisation chinoise qui daterait au moins de 1500 av. J.-C., voire de mille ans plus tôt.

-         La civilisation japonaise, dérivée de la civilisation chinoise et apparue entre 100 et 400 ap. J.C.

-         La civilisation hindoue depuis 1500 av. J.C.

-          La civilisation musulmane, née dans la péninsule arabique au VIIe siècle ap. J.C., elle s’est étendue en Afrique du Nord, en Espagne, et à l’est, en Asie centrale, dans le sous-continent indien et en Asie du Sud-Est.  En conséquence de quoi, on distingue au sein de l’Islam plusieurs cultures ou sous-civilisations : l’arabe, la turque, la perse et la malaisienne.

-         La civilisation occidentale dont Huntington date l’apparition à 700-800 ap. J.C.  L’Occident regroupe l’Europe, l’Amérique du Nord et les autres pays peuplés d’Européens, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. 

-          L’Amérique latine qui possède des caractéristiques propres suite à une évolution différente.  Huntington parle d’une culture corporatiste et autoritaire différente de la démocratie occidentale.  L’Europe et l’Amérique du Nord ont subi les effets de la Réforme et ont combiné culture catholique et culture protestante.  Historiquement, l’Amérique latine a seulement été catholique.  Enfin, la civilisation d’Amérique latine inclut des cultures indigènes, lesquelles n’existaient pas en Europe et ont été éliminées en Amérique du Nord.

-         La civilisation africaine, si possible.  Huntington émet l’hypothèse que l’Afrique subsaharienne pourrait s’assembler pour former une civilisation distincte dont le centre de gravité serait l’Etat d’Afrique du Sud.

 

En analysant la figure n°1 (= carte 1.3 [4]) fournie par Huntington, on remarque que le géopolitologue laisse la place à deux autres entités qu’il classe également sous le titre de civilisation : l’espace orthodoxe et l’espace bouddhiste.  Toutefois, il considère que le Bouddhisme et l’Orthodoxie bien que ce soient deux grandes religions, n’ont pas été à la base de grandes civilisations. Remarquons également que dans son analyse, Huntington opère une distinction très nette entre l’Europe et la Russie orthodoxe (cf. figure n°3 = carte de ligne de partage entre l’Europe et le monde orthodoxe[5])  Certes, la Russie se différencie du reste de la population européenne par son origine slave et sa religion orthodoxe mais les peuples slaves sont majoritairement chrétiens, ils sont indo-européens, blancs et leur histoire est étroitement liée depuis plusieurs siècles déjà à l’histoire européenne.  La distinction religieuse est d’ailleurs plutôt simpliste pour ne pas dire fausse quand on sait qu’aux yeux de la religion catholique, les protestants sont considérés comme hérétiques alors que les orthodoxes sont simplement schismatiques.  Comment ne pas voir dans cette séparation une habile manœuvre politique destinée à théoriser auprès de nos « élites » européennes, une frontière culturelle qui est loin d’être évidente.  Comment ne pas y voir la peur sous-jacente d’une alliance euro-russe, peur déjà bien présente à l’esprit des Américains en 1939 lors du Pacte Molotov-Ribbentrop.  Comment ne pas y voir un voile discret jeté sur l’idée d’une alliance continentale que tous les stratèges britanniques ou américains ont cherché à combattre depuis Mackinder en passant par Mahan, Spykman, Brzezinski et plus récemment Kissinger.  Il suffit de lire leurs ouvrages pour comprendre que le cauchemar américain est effectivement la réalisation d’un bloc politique eurasiatique s’étendant de Reykjavik à Vladivostok  tel que l’ont théorisé Thiriard ou Guillaume Faye.  Nous aurons l’occasion de revenir dans notre conclusion sur cet élément important.

 

Après avoir dénombré les différentes civilisations contemporaines, Huntington souligne un détail essentiel.  En quoi la situation a-t-elle changé par rapport au passé ?  Les civilisations existent depuis longtemps.  Pourquoi tout d’un coup pointer du doigt le risque d’un choc des civilisations alors que certaines d’entre elles sont plusieurs fois millénaires ?  Tout simplement parce qu’aux rencontres limitées entre civilisations a succédé une période d’intenses interactions.  Au XVe siècle l’influence puissante et unidirectionnelle de l’Occident sur les autres civilisations a commencé à se manifester.  Pendant quatre cents ans, les relations intercivilisationnelles se sont résumées à la subordination par l’Occident des autres civilisations.  « L’expansion de l’Occident a été facilitée par la supériorité de son organisation, de sa discipline, de l’entraînement de ses troupes, de ses armes, de ses moyens de transport, de sa logistique, de ses soins médicaux, tout cela étant la résultante de son leadership dans la révolution industrielle.  L’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée.  Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais. »[6]  Cependant cette supériorité a commencé à s’estomper à partir de la Première guerre mondiale.  Au XXe siècle, les relations entre civilisations sont passées d’une période dominée par l’influence unidirectionnelle d’une civilisation en particulier sur les autres à une phase d’intenses interactions multidirectionnelles entre toutes les civilisations.  L’expansion de l’Occident s’est arrêtée tandis que la révolte contre celui-ci a commencé.  Par à coups, la puissance de l’Occident a décliné relativement à celle des autres civilisations.  Cette situation laisse donc la place à l’émergence des sociétés non occidentales qui redeviennent les actrices de leur propre histoire, surtout depuis la fin des conflits idéologiques.  Dans ce contexte et vu les échanges de plus en plus soutenus entre les différentes civilisations à l’échelle mondiale, un choc entre civilisations a beaucoup plus de chance de se produire que par le passé !  Les Etats-Unis tentent de se substituer au rôle de gendarme du monde autrefois tenu par l’Europe mais ils ne cessent de s’attirer la haine des peuples.  Une haine lourde de conflits à venir.

 

Chapitre III : Existe-t-il une civilisation universelle ?  Modernisation et occidentalisation.

 

La civilisation universelle ?

 

 Samuel P. Huntington est très critique vis-à-vis du concept de civilisation universelle que l’on apparente souvent à la culture de Davos.  Sont convertis à cette culture nombre de nos hommes politiques, dirigeants d’entreprise, banquiers, hauts fonctionnaires, intellectuels et journalistes.  « Ils partagent tous la même foi dans les vertus de l’individualisme, de l’économie de marché et de la démocratie politique. »[7]  Cette culture est extrêmement importante parce que les personnes qui la partagent possèdent des responsabilités dans presque toutes les institutions internationales, dans plusieurs gouvernements, dans l’économie mondiale, dans la défense et dans les universités.   Cependant, souligne Huntington, que représentent ces convertis à l’échelle mondiale ?  Il est probable qu’en dehors de l’Occident, ils ne sont qu’une petite poignée (1% [peut-être moins] de la population) à partager ses valeurs et ils ne sont pas forcément en position de force au sein de leur propre société.  Il suffit pour cela de prendre comme exemple la Jordanie durant la dernière guerre du Golfe pour se rendre compte que seuls les dirigeants soutenaient l’effort américain dans la région tandis que la population jordanienne y était largement hostile.  Cette culture de Davos est donc loin de former une culture universelle.

 

De même, Huntington critique l’idée selon laquelle la diffusion des structures de consommation et de la culture populaire occidentale à travers le monde crée une civilisation universelle.  Entendez l’idée selon laquelle, puisqu’un hindou boit du coca-cola et porte des blue-jeans, il est forcément converti aux valeurs consuméristes de la société américaine.  En effet, nous sommes assez d’accord avec Huntington lorsqu’il affirme que nous ne pouvons identifier les simples aspects matériels d’une culture avec ses valeurs et ses idéaux profonds.  « Seule l’arrogance, dit-il, incite les Occidentaux à considérer que les non-Occidentaux « s’occidentaliseront » en consommant plus de produits occidentaux.  Le fait que les Occidentaux identifient leur culture à des liquides vaisselle, des pantalons décolorés et des aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident. »[8]  Cependant nous rajouterons qu’il ne faut pas sous-estimer, sur certains esprits plus faibles, le pouvoir attractif de toutes nos cochonneries.  La colonisation massive de peuples allochtones que l’Europe connaît à l’heure actuelle n’est hélas pas là pour le démentir.  Quoique, la capacité d’intégration de la société occidentale tende à diminuer à mesure que le nombre d’étrangers y est plus important.  Le regroupement communautaire massif de ces populations favorise en effet la conservation des pratiques culturelles issues du pays d’origine.  Face à un peuple s’identifiant aux marques de shampoing et aux voitures de luxe, il est normal que des cultures plus fortes comme la culture arabe prennent progressivement le dessus à l’extérieur, comme à l’intérieur de nos frontières !

 

Enfin Huntington bat également en brèche la thèse selon laquelle un surcroît d’interactions (commerces, investissements, tourisme, médias, communication électronique) engendrerait une culture mondiale.  Et dans la mesure où ce sont de grands groupes américains et européens qui dominent la diffusion de l’information à l’échelle planétaire, cette culture mondiale serait forcément occidentale.  Premier argument critique avancé par Huntington : les populations du monde ne perçoivent pas les informations avec les mêmes schèmes de pensée.  Chaque culture possède sa grille de lecture.  Les Chinois ne regardent pas Dallas de la même manière que les Américains !  Deuxième argument, à notre sens le plus important, sous forme de question critique : en quoi les interactions de plus en plus nombreuses entre les peuples seraient synonymes de paix et de solidarité ?  On avait déjà argué par le passé que si l’on augmentait les rapports commerciaux entre les nations, la probabilité qu’une guerre éclate entre elles diminuerait.  Cette affirmation est évidemment totalement fausse et tout le monde connaît à l’heure actuelle l’expression « guerre commerciale » qui n’a pas besoin d’être commentée tant elle est lourde de sens.  De même, la sociologie a abondamment prouvé cette règle très simple que beaucoup de nos « penseurs » contemporains s’évertuent pourtant à oblitérer. : « On se définit par ce qu’on n’est pas ».  En psychologie sociale, la théorie de la distinction montre que les personnes se définissent par leurs différences dans un certain contexte.  Autrement dit, comme les communications, le commerce et les voyages multiplient les interactions entre civilisations ; on accorde en général de plus en plus d’attention à son identité civilisationnelle.  « Deux Européens, un Allemand et un Français, qui interagissent ensemble s’identifieront comme allemand et français.  Mais deux Européens, un Allemand et un Français, interagissant avec deux Arabes, un Saoudien et un Egyptien, se définiront les uns comme Européens et les autres comme Arabes. »[9]

 

Huntington appuie sa critique du concept de civilisation universelle en constatant un renouveau des langues nationales au détriment des langues coloniales.  En Inde par exemple, il est plus facile pour un voyageur qui traverse le pays de communiquer en hindi qu’en anglais.  De même il constate une « indigénisation » de langues comme le français ou l’anglais, deux langues qui ont pourtant des prétentions universalistes. En effet, l’anglais parlé au Cachemire ou le français de Côte d’Ivoire sont loin d’avoir gardé les accents de leur métropole d’origine.  Le renouveau religieux notamment dans les pays musulmans est un autre signe manifeste d’une plus grande conscience identitaire des anciens pays colonisés.

 

Les réactions à l’Occident et à la modernisation.

 

Un autre versant intéressant de la réflexion du stratège américain réside dans sa conceptualisation des réactions des peuples traditionnels face à l’Occident et la modernisation.  Il en comptabilise trois :

 

-         Le rejet total de l’Occident, c’est-à-dire le rejet par de petites communautés traditionnelles non seulement des valeurs de l’Occident mais également des artifices de la modernisation.  Huntington affirme que ce rejet est quasi insoutenable dans le monde « hyperglobalisé » dans lequel nous vivons.  Une société traditionnelle ne peut lutter avec des arcs à flèches contre des chars !

 

-         Le kémalisme consiste à adhérer à la fois à la modernisation et à l’occidentalisation.  Il est fondé sur l’idée que la modernisation est désirable et nécessaire, que la culture indigène est incompatible avec la modernisation et doit être abandonnée ou abolie et que la société doit être entièrement occidentalisée afin de se moderniser convenablement.  L’exemple le plus frappant est celui de la Turquie de Mustafa Kemal.  Le problème des pays choisissant cette voie réside évidemment dans la déchirure profonde et douloureuse entre les valeurs ancestrales et la société moderne.

 

-         Le réformisme tente de combiner la modernisation avec la préservation des valeurs, des pratiques et des institutions fondamentales de la culture propre à la société concernée.  C’est la voie qu’ont choisie au XIXe siècle des pays comme la Chine ou le Japon : « éducation chinoise pour les principes fondamentaux, éducation occidentale pour la pratique. » - « esprit japonais, technique occidentale. »[10] 

 

Comme vous pouvez le constater, l’ouvrage de Huntington est intéressant car il contient une foule de concepts permettant d’abstraire et ainsi de comprendre la réalité.  A partir de ces concepts, l’esprit peut explorer de nouvelles voies.  Huntington constate par exemple que beaucoup de pays traditionnels ont évolué du kémalisme vers le réformisme.  En effet, durant les premières phases du changement, l’occidentalisation favorise la modernisation.  Pendant les phases suivantes, la modernisation favorise la désoccidentalisation et la résurgence de la culture indigène de deux manières.  « A l’échelon sociétal, la modernisation renforce le pouvoir économique, militaire et politique de la société dans son ensemble et encourage la population à avoir confiance dans sa culture et à s’affirmer dans son identité culturelle.  A l’échelon individuel, la modernisation engendre des sentiments d’aliénation et d’anomie à mesure que les liens et les relations sociales traditionnelles se brisent, ce qui conduit à des crises d’identité auxquelles la religion apporte une réponse. »[11] 

 

La religion comme moteur civilisationnel.

 

La place que Huntington confère à la religion est importante.  Il est évident que pour nombre de personnes désorientées, surtout dans des sociétés vides de sens, la religion peut constituer un refuge, voire une façon plus solide d’appréhender la vie dans son ensemble.  La religion rend aux gens la fierté qu’ils avaient perdue, elle leur donne un passé, un présent, un futur, une structure mentale et sociologique ainsi que des aspirations communes.  C’est ce qui fait la force des sociétés culturellement homogènes et la faiblesse des Etats multiethniques et multiculturels.  Les pays à majorité musulmane sont un bon exemple de ce phénomène.  Les organisations islamiques y sont de plus en plus présentes sur le terrain.  Elles ont compris que pour prendre le pouvoir, il fallait être les premières à agir en cas de problème et s’imposer comme la seule alternative possible face au gouvernement en place.  Lors des tremblements de terre en 1992, au Caire, ces dernières étaient souvent les premières à soigner les blessés tandis que les secours gouvernementaux tardaient.  Huntington note qu’en 1995, tous les pays majoritairement musulmans, sauf l’Iran, étaient culturellement, socialement et politiquement plus islamiques et islamistes que quinze ans auparavant.  L’exemple irakien est encore plus criant.  Dans la détresse la plus totale, le peuple irakien se retourne inexorablement vers ses racines sunnites ou chiites.  Les hôpitaux musulmans ne désemplissent pas car ils sont les seuls à offrir un service de soins efficaces et gratuits !  La suppression du régime laïc de Saddam a ouvert une voie royale à une réislamisation du pays, la présence américaine ne faisant qu’exacerber davantage la conscience identitaire de la population.  Huntington assimile donc la religion à un véritable moteur civilisationnel, source de dynamisme.  C’est une interprétation techniciste et bien américaine d’un phénomène à notre sens plus profond.  Cependant, ignorer superbement cette donnée essentielle en politique internationale serait une erreur.  Elle a déjà coûté cher à l’Occident et risque encore de lui poser des problèmes dans un proche avenir.

 

Chapitre IV : L’effacement de l’Occident : puissance, culture et indigénisation.

 

Si Huntington constate un déclin de l’Occident, il est néanmoins d’accord pour dire qu’à l’heure actuelle, après sa victoire contre le communisme, la société occidentale profite toujours de sa position d’hyper puissance avec à sa tête un leader américain incontesté.  Ouvrons une parenthèse pour remarquer au passage que Huntington prend bien soin de définir le communisme vaincu comme un phénomène extra-occidental.  Dans son obsession de séparer la Russie de l’Europe, Huntington commet là une faute grave.  Considérer le communisme indépendamment de ses racines occidentales est un non-sens historique.  En effet, quoi de plus « occidental » au sens traditionnel, que le progressisme et le matérialisme historique qui caractérisent la société communiste ? 

 

Vu sa position de leader, les sociétés appartenant à d’autres civilisations ont toujours besoin de l’Occident aujourd’hui pour parvenir à leurs fins et protéger leurs intérêts car les nations occidentales :

 

-         possèdent et animent le système bancaire international ;

-         contrôlent les monnaies fortes ;

-         représentent les principaux pays consommateurs ;

-         produisent la majorité des produits finis ;

-         dominent les marchés internationaux de capitaux ;

-         exercent une autorité morale considérable sur de nombreuses sociétés ;

-         contrôlent les voies maritimes ;

-         mènent les recherches techniques les plus avancées ;

-         contrôlent la transmission du savoir technique de pointe ;

-         dominent l’accès à l’espace ;

-         dominent l’industrie aéronautique ;

-         dominent les communications internationales ;

-         dominent le secteur des armements sophistiqués.[12]

     

Mais qu’adviendra-t-il demain de la société occidentale.  Huntington inventorie aussi les signes manifestes de notre déclin :

 

-         faible croissance économique ;

-         stagnation démographique ; (cf. figure n°2 = figure 5.2[13])

-         chômage ;

-         déficit budgétaire ;

-         corruption dans les affaires ;

-         faible taux d’épargne ;

-         déclin moral…[14]

 

Parmi les plus évidentes manifestations du déclin moral, Huntington cite avec une très grande lucidité :

 

-         Le développement de comportements antisociaux, tel que le crime, la drogue, et plus généralement la violence.

-         Le déclin de la famille, se traduisant par l’augmentation du taux des divorces, les naissances illégitimes, les grossesses d’adolescentes et les familles monoparentales.

-         Le déclin du « capital social », tout du moins aux Etats-Unis, c’est-à-dire la participation plus faible à des associations bénévoles et, de fait, le relâchement des relations de confiance qui s’y nouent.

-         La faiblesse générale de « l’éthique » et la priorité accordée à la complaisance.

-         La désaffection pour le savoir et l’activité intellectuelle, qui se manifeste aux Etats-Unis [comme en Europe] par la baisse du niveau scolaire.[15]

 

Il s’ensuit une certaine érosion de la culture occidentale, tandis que les mœurs, les langues, les croyances et les institutions indigènes, enracinées dans l’histoire, sont réaffirmées.  La puissance accrue des sociétés non occidentales sous l’effet de la modernisation engendre le renouveau des cultures non occidentales dans le monde entier.  « Le lien entre puissance et culture a presque toujours été négligé par ceux qui pensent qu’apparaît et doit apparaître une civilisation universelle comme par ceux pour qui l’occidentalisation est une condition nécessaire de la modernisation.  Ils refusent de reconnaître que la logique de ces raisonnements les incline à soutenir l’expansion et la consolidation de la domination de l’Occident sur le monde et que si les autres sociétés étaient libres de façonner leur propre destin, elles revigoreraient leurs croyances, leurs habitudes et leurs pratiques, ce qui, selon les universalistes, est contraire au progrès. »[16]  Et pourtant, désormais, les Extrêmes-Orientaux attribuent leur réussite économique non aux emprunts à la culture occidentale mais à leur adhésion à leur propre culture.  Ils réussissent, pensent-ils, parce qu’ils sont différents des Occidentaux.   Cette résurgence des cultures non occidentales, Huntington la désigne au moyen du concept d’ « indigénisation ».  Cette indigénisation s’accompagne d’un renouveau religieux favorisé notamment par la chute du communisme.  Les civilisations voient le communisme comme le dernier dieu laïc à avoir échoué.  La religion prend la place de l’idéologie, et le nationalisme religieux remplace le nationalisme laïc.  Nous sommes habitués dans nos pays d’Europe occidentale à associer la pratique religieuse à la vieille génération.  Force est de constater que dans les pays musulmans ou encore en Inde, ce sont les jeunes de la classe moyenne qui sont à la tête de ce mouvement religieux qu’Huntington appelle aussi « la revanche de Dieu. »  Face à cette déferlante jeune et dynamique, à forte conscience identitaire, Huntington n’a-t-il pas raison de lancer un cri d’alarme, n’en déplaise à ses détracteurs ?

 

Chapitre V : Economie et démographie dans les civilisations montantes.

 

Ce chapitre n’est pas essentiel.  Il ne fait qu’appuyer, colonnes de chiffres à l’appui que l’économie et la démographie occidentale régressent alors que plusieurs autres civilisations émergent dans les deux domaines.  Huntington écrit un peu avant la crise financière asiatique et n’en parle donc pas. 

 

Chapitre VI : La recomposition culturelle de la politique globale.

 

Une autre conséquence de la fin de la guerre froide est la suivante.  Alors qu’avant il était loisible à un peuple de se définir comme non aligné, c’est-à-dire comme n’appartenant ni à l’une ni à l’autre idéologie, il devient de plus en plus difficile à l’heure actuelle d’échapper à cette question : « Qui êtes-vous ? »  Selon Huntington, tous les Etats doivent pouvoir répondre à cette question au risque de ne pas trouver leur place dans le concert des nations.  Ce problème d’identité est évidemment d’autant plus intense dans les pays où vivent d’importants groupes de population appartenant à différentes civilisations.  C’est un élément crucial en effet.  Lorsque l’Inde entre en conflit avec son voisin pakistanais, les combats n’embrasent pas seulement les frontières mais également les centres urbains où cohabitent hindous et musulmans.   Huntington a très bien compris le danger que pouvaient représenter la cohabitation au sein d’une même entité politique de plusieurs communautés d’origine différentes.  La moindre étincelle est susceptible de mettre le feu aux poudres.  Nous croyons d’ailleurs que les dirigeants européens commencent tout doucement à comprendre le phénomène : leur refus de prendre part à la dernière guerre du Golfe n’était sans doute pas seulement motivé par le respect des institutions internationales.

 

Si le livre d’Huntington a suscité tant de cris de chattes effarouchées de la part de nos intellectuels européens « immigrophiles », c’est sans doute parce qu’il est bâti sur un principe très simple, tellement simple mais aussi tellement dérangeant que la propagande émolliente caractérisant nos médias tente chaque jour de nous le faire oublier : les affinités culturelles facilitent la coopération et la cohésion, tandis que les différences culturelles attisent les clivages et les conflits.  C’est pourquoi, pour répondre à ses détracteurs, Huntington dresse dans son chapitre six, un argumentaire en six points appuyant ce principe :

 

  1. Dans un monde globalisé, les entités culturelles les plus larges sont les civilisations.  Il est donc logique que les conflits entre groupes appartenant à différentes civilisations soient centraux dans la politique globale.
  2. Dans la mesure où l’Occident ne se contente pas d’appliquer la doctrine Monroe à seule sphère civilisationnelle mais cherche à l’étendre au monde entier, il est logique que par réaction, les cultures se radicalisent et adoptent une position défensive sinon de combat.
  3. L’identité se définit toujours par rapport à l’autre.  Si tout le monde était blanc, il serait stupide de nous définir comme étant de race blanche, c’est parce qu’il existe d’autres types de population que cette distinction devient effective.  Les exemples historiques ne manquent pas pour prouver que l’attitude des peuples a toujours été modelée selon ce principe.  Dans la haute Antiquité, les Grecs se distinguaient des barbares, au Moyen Age et durant les Temps modernes, les règles régissant les relations entre nations chrétiennes étaient différentes de celles dictant l’attitude vis-à-vis des Turcs et des autres « infidèles ».  Enfin le Coran distingue clairement le Dar al-Islam et le Dar-al-Harb (c’est-à-dire la zone des convertis et la zone à convertir) et la guerre sainte ne sera jamais totalement terminée tant que l’Islam ne se sera pas imposé à l’ensemble de la planète.
  4. Les différents culturels sont difficiles à résoudre car les valeurs et les principes d’une culture ne sont pas négociables.  Il en va ainsi des problèmes territoriaux très aigus qui opposent musulmans d’Albanie et orthodoxes serbes à propos du Kosovo ou bien des Juifs et des Arabes à propos de Jérusalem, puisque ces lieux ont pour chaque camp une signification historique, culturelle et affective profonde.  La question du foulard qui secoue la politique française actuellement et qui pose également des problèmes en Belgique, relève du même type de conflit.  De tels problèmes culturels appellent des réponses par oui ou par non, non des demi-mesures.
  5. Les conflits ont existé, existent et continueront à exister.  La guerre est une dimension ontologiquement humaine même si elle est à déplorer.  Tout au plus l’homme peut-il diminuer la probabilité qu’elle survienne. 
  6. Huntington reprend enfin l’idée force de Karl Schmitt : l’essence de la politique est de définir qui sont nos amis et qui sont nos ennemis.  Une entité politique qui n’a que des amis est une utopie.

 

La structure des civilisations.

 

Parmi les concepts opératifs majeurs présents dans son ouvrage, les plus importants à notre sens sont relatifs à la structure des civilisations.  Huntington propose de classer les pays selon différentes catégories :

 

-         Etats phares : Une civilisation possède en général un lieu au moins qui est considéré par ses membres comme la source principale de sa culture.  Ce lieu est souvent constitué d’un Etat ou de plusieurs Etats.  Huntington parle dans ce cas d’Etat phare.  L’Etat phare possède un rôle important dans la sphère civilisationelle puisque c’est généralement lui qui fédère les autres Etats autour de lui.  Dans la civilisation orthodoxe, c’est la Russie qui joue ce rôle.  La civilisation chinoise porte chez Huntington le nom de son Etat phare, la Chine.  Nous avons déjà mentionné précédemment que la Chine avait des prétentions à réunir dans un même Etat l’ensemble de ce qu’elle considère comme la civilisation chinoise.  L’axe franco-allemand et les Etats-Unis constituent les Etats phares de la civilisation occidentale.  Par contre, le problème de la civilisation musulmane, note Huntington, est qu’elle ne possède pas d’Etat phare.

 

-         Pays isolés : Un pays isolé n’a pas d’affinités culturelles avec d’autres sociétés.  L’Ethiopie par exemple, est isolée culturellement par sa langue dominante, l’araméen, écrit en caractères éthiopiens, par sa religion dominante, l’orthodoxie copte, par son passé impérial, par ses différences religieuses vis-à-vis de ses voisins en majorité musulmans.  Le plus important pays isolé est le Japon.  Aucun autre pays n’a la même culture, et les émigrés japonais sont peu nombreux dans les autres pays et guère assimilés culturellement.

 

-         Pays divisés : Ce sont des pays dont le territoire est traversé par une frontière entre civilisations.  Ces pays sont confrontés à des problèmes aigus pour préserver leur unité.  De nombreux pays africains sont minés par des guerres civiles interminables entre chrétiens et musulmans : Soudan, Nigeria, Tanzanie, Ethiopie…  Avec la chute du communisme, la culture a bien souvent remplacé l’idéologie comme facteur d’attraction et de répulsion.  « L’effet de division a été particulièrement visible dans les pays divisés dont la cohérence, à l’époque de la guerre froide, était assurée par des régimes communistes légitimés par l’idéologie marxiste-léniniste.  La Yougoslavie et l’Union soviétique ont éclaté et se sont divisées en entités nouvelles regroupées sur des bases civilisationnelles : les républiques baltes (protestantes et catholiques) [qui vont d’ailleurs bientôt rejoindre l’Europe], les républiques orthodoxes et musulmanes de l’ex-Union soviétique ; la Slovénie et la Croatie catholiques ; la Bosnie-Herzégovine partiellement musulmane ; la Serbie-Monténégro et la Macédoine orthodoxes en ex-Yougoslavie.  Là où ces entités nouvelles rassemblent encore des groupes appartenant à plusieurs civilisations, des divisions de second ordre apparaissent. »[17]  Rappelons que le livre d’Huntington a été publié en 1996 et que la guerre du Kosovo n’avait pas encore eu lieu ; pourtant l’auteur écrit déjà à l’époque : « Le Kosovo, peuplé d’Albanais musulmans, restera-t-il paisible au sein de la Serbie orthodoxe slave ?  On ne le sait pas.  De même, des tensions apparaissent entre la minorité musulmane albanaise et la majorité orthodoxe slave en Macédoine. »[18]

 

-         Pays déchirés : Dans un pays divisé, des forces répulsives éloignent les groupes culturellement différents les uns des autres.  Un pays déchiré, par contraste, a une seule culture dominante qui détermine son appartenance à une civilisation, mais ses dirigeants veulent le faire passer à une autre civilisation.  La Turquie est le pays déchiré type depuis que, dans les années vingt, elle a tenté de se moderniser, de s’occidentaliser et de s’intégrer à l’Occident.

 

Chapitre VII : Etats phares, cercles concentriques et ordre des civilisations.

 

Les rôles assumés par l’Etat phare d’une civilisation sont multiples.  Il est à la fois un leader, un protecteur, un gendarme, un modèle et un centre autour duquel gravitent les autres Etats.  La création d’un bloc civilisationnel uni politiquement autour de son Etat phare n’est pas si saugrenue que certains voudraient le penser.  Elle génère en effet dynamisme et ordre au sein d’un vaste espace géographique et évite souvent nombre de guerres intestines au sein d’une même civilisation.   Dans la même logique, l’absence d’Etat phare à l’intérieur d’une civilisation condamne celle-ci à la stagnation et à la faiblesse face aux autres réellement cohérentes. 

 

Un cas particulier, le monde arabe.

 

A la lumière de cette règle on comprend mieux le manque d’unité du monde arabe.  En effet, en Occident, le parangon de la loyauté est depuis le XVIIe siècle l’Etat-nation.  Les groupes qui  transcendent les Etats-nations - communautés religieuses, linguistiques ou civilisations - requièrent une loyauté et un engagement moins intense.  Dans le monde islamique, au contraire, les deux structures fondamentales, originales et durables sont d’une part la famille, le clan, la tribu et d’autre part la Religion et l’Empire à plus grande échelle.  Les tribus ont été centrales dans la vie politique des Etats arabes, tandis que les gens se sentaient unis par de-là les différences tribales dans une même communauté de langue, de culture, de style de vie et surtout de religion, la communauté des croyants, la Oumma, transcendant les particularismes. 

 

Cependant, l’Islam est divisé en plusieurs centres de pouvoirs concurrents, chacun tentant de capitaliser à son profit l’identification des musulmans avec la Oumma afin de réaliser la cohésion islamique sous son égide.  Le concept de Oumma présuppose que l’Etat-nation n’est pas légitime, et pourtant la Oumma ne peut être unifiée que sous l’action d’au moins un Etat phare fort qui fait actuellement défaut.  Pour que l’Islam comme communauté religieuse se matérialise, il faudrait que les suprématies religieuse et politique (califat et sultanat) soient combinées en une seule entité gouvernementale.  Ce manque d’unité a été savamment entretenu tout au long de l’histoire coloniale, d’abord par les Britanniques puis après la Deuxième guerre mondiale par les Etats-Unis et leur allié israélien.  On sait maintenant que, dans la guerre fratricide qui a opposé l’Iran et l’Irak durant de nombreuses années, la politique des Etats-Unis ne consistait pas à s’engager pour un camp ou pour l’autre mais à en entretenir le conflit afin d’éviter l’émergence de tout Etat phare dans la région. 

 

Il est devenu banal d’affirmer que les Etats-Unis sont partis en guerre contre l’Irak pour s’accaparer les ressources pétrolières du pays.  Il l’est peut-être moins d’affirmer que les stratèges américains éliminaient de surcroît un pion gênant sur l’échiquier proche-oriental, cet Irak à l’idéologie ouvertement panarabe et où les discours présidentiels surfaient de plus en plus sur la vague du renouveau islamique.  Lorsque les dirigeants européens accusaient l’Amérique de ne pas ramener la paix dans la région mais de semer un trouble encore plus grand, sans doute ne se doutaient-ils pas qu’ils étaient fort proches de la vérité.  En prétendant devant les caméras du monde entier, vouloir ramener la paix et la sécurité au Proche-Orient, les Etats-Unis poursuivaient sur le terrain l’objectif inverse : diviser pour régner.  Parmi les Etats susceptibles de jouer le rôle de centre au sein de la civilisation islamique, Huntington cite l’Indonésie, l’Egypte, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie Saoudite et la Turquie.  Il prend bien soin de ne pas mentionner l’Irak !    Notons que les groupes islamistes transnationaux tels les moudjahidin participant au djihad partout où leur foi leur dicte de combattre, ont bien compris la politique du « Grand Satan » et tentent aujourd’hui de fédérer la communauté des croyants par de-là les frontières.

 

Chapitre VIII : L’Occident et le reste du monde : problèmes intercivilisationnels.

 

Huntington précise sa théorie du choc des civilisations en hiérarchisant les relations entre les grands blocs civilisationnels.  Les aspirations universelles de la civilisation occidentale, la puissance relative déclinante de l’Occident et l’affirmation culturelle de plus en plus forte des autres civilisations suscitent des relations généralement difficiles entre l’Occident et le reste du monde.  Cependant leur nature et leur degré d’antagonisme varient considérablement et se décomposent en trois catégories (cf. figure n°4 = figure 9.1. [19]).  Avec ses civilisations rivales, l’Islam et la Chine, l’Occident risque d’entretenir des rapports très tendus et même souvent très conflictuels.  Ses relations avec l’Amérique latine et l’Afrique, civilisations plus faibles et dans une certaine mesure dépendantes vis-à-vis de lui, impliqueront des conflits moins forts, en particulier avec l’Amérique latine.  Les relations de la Russie, du Japon et de l’Inde avec l’Occident risquent, quant à elles, de se situer entre ces deux autres groupes.  Ce sont des civilisations qui hésitent entre l’Occident, d’un côté, et les civilisations islamique et chinoise, de l’autre.[20] 

 

Huntington dénoue en les explicitant plusieurs nœuds de problèmes attisant les conflits entre l’Occident et le reste du monde.    

 

La prolifération des armements.

 

Vu l’avance technologique acquise par les Etats-Unis dans le domaine de l’armement, il existe peu de moyens d’empêcher sa domination.  Un bon raccourci pour les Etats consiste à acquérir des armes de destruction massive (bombe nucléaire) avec les moyens de les utiliser (vecteurs tels les missiles).  Celles-ci leur permettent tout d’abord d’établir leur domination sur les autres Etats de leur civilisation et de leur région, et, ensuite, elles leur donnent les moyens d’empêcher une invasion de leur civilisation ou de leur région par les Etats-Unis ou d’autres puissances extérieures.  Huntington avoue que si l’Irak avait attendu deux ou trois ans pour envahir le Koweit, le temps de posséder des armes nucléaires, il en aurait très probablement pris possession et se serait peut-être même emparé des champs de pétrole saoudiens.  Ainsi, le résultat de la Guerre du Golfe n’est pas la réduction de la prolifération des armements mais l’inverse puisque les Etats non occidentaux ont tiré les leçons du conflit.  Désormais, des pays comme la Corée du Nord ou l’Inde savent qu’il ne faut pas se battre avec les Etats-Unis à moins d’avoir des armes nucléaires.  « Cette leçon, déclare Huntington, a été apprise par cœur par les dirigeants politiques et les généraux dans tout le monde non occidental, avec son corollaire : « Si vous avez des armes nucléaires, alors les Etats-Unis ne se battront pas avec vous. » »[21]   Nous le rappelons, ce livre a été écrit en 1996.  Peu de temps après se déroulaient effectivement les premiers essais nucléaires indiens.  Et dernièrement, la Corée du Nord a relancé son programme nucléaire !  Autre conséquence évidente de ce principe.  Alors que son armée est en pleine déliquescence, la Russie compte toujours parmi les grandes puissances parce qu’elle a réussi à maintenir un arsenal nucléaire suffisant en état de marche.  Paradoxalement, la possession de quelques armes nucléaires devient l’arme des faibles.  Le terrorisme constitue également une arme privilégiée des faibles ; la plupart des Etats étant démunis quant à la réponse à apporter à ce type d’agression.  L’Etat ne peut réagir en attaquant un autre Etat comme dans une guerre classique : le conflit possède désormais un caractère asymétrique !

 

Ce type de conflit est d’ailleurs tellement embarrassant pour les Etats modernes qu’il est souvent dénoncé comme « injuste ».  Les Américains parlent souvent, à propos de l’usage des armes de destruction massive ou d’attentats terroristes, d’attaques « non conventionnelles », « lâches », « contraires aux lois de la guerre » parce qu’elles s’en prennent à des civils.  Cette technique de propagande n’est pas neuve et il ne faut pas se laisser prendre à ce genre de jeu sémantique sur le caractère « juste » ou « injuste » des armes employées.  Peut-être faudrait-il d’ailleurs rappeler aux Etats-Unis que ces attaques « non conventionnelles » étaient considérées il n’y a pas si longtemps par leur Etat-Major comme tout à fait conventionnelles,  notamment dans le cadre de leur opération « Little Boy » à Nagasaki et Hiroshima.  Ces attaques « non conventionnelles » sont en réalité la conséquence logique de l’hyper puissance américaine puisqu’elles sont à ce jour les seuls moyens de résistance réellement efficaces des peuples qui ont choisi de résister au diktat U.S.  Toutefois, Huntington met en garde l’Occident : « Isolément, le terrorisme et les armements nucléaires sont l’arme des faibles hors d’Occident.  S’ils les combinent, les faibles non occidentaux deviendront forts. »[22]  

 

Les Etats-Unis ont toujours soutenu, depuis qu’ils maîtrisent l’atome, une politique de non-prolifération des armes nucléaires tant à l’extérieur de l’Alliance Atlantique qu’en son sein.  Seuls les Britanniques ont pu bénéficier de cette technologie qu’ils ont toutefois dû développer en partenariat avec leurs cousins d’outre-Atlantique.  La fronde française, face à cet état de fait, a permis à un autre pays membre de l’OTAN de développer son propre arsenal.  Selon Huntington, à cette politique de non-prolifération doit logiquement succéder une politique de « prolifération négociée ».  C’est ce qu’il appelle « la diffusion lente et inéluctable de la puissance dans un monde multicivilisationnel. »[23]  De plus, le politologue américain souligne que les Etats-Unis pourraient profiter de ce changement en stimulant la prolifération dans l’intérêt des Etats-Unis et de l’Occident.  En d’autres mots, certains Etats alliés recevraient l’autorisation de développer un arsenal nucléaire.  Huntington pense notamment au Japon qui pourrait ainsi contrecarrer la puissance nucléaire chinoise, permettant ainsi de sanctuariser leur propre pays et de placer en première ligne leurs alliés dans le cadre d’une guerre nucléaire.  Un exemple contemporain de l’efficacité de la prolifération négociée est l’arsenal nucléaire israélien permettant de contrebalancer toute volonté de puissance arabe au Proche-Orient.      

 

Les droits de l’homme et la démocratie.

 

L’auteur reconnaît honnêtement que les droits de l’homme et la démocratie ne sont pas des valeurs partagées par l’ensemble des peuples de la planète et qu’il devient illusoire, voire même dangereux, vu la puissance déclinante de l’Occident, de vouloir absolument imposer ces valeurs.  Non seulement cette influence diminue, mais le paradoxe de la démocratie atténue aussi la volonté occidentale de défendre la démocratie dans le monde d’après la guerre froide.  « Le présupposé occidental selon lequel des gouvernements élus démocratiquement seront coopératifs et pro-occidentaux pourrait bien se révéler faux dans les sociétés non occidentales où la compétition électorale peut porter au pouvoir des nationalistes et des fondamentalistes anti-occidentaux. »   C’est sans doute la raison pour laquelle les Etats-Unis ne mettent pas trop d’ardeur à l’heure actuelle pour transmettre le pouvoir à un gouvernement de transition élu démocratiquement par l’ensemble du peuple irakien.  S’ils sont allés au feu, ils entendent bien préserver quelques avantages sur le terrain ![24]

 

L’immigration.

 

Lorsqu’il lit le chapitre d’Huntington consacré à l’immigration, le lecteur se rend vite compte qu’il n’a pas affaire à un auteur de gauche.  Un auteur belge ou français s’autorisant de telles assertions aurait tôt fait d’être taxé de raciste et de fasciste, voire d’être traduit devant un tribunal pour incitation à la xénophobie.  Huntington ne fait pourtant que constater des évidences. 

 

-         « Si la démographie dicte le destin de l’histoire, les mouvements de population en sont le moteur. (…) S’il y a une « loi » de l’immigration, soutient Myron Weiner, elle stipule que le flux migratoire, une fois qu’il a commencé à couler, induit son propre flux.  Les émigrés permettent à leurs frères et à leurs proches restés au pays d’émigrer en leur donnant des informations sur la façon de s’y prendre, en leur fournissant des moyens pour se déplacer et de l’aide pour trouver un travail et un logement. »  Il en résulte selon ses propres termes, une « crise migratoire globale ». »[25]

 

Les citations ci-après prouvent également que Huntington est particulièrement bien renseigné sur la situation européenne :

 

-         « Au début des années quatre-vingt-dix, les deux tiers des immigrés en Europe étaient musulmans.  La préoccupation des Européens en la matière concernait par-dessus tout l’immigration musulmane.  Le défi est démographique – les immigrés représentent 10 % des naissances en Europe occidentale et les Arabes 50 % de celles-ci à Bruxelles – et culturel.  Les communautés musulmanes, turque en Allemagne ou algérienne en France, n’étaient pas intégrées dans leur culture d’accueil et, au grand dam des Européens, ne semblaient pas devoir l’être. »[26]

-         « Vis-à-vis des immigrés, l’hostilité européenne est étrangement sélective.  Peu de gens en France s’inquiètent d’un afflux de ressortissants de l’Est – les Polonais, après tout, sont européens et catholiques.  Les immigrés africains qui ne sont pas arabes ne sont pour la plupart ni redoutés ni méprisés.  Le mot « immigré » est potentiellement synonyme de musulman, l’Islam étant aujourd’hui la deuxième religion en France (…). »[27]

-         « L’opposition publique à l’égard de l’immigration et l’hostilité vis-à-vis des immigrés se manifestent dans des cas extrêmes par des violences perpétrées contre des communautés musulmanes et des personnes.  Ce fut en particulier un problème en Allemagne au début des années quatre-vingt-dix.  Plus significative est l’augmentation des suffrages ralliés par les partis d’extrême droite, nationalistes et anti-immigrés.  En France, le Front national, négligeable en 1981, est monté à 9,6 % en 1988 et s’est ensuite stabilisé entre 12 et 15 % aux élections régionales et législatives.  En 1995, les deux candidats nationalistes à la présidence de la République ont rassemblé 19,9 % des voix (…).  En Belgique, le Bloc flamand et le Front national ont progressé de 9 % aux élections locales de 1994, le Bloc obtenant 28 % à Anvers.  (…) Ces partis européens hostiles à l’immigration étaient pour une bonne part l’image en miroir des partis islamistes dans les pays musulmans.  C’étaient des outsiders dénonçant un establishment social et politique corrompu. »[28]

-         « L’Europe ou bien les Etats-Unis peuvent-ils inverser la tendance ?  En France, le pessimisme démographique est de mise, depuis le roman de Jean Raspail[29] dans les années soixante-dix jusqu’aux analyses académiques de Jean-Claude Chesnais[30] dans les années quatre-vingt-dix.  Pierre Lellouche l’a bien résumé en 1991 : « L’histoire, la géographie et la pauvreté montrent que la France et l’Europe sont destinées à être noyés par la population des pays à problèmes du Sud.  L’Europe était blanche et judéo-chrétienne dans le passé ; elle ne le sera plus à l’avenir. »[31] »[32]

-         « Les sociétés européennes ne veulent en général pas assimiler les immigrés ou bien elles éprouvent de grandes difficultés à le faire.  Les immigrés musulmans et leurs enfants sont également ambigus quant à leur désir d’assimilation[33].  Une immigration importante ne peut donc que produire des pays divisés entre chrétiens et musulmans.  Ce phénomène pourrait être évité si les gouvernements et les électeurs européens étaient prêts à payer le prix de mesures restrictives (…). »[34]

 

Chapitre IX : La politique globale des civilisations.

 

Etats phares et conflits frontaliers.

 

Dans un monde reposant sur l’ordre des civilisations, les relations entre entités appartenant à différentes civilisations seront souvent conflictuelles, prophétise Huntington.  La paix froide, la guerre froide, la guerre commerciale, la quasi-guerre, la drôle de paix, les relations agitées, la rivalité intense, la coexistence dans la concurrence, la course aux armements seront autant d’expression caractérisant les relations intercivilisationnelles.  La confiance et l’amitié seront rares.  Huntington prévoit deux grands types de conflit :

 

-         Au niveau local, les conflits civilisationnels surviendront entre Etats voisins appartenant à différentes civilisations comme dans l’ex-Union soviétique et l’ex-Yougoslavie.

-         Au niveau global, les conflits entre Etats phares auront lieu entre les grands Etats appartenant à différentes civilisations.  Les conflits surviendront par exemple lorsqu’un Etat phare d’une civilisation donnée montera en puissance et mettra ainsi en péril la position d’Etats phares appartenant à d’autres civilisations.

 

L’Islam et l’Occident.

 

Huntington développe à propos de l’Islam, et de sa relation avec l’Occident, toute une série d’idées assez sulfureuses.  Le fait que le politologue attribue à cette relation un caractère problématique est une des raisons majeures expliquant l’ire que son ouvrage a suscitée dans les milieux bien pensant européens.  Toutefois, vous allez pouvoir constater que ces idées ne sont pas totalement dénuées de sens.  « Certains Occidentaux, déclare-t-il, comme le président Bill Clinton, soutiennent que l’Occident n’a pas de problèmes avec l’Islam, mais seulement avec les extrémistes violents.  Quatorze cents ans d’histoire démontrent le contraire.  Les relations entre l’Islam et le Christianisme, orthodoxe comme occidental, ont toujours été agitées.  Chacun a été l’autre de l’autre. (…) C’est la seule civilisation qui a mis en danger l’existence même de l’Occident, et ce à deux reprises.[35] »[36] 

 

Les causes de cet affrontement pluriséculaire et irréductible ne sont pas contingentes mais résident dans la nature même des deux religions, déclare Huntington : « Tous deux sont universalistes et prétendent incarner la vraie foi, à laquelle tous les humains doivent adhérer.  Tous deux sont des religions missionnaires dont les membres ont l’obligation de convertir les non-croyants.  Depuis ses origines, l’Islam s’est étendu par la conquête et, le cas échéant, le Christianisme aussi.  Les concepts parallèles de « Jihad » et de « Croisade » se ressemblent beaucoup et distinguent ces deux fois des autres grandes religions du monde. »[37]

A l’heure actuelle, le conflit a toutefois changé de visage.  En effet, c’est moins contre l’Occident chrétien que les musulmans se battent aujourd’hui que contre l’Occident athée, ayant élevé le matérialisme au rang de religion universelle.  Auparavant, l’ennemi des musulmans était le matérialisme dialectique en provenance des pays communistes.  Désormais, l’ennemi principal des musulmans est le matérialisme marchand.

 

Dernier élément sur lequel Huntington insiste dans la relation Islam/Occident : à mesure que l’influence de l’Occident s’efface des anciennes colonies du Proche-Orient, l’émergence d’Etats phares capables d’unir le monde arabe se fait plus pressante, elle est aussi plus probable.  On considère trop souvent que les musulmans engagés dans la guerre contre l’Occident ne représentent que la minorité.  Les scènes de liesse dans les rues de nombreux pays à majorité musulmane où dans certains faubourgs musulmans de nos villes européennes le 11 septembre 2001 laissent présumer le contraire !  Soutenir et applaudir, fussent-ils des actes passifs, constituent les premières étapes de la résistance… et de la résistance à la lutte, le pas est vite franchi.

 

L’Asie, la Chine et l’Amérique.

 

Pour Huntington, l’Asie, particulièrement l’Extrême-Orient, constitue le théâtre le plus probable des conflits entre civilisations.  Il donne d’ailleurs à cette région le nom de « chaudron des civilisations ».  En effet, « rien qu’en Extrême-Orient, on trouve des sociétés qui appartiennent à six civilisations – japonaise, chinoise, orthodoxe, bouddhiste, musulmane et occidentale -, plus l’Hindouisme en Asie du Sud.  Les Etats phares de quatre civilisations, le Japon, la Chine, la Russie et les Etats-Unis, sont des acteurs de poids en Extrême-Orient ; l’Inde joue également un rôle majeur en Asie du Sud, tandis que l’Indonésie, pays musulman, monte de plus en plus en puissance. »[38] 

 

Le risque de conflit généralisé dans la région est encore aggravé par les interactions de plus en plus nombreuses entres les sociétés asiatiques et les Etats-Unis.  Or, constate Huntington, il existe des différences fondamentales de valeur entre les civilisations asiatiques et la civilisation américaine : « L’ethos confucéen dominant dans de nombreuses sociétés asiatiques valorise l’autorité, la hiérarchie, la subordination des droits et des intérêts individuels, l’importance du consensus, le refus du conflit, la crainte de « perdre la face » et, de façon générale, la suprématie de l’Etat sur la société et de la société sur l’individu.  En outre, les Asiatiques ont tendance à penser l’évolution de leur société en siècles et en millénaires, et à donner la priorité aux gains à long terme.  Ces attitudes contrastent avec la primauté, dans les convictions américaines, accordée à la liberté, à l’égalité, à la démocratie et à l’individualisme, ainsi qu’avec la propension américaine à se méfier du gouvernement, à s’opposer à l’autorité, à favoriser les contrôles et les équilibres, à encourager la compétition, à sanctifier les droits de l’homme, à oublier le passé, à ignorer l’avenir et à se concentrer sur les gains immédiats. »[39]

 

Enfin, comme nous l’avons théorisé ici plus haut, les Etats-Unis ne peuvent supporter l’émergence de la Chine comme puissance régionale en Extrême-Orient car elle est contraire selon Huntington, aux intérêts vitaux américains.  Notons au passage que le gros problème de la politique américaine est le suivant : ils adoptent la doctrine Monroe à l’échelle de leur continent mais ils ne supportent pas que les Etats phares des autres civilisations fassent de même avec leur propre sphère de rayonnement !  Précisons toutefois qu’une Chine trop dynamique au point de vue démographique, serait contraire également à nos propres intérêts.  En effet, la Chine risque à terme de déverser son trop plein de population en Europe ou dans les vastes espaces de la Sibérie, riches en matière première.  A l’inverse des Etats-Unis, nous ne sommes pas opposés au rayonnement de la Chine en Extrême-Orient, du moment que cette expansion ne déborde pas sur notre propre sphère civilisationnelle qui comprendra nécessairement la Sibérie.

 

Face à cette montée en puissance de la Chine, les Américains espèrent jouer la carte du Japon, Etat traditionnellement « suiviste » de la puissance U.S. depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale.  Le « suivisme » est un des autres concepts développés par Huntington.  Selon lui, les Etats peuvent réagir de deux manières à la montée d’une puissance nouvelle.  « Seuls ou alliés à d’autres, ils peuvent s’efforcer d’assurer leur sécurité en recherchant l’équilibre avec la puissance émergeante, la refouler ou, si nécessaire, entrer en guerre avec elle pour la vaincre.  Au contraire, ils peuvent se rallier à elle, se mettre d’accord avec elle et adopter une position secondaire ou subordonnée vis-à-vis d’elle dans l’espoir de voir leurs intérêts clés protégés. »[40]  Une solution médiane constituerait à alterner recherche de l’équilibre et « suivisme » mais elle risquerait à terme de vexer à la fois la puissance émergeante et les alliés alternatifs.  On comprendra aisément, suite à cette définition du « suivisme », que la solution japonaise n’est pas idéale pour les Etats-Unis puisque la particularité d’un Etat « suiviste » est d’abandonner la puissance dominante, une fois qu’une autre puissance émerge.  Effectivement, suite au déclin de l’Occident, le Japon restera-t-il fidèle à son allié américain ?  Choisira-t-il l’orbite chinoise ?  Nous ne pouvons qu’espérer l’émergence d’une nouvelle puissance dans la région : l’Empire eurosibérien qui saura séduire et rallier la civilisation japonaise et son porte-avions insummersible.

 

Chapitre X : Des guerres de transition aux guerres civilisationnelles.

 

Caractéristiques des guerres civilisationnelles.

 

Elles ont tendance à être très violentes et sanglantes parce qu’elles mettent en jeu des questions fondamentales d’identité.  En outre, elles traînent souvent en longueur ; il arrive qu’elles soient entrecoupées de trêves ou d’ententes, mais en général ces dernières ne durent pas, et les combats reprennent.  « D’autre part, en cas de victoire militaire décisive de l’un des deux camps, les risques de génocide sont plus élevés lorsqu’il s’agit d’une guerre civile identitaire.  (…) Les conflits civilisationnels sont parfois des luttes pour le contrôle des populations.  Mais, le plus souvent, c’est le contrôle du sol qui est en jeu.  Le but de l’un des participants au moins est de conquérir un territoire et d’en éliminer les autres peuples par l’expulsion, l’assassinat ou les deux à la fois, c’est-à-dire par la purification ethnique. »[41]  Les exemples du Ruanda ou encore du Kosovo sont éloquents à cet égard !   Retenons en tout cas ces deux caractéristiques fondamentales :

 

-         Comme elles mettent en jeu des questions fondamentales d’identité et de pouvoir, on a du mal à les résoudre par des négociations ou des compromis.  Un armistice obtenu ne signifie d’ailleurs jamais la fin d’un conflit qui, tel un feu de forêt maîtrisé, peut reprendre avec violence à tout instant.

 

-         Les guerres civilisationnelles éclatent entre groupes qui font respectivement partie d’ensembles culturels plus larges.  Les risques d’extension de la guerre sont donc énormes, surtout dans le monde « connecté » et « internationalisé » qui est le nôtre. « Les migrations ont donné naissance à des diasporas dans des tierces civilisations.  Les communications permettent plus facilement aux parties en présence d’appeler à l’aide, et à leurs « proches parents » d’apprendre immédiatement ce qui arrive à leurs alliés.  Le rétrécissement permet ainsi aux « groupes apparentés » de fournir un soutien moral, diplomatique, financier et matériel aux parties en présence. (…) A son tour, le soutien apporte un renfort aux parties en présence et prolonge le conflit. »[42]

 

Chapitre XI : La dynamique des guerres civilisationnelles.

 

Les guerres civilisationnelles sont particulièrement intenses, non seulement sur le terrain mais également psychologiquement, puisqu’elles mobilisent tout autant l’énergie des combattants que leur conscience identitaire.  De par ce caractère identitaire, elles ont des retombées néfastes sur l’ensemble des habitants des civilisations concernées.  Une menace localisée est naturellement magnifiée et généralisée à l’échelle de la civilisation.  Au début des années quatre-vingt-dix, les Russes ont ainsi défini les guerres entre clans et régions du Tadjikistan, ou la guerre en Tchétchénie, comme des épisodes d’un affrontement plus large, pluriséculaire, entre l’Orthodoxie et l’Islam, tandis que les opposants musulmans étaient engagés dans un djihad, soutenus par des groupes islamistes radicaux exploitant la conscience identitaire des révoltés.  De même une défaite locale d’un pays face à un pays appartenant à une autre civilisation, peut résonner comme un échec cuisant à l’échelle civilisationnelle.  On comprend dès lors l’acharnement que certains Etats phares mettent pour soutenir des Etats secondaires dans des conflits locaux.  La « théorie des dominos » en vogue durant la guerre froide est remise à l’honneur : une défaite dans un conflit local peut provoquer des pertes de plus en plus lourdes et conduire ainsi au désastre à l’échelle de la civilisation.[43]  Huntington note également que les processus de « diabolisation » sont particulièrement intenses dans les affrontements de civilisations : les opposants sont souvent dépeints comme des sous-hommes, ce qui donne le droit de les tuer.  De même, leur culture est vouée aux gémonies : tous les symboles, tous les objets culturels de l’adversaire deviennent des cibles.  On se rappellera au Kosovo des mosquées détruites par les forces serbes mais aussi des monastères orthodoxes saccagés par les Albanais.  « Dans les guerres entre culture, la culture est toujours perdante. »[44]

 

Les ralliements de civilisation : pays apparentés et diasporas.

 

A la différence de la guerre froide, les conflits de civilisation ne s’écoulent pas du haut vers le bas.  Ils bouillonnent à partir du bas.  Les Etats et les groupes ont différents niveaux d’engagement dans une guerre de ce genre (cf. figure n°5 = figure 11.1.[45]) :

 

-         Niveau primaire : les parties belligérantes qui s’entre-tuent.  Ce sont parfois des Etats, parfois des Etats embryonnaires comme en Bosnie ou au Nagorny-Karabakh ou des groupes locaux.

 

-         Second niveau : Ce sont généralement des Etats directement apparentés aux belligérants de base.  Par exemple l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans le Caucase.  La Serbie et la Croatie en ex-Yougoslavie.

 

-         Troisième niveau : Ce sont des Etats éloignés du théâtre des affrontements mais qui ont des liens de civilisation avec les belligérants, tels l’Allemagne, la Russie et les Etats islamiques dans le conflit yougoslave ou tels la Russie, l’Iran et la Turquie dans le cas du différend arméno-azéri.

 

Dans le cadre d’un conflit régional entre des factions appartenant à deux civilisations différentes, les intérêts des gouvernements de deuxième et troisième échelon sont plus compliqués que ceux des belligérants de base.  Ils apportent généralement leur soutien aux combattants élémentaires et même s’ils ne le font pas, dit Huntington, ils sont soupçonnés de le faire par les pays ennemis.  Toutefois, ces gouvernements ont souvent intérêt à contenir les tensions de la base, afin de ne pas être entraînés dans un conflit civilisationnel plus large et plus destructeur.  De ce constat très ingénieux, Huntington élabore une méthodologie de résolution des conflits.

 

Arrêter les guerres civilisationnelles.

 

Les parties de la base ont souvent beaucoup de mal à s’asseoir à la même table des négociations.  Les enjeux et les haines sont trop aiguës pour espérer par ce biais une résolution pacifique du conflit.  Les guerres entre pays d’une même civilisation ont l’avantage de pouvoir parfois être résolues par la médiation d’une tierce partie désintéressée, ayant une légitimité auprès des pays belligérants.  Souvent l’Etat phare joue un rôle d’arbitre au sein de la civilisation et limite les tensions entre les communautés.  Par contre, il est difficile dans un conflit civilisationnel de trouver une tierce partie qui ait la confiance des deux protagonistes.  C’est pourquoi « les guerres civilisationnelles ne sont pas interrompues par des individus, groupes ou organisations désintéressés, mais par des parties intéressées de deuxième et troisième échelon, parties qui se sont attiré le soutien de leur parentèle et qui ont la capacité de négocier des accords avec leurs homologues, d’une part, et de convaincre leur parenté d’accepter ces accords, d’autre part. »[46]  C’est également la raison pour laquelle, « les guerres sans parties de deuxième et de troisième échelon ont moins tendance à s’étendre que les autres guerres, mais elles sont aussi plus difficiles à arrêter, tout comme les guerres entre groupes appartenant à des civilisations sans Etat central. »[47]

 

Huntigton, grâce aux outils de pensée qu’il a façonnés, modélise ainsi l’arrêt des combats complet dans un conflit civilisationnel.  Cet arrêt suppose :

 

-         « l’implication active des parties de deuxième et troisième échelon,

-         des négociations entre parties de troisième échelon sur les termes généraux d’un arrêt des combats,

-         l’utilisation par ces parties de troisième échelon de la carotte et du bâton pour obtenir que les parties de deuxième échelon acceptent ces termes et fassent pression dans le même sens sur les parties de premier échelon,

-         le retrait du soutien venant du deuxième échelon et, en fait, la trahison du premier échelon par les parties du deuxième échelon,

-         et, résultat de ces pressions, l’acceptation des termes par les parties du premier échelon qui, bien entendu, les subvertiront quand elles considéreront que c’est là leur intérêt. »[48]

 

Chapitre XII : L’Occident, les civilisations et la civilisation.

 

Dans son dernier chapitre, Huntington développe sa réflexion sur le déclin de l’Occident.  Autant dire qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère.  Nous avons déjà évoqué plus haut les caractéristiques du déclin de l’Occident et de l’Europe.  Celui-ci touche les domaines moraux, démographiques, culturels et partiellement militaires.   Nous n’y reviendrons pas davantage.  Huntington insiste cependant sur le fait que « du déclin naît le risque d’invasion « quand la civilisation n’est plus capable de se défendre elle-même parce qu’elle n’a plus la volonté de le faire, elle s’ouvre aux envahisseurs barbares » qui viennent souvent « d’une autre civilisation plus jeune et plus puissante. »[49] »[50]  Néanmoins « tout est possible, mais rien n’est inévitable : tel est l’enseignement primordial qui ressort de l’histoire des civilisations.  Les civilisations peuvent, et ont pu, se réformer, se renouveler.  Le problème majeur pour l’Occident est le suivant : indépendamment de tout défi extérieur, est-il capable d’arrêter le processus de déclin interne et d’inverser la tendance. »[51]

 

L’un des grands périls qui guette notre civilisation d’après le politologue américain, c’est la modification du substrat ethnique européen avec comme conséquence l’émergence d’une société prétendument multiculturelle.  Dans le cas de l’Europe, la forte minorité arabo-islamique en pleine progression, ne manifestant désormais plus aucun désir de s’intégrer culturellement, devient un foyer de contestation et même de rejet des valeurs européennes en terre européenne !  Aux Etats-Unis comme en Europe, une coalition de politiciens irénistes et de gauchistes utopistes prétendent y voir un enrichissement et les prémisses d’une société multiethnique et multiculturelle harmonieuse.  Face à ces délires, le jugement d’Huntington est sans appel : « L’histoire nous apprend qu’aucun Etat ainsi constitué n’a jamais perduré en tant que société cohérente.  (…) L’avenir des Etats-Unis et celui de l’Occident dépend de la foi renouvelée des Américains en faveur de la civilisation occidentale.  Cela nécessite de faire taire les appels au multiculturalisme, à l’intérieur de leurs frontières.  (…) Les Américains font partie de la famille culturelle occidentale ; les partisans du multiculturalisme peuvent entamer, voire détruire cette relation, ils ne peuvent lui en substituer une autre.  Quand les Américains cherchent leurs racines culturelles, ils les trouvent en Europe. »[52]

 

Huntington préconise aussi une nouvelle construction géopolitique autour d’une zone de libre-échange transatlantique, suivie d’une véritable intégration politique, capable de donner les moyens d’un redressement civilisationnel et de redonner à l’Occident son statut de puissance hégémonique.  C’est ici que l’on voit tout l’intérêt que les Américains ont d’empêcher la création d’un bloc impérial eurosibérien car selon lui : « le rejet des principes fondamentaux et de la civilisation occidentale signifie la fin des Etats-Unis d’Amérique tels que nous les avons connus.  Cela signifie également la fin de la civilisation occidentale.  Si les Etats-Unis se désoccidentalisent, l’Ouest se réduira à l’Europe et à quelques zones d’implantation européenne, faiblement peuplées.  Sans les Etats-Unis, l’Occident ne représente plus qu’une fraction minuscule et déclinante de la population mondiale, abandonnée sur une petite péninsule à l’extrémité de la masse eurasienne. »[53]

 

Clefs pour l’avenir.

 

L’auteur, après avoir dressé un tableau de l’état déplorable de la civilisation occidentale, préconise toute une série de solutions mais il insiste surtout sur le fait que l’Occident doit renoncer à « sa prétention à l’universalité, [qui] tient pour évident que les peuples du monde entier devraient adhérer aux valeurs, aux institutions et à la culture occidentale parce qu’elles constituent le mode de pensée le plus élaboré, le plus lumineux, le plus libéral, le plus rationnel, le plus moderne.  Dans un monde traversé par les conflits ethniques et les chocs entre civilisations, la croyance occidentale dans la vocation universelle de sa culture a trois défauts majeurs : elle est fausse, elle est immorale et elle est dangereuse. (…)  L’impérialisme est la conséquence logique de la prétention à l’universalité. »[54]  Il constate que les prétentions dans ce domaine pourraient mener à des conflits graves avec les autres civilisations et conduire éventuellement à la défaite de l’Occident.  « En résumé, pour éviter une guerre majeure entre civilisations, il est nécessaire que les Etats phares s’abstiennent d’intervenir dans les conflits survenant dans des civilisations autres que la leur.  C’est une évidence que certains Etats, particulièrement les Etats-Unis, vont avoir, sans aucun doute, du mal à admettre. »[55]  C’est la règle de l’abstention.  Cette règle préconise aussi que les Etats phares s’entendent pour contrôler et réduire les conflits frontaliers entre leur civilisation respective. 

Huntington propose aussi que les institutions internationales soient profondément remaniées afin que le Conseil de Sécurité de l’ONU cesse d’être le club des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale et qu’il accueille la nation phare de chaque grande civilisation, créant ainsi un forum permanent de dialogue intercivilisationnel.

 

Analyse : Ce que nous retenons, ce que nous critiquons.

 

Ce que nous retenons.

 

Nous considérons cet ouvrage comme fondamental et très stimulant pour une pensée prospective dans les relations internationales et civilisationnelles.  Les nombreux concepts opératifs contenus dans son livre se révèlent précieux et peuvent être repris dans nos propres analyses et nos propres théories.  Le caractère essentiel du livre n’a pas échappé à la critique universitaire et médiatique qui comme à son habitude, incapable qu’elle est de répondre à une pensée bien construite, s’est contentée de falsifier et de diffamer l’auteur et sa thèse afin de le discréditer.  

 

Si Huntington ne cite pas des géopoliticiens comme Carl Schmitt ou Karl Haushofer, il nous a semblé que le concept de « civilisation » qu’il développe n’est pas sans lien avec celui de Großräume (Grand Espace) présent dans l’œuvre des deux théoriciens allemands.  « Il [Carl Schmitt] souhaite surtout que différents grands espaces se constituent entre lesquels un nouveau nomos [en grec : la Loi, le Principe ordonnateur] devrait voir le jour. (…) La rivalité de ces grands espaces au sein d’un droit international reconnu[56] assurerait la présence d’amis et d’ennemis et maintiendrait l’histoire en mouvement. »[57] Contre la vision économico-matérialiste des libéraux, Carl Schmitt rejoint le schéma huntingtonien d’une unité politique basée sur une culture civilisationnelle : « Mais si l’idée de Großräume, de « Grand Espace », est née de la conviction que les Etats étaient devenus trop petits au regard du développement de la technique et de l’économie, les théoriciens de ce « Grand Espace » ont également dit que celui-ci ne pouvait être ni bâti ni organisé en priorité sur l’économie.  La conservation de la multiplicité des cultures est désormais un acte politique. »[58]  Cependant Carl Schmitt va plus loin que la conception immanente d’Huntington car il insuffle à sa théorie une dimension transcendantale : « L’Etat universel technicisé et normalisé lui semble l’œuvre de l’Antéchrist : contre cette possibilité, il entend mobiliser la puissance « catéchontique » d’un nouvel ordre juridique liant entre eux les grands espaces. »[59]  De même il semble qu’on puisse rapprocher le concept huntingtonien d’ « Etat phare » avec le concept schmittien d’ « Hegemon » qui doivent tous deux être le moteur de la création d’un « Grand Espace » (ou Etat civilisationnel) : « (…) L’idée d’unir plusieurs Etats sans qu’il n’y ait de puissance hégémonique est une impossibilité sociologique.  Aucune véritable fédération, au sens propre du terme, ne peut voir le jour sans hegemon. »[60]  Toute cette analyse mériterait cependant une recherche plus approfondie, nous nous bornons ici à tracer des pistes.

 

Huntington fait une analyse très intéressante de la méthode par laquelle les élites islamiques ont entrepris la reconquête de leur sphère civilisationnelle.  Alors que les milieux néo-droitistes nous ont gavé de théories sur la prise de contrôle du pouvoir culturel, sans grande réussite effective d’ailleurs, les Islamistes, eux, nous donnent l’exemple d’une réussite indéniable dans le domaine. Tout comme les Musulmans, nous devons faire de la métapolitique (gramscisme) efficace en investissant non seulement la sphère politique mais surtout la sphère sociale et culturelle.  L’idéologie révolutionnaire ne doit pas seulement s’exprimer dans le domaine intellectuel para-universitaire mais doit répondre aussi aux questions et aux problèmes concrets des gens.  Elle doit ensuite montrer sur le terrain que ses idées sont efficaces au contraire de celle du pouvoir, raison majeure pour laquelle la population doit la soutenir.  Prendre le pouvoir, c’est s’imposer comme la seule alternative possible, y compris en cassant les autres mouvements contestataires.  D’ailleurs, selon le mot d’ordre de Guy Debord dans ses Commentaires sur la société du spectacle : « Le premier mérite d’une théorie critique exacte est de faire instantanément paraître ridicule toutes les autres. »  « Mais il faut aussi qu’elle soit une théorie parfaitement inadmissible [par le système et son discours].  Il faut qu’elle puisse déclarer mauvais, à la stupéfaction indignée de tous ceux qui le trouvent bon, le centre même du monde existant, en en ayant découvert la nature exacte. »

 

Ce que nous critiquons.

 

La question russe.

 

Dans son livre, Huntington pose la question suivante : « La Russie doit-elle adopter les valeurs, les institutions et les pratiques occidentales, et tenter de s’intégrer à l’Occident ?  Ou bien incarne-t-elle une civilisation orthodoxe et eurasiatique différente de l’Occident et dont le destin serait de relier l’Europe et l’Asie ? Les élites intellectuelles et politiques et l’opinion sont divisées sur ces questions.  D’un côté, on trouve les partisans de l’occidentalisation, les « cosmopolites », les « atlantistes », et de l’autre, les successeurs des slavophiles, qualifiés diversement de « nationalistes », d’ « eurasianistes » ou de « derzhavniki » (Etatistes). »[61]  Huntington répond clairement à cette question dans sa conclusion.  Il faut selon lui intégrer à l’Union européenne et à l’OTAN les Etats occidentaux de l’Europe centrale, c’est-à-dire les Etats du sommet de Visegrad[62], les Républiques baltes, la Slovénie et la Croatie.  Il faut considérer la Russie comme l’Etat phare du monde orthodoxe et comme une puissance régionale essentielle, ayant de légitimes intérêts dans la sécurité de ses frontières sud.  Les intérêts des Etats-Unis seront mieux défendus s’ils évitent de prendre des positions extrêmes en cherchant par exemple à intervenir dans les affaires des autres civilisations et s’ils adoptent une politique atlantiste de coopération étroite avec leurs partenaires européens, afin de sauvegarder et d’affirmer les valeurs de leur civilisation commune.[63]  Nous ne sommes pas d’accord avec Huntington pour deux raisons :

 

-         Premièrement la Russie fait partie intégrante de l’Europe.  Huntington considère qu’il existe une séparation entre ce qu’il appelle l’Europe occidentale et le monde orthodoxe.  Or nous ne voyons pas pourquoi la séparation entre peuples latins catholiques et germaniques protestants d’une part et peuples slaves orthodoxes d’autre part serait plus grave et plus fondamentale que la séparation entre peuples latins et germaniques.  Au contraire, puisque Huntington affirme dans son ouvrage que la religion est un élément primordial pour définir la culture d’une civilisation, nous pourrions arguer que le catholicisme considère les orthodoxes comme simplement schismatiques alors qu’il qualifie les protestants d’hérétiques.  L’histoire européenne elle-même vient infirmer les thèses du politologue américain.  En effet, la Russie n’a-t-elle pas été au cours des derniers siècles un protagoniste majeur dans les relations entre pays européens ?

 

-         Deuxièmement, l’Europe ne fait pas partie de l’Occident.  Comme l’avait déjà démontré dans les années quatre-vingt Guillaume Faye, il n’y a pas identité entre Occident et Europe.  Les deux termes sont même antagonistes.  Osons l’affirmer, l’Occident tel que défini par Huntington, moderne, héritier de l’Antiquité classique remise à l’honneur par la Renaissance et les Lumières, caractérisé par l’Etat de droit, le pluralisme social et l’individualisme, et spirituellement ancré dans le catholicisme de Vatican II lié au protestantisme, cet Occident là est une couverture répugnante qui étouffe le vieux brasier européen sommeillant au plus profond de nous, un feu qui couve et qui ne demande qu’à renaître.  Nos cousins d’outre-Atlantique ne possèdent pour culture que cette couverture odieuse, émergence cancéreuse de nos racines profondes et saines.  Marc Rousset, dans son livre sur les Euro-ricains, dresse à la fin de celui-ci le portrait de l’authentique Européen.  En voici un petit florilège :

 

-         « Gouverner [pour un Européen], c’est croire dans le politique, au sens noble et gaullien du terme (…). Gouverner, ce n’est pas flatter l’opinion, mais faire les choix qui s’imposent dans l’intérêt du pays ! »

-         « Etre Européen, c’est croire en des valeurs culturelles, nationales, familiales, religieuses ou mythiques pour s’opposer à l’envahissement de l’argent. » 

-         « Etre Européen, c’est refuser la société multi-ethnique. »

-         « Etre Européen, c’est refuser l’économie hédoniste, unidimensionnelle et futile des biens de consommation. »

-         « Etre Européen, c’est croire en des valeurs au lieu d’amasser et de consommer. »

-         « Etre Européen, c’est accorder de l’importance à la mentalité héroïque : tâche, désintéressement, abnégation, sacrifice, fidélité, candeur, vénération, bravoure, remplir ses devoirs.  C’est accorder moins d’importance à la mentalité mercantile : utilitarisme, hédonisme, droit au bonheur par l’argent, réclamer ses droits. »

-         « Etre Européen selon Nietzsche ce n’est pas être une brute blonde ou un être avide de gains mais un individu avide de connaissances qui se dépasse sans cesse.  Le salut de l’homme [est] (…) de se détacher du troupeau pour rejoindre Zarathoustra. »

-         « Etre Européen, c’est avoir le sens du beau. »[64]  

 

Outre les propositions détachées par Marc Rousset, nous rajoutons :  ETRE EUROPEEN c’est :

 

-         Avoir le sens de l’honneur, de la parole donnée et de la loyauté.

-         Avoir le sens de la honte (de déroger à ses propres yeux et aux yeux de Dieu).

-         Savoir qu’avec les Musulmans, les Chinois, les Hindous, les Japonais… nous partageons bien des valeurs communes mais pas celles du genre des droits de l’homme !!!

-         Faire de sa vie  (et de celle des autres) sa propre œuvre d’art.

-         Aimer le raffinement et le luxe sans jamais tomber dans le snobisme et la préciosité.

-         Pouvoir vivre avec un esprit égal, dans un palais ou dans un bivouac.

-         Aimer les femmes et les hommes, pas les PLAYBOY bellâtres « homomorphes » ou les collectionneuses vulgaires et superficielles.

-         Vouloir des hommes toujours plus hommes et des femmes toujours plus femmes.

 

Donc vous l’aurez compris, à l’inverse de Huntington, nous plaçons la séparation dans le monde blanc, non sur la frontière superficielle entre le monde orthodoxe et le monde catholique mais plutôt au niveau de l’Atlantique entre d’une part la « Vieille Europe » et d’autre part le « Nouveau Monde ».  Les motivations réelles qui se cachent derrière cette séparation artificielle sont clairement exprimées par Huntington lui-même à deux endroits de son livre :

 

« Depuis plus de deux cent ans, les Etats-Unis s’efforcent d’empêcher qu’émerge une puissance dominante en Europe.  Depuis presque cent ans, avec la politique de « la porte ouverte » vis-à-vis de la Chine, ils procèdent de même en Extrême-Orient.  Pour ce faire, ils se sont battus dans deux guerres mondiales et dans une guerre froide avec l’Allemagne impériale, l’Allemagne nazie, le Japon impérial, l’Union soviétique et  la Chine communiste. »[65]

 

« Cela serait conforme à la tradition, l’Amérique s’étant toujours souciée d’empêcher que l’Europe et l’Asie soient dominées par une seule puissance.  Ce n’est plus d’actualité en Europe, mais en Asie, cet objectif reste valide.  En Europe occidentale, une fédération relativement lâche [ndlr. dans les deux sens du terme], liée intimement aux Etats-Unis d’un point de vue culturel, politique et économique ne menacerait pas la sécurité américaine. »[66]

 

D’un point de vue européaniste, nous devons bien évidemment nous atteler à réaliser cet empire eurosibérien que les Américains redoutent tant.  Mais dès lors, une question se pose :

Une entité politique voulant correspondre avec une réalité civilisationnelle peut-elle contenir des minorités n’appartenant pas à la civilisation dominante ?  A notre sens, un empire eurosibérien majoritairement européen peut, dans un cadre institutionnel impérial, englober des territoires ne faisant pas partie de sa civilisation mais liés à lui historiquement et géopolitiquement, telles les républiques musulmanes d’Asie centrale.  A l’inverse la présence massive d’une immigration bariolée dans nos ensembles urbains ne peut être intégrée à un système fédéral basé sur les peuples et les ethnies.  Nous devons privilégier au sein de l’Empire européen l’ancrage des peuples sur leur terre d’origine.  Le concept de civilisation n’est donc pas réducteur !  D’aucuns voudraient nous faire croire qu’il enferme la diversité des communautés sous un même vocable et finit par tuer cette diversité.  Le fait qu’un Empire s’identifie à une civilisation (Chine, projet de Synergie Européenne) ne veut pas dire pour autant que les minorités y seront automatiquement brimées.  C’est la politique adoptée par les dirigeants qui conditionne la bonne cohabitation des différentes communautés.  La Chine est certes un mauvais exemple qu’on nous ressert d’ailleurs un peu trop souvent pour nous convaincre que toute volonté de politique civilisationnelle rime automatiquement avec impérialisme et disparition à long terme des minorités culturelles tel le peuple tibétain au sein de la sphère chinoise.  Pourtant  la Russie impériale (sauf durant la courte période de russification intensive pratiquée au XIXe siècle sous l’influence du nationalisme occidental) et surtout l’Empire austro-hongrois ne sont-ils pas des beaux exemples de cohabitation réussie de différentes communautés sous une seule et même autorité politique ?   Et au contraire, ne sont-ce pas justement le métissage, le multiculturalisme, le « mélange » des civilisations bref la grande soupe des peuples que nos « élites » politiques, culturelles et médiatiques nous préparent en chantant un hymne à la tolérance, ne sont-ce pas tous ces termes prononcés sur un ton solennel pour leur donner le relief qu’ils ne possèdent pas, tous ces mots creux et vides de sens qui seront dans le futur les véritables fossoyeurs des cultures ?

 

Les mouvements entre civilisations sont comparables à la tectonique des plaques : Sur les pourtours des sphères civilisationnelles se développent des zones de trouble comparables aux failles volcaniques.  Le fait de construire la civilisation européenne n’impliquera pourtant pas automatiquement l’absence de conflits également intracivilisationnels mais ces conflits ne seront pas insurmontables dans la mesure ou deux régions d’une même civilisation qui s’opposent doivent pouvoir s’entendre au nom d’intérêts civilisationnels communs.  Sauf si une civilisation ennemie vient bien entendu exciter les antagonismes.  Il faut faire la promotion d’une généralisation de la doctrine Monroe au niveau civilisationnel.  L’Amérique aux Américains, l’Asie aux Asiatiques, la Oumma islamique aux Musulmans et bien entendu l’Europe aux Européens !

 

 

Index des concepts clefs.

 

-         Abstention (Règle de l’…, p.24)

-         Chaudron des civilisations (p.19)

-         Civilisation comme entité culturelle (p.4)

-         Civilisation comme entité « englobante » (p.4)

-         Civilisation universelle (critique) (p.6-7-8)

-         Déclin moral (p.10)

-         Diffusion de la puissance (p.16)

-         Dominos (théorie des …, p.21)

-         Etat phare (p.12)

-         Fin de l’histoire (p.2)

-         Guerres civilisationnelles (p.20-23)

-         Indigénisation (p.10)

-         Kémalisme (p.8)

-         Niveaux d’engagement dans une guerre civilisationnelle (p.21-22)

-         Pays déchiré (p.13)

-         Pays divisé (p.13)

-         Pays isolé (p.12-13)

-         Prolifération négociée (p.16)

-         Réformisme (p.8)

-         Rejet (p.8)

-         Religion comme moteur civilisationnel (p.9)

-         Suivisme (p.20)

 

 

 

 



[1] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.25.

[2] ZINOVIEV (Alexandre), L’Occidentisme.  Essai sur le triomphe d’une idéologie. (traduction française)- Saint-Amand-Montrond, Plon, 1995

[3] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.35.

[4] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.22.

[5] Idem, p.231.

[6] Idem, p.61.

[7] Idem, p.71

[8] Idem, p.72-73.

[9] Idem, p.86.

[10] Idem, p.97.

[11] Idem, p.99.

[12] Idem, p.107-108.  D’après BARNETT (Jeffery R.), Exclusion as National Security Policy dans Parameters, 24, printemps 1994, p.54.

[13] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.127.

[14] Idem, p.108.

[15] Idem, p.458.

[16] Idem, p.125-126.

[17] Idem, p.197.   Si on possède l’honnêteté intellectuelle suffisante pour admettre que les pays divisés sont continuellement minés par des guerres civiles larvées, il devient très facile d’appliquer cette règle simple à nos propres pays.  L’arrivée massive de populations d’origine étrangère ne saurait effectivement qu’y multiplier la probabilité de conflits futurs entre les communautés de culture différente.

[18] Ibidem.

[19] Idem, p.364.

[20] Si nous parvenons à rétablir la Tradition en Europe, l’Inde pourrait devenir un allié important, d’autant plus que nous possédons des racines indo-européennes communes avec la civilisation hindoue.

[21] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.271.

[22] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.272-273.  Pensons notamment à l’usage de valises nucléaires mises au point par les Russes pendant la guerre froide.  Ces armes combinent habilement le facteur nucléaire avec la stratégie terroriste.

[23] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.280.

[24] Les Etats-Unis et l’Europe, « champions toute catégorie de la démocratie », poursuivent dans ce domaine une politique particulièrement hypocrite, condamnant les élections truquées ou annulées par des juntes militaires opposées à leurs intérêts mais fermant discrètement les yeux là où, comme en Algérie, l’armée annule le résultat d’élections légitimant l’arrivée au pouvoir de partis religieux tels le FIS algérien.

[25] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.289-290.

[26] Idem, p.292.

[27] Idem, p.292-293.  D’après ROBERSON (B.A.), Islam and Europe : An Enigma or a Myth ?, dans Middle East Journal, 48, printemps 1994, p.302

[28] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.293-294.

[29] RASPAIL (Jean), Le Camp des saints, Paris, Robert Laffont, 1973.

[30] CHESNAIS (Jean-Claude), Le Crépuscule de l’Occident : démographie et politique, Paris, Robert Laffont, 1995.

[31] LELLOUCHE (Pierre), cité dans MILLER, Strangers at the Gate, p.80.

[32] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.298.

[33] Notons que l’essor des moyens de communication n’a pas favorisé l’intégration des communautés étrangères.  Cablées sur les chaînes de leur pays respectif et retournant au pays chaque fois qu’elles en ont l’occasion, comment les familles musulmanes pourraient-elles réellement se sentir européennes ? 

[34] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.298-299.

[35] Au VIIIe siècle, l’invasion arabe n’ayant pu être stoppée que par Charles Martel à Poitiers en 732 et au XVIe siècle, le siège de Vienne en 1529 marquant un terme à l’avancée arabe.

[36] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.306-307.

[37] Idem, p.309.

[38] Idem, p.322.

[39] Idem, p.331-332.

[40] Idem, p.342.

[41] Idem, p.376-377.

[42] Idem, p.379-380.

[43] Idem, p.406-407.

[44] Idem, p.408.

[45] Idem, p.411.

[46] Idem, p.442.

[47] Ibidem.

[48] Idem, p.445.

[49] QUIGLEY, Evolution of Civilizations, p.138-139 et p.158-160.

[50] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.456.

[51] Ibidem.

[52] Idem, p.461- 462.

[53] Ibidem.

[54] Idem, p.467- 468.

[55] Idem, p.478.  Les missions de sécurité et de défense définies par les membres de l’UE sont également complètement opposées à cette règle puisqu’elles prévoient de s’immiscer dans des conflits étrangers où les droits de l’homme sont bafoués.

[56] Et non imposé comme l’actuel droit international d’obédience anglo-saxonne.

[57] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 161.

[58] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.42.

[59] WEYEMBERGH (Maurice), Carl Schmitt et le problème de la technique, dans CHABOT (Pascal) et HOTTOIS (Gilbert), Les philosophes et la technique.- Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 161.

[60] MASCHKE (Günther), Unité du monde et Grand Espace européen, dans Vouloir n°1 (nouvelle série), avril-juin 1994, p.43.

[61] Idem, p.205.

[62] Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie.

[63] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.470-471.

[64] ROUSSET (Marc), Les Euros-Ricains.- Paris, Ed. Godefroid de Bouillon, 200, p.469-484.

[65] HUNTINGTON (Samuel P.), Le choc des civilisations.- Paris, Odile Jacob, 2000, p.338.

[66] Idem, p.344.

dimanche, 28 juin 2009

Philosophie der Übung und der Charme der Disziplinlosigkeit

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Philosophie der Übung und der Charme der Disziplinlosigkeit

Geschrieben von Felix Menzel - http://www.blauenarzisse.de/   

Viel Disziplin ist nötig, um dem Artisten Peter Sloterdijk bei dem Entwurf seiner Philosophie der Übung auf über 700 Seiten zu folgen. Wahrscheinlich werden deshalb nur Sezessionisten, die sich bereits in höhere Zonen abgesetzt haben, sein neues Werk „Du mußt dein Leben ändern“ wirklich vollständig lesen. Die Gewöhnlichen, die eine Trainingseinheit mit Sloterdijk dringend bräuchten, dürften hingegen gefahrlos an dem absoluten Imperativ vorbeikommen und werden sich lieber an den Tipps zum professionellen Rumgammeln von Kathrin Passig und Sascha Lobo orientieren.

Und während sich bei Sloterdijk automatisch ein distanziertes Leseverhalten einstellt, kann man bei Lobo und Passig gerade als Student natürlich mitfühlen, denn jeder angehende Akademiker dürfte schon einmal Aufgaben vor sich hergeschoben und ein paar Tage im universitären Trott rumgegammelt haben. Die beiden Blogger und Werbetexter sind Profis auf diesem Feld und nennen dieses Verhalten in ihrem mal eben geschriebenen Buch über die Dinge, die ohne Selbstdisziplin irgendwie auch funktionieren, hochwissenschaftlich „Prokrastination“. Dahinter verbirgt sich aber nicht viel mehr als professionelles Rumlümmeln, währenddessen sich die Arbeit auf mysteriöse Art und Weise selbst machen muß.

Faul sein und dabei Arbeit erledigen

Die Theorie dahinter: Wenn man Dinge vor sich herschiebt, muß man in dieser Zeit andere Dinge tun. Dadurch erledigt man durch das Verdrängen von Aufgaben gewisse andere Aufgaben und macht sich so nützlich und kommt über die Runden. Toll, was?

Bereits in
„Wir nennen es Arbeit“ hatte Studienabbrecher Lobo mit seinem Kumpel Holm Friebe verkündet, Arbeit sei auch jenseits der Festanstellung und des zermürbenden Acht-Stunden-Arbeitstages möglich. Als freier Schriftsteller mag das funktionieren. Wie aber sieht es beim normalen Mechaniker, Zahnarzt oder Ingenieur aus? Und wie bitte schön soll eine einfache Verkäuferin bei ALDI mit zwei Kindern ohne Selbstdisziplin zurechtkommen?

Hier kommt der ernste Peter Sloterdijk ins Spiel, der in „Du mußt dein Leben ändern“ das unpopuläre Projekt angeht, wenig angesagte Begriffe wie Übung, Disziplin, Tugend und Leistung mit Leben zu füllen. Sloterdijks Ziel ist es, „den Menschen als das Lebewesen zu enthüllen, das aus der Wiederholung entsteht“. Gerade durch ihren geregelten Tagesablauf schaffe es also die ALDI-Verkäuferin, alle ihre Aufgaben ordentlich zu erledigen. Durch Disziplin und Übung entsteht ein Immunsystem, was gegen die Verführungen des Alltags, den Schlendrian und Müßiggang, schützt, läßt uns der Karlsruher Philosoph wissen.

Der Mensch, das übende Wesen

Sloterdijk begeht jedoch nicht den Fehler, in Übung und Disziplin ein Allheilmittel zu sehen, denn auch Gewöhnlichkeit sei antrainiert. Der Mensch könne sich also durch Übung sowohl nach oben – zum Besseren – als auch durch Negativtraining zum Schlechteren entwickeln. Der Mensch ist damit anders als bei einigen Strukturalisten nicht von sämtlicher Verantwortung für sich selbst freigesprochen.

Übung – richtig eingesetzt – mache vielmehr den Meister. Wie diese „Aufschwünge ins Übergewöhnliche“ gelingen können, zeigt Sloterdijk an verschiedenen Künstlern, Intellektuellen und außergewöhnlichen Menschen. Er nennt sie Sezessionisten, die sich selbst neue, schwierigere Übungsformen gestellt haben. Der ohne Arme geborene Carl Herman Unthan (1848-1929) z.B. schaffte es mit einem unbändigen Übungswillen und viel Virtuosität mit den Füßen Geige zu spielen. Selbst körperlich Benachteiligte können also ihre Schwächen vielleicht sogar in phänomenale Stärken umwandeln.

Wer wagt die Sezession?

Anspruchslose Pseudo-Intellektuelle des Fabrikats Kathrin Passig, die immerhin schon mal den Ingeborg-Bachmann-Preis gewonnen hat, und Sascha Lobo hingegen zeigen, daß die Sezessionisten heute rar gesät sind. Auch Sloterdijk erkennt dies. Es gebe in unserer modernen, demokratischen Gesellschaft kein Recht mehr auf Absonderung, so der Philosoph.

Wenn dieses Recht nicht mehr besteht, müssen es sich die wahrhaft klugen Köpfe eben einfach ohne Rücksicht auf ihr soziales Renommee nehmen. Eitelkeiten sind derzeit nicht gefragt, denn es geht um viel zu viel. Für die Normalsterblichen gilt derweil: Schwierige Zeiten kurbeln die Konjunktur der Selbstdisziplin an und jeder ist in der Krise für seine geistige und körperliche Fitneß selbst verantwortlich. Bald wird daran niemand mehr zweifeln.

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samedi, 27 juin 2009

Citation de Chantal Delsol

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Citation de Chantal Delsol:

Trouvé sur: http://forumsoral.com/

Comme je suis anti-républicain, et donc plutôt fédéraliste, au même titre que Robert Steuckers ou l'Action Française fidèle à Charles Maurras, je vous laisse un morceau qui résume bien ce que j'ai envie de dire à Soral et de la république :

Chantal Delsol écrit : « La république n'accepte donc le débat démocratique qu'à l'intérieur des présupposés qui sont les siens. Et parce que ces présupposés sont assez précis et dessinent une figure du bien commun clairement déterminée, le champ du débat demeure toujours limité, voire exigu, en tout cas par rapport aux démocraties occidentales voisines. Dans la république française, la démocratie ne peut fonctionner seulement tant que les différents courants de pensée acceptent les présupposés républicains, et par là elle ne fonctionne jamais que sous une forme atténuée, puisque l'éventail des figures permises du bien commun est restreint. Si, pour des raisons diverses, un nombre significatif de citoyens récusent certains présupposés républicains et veulent exprimer cette récusation au nom de la démocratie, alors la république se trouve déstabilisée et sommée de donner une réponse à cette contradiction. Soit il lui faudra remettre en cause ses propres principes au nom de la démocratie, ce qui lui paraît impensable parce que ses valeurs sont sacralisées ; soit elle cherchera les moyens d'empêcher ces courants de s'exprimer, au nom de ses principes. La difficulté, dans ce deuxième cas, est qu'elle ne peut pas condamner ouvertement la démocratie pluraliste, faute de se voir rejetée dans le camp des ennemis de la liberté. La réponse à ce dilemme s'annonce tortueuse ».

http://www.polemia.com/article.php?id=109


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Ne serait-ce pas l'instinct de la crainte qui nous incite à connaître ? La jubilation de celui qui acquiert une connaissance ne serait-elle pas la jubilation même du sentiment de sentiment recouvré ? Friedrich Wilhelm Nietzsche

A review of "La convergence des catastrophes" by Guillaume Corvus

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A review of "La convergence des catastrophes" by Guillaume Corvus

"La convergence des catastrophes by Guillaume Corvus, Paris: Diffusion International, 2004, 221 pages

by Michael O'Meara

 


Part I


NEARLY THREE HUNDRED YEARS ago, the early scientistic stirrings of liberal modernity introduced the notion that life is like a clock: measurable, mechanical, and amenable to rationalist manipulation. This modernist notion sought to supplant the traditional one, which for millennia held that life is organic, cyclical, and subject to forces eluding ma"thematical or quantifiable expression. In this earlier view, human life was understood in terms of other life forms, being thus an endless succession of seasons, as birth, growth, decay, and death followed one another in an order conditioned by nature. That history is cyclical, that civilizations rise and fall, that the present system will be no exception to this rule -- these notions too are of ancient lineage and, though recognized by none in power, their pertinence seems to grow with each new regression of the European biosphere. With Corvus' Convergence des catastrophes, they assume again something of their former authority.

"For the first time in its history," Corvus writes, "humanity is threatened by a convergence of catastrophes." This is his way of saying that the 18th-century myth of progress -- in dismissing every tradition and value distinct to Europe -- is about to be overtaken by more primordial truths, as it becomes irrefutably evident that continued economic development creates ecological havoc; that a world system premised on short-term speculation and financial manipulation is a recipe for disaster; that beliefs in equality, individualism, and universalism are fit only for a social jungle; that multiculturalism and Third World immigration vitiate rather than re-vitalize the European homelands; that the extension of so-called republican and democratic principles suppress rather than supplant the popular will, etc. In a word, Corvus argues that the West, led by the United States, is preparing its own irreversible demise.


II


Though Convergence des catastrophes takes its inspiration from the distant reaches of the European heritage, its actual theoretical formulation is of recent origin. With reference to the work of French mathematician René Thom, it first appeared in Guillaume Faye's L'archéofuturisme (Paris: L'aencre, 1998), arguably the most important work of the "new European nationalism." Indeed, those familiar his style and sentiments are likely to suspect that "Corvus" is Faye himself.

Anticipating today's "chaos theory," Thom's "catastrophe theory" endeavored to map those situations in which gradually changing circumstances culminate in abrupt systemic failure. Among its non-scientific uses, the theory aimed at explaining why relatively smooth changes in stock markets often lead to sudden crashes, why minor disturbances among quiescent populations unexpectedly explode into major social upheavals, or why the Soviet Union, which seemed to be surpassing the United States in the 1970s, fell apart in the 1980s. Implicit in Thom's catastrophe theory is the assumption that all systems -- biological, mechanical, human -- are "fragile," with the potential for collapse. Thus, while a system might prove capable of enormous expansion and growth, even when sustaining internal crises for extended periods, it can, as Thom explains, suddenly unravel if it fails to adapt to changing circumstances, loses its equilibrium, or develops "negative feedback loops" that compound existing strains.

For Corvus -- or Faye -- the liberal collapse, "the tipping point," looks as if it will occur sometime between 2010 and 2020, when the confluence of several gradually mounting internal failures culminate in something more apocalyptic. Though the actual details and date of the impending collapse are, of course, unpredictable, this, he argues, makes it no less certain. And though its effects will be terrible, resulting in perhaps billions of dead, the chaos and violence it promises will nevertheless prepare the way for a return to more enduring truths.


III


What is this system threatening collapse and what are the forces provoking it? Simply put, it is the technoeconomic system born of 18th-century liberalism -- whose principal exemplar has been the United States and Europe, but whose global impetus now holds most of the world in its grip.

Faye's work does not, however, focus on the system per se. There is already a large literature devoted to it and, in several earlier works, he has examined it at length. The emphasis in Convergence des catastrophes is on delineating the principal fault lines along which collapse is likely to occur. For the globalization of liberal socioeconomic forms, he argues, now locks all the world's peoples into a single complex planetary system whose fragility increases as it becomes increasingly interdependent. Though it is difficult to isolate the catastrophes threatening it (for they overlap with and feed off one another), he believes they will take the following forms:


1. The cancerization of the social fabric that comes when an aging European population is deprived of its virile, self-confident traditions; when drug use, permissiveness, and family decline become the norm; when a dysfunctional education system no longer transmits the European heritage; when the Culture Industry fosters mass cretinization; when the Third World consolidates its invasion of the European homelands; and, finally, when the enfeebling effects of these tendencies take their toll on all the other realms of European life.

2. The worsening social conditions accompanying these tendencies, he predicts, will be exacerbated by an economic crisis (or crises) born of massive indebtedness, speculation, non-regulation, corruption, interdependence, and financial malpractices whose global ramifications promise a "correction" more extreme than that of the 1930s.

3. These social and economic upheavals are likely to be compounded by ecological devastation and radical climatic shifts that accelerate deforestation and desiccation, disrupt food supplies, spread famine and disease, deplete natural resources (oil, along with land and water), and highlight the unsustainability of the world's present overpopulation.

4. The scarcity and disorders these man-made disasters bring will not only provoke violent conflicts, but cause the already discredited state to experience increased paralysis, thus enhancing the prospect of global chaos, especially as it takes the form of strife between a cosmopolitan North and an Islamic South.


These catastrophes, Faye argues, are rooted in practices native to liberal modernity. For the globalization of Western civilizational forms, particularly American-style consumerism, has created a latently chaotic situation, given that its hyper-technological, interconnected world system, dependent on international trade, driven by speculators, and indifferent to virtually every non-economic consideration, is vulnerable to a diverse range of malfunctions. Its pathological effects have indeed already begun to reach their physical limit. For once the billion-plus populations of India and China, already well embarked on the industrializing process, start mass-producing cars, the system will simply become unfit for human habitation. The resource depletion and environmental degradation that will follow are, though, only one of the system's tipping points.

No less seriously, the globalizing process creates a situation in which minor, local disputes assume planetary significance, as conflicts in remote parts of the world are imposed on the more advanced parts, and vice versa. ("The 9/11 killers were over here," Pat Buchanan writes, "because we were over there.") In effect, America's "Empire of Disorder" is no longer restricted to the periphery, but now threatens the metropolis. Indeed, each new advance in globalization tends to diminish the frontier between external and internal wars, just as American-sponsored globalization provokes the terrorism it ostensibly resists. The cascading implication of these developments have, in fact, become strikingly evident. For instance, if one of the hijacked Boeings of 9/11 had not been shot down over Pennsylvania and instead reached Three Mile Island, the entire Washington-New York area would have been turned into a mega-Chernobyl -- destroying the U.S. economy, as well as the global order dependent on it. A miniature nuke smuggled into an East Coast port by any of the ethnic gangs specializing in illegal shipments would have a similar effect. Revealingly, speculation on such doomsday scenarios is now seen as fully plausible.

But even barring a dramatic act of violence, catastrophe looms in all the system's domains, for it is as much threatened by its own entropy (in the form of social-racial disorder, economic crisis, and ecological degradation), as it is by more frontal assaults. This is especially the case with the global economy, whose short-term casino mentality refuses the slightest accountability. Accordingly, its movers and shakers think nothing of casting their fate to fickle stock markets, running up bankrupting debts, issuing fiat credit, fostering a materialistic culture of unbridled consumption, undermining industrial values, encouraging outsourcing, de-industrialization, and wage cutting, just as they remain impervious to the ethnocidal effects of international labor markets and the growing criminality of corporate practices.


IV


Such irresponsible behaviors are, in fact, simply another symptom of the impending crisis, for the system's thinkers and leaders are no longer able to distinguish between reality and their virtualist representation of it, let alone acknowledge the folly of their practices. Obsessed with promoting the power and privileges sustaining their crassly materialist way of life and the progressive, egalitarian, and multicultural principles undergirding the global market, they see the world only in ways they are programmed to see it. The ensuing "reality gap" deprives them, then, of the capacity both to adapt to changing circumstances or address the problems threatening the system's operability. (The way the Bush White House gathers and interprets "intelligence," accepting only that which accords with its ideological needs, is perhaps the best example of this). In this spirit, the system's leaders tirelessly assure us that everything is getting better, that new techniques will overcome the problems generated by technology, that unbridled materialism and self-gratification have no costs, that cultural nihilism is a form of liberation, that the problems caused by climatic changes, environmental degradation, overpopulation, and shrinking energy reserves will be solved by extending and augmenting the practices responsible for them. These dysfunctional practices are indeed pursued as if they are crucial to the system's self-legitimacy. Thus, at the very moment when the system's self-corrective mechanisms have been marginalized and the downhill slide has become increasingly immune to correction, the charlatans, schemers, and careerists in charge persist in propagating the belief that everything is "hunky-dory."

Karl Marx spilt a great deal of ink lambasting ideologues who thought capitalism arose from natural principles, that all hitherto existing societies had preordained the market's triumph, or that a social order subordinate to economic imperatives represented the highest stage of human achievement. Today, the "new global bourgeoisie" gives its euronationalist critics even greater cause for ridicule. Paralyzed by an ideology that bathes itself in optimistic bromides, the system's rulers "see nothing and understand nothing," assuming that the existing order, in guaranteeing their careers, is a paragon of civilizational achievement, that the 20,000 automobiles firebombed every year in France by Muslim gangs is not sign of impending race war, that the non-White hordes ethnically cleansing European neighborhoods will eventually be turned into peaceful, productive citizens, that the Middle East will democratize, that the spread of human rights, free-markets, and new technologies will culminate in a consumer paradise, that limitless consumption is possible and desirable, that everyone, in effect, can have it all.

Nothing, Faye argues, can halt the system's advance toward the abyss. The point of no return has, indeed, already been passed. Fifteen years of above average temperatures, growing greenhouse gases, melting ice caps, conspicuous biological deterioration, and the imminent peaking of oil reserves, combined with an uncontrolled Third World demographic boom, massive First World indebtedness, social policies undermining the state's monopoly on our loyalties, and a dangerous geopolitical realignment -- each of these potentially catastrophic developments is preparing the basis of the impending collapse. Those who think a last minute international agreement will somehow save the day simply whistle pass the graveyard. Washington's attitude (even more pig-headed than Beijing's) to the modest Kyoto Accords -- which would have slowed down, not halted greenhouse emissions -- is just one of the many signs that the infernal machine cannot be halted. The existing states and international organizations are, in any case, powerless to do anything, especially the sclerotic "democracies" of Europe and United States, for their corrupt, short-sighted leaders have not the slightest understanding of what is happening under their very noses, let alone the will to take decisive action against it. Besides, they would rather subsidize bilingual education and Gay Pride parades (or, on the conservative side, ban Darwin) than carry out structural reforms that might address some of their more glaring failures. For such a system, the sole solution, Faye insists, is catastrophe.


V


The ecological, economic, demographic, social, civilizational, and geopolitical cataclysms now in the process of converging will bring about the collapse of liberalism's technoeconomic civilization. In one of the most striking parts of his book, Faye juxtaposes two very different TV images to illustrate the nature of the present predicament: one is of a troubled President Bush, whose Forest Gump antics left him noticeably perplexed on 9/11; the other is of the traditionally-dressed, but Kalachinokov-bearing Bin Laden, posing as a new Mohammed, calmly and confidently proclaiming the inevitable victory of his rag-tag jihadists. These two images -- symbolizing the archaic violence that promises to disturb the narcoticized sleep of a sickened modernity -- sum up for Faye the kind of world in which we live, especially in suggesting that the future belongs to militant traditionalists rooted in their ancestral heritage, rather than high-tech, neo-liberal "wimps" like Bush, who are alienated from the most elementary expressions of Europe's incomparable legacy.

Though rejecting liberalism's monstrous perversion of European life, Faye does so not as a New Age Luddite or a left-wing environmentalist. He argues that a technoeconomic civilization based on universalist and egalitarian principles is a loathsome abnormality -- destructive of future generations and past accomplishments. But while rejecting its technological, bureaucratic, cosmopolitan, and anti-White practices, he fully accepts modern science. He simply states the obvious: that the great technological and economic accomplishments of Europe cannot be extended to the world's six billion people -- let alone tomorrow's ten billion -- without fatal consequence. For this reason, he predicts that science and industry in a post-catastrophe world will have no choice but to change, becoming the province of a small elite, not the liberal farce that attempts to transform all the world's peoples into American-style consumers. Similarly, Faye does not propose a restoration of lost forms, but rather the revitalization of those ancient spirits which might enable our children to engage the future with the confidence and daring of their ancestors. Thus, as befits a work of prophecy, Faye's survey of the impending tempests aims at preparing us for what is to come, when the high flood waters and hurricane winds clear away the system's ethnocidal illusions and create the occasion for another resurgence of European being. It aims, in a word, at helping Europeans to resume the epic course of their history.


[Michael O'Meara, Ph.D., studied social theory at the Ecole des Hautes Etudes in Sciences Sociales and modern European history at the University of California. He is the author of New Culture, New Right: Anti-Liberalism in Postmodern Europe (2004)]

Source:
http://foster.20megsfree.com/index_en.htm

vendredi, 26 juin 2009

Volksgemeenschap en persoon: niet tegengesteld maar aanvullend!

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Volksgemeenschap en persoon: niet tegengesteld maar aanvullend!

Men mag de volksgemeenschap niet voorstellen als een amalgaam van los en onafhankelijk staande leden, die hun individuele vrijheden en voorrechten willen vrijwaren door aaneen te sluiten en elkaar te beschermen. De volksgemeenschap is een natuurlijk verbond, gegrond op eenzelfde complex van aanleg en daarom gericht op eenzelfde goed. Zij is een hogere streefeenheid, waarin de door bloed en karakter gelijkgeschakelde individuen organisch zijn ingeschakeld om, in de mate van hun persoonlijk vermogen, het algemene goed, dat ook het goed is van iedereen, te beveiligen en te doen aangroeien. Deze nieuw-solidaristische opvatting van de volksgemeenschap legt de nadruk op de collectieve streefeenheid naar het nationale goed gericht, maar laat voldoende ruimte aan de ingeschakelde individuele persoonlijkheid.

De gemeenschap bestaat niet om zichzelf, als een godheid die, zoals het communisme het voorhoudt, het individu naar willekeur mag knevelen en opslorpen, een Moloch waaraan tenslotte alle persoonlijkheid en ieder persoonlijk levensbelang onmeedogend worden opgeofferd. Politiek links heeft het in naam van het egalitarisme, nog steeds uiterst moeilijk met de natuurlijke ongelijkheid tussen personen. Evenmin dient de gemeenschap louter en alleen om, volgens de liberale opvatting, de individuele rechten, voorrechten en vrijheden te beschermen, zonder medelijden met de nood van de zwakkere, zonder kommer om het volksbelang, zonder plichten tegenover de gemeenschap. Een opvatting die nog steeds zeer populair is ter rechtse politieke zijde, en waaraan nep-solidaristen maar al te graag hand- en spandiensten aan leveren. Noch het liberalisme, met zijn individualisme, noch het communisme, met zijn verwoesting door opslorping van de persoonlijkheid, kunnen het vraagstuk dat zich stelt oplossen. De oplossing dient gezocht te worden in een wisselwerking tussen de enkeling en de gemeenschap. Een ware Derde Weg dus!

De gemeenschap is gegroeid uit de menselijke behoefte aan ruimere, bestendige steun in een georganiseerde collectiviteit, om door middel van gebundelde krachten de individuele ontplooiing mogelijk te maken. De gemeenschap bestaat omwille van de persoon. Anderzijds kan de individuele persoon zijn levensdoel niet bereiken zonder voortdurende en aanvullende hulp van de gemeenschap. Beide zijn volkomen met elkaar verbonden : de gemeenschap leeft voor de enkeling en deze voedt zich aan de gemeenschap. Hier raken we aan de personalistische basis die ontegensprekelijk in het nieuw-solidarisme aanwezig is. Niettemin heeft dit personalisme het ideale alibi verschaft aan nep-solidaristen (voornamelijk ter christen-democratische en rechts-nationale zijde) om zich in te nestelen in het naoorlogse neocorporatistische systeem en uiteindelijk zelfs de (neo)liberale kritieken erop te gaan ondersteunen! Wat de personalisten betreft, heeft een persoon er dus alle belang bij dat de gemeenschap wordt uitgebouwd en gevrijwaard blijft van verval en vernietiging. Als de enkeling de gemeenschap nodig heeft, dan begrijpt hij dat het eigenbelang hem dwingt tot dienstbaarheid tegenover een organisme waarvan zijn individuele volmaking afhankelijk is. En zo komen sommige sujetten die zichzelf rechtse “solidaristen” noemen in het vaarwater van het ‘welbegrepen eigenbelang’ op het einde van Guy Verhofstadts tweede brief aan de andersglobalisten (november 2003).

Uit dit besef wordt bij de enkeling het gemeenschapsgevoel geboren, een gevoel van samenhorigheid en dienstwillige erkentelijkheid ten overstaan van de hogere eenheden waartoe hij behoort, namelijk de gezinsgemeenschap, de beroepseenheid, de bedrijfsgemeenschap en de volksgemeenschap. Het individuele persoon kan z’n levensopgang slechts maken met de hulp van de gemeenschap. Het gezond individualisme (dat in schril contrast staat met het door liberale krachten gepropageerde individualisme), als begin van alle activiteit, wordt tegelijk aan het welzijn van enkeling en collectiviteit dienstbaar gemaakt. Het nieuw-solidarisme pleit dus hoegenaamd niet voor een totalitaire Staat waar dwang, terreur en bureaucratische starheid de persoon in de pas dwingen. Integendeel, het is het nieuw-solidarisme erom te doen een maatschappij na te streven waarin een voluntaristisch klimaat heerst waarbij de individuele persoon zelf aan de slag gaat om de nieuwe maatschappij en de nieuwe ordening tegemoet te werken. Geen passieve afwachtende houding dus, maar een plicht tot initiatief en vernieuwing in de geest van het nieuw-solidarisme, vrij en losgekomen van de oude gedachten en vormen, waaronder de “oud-solidaristische”!

jeudi, 25 juin 2009

La tyrannie de l'horloge

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La tyrannie de l'horloge

Ex: http://frontalternationaliste.hautetfort.com/

"En aucun domaine, les sociétés occidentales existantes ne se distinguent des sociétés antérieures, qu’elles soient européennes ou orientales, que dans celui de la conception du temps. Pour le Chinois ou le Grec anciens, pour le berger arabe ou le paysan mexicain d’aujourd’hui, le temps est représenté par le cours cyclique de la nature, l’alternance du jour et de la nuit, le passage de saison en saison. Les nomades et les agriculteurs mesuraient et mesurent encore leurs jours depuis le lever jusqu’au coucher du soleil et leurs années en fonction du temps de la semence et du temps de la récolte, de la chute des feuilles et de la fonte des neiges dans les lacs et rivières.

Le paysan travaillait en fonction des éléments, l’artisan tant qu’il pensait nécessaire de perfectionner son produit. Le temps était perçu à l’intérieur d’un processus de changement naturel et les hommes n’étaient pas intéressés par son décompte exact. C’est pourquoi des civilisations hautement développées sous d’autres aspects usaient des moyens les plus primitifs pour mesurer le temps : le sablier avec son filet de sable ou d’eau, le cadran solaire inutilisable par temps couvert et la bougie ou la lampe dont la partie non consumée d’huile indiquait les heures. Tous ces dispositifs étaient approximatifs et inexacts, qui plus est, rendus souvent peu sûrs par les aléas météorologiques ou la paresse de l’approvisionneur. Nulle part dans le monde antique ou médiéval, il n’y eut plus d’une petite minorité d’hommes concernée par le temps en terme d’exactitude mathématique.

L’homme moderne occidental vit toutefois dans un monde régi par les symboles mathématiques et mécaniques du temps de l’horloge. L’horloge dicte ses mouvements et domine ses actions. L’horloge transforme le temps, de processus naturel qu’il était, en marchandise, qui peut être quantifiée, achetée et vendue comme de la soupe et du raisin. Et, parce que sans quelques moyens de garder l’heure exacte, le capitalisme industriel n’aurait jamais pu se développer et ne pourrait continuer à exploiter les travailleurs, l’horloge représente un élément de tyrannie mécanique dans la vie des hommes modernes, plus puissant que n’importe quelle autre machine."

George Woodcock

De l'humanisme italien au paganisme germanique: avatars de la critique du christianisme dans l'Europe moderne et contemporaine

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

De l'humanisme italien au paganisme germanique: avatars de la critique du christianisme dans l'Europe moderne et contemporaine

 

Robert STEUCKERS

Conférence prononcée au Palais des Congrès d'Aix-en-Provence le 12 janvier 1997, à l'invitation de l'association Yggdrasil

 

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers amis et camarades,

 

Le premier cadre unificateur solide qu'a connu la civilisation européenne reste l'empire romain, qui a d'abord été repris en mains par les Francs, puis par la Nation Germanique, mais flanqué d'une institution parallèle se réclamant elle aussi, dans une certaine mesure, de la “forme romaine”: l'Eglise catholique. De la chute de Rome à l'émergence des Etats nationaux à partir de la Renaissance, l'écoumène européen est un mixte complexe de romanité, de germanité et de christianisme, avec des apports importants, négligés jusqu'ici par l'historiographie ouest-européenne, mais étudiés en profondeur en Europe slave: ces apports sont la religiosité celtique déformée par les moines missionnaires irlandais et les “mystères pontiques”, nés sur le pourtour de la Mer Noire, liés à l'antique Iran avestique. C'est ce leg scythe-sarmate-iranien qui aurait transmis l'idéal (ou certains idéaux) de la chevalerie médiévale. Mais quand cesse de fonctionner plus ou moins harmonieusement cette synthèse qui a dominé vaille que vaille des Mérovingiens à Louis XI, à Charles le Hardi (dit le “Téméraire” en France) et à Maximilien de Habsbourg, quelques représentants de la pensée européenne entendent opérer un retour aux origines les plus vierges de l'européité.

 

Quels textes vont-ils être sollicités pour retourner aux sources les plus anciennes de l'Europe? Sources qui précèdent évi­demment la christianisation. Ces textes sont les seuls qui évoquent une Europe non marquée par les routines et les travestis­sements de la civilisation romaine ou chrétienne, non marquée par ses étiquettes et ses hypocrisies. Pour les humanistes du XVième siècle italien qui entendent retrouver une vigueur vitale simple derrière la rigueur compliquée et figée des étiquettes (celles des cours et, en particulier, de la Cour des Ducs de Bourgogne) ou qui entendent renouer avec une notion de liberté publique et civique pour faire face aux premières manifestations de l'absolutisme royal, le modèle de l'Europe pré-romaine et “pré-civilisée” est celle des peuples germaniques de l'antiquité. Ceux-ci ont gardé en eux les vertus simples et efficaces des premiers Romains, disent nos humanistes de la Renaissance. En 1441, l'historien italien Leonardo Bruni, qui s'inscrit dans une perspective républicaine au sens vieux-romain et germanique du terme, redécouvre les textes latins sur les Goths, no­tamment ceux de Procope de Césarée. C'est lui qui donne le coup d'envoi à l'“humanisme gothique”, qui poursuivra sa trajec­toire jusqu'à Vico et Montesquieu, fondera le nationalisme des Allemands, des Scandinaves et des Flamands et débouchera sur les spéculations et les communautés “völkische” de toutes tendances qui ont vu le jour dans le sillage des mouvements de jeunesse du début de notre siècle.

 

En 1453, un autre humaniste italien, Enea Silvio Piccolomini, rédige quelques réflexions sur le De origine actibusque Getarum  de Jordanès, permettant aux érudits de mieux connaître les origines des peuples germaniques. En 1470, à Venise, grâce à la nouvelle technique de l'imprimerie, Vindelino da Spira (Windelin von Speyer), réédite la Germania de Tacite, qui devient du même coup l'ouvrage de référence de tous ceux qui revendiquent une idéologie à la fois républicaine (au sens vieux-romain du terme) et communautaire, donnant à la représentation populaire une place cardinale dans la vie politique, les assemblées d'hommes libres se plaçant au-dessus des monarques. Avant cette réédition de la Germania  de Tacite, le texte n'était acces­sible qu'à une poignée de privilégiés, dans les bibliothèques des monastères; désormais, il est accessible à un grand nombre de lettrés. Les peuples germaniques n'apparaissent plus systématiquement comme des barbares cupides et violents qui avaient pillé Rome en 410 (ou en 412 comme on le croyait à l'époque). L'humaniste Flavio Biondo, entre 1438 et 1453, après avoir réhabilité prudemment la figure du Roi ostrogoth Théodoric, analyse les causes de la décadence de Rome: elles se ra­mènent pour l'essentiel à l'amenuisement des vertus républicaines, à l'abandon de la souveraineté populaire au profit d'un monarque isolé. Flavio Biondo anticipe ainsi Machiavel, fondateur d'une idéologie républicaine, fondée sur la virtù  politique, héritée de la Rome la plus ancienne.

 

Ce rappel de l'œuvre des premiers humanistes de la Renaissance italienne nous montre que le recours à une antiquité pré-chrétienne et païenne, en l'occurrence la Germanie non romanisée,  est une revendication républicaine, hostile à l'absolutisme et aux démarches de type théocratique. Il faut ajouter que le travail de Biondo ne participe nullement d'un primitivisme qui po­serait ante litteram  les Germains de Tacite comme de “bons sauvages” non exotiques. Biondo est anti-primitiviste: il ne veut pas d'une sympathique anarchie pastoraliste mais, au contraire, promouvoir un ordre non décadant: son Théodoric n'est dès lors pas décrit comme un barbare vertueux et inculte, qui végète sans orgueil dans une simplicité rustique, mais un Roi cultivé et efficace, qui consolide son pouvoir, administre ses Etats et restaure en Italie une Rome dans ses principes premiers, c'est-à-dire dans des principes antérieurs à la décadence, qu'il est capable d'imposer parce que, roi germanique, il a conservé les vieilles vertus romaines qui sont les vertus germaniques de son temps. Le Théodoric de Biondo est un Prince “humaniste”, qui annonce le Prince fictif de Machiavel, dont l'influence sur la science politique et la philosophie de l'Etat n'est pas à démontrer.

Reprocher aujourd'hui à des chercheurs de recourir à des passés anciens pour retrouver les principes premiers d'une com­munauté politique ou les fondements du droit, et considérer dans le même temps que ces reproches se justifient au nom d'une “idéologie républicaine”, est une contradiction majeure. Ne peuvent être considérés comme républicains au plein sens du terme que ceux qui n'ont de cesse de retourner aux principes premiers de l'histoire politique de leur peuple. Les autres traves­tissent en républicanisme leur autoritarisme ou leur théocratisme (qui est et demeure théocratisme même quand ils baptisent “Dieu”, “Logos”).

 

Enea Silvio (Æneas Silvius) Piccolomini, spécialiste des Goths et d'abord chancelier de l'Empereur germanique Frédéric III puis Pape sous le nom de Pie II (de 1458 à 1464), rejette explicitement le primitivisme et demande aux humanistes et érudits de ne pas interpréter la Germania  de Tacite dans un sens pastoraliste et primitiviste, ce qui reviendrait à rejeter tous les ap­ports de la civilisation, quels qu'ils soient. Polémiquant avec Martin Mayer (ou Mair) de Mayence, qui interprète Tacite au pied de la lettre et voit ses ancêtres chattes, suèves ou alamans comme de bons bergers idylliques, Piccolomini parie au contraire pour la Germanie de son temps, avec ses richesses, ses fabriques, ses industries, son agriculture, dont la Flandre et le Brabant sont les plus beaux joyaux. Cette Germanie élargie aux anciennes provinces romaines limitrophes (Belgica, Helvetia, Rhætia, Pannonia) doit sa prospérité matérielle et ses richesses culturelles à une vertu que Tacite avait bien mise en exergue: la liberté. Dans ses textes métapolitiques relatifs au monde germanique, en dépit de sa position de Chancelier impérial et de futur Pape, Piccolomini est donc un républicain, au même titre que Biondo et, plus tard, Machiavel. La liberté germanique est une vertu politique dans le sens où elle octroie à tous ses ressortissants des droits garantis, permettant le libre déploiement de leurs talents personnels. La liberté de Piccolomini n'est donc pas une “innocence” ou une “inactivité” mais un tremplin vers des réalisations sociales, politiques et économiques concrètes. Cette liberté-là, qui libère quantité de potentialités positives, doit être imitée par tous les Européens de son temps, pense-t-il, doit sortir de cette Germanie, qui est en charge de la dignité impériale depuis la translatio imperii ad Germanos. Depuis cette translatio,  les Germains sont “Romains” au sens politique du terme. Et comme ils sont les porteurs de l'impérialité, ils sont davantage “romains” que les Italiens du temps de Piccolomini. C'est derrière leur bannière que les peuples d'Europe doivent se ranger, écrit le futur Pie II, pour barrer la route à la puissance ottomane, qui, elle, n'est en rien “romaine” à ses yeux.

 

Ces réflexions sur la “pureté primitive” des Germains de Tacite, sur la notion germanique de liberté et sur l'impérialité mili­taire des Germains amènent Piccolomini à rédiger en 1458, quelques mois avant d'accéder à la dignité pontificale, un mani­feste européen, intitulé De Europa,  où la Germanie est décrite comme le centre de gravité géographique d'une Europe qui doit s'apprêter à affronter rapidement l'Empire ottoman, pour ne pas succomber sous ses coups. Piccolomini meurt en 1464, très désappointé de ne pas avoir été écouté et de ne pas avoir vu l'Europe entière unie autour de l'Empereur et du Saint-Siège, pour faire face en Méditerranée et dans les Balkans à la puissance ottomane. L'œuvre de Piccolomini, le futur Pape Pie II, est donc intéressante à plus d'un titre, car:

- elle autorise la référence constante aux racines les plus anciennes de l'Europe;

- elle fait de la liberté civique/populaire la vertu cardinale du politique;

- elle rejette les interprétations primitivistes qui sont politiquement incapacitantes (et refuse sans pitié les “germanismes” primitivistes);

- elle réinscrit ce double recours aux racines et à la liberté populaire dans un cadre géopolitique européen, dont les fondements n'apparaissent plus comme exclusivement chrétiens, mais comme consubstantiels à la population majoritaire du centre de l'Europe. 

 

Face à la “correction politique” que certains cénacles tentent d'imposer en France et ailleurs depuis deux décennies, il m'apparaît bon de méditer l'œuvre de ces humanistes et de ce Pape géopolitologue. En effet, les officines “politiquement cor­rectes”, en décrivant ces recours comme des avatars plus ou moins maladroits du nazisme, ignorent et rejettent le travail positif des humanistes et des érudits italiens du début de la Renaissance, qui s'apprêtaient à relancer dans le débat politique européen la notion de liberté républicaine, une liberté féconde pour les arts et l'industrie. Comment expliquer la réticence de ces cénacles français contemporains, qui se disent “républicains”, mais se montrent hostiles à la démarche intellectuelle, philologique, qui a réhabilité le républicanisme de la Vieille Rome, mis en évidence les vertus germaniques “primitives” et l'idée de liberté? Parce que dans la France du 16ième siècle, le recours aux racines germaniques, franques en l'occurrence, de l'histoire française n'est pas un recours à la liberté populaire, mais une justification du pouvoir franc sur le substrat démo­graphique “gallo-romain” ou “celto-ligure”. Ou du moins est-il perçu comme tel. La notion de “liberté” des humanistes et éru­dits italiens est en revanche une notion plus vaste, ne faisant pas référence à la conquête d'un territoire par une ethnie guer­rière dominante qui s'attribuera des franchises, mais à un principe général d'autonomie des communautés politiques, qu'il s'agit de conserver pour libérer des énergies positives. Le cas de la Gaule envahie par les Francs de souche germanique n'est pas un cas susceptible d'être généralisé à l'Europe entière.

 

De Machiavel à Vico, de Vico à Montesquieu, la notion de liberté est défendue et illustrée par des exemples tirés des sources latines classiques relative au monde germanique. Quand la France entre dans l'ère républicaine à partir de 1789, les roman­tiques allemands, libertaires se réfèrant à la vision idyllique de la Germanie primitive, adhèrent avec enthousiasme aux idées nouvelles. Mais ils déchantent très vite quand se déchaîne la Terreur et s'installe la Convention. Ainsi, le poète Friedrich Gottlieb Klopstock rédige en 1794 un poème appelant à une “guerre chérusque” contre une France qu'il juge faussement “républicaine”, au nom de ses propres valeurs républicaines. Dans cet appel guerrier, il invoque la puissance des dieux et des déesses de l'ancienne Germanie: Hlyn, Freya, Nossa, Wodan, Thor et Tyr. Dans ce texte, les dieux de l'Edda ne sont encore que des ornements poétiques. Pour Klopstock, la France a retrouvé brièvement sa liberté, a incarné par sa Révolution l'idéal multiséculaire de cette liberté germanique, mais elle s'en est très vite détournée. La seconde vague des révolutionnaires a trahi l'idée sublime de liberté que Montesquieu avait défendue et n'a pas davantage réalisé l'idéal de Thomas Jefferson qui voulait que le sceau du nouvel Etat nord-américain invoquât “les enfants d'Israël” d'une part, biblisme oblige, mais aussi les fi­gures de “Hengist et Horsa, chefs saxons, dont les Anglais descendaient et dont les nouveaux citoyens des Etats-Unis de­vaient défendre les principes politiques et reprendre les modes de gouvernement”. On le voit, dans un premier temps, le re­cours à la liberté germanique n'exclut pas les références à l'héritage biblique, mais, dans un deuxième temps, les figures de la Bible disparaissent et les spéculations idéologico-politiques se portent sur les dieux païens de l'antiquité germanique. Plusieurs facteurs ont provoqué cet infléchissement vers le passé le plus lointain de l'Allemagne ou de la Scandinavie, fac­teurs que nous retrouvons ultérieurement dans presque toutes les références habituelles aux paganismes que l'on énonce en Europe et en Amérique du Nord:

- premier facteur, l'idée de la relativité historique des cultures, véhiculée dans le sillage des travaux philosophiques de Herder;

- deuxième facteur, issu directement de l'idéologie des Lumières: la critique du cléricalisme qui entraîne une critique des missions chrétiennes de l'époque carolingienne. Le catholicisme d'abord, puis le christianisme en général, sont accusés d'avoir oblitéré la liberté germanique et d'avoir, via l'augustinisme, introduit un “courant doloriste”, dans la pensée européenne, rejetant et condamnant ce “bas-monde” imparfait en espérant le ciel, dévalorisant les cités terrestres au profit d'une hypothé­tique “Jérusalem céleste”. Les Romantiques, les vitalistes et les néo-païens rejettent instinctivement un courant fort complexe qui part d'Augustin pour retrouver les flagellants du Moyen Age, pour revenir sous d'autres formes chez les Puritains de Cromwell et chez les Jansénistes français, et, enfin, pour aboutir à certains “Républicains” français athées ou agnostiques, mais fascinés par les concepts géométrisés des Lumières, qu'ils opposent à toutes les turbulences de la vie des peuples, ju­gées comme des imperfections qu'il faut effacer pour “perfectionner” le monde.

 

Herder, bien que pasteur protestant, critique modérément les conversions forcées du Nord de l'Europe, mais, si ses critiques sont furtives, à peine perceptibles dans son œuvre, sa notion de la relativité des cultures et sa revalorisation des aurores cul­turelles font des disciples au langage plus idéologique, moins nuancé et plus programmatique. Ainsi, en 1802, le Conseiller d'Etat prussien Wilhelm Reynitzsch publie à Gotha un ouvrage qui donne véritablement le coup d'envoi aux futures spécula­tions “völkisch” (folcistes) et celtisantes, d'autant plus qu'il confond encore allègrement Celtes et Germains, druides et scaldes.  Son ouvrage, tissu de spéculations imprécises sur les Celtes et les Germains, est à l'origine de toutes les futures renaissances païennes, de factures germanique et celtique. Le livre de Reynitzsch est le premier à introduire des thématiques folcistes qui apparaîtront et réapparaîtront sans cesse ultérieurement. Ces thématiques sont les suivantes:

1. Les anciens Germains avaient une religion originelle monothéiste, dont le dieu était Tus ou Teut, force spirituelle des ori­gines, dont ils ne pouvait ni sculpter ni peindre ni dessiner les traits. Cette thématique montre que le clivage entre mono­théisme et polythéisme, vulgarisé par Bernard-Henry Lévy et Alain de Benoist, est historiquement plus récent et ne recoupe par nécessairement le clivage paganisme/christianisme.

2. Odin (Vodha) est un prophète divinisé qui aurait vécu vers 125 av. J.C. parmi le peuple des Goths dans les plaines de l'actuelle Russie ou de l'actuelle Ukraine et qui aurait apporté savoir et sagesse aux Germains de l'Ouest. Odin aurait pér­égriné en Europe, accompagné par ses compagnons, les Ases, et par sa femme, Freya. L'idée d'un Odin historique puis divi­nisé, chez Reynitzsch, vise clairement à remplacer le Christ par cette figure du dieu borgne et inquiétant dans l'imaginaire re­ligieux des Allemands.

3. Reynitzsch est quasiment le premier à ne plus dévaloriser les anciennes croyances, il leur octroie un statut de naturalité qu'il oppose aux doctrines, non naturelles, des “prêtres romains” (catholiques).

4. Reynitzsch veut fusionner ces croyances antiques avec le rationalisme du 18ième siècle, rattachant de la sorte son néo-pa­ganisme au filon de l'idéologie des Lumières, ce qui ne sera plus le cas pour les néo-paganismes des années 20 et 30.

5. La christianisation est responsable de l'oppression des femmes (thème féministe), du déclin des anciennes coutumes (thèmes de la décadence et de la déperdition des énergies), de la servilité des Européens devant l'autorité (thème libertaire), de l'irrationalité et de la superstititon (thème anticlérical).

 

Reynitzsch appartient nettement à la tradition de l'Aufklärung et du rationalisme anticlérical. Ce haut fonctionnaire prussien est manifestement un disciple tardif de Voltaire et de son protecteur Frédéric II. Peu d'intellectuels allemands de son temps le sui­vront et l'on verra apparaître davantage, chez les nationalistes anti-napoléoniens, l'idée d'un “christianisme germanique” dur, chevaleresque et guerrier (ein Gott, der Eisen wachsen ließ, der duldet keine Knechte...), hérité plutôt du poème épique Heliand  (le Sauveur), répandu en Germanie dans le haut moyen âge pour favoriser la conversion des autochtones: le Christ devait apparaître comme un preux guerrier et non pas comme un messie souffrant et humble.

 

En Scandinavie, en revanche, la thématique de l'affrontement entre christianisme et paganisme se propage plus distinctement par l'action d'une “Ligue gothique”, née en 1809. Le théologien danois Nicolai Frederik Severin Grundtvig rédige Nordens Mytologi,  le livre de la mythologie nordique qui réhabilite totalement l'histoire pré-chrétienne du Danemark, pays où le sys­tème d'éducation ne tracera plus une ligne de démarcation entre un passé pré-chrétien systématiquement dévalorisé et une ère chrétienne systématiquement survalorisée. Mais Grundtvig, qui est pasteur, tente de réconcilier christianisme et paga­nisme, où le “Père” Odin, l'Allvater  Odin, est, dit-il, le père véritable, charnel et inconnu de Jésus Christ!

 

Après les guerres napoléoniennes, sous la Restauration et à l'ère Metternich, les thématiques néo-païennes s'estompent, mais reviennent notamment en 1832 dans le mouvement nationaliste de gauche, pour revendiquer, via le recours aux antiqui­tés germaniques et à la mythologie néo-païenne, une république populaire allemande, soustraire à l'idéologie restaurative de l'ère Metternich. Ainsi, lors des fêtes de Hambach en 1832, à laquelle participent des Polonais, des Français et des Italiens, l'agitateur nationaliste-révolutionnaire Philipp Jakob Siebenpfeiffer invoque “Thuisko, le dieu des libres Germains”, pour qu'il bénisse la lutte du petit peuple opprimé contre les Princes et les Rois. Le Frison radical-démocrate et socialiste Harro Harring appelle les dieux anciens à la rescousse pour lutter contre le “Trône et l'Autel”. On le voit: les références païennes indiquent toujours à cette époque un engagement radicalement révolutionnaire et libertaire, qui n'a rien à voir avec une restauration contre-révolutionnaire des “archétypes”, comme l'affirme à tort toute une historiographie pseudo-marxiste.

 

Plus tard, en dépit du marxisme social-démocrate qui considère que tout discours ou toute spéculation religieuse relève de la “fausse conscience”, la mouvance socialiste allemande ne cesse de véhiculer des bribes de paganisme et de naturalisme, au moins jusqu'à la fondation du IIième Reich en 1871. A partir de ce moment-là, la sociale-démocratie évacue de son discours toutes les formes d'“irrationalismes”, incluant non seulement les références poétiques ou néo-païennes aux dieux antiques, germaniques ou gréco-romains, mais aussi, ce qui est plus surprenant et peut-être plus grave, les thématiques très concrètes et très quotidiennes de la bonne alimentation, de l'abstinence de tabac et d'alcool en milieux ouvriers, de l'habitat sain et sa­lubre (thématique majeure des socialistes “pré-raphaëlites” en Angleterre), de l'écologie et du respect de l'environnement na­turel, de l'hygiène en général (y compris l'hygiène raciale que l'on retrouvera “sotériologisée” dans certains discours racistes ou sociaux-darwinistes ), du naturisme (réhabilitation et libération du corps, FKK), etc.

 

Cette évacuation et cette transformation du mouvement socialiste en une pure machine électorale et politicienne va provoquer le divorce entre le néo-paganisme (et tous les autres réformismes “naturalistes”), d'une part, et le socialisme-appareil, d'autre part. Ce divorce est à l'origine du courant “völkisch” (folciste), qui n'est pas “à droite” au départ mais bel et bien dans le même camp que les pionniers du socialisme, Marx et Engels compris.

 

En 1878, le philosophe Paul de Lagarde publie son ouvrage programmatique Die Religion der Zukunft  (La religion de l'avenir). Il y développait la critique de l'“universalisation” du christianisme, qui allait entraîner la déperdition définitive de l'élan religieux dans le monde et plaidait en faveur de la réhabilitation des “religions nationales”, des élans de la foi partant d'un enracinement précis dans un sol, seuls élans capables de s'ancrer véritablement et durablement dans les âmes. Pour Paul de Lagarde, les religions locales sont dès lors les seules vraies religions et les religions universalistes, qui cherchent à quitter les lieux réels occupés par l'homme, sont dangereuses, perverses et contribuent finalement à éradiquer les vertus religieuses dans le monde.

 

Parallèlement à cette théologie du particulier s'insurgeant contre les théologies universalisantes, plusieurs autres idées s'incrustent dans la société allemande du 19ième siècle et finissent par influencer les cultures anglo-saxonnes, française et russe. Ces idées sont pour l'essentiel issues du bînome Schopenhauer-Wagner. Schopenhauer formule en un bref paragraphe de son ouvrage Parerga und Paralipomena  le programme de tous les néo-paganismes ultérieurs, surtout les plus extrémistes et les plus hostiles aux Juifs: «Nous osons donc espérer qu'un jour l'Europe aussi sera nettoyée de toute la mythologie juive. Le siècle est sans doute venu où les peuples de langues japhétiques [= indo-eur.] issus d'Asie récupéreront à nouveau les re­ligions sacrées de leur patrie: car, après de longs errements, ils sont enfin mûrs pour cela».  L'antisémitisme qui saute aux yeux dans cette citation n'est plus un antisémitisme religieux, qui accuse le peuple juif d'avoir réclamé à Ponce-Pilate la mort du Christ, mais un antisémitisme qui considère toutes les formes d'héritage judaïque, y compris les formes christianisés, comme un apport étranger inutile qui n'a plus sa place en Europe. La référence “japhétique” ou “indo-européenne” ne relève pas encore d'un “aryanisme” mis en équation avec le germanisme, mais est une référence explicite aux études indiennes et sanskrites. Le “japhétisme” de Schopenhauer est donc indianiste et non pas celtisant ou germanisant.

 

Wagner ne sera pas aussi radical, bien qu'on prétende souvent le contraire. Il opposera certes binairement un optimisme (progressiste) juif à un pessimisme “aryen”, mais il tentera, comme les nationalistes allemands qui n'avaient pas suivi Reynitzsch et comme le Danois Grundtvig, de réconcilier christianisme et paganisme, en ne cherchant qu'à se débarrasser de l'Ancien Testament. Autre thématique née dans les cercles wagnériens: Marie n'est pas une “immaculée conception” mais une fille-mère qui a donné la vie au fils d'un légionnaire romain (de souche européenne), reprenant là une vieille thématique des polémiques anti-chrétiennes du Bas-Empire, et édulcorant la position extrême de Grundvigt, pour qui Jésus était le fils du prophète gothique Odin! Pour Wagner comme pour Houston Stewart Chamberlain, le Nouveau Testament est donc le récit d'un prophète de souche européenne, que révèle au mieux l'Evangile de Jean car il met bien en évidence la quête permanente du divin dans la personne de Jésus de Nazareth, quête qui est une révolte contre la religion figée et étriquée des Pharisiens de l'époque, qui ne remettaient rien en question et ne confrontaient jamais leurs dogmes aux aléas du réel. 

 

A-t-on affaire ici à de pures spéculations nées dans des cercles repliés sur eux-mêmes, qui connaissent un certain succès de mode mais ne touchent pas la majorité de la population? Oui et non. Ces spéculations ne naissent pas dans des cerveaux imaginatifs. Elles sont le produit des sciences humaines du 19ième siècle, où l'historicisme, l'éthique et la rationalisation pro­gressent et font du christianisme non plus LE grand et unique récit de la civilisation occidentale, mais un récit parmi d'innombrables autres récits. Il a une histoire, qu'il s'agit désormais de ramener à ses justes proportions; il est la volonté de vivre une certaine éthique, qu'il s'agit de définir clairement; il est l'expression imagée et merveilleuse d'un projet de société et de vie parfaitement raisonnable. Ce scientisme des sciences humaines semble incontournable à la veille du 20ième siècle. Le pasteur protestant progressiste Friedrich Naumann, qui sera plus tard nationaliste et théoricien de la Mitteleuropa et d'une forme de planisme en économie, entamera une “mission” dans le monde ouvrier en vue de ramener les prolétaires déchris­tianisés dans le giron de l'Eglise réformée évangélique; il axera sa pastorale autour de la figure d'un “Christ socialiste et homme du peuple”, d'un Christ travailleur et charpentier, thématique de récupération qui nous reviendra dans les années 60 de notre siècle, mais dans une perspective différente. A l'époque de Naumann, vers 1890, cette idée paraît totalement incongrue et la mission échoue. Naumann ne retourne pas au christianisme, il s'en éloigne, récapitulant dans sa personne toutes les étapes de la culture allemande en matière religieuse: protestant par protestation anti-catholique, chrétien-ouvrier par refus de la bourgeoisie protestante à la foi sèche et rébarbative, païen par refus de l'inculture sociale-démocrate et de la fébrilité politi­cienne.

 

En Autriche, les pangermanistes se mobilisent, s'ancrent dans le camp libéral autour de la personne de Georg von Schönerer, s'opposent tout à la fois aux Juifs, aux Habsbourgs et à l'église catholique qui les soutient. Schönerer veut imposer un calen­drier “völkisch”, qui commencerait en 113 av. J.C., date de la victoire des Cimbres et des Teutons sur les Romains à Noreia. Dans certains cercles pangermanistes proches de Schönerer, on fête les solstices et deux courants commencent à se profiler:

a) les adeptes d'une religion immanente de la nature et des lieux concrets, regroupés autour de la revue Der Scherer;  ce filon du néo-paganisme allemand mêle un refus des mécanisations de la société industrielle, surtout de ses effets pervers, à une volonté de rééquilibrer la vie quotidienne dans les grandes villes, en organisant des services d'hygiène, des manifestations sportives, des randonnées, en réclamant des espaces verts, des excursions ou des séjours à la campagne, en renvoyant dos à dos ce qui ne lui paraissait plus “naturel”, à savoir le moralisme étriqué des églises conventionnelles et la vie dans les villes surpeuplées, sans air et sans lumière. C'est sur ce courant que se brancheront très vite les mouvements de jeunesse, tels le Wandervogel.  Ce filon m'apparaît toujours fécond.

b) les adeptes d'une nouvelle religiosité plus tournée vers l'occultisme, regroupés autour de la revue Heimdall.

Dans les années 1890, l'occultisme connaît en effet une renaissance en Allemagne: Guido von List développe une théosophie, tandis que Jörg Lanz von Liebenfels théorise une “aryosophie”, qui débouchera en 1907 sur la fondation d'un “Ordo Novi Templi”, sorte de loge où fusionnent en un syncrétisme bizarre les références germanisantes, un christianisme “aryen” et des rituels maçonniques. Ce filon-là du néo-paganisme allemand m'apparaît très spéculatif, peu susceptible d'être transmis à de larges strates de la population voire à des élites restreintes mais quand même assez nombreuses pour créer des espaces de résistance durables et efficaces dans la société. Enfin, la veine occultiste a suscité et suscite encore beaucoup de fantasmes, qu'exploitent souvent les journalistes en mal de sensationnel. La seule et unique chance pour le mouvement occultiste de se maintenir à l'heure actuelle reste, à mon avis, l'espace de la création musicale voire de la peinture ou de la sculpture. Ce filon demeure élitaire, marqué de rites et de gestes souvent mécompris. Il est indubitablement une expression de la culture euro­péenne de ces 150 dernières années, mais il est peu susceptible de se généraliser dans la société et d'apporter une réponse immédiate aux blessures psychiques et physiques de l'ère industrielle et de l'âge des masses.

 

Mais si à l'époque ces tentatives naturalistes ou occultistes restent réservées à de très petits groupes, finalement fort margi­nalisés, d'autres tentent justement, au même moment, de s'ouvrir aux masses et de fonder une véritable “troisième confes­sion”, qui se juxtaposera au catholicisme et au protestantisme en Allemagne. En 1900, Ernst Wachler, qui est juif et mourra en 1944 dans le camp de concentration de Theresienstadt, fonde la revue Deutsche Zeitschrift  et appelle à un recours sans dé­tours à la religiosité autochtone et pré-chrétienne de la Germanie. Parmi ceux qui répondront à son appel, il y avait, curieuse­ment, des antisémites classiques comme Friedrich Lange et Theodor Fritsch, mais aussi une figure plus complexe et à notre sens plus significative, Wilhelm Schwaner, éditeur de la revue Der Volkserzieher et animateur du Volkserzieher-Bund.  L'objectif est clair: il faut éduquer le peuple à des sentiments religieux, communautaires et sociaux différents de ceux de la société industrielle, renouer avec les archétypes d'une socialité moins conflictuelle et moins marquée par l'égoïsme. Schwaner est ce que l'on appelle à l'époque un Lebensreformer,  un réformateur pragmatique de la vie quotidienne, ancré dans le parti social-démocrate et dans les cercles “libres-penseurs” du libéralisme de gauche, où il apprendra à connaître Walther Rathenau, qu'il influencera, notamment dans les définitions archétypales des races “aryennes” et “sémitiques” que ce ministre israëlite du Reich a utilisées très fréquemment dans ses écrits, prouvant par là même que ces spéculations sur les arché­types n'étaient pas l'apanage des seuls nationalistes, conservateurs ou militaristes. Mais Schwaner reste dans le no-man's-land entre “christianisme germanique” et “religiosité völkische”.

 

Après la première guerre mondiale, le nombre croît de ceux qui franchissent le pas et abandonnent cette position intermédiaire que représentait le “christianisme germanique”. Les païens avérés n'étaient pas plus de 200 dans l'Allemagne d'avant 1914. Ils se regroupaient dans deux cénacles intellectuels, la Deutschgläubige Gemeinschaft  ou la Germanische Glaubens-Gemeinschaft.  La plupart sont issus de la bourgeoisie protestante. Ceux qui proviennent du catholicisme gardent malgré tout des attaches avec leur milieu d'origine, car le catholicisme a conservé le culte des saints, avatars christianisés des dei loci,  et bon nombre de fêtes folkloriques, notamment les carnavals de Rhénanie et d'Allemagne du Sud, dont la paganité foncière n'est certes pas à démontrer. L'absence de tels “sas”  —entre superstrat chrétien et substrat païen—  dans le protestantisme conduit plus aisément les contestataires protestants à revendiquer haut et fort leur paganisme. Parmi les premiers adhérants de la Deutschgläubige Gemeinschaft,  nous trouvons Norbert Seibertz, qui nous a laissé une confession, où il exprime les mo­tivations qui l'ont poussé à abandonner le christianisme. Elles sont variées, peut-être même un peu contradictoires:

- La vision chrétienne est en porte-à-faux avec les acquis des sciences naturelles. Ce premier motif de Seibertz est donc scientiste. Mais rapidement le monisme scientiste, vulgarisé par les matérialistes militants regroupés autour d'Ernst Haeckel, lui apparaît tout aussi insuffisant, non pas parce qu'il rejette le biologisme implicite de cette école antireligieuse, mais parce que cette volonté d'alignement sur les sciences exactes ne répond pas à la question du désenchantement.

- Les progrès des humanités gréco-latines sont tels au 19ième siècle, que le monde grec et romain suscite de plus en plus souvent l'enthousiasme des lycéens et des étudiants. Devant le sublime de la civilisation antique, le christianisme apparaît fade aux yeux du lycéen Seibertz.

 

Je dois vous confesser que ces deux motivations majeures de Seibertz ont été aussi les miennes, à quelques décennies de distance. Mais comment articuler ce double questionnement, comment retrouver le sens religieux au-delà d'une science qui ruine les dogmes chrétiens et au-delà d'humanités qui font apparaître le christianisme dans son ensemble comme un corpus bien fade, tout en ne pouvant plus ressusciter la paganité grecque ou romaine dans sa plénitude? Faut-il remplacer les caté­chismes par un autre catéchisme, les icônes d'hier par de nouvelles icônes? Apparemment simple, cette question ne l'est pourtant pas. Si les icônes des églises sont automatiquement reconnues comme des icônes religieuses même par ceux qui ont tourné le dos au christianisme, instaurer de nouvelles icônes s'avère fort problématique, car comment générer le consen­sus autour d'elles et, pire, comment ne pas sombrer dans le ridicule et la parodie? Les débuts du néo-paganisme organisé en Allemagne ont été marqués par des querelles de cette nature. D'après Karlheinz Weißmann, réflexions, querelles et discus­sions ont permis, avant 1914, de dégager trois des principaux axes du néo-paganisme de notre siècle:

1. Le christianisme est une aliénation historique, qui a oblitéré les sentiments religieux spontanés des Européens. Ce constat découle des acquis des philologies classique et germanique. La religion conventionnelle est donc ravalée au rang d'une mani­festation aliénante, elle est perçue comme une superstructure imposée par un pouvoir foncièrement étranger au peuple. Cette thématique de l'aliénation se greffe assez aisément à l'époque sur la “libre-pensée” du monde ouvrier et sur la critique socia­liste de l'“opium du peuple”.

2. Les néo-paganismes semblent ensuite rejetter l'idée d'un Dieu personnel. Dieu, car ils sont païens et monothéistes, est une émanation cosmique de la force vitale à l'œuvre dans le monde, qui donne forme aux innombrables manifestations et phéno­mènes du réel. Sur ce panthéisme cosmique se greffent déjà à l'époque toutes les spéculations sur la Nature et la Terre, qui sous-tendent encore aujourd'hui les spéculations les plus audacieuses de la pensée écologique radicale, qui se donne le nom d'écospohie, de géomantie ou de “perspective gaïenne” (Edward Goldsmith). Cette option pour un dieu non personnel, compé­nétrant toutes les manifestations vitales, renoue également avec la mystique médiévale allemande d'un Maître Eckhart, consi­déré par les néo-païens comme le représentant d'une véritable religiosité européenne et germanique, transperçant la chape dogmatique de l'aliénation chrétienne. Ensuite, ce panthéisme implicite renoue avec le panthéisme de Goethe, prince des poètes allemands, mobilisé à son tour pour étayer les revendications anti-chrétiennes. Le néo-paganisme du début du siècle est donc monothéiste et panthéiste, dans ses rangs, on ne vénère pas les dieux comme les chrétiens vénéraient le Christ ou la Vierge ou les Saints ou les Archanges. On ne remplace pas les icônes chrétiennes par une iconologie néo-païenne. On reste au-delà de la foi naïve des masses.

3.  Le troisième grand thème du néo-paganisme allemand du début du siècle est un rejet clair et net de la notion chrétienne du péché. Dieu n'est pas en face de l'homme pour les néo-païens. Il n'est pas dans un autre monde. Il ne donne pas d'injonctions et ne récompense pas après la mort. L'éthique néo-païenne est dès lors purement immanente et “héroïque”. Elle n'est pas as­cétique selon le mode bouddhiste, elle n'exige pas de quitter le monde, mais chante la joie de vivre. L'éthique néo-païenne est acceptation du monde, elle cherche le divin dans toute chose, veut le mettre en exergue, l'exalter, et refuse toutes les formes de rejet du monde sous prétexte que celui-ci serait marqué d'imperfection. Cette dimension joyeuse du néo-paganisme, qui interdit de mécréer du monde, au contraire des spéculations néo-païennes plus philosophiques ou historiques sur l'aliénation ou le panthéisme, permet d'atteindre les masses, et plus particulièrement les mouvements de jeunesse. Couplé à l'écosophie implicite du panthéisme, ce culte de la joie est explosif sur les plans social et politique. En 1913, quand les mouvements de jeunesse d'orientation Wandervogel se réunissent autour de feux de camp au sommet du Hoher Meissner pour écouter le dis­cours du philosophe Ludwig Klages, c'est parce que celui-ci leur parle sans jargon du désastre que subit la Nature sous les assauts de l'économicisme, de la technocratie et du “mammonisme”, soit du culte de l'argent. Ce discours, vieux de 84 ans, garde toute sa fraîcheur aujourd'hui: l'écologiste sincère y adhèrera sans hésiter.

 

La Grande Guerre bouscule tout: l'universalisme de l'écoumène euro-chrétien est fracassé, émietté, les nations sont devenues des mondes fermés sur eux-mêmes, développant leurs propres idoles politico-idéologiques. La propagande alliée avait répété assez souvent que les démocraties occidentales s'opposaient à l'Allemagne parce qu'elle était la patrie de Nietzsche, prophète de l'anti-christianisme et du néo-paganisme. Certains Allemands vont se prendre au jeu: puisque leurs adversaires se po­saient comme les défenseurs de la “civilisation” et de la “démocratie”, ils se poseraient, eux, comme les défenseurs de la “culture” et de l'“ordre”. Si Rousseau était posé comme le prophète de la démocratie française, qui s'opposait à Nietzsche, celui-ci devenait à son tour le prophète d'une Allemagne appelée à révolutionner la pensée et à “transvaluer” toutes les va­leurs. Et puisque cette Allemagne était accusée d'avoir propagé un paganisme, les cérémonies d'hommage aux soldats morts sur les champs de bataille de la Grande Guerre révèlent un retour à des pratiques anciennes, antiques, non chrétiennes, que l'on avait oubliées en Europe: réserver aux combattants tombés à la guerre un “bois sacré”, immerger le corps d'un soldat in­connu dans les eaux du Rhin, bâtir un mausolée sur le modèle de Stonehenge à Tannenberg en Prusse Orientale ou ériger des monuments semblables à des tombes mégalithiques ou des dolmens: voilà bien autant de concessions de l'Etat et de l'armée aux paganismes des intellectuels et des érudits. Enfin, l'effondrement de la structure impériale et de l'Etat autoritaire (Obrigkeitsstaat),  élimine le Trône et l'Autel de la vie politique et inaugure l'ère de la privatisation du sentiment religieux. Etat libéral de modèle français, la République de Weimar sépare l'Eglise de l'Etat, ce qui démobilise bon nombre d'anciens fonc­tionnaires de leurs liens formels avec les confessions conventionnelles et crée un certain climat de désaffection à l'égard des anciennes structures religieuses. Outre un certain renforcement des associations néo-païennes et un approfondissement de la question des religions autochtones au niveau universitaire, on assiste, dans les premières années de la République de Weimar, entre 1919 et 1923, à une inflation de fausses mystiques, de bizarreries spiritualistes, d'astrologisme, etc. C'est là une manifestation du pluralisme absolu et anarchique de la culture de Weimar. L'anti-christianisme le plus radical, quant à lui, adopte un ton messianique: il attend l'avènement du “Troisième Reich”, sorte de transposition dans l'immanence de l'idée au­gustinienne d'une “Jérusalem céleste”. Ce messianisme s'exprime notamment dans le cadre d'une organisation parapolitique très importante de l'époque, le Deutsch-Völkischer Schutz- und Trutzbund,  qui a compté jusqu'à 170.000 membres. Parallèlement au messianisme, le “Juif” devient l'ennemi principal, alors que l'antisémitisme avait été très atténué dans les néo-paganismes d'avant 1914 et était quasiment absent dans les années de guerre. Les réflexions sur les religions autoch­tones cèdent le pas à la propagande politique et au recrutement de volontaires pour le Corps Franc “Oberland”. Mais passée la grande crise des cinq premières années de la République, ce radicalisme politique s'estompe et les néo-païens retournent à une myriade de petits cénacles ou d'associations culturelles, cultivant des idées et des projets tantôt originaux tantôt bizarres.

 

Le clivage persiste néanmoins entre occultistes, qui restent marginaux mais assurent la continuité avec leurs prédécesseurs d'avant 1914, et “naturalistes”, qui entendent forger un néo-paganisme rationnel, basé sur la philologie, l'archéologie, les sciences naturelles et biologiques, les découvertes de la diététique, etc.  Trois tendances idéologico-philosophiques voient ce­pendant le jour, dans la période 1925-1933, entre Locarno et l'accession de Hitler au pouvoir:

1. Les nouvelles générations issues du Wandervogel introduisent dans le mouvement néo-païen le style du mouvement de jeunesse, avec les chants, le romantisme du feu de camp et la réhabilitation des danses populaires.

2. Les femmes sont admises dans ses associations sur pied d'égalité avec les hommes, car la thématique féministe de l'anti-christianisme a fait son chemin.

3. Les spéculations sur le monothéisme des Germains et des Scandinaves cèdent le pas à une réévaluation du polythéisme. On n'hésite donc plus à se déclarer “polythéiste”. Le 19ième siècle avait implictement cru que le monothéisme avait été un “progrès” et que le retour au polythéisme constituerait une “rechute dans le primitivisme”. Les perspectives changent dans les années 20: la pluralité des dieux, disent les néo-païens sous la République de Weimar, fonde la tolérance païenne, qu'il s'agit de restaurer. Dans les panthéons polythéistes, les dieux sont une famille, ils se présentent à leurs adorateurs par couple, les déesses, féminisme anti-chrétien oblige, contestent souvent les décisions de leurs divins époux, car le paganisme et le poly­théisme n'ont absolument pas la rigueur patriarcale du yahvisme chrétien.

 

En 1933, quand Hitler accède au pouvoir, son parti entend défendre et protéger un “christianisme positif” (qui n'est pas expli­cité, mais qui signifie ni plus ni moins un christianisme qui n'entravera par le travail d'un Etat fort qui, lui, ne se déclarera pas ouvertement “chrétien”). Les propagandistes anti-chrétiens les plus zélés et les néo-païens les plus intransigeants sont tenus à distance. Une théologie chrétienne reformulée d'après les modes et le langage national-socialistes, portée par des théologiens réputés comme Friedrich Gogarten, Emanuel Hirsch, Gerhard Kittel, Paul Althaus, etc. est mise en œuvre pour “conquérir les églises de l'intérieur”. On peut cependant remarquer que, de leur côté, les églises, surtout la catholique, opèrent un certain ag­giornamento, pour aller à la rencontre du Zeitgeist:

- réhabilitation des visions cycliques de l'histoire et de la pensée héraclitéenne du devenir chez les philosophes catholiques Theodor Haecker et E. Przywara;

- vision d'un “Dieu qui joue”, innocent comme l'enfant de Nietzsche, toujours chez Haecker;

- concessions diverses au panthéisme;

- vision d'un “Christ Cosmique” et “christologie cyclique” chez Leopold Ziegler;

- vision d'un “Christ dansant” chez Stefan George;

- théologie du Reich chez Winzen, où la paysannerie et le culte du “sang et du sol” trouvent toute leur place, afin de contrer la propagande anti-chrétienne en milieux ruraux des nationaux-socialistes Rosenberg, Darré et von Leers;

- spéculations sur l'incarnation divine et sur l'excellence de la paysannerie germanique, porteuse du glaive de l'église, c'est-à-dire de l'institution impériale;

- retour à la nature mis en équation avec un retour au divin, etc.

 

Si les églises ne se méfiaient pas du néo-paganisme avant 1914, elles s'inquiètent de ses progrès après 1918, vu l'affluence que connaissent les cercles “völkisch” et néo-païens. C'est la raison qui poussent les plus hautes autorités de l'Eglise à adop­ter un langage proche de celui des groupes “völkisch”. Hitler, lui, veut promouvoir le “mouvement de la foi des Chrétiens al­lemands”, dans le but avoué de construire une grande église nationale-allemande qui surmonterait la césure de la Réforme et de la Contre-Réforme. Certains cercles sont dissous, les autres sont invités à rejoindre de vastes associations contrôlées par le parti. Parmi ces associations, la principale fut la Deutsche Glaubensbewegung, dirigée par le philosophe et indianiste Wilhelm Hauer, par l'ancien diplomate anti-britannique et militant völkisch Ernst zu Reventlow, par le philosophe Ernst Bergmann, soucieux de construire une “Eglise d'Etat” non-chrétienne. L'objectif de ces trois hommes était d'assurer à l'Allemagne une rénovation religieuse, englobant éléments non chrétiens, pré-chrétiens et traditionnels, c'est-à-dire des élé­ments de la religiosité éternelle des peuples qui s'étaient ancrés dans la culture allemande sous une forme christianisée. Le mouvement était a-chrétien plutôt qu'anti-chrétien. Finalement, il s'auto-dissolvera, son présidium abandonnera toute vie pu­blique, pour laisser la place à une organisation de combat anti-chrétienne, servant le parti dans sa lutte contre les églises, dès la fin de la lune de miel entre les nationaux-socialistes et les hiérarchies confessionnelles.

 

Après 1945, les néo-païens ou les “völkisch-religieux” se fondent dans deux organisations: chez les Unitariens (Deutsche Unitarier) qui se réorganisent à partir de 1948 et dont la figure de proue deviendra Sigrid Hunke (“La vraie religion de l'Europe”); et dans le Bund freireligiöser Gemeinden (Ligue des communautés religieuses libres), constitué en 1950. Wilhelm Hauer recrée en 1950 l'Arbeitsgemeinschaft für freie Religionsforschung und Philosophie qui entretiendra de bons rapports avec les deux autres organisations. Les personnalités politiques des décennies précédentes y sont rares et le profil idéologico-politique des membres des deux organisations (celle de Hauer étant plus scientifique) correspond davantage à celui des natio­naux-libéraux d'avant 1914. Les thématiques abordées sont celles de la liberté religieuse, du panthéisme et du rapport entre sciences naturelles ou biologiques et foi religieuse.

En 1951, Wilhelm Kusserow, chassé de Berlin-Est où il est resté professeur jusqu'en 1948, fonde son Artgemeinschaft sur les débris du Nordische Glaubensbewegung. Sans ambages, les membres affirment se reconnaître dans leur germanité et sont ouvertement plus “nationalistes” que les unitariens et les “Freireligiösen”. En 1957, cette association fusionne avec les restes de celle de Norbert Seibertz.

 

Au moment où la fusion de ces associations a-chrétiennes voire anti-chrétiennes s'opère, l'Eglise abandonne, par la voie du Concile Vatican II, toutes ses références à la Rome antique pré-chrétienne,  à l'“organon” euro-médiéval. Une bonne fraction du catholicisme européen appelait jadis à renouer avec l'“Ordo Æternus” romain, qui, dans son essence, n'était pas chrétien, était au contraire l'expression d'une paganisation politique du christianisme, dans le sens où la continuité catholique n'était pas fondamentalement perçue comme une continuité chrétienne mais plutôt comme une continuité archaïque, romaine, latine. Aux yeux de ces catholiques au fond très peu chrétiens, la “forme catholique” véhiculait la forme romaine en la christianisant en surface. Carl Schmitt était l'un de ces catholiques, pour qui aucune forme politique autre que la forme romaine n'était adaptée à l'Europe. Il était catholique parce qu'il avait une vision impériale romaine, qui, après la translatio,  deviendra germanique. Il critiquait l'idéologie des Lumières et le positivisme juridique et scientiste parce que ces idéologies modernes rejetaient la ma­trice impériale et romaine, rejetaient cette primitivité antique et féconde, et non pas l'eudémonisme implicite du christianisme. De même, Vatican II rejettera cette romanité fondamentale pour ne retenir que l'eudémonisme chrétien. Dans les milieux con­servateurs, dans les droites classiques, ce refus de la romanité, de la forme politique impériale romaine ou des formes stato-nationales qui ramenaient l'impérialité à un territoire plus restreint, provoque un véritable choc. Ni le catholicisme ni même le christianisme n'apparaissent plus comme les garants de l'ordre. De cette déception, naît la “nouvelle droite” française, d'autant plus qu'un Maurras, qui est encore à l'époque la référence quasi commune de toutes les droites, avait clairement aperçu la distinction entre forme politique et relâchement eudémoniste: pour lui, l'Eglise était facteur d'ordre tandis que l'Evangile, un “poison”. Si l'Eglise rejette complètement les résidus d'impérialité romaine, ou les restes d'un sens antique de la civitas,  qu'elle véhiculait, elle n'est donc plus qu'un “poison”:  voilà donc un raisonnement maintes fois tenu dans les rangs de la droite française. Une fraction de celle-ci cherchera dès lors de nouvelles références, ce qui la conduira à découvrir no­tamment Evola, la Révolution Conservatrice allemande, l'univers des néo-paganismes, la postérité intellectuelle de Nietzsche, au grand scandale de ceux qui demeurent fidèles à un message chrétien-catholique, qui n'est plus du tout envisagé sous le même angle par les autorités supérieures de l'Eglise catholique.

 

Les années 60 voient éclore de nouvelles thématiques, imitées des néo-primitivismes nord-américains: New Gypsies, New Indians, Flower People, Aquarians, Hippies, etc. La nouvelle religiosité ne s'ancre plus dans le socialisme politique ou dans le nationalisme exacerbé, mais dans un espace complètement dépolitisé. Une question se pose dès lors. Le recours aux passés pré-chrétiens de l'Europe doit-il s'opérer sans l'apport d'un projet politique ou, au moins, d'une vision claire de ce que doit être un Etat, une constitution, un droit? Doit-il s'opérer sans décider quelle instance doit avoir la pré-scéance: est-ce le peuple, porteur d'une histoire dont il faut assurer la continuité, ou est-ce la structure étatico-administrative, dont il s'agit de maintenir, envers et contre tout, le fonctionnement routinier, même aux dépens de la vie?

 

Le danger des modes “New Age”, même si elles induisent nos contemporains à se poser de bonnes questions, c'est justement de sortir des lieux de décision, de s'en éloigner pour rejoindre une sorte de faux Eden, sans consistance ni racines.

 

Ce risque de dérapage nous oblige à poser l'éternelle question: que faire?

- Premier rudiment de réponse: il y a beaucoup de choses à faire dans un monde si pluriel, si diversifié, si riche en potentiali­tés mais aussi si éclaté, si émietté, si divisé par des factions rivales ou des options personnelles ou des incommunicabilités insaisissables; il y a beaucoup de choses à faire dans un monde pluriel, où faits positifs et faits négatifs se juxtaposent et dé­sorientent nos contemporains.

- Deuxième élément de réponse: affronter un monde riche en diversités, encadrer cette diversité sans l'oblitérer ou la mutiler, implique:

de moduler sa pensée et son action de ré-immersion dans le passé le plus lointain de l'Europe sur les acquis de la philologie indo-européenne. Sans préjuger de leurs options sur d'autres questions indo-européennes, les travaux d'Emile Benveniste, de Thomas V. Gamkrelidze et de Viatcheslav V. Ivanov, et même de Bernard Sergent, nous permettent de saisir la portée sé­mantique fondamentale du vocabulaire des institutions indo-européennes primitives, et de savoir ce que les termes veulent dire en droit, afin que soit restaurer une société où les citoyens sont égaux en dignitié. C'est cette égalité en dignité, mise en exergue par Tacite, qui fait que les tribus s'appellent assez souvent “les amis”, les “parents” ou “le peuple” (Teutones, Tutini de Calabre, Teutanes d'Illyrie, etc.). Cette harmonie sociale est un modèle impassable: on a vu avec quel enthousiasme les humanistes italiens l'ont exhumé au XVième siècle, avec quel zèle les pionniers du socialisme l'ont adopté, avec quel respect Marx et surtout Engels (dans Les origines de la propriété privée, de la famille et de l'Etat) en parlent dans leurs livres, enfin, avec quelle obstination les socialistes “völkisch”, futurs nationalistes, l'ont explicité. Mais au-delà des enthousiasmes légi­times, il faut construire, rendre plausible, déniaiser les engouements. Ce travail n'est possible que si l'on comprend concrè­tement, sans basculer dans l'onirique, ce que les mots que nous employons veulent dire, ce que les termes qui désignaient nos institutions à l'aurore de notre histoire signifient réellement.

 

Enfin, un recours aux ressorts les plus antiques de l'Europe, comme de tous les autres continents, implique une attention par­ticulièrement soutenue à la valeur des lieux. Si l'installation monotone dans un seul lieu n'est sans doute pas exaltante, n'excite pas l'esprit aventureux, l'ignorance délibérée et systématique des lois du temps et de l'espace, des lois du particulier, est une aberration et une impossibilité pratique. En transposant souvent leur telos dans un “autre monde”, soustrait aux règles du temps et de l'espace, le courant doloriste et augustinien du christianisme, les fidéismes athées à coloration “rationaliste”, les pratiques administratives de certains Etats, les déviances du droit vers l'abstraction stérile, ont arraché les hommes à leurs terres, aux lieux où le destin les avait placés. Cet arrachement provoque des catastrophes anthropologiques: fébrilité et déra­cinement, errance sans feu ni lieu, discontinuités successives et, finalement, catastrophes écologiques, urbanisme dévoyé, effondrement des communautés familiales et citoyennes.

 

Tout néo-paganisme positif, non sectaire, non replié sur une communauté-ersatz doit agir pour contenir de telles déviances. Il doit opérer ce que le théoricien britannique de l'écologie, Edward Goldsmith, appelle un retour à Gaïa, à la terre. Mais ce re­tour à une écologie globale, remise dans une perspective plus vaste et plus spiritualisée, plus “éco-sophique”, ne saurait se déployer sans un engagement social concomitant. Le retour des hommes à des lieux bien circonscrits dans l'espace  —de préférence ceux de leurs origines, ceux où ils retrouvent les souvenirs ou la tombe d'un bon vieux grand-père sage et sou­riant—  et l'organisation en ces lieux d'une vie économique viable à long terme, satisfaisante pour eux et pour les générations qu'ils vont engendrer, sont autant de nécessités primordiales, à l'heure où la mondialisation des marchés exerce ses ravages et exclut les plus fragiles d'entre nos concitoyens, à l'heure où les migrations tous azimuts n'aboutissent nulle part sinon à la misère et à l'exclusion.

 

Récemment, dans un dossier “Manière de voir” (n°32), le Monde diplomatique,  lançait un appel planétaire à la résistance contre les aberrations socio-économiques installées par l'“armada des économistes orthodoxes”, dont la panacée la plus te­nace était celle de la fameuse “bulle commerciale” dans laquelle le libre-échange devait être roi absolu et où aucune stabilité sociale, aucun legs de l'histoire, ne devait entraver la course folle vers une croissance exponentielle des chiffres d'affaires. Les rédacteurs du Monde diplomatique réclamaient un “sursaut républicain”, contre la résignation des élites du “cercle de la raison”, qui appliquent sans originalité ni imagination ces doctrines du libéralisme total qui ne tiennent  compte ni des limites du temps ni de celles de l'espace. Dans le cadre de cette revendication, ces rédacteurs n'hésitaient pas à rappeler les atouts de la “solidarité rurale” et du “maillage associatif” dans les campagnes, formes d'organisation communautaires et non socié­taires, mais dont le ciment ne peut être qu'une variante de l'organisation clanique initiale des peuples, où se conjuguent liberté constructive et autonomie, soit deux vertus qui avaient enthousiasmé les humanistes de la Renaissance italienne qui avaient lu Tacite et initié à leur époque le premier grand “sursaut républicain”. Face au fétichisme de la marchandise, disent les rédac­teurs du Monde diplomatique,  “il n'y a pas d'autre issue que de résister, afin de défendre les derniers fragments de la liberté des peuples de disposer de leur propre destin”. Nous n'avons pas d'autre programme. Car nous aussi, nous voulons une “Europe des citoyens”, c'est-à-dire une Europe d'Européens inclus dans des cités taillées à leurs mesures, des cités qui ont une histoire et un rythme propres. Nous nous donnons toutefois une tâche supplémentaire: aller toujours aux sources de cette histoire et de ce rythme. Pour rester fidèles à la démarche des humanistes de la Renaissance et des premiers socialistes li­bertaires qu'a allègrement trahis la sociale-démocratie, en se livrant à ses petits jeux politiciens et en décrétant toute réflexion sur notre très lointain passé comme l'expression mièvre et ridicule d'une “fausse conscience”.

 

Cette “fausse conscience” est pour nous une “vraie conscience”, notre “conscience authentique”. Car cela ne sert à rien de critiquer les orthodoxies de l'économie dominante, si c'est pour adopter le même schéma abstrait. L'autonomie des peuples, c'est de vivre en conformité avec leur plus lointain passé. C'est affirmer haut et fort la continuité, pour ne pas périr victime d'une pensée sans racines et sans cœur.

 

Le combat contre les idéologies dominantes, contre les confessions qui tiennent le haut du pavé et stérilisent les élans reli­gieux authentiques, ne peut nullement être un combat entre érudits distingués, à l'abri des grands courants intellectuels et poli­tiques du siècle, mais au contraire un combat qui apportera le supplément d'âme nécessaire à ce grand “sursaut républicain” qu'appellent nos contemporains. C'est à ce combat que j'ai voulu vous convier aujourd'hui. Je vous remercie de m'avoir écouté.

 

Robert STEUCKERS.

(Forest, du 8 au 10 janvier 1997).

mardi, 23 juin 2009

Il cantore del mito nuovo: Giorgio Locchi

Il cantore del mito nuovo: Giorgio Locchi



… suonava così antico, eppure era così nuovo…

(Richard Wagner, I Maestri Cantori di Norimberga)


di Adriano Scianca (2005) - http://augustomovimento.blogspot.com/


E per ultima venne la “globalizzazione”. In duemila anni di pensiero unico egualitario ci siamo sorbiti: “l’inevitabile” venuta dei tempi messianici, “l’inevitabile” avanzata del progresso tecnico, economico e morale, “l’inevitabile” avvento della società senza classi, “l’inevitabile” trionfo del dominio americano, “l’inevitabile” instaurazione della società multirazziale. Ed ora, appunto, è la “globalizzazione” ad imporsi come “inevitabile”. Il cammino è già tracciato, nulla possiamo contro il Senso della Storia. Certo, l’ingresso trionfale nell’Eden finale va continuamente procrastinato, giacché sempre emergono popoli impertinenti che non apprezzano gli hegelismi in salsa yankee di cui sopra. Ma prima o poi – ce lo dice Bush, ce lo dicono i pacifisti, ce lo dicono gli scienziati, i filosofi e i preti – la storia finirà. È sicuro. Sicuro?


Fine della storia?


È vero: la storia può effettivamente finire. È del tutto plausibile che nel futuro che ci aspetta si possa assistere al triste spettacolo dell’“ultimo uomo” che saltella invitto e trionfante. Ma questo è solo uno dei possibili esiti del divenire storico. L’altro, anch’esso sempre possibile, va nella direzione opposta, verso una rigenerazione della storia attraverso un nuovo mito. Parola di Giorgio Locchi. Romano, laureato in giurisprudenza, corrispondente da Parigi de “Il Tempo” per più di trent’anni, animatore della prima e più geniale Nouvelle Droite, fine conoscitore della filosofia tedesca, della musica classica, della nuova fisica, Locchi ha rappresentato una delle menti più brillanti ed originali del pensiero anti-egualitario successivo alla sconfitta militare europea del ‘45.

Molti giovani promesse del pensiero anticonformista degli anni ‘70 conservano ancora oggi il nitido ricordo delle visite da “Meister Locchi” presso la sua casa di Saint-Cloud, a Parigi, «casa dove molti giovani francesi, italiani e tedeschi si recavano più in pellegrinaggio che in visita; ma simulando indifferenza, nella speranza che Locchi […] fosse come Zarathustra dell’umore giusto per vaticinare anziché, come disgraziatamente faceva più spesso, parlare del tempo o del suo cane o di attualità irrilevanti»1. Le ragioni di una tale venerazione non possono sfuggire anche a chi l’autore romano lo abbia conosciuto solo tramite i suoi testi. Leggere Locchi, infatti, è un’“esperienza di verità”: aprendo il suo Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista – un «grande libro», «uno dei testi classici dell’ermeneutica wagneriana», come lo definisce Paolo Isotta sul… “Corriere della Sera”!2 – ci si trova di fronte al disvelamento (ἀλήθεια, a-letheia) di un sapere originale ed originario. Disvelamento che non può mai essere totale.

L’aristocratica prosa locchiana è infatti ermetica ed allusiva. Il lettore ne è conquistato, nel tentativo di sbirciare tra le righe e cogliere un sapere ulteriore che, se ne è certi, l’autore già possiede ma dispensa con parsimonia
3. Ad aumentare il fascino dell’opera di Locchi, poi, contribuisce anche la vastità dei riferimenti e la diversità degli ambiti toccati: dalle profonde dissertazioni filosofiche alle ampie parentesi musicologiche, dai riferimenti di storia delle religioni alle ardite digressioni sulla fisica e la biologia contemporanea. Chi è abituato alle atmosfere asfittiche di certo neofascismo onanistico o ai tic degli evolomani di stretta osservanza ne è subito rapito.


La libertà storica


Il punto di partenza del pensiero locchiano è il rifiuto di ogni determinismo storico, ovvero l’idea che «la storia – il divenire storico dell’uomo – scaturisca dalla storicità stessa dell’uomo, cioè dalla libertà storica dell’uomo e dall’esercizio sempre rinnovato che di questa libertà storica, di generazione in generazione, fanno personalità umane differenti»4. È il rifiuto della “logica dell’inevitabile”. La storia è sempre aperta e determinabile dalla volontà umana. Due sono, a livello macro-storico, gli esiti possibili, i poli opposti verso cui indirizzare il divenire: la tendenza egualitarista e la tendenza sovrumanista, esemplificate da Nietzsche con i due mitemi del trionfo dell’ultimo uomo e dell’avvento del superuomo (o, se si preferisce, dell’“oltreuomo”, come è stato rinominato da Vattimo nell’intento illusorio di depotenziarne la carica rivoluzionaria). Il filosofo della volontà di potenza afferma la libertà storica dell’uomo tramite l’annuncio della morte di Dio: chi ha acquisito la consapevolezza che “Dio è morto” «non crede più di essere governato da una legge storica che lo trascende e lo conduce, con l’umanità intera, verso un fine – ed una fine – della storia predeterminato ab aeterno o a principio; bensì sa ormai che è l’uomo stesso, in ogni “presente” della storia, a stabilire conflittualmente la legge con cui determinare l’avvenire dell’umanità»5.

Tutto ciò porta Locchi ad individuare una vera e propria “teoria aperta della storia”. Il futuro, in questa prospettiva, non è mai stabilito una volta per tutte, rimane costantemente da decidere. Non solo: anche il passato non è chiuso. Il passato, infatti, non è ciò che è avvenuto una volta per tutte, un mero dato inerte che l’uomo può studiare come fosse un puro oggetto. Esso, al contrario, è interpretazione eternamente cangiante. Il tempo storico, lo stiamo vedendo a poco a poco, assume un carattere tridimensionale, sferico, essendo caratterizzato da interpretazioni del passato, impegni nell’attualità e progetti per l’avvenire eternamente in movimento. L’origine mitica finisce per proiettarsi nel futuro, in funzione eversiva nei confronti dell’attualità. Le diverse prospettive che ne fuoriescono finiscono per scontrarsi dando vita al conflitto epocale.


Il conflitto epocale


Il “conflitto epocale” è dato dallo scontro di due tendenze antagoniste. Si è già detto quale siano le tendenze della nostra epoca: egualitarismo e sovrumanismo. Ogni tendenza attraversa tre fasi: quella mitica (in cui sorge una nuova visione del mondo in modo ancora istintuale, come sentimento del mondo non razionalizzato e quindi come unità dei contrari), quella ideologica (in cui la tendenza, affermandosi storicamente, comincia a riflettere su se stessa e quindi si divide in differenti ideologie apparentemente contrapposte tra loro) e quella autocritica o sintetica (in cui la tendenza prende atto della sua divisione ideologica e cerca di ricreare artificialmente la propria unità originaria). E se l’egualitarismo (oggi in fase “sintetica”) è la tendenza storica dominante da duemila anni, la prima espressione “mitica” del sovrumanismo va ricercata nei movimenti fascisti europei.

Il fascismo, per Locchi, non può essere compreso che alla luce della “predicazione sovrumanista” di Nietzsche e Wagner
6 e della “volgarizzazione” di tali tesi ad opera degli intellettuali della Rivoluzione Conservatrice (che, quindi, cessa di essere un’entità “innocente”, astrattamente separata dalle sue realizzazioni pratiche, come vorrebbe certo neodestrismo debole). Fascismo come espressione politica del Nuovo Mito comparso nell’ottocento da qualche parte tra Bayreuth e Sils Maria, quindi. Un qualcosa di nuovo, dunque. Ma, wagnerianamente, anche un qualcosa di antico.

Il fascismo, infatti, rappresenta anche la piena assunzione del “residuopagano che il cristianesimo non è riuscito a cancellare e che è sopravvissuto nell’inconscio collettivo europeo. Un fenomeno rivoluzionario, insomma, che si richiama ad un passato quanto più possibile ancestrale ed arcaico, proiettandolo nel futuro per sovvertire il presente. Lo scopo, nella lunga durata, è quello di far «regredire oltre la soglia memoriale» la Weltanschauung cristiana, versando significati nuovi nei significanti vecchi di matrice biblica, così come originariamente il cristianesimo “falsificò” i termini pagani per veicolare la propria visione del mondo in un linguaggio che non risultasse incomprensibile alle genti europee. È il progetto che il Parsifal wagneriano esprime con la formula «redimere il redentore»
7.


Il male americano


Ma il primo tentativo di agire concretamente nella storia da parte della tendenza sovrumanista, come sappiamo, è sfociato nella sconfitta militare europea del 1945. Una sconfitta che ha posto il vecchio continente tra le fauci della tenaglia costruita a Yalta. In quel periodo, è bene ricordarlo, troppi eredi del mondo uscito perdente dal secondo conflitto mondiale pensarono di rinverdire la loro militanza sostenendo uno dei due bracci della tenaglia a scapito dell’altro, vagheggiando di un Occidente “bianco” che altro non poteva essere se non la “terra della sera” (Abend-land) in cui veder tramontare ogni speranza di rinascita europea. Scelsero, quei “fascisti” vecchi o nuovi, la tattica del “male minore”. Che, notoriamente, non è altro che la tattica dell’“utile idiota” vista… dall’utile idiota.

In questo contesto, sarà proprio Locchi (non da solo, né per primo: si pensi solo a Jean Thiriart) a denunciare le insidie del “male americano”. E Il male americano è anche il titolo di un libro tratto da un articolo comparso su Nouvelle Ecole nel 1975 a firma Robert De Herte ed Hans-Jürgen Nigra, pseudonimi rispettivamente di Alain de Benoist e dello stesso Locchi. Tale testo contribuirà in maniera decisiva a depurare il corpus dottrinale della Nuova Destra di ogni suggestione occidentalista. Del resto, i due autori cortocircuiteranno la logica dei blocchi citando una frase di Jean Cau: «Nell’ordine dei colonialismi, è prima di tutto non essendo americani oggi che non saremo russi domani». C’è una grande saggezza in tutto ciò. Ne Il male americano l’America è descritta più nella sua ideologia implicita, nel suo way of life, che nella sua prassi criminale. Un’ideologia fatta di moralismo puritano, di disprezzo per ogni idea di politica, tradizione o autorità, di mentalità utilitarista, di conformismo e mancanza di stile, di odio freudiano contro l’Europa. Ciò che soprattutto interessa agli autori è l’influenza della Bibbia nella mentalità collettiva statunitense, senza la quale sarebbero inconcepibili i deliri neocons dell’attuale gestione. Ed inoltre – il ricordo del ‘68 è ancora caldo – non manca la ripetuta sottolineatura della sostanziale convergenza tra la contestazione sinistrorsa ed i miti di oltre-Atlantico. New York come capitale del neo-marxismo: ce n’è abbastanza per distinguere il testo di Locchi/De Benoist dalle denunce “progressiste” dei vari Noam Chomsky (che pure, beninteso, hanno anch’esse la loro funzione).


La terra dei figli


Ma “il male americano” è soprattutto un male dell’Europa. Oggi che la Guerra Fredda è finita e all’ordine di Yalta è subentrato il feroce solipsismo armato di uno pseudo-impero fanatico e usuraio, ce ne accorgiamo più che mai. L’Europa: il grande malato della storia contemporanea. Ma anche un’idea-forza, un mito, un ripiego sulle origini che è progetto d’avvenire, come vuole la logica del tempo sferico.





In questo senso, i riferimenti all’avventura indoeuropea o all’Imperium romano, alle poleis greche piuttosto che al medioevo ghibellino servono come materiale grezzo da cui forgiare qualcosa di nuovo, qualcosa che non si è mai visto. «Se si vuol parlare d’Europa, progettare una Europa, bisogna pensare all’Europa come a qualcosa che ancora non è mai stato, qualcosa il cui senso e la cui identità restano da inventare. L’Europa non è stata e non può essere una “patria”, una “terra dei padri”; essa soltanto può essere progettata, per dirla con Nietzsche, come “terra dei figli”»8. Se nostalgia dev’esserci, allora che sia “nostalgia dell’avvenire”, come nello (stranamente felice) slogan missino di qualche tempo fa. Questo mondo che crede nella fine della storia sta forse assistendo semplicemente alla fine della propria storia. Per il resto, nulla è scritto. Sprofonderemo anche noi fra le rovine putride di questa decadenza al neon? Oppure avremo la forza di forgiare il nostro destino attraverso l’istituzione di un “nuovo inizio”? A decidere sarà solo la saldezza della nostra fedeltà, la profondità della nostra azione, la tenacia della nostra volontà.


Note


(
1) Stefano Vaj, Introduzione a Giorgio Locchi, Espressione e repressione del principio sovrumanista. Tra gli intellettuali influenzati da Locchi ricordiamo, oltre allo stesso Vaj, tutto il nucleo fondante della Novelle Droite anni ‘70/80, da De Benoist a Faye, Steukers, Vial, Krebs, ma anche Gennaro Malgieri ed Annalisa Terranova, oggi in AN. Spunti locchiani emergono anche in tempi recenti in Giovanni Damiano e Francesco Boco. Non possiamo non citare, inoltre, Paolo Isotta, critico musicale del “Corriere della Sera” (!), cui Maurizio Cabona riuscì a far redigere un entusiastico saggio introduttivo al libro su Nietzsche e Wagner e che anche ultimamente (vedi nota successiva) è tornato a citare Locchi proprio sulle colonne del maggiore quotidiano italiano.

(
2) Paolo Isotta, “La Rivoluzione di Wagner”, ne “Il Corriere della Sera” del 04/04/2005.

(
3) Va detto, inoltre, che tra le carte lasciate da Locchi si trova diverso materiale inedito, tra cui un saggio su Martin Heidegger probabilmente e sfortunatamente destinato a non vedere mai la luce.

(
4) Da Wagner, Nietzsche e il mito sovrumanista.

(
5) Ibidem.

(
6) Grande merito di Locchi è del resto il fatto stesso di aver riscoperto le potenzialità rivoluzionarie dell’opera wagneriana in un ambiente che continuava a pensare al compositore tedesco nell’ottica della duplice “scomunica” nietzschana ed evoliana.

(
7) Gli indoeuropei, la filosofia greca, Nietzsche, la Konservative Revolution, il fascismo, l’Europa: il lettore attento avrà già scorto, dietro a simili riferimenti, l’ombra possente di Adriano Romualdi. Eppure, incredibilmente, Locchi sviluppò il suo pensiero del tutto autonomamente da Romualdi. Anzi, sarà solo grazie ad alcuni giovani italiani recatisi da lui in visita a Parigi che il filosofo conoscerà l’opera del giovane pensatore morto prematuramente. Senza mancare di sottolineare l’oggettiva convergenza di vedute. Per gli amanti della rete (e i poliglotti), segnaliamo la presenza, in Internet, di un testo in spagnolo (La esencia del fascismo como fenómeno europeo. Conferencia-Homenaje a Adriano Romualdi) che riproduce un discorso di Locchi pronunciato proprio in onore del compianto autore di Julius Evola: l’uomo e l’opera. Ignoriamo le circostanze cui far risalire tale discorso.

(
8) Da L’Europa: non è eredità ma missione futura.

lundi, 22 juin 2009

Democracy, Revolution & Rejection

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DEMOCRACY, REVOLUTION & REJECTION:

Why We Should Reject Rather Than Revolt

 

From: http://freiekreis.wordpress.com/

 

 

 

The political soldier identifies himself, as he develops his ideology, with a given political institute, whether it be a party, a think group, an ideology, a book, a writer, a set of writers, or solely with himself. Either way, he will come to the conclusion that his ideas find or did not find fertile ground within the social reality he lives and functions in. Even the individualist anarchist is confronted with other people and their convictions and has to learn to communicate and function within these social relationships in order to exchange information, satisfy wants and needs of both himself and significant others. In this sense, F.A. Harper’s “hermit” is the only person that is truly free. For him, there is no social reality because he has excluded himself from any social relationship and any significant other, in order to be able to answer to his desire to reject a social reality. It must be said, a political or ideological idea or sentiment is not necessary for human interaction or a market situation. However it does define the perception of the (significant) other within his or her social and circumstantial context. It is even possible for an individual to reject any “idea” behind his actions, which of course puts human action back in its original sense of methodological individual choice as a result of a (semi-)rational cost-benefit analysis. On a general basis, it would not be wrong to state the overall ‘spine’ of our choices is intertwined with our image of ourselves, the other, society, metaphysical (non-)realities etc.

 

Even though there is no absolute reality and our definitions of any given word or subject (be it abstract or not) are never equal to the definitions of the (significant) others, we compare ourselves with those significant others and merely perceive that our social and personal views are similar or different. We compare and we match up with those that have similar views and use similar arguments to get to those similar views. Now we are divided in a number of fractions. Some fractions consisting of only one person, some of a great number of people, and some ideas we might imagine ourselves,  are not represented at all within our social reality at the time. Yet, even those who are the sole representatives of an opinion and therefore have an opinion monopoly, still have to interact with others in order to function, assuming he does not choose the path of the hermit and withdraws himself from the social reality, which is physically impossible under the present spatial conditions.

 

In order to plan their society, these commons find themselves on an idea market. Whether this society is a democracy or a dictatorship or anything in between is irrelevant, because nor the king nor the democratically elected representative is able to tell what the citizen or constituent or voter should think and steer your mind. And whether we like it or not, in the end the ideas that are ‘bought’ by a majority of social subjects mostly form and manage society. Not only is the king who suppresses his citizen majority with an oligarchic court and a rigid police force illegitimate, his regime has a very low stamina and the risk of failure is high. His means to maintain power (police, propaganda, repression, redistribution of wealth, etc.) are costly and its efficiency will remain low. However keeping these truths and historic facts in mind, over a large time span we can legitimately state that the opinions and ideas that have found fertile ground within the mind of the majority of a developed society will determine the course of that society. This only would work under two important premises: one, the opinions and ideas are effective and at least those who support these views (the majority) benefit from it more than they would benefit under another idea; and two, the majority stays a majority. If people lose interest or ‘external elements’ are added to the society which results in a decreasing number of supporters, the idea would implode and disappear or would at least be marginalised.

 

In this postmodern age of intellectual denomination and the (state-ignited) ideological supermarket and cultural/philosophical relativism that sprout from that, the inflation of ideas, views and ideological prostitution (democratization) has drastically devaluated the absolute value of the single view. The liberal media and political spectre have forced political soldiers to mellow out and incorporate “compromise” within their beliefs in order to disable dissidence and guarantee obedience. These truly are challenging times for the “real” political soldiers, who do not choose the path of the democratic farce and the party-political poker game. He who chooses the path of compromise is not a political soldier, but a diplomat. The political soldier will win or loose, live or die. His ideological flag is clear and unspoiled and shoots straight arguments at his enemies and wears a thick armour that is his credo. He is a noble warrior and should be a dignified victor or a worthy loser. Either way, the political soldier has a clear conscience, fighting for what he believes is right. The political diplomat on the other hand might have an idea as fierce and outspoken as the soldier, but will meet with his opponents in dark alleyways and negotiate. He will mellow his conviction out and therefore betray it. He waives the white flag of surrender, while it is truly the flag of defeat.

 

Doubting victory is admitting defeat. As is embracing compromise.

 

Whether these partycrats call themselves progressive or conservative is totally irrelevant. First of all do they embrace the party-political “game” and therefore can never be considered “progressive” or “reform-minded”, because they choose a system that promises victory, but at the same time guarantees defeat. Second, those who find themselves in or choose to be a part of the majority (the ideological majority and partial majority) can also be named nothing but conservative. He who is in power does not want to ‘change’ the scenery, for he is on the throne, and knows he gained power from the citizens under the present conditions. Even the so-called minority is truly conservative. It can only wait for the majority to make mistakes, and sell that to their electorate, under the present conditions. They are but grey vultures in a farce that is democracy. They can speak of change, but they never will, nor would they want it if they could. Even the libertarians and individual anarchists who choose the way of the party and embrace democracy are not in the clear. Even though their collaboration with the democratic majority spoils their whole mission. And power corrupts. It is unfortunately not certain that, if the libertarians would be on the political throne, they would truly diminish the state. For they are in charge and therefore have power. Power to steer. Power to influence. Power to “reign” in the libertarian ways.

 

Now, those in the political margins of society, who do not embrace the democratic dance of lies and deceit mostly are revolutionaries. They wish to ‘smash’ the system that defines these margins as margins and defines themselves as ‘norm’. But most of these barbarian smashers have an urge to rebuild. To swap roles. To change the rifle from one shoulder to the other. It is the dogma of most of the revolutionaries, especially the egalitarian leftist revolutionaries (the communists, national socialists, national Bolsheviks etc.), because they still do embrace the root of the democratic farce, namely the power of the majority. Whether it be the working class or the ‘elements of racial purity’, their revolution would succeed or fail depending on nothing but numbers. Their ideology is totally subjected to the numbers of its support. Which makes them nothing but democrats themselves. In a time of developed property rights and a strong sense of ownership in the minds of ourselves and others, thinking a revolutionary spirit is slumbering in the minds of the silent majority, is unwise. They are not silent from slumber, but hang on to what they have and what they know. The egalitarian “democratic” revolutionary will time and time again be disappointed by his supporters and therefore by his own ideas. The Russian Revolution failed eventually. Lenin thrived on social injustice and a pandemic identity crisis after a terrible defeat in a terrible war. He did not convince people of the socialist ideal, but convinced people to do away with the tsarist regime and the “old” institutions that clearly failed. If the Russians would truly be communists in their hearts, the Russian state wouldn’t have been smothered by party propaganda, the Polit Bureau and its statist bullying. The Bolshevik revolutionaries failed and will continue to fail, as long as they believe in the greater power of numbers, rather than the power of great ideas.

 

The elitist revolutionary does have a certain sense of intellectual honesty. He is honest enough to acknowledge that embracing the weapon of numbers is embracing democracy and therefore selling out your revolutionary principles. He is mature enough to see that an increase of support, what I call “supportive inflation”, implies a mellowing-out of basic principles in order to keep and keep receiving the new supporters, what I call “ideological devaluation”. He acknowledges that the self is the only one that will fully support and subscribe his own views and that the views of the significant other will always vary. He even admits that the larger the group he identifies himself with, the more his idea would have to devaluate in order to be able to make those connections with others. He therefore chooses to keep his ideological core group small. His basic premise is that this small fraction should gain power, “smash” the system and create an order to their liking, for the simple reason that they know how the system should be and function, and that the majority does not. So in a sense, the only way the differ from an everyday democrat is that the do not embrace the rules of majority versus minority. Whether they would imply an internal democracy or not is again irrelevant. The egalitarian revolutionary plays the game foul, but doesn’t cheat. The elitist revolutionary plays the game foul as well, but cheats in the process. In this sense, the egalitarian revolts in a more honest way, because he still applies the tit for tat strategy within the rules of his game. The elitist is a cheater. He first of all has to get some sort of a numeral advantage to “gain” power. However, he cheats the basic idea of the game theory by not participating in the tit for that. It is a sneaky and ineffective way to revolt. Changing the rules, winning and claiming you beat your opponent fair and square is cheating and this is bound to come back at you. It must not be stipulated any further that the elitist revolutionary needs a costly and effective institute to prevent a bottom-up revolution against their top-down elitism. Both by democratic and egalitarian revolution elements. A fine example of elitist revolutionaries were the Shogun dynasties in 18th and 19th century Japan, who managed to bring down the imperial Japanese state with a very modest number of supporters and warriors. They remained in power for a long time and had an effective government and did not participate nor cause many a conflict during their reign. But then again, they did “create” a system of their own, and for the ‘majority’ of Japanese citizens, the change of power did not matter a great deal for them and did not mess up their way of life or social reality drastically. Also the Roman civil war can be brought down to the elitist war between Marius and Sulla, the populares clan and the optimates clan. However, as understanding I am towards elitist revolution and how I tend to favour its ways over those of the of the egalitarian ‘democratic’ revolutionaries, I cannot support them fully. Never ever. They still believe in the power of successive systems as an answer to society’s problems and needs. They still believe in the power of overthrowing and rebuilding. In fact, their perception that they answer to society’s problems and needs is an illusion. Rousseau’s volonté general is an absolute illusion. There is but the aggregate of wants and needs from society’s subjects, but not a general interest that overrules the wants and needs of the civil subjects. It is their perception, their wants and needs projected with false argumentation to be “in the interest of society”. There can never be accurate ‘social’ planning, mere personal conviction and individual planning. A government, not even another person can “know” what is best for me, only perceive in his own imperfect perception what would be best for me, with the premise that HE would be ME in the given situation. Not that the Ego always knows what is best for himself, the empathy of the other is formed around his ability to put his in your place, not think in your place. Empathy remains an externality of egoism, as stated by Ayn Rand. Altruism is but the institutionalised version of empathy.

The fallacy of the elitist remains however the same. His sense of paternalistic empathy is charming, but wrong. The ruler thinks to rule in the way he THINKS is the best, and is therefore determined by his imperfect perception and entire imperfect human nature. Therefore his analysis of the world and even the perception of its problems are distorted. And as we all know, the first perfect human will be God. Even the leader who claims to act out the word of God will not act legitimately. For his perception of something that is claimed to be perfect will, yet again, be distorted through his imperfect persona. The elitist creates the majority in his own mind and acts as he pleases. In that way he is wrong, being blind towards his own perception and conditions of his nature. He might not think he is God, but his alleged divinity does prove him wrong.

 

What remains of ideas on this good earth, but those of the hermit, the democrat, the elitist and the egalitarian revolutionary? Is there another alternative? In a strict sense there isn’t. In order to manage a society these are the only ones you have. The hermit turns his back on society to live a truly free life. He quits the game, walks away and does not even consider whether he lost or won it. He has no need to play. Therefore no need to win.

The democrats play the game amongst each other in a civilized tit for that game. The winner can be king until he messes up and is defeated by the other democrat. The game does not change and the rules also stay the same. The democrats perform a civilized dance. It doesn’t get them anywhere, but it makes them feel good and safe.

The egalitarian revolutionaries also play along. They accept the rules (which does make them democrats) and when they see their chance, cheat. They play to win and when they seize control over the game, change the rules in their advantage. The egalitarian revolutionaries are cunning, but play at high stake, compromising their power with their numbers and their devaluated ideology. Their revolution is bound to end and bound to be succeeded by another revolution. This, of course, creates an incentive to have a “perpetual” revolution. In order to distract the supporting majority from puppeteering themselves, the puppeteer will constantly chance his mask and tell the spectators that the puppeteer is constantly changing. This is of course a lie, but a cunning way to reduce the chances of a counter-revolution that will sweep the egalitarian revolution away.

The elitist revolutionary does play along, but cheats from the beginning. It requires him, when not yet in power, to be already a part of an elite in order to gain power. The fact that there are consequences in order to be an elitist revolutionary, undermines his whole goal. His strategy is determined by his starting grid. An effective elitist putsch needs help in the right places. And how it will, once succeeded, maintain his power and sell it to the silent “ruled” majority, is unknown. The cost of keeping everyone satisfied and quiet will be very high.

 

Yet, there is another option. Nor is it democratic, nor is it revolutionary, nor is it the way of the hermit. The hermit doesn’t want to play the game. The democrat plays the game according to the rules. The egalitarian revolutionary plays the game according to the rules and changes both game and rules when he wins. And the elitist cheats. Both his counter players, the game and even himself.

 

Yet, there is the political soldier that turns his back from the battle and builds himself a castle. Like Harper’s hermit, he turns his back on the game and refuses to play. But unlike the hermit, he does not withdraw himself from his social reality in order to be truly free. This political soldier withdraws him solely from the game, but remains wandering across the battlefield, across the game table. He is the rejecter. He does not want to play the game, for he knows he already won. In his castle he is king, and outside he is not.

The revolutionaries believe in the power of successive systems. One changing the other and changing the other, time and time again. They do not see that the problems does not lie in the system, but is the system and is any system.

 

The democrats feel safe within their game but are hypocritical stagnant dancers. The egalitarian revolutionary just changes systems. He just puts on another record and performs another dance. Yet his dance is as stagnant and slow as the democrats’ dance, for he beliefs in the power of great numbers, not in the power of great ideas.

The petty elitist lives but in the greatness of his own mind and is drunk with interventionist compulsion. He has a great idea, but does not seem to see that it is but projected on himself and not on his people. Therefore he identifies others with himself, which makes him an egalitarian after all and which makes him the saddest revolutionary of them all.

 

Now the rejecter is noble and truthful. He is in his castle, minding his own business. Does not care about the thoughts of others but those of himself. He does not care whether his views are shared by others or not. He has no desire to play the game, only desire to interact when he has a need or a want. The rejecter looks solely for satisfaction of himself and of those he loves. He does not seek power. In fact, he rejects even the existence of the game. He is the only one who sees that power over oneself is already a difficult and precise science. He has no wish to have institutionalised power over another, let alone their minds or the entire society.

For the rejecter truly is the noblest of political soldiers. By not being one. He rejects the polis. He himself is a polis. He keeps his ruling to himself. The rejecter is a truly great person. And for all I know, I’m the only rejecter I’ve ever met.

Le problème du totalitarisme chez Domenico Fisichella

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SYNERGIES EUROPÉENNES - MAI 1988

 

 

Le problème du totalitarisme chez Domenico Fisichella

 

 

par Marco Tarchi

 

 

On a beaucoup parlé du totalitarisme, on a beaucoup écrit à son sujet depuis une quarantaine d'années, et pas souvent à bon escient. La résonance "sinistre" de ce vocable a servi à canaliser le jugement de l'opi-nion publique contre l'option dangereuse qu'il représentait, à susciter d'incessantes polémiques journa-lis-tiques et à soulever des vagues d'indignations et d'é-motions chez les intellectuels. Après les péri-pé-ties de la guerre froide, pendant laquelle le terme fut brandi comme une épithète infâmante dans la lutte qui opposait l'Occident à l'URSS de Staline, l'alliée ré-pudié des USA, que l'on comparait allègrement à l'Allemagne hitlérienne, l'ennemie sans cesse exé-crée, l'expression "totalitarisme" est ressortie de temps à autre pour désigner le danger que repré-sen-tent les régimes éloignés de l'idéologie et de la pra-xis libérales. D'aucuns, comme le célèbre économis-te Friedrich von Hayek, l'ont utilisée pour disquali-fier en bloc toute forme d'expérience socialiste.

 

 

Né des passions politiques  —les premiers à l'utili-ser furent Amendola et Basso pour fustiger le régime de Mussolini qui, aussitôt, s'en est emparé à son pro-fit, pour en inverser la charge négative—  le mot est rapidement entré dans le vocabulaire de la polito-lo-gie, non sans réserves et précautions. D'une part, l'adjectif "totalitaire" a servi pour identifier et dési-gner des formes de gouvernement que l'on ne pou-vait pas faire entrer dans les catégories classiques d'analyse, forgées par Aristote. D'autre part, on ne pouvait pas ne pas relever le fait que ce terme syn-thétique permettait de mettre en lumière des affinités évidentes entre des régimes inspirés d'idéologies op-po-sées, tout en occultant simultanément les diffé-ren-ces substantielles qui pouvaient exister entre ces ré-gimes.

 

 

Le "totalitarisme": deux générations de politologues se chamaillent à son propos

 

 

Deux générations de sociologues, de politologues et de philosophes de la politique se sont chamaillés à propos de ce terme tabou, sans parvenir à trouver un accord. Les principaux de ces théoriciens ont repéré qu'au 19ème siècle ont émergé divers systèmes pour-vus simultanément 1) des caractéristiques typi-ques des autocraties et des dictatures (une aversion à l'égard du pluralisme politique et de tout contrôle du pouvoir souverain venu "du bas", hypertrophie des pré--rogatives du Chef,...) et 2) de caractéristiques is-sues des modèles démocratiques (légitimation popu-laire, degré élevé de participation des citoyens à la vie publique). Pour ces théoriciens, il est impossible de comprendre et d'étudier la nouveauté et l'origi-na-lité de telles expériences sans créer un critère de clas-sification adéquat, une dénomination ad hoc. La ré-pli-que de leurs adversaires, c'est de dire qu'il y a soit une ambigüité structurelle au sein même de la notion soit que l'application de cette même notion entraîne des distorsions dues à son instrumen-tali-sation. Sartori, Barber, Spiro sont des auteurs qui se sont prononcés dans le sens de ce soupçon. La pal-me du refus revient indubitablement à Georges Mos-se, devenu célèbre pour ses études sur le national-so-cialisme. Son jugement, il l'a exprimé dans Intervista sul nazismo  (1) (= Entrevue sur le nazis-me), accordée à Michael Ledeen; ce jugement est sans appel: le totalitarisme "est un slogan typique de la guerre froide. Il surgit dans les années où il s'avè-re nécessaire de stigmatiser d'un seul coup tous les adversaires des démocraties parlementaires. C'est de ce fait une généralisation fausse; ou, pour dire mieux, c'est, de façon typique, une généralisation qui découle d'un point de vue libéral [...]. Entre Lé-nine, Staline et Hitler, les différences sont grandes et, de plus, les différences entre fascisme et bolché-visme sont énormes. Le concept de totalitarisme voile ces différences, parce qu'en l'utilisant, on en arrive à regarder le monde exclusivement du point de vue du libéral".

 

 

Le concept "totalitarisme" n'est pas infécond

 

 

En entendant ce réquisitoire, on serait tenté de croire que le terme "totalitarisme" est scientifiquement in-fé-cond. Domenico Fisichella, professeur ordinaire de sciences politiques à l'Université de Rome, ne le pense pas. Depuis dix ans, il s'applique à soustraire le mot "totalitarisme" à l'hégémonie de la sous-cul-ture journalistique, avec pour but de le restituer à la science. Il a commencé à le faire dans une série d'es-sais publiés dans Intervento  et Diritto e società,  puis dans un livre devenu célèbre, Analisi del tota-li-ta-rismo,  qui a rapidement connu deux éditions chez l'éditeur D'Anna (en 1976 et en 1978). Aujourd'hui paraît une version mise à jour, remaniée et étoffée, Totalitarismo. Un regime del nostro tempo,  livre ri-goureux dans la méthode et remarquable quant à son épaisseur théorique. C'est une étude vivante et docu-mentée, qui, de ce fait, se prête tant à une introduction exhaustive à l'argumentation qu'à une amorce de discussion.

 

Le pivot central de l'analyse de Fisichella, c'est la con-viction de l'utilité de la notion de "totalitarisme". Celle-ci peut, d'une part, être définie de manière co-hérente, afin d'éviter des tiraillements d'ordre instru-mental ou des usages hors de propos, et, d'autre part, être appliquée à toute une série de cas concrets. Ainsi, le concept peut être conservé car il possède une "capacité prédictive": si l'on est en mesure d'en reconnaître la nouveauté, cette nouveauté qui "obéit au conditionnement d'une société technologiquement avancée", on pourra finalement lancer l'hypothèse que "tous les totalitarismes qui se sont succédé jus-que aujourd'hui constituent à peine les premières épreu-ves, les premiers essais, d'un spectacle qui con-naîtra des suites de grande ampleur et de grande fréquence".

 

 

Le totalitarisme: une réponse à la fragmentation de nos sociétés industrielles avancées

 

 

Première donnée factuelle que nous pouvons retirer de la recherche de Fisichella: le totalitarisme appar-tient de plein titre à notre époque. C'est une réponse à la fragmentation culturelle et sociale qui est typique des sociétés industrielles urbaines. C'est une formu-le qui se destine à éviter la multiplication des conflits locaux et à imposer une sorte de mystique collective aux effets mobilisateurs. C'est une expérience qui n'en-tre pas forcément en contradiction avec la démo-cratie mais s'enchevêtre dans le réseau même de cel-le-ci, comme l'avait déjà bien deviné Jacob Talmon qui, dans Les origines de la démocratie totalitaire (2), analysait les applications qu'avaient déduites les Jacobins de la pensée de Rousseau.

 

 

Pour comprendre le sens de ce concept, il faut donc l'im-merger dans son temps propre, le délimiter tem-porellement, comme c'est la règle dans toutes les sciences sociales, et il faut éviter les transpositions ha-sardeuses, telles celles qu'ont essayés des auteurs comme Barrington Moore (3) qui émettait l'hy-po-thè-se que des totalitarismes avaient déjà existé dans la Chine antique, dans le Japon féodal ou dans la Ro-me de Caton. Dès que cette immersion a été opérée, la "nouveauté" totalitaire émerge clairement: les formes politiques qui l'incarnent ont toutes comme pré-mis-ses l'aliénation et l'homologation des citoyens, ce qui est typique pour les pays où l'accélération du développement technologique a fracassé les modes de vie basés sur les groupes primaires (la famille, la communauté villageoise). Le caractère démocratique du totalitarisme repose en fait sur la légitimation de la part des masses; jouissant d'une telle légitimation, le totalitarisme exprime dès lors un consensus basé sur le grand nombre, sur les agrégats générés par l'urbanisation et le déracinement.

 

 

Domenico Fisichella, un disciple de Hannah Arendt

 

 

A partir d'une telle prémisse  —c'est-à-dire l'iden-ti-fication de la "société de masse" à un lieu où les to-ta-litarismes connaissent une incubation—  s'arti-cu-le toute la construction théorique de l'essai de Fisichel-la: c'est en elle que nous pouvons découvrir l'élé-ment du livre le plus stimulant, le plus producteur de discussions fructueuses. La source principale d'ins-pi-ration du politologue romain, c'est Hannah Arendt, ce qu'elle a dit du totalitarisme et ses obser-va-tions critiques consignées dans Les origines du tota-litarisme.  Bien sûr, dans son introduction et dans le corps de son texte, Fisichella corrige ou atténue quel--ques-uns des aspects les plus tranchés de l'ou-vra-ge-clef de la politologue et philosophe germano-américaine. Le raisonnement de Fisichella, sur ces points, se fait complexe; et pour pouvoir accéder au moins aux traits les plus saillants de ce raisonnement, il me paraît opportun de donner un ordre ana-lytique à la matière, avant de signaler les caracté-ris-tiques du totalitarisme selon Fisichella et, enfin, de lui adresser quelques objections.

 

 

Le totalitarisme a connu le succès, écrit Fisichella, dans les pays où il s'est imposé (les deux cas qui guident la démonstration de Fisichella sont l'Alle-magne nationale-socialiste et la Russie soviétique), parce qu'il a proposé une réponse à la crise de l'Etat, tant de l'Etat démocratique parlementaire que de l'E-tat encore lié à la formule autocratique. Cette crise, amorcée par la multiplication des acteurs politiques et sociaux de masse, déséquilibre en conséquence les systèmes de représentation, et ne peut être perçue comme un résultat du totalitarisme mais comme une donnée continue. A la perte des capacités identifica-trices des institutions étatiques, Lénine et Hitler ne ré--pondent pas, en fait, par une action coercitive restauratrice  —comme dans la tradition des golpe auto-ritaires—  mais par la consécration d'un nouveau su-jet, le parti, qui monopolise le pouvoir. Le mouve-ment de crise se projette du coup au-delà de l'Etat et le parti reproduit celui-ci, opère une duplication, et en amplifie les fonctions, créant simultanément une situation inédite, dans laquelle les compétences et les attributions d'autorité sont réparties selon des nor-mes non écrites et variables, selon les convenances du moment.

 

 

Le totalitarisme: un régime de révolution permanente

 

 

Le totalitarisme est de ce fait, d'après Fisichella, le ré-gime des révolutions permanentes, du nihilisme au pouvoir, de l'incertitude et du mouvement. Dans le to-talitarisme, on ne parvient jamais trop à savoir où se situe le véritable centre de la légitimité ou de l'au-to-rité: chez le Chef? Au parti? Au gouvernement? Dans la bureaucratie? A l'armée? La réponse varie se-lon les époques et aussi selon la position de l'ob-servateur.

 

 

Parce qu'il naît en réponse à un processus de mas-si-fication  —c'est-à-dire de "dissolution des libres as-sociations et des groupes naturels, d'applatissement des pyramides sociales, de liquéfaction des diffé-rences individuelles et des innombrables agrégations de la communauté vivante en une masse grise"—  le to-talitarisme émerge seulement de "situations de catastrophe, ou précipite celles-ci"; il révèle "comme symptôme initial de la "réaction de désastre" un "dé-sorientement total"". Dans un tel désarroi généralisé, face au "caractère plastique et dépourvu de forme de la personnalité des masses", face à l'"homme-mas-se" qui est "sembable à un récipient, toujours prêt à être rempli", le pouvoir totalitaire, qui considère que la révolution est un "office constant", met en acte un projet original de construction de l'homme nouveau, destructeur du vieil ordre démocratico-libéral et fon-dateur d'une ère nouvelle.

 

 

Le totalitarisme: expression politique du "mouvement" du monde

 

 

Les intuitions de Hannah Arendt sur le caractère "de mouvement" que détiennent toutes les expériences to-talitaires, Fisichella les développe et les remodèle sys-tématiquement. Le cadre qui ressort de ce travail de remodelage permet de définir le totalitarisme com-me un régime politique situé au-delà de la loi, qui est dans la perpétuelle impossibilité de se stabiliser, qui, pour éviter toute mise en sourdine, laisse toujours pla--ner une certaine incertitude quant à ses mouve-ments prochains et qui demeure imprévisible quant à ses choix stratégico-politiques et aux sanctions qu'il serait amener à prendre.

 

 

Si l'on garde à l'esprit qu'au fond de toute solution totalitaire, il y a une espérance de type millénariste, un espoir de voir surgir définitivement un "ordre nouveau" qui ferait table rase de la mentalité bour-geoise et de tout ce que celle-ci a produit antérieu-rement, on comprend pourquoi les régimes sovié-tique et nazi ont tenu à maintenir un haut degré de mobilisation populaire, afin d'étouffer le domaine du "privé", par le biais d'une expansion paroxystique de la vie et des devoirs publics. Tel est le premier stra-tagème destiné à bloquer la formation de cette mul-tiplicité de goûts, de styles, d'aspirations et de tendances qui agissent en substrat dans les sociétés pluralistes. Et parce que cette mobilisation "sans par-ticipation" (car, dans le langage de l'auteur, elle est "hétérodirecte", stimulée d'en haut) est constante, le régime impose une guerre civile institutio-nalisée, qui désigne toujours de nouveaux ennemis contre lesquels il s'agit de lutter, et installe l'"uni-vers concentrationnaire" et la terreur en guise de structures politiques afin de détacher les individus hostiles du tissu social.

 

 

Le totalitarisme a besoin d'ennemis

 

 

La propagande et la mobilisation nationales-socia-lis-tes et bolchéviques, souligne Fisichella, sont de type "guerrières et révolutionnaires" et insistent forcé-ment sur les embûches que dressent sournoisement l'"ennemi". Le totalitarisme a donc nécessairement be-soin d'une pluralité d'ennemis pour faire miroiter aux masses qu'il reste un objectif à atteindre. L'in-ven-tion technique du totalitarisme, son coup de gé-nie stratégique, c'est d'indiquer un ennemi objectif qui est tel par configuration métaphysique (c'est le juif ou le "contre-révolutionnaire" potentiel) et, étant de nature métaphysique, il est inépuisable. Avec un éventail de stéréotypes martellé dans les crânes à qui mieux-mieux, doublé d'une théorie conspirative de l'histoire, rendue élémentaire et suggestive, Lénine et Hitler  —mais aussi leurs émules, fidèles, colla-bo-rateurs et successeurs—  finiront en effet par con-vaincre les masses que la révolution et l'ordre nou-veau sont constamment menacés et que dès lors, il n'est pas licite de "baisser la garde".

 

 

Schématiquement, on peut dire que Fisichella met bien en évidence l'essence authentique du totalita-ris-me en signalant sa vocation anti-pluraliste et massi-fiante et en décrit toutes les conséquences pratiques ul-té-rieures (subordination radicale de l'économie à la politique, fin de l'homo oeconomicus, a-classisme, pré-disposition des masses au sacrifice par défaut d'un cadre stable et reconnaissable d'intérêts, etc.). Fi-sichella en arrive ensuite à sa conclusion provo-catrice et, partant, intéressante; il dit qu'étant radi-calement révolutionnaires, tous les phénomènes tota-litaires sont de gauche (le national-socialisme com-pris, dont le caractère anti-bourgeois est répété et attesté). Le livre de Fisichella affronte, chapitre après chapitre, les nœuds principaux de cette ques-tion, dont le problème de la "nouveauté" du totalita-risme, le système de terreur, la révolution permanente, la transformation de la société, le consensus. De plus, ce livre passe en revue deux autres régimes que l'on pourrait encore qualifier de "totalitaires" et introduire dans la catégorie des totalitarismes: 1) le fascisme italien que Fisichella, documents à l'appui, exclut du domaine totalitaire, le considérant au con-traire comme un exemple d'"Etat total" ou "to-ta-liste" et 2) la Chine maoïste qu'il inclut dans sa catégorie du totalitarisme.

 

 

Une nouvelle typologie qui distingue "totalitarisme" et "autoritarisme"

 

 

Dès que l'on referme cet ouvrage, les stimuli de ré-flexion et de discussion apparaissent trop nombreux, trop importants, pour pouvoir être tous consignés dans une simple recension. Certes, plusieurs affir-mations de fond posées par Fisichella ne peuvent qu'ê-tre retenues et, tout d'abord, la rigoureuse distinc-tion qu'il opère entre les régimes totalitaires et les régimes autoritaires. Cette distinction permet d'affir-mer l'utilité du concept de "totalitarisme" (ce que nous avions déjà exprimé dans notre livre Partito unico e dinamica autoritaria  (4), qui aborde le pro-blème de la place structurelle et fonctionnelle du parti dans les systèmes non compétitifs).

 

 

Il reste à voir a) si cette typologie n'a pas besoin de spé-cifications ultérieures; b) quand et à quelle réalité elle peut s'appliquer; c) si sont fondés les arguments des théoriciens de la "société de masse", sur laquelle repose la lecture du totalitarisme comme régime de mo-bilisation permanente.

 

 

Sur le premier point, il me semble que sont per-tinentes les observations de Juan Linz dans son essai si souvent cité: Totalitarian and Authoritarian Regimes. La catégorie linzienne du "régime auto-ri-taire de mobilisation" permet en effet de mieux ren-dre compte des analogies indéniables, d'ordre idéo-lo-gique et pratique, que néglige la dichotomie habi-tuelle entre autoritarisme et totalitarisme. Dans cette perspective, la lecture que donne Linz des fascismes (national-socialisme inclus) s'avère particulièrement efficace: l'identification des sous-types au sein du ge-nus commun autoritaire permet une modulation plus efficiente, finalement, du spectre des différentia-tions.

 

Y a-t-il encore du "totalitarisme" dans le monde?

 

 

Un autre problème sérieux, mais ultérieur, est celui qui peut être réduit à deux questions: quels sont les régimes qui peuvent se dire "totalitaires"? Et s'ils ne le sont pas entièrement, à quel moment le sont-ils? Dans les pages du livre de Fisichella, émergent quel-ques doutes: l'auteur se dit sceptique quant à la pos-sibilité de considérer comme achevée la transition du totalitarisme à l'autoritarisme dans les régimes com-mu-nistes d'Europe de l'Est. Comment est-il possible de repérer les caractères centraux de la définition fi-sichellienne du totalitarisme dans des pays comme la Pologne actuelle, la Hongrie ou la RDA? Et l'"u-ni-vers concentrationnaire" est-il bel et bien existant en Tchécoslovaquie ou en URSS? Et la tendance domi-nante de ces systèmes, tend-elle vers la massi-fica-tion, vers l'anti-pluralisme, vers le contrôle rigide du secteur public sur l'économie? Il nous semble que l'on ne puisse pas du tout l'affirmer péremptoi-re-ment. Et c'est là précisément que surgit le problème que suscite toute lecture arendtienne du totalitarisme: si on l'adopte de façon a-critique, et si l'on partage avec Fisichella l'idée d'une actualité persistante du modèle totalitaire, on finira par ne plus réussir à trou-ver une réalité qui l'incarne. Certes, il y a l'Al-ba-nie. Ou la Roumanie. Sans doute l'Iran (mais que dire du rôle du parti?). Et que penser de Cuba, ou du Vietnam? Et ensuite?

 

 

Corriger le jugement de Hannah Arendt et de ses disciples sur le nazisme

 

 

Le punctum dolens de ce discours, en général, c'est le problème de la "société de masse" et de ses con-sé-quences. La thèse des Arendt, Kornhauser, Sig-mund Neumann, Lederer, etc. a connu pendant quel-ques décennies une vaste popularité et a con-tri-bué a forger le concept de totalitarisme tel que l'ont accepté les sciences sociales. Aujourd'hui, ce con-cept vacille sous les coups de la critique empirique qui en dévoile le substrat philosophique et les préju-gés de valeur. Bernt Hagtvet a très bien démontré, dans son brillant essai intitulé The Theory of Mass Society and the Collapse of the Weimar Republic: A Re-Examination  (5), que la société de Weimar, dont est issu le national-socialisme, était tout autre chose qu'un agrégat social informel et atomisé, dépourvu de toute agrégation d'intérêts reconnaissables et légi-timés: cette République de Weimar était au contraire un réseau dense de réalités associatives des genres les plus divers, réseau que la NSDAP a pu conquérir de l'intérieur dans la plupart des cas, grâce à une capacité d'identification multiforme et élastique. Ri-chard Hamilton (in: Who voted for Hitler?)  et Thomas Childers (in: The Nazi Voter)  ont pu dé-montrer, dans leurs études remarquables quant aux élections, que le degré maximal de consensus en fa-veur du nazisme en marche ne provenait pas des périphéries des métropoles, habitées par des déra-cinés, mais des petits centres agricoles et commer-ciaux. D'autre part, il est vrai que les strates sociales à l'identité la plus solide, comme les catholiques et les ouvriers socialistes, sont celles qui résistèrent le mieux à l'avance hitlérienne. Il n'empêche que ce qui a attiré les individus les moins imbriqués, les moins dotés d'identité sociale, ce fut la promesse de "démobiliser de manière coercitive les conflits", pro-messe qu'incarnaient les nationaux-socialistes, et non le projet de "révolution permanente".

 

 

L'effet de "rassurance"

 

 

Fisichella a néanmoins raison quand il affirme que le totalitarisme "inclut dans son utopie, en tant que dé-passement des frustrations et des insécurités déri-vées d'un état historique dense de tensions, la fin ra-dicale et définitive du conflit, lequel est dissous fina-le-ment dans la "communauté du peuple" et dans la so-ciété sans classes". Mais Fisichella nous convainc moins quand il ajoute que, par un contraste para-doxal, le totalitarisme "s'auto-attribue (et se destine à) une vocation radicale et permanente au conflit et à la guerre". Il nous apparaît toutefois que le citoyen qui obéit à un gouvernement totalitaire n'obéit pas à une angoisse d'insécurité (chose qui est réservée au dissident, à l'opposant) mais à un effet de "rassu-rance", qui non seulement demeure mais se renforce au cours du passage du mouvement totalitaire à la "pillarisation" du régime. De nombreux historiens l'ont démontré: le citoyen de l'Allemagne nazie ou de la Russie stalinienne a largement ignoré les er-reurs et les horreurs: les déportations, les purges, les camps d'extermination. Ce citoyen s'est rassuré sans cesse, s'est senti apaisé en constatant la dis-pari-tion des conflits sociaux que les régimes pré-tota-li-taires n'avaient su ni prévenir ni endiguer.

 

Adepte du totalitarisme est donc celui qui ne sup-porte pas le fardeau que constitue la complexité des so-ciétés modernes, celui qui esquive les conflits tu-mul-tueux qui accompagnent la fragmentation so-ciale, celui qui spécule sur les bénéfices qu'il espère tirer d'un horizon nouveau de pacification mais impo-sé de force. En ce sens, la leçon des totalitarismes est toujours d'actualité et la menace persiste d'un écroulement des situations actuelles où règne un plu-ralisme querelleur et désagrégateur. Les politologues et les opérateurs de la politique en prendront-ils cons-cience rapidement et arracheront-ils le totalita-risme à ses formes trop idéalisées pour le restituer à son authentique banalité, la banalité des solutions qui demeurent toujours à portée de main, la banalité des raccourcis accidentés qu'empruntent ceux qui ne peuvent supporter l'excès d'inquiétude auquel notre temps semble les avoir condamnés.

 

 

Marco TARCHI.

 

 

Domenico FISICHELLA, Totalitarismo. Un regime del nostro tempo,  La Nuova Italia Scientifica, Roma, 1987, p. 195, lire 25.000. Trad. franç.: Robert Steuckers.

 

 

jeudi, 18 juin 2009

Fukuyama persiste et s'obstine

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Fukuyama persiste et s'obstine...

Ex: http://unitepopulaire.org/

« En 1992, Francis Fukuyama publiait son fameux essai sur la fin de l’Histoire, affirmant que l’éternelle guerre des idéologies politiques était terminée et que le concept de la démocratie libérale avait triomphé. Seize ans plus tard, le retour de l’autoritarisme russe, la stabilité du gouvernement communiste chinois et le renforcement des théocraties moyen-orientales semblent avoir donné tort à l’universitaire américain. […]

Pour Francis Fukuyama, les prémisses de sa théorie sont toujours valables : malgré la Chine ou la Russie, la démocratie libérale reste la seule forme de gouvernement globalement acceptée, une sorte d’idéal vers lequel tendent la plupart des pays. "Bien entendu, reconnaît l’universitaire, plusieurs groupes affirment le contraire, comme les islamistes fondamentalistes, mais sur le long terme, je suis confiant, le système démocratique est le seul viable". »

 

L’Hebdo, 2 octobre 2008

 Il faut croire que dans certains esprits, les théories a propri sont plus têtues que l’épreuve des faits… Et pourtant non, Francis, l’Histoire n’est pas terminée et elle ne le sera jamais tant qu’il y aura des hommes sur cette planète ! Car prendre en main son histoire, en tant que peuples et en tant qu’individus, relève d’une liberté inaliénable, celle de l’auto-détermination ; une liberté que les penseurs libéraux, qui n’ont pourtant que ce mot à la bouche, ne semblent pas prêts de nous accorder – ce qui importe peu car nous ne demandons pas leur autorisation. Après « l’horizon indépassable » des lendemains qui chantent soviétiques, les prophètes atlantistes voudraient nous faire croire à un avenir déterminé fait de mondialisme et de démocratie de marché.  A en croire la voix des peuples du monde, il n’est pas sûr que nous allions dans ce sens…

 

Sobre a Autoridade

Sobre a Autoridade

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Um dos pontos débeis do pensamento politicamente correcto é esquecer, ignorar ou não considerar certos temas de todos os dias como a dor, o envelhecimento, a morte, a hierarquia, a ordem, a autoridade.

A respeito deste último tema, sabemos que desde o iluminismo (século XVIII) até ao progressismo dos nossos dias deu-se a negação sistemática da autoridade para substitui-la por critérios meramente racionalistas. Sem notar que não pode existir nenhum conhecimento livre da autoridade, pois ela é um seu elemento constitutivo. Ainda que a autoridade não possa substituir o juízo próprio, ele não exclui que a autoridade seja fonte de verdade.

Por outro lado, nenhum homem pode pensar a partir “somente da sua razão”, mas antes começa a pensar no seio de uma determinada tradição de pensamento ou cultura. Todo o homem nasce dentro de grandes ecúmenos culturais que condicionam o seu sentido de ser no mundo.

Qualquer um que oiça a palavra autoridade associa-a imediatamente com a figura do que manda sendo o seu correlativo aquele que obedece. A relação mando-obediência impõe-se de início como a dupla a partir da qual começamos a entender aquilo que enforma o conceito de autoridade. Esta última podemos caracterizá-la, numa primeira definição, como a imposição da vontade de um homem sobre outro.

Mas assim que nos detemos sobre ela vemos que esta definição não é de todo suficiente porque nos fala mais sobre a consequência do exercício da autoridade do que da autoridade propriamente dita. E as definições para serem completas e acabadas têm de apanhar a essência do que pretendem definir e não somente a sua finalidade.

A versão autoritária da autoridade vincula-a com a obediência, à priori, cega ou mecânica. De facto, esta concepção da autoridade esteve ligada às ordens militares ou religiosas, sobretudo no período de formação dos seus membros. Autoritário é aquele que exerce o seu poder para obter a obediência de outro.

Mas, como dizíamos, a natureza da autoridade não se esgota na obediência mas antes há que encontrá-la a partir do acto de reconhecimento de um saber superior, em qualquer aspecto da vida, que um homem constata noutro. A superioridade do saber do outro sobre o nosso é a origem da autoridade.

A autoridade não se recebe mas antes é concedida por um homem a outro. É concedida por aquele que reconhece no outro um saber ou conhecimento superior ao que ele possui na matéria ou tema de que se trate. Ninguém é autoridade em tudo, é-se sempre autoridade nalguma ordem de coisas, domínios ou disciplinas, ainda que nenhum de nós esteja livre dos “tudólogos”, os que “tudo-sabem”. A única “tudologia” aceitável é aquela dos pais sobre os filhos, e só até aos seis ou sete anos de idade.

A autoridade funda-se sobre o saber reconhecido de alguém e na necessidade que esse conhecimento gera. O centenário filósofo Hans Gadamer (1900-2002) escreveu: a autoridade correctamente entendida tem a ver, não com a obediência, mas com o conhecimento.

O homem, a partir do momento em que reconhece outro como autoridade, confia no que este diz como sendo verdade. É por isso que a autoridade pressupõe o conhecimento ou o saber daquele que a exerce, enquanto a obediência revela o poder, indica-nos o exercício concreto de autoridade de quem a exerce.

Assim, a autoridade, que como exercício se manifesta no campo político-social pôde ser definida, muito acertadamente, pelo filósofo céptico Giuseppe Rensi (1871-1941), na sua obra Filosofia da Autoridade (1920) como:”o acto que determina o que de facto vale como justiça e moral…entre opostas verdades teóricas racionalmente possíveis é a autoridade que decide o que de facto deve valer como se fosse a justiça, o bem, a verdade”

A objecção que nasce da politologia e da sociologia ao observar que nas nossas sociedade nem todas as autoridades dizem a verdade, pois existem autoridades que infundem conhecimentos falsos para manipular as pessoas, objecção que também pode aplicar-se à manipulação de grupos sociais menores, é difícil de contestar. Há que fazer a distinção entre “potestas” e “auctoritas”. A autoridade entendida como poder pode mentir, e de facto mente, para alcançar a obediência, mas a autoridade enquanto “auctoritas”, ou seja, em si mesma, funda-se sobre a verdade. Pois o conhecimento é sempre verdadeiro, um falso conhecimento é um desconhecimento.

Ainda que a autoridade gere obediência, ela não é obediência, essa é a consequência do exercício da autoridade. Mas, a autoridade tem como finalidade somente alcançar a obediência ou procura, e pode, aspirar a algo mais?

Uma vez mais temos que aplicar o velho princípio metodológico da filosofia clássica “distinguere ut iungere” (distinguir para unir) e assim discriminar entre bens externos e bens internos. A autoridade, no campo dos bens externos, pode, numa prática mal feita (uma pseudo-investigação) lograr prestígio, fama e dinheiro. Há tansíssimos académicos de pacotilha hoje em dia. Mas, pelo contrário, a autoridade, nos bens intrínsecos, só se pode afirmar realizando bem a prática em questão. Os bens internos a determinada prática só se podem obter realizando bem essa prática.

Assim, pôde afirmar o grande filósofo escocês Alasdair MacIntyre (1929- ) que a virtude (analogicamente a autoridade) só pode ser definida em relação com as práticas e com os seus bens internos.

E estes bens internos não são só para quem os realiza mas são bens para toda a comunidade. Uma autoridade, mesmo a mais isolada, é sempre uma autoridade socialmente reconhecida.

Assim, o pseudo-investigador do exemplo, esses especialistas das Comissões e das Academias, usurpadores de bolsas, prestígios e cânones, poderão ter um currículo alargado e ganhar bom dinheiro, mas o que nunca terão é a satisfação de ter podido ampliar os conhecimentos das suas disciplinas, metodologicamente garantidos pela prática de investigar e a autoridade que os guia.

Vemos, então, como a natureza ou essência da autoridade se revela de duas formas: por um lado no reconhecimento do superior por parte do inferior, e por outro no serviço do superior ao inferior por meio de uma boa prática. A finalidade última da autoridade é o progresso existencial dos que a acatam. Dá-se, assim, por cumprido, o último sentido etimológico de “auctoritas”, que os romanos entendiam como reconhecimento, respeito e aceitação, que deriva do substantivo “auctor” = criador, autor, instigador, por sua vez derivado do verbo “augere”, que significa aumentar, fazer progredir.

Alberto Buela, Arbil nº118

mercredi, 17 juin 2009

Sobre a Igualdade

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Sobre a Igualdade

Robert Steuckers, numa entrevista de Maio de 1998, sobre o igualitarismo e a posição da Nova Direita francesa face ao tema

Que diferença entre Nietzsche e Marx quando nos colocamos no ponto de vista do igualitarismo moderno? Para Marx a injustiça provoca a desigualdade, para Alain de Benoist, neste sentido pós-nietzschiano, a injustiça instaura-se precisamente porque vivemos numa era igualitária.

(Robert Steuckers) – A sua questão inscreve-se numa problemática de ordem semântica. Você procura ver clareza na manipulação em todos os sentidos das “grandes palavras” do debate político-social: justiça, liberdade, igualdade, etc., todas estão desvalorizadas pelos “discursos gastos” da política politiqueira. Tentemos clarificar esse debate.

1)Para Marx, efectivamente, a injustiça social, a não redistribuição harmoniosa dos rendimentos sociais, a concentração de capitais em muito poucas mãos provocam uma desigualdade entre os homens. É preciso, portanto, redistribuir justamente, para que os homens sejam iguais. Serão iguais quando não mais forem vítimas de qualquer injustiça de ordem material (baixos salários, exploração do trabalho humano, incluindo crianças, etc.).

2)Para a tradição dita “inigualitária” da qual se afirmou Benoist no início da sua carreira “metapolítica”, a injustiça é que os indivíduos excepcionais ou sobredotados não recebam tudo o que lhes é devido numa sociedade que visa a igualdade. Neste sentido, “igualdade” significa “indiferenciação”. Esta equação é sem dúvida plausível na maioria dos casos, mas não o é sempre. Alain de Benoist teme sobretudo o nivelamento (por baixo).

Estas opiniões desenvolvem-se ao nível da vulgata, da doxografia militante. Para aprofundar o debate é preciso recapitular todo o pensamento de Rosseau, o seu impacto sobre o socialismo nascente, sobre o marxismo e sobre as múltiplas manifestações da esquerda contestatária.

De qualquer modo, no debate actual, convém sublinhar o que se segue:

a)Uma sociedade equilibrada, consensual, harmoniosa, conforme a uma tradição, cria a partir dela mesma a justiça social, gera-a espontaneamente, ela é atravessada por uma lógica de partilha (dos riscos e dos bens) e, parcialmente, de doação. Ela evita as clivagens geradoras de guerras civis, e portanto as desigualdades demasiado gritantes em matérias económicas. A Roma antiga dá-nos bons exemplos na matéria, e não somente no caso das reformas dos Gracos (às quais se referem os marxistas). Os excessos de riqueza, as acumulações muito flagrantes, as especulações mais escandalosas, a usura, eram reprimidas por multas consideráveis e reinvestidas nas festividades da cidade. As pessoas divertiam-se à posteriori com o dinheiro injustamente ou exageradamente acumulado. As multas, aplicadas pelos edis curuis, taxavam aqueles que transgrediam contra a frugalidade paradigmática dos romanos e beneficiavam o povo. A acumulação exagerada de terras aráveis ou de pasto eram igualmente objecto de multa (multo ou mulcto).

b)A prática da justiça está, portanto, ligada à estrutura gentílica e/ou comunitária de uma sociedade.

c)Uma estrutura comunitária admite as diferenças entre os seus cidadãos mas condena os excessos (hybris, arrogância, avarice). Esta condenação é sobretudo moral mas pode revestir-se de um carácter repressivo e coercivo através das autoridades públicas (a multa reclamada pelos edis da Roma antiga).

d)Numa estrutura comunitária há uma espécie de igualdade entre os pares. Mesmo se certos pares têm direitos particulares ou complementares ligados à função que ocupam momentaneamente. É a função que dá direitos complementares. Não há traço de inigualdade ontológica. Ao invés, há inigualdade das funções sociais.

e)Uma estrutura comunitária desenvolve simultaneamente uma igualdade e inigualdades naturais (espontâneas) mas não procura criar uma igualdade artificial.

f)A questão da justiça regressou à discussão no pensamento político americano e ocidental com o livro de John Rawls (A Theory of Justice, 1979). O liberalismo ideológico e económico gerou no pensamento e na prática social ocidental um relativismo cultural e uma anomia. Com este relativismo e esta anomia os valores que cimentam a sociedade desaparecem. Sem estes valores, deixa de haver justiça social, já que o outro deixa de ser considerado como portador de valores que também partilho ou outros valores que considero eminentemente respeitáveis, ou deixa de haver valores credíveis que me constrinjam a respeitar a dignidade de outrem. Mas no contexto de uma tal perda de valores deixa também de haver comunidade coerente. A esquerda americana, que se entusiasmou com o livro de Rawls, quis, numa segunda vaga, restaurar a justiça reconstituindo os valores que cimentam as comunidades naturais que compõem os Estados e as sociedades políticas. Reconstituir estes valores implica forçosamente uma guinada à “direita”, não uma direita militar ou autoritária, mas uma direita conservadora dos modelos tradicionais, orgânicos e simbióticos da vida-em-comum (a “merry old England”, a alegria francesa, a liberdade germânica nos cantões suíços, etc.)

g)A contradição maior da Nova Direita francesa é a seguinte: ter sobrevalorizado as inigualdades sem sonhar em analisar seriamente o modelo romano (matriz de muitos delineamentos do nosso pensamento político), ter sobrevalorizado as diferenças até ao ponto de, por vezes, aceitar a hybris, ter simultaneamente cantando as virtudes da comunidade (no sentido definido por Tönnies) ao mesmo tempo que continuava a desenvolver um discurso inigualitário e falsamente elitista, não ter compreendido que estas comunidades postulavam uma igualdade de pares, ter confundido, ou não ter distinguido correctamente, essa igualdade de pares e a igualdade-niveladora, ter desenvolvido teses críticas sobre a igualdade sem ter levado em conta a “fraternidade”, etc. Daí a oscilação de De Benoist relativamente ao pensamento de Rousseau, rejeição completa no início da sua carreira, adesão entusiasta a partir dos anos 80 (cf. intervenção no colóquio do G.R.E.C.E. de 1988). Com a abertura do pensamento comunitário americano (cf. Vouloir n°7/NS e Krisis n°16), que se refere à noção de justiça teorizada por Rawls, a primeira teoria neo-direitista sobre a igualdade despedaça-se e é abandonada pela nova geração do G.R.E.C.E.

h)A igualdade militante, leitmotiv que estruturou o passo de todos os pensamentos políticos dominantes na França (NdT: e na Europa), é uma igualdade que visa o nivelamento, o controlo das mentalidades e dos corpos (Foucault: “vigiar e punir”), a redefinição do território, que se desenrola de forma sistemática para transformar a diversidade fervilhante da sociedade civil numa “cidade geométrica” (Gusdorf). Numa acção dessas as comunidades e as personalidades são disciplinadas, são-lhes impostas interdições de exprimirem a sua espontaneidade, a sua especificidade, o seu génio criativo. A vontade de restaurar essa espontaneidade, essa especificidade e esse génio criativo passa por uma recusa dos métodos de nivelamento igualitarista sem, contudo, impedir que se pense a igualdade em termos da igualdade de pares e de “phratries” comunitárias, bem como de pensar a “fraternidade” em sentido geral (terceiro termo da tríade revolucionária francesa, mas abandonado em quase todas as práticas políticas pós-revolucionárias). A Nova Direita francesa (contrariamente às suas congéneres alemã e italiana) geriu mal esta contradição entre a primeira fase da sua mensagem (obsessivamente anti-igualitarista) e a segunda fase (neo-rousseauniana, pela democracia orgânica, comunitária, interessada pela teroria da justiça em Rawls). O resultado é que continua a ser sempre vista como obsessivamente anti-igualitarista nas fontes historiográficas mais correntes, quando na realidade desenvolve um discurso muito diferente desde há cerca de uma dúzia de anos, pela voz do próprio De Benoist e Charles Champetier.

Orientations générales pour une histoire alternative de la pensée économique

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

 

 

Orientations générales pour une histoire alternative de la

pensée économique

 

(extrait d'une leçon donnée à l'Université d'été du GRECE, août 1991)

 

par Robert STEUCKERS

 

L'approche contemporaine de l'histoire des pen­sées économiques s'oriente essentiellement, de nos jours:

1) sur le «contexte»; l'accent est mis sur les pa­ramètres du temps et de l'espace; on ne pense plus l'économie de manière mondiale et universa­liste mais, avant d'énoncer un théorème, on ana­lyse son site et son époque, tout en ayant cons­cience que, de ce fait, ce théorème ne sera pas transposable dans un autre contexte.

2) sur une volonté de «fertilisation croisée»; on acquiert conscience que la vérité n'est plus con­centrée dans un et un seul corpus doctrinal; au niveau de la théorie économique, on admet au­jourd'hui une concurrence positive entre les théo­ries et les doctrines.

3) on accepte que derrière les «thèmes centraux», propres à toutes les pensées économiques, se pro­filent des idéologies, des valeurs, des intérêts, des psychologies et des conflits qui ne se laissent pas réduire à un simple calcul utilitaire.

4) le gros problème que doit affronter aujourd'hui la pensée économique, c'est la disparition du mar­xisme. Habitués à raisonner en termes de «capitalisme» et de «socialisme» (marxiste), nous entrevoyions bien la possibilité de fonder des pratiques tierces, inspirées de modèles di­vers, en marge des idéologies économiques do­minantes. Aujourd'hui, ces pratiques ne sont for­cément plus tierces mais alternatives, puisque nous n'avons plus un «marxisme» (sinon à Cuba ou en Chine, c'est-à-dire en dehors de l'œkou­mè­ne idéologique européocentré, Japon compris), mais un conflit entre une idéologie dominante, qui est le libéralisme flanqué d'alliés qui ten­dent plus ou moins vers le libéra­lisme, et une vo­lonté de rupture, qui est hérésie, hétérodoxie.

 

Pour amorcer notre travail de généalogie des pen­sées économiques, disons, pour simplifier au seuil de notre exposé, que les orthodoxies, dont le libéralisme actuellement dominant, partent de présupposés philosophiques d'inspiration méca­ni­ciste  et sont portés par une démarche monolo­gique. Les hétérodoxies, quant à elles, reposent sur des présupposés philosophiques organiques,  qui induisent des faisceaux de démarches pluri­logiques.  En distinguant entre «orthodoxies» et «hétérodoxies», nous suivons une classification didactique devenue courante dans l'espace lin­gui­stique francophone (1). Par «orthodoxies», nous entendons le libéralisme classique, tant dans ses orientations utilitaires que dans ses orientations moralisantes, le marxisme et la tentative de synthèse keynésienne. Par «hété­ro­doxies», nous entendons toutes les théo­ries et doctrines qui font appel à l'histoire, aux faits his­to­riques, à la sphère du politique, aux institutions ou aux structures mentales, et englo­bent ces para­mètres dans leurs raisonnements. Par cet appel à l'histoire et aux spécificités non économiques des sociétés, ces hétérodoxies ne s'accrochent plus exclusivement à la seule lo­gique mar­chan­de, utilitaire et mathématisée (mathématisée par une mathématique qui n'inclut pas assez de fac­teurs de variation; loin de nous l'idée de vouloir exclure toute mathéma­tique du discours éco­no­mique!).

 

1. La théorie libérale/classique:

 

Pour comprendre le fonctionnement et les insuf­fisances de la théorie libérale classique, la pre­mière des orthodoxies, nous devons comprendre le contexte idéologique dans lequel elle a vu le jour. Ce contexte est celui du XVIIIième siècle, où domine l'idéologie rationaliste. Ce n'est évi­dem­ment pas la rationalité en soi qui fait pro­blème; il nous apparaît spécieux d'opposer, com­me l'a fait Lukacs (2), le «rationalisme» à l'«ir­rationalisme», où, pour prendre le contre­pied des affirmations marxisantes et rationa­listes de Lu­kacs, nous nous affirmerions «militants irra­tio­nalistes». Ce qui pose pro­blème, c'est le méca­ni­cisme de ce rationalisme du XVIIIième siècle. Est seul «rationnel», dans cette optique, ce qui est mécanique, explicable par la mécanique. C'est une démarche intellectuelle illustrable par la «métaphore de l'horloge» (3). Pour le rationa­lis­me du XVIIIième siècle, le monde, l'Etat, la so­ciété sont comparables à des systèmes d'hor­lo­gerie, entretenu par un horloger bienveillant, le monarque éclairé, qui fera bientôt place à un gouvernement républicain, du moins en France. Or, si l'on perçoit le monde et la sphère politique comme une horloge, cela im­plique qu'il y a «fai­sabilité totale» de toute chose; on peut fabriquer, déconstruire et refabriquer un Etat comme on fabrique, déconstruit et refabrique une horloge. On peut remplacer à loisir les rouages, les en­gre­nages et les ressorts qui sont défectueux. La vo­lonté politique ne réside pas au sein du «corps so­cial», de la Nation, mais leur est extérieure. La volonté du monarque, détaché du corps social, de la Nation, peut intervenir à tout moment, dé­mon­ter les éléments constitutifs de ce corps, arrêter son mouvement puis le réen­clencher à sa guise. Ce qui signifie que le temps de l'horloge est mort; ou plutôt inexistant, ou en­core, impulsé de l'ex­té­rieur, sans qu'il ne soit tenu aucun compte des forces générées par l'intériorité d'un corps so­cial. La «métaphore de l'horloge», et celle de l'hor­loger, reposent, a for­tiori, sur une prétention de connaître tous les pa­ramètres de l'univers. Comme on les connaît tous, on est forcément op­timiste. Les paramètres qui sont là aujourd'hui seront là demain. Immuablement. Ici réside évi­demment la fai­blesse de cette démarche et de cette métaphore; le pessimisme est supérieur, puis­qu'il sait d'emblée qu'il est impossible de con­naître tous les paramètres de l'univers. Pour le pes­si­miste/réaliste, toute action implique de ce fait un risque, celui de voir surgir inopinément un pa­ramètre jusqu'alors ignoré. Le pessimiste pré­voit les aléas, tient compte du tragique et mène son action en sachant que les illusions ne paient pas.

 

La métaphore de l'arbre

 

La pensée européenne, surtout en Allemagne et dans les pays slaves, constatera assez rapide­ment les limites du mécanicisme «horloger». La pen­sée romantique, explorée par Georges Gus­dorf (4), certaines intuitions de Kant (que Kon­rad Lorenz fera fructifier), le Goethe de la Far­ben­lehre,  le poète et philosophe anglais Colerid­ge, etc. ont opposé, explicitement ou im­plici­te­ment, la «métaphore de l'arbre» à la «métaphore de l'horloge». L'arbre n'est pas fa­briqué mais naît au départ d'une infinité de fac­teurs qu'il est impossible de comptabiliser, de re­constituer dans son ensemble. La «métaphore de l'arbre» exclut dès lors la faisabilité mécanique. On ne rem­pla­ce pas des feuilles, des morceaux d'écorce, des branches comme on remplace des rouages, des ressorts, etc. L'arrachage est tou­jours blessure. La volonté de croissance de l'arbre est intérieure à lui-même et diffusée dans tout son corps. Idem pour l'animal, l'homme, la communauté, le peu­ple (le Volk,  je ne dis pas la «nation»). Toute in­ter­vention implique un risque, à l'instar d'une in­tervention chirurgi­cale; on ne peut pas dévis­ser une tête puis la re­visser aussitôt; on ne peut pas désosser un indi­vidu puis refabriquer son sque­lette. Le temps de la «métaphore de l'arbre» est dynamique, sou­mis aux aléas, vivant; il exis­te concrètement. Ce temps n'est pas impulsé de l'extérieur mais gé­néré de l'intérieur. Il échap­pe à toute quantifica­tion sommaire. Com­me il y a une infinité de facteurs qui participent à la naissance de l'arbre ou de l'animal, il y a, ip­so facto, impossibilité de connaître tous les para­mètres de l'univers. Donc, il y a omniprésence du risque, des aléas; il y a à la fois fragilité et solidité organiques du corps social ou national. Fragilité et solidité qui demandent une attention constante, qui deman­dent la patience du jar­di­nier.

 

Conclusion: l'optimisme mécaniciste conduit à la pensée utopique; le pessimisme organique, est ouverture aux innombrables paramètres qui com­posent l'univers. L'optimisme mécaniciste, malgré ses déficiences, parvient, par son sim­plisme intrinsèque, à répandre dans le corps so­cial des idéologies ou des théories économiques facilement instrumentalisables, démontrables, illustrables. Le pessimisme organique, reposant sur une épistémologie complexe, tenant compte d'une infinité de paramètres, est difficilement instrumentalisable. La multitude des para­mè­tres oblige à les démontrer en détails, à repé­rer leurs compositions.

 

Résultat politique: les idéologies à fondements mécanicistes obtiennent aisément la victoire sur le terrain, jusqu'à l'absurde comme le montre la chute du communisme soviétique. Aux Etats-U­nis, le désastre de l'enseignement et de tous les autres secteurs non-marchands entraînera à moyen ou long terme une fragilisation de l'éco­no­mie elle-même; les Etats-Unis ne tien­nent que parce qu'ils importent des cerveaux eu­ropéens ou asiatiques.

 

Locke, Mandeville, Smith

 

Revenons à la théorie libérale/classique propre­ment dite. Examinons deux des inspirateurs de son père fondateur, Adam Smith: John Locke (1632-1704) et Bernard de Mandeville (1670-1733). John Locke préfigure le libéralisme dans la me­sure où il opère une distinction entre «société ci­vile» et «sphère politique» ou «raison d'Etat». Cet­te séparation, prélude au réductionnisme ma­jeur qui sévira en économie, détache celle-ci de l'histoire, de la mémoire du peuple, des institu­tions qui cristallisent des réflexes légués par cette mémoire. Mandeville, lui, théorise l'indi­vi­du égoïste, non moral. L'égoïste est supé­rieur à l'homme moral car, démontre Mandeville, le lu­cre génère la richesse tandis que la vertu fait péricliter l'économie. Mandeville n'attribue à au­cune part du corps so­cial une «subjectivité sai­ne». Son système ne prévoit aucun recours à la mémoire, aucune ges­tion méticuleuse du patri­moine. Nous sommes en face d'un présentisme pur, qui vaut pour la vertu comme pour le lucre.

 

Ces deux théoriciens, qui comptent parmi les pè­res fondateurs de l'idéologie occidentale, jet­tent les bases d'une méthode qu'avec les tenants de l'«école historique», nous rejettons. Cette mé­tho­de fait problème parce qu'elle est abstraite: elle fait abstraction des paramètres de la mé­moire, qui s'est cristallisée dans les institutions poli­ti­ques. Cette méthode fait également pro­blème par­ce qu'elle est strictement déductiviste. Dans l'œu­vre d'un Mandeville, par exemple, les faits sont sollicités pour illustrer les théories et non l'inverse. S'ils sont sollicités a posteriori, c'est que le théoricien opère une sélection de faits. Et que les faits qu'il sélectionne de la sorte ne sont pas tous  les faits. Conséquences: de telles théo­ries ne procèdent pas de l'observation de la mul­tiplicité des faits (Malthus sera le premier à tenir compte des statistiques); si ces théories ne repo­sent que sur des sélections de faits, elles ignorent subséquemment tous les faits qui pour­raient les contredire ou bousculer leur harmonie. Refusant de tels aléas, elles sont donc statiques, se pré­ten­dent «équilibrées», par le truchement de la «main invisible», et posent les lois écono­miques comme éternelles.

 

Adam Smith, père fondateur du libéralisme pro­prement dit, célèbre pour son ouvrage De la ri­chesse des nations,  pense un homme rationnel. Mais agi par quelle rationalité? Une rationalité calculante. Qui calcule quoi? L'équilibre entre les instincts égoïstes (qui dominent dans la sphè­re économique) et les instincts altruistes (qui do­minent dans la sphère sociale). Ces ins­tincts s'opposent dans l'esprit même de l'individu. Ce­lui-ci calcule pour équilibrer ses pulsions égoïs­tes et ses pulsions altruistes, afin d'en tirer le meil­leur profit. Ce calcul intéressé conduit à l'harmonie sociale par une sorte de ré­gulation spontanée. Toute une pensée écono­mique naîtra de cette anthropologie outranciè­rement simplis­te. La paresse intellectuelle em­pêchera écono­mis­tes et idéologues libéraux de re­chercher une anthropologie plus élaborée, lais­sant une plus lar­ge part aux pulsions non calcu­lantes, à l'ir­ra­tionalité, aux réflexes histori­quement détermi­nés. Le libéralisme d'inspiration smithienne pri­vilégie l'offre et néglige la demande précisé­ment parce que celle-ci repose souvent sur des mobiles autres que la stricte rationalité calcu­lan­te (c'est le reproche qu'adresseront au libéra­lisme pur et au marxisme des hommes comme Keynes ou Henri De Man). Autre erreur qui prend sa source dans l'œuvre de Smith: la divi­sion du travail; chaque nation doit se spécialiser pour obtenir une produc­tivité supérieure. Smith transpose ainsi la spé­cialisation individuelle dans la sphère commu­nautaire/nationale. Ré­sul­tat: ruine des cultures vivrières, notamment, aujourd'hui, dans le tiers-monde (Brésil, etc.); dé­pendance alimen­taire accrue des nations eu­ro­péennes et nécessité de la dispersion coloniale.

 

David Ricardo,

logicien de l'économie

 

David Ricardo (1772-1823), fils de banquier lon­donien, a été, dès son plus jeune âge, un redou­table financier qui fit fortune à partir de ses 18 ans. L'école historique/réaliste jugera sévère­ment son œuvre, lui reprochant de s'égarer dans l'abstraction, dans le calcul de la rente découlant de la valeur-travail. Le marxisme reprendra sa définition de la valeur-travail. Mais Ricardo fait avancer la théorie économique: il la sort de l'impasse où l'avaient fourvoyée les spéculations post-smithiennes sur l'individu calculateur. Ri­car­do sort de l'économie réduite à l'offre: il ne s'interroge plus seulement sur la production des richesses mais sur leur répartition. Rompant im­pli­citement avec l'abstractionnisme libéral, Ricardo analyse la structure de la société de son époque. Il constate qu'elle est divisée en trois ca­tégories de personnes:

1) Les propriétaires qui vivent de la rente fon­ciè­re;

2) Les capitalistes industriels qui tirent profit de leur industrie;

3) Les ouvriers qui vivent de leurs salaires.

Cette tripartition est le propre de la société indus­trielle naissante; ces personnages-types, ces pro­to­ty­pes, s'agitent comme des marionnettes sur un théâtre «où les aspects protéens du monde réel ont été réduits à une sorte de caricature unidi­men­sion­nelle; c'est un monde totalement dé­pouillé, si ce n'est de motivations économiques» (5). Les ouvriers, dit Ricardo, ont pour seule préoccupa­tion les «délices domestiques», ce qui fait que lors­que les salaires augmentent, ils pro­créent à outrance et provoquent un accroissement démo­gra­phique qui, à son tour, provoque la mi­sère (en disant cela, Ricardo admet implicite­ment que le calcul n'est pas le seul mobile hu­main; la pul­sion sexuelle et procréatrice en est une autre). Les capitalistes sont des «machines écono­mi­ques» avides d'auto-expansion. Chez eux, les seuls mobiles sont économiques. Mais leur posi­tion est menacée par les inventeurs qui, par leurs inventions, défient le processus d'accumulation, que l'on souhaiterait constant. Les propriétaires sont les seuls bénéficiaires de l'organisation so­ciale; en effet, leurs revenus ne baissent pas lors­qu'il y a accroissement démo­graphique donc di­minution des salaires; ils ne baissent pas da­van­tage face à la concurrence et ne sont pas me­nacés par les innovations tech­niques. Conclu­sion: la terre est la seule richesse. Problème: la terre se voit relativisée à son tour quand les co­lons défrichent le continent nord-américain et y fondent des fermes et quand la chimie invente de nouveaux engrais.

 

Après Ricardo et son analyse de la société, le prin­cipal problème de l'économie, c'est, désor­mais, de déterminer les lois qui règlent le pro­blème de la distribution, afin d'enrayer les fa­mi­nes dues à l'augmentation des salaires et de la population. Une distribution suppose des pro­por­tions donc des luttes entre catégories sociales inégales pour s'attribuer la plus large proportion possible des richesses nationales. Ricardo ouvre ainsi la problématique du socialisme. Car la ré­partition ne relève plus des «lois naturelles» spon­tanées, issues de l'action bienfaisante de la «main invisible», mais de la volonté d'orga­ni­sa­tion, des institutions, donc de la vo­lonté politi­que. Seule différence entre Ricardo et les socia­listes: Ricardo n'invoque pas la justice, idée non utilitaire ne procédant pas d'un calcul. Les so­cia­listes le feront dans son sillage quelques an­nées plus tard.

 

Avec l'œuvre de Ricardo, nous sortons du réduc­tionnisme anti-sociologique. Plus possible dé­sor­mais d'évacuer la lutte, le conflit, générateur d'innovations; après Ricardo, nous n'avons plus de monde harmonieux; la société n'est plus une ruche immuable comme l'avait imaginé Man­deville.

 

Que conclure de l'œuvre de Ricardo? Ses spécula­tions sur la distribution du blé au sein de la popu­lation (Essai sur l'influence d'un bas prix du blé sur les profits, 1815) ramènent l'économie à des dimensions réelles; son pessimisme, quant à l'évolution démographique ascendante, montre qu'il raisonne en termes de risque. Il réintroduit l'aléa. Seul point qui fait que Ricardo n'est pas un «hétérodoxe» au plein sens du terme: il a vou­lu trouver une valeur invariable, une mar­chan­dise-étalon, l'or. Sa pensée est néanmoins mobi­lisée par les écoles hétérodoxes contempo­raines, notamment grâce aux ouvrages du «néo-ricar­dien» Piero Sraffa (1898-1983), qui s'est at­taché à mettre en exergue les ferments hétéro­doxes de sa pensée.

 

(XXXXXXXXX: dire que nous avons parlé de J.S.Mill, de l'utilitarisme, de Peter Ulrich (12M)).

 

2. Critique de

la notion d'équilibre

 

Formalisée par Walras et Pareto, la notion d'é­qui­libre, que l'on retrouve dans toutes les théo­ries orthodoxes, mérite d'être critiquée, es­sen­tiel­lement parce qu'elle participe de cette vo­lonté d'abstraction que nous avions déjà repérée chez Locke, Mandeville et Smith. Pourquoi? Parce qu'en dépit d'une certaine nécessité for­melle, la science économique, pas plus que toute autre scien­ce, ne peut ignorer les fins (notamment les fins politiques) et les valeurs su­périeures (reli­gieuses ou métaphysiques); fins et valeurs qui transcendent, bien évidemment, le calcul ou le pa­radigme d'utilité. L'équilibre, chez Walras, était certes une situation perçue comme purement idéelle et non réelle, mais, à sa suite, des simpli­ficateurs ont eu tendance à vou­loir pérenniser l'idéal, à croire qu'il était pos­sible à jamais. Les raisonnements qui se sont habitués à vouloir un équilibre ont tous été dé­sarmés quand il y a eu ir­ruption de nouveauté. Dans la pratique politique, une telle candeur peut être dangereuse. Pareto, pour sa part, parlait d'«optimum général». Mais sa sociologie dé­mentait ce fixisme en étudiant l'irrationnel, les mobiles autres que rationnels, qu'il appelait «dérivations» ou «résidus» (6), l'as­cension des élites qui innovaient et la chute de celles qui sta­gnaient. 

 

Cette évolution de la pensée économique, que l'on perçoit entre Walras et son élève Pareto, nous in­dique quel principe doit nous guider. Celui d'un re­jet constant des raisonnements en termes d'é­qui­libre, au profit d'approches dynamiques. «Dans tous les domaines, aux équilibres smi­thiens (keynésiens ou soviétiques), se substitue peu à peu une relecture de l'économie où prédo­minent les affrontements, les déséquilibres de situations, les stratégies. Il n'y a plus de "mains invisibles" mais l'action de pouvoirs concrète­ment situés» (7). Tout en sachant qu'il y a éga­lement en permanence un choc entre divers ni­veaux de rationalité, à la formalisation mathé­matique (dont nous ne nions pas la nécessité), à la méthodologie individualiste, à la réduction a-tragique, nous privilégions les méthodes histo­riques, organiques, contextualisées. Cette que­rel­le de méthode, le XIXième siècle l'avait déjà connue, avec, d'une part, l'école historique alle­mande, et, d'autre part, l'école de Vienne, réno­vatrice de la méthodologie individualiste.

 

L'Ecole historique allemande

et l'Ecole de Vienne

 

Un ouvrage français d'introduction à l'histoire des pensées économiques (8) résume les grandes lignes de ces deux écoles comme suit: «L'école historique allemande refuse l'individualisme mé­thodologique. Schmoller refuse de fonder l'a­nalyse économique sur l'individu et son cal­cul; au contraire, il développe l'idée d'une éco­nomie inscrite dans l'histoire des peuples. Plus géné­ra­lement, son courant développe une ap­proche glo­balisante de l'économie. Pour Schmoller, il faut décrire, classer, distinguer les régimes écono­miques. Chaque moment de l'histoire est unique et forge des institutions qui régulent un type don­né de croissance. La prise en compte des insti­tu­tions, la nécessité de tempérer la concurrence par une intervention de l'Etat marquent la pensée al­lemande... Ainsi, le ga­rantisme social de Sis­mondi trouve un écho dans une Prusse où Bis­marck met en place une forme de protection so­cia­le. Un Etat fort intègre la classe ouvrière par une assistance qui la dé­tourne de la révolte et de la révolution... Pour Wagner (1835-1917), le ca­pi­talisme mixte est une solution de compromis en­tre le capitalisme con­currentiel et le socia­lisme».

 

Quant à l'Ecole de Vienne, le même ouvrage en résume l'esprit par ces quelques lignes: «Face à cette économie nationaliste, l'école autrichienne élabore une représentation ultra-individualiste de l'économie. Le désir guide les comporte­ments; le calcul individuel des plaisirs et des peines permet à chacun d'agir sans besoin de contrôle; les décisions micro-économiques régu­lent spontanément la société; l'économie résulte de l'interaction d'une multitude d'individus. Ain­si, les Viennois s'opposent au déterminisme historique des Allemands et réfutent le globa­lisme de leurs analyses; ils nient le besoin d'ins­ti­tutions qui garantissent le bonheur des individus car les particuliers savent mieux que les gouvernants ce qui est bon pour eux!».

 

3. L'Ecole historique allemande

 

Comment définir l'école historique allemande? On pourrait la définir comme «globaliste», parce qu'elle tient compte de tous les aspects de la vie, et comme «institutionaliste», parce qu'elle inscrit tou­jours ses raisonnements dans un cadre col­lec­­tif, communautaire, les soustrayant ipso facto à l'emprise délétère de la méthodologie indivi­dua­liste «orthodoxe». Cette école historique a pris son envol en 1843, au moment où l'économiste Wilhelm Roscher publie un Grundriß  (un «Pré­cis»), critiquant à fond les présupposés du libé­ralisme orthodoxe. Celui-ci avait considéra­ble­ment perdu de sa crédibilité car ses théories les plus élaborées, celles de Ricardo et de J.B. Say, étaient en phase de rigidification. La pa­resse in­tellectuelle, défaut bien humain, avait conduit à répéter sans les adapter les arguments des deux économistes du début de la révolution industriel­le. Tous deux avaient été pertinents en bien des do­maines, nous l'avons vu en brossant som­mai­re­ment les grandes lignes de l'œuvre de Ricar­do. Mais les argumentaires déviés de leurs tra­vaux par des disciples ou de pâles imitateurs étaient devenus insuffisants au fil des temps. La pen­sée ricardienne s'était considérablement a­né­miée, si bien qu'on ne pouvait que constater, chez ses tenants, le divorce entre la théorie éco­no­mique et la réalité concrète.

 

Devant ce divorce, il y avait deux solutions: 1) ou bien l'on reconstruisait une théorie reflétant exac­te­ment l'état des choses existant, mais, au bout de quelques années, cette théorie deviendrait évidemment caduque. Ce travail de reconstruc­tion, Menger (dans le sillage de l'Ecole de Vien­ne), Jevons, Walras et Pareto s'y emploie­ront. 2) Ou bien l'on développait une méthode consistant à prendre à tout moment le pouls du contexte (Sis­mondi en avait perçu, avant tous les autres, la nécessité). Prendre le pouls du contexte signi­fiait connaître l'histoire de ce contexte, donc adopter une méthode historique. Friedrich List, tout en demeurant encore dans le cadre théorique du libéralisme orthodoxe, avait souli­gné deux notions essentielles: a) la nationalité du contexte qui montrait que celui-ci était le fruit d'une évo­lution particulière; b) le relativisme, qui tendait à démontrer qu'il n'y avait pas de lois valables en tous temps et en tous lieux. Les Saint-Simo­niens, contemporains de Sismondi et de List avaient, pour leur part, constaté l'impossibilité d'isoler les phénomènes écono­miques des insti­tutions sociales et juridiques. L'école historique tirera les leçons de ces obser­vations éparses, en induisant une approche plus globale, tenant comp­te non seulement des institu­tions et des lois mais aussi des fins, des sens im­pulsés par les nationalités, leurs aspirations, leurs religions, leurs valeurs, leurs traditions culturelles et phi­lo­sophiques, leurs Weltanschauungen.

 

Wilhelm Roscher et son  Grundriß

 

Dans son Grundriß,  publié en 1843, Wilhelm Ro­scher tente de donner des impulsions nou­vel­les à la science économique. Quatre groupes d'i­dées motrices dominent son travail.

1. La science économique doit tenir compte de ce que les peuples veulent et sentent. Elle doit donc pro­céder à une herméneutique de la volonté popu­laire.

2. La science économique doit s'inspirer des tra­vaux et des méthodes que Savigny a imposés en droit, c'est-à-dire des méthodes qui visent à re­chercher l'origine organique des règles de droit, des institutions, etc. Méthodes qui s'opposaient aux bricolages des «rationalistes réformateurs» qui entendaient intervenir dans le droit, pour en modifier le contenu ou la portée, mais sans étu­dier son évolution ou son involution.

3. Roscher a juxtaposé deux méthodes; il est resté libéral, il n'a pas adhéré au socialisme nais­sant. Mais il a ajouté aux théories et aux pra­ti­ques du libéralisme une méthode complémen­tai­re, la méthode généalogique/historique. En ce sens, son attitude est comparable à celle des Saint-Simoniens passés et actuels.

4. Roscher a rappelé l'importance de l'œuvre des caméralistes de l'Ancien Régime, dont la tâche était de former des administrateurs pour des ad­ministrations précises, inscrites dans des cadres précis. Le caméralisme n'avait pas de volonté cri­tique; il pratiquait un mercantilisme à petite échelle, celle des petits Etats allemands d'avant Bismarck. L'interventionnisme de ce caméra­lis­me qui a régi bon nombre de micro-Etats al­le­mands explique la réticence de la pensée alle­man­de face au libre-échangisme de tradition an­glaise.

 

Les thèses de

Bruno Hildebrand et de Karl Knies

 

En 1848, paraît Die Nationalökonomie der Ge­gen­wart und Zukunft, un livre de l'économiste Bruno Hildebrand, qui affine les arguments de Roscher. Plus radical, Hildebrand conteste l'exis­tence même des lois économiques «natu­rel­les», telles que les concevaient les clas­siques. Pour lui, il n'existe pas de lois naturelles mais des lois de développement, différentes pour cha­que nation ou chaque société. Mais la préci­sion de son travail ne va pas au-delà de cette af­fir­mation. Karl Knies, en publiant en 1853 Die po­li­tische Ökonomie von Standpunkte des ges­chicht­lichen Methode (= L'économie politique du point de vue de la méthode historique), déclare qu'il n'y a ni lois naturelles ni lois de dévelop­pement et que l'économiste doit se borner à ne constater que des analogies dans les évolutions écono­mi­ques des peuples. Knies, comme Hildebrand, lais­se ses intuitions en jachère. La Jeune Ecole Historique reprendra le flambeau à partir de 1870.

 

Gustav Schmoller

et la Jeune Ecole Historique

 

Gustav Schmoller, figure de proue de cette Jeune Ecole, fonde véritablement la méthode historique et replonge l'économie politique dans l'étude des institutions et dans l'histoire économique. Son disciple anglais Cliffe Leslie résume son œuvre en trois points: a) l'induction doit primer la dé­duction en sciences économiques; b) le relati­visme est une nécessité cardinale; c) les sciences économiques doivent nécessairement entretenir des rapports féconds avec les autres sciences. Sur le plan théorique mais non sur le plan pratique, les idées de Schmoller connaîtront un grand re­tentissement en Angleterre.

 

L'œuvre de Schmoller a une dimension critique et une dimension positive.

a. La dimension critique:

- Elle prend son envol immédiatement après la publication des thèses de Carl Menger, un éco­nomiste de l'Ecole de Vienne. La critique sch­mollerienne s'adresse à toutes les formes d'uni­versalisme, à la psychologie rudimentaire des clas­siques qui fondent tout sur l'égoïsme in­di­viduel, au déductivisme très marqué de la tra­di­tion qui part de Locke pour aboutir à Adam Smith.

Pour Schmoller, l'universalisme est un «per­pé­tualisme»; c'est une idéologie qui croit à la répé­tition infinie et perpétuelle de lois, sous­traites à toutes les formes d'aléas et d'imprévus. Quant à la psychologie des classiques, elle est, pour Schmol­ler, déficitaire, dans le sens où l'égoïsme n'est évidemment pas le seul mobile qui pousse les hommes à agir sur le marché; il y en a une quantité d'autres: la vanité, le désir de gloire, l'ac­tion pour l'action, le sentiment du de­voir, la pitié, la bienveillance, l'amour du pro­chain, la coutume, etc. A la monologique clas­sique, fondée sur le seul mobile de l'égoïsme, Schmoller oppose une plurilogique complexe, en­chevêtrée, qui ne permet plus d'énoncer des théo­ries trop simples. Tous ces autres mobiles inflé­chissent et modi­fient l'égoïsme qui reste tout de même, dans la sphère économique, le mobile permanent, ou le plus permanent. Quand il prend une place dis­pro­portionnée dans la pra­tique économique, nous parlons, dans notre dis­cours spécifique, d'écono­misme. Et il s'agit bien entendu d'une déviance dangereuse.

 

Nous avons vu que les méthodes classiques repo­saient principalement sur la déduction. Schmol­ler entend privilégier la méthode d'induction, fondée sur l'observation des faits, sur une sou­mission à leur logique. La déduction, écrivait-il, détient une validité certaine, mais les héritiers des classiques, et parfois les clas­siques eux-mê­mes, ont trop souvent affirmé des théories sur base de déductions boîteuses ou in­suffisantes. Pour Schmoller, l'économiste doit employer à bon escient les deux méthodes pour cerner les cons­tantes.

 

b. La dimension positive:

Dans l'opposition entre le mécanicisme, porté par un goût pour les simplifications outrancières, et l'organicisme, porté par la fascination pour les transformations incessantes de la réalité vi­van­te, la vision historique/organique a) inter­pelle une masse énorme de phénomènes, non pris en compte par les classiques; b) se penche sur les luttes de tous ordres; c) s'avère utile pour appré­hender la complexité du monde. Le caractère po­sitif de cette démarche historique/organique, c'est d'accepter la protéenne mouvance des cho­ses: chaque espace a eu une évolution histo­rique différente, dont il faut repérer les étapes pour en expliquer l'état actuel. Ce travail de repé­rage est une nécessité pour le praticien dans le cadre de son Etat: il lui permet des prévisions plus justes.

 

Orthodoxies et hérétiques

 

Par rapport aux classiques, libéraux et rationa­listes, et à partir de Sismondi, List, l'école histo­rique et Schmoller, se développe une hérésie, une hétérodoxie, qui, disent les observateurs contem­porains, culmine dans l'œuvre de Joseph Schum­peter (1883-1950). Les historiens français con­tem­porains des pensées économiques clas­sent les théories économiques en quatre catégo­ries, dont trois sont «orthodoxes», représentent des «ortho­doxies» et la dernière est considérée comme «hé­rétique» ou «hétérodoxe». Les trois catégories d'or­thodoxies sont: 1) les classiques et les néo-classiques libéraux; 2) les marxistes; 3) les key­nésiens, qui se situent à l'intersection des deux premières catégories. La quatrième catégo­rie, hétérodoxe, est constituée par les «hérétiques à la Schumpeter», dont les précurseurs seraient Sis­mondi et List, et les continuateurs Perroux et les régulationistes.

 

François Perroux, disciple de Schumpeter et au­teur d'une étude détaillée sur sa pensée (9), énon­ce les cinq sources de la pensée schumpété­rienne, fondatrice de la tradition hétérodoxe: «Schum­pe­ter a tenté la synthèse du système de l'école autri­chienne (c'est-à-dire celle qui tente de re-systé­matiser la pensée classique) et celui de l'Ecole de Lausanne (Walras, Pareto) d'une part, de ces deux systèmes abstraits et du système historique et sociologique de Sombart et Max Weber, d'autre part».

 

L'hérésie/hétérodoxie a suivi de nombreuses voies que nous indique le tableau figurant sur cette page:

 

TABLEAU (Alb./S. II, p. 158)

 

Commentons ce tableau que nous suggèrent Al­bertini et Silem.

1. Nous venons de voir quelles étaient les pré­mis­ses de la «voie de l'histoire».

2. La «voie des institutions» vise à substituer à l'homo œconomicus l'homo sociologicus,  c'est-à-dire un homme situé dans un milieu précis. Le sociologue américain, d'origine norvégienne, Thor­stein Veblen (1857-1929), inaugure pour sa part une sociologie critique (10), où il établit que l'homme d'affaires n'est pas mu par la rationa­lité pure (idée qui est la base de la fiction libé­ra­le) mais par des mobiles comme la vanité, la vo­lonté de puissance qui, assez souvent, bascule dans la pathologie. Veblen critique la figure du «propriétaire absentéiste», qui ne gère plus ses affaires et ses usines sur le terrain, mais se borne à jouir des bénéfices qu'elles procurent. Les propriétaires absentéistes forment la leisure class,  la classe des loisirs, qui n'a plus d'em­prise sur le réel, ne veut plus avoir d'emprise sur lui, et sombre dans la décadence. Au vu de cette décadence, le pouvoir, affirme Veblen, doit ap­par­tenir aux innovateurs, no­tamment les ingé­nieurs, les inventeurs, les hommes de science, les détenteurs de la nou­veauté technologique. Ce filon critique sera am­plifié ultérieurement par les sociologues Clark et Mitchell.

 

Galbraith et la technostructure

 

Entre la «planète keynésienne» et l'hétérodoxie institutionaliste, se niche l'œuvre de John Ken­neth Galbraith. Cet Américain dénonce la crois­sance quantitative des biens marchands au dé­triment des biens collectifs. Processus qui dé­mantèle le sens de la Cité, du civisme, de la communauté populaire. L'interventionnisme est nécessaire, explique Galbraith, pour contrer cette involution dangereuse. Ensuite, cet auteur nous explique qu'il s'est opéré une inversion au ni­veau du choix; ce ne sont plus les consommateurs qui imposent leurs choix aux producteurs mais une technostructure —englobant les grands con­sortiums, les monopoles et les services que sont la publicité et le marketing—  qui dicte ses pro­pres choix aux consommateurs. Dans cette «filiè­re inversée», le public est mystifié, grugé. La tech­no­structure prétend défendre l'intérêt gé­néral mais ne défend en fait que ses propres inté­rêts, que sa propre logique de fonctionnement, coupée des aspirations concrètes de la population. Cette critique de Galbraith est assez proche de nos préoccupations: en France, elle a influencé, à gau­che, les travaux de Henri Lefèbvre, de Roger Garaudy et, dans l'orbite de la «Nouvelle Droi­te», ceux de Guillaume Faye (11) (qui parlait plu­tôt de «Système»). En Belgique, Ernest Mandel y a puisé plus d'un argument.

3. La voie de la sociologie a pris son envol au dé­part du positivisme et de l'école comtienne au XIXième siècle. Elle s'est complétée au XXième par les apports essentiels de la «théorie des orga­nisations» (Bruno Lussato) et de l'«école systé­mique» (Ludwig von Bertalanffy, Kenneth Boul­ding) (12).

 

La dynamique des structures

 

4. La voie de la «dynamique des structures» est issue de Schumpeter et a été perfectionnée par Fran­çois Perroux. La dynamique des structures entend dynamiser et harmoniser l'ensemble des forces, des «résidus» (pour parler comme Pare­to), des institutions, des mentalités généra­trices de sens particuliers, etc. «Plus prosaïque­ment, une structure économique est représentée par l'en­semble des coefficients, des relations et pro­portions, relativement stables, qui caractéri­sent un ensemble économique. On parlera ainsi des structures de l'économie financière, des struc­tu­res du commerce international, des structures du système bancaire ou bien des structures capita­lis­tes. Les idées de relations  et de relations stabi­lisées  sont donc centrales» (13).

 

DEUX SCHEMAS: A/S + HPE

 

La voie de la dynamique des structures part de l'observation qu'il y a d'innombrables agence­ments de faits de monde, des imbrications mul­tiples qui forment en dernière instance la totalité des phénomènes et qui procurent, assez souvent mais pas toujours, de relatives stabilités, les­quel­les permettent la théorisation scientifique.

 

Les structures s'entrechoquent, ont leur logique interne; donc, au vu de ces affrontements et de ces différences, il faut refuser de penser l'éco­no­mie en termes d'équilibre; il faut tenir compte du long terme, c'est-à-dire du fait que, plus tard, l'économie du pays, de la région, sera toujours né­cessairement autre. C'est parce qu'on n'a pas suffisamment pensé l'économie en termes de dynamique que les pays européens, par exemple, n'ont pas investi à temps dans certains secteurs de l'industrie informatique (logiciels, maté­riels, puces, etc.) et accusent un retard par rapport aux Etats-Unis et au Japon.

 

Par ailleurs, la dynamique des structures postule de tenir compte du niveau de chaque espace éco­nomique, surtout dans le tiers-monde. Penser en termes de dynamique permet de meilleures pré­visions, de meilleures prospectives. L'écono­mis­te et l'homme politique prévoient l'évolution des puissances et des rapports de forces, un peu com­me le faisait Bertrand de Jouvenel dans sa revue Futuribles  ou comme le fait Alvin Toffler (14).

 

La dynamique des forces

 

La dynamique des forces est le produit de l'évo­lution technique et de l'évolution démogra­phi­que. A la suite des travaux de Sauvy, l'économie politique en est venu à raisonner en termes de progrès processif et de progrès récessif. Le pro­grès processif est celui qui procure un mieux-vi­vre grâce, par exemple, à la découverte de nou­velles sources d'énergie ou à la rentabili­sation de nouvelles matières premières (le cas récent des nouveaux conducteurs). Le progrès ré­cessif est celui qui est obtenu avec moins de tra­vail pour un volume de production identique, ce qui pro­voque du chômage.

 

François Perroux prend pour thème central de ses analyses le pouvoir (la prédominance du «po­litique»), lequel surplombe des agents de force et d'énergie inégales qui, dans la société où ils agissent, forment un jeu de combinaisons et de re-combinaisons, par le truchement des élec­tions et de la répartition des postes (la lottizaz­zione  en Italie). La méthode de Perroux consiste à accepter des modèles variés et de dépasser ainsi la que­relle des méthodes du XIXième siècle. Perroux, plurilogique, intègre plusieurs niveaux de ratio­nalité et recherche les combinaisons per­for­man­tes. En même temps, il rejette l'irénisme de l'é­qui­libre général néo-classique, conçu dans le ca­dre irréel de la concurrence parfaite. Dans une évolution, toutes les structures ne changent pas de la même façon. Des distorsions se produi­sent. Ces distorsions entraînent de nouvelles évolu­tions, d'autres ruptures. La technostructure, dé­non­cée par Galbraith, ou le Système, décrit et dé­noncé par Faye (15), rendent précisément les ruptures malaisées et figent des pans entiers du réel. Ce problème de rigidification, en dépit de la mobilité effrenée du monde actuel  —qui est très sou­vent mobilité improductive—   induit l'oppo­si­tion qui se dessine très clairement, pour les années 90 et les premières décennies du XXIième siècle, entre les «lents», condamnés à la sta­gna­tion et au déclin, et les «rapides», futurs domina­teurs au sein des «nouveaux pouvoirs» (16).

 

Outre le pouvoir, Perroux étudie le phénomène de la domination. Celle-ci peut avoir des effets d'en­traînement, ce qui est positif, ou des effets de blocage, ce qui est négatif. Les effets de blocage apparaissent quand certaines strates du pouvoir détournent des ressources humaines et maté­riel­les à leur seul profit. Ce mode de détourne­ment est observable dans les pays développés comme dans les pays sous-développés, où des équipes res­treintes ont récupéré à leur avantage le pouvoir jadis détenu par la métropole colo­niale. Face à ce blocage qui maintient le sous-développement, Perroux énonce une théorie: 1) pas de transposi­tion de modèles européens, amé­ricains ou japo­nais dans le tiers-monde; 2) refus de tout trans­fert mimétique de technologie; 3) réaliser un ma­ximum d'auto-centrage (selon les principes é­non­cés par Friedrich List au cours de la première moitié du XIXième siècle (17).

 

Au-delà du structuralisme

de François Perroux

 

L'œuvre de François Perroux (18) a non seule­ment une portée économique mais aussi, en quel­que sorte, une portée épistémologique, car elle nous indique comment penser critiquement et com­ment appliquer cette grille critique, le cas échéant,  à d'autres sciences. S'il fallait résumer ses travaux, nous le ferions en huit points:

1) Pour Perroux, plusieurs types de «rationalités économiques» peuvent coexister, mieux, doivent coexister. Principe: ne pas vouloir tout unifier à tout prix.

2) Les lois économiques sont toujours provi­soi­res. Elles sont sans cesse bousculées par les a­léas.

3) Il faut accepter les limites de la science éco­no­mique et demeurer ouvert au monde, à l'infor­ma­tion. Il faut refuser le confort des habi­tudes.

4) Il faut être pleinement conscient de l'im­por­tance des contextes historiques.

5) Il faut admettre le principe du changement con­­tinuel.

6) Il faut accepter l'objectivité des valeurs; les va­leurs sont en effet des constantes incontour­na­bles; elles influent les processus de décision, en économie comme en politique. Il est impos­sible d'araser des valeurs; on peut les refouler tem­po­rairement, mais toute valeur niée, rejettée, re­vient tôt ou tard à l'avant-plan.

7) Il faut rejetter les systèmes qui opèrent une distinction entre l'économie et la société. De mê­me que les systèmes qui veulent scinder les fins des moyens. Il ne faut pas oublier que toutes les actions humaines sont finalisées. Il faut re­jetter les raisonnements en termes d'équilibre.

8) Il faut développer des approches systémiques (19), largement ouvertes à la biologie moderne, aux travaux écologiques et à la cybernétique (20).

 

Notre courant de pensée possède d'ores et déjà un corpus théorique cohérent, apte à saisir la com­plexité du monde. L'ébauche que nous avons es­quissée ici est très incomplète, trop peu mathéma­tisée, mais elle n'a cherché, finalement, qu'à donner des grandes lignes, qui s'appliquent à l'économie mais aussi à d'autres disciplines. Quand nous dénonçons et critiquons l'écono­mis­me ou l'utilitarisme, c'est parce qu'ils sont d'em­blée marqués d'incomplétude. Qu'ils fonc­tion­nent parce qu'ils mettent entre parenthèses une multitude de paramètres, de faits de monde et de vie. Cette mise entre paren­thèses aboutit pré­ci­sément à la technostructure critiquée par Gal­braith, qui inverse le cours na­turel des choses en imposant ses propres choix à la population en mê­me temps qu'une logique pu­rement artificielle. Ce sont ces artifices et ces fictions que l'Ecole His­torique et que le dyna­misme de Perroux en­ten­dent combattre. Nous avons retenu la leçon.

 

Robert STEUCKERS.

(Bruxelles, août 1991).    

mardi, 16 juin 2009

Teatro e futurismo

Teatro e Futurismo

Ex: http://augustomovimento.blogspot.com/


«Il Futurismo vuole trasformare il Teatro di Varietà in teatro dello stupore, del record e della fisicofollia»

(dal Manifesto del Teatro di Varietà)


L’abilità propagandistica e il desiderio di sollevare scalpore, spingono i futuristi ad intervenire anche in campo teatrale. In particolare Marinetti credeva che tutti fossero potenzialmente poeti o drammaturghi. Da questa idea cominciarono, in tutta Italia, a dilagare le celeberrime “serate futuriste”, inizialmente nelle piazze – coinvolgendo nelle rappresentazioni anche il pubblico – e successivamente nei teatri. Marinetti, Corra e Settimelli sono considerati gli iniziatori del teatro “sintetico” futurista: questo aggettivo deriva dal fatto che si trattava per lo più di piccoli “attimi sintetici”, le cui caratteristiche sono la concentrazione, la compenetrazione, la simultaneità e il dinamismo.

Non sempre il pubblico accettava la “forza d’urto” di quel teatro, e spesso rispondeva con ingiurie e con il lancio di ortaggi. Immancabilmente le serate futuriste si concludevano con provocazioni di ogni tipo e con risse furibonde, con tanto di sfide a duello. Spesso i nemici e avversari dei futuristi affittavano interi palchi, munendosi di ortaggi, e al momento opportuno facevano scattare la baraonda. A quel punto i futuristi avevano già vinto la loro battaglia pubblicitaria. L’eco del putiferio si estendeva, attraverso i giornali, in tutta l’Italia.

Osservando più tecnicamente il teatro futurista, si può osservare che – come i dadaisti e i surrealisti – neppure i futuristi italiani furono uomini di teatro nel senso professionale del termine, ma artisti, scrittori, poeti che consideravano il teatro non solo un ideale punto d’incontro, ma anche il migliore strumento di propaganda del loro ideale vitalistico, nazionalista e tecnocratico. Nonostante la mancanza di professionismo, furono coloro che al teatro concessero un’attenzione più continua e organica, soprattutto a livello teorico, in una serie di manifesti: il manifesto dei drammaturghi futuristi (1911), del teatro di varietà (1913), del teatro futurista sintetico (1915), della scenografia futurista (1915), del teatro della sorpresa (1921).

La contestazione del teatro «passatista e borghese» investe prima di tutto il teatro drammaturgico: a un dramma analitico, basato su una logica degli eventi di fatto impossibile e sulla credibilità astrattamente psicologica dei personaggi, i futuristi contrappongono il dramma sintetico, che coglie, in un’unica visione, momenti cronologicamente e spazialmente lontani, ma connessi fra loro da analogie e da contrapposizioni profonde. Non c’è bisogno di una premessa da sviluppare in una serie successiva di episodi pazientemente organizzati, ma basta l’intuizione del nucleo essenziale dei fenomeni. I personaggi non hanno contenuto psicologico, ma si risolvono totalmente nelle loro azioni, che possono anche esaurirsi in gesti molto semplici, di assoluto valore o non esserci affatto, lasciando l’azione affidata agli oggetti.
Le “sintesi futuriste”, opera soprattutto di Marinetti, furono anche rappresentate, non però dai futuristi stessi, ma da normali compagnie professioniste che non potevano avere né una specifica preparazione, né un particolare interesse ideologico. Il loro significato rimase perciò confinato nella dimensione letteraria.

Non esiste una sola concezione di teatro futurista: esso può essere infatti sia un teatro eccentrico o grottesco, sia dell’assurdo che sintetico. A differenza del teatro classico, il teatro di prosa per eccellenza, non sono fondamentali i dialoghi o comunque le scene parlate, bensì l’attenzione viene catturata dai suoni, dalle luci e dai movimenti corporei. Non è un caso che nel teatro futurista sia utilizzata molto spesso la danza, al fine di trasmettere al pubblico, attraverso i movimenti dei ballerini, un senso di moto, di velocità e dinamismo. Al posto dei dialoghi vi sono didascalie lunghissime e molto dettagliate. Il teatro futurista è spesso un teatro muto e talvolta – in aggiunta – i personaggi sono incomprensibili nelle loro azioni, tanto che lo spettatore rimane stupito e con un senso di confusione. In più capita che il personaggio non sia un attore, bensì un oggetto. In scena si riesce a far diventare reale, normale e logico un comportamento completamente surreale, mentre le frasi, i gesti e le reazioni appartenenti al senso comune risultano banali e assurdi.
Anche il grande Majakovskij si interessò molto al nuovo teatro futurista, ma intendendolo più in senso satirico, per prendere in giro la realtà e gli schemi del buon senso.

Sul piano scenografico Enrico Prampolini sviluppò tutte le premesse insite nel gusto dei futuristi per le macchine e la tecnologia, scegliendo una scena mobile e luminosa, nella quale l’attore umano sarebbe apparso banale e superato, ed era quindi auspicabile sostituirlo con marionette o addirittura con l’attore-gas «che estinguendosi, o procreandosi, propagherà un odore sgradevolissimo, emanerà un simbolo di identità alquanto equivoca», supremo sberleffo al mattatore del tipico teatro antico italiano.
Il manifesto più significativo è forse quello del teatro di varietà, definito il vero teatro confacente alla sensibilità e all’intelligenza dell’uomo moderno, poiché esalta il sesso di fronte al sentimento, l’azione e il rischio di fronte alla contemplazione, la trasformazione e il movimento muscolare di fronte alla staticità, ma soprattutto perché distrae lo spettatore dalla sua secolare condizione di voyeur passivo trascinandolo nella follia fisica dell’azione.


Per approfondire, leggi il Manifesto del Teatro di Varietà

lundi, 15 juin 2009

2015

2015

crash

Karlheinz WEISSMANN - http://www.sezession.de/

Propheten sind im allgemeinen vorsichtig mit genauen Zeitangaben. Zu groß ist die Gefahr, daß eine Prognose nicht pünktlich eintrifft und die Skeptiker das Lachen haben und die Anhänger verunsichert oder abtrünnig werden. Das Gebot der Vorsicht gilt auch für Ökonomen und Sozialwissenschaftler.

Man wird deshalb besonders aufmerksam, wenn ein Meinhard Miegel im Interview der FAZ sagt, daß wir „2015″ mit einer „Totalkrise“ zu rechnen hätten, die nicht nur einige Banken und Unternehmen betreffen würde, auch nicht nur die Arbeitslosenzahl und die Wählerstimmen für die Linke nach oben treiben, sondern den Staat insgesamt erfassen dürfte.

Jemand wie Miegel muß seiner Sache ziemlich sicher sein, wenn er sich so weit vorwagt. Er gehört weder zu den professionellen Kassandren, noch ist er in der Vergangenheit durch rabenschwarzen Pessimismus aufgefallen. Eher hat er es mit Ermutigung der „Gesellschaft“ versucht, indes war zuletzt eine zunehmende Gereiztheit des Tonfalls und Ungeduld angesichts der Schwerfälligkeit aller Korrekturversuche zu bemerken.

Jetzt scheint Miegel aus seiner Beobachtung der Strukturschwächen des Gesamtsystems die Konsequenzen gezogen zu haben und formuliert eine Art Generalkritik:
- Die Fixierung auf Wachstum ist ein grundsätzlicher Fehler, wir müssen lernen mit weniger auszukommen,
- die Ausweitung des westlichen Lebensstils im globalen Maßstab kann nicht als wünschenswert betrachtet werden,
- auf die kommende Krise ist niemand vorbereitet: weder die Politische Klasse, die die Zeichen der Zeit nicht verstanden hat, noch die „Gesellschaft“, die im Grunde nur die Aussicht auf Teilhabe am materiellen Wohlstand zusammenhält.
- Daß die drohende Gefahr nicht erkannt wird, ist kein Gegenargument, die Mächtigen sind immer blind, wenn ihr Untergang bevorsteht.

Man muß dankbar sein, daß jemand wie Miegel an so einflußreicher Stelle seine Stimme erheben kann, wenngleich man sich den Ton noch schärfer und die Folgerungen weniger vorsichtig formuliert gewünscht hätte. Aber vielleicht fürchtet Miegel nicht nur um seine Veröffentlichungsmöglichkeiten, sondern auch um die seelische Belastbarkeit seines Publikums.

Das wird dann von anderen auf andere Weise auf weitere Bedrohungen vorbereitet. Am kommenden Sonnabend strahlt SAT 1 die deutsche Fassung des französischen Spielfilms Banlieue 13 aus, ein eher mäßiges Produkt, aber nicht ohne realistische Momente. Der Streifen behandelt die Machtübernahme des Bandenführers Taha in einem Pariser Vorort, der wegen der hohen Kriminalität mit einer Mauer abgeriegelt wurde. Der Staat hat die banlieue geräumt und die nach Millionen zählende Einwohnerschaft den gangs ausgeliefert. Die Situation eskaliert, als der örtliche Machthaber in den Besitz einer „schmutzigen Bombe“ kommt und die Regierung erpreßt. Die Geschehnisse sind übrigens ins Jahr 2010 verlegt.

samedi, 13 juin 2009

The Political Theory Carl Schmitt

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The Political Theory of Carl Schmitt

By Keith Preston - http://attackthesystem.com/

 

Discussion:

 

Carl Schmitt

The Crisis of Parliamentary Liberalism 

The Concept of the Political

 

The Weimar Republic Sourcebook (p. 331, 334-337, 342-345)

 

          The editors of The Weimar Republic Sourcebook attempt to summarize the political thought of Carl Schmitt and interpret his writings on political and legal theory on the basis of his later association with Nazism between 1933 and 1936. Schmitt is described as having “attempted to drive a wedge between liberalism and democracy and undercut the assumption that rational discourse and legal formalism could be the basis of political legitimacy.”(Sourcebook, p. 331) His contributions to political theory are characterized as advancing the view that “genuine politics was irreducible to socio-economic conflicts and unconstrained by normative considerations”. The essence of politics is a battle to the death “between friend and foe.” The editors recognize distinctions between the thought of Schmitt and that of right-wing revolutionaries of Weimar, but assert that his ideas “certainly provided no obstacle to Schmitt’s opportunistic embrace of Nazism.”

 

          As ostensible support for this interpretation of Schmitt, the editors provide excerpts from two of Schmitt’s works. The first excerpt is from the preface to the second edition of Schmitt’s The Crisis of Parliamentary Democracy, a work first published in 1923 with the preface having been written for the 1926 edition. In this excerpt, Schmitt describes the dysfunctional workings of the Weimar parliamentary system. He regards this dysfunction as symptomatic of the inadequacies of the classical liberal theory of government. According to this theory as Schmitt interprets it, the affairs of states are to be conducted on the basis of open discussion between proponents of competing ideas as a kind of empirical process. Schmitt contrasts this idealized view of parliamentarianism with the realities of its actual practice, such as cynical appeals by politicians to narrow self-interests on the part of constituents, bickering among narrow partisan forces, the use of propaganda and symbolism rather than rational discourse as a means of influencing public opinion, the binding of parliamentarians by party discipline, decisions made by means of backroom deals, rule by committee and so forth.

 

          Schmitt recognizes a fundamental distinction between liberalism, or “parliamentarism”, and democracy. Liberal theory advances the concept of a state where all retain equal political rights. Schmitt contrasts this with actual democratic practice as it has existed historically. Historic democracy rests on an “equality of equals”, for instance, those holding a particular social position (as in ancient Greece), subscribing to particular religious beliefs or belonging to a specific national entity. Schmitt observes that democratic states have traditionally included a great deal of political and social inequality, from slavery to religious exclusionism to a stratified class hierarchy. Even modern democracies ostensibly organized on the principle of universal suffrage do not extend such democratic rights to residents of their colonial possessions. Beyond this level, states, even officially “democratic” ones, distinguish between their own citizens and those of other states. At a fundamental level, there is an innate tension between liberalism and democracy. Liberalism is individualistic, whereas democracy sanctions the “general will” as the principle of political legitimacy. However, a consistent or coherent “general will” necessitates a level of homogeneity that by its very nature goes against the individualistic ethos of liberalism. This is the source of the “crisis of parliamentarism” that Schmitt suggests. According to the democratic theory rooted in the ideas of Jean Jacques Rosseau, a legitimate state must reflect the “general will”, but no general will can be discerned in a regime that simultaneously espouses liberalism. Lacking the homogeneity necessary for a democratic “general will”, the state becomes fragmented into competing interests. Indeed, a liberal parliamentary state can actually act against the “peoples’ will” and become undemocratic. By this same principle, anti-liberal states such as those organized according to the principles of fascism or bolshevism can be democratic in so far as they reflect the “general will.”

 

            The second excerpt included by the editors is drawn from Schmitt’s The Concept of the Political, published in 1927. According to Schmitt, the irreducible minimum on which human political life is based is the friend/enemy distinction. This friend/enemy distinction is to politics what the good/evil dichotomy is to morality, beautiful/ugly to aesthetics, profitable/unprofitable to economics, and so forth. These categories need not be inclusive of one another. For instance, a political enemy need not be morally evil or aesthetically ugly. What is significant is that the enemy is the “other” and therefore a source of possible conflict. The friend/enemy distinction is not dependent on the specific nature of the “enemy”. It is merely enough that the enemy is a threat. The political enemy is also distinctive from personal enemies. Whatever one’s personal thoughts about the political enemy, it remains true that the enemy is hostile to the collective to which one belongs. The first purpose of the state is to maintain its own existence as an organized  collective prepared if necessary to do battle to the death with other organized collectives that pose an existential threat. This is the essential core of what is meant by the “political”. Organized collectives within a particular state can also engage in such conflicts (i.e., civil war). Internal conflicts within a collective can threaten the survival of the collective as a whole. As long as existential threats to a collective remain, the friend/enemy concept that Schmitt considers to be the heart of politics will remain valid.

 

           An implicit view of the ideas of Carl Schmitt can be distinguished from the editors’ introductory comments and selective quotations from these two works. Is Schmitt attempting to “drive a wedge” between liberalism and democracy thereby undermining the Weimar regime’s claims to legitimacy and pave the way for a more overtly authoritarian system? Is Schmitt arguing for a more exclusionary form of the state, for instance one that might practice exclusivity on ethnic or national grounds? Is Schmitt attempting to sanction the use of war as a mere political instrument, independent of any normative considerations, perhaps even as an ideal unto itself? If the answer to any of these questions is an affirmative one, then one might be able to plausibly argue that Schmitt is indeed creating a kind of intellectual framework that could later be used to justify at least some of the ideas of Nazism and even lead to an embrace of Nazism by Schmitt himself.

 

          It would appear that the expression “context is everything” becomes a quite relevant when examining the work of Carl Schmitt. It is clear enough that the excerpts from Schmitt included in the The Weimar Republic Sourcebook have been chosen rather selectively. As a glaring example, this important passage from second edition’s preface from The Crisis of Parliamentary Democracy has been deleted:

 

“That the parliamentary enterprise today is the lesser evil, that it will continue to be preferable to Bolshevism and dictatorship, that it would have unforseeable consequences were it to be discarded, that it is ’socially and technically’ a very practical thing-all these are interesting and in part also correct observations. But they do not constitute the intellectual foundations of a specifically intended institution. Parliamentarism exists today as a method of government and a political system. Just as everything else that exists and functions tolerably, it is useful-no more and no less. It counts for a great deal that even today it functions better than other untried methods, and that a minimum of order that is today actually at hand would be endangered by frivolous experiments. Every reasonable person would concede such arguments. But they do not carry weight in an argument about principles. Certainly no one would be so un-demanding that he regarded an intellectual foundation or a moral truth as proven by the question, What else?” (Schmitt, Crisis, pp. 2-3)

 

          This passage, conspicuously absent from the Sourcebook excerpt, indicates that Schmitt is in fact wary of the idea of undermining the authority of the Republic for it’s own sake or for the sake of implementing a revolutionary regime. Schmitt is clearly a “conservative” in the tradition of Hobbes, one who values order and stability above all else, and also Burke, expressing a preference for the established, the familiar, the traditional, and the practical, and an aversion to extremism, fanaticism, utopianism,  and upheaval for the sake of exotic ideological inclinations. Clearly, it would be rather difficult to reconcile such an outlook with the political millenarianism of either Marxism or National Socialism. The “crisis of parliamentary democracy” that Schmitt is addressing is a crisis of legitimacy. On what political or ethical principles does a liberal democratic state of the type Weimar purports to be claim and establish its own legitimacy? This is an immensely important question, given the gulf between liberal theory and parliamentary democracy as it is actually being practiced in Weimar, the conflicts between liberal practice and democratic theories of legitimacy as they have previously been laid out by Rosseau and others and, perhaps most importantly, the challenges to liberalism and claims to “democratic” legitimacy being made by proponents of totalitarian ideologies from both the Left and Right.

 

          The introduction to the first edition and first chapter of Crisis contain a frank discussion of both the intellectual as well as practical problems associated with the practice of “democracy”. Schmitt observes how democracy, broadly defined, has triumphed over older systems, such as monarchy, aristocracy or theocracy in favor of the principle of “popular sovereignty”. However, the advent of democracy has also undermined older theories on the foundations of political legitimacy, such as those rooted in religion (”divine right of kings”), dynastic lineages or mere appeals to tradition. Further, the triumphs of both liberalism and democracy have brought into fuller view the innate conflicts between the two. There is also the additional matter of the gap between the practice of politics (such as parliamentary procedures) and the ends of politics (such as the “will of the people”). Schmitt observes how parliamentarism as a procedural methodology  has a wide assortment of critics, including those representing the forces of reaction (royalists and clerics, for instance) and radicalism (from Marxists to anarchists). Schmitt also points out that he is by no means the first thinker to point out these issues, citing Mosca, Jacob Burckhardt, Belloc, Chesterton, and Michels, among others.

 

          A fundamental question that concerns Schmitt is the matter of what the democratic “will of the people” actually means, observing that an ostensibly democratic state could adopt virtually any set of policy positions, “whether militarist or pacifist, absolutist or liberal, centralized or decentralized, progressive or reactionary, and again at different times without ceasing to be a democracy.” (Schmitt, Crisis, p. 25) He also raises the question of the fate of democracy in a society where “the people” cease to favor democracy. Can democracy be formally renounced in the name of democracy? For instance, can “the people” embrace Bolshevism or a fascist dictatorship as an expression of their democratic “general will”? The flip side of this question asks whether a political class committed in theory to democracy can act undemocratically (against “the will of the people”) if the people display an insufficient level of education in the ways of democracy. How is the will of the people to be identified in the first place? Is it not possible for rulers to construct a “will of the people” of their own through the use of propaganda? For Schmitt, these questions are not simply a matter of intellectual hair-splitting but are of vital importance in a weak, politically paralyzed democratic state where the committment of significant sectors of both the political class and the public at large to the preservation of democracy is questionable, and where the overthrow of democracy by proponents of other ideologies is a very real possibility.

 

          Schmitt examines the claims of parliamentarism to democratic legitimacy. He describes the liberal ideology that underlies parliamentarism as follows:

 

“It is essential that liberalism be understood as a consistent, comprehensive metaphysical system. Normally one only discusses the economic line of reasoning that social harmony and the maximization of wealth follow from the free economic competition of individuals…But all this is only an application of a general liberal principle…: That truth can be found through an unrestrained clash of opinion and that competition will produce harmony.” (Schmitt, Crisis, p. 35)

 

For Schmitt, this view reduces truth to “a mere function of the eternal competition of opinions.” After pointing out the startling contrast between the theory and practice of liberalism, Schmitt suggests that liberal parliamentarian claims to legitimacy are rather weak and examines the claims of rival ideologies. Marxism replaces the liberal emphasis on the competition between opinions with a focus on competition between economic classes and, more generally, differing modes of production that rise and fall as history unfolds. Marxism is the inverse of liberalism, in that it replaces the intellectual with the material. The competition of economic classes is also much more intensified than the competition between opinions and commercial interests under liberalism. The Marxist class struggle is violent and bloody. Belief in parliamentary debate is replaced with belief in “direct action”. Drawing from the same rationalist intellectual tradition as the radical democrats, Marxism rejects parliamentarism as sham covering the dictatorship of a particular class, i.e., the bourgeoise. True democracy is achieved through the reversal of class relations under a proletarian state that rules in the interest of the laboring majority. Such a state need not utilize formal democratic procedures, but may exist as an “educational dictatorship” that functions to enlighten the proletariat regarding its true class interests. Schmitt then contrasts the rationalism of both liberalism and Marxism with irrationalism. Central to irrationalism is the idea of a political myth, comparable to the religious mythology of previous belief systems, and originally developed by the radical left-wing but having since been appropriated by revolutionary nationalists. It is myth that motivates people to action, whether individually or collectively. It matters less whether a particular myth is true than if people are inspired by it.

 

          It is clear enough that Schmitt’s criticisms of liberalism are intended not so much as an effort to undermine democratic legitimacy as much as an effort to confront the weaknesses of the intellectual foundations of liberal democracy with candor and intellectual rigor, not necessarily to undermine liberal democracy, but out of recognition of the need for strong and decisive political authority capable of acting in the interests of the nation during perilous times. Schmitt remarks:

 

“If democratic identity is taken seriously, then in an emergency no other constitutional institution can withstand the sole criterion of the peoples’ will, however it is expressed.” (Sourcebook, p.337)

 

          In other words, the state must first act to preserve itself and the general welfare and well-being of the people at large. If necessary, the state may override narrow partisan interests, parliamentary procedure or, presumably, routine electoral processes. Such actions by political leadership may be illiberal, but not necessarily undemocratic, as the democratic general will does not include national suicide. Schmitt outlines this theory of the survival of the state as the first priority of politics in The Concept of the Political. The essence of the “political” is the existence of organized collectives prepared to meet existential threats to themselves with lethal force if necessary. The “political” is different from the moral, the aesthetic, the economic or the religious as it involves first and foremost the possibility of groups of human beings killing other human beings. This does not mean that war is necessarily “good” or something to be desired or agitated for. Indeed, it may sometimes be in the political interests of a state to avoid war. However, any state that wishes to survive must be prepared to meet challenges to its existence, whether from conquest or domination by external forces or revolution and chaos from internal forces. Additionally, a state must be capable of recognizing its own interests and assume sole responsibility for doing so. A state that cannot identify its enemies and counter enemy forces effectively is threatened existentially.

 

          Schmitt’s political ideas are more easily understood in the context of Weimar’s political situation. He is considering the position of a defeated and demoralized Germany, unable to defend itself against external threats, and threatened internally by weak, chaotic and unpopular political leadership, economic hardship, political and ideological polarization and growing revolutionary movements, sometimes exhibiting terrorist or fanatical characteristics. Schmitt regards Germany as desperately in need of some sort of foundation for the establishment of a recognized, legitimate political authority capable of upholding the interests and advancing the well-being of the nation in the face of foreign enemies and above domestic factional interests. This view is far removed from the Nazi ideas of revolution, crude racial determinism, the cult of the leader and war as a value unto itself. Schmitt is clearly a much different thinker than the adherents of the quasi-mystical nationalism common to the radical right-wing of the era. Weimar’s failure was due in part to the failure of political leadership to effectively address the questions raised by Schmitt.

jeudi, 11 juin 2009

Johann Nepomuk Ringseis (1785-1880)

 

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SYNERGIES EUROPÉENNES - DÉCEMBRE 1992

 

 

Robert STEUCKERS:

 

RINGSEIS, Johann Nepomuk  1785-1880

 

 

Né le 16 mai 1785 à Schwarzhofen en Bavière, le jeune Ringseis, très tôt orphelin, fréquentera l'école abbatiale des Cisterciens à Walderbach, puis le séminaire d'Amberg, avant de commencer des études de médecine en 1805 à Landshut sous la direction d'Andreas Röschlaub, dont il deviendra l'assistant. Influencé par les Lumières lors de sa première année d'étude, Ringseis se dégage vite du rationalisme étroit sous l'influence des idées de Stolberg et des écrits de Baader et des romantiques (surtout Joh. Mich. Sailer). Les mesures de confiscation des biens d'église en Bavière, dues à l'influence française, le choquent, le révoltent et ancrent définitivement ses convictions anti-révolutionnaires . Ringseis entame une brillante carrière médicale; philosophes célèbres, membres de la famille royale bavaroise sont ses patients attitrés. Plusieurs séjours en Italie avec le Kronprinz  de Bavière contribuent à conforter son catholicisme. Quand le prince héritier, devenu Louis Ier, monte sur le trône en 1825, Ringseis est nommé Obermedicinalrath  (ce qui équivaut à Ministre de la santé), avec pour mission de réformer la médecine en Bavière. C'est dans le cadre de ces activités politico-médicales que paraît en 1841 son ouvrage le plus célèbre: System der Medizin.  Avec l'appui du roi Louis Ier, Ringseis devient en quelque sorte le promoteur de la nouvelle université de Munich, où se télescoperont et se fructifieront mutuellement les idées protestantes et catholiques de l'époque. Son engagement ultramontain se précise. Entre 1848 et 1850, période agitée dans toute l'Europe, Ringseis participe à la vie politique bavaroise. En 1852, il quitte l'université pour marquer son désaccord avec les réformes envisagées mais y revient en 1855 et prononce un discours sur la nécessité de l'autorité dans les hautes sphères de la science. En 1872, à 87 ans, il quitte ses fonctions ministérielles. Il meurt à Munich le 22 mai 1880.

 

 

System der Medizin. Ein Handbuch der allgemeinen und speziellen Pathologie und Therapie; zugleich ein Versuch zur Reformation und Restauration der medicinischen Theorie und Praxis (Système de la médecine. Manuel de pathologie et thérapie générales et spéciales; en même temps tentative de réformer et de restaurer la théorie et la pratique médicales) 1841

 

 

Les thèses principales de cet ouvrage très contesté dans les milieux médicaux du XIXième siècle sont: a) chaque organisme est dominé par un principe vital unitaire et individuel; b) la santé est l'état dans lequel ce principe domine seul; c) la maladie est l'état dans lequel ce principe ne domine plus seul mais est troublé par un élément étranger qu'il ne peut pas assimiler ni dominer; d) la guérison survient quand la force vitale, éventuellement soutenue par des médications, soumet et assimile le principe étranger entré dans le corps, l'élimine ou le maintient inoffensif; elle est complète quand la force vitale spécifique règne à nouveau seule dans l'organisme. Ce qui est pertinent dans cet ouvrage de médecine, c'est que Ringseis perçoit nettement la faiblesse des rationalismes issus du "satanique Descartes": ceux-ci imposent une logique qui ne vaut que pour les phénomènes extérieurs, dispersés et juxtaposés dans l'espace, et rejettent toutes formes de logique qui vaudraient pour les phénomènes intérieurs, qui s'emboîtent les uns dans les autres et se compénètrent mutuellement. Cette idée d'un "imbriquement quasi infini" (ein fast unendliches Ineinander)  rejoint les critiques contemporaines des rationalités unilinéaires et unidimensionnelles, notamment les épistémologies philosophiques inspirées par les sciences physiques modernes de Heisenberg à Prigogine, de même que certaines audaces postmodernes.

(Robert Steuckers).

 

 

- Bibliographie complète, articles et discours universitaires et circonstantiels compris, dans E.R., "Johann Nepomuk Ringseis", Allgemeine Deutsche Biographie,  28. Band, Leipzig, Duncker & Humblot, 1889; comme textes principaux: Über den revolutionären Geist der deutschen Universitäten,  Rectoratsantrittsrede, Munich, 1833; Manifest der bayerischen Ultramontanen,  écrit anonyme, Munich, 1848; Über die Nothwendigkeit der Autorität in den höchsten Gebieten der Wissenschaft,  Rectoratsantrittsrede, Munich, 1855 (2ième et 3ième éd. complétées, 1856); Über die naturwissenschaftliche Auffassung des Wunders,  Munich, 1861; Über das Ineinander in den Naturdingen,  texte publié par les Dr. Schmauß et Geenen dans Beilage zum Tagblatt der 36. Versammlung deutscher Naturforscher und Aertze in Speyer,  1861.

 

- En français: références in Georges Gusdorf, L'Homme romantique,  Payot, 1984, pp. 273-277; Georges Gusdorf, Du néant à Dieu dans le savoir romantique,  Payot, 1983, pp. 242-245.  

 

mercredi, 10 juin 2009

Idealisme en pragmatisme

Idealisme en pragmatisme

"Pragmatisme zonder ideaal is een dwaasheid. Ze wordt een ideologie: die van de negatie van het idealisme, verschoven naar het irreële, dat van de illusoire controle van alle parameters dat toestaat een globale visie achterwege te laten. Het doet niets dan zichzelf herbevestigen maar laat zich tegelijk blind, in plaats van in een richting te sturen naar een doel. Het pragmatisme is conservatief: het functioneert enkel binnen een raamwerk waar het zichzelf niet in vraag moet stellen. Idealisme zonder pragmatisme is ook een dwaasheid, het is autistisch, het weigert zich aan te passen een de realiteit. Pragmatisme en idealisme slaan allebei door wanneer ze hun grenzen vergeten. Maar vandaag de dag lijken de idealen de politiek verlaten te hebben. Men trekt zich er niets van aan, men schrijft ze toe aan de extremen. Soms zijn ze echter opgeslorpt door pragmatisme: om verkozen te worden. Het pragmatisme dat zich van het idealisme dient is een cynisme. Heeft het pragmatisme het idealisme verslagen? Wat men moet doen is de dingen hun plaats toekennen: het idealisme moet zich dienen van het pragmatisme en niet omgekeerd. […] Desalniettemin is het sterk dat we vandaag moeten vaststellen hoe het idealisme zoals we dat kennen gecatalogiseerd is als een soort extremisme. De uitleg neigt altijd naar het opgraven van de geschiedenis van idealen die over een weg van totalitarisme en moordende ideologieën zijn gegaan. Maar paradoxaal genoeg wordt het pragmatisme op zijn beurt ook een ideologie. […]

De visie van de economie gebaseerd op concurrentie, en op zich al de idee van aan economie de centrale plaats in de politiek te geven, maakt deel uit van het consensus dat we kunnen omschrijven als “de pragmatische ideologie”. De economie is zelf een middel en geen einde. Het als geprivilegieerd voor de rest laten komen, is dus geen idealen hebben. Zou het thans niet mogelijk zijn dit principe van concurrentie voorbij te gaan? Zijn wij op dit moment onbekwaam om in te beelden dat andere modellen, gebaseerd op collaboratie, mogelijk zouden zijn? Om deze proberen toe te passen? Is het enkel mogelijk de buitensporige aanwezigheid van bepaalde principes binnen het principe van economische optimalisatie zelf te bevestigen? Is het “gestoord” op dit moment? Daarom is het vandaag hoognodig geworden een herbronning – met pragmatisme – van een echt rationeel idealisme na te streven."


Quentin, Agoravox, 25 juin 2008

Bron:
Synergies Européennes

dimanche, 07 juin 2009

L'homme enraciné

L’homme enraciné

Image Hosted by ImageShack.usL’homme enraciné est par définition celui qui tire son identité du milieu dans lequel il vit. Ce milieu peut s’entendre largement :
- Il est géographique (ville ou village, région, pays ou nation).
- Il est familial (sa famille et les familles « alliés »).
- Il est social puisque l’homme se trouve associé dans des groupes plus ou moins vastes dans le cadre de sa profession, de sa pratique religieuse, de ses options politiques ou même de ses loisirs. Les entreprises, les églises, les partis politiques et les associations (quels que soient leurs objets) constituent un milieu où l’homme s’enracine.

Un homme est donc riche de son enracinement car celui-ci va offrir de nombreux avantages. Il permet entre autres :
- De subsister (famille ; entreprise).
- D’acquérir des savoirs (famille ; école ; culture locale, régionale ou nationale ; entreprise)
- D’acquérir des valeurs (famille ; école ; églises ; partis et associations politiques ; culture locale, régionale ou nationale).

Tout homme peut donc revendiquer un certain degré d’enracinement et doit en être fier car, par cette affirmation, il assume et revendique sa volonté de puiser sa réflexion et son inspiration auprès de sources nombreuses, présentes ou anciennes. L’homme enraciné est donc « instruit » par son milieu. Il a un « bagage » intellectuel.

A contrario, il faut déplorer chez ceux qui nient la notion d’enracinement (ou les notions associées [1]) le refus de reconnaître la richesse qu’ils peuvent tirer de leur milieu. Ils se définissent alors comme universels, citoyens du monde, apatrides ou encore internationalistes.

Ils s’imaginent, par aveuglement idéologique, avoir été créé ex nihilo par la philosophie des lumières, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (qu’ils n’ont de toute évidence pas lu), le tout relayé ensuite par l’idéologie républicaine et socialiste.

Pour cet homme universel, aucune racine ne doit être tolérée :
- Les cultures locales, régionales et nationales doivent être détruites afin de laisser place à une culture internationale, universelle, unique. Architecture internationale, musique internationale, langue internationale (anglais pour la plupart mais souvenons-nous de cette expérience grotesque que fut l’esperanto), littérature internationale, etc.
- Les croyances religieuses doivent suivre le même sort afin de supprimer toute différence entre les peuples mais aussi parce que les religions, en particulier les religions universalistes comme le Christianisme et l’Islam, rentrent directement en concurrence avec l’idéologie universaliste, par définition athée.
- La famille est également vue comme une dangereuse cellule de socialisation à qui l’on reproche d’être le principal vecteur de transmission de la culture. L’homme universel n’aura donc de cesse de détruire la cellule familiale. Un homme privé d’une famille structurée et forte sera plus fragile et donc plus facilement asservie.
- Idem pour l’école qui ne devra enseigner qu’une culture universelle. Une telle culture n’existant pas, le choix sera délibérément fait de réduire le savoir transmis par l’école à sa plus simple expression. Seuls en réchapperont les enfants des classes aisées qui sont – paradoxalement ? – celles qui militent le plus pour l’universalité.
- Enfin l’entreprise, en particulier l’entreprise locale, à échelle humaine, la plus respectueuse des salariés et de l’environnement, devra également disparaître. Pour l’homme universel, il faut une entreprise universelle. C’est la multinationale des uns ; l’Etat communiste des autres. Bien entendu, cette entreprise universelle annihilera tout son environnement, ce qui n’empêchera pas les universalistes de se proclamer écologistes. Ils proclameront alors qu’une « régulation » à l’échelle mondiale permettra de contrôler les entreprises mondiales. On attend déjà depuis longtemps les résultats de cette régulation.

L’homme universel se définit donc comme totalitaire, liberticide et ignorant. Sa haine pour toutes les racines est pathologique en plus d’être idéologique. L’universalisme est le vandalisme de l’esprit.

Toutefois, il faut également pointer du doigt les risques propres à l’homme enraciné, ne serait-ce que parce qu’ils sont faciles à éviter. Ces risquent consistent à croire aveuglément en la supériorité de sa culture, de sa civilisation, de ses racines sur toutes les autres. Cet aveuglement doit être combattu pour deux raisons :
- D’une part, il est impossible d’établir objectivement une hiérarchie entre les cultures puisque des systèmes de valeurs différents ne peuvent se comparer. Les uns privilégieront la technique ; les autres préféreront la spiritualité ou l’harmonie entre l’homme et la nature. Les uns accorderont beaucoup d’importance à la liberté de l’individu ; d’autres souhaiteront que l’individu s’efface presque totalement face aux objectifs de la communauté. Nier ces différences ou les hiérarchiser est le symptôme d’une pensée atrophiée par l’idéologie universaliste.
- D’autre part, cette volonté d’affirmer la « supériorité » de sa propre culture est habilement utilisée par les universalistes afin de réaliser leurs projets d’unification et de nivellement du monde. Que l’on songe par exemple à la manière dont la République Française, parangon de l’homme universel, a déclenché guerre sur guerre depuis sa création : ce fut d’abord les guerre révolutionnaires et napoléoniennes pour « universaliser » de force le reste de l’Europe ; ce fut ensuite l’édification d’un empire colonial, cette fois-ci pour apporter les principes universels au reste du monde ; de nos jours, ce sont les guerres humanitaires ou contre le terrorisme, dans le même but. Malheureusement la République française a été suivie sur cette voie par la plupart des nations occidentales, en particulier par la plus puissante d’entre elles : les Etats-Unis.

L’universalisme est d’ailleurs une maladie endémique de l’Occident. Cette maladie asservit et détruit principalement les occidentaux eux-mêmes. Mais les universalistes sont convaincus de pouvoir imposer leurs principes au reste du monde, si besoin est par la guerre, d’où une myriade de conflits dans le passé (colonisation et décolonisation) qui se prolongent dans le présent et le futur avec les guerres humanitaires. Evidemment, seul un homme enraciné peut prendre conscience que la raison principale de ces conflits réside dans la volonté d’imposer une culture universelle. Les tenants de l’universalisme, quant à eux, ne se sentent pas le moins du monde responsables de ces actions : ils ont agi pour le « bien » ; la création d’un monde meilleur et plus juste nécessite des « sacrifices » ; la préservation de la paix nécessite de faire la guerre, etc.

Notons enfin qu’il existe un autre ensemble géopolitique qui défend une vision universaliste du monde : l’Islam. Pris entre les divers universalismes occidentaux qui se succèdent [2] et l’universalisme musulman, le monde ne connaîtra jamais la paix.

A moins de rejeter l’homme universel, dans un cimetière militaire car c’est là qu’est sa place, et de redécouvrir l’enracinement.

Jan Van Hemart pour Novopress Flandre

[1] Nation, identité, région, pays, civilisation, spiritualité, etc.
[2] Chrétien puis républicain ; libéral ou communiste et enfin « droits de l’hommistes ».


 

Article printed from :: Novopress.info Flandre: http://flandre.novopress.info

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jeudi, 04 juin 2009

Idéalisme et pragmatisme

 

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Idéalisme et pragmatisme

Lundi, 25 Mai 2009 - http://unitepopulaire.org 

 

« Le pragmatisme sans idéal est une folie. Lui aussi devient une idéologie : celle de la négation de l’idéalisme, relégué à l’irréalisme, celle de l’illusoire contrôle de tous les paramètres permettant de se passer de vision globale. Il ne fait que renforcer la force pour ce qu’elle est mais la laisse aveugle, au lieu de la diriger vers un but. Le pragmatisme est conservateur : il ne fonctionne que dans un cadre qu’il ne saurait remettre en question de lui même. L’idéalisme sans pragmatisme aussi est une folie, s’il est autiste, qu’il refuse de s’adapter au réel. Pragmatisme et idéalismes tous deux deviennent fous quand ils finissent par ignorer leurs limites. Mais aujourd’hui les idéaux semblent avoir déserté la politique. On s’en méfie, on les relègue aux extrêmes. Parfois cependant ils sont profanés par pragmatisme : pour se faire élire. Le pragmatisme se servant de l’idéalisme est un cynisme. Le pragmatisme a-t-il vaincu l’idéalisme ? Ce qu’il faut, c’est remettre les choses à leurs places : l’idéalisme doit se servir de pragmatisme, et non l’inverse. […] Cependant force est de constater qu’aujourd’hui l’idéalisme quel qu’il soit est catalogué comme étant forcément un extrémisme. L’explication tient sans doute dans ce que l’histoire des idéaux est pavée de totalitarismes et d’idéologies meurtrières. Mais paradoxalement le pragmatisme devient lui aussi, à son tour, une idéologie. […]

 

La vision de l’économie fondée sur la concurrence, et le fait même de donner à l’économie une place centrale en politique, fait partie du consensus de ce qu’on pourrait appeler "l’idéologie pragmatique". L’économie elle même est un moyen et non une fin. La privilégier devant le reste, c’est donc ne pas avoir d’idéaux. Pourtant ne serait-il pas possible de dépasser ce principe de concurrence ? Sommes nous à ce point incapables d’envisager que d’autres modèles, basées sur la collaboration, soient possibles ? D’essayer de les mettre en œuvre ? Est-il seulement possible d’affirmer la prépondérance de certains principes sur le principe d’optimisation économique lui même ? Est-ce "fou" à ce point ? C’est pourquoi aujourd’hui il devient urgent de réhabiliter – avec pragmatisme – un véritable idéalisme rationnel. »

 

Quentin, Agoravox, 25 juin 2008

samedi, 30 mai 2009

"Le bonheur paradoxal" de Gilles Lipovetsky

Le bonheur paradoxal, essai sur la société d'hyperconsommation

 

                  La bibliothèque NextModerne, interview Gilles Lipovetsky par Denis Failly           Gilles Lipovetsky, Editions Gallimard, 2006

Ex.: http://nextmodernitylibrary.blogspirit.com/

Une nouvelle modernité est née au cours de la seconde moitié du XXème siècle : la civilisation du désir, portée par les nouvelles orientations du capitalisme de consommation. Mais ces deux dernières décennies, un nouveau séisme est apparu qui a mis fin à la société de consommation, une nouvelle phase du capitalisme de consommation s'est mise en place : la société d'hyperconsommation.



Quelques mots de l'auteur, Gilles Lipovetsky


Denis Failly - Gilles Lypovetsky, Pourriez nous brièvement nous définir l'hypermodernité

Gilles Lypovetsky -medium_lipovetsky.jpg "La modernité s'est construite au 18ème siècle en mettant en place trois grands systèmes les droits de l'homme et la démocratie, le marché, et enfin la dynamique de la techno-science, le problème c'est que pendant deux siècles et demi ces 3 systèmes ont été fortement attaqués par des systèmes qui les rejetaient, par exemple le totalitarisme qui rejetait à la fois le marché et la démocratie. Aujourd'hui se fait sentir moins le besoin d'un contre modèle qu'une nouvelle régulation qui met au centre l'individu."

 

Denis Failly - "En quoi le bonheur est - il paradoxal ?

Gilles Lypovetsky - L'hédonisme, la consommation promet des bonheurs, de l'évasion, c'est une société qui stimule une marche au bonheur dans ses référentiels, mais la réalité c'est que l'on voit la multiplicité des anxiètés, la morosité, l'inquiétude, le ras le bol, l'insatisfaction quotidienne. Donc voilà, l'idée de bonheur paradoxal est : que plus la société marche au bonheur plus montent les plaintes, les récriminations, les insatisfactions.


Denis Failly - Quelles sont les grandes tendances de la société que vous appelez «hyper consommative» dans votre ouvrage ?

Gilles Lypovetsky- L'équipement, non plus centré sur les biens mais sur les personnes, par exemple le téléphone avant c'était semi collectif, ou bien on avait une télé par ménage...
- les cultures de classes s'érodent, le fait d'appartenir à un groupe social ne détermine plus strictement les modes de consommation parce que les cultures de classes se sont effondrées, à cause de l'information, à cause de la pub, de la diffusion des valeurs hédonistes, à partir de là, le consommateur devient un hyper consommateur, c'est à dire volatile, infidèle, qui échappe au quadrillage de classe d'autrefois.
- Une consommation émotionnelle, une satisfaction pour soi ou ses proches, soit par ce que dans la consommation on cherche par exemple à fuir un malaise, c'est une sorte de thérapeutique, soit par ce que les gens ont envie de vivre des expériences nouvelles, dans le sport, le tourisme... pour connaître des sensations nouvelles, donc la consommation devient beaucoup plus émotionnelles ou expérientielles. - On a des consommations de plus en plus clivées entre le haut de gamme et le low cost, ce sont les deux segments de marchés qui se développent le plus, le moyen de gamme décline, les extrêmes se renforcent.


Denis Failly - Comment aujourd'hui les jeunes construisent leur identité à travers la consommation ?
Gilles Lypovetsky- Comme les jeunes sont aujourd'hui éduqués dans l'idée d'être eux mêmes, d'être plus autonomes, du coup ils cherchent au travers de la consommation ce qui leur permet d'afficher leur personnalité même si c'est en copiant le modèle de leur camarade, donc au travers du conformisme, du culte des marques, ils construisent leur identité.

Denis Failly - Que vous inspirent Internet comme nouvelles manières de faire lien ?

Gilles Lypovetsky- Oui avec Internet beaucoup de choses sont liées à la consommation on entre dans l'hyperconsommation puisqu'il n'y a pas plus de limites, il n'y a plus de barrières spatio – temporelles. Il y a une information beaucoup plus ample avec un consommateur plus reflexif qui est capable de comparer de juger les offres...Internet favorise le low cost, départ dernière minute...tarifs préférentiels.
Le succès des blogs, c'est une certaine défiance envers les médias traditionnels au profit de l'expression des individus qui montrent qu'il y a une limite à la consommation et que les gens ont envie aussi de devenir acteur, de s'exprimer, de passer à côté des circuits ou des réseaux tradiitionnels.
C'est sympa comme phénomène mais il peut y avoir des dérives du n'importe quoi, il n'y a plus de filtrage, c'est un peu comme les cafés philos c'est parfois un peu de la bouillie pour le dire simplement.

Denis Failly - Par rapport à certains sociologues qui postulent l'existence de tribus, de communautés...est ce que l'hyperconsommateur est un hyper - individualiste et en quoi les deux s'opposent ?

Gilles Lypovetsky - C'est une question en fait conceptuelle, empiriquement les tribus existent mais c'est purement descriptif maintenant il faut les penser et c'est là ou la notion de tribu ne va pas, car la tribu c'est clos c'est fermée, hors, ce qui caractèrise le moment, c'est que les gens changent et à part les adolescents les gens sont dans une tribu, dans une autre... et ils peuvent mélanger, ils ne sont pas fait d'une pièce, les punks ou les goths c'est un tout petit monde mais ça représente pas le monde des adultes. Pour définir un adulte qu'elle est sa tribu exact, il peut aller faire du camping, faire de la musique classique etc, alors à quelle tribu appartient-il ? si il n'y plus d'homogéneïté c'est difficile. Ce sont des tribus tellement perméables tellement fugitives que la notion de tribu ne me paraît pas correcte, la tribu, on peut l'observer à des signes, mais on ne peut pas la penser parce que ce qui pense le tribalisme d'aujourd'hui c'est l'hyper-individualisme justement, les individus ne sont plus incrustés, incorporés dans quoi que ce soit puisque ce qui les caractérise c'est leur labilité, leur capacité à ne pas être intégrés, mais de choisir leur groupe d'appartenance.

Denis Failly - Gilles Lypovetsky, Vous sortez un nouvel ouvrage en septembre, pouvez-vous nous en dire plus ?

Gilles Lypovetsky - Oui, ca va s'appeler la « société de déception », j'essaie de voir comment l'expèrience de la déception fait partie de la condition humaine, les hommes sont déçus car ils ont des désirs et les désirs correspondent rarement à ce que l'on a, mais la modernité lui donne un poids, une surface beaucoup plus importante qu'autrefois. On le voit dés le 19ème siècle avec Durkheim, Tocqueville notamment. La notion d'égalité fait monter les aspirations, avant nous étions enfermés dans notre monde aujourd'hui c'est ouvert. Le livre monte que ce phénomène n'a fait que s'exacerber, avec le recul du religieux qui n'encadre plus les comportements, avec l'école qui ne répond plus aux promesses d'ascenseur sociale, avec la fin de la croyance dans le progrès, les gens sont méfiants envers la technique, ils ont peur des OGM, ils ont peur du réchauffement de la planète.. La technique déçoit, l'école déçoit, la politique déçoit on est dans une période de désillusion...

Denis Failly - Gilles Lypovetsky, je vous remercie


NB :  cette interview de Gilles Lipovetsky a été réalisée par téléphone

 
Bio : Gilles Lipovetsky est Professeur agrégé de philosophie à l'université de Grenoble, Membre du Conseil d’analyse de la société (sous l’autorité du Premier Ministre), Membre du Conseil national des programmes (Ministère de l’Education Nationale), Consultant à l’Association Progrès du Management. il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages :
L'Empire de l'éphémère, Le Crépuscule du devoir, La Troisième femme, édition Gallimard, L'Ere du vide, La société de déception, Métamorphoses de la culture libérale, Le luxe éternel, Les temps hypermodernes, etc.

vendredi, 29 mai 2009

Erik von Kuehnelt-Leddihn (1909-1999), der liberalkonservative Monarchist

Erik Ritter von Kuehnelt-Leddihn (1909-1999), der liberalkonservative Monarchist

Ex: http://eisernekrone.blogspot.com/
Vor zehn Jahren, am 26. Mai 1999 ist der katholisch-konservative Publizist Erik Maria Ritter von Kuehnelt-Leddihn in Tirol verstorben. Er ist zunächst als Verfasser von Romanen in Erscheinung getreten, von denen ich allerdings keinen gelesen habe. Bekannt wurde er als Kritiker der Demokratie, der das ganze Arsenal der Demokratiekritik von Platon bis in die Gegenwart, pointiert und unterhaltsam zu lesen, in Anschlag brachte. Seine Demokratiekritik hat Evola auch ins Italienische übersetzt (L´errore democratico; Roma 1966), was ihn auch in persönlichen Kontakt mit diesem brachte. Umgekehrt berief sich Ritter von Kuehnelt-Leddihn öfters auf Baron Evola, wenn er alles, was so herkömmlich als rechts oder "extrem rechts" gilt, nämlich Nationalismus und Faschismus, als dem Wesen nach links bestimmte. Das klang dann so:
Auch Julius Evola, ein brillanter, wenn auch perverser Denker der heidnischen Rechten, betrachtete den Faschismus als eine Bewegung der Linken, die nichts mit der wahren Rechten zu tun hatte.
(Eine Sprachregulierung: Was ist „faschistisch“?)

Allerdings hatte vieles was Kuehnelt-Leddihn in seiner persönlichen Gleichung lieb und rechts war, auch nichts mit der wahren Rechten zu tun. Dies gilt an erster Stelle für seinen ultrakapitalistischen Wirtschaftsliberalismus (der Freund Hayeks war auch in der Mont Pèlerin Society), der gerade die bürgerlichen Zerstörer der alten aristokratischen Ordnung abfeierte und den er gegen links verteidigte, nicht verstehend oder akzeptierend, daß die stets beklagte Proletarisierung und Egalitarisierung eben die Konsequenz dieser Freihandelsvergötzung war. Aber er war auch der Auffassung, die Monarchie würde den wirklichen Liberalismus (englisch und nicht französisch verstanden, empiristisch und nicht rationalistisch) schützen. Dazu kam sein Unverständnis für alle Konservative, die nicht katholisch sind. Wobei sein Katholizismus andererseits wiederum - entgegen gerade wieder verbreiteten Gerüchten - sehr liberal war (sein Verlag wirbt wohl zurecht mit einem Zitat des liberalkonservativen Paradetheologen Hans Urs von Balthasar), der Ökumene zugewandt, insbesondere philojudaistisch, nur nicht linkskatholisch (Befreiungstheologie, feministische Theologie, usw.), aber ganz gegen die "Traditionalisten" wie Marcel Lefebvre gerichtet, den er mit Martin Luther verglichen hat und dies nicht nur wegen des Ungehorsams, sondern auch weil er ihn als mittelalterlich empfand. (Tatsächlich war Kuehnelt-Leddihn ja wie die meisten "Konservativen" sehr fortschrittlich, er nannte dies "additiv"; siehe auch: Konservativismus und Subversion) Die "Tradition" in einem übergeordneten, integralen Sinne hat er wohl trotz seiner Begegnung(en) mit Evola nicht verstanden. Für ihn war nur ein christlicher Staat als Pyramide gedacht - entgegen dem ja gerade dem Christentum entstammenden Gleichheitsprinzip - akzeptabel, nicht-christliche "Pyramiden"-Gesellschaft, was wir als Kastensystem bezeichnen würden, waren für ihn so unakzeptabel wie egalisierte Gesellschaften:
Und ein heidnischer Vertikalismus kann furchtbar sein. Corruptio optimi pessima, hatte uns schon der Aquinate gewarnt. Das fühlte ich schon einmal in der Anwesenheit vom Baron Giulio Evola, der einer der brillantesten Verteidiger der atheistischen oder agnostischen Rechten war. Dieser Mann, der durch die Rachebombardierung der Alliierten auf Wien im März 1945 querschnittgelähmt war, redete zu mir in kalter Verachtung wie ein amerikanischer College-Professor zu einem Dshu-Dshu Praktiker am oberen Ubangi.
(
Weltweite Kirche. Begegnungen und Erfahrungen in sechs Kontinenten 1909-1999; Stein am Rhein 2000; S. 502)

Das Bonmot, den adeligen Dandy mit einem US-College-Professor zu vergleichen, ist wieder Erik von Kuehnelt-Leddihn in einer Nußschale: so originell wie schief. Bei aller, kaum verdeckten Boshaftigkeit ("perverser Denker", "agnostische Rechte") war der Ritter, der im Juli vor 100 Jahren in Tobelbad geboren wurde und im Mai vor 10 Jahren in Lans gestorben ist, persönlich wohl liebenswert wie eine Figur aus einem Roman des Co-Wahltirolers Ritter Fritz von Herzmanovsky-Orlando: ein Dshu-Dshu Praktiker am oberen Ubangi der Tarockei.

M. Gauchet: "La démocratie du privé perturbe le collectif"

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«La démocratie du privé perturbe le collectif»

Interview - Ex: http://www.liberation.fr/

Invité de «Libération», Marcel Gauchet dresse le bilan de deux années de sarkozysme. Et réagit à l’actualité tout au long de ce numéro spécial.

 

Théoricien de la crise de la démocratie et directeur de recherches à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), Marcel Gauchet, 63 ans, répond aux questions de Libération.

Quel bilan politique dressez-vous des deux premières années de Nicolas Sarkozy à l’Elysée ?

Le sarkozysme est difficile à analyser, car il est caméléonesque. Il manie la contradiction sans complexe. En jouant sur tous les tableaux, il se rend insaisissable, ce qui explique que les protestations de la gauche le laissent indemne. Néanmoins, si on doit faire un bilan, on peut dire que le sarkozysme a probablement épuisé son capital initial et que s’il continue de faire illusion, c’est paradoxalement grâce à la crise, qui le prend à contre-pied, mais justifie, pour quelque temps encore, son activisme. L’essence du sarkozysme, c’est, sous le titre de la «réforme», l’idée que le moment est venu de banaliser la France, en économie, en diplomatie, dans l’éducation… C’est un programme de pasteurisation européo-libérale du pays, dont les deux armes principales sont d’une part la communication, que Nicolas Sarkozy manie en virtuose, et d’autre part la vitesse et l’emballement du rythme : réformes annoncées à jet continu pour déstabiliser les opposants, qui n’ont pas le temps de se mobiliser qu’on en est déjà à la réforme suivante ; multiplication des fronts pour brouiller les cartes, etc.

Cette formule serait en train de toucher à ses limites ?

J’en ai l’impression. D’une part, une bonne partie des prétendues réformes sont pour la galerie. Sarkozy sait marier comme personne l’intransigeance verbale et une gestion très chiraquienne des compromis. C’est un bonapartisme pour la télévision, où l’affichage de la volonté l’emporte sur la réalité. Ca ne marche qu’un temps et les limites de l’entreprise commencent à se voir. Ensuite, l’effet de surprise ne joue plus. La démarche se heurte à la résistance de l’exception française. Or celle-ci est solide. Elle repose sur une culture politique républicaine ancrée dans une vision très forte de l’histoire du pays. Sarkozy a eu tort de croire qu’il pouvait se contenter de concessions rhétoriques à ce noyau dur, avec les discours de Guaino. Il a sous-estimé la vitalité de ce cadre historique et mental. Aussi son action s’enlise-t-elle. Nous sommes en train de passer de la guerre de mouvement à la guerre de tranchées. La crise lui offre un répit qu’il a saisi avec son intelligence et sa souplesse habituelles. Elle fragilise son discours sur le fond, mais elle met en valeur son pragmatisme et son volontarisme, qui sont bien adaptés à la situation.

Les Français ne l’ont-ils pas élu justement pour ce programme de réformes ?

Les Français sont ambigus et contradictoires. Ils aspirent au changement car ils ont les réflexes d’une ancienne grande puissance qui ne veut pas abdiquer. Ils entendent rester dans le peloton de tête - de ce point de vue, le discours de Sarkozy a rencontré un écho profond dans la société. Mais ils veulent aussi rester ce qu’ils sont. Voilà pourquoi ils sont si réactifs dès qu’ils ont l’impression que l’on risque de toucher à ce qui constitue le cœur de l’expérience politique française. Dans le discours, Sarkozy a essayé de jouer sur les deux tableaux, en annonçant le changement tout en invoquant la France éternelle, de Jeanne d’Arc à Guy Môquet. Mais dans la pratique, ce grand écart s’est révélé intenable. L’histoire a disparu en route, au profit d’un changement souvent très ignorant des réalités françaises.

Le sarkozysme incarne-t-il une étape de la crise de la démocratie telle que vous l’analysez dans vos essais ?

Ce serait lui faire beaucoup d’honneur que d’y voir un phénomène historique significatif en lui-même. Le sarkozysme n’est qu’une conjoncture française, mais qui met néanmoins en lumière un élément sous-jacent de la crise de la démocratie : une volonté de pouvoir dont l’effet est une dévitalisation du pouvoir. Typique, par exemple, est la place démesurée donnée par le chef de l’Etat à la communication, comme si agir sur les images était transformer la réalité. Caractéristique, également, son impossibilité de faire le départ entre l’homme privé et sa fonction publique. Or une telle distinction, c’est l’âme même de la démocratie, où le pouvoir est dans les institutions, non dans les personnes. Chez Nicolas Sarkozy, la dimension institutionnelle est absente. L’autorité qui compte, à ses yeux, c’est la sienne, pas celle de l’Etat, dont il n’a pas le souci. Par ce trait, il incarne à merveille ce que j’appelle «la démocratie du privé», qui est un processus de désarticulation de la démocratie sous l’effet de l’individualisation et de la privatisation du monde.

L’idée que nous sommes passés d’une «démocratie du public» à une «démocratie du privé» est au cœur de votre réflexion actuelle. Qu’entendez-vous par là ?

Pour le dire abruptement, la question est de savoir si le collectif jouit d’une existence indépendante de celle des êtres qui le composent. Si oui, on peut lui donner une expression institutionnelle, une expression publique, distincte de l’expression privée des individus, qui ont par ailleurs voix au chapitre. Historiquement, c’est cette idée qui a longtemps prévalu. Elle a eu de beaux jours politiques, spécialement en France, où elle a constitué l’âme de l’Etat républicain. Dans ce cadre, les libertés individuelles sont supposées s’accomplir par la participation à la chose publique. Parallèlement, il est vrai, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis avaient développé des modèles plaçant l’accent davantage sur les libertés individuelles que sur la chose publique, sans ignorer le rôle de celle-ci. Mais depuis une trentaine d’années, cette tradition anglo-américaine s’est radicalisée et diffusée partout. La pente du monde est de remettre en question toutes les formes de collectivisation de l’existence politique, au nom de l’idée qu’il n’existe que les individus réels et leurs intérêts particuliers, et que c’est de leur interaction que doivent surgir les compromis acceptables pour tout le monde. C’est ce qu’on appelle le néolibéralisme. La chose publique, dans ce cadre, n’a plus de consistance par elle-même, elle n’est plus que l’instrument des demandes émanées de la sphère privée. Les institutions collectives sont discréditées, parce qu’elles sont toujours suspectes de ne pas prendre en compte les personnes concrètes. Sous couvert des mêmes règles, l’esprit du fonctionnement de la démocratie a complètement changé.

Néanmoins, la démocratie américaine se caractérise par des valeurs collectives très fortes : patriotisme et religion.

En effet. C’est, pour le coup, l’exception américaine : les Etats-Unis sont dotés d’une identité politique très forte et le pays où les libertés privées ont le plus de place. C’est fonction de la foi dans la «destinée manifeste» de l’Amérique et dans son rôle de puissance à l’échelle du monde. L’Etat-nation américain est projeté vers l’extérieur ; il n’organise pas la société à l’intérieur. C’est ce qui fait que la démocratie du privé coexiste avec une dimension publique axée sur le rayonnement des Etats-Unis. Les Européens, au contraire, ont abandonné toute politique de puissance et, dans leur démocratie sociale, le poids des institutions publiques est grand. Aussi chez eux l’irruption de la démocratie du privé est-elle très perturbatrice pour l’identité collective. Ils ne savent plus très bien où ils en sont. Autant, pour les Américains, la démocratie du privé se complète par un Etat tourné vers le dehors, autant, pour les Européens et en particulier pour les Français, elle se solde par l’incapacité d’assumer un héritage historique dont ils ne savent plus trop que faire, tout en y restant attachés.

La «démocratie du privé» s’accompagne d’une «oligarchisation» de la société, dites-vous, mais aussi d’une montée en puissance de la protestation. N’est-ce pas contradictoire ?

La démocratie du privé, ce n’est pas du tout le repli des gens dans leur foyer, le cocooning, la passivité : c’est l’alignement de chacun sur son intérêt d’individu et la légitimation absolue de celui-ci, donc de sa défense inconditionnelle. C’est dire que l’effervescence protestataire, la revendication et le contentieux sont garantis d’avance. Mais ces revendications campent sur leur particularité, en se plaçant à l’extérieur du politique. La protestation s’en remet en fait aux responsables et leur dit : «Voilà ce que nous voulons, débrouillez-vous pour trouver les moyens». Le mot-clé est résister. Mais si vous ne formulez pas de propositions, si vous ne prenez pas en charge le point de vue de l’ensemble où votre réclamation doit s’inscrire, ce sont les gouvernants qui le font pour vous. Le problème de cette formule, c’est qu’elle ne permet pas de remonter au collectif. Elle exige, mais délègue aux hommes politiques le soin de décider : ainsi, la protestation secrète naturellement l’oligarchisation. Du reste, le personnel politique s’accommode de la situation. Il a compris que si elle est parfois inconfortable, elle lui laisse les cartes bien en main. Le divorce entre le haut et le bas se creuse. Car les citoyens continuent dans le même temps d’aspirer à une grande politique. On a vu à l’occasion de la dernière élection présidentielle que leur attente était intacte. Les électeurs aspirent à une puissance du politique que toute leur pratique au quotidien a pour effet de rendre impossible. D’où le sentiment général d’une dépossession incompréhensible.

Comment s’en sort-on ?

D’une part, il ne faut pas sous-estimer la prise de conscience par les individus des contradictions et de l’impasse dans laquelle ils sont. Les gens ne sont pas stupides, ils voient bien que quelque chose coince. Car cette équation impossible, on la trouve à tous les niveaux : dans la famille, à l’école, dans l’entreprise. L’évolution du syndicalisme, par exemple, est significative. Mais ce mouvement des mentalités ne suffit pas à faire bouger les choses à lui seul. C’est la rencontre avec les circonstances historiques qui précipite le changement, dans les moments de choix qui font apparaître la nécessité de reprendre en compte le collectif. En la matière, nous avons tout ce qu’il nous faut sous la main : la crise financière, le défi écologique, le blocage européen, le déséquilibre des systèmes sociaux. L’art du politique, c’est de conjuguer ces deux forces.

La crise financière est-elle un autre symptôme de la «démocratie du privé» ?

Elle est le symptôme économique de la dérive politique entraînée par la confiance illusoire dans l’autorégulation des intérêts individuels. Elle fait apparaître la vacuité de ce rêve d’agrégation automatique. La vérité est qu’un monde mondialisé a plus besoin que tout autre d’une organisation. Savoir laquelle va nécessiter du temps, mais tel est le but qu’il faut se fixer et c’est dans une telle optique qu’on peut par exemple parler de protection économique.

Est-ce le nouveau rôle historique de la gauche ?

Autant je ne vois pas de raison de désespérer à long terme, autant je suis obligé de constater, en ce qui concerne la France actuelle, que nous sommes au plus bas. Nous payons le prix du mitterrandisme, qui a été le visage sous lequel la France a défini pour longtemps son attitude face à ce changement de cap du monde. Elle a commencé par le refuser, sous Giscard. Puis, dans les années 80, tandis que le Royaume-Uni avait élu Thatcher et les Etats-Unis Reagan, est arrivé Mitterrand, qui a installé une culture de la dénégation, consistant à s’adapter à la nouvelle donne, mais sans le dire. Les socialistes français en sont toujours là : ils ont la particularité d’être à la fois très rigides doctrinalement et très cyniques en pratique. A leur décharge, il faut dire que Mitterrand avait cru trouver une échappatoire en jouant l’Europe : puisque le modèle français était condamné, il a voulu construire à un échelon européen une nouvelle synthèse du libéralisme et de l’Etat fort. Faire une Europe française, en somme. Dans les années 80, le projet européen a été le grand espoir de la société française. Mais il se trouve que le projet a échoué : l’Europe telle qu’elle s’est développée n’est pas française, on peut même dire qu’elle est anti-française, tout simplement parce qu’elle reflète la réalité d’un monde qui va spontanément à rebours de notre héritage historique. Le désenchantement qui s’en est suivi vis-à-vis de l’Europe a été spectaculaire. Depuis, personne n’a fait l’effort de reprendre le problème à la racine. Jospin, qui semblait l’avoir compris, n’a pas osé. Ségolène Royal est passée à côté. La panne est complète.

Les deux grands courants concurrents du PS - le pôle écologiste et libertaire et la gauche radicale - vous semblent-ils porteurs de promesses ?

Non, pas la moindre, hélas ! La gauche radicale est une rémanence de notre histoire. C’est la Révolution française qui revient, par-delà le communisme. Besancenot nous propose un néo-hébertisme et Badiou nous réinvente Babeuf et sa Conjuration des Egaux. Tout cela bouillonne, exprime des choses profondes, mais n’offre guère de perspectives opératoires. Quant à la liste commune Cohn-Bendit-José Bové, la contradiction de la nouvelle démocratie individualiste du privé y atteint son sommet. Il n’y a vraiment que sur le papier que le souci écologique et la radicalisation des droits personnels collent ensemble !

Critiquer les droits de l’homme, n’est-ce pas encourager des formes politiques autoritaires ?

Je ne critique pas les droits de l’homme, je critique l’usage qu’on en fait, ce qui est fort différent. Ils sont indiscutables dans leur ordre, mais ne fournissent en rien une réponse générale, immédiate et totale aux questions qui nous sont posées. Ils établissent la base de légitimité du pouvoir dans nos sociétés ; ils énoncent ce qu’on ne doit en aucun cas violer et ce vers quoi nos sociétés doivent tendre, en tant que sociétés d’individus. Mais en aucun cas ils ne définissent le système politique ou l’organisation sociale qui permettront d’assurer leur développement. Les droits de l’homme sont le fondement et le but, pas le moyen. Ils ne nous dispensent pas, comme l’illusion du moment le fait croire, de réfléchir sur l’ordre politique et sur le fonctionnement de la société en tant que tels. Si l’idée de socialisme doit retrouver un sens vivant, c’est du côté de cette conjonction qu’il faut le chercher.

Recueilli par ÉRIC AESCHIMANN et LAURENT JOFFRIN