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dimanche, 01 février 2009

"Signes de mort, signes de vie": identités et territoires face au mondialisme

« Signes de mort, signes de vie » : identités et territoires face au mondialisme

« Les signes de mort sont signes de vie, c’est aussi leur fonction essentielle », nous dit Jean Raspail. Les signes que nous impose chaque jour Ouest-France, que sont-ils, sinon « signes de mort » ? Mort de notre culture, de notre IDENTITE ? Il n’est que de se référer à Ouest-France du 8 décembre 2008, qui évoquait les ambitions iconoclastes de Sam Abi, agent immobilier « d’origine libanaise ». Il n’est que de se référer aux nombreux articles du même Ouest-France qui chantent les mérites de l’immigration britannique en Bretagne. Ces deux cas, au-delà de leurs différences, que révèlent-ils, sinon l’affrontement entre la liberté des marchés et celle des peuples ?

Image Hosted by ImageShack.us« Il part vendre les manoirs bretons aux émirats », proclame Ouest-France du 8 décembre 2008. Et d’évoquer Sam Abi, « Riécois d’origine libanaise ». Celui-ci, agent immobilier à Riec-Sur-Belon, se dit, avec un associé de Dubai, « décidé à commercialiser aux EMIRS les magnifiques demeures bretonnes de son catalogue », car « beaucoup de riches Arabes cherchent à acquérir des châteaux et des manoirs ». Et, après Dubai, « un autre marché au parfum de pétrole et de gaz : la Russie ». « Si les acheteurs sont sur la Lune, j’irai sur la Lune ! »

 

La pression migratoire en Bretagne : des ruptures, des inflexions

 

Depuis dix ans et plus, Ouest-France évoque l’achat massif de biens immobiliers par des étrangers, à plus de 80% anglophones. En Pays de Rance, en Centre-Bretagne et ailleurs, de véritables « colonies » britanniques. Plus de 60 000 personnes à ce jour, avec leurs journaux (Brit’Mag, Central Brittany Journal, Talking Point), leurs associations (Integration Kreiz Breizh), leurs émissions radiophoniques… et leurs agences immobilières (Brittany Immobilier) !

Cette vague britannique, c’est l’arbre qui cache la forêt. Car l’immigration en Bretagne, légale ou clandestine, est désormais issue du monde entier : Europe, Afrique, Asie et Amérique dite « latine ». D’autres ruptures et inflexions : une féminisation accrue, une explosion du « regroupement familial » et une tertiarisation importante des groupes sociaux. Il en est résulté une forte pression sur l’immobilier rural, sur celui du « rural profond », portée spectaculairement par l’immigration britannique, mais aussi, on le sait moins, sur l’immobilier périurbain.

Et Ouest-France nous annonce que va désormais se manifester une pression tout aussi forte sur notre immobilier patrimonial d’intérêt architectural et historique. Ce journal illustre cette pression par les ambitions de Sam Abi. Mais devons-nous pour autant négliger celles d’autres professionnels, moins exotiques et moins arrogants, mais aussi actifs ?

Une stratégie mondialiste : « du passé faisons table rase »

 

D’un côté, Ouest-France nous annonce les milliardaires en pétrodollars du Moyen-Orient et les oligarques russes, nouveaux acteurs de notre dépossession. D’un autre côté, le même quotidien continue de chanter ces colonies anglophones qui se constituent en enclaves protégées en zones vertes. Quel rapport entre eux, dira-t-on ? Il en existe bien un, qui est au cœur de cette stratégie mondialiste. Que se propose-t-elle ? Elle se propose d’éradiquer sur son propre territoire toute nation enracinée. Et d’y substituer de nouvelles populations qui n’obéissent qu’à leurs propres règles. Car l’ordre existant ne suscite aucun intérêt de la part du capitalisme sauvage. Nous sommes ici dans le libre marché. Il ne saurait triompher, en Bretagne comme ailleurs, sans oblitérer notre mémoire, notre culture, notre histoire, sans oblitérer notre IDENTITE. La voie royale, pour le libre marché, passe par la TABLE RASE : l’effacement, chez nous en Bretagne, de la mémoire profonde d’une culture millénaire. Il lui faut disposer d’une PAGE BLANCHE où écrire une nouvelle histoire. Les objectifs : éradiquer hommes, cultures, identités ; et d’abord vaincre la capacité de résistance de la population, éliminer les anticorps avant qu’ils ne puissent devenir actifs.

Allons-nous ainsi vers « Le pire des mondes possibles » de Mike Davis ? Ou y sommes-nous déjà ? En sommes-nous à la « déterritorialisation » : la désinsertion hors de l’espace public et l’exclusion de tout vestige de vie citoyenne ? Ou la Bretagne ne se construit-elle pas dès aujourd’hui une pseudo-territorialisation « hors-sol », parcourue de flux de populations et d’informations sans aucune cohésion sociale, technique, morale, ethnique ? Sans aucune cohésion IDENTITAIRE, en un mot.

« Les signes de mort sont signes de vie, c’est aussi leur fonction essentielle », nous dit Jean Raspail. Ne nous donne-t-il pas ainsi une raison d’espérer ? Et nous rallierons-nous à cet espoir du grand historien Arnold Toynbee : « La genèse et la croissance des civilisations obéissent à certaines lois et notamment aux impulsions de la minorité créatrice jusqu’au jour où, né de contradictions internes ou de formes extérieures, un défi est lancé que la civilisation devra relever sous peine de décomposition. » Saurons-nous et voudrons-nous être cette minorité créatrice ? Si oui, comment ferons-nous des signes de mort des signes de vie ?

Christian Beuzec pour Novopress Breizh

[cc] Novopress Breizh, 2009, Article libre de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine
[http://breizh.novopress.info]

 


 

Article printed from :: Novopress.info France: http://fr.novopress.info

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L'homme, une matière première

L'homme, une matière première

 

Trouvé sur: http://polemia.com

Heidegger, comme les anciens Grecs, définit l’homme essentiellement comme « mortel », comme « être-pour-la-mort », c’est-à-dire ouvert en permanence à la perspective de mourir, contrairement à l’animal qui, lui, « ne meurt pas mais périt ». Il renoue ainsi avec notre tradition qui remonte au Christianisme, mais antérieurement encore, à Platon notamment (voir le « Phédon »).

Notre rapport avec la mort cependant, dans la société occidentale moderne, ne cesse de se détériorer. La vie moderne, axée sur la consommation et le plaisir immédiat, cherche à effacer la mort de nos consciences. Lorsqu’elle survient, comme c’est le cas avec nos morts au champ d’honneur en Afghanistan, c’est un vrai scandale !

Quatre métiers, quatre « vocations » (le mot allemand « Beruf » pour métier comporte cette idée d’un « appel » du destin ; « Ruf » veut dire appel), comportent dans leur essence un rapport privilégié avec la mort : la médecine, la justice, l’armée et la fonction ecclésiastique. Les « pompes funèbres » sont un service commercial et n’entrent donc pas ici en ligne de compte ! Le médecin lutte contre la mort et il lui est interdit, selon une tradition qui remonte à Hippocrate (5e siècle avant JC) de donner la mort ès qualité de médecin. Le juge par contre, depuis l’aube de la civilisation jusqu’à quelques années en Europe, est habilité à donner la mort dans un certain nombre de cas précis. Le soldat a pour vocation de mourir pour la patrie et de donner la mort à l’ennemi. Le prêtre est présent à la fin de la vie et aide le mourant à « effectuer le passage ». Ce sont les quatre fonctions en rapport avec la mort et qui correspondent aux quatre pôles du quadriparti, ce monde de l’être qui fonde l’authenticité de notre existence selon Heidegger. Le médecin représente le pôle de la terre (la « cause matérielle » d’Aristote), le juge représente le « ciel » (la cause formelle, le devoir-être), le prêtre la divinité (la cause finale) et le soldat le monde des hommes (la cause motrice).

Dans notre monde moderne, ce monde est bouleversé et remplacé par un « immonde » selon la frappante formule du philosophe Jean-François Mattéi (voir son livre : « La barbarie intérieure » (1)) Le juge est désormais privé de son pouvoir de donner la mort. Il est éliminé. Le prêtre n’est plus convoqué que par les croyants qui sont une minorité, il est marginalisé. Le soldat meurt encore mais c’est très mal vu. La dimension militaire est évacuée le plus possible des valeurs de notre société marchande. L’héroïsme n’est plus une valeur directrice dans l’imaginaire social comme il l’a toujours été des épopées d’Homère (8e siècle avant notre ère) jusqu’à, disons, le culte des héros de la Résistance.

Par contre, le médecin dont la vocation était de lutter contre la mort au point de lui interdire de donner la mort (le serment d’Hippocrate des anciens Grecs interdit au médecin de pratiquer l’avortement), est appelé à la donner de plus en plus ! Non seulement par l’avortement mais par la possibilité de l’euthanasie qui rassemble de plus en plus de partisans !

Nous voilà donc dans un « monde à l’envers » en quelque sorte où le juge ne peut plus tuer mais où le médecin tuera de plus en plus fréquemment. Le prêtre et le soldat, quant à eux, sont appelés à disparaître, si le « progrès » continue sa route ! A quoi peuvent servir les prêtres, à quoi peuvent servir les soldats dans une société matérialiste de consommation ? Quel sens peut encore avoir le don de sa vie à autrui dans un monde qui plaide pour l’extension illimitée de l’ego et du plaisir immédiat ? Cette inversion des fonctions sociales devrait conduire nos compatriotes à s’interroger. Mais le conditionnement médiatique ne va pas dans ce sens. De plus en plus de pressions se font jour pour légitimer le rôle de tueur donné au médecin alors qu’une indignation générale se fait jour s’il s’agit de redonner au juge le pouvoir de donner la mort.

Le temps est venu où la prédiction de Nietzsche dans son « Ainsi parlait Zarathoustra » se réalise : Nietzsche dit que le monde moderne est celui des « derniers hommes qui ont inventé le bonheur ». « Idéal, amour, étoile, qu’est cela ? disent les derniers hommes. (…) Un peu de poison pour rendre la vie agréable (la drogue), beaucoup de poison pour la finir agréablement ». La mort comme façon de vivre plus agréablement (sans enfant non désiré, sans souffrance de la maladie) est la mort vue de façon « moderne », c’est-à-dire utilitariste. La mort est ainsi arraisonnée par le dispositif utilitaire (le « Gestell » de Heidegger (2)) qui domine notre vie sans que nous en ayons vraiment conscience. L’homme est de moins en moins un « mortel » conscient de sa condition tragique de finitude sur cette terre. Il devient la plus importante des matières premières au service du système techno-économique. Il perd ainsi sa liberté et son essence humaine largement à son insu.

Mais la réduction de la mort à un acte médical est revendiquée comme un progrès de l’humanisme ! La disparition de l’héroïsme des valeurs sociales directrice (héroïsme pourtant revendiqué notamment par toutes les Républiques précédentes) est considérée comme un progrès : rien ne doit s’opposer aux caprices de l’ego dans sa poursuite de la puissance et du plaisir ! La sécularisation matérialiste de la société est un progrès des Lumières ! L’homme est un animal et la raison est là pour satisfaire ses pulsions dans un cadre sécurisé !

On considère encore normal d’envoyer à la mort des jeunes gens honnêtes qui risquent leur vie pour le bien commun : soldats, policiers, pompiers ! Mais on est horrifié à l’idée de condamner à mort un monstre qui a torturé et assassiné une enfant ! Dans un monde où l’on ne croit plus guère au sacré, on affirme que la vie du grand criminel est sacrée et que l’homme ne peut avoir le pouvoir légal de la lui enlever ! Mais le flic ou le soldat peuvent crever car « c’est leur métier » : ils ont signé un contrat en ce sens ! Le criminel n’a pas signé de tel « contrat professionnel » donc sa vie ne peut être mise en jeu même s’il met en jeu la vie des autres ! Cette « idéologie du contrat » qui seule permet la « mort utile » n’est pas autre chose que la justification de l’opération qui consiste à faire de l’homme une matière première du système social dominant. On passe bien des contrats avec les fournisseurs de pétrole ! On peut perdre sa vie ou sa dignité pourvu que ce soit conformément à un « contrat » (le mot « contrat » est d’ailleurs valorisé chez les mafieux : pour éliminer un gêneur !)

Telle est la sensibilité de l’immonde moderne ! Elle est « sensible », ce qui n’empêche pas celle-ci d’être perverse ! Robespierre aussi était « sensible » ! Il expliquait qu’il fallait exterminer tous les Vendéens par pitié ! Par pitié pour la République ! En donnant aux médecins le monopole de donner la mort à l’avenir, ne créé-t-on pas cependant une « guillotine rampante » ?

Il est à souhaiter qu’un jour la liberté et la dignité de l’homme soient restaurés. Cela suppose certainement de retrouver un rapport « normal », noble et non ig-noble avec la mort !

Yvan BLOT
12/01/09
(©)Polémia
19/01/09

(1) Jean-François Mattéi,« La barbarie intérieure », puf, 2004, 334p.
http://www.polemia.com/article.php?id=1195
(2)Le « Gestell » ou « dispositif utilitaire » qui règle le monde
http://www.polemia.com/article.php?id=1818

Yvan Blot

Contradictions et abîmes de la communication de masse

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - PUNTO Y COMA (Madrid) - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Mars 1988

Contradictions et abîme de la communication de masses

 

par Javier ESPARZA

 

Traits caractéristiques de la modernité: exigence de communication, nécessité d'une transparence, demande d'un flux libre d'informations. A  contrario, la post-modernité se caractérise, entre moults autres choses, par une critique  à l'encontre de cette communication de masse, par des doutes à l'endroit de la transparence, par l'inquiétude face au débordement du flux informatif. Cette communication qui, depuis le XVIIIème siècle était considérée comme un facteur de libération, nous apparaît désormais comme un instrument de domination. D'énormes contradictions sociales et culturelles naissent de l'information de masse et surtout depuis l'application des techniques modernes de communication. La télévision s'assied sur le banc des accusés. Pourtant, jamais inculpé ne fut aussi sûr de se tirer si facilement d'affaire: l'Occident accuse la communication de masse tout en regardant un vidéo-clip. Narcisse est de retour mais cette fois il ne s'agit pas d'un jeune homme qui admire son reflet dans les eaux calmes d'un étang mais d'une masse informe qui égratigne l'écran de ses téléviseurs en essayant d'atteindre ce qui, pour elle, a déjà cessé d'exister: la réalité, l'histoire, la vie.

 

La société de l'information

 

Ce nouveau monde qui naît avec l'explosion des techni-ques de communication et la culture de masse a reçu le nom de "société de l'information".  Les ter-mes contemporains "société post-industrielle" et "so-ciété post-moderne" ou "Nouvelle Société de Con-sommation" (Faye) sont peu à peu utilisés de-puis la moitié des années 70 pour désigner les so-ciétés occidentales en tant que réseaux de flux in-for-matifs: Daniel Bell, Alvin Toffler, S. Nora et Alain Minc, James Martin, J. McHale, Yoneji Misuda ou J.Naisbitt, entre autres, ont popularisé le concept.

 

En Espagne, l'un des premiers à introduire ce terme dans le monde universitaire en tant qu'objet d'étude  —et à éditer des travaux à ce sujet—  a été Francisco Javier Bernal. Salvador Giner accorde une cer-taine importance à ce terme; pour lui, "le faisceau de phénomènes évoqué par l'expression “société de l'information” est d'une telle ampleur qu'il faut se de-mander s'il n'est pas en train de se forger ce que, traditionnellement, on avait coutume d'appeler un “mo-de de production”, un mode de domination et un or-dre culturel distincts, sous ce nom, sous un terme proche ou sous un synonyme". Pour Giner, ce "fais----ceau de phénomènes" serait constitué de la télé-matique, de l'informatique, de la microélectronique, de la robotique, de l'intelligence artificielle, etc. Il ne cite pas d'éléments aussi décisifs que la multipli-ca-tion de l'offre propre à la télévision (chaînes privées, antenne parabolique) ou la publicité. De toute façon, pour Giner, l'expression "société de l'information" n'est qu'"une candidate de plus, parmi d'autres expressions également attirantes, à la définition de ce qui est essentiel aux étapes futures de la modernité".

 

Bien que l'on puisse douter que la modernité (en tant que telle) soit encore à même de nous offrir des "pha-ses futures", l'importance croissante de l'information au sein des structures socio-économiques de l'Occident est indiscutable. D'après Román Gubern, au cours des trente dernières années de ce siècle, le  sec-teur électronico-informatique a dépassé celui des in-dustries lourdes comme la pétrochimie et l'auto-mo-bile. Pour l'an 2000, on estime que, dans les pays  développés, 90% de la population active tra-vaillera dans le secteur des services et la moitié de ces personnes dans des systèmes d'information ou  des réseaux informatisés. Cette conséquence pra-ti-que de l'extension de l'univers médiatique se con-ju-gue, d'autre part, avec une légitimation sociale (et mê-me psychologique) de son utilisation: dans une so-ciété atomisée et individualiste, les média joue-raient le rôle (et c'est ce qu'ils font effectivement) de "thérapeutes sociaux" de l'individu, en essayant de compenser la carence d'une communauté réelle.

 

Universalisation et résistance

 

Comme l'écrivent Faye et Rizzi, "les média sont l'une des causes majeures de l'isolement individuel actuel mais, en même temps, leur fonction et leur pré-tention sont d'y apporter un remède. Facteurs d'a-tomisation  -une atomisation  dont la société de con-sommation a besoin pour survivre- ils se pré-sen-tent pourtant à nous comme des antidotes contre l'ato-misation". Nous pourrions dire que la "so-ciété de l'information" est celle dans laquelle la so-ciété est remplacée par l'information ou, plus pré-ci-sément, cel-le dans laquelle la transmission technique de l'in-for-mation joue le rôle que la société elle-même déte-nait auparavant: définition d'objectifs, normation de rè-gles de conduite, imposition culturelle de modè-les, de formes de production économique, d'échelles de valeurs morales…

 

Les conséquences sont évidentes: la société dispa-raît, s'évanouit dans le réseau technique de la com-mu-nication de masse. Les cosmovisions particu-lières et enracinées sont remplacées par  une culture de masse homogène qui met fin aux cultures tradition-nel-les. La  communication se met ainsi au service du néo-colonialisme post-industriel et de la cosmopolis marchande. Comme l'affirme le publicitaire David Vic-toroff, "grâce aux images de marque, la publicité tend à construire de nouvelles  valeurs symboliques, communes à la totalité du groupe social, et ce, sur les ruines des systèmes de valeurs et de symboles  ca-ractéristiques des sous-groupes particuliers". Un nou-vel imaginaire collectif, universaliste, s'ins-tal-le dans nos sociétés à l'abri de ce que Abraham Mo-les a appelé "l'opulence communicationnelle". Mais ce-la ne se passe pas sans résistances. Un fort cou-rant cri-tique verra dans la communication de masse —et concrètement dans la communication techni-que—  un abîme insondable vers lequel notre so-ciété se précipite inéluctablement.

 

Le regard de la Méduse

 

Evidemment, les critiques qui s'adressent à la com-munication de masse prirent leur envol bien avant l'usage généralisé des moyens technologiques les plus sophistiqués. Dans les années 40 et 50, une cer-taine critique que, par convention, nous appele-rons "de gauche", a accusé la publicité et la propagande d'asservir les masses: Max Horkheimer, Theo-dor W. Adorno, Dwight MacDonald, Irving Ho--we ou Leo Löwenthal, voyaient, dans la cul-tu-re de masse, un facteur de création d'une "fausse cons-cience" dans les classes populaires, qui annulait leur puissance révolutionnaire et les intégrait dans un système d'exploitation; au fond, ils ne critiquaient pas la communication de masse mais son utilisation sociale.

 

La perspective de droite, qui leur était antérieure, était différente, elle ne critiquait pas tant la commu-nication que son caractère massif et technique, com-me on peut le voir chez Ortega y Gasset ou Carl Schmitt. Entre les années 60 et 70 et malgré ces cri-ti-ques, la communication de masse s'est développée à une vitesse incroyable et elle ne manqua pas de pro-tecteurs pour la légitimer: tantôt on alléguait la pos-sibilité d'une rétroaction et d'une rétroalimenta-tion (feed-back) qui affirmait que le récepteur pou-vait con-tester le message en agissant selon son libre ar-bitre; tantôt on disait que, grâce à la communi-ca-tion de masse, l'homme moderne pouvait se déta-cher de la terre à laquelle il était lié et entrer dans une société où il manifesterait librement ses goûts cultu-rels. Ce fut là la position défendue notamment par Edward Shils, Herbert Gans, Raymond Williams, Hans M. Enzensberger ou même Walter Benjamin. Parallèle-ment, et à partir du développement à grande échelle de moyens audiovisuels, des auteurs apparaissaient qui se montraient ouvertement criti-ques envers la TV: Jerry Mander écrivait ses célè-bres Quatre arguments pour éliminer la Télévision  qui jouirent d'une influence notable. La télé-vi-sion devenait le prin-cipal accusé. Il y a quelques an-nées, David Mata identifiait l'effet paralysateur de la télé au regard terrifiant de la Méduse mythique.

 

La culture de masse serait intimement liée à la démocratie bourgeoise

 

Nonobstant, ses défenseurs continuent à insister: pour beaucoup d'entre eux, la culture de masse est in-timement liée à la modernité occidentale, à la civi-li-sa-tion marchande et à la démocratie bourgeoise. Dans cet agencement complexe, faire abstraction d'un élément impliquerait l'oubli des autres. De là, di-verses tentatives visant à concilier démocratie et technologie communicationnelle. C'est notamment l'ob-jectif poursuivi par Manuel Castelles sur le plan  de l'informatique; pour cet auteur, les nouvelles techno-logies, qui, effectivement, favorisent le con-trô-le du citoyen par l'Etat, pourraient agir inver-sé-ment en informatisant les procédés de l'Admi-nis-tra-tion et en les ramenant au niveau du citoyen, favo-ri-sant ainsi une transparence publique toujours plus grande.

 

Pourtant, ces espoirs de "démocratisation" sont peu nombreux, que nous parlions de la TV, de l'infor-ma-tique ou de la publicité (tout cela forme la "société de l'information"). Christopher Lasch pense que la cul-ture de masse, propre des sociétés modernes, ho-mo-généisée comme elle l'est, n'engendre abso-lu-ment pas une mentalité éclairée et indépendante mais, au contraire, la passivité intellectuelle, la con-fu-sion et l'amnésie collective.

 

Le message de Baudrillard

 

En fait, le problème ne réside pas dans ce que dit l'ins-trument de masse mais dans la manière dont il agit et dans les effets qu'il crée. Comme l'écrit Jean Bau-drillard: "Le message de la TV n'est pas consti-tué des images qu'elle transmet mais des nouveaux modes de perception et de relation qu'elle impose: le changement dans les structures traditionnelles de la famille et du groupe. De plus, dans le cas de la TV et des mass-media modernes, ce qui est perçu, assi-mi-lé, consommé,  n'est pas tant le spectacle que la vir-tua-lité de tous les spectacles. La vérité des moyens de masse est donc la suivante: sa fonction est de neu-traliser le caractère vivant, unique, événémentiel du monde pour le remplacer par un univers multiple de medias homogènes les uns par rapport aux autres en tant que tels, qui ont de la signification les uns pour les autres et qui renvoient les uns aux autres. En dernière instance, les médias deviennent le contenu réciproque les uns des autres -et c'est là que se trouve le message totalitaire d'une société de consommation".

 

C'est pour cette raison que toute analyse de la médiation technique ne peut se réduire à une simple posologie, ni se limiter à formuler son "utilisation idéale". Les média ne dépendent pas uniquement de la manière dont on les utilise. D'une certaine façon, c'est comme s'ils étaient supérieurs à leur propre instrumentalisation.

 

Information et inhibition

 

La fonction que, dans la culture politique dérivée de l'Il-luminisme (des "Lumières"), on attribuait à l'information, c'était de créer une opinion publique ca-pa-ble de discuter les problèmes de gouvernement, de choisir judicieusement ses gouvernants et de décider librement ce qui convenait ou non à la société. On pré-tendait ainsi créer un espace de liberté   à la base, per-mettant la coexistence démocratique. Les lois ré-gis--sant la presse, en vigueur au siècle passé et au dé-but de ce siècle, obéissaient à cette logique. Jürgen Ha--ber-mas a rapporté tout cela de manière fort ex-haustive dans Strukturwandel der Öffentlichkeit .

 

Mais, tout comme la naissance de l'information est liée au commerce, à la banque et au pouvoir éco-no-mique, son développement a continué à dépen-dre de ce type ou d'autres types de pouvoir. Ainsi, au XXè-me siècle, l'information se met au service d'une relation "offre-demande" qui sature  le récep-teur: d'abord, il l'inonde de discours au point de le transformer en automate, puis il le bombarde d'in-for-mations jusqu'au moment où il ne répond plus et se noie dans l'indifférence. On est passé du désir de participation, encore vivant dans la modernité, à l'in-hibition complète des masses.

 

L'hypersollicitation et l'implosion du sens

 

Et cette situation débouche sur une grave contra-dic-tion sociale: "Partout, on cherche à faire parler les mas-ses", écrit Baudrillard, "on les presse d'exister so-cialement, électoralement, syndicalement, sexuellement, dans la participation, dans la fête, dans l'ex-pression libre, etc. Il faut conjurer le spectre, et qu'il dise son nom. Rien ne montre avec plus d'éclat que le seul véritable problème aujourd'hui est le silence de la masse, le silence de la majorité silencieuse". Et plus on insiste, moins de résultats l'on obtient. La mas-se ne participe pas, non qu'elle ne le veuil-le pas mais parce que cela lui importe peu. L'in-formation n'a jamais connu un tel développement et pourtant le narcissime moderne, comme l'explique Li-povetski, "apparaît comme une forme inédite d'a-pathie, faite de sensibilisation épidermique au monde en même temps que d'une indifférence profonde en-vers celui-ci, paradoxe qui s'explique partiellement par la plé-tho-re d'informations qui nous accablent et par la rapidité avec laquelle les événements traités par les mass-média se succèdent, empêchant toute émo-tion durable". L'individu actuel est com-plè-tement indif-fé-rent au monde qui l'entoure, non parce qu'il ne le con-nait pas mais parce qu'il le connait trop: "L'in-dif-férence  postmoderne  -poursuit Lipo-vetski-  l'est par excès, non par défaut, par hy-persollicitation, non par privation".

 

Ce comportement a une explication anthropologique. D'après Arnold Gehlen, l'excès d'informations en-traîne un effet de "sollicitation excessive" provoquant une insensibilité progressive; le procesus de per-te de sens ne cesse donc de s'accentuer. Toute l'in-géniosité dont l'homme fait preuve pour structu-rer le monde en fonction des signaux qu'il en per-çoit, finit par disparaître (ou s'amenuise considé-ra-ble-ment) lorsque ces signaux se succèdent à une vi-tese et dans une quantité telles qu'il ne peut plus les appréhender. Aussi toute possibilité de signification dis-paraît-elle devant l'omniprésence de ce que  Kon-rad Lorenz a appelé la "formation indoctrinée" et qui constitue un de nos huit péchés capitaux (Cf. Les huit péchés capitaux de notre civilisation,  Flam-ma-rion).  Et ainsi, l'idée de la participation, issue des "Lu-mières" devient, à travers l'information, à l'ère de la technique, une pure chimère; l'indifférence dé-truit le vieux rêve de la raison. Pour parler comme Bau-drillard, le sens implose.

 

Sociabilité et narcissisme

 

On observe une contradiction lorsque nous passons au domaine des comportements en société et à la ré-per-cussion qu'a, sur eux, la communication de mas-se. Dans l'optique moderne de la communicaiton, c'est un lieu commun de dire que celle-ci sert à en-ve-lopper ce que l'on appelle en sociologie le "pro-ces-sus de socialisation"; en d'autres mots, il s'agit des pro-cessus grâce auxquels l'individu apprend à s'in-té-grer dans la société qui l'entoure. Les théories les plus récentes  —surtout après la condamnation des to-ta-litarismes par l'Ecole de Francfort—  prétendent que cette socialisation est libre et accroît le sens criti-que de l'individu vis-à-vis des valeurs sociales do-mi-nantes.

 

Dans cette perspective, l'information devrait jouer un rôle important puisqu'elle dote l'individu des élé-ments de jugement qui lui sont nécessaires pour se mouvoir de manière critique parmi les valeurs de sa société. Cependant, non seulement on n'observe pas une plus grande intégration de l'individu mais il sem-ble même que, plus l'individu reçoit d'infor-ma-tions, plus il ressent des difficultés à "se socialiser", à s'intégrer dans la vie sociale.

 

La critique développée par les conservateurs fait fré-quemment allusion à une "crise des valeurs" qui fe-rait de la société contemporaine un lieu indésirable et dangereux. Pour Lipovetski, une telle carence des va-leurs n'existe pas, on assiste plutôt à la prédo-mi-nan-ce d'une valeur suprême, celle de l'individu et de son "désir de se réaliser", d'"être libre dans la me-sure où les techniques de contrôle social déploient des dispositifs de plus en plus sophistiqués et hu-mains". C'est cette valeur suprême, née pré-ci-sément de l'hypervaloration du sens critique de l'in-dividu fa-ce à la société qui fait que l'individu s'isole et se fa-çonne une sorte de petit monde ambiant. "Le sen-ti-ment communautaire —écrivent Faye et Rizzi—  dis-paraît. L'Autre devient une abstraction. Les capa-ci--tés de sociabilité s'évanouissent. De nombreuses en-quêtes ont démontré jusqu'à quel point la télé a con-tribué à l'extinction des formes de vie com-mu-nau-taires. L'homme moderne ne sait plus ce qu'est l'en-vironnement, cette communauté de proches qui lui est éthologiquement   indispensable".

 

Culture de masses et infra-culture

 

Une des fonctions primordiales attribuée par la cri-ti-que illuministe à l'information était de faire parvenir la vérité (la raison, la lumière) au plus grand nombre possible d'êtres. Elle pourrait garantir le bonheur de l'homme  dans la mesure où elle lui permettrait d'ac-cé-der, de plus en plus, à la connaissance du monde. Mais le résultat en a été fort différent. Non seule-ment on n'a pas accédé à la connaissance du monde mais plus on prétend accroître l'audience d'un mes-sa-ge, moins le niveau culturel en est élevé. Il existe une proportion inverse entre la hauteur des messages culturels et l'ampleur possible de l'audience. Plus le message est élevé, moins il y a de gens pour le com-prendre. Plus on veut jouir d'une large audience, moins le niveau du message devra être élevé. D'une cer-taine manière, il s'agit d'une incompatibilité entre ce qui est étendu et ce qui est intense.

 

De cette situation découle un abaissement général du niveau culturel. D'après Habermas, "les effets de la com-munication de masse sont culturellement régres-sifs". Pour Régis Debray, "les mass-media as-su-rent la plus grande socialisation de l'ignorance pri-vée". Bau-drillard conclut: "L'information, au lieu de trans-former la masse en énergie, produit en-core plus de masse".

 

L'origine de ces dysfonctions se trouve dans deux théo-rèmes du système de pensée moderne. Le pre-mier est la croyance que l'ordre naturel de la vie (et, partant, de la culure également) fonctionne comme un marché: le meilleur produit culturel, comme le meil-leur homme politique ou la meilleure brosse à dents, sera celui qui suscitera l'unanimité la plus gran-de dans le public.

 

De la Vox populi à "l'effet Coluche"

 

Le deuxième théorème (nous pourrions presque dire "mythème") est celui qui donne origine au premier, comme à toutes les constructions théoriques qui concernent l'"opinion publique" et que l'on peut résu-mer par une expression ancienne: Vox populi, vox dei,  "la voix du peuple est la voix de Dieu", expres-sion qui possède un sens quand, par peuple, on en-tend communauté, mais également un sens fort dif-fé-rent si, par peuple, on entend classe productrice (en termes chers à Dumézil: la troisième fonction). La bourgoisie a fait ample usage de cette expression à partir du XVIIème siècle en lui attribuant un sens qui corresponde à ses aspirations. Comme dit Julio Ca-ro Baroja, "nous avons tant de raisons de penser que la voix du peuple est la voix de Dieu que d'esti-mer que c'est la voix du Diable ou la voix des imbéciles".

 

Nous connaissons bien le résultat de cette manipu-la-tion: quantitativement, l'opinion d'un acteur ou d'un présentateur suscite plus de considération que celle d'un professeur, d'un philosophe ou d'un scientifi-que, non en raison de la personnalité du sujet mais en raison de sa fonction sociale, qui consiste à di-vert-ir  le particulier. En France, on a appelé ce phé-no-mène "l'effet Coluche",  du nom de ce pitre qui, grâ-ce à un discours hyper-humanitaire, prétendit de-ve-nir Président de la République. Quand cette logi-que se transplante sur le terrain culturel, la culture, com-me le politique ou le social, devient une marchandise.

 

Transparences et stratégies

 

Le quatrième cauchemar qui angoisse la société mé-diatique provient du rêve irréalisé de la raison: l'im-possibilité de transparence dans la communicaiton entre êtres humains. Toutes les idéologies des XVIIIè-me et XIXème siècles soulignaient la néces-sité d'élucider, en prenant la raison comme base, le réseau complexe de la vie, en abandonnant les cro-yan-ces irrationnelles et superstitieuses et en accédant à un niveau supérieur, celui de la connaissance trans-parente, par le truchement de laquelle les hom-mes parviendront à la compréhension rationelle, tout en dialoguant sans aucun préjugé.

 

Sur le plan politique, cette situation s'est traduite dans la transparence administrative; sur le plan inter-per-sonnel, la transparence se manifeste dans l'ab-sence de formalités, dans le tutoiement, dans l'indis-crétion. On doit tout connaître; s'y opposer, c'est agir contre la raison. La société de la communication totale n'est que le stade ultime de cette soif de transparence; pour Baudrillard, le processus historique qui domine avec la société médiatique est "cette lon-gue voie vers une traductibilité totale", chemin qui est celui de "la transparence superficielle de toutes les choses, de leur publicité absolue".

 

Cependant, la vie n'est pas transparente, les hom-mes non plus et, par conséquent, la communication ne peut l'être. La psychologie (surtout la psycho-lo-gie jungienne et la néo-jungienne) a prouvé à quel point, dans l'esprit de chaque homme, on trouve des prédispositions déterminées qui rendent totalement opaque son intimité ultime; et, simultanément, ces prédispositions agissent de telle sorte que cet homme aborde l'autre interlocuteur de front comme s'il s'a-gissait d'un combat. Ces attitudes ont été appelées "stra-tégies" bien que la majorité d'entre elles soient inconscientes.

 

L'Ecole de Palo Alto

 

Les théoriciens de l'Ecole de Palo Alto (Bateson, Watz-lawick) ont démontré de quelle manière tout co-de de communication est en soi "un régulateur de relations de pouvoir" inséparable du système culturel auquel il appartient. Les éthologistes en ont donné une bonne explication. La transparence n'existe pas et encore moins dans les milieux de masse, où la règle est la stratégie du communicateur. De cette ma-nière, une stratégie faisant face à une stratégie, la com-munication dans la société de masses devient un flux circulaire de discours irréductibles. Le con-sen-sus est une illusion. Jürgen Habermas a essayé d'es-qui-ver cet écueil en proposant un  "horizon commu-ni-catif" qui pourrait faciliter le consensus à l'ombre de la Raison Universelle. Cette attitude ne relè-ve que d'une pure accélération dans le vide car si quel-que chose démontre bien l'impossibilité de la trans-parence, ce quelque chose,  c'est précisément l'inexis-tence d'une telle raison.

 

Expériences de seconde main

 

Le problème ne se situerait pas dans la communi-cation mais, comme on l'a noté auparavant, dans le canal technique de masses, dans la mesure où celui-ci isole l'individu de la réalité en l'empêchant de l'ex--périmenter. De cette façon, l'homme "technifié" est un autre type d'homme dont les capacités pour la perception et pour une assimilation de la réalité sont fort différentes de celles de l'homme qui vivait il y a seulement quelques générations. Cette mutation an-thro-pologique est facilement perceptible aujourd'hui chez les enfants. "L'enfant est abandonné dans un con-texte permissif, seul et libre  face aux médias et aux appareils électroniques. Il erre parmi une jungle de signes, qu'il peut comprendre  techniquement mais dont il n'obtient aucune sens.  Il devient un néo-primitif.  Drogué par les médias, il voit sans ces-se un écran artificiel dressé entre lui et le mon-de… Il faut craindre que les générations qui ont re-çu ce type d'éducation ne soient plus capables d'é-valuer la réalité, de décoder le monde extérieur: la pas-sivité collective naît de l'abrutissement individuel".

 

Serait-il saugrenu de mettre ceci en relation avec l'in-dice élevé d'échecs scolaires que l'on peut noter parmi les générations éduquées, dès leur plus jeune âge, devant le téléviseur? La communication média-ti-sée par la technique crée des expériences de seconde main  dont l'effet se devine: culturellement involutif et individuellement domesticateur.

 

Déréalisation et fragilité

 

C'est l'anthropologue allemand Arnold Gehlen qui a vu à quel point l'hypermédiatisation ne laissait sub-sis-ter de la vie que ces expériences de seconde main. Gehlen signale que, sans expérimentation directe, l'hom-me cesse de s'auto-construire. Il tombe dans un état de dépendance psychologique. Les sociétés oc-ci-dentales, par conséquent, se trompent en se cro-yant mûres; elles ne se rendent pas compte de leur extraordinaire fragilité physiologique, fragilité qui les laisserait sans recours si, subitement, les techni-ques de médiatisation venaient à manquer. "Aujour-d'hui, tout est sens dessus dessous: les media sup-pri-ment facilement le vécu et le symbolisent de ma-niè-re incomplète. De là, une fragilité plus grande de l'homme contemporain face à la mort, le combat, la peine, la crise collective…".

 

Tout cela crée des mentalités très particulières. Une de celles-ci, peut-être la plus frappante, est l'attitude qui se situe à mi-chemin entre le nihilisme et le stoï-cisme que Mario Perniola croit discerner dans le mou-vement punk. Ce mouvement serait un ré-sul-tat du bombardement médiatique et de l'indifféren-ce qui en découle. Il naît ainsi un comportement de refus aveugle et passif, dépourvu de sens mais qui, de temps à autre, se fait bruyamment entendre. Tout ce-la provient de l'impossibilité du système mé-dia-tique à fabriquer la réalité et à la doter de sens. Comme l'explique Baudrillard, "la demande d'ob-jets et de ser-vices peut toujours être suscitée artifi-ciel-lement… mais le désir de signification, quand il est absent, le désir de réalité, quand il se met à man-quer de tous côtés, ne peuvent être comblés et cons-ti-tuent un abîme définitif". Nous sommes plon-gés dans cet abî-me. La technique nous y a mis; et la technique ne nous laisse pas en sortir. Le problème se situe-t-il dans la technique elle-même, dans son es-sence, dans son utilisation sociale ou, même, dans la manière de concevoir la technique et la commu-nication?

 

Le problème de la technique

 

Carl Schmitt disait que "culturellement, la technique aveugle". En effet, si elle ne rend pas aveugle, il est in-discutable que la technique moderne, appli-quée à la communication, amenuise considéra-ble-ment les ca-pacités de l'homme à appréhender le mon-de. Tout me-dia, tout élément que nous utilisons pour intercé-der entre nous et le monde, modifie no-tre perception de celui-ci et même la relation physio-lo-gique que nous entretenons avec lui. Le cerveau prend note de cette modification et la met en prati-que, il la fait se répercuter dans le comportement or-ga-nique.

 

Ce processus s'est déroulé avec la première hache en silex et se répète exactement de la même façon avec l'ordinateur: le nouveau système de médiation conti-nue à exercer des transformations sur l'organisme et le psychisme. En réalité, la différence se situe dans le fait que les nouveaux médiateurs ont remplacé les précédents avec une rapidité inouïe (il n'a fallu qu'une génération) et dans le fait que leur pouvoir quantitatif de transformation de l'organisme puisse toucher toutes les cultures d'un seul coup.

 

Konrad Lorenz a examiné ce phénomène avec une inquiétude explicite: "Si le développement culturel poursuit sa course à une vitesse supérieure à celle du développement phylogénétique et, malgré tout, obéit à des lois similaires, il est très probable qu'il (le dé-veloppement culturel) puisse mener à une phylogé-nè-se allant dans son sens, c'est-à-dire, dans une di-rec-tion similaire. Vu les circonstances de notre or-dre technocratique mondial, cette direction semble con-dui-re, sans nul doute, vers le bas".

 

L'analphabétisme informatisé des handicapés réceptifs

 

Ces nouvelles formes de mass-médiatisation accen-tuent la distance qui nous sépare de la "nature", mais, en plus, elles nous éloignent également de no-tre corps. Il ne s'agit pas seulement qu'apparaisse ce que Joseph Weizenbaum appelle l'"analphabétisme informatisé", c'est-à-dire, l'analphabétisme de ceux qui sont considérablement incultes sur le plan géné-ral mais très compétents en informatique  —c'est ce qu'Ortega y Gasset a appelé la "barbarie du spécia-liste". Le problème ne se situe pas non plus unique-ment dans le fait que —comme l'écrit Ri-cheri— "l'usage de l'ordinateur favorise une repré-sentation linéaire et non dialectique de la réalité et in-hibe la capacité critique de celui qui l'utilise".

 

Le véritable problème, la question réellement préoc-cu-pante que soulève la technique d'information de mas-ses, en tant qu'intermédiaire entre nous et le mon-de, est qu'elle nous éloigne de notre propre cer-veau, de notre propre capacité à donner forme au mon-de que nous voyons et à créer les modèles permettant de l'appréhender. Faye et Rizzi écrivent: "Nous pouvons déjà voir à quel point les individus nés dans un environnement hyper-médiatisé (environnemental et audiovisuel) sont des handicapés ré-cep-tifs, équipés de gadgets technologiques qui leur per-mettent de survivre".

 

Nous avons créé des formes de connaissance qui se développent plus rapidement que nous, qui nous sup-plantent et qui nous convertissent en êtres limités par rapport à un état antérieur. La communication de masse, au sein d'une société dans laquelle dominent le quantitatif, l'hédonisme et la conception marchan-de de la connaissance, se transforme en un facteur me-naçant de décomposition. D'une certaine façon, c'est comme si nous devions reculer organiquement alors que nous sommes allés si loin d'un point de vue technologique. Qui a parlé de progrès?

 

La technique pour quelles valeurs?

 

Cependant et comme on l'a déjà signalé, il serait er-ro-né de faire endosser à la technique la respon-sa-bi-li-té de tous les maux. Toutes les théories définissant la technique comme un "mal", oublient que le fait techni-que est consubstantiel à la nature humaine et que l'homme ne serait pas homme sans ces éléments techniques, qu'il s'agisse du char à bœufs ou du té-les-cope. Pourtant, il serait naïf de croire, à l'instar de certains courants libéraux et marxistes, que la techni-que est un élément neutre en soi, et que tout dépend de son utilisateur et de ses objectifs, en pré-sup-poant que la technique sera bonne si on l'utilise au nom du progrès et mauvaise si on l'emploie pour exercer une domination  ou quelque chose de sem-bla-ble. Ce point de vue est naïf car, d'abord, de nom-breux crimes ont été commis au nom du progrès et, ensuite, parce qu'un des traits caractéristiqes de la technique dans le monde moderne est d'être, en soi, un instrument de domination, en marge de celui qui l'utilise.

 

La solution serait peut être de voir dans la technique un fait de civilisation, la manifestation d'une manière déterminée de voir le monde; cette manifestation peut revêtir l'une ou l'autre forme ne dépendant pas de l'utilisateur mais de l'ordre des valeurs dominant. D'a-près Heidegger, dans le monde grec, la techni-que avait une fonction révélatrice de la réalité,  de con-naissance, mais pas de domination du monde (ou du moins de faible domination, de domination sans possession); dans le monde moderne, au contraire, elle a une fonction exclusive de domination et toute connaissance s'y subordonne. Ce changement d'une conception à une autre est, de fait, parallèle à l'essor des conceptions modernes pour lesquelles toute l'his-toire est une ligne ascendante qui conduira l'hom-me à la domination du monde et au bonheur, dans une utopie universellmeent réalisée. C'est pré-ci-sément la même idéologie progressiste, indivi-dua-liste et universaliste qui a donné naissance à toutes les contradictions mentionnées ci-dessus.

 

En effet, toutes les dysfonctions qui affectent la so-ciété de l'information ne constituent pas tant un pro-duit direct de la communication à travers la techni-que, qu'un résultat, celui d'une manière déterminée de comprendre le monde. Une façon de comprendre le monde définie par l'individualisme, l'universa-lis-me, la tendance à l'homogénéisation, la foi aveugle   dans la raison et la science, le sens quantitatif des cho-ses, la prétention progressiste à faire advenir une utopie rationnelle. Une manière de comprendre le mon-de qui, en termes généraux, correspond à ce que nous pourrions appeler "idéologie de la modernité" et qu'aujourd'hui, on nous désigne comme une idéologie largement hétérotélique  où la distance en-tre l'objectif à atteindre et le but réellement atteint est énorme.

 

Vers l'implosion finale?

 

Et comme cet abîme est incontournable, la commu-ni-cation technique essaie de le surmonter en offrant des simulacres,  des farces, le spectacle  omniprésent de "ce qui devrait être". En vain. L'individu cher-che, dans les media,  le "monde ouvert", la "so-ciété transparente" dont on lui parle. Il ne trouve rien. Et  comme plus il se sent isolé, plus il s'a-bandonne aux media, "sa personne, disent Faye et Riz-zi, se ferme dans l'illusion dramatique de l'ouver-ture… Pareils à des mouches enfermées dans un bo-cal renversé, les individus s'efforcent de toucher ce monde extérieur,  cette société ouverte,  qu'ils voient mais qui n'existe pas".

 

Ainsi, il s'agit d'un problème de conception du mon-de. Et concrètement, la question de savoir com-ment dépasser la vision moderne du monde. Des solutions? Peut-être n'y en a-t-il pas. Peut-être cela exi-gerait-il des efforts et des volontés collectives qui ont déjà disparu de notre civilisation. Peut-être, par conséquent, serons-nous condamnés à voir, sur no-tre téléviseur, le simulacre gigantesque de ces socié-tés qui, dépourvues de tout sens historique et de tou-te capacité de mobilisation, ont perdu la possibilité de s'auto-représenter et attendent l'implosion finale  comme  ultime et définitif spectacle - mais qui sera peut-être le plus beau.

 

Javier ESPARZA.

(texte tiré de  Punto Y Coma n°8, 1987. Traduction française de Nicole Bruhwyler).

 

Adresse de  Punto y Coma, Apartado de Correos 50.404, E-28.080 Madrid.

 

Bibliographie:

 

Nous renvoyons le lecteur à l'édition originale de ce texte pour les références espagnoles. Ci-dessus, le lec--teur trouvera une bi--blio-graphie succincte, se rap-portant au thème et son exploi-ta-tion.

 

Daniel BELL, Les contradictions culturelles du capitalisme, PUF, Paris, 1979.

John NAISBITT, Megatrends. Ten New Directions Trans-for-ming Our Lives, Futura/Mac Donald, London/Sidney, 1984.

Régis DEBRAY, Le pouvoir intellectuel en France,  Ramsay, Pa-ris, 1979.

Gilles LIPOVETSKY, L'ère du vide. Essais sur l'indivi-dua-lisme contemporain,  Gallimard, Paris, 1983.

Jürgen HABERMAS, Strukturwandel der Öffentlichkeit, Luch-ter-hand, 1962-80.

Jean BAUDRILLARD, La société de consommation,  Galli-mard, coll. "Idées" n°316, 1974.

Jean BAUDRILLARD, A l'ombre des majorités silencieuses ou la fin du social,  Utopie, Paris, 1978. 2ème éd.: Denoël/ Gon-thier, coll. Médiations n°226, Paris, 1982.

Christopher LASCH, Le complexe de Narcisse. La nouvelle sensibilité américaine,  Robert Laffont, Paris, 1981.

Guillaume FAYE et Patrick RIZZI, "Vers la médiatisation totale", in: Nouvelle Ecole, n°39, automne 1982.

 

jeudi, 29 janvier 2009

The Reluctant Pluralism of J. G. Herder

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The Reluctant Pluralism of J. G. Herder

Damon Linker

According to Isaiah Berlin's influential interpretation, J. G. Herder (1744-1803) deserves to be recognized as the first cultural pluralist in Europe, and thus also as an important historical source of the pluralistic ideas espoused by increasing numbers of political theorists today. Herder's importance actually lies in the ambivalent stance he takes toward his own pluralistic insights. That is, convinced that it is impossible to adhere to a completely pluralistic view of the world, Herder sets out to combine pluralism and its theoretical opposite ("monism") into a novel theory of historical progress according to which history reaches its culmination in the realization of a purified form of Christianity. Contemporary pluralists have much to learn--both historically and theoretically--from Herder's confrontation with his pluralism.

Recent thinking about politics has taken a pluralistic turn. Following a path first marked out in the writings of the late Isaiah Berlin, a number of theorists have begun to base their political reflections on the assumption that "values are not universal"-- that "every human society, every people, indeed every age and civilization, possesses its own unique ideals, standards, way of living and thought and action." [1] In contrast to the "monism" typical of so much of Western thought--according to which all legitimate questions have one true answer, and those answers are knowable through reason and compatible with one another--the pluralist claims that "there are many objective ends, ultimate values, some incompatible with others, pursued by different societies at various times." [2] Although the claim that "ends [and] moral principles are many" has repeatedly led critics to suspect pluralists of relativism, pluralists themselves vehemently deny the charge. As Berlin writes, "the fact that the values of one c ulture may be incompatible with those of another...does not entail relativism of values, only the notion of a plurality of values not structured hierarchically." [3] That is, according to the pluralist, each value or end is "objective" for the particular culture that holds it, even if it is not recognized as such by the members of other cultures, each of which must be understood to have its own, presumably very different, objectively valid values or ends. [4] Thus refusing to impose supposedly artificial and arbitrary standards on the manifest diversity of ways of life (while simultaneously managing to avoid the pitfalls of relativism), pluralism seeks to respect and affirm the irreducible and ineradicable particularism characteristic of human social and political life.

Along with the recent Berlin-inspired turn toward pluralism in political theory has gone a growing awareness of the historical and philosophical importance of J. G. Herder, a thinker once dismissed as being of little more than historical interest, as a source of ideas that went on to influence the development of nineteenth-century nationalist thought. In a series of essays published over the last few decades, [5] Berlin has made the case that Herder is better understood as a thinker who consistently exhibited a pluralistic approach to understanding the world--an approach that anticipated and even exercised an indirect (but nonetheless decisive) influence on today's philosophical critics of monism. Like today's pluralists, Herder held that "there are no immutable, universal, eternal rules or criteria of judgment in terms of which different cultures and nations can be graded in some single order of excellence. ... Every society, every age, has its own cultural horizons. ... Every age, every society, differs in its goals and habits and values from every other." [6] It is for this reason that Berlin has passionately argued that it is high time Herder's importance be recognized, for "all regionalists, all defenders of the local against the universal, all champions of deeply rooted forms of life, both reactionary and progressive ... owe something, whether they know it or not, to the doctrines which Herder ... introduced into European thought." [7] It should therefore come as no surprise that a number of Berlin's most accomplished students and admirers have followed him in turning to Herder, both to learn more about an important historical precursor to their own positions, as well as to plumb the theoretical depths of pluralism with a veritable pioneer as their guide. [8]

But is Herder the right man to be leading such an expedition? It will be the contention of this article that a careful examination of Herder's works reveals a thinker far more ambivalent toward pluralism than the erudite essays of Berlin and his admirers lead one to believe. It is not that Herder is the rabid nationalist he was once dismissed as being; on the contrary, Berlin was right to find the seeds of a genuinely humane and tolerant pluralism in Herder's writings. But that is far from being the end of the story. Read in the context of the works in which they are found, Herder's most pluralistic pronouncements can be seen to be inextricably tied to a larger project: namely, the construction of a teleological philosophy of world history whose aim is to mediate between the extremes of complete pluralistic diversity and homogeneous monism. [9] Moreover, when we refrain from beginning our study of Herder with the assumption that his pluralism is the "wheat" that can and should be separated from the "chaff" th at surrounds it (to employ one of Berlin's favorite expressions), we discover a thinker who viewed this attempt at mediation as a necessary supplement to his pluralistic insights, without which he believed they would be far more likely to become a source of psychological torment and theoretical confusion than a guarantor of tolerance for diversity or an opportunity for Western man to liberate himself from monistic prejudices.

Why did Herder come to this conclusion? What assumptions about human nature led him to it? How did his philosophy of history propose to accomplish the mediation between pluralism and monism? What might Herder's views on these matters have to teach today's pluralists? This article will seek to answer these and related questions. In doing so, it will make contributions to the history of political theory as well as to contemporary theoretical debates. It will contribute to the former by painting a more accurate view of Herder, and thus the development of pluralistic ideas in the West, than can be found in Berlin's influential writings. As for the latter, by examining Herder's reasons for seeking to unify pluralism and monism as well as the means whereby he tried to attain this goal, this article will hopefully prepare the way for a widening of the terms of debate among and about today's pluralists. [10]

 

Herder's Pluralism and Its Discontents

Reading selected passages of Herder's works in isolation can certainly lead one to conclude that he was an unambiguous pluralist writing 200 years before his time. To begin with, Herder was indeed concerned that much of the scholarship and theoretical speculation of his century had engaged in over-generalization-- that a discursive, logical approach to studying human phenomena Had prevented historians and philosophers from understanding and grasping its remarkable diversity and variety. [11] Herder frequently expressed his deep-seated conviction that human beings can only find their moral and intellecutal orientation within the "whole" (Ganze), the closed "horizon" (Horizont) of particular cultures, not in the cosmos or in principles generated by a universal faculty of reason. [12] Passages abound in which Herder writes of each "nation" or "people" in history having its own standard of goodness and perfection. [13] As he writes in a characteristic statement, "Every nation has its center of happiness within it self, just as every shpere has its own center of gravity!" [14] According to Herder, each culture is a kind of self-contained, monistic whole unto itself.

In making these claims, Herder does indeed seem to hold to the central tenet of pluralism-namely, that there are many objectively valid ends and ways of life that men can pursue, no one of which can be ranked as intrinsically better or worse for mankind as such. Each is an "expression" ([ddot{A}}Berung) of a people living a particular time and place, and each springs from its whole "form of life" (Lebensart). [15] When not invoking parallels between cultures and the family or a plant, [16] Herder uses medieval images of the "ship of state" to describe it, [17] or claims that the "harmony" and "nobility" of a "field army" is the "archetype of human society," since both of these images capture the closed and unified purposiveness that is characteristic of human cultural existence. [18] Hence, what Herder writes about literary figures and political actors is true for all human beings and practices: "Shakespeare was no Sophocles, Milton no Homer, Bolingbroke no Pericles: yet they were in their kind and in their s ituation what those were in theirs." [19] We need not--and moreover, cannot--rank them according to some standard that is valid in itself for all times and places; each cultural expression can be said to be good or bad, but only within the context in which it arose.

But things are not so simple. For when these and similar passages are read in the context of the works in which they were written, one discovers that, in addition to holding that each culture has its own standard of goodness within itself, Herder also maintains that each of these cultures must be understood as contributing to the realization of a higher good that comes to light in the whole of world history. In other words, Herder views the plurality of norms, practices, and beliefs in human history as constituting a larger, purposive whole, with each of those norms, practices, and beliefs serving as a means to realizing a divinely ordained end. Why did Herder maintain this view? Because he was convinced that a complete pluralism teaches a truth about mankind and the world that is incompatible with the necessary conditions of human happiness as he understands them. [20] For Herder, man can only experience happiness when he understands himself to exist within a unified, monistic whole, a cultural constellatio n of norms, practices, and beliefs in which he can find meaning and purpose. [21] Moreover, in order to confer that meaning and purpose on the individual, those norms, practices and beliefs must be understood by the individual to be true or accurate reflections of the world as it is in itself. Herder's pluralism describes a world in which this is the natural state of affairs, with each particular culture happily believing in the truth of its own meaningful and purposive norms, practices, and beliefs. But there is a problem with this way of conceiving of the human situation, for it creates a seemingly unbridgeable gap between the way Herder understands the meaningful and purposive experience of particular cultures and the way meaning and purpose are experienced by actual members of particular cultures. Although, according to Herder's pluralism, someone who lives his life entirely within his culture's closed horizon will experience his norms, practices, and beliefs to be true-in-themselves (and thus capable of making it possible for him to experience happiness), viewed from the external perspective occupied by Herder himself, any given culture's norms, practices, and beliefs appear to be merely relatively true or true-for-them; they are an expression of its overall form-of-life at a particular age of its development in history, not a reflection of the world as it is in itself.

This tension can be illustrated with the following example. As Herder describes it, a member of a given culture would not understand his gods to be merely "his," equal in ontological status to the gods of a neighboring nation. On the contrary, he would understand his gods to be the real or true gods and those of his neighbor to be untrue or false ones--and, according to Herder, it is this conviction that makes it possible for this hypothetical man to experience happiness. However, in the very act of recognizing this to be the case for all members of particular cultures, Herder manages to alienate himself from believing in the truth of any culture's norms, practices, and beliefs, including his own; for in contrast to the experience of our hypothetical member of a given culture, the pluralist understands his own culture's stories about the gods to be merely "his." Hence, for Herder, pluralism implies relativism, if not logically, then psychologically. And this is no mere academic point for Herder, since it mea ns nothing less than that the truth of pluralism is an obstacle in the way of the satisfaction of the most profound human longing.

But Herder does not simply maintain that adhering to a pure form of pluralism would make it impossible for one who holds it to believe in the simple truth of any particular culture's norms, practices, and beliefs. He also thinks that it would imply a positive teaching about man and the world that differs radically from what that very pluralism teaches about the monistic content of every culture: the most profound lesson of pluralism, according to Herder, is that human life is fundamentally grounded in finitude and arbitrariness. Although all cultures in human history have viewed themselves as static and permanent entities oriented toward fixed ends, pluralism teaches that the deepest truth of things is that nothing is eternal. As Herder writes, when the history of the world is viewed from a pluralistic standpoint, we see that,

no people remained or could have remained as it was for a length of time; that everything--like every art and science, and what in the world does not?--has its period of growth, flourishing, and decline; that each of these changes only lasted precisely as long as could have been given to them on the wheel of human fate; and that, finally, no two moments in the world are the same. [22]

For Herder, a truly consistent pluralism would have the effect of showing that each culture lacks a larger whole to bestow meaning and purpose upon it--something that, if true, would undermine the necessary conditions of human happiness. [23]

Some of the most haunting passages in Herder's corpus can be found at those places in which he confronts what he believes to be the devastating psychological implications of what his own pluralistic insights show him about man and the world. According to Herder, each human life, which seems so laden with significance when viewed within the context of a particular culture, appears to be a mere "comma" or "dash" in the "book of the world" when it is seen from the perspective of the pure pluralist. [24] From this standpoint, it appears that "the whole world is an abyss--an abyss in which I stand entirely lost!" [25] For the pluralist, each man is nothing more than an "insect perched on a clod of earth," who cannot help but feel that "I am nothing." [26] In these and similar passages, all of the meaning and purpose that prevails within the horizon of particular cultures has vanished. In its place, Herder invokes metaphors of desolation. First man is pictured to be wandering in a "desert," searching for an "ideal istic spring" that will quench his thirst by showing him that a "plan" (Plan) exists beneath the superficial "chaos" (Verwirrung) that reigns throughout the "ruins of history" (tr[ddot{u}]mmervollen Geschichte). [27] Next, Herder adopts a different image, describing man as a creature lost on a vast and stormy sea, shrouded in fog and deceived by illusory lights that falsely lead him to believe he is close to the safety of the shoreline. [28] At times, Herder even shows signs of contempt for people who live entirely within the closed horizon of a particular culture, "as if their anthill were the universe." [29] Apparently he resents the fact that they never confront the "melancholy prospect" of having "to see in the revolutions of the earth nothing but ruins upon ruins, eternal beginnings without end, upheavals of fate without any lasting purpose." [30]

One could say that Herder thinks that, experienced in and of itself, pluralism leads to a psychological abyss. Convinced that the happiness of mankind depends upon him feeling himself to exist within precisely the kind of extracultural whole that pluralism emphatically denies (at least at the level of particular cultures), Herder sets out to develop a philosophy of history that would show that each particular culture exists as a part in larger meaningful and purposive whole while still recognizing the distinct individuality of each of those parts. Herder was convinced that only by combining his pluralistic insights with a modified form of monism could the apparent arbitrariness of history be redeemed and happiness be possible for the pluralist, because only the existence of such a trans-cultural whole could show that the events of history take place for a reason--as a means to fulfilling a higher purpose. [31]

 

Humanity's Prophet: Multiplicity in Unity

In Herder's first attempt to write a philosophy of history that would mediate between pluralism and monism (the Yet Another Philosophy of History of the Education of the Human Race of 1774 (Auch eine Philosophie der Geschichte zur Bildung der Menschheit)), he fastened on two possible principles of unity in the world as it exists in itself, outside of any particular culture: God's providence and the historical process independent of God's will. With regard to the issue of providence, any theory Herder proposed would have to be different than the traditional theological ones found in the writings of such authors as Eusebius and Bossuet: it could not be tied to any particular culture, as had all others in history (including Christian accounts). For despite the fact that each culture in history claims that its notion of providence is true-in-itself, Herder's pluralism shows that every one of those notions is actually an expression of culturally rooted norms, practices, and beliefs, rather than genuine reflection s of the world as it is in itself. One indication of the culturally relative status of all prior providential accounts of the world is the fact that the gods of each particular culture always seem to favor that culture over others and often at the expense of others. An account of a transcultural whole modeled on such an arrangement would thus be one characterized by partiality rather than genuine holism. [32] Hence any notion of providence invoked by Herder would have to be radically reconceived--it would have to be thoroughly compatible with the universal and egalitarian implications of his pluralism. That is, it would somehow have to show that the good of each particular community is compatible with the good of every other one, and thus also with the good of the whole. [33]

Another model of transcultural unity--one that at first sight seems to avoid the problems of providential favoritism--was proposed by some representatives of the Enlightenment: a vision of moral and material progress over time. But Herder judged this kind of account to be thoroughly unacceptable for his own project, since, like traditional notions of providence, it favored some communities in history over others and thus showed that it was meant to justify and defend the norms, practices, and beliefs of particular cultures--specifically, those of modern, enlightened Europe. Moreover, if this narrative of progress were true, it would affirm that an underlying arbitrariness and injustice reigns in human history, since the possibility of individuals attaining happiness would be contingent upon when and where they happened to have been born; for example, according to the progressive historiography favored by some in Herder's time, [34] an inhabitant of eighteenth-century Paris would be more capable of being happ y than someone who found himself in the so-called dark ages of medieval Europe, let alone in less "civilized" regions of the world. But this was unacceptable to Herder. In contrast, then, any vision of progress would have to be compatible with the view that Herder consistently expressed throughout his career: each culture in history has to have its own standard of happiness within itself--it has to be an end in itself, in addition to being a means to a higher end. Only in this way could the world outside of any particular culture be thought of as a whole that balanced and synthesized monistic and pluralistic elements. [35] Herder's entire philosophy of history must be understood as an extraordinarily ambitious attempt to show that the world is, in fact, such a whole of multiplicity in unity. [36]

In the 1774 Philosophy of History, Herder moved in the direction of developing a theory of progress that met this demand by appealing to an analogy of organic growth [37]--the idea that the history of the human race as a whole is analogous to the life of an individual human being. This theory went a significant way toward overcoming the problems with more straightforward theories of progress discussed above, but Herder never worked out its details or their implications in a philosophically satisfying way in this early work. However, by the time Herder came to write his mature philosophy of history in the Outlines for a Philosophy of History of the Human Race of 1784-91 (Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit), he had developed a highly unusual and complex theory of progressive providentialism. An examination of how the "fingers of divinity" operate in human history, the Outlines seeks to show that it is possible to "wander through the labyrinth of history to perceive everywhere harmonious, divin e order." [38] Herder believes that detecting divine meaning and purpose in history will show us that even in the those most extreme cases in which "the history of miscarriages, wastes, and monstrosities" leads us to believe that "the laws of nature seem to be upset through alien causes," the apparent disturbance can be explained. For, according to Herder, "even in the seemingly greatest chaos" one can find "constant nature, that is to say, immutable laws of a highest necessity, goodness, and wisdom" that are oriented toward the realization of a divinely ordained end in the historical process as a whole. Herder comes to describe this end as "Humanity" [39] and to see it as the task of a "genuine philosophy of man" to detect and trace its development as it is progressively realized over time in the cultural norms, practices, and beliefs that prevail within history. [40]

As did his 1774 Philosophy of History, Herder's mature theory of human historical development begins with his attempt to identify an aspect of human existence that is common to each and every particular community and that can also provide a sign or indication of the end toward which history as a whole can be said to be developing. How does our Humanity manifest itself in history, according to Herder? What is the concrete norm, practice, or belief in which the end of history can be seen? Herder claims to find such a sign in man's practice of and belief in religion--not in the norms, practices, and beliefs of this or that particular religion, but rather in what he takes to be the transhistorical essence of religion as such. [41]

Unlike such modern critics of religion as Hobbes and Hume, Herder asserts that religion is as coeval with man as language and reason, and that it comes about as a means both of explaining events within the world and of giving them meaning and purpose: it is "the instructor of man, his comforter and guide through the dark and dangerous mazes of life." [42] One could say that, for Herder, God made man in such a way that he would develop diverse religious norms, practices, and beliefs through the use of his language and reason--and that, in doing so, he would contribute to the formation of a "Godlike Humanity" (Gott[ddot{a}]hnliche Humanit[ddot{u}]t) that will eventually come to fruition at the end of the historical process. [43] As he writes, "religion, considered merely as an exercise of the understanding, is the highest Humanity, the most sublime blossom of the human mind." [44]

Now, Herder does not mean by this statement that man's end is the simple and continuing development of the diverse religious norms, practices, and beliefs that prevail within particular communities in history. But neither does he mean to suggest that the members of particular communities must explicitly reject their own particularistic religious views; as Berlin has ably shown, Herder never relented in his scorn for the kind of cosmopolitanism that tries to create a cultureless citizen of the world. [45] Instead, Herder held that those particularistic religious norms, practices, and beliefs must be given a new interpretation according to which the mark of their divinity is contained, not primarily within themselves, but rather in their contribution to the formation of the new, trans-cultural religion of Humanity.

This new humanitarian religion would be characterized by peace, love, and mutual sympathy among members of different cultures. [46] But once again, this religion would neither require nor assume an abandonment of particularistic norms, practices, and beliefs on the part of members of those cultures. For want of a better term, they would be (to invoke a Hegelian concept) "sublated" (aufgehoben)--that is, the meaning and purposiveness contained within each community's norms, practices, and beliefs would be canceled, transcended, and yet also preserved in the new religion of Humanity. So, for example, the world that Herder prophesies at the end of history would be one in which Muslims, Jews, and Buddhists from nations throughout the world simultaneously affirm their own religious standpoints and, at the same time, love, respect, and sympathize with those of the others in the knowledge that, despite (or rather, because of) the differences between them, each of their communities is a part in a larger whole of Hum anity which is comprised of them all. In other words, the religion of humanity that Herder claims lies at the end of human historical-cultural development is one in which the greatest degree of diversity or difference is combined with the greatest degree of unity. It would be a form of monism that has learned the lesson of pluralism.

But has there ever been anything like such a religion? Is there any model, any indication of what one might look like? Or does Herder understand his prophecy to be entirely without precedent in the annals of human history? There is certainly ample reason to think that it would have to be entirely novel, for all prior religions have been radically exclusionary in character. Not only have they been hostile to outsiders, but they have persecuted dissenters within their own boundaries. That is, every historical religion has upheld particular dogmas and punished those within its ranks who strayed from its official teaching. Hence, to the extent that Herder's new religion resembles actually existing religions, it will tend toward homogeneity (i.e., it will seek actively to minimize particularistic differences within itself as much as possible), and thus not be based on the love and mutual respect of cultural difference as he claims it must be. But on the other hand, if Herder's humanitarian religion does allow for genuine differences, it would seem to have little in common with monistic religion as it has historically been understood; it would thus be far from clear how it could provide the meaning and purpose he thinks it must in order to make it possible for pluralistic man to be happy.

[The Review of Politics, Spring 2000 v62 i2 p268]

lundi, 26 janvier 2009

Herder's Critique of the Enlightenment: Cultural Community versus Cosmopolitan Rationalism

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Herder's Critique of the Enlightenment: Cultural Community versus Cosmopolitan Rationalism

Brian J. Whitton

Recent continental social theory has seen the emergence of a body of literature which represents a radical challenge to the primary concerns and assumptions of traditional Western social and political thought. While this challenge involves a number of aspects and embraces a heterogeneous group of thinkers, one theme common to them all is their opposition to the attempts of traditional scientific, social, and political disciplines to construct general theoretical programs as aguides to the practical actualization of a rational order within human society, however defined. What is most objectionable about this general project for such thinkers, included among them figures like Foucault, Lyotard and Derrida, is its implicit assumption of the possibility of establishing a hierarchy in the forms of knowledge - an ordering of discourses in accordance with theri relative approximation to the objetive principles of an ultimate discourse of reason or truth. Their special sensivity to language, and their shared belief in the infinite creative potencial of human linguistic activity, led these thinkers to arrack such "totalizing" rationalist discourses as legitimating forms of exclusionary practices which repress the full diversity of discursive interpretations of the real implicit in human linguistic activity in favor of one dominant, repressive discourse. Far from being unique to the postmodernist writters of the late twentieth century, however, this type of relativistic critique of totalizing discourses has some notable antecedents in modern social thought. The purpose of this article is to examine one such precursor of this form of critique presented in the writtings of the eighteenth century theorist, Johann Gottfried von Herder.

In his theory of history Herder presents a radical critique of the rationalist discourse of cosmopolitan human development advanced by the Enlightenment thinkers of his day, one wich is predicated upon a profound sentitivity to the importance of language in the process of historical human development. In the first part of this article I will outline Herder's critique of the Enlightenment perspective and the main features of the particularistic conception of human cultural community which he develops in opposition to it. In so doing I will suggest some interesting parallels wich can be drawn between Herder's relativistic conception of cultural community and the ideas on language abd human cultural development presented in the recent writtings of the postmodernist, Francois Lyotard. I then proceed to advance certain criticisms of the relativistic vision of human cultural development and community advanced in Herder's thought.

I

Before considering Herder's thought in detail, I will briefly outline some of the main themes of Lyotard's recent book, The Postmodern Condition. This will provide the basis for a comparison of the theories of Herder and Lyotard later in the paper. Central to an understanding of Lyotard's work is his view of language games as the defining aspect of any social system. He argues that:

"language games are the minimun relation required for society to exist; even before he is born . . . the human child is already positioned as the referent in the story recounted by those around him, in relation to which he will inveitably char his course . . . the question of social bond is itself a language game."

According to Lyotard each culture is constituted by such language games and it is the knowledge forms to which these give rise which govern the life of the culture. In his work he distinguishes two major knowledge forms arising from these language games in the course of human history. These are, first, the traditional popular narrative form and, second, the modern scientific form. Narrative knowledges, identified as synonymous with traditional tribal cultures, are distinguished by their inmmediacy with the life of the culture and the spontaneous manner by which they legitimate its institutions of authority. As the determinant of criteria of social competence and how those criteria are applied, of "what has the right to be said and done in the culture," such narrative knowledge forms are integral to the culture, "legitimated by the simple fact that they do what they do." Popular narrative kwoledge, Lyotard notes, "does not give priority to the question of its own legitimation. . . . It certifies itself in the pragmatics of its own transmission without havin recourse to argumentation and proof."

This traditional knowledge form is in direct contrast to the scientific form of modern Western culture. What sets the latter apart first and foremost according to Lyotard is its claim to objective legitimation, its supposed capacity to establish the truth of its propositions through the objetive processes of verification and falsification. In accordance with this claim to objective legitimation, it is only those discourses capable of objective validation which are appropriated into the corpus of acceptable knowledge withon the modern cultural order. Here Lyotard discerns the inherent hegemonic tendency of the scientific knowledge form. He notes that "scientific knowledge requires that one language game, denotation, be retained and all other excluded. [For this knowledge form] a statement's truth-value is the criterion determining its acceptability. This principle renders problematic the status of the traditional narrative form of knowledge within modern society.

"The scientist questions the validity of narrative statements and concludes that they are never subject to argumentation or proof. He classifies them as belonging to a different mentality: savage, primitive, underdeveloped, backward. . . .At best, attempts are made to throw some rays of light into this obscurantism, to civilize, educate, develop."

According to Lyotard, where the traditional knowledge form of popular narrative lends itself to the expression of a diversity of narrative discourses or different narrative understandings of the world, the modern scientific form is, by its very nature,  exclusionary of discursive diversity.

It is at this point that Lyotard notes the paradoxical nature of the scientific knowledge form upon which Western culture is predicated. For the latter, he argues, is itself dependet upon a form of narrative for its ultimate legitimacy.

"Scientific knowledge cannot know and make know that it is true knowledge without resorting to the other, narrative kind of knowledge, which from its point of view is no knowledge at all. Without such recourse it would be in the position of presupposing its own validity . . . [of] proceeding on prejudice."

The main forms which this recourse to narrative assumes is the appeal to the meta-narrative - the legitimating story of the subject wich unforlds itself in the process of history to discover its being in the knowledge of science. Only through the invocation of this epic story of the self-realizing subject, in its dual forms of the unfolding of the absolute idea (Hegel) and the emancipation of the concrete subject of humanity (the Enlightenment), has the culturally limited language game of modern science succeeded in sustaining its claim to superiority over other knowledge forms in modern society.

However, for Lyotard the advend of the present postmodern condition spells the death of this legitimating metanarrative within the represive dominance of the scientific knowledge form. The processes of delegitimation associated with the emerging postmodern era have, he maintains, seen the decline of the unifying power of the grand narrative and the violence it has visited upon the plurarity of language games. In place of the old "objetivizing" pragmatics of modern science, Lyotard notes the beginnins of the development of a new social pragmatics within postmodern society containing the possibility for a new relativistic idea and practice of justice -- one bases upon a "recognition of the hereromorphous nature of language games . . . [and] a renunciation of terror, which assumes that they are isomorphic and tries to make them so." 

 

II

The broad themes elaborated above which preoccupy the thought of Lyotard bear a marked similarity to the idea implicit in Herder's philosophy of history. The emphasis upon the essentially pluralistic nature of cultural forms of knowledge, the critique of the universal narrative as the legitimating form a particular, hegemonic cultural discourse which obstructs the free expression of alternative cultural discourses -- these are central features of the particularistic conception of cultural development which Herder elaborates within the broader context of his critical encounter with the Enlightenment conception of history dominant in his day. In turning now to examine Herder's thought, I shall first provide a brief account of the Enlightenment conception of history which forms the focus of Herder's criticisms. I then proceed to outline Herder's theory of the historical development of the Volk or nation as it emerges from his critique of the rationalist, cosmopolitan perspective of the philosophes. Having done this I shall be in a position to indicate the similarities in the work of Herder and Lyotard and to offer some criticisms of the relativistic conception of historical human development which Herder advances as the basic alternative to the Enlightenment perspective.

In the writings of some prominent thinkers of the French Enlightenment, we find articulared a highly optimistic view of human history as the linear progression of humanity towards a condition of inevitable perfectibility. For thinkers like Condorcet and Turgot, history is understood as the story of the progressive advancement of humanity towards an enlightened condition of human association ultimately embracing the whole of humankind, based upon the principles of reason. Of particular importance for our concerns are those more basic assumptions upon which this cosmopolitan conception of history rested. Underlying this optimistic view of human history is the distinctive rationalist conception of human nature characterizing the philosophy of the Enlightenment. According to this view, human beings have access to certain timeless, immutable principles or laws intrinsic to their nature. Moreover, as Becker notes, it was thought that, by the use of their natural reason, these principles could be grasped by people and applied to human affairs enabling them to "bring ther ideas and conduct and hence the institutions by which they lived, into harmony with the universal, natural order." On this view, then, human history involved the progressive apprehension of these constant and universal principles of human nature previously obscured by superstition and custom by which the affairs of all people may be rationally organized.

A logical corollary of this rationalist conception of history as the inexorable progression of humandkind to a cosmopolitan condition of rational perfectibility was the tendency of Enlightenment philosophers to demean or deride those cultures, past and present, which lacked consciousness of the principles of the enlightened reason. Such cultures tended to be seen as lesser stages in the development towards this enlightened perfect end. Hence, in the view of Condorcet, it was the good fortune of the barbarous, unenlightened cultures of his day that they could acquire these rational principles of Enlightenment directly from the enlightened culture of European society. "The progress of these peoples [he notes] is likely to be more rapid and certain because they can receive from us . . . these simple truths and infallible methods which we have acquired only after long error."

In elaborating this theory of history as the evolution of the Volk community, Herder presents a thoroughgoing critique of the basic assumptions of this Enlightenment conception of history. At the heart of this critique is Herder's opposition to the way this rationalist perspective abstracts historical human development from all connection with the contingent elements fo human historical linguistic and cultural practice. Against the static, ahistorical concepction of human nature espoused by the philosophy of the Enlightenment, Herder opposes a radical new development account of human nature and reason. Here the notion of human nature as something existing apriori, independient of contigent historical circumstances, is rejected. Human nature, Herder argues, is "not the vessell of an absolute, unchanging happiness as the defined by the philosophers; everywhere it attracts the measure of happiness of which it is capable; it is a pliant clay which assumes a different shape under different . . . circumstances." Human nature is an ever-changing, constantly developing substance altering in response to diverse historical needs and circumstances.

In terms of this new, dinamic historical conception of human development, Herder stresses the historical specificity of the human condition. Humans must develop through struggle within their natural and social environment. Among the influences affecting their development, Herder identifies climate, or their geographical location, which exercises a definite influence on their conscious development. "The spirit has varied in direct proportion to climate and its effects."

But by far the most crucial element for Herder in this dynamic process of human historical transformation is language. He notes that "the whole structure of man's humanity is connected by a spiritual genesis," a connection which takes the form of the elaboration of the uniquely human capacity for speech. As an attribute specific to human beings, language is seen by Herder as the central expression of a uniquely human, reflective consciousness. In developing their language, individuals give shape to their inner conscious nature, formulating their ideas and preconceptions through reflection on their experiences of the external world. Hence

"the more experience man gains, the more he learns to know diverse things from diverse aspects, he richer grow his language. The more he repeats what he has learnt and the words he has gained in doing so, the more permanent and fluent his language becomes. The more the differentiates and classifies the more it becomes organizes."

According to Herder, the process of conscious linguistic development outlined here, the elaboration of the unique human power of conscious discourse, is conceivable only as a social process. The conscious development of the individual is part and parcel of his inclusion in a broader linguistic community, and inherited stream of words and images which he must accept on trust. The ideational form of language constitutes the natural force integrating people within a dynamic historical community of cultural development which Herder identifies as the Volk o nation. Moreover, rather than a substantive stucture standing over and above the individual, the Volk community forms a spiritual unity whose historical evolution  involves the conscious integration of the individual and the social in the progresive expression of a unique national, cultural consciousness embodied in the linguistic products of the nation.

What are the specific features of this conception of cultural community which Herder develops in opposition to the Enlightenment theory of cosmopolitanism and, in particular, what are the specific processes by which the cultural personality of the Volk community is historically actualized? Here Herder stress social education, understood in broad terms as the molding process of socialization and tradition. In the course of assimilating their language during everyday social activity, individuals incorporate their cultural heritage. They are brought into connection with the history, poetry, and religion of the nation and the social wisdom embodied in these cultural forms. The famliy unit assumes a vital role in this educational process. Acording to Herder, paternal love makes possible an education which is social and continuous, acting as a major instrument for the transmission of the values and prejudicesof succesive generations. The parent, herder argues, is the natural instructor of the child. "Each individual is son or daughter. . . . He or she receives from the earliest moments of life part of the cultural treasures of ancestral heritage. . . [which he or she] in turn passes on." Through parental instruction the individual is brought into communion with the "ways of feeling and thinking of his progenitors. . . . He repeats, with every newly acquired word, not only sounds but certain ways of looking at the world."

By virtue of this process of social education borne by family, teachers, and friends, there is established through the successive generations of the Vold community a "chain of unity and continuity in which each link . . . [receives and transmits] the cultural heritage of the Volk [in a process which entails] language and its continuous growth". The national language, as the medium of the transmission of the cultural spirit of the Volk, connects its members in a organic community embracing the ideas, wisdom, and values of past, present, and future generations. Moreover, this historical transmission of the cultural heritage of the Volk community involves a definite dialectical dimension in its operation. Herder notes that parents "never teach their children language without the concurrent inventive activity of the child." The process of cultural education is a complex one wherein each generation, in receiving the prejudices of the Volk language, subjects them to reappraisal and re-evalutation in accordance with its own historical needs and circumstances. "The generations renew themselves in a continuous flux . . . . In spite of the linear, prescriptive tendencies of tradition, each son continues to write in his own particular way." It is through this historical transformation of the Volk language that traditional conceptions and beliefs are continually synthesized with those of the new generations. "The opposites assist and promote one another . . . [and] by their reconciliation there emerges a new world." Thus the national language forms the living, psycological medium within which the national culture is perpetuated, transformed, and reiched over time. As such it constitutes the central agency in the historical extension of the creative powers of humans as conscious, self-constitutive members of the Volk.  

There are a number of points arising from this highly original account of human cultural development which it is important to note here. The first of these is Herder's emphasis upon the natural, internally generated nature of this dynamic condition of cultural community. The historical transmission of the national culture is both genetic and organic in nature, "genetic by virtue of the manner in which the transmission takes place [that is, through paternal instruction] and organic by virtue of the [dialectical] manner in which that which is being transmitted is assimilated and applied." The primary agents of national development (notably the national languague and the powers of the synthesizing mind) represent for Herder naturally evolving forces developing within  abd through the members of the Volk as opposed to what he considers the artificial, externally imposed economic and political forces operating on and uniting people from without. Indeed it is a basic tenet of Herder's thought that human communities, if they are to be effective and lasting in nature, must be predicated upon these natural, immediate cultural forces which link "minds through ideas, hearts through inclinations and impulses . . . and generations through examples, modes of living and education."

A second major aspecto of Herder's theory flowing from its naturalistic cultural conception of human community is his stress upon the essential plurality of human values and their relativity to specific nationa, historical communities. For Herder each distinct nation contains within itself ots own perfection independent of comparation with that of other cultures, a standard defined in accordance with its specific cultural traditions and values. Further, the image of what is morally right or wrong varies frpm cultura to culture, making all comparison between different cultures unprofitable. In his view:

"when the inner sense of happiness has altered, this or that attitude has changed; when the external circumstances . . . fashion and fortify this new sentiment, who can then compare the different forms of satisfaction perceived by different senses in different worlds. . . .Each nation has its own centre of happiness within itself, just as every sphere has its own centre gravity."

To engage in the critical judgment of past cultures in terms of the ideals and values of one's own time, as the Enlightenment historians tended to do, is, on this view, fundamentally problematic. According to Herder each historical culture represents a distinctive and unique manifestation of that which is specifically human. "From the shapeless rocks with which the Chinese ornaments his garden, to the . . .  ideal beauty of Greece, the plan of a reflective human understanding is everywhere observable."

In accordance with this pluralistic, culture-relative conception of human values, Herder stresses the necessity for any adequate understanding of the diverse cultures of human history to grasp the distinctive assumptions and prejudices implicit in the cultural consciousness of any given national community. However, such knowledge is not easily acquired, as Herder was well aware. Historical understanding of this type required the cultivation of one's capacity for sympathetic identification with the culture under consideration. Individuals must

"enter into the spirit of a nation before . . . [they] can share even one of its thoughts or deeds. . . . [They] must penetrate deeply into this century, this reigion, this entire history and feel it inside  . . . [themselves] - then only will . . . [they] be in a position to understand."

Only by entering into the life of a culture, its beliefs and prejudices expressed in its cultural products, Herder maintained, can its intrinsic value and historical significance be grasped.

Lacking this capacity for sympathetic identification with the cultural consciousness of civilizations other than their own, the philosophes are criticized for their fundamental insensitivity to these crucial elements of human cultural community. Instead they are seen to engage in a mechanized form of thinking which abstracts human development and community form its life blood: the sensuous world of human cultural diversity. For Herder the inevitable consequence of this simplistic historical perspective is the creation of an abstract cosmopolitanism, a "paper culture" predicated upon an idealized conception of eighteenth-century European cultural life. He notes how

"the general philosophical, philanthropic tone of our century wishes to extend our own ideal of virtue and happiness to each distant nation, to even the remotest age of history. . . . [It] has taken words for works, enlightenment for happiness, greater sophistication for virtue and, in this way, invented the fiction of the general amelioration of the world."

This condition, the philosophes believed, would ultimately embrace all of mankind with the progress of enlightenment.

From Herder's standpoint, however, the actualization of a general philosophy of this kind, with its "rational axioms of human behaviour, . . .   commonplaces about what is right and good; views of all times and all peoples for all times and all peoples," could only have disastrous consequences. Such a cosmopolitan condition, he believed, could take no other form than subjection of the great diversity of national cultures to the limited cultural standards of European society. Herder is particulary sensitive to the way in which such abstract, rationalist principles as equality, liberty, and fraternity may be invoked to justify a condition of manifest domination of one culture over the many. "The garment of generalities which characterize our [enlightened] philosophy can conceal oppressions and infringements of the . . . freedom of men and countries, of citizens and peoples." A cosmopolitan world of the type proposed by the philosophes would, Herder believed, be a world where all spontaneous, creative drives of the different cultural communities would be stifled in favor of an externally imposed European cultural ideal and human life reduced to a dull, routine existence. Within this artificial condition where the internal cultural ties binding people in a dynamic creative unity are suppressed, the natural basis of conscious human creativity would cease to exit and all meaningful human development be excluded. For Herder, a cosmopolitan society would be no more than a patched up fragile structure wholly devoid of life whose component parts would be conected through mechanical contrivances instead of bonds of human sentiment.

Herder's own particularistic conception of a cultural community as we have presented it, with its emphasis upon the naturally generated character of the Volk as an organic condition of cultural beloging, represents his humanistic alternative to the "inhuman" implications perceived as implict in the abstract cosmopolitan perspective. In opposition to the philosophes' belief in the infinite perfectibility of human nature Herder asserts the naturally limited potential of human beings for meaningful associations and creative interaction.

"Neither our head nor our heart is formed for an infinitely increasing store of thougths and feelings. . . .That mind which embraces much within its sphere of activity as part of itself achieves happiness whilst one which over-extends its feelings is bound to dissipate them into mere words and reaps nothing by misery."

Only when people possess this feeling of oneness with the national group do they feel at ease and free to develop their creative powers. Once they lose this sense of communion with the Volk community, human beings become alienated and are no longer able to act in an unself-conscious creative manner. Hence, to attempt to extend the realms of human socialization beyond the organic, cultural unity of the Volk is to overstep the natural limits constraining the development of conscious affinity among people.

This conception of the natural human condition as one of conscious integration in the cultural life of the Volk, o nation, was to form an important influence upon the later development of the political ideology of nationalism through its incorporation in the theorical writings of such later German thinkers as Fitche, Jahn and Arndt. However, as it is outlined in Herder's theory of cultural community this notion of cultural nationality is an essentially tolerant one, free of the aggressive tendencies of later political versions. In effect Herder's theory of cultural nationality is, first and foremost, a theory of freedom of all national groups to express their cultural identities to the fullest extent. Against the Enlightenment preocupation with the prospective emergence of a unified, integrated world predicated upon a single set of universal laws, Herder look a world of infinite cultural diversity and his writings represent a celebration of cultural divesity as the source of all that is rich and progressive in human life.

Viewed from this perspective Herder's acount of the historical development of the Volk community forms part of a larger vision within his thought involving a process of spiritual evolution which embraces humankind as a whole. The essence of his larger dimension of Herder's work is captured in his notion of Humanität --- the common human essence manifest iin the cultural forms of each national community. Herder observes that, while human cultural existence may be modified in a thousand different ways, "within itself a unique variation on the theme of humanity and corresponding tendency to develop this variant to its fullest extent. Thus, despite the vast panorama of cultural change and diversity in human history, Herder contends that the divine mind has everywere combined the greatest possible multiplicity with unity. Humanität has been dispersed all over the earth. 

"Since one form of mankind and one region could no encompass it, it has been distributed in a thousand forms, changing shape like an eternal Proteus throughout the continents and centuries. And even it it does no strive towards the greater hapiness of the individual. . . nonetheless a plan of progresive endeavour becomes apparent."

The progresive unfolding of this common human essence would appear to involve a seemingly unending process as, with each new national community, there emerge new and unique expressions of Humanität. Ultimately, then, within Herder's relativistic cultural perspective the historical elaboration of the diverse cultural forms constitutes and endless drama, "God's epic throught all the centuries . . . a fable with a thousand variations full of meaning."

 

III

The preceding analisis brings out clearly the nature of Herder's arguments against the universalistic claims and assumptions of the Enlightement conception of history, rooted as they are in a profound belief in the intrinsic value of human cultural diversity. I want now to indicate more explicitly the important areas of commonality between the theory of cultural community presented above and the relativistic conception of human cultural development formulated by Lyotard.

What both Herder and Lyotard are attacking in ther writtings, albeit at very different stages of its historical development, is the paradigm of cultural knowledge arising from the philosophy of the Enlightenment. Moreover, despite the important differences in their historical backgrounds, the basic character and aims of their critiques of the Enlightenment paradigm of knowledge are remarkably similar. At the core of both critiques is a rejection of the pretensions to objectivity of this paradigm and, consequent upon this, its claim to constitute a higher form of knowledge than those cultural forms of knowledge differing from it by virtue of its capacity for rational legitimation. Proceeding from a view of the inherently relative, pluralistic nature of human cultural knowledge as an arbitrary linguistic construct, both Herder and Lyotard reject such claims to objectivity as based upon an artificial reification of a particular, limited cultural form to the status of universality.

In Herder's theory, this claim to epistemological superiority advanced by the Enlightenment philosophers is seen to be based on their erroneous belief in the existence of a set of eternal, abstract rational principles inherent in human nature, existing independently of the contingent, formative processes of history. As conceived by the critical reason of the philosophes, these rational principles were thought to transcend the superstitions and myths of earlier ages, forming the measure against which earlier, unenlightened cultures were judged and ultimately found wanting. In elaborating his historical, culture-relative conception of human development, Herder seeks to expose the contingent nature of the claims of this Enlightenment culture to universal validity and, in so doing, to reveal the true basis of this "universalistic" discourse in the reified categories of a limited European culture.

Similarly, in Lyotard's theory the claim of the modern scientific knowledge form to epistemological superiority is predicated upon the purported ability of the scientific language game to verify its knowledge claims by reference to objective principles of verification or proof. Moreover, it is their inability to stand up to the rigors of objective testing based on these scientific principles which determines the inadmissibility of the knowledge forms of traditional cultures to the body of knowledge accepted as legitimate and meaningful by the modern scientific culture. However, in a manner similar to Herder, Lyotard emphasizes the perilous nature of the claims of the modern scientific discourse to universal objectivity. As only one of many knowledge forms historically generated within the arbitrary language games of human cultures the modern scientific knowledge form is ultimately unable to validate its claims to objectivity in its own terms. Rather, its claims to epistemological superiory are seen to rely upon an appeal to a more fundamental, legitimating discourse of the same narrative form which its own denotative paradigm specifically excludes. This legitimating discourse turns out to be the meta-narrative of the historical emancipation of the rational human subject-- the same universalistic discourse of the Enlightenment which is the focus of Herder's critique.

For both Herder and Lyotard then, the success of the claims of the Enlightenment knowledge form to objective legitimation is made possible only through its reification, by its abstraction from the reality of its origins in those constitutive processes of linguistic cultural practice which represent the common source of all forms of knowledge. The hegemonic status of this modern cultural discourse is sustainable only insofar as it suppresses its own contingent, culture-relative nature -- an act of denial which inevitably entails the repression of those other, historically diverse cultural forms which present to it the true face of its own limited arbitrary nature. It is only with the demise of this modern rationalist cultural form, they believe, that the opressive implications of the demand for the objective validation of knowledge threatening the perpetuation of diverse cultural perspectives will be overcome.

While their critiques of the Enlightenment paradigm of knowledge thus exhibit remarkable similarities, it is also important to note the significant differences in the perspectives of Herder an Lyotard -- differences which emerge most clearly in theier respective views concerning the process of the breakdown of this hegemonic cultural discourse and the nature of the relativistic world deriving drom this disintegrative process. In outlining these points of divergence in their thought, some consideration needs to be given to the very different cultural milieux within which the basic conceptions of language and culture embraced by these two thinkers are formed. For it is the manner in which these contemporary influences shape their understanding of language and culture as the central medium of creative human development which acounts, in large part, fot the differences alluded to here.

In Herder's case the critique which he directs against the cultural knowledge form of the Enlightenment is properly situated as part of a larger current of German intellectual thought of the time, centering around the radical ideas of the Sturm und Drang. This movement of literary and artistic criticism, which included among its number figures like the young Goethe and Schiller, was to prove the source of some of the central ideas associated with the German Romantic movement. But, as Taylor has observed, its most distinctive characteristic eas the overriding aspiration of the Sturmer und Dranger to recapture the fundamental unity of human experience rent asunder by the dichotomizing reason of the Enlightenment. In opposition to the latter's "artificial" bifurcation of human experience into the antithetical categories of thought and feelings, reason and emotions, and humanity and nature, they aspired to an ideal conception of life as the harmonious unity of humans with themselves (their spiritual nature) and their larger natural and social world. The attainment of this unity with one's world was of foremost importance for the Sturmer insofar as it constituted the indispensable condition for human spiritual self expression --- the essential requirement for the realization of humans' authentic being. Moreover, it was language and the cultural creations generated by human linguistic activity which were identified as the essential medium whereby this creative, expresive unity achieved its actualization. In the natural creations of human language, the Sturmer believed, one could discern the aesthetic expression of the harmonious community of people with the greater spiritual whole which formed their world.

Through their personal literary creatuibs the different members of the Sturm und Drang sought to articulate their profound sense of the contemporary fragmentation of this creative, spiritual unity of human existence consequent upon the impact of the culture of the Enlightenment upon the existing social order. This pessimistic assessment of the character of contemporary cultural life also encouraged a more general tendency among many of the Sturmer to identify with the traditional life forms of the lower orders of German society as the embodiment of their ideal. The social world of the German peasants, farmers, and crafts-people, their customs and cultural traditions deriving from a simple life of interaction with nature largely untouched by the "artificiality" affecting the higher social orders of German society, seemed to epitomize, for many of thr Sturmer, that harmonious, spiritually fulfilling existence to which they themselves aspired. Accordingly, in their writtings, we find the first expression of the idealized conception of the common people o Volk and the celebration of German folklore and language which were to become dominant themes of the later German Romantic movement.

These general themes of the Sturm und Drang received powerful expression in Herder's thought. We have seen how he constructs a distinctive philosophy of history which identifies the natural organic unity of the individual and the larger cultural community as the essential condition for the realization of those creative, spiritual powers distinguishing humans as conscious linguistic beings. Moreover, for Herder, the perpetuation of this process of creative cultural development presupposes the preservation of that immediate, spontaneous unity of human beings with the Volk and its traditional cultural forms facilitated by the cohering, integrative power of the naturally evolving national language. Insofar as it threatens to fragment this natural, harmonious unity the artificial Enlightenment knowledge form can have no place within this historical proccess of cultural development. By eroding the organically evolved customs and traditions underpinning the historical process of cultural development, this divisive knowledge form would effectively destroy the foundations upon which the continued expression of the diverse cultural life forms of the species is dependent. Accordingly, Herder is uncompromising in his total rejection of the "unnatural" cultural paradigm of the Enlightenment in favor of the preservation of a prerationalistic world in which the multiplicity of traditionally evolved cultures receives full expression.

Writing at a much later stage in the development of the Enlightenment knowledge form and responding to very different cultural  influences, Lyotard's vision of a evolving, relativistic, postmodern condition of cultural diversity contrasts markedly with Herder's perspective. In his writtings we find no notion of a possible return a premodern, nonscientific order embracing the traditional cultures of narrative knowledge. In fact, Lyotard's is a more dialectical approach, one shaped by his sensitivity to the impact of the information revolution upon contemporary Western society. It is his assessment of the latter's implications for the nature of life within modern society -- an assessment strongly colored by the Nietzschean influences pervading his thought -- which is the major factor shaping his conception of this emerging postmodern world.

[History and Theory, Vol. 27, No. 2 (May, 1988) , pp. 146-168]

dimanche, 25 janvier 2009

Hommage au Professeur B. Willms (1931-1991) / Entre Hobbes et Hegel

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

Hommage au Professeur Bernard Willms

(7.7.1931-27.2.1991)

Entre Hobbes et Hegel

 

par le Dr. Thor von WALDSTEIN

 

A Bochum vient de mourir le Fichte de notre époque, le Professeur Bernard Willms.

 

«C'est parce que vous mentez sur ce qui est, qu'en vous ne naît pas la soif de connaître ce qui adviendra» (Friedrich NIETZSCHE).

 

Lorsqu'une Nation dominée par des puis­san­ces étrangères n'a pas encore définiti­vement renoncé à s'auto-déterminer, elle doit impérativement travailler à une chose en priorité: reconnaître son propre état des lieux. Dans l'Allemagne vaincue d'après 1945, c'est surtout un tel bilan, clair, net, précis, qui a manqué. Privés de souverai­neté, privés de la possibilité de décider pour eux-mêmes, les Allemands ont honoré des valeurs, certes importantes, comme la «dé­mo­cratie», les «droits de l'Homme», la «paix», la «stabilité». Valeurs qui, sans ré­fé­rence à la Nation et sans souveraineté, de­meuraient de tristes coquilles linguis­tiques vides, exportées d'Outre-Atlantique et n'a­yant plus qu'une seule fonction: jeter un voi­le pudique sur l'impuissance impolitique des Allemands. Mais, comme lors de la Guerre des Paysans du XVIième siècle, lors des com­bats pour la libération du territoire en 1813-1814, lors du Vormärz de 1848, à la fin de l'ère wilhelminienne et sous Weimar, l'Al­lemagne a eu des penseurs brillants et courageux; pendant l'éclipse de Bonn aussi: des hommes qui ont su désigner les profi­teurs de notre misère nationale. Plus la dé­mission de la politique allemande s'insti­tu­tio­nalisait, plus la domination étrangère, don­née factuelle éminemment concrète, se dissimulait derrière le rideau de fumée des «valeurs occidentales», plus les régisseurs de la dogmatique politique am­biante, solide­ment installée, réagissaient avec fiel et ai­greur contre les hommes cou­rageux et civi­ques qui dégageaient la réalité de la cangue médiatique, où on l'avait enser­rée, et mon­traient clairement aux Alle­mands dans quel­le situation ils vivaient.

 

Parmi ces hommes: Bernard Willms.

 

En écrivant cette phrase, «L'homme existe po­litiquement ou n'existe pas», dans son re­marquable article intitulé «Antaios oder die Lage der Philosophie ist die Lage der Na­tion» (= Antaios ou la situation de la philoso­phie est la situation de la Nation), Willms, en 1982, réveillait brusquement la philoso­phie universitaire fonctionnarisée de son som­meil théorique et réclamait un ancrage (Ver­ortung)  de la philosophie dans le con­cept de Nation. Willms relançait ainsi dans le débat une thématique que les déten­teurs de chaires universitaires, en Alle­magne de l'Ouest, avaient enfouie pendant quarante ans sous un tas de scories dogma­tiques occi­dentales, prétextant que toute philosophie allemande après Auschwitz avait cessé d'exis­ter. Au cours du renouveau national des années 80, Bernard Willms est devenue une figure-clef de la nouvelle re­naissance allemande, un homme qui «éloigne de soi ce qui est vermoulu, lâche et tiède» (Stefan Geor­ge) et mange le «pain dur de la vérité philosophique» (Willms).

 

Celui qui étudie la biographie de ce philo­so­phe allemand constatera que son évolu­tion, qui le conduira à devenir un nouveau Fichte dans un pays divisé, n'a pas été dictée par les nécessités.

 

Né en 1931 à Mönchengladbach dans un mi­lieu catholique, Willms a étudié la philoso­phie à Cologne et à Münster, après avoir été pendant quelque temps libraire. Il rédige un mémoire à Münster en 1964, dont Joachim Ritter est le promoteur. Titre de ce travail: Die totale Freiheit. Fichtes politische Philo­sophie (= La liberté totale. Philosophie poli­tique de Fichte). Pendant la seconde moitié des années 60, lorsque l'Ecole de Francfort transformait l'Université allemande en un se­cond-mind-shop, Willms était l'assistant du célèbre sociologue conservateur Helmut Schelsky. A cette époque-là, Willms visite éga­lement, de temps en temps, les Sémi­nai­res d'Ebrach, où Ernst Forsthoff attire les esprits indépendants et les soutient. En 1970, Willms est appelé à l'Université de la Ruhr à Bochum, où il acquiert une chaire de profes­seur de sciences politiques avec comme thé­ma­tiques centrales, la théorie politique et l'histoire des idées. Marqué profondément par Hegel  —Willms s'est un jour décrit com­me «hégélien jusqu'à la moëlle»—  il avait abordé et approfondit, depuis son pas­sage chez Schelsky, la philosophie de l'An­glais Thomas Hobbes. En 1970, Willms fait paraître Die Antwort des Leviathans. Tho­mas Hobbes' politische Theorie  (= La ré­pon­se du Léviathan. La théorie politique de Tho­mas Hobbes). En 1980, il complète ses études sur Hobbes en publiant Der Weg des Levia­than. Die Hobbes-Forschung von 1968 bis 1978  (= La voie du Léviathan. Les re­cherches sur Hobbes de 1968 à 1978). En 1987, enfin, il résume ses vingt années de ré­flexions sur le vieux penseur de Malmesbury dans Das Reich des Leviathan  (= Le Règne du Lévia­than). Pendant ces deux dernières décen­nies, Willms est devenu l'un des meil­leurs connaisseurs de la pensée de Hobbes; il était devenu membre du Conseil Honoraire de la International Hobbes Association  à New York et ne cessait de prononcer sur Hobbes quantité de conférences dans les cercles aca­démiques en Allemagne et ail­leurs.

 

Tout en assurant ses positions, en devenant profond connaisseur d'une matière spéciale, Willms n'a jamais perdu le sens de la globa­lité des faits politiques: son souci majeur était de penser conjointement et la philoso­phie et la politique et de placer ce souci au centre de tous ses travaux. De nombreux livres en témoignent: Die politischen Ideen von Hobbes bis Ho Tschi Minh  (= Les idées politiques de Hobbes à Ho Chi Minh, 1971); Entspannung und friedliche Koexistenz  (= Détente et coexistence pacifique, 1974); Selbst­be­hauptung und Anerkennung  (= Au­to-affirmation et reconnaissance, 1977), Ein­führung in die Staatslehre  (= Introduc­tion à la doctrine de l'Etat, 1979) et Politische Ko­existenz  (= Coexistence politique, 1982).

 

Au cours des années 80, Bernard Willms fonde une école de pensée néo-idéaliste, en opérant un recours à la nation. Cette école désigne l'ennemi principal: le libéralisme qui discute et n'agit pas. En 1982, paraît son ouvrage principal, Die Deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft  (= La nation alle­man­de. Théorie. Situation. Avenir) ainsi qu'un autre petit ouvrage important, Identi­tät und Widerstand  (= Identité et résis­tance). Entre 1986 et 1988, Willms édite en trois vo­lumes un Handbuch zur deutschen Nation  (= Manuel pour la nation allemande), trois recueils contenant les textes scientifiques de base pour amorcer un renouveau national. En 1988, avec Paul Kleinewefers, il publie Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Ber­lin. Diesseits von Ost und West  (= Renou­veau au départ du centre. Prague. Vienne. Berlin. De ce côté-ci de l'Est et de l'Ouest), ouvrage qui esquisse une nouvelle approche géopolitique du fait centre-européen (la Mit­teleuropa),  qui a prévu, en quelque sorte, les événements de 1989. Dans son dernier ar­ticle, intitulé Postmoderne und Politik  (= Postmodernité et politique, 1989), Willms re­lie ses références puisées chez Carl Schmitt et chez Arnold Gehlen à la critique française contemporaine de la modernité (Foucault, Lyotard, Derrida, Baudrillard, etc.). Sa dé­monstration suit la trajectoire suivante: la négation de la modernité doit se muer en principe cardinal des nations libres.

 

Si Bernard Willms a bien haï quelque chose dans sa vie, c'est le libéralisme, qu'il conce­vait comme l'idéologie qui fait disparaître le politique: «Le libéralisme par essence est hostile aux institutions; sur le plan politique, il n'a jamais existé qu'à l'état parasitaire. Il se déploie à l'intérieur même des ordres po­litiques que d'autres forces ont forgés. Le li­bé­ralisme est une attitude qui vit par la ma­xi­misation constante de ces exigences et qui ne veut de la liberté que ce qui est agréable». La phrase qu'a prononcée Willms avant la réunification à propos du libéra­lisme réel ouest-allemand n'a rien perdu de sa perti­nen­ce, après l'effondrement du mur. Ju­geons-en: «La République Fédérale n'a des amis qu'à une condition: qu'elle reste ce qu'elle est».

 

Ceux qui, comme Willms, s'attaquent aux «penseurs débiles du libéralisme» et stigma­tisent la «misère de notre classe politique», ne se font pas que des amis. Déjà au début des années 70, quelques énergumènes avaient accroché des banderoles sur les murs de l'Université de Bochum, avec ces mots: «Willms dehors!». Quand, pendant les années 80, les débats inter-universitaires ont tourné au vinaigre, d'autres drôles ont sur­nommé Willms «le Sanglant», démontrant, en commettant cette ahurissante et ridicule sottise, combien ils étaient libéraux, eux, les défenseurs du libéralisme, face à un homme qui, somme toute, ne faisait que sortir des sentiers battus de l'idéologie imposée par les médias et appelait les choses par leur nom. La remarque d'Arno Klönne, qui disait que Willms était le principal philosophe du néo-nationalisme, et le mot du Spiegel,  qui le dé­signait comme «le fasciste le plus intelligent d'Allemagne», sont, face à l'ineptie de ses contradicteurs les plus hystériques, de véri­tables compliments et prouvent ex negativo que ses travaux de Post-Hegelien serviront de fil d'Ariane pour une nouvelle génération d'Allemands qui pourront enfin penser l'Al­lemagne dans des catégories philoso­phiques allemandes, sans rêver aux pompes et aux œuvres d'Adolf Hitler.

 

Bernard Willms était un philosophe qui pre­nait au sérieux le mot de Cicéron, vivere est cogitare,  vivre, c'est penser. Avec sa mort, la nation perd la meilleure de ses têtes philo­sophiques des années d'avant le 9 novembre 1989, jour de la chute du Mur. Ernst Jünger nous a enseigné que la tâche de tout auteur est de fonder une patrie spirituelle. Chose rare, Bernard Willms est l'un de ceux qui ont réussi une telle œuvre d'art. Dans un in­terview, en 1985, il avait répondu: «On écrit des livres dans l'espoir qu'ils seront lus et compris par les hommes qui doivent les lire et les comprendre». Une jeune génération, formée par son école néo-idéaliste, a donc désormais la mission de témoigner de l'idéal national de Willms, d'utiliser ses livres et ses idées comme des armes pour construire, à Berlin et non plus à Bonn, une Allemagne nouvelle, au-delà des gesticulations stériles des bonzes qui la gouvernent aujourd'hui.

 

A Münster en Westphalie, ses disciples l'ont porté en terre sous les premiers rayons d'un pâle soleil de mars. Sur son cercueil, ils avaient fixé une plaque en cuivre, reprodui­sant la page de titre qui figurait sur la pre­mière édition du Léviathan, écrit par le Sage de Malmesbury. Bernard Willms avait l'ha­bitude, au cours des années 80, de pro­noncer une phrase, imitée de Caton, à la suite de chacune de ses nombreuses confé­rences: ceterum censeo Germaniam esse restituen­dam (je crois que l'Allemagne doit être resti­tuée). C'est le message et la mission qu'il nous laisse. Soyons-en digne.

 

Dr. Thor von WALDSTEIN,

14 mars 1991.

 

vendredi, 23 janvier 2009

L'Apocalypse selon Ferdinand

14 janvier 2009 : http://ettuttiquanti.blogspot.com/

L'Apocalypse selon Ferdinand

"D'entrée de jeu, soulignons le double niveau d'interprétation qu'on peut donner à cette oeuvre : Féerie est l'expression, par l'image, d'un drame personnel de Ferdinand confondu avec Céline. En outre, ce qui arrive au narrateur, personnage cosmocentrique par excellence, adviendra au reste du monde. Féerie contient des vues sur le passé, le présent, le présent, et l'Histoire future. C'est une Apocalypse - au sens de Révélation - selon Ferdinand.
"Apocalypse" ne signifie pas seulement les tribulations catastrophiques de la fin des temps, mais la Révélation Johannique - "tout est dans saint Jean!" (1) - qui donne leur sens aux motifs tragiques. [...]

Le prophète de Féerie narre ce qu'il a vu en se disant simple témoin : le point de départ est un bombardement longuement décrit. Céline, qui se réclame de Pline l'Ancien (2) pour son esprit de sacrifice et la minutie de son observation, précise que sa perception des jardins à l'envers de Jules est "rétinien(ne)"... "du phénomène physique (3)". La vision est à la fois naturelle et surnaturelle, car elle s'inscrit dans le temps des devins :

"Confusion des lieux, des temps! Merde! C'est la féerie vous comprenez... Féerie c'est ça... l'avenir! Passé! Faux! Vrai! " (4)

L'Apocalypse célinienne concerne tous les hommes au-delà des continents historiques, tous les temps, elle embrasse présent, passé, avenir. Ainsi, après ce bombardement donné pour authentique, l'un des personnages de Féerie, le baron Solstrice, nie la réalité des faits et s'écrie:

"Il ne s'est rien passé!... vous confondez tout! (...) Il va se passer! oui! certes! il va! il va se passer! (5)

Plus tard, précise le narrateur-prophète, quand viendra le Temps, les hommes comprendront; ils conviendront alors du sérieux de l'observation:

"ils achèteront plus tard mes livres, beaucoup plus tard, quand je serai mort, pour étudier ce que furent les premiers séismes de la fin, (...) Ils savaient pas, ils sauront!..." (6)

"... quand ils déferleront au coeur! quand Técel aura été dit... Pharès! Manès!... alors on entendra quelque chose!... alors les yeux sortiront... "(7)

Source : Denise Aebersold,
Goétie de Céline, SEC, 2008.


Notes
1- Féerie pour une autre fois I, p. 81, Pléiade.
2- Pline l'Ancien ou "le naturaliste" (23-79 ap.JC), auteur d'une Histoire naturelle, commandait la flotte romaine de Misène, près de Naples, lorsque eut lieu l'éruption du Vésuve qui anéantit la ville de Pompéi. Voulant observer le volcan de près, il mourut asphyxié par les émanations. L'hommage qui lui est rendu repose sur l'idée sous-jacente qu'un écrivain digne de ce nom paie un lourd tribut à la connaissance... à distance du cratère de feu s'il s'agit de Ferdinand.
3- Féerie II, p.191
4- Féerie I p15
5- Féerie II p144
6- Féerie II p191
7- Féerie II p195

jeudi, 22 janvier 2009

El "Pensiamento de Ruptura" de Alberto Buela

 

 

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El “Pensamiento de Ruptura” de Alberto Buela

 

por Jorge García-Contell

El autor es bien conocido por ser el iniciador de la metapolítica en América y por servirse del método fenomenológico para estudiar y explicar las realidades del siglo XXI, hosco e ingrato en las más de las ocasiones

Mediado el otoño de 2008 han llegado a España los primeros ejemplares de “Pensamiento de Ruptura”, la última obra del profesor Alberto Buela que ha de suscitar reacciones dispares. No puede ser de otra forma cuando al igual que en anteriores trabajos el lector encuentra en sus páginas no sólo filosofía y erudición multidisciplinar, sino también y sobre todo un desafío. Un reto lanzado con la altivez y gallardía propias del criollo que acomete contra enemigos poderosos y numerosos, sabiéndose asistido por su destreza al empuñar la afilada hoja de la razón.

 

El autor es bien conocido por ser el iniciador de la metapolítica en América y por servirse del método fenomenológico para estudiar y explicar las realidades del siglo XXI, hosco e ingrato en las más de las ocasiones. Acertadamente advierte Carlos Tonelli en el prólogo del libro que Buela aprehende partiendo de la provocación. Provocación al pensamiento débil contemporáneo, a la torticera corrección política y al embuste aceptado como dogma. Alberto Buela no cede ni flaquea; de nuevo refuta el consenso como pauta social para enmascarar y perpetuar los problemas. Sigue proclamando el disenso como derecho y como elevado imperativo moral al "pretender otro sentido al que actualmente poseen las cosas y las acciones de los hombres y el mundo que nos rodea".

 

“Pensamiento de Ruptura” abarca tres secciones bajo los respectivos epígrafes de filosofía stricto sensu, filosofía práctica y filósofos argentinos postergados. Deliberadamente en todas ellas se ha rehuido la exposición lineal; en su lugar Buela opta por ofrecer ensayos breves, agudos y esclarecedores si se toman uno a uno y armónicos en conjunto e interrelacionados al modo de las facetas de un poliedro o las escenas de un retablo barroco.

 

Bajo la primera rúbrica se abordan materias de la filosofía perenne, mediante análisis arraigado en la tradición grecolatina, cristiana e hispánica, a pesar de la explícita lamentación del autor que constata cómo el cristianismo, en su versión vulgarizada y al gusto mediático, se muestra desnaturalizado y reducido al mero “buenismo” filantrópico, mientras que la raíz hispánica de América es presentada por el imperialismo anglosajón como una mala hierba a extirpar. Discurren por estos capítulos: la gnosis moderna, o pseudosabiduría, opuesta a la teología y filosofía; la metafísica del alma; la interacción del hombre y el hecho cultural; la tolerancia como manifestación en última instancia del desprecio liberal a la dignidad profunda del hombre; la identidad fundada sobre valores y negada por el igualitarismo.

 

En el epígrafe sobre filosofía práctica, Buela dirige su mirada hacia la axiología y la relación entre los valores y la ética, entre la ética y la bioética. Su penetrante discernimiento señala a las escuelas liberal y neomarxista como responsables de la subversión de los así llamados derechos humanos, fundamentados en el mero consenso y ajenos a la genuina naturaleza de la persona y a los derechos de los pueblos. Igualmente disecciona en profundidad lo sustancial de los principios y criterios estéticos, la trivialización de la sexualidad y su reducción a simples goce y satisfacción, entre otras materias.

 

Por último, en el esbozo de estudio de diversos filósofos criollos postergados por la inteligencia oficial, entre otros destacan figuras señeras como Macedonio Fernández, Nimio de Anquín, Julio Meinvielle, Leonardo Castellani y Alfredo Wagner de Reyna.

 

Sin duda nos hallamos ante una obra de obligada lectura para cualquier persona de espíritu inconformista, para todos aquellos que no se resignan a la vulgaridad mendaz que nos dejó la modernidad, ni admiten esa homogeneización forzada por quienes dan en llamar globalización a su propia voracidad. “Pensamiento de Ruptura”, es lectura imprescindible para quienes formamos parte del mundo hispánico y sabemos que lo más importante que nos unió en el pasado y compartimos hoy no es el idioma que hablamos.

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Jorge García-Contell

Klassische Antike und amerikanische Identitätskonstruktion

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Dennis Hannemann
Klassische Antike und amerikanische Identitätskonstruktion
Untersuchungen zu Festreden der Revolutionszeit und der frühen Republik 1770-1815
2008, 263 Seiten, kart., EUR 34.90 / CHF 49.90
ISBN: 978-3-506-76491-1

Für die Konstitution des amerikanischen Selbstverständnisses im späten 18. und frühen 19. Jahrhundert spielten Griechenland und Rom eine bedeutsame Rolle. Inwieweit sich die junge Nation vor dem Horizont antiker Modelle politisch wie historisch zu verorten versuchte, offenbart gerade das Genre der Festreden (u. a. Fourth of July- und Washington-Gedenkreden), denen aufgrund ihrer Einbettung in eine kollektive Festkultur eine zentrale Funktion für die Identitätsstiftung zufällt. Dieses Genre wird hier erstmals systematisch aus rhetorischer und rezeptionsgeschichtlicher Perspektive untersucht.

 

Dabei treten zwei Verfahren der Vereinnahmung antiker Wissensbestände zutage. Während der exemplarische Antikerekurs genutzt wird, ein republikanisches Wertesystem zu vermitteln, dient der typologische Antikerekurs dazu, Amerika zur Erbin einer von der Antike kommenden Ziviltradition zu stilisieren. Die Festreden reflektieren zugleich zeitgenössische Geschichtsauffassungen, insofern sie das historia magistra vitae-Konzept und die progressive Geschichtsdeutung miteinander verknüpfen.

 

mercredi, 21 janvier 2009

Habermas sur la défensive: politique, philosophie et polémique

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES / CRITICON (Munich) - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Février 1988

Habermas sur la défensive:

Politique, philosophie et polémique

par Hans-Christof Kraus

N.B.: Ce texte est en même temps une recension critique de deux ouvrages récents de Jürgen Habermas:  Die Neue Unübersichtlichkeit (Francfort, Suhrkamp Verlag, 1985, 269 p., 14 DM) et  Der philosophische Diskurs der Moderne (Francfort, Suhrkamp Verlag, 1985, 450 p., 36 DM), recueil de douze cours. Dans le texte ci-dessous, ces deux livres sont indiqués par les abréviations NU et PhD.

Incroyable mais vrai: Jürgen Habermas, la tête pensante la plus en vue et la plus féconde de la gauche ouest-al-le-mande, est sur la défensive. Lui qui proclamait encore en 1979: "Je tiens à passer pour un mar-xiste" (1), se plaint aujourd'hui avec cette faconde dont il a le secret, de ce que "les efforts de la praxis philosophique pour re-for-muler le projet de la modernité dans une optique marxiste ont perdu de leur crédibilité" (PhD, 380). Le socia-lisme, il ne peut, au mieux, que le définir a contrario: "Le socialisme consiste avant tout à savoir ce dont on ne veut pas" (NU, 73). Quant au capitalisme, il n'est peut-être pas si condamnable que cela! "Faisons donc vio-lence à nos sentiments: le capitalisme a été un franc succès, au moins sur le plan de la reproduction maté-rielle, et il l'est toujours" (NU, 194). Faussement perspicace, Habermas pérore sur la "singulière évanescence d'un certain type de progrès" (NU, 67) qui serait (quelle découverte!) "le propre des peuples qui n'ont pas eu leur révolution" (NU, 68).

Habermas manie la litote avec bonheur. Et donne dans la modestie: "Je ne suis pas un producteur de Weltan-schauung;  je voudrais en fait laisser quelques petites vérités. Pas une seule et grande Vérité". Il faut dire qu'il a dé-jà mis au rancart la "conception élitaire de la Vérité chez les Anciens", qu'il considère comme un "mythe creux". Pour finir, il se drape avec une feinte irritation dans le rôle de "l'auteur inactuel" auquel le temps pré-sent n'est pas particulièrement propice et ne manifeste qu'un goût mitigé pour sa théorie de la "rationalité com-municative" (NU, 179).

Contre les rénégats de la gauche et les conservateurs impénitents!

A partir de cette position défensive, et se rappelant que "l'attaque est la meilleure défense", Habermas prend pour cible deux catégories d'adversaires dont il tente de minimiser les différences: d'une part, les renégats de la gauche, espèce particulièrement prolifique en France (Foucault, Glücksmann, Lévy, Lyotard), chez lesquels il croit déceler "les thèmes bien connus de la contre-Aufklärung": les "théories sur la puissance" propres au "pessimisme bourgeois" de Hobbes à Nietzsche; celles-ci ne seraient plus que des "positions de repli pour trans-fuges désabusés" (PhD, 302, note 26). Bien entendu, Habermas ne se pose à aucun moment la seule ques-tion intéressante qui puisse être posée: pourquoi ce sont précisément d'anciens gauchistes que l'on trouve au-jour-d'hui prêts à "sacrifier leur intelligence à seule fin de mettre un terme à leur déboussolement" et à "s'a-ban-donner au jeu grotesque de l'extase esthético-religieuse" (PhD, 361)! Sa polémique contre les "renégats de la gau-che" trahit plutôt sa propre perplexité et ne peut faire oublier qu'à l'évidence, une certaine forme d'Auf-klä-rung rationaliste, à laquelle adhère encore Habermas, est devenu inacceptable, y compris pour ces intellectuels de gauche qui, naguère, ne juraient que par la raison.

L'autre cible de Habermas, ce sont les conservateurs de tout poil. Cependant, une espèce particulière retient son attention. Habermas sait reconnaître l'adversaire; il aura au moins retenu cela de Carl Schmitt: ce sont les "vieux nietzschéens" qui "sortent de leurs trous pour clamer publiquement les fantasmes élitistes qui ont tou-jours meublé leurs cervelles" (NU, 61). A la bonne heure. D'autant que le compliment peut être retourné à l'en-vo-yeur: souhaitons à monsieur le professeur Habermas (et à nous-mêmes!) l'avènement d'une époque où lui et ses épigones marxiens auront l'occasion de réintégrer leurs trous de souris sans oublier d'emporter leurs fan-tas-mes égalitaires!

I. La critique de la pensée conservatrice

Habermas est connu pour affectionner l'abstraction, la classification, la schématisation. Les conservateurs, il les range d'emblée dans quatre tiroirs: les "vieux conservateurs", les "néo-conservateurs", les "nouveaux con-servateurs allemands" et le courant "jungkonservativ".  Les premiers sont expédiés en un tour de main; le dé-bat est en effet stérile: "le recours des paléoconservateurs à des vérités religieuses ou métaphysiques ne pèse plus d'aucun poids dans le discours philosophique de la modernité" (PhD, 74).

Le libéralisme fondamental des "néo-conservateurs" américains

Les "néo-conservateurs" sont déjà un adversaire plus sérieux. L'expression désigne chez Habermas un groupe de publicistes américains, ci-devant de gauche voire gauchistes, reconvertis dans le libéral-conservatisme (Pod-ho-retz, Kristol) ou dans la sociologie (Bell, Berger et Lipset). L'une de leurs préoccupations est par exemple de savoir comment transposer sur le marché les problèmes du budget de l'Etat et pallier la crise culturelle ac-tuelle "en modérant des principes démocratiques qui ont placé trop haut leur niveau de légitimation" (NU, 34). Mais la critique finale de Habermas parle d'elle-même: il n'a pas affaire à des conservateurs. Irving Kristol s'est lui-même défini, à juste titre, comme un "libéral malmené par les réalités"… Quant à Daniel Bell, qui juge né-ces-saire "une égalité ouverte au compromis", il n'est pour Habermas, qu'un "libéral logique avec lui-même" (NU, 39). La première joute avec les conservateurs est donc un coup d'épée dans l'eau: sous l'étiquette de "néo-con-servateurs", Habermas critique non des conservateurs mais… des libéraux (2).

Les "nouveaux conservateurs" de la tradition allemande

Le troisième tiroir s'ouvre sur les "nouveaux conservateurs" en République fédérale (3). Héritiers de l'hégélia-nisme de droite, ils se laissent docilement porter par "la dynamique de la modernité sociale en banalisant la cons-cience moderne du temps et en ramenant la raison à l'intellect (Verstand).  Leur conception de la rationa-lité est de type utilitariste" (PhD, 57). Habermas tente ensuite d'illustrer leur "réconciliation timide" (selon lui) avec la modernité (NU, 40) en évoquant Joachim Ritter, Ernst Forsthoff et Arnold Gehlen (NU, 41 ss.). Mais ses arguments ne sont, pour la plupart, que des combats d'arrière-garde à peine déguisés: lorsqu'il repro-che à Gehlen et à Schelsky d'avoir profité du chaos culturel orchestré (mais non voulu paraît-il…) par les idéo-logues de gauche pour en tirer prétexte à une "chasse aux intellectuels" et "mobiliser les ressentiments de la classe moyenne" (NU, 46), sa critique fait sourire. Aux thèses conservatrices, comme celle de l'épuisement de la modernité culturelle ou de la nécessité d'une nouvelle conscience de la tradition, Habermas ne trouve rien d'au-tre à opposer que la sempiternelle phraséologie creuse de la gauche: il faut-moraliser-la-politique, "démo-cra-tiser les procesus de décision pour placer l'action politique sous le signe de la justice sociale, trouver des formes de vie souhaitables" (NU, 51), etc… Il garde pour la fin sa grosse artillerie: les nouveaux conser-va-teurs veulent "tourner le dos à l'Occident et aux Lumières", ils se réclament (horribile dictu!)  de traditions spé-cifiquement allemandes, comme celle du "luthérianisme d'Etat" qui repose sur une "anthropologie pessi-mis-te" (NU, 54), l'objectif final étant "l'abandon de la modernité" et "l'hommage à la modernisation capitaliste" (id.). Sur le plan philosophique, l'argumentaire n'est guère plus rigoureux: le "traditionalisme" néo-conser-va-teur d'un Freyer et surtout d'un Ritter délégitime les "positions critiques de l'universalisme moral et des forces créatrices et subversives de l'art d'avant-garde" (PhD, 93) au nom de "conceptions esthétiques rétrogrades" (bien entendu). Ici encore, les concepts s'affolent: subitement, il n'est plus question de "nouveaux conser-va-teurs" mais de "l'émergence de libéraux tardifs militants (!) qui, chez nous, sont allés à l'école de Gehlen et de Carl Schmitt" (NU, 181), récusent "l'héritage du rationalisme occidental" et mobilisent la Gegenaufklärung  (NU, 182). Ce seraient donc, à nouveau, des libéraux? Si les catégories sémantiques qu'Habermas élabore lui-mê-me sont aussi exigües, et leurs cloisons aussi perméables, rien d'étonnant à ce que Habermas soit aujour-d'hui acculé à la défensive…

Les "jeunes conservateurs" qui veulent faire éclater le cadre du rationalisme occidental

Mais les choses se compliquent encore: dans le dernier tiroir qu'ouvre Habermas s'entassent les "jeunes con-ser-va-teurs" dont la généalogie lui pose les mêmes problèmes que leurs (soi-disant) représentants actuels: en effet, nous avons, d'un côté, les "nouveaux conservateurs" (c'est-à-dire, nous venons de le voir, les "libéraux tar-difs" formés chez Carl Schmitt!) qui seraient les héritiers des Jungkonservativen  de la République de Weimar sous l'influence desquels ils auraient opéré une "réconciliation timide avec la modernité" (NU, 40). Mais, d'au-tre part, ces mêmes "nouveaux conservateurs" seraient essentiellement les héritiers des hégéliens de droite (NU, 41; PhD, 57, 71, 86 ss.) dont l'erreur, au rebours des hégéliens de gauche, serait une interprétation fausse des rapports entre l'Etat et la société. D'un côté, donc, Carl Schmitt et ses élèves, Huber et Forsthoff ("jeunes con-servateurs" s'il en fut!) sont considérés comme des "hégéliens de droite" (PhD, 89); de l'autre, les "jeunes con-servateurs" ne seraient que des disciples de Nietzsche (PhD, 57) dont "l'antihumanisme" consistait à vou-loir "faire éclater le cadre du rationalisme occidental, à l'intérieur duquel évoluaient encore les tenants de l'hé-gé-lianisme, de gauche comme de droite" (PhD, 93).

Mais là où la démonstration devient vraiment curieuse, c'est lorsque Habermas avance les noms de quelques "re-présentants" de la tendance jungkonservativ:  à l'exception d'Ernst Jünger, sur lequel il passe rapidement (NU, 40 et PhD, 161), on ne trouve dans son énumération aucun "conservateur révolutionnaire" ni personne per-pétuant cette tradition; après Heidegger et Bataille, on trouve surtout, pour la période actuelle, Derrida, La-can, Foucault et Lyotard (PhD, 120, 7). Baptiser "jeunes conservateurs" ces auteurs, uniquement parce que cer-tains d'entre eux ont repris des thèmes déjà présents chez Nietzsche, est proprement absurde (Heidegger mis à part).

Bataille, Lacan, Lyotard, Derrida et Foucault: pour Habermas, ils seraient les "Jungkonservativen" d'aujourd'hui!

Bataille, par exemple, doit être écarté d'entrée de jeu: il fut un communiste convaincu qui vit dans le stalinisme ins-titué la condition première de la réalisation de ses idées. Quant à savoir ce que fait Lacan, psychanalyste struc-turaliste, dans les rangs des "Jeunes conservateurs", la  question demeure sans réponse sérieuse possible. Son nom, heureusement, n'est que rarement cité par Habermas. Lyotard, que Habermas se faisait fort de "démasquer", voici cinq ans, comme "néo-conservateur", a, depuis, opposé un démenti formel à cette appelation (4). Mê-me chose pour Derrida.

Quant à Foucault, mort en 1984, s'il s'est justement moqué de l'étroitesse d'esprit de la vieille gauche (à la-quel-le il a lui-même appartenu, puisqu'il militait au PC), cela ne signifie nullement qu'il se soit transformé en "conservateur": l'anarchisme bizarre, à prétentions esthético-hédonistes, qu'il a incarné vers la fin de sa vie (5) ne relève pas plus de l'idéologie jungkonservativ  que son étrange enthousiasme pour la révolution ira-nien-ne (6). Et s'il fallait une preuve de la distance qui sépare Foucault d'un Arnold Gehlen, par exemple, (avec le-quel Habermas tient sans cesse à le mettre en parallèle), il n'est que de relire sa critique des "institutions to-ta-les" des temps modernes, dont les conclusions sont diamétralement opposées aux thèses centrales de la théo-rie des institutions chez Gehlen. Là encore, la critique des "conservateurs" est boîteuse: les "jeunes conser-va-teurs" ne sont finalement, pour la plupart, qu'un mélange insolite de paléo-marxistes et de néo-anarchistes qui, d'ailleurs (dans la mesure où ils sont encore en vie et peuvent donc se défendre), ont vivement protesté contre les classifications pour le moins arbitraires de Habermas.

Signalons pour terminer une autre contradiction flagrante dans sa critique du "néo-" ou du "nouveau" conser-va-tis-me: d'un côté, Habermas critique le refoulement de l'Etat hors de la sphère économique au nom d'une éco-no-mie politique orientée sur l'offre, qu'il juge, évidemment, "anti-sociale" (NU, 34, 153 ss.); de l'autre, il vitu-pè-re rageusement le "hobbisme", l'"étatisme", le "légalisme autoritaire" et autres horribles méfaits des conser-vateurs (NU, 65, 91, 97, 102, 104, 107 ss.), coupables à ses yeux de réclamer "trop d'Etat". Ici encore, Ha-bermas devrait accorder ses violons… Les attaques véhémentes de Habermas contre tout ce qu'il estime "con-servateur" (que ce soit "paléo", "néo", "nouveau" ou jungkonservativ)  ne sont, tout compte fait, que du vent, soit parce qu'Habermas se trompe de cible, soit parce qu'il oppose la polémique aux arguments.

II. Habermas et l'actualité politique

"Je suis moi-même un produit de la reeducation;  un produit pas trop raté, j'espère", disait de lui-même Ha-ber-mas en 1979. Sur ce point, qu'il se rassure: ses craintes en la matière sont totalement injustifiées, il n'est que de lire, pour s'en convaincre, ses déclarations et confidences politiques. Habermas se félicite de ce que "la Ré-pu-blique fédérale se soit, pour la première fois, ouverte sans retenue à l'Occident", de ce que "nous ayons fait nô-tre la théorie politique de l'Aufklärung", "… compris que le pluralisme était un grand formateur de men-ta-li-tés" et "appris à connaître l'esprit radical-démocratique du pragmatisme américain" (NU, 54). Mais cela ne lui suffit pas: apparemment, nous ne sommes pas encore suffisamment rééduqués: comment expliquer autrement que "nous ayions en Allemagne une culture politique aussi dévoyée" dont le responsable n'est autre, bien en-ten-du, que le "fil de la tradition" (Traditionsstränge):  "le Reich impérial, le wilhelminisme, les nazis, la ré-vo-lution bourgeoise, restée partiellement inopérante, etc…" (NU, 192). Mais, quelques pages plus loin, on lit: "La République fédérale est à ce point devenue le 52ème Etat des USA qu'il ne nous manque plus que le droit de vote" (NU, 217 ss.) - on l'a bien vu dans la question du réarmement. Il faudrait savoir! D'abord, nous som-mes américanisés, et c'est très bien. Ensuite, nous ne le sommes pas, et c'est très mal. Et voilà que pour fi--nir, nous le sommes tout de même un peu, et c'est… encore très mal! Décidément, la défensive ne doit pas être une position très confortable lorsqu'elle en arrive à déboussoler un penseur d'une telle sagacité.

Ses autres propos politiques sont moins équivoques. La nation, par exemple, est selon lui devenue inapte à fon-der des valeurs (PhD, 424). Interrogé sur la question allemande et sur certains signes avant-coureurs d'un na-tionalisme de gauche, Habermas se réfugie sous l'aile de Willy Brandt et proclame sur un ton apodictique: "La question allemande n'est plus ouverte. Parler d'un nouveau nationalisme allemand est pour moi une absurdité… La nostalgie d'une identité allemande perdue, chez plusieurs intellectuels, sent le kitsch et rappelle les discours sur la 'réunification' de nos orateurs du dimanche de la CSU" (NU, 251).

En revanche, Habermas ne trouve rien à redire à la "rééducation", ce qui s'explique puisque, en bon "produit" de la rééducation, selon ses propres dires, il y participe activement: certes, "personne (?), aujourd'hui, ne soutient plus la thèse de la faute collective", mais quiconque "persiste à nier la responsabilité collective des Alle-mands", ne vise en fait qu'à occulter le problème du regard sur l'histoire, problème "inextricablement lié à no-tre propre identité, et à celle de nos enfants et petits-enfants" (NU, 264). Le propos est clair, comme d'ailleurs son hommage au discours "digne d'un Heinemann" (!) du président de la République du 8 mai 1985 (NU, 268)…

La "désobéissance civile" et la "théorie de la justice"

Habermas se révèle également comme un pur produit de la rééducation dans son plaidoyer en faveur de la "dé-so-béissance civile". Pour lui, cette forme de "résistance non violente" fait partie des "formes non con-ven-tion-nelles de la formation de la volonté politique" (NU, 79). Il faut "faire comprendre à l'Allemagne que la dé-so-béissance civile est le signe d'une culture politique parvenue à maturité" (NU, 81). Pour cela, Habermas mo-bi-lise la "théorie de la justice" du moraliste américain John Rawls, dont il retient la définition de la déso-béis-sance civile comme "action publique, non violente, dictée par la conscience mais politiquement illégale, et or-dinairement destinée à provoquer une modification de la loi ou de la politique gouvernementale" (8). Fort de l'au-torité (?) de ce professeur de Harvard largement imperméable à la politique et qui annonce tout de go que les ac-tes politiques dans un Etat de droit peuvent être illégaux (9), Habermas tente de démontrer que le degré de "dé-sobéissance civile" est un baromètre de la "maturité" de la République fédérale (NU, 84). Point de vue aussi aventureux qu'exhorbitant: par quels arguments un citoyen agissant dans l'illégalité peut-il exiger de l'Etat et de ses institutions le respect du droit existant? Et même si l'on admet, avec Rawls, que la désobéissance civile ne doit pas "troubler l'ordre constitutionnel", la question surgit aussitôt: où, exactement, tracer les limites? Et surtout: qui veillera au respect de ces limites? Les manifestants? Dans ce domaine, les limites sont très vite fran-chies lorsque le droit en vigueur a été enfreint et que les institutions sont bafouées.

Or, ce problème de la dynamique propre à l'action politique ne semble manifestement pas exister pour Rawls et Ha-bermas (10): fidèle aux principes universalistes du droit naturel, Habermas se fait l'avocat d'un fossé béant entre légalité et légitimité qui a déjà conduit, au cours de ce siècle, à la suppression de l'Etat (et à la dictature de Béhémoth) (NU, 85 ss., 97). Pour lui, les véritables "gardiens de la légitimité" d'un Etat sont "les labo-rieux et les besogneux qui ressentent plus que d'autres l'injustice dans leur chair" (NU, 88). Mieux: appelant à la rescousse un autre théoricien anglo-saxon du droit, R. Dworkin, il va jusqu'à affirmer que les "violations ci-vi-les de la loi" sont des "expériences moralement justifiées dans lesquelles une République vivante ne peut con-server ni sa capacité d'innovation ni sa légitimité aux yeux de ses citoyens" (ibidem). Ces vues surréalis-tes, et même dangereuses si elles étaient mises en pratique, ne sont possibles que parce que Habermas, pur pro-duit de la "rééducation", ignore totalement la tradition réaliste de la pensée politique, celle qui va de Machia-vel à Hobbes jusqu'à Carl Schmitt en passant par Hegel et Nietzsche. A cette tradition, Habermas préfère ma-ni-fes-tement quelques théories moralisantes anglo-saxonnes sur le droit naturel.

"Pour un usage réflexif de la règle majoritaire"

Son argumentaire est également très révélateur lorsqu'il émet des réserves à l'encontre du principe démocratique de la majorité (bien que lui et ses semblables aiment s'appeler des "démocrates radicaux"), notamment lorsque l'ap-plication de ce principe aboutit à des décisions déplaisantes pour lui et ses compagnons de route (voir l'af-fai-re de l'implantation des fusées Pershing). Mais il ajoute ensuite: "Le principe majoritaire n'est vraiment con-vaincant que dans certaines situations" (NU, 96); il est inopérant "lorsque le Non de la minorité exprime le refus d'une forme d'existence… taillée en fonction des besoins de la modernisation capitaliste" (NU, 95), bref lorsqu'il y a "face à face entre deux formes opposées de l'existence". Que faire alors? Habermas a bien sûr trou-vé la solution. L'un de ses disciples, le sociologue de Bielefeld Claus Offe, la définit ainsi: "C'est un usage ré-flexif de la règle majoritaire… de telle façon que les objets, modalités et limites de l'application du principe ma-joritaire lui-même soient mis à la disposition de la majorité" (NU, 96). La solution, n'en doutons pas, fera mer-veille, à condition que la population ne soit composée que de sociologues venus de Bielefeld ou de Franc-fort!

III. Le problème philosophique de la modernité

En 1954 parut à Berlin-Est un volumineux ouvrage qu'il faut considérer comme la contribution communiste la plus importante à la rééducation intellectuelle des Allemands de RDA (et pas seulement de RDA…). Son titre: Die Zerstörung der Vernunft  de Georg Lukàcs. Ce livre, rédigé à Moscou pendant la guerre, développe, sous la for-me d'une pérégrination à travers l'histoire récente des idées en Allemagne, la thèse de la "destuction de la rai-son" par les philosophes et écrivains "irrationalistes". Auxquels Lukàcs oppose la "bonne" tradition, la tra-dition rationaliste qui va, comme il se doit, de Hegel à Marx et à ses épigones.

Sauver la raison de ses "falsifications"

Si Habermas, dans ses lectures sur le discours philosophique de la modernité, ne procède pas de façon aussi su-per-ficielle ni aussi tapageuse, il semble bien par moments se prendre pour un nouveau Lukàcs (comme le sug-gè-re une allusion dans NU, 179) qui suivrait les traces de son prédécesseur, mais avec des ambitions intellec-tuel-les plus élevées. Déjà, dans ses écrits politiques, Habermas tentait d'expliquer tous les aspects négatifs de la modernité, critiqués par les "post-modernes" (et par lui-même) par des "effets secondaires" (NU, 63), des "fal-sifications" du véritable esprit de la modernité (NU, 15), des "exagérations", dans l'architecture moderne par exemple, (NU, 23), afin de "sauver le projet inachevé de la modernité qui s'emballe" (NU, 15). Son point de départ philosophique est donc à nouveau la défensive: la reconstruction du discours philosophique de la mo-der-nité est une réaction au "défi de la critique néostructuraliste de la raison" (PhD, 7).

Voici, brossée à grands traits, la démarche intellectuelle de cet ouvrage (Der philosophische Diskurs der Mo-der-ne)  sans doute ambitieux dont l'argumentaire se meut  -et se perd-  dans les hautes sphères de la réflexion: l'"é-mancipation de la modernité" (PhD, 26) commence avec Hegel dont la philosophie érige la subjectivité en prin-cipe des temps nouveaux. En même temps, la subjectivité reconnaît la supériorité du monde moderne (com-me monde de progrès) mais aussi sa crise (comme monde de l'esprit aliéné), et c'est pourquoi "la première ten-ta-tive de conceptualiser la modernité est originellement inséparable d'une critique de la modernité" (PhD, 27). A la rupture du principe de subjectivité en trois formes de raison depuis Kant (raison pure, raison pratique et ju-gement esthétique), qui sera suivie d'autres dissociations (entre science et foi, par exemple), Hegel oppose la "notion d'absolu" (PhD, 32) grâce à laquelle la philosophie peut révéler "la raison comme force de synthèse afin de répondre à la crise née de la dissociation (Ent-zweiung)  de l'existence" (ibidem) (11). Grâce à cet "ab-solu", posé en principe central et conçu par Hegel comme "le processus conciliatoire de la relation incon-di-tion-nelle à soi-même" (PhD, 46), Habermas peut certes "convaincre la modernité de ses errements sans re-cou-rir à un principe autre que celui, inhérent à la modernité, de subjectivité", mais il n'aboutit qu'à une "ré-con-ci-liation partielle" (PhD, 49) puisque sa solution revient à privilégier la généralité concrète (das konkrete Allgemeine)  par rapport au sujet concret, c'est-à-dire à "donner la préférence à une subjectivité supérieure, cel-le de l'Etat, plutôt qu'à la liberté subjective de l'individu" (PhD, 53). L'alternative possible (mais que rejette He--gel) eût été une "intersubjectivité supérieure de la volonté libre … dans une communauté de commu-ni-ca-tion" (PhD, 54). Ce point sera ultérieurement repris par Habermas lorsqu'il développera le concept dialectique de rai-son chez Hegel.

Les trois perspectives posthégéliennes

Après avoir développé ces prolégomènes dans ses 1ère et 2ème lectures, Habermas ébauche dans la troisième les trois perspectives posthégéliennes:

1) les hégéliens de gauche, qui veulent faire la révolution au nom de la raison totale (umfassend)  contre une rai-son étiolée et mutilée par l'esprit bourgeois;

2) les hégéliens de droite, qui font confiance à l'Etat et à la religion pour faire contrepoids à l'inquiétude de la so-ciété bourgeoise;

3) Nietzsche qui veut démasquer la raison, toute raison, comme une volonté de puissance déguisée et pervertie (PhD, 71).

La quatrième lecture traite d'ailleurs du seul Nietzsche qu'Habermas considère comme la plaque tournante de l'ir-rup-tion de la post-modernité. Dans une interprétation largement abrégée de la pensée nietzschéenne (et dans la-quelle il ne fait de surcroît aucune différence entre le jeune Nietzsche et le Nietzsche de l'âge mûr), Habermas ex-pose le projet nietzschéen de rénovation du mythe (PhD, 107 ss.) destiné à surmonter les déficits du ratio-na-lisme des Lumières. Il s'agit pour Nietzsche de "rompre radicalement (totaler Abkehr!) avec une modernité ex-ca-vée par le nihilisme" (PhD, 117). La délivrance dyonisiaque de l'homme moderne par l'expérience esthétique, que propose Nietzsche, supprime tous les intermédiaires de la raison hégélienne (PhD, 116 ss.) et la volonté de puissance se révèle comme fondamentalement esthétique (PhD, 118).

Le problème de Nietzsche

Mais le problème de Nietzsche est qu'il ne peut légitimer rationnellement sa critique de la raison, critique "qui se place d'emblée hors de l'horizon rationnel" (PhD, 119), pas plus d'ailleurs que ses critères du jugement esthé-tique (c'est un reproche fondamental que Habermas fera plus tard également à Heidegger, à Bataille, à Derrida et à Foucault). Pour résoudre ce problème, Nietzsche oscille entre deux stratégies:

1) la possibilité d'un regard artistique, en même temps sceptique et antimétaphysique, sur le monde, mobilisant des méthodes scientifiques  et sur ce point, Bataille, Lacan et Foucault n'ont pas dit autre chose;

2) la possibilité d'une critique de la métaphysique, critique qui ne serait pas une philosophie au sens tra-di-tion-nel du terme mais le fait d'un initié participant d'un mystère dyonisiaque: ici, Nietzsche rejoint Heidegger et Derrida (PhD, 120).

Cependant, avant d'écorcher ces deux derniers auteurs, Habermas essaie, dans sa cinquième lecture, de "sauver la dialectique de l'Aufklärung", jadis théorisée par Horkheimer et Adorno, afin d'empêcher les auteurs post-mo-dernes d'en abuser. Ce qui ne l'empêche pas lui-même, dans un premier temps, de critiquer la part trop belle fai-te par Horkheimer et Adorno à la raison instrumentale: certes, l'éclatement des sphères qui englobaient les va-leurs culturelles est à l'origine de la "régression sociale de la raison" mais il a provoqué également une "diffé-ren-ciation progressive d'une raison qui en acquiert une forme procédurale" (PhD, 137), en sorte que la "dia-lec-ti-que de l'Aufklärung" appréhende mal "le contenu rationnel de la modernité culturelle" (PhD, 137 ss.). Pour-tant, Habermas décèle en filigrane, chez ces deux auteurs, une "fidélité fondamentale à la démarche de l'Aufklä-rung" (PhD, 143) puisqu'ils s'offrent le paradoxe d'une critique radicale de la raison… avec les intruments de la rai-son (PhD, 145).

Habermas contre Heidegger

Habermas n'a pas la même indulgence à l'égard de Heidegger et de Derrida, qu'il aborde dans ses 6ème et 7ème lec-tures. Heidegger, qui se range comme Bataille, "sous la bannière de Nietzsche pour la lutte finale" (PhD, 158), en arrive lui aussi, à force de critiquer en bloc la philosophie moderniste du sujet, à évacuer la raison, de sor-te que, comme l'indique Habermas (on croirait lire du Lukàcs), "il ne fait plus la différence entre, d'une part, le contenu universaliste de l'humanisme, des Lumières … et, d'autre part, les idées d'auto-affirmation du parti-cu-lier, propres au racisme, au nationalisme et aux typologies rétrogrades du style Spengler ou Jünger" (PhD, 160 ss.). Le "décisionisme volontariste" qui s'exprime dans Sein und Zeit  débouche, pour Habermas, sur …  le na-tio--nal-socialisme. Aux prises avec celui-ci, Heidegger développe alors sa philosophie tardive, à savoir le Den-ken der Kehre,  l'idée de retournement (12). Cette pensée nouvelle se dévoile alors comme une "tempora-li-sa-tion de la philosohie originelle" (PhD, 158, 182): l'Etre comme "principe primordial selon la philosophie ini-tiale" est temporalisé et se révèle comme événement vrai, actuel en permanence, mais caché et qui, en tant que tel, ne peut se donner à voir que par le biais d'une critique radicale et destructrice de l'histoire de la méta-phy-sique. Or, dans une telle démarche, le "déracinement de la vérité propositionnelle" va de pair avec une "dé-va-lorisation de la pensée discursive" (PhD, 182), en sorte que Heidegger ne parvient qu'à "renverser les sché-mas de la philosophie du sujet" tout en restant "prisonnier de la Problématique de cette philosophie" (PhD, 190).

Le cheminement intellectuel de Derrida est très proche de celui de son maître Heidegger. Chez ce penseur fran-çais, l'absolu primordial est non l'Etre mais l'Ecrit "comme signe originel, … soustrait à tous les contextes prag-matiques de la communication" (PhD, 210). L'"Ecrit primordial" (Ur-schrift),  "force originelle diffuse dans le temps" (PhD, 211), rend possibles, en excluant tout sujet transcendental, "les distinctions, sources d'in-formation sur le monde, entre l'intelligible des significations et l'empirique qui se donne à voir dans l'ho-ri-zon de ce dernier" (PhD, 210). Pour réfuter ces conceptions, Habermas mobilise les arguments déjà utilisés con-tre Heidegger: Derrida lui aussi ne fait qu'ériger en mythe des "pathologies sociales manifestes" (PhD, 214).

Derrida: un irrationaliste proche de la mystique juive; Heidegger: un néo-païen "hölderlinien"

Détail intéressant: Habermas relève une différence notoire entre ces deux auteurs, même s'il les confond dans sa cri-tique: à l'actif de Derrida, il note que cet auteur "reste proche de la mystique juive" et ne souhaite pas "reve-nir, comme les néo-païens, à une période antérieure aux prémisses du monothéisme" (PhD, 214), ce qui le met à l'abri "tant de l'imperméabilité politico-morale que du mauvais goût esthétique d'un nouveau paganisme enri-chi d'Hölderlin" (PhD, 197). Heureusement, Derrida "reste en-deçà de Heidegger" car "l'expérience mystique… des traditions juive et chrétienne ne peut déployer toute sa puissance explosive, capable de liquider insti-tu-tions et dogmes" (!) (NU, 216) que par référence à un dieu caché, alors que "la mystique néo-païenne de Hei-deg-ger… a, au mieux, les charmes de la charlatanerie" (PhD, 217). Remarquable confession monothéiste, qui con-firme, s'il en était besoin, ce que la Nouvelle Droite, en France, a dévoilé au grand jour: une parenté idéo-lo-gique directe entre la pensée marxiste et les religions monothéistes du salut (13).

Dans la huitième lecture, Habermas présente la continuité qui court de Nietzsche à Bataille: pour ce penseur fran-çais, il s'agit de réhabiliter un sacré séculier qui s'exprime dans les expériences fondamentales (refoulées par la modernité) que sont l'ivresse, le rêve, la vie des instincts et que Bataille appelle la souveraineté (PhD, 248 ss.). Sa vision utopique d'un tel "retour de l'homme à lui-même" (PhD, 268), auquel tend son Economie gé-nérale,  se réalise dans le sillage du soviétisme marxiste de type stalinien (PhD, 266 ss.). Comme Nietzsche avant lui, Bataille se trouve confronté au problème (irrésolu) de la maîtrise théorique de la souveraineté comme "au-tre que la raison" puisque toute théorie est tributaire de ses présupposés rationnels (PhD, 277).

                                                       

Au centre de la pensée de Foucault: la puissance

La pensée de Foucault, auquel Habermas consacre de longs développements dans ses 9ème et 10ème lectures, se rat-tache à celle de Bataille et de Nietzsche. Historien des sciences, ce philosophe parisien décédé en 1984 met la notion de puissance au centre de son analyse. Pour lui, la modernité se caractérise avant tout par "un pro-ces-sus inquiétant de montée en puissance d'interactions concrètes" (PhD, 285), qu'il aperçoit aussi bien dans l'histoire des sciences humaines (PhD, 279 ss.) que dans l'apparition et le développement des "institutions to-ta-les": prison, asile, établissement psychiatrique, école, etc… (PhD, 286 ss.). Chez Foucault, la puissance devient donc "la notion de base historico-transcendentale d'une historiographie critique à l'égard de la raison" (PhD, 298 ss.). En même temps, sa démarche est "nominaliste, matérialiste et empirique puisqu'elle envisage les pratiques transcendentales de la puissance comme relevant du particulier, mais aussi de l'inférieur, du corpo-rel, du sensuel, de ce qui escamote l'intelligible, enfin du contingent qui pourrait être autre car il n'obéit à au-cun ordre directeur" (PhD, 301) -passages soulignés par l'auteur. Or, dans la mesure où Foucault utilise, dans sa gé-néalogie des sciences humaines, un concept de puissance posé en absolu et qui se manifeste de surcroît dans un rôle empirique et transcendental (PhD, 322), il ne parvient qu'à inverser le signe des apories de la philo-so-phie du sujet traditionnelle, et ne résoud le paradoxe qu'en substituant la vérité à la puissance (PhD, 323): son "historiographie généalogique" se révèle exactement comme "… la pseudo-science présentiste, relativiste et cryp-to-normative que précisément elle se défend d'être". Bref, elle se résorbe dans un "subjectivisme sans is-sue" (PhD, 324).

L'alternative habermasienne: la notion de "rationalité communicative"

Comme alternative aux apories des critiques de la raison depuis Nietzsche, Habermas propose, dans les 11ème et 12ème lectures, la notion de "rationalité communicative" qu'il avait déjà présentée en 1981 dans un pavé de 1200 pages intitulé Theorie des kommunikativen Handelns.  Cette conception reprend, du moins à en croire Ha-bermas, des éléments déjà présents chez Hegel, Marx ou même Heidegger (PhD, 94, 177 ss. et 345). Elle per-met de surmonter à la fois le paradigme désuet de la connaissance (= Erkenntnis  dans la philosophie du su-jet) (PhD, 345) et le paradigme de la production dans la philosophie de la praxis (PhD, 95 ss.). Cette nouvelle no-tion de "raison communicative" peut contribuer à "réhabiliter le concept de raison" (PhD, 395) en réac-ti-vant le vieil objectif de "révision de l'Aufklärung, mais avec les instruments de l'Aufklärung" (PhD, 353) et en renouant avec le "contre-discours inhérent à la modernité qui est critique du logocentrisme occidental, mais une critique qui diagnostique non un excès mais un déficit de la raison" (PhD, 361). La raison communicative "est intégrée directement au processus de la vie sociale" (PhD, 367) et la "praxis rationnelle doit être en-ten-due comme raison concrétisée dans l'histoire, la société, le corps et le langage" (PhD, 368 ss.): ce n'est que lors-qu'on a admis ces deux postulats que le "contenu normatif de la modernité" peut se manifester (PhD, 390). Ce contenu s'exprime notamment à travers le progrès social, méconnu par Nietzsche et ses successeurs (PhD, 392 et 342) et dont Habermas ne doute à aucun moment même s'il admet quelques "phénomènes de pathologie so-ciale" (PhD, 403)… qu'il s'empresse d'ailleurs de banaliser en les baptisant "pathologies de la commu-ni-ca-tion".

Habermas s'envisage donc, même s'il ne le dit pas ouvertement, comme le véritable héritier tant de la phi-lo-so-phie du sujet de l'idéalisme allemand que des velléités praxisphilosophisch  des hégéliens de gauche dans la me-sure où il dépasse par le haut les apories de ces deux lignages, à savoir par une redéfinition sociologique de la rationalité, et écarte en même temps d'un revers de main toutes les objections et points de vue de l'adver-sai-re postmoderne. Pour lui, le seul protagoniste vraiment sérieux est Niklas Luhmann, héritier bon teint de l'hé-gé-lianisme de droite (PhD, 408 ss.), qui porte aux extrêmes, dans sa théorie des systèmes sociaux, "l'affir-ma-tion néo-conservatrice de la modernité sociale" (PhD, 441). Sa thèse, "actuellement inégalée par sa puissance de conceptualisation, son imagination théorique et sa capacité à brasser les concepts" (ibidem, 444), atteint "une hauteur de réflexion où tout ce que les avocats de la postmodernité ont pu avancer… a déjà été pensé par lui mais de façon plus subtile" (PhD, 411). Son "sens des réalités" trahirait un "héritage très allemand, qu'il par-tage avec les hégéliens de droite sceptiques, jusqu'à Gehlen" (PhD, 432)! Néanmoins, face à Luhmann, Ha-ber-mas maintient qu'il n'y a pas seulement des systèmes sociaux parcellaires (Teilsysteme)   —il traite les con-ceptions de Luhmann d'"antihumanisme méthodique"!— et que l'ensemble social peut, grâce à ses opinions pu--bliques plurielles (Öffentlichkeiten)  exprimant, même de façon diffuse, une "conscience commune", "pren-dre normativement ses distances vis-à-vis de lui-même et réagir aux phénomènes de crise" (PhD, 435).

IV. Penser Habermas contre Habermas

Habermas a déclaré un jour qu'il fallait "penser avec Heidegger contre Heidegger" (14). Le précepte peut, à bien des égards, lui être retourné. Les éléments de critique sont nombreux; nous en retiendrons cinq:

1. Habermas applique le principe "deux poids, deux mesures": "Ce qui m'horripile, ce qui me heurte", a-t-il avoué un jour, "ce sont les agressions de ceux qui refusent de faire chez moi la différence entre le publiciste politique et le philosophe… et qui mélangent tout" (NU, 205). Or, n'est-ce pas ce que fait Habermas lui-même? Quand, dans sa 6ème lecture, il évoque un cours de Heidegger sur Nietzsche, il observe immédiatement (si ce n'est pas là de la basse polémique!) que pour Heidegger, "le surhomme a le visage du SA type" (PhD, 159). On se demande qui mélange ici la politique et la philosophie, et de manière diffamatoire de surcroît (15). A un au-tre endroit, Habermas proclame: "la chaire du professeur et l'amphithéatre de la faculté ne sont pas le lieu où l'on vide les querelles politiques; ce sont des lieux de débat scientifique" (NU, 212). On peut se demander, en li-sant un passage de sa 12ème lecture, s'il prend au sérieux son propre avertissement: "la communauté de va-leurs atlantique, focalisée autour de l'OTAN, n'est guère qu'un slogan de propagande pour ministres de la dé-fen-se" (PhD, 424), ou encore: "Cette science-fiction de la guerre des étoiles est tout juste bonne pour les planifi-ca-teurs idéologiques qui pourront ainsi agiter le spectre macabre d'un espace militarisé de façon à déclencher l'impulsion innovatrice qui mobilisera le colosse du capitalisme mondial pour le prochain round techno-lo-gi-que" (PhD, 425). Sans doute Habermas ne voit-il là aucune polémique. Seulement un "débat scientifique"…

2. L'un des reproches fondamentaux de Habermas à l'encontre des critiques de la raison dans le sillage de Nietz-sche est que leur discours ne fait "aucune place à la praxis quotidienne" (PhD, 393). Le responsable, encore et toujours, est Nietzsche: il aurait "tellement fixé ses disciples sur les phénomènes de l'extra- et du supra-quo-ti-dien" que la praxis quotidienne en est venue à être méprisée comme "du dérivé, de l'inauthentique" (un-eigentlich).  Outre qu'un tel reproche, rapporté à Nietzsche et formulé de cette façon, est inexact, l'objection n'est fon-dée que si l'on est convaincu, avec Habermas, que les modalités et les formes de la communication quoti-dien-ne dans le monde vivant recèlent effectivement ce que l'on peut appeler les structures fondamentales de la ra-tionalité. Mais il y a autre chose: Habermas ne fait pas la distinction, pourtant évidente chez Nietzsche et les nietzschéens, entre la petite élite de ceux qui sont vraiment capables d'une pensée philosophique et la mas-se qui demeure nécessairement impénétrable à ces dimensions supérieures de l'esprit humain. Bien évidemment, c'est à cette élite que s'adresse Nietzsche (comme ses prédécesseurs et successeurs), à une élite pour qui l'exis-ten-ce quotidienne devient inessentielle (un-wesentlich)  comparée au monde supérieur de la pensée dont elle par-ticipe. Cela ne signifie nullement que pour ces penseurs le quotidien ne soit absolument pas digne de ré-fle-xion! Dans ses brillantes analyses de critique culturelle, notamment dans Sein und Zeit,  Heidegger montre clai-rement qu'un étude rigoureuse du quotidien et la reconnaissance de son importance pour l'existence humaine, peut très bien s'accompagner d'une critique de ce monde de la quotidienneté qui, entrevu sur un plan plus élevé, s'a-vère précisément comme uneigentlich  (16).

Habermas demuere crispé sur l'utopisme

3. Habermas se crispe sur les positions classiques de la gauche: celle de l'utopisme. Il s'agit certes, dès l'a-bord, d'un utopisme très atténué, abstrait dans sa formulation. Rappelons-nous le jeune Marx qui pensait que, dans la société communiste, il serait possible de "faire aujourd'hui une chose, demain une autre, de chasser le ma-tin, pêcher l'après-midi, pratiquer l'élevage le soir, critiquer le repas sans jamais être chasseur, pêcheur, éleveur ou critique", exactement selon son humeur (17), ou les prophéties absurdes de Labriola ou de Trotsky qui pen--saient que les Platons, les Brunos et les Galilées courraient un jour les rues et que la "moyenne humaine" s'élèverait au niveau d'un Aristote, d'un Goethe et d'un Marx (18). Bien sûr, il ne reste plus grand chose, chez Ha-bermas, de ces élucubrations: l'expérience du "socialisme bureaucratique" (NU, 266; c'est ainsi qu'Habermas dé-signe le régime politique d'au-delà de l'Elbe!) est un bagage assez encombrant… Les "accents utopistes", af-fir-me-t-il, se déplacent aujourd'hui "de la notion de travail à celle de communication" (NU, 160); "le contenu uto-pique de la société de communication se réduit aux aspects formels d'une intersubjectivité laissée intacte" (NU, 161). Mais Habermas va au delà de cette formule passablement creuse: son "intuition fondamentale", qu'il avoue puisée aux archétypes de la mystique protestante et juive, serait "la réconciliation de la modernité a-vec elle-même" grâce à des "formes d'interaction réussie" (NU, 202 et 223) et à "la perspective d'une praxis par-venue à la conscience d'elle-même et où l'auto-détermination solidaire de tous devrait être compatible avec l'au-to-épanouissement authentique de chaque individu" (PhD, 391). Habermas en aperçoit d'ailleurs les prémices (c'est, dit-il, une "parcelle de raison existante") "dans le féminisme, les révoltes culturelles, les résistances éco-logiques et pacifistes" (NU, 252). Autrement dit, les symptômes de décadence sont à ses yeux des signes évi-dents de progrès. On croirait voir gesticuler sous nos yeux les "derniers hommes" de Nietzsche qui clignent de l'œil en disant qu'ils ont "inventé le bonheur". Les professions de foi utopistes à la Habermas n'inter-pel-lent pas le contradicteur; leur propre ridicule les tue plus sûrement.

Une lacune chez Habermas: un jugement sur l'éthologie d'un Konrad Lorenz

4. Cet utopisme s'explique largement, chez Habermas, par le rejet de toute anhropologie réaliste. Habermas de-vrait tout de même savoir que Kant, dès 1793, ajoutait aux trois interrogations fondamentales de la philoso-phie (la métaphysique, la morale et la religion) un quatrième questionnement: "Qu'est-ce que l'homme?" (Was ist der Mensch)  (19). Or, ce questionnement-là, Habermas, somme toute logique avec lui-même, s'y dérobe. On le voit bien dans sa critique du conservatisme: il dénombre quatre types d'argumentaires conservateurs, mais, de façon significative, esquive le quatrième, le "discours éthologique de Konral Lorenz… parce qu'il dé-bou-che plutôt sur la Nouvelle Droite française que sur le néoconservatisme allemand" (NU, 41). L'argument n'est guère solide: Habermas ne comprend-il rien à l'éthologie? Rien n'est moins sûr: quiconque, outre ses dis-ci-plines de travail, se sent à son aise aussi bien dans la psychanalyse que dans la mystique juive, aussi bien en économie classique que dans les prolégomènes du post-structuralisme le plus récent, doit bien avoir éga-le-ment quelques notions d'éthologie. Pourquoi, dans ces conditions, escamote-t-il le problème et refuse-t-il (y com-pris dans d'autres écrits) d'accepter les acquis de la science moderne du comportement? Parce qu'à l'évi-den-ce, ses utopies se dégonfleraient, même et surtout ses utopies politiques, puisque nous savons désormais, au moins depuis Carl Schmitt, que "la conception de l'homme comme être problématique/non problématique est la condition première de toute réflexion politique" (20). Et ce n'est pas avec des coups de bec agressifs contre ce qu'il appelle "l'anthropologie pessimiste" (NU, 54) des conservateurs qu'Habermas pourra combler un déficit idéo-logique flagrant: sa propre anthropologie, implicitement optimiste.

Il n'y a plus de raison universelle...

5. Le concept de raison chez Habermas reste prisonnier des illusions de l'Aufklärung. En fait, ce concept de rai-son est au centre de son argumentaire philosophique et politique. Au premier abord, Habermas semble en fai-re un usage modéré: il ne peut plus exister de raison qui serait au service d'une "motivation philosophique en dernier ressort". L'erreur de Nietzsche, de Heidegger et même d'Adorno et de Derrida aura été d'avoir "con-fon-du les questionnements universalistes, toujours présents en philosophie, avec leur prétention   —aban-don-née, elle, depuis longtemps—   à avoir rang de statut, prétention que la philosophie exprimait naguère pour les réponses qu'elle apportait". Certes, "la conscience de la faillibilité des sciences… a depuis longtemps rat-tra-pé la philosophie", mais celle-ci "se conçoit, aujourd'hui comme hier, comme la gardienne de la rationalité au sens d'une prétention rationnelle inhérente à notre forme d'existence" (PhD, 247, rem. 74). Mais cette as-ser-tion fait elle-même problème: comment conserver les "questionnements traditionnels et universalistes" si l'on jette par dessus bord le statut traditionnel de la philosophie où s'enracinent  —et se justifient—  ces ques-tion-nements, et si les réponses de portée universelle deviennent impossibles? (La réserve de Habermas selon la-quelle les "propositions universelles" doivent nécessairement se couler dans un "moule grammatical" de-vient très vite relative). Comment la philosphie peut-elle encore de nos jours se comprendre comme "la gar-dienne de la rationalité" (comme dans l'Aufklärung) lorsqu'on sait que l'universalité de la raison (prétention qu'elle soutenait encore naguère) n'est plus crédible aujourd'hui? Sur ce point, Nietzsche et Dilthey voyaient plus loin qu'un Jürgen Habermas, auquel le XVIIIème siècle colle encore à la peau…

Un panrationalisme qui ne tient pas à l'analyse...

Habermas précise que sa conception de la raison est en rupture avec la raison archaïque de l'idéalisme allemand: "Il n'existe aucune raison pure qui se serait ensuite glissée dans l'habit du langage. La raison est raison incar-née d'entrée de jeu dans l'acte de communication comme dans les structures du  monde vivant" (PhD, 374). Il se-rait plus juste de parler ici de panrationalisme (comme il y a un "panthéisme"): la raison communicative de Habermas est omniprésente puisqu'elle "décrit… l'universel d'une forme de vie commune" (PhD, 377). L'uni-versum (das Ganze)  est traversé par le fil de la raison: même l'erreur, le crime et l'illusion ne sont pas a-ra-tion-nels: ce ne sont que les manifestations d'une raison "à contre-sens" (verkehrt).  A l'évidence, c'est cela qui jus-tifie aux yeux d'Habermas la possibilité de croire encore à l'utopisme au nom du "progrès", puisque tous les phé-nomènes indésirables du monde moderne ne sont pour lui que des manifestations d'une "raison à contre-sens", qu'il appelle "pathologies de la communication" et qui peuvent être corrigées par le retour à des formes ra-tionnelles de communication. Ici, c'est l'élève de Hegel qui parle: on critique certes la modernité mais sur le ter-rain et avec les instruments de la modernité, afin de perpétuer le projet culturel de la modernité.

La conception de Habermas repose entièrement sur une absolutisation du concept de la raison dialectique hégé-lienne, concept qu'il avance comme fondement intellectuel incontournable d'une modernité conçue sur le mode mo-nolithique. Or, une telle démarche n'est possible que si l'on occulte purement et simplement un héritage phi-losophique d'une importance et d'une richesse capitales.

Habermas ignore tout un continent de la philosophie, vieux de deux siècles

Habermas occulte le fait que depuis le XVIIIème siècle, parallèlement au surgissement kantien, s'articule une ré-sis-tance à l'idée d'une modernité hypostasiant la rationalié et que cette résistance n'a pas commencé avec Hamann, Möser et Herder: elle a atteint, chez ces auteurs, une première apogée mais s'est prolongée ensuite avec des penseurs comme Jacobi et les Romantiques (parmi lesquels Habermas ne cite que Schelling et F. Schlegel, et brièvement de surcroît; PhD, 111 ss.). Schopenhauer et Kierkegaard perpétuent, sous des approches diffé-ren-tes, cette lignée philosophique qui produira Nietzsche et le vitalisme et se développera jusqu'à Spengler, Kla-ges et les intellectuels de la "Révolution conservatrice". Dès les origines de la modernité (qui n'a jamais été cet-te entité fermée et monolithique que suggèrent les textes de Habermas), il a donc existé une tradition de l'es-prit qui a identifié et conceptualisé les dangers inhérents à la césure, introduite par la modernité, entre horizon de l'expérience et horizon de l'espérance, selon l'expression de Koselleck, et dont la Révolution française fut un exemple. Comme l'a montré sans ambiguité Bernard Willms, "la pensée allemande, de Herder à Gehlen, se con-çoit effectivement comme un face-à-face permanent avec l'Aufklärung de l'Occident et l'on peut démontrer que, dans ce débat, la pensée allemande se percevait et se perçoit toujours comme une riposte aux Lumières" (21). Cela ne signifie nullement que cette pensée ait dégénéré en "irrationalisme" et en borborygmes mys-ti-ques: "La contre-Aufklärung, c'est le dépassement critique de l'Aufklärung par une relation plus réaliste à l'his-toi-re et au réel… La contre-Aufklärung, ce n'est donc pas l'érection d'une ligne de défense face à l'Aufklärung, c'est une réflexion plus profonde sur les notions générales et abstraites auxquelles la Révolution française avait réduit l'histoire et l'humanité" (22).

La contre-Aufklärung fait contrefeu à l'optimisme panrationaliste du "progrès", caractéristique d'une praxis phi-lo-sophique indigente dont les héritiers se parent aujourd'hui des oripeaux des "théories de la communication" et essaient de revendre sous un emballage nouveau les vieilles lunes de l'utopisme des XVIIIème et XIXème siècles.

Habermas a la conviction apparemment inébranlable que seule la raison émet un accès privilégié au réel. Plus le monde vivant est appréhendé de façon abstraite, mieux cela vaut. Plus la réflexion est brumeuse, plus l'em-pri--se sur le réel est précise. Ce qui permet accessoirement (au grand plaisir de Habermas) de disqualifier le dis-cours adverse comme unterkomplex:  trop simple!! (PhD, 394). Il juge évidemment dangereuse l'idée que le réel puis-se se manifester plutôt dans le concret que dans l'abstrait. On le voit bien lorsqu'il déclare que les mou-ve-ments sociaux doivent intégrer en eux le "contenu normatif de la modernité", c'est-à-dire ce "droit à l'erreur" (Fallibilismus),  "cet universalisme et ce subjectivisme qui sapent la force et la forme concrète de tout ce qui est particulier" (PhD, 424, souligné par l'auteur). On ne peut être plus clair: l'ennemi, c'est tout ce qui est par-ticulier, spécifique, concret! En effet: l'"analyse structurelle des mondes vivants", fondée sur la théorie de la com-munication, n'est viable que si on fait l'impasse du concret; faute de quoi, on nage, selon Habermas, "dans la mer des contingences historiques" (NU, 191). Que le réel consiste justement en cette "mer des contingences his-toriques", que ce "tout autre" (das Andere)  d'une raison conçue sur le mode abstrait puisse se poser en anti-thèse du Général, de l'Universel, de l'Abstrait et du Médiat (23), non seulement comme rêve, fantasme, folie ou ex-tase mais également comme Individuel, Concret ou Immédiat, cette idée-là, le panrationalisme d'un Jürgen Ha-bermas ne peut que s'en détourner avec horreur…

Redécouvrir "l'autre que la raison" et échapper à l'hybris du panrationalisme

Pourtant, ce n'est peut-être pas un hasard si la pensée contemporaine connait actuellement un nouveau change-ment de cap pour lequel c'est surtout "l'expérience de la finitude… qui fait l'homme", c'est avant toute chose "comprendre que l'homme ne pourra jamais faire coïncider totalement sa pensée avec le réel" (24). Ce qui im-plique nullement un rejet de la raison comme entité; cela suppose seulement que l'on reconnaisse "l'Autre que la raison" (das Andere der Vernunft)  et que l'on incorpore dans son schéma mental cet élément qui n'est pas "in-férieur" à la raison puisqu'il est au cœur du réel. Réapprendre que l'esprit humain se heurte toujours en fin de comp-te aux limites de l'aporie et du paradoxe, c'est échapper à l'hybris  d'un rationalisme omnipotent.

C'est Hermann Lübbe qui a le mieux cerné la portée actuelle d'une pensée comme celle de Habermas: "Dans une ci-vi-lisation qui nous est une contrainte culturelle et politique, moins par sa sclérose que par sa dynamique, les attitudes progressistes deviennent obsolètes" (25). Mais on soupçonne fort, par moments, que la forme de ces at-titudes, cet emballement intellectuel qui se résorbe dans ces abstractions toujours plus insaisissables, signale l'irruption de cette "barbarie de la réflexion" dont parlait déjà Vico puis, après lui, Nietzsche, Sorel et Speng-ler et qui annonce invariablement la barbarie tout court.

Hans-Christof KRAUS.

(traduction française: Jean-Louis Pesteil).

Notes:

(1) Interview de D. Horster et W. van Reijen du 23 mars 1979, in: D. Horster, Habermas zur Einführung,  Hanovre, 1980, p. 76.

(2) On le voit très bien quand Habermas découvre… Richard Löwenthal et Kurt Sontheimer comme "pen-dants ouest-allemands" des néoconservateurs américains (NU, 39)! Ces deux libéraux de gauche, te-nants d'un "patriotisme de la Constitution" (Verfassungspatriotismus),  n'ont strictement rien à faire dans le camp "conservateur". Ils seraient d'ailleurs eux-mêmes fort contrariés d'une telle classification!

(3) Sur le plan de la définition, Habermas les distingue nettement des néoconservateurs américains (NU, 40). Ce qui ne l'empêche pas ensuite d'accoler ce qualificatif aux Allemands (NU, 39, 46, 49 et 182). On aurait aimé un peu plus de rigueur dans le maniement de certains concepts!

(4) Sur la controverse entre Habermas et les Français, on consultera A. Huyssen, "Die Postmoderne. Eine amerikanische Internationale?" in dito et K.R. Scherpe (éd.), Postmoderne - Zeichen eines kulturellen Wandels,  Reinbek bei Hamburg, 1986, pp. 26 ss.

Sur Lyotard, on peut lire dans le texte de présentation de ses livres parus chez Merve-Verlag (Berlin): "… Militait pendant la guerre d'Algérie dans le groupe d'extrême-gauche de la revue "Socialisme ou Bar-barie"".

(5) Voir par exemple le recueil de textes M. Foucault: Mikrophysik der Macht - Über Strafjustiz, Psychiatrie und Medizin,  Berlin 1976 ou encore le "Dialogue entre Michel Foucault et les étudiants" in M. Foucault: Von der Subversion des Wissens,  Francfort, Berlin, Vienne, 1978, pp. 110 ss.

(6) Cf. J. Altwegg, Die Republik des Geistes,  Munich, 1986, p. 210.

(7) Horster (cf. Note 1), p. 73.

(8) J. Rawls, Eine Theorie der Gerechtigkeit,  Francfort, 1979, p. 401.

(9) La citation de Rawls par Habermas est tronquée; Habermas a omis un "détail" important: l'adjectif "po-litique", sans en aviser le lecteur (NU, 83).

(10) D'autant que pour Habermas, la question de savoir si la théorie de Rawls, pur produit de la tradition anglo-saxonne, est transposable à l'Allemagne, ne semble même pas se poser…

(11) Habermas essaie d'éluder la critique de l'Aufklärung par Hegel (par exemple la critique du primat du "devoir-être" sur l'Etre) en affirmant que Hegel est "obligé" de développer sa notion de modernité "à par-tir d'une dialectique elle-même inhérente au principe de l'Aufklärung" (PhD, 33), ce qui laisse com-plè-tement de côté, évidemment, les différences qui peuvent exister entre la notion de raison chez Hegel d'une part, dans l'Aufklärung d'autre part. A ce jour, Bernard Willms est, il me semble, le seul à avoir mon-tré comment les "théoriciens critiques" de l'Ecole de Francfort s'évertuent à gommer ces différences: "La prétention de la Théorie critique à incarner un courant "progressiste" qui apercevrait comme axe de ce "progrès" l'offensive de l'Aufklärung, ses intentions révolutionnaires (comme le tournant de la dialec-tique) et surtout son prolongement révolutionnaire par le marxisme, repose en fait sur une double er-reur: premièrement, la Théorie critique n'a pas vu que Marx, en remontant au 18ème siècle, ne pouvait que retomber dans un système de pensée qui avait déjà été dépassé et surmonté par l'idéalisme. Deuxiè-me-ment, elle n'a pas vu que le matérialisme "scientifique", que le marxisme prétendait incarner, se con-ten-tait en réalité de reformuler la rationalité de l'Aufklärung dans le sens du 19ème siècle scientiste et positiviste. En sorte que la "Théorie critique" a conservé, malgré toutes les subtilités et toutes les acro-ba-ties de sa réflexion, le caractère réactionnaire des schémas de pensée hérités du 18ème siècle: une rai-son prétentieuse, reproduisant une démarche intellectuelle de type religieux, ne pouvait qu'être une idéo-lo-gie au sens strict de théocratie intellectuelle et se dégrader en activisme jacobin, voire en véritable sco-lastique. Tout cela n'a plus rien à voir avec une quelconque appréhension du réel, en dépit du rem-plis-sage sociologique et des jongleries avec les "totalités". A cause du marxisme, les acquis phi-loso-phiques de l'idéalisme allemand se sont vus ramenés aux vieilles lunes de l'Aufklärung" (B. Willms, "Deutscher Idealismus und die Idee der Nation - Aufklärung und Idealismus in ihrem Verhältnis zur historischen und politischen Wirklichkeit" in: A. Mölzer (éd.), Österreich und die deutsche Nation,  Graz, 1985, p. 395).

(12) Cette interprétation est en contradiction flagrante avec les résultats des recherches les plus récen-tes sur Heidegger: elles montrent que le "retournement de Heidegger", la Kehre,  a commencé dès 1930, et non pas après 1933-34 (W. Franzen, Martin Heidegger, Stuttgart, 1976, p. 81; cf. également p. 76 ss.).

(13) Cf. Alain de Benoist, Aus rechter Sicht (=Vu de droite),  VoL. II, Tübingen, 1984, pp. 33 ss., 156 ss.; du même: Kulturrevolution von Rechts,  Krefeld 1985, p. 122.

(14) J. Habermas, Philosophisch-politische Profile,  Francfort, 1984, p. 469.

(15) Au demeurant, tout le chapitre sur Heidegger est entrecoupé d'allusions plus ou moins polémiques et malveillantes au faux-pas politique du grand philosophe. Détail révélateur: sur ce point comme sur d'au-tres, Habermas utilise deux poids et deux mesures: on ne sache pas qu'il ait jamais critiqué son pa-tron de thèse, Eric Rothacker, philosophe à Bonn, très méritant du reste, qui collabora allègrement après 1933 (cf. sa "Philosophie de l'histoire", Munich et Berlin, 1934, p. 135 ss.) et qui, après la dé-fai-te, préféra "tout oublier" (cf. ses Heitere Erinnerungen,  Francfort et Bonn 1963, p. 73)!

(16) M. Heidegger, Sein und Zeit,  Halle, 1941, p. 166 ss. (§§ 35-38).

(17) Karl Marx, Die Frühschriften,  éd. S. Landshut, Stuttgart 1953, p. 361.

(18) Labriola et Trotsky cités par W. Sombart: Der proletarische Sozialismus,  vol. I, Iéna 1924, p. 323.

(19) Kant à C.F. Stäudlin, du 4 mai 1973, in: Kant, Briefe,  éd. par J. Zehbe, Göttingen, 1970, p. 216.

(20) Carl Schmitt, Der Begriff des Politischen,  Berlin, 1963, p. 59.

(21) Bernard Willms, Die Deutsche Nation,  Köln 1982, p. 88.

(22) B. Willms, Idealismus und Nation - Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewusstseins der Deutschen,  Paderborn, 1986, p. 41.

(23) Cf. à ce sujet Armin Mohler: "Die nominalistische Wende", in A. Mohler, Tendenzwende für Fortgeschrittenen,  München 1978, p. 187 ss.

(24) A. Mohler, Was die Deutschen fürchten,  Stuttgart, 1965, p. 18.

(25) H. Lübbe: Zeit-Verhältnisse,  Graz,1983, p. 142.

lundi, 19 janvier 2009

The Legacy of a European Traditionalist: Julius Evola in Perspective

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The Legacy of a European Traditionalist: Julius Evola in Perspective

Guido Stucco

This article is a brief introduction to the life and central ideas of the controversial Italian thinker Julius Evola (1898-1974), one of the leading representatives of the European right and of the “Traditionalist movement” 1 in the twentieth century.  This movement, together with the Theosophical Society, played a leading role in promoting the study of ancient eastern wisdom, esoteric doctrines, and spirituality.  Unlike the Theosophical Society, which championed democratic and egalitarian views,2 an optimistic view of progress, and a belief in spiritual evolution, the Traditionalist movement adopted an elitist and antiegalitarian stance, a pessimistic view of ordinary life and of history, and an uncompromising rejection of the modern world.  The Traditionalist movement began with René Guénon (1886-1951), a French philosopher and mathematician who converted to Islam and moved to Cairo in 1931, following the death of his first wife.  Guénon revived interest in the concept of Tradition, i.e., the teachings and doctrines of ancient civilizations and religions, emphasizing its perennial value over and against the “modern world” and its offshoots: humanistic individualism, relativism, materialism, and scientism. Other important Traditionalists of the past century have included Ananda Coomaraswamy, Frithjof Schuon, and Julius Evola.

This article is addressed, first, to persons who claim to be conservative and of rightist persuasion.  It is my contention that Evola’s political views can help the American right to acquire a greater intellectual relevance and to overcome its provincialism and narrow horizons The criticism most frequently leveled by the European “New Right“ against American conservatives is that the ideological poverty of the American Right lies in its circling its wagons around a conservative agenda, in its inability to see the greater scheme of things.3 By disclosing to his readers the value and worth of the world of Tradition, Evola has shown that to be a rightist entails much more than taking a stance on civic and social issues, such as abortion, capital punishment, a strong military, free enterprise, less taxes, less government, fierce patriotism, and the right to bear arms, but rather assessing more crucial matters involving race, ethnicity, eugenics, immigration, and the nature of the nation-state.

Second, readers with an active interest in spiritual and metaphysical matters may find Evola’s thought insightful and his exposition of ancient esoteric techniques very helpful. Moreover, his views, though at times very discriminatory, have the potential of becoming a catalyst for personal transformation and spiritual growth.

To date, Evola’s work has been subjected to the silent treatment. When Evola is not ignored, he is usually vilified by leftist scholars and intellectuals, who demonize him as a bad teacher, racist, rabid anti-Semite, master mind of right-wing terrorism, fascist guru, or so filthy a racist even to touch him would be repugnant.  The writer Martin Lee, whose knowledge of Evola is of the most superficial sort, called him a “Nazi philosopher” and claimed that “Evola helped compose Italy’s belated racialist laws toward the end of the Fascist rule.4 Others have minimized his contribution altogether.  Walter Laqueur, in his Fascism: Past, Present, Future, did not hesitate to call him a “learned charlatan, an eclecticist, not an innovator,” and suggested “there were elements of pure nonsense also in his later work.”5 Umberto Eco sarcastically nicknamed Evola “Othelma, the Magician.”

The most valuable summaries to date of Evola’s life and work in the English language have been written by Thomas Sheehan and Richard Drake.6  Until either a biography of Evola or his autobiography becomes available to the English-speaking world, these articles remain the best reference sources for his life and work.  Both scholars are well versed in Italian culture, politics, and language.  Although not sympathetic to Evola’s ideas, they were the first to introduce the Italian thinker’s views to the American public.  Unfortunately, their interpretations of Evola’s work are very reductive. Sheehan and Drake succumb to the dominant leftist propaganda according to which Evola is a “bad teacher” because he allegedly supplied ideological justification for a bloody campaign by right wing terrorists in Italy during the 1980s.7  Regrettably, both authors have underestimated Evola’s spissitudo spiritualis as an esotericist and a Traditionalist, and have written about Evola merely as a case study in their fields of competence, i.e., philosophy and history, respectively.8

Despite his many detractors, Evola has enjoyed something of a revival in the past twenty years.  His works have been translated into French, German,9 Spanish, and English, as well as Portuguese, Hungarian, and Russian.  Conferences devoted to the study of this or that aspect of Evola’s thought are mushrooming everywhere in Europe.10 Thus, paraphrasing the title of Edward Albee’s play, we may want to ask: “Who’s afraid of Julius Evola?”  And, most important, why?
Evola’s Life

Julius Evola died of heart failure at his Rome apartment on June 11, 1974, at the age of seventy-six.  Before he died he asked to be seated at his desk in order to face the sun’s light streaming through the open window.  In accordance with his will, his body was cremated and the urn containing his ashes was buried in a crevasse on Monte Rosa, in the Italian Alps.

Evola’s writing career spanned more than half a century.  It is possible to distinguish three periods in his intellectual development.  First came an artistic period (1916-1922), during which he embraced dadaism and futurism, wrote poetry, and painted in the abstract style.  The reader may recall that dadaism was an avant-garde movement founded by Tristan Tzara, characterized by a yearning for absolute freedom and by a revolt against all prevalent logical, ethical, and aesthetic canons.

Evola turned next to the study of philosophy (1923-1927), developing an ingenuous perspective that could be characterized as “transidealistic,” or as a solipsistic development of mainstream idealism. After learning German in order to be able to read the original texts of the main idealist philosophers (Schelling, Fichte, and Hegel), Evola accepted their chief premise, that being is the product of thought. Yet he also attempted to overcome the passivity of the subject toward “reality” typical of idealist philosophy and of its Italian offshoots, represented by Giovanni Gentile and Benedetto Croce, by outlining the path leading to the “Absolute Individual,” to the status enjoyed by one who succeeds in becoming free (ab-solutus) from the conditionings of the empirical world.  During this period Evola wrote Saggi sull’idealismo magico (Essays on magical idealism), Teoria dell’individuo assoluto (Theory of the absolute individual), and Fenomenologia dell’individuo assoluto (Phenomenology of the absolute individual), a massive work in which he employs the values of freedom, will, and power to expound his philosophy of action.  As the Italian philosopher Marcello Veneziani wrote in his doctoral dissertation: “Evola’s absolute I is born out of the ashes of nihilism; with the help of insights derived from magic, theurgy, alchemy and esotericism, it ascends to the highest peaks of knowledge, in the quest for that wisdom that is found on the paths of initiatory doctrines.”11

In the third and final phase of his intellectual formation, Evola became involved in the study of esotericism and occultism (1927-1929).  During this period he cofounded and directed the so-called Ur group, which published monthly monographs devoted to the presentation of esoteric and initiative disciplines and teachings. “Ur” derives from the archaic root of the word “fire”; in German it also means “primordial” or “original.”  In 1955 these monographs were collected and published in three volumes under the title Introduzione alla magia quale scienza dell’Io.12  In the over twenty articles Evola wrote for the Ur group, under the pseudonym “EA” (Ea in ancient Akkadian mythology was the god of water and wisdom) and in the nine articles he wrote for Bylichnis (the name signifies a lamp with two wicks), an Italian Baptist periodical, Evola laid out the spiritual foundations of his world view.

During the 1930s and 1940s Evola wrote for a number of journals and published several books.  During the Fascist era he was somewhat sympathetic to Mussolini and to fascist ideology, but his fierce sense of independence and detachment from human affairs and institutions prevented him from becoming a card-carrying member of the Fascist party.  Because of his belief in the supremacy of ideas over politics and his aristocratic and anti-populist views, which at times conflicted with government policy—as in his opposition to the 1929 Concordat between the Italian state and Vatican and to the “demographic campaign” launched by Mussolini to increase Italy’s population—Evola fell out of favor with influential Fascists, who shut down La Torre (The tower), the biweekly periodical he had founded, after only ten issues (February-June 1930).13

Evola devoted four books to the subject of race, criticizing National Socialist biological racism and developing a doctrine of race on the basis of the teachings of Tradition: Il mito del sangue (The myth of blood); Sintesi di una dottrina della razza (Synthesis of a racial doctrine); Tre aspetti del problema ebraico (Three aspects of the Jewish question); Elementi di una educazione razziale (Elements of a racial education).  In these books the author outlined his tripartite anthropology of body, soul, and spirit.  The spirit is the principle that determines one’s attitude toward the sacred, destiny, life and death.  Thus, according to Evola, the cultivation of the “spiritual race” should take precedence over the selection of the somatic race, which is determined by the laws of genetics and with which the Nazis were obsessed.  Evola’s antimaterialistic and non-biological racial views won Mussolini’s enthusiastic endorsement.  The Nazis, for their part, were suspicious of and even critical of Evola’s “nebulous” theories, accusing him of watering down the empirical, biological element to promote an abstract, spiritualist, and semi-Catholic view of race.

Before and during World War II, Evola traveled and lectured in several European countries, practicing mountain climbing as a spiritual exercise in his spare time. After Mussolini was freed from his Italian captors in a daring German raid led by SS-Hauptsturmführer Otto Skorzeny, Evola was among a handful of faithful followers who met him at Hitler’s headquarters in Rastenburg, East Prussia, on September 14, 1943.  While sympathetic to the newly formed Fascist government in the north of Italy, which continued to fight on the Germans‘ side against the Allies, Evola rejected its republican and socialist agenda, its populist style, and its antimonarchical sentiments.

When the Allies entered Rome in June 1944, their secret services attempted to arrest Evola, who was living there at the time.  As his elderly mother stalled the MPs, Evola slipped out of the door undetected, and made his way to northern Italy, and then to Austria.  While in Vienna, he began to study secret archives confiscated from various European Masonic lodges by the Germans.

One day in 1945, as Evola was walking the deserted streets of the Austrian capital during a Soviet air attack, a bomb exploded a few yards away from him. The blast threw him against a wooden plank.  Evola fell on his back, and awoke in the hospital.  He had suffered a compression of the bone marrow, paralyzing him from the waist down.  Common sense tells one that walking a city’s deserted streets during aerial bombardments is madness, if not suicide.  But Evola was used to courting danger.  Or, as he once put it, to follow “the norm of not avoiding dangers, but on the contrary, to seek them out, [i]s an implicit way of questioning fate.”14 That is not to say that he believed in “blind” fate.  As he once wrote:
There is no question that one is born with certain tendencies, vocations and pre-dispositions, which at times are very obvious and specific, though at other times are hidden and likely to emerge only in particular circumstances or trials. We all have a margin of freedom in regard to this innate, differentiated element. 15

Evola was determined to question his fate, especially at a time when an entire era was coming to an end.16 But what he had anticipated during the air raid was either death or the attainment of a new perspective on life, not paralysis. He struggled for a long time with that particular outcome, trying to make sense of his “karma”:
Remembering why I had willed it [i.e., the paralysis] and to understand its deeper meaning was to me the only thing that ultimately mattered, something far more important than to “recover,“ to which I never really attributed much importance anyway.17

Evola had ventured outdoors during the air raid in order to test his fate, for he firmly believed in the Traditional, classical doctrine that all the major events that occur in our lives are not purely casual or the outcome of our efforts, but rather the deliberate result of a prenatal choice, something that has been willed by “us” before we were born.

Three years prior to his paralysis, Evola wrote:
Life here on earth cannot be viewed as a coincidence. Moreover, it should not be regarded as something we can either accept or reject at will, nor as a reality that imposes itself on us, before which we can only remain passive, or display an attitude of obtuse resignation. Rather, what arises in some people is the sensation that earthly life is something to which, prior to our becoming terrestrial beings, we have committed ourselves, both as an adventure and as a mission or a chosen task, undertaking a whole set of problematic and tragic elements as well.18

There followed a five-year period of inactivity.  First, Evola spent a year and a half in a Vienna hospital. In 1948, thanks to the intervention of a friend with the International Red Cross, he was sent back to Italy.  He stayed in a hospital in Bologna for at least another year, where he underwent an unsuccessful laminectomy (a surgical procedure in which part of a vertebra is removed in order to relieve pressure on the nerves of the spinal cord).  Evola returned to his Roman residence in 1949, where he lived as an invalid for the next twenty-five years.

While in Bologna, Evola was visited by his friend Clemente Rebora, a poet who became a Christian, and then a Catholic priest in the order of the Rosminian Fathers. After reading about their friendship in one of Evola’s works, in 1997 I visited the headquarters of the order and asked to talk to the person in charge of Rebora’s archives, in hopes of discovering a previously unknown correspondence between them.  No correspondence surfaced, but the priest in charge of the archive was kind enough to give me a copy of a couple of letters Rebora wrote to a friend concerning Evola. The following summary of those letters is revealing of Evola’s view of religion, and of Christianity in particular.19

In 1949 a fellow priest, Goffredo Pistoni, solicited Rebora to visit Evola.  Rebora asked permission of his provincial superior, and upon receiving it traveled from Rovereto to Evola's hospital in Bologna.  Rebora was animated by the desire to see Evola embrace the Christian faith and intended to be a good witness of the gospel.  In a letter to Pistoni, Rebora asked for his assistance so that he would not spoil the “most merciful ways of Infinite Love, and, if [my visit was to be] unhelpful, at least not [turn out to be] harmful.” On March 20, 1949, Rebora wrote to his friend Pistoni on the letterhead of the Salesian Institute of Bologna:
I have just returned from our Evola: we talked at great length and left each other in a brotherly mood, though I did not detect any visible change on his part which after all I could not expect. I have felt him to be like one yearning to “join the rest of the army,” as he said himself, waiting to see what will happen to him. . . .  I have sensed in him a thirst for the absolute, which nevertheless eludes Him who said:  “Let anyone who is thirsty come to me and drink.”20

Rebora’s frustration with Evola’s unwillingness to abandon his views and embrace the Christian faith is evident in the comment with which he closes the first half of his letter:
Let us pray that his previous books, which he is about to reprint, and a few new titles that will be published soon, may not chain him down, considering the success they have, and may not damage people’s souls, leading them astray in the direction of a false spirituality, as they “follow false images of the Good.” [Probably a quote from Dante’s Divine Comedy. —G.S.]

Rebora concluded his letter on May 12, 1949, adding:
Having returned to headquarters I am finally concluding this letter by telling you that a supernatural tenderness is growing in my heart for him. He [Evola] told me about an inner event that occurred to him during the bombing of Vienna, which, he added, is still mysterious to him, as he undergoes this present trial. On the contrary, I trust I am able to detect the providential and decisive meaning of this event for his soul.

Rebora wrote again to Evola, asking him if he was willing to travel to Lourdes on a special train on which Rebora served as a spiritual director.  Evola politely refused and the contact between the two eventually ended.  Evola never converted to Christianity. In a 1935 letter written to a friend of his, Girolamo Comi, another poet who had become a Christian, Evola claimed:
As far as I am concerned, in regard to the “conversion” that really matters, and not that which is based on feelings or on a religious faith, I have been all right since thirteen years ago [i.e., 1922, the transition year between the artistic and philosophical periods].21

René Guénon wrote to the convalescent Evola22 suggesting that the latter had been the victim of a curse or magical spell cast by some powerful enemy.  Evola replied that he considered that unlikely, for the circumstances to be summoned (e.g., the exact moment of the bomb’s landing, the place where Evola happened to be at that moment), would have required too powerful a spell.  Mircea Eliade, the renowned historian of religion, who corresponded with Evola throughout his life, once remarked to one of his own students: “Evola was wounded in the third chakra—and don’t you find that significant?”23 Since the corresponding affective forces of the third chakra are anger, violence, and pride, one may wonder whether Eliade meant that the wound sustained by Evola could have had a purifying effect on the Italian thinker, or whether it was the consequence of his hubris.  In any event, Evola rejected the idea that his paralysis was a sort of “punishment” for his “promethean” efforts in the spiritual domain. For the rest of his life he endured his condition with admirable stoicism, in rigorous coherence with his beliefs.24

For the next two decades Evola received visitors, friends, and young people who regarded themselves his disciples. According to Gianfranco de Turris, who met him for the first time in 1967, one could sense that he was a “person of high caliber,” though he did not show off or assume snobbish attitudes.  Evola would wear a monocle and rest his cheek on a clenched fist, observing his visitor with curiosity. He did not like the idea of having “disciples,” and jokingly referred to his admirers as “Evolomani” (“Evola maniacs”). In not seeking to recruit followers, he was probably mindful of Buddha’s injunction to proclaim the truth without attempting to persuade or dissuade: “One should know approval and one should know disapproval, and having known approval, having known disapproval, one should neither approve nor disapprove, one should simply teach dhamma.”25


Central Themes in Evola’s Thought

In Evola’s literary production it is possible to single out three major themes, which are strictly interwoven and mutually dependent.  These themes represent three facets of his philosophy of action.  I have designated these themes with terms borrowed from ancient Greek. The first theme is xeniteia, a word that refers to the condition of living abroad, or of being absent from one’s homeland.  In Evola’s works one can easily detect a sense of alienation, of not belonging to what he called the “modern world.”  According to ancient peoples, xeniteia was not an enviable condition.  To live surrounded by barbarous people and customs, away from one’s polis, when not the result of a personal choice was often the result of a judicial sentence.  We may recall that exile was often meted out to undesirable elements of an ancient society, e.g., the short-lived practice of ostracism in ancient Athens; the fate that befell many ancient Romans, including the Stoic philosopher Seneca; the deportation of entire families or populations, etc.

Throughout his life, Evola never really “fit in.” Whether during his artistic, philosophical, or esoteric phase, he always felt like a straggler, seeking to link up with “the rest of the ‘army.’”  The modern world he denounced in his masterpiece, Revolt against the Modern World, took its revenge on him: at the end of the war he was surrounded by a world of ruins, isolated, avoided, and reviled.  Yet he managed to retain a composed, dignified attitude and to continue in his self-appointed task of night-watchman.

The second theme is apoliteia, or abstention from active participation in the construction of the human polis.  Evola’s recommendation was that while living in exile from the world of Tradition and from the Golden Age, one should avoid the encroaching embrace of the multitudes and refrain from active participation in ordinary human affairs.  Apoliteia, according to Evola, refers essentially to an inner attitude of indifference and detachment, but it does not necessarily entail a practical abstention from politics, as long as one engages in it with a completely detached attitude:  “Apoliteia is the inner, irrevocable distance from this society and its ‘values’: it consists in not accepting being bound to society by any spiritual or moral bond.”26 This attitude is to be commended because, according to Evola, in this day and age there are no ideas, causes, and goals worthy of one’s commitment.

Finally, the third theme is autarkeia, or self-sufficiency.  The quest for spiritual independence led Evola far away from the busy crossroads of human interaction, in order to explore and expound paths of perfection and of asceticism.  He became a student of ancient esoteric and occult teachings on “liberation,” and published his findings in several books and articles.


Xeniteia


The following words, spoken by the Benevolent Spirit to the Destructive Spirit in the Yasna, a Zoroastrian collection of hymns and prayers, may serve to characterize Evola’s attitude toward the modern world: “Neither our thoughts, nor teachings, nor intentions, neither our preferences nor words, neither our actions nor conceptions nor our souls are in accord.”27 Throughout his entire life Evola lived in a consistent and coherent fashion that could be simplistically dismissed as intellectual snobbism or even misanthropy. But the reasons for Evola’s rejection of the socio-political order in which lived must be sought elsewhere, namely in a well-articulated Weltanschauung, or worldview.

To be sure, Evola’s sense of estrangement from the society in which he lived was reciprocated. Anyone who refuses to recognize the legitimacy of  “the System,” or to participate in the life of a community which he does not recognize as his own, professing instead a higher allegiance to and citizenship in another land, world, or ideology, is bound to live like a metic in ancient Greece, surrounded by suspicion and hostility.28  In order to understand the reasons for Evola’s uncompromising attitude, we need first to define the concepts of “Tradition” and “modern world” as employed by Evola in his works.

Generally speaking, the term tradition can be understood in several ways: (1) as an archetypal myth (some members of the political Right in Italy have rejected this view as an “incapacitating myth”); (2) as the way of life of a particular age, e.g., the Middle Ages, feudal Japan, the Roman Empire; (3) as the sum of three principles: “God, Country, Family”; (4) as anamnesis, or historical memory in general; and (5) as a body of religious teachings to be preserved and transmitted to future generations.  Evola understood tradition mainly as an archetypal myth, that is, as the presence of the Absolute in specific historical and political forms.  Evola’s Absolute is not a religious principle or a noumenon, much less the God of theism, but rather a mysterious domain, or dunamis, power.  Evola’s Tradition is characterized by “Being” and stability, while the modern world is characterized by “Becoming.”  In the world of tradition stable socio-political institutions were in place.  The world of Tradition, according to Evola, was exemplified by the ancient Roman, Greek, Indian, Chinese, and Japanese civilizations.  These civilizations upheld a strict caste system; they were ruled by warrior nobilities and waged wars to expand the boundaries of their imperiums.  In Evola’s words:
The traditional world knew divine kingship.  It knew the bridge between the two worlds, namely initiation.  It knew the two great ways of approach to the transcendent, namely heroic action and contemplation.  It knew the mediation, namely rites and faithfulness.  It knew the social foundation, namely the traditional law and the caste system. And it knew the political earthly symbol, namely the empire.29

Evola claims that the traditional world’s underlying belief was the “invisible”:
It held that mere physical existence, or “living,” is meaningless unless it approximates the higher world or that which is “more than life,” and unless one’s highest ambition consists in participating in hyperkosmia and in obtaining an active and final liberation from the bond represented by the human condition.30

Evola upheld a cyclical view of history, a philosophical and religious view with a rich cultural heritage.  Though one may reject it, this view deserves as much respect as the linear view of history upheld by theism, to which I subscribe, or as the progressive view championed by Engels’ “scientific materialism,” or as the hopeful and optimistic view typical of various New Age movements, according to which the universe is undergoing a constant and irreversible spiritual evolution.  According to the cyclical view of history espoused by Hinduism, which Evola adopted and modified to fit his views, we are living in the fourth age of a complete cycle, the so-called Kali-yuga, an era characterized by decadence and disruption. According to Evola, the most remarkable phases of this “Yuga” (era) included the emergence of pre-Socratic philosophy (characterized by rejection of myth and by overemphasis on reason); the birth of Christianity; the Renaissance; Humanism; the Protestant Reformation; the Enlightenment; the French Revolution; the European revolutions of 1848; the advent of the Industrial Revolution; and Bolshevism.  Thus, the “modern world” for Evola did not begin in the 1600s, but rather in the fourth century B.C.


Evola and Eliade

Evola’s rejection of the modern world can be contrasted with its acceptance, promoted by Mircea Eliade (1907-1986), the renowned historian of religion whom Evola met in person several times, and with whom he corresponded until his death in 1974.  The two men met for the first time in 1937.  By that time, Eliade had compiled an impressive academic record that included a bachelor’s degree in philosophy from the University of Bucharest and an M.A. and a Ph.D. in Sanskrit and Indian philosophy from the University of Calcutta.  Evola was already an accomplished writer and had published some of his most important works, such as The Hermetic Tradition (1931), Revolt against the Modern World (1934), and The Mystery of the Grail (1937).31

Eliade had read Evola’s early philosophical works during the 1920s and “admired his intelligence and, even more, the density and clarity of his prose.”32 An intellectual friendship developed between the young Romanian scholar and the Italian philosopher, who was nine years Eliade’s senior.  Their common interest in yoga led Evola to write L’uomo e la potenza (Man as power) in 1926 (revised in 1949 with the new title The Yoga of Power 33) and Eliade to write the acclaimed scholarly work Yoga: Immortality and Freedom (1933).  As Eliade recalls in his autobiographical journals:
I received letters from him when I was in Calcutta (1928-31) in which he instantly begged me not to speak to him of yoga, or of “magical powers” except to report precise facts to which I had personally been a witness.  In India I also received several publications from him, but I only remember a few issues of the journal Krur.34

Evola and Eliade’s first meeting was in Romania, in conjunction with a luncheon hosted by the philosopher Nae Ionescu. Evola was traveling through Europe at the time, establishing contacts, and giving lectures “in the attempt to coordinate those elements who could represent, to some degree, the [T]raditional thought on the political-cultural plane.”35 Eliade recalled the admiration that Evola expressed for Corneliu Codreanu (1899-1938), the founder of the Romanian nationalist and Christian movement known as the “Iron Guard.” Evola and Codreanu had met the morning of the luncheon.  Codreanu told Evola of the effects that incarceration had had on his soul, and of his discovery of contemplation in the solitude and silence of his prison cell.  In his autobiography Evola described Codreanu as “one of the worthiest and most spiritually oriented persons I ever met in the nationalist movements of that period.36 Eliade wrote that at the luncheon “Evola was still dazzled by him [Codreanu].  I vaguely remember the remarks he made then on the disappearance of contemplative disciplines in the political battle of the West.”37 But the two scholars’ focus was different indeed.  As Eliade wrote in his journal:
One day I received a rather bitter letter from him, in which he reproached me for never citing him, no more than did Guénon. I answered him as best as I could, and I must one day give reasons and explanations that that response called for.  My argument could not have been simpler.  The books I write are intended for today’s audience, and not for initiates.  Unlike Guénon and his emulators, I believe I have nothing to write that would be intended especially for them.38

I must conclude from Eliade’s remarks that he did not like, share, or care for Evola’s esoteric views and leanings.  I believe there are three reasons for Eliade’s aversion.  First, Evola, like all traditionalists, presumed the existence of a higher, solar, royal, and esoteric primordial tradition, and devoted his life to describing, studying, and celebrating it in its many forms and varieties.  He also set this tradition above and against what he dubbed “telluric” modern popular cultures and civilizations (such as Romania’s, to which Eliade belonged). In Revolt against the Modern World one can read many instances of this juxtaposition.

Eliade, for his part, rejected any emphasis on esotericism, because he thought it had a reductive effect on the human spirit.  Eliade claimed that to limit the value of European spiritual creations exclusively to their “esoteric meanings” repeated in reverse the reductionism of the materialistic approach adopted by Marx and Freud.  Nor did he believe in the existence of a primordial tradition: “I was suspicious of its artificial, ahistorical character,” he wrote.39 Second, Eliade rejected the negative or pessimistic view of the world and the human condition that characterized Guénon’s and Evola’s thought.  Unlike Evola, who believed in the ongoing “putrefaction” of contemporary Western culture, Eliade claimed:
[T]o the extent that I . . . believe in the creativity of the human spirit, I cannot despair: culture, even in a crepuscular era, is the only means of conveying certain values and of transmitting a certain spiritual message. In a new Noah’s Ark, by means of which the spiritual creation of the West could be saved, it is not enough for René Guénon’s L’esotérisme de Dante to be included; there must be also the poetic, historic, and philosophical understanding of The Divine Comedy.40

Finally, the socio-cultural milieu that Eliade celebrated was very different from the one favored by Evola.  As India regained its independence, Eliade came to believe that Asia was about to re-enter history and world politics and that his own people, the Romanians, “could fulfill a definite role in the coming dialogue between the [] West, Asia and cultures of the archaic folk type.”41 He celebrated the peasant roots of Romanian culture as they promoted universalism and pluralism, rather than nationalism and provincialism.  Eliade wrote:
It seemed to me that I was beginning to discern elements of unity in all peasant cultures, from China and South-East Asia to the Mediterranean and Portugal. I was finding everywhere what I later called “cosmic religiosity”: that is, the leading role played by symbols and images, the religious respect for earth and life, the belief that the sacred is manifested directly through the mystery of fecundity and cosmic repetition. . . .42

These conclusions could not have been more diametrically opposed to Evola’s views, especially as he formulated them in Revolt against the Modern World.  According to the latter’s doctrine, cosmic religiosity is an inferior and corrupt form of spirituality, or, as he called it, a “lunar spirituality” (the moon, unlike the sun, is not a source of light, and merely reflects the latter’s light, as “lunar spirituality” is contingent upon God, the All, or upon any other metaphysical version of the Absolute) characterized by mystical abandonment.

In his yet untranslated autobiography, Il cammino del cinabro (“The cinnabar’s journey”), Evola describes his spiritual and intellectual journey through alien landscapes: religious (Christianity, theism), philosophical (idealism, nihilism, realism), and political (democracy, Fascism, post-war Italy).  For readers who are not familiar with Hermeticism, we may recall that cinnabar is a red metal representing rubedo, or redness, which is the third and final stage of one’s inner transformation.  Evola explains at the beginning of his autobiography: “My natural sense of detachment from what is human in regard to many things that, especially in the affective domain, are usually regarded as `normal,‘ was manifested in me at a very tender age.”43


Autarkeia

Various religions and philosophies regard the human condition as highly problematic, likening it to a disease and setting forth a cure.  This disease is characterized by many features, including a certain spiritual “heaviness,” or gravitational pull, drawing us “downwards.”  Humans are prisoners of meaningless daily routines; of pernicious habits developed over years, e.g., drinking, smoking, gambling, workaholism, and sexual addictions, in response to external pressures; of an intellectual and spiritual laziness that prevents us from developing our powers and becoming living, vibrant beings; and of inconstancy, as is often painfully obvious from our ever-renewed “New Year’s resolutions.”  How often, when we commit ourselves to practice something on a daily basis over a period of time, does the day soon come that we forget, find an excuse to abandon our commitment, or simply quit!  This is not merely inconsistency or a lack of perseverance on our part: it is a symptom of our inability to master ourselves and our lives.

Moreover, we are by nature unable to keep our minds focused on any object of meditation. We are easily distracted and bored.  We spend our days talking about unimportant, meaningless details. Our conversations, for the most part, are not real dialogues, but rather exchanges of monologues.

We are busy at jobs we do not care about, and earning a living is our utmost concern. We feel bored, empty, and sexually frustrated by our own or our partners’ inability to deliver peak performance.  We want more: more money, more leisure, more “toys,” and more fulfillment, of which we get too little, too seldom.  We succumb to all sorts of indulgences and petty pleasures to soothe our dull and wounded consciousness.  And yet all these things are merely symptoms of the real problem that besets the human condition. Our real problem is not that we are deficient beings, but that we don’t know how to be, and don’t desire to be, different.  We embrace everyday life and call it “the real thing,” slowly but inexorably suffocating the yearning for transcendence buried deep within us.  In the end this proves to be our real undoing; we are not unlike smokers who, after being diagnosed with emphysema, keep on smoking to the bitter end.  The problem is that we deny there is a problem.  We are like a psychotic person who denies he is mentally ill, or like a sociopath who after committing a heinous crime insists that he really has a conscience, producing tears and remorse to prove it.

In the past, movements like Pythagoreanism, Gnosticism, Manichaeism, Mandaeanism, and medieval Catharism claimed that the problem beleaguering human beings is the body itself, or physical matter, to be precise.  These movements held that the soul or spirit is kept prisoner inside the cage of matter, waiting to be freed. (Evola rejected this interpretation as unsophisticated and as the product of a feminine and telluric worldview.)  Buddhism declared a “polluted” or “unenlightened mind” to be the real problem, developing in the course of the centuries a real science of the mind in an attempt to cure the disease at the roots.  Christian theism identified the root of human suffering and evil in sin.  As a remedy, Catholicism and Eastern Orthodoxy propose incorporation into the church through baptism and active participation in her liturgical life.  Many Protestants advocate, instead, a living and personal relationship with Jesus Christ as one’s Lord and Savior, to be cultivated through prayer, Bible studies, and church fellowship.

Evola regarded acceptance of the human condition as the real problem, and autarchy, or self-sufficiency, as the cure.  According to the ancient Cynics, autarkeia is the ability to lead a satisfactory, full life with the least amount of material goods and pleasures.  An autarchic being (the ideal man) is a person who is able to grow spiritually even in the absence of what others consider the necessities of life (e.g., health, wealth, and good human relationships).  The Stoics equated autarchy with virtue (arête, which they regarded as the only thing needed for happiness.  Even the Epicureans, led though they were by a quest for pleasure, regarded autarkeia as a “great good, not with the aim of always getting by with little, but that if much is lacking, we may be satisfied with little.”44

Evola endorsed the notion of autarkeia out of his rejection of the human condition and of the ordinary life that stems from it.  Like Nietzsche before him, Evola claimed that the human condition and everyday life should not be embraced, but overcome: our worth lies in being a “project” (in Latin projectum, “to be cast forward").  Thus, what truly matters for human beings is not who we are but what we can and should become.  Humans are enlightened or unenlightened according to whether or not they grasp this basic metaphysical truth.  It was not snobbism that led Evola to conclude that most human beings are “slaves” trapped in samsara like guinea pigs running on a wheel inside their cage.  According to Evola, sharing this state, among those one encounters each day, are not only persons with low paying jobs, but also one’s coworkers, family members, and especially persons without a formal education.  This is of course difficult to acknowledge.  Evola was consumed by a yearning for what the Germans call mehr als leben (“more than living”), which is unavoidably frustrated by the contingencies of human existence.  We read in a collection of Evola’s essays on the subject of mountain climbing:
At certain existential peaks, just as heat is transformed into light, life becomes free of itself; not in the sense of the death of individuality or some kind of mystical shipwreck, but in the sense of a transcendent affirmation of life, in which anxiety, endless craving, yearning and worrying, the quest for religious faith, human supports and goals, all give way to a dominating state of calm. There is something greater than life, within life itself, and not outside of it. This heroic experience is valuable and good in itself, whereas ordinary life is only driven by interests, external things and human conventions.45

According to Evola the human condition cannot and should not be embraced, but rather overcome. The cure does not consist in more money, more education, or moral uprightness, but in a radical and consistent commitment to pursue spiritual liberation.  The past offers several examples of the distinction between an “ordinary” life and a “differentiated” life.  The ancient Greeks referred to ordinary, material, physical life by the term bios, and used the term zoe to describe spiritual life. Buddhist and Hindu scriptures drew a distinction between samsara, or the life of needs, cravings, passions, and desires, and nirvana, a state, condition or extinction of suffering (dukka).  Christian scriptures distinguish between the “life according to the flesh” and the “life according to the Spirit.”  The Stoics distinguish between a “life according to nature” and a life dominated by passions.   Heidegger distinguished between authentic and inauthentic life.

Kierkegaard talked about the aesthetic life and the ethical life.  Zoroastrians distinguished between Good and Evil.  The Essenes divided mankind into two groups: the followers of the Truth and the followers of the Lie.

The authors who first introduced Evola to the notions of self-sufficiency and of the “absolute individual” (an ideal, unattainable state) were Nietzsche and Carlo Michelstaedter.  The latter was a twenty-three year old Jewish-Italian student who committed suicide in 1910, the day after completing his doctoral dissertation, which was first published in 1913 with the title La persuasione e la retorica (Persuasion and rhetoric).46 In his thesis, Michelstaedter claims that the human condition is dominated by remorse, melancholy, boredom, fear, anger, and suffering.  Man’s actions reveal that he is a passive being.  Because he attributes value to things, man is also distracted by them or by their pursuit.  Thus man seeks outside himself a stable reference point, but fails to find it, remaining the unfortunate prisoner of his illusory individuality.  The two possible ways to live the human condition, according to Michelstaedter, are the way of Persuasion and the way of Rhetoric.  Persuasion is an unachievable goal.  It consists in achieving possession of oneself totally and unconditionally, and in no longer needing anything else.  This amounts to having life in one’s self.  In Michelstaedter’s words:
The way of Persuasion, unlike a bus route, does not have signs that can be read, studied and communicated to others.  However, we all have within ourselves the need to find that; we all must blaze our own trail because each one of us is alone and cannot expect any help from the outside. The way of Persuasion has only this stipulation: do not settle for what has been given you.47

On the contrary, the way of Rhetoric designates the palliatives or substitutes that man adopts in lieu of an authentic Persuasion.  According to Evola, the path of Rhetoric is followed by “those who spurn an actual self-possession, leaning on other things, seeking other people, trusting in others to deliver them, according to a dark necessity and a ceaseless and indefinite yearning.”48  As Nietzsche wrote:
You crowd together with your neighbors and have beautiful words for it.  But I tell you: Your love of your neighbor is your bad love of yourselves. You flee to your neighbor away from yourselves and would like to make a virtue of it: but I see through your selflessness. . . .  I wish rather that you could not endure to be with any kind of neighbor or with your neighbor’s neighbor; then you would have to create your friend and his overflowing heart of yourselves.49

The goal of autarchy appears throughout Evola’s works.  In his quest for this privileged condition, he expounded the paths blazed by various movements in the past, such as Tantrism, Buddhism, Mithraism, and Hermeticism.

In the early 1920s, Decio Calvari, president of the Italian Independent Theosophical League, introduced Evola to the study of Tantrism.  Soon Evola began a correspondence with the learned British orientalist and divulger of Tantrism, Sir John Woodroffe (who also wrote with the pseudonym of “Arthur Avalon”), whose works and translations of Tantric texts he amply utilized.  While René Guénon celebrated Vedanta as the quintessence of Hindu wisdom in his L’homme et son devenir selon le Vedanta (Man and his becoming according to the Vedanta) (1925), upholding the primacy of contemplation or of knowledge over action, Evola adopted a different perspective .  Rejecting the view that spiritual authority is worthier than royal power, Evola wrote L’uomo come potenza (Man as power) in 1925.  In the third revised edition (1949), the title was changed to Lo yoga della potenza (The yoga of power).50  This book represents a link between his philosophical works and the rest of his literary production, which focuses on Traditional concerns.

The thesis of The Yoga of Power is that the spiritual and social conditions that characterize the Kali-yuga greatly decrease the effectiveness of purely intellectual, contemplative, and ritual paths.  In this age of decadence, the only way open to those who seek the “great liberation” is one of resolute action.51  Tantrism defined itself as a system based on practice, in which hatha-yoga and kundalini-yoga constitute the psychological and mental training of the followers of Tantrism in their quest for liberation.  While criticizing an old Western prejudice according to which Oriental spiritualities are characterized by an escapist attitude (as opposed to those of the West, which allegedly promote vitalism, activism, and the will to power), Evola reaffirmed his belief in the primacy of action by outlining the path followed in Tantrism.  Several decades later, a renowned member of the French Academy, Marguerite Yourcenar, paid homage to The Yoga of Power.  She wrote of “the immense benefit that a receptive reader may gain from an exposition such as Evola’s,”52 and concluded that “the study of The Yoga of Power is particularly beneficial in a time in which every form of discipline is naively discredited.”53

But Evola’s interest was not confined to yoga.  In 1943 he wrote The Doctrine of the Awakening, dealing with the teachings of early Buddhism.  He regarded Buddha’s original message as an Aryan ascetic path meant for spiritual “warriors” seeking liberation from the conditioned world.  In this book he emphasized the anti-theistic and anti-monistic insights of Buddha.  Buddha taught that devotion to this or that god or goddess, ritualism, and study of the Vedas were not conducive to enlightenment, nor was experience of the identity of one’s soul with the “cosmic All” named Brahman, since, according to Buddha, both “soul” and “Brahman” are figments of our deluded minds.

In The Doctrine of the Awakening Evola meticulously outlines the four “jhanas,” or meditative stages, that are experienced by a serious practitioner on the path leading to nirvana.  Most of the sources Evola drew from are Italian and German translations of the Sutta Pitaka, that part of the ancient Pali canon of Buddhist scriptures in which Buddha’s discourses are recorded.  While extolling the purity and faithfulness of early Buddhism to Buddha’s message, Evola characterized Mahayana Buddhism as a later deviation and corruption of Buddha’s teachings, though he celebrated Zen54 and the doctrine of emptiness (sunyata) as Mahayana’s greatest achievements.  In The Doctrine of the Awakening Evola extols the figure of the ahrat, one who has attained enlightenment.  Such a person is free from the cycle of rebirth, having successfully overcome samsaric existence.  The ahrat’s achievement, according to Evola, can be compared to that of the jivan-mukti of Tantrism, of the Mithraic initiate, of the Gnostic sage, and of the Taoist “immortal.”

This text was one of Evola’s finest.  Partly as a result of reading it, two British members of the OSS became Buddhist monks.  The first was H. G. Musson, who also translated Evola’s book from Italian into English.  The second was Osbert Moore, who became a distinguished scholar of Pali, translating a number of Buddhist texts into English.  On a personal note, I would like to add that Evola’s Doctrine of Awakening sparked my interest in Buddhism, leading me to read the Sutta Pitaka, to seek the company of Theravada monks, and to practice meditation.

In The Metaphysics of Sex (1958) Evola took issue with three views of human sexuality.  The first is naturalism.  According to naturalism the erotic life is conceived as an extension of animal instincts, or merely as a means to perpetuate the species.  This view has recently been advocated by the anthropologist Desmond Morris, both in his books and in his documentary The Human Animal.  The second view Evola called “bourgeois love”: it is characterized by respectability and sanctified by marriage.  The most important features of this type of sexuality are mutual commitment, love, feelings.  The third view of sex is hedonism.  Following this view, people seek pleasure as an end in itself.  This type of sexuality is hopelessly closed to transcendent possibilities intrinsic to sexual intercourse, and thus not worthy of being pursued.  Evola then went on to explain how sexual intercourse can become a path leading to spiritual achievements.


Apoliteia

In 1988 a passionate champion of free speech and democracy, the journalist and author I. F. Stone, wrote a provocative book entitled The Trial of Socrates.  In his book Stone argued that Socrates, contrary to what Xenophon and Plato claimed in their accounts of the life of their beloved teacher, was not unjustly put to death by a corrupt and evil democratic regime.  According to Stone, Socrates was guilty of several questionable attitudes that eventually brought about his own downfall.

First, Socrates personally refrained from, and discouraged others from pursuing, political involvement, in order to cultivate the “perfection of the soul.”  Stone finds this attitude reprehensible, since in a city all citizens have duties as well as rights.  By failing to live up to his civic responsibilities, Socrates was guilty of “civic bankruptcy,” especially during the dictatorship of the Thirty.  At that time, instead of joining the opposition, Socrates maintained a passive attitude: “The most talkative man in Athens fell silent when his voice was most needed.”55

Next, Socrates idealized Sparta, had aristocratic and pro-monarchical views, and despised Athenian democracy, spending a great deal of time in denigrating the common man.  Finally, Socrates might have been acquitted if only he had not antagonized his jury with his amused condescension and invoked the principle of free speech instead.

Evola resembles Socrates in the attitudes toward politics described by Stone.  Evola too professed “apoliteia.”56 He discouraged people from passionate involvement in politics.  He was never a member of a political party, refraining even from joining the Fascist party during its years in power.  Because of that he was turned down when he tried to enlist in the army at the outbreak of the World War II, although he had volunteered to serve on the front.  He also discouraged participation in the “agoric life.”  The ancient agora, or public square, was the place where free Athenians gathered to discuss politics, strike business deals, and cultivate social relationships. As Buddha said:
Indeed Ananda, it is not possible that a bikkhu [monk] who delights in company, who delights in society will ever enter upon and abide in either the deliverance of the mind that is temporary and delectable or in the deliverance of the mind that is perpetual and unshakeable. But it can be expected that when a bikkhu lives alone, withdrawn from society, he will enter upon and abide in the deliverance of mind that is temporal and delectable or in the deliverance of mind that is perpetual and unshakeable . . . . 57

Like Socrates, Evola celebrated the civic values, the spiritual and political achievements, and the metaphysical worth of ancient monarchies, warrior aristocracies, and traditional, non-democratic civilizations.  He had nothing but contempt for the ignorance of ordinary people, for the rebellious masses, for the insignificant common man.

Finally, like Socrates, Evola never appealed to such democratic values as “human rights,” “freedom of speech,” and “equality,” and was “sentenced” to what the Germans call “death by silence.”  In other words, he was relegated to academic oblivion.

Evola’s rejection of involvement in the socio-political arena must also be attributed to his philosophy of inequality.  Norberto Bobbio, an Italian senator and professor emeritus of the philosophy department of the University of Turin, has written a small book entitled Right and Left: The Significance of a Political Distinction.58 In it Bobbio, a committed leftist intellectual, attempts to identify the key element that differentiates the political Right from the Left (a dyad rendered in the non-ideological American political arena by the dichotomy “conservatives and liberal,” or “mainstream and extremist”).  After discussing several objections to the contemporary relevance of the Right-Left dyad following the decline and fall of the major political ideologies, Bobbio concludes that the juxtaposition of Right and Left is still a legitimate and viable one, though one day it will run its course, like other famous dyads of the past: “patricians and plebeians” in ancient Rome, “Guelphs and Ghibellines” during the Middle Ages, and “Crown and Parliament” in seventeenth century England.

At the end of his book Bobbio suggests that, “the main criterion to distinguish between Right and Left is the different attitude they have toward the ideal of equality.”59

Thus, according to Bobbio, the views of Right and Left on “liberty” and “brotherhood” (the other two values in the French revolutionary trio) are not as discordant as their positions on equality.  Bobbio explains:
We may properly call “egalitarians” those who, while being aware that human beings are both equal and unequal, give more relevance, when judging them and recognizing their rights and duties, to that which makes them equal rather than to what makes them un-equal; and “inegalitarians,” those who, starting from the same premise, give more importance to what makes them unequal rather than to what makes them equal.60

Evola, as a representative of the European Right, may be regarded as one of the leading antiegalitarian philosophers of the twentieth century.  Evola’s arguments transcend the age-old debate between those who claim that class, racial, educational, and gender differences between people are due to society’s structural injustices, and those who, on the other hand, believe that these differences are genetic.  According to Evola there are spiritual and ontological reasons that account for differences in people’s lot in life.  In Evola’s writings the social dichotomy is between initiates and “higher beings” on the one hand, and hoi polloi on the other.

The two works that best express Evola’s apoliteia are Men among Ruins (1953) and Riding the Tiger (1961).  In the former he expounds his views on the “organic” State, lamenting the emerging primacy of economics over politics in post-war Europe and America. Evola wrote this book to supply a point of reference for those who, having survived the war, did not hesitate to regard themselves as “reactionaries” deeply hostile to the emerging subversive intellectual and political forces that were re-shaping Europe:
Again, we can see that the various facets of the contemporary social and political chaos are interrelated and that it is impossible to effectively contrast them other than by returning to the origins.  To go back to the origins means, plain and simple, to reject everything that, in every domain, whether social, political and economic, is connected to the “immortal principles” of 1789 in the guise of libertarian, individualistic and egalitarian thought, and to oppose to it a hierarchical view.  It is only in the context of such a view that the value and freedom of man as a person are not mere words or pretexts for a work of destruction and subversion.61

Evola encourages his readers to remain passive spectators in the ongoing process of Europe’s reconstruction, and to seek their citizenship elsewhere:
The Idea, only the Idea must be our true homeland. It is not being born in the same country, speaking the same language or belonging to the same racial stock that matters; rather, sharing the same Idea must be the factor that unites us and differentiates us from everybody else.62

In Riding the Tiger, Evola outlines intellectual and existential strategies for coping with the modern world without being affected by it.  The title is borrowed from a Chinese saying, and it suggests that a way to prevent a tiger from devouring us is to jump on its back and ride it without being thrown off.  Evola argued that lack of involvement in the political and social construction of the human polis on the part of the “differentiated man” can be accompanied by a sense of sympathy toward those who, in various ways, live on the fringe of society, rejecting its dogmas and conventions.


The “differentiated person” feels like an outsider in this society and feels no moral obligation toward society’s request that he joins what he regards as an absurd system.  Such a person can understand not only those who live outside society’s parameters, but even those who are set against such (a) society, or better, this society.63

This is why, in his 1968 book L’arco e la clava (The bow and the club), Evola expressed some appreciation for the “beat generation” and the hippies, all the while arguing that they lacked a proper sense of transcendence as well as firm points of spiritual reference from which they could launch an effective inner, spiritual “revolt” against society.



Guido Stucco has an M.A. in Systematic Theology at Seaton Hall and a Ph.D. in Historical Theology at St. Louis University. He has translated five of Evola’s books into English.

 

End Notes

1. For a good introduction to this movement and its ideas, William Quinn, The Only Tradition, Albany: State University of New York Press, 1997.

2. The first of the Theosophical Society’s three declared objectives was to promote the brotherhood of all men, regardless of race, creed, nationality, and caste.

3. Tomislav Sunic, Against Democracy and Equality: The European New Right, New York: Peter Lang, 1991; Ian B. Warren’s interview with Alain de Benoist, “The European New Right: Defining and Defending Europe’s Heritage,” The Journal of Historical Review, Vol.13, no. 2, March-April 1994, pp. 28-37; and the special issue “The French New Right,” Telos, Winter 1993-Spring 1994.

4.  Martin Lee, The Beast Reawakens, Boston: Little, Brown, 1997.

5. Walter Laqueur, Fascism: Past, Present, Future, New York: Oxford University Press, 1996, pp. 97-98.  Despite his bad press in the U.S., Evola’s works have been favorably reviewed by Joscelyn Godwin, “Evola: Prophet against Modernity,” Gnosis Magazine, Summer 1996, pp. 64-65; and by Robin Waterfield, “Baron Julius Evola and the Hermetic Tradition,” Gnosis Magazine, Winter 1990, pp. 12-17.

6. The first to write about Evola in this country was Thomas Sheehan, in “Myth and Violence: The Fascism of Julius Evola and Alain de Benoist,” Social Research, Vol. 48, Spring 1981, pp. 45-73.  See also Richard Drake, “Julius Evola and the Ideological Origins of the Radical Right in Contemporary Italy,” in Peter Merkl (ed.), Political Violence and Terror: Motifs and Motivations, Berkeley: University of California Press, 1986, pp. 61-89;  “Julius Evola, Radical Fascism, and the Lateran Accords,” The Catholic Historical Review, Vol. 74, 1988, pp. 403-19; and the chapter “The Children of the Sun,” in The Revolutionary Mystique and Terrorism in Contemporary Italy, Bloomington: Indiana University Press, 1989, pp. 116-134.

7. Philip Rees, in his Biographical Dictionary of the Extreme Right since 1890, New York: Simon & Schuster, 1991, devotes a meager page and a half to Evola, and shamelessly concludes, without adducing a shred of evidence, that “ Evolian-inspired violence result[ed] in the Bologna station bombing of 2 August 1980.” Gianfranco De Turris, president of the Julius Evola Foundation in Rome and one of the leading Evola scholars, suggested that, in Evola’s case, rather than “bad teacher” one ought to talk about “bad pupils.”  See his Elogio e difesa di Julius Evola: il barone e i terroristi, Rome: Edizioni Mediterranee, 1997, in which he debunks the unfounded charge that Evola was responsible either directly or indirectly for acts of terrorism committed in Italy.

8. See for instance Sheehan’s convoluted article “Diventare Dio: Julius Evola and the Metaphysics of Fascism,” Stanford Italian Review, Vol. 6, 1986, pp. 279-92, in which he tries to demonstrate that Nietzsche and Evola mirror each other.  Sheehan should have rather spoken of an overcoming of Nietzsche’s philosophy on the part of Evola. The latter rejected Nietzsche’s notion of “Eternal Recurrence” as “nothing more than a myth”; his vitalism, because closed to transcendence and hopelessly immanentist; his “Will to Power” because: “Power in itself is amorphous and meaningless if it lacks the foundation of a given being, of an inner direction, of an essential unity” (Julius Evola, Cavalcare la tigre [Riding the tiger], Milan: Vanni Scheiwiller, 1971, p. 49); and, finally, Nietzsche’s nihilism, which Evola denounced as a project that had been implemented half-way.

9.  H.T. Hansen, a pseudonym adopted by T. Hakl, is an Austrian scholar who earned a law degree in 1970. He is a partner in the prestigious Swiss publishing house Ansata Verlag and one of the leading Evola scholars in German-speaking countries. Hakl has translated several works by Evola into German and supplied lengthy scholarly introductions to most of them.

10. See for instance the topics of a conference held in France on the occasion of the centenary of his birth: “Julius Evola 1898-1998: Eveil, destin et expériences de terres spirituelles,” on the web site http://perso.wanadoo.fr/collectif.ea/langues/anglais/acteesf.htm. 

11. Marcello Veneziani, Julius Evola tra filosofia e tradizione, Rome: Ciarrapico Editore, 1984, p. 110.

12. This work has been translated into French and German.  My translation of the first volume is scheduled to be published in December 2002 by Inner Traditions, with the title Introduction to Magic: Rituals and Practical Techniques for the Magus.

13. Marco Rossi, a leading Italian authority on Evola, wrote an article on Evola’s alleged antidemocratic anti-Fascism in Storia contemporanea, Vol. 20, 1989, pp. 5-42.

14. Julius Evola, Il cammino del cinabro, Milan: Vanni Scheiwiller, 1972 , p. 162.

15. Julius Evola, Etica aria, Arian ethics, Rome: Europa srl, 1987, p. 28.

16. When Evola and a few friends came to the realization that the war was lost for the Axis, they began to draft plans for the creation of a “Movement for the Rebirth of Italy.” This movement was supposed to organize a right-wing political party capable of stemming the post-war influence of the Left. Nothing came of it, though.

17. Julius Evola, Il Cammino del cinabro, p. 183.

18. Julius Evola, Etica aria, p. 24.

19. In the beginning of his autobiography Evola claimed that reading Nietzsche fostered his opposition to Christianity, a religion which never appealed to him.  He felt theories of sin and redemption, divine love, and grace as “foreign” to his spirit.

20. Rebora was imprecisely quoting from memory a saying by Jesus found in John 7:37.  The exact quote is “Let anyone who is thirsty come to me, and let the one who believes in me drink.” (Revised Standard Version.)

21. Julius Evola, Lettere di Julius Evola a Girolamo Comi, 1934-1962, Rome: Fondazione Julius Evola, 1987, p. 17. In 1922 Evola was on the brink of suicide.  He had experimented with hallucinogenic drugs and was consumed by an intense desire for extinction.  In a letter dated July 2, 1921, Evola wrote to his friend Tristan Tzara: “I am in such a state of inner exhaustion that even thinking and holding a pen requires an effort which I am not often capable of. I live in a state of atony and of immobile stupor, in which every activity and act of the will freeze. . . . Every action repulses me. I endure these feelings like a disease. Also, I am terrified at the thought of time ahead of me, which I do not know how to utilize. In all things I perceive a process of decomposition, as things collapse inwardly, turning into wind and sand.” Lettere di Julius Evola a Tristan Tzara, 1919-1923, Rome: Julius Evola Foundation, 1991, p. 40.  Evola was able to overcome this crisis after reading the Italian translation of the Buddhist text Majjhima-Nikayo, the so-called “middle length discourses of the Buddha.” In one of his discourses Buddha taught the importance of detachment from one’s sensory perceptions and feelings, including one’s yearning for personal extinction.

22. For a brief account of their correspondence, see Julius Evola, René Guénon: A Teacher for Modern Times, trans. by Guido Stucco, Edmonds, WA: Holmes Publishing Group, 1994.

23. Joscelyn Godwin, Arktos: The Polar Myth in Science, Symbolism, and Nazi Survival, Grand Rapids, MI: Phanes Press, 1993, p. 61.

24. In two letters to Comi, Evola wrote: “From a spiritual point of view my situation doesn’t mean more to me than a flat tire on my car”; and: “The small matter of my legs’ condition has only put some limitations on some profane activities, while on the intellectual and spiritual planes I am still following the same path and upholding the same views,” Lettere a Comi, pp. 18, 27.

25. The Middle Length Sayings, vol. III, trans. by I.B. Horner, London: Pali Text Society, 1959, p. 278.

26. Julius Evola, Cavalcare la tigre, p. 175.

27. Yuri Stoyanov, The Hidden Tradition in Europe, New York: Penguin, 1994, p. 8.

28. The Latin word hostis means both “guest” and “enemy.” This is revealing of how ancient Romans regarded foreigners in general.

29. Julius Evola, Revolt against the Modern World, Rochester, VT: Inner Traditions, 1995, p. 6.  The first part of the book deals with the concepts noted in the extract cited. The second part of the book deals with the modern world.

30. Ibid.

31. All of these works have been translated and published in English by Inner Traditions.

32. Mircea Eliade, , Exile’s Odyssey, Chicago: University of Chicago Press, 1988, p. 152.

33. Julius Evola, The Yoga of Power, trans. by Guido Stucco, Rochester, VT: Inner Traditions, 1992.

34. Mircea Eliade, Journal III, 1970-78, Chicago: University of Chicago Press, 1989, p. 161.

35. Julius Evola, Il cammino del cinabro, p. 139.

36. Ibid.

37. Eliade, Journal III,1970-78, p. 162.

38. Ibid., pp. 162-63.

39. Mircea Eliade, Exile’s Odyssey, pp. 152.  See also Alain de Benoist and quote him at length.

40. Ibid.  This criticism was reiterated by S. Nasr in an interview to the periodical Gnosis.

41. Mircea Eliade, Journey East, Journey West, San Francisco: Harper & Row, 1981-88, p. 204.

42. Eliade, Journey East, Journey West, p. 202.

43. Evola, Il cammino del cinabro, p. 12.

44. Epicurus, Letter to Menoeceus, p. 47.

45. Julius Evola, Meditations on the Peaks, trans. by Guido Stucco, Rochester, VT: Inner Traditions, 1998, p. 5.

46. Carlo Michelstaedter, La persuasione e la retorica, Milan: Adelphi Edizioni, 1990.

47. Ibid., p. 104.

48. Il cammino del cinabro, p. 46.

49. F. Nietzsche, Thus Spoke Zarathustra, trans. by R.J. Hollingdale, London: Penguin Books, 1969, p. 86.

50. Evola, The Yoga of Power, trans. by Guido Stucco, Rochester, VT: Inner Traditions, 1992.

51. Evola would probably have liked Jesus’ saying (Luke 16:16): “The law and the prophets lasted until John; but from then on the kingdom of God is proclaimed and everyone who enters does so with violence.”

52. Marguerite Yourcenar, Le temps, ce grand sculpteur, Paris: Gallimard, 1983, p. 201.

53. Ibid., p. 204.

54. Julius Evola, The Doctrine of Awakening, Rochester, VT: Inner Traditions, 1995.

55. I. F. Stone, The Trial of Socrates, New York: Doubleday, 1988, p. 146.

56. Julius Evola, Cavalcare la tigre, pp. 174-78.

57. Mahajjima Nikayo, p. 122.

58. Norberto Bobbio, Destra e sinistra: ragioni e significati di una distinzione politica, Rome: Donzelli Editore, 1994. This book has been published in English as Left and Right: The Significance of a Political Distinction, Cambridge, England: Polity Press, 1996.

59. Ibid., p. 80.

60. Ibid., p. 74.

61. Julius Evola, Gli uomini e le rovine, Rome: Edizioni Settimo Sigillo, 1990, p. 64.

62. Ibid., p. 41.

63. Julius Evola, Cavalcare la tigre, p. 179.

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jeudi, 15 janvier 2009

A Posthumous Conversation With Arnold Gehlen

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A Posthumous Conversation With Arnold Gehlen

Thomas Molnar

My only "encounter" with Arnold Gehlen was on the pages of Criticon: He was the subject of the Autorenportrat in the first issue of the review; I was the subject in the second. This is not much, yet I have mentally "conversed" with him several times, thereafter as a conservative social anthropologist. I employ conservative both as a term of praise and disagreement. Facing his progressive colleagues, a conservative social philosopher is one who does not indulge in wishful imaginings that he presents as the inevitable future of mankind. At the same time, he runs the risk of becoming intellectually rigid when he assumes that man, less plastic than the evolutionists believe, is determined by successive civilizational forms, from that of the hunter-gatherers to postindustrial society.
       
        Gehlen is part of a school of thought whose members divide history--not l'histoire evenementielle but sociotechnical history--into boxes, then shuffle their contents and are visibly annoyed when the cards from one box spill over to another box. A good illustration of this method of over classification is found in the works of the cultural anthropologist Pitirim Sorokin who involves himself in so many cross-references that the reader finally loses the line of argument and can only hold on to a few passages for their illustrative value.
       
        In the above paragraph, I tried to unmask the scholarly processes of these men when I called their professional object "sociotechnical history." It seems to me that most, if not all, of these admirable thinkers are over impressed by our "age of technology," and have become its victims in the sense that they regard it as the end of history, culture, and the human condition. To be sure, this view may be more defensible than that of their progressive colleagues. These latter are similarly overimpressed but build temples to technology, congratulating each other that they can now pray at the same shrine, members of the same ultimate cult. Gehlen and his colleagues were less naïve; they did not like what they saw. Yet they, too, considered technological civilization as the ultimate human achievement, though perhaps in the negative sense, as if man's being turned into a machine were inscribed in the natural order of things.
       

History As Positive Achievement
       
        What can one do after reaching such a conclusion? Two possibilities are left. One is given by the pessimistic historian Oswald Spengler: the replaying of the whole scenario from infancy to senility in some other geographical setting, endlessly. The fatalism of this process shuts off all discussion. The other possibility was explored by Gehlen: the explanation of our supposedly final civilizational shape as seen in reference to former ages, now perceived as approaches to the present level of mechanized living. Facing Spengler's picture of a cyclical history, Gehlen declares the course of history irreversible and, as such, a positive achievement.
       
        The French philosopher Henri Bergson at least contemplated a pair of alternatives, one of them negative, and the other positive. The élan vital had two choices, one of which ended in the cul-de-sac of perfect but mechanized instincts (the lepidoptera); the other of which flowed in the direction of an incalculable freedom and in the direction of man--the open intelligence, the creative artist, mystic, saint. Gehlen, however, insists on basic human constants--stability, regularity, and domination over nature--and is led to such a strange rapprochement: equation between the magical practices of archaic man and modern technological inventions. In both cases, Gehlen holds, man projects his need for regularity and routing onto the outside world. Magic brings him the obedience of the organic universe (or what his animism regards as organic); governing technology brings him the scientific laws of inorganic matter.
       
        This is, of course, reductionism of a rather materialistic kind. Marx and Engels, and before them, Helvetius and the Renaissance adepts of Epicurus, could have subscribed to it: Religion is merely a method of influencing imaginary superior forces. Once these forces are harnessed, scientific laws and their technical embodiments take over--and give us at least as much satisfaction as religion. The logic of this position does not stop here; it compels us to distinguish between our dependence on animate forces (in the age of magic) and our freedom today, as we manipulate the inanimate world. Max Weber's concept Entzauberung may be relevant here; that is, nature's desacralization as not merely an option, but an inevitable and irreversible transformation. As Gehlen writes, with man's switch from near passive object to active-dominant subject of historical and productive forces, the moral ideal has also changed. Is this not the line of argument of all utopian thinkers, from Joachim of Fiore to Teilhard de Chardin, not to mention the solid phalanx of progressive social scientist and ideologues?

       
A Rationalistic Future

       
        I hope the reader sees now the nature of my objection to Gehlen's quasi-deterministic vision. It is a vision that German thinkers adopted at the end of the last century, and that they have had certain reasons to cultivate in this one. Writes Gehlen: "The future no longer holds any prospect of a resurgence of mystical consciousness, since the industrial culture now conquering the globe is rationalistic through and through" (Man in the Age of Technology, p. 122). He proceeds to analyze industrialization's dreary consequences, the bureaucratization of life, mechanization of work, and institutional dissolution. This is Max Weber and Oswald Spengler again, themselves influenced by Vico, Burckhardt, and Tocqueville, and in their turn influencing Toynbee, Ortega, and others. Gehlen is by no means along; in fact, the cultural mood he represents has become all-pervasive, a sign of the times. But no matter how many brilliant names subscribe to and illustrate this mood and trend of thought, it is no more than a vision of the world closing in upon us.
       
        If I read Gehlen correctly, his philosophical anthropology contains two principal propositions. The first is that one may speak of culture only in a magical ritualistic sense, which suggests man views himself as a fragile being. This would also explain the human need for institutions because they mediate the sphere of transcendence to communities, at least to Gemeinschaften. And it further explains why, according to Gehlen, the place of institutions in our time is taken over by organizations (Gesellschaften). These temporary products of social relationships regulate themselves without pointing to a beyond and express ad hoc subjective desires.
       
        Gehlen's second proposition is that the consciousness of an age alters in response to changes in culture, in the form of human settlement or method of production. In our industrial civilization, then, culture has come to an end, and our consciousness is shaped by vast, manipulated, and manipulatory forces (the media, commercial publicity, government propaganda). The small enclave, in which each of us lives his impoverished private existence, with neither gods nor genuine human contacts to console us, has no cultural motivation and is easily adaptable to a hedonistic life-style.
       
        Although Arnold Gehlen and the other philosophers of civilization neither make excessive use of the so-called objective methods of measurement nor reject value judgments such as "decadence," "moral decline," and "social fragility," their central weakness is their inability to rise above the typological view of history. They ought to take into account the fact that every age proceeds to divide historical time according to its own convenience or prejudice, distributing praise, difference, or hostility by means of labels it nails to the various time-sections. "Middle Ages" contains a negative verdict, "Enlightenment" a positive one, while "ecumenic age" has a question mark attached to it.
       
        No wonder, then, that our preoccupation with industry and technology has introduced and encouraged a new classification based on the ways and methods of production. This is why we discovered in retrospect the nomadic gatherers; the clans of hunters and fishermen; the settled agriculturists and animal breeders; the urban population; artisanship and trade; large-scale, indeed global, industry; then, with an anxious look at the future, the age of nuclear energy and spatial navigation. The postulate that overarches this enumeration is irreversibility. As Gehlen writes, we cannot return from the industrial to the mythical consciousness because the former destroyed the later with its cold, rationalistic methods and has expanded throughout the planet.
       

The Shaping Of Societal Consciousness
       
        Where is my disagreement with Gehlen and the school to which he belongs? It is questionable to what extent the consciousness of a society is shaped by its material substratum, productive forces, and social relationships. It was the Marxist Lucien Goldman who tried (in Le Dieu cache) to demonstrate that Pascal's and Racine's work can be explained in terms of the new sociological position of the noblesse de robe--a thesis brilliantly demolished by a young scholar, Gerard Ferrey-rolles. Similar attempts at a basically Marxist analysis abound in the works of sociologists of knowledge like Karl Mannheim, and, of course, Georg Lukacs and the
Frankfurt School.
       
        Gehlen did not belong to any of these groups, yet he shares with them a number of intellectual ancestors and presuppositions. Industrial society was so traumatic for scholars holding a tradition-based worldview that some drew apocalyptic conclusions from its predominant position and gradual annexation of various areas of daily and cultural life. Let us not forget that in the nineteenth century not scholars but primarily artists opposed scientific progress (Blake, Baudelaire, Flaubert, then Pound, Yeats, Eliot); most intellectuals were swept off their feet by the prospect of utopia, but art historians soon joined the artists in their opposition to technology and mechanization (Sedlmayr, Ortega, Weidle).
       
        We must, however, question the theories of civilization built on nineteenth century culture shock, and regard fully developed technological society not as the last phase of a sadly declining history, but as a dead-end street, in the sense that lepidoptera represent an exhausted biological line in Bergson's system. (This is not a general approval of his Evolution cretrice!) Ghelen was impressed by the gradual buildup of the civilizational stages from the nomadic food gatherers to the present, cybernetic era. When the nomads made fire with a flint, that act was profoundly needed; hence, it was sponsored by a god (Agni in the Hindu pantheon, Vulcanus in the Roman), and it was an organic, unremovable part of civilization. This quality of permanence integrated "fire" with theology, philosophy (from the pre-Socratics until the Stoics), the magical worldview, alchemy, mining, poetry, and images of love and passion.
       
        Cybernetics, no matter what its giant achievements, cannot create counterparts in imagination nor install them in the pantheon. It is in the strictest sense unneeded, an embarrassing burden, a manipulative device; since nobody really wants it, it cannot catch our fancy. It is not part of the human condition. In short, there will never be a "cybernetic consciousness", only the learning by specialists of an auxiliary branch of industrial technology. No matter what sophisticated machines we build, man remains man, and machines, insofar as they enter our imagination at all, will be strange, freakish, monstrous, or ridiculous Frankensteins.
       
The Building Of A "Lepidopteran" World

       
        Thus industrial civilization, which so overwhelms us today, is a Bergsonian quasi-impasse in the succession of civilizations. I mentioned that its first opponents were those nineteenth-century artists who rebelled against photography, the railroad, the grisaille of factory life, functional architecture, the smoke that defiles the air of cities--not mere Luddites but clear-sighted insurgents against mechanization. Of course, this kind of milieu created its own human type, utilitarian man, who judges beauty in terms of supermarkets and building speculation.
       
        However, the whole thing can be diagnosed as a "lepidopteran" undertaking: Technology will simply not fuse with consciousness, it will frighten it, alienate it. The machine encourages things like the Centre Pompidou; it may even reach a kind of apotheosis in a night skyline mirrored in the river, as the illuminated cubes of
Manhattan. Such a vista is impressive, but it does not speak to the emotional roots where time, exaltation, awe, and humility enter into alchemic combination.
       
        Like many of his colleagues, Gehlen feared, in fact, the end of history, a typical and understandable rightist response to the present dehumanization and vulgarity of bureaucracy and mass culture. An abundance of histories of civilization has been written in the last hundred years. The authors either spoke openly of the decadence of the West or tried to balance Western civilization on the point of a needle, guessing whether it would remain or fall. At any rate, the authors believed they were publishing the last book before the end of the world, an end to come in an apocalypse or a whimper, as T.S. Eliot suggested. The books themselves were conceived on the model of inventories, the last tour d'horizon before all books are closed.
       
        Yet, history continues, and it is not irreversible. Indeed, irreversibility itself is a mechanical concept, exemplified by the machine that never stops functioning. But how could we say of Chartres or a Mozart symphony that it is irreversible, or that Augustine and Michelangelo did forever? Such statements, we know deep inside, do not make sense. Likewise, we know that a mechanical product, like the Centre Pompidou, regardless of how long it stands, will not be assimilated by historical consciousness.
       
        The modern reductionist methodology is responsible for Gehlen's pessimism about civilizations. It may be tempting and spectacular to equate archaic magic with the mathematical certainties derived from scientific technology, but it is a false equation. Magic was not solely an attempt to secure desired results--it suggested that the cosmos is one totality, the unimaginably vast scene of cross-influences by all its myriad components, human and other. Even when the magician obtained negative or no results, he felt the safety of belonging to a meaningful whole.
       
        The contemporary engineer has no such support. Our civilization, built on a "second nature" as it were, cannot be intimately ours. We will leave it behind and proceed to new configurations in the light of which dehumanizing technology and its computer brain may again appear as marginal--abandoned by post-technological man. Industrial society does not have to be followed by "more of the same"; envisioning the next civilization postulates is not in our power.

The Argument For Divine Censorship
       
        A final point. Gehlen expected, like many modern thinkers, that mankind would formulate a new, sound moral relationship with industrial culture. This may take the form of an "ethics of responsibility" (Hans Jonas) inspired by ecological considerations, a new awareness of our growing and perhaps unlimited power over nature. It must be noted, however, that morals are not formulated and observed in vacuo; they are creations of an ontological penetration into the universe by which human relations, too, are seen in a new light.
       
        Even if we accept the classification of previous historical epochs as sedentarization, agriculture, city building, and so on, it is obvious that each presented itself under the sponsorship of divinities who fulfilled two essential civilizational functions: They offered their followers a meaning of, and justification for, what gods and men were doing, thereby suggesting myths, rituals, and art forms. Their second function was setting the limits that the given technical instruments were unable to transcend--unless the gods themselves changed, but that act created another civilization.
       
        No such relationship exists between the technological age and what I have called the ontological penetration. Science has cleared the cosmos of the sacred presence; technology simply fills the empty place thus left, the way chairs fill the stage in Ionesco's Les Chaises: relentlessly, endlessly, even after the curtain falls. In other words, for a morality to exist as an active agent, the universe must have a meaning, and therefore techne must have limits. As if he had anticipated Hans Jonas' call for an "ethics of responsibility", Gehlen warned that Western man has had two centuries of conditioning in an uncritical admiration of technology. I think we must go farther and realize that we do have a system of ethics adjusted to science and technology, just as we have a system of esthetics. The trouble is that both are false: "Technological esthetics" is represented by the Centre Pompidou, while "technological ethics" is contained in the phrase, What is technically feasible is also moral. Neither system harmonizes with man's deeper vision of himself and the world.
       
        Thus my final disagreement with Gehlen can now be summarized. If there were a law according to which a new and different moral vision must coincide with every major change in technology, then the weight of importance in spiritual anthropology would have to shift from the moral demand as such to what technology can offer. In short, technology would determine morality, and anthropologists would merely register this fact. This is a fashionable view, which recently found a brilliant expression in Le desenchantement du monde, by Marcel Gauchet. The French writer's work is predicated on an also fashionable "historical entropy": We have left the religious worldview behind and have descended, as if from the mountains to the endlessly stretching plain, onto a self-regulating society.
       
        However attractive this thesis may appear, it is merely speculation for people ideologically committed to the infrastructure/superstructure process of history: With changes in the material and psychological preconditions, moral truth also shifts in a predetermined direction. But how do we measure the ratio that exists between, let us say, the structure of production or ownership, and the moral judgement? To my knowledge, there is no formula for the calculation of such a ratio, and speculation about the existence of one is the fading legacy of nineteenth-century positivism. There is thus no demonstrable relationship between infrastructure and superstructure, to use these loaded terms. The freedom and specificity of man--and if we do not postulate them, we might as well abandon all thought of an anthropology--are ultimately not tied to his material condition. Otherwise, given the present state of civilization, this "conversation with Arnold Gehlen" could not take place or would be without meaning.

Thomas Molnar is professor of religion at Yale. He is the author of The Pagan Temptation; The Decline of the Intellectual; Sartre: Ideologue of Our Time; and God and Knowledge of Reality.

[The World and I (New York), November, 1989]

 

mercredi, 14 janvier 2009

Vers un nouveau récit du monde?

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Vers un nouveau récit du monde ?

 

http://www.europemaxima.com

dimanche 9 novembre 2008, par Noël Rivière


Le monde a toujours fait l’objet de lectures en termes de grands récits. Il s’agit de narrations du monde, de ses origines et de son sens. Très liés à la mythologie, les grands récits se sont partagés entre grands récits païens ou monothéistes. La Bible hébraïque est bien entendu un cas singulier. L’aspect de révélation est à bien des égards éclipsé par ce qui relève de la Loi dès l’origine du récit. Ce qui est bien est immédiatement distingué de ce qui est mal. De là le fondement très rationnel de la Bible hébraïque. « Le récit de l’Ancien Testament tranche par bien des traits sur d’autres récits de création, de fondLe monde a toujours fait l’objet de lectures en termes de grands récits. Il s’agit de narrations du monde, de ses origines et de son sens. Très liés à la mythologie, les grands récits se sont partagés entre grands récits païens ou monothéistes. La Bible hébraïque est bien entendu un cas singulier. L’aspect de révélation est à bien des égards éclipsé par ce qui relève de la Loi dés l’origine du récit. Ce qui est bien est immédiatement distingué de ce qui est mal. De là le fondement très rationnel de la Bible hébraïque. « Le récit de l’Ancien Testament tranche par bien des traits sur d’autres récits de création, de fondation ou… d’établissement de peuples » écrit Claude-Raphael Samama. Dans la Bible hébraïque mais aussi, à sa suite, dans le Nouveau Testament, l’homme est le but et la fin d’une création divine.

À l’inverse, les mythes grecs constituent une autre forme de grands récits. Dans ceux-ci se déploie le monde entre terre et ciel, et aussi ce qui permet son jeu, à savoir le vide, la béance ou encore le chaos, le « Grand Ouvert ». Il n’y alors pas de Loi qui soit donnée aux hommes.

Il y a d’autres grands récits comme celui de Vico au XVIIIe siècle qui fait de l’homme le narrateur de sa propre relation au monde. Vico fait se succéder l’âge des dieux, l’âge des héros, l’âge des hommes. Le sens de l’histoire est une appropriation par les hommes de leurs actes. Au final, les hommes obéissent à « la loi de la conscience, de la raison et du devoir ».

Avec Hegel, c’est un autre grand récit qui est élaboré et qui se veut la réalisation d’une essence, l’Esprit absolu. Marx prolonge cette ambition mais sous une forme matérialiste et dialectique, non essentialiste. À la suite de cela, Le Déclin de l’Occident de Spengler, malgré la puissance de ses intuitions ne débouche absolument pas sur une théorie du monde.

Nous sommes ainsi maintenant dans un certain vide où le seul grand récit qui a essayé de se mettre en place – en vain – a été celui de Fukuyama, à savoir celui de la fin de l’histoire (idée qu’il développe dés l’été 1989) par triomphe définitif de ce qu’on a appelé libéralisme mais qui est bien plutôt la démocratie soluble et liquéfiée dans le marché.

Un double scepticisme s’installe. Le premier est le scepticisme face aux récits du monde existants, et ce qui subsiste est moins le récit du Progrès (en faillite) que le récit du « il n’y a qu’une politique possible », hier le développement à outrance, maintenant ce que l’on appelle le « développement durable ». Le second scepticisme est celui qui doute même de la nécessité d’un récit du monde. Quand il n’y a plus d’idéaux à représenter et à faire vivre, il ne reste que la « bonne gouvernance » à exercer et l’humanitarisme impolitique du côté de la pseudo-société civile et de ses multiples associations d’autant plus stipendiées qu’elles ne représentent qu’elles-mêmes.

Dans cette situation, pourquoi ne pas se tourner vers le grand récit de la création qu’est le big bang ? Il a bel et bien une vertu de prédictivité puisque le rayonnement rouge a été confirmé par Arno Penzias et Robert Wilson. Il ne manque pas à ce grand récit non plus la dimension esthétique. Il obtient même un temps l’onction papale par Pie XII avant sa rétraction. Mais il manque quelque chose au grand récit du big bang : c’est de pouvoir servir de règle pour l’ordonnancement des attitudes, des mœurs, des comportements humains. Quelle est la place de l’homme dans le monde ? Et de quoi est-il responsable ? Voilà ce à quoi aucune théorie purement cosmologique ne peut répondre. Le big bang ne débouche ni sur une loi morale ni sur une éthique de l’homme face au monde.

Les grands récits non monothéistes qui unifient la vision de l’homme et du monde ne sont pas nombreux. La pensée romaine est l’un de ceux-là. Chez les Romains la culture agricole en fonction des états du ciel (Tempus) a toujours été liée à la nécessaire « culture de soi » (Cicéron). Les droits humains et les droits divins sont liés. Les humanités (Humanitas) sont à la fois une discipline, un effort de culture et l’apprentissage des douceurs. Enfin, la grandeur de la liberté s’inscrit toujours dans un héritage, une mémoire. Tempus fugit, non autem memoria. Ce sont là les signes d’un vrai grand récit. Aujourd’hui, face à l’extinction du pouvoir de création historique et d’enchantement des fabulations antérieures, notamment la fable du Progrès, il faut inventer de nouvelles grandes figures pour peupler la terre de signes, de sens, et de beauté. Il faut pour cela des poètes qui soient aussi des mages. Le monde est lui-même un poème qui se déploie entre les affects et le signes. Il est, comme écrit Jean-Pierre Luminet, « un Songe aux ailes rognées par le Chiffre ». Seuls des poètes qui soient aussi des mages et des oracles pourront donner du sens aux signes. N’oublions pas que l’oracle est la réponse et le lieu de la réponse. Face au nomadisme et à une civilisation du hors site, il restaure le topos. Peut-être l’exaltation de la pleine liberté créatrice de l’homo faber, à l’opposé des dispositifs de mécanicisation de l’homme peut elle être ce nouveau mythe de force et de joie. « En définitive, l’intelligence, envisagée dans ce qui en paraît être la démarche originelle, est la faculté de fabriquer les objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils, et d’en varier indéfiniment la fabrication » écrivait Bergson (L’évolution créatrice, 1907). Indéfiniment, disait Bergson. Une conception de l’homo faber qui voit sa nature dans l’inventivité et non dans la répétitivité et la mécanisation monotone. Dans un ouvrage de Tchekhov, Gourov dit à Anna : « Nous allons bien trouver quelque chose ».

Cela va venir.

Noël Rivière

• Revue dirigé par Philippe Forget, L’Art du Comprendre, « Récits du monde, récits de l’homme », n° 17, juin 2008, 324 p., 23 €. Diffusion Vrin : 6 place de la Sorbonne, F - 75005 Paris.

 

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lundi, 12 janvier 2009

Revue "Entropia": trop d'utilité?

Revue Entropia : Trop d’utilité ?

Tandis que s’étrécit le champ des possibles en partage, le trop excède en tout : trop d’injustices, trop d’insignifiances, trop de violences, de crises écologiques et de désastres sociaux…
Cette situation ne serait-elle pas en relation paradoxale avec l’importance démesurée accordée à l’utilité ? L’utilitarisme est une doctrine - née en 1827 - selon laquelle l’utile est le principe de toutes les valeurs, dans le domaine de la connaissance comme dans celui de l’action.

Cette peste moderne a conduit l’espèce humaine au bord du gouffre. Confondant le nécessaire et l’utile, elle ampute l’être humain des registres de la gratuité, de l’inutilité et de la sensibilité de la pensée qui sont pourtant les signes universels de sa singularité plurivoque. Elle mutile tous les rapports sociaux en les soumettant aux diktats de la marchandise. On peut avancer que, par nombre de ses aspects, l’idée de décroissance est née d’un sursaut de rébellion contre cet égarement.

Depuis sa création, en 1981, le MAUSS - Mouvement Anti-utilitariste dans les Sciences Sociales - a exploré le terrain d’un anti-économisme effectif. Sans renier cette filiation parmi d’autres, l’objection de croissance a choisi de radicaliser l’analyse et de bouleverser l’offre théorique et politique face à une crise anthropologique sans précédent.

La discussion de famille engagée entre ces deux mouvements d’idées se devait de devenir publique. Serait-ce, là, une autre façon d’oser ranimer le vieux débat entre réforme et révolution ?

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samedi, 10 janvier 2009

La ville, sa figure moderne

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Juillet 1994

Fabrice MISTRAL:

La ville, sa figure moderne

 

“La forme de la ville a, depuis la révolution industrielle, toujours changé plus vite que le coeur des mortels (...)”, écrit Annie Fourcaut, remarquable historienne de l’urbanisme contemporain. C’est en banlieue, territoire de constitution récente, moins marqué par les héritages que ne le sont les vieux centres urbains, que la modernité urbaine s’incarne le plus fortement (1). Bouleversement des images de la ville comme de son fonctionnement, nouveaux réseaux de communication, télescopage entre la rapidité potentielle des déplacements et l’engorgement effectif, ...: la ville témoigne au plus haut point des contradictions sociales à l’oeuvre.   Deux aspects principaux, particulièrement marqués en banlieue, peuvent  être repérés:

- la fin de tout holisme urbain,

- la nouvelle nature des communications physiques.

 

a) Contrairement à la ville traditionnelle, la ville moderne n’est plus perceptible comme un tout. Georges Teyssot écrit qu’elle “outrepasse définitivement le monde de l’expérience sensible” (2). De là nait une profusion des “images”  de la ville produites par les architectes et les bureaux d’études: précisement parce que cette image fait problème, et ne relève plus de l’évidence. Jacques Guillerme écrit: “La puissance de la figuration tient essentiellement à la dénotation qui lui est associable”. En d’autres termes, imaginer, c’est dévoiler. Heidegger l’exprime à sa façon: “L’ouverture d’un monde donne aux choses leur mouvement et leur repos, leur éloignement et leur proximité, leur ampleur et leur étroitesse” (3). Pour cette ouverture, des repères sont nécessaires: sans cartes, le territoire n’existe plus. A l’inverse, avec la prolifération des représentations, le territoire disparait aussi. On peut faire l’hypothèse suivante: “La catastrophe urbaine aurait résidé en l’impossibilité de maîtriser la représentation de la ville” (4). Conséquence de cette multiplication des points de vue sur la ville: la fin du “holisme” urbain, c’est-à-dire d’un sentiment commun d’appartenance. Vient alors le temps des remises en scène. L’objectif (voir “Banlieues 89”, le secteur politique de la ville du ministère de la culture, etc) est de génerer un “nouvel art d’habiter”, et la possibilité d’appropriations collectives des lieux. Le problème est qu’une trop fréquente méconnaissance des pratiques urbaines  de la part des urbanistes, plus encore de leurs maîtres d’ouvrage, rend fragiles ces remises en scène. Difficulté des tentatives “baroques” (5) de réenchantement de la ville: elles sont fondées généralement sur une naturalisation de l’histoire plus que sur sa réinvention. A cette aune, la différence entre l’urbanisme des libéraux - qui rejette le zonage au nom du refus des règles - et l’urbanisme des sociaux-démocrates - interventionnistes au nom d’un équilibre à rétablir - est, sinon “illusoire”, comme l’écrit Guiheux, du moins secondaire. Dans les deux cas, l’urbanisme (moderne) est système d’objets. Dans les deux cas, ceux-ci ne font pas corps avec la ville.

 

Le baroquisme consolide en outre la césure entre l’intérieur et l’extérieur dans la ville, entre l’habitat et la rue. Dans la ville traditionnelle, le dedans n’est qu’un “pli du dehors” (Henri Gaudin). Pour autant, ce pli rend les intérieurs habitables. Car il y a opacité de l’étoffe. Dans la ville moderne, le mythe de la transparence tend à supprimer les intérieurs en tant que lieux habités. Et la tentative baroque de conjurer la banalité par la naturalisation de l’histoire renforce l’incommunication.

 

b) La seconde caractéristique de la modernité urbaine concerne la nature des communications matérielles et d’abord la nouvelle conception de leurs intersections. Les voies de communication se multiplient qui correspondent à une direction, mais ne se rencontrent pas avec d’autres voies: un  échangeur n’est  pas un point, mais un noeud. C’est “une intersection sans carrefour” note Michel Serres. L’échangeur “reçoit et redistribue, il trie sans mélanger” (6). La route moderne - celle des autoroutes et des “voies rapides” - est par nature unidimensionnelle, elle ne correspond qu’à un trajet et un seul: de l’embranchement ouest de l’autoroute X à la sortie sud de telle ville. Le trajet est ainsi en quelque sorte irréversible. En cas d’erreur d’aiguillage, “même si nous retournons sur le point, nous serons néanmoins sur une autre voie” (Georges Teyssot). Ces trajectoires pré-déterminées, faites pour éviter de nous “perdre”, aboutissent à une formidable dépossession de la liberté humaine d’interpréter un territoire - comme un musicien interprète une partition.

 

La nouvelle nature des réseaux de transport amène à s’interroger sur les rapports entre la modernité urbaine et la communication. Chantal de Gournay rappelle que pour communiquer, il faut “savoir s’effacer (derrière une facade, un rôle” (7). En ce sens, la banalité, par opposition à la distinction, est précisément ce qui permet la communication: c’est dans la mesure où nous sommes partiellement inauthentiques que la communication est possible. De ce fait, il n’y a pas coincidence entre les activités de conscience et les manières d’apparaître. La conséquence urbaine en est qu’un lieu de communication est un lieu “de tous le monde et de personne” - comme à Marseille la Canebière que Marcel Roncayolo définit comme un “no man’s land”. Par là, elle est qualifiée comme lieu inconsommable et inappropriable. Banal, mais à sa façon.

 

Le problème est que, dans la ville moderne, ou dans celle parfois qualifiée de post-moderne, l’espace public répond à la recherche d’un style. Or, cet espace public  fonctionne comme tel précisement s’il “correspond à un degré zéro de la mise en scène”, écrit Chantal de Gournay qui ajoute: “L’espace public post-moderne, fait “sur mesure” sinon à la mesure de son “public”, est à la grande ville industrielle ce que le “narrowcasting” est à la télévision de masse” (8).

 

La place de l’espace public est ainsi un repère capital dans la génèse de la ville moderne. Tout d’abord, cet espace est caractérisée par la rue. Celle-ci devient au XIXème siècle espace d’auto-mise en scène de la socialité pour elle-même (comme l’illustrent bien les peintures de Monet). Elle l’est notamment au travers des grands magasins, qui consacrent à la fois le triomphe de la consommation et de l’individualisme. Se manifeste ainsi une rupture avec la Renaissance: la ville moderne ne se contente plus de se représenter. Elle se donne en spectacle.

 

La modernité urbaine dans ses premiers moments a représenté une transition dans laquelle coexistaient des aspects modernes et traditionnels qu’a bien vu Walter Benjamin. La rue n’est plus “pli sinueux”, mais ruban géométrique.  “Ce n’est pas dans l’errance que l’homme se livre à la rue, écrit-il dans Le livre des passages (Le Cerf, 1989); il succombe au contraire à la fascination du ruban monotone qui se déroule devant lui.”

 

“Le labyrinthe, poursuit Benjamin, représente toutefois la synthèse de ces deux types de terreur; c’est une errance monotone” (9). En conséquence, c’est avec raison que C. de Gournay peut écrire: “L’espace public, loin d’être pour le flaneur un champ d’interaction humaine, est un lieu de perte où l’homme se dissout dans l’équivalence qui régit désormais l’univers de la marchandise” (10). Une des formes de cette perte est  l’expérience fusionnelle qui se produit dans la ville moderne sous la forme de la fascination par la marchandise, -  la “communion avec la marchandise” dont  parle Walter Benjamin. Paradoxe apparent: ce qui triomphe à partir du 19ème siècle, c’est le simulacre d’une communion ou d’une fusion qui cache maladroitement la réalité de l’homme des foules (le flaneur de Baudelaire), ou de l’homme sans qualité (Musil). En effet, “la socialité, précise Isaac Joseph, en tant que celle-ci implique une concertation, est tout le contraire d’une expérience fusionnelle” (11). Cette socialité implique une communication et non la simple présence à son rôle social. Elle est tout autre que la danse devant le feu d’artifice des marchandises.

 

Aussi, au travers de la communication, peut-on approfondir l’opposition typologique entre la ville traditionnelle et la ville moderne. Dans la première, le réseau de communication physique relève du labyrinthe, où la réversibilité est toujours possible. Ce labyrinthe, ponctué de carrefours, est “régi, note G. Teyssot, par des schémas d’axialité, formé d’une hiérarchie d’espaces caractérisés”  - les avenues, les places, les rues, les galeries, ... C’est un moyen d’apprivoiser l’espace. Il permet les repères, et surtout les arrêts. La ville traditionnelle  est ainsi celle qui permet de revenir sur ses pas. Dans la mesure où elle se lit au travers des rues, elle permet de prendre ce qu’André Breton appelait “le vent de l’éventuel” - et est l’un des lieux du politique tout comme de la disponibilité sexuelle.  La ville traditionnelle est celle dans laquelle la déambulation est possible, - et le projet non obligatoire.

 

Dans la ville moderne et hyper-moderne, l’urbanisme des voies non réversibles est aussi celui des “rubans”: rubans des équipements culturels,  des sièges de société, etc. A l’échelle des agglomérations est reprise l’idée de la ville linéaire de Le Corbusier. Ainsi le “grand espace” de la ville moderne, qui est l’espace de l’agglomération, est-il un espace d’homogénéisation. Il s’oppose à l’esthétique du divers (Victor Segalen) et du mélange. Il est ponctué, dans sa variante hyper-moderne, non de rues, même si on observe parfois une composition en terme d’axe (néo-hausmannisme), mais surtout de “pôles d’excellence”: (Massy-Rungis, Cergy-Pontoise, ...) ou de “zones de restructuration” (Seine-amont, la boucle de Genevilliers,...).  Dans tous les cas de figures, ces pôles doivent “communiquer” entre eux plus qu’avec leur environnement respectif. Plus que destinataires ou émetteurs de communication, ils doivent être vecteurs de communication eux-mêmes. 

 

Observateur attentif de ces signes, Marc Augé appelle sur-modernité “la surabondance évênementielle, la surabondance spatiale et l’individualisme des réferences” (12). La sur-modernité est selon lui caractérisée par les  non-lieux. Explication: le lieu, “identitaire, relationnel et historique”, s’incrit dans un territoire, façonné par les pratiques des hommes. Alors que le non-lieu, couplé avec un espace neutre et “mathématique” (que dire de l’espace, sinon sa surface ?), est une simple portion d’espace. Le non-lieu n’habite pas l’espace; il est donc lui-même inhabitable. Conséquence: il ne permet pas la mutation de l’espace en territoire, ensemble de lieux  humanisé et historicisé. La sur-modernité apparait ainsi une forme d’hyper-modernité, à quoi se réduit pour Kostas Axelos la “post-modernité”. Nous en sommes là. Il en est désormais de la modernité comme de l’Occident défini par Cioran: c’est “une pourriture qui sent bon”. A ce stade, l’a-venir ne peut être qu’un retournement. La clé en est la sortie du règne de la marchandise, donc de l’auto-symbolisation par l’économie. C’est dire que le travail vivant doit cesser d’être au service de l’accumulation et au contraire devenir l’objet premier de valorisation. A ces conditions, un dépassement tant de la ville traditionnelle que de la ville moderne pourrait donner lieu à une ville authentiquement post-moderne.

 

Fabrice MISTRAL

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(1): précisons d’emblée que nous partageons le point de vue de Kostas Axelos comme quoi le post-moderne n’est que de “l’hyper-moderne”: l’exacerbation du moderne, non sa négation.

(2): la métropole mise en représentation, in Urbanisme: la ville entre image et projet, Cahiers du C.C.I. n°5, Centre Georges Pompidou.

(3): L’origine de l’oeuvre d’art, in Chemins qui ne mènent nulle part, Gallimard, 1962.

(4): Alain Guiheux, Cahiers du C.C.I, op. cit.

(5): le thème de la ville baroque a été popularisé par Jean-Pierre Le Dantec. Voir Dédale le héros, Balland, 1991.

(6): Hermès 2. L’interférence, éditions de Minuit, 1976.

(7): in Cahiers du C.C.I., op. cit.

(8): id.

(9): Walter Benjamin écrit: “Le labyrinthe est la patrie de celui qui hésite. Le chemin de celui qui appréhende de parvenir au but dessinera facilement un labyrinthe. Ainsi fait la pulsion sexuelle dans les épisodes qui précèdent sa libération.” Il note encore, avec une justesse saisissante: “Le labyrinthe est le bon chemin pour celui qui arrive bien assez tôt au but. Ce but est le marché”.

(10): in Cahiers du C.C.I.

(11): I. Joseph, communication pour le colloque “Vie publique, vie privée”, Lyon, octobre 1980. La socialité est ici entendue au sens de sociabilité (selon la distinction que fait Bourdieu entre cette dernière et la sociétabilité).  

(12): Non lieux, Introduction à l’anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992.

 

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vendredi, 09 janvier 2009

Une modernité en état critique

 

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES -

VOULOIR (Bruxelles) - Juillet 1994

 

 

Fabrice MISTRAL:

Une modernité en état critique

 

 

Il n’y a pas si longtemps, il fallait absolument être moderne. Aujourd’hui, on s’interroge. La modernité n’est plus à la mode. Alain Touraine propose une “critique de la modernité”. Bruno Latour écrit: “Nous n’avons jamais été modernes”. Reste à savoir de quoi parle-t-on ? La modernité philosophique semble se caractériser, indique Didier Paquette, par “l’affirmation plus appuyée du “sujet pensant” et par une “capacité à penser les relations entre des plans d’existence ou de réalité jusque là posés sans liens définis” (1). Pour B. Latour, si la modernité a consisté à penser séparement l’homme et le monde, la nature et la culture, nous n’avons pas pensé intelligemment les écarts entre chacun des deux termes. Et surtout, nous n’avons cessé de produire des objets hybrides sans en faire l’analyse. La mentalité pré-moderne partait du principe de non-séparabilité entre la nature et l’homme; elle rendait donc impossible toute expérimentation sur la nature à grande échelle puisqu’elle eut signifié une transformation de la société de même ampleur. Avec la mentalité moderne, nous en sommes au stade d’une action transformatrice de la nature qui transforme l’homme lui-même, dans ses dimensions tant économiques que non-économiques - anthroponomiques (2). Les transformations de l’homme-producteur concernent l’homme tout entier. Mais l’inconvénient est que nous pensons très insuffisamment l’effet de ces transformations. “Nous n’avons jamais été modernes” (3); c’est-à-dire que nous n’avons jamais bien pensé l’unité de ce que nous avons “découpé”: l’homme, Dieu (ou les dieux), les différents champs de l’existence.

 

Alain Touraine critique la modernité d’un autre point de vue. Selon lui, la modernité a consisté a assigner des tâches à la raison et à la conscience: comprendre le monde et l’humaniser. Il propose de “reprendre le projet moderne” là où il a “dérapé”, quand la raison, classant et articulant les différents plans de l’existence et du réel, serait devenue folle. Moment de l’accident: le siècle des Lumières. Circonstance: la collision de la raison et de la laïcisation. Avatar: le lancement des philosophies de l’histoire comme “mise-à-la-raison” totalisante du monde. Dans le détail, les choses sont un peu plus complexes. Retour sur image(s).

 

 

Au début du 18ème siècle, le rationalisme est solidement installé dans la pensée française. Entendons par là que s’est imposé depuis Descartes l’idée que la certitude de l‘existence de Dieu avait comme corollaire la valeur certaine de nos idées “claires et précises” sur le monde.  Si Dieu a créé l’homme, il a aussi créé ses idées, ajoute Malebranche. A partir de cet “acquis” se déploie le dualisme cartésien: d’un coté Dieu créateur du monde (y compris l’homme), de l’autre l’homme connaisseur - et en charge - du monde. Comme l’a justement remarqué Jean-François Revel, Descartes ne révise pas les fins de la philosophie, il en ajuste simplement les moyens (4). A savoir qu’il donne à la raison une force et un domaine d’application inégalés jusqu’alors. Cette raison triomphante est fondée sur l’évidence (le “bon sens”), l’analyse, le dénombrement et la synthèse. Il reste - on doit le remarquer - peu de place pour l’incertain, l’aléatoire, le contingent, le problématique.

 

La tâche à accomplir ne fait désormais pas de doute au début du 18è siècle. L’abbé Terrasson  choisit pour idéal (1715) la droite raison et la belle nature  (5). La nature s’entend comme l’extérieur de l’homme mais aussi comme les phénomènes intérieurs à celui-ci. Le projet philosophique consiste alors à mettre en cohérence l’homme et la nature.

 

D’une part, le rationalisme de Descartes a affirmé les droits de la raison à la souveraineté du savoir, d’autre part, ce savoir se laïcise: puisque Dieu a donné la raison à l’homme, celui-ci a le droit de tout connaître. Plus, devant la force de la raison, tout est connaissable. Tout est susceptible d’investigation, de classement, d’analyse. Et par là de transformation.

 

La philosophie des Lumières complète cette initiation à la modernité. Tout d’abord en affirmant que l’homme a des droits “naturels”, puis que, précisément au nom de ces droits - “les droits de l’homme” - la nature est corvéable et taillable à merci. Nous avons à nous rendre, dit Kant, “maîtres et possesseurs de la nature”. L’homme, “trop mauvais pour le hasard” (Kant toujours), doit corriger le monde et lui-même par la morale, et la condition en est l’autonomie de la volonté (l’étymologie de “morale” renvoie justement à “volonté, usage, moeurs” indiquant ainsi que la volonté n’est pas pensable hors de l’habitus).

 

La difficulté, c’est qu’il existe un continuum entre l’homme et la nature (le monde des objets animés et inanimés). Et que l’exploitation sans réserve de la nature aboutit à l’exploitation de l’homme par l’homme.

 

Alain Touraine incrimine dans le divorce du sujet et du monde l’”orgueil” de la philosophie des Lumières, puis l’envol des philosophies de l’histoire. Celles-ci ont prétendu interpréter l’histoire par un grand facteur explicatif. Pour faire court: la lutte des classes chez Marx, la lutte des races chez Disraëli, le développement du progrès chez A. Comte. Le rôle des philosophies de l’histoire a été celui de “grands récits” déréalisants. Ils ont abouti à une tendance à la dissociation de la vie publique et de la vie privée qui signe le divorce entre entre la modernité et la subjectivité. Alain Touraine en souligne justement le danger: “La séparation complète de la vie publique et de la vie privée entrainerait le triomphe de pouvoirs qui ne seraient plus définis qu’en terme de gestion et de stratégie, et face auxquels la plupart se replieraient sur un espace privé, ce qui ne laisserait qu’un gouffre sans fond là où se trouvait l’espace public, social et politique et où étaient nées les démocraties modernes”. De son coté, Gilles Polycarpe remarque: “L’annulation des lieux de symbolisation du pouvoir menace la vie démocratique”(6). C’est le revers du même problème: la visibilité du pouvoir est la condition de la participation démocratique.

 

 

Dans les sociétés post-socialistes (dorénavant !) comme dans les sociétés occidentales (néo-capitalistes), la dissociation du public et du privé est le produit d’un assèchement du monde. Par le libéralisme capitaliste comme par une certaine utopie du socialisme productiviste. Camus écrivait: “Quand on veut unifier le monde au nom d’une théorie, il n’est pas d’autre voie que de rendre ce monde aussi décharné, aveugle et sourd que la théorie elle-même” (7).

 

Mais on ne peut s’en tenir, dans la critique de la modernité, au dérapage dü à l’orgueil. Le rabattement de l’histoire sur la “nature”, et de celle-ci sur des lois universelles est dans les prémices de la modernité. Kant écrit (dans son Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolite, 1784): “quel que soit le concept qu’on se fait, du point de vue métaphysique, de la liberté du vouloir, ses manifestations phénomènales, les actions humaines, n’en sont pas moins déterminées, exactement comme tout évênement naturel, selon les lois universelles de la nature”. Cette idée de naturalité de l’homme, de religion naturelle et de caractère naturel de la raison est l’idée dominante au 18è siècle, à la notable exception de Rousseau. Elle prolonge le projet “moderne” de Marsile Ficin de montrer l’ordonnancement “à Dieu et par Dieu” de la création (Jean-Claude Margolin). Ainsi la raison de Descartes s’enracine dans le “bon sens”, considéré comme une disposition “naturelle” de l’homme. Toutefois, face au constat de l’imperfection de la situation de l’homme dans le monde, bien que tous deux - homme et monde - créés par Dieu, il s’impose assez vite l’idée que le “bon sens”, ça se cultive, et qu’il n’est pas forcément partagé par tous, enfin, que les sociétés sont faites pour être perfectionnées. Ce qui, après un détour par l’idée de “despotisme éclairé” amène à celle de la nécessaire arrivée au pouvoir des “compétents” (et surtout de ceux qui l’ont prouvé en sachant s’enrichir).

 

 

Le cercle est ainsi bouclé. “Le “développement de la raison” inscrit à l’ordre du jour, est absolument lié à l’”accroissement du bonheur”, que permet le règne d’une liberté entière”, note François Azouvi (8). Le travail est ce par quoi la raison développe son emprise en vue du bonheur commun. C’est ce qui permet la détermination du droit naturel. Quesnay écrit: “Le droit naturel est indéterminé dans l’ordre de la nature; il le devient dans l’ordre de la justice par le travail” (9). Les physiocrates pensent, comme Mercier de La Rivière que “tous nos intérêts, toutes nos volontés viennent se réunir et former pour notre bonheur commun une harmonie qu’on peut regarder comme l’ouvrage d’une divinité bienfaisante qui veut que la terre soit couverte d’hommes heureux” (10). “Bonheur commun” ? quel bonheur ? La réponse est fournie par l’imagerie et la statuaire. A Reims, les allégories du piédestal de la statue de Louis XV représentent "une femme dont le visage serein exprime la douceur du gouvernement  et un citoyen heureux assis sur un ballot de marchandises “(11). Evidemment, le bonheur marchand a un coût. Pour ceux qui en sont privés d’abord, et qui sont ainsi dépossédés non seulement de tout statut social, mais de tout statut proprement humain. Un pauvre, dans notre société, n’est pas seulement un pauvre, c’est aussi “un pauvre type”, note Alain Caillé, car il est supposé inefficace et raté - par le système et dans le système. C’est donc une nuisance.

 

La modernité a aussi un coût qui concerne “exclus” comme “intégrés”. “On se modernise pour survivre, mais on se détruit pour être moderne”, indique Serge Latouche. La modernité nous a dépouillé, remarque Jean Chesneaux, de “la pratique des marches de nuit sous les étoiles, (de) l’odeur des tomates lentement muries au soleil, (de) la douceur intacte de paysages édifiés de siècle en millénaire” (12). C’est un peu cher payé.

 

 

 

 

 

Fabrice MISTRAL

 

 

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(1) Société-magazine, n°5, juillet-aout 1990.

(2) le concept d’anthroponomie se trouve utilisé principalement chez Jean-Paul de Gaudemar et Paul Boccara. Ce dernier la définit comme “les aspects non économiques de la société et rapports sociaux de la reproduction ou de la régénération des hommes eux-mêmes” (Issues, n°32, 1988). Cf. aussi Jean Lojkine, cinq ans de recherches anthroponomiques, in La Pensée, n°258, juillet-aût 1987.

(3) B. Latour, nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique. La Découverte, 1991.

(4) Histoire de la philosophie occidentale, tome 2, Stock, 1970 et Le livre de poche.

J-F Revel est l’auteur d’un vigoureux pamphlet contre Descartes, ruinant l’interprétation le mettant à l’origine de la science moderne: Descartes inutile et incertain (Stock, 1976). Dans un autre registre, son livre fameux Pourquoi des philosophes (Livre de poche, 1979) avait fait l’objet d’une attentive récension par Jacques Milhau (cf. Chroniques philosophiques, éditions sociales, 1972). Milhau s’y trouvait d’accord avec Revel sur de nombreux points.

(5) cité in La littérature du siècle philosophique, PUF, 1947. 

(6) Révolution, 29 novembre 1991.

(7) Actuelles 1, Le témoin de la liberté, 1948.

(8) Introduction à L’institution de la raison, sous la dir. de F. Azouvi, Vrin/EHESS, 1992. Les citations en italique sont de Destutt de Tracy, Elements d’idéologie, 1803.

(9) cité par Roger Daval, histoire des idées en France, PUF, 1977, p. 65.

(10) idem.

(11) Jean-Louis Harouel, histoire de l’urbanisme, PUF, 1981, p. 58.

(12) Modernité-monde (Brave modern world), La Découverte, 1989.

 

 

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lundi, 05 janvier 2009

Entrevue avec Domenico Fisichella sur la notion de totalitarisme

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1987

Entrevue avec Domenico Fisichella sur la notion de totalitarisme

par Giovanni SEMPLICE

Il a cinquante-deux ans et les porte bien. C'est un savant qui jouit d'un prestige international et ses travaux sont publiés à Oxford, à l'Université de Californie, à la Sorbonne, au Centre d'Etudes constitutionnelles de Madrid. Son nom: Domenico Fisichella, professeur ordinaire de Science de la Politique auprès de la Faculté des Sciences Politiques de l'Université "La Sapienza" à Rome. Il enseigne aussi à l'Université Libre Internationale des Etudes Sociales (LUISS). Pour le grand public, il est connu comme étant l'éditorialiste du quotidien  La Nazione de Florence, auquel il a collaboré d'avril 1971 à mars 1977, et comme chroniqueur à Il Tempo de Rome.

Son livre le plus récent, Totalitarismo. Un regime del nostro tempo (La Nuova Italia Scientifica, Ro-me, 1987) constitue une vaste recherche, toute emprein-te de lucidité. L'analyse théorique y est enrichie d'une énorme érudition historique et l'auteur réussit un tour de force: préciser avec minutie un concept central pour la compréhension de l'un des phéno-mè-nes politiques protestataires des plus inquiétants qu'ait jamais connu l'histoire.

C'est de cet ouvrage fondamental que nous nous sommes entretenu avec Domenico Fisichella dans le bureau de sa belle maison de Parioli.

Ma première question concerne directement la loca-li-sation historique du phénomène to-ta-litaire. Pourquoi celui-ci s'inscrit-il dans notre temps? Qu'est-ce qui le distingue des autres formes autocratiques que l'hu-manité a connues jusqu'ici?

Ma réponse renvoie aux caractères propres du XXème siècle. Nous avons une société massifiée, mar-quée par la disparition des distinctions de classe traditionnelles, nous constatons l'émergence de ni-veaux significatifs dans le développement technolo-gique, nous observons des crises de légitimité dans de nombreux pays ainsi que des soubresauts dus à la transformation radicale soit des processus politiques soit des processus socio-économiques ou socio-culturels: sur un tel terrain peut s'alimenter le grand et terrible projet des mouvements totalitaires, qui est de créer l'homme nouveau et l'ordre nouveau. Ces fac-teurs, combinés les uns aux autres, ne se sont jamais rencontrés conjointement dans aucune réalité anté-rieure. Le totalitarisme est donc bien fils de notre temps parce qu'il exprime, dans ses formes et dans son contenu, lesquels sont dramatiquement exas-pérés, distordus, désordonnés et dépourvus de toute espèce de discrimination, l'anxiété des hommes face à l'innovation et à la transformation du monde dans lequel nous vivons.

Placé sous cet angle, quelle est la différence entre un régime totalitaire et un régime autoritaire?

Les différences sont multiples. Je me limiterai à en si-gnaler deux. Pour commencer, tous les régimes totalitaires sont à parti unique, tandis que nous con-nais-sons des régimes autoritaires sans partis, à un seul parti ou à plusieurs partis (dans ce dernier cas, toutefois, dans un contexte non compétitif). Ceci dit, tandis que dans les régimes autoritaires monoparti-tes, l'Etat demeure ou tend à demeurer dans une po-si-tion supérieure et primordiale par rapport au parti, comme dans le cas de l'Espagne franquiste voire dans celui de l'Italie fasciste; dans les régimes tota-li-taires, au contraire, le parti prévaut par rapport à l'E-tat et évide ce dernier de sa signification générale pour s'en appro-prier au nom de l'idée que représente le parti et celui-ci devient ainsi le noyau où germe la société nouvelle: ce processus vaut pour les cas du bolchévisme soviétique, du communisme chinois, du national-socialisme allemand. Et nous pouvons pas-ser à la seconde différence. C'est, en gros, celle du rapport entre régime et société, entre régime et culture. L'autoritarisme montre une compatibilité avec les divers niveaux significatifs du pluralisme so-cial (dans la double dimension économique et culturelle) et les respecte en règle générale. Mais il nie le pluralisme politique. Le totalitarisme, en re-van-che, est intimement anti-pluraliste à tous les ni-veaux et se doit, en conséquence, de détruire toutes les articulations et toutes les autonomies de la vieille société afin de bâtir l'ordre nouveau.

Quand on prend acte de ce schéma, quelle plausibilité acquiert la thèse qui décrit le national-socialisme comme un mouvement et un système de pouvoir bourgeois, comme le produit et la "longue main" des intérêts du capitalisme et de ses exigences en matières de marché et d'hégémonie civile?

A mon avis, de telles interprétations sont désormais am-plement réfutées, vu que nous connaissons l'is-sue tragique du nazisme. Le parti nazi, loin d'être une projection de la bourgeoisie, de ses valeurs et de ses intérêts, en est profondément éloigné. Tout com-me sont très distinctes l'orientation globale du con-servatisme et l'orientation globale du national-socia-lisme. Sans aucun doute, dans la phase d'érosion de la République de Weimar, quand les nazis partirent à la conquête du pouvoir, il y a eu de nombreuses col-lu-sions entre les milieux conservateurs et les mi-lieux nazis, toutes dues, il faut le dire, à une mé-com-pré-hension de la nature véritable du mouvement hitlé-rien. Toutefois, tandis que la polémique conserva-trice dirigée contre la République de Weimar et son système démocratique tendait plutôt à instaurer un ré-gime autoritaire "qualitatif", l'action des natio-naux-socialistes s'efforçait de construire un régime to-talitaire "quantitatif", basé sur les masses. Il est vrai que parfois le capitalisme bourgeois peut, pour as-surer la sauvegarde de ses intérêts économiques, recourir à un instrument politique de type autoritaire, mais penser que ce capitalisme puisse aspirer à un régime totalitaire est une contradiction dans les ter-mes, surtout parce que le totalitarisme, précisément, vise à établir une économie non économique, c'est-à-dire une économie totalement subordonnée à la po-litique, alors que le bourgeoisisme se montre jaloux de préserver sa conquête: l'autonomie de la dimen-sion éco-no-mique.

Le thème central des deux cents solides pa-ges de  Totalitarismo. Un regime del nostro tempo met en exergue un trait distinctif du type politique totalitaire: la révolution permanente. Le totalitarisme est, en deux mots, un régime de révolution, d'une révolution qui ne s'arrête pas. Comment alors ce régime de révolution est-il compatible, lui qui postule une fracture dans le flux de l'his-toire, avec l'idée de permanence, qui sous-tend toujours, de quelque mode que ce soit, le principe de continuité?

Votre observation est subtile. L'apparente con-tradic-tion s'estompe si nous parvenons à percevoir la ré-vo-lution comme un processus et l'histoire comme une succession de déstabilisations induites, et ce, dans une optique de mouvement, de lutte continue. L'idée de "lutte continue", en fait, est proprement to-talitaire. Dès que le pouvoir est conquis, le mouve-ment poursuit la révolution, en l'appliquant cette fois du haut et en déstabilisant la société par une succes-sion d'"ondes" subversives. Cela peut paraître paradoxal, mais le désordre est le trait le plus spécifique du totalitarisme, qui "attend" l'avènement d'un or-dre nouveau qui n'arrive jamais.

(Interview extrait de la revue  Intervento n°82-83, août-octobre 1987; traduction franç.: R. Steuckers; adresse: Intervento, c/o Gruppo Editoriale Ciarra-pi-co, Piazza Monte Grappa 4, I-00195 Roma; abon-nement pour 6 numéros: 40.000 Lire).

 

 

 

dimanche, 04 janvier 2009

Zum 120. Geburtstag von Carl Schmitt / Der "Partisan" - wieder aktuell

 

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Zum 120. Geburtstag von Carl Schmitt / Der »Partisan« – wieder aktuell

Vor 120 Jahren wurde am 11. Juli 1888 im westfälischen Plettenberg der deutsche Staatsrechtstheoretiker und politische Philosoph Carl Schmitt als Sohn eines Kaufmanns geboren. Grund genug, sich seiner wieder einmal zu erinnern.

Nach seinem Studium der Staats- und Rechtswissenschaften in Berlin, München und Straßburg promovierte der junge Schmitt 1915 an der Universität Straßburg. Eine Berufung an die Universität Greifswald erfolgte 1921, er veröffentlichte die Abhandlung »Die Diktatur«, in der er die staatsrechtlichen Grundlagen der Weimarer Republik untersuchte.

Schmitt wurde 1922 Professor an der Universität Bonn. In seiner Schrift »Politische Theologie« arbeitete er seine Staatstheorie, von seinem katholischen Glauben ausgehend, weiter aus. 1923 schrieb er die Analyse: »Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus«. 1926 wurde er Professor der Rechte an der Handelshochschule in Berlin.

1932 kam es dann zur Berufung an die Universität Köln, und Schmitt schrieb sein grundlegendes Werk: »Der Begriff des Politischen«. Diese Staatsrechtslehre beschäftigte sich überwiegend mit der Unterscheidung von Freund und Feind.

Im Dritten Reich nicht straffällig geworden

Am 1. Mai 1933 dann ein folgenschwerer Schritt: der Eintritt in die Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (NSDAP). Im gleichen Jahr folgte die Ernennung zum preußischen Staatsrat durch Hermann Göring und im November 1933 zum Präsidenten der »Vereinigung nationalsozialistischer Juristen«. Zwischen 1933 und 1945 war Schmitt Professor der Rechte an der Universität zu Berlin.

Im Juni 1934 wurde er zum Hauptschriftleiter der Deutschen Juristen-Zeitung ernannt. Zwei Jahre später, im Oktober 1936, führte er den Vorsitz auf einem in Berlin stattfindenden Kongreß akademischer Rechtslehrer. Von 1937 an zog sich Schmitt zunehmend aus seiner herausgehobenen Stellung als führender nationalsozialistischer Rechtsgelehrter in die innere Emigration zurück.

1945 wurde Schmitt seines Lehramts enthoben und zeitweise verhaftet, zu einer Anklage kam es jedoch nicht, weil eine Straftat im juristischen Sinne nicht festgestellt werden konnte. Ab 1950 widmete sich Schmitt nunmehr völkerrechtlichen Studien und veröffentlichte seine Memoiren. Schmitt starb am 7. April 1985 in seiner Geburtsstadt Plettenberg.

Wegen seiner klaren »Feind«bestimmung in der Politik kommt man auch heute nicht um Carl Schmitt herum. Für Carl Schmitt ist ein grundlegendes Kennzeichen des Politischen die Fähigkeit zur Unterscheidung zwischen Freund und Feind. Außerdem macht er in seiner Schrift über den »Begriff des Politischen« deutlich, welche Art von Politik heute wichtig erscheint: »Sind innerhalb eines Staates organisierte Parteien imstande, ihren Angehörigen mehr Schutz zu gewähren als der Staat, so wird der Staat bestenfalls ein Annex dieser Parteien, und der einzelne Staatsbürger weiß, wem er zu gehorchen hat. Das kann eine ›pluralistische Staatstheorie‹ rechtfertigen … In außenpolitischen und zwischenstaatlichen Beziehungen tritt die elementare Richtigkeit dieses Schutz-Gehorsam-Axioms noch deutlicher zutage: das völkerrechtliche Protektorat, der hegemonische Staatenbund oder Bundesstaat, Schutz- und Garantieverträge mannigfacher Art finden darin ihre einfachste Formel.

Es wäre tölpelhaft zu glauben, ein wehrloses Volk habe nur noch Freunde, und eine krapulose Berechnung, der Feind könnte vielleicht durch Widerstandslosigkeit gerührt werden. Daß die Menschen durch einen Verzicht auf jede ästhetische oder wirtschaftliche Produktivität die Welt z.B. in einen Zustand reiner Moralität überführen könnten, wird niemand für möglich halten, aber noch viel weniger könnte ein Volk durch den Verzicht auf jede politische Entscheidung einen rein moralischen oder rein ökonomischen Zustand der Menschheit herbeiführen. Dadurch, daß ein Volk nicht mehr die Kraft oder den Willen hat, sich in der Sphäre des Politischen zu halten, verschwindet das Politische nicht aus der Welt. Es verschwindet nur ein schwaches Volk.«

Im Jahre 1963 veröffentlichte Schmitt die Abhandlung zur »Theorie des Partisanen«. Schmitts Interesse an der Figur des Partisanen ist rein theoretischer Natur. Er sieht ihn als das letzte wirklich politische Wesen der Gegenwart. In seiner »Theorie des Partisanen« läßt Schmitt nicht außer acht, daß »der autochthone Partisan agrarischer Herkunft in das Kraftfeld des unwiderstehlichen technischen-industriellen Fortschritt hineingerissen wird. Seine Mobilität wird durch Motorisierung so gesteigert, daß er in Gefahr gerät, völlig entartet zu werden. In der Situation des Kalten Kriegers wird er zum Techniker des unsichtbaren Kampfes, zum Saboteur und Spion …

»Motorisierter Partisan«

Ein solcher motorisierter Partisan verliert seinen tellurischen Charakter und ist nur noch das transportable und auswechselbare Werkzeug einer mächtigen Weltpolitik treibenden Zentrale … Der Theoretiker kann nichts mehr tun, als die Begriffe wahren und die Dinge beim Namen nennen. Die Theorie des Partisanen mündet in den Begriff des Politischen ein, in die Frage nach dem wirklichen Feind und einem neuen Nomos der Erde.«

Schmitts Werk findet heute wieder weltweite Beachtung. Kein Wunder im Zeitalter des Krieges gegen den »Terror«.

Günter Kursawe

 

samedi, 03 janvier 2009

La faute à Rousseau...

 

 

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SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - JANVIER 1986

 

La faute à Rousseau...

L'occident vit aujourd'hui, qu'il le veuille ou non, autour des grandes questions lancées au XVIIIème siècle par le philosophe genèvois Jean Jacques Rousseau. Le génie de cet homme réside non seulement dans la variété des thèmes de sa réflexions (de l'histoire au droit constitutionnel, en passant par l'art et la psychologie des cultures) mais aussi et surtout dans la nombreuse postérité que nous pouvons encore observer de nos jours, de la gauche socialiste à la droite libérale. Au fond, personne ne peut faire sérieusement l'impasse sur les grandes valeurs idéologiques du rousseauisme. Pour ou contre, mais jamais indifférent...  

L'ouvrage de Jacques JULLIARD, historien, éditorialiste au Nouvel Observateur et directeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, tombe à pic à une période où le retour des valeurs libérales et les prédictions répétées d'une "fin des idéologies" semblent converger vers une normalisation terrifiante des cerveaux européens. La nombreuse et souvente divergente descendance des lecteurs de ROUSSEAU retient pourtant que la part du politique et des valeurs qui organisent la cité ne sont ni neutres ni scientifiques mais idéologiques et arbitraires. Ce que ces thuriféraires ou ses critiques ont fort bien reconnus.

Le discours rousseauiste charrie en effet un certain nombre de valeurs aussi fondamentales dans les débats politiques du XIXème et du XXème siècle que l'idéologie du contrat social, la notion de souveraineté du peuple, l'omnicompétence du politique et le rôle actif et volontariste de l'Etat dans la vie des nations...

Toutes ces valeurs furent à la source d'idéologies très contradictoires les unes par rapport aux autres. JULLIARD analyse chacune d'entre elles avec précision et objectivité. Du jacobinisme au libéralisme bourgeois de BASTIAT et Benjamin CONSTANT, du socialisme étatique et terroriste de BLANQUI au socialisme mutuelliste des Proudhoniens de la fin du XIXème siècle, de nombreux courants de pensée se sont plus ou moins explicitement référés à l'oeuvre de Jean-Jacques ROUSSEAU. JULLIARD intègre même dans cette postérité une partie non négligeable de la pensée traditionaliste et contre-révolutionnaire de LAMENNAIS à BONALD. Il est intéressant de noter que, quelque soit par ailleurs les critiques féroces de ce dernier à l'égard de ROUSSEAU, considéré par les monarchistes comme le père spirituel de la Révolution de 1789, il y a chez eux deux attitudes marquées par un intérêt certain pour le discours de l'auteur du Contrat Social. D'ailleurs cette attitude ambigüe s'appuie aussi pour une bonne part sur l'aspect protéiforme de la pensée du citoyen genèvois. Ces contradictions dans le discours rousseauiste furent d'ailleurs parfaitement intégrées dans sa pensée, toute mouvante et évolutive. En fait, ROUSSEAU fut en permanence soucieux de tenir un compte exact des réalités historiques et géographiques propres à chaque peuple pris en soi. Si MONTESQUIEU tenait pour déterminant dans le mode d'organisation politique d'un peuple le critère du climat, ROUSSEAU fut le premier à conceptualiser avec intelligence le critère démographique. Ne croyant pas un instant à l'obligation, pour un mode d'organisation politique, de se ranger dans une des trois catégories fondamentales définies par ARISTOTE, il tenait un compte aussi rigoureux que précis des déterminants (relatifs) de la géographie, du nombre des citoyens installés sur le territoire national et des traditions locales propres à cette communauté étudiée. Les projets de constitution pour la Corse et la Pologne reflètent ce souci.

La fécondité de la pensée rousseauiste, trop souvent schématisée par ses pseudo-partisans républicains et ses adversaires réactionnaires (l'école contre-révolutionnaire du XIXème sicèle et les intellectuels maurrassiens du XXème), explique aussi pour une part l'influence de cette pensée dans la genèse idéologique du jacobinisme.

Parce que le jacobinisme constitue l'essence même de la révolution politique de 1789, on ne peut pas faire l'impasse de ses racines idéologiques. L'Occident moderne est un avatar monstrueux du jacobinisme, issu lui-même pour une part de l'esprit du classicisme français. Le discours rousseauiste, en particulier sa référence constante à la notion de volonté générale et à la souveraineté populaire qui en est le corollaire, a inspiré la création de ce modèle typique du régime moderne.   

Pourtant, on ne peut attribuer la totale paternité de ce modèle à Jean-Jacques ROUSSEAU. La notion de communauté populaire que le jacobinisme a extrait des principes rousseauistes pouvait évoluer dans des directions fort contradictoires. 1° Une évolution totalitaire, où le peuple apparaît comme une collection arithmétique d'individus doués de raison. Le jacobinisme, appuyé sur une conception rationnelle et atomisante du citoyen, où la volonté générale ne tolère aucune forme d'association entre ces derniers. L'Etat face à l'individu-citoyen. 2° Une évolution démocratiqu, notamment sous sa forme bourgeoise, où la souveraineté du peuple est déléguée à une minorité représentative. Il s'agit du modèle de démocratie représentative que les jacobins (à l'exception de la constitution de 1793 jamais appliquée) favorisèrent tout au long du XIXème siècle. Enfin, 3° la démocratie dite directe, considérée par les mêmes jacobins comme anormale et historiquement condamnée. Autant de conceptions qui sont toutes issues de la matrice rousseauiste. Le jacobin, magnifiquement décrit par l'historien Hippolyte TAINE dans ses Origines de la France contemporaine, crée alors le suffrage censitaire, interdit toute association professionnelle, combat comme obscuran- tistes les cultures provinciales. Tous ces actes ayant pour finalité la création d'un "homme nouveau", d'un homme sans racines, formé selon la pédagogie idéologique de l'école républicaine; en somme, l'homme de la modernité...

Jacques JULLIARD a su avec beaucoup de clarté et de références nous décrire cette descendance de Jean-Jacques ROUSSEAU. Nous pouvons pourtant regretter une conclusion peu explicite. La problématique de la représentation est très légèrement abordée. Evoquer les blocages face aux formes traditionnelles de la représentation (parlementaire, syndicale, etc.) ne résout en rien la question. Il manque un discours global et cohérent sur les structures nécessaires et historiques d'une nouvelle démocratie, une démocratie organique qui prendrait en compte et la dimension communautaire nationale et la dimension intra-communautaire. Le livre de JULLIARD peut nous aider à y réfléchir.

Ange SAMPIERU.

Jacques JULLIARD, La faute à Rousseau, Seuil, Paris, 1985, 85 FF.

 

mercredi, 31 décembre 2008

L'oeuvre de Bernard Willms

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L'oeuvre de Bernard WILLMS, 1931-1991

 

 

par Robert Steuckers

 

Né le 7 juillet 1931 à Mönchengladbach dans un milieu catholique, Bernard Willms étudie la philosophie, la so­ciologie, l'histoire contemporaine, la philologie germanique et le droit public à Cologne et à Münster. Sous la direction de Joachim Ritter, il présente ensuite une thèse sur la liberté totale chez Fichte. Il devient ensuite, dans les années 60, l'assistant du sociologue libéral-conservateur Helmut Schelsky, brillant analyste de la famille al­lemande, de la sexualité et du rôle des intellectuels dans les sociétés libérales. Le politologue et juriste Ernst Forsthoff exerce également une influence prépondérante sur la pensée de Willms à cette époque où la philoso­phie allemande est déterminée par une autre école: l'Ecole de Francfort. En 1970, Willms est nommé Professeur de sciences politiques à Bochum, où il restera jusqu'à sa mort. Ses intérêts le portent à enseigner principalement la «théorie du politique» et l'histoire des idées politiques. Marqué par l'idéalisme allemand, et plus particulière­ment par Hegel, Willms aborde et approfondit ses connaissances de l'œuvre de Hobbes. Trois ouvrages sur le philosophe anglais, auteur du Leviathan, se succéderont entre 1970 et 1987, fruits de vingt années de spécula­tions et de méditations. Membre du Conseil honoraire de l'International Hobbes Association, il est reconnu comme l'un des plus éminents spécialistes au monde de la pensée de Hobbes.

 

Dans les années 80, Willms devient le philosophe du politique et de la nation. Il fonde de la sorte une école néo-idéaliste qui vise la reconstitution de la souveraineté allemande et désigne le libéralisme comme l'ennemi prin­cipal de toute pensée politique concrète. Programme qui transparaît dans son célèbre ouvrage Die deutsche Nation  (1982). Mais le nationalisme de Willms n'est pas un nationalisme de fermeture: en 1988, notre auteur, avec l'aide de Paul Kleinewefers, ébauche le plan d'une confédération centre-européenne (Allemagne RFA + RDA, Autriche, Tchécoslovaquie), prévoyant le respect des identités nationales/ethniques tout en dépassant le cadre étroit de l'Etat-Nation conventionnel. A partir de 1989, Willms affronte une dimension nouvelle de la philoso­phie politique, née dans le sillage des spéculations post-modernes. S'appuyant sur les classiques de la pensée politique allemande conservatrice de notre après-guerre, Carl Schmitt et Arnold Gehlen, Willms compare cet hé­ritage à la critique française contemporaine de la modernité (Foucault, Lyotard, Derrida, Baudrillard). Il en con­clut que la négation des principes de la modernité doit former l'assise d'un principe positif nouveau qui conduira les nations opprimées, dont l'allemande, à la liberté. Cette négation des fondements de la modernité est simul­tanément une négation du libéralisme, entendu comme idéologie hostile à toutes les institutions, dissolvante et impolitique.

En 1982, il devient co-éditeur de la prestigieuse revue de sciences politiques Der Staat, éditée à Berlin.

 

Bernard Willms meurt le 27 février 1991. Ses étudiants l'ont porté en terre, avec, sur le cercueil, une plaque de cuivre représentant le frontispice du Léviathan de Hobbes et la phrase percutante, inspirée de Caton l'Ancien, que Willms aimait prononcer à la fin de chacune de ses nombreuses conférences: ceterum censeo Germaniam esse restituendam.

 

La Nation allemande. Théorie, Situation, Avenir (Die Deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft) 1982

 

Ouvrage de base, où Willms a récapitulé les axes principaux de sa démarche philosophique. L'objectif du livre est annoncé d'emblée: il faut penser en termes de «nation». Pour pouvoir penser en termes de nation, il faut élaborer une théorie de la nation. A partir de la renaissance, l'existence humaine se dégage des dogmes médiévaux et sco­lastiques et n'a plus d'autre référent qu'elle-même. Dès lors, elle peut soit sombrer dans l'individualisme  —che­min choisi et emprunté par le libéralisme—  soit se mettre à construire en toute conscience de la socialité  —chemin choisi par l'idéalisme allemand (Fichte, Hegel, Freyer)—  afin de ne pas basculer définitivement dans la loi de la jungle. Le travail, éminemment politique, de construction de la socialité passe par ce qu'Arnold Gehlen appelait les «institutions» (droit, Etat, etc.). Celles-ci ont pour fonction, dans toute société cohérente et civili­sée, de réguler le comportement des individus. Les institutions permettent aux individus de ne pas être désorien­tés dans l'infinité des possibilités d'action qu'offre le monde en perpétuelle effervescence. L'existence des insti­tutions implique qu'il n'existe aucune morale universelle et naturelle: elles sont des fixations toujours tempo­raires, posées devant un horizon infini de possibilités en interaction constante. Le politique, dans une telle op­tique, c'est le travail constant de modification/adaptation des institutions, l'application modulée des principes sur lesquels elles reposent.

 

Comme les institutions varient selon les contextes, les nous collectifs, réceptacles des libertés individuelles, que sont les nations constituent des réalités incontournables. La liberté individuelle ne peut s'exprimer concrè­tement qu'au travers d'un filtre institutionnel national, sinon elle déchoit en pure négativité (la voie du libéra­lisme). Toute philosophie ancrée dans le réel est donc «nationale» sur le plan politique. La philosophie de la na­tion explore de ce fait le rapport qui existe entre le particulier (la liberté individuelle) et le général (les institu­tions qui filtrent les énergies émanant de ce particulier, dans un contexte donné, soit la nation). La philosophie politique n'acquiert concrétude que par la reconnaissance de ce rapport qui fonde le politique, comme l'avait déjà reconnu Aristote, dont l'anthropologie faisait de l'homme un être théorique et politique ancré dans une polis, es­pace concret. La polis  actuelle est la nation. Par conséquent, l'impératif national est catégorique. La disparition ou l'effacement de la concrétude «nation» engendre l'irrationalité politique; ce n'est pas l'adhésion positive à cette concrétude qui est irrationnelle: Willms prend ici le contre-pied des postulats négateurs, hostiles à toute af­firmation dans l'orbite du politique, de la philosophie critique que l'Ecole de Francfort  —et à sa suite Habermas— avait voulu imposer au discours philosophique et politique allemand de notre après-guerre.

 

Le retour à la concrétude, la volonté de ré-ancrer la philosophie dans les contextes nationaux passe par une cri­tique serrée des principes de l'Aufklärung  et de ses avatars récents. Ceux-ci sont portés par un optimisme pro­gressiste qui raisonne au départ de situations inexistantes: la société sans classe ou le village-monde des «mondialistes». Or, dans le concert international, depuis toujours, nous n'avons affaire ni à l'une ni à l'autre mais à un pluriversum  de nations, aux institutions différenciées, répondant aux besoins, aux nécessités et aux aspirations d'hommes ancrés sur des sols particuliers qui leur imposent géologiquement un mode de vie précis, non interchangeable.

 

Cet ancrage dans la polis/nation n'est pas une disposition naturelle de l'homme, comme les sentiments qui le lient à son terroir, mais est le produit d'un travail de réflexion. Le politique, qui est travail, se sert d'un instru­ment, l'Etat, qui se comporte vis-à-vis de la concrétude nation, de la matière nation, comme l'ébauche de l'architecte vis-à-vis du bâtiment construit, comme la forme vis-à-vis de la matière travaillée. Ce qui implique qu'il n'a pas d'objet sans la concrétude et qu'exclure ou amoindrir conceptuellement la matière nation est une sot­tise théorique. Le rapport de la nation à l'Etat est donc un rapport d'auto-réalisation consciente. L'Etat, dans cette optique, n'est pas un concept abstrait mais un concept nécessaire, un concept qui exprime une nécessité vitale. Concept et Begriff  signifient, étymologiquement, con-capere, be-greifen  saisir et rassembler, fédérer: il im­plique donc la présence d'une concrétude à saisir, à travailler, à hisser à un niveau de conscience supérieur.

 

L'Etat est concept nécessaire donc réel et est soumis aux conditions mêmes du réel: exister dans le temps et dans l'espace. Dans une histoire et sur un territoire, aux frontières mouvantes sous les coups des aléas. L'idéologie de l'Aufklärung  refuse les implications de la réalité histoire. C'est pourquoi elle bascule dans l'abstraction et l'utopie. L'histoire est soit acceptée dans sa totalité soit intégralement ignorée. Les individualités ou les peuples qui perdent le sens de leur histoire perdent également tout rapport fécond avec le réel dans le présent. Les partis politiques n'acceptent qu'une partie de l'histoire; ils entretiennent à son égard un rapport partisan/sélectif mutilant qui conduit au déclin par insuffisance théorique et négligence des pans de réel qui déplaisent.

 

L'idée «Nation», la perspective nationale-idéaliste, est née à l'aube du XIXième siècle, de la conjonction des théories émises précédemment par Rousseau, Herder, Schiller, Arndt, Görres, Fichte et Wilhelm von Humboldt. Willms entend réactualiser ce corpus doctrinal, battu en brèche par le libéralisme et les idéologies politiques de diverses obédiences, nées dans son sillage. L'idée nationale, dans ce sens, recèle une dimension subversive, dans le sens où elle est un projet idéel positif et affirmateur qui se mesure sans cesse à une réalité faite de com­promis boîteux, régie par les «Princes» ou l'«établissement».

 

Cette dimension subversive de l'idée nationale ne puise pas dans le corpus de l'Aufklärung  mais dans une tradi­tion qui lui est opposée et qui a été théorisée de Herder à Arnold Gehlen. Cette tradition philosophique idéaliste s'insurge contre l'interprétation occidentale (française, anglaise et américaine) du rationalisme, qui, sur le plan politique, tombe rapidement dans un «contractualisme unidimensionnel» figé et refuse souvent de reconnaître les limites de temps et d'espace inhérentes à toute réalité. Kant, le théoricien le plus pointu de la tradition des Lumières, a pourtant perçu les limites de l'Aufklärung,  nous explique Willms, en constatant que l'esprit peut théoriquement descendre partout mais que quand il descend, il descend toujours dans une concrétude pluri-déter­minée par la langue, l'histoire, le peuple. La tradition opposée aux Lumières appliquées stricto sensu, sans réfé­rence explicite au temps et à l'espace, constitue donc une pensée plus riche et plus profonde, tenant compte de davantage de paramètres. La pluralité des paramètres oblige à plus de circonspection; tenir compte de cette plura­lité, de la complexité et de l'imprévisibilité qu'elle postule, n'est pas de l'«irrationalisme» mais, au contraire, constitue une rationalité plus fine, qui n'exclut pas l'aléatoire.

 

Certes, l'idée nationale peut se radicaliser dangereusement et les sentiments nationaux, légitimes, peuvent subir des manipulations qui les discréditent ultérieurement. C'est un risque qu'il faut inclure dans tous les calculs poli­tiques.

 

Pour Willms, il n'existe aucun concept politique qui soit hiérarchiquement supérieur, en théorie comme en pra­tique, à l'Etat national. L'idée d'humanité, d'Etat mondial, de société humaine globale sont toutes des construc­tions abstraites qui n'ont aucun répondant dans le monde réel. Celui-ci, parce qu'il est un pluriversum, ne connaît que des Etats nationaux. De plus, toute forme de coopération internationale ne peut fonctionner que par la recon­naissance et dans le respect des sujets politiques, donc des Etats nationaux. Le monde évoluera sans doute vers des confédérations sur de plus grands espaces: il n'empêche qu'elles se forgeront au départ d'adhésions volon­taires d'Etats nationaux ou seront rassemblées par la coercition, l'hégémonisme ou l'impérialisme. Toutes les formes d'internationalisme iréniste sont vouées à l'échec. Il existe toutefois une forme d'internationalisme particuliè­rement pernicieuse: celle qui dérive de la dynamique d'un sentiment national, comme l'idée de «grande nation» de la France révolutionnaire. Cet internationalisme part d'une concrétude nationale tangible, la France, mais veut se débarrasser des limites incontournables, propres à toute concrétude nationale, pour se mondialiser. Ce pro­cessus pervers d'évacuation des limites s'accompagne généralement d'un engouement pour les idéologèmes de l'Aufklärung  et d'une accentuation extrême du pathos nationaliste. En dépit de ce pathos qui peut surgir à tout moment, l'idée nationale postule, en ultime instance, une ascèse assez rigoureuse qui limite son action à un cadre précis sans vouloir le déborder. Le nationalisme français ne s'adresse plus à la seule nation française mais veut planétariser les idéaux des Lumières. Le national-socialisme allemand se mue en impérialisme qui veut asseoir dans le monde entier la domination de la race nordique, éparpillée sur plusieurs continents, donc sur une multi­tude de contextes différents, ce qui interdit de la penser comme une nation, donc comme limitée à un et un seul contexte précis. Avec Max Weber, Willms affirme que la Nation ne doit vouloir que sa propre continuité, ne doit affirmer qu'elle-même. L'idée de nation n'est donc pas une valeur, qui pourrait être contestée comme toutes les va­leurs, mais un fait objectif que l'on ne contourne pas, un destin (Schicksal).

 

Donc la nation est un but en soi, elle n'est jamais un moyen pour arriver à d'autres fins, comme, dans le cas fran­çais, à faire triompher une idéologie, celle des Lumières, ou, dans le cas allemand/hitlérien, à promouvoir à l'échelle de la planète entière un fantasme racial, ou, dans le cas anglais, à généraliser une praxis économique qui ne connaît pas de limites, le libre-échange libéral.

 

Willms pense également la coexistence politique, car différences ne signifient pas nécessairement antago­nismes. Pour Willms, la coexistence part 1) de la reconnaissance des réalités politiques que sont les nations; 2) d'une prise en compte des transformations dues aux faits de guerre et de paix; 3) d'une contestation de toutes les prétentions à vouloir représenter seul, devant l'histoire et le monde entier, la réalité humaine dans toute sa glo­balité; 4) d'une promptitude à amorcer toute espèce de coopération en politique extérieure qui aille dans le sens des intérêts de toutes les parties.

 

Après ce panorama théorique, Willms analyse la situation historique de l'Allemagne: d'où vient-elle, où est-elle? Le pays est divisé et un ensemble précis de forces cherche à perpétuer ad infinitum cette division. Dans le con­texte du grand débat autour de la nation qui s'est déroulé en Allemagne dans la première moitié des années 80, Willms énonce des recettes pour reconstituer la nation allemande dans son intégralité. Cette nation reprendra ensuite sa place dans un contexte international.

 

Identité et résistance. Discours sur fond de misère allemande (Identität und Widerstand. Reden aus dem deutschen Elend), 1986

 

Le recul de la politologie nationale a créé un vide en Allemagne. Un vide théorique d'abord puisque les traditions politologiques dérivées de l'idéalisme allemand, de Fichte, Treitschke, etc. ont été abandonnées et n'ont plus été approfondies, confisquant du même coup au peuple allemand la possibilité d'élaborer un droit et une praxis poli­tique concrète en accord avec ses spécificités identitaires. Un vide existentiel ensuite, puisque, sans pleine sou­veraineté, le peuple allemand ne jouit pas de droits pleinement garantis, car, en dernière instance, cette garantie se trouve entre les mains de puissances étrangères. Pour Willms, le peuple allemand, en perdant ses traditions intellectuelles, a perdu le pouvoir de cerner son identité (de prendre sereinement acte de «son» réel) et d'articuler une praxis politique en conformité avec cette identité. Conséquence: le déficit en matière d'identité postule un droit imprescriptible à la «résistance».

 

Willms se penche ensuite sur l'arrière-plan de cette misère allemande qui devrait déclencher cette résistance. Cette misère est à facettes multiples et d'une grande complexité. A l'échelle du globe, la misère allemande a pour toile de fond la fin de l'après-guerre, processus qui s'est déroulé en plusieurs étapes: décolonisation, guerre froide, course aux armements. La confrontation entre les deux superpuissances, les Etats-Unis et l'URSS, jette l'Europe et l'Allemagne dans une situation d'insécurité. Le centre du continent européen est devenu une zone d'affrontement potentiel. L'intérêt de tous les Européens est de sortir de ce contexte insécurisant qui leur con­fisque tout destin.

 

L'idée de nation, poursuit Willms, permet de sortir de cette impasse. Le monde est un pluriversum  de nations, de sujets politiques et non un One World  ou une société sans classe planétaire. Les hommes, animaux politiques selon la définition d'Aristote, n'existent concrètement que dans des communautés politiques déterminées, les­quelles sont plurielles et diverses. Cette diversité est postulée par la nécessité brute et vitale de faire face à des aléas naturels et historiques, chaque fois différents selon les circonstances, les lieux, les époques. Dire qu'il existe des idées supérieures à l'idée de nation, c'est utiliser une formule idéologique pour occulter une volonté dé­libérée de domination, d'impérialisme ou de colonialisme. Ainsi, le «socialisme universel» sert les desseins de l'impérialisme soviétique, tandis que l'idéal démocratique des droits de l'homme sert la machine politico-écono­mique des Américains. Nous avons donc là deux idéologies supra-nationales qui égratignent les souverainetés concrètes des puissances plus petites, en injectant, de surcroît, dans leurs tissus sociaux, des ferments de décom­position par le biais de partis à leur dévotion qui servent d'officines de propagande aux idéaux abstraits instru­mentalisés depuis Moscou ou Washington.

 

Willms démontre les effets pervers des idéologies mondialistes: elles arasent les droits concrets et diversifiés des peuples, les plongeant dans une bouillabaisse de droits mutilés, handicapés et stérilisés par les abstractions. Le concert des nations a des dimensions bellogènes  —Willms ne le nie pas—  mais le type de conflits qui en ressort, reste localisé et permet d'asseoir et d'affirmer des formes de droit particulières, bien adaptées à des con­textes précis. Malgré ce risque de guerre localisée, les limites qu'implique l'idée de nation offrent aux citoyens un horizon saisissable, qui confère du sens. Les super-puissances, elles, sont des impasses de l'évolution histo­rique, affirme Willms. Gigantesques comme des dinosaures, elles n'ont pas d'avenir sur le long terme car leurs jeunesses vivent en permanence un sentiment d'absurde, issu de ce discours tablant sur l'illimité, donc trop abs­trait et insaissisable pour le citoyen moyen, confiné dans une spatio-temporalité précise, limitée et déterminée. Les universalismes engendrent un sentiment d'absurde par évacuation de la concrétude nation. Par suite, le retour de la concrétude nation restaure du sens dans l'histoire et dans le monde.

 

Instruments des grandes puissances dominatrices, les idéologies universalistes désignent des ennemis qui ne sont pas les ennemis immédiats et réels des peuples soumis à leur emprise. Le jeu normal du politique est dès lors vicié puisqu'une désignation concrète de l'ami et de l'ennemi s'avère impossible. La mobilisation des citoyens, dans un tel contexte aberrant, s'effectue au bénéfice de religions laïques, issues des spéculations philosophiques du XVIIIième siècle. Ces religions désignent des ennemis absolus, contrairement au politique qui ne connaît que des ennemis provisoires, qui peuvent devenir amis demain et alliés après-demain.

 

Prenant le cas de l'Allemagne, Willms constate qu'elle a très peu d'amis réels, qui souhaitent franchement sa réu­nification. Les hommes politiques allemands doivent dès lors œuvrer à soutenir les initiatives étrangères qui ac­ceptent le principe de la réunification parce que celle-ci contribuerait à déconstruire les antagonismes qui s'accumulent en Europe centrale. Sont donc ennemis intérieurs de la nation allemande, tous ceux qui embrayent sur les discours universalistes, camouflages des impérialismes qui mettent l'Allemagne sous tutelle, tous ceux qui font passer d'autres intérêts que ceux qui concourent à accélérer la réunification. Willms énonce sept péchés capitaux contre l'identité allemande, dont l'auto-culpabilisation, la moralisation du politique (projet irréalisable car tout ne peut être moralisé d'emblée), le renoncement à forger une démocratie taillée sur mesure pour l'identité allemande, la servilité à l'égard des vainqueurs de 1945, la reconnaissance de facto de la division allemande, l'irénisme infécond, cultiver la peur de l'histoire (même si la peur est compréhensible dans la perspective d'un conflit nucléaire en Europe centrale).

 

Idéalisme et nation. A propos de la reconstruction de la conscience de soi politique chez les Allemands (Idealismus und Nation. Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewußtseins der Deutschen),  1986

 

Anthologie de textes classiques des grands auteurs de référence de Willms, tels Justus Möser, Herder, Ernst Moritz Arndt, Joseph Görres, Wilhelm von Humboldt et Fichte, ce livre est doublé d'une série de définitions et d'analyses philosophiques, ayant pour objets les contenus conceptuels de cette «conscience nationale alle­mande», exprimée par l'idéalisme et le romantisme. Willms cherche surtout à comparer et à opposer les Lumières (Aufklärung)  et l'idéalisme. Dans cette opposition se reflète également le dualisme antagoniste franco-alle­mand. Les Lumières ont pris leur envol en France car, depuis Philippe le Bel et la corruption des Papes d'Avignon, les diversités composant la société française ont été progressivement mises au pas au profit de l'absolutisme royal. La Saint-Barthélémy de 1572 et la révocation de l'Edit de Nantes ont constitué deux mesures de restauration de l'absolutisme en déclin. L'idéologie des Lumières en France s'insurge contre cet absolutisme mais en reprend les structures mentales dans la mesure où elle perçoit le monde comme une diversité dépourvue de sens qu'il faut soumettre aux critères d'une raison omnilégiférante. Montesquieu a été une exception: il relativi­sait l'absolutisme en recourrant à l'histoire et au réel. Les Lumières, version révolutionnaire, n'ont pas retenu sa leçon. Leur démarche dualiste et moralisante restaurait une pensée para-religieuse, paradoxalement la même que celle qui régissait la religion et l'absolutisme qu'elles combattaient. Depuis Guillaume d'Ockham et la renais­sance, les hommes avaient découvert le Règne de la Liberté, c'est-à-dire un règne du hasard, de l'aléatoire, du risque qui réclame l'action consciente, la création consciente et constante d'ordres politiques viables. Le Règne de la Liberté, rude et rigoureux, postule Travail et Devenir. Les Lumières, elles, chavirent dans le pastoralisme idyllique et immanent, mauvaise caricature de la théologie défunte. Avec Thomas Hobbes, l'auteur du Léviathan, Willms demande de prendre la Règne de la Liberté au sérieux. La liberté est un défi à cette existence humaine mi­séreuse, animale, brève (Hobbes, Léviathan, Ch. 13), à cette déréliction où l'homme peut être un dieu ou un loup pour l'homme. La liberté et la raison n'existent que dans un devenir fragile, si bien qu'elles doivent être inlassa­blement construites dans le Léviathan, seule réalisation active pensable de la liberté et de la raison.

 

L'idéologie des Lumières entend construire un stade final de l'histoire dans l'immanence, où le travail constant de réalisation/incarnation de la raison et de la liberté ne sera plus nécessaire. L'au-delà de la religion descend dans l'immanence, transformant l'idéologie des Lumières en nouvelle foi laïque organisée par une hiérocratie d'intellectuels qui n'hésite pas, le cas échéant, à déclencher la terreur. L'idéologie des Lumières est par consé­quence une tentative d'échapper aux implications du Règne de la Liberté. Elle rompt les liens qui unissent les hommes au réel. Ce n'est donc pas parce que les intellectuels modernes occidentaux ont perdu Dieu que leur pen­sée s'est affranchie du réel mais parce qu'ils ont opéré cette immanentisation des structures mentales fixistes de la religion, fuyant de la sorte les impératifs du réel qui réclament l'action permanente. Cette rupture entre la pen­sée et le réel a conduit aux horreurs des révolutions française et russe et des guerres du XXième siècle. Si l'idée motivante d'une construction permanente du Léviathan n'avait pas cessé, à cause de l'idéologie des Lumières, de mobiliser les hommes dans la mesure et les limites spatio-temporelles inhérentes à tout fait de monde, ce cor­tège d'horreurs, déclenché parce qu'il y a volonté d'absolu dans l'immanence, n'aurait jamais eu lieu.

 

Les ordres concrets qui structurent les peuples sont perçus, par les tenants de l'idéologie des Lumières, comme des résidus irrationnels et pervers qu'il faut éliminer. En refusant de tenir compte de la tangibilité de ces ordres concrets, les protagonistes de l'idéologie des Lumières, prétendant introduire dans le discours politique une di­mension «critique», s'abstraient des conditions concrètes de leur propre histoire. Erreur dans laquelle l'idéalisme allemand n'a pas basculé. Willms enjoint ses lecteurs à relire Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Goethe, Hölderlin et Schiller. Cet idéalisme s'enracine toujours dans une spécificité qui, en l'occurrence, est allemande. L'esprit al­lemand a toujours voulu saisir pleinement le réel. Ce qui le rend immanent parce que conscient. Cette conscience dans l'immanence conduit à concevoir tout réel comme réalisation (Verwirklichung). Tout réel est, par suite, de­venir. L'idéalisme allemand restaure donc le lien qui unit la pensée européenne contemporaine à Héraclite. Mais l'Obscur d'Ephèse est observateur du devenir tandis que l'idéaliste conçoit la réalisation du réel par un sujet, c'est-à-dire par un homme conscient de sa liberté. Il y a donc dans l'idéalisme germanique un primat du pratique, de l'action. Son anthropologie repose sur une conception où l'homme ne doit compter que sur lui-même pour af­fronter le monde, que sur ses propres mains et son propre cerveau.

 

La liberté qui rend possible le travail de «réalisation du réel» n'est donc pas simplement définissable négative­ment; elle n'est pas simple «bris de chaînes»: elle exprime la structure réflexive de l'organisme humain; elle est la conditio humana  par excellence.

 

Ouverture sur l'erreur comme sur la réussite, la liberté, sur le plan politique, doit travailler à créer des institu­tions, c'est-à-dire des cadres de vie communautaires/collectifs déterminés par un ensemble de circonstances pré­cises. L'idéalisme complète de la sorte le nominalisme d'Ockham qui reconnaissait la rationalité du contingent, la réalité du particulier et les lois propres régissant l'individuel. Il n'y a, pour la tradition nominaliste née sous l'impulsion d'Ockham, que du particulier et de l'individuel. Ce qui ne signifie pas que le monde est un chaos ato­misé. Il y a du général individué à organiser. Ce général individué se présente au sujet réalisateur tantôt avec pré­cision tantôt avec imprécision. Le sujet le hisse au niveau de l'idée, ce qui le rend instrumentalisable et systéma­tisable. L'idée n'est de ce fait pas une abstraction: elle émerge du réel auquel elle peut sans cesse être confrontée. L'idée est réalité hissée au niveau de la conscience. L'idéalisme est de ce fait une attitude mentale qui consiste à élever sa propre existence au niveau de l'idée, donc à tirer de soi le meilleur de soi-même. Pour parler le langage de l'entéléchie: à devenir ce que l'on est. Deux erreurs philosophiques règnent aujourd'hui: dire que le matéria­lisme est plus proche du réel que l'idéalisme. Ensuite, dire que l'idéalisme est un romantisme nébuleux, une illu­sion détachée du réel et lui opposer un «réalisme» qui n'est qu'utilitarisme particulier ou trivialité.

 

Mais l'idéalisme a basculé dans les abîmes du XXième siècle. Il s'agit, non pas de le reconstruire, mais d'en redé­gager la substance. A la suite de Walter Wimmel (Die Kultur holt uns ein. Die Bedeutung der Textualität für das geschichtliche Werden, Würzburg, 1981), Willms décrit l'idéalisme comme un «grand texte», fonctionnant comme un dépôt, un magasin, un champ ouvert, où les éléments sont entassés ou rangés en vue d'un usage futur. L'archétype qui structure le «grand texte» de l'idéalisme est celui de la liberté qui appelle les hommes au travail de construction du Léviathan, dieu périssable, tandis que l'archétype de l'idéologie des Lumières est la volonté de réaliser une fois pour toutes le paradis céleste sur la terre, état de chose voulu comme définitif.

 

Puisque la vie dans le Règne de la Liberté est travail et combat, le noyau de l'idéalisme, expression et reconnais­sance philosophique de cet état de chose, c'est le politique, réalisation de l'éthique dans le temps et l'espace comme veut le démontrer le discours hégélien. Le cadre du politique est la nation, aux dimensions précises et li­mitées, instance qui ne saurait en aucun cas se soumettre aux critères d'une morale absolue, soustraite au temps et à l'espace. De même, il est impossible de hisser l'individu au-dessus du collectif nation, produit de l'histoire, sans sombrer dans la pure démagogie ou dans l'absurdité. L'homme, en effet, ne peut vivre qu'imbriqué dans un réseau de rapports politiques concrets, déterminé par un temps et un espace. En dehors de tels rapports, dont la concrétion est la polis  d'Aristote ou ses avatars ultérieurs, dont la nation au sens allemand du terme, l'homme n'est pas homme: il n'est qu'animal ou dieu.

 

En définissant l'idéalisme selon la tradition allemande, Willms opte pour une «politique réaliste» contre une «politique idéologique». Avec la domination depuis près de deux cents ans qu'exercent les principes de l'Aufklärung  d'origine française, notre civilisation a basculé dans le nihilisme. En bout de course, l'idéalisme lui-même s'est trop mâtiné d'illuminisme, si bien que le nationalisme allemand, qui, théoriquement, voulait agir dans le cadre concret d'une nation  —l'allemande— prise dans sa globalité, a échoué parce qu'il s'est imposé sur la scène politique dès l'ère wilhelminienne comme un parti, donc comme une instance d'exclusions multiples qui refusait de prendre en compte bon nombre de pans du réel. Pour Willms, la «révolution conservatrice» est un idéalisme de l'ère nihiliste, qui a nié le parlement de Weimar, son système de partis et n'a vu dans le général de son époque qu'un vulgaire système de besoins et d'intérêts. Négation non suivie d'un investissement concret de ces instances pour les infléchir dans le sens de l'idée de nation. La «révolution conservatrice» n'a pas suivi les traces des deux grands continuateurs de l'idéalisme, Hans Freyer et Arnold Gehlen.

 

En conclusion de son anthologie et de son plaidoyer pour l'idéalisme contre les Lumières, Willms énonce les pistes que doit emprunter, à ses yeux, l'idéalisme à l'ère atomique: cet idéalisme doit refuser toutes les utopies de type religionnaire; il ne fonctionne pas à la haine ou à l'emphase mais a besoin de décision. Il ne reconnaît que des nécessités, au-delà du bien et du mal. Il désigne ses ennemis mais n'a aucun ennemi a priori, défini au nom de sentiments, d'une idéologie, d'une race. Il combat tous les ennemis de sa nation concrète et se montre solidaire à l'égard de toutes les autres nations libres.

L'idéaliste contemporain doit ensuite juger et agir au nom de la raison nationale-politique et non au nom d'une idéologie qui ne connaîtrait pas de cadre précis, limité dans le temps et dans l'espace.

 

La lutte pour la liberté est une lutte pour permettre à celle-ci de s'exercer de toutes les façons, de forger en tous lieux des institutions adaptées à chaque locus  destinal, de manière à canaliser et renforcer des flux d'énergies par­ticuliers, uniques, non interchangeables.  

 

Renouveau au départ du centre. Prague. Vienne. Berlin. En-deçà de l'Est et de l'Ouest (Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Berlin. Diesseits von Ost und West),  1988

 

Ecrit en collaboration avec Paul Kleinewefers, ce livre répond à l'engouement pour la Mitteleuropa qui a agité le débat politique allemand au cours des années 1984-1989. L'objet premier de ce travail est de penser l'Europe cen­trale au-delà de la partition du continent, scellée dans l'immédiat après-guerre. L'objet second est de concevoir une unité allemande sans liens trop privilégiés avec l'Ouest. Une Westbindung  trop prononcée serait une invo­lution historique déracinante et renforcerait la division du continent. Le renouveau européen doit dès lors venir du centre de l'Europe. Sur le plan institutionnel, ce renouveau doit se baser sur un fédéralisme associatif regrou­pant Tchèques, Slovaques, Allemands (de l'Est et de l'Ouest) et Autrichiens dans une instance confédérale nou­velle, animée par des principes économiques de «troisième voie». Willms étudie les principes historiques du fé­déralisme et les structures de la démocratie libérale en vigueur en RFA et en Autriche pour proposer une réforme constitutionnelle allant dans le sens d'une assemblée tricamérale (Parlement, Sénat, Chambre économique). Le Parlement se recruterait pour moitié parmi des candidats désignés par des partis et élus personnellement (pas de vote de liste); l'autre moitié étant constituée de représentants des conseils corporatifs et professionnels. Le Sénat est essentiellement un organe de représentation régional. La chambre économique, également organisée sur base des régions, représente les corps sociaux, parmi lesquels les syndicats.

 

En concevant ce plan pour une nouvelle Mitteleuropa, Willms ne renonce pas à sa théorie de la nation, cadre ins­titutionnel indépassable. Tout comme l'idée d'Etat, quand elle est correctement comprise, ne détruit pas la liberté de l'individu, mais, au contraire, permet qu'elle se déploie, la libre coopération entre nations libres est un projet qui permet à ces nations de croître, de se rendre plus fortes par la coopération, à rebours de ce qui se passait dans l'ancien système fait de nations en conflit. La coopération entre grandes et petites nations au sein des confédéra­tions de modèle nouveau doit être réglée juridiquement.

 

Willms a voulu dépasser le nationalisme étroit que certains polémistes et idéologues croyaient déceler dans son œuvre. La Mitteleuropa est un projet de civilisation dans lequel tous les peuples ont leur place et toute leur place. Ce projet n'est pas une utopie: il n'est pas quelque chose qui n'a pas de lieu. Au contraire, il gère, harmonise et organise des lieux. Il rappelle tout simplement sur la scène de l'histoire une réalité historique qui a été.

 

Thomas Hobbes. Le Règne du Léviathan (Thomas Hobbes. Das Reich des Leviathan), 1987

 

Couronnement des multiples études de Willms sur Hobbes, ce livre nous offre une biographie politique du philo­sophe anglais, une présentation fouillée de sa science et de son système, sa théorie de la guerre civile, sa théorie du Léviathan, son appréhension du facteur religion et ses positions relatives à la théologie. En fin d'ouvrage, Willms brosse un tableau de l'influence de l'œuvre de Hobbes aux XVIIième, XVIIIième et XIXième siècles et ana­lyse les recherches sur Hobbes au XXième.

 

Willms rappelle les circonstances de la naissance de Hobbes en 1588. L'Angleterre était prise de panique à l'approche de la grande armada de Philippe II d'Espagne. Une fausse alerte, annonçant le débarquement des troupes espagnoles, provoqua l'accouchement prématuré du petit Thomas qui, plus tard, aimait à dire qu'il avait une sœur jumelle, la peur. Toutes les réflexions politiques ultérieures du philosophe seront axées sur l'omniprésence angoissante de la peur dans les sociétés.

 

Devenu à l'âge adulte précepteur des Barons Cavendish, Hobbes voyagera à travers toute l'Europe avec ses pu­pilles. Au cours de l'un de ces «grands tours», il découvre les Elementa  d'Euclide, qui le fascinent par leur ratio­nalité parfaite et leur mode d'argumentation sans faille. Cette lecture lui fournit l'armature de son système philo­sophique articulé en trois volets: la nature, l'homme et la politique (De corpore, de homine, de cive). La science, pour Hobbes, consiste à comprendre constructivement le réel parce que l'homme a toujours affaire à lui-même, soit à ses propres constructions. Celles-ci, faits de monde, doivent d'abord être conceptuellement démontées puis recomposées par un jeu d'analyse et de synthèse que Hobbes appelle la méthode «résolutive/compositive» (De Corpore, VI, 1). La generatio,  dans l'orbite de cette méthode «résolutive/compositive», est donc la force in­trinsèque de la raison productive et constructive. La dissociation des éléments conduit à leur connaissance et à leur conceptualisation. La vision du monde de Hobbes n'est donc pas purement mécaniciste ni physicaliste ni scientiste, explique Willms. Les méthodes mécanicistes sont précisément des méthodes d'action;  elles ne vi­sent pas à expliquer  le monde. Contrairement aux tenants de l'idéologie des Lumières, Hobbes ne croit  pas à la science ou à un progrès qui serait mis à l'enseigne du mécanicisme. L'axiomatique physicaliste de Hobbes ne se veut pas modèle du monde mais tremplin de départ pour le travail constructeur de la raison. Cette axiomatique ne veut pas réduire le monde à un éventail de formules mathématiques. Elle ne cherche qu'à évacuer les faux ques­tionnements, les reliquats des philosophies abâtardies par les engouements stériles et les opinions génératrices de luttes intestines et de guerres civiles.

Cette méthode et cette axiomatique font de l'homme le point focal de la philosophie. C'est lui qui construit le savoir qui l'oriente dans le monde.

 

La phrase de Hobbes, homo homini lupus  (l'homme est un loup pour l'homme) est connue mais souvent citée en dehors de son contexte où elle a été écrite à côté de homo homini deus  (l'homme est un dieu pour l'homme). Hobbes, pour avoir dit que l'homme pouvait être un loup pour l'homme, a été considéré comme un philosophe pessimiste voire un misanthrope. Mais il n'a souligné que les deux possibles de l'homme tout en insistant sur la menace que fait peser sur la paix publique les tendances agressives tapies dans l'âme humaine. Menace dont il faut encore tenir compte dans tout calcul politique. L'homme, pour Hobbes, est essentiellement mu par la passio  qui est tantôt «pulsion vers», tantôt «évitement de», qui est tantôt amour tantôt haine ou peur. Contrairement à ce qu'avaient affirmé la théologie et la métaphysique traditionnelles, les fondements de la morale ne sont donc plus extérieurs à l'homme; ils s'enracinent en lui, dans sa finitude qui est mélange d'instincts divers, tirant vers le sublime ou vers l'horreur, au gré du hasard. Cette finitude imparfaite fonde l'anthropologie des temps mo­dernes et c'est au départ de cette imperfection, de cette corporéité humaine, que doit se construire le politique. L'homme ajoute aux choses de ce monde en mouvement des connotations moralisantes spécifiques, posant du même coup une classification opératoire distinguant les choses «bonnes pour moi» et «mauvaises pour moi». Plongé dans l'incertitude et la peur, l'homme désire un avenir stabilisé; comme le dit Hobbes, etiam fame futura famelicus  (il a faim anticipativement en pensant à la famine de demain). Cette faculté d'anticiper fait que l'homme est le seul être mortel, fini, à avoir un avenir ouvert. Ouverture due à la peur qui corrobore sa liberté. La raison est donc intimement liée à la peur. Dans l'orbite du politique, cette raison dérivée de la peur appelle une question angoissante: comment peut-on affronter, en tant que philosophe, la catastrophe de la guerre civile? En dépassant l'état de nature, où l'homme est toujours un loup pour l'homme. Dans l'état de nature, qui réémerge dans la guerre civile, règnent la concurrence, la défiance, le désir d'acquérir gloire et honneurs. Dans une telle situa­tion, écrit Hobbes, travail, assiduité, zèle constructif n'ont plus de place, ne peuvent plus se faire valoir. Tous réclament le droit à tout. Tout le monde affronte tout le monde. Chaos qui est le résultat de la nature humaine, privée à l'ère moderne de ses référants axiologiques traditionnels. La disparition de ces référants provoque le re­tour de l'état de nature et postule une stabilisation raisonnable. Comme la liberté, qui découle de la disparition du cadre axiologique traditionnel, ne peut nullement s'exercer dans le chaos de l'état de nature, il faut la limiter pour qu'elle puisse s'exercer quand même dans un cadre bien circonscrit. Cette limitation s'effectue grâce au contrat, lequel institue un Etat, une civitas,  instances qui stabilisent provisoirement le déchaînement des passions de l'état de nature. Cet Etat est le Léviathan, dieu mortel qui nous procure une paix toujours provisoire et permet à nos énergies de donner le meilleur d'elles-mêmes. Le Léviathan lie et oblige les hommes tout en annullant l'état de nature qui empêche leur liberté d'être productrice. Willms perçoit dans l'anthropologie de Hobbes l'antidote par excellence qui nous vaccine contre toutes les séductions des utopies et de l'idéologie des Lumières. La mé­thode claire et euclidienne du philosophe anglais fait de son œuvre le «plus grand réservoir de sagesse poli­tique».

 

Postmodernité et politique (Postmoderne und Politik), 1989

 

Prélude à un livre que Willms n'a jamais pu écrire, ce texte important, paru dans la revue Der Staat  (Berlin), pré­figurait les orientations nouvelles que notre philosophe cherchait à impulser dans le discours (méta)politique al­lemand. Pour Willms, la postmodernité, surtout celle théorisée par Jean-François Lyotard, permet un dépasse­ment constructif de l'idéologie des Lumières, dominante depuis deux bons siècles. La démarche de Lyotard, pour Willms, correspond très précisément à celle de Hobbes, dans le sens où elle veut instituer des «enchaînements» pour contrer l'action déliquescente du chaos, postérieur à l'effondrement des grands récits modernes. En voulant instituer des «enchaînements», Lyotard, selon Willms, prend le relais de Hobbes et réclame le retour du déci­sionnisme politique. L'étude de Hobbes, des grands classiques de l'idéalisme allemand et de Carl Schmitt doit donc se compléter d'une exploration minutieuse du continent philosophique «post-moderne» et de l'œuvre de Lyotard.

 

(Robert Steuckers).

 

- Bibliographie: Die totale Freiheit. Fichtes politische Philosophie, 1967; Die Antwort des Leviathans. Thomas Hobbes' politische Philosophie, 1970; Revolution und Protest oder Glanz und Elend des bürgerlichen Subjekts, 1969; traduction japonaise; Planungsideologie und revolutionäre Utopie, 1969; Funktion. Rolle. Institution, 1971; Die politischen Ideen von Hobbes bis Ho Tschi Minh, 1971; 2ième éd., 1972; trad. finlan­daise; Entwicklung und Revolution, 1972; Kritik und Politik. Jürgen Habermas oder das politische Defizit der Kritischen Theorie, 1973; Entspannung und friedliche Koexistenz, 1974; Selbstbehauptung und Anerkennung. Grundriß einer politischen Dialektik, 1977; Offensives Denken, 1978; Einführung in die Staatslehre, 1979; Der Weg des Leviathan,  1979; Die Hobbes-Forschung von 1968-1978, 1981; Die deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft, 1982; Idealismus und Nation. Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewußtseins der Deutschen, 1986; Identität und Widerstand. Reden aus dem deutschen Elend, 1986; Deutsche Antwort. Zehn Kapitel zum Recht auf Nation, 1986; Thomas Hobbes. Das Reich des Leviathan, 1986; Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Berlin, 1988 (en collaboration avec Paul Kleinewefers).

- Contributions à des ouvrages collectifs (liste non exhaustive); «Zur Dialektik der Planung. Fichte als Theoretiker einer geplanten Gesellschaft», in Säkularisation und Utopie. Ernst Forsthoff zum 65. Geburtstag, Stuttgart, 1967; «Systemüberwindung und Bürgerkrieg. Zur politischen bedeutung von Hobbes' Behemoth, in H. Baier (Hrsg.), Freiheit und Sachzwang, Opladen, 1977; «Tendenzen der gegenwärtigen Hobbes-Forschung», in U. Bermbach et K.M. Kodalle (Hrsg.), Furcht und Freiheit. Leviathan-Diskussion 300 Jahre nach Thomas Hobbes, Opladen, 1982; «Tendencies of Recent Hobbes Research», in J. G. v.d. Bend, Thomas Hobbes. His View of Man, Amsterdam, 1982; «Antaios oder die Lage der Philosophie ist die Lage der Nation», in Norbert W. Bolz (Hrsg.), Wer hat Angst vor der Philosophie?, Paderborn, 1982; «Die sieben Todsünden gegen die deutsche Identität und die auf sie antwortenden sieben Imperative», in Peter Dehoust (Hrsg.), Die deutsche Frage in der Welt von morgen, Kassel, 1983; «Das deutsche Wesen in der Welt von morgen. Überlegungen zur Aufgabe der Nation, in Peter Dehoust (Hrsg.), op. cit., Kassel, 1983; «Die Erneuerung des Nationalbewußtseins aus dem Geist der Politik. Kampf um Selbstbehauptung», in Peter Dehoust (Hrsg.), Mut zur geistigen Wende, Kassel/Coburg, 1984; «Die politische Identität der Westdeutschen. Drei erbauliche Herausforderungen und eine politische Antwort», in H.J. Arndt, D. Blumenwitz, H. Diwald, G. Maschke, W. Seiffert, B. Willms, Inferiorität als Staatsräson. Sechs Aufsätze zur Legitimität der BRD, Krefeld, 1985; «Die Idee der Nation und das deutsche Elend», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band I, Geistiger Bestand und politische Lage, Tübingen, 1986; «Volk, Staat, Nation und Gesellschaft. Die methodische und politische Bedeutung des nationa­len Standpunktes», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band II, Nationale Verantwortung und liberale Gesellschaft, Tübingen, 1987; «Über die Unfähigkeit zu erinnern. Geschichtsbewußtsein und Selbstbewußtsein in Westdeutschland», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band 3, Moderne Wissenschaft und Zukunftsperspektive, Tübingen, 1988; «Carl Schmitt - jüngster Klassiker des politischen Denkens?», in Helmut Quaritsch (Hrsg.), Complexio Oppositorum. Über Carl Schmitt,  Berlin, 1988.

- Articles importants (liste non exhaustive): «Einige Aspekte der neueren englischen Hobbes-Literatur», in Der Staat, 1, 1962, pp. 93-106; «Von der Vermessung des Leviathan. Aspekte neuerer Hobbes-Literatur», in Der Staat,  6, 1967, pp. 75-100; «Ist weltpolitische Sicherheit institutionalisierbar? Zum Problem des neuen Leviathan», in Der Staat, 15, 1974, pp. 305-334;  «Staatsräson und das Problem der politischen Definition. Bemerkungen zum Nominalismus in Hobbes' Behemoth», in Staatsräson, 1975, pp. 275-300; «Tendenzen der gegenwärtigen Hobbes-Forschung», in Zeitschrift für philosophische Forschung, 34, 1980, pp. 442-453; «Politische Identität der Deutschen. Zur Rehabilitation des nationalen Arguments», in Der Staat, 21, 1982, pp. 69-96; «Weltbürgerkrieg und Nationalstaat. Thomas Hobbes, Friedrich Meinecke und die Möglichkeit der Geschichtsphilosophie im 20. Jahrhundert», in Der Staat, 22, 1983, pp. 499-519; «Fängt der mündige Bürger heute erst beim Parteifunktionär an?», in Die Welt,  9 avril 1983; «Autorenporträt: Thomas Hobbes (1588-1679)», in Criticón, 92, 1985, pp. 241-247, article suivi d'une bilbiographie précise sur Hobbes; «Deutsches Nationalbewußtsein und Mitteleuropa. Die europäische Alternative», Criticón, 102, 1987, pp. 163-165; «Widergänger oder Widerlager? Zum aktuellen Umgang mit Hegels Rechtsphilosophie», in Der Staat, 27, 3, pp. 421-436; «Der Leviathan und die delischen Taucher. Zur Entwicklung der Hobbes-Forschung seit 1979», in Der Staat, 27, 3, pp.569-588; «Gespräch mit Prof. Dr. Bernard Willms», Na klar!, 43, 1988 (trad. franç., cf. infra); «Il Leviatano, le superpotenze e la postmodernità» (texte d'une leçon publique incluse dans un cycle de sémi­naires sur Thomas Hobbes, tenue pendant l'année académique 1988-89 à Teramo à la Faculté de Jurisprudence et de sciences politiques de l'Université Gabriele d'Annunzio), in Behemoth, 6, 1989); «Postmoderne und Politik», in Der Staat, 3, 1989 (trad. it.: «Postmoderno e politica», in Behemoth, 8, 1990).

- En français: Martin Werner Kamp, «Le concept de nation selon Bernard Willms», in Vouloir, n°19/20, 1985; Luc Nannens, «Identité allemande et idée nationale. Le combat du Professeur Willms», in Vouloir, n°40/41/42, 1987; «Entretien avec le Professeur Bernard Willms. Vous avez dit "Mitteleuropa"?», in Vouloir, n°59/60, 1989; Thor von Waldstein, «Hommage au Professeur Bernard Willms. Entre Hobbes et Hegel», in Vouloir, n°73/74, 1991.

THEMES CONNEXES: idéalisme, nation, institution, nature du politique, liberté, cité, idéologie des Lumières, concrétude, idée, identité, destin, coexistence, droit de résistance, souveraineté, irénisme, devenir, nomina­lisme, révolution conservatrice.

PHILOSOPHES: Helmut Schelsky, Fichte, Ernst Forsthoff, Hegel, Hobbes, Carl Schmitt, Arnold Gehlen, Hans Freyer, Michel Foucault, Jacques Derrida, Jean-François Lyotard, Jean Baudrillard, Jean-Jacques Rousseau, Herder, Schiller, Ernst Moritz Arndt, Görres, Wilhelm von Humboldt, Max Weber, Justus Möser, Guillaume d'Ockham.

 

 

mardi, 30 décembre 2008

L'Amérique et les droits de l'homme / le triomphe des Pharisiens

 

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L’Amérique et les « Droits de l’homme » / Le triomphe des Pharisiens




Les Pharisiens sont dans les Evangiles une secte juive dont les membres se considèrent comme « les bons et les justes ». Ils jouent un rôle important dans la condamnation à mort du Christ.

L’Amérique est-elle « pharisienne » ? Elle se prétend animée d’une mission exceptionnelle qui est d’apporter les droits de l’homme, la liberté et la démocratie à l’univers humain et faire ainsi son bonheur. Elle tire de cette idéologie d’autojustification une tendance à vouloir toujours criminaliser ses adversaires, tendance propre au totalitarisme : si vous êtes l’ennemi de Staline, vous êtes, pour les communistes, non pas un simple adversaire politique mais un criminel qu’il faut juger. Les Américains font de même. On l’a vu avec Saddam Hussein. On l’a vu avec le procès de Nuremberg des chefs nazis où cela n’a jamais gêné les juges américains de juger avec les juges de Staline : ils partageaient tous (Américains, nazis et communistes) en fait une vision commune de la politique fondée sur la diabolisation de l’opposant. Le procureur américain de Nuremberg Robert Jackson n’est en cela pas différent de Freisler, le juge nazi qui condamne à mort les aristocrates allemands s’opposant à Hitler, et Vichynski, le procureur communiste condamnant les victimes des purges staliniennes.

En réalité, les Etats-Unis partageaient avec les Soviétiques le besoin d’affirmer le caractère criminel du régime nazi pour s’exempter eux-mêmes de leurs propres crimes. L’histoire américaine est jalonnée de bien des crimes, comme celles d’autres nations, mais la propagande des Américains victorieux leur a permis d’organiser l’oubli de ces crimes. Ils sont ainsi apparus à tort comme le pays des droits de l’homme par excellence.

Tout le monde trouve normal que les Etats-Unis aient une capitale qui porte le nom d’un propriétaire d’esclaves, Washington. On tait les causes de la Guerre d’indépendance des USA contre l’Angleterre. Celle-ci, par son Parlement, avait décidé l’abolition de l’esclavage, ce qui fit peur aux propriétaires d’esclaves américains, lesquels ne virent leur salut que dans l’indépendance pour que la loi anglaise ne s’applique pas.


Le « pays de la liberté » était et est resté de longues années le pays esclavagiste par excellence : peu de gens, en raison de la propagande américaine, méditent sur cette contradiction. En réalité, l’Amérique a toujours considéré les hommes comme des matières premières pour l’économie : ils n’ont supprimé l’esclavage que lorsqu’ils ont compris qu’il y avait des façons plus efficaces d’utiliser la main-d’œuvre que l’esclavage. Les Etats-Unis sont le pays de la pensée « fonctionnelle » qui trouve son origine chez les philosophes utilitaristes anglais. Mais cette essence est voilée par le discours de propagande des droits de l’homme. Il faut savoir que sur le papier, les constitutions les plus favorables aux droits de l’homme furent celles de Robespierre en 1793 et de Staline en URSS. D’ailleurs l’URSS a signé avec enthousiasme la Déclaration universelle des droits de l’homme lors de la fondation de l’ONU. Cela relativise l’intérêt de ces déclarations pour la protection de la dignité humaine.

Le régime américain dès sa fondation a donc commis un crime, non marginal mais essentiel puisqu’il était à la base de son économie : l’esclavage des Noirs. Cet esclavage était une conséquence particulière d’une conception plus vaste qui réduit les hommes à des matières premières. C’est cette conception qui fut mise au service du racisme à l’égard des Noirs. Mais c’est cette même conception que nous retrouvons dans l’antiracisme dogmatique du système américain actuel : la race (biologique) comme l’ethnie (culturelle) sont des obstacles au besoin économique de rendre la main-d’œuvre parfaitement interchangeable, comme les blocs de charbon ou de marbre sont interchangeables lorsqu’ils sont stockés à des fins de production. Il faut donc les effacer dans un « melting pot ». Des biologistes américains ont pu montrer que si le mélange intégral des races se faisait aux USA les Noirs disparaîtraient totalement car ils ne sont que 12% et la loi de la régression à la moyenne ferait disparaître leurs traits physiques spécifiques dans la population majoritaire : une forme de solution finale du problème noir par le métissage en quelque sorte ! Les plus lucides des porte- parole de la communauté noire de ce point de vue, comme Farrakhan, l’ont bien vu.

Les Etats-Unis ne sont pas fondés uniquement sur l’esclavage mais aussi sur l’élimination des Indiens. Oh, certes, ce fut au nom des besoins économiques de la nation américaine. Les Indiens s’intégraient mal dans l’économie et occupaient des terres à exploiter pour l’élevage ou les puits de pétrole. La façon dont les Indiens furent traités et leur culture détruite pour les livrer à l’alcoolisme, l’assistance et la dictature du consumérisme est révélatrice des risques que fait courir le système fonctionnaliste américain (le « Gestell » de Heidegger) pour les autres peuples du monde. Il s’agit de détruire partout la fierté nationale et les coutumes particulières pour homogénéiser le marché. Si tout le monde ressemble à des Américains, tout le monde utilisera les biens de consommation américains, à commencer par les films d’Hollywood ou le Coca-Cola.

Le régime américain commence donc son entrée dans l’histoire avec deux atteintes majeures aux droits de l’homme : l’esclavage des Noirs et le massacre des Indiens. Comment oser dans ces conditions donner des « leçons de démocratie » au monde ? Mais ce n’est pas tout. Le caractère criminel de la politique américaine va se montrer dans une façon particulièrement odieuse de faire la guerre : l’inauguration a été la Guerre de sécession, dont on a pu dire qu’elle servit de modèle à la Guerre de 1914-1918. C’est en effet l’apparition d’une forme de « guerre industrielle » avec des massacres de masse : pour beaucoup d’historiens, la Guerre de sécession a été la première guerre totale moderne, avec 600.000 soldats tués mais 400.000 civils massacrés. La guerre « aristocratique » codifiée peu à peu en Europe partait du principe que l’on tuait les militaires, pas les civils. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les bombardements américains, tant sur l’Allemagne que sur le Japon, ont délibérément visé les populations civiles pour casser le moral de l’ennemi. Des millions de femmes et d’enfants en ont été victimes. Cette forme de guerre a été réutilisée à plus petite échelle en Irak.

Il y a bien « crimes de guerre » là où l’on s’attaque prioritairement aux femmes et aux enfants : qui a jugé les criminels de guerre américains ? Les Etats-Unis ont fait d’ailleurs valoir diplomatiquement que si des tribunaux internationaux étaient constitués, en aucun cas ils ne pourraient juger des Américains !

Les Etats-Unis ont joué aussi un rôle peu conforme à l’idéologie des droits de l’homme en confortant le crime et les mafias partout où cela pouvait profiter à leurs intérêts politiques. Chicago, symbole du gangstérisme, est bien une ville des Etats-Unis. Ce pays connaît un taux de criminalité très supérieur aux normes européennes. Ce n’est pas étonnant dans un pays où l’homme est avant tout considéré comme une matière première pour l’économie. Partout dans le monde, la criminalité est d’abord liée à la recherche du gain : une société qui place le gain financier sur un piédestal doit s’attendre à sécréter beaucoup d’activités criminelles et mafieuses.

Le système américain actuel est donc particulièrement dangereux pour la liberté et l’identité des peuples du monde, bien que ses dirigeants prétendent partout être les défenseurs de la liberté et de la démocratie. C’est un système déshumanisant qui donne raison, une fois n’est pas coutume, à Karl Marx : « La grande bourgeoisie a précipité les frissons de l’extase religieuse, l’esprit chevaleresque et la sentimentalité petite bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste ! »

D’où vient donc ce régime qui domine les Etats-Unis sous le nom abusif de « démocratie » ? En réalité, le régime politique américain est oligarchique dans son essence et n’est démocratique que dans la forme. C’est une oligarchie marchande qui règne en maître à présent. Le malheur historique de l’Amérique est de n’avoir jamais eu d’aristocratie ni de monarchie. La monarchie en Europe est d’ailleurs un produit de l’aristocratie : le roi comme l’aristocrate est d’abord, à l’origine, un chef de guerre ! Contrairement à ce que l’on peut croire superficiellement, le guerrier professionnel est généralement animé d’une haute déontologie car il met sa vie en jeu, ce qui ne va pas sans une haute moralité. Certes, on a des exemples de guerriers criminels mais la tradition dominante a toujours mis des barrières pour lutter contre cette dérive toujours possible : que ce soit chez le héros homérique, le samouraï japonais ou le soldat des troupes d’élites en Europe. Au Moyen Age, c’est toute une civilisation de la chevalerie qui est née du monde guerrier. Les pires crimes de guerre du XXe siècle sont venus des politiques, parfois élus démocratiquement comme Hitler, mais pas du corps traditionnel des officiers. Ce sont même des officiers qui ont voulu en Allemagne abattre celui qu’ils considéraient comme un tyran ! (complot de Claus von Stauffenberg).

Le monde marchand n’a pas la même relation vis-à-vis de la mort que le monde des officiers. Il n’a donc pas les mêmes exigences éthiques : ceci fut fort bien montré par le sociologue Werner Sombart dans son livre méconnu : « Händler und Helden » (Des marchands et des héros).

Contrairement aux pays d’Europe, l’Amérique n’a pas eu de noblesse pour la diriger. Les valeurs aristocratiques ne sont pas celles qui imprègnent la société américaine. Les valeurs dominantes sont celles de l’affirmation de soi et de l’utilitarisme. Dans la conception utilitariste ou fonctionnaliste du monde, il n’y a guère de place pour des considérations chevaleresques ou esthétiques. Le comportement de l’aviateur français pendant la Guerre de 1914-1918 qui va battre des ailes au-dessus d’un cimetière allemand où est enterré un des as de l’aviation allemande qu’il a abattu, pour exprimer son respect de l’adversaire vaincu, n’est pas un comportement utilitariste. Ce qui est le plus utile, c’est de criminaliser son adversaire : c’est ce que les Etats-Unis pratiquent à grande échelle depuis qu’ils jouent un rôle sur la scène mondiale.

Les Etats-Unis ne sont pas à la source de grandes pensées philosophiques car celles-ci ne rapportent rien dans l’immédiat. Leur apport dans ce domaine est inférieur à celui des Anglais, des Français ou des Allemands. Il faudrait donc que les pays d’Europe reprennent le flambeau de la pensée afin d’aider les Américains à se réformer face à un meilleur modèle que le leur. Sinon le triomphe de l’idéologie fonctionnaliste américaine ne peut apporter que le malheur et le chaos, comme on le perçoit en Irak mais aussi en Amérique même où les dysfonctionnements du système commencent à montrer leur perversité de masse (crise financière, délabrement de la Nouvelle-Orléans après le cyclone, haut degré de criminalité, etc.).

Mais on ne peut se réformer si l’on est persuadé d’incarner la bonté et la justice. C’est pourquoi il importe de démasquer le pharisaïsme de l’idéologie américaine. L’Amérique n’a jamais été un modèle dès ses débuts esclavagistes et de destruction des Indiens. L’Amérique n’est apparue un modèle que parce qu’elle a gagné trois guerres : deux guerres mondiales et la guerre froide contre les Soviétiques. Face aux nazis et aux Soviétiques, l’Amérique fut perçue comme un modèle victorieux et humaniste. Mais c’était une illusion produite par ses faire-valoir de l’Est. Sa réussite économique a longtemps masqué son inhumanité.

Mais l’heure de la vérité approche.

Il n’est pas possible de bâtir une civilisation qui élève l’homme sur des bases purement utilitaristes et fonctionnalistes. L’utilitarisme débouche sur l’autodestruction. Il est donc essentiel pour nous comme pour les Américains de faire la critique de cet utilitarisme et d’abattre la propagande pharisienne qui en masque la nature réelle. L’homme n’est pas qu’un consommateur et un producteur de masse. Il a une dimension sacrée qui ne peut être évacuée. Il faut réévaluer les fonctions militaires et religieuses pour équilibrer la domination des fonctions économiques. Car ces fonctions, en relation avec la nature mortelle de l’homme, portent en elles un idéalisme indispensable pour que la vie soit supportable et pour que l’homme redécouvre sa dignité !

Par Yvan BLOT

 

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dimanche, 28 décembre 2008

"La machine à abrutir" de Pierre Jourde

La machine à abrutir par Pierre Jourde

Le Monde diplomatique, Août 2008 : "Jusqu’à présent, la qualité des médias audiovisuels, public et privé confondus, n’était pas vraiment un sujet. Puis le président de la République découvre que la télévision est mauvaise. Il exige de la culture. En attendant que la culture advienne, l’animateur Patrick Sabatier fait son retour sur le service public. En revanche, des émissions littéraires disparaissent. C’est la culture qui va être contente.

Avec l’alibi de quelques programmes culturels ou de quelques fictions « créatrices », les défenseurs du service public le trouvaient bon. Ils ne sont pas difficiles. Comme si, à l’instar d’une vulgaire télévision commerciale, on n’y avait pas le regard rivé à l’Audimat. Comme si la démagogie y était moins abondante qu’ailleurs.

Les médias ont su donner des dimensions monstrueuses à l’universel désir de stupidité qui sommeille même au fond de l’intellectuel le plus élitiste. Ce phénomène est capable de détruire une société, de rendre dérisoire tout effort politique. A quoi bon s’échiner à réformer l’école et l’Université ? Le travail éducatif est saccagé par la bêtise médiatique, la bouffonnerie érigée en moyen d’expression, le déferlement des valeurs de l’argent, de l’apparence et de l’individualisme étroit diffusées par la publicité, ultime raison d’être des grands groupes médiatiques. Bouygues envoie Jules Ferry aux oubliettes de l’histoire.

Lorsqu’on les attaque sur l’ineptie de leurs programmes, les marchands de vulgarité répliquent en général deux choses : primo, on ne donne au public que ce qu’il demande ; secundo, ceux qui les cri-tiquent sont des élitistes incapables d’admettre le simple besoin de divertissement. Il n’est pas nécessairement élitiste de réclamer juste un peu moins d’ineptie. Il y a de vrais spectacles populaires de bonne qualité. Le public demande ce qu’on le conditionne à demander. On a presque abandonné l’idée d’un accès progressif à la culture par le spectacle populaire. Victor Hugo, Charlie Chaplin, Molière, René Clair, Jacques Prévert, Jean Vilar, Gérard Philipe étaient de grands artistes, et ils étaient populaires. Ils parvenaient à faire réfléchir et à divertir. L’industrie médiatique ne se fatigue pas : elle va au plus bas.

Chacun a le droit de se détendre devant un spectacle facile. Mais, au point où en sont arrivées les émissions dites de « divertissement », il ne s’agit plus d’une simple distraction. Ces images, ces mots plient l’esprit à certaines formes de représentation, les légitiment, habituent à croire qu’il est normal de parler, penser, agir de cette manière. Laideur, agressivité, voyeurisme, narcissisme, vulgarité, inculture, stupidité invitent le spectateur à se complaire dans une image infantilisée et dégradée de lui-même, sans ambition de sortir de soi, de sa personne, de son milieu, de son groupe, de ses « choix ». Les producteurs de télé-réalité — « Loft story », « Koh-Lanta », « L’île de la tentation » —, les dirigeants des chaînes privées ne sont pas toujours ou pas seulement des imbéciles. Ce sont aussi des malfaiteurs. On admet qu’une nourriture ou qu’un air viciés puissent être néfastes au corps. Il y a des représentations qui polluent l’esprit.

Si les médias des régimes totalitaires parviennent, dans une certaine mesure, à enchaîner les pensées, ceux du capitalisme triomphant les battent à plate coutureEt tout cela, bien entendu, grâce à la liberté. C’est pour offrir des cerveaux humains à Coca-Cola que nous aurions conquis la liberté d’expression, que la gauche a « libéré » les médias. Nous, qui nous trouvons si intelligents, fruits de millénaires de « progrès », jugeons la plèbe romaine bien barbare de s’être complu aux jeux du cirque. Mais le contenu de nos distractions télévisées sera sans doute un objet de dégoût et de dérision pour les générations futures.

On a le choix ? Bien peu, et pour combien de temps ? La concentration capitaliste réunit entre les mêmes mains les maisons d’édition, les journaux, les télévisions, les réseaux téléphoniques et la vente d’armement. L’actuel président de la République est lié à plusieurs grands patrons de groupes audiovisuels privés, la ministre de la culture envisage de remettre en cause les lois qui limitent la concentration médiatique, la machine à abrutir reçoit la bénédiction de l’Etat (1). Les aimables déclarations récentes sur l’intérêt des études classiques pèsent bien peu à côté de cela.

Quelle liberté ? La bêtise médiatique s’universalise. L’esprit tabloïd contamine jusqu’aux quotidiens les plus sérieux. Les médias publics courent après la démagogie des médias privés. Le vide des informations complète la stupidité des divertissements. Car il paraît qu’en plus d’être divertis nous sommes informés. Informés sur quoi ? Comment vit-on en Ethiopie ? Sous quel régime ? Où en sont les Indiens du Chiapas ? Quels sont les problèmes d’un petit éleveur de montagne ? Qui nous informe et qui maîtrise l’information ? On s’en fout. Nous sommes informés sur ce qu’il y a eu à la télévision hier, sur les amours du président, la garde-robe ou le dernier disque de la présidente, les accidents de voiture de Britney Spears. La plupart des citoyens ne connaissent ni la loi, ni le fonctionnement de la justice, des institutions, de leurs universités, ni la Constitution de leur Etat, ni la géographie du monde qui les entoure, ni le passé de leur pays, en dehors de quelques images d’Epinal.

Un des plus grands chefs d’orchestre du monde dirige le Don Giovanni de Mozart. Le journaliste consacre l’interview à lui demander s’il n’a pas oublié son parapluie, en cas d’averse. Chanteurs, acteurs, sportifs bredouillent à longueur d’antenne, dans un vocabulaire approximatif, des idées reçues. Des guerres rayent de la carte des populations entières dans des pays peu connus. Mais les Français apprennent, grâce à la télévision, qu’un scout a eu une crise d’asthme.

Le plus important, ce sont les gens qui tapent dans des balles ou qui tournent sur des circuits. Après la Coupe de France de football, Roland-Garros, et puis le Tour de France, et puis le Championnat d’Europe de football, et puis... Il y a toujours une coupe de quelque chose. « On la veut tous », titrent les journaux, n’imaginant pas qu’on puisse penser autrement. L’annonce de la non-sélection de Truc ou de Machin, enjeu national, passe en boucle sur France Info. Ça, c’est de l’information. La France retient son souffle. On diffuse à longueur d’année des interviews de joueurs. On leur demande s’ils pensent gagner. Ils répondent invariablement qu’ils vont faire tout leur possible ; ils ajoutent : « C’est à nous maintenant de concrétiser. » Ça, c’est de l’information.

On va interroger les enfants des écoles pour savoir s’ils trouvent que Bidule a bien tapé dans la balle, si c’est « cool ». Afin d’animer le débat politique, les journalistes se demandent si Untel envisage d’être candidat, pense à l’envisager, ne renonce pas à y songer, a peut-être laissé entendre qu’il y pensait. On interpelle les citoyens dans les embouteillages pour deviner s’ils trouvent ça long. Pendant les canicules pour savoir s’ils trouvent ça chaud. Pendant les vacances pour savoir s’ils sont contents d’être en vacances. Ça, c’est de l’information. A la veille du bac, on questionne une pharmacienne pour savoir quelle poudre de perlimpinpin vendre aux étudiants afin qu’ils pensent plus fort. Des journalistes du service public passent une demi-heure à interroger un « blogueur », qui serait le premier à avoir annoncé que Duchose avait dit qu’il pensait sérieusement à se présenter à la présidence de quelque machin. Il s’agit de savoir comment il l’a appris avant les autres. Ça, c’est de l’information. Dès qu’il y a une manifestation, une grève, un mouvement social, quels que soient ses motifs, les problèmes réels, pêcheurs, enseignants, routiers, c’est une « grogne ». Pas une protestation, une colère, un mécontentement, non, une grogne. La France grogne. Ça, c’est de l’information.

On demande au premier venu ce qu’il pense de n’importe quoi, et cette pensée est considérée comme digne du plus grand intérêt. Après quoi, on informe les citoyens de ce qu’ils ont pensé. Ainsi, les Français se regardent. Les journalistes, convaincus d’avoir affaire à des imbéciles, leur donnent du vide. Le public avale ? Les journalistes y voient la preuve que c’est ce qu’il demande.

Cela, c’est 95 % de l’information, même sur les chaînes publiques. Les 5 % restants permettent aux employés d’une industrie médiatique qui vend des voitures et des téléphones de croire qu’ils exercent encore le métier de journalistes. Ce qui est martelé à la télévision, à la radio envahit les serveurs Internet, les journaux, les objets, les vêtements, tout ce qui nous entoure. Le cinéma devient une annexe de la pub. La littérature capitule à son tour.Le triomphe de l’autofiction n’est qu’un phénomène auxiliaire de la « peopolisation » généralisée, c’est-à-dire de l’anéantissement de la réflexion critique par l’absolutisme du : « C’est moi, c’est mon choix, donc c’est intéressant, c’est respectable. »

La bêtise médiatique n’est pas un épiphénomène. Elle conduit une guerre d’anéantissement contre la culture. Il y a beaucoup de combats à mener. Mais, si l’industrie médiatique gagne sa guerre contre l’esprit, tous seront perdus."

A lire
>>> Pierre Jourde, La littérature sans estomacEd. L'Esprit des péninsules, 2002.
>>> Jourde - Naulleau, Précis de littérature du XXIe siècleMots et Cie, 2008.

samedi, 27 décembre 2008

Vilfreedo Pareto and Political Irrationality

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Vilfredo Pareto and Political Irrationality

Tomislav Sunic

Few political thinkers have stirred so much controversy as Franco-Italian sociologist and economist Vilfredo Pareto (1848-1923). In the beginning of the twentieth century, Pareto exerted a considerable influence on European conservative thinkers, although his popularity rapidly declined after the Second World War. The Italian Fascists who used and abused Pareto's intellectual legacy were probably the main cause of his subsequent fall into oblivion. 

Pareto's political sociology is in any case irreconcilable with the modern egalitarian outlook. In fact, Pareto was one to its most severe critics. Yet his focus extends beyond a mere attack on modernity; his work is a meticulous scrutiny of the energy and driving forces that underlie political ideas and beliefs. From his study, he concludes that irrespective of their apparent utility or validity, ideas and beliefs often dissimulate morbid behavior. Some of Pareto's students went to so far as to draw a parallel between him and Freud, noting that while Freud attempted to uncover pathological behavior among seemingly normal individuals, Pareto tried to unmask irrational social conduct that lay camouflaged in respectable ideologies and political beliefs. 

In general, Pareto argues that governments try to preserve their institutional framework and internal harmony by a posteriori justification of the behavior of their ruling elite--a procedure that stands in sharp contrast to the original objectives of government. This means that governments must "sanitize" violent and sometimes criminal behavior by adopting such self-rationalizing labels as "democracy," "democratic necessity," and "struggle for peace," to name but a few. It would be wrong, however, to assume that improper behavior is exclusively the result of governmental conspiracy or of corrupted politicians bent on fooling the people. Politicians and even ordinary people tend to perceive a social phenomenon as if it were reflected in a convex mirror. They assess its value only after having first deformed its objective reality. Thus, some social phenomena, such as riots, coups, or terrorist acts, are viewed through the prism of personal convictions, and result in opinions based on the relative strength or weakness of these convictions. Pareto argues that it is a serious error to assume that because his subjects or constituents feel cheated or oppressed, a leader of an oppressive regime is necessarily a liar or a crook. More than likely, such a leader is a victim of self-delusions, the attributes of which he considers "scientifically" and accurately based, and which he benevolently wishes to share with his subjects. To illustrate the power of self-delusion, Pareto points to the example of socialist intellectuals. He observes that "many people are not socialists because they have been persuaded by reasoning. Quite to the contrary, these people acquiesce to such reasoning because they are (already) socialists." 
       

Modern Ideologies and Neuroses 

In his essay on Pareto, Guillaume Faye, one of the founders of the European "New Right," notes that liberals and socialists are scandalized by Pareto's comparison of modern ideologies to neuroses: to latent manifestation of unreal effects, though these ideologies--socialism and liberalism--claim to present rational and "scientific" findings. In Freud's theory, psychic complexes manifest themselves in obsessional ideas: namely, neuroses, and paranoias. In Pareto's theory, by contrast, psychic impulses--which are called residues--manifest themselves in ideological derivatives. Rhetoric about historical necessity, self-evident truths, or economic and historical determinism are the mere derivatives that express residual psychic drives and forces such as the persistence of groups once formed and the instinct for combination. 

For Pareto, no belief system or ideology is fully immune to the power of residues, although in due time each belief system or ideology must undergo the process of demythologization. The ultimate result is the decline of a belief or an ideology as well as the decline of the elite that has put it into practice. 
        
Like many European conservatives before the war, Pareto repudiated the modern liberal, socialist myth that history showed an inevitable progression leading to social peace and prosperity. Along with his German contemporary Oswald Spengler, Pareto believed that no matter how sophisticated the appearance of some belief or ideology, it would almost certainly decay, given time. Not surprisingly, Pareto's attempts to denounce the illusion of progress and to disclose the nature of socialism and liberalism prompted many contemporary theorists to distance themselves from his thought. 
        
Pareto argues that political ideologies seldom attract because of their empirical or scientific character--although, of course, every ideology claims those qualities--but because of their enormous sentimental power over the populace. For example, an obscure religion from Galilee mobilized masses of people who were willing to die, willing to be tortured. In the Age of Reason, the prevailing "religion" was rationalism and the belief in boundless human progress. Then came Marx with scientific socialism, followed by modern liberals and their "self-evident religion of human rights and equality." According to Pareto, underlying residues are likely to materialize in different ideological forms or derivatives, depending on each historical epoch. Since people need to transcend reality and make frequent excursions into the spheres of the unreal and the imaginary, it is natural that they embrace religious and ideological justifications, however intellectually indefensible these devices may appear to a later generation. In analyzing this phenomenon, Pareto takes the example of Marxist "true believers" and notes: "This is a current mental framework of some educated and intelligent Marxists with regard to the theory of value. From the logical point of view they are wrong; from the practical point of view and utility to their cause, they are probably right." Unfortunately, continues Pareto, these true believers who clamor for social change know only what to destroy and how to destroy it; they are full of illusions as to what they have to replace it with: "And if they could imagine it, a large number among them would be struck with horror and amazement." 
        
Ideology and History 
        

The residues of each ideology are so powerful that they can completely obscure reason and the sense of reality; in addition, they are not likely to disappear even when they assume a different "cover" in a seemingly more respectable myth or ideology. For Pareto this is a disturbing historical process to which there is no end in sight: 
        

"Essentially, social physiology and social pathology are still in their infancy. If we wish to compare them to human physiology and pathology, it is not to Hippocrates that we have to reach but far beyond him. Governments behave like ignorant physicians who randomly pick drugs in a pharmacy and administer them to patients." 
        
So what remains out of this much vaunted modern belief in progress, asks Pareto? Almost nothing, given that history continues to be a perpetual and cosmic eternal return, with victims and victors, heroes and henchmen alternating their roles, bewailing and bemoaning their fate when they are in positions of weakness, abusing the weaker when they are in positions of strength. For Pareto, the only language people understand is that of force. And with his usual sarcasm, he adds: "There are some people who imagine that they can disarm their enemy by complacent flattery. They are wrong. The world has always belonged to the stronger and will belong to them for many years to come. Men only respect those who make themselves respected. Whoever becomes a lamb will find a wolf to eat him." 
        
Nations, empires, and states never die from foreign conquest, says Pareto, but from suicide. When a nation, class, party, or state becomes averse to bitter struggle--which seems to be the case with modern liberal societies--then a more powerful counterpart surfaces and attracts the following of the people, irrespective of the utility or validity of the new political ideology or theology: 
        
"A sign which almost always accompanies the decadence of an aristocracy is the invasion of humanitarian sentiments and delicate "sob-stuff" which renders it incapable of defending its position. We must not confuse violence and force. Violence usually accompanies weakness. We can observe individuals and classes, who, having lost the force to maintain themselves in power, become more and more odious by resorting to indiscriminate violence. A strong man strikes only when it is absolutely necessary--and then nothing stops him. Trajan was strong but not violent; Caligula was violent but not strong." 
        
Armed with the dreams of justice, equality, and freedom, what weapons do liberal democracies have today at their disposal against the downtrodden populations of the world? The sense of morbid culpability, which paralyzed a number of conservative politicians with regard to those deprived and downtrodden, remains a scant solace against tomorrow's conquerors. For, had Africans and Asians had the Gatling gun, had they been at the same technological level as Europeans, what kind of a destiny would they have reserved for their victims? Indeed, this is something that Pareto likes speculating about. True, neither the Moors nor Turks thought of conquering Europe with the Koran alone; they understood well the importance of the sword: 
        
"Each people which is horrified by blood to the point of not knowing how to defend itself, sooner or later will become a prey of some bellicose people. There is probably not a single foot of land on earth that has not been conquered by the sword, or where people occupying this land have not maintained themselves by force. If Negroes were stronger than Europeans, it would be Negroes dividing Europe and not Europeans Africa. The alleged "right" which the people have arrogated themselves with the titles "civilized"--in order to conquer other peoples whom they got accustomed to calling "non-civilized"--is absolutely ridiculous, or rather this right is nothing but force. As long as Europeans remain stronger than Chinese, they will impose upon them their will, but if Chinese became stronger than Europeans, those roles would be reversed."


        
Power Politics 
        
For Pareto, might comes first, right a distant second; therefore all those who assume that their passionate pleas for justice and brotherhood will be heeded by those who were previously enslaved are gravely mistaken. In general, new victors teach their former masters that signs of weakness result in proportionally increased punishment. The lack of resolve in the hour of decision becomes the willingness to surrender oneself to the anticipated generosity of new victors. It is desirable for society to save itself from such degenerate citizens before it is sacrificed to their cowardice. Should, however, the old elite be ousted and a new "humanitarian" elite come to power, the cherished ideals of justice and equality will again appear as distant and unattainable goals. Possibly, argues Pareto, such a new elite will be worse and more oppressive than the former one, all the more so as the new "world improvers" will not hesitate to make use of ingenious rhetoric to justify their oppression. Peace may thus become a word for war, democracy for totalitarianism, and humanity for bestiality. The distorted "wooden language" of communist elites indicates how correct Pareto was in predicting the baffling stability of contemporary communist systems. 
        
Unfortunately, from Pareto's perspective, it is hard to deal with such hypocrisy. What underlies it, after all, is not a faulty intellectual or moral judgment, but an inflexible psychic need. Even so, Pareto strongly challenged the quasi-religious postulates of egalitarian humanism and democracy--in which he saw not only utopias but also errors and lies of vested interest. Applied to the ideology of "human rights," Pareto's analysis of political beliefs can shed more light on which ideology is a "derivative," or justification of a residual pseudo-humanitarian complex. In addition, his analysis may also provide more insight into how to define human rights and the main architects behind these definitions. 
        
It must be noted, however, that although Pareto discerns in every political belief an irrational source, he never disputes their importance as indispensable unifying and mobilizing factors in each society. For example, when he affirms the absurdity of a doctrine, he does not suggest that the doctrine or ideology is necessarily harmful to society; in fact, it may be beneficial. By contrast, when he speaks of a doctrine's utility he does not mean that it is necessarily a truthful reflection of human behavior. On the matters of value, however, Pareto remains silent; for him, reasoned arguments about good and evil are no longer tenable. 
        
Pareto's methodology is often portrayed as belonging to the tradition of intellectual polytheism. With Hobbes, Machiavelli, Spengler, and Carl Schmitt, Pareto denies the reality of a unique and absolute truth. He sees the world containing many truths and a plurality of values, with each being truthful within the confines of a given historical epoch and a specific people. Furthermore, Pareto's relativism concerning the meaning of political truth is also relevant in reexamining those beliefs and political sentiments claiming to be nondoctrinal. It is worth nothing that Pareto denies the modern ideologies of socialism and liberalism any form of objectivity. Instead, he considers them both as having derived from psychic needs, which they both disguise. 
        
The New Class 
        
 For his attempts to demystify modern political beliefs, it should not come as a surprise that Pareto's theory of nonlogical actions and pathological residues continues to embarrass many modern political theorists; consequently his books are not easily accessible. Certainly with regard to communist countries, this is more demonstrably the case, for Pareto was the first to predict the rise of the "new class"--a class much more oppressive than traditional ruling elites. But noncommunist intellectuals also have difficulties coming to grips with Pareto. Thus, in a recent edition of Pareto's essays, Ronald Fletcher writes that he was told by market researchers of British publishers that Pareto is "not on the reading list," and is "not taught" in current courses on sociological theory in the universities. Similar responses from publishers are quite predictable in view of the fact that Pareto's analyses smack of cynicism and amorality--an unforgivable blasphemy for many modern scholars. 
        
Nevertheless, despite the probity of his analysis, Pareto's work demands caution. Historian Zev Sternhell, in his remarkable book La droite revolutionnaire, observes that political ideas, like political deeds, can never be innocent, and that sophisticated political ideas often justify a sophisticated political crime. In the late 1920s, during a period of great moral and economic stress that profoundly shook the European intelligentsia, Pareto's theories provided a rationale for fascist suppression of political opponents. It is understandable, then, why Pareto was welcomed by the disillusioned conservative intelligentsia, who were disgusted, on the one hand, by Bolshevik violence, and on the other, by liberal democratic materialism. During the subsequent war, profane application of Pareto's theories contributed to the intellectual chaos and violence whose results continue to be seen. 
        
More broadly speaking, however, one must admit that on many counts Pareto was correct. From history, he knew that not a single nation had obtained legitimacy by solely preaching peace and love, that even the American Bill of Rights and the antipodean spread of modern democracy necessitated initial repression of the many--unknowns who were either not deemed ripe for democracy, or worse, who were not deemed people at all (those who, as Koestler once wrote, "perished with a shrug of eternity"). For Pareto the future remains in Pandora's box and violence will likely continue to be man's destiny. 
       

The Vengeance of Democratic Sciences 
        
Pareto's books still command respect sixty-five years after his death. If the Left had possessed such an intellectual giant, he never would have slipped so easily into oblivion. Yet Pareto's range of influence includes such names as Gustave Le Bon, Robert Michels, Joseph Schumpeter, and Rayond Aron. But unfortunately, as long as Pareto's name is shrouded in silence, his contribution to political science and sociology will not be properly acknowledged. Fletcher writes that the postwar scholarly resurgence of such schools of thought as "system analysis," "behavioralism," "reformulations," and "new paradigms," did not include Pareto's because it was considered undemocratic. The result, of course, is subtle intellectual annihilation of Pareto's staggering erudition--an erudition that spans from linguistics to economics, from the knowledge of Hellenic literature to modern sexology. 
        
But Pareto's analyses of the power of residues are useful for examining the fickleness of such intellectual coteries. And his studies of intellectual mimicry illustrate the pathology of those who for a long time espoused "scientific" socialism only to awaken to the siren sound of "self-evident" neoconservativism--those who, as some French writer recently noted, descended with impunity from the "pinnacle of Mao into the Rotary Club." Given the dubious and often amoral history of the twentieth-century intelligentsia, Pareto's study of political pathology remains, as always, apt. 

Tomislave Sunic, a Croatian political theorist, has contributed a long essay to Yugoslavia: The Failure of Democratic Communism (New York, 1988).

[The World and I (New York), April, 1988]

 

 

 

 

mercredi, 24 décembre 2008

Erasmus Darwin (1731-1802)

 

 

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Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - DÉCEMBRE 1992

 

Robert STEUCKERS:

DARWIN, Erasmus  (1731-1802)

Né à Elston Hall le 12 décembre 1731, Erasmus Darwin fréquente d'abord l'école de Chesterfield avant d'entrer en 1750 au St. John's College de Cambridge, où il obtint le grade de Bachelor of Art.  En 1754, il part à Edimbourg pour y étudier la médecine. En 1756, il est médecin, d'abord à Nottingham puis à Lichfield et à Radbourne Hall, après son second mariage. Médecin dévoué, Erasmus Darwin se rend célèbre en préchant contre les excès d'alcool. Poète fougueux, sceptique en matières religieuses, matérialiste dans l'esprit du XVIIIième siècle, correspondant de Rousseau, Erasmus Darwin est un précurseur du lamarckisme et de l'évolutionnisme de son petit-fils Charles Darwin. Bon observateur des phénomènes naturels, Erasmus Darwin n'a cependant pas pu transformer ses observations empiriques en théories, comme le fit en 1859 son très célèbre petit-fils. Son ouvrage majeur en quatre volumes, la Zoonomie,  est un monument de la médecine théorique de son époque, qui a indubitablement préparé la voie vers la biologie moderne. Erasmus Darwin meurt le 18 avril 1802 à la suite d'un malaise cardiaque. Ses travaux s'inscrivent dans un contexte familial très précis: son frère aîné, Robert Waring Darwin, écrivit un ouvrage intitulé Principia Botanica,  où l'on découvre déjà des notes très particulières sur les phénomènes biologiques. L'aîné de ses trois fils, issus de son premier mariage, étudie la médecine mais meurt accidentellement d'un malencontreux coup de bistouri lors d'une dissection. Le troisième fils de son premier mariage est le second Robert Waring Darwin, père de Charles Robert, initiateur de l'évolutionnisme. La fille aînée de son second mariage, Violetta Darwin, épouse S. Tertius Galton et sera la mère de Francis Galton, théoricien de l'eugénisme.

Zoonomia, or, the Laws of Organic Life  (Zoonomie, ou lois de la vie organique),  1794-1796

L'intention de l'auteur nous est d'emblée révélée par son traducteur, le médecin gantois Joseph-François Kluyskens: "Faire connaître les loix qui gouvernent tous les corps organisés; partir de ces mêmes loix, dans les corps les plus simples, pour remonter jusqu'à celles qui régissent l'homme, l'être le plus parfait; réduire toutes ces loix qui ont rapport à la vie organique en classes, ordres, genres et espèces, et les faire servir enfin à l'explication des causes des maladies; tel fut le but que se proposa la Docteur Darwin lorsqu'il composa la Zoonomie...".

Erasmus Darwin perçoit un lien entre métaphysique et physiologie, dans le sens où il affirme que nos facultés intellectuelles sont l'effet nécessaire de nos facultés physiques. Descartes, Mallebranche, Locke, Condillac et Hume, explique Erasmus Darwin, manquaient des notions physiologiques nécessaires pour percevoir cet état de chose ou ont négligé d'en faire l'application à leur système. Le corps de la démonstration, dans la Zoonomie, consiste en une exploration des facultés dites "sensoriales" (néologisme utilisé en français par le traducteur de la Zoonomie,  le Dr. Kluyskens). Celles-ci se répartissent en quatre classes, irritation, sensation, volition, association, auxquelles correspondent quatre classes de maladies. 

Les réflexions d'Erasmus Darwin sur l'instinct méritent amplement d'être évoquées; pour notre auteur, l'instinct n'est pas invariable; il est au contraire une sagacité susceptible de modification, se développant d'une manière différente suivant les différentes conjonctures qui en déterminent l'exercice. L'instinct provient donc d'une détermination raisonnée et non pas d'une obéissance aveugle et mécanique à une loi de la nature. La théorie zoonomique d'Erasmus Darwin, très proche du lamarckisme, repose sur un concept d'évolution, où l'action d'une "force vitale intérieure", amorcée par un filament primal originel de substance vivante, provoque le développement graduel de l'ensemble des diverses formes de vie par un processus analogue à celui de la reproduction des végétaux. La Zoonomie contient de ce fait un ensemble de réflexions sur la génération, qui font la nouveauté absolue des idées d'Erasmus Darwin. Sa méthode généalogique part d'une observation des bourgeons dans les arbres pour aboutir aux mammifères en passant par tous les animaux de la création. 

Pour Erasme Darwin, toute pathologie dérive d'un excès ou d'un défaut, d'un mouvement rétrograde des facultés du sensorium; les pathologies consistent de ce fait dans l'aberration des mouvements des fibres vivantes.

(Robert Steuckers).

- Bibliographie. Poésie: The Botanic Garden  (1794-95); The Temple of Nature or the Origin of Society  (1803; publication posthume). Ouvrages scientifiques: Zoonomia; or, the Laws of Organic Life,  in four volumes, London, J. Johnson, 1794-96 (la traduction française est basée sur la 3ième édition anglaise de 1801; Zoonomie, ou lois de la vie organique,  trad. de Joseph-François Kluyskens, en quatre volumes, Gand, P.F.  de Goesin-Verhaeghe, 1810); Phytologia, or the Philosophy of Agriculture and Gardening  (1800). Autres ouvrages: A Plan for the Conduct of female Education in Boarding Schools  (1797).

- Sur Erasmus Darwin: Ernst Krause, Erasmus Darwin, trad. anglaise de W.S. Dallas, avec notice préliminaire de Charles Robert Darwin, 1879; Anna Seward, Memoirs of the Life of Dr. Darwin,  1804 (voir également la correspondance de Miss Anna Seward); Memoirs of Richard Lovell Edgeworth;  John Dowson, Erasmus Darwin, Philosopher, Poet and Physician,  1861; cf. également, Samuel Butler (l'auteur d'Erewhon), Evolution Old and New, où le célèbre romancier tente de faire revivre l'ancien évolutionnisme d'Erasmus Darwin contre le nouvel évolutionnisme de son petit-fils Charles; Leslie Stephen, "Erasmus Darwin", in Leslie Stephen (ed.), Dictionary of National Biography,  vol. XIV, London, Smith, Elder & Co., 1888; D. M. Hassler, Erasmus Darwin,  Twayne, New York, 1973; D. King-Hele, Doctor Darwin: The Life and Genius of Erasmus Darwin, Faber, London, 1977; cf. également: D.R. Oldroyd, Darwinian Impacts. An Introduction to the Darwinian Revolution,  New South Wales University Press, Kensington (Australia), 1980, Open University Press, Milton Keynes (England), 1980. 

 

mardi, 23 décembre 2008

Paul von Krannhals (1883-1934)

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Paul von KRANNHALS (1883-1934)

 


Né le 14 novembre 1883 à Riga, Paul von Krannhals, chimiste de formation, participe à la première guerre mondiale et reste longtemps prisonnier en Russie. Après son retour au pays, il enseigne à titre privé. Son œuvre est un essai de transposition de l'organicisme implicite des sciences chimiques et biologiques dans les sphères historique, politique et religieuse. Son ouvrage majeur, Das organische Weltbild, récapitule toutes les étapes de la pensée et les théories à connotations organicistes afin d'en faire une synthèse instrumentalisable en politique. Il meurt le 18 août 1934 à Dresde.


La vue du monde organique (Das organische Weltbild), 1928


Gros ouvrage en deux volumes, Das organische Weltbild constitue une protestation contre la mécanicisation du monde et l'emprise des idéologèmes mécanicistes dans les sciences humaines. Krannhals réclame, dans tous les domaines, un «respect pour la vie». En science politique et en économie, l'individualisme a engendré l'absurdité de la lutte de tous contre tous, camouflée derrière l'idéologie du contrat qui transforme l'Etat en Zweckverband, en association d'intérêt. Tout ordre juridique basé sur le contractualisme est au service du seul bien-être matériel d'une certaine catégorie de la population. L'Etat organisé selon les principes du contractualisme ne génère pas d'éthique propre, ne suscite chez ses citoyens aucun sens du devoir, vertus qui ne sont possibles que si l'on accepte l'existence d'une totalité (Ganzheit) supérieure aux individus. L'absence d'éthique conduit à une existence privée de sens et de valeur. Le rationalisme mécaniciste fractionne et mutile l'unité de la vie. Mécanicisation est synonyme de pétrification. Se référant à l'œuvre de Ferdinand Tönnies, qui avait posé la distinction entre Kürwille (volonté arbitraire) et Wesenswille (volonté essentielle), Krannhals constate que la conjonction de l'individualisme et de l'idéologie du contrat a détruit les communautés (Gemeinschaft) pour faire place à la société (Gesellschaft). Dans ce processus, c'est un principe masculin guerrier et destructeur qui fait œuvre de dissolution et sépare les éléments constitutifs des communautés, en s'opposant à un principe féminin créateur et constructif. Les personnalités politiques, elles, sont le produit d'une fusion harmonieuse entre ces deux principes. Reprenant les dichotomies propres à la pensée vitaliste/organiciste, propre à une certaine idéologie conservatrice, Krannhals oppose, d'une part, la culture, la communauté, le sentiment, l'intuitive Wesenschau (la vision intuitive de l'essence ou des essences) et la conscience raciale (Artbewußtsein) à la civilisation mécaniciste/techniciste, à la société et aux modes éphémères successives qu'elles produisent, où la forme s'impose provisoirement comme règle obligatoire de comportement sans qu'elle n'ait contenu éthique qualitatif et durable. Krannhals définit l'essence de la conception politique organiciste, pour laquelle l'Etat organique est le contraire radical de l'Etat rébarbatif et fonctionnaire, pure construction formelle et fruit d'une logique sans âme. L'Etat organique s'oppose également à l'Etat absolutiste qui confond volontairement la direction de l'Etat (en l'occurrence le souverain) et l'Etat (Louis XIV: l'Etat, c'est moi!). Krannhals, en posant cette déclaration de principe, renoue avec Kant, dont l'œuvre tardive signale une volonté très nette de dépasser la conception de l'Etat qui repose sur le seul individu et ne vise que son «petit bonheur». Kant, affirme Krannhals, a voulu ancrer l'Etat de droit dans l'idée de la liberté éthique, justice et éthique étant ici inséparables. L'idée d'un Etat organique est précisément ce que postule la conscience éthique. Celle-ci demande au peuple, âme de l'Etat, de suivre librement, sans contraintes et en éliminant les contraintes artificielles auxquelles il pourrait avoir à faire face, les lois de la vie, qui s'incarnent dans les formes vitales naturelles. La piste organiciste inaugurée par Kant se poursuit chez Fichte et Hegel, prétend Krannhals, en dépit de la méthode dialectique. Elle se poursuit dans les travaux de l'école du droit historique (Savigny, von Eichhorn) et chez les théoriciens qui entendent «biologiser» les théories politiques, comme le géopoliticien et politologue suédois Rudolf Kjellén ou le philosophe français Gustave Le Bon. Krannhals se réfère plus explicitement à H.G. Holle pour qui le Volk est primordial et l'Etat, secondaire, simple forme organisée et organisatrice du peuple. Portée par une démarche racisante, la définition que donnent Krannhals et Holle du Volk n'exclut par pour autant les peuples mixés. Là où il y a mélange racial, il peut subsister un peuple tant que le noyau originel homogène —le völkischer Grundstock— continue à déterminer la culture. La conscience éthique d'un peuple n'est rien d'autre que la pleine acceptation et l'épanouissement de la conscience intime propre qu'il a de lui-même, en temps que phénomène naturel. Au regard de ces définitions organicistes/biologisantes, Krannhals conclut que l'objectif de tout ordre juridique véritable consiste à protéger les nécessités biologiques de la vie communautaire du peuple. La politique organique doit empêcher les groupes d'intérêts de dominer l'Etat. Le libéralisme n'assure pas la liberté au sens éthique du terme. Krannhals oppose, dans la ligne de Sombart, le marxisme au «véritable socialisme». La tâche de l'Etat et du «véritable socialisme» est d'organiser et de fédérer les différences sociales et non pas de perpétuer leurs antagonismes dans des jeux parlementaires stériles parce que purement discursifs. Dans son chapitre définissant l'économie organique, Krannhals récapitule toutes les grandes orientations de l'école des économistes organicistes, mélange d'autarcie fichtéenne, de socialisme de la chaire et de corporatisme conservateur. Par une dichotomie didactique où la volonté polémique n'est pas absente, Krannhals oppose l'argent (Geld) au sang (Blut), soit un principe quantitatif (et qui transforme tout qualitatif en quantitatif) à un principe qualitatif (qui transforme tout quantitatif en qualitatif). L'objectif de l'économie organique est de parvenir à la domination du sang sur l'argent, de la personnalité sur les choses. La science s'est effondrée et patine car elle s'est isolée du vécu. Elle ne pourra progresser que par une revalorisation de ses dimensions instinctives. Le vécu est source inépuisable dans le processus de formation des concepts. Le savoir doit s'organiser à partir du vécu local, de l'expérience nationale du peuple. L'art et la religion doivent également emprunter des pistes organiques s'ils veulent échapper à la stérilisation provoquée par la domination des idéologèmes mécanicistes.

(Robert Steuckers).


- Bibliographie: Das organische Weltbild. Grundlagen einer neuentstehenden deutschen Kultur (avec une introduction de Hermann Oncken), 2 vol., 1928; Lebendige Wissenschaft, 1937 (extraits de Das organische Weltbild, op. cit.); Der Weltsinn der Technik als Schlüssel zu ihrer Kulturbedeutung, 1932; Religion als Sinnerfüllung des Lebens. Ein Bekenntnis zur schöpferischen Weltheiligung, 1933; Der Glaubensweg des deutschen Menschen, 1934-35; Revolution des Geistes. Eine Einführung in die Schöpfungswelt organischen Denkens, 1935.

- Sur Paul von Krannhals: cf. Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932. Ein Handbuch, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989 (3ième éd.).