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mercredi, 14 juillet 2021

La place de l'Europe dans un monde multipolaire - éléments pour une pensée populiste révolutionnaire

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La place de l'Europe dans un monde multipolaire - éléments pour une pensée populiste révolutionnaire

Alexander Markovics

Ex: https://theradicaloutlook.com/europes-place-in-a-multipolar-world-elements-for-a-revolutionary-populist-thought/

Un avenir alternatif pour l'Europe

Le monde multipolaire émergent est une révolution géopolitique. Il ne marque pas seulement un changement de paradigme par rapport au court moment unipolaire établi par les États-Unis après 1991, mais aussi la fin de l'hégémonie occidentale. Le processus de multipolarité en cours est en faveur des différentes civilisations et contre le projet libéral de mondialisation. Alors que la mondialisation tente d'unifier le monde sous un seul système politique, une seule idéologie et une seule civilisation, la multipolarité proclame la diversité des différents systèmes politiques, des différentes idéologies et des différentes civilisations. 

La multipolarité et le moment populiste

La question se pose donc : Quelle est la place de l'Europe dans ce monde multipolaire ? La position actuelle de l'Europe est incrustée dans l'orbite des Etats-Unis. Après 70 ans d'atlantisme, l'Europe ne semble pas capable d'exprimer ses propres intérêts géopolitiques. Mais comme le disait Hölderlin : "Mais là où il y a danger, les puissances salvatrices grandissent elles aussi". Le moment populiste a donné naissance à des mouvements comme les Gilets jaunes et des partis contestataires dans toute l'Europe, qui ont déclaré la guerre aux élites libérales. Mais même les mouvements et partis populistes manquent d'une stratégie conséquente contre le mondialisme et le libéralisme. Les attaques des mondialistes sont dirigées contre le cœur de la civilisation européenne. Le christianisme et ses églises sont profanés, les peuples se dissolvent dans les "eaux glacées du calcul égoïste" (comme le disait Karl Marx), la famille est contestée en tant qu'instrument d'oppression, et aussi l'existence même des deux sexes est attaquée parce qu'ils représenteraient le patriarcat pour le gender mainstreaming, alors que le transhumanisme est même prêt à abolir l'humain lui-même pour, dit-on, libérer l'individu. Pour résumer ce danger, le libéralisme attaque sur plusieurs fronts. Mais les populistes ne décident de se battre que sur quelques-uns d'entre eux, notamment parce qu'ils ne comprennent pas l'importance de ces combats. Jusqu'à présent, ils n'ont remis en cause que certains aspects de l'hégémonie libérale et ne saisissent pas toute la panoplie subversive qu'ils forment tous ensemble. Ils appellent à la fin des migrations de masse mais ne remettent pas en question l'OTAN qui détruit la souveraineté des nations partout dans le monde. Ils gardent le silence sur le problème du capitalisme qui détruit leur propre culture et leur religion chrétienne, alors qu'ils crient "N'islamisez pas notre américanisation !".

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Les deux pères fondateurs de la pensée populiste révolutionnaire : Gramsci et Schmitt

Tous ces aspects de la guerre intellectuelle qui fait actuellement rage en Occident nous montrent la gravité apocalyptique du moment historique que nous vivons. Il est donc plus important que jamais de s'armer, de se blinder intellectuellement et de choisir d'être résolument à l'écart du pandémonium à l'oeuvre dans le monde occidental. Dans le cas de l'Europe, nous pouvons choisir entre les élites actuelles et leur vision perverse d'une fin de l'histoire ou la cause des peuples et la continuation de l'histoire. Ce qui manque actuellement aux populistes de toute l'Europe, c'est une théorie révolutionnaire. Mais où peuvent-ils la trouver ? Tout d'abord, nous devons regarder la période de l'entre-deux-guerres où nous trouvons, d'une part, l'intellectuel communiste Antonio Gramsci et, d'autre part, le révolutionnaire conservateur allemand Carl Schmitt. Dans la pensée de Gramsci, nous pouvons trouver sa théorie de l'hégémonie afin de mieux saisir le fonctionnement du régime libéral actuel. Si nous adoptons correctement les idées d'Antonio Gramsci, nous nous rendons compte que nous pouvons trouver l'idéologie libérale non seulement dans des phénomènes comme la migration de masse et la détérioration de la sécurité intérieure, ou l'économie capitaliste, mais aussi dans l'unipolarité géopolitique et surtout dans l'homogénéisation délétère de l'espace culturel. Par conséquent, une résistance contre l'hégémonie libérale sur l'Europe doit finir par s'avérer futile si elle n'est dirigée que contre un seul de ses aspects. Si le populisme n'est dirigé que contre un ou deux aspects de l'hégémonie, il doit nécessairement devenir un autre exemple de "modernisation défensive" et échouera finalement à long terme, comme l'a déclaré la théoricienne politique belge Chantal Mouffe. L'émergence du populisme signifie que le politique est revenu en Europe et que nous, Européens, pouvons choisir entre différents projets hégémoniques. Le libéralisme n'est qu'une possibilité - un populisme révolutionnaire orienté autour des principes de la Quatrième théorie politique, formulée en Russie par Alexandre Douguine, est l'autre possibilité. Ce sont les conditions intellectuelles préalables à une Europe souveraine dans un monde multipolaire. 

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Le land power (le puissance tellurique), le Katechon d'Europe et l'État-nation

Dans le domaine de la géopolitique, les populistes doivent redécouvrir l'opposition, théorisée par Carl Schmitt, entre la terre et la mer. Dans cette opposition, Schmitt démontre le lien entre la puissance maritime et les idées progressistes, alors qu'il met en évidence le lien entre la puissance terrestre et le conservatisme. Comme l'a formulé Alain de Benoist en se référant à Zygmunt Baumann, la puissance maritime tente de tout rendre liquide, elle "liquide" le capital et les migrants pour les laisser couler comme les eaux de la mer (ndt: cette "liquidité" de la pensée politique maritime anglo-saxonne, Carl Schmitt la formule dans son Glossarium, volume dense qu'il ne voulait pas publier de son vivant, volume qui n'a pas encore été traduit en une autre langue). Pour résister à la mondialisation, l'Europe doit devenir une "Europe katéchonique", selon l'expression de Carl Schmitt, un grand espace européen uni, afin de pouvoir s'opposer à l'Antéchrist. À bien des égards, cela signifie que l'Europe doit revenir à ses racines géopolitiques. Premièrement, elle doit reconnaître que l'État-nation, en tant que rejeton de la modernité, a) n'est plus en mesure d'exercer sa souveraineté et b) n'est pas un protecteur du peuple mais un agent des intérêts bourgeois. 

Le sujet de la pensée populiste : le peuple

Pour développer une pensée populiste révolutionnaire, il est nécessaire de mettre l'accent sur le sujet même du populisme, c'est-à-dire le peuple. Contrairement à la nation, le peuple n'est pas une communauté artificielle, mais un organisme né d'une histoire charnelle. Il n'est pas constitué d'individus isolés, mais de personnes qui trouvent leur place dans la communauté. Alors que les nations ne connaissent au-dessus d'elles qu'une humanité politiquement homogénéisée et trouvent leur aboutissement logique dans l'État mondial, les différents peuples sont autant de pensées de Dieu, comme le concluait Herder. Au-dessus des peuples, on ne trouve que les civilisations, composées de différents peuples partageant entre eux la même religion, la même histoire, l'espace commun. Chaque peuple pour lui-même est condamné à être liquidé par l'Occident, mais uni au sein d'une civilisation, il peut résister à la tempête. 

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La multipolarité et le "coeur du monde distribué"

Il est donc impératif qu'une civilisation européenne unie forme un empire commun au sens traditionaliste du terme afin de garantir la paix sur le plan intérieur et de défendre sa souveraineté face à l'assaut mondialiste. Par ailleurs, l'essor des civilisations russo-eurasienne, chinoise et irano-chiite a prouvé ce qu'Alexandre Douguine appelle le heartland distribué. Il n'y a pas qu'un seul cœur, comme l'envisageait Halford Mackinder, mais plusieurs. En tant qu'Européens, nous représentons l'un d'entre eux, notre cœur européen spécifique. Cela signifie que nous devons laisser derrière nous le "fardeau de l'homme blanc", le messianisme libéral des droits de l'homme, la (post-)modernité, le progrès et les Lumières. Nous devons faire face à la xénophobie. Ce n'est que lorsque nous abandonnerons notre arrogance et nos superstitions que nous pourrons prendre place parmi les civilisations égales et revenir à notre héritage chrétien traditionnel. Si les populistes en Europe tirent les leçons de ces événements, en laissant derrière eux les différences stériles entre la gauche et la droite, et formulent un programme révolutionnaire dirigé contre la mondialisation et le libéralisme dans toutes ses dimensions, ils peuvent gagner. La multipolarité dans sa dimension intellectuelle et géopolitique est la clé pour rendre à l'Europe son propre destin. Mais comme dans toute lutte de libération, les Européens eux-mêmes doivent faire le premier pas pour sortir de l'hégémonie occidentale. 

La fin du césarisme : réflexion et autocritique comme clés de la multipolarité européenne

Une théorie révolutionnaire permet non seulement aux populistes de toute l'Europe de différencier l'ami, l'ennemi et l'ennemi principal, mais aussi de créer une stratégie afin qu'ils puissent parvenir à libérer l'Europe du libéralisme. Une théorie sophistiquée permet également l'autocritique et met fin au césarisme irréfléchi au sein des mouvements et partis populistes. Les exemples tragiques de gouvernements populistes ayant échoué à cause du césarisme, comme en Italie et en Autriche, appartiendraient au passé. 

La multipolarité : Les civilisations unies contre le globalisme

Comme nous pouvons le voir, la multipolarité offre de grandes chances de lutter contre les forces de la mondialisation et de mettre fin à leur progression. Nous en avons été témoins sur les champs de bataille en Syrie, où la Russie et l'Iran ont empêché la chute du président Bachar-al Assad et la montée d'ISIS. Au Venezuela, la Russie et la Chine ont réussi à aider le président Maduro à résister à la déstabilisation et au changement de régime orchestrés par les États-Unis. Si nous voyons ce potentiel d'un front anti-impérialiste composé de différentes civilisations unies contre la mondialisation, il serait logique que l'Europe le rejoigne également à long terme. Il est donc impératif que l'Europe laisse derrière elle l'Occident et forme un pôle propre dans l'ordre mondial multipolaire à venir.

Alexander Markovic est un historien, expert en politique internationale et en géopolitique (Autriche).

Source - Alexander Markovics : La place de l'Europe dans un monde multipolaire - éléments pour une pensée populiste révolutionnaire (VIDEO)

mardi, 13 juillet 2021

Dix réflexions sur la terre et la mer

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Dix réflexions sur la terre et la mer

Adriano Scianca

Ex: https://www.centrostudilaruna.it/terraemare.html

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"L'histoire du monde est l'histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances terrestres et des puissances terrestres contre les puissances maritimes". Ainsi Carl Schmitt, dans son petit chef-d'œuvre Terre et Mer (Adelphi, Milan 2002). Le Schmitt que nous rencontrons ici n'est pas le penseur scientifique et rigoureux que connaissent tous ceux qui ont lu ses textes juridiques, mais plutôt le lecteur de Guénon et le connaisseur expert du symbolisme ésotérique, engagé de manière quasi obsessionnelle dans la recherche de la clé symbolique de l'histoire de l'humanité. Or, cette clé symbolique, pour Schmitt, c'est le conflit des éléments. Sillonnant le globe "avec la roue et la rame" - pour reprendre une expression de Carlo Terracciano - l'homme a toujours perçu son propre être au monde à travers l'expérience du choc séculaire entre la Terre et la Mer.

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Que représentent la Terre et la Mer sur le plan géophilosophique ? La Mer est d'abord la négation de la différence, elle ne connaît que l'uniformité, alors que dans la Terre il y a toujours variation, dissemblance. La mer n'a pas de frontières, à l'exception des masses continentales à ses extrémités, c'est quelque chose qui lui est antithétique, l'anti-mer. La Terre est toujours sillonnée par des frontières tracées par l'homme, au-delà de celles qu'elle donne elle-même comme barrières naturelles. La mer, c'est la mobilité permanente, le flux sans centre stable, le "progrès". C'est le chaos et la dissolution. La Terre est la constance, la stabilité, la gravité. C'est la hiérarchie et l'ordre. La mer est le capital, la terre est le travail. Le travail est tellurique dans la mesure où il est fixe, c'est la production concrète ; le Capital est au contraire liquide, c'est l'exploitation et l'aliénation. Le travail crée, le capital détruit. La Terre-Travail est donc incarnée par l'Est métaphysique, la terre de ce qui naît (sol orient, soleil levant ; " orient " en vieux russe est vostok, " se lever ", tandis qu'en allemand c'est Morgenland, terre du matin), tandis que le Capital-Mer est l'Ouest métaphysique, ce qui meurt (sol occidens, soleil déclinant ; " Ouest " est zapad, " tomber ", en russe et en allemand Abendland, la terre du soir, du déclin). Concrètement et historiquement, la Mer est incarnée par les thalassocraties anglo-saxonnes, la Terre par la tellurocratie continentale eurasienne.

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Le conflit entre la terre et la mer acquiert ainsi un caractère concret, historique et politique. Oswald Spengler (Prussianisme et socialisme, Edizioni di Ar, Padoue 1994) a illustré ce choc par l'opposition entre l'esprit communautaire prussien et l'individualisme anglais. Pour l'auteur du Crépuscule de l'Occident, les âmes anglaise et prussienne s'opposent comme deux instincts, deux "on ne peut pas faire autrement" : d'une part, l'esprit authentiquement socialiste, l'essence de l'État, la subordination à la totalité communautaire ; d'autre part, l'esprit individualiste, la négation de l'État, la révolte de l'individu contre toute autorité. Le type anglais et le type prussien "révèlent la différence entre un peuple dont l'âme s'est formée dans la conscience d'une existence insulaire, et un peuple gardien d'une marque, dépourvu de frontières naturelles et par conséquent exposé à l'ennemi de tous côtés. En Angleterre, l'île a remplacé l'État organisé." D'où aussi la perception différente de ce que doit être l'économie et de ses finalités : " de la manière de percevoir la réalité qui distingue le véritable colon de la marque frontière et l'Ordre chargé de la colonisation, découle nécessairement le principe de l'autorité économique de l'Etat. [...] Le but n'est pas l'enrichissement de quelques individus ou de chaque individu, mais le renforcement maximal de la Totalité. [...] L'instinct de maraudeur sur les mers qui caractérise le peuple insulaire comprend la vie économique d'une manière entièrement différente. Ici, c'est une question de lutte et de butin".

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L'existence insulaire - donc non-historique et non-politique - typique de l'Angleterre se retrouve multipliée à la puissance n dans la théologie occidentaliste américaine. L'Amérique - l'éternelle Carthage, l'anti-Eurasie par excellence - est à tous égards l'héritière géopolitique et géophilosophique de l'Angleterre. L'esprit mercantile, l'instinct de prédation et l'individualisme bourgeois y atteignent des niveaux délirants. La conscience de l'insularité conduira les Américains à se considérer comme les habitants d'une forteresse inattaquable, ce qui renforcera également leur certitude de représenter les élus du Seigneur. L'Amérique se conçoit comme la terre promise séparée des nations corrompues (Thomas Jefferson : "heureusement pour nous [nous sommes] séparés par la nature et un vaste océan des ravages exterminateurs d'un quart du globe") et comme l'île imprenable. Cette illusion de sécurité prend fin le 11 septembre 2001. Ce jour-là, l'Amérique rencontre son propre jumeau : le terrorisme. L'action des pirates de l'air rappelle inévitablement le caractère fluide, mobile, indéfinissable de l'essence de l'Amérique. Le terrorisme, en effet, est quelque chose d'insaisissable, d'introuvable : il n'a pas d'uniformes, pas de règles, pas de limites ; il n'a pas d'État, pas de centre fixe, pas de Terre. Le terrorisme est le miroir de l'Amérique.

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Le titanisme prédateur, pirate et mercantile typique des thalassocraties est animé par une soif de domination inextinguible qui ne peut être limitée par aucune règle. La règle, en effet, distingue, discrimine, sépare ; la mer, au contraire, ne connaît pas de distinctions ni de différences, pas même entre la guerre et la paix, les combattants et les civils. La guerre devient une continuation du marché par d'autres moyens, elle n'est plus ontologiquement différente de la paix. Dans la guerre terrestre, observe Schmitt dans l'ouvrage cité ci-dessus, "les armées s'affrontent dans des batailles ouvertes et rangées ; en tant qu'ennemis, seules les troupes engagées dans l'affrontement se font face, tandis que la population civile non combattante reste en dehors des hostilités. Tant qu'ils ne prennent pas part aux combats, ils ne sont pas des ennemis et ne sont pas traités comme tels. La guerre maritime, quant à elle, repose sur l'idée que le commerce et l'économie de l'ennemi doivent être affectés. Dans une telle guerre, l'"ennemi" n'est pas seulement l'adversaire qui se bat, mais tout citoyen ennemi, et enfin aussi le neutre qui commerce et entretient des relations économiques avec l'ennemi." La guerre terrestre est une guerre de guerriers. La guerre maritime est une guerre de maraude.

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Sur l'île, donc, le capitaliste remplace le politicien et le corsaire prend la place du soldat ; ce n'est que sur la Terre que l'existence de l'homme est immédiatement politique : en elle, l'homme trace des frontières, répétant l'acte archétypal de Romulus. N'étant pas protégé par des barrières naturelles, l'homme est obligé de devenir authentiquement lui-même, de sortir d'une existence purement biologique, animale, naturaliste. Il doit créer son propre monde. L'existence politique, en effet, a un caractère purement tellurique ; le droit existe parce qu'il y a la Terre. La mer, en revanche, échappe à toute tentative de codification. Elle est an-œcuménique, comme le disait le grand géopoliticien Friedrich Ratzel. Dans L'origine dell'opera d'arte (in Sentieri interrotti, La Nuova Italia, Milan 2000), Heidegger a montré avec une profondeur extraordinaire cette caractéristique de la Terre comme condition de possibilité du monde humain. La Terre et le Monde, pour Heidegger, prennent une signification qui peut être ramenée, respectivement, à la nature et à la culture, ou à la sphère de l'enracinement dans le sol natal et à la sphère de la décision pour un projet. La Terre est le fond abyssal qui donne un sens à tout ce qui s'en détache comme produit de l'activité humaine ; "sur elle et en elle l'homme historique fonde sa vie dans le monde". Entre les deux aspects, il existe une tension dialectique dans laquelle "le Monde est fondé sur la Terre et la Terre surgit à travers le Monde". Le Monde, sphère de ce qui dérive de la libre activité humaine, "ne peut se détacher de la Terre s'il doit, comme région et voie de tout destin essentiel, être fondé sur quelque chose de certain". Sinon, si le Monde prévaut sur la Terre, nous avons la rationalité technologique qui détruit et viole la nature dans son projet de domination totale. Si, par contre, la Terre l'emporte sur le Monde, alors nous avons l'œuvre de l'homme qui se résorbe dans les profondeurs obscures de la nature, comme l'herbe qui pousse sur les ruines des maisons abandonnées. Il est bon, au contraire, que la Terre et le Monde soient toujours dans une confrontation/affrontement continu qui les exalte tous les deux sans les annuler. L'homme a toujours tendance à aller au-delà de la nature, mais il doit toujours se souvenir du caractère dévastateur d'une culture livrée à elle-même. On ne peut jamais s'échapper de la Terre sans douleur.

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Le "surhumanisme horizontal" (Gabriele Adinolfi) qui caractérise la prévalence du monde humain sur la Terre conduit à la réduction à zéro de la diversité. Or, l'absence de variété et de différence caractérise précisément l'essence de la Mer. Géophilosophiquement, c'est le jumeau du désert. Le désert est l'élément par excellence de la désolation, de l'absence de changement, de l'uniformité. Ce n'est pas un hasard si le monothéisme religieux est l'enfant du désert. Et ce n'est pas un hasard si le monothéisme économique est l'enfant de la mer. Dans le désert, il n'y a pas de dieu qui puisse se manifester à travers la nature, il n'y a pas de cosmos destiné à être le corps vivant des dieux ; il n'y a qu'une plate monotonie qui engendre par réflexion un Dieu qui est le Totalement Autre par rapport au monde. La désolation du désert renvoie à la solitude métaphysique d'un Dieu qui est avant tout et au-delà de tout, qui ne peut être saisi conceptuellement ni représenté figurativement, dont le nom ne peut même pas être prononcé. Un Dieu bien trop semblable au Néant. De même, l'uniformité maritime fluide génère la monnaie divine, celle par laquelle toute marchandise peut être échangée mais qui n'est pas elle-même une marchandise, l'équivalent universel de toute entité, qui doit donc nécessairement être rien. Si l'argent était quelque chose, il serait incarné dans une marchandise particulière et ne pourrait pas remplir sa fonction. L'argent est la catégorie abstraite qui égalise tous les biens concrets, tout comme le Dieu unique est l'abstrait par rapport auquel les hommes concrets sont rendus égaux. Nivellement, égalité, uniformité : c'est le paysage physique et spirituel déterminé par l'élément mer/désert.

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Le monothéisme du marché découle donc de la mer. Après tout, la nature particulière de l'économie actuelle va particulièrement bien avec l'élément liquide. L'ère moderne est en effet l'ère des flux : flux d'informations, flux de capitaux, flux de marchandises, flux d'individus. Même le pouvoir devient un flux, il se dématérialise, il devient une réalité subtile, qui traverse les corps et les esprits sans être "solidifié" dans un Palais d'Hiver. L'homme lui-même perd sa solidité, il devient flexible, il doit sans cesse se réajuster au flux du marché, abandonnant pour toujours tout enracinement, toute identité stable, tout fondement sûr. C'est le monde de la nouvelle économie, fondé - observe Alexandre Douguine - sur l'"évaporation" des concepts fondamentaux de l'économie, sur une dématérialisation de la réalité. Le montant des capitaux employés dans les secteurs classiques de l'économie, ceux de la production "réelle", est effroyablement inférieur à celui des marchés boursiers et de la finance virtuelle. La masse monétaire dans le monde d'aujourd'hui est égale à près de quinze fois la valeur de la production. En fait, le capitalisme s'affranchit aujourd'hui des marchandises pour se concentrer directement sur l'autoproduction tourbillonnante de l'argent, dans un système totalement autoréférentiel où l'argent ne sert qu'à générer plus d'argent. La valeur d'usage des biens tend vers zéro, tandis que leur valeur d'échange tend vers l'infini. L'économie perd toute référence physique, l'internet dépasse les limites de l'espace et du temps, le fondamentalisme libéral brise les règles et ainsi le marché mondial devient une marée inarrêtable qui efface tout résidu d'humanité sur son passage. La Mer/Marché déborde, la Terre est totalement submergée.

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En effet, l'assaut de la Mer sur la Terre entraîne la disparition de cette dernière. C'est la mise à mort des territoires. Face à la marée montante, il n'y a plus de terre émergée, c'est-à-dire qu'il ne reste rien de la Terre telle qu'elle est parce qu'elle a été historiquement habitée par l'homme. Les territoires deviennent de simples zones, des espaces déshumanisés dont l'essence est purement mercantile. Les frontières entre les zones sont comme les frontières dessinées sur l'eau : ce sont de pures conventions valables sur le papier à des fins commerciales, et non des limites de division d'un espace humain. "Entre les zones, cependant, des liens doivent passer : passages d'argent, de marchandises, de signes. Ces liens sont indispensables et marquent le passage de la géographie au réseau" (Simone Paliaga, L'uomo senza meraviglia, Edizioni di Ar, Padoue 2002). Le réseau "exonère" le territoire de son essence physique, le dématérialise, le rend fluide. Le réseau égalise et remet à zéro la différence des lieux qui sont en eux-mêmes différents, incomparables et irréductibles les uns aux autres. L'opacité du différent s'efface au profit de la transparence du réseau, dans lequel chaque lieu est égal à l'autre. Comme en pleine mer, où personne ne peut établir sans autres indications où l'on se trouve sur la planète.

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Si la Mer déborde et fait son dernier assaut sur la Terre, les gardiens de la Terre doivent faire face au danger avec une fermeté qui ne peut cependant pas se transformer en immobilisme. Si tout est Mer, alors, à la manière de D'Annunzio, navigare necesse est. Dans le monde des flux, des réseaux, de la mobilité inépuisable, nous ne pouvons pas rester dans l'attente d'un choc frontal que nous ne gagnerons jamais, parce que l'ennemi nous surpasse en force et en organisation et surtout parce qu'il n'est pas seulement "devant" mais aussi à côté de nous, au-dessus, au-dessous et à l'intérieur de nous. " Pour chevaucher le tigre, c'est-à-dire pour ne pas se noyer dans la crue du fleuve, il faut [...] ne jamais essayer, de la manière la plus absolue, d'aller à contre-courant mais il faut exploiter les vents, suivre les dynamiques, émergeant soudain sur la crête de la vague pour offrir des interprétations actualisées, correctes, en ordre et non en conformité " (Gabriele Adinolfi, Nuovo Ordine Mondiale, S.E.B. Milan 2002). L'avenir sera fait de réseaux agiles et solidaires, et non de paroisses monolithiques et divisées. Il faut assumer l'attitude "liquide" de l'époque tout en restant ancré à la Terre et enraciné dans une Communauté de destin qui incarne encore des valeurs en net contraste avec l'éthos contemporain. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons nous placer de manière constructive au cœur de l'affrontement qui nous voit - pour toujours et à jamais - face à l'Aeterna Carthago.

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Tiré d'Orion 235 (2004).

Carl Schmitt, Terre et Mer, Adelphi, Milan 2002.

dimanche, 11 juillet 2021

Karl Haushofer et la tradition perdue de la géopolitique

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Karl Haushofer et la tradition perdue de la géopolitique

Shahzada Rahim

Ex: https://katehon.com/en/article/karl-haushofer-and-lost-tradition-geopolitics

Le célèbre géographe politique et théoricien américain Nicholas J. Spykman a dit un jour : "Les ministres peuvent aller et venir, même les dictateurs meurent, mais les chaînes de montagnes restent imperturbables". C'est un fait établi que les conditions géographiques, qui font référence au territoire physique de l'État, sont restées le véritable déterminant de la politique internationale. Pendant des siècles, la géographie a joué un rôle central dans la détermination du pouvoir et de l'influence des États en politique internationale. Par exemple, la Rome antique a héroïquement détruit Carthage en raison de son immense géographie stratégique. De même, la défaite du grand guerrier européen Napoléon en Russie est due à son manque de compréhension des conditions géographiques russes.

À cet égard, l'un des plus anciens témoignages concernant le rôle stratégique de la géographie remonte aux écrits du célèbre historien grec Thucydide, dont le livre "L'histoire de la guerre du Péloponnèse" décrit brièvement le rôle de la géographie dans la victoire. Le célèbre historien américain et expert en géopolitique Robert D. Kaplan, nous rappelle l'importance capitale de "l'environnement extérieur auquel chaque État est confronté lorsqu'il détermine sa propre stratégie". Ce fut certainement le cas lors de la tentative d'invasion de la Russie par Napoléon.

Tout au long de l'histoire, la réalité physique de l'État a toujours été la pierre angulaire de la politique d'État et de la grande stratégie. Néanmoins, il faut garder à l'esprit que la condition géographique de l'État est un destin irréversible. L'expression "destin irréversible" est la véritable essence de la géopolitique, qui est le véritable visage de la politique internationale aujourd'hui.

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La tradition de la pensée géopolitique remonte à la Grèce antique et ce n'est qu'après la renaissance européenne de la fin du XVIe siècle que le discours de la géopolitique s'est imposé. C'est le célèbre géographe et géopoliticien allemand Friedrich Ratzel qui a conceptualisé les États comme un organisme en croissance dans son chef-d'œuvre "La géographie politique". Selon Ratzel, les États tirent leur pouvoir réel et projettent leur influence sur la scène internationale grâce aux terres qu'ils possèdent.

Plus tard, c'est le célèbre géographe suédois Rudolf Kjellén qui a ouvert la voie au concept de géopolitique en déclarant celle-ci comme étant la véritable "science des États". Pour Kjellen, le domaine de la géopolitique englobe la taille économique, les modèles démographiques, la configuration politique, la structure sociale et les paramètres géographiques. Après la fin de la Première Guerre mondiale, le discours de la géopolitique est devenu un contenu majeur de débat et de discussion parmi les géographes européens.

Par la suite, c'est le célèbre géographe allemand Karl Haushofer qui a élargi et fait progresser le discours de la géopolitique au début du vingtième siècle en lui donnant une nouvelle direction. Dans la navigation géographique radicale de Haushofer, l'Allemagne, l'Italie et le Japon ne possèdent pas de territoires suffisamment vastes et seraient donc incapables de survivre s'ils ne s'étendaient pas. À cet égard, pour les États géographiquement plus petits, Karl Haushofer préconise la régionalisation géopolitique afin d'accumuler la sphère naturelle nécessaire à leur survie.

Il s'agissait en effet d'un changement radical dans le discours de la géopolitique, qui est un contenu majeur de débat et de discussion aujourd'hui. D'autre part, on ne peut nier le fait que le concept de géopolitique est un phénomène purement discursif; il établit la réalité à travers le langage. A cet égard, la contribution de Karl Haushofer ne peut être méprisée car ses écrits ont joué un rôle majeur dans la purification de la "géopolitique" en tant que discipline.

Cependant, selon les critiques, à travers ses écrits discursifs, Karl Haushofer a tenté d'établir la forme "Pseudo-Western-Teutonic" de la géopolitique. De plus, l'idée de Haushofer des pan-régions visait à souligner l'importance de la géopolitique régionale au niveau continental. Néanmoins, on ne peut nier que c'est le célèbre ouvrage de Ratzel "La géographie politique" qui a jeté les bases de la nouvelle pensée et du nouveau discours géopolitique en Europe.

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Le concept de géographie politique de Ratzel était similaire à la construction d'une nation par Herder, qui a également été immensément influencé par le concept de géographie climatique. Auparavant, c'est Carl Ritter qui avait élargi le discours de la géographie politique et de la géopolitique autour du concept d'espace et de nature. C'est peut-être la raison pour laquelle, dans son travail, Ritter a mis l'accent sur l'espace et la nature en les considérant comme les déterminants clés de la géographie politique. Il en va de même pour Ratzel et Karl Haushofer, qui ont employé avec succès le concept darwinien de sélection naturelle dans le discours géopolitique.

Aujourd'hui, la nature complexe de la politique internationale exige une nouvelle pensée et une nouvelle approche géopolitique radicale. Depuis le début de la mondialisation néolibérale dans les années 1980 et la fin de la bipolarité, les États ont perdu leur signification géographique. À cet égard, la nature complexe actuelle des États et du système international exige la réincarnation de la tradition perdue de la géopolitique radicale, qui était inhérente à la pensée géographique de Karl Haushofer.

jeudi, 08 juillet 2021

La défense des préjugés contre l’universalisme abstrait (Joseph de Maistre)

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La défense des préjugés contre l’universalisme abstrait (Joseph de Maistre)

Dans cette vidéo, nous nous intéresserons à la défense, paradoxale au premier abord, des préjugés par le comte Joseph de Maistre. Loin de n’être qu’un point de détail philosophique en effet, le rejet systématique des préjugés indique en réalité une certaine conception du monde, de la société et de la politique faisant fi de l’histoire et de l’expérience des siècles passés. Or, c’est justement pour rappeler l’importance de l’histoire et de l’expérience des peuples cristallisée dans ce qu’on appelle « les préjugés », qu’il est essentiel d’aborder la pensée de Joseph de Maistre.
 

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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Vivaldi : ‘‘La stravaganza’’ Concerto in E minor, op. 4, No. 2 RV279
- Christoph Wilibald Gluck : Orphée et Eurydice, Danse des ombres heureuses (interprété à la harpe par Xavier de Maistre)
- Anton Dvorak : Romance in F major, Op.11
- Vivaldi : Nisi Dominus, IV. « Cum dederit » (Andrea Scholl)
 
Pour lire la constitution française : https://www.conseil-constitutionnel.f...
Pour lire la constitution hongroise (Loi fondamentale) : https://mjp.univ-perp.fr/constit/hu20...

dimanche, 27 juin 2021

Une démocratie mal entendue, la ruine du peuple (Ernest Renan)

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Une démocratie mal entendue, la ruine du peuple (Ernest Renan)

 
Dans cette vidéo, nous nous intéressons à un auteur fameux, plus souvent cité que lu de nos jours : Ernest Renan et son livre fondamental, "la Réforme intellectuelle et morale". Ce livre, capital, fut écrit à la suite de la défaite française de 1870 et l'auteur s'interroge sur les causes de la faiblesse de la France. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce texte, loin d'être dépassé, est plus actuel que jamais : les mêmes causes engendrent les mêmes effets.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Felix Mendelssohn : Les Hébrides, ouverture
- Gabriel Fauré : Pavane, Op. 50
- Franz Schubert : Trio op. 100
- Andante con moto
 
Pour vous procurer le livre d'Henri Levavasseur : https://nouvelle-librairie.com/boutiq...

samedi, 26 juin 2021

Diplomatie, traités et ordre international - Sur les défis diplomatiques

 
Diplomatie, traités et ordre

international

 

Sur les défis diplomatiques

(Notes pour un débat "online" avec le Centre de Situations de l'IMEMO-RAS de Moscou du 4 février 2021)

Irnerio Seminatore

 

Table des matières

Introduction

Lecture et signification d'un Traité

Défis diplomatiques dans les Traités Internationaux,

Westphalie (1648), Congrès de Vienne (1815), Versailles (1919), Yalta (1945), San Francisco (1945), Acte Final d'Helsinki (1975)

La diplomatie. A la recherche d'une définition

Les défis diplomatiques du nouveau millénaire et leur avenir

Montée pacifique ou endiguement?

Questions planétaires et changements dans la composition de la puissance Le "Smart Power"

***

Introduction

Le principal défi de la diplomatie du XXIème siècle est l'émergence d'un nouvel ordre mondial, constitué d'une série de défis globaux et d'une multitude impressionnante de défis régionaux et nationaux, aggravés, au niveau des perceptions et des prises de consciences, par l'antagonisme conceptuel et politique de  perspectives historiques divergentes.

L'exigence d'un nouvel ordre jaillit avec force de la contradiction majeure de notre temps, l'existence d'un cadre planétaire unique et contraignant et d'un pluralisme d'acteurs significatifs et de conflits violents et irréconciliables (antagonismes classiques, extrémismes religieux, revendications politiques et sociales, résistances, émeutes et désobéissances civiles, prolifération de technologies dans les domaines civils et militaires).

Sur le devant de la scène, la société fluide contemporaine, kaléidoscope de l'indifférencié, de formes d'éthique médiatisées et cyberactives ainsi que d'identités révocables, offre l'image d'un défi commun, à l'Est et à l'Ouest, celui d'une contestation permanente des élites publiques et des gouvernements élus, aboutissant à un affaiblissement général du concept d'autorité.

Il s'instaure partout, dans les rues de la planète une sorte de Tribunal des Peuples, qui réclame le promesses du juste, de l'égalitariste et de dogmes éphémères, ce qui rend problématiques les bases de la légitimité de tout pouvoir.

Dans ces conditions, de remise en cause globale, la tâche de la diplomatie devient presque impossible.

En effet, comment parvenir à un ordre international commun, reconnu et équitable? Et de quels moyens se prévaloir pour gouverner le monde, en dehors des instruments classiques, de la légitimité et des rapports de force? Comment préserver la liberté de choix des peuples et des individus entre la pression des structures de pouvoir globales, nationales et locales et le destin illusoire des grandes universalités, érodées par une information douteuse?

Et enfin comment échapper, à l'échelle du monde, à l'état de nature hobbesien et au chaos de la malédiction biblique?

Un retour en arrière, aux défis abordés par la diplomatie, depuis la Renaissance; pourrait être salutaire, pour fixer l'essentiel.

Nous procéderons ainsi à la lecture rapide de six traités historiques, établis dans le but d'établir la confiance, de négocier des solutions et de garantir la stabilité politique.

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Lecture et signification d'un Traité

Un Traité international marquant une période historique a pour but de tracer les rapports d'autorité et de hiérarchie, devant assurer un ordre politique stable, qui départage les acteurs satisfaits, des puissances révisionnistes ou insatisfaites.

Historiquement, il a pour tâche de faire émerger des solutions de compromis par le recours à des considérations géopolitiques, stratégiques et civilisationnelles, en prévoyant des mesures de contrôle et des sanction, appropriées à leur transgression.

Un Traité comporte, en son dispositif normatif, trois références fondamentales : le type de légitimité des régimes contractants, les rapports de forces entre membres participants et le degré de tolérance admis entre stabilité et de stabilisation, ou entre crise et status quo.

Défis diplomatiques dans les Traités Internationaux,

Westphalie (1648), Congrès de Vienne (1815), Versailles (1919), Yalta (1945), San Francisco (1945), Acte Final d'Helsinki (1975)

Puisque l'activité spécifique des diplomates est la rédaction d'un Traité, qui constitue la forme accomplie ou pure des relations entre acteurs rivaux, l'examen des traités recèle, sous le type d'accord recherché ou conclu, l'adoption d'une vision commune de l'ordre international et celle de codes de conduites à respecter.

Il nous semble instructif de prendre en considération les invariants de la fonction diplomatique, l'articulation de la légitimité et des rapports de force, en leurs nœuds et tournants.

A chaque étape apparaîtra une limite ou un défi pour la diplomatie de l'époque.

* A la fin des guerres de religions en Europe, le défi majeur, dans la rédaction du Traité de Westphalie, reposait sur une pacification entre les Princes et les pays catholiques, et les princes et les sujets réformés: pacification qui sauvegarde la stabilité du pouvoir et la liberté de conscience. La formule de ce défi, "Cuius Regio, eius Religio" de pleine actualité, fut codifiée comme principe de la non ingérence au nom de la souveraineté naissante. L'idée d'ordre de l'époque impliquait, pour la diplomatie et le droit, une double référence, idéologique et spatiale et, suivant ces deux mystiques, une action de guerre. Le défi du diplomate consistait alors à faire respecter cette limite.

* Avec la fin de l'aventure napoléonienne et le retour de l'Ancien Régime au pouvoir, marquant la fin du règne de la "raison" et de l'utopie révolutionnaire qui s'y accompagne, la restauration imposa, avec le "Congrès de Vienne", le défi de l'inclusion de la France, acteur perturbateur depuis deux siècles, dans le jeu du concert européen et dans sa sauvegarde. Le défi des Diplomates consista dans la formule d'une Alliance des trônes contre les peuples. Aux premiers, le droit et les rapports de forces, aux deuxièmes, les promesses de la légitimité des idées. L'idéal antérieur de l'unité impériale, disposant d'une légitimité unique, fut remplacé par la quête d'un ordre commun, assuré par un équilibre des forces, qui exige neutralité idéologique et capacité d'adaptation à l'évolution de la conjoncture. En effet l'équilibre des forces fut tenu pour un progrès par rapport aux exactions des guerres de religions, car une rupture de l'équilibre entraînerait la constitution d'une coalition ayant pour but de le rétablir. Dans le système de Vienne les défis à l'ordre territorial étaient à charge de la quadruple alliance (France, Grande Bretagne, Russie et Autriche), tandis que la Sainte Alliance des Trônes répondait aux menaces contre les régimes intérieurs par l'hydre de la révolution. A côté de ce dispositif le concert européen des nations, préfigurant le futur Conseil de Sécurité des Nations Unies, avait pour but de régler les crises émergentes ou explosives, sans qu'aucune grande nation se mobilise pour un conflit. Dans ce nouveau cadre le rôle maritime de la Grande Bretagne, comme balancier du continent, prit un poids accru et le défi d'une diplomatie fondée sur l’égoïsme de ses intérêts, acquit une définition doctrinale emblématique avec Lord Palmerston.

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* En 1919, le Traité de Versailles, après l’hécatombe d'un conflit qui n'avait aucun caractère de nécessité inévitable pour la civilisation européenne, consomma la rupture radicale de la conception de la guerre classique et égalitaire, qui faisait abstraction de la "guerre juste" propre à la "Respublica Christiana" du Moyen Age et manqua à sa tâche primordiale, de rétablir la paix. S'achèvera ainsi la conception antérieure sur la légitimité de la guerre et de la neutralité et la diplomatie deviendra juridiquement punitive. C'est à partir de ce moment que le défi des diplomates idéologues, prétendant démocratiser la hiérarchie des pouvoirs, parviendra à dissoudre l'ordre européen par la proclamation Wilsonienne du principe d'autodétermination des peuples. Le vieux principe de légitimité du pouvoir, fondé sur la hiérarchie de puissance est bouleversé et les nouveaux rapports de force provoquent la dissolution des empires. C'est à ce moment que le défi des diplomates s’attelle à la refonte du système de l'équilibre et à l'affirmation de la paix par le droit. Un nouveau système d'affrontement se constitue autour d'une causalité universelle, le communisme, et traduit le passage à une communauté indifférenciée et universelle. Le défi du diplomate savant, épris du sens de l'histoire, consistera à encadrer les débats intellectuelles dans les trois modèles de gouvernement, démocratie, césarisme et tyrannie (ou totalitarisme), afin d'éviter le despotisme. Le Traité de Versailles refusa de réintégrer l'Allemagne dans l'ordre européen comme l'avait fait le Congrès de Vienne et marqua ainsi la fin de l'équilibre continental et du concert européen. Avaient disparus les trois Empires de Russie, d'Autriche et d'Allemagne et la France, épuisée, perdit la capacité d'endiguement de l'Allemagne, bouleversée par les troubles de la République de Weimar et de la Russie Soviétique révolutionnaire. Le défi de la diplomatie occidentale, invoquant des clauses discriminatoires et imposant un diktat à une Allemagne revancharde et potentiellement supérieure au plan stratégique, provoqua le révisionnisme allemand. Par ailleurs la répugnance morale ou politique (de l'Amérique et de la Grande Bretagne), vis à vis d'un éventuel retour aux armes en défense de la France,  encouragea les défis de la diplomatie wilsonienne à tenter la voie d'une institutionnalisation des arbitrages conflictuels, par la création d'un système de sécurité collective, la Société des Nations. Celle-ci remplaçait la lutte naturelle pour le pouvoir par un ensemble de mécanismes juridiques bannissant toute forme de violation de la paix. Deux ordres contradictoires résultèrent des divisions historiques du vieux concert européen, l'ordre des démocraties occidentales appuyé sur le formalisme du droit (des vainqueurs) et un espace de liberté d'action pour l'exercice d'une Realpolitik, libre de toute contrainte (Italie et IIIème Reich). L'utopie idéaliste de mise au ban de la guerre débutait ses premiers pas, flottant dans "un mélange toxique de pacifisme superficiel et de désunion des alliés" (H.Kissinger). Les défis de l'idéalisme diplomatique n'avaient pourtant pas disparus, puisque face à la diplomatie européenne, forgée au XIXème siècle à l'école de la force et à  la pratique de l'intimidation, les idées de la sécurité collective  et de la paix par le droit inspirèrent le pacte Briand-Kellog, la Société des Nations et, dans l'après deuxième guerre mondiale, la naissance des Nations-Unies à San Francisco (1945) et l'Acte final d'Helsinki (1975).

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* En vue de la capitulation de l'Allemagne et du Japon, la conférence de Yalta (février 1945), instaura un ordre idéologique et spatial fondé sur l'équilibre des forces et inaugura une diplomatie bi-multipolaire à caractère planétaire. Il s'agira d'une Diplomatie des Chefs d’État et de Gouvernement (The Big Three), mieux à même de dessiner la vision du système international de l'après deuxième guerre contournant une diplomatie normativiste ou de fonction. Avec Yalta et ses répercussions l'équilibre européen devient un élément de la stratégie globale des deux puissances extérieurs, la grand île de l'Atlantique et le cœur continental du monde, soviétique. Pour les diplomates de la "Guerre froide", consécutive à l'instauration de la bipolarité et de la division du monde en deux, l'ordre mondial issu de la capitulation de l'Allemagne, reflétait désormais deux ensembles d'équilibres, l'équilibre nucléaire, à l'échelle planétaire, entre competitors globaux et l'équilibre conventionnel et dissuasif au centre Europe. C'était pour certains annalistes "un jeu à somme nulle", dans lequel les diplomaties des principaux pays devaient désormais soumettre leurs calculs à la nouvelle donne de l’armement nucléaire. Le défi de la dissuasion imposait aux deux camps la coexistence de la menace et la préservation de la liberté et de la paix. Cependant, dans l'après Yalta et au niveau du système, la morphologie du pouvoir allait se définir de plus en plus hors du continent européen, qui avait été pendant mille ans le centre de gravité du monde. Dans le deuxième après guerre l'Europe, qui s'était éloignée de l'ordre inter-étatique et des vieux rapports de force qui avaient préservés la paix, remit sa défense dans les mains de l'Amérique et dans la faible assurance de la sécurité collective. Sa diplomatie découvrira en 2019, la crise des alliances militaires euro-atlantiques et la nécessité de l'indépendance politique et de son autonomie stratégique. L'appel "aux armes propres" de Machiavel demeurait encore brûlant et pertinent!

La Conférence de San Francisco et la naissance des Nations Unies (juin 1945)

Après la capitulation du Japon, le problème de la rivalité entre puissances montantes et puissances établies se posait à nouveau en Eurasie et dans le Pacifique, au moins en perspective. Il s'agissait pour les Chefs d’États et de Gouvernement de s'accorder sur les conceptions de l'ordre mondial et pour les diplomaties de mettre en forme juridique les institutions qui en traduiraient la philosophie et la stratégie. W. Wilson avait déjà proclamé en 1919 que l'ordre international ne devait plus se fonder sur l'équilibre des forces et que la sécurité ne devrait plus dépendre des alliances militaires, mais de la sécurité collective. F.D. Roosvelt à Yalta et Truman à San Francisco, eurent pour tâche de mettre en forme ces nouvelles approches de l'ordre. L’Amérique dominait désormais la scène mondiale et disposait de l'esprit et des moyens pour exercer pleinement ses responsabilités, à l'échelle globale. L'impératif de l'après guerre consistait à traduire dans une institution à vocation universelle, la conception d'une paix indivisible, défendue mondialement. Ce fut à San Francisco que se concrétisèrent les approches à la paix évoquées à Yalta de la part des Big Three, Roosvelt, Churchill et Stalin. Pour Roosvelt le système de sécurité collective, garanti par les trois vainqueurs et par la Chine, aurait dû reposer sur la coopération et sur la concorde, assouplies par le jeu d'une diplomatie ouverte, divergeant en cela de W.Churchill, pour qui la restauration de l'ordre mondial devait se fonder sur la logique de l'équilibre, où la Grande Bretagne associée aux États-Unis ferait contre-poid à l'Union Soviétique. Pour Stalin, la paix devait être conforme à l'idéologie soviétique et à la politique étrangère russe expansive, de tradition tsariste. Cependant les quatre nouveaux gendarmes du monde n'avaient pas la même idée de leur compromis possible, puisque la nouvelle Charte de la sécurité mondiale devait comporter des mécanismes de vigilance et surtout de police qui avaient fait défaut à la Société des Nations de l'avant guerre. Ensuite cette forme de diplomatie multilatérale devait se connecter à la diplomatie mutipolaire classique et cette liaison et interconnexion, intellectuelle, politique et stratégique devenait le nouveau défi d'une politique étrangère articulée et globale. La responsabilité constitutionnelle et politique de la diplomatie subissait ainsi une partition et une distinction d'importance car les plans diplomatiques de vision et de système, devenaient l'apanage des Chefs d’État et de Gouvernement ,"Plans A", tandis que les "Plans B", regroupaient des positions de repli ou des stratégies de rechange, confiés à la diplomatie traditionnelle. Cette refonte commune de la politique et de la diplomatie mit fin à la passivité de la Société des Nations, assuma un caractère plus représentatif et authentiquement universel et l'organisation de la paix passa d'une institution européenne (la SdN) à institution mondiale (les UN). Le maintien du directoire du temps de guerre décidé à Yalta, assurera la prééminence des Cinq Grands du Conseil de Sécurité sur l'Assemblée Générale en matière de maintien de la paix et disposera d'un droit de veto sur toute proposition ou initiative venant d'une Assemblée Générale, ouverte démocratiquement à tous les États-membres. Ce fut à partir de 1948, que la discorde entre les Grands et l'antagonisme politique et idéologique entre les deux Leaders de bloc de la "guerre froide" paralysa le Conseil et déplaça le centre de gravité des Nations Unies vers l'Assemblée, consacrant la faiblesse du multilatéralisme et de la sécurité collective par rapport au poids décisif du mutipolarisme. L'importance des divergences entre l'Est et l'Ouest transforma les Nations Unies en une tribune planétaire de débats, assurant une place de choix à la diplomatie publique. Ce système ne prétendait pas éviter le crises, ni même les guerres, mais limiter la capacité des États prépondérants de dominer les autres, en maîtrisant la prévention et l'ampleur des conflits. Son objectif philosophique et politique était moins la paix que la stabilité et la modération et les diplomaties du monde entier cherchèrent dans la démocratie et dans le multilatéralisme, des éléments susceptibles de modérer la force et de tempérer son exercice inévitable que les négociateurs du Congrès de Vienne croyaient avoir trouvé dans le droit et dans la morale.

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Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) - L'Acte Final D'Helsinki (Août 1975)

L’Acte Final d'Helsinki, marque-t-il la transition de la bipolarité à la diplomatie triangulaire ou, en revanche, le début d'une détente qui ne pouvait être limitée aux États? L'actualité de la Conférence d'Helsinki repose en effet sur le renversement du "jeu d'antagonismes asymétriques" entre Washington-Pékin et Moscou. De facto l'antagonisme sino-américain a pris aujourd'hui le dessus sur le rapprochement russo-chinois, qui était à l'époque improbable, ainsi que sur les relations russo-américaines de stabilisation et de prolongement du Traité New Start, de réarmement par la maîtrise des armements. L'influence de l'Acte final sur la scène diplomatique influa à l'époque sur le dégel des alliances bipolaires, compte tenu de la crainte de la part de chaque acteur d'une coalition des deux autres contre lui Cette Conférence permit en Europe l'encadrement de l'Ostpolitik de Willy Brandt pour le règlement diplomatique de la "question allemande" et la normalisation des relations entre RFA et RDA. Le remplacement de la guerre froide par le développement d'une coopération paneuropéenne entre nations indépendantes, situées entre l'Atlantique et l'Oural et en dehors des alliances militaires, impliqua pour la France, de considérer le pan-européisme comme moyen pour dépasser l'ordre bipolaire. L'Acte final réaffirmant le "statu-quo" politique et territorial de l'Europe, proclamait la possibilité du changement pacifique des frontières, défendant le principe westphalien de la souveraineté et de la "non ingérence", à propos des dispositions dites "humanitaires" (échanges de personnes, informations et idées). L'interprétation des pays de l'Est opposés à la diffusion du 'virus de la liberté", soutenu par les occidentaux se fit au nom du traité de Westphalie. En réalité la lecture qu'en fit chaque partie fut absolument contradictoire, car le vocabulaire commun cachait des réalité politiques divergentes et antagonistes. Les défis diplomatiques d 'Helsinki créèrent-ils une désidéologisation de la détente et un dépérissement des blocs ou anticipèrent-ils l'émergence du tripolarisme dans le monde? La réponse est que, si la Russie Soviétique, puis la Russie post-communiste a été et reste toujours une composante essentielle de l'ordre européen en quête d'opportunité, la Chine, confrontée à un ordre international totalement nouveau pour elle, se contentera-t-elle de prétendre à un gouvernement politico-culturel unique, à l'intérieur de son espace civilisationnel, ou voudra-t-elle y intégrer le système extérieur occidental, tenu pour anachronique, barbare et soumis à tributs?

La diplomatie. A la recherche d'une définition

Depuis son émergence en Italie, à l'aube de la Renaissance, la diplomatie, comme fonction représentative d'une unité politique, est un rapport de pouvoir, reposant sur la sauvegarde de l'équilibre, censé réaliser les buts de la souveraineté et les ambitions du sujet-maître de la politique. Elle se situe entre la paix et la guerre, ou entre l'état de nature et le règne de la loi, autrement dit au sein d'un compromis précaire qui distingue la jungle de l'empire universel. Dans le cadre d'une politique d'alliance, la diplomatie obéit à une double dialectique, des forces et des idées et noue un dialogue, interne et extérieur aux coalitions, qui détermine la nature et l’enjeu des conflits. Le calcul des forces et la dialectique des courants intellectuels, sont indispensables pour interpréter la conduite diplomatico-stratégique, le type du pouvoir de l"acteur inter-étatique et sa conception de la légitimité. L’identification des arcs de crises ou des zones d'instabilité est toujours un banc d'essai pour le représentant d'une souveraineté, qui veuille prévoir la fin des grands cycles historiques et le déclin d'une hégémonie, d'une civilisation et d'un système international. Prévoir l'entrée dans les périodes de grandes mutations, c'est le plus important défi du diplomate, historien ou stratège. Ce défi est intemporel et prélude à toute logique d'affrontement et d'alliance. Par l'intelligence du passé ou par la ruse de la politique, le diplomate aura pour but de départager l'ami de l'ennemi et de pointer le cap sur la défense de l'intérêt national, épuré de toute utopie et fondé sur l'expérience du passé,en tenant le passé comme prophétie ou enseignement du futur.

Les défis diplomatiques du nouveau millénaire et leur avenir

Le premier défi de l'ordre international actuel est constitué par l'exigence de maintenir la cohésion des alliances et d'éviter leur désagrégation dans un monde qui demeure conflictuel. L'analyste, diplomate ou historien, partira alors du type d'homogénéité ou d'hétérogénéité, qui préside à la nature des changements en cours, ceux qui affectent le système comme tel et ceux qui se déroulent dans le système. Le point décisif des manœuvres diplomatiques à déployer portera à nouveau sur la légitimité des régimes politiques, à la base des rapports de forces entre acteurs majeurs de la scène internationale, ainsi que sur les attentes insatisfaites des masses populaires. En Conseiller du Prince, le fin diplomate recherchera avant tout, dans les nombreuses situations hybrides, le point de gravité du balancier, par la dé-complexification des situations et leur réduction à l'essentiel. Partir des défis systémiques, comme méthode d'analyse, signifia alors e partir de leur impact global et régional et de parvenir, comme la chute d'une pierre dans l'eau, aux ondes de choc de la surprise stratégique qui affecte par vagues successives un ensemble géopolitique. Le point de résistance le plus grand, l’écueil plus important sera toujours le point de brisure de la foi et de l'espoir, qui mesurera la résistance d'un peuple. Dans l'actuelle configuration mutipolaire du monde ne pourrons être brisé le pays et le peuple qui aurons l'élan, la volonté et la puissance pour modeler le système international à ses valeurs, prêt à se lancer dans des aventures lointaines et de se poser en exemple de l’humanité. L'objet de l'analyse diplomatique, sera alors, comme par le passé le "geist", l'esprit du peuple et la volonté de ses maîtres. "Vox Populi "et "Vox Dei" donneront la mesure de l'entreprise. L'empire, qui a été pendant des millénaires, la forme "perfectissima" du gouvernement des hommes, survit dans la République Populaire de Chine, sous le sceptre autoritaire du parti unique et la remise en cause de celui-ci vient de l'opposition intérieure et du pluralisme politique et territorial de l'empire. C'est pourquoi les "Barbares (occidentaux) veulent dissoudre l'unité politique du Chung Kuo' par la démocratie depuis Hong Kong et Taiwan au sud et l'unité territoriale depuis le secessionisme ouïgours à l'Ouest. Le plus important défi de la politique et de la diplomatie chinoises, idéologiques à la surface et pragmatiques dans leurs approches traditionnelles, demeure le maintient de l'unité du pays contre le danger de la désagrégation, qui est la seule façon d'abattre de l'intérieur le titan du monde.

9781627741408.jpgMontée pacifique ou endiguement?

Dans le débat sur le destin national de la fin du deuxième millénaire, le Colonel Liu Mingfu, exprimant les vues d'une fraction de l'APC, formula le dilemme du "Rêve chinois", "mode de pensée d'une grande puissance et posture stratégique à l'ère post-américaine". Les débats antérieures sur le destin national de la Chine se déroulèrent dans des période de grande vulnérabilité pour le pays.

Ce débat se fondait désormais sur une réalité, la montée impétueuse de la puissance chinoise. Ainsi dans l'analyse de la conjoncture actuelle, vues les tendances stratégiques du monde et celles des États-Unis et de l'Occident, restant des forces antagonistes et dangereuses, le défi diplomatico-stratégique était tranché : "C'est le moment ou jamais!" Comment concilier la "montée pacifique" réaffirmée par les dirigents politiques dans la définitions des défis futurs et l'esprit martial de ses responsables militaires? L'antagonisme sino-américain peut-il être comparé à la rivalité anglo-allemande du XXème siècle et la confiance stratégique d'un acteur majeur peut elle constituer une menace sous-jacente pour une coexistence pacifique? En d'autres termes la diplomatie peut elle assurer un ordre stable sans la confiance d'une réciprocité d'intentions et de conduites? L'unification allemande et la proclamation de l'Empire à Versailles en 1871, produisirent un changement des équilibres des pouvoirs en Europe entre États souverains, réduisant les combinaisons des calculs militaires et les options diplomatiques des États du continent. Pouvait -elle interdire les issues de 1914, dont la crise était inscrite dans la structure même du système? Les buts réels de l'Allemagne étaient-ils une hégémonie politico-culturelle sur le continent ou une supériorité politico-statégique, menaçant l'indépendance des autres États européens et l'existence même de l'Empire Britannique? L'analyse de la configuration des forces et du facteur de la confiance excluait à l'époque une coopération pacifique en Europe. L'existence d'intentions non formulées ou de conduites militaires inopportunes est elle inhérente à la structure des relations sino-américaines et au "Duel du siècle" que la diplomatie aura du mal à interdire ou à freiner? Confiance stratégique et coopération authentiques sont indispensables dans toute situation d'incertitude et encore davantage en situation de crise. Si, par ailleurs, on cumule au défi diplomatique les deux défis intérieurs, de la Chine et des États-Unis, une large gamme de tensions se cumulent des deux côtés du Pacifique, interdisant d'éliminer les causes de conflit. Par ailleurs la forme d'endiguement de la Chine par l'Amérique prend une double forme et acquiert les caractéristiques d'un double défi, le défi démocratique, comme constitution d'un blocs d’États non autocratiques, en vue d'une croisade idéologique et d'une diplomatie transformationnelle et, d'autre part, une ligne de sécurité péninsulaire, stratégique et militaire fondée sur les trois composantes, spatiales, aériennes et maritimes.

41H4MW12yCL.jpgQuestions planétaires et changements dans la composition de la puissance - Le "Smart Power"

Parallèlement à cette évolution des relations de pouvoir dans le Pacifique et dans le monde, intervenues après l'effondrement de l'Union Soviétique, les composantes traditionnelles de la puissance internationale se sont différenciées et ont comporté un examen de leur influence intellectuelle et politique, exigeant d'être plus proportionnées et plus symétriques. L'absence d'un ennemi clairement identifié à l'Ouest, a justifié théoriquement la réduction du recours démesuré à la force opéré par Georges W.Bush. A jailli de cette rétrospective, une conception du pouvoir comme intelligence, venant des "effets de séduction, de persuasion et d'attirance". Cet extraordinaire pouvoir immatériel et civil a été appelé "Smart Power", synthèse de la complémentarité discontinue du "Hard" et du "Soft Power".

Avant que Joseph Nye nous parle de ce deuxième visage du pouvoir, dont les vecteurs majeurs seraient la culture,les valeurs, l'éducation et la politique étrangère, deux auteurs latins avaient évoqué et approfondi la signification de "l'affectio societatis" (Ulpien dans le Digeste) et les fondements des "Arcana impérii"(Tacite-comme Alterum romani imperii lumen).

Cette nouvelle approche de la politique extérieure des États-Unis, associée à une gestion plus collégiale des défis internationaux a été présentée par Hillary Clinton, en sa fonction de Secrétaire d’État de Barak Obama à la Conférence sur la sécurité de Munich, des 6-8 février 2009. L'incitation à remplacer la contrainte et l'usage de la force, dont avait abusé G.W. Bush, pendant sa double présidence (2001-2009), et qui avait fait perdre à l'Amérique son rôle d'arbitre et d'autorité morale, devait faire jouer à la diplomatie un rôle aussi important que la puissance militaire. L’Administration démocratique estima que les États-Unis, depuis le Vietnam avaient abandonné toute approche multilatérale et globale des crises, consistant à vouloir éliminer l'ennemi, sécuriser l'Amérique et rétablir l'ordre. Après l'échec de cette politique, la diplomatie, pour Hillary Cliton, serait à l'avant garde de la politique étrangère des États-Unis. "Le pouvoir de l'intelligence signifie -dit elle- que les intérêts des États-Unis sont mieux défendus, en impliquant d'autres forces, à travers les alliances, les institutions internationales et une diplomatie prudente, orientée par la puissance des valeurs". L’internationalisme libéral se conjugue ici à une approche multilatéraliste revendiquée. Ainsi l'Amérique s'engagera à établir une conciliation entre les valeurs dissemblables de pays d'importance équivalente et définira une politique différente de l'isolationnisme du XIXème ou de l’hégémonisme de la Guerre Froide. Cela favorisera toutes les questions qui ne peuvent être traitées qu'à l'échelle de la planète, comme la sécurité énergétique et environnementale, le nucléaire civil et les énergies renouvelables, la cybersécurité et les réseaux électriques, le fléaux des migrations et la mosaïque des conflits. Conjugués aux graves problèmes de l'Islam politique et du terrorisme islamique, les défis diplomatiques de demain seront de loin supérieurs aux capacités de gestion dont disposera une politique ou un pays et exigeront l'étincelle perpétuelle de l'esprit ainsi que l'endurance et l'optimisme de l'espoir.

Bruxelles 2 février 2021

mercredi, 16 juin 2021

La philosophie politique avec Ego Non

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La philosophie politique avec Ego Non

Entretien avec les animateurs de "The Conservative Enthusiast"

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dimanche, 13 juin 2021

Carlos X. Blanco : "Le libéralisme, si bien revendiqué aujourd'hui par VOX ou le PP, est une honte pour l'Humanité"

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Carlos X. Blanco : "Le libéralisme, si bien revendiqué aujourd'hui par VOX ou le PP, est une honte pour l'Humanité"

Propos recueillis par Javier de la Calle

Ex: http://ramblalibre.com/2021/06/06/carlos-x-blanco-el-liberalismo-tan-reivindicado-hoy-vox-o-el-pp-es-una-verguenza-para-la-humanidad/

Carlos X. Blanco, docteur et professeur de philosophie, vient de présenter son dernier essai controversé intitulé El virus del liberalismo.  Il s'agit d'un travail corrosif et dévastateur contre une idéologie qui est devenue, de nos jours, l'un des plus grands dangers pour l'Humanité.

Pourquoi un livre contre le libéralisme ?

Parce que j'en ai assez de la pensée unique, hégémonique, qui domine les deux bancs, la droite et la gauche. Cette Pensée Unique change de costume, se maquille selon les occasions, mais elle signifie toujours la même chose : une agression contre les peuples, un asservissement progressif des classes productrices (notamment les ouvriers, les paysans, les indépendants, les petits et moyens patrons). Le libéralisme qui se niche dans les rangs de la droite est le même chien à col bleu, le même chien plein de gale et de rage que celui qui met un col rouge.

Nous devons commencer par condamner les crimes du libéralisme. Il est très aisé de le faire avec les crimes du communisme et du fascisme. Comme il est facile de battre les morts! Quand en Espagne le PSOE et Podemos veulent vaincre Franco au 21ème siècle, maintenant, quand presque plus personne ne se réclame du franquisme et qu'il n'y a plus de fusils " fascistes " pour s'opposer aux attaques de cette gauche courageuse, alors il faut parler d'une pseudo-gauche lunatique qui, économiquement et essentiellement, est libérale, même si elle porte une cravate rouge. Mais, symétriquement, lorsque la droite écrit à grands titres qu'Iglesias est un "communiste", ou que le grand danger de Sánchez est son idéologie néo-stalinienne ou marxiste, on ne sait pas s'il faut en rire ou en pleurer... C'est-à-dire qu'il s'avère que, au moins au niveau rhétorique et propagandiste, le communisme et le fascisme sont toujours des dangers ou des ennemis à abattre, mais pas le libéralisme.

Et je me demande comment il se fait que personne, sur les bancs des rouges et des bleus, ou des orange ou des violets, ne lance une condamnation des plus énergiques du libéralisme, cause de tant de misère et de mort ? Parce que le libéralisme se niche dans les deux camps, en apparence opposés.

Ce sous-produit intellectuel du monde anglo-saxon s'est d'abord épanoui dans les cortex cérébraux puritains à l'ère moderne. C'est précisément lorsque les tyrans les plus abjects de la chrétienté, les Anglais, ont pu liquider la résistance du peuple, de l'Église, de la petite noblesse rurale, que le génocide libéral a commencé. L'Empire espagnol a essayé de réveiller le monde catholique pour défendre les valeurs de la civilisation, et pour arrêter le génocide libéral, parce que, depuis l'Angleterre, a commencé -aux 16ème et 17ème siècles- un véritable génocide des pauvres et a démarré un plan de harcèlement à mort de notre Empire. Les paysans ont été expulsés de leurs terres, louées à la même famille depuis des siècles, expulsés à la pointe de l'épée et, plus tard, à la pointe des baïonnettes. Les rois et la haute noblesse utilisaient leur Parlement pour transformer les terres fertiles en terrains de chasse ou les friches en latifundia et ainsi générer violemment et artificiellement la nouvelle classe ouvrière qui n'aurait d'autre choix que d'affluer vers les banlieues pour mendier des emplois de pacotille dans l'industrie et la fabrication naissantes. Il s'agit d'un processus que Marx a appelé "Accumulation originelle", qui comprenait le génocide d'une grande partie de la nation irlandaise, ainsi que d'autres peuples des îles britanniques, et le début d'un esclavage encouragé par l'État de la perfide Albion lui-même. C'est un fait bien connu que dans les colonies britanniques, il y avait des esclaves blancs (irlandais, mais aussi venus d'ailleurs) moins chers et plus maltraités que les nombreux esclaves de couleur, des esclaves mal nourris forcés de s'hybrider avec des noirs, pour générer de la force de travail dans ces territoires. Le libéralisme a commencé de cette façon, si humainement...

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Le libéralisme, tant vanté aujourd'hui par notre droite, celle de VOX ou du PP, par exemple, est une honte pour l'Humanité. Il n'est en aucun cas synonyme de "démocratie", et notre maître en philosophie, Ortega, l'a souligné. Toute l'histoire des Britanniques au 19ème siècle est l'histoire d'un libéralisme sans démocratie, où l'État, avec toutes ses institutions - Couronne, armée, Parlement, etc. - est mis au service d'une logique purement économique du profit, qui l'emporte sur la foi, la moralité, la dignité humaine, le piétinement de la tradition ou toute autre valeur autrefois considérée comme suprême. Le problème est que, sans nommer si souvent le terme "libéralisme", mais en appliquant ses règles à la lettre, ces déchets idéologiques sont également très présents à gauche. Mon livre, récemment publié chez "Letras Inquietas", tente de mettre en garde contre ce virus.

Quelle serait votre définition du libéralisme ?

C'est une idéologie politique qui vise à imposer, par la force si nécessaire, mais aussi par la persuasion et le lavage de cerveau, la réification générale de toutes les entités du monde qui ne peuvent prendre une valeur d'échange, sous peine de dégradation pénale. Les entités qui ne peuvent et ne doivent pas être réifiées sont: la Terre (la nature, dont il faut prendre soin plutôt que de la valoriser économiquement), l'Homme (qui est un être fait à l'image et à la ressemblance de Dieu et dont le corps, l'âme et l'activité, qui inclut le Travail, sont des entités qui n'ont pas de prix, car leur valeur est infinie). La façon dont l'Homme et la Terre sont mutuellement liés, et créent des traditions, des cultures, des institutions naturelles, etc. sont également des barrières naturelles à la réification. Et la réification chez l'homme, c'est l'asservissement, sa transformation en marchandise. Le libéralisme vise à supprimer l'homme et la nature, car il s'agit d'une idéologie très semblable aux lunettes magiques: une fois qu'on les a chaussées, on ne voit plus que des marchandises ou des sources de profit.

En quoi le libéralisme est-il semblable à un virus ?

En ce sens qu'il s'agit d'une idéologie parasitaire, elle n'a pas de vie propre, peu importe le nombre de contes de bonne femme qu'on nous raconte sur les marchés autorégulateurs, les mains invisibles, comme celles d'Adam Smith, etc. Il s'agit d'une idéologie qui infecte de façon virale une société traditionnelle et la transforme de fond en comble, en quelques années, en dégradant les sources de solidarité entre les personnes, en détruisant les familles et les modes de production empreintes de dignité, en transformant en esclaves du capital des masses de personnes qui, il n'y a pas si longtemps, possédaient leurs propres modes de vie et leur propre manière subtile - longuement élaborée - de se rapporter à l'environnement, leurs propres manières de vivre de lui et avec lui. Le libéralisme ne crée pas sa propre et nouvelle culture, mais se nourrit des restes des civilisations précédentes, dont il suce le sang comme le font les vampires. Elle transforme en pseudomorphoses ce qui, il n'y a pas si longtemps, était des structures organiques, propres de sociétés saines et de civilisations grandioses. Par exemple, sur le cadavre de l'Espagne traditionnelle, les déstructurations du 19ème siècle ont aboli le passé rural issu de la Reconquête, où la milice, la foi et le travail de la terre s'entremêlaient. De même, la création d'une classe bourgeoise inepte, corrompue et vile à Madrid, résultat de dés-amortissements criminels, a ruiné l'héritage fondamental des anciennes classes nobles, des paysans libres et des congrégations religieuses, qui exerçaient un doux gouvernement paternel de la terre et des villages. Le latifundisme du sud de l'Espagne est plutôt un effet immédiat du libéralisme, et non du "féodalisme", et coïncide avec cette classe parasitaire anoblie, une caste de tyrolévites de la Cour de Madrid, qui ne pouvait guère s'entendre avec le paysan et le propriétaire terrien libres, ainsi qu'avec l'hidalgo rural, surtout du nord, qui n'avait pas besoin de faire de la lèche à Madrid. D'où les guerres carlistes.

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En théorie, le libéralisme est divisé en différentes familles (minarchistes, anarcho-capitalistes, néo-libéraux, etc.). Font-ils tous partie du problème ou peuvent-ils tous faire partie de la solution ?

C'est le même virus, qui subit des mutations. Et il ne faut jamais se fier à leurs proclamations anti-étatistes. Le libéralisme exige de posséder l'État, et son monopole de la violence, par le biais de l'appareil de répression et, maintenant de plus en plus, de l'appareil d'endoctrinement (qui est une répression au niveau cérébral) se démantèle, et il le fait dans les domaines où il doit laisser le champ libre à la spéculation, à la privatisation, à la réification. L'accumulation originelle des 16ème et 17ème siècles, qui a ouvert la voie au capitalisme et mis fin à l'ordre ancien, s'est exercée à partir du pouvoir fort d'un État absolutiste, aux ordres duquel se trouvaient les soldats, les juges, les policiers.....

Cela ressemble à ce que Marcelo Gullo nous explique à propos de l'insubordination fondatrice. Les puissances capitalistes dominantes (Angleterre, USA) prêchent toujours l'abolition des tarifs douaniers, la suppression des taxes, l'élimination du protectionnisme... mais ce sont les autres qui doivent l'appliquer ! Pas eux ! Les exportateurs de libéralisme sont des pays qui font très attention à ne pas être protectionnistes et interventionnistes dans leurs propres affaires. Il en va de même pour le rôle de l'État. Que l'État disparaisse en matière de couverture sociale... c'est bien, mais aussi que l'État se réserve sa fonction d'imposer le libéralisme, avec la loi du bâton si nécessaire. C'est ainsi que le libéralisme a toujours agi, avec ce double standard.

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En quoi le libéralisme a-t-il contribué à la destruction des valeurs européennes en général et des valeurs hispaniques en particulier ?

D'une manière absolue, implacable et féroce. L'Espagne, en particulier, était une possibilité en soi pour faire émerger une "autre modernité", avec la possibilité de passer d'une civilisation catholique éminemment rurale et guerrière à une chrétienté plus urbanisée, au développement technologique et à l'interconnexion de la planète (découverte du Nouveau Monde et tour du monde). Les valeurs de la dignité humaine, la condition humaine de créature rationnelle et libre, qui inclut la libre disposition de son travail et la propriété privée... tout cela aurait pu être défendu dans un empire agglutinant, comme l'empire hispanique, complémentaire du Saint Empire romain germanique. Mais avec le libéralisme est apparue la maladie: l'individualisme, où l'atome social est géré uniquement en termes d'argent. Tout s'achète, même la volonté, le corps des autres, l'amour et les idées...

Dans le cas particulier de l'Espagne, quel a été le rôle joué par le libéralisme dans l'imposition du Régime de 78 dont les effets ont été, en termes nationaux, économiques, sociaux et culturels, dévastateurs ?

Le libéralisme est organisé à l'échelle mondiale et dispose d'États gendarmes et d'organisations semi-secrètes qui surveillent les pays qui, sous quelque forme que ce soit, sortent du script, comme cela s'est produit avec l'Espagne du vieux Franco. La maison d'édition "Letras Inquietas" a publié et traduit des rapports de la CIA, récemment déclassifiés, qui illustrent bien cette situation. Le franquisme lui-même trahissait ses propres principes fondateurs et cédait au libéralisme international. Pour les États-Unis et le consortium mondial néolibéral, il ne suffisait pas qu'un État, comme l'État espagnol, défende la propriété privée et la libre entreprise, toujours en accord avec le bien commun et l'engagement social, et devienne un ennemi déclaré du communisme. Il fallait devenir une colonie de la finance mondiale, s'éloigner du protectionnisme et que toutes sortes de capitaux étrangers deviennent maîtres du pays. Aujourd'hui, le libéralisme mondial ne s'intéresse même plus à l'Espagne en tant qu'entité unie: la centrifugation qui a commencé avec les Bourbons et le déclin de la véritable monarchie hispanique, celle des Habsbourg, les véritables héritiers du trône de Pelayo, ne fait que s'accélérer. Nous sommes pratiquement une colonie, pas seulement de Bruxelles et de Washington. Nous sommes aussi une colonie de Rabat. Dès qu'un nouveau président du gouvernement espagnol est nommé, il lui parait nécessaire et impérieuxde se rendre à Rabat pour rendre hommage au trône chérifain et garantir le paiement de la taifa correspondante.

Après la chute du mur de Berlin et l'effondrement du communisme, est venue "la fin de l'histoire" prophétisée par Francis Fukuyama. Et pendant plusieurs décennies, il semblait que le libéralisme serait la seule idéologie. Cependant, une alternative et une opposition intellectuelle et politique à celle-ci a éclaté avec force sous divers noms et formes (illibéralisme, alt-right, populisme, identitarisme, etc.) .....

Attention, car pas mal de ces populismes et mouvements "ni de gauche ni de droite" sont encore profondément imprégnés d'idéologie anglo-saxonne, infectés par le virus du libéralisme, et vivent sous une colonisation mentale d'origine anglo-saxonne, qui avec un verbiage plus ou moins "patriotique" ou "identitaire", soutiennent l'existence de la cause même des maux, avec laquelle les maux persisteront: le monde comme marché, l'action des transnationales, le pouvoir des requins de la finance, des grandes entreprises technologiques, le rôle des USA comme gendarmes de l'"Occident" .... Ils veulent, par exemple, que les émigrants non européens ne viennent pas, parce qu'ils les considèrent comme non éduqués, inesthétiques, culturellement étrangers ou potentiellement criminels, mais au lieu de cela, ils promeuvent une ingénierie sociale contraire à la famille, à la natalité, au distributisme, à la vie paysanne... c'est-à-dire qu'ils ne font rien pour résoudre le désert démographique et la crise simultanée de la virilité et de la féminité européennes. Ils font partie du problème.

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Quelle est la relation entre le libéralisme et le nouvel ordre mondial mondialisé et multiculturel qui nous emporte ?

Ce NOM est le libéralisme lui-même, porté à son expression maximale, armé des nouveaux outils de contrôle social, en particulier de la cooptation et du kidnapping mental des enfants et des jeunes (accès généralisé à Internet pour les moins de 18 ans, distribution gratuite de pornographie et de réseaux sociaux aux enfants, africanisation musicale et, en général, esthétique, promesses d'un salaire à vie sans avoir à travailler, passage d'examens sans étude, obtention de diplômes académiques même si l'on ne passe pas les épreuves, manipulation de l'histoire et "formatage" du système de valeurs des "anciens" ..... ). Tout cela constitue les symptômes du libéralisme du 21ème siècle. C'est l'équivalent actuel de l'expulsion des villageois de leurs terres pour en faire des prolétaires d'usine ou des esclaves blancs dans les colonies anglaises... Mais maintenant ils ne veulent pas faire des prolétaires: ils veulent former une populace qui collabore à un remplacement ethnique de l'Europe, qui devient stérile, indolente et commercialisable.

Carlos X. Blanco : El virus del liberalismo : Un virus recorre el mundo. Letras Inquietas (mai 2021).

Pour commander l'ouvrage: https://www.amazon.es/El-virus-del-liberalismo-Inquietas/dp/B095NRTMQ8?__mk_es_ES=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=El+virus+del+liberalismo&qid=1622453687&s=books&sr=1-1&linkCode=ll1&tag=microprensa-21&linkId=20f64a211f56675edd586b6c86f739a6&language=es_ES&ref_=as_li_ss_tl

 

L'Institut Iliade et l'économie

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L'Institut Iliade et l'économie

Les penseurs économiques hétérodoxes

 
« Un marchand n’est nécessairement citoyen d’aucun pays en particulier. Il lui est, en grande partie indifférent en quel lieu il tienne son commerce. » Derrière cette citation datant de 1776, se cache Adam Smith, père de la théorie économique moderne. Malgré sa portée retentissante, l’œuvre de Smith, et celle de ses continuateurs, ne doit pas être prise pour parole d’Evangile. La théorie de cet économiste écossais, aujourd’hui omniprésente, met au pinacle l’homme égoïste et individualiste, dont les actions trouveraient leur sens au sein d’un marché autorégulateur et impersonnel. (...)
 

La place de l’économie dans la plus ancienne tradition européenne

 
 
Mythes et dieux de la troisième fonction : la place de l’économie dans la plus ancienne tradition européenne. Vidéo projetée lors du VIIIème colloque annuel de l'Institut Iliade, samedi 29 mai 2021. "Les mythes antiques ne sont pas seulement de belles histoires. Ils expriment une vision du monde, celle des peuples fondateurs de la civilisation européenne. Grecs et Latins, Celtes et Germains, Baltes et Slaves partagent des représentations communes, héritées de leurs ancêtres indo-européens. Pour tous ces peuples, l’ordre du monde s’articule autour de trois fonctions hiérarchiquement ordonnées, nécessaires à l’équilibre de l’univers et au bon fonctionnement de la société.
 
La première fonction renvoie à l’exercice de la souveraineté, la seconde à la pratique des vertus guerrières. La troisième fonction est le domaine de la production et de la reproduction, de la richesse et de la volupté, de l’abondance et de la paix. Subordonnée aux deux premières fonctions, elle forme avec elles un ensemble harmonieux, et joue un rôle central dans le destin de nos peuples. Les multiples dieux et déesses de la troisième fonction président à la fertilité de la terre et à la clémence des éléments, à l’abondance du bétail et à la fécondité des couples humains, aux travaux des artisans et aux échanges commerciaux. Ils protègent les foyers et sont garants de l’opulence des royaumes.
 
Les Grecs honorent Déméter, déesse des moissons, image de la terre nourricière. Ils érigent dans leurs maisons des autels à Hestia, déesse du foyer domestique. Ils rendent un culte à Hermès, gardien des routes et des carrefours, dieu des voyageurs et des commerçants. Ils vénèrent Aphrodite, déesse de l’amour, amante de Dionysos, dieu de la vigne et du vin. Ils invoquent la protection des Dioscures, jumeaux divins qui veillent sur les marins dans les situations désespérées. Ils connaissent la puissance de Poséidon, maître des océans, ou celle d’Héphaïstos, forgeron des dieux. Des figures du même ordre apparaissent dans toutes les mythologies européennes. Chez les Romains, ce sont Vénus, Bacchus, Cérès, Neptune ou Quirinus, dont le temple se dresse sur la colline du Quirinal. Chez les Celtes, c’est la déesse bienfaitrice Dana, figure primordiale du peuple sacré des Tuatha Dé Danann. Chez les Slaves, Vélès est le dieu du bétail et de la richesse, le protecteur des marchands et des paysans ; sa statue est décorée chaque année d’une barbe faite d’épis de blés.
 
Chez les Germains du Nord, Freyr, fils de Njord et ancêtre des premiers rois d’Upsal, assure la prospérité de la Suède. Mais les divinités de la troisième fonction possèdent également un côté plus sombre : souvent liées à la terre, elles le sont également au monde des morts. Les forces naturelles qui leur sont attachées peuvent apporter aux hommes le bonheur, mais aussi le désastre lorsqu’elles se déchainent de manière incontrôlée. Poséidon sème la mort en provoquant des tremblements de terre. Dionysos est le dieu de l’ivresse et de la fureur. Hermès, dieu des voleurs, conduit les âmes aux enfers. Car la troisième fonction, comme tout ce qui touche au domaine de l’élémentaire, doit demeurer sous le contrôle de divinités souveraines, garantes de la mesure et de l’ordre naturel. Dans le vieux poème nordique de la Voluspá, les dieux tentent en vain de brûler à trois reprises la magicienne Gullveig, dont le nom signifie « ivresse de l’or ». Cet épisode déclenche la première guerre du monde, opposant les dieux des deux premières fonctions à ceux de la troisième. Les deux camps se réconcilient finalement, fondant un nouvel ordre où chaque camp trouve sa place, sous l’égide d’Odin, incarnation de la fonction souveraine. Telle est la grande leçon de la sagesse antique : pour que l’ordre l’emporte sur le chaos, l’être doit prendre le pas sur l’avoir ; l’économie doit remplir sa fonction, mais demeurer subordonnée au politique."
 
Henri LEVAVASSEUR
 

Sciences économiques ou économie politique ? Politique d’abord !

 
Introduction au VIIIème colloque annuel de l'Institut Iliade, samedi 29 mai 2021, par Jean-Yves Le Gallou.
Texte de l'intervention à retrouver ici : https://institut-iliade.com/sciences-...
 

« Capitalisme moderne et société de marché » : un nouvel essai éclairant de Guillaume Travers

 
Au-delà de Marx, Guillaume Travers nous incite, avec René Guénon, Werner Sombart, Julius Evola ou Charles Péguy, à penser la modernité capitaliste comme une régression spirituelle autant que comme un équarrissoir des peuples et de leurs traditions. Il importe de réenchanter le monde. Galvanisant !
 
A retrouver dans la boutique Iliade : https://boutique.institut-iliade.com/...
 

Les nouvelles formes du travail : aliénation ou libération ?

 
 
Intervention de Philippe Schleiter, prononcée lors du VIIIème colloque annuel de l'Institut Iliade, samedi 29 mai 2021.
 
 

Actualité de Carl Schmitt : gouvernance mondiale, Chine, géopolitique, cosmopolitique

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Actualité de Carl Schmitt : gouvernance mondiale, Chine, géopolitique, cosmopolitique

Entretien avec Pierre-Antoine Plaquevent

Xavier Moreau (Stratpol) interroge Pierre-Antoine Plaquevent sur l’actualité de la pensée de Carl Schmitt pour comprendre les relations politiques internationales et la géopolitique contemporaine. Un recours indispensable en ces temps de confusion et d’indistinction généralisée. Entretien réalisé à Moscou, capitale de la métapolitique.

 
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Le premier Carl Schmitt : Weimar et NSDAP 01:45
Carl Schmitt et la géopolitique des grands espaces 10:00
Carl Schmitt et le globalisme 16:20
Carl Schmitt et la Chine 17:13
Carl Scmitt et l'ennemi absolu 19:53
Etudier Carl Schmitt, conseils de lecture 21:00
 

samedi, 12 juin 2021

Lire Carl Schmitt pour affronter le 21ème siècle

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Lire Carl Schmitt pour affronter le 21ème siècle

Shahzada Rahim

Ex: https://katehon.com/en/article/carl-schmitt-xxi-century

Depuis des décennies, les spécialistes des relations internationales confondent le terme "Nouvel ordre mondial" avec les sphères sociales, politiques ou économiques. Aujourd'hui encore, peu d'entre eux confondent ce terme avec l'ère de l'information, Internet, l'universalisme, la mondialisation et l'impérialisme américain. Contrairement à la catégorisation complexe du Nouvel Ordre Mondial, le concept de l'Ancien Ordre Mondial était un phénomène purement juridique. Cependant, du point de vue de la modernité, le terme de Nouvel Ordre Mondial est un phénomène purement idéologique et politique, qui incarne diverses manifestations telles que la démocratie libérale, le capitalisme financier et l'impérialisme technologique.

Dans son ouvrage principal La notion du politique, Carl Schmitt émet une critique sévère à l'encontre de l'idéologie libérale et lui préfère le décisionnisme compétitif. C'est pourquoi, selon les critiques de Schmitt, l'ensemble du texte de la Notion du politique est rempli de connotations autoritaires. Néanmoins, on ne peut nier que c'est la philosophie politique radicale de Carl Schmitt qui a ouvert la voie à la révolution conservatrice en Europe. Aujourd'hui encore, ses écrits sont considérés comme l'une des principales contributions du 20ème siècle à la philosophie politique.

Dans ses œuvres majeures telles que Le Nomos de la terre, Parlementarisme et démocratie, La notion du politique et La dictature, Carl Schmitt utilise fréquemment des termes simples tels que "actuel", "concret", "réel" et "spécifique" pour exprimer ses idées politiques. Cependant, il avance la plupart des idées politiques fondamentales en utilisant le cadre métaphysique. Par exemple, dans le domaine politique au sens large, Carl Schmitt a anticipé la dimension existentielle de la "politique actuelle" dans le monde d'aujourd'hui.

Au contraire, dans son célèbre ouvrage La Notion du politique, les lecteurs sont confrontés à l'interaction entre les aspects abstraits et idéaux et les aspects concrets et réels de la politique. La compréhension des distinctions discursives de Schmitt est peut-être nécessaire lorsqu'il s'agit de déconstruire le discours intellectuel promu par les libéraux. Cependant, il faut garder à l'esprit que pour Schmitt, le concept de politique ne se réfère pas nécessairement à un sujet concret tel que l'"État" ou la "souveraineté". À cet égard, son concept du politique fait simplement référence à la dialectique ou à la distinction ami-ennemi. Pour être plus précis, la catégorisation du terme "politique" définit le degré d'intensité d'une association et d'une dissociation.

En outre, la fameuse dialectique ami-ennemi est également le thème central de son célèbre ouvrage La Notion du politique. De même, la fameuse distinction ami-ennemi dans le célèbre ouvrage de Schmitt a une signification à la fois concrète et existentielle. Ici, le mot "ennemi" fait référence à la lutte contre la "totalité humaine", qui dépend des circonstances. À cet égard, tout au long de son œuvre, l'un des principaux centres d'intérêt de Carl Schmitt a été le sujet de la "politique réelle". Selon Schmitt, l'ami, l'ennemi et la bataille ont une signification réelle. C'est pourquoi, tout au long de son œuvre, Carl Schmitt est resté très préoccupé par la théorie de l'État et de la souveraineté. Comme l'écrit Schmitt ;

9782080812599-475x500-1.jpg"Je ne dis pas la théorie générale de l'État ; car la catégorie, la théorie générale de l'État... est une préoccupation typique du 19ème siècle libéral. Cette catégorie découle de l'effort normatif visant à dissoudre l'État concret et le Volk concret dans des généralités (éducation générale, théorie générale du droit, et enfin théorie générale de la connaissance ; et de cette manière à détruire leur ordre politique" [1].

En effet, pour Schmitt, la vraie politique se termine toujours en bataille, comme il le dit, "La normale ne prouve rien, mais l'exception prouve tout". Ici, Schmitt utilise le concept d'"exceptionnalité" pour surmonter le pragmatisme du libéralisme. Bien que, dans ses écrits ultérieurs, Carl Schmitt ait tenté de dissocier le concept de "politique" des sphères de contrôle et de limitation, il a délibérément échoué. L'une des principales raisons pour lesquelles Schmitt a isolé le concept de politique est qu'il voulait limiter la catégorisation de la distinction ami-ennemi. Un autre objectif majeur de Schmitt était de purifier le concept de "Politique" en le dissociant de la dualité sujet-objet. Selon Schmitt, le concept du politique n'est pas un sujet et n'a aucune limite. C'est peut-être la raison pour laquelle Schmitt préconisait de regarder au-delà de la conception et de la définition ordinaires de la politique dans les manuels scolaires.

Pour Schmitt, c'est le libéralisme qui a introduit la conception absolutiste de la politique en détruisant sa signification réelle. À cet égard, il a développé son idée même du "Politique" sur fond de "totalité humaine" (Gesamtheit von Menschen). L'Europe d'aujourd'hui devrait se souvenir de l'année révolutionnaire sanglante de 1848, car la soi-disant prospérité économique, le progrès technologique et le positivisme sûr de soi du siècle dernier se sont conjugués pour produire une longue et profonde amnésie. Néanmoins, on ne peut nier que les événements révolutionnaires de 1848 ont suscité une anxiété et une peur profondes chez les Européens ordinaires. Par exemple, la célèbre phrase de l'année 1848 se lit comme suit ;

"C'est pourquoi la peur s'empare du génie à un moment différent de celui des gens normaux. Ces derniers reconnaissent le danger au moment du danger ; jusque-là, ils ne sont pas en sécurité, et si le danger est passé, alors ils sont en sécurité. Le génie est le plus fort précisément au moment du danger".

Malheureusement, c'est la situation intellectuelle difficile de la scène européenne en 1848 qui a provoqué une anxiété et une détresse révolutionnaires chez les Européens ordinaires. Aujourd'hui, les Européens ordinaires sont confrontés à des situations similaires dans les sphères sociale, politique et idéologique. L'anxiété croissante de la conscience publique européenne ne peut être appréhendée sans tenir compte de la critique de la démocratie libérale par Carl Schmitt. Il y a un siècle et demi, en adoptant la démocratie libérale sous les auspices du capitalisme de marché, les Européens ont joué un rôle central dans l'autodestruction de l'esprit européen.

Le vicieux élan technologique du capitalisme libéral a conduit la civilisation européenne vers le centralisme de connivence, l'industrialisme, la mécanisation, et surtout la singularité. Aujourd'hui, le capitalisme néolibéral a transformé le monde en une usine mécanisée à la gloire du consommateur, dans laquelle l'humanité apparaît comme le sous-produit de sa propre création artificielle. La mécanisation déstructurée de l'humanité au cours du siècle dernier a amené la civilisation humaine à un carrefour technologique. Ainsi, le dynamisme technologique du capitalisme démocratique libéral représente une menace énorme pour l'identité civilisationnelle humaine.

Note:

(1) Wolin, Richard, Carl Schmitt, Political Existentialism, and the Total State, Theory and Society, volume no. 19, no. 4, 1990 (pp. 389-416). Schmitt considère la dialectique ami-ennemi comme la pierre angulaire de sa critique du libéralisme et de l'universalisme.

mardi, 08 juin 2021

État, pouvoir et subjectivité sociale

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État, pouvoir et subjectivité sociale

Par Andrés Berazategui*

Ex: https://nomos.com.ar/2020/06/03/estado-poder-y-subjetividad-social/

L'expansion de l'internet et la massification des réseaux sociaux, ainsi que la mobilité accrue des personnes et des capitaux qui a eu lieu au cours des dernières décennies, ont modifié non seulement les modes de vie et les possibilités de consommation, mais aussi la manière de constituer les sujets sociaux. En effet, l'expansion technique et le nomadisme ont généré d'autres types de relations intersubjectives, modifiant ainsi les espaces humains de coexistence. Dans le passé, nos relations étaient basées sur un contact personnel et immédiat, ce qui signifie que nous ne pouvions utiliser les médias que comme un moyen de communication instrumental et accessoire pour traiter avec les autres. Aujourd'hui, nous pouvons avoir des amis partout dans le monde, que nous pouvons contacter de manière immédiate, stable et fluide à presque tout moment, et ils ne seront ni moins ni moins bons amis pour cette raison.

Quoi qu'il en soit, tout argument utilisé en faveur des relations fondées sur le contact personnel, aussi raisonnable soit-il, ne peut nier l'existence de celles fondées sur le contact virtuel. Ce qu'il est important de souligner pour cette réflexion, c'est que les liens générés par les réseaux sociaux et les nouveaux modes de communication, constituent de nouveaux types de subjectivité sociale, produit d'un réseau d'intérêts qui peut être immédiat et local, mais aussi constitué par la distance et les médiations offertes par la technique. Mais pour comprendre cela, il faut d'abord se pencher un peu plus sur la manière dont cette situation s'est produite.

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Les processus d'intégration

L'unification de la planète s'est faite par un "rétrécissement" temporel et spatial qui est le produit, comme nous l'avons dit, de la circulation des capitaux et des personnes, et de la diffusion massive des médias et des réseaux sociaux. Les capitaux se déplacent de façon vertigineuse, se localisant dans les endroits où ils peuvent apporter le plus de bénéfices et la délocalisation des entreprises est devenue un événement très courant et même recherché par les États qui misent davantage sur l'arrivée d'investissements. L'argent peut traverser les frontières instantanément et sans nécessiter beaucoup d'efforts. L'accès aux communications s'est généralisé dans presque tous les coins de la planète et avec des mécanismes de fonctionnement très différents de ceux qui existaient dans le passé. Internet, mais pas seulement lui, génère des espaces de communication quotidiens où l'on établit des liens réels avec d'autres personnes, bien qu'ils soient médiatisés par des distances qui atteignent des milliers et des milliers de kilomètres. Les téléphones portables peuvent nous faire parler ou envoyer des messages à partir d'applications gratuites et accessibles. Nous vivons littéralement "connectés", à tel point que, selon certaines études, un jeune passe aujourd'hui environ 50 % de son temps d'éveil devant un écran, qu'il s'agisse d'un téléphone portable, d'une télévision ou de différents types d'ordinateurs.

Or, il est clair que les utilisateurs ont tendance à rester dans ces réseaux ou ces pages qui n'obéissent qu'à leur propre intérêt et qui, précisément en raison de leur quantité et de leur diffusion, génèrent tout un environnement de connectivité quotidienne qui finit par favoriser une véritable coexistence, bien que celle-ci soit en réalité "en ligne". Supposons par exemple qu'une personne soit fan de musique pop sud-coréenne (appelée K-pop), un phénomène qui, ces dernières années, a connu un grand essor parmi les jeunes, tant à l'Est qu'à l'Ouest. Eh bien, les fans du monde entier qui écoutent cette musique peuvent communiquer de manière quasi-permanente par le biais d'une multitude de pages, de forums ou de réseaux sociaux. Les informations mises à jour quotidiennement par ces plateformes les tiennent au courant de la vie et des performances de leurs idoles. Dans divers fandoms (1), les fans qui se font confiance s'échangent leurs numéros de téléphone et peuvent rester connectés grâce à des applications. Bien sûr, le jeune qui a aujourd'hui 15 ans et qui écoute cette musique peut demain changer ses goûts et se mettre à écouter du heavy metal, une musique très différente. Il peut aussi se désintéresser de la musique et devenir un fan d'une autre activité comme la pêche, l'ufologie ou autre. Ce qu'il est important de souligner, c'est que, quelle que soit l'activité ou la connaissance dans laquelle vous voulez canaliser votre temps, vous pourrez établir des liens à travers les réseaux sociaux et les espaces virtuels avec des milliers et des milliers d'autres individus avec lesquels vous établissez une communauté d'intérêts.

Nous aimerions faire deux observations sur cette situation. Tout d'abord, nous voudrions noter la fluidité que les processus de constitution de l'identité peuvent avoir comme conséquence des changements -ou confluences- dans les domaines d'intérêt. Comme nous l'avons noté, on peut être aujourd'hui un fan de pop coréenne, demain un terraplaniste, dans quelques mois un dévot du Pacha Mama. Même ces intérêts peuvent converger en même temps, tissant une toile de symboles, d'imaginaires et de langages qui influencent les individus d'une manière qui, en raison de la "liquidité" qu'ils acquièrent, ne parvient pas à constituer des identités durables.

La deuxième observation est que, néanmoins, il existe des préoccupations qui, en raison des problèmes qu'elles incarnent, génèrent des liens plus stables. Nous pouvons citer les questions liées aux intérêts professionnels, à l'écologie, à l'exclusion ou celles qui ont trait aux droits des femmes. Et c'est sur ce deuxième point que nous voulons nous arrêter.

En tenant compte du fait que les êtres humains sont eux avec d'autres et quelque part, et si nous disons que les relations humaines se constituent et s'expriment à travers le virtuel, comme conséquence logique, un processus est généré par lequel de nouvelles subjectivités sociales de caractère déterritorialisé naissent. Mais ce n'est pas tout. Il est certain que les jeunes fans d'un certain style de musique ne s'organiseront pas de manière stable et permanente pour défendre les "droits" des auditeurs de musique K-pop ou même pour défendre les revendications professionnelles de leurs idoles.

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Mais qu'en est-il des questions qui nous affectent de manière réelle et sûrement durable, comme la dégradation de l'environnement, le réchauffement climatique, la pauvreté, la violence domestique, etc. Abstraction faite de la manipulation médiatique dont ces questions peuvent faire l'objet, il est impossible de nier qu'elles sont devenues des causes beaucoup plus visibles ces derniers temps et que même les jeunes générations les considèrent comme faisant partie de leurs préoccupations générationnelles. Ces questions, et c'est là le point important, ne font pas seulement l'objet d'une lutte territoriale et locale. Les questions écologiques ne respectent évidemment pas les frontières. Dans la génération de la pauvreté et de l'exclusion, les entreprises transnationales ont une responsabilité fondamentale ; la violence dite "de genre" est dénoncée dans un cadre biopolitique beaucoup plus large que la perspective domestique traditionnelle. La sur-idéologisation militante et l'exagération médiatique déforment souvent la portée réelle de ces questions, mais il s'agit de problèmes qui existent réellement et qui s'expriment souvent de manière particulièrement grave. La détérioration de l'environnement, la pauvreté, la violence domestique, etc. ne sont pas des "inventions". Et comme il s'agit de questions qui, de par leurs caractéristiques, s'expriment au-delà des espaces traditionnels de coexistence - et naissent d'hybridations géographiques, d'âge ou de "classe" - il est logique que des acteurs émergent avec des récits qui suivent la même logique d'hybridité spatiale et sociale pour y répondre. Et c'est là qu'interviennent les nouveaux modes de liaison virtuelle et leur impact potentiel sur la vie collective, puisque les réseaux sociaux et les communications permettent d'articuler leurs membres de manière permanente et durable au-delà des distances, en leur donnant la possibilité de générer des mécanismes instantanés d'expression, de consultation, d'organisation et de prise de décision. Plusieurs personnes peuvent se rencontrer à tout moment et immédiatement alors qu'elles se trouvent à des milliers de kilomètres les unes des autres. L'impact des communications sur la dynamique organisationnelle est donc incalculable, puisqu'elles relient ceux qui sont proches et ceux qui sont éloignés, ceux qui se connaissent personnellement, ainsi que ceux qui se trouvent à l'autre bout du monde.

La lutte pour la décision

Le modèle westphalien du système international est basé sur des unités politiques que nous appelons "États-nations". Les territoires - supposition fondamentale pour l'existence propre de l'État - ont adopté des éléments propres à la Modernité et ont été reformulés par rapport à l'ordre médiéval en apparaissant différentes juridictions qui valorisaient comme jamais auparavant ces lignes imaginaires appelées limites, et qui étaient tracées avec la précision typique de la raison calculatrice propre de la nouvelle époque. Afin de centraliser le pouvoir entre les mains d'une autorité supérieure, les pouvoirs ont été retirés aux différents domaines et régions qui existaient jusqu'alors. Afin d'éviter que la religion ne devienne une source de conflit, le principe cuius regio, eius religio (2) a été établi, selon lequel la religion officielle de chaque unité politique serait simplement celle du dirigeant. En ce qui concerne les relations internationales, les principes de l'égalité de traitement entre les gouvernements, de la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États et de leur indépendance les uns par rapport aux autres ont été consacrés.

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Afin d'obtenir une cohésion qui maintiendrait la stabilité des unités politiques naissantes, tous les éléments susceptibles d'être utilisés pour la réalisation de l'"unité nationale" ont été mis à profit, car une société affectée par la désarticulation et la désintégration de ses parties est difficile à diriger. Ainsi, les études linguistiques sont nées dans le but d'unifier les langues, les attributs du pouvoir ont été concentrés dans des gouvernements centralisés et, à mesure que le temps passait et que les masses gagnaient du terrain en matière de participation publique, les élites dirigeantes se sont efforcées de réaliser des récits nationaux unifiés à partir de l'enseignement standardisé de l'histoire, de la promotion d'un culte des ancêtres communs et de l'établissement des mêmes symboles patriotiques pour l'acceptation et la reconnaissance de tous les citoyens des États.

Cependant, les nouvelles identités émergentes assiègent et remettent en question l'hypothèse d'un même récit national unifié, car elles génèrent leurs propres langues, symboles et intérêts. Cela ne signifie pas que de nouveaux agents apparaissent qui ont la possibilité de supplanter les nations, mais qu'ils superposent leurs propres intérêts à ceux déjà constitués dans les États. Ces "identités agrégées" se disputent la loyauté des individus - en particulier des plus jeunes - qui vivent déjà dans une ère où les institutions traditionnelles sont de plus en plus démantelées. La famille, les guildes ou les clubs, pour ne citer que quelques exemples, ne sont pas toujours des espaces d'épanouissement personnel, et ce non pas parce qu'ils sont inefficaces, mais parce qu'ils sont parfois inexistants. Divorces en augmentation, précarité de l'emploi, tâches où la communication se fait par télétravail -distant et impersonnel-, apparition de multiples divertissements et intérêts ; telle est la réalité d'aujourd'hui, où les espaces traditionnels de coexistence ont été notoirement modifiés. C'est le contexte auquel nos sociétés doivent désormais faire face, en particulier celles où les liens collectifs ont été les plus érodés.

En ce qui concerne la sphère internationale, les États restent les acteurs les plus pertinents sans discussion. Cela est apparu brutalement lorsque la pandémie causée par le coronavirus a fait revenir les gouvernements dans leurs espaces nationaux, et que des frontières que l'on pensait périmées ont acquis une importance critique pour la gestion de la crise. Les ressources dures telles que l'industrie, la technologie elle-même ou les forces de sécurité ont été mises à contribution. Les aspirations cosmopolites des minorités éclairées qui observent le monde depuis leur ordinateur semblaient être laissées pour compte, et la faiblesse humaine avait besoin d'un pouvoir politique organisé pour se défendre contre le dangereux virus.

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Mais désormais, les États auront besoin d'autres logiques pour l'exercice de leur pouvoir. Ils devront faire des efforts pour réaliser une intégration sociale qui permette à chaque peuple de disposer d'institutions légitimes, car les loyautés des individus et des groupes sociaux ne se coalisent plus sur la base d'un sentiment d'appartenance à une seule unité de destin, de sorte qu'une multiplicité de griefs croissants peut miner l'efficacité des pouvoirs publics. L'éducation aux symboles nationaux ou la connaissance de sa propre histoire, par exemple, accroît la conscience d'être Argentin, ce qui fait de lui un acteur du patrimoine commun, et favorise la loyauté nécessaire à la coexistence collective. Mais ce n'est pas suffisant. Il est nécessaire de réfléchir à la manière d'accroître le sentiment d'appartenance à une même communauté, même dans la pluralité des identités coparticipantes.

D'autre part, les décideurs publics devront accepter que les agendas comportant des questions transfrontalières sont également là pour rester. Ces agendas sont construits sur des questions qui ont toujours existé, mais qui aujourd'hui prennent forme dans des mouvements qui débordent et dépassent les frontières nationales en raison des dynamiques relationnelles que nous avons mentionnées au début. Cela est d'autant plus important que les réseaux qui se tissent autour de questions telles que l'écologie, les droits de l'homme, l'exclusion sociale ou le rôle des femmes, par exemple, peuvent constituer un terrain propice à la remise en cause de l'autorité des États, soit par la dynamique des revendications non résolues elles-mêmes, soit par l'action d'autres États qui les utilisent à leurs propres fins. La contestation de ces agents peut même atteindre le monopole même de la décision, qui est le principe sur lequel repose la souveraineté. Pour citer un exemple concret, qui décidera de ce qu'il faut faire en Amazonie en matière de gestion de ses vastes ressources : les États qui partagent son territoire ou les réseaux d'organisations écologiques qui opèrent au-delà de ses frontières? C'est là que l'intégration régionale, toujours retardée, devient pertinente, considérée en termes géopolitiques et pas seulement rhétoriques.

Une question qui ne peut être remise à plus tard en ce qui concerne l'efficacité des pouvoirs publics est la décentralisation, au niveau territorial, tant dans la gestion des ressources locales que dans le processus décisionnel. De nouvelles méthodes relocalisées d'information et de gestion devront être repensées, où les méthodes participatives dans les espaces immédiats de coexistence sociale se développent considérablement. Cela permettra aux citoyens concrets, dans des espaces concrets, de s'attaquer aux problèmes immédiats, en évitant la bureaucratie habituelle et croissante typique du gigantisme qu'adoptent les nations. Si cette adaptation s'avère inadéquate, il peut y avoir un risque de croissance du pouvoir des réseaux transnationaux avec pour conséquence le discrédit des autorités publiques. La technique même dont nous avons parlé pourrait accélérer cette dynamique.

L'État est l'expression formalisée du pouvoir dont dispose une communauté, avec tout ce que cela implique. Mais il est aussi le serviteur de la nation, puisque l'objet de la politique est de promouvoir le bien commun et non le profit des partis ou la croissance des organismes publics. Les ressources techniques, si elles sont centralisées chez des dirigeants peu scrupuleux, peuvent être utilisées pour le contrôle social et c'est un réel danger qui guette nos peuples, compte tenu des systèmes de surveillance modernes. En résumé, la recherche de la cohésion sociale, la décentralisation et la refonte de nouvelles organisations basées sur le niveau territorial sont les défis à relever à court terme et avec une vision stratégique. Il s'agit, ni plus ni moins, de revenir à la notion de communauté organisée.

*Andrés Berazategui, membre de Nomos, est diplômé en relations internationales de l'Universidad Argentina John F. Kennedy, et titulaire d'un master en stratégie et géopolitique de l'Escuela Superior de Guerra del Ejército (ESGE).

Notes

1 Contraction de fan kingdom, royaume des fans. La communauté des adeptes d'un artiste, d'un groupe ou d'un passe-temps.

2 Quelque chose comme "selon la religion du roi, telle sera la religion de ses dominions".

 

Carl Schmitt et la crise de la démocratie libérale

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Carl Schmitt et la crise de la démocratie libérale

Shahzada Rahim

Ex: https://www.geopolitica.ru/it/article/carl-schmitt-e-la-crisi-della-democrazia-liberale

À un certain moment du célèbre roman de Dostoïevski, Les Démons, Chigaliev, l'un des personnages principaux, déclare : "Ma conclusion est en contradiction avec l'idée dont je suis parti. Partant d'une liberté illimitée, j'aboutis à un despotisme illimité." Depuis la fin de la guerre froide, les penseurs libéraux ont commencé à limiter le sujet de la démocratie à la catégorie du libéralisme et ont déclaré que la démocratie libérale était le destin de l'humanité.

Cependant, ils n'ont pas compris que le terme politique est un phénomène purement dialectique et que, sans contradiction, il n'a pas de sens. C'est le célèbre juriste et philosophe allemand Carl Schmitt qui a défini le fondement ontologique de la politique dans la perspective de la dialectique ami-ennemi. Pour Schmitt, tous les concepts politiques ont un sens polémique car tout le concept du politique, pour Schmitt das Politische, est structuré autour de la dialectique ami-ennemi.

De même, dans son opus magnum Le Nomos de la Terre, il anticipe le fait que la politique naît toujours de la division de l'humanité et que, par conséquent, le monde politique n'a jamais été "univers" mais a toujours été plurivers. Au contraire, la conception dite libérale de l'humanité commune, sous prétexte d'universalisme et de mondialisation, est le début de tous les problèmes du politique.

À l'époque contemporaine, la dynamique politique et idéologique d'un monde globalement hyperconnecté et fragmenté ne peut être comprise qu'en tenant compte du concept schmittien du Großraum (grand espace ou espace organique). En outre, à travers ses diverses conceptions politiques conservatrices telles que la dialectique ami-ennemi, la théologie politique, le Katechon, le Großraum et le Nomos, Carl Schmitt a tenté d'esquisser la contradiction inhérente à la démocratie libérale.

Aujourd'hui, le libéralisme mourant et la démocratie libérale dysfonctionnelle face à l'ordre mondial multipolaire croissant démontrent clairement que la soi-disant dystopie politiquement correcte du libéralisme était une farce. Après la fin de la guerre froide, c'est le célèbre commentateur de Carl Schmitt, Garry Ulmen, qui a prédit l'ordre mondial de l'après-guerre froide dans la perspective schmittienne.  Selon Ulmen, l'ordre mondial de l'après-guerre froide sera façonné par le débat concerté entre "la fin de l'histoire" et le "choc des civilisations" de Huntington.

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En général, Ulmen a réfuté à la fois l'"esprit spenglerien" du Choc des civilisations de Huntington et l'"esprit hégélien" de la Fin de l'histoire de Fukuyama. Cependant, il est indéniable que Fukuyama et Huntington sont tous deux prisonniers de la dystopie libérale wilsonienne et ne parviennent pas à penser au-delà des catégories libérales.

Par conséquent, après la fin de la guerre froide, les États-Unis, sous couvert de démocratie libérale et de mondialisation, ont cherché à établir un empire mondial (une Pax Americana) pour assouvir leur soif d'hégémonie et de domination mondiale. Bien que, au cours des trente dernières années, quelques universitaires libéraux aient tenté de ressusciter les idées fondamentales de la philosophie politique de Carl Schmitt, ils ont intentionnellement ignoré la ferveur révolutionnaire des conceptions schmittiennes pour défendre le libéralisme.

Le célèbre universitaire libéral Jürgen Habermas mérite d'être mentionné à cet égard. Dans ses différents écrits politiques, il a délibérément utilisé les idées philosophiques clés de Schmitt pour explorer la possibilité de créer un ordre cosmopolite kantien sur la scène mondiale. Comme le dit Habermas, la version kantienne de l'ordre mondial cosmopolite peut être réalisée en établissant par le biais de la politique mondiale diverses entités régionales (Großräume). Mais Habermas ignore ici le fait que le libéralisme contemporain est lui-même le produit d'une idée issue de la philosophie romantique kantienne, qui ne peut certainement pas être restructurée sur les mêmes bases fracturées. Comme l'écrit Schmitt dans son célèbre ouvrage sur le Romantisme politique, "c'est à l'individu privé d'être son propre prêtre. Mais ce n'est pas tout, on le laisse aussi être son propre poète, son propre philosophe, son propre roi et maître d'œuvre dans la cathédrale de sa propre personnalité. La racine ultime du romantisme et du phénomène romantique se trouve dans le sacerdoce privé."

En conclusion, on peut dire que l'individualisme, qui est le fondement central du libéralisme, conduit aujourd'hui l'humanité vers l'unicité à travers la dérive technologique. Il s'agit d'une dérive technologique au sein du capitalisme libéral, dont les conséquences apocalyptiques ont été prédites respectivement par Martin Heidegger et Carl Schmitt. Ainsi, dans la perspective schmittienne, la fin de la guerre froide a mis en évidence la fragilité de la démocratie libérale et du libéralisme en tant qu'idéologie centrale de la modernité occidentale : il est temps de revisiter Schmitt afin de sauver la civilisation humaine de l'unicité homogénéisante de la technologique libérale.

Traduction par Lorenzo Maria Pacini

dimanche, 06 juin 2021

Qu'est-ce que la géopolitique? Son objet d'étude et pourquoi s'y intéresser?

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Qu'est-ce que la géopolitique? Son objet d'étude et pourquoi s'y intéresser?

Par Andrés F. Berazategui

Ex : https://nomos.com.ar/2021/06/03/que-es-la-geopolitica-su-objeto-de-estudio-y-por-que-deberia-importarnos/

La géopolitique semble être sur toutes les lèvres, alors qu'il n'y a pas si longtemps, elle était répudiée parce qu’identifiée au national-socialisme. Elle a été présentée comme une pseudo-science qui cherchait à dissimuler des objectifs de domination, ou comme une simple idéologie qui cherchait à légitimer des conquêtes territoriales. Aujourd'hui, les choses ont changé et la géopolitique trouve partout des prédicateurs, des porte-parole et des analystes, à tel point que nous pouvons affirmer que nous sommes face à une situation abusive, puisque bien souvent des événements qui n'ont aucun rapport avec l'objet d'étude de la discipline sont qualifiés de "géopolitiques". Les variables et les théories de cette science sont souvent ignorées et il semble que tout événement international, pour le simple fait d'être tel, est déjà de la géopolitique ; et généraliser de cette manière est incorrect. Mais alors, qu'est-ce que c'est ? Ces lignes visent à ajuster les concepts.

De la géographie humaine à la géopolitique

Nous soutenons que la géopolitique a un antécédent fondamental au 19e siècle, lorsque certains géographes ont étudié les facteurs de conditionnement que l'environnement spatial (1) exerçait sur la vie humaine. Des savants tels que Humboldt, Ritter et Ratzel, en Allemagne, ou Vidal de la Blache, Camille Vallaux et Élisée Reclus, en France, ont étudié des facteurs tels que le climat, le sol, le temps, voire le paysage (2), et leur influence sur l'homme ; c'est ainsi qu'est née la géographie humaine, branche particulière de la géographie générale. Cependant, cela ne suffit pas à identifier l'objet d'étude de la géopolitique. Pour cette science, il est nécessaire d'avoir un acteur spécifique de la vie sociale, l'État, compris comme l'organisation territorialisée d'une collectivité pour ordonner ses relations sociales. Bien que l'État ne soit pas le seul acteur susceptible d'avoir des intérêts territoriaux, pour la géopolitique, il s'agit de l'acteur fondamental, car en tant que science, elle est née dans le but d'atteindre des objectifs politiques liés à la géographie.

À ce stade, nous pouvons donner une définition précise : la géopolitique est la science qui étudie l'influence des déterminants spatiaux sur la vie et les objectifs des États. C'est une science car elle a son propre objet d'étude et utilise des méthodes, des variables et des connaissances vérifiables pour l'aborder. Dans son évolution, comme dans toute science, des théories, des écoles, des paradigmes et des auteurs classiques sont nés.

Or, si ce que nous étudions est la manière dont l'environnement spatial influence les objectifs nationaux, nous devons expliquer l'utilité du territoire pour un État. Quatre fonctions principales ont été identifiées : (a) la protection ; (b) la source de ressources ; (c) la mobilité des personnes ; et (d) l'échange de biens et d'idées. En ce qui concerne le premier point, il est logique que l'être humain recherche un environnement pour se protéger des autres hommes, de l'inclémence du temps ou des animaux sauvages. La recherche de la sécurité est plus complexe dans le cas des collectivités organisées ; ainsi, les villes ont été fondées dans des zones surélevées ou protégées par un élément géographique quelconque, et pour fixer les populations, on a évité les marécages et les sols difficiles. Dans le cas des capitales, il était naturel qu'elles soient situées loin des côtes pour éviter d'éventuelles attaques -les capitales sont généralement les centres de gravité politiques d'un État-, mais aussi pour éviter les logiques économiques qui prévalent habituellement dans les ports.

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La mise à disposition de ressources découle du besoin de se nourrir et d'accéder à des éléments utiles en termes économiques ou techniques, tels que les métaux, le bois, les hydrocarbures, etc. Au fur et à mesure que la vie collective se complexifie, la question des ressources devient un élément clé dans la compétition positionnelle des différents acteurs internationaux, puisque non seulement les États bénéficient des avantages générés par les ressources, mais aussi les entreprises dans leur quête de profit. L'entreprise peut être un autre acteur ayant des intérêts géopolitiques, comme des organisations terroristes, des entités étatiques subnationales, des mouvements séparatistes, etc. Partout où il y a des objectifs liés à l'espace et à la poursuite de la puissance (politique, économique ou autre), il y a nécessairement de la géopolitique.

La mobilité dans l'espace est destinée aux transports et aux communications. Les gens ont besoin d'itinéraires efficaces qui relient des points dans le temps le plus court possible, et ils ont besoin que ces itinéraires soient sûrs, ce qui relie cette fonction au premier point. Le commerce a prospéré grâce à des ressources qui pouvaient être exploitées de manière stable, transportées en toute sécurité et, une fois fabriquées, distribuées dans le monde entier. Un système tel que le capitalisme n'aurait pas pu s'épanouir sans ces hypothèses, indépendamment de la réticence des hommes d'affaires à l'égard de la géopolitique. Ou faut-il rappeler que l'Empire britannique a atteint son hégémonie en créant un ordre international fondé sur la liberté de la mer ? La mobilité est également liée au dernier point, l'échange de biens et d'idées. Les nouveautés, les biens de consommation et les idées politiques utilisent les routes territoriales pour se déplacer. Ainsi, les ports, étant un point d'arrivée de l'étranger, ont historiquement été plus perméables aux cultures étrangères, comme les villes méditerranéennes plus conservatrices. Comme nous pouvons le constater, l'espace est un support pour l'influence des facteurs matériels, ainsi que des aspects symboliques et culturels.

Nous sommes maintenant en mesure d'apporter une précision importante : la géopolitique n'est pas la même chose que la géographie politique. Le premier sert à atteindre des objectifs politiques, et a donc une tâche prescriptive et dynamique. En effet, dans la réalisation des objectifs, les solutions doivent être prescrites dans le cadre de l'action politique, où les scénarios sont changeants et où les alliances, les menaces et les objectifs politiques eux-mêmes peuvent varier. La géographie politique, en revanche, a une tâche descriptive et statique, puisqu'elle traite de données mesurables sur le territoire d'un État, comme la description de ses aspects climatiques : elle mesure la taille d'un pays et l'étendue de ses frontières, décrit les types de sol et les vents qui agissent sur son territoire, etc. La géopolitique se situe dans l'orbite de la science politique et, plus précisément, des relations internationales ; la géographie politique, en revanche, est attribuée à la géographie (3). La confusion a été répandue par des auteurs qui ont diabolisé la géopolitique en la qualifiant d'"idéologie nazie" et ont préféré parler de géographie politique, commettant un abus sémantique qui a forcé le sens d'une autre discipline.

De la géopolitique aux relations internationales

Comme nous l'avons vu, il existe une relation entre la géopolitique et les relations internationales, même si nous pouvons affirmer que la géopolitique en tant que discipline est antérieure. Les premiers chercheurs de ce que l'on a fini par appeler les relations internationales ont utilisé les connaissances de la géopolitique et les ont intégrées à des éléments d'histoire, de droit international ou de sociologie pour expliquer la politique internationale. Après la Seconde Guerre mondiale et en raison de la confrontation entre les États-Unis et l'Union soviétique, les spécialistes sont revenus aux concepts de la géopolitique classique, tels que la zone d'influence, la zone de friction, la zone pivot, l'endiguement, la frontière naturelle, etc. En matière de relations internationales, les auteurs de ce que l'on appelle le "réalisme" ont été les premiers à intégrer les variables territoriales.

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Cependant, si l'on parle de politique internationale (4), l'importance de la géopolitique sera conditionnée par ce que l'on entend par politique. C'est une chose d'être dans le monde en croyant que l'acteur principal de la réalité sociale est l'homme en tant qu'être-atome qui entre en compétition avec les autres pour des bénéfices individuels, et c'en est une autre de comprendre que certaines unités politiques sont celles qui ont la possibilité de conditionner l'histoire et que ces unités agissent motivées par le pouvoir, compris comme le moyen qui accorde la liberté d'action dans la poursuite d'objectifs. La première vision, typique du libéralisme, va considérer la géopolitique comme quelque chose de secondaire, voire de néfaste, puisque cette science sert à accroître le pouvoir de l'État, ce qui semble pernicieux au libéral, puisqu'il préfère maximiser les libertés individuelles. En revanche, pour un gouvernement, la géopolitique est (ou devrait être) une science utile pour atteindre des objectifs nationaux, et c'est ainsi que l'entendaient les auteurs de l'école réaliste, qui incluaient le territoire dans ce qu'on appelle les "attributs de la puissance nationale". Voyons voir ce qu'il en est.

Un État possède des attributs - qualités matérielles et immatérielles d'une unité politique - qui permettent une évaluation approximative de son potentiel. Certains de ces attributs sont plus ou moins mesurables, comme la taille des forces armées, la taille de la population, la taille du territoire ou la taille de l'économie ; d'autres, comme la qualité du leadership politique, le niveau des professionnels, la volonté nationale ou le développement de la science, sont plus difficiles à mesurer. On pourrait citer d'autres attributs, mais ce sont les plus classiques. Ensemble, ils nous donnent une image du quantum de pouvoir qu'un État possède et, s'il a beaucoup de pouvoir, plus il devrait être performant en politique internationale. Chacun de ces attributs est abordé par diverses disciplines et, parmi elles, la géopolitique a sa propre tâche, qui consiste à traiter de l'autonomisation de l'espace national afin de maximiser les fonctions que l'attribut territoire a pour un État. En d'autres termes, et pour revenir à ce qui a été dit plus haut sur les fonctions de l'espace, la géopolitique s'intéresse principalement à la manière dont la géographie doit être exploitée pour accroître la sécurité, assurer la fourniture de ressources et rationaliser la mobilité qui s'opère par les voies de communication.

Une nation dotée d'un territoire puissant et sûr peut devenir un acteur important ayant la capacité de participer activement au système international. Sans puissance nationale, il n'y a pas de liberté d'action, et dans ce cas, la défense de la souveraineté devient purement déclamatoire. En raison des fonctions que l'espace a pour un État, on peut conclure que les problèmes géopolitiques sont directement liés aux objectifs stratégiques nationaux et intimement liés au profil productif d'un pays, ainsi qu'à ses politiques de défense nationale. C'est pourquoi la géopolitique doit intégrer des connaissances pluridisciplinaires, faisant appel à la géographie, bien sûr, mais aussi à l'économie et à la sociologie, entre autres sciences auxiliaires.

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Quelques réflexions sur notre pays, l’Argentine

L'Argentine a de nombreux défis à relever en matière territoriale, puisqu'elle possède le huitième plus grand territoire du monde, mais avec un espace national désintégré ; sa région patagonienne est vide, ses possessions dans l'Atlantique Sud lui ont été enlevées et son objectif est de se projeter vers l'Antarctique. A ce stade, il est légitime de se poser deux questions : les dirigeants politiques de notre pays ont-ils une formation en géopolitique ? D'autre part, les parties sont-elles parvenues à un accord sur les objectifs géopolitiques de la nation ? Nous pensons qu'il y a un sérieux déficit sur ces deux questions, notamment en ce qui concerne la deuxième question.

Selon nous, ce n'est pas que les objectifs ne soient pas identifiés ou que les stratégies fassent défaut. Nous pensons que le problème réside dans le fait que l'Argentine a bien des objectifs et des stratégies, mais qu'ils sont la conséquence de transferts idéologiques qui assignent à l'Argentine un rôle périphérique en termes de profil productif et faible par rapport aux attributs du pouvoir national. Nos politiciens ont adopté des scénarios élaborés par d'autres et agissent comme si le mieux était d'avoir peu de pouvoir et peu de revendications, puisque cela nous transformerait en un pays "sérieux et prévisible", sans revendications inconfortables pour les acteurs les plus importants du système international. Pour les décideurs politiques autochtones, tout se résume à "s'insérer intelligemment dans le processus de mondialisation", un discours qui promeut une politique étrangère "de consensus" qui cherche systématiquement à éviter tout conflit avec d'autres acteurs, souvent au prix de la défense de nos propres intérêts ; mais cette attitude n'éradique pas le caractère agonal de la praxis politique. Ce rôle de "bon élève" que nous avons adopté s'est consolidé avec un accent particulier après la guerre des Malouines, et c'est pourquoi nous pensons que la question de l'Atlantique Sud va au-delà de la géopolitique : la cause des Malouines doit devenir un symbole de notre revigoration nationale.

D'autre part, nous devons surmonter cette colonisation mentale qui légitime notre dépendance par une "pédagogie de la faiblesse" qui nous fait croire qu'il est vertueux d'avoir peu de pouvoir et de ne pas contrarier les puissants, tout comme il est vertueux de pratiquer toujours et en toutes circonstances le pacifisme, la solidarité "globale" et l'humanitarisme. Examinons quelques conséquences pratiques de cette mentalité : nous n'avons pas de politique de défense active, parce que la Grande-Bretagne a du poids sur les marchés financiers où nos dirigeants ont l'habitude d'aller mendier de l'argent ; nous ne consolidons pas l'unité géopolitique de l'Amérique du Sud, parce que ce serait l'"arrière-cour" des États-Unis ; nous ne produisons pas d'aliments pour une alimentation saine, parce que cela coupe les affaires des transnationales qui nous empoisonnent avec leurs OGM et leurs engrais... et nous pourrions continuer ainsi.

Pour inverser cette situation, nous devons changer de logique : nous devons comprendre que nous ne vivons pas dans un monde d'agneaux, mais dans un monde où les acteurs les plus puissants se comportent comme des loups, car ils cherchent à maintenir leur position hégémonique. Cela a toujours été le cas, mais en raison de notre situation géographique particulière, loin des foyers traditionnels de conflit, le mythe de l'Argentine comme "île de paix" s'est profondément ancré dans l'imaginaire collectif de nos compatriotes. Toutefois, ce mythe ne peut plus être entretenu et c'est une grave erreur de prétendre qu'il existe, a fortiori dans des scénarios progressivement intégrés et complexes. Nous devons construire le pouvoir national, renforcer le territoire et moderniser l'économie en donnant la priorité à la connaissance et aux technologies de pointe ; nous devons protéger nos ressources naturelles en modelant un projet de pays qui favorise le soin de l'environnement, et où les espaces de coexistence permettent une saine vitalité psychophysique. Mais surtout, nous devrons prendre en charge les conflits potentiels qui découleront nécessairement de ce changement de cap, pour lesquels la sagesse politique devra prévoir des stratégies qui nous permettront d'y faire face. Si nous voulons vraiment consolider une nation indépendante, tels sont les défis et les risques que nous devons assumer.

*Andrés Berazategui, membre de Nomos, est titulaire d'un diplôme en relations internationales de l'Université John F. Kennedy d'Argentine et d'un master en stratégie et géopolitique de l'École supérieure de guerre des armées (ESGE).

Notes :

1 Voir Pierre Gallois, Géopolitique. Los caminos del poder, Ediciones Ejército, Madrid, 1992, en particulier les chapitres II, IV et X.

2 Ces quatre facteurs, et la manière dont ils influencent les peuples, ont été étudiés par le psychologue Willy Hellpach, dans son livre Geopsique de 1911, qui a eu un certain retentissement parmi les géopoliticiens allemands. Voir Willy Hellpach, Geopsyche. El alma humana bajo el influjo de tiempo y clima, suelo y paisaje, Espasa Calpe S. A., Madrid, 1940.

3 Voir Jorge Atencio, Qué es la geopolítica, Pleamar, Buenos Aires, 1982, 4ème édition, pp. 41-52. Le livre d'Atencio est un classique de la pensée géopolitique argentine. Comme le lecteur peut le constater, nous paraphrasons son titre pour le présent article.

4 On peut trouver un regard récent (bien qu'antérieur à la pandémie) sur les tendances géopolitiques dans Robert D. Kaplan, The Revenge of Geography. Comment les cartes conditionnent le destin des nations, RBA, Barcelone, 2015.

Il n'y a pas de démocraties ni d'autocraties, seulement des gouvernements

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Il n'y a pas de démocraties ni d'autocraties, seulement des gouvernements

Andrew Korybko

Ex : http://oneworld.press/?module=articles&action=view&am...

La division du monde en "démocraties" et en "autocraties" est un reflet inexact de la réalité. Il n'y a que des gouvernements, et chacun d'entre eux comporte des éléments de ces deux catégories, bien qu'à des degrés divers selon les particularités du modèle national effectivement en vigueur.

Le président américain Joe Biden a déclaré aux membres des services américains à la fin du mois dernier que "nous sommes dans une bataille entre les démocraties et les autocraties". Il a également exploité ses nombreux contacts personnels avec le président chinois Xi Jinping pour se présenter comme une autorité pour juger la vision globale du dirigeant chinois. Biden a faussement affirmé que le président Xi "croit fermement que la Chine, avant les années 2030, 2035, va posséder l'Amérique parce que les autocraties peuvent prendre des décisions rapides". Bien qu'il ne s'agisse que de détails très mineurs dans un discours beaucoup plus vaste, ils méritent un examen plus approfondi car ils révèlent beaucoup de choses sur les conceptions géostratégiques contemporaines de l'Amérique.

La direction du pays, aujourd’hui dirigée par les Démocrates, est ouvertement idéologique et considère que le monde est divisé entre "démocraties et autocraties", les États-Unis et la Chine étant respectivement à la tête de l’un de ces camps. Le but de cette vision est d'établir la base idéologique et structurelle d'une nouvelle guerre froide. Elle sert également de prétexte aux États-Unis pour faire pression sur les pays qui ne cèdent pas leurs intérêts souverains à l'Amérique, sous prétexte qu'il s'agit d'"autocraties" qui ont donc vraisemblablement besoin d'une "démocratie" (généralement violente) soutenue par les États-Unis. En d'autres termes, ce n'est rien de plus que de la rhétorique pour dissimuler des objectifs de politique étrangère intéressés.

La raison pour laquelle il s'agit d'une telle ruse est qu'il n'existe plus vraiment de démocraties ou d'autocraties bien définies, mais seulement des gouvernements. En théorie, la démocratie dans sa forme la plus pure et la plus classique n'existe au niveau national dans aucun pays. Il n'est pas pratique pour les citoyens d'avoir la possibilité de voter sur chaque décision prise à chaque niveau de leur gouvernement, d'où la nécessité de ce que l'on appelle la démocratie représentative. Mais même ce système est imparfait car il n'y a pas grand-chose à faire avant le prochain tour des élections pour retenir les politiciens responsables s'ils mentent au peuple pendant leur campagne.

Une autre critique que l'on peut formuler à l'encontre du concept de démocratie est que les bureaucraties permanentes axées sur la sécurité nationale, telles que l'armée, les services de renseignement et la diplomatie, ne peuvent pas être démocratiques de manière réaliste compte tenu de leurs missions, même si leurs décisions ont un impact sur tous les autres habitants du pays et parfois même au-delà. Le concept de démocratie lui-même a plutôt été exploité à des fins de gestion de la perception pour pouvoir contrôler le plus grand nombre de personnes, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, en fonction du contexte national particulier dont question et aussi en fonction de leur vision idéale de la société.

Quant aux autocraties, ce terme a également été déformé au-delà de son sens premier. Il n'existe aucun pays au monde où un seul individu exerce le pouvoir suprême. C'est tout simplement impossible. Aucun être humain ne peut prendre toutes les décisions nécessaires au quotidien pour faire fonctionner un pays. Il existe cependant un leadership centralisé et décisif, qui est plus courant dans les systèmes politiques non occidentaux que dans les systèmes occidentaux (dits "démocratiques"), mais même ces derniers confèrent parfois légalement de larges pouvoirs à certaines personnalités, comme la Constitution américaine le fait pour le président. La présence ou l'absence de ces droits est simplement une différence entre les systèmes politiques.

Les soi-disant autocraties délèguent les responsabilités à l'ensemble de la société, mais parfois pas de manière électorale mais méritocratique. Il n'y a rien de mal à cela non plus, c'est simplement une autre différence entre la façon dont certains pays sont gérés. Néanmoins, les États-Unis ont tendance à mépriser ces systèmes parce qu'ils sont plus difficiles à manipuler de l'extérieur par des moyens politiques tels que l'ingérence dans les élections et les mouvements de protestation armés. Il semble également que ces types de systèmes soient dirigés par des dirigeants et/ou des partis qui accordent plus d'importance à la souveraineté nationale et au bien-être de leur peuple qu'au profit des sociétés transnationales.

La division du monde en "démocraties" et "autocraties" est donc un reflet inexact de la réalité. Il n'y a que des gouvernements, et chacun d'entre eux comporte des éléments relevant de ces deux catégories, bien qu'à des degrés divers selon les particularités du modèle national effectivement en vigueur. Tenter d'établir une hiérarchie des systèmes de gouvernement est une tâche intrinsèquement subjective et sujette aux préjugés, exactement comme le serait l'établissement d'une hiérarchie des ethnies. Au lieu d'être obsédé par les différences de certains gouvernements, tout le monde devrait accepter leur diversité, tout comme on devrait le faire pour les nombreuses ethnies du monde.

Par Andrew Korybko

vendredi, 04 juin 2021

Ordre, force et raison, les bases de tout progrès véritable (Charles Maurras)

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Ordre, force et raison, les bases de tout progrès véritable (Charles Maurras)

 
Dans cette vidéo, nous nous pencherons sur un des premiers textes politiques de Maurras, "Trois idées politiques". A partir des trois figures de Chateaubriand, de Michelet et de Sainte-Beuve, Maurras renvoie ici dos à dos le sentimentalisme passéiste de la droite et le sentimentalisme progressiste de la gauche pour proposer le dépassement de cette opposition : une conception rationnelle et ordonnée du progrès, en accord avec l'idée de tradition.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Jean-Philippe Rameau, «Les Indes Galantes», Forêts paisibles (Les sauvages)
- Schubert, Der Tod und das Mädchen, II. Andante con moto
- Johann Strauss, Le beau Danube bleu - Vivaldi, l'Hiver

mardi, 01 juin 2021

Libéralisme et socialisme

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Libéralisme et socialisme

par Rémi TREMBLAY

Ex: http://www.europemaxima.com

Comprendre ces « ismes » au-delà des clichés

Le XXe siècle, profondément idéologique, fut dominé par l’affrontement entre le capitalisme et le socialisme, d’essence communiste ou nationaliste/fasciste. Ces termes sont généralement bien compris de la plupart, mais lorsqu’on gratte un peu, on réalise que la compréhension de ces termes varie grandement selon l’interlocuteur : peu de personnes offriraient des réponses semblables quand vient le temps de définir le socialisme.

Question de s’y retrouver un peu et de réellement comprendre ce que ces doctrines sont et d’où elles proviennent, les Éditions de Chiré viennent de rééditer Libéralisme et socialisme de Louis Salleron, cours donné à la Faculté libre de philosophie comparée sur l’évolution de ces deux phénomènes, depuis leur genèse au siècle des Lumières. L’auteur est professeur et cela se sent dès le début : il n’emploie ni jargon hermétique, ni ne perd son public, qu’il guide sans le prendre de haut, dans un voyage à travers le temps pour comprendre les origines, puis l’évolution de ces idéologies économiques au fil des siècles, en fonction des grands évènements. Un ouvrage remarquable par sa clarté et son objectivité.

Le libéralisme est d’abord et avant tout l’idéologie de la « libération de l’individu »; la libération face à l’État. Selon des lois dites naturelles, tout finirait par rentrer dans l’ordre; l’économie dérégulée étant en fait régulée par des forces invisibles qui seraient non pas des suppositions, mais de véritables lois. L’intervention étatique ne serait pas que superflue; elle serait nuisible, puisqu’elle viendrait se heurter aux lois naturelles qui se mettraient en action par elles-mêmes.

Basée sur les principes de « liberté », de « propriété » et d’« ordre naturel » cette idéologie, parfois considérée, comme une science passa avec des modifications de fond de l’École française à l’École anglaise, avec les bien connus Adam Smith, Malthus, Ricardo et Stuart Mill, avant de se transformer en néo-libéralisme, sous l’impulsion de Keynes.

À l’opposé, se développa une « aspiration vague et confuse vers un monde meilleur », le socialisme. Basé sur un certain esprit de communauté, ce mouvement aussi large que mal défini refléta diverses tendances au fil de son histoire, de Proudhon à Marx, puis avec les socialistes de troisième voie comme les nationaux-socialistes, puis les socialistes réformistes encore fort populaires en France.

Salleron, qui écrivait il y a une cinquantaine d’années, notait un recul du libéralisme et même un renversement de la situation : après avoir dominé, le libéralisme aurait été remplacé par un certain socialisme. Sur ce point, on ne peut donner raison à l’auteur, probablement encore trop près des évènements de 1968 pour avoir la perspective nécessaire à de tels pronostics. Il est peut-être vrai qu’en mots, moins de personnes se réclament d’un libéralisme économique que d’une certaine forme de socialisme, car cette idéologie est devenue une étiquette de vertu et d’altruisme, alors que le néo-libéralisme résonne comme égoïsme. Toutefois, ce n’est qu’apparence : les socialistes actuels ne remettent plus en question le système prévalant; ils tentent simplement de minimiser ses abus les plus criants à l’aide de minimes réformes. Peu de politiciens, même ceux à l’extrême gauche de l’échiquier politique, proposent une alternative réelle au système néo-libéral actuel : tous se contentent du statu quo et ont fini par assimiler l’idée qu’il s’agissait d’un ordre naturel. On constate donc au contraire une victoire du libéralisme.

Mais, cela va même au-delà de ça : le capitalisme des années 70 n’a plus rien à voir avec le capitalisme actuel qui tend vers des monopoles mondiaux par les géantes multinationales et des consortiums dont on ne pouvait envisager l’ampleur à cette époque. Il y a en outre une financiarisation de l’économie qui fait en sorte que non seulement le monde est devenu un marché, mais que les pays, socialistes ou non, n’ont quasiment plus de marge de manœuvre dans ce système. La domination du politique par l’économie a atteint des sommets qu’on ne pouvait envisager il y a quelques décennies encore.

Toutefois, si le constat économique de Salleron ne semble pas s’être concrétisé, ses réflexions, qui datent de 1975 et 1976, permettent de comprendre la post-modernité actuelle. Le libéralisme, après avoir été une doctrine principalement économique est devenu une doctrine identitaire : on souhaitait « s’émanciper » de la communauté; aujourd’hui on veut s’émanciper de tout, même de sa nature. Ainsi on va plus loin qu’une simple « émancipation sociale », on recherche notamment avec la théorie du genre à se recréer une nature souhaitée, en porte-à-faux avec la nature elle-même. Le libéralisme en est arrivé à ce point dans les esprits, la « libération de l’individu » jusqu’à sa libération… de lui-même !

Rémi Tremblay

Louis Salleron, Libéralisme et socialisme. Du XVIIIe siècle à nos jours, Éditions de Chiré, 2020, 262 p., 23 €.

jeudi, 20 mai 2021

La démocratie comme mystique impériale

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La démocratie comme mystique impériale

Petru Romosan

Ex : https://flux.md/

La démocratie telle que nous la connaissons dans les principaux pays de cette tradition (Royaume-Uni, France, États-Unis) est imparfaite, car rien d'humain n'est parfait, la perfection n'appartient qu'à Dieu. Il y a aussi la célèbre phrase de Winston Churchill, citée par tous - "la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres" - que nous avons tendance à considérer comme une vérité absolue. Il est vrai que Winston Churchill et la Grande-Bretagne, ainsi que (surtout) I.V. Staline et l'URSS, et F.D. Roosevelt et l'Amérique, ont battu Adolf Hitler et fait tomber l'Allemagne nazie. Mais ce fait est encore loin de faire du rejeton des ducs de Marlborough une sorte de député de Dieu qui produit des vérités inattaquables.

Churchill a prononcé la célèbre phrase devant la Chambre des communes le 11 novembre 1947, mais il citait alors un prédécesseur non identifié. Voyons le contexte plus large: "De nombreuses formes de gouvernement ont été essayées, et seront essayées dans ce monde de péché et de malheur. Personne ne prétend que la démocratie est parfaite ou omnisciente. En effet, il a été dit que la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres formes qui ont été essayées de temps à autre...". Personne ne prétend que la démocratie est parfaite ou infaillible. Il a été dit, en effet, que la démocratie est la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres formes qui ont été essayées de temps à autre..." - extrait du volume d'aphorismes Churchill by Himself, PublicAffairs, 2011).

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Alors, la démocratie est-elle imparfaite, comme l'oligarchie ou comme la dictature et la tyrannie, ou est-elle juste un peu imparfaite, contrairement aux autres formes de gouvernement, qui sont absolument imparfaites? Une chose que personne n'a clarifiée jusqu'à aujourd'hui. Des États-Unis de Joe Biden à la France d'Emmanuel Macron en passant par la Roumanie de Klaus Iohannis, la démocratie apparaît de plus en plus dépourvue de contenu, ne reposant que sur des formes vides (élections, vote), qui ne peuvent évidemment pas contenir de contenu. Une vraie forme sans substance, pour rappeler Titu Maiorescu. La démocratie s'est transformée, lentement mais sûrement, par l'intelligence et la perfidie du peuple, en son contraire, l'oligarchie.

Car derrière les "élus", il y a les "électeurs", il y a la presse mainstream, payée et contrôlée, les services secrets ou l'État profond (aux services secrets s'ajoutent les hauts fonctionnaires inamovibles) et surtout les oligarques, les grandes fortunes. Les décisions des oligarques à huis clos annulent et ridiculisent le vote populaire. Et la démocratie n'est plus "le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple", comme l'appelait Abraham Lincoln dans son discours de Gettysburg du 19 novembre 1863. Les élus ne sont que les marionnettes du grand capital accumulé, légalisé et inattaquable. Et, bien sûr, les "représentants" du peuple satisfont en même temps, par le trafic d'influence et la trahison du vote, leurs intérêts mesquins et privés, ce qu'on appelle communément la "corruption".

La remise en cause de l'organisation de la vie publique, de la politique, de la démocratie vient de partout, notamment après les élections de 2020 aux USA, et revêt même souvent des aspects techniques. "Un autre résultat (des changements nécessaires - n.n.) devrait être qu'il met fin aux efforts visant à bloquer une véritable réforme du vote aux États-Unis. Cela devrait signifier qu'il y aura toujours plus de machines à voter informatisées de mauvaise qualité comme les systèmes Dominion et Smartmatic que les lobbyistes ont vendus dans 28 États, souvent en versant un généreux pot-de-vin [...]. Rien ne décidera si seuls des imbéciles et des crapules brigueront les hautes fonctions dans ce pays, mais au moins, ils pourront être élus équitablement" (James Howard Kunstler - Don't look now, kunstler.com, 26.04.2021).

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Mais la décadence et la misère de la démocratie, ces derniers temps, sont sans fin. Il n'est pas du tout clair, bien qu'il soit facile de le comprendre, comment presque tous les politiciens, presque tous les représentants du peuple et, avec eux, la plupart des fonctionnaires publics sont des gens sans travail, des gens sans loi et des gens sans Dieu. Il devrait pourtant être facile de comprendre que les oligarques et leurs sbires aux États-Unis, en France et en Roumanie ne peuvent choisir leurs marionnettes politiques et leurs hauts fonctionnaires que parmi des personnes sans convictions fortes, habituées à enfreindre la loi, que l'on peut faire chanter avec leurs propres dossiers, des personnes ayant une formation médiocre, ce qui les rend peu compétitives sur le vrai marché du travail.

Le manque de cohérence et de responsabilité du vote "démocratique" qui nous donne les représentants du peuple ne s'arrête pas aux élus. Ceux qui choisissent ou prétendent choisir devraient également être interrogés. N'oublions pas non plus les "absents", car l'absentéisme est en hausse dans le monde entier. Si les élus ne respectent pas leurs programmes, les promesses faites pendant la campagne, ils ne sont pas sanctionnés d'une quelconque manière. Ils ne seront sanctionnés que "politiquement". Ce qui, bien sûr, n'est qu'une mauvaise blague. C'est un moyen de faire sortir les escrocs par la porte arrière pour faire de la place à d'autres escrocs. Et depuis le haut. Et les "électeurs", les citoyens, se réconcilient facilement avec cette comédie burlesque et passent à l'élection suivante sans trop de mal de tête ni de souvenirs.

Mais les suggestions pour "réparer" la démocratie viennent aussi d'un peu partout. "Je pense que les hommes politiques doivent assumer l'entière responsabilité de leurs paroles comme de leurs actes, et que cette responsabilité doit être mise en œuvre par le biais du droit administratif et pénal. Les politiciens doivent assumer la responsabilité personnelle et matérielle de toutes les promesses qu'ils font pendant la campagne, et le non-respect de ces promesses devrait être assimilé à une rupture de contrat et à une négligence criminelle. [...] Je trouve déraisonnable d'espérer qu'un électorat irresponsable et incompétent puisse élire des hommes politiques responsables et compétents" (Dmitry Orlov - "Mon credo politique", cluborlov.blogspot.com, 8.05.2021).

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Mais le système dit "démocratique" est encore plus pervers. Le vote est secret (avec toute une cérémonie d'isolement des électeurs), et le secret sera généralement gardé pendant toute la durée du mandat du mauvais élu. Pourquoi le vote n'est-il pas public, ouvert et avec une responsabilité publique pour votre choix ? Pourquoi la personne qui a mal voté, de manière intéressée ( ?), pour un candidat minable n'est-elle pas prise à partie, éventuellement avec une responsabilité concrète ? Et les journalistes, sociologues et autres flagorneurs qui ont aboyé pendant tout un mandat pour leur favori (on se souvient des "intellectuels de Băsescu" - aussi appelés "steakers de Băsescu" - de Evenimentul zilei, Cotidianul ou Revista 22 de l'époque), déversant mensonges et sophismes, attaques contre les opposants, etc..., ils n'ont aucune responsabilité? Peuvent-ils recommencer avec le prochain "élu" Klaus Iohannis, par exemple?

La démocratie, telle qu'elle est pratiquée depuis la Seconde Guerre mondiale en Europe occidentale sous l'influence américaine, s'apparente davantage à une narcose, et ressemble beaucoup à la religion, voire au dogmatisme. De l'autre côté du rideau de fer se trouvait la "démocratie populaire", le pouvoir du parti unique. Les États-Unis ont construit leur vaste empire et, après 1989, l'ont étendu à l'Europe de l'Est, exportant avant tout la "démocratie", un produit véritablement mystique. Jusqu'aux récentes élections américaines de 2020, disputées entre Donald Trump-Joe Biden, avec leurs machines "volantes" (Dominion, Scytle, Smartmatic, Hammer, Scorecard...), le concept de démocratie avait une force religieuse. Vous ne pouviez pas exprimer le moindre doute car vous étiez automatiquement mis hors jeu, qualifié de "communiste", de "sécuritariste", d'"amoureux de la dictature". Ce n'est qu'en 2020 que l'on a découvert que des machines à voter ont été utilisées dans d'autres élections, dans d'autres pays. La Roumanie a été citée (sur la carte Scytle), et récemment l'élection de Macron en 2017 en France est remise en question.

L'invention des "machines à voter", "soft", a été liée au 11 septembre 2001, à l'attaque des tours jumelles, date à laquelle le 20e siècle s'est achevé et la fin de la démocratie en Occident a commencé. Mais n'oublions pas que d'autres méthodes de truquage des votes, d'intoxication primitive de l'électorat (avec des sondages, avec des talk-shows, avec des interviews, avec de l'argent...), surtout des moins ou pas du tout préparés, sont utilisées depuis les âges sombres et l'illusion démocratique. Comme Ion Iliescu a été élu plusieurs fois après 1989 en Roumanie. Mais une enquête sérieuse donnerait des résultats surprenants, même dans les grandes maisons des démocraties occidentales.

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La démocratie ne peut pas être parfaite parce qu'elle est faite par des hommes, mais que faire si la merveilleuse démocratie n'existe plus depuis un certain temps, plus du tout? Ou, pire, est-elle devenue le contraire de ce qu'elle prétend être - une oligarchie? Sparte se réclame d'Athènes, et Athènes est devenue, loin s'en faut, la Sparte oligarchique. Ou, pour en venir à notre époque, les États-Unis imitent à la lettre la Chine, avec son parti unique. Le parti démocrate de Joe Biden, Hillary Clinton, Nancy Pelosi, Kamala Harris est incapable d'accepter l'existence de deux partis et vise à mettre hors la loi le parti républicain.

Quelqu'un croira-t-il à l'avenir à la démocratie comme il l'a fait au cours des 70 dernières années? Si l'on dit qu'un poète est un homme qui a oublié tous ses métiers, nous constatons que les politiciens démocratiques d'aujourd'hui, souvent décrits comme des "professionnels", sont généralement des personnes qui n'ont jamais eu de métier. Que mettra-t-on à la place de la démocratie qui s'est vidée de son sens, de son contenu ? Les cinquante prochaines années apporteront inévitablement plusieurs réponses: démocratie participative (comme en Suisse), technocratie (Union européenne), autocratie (comme en Russie), dictatures ou tyrannies, militaires ou civils ?

Le débat sur la démocratie ne peut être achevé en quelques pages. Il faut voir comment les empires britannique, français et américain, qui pratiquaient la démocratie réelle dans la métropole, la revendiquaient aussi avec propagande dans leurs colonies, imposant en fait leurs satrapes, leurs affidés locaux. La démocratie est-elle un luxe que seuls les empires peuvent se permettre ? Et, bien sûr, seulement au centre ? Mais il y a aussi le mystère de l'Inde, la plus grande démocratie de ces 70 dernières années, née seulement après que les Indiens aient chassé les impérialistes britanniques. Les prétentions tragi-comiques des Etats-Unis à faire de la démocratie avec l'armée, avec la guerre, comme en Irak ou en Afghanistan, par exemple, ont déjà été largement analysées. Y a-t-il une démocratie en Roumanie aujourd'hui ? Grand serait l’homme qui parviendrait à donner la bonne réponse et à l'argumenter !

Petru Romoșan.

dimanche, 16 mai 2021

Dmitry Orlov : Mon credo politique

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Dmitry Orlov : Mon credo politique

Par Dmitry Orlov 

Source: Club Orlov

Compte tenu du haut niveau de polarisation politique aux États-Unis et, de plus en plus, en Europe occidentale, il semble assez important d’éviter de se retrouver pris entre deux feux. Certains esprits curieux voudront peut-être savoir quelle est ma position politique : suis-je un Trumpiste ou une groupie de Biden ? Suis-je un communiste ou un fasciste ? Il ne sert à rien de dire aux gens que je ne suis rien de tout cela. Les gens supposent automatiquement que si vous n’êtes pas une chose, alors vous devez être l’autre. Heureusement, j’ai un credo politique fondé sur des principes. Ce n’est même pas individuellement le mien ; je le partage avec mon collègue Sergei Vasilyev et probablement avec tout un tas d’autres personnes raisonnables qui l’accepteront volontiers comme le leur après l’avoir lu. Et donc, sans plus attendre, voici mon credo politique (et celui de Sergei).

41oXOkGV+9L._SX331_BO1,204,203,200_.jpg1. Je crois que seul le gouvernement fédéral peut et doit être le centre de pouvoir qui concentre les ressources et les dirige vers des activités qui ne peuvent ou ne doivent pas être gérées sur une base lucrative. Cette liste comprend toutes les activités qui forment la structure cohésive de l’État et qui lient les citoyens en un tout bien coordonné : l’exploitation et la protection des ressources naturelles, la construction de routes, les communications, la sécurité publique et la défense, les infrastructures sociales telles que les transports en commun et les installations de loisirs, les soins de santé et l’éducation. Tout cela doit être tenu par un seul ensemble de mains très fortes. Cela fait de moi un gauchiste totalitaire – un de ceux qui préconisent toujours un rôle accru pour le gouvernement.

2. Simultanément, je crois que le gouvernement, qu’il soit fédéral ou local, a un rôle purement consultatif et de supervision dans des domaines tels que la restauration, l’habillement et la chaussure, le toilettage des chiens, la réparation automobile et mille et une autres activités du quotidien, où une lourde bureaucratie gouvernementale n’a aucune chance de suivre la cadence d’entrepreneurs privés agiles. Bien sûr, le gouvernement peut et doit fixer et faire respecter des normes de qualité, de sécurité publique et d’environnement, des lois sur le travail et maintenir et mettre à jour toutes les réglementations applicables, en établissant, chaque fois que cela est possible, des partenariats public-privé dans le but de contrôler et de rendre compte de la conformité. Cela fait de moi un capitaliste de droite – un de ceux qui plaident constamment pour une implication minimale du gouvernement dans l’économie.

3. Je crois que le gouvernement ne devrait pas escroquer le public par le biais des taxes, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu, de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la taxe sur les ventes. Plus précisément, le travail ne devrait pas être taxé – jamais, du tout. Le gouvernement est (ou devrait se rendre, en réquisitionnant les ressources) suffisamment riche pour payer sa propre part en exploitant et en faisant payer un loyer pour toutes les ressources naturelles qu’il possède et/ou contrôle directement, en fixant des droits de licence suffisants, des tarifs d’importation et d’exportation, des droits sur l’utilisation commerciale des chemins de fer, des routes et des communications électroniques, etc. Je suis sûr que, libérés du joug de la fiscalité gouvernementale, les entreprises et les particuliers prospéreraient. Cela fait de moi non seulement un capitaliste de droite mais aussi un libertarien radical – un de ceux qui affirment toujours que l’impôt est un vol et qui demandent que tous les impôts soient abolis.

51Ylnnb1XcL._SX332_BO1,204,203,200_.jpg4. Afin de remplir toutes ses obligations énumérées dans la section 1 ci-dessus, le gouvernement doit avoir accès aux ressources. À cette fin, je crois que le gouvernement doit avoir un accès garanti à toutes les ressources dont il a besoin, quelle que soit la situation financière des particuliers ou des entreprises privées. Les retraites doivent être payées et les routes doivent être entretenues, quels que soient les sentiments des entreprises et des super-riches à ce sujet ou l’ingéniosité dont ils font preuve pour éviter les impôts en cachant leur argent dans des paradis fiscaux offshore et en utilisant d’autres astuces de ce genre. Encore une fois, la meilleure façon d’obtenir ces revenus est de fixer stratégiquement des taux sur l’utilisation des ressources, surtout des ressources énergétiques, qui devraient être réquisitionnées selon les besoins et maintenues sous le contrôle direct du gouvernement. Cela produira l’équivalent d’un système d’imposition progressif, puisque les riches consomment beaucoup plus que les pauvres. Cela fait de moi à la fois un socialiste – l’un de ceux qui se prononcent toujours en faveur de l’impôt progressif – et un capitaliste d’État – l’un de ceux qui croient en un secteur public important et rentable.

5. Je crois que le gouvernement doit être formé de cadres de la plus haute qualité : responsables, motivés pour obtenir des résultats, honnêtes, incorruptibles, patriotes et travailleurs. Cela fait de moi non seulement un gauchiste, mais aussi un communiste pur et dur.

6. Je crois que si quelqu’un fait du bon travail dans sa position d’autorité, que ce soit dans le secteur privé ou dans le gouvernement, il devrait avoir la possibilité de rester dans cette position jusqu’à la retraite. Il est tout simplement stupide de demander à quelqu’un d’investir des années dans l’apprentissage d’un travail compliqué et exigeant pour le remplacer par quelqu’un d’inexpérimenté et donc moins compétent dans le seul but d’imposer des limites artificielles à la durée du mandat. Les républiques bananières se caractérisent par le fait que la plupart des progrès réalisés par une administration sont, dès la fin de son mandat, immédiatement annulés par la suivante. Les personnes dont les postes sont essentiellement honorifiques et établis dans le but d’assurer la continuité et la stabilité politique devraient conserver leur emploi aussi longtemps que possible, dans de nombreux cas jusqu’à la mort, et dans certains cas, ces postes honorifiques devraient être hérités. Cela fait de moi un monarchiste pur et dur.

41G9p4zGYpL._SX332_BO1,204,203,200_.jpg7. Je crois que les hommes politiques doivent assumer l’entière responsabilité de leurs paroles comme de leurs actes, et que cette responsabilité doit être mise en œuvre par le biais du droit administratif et pénal. Les politiciens doivent assumer la responsabilité personnelle et matérielle de toutes les promesses qu’ils font pendant leur campagne et le non-respect de ces promesses devrait être assimilé à une rupture de contrat et à une négligence criminelle. Cela fait de moi non seulement un gauchiste mais aussi un stalinien pur et dur, puisque c’est sous Staline que les fonctionnaires ont particulièrement découvert la facilité de passer d’un travail de bureau à un travail à l’extérieur avec un pic à glace et une pelle à neige.

8. Je trouve déraisonnable d’espérer qu’un électorat irresponsable et incompétent élise des politiciens responsables et compétents. Je peux comprendre que le vote pour un chef d’État puisse être utile en tant qu’exercice patriotique – un acte d’acclamation où la masse de la population peut exprimer son approbation pour son dirigeant bien-aimé. Je peux également voir comment un vote public libre et honnête est un bon mécanisme pour choisir les fonctionnaires. Cela fait très certainement de moi un démocrate. Mais le choix des politiciens est une responsabilité sérieuse et chaque vote exprimé devrait être traité non pas comme un sondage d’opinion utilisé pour guider la sélection, mais comme une délégation directe et personnelle d’autorité et une garantie personnelle. Si l’élu s’avère ensuite être un criminel qui escroque le public, alors ceux qui ont voté pour lui doivent être tenus responsables du paiement des dommages et intérêts. Et si un groupe de fonctionnaires utilise des preuves falsifiées pour déclencher une guerre génocidaire dans laquelle de nombreuses vies innocentes sont perdues, alors eux, ainsi que tous ceux qui ont voté pour eux, devraient être jugés comme des criminels de guerre, dûment reconnus coupables et condamnés, selon le jugement du tribunal, soit à une vie entière de travaux forcés, soit à une exécution immédiate par un peloton d’exécution. Je ne sais pas si cela fait de moi quelqu’un de gauche ou de droite, ou peut-être les deux à la fois, mais je suis définitivement internationaliste dans la mesure où je crois qu’aucun pays – ses responsables ou ses citoyens – ne peut être autorisé à se placer au-dessus du droit international et doit assumer la responsabilité individuelle de ses crimes de guerre.

S’il y a un enseignement clé à tirer de cette discussion, c’est celui-ci. Il est possible d’adopter une position politique raisonnée et fondée sur des principes en étant, simultanément et sans contradiction interne, un internationaliste démocratique de gauche, totalitaire, capitaliste de droite, libertarien, socialiste, capitaliste d’État, monarchiste et stalinien. Cela indique que ce que les politologues postulent comme étant un spectre politique de gauche à droite, dans lequel ils tentent de contraindre chacun d’entre nous, est un ramassis de conneries. Pire encore, il s’agit d’une tentative flagrante de polarisation, de ségrégation par opinion, puis d’utilisation de tactiques de division et de conquête pour annuler les opinions opposées. Par conséquent, dans une discussion politique, vous devriez vous sentir libre d’appeler cela conneries et d’y mettre fin dès que quelqu’un tente d’introduire des termes polarisants tels que « gauche » et « droite ».

Oh, et si vous voulez toujours m’étiqueter politiquement, je suis un gauchiste totalitaire de droite capitaliste libertarien socialiste capitaliste d’état monarchiste stalinien démocratique.

Dmitry Orlov
 

51RqfXqhj7L._SX332_BO1,204,203,200_.jpgLe livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

vendredi, 14 mai 2021

Le réalisme politique: un art de l'action (Nicolas Machiavel)

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Le réalisme politique: un art de l'action (Nicolas Machiavel)

 
Cette vidéo a pour but d’inaugurer une série consacrée à des philosophes appartenant au courant « réaliste politique ». Je reviendrai occasionnellement sur certaines figures majeures de cette tradition. C'est pourquoi il m'a semblé nécessaire de commencer par l'initiateur de celle-ci, Nicolas Machiavel. Son oeuvre, bien que vieille de cinq siècles, reste d'une étonnante actualité. Le philosophe florentin montre qu’il ne faut jamais couper la pensée politique de sa finalité qu’est l’action concrète et pragmatique.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- R. Wagner : Ouverture de Rienzi
- Bach : Musikalisches Opfer
– Thema Regium (Jordi Savall and the Concert of Nations)

Entretien avec Denis Collin: pour une défense de l'Etat national !

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Entretien avec Denis Collin: pour une défense de l'Etat national!

Ex: https://latribunadelpaisvasco.com/art/14952/denis-collin-...

411ITDKHemL._SX322_BO1,204,203,200_.jpgPourquoi un livre pour la défense des États-nations?

Ce livre est un recueil d’articles écrits au long des années et qui ont été rassemblés et traduits par Carlos Javier Blancos que je remercie vivement. Ma démarche est d’abord celle d’un “marxiste vieille école”. Je me demande quelles sont les meilleures conditions pour lutter contre le capitalisme et oeuvrer pour une société plus juste. En travaillant sur l’oeuvre politique de Marx, deux choses finissent par me sauter aux yeux. Marx dit: la lutte de classe est internationale dans son contenu, mais nationale dans sa forme. C’est pourquoi, à la différence des anarchistes, il pense essentielles la conquête et la transformation du pouvoir d’État. Ensuite quand l’association internationale des travailleurs est fondée en 1864, les points les plus importants sont la défense des luttes nationales des Polonais et des Irlandais. Il est clairement dit par là que l’internationalisme suppose l’existence des nations et leur reconnaissance. Bref, l’internationalisme est l’opposé du cosmopolitisme et du mondialisme.

Cette démarche théorique se combine chez moi avec un évolution qui se précipite à la fin des années 1980 quand je comprends que l’Union Européenne est un carcan passé autour du cou des peuples. Je soutiens Jean-Pierre Chevènement dans le combat pour le “non” au référendum de Maastricht.  Et depuis je n’ai jamais dévié de cette ligne que j’ai plutôt raffermie.

Quand le modèle de l'État-nation a-t-il commencé à être remis en question?

Si on remonte très loin, on peut dire que le modèle de l’État-nation est mis en question quand se développe l’impérialisme. L’impérialisme n’est pas le prolongement de l’État-nation, mais sa subversion par les intérêts privés. Ici, je trouve très éclairantes les analyses d’Hannah Arendt dans son livre sur l’impérialisme. C’est encore Arendt qui dit que les frontières nationales sont comme les murs qui empêchent le monde de s’effondrer. C'"est tout un pan de la pensée d'Arendt qu'on a laissé dans l'ombre.

livre-collin.jpgLa Première Guerre mondiale a été le premier coup porté aux États-nations. Mais c’est surtout avec la Seconde Guerre mondiale que se mettent en place les premières institutions de « gouvernance globale », sous couvert de l’ONU ou en dehors comme l’OTAN, le GATT. On est entré à ce moment dans l’ère de la souveraineté limitée.

Quelle est la signification de l'État-nation dans un monde globalisé?

Dans un monde globalisé, l’État-nation est un archaïsme ! L’échelon national ne doit plus être qu’un échelon administratif de l’ordre capitaliste mondial. Dans un texte prémonitoire daté de  1924, Trotski écrivait : « Au fur et à mesure que se développeront leurs antagonismes, les gouvernements européens iront chercher aide et protection à Washington et à Londres ; le changement des partis et des gouvernements sera déterminé en dernière analyse par la volonté du capital américain, qui indiquera à l'Europe combien elle doit boire et manger... Le rationnement, nous le savons par expérience, n'est pas toujours très agréable. Or, la ration strictement limitée qu'établiront les Américains pour les peuples d'Europe s'appliquera également aux classes dominantes non seulement d'Allemagne et de France, mais aussi, finalement, de Grande-Bretagne. » À quelques détails près, c’est le régime que nous connaissons. Les États-Unis décident en dernière analyse qui sera le « Gauleiter » de telle ou telle région d’Europe. On voit le sort de la pauvre Italie où la pusillanimité des « Cinq étoiles » et de la Lega a fini par redonner le pouvoir à l’agent de Goldman Sachs intronisé par l’UE.  

44438572._SX318_.jpgONU, OTAN, Union européenne, Organisation mondiale du commerce, Organisation mondiale de la santé ... Est-il encore possible de défendre les États nationaux?

Ne cachons pas que la défense des États nationaux est devenue très difficile. L’imbrication des économies est telle que le retour à la souveraineté pourrait apparaître comme un pari risqué. Après tout, la France qui était un des grands pays producteurs d’automobiles ne produit plus sur son sol que 18% des automobiles immatriculées en France… Par exemple, Citroën est presque une marque espagnole! La pandémie a montré la faiblesse structurelle des pays d’Europe sur le plan industriel. Il n’est pas certain d’ailleurs que l’Allemagne elle-même soit aussi solide qu’elle en a l’air sur ce plan. Mais nous avons, dans l’âme de nos peuples, des forces prêtes à passer à l’action, à se retrousser les manches. Il ne faudrait pas des décennies pour reconstruire une industrie automobile ou informatique digne de ce nom.

En outre, je crois que les nations perdantes de la mondialisation pourraient aisément s’entendre. La France, l’Espagne, le Portugal et l’Italie ont tant de choses en commun et leurs peuples se sont tant mélangés qu’une alliance du Sud pourrait rapidement rebattre les cartes. Et de plus nous parlons tous un dialecte du latin !

Comment la défense de l'État-nation doit-elle être menée?

La défense de l’État-nation exige que l’on brise le carcan des accords internationaux, notamment les traités européens et les différents traités transatlantiques. On apprend, par exemple que la Bulgarie est condamnée par les instances bruxelloises parce les commerçants y ont l’obligation de mettre au premier plan des produits alimentaires les produits locaux (fruits et légumes, laitages…) ! Pourtant on nous raconte toutes sortes de fables sur la transition énergétique et la priorité à la production locale. Mais le local fausserait donc la « concurrence libre et non faussée. » On pourrait multiplier les exemples de ces absurdités nées dans le cerveau des bureaucrates européistes et de leurs maîtres.

De son point de vue, la revendication de l'État national ne peut se faire qu'auprès des classes populaires. Pourquoi?

Je crois, comme mon ami Diego Fusaro que la classe bourgeoise comme classe nationale, attachée à son patrimoine et à certaines valeurs n’existe plus à l’âge du « capitalisme absolu ». Nous avons affaire à une « classe capitaliste transnationale », très bien analysée voici une vingtaine d’années par Leslie Sklair. Par exemple, en France, nous avons un nouveau milliardaire, c’est le PDG de la société américaine « Moderna » ! Cette classe capitaliste transnationale s’appuie sur toute une classe plus ou moins intellectuelle qui se nourrit des miettes tombées de la table de la mondialisation : traders, experts, spécialistes du marketing, « auditeurs », « coaches », toute classe purement parasitaire qui a tout intérêt à ce que les choses continuent en l’état.

51ZkF-dKqAL.jpgDonc les seules forces vraiment intéressées à la défense de l’État-nation sont celles pour qui il est la seule protection : les ouvriers, les travailleurs indépendants, les petits patrons, les précaires « uberisés » et sans doute quelques vestiges de l’ancienne classe dominante qui ne veulent pas voir disparaître ce en quoi ils croient. Tout cela peut faire un « bloc de classes », dans l’optique envisagée jadis par Gramsci. Les Gilets Jaunes avaient un temps esquissé un tel bloc.

Quelle devrait être la bonne organisation d'une Europe des États-nations?

Je suis pour une Europe confédérale, c'est-à-dire une association d’États-nations souverains qui s’engagent à ne pas se faire la guerre, à s’épauler quand l’un est menacé et à coopérer sur des projets concrets (comme on l’avait fait jadis avec Airbus). On pourrait avoir une monnaie commune, mais pas une monnaie unique, et avoir ainsi un système à deux monnaies, la monnaie nationale et la monnaie commune, qui laisserait une grande souplesse aux différents États pour gérer leur politique monétaire. Mon Europe, c’ est au fond le Projet de paix perpétuelle imaginé par Kant voilà plus de deux siècles! Une bonne partie des institutions européennes actuelles sont des bureaucraties nocives dont il faudrait se débarrasser – y compris le prétendu « parlement européen » qui n’est qu’une assemblée de bavards grassement payés. Je suis donc pour une Europe à bon marché !

Son travail chevauche la nouvelle droite et le marxisme hétérodoxe. Est-il reconnu d'une manière ou d'une autre dans les deux écoles ou est-ce que les étiquettes appartiennent au passé?

Toutes ces étiquettes appartiennent au passé. Droite et gauche sont confondues dans le culte du marché et de l’accumulation du capital. Sur les questions dites « sociétales », je crois qu’on me classera parmi les conservateurs : je suis hostile à la GPA et à la PMA, à la légalisation de l’euthanasie, comme à celle du cannabis ! Je suis également hostile à tout ce qui se trame du côté du « transgenre » qui ressemble de plus en plus à bricolage de chair humaine. Mais d’un autre côté, je pense que le seul avenir qu’aura l’humanité est un avenir communiste, c'est-à-dire un avenir où le bien commun prime sur la recherche individuelle de l’accumulation de richesse, un avenir où le travail productif est reconnu à sa juste valeur, car c’est dans le travail que l’homme exprime son essence. Mon communisme n’est pas utopique et il se confond avec la « décence commune » dont parlait Orwell. Pour donner des exemples : presque toutes les nations européennes ont un système de santé qui permet de soigner riches et pauvres indifféremment. Partout l’instruction de base est publique et à peu près gratuite. Pour moi, ce sont des embryons de communisme. Mais le plus important aujourd’hui est la revalorisation du travail, du travail manuel d’abord qui reste essentiel et le sera encore plus demain quand l’énergie bon marché sera un souvenir. Si on organise l’économie de sorte que tous les individus en état de travailler puissent vivre décemment de leur travail, alors on appliquera le principe paulinien : « qui ne travaille pas ne mange pas. »

samedi, 08 mai 2021

Interview d’Alberto Buela sur la métapolitique

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Interview d’Alberto Buela sur la métapolitique

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/05/06/una-gran-entrevista-en-la-que-alberto-buela-habla-sobre-metapolitica/

"Les classiques ne sont rien d'autre que des auteurs anciens qui ont des réponses contemporaines."

Nous reproduisons ici une partie de l'entretien que le Professeur Alberto Buela a accordé au journal perfil.com.

Comment expliqueriez-vous la métapolitique à un profane ?

En 1994, nous avons commencé à publier un magazine intitulé Disenso sur papier. À l'époque, il n'y avait pas d'Internet ou, du moins, nous n’en disposions pas. Le magazine m'a permis d'entrer en contact avec de nombreuses personnalités d'Europe et des États-Unis. À un moment donné, un auteur italo-chilien, Primo Siena, m'a envoyé une lettre et m'a dit: « Alberto, ce que tu fais est métapolitique, pourquoi ne lis-tu pas Silvano Panunzio? Un auteur italien qui n'est pas connu ici ». J'ai demandé à un ami de Rome, Aldo La Fata, de m'envoyer un de ses textes. Don Silvano était sur le point de mourir. Je l'ai trouvé intéressant bien qu'il ait une vision quelque peu ésotérique. En philosophie, nous avons l'habitude de réfléchir avec la raison. Nous savons que l'homme, comme le disait José Ortega y Gasset, est une île rationnelle entourée d'une mer d'irrationalités, mais nous devons toujours œuvrer à sauver la rationalité de l'être humain. Si je reste dans l'irrationnel, je fais des horoscopes, je me consacre aux sciences occultes; quelque chose de différent de la philosophie stricte. Je commence donc à l'étudier, je le lis et je découvre d'autres auteurs. Primo Siena m'écrit à nouveau. Je demande à des gens qui font de la science politique, des chercheurs du CONICET (Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas)... Rien.

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Puis un philosophe très important en Espagne à la fin du XXe siècle, Gustavo Bueno, m'écrit. Bueno était un philosophe matérialiste issu du parti communiste. Il avait ensuite quitté le PC, bien qu'il soit resté matérialiste jusqu'à sa mort. C'est lui qui m'a dit que j'avais "les conditions idéales pour développer la métapolitique, car la métapolitique n'est rien d'autre que la métaphysique de la politique". J'ai répondu que cela ne me plaisait pas car on peut lier la politique à la métaphysique. La métaphysique parle du nécessaire et la métapolitique parle du contingent parce que la politique est contingente, elle peut se positionner dans un sens ou dans un autre. Le nécessaire ne peut aller que dans un seul sens. Je préfère définir la métapolitique comme les grandes catégories qui conditionnent l'action politique. C'est ainsi que j'ai trouvé un texte de Max Scheler. Il faut toujours aller vers les grands car les classiques ne sont rien d'autre que des auteurs anciens qui ont des réponses contemporaines. Il est difficile de se tromper si l'on se tourne vers Max Scheler. J'ai trouvé une de ses conférences à l'école de guerre allemande en 1927, un an avant sa mort, sur la phase de nivellement. Il y dit: "Espérons que ce cours que je donne pourra à terme remplacer culturellement la classe dirigeante allemande qui est dépassée aujourd’hui" ; il y avait, en effet, à cette époque, toute la décadence de la République de Weimar. Et Scheler ajoutait : "... et que nous pourrons construire une haute politique". C'est là que j'ai découvert le véritable fondement de la métapolitique.

La métapolitique est-elle un progrès par rapport à la théorie politique ?

Il la met en crise, la soumet à la critique. Si on la pratique bien, la métapolitique montre quels sont les présupposés politiques des acteurs, l'idéologie. Nos acteurs politiques, de notre président à l'un des 88 secrétaires d'État, font essentiellement de l'idéologie. L'idée d'étudier la métapolitique est de se confronter aux grandes catégories, telles que l'homogénéisation, la pensée unique, la théorie du genre, entre autres.

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La métapolitique est-elle une simple activité culturelle ou précède-t-elle nécessairement une action politique ultérieure ?

Il existe deux versions. Une version est la version française, qui dit que la métapolitique doit être faite sans politique. Nous, en revanche, nous soutenons que nous devons faire de la métapolitique, mais en cherchant un ancrage dans la politique. Nous avons un besoin impérieux et manifeste de l'étudier, surtout en Argentine. Nous constatons que nous avons un gouvernement progressiste, de gauche, libéral, social-démocrate, dans lequel Bob Dylan a plus d'influence que Perón. Nous devons d'une manière ou d'une autre clarifier ce mélange.

Comment voulez-vous éclaircir la situation ?

Au lieu de parler des droits de l'homme, je parlerais des droits des peuples. Au lieu de parler de privilégier les minorités, je privilégierais les majorités. Comme aujourd'hui aucun gouvernement n'en dispose, ils privilégient les minorités par rapport aux majorités, même s'ils se disent péronistes. Contrairement à ce que le péronisme a toujours fait. "La métapolitique est un ensemble de grandes catégories qui conditionnent l'action politique".

(...)

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Que pensez-vous de l'utilisation de la métapolitique par la nouvelle droite ?

La nouvelle droite se trompe dans son approche de la politique. Elle veut faire de la métapolitique sans politique. C'est comme Gramsci, mais au départ de la droite. Cela n'a aucun sens pour moi de commencer à réfléchir à la manière de modifier les catégories qui conditionnent l'action politique des agents politiques et de ne rien faire pour modifier cela.

Y a-t-il un rapport entre cela et les libertaires actuels qui sont si à la mode en Argentine ?

Les libéraux et les ‘’terra-planistes’’ sont des minorités qui ont poussé comme des champignons partout.

La nouvelle droite ne mène pas d'action politique de parti parce qu'elle considère que les partis politiques ont été dépassés en pouvoir d'initiative par les méga-médias et que c'est là que se trouve le courant de pensée et que la contestation doit être menée?

C'est là une métapolitique sans fin. C'est une métapolitique conforme à l’idéologie des Lumières. La droite, en ce cas, fait une ‘’métapolitique des Lumières’’. C'est philosopher comme Descartes depuis sa chambre: il voit passer un homme avec un parapluie et philosophe depuis sa cloche de verre. Ce n'est pas non plus de la philosophie. On agit comme on pense ou on finit par penser comme on agit.

(..)

Que pensez-vous de ce que vit l'Argentine aujourd'hui et quel conseil ou message pourriez-vous donner aux lecteurs ?

D'abord, un sentiment de tristesse. Je suis né dans un pays où nous étions inclus dans une communauté. J'ai 72 ans aujourd’hui, j'ai été élevé moitié en ville, moitié à la campagne. Je suis né à Parque Patricios mais deux jours plus tard, mes parents m'ont emmené à Magdalena, où toute ma famille se trouvait, donc je suis né là-bas en fait. J'y ai grandi, nous avions l'école, le club Huracán, il y avait la paroisse de San Bartolomé à Chiclana et Boedo. Nous avions de nombreuses organisations qui nous soutenaient; nous étions une famille modeste. J'avais l'habitude d'aller à la piscine de la rue Pepirí, je m'exprimais en tant que nageur. Au club Huracán, je jouais à la pelote ou au fronton, ce qui me plaisait aussi. Dans la paroisse, nous avions l'habitude d'aller dans des camps. A l'école, nous avons étudié. Je suis né dans une communauté. Je suis né dans une polis. Et nous avons produit quelque chose d'extraordinaire: tout comme les Grecs sont passés des tribus à la polis, nus avons suivi la même voie. Voici ce que dit Platon dans le dernier livre des lois: "La différence avec les barbares, c'est que nous avons la polis et qu'ils n'en ont pas. Et nous avons un système de lois qui fait dire à Socrate, lorsqu'il doit échapper à la ciguë: "La loi est ma mère et ma sage-femme". L'Argentine a réalisé un mauvais miracle extraordinaire, en plus d'avoir Lionel Messi et Diego Maradona. Je suis né dans une polis et je vais mourir dans une tribu. Nous avons les tribus des avorteurs, des anti-avorteurs, des ‘’terraplanistas’’, des subventionnés, des mères, des enfants, des cousins, des Indiens. L'idée du peuple en tant que majorité a été brisée. Nous avons fait le contraire des Grecs.

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jeudi, 06 mai 2021

Vous avez dit: contre-pouvoir?

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Vous avez dit: contre-pouvoir?

Par Bernard PLOUVIER

Ex: https://metainfos.com/2021/05/04/

Curieuse période que la nôtre qui, jusqu’en 2014, semblait somnoler. Depuis lors, les fous du sieur Allah se sont lancé dans une nouvelle expérience djihâdiste de longue durée, une pandémie – ni pire ni plus meurtrière que d’autres – s’est répandue en provenance de Chine et, de façon synchrone, les maîtres de l’économie semblent être devenus de doux dingues.

Face aux terroristes, du moins en Occident, on a pleuré, prié, processionné et commémoré. Face au coronavirus, en tout pays, l’Exécutif s’est comporté de façon dictatoriale, avec des résultats voisins, que l’on ait ou non décidé de sacrifier l’économie à un principe de précaution, très mal appliqué face à un virus qui tue selon le principe bien connu de la sélection naturelle ; de ce fait, on aurait dû cibler précisément les objectifs.

Quant aux grands gourous des banques centrales, ils lancent sur le marché des centaines de milliards d’unités de compte en monnaie de singe et beuglent qu’il ne faut plus se soucier de la dette publique ni même du déficit budgétaire… du Marx tendance Groucho ! 

Dans les trois cas, l’on a l’impression d’avoir affaire à des niais impuissants, des adeptes du pilotage à vue ou à de purs déments. Or ces génies « dirigent ». Et c’est là que les « politologues » reparlent de l’Arlésienne plurimillénaire: le Contre-Pouvoir… et une fois de plus, on hurle de rire.

De la plus haute Antiquité jusqu’au début de l’époque moderne, tout était simple. Tant que le monarque était suffisamment craint, il exerçait le pouvoir et l’opposition se réduisait à des jérémiades cléricales, à des murmures de couloirs ou à des histoires de poison. Dès qu’une faction rivale se sentait assez forte, une guerre civile éclatait, puis le clan victorieux devenait ou restait seul maître, tandis que les vaincus et leur famille étaient expédiées outre-vie. C’était simple, efficace et souvent durable.

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Au XVIIIe siècle, des sots – pardon, de grands esprits – dirent tout haut ce que des cuistres et des clercs murmuraient depuis des siècles : il faut conseiller le Prince pour l’empêcher de n’en faire qu’à sa guise. L’intention affichée masquait un égoïsme de caste : des riches et des savants voulaient mettre leur grain de sel dans le chaudron politico-social et en retirer de gros bénéfices personnels.

Montesquieu fit hurler de rire ses contemporains en recommandant au Roi de France, qui se considérait « empereur en ses États », de s’entourer de parlementaires avisés. En l’occurrence, il s’agissait de très riches magistrats propriétaires de leur charge qui, étant diplômés de Droit, s’estimaient savants, donc capables de conseiller le souverain, alors même que leurs jugements de cour étaient très souvent fort contestables. En fait, ces riches bonhommes voulaient répartir l’impôt de telle façon qu’ils en soient moins accablés, à l’instar des nobles soldats, voulaient recevoir davantage de titres nobiliaires, voire se faire octroyer des hochets de vanité. Il est encore des « historiens » pour croire au sérieux de Montesquieu et consorts. 

Dans les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord, révoltées puis indépendantes, on fit simple. L’Exécutif et le Législatif, tous deux élus de façon assez compliquée par l’ensemble des citoyens – les innombrables esclaves étant bien sûr exclus -, se partageaient l’initiative des lois et les affaires de chaque État de l’Union se réglaient entre politiciens (véreux, cela va sans dire) locaux. Les fréquentes élections – en gros, tous les deux ans – et les très faibles subsides octroyés au pouvoir central de Washington servirent de contre-pouvoir efficace jusqu’à ce que les industriels du Nord trouvent un démagogue charismatique pour lancer une guerre contre le Sud cotonnier.

En 1787, les Notables français voulurent imiter les  Insurgés américains et, ressuscitant la vieille lune de Montesquieu, organisèrent une fronde. Les riches bourgeois et le bas-clergé, crotté mais instruit, s’invitèrent à la fête et ce fut la chienlit. Quelques femmes voulurent en profiter pour introduire leur irrationalité et leur sensiblerie dans la gestion de la Chose Publique : on étêta quelques excitées et on fut tranquille de ce côté-là pour un siècle et demi.

Très vite les Jacobins – soit des rhéteurs réfugiés dans un couvent volé à l’Église qui avait plus de maisons que de moines – édictèrent une nouvelle Loi fondamentale : les élus du pouvoir législatif devaient dominer les ministres, simples agent d’exécution des merveilleuses décisions des mandataires du bon peuple. Au lieu d’avoir un roi, les Français en eurent 600 et furent imités en divers pays dits de Démocratie parlementaire, où la jalousie, l’envie, la joie de se nuire mutuellement entre élus servirent de contre-pouvoir…  tellement efficace que le bon peuple, effaré de l’ineptie et de la corruption de ses élus, se mit à soupirer après un dictateur à l’Antique, qui sauve le pays en cas de crise majeure et se retire ensuite.

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L’ennui c’est qu’un dictateur – hormis chez Tite-Live ou Plutarque -, ça ne part pas souvent de lui-même et on en revint à la case départ. En pratique, il fallait une guerre ou une révolution pour changer de chef ou d’équipe dirigeante. On avait le choix : ou bien un régime d’assemblée, inefficace et corrompu – une « boutique de beaux parleurs », de démagogues, de baratineurs ignares -, ou bien un chef unique, efficace mais peu résolu à s’effacer.

Et l’on se remit à la masturbation cérébrale : où trouver le Bon système, la martingale politique infaillible ? De grands philosophes, s’appuyant sur de probes historiens – le lecteur est prié de ne pas mourir de rire – se penchèrent longuement sur la question… et n’ont toujours pas fini leurs doctes études.

À l’évidence, la notion de liberté pour l’individu noyé dans un État implique ou la notion de contre-pouvoir(s) ou celle d’équilibre des pouvoirs.

En période calme – ces périodes où l’histoire somnole -, l’exercice naturel et continu du pouvoir s’oppose à la mise en pratique du contre-pouvoir. Il est considéré comme un frein inutile par l’opinion publique lorsque tout va bien et il paraît dangereux à utiliser par les gouvernants quand la situation semble s’aggraver.

Les Romains antiques, légalistes autant que pragmatiques, avaient très vite compris l’intérêt de ménager la susceptibilité de la plèbe, pauvre, mais nombreuse et laborieuse, face à la puissance des patriciens, riches et arrogants. Après quelques émotions populaires, ils créèrent la fonction de tribun de la Plèbe, sujet inviolable, ayant droit de veto sur les décisions du très aristocratique Sénat. Au dernier siècle de la République, le fou furieux Sylla supprima leur droit de veto, immédiatement rétabli après sa mort. Ce modèle d’équilibre des pouvoirs a plus ou moins fonctionné, selon les périodes, mais l’époque contemporaine n’offre guère mieux.

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En n’importe quel État ploutocratique, si les titulaires de l’Exécutif et du Législatif sont du même bord, la Nation est l’otage d’un parti ou de la coalition des partis au Pouvoir. Dans la plupart des pays – sauf en terres anglo-saxonnes –, la Justice est vautrée devant l’Exécutif ou devant un dogme… quand elle ne se prosterne pas face au veau ou au chameau d’or. Toujours et partout, les gens des media – de l’antique aède aux clowns télévisés et aux blogueurs du Net – ont servi qui les payait.

En terres marxistes, les profiteurs du dogme dirigent par l’équilibre entre factions rivales, se partageant les sinécures, voire une portion du patrimoine de l’État. Le bon peuple est ou fait semblant d’être convaincu que tout va pour le mieux ; de toute façon, la bonne vieille terreur est là pour calmer toute velléité de discussion un peu sérieuse.

Reste la Troisième voie : le populisme. C’est un régime où le sens éthique de la Nation est fortement sollicité : on lui demande d’œuvrer avec enthousiasme pour la Famille et pour la Collectivité nationale. En cas de besoin, on a recours au seul contre-pouvoir démocratique : le plébiscite. Demander son avis à la Nation souveraine pour les choix décisifs, ceux qui engagent l’avenir, c’est même l’unique application rationnelle du terme de Fraternité appliqué en politique et c’est le seul contre-pouvoir logique : on recourt au seul souverain légitime, le corps des citoyens-électeurs.

L’on ne peut inférer la responsabilité de telle ou telle nation dans un cataclysme régional ou continental, que si l’usage de ce contre-pouvoir démocratique était généralisé. L’étude des faits historiques réels – pas forcément ceux enseignés dans nos universités – démontre que ce n’est pas le cas. Rarissimes furent les exemples d’opposition efficace non-sanglante au maître de l’Exécutif.

En définitive, le seul rôle du contre-pouvoir est d’empêcher que le chef n’engage la Nation dans une aventure rocambolesque : guerre inutile, immigration-invasion, destruction de la cellule familiale, lois insanes (avortement de complaisance, abolition de la peine de mort pour les assassins, discriminations catégorielles de type racial, religieux, politique ou sectaire).

Depuis des millénaires, les grands esprits et les agités du bocal réfléchissent au problème du « Régime politique idéal »… et nul n’a encore compris que c’était peine perdue – ou pour parler comme les précieux philosophes : qu’il s’agissait d’une aporie.

samedi, 01 mai 2021

Rethinking Chinese School of IR from the Perspective of Strategic Essentialism

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Rethinking Chinese School of IR from the Perspective of Strategic Essentialism

 
Ex: https://katehon.com/en/article/

As early as 1977 Stanley Hoffmann claimed that International Relations (IR) is an American social science (Hoffmann 1977), and according to Ann Tickner (2013), little has changed since then. Mainstream IR scholars perceive different regions of the world as test cases for their theories rather than as sources of theory in themselves. Thereby, the “non-West” became a domain that IR theorists perceived as backward; a domain which requires instruction in order to reach the “end of history” that Western modernity encapsulates (Fukuyama 1992). The phenomenon of American-centrism is closely related to the experience of the United States as a world hegemonic power after World War II. Although US hegemony has often been challenged by other countries in the world, its hegemonic status has never been replaced. Even if other countries looked like they would surpass the US at certain times (the Soviet Union in the 1970s, and Japan in the 1980s), they actually did not have the global, sustainable and all-round appeal of the American model. Therefore, American hegemony in the contemporary world not only enjoys technological, economic, and political superiority, but is also cultural, ideational and ideological.

However, any great power in history has its rise and fall, and the United States is no exception. The financial crisis in 2008, Brexit, the emergence of populism in Western countries, as well as the rise of non-Western countries, have challenged the current liberal order led by the United States. First of all, the stability of American society itself has been declining in recent years, especially under Trump’s administration. Racial divisions, coupled with other accumulated social and economic problems, have plunged the United States into serious trouble.

The COVID-19 pandemic that began in 2020 has weakened the West as a role model for governance and accelerated the transfer of power and influence from the West to the “rest.” In addition, the voice of developing countries and non-Western regions has become stronger in the past few decades as their wealth and power has increased. The combined nominal GDP of the BRICS countries, for instance, accounts for approximately one-quarter of the world’s total GDP. Some scholars have pointed out that the norms, institutions, and value systems promoted internationally by the West are disintegrating. The world is entering a “post-Western era” (Munich Security Report 2017).

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The views and experiences of non-Western subjects have increasingly been recognized as an indispensable part of the discipline, which is a consequence of the decline of the West and the wider dissemination of non-Western cultural and philosophical concepts. Various research agendas and appeals have been put forward around this theme. Among the most representative and influential are two initiatives: “Non-Western/Global IR” and “Post-Western IR.” Advocates of Non-Western/Global relations theory, such as Amitav Acharya and Barry Buzan, not only criticize the Western-centrism of the discipline, but also advocate the establishment of IR research based on the histories and cultures of other regions, and encourage the development of non-Western IR theories (See Acharya and Buzan 2010; 2019). The “World Beyond the West” research series (World Beyond the West), initiated by Ann Tickner, Ole Wæver, David Blaney and others, hope to present the local knowledge production practiced by multiple sites, so as to criticize Western-centrism in the discipline, and to respond to the political and ethical challenges faced by the discipline in the post-Western era. Both initiatives expect to develop diverse IR theories and concepts based on “non-Western” historical experience, thoughts and viewpoints.

The rise of interest in non-Western thought in the field of IR has had a positive significance for the development of Chinese IR theory. Many Chinese scholars believe that a Chinese School of IR should be established. For these advocates, Chinese IR not only needs to develop its own epistemological system to understand international relations from China’s perspective; it can also contribute to discussion of what kind of world order China wants. Qin Yaqing, one of the most representative advocates of the Chinese School, believes that the formation of the Chinese School is not only possible but also inevitable. As he states, the Chinese School has three sources of thought from which it can draw nourishment, namely: (1) the Tianxia concept and the practice of the tributary system, (2) modern communist revolutionary thought and practice, and (3) the experience of reform and opening up. Judging from the efforts of Chinese scholars in recent years, most of their efforts have focused on the use of Chinese history, culture and traditional philosophical ideas (Qin 2006). Among them, Yan Xuetong’s moral realism, Zhao Tingyang’s Tianxia system, and Qin Yaqing’s theory of relationality are most influential.

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Yan’s moral realism tries to learn from the concept of “humane authority” in Chinese pre-Qin thought as a source of knowledge and ideas in order to reconceptualize the realist view of power. According to Yan, humane authority is not something that one can strive for; rather, it is acquired by winning the hearts of the people through setting an example of virtue and morality. In this vein, virtues and morality are qualities that can be inherent in the conduct of the state and its leaders, and which can influence others to act in one’s favor. It is the source of “political power”(See Yan, Bell and Sun 2011; Yan 2018). Zhao’s Tianxia system draws from an idealized version of the Tianxiasystem of the Zhou dynasty (c. 1046–256 BC) as the paradigmatic model. He argues that the system was an all-inclusive geographical, psychological, and institutional term. It therefore belongs to all humans equally and is more peace-driven than the Westphalian system which has dominated the world order for centuries (See Zhao 2006; Zhao and Tao 2019). Qin’s theory is centered around the concept of relationality, or guanxi, an idea that is embedded in Confucianism. From a Chinese relational perspective, the international society is not as simple as just comprising of independent entities acting in an egoistically rational way in response to the given structures. Instead, it is a complex web of relations made up of states related to one another in different ways (See Qin 2009; 2016; 2018).

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The nascent popularity of the Chinese School has received many criticisms in the IR subject area, the most important of which are the following two criticisms. The first argues that the Chinese School’s references to historical documents and classics are either inaccurate or overly romanticized. It is a kind of anachronism, which also infers an imperious form of Chinese exceptionalism – a form of wishful thinking that “China will be different from any other great power in its behavior or disposition” (Kim 2016). The second criticism is that the knowledge developed by Chinese School is only used to legitimize the rise of China. As Nele Noesselt (2015) notes, the search for a Chinese paradigm of IR mainly aims “to safeguard China’s national interests and to legitimize the one-party system. The above two criticisms are valid, but not unique to China, and by this standard much other work in IR would also have to be discounted. American IR scholarship also uses source material anachronistically, as critics of realism have observed, and its agenda often reflects US interests and concerns. As E.H. Carr noted in his letter to Hoffman in 1977, “What is this thing called international relations in the “English speaking countries” other than the “study” about how to “run the world from positions of strength”?…[it] was little more than a rationalization for the exercise of power by the dominant nations over the weak” (Carr 2016: xxix).

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Yan Xuetong

Of course, making comparisons between American hegemony and its connection to mainstream IR on the one hand, and the rise of China with the Chinese School on the other, does not by itself justify the enterprise of the Chinese School from the critical IR perspective.

It is worth mentioning that on various occasions critics like Callahan (2008) have been cautious about the Chinese School as merely another familiar hegemonic design. To some extent, Chinese School scholars are indeed replicating the mainstream western IR theory and its problems (Chen 2010). Attempts by Yan, Zhao and Qin to reinvigorate traditional Chinese concepts – i.e. humane authority, the Tianxia system, and relationality – actually channel the Chinese Schools of IR into American mainstream IR discourse – i.e. a realist notion of power, a liberal logic of cosmopolitanism, and a constructivist idea of relationality. The Chinese School uses, against the West, concepts and themes that mainstream IR currently uses against the non-Western world. As Shani (2008) points out, true post-Western theories should not only mimic modern Western discourse; they must develop a critical discourse from within non-Western traditions, liberating non-Western regions from Western dominance. However, one might ask: is it possible that imitating Western discourse can constitute a kind of critical resistance? In order to think about this issue, it is worth looking at Bhabha’s concept of “mimicry.”

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For Bhabha, “mimicry” is a complex, ambiguous, and contradictory form of representation, and it is constantly producing difference/différance and transcendence. As Bhabha notes (1994: 86), “the discourse of mimicry is constructed around an ambivalence: in order to be effective, mimicry must continually produce its slippage, it excess, its difference.”   As a result, imitation by the Chinese School is not simply to duplicate the Western discourse, but to change Western concepts and practices to bring them more into line with Chinese local conditions. “Almost the same, but not quite.” Thus, non-Western scholars including the Chinese School can still make novel and innovative contributions to the literature of IR through hybridization, mimicry and the modification of the initial notions, as Turton and Freire (2016) note. More importantly, this mimicry is a concealed and destructive form of resistance in the anti-colonial strategy. Firstly, imitating the West will create similarities between non-Western theories and Western theories, which in turn confuses the identity of the West. Moreover, the relationship between the “enunciator” and the one who is articulated can potentially be reversed. Whether in support or in opposition, mainstream IR scholarship has been forced to respond to various ideas, concepts and approaches proposed by Chinese School scholars. Thirdly, the Chinese School also verifies that the European experience is a local experience. This is readily exposed when the starting points of mainstream IR – often taken for granted – are used in different contexts.

Nevertheless, there seems to be an issue at the heart of the enterprises of the Chinese School from Bhabha’s colonial resistance perspective. To Bhabha (1994: 37), “hierarchical claims to the inherent originality or ‘purity’ of cultures are untenable, even before we resort to empirical historical instances that demonstrate their hybridity.” Undeniably, the Chinese School has manifested several degrees of essentialism in its account of Chinese history and political thoughts, believing that Chinese culture have a homogenous, nonmalleable, and deep-rooted essence. It has indeed juxtaposed China and the West, essentializing and fixating on the existence of “Chinese culture,” which in nature is hybrid. When Orientalist IR meets Occidentalist IR, hatred and conflict will become possible and perpetuate questionable practices in world politics. In that context, the enterprise of the Chinese School might close down the creative space needed to imagine a different way of engagement. Essentialism is something of a taboo in the critical line of IR scholarship. However, when critical theory’s criticism of essentialism is too extreme, it may threaten the base on which resistance depends. In order to meaningfully challenge the hegemony, we need a site of agency, or a subject. A theoretical difficulty derived from this point of view is the extent to which a degree of essentialism is desirable.

To Spivak, essentialism is the object to be deconstructed, however, deconstruction depends on essentialism. As she stated (1990: 11), “I think it’s absolutely on target to take a stand against the discourse of essentialism…But strategically, we cannot.” On the issue of feminism, Spivak opposes the so-called feminine nature. She believes that it is practically impossible to define “women.” An implication of defining women is the creation of a strict binary opposition, a dualistic view of gender, and as a deconstructionist, she is against positing such dualistic notions. Although she opposes defining an absolute and fixed nature of women, from the standpoint of political struggle, she believes that the historical and concrete nature of women still exists and can be used as a weapon of struggle. In light of Spivak’s thought, it is inevitable to adhere to essentialism to a certain extent when engaging in post-Western theories, although we must be vigilant. In other words, the Chinese School as a “strategy” is not permanent but is specific to the situation of non-Western voices needing to be heard on the global stage, noting that the main challenge in the IR discipline today is to address the legacy of “Western hegemony.”

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To conclude, the rise of the Chinese School has stimulated discussions, ignited debates, and sparked inspiration among IR scholars. It has challenged Western hegemony within international relations as well as the study of it. As pointed out at the inception of this article, the field of IR theory has been highly Eurocentric to date and international relations are dominated by the Western hegemony. Hence, there is no need to discard Chinese School perspectives altogether. Rather, we need to use the Chinese School strategically and critically, rather than treating them as purely objective standpoints that produce truths. IR knowledge of all sorts needs to be produced with a reflective spirit.

References:

Acharya, A., & Buzan, B. (2010). Non-Western international relations theory : Perspectives on and beyond Asia. London ; New York: Routledge.

Acharya, Amitav & Buzan, Barry. (2019). The Making of Global International Relations. Cambridge: Cambridge University Press.

Bhabha, Homi (1994). The location of culture. London [etc.]: Routledge.

Callahan, William A. (2008). Chinese Visions of World Order: Post-Hegemonic or a New Hegemony? International Studies Review, 10(4), 749-761.

Carr, Edward H. (1939/2016). The twenty years’ crisis, 1919-1939 : An introduction to the study of international relations. London: Macmillan. 

Chen, Ching-Chang. (2011). The absence of non-western IR theory in Asia reconsidered. International Relations of the Asia-Pacific, 11(1), 1-23.

Fukuyama, F. (1992). The end of history and the last man. New York, NY [etc.]: Free Press [etc.].

Hoffmann, S., An American social science: International relations. Daedalus, 106 (1977), pp. 41-60.

Kim, Hun Joon. (2016). Will IR Theory with Chinese Characteristics be a Powerful Alternative? The Chinese Journal of International Politics, 9(1), 59-79.

Munich Security Report (2017). Post truth, post West, post order? Munich Security Report 2017.  https://issat.dcaf.ch/Learn/Resource-Library/Policy-and-R...

Noesselt, Nele. (2015). Revisiting the Debate on Constructing a Theory of International Relations with Chinese Characteristics. The China Quarterly (London), 222(222), 430-448.

Qin, Yaqing. (2006). The possibility and necessity of a Chinese School of international relations theory (in Chinese), World Economics and Politics, 2006:3, pp.7-13.

Qin, Yaqing. (2016) A relational theory of world politics’, International Studies Review, 18:1, pp.33–47.

Qin, Yaqing. (2018). A Relational Theory of World Politics. Cambridge University Press.

Shani, Giorgio. (2008). Toward a Post-Western IR: The “Umma,” “Khalsa Panth,” and Critical International Relations Theory. International Studies Review, 10(4), 722-734.

Tickner, Arlene B. (2013) ‘Core, Periphery and (Neo)imperialist International Relations’, European Journal of International Relations, 19:3, pp. 627-646.

Turton, Helen Louise, & Freire, Lucas G. (2016). Peripheral possibilities: Revealing originality and encouraging dialogue through a reconsideration of ‘marginal’ IR scholarship. Journal of International Relations and Development, 19(4), 534-557.

Spivak, G., & Harasym, S. (1990). The post-colonial critic : Interviews, strategies, dialogues. New York, NY [etc.]: Routledge.

Worlding Beyond the West: https://www.routledge.com/Worlding-Beyond-the-West/book-s....

Yan, Xuetong, Bell, Daniel A, Zhe, Sun, & Ryden, Edmund. (2013). Ancient Chinese thought, modern Chinese power (The Princeton-China Series). Princeton: Princeton University Press.

Yan Xuetong. (2019). Leadership and the Rise of Great Powers (Vol. 1, The Princeton-China Series). Princeton: Princeton University Press.

Zhao, Tingyang. (2006). Rethinking Empire from a Chinese Concept ‘All-under-Heaven’ (Tian-xia, ). Social Identities, 12(1), 29-41.

Zhao, T., & Tao, L. (2019). Redefining a philosophy for world governance (Palgrave pivot).

jeudi, 22 avril 2021

Les stratégies de mobilisation politique à l’ère de la post-persuasion et ce que cela signifie pour la géopolitique

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Les stratégies de mobilisation politique à l’ère de la post-persuasion et ce que cela signifie pour la géopolitique

Par Alastair Crooke

Source: Strategic Culture

En début d’année 2020, Steve Bannon affirmait que l’ère de l’information nous rendait moins curieux et moins disposés à considérer des visions du monde différentes des nôtres. Le contenu numérique nous est intentionnellement servi, de manière algorithmique, de sorte qu’avec la cascade de contenus similaires qui s’ensuit, nous « creusons » un sujet plutôt que de « nous ouvrir » à d’autres. Quiconque le souhaite peut, bien sûr, trouver des points de vue alternatifs en ligne, mais très peu le font.

En raison de cette caractéristique, la notion de politique par l’argumentation ou le consensus a presque entièrement disparue. Car quel que soit notre point de vue politique ou culturel, il y a toujours quelqu’un qui crée un contenu adapté à nos besoins, faisant de nous des consommateurs auto-stratifiés.

L’attrait magnétique d’un contenu similaire à notre pensée représente le « truc » psychique qui a rendu milliardaires les oligarques de la technologie. Pour Bannon, cependant, la signification était différente : oui, il devenait évident que la persuasion et l’argumentation n’étaient plus significatives pour faire pencher le choix de l’électeur marginal. Mais ce qui pouvait changer les choses (telle était la principale idée de Bannon), ce n’était pas de lire les métadonnées pour en dégager les tendances (comme le font les publicitaires), mais plutôt d’inverser l’ensemble du processus : c’est-à-dire de lire les données stratifiées pour élaborer des messages spécialement conçus, adaptés à la pensée du lecteur, qui déclencheraient une réponse psychique inconsciente (c’est-à-dire une « influence »), réponse qui pourrait potentiellement le conduire vers une orientation politique particulière.

Cela signifie, selon Bannon, que la campagne de Trump, et la politique en général, doit désormais être centrée sur une politique de mobilisation [émotionnelle, NdT], plutôt que sur la persuasion [intellectuelle, NdT].

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Bannon n’a jamais prétendu qu’il s’agissait là d’une idée nouvelle (il en attribue l’idée initiale aux Démocrates, en 2008), mais sa contribution réside dans la notion d’ingénierie inverse du modèle Big Tech à des fins politiques. L’importance particulière de cette idée réside toutefois dans un développement concomitant qui se matérialisait alors.

L’ouvrage prémonitoire de Christopher Lasch, La Révolte des Élites (1994), était en train de devenir réalité. Lasch avait prédit une révolution sociale qui serait poussée par la radicalité des enfants de la bourgeoisie. Leurs revendications seraient centrées sur des idéaux utopiques – diversité et justice raciale. L’une des principales idées de Lasch était que les futurs jeunes marxisants américains substitueraient une guerre des cultures à la guerre des classes. Cette guerre culturelle deviendra le « Big Divide » [Le Grand fossé, NdT].

Et pour Bannon (comme pour Trump), « Une guerre culturelle est une guerre », comme il l’a dit au Times. « Et la guerre fait des victimes ».

La politique de mobilisation était là pour rester ; et maintenant elle est « partout ». Le problème maintenant est que cette mécanique de politique de mobilisation est projetée à l’étranger, avec la (soi-disant) « politique étrangère » américaine.

Tout comme dans l’arène domestique, où la notion de politique par persuasion se perd, la notion de politique étrangère gérée par l’argumentation, ou la diplomatie, se perd également.

La politique étrangère devient alors moins une question de géostratégie, mais plutôt que ses « importants sujets » tels que la Chine, la Russie ou l’Iran, soient dépeints avec une « charge émotionnelle » faite pour mobiliser les « troupes » de la guerre culturelle intérieure afin d’influencer les psychismes américains (et ceux de leurs alliés) et les pousser à être mobilisés derrière un sujet (tel que plus de protectionnisme pour les entreprises), ou alternativement, donner une image sombre pour délégitimer une opposition ; ou pour justifier des échecs. Il s’agit d’un jeu très risqué, car cela oblige les États visés à adopter une position de résistance, qu’ils le souhaitent ou non.

Le fait de pousser la population à percevoir ces États étrangers de cette manière déformée oblige ces États à réagir. Et cela ne s’applique pas seulement aux rivaux de l’Amérique, mais aussi à l’Europe.

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Peter Pomerantsev, dans son livre intitulé « This is not Propaganda », donne un exemple de la manière dont une « charge émotionnelle » (dans ce cas, l’anxiété) peut être créée. En tant que chercheur à la London Shool of Economy, il a créé une série de groupes Facebook pour les Philippins afin de discuter des événements dans leurs communautés. Lorsque les groupes ont atteint une taille suffisante (environ 100 000 membres), il a commencé à publier des histoires de crimes locaux et a demandé à ses stagiaires de laisser des commentaires liant faussement ces crimes macabres aux cartels de la drogue.

Les pages Facebook se sont soudainement remplis de commentaires effrayés. Les rumeurs ont tourbillonné, les théories du complot se sont métastasées. Pour beaucoup, tous les crimes sont devenus des crimes liés à la drogue. (À l’insu de leurs membres, les groupes Facebook ont été conçus pour donner un coup de pouce à Rodrigo Duterte, alors candidat à la présidence, qui s’était engagé à réprimer brutalement les trafiquants de drogue).

La psychologie comportementale et la « psychologie de l’influence » prolifèrent dans la politique d’aujourd’hui. Des experts britanniques en psychologie comportementale auraient indiqué au Premier ministre, Boris Johnson, que ses politiques en matière de coronavirus risquaient d’échouer parce que les Britanniques n’avaient « pas assez peur » du Covid. La solution était évidente. En effet, une grande partie des stratégies occidentales d’anxiété face aux pandémies et aux confinements peuvent être considérées comme des « stratégies d’influence » comportementales en vue d’une réorganisation planifiée et à grande échelle, en utilisant le virus.

L’élément central de cette technique est l’utilisation du micro-ciblage : Le processus consistant à découper l’électorat en niches stratifiées et à utiliser des « stratégies psychologiques secrètes » pour manipuler le comportement du public a été lancé en grande partie par Cambridge Analytica. L’entreprise a débuté comme un sous-traitant militaire non partisan qui montait des opérations psychologiques sur internet pour contrecarrer les efforts de recrutement des djihadistes. Mais comme l’écrit MacKay Coppins, elle s’est ensuite métamorphosée :

Cela a commencé quand le milliardaire conservateur Robert Mercer est devenu 
un investisseur majeur et a installé Steve Bannon comme son représentant.
Grâce à l'énorme quantité de données qu'elle a recueillies auprès de
Facebook [...], Cambridge Analytica s'est efforcée d'établir des profils
psychographiques détaillés pour chaque électeur aux États-Unis et
a commencé à expérimenter des moyens d’influencer psychologiquement
les électeurs dans une direction ou une autre. Dans le cadre d'un exercice,
la société a demandé à des hommes blancs s'ils approuveraient le fait que
leur fille épouse un immigrant mexicain : Ceux qui ont répondu "oui" se
sont vus poser une question complémentaire destinée à provoquer leur
irritation face aux contraintes du politiquement correct : "Avez-vous eu
le sentiment que vous étiez obligés de répondre ça ?"
. Christopher Wylie, qui était le directeur de recherche de Cambridge Analytica,
a déclaré qu'"avec le bon type d’influence", les personnes qui présentaient
certaines caractéristiques psychologiques pouvaient être poussées vers
des croyances toujours plus extrêmes et des pensées conspiratrices.
"Plutôt que d'utiliser les données pour interférer avec le processus de
radicalisation, Steve Bannon a été capable d'inverser cela"
, a déclaré
Wylie. "Nous étions essentiellement en train de semer une insurrection
aux États-Unis"
.

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Bannon et Andrew Breitbart avaient auparavant été impressionnés par la véritable puissance populiste dont ils avaient été témoins au sein du Tea Party. Ce dernier avait émergé en réponse à la crise financière de 2008, les membres du Tea Party voyant les Américains ordinaires devoir payer pour nettoyer le gâchis financier, tandis que ceux qui en étaient la cause s’en sortaient, encore plus enrichis : « [Le Tea Party] était quelque chose de totalement différent. Ce n’était pas… ce n’était pas le parti républicain standard. C’était tout nouveau. Vous avez eu la – vous avez eu la – vous avez eu l’énorme révolte du Tea Party en 2010, dans laquelle nous avons gagné 62 sièges. Le parti républicain ne l’a pas vu venir », expliquait Bannon.

« L’incapacité du parti républicain à se connecter aux électeurs de la classe ouvrière était la principale raison pour laquelle ils ne gagnaient pas. » Et c’est ce que Bannon a dit à Trump : « On sort le « commerce » de sa position numéro 100, d’accord ? Ce n’est pas [encore] un problème. Tout le parti républicain a ce fétichisme du libre-échange – ils réagissent comme des automates, « Oh, libre-échange, libre-échange, libre-échange » – ce qui est une idée radicale, surtout quand vous êtes contre un adversaire mercantile comme la Chine. »

« Nous allons donc faire passer le commerce de la position numéro 100 à la position numéro 2, et nous allons faire passer l’immigration, qui est numéro 3, à la position numéro 1 [dans les priorités des Américains]. Et cela sera axé sur les travailleurs, n’est-ce pas ? Et nous allons recréer le parti républicain ».

J’en viens au deuxième point concernant l’utilisation de stratégies psychologiques qui opèrent en dessous du niveau de conscience : Dès le départ, ils avaient l’intention de faire exploser l’establishment républicain. Elles étaient destinées à être explosives et transgressives. Bannon l’illustre à partir d’un discours clé de la campagne de Trump : « Il commence [par] l’immigration et le commerce, dont personne ne parle jamais – mais ensuite, il commence à faire des choses exagérées, et je dis : « Regardez. Ils vont mordre fort. Et ils mordent fort ; il va faire exploser tout ça. »

« Je suis assis là, à regarder ce truc à la télé. Quand il commence à parler des violeurs mexicains et tout ça, je me dis : « Oh, mon Dieu. » J’ai dit, « C’est… » J’ai dit : « Il vient de les enterrer… Ils vont devenir fous. CNN va littéralement diffuser 24 heures sur 24. » A ce moment-là, il part en Iowa, je crois, cette nuit-là. Ils ne parlent que de ça. Il passe de numéro 7 à la première place, et ne regarde jamais en arrière ».

Dans les sondages du lendemain, Trump devenait le numéro un. Très transgressif, très agressif et polarisant. C’était son intention. Comme l’a dit Bannon : « A la guerre, il y a des victimes ».

Bien sûr, Bannon était bien conscient (il venait de Goldman Sachs) que ce sont les entreprises américaines qui avaient délocalisé vers l’Asie les emplois manufacturiers, dans les années 1980, à la recherche de marges bénéficiaires plus élevées (ce n’est donc pas la Chine qui en est responsable). Et ce sont les chambres de commerce américaines qui ont préconisé une augmentation de l’immigration afin de réduire les coûts de la main-d’œuvre aux États-Unis. Mais tout ce contexte était du matériel insuffisamment combustible pour gagner une guerre culturelle totale. C’était trop nuancé : Non, la Chine « veut submerger culturellement l’Amérique et dominer le monde. Elle a volé vos emplois » : Elle nous a filé le Covid. Soudainement, l’Amérique rouge a été « enflammée » par des bavardages anxieux. Elle l’est toujours.

Les Démocrates, inquiets de cette tendance, se sont tournés vers d’autres pays pour tirer des leçons sur la façon de contrer cette tendance à la mobilisation. L’Indonésie, par exemple, a sévi après qu’une vague de récits viraux a conduit à la défaite d’un candidat populaire au poste de gouverneur en 2016. Pour éviter qu’une perturbation similaire ne se reproduise, une coalition de journalistes de plus de deux douzaines de grands médias indonésiens a travaillé ensemble pour identifier et démystifier les « canulars » avant qu’ils ne gagnent du terrain en ligne.

Il s’agissait d’un modèle prometteur. Un modèle qui a été mis en évidence après l’article du Time Magazine du 3 novembre intitulé « The Secret History of the Shadow Campaign That Saved the 2020 Election » (L’histoire secrète de la campagne cachée qui a sauvé l’élection de 2020), qui souligne comment cette campagne secrète « a réussi à faire pression sur les entreprises de médias sociaux pour qu’elles adoptent une ligne plus dure contre la désinformation, et a utilisé des stratégies basées sur les données numériques pour lutter contre les diffamations virales ».

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Aujourd’hui, Biden déclare qu’il a l’intention de changer l’Amérique « pour toujours » grâce à son projet de triples lois sur les dépenses budgétaires. En fin de compte, l’intention de son administration est de « décoloniser » l’Amérique de la primauté des Blancs – et, inversant ainsi le paradigme du pouvoir, de le placer plutôt entre les mains de leurs victimes. Il s’agit de profonds changements structurels, politiques et économiques qui sont bien plus radicaux que ce que la plupart des gens ne le perçoivent. On peut le comparer au consensus national pour un changement transformationnel du type de celui que le peuple américain a encouragé par ses votes en 1932 et 1980.

Aujourd’hui, il n’y a pas les conditions sociales pour la transformation qui existait en 1932 ou en 1980. Réaliser l’agenda national est « capital » : Cela représenterait une « victoire » décisive dans la guerre culturelle américaine. L’agenda de politique étrangère du cercle Biden est secondaire ; son objectif premier est de faire croire à la « fermeté » ; de ne laisser aucune « faille » par laquelle le Parti républicain pourrait obtenir suffisamment de soutien, en 2022, pour modifier l’équilibre fragile du Congrès, en dépeignant Biden comme un faible qui évite la confrontation.

Les Démocrates ont toujours une peur névralgique de la surenchère du Parti républicain sur la « sécurité de l’Amérique ». Historiquement, une stratégie d’ennemis étrangers et d’anxiété publique accrue a toujours consolidé le soutien de l’opinion publique envers un leader.

La Russie, la Chine, l’Iran – ce ne sont que des « images » utilisées principalement pour leur potentiel à être chargées « d’une influence » émotionnelle dans cette guerre culturelle occidentale ; à laquelle ces États ne prennent pas part. Ils n’ont d’autres choix que de rester fermes et mettre en garde contre tout franchissement de certaines « lignes rouges ». C’est ce qu’ils font. Mais la politique de mobilisation transgressive sera-t-elle capable de comprendre que cette position n’est pas une contre-mobilisation de même nature, et que ces « lignes rouges » sont réelles et non pas des éléments d’un « jeu d’influence » ?

Alastair Crooke

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone