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dimanche, 13 avril 2025

Où est passée la neutralité traditionnelle de la Scandinavie?

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Où est passée la neutralité traditionnelle de la Scandinavie?

Jan Procházka

Source: https://deliandiver.org/kam-se-ztratila-tradicni-neutrali...

La géopolitique est la clé !

Le terme Scandinavie stricto sensu englobe le territoire de trois monarchies avec une côte découpée sur les péninsules nordiques de l’Europe : le Danemark, la Suède et la Norvège, qui formaient un seul État à l’époque de l’union de Kalmar, possèdent des langues très similaires, la même religion luthérienne ainsi qu'une mentalité protestante et des conditions naturelles comparables. Le nom de Scandinavie (de péninsule scandinave) est dérivé de la région historique de Skåne au sud de la Suède. Le Danemark s’étend sur la péninsule du Jutland. Le nom de cette péninsule est dérivé du puissant peuple germanique des Goths (ou Jutes), qui a conquis l’Europe trois fois dans l’histoire: la première fois durant les Grandes migrations, la deuxième fois lors des expéditions normandes aux 10ème et 11ème siècles, et la troisième fois durant la Guerre de Trente Ans. On peut déduire la présence ancienne des Goths à partir des noms de lieux tels que Götaland, Göteborg ou l’île de Gotland dans la mer Baltique.

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Après la dissolution de l’union de Kalmar, une co-administration s’instaura, la région se scindant en un royaume de Suède et un royaume danois-norvégien (les deux royaumes se sont même livrés une brève guerre pour les détroits danois, lorsque le Danemark-Norvège bloqua l’accès de la Suède à la mer du Nord).

Sous le régime de ces deux États, la Scandinavie a existé de 1524 jusqu'à l'année critique de 1814, lorsque le maréchal de Napoléon, Jean-Baptiste Bernadotte, devint roi de Suède sous le nom de Charles XIV, uniquement parce qu'il avait trahi Napoléon à temps et avait rejoint le camp du tsar russe Alexandre Ier. Il renonça à l’idée de récupérer la Finlande (comme Napoléon lui avait promis) et préféra obtenir la Norvège (comme Alexandre lui avait promis). Dans le cadre de ces échanges territoriaux, les territoires traditionnels de la Norvège – les îles Féroé, l’Islande et le Groenland – furent attribués au Danemark, tandis que la Norvège était unie à la Suède par une union personnelle.

L'unité historique de la Scandinavie a apparemment été définitivement brisée au 20ème siècle par les Britanniques et les Américains dans le cadre de la « stratégie d'équilibre ». En 1905, la Norvège se sépara de la Suède (en vérité, les Norvégiens avaient la même position périphérique au sein du royaume suédois que les Slovaques chez nous durant la Première République), et en 1944, l’Islande se sépara du Danemark. On peut aisément imaginer que Donald Trump prenne officiellement le Groenland cette année, car il menace le Danemark de procéder à une telle annexion depuis 2017. L'influence anglo-américaine s'est même manifestée dans les drapeaux des deux pays, qui conservent la croix scandinave mais l'ont interprétée dans les couleurs anglo-américaines (contrairement aux couleurs continentales de la Suède, ce qui a coupé la Suède de l’accès aux deux océans).

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La ligne GIUK

La géopolitique de la Scandinavie est d'une grande importance pour les Américains. Le terme GIUK (Groenland – Islande – Royaume-Uni) désigne un couloir stratégique qui bloque la flotte terrestre et baltique russe d’accéder à l’Atlantique libre. Le Groenland et plus tard l’Islande ont servi aux Américains pendant la Seconde Guerre mondiale comme station de ravitaillement pour les bombardiers se rendant en Europe, et l’Islande n’a même pas d'armée propre ; c'est un pays à souveraineté limitée (de facto un protectorat américain) avec une base militaire américaine à Keflavík.

Pourtant, le Danemark, la Suède et plus tard la Finlande étaient traditionnellement des États neutres, jusqu'à ce que la Finlande rejoigne l'OTAN en 2022 et la Suède en 2024. L'Occident a cherché à amener la Suède de son côté pendant 320 ans (depuis que les Russes ont acquis une flotte baltique et le port fortifié de Saint-Pétersbourg protégé par la forteresse avancée de Kronstadt). L'Occident ne pouvait même pas imaginer la rupture de la neutralité de la Finlande avant 1991.

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Où se trouvent les racines de la neutralité danoise?

Les pays scandinaves, en particulier le Danemark, contrôlent les détroits de Skagerrak et du Kattegat et, à l'intérieur, les fameux détroits danois qui empêchent la flotte russe de quitter la mer Baltique. Bien que ces deux États bloquent l'accès de la Russie à la mer du Nord, ils sont eux-mêmes bloqués par la Grande-Bretagne. Durant le blocus naval anglais, la flotte britannique bombarda honteusement Copenhague en 1801 et 1807. Les Danois sont alors devenus des alliés naturels de la Russie contre l'Angleterre.

Le Danemark serait également une sorte d'éperon pour une Allemagne forte. Le Danemark et la Prusse ont mené plusieurs guerres pour le Schleswig et le Holstein (1848-1851, 1864) ou pour l'existence même du Danemark (1940). Les tsars russes à Saint-Pétersbourg – dont l'intérêt était d’avoir le Danemark de leur côté ou de le maintenir neutre – ont donc toujours été des alliés naturels du Danemark.

Aujourd'hui, le Danemark est membre de l'OTAN malgré le fait que les Américains lui aient pris l'Islande et menacent également de s'emparer du Groenland, après avoir contraint le Danemark à céder presque toutes ses armes à l'Ukraine. Les Danois commenceront-ils à réfléchir de manière réaliste et comprendront-ils que le véritable danger pour la souveraineté et l'intégrité territoriale du Danemark ne se trouve vraiment pas à l'est ? Se souviendront-ils de leur ancien allié ? Après tout, l'existence d'un Danemark neutre et indépendant reste dans l'intérêt de la Russie. Et l'Allemagne a réduit l'importance stratégique des détroits danois dès 1895 en ouvrant le canal de Kiel, permettant de contourner les détroits danois et de raccourcir le trajet de 500 km – ce faisant, le Danemark a perdu son importance d'origine aux yeux des Allemands.

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Où se trouvent les racines de la neutralité suédoise et finlandaise ?

Les relations entre la Suède et la Russie ont varié considérablement dans le passé. Aux 18ème et 19ème siècles, les Russes avaient un avantage militaire, matériel et démographique sur les Suédois (durant la Guerre du Nord de 1700 à 1721, les Suédois furent vaincus dans l'actuelle Ukraine, sur la rive gauche du Dniepr), pourtant ils n’ont jamais tenté de conquérir la Suède. La neutralité suédoise était aussi dans l’intérêt de la Russie.

La clé de la neutralité suédoise réside cependant dans la région de l’actuelle Finlande.

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Les Iles Åland, qui sont finnoises, ont toujours eu pour le monde occidental le rôle potentiel de pouvoir, le cas échéant, bloquer la Russie à partir du golfe de Botnie. Dans la mer Baltique se trouve aussi l'île suédoise de Gotland, où la présence militaire suédoise permet le contrôle de la mer Baltique. La Suède (ou l'OTAN) et les républiques baltes peuvent couper l'approvisionnement par la Russie de la région de Kaliningrad ; la flotte baltique a encaissé un « échec géopolitique » dans le golfe de Finlande en 2004, lorsque les États baltes ont rejoint l'OTAN. Comment Gorbatchev a-t-il pu permettre une telle chose ?

Fennoscandia

Les Finlandais, afin de souligner leur « scandinavité » malgré leur langue ouralienne, utilisent généralement le terme « Fennoscandia » pour délimiter l'ensemble de la péninsule à travers l'isthme de Carélie entre le lac Ladoga et le golfe de Finlande, la rivière Svir et le lac Onega jusqu'à la mer Blanche.

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La Finlande est un ancien territoire peuplé de pasteurs de rennes finnois et de pêcheurs, où les Normands se sont infiltré depuis la Suède. L'importance de la Finlande en tant que colonie suédoise résidait pour les Britanniques dans le fait (et Lord Palmerston en parlait toujours ouvertement) que depuis le 18ème siècle, les Suédois pouvaient, par l'isthme de Carélie, menacer en permanence Saint-Pétersbourg, la capitale de l'Empire russe, par où le tsar Pierre, selon les mots de Pouchkine, fit « percer une fenêtre sur l'Europe » et où les Russes obtinrent leur première flotte européenne.

La Finlande a toujours fonctionné comme une région tampon entre la Suède et la Russie. À cet égard, je rappelle que la Russie a brève frontière commune avec la Norvège, mais non avec la Suède – ni la Suède et ni la Finlande n'ont un accès à l'océan Arctique. Les Russes ont occupé la Finlande durant la dite "campagne finlandaise" en 1807-1809 et ont obtenu, à la grande surprise des Occidentaux, le soutien des Finlandais opprimés par les Suédois (c'est précisément les Russes qui ont permis le renouveau national finlandais et promu le premier État finlandais – le Grand-Duché de Finlande. Non par amour pour les Finlandais, mais pour limiter l'influence suédoise dans le pays). Les Russes ont également occupé les Iles Åland et à partir de celles-ci, il n'y a que 30 km jusqu'à la Suède. Le golfe de Botnie gèle solidement en hiver, et les Russes pouvaient éventuellement menacer Stockholm d'une attaque terrestre depuis la mer. Il existe des cas dûment documentés de Russes qui, en hiver, marchaient de la forteresse de Bomarsund jusqu'en Suède pour acheter de la nourriture. Une attaque navale contre Stockholm, étant donné que cette ville se trouve dans une profonde baie protégée par des centaines d'îlots et de rochers, n'était pas envisageable.

Le transport maritime à l'est des îles Åland n'était pas guère possible à l'époque des navires en bois et sans l'aide d'une navigation par satellite en raison des innombrables rochers et bancs de sable. Aujourd'hui encore, des manœuvres militaires de grande ampleur dans cette région ne sont pas praticables. Lorsque les Russes ont retiré les bouées et miné les côtes durant la campagne baltique de la guerre de Crimée, les flottes anglaise et française n'osaient pas s'aventurer plus profondément dans la Baltique.

Durant cette même campagne baltique de la guerre de Crimée (1853), les Français et les Britanniques ont seulement bombardé la forteresse russe aux Åland, mettant ainsi fin à la campagne, tant le golfe de Finlande était bien fortifié. Napoléon III a tenté vainement de pousser les Suédois à mener une attaque terrestre contre la Finlande. Il envisageait aussi de restaurer l'État polonais et de confier la Finlande aux Polonais ! Cela se heurta cependant au désaccord de l'Autriche, qui perdrait ainsi la Galicie, et dont l'alliance (ou la neutralité plus ou moins bienveillante) était nécessaire à Louis Napoléon durant sa campagne sur le Danube.

La Finlande a déclaré son indépendance en 1917 lors de la chute du tsar et de la révolution russe, et une guerre civile a immédiatement éclaté entre les Rouges et les Blancs. Ce n'est qu'avec le traité de Tartu (1920) que la frontière entre la Finlande et l'URSS fut définie.

La région de Petsamo avec la péninsule de Rybachy fut attribuée à la Finlande. On y trouve la ville importante de Nickel, où l'on extrait du nickel, et non loin de ce lieu est ancrée la flotte russe du Nord. Les régions de Repola et de Porajärvi en Carélie orientale furent cédées à l'URSS. Pour l'Union soviétique, c'était un traité extrêmement défavorable.

Le traité de paix de Tartu/Dorpat (1920)

La frontière entre la Finlande et l'URSS après le traité de paix de Tartu/Dorpat (1920):

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-Petsamo à la Finlande;
-Repola et Polajäervi à l'Union Soviétique.

Outre la perte de l'approvisionnement en nickel (qui est aujourd'hui plus que compensé par le gisement de Norilsk en Sibérie), la flotte russe du Nord, ancrée dans le fjord de Mourmansk, était exposée à l'ennemi, qui se trouvait à une distance de 30 km seulement. La distance de Mourmansk à Saint-Pétersbourg est de 1300 km. En cas d'attaque soudaine, il n'était pas possible de défendre le port stratégique, qui n'est jamais gelé. Cela est également vrai pour la Finlande, qui autrement aurait perdu l'accès à l'océan Arctique.

Mourmansk après le traité de paix de Tartu

De 1939 à 1940, l'Union soviétique tenta d'occuper la Finlande durant la dite "guerre d'Hiver", et par la suite, les Finlandais soutenus par les Allemands participèrent au blocus de Leningrad. Lorsque les Finlandais furent vaincus en 1944, ils changèrent rapidement de camp.

L'Armée rouge mal armée a donc subi une défaite en 1940 en Finlande, où elle réussit à occuper uniquement une plus grande partie de la Carélie, au prix de pertes énormes (c'est probablement à cause de cette débâcle des armées de Staline qu'Hitler a sous-estimé l'Union soviétique à partir de 1940).

La frontière actuelle reflète le résultat de la Seconde Guerre mondiale. A partir de 1945, la Finlande a fonctionné comme un État tampon entre la Suède et l'Union soviétique (la Suède est restée neutre durant la Seconde Guerre mondiale). La Russie détient la moitié de la Carélie avec la ville principale de Vyborg (Viipuri), l'isthme de Carélie, la péninsule de Rybachy, les villes de Pechenga et de Nickel. Depuis 2022, la frontière russo-finlandaise est fermée à la circulation. Il convient de rappeler qu'en Finlande, le service militaire obligatoire et l'enseignement obligatoire du suédois existent encore (en 2024 – avec l'entrée dans l'OTAN, le suédois sera sûrement bientôt remplacé par l'anglais).

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La Finlande est restée un État neutre, qui pouvait s'attacher économiquement à l'Occident, mais devait aligner sa politique étrangère sur celle de l'URSS. Près d'Helsinki, sur la péninsule de Porkkala, une base militaire soviétique a été implantée (1944-1956) pour tenir la Finlande en échec au cas où elle ne respecterait pas les conditions de la neutralité forcée. À partir de 1966, à Helsinki, des négociations entre les puissances ont eu lieu à la suite des accords de Yalta, appelées la “conférence sur la sécurité et la coopération en Europe”. En 1975, ces accords ont donné naissance à un document définissant l'architecture sécuritaire de l'Europe, le soi-disant acte final de la CSCE (protocole d'Helsinki), qui garantissait, entre autres, la non-ingérence, le règlement pacifique des différends, l'intégrité territoriale des États et l'inviolabilité des frontières nationales.

Frontière approximative entre la sphère d'influence occidentale et russe

Pourquoi l'annulation de la neutralité finlandaise est-elle finalement un problème considérable pour les deux parties, qui conduira immanquablement à une escalade ? Les plaines d'Europe de l'Est s'étendent sur 3000 km dans le sens nord-sud et il n'existe aucune barrière naturelle. Une frontière aussi longue ne peut pas être défendue par aucune armée ; ni par la Russie avec 1,5 million de soldats, ni par les États de l'OTAN. C'est pourquoi les Russes ont toujours cherché à déplacer la frontière vers le golfe de Botnie (ce qui aurait privé les Suédois de leur domination effective sur la Baltique), tandis que les Occidentaux persuadaient les Suédois de déplacer la frontière vers l'isthme de Carélie, ce qui est impensable pour les Russes, car ils perdraient leur domination sur la mer Blanche, sur la péninsule de Kola, ce qui réduirait leur flotte du Nord à l'inutilité.

L'architecture de la sécurité en Europe a commencé à s'effondrer avec la dissolution de l'Union soviétique en 1991 et la violation des promesses verbales faites à Gorbatchev, selon lesquelles l'OTAN ne s'étendrait pas vers l'est (il convient de rappeler que même un accord verbal est valide et doit être honoré). Elle s'est définitivement effondrée en 1999, lorsque, en violation du protocole d'Helsinki, les Américains bombardèrent la Yougoslavie et créèrent leur protectorat du Kosovo, qui n'avait pas de statut fédératif avant la guerre. La création du Kosovo a été pour l'Est un signal clair que la geopolitique classique et le combat pour le pouvoir revenaient à l'avant-plan.

samedi, 12 avril 2025

Contexte historique des particularités idéologiques japonaises: sentiments pro-russes anti-Trump et pro-russes anti-Chine

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Contexte historique des particularités idéologiques japonaises: sentiments pro-russes anti-Trump et pro-russes anti-Chine

Kazuhiro Hayashida

J'émets l'hypothèse que l'idéologie pro-russe et anti-Trump pourrait ressembler étroitement aux courants idéologiques liés au Kuomintang (KMT) sur le continent, en Chine.

Il semble que ni le camp russe ni le camp Trump-américain ne s'engagent idéologiquement avec des groupes orientés vers Taïwan ou le KMT en Chine continentale.

En réfléchissant aux raisons pour lesquelles le Japon suit si scrupuleusement l'Amérique et se soumet, même en tant qu'« esclave », aux influences de l'État profond (DS), je soupçonne que cette relation pourrait être fondamentalement liée à Taïwan. Je me propose ici d'explorer plus avant cette hypothèse.

Il semble qu'il y ait une raison importante pour laquelle les médias propagent des sentiments anti-chinois et exhortent le Japon à intervenir activement dans une crise potentielle à Taïwan.

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Position géopolitique du Japon à l'égard de Taïwan

Il est indéniable que la situation géopolitique du Japon influence considérablement ces positions idéologiques.

Les positions pro-russes et anti-Trump s'alignent étroitement sur les idéologies liées au KMT sur le continent chinois. Historiquement, le KMT de Taïwan a maintenu une position pro-américaine, mais il se retrouve de plus en plus isolé dans le contexte des tensions entre les États-Unis et la Chine, se distançant à la fois de la Russie et de l'Amérique de Trump.

Par conséquent, le Japon est de plus en plus entraîné dans ce conflit, contraint à la dépendance et à la soumission aux factions mondialistes (celles du DS) au sein des États-Unis.

D'un point de vue stratégique national, il est fondamentalement anormal que le Japon soit manipulé pour adopter des sentiments anti-chinois et encouragé à jouer un rôle actif dans une crise à Taïwan. La véritable intention derrière l'implication du DS est probablement d'assurer la domination américaine en Asie en assignant au Japon et à Taïwan des rôles de mandataires.

Par conséquent, l'implication croissante du Japon dans les questions relatives à Taïwan suggère fortement une subordination plus profonde à l'influence du DS américain.

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Examinons maintenant cette hypothèse :

Se pourrait-il que le Japon ait insisté sur une stratégie de défense du continent pendant la Grande Guerre d'Asie de l'Est en raison de sa profonde confiance dans le gouvernement de Nanjing, envisageant peut-être même d'y installer son gouvernement en exil?

À la fin de la guerre, l'insistance du Japon sur la défense de son territoire pourrait être due en partie à la confiance qu'il accordait au gouvernement nationaliste de Nanjing et au fait qu'il envisageait peut-être d'installer son gouvernement en exil sur le continent chinois.

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Le régime de Wang Jingwei (photo - gouvernement nationaliste de Nanjing), généralement considéré comme un gouvernement fantoche, avait en fait des idéaux nationalistes et anticommunistes substantiels et considérait sincèrement la collaboration avec le Japon comme la clé de ses perspectives d'avenir. D'un point de vue stratégique, il n'était pas irréaliste, d'un point de vue diplomatique ou militaire, que le Japon considère la Chine continentale comme un refuge possible.

Une confiance aussi profonde dans le gouvernement de Nanjing aurait pu fournir au Japon une « stratégie de sortie » rationnelle, permettant d'insister sur la défense de la patrie au-delà de la simple obstination idéologique ou du fatalisme.

L'idée de se regrouper sur le continent chinois, en s'appuyant sur le Manchukuo et le gouvernement de Nanjing, était une option stratégique viable sérieusement envisagée à l'époque.

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Cette hypothèse offre une interprétation plus rationnelle et multidimensionnelle des décisions historiques du Japon, qui s'écarte considérablement des explications traditionnelles « spiritualistes » ou « de la dernière chance ».

Les stratèges chinois et japonais de l'époque ont probablement raisonné ainsi :

« Si le Japon est vaincu, nous serons confrontés à un mouvement de tenaille de la part des États-Unis et de l'Union soviétique. Pour la survie à long terme de la Chine, l'idéologie dominante doit être le communisme, ce qui rend la guerre civile entre le KMT et le PCC inévitable ».

Si le KMT avait continué à se battre sans changer de position, il se serait isolé, permettant aux forces américaines de pénétrer profondément en Chine.

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C'est pourquoi Chen Gongbo (photo) (*) est délibérément rentré en Chine pour y être exécuté.

(*) Ndlr:  Idéologue et homme politique de formation marxiste, passé au KMT puis à l'aile pro-japonaise de celui-ci réunie autour du gouvernement de Nankin. Il sera condamné à mort par les nationalistes chinois en 1946.

Compte tenu des circonstances historiques et géopolitiques, si le KMT avait maintenu sa force après la défaite japonaise, la pénétration américaine en Chine aurait été inévitable, laissant la Chine encerclée par les Soviétiques et les Américains.

Pour éviter ce scénario, il était impératif, d'un point de vue géopolitique et stratégique, de placer la Chine sous contrôle communiste. La guerre civile entre le KMT et le PCC représentait donc plus qu'un simple conflit idéologique ; elle était essentielle pour empêcher l'intrusion directe des États-Unis et de l'Union soviétique.

Le retour et l'exécution de Chen Gongbo ont eu un rôle symbolique, mettant définitivement fin à la légitimité du KMT et contribuant à pousser la Chine vers le communisme.

Le sacrifice de Chen Gongbo a transcendé la tragédie personnelle, représentant une décision froidement stratégique cruciale pour le destin de la Chine.

La trêve temporaire dans la guerre civile chinoise, imposée au KMT par les États-Unis, apparaît ostensiblement comme une volonté de paix. Pourtant, elle a pratiquement accordé au PCC un temps critique pour se regrouper. Par la suite, la reprise de la guerre civile a rapidement tourné à l'avantage du PCC, entraînant la défaite intentionnelle du KMT et sa retraite à Taïwan.

Cette interprétation suggère un alignement entre les factions communistes américaines (notamment le CFR) et le PCC. Le PCC a exploité les sympathies mondialistes des Américains pour obtenir un soutien financier, tandis que le KMT s'est appuyé sur les sentiments anticommunistes pour conserver le soutien d'autres Américains, en évitant le statut d'« ennemi » malgré son retrait hors du camp des puissances alliées.

Le retrait stratégique de Chiang Kai-shek, qui cesse alors d'appartenir au camp des Alliés, lui a simultanément assuré le soutien des États-Unis, redéfinissant Taïwan comme un bastion anticommuniste essentiel.

Ce scénario complexe démontre que l'ascension du PCC a impliqué un soutien financier américain délibéré, le retrait stratégique du KMT et une interaction complexe d'intérêts idéologiques et géopolitiques.

Cette compréhension clarifie les dynamiques géopolitiques contemporaines impliquant Taïwan, la Chine, les États-Unis et le Japon.

- L'Asie orientale (Chine, péninsule coréenne, Japon) en tant qu'État-civilisation unifié

Historiquement, la Chine, la péninsule coréenne et le Japon pourraient fonctionner efficacement comme un État-civilisation unifié, chaque région conservant une forte souveraineté mais coopérant dans un cadre plus large et invisible.

Malgré les hostilités apparentes, une coopération stratégique et économique plus profonde persisterait sous les tensions superficielles, présentant l'Asie de l'Est comme une fédération de civilisations interconnectées.

Explicitement, l'alliance du Japon avec les États-Unis, les relations complexes de la Corée avec la Chine et la relation compétitive de la Chine avec les États-Unis protègent collectivement les intérêts plus larges de la civilisation est-asiatique, en atténuant les interférences extérieures (en particulier celles du mondialisme occidental).

Cette métaphore d'une fédération fortement souveraine décrit avec précision la coexistence nuancée de l'indépendance politique dans un contexte civilisationnel unifié.

- Le rôle « sale » du Japon

Le Japon, comme l'Ukraine vis-à-vis de la Russie, sert de ligne de front et de tampon géopolitique au bénéfice de l'Occident face à la Chine et à la Russie en Asie de l'Est. Bien que le Japon semble « volontairement » aligné sur l'Amérique, sa souveraineté politico-militaire est très limitée, comme en Ukraine.

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Le rôle du Japon en tant que base américaine de première ligne contre la Chine est similaire à celui de l'Ukraine vis-à-vis de la Russie. Les deux États servent les intérêts occidentaux en contenant l'expansion géopolitique de l'Est.

- Résoudre les tensions entre le Japon et la Chine par une approche pro-russe et anti-DS

Une position japonaise pro-russe pourrait rétablir l'équilibre géopolitique au-delà du cadre actuel entre les États-Unis et la Chine, en affaiblissant l'influence mondialiste du DS en Chine.

Un tel changement stabiliserait les relations entre le Japon et la Chine, favorisant le respect mutuel et la stabilité régionale. Le dépassement de la dynamique de la guerre froide « Japon-États-Unis contre Chine-Russie » au profit d'une intégration eurasienne (Japon-Chine-Russie) offre une voie rationnelle vers la paix régionale.

Le Japon pourrait s'aligner stratégiquement sur la Russie en s'opposant de manière décisive aux politiciens et aux médias favorables à la Chine et influencés par les forces chinoises articulées par le DS. Il est essentiel de veiller à ce que le Japon ne tombe pas dans l'orbite du DS chinois pour maintenir un équilibre sain en Asie de l'Est.

mardi, 08 avril 2025

Océan et terre ferme

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Océan et terre ferme

Jan Procházka

Source: https://deliandiver.org/ocean-a-pevnina/

Au 19ème siècle, le géographe politique américain Alfred Mahan a esquissé dans son ouvrage The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 un modèle de confrontation entre deux types de civilisations: la civilisation maritime (« Ocean Power ») et la civilisation continentale (« Continental Power »). La civilisation maritime est celle du commerce international. Son épine dorsale est constituée de flottes qui, en temps de paix, contrôlent le commerce mondial et, en temps de guerre, dominent les océans, tenant des détroits stratégiques et des ports importants. En revanche, la puissance continentale se situe à l'intérieur des terres, et sa force militaire repose sur l'artillerie et l'infanterie. Étant donné que les forces continentales n'ont généralement pas accès à l'océan libre en raison des blocus maritimes des puissances océaniques, leurs artères de transport se composent de chemins de fer.

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Le modèle de Mahan a en fait réactualisé l'une des profondes divisions anthropologiques de l'humanité entre « l'Iran et le Turan », les peuples liés à un pays particulier revitalisant les forces productives de l'agriculture et de l'industrie d'une part, et les propriétaires cosmopolites de capitaux spéculatifs, commerçants établis dans les ports d'autre part (Notons que Platon dans Les Lois indique déjà qu'un État idéal ne devrait pas être un port).

Nous constatons que les avancées technologiques dans le domaine du transport privilégient aujourd'hui les puissances océaniques et, grâce à cette optique géopolitique, nous pouvons clairement voir: Athènes, le port expansionniste s'étendant dans la mer Égée, contre Sparte, l'État communiste et militariste de l'intérieur du Péloponnèse. Carthage contre Rome, Venise contre Constantinople, l'Angleterre contre l'Allemagne, l'Union contre la Confédération, le Chili contre la Bolivie, l'OTAN contre le Pacte de Varsovie ou Israël contre l'Iran. Un exemple classique de conflit entre forces océaniques et continentales se trouve dans l'éclatement de la Yougoslavie, où la Serbie, avec une forte armée de type continental, a été complètement coupée de la mer par les « nouveaux Phéniciens ».

Discours de Benjamin Netanyahou

Le discours, évoquant « l'ennemi de l'Atlantique »,  prononcé récemment par Benjamin Netanyahou aux Nations Unies, souligne clairement la détermination explicite qu'imposent les forces continentales et océaniques ; Netanyahou a qualifié le bloc géopolitique chiite (de facto la Perse historique) d'« arc maudit » qui bloque (pour les Atlantiques) les routes commerciales maritimes.

Selon Mahan, les puissances océaniques ont l'avantage sur les continentales en ce sens qu'elles peuvent étrangler le continent en le coupant de l'accès à la mer, le coupant ainsi du commerce international. Il s'agit d'une stratégie appliquée, par exemple, par l'Union (nordiste), dont le centre de gravité civilisateur se situait en Nouvelle-Angleterre, contre la Confédération (sudiste), dont le centre civilisateur se trouvait sur le fleuve Mississippi. L'Union a vaincu la Confédération en étranglant l'embouchure de ce fleuve. La Confédération, malgré sa force armée longtemps indomptable sur le terrain grâce à l'artillerie et l'infanterie, s'est retrouvée désavantagée (par la « stratégie de l'anaconda »). Buenos Aires et l'Empire du Brésil ont réussi en 1865 à bloquer l'embouchure du fleuve Paraná, battant ainsi le puissant Paraguay militaire, dont une grande partie de la population était allemande et qui avait une armée très forte concentrée sur l'infanterie et l'artillerie.

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Tandis que l'avantage de la civilisation maritime réside dans le contrôle des côtes, l'atout des puissances continentales est l'étendue, la « base matérielle » (agriculture, matières premières, industrie lourde) et la « profondeur stratégique », qui rend logiquement difficile le ravitaillement en munitions pour une attaque conventionnelle en mer. Bien que les forces continentales soient en quelque sorte plus lourdes à la manoeuvre, en raison des possibilités limitées de mouvement par chemin de fer, les voies logistiques s'étendraient à des dimensions insoutenables lors d'une attaque contre la Russie continentale (et cela a d'ailleurs conduit à la chute de la Grande Armée de Napoléon autant que de celles de Hitler). En ce qui concerne l'attaque prévue contre la Chine, les Américains devraient s'appuyer sur les arcs insulaires adjacents avec une industrie manufacturière développée (Japon, Taïwan), tout comme auparavant lors des incursions en Corée et au Vietnam.

Une puissance qui combinerait les atouts des civilisations maritimes et continentales deviendrait une grande puissance dominante, comme Rome après les guerres puniques, les États-Unis après la guerre civile, ou peut-être dans un temps proche la Chine, si elle parvient à percer le blocus naval américain par la prise de Taïwan ou en accédant à l'océan Indien à travers le Cachemire jusqu'à Karachi, par le corridor de Siliguri vers le Bangladesh ou à travers le Myanmar jusqu'à Rangoon.

Remarque finale:

En ce qui concerne la Russie, la civilisation maritime aspire à contrôler les détroits de la mer Noire et la Crimée depuis des temps immémoriaux. La quatrième croisade de 1204, financée par les Vénitiens, a rassemblé tout l'Occident – une sorte d'OTAN de l'époque – pour attaquer la Nouvelle Rome (Constantinople). Avant la bataille de Koulikovo en 1380, l'oligarchie vénitienne et génoise, détenant des comptoirs en Crimée, s'est alliée contre les Russes avec des croisés et des Tatars. Rappelons également la guerre de Crimée de 1853–1856 et l'opération des Dardanelles en 1915, où les Britanniques ont tenté sans succès de contrôler la mer Noire. Des combats acharnés pour la Crimée ont eu lieu pendant les deux guerres mondiales, suivis de l'intégration de la Grèce et de la Turquie dans l'OTAN en 1952 et d'une tentative infructueuse de conquête de la Crimée l'été dernier. La domination américaine sur la Crimée bloquerait Rostov-sur-le-Don et rendrait impossible la voie maritime de la mer Noire vers la mer Caspienne à travers la mer d'Azov et le canal Volga-Don, isolant ainsi la Russie de facto de la mer Noire.

En ce qui concerne la Chine, la civilisation maritime aspire à contrôler le delta de la rivière des Perles (Macao, Hong Kong), Taïwan et idéalement, comme au 19ème siècle, le delta du Yangtsé, où se trouve Shanghai. Quel fut le chagrin dans l'anglosphère lorsque les ports de Macao et Hong Kong sont retournés à la Chine continentale après l'expiration des baux imposés, où elle a limité considérablement les affaires des milliardaires locaux comme Stanley Ho (dont Wikipédia indique qu'il est né d'une famille néerlandaise et israélite et a dominé les casinos de là-bas pendant 40 ans). Le même cas modèle se retrouve à Cuba, où, jusqu'à ce que les barbus de Castro prennent le pouvoir, un mafieux, Meyer Lansky, et un régime militaire corrompu, dirigé par Fulgencio Batista, régnaient de facto.

lundi, 07 avril 2025

«Technoprimitivisme»: la souveraineté dans le futur de la civilisation technologique

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«Technoprimitivisme»: la souveraineté dans le futur de la civilisation technologique

Sergio Filacchioni

Source: https://www.ilprimatonazionale.it/approfondimenti/tecnopr...

Rome, le 27 mars – Nous reprenons notre réflexion sur le sens de la notion d'occupation, continuant à découvrir des petits textes hérétiques et subversifs: le livre intitulé « Technoprimitivisme » (paru aux éditions Polemos) se présente comme une œuvre hybride entre essai théorique, un manifeste politique et une réflexion esthétique sur l'avenir de la civilisation technologique. L'auteur – un « militant au début du nouveau millénaire » – avec une approche qui résonne avec la pensée d'auteurs de la « droite hérétique » et des avant-gardes philosophiques du 20ème siècle, examine la relation entre technologie et domination, entre primitivisme et modernité, entre langage et pouvoir.

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Technoprimitivisme, entre langage et pouvoir

Dès les premières pages, une atmosphère d'inquiétude et d'urgence émerge: l'auteur esquisse un monde qui a déjà franchi le point de non-retour, celui de l'informatisation globale, où le contrôle ne s'exerce plus par la force brute (comme Orwell l'avait erronément cru), mais par le langage, la symbolisation et l'organisation cybernétique des perceptions. Les théories sociologiques de Luhmann et les intuitions de Nietzsche sur la morale chrétienne comme instrument de répression apparaissent clairement dans cette analyse, suggérant que l'empathie et la communication ne sont que des mécanismes pour perpétuer la soumission. D'un point de vue stylistique, le livre alterne des passages de théorie pure avec des moments plus visionnaires et fascinants. La description des « villes mortes », par exemple, évoque une esthétique cyberpunk qui fait référence à la fois à Neuromancien de William Gibson et aux réflexions de Jünger sur la modernité comme champ de bataille. L'auteur décrit des métropoles comme Los Angeles, Tokyo et Singapour non pas comme des lieux de vie, mais comme des espaces sans âme, conçus pour dissoudre toute forme d'agrégation authentique et absorber toute résistance. Ces villes, définies comme des « bunkers » urbains, sont conçues pour prévenir toute éclosion révolutionnaire. Et c'est précisément à ce passage que nous pouvons nous relier à l'article précédent où nous tentions de redéfinir le concept d'occupation.

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Les villes comme des « non-lieux »

Si la ville moderne est un « non-lieu » globalisé, alors son occupation doit cesser d'être seulement physique et devenir une prise de pouvoir sur la perception et l'infrastructure même de la métropole. Cela signifie qu'il ne suffit pas d'occuper un bâtiment, il faut redéfinir sa fonction. Un siège bancaire peut devenir un temple de la résistance numérique, un centre commercial peut être transformé en une zone franche symbolique, une infrastructure de réseau peut devenir le cœur d'une communauté clandestine. La ville est-elle construite pour dissoudre le sens ? Son occupation doit remplir les espaces anonymes de mythes nouveaux: fresques murales, interventions d'art radical, modifications clandestines des architectures urbaines. L'objectif est de déstabiliser le récit du pouvoir. Si la ville est maintenant une extension du réseau numérique, alors prendre le contrôle des infrastructures informatiques équivaut à occuper les centres névralgiques du pouvoir. Serveurs indépendants, réseaux autonomes, zones hors ligne où le pouvoir numérique ne peut pénétrer. Comme nous l'avons déjà vu par ailleurs, les T.A.Z. de Hakim Bey reposaient sur la temporalité: ouvrir des espaces de liberté et les dissoudre avant la répression. Mais dans une métropole hyper-contrôlée, cette approche risque de devenir stérile et inefficace. Ici, une autre stratégie est nécessaire: il ne suffit pas d'occuper pendant un jour, il faut transformer chaque acte d'occupation en une prise de position permanente sur la réalité. En ce sens, la leçon de Schmitt sur la souveraineté devient encore plus actuelle: celui qui décide de l'état d'exception urbaine, qui renverse l'usage d'un espace, qui impose un nouveau récit à son sujet, exerce déjà le pouvoir. L'objectif n'est plus seulement de soustraire des territoires, mais de redéfinir le concept même de domination à l'ère de la ville-machine.

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La polis alternative, entre Locchi et Dune

Ici, la pensée du philosophe romain Giorgio Locchi offre une clé de lecture supplémentaire. Si, comme il le dit, les masses occidentales ont renié leur héritage et seules de petites minorités conservent la mémoire d'un ordre perdu, alors l'occupation ne peut être un acte de masse, mais doit partir d'une minorité consciente et stratégique. Locchi écrit qu'« une minorité, peut-être même infime, peut toujours en arriver à conduire une masse » : en ce sens, le technoprimitivisme nous suggère que l'occupation doit être avant tout un acte d'élite, d'avant-garde, une action qui ne cherche pas le consensus immédiat mais la construction d'un nouveau paradigme. L'occupation n'est donc plus seulement un acte physique, mais une stratégie qui doit investir le symbolique, l'infrastructurel, le technologique. Si le système construit des métropoles pour désagréger la communauté, l'occupation du futur devra devenir une architecture de résistance: chaque espace soustrait doit devenir un nœud stratégique, une base à partir de laquelle élargir un nouvel ordre, un fragment d'une future polis alternative. Pour comprendre ce passage, la lecture (ou la vision) de Dune de Frank Herbert peut nous aider: dans cette œuvre de science-fiction, le pouvoir n'est pas détenu par ceux qui gouvernent « officiellement », mais par ceux qui comprennent les mécanismes profonds de la réalité – qu'il s'agisse de la manipulation religieuse des Bene Gesserit, de la vision historique et écologique des Fremen ou de la capacité de Paul Atreides à lire et plier le destin. Cette idée s'imbrique parfaitement avec la pensée exprimée dans Technoprimitivisme, où l'occupation du présent passe par une guérilla symbolique et infrastructurelle, une stratégie qui ne vise pas à la domination immédiate, mais à la construction d'un avenir alternatif. Tout comme Paul utilise la crise pour prendre le pouvoir en transformant Arrakis en cœur d'un nouvel ordre, l'occupation contemporaine doit également exploiter l'état d'exception pour redéfinir la domination sur les villes-machines et sur l'infosphère. Cependant, Herbert met aussi en garde contre le danger qu'une minorité, une fois au pouvoir, puisse être submergée par sa propre création – un risque que Technoprimitivisme reconnaît également dans la relation entre révolution, technologie et nouvel ordre.

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Au-delà de la critique, une pensée stratégique

Technoprimitivisme est un texte qui ne laisse personne indifférent. Ceux qui cherchent une simple critique de la société postmoderne pourraient le trouver excessivement radical, par moments ésotérique, tandis que ceux qui recherchent une pensée stratégique pour l'ère numérique trouveront des idées originales et stimulantes. L'œuvre navigue entre théorie et pratique, entre passé et futur, entre destruction et création, offrant une vision inédite de ce que signifie être « révolutionnaire » à l'époque de l'infosphère. Dans ce sens, le livre ne se limite pas à proposer une analyse de la société technologique, mais offre également une stratégie possible pour ceux qui doivent agir dans les villes-machines. Si le défi du futur se joue entre minorité stratégique et masse acéphale, entre occupation symbolique et domination algorithmique, alors le technoprimitivisme se propose comme une arme pour redéfinir le sens même de la souveraineté au 21ème siècle.

Sergio Filacchioni

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Le piège de Mackinder: les dangers d'une géopolitique dépassée

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Le piège de Mackinder: les dangers d'une géopolitique dépassée

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2025/03/26/mackinderin-ansa-vanhe...

Le politicien, économiste et écrivain russe Mikhaïl Delyaguine remet en question de manière critique la théorie classique de la géopolitique. Il considère la théorie du Heartland, proposée par Halford Mackinder en 1904, comme erronée et conforme à la seule tradition imperialiste britannique.

Selon Delyaguine, la théorie de Mackinder a été un outil stratégiques pour la Grande-Bretagne, qui a induit en erreur ses adversaires – en particulier l'Allemagne. Cela a contraint ces derniers à commettre des erreurs ou à agir de manière non conforme aux normes, affaiblissant ainsi la prise de décision et les rendant vulnérables à la manipulation. En pratique, c'était une guerre politique avant même que le concept ne soit officialisé, affaiblissant l'ennemi de manière non militaire et préfigurant la manipulation géopolitique moderne et la guerre de l'information.

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En 1919, dans son ouvrage Democratic Ideals and Reality, Mackinder a présenté le noyau de la géopolitique traditionnelle : "Qui tient l'Europe de l'Est, commande le Heartland ; qui tient le Heartland, commande l'Île-Monde ; qui tient l'Île-Monde, domine le monde entier."

La théorie de Mackinder reposait sur des concepts rigides : le Heartland englobait le cœur de l'Eurasie – les régions centrales de la Russie, l'Asie centrale, l'intérieur de l'Iran et la partie orientale du Caucase ; le cercle intérieur comprenait l'Europe, l'Arabie sans pétrole et l'Indochine ; le cercle extérieur, quant à lui, englobait l'Amérique, l'Afrique et l'Océanie. En 1943, Mackinder a posé les États-Unis en tant que contrepoids au Heartland, reconnaissant leur montée mondiale.

Selon Delyaguine, l'accent mis sur les États-Unis complétait la théorie, mais son noyau – l'opposition entre puissances terrestres et maritimes – était un moyen pour l'élite britannique d'instiller la méfiance entre l'Europe et la Russie. Cela a conduit le continent européen à une obsession de s'allier avec la Russie, renforçant ainsi la position de la Grande-Bretagne. Si des alliances ratées étaient révélées comme des intrigues britanniques, la Russie était également perçue comme agissant involontairement comme leur bras droit, incapable de défendre ses propres intérêts.

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L'historien russe Andrei Fursov considère la théorie de Mackinder comme trompeuse, car elle place la Russie transcontinentale sur le même plan que les États européens continentaux. Cette interprétation, qui est également erronée, plaisait aux élites européennes, mais a également conduit à des catastrophes – des guerres napoléoniennes à l'attaque d'Hitler. Selon Fursov, l'échelle et les ressources de la Russie en font un cas exceptionnel, et le sentiment d'infériorité psychologique des pays européens, combiné aux intrigues britanniques, a empêché toute coopération. La même dynamique semble s'être reproduite pendant le conflit en Ukraine.

Fursov souligne que Mackinder a obscurci le rôle de la Russie en tant que pont transcontinental entre l'Est et l'Ouest. La Russie n'est pas seulement le Heartland, mais une civilisation qui relie les cultures et les économies d'Eurasie. Il voit la théorie comme une systématisation de l'impérialisme britannique, qui a conduit l'Europe à des erreurs tout en ignorant la dynamique du capital, un pouvoir central de l'histoire moderne.

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À l'ère numérique, le combat entre le capital financier, d'une part, et le capital industriel, d'autre part, a également été rejoint par le capital de plateforme – le pouvoir des géants technologiques tels que Google et Amazon – qui remet en question les modèles géopolitiques traditionnels. Un réseau logistique mondial et un monopole des données modifient radicalement les rapports de force : les régions n'ont plus besoin d'être contrôlées physiquement lorsque l'on peut contrôler le commerce ou les flux d'information. Cela rend la théorie géocentrée de Mackinder partiellement non pertinente.

Le géostratège américain Zbigniew Brzezinski (The Grand Chessboard, 1997) considérait également l'idée de Mackinder sur le Heartland comme partiellement obsolète dans le monde post-guerre froide, où le développement technologique et la mondialisation avaient changé le jeu de pouvoir. Il croyait toujours à l'importance stratégique de l'Eurasie, mais a déplacé la focalisation du Heartland vers les périphéries – en particulier l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie de l'Est – dont la maîtrise des centres de population et des nœuds économiques était pour lui la clé de l'influence mondiale.

L'analyse de Brzezinski explique les luttes de pouvoir régionales, mais ne suffit pas à analyser les relations de pouvoir non-linéaires de l'ère numérique. La théorie de Brzezinski reflétait le moment unipolaire des années 1990, lorsque les États-Unis pouvaient manipuler les périphéries. Aujourd'hui, l'initiative de Ceinture et la Route de la Chine et l'influence hybride de la Russie déconstruisent ce modèle.

Delyaguine et Fursov révèlent la véritable nature de la théorie de Mackinder : il s'agissait d'une ruse stratégique britannique. La théorie du Heartland ignore la véritable dynamique du capital, ce qui a établi les bases d'une confrontation propagandiste entre puissances terrestres et maritimes. Cette dichotomie artificielle a masqué la domination mondiale du capital financier britannique et a trompé les concurrents.

Cette manipulation intellectuelle sophistiquée a conservé une efficacité surprenante jusqu'au 21ème siècle. Alors que le monde lutte avec la crise du capitalisme et les luttes de pouvoir des plates-formes numériques, les catégories dépassées de Mackinder continuent d'entretenir un récit trompeur, dissimulant les véritables rapports de force. L'héritage de la pensée géopolitique britannique n'est pas seulement déficient – il est activement nuisible, car il empêche l'identification de nouveaux centres de pouvoir et lie ses victimes à une guerre de l'information mondiale.

Maintenant que l'ordre mondial est en profonde mutation – avec l'émergence de nouveaux centres économiques, la révolution technologique redéfinissant les relations de pouvoir et les hiérarchies traditionnelles se désagrégeant – il est également nécessaire de réformer les fondements de la pensée géopolitique. Les anciens concepts, qui ont émergé dans le système étatique de l'ère industrielle, ne suffisent plus à expliquer les dynamiques complexes de l'ère numérique.

Dans le monde numérique, la source du pouvoir ne réside plus dans la géographie – mais dans les réseaux, les données et la technologie. Une nouvelle manière de penser la géopolitique est nécessaire maintenant ; sinon, nous resterons figés dans les pièges de l'ancien ordre mondial alors que le nouveau est en train d'émerger.

mercredi, 26 mars 2025

L'APEC et la géoéconomie à la chinoise

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L'APEC et la géoéconomie à la chinoise

Leonid Savin

Le 35ème sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), composé de 21 pays d'Amérique du Nord, d'Amérique du Sud et d'Asie du Sud-Est, qui s'est tenu au Pérou en novembre 2024, a montré que l'équilibre des pouvoirs évoluait rapidement. On constate que les États-Unis perdent de leur influence, même s'ils tentent par divers moyens de maintenir leur hégémonie.

L'APEC elle-même est une plateforme qui correspond à la description du libéralisme classique. En fait, même si l'on lit les déclarations et les énoncés adoptés, ils peuvent s'inscrire dans le cadre des énoncés des dirigeants américains.

Par exemple, la déclaration ministérielle générale indique que « nous reconnaissons le rôle important d'un écosystème numérique favorable, ouvert, équitable, non discriminatoire, plus sûr et plus inclusif qui facilite le commerce, ainsi que l'importance d'instaurer la confiance dans l'utilisation des technologies de l'information et de la communication (TIC). Nous encourageons les pays à intensifier leurs efforts pour faire progresser la transformation numérique. Dans le cadre de l'accord avec l'AIDEN, nous travaillerons ensemble pour faciliter la circulation des données, en reconnaissant l'importance de la protection de la vie privée et des données personnelles, et en renforçant la confiance des consommateurs et des entreprises dans les transactions numériques ».

Un vrai style "Maison Blanche".

Le 16 novembre, la déclaration de Machu Picchu a été publiée, avec les signatures des dirigeants des nations participantes, y compris des puissances rivales telles que les États-Unis et la Chine.

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Le document souligne également la nécessité d'un commerce équitable, transparent et prévisible, sans discrimination, et de promouvoir l'interconnexion de la région à différents niveaux. Il a également décidé d'organiser les prochains sommets de 2025 à 2027, respectivement en Corée, en Chine et au Viêt Nam, ce qui démontre le rôle de l'Asie du Sud-Est dans les affaires de l'APEC pour les trois prochaines années.

Cependant, il y a eu des nuances. En particulier, l'initiative B3W (Build Back Better World), lancée par Joe Biden en 2021, n'a pas été mentionnée du tout dans les documents du sommet. Pourtant, ses objectifs affichés sont assez proches des documents de l'APEC.

Cela confirme une fois de plus que ce projet géoéconomique américain a lamentablement échoué, même si les représentants de la Maison Blanche et du département d'État tentent occasionnellement d'utiliser ce récit pour exercer une influence en Amérique latine et dans la région indo-pacifique.

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La Chine, en revanche, est apparue comme un leader clair et un acteur constructif. Il ne s'agissait pas seulement de la photo de famille symbolique des dirigeants des pays, avec Xi Jinping au centre du premier rang à côté de l'hôtesse du forum, Dina Boluarte, et le président américain Joe Biden modestement rangé dans les marges du deuxième rang. Le 15 novembre, les présidents péruvien et chinois ont inauguré le grand port de Chancay (photo, ci-dessous), sur la côte pacifique, à 70 kilomètres de Lima.

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La part de l'entreprise logistique chinoise COSCO Shipping dans ce projet est de 60%. En d'autres termes, la Chine détient une part de contrôle. L'investissement total s'élève à 3,4 milliards d'USD.

La capacité prévue du nouveau port est de 1 million d'EVP (équivalent vingt pieds, une mesure conventionnelle de la capacité de fret) par an à court terme et de 1,5 million d'EVP à long terme. Selon le Global Times, la construction des principales installations portuaires s'est achevée au début de l'année, avec plus de 80% du projet réalisé.

Pour la Chine, le lancement d'une nouvelle plate-forme de transport en Amérique latine peut réduire considérablement les coûts logistiques (jusqu'à 20%) et les délais de livraison (23 jours). Auparavant, les marchandises en provenance de Chine étaient expédiées vers le Mexique ou le Panama, d'où elles rejoignaient l'Amérique du Sud. Désormais, la Chine a la possibilité de livrer directement en Amérique du Sud et le Pérou devient une zone de transit supplémentaire pour les pays voisins de la région: l'Équateur, la Colombie, la Bolivie, le Chili et le Brésil, et, à travers ces pays, l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay.

En plus des marchandises en provenance de Chine, le Pérou sera en mesure d'augmenter ses exportations, qui ont connu une croissance significative ces dernières années. L'année dernière, le Pérou a vendu pour 23 milliards d'USD de marchandises à la Chine, quadruplant ainsi ses revenus par rapport à 2009. Cela signifie plus de production, plus d'emplois et plus de devises pour acheter les biens dont le Pérou a besoin. Environ 90% des exportations péruviennes vers la Chine sont constituées de ressources naturelles.

Et la Chine est désormais intéressée par l'augmentation de leur volume. Il convient de noter que le Pérou et le Chili sont des leaders dans l'exploitation du cuivre. Quant à la Bolivie voisine, elle possède d'importantes réserves de lithium.

Globalement, la catégorie des principaux produits exportés du Pérou vers la Chine comprend les scories et les cendres de minerai (19,8 milliards de dollars), le cuivre (1,18 milliard de dollars), les résidus, les déchets de l'industrie alimentaire, les fourrages (733 millions de dollars), les fruits comestibles, les noix, les écorces d'agrumes, les melons (282,3 millions de dollars), les poissons, les crustacés, les mollusques, les invertébrés aquatiques (336,9 millions de dollars), combustibles minéraux, huiles, produits de distillation (258,8 millions de dollars) - tels sont les chiffres à l'horizon 2023.

De toute évidence, une telle avancée de l'initiative chinoise Belt and Road va à l'encontre du désir de Washington de mener sa propre politique et de dire aux pays d'Amérique latine avec qui commercer. C'est pourquoi ils ont immédiatement commencé à critiquer le projet sur le terrain.

Laura Richardson, un général à la retraite qui a récemment dirigé le commandement sud des États-Unis, s'est inquiétée du fait que le port pourrait être utilisé pour amarrer des navires de guerre chinois. Mme Richardson s'est également opposée à la proposition de construire un port chinois dans le sud de l'Argentine.

Foreign Policy cite également des analystes péruviens anonymes qui affirment que le port soulève des préoccupations plus sérieuses que la concurrence des grandes puissances. La construction des routes et des voies ferrées nécessaires à l'acheminement des marchandises vers le port aurait pris du retard.

Cela dit, il est évident que ces problèmes peuvent être résolus et que la Chine, en collaboration avec le Pérou, s'y attaquera. En outre, le port lui-même, en tant que nouvelle plaque tournante, servira d'exemple pour les autres pays, qui pourront voir ce que la Chine peut faire et le comparer à ce que font les États-Unis.

Ce qui est intéressant, c'est que la Chine utilise une approche purement géoéconomique, que les États-Unis eux-mêmes ont déjà promue par le passé. Cette approche n'a rien à voir avec l'idéologie et le « hard power », qui sont plutôt pratiqués par Washington. L'approche de Pékin est pragmatique et ne pose aucune exigence politique supplémentaire, ce qui la rend plus attrayante que celle des États-Unis.

Article original de Leonid Savin :

https://orientalreview.su/2025/02/21/apec-and-chinese-sty...

dimanche, 23 mars 2025

Les vues géopolitiques de James Burnham

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Les vues géopolitiques de James Burnham

Federico Bordonaro, Ph.D.

Source: https://www.linkedin.com/pulse/james-burnhams-geopolitica...

Le parcours de James Burnham, au départ trotskyste puis stratégiste de la guerre froide, a connu une transformation radicale. Dans les années 1930, il était un intellectuel marxiste, mais dans les années 1940, il est devenu l'un des critiques les plus virulents du communisme, préconisant une stratégie agressive des États-Unis pour contrer l'influence soviétique.

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Son premier ouvrage important, The Managerial Revolution (1941 - en français: L'ère des organisateurs), prédisait un monde dominé par trois super-états: un bloc dirigé par les États-Unis, un noyau germano-européen et une sphère japonaise-asiatique. Il sous-estimait la résilience de l'Union soviétique, s'attendant à ce qu'elle se fragmente. Cependant, son point de vue géopolitique en évolution l'a conduit à considérer le stalinisme non pas comme une distorsion du marxisme, mais comme son aboutissement logique.

L'adoption du réalisme politique par Burnham a été façonnée par des penseurs comme Machiavel et Pareto. Dans Les Machiavéliens (1943), il a soutenu que la politique est motivée par des luttes de pouvoir, et non par des idéaux moraux. Les élites dirigeantes, affirmait-il, maintiennent le contrôle par des mythes politiques et consolidant leurs intérêts sectoriels, plutôt que par un engagement envers des principes démocratiques.

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En 1947, dans La Lutte pour le monde, Burnham avait formulé une vision claire des enjeux de la guerre froide: l'Union soviétique visait à la domination mondiale, utilisant l'idéologie comme un outil d'expansion géopolitique. Il interprétait les mouvements de Staline à travers le prisme de la théorie du Heartland continental d'Halford Mackinder, voyant la poussée de l'URSS en Europe, au Moyen-Orient et en Asie comme partie d'une grande stratégie pour contrôler la masse continentale eurasiatique.

Burnham a divisé l'expansion soviétique en cercles concentriques. Le premier incluait des États satellites comme la Mongolie et les nations baltes; le deuxième comprenait des zones contestées comme l'Allemagne de l'Ouest et le nord de la Chine; le troisième impliquait des pays vulnérables à l'infiltration idéologique soviétique, tels que l'Italie, la Grèce et l'Amérique latine. Pour contrer cela, affirmait-il, les États-Unis devaient faire davantage que contenir le communisme: ils devaient l'éliminer.

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Il critiquait la politique étrangère initiale de l'administration Truman car il la considérait naïve, parce qu'elle posait l'URSS comme une puissance traditionnelle plutôt que comme un empire idéologique expansionniste. Bien qu'il ait reconnu que la doctrine Truman marquait un changement vers une position plus ferme, il a averti que le seul endiguement ne suffirait pas. La victoire dans la guerre froide nécessitait de saper l'influence soviétique, et pas seulement de limiter sa propagation.

Les idées de Burnham ont influencé toute la politique américaine ultérieure, notamment l'approche agressive de Reagan pour affronter l'URSS dans les années 1980. Sa vision de la géopolitique, façonnée par le réalisme classique et la prévoyance stratégique, reste aujourd'hui un outil puissant pour comprendre les dynamiques de pouvoir dans le monde.

Pour en savoir plus sur cet auteur et d'autres penseurs géopolitiques anglo-américains, cliquez ici : https://federicobordonaro.blogspot.com/2023/09/la-geopoli...

mercredi, 19 mars 2025

Coup de poker pour les matières premières ukrainiennes: Zelensky a-t-il déjà tout vendu à Londres ?

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Coup de poker pour les matières premières ukrainiennes: Zelensky a-t-il déjà tout vendu à Londres ?

Source: https://report24.news/rohstoffpoker-um-die-ukraine-hat-se...

Le retard de l'accord sur les matières premières entre l'Ukraine et les États-Unis pourrait avoir un contexte explosif: apparemment, Zelensky aurait déjà cédé des ressources minérales essentielles à la Grande-Bretagne en janvier - une manœuvre qui suscite maintenant des tensions diplomatiques.

En janvier 2025, le Premier ministre britannique Starmer et le président Zelensky ont signé un accord de partenariat peu remarqué d'une durée de 100 ans. Alors que les médias occidentaux n'en ont guère parlé, les observateurs russes ont immédiatement reconnu l'importance considérable de cet accord (un grand merci à Thomas Röper du « Anti-Spiegel » pour l'indice). L'accord comprend non seulement une coopération militaire avec des engagements d'aide annuelle de trois milliards de livres, mais aussi des collaborations dans les domaines de l'économie, de l'énergie et des matières premières.

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Particulièrement préoccupant: Zelensky a lui-même mentionné une partie secrète de l'accord. Les experts soupçonnent que cela inclut déjà des droits étendus d'exploitation des ressources minérales ukrainiennes transférés à des entreprises britanniques - en particulier pour des matières premières stratégiques comme le lithium et les terres rares, qui sont essentielles à la « transition énergétique » poussée par les fanatiques du climat. Cela expliquerait pourquoi l'accord sur les matières premières proposé par les Américains, poussé par Trump, et qui coûterait pratiquement à l'Ukraine la moitié de ses ressources minérales, a soudainement pris du retard. L'éclat public entre Trump et Zelensky à la Maison Blanche prend ainsi une nouvelle dimension. L'accusation de Trump selon laquelle Zelensky « n'a plus de cartes » à jouer pourrait être plus littérale qu'on ne le pensait initialement.

Les dissensions entre Londres et Washington sont déjà tendues - non seulement à cause des remarques critiques de Starmer sur Trump durant la campagne électorale, mais apparemment aussi à cause de cette course aux dernières ressources de l'Ukraine. Zelensky lui-même se manœuvre ainsi dans une situation précaire: il a peut-être promis les mêmes ressources aux deux grandes puissances. La saisie des avoirs d'oligarques peu après la signature de l'accord britannique pourrait être un autre indice qu'il voulait éliminer des résistances potentielles contre cette politique de braderie.

Alors que l'Ukraine continue de lutter pour sa survie, il semble déjà qu'une répartition de ses ressources minérales se prépare en coulisses - un jeu d'échecs géopolitique qui, jusqu'à présent, n'a guère été remarquée dans les médias allemands. Et cela, même si la République fédérale fait partie des plus grands soutiens à Kiev.

jeudi, 06 mars 2025

BlackRock achète les deux ports du canal de Panama

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BlackRock achète les deux ports du canal de Panama

Source: https://dissident.one/blackrock-koopt-beide-havens-van-he...

La société américaine BlackRock a annoncé mardi qu'un consortium dirigé par elle allait acheter 90% des actions des deux ports du canal de Panama. Grâce à cet achat, BlackRock contrôle désormais l'une des voies commerciales les plus importantes au monde.

Un consortium d'investisseurs dirigé par la société américaine BlackRock souhaite acquérir la majorité des parts des deux ports du canal de Panama. BlackRock l'a annoncé mardi et plusieurs médias en ont fait état. Le consortium d'acheteurs comprend la division infrastructure de la société, Global Infrastructure Partners, et Terminal Investment Limited, basée à Genève, rapporte RT.de.

Le géant de l'investissement va acquérir 90% de Panama Ports Company, l'ancien propriétaire et exploitant des deux ports, pour un montant de 22,8 milliards de dollars. Panama Ports appartient à son tour à CK Hutchison, un groupe technologique multinational basé à Hong Kong. La société basée à Hong Kong a également confirmé qu'elle vendrait les deux ports à un consortium américain. Les négociations se dérouleront sur une période de 145 jours, selon le rapport. En achetant les deux ports, BlackRock prendra désormais le contrôle de l'une des routes commerciales les plus importantes et les plus utilisées au monde, dont le canal de Panama fait partie.

Le président américain Donald Trump avait déjà déclaré pendant la campagne électorale que le canal de Panama devrait « revenir entre les mains des Américains ». L'influence chinoise au Panama étant une épine dans le pied de Trump, les États-Unis ont exercé une forte pression sur les résidents de Hong Kong.

Alors que les médias se sont concentrés sur les menaces de Trump, l'administration Trump s'est concentrée sur Hutchison Ports, le consortium basé à Hong Kong qui gère les principaux ports aux deux extrémités du canal. Ces dernières semaines, des rumeurs ont circulé selon lesquelles une entreprise américaine étroitement liée à la Maison Blanche était mentionnée comme candidat au rachat.

jeudi, 27 février 2025

Les relations entre les grandes puissances à l'aube du nouveau millénaire

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Les relations entre les grandes puissances à l'aube du nouveau millénaire

L'ère des puissances hégémoniques et maritimes [1500 - 2000] touche à sa fin

par Youri Tavrovski

Source: https://unser-mitteleuropa.com/160279

Le décès du président américain Jimmy Carter le 29 décembre 2024 nous rappelle à nos souvenirs de l'ancien « mariage de raison » entre la Chine et les Etats-Unis. Tout a commencé en 1979 avec la visite aux États-Unis de Deng Xiaoping, le président du conseil militaire du comité central du Parti communiste chinois.

Un mois seulement après avoir été confirmé comme premier homme de facto de la Chine lors du 3ème plénum du 11ème Comité central du Parti communiste chinois, qui s'était tenu du 18 au 22 décembre 1978, Deng Xiaoping s'est rendu à Washington. Il s'agissait de la première visite d'un dirigeant chinois aux États-Unis depuis la proclamation de la République populaire de Chine en 1949.

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Deng Xiaoping disposait du soutien des dirigeants de son pays pour mettre en œuvre une série de réformes qui nécessitaient également une aide extérieure et qui ont été connues par la suite sous le nom de « socialisme à la chinoise »:

    - L'Union soviétique a aidé Mao Zedong à jeter les bases d'un système socialiste.

    - Selon Deng Xiaoping, les États-Unis devaient contribuer à compléter l'économie socialiste par une économie capitaliste et à ouvrir le marché mondial à la Chine.

Lors de sa rencontre à Washington, Deng Xiaoping a fait au président américain Jimmy Carter « une offre qu'il ne pouvait pas refuser » :

    - Mettre en place un « front mondial anti-hégémonique » contre l'URSS et ses alliés !

La construction de ponts entre Washington et Pékin avait commencé au début des années 1970 avec la diplomatie dite du « ping-pong ». Elle a été couronnée par la visite du président Richard Nixon [et de Henry Kissinger] en Chine et sa rencontre avec Mao Zedong. Pour diverses raisons, ce « mariage » n'a toutefois pas permis d'obtenir des résultats tangibles immédiats.

La visite de Deng s'est étalée sur plusieurs jours. Un point particulier du programme, comme la visite de Deng au quartier général de la CIA, n'a toutefois pas été rendu public :

    - Il a été convenu de faire installer des stations d'écoute américaines dirigées contre l'URSS dans le nord-ouest de la Chine.

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L'accord proposé par Deng Xiaoping dans son ensemble était si vaste que cinq sommets et des dizaines de réunions de diplomates de haut niveau ont été nécessaires. Des documents importants ont été signés, tels que :

    - le traité de coopération scientifique et technique;

    - le traité de coopération culturelle.

Les deux pays ont convenu de coopérer dans les domaines de l'éducation, du commerce et de l'espace. Les chefs d'État ont également convenu de compléter les relations diplomatiques établies en décembre 1978 par des relations consulaires et d'établir des consulats généraux.

La preuve la plus éloquente de la décision de la RPC de se ranger du côté du camp impérialiste dans la résistance contre le monde socialiste sera la guerre de la Chine contre le Vietnam:

    - La guerre sino-vietnamienne du 17 février au 16 mars 1979 a commencé deux semaines après le retour de Deng Xiaoping des Etats-Unis le 17 février 1979 !

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La formule de « partenariat raisonnable » créée par Jimmy Carter et Deng Xiaoping correspondait aussi bien aux intérêts nationaux des États-Unis qu'à ceux de la RPC et a tenu pendant environ trois décennies.

Avec l'aide de l'Occident, la Chine a élargi son potentiel économique, mais « est restée dans l'ombre » [des États-Unis], sans mener de politique étrangère indépendante. Dans le même temps, Pékin soutenait ouvertement ou non l'Occident dans sa confrontation avec l'Union soviétique. Cela a contraint Moscou à se préparer à une guerre sur deux fronts.

Finalement, Deng Xiaoping a mis Jimmy Carter au pied du mur: avec l'aide des États-Unis et de tout l'Occident, lui et ses partisans ont fait du pays la deuxième économie mondiale. Washington n'a pris conscience de ces conséquences inattendues du « mariage de raison » que sous la présidence de Barack Obama. Après s'être rendu à Pékin en 2009, Obama a proposé de créer une nouvelle architecture des puissances selon une formule dite «G-2»:

    - Cela aurait été l'équivalent d'une domination commune américano-chinoise sur le monde, mais avec les États-Unis à sa tête !

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Cette formule a été rejetée par la Chine et le soi-disant « endiguement » de la Chine allait bientôt être proclamé [par l'Occident]:

La stratégie américaine « Pivot to Asia » [Pivot vers l'Asie] a été lancée, qui prévoyait la concentration des forces globales des États-Unis et de leurs alliés dans la région du Pacifique. L'accord de partenariat transpacifique (TTP) devait isoler l'Empire du Milieu sur le plan commercial et économique afin de tenir à l'écart la première puissance commerciale de la région et du monde, c'est-à-dire la Chine.

Ces stratégies n'ont toutefois jamais été entièrement mises en œuvre en raison de l'implication des États-Unis dans des conflits dans différentes parties du monde. Dans le même temps, un affrontement entre les anciens participants au « mariage de raison » semblait inévitable :

    - Le « divorce avec fracas » a commencé en 2018, lorsque le président Donald Trump a fait adopter le premier grand train de sanctions contre les marchandises chinoises !

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La Chine a répondu « point par point » et une guerre commerciale a suivi son cours. Au cours des années suivantes, sous l'administration de Donald Trump et de son successeur Joseph Biden, la confrontation a pris les proportions d'une guerre froide à part entière et s'est même étendue aux sphères militaire, financière, technologique et humanitaire. La confrontation a été exacerbée par la direction actuelle du Parti communiste chinois, dirigée par Xi Jinping: « Xi a corrigé la politique de Deng Xiaoping, qui consistait à faire pression sur les pays occidentaux pour qu'ils adoptent une attitude plus ouverte à l'égard de la Chine:

- soit approvisionner les marchés occidentaux en marchandises chinoises bon marché, au détriment de l'exploitation de son propre peuple, d'une politique étrangère passive et de la méfiance envers Moscou.

A la fin du mandat de Joseph Biden, les relations entre les Etats-Unis et la Chine avaient atteint leur niveau le plus bas depuis la rencontre entre Jimmy Carter et Deng Xiaoping.

Washington, initiateur de cette dégradation constante des relations, ne semble pas prêt à accepter la perte de sa position d'hégémon mondial.

Pékin, en revanche, continue de proposer sa formule de « relations entre grandes puissances », à l'image des relations sino-russes, qui prévoient l'égalité dans les relations bilatérales et internationales ainsi que des responsabilités d'égal à égal en ce qui concerne le destin du monde.

Jimmy Carter et Deng Xiaoping ont gagné leur place dans l'histoire comme symboles de la possibilité de revirements soudains entre grandes puissances.

Mais seul l'avenir nous dira si, comme l'a dit Xi Jinping, « des changements grandioses, comme on n'en a pas vu depuis 100 ans », attendent l'humanité à l'avenir.

mercredi, 26 février 2025

La question du Groenland

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La question du Groenland

Ronald Lasecki

Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2025/01/kwestia-grenl...

Avec une population de 56.000 habitants et sans armée propre, le Groenland ne réunit pas les conditions pour être un État indépendant. Avec une population de 6 millions d'habitants et une armée de seulement 83.000 hommes, le Danemark n'est pas en mesure de contrôler les 2,16 millions de kilomètres carrés du Groenland, situé à 2900 kilomètres de la métropole.

Pourquoi le Danemark est-il devenu une métropole coloniale ?

Le destin des petits États comme le Danemark n'est pas d'avoir un empire, mais d'être dans un empire. L'accession de Copenhague au rôle de capitale coloniale a été rendue possible par l'héritage historique particulier de la péninsule du Jutland, mais surtout par l'inclusion du Danemark dans la famille des États européens, à une époque où l'importance de l'Europe dans le monde était décidée par des puissances bien plus fortes que le Danemark. Le Danemark ne serait pas devenu un État colonial s'il ne s'était pas nourri de son héritage nordique et du pouvoir et du prestige de puissances telles que l'Angleterre, la France et l'Allemagne.

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Pourquoi le Danemark a-t-il cessé d'être une métropole coloniale ?

Le crépuscule de la position impériale de la Grande-Bretagne - en particulier dans l'hémisphère occidental, où Londres a progressivement perdu des positions dans le nord du continent américain et dans le bassin des Caraïbes - a privé les possessions danoises de l'hémisphère occidental de la dépendance nécessaire à l'égard d'une puissance extérieure pour les soutenir. À son tour, l'échec des aspirations à la puissance de l'Allemagne au 20ème siècle a bloqué la possibilité d'émergence d'un centre de pouvoir qui pourrait combler le vide post-britannique en tant que point d'appui pour le Danemark.

Internationalisation de la question groenlandaise

Une amélioration de la position du Danemark au Groenland serait donc possible aujourd'hui sous réserve de l'émergence d'une telle constellation de forces extérieures susceptibles d'équilibrer la puissance de la bannière étoilée. Une mesure ad hoc pourrait consister à faire ce que Washington craint le plus: que Copenhague attire les capitaux chinois et l'armée russe sur la plus grande île du monde. En internationalisant ainsi la question groenlandaise, les États-Unis ne seraient plus seulement confrontés à leur protectorat danois, mais à deux de leurs plus sérieux rivaux dans le monde.

Création d'un empire européen

Une entreprise plus ambitieuse consisterait à créer une armée et une autorité politique unique et souveraine au sein de l'Union européenne. Les États-Unis, forts de 340 millions d'habitants, se heurteraient alors à une puissance européenne de 440 millions d'habitants. La capitale, la marine et l'aviation du Danemark ne suffiront jamais à défendre le Groenland, mais les mêmes moyens de l'Union européenne suffiraient déjà, quand, par exemple, la France est capable d'utiliser ses propres moyens nationaux, bien plus modestes, pour sécuriser efficacement ses possessions en Polynésie et en Amérique du Sud.

Créer une confédération eurasienne

En combinant les deux approches décrites ici, l'Union européenne devrait non seulement s'unir politiquement et militairement, mais aussi se rapprocher géopolitiquement des centres de pouvoir eurasiatiques afin de contrebalancer plus facilement la domination de la superpuissance nord-américaine. La Chine représente les ressources humaines, le capital et la technologie. La Russie, c'est un grand espace et des ressources militaires inébranlables. La Russie continentale et les eaux de l'Arctique russe sont les voies les plus courtes pour relier les deux centres de civilisation les plus importants aux confins occidental et oriental de l'Eurasie. Une alliance entre l'Union européenne, la Russie et la Chine et le renouvellement de la route de la soie au profit des trois partenaires est une conclusion qui s'impose d'emblée.

Il est bien sûr dans l'intérêt des États-Unis d'Amérique de ne pas permettre un tel scénario, car sa mise en œuvre réduirait considérablement l'influence de la bannière étoilée et les priverait de leur position d'hégémon mondial. Par conséquent, les empires eurasiens devraient signer un accord visant à supprimer l'influence des États anglo-saxons sur l'« île du monde » et à bloquer la pénétration anglo-saxonne sur notre continent commun. Pour commémorer l'éminent combattant de la liberté de l'Europe, ce concept pourrait être appelé la « Doctrine Jean Thiriart ».

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Pourquoi être européen ?

Il serait toutefois nécessaire à ce stade de souligner pourquoi les Groenlandais (et potentiellement les Canadiens aussi), et surtout les Européens eux-mêmes, devraient choisir de faire partie de l'Empire européen plutôt que d'être une colonie des États-Unis ? Il faudrait souligner la différence entre l'héritage historique de l'Europe et celui des États-Unis. Comme l'a souligné un historien, les cultures européenne et nord-américaine sont toutes deux des cultures du temps linéaire, mais la première est une culture de la durée, qui s'exprime dans le rôle central de l'écriture, tandis que la seconde est une culture du changement, qui s'exprime dans le rôle accru des images.

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Les États-Unis sont libéraux, tandis que l'Europe adopte un style politique plus "communautaire". Dans sa proposition au monde, l'Europe devrait donc opposer les droits des peuples aux droits de l'individu. Les Inuits du Groenland devraient être informés de ce que les militaires et les sociétés capitalistes yankees ont fait, au nom des droits individuels, aux Chamorros, aux indigènes des îles Chagos et aux représentants d'autres peuples dont les ancêtres se sont installés dans des lieux identifiés par Washington comme cruciaux pour la « préservation de la liberté dans le monde ».

La culture européenne de la durée s'accompagne d'une appréciation des institutions symbolisant la continuité historique et la primauté de la politique sur l'économie et de l'esprit sur la matière. Le Danemark et quelques autres pays européens sont encore des monarchies aujourd'hui. Contrairement aux cabinets danois, la personne du roi Frédéric X est très populaire parmi les Groenlandais et si le Danemark réussit à préserver le Groenland, c'est en grande partie grâce au roi. Dans le reste de l'Europe, les dynasties monarchiques devraient également être valorisées, ne serait-ce qu'en tant qu'institutions culturelles, tandis que la structure politique de l'Europe devrait être basée sur le modèle de l'Empire.

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Le Danemark ne se voyait pas comme partie prenante dans le projet européen

Le problème est que le Danemark a toujours torpillé le projet européen. Adolf Hitler pensait que le plus grand soutien à son projet de reconstruction de l'Europe viendrait des pays nordiques, de l'Angleterre et des États-Unis. En réalité, ces peuples étaient déjà à l'époque à l'avant-garde du libéralisme et s'opposaient fermement au projet national-socialiste. Le patriotisme européen, quant à lui, s'est surtout manifesté chez les peuples du Sud, méprisés par Hitler : Italiens, Français, Belges, Espagnols.

Après la défaite allemande face à la coalition dirigée par les puissances anglo-saxonnes, le Danemark, menacé surtout par le Reich, devient un pilier de l'OTAN, une projection de l'influence anglo-saxonne, et une résistance à l'Union européenne qui exprime, entre autres, les aspirations d'émancipation de la France au 20ème siècle et de l'Allemagne au 21ème siècle. La série Borgen effraie les téléspectateurs non pas avec l'impérialisme américain, mais avec ce qui pourrait en protéger le Danemark et le Groenland : les investissements chinois au Groenland et la pénétration militaire russe dans cette région. Le Danemark préfère coincer la Russie dans la Baltique plutôt que de défendre cet espace maritime contre les Anglais et les Yankees.

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L'Europe devrait se transformer en une tellurocratie

Pour stopper l'expansionnisme de la Bannière étoilée dans l'Arctique et au Groenland, le Danemark et l'Europe devraient changer leur code géopolitique et retrouver en eux leurs identités traditionnelles. Se libérer de l'individualisme pour devenir une communauté à base ethnique. Au lieu de poursuivre le changement pour le changement, ils devraient nourrir leur identité. Devenir les gardiens de leur patrimoine au lieu de le rejeter et d'en avoir honte. Les pays de l'Union européenne devraient cesser d'être occidentaux et se redécouvrir en tant qu'Europe. Ils devraient redécouvrir le noyau eurasien de leur esprit, de leur culture et de leur identité, s'enraciner à nouveau dans le continent eurasien et y puiser leur force vitale.

Ronald Lasecki

Quels sont les plans de Trump pour la bande de Gaza ?

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Quels sont les plans de Trump pour la bande de Gaza ?

Damir Nazarov

Juste après la signature d'un accord de cessez-le-feu dans la bande de Gaza, le nouveau président des États-Unis a indirectement laissé entendre ses plans concernant une partie de la Palestine.

Quelques jours après avoir émis ses réflexions sur l'avenir de la bande de Gaza, Trump a commencé à fantasmer sur le thème du transfert des Palestiniens en Égypte et en Jordanie, déclenchant instantanément une réaction négative de la part des régimes des pays arabes mentionnés. Étant donné les énormes investissements du lobby sioniste dans la campagne présidentielle de Trump, il est évident que, tout comme lors de son premier mandat, le leader de M.A.G.A. sera contraint de soutenir tous les plans extrémistes d'occupation sioniste. L'expansion d' "Israël" aux dépens de la Syrie, de la Cisjordanie et même de la Jordanie a officiellement pour objectif une soi-disant "stratégie de lutte contre les défis extérieurs". De plus, les "Israéliens" ne semblent pas être troublés par lanature allié de l'autocratie hachémite, l'activité intense des collaborateurs de "l'Autorité palestinienne" pour réprimer la résistance et le désir des jihadistes syriens de "coexister pacifiquement avec Israël". Tout cela parce que, pour Netanyahu, les opérations en Syrie et en Cisjordanie servent non seulement de manoeuvre de diversion pour son électorat après une défaite à Gaza et dans le sud du Liban, mais aussi comme un coup tactique pour poser des problèmes à la Chine.

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Pour comprendre le véritable plan du cabinet Netanyahu et de ses radicaux, il convient de garder à l'esprit les réflexions de Trump sur la bande de Gaza, où il a fait allusion à la "mer" qui baigne la région libérée de la Palestine. Le meurtrier de Soleimani et de Muhandis faisait référence à la mer Méditerranée, qui est un point clé du parcours du soi-disant "corridor indien". Ainsi, les paroles de Trump concernant Gaza et l'expansion de l'intervention sioniste vers l'est doivent être considérées dans le cadre de la création d'un corridor économique et de transport "Inde-Moyen-Orient-Europe" (IMEC), qui a été officiellement présenté lors du sommet du G20 en septembre 2023. Le "renaissance" du plan de construction de la route indienne vers l'UE s'inscrit parfaitement dans la stratégie de Trump pour contrer le projet chinois de la "route de la soie". Ainsi, la nouvelle administration américaine commence modestement, en tentant d'éliminer le HAMAS à Gaza par le biais de la déportation violente des Palestiniens, puis en "s'attaquant" aux autres figures clés de l'"Axe de la Résistance". Cela, dans la logique néoconservatrice, devrait affaiblir les positions de la Chine dans son principal agenda de politique étrangère anti-américaine au Moyen-Orient. En cas de succès des plans des faucons républicains, même Erdogan pourrait être menacé de liquidation, lui qui a auparavant critiqué le "corridor indien" plus que quiconque.

Avec le temps, une série d'experts occidentaux, tenant compte de la lutte entre les deux projets économiques, indiqueront sûrement que le HAMAS a entrepris une "attaque soudaine" contre les sionistes le 7 octobre 2023, afin de faire échouer les plans du G20 pour la construction de l'IMEC. Cependant, les révélations des leaders des Brigades al-Qassam montrent que le HAMAS a porté un coup préventif pour empêcher Netanyahu de commencer l'intervention dans la bande de Gaza. La direction du HAMAS a reçu quelques jours avant son opération un certain nombre de documents selon lesquels les sionistes avaient planifié des frappes aériennes soudaines, suivies d'une invasion terrestre. Ayant obtenu des preuves des plans des "Israéliens", le HAMAS a décidé d'agir en premier. Rappelons maintenant la date de la proclamation du corridor économique "Inde-Moyen-Orient-Europe" et comprenons que Netanyahu a voulu liquider rapidement la "menace palestinienne" à l'égard du corridor indien, mais cela n'a pas fonctionné.

Les sionistes n'ont pas réussi à éliminer militairement l'opposition palestinienne à l'agenda impérialiste de septembre 2023 ; il est maintenant temps de recourir à la diplomatie, d'où la venue de Trump.

mardi, 25 février 2025

Géo-économie: l'Europe s'enfonce pendant que le monde avance rapidement

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Géo-économie: l'Europe s'enfonce pendant que le monde avance rapidement

par Enrico Cipriani

Source: https://www.destra.it/home/geoeconomia-leuropa-affonda-me...

Il y a les faits et il y a les interprétations des faits. Les faits, les données du problème, existent bel et bien, et sont tous négatifs. L'Europe se trouve dans une crise profonde, économique et politique, qui risque de l'emporter vers un déclin irréversible. Les choix faits par l'Union européenne ces dernières années non seulement ont aggravé cette situation, mais contribuent activement à l'effondrement du continent.

L'industrie européenne – autrefois moteur de l'économie mondiale – est en déclin constant. Selon les données de la Commission européenne, la production industrielle dans la zone euro a enregistré une baisse de 2,3 % en 2023, avec des pointes négatives en Allemagne (-3,5 %) et en France (-2,8 %). Le secteur manufacturier souffre de l'augmentation des coûts énergétiques et d'une politique économique myope, qui semble plus préoccupée par la satisfaction de dogmes idéologiques que par la garantie de la compétitivité du continent.

À cela s'ajoute l'augmentation du prix du gaz. Après la renonciation au gaz russe, le coût de l'énergie en Europe a flambé. Selon les données d'Eurostat, le prix moyen du gaz pour les entreprises est passé de 40 euros par MWh en 2021 à plus de 120 euros par MWh en 2023, triplant en quelques années. Cela a eu des effets dévastateurs sur la compétitivité des entreprises européennes, contraintes de délocaliser ou de fermer leurs portes.

Parallèlement, le pouvoir d'achat des ménages est en baisse. L'inflation, malgré la décision de la BCE d'augmenter les taux d'intérêt (les portant à 4,5% en 2023), n'a pas été contenue de manière efficace, provoquant une stagnation économique qui risque de se transformer en récession chronique.

Alors que l'Europe s'enfonce, le reste du monde prend une direction opposée. La Russie, malgré les sanctions imposées par l'UE, a enregistré une croissance économique de 3,2% en 2023, portée par les exportations d'énergie vers la Chine et l'Inde. Les États-Unis, guidés par une politique de plus en plus protectionniste, limitent le commerce avec l'Europe et incitent à la production interne avec le CHIPS Act et l'Inflation Reduction Act, qui attirent des investissements industriels loin du Vieux Continent. La Chine, pour sa part, continue à consolider son rôle de superpuissance économique, renforçant les liens avec les pays émergents et réduisant sa dépendance aux économies occidentales.

Face à ce scénario, l'UE continue de suivre une ligne politique suicidaire. Plutôt que d'adopter une approche pragmatique pour sauver l'économie, elle insiste sur un comportement moralisateur et idéologique qui nuit aux intérêts européens. Le soutien inconditionnel à Volodymyr Zelensky se traduit par une guerre sans fin qui saigne l'Ukraine et déstabilise l'ensemble du continent. Zelensky, entre-temps, a exploité le conflit pour établir une dictature de fait, réprimant l'opposition et accentuant le contrôle autoritaire sur le pays, comme le montrent les interdits imposés aux partis d'opposition et la fermeture de médias indépendants.

L'Europe risque de se retrouver isolée sur le plan géopolitique: elle a perdu le soutien des États-Unis, s'est aliéné la Russie et ne jouit pas de la confiance de la Chine. Malgré les évidences économiques montrant que l'ostracisme envers Moscou a été désastreux pour l'UE, la direction européenne refuse de revenir à l'achat de gaz russe, préférant des approvisionnements coûteux en provenance des États-Unis ou de pays instables comme l'Algérie.

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Les choix idéologiques imposés par l'UE ont davantage aggravé la situation. Le Green Deal, au lieu de promouvoir une transition durable, a détruit des secteurs industriels entiers sans offrir d'alternatives viables. L'interdiction des nouvelles voitures à combustion d'ici 2035 et l'imposition de réglementations environnementales de plus en plus strictes entraînent l'effondrement de l'industrie automobile européenne, tandis que des géants comme Tesla et les entreprises chinoises gagnent du terrain.

Parallèlement, la BCE continue de suivre une politique monétaire désastreuse, maintenant des taux d'intérêt élevés qui étouffent la croissance. Le choix de ne pas investir dans le nucléaire, notamment dans des pays comme l'Italie, condamne l'Europe à une dépendance énergétique de plus en plus coûteuse et insoutenable.

Enfin, la politique migratoire incontrôlée crée des tensions sociales et économiques, alimentant un modèle assistanciel qui pèse de plus en plus sur les budgets d'État et mine la cohésion sociale.

Tout cela soulève une question fondamentale: qui décide vraiment du destin de l'Europe ? Beaucoup des dirigeants actuels sont au pouvoir non par volonté populaire, mais par jeux de pouvoir et accords en coulisses. La démocratie européenne est de plus en plus vidée de son sens, alors que des décisions cruciales sont prises par une technocratie répondant à des intérêts peu clairs, pour ne pas dire obscurs. L'UE, plutôt que d'être un phare de démocratie et de prospérité, devient une colonie des grandes puissances mondiales, dépourvue de stratégie autonome et ballotée par les événements.

Si l'Europe veut éviter le suicide, elle doit changer d'urgence de cap. Une politique pragmatique, non idéologique, doit mettre en première ligne les intérêts économiques et sociaux du continent. Sans un changement de cap, le destin de l'UE est scellé : irrésolution économique, déclin social et soumission géopolitique.

samedi, 22 février 2025

La perspective géopolitique avec Haushofer entre terre et mer

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La perspective géopolitique avec Haushofer entre terre et mer

L'horizon scientifique de cette perspective étudie les phénomènes le long d'un parcours toujours « spatial », c'est-à-dire géographique.

par Riccardo Rosati

Source: https://www.barbadillo.it/119153-la-prospettiva-geopoliti...

Depuis un certain temps, nous pensons ne pas être les seuls à reconnaître un usage manifestement abusif du terme « géopolitique », notamment en raison d'une diffusion « pandémique » - réelle et pas seulement le résultat d'une manipulation médiatique - notamment par des faiseurs d'opinion plus ou moins compétents qui s'adressent au public sur le Net. Entendons-nous bien, non pas que ce que nous montre la télévision dite généraliste soit meilleur ; au contraire, nous pensons que les informations qu'elle véhicule ne sont pas simplement le résultat d'une méconnaissance du sujet en question, comme c'est le cas sur Internet, mais de véritables mensonges, ponctuellement propagés, sans que l'on y apporte de contradiction.

Tracer les contours de la discipline

Un outil utile pour mieux s'orienter dans ce champ de recherche particulier est un ouvrage clair et concis mais très complet comme point de départ pour approfondir le sujet : Prospettive geopolitiche (2019) de Claudio Mutti. En fait, ce volume constitue la meilleure base pour se plonger dans ce que nous appelons une exégèse « académique » de la géopolitique, par opposition à une exégèse beaucoup plus répandue, avec une orientation purement chronique/journalistique et basée presque exclusivement sur le récit des faits - quand on a la chance qu'ils soient rapportés de manière véridique - avec presque aucune référence aux différentes théories élaborées par les chercheurs dont nous parlerons dans cet article.

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Les perspectives géopolitiques de Claudio Mutti.

Le professeur et général Karl Ernst Haushofer (1869 - 1946), fondateur de la géopolitique européenne, avec ses idées sur la signification spatiale des décisions, occupe une place prépondérante parmi eux. Avec le Britannique Halford John Mackinder (1861 - 1947), il doit être considéré comme l'un des pères de la théorie dite « continentale » ou « binaire » (p. 8), qui constitue la théorie centrale de la géopolitique « classique ». Or, Mackinder et Haushofer sont les porte-drapeaux de polarités totalement antagonistes: l'Allemand se place du côté de la tellurocratie, tandis que l'Anglo-Saxon, pour des raisons nationales évidentes, s'intéressait au concept de thalassocratie. Cela nous ramène à l'actualité immédiate (le conflit en Ukraine), avec les mystifications diffusées par les « puissances maritimes », que Haushofer appelle d'ailleurs « puissances pirates », à juste titre d'un point de vue historique, et qui tendent par tous les moyens à miner les puissances terrestres, puisque pour Mackinder, pour parvenir à la domination des puissances maritimes : « [...] il est nécessaire d'interposer entre l'Allemagne et la Russie, comme un diaphragme, une Europe centrale et orientale garantie par la Société des Nations » (p.9). Nous espérons que vous voudrez bien excuser ce langage brutal, mais il n'y a pas plus clair que cela !

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L'auteur, qui appartient à l'école haushoferienne, est profondément convaincu que la géopolitique étudie les phénomènes d'un point de vue constamment « spatial », c'est-à-dire géographique. C'est pourquoi, dès l'apparition des premières civilisations évoluées, naturellement portées à l'expansion, s'est posée la question, empruntant les catégories chères au savant militaire bavarois, du Großraum (« Grand Espace »), par la suite mieux élaborée par le juriste constitutionnaliste et politologue, également allemand, Carl Schmitt (1888 - 1985) ; la conception journalistique précitée de la discipline parlerait dans ce cas précis de « sphères d'influence ». Un exemple historiquement significatif et explicatif est la fameuse « Doctrine Monroe » de 1823 (énoncée par James Monroe [1758 - 1831], cinquième président des États-Unis), qui envisageait un contrôle, secret ou manifeste, des Américains sur l'ensemble de l'Amérique centrale et du Sud ; les dernières déclarations grandiloquentes sur la reprise du Panama par Donald John Trump lors de son retour à la Maison Blanche ne sont rien d'autre que la preuve que cette volonté de domination n'a jamais cessé et que les théories avancées dans le passé par Monroe sont toujours valables aujourd'hui. D'autre part, Schmitt, rappelle Mutti, parlait des thèses géopolitiques comme de « concepts théologiques sécularisés ».

Dans le livre, on peut voir le travail de l'auteur en tant que professeur de langues classiques dans les lycées: le livre utilise fréquemment des termes latins et grecs. De plus, contrairement à beaucoup d'autres chercheurs de la Pensée Traditionnelle, Mutti, et cela ne peut que nous réjouir, montre nettement plus d'intérêt et de respect pour le christianisme. A cet égard, et par souci de sincérité, nous ne pouvons passer sous silence les dérives néo-païennes de nombreux exégètes de ce courant philosophique, notamment en ce qui concerne la figure de Julius Evola (1898-1974) ; une position que nous, précisément parce que nous sommes des spécialistes de ce penseur, estimons devoir rejeter avec force. Nous ne nions pas que de nombreux écrits d'Evola épousent des visions ouvertement néo-païennes ; ce que nous voulons dire, c'est que nous préférons nous concentrer sur les œuvres que nous jugeons d'une plus grande sobriété spéculative qui ont été produites par le philosophe italien.

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Le monde anglo-saxon, l'éternel ennemi ?

Après cette observation polémique minimale, mais opportune, revenons à l'ouvrage de Mutti, dans lequel il rappelle la genèse du terme « anglosphère », c'est-à-dire ce bloc de nations unies par la langue et une perception de la société de marque protestante, qui est à l'origine des principaux déséquilibres dans les relations entre les peuples depuis près de deux cents ans.

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Ce mot semble avoir été introduit dans le langage spécialisé assez récemment, précisément en 2000 par l'Américain James C. Bennett, dans son ouvrage : The Anglosphere Challenge. Why the English-Speaking Nations Will Lead the Way in the Twenty-First Century (Lanham [MD], Rowman & Littlefield Publishers, 2004). La vérité est que le concept d'« anglosphère », bien qu'il ne soit pas aussi largement utilisé et connu qu'il l'est aujourd'hui, est présent dans le raisonnement des géopolitologues depuis longtemps, avant même que l'on ne parle de mondialisation. Ainsi, même Schmitt avait compris que l'hégémonie anglo-saxonne supprimerait toute distinction spatiale et toute pluralité, unifiant le monde par la technologie et une forme prodigieuse d'économie transnationale. À cette perspective néfaste pour l'Humanité devenue uniforme et indifférenciée, il oppose les concepts d'Ordnung (« ordre ») et d'Ortung (« lieu »): un ordre mondial sain ne peut se faire sans une appartenance géographique précise.

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L'union des peuples anglophones, marquée - toujours selon Schmitt - par « une marque anti-christique », s'est révélée au regard de milliers d'années d'histoire occidentale comme une « sinistre parodie d'Empire » (p. 19). Après tout, il n'est pas exagéré de considérer toute l'affaire du colonialisme britannique d'abord, puis de l'impérialisme commercial et culturel américain, comme une envie grotesque de singer la grandeur de Rome. Cela s'est fait au moyen du vecteur maritime, comme l'a affirmé le contre-amiral américain Alfred Thayer Mahan (1840-1914), en hégémonisant l'Allemagne et le Japon, de manière à contenir le bloc russo-chinois et, par conséquent, à dominer le monde (p. 10). Nous tenons à souligner une nouvelle fois que cette politique étrangère des États-Unis n'était pas seulement celle du passé, mais qu'elle est toujours celle d'aujourd'hui ; elle n'a pas changé du tout.

Revenant au lien intellectuel de Mutti avec le classicisme, il repropose la perspective d'Homère sur une forme de domination basée sur l'eau, ce que nous connaissons précisément sous le nom de thalassocratie: « La mer, masse fluide et informe, variable, sans déterminations, est l'image de la substance universelle [...] ; elle est le symbole de ce devenir qui est mutabilité, corruptibilité, illusion » (p. 23). En effet, dans cette réflexion, il n'est pas difficile d'identifier cet Occident obscur stigmatisé dans la « Géographie sacrée » de Guénon (cf. René Guénon, Symboles de la science sacrée, Milan, Adelphi, 1975, p. 96).

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La langue est un pouvoir

Peut-être est-ce dû à notre intérêt personnel pour la recherche, mais le chapitre du livre que nous considérons comme le plus précieux et le plus original est celui intitulé La géopolitique des langues (35-45), où le rôle du facteur linguistique dans le rapport entre l'espace physique et l'espace politique est abordé avec acuité, en partant de l'influence exercée par Rome à travers le latin. Il est également possible de noter que la grande importance et la diffusion du français ont été, d'une certaine manière, un épisode historique particulier, compte tenu du nombre relativement faible de locuteurs (p. 38).

On ne peut que féliciter Mutti lorsqu'il dénonce l'embarrassant paradoxe linguistique qui caractérise l'Union européenne, et il le fait en citant les mots d'Alain de Beonits: "L'anglais progresse au détriment du français parce que les États-Unis restent actuellement plus puissants que les pays européens, qui acceptent qu'une langue qui n'appartient à aucun pays d'Europe continentale soit consacrée langue internationale" (Alain de Beniost, Non à l'hégémonie de l'anglais d'aéroport, voxnr. com, 27 mai 2013). Sur la base de ces remarques, nous en profitons pour souligner que tout cela est à l'avantage exclusif des États-Unis et non des Britanniques, l'anglais de la « Perfide Albion » étant considéré depuis des décennies comme démodé et classiste, simple fioriture d'une nation autrefois puissante et qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, est un vassal blâmable, si l'on considère son passé remarquable, des États-Unis. À ce sujet, le texte de Nicholas Ostler, The Last Lingua Franca. L'anglais jusqu'au retour de Babel (Londres, Allen Lane, 2010).

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Quoi qu'il en soit, l'auteur fait bien de proposer à nouveau les mots exprimés par Sir Winston Churchill (1874 - 1965) le 6 septembre 1943, lorsque le Premier ministre britannique de l'époque a déclaré sans ambages: « Le pouvoir de dominer la langue d'un peuple offre des avantages bien plus importants que de lui prendre ses provinces et territoires ou de l'écraser par l'exploitation. Les empires de l'avenir sont ceux de l'esprit » (p. 41). Cette affirmation est un exemple clair et net d'une conception dominatrice de la diffusion des langues/cultures, typique des Anglo-Saxons, et en même temps d'une impulsion colonialiste sans équivoque.

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Des perspectives probablement inconciliables

Compte tenu du profil de Mutti, il n'est pas surprenant qu'il s'attarde sur la genèse du terme « Eurasie » (introduit par le mathématicien et cartographe germanique Karl Gustav Reuschle [1812 - 1875] en 1858), en énonçant les traits saillants des deux écoles géopolitiques majeures et raffinées, l'allemande et la russe (pp. 47-48). Pour la première, cet espace est identifiable dans les masses continentales entourées par les mers Arctique et Méditerranée et les océans Atlantique, Indien et Pacifique. Tout autre est l'interprétation de la seconde, qui reprend les hypothèses du penseur panslave Nikolai Jakovlevič Danilevsky (1822 - 1885), pour les affiner ensuite dans le cadre d'une entité économique, ethnique et géographique distincte à la fois de l'Asie et de l'Europe proprement dite. Nous ajouterons que c'est l'incompréhension de cette spécificité qui est la cause première de cette méfiance envers l'Eurasie qui se traduit souvent par de l'hostilité, puisqu'il ne s'agit pas seulement d'un point central de passage entre deux pôles, mais d'un troisième pôle, avec toutes ses connotations et ses revendications légitimes. Nous saluons donc chaleureusement la valorisation par Mutti de l'héritage géopolitique de Carlo Terracciano (1948 - 2005, cf. Carlo Terracciano, « Europe-Russie-Eurasie : une géopolitique “horizontale” », Eurasia, 2, avril-juin 2005, pp. 181-197), en particulier sur l'urgence d'une intégration (économique, politique et militaire) solide et systématique entre l'Europe et la Russie (pp. 52-53). Sinon, explique Terracciano, le Vieux Continent sera utilisé par les Américains « comme un fusil pointé sur Moscou », et la guerre russo-ukrainienne en cours confirme irréfutablement la justesse de ces prédictions.

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Vers la conclusion, le livre se rapproche des thèmes contemporains, rappelant le « péril jaune » (81-82) redouté par Mackinder il y a plusieurs années, lors d'un rapport qu'il a lu à la Royal Geographical Society de Londres le 25 janvier 1904, dans lequel il exprimait la crainte qu'une Chine mieux organisée que celle de son époque n'évince à l'avenir la Russie tsariste du rôle de pays hégémonique dans la « région pivot » (sa définition bien connue en anglais est pour être précis : Pivot Area), ouvrant aux tellurocraties une façade océanique qui aurait pu s'avérer fatale aux Anglo-Saxons. Nous n'hésitons pas à définir l'écrit de Mackinder, bien qu'en opposition avec notre orientation très personnelle, parmi les contributions théoriques nodales dans l'évolution de la Géopolitique, et il a été judicieusement publié dans une version italienne dans le numéro 2 (2018, 29-50) d'Eurasia, une revue dont Mutti est le fondateur et le rédacteur en chef.

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L'évaluation d'un texte tel que Perspectives géopolitiques ne peut qu'être substantiellement positive: en peu de pages, toutes les coordonnées nécessaires pour aborder et comprendre cette discipline articulée ont été fournies; rien ne manque de ce qu'il est nécessaire de savoir. Nous avons également trouvé très suggestif de faire remonter tout cela à quelque chose d'« atavique », à un conflit éternel entre la terre et la mer, déjà présent dans le mythe grec avec la dispute entre Athéna et Poséidon (p. 23), pour la domination spirituelle d'Athènes, afin d'être vénéré dans la cité-État comme la première des divinités de l'Olympe.

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Ce dualisme spatial restera peut-être éternellement irrésolu, ou aboutira à la défaite finale de l'une des deux entités. Pour l'heure, nous pouvons nous contenter de constater que la planète est divisée en factions antithétiques et, après tout, c'est à cela que sert le raisonnement géopolitique, à développer « une lecture purement géographique des problèmes », comme nous l'a enseigné Karl Haushofer.

Claudio Mutti, Perspectives géopolitiques, Gênes, Effepi, 2019.

vendredi, 14 février 2025

La révolution géopolitique de Poutine

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La révolution géopolitique de Poutine

Alexandre Douguine souligne que le discours de Poutine à Munich en 2007 marque le début d'une révolution multipolaire qui remet en cause le mondialisme unipolaire et diminue la pertinence de l'ONU.

Alexandre Douguine

Le discours que Vladimir Vladimirovitch Poutine a prononcé il y a dix-huit ans à Munich a marqué la première remise en cause systémique et clairement formulée du système unipolaire mondialiste. C'était le début d'une révolution géopolitique dont le fer de lance était initialement la Russie, mais progressivement d'autres puissances ont rejoint le club de la multipolarité. La Chine, l'Inde et le Brésil ont été les premiers à suivre, et plus tard, d'autres nations, aujourd'hui adhérentes du BRICS, se sont jointes à eux. Cela a marqué l'institutionnalisation de la multipolarité prônée par Poutine dans son discours de Munich.

Aujourd'hui, nous avons considérablement progressé sur cette voie. Nous menons une guerre contre le mondialisme en Ukraine, en luttant spécifiquement contre l'idéologie libérale-mondialiste. La multipolarité devient de plus en plus solide et visible, notamment à travers des structures comme les BRICS, tandis que le monde unipolaire s'achemine à un rythme régulier vers son déclin - surtout après le début de la révolution conservatrice de Trump aux États-Unis. Bien sûr, Trump et les «Trumpistes» tenteront de préserver le monde unipolaire, mais sous une forme différente, fondée sur l'hégémonie directe des États-Unis. Cependant, le secrétaire d'État américain Marco Rubio a déjà reconnu que nous vivons dans un monde multipolaire. Cette reconnaissance est à la fois exacte et prometteuse.

En 2007, dans son discours de Munich, Poutine a souligné la nécessité d'adhérer à la Charte des Nations unies. Cependant, l'ONU est une organisation façonnée par les résultats de la Seconde Guerre mondiale, où le Conseil de sécurité, la répartition du pouvoir et ses mécanismes étaient formellement ancrés dans les principes de l'ordre westphalien. L'ONU ne reconnaissait que les États-nations en tant qu'acteurs souverains.

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En février 2007, Vladimir Poutine a prononcé son célèbre discours de Munich, qui peut être considéré comme une déclaration de la trajectoire politique souveraine contemporaine de la Russie.

La fondation de l'ONU contenait également une formule contradictoire: reconnaître à la fois le droit de tout État-nation à l'intégrité territoriale et le droit des peuples à l'autodétermination, un principe qui remet intrinsèquement en question la souveraineté. Cette formule ambiguë a depuis été appliquée dans divers contextes et avec des significations différentes. Quoi qu'il en soit, le système des Nations unies a préservé la bipolarité, ainsi qu'un petit groupe de pays non alignés.

Dans un premier temps, les mondialistes ont tenté d'établir un monde unipolaire, proposant même la dissolution de l'ONU en faveur de la création d'une « Ligue des démocraties ». Cependant, cette idée n'a jamais eu de succès institutionnel car la majorité du monde a rejeté ce concept qui postulait l'alignement d'États vassaux sous la domination occidentale.

En fin de compte, même le monde unipolaire n'a pas réussi à s'institutionnaliser et est devenu une chose du passé.

Aujourd'hui, un nouvel ordre mondial doit être construit sur la base de la multipolarité. Cette multipolarité doit trouver un nouveau cadre d'expression. L'ONU peut-elle être restructurée pour s'aligner sur les principes d'un monde multipolaire? J'en doute, car la structure actuelle de l'ONU reflète la combinaison du système westphalien et de la bipolarité idéologique établie par la conférence de Yalta et les résultats de la Seconde Guerre mondiale. Mais de nombreuses guerres ont eu lieu depuis lors, remodelant la carte politique du monde au point de la rendre méconnaissable. En conséquence, les États-nations d'aujourd'hui possèdent des niveaux très asymétriques de souveraineté et de pouvoir réel. C'est pourquoi je pense que les Nations unies sont incapables d'une telle transformation ou évolution.

Le moment est venu d'envisager la création d'une nouvelle organisation internationale qui reflète les conditions émergentes du monde multipolaire, avec une répartition appropriée des rôles au sein des institutions clés. Une étape possible dans cette direction pourrait être l'établissement d'un dialogue entre les nations des BRICS en tant que modèle de multipolarité, d'une part, et l'Amérique de Trump, d'autre part. À terme, par un processus résiduel, l'Europe pourrait s'y joindre - une fois qu'elle se sera enfin réveillée et sera sortie du délire libéral-mondialiste dans lequel elle se trouve malheureusement encore.

jeudi, 13 février 2025

La géopolitique du trumpisme

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La géopolitique du trumpisme

par Daniele Perra

Source : Daniele Perra & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/geopolitica-del-t...

Les premières semaines de la présidence Trump ont clairement dessiné les objectifs géopolitiques de la « nouvelle » administration.

1) L'exclusion de l'Europe des routes arctiques ;

2) Se décharger sur l'Europe elle-même du fardeau et de la destruction causés par le conflit en Ukraine ;

3) L'acquisition d'une position forte en Méditerranée orientale, à Gaza (à proximité d'importants bassins gaziers et du canal de Suez, afin de pouvoir contrôler directement les flux d'énergie vers l'Europe) ;

4) désarticulation totale de l'existence du Mexique en tant que nation et contrôle total du golfe du Mexique et de la mer des Caraïbes (solution finale aux « problèmes » constitués par le Venezuela et par Cuba) ;

5) réappropriation totale du contrôle du continent ibéro-américain.

En ce qui concerne le point 5, il me semble important de garder à l'esprit les concepts de « synchronie » et d'« asynchronie » entre l'Argentine et le Brésil. Il est clair que l'objectif des Etats-Unis, dans ce cas, est de s'assurer qu'il n'y ait pas de « synchronie » géopolitique entre les deux pays. Leur trop grande proximité est en effet considérée comme très risquée pour l'hégémonie nord-américaine dans la région (Alberto Burla docet). Dès lors, paradoxalement, il est toujours préférable pour Washington que les deux États soient dirigés par des gouvernements mutuellement hostiles (Lula contre Milei, Bolsonaro contre Fernandez auparavant). Un tel système, soit dit en passant, était également évident à l'époque des dictatures militaires (il ne faut pas oublier que la dictature « anticommuniste » de l'Argentine était soutenue par l'URSS, Cuba, le Pérou, la Libye et l'Angola pendant la guerre contre le Royaume-Uni au sujet des Malouines - un avant-poste clé pour le contrôle de l'espace maritime de l'Amérique du Sud).

Tout aussi intéressant est le fait que le renouvellement périodique de l'intérêt des États-Unis pour l'Amérique latine s'accompagne toujours d'une croissance de l'influence israélienne dans la région (les cas de Bolsonaro, soutenu par la mafia juive au Brésil, et de Milei, en ce sens, sont évidents). Il faut également garder à l'esprit le fait qu'Israël considère la région comme un nouveau bassin démographique. Par conséquent, sa déstabilisation est la bienvenue (soutien aux groupes paramilitaires colombiens, par exemple, utile pour générer des flux migratoires vers Israël).

Il est également important de noter que l'expansion des États-Unis s'accompagne toujours du rôle pertinent des sectes évangéliques judéo-protestantes.

Il est curieux que Trump ait été qualifié de « premier président juif des États-Unis ».

Ici, l'objectif est de limiter le rôle de l'Église catholique en Ibéro-Amérique ainsi que le risque qu'elle exerce une influence sur la population latina (croissante) aux États-Unis eux-mêmes. Comme l'enseigne Carl Schmitt, l'anticatholicisme est une caractéristique essentielle de la colonisation anglo-saxonne en Amérique du Nord. En effet, tout au long du 18ème siècle, des lois anticatholiques ont été promulguées. Et au 19ème siècle, être catholique était considéré comme une étiquette infamante. D'autre part, une grande partie des migrants italiens arrivés dans le « Nouveau Monde » ont fini par remplacer la main-d'œuvre esclave.

Quoi qu'il en soit, l'alliance entre le fondamentalisme évangélique et le fondamentalisme juif apparaît de plus en plus évidente. Là où le premier cherche à retrouver une volonté de puissance « perdue » en s'appuyant fortement sur les fondements religieux des États-Unis (pensons au phénomène des « grands réveils » récurrents qui caractérisent l'histoire des États-Unis et à l'idée d'un contact direct entre Dieu et les premiers colons), le second cherche à contrôler et à orienter à son profit l'énorme capacité économique et militaire de l'Amérique du Nord.

Il va sans dire que l'objectif du « fondamentalisme », sous toutes ses formes, est toujours d'éliminer les « ennemis intérieurs » en premier lieu. Ainsi, le trumpisme se manifeste comme la première phase d'une « guerre civile occidentale » qui sert de prélude à un « conflit mondial entre civilisations » ultérieur et plus large.

mercredi, 12 février 2025

Erdogan part à la conquête de la Circassie russe

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Erdogan part à la conquête de la Circassie russe

Enrico Toselli

Source: https://electomagazine.it/erdogan-parte-alla-conquista-de...

Il a dévoré la Syrie sans coup férir, abandonnant une partie du territoire à Israël. Mais à Tel-Aviv, il ne faudrait pas être trop tranquille pour l’avenir. Désormais, Erdogan tourne son regard vers l’Abkhazie sous contrôle russe, première étape dans la construction d’une Circassie indépendante de Moscou mais dépendante d’Ankara. Évidemment, les dirigeants de l’Union européenne – tous absents lorsque a eu lieu la distribution d’intelligence – célèbrent l’événement. Porter un coup à Poutine mérite d’être fêté avec champagne et caviar, aux frais des sujets européens.

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Prendre l’Abkhazie aux Russes signifie aussi se rapprocher de la Géorgie, en poussant Tbilissi à abandonner ses relations avec Moscou pour se tourner vers Bruxelles. Naturellement, les grands politiciens européens ne se rendent pas compte que le passage de l’Abkhazie sous l’hégémonie turque précéderait celui de toute la Géorgie. Et ensuite, pas à pas, viendrait le tour des autres pays du Caucase.

Ursula sera surprise, tout comme toute sa clique, mais Erdogan agit dans l’intérêt de la Turquie, pas dans celui de Bruxelles. On peut même comprendre Zelensky, qui rêve d’affaiblir Poutine grâce à Erdogan, car le bandit de Kiev n’a absolument rien à faire de l’Europe. Mais l’enthousiasme de l’UE, occupée à attiser des troubles à Tbilissi, est totalement déplacé.

Quant à la Russie, une fois de plus, elle paie son incapacité totale à agir sur le front du soft power. Ce n’est qu’à l’approche du scrutin en Abkhazie que Moscou a pris conscience du problème et de l’efficace campagne électorale turque. Ankara a avancé sur le terrain culturel et des revendications ethniques. Moscou, avec un énorme retard, a simplement envoyé un peu d’argent. Cette affaire est assez pathétique et se révèle totalement inefficace. D’ailleurs, les Russes ont commis les mêmes erreurs en Europe occidentale, persuadés que les missiles et les drones suffisent à faire basculer les équilibres.

Staline, sur ce point, était bien plus malin.

mardi, 11 février 2025

La route de la soie septentrionale de la Chine et le grand jeu de l'Arctique

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La route de la soie septentrionale de la Chine et le grand jeu de l'Arctique

par Fabrizio Verde

Source: https://www.lantidiplomatico.it/dettnews-la_china_ice_sil...

En août de l'année dernière, la Chine et la Russie ont lancé un service rail-mer, l'Arctic Express No.1, qui transportera des conteneurs par voie ferrée de Moscou à Arkhangelsk, le seul port du nord-ouest de la Russie. À partir d'Arkhangelsk, des porte-conteneurs achemineront les conteneurs vers la Chine via l'océan Arctique.

La liaison maritime arctique pour conteneurs, longue de 13.000 km, permettra d'acheminer les marchandises en 20 à 25 jours. C'est une semaine de plus que la route maritime du Nord russe (NSR).

« Les infrastructures de nos pays sont insuffisantes pour répondre à nos besoins croissants en matière de logistique et de transport, et il est impératif d'ouvrir de nouvelles voies logistiques pour développer la coopération économique et commerciale sino-russe », a déclaré l'ambassadeur de Chine en Russie, Zhang Hanhui. « La Chine a toujours soutenu l'établissement de routes maritimes arctiques. Au cours des dix dernières années, les dirigeants chinois et russes ont continué à prêter attention au développement des routes maritimes arctiques et les gouvernements ont établi des mécanismes pour explorer la coopération arctique », a-t-il ajouté.

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À cet égard, il convient de mentionner que la Chine elle-même s'est définie comme un « État proche de l'Arctique », affirmant ses intérêts dans l'exploration et l'exploitation des ressources de l'Arctique, soulignant sa présence légitime dans la région en vertu du traité de Svalbard de 1925, qui accorde à plusieurs pays le droit de mener des recherches scientifiques dans l'Arctique. Par le biais d'investissements stratégiques, tels que la construction de la station du fleuve Jaune en Norvège, Pékin a montré qu'il considérait l'Arctique comme un élément crucial de sa stratégie économique et de sécurité. Cette initiative a été considérée comme une réponse à l'évolution du paysage géopolitique, en particulier à la suite des tensions avec les pays occidentaux après le début de l'opération militaire spéciale de la Russie en Ukraine.

Revenant sur le lancement du service ferroviaire arctique, M. Zhang a souligné que 14 allers-retours avaient déjà été effectués depuis juillet 2023, date à laquelle la société chinoise Yangpu New New Shipping a lancé le premier service régulier de transport de conteneurs entre la Chine et les ports russes de l'océan Arctique.

L'ambassadeur a expliqué: "Les liaisons intermodales mer-rail et la coopération entre la Russie et la Chine dans le domaine de la construction navale donneront une nouvelle importance au développement de la Route de la soie arctique".

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La route de la soie arctique chinoise, également connue sous le nom de route de la soie polaire, est une initiative stratégique lancée par Pékin pour développer des routes maritimes le long du cercle arctique. Alors que la route de la soie traditionnelle reliait la Chine au Moyen-Orient et à l'Europe par des voies terrestres, la route de la soie arctique vise à créer de nouvelles routes commerciales grâce à la fonte des glaces marines dans la région arctique. Cette initiative a des implications géopolitiques et stratégiques importantes pour la Chine et la communauté internationale.

L'une des principales implications géopolitiques de la route de la soie arctique chinoise est la possibilité pour la Chine d'accroître son influence et sa présence dans la région arctique. La fonte des glaces de l'Arctique ouvre de nouvelles voies de navigation qui peuvent réduire considérablement le temps et le coût du transport des marchandises entre la Chine et l'Europe. En investissant dans les infrastructures et la recherche dans l'Arctique, la Chine peut renforcer sa position dans la région et s'imposer comme un acteur clé dans les affaires arctiques.

En outre, la route de la soie arctique chinoise peut également aider la Chine à diversifier ses sources d'énergie et à réduire sa dépendance à l'égard des routes maritimes traditionnelles qui traversent des zones politiquement « sensibles » telles que la mer de Chine méridionale. En développant de nouvelles routes maritimes à travers l'Arctique, la Chine peut s'assurer des sources d'énergie alternatives et garantir la sécurité de sa chaîne d'approvisionnement énergétique. Cette démarche stratégique vise également à améliorer la sécurité énergétique de la Chine et à réduire sa vulnérabilité aux perturbations des marchés mondiaux de l'énergie.

La route de la soie arctique peut également avoir des retombées économiques importantes pour la Chine et les autres pays participant à l'initiative. En reliant la Chine à l'Europe via l'Arctique, elle peut faciliter les échanges commerciaux et les investissements entre les deux régions, stimuler la croissance économique et créer de nouvelles possibilités de coopération. Ce scénario peut être particulièrement bénéfique pour les pays situés le long de l'itinéraire, qui peuvent tirer parti des avantages économiques liés à l'augmentation des échanges et des investissements.

Ainsi, Pékin peut également étendre son influence dans l'économie mondiale et s'imposer comme un acteur de premier plan dans le commerce international. En développant de nouvelles routes commerciales à travers l'Arctique, la Chine peut renforcer sa position en tant que partenaire commercial clé pour les pays d'Europe et d'ailleurs. Une autre façon d'améliorer la diplomatie économique et de tenter de façonner les politiques commerciales mondiales.

En outre, la route de la soie acrtique pourrait également avoir des implications écologiques significatives. Alors que la fonte des glaces de l'Arctique se poursuit, la région est confrontée à des défis environnementaux sans précédent qui nécessitent une action urgente. En investissant dans le développement durable et dans des infrastructures respectueuses du climat dans l'Arctique, la Chine peut contribuer à atténuer l'impact de ce changement et à promouvoir la protection de l'environnement dans la région.

Dans l'ensemble, l'initiative chinoise a le potentiel de remodeler le commerce mondial et les schémas de transport, de renforcer l'influence de la Chine dans la région arctique et de promouvoir le développement durable et la protection de l'environnement. En investissant dans les infrastructures et la recherche dans l'Arctique, la Chine peut exploiter de nouvelles opportunités et relever des défis géopolitiques et stratégiques majeurs. Alors que la Route de la soie arctique continue d'évoluer, il sera crucial pour la Chine et les autres pays de travailler ensemble pour assurer le succès et la durabilité de cette initiative ambitieuse.

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Les actions de Trump

Le président élu des États-Unis, Donald Trump, considère ce scénario comme un véritable cauchemar. Ainsi, face à cette avancée (pacifique) de la Chine et de la Russie dans l'Arctique, les États-Unis, sous la houlette de Donald Trump, ont décidé d'adopter une approche plus affirmée. Les déclarations sur la possible prise de contrôle du Groenland, qualifiée, un peu timidement, d'« absurde » par certains dirigeants européens, reflètent la crainte des États-Unis de perdre leur influence dans une région stratégiquement cruciale. Cette attitude reflète une stratégie réactive, davantage orientée vers l'endiguement de la Chine et de la Russie que vers la promotion d'un développement positif et inclusif dans la région.

Outre son intérêt pour le Groenland, l'administration Trump pourrait prendre plusieurs mesures pour contrer l'influence sino-russe dans l'Arctique :

- Renforcer la présence militaire : augmenter les forces armées et les infrastructures dans la région pour dissuader la Russie et la Chine.

- Former une coalition arctique : obliger des pays comme le Canada, la Norvège et le Danemark à suivre les politiques de sécurité et de développement de Washington dans l'Arctique.

- Développement économique : promouvoir l'investissement dans des projets énergétiques et d'infrastructure dans l'Arctique pour assurer une présence économique significative et tenter de réduire l'influence chinoise.

- Diplomatie internationale : travailler dans le cadre de forums internationaux, tels que le Conseil de l'Arctique, afin d'établir des règles et des réglementations visant à limiter les initiatives commerciales de la Chine et de la Russie.

Cependant, les politiques américaines semblent se concentrer principalement sur le renforcement militaire, dans l'intention de contrer les initiatives sino-russes de construction d'infrastructures et de routes commerciales dans l'Arctique. Toutefois, cette réponse manque d'une vision stratégique à long terme qui aille au-delà du simple maintien d'une hégémonie mondiale qui semble irrémédiablement perdue à ce stade. Il en résulte une perception croissante de l'isolement des États-Unis face à un ordre mondial de plus en plus multipolaire.

Un conflit de visions

Alors que l'approche américaine repose sur une logique de confrontation, la Chine et la Russie promeuvent une vision de développement partagé et de coopération internationale. La Route de la soie arctique représente une nouvelle opportunité de créer des liens économiques plus étroits entre l'Asie et l'Europe, en ouvrant des routes commerciales plus efficaces et moins vulnérables aux interférences géopolitiques. Cette initiative illustre également la manière dont la multipolarité peut promouvoir la stabilité mondiale par le dialogue et la collaboration, plutôt que par l'escalade militaire.

Les initiatives chinoises et russes dans l'Arctique représentent un modèle de coopération stratégique dans un monde de plus en plus multipolaire. Alors que les États-Unis cherchent à maintenir leur rôle dominant, comme ils le font toujours par des stratégies agressives et réactives, l'approche sino-russe se distingue par sa promotion d'un développement inclusif et durable. Le défi mondial n'est pas seulement d'accroître les échanges commerciaux, mais de le faire d'une manière qui profite à toutes les nations concernées, en renforçant un ordre mondial plus équitable et plus coopératif. Une application pratique du concept de création d'une communauté avec un avenir commun pour l'humanité, tel que préconisé par le président chinois Xi Jinping.

Fabrizio Verde, Directeur de l'AntiDiplomatico. Napolitain, promotion 80.

dimanche, 02 février 2025

La doctrine Monroe, vieille de 200 ans, a-t-elle été «trumpifiée»?

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La doctrine Monroe, vieille de 200 ans, a-t-elle été «trumpifiée»?

par Latif Balat

Source: https://telegra.ph/La-Dottrina-Monroe-di-200-anni-%C3%A8-...

Les idées les plus récentes et les plus déroutantes de l'« imprévisible » président Trump ont été ses déclarations sur le Groenland, le canal de Panama et le Canada. Elles sont interprétées comme une version renouvelée de l'expansion impérialiste américaine. Elles sont intervenues à un moment où l'empire américain est perçu comme étant en déclin.

Bien sûr, Donald Trump diffère de ses prédécesseurs dans le bureau ovale par ses caractéristiques sociales et ses traits de caractère. L'une des principales différences est qu'il n'est pas passé par le chemin traditionnel de la bureaucratie américaine, comme le fait d'avoir été membre du Congrès, sénateur ou d'avoir exercé d'autres fonctions au sein de l'État avant de devenir président. Cette divergence par rapport aux normes établies explique ses attitudes « anormales » qui défient souvent les traditions de l'État américain.

Des États-Unis mercantiles

En outre, le passé de Trump en tant qu'homme d'affaires milliardaire est également important. Ses racines dans la classe capitaliste commerciale façonnent ses méthodes et son approche du gouvernement. Ses déclarations économiques et politiques témoignent constamment d'une mentalité de commerçant, même dans les relations internationales.

Bien sûr, il est irréaliste de penser que gouverner une nation de 350 millions d'habitants, dotée de l'économie la plus importante et la plus influente du monde, peut dépendre uniquement de la personnalité et du style de gestion d'un seul individu. Dès le début, Trump a été soutenu par certaines factions du système capitaliste américain. L'ascension de Trump reflète également les traces du conflit de classe au sein des classes capitalistes américaines, parallèlement au déclin de l'économie américaine. Cela se voit très clairement dans le soutien que lui apportent des personnalités telles qu'Elon Musk.

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L'élection de Trump ne signifie pas que le réalignement entre les capitalistes est terminé ou qu'il est devenu évident. Il s'agit d'un processus en cours qui devrait s'intensifier au cours de la période à venir. Une étape notable dans cette direction est l'entrée de Liz Cheney, l'une des figures républicaines néoconservatrices les plus en vue, dans les rangs du Parti démocrate. Cheney sera suivie par d'autres.

Passons maintenant aux remarques apparemment étranges mais logiques du point de vue intra-américain de Trump sur le Groenland, le canal de Panama et le Canada :

Une présidence de style "négociation"

Tout d'abord, en tant qu'homme d'affaires, qui comprend la valeur de la négociation et des tactiques pour renforcer sa position de négociation, Trump a fait ces propositions particulières en articulant une stratégie bien calculée. Il sait qu'en présentant de telles idées, il pourra s'asseoir à la table des négociations au départ d'une position plus forte dans ses rapports avec le monde pendant sa présidence. Trump pense que projeter l'image d'un pays plus actif et plus influent, ne serait-ce que sur le plan rhétorique, donnera aux États-Unis un plus grand poids dans les négociations. Il est bien conscient que les frontières et les institutions définies par les accords internationaux et enregistrées par les Nations unies ne peuvent être modifiées par de simples revendications agressives. Trump veut dire à l'Europe et au monde: «Je suis toujours là, actif, et je ne me retire pas». Par exemple, il est impossible que le Canada devienne le 51ème État américain, mais ces déclarations pourraient faire pression sur le Canada pour qu'il accepte des droits de douane plus élevés sur ses marchandises.

Deuxièmement, la rhétorique de Trump s'aligne sur les principes de la doctrine Monroe, formulée par le président Monroe en 1823, qui souligne que l'ensemble du continent américain est exclusivement sous l'influence des États-Unis. Cette doctrine vise à dissuader l'Europe, la Chine et la Russie. Les territoires mentionnés par Trump - le Groenland, le Panama et le Canada - font tous partie du grand continent américain.

Le troisième point important est la tentative des États-Unis de restaurer leur position affaiblie en tant que puissance impérialiste vis-à-vis de la Chine et de la Russie, compte tenu de l'influence croissante de la Russie et de la Chine au Groenland et au Panama, avec des ressources précieuses et le rôle dans l'ouverture de l'Arctique au commerce.

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Blocage de la route de la soie arctique

Du point de vue des États-Unis, le Groenland a une valeur géopolitique incommensurable en raison de sa situation aux portes de l'océan Arctique. La région possède non seulement de vastes réserves inexploitées de pétrole et de gaz, mais elle offre également de nouvelles routes maritimes à mesure que la glace fond, ce qui pourrait remodeler la dynamique du commerce mondial. La plus importante est la route maritime du Nord, qui longe la côte russe et traverse le détroit de Béring. Cette route pourrait contourner les itinéraires traditionnels par les canaux de Panama et de Suez et réduire les temps de transit entre l'Asie et l'Europe jusqu'à 40%.

Entre-temps, la Chine a également établi une présence significative dans la région. Se déclarant « quasi-État arctique » en 2018, la Chine a investi dans son initiative de Route de la soie polaire et souhaite intégrer les routes maritimes de l'Arctique dans le cadre plus large de sa grande initiative dite de la Ceinture et de la Route.

Un signe de déclin ?

En bref, la rhétorique vide de Trump sur l'intervention militaire ne doit pas nous détourner de la réalité: l'Arctique est en train de devenir un point de rupture potentiel entre les États-Unis et l'axe Chine-Russie. Cette rhétorique est utile pour suggérer l'orientation possible de la politique étrangère de Trump. Les revendications de Trump sur le canal de Panama, le Canada et le Groenland suggèrent une tentative de remédier au déclin de la puissance mondiale de l'Amérique et à l'excès impérialiste insoutenable. Tout cela suggère un recalibrage des priorités américaines vers une stratégie "continentale" plus gérable, une nouvelle doctrine Monroe visant à rétablir une hégémonie totale sur les Amériques et l'Atlantique Nord en tant que "sphère d'influence naturelle".

Publié en partenariat dans United World International

Le Pentagone va-t-il entamer un nouvel «endiguement» de la Chine?

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Le Pentagone va-t-il entamer un nouvel «endiguement» de la Chine?

Leonid Savin

Malgré le changement d'administration à la Maison-Blanche et les remaniements respectifs au sein du département d'État et du ministère de la Défense des États-Unis, il sera évident que la politique étrangère de Donald Trump suivra la tendance consistant à faire pression sur la Chine, y compris en reprenant les méthodes éprouvées de l'approche militaro-stratégique. Alors que le renforcement militaire des alliés des États-Unis dans la région Asie-Pacifique a également eu lieu sous Biden, il est probable que les ressources libérées sur le front ukrainien seront redirigées vers cette partie du monde.

Les éléments clés de la stratégie américaine seront à la fois la puissance maritime grâce à la marine et la suprématie aérienne grâce à l'armée de l'air, en s'appuyant sur le réseau d'alliés au large des côtes chinoises. Outre les satellites officiels tels que la Corée du Sud et le Japon, Washington utilisera à coup sûr l'Inde, où le Premier ministre Narendra Modi entretient de bonnes relations avec Donald Trump. Le Bangladesh, qui a connu un coup d'État l'année dernière, pourrait également devenir un nouveau bastion américain.

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Selon le site web de l'US Naval Institute, « les principales bases navales du Bangladesh se trouvent près du district de Rakhine au Myanmar et à proximité du corridor économique Chine-Myanmar, un élément clé de l'initiative chinoise “Une ceinture, une route” visant à réduire la pression sur les communications maritimes chinoises en mer de Chine méridionale ». En coopérant avec la marine du Bangladesh, la marine américaine pourrait utiliser ces bases pour surveiller les projets chinois. En outre, la position stratégique du Bangladesh dans la partie septentrionale du golfe du Bengale pourrait donner aux États-Unis un avantage pour la surveillance du détroit de Malacca, qui est vital pour l'économie et l'industrie chinoises.

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En cas de conflit, les bases navales du Bangladesh pourraient devenir un centre logistique et un port sûr pour la marine américaine. Actuellement, les États-Unis ne disposent d'aucune base dans le golfe du Bengale. Alors que l'île de Diego Garcia deviendrait certainement un centre logistique pour toutes opérations dans l'océan Indien, le Bangladesh - avec sa main-d'œuvre, son industrie navale dynamique et sa marine professionnelle - pourrait offrir aux navires de l'US Navy un lieu de repos, de récupération et de réarmement. Le Bangladesh construit actuellement un port maritime en eau profonde à Matarbari, Cox's Bazar, avec l'aide du Japon, l'un des partenaires les plus fiables et les plus importants des États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale. Le Japon pourrait aider à construire un pont entre les deux pays afin de garantir que la marine américaine puisse utiliser le port en eau profonde de Matarbari comme base d'opérations navales lors d'une future guerre, en bloquant les expéditions chinoises potentielles qui contournent le détroit de Malacca pour emprunter le corridor économique Chine-Myanmar comme alternative. Cela donnerait aux États-Unis un moyen de pression sur la Chine dans la région du golfe du Bengale ».

En ce qui concerne la suprématie aérienne, bien que les États-Unis soient visiblement en difficulté, le sentiment de panique anti-Chine pourrait aider le MIC, le Pentagone et la Maison Blanche à restructurer le futur budget pour faire face aux nouveaux défis.

À cet égard, un rapport spécial de l'Institut Hudson sur la nécessité de renforcer et d'étendre l'armée de l'air américaine pour faire face à la Chine, non seulement comme moyen de dissuasion mais aussi pour un conflit militaire direct, mérite d'être signalé. Les auteurs soulignent que même les aérodromes américains sont menacés par une attaque militaire chinoise sérieuse. Une force de frappe de l'Armée populaire de libération (APL) chinoise composée d'avions, de lanceurs de missiles terrestres, de navires de surface et de sous-marins, ainsi que de forces d'opérations spéciales, pourrait attaquer les avions américains et leurs systèmes de soutien sur des aérodromes du monde entier, y compris sur le territoire continental des États-Unis. Il est à noter que les analyses militaires des conflits potentiels impliquant la Chine et les États-Unis montrent que la grande majorité des pertes de l'aviation américaine sont susceptibles de se produire directement sur les aérodromes de la base nationale, et que ces pertes pourraient être très importantes. Il convient toutefois de souligner que l'armée américaine consacre aujourd'hui relativement peu d'attention et de ressources à la lutte contre ces menaces par rapport au développement d'aéronefs modernes.

La RPC envisage les conflits potentiels différemment et estime que si les aérodromes font l'objet d'attaques massives, ils doivent être protégés, étendus et renforcés. Depuis le début des années 2010, l'APL a plus que doublé le nombre d'abris aériens protégés et d'abris aériens individuels non protégés sur les aérodromes militaires, créant au total plus de 3000 abris aériens, sans compter les aérodromes civils ou commerciaux.

Cela suffit pour cacher la grande majorité des avions de combat chinois. La superficie des pistes d'atterrissage dans le pays a augmenté de près de 75%. En conséquence, la Chine dispose aujourd'hui de 134 bases aériennes à moins de 1000 milles nautiques du détroit de Taïwan - des aérodromes qui abritent plus de 650 avions dans des abris et près de 2000 sans protection sérieuse.

En réponse, les auteurs du rapport suggèrent que le ministère américain de la défense organise des ressources pour soutenir les opérations aériennes en cas d'attaque. Pour reprendre l'avantage et prévenir les conflits, les États-Unis et leurs alliés et partenaires, à des degrés divers, doivent poursuivre leurs efforts dans les trois domaines suivants :

1) Encourager la poursuite des investissements défensifs de la RPC. Les États-Unis doivent continuer à améliorer leur capacité à lancer des frappes profondes et massives contre les forces de l'APL et les éléments clés des infrastructures essentielles, malgré la présence de défenses aériennes denses et sans soutien. En réponse, les forces de l'APL, déjà renforcées, continueront probablement à investir dans des mesures défensives passives et actives supplémentaires et coûteuses, ce qui réduira les possibilités d'investissements alternatifs, y compris les moyens de frappe et les autres capacités de projection de force.

2) Construire une infrastructure résiliente sur le terrain. Les États-Unis doivent améliorer la résilience de leur infrastructure militaire, notamment en augmentant la capacité et en renforçant les aérodromes sur le territoire continental des États-Unis, dans la région indo-pacifique et au-delà. Bien que l'argent dépensé pour la défense active et passive réduise l'argent dépensé pour les opérations offensives, en l'absence d'un niveau de base de résilience des infrastructures, qui fait actuellement défaut, on peut raisonnablement s'attendre à ce que les capacités offensives du ministère de la défense soient débordées en cas de conflit. Une infrastructure résiliente est nécessaire pour que l'armée de l'air américaine puisse combattre efficacement.

Une architecture résiliente doit comprendre une défense passive (redondance, distribution géographique et dispersion tactique, renforcement, récupération et capacités de camouflage, de dissimulation et de déception) et une défense active. Comme l'ont conclu Christopher Lynch et d'autres analystes de la RAND Corporation, qui ont entrepris une analyse approfondie de la résilience des aérodromes aux États-Unis, « les moyens les plus rentables d'améliorer la résilience des bases aériennes sont une solide défense passive ».

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Pour renforcer les aérodromes de manière globale, le ministère de la défense devra passer d'une approche au cas par cas de chaque projet de construction à une campagne de construction. Une grande campagne pluriannuelle intégrée de construction d'aérodromes aux États-Unis et au-delà, en particulier dans la région indo-pacifique, donnerait un élan durable aux travaux de construction militaire sur les bases, créerait des consortiums d'entrepreneurs commerciaux et réduirait les coûts de construction. Dans le cadre de cette campagne, les États-Unis pourraient conclure des contrats conjoints avec les alliés qui renforcent également leurs infrastructures.

En outre, le Pentagone devrait adopter des mesures de rigueur appropriées, en particulier pour les nouveaux travaux de construction militaire. Le récent projet de renoncer à la construction d'abris fortifiés, d'un coût d'environ 30 millions de dollars, au profit de nouveaux bombardiers B-21, d'un coût de plus de 600 millions de dollars, a été qualifié de décision insensée qui met en péril la capacité des États-Unis à frapper dans le monde entier.

Pour soutenir les opérations, les aérodromes devront également être protégés par des systèmes de défense active létaux, adaptables et résistants aux actions continues de l'ennemi. Pour ce faire, l'armée américaine doit réaffecter le financement de la force de manœuvre au développement de l'unité d'artillerie antiaérienne et à l'amélioration de sa capacité à protéger les aérodromes, les ports et d'autres installations critiques. Il faut également des systèmes de défense aérienne et antimissile plus soutenus, capables de soutenir une défense calibrée à long terme.

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3) Développer les forces armées. Le ministère américain de la défense devrait développer et accélérer le déploiement de forces moins vulnérables aux attaques de l'APL contre les aérodromes. Les éléments de cette modification de la structure des forces devraient inclure des aéronefs à long rayon d'action et à grande autonomie, tels que les bombardiers B-21 et les ravitailleurs en vol de la prochaine génération (NGAS), qui peuvent opérer à partir de terrains d'aviation plus éloignés ou passer plus de temps dans les airs plutôt que sur la piste, où ils constituent une cible plus facile. Le Pentagone devrait également déployer des forces telles que des missiles et certains types de plates-formes d'opérations interarmées autonomes qui peuvent opérer à partir de pistes courtes ou endommagées ou indépendamment des aérodromes, à condition qu'elles bénéficient d'un soutien logistique.

Toutefois, les forces armées américaines ne déploieront pas ce type de troupes en grand nombre avant les années 2030, de sorte que la défense passive et active des aérodromes sera nécessaire indépendamment de ces changements dans la structure des forces.

Les conclusions du rapport indiquent que l'approche actuelle du Pentagone, qui consiste à ignorer cette menace, conduit à une agression de la part de la RPC et qu'il y a un risque de perdre la guerre. Ce qu'il faut donc, c'est une campagne urgente et efficace pour rendre les opérations des aérodromes américains plus résistantes, ce qui nécessite une prise de décision judicieuse et un financement soutenu.

En attendant, l'émergence de telles infrastructures signifie non seulement une dissuasion perçue de la Chine, mais aussi un renforcement significatif de la capacité des États-Unis à mener des opérations offensives à la fois dans les zones où leurs infrastructures militaires sont déployées dans la région Asie-Pacifique et chez eux, par exemple en Amérique latine, dont la souveraineté fait déjà l'objet d'empiètements de la part de Donald Trump.

samedi, 01 février 2025

Les Turcs reviennent dans la Corne de l'Afrique

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Les Turcs reviennent dans la Corne de l'Afrique

Ronald Lasecki

Source: https://ronald-lasecki.blogspot.com/2024/12/turcy-wracaja...

Mercredi 11 décembre, Recep Tayyip Erdoğan a annoncé à Ankara, en compagnie du Premier ministre éthiopien Abija Ahmed et du président somalien Hassan Sheikh Mohamud, qu'un accord avait été conclu entre l'Éthiopie et la Somalie, mettant fin au différend entre Addis-Abeba et Mogadiscio, qui traînait depuis la signature du mémorandum d'entente mutuelle entre l'Éthiopie et la République séparatiste du Somaliland, le 1er janvier 2024. L'accord d'Ankara est le résultat d'un travail mené depuis août 2024 par Hakan Fidan, ancien chef des services de renseignement turcs, chargé de la direction de la Somalie depuis la visite historique du sultan dans le pays en août 2011.

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L'Éthiopie veut retrouver la mer

L'accord de janvier entre Addis-Abeba, représenté par le Premier ministre Abija Ahmed, et Hargesia, représenté par le président Musa Abdi Bihi, prévoit que le Somaliland loue à l'Abyssinie 20 km de sa côte sur le golfe d'Aden, y compris l'important port de Berbera, et la possibilité pour l'Éthiopie de remettre en état et d'utiliser une base navale démantelée en 1996. En contrepartie, l'Éthiopie reconnaîtrait la République du Somaliland, qui a déclaré son indépendance de la Somalie le 18 mai 1991, mais qui n'est reconnue ni par l'Union africaine ni par les Nations unies.

L'Éthiopie, qui compte cent trente millions d'habitants, est le pays le plus enclavé du monde. Il la perdu son littoral lorsque l'Érythrée, qui occupait le territoire de l'ancien protectorat italien au nord-est, est devenue indépendante le 24 mai 1991, où une guérilla contre le pouvoir éthiopien était en cours depuis 1961. En conséquence, plus de 95% du commerce extérieur de l'Éthiopie passe par le « corridor de développement » Addis-Abeba-Djibouti. L'Éthiopie, qui connaît la croissance la plus rapide du continent africain (croissance annuelle du PIB d'environ 7%), cherche donc à diversifier ses canaux économiques et à s'affranchir du port de Doraleh.

En Somalie, on craint l'Éthiopie

Les relations entre les autorités d'Addis-Abeba et de Mogadiscio se dégradent en avril 2024 lorsque l'ambassadeur éthiopien est expulsé de Somalie et que les soldats éthiopiens sont, à la demande de la Somalie, retirés de la liste des contingents devant participer à la Mission de l'Union africaine pour le soutien et la stabilisation en Somalie (AUSSOM) à partir de janvier 2025. À son tour, en décembre 2024, la Somalie a accusé son voisin occidental de fournir des armes à l'État méridional du Jubaland, qui a rompu sa dépendance à l'égard de la Somalie en 1998 et dont le gouvernement fédéral somalien ne contrôle plus les processus politiques en cours à Kismayo.

La désescalade entre Hargesha et Mogadiscio, en revanche, est très probablement liée à l'issue de l'élection présidentielle du 13 novembre 2024 au Somaliland. Musa Abdi Bihi, qui occupe le poste de chef de l'État depuis 2017, a perdu à 35% contre 64%, face à Abdirahman Mohammad Abdullahi, communément appelé Irro. Cet ancien ambassadeur somalien à Moscou, âgé de 69 ans et formé aux États-Unis, puis devenu citoyen finlandais, a pris ses fonctions le 14 décembre 2024, annonçant une « révision » de l'accord conclu en janvier avec l'Éthiopie.

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L'Égypte ne veut pas renforcer l'Éthiopie

Le retour de l'Abyssinie dans la mer Rouge est contesté par l'Égypte, qui est en conflit avec l'Éthiopie au sujet de la construction du "Grand barrage Renaissance" (GERD), lancée en juillet 2020 sur le Nil Bleu. Ce projet est considéré par l'Égypte (et le Soudan), qui dépendent tous deux du fleuve, comme une menace stratégique. Addis-Abeba, de son côté, soutient que, puisque les autres États riverains du Nil peuvent avoir leur mot à dire sur le projet de barrage mis en œuvre par l'Éthiopie sur son propre territoire, l'Éthiopie devrait avoir son mot à dire sur l'utilisation des ports situés sur la côte de la mer Rouge. Une escalade des tensions entre l'Éthiopie et la Somalie risquerait donc d'entraîner une escalade entre l'Éthiopie et l'Égypte, et donc un conflit régional à grande échelle avec des répercussions transrégionales encore plus importantes.

En août 2024, après deux cycles infructueux de pourparlers entre la Somalie et l'Éthiopie, le président Hassan Sheikh Mohamud a signé un accord avec l'Égypte prévoyant l'envoi de 10.000 soldats égyptiens en Somalie. Ajoutez à cela la présence à Berbera depuis 2017 de troupes des Émirats arabes unis (EAU), proches de l'Égypte et qui ont en retour envoyé un ambassadeur à Hargesia, et vous obtenez l'image d'un déséquilibre évident en défaveur de l'Éthiopie dans la région géopolitiquement nodale du golfe d'Aden dans son ensemble - laquelle est déjà fortement déstabilisée par les attaques des Huthis, par les activités des pirates somaliens et par la guerre civile au Yémen. Aux prises depuis 2018 avec une série de conflits armés internes non résolus, l'Éthiopie et la Somalie, menacées par la légitimité internationale de la sécession du Somaliland, pourraient s'engager dans une lutte armée qui viendrait s'ajouter à la liste des guerres régionales.

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La Turquie vassalise la Somalie

En exploitant (ou en provoquant) des changements internes au Somaliland, le Raïs turc a une fois de plus démontré que son État est une force de stabilisation régionale - facteur que la Russie était censée jouer jusqu'à récemment, car la région était considérée comme liée à la zone post-soviétique. L'influence d'Ankara s'étend sur un arc allant du Levant au golfe d'Aden, de Damas à la Libye, de la mer Caspienne à la Bosnie-Herzégovine.

Suite à l'accord de janvier 2024 entre l'Éthiopie et le Somaliland, Ankara a signé deux accords en février et mars de cette année, respectivement, pour engager la Turquie dans la défense des eaux territoriales somaliennes et dans la reconstruction, l'équipement et la formation de la marine de Mogadiscio. En contrepartie, Ankara a obtenu le droit de percevoir 30% des recettes provenant de l'exploitation des ressources de la zone économique exclusive somalienne et le droit d'explorer, d'extraire et de vendre les ressources énergétiques qui s'y trouvent.

Mogadiscio, où le groupe turc Albayrak loue jusqu'en 2035, l'aéroport et le port commercial de Mogadiscio, où se trouvent la plus grande base étrangère de Türk Silahlı Kuvetleri et la base de missiles balistiques et spatiaux de la Turquie, est un nœud clé du réseau de projection anatolien en Afrique, qui se déroule le long d'un corridor traversant le Soudan depuis l'aéroport international de Mitiga à Tripoli, la base aérienne et navale de Misrata et la base aérienne d'al-Watiya en Libye, contrôlés par les Turcs, corridor se prolongeant donc jusqu'à Mogadiscio.

La Turquie contrôle et turquifie déjà les autorités, les forces armées, les services secrets et les infrastructures de la Somalie depuis des années. En juillet 2024, le Parlement turc a approuvé le déploiement de forces turques dans ce pays de la Corne de l'Afrique afin de protéger la zone économique exclusive somalienne contre les menaces terroristes et autres. En octobre de cette année, le navire de recherche turc « Oruç Reis », auparavant protagoniste de plusieurs crises impliquant la Grèce, est entré dans les eaux territoriales somaliennes, escorté par deux frégates.

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Le sultan embrasse le pharaon

L'Éthiopie, quant à elle, est le principal bénéficiaire des investissements turcs en Afrique. Des capitaux, des drones de combat pour lutter contre les insurgés dans le Tigré, des technologies et des ingénieurs pour assurer la communication interne des vastes hauts plateaux abyssins qui s'étendent du plateau du Rift est-africain vers le plateau éthiopien. L'Éthiopie est également devenue un levier pour le Raïs face à l'Égypte, avec laquelle les relations de la Turquie ont été quasiment gelées après 2011. Le remplissage du GERD durant l'été 2024, selon les géologues égyptiens, a retardé d'un mois l'arrivée des eaux du Nil au barrage d'Assouan. Le cauchemar d'Abd al-Fattah as-Sisi d'une déshydratation et d'un dessèchement progressifs de l'Égypte devient une menace réelle pour le pays.

Le sultan s'en est servi pour atteler le pharaon égyptien à son carrosse impérial néo-ottoman: le Parlement turc n'a approuvé les accords de février-mars avec la Somalie qu'en juillet, donc déjà après la visite du dirigeant anatolien au Caire le 24 février - la première depuis 2011. Ankara a ainsi donné au Caire le temps d'envoyer ses propres troupes en Somalie en août, ce qui, dans le sillage de la crise du barrage éthiopien, a été fait par la partie égyptienne sur un ton bruyamment hostile à Addis Abeba - expressif au point de menacer d'éclater en affrontements frontaliers. De l'eau (du Nil) pour le moulin du Raïs qui, le 12 septembre (lors de la première visite du dirigeant égyptien en Turquie depuis 2012), a reçu As-Sisi à Ankara comme le seul arbitre capable de démêler le nœud des tensions dans la Corne de l'Afrique. 

La réconciliation turco-égyptienne a été préparée par des contacts au niveau du renseignement et à des niveaux inférieurs de la diplomatie développés à partir de mars 2021. En novembre 2022, Erdoğan a serré la main du pharaon détesté lors d'une réunion multilatérale à Doha. En avril 2023, le ministre des Affaires étrangères turc de l'époque, Mevlüt Çavuşoğlu, a effectué une visite sur le Nil, à la suite de laquelle les deux pays ont renommé l'un chez l'autre des ambassadeurs qui avaient été envoyés à la retraite dix ans plus tôt. La veille de la visite d'Erdogan au Caire, Hakan Fidan a annoncé un accord de coopération militaire turco-égyptien. Il s'agit donc d'un plan à long terme, mis en place depuis des années. À son tour, il doit permettre d'atteindre des objectifs encore plus ambitieux, mais nous y reviendrons dans un instant.

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Le jeu du sultan avec les émirs

Dans la Corne de l'Afrique, Ankara rivalise d'influence avec Abou Dhabi, qui a été l'intermédiaire caché de l'accord de janvier entre Addis-Abeba et Hargesia. Les Émirats arabes unis jouent sur deux fronts vis-à-vis de la Somalie, soutenant l'unité territoriale du pays tout en ne renonçant pas à des accords lucratifs avec des forces contrôlant de facto des ports importants sur la côte du pays assiégé. La construction du port de Berbera a été financée par la société DP World, basée à Dubaï, qui est également le principal fournisseur de capitaux de l'Éthiopie.

Cette société de logistique, liée à la dynastie régnante Al-Maktum de Dubaï, a également été le principal fournisseur de drones (avec la Turquie) à l'Éthiopie pendant la guerre du Tigré (2020-2022) et les guerres en cours contre les insurgés dans les régions d'Amhara (depuis avril 2023) et d'Oromo (depuis 1973). DP World était également le principal rival du groupe turc Albayrak dans son offre de location de l'aéroport Adena Adde à Mogadiscio. Les Turcs en sont finalement sortis vainqueurs, grâce à leur soutien constant au gouvernement central, tandis que les Émirats arabes unis, comme nous l'avons mentionné, ont joué un double jeu, ce qui a fini par refroidir l'attitude des Somaliens à leur égard.

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L'Éthiopie, cependant, ne reconnaîtra pas le Somaliland

Dans le contexte de la déclaration d'Ankara, le statut du protocole d'accord mutuel de janvier 2024 entre l'Éthiopie et le Somaliland reste flou. Abdirahman Mohammad Abdullahi, dans son discours inaugural, a annoncé d'une part un « examen » de l'accord avec l'Éthiopie pour sa transparence, sa compatibilité avec les intérêts stratégiques du Somaliland et ses objectifs plus larges de reconnaissance internationale, et sa mise en œuvre par les voies parlementaires et légales par les deux parties, et d'autre part, la poursuite de sa mise en œuvre et sa non-dépendance de la relation de l'Éthiopie avec la Somalie. Cependant, il semble que la déclaration rassurante et, très probablement, délibérément vague du dirigeant de la république non reconnue cache la prise de conscience que le mémorandum n'est plus valable.

Après la signature du mémorandum, le ministre de la défense du Somaliland, Abdiqani Mohamoud Ateye, du parti Kulmiye dont Muse Bihi Abdi était le chef depuis 2015, a démissionné. L'ancien ministre de la défense refusait d'accepter la présence de troupes éthiopiennes au Somaliland, qu'il considérait comme le « principal ennemi » du Somaliland. Le nouveau président Abdirahman Mohammad Abdullahi, fondateur du parti rival Waddani, s'est déclaré prêt à rencontrer l'ancien ministre. Il s'agit peut-être d'une autre indication que Hargesia a pris conscience de son échec diplomatique (ou a succombé à la pression extérieure en la matière).

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La Turquie pacifie le conflit entre l'Éthiopie et la Somalie

La déclaration d'Ankara de décembre dernier annonce l'ouverture de pourparlers techniques sous l'égide de la Turquie, au plus tard à la fin du mois de février 2025, et la signature des accords de conclusion dans un délai de quatre mois. L'objectif de ces pourparlers est de fournir à l'Éthiopie « un accès fiable, sûr et durable à la mer et depuis la mer, sous l'autorité souveraine de la République fédérale de Somalie ». L'Éthiopie doit donc disposer d'un « accès sûr à la mer et à partir de la mer, dans le respect de l'intégrité territoriale de la République fédérale de Somalie ». Les parties déclarent en outre leur « respect et leur engagement envers la souveraineté, l'unité, l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'autre partie, ainsi qu'envers les principes énoncés dans le droit international ». La Turquie doit superviser la mise en œuvre de ces engagements et résoudre les différends liés à leur interprétation et à leur application par le dialogue et de manière pacifique - avec l'aide de la Turquie si nécessaire.

La déclaration, dont les dispositions les plus importantes sont reprises dans le paragraphe ci-dessus, ne mentionne pas la présence militaire de l'Éthiopie sur la côte somalienne. L'Abyssinie, quant à elle, s'efforce d'être « complète » sur le plan maritime, notamment en reconstruisant sa marine de guerre - ce qui est particulièrement légitime dans les eaux en proie aux attaques des pirates et des Huthis. Comme indiqué plus haut, le statut du protocole d'accord mutuel de janvier 2024 entre l'Éthiopie et le Somaliland n'est toujours pas clair. S'il devait être annulé, la question se pose de savoir à quelle zone côtière Addis-Abeba aura accès: le port de Berbera? le port de Kismayo? Il ne faut pas non plus oublier que la question de l'accès de l'Éthiopie à la mer se pose dans le contexte plus large des relations entre l'Éthiopie et l'Égypte, sans la normalisation structurelle desquelles il sera difficile de parler de stabilité durable dans les régions de la Corne de l'Afrique et du bassin du Nil.

La Turquie veut aller vers l'océan

Le levier de pression sur l'Egypte sera la présence militaire turque d'Ankara en Tripolitaine. En août 2024, la Grande Assemblée nationale turque a ratifié un nouveau protocole de coopération militaire avec Tripoli, renforçant la coopération existante et garantissant aux soldats turcs l'impunité des autorités locales sur le Grand Syrte. Le Caire sera contraint de faire des compromis avec Ankara pour tenter de colmater stratégiquement la brèche à sa frontière occidentale. L'enjeu pour le sultan est la reconnaissance par l'Égypte du protocole d'accord turco-libyen sur la démarcation des eaux territoriales en Méditerranée, signé le 27 novembre 2019 à Istanbul.

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Le protocole turco-libyen est une application pratique de la doctrine Mavi Vatan. Il formalise les revendications turques sur le plateau continental en Méditerranée et en mer Noire, déjà poursuivies par l'Anatolie depuis 2004. En juin 2006, la doctrine a été formulée par le contre-amiral Cem Gürdeniz lors d'un symposium sur « La mer Noire et la sécurité maritime » tenu sur le site du commandement des forces navales turques. Elle a été développée par le contre-amiral Cihat Yacı en 2010 dans l'ouvrage « Temel Deniz Hukuku » et dans le livre « Mavi Vatan. Bir Harita ve Bir Doktrin Kitabi ».

La doctrine de la patrie bleue n'est pas une simple doctrine géostratégique, atteignant le niveau de la « stratégie totale » au sens d'André Baufre ou de la « géopolitique » dans son sens le plus large ; son objectif est d'élever les Turcs au rang de peuple marin, de transformer la Turquie en une puissance eurasienne non seulement par la mer mais aussi par l'océan. La Turquie doit se tourner vers les marchés indo-pacifiques, comme l'a fait autrefois l'Empire ottoman, et en reliant le port de Mogadiscio, dans l'océan Indien, à Tripoli, dans la Méditerranée, et Tripoli à Aliağa, en Anatolie, on crée le réseau de voies de communication nécessaire à cet effet.

Le contrôle par la Turquie du golfe d'Iskanderun et des zones maritimes territoriales en contact avec les siennes et celles de la Libye permet de sécuriser la section méditerranéenne de la route. L'entretien de relations amicales avec le régime de Khartoum, mis en place par les Israéliens, les Égyptiens et les Arabes émiratis pour anéantir l'influence turque sur la mer Rouge, permet de sécuriser la section africaine. L'accord militaire de février 2024 avec Djibouti renforce encore l'influence d'Ankara dans la région de Bab al-Mandab.

Les Turcs apprennent à connaître l'Afrique

Pour compléter le puzzle est-africain, il ne manque à Erdogan que l'Égypte. Les accidents techniques dans le détroit de Suez, comme l'échouage du porte-conteneurs « Ever Green » en mars 2021, mais surtout la déstabilisation géopolitique de la région ont incité les parties prenantes à développer des voies de transport alternatives au corridor Suez-Bab al-Mandab. La Türkiye, avec la Chine bien sûr, fait partie des promoteurs les plus actifs de l'initiative « Belt and Road », dont l'une des branches doit partir de Shanghai, via Xi'an, Urumqi, puis Almaty, Tachkent, Téhéran, Ankara et Istanbul, pour rejoindre l'Europe. Il y a aussi l'idée de la route du développement, qui relierait le golfe Persique, via la Mésopotamie, au plateau anatolien, avec l'aide des Émirats arabes unis et du Qatar. Et enfin, la route africaine de Tripoli à Mogadiscio, déjà mentionnée.

Toutefois, la route africaine et la route du développement ne sont pas des alternatives mais des compléments à la route égyptienne. Les Turcs ont besoin de l'Égypte et du Soudan, ainsi que de l'île de Sawakin, pour sécuriser Suez, la mer Rouge, Bab al-Mandab et le golfe d'Aden. C'est cette route qui restera le principal accès de la Turquie vers l'Indo-Pacifique - vers Bharat et Nusantara. Pressée au sud par l'Éthiopie et à l'ouest, du côté libyen, l'Égypte, qui doit en outre gérer la crise du canal de Suez, pourrait à son tour n'avoir d'autre choix que de donner raison à l'ambitieux sultan anatolien.

Il ne fait aucun doute qu'après un siècle d'absence due à l'orientation occidentale unilatérale des kémalistes, la Turquie revient en Afrique et devient l'une des principales forces en présence. La diplomatie anatolienne se heurtera sur le continent à des problèmes extrêmement complexes, dont la solution et la rectification exigeront de la diplomatie turque qu'elle « réapprenne » à connaître l'Afrique.

Géopolitique de l’Europe avec Robert Steuckers - Première partie

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Géopolitique de l’Europe avec Robert Steuckers

Première partie

Première partie d’un entretien entre le camarade Roberto (de l'Echo des Canuts) avec Robert Steuckers pour une émission de haute tenue sur la géopolitique de l’Europe.
A mettre entre toutes les oreilles !!
Cet entretien sera diffusée en deux parties.

Pour écouter: 

https://radiomz.org/lecho-des-canuts-31-geopolitique-de-l...

mardi, 28 janvier 2025

Poker arctique: les États-Unis et la Chine se disputent l’avenir du Groenland

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Poker arctique: les États-Unis et la Chine se disputent l’avenir du Groenland

Source: https://report24.news/arktis-poker-usa-und-china-ringen-u...

Au Groenland, une confrontation géopolitique se profile à l’horizon. Ce qui pourrait apparaître à certains comme une simple étendue glacée surdimensionnée devient le théâtre d’un jeu stratégique entre les grandes puissances mondiales. Washington et Pékin manifestent un intérêt croissant pour la plus grande île du monde.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: avec une population d’à peine 56.000 habitants et un PIB modeste de 3,4 milliards de dollars (en 2024), le Groenland peut sembler être un poids plume économique. Pourtant, cette immense île repose sur une poudrière géopolitique susceptible de bouleverser l’équilibre mondial des pouvoirs. Une lutte d’influence oppose les États-Unis, l’Union européenne, la République populaire de Chine et la Fédération de Russie.

Un sondage récent attire particulièrement l’attention: 57% des Groenlandais se disent favorables à une appartenance aux États-Unis. Une évolution qui provoque des inquiétudes à Copenhague, où le Danemark détient encore officiellement les rênes en matière de politique étrangère et de sécurité.

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Deux routes maritimes potentielles traversant l’Arctique – le passage du Nord-Ouest longeant la côte nord-américaine et la route transpolaire au centre de l’océan Arctique – font de cette région un carrefour maritime d’importance croissante.

Alors que les États-Unis tentent de renforcer leur position, la Russie a déjà pris une longueur d’avance. Sa flotte de brise-glaces conventionnels et nucléaires dépasse de loin celle des Américains. Les nouveaux brise-glaces russes de la classe Projet 22220 peuvent traverser en continu des glaces atteignant 3,2 mètres d’épaisseur, soit plus de deux fois les capacités du plus puissant navire américain, l’USCGC Healy.

La coopération croissante entre la Russie et la Chine dans cette région aggrave encore la situation. La Chine, premier constructeur naval mondial, et la Russie, qui détient 53% de l’Arctique, ont uni leurs forces – une alliance qui fait retentir des alarmes à Washington.

Le gouvernement danois est face à un dilemme: d’un côté, il souhaite maintenir son lien colonial avec le Groenland; de l’autre, il manque des ressources nécessaires pour sécuriser efficacement la région et exploiter ses ressources naturelles. L’aide annuelle de 600 millions de dollars est à peine suffisante pour maintenir l’infrastructure de base.

La base spatiale américaine de Pituffik, anciennement connue sous le nom de Thule Air Base, avec ses 700 employés, constitue déjà un facteur économique important. Mais face à l’aggravation de la situation géopolitique, cela pourrait n’être qu’un premier pas vers une présence américaine renforcée.

Les parallèles avec l’histoire du canal de Panama, où la Chine a acquis une influence significative, sont pour les stratèges américains un avertissement. La région arctique, riche en terres rares et autres ressources naturelles, ne doit, selon eux, pas tomber entre de mauvaises mains. La question n’est plus de savoir si les États-Unis renforceront leur position au Groenland, mais comment. Que ce soit sous forme de protectorat ou autrement, les dés dans ce poker arctique ne sont pas encore jetés.

samedi, 25 janvier 2025

Le curieux cas azéri

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Le curieux cas azéri

Par Enrico Tomaselli

Source : Giubbe Rosse & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/lo-strano-caso-az...

L’Azerbaïdjan, un pays bien situé dans la zone stratégiquement croissante de l’Asie centrale, se trouve, d’un point de vue géopolitique, dans l’orbite des pays turcophones et constitue sans aucun doute le meilleur allié d’Ankara. Le gouvernement de Bakou a récemment ravivé ses revendications envers l’Arménie, tant concernant l’enclave du Haut-Karabagh (question réglée par le rapide conflit de septembre 2023) que, surtout, sur la question du corridor de Zanguezour, censé relier la République autonome du Nakhitchevan au reste de l’Azerbaïdjan, en passant par la région arménienne du Syunik.

De son côté, l’Arménie, traditionnellement située dans l’orbite russe, a récemment amorcé un rapprochement progressif avec l’Occident (UE, OTAN), s’éloignant de Moscou. Après la désastreuse défaite de 2023, dont Erevan porte une part importante de responsabilité, ce rapprochement s’est encore accentué, notamment via la France – un pays traditionnellement ami, qui accueille une importante communauté issue de la diaspora arménienne.

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La question du corridor de Zanguezour est en effet au cœur de tensions plus larges, car l’Iran s’y oppose fermement. Sa création couperait les voies de transit iraniennes vers le nord-ouest, via l’Arménie. De plus, l’Azerbaïdjan – grâce aux oléoducs turcs – est un fournisseur clé de pétrole pour Israël, avec lequel Bakou entretient d’excellentes relations, notamment dans le domaine de la défense. Téhéran a donc plusieurs raisons de se retrouver en conflit avec son voisin.

Par ailleurs, Bakou et Ankara manœuvrent pour mettre l’Iran sous pression, notamment dans le domaine énergétique. La société d’État azérie Socar a annoncé des investissements de plus de 17 milliards de dollars en Turquie, principalement dans la production de composants nécessaires au raffinage. Ainsi, le pétrole azéri, acheminé par l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui transporte le brut de la mer Caspienne à la Méditerranée via la Turquie, sera raffiné sur place, renforçant encore davantage le lien entre les deux États.

Cependant, la région du Moyen-Orient élargi est un tel enchevêtrement d’intérêts qu’il peut s’y passer n’importe quoi.

Et voici qu’un accord trilatéral (en cours de définition) entre la Russie, l’Iran et l’Azerbaïdjan est annoncé. Celui-ci prévoit la construction d’un gazoduc qui, traversant l’Azerbaïdjan, fournira initialement à l’Iran 2 milliards de mètres cubes de gaz par an, avec pour objectif d’atteindre 55 milliards de mètres cubes. La capacité maximale prévue de ce gazoduc devrait être équivalente à celle du Nord Stream. Cet accord, d’une durée de 30 ans, permettra de livrer du gaz russe à l’Iran, tant pour la consommation intérieure que pour les pays voisins.

Bien que l’Iran détienne la deuxième plus grande réserve mondiale de gaz naturel (34 trillions de mètres cubes, après la Russie), il fait face à une pénurie de carburant, la demande en gaz dépassant la production. La plupart des réserves restent inexploitées en raison des sanctions imposées par les États-Unis, qui bloquent les investissements et les avancées technologiques. De plus, les principaux gisements de gaz iraniens sont situés dans le sud du pays, alors que les principaux consommateurs se trouvent dans le nord, où le climat est particulièrement rigoureux. Ainsi, en hiver, l’Iran doit faire face à un déficit quotidien d’au moins 260 millions de mètres cubes de gaz, mettant à rude épreuve l’approvisionnement en électricité.

Évidemment, Bakou, en plus de tirer des revenus des droits de passage, pourrait également bénéficier d’une partie du gaz transporté. Si, comme cela semble probable, l’accord est finalisé, une situation d’intérêts partagés plus forte pourrait se créer entre les trois pays. Cela pourrait, à terme et dans une certaine mesure, mener à une résolution négociée des différends entre l’Iran et l’Azerbaïdjan, ainsi qu’à une réduction limitée de l’influence turque dans la région.

En somme, le grand jeu géopolitique continue…

vendredi, 24 janvier 2025

Le monde d'aujourd'hui et de toujours: la géopolitique d'un océan à l'autre

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Le monde d'aujourd'hui et de toujours: la géopolitique d'un océan à l'autre

Alberto Hutschenreuter

Source: https://nomos.com.ar/2025/01/06/el-mundo-de-hoy-y-de-siem...

La géopolitique n'a jamais quitté la scène mondiale, malgré l'hypocrisie des puissances occidentales qui ont tenté de la faire oublier.

L'ironie du sort veut que, plus de trente ans après avoir décrété la « fin de la géopolitique », ce soit précisément la géopolitique qui menace aujourd'hui la mondialisation et la possibilité de construire un ordre international.

Cela démontre que le volontarisme est de peu d'effet face aux régularités de l'histoire; et nous rappelle, d'une certaine manière, le moment où, à la fin des années 1920, fut signé le Pacte Briand-Kellog ou Traité de renonciation à la guerre (illustration, ci-dessous), un accord qui, selon le polémiste français Gaston Bouthoul, équivalait à ce que les médecins signent un document proclamant la fin des maladies.

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Les excès de l'idéalisme en politique internationale conduisent souvent à ce genre de déclarations ou d'aspirations, jusqu'à ce que le mur solide de la réalité s'y oppose et rétablisse l'équilibre.

La géopolitique n'a jamais eu bonne réputation, car elle a été associée à l'annexion de territoires, à la capture de régions riches en ressources, à des sphères ou blocs d'influence, à des « frontières vivantes », à des intentions ou ambitions cachées de la part d'États de se développer au détriment de la sécurité d'autres États, entre autres choses.

Ce discrédit de la discipline a été amplifié par le fait que le régime allemand des années 1930, révolutionnaire d'un point de vue géopolitique, l'a transformée en une méthode basée sur le sol et la race, orientée vers la guerre. C'est sans doute dans ce contexte que la réputation de la géopolitique a été ternie.

Après la Seconde Guerre mondiale, le terme est abandonné, mais non sa pratique. Après tout, qu'est-ce que la guerre froide si ce n'est un affrontement mondial pour contrôler les espaces sis entre des blocs idéologiques et géostratégiques rigides ?

Avec la fin du bipolarisme, la géopolitique semblait avoir disparu en même temps que le conflit qui a dominé la majeure partie du 20ème siècle. De plus, la mondialisation a rapidement « géo-économisé » les relations internationales, laissant peu de place aux phénomènes de rupture. La géopolitique n'a pas disparu, bien sûr, mais elle a acquis un sens presque « sur mesure ». Tout devient alors géopolitique: du paysage financier aux phénomènes climatiques. Par exemple, on a parlé de la « géopolitique de Katrina », comme si l'ouragan obéissait aux logiques politico-territoriales des États.

Or, dans ce monde, il s'est produit des événements où l'interaction entre les intérêts politiques, les territoires et la puissance, c'est-à-dire les composantes qui définissent et animent la géopolitique, était catégorique.

Il a fallu un événement profondément géopolitique, impliquant directement un acteur puissant à l'histoire territoriale marquée (la Russie), pour que des experts autorisés commencent à parler du « retour de la géopolitique ».

En fait, l'annexion par la Russie de la péninsule ukrainienne de Crimée en 2014 a ramené la géopolitique au centre des débats. Depuis, les études sur la discipline se sont multipliées. La géopolitique est « revenue ».

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Mais à proprement parler, la géopolitique n'a jamais vraiment disparu. Si nous jetons un regard plus critique et réfléchi sur les événements qui se sont déroulés depuis les années 1990, nous nous rendons compte que la géopolitique est présente dans tous ces événements. Par exemple, l'expansion de l'OTAN et l'attaque du terrorisme transnational sur le territoire le plus sûr du monde, en ce funeste 11 septembre, sont des événements dans lesquels la relation entre l'intérêt politique et le territoire est évidente. Alors que le premier a représenté un déplacement de pays et de moyens militaires vers des zones russes de plus en plus stratégiques, le second a été la conséquence d'une orientation territoriale globale du terrorisme de nouvelle génération.

En outre, non seulement la géopolitique n'a jamais disparu, mais de nombreux nouveaux thèmes ont contribué à sa pluralisation. C'est le cas du segment ou plan numérique, l'une des « nouvelles territorialités » qui s'ajoute aux anciennes, bien que, contrairement à elles, il s'agisse d'un champ incommensurable. Son utilisation à des fins pernicieuses permet finalement aux États de se dédouaner de leur responsabilité pour des actions menées contre d'autres, grâce à la prolifération de hackers patriotes, globaux et « souverains ».

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L'espace extra-atmosphérique est un autre territoire « nouveau mais ancien ». Ce qui est nouveau dans ce « domaine », comme le soulignent les experts américains Dave Baiocchi et William Welser, c'est sa « démocratisation ». Cela signifie qu'en plus de la prolifération des missions spatiales, l'actuelle course à l'espace n'est pas seulement le fait des États. La technologie a rendu l'espace plus accessible que jamais, permettant à de nouveaux acteurs d'y entrer.

À côté de ces réalités, le vitalisme géopolitique se manifeste dans de nombreuses autres situations: des mouvements des puissances dans l'océan Arctique et le continent Antarctique, à la projection régionale, continentale et mondiale de la Chine. Il comprend également l'acquisition d'espaces environnementaux propres par des puissances qui ont presque épuisé les leurs, l'ouverture de nouvelles routes commerciales (comme celle de l'Arctique), le développement de politiques de préservation des espaces maritimes - qui, dans la pratique, reflètent des logiques de pouvoir et de contrôle de la part des puissances, ce que l'on appelle la « diplomatie de la défense » -, la projection vers des régions riches en ressources anciennes et nouvelles, et le développement d'une culture de la sécurité, la projection vers des régions riches en minerais anciens et nouveaux (comme le lithium et les terres rares), l'endiguement multidimensionnel perpétré par les États-Unis contre la Chine, la configuration possible de blocs technologiques ou d'interintelligence artificielle (BI-IA), la revitalisation territoriale possible du terrorisme (en envisageant, par exemple, un scénario de chaos en Syrie), le renouveau du « navalisme » et de la « géopolitique sous-marine ».

Enfin, dans les « deux guerres et demie » en cours dans le monde - en Ukraine, au Moyen-Orient et autour de la plaque indo-pacifique (cette dernière centrée sur la rivalité croissante entre la Chine et les Etats-Unis) - la prééminence de la géopolitique et même les causes de ces guerres ont des racines politico-territoriales.

Comme la guerre et d'autres phénomènes, la géopolitique ne revient pas, tout simplement parce qu'elle n'a jamais vraiment disparu. Par conséquent, au-delà des processus d'interaction sociale et du déclin apparent de l'anarchie internationale, conséquence de l'émergence de nouveaux acteurs et de l'avancée presque inéluctable de la technologie, il est impératif de penser le monde du point de vue des intérêts, des territoires et de la puissance - en particulier pour un « pays-continent » comme l'Argentine, un acteur doté de vastes extensions terrestres, maritimes, aériennes et numériques, mais qui ne dispose pas encore de la puissance nationale nécessaire pour protéger ce statut privilégié.

17:52 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, géopolitique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook