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mardi, 09 novembre 2021

Le voyage atlantique de l'impubliable Jünger

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Le voyage atlantique de l'impubliable Jünger

Andrea Scarabelli

Ex: https://blog.ilgiornale.it/scarabelli/2017/08/07/il-viaggio-atlantico-dellimpubblicabile-junger/

Ernst Jünger, Voyage atlantique, Londres, 1947. Deux ans après la fin de la guerre mondiale, un petit livre inhabituel a été publié dans une série destinée aux prisonniers de guerre allemands en Angleterre. Ernst Jünger est donc l'auteur de Atlantische Fahrt, récemment publié en italien chez Guanda sous le titre Traversata atlantica, dans une traduction d'Alessandra Iadicicco et avec un éditeur enfin digne de ce nom. En plus du texte, le volume contient un riche appareil de correspondance, des annexes bio-bibliographiques, un grand nombre de notes et une critique d'Erhart Kästner de 1948. Reconstituée à travers ces riches apports, l'histoire éditoriale de Atlantische Fahrt est comique dans un certain sens. Le premier livre d'après-guerre de Jünger n'a pas été publié en Allemagne, en raison de la répression "démocratique" qui l'a interdit de publication et de parole, en même temps que d'autres dieux de la philosophie du 20ème siècle, dont Martin Heidegger et Carl Schmitt. L'épuration culturelle et anthropologique de la nouvelle Allemagne finit par le toucher lui aussi, abandonné à lui-même, incapable d'écrire et de publier et pourtant imprimé et réimprimé à l'étranger (surtout en Suisse, dans ces années-là), alors qu'une longue lignée d'intellectuels était intervenue en sa faveur. Le veto des autorités alliées durera jusqu'en 1949. Jusque-là, rien ne pouvait être fait. "Faut-il être un prisonnier allemand pour pouvoir lire un certain auteur interdit en Allemagne?" a amèrement remarqué l'écrivain Stefan Andres en critiquant Jünger en 1949.

À la fin des années 1940, le futur lauréat du prix Goethe est donc enchaîné : mais Jünger, le paria, s'est métamorphosé, a changé de peau, assumant la tâche de "phare aristocratique de la douleur", comme il le dira quelques années plus tard. C'est la chair des vaincus qui réclame l'attention dans ces pages lumineuses, que la sagesse européenne ne pourra pas ignorer longtemps. Un cri qui sera certainement malvenu pour certaines belles âmes, mais qui fait de ses paroles l'un des chants les plus intenses du 20ème siècle.

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En tout cas, le livre a été publié en 1947, mais il s'agit du récit d'un voyage au Brésil onze ans plus tôt : de Hambourg à Belém, Recife, São Paulo, Rio de Janeiro et Bahia. Avec une escale préliminaire aux Açores, occasion idéale pour faire le point sur la situation de l'Allemagne qu'il vient de quitter: "Leur archipel me semblait un symbole de notre situation: comme une chaîne de volcans qui, à l'extrême frontière de l'Europe, s'élève au milieu de solitudes infinies". Il décide de faire une pause dans une civilisation dont il commence à entrevoir les ombres, changeant d'hémisphère, sous un soleil et des constellations différents. Ce voyage allait marquer un profond changement dans sa vision du monde, en déplaçant l'accent de la situation en Allemagne vers celle du monde dans son ensemble, comme le note Detlev Schöttker dans son essai à la fin du livre. Mais Jünger ne le sait pas encore, et dans le Nouveau Monde, dans sa surabondance protéiforme, il cherche les images, les phénomènes originaux dont parlait Goethe dans ses écrits sur la métamorphose des plantes. Chacune de ces images réveille des réminiscences anciennes, faisant de chaque homme un artiste et un artifice. L'Atlantique comme un miroir, dans lequel le poète d'Orages d'acier se reconnaît et se retrouve. Ici, chaque découverte est une (auto)révélation, un retour à la maison. Il s'en rend compte lorsqu'il aperçoit un poisson de forme bizarre, inconnu des classifications occidentales. Quelque chose de dormant se réveille en lui :

"A la vue de ces créatures fabuleuses, ce qui nous frappe, c'est avant tout l'accord entre l'apparition et l'imagination. Nous ne les percevons pas comme si nous les découvrions, mais comme si nous les inventions. Elles nous surprennent et en même temps nous nous sentons intimement familiers avec elles, comme si elles étaient des parties de nous-mêmes réalisées en images. Parfois, dans certains rêves et, très probablement, à l'heure de la mort, cette imagination acquiert en nous une force extraordinaire. Les mythes naissent là où les réalités supérieures et suprêmes s'accordent avec le pouvoir de l'imagination".

Mais l'Amérique du Sud n'est pas seulement une nature non contaminée. Au milieu des dédales de végétation et des humbles rives de rivières sans fin se dressent d'imposantes mégalopoles, encore inconnues des Européens de l'époque. C'est en présence de ces agglomérations vertigineuses que s'opère la révolution copernicienne de l'écrivain : la technologie, vue à l'œuvre dans la Première Guerre mondiale puis dans l'industrie, est devenue un phénomène mondial. Les acolytes du Travailleur ont envahi le globe, le transfigurant et redessinant ses frontières. Rio de Janeiro le consterne: "La ville a une forte impression sur moi. C'est une résidence pour l'esprit du monde". Et c'est précisément dans ces pages qu'apparaît le nom d'Oswald Spengler, qui dans Le Déclin de l'Occident avait indiqué dans les métropoles inorganiques et amorphes l'un des symptômes des phases terminales d'une civilisation. Des prophéties aussi amères que d'actualité, même un siècle après la publication de son monumental traité sur la morphologie des civilisations.

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Et pourtant, comme l'écrivait Hölderlin, là où le danger grandit, surgit aussi ce qui sauve, et au cours de ce voyage au bout de l'Occident, une fois encore, la nature sauvage et intacte agit comme un buen retiro, comme un contrepoids à la technicisation planétaire effrénée. Une lettre à son frère Friedrich Georg, écrite le 20 novembre 1936 à Santos, en témoigne: "Dans ces contrées, il y a un proverbe que j'aime beaucoup ; il dit: la forêt est grande, et cela signifie que quiconque se trouve en difficulté ou est victime de persécutions peut toujours espérer trouver refuge et accueil dans cet élément". Il est probable que certains de ses compagnons de voyage pensent la même chose, et lorsqu'ils arrivent au Brésil, ils décident de quitter le navire et de ne pas retourner en Allemagne. Au contraire, il l'a fait, vivant la tragédie européenne jusqu'à son dernier acte, mais emportant avec lui cette image de la forêt, développée quelques années plus tard dans Le traité du rebelle. Dans la forêt, il verra l'authentique patrie spirituelle de l'homme, par opposition au navire, domaine de la vitesse et du progrès, et le rebelle sera celui qui se tournera vers la forêt, en se donnant à la brousse - en quittant le navire, en fait.

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Mais il n'y a aucune trace de cela dans sa biographie. Pour l'instant, il n'y a que la haute mer et les îles, l'immensité de l'Atlantique et l'abri des atolls et des archipels, pour réitérer l'irréductible dualité qui constitue la quintessence littéraire - mais pas seulement - d'Ernst Jünger. L'océan, sous le charme duquel "notre être s'écoule et se dissout ; tout ce qui est rythmique en nous s'anime, résonances, battements, mélodies, le chant originel de la vie qui berce les âges". Son charme nous fait revenir vides, mais heureux comme après une nuit passée à danser". Les îles, en revanche, contiennent la promesse d'une joie "plus profonde que le calme, que la paix dans cet élément orageux déplacé des profondeurs". Même les étoiles sont des îles dans la mer de lumière de l'éther".

Les îles, la mer... Il est tard. Notre voyageur note ces mots en retournant dans son Europe, martelée par l'urgence de l'histoire, secouée par des vents qui vont bientôt révéler leur forme monstrueuse et titanesque. Les derniers mots du journal brésilien sont datés du 15 décembre 1936 :

"Je suis satisfait de ce voyage. Éole et tous les autres dieux ont été propices. Plus intense encore est le plaisir que j'y ai ressenti par rapport aux temps menaçants qui s'annoncent de plus en plus clairement, dont les flammes vacillent déjà à l'horizon".

Ces flammes qui finiront par embraser une civilisation entière, une civilisation dont Jünger choisira d'être le témoin, payant à la première personne, comme beaucoup d'autres, sa propre inactualité.

Evola et le mystère hyperboréen

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Evola et le mystère hyperboréen

par Giovanni Sessa

Ex : https://www.centrostudilaruna.it/evola-e-il-mistero-iperboreo.html

Recueil des écrits du philosophe 1934-1970

Julius Evola était un écrivain prolifique. Outre un nombre considérable de livres, consacrés à des domaines de connaissance très différents, du dadaïsme à la philosophie, de l'hermétisme à la critique de la modernité, il a également écrit un nombre inhabituel d'essais et d'articles, publiés dans des revues et des journaux. Depuis des années, la Fondation Evola rassemble en volumes les différentes contributions du traditionaliste romain. Le livre du penseur Il mistero dell'Occidente. Scritti su archeologia, preistoria e Indoeuropei 1934-1970, édité par Alberto Lombardo, à qui nous devons également l'intéressante introduction, letout publié par la Fondazione Evola/Pagine, Quaderno n. 53 di testi evoliani (pour les commandes : 06/45468600, pp. 243, euro 18.00). Le livre est enrichi par l'ample postface de Giovanni Monastra, biologiste spécialisé en anthropologie physique, qui offre, comme le rappelle Gianfranco de Turris dans la Note: "un aperçu des études génétiques les plus récentes [...] qui ont en partie confirmé, en partie modifié, le tableau de la préhistoire indo-européenne offert par Evola" (p. 7).

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Le recueil contient vingt écrits consacrés par le philosophe à l'exploration du thème de l'origine. Ce Cahier est donc résolument plus substantiel que le précédent, publié en 2002, qui contenait une dizaine d'écrits, et permet au lecteur de comprendre ce qu'Evola pensait réellement des origines et de la préhistoire indo-européennes, c'est-à-dire de ce qui est défini à plusieurs reprises dans ces pages comme le mystère hyperboréen ou occidental. Comme le rappelle Lombardo, ce volume est d'autant plus important si l'on tient compte de l'influence exercée par les essais qu'il contient sur les auteurs et les courants de pensée de l'après-guerre. Adriano Romualdi, en effet, dans son étude éclairée sur les Indo-Européens, se réfère explicitement aux recherches d'Evola et tente de les combiner avec les découvertes de Giacomo Devoto. Les numéros spéciaux des revues Nouvelle Ecole et Futuro Presente, consacrés aux origines des peuples européens, témoignent de la pertinence des intuitions d'Evola, tout comme les travaux de Jean Haudry, Felice Vinci ou Jean Mabire.

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A partir de ces articles, il est possible d'identifier les auteurs qu'Evola a utilisés pour disséquer le mystère hyperboréen. Tout d'abord, apparaît le nom de Fabre d'Olivet (illustration, ci-dessus), qui fut le premier à soutenir "la lointaine origine nordique-arctique, boréale ou hyperboréenne" de la race blanche (p. 13). Les références à Guénon ne manquent pas, même si, contrairement à l'ésotériste français, Evola utilise aussi des données scientifiques, tout en les subordonnant à la méthode traditionnelle. Dans les années 30, le savant vers lequel le traditionaliste se tournait avec le plus d'intérêt était Herman Wirth, auquel il faut reconnaître une capacité peu commune de lecture synthétique d'une énorme masse de données, prouvant l'origine arctique des Indo-Aryens.  

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Depuis l'Arctique, ces peuples, après la dernière grande période glaciaire, se sont déplacés "vers le sud-est, donnant naissance à de nombreuses civilisations préhistoriques" (p. 14), dont les valeurs religieuses étaient centrées sur le monothéisme solaire. Dans ses écrits des années 1950, Evola modère son jugement positif sur Wirth, bien qu'il continue à le considérer comme un auteur de grande profondeur. Pour le Romain, la spiritualité solaire de l'origine était le fruit de civilisations patriarcales et non de civilisations telluriques-matriarcales. Wirth ne pouvait pas partager ce point de vue car, selon le philosophe, il lui manquait une véritable vision traditionnelle de la préhistoire. Le même jugement, note Lombardo, réapparaît également dans les pages de Il mito del sangue. Au contraire, dans Il cammino del cinnabro (Le chemin du cinabre), un jugement global positif de l'œuvre de Wirth se dégage, car il a identifié le point zéro de l'histoire dans la "Tradition primordiale".

Dans le livre Urgeschichte der Menschheit Wirth est rejoint par Tilak, partisan de l'origine arctique des Vedas. Evola estime que la proto-patrie arctique pourrait également être argumenté en termes biologiques. Dans L'hypothèse hyperboréenne, le traditionaliste soutient que les groupes sanguins 0 et A: "ont une relation étroite [...] avec les races aryennes et, en général, indo-germaniques" (p. 17). Les données génétiques sont cependant lues par Evola comme faisant partie d'un ensemble plus vaste d'éléments, dont les traditions mythologiques des différents peuples européens. Pour le savant italien, le cadre ethnique de l'Europe serait composé de trois éléments: un substrat non aryen et autochtone, et deux autres éléments aryens, correspondant à deux mouvements migratoires différents. De plus, un entretien avec l'archéologue Frobenius à Vienne montre que le penseur traditionaliste croyait que le style figuratif qu'il avait observé en Afrique du Nord, en Espagne et en Sardaigne indiquait une même origine nord-atlantique ou arctique-occidentale. Pour Evola, les mythes hyperboréens et atlantes étaient "deux représentations distinctes de migrations, la première étant cependant beaucoup plus éloignée dans le temps que la seconde" (p. 19).

Le document, intitulé La migrazione dorica in Italia, témoigne d'une dette explicite envers le monde idéal de Franz Altheim, qui avait bien compris la proximité spirituelle de Sparte et de Rome. C'est dans ce contexte qu'émerge la lecture particulière qu'Evola fait du matriarcat, en partie déduite de Bachofen, comme une civilisation tellurique, lunaire, qui au niveau juridico-politique aurait été caractérisée par des tendances universalistes de promiscuité sociale. Par opposition, bien sûr, au patriarcat, expression masculine, héroïque, aristocratique et solaire. La lecture des pages de Günther par Evola va également dans le même sens théorique, l'amenant à considérer le matriarcat et le patriarcat comme des "psychologies immuables". Le recueil montre également que, dès 1934, le philosophe ne pense pas la race en termes de "nature" mais de "culture", se démarquant ainsi de la vision biologico-zoologique qui s'affirme tragiquement en Allemagne dans ces années-là.

Parmi les autres thèmes qui se dégagent du volume, il convient certainement de mentionner l'intérêt d'Evola pour l'idéologie "tripartite" de Dumézil. Evola souligne que celle-ci, en particulier en Inde, a connu une variation "quadripartite", ne pouvant invalider l'intuition de l'historien français des religions, puisque "seules les trois premières castes représentent l'héritage des envahisseurs aryens de l'Inde" (p. 27). En outre, les exégèses des deux chercheurs sur la figure du guerrier sont synonymes. L'intérêt du penseur romain pour Dumézil a peut-être été stimulé par Eliade, comme en témoignent certaines lettres d'Evola.

Un texte vraiment central, Le Mystère de l'Occident, pour ceux qui se soucient de l'exégèse de la production d'Evola.

lundi, 08 novembre 2021

Un monde tripolaire : nouveaux horizons et Logos intemporels

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Un monde tripolaire : nouveaux horizons et Logos intemporels

Alexandre Douguine

Ex: https://www.geopolitica.ru/article/trehpolyarnyy-mir-novye-gorizonty-i-vechnye-logosy

Un monde tripolaire s'est en fait construit sous nos yeux. Il n'importe plus de savoir quelle force politique prévaut en Amérique, les mondialistes (comme Biden aujourd'hui) ou les nationalistes (comme Trump hier). L'échec du maintien de l'hégémonie mondiale américaine ne dépend plus de l'orientation de l'élite dirigeante américaine. Les néocons et les ultra-libéraux de Biden vudraient revenir au modèle unipolaire qui prévalait dans les années 1990 après l'effondrement de l'URSS, mais ils ne le peuvent tout simplement plus. La Chine et la Russie, à partir d'un certain moment, sont devenues des entités géopolitiques et civilisationnelles si manifestement souveraines qu'il n'est plus possible de le nier.

Bien sûr, les libéraux en lutte contre Trump ont essayé de l'accuser d'être celui qui a contribué (et même tout à fait délibérément) à l'indépendance de la Russie de Poutine. C'était l'une des principales thématiques de l'élection américaine. Mais il est désormais clair qu'il s'agissait d'un pur coup politicien: il n'était pas question des sympathies de Trump pour Poutine ou de l'ingérence de la Russie dans les élections américaines. Le fait est que les États-Unis ne peuvent plus diriger le monde seuls. Et Biden est exactement dans la même position que Trump : la limite stratégique de l'unipolarité a été atteinte et il n'y a plus de ressources pour la maintenir et la renforcer. En dépit de Biden ou de Trump, nous sommes effectivement passés à un monde tripolaire.

Il existe trois centres de décision pleinement souverains dans ce monde.

    - Les Etats-Unis, qui ne représentent plus l'Occident tout entier, mais l'axe anglo-saxon (d'où le lancement des alliances AUKUS et QUAD) + ses satellites régionaux ;
    - La Russie, qui, malgré tout, ne fait que renforcer sa position sur la scène internationale, en essayant de trouver de nouveaux points d'application tant dans l'espace post-soviétique que dans d'autres régions ;
    - La Chine qui supporte avec succès le poids de la confrontation économique et militaro-stratégique croissante avec les Anglo-Saxons, qui se sont sérieusement engagés dans un endiguement régional de la Chine en Asie du Sud-Est.

Entre ces centres complets de pouvoir oscillent

    - L'Union européenne, désemparée, a été amenée au bord d'un désastre énergétique par les politiques ratées de Washington et s'est retrouvée pratiquement exclue du bloc anglo-saxon ;
    - La Turquie, l'Iran et le Pakistan, qui renforcent systématiquement leurs capacités régionales ;
    - Le Japon et l'Inde, qui cherchent à renforcer leur position en utilisant de manière pragmatique l'impasse entre les États-Unis et la Chine (tandis que l'Inde, de manière tout à fait rationnelle, continue de maintenir un partenariat stratégique avec la Russie) ;
    - Les pays islamiques du Moyen-Orient et du Maghreb, qui se sont détachés des États-Unis et tentent désormais de résoudre les conflits locaux sans se tourner vers Washington ;
    - Les régimes africains qui rejettent de plus en plus le néocolonialisme européen et, plus largement, occidental (incarné de manière très vivante par la nouvelle vague de panafricanisme anti-européen - comme les Urgences panafricanistes de Kemi Seba)
    - Les pays d'Amérique latine, effectivement abandonnés par les États-Unis et cherchant une nouvelle place dans le système mondial sur le modèle du Sud global ;
    - Les acteurs émergents d'Asie du Sud - Indonésie, Malaisie, Corée du Sud, etc.

Ainsi, entre les trois piliers de la tripolarité, qui ont désormais une supériorité incontestable, bien qu'asymétrique, commence un mouvement de pôles secondaires, un peu moins établis et encore incomplets. Néanmoins, certains d'entre eux - notamment l'Inde et certains pays d'Amérique latine - ont un potentiel très élevé et ne tarderont pas à atteindre la cour des grands.

Et c'est là que la partie amusante entre en jeu. Ce monde tripolaire, et demain un monde multipolaire au sens plein, a deux aspects.

D'une part, certains aspects technologiques de la civilisation - dans le système de communication, dans la sphère énergétique, dans les modèles de réseaux numériques et de développement de l'économie virtuelle - seront communs à tous les pôles, grands et petits, même si ce n'est que pour un court moment. Cela permettra de parvenir à une standardisation, même minime, des relations entre les pôles, et de justifier des algorithmes communs. Cela permettra d'établir un modèle spécifique sur le plan pratique, accepté par tous (ou presque), constitué de protocoles et de règles reflétant les nouvelles conditions. Oui, personne n'aura le monopole de la résolution des situations problématiques à lui seul. Toute solution peut être contestée par l'autre pôle ou par une alliance situationnelle de pôles. Dans une telle situation, personne n'aura le droit exclusif d'insister sur quoi que ce soit. Le pouvoir de l'un ne sera limité que par le pouvoir de l'autre. Le reste est une question de négociation. 

Cela signifie, en fait, le début de la démocratie multipolaire ou "démocratie des normes". Une situation similaire existe d'ailleurs aux États-Unis, où chaque État a ses propres lois, qui se contredisent parfois directement. Dans un modèle international, la "démocratie des normes" peut être encore plus souple : certains pays proposent et acceptent leurs normes, d'autres acceptent les leurs, et ainsi de suite.

Bien sûr, il est dans l'intérêt de tous qu'il existe des algorithmes stables d'interaction internationale, mais les règles changeront constamment, chaque pôle cherchant à modifier la situation en sa faveur. Toutefois, un certain "universalisme" (de nature purement technique), bien que limité, sera manifestement exigé par tous.

Mais d'un autre côté, chaque pôle aura intérêt à renforcer son identité civilisationnelle. Et là, la situation sera encore plus intéressante.

Les trois pôles principaux déjà entièrement formés sont donc:

    - Les Anglo-Saxons,
    - La Russie et
    - La Chine

On insistera clairement sur l'identité historique de chacun. Sur leur propre Logos. Et c'est là que les surprises nous attendent.

Il n'est pas du tout évident que les États-Unis, par exemple, bien que fortement liés à la Grande-Bretagne et à l'Australie, continueront sur la voie de l'ultra-libéralisme, du post-humanisme, de la dégénérescence LGBT+, etc. Ce modèle mondialiste est un échec total. Elle est de plus en plus rejetée, tant aux États-Unis qu'en Europe. Il ne faut donc pas écarter la possibilité d'un retour de Trump et du trumpisme (plus largement du populisme) aux États-Unis. Il est très révélateur que le symbole de la réussite mondiale, Elon Musk, se soit mis à lire Ernst Jünger. Le vent a tourné. L'élite des milliardaires prend un détour intellectuel intéressant - et résolument conservateur. Un autre milliardaire, Peter Thiel, lit depuis longtemps mes textes géopolitiques et les écrits de Carl Schmitt. Oui, il y a toujours Soros, Gates, méta-Zuckerberg, Bernard-Henri Lévy et Jeff Bezos avec les fous furieux de Google et Twitter, mais ils seront bientôt dans une impasse irrémédiable pour avoir tenté d'établir leurs monopoles. Et eux aussi chercheront à s'attaquer à la lecture de Jünger.

En Europe, la tendance montante du nouveau conservatisme est représentée par une figure comme Eric Zemmour, la star des prochaines élections présidentielles françaises. Zemmour rejette radicalement les LGBT+ et le libéralisme, appelle à l'arrêt complet des migrations, au retour à l'identité française, au gaullisme et à une alliance eurasienne avec la Russie.

La Hongrie et la Pologne, en Europe de l'Est, démontrent que le libéralisme commence à s'enliser aussi dans cette région.

Il n'est donc pas du tout certain que dans un monde tripolaire, les posthumanistes, les postmodernes, les maniaques de la technocratie et les pervers libéraux conserveront le monopole du Logos occidental. Un virage conservateur est également très probable. Et maintenant, ça pourrait devenir intéressant. Mais il n'en reste pas moins qu'un tel virage conservateur sera fondé sur les valeurs occidentales. Oui, ils ne seront pas aussi agressifs et intrusifs que la ligne totalitaire et déjà folle des mondialistes libéraux. Mais ce sera toujours une nouvelle affirmation de l'Occident - avec tout ce que cela implique.

La Chine, avec ses milliers d'années de civilisation et son système socio-politique tout à fait original, dispose là encore d'un énorme avantage. Ce n'est pas seulement l'économie et le contrôle politique étroit du PCC qui sont la clé du succès du Logos chinois. La société chinoise - tant l'État que le peuple lui-même - est un système de valeurs cohérent, avec une dimension impériale, une éthique et une sorte de métaphysique chinoise. Ce n'est pas seulement une question de pouvoir ; le fait est qu'entre le pouvoir du PCC et la société chinoise proprement dite se trouve un continent entier de culture traditionnelle chinoise - anthropologique, éthique, spirituelle. Et la Chine ne fera que se renforcer et étendre son influence dans les régions voisines.

Il est grand temps pour la Russie de réfléchir au Logos russe. Sur l'identité russe, sur la conscience de soi historique, sur notre système de valeurs, qui n'est pas moins original et distinctif que celui de l'Occident ou de la Chine. Hélas, nous y prêtons encore très peu d'attention. Mais il vaut la peine de se tourner vers l'histoire russe, vers les trésors inestimables de l'orthodoxie et de la tradition, vers notre littérature et notre art, vers notre philosophie religieuse, vers l'éthique russe de la justice et de la solidarité - et les grandes lignes de la civilisation russe s'ouvriront devant nous. Et là, il faut être décisif : même si ce n'est pas une vérité universelle, elle n'est pas universelle, mais c'est la nôtre, la russe. Qui est prêt à l'accepter, qu'il soit le bienvene. Pour ceux qui n'y sont pas prêts, eh bien, que le monde soit plus riche et plus complet grâce à la diversité et à l'identité.

Et encore les trois Logos...

    ...l'Occidental..,
    ... le chinois et...
    le russe -

sont comme trois civilisations - et ils ne seront bientôt que les principaux pôles de la multipolarité. Les civilisations islamique ou indienne, africaine ou latino-américaine, avec toutes leurs particularités locales, auront l'occasion de multiplier leur Logos, de défendre et de développer leur identité, de construire leurs Etats, leurs cultures, leurs systèmes.

Bien sûr, il y aura des difficultés en cours de route. Mais il est parfois important de prêter d'abord attention aux nouveaux horizons, sans tout réduire à la concurrence, aux conflits, aux affrontements et au scepticisme geignard : "rien ne marchera pour l'humanité, comme rien n'a jamais marché". C'est un mensonge - cela a parfois fonctionné, et l'humanité a connu les plus grands succès, les plus grandes réalisations, les plus grands exploits et les plus hauts sommets, bien qu'il y ait eu aussi des chutes sévères et des catastrophes.

Il vaut la peine de se pencher sur un monde multipolaire - aujourd'hui tripolaire - avec responsabilité et animé de solides bonnes intentions. Après tout, c'est le monde dans lequel nous vivons que nous créons nous-mêmes. Concentrons-nous donc, nous les Russes, sur la recherche du Logos russe.

tg-Nezigar (@russica2)

Droite et gauche, depuis 1989, les deux bras du rouleau compresseur néo-libéral

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Droite et gauche, depuis 1989, les deux bras du rouleau compresseur néo-libéral

Les nouvelles gauches fuchsia et post-marxistes finiront par devenir l'emblème même, culturellement et politiquement, du turbo-capitalisme gagnant!

Par Diego Fusaro

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/11/07/derecha-e-izquierda-desde-1989-los-dos-brazos-del-monstruo-neoliberal/

Tant à droite qu'à gauche, les gens ont été incapables, par myopie ou par mauvaise foi, de saisir la véritable signification historique de 1989 comme le triomphe du capitalisme américain contre toutes les formes de résistance culturelle, politique et économique. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, le soi-disant "néo-fascisme" a largement pris la forme d'une ressource de normalisation atlantiste et anti-soviétique servile, fonctionnelle parce qu'il abandonnait toute résistance anti-impérialiste et participait au reflux complet de la droite vers le capitalisme gagnant. Une dynamique convergente de domestication des intelligences critiques avait eu lieu à gauche ; une dynamique destinée à culminer dans l'actuelle reconfiguration globale de la gauche comme front avancé de la post-modernisation capitaliste, avec la centralité incontestable de la privatisation et de la libéralisation individualiste des coutumes et de la consommation.

Grâce à une métamorphose kafkaïenne, les nouvelles gauches fuchsia et post-marxistes finiront par devenir l'emblème même, sur le plan culturel et politique, du turbo-capitalisme gagnant. Preuve en est que la Nouvelle Gauche post-marxiste, qui - comme toute force libérale - est également anticommuniste et antifasciste, aurait repris toutes les batailles du cosmo-mercantilisme après 1989, adhérant pleinement au projet de libéralisation privée dans la sphère économique, d'impérialisme éthique made in USA en politique étrangère, de dé-souverainisation au profit de la Banque centrale européenne dans la sphère politique.

Les mots de Tacite s'inscrivent dans cette course générale vers la servitude: at Romae ruere in servitium consules, patres, eques... En ce sens, il est toujours bon de rappeler comment, aujourd'hui encore, le secteur de la gauche constitue le front le plus avancé pour la dé-souverainisation et la sanctification du projet de l'Union européenne. Sur ce plan incliné, qui les amènerait à se redéfinir comme ce que Gramsci a combattu tout au long de son existence, les gauches fuchsia et arc-en-ciel, traîtresses à Marx et au projet anticapitaliste, sont en fait devenues de manière cohérente des formes articulées pour se maintenir à bonne distance du peuple et antithétiques aux intérêts matériels des travailleurs.

De la lutte contre le capital, la gauche est passée à la lutte pour le capital, se redéfinissant comme un parti glamour et individualiste, culturellement libertaire, politiquement anti-étatiste et privatiste, économiquement libéral et compétitif, géopolitiquement atlantiste : "Je me sens plus en sécurité en restant de ce côté, sous le parapluie de l'OTAN", avait déjà improvisé Enrico Berlinguer en 1976, révélant l'adhésion déjà presque totale de la gauche démo-phobe - comme de la droite - à l'ordre de la mondialisation américano-centrique et, dans ce contexte, anti-soviétique. Cette déclaration, qui condense l'embryon de la reddition de la gauche à l'atlantisme, gauche qui était en train de se redéfinir comme post-marxiste, peut pratiquement être considérée comme un achèvement de la déclaration du secrétaire du parti Refondation communiste, Paolo Ferrero, dans le journal "Liberazione" du 9 novembre 2009 : la chute du mur de Berlin "était un fait positif et nécessaire, à célébrer" (sic !). Les paroles de Ferrero, dans ce contexte, auraient pu être les mêmes que celles de n'importe quel politicien de foi libérale ferme. Non seulement cela, mais, comme cela a souvent été souligné, le secteur de la gauche s'est révélé incapable d'offrir une réponse forte et plausible à la crise du paradigme keynésien, sans parler d'une véritable alternative à celui-ci. Qui plus est, il s'est retrouvé directement à "gérer la crise du capital pour le compte du capital" : et ce sur le plan incliné qui le conduira, après 1989, à se hisser au rôle insoupçonné d'espace politique privilégié pour la représentation des intérêts des classes dominantes.

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La figure de Berlinguer constitue en effet un carrefour décisif dans le processus de métamorphose de la gauche marxiste et de sa normalisation libérale et atlantiste, tel qu'il finira par se réaliser après 1989 dans la nouvelle gauche malheureuse et sans conscience, celle des porte-drapeaux de l'Union européenne. Togliatti avait fait une revendication gramscienne de la souveraineté nationale comme base de l'internationalisme et de la "voie nationale vers le communisme" (s'opposant avec la même force à l'OTAN et aux projets d'intégration européenne). Il était aussi clairement conscient du conflit structurel entre le capital et le travail.

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Pour sa part, Berlinguer abandonne la référence à la souveraineté nationale des communistes, optant pour la voie de l'eurocommunisme et de l'ouverture cosmopolite (plutôt qu'internationaliste), mais aussi pour la subordination de la nation italienne à la monarchie du dollar ("le parapluie de l'OTAN"). Berlinguer a ainsi posé les bases de la redéfinition ultérieure de la gauche comme force de soutien à l'Union européenne et à cette ouverture cosmopolite qui était, de facto, l'ordre symbolique de la classe dominante et qui, dans l'imaginaire de la nouvelle gauche, réoccuperait pleinement l'espace précédemment occupé par la lutte des classes et la question du travail.

De plus, Berlinguer a remplacé de manière perverse la question sociale du conflit entre le capital et le travail par la "question morale", qui non seulement n'a rien de marxiste (puisque le marxisme considère la société du capital comme intrinsèquement corrompue, quelle que soit la conduite morale des agents individuels). De plus, elle a fini par ouvrir la voie, à son grand regret, à la fois à l'anti-keynésianisme qui marquera plus tard le quadrant de gauche comme la nouvelle force privilégiée du libéralisme après 1989, et à la perte, de la part de la gauche, de toute référence à la question socio-économique et au conflit de classe associé.

Article publié en italien sur https://avig.mantepsei.it/single/destra-e-sinistra-dal-1989-sono-le-due-braccia-del-mostro-neoliberale 

Crépuscule et aurore

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Crépuscule et aurore

par Giovanni Sessa

Ex: https://www.centrostudilaruna.it/tramonto-e-aurora.html

Pensée de tradition et nouveau départ

Zygmunt Bauman a affirmé que, depuis 1970, nous avons laissé derrière nous les scories idéologiques et les fausses certitudes de la modernité "solide", centrée sur la logique des Lumières, le système de l'usine et l'idée de progrès. Depuis lors, le monde occidental est entré dans la post-modernité : l'idée même de temps a perdu sa profondeur et toute référence de valeur a été soumise à une liquéfaction imparable. Nous vivons une époque de crépuscule éternel, où l'on n'entrevoit pas, même de loin, l'aube. Tout stagne, les hommes semblent résignés au simple destin de consommateurs "consommés", dont l'"ici et maintenant" est marqué par la dimension vide, éphémère, se référant toujours au futur et au nouveau, typique des marchandises.

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L'antidote à cet "état de choses" est représenté par la pensée de la Tradition. C'est ce que démontre, avec une argumentation convaincante, un récent volume, Il ritorno oltre il Tramonto (= Le retour au-delà du crépuscule) publié par Arco e la Corte (pour les commandes : ordini@arcoelacorte.it, pp. 227, €17.00). L'auteur, probablement fidèle à la recherche d'impersonnalité typique d'un certain traditionalisme, a choisi de rester anonyme et signe son nom Il Solitario. Le livre présente un examen approfondi de l'époque contemporaine, dont les conséquences dévastatrices, d'un point de vue existentiel et spirituel, sont décrites en termes "forts". Le style utilisé peut parfois sembler redondant et rhétorique : en réalité, la "prose poétique" est un expédient utilisé à dessein pour impliquer le lecteur, à travers une suggestion imaginative, dans un processus dont Il Solitario est le protagoniste, à la première personne. L'auteur veut provoquer le "choc de la torpille", la "morsure du serpent", dont il est clair qu'il a été saisi, chez le lecteur, pour le réveiller, pour lui faire prendre conscience que le coucher du soleil n'est pas le destin ultime qui nous attend.

La prétention du livre, par aveu explicite, est de vouloir être original : ces pages se penchent sur l'origine, le début, en faisant l'hypothèse d'un retour possible. Au moment du coucher du soleil, du crépuscule, les masques tombent : "Le masque est là, occupant l'horizon. Il montre à tout le monde le même aspect lugubre et décadent. Celui qui, depuis des siècles, continue de présager la "crise absolue". Au-delà du masque larvaire de la société liquide, apparaît le nouveau sujet de l'histoire. L'auteur l'appelle, avec une réminiscence nietzschéenne, le nouvel Enfant. Il ne peut pas "vivre dans un monde sans passé [...] il va vers le coucher du soleil", il affronte ses pouvoirs perturbateurs et s'efforce de construire "un pont solide pour permettre la traversée et, ensuite, un véritable dépassement". En cours de route, il cherche des affinités électives avec des compagnons qui ont la force de le suivre, tout en sachant qu'il convient de toute façon, compte tenu des circonstances, de prendre ses distances par rapport à l'essaim humain qui l'entoure. La tâche est ardue : "C'est un retour primordial, absolu", bien différent du mysticisme apocalyptique. En effet, "c'est précisément le début de l'homme nouveau qui suscite une peur profonde et subtile". Cette affirmation conduit à la pensée d'un possible Nouveau Départ, non pas en termes purement déterministes, mais de manière tragique : dans le " retour " se joue le destin de l'homme européen.

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L'auteur souligne que le renversement de la perspective existentielle contemporaine est essentiel à cette fin. Sur elle, les pouvoirs dominants de la contingence actuelle, ont sciemment agi, à travers "une "omnipotence" anodine et métallique qui tue la mémoire de l'appartenance de l'homme à la physis, à la dimension stellaire du cosmos. Cette harmonie primordiale doit être redécouverte, reconquise, malgré les circonstances défavorables. Il est nécessaire de dépasser les poisons du présent, notamment "la matière sans nomos, le temps et le mouvement sans accomplissement". L'homme "simple", qui est resté à l'écart des foules imprégnées de "bon sens", loin des lueurs du sensualisme catagogique matérialiste, pourra agir mieux et plus tôt que les autres, parce qu'il aura gardé vivante en lui la lumière intérieure. Il n'a pas, comme ses contemporains, mis à mort le Père, celui qui, en fait, réalise la trahison. Son existence recluse et humble est ardente, elle peut devenir une flamme et illuminer la "dispute impie entre larves" de l'âge du fer.  Mais, attention, sur cet aspect, l'auteur est péremptoire, au-delà du crépuscule : "il ne peut y avoir d'autre credo", car une fois les masques tombés, le visage réel de la réalité reviendra se révéler.

En cours de route, d'éventuelles erreurs peuvent être justifiées et comprises, mais jamais l'inversion de la trahison en trahison. Pour éviter cela, il faut se référer au "Connais-toi toi-même" delphique, une pratique qui ouvre l'hegemonikon, le cristal de roche intérieur incassable, le Soi. Cela garantit la fidélité à l'origine qui, en fait, est en vigueur en nous, au-delà de toute métamorphose, tout comme dans le ciel le mouvement des étoiles de la Grande Ourse est toujours dirigé vers le Pôle. L'Enfant, en phase avec le jeu cosmique, réalise le retour à la fois en lui-même et à l'extérieur de lui-même. Selon l'auteur, il s'agit d'une danse, d'un voyage épistrophique, jalonné de plusieurs moments. La première phase, Per Occidentem lux, est fondée sur le rejet de tout contemplativisme stérile et la certitude que : "Il est temps de surmonter à la fois la "sagesse fossile" [...] et la procédure aveugle du titanesque fabricant d'autels consacrés à la technique". Il s'agit de revenir à l'essence de la haute action, que l'Europe connaît depuis ses débuts. La seconde, la lumière du coucher du soleil, doit permettre de tracer la nouvelle lumière, ici et maintenant : "parmi les mille nuances de noir des ombres" et cela peut se faire, comme le suppose la troisième phase, en vertu d'une décision.

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Ce chemin labyrinthique exige que l'Enfant ait les outils pour décoder les éclairs révélateurs qui s'y montrent : ce sont les symboles, les poteaux indicateurs, comme aurait dit Heidegger, de la Tradition, qui permettent la poussée anagogique du daimon, la conquête de la perspective élevée, d'où l'on peut scruter l'horizon avec les éclairs de l'aube, du Nouveau Départ. Nous ne devons pas négliger la pietas envers les gens de la plaine moderne : le sage se tient devant eux comme une torche dans la nuit, leur montrant le chemin. En cours de route, on se retrouve devant le carrefour d'où partent deux chemins : le chemin contemplatif de la main droite, et le chemin actif et risqué de la main gauche. Pour l'écrivain, dans l'état actuel des choses, cette dernière, extrêmement sélective, est la seule praticable : elle conduit au dépassement des croyances et des foi et à la réalisation du Je suis.

Comme nous l'avons souligné à plus d'une reprise dans nos écrits, la pensée de la Tradition doit se libérer du nécessitarisme et embrasser une vision ouverte, active et tragique de l'historicité. Dans celui-ci, l'origine n'est pas rétrofléchie, c'est un objectif au-delà du crépuscule. Le livre que nous avons présenté, au moins dans certains plexus, présente une telle conception.

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Le chercheur russe Artyom Lukin : trois options idéologiques à l'oeuvre dans le monde

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Le chercheur russe Artyom Lukin : trois options idéologiques à l'oeuvre dans le monde

Markku Siira

Ex: https://markkusiira.com/2021/11/06/venalaistutkija-kolme-ideologista-vaihtoehtoa/

Le chercheur russe Artyom Lukin conteste l'argument selon lequel la compétition géopolitique actuelle ne peut être comparée à la guerre froide, car il ne s'agit plus d'un "choc des idéologies". Selon M. Lukin, les trois superpuissances actuelles - les États-Unis, la Chine et la Russie - représentent des "choix idéologiques différents".

Les États-Unis défendent "une idéologie libérale-progressiste, connue dans sa forme extrême [de pureté idéologique] sous le nom de wokeness". La Chine et la Russie remettent en question cette vision libérale américaine - et, par ailleurs, néo-gauchiste.

La Chine et la Russie sont souvent mises dans le même sac en tant qu'"amis autocratiques", note M. Lukin. Toutefois, le spécialiste de la Russie estime que Pékin et Moscou représentent "des modèles idéologiques très différents". Le modèle chinois est "une synthèse du socialisme marxiste-léniniste-maoïste et de la culture traditionnelle chinoise coutumière, renforcée par une technologie numérique avancée".

M. Lukin estime également que c'est une erreur de penser que M. Poutine veut faire revivre l'Union soviétique communiste. En fait, le président russe de longue date est très ambivalent à l'égard de l'ancien modèle soviétique. "Poutine n'est pas un communiste, mais plutôt un suzerain néo-féodal", dit Lukin.

La préférence de Poutine semble être pour la "vieille Russie tsariste": pour lui, la Russie ne doit pas être un empire idéologique universel, mais une "large autocratie continentale" qui s'appuie sur "les armes nucléaires, un conservatisme sain et des traditions éprouvées".

L'idéal russe de Poutine vient donc du passé ; en tant que telle, l'idéologie russe plaît à "certains conservateurs de droite en Europe et en Amérique du Nord". C'est pourquoi l'élite libérale occidentale considère Poutine comme son "adversaire idéologique".

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Pourtant, le défi idéologique de la Russie à l'égard de l'Occident n'est rien comparé au défi posé par la Chine. "L'Occident a de plus en plus peur de la Chine, non seulement en raison de la puissance économique et militaire croissante de la Chine, mais aussi parce que le développement moderne et très réussi de la Chine renforce l'idéologie du parti communiste chinois", explique M. Lukin.

Il estime que "la pandémie du coronavirus a été un moment décisif qui a montré la supériorité du système chinois". "Alors que la plupart des pays occidentaux, ainsi que la Russie et l'Inde, ont échoué de manière désastreuse à protéger leurs populations, la Chine a gagné la bataille contre le virus", estime l'universitaire russe. Les lecteurs critiques peuvent, s'ils le souhaitent, débattre de la validité de ce point de vue dans le fil de discussion du compte Twitter de Lukin.

M. Lukin admet que le système chinois présente des "caractéristiques dystopiques", mais qu'il est actuellement "le système le plus efficace lorsqu'il s'agit de générer des richesses matérielles pour les masses et de protéger la vie humaine biologique". Au lieu d'arguments plus spécifiques, il invite les lecteurs à explorer le personnage du "grand inquisiteur" créé par l'écrivain Fyodor Dostoïevski.

Lukin n'oublie pas de mentionner qu'il existait également une quatrième idéologie concurrente, l'"islamisme radical", mais que l'"État islamique" qui la représentait a été détruit par l'action collective des grandes puissances. Il s'agit de la plus extraordinaire des affirmations de Lukin, car il existe des exemples plus réussis de groupes terroristes fondés sur le modèle de la civilisation islamique en Iran, en Arabie saoudite et, par exemple, en Turquie.

En résumé, Lukin conclut que "l'humanité a désormais le choix entre le wokéisme occidental, le néoféodalisme russe et le socialisme numérique quelque peu dystopique de la Chine". Y a-t-il vraiment un choix entre ces modèles, ou est-ce l'histoire, la géographie et les liens avec la politique étrangère et de sécurité qui déterminent à quelle superpuissance appartient chaque pays ? La deuxième question est la suivante : comment la crise mondiale actuelle affectera-t-elle les aspirations des grandes puissances ?

dimanche, 07 novembre 2021

L'Ile et le Continent

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L'Ile et le Continent

Par Marco Ghisetti

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/lisola-e-il-continente-2/

L'île et le continent à l'époque colombienne (XV-XIX)

Le géographe français Yves Lacoste définit la géopolitique comme "la situation dans laquelle deux ou plusieurs acteurs politiques se disputent un territoire" (1) et, par ailleurs, comme l'étude du conditionnement géographique de l'action de l'État. Le conditionnement du facteur géographique et du facteur interprétatif peut facilement être vérifié à l'aide d'un cas exemplaire. La France a été unifiée avant l'Allemagne parce que le réseau fluvial français s'est développé selon une forme radiale dont l'épicentre était Paris. Cela a permis à un centre de pouvoir basé à Paris d'étendre son pouvoir et d'absorber les autres entités politiques présentes dans l'espace français ; cette unification a eu lieu pendant l'ère moderne post-médiévale, car il y avait eu des développements technologiques qui rendaient possible l'unification politique de territoires plus vastes que la taille des entités politiques du Moyen Âge. En revanche, l'unification de l'Allemagne par la Prusse n'a pas eu lieu en même temps que l'unification française, car le réseau fluvial allemand s'est développé de manière parallèle, ce qui a entravé l'unification politique. La Prusse n'a pu organiser autour d'elle les différentes entités politiques allemandes qu'à la suite de nouveaux développements technologiques, notamment dans le secteur ferroviaire, qui lui ont permis de surmonter ses contraintes géographiques.

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Lacoste a ensuite enrichi sa définition en y ajoutant une composante interprétativiste, selon laquelle une connaissance approfondie de son propre espace géographique et de la manière dont un acteur politique interprète son espace influence la manière dont cet acteur politique oriente son action dans le monde. Il est également possible ici de le montrer à travers un cas exemplaire. Vers le 15ème siècle, les Anglais et les Chinois disposaient de technologies assez similaires dans le domaine naval. Cependant, les Anglais, comme l'écrit Carl Schmitt, sont passés d'un "peuple d'éleveurs de moutons" à un "peuple d'écumeurs de mer et de corsaires, [de] fils de la mer" (2), tandis que les Chinois, comme le souligne Friedrich Hegel, sont restés un peuple qui considérait la mer comme le lieu où la terre se terminait, tout simplement (3). L'Angleterre devient une puissance maritime et fonde un empire transocéanique, tandis que la Chine reste une puissance continentale, sans révolutionner son image de l'espace, même si le niveau de développement technologique naval en Chine et en Angleterre était,à l'époque, très similaire.

La révolution spatiale anglaise du 15ème siècle est décrite par Schmitt comme une transformation qui a fait de l'Angleterre "une île", un territoire qui "est devenu le sujet et le centre du retournement élémentaire du continent vers la haute mer [...] héritier de toutes les énergies maritimes alors libérées [...] il est devenu une île dans un sens nouveau et jusqu'alors inconnu" (4), détachant "son regard du continent" et l'élevant même "jusqu'aux grandes mers du monde" (5), et générant un conflit entre la Mer (l'île anglaise, puissance maritime) et la Terre (les Etats européens, puissances continentales).

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Antonio Zischka, contemporain de Schmitt, porte un jugement similaire en affirmant que "pendant l'époque romaine et le Moyen Âge, l'Angleterre n'avait aucune importance", mais qu'avec la guerre de Cent Ans (1337-1453), elle a "coupé, pour ainsi dire, le cordon ombilical" qui la reliait à l'Europe et, ce faisant, "sa nature insulaire s'est clairement affirmée" (6). Pendant la Seconde Guerre mondiale, Johann von Leers a écrit que "pendant tout le Moyen Âge, les îles britanniques ont eu peu d'importance pour l'histoire de l'Europe", alors qu'après la conquête normande (1090), les Anglais "appréciaient l'insularité anglaise, l'avantage d'être dans une terre sans voisins et inattaquable, comme une politique de puissance" (7).

L'Anglais et contemporain de ces auteurs, Halford Mackinder, définit cette transformation spatiale comme celle qui a ouvert une période historique différente de la période médiévale, la "période colombienne". Il s'agit d'une période historique au cours de laquelle les "découvertes colombiennes" ont fait de "l'Atlantique Nord [...] un bassin arrondi" et au cours de laquelle la "Grande-Bretagne", en raison de la "position centrale" dont elle a commencé à jouir dans ce bassin, combinée à sa "position insulaire [...] au large du grand continent [...] est progressivement devenue la terre centrale, plutôt que marginale, du monde" (8). Ayant atteint cette centralité dans le bassin atlantique, Mackinder souligne comment l'Angleterre a atteint la "dominance sur la mer", c'est-à-dire qu'elle a pu dominer, grâce à sa flotte, sa puissance économique et les différentes bases navales et transocéaniques qu'elle a installées tout au long de "la grande route océanique": l'Angleterre est devenue une puissance maritime qui, par rapport au grand continent dont elle s'est détachée en se donnant à la mer, maintient la " politique traditionnelle [de] faire des alliances avec des États plus petits en opposition à tout grand État qui menace de bouleverser l'équilibre des forces en Europe" (9).

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Claudio Mutti, en reconstituant ce en quoi consistait la politique d'équilibre des forces, écrit qu'il s'agissait davantage de "monter les nations européennes les unes contre les autres" en vue d'"empêcher l'unification politique de l'espace continental" (10) (d'où le choix anglais de soutenir la nation faible contre la nation forte) que d'une véritable défense des faibles. Tiberio Graziani a résumé la politique de puissance anglaise envers le continent pendant la période colombienne comme une "politique de puissance séculaire visant à contenir et à contrecarrer les accords d'amitié et/ou d'intégration entre les nations du continent européen" (11). C'était la stratégie britannique car, écrit Jean Thiriart, "la formation d'une Europe unifiée [...] entraînerait la création d'une force capable de l'envahir" (12).

En affirmant son insularité, la stratégie générale anglaise était donc de maintenir sa domination maritime et, en même temps, de garder le continent divisé. Cette stratégie est aussi généralement qualifiée d'"isolationnisme" dans la littérature, mais il convient de préciser qu'elle ne doit pas être assimilée, par exemple, à la politique fermée du Sakoku du Japon, par laquelle l'Empire de la Fleur de Cerisier (également un groupe d'îles flanquant un continent) entendait minimiser toute forme de contact avec les autres puissances. L'isolationnisme britannique, en revanche, était une véritable politique de puissance, un isolationnisme qui "était en fait très extraverti" (13). Pendant la période colombienne, la puissance hégémonique était donc l'Angleterre, l'île hégémonique face au continent.

L'île et le continent à l'époque postcolombienne (XX-)

Cependant, entre le 19ème et le 20ème siècle, il y a eu des changements et des développements technologiques qui, comme ceux qui avaient provoqué le passage du monde médiéval au monde colombien (qui était caractérisé à la fois par l'ouverture européenne au monde et par l'unification des microstructures politiques médiévales en États modernes), ont conduit à la naissance du monde post-colombien, dans lequel il n'y avait plus de terrae nullius et qui était caractérisé par l'unification des empires continentaux. Ces transformations ont fait de l'Angleterre une "petite île [qui n'a pas] une productivité suffisante pour établir un empire capable de tenir tête aux grands empires continentaux qui émergent" (14) (la Russie, les États-Unis, et potentiellement la Chine, l'Inde et le Brésil).

En outre, écrit Mackinder, "le continent combiné de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique" est devenu "effectivement et pas seulement théoriquement une île : [...] le monde insulaire" (15). Les autres macro-régions du monde (Amérique du Nord et du Sud, Australie, dominions britanniques), étant des terres beaucoup plus petites avec beaucoup moins de ressources naturelles et de population que l'île-monde, sont considérées par Mackinder comme des "satellites" de l'île-monde. Pour Mackinder, l'île-monde est constituée d'un centre appelé "cœur de la terre" (heartland) et de quatre appendices (le croissant intérieur/inner crescent) qui se développent autour de lui: l'Europe péninsulaire, l'Asie du Sud-Ouest (Proche et Moyen-Orient, Afrique du Nord), l'Inde et la Chine ; ces quatre zones sont des appendices mais font néanmoins partie intégrante de l'île-monde. Les appendices seront plus tard appelés "rimlands" par Nicholas Spykman. Le potentiel de puissance de la World Island est tel que si une puissance ou un concert de puissances locales parvenait à organiser cette World Island, elle ou ils auraient à leur disposition "l'utilisation de vastes ressources continentales pour la construction de flottes, avec la possibilité conséquente de conquérir la domination du monde" (16) . L'ère post-colombienne est devenue, pour Mackinder, l'ère des "empires continentaux", dans laquelle les structures politiques modernes s'unissent en États de dimensions continentales.

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Les changements radicaux survenus entre le 19ème et le 20ème siècle ont également été identifiés par Alfred Thayer Mahan, "le premier à théoriser la stratégie maritime [et] à souligner l'importance, dans la géopolitique contemporaine, de la "domination maritime"" (17) et celui qui allait devenir le père de la doctrine géopolitique américaine. Il est le père de la doctrine militaire américaine parce qu'il est celui qui a systématisé la stratégie maritime américaine pour le monde post-colombien et indiqué les constantes stratégiques que les États-Unis devaient suivre pour devenir la "véritable île contemporaine", l'"île continentale" du 20ème siècle et au-delà. Mahan écrit :

"Les États-Unis sont à toutes fins utiles une puissance insulaire, comme la Grande-Bretagne. Nous n'avons que deux frontières terrestres, le Canada et le Mexique. Ce dernier pays dernière est désespérément inférieure à nous dans tous les éléments de la force militaire. Quant au Canada [...] les chiffres indiquent clairement que l'agression ne sera jamais sa politique. [...] Nous sommes, répétons-le, une puissance insulaire, donc dépendante de la marine. En outre, une puissance navale durable dépend en fin de compte des relations commerciales avec les pays étrangers" (18).

Suivant l'étoile polaire indiquée par Mahan, les États-Unis ont promu une double ligne d'expansion, verticale et horizontale, afin de devenir la véritable puissance insulaire contemporaine. Avec le percement du canal de Panama, fortement préconisé par Mahan, les États-Unis ont obtenu la condition du bi-océanisme avec les côtes reliées par la mer. Au sud, les États-Unis ont promu l'expulsion des puissances européennes, faisant de la mer des Caraïbes et de la mer du Mexique une mer intérieure américaine, hégémonisée par les États-Unis, et, par une déclinaison agressive de la doctrine Monroe, ont favorisé, comme l'écrit Tiberio Graziani, "l'unité géopolitique pour [l'Amérique du Nord] [et] la fragmentation excessive pour l'Amérique centrale et du Sud" (19).

En ce qui concerne l'expansion horizontale, Mahan insiste sur l'unité de la puissance marchande et militaire des puissances maritimes, plaide pour la nécessité d'hériter de l'empire maritime britannique, de maintenir l'équilibre des forces en Europe afin qu'un challenger ne se présente pas, maintenir l'équilibre des forces en Méditerranée afin de disposer d'un "libre accès au canal de Suez", le "chemin de fer maritime" (20) qui relie la mer Méditerranée au golfe Persique car, à travers lui, on accède par mer à l'océan Indien, au Pacifique et, par le canal de Panama, à l'Atlantique à nouveau. En exerçant l'hégémonie maritime sur ces routes, on crée ce que Mahan appelle "l'océan uni", qui selon l'amiral est le siège principal de la puissance mondiale; une hégémonie qui peut être partiellement soulagée et partagée avec des puissances maritimes secondaires. Le Moyen-Orient et l'Asie doivent être maintenus dans un équilibre des forces, comme c'est le cas en Europe.

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Les conclusions maritimes de Mahan ont été développées par Isaiah Bowman, qui renforce la thèse de l'interconnexion de l'Amérique latine avec les États-Unis en vue d'augmenter les débouchés commerciaux américains en Amérique du Sud et de diminuer les débouchés européens sur le "continent vertical" et, d'autre part, développe l'analyse des processus géoéconomiques et des opérations financières de contrôle du marché sur les relations politiques interétatiques en vue d'élire les États-Unis au rôle de garant de l'équilibre mondial, liant ainsi doublement la puissance navale américaine à la puissance financière (21).

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la géopolitique de Mahan a été développée par Nicholas Spykman, un auteur qui a réalisé "l'achèvement de la géopolitique anglo-saxonne classique" (22), qui a déplacé le siège de la puissance mondiale de l'océan Indien vers les zones frontalières eurasiennes (rimlands) et a ajouté un "conflit permanent" entre le "nouveau monde", c'est-à-dire l'Amérique, et le "vieux monde", qui, ayant un potentiel de puissance plus important que le nouveau monde, doivent être maintenus dans un équilibre neutralisant par les Etats-Unis en y installant des bases militaires américaines et en liant l'économie de ces zones à l'économie américaine, afin qu'elles ne regardent pas vers le cœur de la terre eurasienne (23). Selon Spykman, dans la période post-colombienne, les États-Unis font face à l'Eurasie de la même manière que l'Angleterre faisait face à l'Europe pendant la période colombienne.

51aM98bqsCL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgLes travaux de Mackinder, Mahan et Spykman constituent toujours le pivot de la doctrine géopolitique américaine, l'étoile polaire qui guide l'action des États-Unis dans l'ère post-colombienne (24) toujours en cours.  

Henri Kissinger écrit :

Géopolitiquement, l'Amérique est une île au large du grand continent eurasien. La domination par une seule puissance de l'une des deux sphères principales de l'Eurasie - Europe ou Asie - est une bonne définition d'un danger stratégique pour les États-Unis, guerre froide ou pas. Ce danger doit être écarté même si cette puissance ne manifeste pas d'intentions agressives, car si cette puissance devait devenir agressive par la suite, l'Amérique se retrouverait avec une capacité de résistance efficace très réduite et une incapacité croissante à influencer les événements (25).

Zbigniew Brzezinski écrit :

L'Eurasie est le supercontinent axial du monde. Une puissance dominant l'Eurasie exercerait une influence décisive sur deux des trois régions les plus productives économiquement du monde: l'Europe occidentale et l'Asie orientale. Un coup d'œil à la carte suggère également qu'un pays dominant en Eurasie commanderait presque automatiquement le Moyen-Orient et l'Afrique [...] la puissance potentielle de l'Eurasie éclipse même celle de l'Amérique. [La stratégie américaine consiste donc à] s'assurer qu'aucun État ou combinaison d'États n'acquiert la capacité d'expulser les États-Unis ou même de diminuer leur rôle [...] en Eurasie (26).

Phil Kelly écrit, en résumant les études géopolitiques américaines :

Toutes les visions stratégiques géopolitiques présentent l'Eurasie comme le facteur central. Tout comme pour l'Angleterre, pour les États-Unis, c'est de là que vient la principale (bien que plus lointaine) menace pour la sécurité. [La conscience de la vulnérabilité de l'Eurasie a longtemps été présente dans la pensée géopolitique américaine, et continue de l'être aujourd'hui. [...] La géopolitique américaine est étroitement liée aux principes de base des doctrines classiques des Britanniques [...] Tous deux se dépeignent comme une "île", flanquée d'une masse continentale menaçante qui doit être maintenue divisée pour protéger leur propre sécurité (27).

Kissinger lui-même résume ainsi toute la signification des interventions militaires américaines au cours du 20ème siècle : "Dans la première moitié du 20ème siècle, les États-Unis ont mené deux guerres pour empêcher la domination de l'Europe par un adversaire potentiel [...] Dans la seconde moitié du 20ème siècle (en fait à partir de 1941), ils ont mené trois guerres pour défendre le même principe en Asie - contre le Japon, en Corée et au Vietnam" (28). Nous constatons qu'en deux phrases seulement, Kissinger révèle le sens des guerres menées par les États-Unis tout au long du 20ème siècle, en les dépouillant de toute justification idéologique qui leur est habituellement attachée (guerres antifascistes, anticommunistes, guerre pour la liberté, pour la démocratie, pour la civilisation, etc.).

9782869595781_internet_w290.jpgAlors que cela était vrai au 20ème siècle, François Thual note avec le début du troisième millénaire un paradoxe apparent dans l'évolution historique : là où la modernité se caractérisait par l'unification des microstructures politiques médiévales, l'époque contemporaine se caractérise par la multiplication des "impuissances géopolitiques", c'est-à-dire par la fragmentation, selon des lignes ethnoculturelles plus ou moins artificielles, des empires et des États de taille moyenne en petits États, donc en États qui ne sont que nominalement souverains. L'"éclatement de la planète" comme "stade suprême de la mondialisation", écrit Thual, s'explique par le fait que le "morcellement de la planète est le résultat de manipulations génétiques [...] l'expression d'un volontarisme [...] avec des États réels et des États que l'on pourrait qualifier d'"effacés" et qui sont généralement des "États dominés"" (29).

Les considérations de Thual ont été développées par Tiberio Graziani, qui affirme que la politique de fractionnement de la planète est menée par les États-Unis, qui, après avoir réussi au 20ème siècle à devenir - dans le langage de John Mearsheimer - le seul "hégémon régional" du monde, font maintenant "tout pour affaiblir, voire détruire" (30) un État qui se propose de faire de même. Le "processus de déstabilisation [...] de l'espace eurasiatique", lancé par les États-Unis après l'échec de la fonction d'équilibrage de l'Union soviétique, visait à exploiter les deux piliers de la puissance américaine - "le rôle de Wall Street en tant que centre financier incontesté du monde [et] la puissance de guerre nord-américaine du Pentagone" (31) - afin de diviser ce que Brzezinski avait appelé le "grand échiquier eurasiatique" (l'Île-Monde) et de hisser les États-Unis au rang de "première, unique et vraiment dernière superpuissance mondiale" (32). En bref, réaliser ce qu'un "employé du Département d'État américain" (33), Francis Fukuyama, avait appelé la "fin de l'histoire" (34).

Toutefois, le processus de fractionnement des États-Unis s'est accompagné d'un autre processus égal et opposé: celui des intégrations continentales, promu principalement par la Russie post-soviétique - qui "tente d'endiguer la marche des États-Unis vers l'Est par le tissage méthodique d'un système d'alliances stratégiques avec la Chine, le sous-continent indien et l'Iran" (35) - et par la Chine - qui, ayant survécu au "projet de transformer la République populaire de Chine en colonie économique américaine" (36) - tente de se présenter comme un hégémon régional en Asie. Les frictions générées par les deux tendances divergentes de l'intégration et de la fragmentation transforment les quatre annexes de l'île-monde en "décharges" (37) de tensions internationales, où se dérouleront les prochaines batailles pour la domination mondiale. Le succès ou non de la création d'un monde multipolaire ou, inversement, le succès des États-Unis à rester le Léviathan hégémonique, dépendra de la preuve et de la solidité de la collaboration intégrationniste sino-russe.

Claudio Mutti, commentant les projets d'intégration sino-russes, écrit: "La perspective d'un rapprochement entre l'Europe et la Russie, qui inquiète tant les États-Unis, devient un véritable cauchemar à Washington si l'on considère qu'au terme du parcours d'intégration représenté par la nouvelle route de la soie, la Russie et l'Europe pourraient être rejointes par la Chine; dans ce cas, en effet, l'Eurasie deviendrait le siège du pouvoir géopolitique mondial. Les "analyses" préconisant un nouveau renforcement des relations entre les États-Unis et l'Europe découlent de cette "anxiété américaine" (38).

Alain de Benoist écrit, en établissant un parallèle entre l'Angleterre de la période colombienne et les Etats-Unis d'aujourd'hui: "comme l'Angleterre d'hier, l'hégémonie américaine repose sur la domination mondiale des mers, prolongée par la domination des airs, et sur l'absence d'unité dans l'espace eurasien. L'axe Madrid-Paris-Berlin-Moscou acquiert toute son importance, aux côtés de l'axe Moscou-Téhéran-New Delhi [tandis que] l'inconnu chinois domine tout le reste" (39). Ainsi, comme dans la période colombienne et au 20ème siècle, l'histoire du 21ème siècle sera très probablement celle du choc entre deux tendances opposées: celle de la tentative d'unification et d'organisation de l'espace eurasiatique, voulue par les grandes puissances eurasiatiques, et celle de la tentative de l'empêcher, poursuivie par les États-Unis. Aujourd'hui comme hier, en utilisant les catégories géo-historiques de Mackinder et Schmitt, nous assistons à l'affrontement entre les loups de la mer et les loups de la terre, entre la Mer et la Terre, entre Poséidon et Antée, entre l'Île et le Continent.

BIBLIOGRAPHIE :

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– François Thual, Il mondo fatto a pezzi, Parma, Insegna del Veltro, 2008

– Antonio Zischka, Le alleanze dell’Inghilterra. Sei secoli di guerre inglesi combattute con le armi altrui, Roma, Mediterranea, 1941-XIX, p. 41.

Notes:

  1. (1) Yves Lacoste, “Che cos’è la geopolitica”, eurasia-rivista.com, 17 luglio 2007, https://www.eurasia-rivista.com/yves-lacoste-che-cose-la-...
  2. (2) Carl Schmitt, Terra e mare: una considerazione sulla storia del mondo,  Milano, Giuffrè, 1986, p. 54-5.
  3. (3) Friedrich Hegel, Lezioni sulla filosofia della storia, Bari, Laterza, 2003.
  4. (4) Carl Schmitt, op. cit., p. 17.
  5. (5) Ibid, p. 99.
  6. (6) Antonio Zischka, Le alleanze dell’Inghilterra. Sei secoli di guerre inglesi combattute con le armi altrui, Roma, Mediterranea, 1941-XIX, p. 41.
  7. (7) Johann Von Leers, L’Inghilterra: il nemico del continente europeo, Parma, Insegna del Veltro, 2004, p. 41-2
  8. (8) Halford Mackinder, Britain and the British Seas, Londra, William Heinemmann, 1902, pp. 3-4.
  9. (9) Halford Mackinder, Nations of the Modern World: An Elementary Study in Geography, Londra, Philip and Son, 1911, p. 291.
  10. (10) Claudio Mutti, “L’isola e il continente”, eurasia-rivista.com, 18 luglio 2017, https://www.eurasia-rivista.com/lisola-e-il-continente/
  11. (11) Tiberio Graziani, “Il Patto atlantico nella geopolitica Usa per l’egemonia globale”, eurasia-sito.com, 1 gennaio 2009, https://www.eurasia-rivista.com/patto-atlantico-nella-geo...
  12. (12) Jean Thiriart, Il fallimento dell’impero britannico, in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, Vol. 3/2019, 2019, pp. 183-191.
  13. (13) Daniele Scalea, “Come nacque un ‘impero’ (e come finirà presto)”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, p. 49.
  14. (14) Halford John Mackinder, Geographical Conditions Affecting the British Empire. I. The British Islands’, in “Geographical Journal”, Vol. 33, 1909, p. 474.
  15. (15) Halford Mackinder, Democratic Ideals and Reality, Washington, National Defence, 1996, 45.
  16. (16) Halford Mackinder, “Il perno geografico della storia”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 2/2018, 40.
  17. (17) Pascal Lorot, Storia della geopolitica, Trieste, Asterios, 1995, 35.
  18. (18) Alfred Mahan, The Interest of America in Sea Power: Present and Furure, Boston, 1917.
  19. (19) Tiberio Graziani, “Il risveglio dell’America indiolatina”, eurasia-sito.com, 1 luglio 2007, https://www.eurasia-rivista.com/il-risveglio-dellamerica-...
  20. (20) Alfred Mahan, The Problem of Asia and its Effects upon International Politics,  Boston, 1900, 191.
  21. (21) Isaiah Bowman, The New World: Problems in Politics Geography, Nuova York, World Book, 1921.
  22. (22) Federico Bordonaro, La geopolitica anglosassone, Milano, Guerini, 2012, 116.
  23. (23) Nicholas Spykman, America’s Strategy in World Politics. The United States and the Balance of Power, Yale, 1942.
  24. (24) Marco Ghisetti, Talassocrazia: I fondamenti della geopolitica anglo-statunitense, Cavriago, Anteo, 2021.
  25. (25) Henry Kissinger, L’arte della diplomazia, Milano, Sperling & Kupfer, 634-5.
  26. (26) Zbigniew Brzezinski, “A Geostrategy for Eurasia”, in Foreign Affairs, Vol. 76, No. 5, Sep.-Oct., 1997, 50-1.
  27. (27) Phil Kelly, “Geopolitica degli Stati Uniti d’America”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, p. 31.
  28. (28) Henri Kissinger, Does America Need a Foreign Policy?, Simon & Schuster, 2002, 110.
  29. (29) François Thual, Il mondo fatto a pezzi, Parma, Insegna del Veltro, 2008, 113.
  30. (30) John Mearsheimer, La logica di potenza. L’America, le guerre e il controllo del mondo, Milano, UBE, 2008, 39.
  31. (31) William Engdahl, “L’odierna posizione geopolitica degli Usa”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, 57.
  32. (32) Zbigniew Brzezinski, La grande scacchiera: il mondo e la politica nell’era della supremazia americana, Longanesi, 1998, 284.
  33. (33) Costanzo Preve, Elogio del comunitarismo, Napoli, Controcorrente, 2006, 182.
  34. (34) Francis Fukuyama, La fine della storia e l’ultimo uomo, Milano, Rizzoli, 1992.
  35. (35) Tiberio Graziani, “Editoriale”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 2/2005, 5.
  36. (36) Claudio Mutti, “Guerra senza limiti”, eurasia-sito.com, 15 settembre 2020, https://www.eurasia-rivista.com/guerra-senza-limiti-2/
  37. (37) Zona di scaricamento è un’espressione coniata da Karl Haushofer.
  38. (38) Claudio Mutti, “Editoriale”, eurasia-sito.com, 15 settembre 2020, https://www.eurasia-rivista.com/negozio/lx-guerra-senza-l...
  39. (39) Alain de Benoist, “Géopolitique”, in Nouvelle Ecole, No. 55, 2005, 1.
 
Marco Ghisetti est docteur en "Politique mondiale et relations internationales" et en Philosophie. Il a travaillé et étudié en Europe, en Russie et en Australie. Il s'occupe essentiellement de géopolitique, tant pratique que théorique, de théorie politique et de philosophie politique. Parmi les divers centres d'études auprès desquels il a publié ses articles, outre Eurasia, il y a l'Osservatorio Globalizzazione et Geopolitial News PR.
 
 

Diego Fusaro : "Plus que Gramsci, nous vivons aujourd'hui dans une hégémonie subculturelle"

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Diego Fusaro : "Plus que Gramsci, nous vivons aujourd'hui dans une hégémonie subculturelle"

Propos recueillis par Francesco Subiaco

Ex: https://culturaidentita.it/diego-fusaro-altro-che-gramsci-oggi-viviamo-unegemonia-subculturale/

Révolutionnaire, humaniste, national-populaire. Il s'agit d'Antonio Gramsci, l'un des plus grands penseurs du vingtième siècle qui, dans ses Cahiers de prison, a réalisé une réforme humaniste du marxisme, rompant avec tout déterminisme et tout mécanisme. Il a affirmé que l'histoire sans les hommes ne progresse pas. Retour à la culture humaniste, à la vision révolutionnaire de la culture et de l'école dans la formation d'un nouveau Léonard de Vinci, capable de dépasser l'atomisme et la spécialisation entomologique de l'homme contemporain. Une philosophie de la praxis qui poursuit le projet d'une hégémonie fondée sur le lien sentimental entre le peuple et l'élite, le national et le populaire, qui est bien représenté dans le nouveau livre de Diego Fusaro (Bentornato Gramsci, La nave di Teseo, pp. 362, 18 euros). Une grande exégèse du penseur sarde qui devient la clé de voûte pour interpréter notre société et décoder les relations de pouvoir inhérentes aux fictions de la société de consommation.

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Qu'est-ce qui rend la pensée de Gramsci si actuelle à notre époque ?

À mon avis, il est particulièrement actuel pour diverses raisons, mais surtout sur le plan ontologique, car il déconstruit la mystique néolibérale de la nécessité, cette vision selon laquelle le monde est dépourvu d'alternatives, mais d'une positivité morte, qu'il faut accepter comme un rapport de force donné et indiscutable. Alors que pour Gramsci, toute vision est le produit d'un processus, d'une praxis, d'une histoire en cours. Défataliser l'existant et lui redonner la dimension du possible et de la volonté transformatrice.

Quelle est la principale différence entre la vision du monde libérale-progressiste, qui se développe à travers le politiquement correct, et la vision gramscienne ?

Gramsci a théorisé le concept d'hégémonie parmi de nombreux autres concepts fondamentaux dans les Cahiers de prison. L'hégémonie est la domination plus le consentement. C'est-à-dire une domination qui s'exerce par le biais du consentement et de la culture. Aujourd'hui, cependant, nous vivons dans une hégémonie subculturelle, qui n'utilise pas l'hégémonie culturelle comme celle de l'idéologie bourgeoise et libérale du début du vingtième siècle, mais une subculture faite de spectacle médiatique et d'annulation de la culture. Qui s'exerce en niant l'idée même de culture par le politiquement correct, ce qui se traduit par une culture éthiquement corrompue et annulée.

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Le politiquement correct est-il la superstructure du monde néo-capitaliste global ?

Il se présente certainement comme la superstructure du monde global. Il procède à la sanctification idéologique des relations installées par le capitalisme financier. Il doit lutter contre toute souveraineté nationale, en la dénigrant jusqu'à la définir comme fascisme et ce, à ses propres fins, il doit ensuite détruire la famille en brisant tout lien social pour ne créer que des consommateurs, en délégitimisant la famille comme étant d'emblée homophobe, paternaliste et sexiste, tout cela se fait par le biais du politiquement correct. Qui devient ainsi le sanctificateur de l'immigration massive, ou de la déportation massive, qui par humanitarisme légitime le trafic de nouveaux esclaves qui deviennent des travailleurs très bon marché exploités par le capital.

Quelle est la relation entre Gramsci et Marx et quelle partie du marxisme le philosophe des Cahiers de prison examine-t-il ?

La grandeur de Gramsci dans sa lecture de Marx est de le libérer des scories du naturalisme, du fatalisme. Le montrant comme une ligne de faille sismique entre l'idéalisme allemand et le positivisme anglo-saxon. Gramsci développe chez Marx la composante de la praxis, celle des thèses de Feuerbach, de l'idéalisme. Qui abandonne le déterminisme au nom d'une vision de l'histoire faite par les hommes. Montrer la Révolution d'Octobre comme une révolution contre le capital, à la fois dans le sens d'une révolution anticapitaliste, et comme une révolution volontariste contre la vision capitaliste de Marx dans Das Kapital.

Gramsci a réformé Hegel, s'éloignant de l'actualisme pour se rapprocher d'une philosophie de la praxis. Qu'est-ce que Gramsci entend par une philosophie de la praxis et dans quelle mesure est-elle éloignée de la vision de Gentile ?

La thèse que j'ai développée dans mon livre est que le marxisme de Gramsci est un marxisme d'actualité. L'idée de l'essentiel comme praxis a un lien profond avec la philosophie de Gentile, car l'acte de penser est proprement réel. Il met en avant une philosophie de l'acte impur, par opposition à l'acte pur de la pensée du Gentile. Une vision qui ramène la philosophie dans le concret et le réel. Car, comme je le dis dans le livre, Gramsci est à Gentile ce que Marx est à Hegel.

La revue de presse de CD - 07 novembre 2021

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La revue de presse de CD

07 novembre 2021

ÉTATS-UNIS

Un agent de Clinton est à la source du Russiagate

Selon le New York Times, « Les autorités fédérales ont arrêté jeudi un analyste qui, en 2016, avait rassemblé des indices sur les liens possibles entre Donald J. Trump et la Russie pour ce qui s’est avéré être une recherche financée par l’opposition démocrate, selon des personnes familières avec l’affaire. » Une sacrée bombe…

Saker francophone

https://lesakerfrancophone.fr/un-agent-de-clinton-est-a-l...

GAFAM

Jedi Blue : Google et Facebook, unis contre votre vie privée et la concurrence

Dernier scandale en date, une apparente collusion du nom de Jedi Blue, entre Google et Facebook. Le tout contre votre vie privée et pour tuer la concurrence sur le marché de la publicité en ligne. C’est du moins la thèse avancée par l’accusation, dans le cadre de la plainte portée par une vingtaine d’états américains. Le 22 octobre, la version intégrale de la plainte a été rendue publique suite à la décision d’un juge fédéral autorisant sa publication. Ne cherchez pas, vous n’en avez quasiment pas entendu parler en France à part dans la presse spécialisée.

Contrepoints

https://www.contrepoints.org/2021/11/03/410466-jedi-blue-...

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Édulcorer-oblitérer le crime, l’information contrôlée GAFAM

Les titans du Net, GAFAM, etc., savent frapper fort. “PARLER” était une sorte de Twitter au public parfois virulent et politiquement incorrect. Offusqués, les libertaires-antifa de la Silicon Valley ont crié au loup. Amazon Web Services, fournisseur d’accès n°1 au monde, a fermé PARLER début 2021, et Apple et Google l’ont viré de leur “store” : l’exécution de ce réseau social non-conformiste a pris dix minutes (PARLER a pu revenir en ligne après plusieurs mois). De même, le président en exercice Donald Trump fut-il jeté sans recours de Twitter, Facebook, Instagram, Snapchat et Twitch — révélatrice leçon de choses sur les rapports de force dans la société de l’information. Par Xavier Raufer.

OJIM

https://www.ojim.fr/censure-crime-gafam/?utm_source=newsl...

Derrière la lanceuse d’alerte de Facebook, la censure

Les positions de la lanceuse d’alerte de Facebook vont être utilisées pour davantage de censure et de contrôle sur internet.

Contrepoints

https://www.contrepoints.org/2021/11/06/411017-derriere-l...

GÉOPOLITIQUE

Scénarios géopolitiques du changement énergétique mondial

Nous allons analyser du point de vue géopolitique les scénarios énergétiques qui se présentent dans le monde aujourd'hui ; un survol des modèles de transition énergétique, visant à accélérer à la quatrième révolution industrielle (4RI) ou à empêcher les pays d'y accéder, c'est-à-dire à la 6G, à l'intelligence artificielle (IA), à la robotique et à l'internet des objets.

Euro-synergies

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/10/25/s...

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Parole d’expert : Les radicalismes religieux

Les radicalismes religieux sont ils un facteur à prendre en compte pour la géopolitique ? Hindouisme, bouddhisme, islamisme, évangélisme… Le point en synthèse et en vidéo avec Pierre Conesa.

Geopragma

https://geopragma.fr/parole-dexpert-les-radicalismes-reli...

La Roumanie, l'Europe et le Projet "Intermarium"

L'année 2016 avait enregistré les débuts d'une nouvelle opération géopolitique sur le sol européen, sous l'appelation d'Intermarium. Tout le scénario de cette opération montre que l'Intermarium, vieille nostalgie impériale polono-lituanienne du Moyen Âge, est aujourd'hui une construction artificielle, anti-européenne, contraire aux besoins réels de la géopolitique européenne et eurasienne. Elle constitue un instrument américain de contrôle de la périphérie orientale de l'Union européenne, c'est-à-dire de l'espace de contact entre le monde allemand (et plus généralement ouest-européen) et le monde russe. La Roumanie ne semble pas intéressée à jouer le rôle que les Etats-Unis ont attribué à la Pologne et à l'Ukraine : les déclarations de ses représentants suggèrent qu'elle n'a pas l'intention de se distancer du noyau franco-allemand de l'Europe.

Euro-synergies

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MAGHREB

Sahara occidental : le Maroc et la France ont besoin l’un de l’autre

La crise du Sahara occidental ne saurait totalement se résumer aux vives tensions opposant l’Algérie à son voisin, le royaume du Maroc. Cette région du monde est essentielle pour les Européens et l’Afrique, notamment de par sa proximité avec le Sahel où se sont implantés les djihadistes. Isolé et peu soutenu, le Maroc doit compter sur la France pour se sortir de ce bourbier.

Conflits

https://www.revueconflits.com/sahara-occidental-le-maroc-...

RUSSIE

Un prix Nobel très à propos

Treize jours. C’est le temps qu’il aura fallu à Vladimir Poutine pour féliciter officiellement un journaliste devenu, au début du mois d’octobre, l’un des Russes les plus célèbres au monde. Lui qui est d’habitude si prompt à réagir aux exploits de ses compatriotes, pourquoi a-t-il été si lent cette fois-ci ? Il faut dire que le Russe en question, beaucoup, en dehors des frontières du pays, ont découvert son nom le 8 octobre dernier, lorsque le Prix Nobel de la Paix lui a été attribué, en même temps qu’à une de ses collègues philippines, Maria Ressa. En cent vingt ans d’histoire c’est le premier Prix Nobel de la Paix qui récompense la liberté d’information en tant que telle, remise à ces deux journalistes pour « leur combat courageux pour la liberté d’expression », comme l’a expliqué le comité Nobel.

Geopragma

https://geopragma.fr/un-prix-nobel-tres-a-propos/

La Russie change les règles de la logistique mondiale en contournant Suez

Le récent réchauffement climatique a progressivement érodé la calotte glaciaire de l'Arctique, ouvrant l'accès à une activité économique tout au long de l'année dans cette région. Dans ce contexte, on peut parier que la route de la mer du Nord (NSR), longue de 5600 km, reliant l'Asie à l'Europe, sera la principale alternative maritime au canal de Suez.

Euro-synergies

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/11/04/l...

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UNION EUROPÉENNE

Le nucléaire et l'Europe : un partenariat indispensable

Alors que la fusion nucléaire ouvre de nouvelles frontières, les folies des Verts risquent de condamner nos entreprises à mort. Ce n'est qu'avec l'atome que l'Europe pourra atteindre une véritable autonomie énergétique.

Euro-synergies

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/10/28/l...

À Bruxelles, le droit européen contre la démocratie 

« Le droit de l’UE prime sur le droit national, y compris sur les dispositions constitutionnelles. C’est ce à quoi tous les États membres de l’UE ont adhéré ». Ces quelques mots, prononcés par la présidente de la Commission européenne en réaction à la récente décision de la Cour constitutionnelle polonaise, ont de quoi inquiéter. Car si les choses étaient telles que l’affirme Ursula von der Leyen, cela signifierait que l’UE est devenue un super-État technocratique, exerçant l’essentiel du pouvoir en lieu et place des élus nationaux, devenus les représentants fantoches de peuples dépossédés de leur souveraineté.

Elucid

https://elucid.media/politique/a-bruxelles-le-droit-europ...

 

Erdogan continue de jeter de l'huile sur le feu du conflit libyen

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Erdogan continue de jeter de l'huile sur le feu du conflit libyen

par Alessandro Sansoni

Ex: https://www.lavocedelpatriota.it/erdogan-continua-a-gettare-benzina-sul-fuoco-del-conflitto-libico/?fbclid=IwAR1eql9a2imoe7z0Pg2UZdKtsmv0T4YC7N6wHrH2SHZB18VPSJavJUz4JSc

Les reportages triomphalistes des médias nous ont empêchés d'y prêter toute l'attention nécessaire, mais un développement dangereux a émergé du G20 à Rome. Au cours du sommet, en effet, le président turc Recep Erdogan a déclaré officiellement, et en termes non équivoques, qu'Ankara refuse de retirer ses troupes de Libye. Cette déclaration intervient alors que l'ONU s'est engagée à organiser et à mener à bien le retrait de toutes les troupes étrangères présentes dans le pays, condition préalable indispensable à la célébration des élections censées ramener la paix dans le pays.

Par sa position, la Turquie jette de l'huile sur le feu et menace de porter à un niveau très élevé le conflit entre les factions qui se disputent le pouvoir en Libye, mettant ainsi en péril le processus électoral. Une situation qui aurait des répercussions graves et dangereuses pour l'Italie et l'ensemble de l'Union européenne.

Premier problème : le retrait des mercenaires

La Libye devrait organiser ses élections présidentielles tant attendues le 24 décembre, tandis que les élections législatives sont prévues pour le début de 2022.

L'espoir est de mettre ainsi fin à la longue période d'anarchie et de guerre civile dans laquelle le pays a plongé depuis la fin du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, en sauvegardant éventuellement l'unité du territoire libyen, aujourd'hui effectivement divisé en une partie occidentale sous le contrôle du gouvernement de Tripoli et une partie orientale aux mains du général Khalifa Haftar et de son Armée nationale libyenne (ANL), engagés depuis des années dans un dur conflit non seulement avec les milices tripolitaines, mais aussi avec des groupes islamistes, alliés des Turcs. La situation est encore compliquée par le nombre élevé de mercenaires et de forces étrangères présents sur le terrain pour soutenir les deux prétendants.

C'est précisément pour cette raison que la feuille de route élaborée par les Nations unies prévoit, avant tout, l'élimination des groupes armés étrangers, qui doit être définie dans le cadre d'un format de négociation "5+5", dans lequel toutes les factions belligérantes sont présentes à la table des négociations, sous les auspices des Nations unies. Le 8 octobre, le Comité militaire conjoint "5+5" s'est réuni pendant trois jours au Palais des Nations à Genève et s'est conclu par la signature d'un plan d'action prévoyant un retrait progressif, équitable et coordonné de tous les mercenaires et forces étrangères de Libye.

La réunion de Genève s'est tenue conformément aux pistes définies dans l'accord de cessez-le-feu du 23 octobre 2020 et aux résolutions connexes émises par le Conseil de sécurité des Nations unies. La réunion faisait partie intégrante des diverses négociations intra-libyennes promues par l'ONU, ainsi que des efforts déployés par la communauté internationale à travers la conférence de Berlin.

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Début novembre, le Comité 5+5 a tenu une autre réunion, cette fois au Caire, toujours organisée par l'ONU, à laquelle ont également participé des représentants du Soudan, du Tchad et du Niger. À cette occasion, tous les pays voisins de la Libye ont exprimé leur volonté de coopérer au processus d'expulsion des combattants étrangers et des mercenaires, tandis que les délégués du Soudan, du Tchad et du Niger se sont engagés à coopérer pour assurer le retrait des hommes armés de leurs pays, en coordonnant leurs actions pour éviter qu'ils ne reviennent en Libye et ne déstabilisent les États voisins.

Cependant, le refus de la Turquie de s'aligner sur les accords généraux ouvre un problème gigantesque. En fait, près de la moitié des forces étrangères présentes en Libye sont liées à Ankara : selon le SOHR (Observatoire syrien des droits de l'homme), le nombre total de mercenaires syriens soutenus par la Turquie dans le pays d'Afrique du Nord est d'environ 7000, tandis que les Nations unies ont estimé la présence de 20.000 combattants étrangers sur le territoire libyen. Les sources de SOHR ont également confirmé qu'en dépit des tentatives de négociation de leur retrait début octobre, des miliciens islamistes vétérans du conflit syrien continuent d'être stationnés dans des bases turques en Libye, tandis qu'un nouveau contingent de 90 personnes en provenance de Syrie est arrivé en Libye transporté par des avions turcs.

G20 : la diplomatie à la turque

Lors du G20, Erdogan a non seulement confirmé son intention de ne pas démobiliser ses troupes en Libye, mais a également réaffirmé au président français Emmanuel Macron que la présence turque est légitimée par un accord de coopération militaire signé avec le gouvernement libyen.

"Nos soldats sont là en tant qu'instructeurs", a-t-il réitéré, niant que leurs activités puissent être assimilées à celles de mercenaires illégaux.

Or, ce n'est pas exactement le cas. Tout d'abord, ses propos peuvent s'appliquer au contingent militaire officiellement envoyé par l'armée turque début janvier 2020, et certainement pas aux mercenaires syriens qui continuent à être stationnés dans les bases militaires d'Ankara.

Par ailleurs, les accords conclus lors du sommet du 8 octobre à Genève font explicitement référence au retrait des "mercenaires, combattants étrangers et forces étrangères", les "forces étrangères" étant comprises comme incluant les troupes régulières et les instructeurs.

Enfin, les "instructeurs" turcs ont débarqué en Libye dans le cadre d'un accord signé par Ankara en novembre 2019 avec le gouvernement d'entente nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj, un gouvernement intérimaire auquel a succédé en mars dernier le nouveau gouvernement d'union nationale dirigé par Abdul Hamid Dbeibah. Le point crucial, cependant, est qu'au moment où le traité a été signé, le mandat du GNA avait déjà expiré et donc, en tant que gouvernement intérimaire, il n'avait pas le droit de signer un tel traité de coopération militaire. C'est pour la même raison que tous les voisins de la Libye et de la Turquie ont désavoué le traité sur les frontières maritimes (et les zones économiques exclusives correspondantes) signé par Tripoli et Ankara au même moment. Ce dernier accord a considérablement étendu les revendications turques sur la Méditerranée et ses riches gisements de pétrole et de gaz.

C'est pour ces raisons que la présence militaire turque en Libye doit être considérée comme illégale au regard du droit international, car elle constitue un avant-poste des ambitions néo-impérialistes d'Erdogan. Ce n'est pas une coïncidence si Erdogan, pendant le G20, a annoncé son refus de participer au sommet sur la Libye à Paris (ce qui l'a fait couler), confirmant ainsi qu'il n'a aucune intention de soutenir les efforts internationaux visant à stabiliser le pays.

Nous avons notifié au président Macron, a déclaré Erdogan, notre refus de participer à une conférence à Paris à laquelle participent la Grèce, Israël et l'administration chypriote grecque. Pour nous, il s'agit d'une condition absolue. Si ces pays sont présents, cela n'a aucun sens pour nous d'envoyer des délégués".

À Rome, Erdogan a également eu une réunion séparée avec le Premier ministre Mario Draghi, mais celle-ci n'a donné aucun résultat concret. Aucun progrès n'a été enregistré dans les relations italo-turques, y compris en ce qui concerne le système de défense antimissile italo-français SAMP-T, pour lequel la Turquie avait précédemment manifesté son intérêt. Malgré l'annonce générale de développements futurs à cet égard, il est peu probable que la Turquie reprenne ce projet, à moins que ses relations avec Paris ne s'améliorent. Et Erdogan ne semble avoir aucune envie de poursuivre dans cette direction.

Tensions en Libye

Entre-temps, la situation politique en Libye devient de plus en plus précaire, surtout depuis que la Chambre des représentants (le parlement de Tobrouk) a remis en cause en septembre dernier, à l'instigation de Haftar, le gouvernement d'unité nationale.

D'un point de vue militaire, les tensions augmentent également, à tel point que ces derniers jours, les chefs de deux milices tripolines - Muammar Davi, chef de la Brigade 55, et Ahmad Sahab - ont été victimes d'attaques visant à les tuer.

À ce stade, il est difficile d'être sûr que les élections présidentielles auront lieu en décembre, tandis que les élections parlementaires ont déjà été reportées à 2022.

Le chantage d'Erdogan : géopolitique, énergie, flux migratoires

Si la Turquie a pu renforcer considérablement son influence en Libye, une part considérable de la responsabilité doit être attribuée aux gouvernements dirigés par Giuseppe Conte (surtout le second), caractérisés par un manque d'incisivité sur la question libyenne. Bénéficiant de facto d'une carte blanche, Ankara a pu, en quelques années seulement, débarquer des centaines de "conseillers militaires" dans le pays d'Afrique du Nord.

Avec le traité sur les frontières maritimes et la délimitation des zones économiques exclusives respectives, la Turquie a pris le contrôle du littoral de la Tripolitaine ainsi qu'une sorte de patronage sur les gisements de gaz et de pétrole de la Méditerranée centrale. Son influence politique sur le gouvernement d'accord national, puis sur le gouvernement d'unité nationale, est énorme.

La guerre civile entre Tripoli et Benghazi a permis à Ankara de fournir des troupes et des armes au camp ouest-libyen, de redéployer ses milices mercenaires précédemment actives en Syrie et d'obtenir la gestion du port et de l'aéroport de Misurata pour les 99 prochaines années.

Aujourd'hui, Erdogan, grâce à la forte influence qu'il est en mesure d'exercer sur l'un des plus grands producteurs de pétrole au monde, dispose d'une arme supplémentaire pour faire pression sur l'Europe, celle de l'approvisionnement énergétique, en plus de l'arme déjà largement utilisée du contrôle des flux migratoires, qu'il est désormais en mesure de réguler non seulement sur la route des Balkans, mais aussi sur celle de la Méditerranée centrale. La route la plus empruntée par les trafiquants d'êtres humains, selon les chiffres officiels, selon lesquels, au 22 octobre, 51.568 migrants sont déjà arrivés en Italie cette année, contre 26.683 en 2020.

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Les demandes de Draghi à l'Union européenne d'allouer des fonds pour protéger "toutes les routes" sont du miel aux oreilles turques. Ils font en effet référence aux 6 milliards que Bruxelles a déjà versés à la Turquie pour gérer la route des Balkans et à ceux qu'elle versera encore. Il y a actuellement 3,7 millions de Syriens vivant sur le sol turc, auxquels il faut ajouter 300.000 Afghans. Une bombe à retardement qu'Ankara menace de faire exploser à tout moment si ses exigences ne sont pas satisfaites.

En bref, les crises humanitaires - de l'Afghanistan à la Syrie, auxquelles s'ajoute désormais la crise libyenne - sont devenues une occasion extraordinaire pour la Turquie d'obtenir des ressources de l'Europe et de la maintenir sous pression. C'est pourquoi le maintien d'un gouvernement pro-turc à Tripoli est si important pour Erdogan : il lui permet de jouer un jeu géopolitique complexe contre l'UE qui combine énergie et flux migratoires.

Reconstruire un équilibre en Méditerranée et redimensionner les ambitions turques en adoptant une attitude plus ferme à l'égard du nouveau sultan est le véritable défi que l'Italie doit relever, plutôt que de s'aventurer dans des aspirations improbables et irréalistes à diriger l'UE ou à renforcer les relations transatlantiques.

Alessandro Sansoni
Directeur du magazine mensuel CulturaIdentità

samedi, 06 novembre 2021

No time to die: la faiblesse de Bond à l'heure de la cancel culture

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No time to die: la faiblesse de Bond à l'heure de la cancel culture

La dernière version cinématographique de l'agent créé par l'écrivain anglais Fleming n'est pas convaincante

par Giuseppe Del Ninno

Ex: https://www.barbadillo.it/101464-no-time-to-die-la-debolezza-di-bond-al-tempo-della-cancel-culture/

No time to die, le dernier film de James Bond

Dans ses meilleures années, l'industrie cinématographique a également connu des sagas, des films qui ont obtenu un succès international grâce à un personnage, un interprète, une saga littéraire et qui ont ensuite, précisément en raison de ce succès, donné lieu à une ou plusieurs "suites". James Bond est un cas presque unique où le protagoniste d'une saga est joué par plusieurs acteurs, dont le dernier, Daniel Craig, fait ses adieux au personnage de 007, né de la plume de Ian Fleming, dans ce No time to die (qui renoue avec la récente habitude des distributeurs de ne pas traduire les titres originaux).

Le titre même - No time to die - semble contredire la fin, largement anticipée par les médias, qui voit succomber le héros de tant de films inspirés par le prince des agents secrets. Des pelotons entiers de sémiologues, à commencer par Umberto Eco, ont écrit des pages et des pages sur la signification profonde du succès de cette figure, populaire surtout auprès du public masculin: invincibilité, capacité de séduire les plus belles femmes, ironie (qui, par exemple dans les interprétations de Roger Moore, est devenue auto-ironie), liberté d'action totale avec l'intolérance conséquente des règles "professionnelles" (par rapport aux patrons qui se consacrent surtout à limiter son initiative) et sociales (lire : bref, tout ce complexe de connotations identitaires faisait que le spectateur moyen avait tendance à s'identifier au Héros, échappant, pendant deux heures, à la médiocrité de son quotidien.

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Et, coucou, voilà le politiquement correct

Eh bien, un tel bagage est complètement déballé et laissé sur le plateau, abandonné par Daniel Craig dans son dernier effort d'incarner sur l'écran l'agent 007 (qui, remarquez, menace de continuer sa carrière en devenant cet agent mythique sous les traits d'une jeune fille à la peau sombre, agréable, ambitieuse et efficace, afin de s'adapter au politiquement correct du moment, mais nous ne savons pas si cela revient aussi à s'adapter aux règles du marché. C'est du moins ce que nous dit l'intrigue de No time to die, qui nous offre un avant-goût de cet héritage).

Le film, cependant, est à mon avis décevant: un scénario brouillon et interminable, avec des rôles ambigus (à un certain moment, on ne sait plus qui sont les "bons" et qui sont les "méchants"), des sauts de "lieu" trop brusques, des poursuites et des fusillades tonitruantes (avec un seul exploit de la fameuse Aston Martin équipée d'options mortelles); même la bande sonore, qui a contribué au succès mondial de la série, semble faible et anonyme. Dans ce contexte, il est difficile de comprendre le "caméo" non pas d'un acteur charismatique, mais d'une ville: la splendide Matera, dont le délicat enchevêtrement de montées et de descentes et de vieilles maisons a été mis en danger par le vrombissement des voitures et des motos, qui ont fait irruption dans un moment d'intimité fugace et tendre de notre héros avec sa compagne, dans un hôtel luxueux. Complètement superflu dans l'histoire, nous voudrions y voir un hommage à la "Venise des Sassi", capitale de la culture pour 2019.

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Mais venons-en au Bond de sa dernière performance. Un personnage crépusculaire aurait pu être l'occasion d'un film qui ne soit pas seulement un blockbuster, mais un film de qualité ; au lieu de cela, le réalisateur californien Cary Fukunaga a échoué dans son objectif. Et en parlant de sagas et de crépuscules, il suffit de penser au western de Don Siegel et à The Gunslinger de John Wayne pour voir une comparaison impitoyable. Craig apparaît peu crédible dans son nouveau rôle de père et de compagnon fidèle, et de plus nous le percevons comme vulnérable aux embuscades et aux coups que lui infligent ses ennemis de toujours - et pas seulement le mythique "Spectre" - jusqu'à l'issue fatale.

L'attitude de coureur de jupons impénitent du Bond vintage, qui ne laissait jamais échapper aucune de celles que l'on appelait de façon cohérente les "Bond girls", appartient également au passé : Ici, face à une compagne séduisante et farouche, il se contente de faire un compliment et de s'éloigner... À cela s'ajoute l'hommage à l'actuelle "pensée unique dominante" qui, outre l'héritage précité de 007 passé entre les mains de l'interprète noir, colore également la peau de la secrétaire de "M", Miss Moneypenny, la faisant paraître plus jeune (autre trahison perpétrée à l'encontre de Fleming).

Nous savons tous que dans les films de 007, il manque l'"ennemi politique", celui, pour être clair, représenté dans de nombreux films d'espionnage par l'"Empire du Mal" soviétique: Fleming, qui avait également une expérience de l'espionnage au service de la Royal Navy contre l'Empire du Mal de l'époque (celui du soi-disant nazi-fascisme...), dès ses premiers romans s'est extrait de cette dialectique glissante, et a pointé ses flèches (ou plutôt celles de son Héros) contre les Grands Délinquants et les Organisations Criminelles qui se limitent à la recherche du profit et du pouvoir.

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Qu'il s'agisse de menacer le monde avec des engins nucléaires ou - comme dans ce cas - avec des résultats de recherches sophistiquées dans le domaine de la génétique, Bond était toujours en première ligne, peut-être avec les armes mortelles conçues par le Dr Q, un brillant scientifique des services secrets britanniques, qui dans ce film - mainstream oblige... - fait une sortie discrète, faisant à peine allusion à son homosexualité (inouïe). C'est peut-être une coïncidence, mais cette fois, ses tours diaboliques ne parviendront pas à sauver notre héros...

Les bons et les méchants existent-ils encore ?

À ce stade, quelques brèves réflexions sur la dérive de l'imaginaire collectif s'imposent : le déclin d'un genre comme le western, qui avait marqué pendant des décennies les fantasmes des enfants et des adultes, est, entre autres, la conséquence de complexes de culpabilité et d'un universalisme insidieux de l'"Ouest"; même d'un point de vue sémantique, on ne pouvait plus parler de "peaux rouges" et, encore moins, de "visages rouges": la seule définition admise était celle des "Amérindiens". Et pourtant, il n'y avait aucune malice dans cette "acclamation" pour la 7e Cavalerie de John Fors et de nombreux autres réalisateurs, qui, surtout dans notre pays, l'Italie, ne prédisposait à aucune forme de racisme.

Mais plus généralement, la montée du relativisme éthique et culturel a également transformé les figures du "bon" et du "mauvais", notamment sur le grand écran. Le gentil avait des moments et des traits du méchant, qui à son tour apparaissait, dans certains passages, moins "méchant" que ce à quoi nous nous attendions. Par conséquent, le héros-protagoniste devait se montrer dans toute son ambiguïté, plus semblable à l'homme moyen qu'au modèle inatteignable du Héros, courageux mais avec des moments de peur, généreux mais aussi impitoyable, chanceux mais aussi sujet, ici et là, à la malchance, et ainsi de suite, sur la route de la médiocrité qui ne fait pas rêver.

Ainsi, avec ce Bond au crépuscule, ils nous ont fait faire un pas de plus dans la direction du désenchantement : c'est peut-être aussi de cette manière que s'affirme la déplorable "cancel culture".

@barbadilloit

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"Grands Réveils" et "Enfants de Lumière"

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"Grands Réveils" et "Enfants de Lumière"

Par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/grandi-risvegli-e-figli-della-luce/

Dans un article publié dans le numéro 4/2021 d'Eurasia, l'universitaire Maria G. Buscema affirme que les historiens et les théologiens utilisent les termes de Grand Réveil ou Revivals pour désigner expressément les mouvements de renouveau spirituel caractéristiques du protestantisme. L'expression "Grand Réveil" a récemment été remise au goût du jour comme indicateur d'une révolte "spontanée" non spécifiée des masses (des peuples) contre la Grande Remise à zéro "mondialiste" imposée (aussi) par les mesures visant à contenir la crise pandémique, par la pandémie elle-même ou par le récit qui en est fait (ou préparé) en "Occident".

Ces aspects nécessitent naturellement une étude plus approfondie, que nous tenterons de fournir au cours de ce travail. Cependant, il semble presque un devoir de rappeler que l'"Occident" reste l'espace géographique-idéologique soumis à l'hégémonie culturelle et militaire des États-Unis d'Amérique. Par conséquent, il est assez rare qu'une expression idéologico-religieuse émanant du "centre impérial" vise de quelque manière que ce soit à sa destruction.

L'histoire nous enseigne que toute tentative de renouveau spirituel (qu'elle ait échoué ou non) conçue et guidée par les échelons supérieurs du pouvoir impérial a toujours eu pour objectif le renforcement de l'empire lui-même et non sa dissolution. Prenons l'exemple de la tentative de l'"impératrice philosophe" Julia Domna, tout en distinguant les aspects purement traditionnels de la modernité. Celle-ci, épouse de Septime Sévère et fille d'un prêtre du dieu syriaque El-Gabal, pensait à une uniformisation spirituelle renouvelée de l'Empire romain par l'imposition d'une sorte d'énothéisme solaire capable de surmonter les divisions entre les différentes croyances religieuses en son sein. Et son objectif était de donner vie à un modèle théologique qui légitimerait et sacraliserait à nouveau l'espace impérial après que la coïncidence originelle du droit, de la politique et de la religion se soit lentement estompée [1]. Son objectif, comme celui de Julien après elle, était donc de renforcer et non de détruire.

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Pour en revenir à l'actualité, les pages d'Eurasia ont souvent traité de l'incohérence quasi absolue de la dichotomie mondialisme/souverainisme (deux faces d'une même pièce qui évoluent dans le paradigme géopolitique de l'atlantisme). Le discours est différent en ce qui concerne le Grand Réveil susmentionné.

L'observateur non averti de la réalité serait enclin à considérer et à accepter (pour le meilleur et pour le pire) ce "phénomène" comme quelque chose d'absolument original: comme une opposition naturelle au dessein de la "grande restauration" (théorisée au forum de Davos en 2020) selon ses plus ardents adeptes ; comme le résultat de fantasmes conspirationnistes selon ses détracteurs. Ces deux positions sont erronées.

Au tournant des XVIIIe et XXe siècles, comme le rapporte l'étude de Maria G. Buscema, il y a eu au moins trois ou quatre (selon l'interprétation) grands réveils différents (il y en aurait même cinq avec le réveil actuel). Toutes, bien qu'inspirées par des pratiques religieuses nées en Europe, sont originaires des États-Unis. Et toutes ont eu des répercussions dans les sphères religieuses et politiques. Ceux-ci, affirme la chercheuse de Syracuse, "ont en commun le fait de centrer leur enseignement sur la doctrine du péché et de la grâce que l'on trouve dans la Bible, mais lue à la lumière de la Réforme, c'est-à-dire en mettant le Christ au centre de la prédication, en éloignant les fidèles des rituels et des cérémonies et en rendant la religion intensément personnelle pour les fidèles ordinaires" [2].

De là, nous pouvons voir une première différence substantielle non seulement entre la doctrine catholique et protestante, mais aussi entre différents courants au sein même du protestantisme: c'est-à-dire entre les protestants traditionalistes, d'une part, centrés sur l'importance du rituel et, d'autre part, les nouvelles expressions religieuses visant à encourager une plus grande implication émotionnelle et un engagement personnel au nom de la spiritualité.

À cet égard, il convient de rappeler que le prosélytisme religieux, comme la propagande politique, recherche toujours l'implication émotionnelle directe de la personne. Par conséquent, le prosélytisme et la propagande doivent être réglementés en fonction du public auquel ils s'adressent.

Comme l'écrivait Lord Northbourne à l'époque: "De nos jours, les représentants de la religion n'osent rien faire d'autre que de paraître à la page. C'est pourquoi ils s'efforcent toujours de rendre les écritures et les doctrines de la religion intelligibles pour le commun des mortels en essayant de les définir en termes adaptés à ses capacités d'analyse mentale et de déduction [...] rien ne restreint mieux que la manie de la définition, qu'elle soit philosophique ou populaire. Une divinité définie n'est pas divine, mais humaine ; elle n'est pas Dieu, mais une idole" [3]. En fait, en paraphrasant René Guénon, en essayant d'amener Dieu dans les états inférieurs de l'être (une pratique répandue dans le protestantisme anglo-américain) on ne fait que développer un "satanisme inconscient" beaucoup plus pernicieux que le satanisme réel et conscient (un phénomène à peine répandu et plutôt grotesque).

Pour en revenir aux différents "grands réveils", il est utile de rappeler que les racines de ce phénomène peuvent être facilement identifiées dans le piétisme: courant protestant développé en Europe centrale aux 17ème et 18ème siècles en réaction au dogmatisme luthérien classique. Le piétisme s'opposait au rationalisme de la théologie luthérienne en mettant l'accent sur la dévotion intérieure, grâce à laquelle les adeptes étaient élevés au niveau des "éveillés" ou des "régénérés". Sur la base de cette idée de "réveil" ou de "renaissance" en Christ, les grands réveils nord-américains se sont développés à partir du 18ème siècle. Le premier de ceux-ci, dit Maria G. Buscema, remonte au méthodisme, qui a offert une substance et une force nouvelles à l'action des prédicateurs évangéliques, généralement d'origine calviniste et marqués par une forte rigueur morale.

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Jonathan Edwards.

Aux États-Unis, nous avons le prédicateur écossais Thomas Chalmers (1780-1847) [...] ou la prédication charismatique des pasteurs George Whitefield (1714-1770) et Jonathan Edwards (1703-1758) [...] La prédication de ce dernier s'accompagne d'une vague de fanatisme millénariste qui se répand du Connecticut à la Nouvelle-Angleterre. Ses prédications, appelant au "Nouvel Israël" américain et à l'alliance conclue avec Yahvé, suscitaient des foules extatiques à l'écoute des sermons des pasteurs itinérants [...] Il fut suivi du Second Grand Réveil (1800-1858), particulièrement fort dans le Nord-Est et le Midwest, qui impliqua les classes inférieures et moyennes et eut pour centre de prédication revivaliste le district dit "Burned over" dans l'ouest de l'État de New York, appelé ainsi en raison du thème constant des sermons: "la damnation éternelle dans les flammes de l'enfer" [5]. Le troisième Grand Réveil (1859-1900) est généralement associé à l'impulsion donnée à l'action missionnaire et à la naissance des Témoins de Jéhovah. Alors qu'avec le quatrième Grand Réveil (qui a commencé au tournant des années 60 du siècle dernier) on entre dans une dimension plus proprement politique et géopolitique. Elle se distingue par le succès de certains des acronymes les plus conservateurs du panorama religieux nord-américain qui se sont engagés, par exemple, dans des batailles "éthiques", dictées par une lecture littérale du texte biblique, contre l'évolutionnisme et en faveur du "créationnisme".

61VZtbQbr4L.jpgIl est ici nécessaire d'ouvrir une brève parenthèse, étant donné que les théories évolutionnistes et créationnistes ont toutes deux des origines modernes. "L'un et l'autre, dit Lord Northbourne déjà cité, cherchent à tout expliquer en termes d'avantages et d'inconvénients immédiats et tangibles" [6]. Ainsi, les deux courants, tout en étant en antithèse l'un avec l'autre (puisque le "créationnisme" part d'un présupposé religieux), sont régis par une tendance intrinsèquement matérialiste.

Le célèbre pasteur évangélique Bill Graham (1918-2018) est lié au quatrième Grand Réveil. Il a exercé son influence sur de nombreux locataires de la Maison Blanche, et plus généralement sur les dirigeants politiques américains, tout au long du milieu du 20e siècle et du début du 21e siècle, d'Eisenhower à Jimmy Carter et de Bill Clinton au vice-président de Donald J. Trump, Mike Pence.

Avec ce que nous pourrions appeler le cinquième grand réveil (dont la date de début pourrait coïncider avec l'élection de Donald J. Trump en 2016), la dimension géopolitique prend encore plus de valeur. Cependant, la traditionnelle "destinée manifeste" (la mission des États-Unis de construire un ordre mondial à leur image) est masquée par une lutte idéologique-eschatologique entre le bien (l'humanité en général) et le mal (les soi-disant élites libérales transnationales, présentées comme les "alliés" de la menace numéro un pour l'hégémonie mondiale des États-Unis: la Chine).

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Cette nouvelle "théologie politico-apocalyptique" a pu surmonter le trumpisme lui-même (la défaite électorale de "l'homme que Dieu a envoyé pour débarrasser le monde du mal" selon les adeptes de QAnon) et les frontières du centre "impérial" pour s'étendre à la périphérie européenne (également grâce à des agitateurs politiques zélés, dont le penseur russe Alexandre Douguine, auteur d'un manifeste du Grand Réveil contre la Grande Restauration dans lequel sont chantées les louanges du trumpisme et de l'Amérique comme lieu du "crépuscule du libéralisme") [7]. Ce court pamphlet mérite qu'on s'y attarde, car il marque le passage définitif d'une perspective géopolitique quasi déterministe (les États-Unis sont poussés à la conquête du monde par leur nature thalassocratique intrinsèque) à une perspective purement politique, dans laquelle un "philosophe" (prétendument "évolien") fait ouvertement un clin d'œil à des éléments anti-traditionnels tels que le messianisme numérisé de la pseudo-religion QAnon susmentionnée [8]. Il importe peu que le trumpisme, en termes géopolitiques, ait évolué dans une continuité absolue avec les administrations précédentes, en appliquant la stratégie américaine habituelle: exacerber les tensions pour assurer des revenus au complexe industriel de guerre nord-américain et construire des blocs d'opposition entre l'Europe et le reste de l'Eurasie.

Or, la "théologie apocalyptique-politique" susmentionnée, profondément inspirée par les thèmes classiques de l'évangélisme et du sionisme chrétien, trouve sa référence théorique dans un tout aussi court pamphlet de 1944 écrit par le théologien réformé Reinhold Niebuhr et intitulé Les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres. Le "travail" mérite une nouvelle parenthèse, car il exprime l'idée d'un véritable choc existentiel entre les États-Unis et l'Europe. À vrai dire, l'idée n'est pas particulièrement originale non plus. Déjà au cours du 19ème siècle, des thèses de conspiration ont été propagées aux États-Unis, selon lesquelles les empires européens, de concert avec le pape et les jésuites, tentaient de détruire le gouvernement démocratique de Washington.

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En fait, le pamphlet de Niebuhr se concentre sur la "civilisation démocratique moderne". Celle-ci, appuyée sur le "credo libéral", est l'expression des "enfants de la lumière", dont le seul péché est une approche sentimentale naïve des relations internationales. La "civilisation démocratique" est opposée à celle des "enfants des ténèbres", qui sont voués au cynisme moral (une caractéristique qui, selon Niebuhr, distingue aussi bien Mussolini, lié à Mazzini par une ligne directe, qu'Hitler); leur antidémocratisme serait influencé politiquement par Hobbes et religieusement par Luther. Ils sont mauvais mais très intelligents et ne connaissent aucune loi ni aucun droit autre que la simple force. L'ennemi des "enfants de la lumière" ne peut donc être que la "fureur démoniaque" du nazisme et du fascisme, qui ont mis les outils de la technologie moderne au service d'une idéologie antimoderne qui place la communauté avant l'individu [10].

Or, les affirmations de Niebuhr peuvent facilement être réfutées à plusieurs niveaux. Le théologien réformé, en premier lieu, semble être un piètre connaisseur de Hobbes, dont le "seul défaut", au mieux, serait de ne jamais dissimuler le pouvoir, son poids et sa position centrale dans tous les comportements humains, et de ne jamais l'exalter. Deuxièmement, il semble ignorer les multiples crimes du colonialisme libéral et le fait même que la soi-disant "Doctrine Monroe", loin d'être le produit d'une géopolitique isolationniste, était simplement la première expression de l'impérialisme nord-américain.

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En outre, il semble ignorer le fait que l'absence de "droit", pour paraphraser Carl Schmitt, a principalement caractérisé les actions nord-américaines sur le continent européen. En diabolisant l'ennemi (qui mérite d'être anéanti), les États-Unis ont ramené la "loi de la jungle" en Europe. Surmontant le traditionnel ius publicum europaeum qui était à la base des relations entre les monarchies chrétiennes du continent, les États-Unis ont imposé une domination sur le continent qui aujourd'hui, à la seule exception de la Russie, est devenue totale.

Il n'est pas surprenant que l'agitateur et théoricien trumpiste Steve Bannon ait souvent fait référence à un "capitalisme éclairé" non spécifié, imprégné de "valeurs judéo-chrétiennes", qui a aidé à vaincre le nazisme et à renvoyer un "empire barbare" (la référence est à l'Union soviétique) à l'Est (11). Et il n'est pas surprenant que les partisans actuels du Grand Réveil aient alternativement recours à des comparaisons avec le communisme et le nazisme pour décrire les conditions restrictives actuelles.

Bannon lui-même a repris le thème (non sans références bibliques) des "enfants de la lumière contre les enfants des ténèbres" dans une interview désormais célèbre de l'ancien nonce apostolique aux États-Unis, Carlo Maria Viganò, connu pour ses positions pro-Trump et anti-Biggerhead [12]. Dans cette interview, il est fait explicitement référence à l'alliance impie entre "l'État profond mondialiste" et le "régime communiste brutal" (la référence est la Chine). Une théorie qui semble plutôt bizarre si l'on considère que l'homme de référence du mondialisme, George Soros, est considéré comme un terroriste en République populaire de Chine, et que l'actuelle administration Biden n'a fait qu'exagérer davantage les positions géopolitiques anti-chinoises de la précédente (on pense à la signature du pacte AUKUS et au renforcement militaire du gouvernement séparatiste de Taïwan, cheval de bataille de Steve Bannon).

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À vrai dire, le prétendu État profond s'est désintéressé de la Chine au moment même où Bannon a compris que le grand pays asiatique représentait une menace réelle pour l'hégémonie mondiale nord-américaine. C'était déjà le cas lors du premier mandat présidentiel de Barack Obama. En ce qui concerne les soi-disant élites mondialistes, leur intérêt pour le marché chinois est inextricablement lié au renversement du gouvernement du PCC. Ce n'est pas un hasard si le spéculateur George Soros, déjà cité, a décrit à plusieurs reprises le président chinois Xi Jinping comme le plus grand ennemi de la société ouverte.

La crise pandémique n'a fait qu'exagérer davantage des positions qui restent toujours parfaitement dans le schéma géopolitique atlantiste (qu'elles soient progressistes ou réactionnaires). Il ne s'agit pas ici d'établir l'origine du virus, sujet sur lequel il n'y aura jamais de parole définitive (bien que l'auteur se soit fait sa propre idée sur la base de l'observation empirique que la recherche constante d'un ennemi est un présupposé fondamental pour la réaffirmation continuelle du schéma hégémonique nord-américain). Ce qui compte, ce sont ses effets.

Le premier effet, et le plus évident, de la crise pandémique a été l'accélération de certaines tendances et dynamiques qui se manifestaient en "Occident" depuis plusieurs décennies. L'évolution de la société occidentale vers une forme de "capitalisme de surveillance" ou de "totalitarisme libéral" a été "mal comprise" par les théoriciens du "grand réveil" comme une forme de "chinoisisation de la société". Pour être juste, son antécédent historique le plus immédiat peut facilement être trouvé dans le Patriot Act de l'administration Bush Jr, qui a donné à la NSA le champ libre pour espionner les citoyens américains eux-mêmes. En outre, des systèmes de contrôle et de suivi de la population étaient en place bien avant la crise pandémique grâce aux plateformes sociales et de recherche du réseau.

Les mêmes mesures pour contenir l'épidémie entre la Chine et l'"Occident" étaient complètement différentes. Dans le cas de la Chine, on a opté pour des fermetures localisées, une traçabilité rapide et le renforcement des soins de santé en tant qu'outil de sécurité nationale. Dans le cas de l'Occident (sauf dans de rares cas), en raison également des immenses dégâts générés par des décennies de néolibéralisme exaspéré, l'accent a été mis sur les confinements généralisés et prolongés, la lenteur ou l'absence de suivi, la mise en cause de la population et le cyberterrorisme. En outre, les vaccins (bien sûr, uniquement ceux produits par les multinationales pharmaceutiques occidentales) ont été considérés comme l'unique moyen de surmonter la crise, jusqu'au cas extrême de l'Italie (véritable laboratoire d'expériences politiques, du gouvernement jaune-vert au gouvernement hyper-atlantique du "bankster" [13] Mario Draghi), où une sorte d'obligation vaccinale fictive a été imposée par le biais du "certificat vert" : un outil qui discrimine ouvertement non seulement ceux qui ont choisi de ne pas se faire vacciner, mais aussi ceux qui l'ont fait avec des vaccins non occidentaux. Cette mesure, il faut le souligner, n'existe pas en Chine, où un état semi-normal a déjà été rétabli à l'été 2020 sans aucune obligation de vaccination, fictive ou non. On peut donc parler à juste titre d'une nouvelle "israélisation de la société".

Il n'en va pas différemment si la "chinoisisation de la société" signifie la réduction progressive des droits du travail, puisque nous avons affaire à deux formes de société complètement différentes. Concrètement, il est impossible d'établir des comparaisons entre une forme de socialisme national capable de sortir plus de 700 millions de personnes de la pauvreté et centré sur l'idée de "prospérité commune" et un modèle néolibéral, dont la seule aspiration est d'expérimenter de nouvelles techniques d'oppression (sans rien donner en retour à la population) afin de maintenir intact son système d'exploitation face aux crises structurelles cycliques de l'hypercapitalisme.

Une véritable opposition à l'évolution actuelle du système ne peut se limiter à un simple "non" au vaccin ou au "certificat vert". En laissant de côté le fait que se définir comme "éveillé" pour le simple fait d'avoir refusé une injection ferait rire même un débutant dans le domaine des études traditionnelles, penser que l'on peut créer une opposition au système uniquement et exclusivement sur ces bases, ou aspirer à un retour au passé qui a ouvert la voie à la situation actuelle, sans même gratter un pouce des dogmes atlantistes, c'est être absolument consubstantiel au système lui-même.

NOTES:

[1] Cf. C. Mutti, Introduzione alle Epistole di Apollonio di Tiana, Edizioni di Ar, Padova 2021, pp. 9-41.

[2] M. G. Buscema, Il “Grande Risveglio”. Una teologia politico-apocalittica?, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 4/2021, P. 122.

[3] Lord Northbourne, Quale progresso?, Cinabro Edizioni, Roma 2021, p. 104.

[4] R. Guénon, Errore dello spiritismo, Luni Editrice, Milano 2014, p. 198.

[5] Il “Grande Risveglio”. Una teologia politico-apocalittica?, ivi cit., p. 124.

[6] Quale progresso?, ivi cit., p. 64.

[7] A. Dugin, Contre le great reset, le manifest du grand réveil, Ars Magna (2021), p. 47. Recension de Claudio Mutti in “Eurasia” 4/2021, pp. 221-222.

[8] Ibidem, p. 38.

[9] Cf. R. Hofstadter, The paranoid style in American politics, www.harpers.org.

[10] Cf. R. Niebuhr, The children of light and the children of darkness, Charles Scribners’s Son (1944).

[11] Cf. A. Braccio, Gli USA contro l’Eurasia: il caso Bannon, www.eurasia-rivista.com.

[12] La citation précédente de Lord Northbourne concernant la tentative de rendre Dieu définissable par tous, même par les esprits les moins préparés, s'applique parfaitement à la condition actuelle de l'Église catholique. Les deux positions, la "moderniste" de Bergoglio et la "conservatrice" de Viganò, sont profondément influencées par l'esprit protestant. Le premier s'est plié au style de propagande évangélique pour rendre l'image de Dieu accessible à tous. Le second a opté pour l'approche apocalyptique typique de l'évangélisme nord-américain. Il faut ajouter à cela que de nombreuses positions de Bergoglio sont souvent et volontairement déformées.

[13) Le terme a été utilisé par Léon Degrelle dans les années 1930 pour désigner les pratiques de gangsters employées par les grandes institutions de la finance pour maintenir leur contrôle sur les peuples.

Nous nous dirigeons vers la tyrannie mais ce n'est pas le fascisme, c'est l'hyperdémocratie

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Nous nous dirigeons vers la tyrannie mais ce n'est pas le fascisme, c'est l'hyperdémocratie

Adriano Scianca

SOURCE : https://www.ilprimatonazionale.it/cultura/ci-avviamo-verso-tirannide-ma-non-fascismo-iperdemocrazia-213303/

Finalement, la gauche avait raison : les masses déculturées, abruties par des années de lavage de cerveau, nous mènent vers la tyrannie. Ils se sont seulement trompés dans l'identification du facteur de déculturation : ce n'est pas la chaîne de télévision Rete 4, les showgirls, les ballets, la télévision de l'après-midi qui ont fait de nous une masse prête à subir n'importe quelle brimade, et même à la revendiquer avec joie. C'était eux. C'était la gauche. Pas tant, et pas seulement, le PD socialiste italien, qui est maintenant une agence oligarchique froide, souvent un collecteur maladroit d'intérêts et de demandes supranationales, mais la gauche médiatique, la gauche sociale, celle qui fait une masse critique dans la communication et a la puissance de feu suffisante pour façonner une partie du discours dominant. Mais attention : l'autoritarisme auquel nous sommes confrontés n'est pas une trahison de la démocratie et de la Constitution, et encore moins un "retour du fascisme", mais plutôt une hyperdémocratie, une démocratie impatiente, qui, à la poursuite de ses propres fétiches, a commencé à considérer avec suspicion chaque obstacle procédural, chaque finesse formelle, même chaque subtilité de contenu. Examinons quelques-uns de ces fétiches.

L'hyperdémocratie et ses fétiches : la compétence

Fétichisme de la compétence : en partie pour plaire aux travailleurs précaires semi-culturés qui exorcisent leurs frustrations existentielles en corrigeant les subjonctifs sur les réseaux sociaux, et en partie pour répondre aux exigences du libéralisme technocratique, la compétence (compétence sur la base de quels paramètres ? sur la base de quelle grille de valeurs ?) est devenue ces dernières années l'alpha et l'oméga de la politique. Il se trouve que, face au super-compétent Draghi, tout droit réel piétiné est euphémisé sur un ton lyrique, et toute hypothèse qui évoque un coup d'État devient, dans la narration officielle, un ingénieux coup de théâtre à saveur institutionnelle.

Giancarlo Giorgetti peut donc spéculer sans risque et nous dire que "Draghi pourrait diriger le convoi de l'extérieur", c'est-à-dire depuis le palais du Quirinal, "il s'agirait d'un semi-présidentialisme de fait, dans lequel le président de la République élargit ses fonctions en profitant d'une politique faible". Et ainsi le dépassement du parlementarisme, de cauchemar nostalgique, devient un rêve de stabilité qui ne soulève plus aucune objection. Au contraire : sur Twitter, c'est l'ancien directeur de Repubblica Carlo Verdelli, qui, il y a quelques mois, a paralysé l'Italie parce qu'un fou l'a insulté sur les réseaux sociaux, qui a tweeté: "Tant de huées mais Giorgetti dit la vérité : il dirige Draghi partout où on le met, y compris au Quirinal". La Constitution dit-elle autre chose? Amen, au moins jusqu'à ce que l'Europe finance le redémarrage et que les partis sortent du coma. Nous avons le premier "premier ministre multilatéral". Et voici un cas typique dans lequel l'évolution autoritaire de la démocratie est justifiée par les arguments de la démocratie elle-même.

Le fétichisme des droits

Fétichisme des droits : tout le débat sur le projet de loi Zan a tourné autour de la pensée magique. À partir d'un certain moment, la réalité n'a plus d'importance, le contenu même du projet de loi devient un détail par rapport à la puissance évocatrice du simple mot "droits". Il y a effectivement eu un débat sur le fond du projet de loi, et les critiques du texte sont venues non seulement de toute la droite, y compris des franges libérales, mais aussi du Vatican et, surtout, d'une grande partie du monde féministe et LGBT. Mais ces critiques ont été noyées dans le bruit de fond des différents Fedez, dans le bavardage des commentateurs les plus exaltés, qui ont à leur tour soulevé des foules d'adolescents et de post-adolescents sans la moindre grammaire fondamentale de la politique, qui ont grandi sous la bannière d'un fondamentalisme dont le seul commandement est "tu n'auras pas de Dieu mais tes droits".

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Face à cette masse à la puissance de feu impressionnante, toute discussion sur le fond a été anéantie et l'ensemble du débat est devenu une sorte de rituel bacchique centré sur l'évocation de mots magiques et d'actes de désespoir théâtralisés. Des hordes de jeunes militants étaient sincèrement convaincus qu'en rejetant le projet de loi, quelqu'un leur avait "retiré leurs droits", une phrase qui semble incompréhensible même si l'on apprécie le texte de Zan (rejeter un décret qui renforce les peines pour les "homophobes", en quoi cela retire-t-il les droits des homosexuels ?). Beaucoup se sont même indignés du simple fait qu'il y ait eu un débat, un vote sur le projet de loi, que cela n'aille pas de soi. À ceux qui craignaient des risques pour la liberté d'opinion, ils ont répondu que "la haine n'est pas une opinion", une phrase qui n'a évidemment aucun sens.

Le fétichisme de la sécurité

Fétichisme sécuritaire : l'interdiction de parole et d'action infligée à Stefano Puzzer, leader des dockers rebelles de Trieste, a été accueillie avec satisfaction et ironie par le même monde qui a pleuré les droits violés par le rejet du projet de loi Zan. Puisque Puzzer n'est pas aimé et qu'il dit des choses qui ne sont pas aimées, si l'État le punit de manière anormale et injustifiée, l'Etat a raison quoi qu'il en soit (personnellement, je suis loin de voir Puzzer comme une référence humaine ou politique, mais ce n'est pas le cœur du problème).

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D'ailleurs, la pratique du daspo a déjà été expérimentée avec succès dans les stades, contre ces ultras qui tapent un peu sur les nerfs de tout le monde et pour lesquels, par conséquent, il n'était pas bien élevé de se battre. Que tous ces faits marquent des précédents inquiétants n'intéresse personne : ceux qui ont scandé à tout bout de champ "D'abord ils sont venus prendre...", nous font comprendre qu'avec cette rime ils n'affirmaient pas un principe général (défendre aussi les libertés de ceux que l'on n'aime pas, car de cette façon on se défend aussi soi-même), mais s'inquiétaient littéralement des catégories spécifiques mentionnées : s'ils viennent prendre les communistes, les tziganes etc. il y a de quoi s'inquiéter, tous les autres peuvent être expulsés aussi.

Le fétiche de l'antifascisme

Le fétiche de l'antifascisme : le premier et le plus important des fétiches est évidemment celui-ci, celui qui soutient tout l'échafaudage institutionnel et moral de l'esprit du temps. Oubliez le "nazipass", oubliez "Draghi comme Mussolini". En fait, à y regarder de plus près, le premier véritable précédent du laissez-passer vert - une certification qui concède certains droits réels à des personnes qui n'ont enfreint aucune loi - se trouve dans les diverses "déclarations d'antifascisme" exigées dans les municipalités dirigées par le parti démocrate. Comme si la pleine citoyenneté ne découlait pas de la loi, mais d'une superposition idéologique. Mais cela, bien que contraire à tout principe de droit, et aussi aux lois en vigueur, n'a pas suscité de critique, car le fond (la lutte contre le fascisme) rend inutile toute question de forme. Et, de la même manière, une forme abstraite, presque métaphysique, de protection de la santé de la part de Covid rend tout abus plausible. Et lorsque Facebook censure CPI ou, sur un autre plan, Trump, la plupart des commentateurs - ou du moins ceux qui font la masse critique, celle mentionnée plus haut - ne s'interrogent pas le moins du monde sur ce que cela signifie en termes structurels, juridiques, éthiques, politiques. Tout est ramené à d'autres mots fétiches, comme "haine". Et comment ne pas être contre la haine ?

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Une tache informe

Et ainsi de suite. Des années de rhétorique démocratique ont déshabitué les esprits, surtout les plus jeunes et les plus influents, à l'esprit critique, au raisonnement dans son ensemble, à la lecture de la profondeur historique des faits, à toute conjecture qui ne soit pas purement subjective. Cela a créé une tache informe qui engloutit la démocratie elle-même. Mais ce qui nous sera recraché ne sera pas du tout le fascisme, qui n'a rien à voir avec lui et reste le "tout autre" par rapport à ce monde. Au contraire, nous aboutirons à une forme d'hyperdémocratie féroce, technocratique, policière, mais toujours considérée comme bonne, très, très bonne.

Adriano Scianca

Eastwood et Schwarzenegger: exemples de faux «conservateurs»

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Eastwood et Schwarzenegger: exemples de faux «conservateurs»

par Georges FELTIN-TRACOL

La présente chronique n’entend pas empiéter sur les sujets de prédilection des excellentes « Chroniques de La Rive ». Elle cherche plutôt à appliquer dans le domaine cinématographique la notion pertinente de « faux héros contre-révolutionnaire, conservateur ou réactionnaire ».

Cette expression originale revient au philosophe étatsunien d’origine hongroise Thomas Molnar (1921 – 2010). Fuyant le communisme dès la fin des années 1940, ce catholique de tradition, bientôt figure de proue de la droite paléo-conservatrice outre-Atlantique, capable de s’exprimer aussi bien en anglais qu’en français et en allemand, grand lecteur d’Aristote, de saint Thomas d’Aquin et de Charles Maurras, lance en 1991 une nouvelle science humaine, l’américanologie, c’est-à-dire l’étude intégrale de la société et des centres de production intellectuelle aux États-Unis d’Amérique.

C’est dans son essai de 1968 sur la Contre-Révolution que Thomas Molnar emploie les termes de « faux héros » de droite. Il désigne alors le pape Paul VI, Charles De Gaulle et Richard Nixon. Bien plus tard, il y intégrera le Premier ministre hongrois József Antall (1932 – 1993) qui géra la transition du communisme vers l’occidentalisme.

On peut parfaitement coller cette locution à deux vedettes étatsuniennes célébrissimes. La première est devenue une légende vivante en tant qu’acteur - réalisateur : Clint Eastwood. Ces films les plus récents répètent souvent la même trame narrative : un individu affronte seul des voyous, des fauteurs de troubles, des réseaux criminels. Sa filmographie reflète ses convictions politiques. S’il a voté Donald Trump en 2016, il se déclarait prêt à choisir en 2020 l’ancien maire indépendant milliardaire de New York, Michael Bloomberg… Clint Eastwood, élevé dans une famille de mormons, est fondamentalement un libertarien. Il soutient un ordre social individualiste concurrentiel dans lequel il importe de se débrouiller tout seul hors du moindre cadre communautaire organique enraciné.

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La presse gauchiste a longtemps qualifié Clint Eastwood de « fasciste », en particulier pour les cinq aventures de l’inspecteur Harry Callahan. Il est exact que dans les années 1970, « Dirty Harry » flingue bien des criminels. Toutefois, cet adepte de la méthode forte agit en libéral-conservateur respectueux borné des lois. Dans L’inspecteur ne renonce jamais réalisé en 1976 par James Fargo avec un arrière-plan assez féministe, l’inspecteur Harry affronte un groupe paramilitaire, « Force de grève révolutionnaire du peuple », dirigé par un vétéran du Vietnam schizophrène, Bobby Maxwell. Ce film accuse les anciens combattants vaincus d’apporter chez eux leur violence refoulée. Auparavant, Callahan rencontrait bien pire que lui.

Dans Magnum Force (1973) de Ted Post, il s’oppose à de jeunes flics, exaspérés par le laxisme des tribunaux, qui pratiquent des exécutions extra-judiciaires contre des criminels et d’autres délinquants un peu trop vite libérés. Harry refuse de les suivre et les élimine. On voit par ailleurs deux scènes révélatrices qui se répètent, sauf à la fin. L’inspecteur Harry tient en joue avec son Magnum 44 un voyou. Dans la première scène, il vise dans une rue de San Francisco un Noir à terre qui tente de reprendre son arme. Harry lui demande s’il a encore une balle ou pas. Le Noir se rend et découvre avoir été floué. Dans la seconde scène qui se passe à la campagne au bord d’une rivière, Harry tient en joue un jeune Blanc. Il lui pose la même question. Le jeune veut répliquer. Il est immédiatement abattu. Le contraire aurait été bien sûr impossible et ce, bien avant les délires de Black Lives Matter !

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Clint Eastwood ne partage toutefois pas la vision des libertariens en politique étrangère. Réalisé sous la présidence de Ronald Reagan en 1986, Le maître de guerre déplaît à l’US Army. Eastwood y interprète le sergent-artilleur Thomas Highway, ancien de Corée et du Vietnam. Il instruit les jeunes recrues du corps des marines. Avec les gars de sa section de reconnaissance, il participe à l’invasion de l’île antillaise de la Grenade à l’automne 1983. Quelques années plus tard, les Étatsuniens penseront que la Somalie, l’Irak et l’Afghanistan ne seraient que de plus vastes répétitions...

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L’un de ses films a scandalisé en 2004 les milieux chrétiens. Million Dollar Baby raconte le parcours de la boxeuse Maggie Fitzgerald (Hilary Swank). Clint Eastwood joue un vieil entraîneur bougon, Frankie Dunn. Au cours d’un combat, Maggie tombe dans un coma irréversible. Dunn décide de l’euthanasier. Un an plus tôt, en 2003, dans Mystic River, Clint Eastwood s’interroge d’une manière insidieuse sur la portée réelle de la peine capitale. Considérer le réalisateur d’Invictus (2009) à la gloire d’une Afrique du Sud arc-en-ciel imaginaire comme un conservateur au sens européen et traditionnel du terme relève d’un grave contresens. Brièvement maire de Carmel en Californie de 1986 à 1988, Clint Eastwood préfère travailler l’émotion des spectateurs.

La seconde vedette qu’on croirait conservatrice mais qui ne l’est pas est Arnold Schwarzenegger. Marié à Maria Schriver liée au clan Kennedy avant de divorcer en 2011, le célèbre acteur de Terminator (1984) ou du soldat d’élite qui survit au Prédator (1987) a été le dernier gouverneur républicain de la Californie de 2003 à 2011. Pendant ce septennat, outre une insistance écologiste tenace, « Governator » a mené une stricte politique libérale. Dès les primaires républicaines de 2016, il annonce son refus de voter Donald Trump. Le 10 août dernier, interrogé en visioconférence sur CNN par la journaliste Bianna Golodryga et le consultant militaire lié à l’« État profond » Alexander Vindman, Arnold Schwarzenegger a dénoncé les anti-vax et autres covidosceptiques par un vibrant « Allez vous faire foutre avec votre liberté ! »

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On ne doit pas être surpris par ce progressisme sociétal assumé. Cet Autrichien d’origine a adhéré au parti républicain par anti-fiscalisme viscéral. Il a en outre toujours critiqué au nom du politiquement correct le FPÖ de Jörg Haider et de Heinz-Christian Strache. Les films dans lesquels il a tournés contredisent régulièrement son supposé conservatisme. Le plus emblématique, voire le plus visionnaire, concerne Junior. Réalisé en 1994 par Ivan Reitman, cette comédie est une parfaite prémonition sociétale. Un gynécologue, le Dr. Larry Arbogast joué par Danny DeVito, fait des recherches extraordinaires. Il persuade son associé, Alex Hess, soit Arnold Schwarzenegger, de porter un bébé et de devenir ainsi le premier homme enceint de l’histoire ! Un quart de siècle avant la GPA, les scénaristes Kevin Wade et Chris Conrad développaient un point-limite du gendérisme, à savoir que porter un fœtus humain ne serait pas propre aux seules femmes.

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Hormis le remarquable Terminator (1984) de James Cameron qui consacre à la notoriété internationale le méchant androïde « Schwarzy », bien d’autres films éclairent paradoxalement quelques pans de l’« État profond », du très nietzschéen Commando (1985) de Mark Lester où il interprète le colonel en retraite des forces spéciales John Matrix capable à lui tout seul de battre une armée, à True Lies (1994) de James Cameron où Schwarzenegger joue Harry Tasker, l’agent spécial d’une officine gouvernementale ultra-secrète nommée « Secteur Oméga - Le Dernier Rempart ».

Clint Eastwood et Arnold Schwarzenegger sont par conséquent deux « conservacteurs » au fond particulièrement modernistes. Par leur incontestable talent, ces produits de l’américanisme contribuent à l’« hollywoodisation » des esprits européens depuis soixante-sept ans. Il serait temps de s’en rendre compte !

GF-T.

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 8, mise en ligne le 2 novembre 2021 sur Radio Méridien Zéro.

vendredi, 05 novembre 2021

L'Europe à la recherche d'une défense commune

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L'Europe à la recherche d'une défense commune

par Marcello Austini

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-europa-alla-ricerca-di-una-difesa-comune

Le nœud du problème n'est pas tant l'armée européenne. Le véritable nœud du problème est de savoir à quoi sert une armée européenne, à quoi sert une défense commune sans l'existence d'une politique étrangère européenne commune efficace. L'Europe ne peut plus compter uniquement sur le parapluie de l'OTAN, étant donné que certains pays de l'Alliance, comme la Turquie, ont des intérêts stratégiques distincts et très éloignés de ceux des 27.

Le récent retrait dramatique d'Afghanistan et le désengagement progressif des États-Unis ont amené l'Union européenne à repenser sa politique étrangère et de défense. À cet égard, le débat a repris sur la manière dont l'Europe peut s'affirmer en tant qu'acteur géopolitique, en faisant correspondre son poids économique à son poids diplomatique et, pourquoi pas, à son poids militaire potentiel. Le haut représentant de l'UE pour la politique étrangère, Josep Borrell, a récemment déclaré que des travaux étaient en cours sur une proposition visant à mettre en place une force militaire commune, même si "il n'y a pas encore unanimité" parmi les États membres.

À cet égard, il faut dire que le désaccord entre les pays trouve son origine dans la relation avec les États-Unis et, plus précisément, avec l'OTAN (le pacte de l'Alliance atlantique).

Depuis des années, en effet, sur cet aspect spécifique, il y a une confrontation entre la vision française qui voudrait que cette force européenne soit indépendante et celle, plus modérée, menée par l'Italie et l'Allemagne, qui l'interprète comme un "renforcement européen de l'Alliance atlantique".

Par le passé, et encore plus récemment, la France a avancé l'idée de créer une "véritable armée européenne", mais un débat animé a fait rage à ce sujet, soulignant les différences entre les États membres. Il ne faut donc pas sous-estimer la position décisive de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, selon laquelle l'Union européenne ne pourra jamais être une alliance militaire car l'OTAN existe déjà pour répondre à ce besoin.

De l'avis de l'auteur, le point crucial n'est pas tant l'armée européenne. La vraie question est de savoir quel est l'intérêt d'avoir une armée européenne, quel est l'intérêt d'avoir une défense commune sans l'existence d'une politique étrangère européenne commune efficace.

Ce constat premier et fondamental étant fait, la question se pose de savoir quel sera le rôle de l'Europe dans les années à venir ? On se demande, en définitive, "ce que l'Union européenne veut faire quand elle sera grande". Voudra-t-elle vraiment compter pour quelque chose sur la scène internationale ? Le débat, avec les différentes positions avancées, reste ouvert et, évidemment, a une valeur entièrement politique.

Les scénarios

La prochaine présidence semestrielle de l'UE, sous la houlette de la France, pourrait donner une impulsion particulière au débat. Mais dans quelle direction ? Vers quels objectifs ?

Macron s'est récemment prononcé en faveur de la proposition italienne d'impliquer le G20 dans la coordination internationale sur le sujet. L'alignement possible entre Rome et Paris - également à la lumière de la transition politique en Allemagne - pourrait être soutenu par la présidence française de l'UE en janvier. L'Union a "appris à ses dépens", lors de la crise en Afghanistan et ailleurs, la nécessité de renforcer sa capacité défensive, a déclaré Thierry Breton, commissaire chargé du marché intérieur. Selon lui, la défense commune "ne semble plus être optionnelle" et l'Union européenne doit pouvoir gérer les crises et les missions militaires en "pleine autonomie".

Toutefois, en ce qui concerne la défense commune, l'Union a une longue histoire de faux départs et il existe des doutes légitimes quant à cette prochaine opportunité.

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La défense européenne commune, une alternative à l'OTAN ?

Pour beaucoup, la force de défense européenne ne doit pas être comprise comme une alternative à l'OTAN. Il s'agit de mettre l'Union en mesure d'intervenir lorsqu'il existe un besoin important et urgent.

Il est toutefois paradoxal que, dans l'ensemble, les 27 États membres dépensent autant pour la défense commune que la Russie et la Chine, même si l'UE ne dispose pas de la coordination nécessaire ni des capacités logistiques pour soutenir des opérations militaires à l'étranger sans l'aide des États-Unis.

Pour y faire face, l'Union européenne envisage de mettre en place une force de réaction rapide d'au moins 5000 hommes.

Le projet pèse toutefois lourdement sur les différences entre les États membres, comme dans le cas des pays baltes, qui sont inextricablement liés à l'OTAN, et sur le scepticisme de certains pays d'Europe orientale.

L'Allemagne, en revanche, a fortement soutenu l'initiative et a invoqué l'article 44 du traité de Lisbonne. Cet article, comme on le sait, permet à un groupe d'États membres qui le souhaitent de se réunir et d'aller de l'avant par un vote à la majorité, sans avoir besoin de parvenir à un consentement unanime (coopération renforcée).

Il faut dire que cet aspect, celui du consentement unanime, a également affecté la politique étrangère européenne, contribuant à sa fréquente paralysie. Mais ce n'est ni une excuse ni un écran de fumée juridique.

L'Union européenne est accusée, à juste titre, de manquer d'une véritable politique étrangère commune, d'une stratégie partagée sur la scène internationale, d'un manque de planification, y compris diplomatique, et d'une vision générale du rôle que l'Europe doit jouer dans le monde.

En tout état de cause, le projet de force de défense commune sera présenté à la mi-novembre. Il appartiendra ensuite à la France, peut-être, de prendre les mesures nécessaires à sa mise en œuvre. La France, qui, comme nous l'avons déjà mentionné, a toujours été parmi les principaux partisans de la nécessité de repenser le cadre actuel de l'Alliance atlantique, le pays qui, à partir de janvier, assumera la présidence tournante de l'Union européenne et le seul État de l'UE, après le Brexit, à siéger au Conseil de sécurité des Nations unies.

Besoin d'une "autonomie stratégique" ?

Le défi, cependant, sera celui que nous venons d'évoquer: trouver une communauté de vues et peut-être tenter d'esquiver l'intention française de mener seule la définition de la stratégie. Le cas de la crise libyenne, dont nous payons encore les effets en termes d'approvisionnement en ressources énergétiques, d'augmentation exponentielle de l'immigration clandestine et de géopolitique en général (et pas seulement), a montré combien les intérêts des États européens peuvent être divergents.

Il convient également de noter que la création du Fonds européen de défense (FED) a montré à quel point l'alignement des principaux pays de l'UE peut être productif, même sur une question aussi délicate. La France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont toutes œuvré pour donner une impulsion au projet, qui s'est concrétisé au fil des ans par divers instruments de mise en œuvre.

Une fois le fonds défini - avec un budget de 7,9 milliards d'euros pour sept ans - la "course" des États membres pour obtenir ses ressources a déjà commencé, comme d'habitude.

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Une concurrence entre les pays qui pourrait, dans l'absolu, prendre même des allures positives, déclenchant un cercle vertueux d'investissements, mais qui risque davantage de se transformer en une course à la "thésaurisation" des ressources par les États membres, laissant le problème de la stratégie européenne commune sans solution et exacerbant au contraire les égoïsmes, les fractures, les divisions et les rancœurs présentes et futures.

La "leçon afghane" devrait constituer un nouvel avertissement pour l'Union européenne et contribuer à réaliser le fameux saut qualitatif espéré dans l'approche de la défense commune et dans la gestion des situations de crise et d'urgence, étant donné que la débâcle en Afghanistan n'a pas de connotations exclusivement militaires, mais qu'il s'agit également d'une défaite politique pour l'Europe et pour l'Occident en général, et qu'elle survient en relation avec le retrait déclaré et évident des États-Unis de certains scénarios et leur concentration sur des zones et des questions d'intérêt plus direct, l'Asie-Pacifique surtout.

Les nouveaux accords américains sont connus depuis un certain temps, mais trouvent aujourd'hui une plus grande évidence, accompagnés de la demande explicite de Washington à ses alliés européens d'assumer davantage de responsabilités sur les théâtres qui leur sont proches, à commencer par la Méditerranée, l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

En effet, l'Europe ne peut plus compter uniquement sur le parapluie de l'OTAN pour garantir sa défense, sachant par ailleurs que certains pays de l'Alliance, comme la Turquie, ont des intérêts stratégiques distincts et éloignés de ceux des 27.

Pour conclure cette brève analyse, il est nécessaire de rappeler que pour les pères constitutifs de l'Europe, l'idée de la Communauté européenne de défense existait et répondait à la nécessité première d'éviter les conflits entre les peuples européens d'une part et, d'autre part, la défense commune contre d'éventuels ennemis.

La réticence des États membres à adhérer au principe de l'abandon de la souveraineté (nationale) en faveur d'une souveraineté européenne commune, comme cela s'est déjà produit dans d'autres domaines, l'a entravé à bien des égards jusqu'à aujourd'hui: l'économie, la monnaie unique et le système fiscal, par exemple, qui est en train d'être mis en œuvre, bien qu'au milieu de mille formes de résistance et de mille complexités.

C'est un nœud gordien difficile à démêler, à défaire, et sur lequel il y a tant d'éléments, tant de variables à prendre en compte. Il y a tant de positions entre les États membres, parfois très éloignés les uns des autres, tant de stratégies et d'alliances différentes, des intérêts économiques et monétaires différents, des différences entre les pays en termes de plans de développement industriel et commercial, des différences dans leur composition sociale, leurs modes de pensée et leurs styles de vie. Et puis il y a les vieilles rancunes, les préjugés, les antipathies ataviques qui ne s'effacent jamais... Telle est, malheureusement, l'image de notre vieux continent.

Certains pensent que la solution à la crise du "modèle européen" réside précisément là: dans l'abandon des égoïsmes nationaux internes et le retour aux principes qui ont garanti au Vieux Continent plus de soixante-dix ans de paix. Nous aimons croire so...., mais nous savons parfaitement que ce n'est pas le cas et que de telles déclarations, outre qu'elles sont parfois prononcées de bonne foi, peuvent être un alibi commode, dissimulant d'autres vérités, d'autres réalités.

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Nous ne pouvons, en effet, que constater, malgré nous, combien l'Union européenne actuelle est l'expression authentique - nous oserions dire le reflet automatique - de la désintégration actuelle des différentes réalités nationales, des contradictions de nos sociétés, de nos systèmes socio-économiques, de nos modèles et modes de vie.

* * *

Juste pour ceux qui souhaitent développer.

La base juridique et le cadre juridique actuel de la défense commune.

Le traité de Lisbonne, également connu sous le nom de traité sur l'Union européenne (TUE) de 2009, définit le cadre général de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

L'article 41 du TUE, définit le financement de la PESC et de la PSDC. Les articles 42 à 46, les Protocoles 1, 10 et 11 et les Déclarations 13 et 14 contiennent des informations supplémentaires sur cette politique.

Les innovations du traité de Lisbonne ont amélioré la cohérence des politiques de la PSDC.

Le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui est également vice-président de la Commission européenne (le HR/VP), joue le rôle institutionnel principal. Elle dirige le Service européen d'action extérieure (SEAE), préside le Conseil des affaires étrangères en formation de ministre de la défense (l'organe décisionnel de la PSDC de l'UE) et dirige l'Agence européenne de défense (AED).

Le Haut représentant (HR/VP), dont le rôle est actuellement tenu par Josep Borrell, présente généralement les propositions de décisions de la PSDC aux États membres.

La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) définit le cadre des mesures de l'UE dans le domaine de la défense et de la gestion des crises, y compris la coopération et la coordination en matière de défense entre les États membres. Partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l'Union, la PSDC a donné naissance à des structures politiques et militaires internes à l'UE.

Dispositions du traité relatives à la PSDC

Les décisions relatives à la PSDC sont prises par le Conseil européen et le Conseil de l'Union européenne (article 42 TUE). Ces décisions sont prises à l'unanimité, avec quelques exceptions importantes concernant l'AED (article 45 TUE) et la coopération structurée permanente (PESCO, article 46 TUE), qui prévoient une adoption à la majorité.

Le traité de Lisbonne a introduit le concept de politique européenne des capacités et de l'armement (article 42, paragraphe 3, du TUE) et a établi un lien entre la PSDC et les autres politiques de l'Union, en prévoyant une collaboration entre l'AED et la Commission si nécessaire (article 45, paragraphe 2, du TUE). Cela concerne en particulier les politiques de l'Union en matière de recherche, d'industrie et d'espace.

En outre, l'article 21 du TUE rappelle que le multilatéralisme est au cœur de l'action extérieure de l'UE. Elle comprend la participation des partenaires aux missions et opérations de la PSDC ainsi que la collaboration dans une série de questions de sécurité et de défense.

L'UE participe à un certain nombre de tables de travail internationales visant à renforcer la coordination et la coopération, notamment avec les Nations unies et l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ainsi qu'avec l'Union africaine, le G5 Sahel, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est.

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la PSDC a considérablement changé, tant sur le plan politique qu'institutionnel.

En juin 2016, la HR/VP de l'époque, Federica Mogherini, a présenté au Conseil européen la " Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne ", qui définit la stratégie de la PSDC. Cette stratégie identifie cinq priorités pour la politique étrangère de l'UE : la sécurité de l'Union ; la résilience des États et de la société à l'est et au sud de l'UE ; le développement d'une approche intégrée des conflits ; les ordres régionaux de coopération ; et la gouvernance mondiale pour le 21e siècle. La mise en œuvre de la stratégie devrait faire l'objet d'un examen annuel en consultation avec le Conseil, la Commission et le Parlement.

En novembre 2016, la HR/VP a également présenté au Conseil le "plan de mise en œuvre de la sécurité et de la défense", visant à rendre opérationnelle la vision exposée dans la stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l'Union européenne concernant les questions de défense et de sécurité. Le plan présente 13 propositions, dont un examen annuel coordonné de la défense (CARD), une amélioration de la réaction rapide de l'UE et une nouvelle coopération structurée permanente unique (PESCO) pour les États membres qui souhaitent prendre davantage d'engagements en matière de sécurité et de défense. Parallèlement, la HR/VP a présenté aux États membres un "plan d'action européen pour la défense" (EDAP), ainsi que des propositions clés pour le Fonds européen de défense (FED), axées sur la recherche en matière de défense et le développement des capacités. Ce plan a constitué une étape importante vers la mise en œuvre des structures politiques et militaires internes de l'UE définies dans la PSDC.

Depuis le début de son mandat en décembre 2019, le HR/VP Josep Borrell a placé le renforcement de la PSDC au cœur des activités de l'UE et s'engage à poursuivre et à renforcer les initiatives déjà engagées.

Afin de donner un nouvel élan à son programme de sécurité et de défense, l'UE travaille actuellement sur une boussole stratégique qui vise à donner une orientation politico-stratégique renforcée à la sécurité et à la défense de l'UE et à définir le niveau d'ambition dans ce domaine.

La première phase, qui s'est achevée en novembre 2020, a consisté en une analyse complète des menaces et des défis. La deuxième phase, actuellement en cours, consiste en des discussions informelles entre les États membres concernant l'analyse des menaces et des principales conséquences, l'analyse de l'écart des capacités et les priorités des États membres. Cette phase de dialogue devrait permettre aux États membres d'améliorer leur compréhension commune des menaces pour la sécurité auxquelles ils sont collectivement confrontés et de renforcer la culture européenne de sécurité et de défense. Le processus est conçu pour répondre au besoin croissant de l'Union de pouvoir agir en tant que garant de la sécurité.

Les missions et opérations de gestion de crise sont l'expression la plus visible et la plus concrète de la PSDC. Selon le vice-président des ressources humaines Josep Borrell, il est essentiel de renforcer l'engagement par le biais des missions et des opérations de la PSDC, avec des mandats plus forts mais également flexibles.

Bien que le Parlement européen ne joue pas un rôle direct dans la définition de la boussole stratégique, il devrait être régulièrement informé et avoir la possibilité d'exprimer son point de vue sur le processus.

Développement des instruments de la PSDC

En ce qui concerne le développement et l'harmonisation de la coopération en matière de défense entre les États membres, depuis 2016, la PSDC a obtenu un certain nombre de résultats positifs, notamment : le lancement de la PESCO ; une structure permanente de commandement et de contrôle pour la planification et la conduite de missions militaires non exécutives ; un mécanisme de cartographie des capacités de défense ; un Fonds européen de défense ; une amélioration de la mobilité militaire ; une cyberpolitique plus robuste ; et une coopération accrue avec l'OTAN.

En décembre 2020, le Conseil est parvenu à un accord politique provisoire avec les représentants du Parlement sur un règlement établissant le FED, dans le contexte du cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027. Avec un budget de 8 milliards d'euros sur sept ans alloué à l'EED, l'UE deviendra l'un des trois principaux investisseurs dans la recherche en matière de défense en Europe.

L'instrument européen pour la paix est l'un des instruments les plus récents de la PSDC. Grâce à cet instrument, l'UE financera les coûts communs des missions et opérations militaires de la PSDC, ce qui renforcera la solidarité et le partage des charges entre les États membres. L'instrument contribuera à accroître l'efficacité de l'action extérieure de l'UE en renforçant les capacités des opérations de soutien de la paix et les capacités des pays tiers et des organisations partenaires dans le domaine militaire et de la défense.

Missions et opérations de la PSDC de 2003 à 2021

Depuis 2003 et les premières interventions dans les Balkans occidentaux, l'UE a lancé et géré 36 opérations et missions sur trois continents. En mai 2021, 17 missions et opérations PSDC sont en cours, dont 11 civiles et 6 militaires, impliquant quelque 5 000 militaires et civils de l'UE déployés à l'étranger. Les missions et opérations les plus récentes ont contribué à améliorer la sécurité en République centrafricaine (EUAM CAR) et à faire respecter l'embargo des Nations unies sur les armes en Libye (EUNAVFOR MED IRINI). Les décisions de l'UE de déployer des missions ou des opérations sont généralement prises à la demande du pays partenaire auquel l'aide est fournie et/ou sur la base d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le rôle (marginal) du Parlement européen

Le Parlement européen soutient traditionnellement l'intégration et la coopération de l'UE en matière de défense. Le Parlement contrôle la PSDC et peut s'adresser à la HR/VP et au Conseil de sa propre initiative (article 36 du TUE). Il exerce également un contrôle sur le budget de la PSDC (article 41 du TUE). Deux fois par an, le Parlement organise des débats sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de la PESC et de la PSDC, et adopte des rapports : un sur la PESC, rédigé par la commission des affaires étrangères (AFET), et un sur la PSDC, rédigé par la sous-commission de la sécurité et de la défense (SEDE).

En décembre 2020, le Parlement européen a approuvé son rapport annuel sur la mise en œuvre de la PSDC. Le Parlement a réitéré son soutien au PESCO, au CARD et au FED, car ils peuvent contribuer à accroître la cohérence, la coordination et l'interopérabilité dans la mise en œuvre de la PSDC et consolider la solidarité, la cohésion, la résilience et l'autonomie stratégique de l'Union. Le rapport se félicite de l'engagement de l'UE à accroître "sa présence mondiale et sa capacité d'action", tout en appelant la HR/VP et le Conseil à "fournir une définition formelle commune de l'autonomie stratégique". Elle appelle à une plus grande efficacité des missions PSDC, notamment par une contribution accrue des forces des États membres et l'intégration de la dimension de genre. Il se félicite également des initiatives de renforcement des capacités, tout en notant la nécessité d'en assurer la cohérence. Le rapport aborde également les questions liées aux nouvelles technologies, aux menaces hybrides, à la maîtrise des armements, au désarmement et aux régimes de non-prolifération, ainsi qu'à la coopération avec les partenaires stratégiques tels que l'OTAN, les Nations unies et le Royaume-Uni.

Depuis 2012, le Parlement européen et les parlements nationaux des États membres organisent deux conférences interparlementaires par an pour discuter des questions relatives à la PESC. La coopération interparlementaire dans ces domaines est prévue par le protocole 1 du traité de Lisbonne, qui décrit le rôle des parlements nationaux dans l'UE.

Le traité de Lisbonne permet au Parlement européen de jouer un rôle à part entière dans le développement de la PSDC, faisant de lui un partenaire dans la définition des relations extérieures de l'Union et dans la réponse aux défis tels que ceux relatifs à la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité.

 

Prof. Luca Siniscalco : qu'est-ce que l'ésotérisme ?

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Prof. Luca Siniscalco: qu'est-ce que l'ésotérisme?

Professeur d'esthétique à l'université de Milan, professeur de philosophie contemporaine, histoire et culture de l'ésotérisme.

Propos recueillis par Susanna Basile

Ex: https://www.leculture.it/prof-luca-siniscalco-che-cose-lesoterismo/?fbclid=IwAR0fgfXK1BH-LkYKP8X1DydY1aRI2nZbvjJ7b_girMTm-k-MMbwXxhaqri0   

s200_luca.siniscalco.jpgUn entretien avec Luca Siniscalco, professeur d'esthétique à l'université de Milan et professeur de philosophie contemporaine, d'histoire et de culture de l'ésotérisme à Unitreedu. Éditeur d'essais sur Ernst Niekisch, Ernst Jünger et Julius Evola, il collabore à diverses revues et maisons d'édition.

S.B. : Qu'est-ce que l'ésotérisme ?
L.S. : D'une manière générale, l'ésotérisme désigne une doctrine secrète, occulte, réservée à un groupe initiatique, par opposition à la connaissance "exotérique", la connaissance visible, conceptuelle, accessible à la plupart des gens. L'ésotérisme est structuré en un enseignement d'une matrice spirituelle, intérieure, visant la croissance du moi et sa transfiguration, dans un sens vertical et anagogique.

Suivant l'enseignement d'Antoine Faivre (photo, ci-dessous), premier chercheur à s'être spécialisé dans le domaine académique de l'ésotérisme occidental (en tant que fondateur et titulaire de la chaire d'"Histoire des courants ésotériques dans l'Europe moderne et contemporaine" à l'École pratique des hautes études de Paris), on peut reconnaître une tradition comme "ésotérique" dans la mesure où elle satisfait à quatre principes essentiels, qui agissent, pour ainsi dire, comme son "plus petit dénominateur commun" : l'adhésion à la doctrine analogique de la correspondance entre macrocosme et microcosme ; la perception - pas nécessairement panthéiste - de la nature comme une force vivante, animée (une "énergie" plutôt qu'une "chose" - natura naturans plutôt que natura naturata pourrait-on dire, en langage philosophique) ; la contemplation de certaines figures de médiation entre les plans transcendant et immanent, des niveaux cosmiques intermédiaires entre la matière et l'esprit ; la tension existentielle vers la transmutation intérieure.

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Ce dernier point nous permet de penser l'ésotérisme plus comme une orthopraxie que comme une orthodoxie : il existe de nombreux ésotérismes, parfois en opposition aux religions officielles, dans d'autres cas en harmonie symbiotique avec elles (comme le côté occulte, intérieur, de l'"église" visible, extérieure, à laquelle ils se réfèrent), dotés de doctrines, de cosmogonies et de philosophies distinctes, mais toutes ces formes poursuivent la recherche "scientifique" (au sens épistémique traditionnel, certainement pas moderne) de la conjonction concrète, expérientielle, effective avec le divin (métaphorisé de la manière la plus variée : theosis, indiamento, coincidentia oppositorum, nuptiales chimiques, rebis, etc. ). L'ésotérisme - que j'étudie essentiellement dans sa tradition occidentale, mais qui a des liens profonds avec l'Orient - est donc un savoir pragmatique, ou, à l'inverse, une praxis sapientielle, visant à pousser le chercheur vers ceux-ci et la construction d'un chemin individuel, adapté à son "équation personnelle" (je cite ici Evola), enraciné dans la Tradition mais ouvert sur l'Histoire.

S.B. : L'érudit Elemire Zolla parle de vérités (expériences métaphysiques) exposées dans les preuves : quelle est votre opinion ?
L.S. : Dans le binôme que vous proposez se trouve le cœur de la sagesse métaphysique archaïque, en accord avec la définition de l'ésotérisme que j'ai tenté d'élaborer précédemment. On retrouve la trace pragmatique-existentielle de la Sagesse (on parle d'"expériences", et non de "concepts", de "spéculations", de "raisons") et le caractère clair-obscur de la Vérité, que l'ésotérisme, en tant qu'occultisme, permet d'exposer en évidence, comme une connaissance lumineuse et évidente. Cela ressemble à un paradoxe - et c'en est un. En effet, comment peut-on imaginer que des connaissances cachées, obscures, mystérieuses soient "exposées en évidence" ? Nous sommes au cœur de la contradiction logique de la connaissance métaphysique, qui déplace " de force " l'organe de la connaissance du plan logico-dialectique, dominé par le principe aristotélicien de non-contradiction, au plan supra-rationnel, intuitif, symbolique. Ici, tout est Un, et la vérité de l'Un, comme l'enseigne la culture grecque, est donnée comme aletheia, c'est-à-dire comme "non-fondation". Mais cette non dissimulation, tout comme la natura naturans, n'est pas une "chose", un "donné", mais un processus dynamique, fait de polarités, de métamorphoses, d'energheia. La "non dissimulation" n'est possible que si la "dissimulation" est donnée simultanément. La vérité s'offre comme apparition et disparition, présence et absence, lumière et obscurité. Martin Heidegger, dans le domaine philosophique, a écrit des pages splendides sur le sujet qui font écho à une tradition pré-philosophique, une tradition véritablement sapientielle, celle des présocratiques, les "philosophes surhumains" sur lesquels Giorgio Colli a longuement médité. La vérité, au sens authentique, n'est pas la "commensuration", l'"être conforme" à quelque chose d'autre, mais l'ouverture rayonnante et extatique de l'Être de l'entité. L'aletheia, en somme, en tant que révélation dans laquelle la voilure de l'être est transfigurée, n'est pas la propriété d'une affirmation ou d'une proposition, ni une soi-disant valeur, elle n'est pas donnée comme un " concept ", une connaissance spéculative, mais comme un événement : " L'être - écrit Heidegger - est (ouest) essentiellement comme événement (Ereignis) ". C'est la survenance de l'événement de la vérité, à laquelle conduit seulement cette voie sapientielle " qui sort des sentiers habituels des hommes " (Parménide, fr. 1, 27).
C'est à ce type de vérité que l'ésotérisme est confronté.

S.B. : Un auteur parmi d'autres, Julius Evola. Pouvez-vous nous donner quelques indices sur sa personnalité ?
L.S. : Il n'est pas facile de parler de la personnalité d'un auteur qui a systématiquement décrété la non-pertinence de sa propre - comme de toute autre - personnalité dans la transmission du savoir, au point de revendiquer la centralité de la notion d'"impersonnalité active" comme facteur discriminant entre une pensée métaphysique véridique et une extraversion narcissique et pathologique de l'ego hypertrophique d'un sujet "rhétorique".

Toutefois, je peux fournir quelques indications générales, qui sont particulièrement utiles dans la phase d'introduction pour aborder l'auteur traditionaliste. En premier lieu, nous sommes aidés par la célèbre affirmation, proposée par Evola lui-même dans son autobiographie intellectuelle Le chemin du cinabre, sur la base de laquelle Evola définit son "équation personnelle", c'est-à-dire son identité profonde, comme double : d'une part une forte "impulsion vers la transcendance", liée à un "certain détachement de l'humain" ; d'autre part une disposition kshatriya, ou oxyde "guerrier", "un type humain enclin à l'action et à l'affirmation".

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Ces deux niveaux, apparemment antithétiques, ont suscité chez Evola le désir d'une sublimation capable de les réunir, sans perdre leurs particularités, à un niveau supérieur. "Evola conclut dans Il cammino del cinabro (Le chemin du cinabre): "Il se peut que la tâche existentielle fondamentale de toute ma vie ait été de concilier les deux tendances. L'accomplir, et aussi éviter un effondrement, a été possible au moment où j'ai assumé l'essence des deux impulsions sur un plan supérieur. Dans le domaine des idées, leur synthèse est à la base de la principale formulation que j'ai donnée, dans la dernière période de mon activité, au "traditionalisme", par opposition à celui, plus intellectualiste et orientalisant, du courant dirigé par René Guénon".

L'immensité des intérêts théoriques d'Evola, qui s'est occupé d'art et de philosophie, d'ésotérisme et de métapolitique, d'histoire des religions et de symbolisme, de sexologie et d'alpinisme - pour ne citer que quelques-uns de ses principaux noyaux de recherche - témoigne également d'une personnalité complexe, protéiforme mais intégrale, égocentrique mais capable d'extraversion, de confrontation avec l'altérité. Ce type de personnalité est confirmé dans le souvenir du président de la Fondation Julius Evola, Gianfranco de Turris, que nous fréquentons depuis longtemps, qui, dans diverses interviews, rappelle l'impression de "caractère" que lui a laissée Evola. Contrairement à d'autres "témoins" qui parlent d'Evola comme d'un maître spirituel sévère et ascétique, De Turris se souvient du philosophe romain comme d'une "personne normale", sans excentricités ni particularités, à part l'habitude de prendre son monocle dans le tiroir de son bureau et de le porter en présence de dames et de demoiselles ; aucune attitude de supériorité ou de "maître", aucunement une attitude de "je-sais-tout".

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De Turris esquisse ainsi son propre souvenir précieux d'Evola : "Une personne qui parlait de tout et de tous, à la limite du bavardage et de la plaisanterie, comme un vieil ami, sans pomposité ni saccage ni attitude de "gourou"". Et il ajoute : "Un ami, qui n'est pas un "Evolien", m'a raconté que lorsqu'il est allé lui rendre visite avec un fidèle de sa pensée, ce dernier, en entrant dans sa chambre, s'est prosterné sur le sol et a absorbé en silence les préceptes quelque peu absurdes et intemporels qu'Evola lui dictait ! Je ne peux pas penser que cet ami a tout inventé. En revanche, une fois à d'autres qui s'étaient adressés à lui dans un esprit trop superficiel, il les renvoyait à la fin, comme le rappelle Renato Del Ponte, en leur donnant un exemplaire de Tex, la bande dessinée occidentale alors (et maintenant) la plus durable et la plus répandue, comme pour dire, à mon avis : vous êtes mieux adaptés à ce genre de lecture. Le mot du sage...". Comment expliquer cette diversité d'approche, en considérant les différents témoignages comme fiables ? De Turris propose à nouveau une thèse tranchante : Evola aurait fait preuve d'une aptitude - affinée sur le plan psychologique - à reconnaître la sensibilité intérieure de son vaste auditoire, une intuition "subtile" qui l'aurait conduit à "donner à chacun le sien". Ainsi, De Turris conclut : "C'est pourquoi il est apparu "différent" ou singulier à ceux qui lui ont rendu visite, peut-être juste pour une fois. Il se comportait comme un maître zen ou soufi, un peu comme le faisait Pio Filippani-Ronconi : il disait des choses absurdes, utilisait des expressions paradoxales, provocantes, extrêmes, presque comme si, en provoquant, il voulait sonder les réactions de ceux qui étaient en face de lui, comme s'il voulait les tester, les sonder, observer leurs réactions extérieures, mais aussi intérieures.

Les adeptes, les "évolomanes" comme il les appelait lui-même, ont peut-être pris ses propos au pied de la lettre et se sont fait une fausse impression. Il en va de même pour ceux qui venaient à lui avec une attitude trop superficielle, ou pour les fauteurs de troubles, qui se prenaient pour des "hommes d'action" (...). Il n'était donc pas une personnalité multiforme, un caractère variable, mais son être avait un sens parce qu'il correspondait à la personnalité et à l'âme de ses interlocuteurs, sérieux ou pas, préparés ou pas, éduqués ou pas, naïfs ou pas, amis ou ennemis. Son attitude et son langage étaient utilisés pour comprendre qui étaient les nombreuses personnes qui voulaient le voir, le rencontrer, lui parler, peut-être même pour les taquiner subtilement sur leurs exagérations, même si elles ne s'en rendaient pas compte. D'où, mais il s'en moque visiblement, la naissance de certaines légendes urbaines à son sujet qui ne l'ont pas toujours aidé.

En bref, un voyageur de l'Esprit capable de sarcasme et d'auto-ironie. Comme l'enseigne un maître zen : "Si tu rencontres le Bouddha sur ton chemin, tue-le ! Le magistère d'Evola proposait le "meurtre" de son propre moi, brisant sa pluralité et multipliant sa performativité, également au profit des interlocuteurs. Pour de plus amples informations philosophiques, cliquez sur ce lien https://www.siciliareport.it/wp-admin/post.php?post=147989&action=edit.

 

Parution du n°445 du Bulletin célinien

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Parution du n°445 du Bulletin célinien

Sommaire :

Entretien avec Henri Godard

Céline vu par un journaliste nazi [1943]

François Gibault nous écrit

Céline parmi les maudits

Du voyage au bout de l’Enfer de Dante au Voyage au bout de la nuit de Céline

Renoir et Céline

2021-11-BC-Cover.jpgIl est toujours divertissant de voir des intellectuels qui furent partisans d’un ordre totalitaire (communiste, puis maoïste) s’ériger en contempteurs des turpitudes idéologiques de Céline. La virulence de ces anciens commissaires politiques, jadis animateurs d’un “Front Culturel Révolutionnaire”, ne le cédait en rien à celle du pamphlétaire. Ainsi de Jean Narboni (1937), ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma à la pire époque de leur histoire. Il signe un petit livre, La grande illusion de Céline, s’apparentant davantage au libelle qu’à l’essai¹. Il y aurait pourtant des choses intéressantes à écrire sur la relation ambivalente de Renoir à Céline. Lequel avait détesté, comme on sait, le chef-d’œuvre de celui qui était son exact contemporain. Le film sortit sur les écrans la même année que Bagatelles où il fut étrillé pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le cinéma. Cela n’empêcha nullement Renoir de clamer son admiration à Céline. Pas seulement pour ses deux premiers romans mais aussi, plus tard, pour D’un château l’autre qualifié d’« épopée prodigieuse »². Il voulut même adapter Voyage au cinéma avant d’en être dissuadé par le producteur Pierre Braunberger.

Narboni pratique le billard à trois bandes : pour mieux accabler Céline, il épingle Armand Bernardini, et surtout George Montandon qui eut les mêmes phobies racialistes mais à un degré plus avancé. Le témoignage du fils (alors adolescent) du metteur en scène dépeignant, début 1938, un Céline menaçant Renoir du peloton d’exécution quand les Allemands seront là, se veut accablant. Vraisemblable alors qu’il voulait précisément empêcher un conflit jugé fratricide ? Testis unus, testis nullus… On n’ose pour autant qualifier ce témoignage de douteux. …Douteux ? C’est l’adjectif qu’utilise, par antiphrase, l’auteur pour caractériser le patronyme de Lucette Almansor, s’étonnant que Céline « ne semble pas s’en être avisé ni inquiété » (!). S’il connaissait mieux son sujet, il n’aurait pas subodoré « un lointain ancêtre arabe » et saurait que le bisaïeul de Lucette, Émile Almansor (1828-1897), enfant trouvé par la portière de l’hospice de Mortagne-au-Perche, fut ainsi dénommé par l’adjoint au maire, sans doute inspiré par ses lectures ou une page du dictionnaire³. Nulle origine arabe donc. Celle-ci ne préoccupait d’ailleurs nullement son époux : il pensait benoîtement qu’elle expliquait le goût de sa femme pour les danses orientales et espagnoles. Mais peut-on reprocher à Narboni de ne pas s’être sérieusement documenté, lui qui ne reconnaît même pas Lucette sur une photo où Céline « parle avec une femme au turban » ? Sur le parcours sinueux de Renoir, il y aurait eu bien des choses à rappeler.  Après avoir été proche des anarchistes du groupe Octobre et de la bande à Prévert, il fut compagnon de route du PCF sous le Front populaire avant d’aller tourner un film dans l’Italie fasciste à la veille de la guerre, puis de faire, vainement, des offres de service à Vichy. Déçu, il s’exila, comme on sait, en Amérique où son admiration pour Céline demeura intacte4. « Je l’aime parce qu’il est passionné », disait-il.

• Jean NARBONI, La grande illusion de Céline, Éd. Capricci, 2021, 140 p. (17 €)

  1. (1) Des bonnes feuilles du livre ont paru dans L’Infini (n° 147, printemps 2021) dirigé par Philippe Sollers.
  2. (2) Émission « Bibliothèque de poche [Les livres de ma vie : Jean Renoir] », O.R.T.F., 14 septembre 1966.
  3. (3) Gaël Richard, Dictionnaire des personnages dans l’œuvre romanesque de Louis-Ferdinand Céline, Du Lérot, 2008, pp. 30-31. L’auteur précise : « Les registres de l’État civil de la ville normande comptent de 1823 à 1832 un bon nombre de déclarations d’enfants trouvés et inscrits sous des patronymes empruntés à l’histoire, à la littérature et à l’opéra : Ajax, Alexandre, Almansor, Alphée, Amadis, Ambroise, Armide, Attala… »
  4. (4) Marc Laudelout, « Jean Renoir et Céline », Le Bulletin célinien, n° 335, novembre 2011.

Agenda vert et/ou retour au charbon: les contradictions "noires" et "vertes" de Biden

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Agenda vert et/ou retour au charbon: les contradictions "noires" et "vertes" de Biden

Alfredo Jalife Rahme

Source: https://www.jornada.com.mx/2021/11/03/opinion/016o1pol & https://www.alfredojalife.com/2021/11/03/las-negras-contradicciones-verdes-de-biden/

Le grave problème que pose le prétendu "leadership mondial" des États-Unis, avec ses mesures de lutte contre le changement climatique depuis près d'un quart de siècle, est la géopolitisation de l'"agenda vert". Ainsi, le protocole de Kyoto, signé en 1997 par Clinton, avec son vice-président pharisien Al Gore - qui se prend pour l'écologiste suprême de la Voie Lactée - a été rejeté en bloc en mars 2001 par Baby Bush. Bill Clinton et Baby Bush se sont lancés la balle du rejet parce que sa mise en œuvre allait coûter 4000 milliards de dollars à leur pays.

De même, Trump, la main sur la ceinture, a rejeté l'Accord de Paris sur le climat de 2016 - signé par le duo Obama/Biden - et qui, dans une large mesure, constitue la matrice opérationnelle de la COP26 qui a connu 25 réunions anticipées avec une exagération cacophonique stridente, mais sans aucune concrétisation. Ni le sommet du G20 à Rome ni celui de la COP26 à Glasgow, en Écosse, n'ont bénéficié de la présence irremplaçable des deux autres superpuissances du "nouvel (dés)ordre tripolaire", la Chine et la Russie, ce qui délégitime toute résolution intrinsèquement non contraignante, même si le tsar Vlady Poutine (https://reut.rs/2Y8TKOw) et le mandarin Xi (https://bit.ly/3CFxsmL) ont tous deux participé à des téléconférences au cours desquelles ils ont fait preuve de souplesse pour atténuer, en fonction des circonstances de chaque nation, l'indéniable changement climatique.

Le problème de Biden n'est pas mondial, pas même dans son hostilité contre la Chine, la Russie et l'Arabie saoudite, mais national, où son propre coreligionnaire démocrate, le sénateur Joe Manchin - pour la Virginie occidentale, deuxième État producteur de charbon après le Wyoming, sans parler de ses ressources en gaz de schiste - entrave son programme vert idyllique qui est également pernicieux pour les États producteurs de pétrole du Texas et de l'Oklahoma. Il s'avère et met en évidence que Biden vante une chose, tout en faisant le contraire, comme c'est le cas avec l'augmentation "pour la première fois en sept ans" de la "quantité d'électricité aux États-Unis générée" par l'abominable charbon, selon le Daily Mail du Royaume-Uni (31/10/21), très proche du MI6, qui affirme que la crédibilité du président assiégé a été sérieusement érodée.

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En raison de la montée en flèche du coût du gaz naturel - qui, soit dit en passant, touche le Mexique depuis l'inconcevable naïveté de López Portillo - "il (Biden) est revenu au charbon" (méga !), selon l'Energy Information Administration américaine.

Les initiés soulignent que l'émergence de l'utilisation du charbon aux États-Unis "est le résultat de politiques qui diabolisent le gaz naturel". Biden et Bill Gates sont tous deux connus pour mener une guerre géopolitique contre le gaz naturel afin de saper le leadership de la Russie, de l'Iran, du Qatar et du Turkménistan (https://bit.ly/3GNUb2b). Autre problème juxtaposé, le gaz naturel reste le premier producteur d'électricité aux États-Unis, devant le charbon, dont la production a augmenté de 22 % depuis le début de l'année, les centrales nucléaires (en tête de cette catégorie), bien avant l'énergie éolienne/solaire naissante et l'hydroélectricité (https://bit.ly/31kb701).

De manière surprenante, le journal mondialiste pro-"vert", le New York Times, expose la contradiction flagrante de Biden qui, tout en "poussant à l'énergie propre, cherche à accroître la production de pétrole" (mégassic !). Biden lui-même a fait remarquer qu'"il semble ironique qu'il appelle les pays riches en énergie à stimuler la production de pétrole" tout en "implorant le monde de juguler le changement climatique" (https://nyti.ms/3q1ZWDI).

Selon le New York Times, Darren Woods, directeur d'Exxon Mobil, a déclaré devant un panel de la Chambre des représentants que "nous ne disposons pas actuellement de sources d'énergie alternatives adéquates", de sorte que "le pétrole et le gaz continueront d'être nécessaires dans un avenir prévisible".

Les jeunes Européens qui adhèrent à l'agenda environnemental ne sont pas disposés à retarder et à envisager la décarbonisation de la planète alors que Biden a ses plus grands détracteurs dans son propre parti, sans parler de la majorité des républicains. La véritable feuille de route et le calendrier de la COP26 seront peut-être décidés lors de l'élection cruciale du gouverneur de Virginie, et non à Glasgow ou à Rome.

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jeudi, 04 novembre 2021

La Russie change les règles de la logistique mondiale en contournant Suez   

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La Russie change les règles de la logistique mondiale en contournant Suez   

Valerij Kulikov

Ex: http://aurorasito.altervista.org/?p=20674

Après que le porte-conteneurs Ever Given s'est retrouvé coincé dans le canal de Suez en 2020, le commerce mondial a dû faire face aux conséquences d'une crise qui était auparavant considérée comme improbable. Cet incident a mis en évidence la nécessité, à tout le moins, d'améliorer les infrastructures pour répondre aux exigences de la chaîne d'approvisionnement mondiale en marchandises, qui ne cesse de croître. Cependant, d'autres risques croissants dans la région peuvent affecter la sécurité et la stabilité de la route, ce qui a conduit à la recherche initiale d'une alternative au canal de Suez.

Le récent réchauffement climatique a progressivement érodé la calotte glaciaire de l'Arctique, ouvrant l'accès à une activité économique tout au long de l'année dans cette région. Dans ce contexte, on peut parier que la route de la mer du Nord (NSR), longue de 5600 km, reliant l'Asie à l'Europe, sera la principale alternative maritime au canal de Suez.

Si la route de la mer du Nord est accessible toute l'année, elle deviendra un lien logistique et géostratégique essentiel qui, pour beaucoup, changera la donne. La route maritime du Nord désigne la route qui longe les territoires du nord de la Russie, à l'est de l'archipel de Novaja Zemlya dans l'océan Arctique, dans la région d'Arkhangelsk de la Fédération de Russie. La route se poursuit le long de la côte arctique russe de la mer de Kara, dans l'océan Arctique au nord de la Sibérie, entre la mer de Barents à l'ouest et la mer de Laptev à l'est, puis le long de la côte sibérienne jusqu'au détroit de Béring (entre le point le plus à l'est de l'Asie et le point le plus à l'ouest de l'Amérique, avec la Russie à l'est et les États-Unis et l'Alaska à l'ouest). La route de la mer du Nord relie les ports d'Europe et d'Extrême-Orient en Russie, ainsi que les estuaires des fleuves navigables de Sibérie en un seul système de transport, à travers les océans Arctique et Pacifique (mer de Barents, mer de Kara, mer de Laptev, mer de Sibérie orientale, mer des Tchouktches et mer de Béring).

Il s'agit d'une route maritime avantageuse car elle réduit considérablement la distance entre l'Europe et l'Asie par voie maritime, par rapport au passage "traditionnel" par le canal de Suez. Par exemple, le passage d'un cargo par le canal de Suez d'Amsterdam, aux Pays-Bas, à Dalian, en Chine, prend 48 jours. La route de la mer du Nord raccourcit le voyage de 13 jours. Il est inutile de rappeler ici l'importance de cet aspect pour la logistique, d'autant plus que le volume de marchandises transportées sur les chaînes logistiques mondiales a énormément augmenté. Jusqu'à présent, seuls quelques dizaines de navires marchands traversent la route de la mer du Nord. En effet, pour l'instant, elle n'est pas toujours ouverte. Elle n'est que partiellement accessible de juillet à novembre et, le reste de l'année, ses sections les plus importantes sont bloquées par la glace. Même pendant les mois les plus chauds, un simple cargo ne peut pas passer à cause de la menace de la glace. Heureusement, la situation change rapidement, ce qui rend la route de la mer du Nord accessible.

Compte tenu de la nécessité d'ouvrir cette route le plus rapidement possible, des cargos spéciaux sont construits pour pouvoir naviguer sur cette route sans brise-glace. La Russie, qui peut tirer le plus grand profit de la route de la mer du Nord, prévoit de créer un véritable corridor maritime dans les cinq prochaines années, permettant aux marchandises de contourner le canal de Suez et de naviguer toute l'année sur cette route dès 2022 ou 2023. C'est ce qu'a déclaré Jurij Trutnev, vice-premier ministre de la Fédération de Russie et envoyé plénipotentiaire du président dans le district fédéral de l'Extrême-Orient. À cette fin, les infrastructures nécessaires, les systèmes de sauvetage, les ports maritimes, les stations radar météo et glace, les ports et les infrastructures énergétiques sont activement construits le long de la route.

D'ici 2026, la Russie prévoit de doubler le nombre de brise-glace assurant le passage ininterrompu des cargos sur la route de la mer du Nord et de construire de nouveaux navires qui transporteront des marchandises le long de cette route. En particulier, "la flotte de fret de classe glace sera multipliée par plus de trois d'ici à 2030. Il est nécessaire de construire plus de 30 pétroliers, 40 vraquiers et 22 porte-conteneurs", a précisé M. Trutnev. La Russie prévoit de construire des brise-glace à propulsion nucléaire ou au GNL pour maintenir le passage toute l'année. Sont également en construction des patrouilleurs brise-glace multi-rôles de la classe Ivan Papanin, développés par la société Jugreftransflot basée à Saint-Pétersbourg. Il s'agit d'un navire de transport arctique doté d'une coque renforcée et de moteurs électriques qui n'aura pas besoin d'être escorté par un brise-glace. Grâce au nouveau système de propulsion Azipod et au renforcement de la poupe, le navire pourra briser des glaces de 2,1 m d'épaisseur. Il pourra également avancer depuis la poupe. Le navire sera équipé d'une station radar pour un acheminement optimal à travers la glace.

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La Russie investit massivement dans les infrastructures de la route de la mer du Nord et souhaite qu'elle devienne accessible le plus rapidement possible. Avec une population de trois cent mille habitants, Mourmansk, proche de la frontière norvégienne, dispose déjà d'un port commercial moderne, avec de bonnes liaisons ferroviaires et routières avec Moscou et le reste de la Russie. La route de la mer du Nord donnera à la ville une connexion mondiale. JSC Vanino Commercial Sea Port (Port Vanino) va reprendre ses opérations de chargement de conteneurs. Actuellement, le port de Vanino peut recevoir des porte-conteneurs d'une capacité de 1000 EVP. En outre, les ports de Primorye augmentent également leur activité en redirigeant le trafic de marchandises de la Chine vers la Russie. En raison de l'utilisation limitée de la route de la mer du Nord, le système ferroviaire russe est plus actif. Le transport via Vladivostok et Nakhodka et au-delà par le Transsibérien s'est avéré 30 à 40 % moins cher que la voie maritime par le canal de Suez. Bien qu'il soit impossible de remplacer complètement le canal de Suez, une alternative viable peut être créée et prendra de plus en plus d'importance. Si la route de la mer du Nord devait desservir ne serait-ce qu'une petite partie de ceux qui expédient aujourd'hui des marchandises par le canal de Suez, cela transformerait en soi la logistique mondiale, qui, comme l'économie, connaît une croissance implacable.

Valerij Kulikov, expert politique, en exclusivité pour le magazine en ligne "New Eastern Outlook".

Le monde hispanique subit la géopolitique du chaos : séparatisme et terrorisme, de la Catalogne à la Patagonie

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Le monde hispanique subit la géopolitique du chaos : séparatisme et terrorisme, de la Catalogne à la Patagonie

Par Cristian Taborda

Ex: https://kontrainfo.com/hispanoamerica-bajo-la-geopolitica-del-caos-separatismos-y-terrorismo-de-cataluna-a-la-patagonia-por-cristian-taborda/

Récemment, en Argentine, le conflit en Patagonie a été ravivé par un groupe terroriste de "Mapuches" (autoproclamés), dont les noms de famille et les traits de caractère suscitent de nombreuses inquiétudes quant à leur origine ethnique supposée, comme dans le cas du chef du groupe terroriste RAM (Resistencia Ancestral Mapuche) Jones Huala, qui encourt une peine au Chili et qui a la chance d'avoir été défendue par l'avocate Elizabeth Gómez Alcorta, aujourd'hui en charge du ministère de la Femme, du Genre et des Diversités, et ce avec l'accord de l'ambassadeur argentin au Chili, Rafael Bielsa, qui a un passé lié au groupe terroriste Montoneros. La collaboration politique, les liens idéologiques et la fourniture de services par des progressistes et d'anciens membres de groupes d'extrême gauche, qui, dans le passé, ont opéré clandestinement contre des gouvernements populaires, démocratiques et constitutionnels, comme celui de Juan Domingo Peron, commettant également des attentats tout comme les groupes qu'ils défendent aujourd'hui, sont explicites.

Mais la dimension du conflit va au-delà de l'Argentine et si on l'analyse attentivement, on peut noter la répétition de ces pratiques dans toute l'Amérique latine, ici liées au fondamentalisme indigéniste, en Espagne avec l'exacerbation du nationalisme indépendantiste, mais la modalité et la finalité sont les mêmes : terrorisme et séparatisme, attaque du patrimoine commun et fragmentation du territoire sous des hypothèses ethniques et des prérogatives indigénistes.

Sous de prétendues proclamations d'autodétermination, ils cherchent à briser l'unité des nations, mais surtout à empêcher l'unité de l'Amérique latine à un moment où, pour la première fois depuis des décennies, le pouvoir anglo-saxon est remis en question et où des propositions émergent pour unir le monde hispanique en tant qu'Ibérophère.

Le séparatisme catalan et le récent séparatisme "mapuche" présentent des similitudes et révèlent des points communs, non seulement dans leur mode d'action mais aussi dans leurs objectifs : briser l'unité nationale, détruire la souveraineté politique et nier la culture (politique) de la patrie. Ceci est beaucoup plus accentué en Espagne avec des formations politiques qui expriment explicitement leur sentiment anti-espagnol, et qui en Argentine commencent à se voir dans diverses propositions faites par des forces progressistes et de gauche, comme la proposition d'un état "plurinational", ou des propositions libérales de sécession pour des raisons économiques, comme dans le cas de Cornejo à Mendoza.

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Le lien entre les groupes terroristes et séparatistes, ainsi qu'entre ceux-ci et la gauche, et le pouvoir de l'argent et des puissances étrangères, dont la main la plus visible est britannique, comme le Mapuche International Link, basé au Royaume-Uni, ou la défense par des ONG internationales comme Amnesty International, également basée à Londres, ne manque pas non plus d'attirer l'attention. Les organismes supranationaux, tels que les Nations unies, protègent également, en vertu du droit international, les intentions séparatistes de nations inexistantes qui font fi de la souveraineté des États, un principe fondamental du droit international.

Ce n'est pas une coïncidence si le séparatiste Puigdemont a trouvé l'asile politique à Bruxelles, siège de l'Union européenne, et si les "Mapuches" autoproclamés se tournent vers les Nations unies en quête de la reconnaissance d'une autonomie et d'une nation hypothétique. Les organismes supranationaux qui tentent de s'ériger en juges s'opposent toujours arbitrairement à la souveraineté des nations existantes dotées d'États reconnus.

Mais ce n'est pas la première fois dans l'histoire que les villes financières, le pouvoir de l'argent, jouent un rôle majeur dans l'éclatement des nations et leur dissolution, réduisant leur pouvoir en tant qu'unité continentale en fragments, comme cela s'est produit dans le passé en Amérique latine avec sa division en de multiples républiques contrôlées économiquement et financièrement par la Grande-Bretagne, qui maintenant, sous l'influence idéologique des États-Unis, a l'intention de reconfigurer la région afin de l'insérer dans un nouvel ordre international post-national et transnational. La subordination des États-nations aux niveaux supérieurs des bureaucraties internationales, toujours sous la subtile domination politique de la diplomatie.

La théorie du chaos

La fragmentation sociale, d'abord dans la sphère économique en raison de l'inégalité, la fragmentation politique dans le cadre idéologique, et maintenant les actions visant à la fragmentation territoriale, nous amènent à penser que le chaos et le désordre sont une cause et non une conséquence, que la configuration politique semble être une question géostratégique afin d'insérer l'Amérique latine dans le nouveau cadre international subordonné au globalisme.

Steven Mann est un politologue et un expert en politique étrangère américaine qui a développé la "théorie du chaos contrôlé" visant à sécuriser et à promouvoir les intérêts nationaux américains. Dans un article intitulé "Théorie du chaos et pensée stratégique /Paramètres", il affirme que :

    "Chaque acteur dans les systèmes politiquement critiques crée une énergie de conflit,... qui provoque un changement dans le statu quo participant ainsi à la création d'une situation critique... et tout cours d'action amène l'état des choses à une réorganisation cataclysmique inévitable."

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L'idée fondamentale qui se dégage de la pensée de Mann (photo) est d'amener le système à un état de "criticité politique". Ensuite, le système, sous certaines conditions, entrera inévitablement dans le chaos et la "transformation". Mann écrit également que :

    "Compte tenu de l'avantage des États-Unis en matière de communications et de la capacité croissante de mobilité mondiale, le virus (au sens d'une infection idéologique) s'auto-reproduira et se propagera de manière chaotique. Par conséquent, notre sécurité nationale sera préservée".

Il ajoute : "C'est la seule façon d'établir un ordre mondial à long terme. Si nous ne parvenons pas à provoquer un changement idéologique à l'échelle mondiale, nous n'aurons que des périodes de calme sporadiques entre les transformations catastrophiques".

"Un virus auto-réplicatif qui se répandra de manière chaotique" est l'un des moyens indiqués par Mann pour préserver la sécurité nationale américaine. La propagation du terrorisme dans la région, dans des pays qui semblaient avoir laissé ces problèmes derrière eux, comme l'Argentine et le Chili, refait surface et se reproduit au-delà des frontières, créant chaos et désordre.

Le texte de Steven Mann en pdf: https://fr.scribd.com/document/370467108/Steve-Mann-Chaos-theory-and-strategic-thought-pdf

La "libanisation", selon Kissinger

Les explosions de chaos qui émergent puis plongent les États dans l'anomie préparent le terrain pour une reconfiguration politique, les puissances se disputant les ressources naturelles et le contrôle stratégique.

Cette attaque contre les nations se fait par le biais de groupes terroristes et séparatistes, qui sapent la souveraineté. L'attaque est le fait de ceux qui ne reconnaissent pas la loi et l'État-nation, les gouvernements étant complices des mouvements sécessionnistes, défendant avec des avocats militants ceux qui vont à l'encontre de la loi et attaquent notre patrimoine commun au nom d'intérêts étrangers.

Il ne s'agit pas seulement d'un différend géopolitique mais d'une conception plus profonde, la négation d'une manière d'être, de l'existence hispanique, la négation de nos valeurs spirituelles, de notre histoire, de nos traditions et d'une culture authentique qui a enrichi le monde par la connaissance et la foi.

L'Argentine a proposé dans le passé, dans des cas beaucoup plus violents, la revendication inébranlable de l'unité nationale et de la souveraineté politique pour défendre le territoire, l'ordre constitutionnel et la paix sociale, les groupes ennemis de l'Argentine, de gauche et de droite, ont atteint leur objectif à l'époque : briser l'ordre constitutionnel et générer le chaos. Aujourd'hui, ils proposent de terminer leur tâche, de libaniser l'Argentine, comme l'a proposé Henry Kissinger lors de la Commission trilatérale de 1985 :

    "L'Argentine, tout au long de son histoire, a fait preuve d'une conduite déterminée vis-à-vis des intérêts internationaux en jeu. Ce pays a été un obstacle permanent dans le monde tout au long de l'histoire (...) Nous pensons que la situation est sous contrôle, mais nous devons en être sûrs. Soit l'Argentine accepte son rôle d'exportateur de matières premières, soit nous procédons à sa libanisation".

 

Le nouvel axe géopolitique Russie/Chine/Allemagne/Iran pourrait reléguer la domination mondiale des États-Unis aux oubliettes de l'histoire

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Le nouvel axe géopolitique Russie/Chine/Allemagne/Iran pourrait reléguer la domination mondiale des États-Unis aux oubliettes de l'histoire

Par Alfredo Jalife Rahme

Ex: https://kontrainfo.com/nuevo-eje-geopolitico-entre-rusia-china-alemania-iran-podria-enviar-el-dominio-global-estadunidense-al-basurero-de-la-historia-por-alfredo-jalife-rahme/

Le géopoliticien brésilien Pepe Escobar - l'un des meilleurs au monde pour la région eurasienne et bien supérieur à l'israélo-américain Robert Kaplan, devenu un vulgaire propagandiste du Pentagone - lance une théorie prospective téméraire sur le nouvel axe Russie/Chine/Allemagne/Iran (cf. https://bit.ly/2Vl1BXV).

Après 117 ans, la thèse du géographe Sir Halford John Mackinder (https://amzn. to/3yqgPsV) - énoncée en soutien à la thalassocratie britannique - sur l'Eurasie comme "heartland" - alors qu'il imaginait au départ que les États-Unis risquaient fort de se confiner sur une "île" marginalisée - est de retour avec vigueur, ayant rempli sa mission téléologique de domination universelle par l'Anglosphère depuis la Première Guerre mondiale jusqu'à la grave crise financière de 2008 - pour d'autres, depuis la mise en scène hollywoodienne du 11 septembre - or ce scénario mackindérien revient maintenant en "sens inverse" : lorsque les Eurasiens, posés comme "isolés" selon les héritiers de cette perspective mackindérienne, reprendront le flambeau géostratégique, ce sera au détriment du déclin indéniable des États-Unis.

Dans son style très sympathique d'optimisation des "hard data" au rythme de la samba, Escobar déclare: "Aujourd'hui, ce n'est pas l'axe Allemagne-Japon, mais le spectre d'une entente Russie-Chine-Allemagne qui terrifie [sic] l'hégémon en tant que trio eurasien capable d'envoyer la domination mondiale des États-Unis dans les poubelles [sic] de l'histoire".

Il explique que la Russie et la Chine ont cessé de faire preuve de leur "infinie patience taoïste (note : philosophie chinoise de l'harmonie et de la "voie spirituelle")" dès que les "acteurs majeurs" du cœur de l'Eurasie (Mackinder dixit) "ont clairement vu à travers le brouillard de la propagande impériale".

En effet, l'empire américain désormais décadent, étendu à l'anglosphère thalassocratique et financiariste, détient encore un leadership inégalé avec sa puissante machine de "propagande noire", à l'unisson avec le dollaro-centrisme, lequel est cependant ébranlé par le projet du yuan numérique et le retour triomphal des métaux précieux (or et argent).

Escobar ne cache pas que la route sera "longue et sinueuse, mais l'horizon [sic] finira par dévoiler une alliance Allemagne/Russie/Chine/Iran [sic] qui remaniera l'échiquier mondial"; il énonce cette thèse en référence au livre de feu le russophobe obsessionnel et compulsif Zbigniew Brzezinski (https://amzn.to/3xt1C9q). Alors que les États-Unis - qu'il décrit comme un "empire du chaos (https://amzn.to/3rR6jII)" - sont "progressivement et inexorablement expulsés (sic) du cœur de l'Eurasie, la Russie et la Chine gèrent conjointement les affaires de l'Asie centrale", comme en témoigne la récente conférence de Tachkent (Ouzbékistan), pays d'Asie centrale.

Escobar expose la collision de la Route de la Soie contre la QUAD -USA/Inde/Japon/Australie-, et le leadership régional de la Russie, qui pousse au "grand partenariat eurasien", et qui, par ailleurs, a renouvelé avec la Chine pour cinq années supplémentaires le Traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération, signé en 2001 (https://bit.ly/37g7B6P).

Il est clair qu'au cours des six premiers mois de Biden, peut-être dans le but de séduire Berlin pour créer une sainte alliance européenne contre la Chine, les États-Unis ont renié les affects antirusses de l'Ukraine, de la Pologne et des États baltes ("Le gazoduc Nord Stream 2 : l'Allemagne et la Russie gagnent ; l'Ukraine et les États-Unis perdent ; cf. https://bit.ly/3AamvaO), tandis qu'ils se retirent d'Afghanistan et d'Irak.

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Pepe Escobar décrit l'affrontement à Tianjin entre les États-Unis et la Chine comme un "séisme géopolitique", comme je l'ai déjà signalé à propos des "trois commandements" avec lesquels le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi a damé le pion à la sous-secrétaire d'État américano-israélienne Wendy Sherman (https://bit.ly/3ymLRBT).

Escobar se moque du niveau avilissant des think tanks américains, lorsque le Carnegie Endowment, avec 11 auteurs - dont le conseiller à la sécurité nationale (https://bit.ly/3jh4DEB), l'israélo-américain Jake Sullivan - soutient comment "la politique étrangère américaine fonctionnera mieux pour la classe moyenne". Sans commentaire !

Escobar conclut que "c'est maintenant le début d'un nouveau monde géopolitique et le préquel" - le contexte qui mène aux événements - "d'un requiem impérial" où "de nombreuses suites suivront".

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Bonnal et la Gauche Caviar

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Bonnal et la Gauche Caviar

Le Coup de Gueule de Nicolas Bonnal, la rubrique de Café Noir enregistrée le mardi 2 novembre 2021.
 
 
LIVRES DE BONNAL CHEZ AVATAR EDITIONS
 
Internet – La Nouvelle Voie Initiatique https://avatareditions.com/livre/inte...
Le Choc Macron – Fin des Libertés et Nouvelles Résistances https://avatareditions.com/livre/le-c...
Louis Ferdinand Céline – La Colère et les Mots https://avatareditions.com/livre/loui...
 

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LIVRES DE BONNAL
 
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mercredi, 03 novembre 2021

L'histoire de "Révolte contre le monde moderne", le livre-culte de Julius Evola

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L'histoire de "Révolte contre le monde moderne", le livre-culte de Julius Evola

Karel Veliký

Ex: https://deliandiver.org/2020/04/pribeh-vzpoury-proti-modernimu-svetu.html

Lorsque Révolte contre le monde moderne (Rivolta contro il mondo moderno) a été publiée pour la première fois en Italie en 1934, le livre est passé presque inaperçu. Non pas qu'il n'ait pas trouvé ses lecteurs, car son auteur, le baron Julius Evola (1898-1974), alors âgé de trente-cinq ans, était déjà suffisamment célèbre dans certains cercles (artistiques, hermétiques, philosophiques et politiques), mais il a été écarté par les autorités locales. Six ans plus tôt, en 1928, au moment même du rapprochement de l'État italien avec l'Église catholique, qui aboutira bien vite à la conclusion des accords du Latran, le baron doit faire face à des attaques indiscriminées tant du côté catholique que du côté du régime - fasciste -, après avoir publié un recueil de ses essais sous le titre Imperialismo pagano (Impérialisme païen). Cela n'a cependant fait que contribuer à la notoriété du titre et de l'auteur. Cette fois, donc, les adversaires d'Evola ont décidé de passer son œuvre plutôt sous silence...

En Allemagne, la situation était différente. Là, Impérialisme païen (Heidnischer Imperialismus. Armanen, Leipzig 1933) avait déjà reçu un accueil favorable de la part de nombreux milieux, que nous résumons aujourd'hui, par souci de concision, sous le terme de "révolution conservatrice". Pour l'édition allemande de la "révolte" (Erhebung wider die moderne Welt. Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart 1935), le baron a donc remanié le texte, a ajouté unnouvel appareil d'annotation, alors que celui-ci était déjà très complet, et a demandé au poète Gottfried Benn, qu'il pouvait compter parmi ses lecteurs les plus assidus depuis le "paganisme", de veiller à la langue dans la traduction.

Benn, qui partageait une maison d'édition avec Evola, a ensuite également écrit une longue critique enthousiaste, dans laquelle on peut lire, entre autres choses :

"Il s'agit d'un livre dont l'idée repense presque tous les problèmes des Européens, y compris la justification de leurs horizons, et les amène dans quelque chose d'inconnu et inédit jusqu'ici ; ceux qui ont lu le livre verront l'Europe différemment. C'est, en outre, le premier exposé très complet de la force motrice spirituelle fondamentale à l'œuvre dans l'Europe d'aujourd'hui, et 'à l'œuvre' signifie: une force définissant les époques, détruisant le monde dans son ensemble, renversant et orientant, c'est la force motrice fondamentale contre l'histoire. Pour cette seule raison, ce livre est éminemment important pour l'Allemagne, car l'histoire est un problème spécifiquement allemand, l'histoire de la philosophie explique le mode germanique d'autoréflexion".

Le livre a fait l'objet de critiques enthousiastes dans Die Literarische Welt, Deutsches Adelsblatt (le journal de la noblesse allemande), ainsi que dans Völkische Kultur et Der Hammer de Fritsch. Un certain nombre d'autres critiques ont émis des commentaires positifs, bien qu'avec des réserves. En privé, cependant, comme en témoigne la correspondance privée qui subsiste, des voix s'élèvent pour lancer des avertissements et des critiques. Le nom qui a le plus de poids aujourd'hui est celui de Hermann Hesse, qui, dans une lettre d'avril 1935 adressée à l'éditeur Peter Suhrkamp, décrit Evola comme un auteur "éblouissant, intéressant, mais dangereux" :

"Je partage en grande partie sa conception ésotérique de base: depuis près de vingt ans, je vois l'histoire du monde non pas comme une sorte de "progrès" mais, précisément avec les anciens Chinois, comme le déclin graduel d'un ancien ordre divin. Mais la façon dont Evola s'y prend, ici avec la "vraie" histoire, là avec l'occultisme fanfaron, est tout simplement dangereuse. En Italie, presque personne ne s'y est laissé prendre, en Allemagne, c'est différent (voir G. Benn, etc.)".

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L'influent penseur que fut le Comte Keyserling, auteur de Das Reisetagebuch eines Philosophen (Le voyage d'un philosophe, 1919), s'attendait au succès de Révolte, car "la glorification par Evola du monde sacré de l'homme solaire ...". et son affirmation que seule la renaissance de ce monde peut sauver l'humanité de l'extinction, représente le meilleur, voire le seul point de départ possible pour la tendance païenne des nationaux-socialistes à spiritualiser leur vision du monde".

Mais cela n'est jamais arrivé. La lecture de la Révolte contre le monde moderne restait une affaire très privée, même dans le Reich, même si les auteurs du Matin des magiciens caractérisaient rétrospectivement le régime par le raccourci "Guénon + Panzerdivisionen". Il faut également souligner que l'année 1935 appartient encore à la "période de transition" post-révolutionnaire. Alors que le régime commence à orienter (Gleichschaltung) sa politique culturelle, visant à attirer ou à rejeter tous les courants centrifuges, il n'y a pas de place dans le lit du fleuve de la pensée nationale-socialiste pour les piliers de la Tradition, dépouillés des couches de l'histoire par Evola. Ainsi, les éditions ultérieures du texte de la conférence romaine d'Evola La doctrine aryenne de la lutte et de la victoire à Vienne (1941) et la traduction du Grundriß der faschistischen Rassenlehre (Berlin 1943) ne sont encore une fois que le résultat d'une initiative individuelle ou la manifestation d'un échange culturel avec l'Italie.

56e048e75551f5c4ac1e7c4a02444a32.jpgEn effet, dans l'environnement diffus de ces premières années, Evola est devenu proche non seulement par sa position mais aussi par sa personne de plusieurs autres "parias" ultérieurs (volontaires et involontaires), tels que, outre Benn, Edgar Julius Jung, auteur du farouchement antidémocratique Die Herrschaft der Minderwertigen1930, visant la désintégration du monde politique des hommes sans valeur et son remplacement par un "nouveau Reich"), qui fut abattu pendant la nuit des longs couteaux ; Raphael Spann, fils d'Othmar Spann, le théoricien du "véritable Etat" (Der wahre Staat), dont la doctrine est qualifiée par Alfred Rosenberg dans Mythos de "nouvelle scolastique" ; Walter Heinrich, l'un des principaux disciples de Spann et organisateur du "Kameradschaftbund" sudète, déshumanisé par les partisans de Henlein : "ils voudraient diriger le peuple national depuis la table verte comme les francs-maçons" ; Karl Anton Rohan, fondateur de l'influente Europäische Revue, alors fustigée par Goebbels ; et Heinrich von Gleichen, figure de proue du Deutschen Herrenklub, dont le visionnaire du "Troisième Reich" Arthur Moeller van den Bruck était initialement proche. C'est-à-dire exclusivement avec les personnalités classées par Armin Mohler dans la nébuleuse de la "révolution conservatrice" (Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932, première édition 1950), avec des personnes qui incarnaient précisément ces forces centrifuges (de droite), alternatives, désirant et ayant l'intention de dévier la dynamique de la Nouvelle Allemagne dans un sens ou dans l'autre. Toutefois, comme l'affirme avec justesse Giorgio Locchi, "Si nous supprimions Hitler et le national-socialisme, le camp de la révolution conservatrice, tel que nous le présente Armin Mohler, aurait certes des ailes, mais il lui manquerait un centre... (voir L'essence du fascisme, 2e édition, p. 56).

Le lecteur attentif le plus influent de Erhebung wider die moderne Welt était donc sans aucun doute Heinrich Himmler, dont les fonds privés ont permis à l'auteur de continuer à opérer occasionnellement dans le Reich dans un domaine étroitement défini et étroitement contrôlé. Plus révélateurs que la propre biographie d'Evola (où il mentionne, entre autres, d'autres "révolutionnaires conservateurs" tels que Hans Blüher, Ernst von Salomon et Ernst Jünger) et ses Notes sur le Troisième Reich sont les documents survivants réimprimés par Hans Werner Neulen et Nicola Cospito dans Julius Evola nei documenti segreti del Terzo Reich (1986 ; sur ce point, voir au moins E. Gugenberger, Hitler's Visionaries, Gateway 2002). On raconte que le baron n'hésitait pas à discuter bruyamment avec le Reichsführer de la SS de ses connaissances acquises non seulement par l'étude mais aussi par la méthode de la perspicacité intérieure (in-tu-eri). Le fait que Himmler lui confie la rédaction de son article, qu'Evola publie dans le supplément culturel ("Diorama") de Il Regime fascista du 15 juin 1939, témoigne peut-être du respect du second pour le premier. Ou à une époque où le non-conformiste Hermann Wirth avait depuis longtemps été remplacé à la direction de l'Ahnenerbe par Walter Wüst, doyen de la faculté de philosophie de Munich. La réticence avec laquelle la "vision polaire" de Wirth (voir Der Aufgang der Menschheit, 1928), bien que projetée sur le fond de divers "faits prouvables" partiels, a été traitée par des chercheurs plus académiques, a déjà été constatée par Evola, lui aussi non-conformiste, en tant qu'invité à la deuxième Nordische Thing, organisée par L. Roselli à Brême en 1934.  En effet, parmi les invités italiens, la réponse la plus chaleureuse, au grand dam d'Evola, a été donnée à Giulio Cogni, qui a établi un lien entre l'actualisme de Gentile, élevé au rang de philosophie fasciste officielle, et la doctrine raciale scientifique populaire de Günther, avec laquelle les cadets de la NS ont grandi dans les années 1920...

Julius Evola est resté inconnu en Tchécoslovaquie et dans le Protectorat de Bohème et Moravie. La première et, pendant longtemps, la dernière mention de lui se trouve dans le livre Fascism. A la page 346, seul un extrait de l'article d'Evola pour la Critica Fascista de Bottai d'octobre 1926 est cité en rapport avec le "fascisme aristocratique" ou "superfascisme" (superfascismo).

A propos de la réception d'après-guerre du livre, je reviendrai à vous "une autre fois"...

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George Bernard Shaw : du socialisme au surhomme (et vice versa)

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George Bernard Shaw: du socialisme au surhomme (et vice versa)

George Bernard Shaw (26 juillet 1856 - 2 novembre 1950)

Juliana R.

Ex: https://deliandiver.org/2021/02/george-bernard-shaw-socialismem-k-nadcloveku-a-naopak.html


La difficulté avec laquelle George Bernard Shaw seplace sur l'échelle politique est illustrée par un détail de sa vie intellectuelle. Lorsqu'il a commencé, jeune homme, à fréquenter la British National Library et à se plonger dans ses collections, il aurait étudié le Capital de Marx et la partition du Nibelungenlied simultanément dans son bureau. Car il lui semblait que les deux œuvres avaient une idée commune: elles appelaient à la lutte révolutionnaire. "La véritable activité révolutionnaire, écrira-t-il plus tard, consiste à préparer la venue du surhomme."

Le dramaturge, philosophe et romancier irlandais - pour ne citer que les plus célèbres des caractéristiques de sa personnalité aux multiples facettes - est parfois classé dans la catégorie des gauchistes. C'est principalement parce qu'il était l'un des principaux membres de la Fabian Society socialiste et parce qu'il ne cachait pas sa sympathie pour l'Union soviétique, qu'il n'a pas cachée même après une visite dans ce pays (en 1941) et un débat amical avec J. V. Staline. A gauche, en revanche, on lui reproche souvent d'être un partisan de l'eugénisme, un idéaliste philosophique ou un élitiste, un adorateur des grands solitaires. Shaw lui-même a identifié ses sources d'inspiration comme étant Nietzsche, Wagner et Ibsen - Ibsen, qui n'était pas seulement un révolutionnaire social mais qui divisait également les gens en "bœufs et caniches", c'est-à-dire en foules médiocres et en leaders cultivés (1). Son socialisme (sous le mode fabien) peut aussi être appelé socialisme évolutionniste plutôt que révolutionnaire: il cherche un changement lent et sans effusion de sang par la pénétration des fabiens au parlement et dans les administrations locales. En bref, si Shaw appartient à la gauche, alors il est considérablement peu orthodoxe - et incendiaire, comme les hérétiques ont tendance à l'être.

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L'une des principales caractéristiques qui rendent ce penseur intéressant même pour le lecteur de droite est le surhumanisme de Shaw. Il l'a incarné principalement dans deux œuvres, Man and Superman (1905) et, en partie, dans une pentalogie de pièces intitulée collectivement Back to Methuselah (1918-20). L'"homme supérieur" de Shaw, qui doit transcender l'humanité contemporaine, est différent du surhomme de Nietzsche et du surhomme de Pierre Teilhard de Chardin et mérite d'être étudié.

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Le surhomme, le démocrate du futur

Man and Superman a été publié en 1905 sous le sous-titre "Comédie et philosophie". Elle a été mise en scène deux ans plus tard et jouée sans l'intermezzo philosophique qui est encore d'usage aujourd'hui. Shaw travaille avec l'archétype de Don Juan dans cette pièce hilarante, bien que fortement sublimé. Dans le protagoniste Jan Tanner, descendant de Juan, il dépeint à la fois un penseur et un homme d'action - en d'autres termes, un représentant de sa propre vision vitaliste du monde, un pont vers le surhomme.

Dans l'édition du livre, l'œuvre prend la forme d'une sorte de triptyque. La pièce elle-même est précédée de la préface de l'auteur (sous la forme d'une longue réflexion ou étude) et suivie du "Manuel du révolutionnaire" (une sorte de manifeste et de recueil d'aphorismes). Le Manuel est présenté ici - de manière quelque peu postmoderne - comme l'œuvre non pas de Shaw mais de son héros dramatique Tanner. Les deux textes en prose, la Préface et le Manuel, encadrent donc la pièce, tant sur le plan formel qu'idéologique. L'auteur y formule et élabore sa thèse, ce qui explique pourquoi il a désigné Man and Superman comme un genre précisément comme "comédie et philosophie". Résumons d'abord l'intrigue de la pièce en mettant l'accent sur sa structure idéologique.

Tanner est un philosophe révolutionnaire et irritant qui demande, entre autres, l'abolition du mariage pour qu'il ne soit pas un obstacle à l'eugénisme. Lorsqu'il apprend que sa pupille, Anna, l'a choisi comme marié, il tente de lui échapper en faisant un voyage à travers l'Europe et l'Afrique dans une voiture à moteur. Cependant, il est arrêté à Siera par des voleurs, dirigés par le malchanceux amant juif Mendoza. Capturé, Tanner s'endort et rêve d'une scène en enfer. C'est cette ascension qui constitue l'intermezzo - généralement supprimé -.

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Dans le néant infernal, l'ancêtre de Tanner, Don Juan (qui prend la forme de Tanner parce que le type de personnage de Juan survit dans le révolutionnaire en tant que son descendant) philosophe avec son ancienne connaissance Anna. Il s'avère que ce don Juan est un philosophe, qui s'efforce de prendre conscience de la nature à travers l'esprit humain. C'est pourquoi, de son vivant, il a échappé au mariage avec des femmes séduites et n'a pas voulu devenir un simple esclave de la force procréatrice, concentré sur le soin des enfants. Le père d'Anna (incarnant un faux progressisme) et le diable galant (portant les traits de Mendoza et signifiant ainsi un romantique sentimental) se joignent bientôt au débat. À la fin de la conversation, Juan-Tanner rejette la simple apparence qui est l'essence de l'enfer, et sa dévotion à des objectifs secondaires: la beauté ou le plaisir, qu'il avait jusqu'alors trouvé chez ses maîtresses. Au lieu de cela, il trouve une valeur suprême à la vie, préférant sa réalité inquiétante à sa déception. Il quitte donc l'enfer et ses habitants - tous les autres types de personnages - et se rend au paradis.

L'interlude du songe préfigure le choix du vrai Tanner, qui est tiré de son rêve par l'arrivée d'Anna et de ses compagnons. Le révolutionnaire finit par succomber et accepte de l'épouser, souscrivant ainsi au principe de Vie et Réalité. En effet, il sacrifie sa propre individualité, jusqu'alors libre, aux intérêts de l'espèce humaine ; il entreprend, au prix d'une activité intellectuelle et d'une connaissance abstraite du monde, d'engendrer, d'élever et de pourvoir à une descendance.

imgebeshages.jpgCette idée est complétée par la préface et le manuel du révolutionnaire. L'auteur y explique que le socialisme a toujours échoué parce que, jusqu'à présent, l'inégalité des biens n'a pas empêché l'humanité de survivre. Mais cela change avec la mondialisation. Un monde de plus en plus complexe nécessite un nouvel homme, meilleur que tous les précédents, qui serait capable de le gérer. Le surhomme devient une nécessité. Mais comment en fournir un ? George Bernard Shaw voit la solution dans l'eugénisme d'État. Si l'humanité y accède, il ne s'agira, selon Shaw, que d'un changement quantitatif, puisque l'État a toujours choisi des partenaires pour ses dirigeants : les héritiers du trône. Cependant, puisque les pays modernes ne sont plus gouvernés par des monarques mais par le peuple, il est nécessaire de rechercher rationnellement des contreparties à ce nouveau souverain, les masses démocratiques. Les oligarchies, juge l'écrivain, sont tombées parce qu'elles n'ont pas trouvé un seul surhomme à leur tête. La démocratie peut donc d'autant moins fonctionner que nous n'élevons pas un électorat de surhommes (2).

On dit que l'eugénisme exige à la fois l'élimination de la propriété, puisque les différences de circonstances matérielles empêchent l'appariement d'individus appropriés, et l'institution du mariage. En effet, George Bernard Shaw, qui a lui-même vécu dans une union célibataire avec l'intellectuelle fabienne Charlotte Pyne-Townshend, a observé que le mariage et la procréation pouvaient être séparés. Les parents les plus aptes, selon lui, ne sont souvent pas aussi les partenaires les plus aptes, ce qu'il illustre par un cas imaginaire : le fils d'un paysan anglais simple et vif et d'une femme juive instruite hériterait, dit-il, d'un équilibre entre la vie et la pensée, mais sa mère et son père ne se supporteraient pas. (Bien que l'auteur ne le mentionne pas explicitement dans le manuel, il voit dans l'endogamie raciale un troisième obstacle sur la route du surhomme. À la fin d'une autre œuvre, la nouvelle philosophique "A Negro Girl's Journey to God", l'héroïne épouse un socialiste irlandais et lui donne naissance à de "beaux enfants couleur café").

La "surhumanité" et la métaphysique du genre chez Shaw

Voilà donc ce que devrait être l'eugénisme. Ce à quoi un surhomme devrait ressembler, Shaw n'en est pas sûr. Vraisemblablement, dit-il, il doit au moins répondre à l'idéal de kalokagathia et ne pas être un "fanatique de la vertu" mais plutôt un libre penseur inventif, un immoraliste. Si cette idée est trop vague, le surhomme peut être assimilé à des personnages historiques spécifiques. George Bernard Shaw accorde une attention particulière au précédent de la colonie de Oneida Creek dans l'État de New York, aux États-Unis. Entre 1848 et 1878, une petite société de soi-disant perfectionnistes, basée sur des principes communistes et eugénistes, y a fonctionné.

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Dans son chef Noeyes - le prototype du communiste, qui "peut être défini grossièrement comme une personne exceptionnellement fière, désireuse d'enrichir le capital commun plutôt que de l'exploiter" - Shaw voit l'épiphanie historique du surhomme. Mais les surhommes individuels ne suffisent plus : il faut un surhomme général. "Si Noeyes avait organisé, non pas quelques dizaines de perfectionnistes, mais l'ensemble des États-Unis, l'Amérique l'aurait vaincu aussi complètement que l'Angleterre a vaincu Oliver Cromwell, la France a vaincu Napoléon, ou Rome a vaincu Jules César."

Mais ce n'est pas seulement l'eugénisme de l'État qui peut faire naître le surhomme, mais aussi la volonté de l'individu. Les personnages principaux de la pièce, Anna et Tanner, incarnent deux approches de la transcendance : la féminine et la masculine. Le principe féminin, selon Shaw, est la Vie, la capacité de sacrifier sa propre personne pour le bien des enfants. Le principe masculin est la conscience de soi, car l'homme, en tant que philosophe, est le cerveau de l'univers. A travers lui, la Nature cherche à se connaître et à orienter la Vie pour qu'elle s'épanouisse toujours mieux. Les deux sexes, et à travers eux les deux approches de la réalité, sont en compétition l'un avec l'autre. La femme moyenne (3) ne souhaite avoir en l'homme qu'un instrument de procréation et d'éducation de la progéniture, dont l'attention ne doit être distraite par rien. L'homme un peu au-dessus de la moyenne, quant à lui, a besoin d'otium (paix). Son activité cognitive est mieux servie par l'étude des femmes à distance, peut-être comme amantes, mais pas comme mères de ses enfants, qui le lieraient au foyer. Aucune des forces qui s'affrontent dans cette dialectique féconde n'est inférieure. Certains hommes excellents doivent cependant succomber et devenir pères afin de transmettre leur intelligence raffinée à leur progéniture. Par conséquent, Tanner se soumet à Anna et, en elle, à la volonté de la Vie elle-même. Don Juan ne conquiert pas dans cette pièce - il est conquis.

En lisant Man and Superman, on ne peut s'empêcher de penser à la Métaphysique de l'amour sexuel. Qu'il s'agisse de l'influence de Schopenhauer ou de l'évolution convergente des deux penseurs, certaines idées sont partagées : la continuation de l'espèce comme une forme de transcendance dans laquelle l'individu se transcende lui-même; la volonté de vie comme un élément puissant et aveugle sur lequel la carapace de l'individu est ballotée ; ou encore l'activité cognitive rendue possible uniquement par la séparation de l'intellect et de la pulsion sexuelle. Même la vision du monde de Shaw est définie par l'idéalisme et le volontarisme. Pour lui, le développement de la matière (y compris l'économie) dépend de la volonté, et surtout de la volonté de personnes exceptionnelles non liées par la morale et la coutume. C'est aussi pourquoi l'histoire peut être orientée vers le surhomme, le but principal, et vers le socialisme, un sous-but. Sans ce "bouleversement biologique", aucun bouleversement social ne peut être envisagé ; d'ici là, le progrès en matière morale reste un leurre. Le végétarien Shaw l'illustre, entre autres, dans la relation de l'homme avec les animaux, qui, même si elle change dans certains détails, reste dans l'ensemble aussi cruelle que jamais, car l'homme n'est toujours qu'un homme.

Jshaw.gifL'auteur affirme qu'il n'a trouvé qu'une inspiration marginale pour son surhomme chez Nietzsche. Teilhard de Chardin, quant à lui, ne revendique pas l'influence de Shaw, bien que son surhomme ait plusieurs points de contact avec celui de Shaw. Comme George Bernard Shaw, le paléontologue jésuite n'appelle pas à un "individu supérieur" mais à l'ensemble du surhomme. Dans l'œuvre de Teilhard aussi, l'évolution elle-même prend le contrôle, ayant appris à se connaître à travers le cerveau humain. Il appelle lui aussi à un "eugénisme" qui, toutefois, ne se souciera pas de la race. Et les deux philosophes voient le moteur de l'évolution dans la clarification de la conscience. Pour le penseur chrétien, cette clarification consiste en une convergence toujours plus étroite des esprits individuels ; pour Shaw, en une meilleure connaissance de soi et de la réalité, à laquelle doit conduire la concurrence sans frein des opinions. Mais parallèlement, GBS cherche aussi à dépasser le "particularisme" par le "service de la vie", une force universelle commune à tous les hommes et à tous les animaux (3). Pourtant, le surhomme de Shaw a un objectif différent de celui de Teilhard - il ne cherche pas à fusionner avec Dieu, bien qu'il ne soit pas non plus dépourvu de certains éléments religieux.

L'évolutionnisme du dramaturge irlandais n'était pas du pur darwinisme. L'évolution, selon lui, a des causes non seulement physiques mais aussi métaphysiques, et n'est pas matériellement déterminée : elle peut être interférée par l'intellect de la créature individuelle. En accord avec cette vision, Shaw a souscrit au vitalisme, la croyance que la nature et le développement sont spiritualisés par une force immatérielle. Athée fortement idéaliste, il prêchait même que les théâtres devaient devenir les temples d'une nouvelle religion. Sur ces idées, il a construit la pentalogie Retour à Mathusalem (en allusion à l'Ancien Testament, il l'a également appelée "pentateuque"), écrite entre 1918 et 20. La première pièce du cycle se déroule dans l'Eden biblique, où Adam et Eve renoncent à leur immortalité individuelle ; la dernière dans un futur lointain, où les humains ont presque retrouvé l'éternité. Ils passent par la jeunesse en trois ans et passent le reste de leur longue vie à accumuler de l'expérience, à travailler pour se libérer de la matière. (Ce qui, soit dit en passant, rappelle à nouveau l'idée de Teilhard d'une évolution surhumaine conduisant au dépouillement des corps).

L'homme - du moins dans sa forme supérieure - est donc, selon Shaw, responsable de l'avenir de l'espèce. Le message dramatique de l'auteur du surhomme est une philosophie de l'action. Il n'est donc pas surprenant que le "Manuel du révolutionnaire", qui proclame le surhomme comme condition préalable à un monde démocratique et globalisé et l'eugénisme comme une nécessité, soit souvent omis des éditions modernes du livre, tout comme un intermezzo clé est omis de la pièce elle-même.

Cela plairait-il à Shaw que les idées du trublion au sang bleu de Jan Tanner semblent encore révolutionnaires cent seize ans plus tard ?

Notes:

1] La distinction ci-dessus provient de la pièce de théâtre An Enemy of the People, à laquelle Ibsen a identifié le protagoniste, le docteur Stockmann.

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2] Cet aspect du livre a été critiqué par L. N. Tolstoï dans une lettre adressée à l'auteur : même les masses, disait-il, pouvaient adopter de meilleures religions et les pratiquer, "alors que pour faire des surhommes des hommes tels qu'ils sont aujourd'hui, ou pour en engendrer de nouveaux, il faudrait des conditions spéciales qui sont tout aussi difficiles à remplir que celles nécessaires pour améliorer l'humanité par le progrès et la civilisation."

3] Selon Shaw, il existe également de brillantes femmes philosophes, comme George Sand. Ils peuvent désirer des enfants, mais pas nécessairement - si Sand avait choisi de devenir mère, elle aurait été motivée par le désir de connaître la réalité et de la représenter dans son œuvre.

4] Le spécialiste de la littérature marxiste Zdenek Vančura qualifie ce service à la vie d'"universalisme" afin de se démarquer du particularisme que Shaw combattait (nationalisme, churchianisme, conscience de classe, etc.). [VAN10C↩URA, Zdeněk. George Bernard Shaw. Prague : Orbis, 1956. La lettre de Tolstoï est citée dans son livre].

Les extraits de L'homme et le surhomme sont cités d'après l'édition tchèque (traduite par Ivan Schulz, Prague, Kamila Neumannová, 1919).

"Une vague migratoire totale" - le professeur Rupert Scholz, expert en droit constitutionnel et ancien ministre de la défense, répond aux questions de ZUERST !

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"Une vague migratoire totale" - le professeur Rupert Scholz, expert en droit constitutionnel et ancien ministre de la défense, répond aux questions de ZUERST !

Ex : https://zuerst.de/2021/11/02/totale-migrationswelle-ex-verteidigungsminister-prof-rupert-scholz-im-zuerst-interview/

Le juriste constitutionnel et ancien ministre fédéral de la Défense, le Prof. Rupert Scholz, a donné à la revue Zuerst une interview sur le désastre de l'Afghanistan et l'état de la nation.

Professeur Scholz, la situation sécuritaire en Afghanistan est fragile. Le retrait précipité a révélé de manière flagrante les défauts de conception de l'ensemble de la mission militaire. Mais le fait que le gouvernement allemand tente apparemment de rattraper son échec politique en rouvrant la frontière aux migrants afghans n'a-t-il pas un poids plus lourd encore ?

Scholz : Le retrait précipité d'Afghanistan est une véritable catastrophe dont l'Allemagne est également responsable. Il est évident que l'Afghanistan a été géré avec des attentes ou des espoirs complètement faux pour l'avenir. Le résultat est un désastre total, pour lequel 59 soldats allemands ont même dû perdre la vie. Tout cela ne peut être réparé en ouvrant les frontières au profit des Afghans. Bien sûr, il faut s'occuper des Afghans qui ont travaillé pour la Bundeswehr ou les magazines d'information des administrations allemandes en Afghanistan. Car ils sont menacés par les talibans. Mais tout cela ne peut être garanti que par le droit d'asile et son contrôle strict. L'ouverture des frontières aux Afghans sur le modèle de 2015 ne peut être envisagée à nouveau.

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Dans une interview de 2018 à Die Welt, vous déploriez déjà "que le droit d'asile soit depuis longtemps dépassé par une vague d'immigration de plusieurs centaines de milliers d'individus". Outre l'Afghanistan, la pression migratoire augmente également via la Méditerranée, les Balkans et l'Europe de l'Est. Cette "vague d'immigration" nous menace-t-elle à nouveau ?

Scholz : La vague totale de migration initiée par le gouvernement fédéral en 2015 nous a  apporté quelque deux millions de migrants, mais, en plus, elle a aussi établi des violations substantielles du droit. Cela ne doit pas se répéter. L'Allemagne est déjà le pays qui compte le plus grand nombre de migrants après les États-Unis, bien que l'Allemagne soit un pays relativement petit et en aucun cas omnipotent sur le plan économique.

L'interview accordée à Die Welt à l'époque portait également sur votre proposition de modifier l'article 16a de la Loi fondamentale sur le droit d'asile. Dans quel but ?

Scholz : L'article 16a de la Loi fondamentale, qui garantit le droit d'asile, est généralement défini à tort comme un pur droit de liberté, c'est-à-dire que l'on croit que toute personne dans le monde a le droit de se voir accorder l'asile en Allemagne. Cependant, ce n'est pas correct. Le droit d'asile est en vérité et avant tout un droit aux subsides sociaux; et les droits à ces subsides comportent également des limites de recevabilité bien définies - à commencer par la capacité à les recevoir, en passant par les problèmes d'intégration jusqu'aux conséquences financières économiques et sociales. Ceci devrait également être clarifié dans le texte actuel de l'article 16a de la Loi fondamentale.

Vous avez, par le passé, averti à plusieurs reprises que les coûts de l'immigration massive mettraient à l'épreuve la "résilience de l'État-providence". Faut-il une limite supérieure ?

Scholz : Dans le sens susmentionné, la "résilience de l'État-providence" est définitivement mise à l'épreuve. Par conséquent, il est juste de fixer une limite supérieure correspondante pour l'admission des migrants. Cela devrait aussi et surtout se faire dans le cadre européen, d'autant plus que la quasi-totalité des États membres de l'UE ne sont pas du tout d'accord avec la politique migratoire de l'Allemagne jusqu'à présent.

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Début 2020, vous avez déclaré : "La décision migratoire de l'automne 2015 était inconstitutionnelle et contraire au droit européen." De quelle manière ?

Scholz : La décision migratoire de 2015 était inconstitutionnelle car elle a été prise sans tenir compte des exigences du droit d'asile selon l'article 16a de la Loi fondamentale. Elle était également inconstitutionnelle au regard du droit européen, car les règlements de Schengen et de Dublin prévus par le droit européen n'ont pas été respectés. Surtout, les règles du protocole de Dublin ont été totalement ignorées. Bien que ce protocole stipule explicitement qu'un demandeur d'asile doit mener sa procédure d'asile dans l'État de l'UE dans lequel il arrive en premier. Tout cela a été tout simplement ignoré par le gouvernement allemand de l'époque et a été critiqué à juste titre par d'autres gouvernements européens, par exemple par le chancelier autrichien Sebastian Kurz.

Cependant, l'Afghanistan ne préoccupe pas seulement le public en ce qui concerne la politique d'immigration. Les récents événements autour de l'aéroport de Kaboul ont également montré l'importance pour l'Allemagne d'un commandement des opérations spéciales prêt au combat et expérimenté. En tant qu'ancien ministre de la défense, comment évaluez-vous la gestion actuelle du KSK (ndt: commandos spéciaux de garde-frontières/Bundesgrenzschutz) ?

Scholz : Les problèmes de l'aéroport de Kaboul ne sont qu'une illustration du désastre global de la politique afghane décrite précédemment. Ce sont précisément des situations de ce genre qui posent des défis que seules des formations de la Bundeswehr compétentes en la matière, comme le KSK, peuvent relever. Il est d'autant plus regrettable et tragique que cet aspect soit lui aussi négligé depuis des années dans la politique militaire du gouvernement allemand. Le KSK n'a pas été entraîné, soutenu et développé avec l'attention et la cohérence nécessaires. C'est plutôt le contraire qui s'est généralement produit - au point de discréditer les membres du KSK qui n'ont fait que professer un patriotisme légitime.

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Dans la Bundeswehr, le mécontentement à l'égard de la direction politique est également important. Les investissements dans les équipements, les véhicules et le personnel stagnent, l'armée vit dans l'ombre et les avions et les navires sont souvent inaptes au combat. Dans le même temps, cependant, les tâches dans les missions internationales, comme sur le flanc oriental de l'OTAN dans la Baltique ou dans la région de crise de l'Afrique de l'Ouest, augmentent. Pouvez-vous comprendre cette contradiction ?

Scholz : Il est vrai qu'il y a beaucoup de ressentiment dans la Bundeswehr à l'égard de la direction politique. Malheureusement, il est également vrai que les investissements en équipements, en formation et en personnel sont absolument nécessaires. Depuis des décennies, notre État ne s'est pas suffisamment occupé de la Bundeswehr - jusqu'à la suspension du service militaire obligatoire, qui reste difficile à justifier. Il est possible de franchir le pas vers une armée professionnelle et de renoncer au service militaire obligatoire. Cela présuppose toutefois que les réglementations transitoires nécessaires soient créées en matière de politique du personnel. Mais c'est précisément ce qui a été ignoré dès le départ lors de la suppression du service militaire obligatoire. Les missions internationales confiées à la Bundeswehr sont essentiellement justifiées, surtout sur la base de la politique d'alliance, par exemple dans les États baltes et dans la zone du Sahel. Mais dans tout cela, il manque en fait un concept stratégique de base véritablement fondamental et de plus grande portée. Pendant des décennies, l'Allemagne n'a même pas pensé à la stratégie militaire et donc à la première condition préalable à une véritable capacité de défense.

31hBkCetpfL._SX313_BO1,204,203,200_.jpgSur un autre sujet : en tant que spécialiste du droit constitutionnel, comment évaluez-vous l'arrêt très discuté de la Cour constitutionnelle fédérale sur la loi sur la protection du climat ?

Scholz : Je ne considère pas que la décision susmentionnée de la Cour constitutionnelle fédérale soit correcte dans son résultat. Aussi importante que soit la protection du climat, et aussi évidente que soit l'application de l'article 20a de la Loi fondamentale, la Cour constitutionnelle fédérale a surinterprété ou exagéré la question en ce domaine. Par conséquent, cet arrêt équivaut à une protection des droits fondamentaux déjà pour les générations futures - même avec la conséquence d'une applicabilité subjective pour les associations de protection de l'environnement d'aujourd'hui et ainsi de suite. L'article 20a de la Loi fondamentale, que j'ai formulé à l'époque en tant que président de la Commission constitutionnelle mixte du Bundestag et du Bundesrat, n'est absolument pas une disposition de droit subjectif, mais une disposition exclusivement objective de droit étatique. La Cour constitutionnelle fédérale n'en a pas suffisamment tenu compte dans cette décision. Il en va de même pour la vision de l'avenir qui est ici chargée de droits fondamentaux. La Cour constitutionnelle fédérale souligne dans toute sa jurisprudence jusqu'à présent que les décisions sur l'avenir des infrastructures en particulier, ce qui inclut la protection du climat, s'accompagnent d'un haut degré de discrétion politique de la part des organes étatiques agissant dans chaque cas et ne sont formulées normativement que dans leur ensemble. La Cour constitutionnelle fédérale n'a cessé de souligner ces principes au cours de plusieurs décennies - et à juste titre. Or, dans la décision actuelle, c'est littéralement le contraire qui se produit, ce qui - je le crains - aura un effet contre-productif au lieu de le justifier dans la politique de protection du climat de demain.

La polarisation de la politique climatique et environnementale est menée avec des mots éthiquement nobles. Y a-t-il un risque que la morale l'emporte sur le droit ?

Scholz : Ce danger existe encore et encore, et il a été intensifié par la décision susmentionnée de la Cour constitutionnelle fédérale. Dans l'ensemble de notre politique, la distinction entre la morale et le droit est toujours trop faible, et surtout lorsque nous croyons devoir soutenir une certaine exigence morale, nous l'exagérons au point qu'elle est supposée être même normativement contraignante. Cependant, il faut toujours faire la distinction entre la morale et le droit. L'État de droit démocratique exige le droit démocratique pour le droit et non pour le bénéfice des exigences morales parfois très singulières des parties intéressées individuelles.

9783428068470.jpgLa remise en cause du droit applicable dans la question de l'asile, les restrictions des droits fondamentaux dans le cadre de la pandémie Corona, les décisions de la Cour constitutionnelle fédérale à caractère politique ou moral, la perte de confiance dans la politique : l'État de droit est-il en crise ?

Scholz : L'État de droit constitutionnel est encore essentiellement intact dans notre pays. Mais les symptômes critiques s'accumulent de plus en plus ; et c'est là que des contre-mesures prudentes doivent être prises. Aucun État constitutionnel ne tombe littéralement du ciel. Tout État de droit qui fonctionne doit être entretenu, soigné et développé face aux menaces respectives. Malheureusement, cette prise de conscience fait de plus en plus défaut dans notre pays. Le résultat est une perte de confiance dans la politique. Les décisions relatives à la pandémie du coronavirus sont également problématiques à bien des égards du point de vue de l'État de droit. Ici, une primauté réglementaire de l'exécutif s'est développée, qui, à bien des égards, est également entrée et continue d'entrer en conflit avec les droits fondamentaux qui ont la priorité en vertu de l'État de droit. Cela aussi a conduit à une perte substantielle de substance de l'État constitutionnel libéral et de sa stabilité.

En particulier, les partis populaires autrefois tout-puissants, la CDU et le SPD, représentent aujourd'hui à peine 50 % de l'électorat, le nombre d'adhérents diminue et les jeunes qualifiés font défaut dans les rangs de ces partis. La notion classique de "parti du peuple"  (ndt: attribuée aux chrétiens-démocrates et aux sociaux-démocrates) est-elle un modèle abandonné ?

Scholz : Pendant des décennies, la stabilité de notre démocratie constitutionnelle a reposé sur la primauté des deux grands partis populaires, la CDU/CSU et la SPD. Leur concurrence et leur orientation vers la population dans son ensemble les ont transformés en partis populaires correspondants, la CDU/CSU dès le début et le SPD au plus tard après le programme de Godesberg. Cela a contribué de manière décisive à la stabilité et à la vitalité de notre démocratie. La compétition entre ces deux grands partis populaires était vraiment bénéfique. Toutefois, la situation a considérablement évolué entre-temps. Le nombre de partis s'est accru, des partis dissidents se sont joints à eux, ainsi que des partis situés aux confins de la droite et de la gauche.

Vous êtes vous-même membre de la CDU depuis 1983, vous avez été ministre fédéral de la défense et vous avez participé à de nombreuses fonctions et mandats pour l'Union. Ressentez-vous une douleur face à l'éviscération (Entkernung) de votre parti en termes de contenu ?

Scholz : Je suis en effet peiné par le fait que la CDU/CSU soit vidée de son contenu. J'ai dû observer ce processus pendant des années et j'ai souvent exprimé mes critiques à son égard. Mais cela a toujours été sans succès.

Avec l'accent mis sur le centre de la classe moyenne et après des années de grande coalition, une démarcation nette avec l'AfD allait de soi. Néanmoins, il existe bel et bien des accords et une coopération au niveau municipal et informel, notamment dans les nouveaux États fédéraux. L'exclusion de l'AfD est-elle viable à long terme ?

Scholz : Il y a donc, parfaitement observable, la considérable éviscération programmatique de la CDU, qui ne cesse de s'amplifier encore. Dans un tel contexte, les électeurs doivent être respectés et ne peuvent être diabolisés ou simplement déclarés extrémistes. Une telle attaque contre les électeurs est absolument antidémocratique et très dangereuse pour l'existence de notre démocratie. En ce sens, je suppose qu'une exclusion de l'AfD sera difficilement tenable sur le long terme. Du moins si l'AfD ne risque pas de se désintégrer elle-même. Certains aspects pourraient bien annoncer qu'un tel développement est possible.

Professeur Scholz, merci beaucoup pour cette interview.