mardi, 16 novembre 2021
Un légendaire poétique pour des temps sombres et mécaniques - DROITS D'HAUTEUR
Un légendaire poétique pour des temps sombres et mécaniques
DROITS D'HAUTEUR
Frédéric Andreu-Véricel
Il serait exagéré de dire que notre époque aide à nous accomplir en notre légende personnelle et collective. En revanche, elle nous met face à des i-phones et autres écrans d’ordinateur qui, nous propulsant dans d’artificiels lointains, nous écartent, pour une part essentielle, de notre proche et de notre prochain. Tout se passe comme si nos vies, pourtant augmentées, nous échappaient de plus en plus. Quand les Anciens disposaient, eux, de leurs dieux et de leurs rêves pour en remonter le cours, nous disposons, nous, d’écrans hypnotiques et d’idéologies captatives qui sont autant de cercueils de verre où sommeille Blanche Neige. Nous oublions non seulement la vie véritable, mais aussi l’oubli même de cet oubli.
Des princes charmeurs - faute d’être charmants - la modernité n’en manque pourtant pas ! Course à l’argent, idéologie du progrès, théories du genre, etc, mais aucun ne parvient à réveiller la princesse endormie en nous...
Du coup, nos âmes cherchent à donner le change en se cachant derrière de belles opinions, des «moi-je-pense-que» et tout un attirail de formules toutes faites qui sont autant de rideaux de couleurs que l’on accroche à nos fenêtres. Tout cela, rend-il vraiment heureux ?
Le bonheur, ce n’est pas une citation, une hypothèse, un rideau, c’est le soleil qui entre par la fenêtre ! C’est respirer à plein poumon, c’est un «oui» franc à la vie, le bonheur !
Un jour ou l’autre, pourtant, nous avons tous été touchés par ce bonheur, non point en preuves tangibles et permanentes, mais en frôlement d’ailes. Et puis à force d’être univoque, l’amour s‘en va, faute d’être légendaire… Le «bonheur», nous dit Edith Piaf, «ne nous appartient pas plus que le soleil».
Avec une pincée de souveraineté dans la vie, alors tout redevient possible ! «Les hommes se saluent à nouveau de loin en loin, et parfois cheminent ensemble, non en touristes mais en fils de roi», ces mots de Luc-OIivier d’Algange semblent nous dire que la guerre de chiffre qui cherche à te réduire en variable d’ajustement d’un vaste projet économique n’est peut être pas une fatalité. Ils peuvent essayer de réduire ta vie en une équation à trois inconnues - 1, lieu de travail ; 2, lieu à habiter et 3, temps de transport - tu résous l’inconnue 1, mais c’est la 2 qui refait parler d’elle, vient encore le tour de la 3, et ainsi de suite… mais un jour, tu te lasses de ce jeu de bancales chaises musicales !
Tu prends des rides aux yeux sans que jamais, jamais tu n’aies entendu parler des octaves au-dessus, non pas des degrés d’ajustements syndicaux, mais des octaves au-dessus.
Un « légendaire poétique », cela sert justement à cela : changer d’octave, hisser ta vie à hauteur de légende. Cela ne sert pas à rêver ta vie mais – tout au contraire de la croyance commune - à vivre ton rêve. Tenir le sceptre de ta vie, cela consiste aussi en risques assumés, en paroles tenues, et pas seulement en citations latines placées entre deux toasts dans les salons bourgeois... La littérature, c’est assumer l’acoustique de ta vie, comme ce jour où, sans les chercher, tu retrouves une à une les paroles de cette chanson que tu fredonnais depuis l’enfance. Cela permet de passer du «compte de faits» au «conte de fée». La littérature, c’est la Fée Bleue de la légende qui transforme la marionnette de bois en vrai petit enfant, ton enfant intérieur, rendu à l’air libre.
Bref, les services à croyances, les catéchismes citoyens, les grandes militances, aujourd’hui périmés ! Ils peuvent imposer leurs masques, planter leurs panneaux jaunes qui t’obligent à passer par ici, à passer par là... quelque chose en nous préférera toujours les chemins et les vieilles ruelles que l’on n’atteint qu’à pieds. On les connaît trop bien leur itinéraire de délestage à ronron et à rond-points.
Ta «légende», c’est ce refrain d’enfance dont tu peines, parfois, à retrouver les paroles… des rencontres qui laissent comme une impression de «déjà vue» dans l’âme. Un refrain qu’on chantonne dans la salle d’attente des paroles et du sens… c’est cela la légende que tu cherches !
Dans cet ouvrage, pas d’exposés savants ! que des broderies de souvenirs, aérées ça et là de poèmes et de contes mi-rêvés mi-réels !
Juste pour te dire qu'au fond, une vie réussie, c’est pas si difficile que cela. Une vie réussie, c'est une existence dont on a extirpé les ressorts du ressentiment. C’est une vie éloignée le plus possible des gens toxiques, une vie entourée d'amis, d’animaux et de plantes. C’est une maison ornée de fleurs aux fenêtres. Ce sont des voyages dans le coeur, des rêves dévoilés, et des paroles stéréophoniques qui te parlent à la fois de là-bas et d'ici...
Frédéric Andreu, 2021.
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lundi, 15 novembre 2021
Modernité et tradition chez Fernando Pessoa
Modernité et tradition chez Fernando Pessoa
"Un poète visionnaire qui a su analyser et comprendre les conflits du monde"
par Brunello Natale De Cusatis
Ex: https://www.barbadillo.it/101697-modernita-e-tradizione-in-fernando-pessoa/
Il est incontestable que la célébrité de Fernando Pessoa est essentiellement due aux aspects novateurs de ses vers, auxquels son hétéronomie est étroitement liée - c'est-à-dire une capacité très particulière à se dépersonnaliser, en créant d'autres personnalités, chacune avec sa propre biographie, ses propres intérêts culturels, son propre style littéraire; elles sont différentes, ces personnalités, les unes des autres, et aussi de leur propre démiurge.
Ceci étant dit, il faut toutefois souligner que la grandeur de Pessoa ne réside pas uniquement dans les innovations liées à sa poésie, car je crois que la particularité la plus importante de son œuvre est celle d'une alternance constante, ou mieux, d'un concours constant et continu de modernité et de tradition. Dans ce sens, je pense qu'il est utile de rappeler comment cette particularité est encore aujourd'hui - bien que de façon moins marquée qu'il y a quelques années - à l'arrière-plan des critiques non portugais. Surtout les critiques italiens, qui préfèrent généralement s'attarder sur les aspects novateurs de l'œuvre de Pessoa, négligeant (peut-être parce qu'ils seraient obligés de donner des justifications "embarrassantes", en termes de, comment dire ? - oui, en termes sociologiques et politiques) l'autre Pessoa, tel que je le définis habituellement dans mes travaux, c'est-à-dire le Pessoa "épique", "prophétique", "occultiste", "ésotérique" et "mythogénique". Toutes ces caractéristiques, bien sûr, n'ont rien ou presque rien de moderne, se rapportant sans doute, au sens large, au Pessoa "traditionaliste" et, plus spécifiquement, au Pessoa "nationaliste" et "patriote".
On a souvent dit, à juste titre, que Fernando Pessoa, au Portugal, a marqué l'avant-garde du 20ème siècle mieux que quiconque, à la fois en s'appropriant et en retravaillant des courants de pensée artistico-littéraires déjà codifiés et cimentés dans le reste de l'Europe d'époque (comme le futurisme, le cubisme, le surréalisme, l'existentialisme), et en en inventant d'autres ex novo (le paulisme, le sensationnalisme et l'intersectionnisme).
En ce sens, les vers d'Impressions du crépuscule et de Pluie oblique, par exemple, sont incontestablement admirables et uniques. Quant au premier poème - plus connu sous le titre Marécages (Pauis, en portugais), premier mot par lequel commence le poème, publié en février 1914 dans le premier et unique numéro de la revue Renascença - il s'avère être le manifeste du "paulisme", avec lequel Pessoa entend dépasser, non seulement sur le plan technique et conceptuel, mais aussi sur le terrain de la sensibilité et de l'imagination, le soi-disant saoudisme (1). Avec le second poème - composé de six poèmes, publiés en 1915 dans le deuxième numéro de la revue Orpheu (2) - Pessoa donne forme à une nouvelle avant-garde qu'il appelle l'Intersectionnisme, qui a beaucoup à voir avec les développements de la peinture moderne, en particulier avec le Cubisme, ainsi qu'avec le Futurisme. En effet, dans chacun des six poèmes, deux scènes - l'une représentée par la dimension du réel, l'autre par la dimension onirique - se croisent plutôt que de se chevaucher, comme cela est nécessaire dans un tableau cubiste, ce qui finit par créer une sensation de flou, certes moins musicale mais plus plastique que celle produite par les poèmes paulistes.
Comment ne pas mentionner, en outre, d'autres vers admirables de ses principaux hétéronymes, à savoir Alberto Caeiro, Ricardo Reis et Álvaro de Campos ? Surtout ce dernier, certainement l'hétéronyme le plus proche de l'orthonyme Pessoa, ingénieur naval et voyageur, avant-gardiste, futuriste, iconoclaste et nietzschéen, auteur de Oppiario, Ode trionfale, Ode marittima, Tabaccheria - compositions poétiques extraordinaires et uniques, je dirais - mais aussi d'un texte en prose très célèbre, Ultimatum, de 1917, véritable manifeste futuriste, aux accents fortement nietzschéens, dans lequel l'universalisme des Portugais est marqué et caractérisé, tant dans la sphère historique que supra-historique - une constante, suggère Pessoa/Campos, qui leur permet, plus et mieux que tout autre peuple, de construire un Nouveau Monde.
Fernando Pessoa, cependant, n'est pas seulement cela. En fait, ce qui fait de lui l'un des plus grands poètes du XXe siècle n'est pas seulement ce que l'on peut définir comme le jeu hétéronymique, ni même un type de poésie qui a eu l'occasion de franchir à titre posthume les frontières de son pays et, par conséquent, d'être connu, comme exemple suprême de modernité, par un public beaucoup plus large.
Il est nécessaire de prendre en considération d'autres éléments très importants, déjà mentionnés ci-dessus, tels que l'épopée, la prophétie et l'esprit mythogénique. Ce sont tous des aspects - comme je l'ai souligné dès 1997, à l'occasion de mon essai introductif à la traduction italienne de l'élégie de Pesso À la mémoire du Président-Re Sidónio Pais [cf. DE CUSATIS, 2010] - qui renvoient à la conception originellement médiévale de l'être comme analogie. En effet, en recourant aux symboles et aux images, l'analogie finit par constituer un pont d'union entre l'infini et le fini, entre l'éternel et le transitoire. Ainsi, je suis d'avis que c'est précisément de ces caractéristiques, plutôt que de la dépersonnalisation hétéronyme, que découle l'unicité et, d'une certaine manière, l'insurmontabilité de la poésie de Pesso dans le panorama littéraire du XXe siècle. Et ce, pour deux raisons essentielles : (a) parce que tant l'épopée et la prophétie que la mythogénie, à y regarder de plus près, positionnent une grande partie des vers de Fernando Pessoa hors d'un temps et d'un lieu spécifiques, les universalisant ainsi ; b) parce qu'ils représentent le trait d'union entre "Pessoa le poète" et "Pessoa le penseur", un lien dont il faut absolument tenir compte si l'on veut étudier et déchiffrer le lyrisme et le drame, l'intensité émotionnelle et sentimentale, en un mot, le pathos de cette figure exceptionnelle d'artiste et d'intellectuel.
En effet, si l'on n'examinait pas les valeurs, les principes et les archétypes qui sous-tendent les grandes et admirables compositions poétiques de Pessoa, en premier lieu le Messaggio (Message) - comme on le sait, sa première œuvre, son poème le plus représentatif et le plus célèbre - mais aussi l'élégie Alla memoria del Presidente-Re Sidónio Pais, déjà mentionnée, ainsi que toute sa poésie dite mythico-prophétique et ésotérique, il serait impossible d'en saisir l'essence profonde et intime.
Eh bien, ce n'est que lorsque nous allons lire et analyser attentivement ces compositions poétiques, ainsi que toute une série d'articles et d'essais (non seulement ceux publiés de son vivant, mais aussi ceux exhumés de l'arche désormais "mythique" et publiés à titre posthume, même s'ils sont souvent incomplets ou fragmentaires) à contenu sociologique, théorico-politique, mythico-prophétique et économique, que son être d'écrivain-patriote apparaît. Autrement dit, l'amour filial pour sa patrie se manifeste, un "amour-médicament" - comme j'ai eu l'occasion de le définir - car un patriotisme aussi intense et profond atténuera en quelque sorte sa solitude (synonyme, par ailleurs, d'agitation et d'insécurité) et Pessoa pourra s'identifier à la collectivité nationale, à l'histoire et à l'avenir de son propre pays.
En substance, l'amour patriotique (3) sera une présence constante tout au long de son arc existentiel et littéraire. Sans crainte d'être contredit, j'affirme que l'amour patriotique, qui va clairement de pair avec son nationalisme, est l'un des aspects les plus positifs (si ce n'est le seul !) et les plus fermes que révèle le grand écrivain portugais dans les hauts et les bas de son existence labyrinthique. Le patriotisme mythogénique s'exprime dans ses compositions mentionnées précédemment, notamment dans le poème Message, écrit entre 1913 et 1934, année de sa publication (avec une période de gestation, donc, de plus de vingt ans), qui est à toutes fins utiles une épopée du Portugal historique et mythique.
Eh bien, la date cruciale, pour ainsi dire, de l'explosion de ce sentiment patriotique est le 5 octobre 1910, jour où la monarchie constitutionnelle est définitivement renversée au Portugal. Faites attention ! Je dis bien "Monarchie constitutionnelle" et non "Monarchie absolue", cette dernière ayant été renversée bien plus tôt, en 1822. La distinction entre les deux types de monarchie est déterminante dans l'évolution socio-politique de Pesso, puisque l'écrivain portugais était effectivement contre la monarchie constitutionnelle, mais était néanmoins favorable à la monarchie absolue ou pure, étant à toutes fins utiles un "conservateur".
Le fait est que c'est précisément après la proclamation de la République que Fernando Pessoa a commencé à s'intéresser au sort du Portugal, en publiant des essais, des articles et des poèmes, en accordant des interviews et, surtout, en travaillant à la conception de nombreux pamphlets et livres qu'il n'a pu achever et, par conséquent, publier, et dont il ne reste qu'un grand nombre de notes et de mémos fragmentaires.
Si l'on examine l'ensemble de l'œuvre sociologique, politique et économique de Pessoa, on obtient un penseur sui generis, car Pessoa est avant tout un poète et non un sociologue, un politologue ou un économiste. Et pourtant, cet intérêt est également fondamental dans l'étude du poète Pessoa.
L'année 1912 est certainement l'année décisive dans sa vie et sa formation, tant artistique qu'intellectuelle. Il a vingt-quatre ans et fait ses débuts littéraires dans la revue A Águia, organe de la Renascença Portuguesa, une société culturelle d'inspiration nationaliste qui propose la renaissance intellectuelle du Portugal.
La revue et, par conséquent, la Renascença Portuguesa elle-même, ont pour point fixe la lutte contre le positivisme et aspirent à s'implanter, selon les mots de son plus grand représentant, le susdit Teixeira de Pascoaes,
"l'âme portugaise dans la terre portugaise, de sorte que le Portugal existe comme une patrie, car une patrie est de nature purement spirituelle et les seules forces invincibles sont les forces de l'esprit." [cité dans GUIMARÃES, 1988 : 61].
Tout cela, sans attitudes militaristes et autoritaires.
C'est cette doctrine, ce sont ces principes qui attirent Fernando Pessoa, car ils correspondent à son intense souffrance patriotique.
Dans la revue A Águia, Pessoa fait son baptême littéraire avec une série de trois articles, avec le titre générique La nouvelle poésie portugaise, avec lequel il adhère à l'idée saudosiste de Pascoaes [voir PESSOA, s. d. : 17-57]. Il terminera cette série d'articles par des paroles profondément prophétiques :
"Et notre grande Course partira à la recherche d'une nouvelle Inde, qui n'existe pas dans l'espace, sur des vaisseaux construits "avec ce dont les rêves sont faits". Et sa véritable et suprême destinée, dont l'œuvre des navigateurs n'a été que la sombre et charnelle imitation imparfaite, sera divinement réalisée." [IBIDEM : 57].
Dans ces paroles, à la fois prophétiques et incendiaires, nous retrouvons, une fois de plus, la présence d'un indiscutable et profond amour patriotique de la part de notre poète, un désir impétueux de régénération nationale qui sera le germe de tous ses poèmes et poèmes mythico-prophétiques.
Comme nous l'avons déjà mentionné, c'est à partir de la proclamation de la République que Fernando Pessoa commence à se préoccuper activement du sort de son pays. Dans les années 1920 à 1925, cependant, il se désintéresse presque totalement des événements politiques qui se déroulent au Portugal, car il est déçu et découragé par l'absence de solutions sociales et politiques satisfaisantes à l'horizon immédiat.
Lorsqu'il revient à la politique, il combine cette activité avec son intérêt pour la théosophie et l'occultisme.
Dans son œuvre, à partir de ce moment, deux directions principales vont se développer en particulier, au-delà de la poursuite de sa poésie orthonyme et hétéronyme, de nature lyrique ou dramatique. D'une part, une orientation ésotérique, occultiste et initiatique, c'est-à-dire la recherche d'une connaissance traditionnelle du divin, mais - attention - en termes généralement peu orthodoxes par rapport à la théologie catholique et en assimilant les traditions orphiques, gnostiques, templières, orientales et rosicruciennes (tout cela sur un plan transcendant et non sur celui d'une initiation maçonnique militante, qui ne l'a jamais intéressé activement). D'autre part, nous avons un patriotisme (qui se manifeste, en particulier, en termes de sébastianisme messianique, c'est-à-dire lié au mythe de Don Sebastian), très différent des courants conservateurs en vigueur dans le Portugal d'époque, tels que le nationalisme tout court, le lusitanisme et l'intégrisme.
L'idée de l'existence comme réalité mystérieuse et divine (un concept - il faut le dire - apparemment nié par certains de ses hétéronymes, c'est-à-dire, d'une certaine manière, par ses démons intérieurs) a été exposée à plusieurs reprises dans divers poèmes et poésies.
Pessoa, en ce qui concerne cet aspect, est même allé jusqu'à être agressivement très polémique en défendant dans l'un de ses articles (Associations secrètes. Une analyse sereine et méticuleuse), publié le 4 février 1935 dans le Diário de Lisboa, les sociétés initiatiques comme la franc-maçonnerie, qu'il considère comme la sentinelle d'un savoir archaïque et de vérités secrètes qui remontent à l'Ordre des Templiers [cf. IBIDEM: 146-155]. Il faut toutefois préciser que Pessoa n'a jamais été franc-maçon, dans le sens où il n'a jamais été affilié à la franc-maçonnerie, dont il a toujours condamné la sécularisation, exaltant au contraire ses pratiques initiatiques et, donc, les principes secrets d'inspiration templière, qu'il comprenait comme des forces d'opposition au poids ecclésiastique et clérical excessif du Portugal d'époque [cf. DE CUSATIS, 2005 : 26-30].
Son intérêt, cependant, s'est également déplacé vers d'autres régions de l'occulte. Il a traduit divers ouvrages théosophiques, a adopté des formules rosicruciennes dans divers poèmes, a étudié l'astrologie, a eu des relations avec le poète et magicien anglais Aleister Crowley [cf. ROZA, 2001]. Tout cela était dû à sa sensibilité innée et profonde au surnaturel - ce que démontre également le fait qu'il a lui-même vécu des expériences médiumniques, voire mystiques.
Fondamentalement - et je le répète - il y a chez Fernando Pessoa la confluence d'une double sphère, la sphère historique, dont les déterminations sont cependant transitoires et changeantes, et, plus nettement, la sphère supra-historique, difficile, voire impossible, à comprendre pour ceux qui croient encore que les champs de la connaissance ne sont accessibles qu'avec les outils de la raison !
En reprenant les mots avec lesquels j'ai conclu en 1994 l'introduction du volume que j'ai édité sur les écrits sociologiques et théorico-politiques de Pessoa, je suis d'avis que
"Fernando Pessoa appartient à une minorité héroïque d'écrivains, dits visionnaires (Yeats, Kafka, D'Annunzio, Pound et quelques autres), qui, en vertu de leurs excentriques et extraordinaires vertus visionnaires, ont su percevoir et analyser, peut-être plus et mieux que de nombreux théoriciens, sociologues et moralistes professionnels, les tempêtes et les conflits, tant sociaux que spirituels, du monde moderne " [DE CUSATIS, 1994 : 40].
Notes:
(1) Mouvement d'inspiration symboliste aux connotations mystico-panthéistes et nationalistes et dont le plus grand représentant, comme on le sait, fut Teixeira de Pascoaes (1877-1952).
(2) Une revue qui représente un point de départ et d'arrivée très important pour la littérature portugaise, ainsi que pour Pessoa lui-même, puisqu'elle marque l'avènement du modernisme au Portugal et, par conséquent, le dépassement de l'esthétique parnassienne-symboliste.
(3) Cet amour patriotique découle déjà des années sud-africaines. Je me souviens, en effet, que Pessoa a passé une partie de son enfance et de son adolescence, plus précisément de 1896 à 1905, à Durban, alors colonie anglaise du Natal, en Afrique du Sud.
Bibliographie de référence:
– DE CUSATIS, Brunello, 1994. Introduzione, in Fernando Pessoa, Scritti di sociologia e teoria politica, a cura di Brunello De Cusatis. Settimo Sigillo, Roma: 9-40.
– DE CUSATIS, Brunello, 2005. Esoterismo, Mitogenia e Realismo Político em Fernando Pessoa. Uma visão de conjunto. Caixotim Edições, Porto.
– DE CUSATIS, Brunello, 2010. Saggio introduttivo, in Fernando Pessoa, Alla memoria del Presidente-Re Sidónio Pais. Saggio introduttivo e traduzione di Brunello De Cusatis. Nuova versione riveduta. Edizioni dell’Urogallo, Perugia: 9-31.
– GUIMARÃES, Fernando, 1988. Poética do Saudosismo. Editorial Presença, Lisboa.
– PESSOA, Fernando, s. d. Obra em prosa de Fernando Pessoa. Textos de intervenção social e cultural. A ficção dos heterónimos. Introduções, organização e notas de António Quadros. Publicações Europa-América, Lisboa.
– ROZA, Miguel (Compilação e considerações de), 2001. Encontro “MAGICK” de Fernando Pessoa e Aleister Crowley. Hugin Editores Lda, Lisboa.
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Pourquoi le "De Monarchia" de Dante reste d'actualité
Pourquoi le "De Monarchia" de Dante reste d'actualité
par Roberto Russano
Ex: https://www.barbadillo.it/101632-perche-resta-attuale-il-de-monarchia-di-dante/
Le texte de Dante révèle, surtout à ceux qui l'examinent à la lumière des principes intemporels de la Tradition, sa valeur métapolitique et, par conséquent, nettoyé des contingences historiques qui ont accompagné sa naissance, il montre sa pertinence substantielle à une époque de crise profonde où notre avenir apparaît incertain et voilé d'ombres menaçantes
Parmi les œuvres composées par Dante Alighieri, la Monarchia, ou De Monarchia comme on l'appelle sans cérémonie, est un traité politique en trois livres datant des dernières années de la vie du génie florentin dans lequel il intervient pour soutenir l'origine divine et directe du pouvoir impérial contre les prétentions papales qui reconnaissaient l'empereur comme un simple potestas indirecta in temporalibus. Le pape Boniface VIII, quelques années seulement avant la rédaction de l'œuvre de Dante, avait réaffirmé la thèse papale avec la bulle Unam Sanctam, tandis que Dante, en bon Gibelin, avait épousé, avec quelques aménagements formels, la "théorie des deux soleils", formulée à la fin du cinquième siècle de notre ère par le pape Gélase Ier dans une lettre à l'empereur d'Orient Anastase et l'avait défendue, avec une foule d'arguments tirés principalement de l'autorité des Saintes Écritures, dans le troisième livre de son traité, arrivant à la conclusion que "la faculté de conférer le pouvoir dans la sphère temporelle est contraire à la nature de l'Église" (III, XIV, 9).
Gélase I, pape de 492 à 496.
L'Empire et l'Eglise catholique
Une lecture superficielle du texte de Dante peut donner au lecteur l'impression d'être en présence d'une œuvre inévitablement datée, destinée aux spécialistes de la pensée politique médiévale au même titre que la masse ostensible d'écrits qui, au cours du Moyen Âge, ont plaidé en faveur de l'une ou l'autre institution dans la longue dispute pour la suprématie impliquant la papauté et l'empire, ou, tout au plus, en présence d'un texte certes fondamental pour reconstruire la pensée politique de Dante mais, sur le fond, dépourvu d'actualité.
Sans aucun doute, de l'époque de Dante à nos jours, des transformations historiques radicales ont eu lieu : d'une part, l'un des deux objets du litige, le pouvoir impérial, qui était déjà entré en crise dans la phase finale du Moyen Âge avec la naissance des États nationaux, l'opposition de l'Église et des Communes, après un long et irrépressible déclin, a définitivement cessé d'exister au début du siècle dernier avec la disparition des derniers empires de l'histoire pouvant être définis comme tels, à savoir les empires austro-hongrois, ottoman, russe et chinois ; d'autre part, l'Église catholique elle-même, dont la papauté est l'institution faîtière, après avoir perdu son unité avec la Réforme protestante et, par la suite, tout pouvoir temporel avec la naissance de l'État italien, lutte aujourd'hui pour survivre, en préservant sa propre nature et sa mission, dans une société séculaire qui a remplacé la parole chrétienne par la parole scientiste et relativiste, tandis que les églises se vident de plus en plus et que les belles cathédrales médiévales, autrefois symbole du pouvoir de la foi, sont transformées de lieux de culte en complexes muséaux destinés à recevoir des hordes de visiteurs distraits du monde globalisé.
A la lumière de la Tradition
Cependant, une lecture plus attentive du texte de Dante révèle, surtout à ceux qui l'examinent à la lumière des principes intemporels de la Tradition, sa valeur métapolitique et, par conséquent, nettoyé des contingences historiques qui ont accompagné sa naissance, montre sa pertinence substantielle à une époque de crise profonde dans laquelle notre avenir apparaît incertain et voilé par des ombres menaçantes.
Entre-temps, l'un des éléments fondateurs sur lesquels se construit toute l'œuvre de Dante est la vision que - en adaptant à la pensée du poète suprême un concept cher au théologien Raimon Panikkar, comme le propose Gianni Vacchelli dans sa belle "initiation" à Dante - nous pourrions définir comme cosmo-théandrique en ce qu'elle articule, dans une perspective trinitaire, théologie, cosmologie et anthropologie. Selon cette vision traditionnelle, dont Dante est le porte-parole et que nous connaissons bien à travers la Divine Comédie, l'homme ne naît pas par hasard et n'est pas non plus jeté de manière inexplicable dans une existence dénuée de sens dont le seul but est la mort, mais il a été créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, comme l'élément central d'un cosmos ordonné au sein duquel, en utilisant la liberté qui est un élément essentiel de sa personne, il traverse son existence terrestre pour rejoindre son Créateur à la fin de celle-ci.
Les pouvoirs politiques et spirituels ont pour tâche de l'aider dans ce transit, plus ou moins bref, en réveillant en lui, tout d'abord, la conscience de ses origines extraterrestres et en le guidant vers le but final. En particulier, selon Dante, "la Monarchie temporelle, qui se définit comme Empire, est la principauté unique et étendue sur tous les hommes dans leur durée terrestre, ou plutôt dans le domaine et sur les questions qui ont une dimension terrestre" (I, II, 2).
L'action des deux pouvoirs requiert donc une investiture supérieure qui tire sa légitimité d'en haut, de Dieu lui-même, et doit s'inspirer de principes et de comportements d'origine sacrée et transcendante qui ont fait l'objet d'une révélation à travers les Écritures mais qui, par respect pour l'analogia entis qui façonne l'univers, sont en même temps également présents dans la configuration créaturelle de l'homme et de la nature.
La légitimation d'en haut reste aux représentants des deux pouvoirs dans la mesure où ils se conforment aux principes sacrés ainsi établis afin de remplir la mission spirituelle et métapolitique qui leur est confiée : selon Dante, l'empire est, précisément en vertu de sa structure constitutive dans laquelle le pouvoir est conçu comme missio et servitium, la forme politique capable de garantir cette correspondance, assurant paix, justice et bonheur à ses gouvernés. A cet égard, le poète suprême s'exprime en ces termes "...le genre humain est plus heureusement ordonné quand il est réglé, quant à ses mouvements et à ses moteurs, par un seul prince qui agit comme un seul moteur et selon une seule loi en fonction d'un seul mouvement... Donc, la présence d'une Monarchie, ou de cette principauté unique appelée Empire, paraît indispensable au bonheur terrestre" (I, IX, 2-3).
La nostalgie de l'Empire
Après avoir connu au siècle dernier les désastres du nationalisme et la crise continue de la démocratie parlementaire de plus en plus à la merci d'un pouvoir économique qui ne connaît pas de limites dans la recherche du profit, aujourd'hui, même face à l'urgence migratoire et aux excès de la souveraineté, nous revenons sur nos pas et regardons avec intérêt et un peu de nostalgie les empires du passé qui ont su assurer la coexistence pacifique d'ethnies aux histoires, langues et religions différentes: il est significatif qu'un chercheur faisant autorité comme Remi Brague (2), face au risque réel d'un échec de l'idée d'Europe et du déclin définitif de l'Occident, ait proposé comme exemple possible à imiter la "voie romaine", le modèle impérial romain contaminé et fécondé par le christianisme, dont la caractéristique est représentée, selon le chercheur français, par la "nature secondaire", c'est-à-dire la capacité d'accueillir dans un véritable écoumène les cultures précédentes ou, en tout cas, d'autres cultures, tout en conservant sa propre identité. Pour présenter sa thèse suggestive, Brague se réfère à Dante qui, dans le livre II du De Monarchia, discute de la mission universelle de l'Empire romain.
La proposition de Brague pose naturellement une série de problèmes et de nœuds à résoudre, dont celui d'identifier une forme d'investiture pour un gouvernement néo-impérial capable de concilier la participation populaire et le caractère sacré de la fonction et des objectifs : dans ce cas aussi, on pourrait s'inspirer de l'expérience romaine-chrétienne avec des modifications et des ajouts appropriés pour l'adapter au présent.
Enfin, les mots avec lesquels Dante, dans l'incipit du De Monarchia, indique la raison principale qui l'a poussé à écrire son traité restent imprimés : tout intellectuel qui se respecte doit employer ses talents à écrire des œuvres significatives pour le bénéfice des générations futures.
Il est possible d'interpréter largement le message de Dante comme un appel très actuel à la responsabilité du savoir à un moment de l'histoire où l'on assiste de plus en plus à une nouvelle " trahison des clercs " face aux pièges de la pensée unique.
(1) Gianni Vacchelli, L'"actualité" de l'expérience de Dante. Un'inizizione alla Commedia, Mimesis,2014, pp.369 ; de Vacchelli voir aussi le plus récent "Dante e la selva oscura", Lemma Press, 2018, pp.179.
(2) Rémi Brague, L'avenir de l'Occident. Dans le modèle romain le salut de l'Europe, Bompiani,2016, pp.225.
*La traduction italienne du texte de Dante est tirée du site Dante Online.
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L'idéologie du politiquement correct et la civilisation occidentale
L'idéologie du politiquement correct et la civilisation occidentale
Vojtěch Belling
Ex: https://deliandiver.org/2007/11/ideologie-politicke-korektnosti-a-zapadni-civilizace.html
Lorsque, au début des années 1930, le politologue et théoricien du droit allemand Carl Schmitt a tenté de prouver la présence cachée mais néanmoins évidente de tendances totalitaires dans l'État libéral-démocratique moderne, il a semblé à nombre de ses contemporains conservateurs qu'il s'agissait d'une exagération. Les années suivantes ont apparemment confirmé à leurs yeux l'absurdité de l'affirmation de Schmitt. Au contraire, le véritable totalitarisme était palpable dans les régimes qui positionnaient la démocratie libérale comme leur ennemi juré.
Les théories classiques du totalitarisme associées aux noms de Carl Joachim Friedrich, Zbigniew Brzezinski et Hannah Arendt, fondées sur les caractéristiques externes des régimes totalitaires (idéologie, parti, police secrète terroriste, monopole du renseignement, monopole des armes, économie planifiée), ont soutenu cette mise en opposition absolue du totalitarisme avec la démocratie libérale. Ni la conception de Voegelin et de Meier sur l'émergence des religions politiques en tant que substitut de la foi, ni la conception de Schelsky sur le totalitarisme pluraliste, n'ont changé quoi que ce soit à l'acception générale et exclusive du totalitarisme en tant que phénomène anti-libéral et anti-démocratique en contradiction avec les démocraties ordinaires de style occidental.
Pourtant, depuis que le monde a célébré le triomphe de l'establishment libéral-démocratique et que Francis Fukuyama a commencé à parler de la fin de l'histoire, certaines tendances totalitaires ont commencé à émerger très clairement au sein des États libéraux-démocratiques, ce qui peut nous amener à repenser les propositions de Schmitt et à les comprendre sous un jour nouveau. Je pense en particulier au phénomène multicouche du soi-disant politiquement correct qui imprègne toutes les réalités du discours politique, social et scientifique dans la civilisation occidentale actuelle. Dans l'article suivant, j'essaierai de démontrer comment ce politiquement correct, issu du régime libéral-démocratique développé, tend à détruire progressivement son essence (ndt: du moins l'essence qu'on lui attribue et/ou qu'il s'est auto-attribuée). En décrivant la nature de ce phénomène et ses formes dans les environnements nord-américain, européen et tchèque, j'essaierai de le placer dans le contexte du développement de la société moderne et de documenter la dérivation naturelle de son essence.
L'essence du politiquement correct
Le politiquement correct, dans le sens courant du terme, désigne un ensemble d'éléments nécessaires pour qu'une certaine action ou expression d'opinion soit considérée comme pertinente ou ne soit pas sanctionnée socialement. En d'autres termes, le politiquement correct est une sorte de cadre externe de communication que l'auteur et le lecteur ou l'auditeur doivent accepter s'ils veulent se comprendre. À cet égard, elle joue donc un rôle similaire à celui de la langue elle-même. Toutefois, contrairement à cette dernière, le politiquement correct n'est pas exigé par les caractéristiques biologiques de l'homme, mais par certaines normes sociales imposées aux deux sujets - l'auteur et le lecteur - par la société extérieure.
En un sens, le politiquement correct peut donc être assimilé à la politesse, qui est également une forme externe universelle de communication entre des personnes d'horizons différents. Contrairement à la politesse, cependant, le politiquement correct a un impact beaucoup plus important sur le contenu du discours lui-même, et pas seulement sur sa forme. En outre, les sanctions pour violation du politiquement correct sont beaucoup plus sévères et durables que celles pour violation de la politesse. Car, comme le note Gerard Radnitzky, ne pas suivre le politiquement correct revient à briser un tabou. Le politiquement correct, comme nous le verrons, tend en fait à étendre la gamme des tabous éthiques de l'ordre libéral classique, tels que le meurtre, le vol, etc. D'autre part, elle supprime de force certains des tabous traditionnels existants (meurtre de l'enfant à naître, fornication, etc.). Cela change fondamentalement le système de valeurs éthiques de la civilisation occidentale.
Le politiquement correct repose sur la conviction que les idées d'un courant de valeurs politiques particulier, essentiellement et exclusivement de gauche, peuvent prétendre à une validité universelle. Les défenseurs de ces idées, par une manipulation habile, en utilisant au maximum les possibilités de l'État et de ses instruments dans la sphère culturelle (les médias publics), parviennent à subordonner à ces idées les normes du langage humain, du comportement humain, de l'action politique et, en définitive, de la pensée humaine. Les unités idéologiques que le politiquement correct universalise de cette manière concernent le plus souvent les questions des minorités nationales, ethniques, sexuelles ou religieuses et de l'égalité des sexes. En même temps, le politiquement correct est une arme efficace qui aide les minorités défavorisées pour diverses raisons (parfois, étonnamment, elles sont justifiées) à atteindre facilement leurs objectifs. Cependant, le but ultime et l'élément omniprésent du politiquement correct est l'élimination d'une identité culturelle ou civilisationnelle qui joue encore un rôle de premier plan dans un domaine particulier. Le politiquement correct étant un phénomène spécifiquement occidental, la réalisation de son objectif constitue une élimination concomitante de l'identité occidentale.
Réglementer le langage : le premier domaine du politiquement correct
La modification des règles d'utilisation de la langue est l'un des symptômes les plus évidents du politiquement correct, partout dans le monde. Au lieu des termes traditionnels utilisés, le politiquement correct crée de nouvelles tournures de phrases ou des termes de substitution qui changent le sens de la chose nommée. Le terme existant est immédiatement tabou dès qu'il est remplacé. Un exemple classique est le développement des termes servant à désigner un membre du groupe ethnique noir aux États-Unis. Au lieu du terme "nègre", le politiquement correct a inventé dans le passé le terme "de couleur". Dès que la signification de ce terme est redevenue problématique, le politiquement correct l'a remplacé par "noir". Il n'a pas fallu longtemps pour que le terme soit à nouveau remplacé par "afro-américain". Un processus similaire peut être observé pour certains mots de la langue tchèque. Par exemple, le terme original "Gypsy" a été remplacé par "Roma", en dépit du fait que le terme "Roma" était auparavant utilisé pour se référer uniquement à un groupe spécifique de Gitans. C'est pourquoi les Allemands ont utilisé le double terme "Roma und Sinti" pour désigner un groupe plus important des tribus gitanes d'origine, mais pas toutes.
Lorsqu'il existe un risque de jugement négatif à l'égard des membres d'un groupe ethnique particulier, le politiquement correct refuse toute discussion sur l'ethnicité. Un exemple en est la couverture des crimes dans les programmes d'investigation de la télévision publique, dans lesquels le téléspectateur doit souvent déchiffrer littéralement l'origine ethnique de l'auteur sur la base de quelques références accessoires (peau brune, cheveux noirs, "mauvais Tchèque", etc.). Et ce, malgré le fait qu'une information directe sur cette affiliation faciliterait grandement la recherche. En bref, les règles du politiquement correct l'emportent sur l'objectif du message lui-même.
Les exigences linguistiques du politiquement correct visant à donner du pouvoir aux minorités discriminées sont souvent très absurdes. Aujourd'hui, par exemple, il est très dangereux de commander un café blanc à une serveuse noire aux États-Unis en utilisant le terme traditionnel "café blanc". Le terme a déjà été coulé et tabouisé en termes de politiquement correct. Il faut soit réfréner son envie de la boisson en question, soit faire preuve de beaucoup d'imagination pour trouver des formes descriptives.
Une raison très courante des transformations politiquement correctes du langage est le discours de l'égalité des sexes, qui cherche délibérément à s'emparer du langage comme de l'arme la plus puissante de l'homme postmoderne. Peut-être que toutes les langues subissent aujourd'hui des changements qui correspondent au désir des femmes d'avoir une part de pouvoir. Il n'y aurait rien d'étrange à cela si ces changements n'étaient pas effectués sans tenir compte de la logique interne de ces langues et de leurs règles. En français, ce problème a été soulevé dans le débat sur les équivalents féminins d'expressions traditionnellement masculinisées : monsieur le ministre - madame la/le ministre.
En allemand, en revanche, la question du pluriel commun des noms existant à la fois sous forme masculine et féminine a été abordée. Par exemple, le terme "étudiants" (Studenten) était traditionnellement utilisé au pluriel pour les étudiants et les étudiantes. Plus tard, les idéologues du politiquement correct ont jugé que cela était discriminatoire à l'égard des femmes, et ce sens a été redéfini en tant qu'étudiants (Studenten) et étudiantes (Studentinnen). Ici, cependant, le problème est que les femmes ne sont pas prises en compte. Enfin, une toute nouvelle forme de pluriel "unisexe" a été créée pour la plupart des noms en ajoutant la terminaison féminine "Innen" avec une lettre initiale majuscule pour prouver son égalité avec les pluriels masculins. Ainsi, "Studenten" est devenu le mot absurde "StudentInnen", qui viole toutes les règles de la logique grammaticale allemande en incluant une majuscule au milieu du mot. Pour l'instant, la langue tchèque du politiquement correct en matière de genre se contente de l'usage courant des pluriels féminins et masculins, les femmes venant généralement en premier (étudiantes et étudiants, citoyennes et citoyens, etc.).
Cependant, le règlement linguistique s'étend également à des domaines où l'on ne s'y attend pas. L'exemple le plus évident de la prétention du politiquement correct à une validité universelle est son empiètement sur le domaine de la religion dans le domaine du langage. L'apparition d'éditions politiquement correctes de la Bible ou de livres de prière en est la preuve. Ainsi, en plus de Dieu le Père, "Dieu la Mère" apparaît également dans ces versions, et des changements similaires se produisent dans d'autres concepts fondamentaux du langage religieux. Même dans la sphère sacrée, le politiquement correct est l'arbitre suprême de la qualité du contenu et de la forme du message.
Régulation du comportement
Au stade suivant, le politiquement correct passe de la régulation du langage à la régulation du comportement des individus, mais aussi de groupes entiers, de la société et de l'État dans son ensemble. Comme nous l'avons déjà mentionné, le but du politiquement correct est la destruction de l'identité. L'une des façons d'atteindre cet objectif est de souligner la position non seulement égale mais souvent privilégiée de toute minorité dans un environnement culturel donné. Cette promotion prend de nombreuses formes, parmi lesquelles le principe de la discrimination positive, l'affirmative action, mérite une mention spéciale. Son essence repose sur le principe d'égaliser, mais aussi de favoriser et de privilégier tout ce qui est considéré comme étant en dehors de la norme ou de la normalité dans la tradition occidentale. La discrimination positive vise les minorités ethniques, les groupes religieux et les personnes non hétérosexuelles (n'oublions pas que, selon le langage du politiquement correct, il n'y a pas deux, mais cinq genres).
Aux extrêmes, la discrimination positive peut prendre des formes très curieuses : par exemple, certaines universités américaines favorisent les membres de minorités ethniques (mais seulement certaines, comme les Afro-Américains ou les Amérindiens), mais avec la preuve d'une ascendance biologique-raciale jusqu'au quatrième degré. En d'autres termes, un demandeur d'aide sociale ou de traitement spécial doit documenter l'ascendance biologique de ses grands-parents et autres ancêtres, y compris le pourcentage de "sang minoritaire". La méthodologie de l'affirmative action est donc très proche des pratiques raciales du régime nazi, dont les fameux "Ahnenpässe" - mais à la différence que l'objectif est de favoriser les minorités ethniques.
Dans tous ces cas, il s'agit d'une démarche rationnelle de la part des minorités. Dans son livre The Holocaust Industry, l'auteur juif américain Norman Finkelstein utilise l'exemple de l'utilisation de l'Holocauste à des fins qui n'ont rien à voir avec la commémoration et l'héritage de cette horrible tragédie du 20ème siècle pour critiquer l'approche utilitaire de nombre de ses collègues qui ont fait de l'Holocauste un concept industrialisé. Ce qui mérite d'être analysé, c'est donc plutôt le comportement de la majorité, qui est non seulement capable de s'accommoder des efforts rationnels des minorités, mais qui anticipe elle-même ces efforts. Après tout, la simple mention de l'existence d'une culture majoritaire est politiquement incorrecte, comme l'a montré, par exemple, la discussion sur le terme "Leitkultur" qui a eu lieu en Allemagne il y a quelques années à propos de l'intégration des étrangers dans l'environnement allemand. En réponse aux tentatives des politiciens conservateurs de créer une législation qui rendrait obligatoire l'initiation des immigrants aux principes culturels de l'espace d'Europe centrale, la gauche a répondu par le jugement surprenant qu'il n'y a aucune culture qui a une position privilégiée dans l'environnement allemand, et qu'il ne peut y en avoir.
Cela nous amène à la deuxième dimension de la réglementation politiquement correcte des comportements, qui ne vise pas à privilégier les minorités et les cultures minoritaires, mais à détruire la culture majoritaire. Bien sûr, toujours avec la conscience de la liquidation de l'identité comme ultima ratio. Cette lutte contre l'identité occidentale prend plusieurs formes. L'une d'entre elles est la tentative de supprimer ou de remettre en question les éléments distinctifs de la culture occidentale. Comme l'a écrit le théologien Henry van Til, "la culture est la religion incarnée". L'assaut du politiquement correct se concentre donc en premier lieu contre le christianisme. On peut trouver des exemples partout dans le monde de la civilisation occidentale. La première association qui vient à l'esprit est la destruction des symboles religieux : le retrait des croix dans les écoles bavaroises sur l'insistance des parents d'un seul élève d'une autre religion qui se sentait offensé par la présence de la croix dans les salles de classe, le retrait de la crèche dans les écoles du nord de l'Italie, ou encore le retrait des croix et des tablettes des dix commandements des palais de justice américains et d'autres espaces publics.
Cependant, si les efforts de neutralité religieuse dans la sphère publique sont plus anciens (en France, la laïcité est l'un des principes constitutionnels fondamentaux depuis le début du 20ème siècle), dans la sphère privée, cette ingérence a déjà lieu exclusivement sous la bannière du politiquement correct. Les Boy Scouts of America, par exemple, ont échappé de justesse à une modification de leur constitution, ordonnée par un tribunal, interdisant le recrutement d'homosexuels actifs comme chefs scouts. Ils ont payé leur victoire à la Cour suprême par le mépris d'un certain nombre d'organisations et d'institutions publiques activées par l'American Civil Liberties Union (ACLU) - la structure personnifiée du politiquement correct aux États-Unis. Par ailleurs, même les scouts n'ont pas résisté à la pression du politiquement correct, qui les a contraints à modifier la formulation du serment des nouveaux membres et à autoriser une version athée du serment scout.
Toutefois, l'influence du christianisme est également limitée par des moyens beaucoup plus radicaux : par exemple, la possibilité de désacraliser librement les symboles chrétiens dans l'art ou la littérature, ou l'attitude a priori négative de la plupart des médias, en particulier les médias publics, à l'égard des dénominations chrétiennes. Cependant, quiconque voudrait désacraliser de la même manière toute religion autre que celle qui constitue l'identité occidentale se heurterait au mal. Nous trouvons donc un paradoxe intéressant : le politiquement correct, qui lui-même nie officiellement l'existence de sources spécifiques de l'identité occidentale (par exemple, ses racines chrétiennes), dans ses activités visant à éliminer ces sources, confirme effectivement ce rôle, tout en prouvant qu'il en est en fait très conscient.
Outre la religion, le politiquement correct s'attaque également à d'autres symboles de la culture occidentale. Cela est évident, par exemple, dans les efforts acharnés pour remettre en question puis démanteler la famille en tant que principale forme de vie légitimée dans la société occidentale. La promotion de formes de vie alternatives (favorisant les minorités) et, à l'inverse, la discrimination de la famille traditionnelle et du mariage en tant qu'élément institutionnel central (désavantageant la majorité) dans les actions de nombreux États en sont la preuve.
Régulation de la pensée
Si la régulation du langage et la régulation des comportements sont des symptômes très évidents, et faciles à décrire, de la présence du discours du politiquement correct, son caractère totalitaire ne devient apparent que dans la troisième étape de sa progression : la régulation de la pensée. Pourtant, c'est précisément l'atteinte d'un état d'autorégulation totale de la pensée, la définition de nouveaux critères moraux et la prise de conscience de ce qui est ou n'est pas acceptable et approprié qui constituent le but ultime du politiquement correct. À cet égard, le politiquement correct a eu plus de succès que les régimes totalitaires classiques, qui se concentraient le plus souvent uniquement sur la réglementation du langage et du comportement.
Le stade de l'autorégulation ne nécessite plus d'intervention extérieure et le politiquement correct n'a plus besoin de soutien institutionnel extérieur (par exemple dans les médias publics, les partis politiques et les ONG). L'étendue du niveau d'autorégulation atteint est révélée par des enquêtes d'opinion publique comportant des questions choisies de manière appropriée. Lorsque l'opinion publique a été sondée en Allemagne après la récente affaire dite Hohmann (1), la majorité des personnes interrogées (80 %) ont exprimé leur profond désaccord avec les opinions de cet homme politique conservateur. Peu après, l'opinion publique a été sondée sur les opinions de Hohmann sans le nommer explicitement, et un groupe tout aussi important (80 %) les a approuvées. Cette enquête a donc démontré que la population avait déjà accepté les attitudes politiquement correctes médiatisées envers le porteur spécifique du message (Hohmann), mais pas envers le message lui-même, qui n'était pas encore dans la sphère du tabou autorégulateur.
Dans la régulation de la pensée, les médias jouent un rôle central, et presque entièrement les médias publics, qui sont coordonnés par la sphère politique et en même temps ne sont pas liés par la loi de l'offre et de la demande. Au lieu de fournir un divertissement, leur objectif est d'éduquer et de former le public, bien sûr dans l'esprit des élites intellectuelles qui les influencent. Les médias de service public sont également les propagateurs de mythes et de stéréotypes modernes qui, contrairement aux stéréotypes culturels classiques, revendiquent une vérité universelle et incontestable.
Un exemple de ce "stéréotype à l'envers" est la thèse de la discrimination salariale présumée à l'encontre des femmes, qui atteint en République tchèque le niveau d'un écart salarial de vingt-cinq pour cent. En réalité, cette différence au sein d'une même profession (et c'est seulement là qu'elle peut être constatée) ne dépasse pas 4 %, selon les statistiques officielles du ministère du travail et des affaires sociales. La différence d'un quart de point souvent citée n'est due qu'à la répartition différente de la main-d'œuvre féminine et masculine dans les différentes professions (féminisation de certains secteurs, comme l'éducation, et masculinisation d'autres, comme la métallurgie et l'extraction de minéraux et de charbon). Néanmoins, l'allégation susmentionnée de discrimination salariale monstrueuse à l'encontre des femmes se retrouve dans les documents officiels et les présentations médiatiques et fonctionne selon les principes d'un stéréotype bien ancré. Cependant, il n'est pas permis de le nier - c'est politiquement incorrect, avec tout ce que cela comporte comme classification.
Un exemple similaire est celui des stéréotypes de la soi-disant correction historique - un symptôme classique de la correction politique en Allemagne. Ses règles rendent impossible la recherche historique sur certaines questions du passé. Certaines vérités sont considérées comme immuables et les recherches à leur sujet ne sont pas autorisées (par exemple, le sujet de certains crimes commis par l'Armée rouge sur le front de l'Est pendant la conquête de l'Allemagne nazie a longtemps été tabou et sa recherche même était "historiquement incorrecte").
Lorsqu'une exposition sur les crimes de la Wehrmacht a été organisée en Allemagne il y a quelques années, son intention et le matériel présenté étaient incontestables en Allemagne, même si de nombreux experts étaient conscients des difficultés fondamentales du concept. En raison de l'objectif de l'exposition - montrer la criminalité de l'armée allemande (encore considérée dans les années 1950 et 1960 comme une organisation non criminelle à la suite des conclusions du tribunal de Nuremberg) -, rien ne pouvait être contesté qui puisse nuire à sa réalisation. Seul l'historien polonais Bogdan Musial a perturbé le concept de l'exposition en soulignant le fait (connu de nombreux experts, mais pas officiellement déclaré) que, dans de nombreux cas, les images représentant des crimes brutaux ne mettaient pas en scène des soldats allemands, mais des membres de l'Armée rouge et du NKVD. Il est intéressant de noter qu'aucun des centaines de milliers de visiteurs allemands, souvent d'anciens soldats, n'a fait remarquer la différence évidente entre les uniformes sur les photos (ces uniformes n'étaient clairement pas allemands). L'institutionnalisation de la prétention à la vérité dans le régime du politiquement correct rend impossible la négation d'un mensonge flagrant si une telle négation compromet les objectifs du politiquement correct.
Conclusion : Le politiquement correct comme élément du totalitarisme pluraliste
À ce stade, nous pouvons revenir à la question initiale : est-il possible de voir dans le politiquement correct un élément de tendances totalitaires au sein de l'État démocratique libéral moderne ?
Comme je l'ai dit dans l'introduction, pour les théoriciens classiques du totalitarisme, Arendt, Friedrich et Brzezinski, l'ordre démocratique est absolument opposé au totalitarisme. Bien entendu, la définition structurelle-fonctionnelle du totalitarisme ne nous permet pas de considérer le régime du politiquement correct comme totalitaire, puisqu'il ne remplit que deux des six éléments nécessaires au totalitarisme : l'élément idéologique et le monopole de l'information.
Une perspective quelque peu différente est toutefois fournie par la conception du totalitarisme telle qu'elle a été exposée par les représentants de l'école de sociologie de Leipzig, qui voyaient dans le totalitarisme un produit logique de la société industrielle moderne. Selon Arnold Gehlen et Hans Freyer, l'ordre social industriel contient des éléments totalitaires immanents. Hans Freyer parle dans ce contexte de systèmes dits "secondaires". Alors que l'ordre social traditionnel des temps pré-modernes est construit "auf gewachsenem Grunde" (métaphore de la continuité avec la nature : "sur une base de développement organique"), la société moderne est basée sur des "systèmes secondaires". Freyer les considère comme des "types idéaux" qui permettent d'isoler et d'analyser certains des éléments individuels de l'ordre social moderne : avant tout, les systèmes de production, de consommation et d'administration.
La production est fondée sur la tentative d'organiser et de distribuer le travail, de rationaliser tous les facteurs de production et de transformer le travailleur en une machine à travailler. La consommation est basée sur le principe de tout offrir à tout le monde, selon le slogan: "le niveau de vie est le dieu de l'époque et la production est son prophète". Enfin, le système d'administration apporte un nouveau type d'autorité - l'administration bureaucratique remplaçant les autorités naturelles de l'ère pré-moderne. Les systèmes secondaires créent un nouveau type d'homme, sans valeurs traditionnelles et sans base naturelle. Le totalitarisme trouve un terrain fertile à ce stade, selon Freyer, car il fournit des réponses faciles aux complexités de l'ordre social actuel et trouve un coupable spécifique pour les maux de notre temps : le juif, le capitaliste, le koulak. Le système administratif moderne accroît la menace du totalitarisme et facilite l'application de mécanismes totalitaires dans toutes les sphères de la vie humaine.
Freyer voit deux formes résultantes de l'État moderne : l'État totalitaire classique à l'Est, l'État providence à l'Ouest. Mais si Freyer considère que l'État-providence occidental est bénéfique dans le cadre des possibilités offertes par la modernité, Gehlen et Schelsky s'appuient sur ce concept en considérant que l'État-providence est également secrètement totalitaire. En effet, à la différence de l'État antérieur, l'État providence a pour objectif de fournir à l'homme la couverture de tous ses besoins sociaux et culturels, mais en même temps de contrôler ces besoins et les domaines correspondants. Cette idée est notamment développée par Roland Huntford, qui, sur la base d'une analyse du modèle suédois, conclut que le système de protection sociale constitue la base d'un nouveau totalitarisme conduisant à la croissance de la planification, de la bureaucratie et du conformisme des médias de masse.
Si le politiquement correct est analysé dans le contexte de cette théorie sociologique du totalitarisme de Leipzig, son essence apparaît sous un jour nouveau. Le politiquement correct est ici un produit spécifiquement occidental, issu des valeurs libérales classiques, mais qui les détruit en même temps. Le libéralisme classique, appliqué à la sphère des valeurs, a conduit à la relativisation de valeurs jusqu'alors considérées comme indiscutables et universelles. Le politiquement correct consiste dans le fait que cette relativisation revendique un caractère universel et s'absolutise (selon les termes du pape Benoît XVI, quand il été encore appelé cardinal Ratzinger).
C'est, après tout, le paradoxe bien connu de la philosophie post-structuraliste, qui élève sa thèse de la non-existence de la vérité au rang de révélation incontestable. Ce faisant, il se détourne du libéralisme classique et détruit même les libertés traditionnelles dont il dépend (liberté d'expression, liberté de pensée, liberté de religion). Dans le même temps, cependant, nous observons une ligne de développement cohérente depuis les Lumières et le libéralisme classique jusqu'au totalitarisme relativiste. Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui se souviennent du célèbre dilemme de Böckenförde, selon lequel l'État laïque moderne est construit sur des principes qu'il ne peut garantir lui-même. En effet, ce dilemme peut être appliqué sans faille à la société moderne post-Lumières elle-même.
L'hypothèse selon laquelle le totalitarisme relativiste est peut-être plus modéré que le totalitarisme classique du passé est, bien sûr, erronée. Les principes des deux systèmes sont identiques. Le politiquement correct remet en question toutes les vérités, sauf celle qui prétend qu'il n'y a pas de vérité. Cette vérité, cependant, est universellement valable et sa négation est inacceptable. C'est également la base de l'application concrète des règles du politiquement correct à la vie de l'individu et de la société. Toutes les sources traditionnelles de la vérité et ses supports institutionnels doivent être détruits.
C'est la justification du fait que j'ai affirmé au début de cette étude sur la base d'une analyse empirique : le principal ennemi du politiquement correct est l'identité, en tant qu'élément institutionnalisant de la vérité. Sans identité, il n'y a pas de vérité. Et comme le politiquement correct est un phénomène occidental, l'ennemi est avant tout l'identité de l'Occident, c'est-à-dire la culture occidentale elle-même. Cet ennemi est certes désincarné, mais dans sa fonction de coupable systémique et d'ennemi universel, il remplit pour le politiquement correct la même fonction que le juif pour le nazisme ou le capitaliste pour le communisme. Par conséquent, il remplit pleinement les conditions de la conception du totalitarisme de Freyer.
La seule différence réside dans le fait que le politiquement correct est un élément qui découle de la tradition du système libéral-démocratique post-Lumières. Devenu la seule forme de gouvernement universellement légitime dans le monde après la fin de la guerre froide, et ayant ainsi perdu la raison de définir ses origines civilisationnelles contre un Orient dominé par le totalitarisme, ce système s'est en même temps livré au règne du politiquement correct, qui détruit les fondements sur lesquels repose le système libéral-démocratique, bien plus efficacement que n'importe quelle force armée extérieure.
Notes :
(1) L'acteur de cette affaire, un membre du Bundestag pour la région de Fulda, en Allemagne, a contesté il y a plusieurs années la thèse selon laquelle le peuple allemand est collectivement responsable de l'Holocauste et que cette culpabilité fait partie de l'identité allemande. Hohmann a étayé son affirmation en disant que défendre un tel point de vue revient à essayer de rendre les Juifs responsables de la révolution russe simplement parce que la plupart de ses dirigeants étaient juifs. Selon Hohmann, les deux approches sont tout aussi absurdes l'une que l'autre. Sur la base de ces déclarations, Hohmann a été exclu de la CDU et du Bundestag.
Conférence de Vojtěch Belling, PhD, au séminaire de l'Institut civique "Le monde 4 ans après le 11 septembre", 14 octobre 2005. Adapté du magazine Distance n° 3/2005.
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dimanche, 14 novembre 2021
Le privilège blanc – entretien avec Georges Guiscard
19:52 Publié dans Actualité, Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : georges guiscard, actualité, privilège blanc, problèmes contemporains | |
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Tatarstan : la dernière démarche séparatiste
Tatarstan : la dernière démarche séparatiste
Alexandre Douguine
Ex: https://www.geopolitica.ru/article/tatarstan-posledniy-demarsh-separatizma
Six députés de la Douma du Tatarstan représentant le parti Russie Unie ont voté contre la loi sur le système unifié de l'autorité publique. L'élément principal de cette loi est qu'elle interdit aux chefs des entités régionales d'être appelés "présidents" et accorde au président russe le droit de les démettre de leurs fonctions. Le Tatarstan est actuellement la seule entité constitutive de la Fédération de Russie où le chef de l'État est encore appelé "le président".
Les députés nationalistes ont été soutenus par un certain nombre de médias du Tatarstan, menaçant de ne pas utiliser le nom officiel du chef de la République et de continuer à l'appeler "Président du Tatarstan".
Je suppose que c'est le dernier vestige de séparatisme dans l'histoire récente de la Russie. C'était une toute autre affaire, beaucoup plus alarmante et risquée pour le destin de la Russie.
Permettez-moi de vous rappeler qu'après l'effondrement de l'Union soviétique, le processus de désintégration de la Fédération de Russie a été lancé. Presque avec le consentement du centre fédéral, certains sujets ont commencé à réfléchir à leur souveraineté complète. Cela a d'abord touché la Tchétchénie, où une véritable guerre a éclaté, mais en même temps, la Yakoutie, le Tatarstan et la Bachkirie étaient sur la même voie. Il s'agissait de sujets qui revendiquaient non seulement le statut de républiques nationales mais aussi, en fait, d'États nationaux indépendants. D'où l'attention portée aux langues nationales, au statut du président et aux autres attributs de la souveraineté. La Yakoutie a même annoncé la création de sa propre armée et la délivrance de visas aux autres citoyens russes pour qu'ils puissent visiter la République.
En fait, le processus n'a été ralenti que par la guerre en Tchétchénie, lorsque Moscou, malgré les sympathies précoces du président Boris Eltsine pour le séparatisme au sein de la Fédération de Russie (la célèbre phrase d'agitation adressée aux sujets de la Fédération - "prenez autant de souveraineté que vous voulez"), s'est encore prononcé assez durement (bien que de manière incohérente) contre la tentative de sécession de la République tchétchène. Le Tatarstan, la Bachkirie et, dans une certaine mesure, la Yakoutie ont observé de près la manière dont l'intégrité territoriale de la Russie était préservée afin de choisir le moment et d'annoncer leur sécession de la Fédération de Russie. Mais voyant l'attitude dure de Moscou, ils ont préféré attendre et ne pas aggraver la situation.
Telle était la situation dans les années 1990.
Poutine, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, était vraiment occupé à démanteler ces sentiments séparatistes dans les régions. La deuxième campagne tchétchène s'est soldée par une victoire, qui a mis fin au problème du séparatisme en Tchétchénie et a fait des citoyens de la République tchétchène les patriotes les plus fidèles à Moscou. Elle a conduit à une modification de la loi concernant les républiques nationales, conformément à la reconnaissance de l'indivisibilité et de l'intégrité territoriale de la Fédération de Russie. En fait, les districts fédéraux ont été introduits à cette fin, le Conseil de la Fédération a été affaibli et le Conseil d'État a été créé. Poutine a constamment - étape par étape - éradiqué tout soupçon de souveraineté des entités constitutives de la Fédération.
Dans les années 2000, Poutine a poursuivi ces réformes et a proposé de supprimer toute allusion à la souveraineté afin d'éradiquer tout séparatisme résiduel, qui avait survécu au moins nominalement dans l'esprit de l'intelligentsia et des élites de certaines régions nationales, dont le Tatarstan. Dans le même ordre d'idées, l'idée de changer le statut du "président" d'une république ou d'une entité constitutive de la Fédération de Russie en celui de "leader". De cette manière, un autre nom symbolique a été aboli, qui aurait permis aux républiques nationales d'être considérées comme des États indépendants, ne serait-ce que dans un avenir lointain.
Mais au Tatarstan, il y avait un front nationaliste très fort et même un sentiment islamique extrémiste. Sous le premier président de la république, Mintimer Shaimiev, il y avait le théoricien Rafael Khakimov (photo), que j'ai rencontré dans les années 1990 et au début des années 2000. Lui et beaucoup d'autres comme lui au Tatarstan étaient de fervents partisans de l'indépendance des Tatars. À l'époque, dans les années 90, le nationalisme tatar - ou plutôt tatarstanais - était en plein essor.
Et au cours de ces 30 années, des élites politiques et économiques se sont formées dans la république. Aujourd'hui, tout le monde comprend à quel point Moscou, Poutine et les sentiments centripètes sont forts, mais les Tatars ne sont toujours pas prêts moralement à l'abolition du statut présidentiel.
C'est pathologique, à mon avis, parce que :
1) la moitié de la population du Tatarstan est russe,
2) plus de la moitié des Tatars vivent parfaitement bien dans d'autres régions de la Fédération de Russie et se sentent comme des citoyens à part entière.
Il n'y a aucune pression sur l'identité tatare nulle part, pas la moindre. Les Russes les considèrent comme des frères dans la création d'un État eurasien commun. Il existe peut-être un dialogue assez tendu entre les Tatars et les Bachkirs en Bachkirie, mais il s'agit d'une polémique interne entre les ressortissants de ces ethnies turques.
Les Tatars en général sont définitivement loyaux envers la Russie et les Russes, et vice versa.
Je crois que cette ligne d'abolition des oripeaux de la souveraineté doit certainement être poursuivie jusqu'au bout. Autrement dit, les députés et les journalistes tatars doivent être convaincus qu'ils sont guidés par une douleur fantôme et que l'ère de Shaimiev, de Khakimov et du nationalisme tatar est révolue et ne reviendra jamais. Et que s'ils veulent respecter les règles et être tournés vers le futur, ils doivent abandonner complètement leur entêtement pour toujours - même dans leurs rêves. La presse, qui continuera à désigner le chef du Tatarstan par le terme "président", devrait être reconnue comme un agent étranger.
Maintenant, il me semble que c'est la bonne situation pour que Moscou agisse un peu plus durement. Cela ne veut pas dire plus de manière plus grossière ou plus agressive. Nous devons tenir votre position calmement, avec dignité. Les Tatars russes (y compris les natifs du Tatarstan), quelle que soit la région où ils vivent, sont de bons citoyens, loyaux et patriotes. On ne cherche jamais le bon côté des choses et, dans un sens, je prendrais probablement des mesures disciplinaires contre certains des membres les plus agressifs du Parlement. Bien sûr, ils n'ont aucune chance d'arriver à leurs fins, mais tout de même, la démarche ressemble à de l'atavisme et à un front complètement inutile et superflu.
L'époque où il y avait de forts sentiments nationalistes, russophobes et séparatistes au Tatarstan (avec des éléments de l'islam extrémiste salafiste) est révolue depuis longtemps. Complètement, irrévocablement. Tout débordement de tels sentiments me semble inapproprié. Moscou devrait agir de manière très cohérente ici.
Le Tatarstan est une partie fière et merveilleuse de la Russie. Même s'il existe des vestiges de cercles nationalistes parmi les députés et les journalistes, cela ne signifie pas qu'il s'agit de toute la république. Nous parlons d'un segment très étroit qu'il est temps, à mon avis, d'encadrer.
12:14 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre douguine, actualité, tatarstan, russie, politique internationale | |
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La véritable zone grise
La véritable zone grise
Leonid Savin
Ex: https://www.geopolitica.ru/en/article/real-grey-zone
Dans les relations internationales contemporaines, le concept de zone grise est activement utilisé depuis peu. Initialement, ce terme est né comme une construction théorique dans les forces d'opérations spéciales du Pentagone, puis s'est développé dans les communautés politiques et militaro-politiques des États-Unis (US).
Habituellement, le concept de zone grise est utilisé comme un marqueur pour les opposants aux États-Unis et à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Mais d'autres États ont également utilisé activement ce concept ces dernières années, impliquant souvent quelque chose de différent et proche de leur propre situation militaro-politique, de leur ordre du jour actuel et de leur environnement géostratégique.
Compte tenu de l'énorme potentiel des ressources d'information et des scientifiques qui servent les intérêts de l'Occident, il faut reconnaître que leur propagande diffusée dans la zone grise est très efficace. Par conséquent, les auteurs occidentaux font souvent des déclarations irresponsables liées à des intérêts politiques et dirigées contre d'autres pays. L'un de ces domaines est la cyber-sphère.
Les médias occidentaux et les rapports des groupes de réflexion font état de nombreuses cyberattaques dites russes (chinoises, iraniennes aussi). Les publications sont bien conçues et comprennent parfois des citations d'auteurs russes, ainsi que des documents doctrinaux et stratégiques russes.
Mais elles présentent un sérieux problème : l'absence de preuves réelles des cyberattaques russes. En d'autres termes, toute cyberactivité illicite peut être présentée par des auteurs occidentaux (et malheureusement aussi par des pays neutres et même amis d'autres régions) comme des "opérations russes".
Bien sûr, le problème des différents types de cybercrimes est réel. Les technologies émergentes, notamment l'intelligence artificielle, l'informatique quantique et les crypto-monnaies, font courir davantage de risques à tous les États et à leurs citoyens. Parmi les causes, citons l'absence de réglementation internationale pour ce type d'activités, les différentes positions des États et l'énorme fossé qui sépare les possibilités technologiques.
Le cyberespace est la véritable zone grise, malgré les efforts déployés pour utiliser ce terme pour les activités des acteurs étatiques. Et les risques sont élevés pour les pays développés également. Nous faisons tous partie de cette zone grise mondiale. Les tendances actuelles montrent une augmentation des cybercrimes dans les secteurs public et privé du monde entier.
Forte de ce constat, la Russie a été la première à soulever, auprès de la principale plateforme de négociation de la planète - l'ONU - la question de l'élaboration, sous ses auspices, d'un mécanisme pratique axé sur les crimes liés à l'utilisation des cybertechnologies, visant à les combattre et doté d'un contenu exhaustif. Le message principal est qu'il faut "empiler" les cybercriminels dans le monde entier, compliquer sérieusement les activités des intrus et ne leur laisser aucune échappatoire pour qu'ils puissent échapper à la justice, même si la chaîne des événements implique la juridiction de plusieurs États avec des systèmes juridiques différents de différentes régions de la planète. Compte tenu du fait que la Convention des Nations unies contre la corruption et la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ont suivi un parcours similaire, la création d'une convention universelle sur la lutte contre la criminalité informatique et la cybercriminalité est perçue positivement par ces dernières.
Cependant, cette idée s'est d'abord heurtée à une sérieuse opposition des États occidentaux qui, depuis près de vingt ans, promeuvent vigoureusement la Convention du Conseil de l'Europe sur la criminalité informatique de 2001, plus connue sous le nom de Convention de Budapest, comme une sorte d'"étalon-or" dans ce domaine. 65 États y ont participé. La Russie et la plupart des Etats membres de l'ONU n'ont pas signé cette convention en raison de ses graves lacunes, dont les principales sont le faible nombre de crimes (9 au total), l'absence de statistiques officielles d'application, ainsi que le risque élevé de violation du principe de souveraineté de l'Etat et des droits de l'homme et libertés fondamentales de l'Etat partie à cette convention sous prétexte de combattre la cybercriminalité (article 32 "b" sur l'accès transfrontalier à l'information).
En même temps, les apologistes de la Convention de Budapest ont longtemps bloqué toute discussion au sein de l'ONU sur l'élaboration de normes uniformes dans ce domaine, affirmant qu'il n'y a pas d'alternative à leurs créations. Il en est résulté l'émergence d'initiatives et de mécanismes législatifs locaux dans divers pays du monde, la fragmentation de la coopération internationale et, par conséquent, une forte augmentation des actions illégales dans la sphère de l'information.
La Russie a pu inverser cette tendance négative en proposant à la communauté internationale de créer une véritable plate-forme de négociation pour l'élaboration de la toute première cyberconvention des Nations unies. Il en est résulté la création, par la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU 74/247 du 27 décembre 2019, d'un Comité intergouvernemental spécial d'experts sur l'élaboration, sous les auspices de l'ONU, d'une convention internationale globale sur la lutte contre l'utilisation des cybertechnologies et des technologies de l'information à des fins criminelles (ci-après - le Comité spécial). 47 États sont devenus les co-auteurs du document.
En 2021, la Russie a réussi à faire une percée dans cette direction. Il s'agit d'une sérieuse réussite diplomatique dans le sens de la lutte contre la cybercriminalité et la preuve que la Russie apporte une contribution significative à la lutte contre ce phénomène.
Les experts en matière d'application de la loi et les diplomates des États membres de l'ONU devront en fait élaborer une convention mondiale avec la participation de toutes les parties intéressées en deux ans et la soumettre à l'Assemblée générale de l'ONU pour examen et approbation en 2023-2024, lors de sa 78e session. À cette fin, le Comité spécial tiendra 7 sessions de fond : 4 à New York, 3 à Vienne. La première réunion est prévue du 17 au 28 janvier 2022.
La Russie estime que pour certains participants à la Convention de Budapest, la perspective d'avoir deux documents à la fois - universel et régional - n'est pas un problème, au contraire, une gamme plus large d'outils apparaîtra pour les organismes d'application de la loi pour trouver, détenir et condamner les cybercriminels. Il y a donc une chance de parvenir à un compromis sur le document final au cours des négociations.
IPRI
11:55 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : zone grise, cyber-guerre, guerre hybride, europe, affaires européennes, russie | |
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Vaste mouchardage d’Est en Ouest
Vaste mouchardage d’Est en Ouest
par Georges FELTIN-TRACOL
Les journaux radio-télévisés ont confirmé l’information : le coupon papier de la RATP nécessaire pour prendre le bus, le métro ou le tram ne se vend déjà plus à l’unité dans de nombreuses stations. À terme, il doit disparaître définitivement et se faire remplacer par des équivalents dématérialisés. Le plus courant consiste dès à présent à régler depuis un téléphone portatif intelligent à l’instar du QR-code de l’Ausweis sanitaire.
Sous prétexte de combattre à la fois la fraude, le réchauffement climatique, les coûts d’impression et peut-être la nuit, cette mesure restreint encore plus la liberté de circulation déjà bien malmenée par le covidisme politique. Autorité de tutelle sur la RATP et les Transiliens de la SNCF, Île-de-France Mobilités qui dépend du conseil régional présidé par Valérie Pécresse alias Madame « deux tiers Merkel un tiers Thatcher », soit la quintessence de la droite libérale autoritaire atlantiste & globalitaire, ignore volontiers les usagers âgés qui ne disposent pas de smartphone ou qui ne sont que des voyageurs occasionnels.
La numérisation des titres de transport à l’heure de la hausse des prix du carburant automobile contribue au flicage généralisé de la population. Associé à la télé-surveillance qui scrute la voie publique, aux signaux émis au passage de chaque antenne-relais de la téléphonie mobile et aux billets de train sur longue distance nominatifs, le ticket virtuel va faciliter la reconstitution des déplacements de Monsieur Bidule, leurs durées, leurs fréquences, leurs arrêts, voire d’éventuelles rencontres.
Cette tendance inquiétante n’appartient pas au seul Hexagone. Londres infesté de milliers de caméras transforme le quotidien de ses habitants en une indécente émission de télé-réalité permanente. Quitte à indisposer les poutinolâtres les plus obtus, Moscou rivalise dans ce domaine avec la capitale britannique. Pire, depuis quelques semaines, le métro moscovite accepte une nouvelle manière d’emprunter ce moyen de transport. Finis le ticket-papier, la carte magnétique et le téléphone ! Bonjour la reconnaissance faciale ! L’utilisateur russe télécharge l’application, se prend en photographie et l’envoie à l’unité centrale. Quelques minutes plus tard, il se présente devant un portique spécial qui filme son visage, lui ouvre ensuite la porte et débite à l’instant sur son compte bancaire le montant prévu. Le suivi en direct de millions de personnes tous les jours alimente des bases de données gigantesques et aide les algorithmes de l’intelligence artificielle à cribler statistiquement les cas problématiques.
Le groupe Auchan vient de commencer en banlieue parisienne une expérience inouïe au sein d’une école d’ingénieurs. Il a en effet inauguré un magasin d’alimentation ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept en libre-service sans aucune caisse enregistreuse. On entre dans le magasin. La reconnaissance faciale enregistre et comptabilise tout ce qu’on prend. On sort sans payer. Le total des achats est débité automatiquement du compte. Vantées comme des gages de rapidité, ces initiatives participent à la raréfaction volontaire des espèces monétaires. Pièces de monnaie et billets de banque circulent moins. La pandémie a favorisé le paiement sans contact et les achats en ligne. Les établissements bancaires ferment de nombreux distributeurs, officiellement pour des motifs de rentabilité, surtout dans les zones rurales et péri-urbaines. Jacques Attali préconise, pour sa part, la fin de l’argent liquide dans les cinq prochaines années. Pourquoi cet empressement suspect ? Ne faudrait-il pas que les candidats à l’élection présidentielle proposent d’inscrire dans la Constitution le droit inaliénable de payer en espèces ? Sinon il faut s’attendre à voir bientôt le banquier exiger qu’on lui justifie ses dons militants avec la menace réelle de fermer le compte bancaire sans donner la moindre justification…
Cependant, la fin des espèces ne sera pas complète en raison du trafic de drogue. Les toxicomanes préféreront toujours acheter leur dose en cash. Maints réseaux criminels financent sections locales de certains partis politiques, édiles et fonctionnaires municipaux. Il serait difficile aux clients d’utiliser des cryptomonnaies, fort volatiles du point de vue de la valeur, dont la conversion en monnaie légale nécessiterait d’expliquer la provenance des sommes. Le Système ne veut surtout pas scier la branche sur laquelle il est assis...
Oui, le constat avancé n’est guère optimiste. Le summum du contrôle cybernétique concerne la Chine. L’usage privilégié du code social permet l’impensable : domestiquer un milliard et demi d’habitants. Autrefois, on fuyait la campagne et son village pour trouver un doux et plaisant anonymat en ville. Aujourd’hui, c’est dans les métropoles que le Système surveille nos moindres faits et gestes en attendant d’écouter nos conversations. Des municipalités françaises ont tenté l’installation de « capteurs sonores » dans des quartiers dits « sensibles ». Il s’agit d’enregistrer tous les bruits jugés « anormaux » (carambolages automobiles, cris pendant une agression, klaxons lors d’un embouteillage). Ces capteurs peuvent aussi analyser les slogans qui fusent au cours d’une manifestation ainsi que des discussions tenues sur le trottoir entre particuliers. La justice administrative a néanmoins considéré ce procédé trop intrusif par rapport à la vie privée. Remarquons que les enceintes connectées à son domicile effectuent le même travail de compilation des données.
En Corée du Sud, dans les villes nouvelles à haute technicité, on entre dans son appartement, on conduit sa voiture, on paie ses commissions avec une seule et même carte qui transmet en permanence à l’ordinateur central des centaines d’actions amassées et répertoriées. L’ordinateur sait par exemple que le résident de l’appartement MZ du 10e étage est rentré à 20 h 15, qu’il a pris une douche de sept minutes trente-sept secondes, qu’il a regardé un épisode sur Netflix, qu’il a utilisé son micro-onde pour chauffer un produit surgelé acheté la vieille et qu’il s’est couché à 23 h 04.
À l’ère de l’hyper-(inter)connexion globale, la vidéo, le numérique et l’intelligence artificielle deviennent des mouchards zélés. En 1951, Ernst Jünger publiait son traité du rebelle intitulé Le recours aux forêts. Un tel recours intérieur est-il encore possible ?
GF-T
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 9, mise en ligne sur Radio Méridien Zéro, le 9 novembre 2021.
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La revue de presse de CD 14 novembre 2021
La revue de presse de CD
14 novembre 2021
CHINE
La Chine continue de bénéficier de l'aide française au développement : un député LR proteste
Un bel exemple d’absurdité technocratique qui fait rire jaune ! Le député Les Républicains Marc Le Fur a exprimé son étonnement devant le fait que la Chine bénéficie encore de l’aide française au développement, alors qu'elle est en passe de devenir la première puissance économique mondiale.
rt.com
https://francais.rt.com/international/92552-chine-continu...
ÉTATS-UNIS
Julian Assange : Portrait d’un combattant de la liberté d’information
Avant Edward Snowden, avant Bradley Manning, il y avait Julian Assange. Ancien informaticien et hacker, fondateur de la plateforme WikiLeaks, Julian Assange s’est attiré les foudres du gouvernement américain lorsqu’il a mis en lumière les dessous de la guerre d’Irak. En 2010, il fait fuiter près de 400 000 documents classifiés de l’armée américaine, portant sur le conflit qui a débuté en mars 2003. Tortures, crimes de guerre, massacres sont révélés au grand public. Ces documents permettent aussi de chiffrer à 109 032 le nombre de morts irakiens causés par le conflit de 2004 à 2009, dont 60 % de civils, alors même que les États-Unis vendaient aux médias « les frappes chirurgicales » et affirmaient ne pas disposer d’un tel bilan chiffré. L’épée de Damoclès de la demande d’extradition américaine pèse sur l’activiste, à la santé désormais précaire, alors qu’il est incarcéré dans une prison de haute sécurité britannique depuis 2019, au grand dam de ses nombreux soutiens à travers le monde.
OJIM
https://www.ojim.fr/portraits/julian-assange-master-hacke...
GAFAM
Quand une lanceuse d’alerte se transforme en censeur, le cas Frances Haugen
Frances Haugen ? Une ancienne employée de Facebook – devenu “Meta” – qui se retourne contre son employeur ; non pas parce que celui-ci détricote savamment la liberté d’expression, mais parce qu’il ne censure pas assez bien.
OJIM
https://www.ojim.fr/lanceuse-dalerte-frances-haugen-faceb...
GÉOPOLITIQUE
L’empire de la haute finance avale les institutions supranationales et s’installe. Au nom du climat
Quand les PDG de BlackRock, de la Citi, de la Bank of America, de Banco Santander, de HSBC, du London Stock Exchange Group, Singapore Exchange, et du Fonds David Rockefeller se réunissent en 2021, ils s’entendent sur la nouvelle structure de Planète Finance post-Covid. Et idéalement, ils fusionnent avec les institutions supra gouvernementales qu’ils ont manipulées à l’envi depuis les Accords de Bretton Woods.
Le blog de Liliane Held Khawam
https://lilianeheldkhawam.com/2021/11/06/lempire-de-la-ha...
Grande-Bretagne
Liberté d’expression sur internet : le Royaume-Uni veut y mettre fin
Un projet de loi au Royaume-Uni prévoit de la prison pour certains propos. Une menace sérieuse pour la liberté d’expression sur internet.
Contrepoints
https://www.contrepoints.org/2021/11/08/411036-liberte-de...
RÉFLEXION
Comment les cercles économiques et financiers se laissent convaincre avec complaisance
Il est de plus en plus généralement allégué que notre civilisation court à sa perte après avoir molesté la Nature par négligence de l’environnement, du climat, des espèces animales et végétales, de la santé publique, et de la justice envers tous les opprimés. Que ce diagnostic soit majestueusement faux, donc mensonger, n’y change rien. La nouvelle doxa politique décrète l’urgence et, quoi qu’il en coûte, s’achemine vers un état d’exception permanent sans que, bien sûr, aucune volonté démocratique ne soit consultée puisque c’est prétendu « scientifique ».
Le blog de Michel de Rougemont
https://blog.mr-int.ch/?page_id=8023
Nous nous dirigeons vers la tyrannie mais ce n'est pas le fascisme, c'est l'hyperdémocratie
Et ainsi de suite. Des années de rhétorique démocratique ont déshabitué les esprits, surtout les plus jeunes et les plus influents, à l'esprit critique, au raisonnement dans son ensemble, à la lecture de la profondeur historique des faits, à toute conjecture qui ne soit pas purement subjective. Cela a créé une tache informe qui engloutit la démocratie elle-même. Mais ce qui nous sera recraché ne sera pas du tout le fascisme, qui n'a rien à voir avec lui et reste le "tout autre" par rapport à ce monde. Au contraire, nous aboutirons à une forme d'hyperdémocratie féroce, technocratique, policière, mais toujours considérée comme bonne, très, très bonne.
Euro-synergies
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/11/05/n...
Complots, Fake news : défendre la pensée critique face au conformisme
La pensée critique est plus importante que jamais à une époque où le pouvoir établi accuse de théorie du complot les voix qui sont contraires à leurs intérêts.
Contrepoints
https://www.contrepoints.org/2021/11/10/411057-complots-f...
SANTÉ
OMS, ONU : la peur, fondement de l’intervention publique
Qu’il s’agisse des restrictions des libertés ou de l’accroissement de dépenses publiques à l’intérêt rarement prouvé, du niveau local, national ou mondial, la peur constitue toujours un moteur puissant d’accroissement de la sphère publique au détriment du bon sens et de nos libertés. L’ONU et l’OMS l’ont une nouvelle fois démontré. Explications.
Contrepoints
https://www.contrepoints.org/2021/11/09/411172-oms-onu-la...
Theresa Long, médecin de l’armée américaine, alerte sur la vaccination contre le Covid-19
"Je pense que le vaccin contre le COVID est une plus grande menace pour la santé des soldats que le virus lui-même", déclare le lieutenant-colonel Theresa Long, médecin de l'armée américaine.
francesoir.fr
https://www.francesoir.fr/politique-monde/lt-colonel-ther...
Fausse pandémie ! L’arnaque Covid est pire que ce que l’on a pu imaginer !
Covid = 2 % des hospitalisations en 2020. Étonnant, non ? Nous avons aujourd’hui, grâce à un rapport de la AITH, la preuve écrite de tous les mensonges que nos autorités, et leurs collaborateurs des médias de masse ainsi que les scientifiques financiarisés, nous ont servis depuis plus de 18 mois.
Le blog de Liliane Held Khawan
https://lilianeheldkhawam.com/2021/11/11/fausse-pandemie-...
TERRORISME
Attentats du 13 novembre : Bachar al-Assad dénonce le soutien de la France au terrorisme
Deux interviews - très révélatrices du climat de l’époque - de Bachar al-Assad et quelques vidéos pour mémoire juste après les massacres islamistes dans Paris…
Le Cri du Peuple
https://lecridespeuples.fr/2021/11/13/attentats-du-13-nov...
UNION EUROPÉENNE
L’e-Euro : outil de souveraineté européenne
Faut-il le rappeler, la monnaie est un instrument souverain émis par une autorité monétaire disposant, dans le meilleur des cas, d’une indépendance lui permettant de gérer la valeur de cette monnaie loin des contingences du politique. Cette souveraineté monétaire ne se limite pas au seul droit d’émettre, mais s’étend au droit de réglementer c’est-à-dire, entre autres, d’en contrôler la masse en circulation, sa valeur et d’avoir un droit de regard sur certains champs de son utilisation s’agissant notamment des flux externes pour lesquels des contreparties étrangères se voient dès lors opposer des lois monétaires nationales.
Geopragma
https://geopragma.fr/le-euro-outil-de-souverainete-europe...
11:31 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, europe, france, affaires européennes, journaux, médias, presse | |
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mercredi, 10 novembre 2021
Les appareils Atlantic français à Chypre : Paris renforce sa position en Méditerranée orientale
Les appareils Atlantic français à Chypre : Paris renforce sa position en Méditerranée orientale
par Paolo Mauri
Ex: https://it.insideover.com/difesa/atlantic-francesi-a-cipro-parigi-si-rafforza-nel-mediterraneo-orientale.html
Le ministère français de la défense a annoncé que deux avions de patrouille maritime Bréguet Atlantic 2 seront déployés à Chypre pour des opérations en Méditerranée orientale. Le Bréguet Br 1150 Atlantic est un avion de patrouille maritime à long rayon d'action conçu et fabriqué par Bréguet Aviation, qui est utilisé pour contrer les navires de surface et les sous-marins. Une version améliorée, l'Atlantic 2 ou Atl2, a été produite par Dassault Aviation pour la marine française dans les années 1980 et a également été proposée à l'Allemagne comme solution provisoire en attendant que le Maws, le nouvel avion de patrouille maritime construit conjointement avec Berlin, soit prêt, ce qui a ensuite été définitivement enterré par la décision allemande de s'appuyer sur le P-8 Poseidon de fabrication américaine. L'Atlantic est un monoplan bimoteur à aile moyenne doté d'un fuselage à " double bulle " : le lobe supérieur pressurisé abrite le compartiment de l'équipage tandis que le lobe inférieur abrite un compartiment d'armement de 9 mètres de long, avec des tubes de lancement pour des bouées acoustiques à l'arrière.
Les pièges de la Méditerranée orientale
Ce n'est pas la première fois que l'Elysée envoie ses moyens dans ce secteur de la Méditerranée : le Rafale avait déjà été vu à Chypre et en Crète, mais dans le cadre de l'opération Irini (la mission de l'UE pour le contrôle de la partie centrale de la Mare Nostrum pour assurer, entre autres, l'embargo sur les armes à destination de la Libye), un Atlantic 2 a atterri sur la base aérienne de Suda en novembre dernier. À cette occasion, la présence des avions de patrouille maritime sur l'île grecque a également permis de recueillir des informations sur la Méditerranée orientale, où la Turquie est très active, voire agressive.
Nous pensons que la tâche principale de ces deux avions est précisément de surveiller les mouvements navals turcs, ainsi que l'activité des unités russes qui sont de plus en plus fréquentes et nombreuses dans cette partie de la mer. La Russie a en effet renforcé sa présence dans le port de Tartus, qui est devenu de plus en plus "russe" après les accords de prolongation de son bail avec le gouvernement de Damas, et l'on voit de plus en plus de sous-marins battant pavillon moscovite, tels que la classe Kilo améliorée (ou projet 06363), traverser Mare Nostrum.
Les objectifs de la France
Mais l'Elysée a un autre objectif, purement diplomatique : resserrer encore les liens avec la Grèce et se poser en rempart à sa défense contre d'éventuelles intempérances turques. L'année dernière, en septembre, nous avions souligné que Paris avait débloqué la situation en se rangeant ouvertement du côté d'Athènes lorsqu'elle a décidé de fournir un lot de chasseurs Rafale à l'armée de l'air grecque. Après tout, Paris a ses propres petites "sphères d'influence" : le dossier libyen a pratiquement été généré par l'Élysée, qui a décidé presque unilatéralement d'écarter Kadhafi du pouvoir. Aujourd'hui encore, Paris est particulièrement attentif à ce qui se passe en Libye et les premiers désaccords ouverts avec la Turquie sont apparus précisément en mer lors de l'opération Irini. La France accorde également une attention particulière à ses anciennes colonies du Moyen-Orient : la Syrie et le Liban, qui ont été - et sont encore - ces dernières années le théâtre de l'expansionnisme turc.
Les liens entre Paris et Athènes se sont encore renforcés en septembre de cette année, lorsque le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis et le Président français Emmanuel Macron ont signé un accord qui a été défini comme le "Aukus de la Méditerranée". La France, en effet, livrera trois frégates de classe FTI à la Grèce, avec une option pour une quatrième. Ces unités pourront opérer conjointement avec le Rafale susmentionné. Le pacte, en plus de mettre fin aux possibilités italiennes d'entrer sur le marché grec, a également une valeur diplomatique très forte : en effet, une clause est prévue qui garantit une intervention armée en cas d'attaques de pays tiers, même s'ils font partie d'alliances dans lesquelles Athènes et Paris sont impliqués. Il s'agit d'un message peu subtil adressé à Ankara, réitéré par la présence des deux patrouilleurs Atlantic 2 qui partiront de Chypre pour contrôler cette partie de la Méditerranée.
Le rôle de l'Italie
Nous ne pouvons que tourner nos pensées, sur la base de ce qui s'est passé, vers notre pays. L'Italie, bien qu'elle ait récemment signé l'accord sur la ZEE (zone d'exclusivité économique) avec la Grèce, a manqué l'occasion d'ouvrir un nouveau et important front méditerranéen qui nous aurait projetés, après la cession de l'Égypte et de Fremm au Caire, dans un rôle plus actif dans la surveillance et la stabilisation de ce secteur en exploitant la carte grecque, étant donné également nos intérêts énergétiques qui se situent précisément entre l'offshore chypriote et égyptien.
On ne peut pas non plus oublier le type de moyens que la France a déployé à Chypre : les Atlantic 2 sont des patrouilleurs maritimes armés, capables d'être des plates-formes efficaces dans la lutte anti-sous-marine et de surface, alors que notre pays, de ce point de vue, n'est plus en mesure de disposer de cette capacité puisque les P-72 en service dans l'armée de l'air sont d'excellentes plates-formes Istar (intelligence, surveillance, target acquisition, and reconnaissance), mais ne sont pas armés.
Il s'agit d'une lacune intolérable compte tenu du nouvel équilibre en Méditerranée et au-delà. Une déficience qui doit être surmontée malgré le retard coupable. Il semble que les états-majors nationaux aient travaillé pour trouver une solution à ce problème : on parle de C-27J Asw armés de missiles Mars ER et de torpilles MU90, ou encore, mais cela semble n'être qu'un souhait, du P-8 Poseidon (qui allongerait considérablement notre armement anti-som/Asuw) et du P-1 japonais, qui d'ailleurs représenterait la meilleure solution également pour les questions de partenariat stratégique au niveau industriel, mais tout est encore en discussion, et il n'y a aucune trace dans les documents officiels de la Défense.
Nous sommes convaincus que le ministère italien de la défense (SMD) agira rapidement pour proposer une solution aussi locale que possible, mais de haut niveau, afin de disposer d'un avion pour les tâches Asw/Asuw qui puisse également faire face aux menaces navales "hors zone" et pas seulement dans notre "arrière-cour".
18:55 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, affaires européennes, france, italie, méditerranée, méditerranée orientale, grèce | |
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Gustav Meyrink, Thomas Mann et une réunion éditoriale ennuyeuse
Gustav Meyrink, Thomas Mann et une réunion éditoriale ennuyeuse
Andrea Scarabelli
Ex: https://blog.ilgiornale.it/scarabelli/2021/10/29/gustav-meyrink-thomas-mann-e-una-noiosa-riunione-di-redazione/
La nouvelle édition de La Mort Pourpre (Der violette Tod) vient de sortir, publiée par Il Palindromo dans la série "I Tre Sedili Deserti", dirigée par Giuseppe Aguanno. Les vingt-huit nouvelles de cette anthologie de Gustav Meyrink, datant des années 1901-1908, sont fondamentales pour comprendre la personnalité littéraire d'un auteur qui, avant de s'essayer à la nouvelle, a fréquenté des cercles ésotériques, en a fondé plusieurs, a étudié et pratiqué les disciplines traditionnelles de l'Orient et de l'Occident, ne dédaignant pas les crises existentielles profondes et les brusques revirements du destin. Nombre d'entre eux sont présents dans le "no man's land" de ces contes, qui précèdent les romans qui permettront à Meyrink d'accéder au panthéon de la grande littérature des 19èmee et 20ème siècles, avec des chefs-d'œuvre tels que Le Golem (1915), Le Visage vert (1916), La Nuit de Walpurgis (1917), Le Dominicain blanc (1921) et L'Ange à la fenêtre d'Occident (1927).
Des romans paraissent dans divers périodiques, dont Der liebe Augustin, dont Meyrink devient rédacteur en mai 1904: dans ses colonnes, il publie August Strindberg, Verhaeren traduit par Stefan Zweig, Maurice Maeterlinck, Dante Gabriel Rossetti, Edgar Poe... Sans oublier les récits publiés dans le légendaire Simplicissimus. Ceux qui veulent réduire l'œuvre de Meyrink à une "fiction de second ordre" devraient jeter un coup d'œil aux autres noms qui figurent dans le Simplicissimus : Hermann Hesse, Knut Hamsun, Alfred Kubin, Hugo von Hofmannsthal et Rainer Maria Rilke. Parmi les collaborateurs figure aussi Thomas Mann, qui, dans son Tonio Kröger, offre un portrait très curieux du futur auteur du Golem: "Je connais un banquier, un homme d'affaires grisonnant, qui a le don d'écrire des romans. Il utilise ce don dans son temps libre, et ses œuvres sont excellentes". Et pourtant, "malgré, je dis bien 'malgré', cette sublime disposition, l'homme n'est pas tout à fait courroucé; au contraire, il a déjà eu à purger une grave peine de prison". C'est dans la captivité d'une cellule de prison que Meyrink "a réalisé son talent", poursuit Mann, "et ses expériences de prisonnier sont le thème fondamental de ses œuvres littéraires". [...] Un banquier qui écrit des romans est une rareté, vous ne trouvez pas ?". Il ne s'en cache pas.
Publiées dans des revues, ces histoires ont été rassemblées dans diverses anthologies au cours de la première décennie du siècle dernier et, en 1913, elles ont été réunies dans les trois volumes de Des deutschen Spiessers Wunderhorn, qui sont et restent la principale référence de sa nouvelle, à laquelle il faut ajouter l'anthologie Fledermäuse, publiée en 1916, qui contient sept histoires. Bien que des romans antérieurs aient été identifiés (c'est le cas de Tiefseefische, datant de 1897), le véritable "baptême de l'édition" de Meyrink a lieu au début du siècle: il s'agit du récit Der heisse Soldat (premier récit de La Mort pourpre), publié dans les colonnes du Simplicissimus le 29 octobre 1901.
Meyrink nous a raconté à plusieurs reprises comment il en est venu à l'écrire et à le publier, en le reliant à un écrivain et à un été. Nous sommes en été 1901, et l'écrivain est Oskar A. H. Schmitz, qu'il a rencontré au sanatorium Lahmann de Dresde. Poète et ami d'Alfred Kubin (dont il a épousé la sœur Hedwig), Schmitz écoute avec ravissement le futur écrivain, qui lui raconte quelques-unes de ses "aventures occultes" (médiums, saints hommes et sociétés secrètes). L'écrivain l'interrompt alors en lui demandant simplement: "Pourquoi n'écrivez-vous pas sur eux ?
"Et comment faites-vous cela ?" rétorque Meyrink.
"Écris tout comme ça, simplement comme tu parles."
S'ensuit l'écriture de Der heisse Soldat, envoyé au Simplicissimus (Schmitz lui-même lui donnera l'adresse). Une série de coïncidences ? Peut-être. Mais pas selon Meyrink: ces faits représentent pour lui le rallumage d'un feu beaucoup plus ancien, le couronnement d'un chemin déjà parcouru. L'objectif ? Penser en images, comme il le note dans son long essai autobiographique La metamorfosi del sangue (La métamorphose du sang), datant des dernières années de sa vie sur terre et qui vient d'être publié en italien par Bietti : "Incidemment, la faculté de vision intérieure [...] a été le premier tournant de mon destin, qui a transformé d'un coup, pour ainsi dire, un commerçant en écrivain: mon imagination est devenue concrète. Si j'avais auparavant pensé en mots, j'étais maintenant capable de penser en images. Et ces images étaient tangibles, cent fois plus tangibles et réelles que n'importe quel objet corporel".
Pour mémoire, les "coïncidences" qui l'ont amené à publier ne se sont pas arrêtées à sa rencontre avec Schmitz. Alfred Schmid Noerr, un ami de l'écrivain autrichien, raconte ce qui s'est passé lorsque le manuscrit est arrivé à la rédaction de Simplicissimus dans une enveloppe portant le nom de l'expéditeur "Gustav Meyrink" - le véritable nom de famille de l'auteur, Meyer, n'apparaissait pas.
Une réunion de rédaction était prévue ce jour-là, qui n'était pas particulièrement stimulante - comme le sont toutes les réunions de rédaction, après tout.
Cependant, c'est Geheeb, l'un des assistants de l'éditeur, qui a ouvert l'enveloppe. Il a jeté un rapide coup d'œil aux pages et a soufflé: "Ce truc a été écrit par un fou". Dommage, une partie d'entre eux acquièsce. Mais voilà. Et il a jeté le tout à la poubelle.
C'était la première histoire que Meyrink avait envoyée; si elle n'avait pas été acceptée, il n'en aurait probablement pas écrit d'autres. Qui sait ce qui se serait passé si le rédacteur en chef, Ludwig Thoma, n'était pas arrivé entre-temps. "Taciturne, enveloppé dans la fumée de sa pipe, se souvient Noerr, il s'est assis sur sa chaise et, plutôt ennuyé par le ton de la réunion, a tâtonné avec le bout de sa canne dans la corbeille à papier.
"Qu'avons-nous là ?" a-t-il demandé, intrigué, dès qu'il a trouvé le tapuscrit.
"Le témoignage d'un fou", a été la réponse de Geheeb.
"Un fou ? Peut-être. Mais brillant", répondit Thoma, après un rapide coup d'œil. "Oui, oui, Geheeb, le génie et la folie. Gardez ce nom en tête: Meyrink. Et écrivez-lui tout de suite pour lui demander s'il a d'autres trucs comme ça. Nous la publierons immédiatement."
Comme nous l'avons dit, les débuts littéraires d'un auteur sont souvent le fruit d'un concours de circonstances. C'est encore plus vrai pour quelqu'un comme Meyrink, qui attribuait à tout événement de sa vie une autre signification, inscrite dans les règles régissant la relation entre l'homme et le cosmos.
Plus d'un siècle après ces événements, c'est précisément Der heisse Soldat qui ouvre La Mort pourpre, à nouveau disponible pour les lecteurs italiens. Que pouvons-nous dire ? Peut-être devons-nous la publication de cette histoire et d'autres récits de Meyrink à l'ennui d'une salle de rédaction à l'aube du siècle dernier. C'est peut-être la façon dont le destin a choisi de conclure la métamorphose littéraire et existentielle de l'un des plus grands maîtres du fantastique.
18:34 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gustav meyrink, littérature, littérature allemande, lettres, lettres allemandes, livre | |
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L'État est plus que la démocratie
L'État, c'est plus que la démocratie
par Vojtěch Belling
Ex: https://deliandiver.org/2009/12/stat-je-vic-nez-demokracie.html
Dans les études politiques et juridiques modernes, il serait difficile de trouver un penseur plus controversé que Carl Schmitt. D'une part, il fut un brillant philosophe du droit et un théoricien de la politique, doté d'un sens extraordinairement développé du raisonnement juridique logique ; d'autre part, il fut un savant qui a baigné jusqu'au cou dans le national-socialisme et que l'on appelle encore "l'avocat de la couronne" (Kronjurist) du Troisième Reich. Nous parlons bien sûr de l'homme d'État allemand Carl Schmitt (1888-1985). Ses livres comptent toujours parmi les textes les plus traduits et les plus cités de la littérature juridique et, ces dernières années, ils ont également fait leur apparition dans les bibliorhèques tchèques - la Théorie du partisan de Schmitt vient d'être publiée dans notre pays.
Il est difficile de ne pas aborder Schmitt
Le paradoxe est que l'œuvre de Schmitt a autant inspiré les marxistes italiens ou les maoïstes français que les conservateurs libéraux ou la pensée de la nouvelle droite européenne des années 1990. Ses idées se retrouvent dans les textes des philosophes contemporains les plus célèbres du monde, mais aussi dans les arrêts de la Cour constitutionnelle allemande, dont certains des anciens membres étaient des élèves de Schmitt. Dans la société policée par le politiquement correct, cependant, le nom de Schmitt n'est prononcé qu'avec la plus grande prudence, voire pas du tout. Pourtant, aucun philosophe du droit ou théoricien du parlementarisme sérieux dans ses recherches ne peut éviter de l'aborder.
Le plus grand problème, cependant, est que l'œuvre de Schmitt ne peut pas être simplement rejetée du revers de la main en référence aux activités politiques de son auteur. En fait, elles sont scientifiquement extrêmement raffinées, toujours pertinentes et nous obligent à réfléchir plus profondément aux questions existentielles des États modernes. Le différend sur Schmitt touche toutefois au problème de savoir dans quelle mesure une œuvre, même excellente, peut être dissociée de la personne particulière de l'auteur et de son comportement politique, ou dans quelle mesure les parties stimulantes de l'ensemble de l'œuvre peuvent être extraites et séparées des parties que d'aucuns jugent inacceptables.
Quand un collègue est abattu devant vous
Carl Schmitt est né le 11 juillet 1888 dans la ville de Plettenberg, en Westphalie. Il est resté étroitement lié à sa ville natale, située dans l'enclave catholique autour de Münster, il est resté attaché à ce site pendant toute sa vie, et y a vécu pendant de nombreuses années après la Seconde Guerre mondiale et y est décédé. Il étudia le droit à Berlin, Munich et Strasbourg, où il soutint sa thèse en 1915 et où il y fut habilité un an plus tard. Il s'est essayé à la littérature et a entretenu de nombreux contacts avec des représentants de l'avant-garde artistique. En 1916, il a épousé une femme serbe, Pavla Dorotić, mais ils ont divorcé en 1924. Lorsqu'il épouse une autre Serbe, Duška Todorović, deux ans plus tard, il est excommunié par l'Église catholique. Le juriste et philosophe, qui fut toute sa vie un admirateur enthousiaste du catholicisme en tant que "forme politique" et précurseur de l'idée de représentation politique, qui chercha des liens entre la théorie politique et la théologie, et qui était considéré comme un auteur typiquement catholique, resta donc excommunié et ne put recevoir les sacrements jusqu'à la mort de sa première femme en 1950. Un fait un peu piquant, mais qui est plus que caractéristique de Schmitt, avec son double visage de Janus.
Le jeune professeur a passé une grande partie de la Première Guerre mondiale au ministère bavarois de la Guerre à Munich, où il a été affecté à la lutte contre la propagande ennemie. Il est resté dans la capitale bavaroise même pendant les jours troublés qui ont suivi la révolution de novembre 1918, et peu après, il a été le témoin direct d'une tentative de coup d'État communiste. Lorsqu'un révolutionnaire communiste a abattu un collègue devant lui au ministère, Schmitt est devenu un partisan déterminé d'un État fort capable de se défendre contre des groupes sociaux révoltés qui défendent leurs intérêts. Cette attitude est devenue l'un des contenus centraux de son œuvre.
Résolu : la science juridique gagne
Après avoir quitté le ministère, Schmitt a été professeur de droit public dans différentes universités allemandes, de Greifswald à Cologne, jusqu'en 1933. À cette époque, il a renoncé à ses ambitions artistiques et se consacre entièrement à la science juridique, tout en mettant l'accent sur la théorie politique, la philosophie et la sociologie. Il qualifie lui-même la science moderne de l'État de "théologie politique" et nomme l'un de ses livres comme tel. Dans ses écrits, il se lance dans une lutte déterminée contre la faible démocratie parlementaire, qu'il accuse d'être incapable de faire valoir vigoureusement l'intérêt politique de la nation dans son ensemble contre les pressions des partis politiques, des syndicats d'intérêts et d'autres groupes qui opposent leurs intérêts particuliers à l'ensemble. Dans son livre Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus, il formule une critique sévère du système parlementaire, qui, selon lui, est directement construit sur le principe de la concurrence des intérêts privés. De plus, de par le profil social de ses membres, le Parlement ne représente qu'un certain groupe social, la bourgeoisie, et non la nation dans son ensemble.
La solution, selon Schmitt, devrait être une démocratie basée sur un système de votes populaires, qui remplacerait le règne des partis politiques et permettrait en même temps de prendre des décisions. Schmitt considère l'incapacité à prendre une décision claire comme l'une des faiblesses de la démocratie parlementaire, qui, selon lui, n'est encline qu'à des compromis boiteux. En même temps, cependant, il dit qu'il faut un gouvernement autoritaire qui prépare les questions pour le référendum et en même temps, soutenu par la confiance du peuple, qui décide de toutes les autres questions.
Quel est l'intérêt avant tout
Dans ses textes, Schmitt n'évite pas la question de savoir quelles compétences l'État fort qu'il proclame doit réellement avoir. Comme d'autres écrivains conservateurs, il critique un État qui s'immisce dans toutes les sphères de la vie, de l'économie à la culture, qu'il considère comme un "État total quantitatif". L'Allemagne de Weimar devait être à son image. L'idéal de Schmitt, en revanche, était un "État total qualitatif" limité à la sphère purement politique du gouvernement et laissant tous les autres domaines, y compris l'économie, à l'autogestion sociale ou au marché - une idée proche de nombreux libéraux. Un tel État se concentre sur la véritable nature de la sphère politique, que Schmitt voit, dans son célèbre ouvrage "Le concept du politique" (2007), comme un conflit intense et existentiel qui ne peut exister qu'au niveau supranational, mais pas au sein de l'État, qui repose sur l'unité nationale. En d'autres termes, la politique étrangère et la garantie de la sécurité intérieure de l'État font partie de la sphère des compétences inhérentes à l'État. L'élément "total" doit se manifester dans le fait que l'État agit ici de manière autoritaire, en excluant l'influence des groupes sociaux, en premier lieu les partis politiques, qui tendent à s'emparer de l'État pour promouvoir des objectifs dans la sphère de la société, mais avec lesquels l'État ne devrait à juste titre rien avoir à faire.
La conception de Schmitt du totalitarisme n'a pas grand-chose en commun avec les conceptions du totalitarisme célèbres plus tard, bien que leurs auteurs, comme Hannah Arendt et Carl Joachim Friedrich, aient fait de nombreuses références à Schmitt. Schmitt ne se concentre pas sur des caractéristiques externes telles que l'idéologie ou la terreur, mais sur la structure même du système social et sur l'interrelation entre l'État et la société. Selon Schmitt, l'État démocratique est aussi quantitativement total, c'est-à-dire omniprésent, dans la mesure où il ne laisse aucune place à la liberté humaine et régit tout d'en haut. Cette idée a été développée après la guerre, notamment par le sociologue Helmut Schelsky et le philosophe Arnold Gehlen.
Un expert en plein essor
Dans la phase finale de la période de Weimar, Schmitt a rejoint un groupe d'intellectuels appelant au remplacement de la forme d'État existante par un régime autoritaire qui mettrait fin aux efforts des radicaux des deux côtés du spectre politique pour s'emparer des institutions de l'État et contrôler le parlement. Dans son essai Légitimité et légalité, il remet en cause la théorie juridique positiviste selon laquelle tout ce qui est conforme aux lois écrites est légitime et, à l'inverse, tout ce que les lois ne permettent pas est en même temps illégitime. Ce sont les nazis qui ont utilisé ce raisonnement positiviste pour défendre leur "révolution légale", dans laquelle une force totalitaire s'est emparée de l'État par des moyens légaux autorisés par la constitution. Ici aussi, l'argumentation de Schmitt est paradoxalement à l'origine du principe d'après-guerre de la démocratie dite défendable, qui est capable de se défendre contre les abus, ne permet pas de modifier les fondements de l'ordre constitutionnel même en recourant aux mécanismes démocratiques, et est capable d'éliminer les groupes politiques qui cherchent à le faire. Un tel principe est désormais inscrit dans la constitution allemande. Ses racines remontent à Schmitt, bien que lui-même n'ait certainement pas eu l'intention de protéger ainsi la démocratie parlementaire, mais un État autoritaire démocratique plébiscitaire contre une société hétérogène.
À la fin de l'ère Weimar, Schmitt est l'un des juristes les plus connus d'Allemagne. Le cabinet de Franz von Papen l'a même engagé comme conseiller juridique dans un procès contre l'État de Prusse, dont le gouvernement socialiste a été démis par le gouvernement du Reich en raison de la menace de déstabilisation du pouvoir. Il a défendu, bien sûr - dans l'esprit de ses convictions - le droit de l'État à intervenir dans une situation d'urgence. Avec la même véhémence, il préconise le renforcement des pouvoirs du Président à cette époque et rejette l'idée que le Président soit lié par un vote parlementaire de défiance envers un gouvernement qui n'en installe pas automatiquement un nouveau, provoquant ainsi une crise politique. Ce raisonnement est à l'origine du concept allemand actuel de vote de défiance constructif, selon lequel lorsqu'un chancelier est renversé, un nouveau chancelier doit être approuvé en même temps.
L'ivresse du nazisme
Schmitt a rejoint les nazis immédiatement après la prise de pouvoir d'Hitler en 1933. Il attendait du nouveau régime ce qu'il n'avait pas réussi à obtenir sous les chanceliers conservateurs Papen et Schleicher, à savoir l'établissement d'un État autoritaire, qualitativement totalitaire, concentré sur ses compétences et séparé de la société. Selon Schmitt, l'État nazi devait empêcher un véritable totalitarisme consistant soit dans la "socialisation de l'État" par la domination des partis et des groupes, soit dans la "nationalisation de la société" dans sa domination par l'État.
En 1933, Schmitt est nommé professeur à l'université de Berlin à l'instigation de Hermann Göring. Dans le même temps, il devient président de l'association des avocats nationaux-socialistes et occupe un certain nombre d'autres fonctions. Dans la hiérarchie des juristes nazis, il se hisse aux plus hauts rangs, et ses éditoriaux paraissent aux côtés de ceux des ministres du Reich dans des revues prestigieuses. Schmitt a rapidement commencé à adapter ses vues à l'idéologie dominante. Dans son essai sulfureux Le Führer protège la loi, il va même jusqu'à défendre juridiquement la Nuit des longs couteaux (au cours de laquelle Hitler a fait assassiner l'opposition interne du parti autour d'Ernst Röhm et de Gregor Strasser) comme un acte de "justice administrative". Il a ainsi remis en cause le principe de la séparation des pouvoirs judiciaire et politique. Avec la même véhémence, il a prôné la "purification" de la science juridique de l'influence juive. Ce faisant, il a également perdu de nombreux anciens amis. Ernst Forsthoff, l'un de ses plus proches élèves, a rompu avec lui après que Schmitt l'ait invité à une conférence sur l'influence juive sur la recherche juridique, ce que Forsthoff a refusé.
Cependant, même son opportunisme proclamé haut et fort n'a pas protégé Schmitt des attaques des partisans purs et durs du nouveau régime. En effet, même pendant la dictature, il a défendu sa position fondamentale consistant à séparer la gestion de l'État de la sphère de la société. Dans son livre Staat, Bewegung und Volk il défend l'idée que le mouvement nazi, en tant que force sociale et seul parti politique, doit se concentrer dans la sphère de la culture et de la société, tandis que la véritable politique doit être réservée à l'État, séparé de ce mouvement. Un tel concept allait clairement à l'encontre de l'objectif nazi de mettre les institutions étatiques sur la touche et de remplacer leur rôle par les organes du parti. Le disciple de Schmitt mentionné plus haut, Ernst Forsthoff, est allé encore plus loin en affirmant que l'ensemble du système de politique sociale avec lequel le système nazi travaillait devait être politiquement neutralisé - et retiré des mains du NSDAP. Cette idée était complémentaire de l'étatisme fort de Schmitt. S'il avait précédemment critiqué la domination de l'État par une ou plusieurs forces sociales comme une forme malsaine de totalitarisme, il ne pouvait manquer de voir que le système émergent était l'exemple le plus dur d'un tel processus.
Le contraste entre l'étatisme et le mépris des nazis pour l'État était évident pour les autres théoriciens nazis, qui ont rapidement commencé à critiquer Schmitt comme un libéral hégélien qui niait la supériorité de la nation et des idées nazies sur l'État. À partir de 1936, il est confronté aux attaques du magazine officiel SS Das Schwarze Korps", qui le considère comme un opportuniste et l'accuse même de collaborer avec les Juifs. À la suite de cette affaire, il a progressivement perdu tous ses postes. Jusqu'à la fin de la guerre, il reste cependant professeur à Berlin.
Des années de réclusion et un retour au premier plan
Après la Seconde Guerre mondiale, Schmitt a été arrêté mais non inculpé. Le procureur général du tribunal de Nuremberg, Robert Kempner, s'en est défendu plus tard en disant qu'il n'y avait pas d'acte spécifique pour lequel le condamner: "Il n'avait pas commis de crime contre l'humanité, il n'avait pas tué de prisonniers de guerre, il n'avait pas préparé une guerre offensive". En tant que scientifique, il ne pouvait tout simplement pas être reconnu coupable d'un crime. Pourtant, il a été exclu de la fonction publique sans pension. Il n'a plus postulé pour regagner l'opportunité d'enseigner, sachant qu'avec son passé, il n'aurait aucune chance. Il s'est retiré dans la solitude, une sorte d'exil intérieur, et a vécu le reste de sa vie dans sa ville natale de Plettenberg. Il y a écrit un certain nombre d'autres textes importants, en se concentrant notamment sur les questions de politique et de droit internationaux, qu'il avait commencé à aborder à la fin des années 1930. Il n'est pas revenu pour réfléchir à sa période nazie. Bien qu'il ait admis avoir honte de certains de ses écrits avec le recul, il ne s'est jamais distancié de son travail à l'époque. Son objectif était de se postuler rétrospectivement dans le rôle d'un érudit impartial qui se trouvait par hasard au mauvais endroit au mauvais moment.
Bien qu'il n'ait pas été en mesure d'enseigner, il a conservé une influence extraordinaire sur le développement des sciences sociales et juridiques. Des philosophes, écrivains, juristes et politologues de toute l'Europe lui ont rendu visite à Plettenberg. Son cercle de fidèles était vraiment bizarre autant que varié: l'écrivain Ernst Jünger, le philosophe du droit et socialiste Ernst-Wolfgang Böckenförde, qui est d'ailleurs devenu plus tard juge à la Cour constitutionnelle, le philosophe Alexander Kojéve et l'historien de gauche Reinhart Koselleck, le politologue de la droite radicale Armin Mohler, le sociologue Hanno Kestings, Ernst Forsthoff (que nous venons de mentionner), qui s'est rapproché de Schmitt après la guerre, et de nombreux autres intellectuels européens de premier plan issus de divers camps politiques.
Schmitt était estimé comme un expert de premier plan en droit constitutionnel par Hannah Arendt, par exemple, et nombre de ses idées ont même été reprises par le célèbre religieux juif Jacob Taubes lorsqu'il a rédigé des textes programmatiques pour l'aile d'extrême-gauche des leaders étudiants allemands en 1968. Un certain groupe de gauchistes italiens d'après-guerre, admirateurs de Schmitt, ont même été appelés "schmittiens marxistes" par leurs adversaires. Après la publication de La théorie du partisan (1963), son apologie de la résistance de principe à toute domination étrangère, comprise toutefois dans un sens social, lui a valu des adhérents de la gauche maoïste comme de la nouvelle droite.
La question de la réception de la théorie politique de Schmitt dans le milieu conservateur américain est très débattue. Son cas le plus célèbre est le philosophe politique Leo Strauss, l'une des figures centrales de la pensée néo-conservatrice. Dans l'un de ses livres, il a accepté le célèbre concept de Schmitt selon lequel la "politique" est le conflit le plus intensément ressenti le long du fossé entre amis et ennemis. Il accepte son concept, mais rejette en même temps l'antilibéralisme schmittien. Selon Strauss, le réalisme politique de Schmitt devait être combiné avec la pensée du droit naturel, qui était cependant étrangère au penseur allemand. En combinant ces deux éléments, Strauss a réussi à obtenir une base idéologique qui constitue encore aujourd'hui le substrat théorique des théories politiques néo-conservatrices. En effet, même le célèbre "Choc des civilisations" de Samuel Huntington ne nie pas l'influence de la théorie des "grands espaces" de Schmitt.
Et le célèbre enfant de Plettenberg ?
Schmitt lui-même, dans la solitude de Plettenberg jusqu'à sa mort en 1985, a regardé avec satisfaction son influence se répandre dans le monde entier, et a reçu de nombreuses visites de ses adeptes et de ses anciens et nouveaux disciples sans être gêné par leurs différentes orientations politiques. Lorsqu'un ami lui demande, dans une lettre, si, parmi ses élèves, figure le comte Christian von Krockow, le célèbre écrivain et historien allemand, Schmitt répond avec humour, en faisant référence au nom de Krockow : "J'ai parmi mes élèves tout le monde, des communistes et des fascistes, mais pas encore de crocodiles". Bien qu'il soit lui-même resté jusqu'à la fin de sa vie un étatiste conservateur, désireux d'empêcher l'État d'être submergé par les forces sociales, il a souvent toléré chez ses élèves des conclusions exactement opposées à celles auxquelles il était lui-même parvenu.
Il n'a jamais repris l'enseignement, mais il a néanmoins effectué des tournées de conférences à l'étranger pendant longtemps. En tant que philosophe et homme d'État catholique, il a été accueilli avec enthousiasme, notamment dans l'Espagne de Franco, qu'il considérait comme son refuge intellectuel, et où ses livres étaient présentés simultanément avec l'édition allemande. Mais il est ensuite retourné dans sa campagne de Westphalie. Dans les dernières années avant sa mort, il souffrait d'anxiété et était affecté par des délires de persécution, et était en outre hanté par de nombreuses visions, et, selon des témoins, il essayait encore de modifier certaines de ses théories en fonction de celles-ci.
Il est enterré dans le cimetière de Plettenberg. La ville où il a vécu plus de la moitié de sa vie ne veut toujours pas savoir grand-chose de lui, bien qu'il ait été son plus célèbre habitant. Une observation similaire s'applique à la position de Schmitt dans la recherche juridique et politique aujourd'hui : tout le monde le lit, mais si vous voulez vous référer à lui, c'est déjà risqué. La pensée de Schmitt est considérée comme précise, presque brillante, mais en même temps, comme le note Jan-Werner Müller dans le titre du livre qu'il lui a consacré, également très "dangereuse". Pourtant, la question demeure de savoir si ses textes étaient dangereux ou si c'était plutôt ses positions politiques spécifiques qui l'étaient, tout en étant souvent plutôt en contradiction avec le sens de ses livres. Le fait que Schmitt n'ait jamais été loin de telles contradictions a été démontré très tôt dans sa vie personnelle lorsque, en tant qu'auteur catholique ayant laborieusement obtenu une "permission" ecclésiastique pour ses textes, ce qui constituait à l'époque un ajout esthétique plutôt superflu au titre, il a divorcé puis a été excommunié.
Que Schmitt ait été un homme dangereux ou que ses textes soient dangereux, peut importe, car il ne perdra pas facilement sa popularité. Ces dernières années, en effet, il a fait un retour en force, comme en témoigne l'exclamation du célèbre philosophe Jacques Derrida, en 2000, selon laquelle il est nécessaire de "relire Schmitt".
Tiré du site web tchèque de l'Institut civique.
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Le dernier Jünger révèle l'harmonie et l'ordre entre la Terre et le Cosmos
Le dernier Jünger révèle l'harmonie et l'ordre entre la Terre et le Cosmos
Par Francesco Marotta
Ex: https://www.grece-it.com/2021/11/10/lultimo-junger-disvela-larmonia-e-lordine-tra-la-terra-ed-il-cosmo/
Mario Bosincu est chercheur en littérature allemande à l'université de Sassari. Profond connaisseur et chercheur infatigable des œuvres d'Ernst Jünger - une grande passion commune, le feu qui ne s'éteint pas et qui dégage lumière et chaleur - il associe depuis longtemps les études sur Jünger à la critique de la civilisation et de la société, dans un contexte phénoménal qui n'exclut pas l'anthropologie et l'histoire des religions. Dans l'une de ses principales publications, Sulle posizioni perdute, forme della soggettività moderna dell’anticapitalismo romantico a Ernst Jünger, nous voyons un intellect à l'aise dans la lecture de toutes les ondulations d'un futur dystopique, se déplaçant avec perspicacité et efficacité dans le monde complexe des transformations de la planète : notamment celles concernant l'axiomatique de l'intérêt, l'individualisme méthodologique, l'idéologie de la croissance infinie, la doctrine du progrès, les "droits de l'homme" et l'expansion de la valeur marchande dans tous les domaines.
Après la publication en 2020 d'Autunno in Sardegna, un volume qui réunit trois des écrits de Jünger, San Pietro, Serpentara et Autunno in Sardegna, à partir du 1er juillet 2021, il sera possible de lire les autres entrées du journal de ses voyages en Méditerranée ; le grand calibre spirituel, intellectuel, philosophique, esthétique et dialogique du sublime génie de Heidelberg est tel qu'il fait honte à Hérodote d'Halicarnasse et à ses Histoires. Un autre excellent ouvrage, également du professeur Bosincu, intitulé La Grande Madre. Meditazioni mediterranee, suscite l'intérêt du lecteur pour les "étoiles de feu", les Pléiades : l'introduction est si pleine de sagacité, de sagesse et de bon sens, qu'elle suggère des hymnes en l'honneur d'Agni, la divinité védique qui les préside.
Elle nous rapproche inéluctablement de l'insolite, de la triple essence et, par conséquent, de l'archétype de la Quaternité, que l'on retrouve dans l'esprit et la personnalité de Jünger. En un homme qui portait en lui l'ensemble cosmogonique bien décrit par Empédocle, les quatre éléments qui composent toutes choses, les "racines" : feu, terre, air et eau -ριζώματα, rhizòmata -. Le Jünger, un formidable messager, parfaitement capable de médiatiser et de comprendre pleinement l'ordre humain et divin, en tant que participant et attentif à la multiplicité intrinsèque de chaque dimension.
Le "contemplateur solitaire" si cher au germaniste et traducteur Quirino Principe, qui dans les écrits de La Grande Madre. Meditazioni mediterranee, observe et contemple les mêmes forces telluriques du cœur palpitant de la Terre: l'Omphalos, le nombril du monde le plus ancien, la Sardaigne, ne fait qu'un avec les vagues fluctuantes d'une mer fermée comme la Méditerranée, avec les pouvoirs contradictoires de la Titanomachie et avec les forces qui rayonnent du Cosmos. Mais l'avertissement de Jünger est clair, il nous met en garde contre toute erreur d'interprétation possible : les Titans "vaincus par Zeus et bannis au Tartare font un retour", l'exemple de Prométhée libéré de ses chaînes en est la preuve. Dans les terres baignées par le Mare nostrum, "les Titans opèrent et donnent vie à leurs inventions dans le temps" et non hors du temps.
Cela signifie que tout ce qui n'est pas soumis au calcul, au tintement des aiguilles, à la fixité d'un temps mécaniquement marqué, réside ailleurs et est intemporel. Après tout, le "titanisme prométhéen", les anciens et les nouveaux titans, "sont davantage liés à la technologie qu'aux arts". Et comme le conseille sagement Hölderlin, il est préférable pour le poète de "se consoler avec le dieu Dionysos", en s'appuyant sur ces rêves qui génèrent créativité et inspiration "pendant le règne de la race de l'âge du fer". Bientôt les dieux reviendront, rétablissant l'harmonie perdue, les mêmes dieux qui ne sont jamais partis mais que nous avons oubliés, mettront fin à cette domination.
L'interrègne de la technologie libérée de la domination humaine et de "la science qui touche ses limites et commence à les dépasser" est la représentation, ou plus exactement l'une des visions de Jünger, d'un monde devenu un théâtre de l'absurde, un Grand Guignol dirigé par des géants et des chimères, mis en scène par des formes prométhéennes qui dansent extatiquement dans la phase aiguë de l'intérim : le nivellement absolu d'une civilisation mourante, où "leur pouvoir est confirmé par l'éternel retour". Et comme l'écrit justement Jünger, prouvant une fois de plus qu'il est un voyant, à comprendre comme celui qui est doté de la faculté de voir, "cette forme d'éternité ne représente pas la fin du temps et des temps, mais leur extension à l'infini".
Ce désir tenace d'atteindre une impossible immortalité est clairement visible dans les temps difficiles que nous traversons ; là, où tout est dépassé, en premier lieu les dieux et le concept du sacré, les énergies libérées par l'éclat de "l'homme augmenté" se perdent dans un savoir qui n'est plus contemplatif mais productif. Du geste, emblème à la prérogative du seul exécutant technique, pensant réaliser les conditions humaines de survie et s'éloigner définitivement des stimuli de l'habitat et de l'environnement qui l'entourent. L'expression la plus élevée d'un homme qui se suffit à lui-même, pour la raison qu'il a déjà renoncé a priori à tout finalisme de la pensée et de l'action tant qu'elle est individuelle.
Le "sismographe" Jünger, comme on l'a souvent défini, a compris à l'avance ce que déplace l'idée d'artifice et/ou l'illusion de vouloir dépasser l'espace et une dimension définie par d'autres possibles, en donnant libre cours aux désirs de l'individu, au dogme des besoins abstraits qui en génèrent toujours de nouveaux. Redécouvrir une liberté instrumentale capable d'inverser les pôles : l'homme au service de la technologie et non la technologie au service de l'homme. En même temps, il abolit les frontières et les horizons, les projetant dans un futur post-humain où la physicalité, l'esprit, le toucher, la vue, l'ouïe, les expériences sensorielles et cérébrales, les émotions et les identités passent par d'autres corps, présumés ou réels, n'attribuant plus à l'homme le rôle de créateur mais celui d'élément performant.
Dans le pire des cas, un "automate", l'équation animal-machine de Descartes alternait avec l'équation homme-machine, plus malheureuse encore : l'élévation au pouvoir de l'artificiel, dans l'exactitude de l'artifice, identique à tout ce qui n'est pas, y compris l'homme, qui peut être étudié de la même manière qu'une machine. Une vision des choses qui contraste fortement avec celle du conservateur de La Grande Madre. Meditazioni mediterranee et avec une grande partie de la bibliographie de Jünger.
Au terme de cette lecture, on se souvient de la discorde de pensée manifestée par Heidegger à Jünger, à propos de la situation en général et du fameux " point zéro ", décrit dans Über die Linie, (Au-delà de la ligne) : " La ligne est aussi appelée méridien zéro. Vous parlez du point zéro. Le zéro fait allusion au rien, et précisément au rien vide. Là où tout mène au néant, le nihilisme domine. Au méridien zéro, le nihilisme approche de son accomplissement. Jamais comme dans la publication éditée par Bosincu, les deux grands de la pensée européenne n'ont convergé par moments, avec toute la prudence requise.
Laissant de côté la querelle du sens et de la dénomination, du point ou du méridien zéro - ici Heidegger avait raison -, le dernier Jünger fait un clin d'œil à ce que voulait dire le "petit magicien" du Bade-Wurtemberg, surnom amical que lui donnaient les étudiants de Heidegger. La source de bons conseils de Jünger était sa "deuxième grande mère, la Méditerranée". La Terre et le Cosmos, les profondeurs telluriques, les puissances "chthoniques", les cycles célestes et l'érudition du Cosmos, n'ont jamais été aussi proches.
Ernst Jünger, La Grande Madre. Meditazioni mediterranee - volume édité par Mario Bosincu, Editoriale Le Lettere, Série Vita Nova, 214 pages, 15,50 euros.
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mardi, 09 novembre 2021
L'utilisation politique de l'immigration illégale
L'utilisation politique de l'immigration illégale
Sergio Fernández Riquelme
Ex: https://lanuevarazon.com/el-uso-politico-de-la-inmigracion-ilegal/
Sans migrations légales, stables et assimilées, il n'y a pas d'avenir, en général, ni pour les personnes qui se déplacent vers un plus grand bien-être ni pour les sociétés qui doivent les accueillir.
Les migrations peuvent être naturelles ou artificielles, spontanées ou dirigées, par la grâce d'événements imprévus ou comme conséquence de stratégies étudiées par des puissances de signatures différentes. Lorsque la nécessité se fait sentir, il est difficile de mettre des barrières sur le terrain; nous bougeons et bougerons toujours, pour apprendre ou pour survivre. Mais lorsque le besoin se fait sentir, les mouvements naturels de population peuvent devenir les mécanismes habituels de pression interne et externe dont personne ne veut parler. C'est pourquoi la presse et le monde universitaire post-moderne justifient presque toujours le caractère inévitable et désinvolte des flux illégaux, en ignorant la réalité fonctionnelle qu'ils semblent présenter, pour la plupart, dans leur genèse et leur développement. Parce que cette fonctionnalité stratégique est démontrée aujourd'hui et toujours, malgré le silence politique ou social sur les causes réelles des drames et des rêves de millions de personnes qui veulent quitter leurs sociétés d'origine, et les conséquences de l'utilisation intéressée et intentionnelle de ces flux qui atteignent les sociétés d'accueil.
Nous parlons donc d'un outil démontré dans l'étude documentaire du passé et vérifié dans l'analyse empirique du présent (comme l'a analysé Giovanni Sartori) : déplacer des populations pour homogénéiser ethniquement un territoire ou pour envahir progressivement son voisin, pour avoir moins de bouches à nourrir ou pour faire taire celles des dissidents, pour obtenir des électeurs ou pour les enlever à l'adversaire, pour obtenir des intérêts économiques juteux face à la menace ou à l'exploitation.
À l'heure de la mondialisation, une grande partie de cette réalité répond à des plans parfaitement conçus dans la création ou la gestion des flux migratoires illégaux. Alors que le bon sens impose des mécanismes réglementés et légaux de contrôle migratoire, en fonction de la demande de main-d'œuvre et des possibilités d'intégration des sociétés d'accueil, certains pouvoirs et institutions promeuvent ce que Kelly M. Greenhill a défini comme "l'armement de la migration" (ou "arme de la migration de masse") : c'est-à-dire l'utilisation stratégique et intentionnelle dans la naissance et le fonctionnement des flux migratoires illégaux avec des objectifs de profit économique, d'intérêt politique ou de déstabilisation sociale. Mais à la lumière d'événements plus récents ou proches, nous pouvons aller plus loin, en la considérant comme un possible outil de coercition de bien plus grande importance: à l'extérieur, pour imposer des changements politiques à l'adversaire, en obtenant de lui des concessions politiques ou économiques, en influençant ses décisions ou en altérant l'intégrité territoriale elle-même; et à l'intérieur, en ouvrant les frontières ou en cessant de les contrôler pour faire baisser les salaires et augmenter la concurrence, étendre la précarité au profit du système, modifier les identités traditionnelles ou créer des convulsions sociales dont on pourra extraire des ressources ou de la légitimité.
Dans les nations africaines ou asiatiques, encore définies par le carré et le carré ethnique, nous pourrions trouver une sorte de paradigme classique : le déplacement massif et brutal, entre les guerres et les famines, de milliers et de milliers de personnes loin de chez elles, même à l'intérieur de leur propre pays dans ce qu'on appelle les "réfugiés internes" (et que nous, en Europe, avons connu dans toute sa dureté au 20ème siècle). Nous pourrions également envisager cette singularité dans les pays soumis à la néo-colonisation mondialiste, qui semblent être témoins de pressions frontalières, de changements identitaires et de quotas migratoires permettant d'influencer de manière décisive leur parcours politique souverain (de l'Est du vieux continent aux steppes eurasiennes).
Mais dans nos limes, celles de l'Occident, nous pourrions aussi analyser cette utilisation, bien qu'avec des formes différentes ou des temps changés, à notre avantage ou à notre détriment (au-delà de la thèse polémique du "Grand Remplacement" ou de la "Grande Substitution"). Six grandes affaires récentes permettent d'éclairer cette interprétation.
La Turquie a profité, en tant qu'"État tampon", de la crise migratoire qui a débordé des frontières européennes au plus fort de la guerre syrienne. Après que des centaines de milliers de personnes ont traversé l'Europe en quête d'un avenir meilleur, l'UE a conclu un accord avec le gouvernement de Recep Erdogan. Le 18 mars 2016, la déclaration UE-Turquie (ou "accord UE-Turquie") a été signée, un pacte selon lequel toutes les arrivées irrégulières sur les îles de la mer Égée, y compris les demandeurs d'asile, seraient renvoyées en Turquie en échange de plusieurs milliards d'euros de contreparties (pour atteindre à terme un maximum de quatre millions de réfugiés dans les camps ou villes ottomanes).
Face à la crise susmentionnée, l'"Eurocratie" dénoncée à Bruxelles a imposé à ses différents États membres une série de quotas d'accueil d'immigrants, acceptés par les pays occidentaux qui ont besoin d'une main-d'œuvre bon marché (et qui, comme l'Allemagne d'Angela Merkel, l'ont encouragée dès le début du phénomène), et rejetés par les nations de l'Est parce qu'elles ont des frontières directes, présentent des données macroéconomiques moins bonnes ou défendent une vision plus nationaliste ou souveraine de leur propre réalité (comme la Pologne ou la Hongrie).
Le Mexique a également utilisé, comme avant Barack Obama et Donald Trump, cette utilisation par l'action (mais aussi par sa propre omission), en évitant de devoir accueillir des migrants de pays voisins plus pauvres ou en fournissant du travail à ses propres habitants, en recherchant de meilleurs accords bilatéraux sur les questions économico-industrielles (comme dans l'accord de libre-échange), ou des améliorations dans les processus de migration légale des travailleurs mexicains sur le territoire nord-américain. En conséquence, pendant des années, les "caravanes" de migrants en provenance d'Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Salvador, Nicaragua) ont été à peine contrôlées, ou l'exode des travailleurs mexicains vers le nord face à la crise ou aux inégalités (comme le montre l'emblématique train "La Bestia") n'a pas été arrêté, qui ont traversé le pays depuis la frontière sud bourrée d'immigrants clandestins), jusqu'à la signature des protocoles de protection des migrants (PPM, ou "Stay in Mexico") de 2019 entre les deux nations, face à la menace de Trump d'imposer des tarifs punitifs sur tous les produits mexicains importés.
Le Maroc exerce périodiquement des pressions sur l'Espagne en tant que "frontière méridionale" de l'UE, en agressant continuellement les migrants (aussi bien les Centrafricains adultes "de passage" que les mineurs patriotes "asociaux") et en les poussant vers les villes autonomes de Ceuta et Melilla, ou en fermant les yeux sur les pateras pleines de jeunes Maghrébins qui arrivent sur les côtes méditerranéennes, surtout en période de beau temps maritime. Malgré le traité d'amitié, de bonne volonté et de coopération entre les deux pays (Rabat, 1991) et divers accords, le Maroc autocratique a su jouer ses cartes, obtenant par ces pressions une augmentation des exportations vers l'Europe, plus d'investissements dans le pays, une carte blanche au Sahara occidental, ou une meilleure formation de la police, en contrôlant les flux migratoires africains (et en collaborant également à la lutte contre le terrorisme djihadiste international).
Aux États-Unis, on a dénoncé la façon dont les politiciens et les dirigeants démocrates se sont fait les champions de la défense de l'immigration illégale dans le pays, par exemple avec la déclaration des "villes sanctuaires", et pas seulement comme une aspiration éthique ou humanitaire : la population latino croissante, supposée sensible à ce problème, serait un corps électoral plus compact et mobilisé pour leurs intérêts, comme par exemple dans la campagne électorale et médiatique déclenchée à l'époque contre le président Trump.
Et même la Biélorussie, sous Alexandre Loukachenko, a répondu aux sanctions occidentales contre son pays (après les soubresauts des élections présidentielles de 2020) en permettant aux migrants asiatiques de transiter par le pays vers l'Europe, évitant ainsi d'être une zone de contrôle et un point de passage frontalier vers " le rêve européen ", et provoquant une grave crise diplomatique et politique à la frontière avec la Pologne et la Lituanie.
Sans une migration légale, stable et assimilée, il n'y a pas d'avenir, en général, ni pour les personnes qui se déplacent vers un plus grand bien-être ni pour les sociétés qui doivent les accueillir. C'est dans l'histoire, nous le voyons dans nos rues, et nous le savons dans les drames de ceux qui perdent parce qu'ils veulent ou peuvent se déplacer dans le monde. Et sans cette légalité, seuls les politiciens corrompus et inutiles qui exploitent leurs citoyens ici et là et les expulsent de presque toutes les manières, et toutes ces mafias économiques et sociales qui profitent des besoins des autres pour leurs affaires ou leurs projets, continueront à gagner.
Personne ne veut de morts sur les côtes, personne ne veut de ghettos dans ses villes, personne ne veut la misère des autres, personne ne veut l'exploitation du travail. Mais sans des politiques claires et légales de gestion des flux migratoires, consubstantiellement liées à la dénonciation de la violation des libertés fondamentales dans les centres de départ ou des atteintes aux identités nationales dans les centres d'arrivée, aucun slogan ou drapeau, aussi louables soient-ils, ne mettront fin aux drames subis par les uns ou les autres (en termes d'insécurité personnelle ou collective) causés par ce qui apparaît comme cet usage politique normalisé. Il n'y a pas de solutions faciles à des problèmes difficiles, comme le savent bien les sciences sociales, même s'il existe des politiques de contrôle public qui garantissent la légalité, des valeurs traditionnelles claires qui améliorent l'intégration, et des mesures d'assimilation éprouvées qui favorisent la coexistence. Et qui empêchent, ou délégitiment, l'utilisation politique et partisane habituelle de l'immigration illégale par des pouvoirs qui l'utilisent pour des objectifs très spécifiques sans vraiment se soucier des raisons pour lesquelles les migrants fuient et avec qui ils doivent partager.
Sergio Fernández Riquelme
Sergio Fernández Riquelme est historien, docteur en politique sociale et professeur d'université. Auteur de nombreux ouvrages et articles de recherche et de diffusion dans le domaine de l'histoire des idées et de la politique sociale, il est un spécialiste des phénomènes communautaires et identitaires passés et présents. Il est actuellement directeur de La Razón Histórica, une revue hispano-américaine sur l'histoire des idées.
16:59 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, immigration, europe, affaires européennes | |
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Carl Schmitt - Avocat de la Couronne au 20ème siècle
Carl Schmitt - Avocat de la Couronne au 20ème siècle
par Franz Chocholatý Gröger
Ex: https://deliandiver.org/2010/06/carl-schmitt-korunni-pravnik-20-stoleti.html
Le concept de révolution conservatrice apparaît pour la première fois en 1921 dans l'essai L'Anthologie russe de Thomas Mann, un représentant du conservatisme de la République de Weimar, et a été exploré pour la première fois par Armin Mohler dans son ouvrage de 1950 Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932. Il faut souligner que la Révolution conservatrice n'est pas un mouvement explicitement politique, mais plutôt un mouvement idéologique d'intellectuels conservateurs.
Mohler a divisé le spectre conservateur en cinq groupes de base, auxquels il a attribué des auteurs ou des groupes d'auteurs. Ces groupements sont : le groupe nationaliste (die Völkischen), les jeunes conservateurs (les cerlces de Berlin avec A. Moeller van den Bruck), le groupement hambourgeois des amis de Wilhelm Stapel, le groupement munichois des amis d'Edgar J. Jung, dont j'ai déjà parlé dans les colonnes de Delian Diver), le magazine Die Tat et son rédacteur Hans Zehrer, les révolutionnaires nationaux (le soi-disant nationalisme soldatique représenté par Ernst Jünger et les représentants de tous les groupes paramilitaires) et les groupes moins importants, à savoir la mouvance dite "Bündnisch" (avec Hans Blüher) et le Landvolkbewegung. Un groupe spécifique est constitué de ce que l'on appelle les personnalités, qui, du point de vue de Mohler, brisent les catégories (Oswald Spengler, Thomas Mann, Carl Schmitt, et en partie Hans Blüher et Ernst Jünger) (1).
Laissons de côté les deux groupes, celui de la mouvance Bündisch et la Landvolkbewegung, et les nationaux-socialistes, et prêtons attention à ceux qui sont les porteurs des processus de pensée dominants, soit en tant qu'individu, comme Ernst Jünger, soit dans le duo formé par Othmar Spann et Edgar J. Jung.
Carl Schmitt, l'un des penseurs juridiques et politiques les plus influents du 20ème siècle, est une personne qui traverse ce spectre. Qui était Carl Schmitt ? D'abord critique du positivisme étatique (1910-1916), il devient décisionniste et théoricien de l'État souverain moderne (1919-1932), national-socialiste et professeur de "Pensée d'ordre concret" (Konkrete Ordnungsdenken) (1933-1936) et, convaincu de la fin de l'État souverain, il ébauche une "théorie de l'espace des grandes puissances" (1937-1950) ainsi que la politique du monde techno-industriel (1950-1978). Un poste ou plusieurs postes ? Dans tous les cas, un miroir de ce siècle. Et lorsque ce siècle y voit aussi ce qu'il n'aime pas voir, ce n'est pas seulement la faute du théoricien (2).
Dans ses écrits, Schmitt a exposé une théorie du décisionnisme juridique, a théorisé la primauté des décisions politiques dans l'intérêt de l'État sur l'ordre constitutionnel. L'hostilité à la démocratie libérale a fait entrer Schmitt, d'orientation catholique, dans les milieux de la République de Weimar; il était lui-même généralement hostile à l'establishment républicain, se situant dans les rangs et le cercle des théoriciens de la "révolution conservatrice."
Il est né le 11 juillet 1888 dans une famille de petits commerçants de la ville de Plettenberg, en Westphalie. Il est resté étroitement lié à sa ville natale, située dans l'enclave catholique autour de Münster, jusqu'à la fin de sa vie ; il y a même passé de nombreuses années après la Seconde Guerre mondiale. Il a étudié le droit et les sciences politiques à Berlin, Munich et Strasbourg, où il a obtenu son diplôme en 1910 avec sa thèse Über Schuld und Schuldarten (Sur la culpabilité et les types de culpabilité, sous la direction de Fritz von Calker) dans le domaine du droit pénal, où il a également soutenu sa thèse en 1915 et a été habilité un an plus tard (3). La même année, en tant que volontaire de guerre, il est transféré à la représentation du commandement général à Munich, et en 1919 au commandement de la ville. C'est également à Munich qu'il occupe son premier poste de professeur à la Handelshochschule München, et c'est cette année-là, ou peu avant, qu'il fait la connaissance des poètes Franz Blei, Konrad Weiß, Theodor Däubler. Schmitt, comme le poète Däubler, a compris la modernité comme une époque de perte de la transcendance, comme la lutte de l'esprit contre l'avancée du monde du matérialisme et du capital, de la technologie et de l'économie.
En 1921, il devient professeur à l'université de Greifswald et écrit Die Diktatur. Von den Anfängen des modernen Souveränitätsgedankens bis zum proletarischen Klassenkampf (4). Il y discute des fondements de la République de Weimar nouvellement établie et souligne la fonction du président du Reich. Décider sans discuter, c'est incarner la dictature. Une dictature peut mieux exercer la volonté du peuple qu'une législature car, juge Schmitt, elle peut prendre des décisions sans être contrainte, alors que les parlements doivent débattre et faire des compromis sur leurs actions: "Si l'État est démocratique, alors tout rejet des principes démocratiques, tout exercice du pouvoir de l'État indépendamment du consentement de la majorité, peut être qualifié de dictatorial". Selon Schmitt, tous les gouvernements qui veulent prendre des mesures décisives doivent recourir à un comportement dictatorial. Cet "état d'exception" dispense l'exécutif d'appliquer toute contrainte légale sur son pouvoir qu'il appliquerait dans des circonstances normales. Il distingue deux types de dictatures : la dictature du "commissariat", que l'on trouve chez les Romains, chez Bodin, dans les commissariats des princes absolutistes, ou dans les commissariats populaires de la Révolution française, où elle était commandée par le pouvoir constitutionnel; son but était de préserver la constitution par la suspension temporaire de ses articles. Contre cela, la "dictature souveraine", commandée par le pouvoir constituant, avait pour but, comme la "dictature du prolétariat" ou la dictature de l'Assemblée nationale révolutionnaire de France, de créer une nouvelle constitution à la place de l'ancienne; puisque la dictature "souveraine" dépend formellement de la volonté du commanditaire, elle ne peut être limitée dans son contenu - le phénomène de l'indépendance dépendante (5). En examinant la constitution de Weimar, Schmitt pourrait qualifier son assemblée constituante de "souveraine" et désigner la dictature du président du Reich, en vertu de l'article 48 de la constitution du Reich, comme la dictature de l'"intendance" (6).
Il serait problématique de savoir ce que ces différents termes sont censés signifier dans le cas d'un consensus constitutionnel qui s'effrite. L'année suivante, il s'installe à l'université de Bonn et publie son livre Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität (Théologie politique) avec la célèbre première phrase du livre, "Seul celui qui décide de l'état d'urgence est souverain". La souveraineté est ici associée à l'extrême urgence, et le souverain, selon elle, est celui qui décide dans un cas extrême pour la sécurité et le bien-être public. La compétence souveraine devient ainsi sans ambiguïté indivisible et illimitée, le souverain est un ou personne, et la souveraineté est un monopole de la décision, et celui qui décide souverainement le fait sur la base d'une pure déférence, non révisable par la loi et la norme, puisqu'il décide dans le "néant" normatif (7). Dans ses analyses du "monopole de la décision", il invoque Jean Bodin, le père du concept moderne de souveraineté, comme exemple classique de cette prise de décision "décisionniste" du souverain, où la décision est prise à partir d'un rien normatif, non pas dérivé d'une vérité supérieure, mais de l'autorité du souverain lui-même.
Auctoritas, non veritas facit legem - les lois ne s'appliquent pas sur la base d'un rapport à la vérité, mais sur la base de la reconnaissance - c'est le principe du désaccordisme, ici justifié théologiquement en fin de compte. L'association du décionnisme et de l'état d'exception était cohérente. L'État devient alors, en quelque sorte, le créateur du droit. La "théologie politique" avait sa propre signification chez Schmitt, et une signification qui était interprétée de plusieurs manières. Elle devait être (a) une histoire des concepts, (b) une critique des religions terrestres sécularistes et (c) une théologie de la polis. "Tous les concepts prégnants de la politique moderne sont des concepts théologiques sécularisés" (8). Schmitt voyait encore la théologie et la métaphysique derrière la politique et luttait non seulement contre l'anarchisme et le socialisme athée mais aussi, et avec plus de vigueur, contre le libéralisme en tant qu'adversaire tout aussi politique et métaphysique.
En 1923, il a publié Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus (L'état spirituel-historique du parlementarisme aujourd'hui), dans lequel il critiquait les pratiques institutionnelles de la politique libérale et soutenait qu'elles étaient justifiées par la croyance en la discussion rationnelle et en l'ouverture. Cependant, ils sont en contradiction avec la politique de parti parlementaire réelle, puisque cette dernière est généralement le résultat d'accords conclus par les chefs de parti lors de réunions à huis clos. Le parlementarisme de l'État civil avait son principe spirituel, son "idée" en public et dans la "discussion" publique (9). Tous deux ont été privés de leur sens dans la démocratie de masse moderne ; au lieu de la libre concurrence des opinions, c'est la propagande qui a pris la place, orientée vers la conquête et le maintien du pouvoir. Le débat politique public est remplacé par la politique secrète des négociations à huis clos. La réalité du parlementarisme ne correspond plus à son "idée". Dans l'histoire, la démocratie n'a pas toujours été associée au seul parlementarisme. Cette alliance a été forgée par une lutte commune contre le monarchisme, dont l'objectif était la social-démocratie. Le césarisme du 19ème siècle a démontré la combinaison de la démocratie plébiscitaire et de la dictature connue depuis l'époque de l'union de la plèbe et de César. "La démocratie est l'identité des gouvernés et des gouvernants" ainsi que "l'homogénéité" et l'union de la démocratie plébiscitaire produite par le consentement tacite des gouvernés ou "acclamation". Cette critique donnait l'impression que le parlementarisme avait été dépassé et n'avait plus qu'un rôle décoratif, "comme si quelqu'un avait peint le radiateur du chauffage central avec des flammes rouges" (10). La Verfassungslehre de 1928 était plus modérée sur cette question.
Schmitt a consacré vingt ansde sa vie à une théorie de la souveraineté étatique, position qu'il renverse avec Der Begriff des Politischen (Le concept du politique) de 1927 (11). " Le concept de l'État présuppose le concept du politique. "Cette première phrase de l'écrit contredit l'identification traditionnelle de la politique et de l'État. L'État a renversé son monopole sur la politique. Le politique se retrouve dans tous les domaines d'action, que ce soit l'économie, la culture, la religion ou la science. Le critère est "la distinction entre ami et ennemi" (12). L'amitié et l'inimitié doivent être considérées comme des concepts politiques ; l'ennemi était un ennemi "public" et non un adversaire personnel. Hostis (polemicus) pas inimicus (echthros). L'ennemi politique ne doit pas être aimé, mais il ne doit pas non plus être haï. On ne peut pas échapper à la politique. C'est un plurivers, pas un univers. Un État mondial établissant la paix pour toujours et éliminant la politique est une contradiction dans les termes. Cependant, même un État mondial n'éliminerait pas la possibilité de guerre civile, et si la guerre civile pouvait être éliminée une fois pour toutes, l'"État mondial" ne serait pas un État, mais une "société de consommation et de production" (13). "Toutes les vraies théories politiques" présupposent "l'homme comme étant mauvais", "mauvais" signifiant théologiquement "pécheur", politiquement "dangereux". La notion de politique a tacitement contourné l'ami. Mais Schmitt parle ailleurs de la cohérence des unités politiques, de l'identité et de l'homogénéité. Le "noyau du politique" n'était pas du tout "l'inimitié", mais la distinction entre ami et ennemi, et présuppose les deux: l'ami et l'"ennemi". Dans le domaine de la politique, les gens ne se situent pas les uns par rapport aux autres dans l'abstrait en tant qu'êtres humains, mais en tant que personnes politiquement intéressées et politiquement déterminées, en tant que gouvernants et gouvernés, alliés ou adversaires politiques, dans chaque cas dans des catégories politiques. Dans la sphère du politique, on ne peut s'abstraire du politique, ne laissant que l'égalité humaine générale ; de même que dans la sphère de l'économique, les gens sont compris comme des producteurs, des consommateurs, donc seulement dans des catégories économiques spécifiques.
En 1926, Schmitt se marie en secondes noces avec la Serbe Duška Todorović; auparavant, il avait été marié à la Serbe Pavla Dorotić de 1916 à 1924. Pour cette raison, il serait excommunié de l'Église catholique. Le juriste et philosophe, qui a été toute sa vie un admirateur enthousiaste du catholicisme en tant que "forme politique" et un précurseur de l'idée de représentation politique, qui a cherché des liens entre la théorie politique et la théologie et qui était considéré comme un auteur typiquement catholique, est donc resté excommunié de la réception des sacrements jusqu'à la mort de sa première femme en 1950. De 1928 à 1933, il travaille à la Handelshochschule de Berlin. En 1930, il rencontre Ernst Jünger et leur amitié dure jusqu'à la mort de Schmitt.
Proche du catholicisme politique et du parti du centre (Zentrumpartei), Schmitt a été conseiller des chanceliers Franz von Papen et Kurt von Schleicher en 1932/1933 et ne s'implique dans leur politique qu'après l'élaboration de plans d'urgence conspiratoires préparés par des officiers de la Reichswehr en septembre et décembre 1932 et en janvier 1933. Le 20 juin 1932, le chancelier Franz von Papen organise un coup d'État dans l'État libre de Prusse, qui a toujours été la république allemande modèle des gouvernements stables du social-démocrate Otto Braun depuis 1920 (dernier 4 avril 1925-20 juillet 1932), et s'est lui-même nommé par le président du Reich commissaire du Reich pour la Prusse en vertu de l'article 48 de la Constitution. Le gouvernement prussien a intenté un recours contre cette décision devant la Cour de justice du Reich. Le 20 juillet 1932, la "mission de la nouvelle Prusse pour assurer et approfondir la démocratie en Allemagne" prend fin, comme le déclare Otto Braun dans sa dernière interview avec von Schleicher. La Prusse cesse de facto d'exister (14).
Le dernier écrit important de la période de Weimar est Legalität und Legitimität (Légitimité et légalité) de 1932. L'ouvrage est, d'une part, une attaque contre la légalité même de la constitution et, d'autre part, un appel à prévenir l'abus éventuel de la légalité à des fins contraires à la constitution. Il discute ouvertement de l'interdiction éventuelle du KPD et du NSDAP et plaide en faveur de cette interdiction. Son analyse mettait en garde, à juste titre en principe, contre le risque d'autodestruction d'une constitution censée être neutre même envers elle-même. Il met en garde la République de Weimar contre la possibilité d'une "révolution légale", c'est-à-dire la possibilité que des partis hostiles au système constitutionnel accèdent au pouvoir par des moyens légaux, excluent les opposants politiques et claquent la "porte de la légalité" derrière eux (15). Il a exhorté le président du Reich Paul von Hindenburg à abolir le NSDAP et à emprisonner ses dirigeants, et il s'est élevé contre ceux qui, au sein du Parti catholique du Centre, pensaient que les nazis pouvaient être contenus s'ils devaient former un gouvernement de coalition.
Participation à la commission Vierer pour la rédaction de la loi du gouverneur du Reich (Reichsstatthalter-Gesetz du 7 avril 1933). Puis, le 1er mai 1933, il adhère au NSDAP (numéro de membre 2.098.860). Dans la période 1933-1936, ses articles paraissent, comme Der Führer schützt das Recht (Le Führer protège le droit, 1934), qui peut être lu comme une tentative de justifier le meurtre d'E. Röhm, ou Die deutsche Rechtswissenschaft im Kampf gegen den jüdischen Geist (La science juridique allemande dans la lutte contre l'esprit juif, 1936), un titre qui parle de lui-même, ont atteint une triste notoriété.
À cette époque, il abandonne la notion de décisionisme, qui fait place à "une pensée concrète de l'ordre et de la formation". A la place de l'antithétique décisionniste, la pensée du trinitarisme est entrée. L'ordre politique était (statiquement) "l'État", (dynamiquement) "le mouvement", (non politiquement) "la nation", et Schmitt, qui jusqu'en 1932 avait été un étatiste, attribuait maintenant le rôle principal au "mouvement". La pensée juridique, qui jusqu'alors était confrontée à l'alternative du "normativisme" ou du "décisionnisme", s'est divisée de manière triadique : "normativisme", "décisionnisme", "pensée concrète de l'ordre et de la formation". "Formation" n'était rien d'autre que ce qui avait été précédemment défini. Le politique est devenu, en référence à la doctrine des institutions d'Hauriou, l'institutionnel (16). La décision jusqu'alors sans restriction s'est révélée être un "épanchement d'un ordre déjà présupposé", et le décisionisme jusqu'alors autosatisfait s'est trouvé en danger de "... par la ponctuation du moment, l'être immobile qui est contenu dans tout grand mouvement politique..." (17).
En 1936, Schmitt est dénoncé dans la revue SS Das Schwarze Korps et dans les Mitteilungen du bureau de Rosenberg : comme catholique, comme ami des Juifs, comme opposant au NSDAP en matière de légitimité et de légalité. Il perd la plupart de ses fonctions politiques universitaires nationales-socialistes, mais reste professeur et conseiller d'État prussien jusqu'en 1945. Ce qu'il a écrit pendant les années du Troisième Reich était ambivalent, oscillant entre l'accommodation et la subversion (18).
Après 1936, Schmitt s'est présenté comme l'"ami" et le "frère" du grand Thomas Hobbes, et tout comme Hobbes était le géniteur de l'État souverain, Schmitt voulait être le diagnosticien de sa fin. Der Leviathan in der Staatslehre der Thomas Hobbes (1938) de Schmitt a démontré l'"échec" de ce grand symbole. Avec le "Léviathan", que Schmitt interprète de quatre manières : comme un dieu mortel, comme un grand homme, comme une non-créature et comme une machine, Hobbes a tenté d'utiliser la "totalité mythique" du symbole pour restaurer l'unité politico-théologique de l'État qui avait été détruite par la guerre civile religieuse. En faisant de la foi une affaire privée, en séparant la croyance intérieure (fides) et le credo extérieur (confessio), Hobbes a greffé le "germe de la mort" qui a "détruit le puissant Léviathan de l'intérieur et vaincu le dieu mortel" (19).
À partir de 1939, Schmitt abandonne la catégorie juridique internationale de l'État-nation souverain et la remplace par une doctrine de l'"empire" et de l'"espace des grandes puissances", qui est ambiguë et proche de la politique de l'époque. L'"espace des grandes puissances" est une catégorie de "légitimité historique" qui reflète la fin de la vieille Europe et l'émergence d'un nouvel ordre mondial. Dans Land und Meer (Terre et mer, 1942), Schmitt a étendu la théorie du conflit des puissances mondiales à une théorie de l'ordre moderne des grandes puissances en général. Selon lui, cet ordre des grandes puissances était fondé sur la distinction entre les puissances terrestres et les puissances maritimes et trouvait sa forme concrète dans l'équilibre entre les puissances continentales et la puissance maritime qu'était l'Angleterre. Cet arrangement avait perdu son équilibre ; l'arrangement à venir était incertain, car la technologie et l'industrie ont révolutionné les idées de l'espace, et l'espace organisé selon la distinction entre la terre et la mer est devenu "un champ de force de l'énergie humaine, de l'activité et de la performance humaine".
En 1945, il est arrêté, interrogé et interné à Nuremberg. Il s'est retiré dans la solitude, une sorte d'exil intérieur, et a vécu le reste de sa vie dans sa ville natale de Plettenberg. Il y a écrit un certain nombre d'autres textes importants, dans lesquels il s'est principalement concentré sur les questions de politique et de droit internationaux. La conclusion systématique de la théorie de l'espace des grandes puissances est Der Nomos der Erde (Le Nomos de la Terre), publié en 1950. Schmitt y choisit le terme nomos dans son sens archaïque comme concept de base pour la définition de l'espace, pour le lien entre le droit et l'espace, et pour l'organisation et la localisation de tout le droit. Selon cette théorie, l'histoire de l'ordonnancement existant du monde était l'histoire de l'ordonnancement des espaces ; le droit et la politique pouvaient être déterminés par les pratiques de "prendre", "partager" et "jouir". À l'époque pré-moderne, ces pratiques ont conduit à une organisation pré-globale de l'espace, à l'époque moderne à une organisation globale. L'ordonnancement global de l'espace était initialement eurocentrique en tant que première grande ligne de démarcation entre l'Ancien et le Nouveau Monde (raya, ligne d'amitié). Ces lignes ont été abandonnées au 20ème siècle avec la création des hémisphères, opposant l'Est et l'Ouest. Comme pour la Terre et la Mer, le Nomos de la Terre laissait dans le flou la disposition future de l'espace. Pour Schmitt, qui dès 1929 avait placé la technique comme centre de gravité du 20ème siècle, au terme d'une série de "neutralisations" antérieures de la modernité, s'affirme de plus en plus l'idée que "la technification et l'industrialisation... sont désormais devenues le destin de notre pays". Avec la technologie et l'industrie sont apparus des pouvoirs qui transcendent l'organisation spatiale elle-même et se délocalisent radicalement, des pouvoirs dont la démarcation politique de l'espace n'était pas encore visible"(20).
Il a essayé de montrer ce que signifiait la fin de l'ancien État à l'époque de la technologie en 1963 dans Die Theorie des Partisanen (La théorie du partisan). Pour Schmitt, le partisan est une figure symbolique du 20ème siècle, tout comme Lénine et Mao, Giap ou Che Guevara étaient des symboles ayant un pouvoir de construction du monde. Avec en toile de fond les questions d'espace politique, de relations internationales et les questions de naturel et de contre-nature, Schmitt décrit le développement du mouvement de guérilla depuis ses origines dans la guérilla espagnole contre Napoléon jusqu'à l'époque moderne, analyse les pensées de Clausewitz sur la guérilla et examine l'influence que Lénine, Mao, Staline, Che Guevara et Castro ont eu sur le développement du mouvement de guérilla, soulignant que l'une des caractéristiques fondamentales du guérillero est son engagement politique. Le point de départ ici est la phrase "la guerre, en tant que moyen politique le plus extrême, démontre la possibilité que cette distinction entre ami et ennemi constitue la base de toute idée politique et n'a donc de sens que dans la mesure où cette distinction existe réellement dans l'humanité, ou est au moins réalistement possible". Qu'est-ce qui a prouvé la fin de la guerre-combat et la fin du justus hostis plus que le guerrier qui est devenu un combattant politique luttant contre l'oppression coloniale pour la libération nationale ou la révolution mondiale prolétarienne? Schmitt lui attribue une "légitimité tellurique". Il avait sa légitimité en tant que personne qui se battait encore pour un morceau de terre, qui était "l'un des derniers gardiens du pays" (21). Le Partisan ressemble à bien des égards au partisan spirituel-politique de l'essai Waldgang de Jünger en 1957. "Ennemi" dans cet essai est devenu un concept interprétable d'au moins trois façons. Il fallait distinguer l'"ennemi absolu" de l'hostilité raciale et de classe de l'ennemi "relatif" ou "conventionnel" du partisan, contre lequel on doit légitimement se battre comme un envahisseur en terre étrangère.
La dernière œuvre majeure de Schmitt est Politische Theologie II. Die Legende von der Erledigung jeder Politischen Theologie (Le concept de la théologie politique II). La théologie politique est pour Schmitt la clé pour comprendre la période moderne. Pour lui, l'époque moderne est "légale" (juridique) mais n'est plus "justifiée" (légitime). Elle se caractérise par une métaphysique des auto-empowerments hybrides, pour lesquels il n'y a pas d'origine, mais seulement une émancipation, plus d'"ovum", plus de "novum".
Bien qu'il ne pouvait plus enseigner, il a conservé une influence extraordinaire sur le développement des sciences sociales et juridiques. Des philosophes, des écrivains, des juristes et des politologues de diverses régions d'Europe se sont déplacés pour lui rendre visite à Plettenberg. Le cercle de ses fidèles était vraiment bizarre : nous y trouvons son ami l'écrivain Ernst Jünger, le philosophe juridique et socialiste Ernst-Wolfgang Böckenförde, plus tard juge à la Cour constitutionnelle, le philosophe Alexander Kojéve, l'historien de gauche Reinhart Kosellek, le politologue de droite radicale Armin Mohler, le sociologue Hanno Kestings et une foule d'autres intellectuels européens de premier plan issus de différents camps politiques. Il a publié pendant 68 ans, de 1910 à 1978. Il est décédé le dimanche de Pâques 1985.
Pouvons-nous l'interpréter uniquement dans la perspective des trois années où il a fait l'apologie de l'injustice ? Ses théories n'étaient souvent pas meilleures que le siècle auquel elles appartenaient. Ne lisons-nous pas Hobbes, Machiavel ou Bodin indépendamment de ce en quoi consistait leur engagement politique réel ? L'histoire du fonctionnement de ses idées n'a pas encore été écrite, et leur interprétation est aussi contestée que son œuvre elle-même. Schmitt lui-même, dans la solitude de Plettenberg jusqu'à sa mort en 1985, a vu avec satisfaction son influence se répandre dans le monde entier, recevant de nombreuses visites de ses admirateurs et de ses disciples anciens et nouveaux, sans se soucier de leurs différentes orientations politiques.
Notes :
(1) Urválek Aleš a kol., Dějiny německého a rakouského konzervativního myšlení, Nakladatelství Olomouc. 2009, s.243-244
(2) Ottmann Hennig , Carl Scmitt, in: Ballestren Graf Karl, Ottmann Hennig, Politische Philosophie des 20. Jahrhunderts,. Oldenbourg Wissenschaftsverlag München 1990, s.62
(3) Schmitt, C., Über die Schuld und Schuldarten. Breslau 1910.
(4) Die Diktatur. Von dem Anfängen des modernen Souveränitätsgedankens bis zum proletarischen Klassenkampf, München /Leipzig 1921
(5) Die Diktatur. Von dem Anfängen des modernen Souveränitätsgedankens bis zum proletarischen Klassenkampf, Auflage 1978. S.144
(6) Die Diktatur. Von dem Anfängen des modernen Souveränitätsgedankens bis zum proletarischen Klassenkampf, Auflage 1978. S.240
(7) Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität, ,2. Auflage 1934, S. 20, S.42
(8) Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität, ,2. Auflage 1934, S.49
(9) Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus, Auflage, Berlin 1979 S.43
Pozice dnešního parlamentarismu s hlediska dějin ducha, in.: Urválek Aleš a kol., Dějiny německého a rakouského konzervativního myšlení, Nakladatelství Olomouc. 2009, česky překlad str.8-11,34- 38,62-63,81-84.88-90 vydání Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus z r.1996 (1923)
(10) Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus, Auflage, Berlin 1979 S. 35, S. 14, S:22. S.10
(11) Der Begriff des Politischen, v: Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik 58 (1927), S. 1-33, Berlin 1928.
Česky: Pojem politična, OIKOYMENH, CDK Praha Brno 2007 ISBN 978-80-7298-127-42007
(12) Der Begriff des Politischen, München / Leipzig 1932,S.26
(13) Der Begriff des Politischen, München / Leipzig 1932,S.50
(14) Ballestren Graf Karl, Ottmann Hennig, Politische Philosophie des 20. Jahrhunderts,. Oldenbourg Wissenschaftsverlag München 1990 S. 72, S.86
Schoeps Hans-Joachim, Dějiny Pruska, Garamond 2004, ISBN:80-86379-59-0 S.245
Moravcová Dagmar, Výmarská republika,Karolinum Praha 2006 S.195
(15) Legalität und Legitimität, Berlin 1968. S.50 n
(16) Staat, Bewegung, VOlk. Die Dreigliederung der politischen Einheit, 2. Auflage 1934 S.12, S. 55 n
(17) Ober die drei Arten des rechtswissenschaftlichen Denkens, Hamburg 1934. S. 35 , S. 8
(18) Ballestren Graf Karl, Ottmann Hennig, Politische Philosophie des 20. Jahrhunderts,. Oldenbourg Wissenschaftsverlag München 1990, S.73-74
(19) Der Leviathan in der Staatslehre des Thomas Hobbes. Sinn und Fehlschlag eines politischen Symbols, Ko1n 1982. S. 31, S. 86
(20) Ballestren Graf Karl, Ottmann Hennig, Politische Philosophie des 20. Jahrhunderts,. Oldenbourg Wissenschaftsverlag München 1990, S.76
(21) Theorie des Partisanen. Zwischenbemerkung zum Begriff des Politischen,; 2. Auflage 1975 s.74
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16:35 Publié dans Droit / Constitutions, Philosophie, Révolution conservatrice, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : carl schmitt, révolution conservatrice, allemagne, république de weimar, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques, théorie politique | |
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Le voyage atlantique de l'impubliable Jünger
Le voyage atlantique de l'impubliable Jünger
Andrea Scarabelli
Ex: https://blog.ilgiornale.it/scarabelli/2017/08/07/il-viaggio-atlantico-dellimpubblicabile-junger/
Ernst Jünger, Voyage atlantique, Londres, 1947. Deux ans après la fin de la guerre mondiale, un petit livre inhabituel a été publié dans une série destinée aux prisonniers de guerre allemands en Angleterre. Ernst Jünger est donc l'auteur de Atlantische Fahrt, récemment publié en italien chez Guanda sous le titre Traversata atlantica, dans une traduction d'Alessandra Iadicicco et avec un éditeur enfin digne de ce nom. En plus du texte, le volume contient un riche appareil de correspondance, des annexes bio-bibliographiques, un grand nombre de notes et une critique d'Erhart Kästner de 1948. Reconstituée à travers ces riches apports, l'histoire éditoriale de Atlantische Fahrt est comique dans un certain sens. Le premier livre d'après-guerre de Jünger n'a pas été publié en Allemagne, en raison de la répression "démocratique" qui l'a interdit de publication et de parole, en même temps que d'autres dieux de la philosophie du 20ème siècle, dont Martin Heidegger et Carl Schmitt. L'épuration culturelle et anthropologique de la nouvelle Allemagne finit par le toucher lui aussi, abandonné à lui-même, incapable d'écrire et de publier et pourtant imprimé et réimprimé à l'étranger (surtout en Suisse, dans ces années-là), alors qu'une longue lignée d'intellectuels était intervenue en sa faveur. Le veto des autorités alliées durera jusqu'en 1949. Jusque-là, rien ne pouvait être fait. "Faut-il être un prisonnier allemand pour pouvoir lire un certain auteur interdit en Allemagne?" a amèrement remarqué l'écrivain Stefan Andres en critiquant Jünger en 1949.
À la fin des années 1940, le futur lauréat du prix Goethe est donc enchaîné : mais Jünger, le paria, s'est métamorphosé, a changé de peau, assumant la tâche de "phare aristocratique de la douleur", comme il le dira quelques années plus tard. C'est la chair des vaincus qui réclame l'attention dans ces pages lumineuses, que la sagesse européenne ne pourra pas ignorer longtemps. Un cri qui sera certainement malvenu pour certaines belles âmes, mais qui fait de ses paroles l'un des chants les plus intenses du 20ème siècle.
En tout cas, le livre a été publié en 1947, mais il s'agit du récit d'un voyage au Brésil onze ans plus tôt : de Hambourg à Belém, Recife, São Paulo, Rio de Janeiro et Bahia. Avec une escale préliminaire aux Açores, occasion idéale pour faire le point sur la situation de l'Allemagne qu'il vient de quitter: "Leur archipel me semblait un symbole de notre situation: comme une chaîne de volcans qui, à l'extrême frontière de l'Europe, s'élève au milieu de solitudes infinies". Il décide de faire une pause dans une civilisation dont il commence à entrevoir les ombres, changeant d'hémisphère, sous un soleil et des constellations différents. Ce voyage allait marquer un profond changement dans sa vision du monde, en déplaçant l'accent de la situation en Allemagne vers celle du monde dans son ensemble, comme le note Detlev Schöttker dans son essai à la fin du livre. Mais Jünger ne le sait pas encore, et dans le Nouveau Monde, dans sa surabondance protéiforme, il cherche les images, les phénomènes originaux dont parlait Goethe dans ses écrits sur la métamorphose des plantes. Chacune de ces images réveille des réminiscences anciennes, faisant de chaque homme un artiste et un artifice. L'Atlantique comme un miroir, dans lequel le poète d'Orages d'acier se reconnaît et se retrouve. Ici, chaque découverte est une (auto)révélation, un retour à la maison. Il s'en rend compte lorsqu'il aperçoit un poisson de forme bizarre, inconnu des classifications occidentales. Quelque chose de dormant se réveille en lui :
"A la vue de ces créatures fabuleuses, ce qui nous frappe, c'est avant tout l'accord entre l'apparition et l'imagination. Nous ne les percevons pas comme si nous les découvrions, mais comme si nous les inventions. Elles nous surprennent et en même temps nous nous sentons intimement familiers avec elles, comme si elles étaient des parties de nous-mêmes réalisées en images. Parfois, dans certains rêves et, très probablement, à l'heure de la mort, cette imagination acquiert en nous une force extraordinaire. Les mythes naissent là où les réalités supérieures et suprêmes s'accordent avec le pouvoir de l'imagination".
Mais l'Amérique du Sud n'est pas seulement une nature non contaminée. Au milieu des dédales de végétation et des humbles rives de rivières sans fin se dressent d'imposantes mégalopoles, encore inconnues des Européens de l'époque. C'est en présence de ces agglomérations vertigineuses que s'opère la révolution copernicienne de l'écrivain : la technologie, vue à l'œuvre dans la Première Guerre mondiale puis dans l'industrie, est devenue un phénomène mondial. Les acolytes du Travailleur ont envahi le globe, le transfigurant et redessinant ses frontières. Rio de Janeiro le consterne: "La ville a une forte impression sur moi. C'est une résidence pour l'esprit du monde". Et c'est précisément dans ces pages qu'apparaît le nom d'Oswald Spengler, qui dans Le Déclin de l'Occident avait indiqué dans les métropoles inorganiques et amorphes l'un des symptômes des phases terminales d'une civilisation. Des prophéties aussi amères que d'actualité, même un siècle après la publication de son monumental traité sur la morphologie des civilisations.
Et pourtant, comme l'écrivait Hölderlin, là où le danger grandit, surgit aussi ce qui sauve, et au cours de ce voyage au bout de l'Occident, une fois encore, la nature sauvage et intacte agit comme un buen retiro, comme un contrepoids à la technicisation planétaire effrénée. Une lettre à son frère Friedrich Georg, écrite le 20 novembre 1936 à Santos, en témoigne: "Dans ces contrées, il y a un proverbe que j'aime beaucoup ; il dit: la forêt est grande, et cela signifie que quiconque se trouve en difficulté ou est victime de persécutions peut toujours espérer trouver refuge et accueil dans cet élément". Il est probable que certains de ses compagnons de voyage pensent la même chose, et lorsqu'ils arrivent au Brésil, ils décident de quitter le navire et de ne pas retourner en Allemagne. Au contraire, il l'a fait, vivant la tragédie européenne jusqu'à son dernier acte, mais emportant avec lui cette image de la forêt, développée quelques années plus tard dans Le traité du rebelle. Dans la forêt, il verra l'authentique patrie spirituelle de l'homme, par opposition au navire, domaine de la vitesse et du progrès, et le rebelle sera celui qui se tournera vers la forêt, en se donnant à la brousse - en quittant le navire, en fait.
Mais il n'y a aucune trace de cela dans sa biographie. Pour l'instant, il n'y a que la haute mer et les îles, l'immensité de l'Atlantique et l'abri des atolls et des archipels, pour réitérer l'irréductible dualité qui constitue la quintessence littéraire - mais pas seulement - d'Ernst Jünger. L'océan, sous le charme duquel "notre être s'écoule et se dissout ; tout ce qui est rythmique en nous s'anime, résonances, battements, mélodies, le chant originel de la vie qui berce les âges". Son charme nous fait revenir vides, mais heureux comme après une nuit passée à danser". Les îles, en revanche, contiennent la promesse d'une joie "plus profonde que le calme, que la paix dans cet élément orageux déplacé des profondeurs". Même les étoiles sont des îles dans la mer de lumière de l'éther".
Les îles, la mer... Il est tard. Notre voyageur note ces mots en retournant dans son Europe, martelée par l'urgence de l'histoire, secouée par des vents qui vont bientôt révéler leur forme monstrueuse et titanesque. Les derniers mots du journal brésilien sont datés du 15 décembre 1936 :
"Je suis satisfait de ce voyage. Éole et tous les autres dieux ont été propices. Plus intense encore est le plaisir que j'y ai ressenti par rapport aux temps menaçants qui s'annoncent de plus en plus clairement, dont les flammes vacillent déjà à l'horizon".
Ces flammes qui finiront par embraser une civilisation entière, une civilisation dont Jünger choisira d'être le témoin, payant à la première personne, comme beaucoup d'autres, sa propre inactualité.
15:25 Publié dans Littérature, Livre, Livre, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernst jünger, littérature, livre, littérature allemande, lettres, lettres allemandes, révolution conservatrice, allemagne, atlantique | |
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Evola et le mystère hyperboréen
Evola et le mystère hyperboréen
par Giovanni Sessa
Ex : https://www.centrostudilaruna.it/evola-e-il-mistero-iperboreo.html
Recueil des écrits du philosophe 1934-1970
Julius Evola était un écrivain prolifique. Outre un nombre considérable de livres, consacrés à des domaines de connaissance très différents, du dadaïsme à la philosophie, de l'hermétisme à la critique de la modernité, il a également écrit un nombre inhabituel d'essais et d'articles, publiés dans des revues et des journaux. Depuis des années, la Fondation Evola rassemble en volumes les différentes contributions du traditionaliste romain. Le livre du penseur Il mistero dell'Occidente. Scritti su archeologia, preistoria e Indoeuropei 1934-1970, édité par Alberto Lombardo, à qui nous devons également l'intéressante introduction, letout publié par la Fondazione Evola/Pagine, Quaderno n. 53 di testi evoliani (pour les commandes : 06/45468600, pp. 243, euro 18.00). Le livre est enrichi par l'ample postface de Giovanni Monastra, biologiste spécialisé en anthropologie physique, qui offre, comme le rappelle Gianfranco de Turris dans la Note: "un aperçu des études génétiques les plus récentes [...] qui ont en partie confirmé, en partie modifié, le tableau de la préhistoire indo-européenne offert par Evola" (p. 7).
Le recueil contient vingt écrits consacrés par le philosophe à l'exploration du thème de l'origine. Ce Cahier est donc résolument plus substantiel que le précédent, publié en 2002, qui contenait une dizaine d'écrits, et permet au lecteur de comprendre ce qu'Evola pensait réellement des origines et de la préhistoire indo-européennes, c'est-à-dire de ce qui est défini à plusieurs reprises dans ces pages comme le mystère hyperboréen ou occidental. Comme le rappelle Lombardo, ce volume est d'autant plus important si l'on tient compte de l'influence exercée par les essais qu'il contient sur les auteurs et les courants de pensée de l'après-guerre. Adriano Romualdi, en effet, dans son étude éclairée sur les Indo-Européens, se réfère explicitement aux recherches d'Evola et tente de les combiner avec les découvertes de Giacomo Devoto. Les numéros spéciaux des revues Nouvelle Ecole et Futuro Presente, consacrés aux origines des peuples européens, témoignent de la pertinence des intuitions d'Evola, tout comme les travaux de Jean Haudry, Felice Vinci ou Jean Mabire.
A partir de ces articles, il est possible d'identifier les auteurs qu'Evola a utilisés pour disséquer le mystère hyperboréen. Tout d'abord, apparaît le nom de Fabre d'Olivet (illustration, ci-dessus), qui fut le premier à soutenir "la lointaine origine nordique-arctique, boréale ou hyperboréenne" de la race blanche (p. 13). Les références à Guénon ne manquent pas, même si, contrairement à l'ésotériste français, Evola utilise aussi des données scientifiques, tout en les subordonnant à la méthode traditionnelle. Dans les années 30, le savant vers lequel le traditionaliste se tournait avec le plus d'intérêt était Herman Wirth, auquel il faut reconnaître une capacité peu commune de lecture synthétique d'une énorme masse de données, prouvant l'origine arctique des Indo-Aryens.
Depuis l'Arctique, ces peuples, après la dernière grande période glaciaire, se sont déplacés "vers le sud-est, donnant naissance à de nombreuses civilisations préhistoriques" (p. 14), dont les valeurs religieuses étaient centrées sur le monothéisme solaire. Dans ses écrits des années 1950, Evola modère son jugement positif sur Wirth, bien qu'il continue à le considérer comme un auteur de grande profondeur. Pour le Romain, la spiritualité solaire de l'origine était le fruit de civilisations patriarcales et non de civilisations telluriques-matriarcales. Wirth ne pouvait pas partager ce point de vue car, selon le philosophe, il lui manquait une véritable vision traditionnelle de la préhistoire. Le même jugement, note Lombardo, réapparaît également dans les pages de Il mito del sangue. Au contraire, dans Il cammino del cinnabro (Le chemin du cinabre), un jugement global positif de l'œuvre de Wirth se dégage, car il a identifié le point zéro de l'histoire dans la "Tradition primordiale".
Dans le livre Urgeschichte der Menschheit Wirth est rejoint par Tilak, partisan de l'origine arctique des Vedas. Evola estime que la proto-patrie arctique pourrait également être argumenté en termes biologiques. Dans L'hypothèse hyperboréenne, le traditionaliste soutient que les groupes sanguins 0 et A: "ont une relation étroite [...] avec les races aryennes et, en général, indo-germaniques" (p. 17). Les données génétiques sont cependant lues par Evola comme faisant partie d'un ensemble plus vaste d'éléments, dont les traditions mythologiques des différents peuples européens. Pour le savant italien, le cadre ethnique de l'Europe serait composé de trois éléments: un substrat non aryen et autochtone, et deux autres éléments aryens, correspondant à deux mouvements migratoires différents. De plus, un entretien avec l'archéologue Frobenius à Vienne montre que le penseur traditionaliste croyait que le style figuratif qu'il avait observé en Afrique du Nord, en Espagne et en Sardaigne indiquait une même origine nord-atlantique ou arctique-occidentale. Pour Evola, les mythes hyperboréens et atlantes étaient "deux représentations distinctes de migrations, la première étant cependant beaucoup plus éloignée dans le temps que la seconde" (p. 19).
Le document, intitulé La migrazione dorica in Italia, témoigne d'une dette explicite envers le monde idéal de Franz Altheim, qui avait bien compris la proximité spirituelle de Sparte et de Rome. C'est dans ce contexte qu'émerge la lecture particulière qu'Evola fait du matriarcat, en partie déduite de Bachofen, comme une civilisation tellurique, lunaire, qui au niveau juridico-politique aurait été caractérisée par des tendances universalistes de promiscuité sociale. Par opposition, bien sûr, au patriarcat, expression masculine, héroïque, aristocratique et solaire. La lecture des pages de Günther par Evola va également dans le même sens théorique, l'amenant à considérer le matriarcat et le patriarcat comme des "psychologies immuables". Le recueil montre également que, dès 1934, le philosophe ne pense pas la race en termes de "nature" mais de "culture", se démarquant ainsi de la vision biologico-zoologique qui s'affirme tragiquement en Allemagne dans ces années-là.
Parmi les autres thèmes qui se dégagent du volume, il convient certainement de mentionner l'intérêt d'Evola pour l'idéologie "tripartite" de Dumézil. Evola souligne que celle-ci, en particulier en Inde, a connu une variation "quadripartite", ne pouvant invalider l'intuition de l'historien français des religions, puisque "seules les trois premières castes représentent l'héritage des envahisseurs aryens de l'Inde" (p. 27). En outre, les exégèses des deux chercheurs sur la figure du guerrier sont synonymes. L'intérêt du penseur romain pour Dumézil a peut-être été stimulé par Eliade, comme en témoignent certaines lettres d'Evola.
Un texte vraiment central, Le Mystère de l'Occident, pour ceux qui se soucient de l'exégèse de la production d'Evola.
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lundi, 08 novembre 2021
Un monde tripolaire : nouveaux horizons et Logos intemporels
Un monde tripolaire : nouveaux horizons et Logos intemporels
Alexandre Douguine
Ex: https://www.geopolitica.ru/article/trehpolyarnyy-mir-novye-gorizonty-i-vechnye-logosy
Un monde tripolaire s'est en fait construit sous nos yeux. Il n'importe plus de savoir quelle force politique prévaut en Amérique, les mondialistes (comme Biden aujourd'hui) ou les nationalistes (comme Trump hier). L'échec du maintien de l'hégémonie mondiale américaine ne dépend plus de l'orientation de l'élite dirigeante américaine. Les néocons et les ultra-libéraux de Biden vudraient revenir au modèle unipolaire qui prévalait dans les années 1990 après l'effondrement de l'URSS, mais ils ne le peuvent tout simplement plus. La Chine et la Russie, à partir d'un certain moment, sont devenues des entités géopolitiques et civilisationnelles si manifestement souveraines qu'il n'est plus possible de le nier.
Bien sûr, les libéraux en lutte contre Trump ont essayé de l'accuser d'être celui qui a contribué (et même tout à fait délibérément) à l'indépendance de la Russie de Poutine. C'était l'une des principales thématiques de l'élection américaine. Mais il est désormais clair qu'il s'agissait d'un pur coup politicien: il n'était pas question des sympathies de Trump pour Poutine ou de l'ingérence de la Russie dans les élections américaines. Le fait est que les États-Unis ne peuvent plus diriger le monde seuls. Et Biden est exactement dans la même position que Trump : la limite stratégique de l'unipolarité a été atteinte et il n'y a plus de ressources pour la maintenir et la renforcer. En dépit de Biden ou de Trump, nous sommes effectivement passés à un monde tripolaire.
Il existe trois centres de décision pleinement souverains dans ce monde.
- Les Etats-Unis, qui ne représentent plus l'Occident tout entier, mais l'axe anglo-saxon (d'où le lancement des alliances AUKUS et QUAD) + ses satellites régionaux ;
- La Russie, qui, malgré tout, ne fait que renforcer sa position sur la scène internationale, en essayant de trouver de nouveaux points d'application tant dans l'espace post-soviétique que dans d'autres régions ;
- La Chine qui supporte avec succès le poids de la confrontation économique et militaro-stratégique croissante avec les Anglo-Saxons, qui se sont sérieusement engagés dans un endiguement régional de la Chine en Asie du Sud-Est.
Entre ces centres complets de pouvoir oscillent
- L'Union européenne, désemparée, a été amenée au bord d'un désastre énergétique par les politiques ratées de Washington et s'est retrouvée pratiquement exclue du bloc anglo-saxon ;
- La Turquie, l'Iran et le Pakistan, qui renforcent systématiquement leurs capacités régionales ;
- Le Japon et l'Inde, qui cherchent à renforcer leur position en utilisant de manière pragmatique l'impasse entre les États-Unis et la Chine (tandis que l'Inde, de manière tout à fait rationnelle, continue de maintenir un partenariat stratégique avec la Russie) ;
- Les pays islamiques du Moyen-Orient et du Maghreb, qui se sont détachés des États-Unis et tentent désormais de résoudre les conflits locaux sans se tourner vers Washington ;
- Les régimes africains qui rejettent de plus en plus le néocolonialisme européen et, plus largement, occidental (incarné de manière très vivante par la nouvelle vague de panafricanisme anti-européen - comme les Urgences panafricanistes de Kemi Seba)
- Les pays d'Amérique latine, effectivement abandonnés par les États-Unis et cherchant une nouvelle place dans le système mondial sur le modèle du Sud global ;
- Les acteurs émergents d'Asie du Sud - Indonésie, Malaisie, Corée du Sud, etc.
Ainsi, entre les trois piliers de la tripolarité, qui ont désormais une supériorité incontestable, bien qu'asymétrique, commence un mouvement de pôles secondaires, un peu moins établis et encore incomplets. Néanmoins, certains d'entre eux - notamment l'Inde et certains pays d'Amérique latine - ont un potentiel très élevé et ne tarderont pas à atteindre la cour des grands.
Et c'est là que la partie amusante entre en jeu. Ce monde tripolaire, et demain un monde multipolaire au sens plein, a deux aspects.
D'une part, certains aspects technologiques de la civilisation - dans le système de communication, dans la sphère énergétique, dans les modèles de réseaux numériques et de développement de l'économie virtuelle - seront communs à tous les pôles, grands et petits, même si ce n'est que pour un court moment. Cela permettra de parvenir à une standardisation, même minime, des relations entre les pôles, et de justifier des algorithmes communs. Cela permettra d'établir un modèle spécifique sur le plan pratique, accepté par tous (ou presque), constitué de protocoles et de règles reflétant les nouvelles conditions. Oui, personne n'aura le monopole de la résolution des situations problématiques à lui seul. Toute solution peut être contestée par l'autre pôle ou par une alliance situationnelle de pôles. Dans une telle situation, personne n'aura le droit exclusif d'insister sur quoi que ce soit. Le pouvoir de l'un ne sera limité que par le pouvoir de l'autre. Le reste est une question de négociation.
Cela signifie, en fait, le début de la démocratie multipolaire ou "démocratie des normes". Une situation similaire existe d'ailleurs aux États-Unis, où chaque État a ses propres lois, qui se contredisent parfois directement. Dans un modèle international, la "démocratie des normes" peut être encore plus souple : certains pays proposent et acceptent leurs normes, d'autres acceptent les leurs, et ainsi de suite.
Bien sûr, il est dans l'intérêt de tous qu'il existe des algorithmes stables d'interaction internationale, mais les règles changeront constamment, chaque pôle cherchant à modifier la situation en sa faveur. Toutefois, un certain "universalisme" (de nature purement technique), bien que limité, sera manifestement exigé par tous.
Mais d'un autre côté, chaque pôle aura intérêt à renforcer son identité civilisationnelle. Et là, la situation sera encore plus intéressante.
Les trois pôles principaux déjà entièrement formés sont donc:
- Les Anglo-Saxons,
- La Russie et
- La Chine
On insistera clairement sur l'identité historique de chacun. Sur leur propre Logos. Et c'est là que les surprises nous attendent.
Il n'est pas du tout évident que les États-Unis, par exemple, bien que fortement liés à la Grande-Bretagne et à l'Australie, continueront sur la voie de l'ultra-libéralisme, du post-humanisme, de la dégénérescence LGBT+, etc. Ce modèle mondialiste est un échec total. Elle est de plus en plus rejetée, tant aux États-Unis qu'en Europe. Il ne faut donc pas écarter la possibilité d'un retour de Trump et du trumpisme (plus largement du populisme) aux États-Unis. Il est très révélateur que le symbole de la réussite mondiale, Elon Musk, se soit mis à lire Ernst Jünger. Le vent a tourné. L'élite des milliardaires prend un détour intellectuel intéressant - et résolument conservateur. Un autre milliardaire, Peter Thiel, lit depuis longtemps mes textes géopolitiques et les écrits de Carl Schmitt. Oui, il y a toujours Soros, Gates, méta-Zuckerberg, Bernard-Henri Lévy et Jeff Bezos avec les fous furieux de Google et Twitter, mais ils seront bientôt dans une impasse irrémédiable pour avoir tenté d'établir leurs monopoles. Et eux aussi chercheront à s'attaquer à la lecture de Jünger.
En Europe, la tendance montante du nouveau conservatisme est représentée par une figure comme Eric Zemmour, la star des prochaines élections présidentielles françaises. Zemmour rejette radicalement les LGBT+ et le libéralisme, appelle à l'arrêt complet des migrations, au retour à l'identité française, au gaullisme et à une alliance eurasienne avec la Russie.
La Hongrie et la Pologne, en Europe de l'Est, démontrent que le libéralisme commence à s'enliser aussi dans cette région.
Il n'est donc pas du tout certain que dans un monde tripolaire, les posthumanistes, les postmodernes, les maniaques de la technocratie et les pervers libéraux conserveront le monopole du Logos occidental. Un virage conservateur est également très probable. Et maintenant, ça pourrait devenir intéressant. Mais il n'en reste pas moins qu'un tel virage conservateur sera fondé sur les valeurs occidentales. Oui, ils ne seront pas aussi agressifs et intrusifs que la ligne totalitaire et déjà folle des mondialistes libéraux. Mais ce sera toujours une nouvelle affirmation de l'Occident - avec tout ce que cela implique.
La Chine, avec ses milliers d'années de civilisation et son système socio-politique tout à fait original, dispose là encore d'un énorme avantage. Ce n'est pas seulement l'économie et le contrôle politique étroit du PCC qui sont la clé du succès du Logos chinois. La société chinoise - tant l'État que le peuple lui-même - est un système de valeurs cohérent, avec une dimension impériale, une éthique et une sorte de métaphysique chinoise. Ce n'est pas seulement une question de pouvoir ; le fait est qu'entre le pouvoir du PCC et la société chinoise proprement dite se trouve un continent entier de culture traditionnelle chinoise - anthropologique, éthique, spirituelle. Et la Chine ne fera que se renforcer et étendre son influence dans les régions voisines.
Il est grand temps pour la Russie de réfléchir au Logos russe. Sur l'identité russe, sur la conscience de soi historique, sur notre système de valeurs, qui n'est pas moins original et distinctif que celui de l'Occident ou de la Chine. Hélas, nous y prêtons encore très peu d'attention. Mais il vaut la peine de se tourner vers l'histoire russe, vers les trésors inestimables de l'orthodoxie et de la tradition, vers notre littérature et notre art, vers notre philosophie religieuse, vers l'éthique russe de la justice et de la solidarité - et les grandes lignes de la civilisation russe s'ouvriront devant nous. Et là, il faut être décisif : même si ce n'est pas une vérité universelle, elle n'est pas universelle, mais c'est la nôtre, la russe. Qui est prêt à l'accepter, qu'il soit le bienvene. Pour ceux qui n'y sont pas prêts, eh bien, que le monde soit plus riche et plus complet grâce à la diversité et à l'identité.
Et encore les trois Logos...
...l'Occidental..,
... le chinois et...
le russe -
sont comme trois civilisations - et ils ne seront bientôt que les principaux pôles de la multipolarité. Les civilisations islamique ou indienne, africaine ou latino-américaine, avec toutes leurs particularités locales, auront l'occasion de multiplier leur Logos, de défendre et de développer leur identité, de construire leurs Etats, leurs cultures, leurs systèmes.
Bien sûr, il y aura des difficultés en cours de route. Mais il est parfois important de prêter d'abord attention aux nouveaux horizons, sans tout réduire à la concurrence, aux conflits, aux affrontements et au scepticisme geignard : "rien ne marchera pour l'humanité, comme rien n'a jamais marché". C'est un mensonge - cela a parfois fonctionné, et l'humanité a connu les plus grands succès, les plus grandes réalisations, les plus grands exploits et les plus hauts sommets, bien qu'il y ait eu aussi des chutes sévères et des catastrophes.
Il vaut la peine de se pencher sur un monde multipolaire - aujourd'hui tripolaire - avec responsabilité et animé de solides bonnes intentions. Après tout, c'est le monde dans lequel nous vivons que nous créons nous-mêmes. Concentrons-nous donc, nous les Russes, sur la recherche du Logos russe.
tg-Nezigar (@russica2)
18:37 Publié dans Actualité, Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, tripolarité, politique internationale, chine, russie, occident, alexandre douguine, nouvelle droite, nouvelle droite russe | |
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Droite et gauche, depuis 1989, les deux bras du rouleau compresseur néo-libéral
Droite et gauche, depuis 1989, les deux bras du rouleau compresseur néo-libéral
Les nouvelles gauches fuchsia et post-marxistes finiront par devenir l'emblème même, culturellement et politiquement, du turbo-capitalisme gagnant!
Par Diego Fusaro
Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/11/07/derecha-e-izquierda-desde-1989-los-dos-brazos-del-monstruo-neoliberal/
Tant à droite qu'à gauche, les gens ont été incapables, par myopie ou par mauvaise foi, de saisir la véritable signification historique de 1989 comme le triomphe du capitalisme américain contre toutes les formes de résistance culturelle, politique et économique. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, le soi-disant "néo-fascisme" a largement pris la forme d'une ressource de normalisation atlantiste et anti-soviétique servile, fonctionnelle parce qu'il abandonnait toute résistance anti-impérialiste et participait au reflux complet de la droite vers le capitalisme gagnant. Une dynamique convergente de domestication des intelligences critiques avait eu lieu à gauche ; une dynamique destinée à culminer dans l'actuelle reconfiguration globale de la gauche comme front avancé de la post-modernisation capitaliste, avec la centralité incontestable de la privatisation et de la libéralisation individualiste des coutumes et de la consommation.
Grâce à une métamorphose kafkaïenne, les nouvelles gauches fuchsia et post-marxistes finiront par devenir l'emblème même, sur le plan culturel et politique, du turbo-capitalisme gagnant. Preuve en est que la Nouvelle Gauche post-marxiste, qui - comme toute force libérale - est également anticommuniste et antifasciste, aurait repris toutes les batailles du cosmo-mercantilisme après 1989, adhérant pleinement au projet de libéralisation privée dans la sphère économique, d'impérialisme éthique made in USA en politique étrangère, de dé-souverainisation au profit de la Banque centrale européenne dans la sphère politique.
Les mots de Tacite s'inscrivent dans cette course générale vers la servitude: at Romae ruere in servitium consules, patres, eques... En ce sens, il est toujours bon de rappeler comment, aujourd'hui encore, le secteur de la gauche constitue le front le plus avancé pour la dé-souverainisation et la sanctification du projet de l'Union européenne. Sur ce plan incliné, qui les amènerait à se redéfinir comme ce que Gramsci a combattu tout au long de son existence, les gauches fuchsia et arc-en-ciel, traîtresses à Marx et au projet anticapitaliste, sont en fait devenues de manière cohérente des formes articulées pour se maintenir à bonne distance du peuple et antithétiques aux intérêts matériels des travailleurs.
De la lutte contre le capital, la gauche est passée à la lutte pour le capital, se redéfinissant comme un parti glamour et individualiste, culturellement libertaire, politiquement anti-étatiste et privatiste, économiquement libéral et compétitif, géopolitiquement atlantiste : "Je me sens plus en sécurité en restant de ce côté, sous le parapluie de l'OTAN", avait déjà improvisé Enrico Berlinguer en 1976, révélant l'adhésion déjà presque totale de la gauche démo-phobe - comme de la droite - à l'ordre de la mondialisation américano-centrique et, dans ce contexte, anti-soviétique. Cette déclaration, qui condense l'embryon de la reddition de la gauche à l'atlantisme, gauche qui était en train de se redéfinir comme post-marxiste, peut pratiquement être considérée comme un achèvement de la déclaration du secrétaire du parti Refondation communiste, Paolo Ferrero, dans le journal "Liberazione" du 9 novembre 2009 : la chute du mur de Berlin "était un fait positif et nécessaire, à célébrer" (sic !). Les paroles de Ferrero, dans ce contexte, auraient pu être les mêmes que celles de n'importe quel politicien de foi libérale ferme. Non seulement cela, mais, comme cela a souvent été souligné, le secteur de la gauche s'est révélé incapable d'offrir une réponse forte et plausible à la crise du paradigme keynésien, sans parler d'une véritable alternative à celui-ci. Qui plus est, il s'est retrouvé directement à "gérer la crise du capital pour le compte du capital" : et ce sur le plan incliné qui le conduira, après 1989, à se hisser au rôle insoupçonné d'espace politique privilégié pour la représentation des intérêts des classes dominantes.
La figure de Berlinguer constitue en effet un carrefour décisif dans le processus de métamorphose de la gauche marxiste et de sa normalisation libérale et atlantiste, tel qu'il finira par se réaliser après 1989 dans la nouvelle gauche malheureuse et sans conscience, celle des porte-drapeaux de l'Union européenne. Togliatti avait fait une revendication gramscienne de la souveraineté nationale comme base de l'internationalisme et de la "voie nationale vers le communisme" (s'opposant avec la même force à l'OTAN et aux projets d'intégration européenne). Il était aussi clairement conscient du conflit structurel entre le capital et le travail.
Pour sa part, Berlinguer abandonne la référence à la souveraineté nationale des communistes, optant pour la voie de l'eurocommunisme et de l'ouverture cosmopolite (plutôt qu'internationaliste), mais aussi pour la subordination de la nation italienne à la monarchie du dollar ("le parapluie de l'OTAN"). Berlinguer a ainsi posé les bases de la redéfinition ultérieure de la gauche comme force de soutien à l'Union européenne et à cette ouverture cosmopolite qui était, de facto, l'ordre symbolique de la classe dominante et qui, dans l'imaginaire de la nouvelle gauche, réoccuperait pleinement l'espace précédemment occupé par la lutte des classes et la question du travail.
De plus, Berlinguer a remplacé de manière perverse la question sociale du conflit entre le capital et le travail par la "question morale", qui non seulement n'a rien de marxiste (puisque le marxisme considère la société du capital comme intrinsèquement corrompue, quelle que soit la conduite morale des agents individuels). De plus, elle a fini par ouvrir la voie, à son grand regret, à la fois à l'anti-keynésianisme qui marquera plus tard le quadrant de gauche comme la nouvelle force privilégiée du libéralisme après 1989, et à la perte, de la part de la gauche, de toute référence à la question socio-économique et au conflit de classe associé.
Article publié en italien sur https://avig.mantepsei.it/single/destra-e-sinistra-dal-1989-sono-le-due-braccia-del-mostro-neoliberale
12:50 Publié dans Actualité, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diego fusaro, droite, gauche, gauche fuschsia, italie, communistes italiens, actualité | |
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Crépuscule et aurore
Crépuscule et aurore
par Giovanni Sessa
Ex: https://www.centrostudilaruna.it/tramonto-e-aurora.html
Pensée de tradition et nouveau départ
Zygmunt Bauman a affirmé que, depuis 1970, nous avons laissé derrière nous les scories idéologiques et les fausses certitudes de la modernité "solide", centrée sur la logique des Lumières, le système de l'usine et l'idée de progrès. Depuis lors, le monde occidental est entré dans la post-modernité : l'idée même de temps a perdu sa profondeur et toute référence de valeur a été soumise à une liquéfaction imparable. Nous vivons une époque de crépuscule éternel, où l'on n'entrevoit pas, même de loin, l'aube. Tout stagne, les hommes semblent résignés au simple destin de consommateurs "consommés", dont l'"ici et maintenant" est marqué par la dimension vide, éphémère, se référant toujours au futur et au nouveau, typique des marchandises.
L'antidote à cet "état de choses" est représenté par la pensée de la Tradition. C'est ce que démontre, avec une argumentation convaincante, un récent volume, Il ritorno oltre il Tramonto (= Le retour au-delà du crépuscule) publié par Arco e la Corte (pour les commandes : ordini@arcoelacorte.it, pp. 227, €17.00). L'auteur, probablement fidèle à la recherche d'impersonnalité typique d'un certain traditionalisme, a choisi de rester anonyme et signe son nom Il Solitario. Le livre présente un examen approfondi de l'époque contemporaine, dont les conséquences dévastatrices, d'un point de vue existentiel et spirituel, sont décrites en termes "forts". Le style utilisé peut parfois sembler redondant et rhétorique : en réalité, la "prose poétique" est un expédient utilisé à dessein pour impliquer le lecteur, à travers une suggestion imaginative, dans un processus dont Il Solitario est le protagoniste, à la première personne. L'auteur veut provoquer le "choc de la torpille", la "morsure du serpent", dont il est clair qu'il a été saisi, chez le lecteur, pour le réveiller, pour lui faire prendre conscience que le coucher du soleil n'est pas le destin ultime qui nous attend.
La prétention du livre, par aveu explicite, est de vouloir être original : ces pages se penchent sur l'origine, le début, en faisant l'hypothèse d'un retour possible. Au moment du coucher du soleil, du crépuscule, les masques tombent : "Le masque est là, occupant l'horizon. Il montre à tout le monde le même aspect lugubre et décadent. Celui qui, depuis des siècles, continue de présager la "crise absolue". Au-delà du masque larvaire de la société liquide, apparaît le nouveau sujet de l'histoire. L'auteur l'appelle, avec une réminiscence nietzschéenne, le nouvel Enfant. Il ne peut pas "vivre dans un monde sans passé [...] il va vers le coucher du soleil", il affronte ses pouvoirs perturbateurs et s'efforce de construire "un pont solide pour permettre la traversée et, ensuite, un véritable dépassement". En cours de route, il cherche des affinités électives avec des compagnons qui ont la force de le suivre, tout en sachant qu'il convient de toute façon, compte tenu des circonstances, de prendre ses distances par rapport à l'essaim humain qui l'entoure. La tâche est ardue : "C'est un retour primordial, absolu", bien différent du mysticisme apocalyptique. En effet, "c'est précisément le début de l'homme nouveau qui suscite une peur profonde et subtile". Cette affirmation conduit à la pensée d'un possible Nouveau Départ, non pas en termes purement déterministes, mais de manière tragique : dans le " retour " se joue le destin de l'homme européen.
L'auteur souligne que le renversement de la perspective existentielle contemporaine est essentiel à cette fin. Sur elle, les pouvoirs dominants de la contingence actuelle, ont sciemment agi, à travers "une "omnipotence" anodine et métallique qui tue la mémoire de l'appartenance de l'homme à la physis, à la dimension stellaire du cosmos. Cette harmonie primordiale doit être redécouverte, reconquise, malgré les circonstances défavorables. Il est nécessaire de dépasser les poisons du présent, notamment "la matière sans nomos, le temps et le mouvement sans accomplissement". L'homme "simple", qui est resté à l'écart des foules imprégnées de "bon sens", loin des lueurs du sensualisme catagogique matérialiste, pourra agir mieux et plus tôt que les autres, parce qu'il aura gardé vivante en lui la lumière intérieure. Il n'a pas, comme ses contemporains, mis à mort le Père, celui qui, en fait, réalise la trahison. Son existence recluse et humble est ardente, elle peut devenir une flamme et illuminer la "dispute impie entre larves" de l'âge du fer. Mais, attention, sur cet aspect, l'auteur est péremptoire, au-delà du crépuscule : "il ne peut y avoir d'autre credo", car une fois les masques tombés, le visage réel de la réalité reviendra se révéler.
En cours de route, d'éventuelles erreurs peuvent être justifiées et comprises, mais jamais l'inversion de la trahison en trahison. Pour éviter cela, il faut se référer au "Connais-toi toi-même" delphique, une pratique qui ouvre l'hegemonikon, le cristal de roche intérieur incassable, le Soi. Cela garantit la fidélité à l'origine qui, en fait, est en vigueur en nous, au-delà de toute métamorphose, tout comme dans le ciel le mouvement des étoiles de la Grande Ourse est toujours dirigé vers le Pôle. L'Enfant, en phase avec le jeu cosmique, réalise le retour à la fois en lui-même et à l'extérieur de lui-même. Selon l'auteur, il s'agit d'une danse, d'un voyage épistrophique, jalonné de plusieurs moments. La première phase, Per Occidentem lux, est fondée sur le rejet de tout contemplativisme stérile et la certitude que : "Il est temps de surmonter à la fois la "sagesse fossile" [...] et la procédure aveugle du titanesque fabricant d'autels consacrés à la technique". Il s'agit de revenir à l'essence de la haute action, que l'Europe connaît depuis ses débuts. La seconde, la lumière du coucher du soleil, doit permettre de tracer la nouvelle lumière, ici et maintenant : "parmi les mille nuances de noir des ombres" et cela peut se faire, comme le suppose la troisième phase, en vertu d'une décision.
Ce chemin labyrinthique exige que l'Enfant ait les outils pour décoder les éclairs révélateurs qui s'y montrent : ce sont les symboles, les poteaux indicateurs, comme aurait dit Heidegger, de la Tradition, qui permettent la poussée anagogique du daimon, la conquête de la perspective élevée, d'où l'on peut scruter l'horizon avec les éclairs de l'aube, du Nouveau Départ. Nous ne devons pas négliger la pietas envers les gens de la plaine moderne : le sage se tient devant eux comme une torche dans la nuit, leur montrant le chemin. En cours de route, on se retrouve devant le carrefour d'où partent deux chemins : le chemin contemplatif de la main droite, et le chemin actif et risqué de la main gauche. Pour l'écrivain, dans l'état actuel des choses, cette dernière, extrêmement sélective, est la seule praticable : elle conduit au dépassement des croyances et des foi et à la réalisation du Je suis.
Comme nous l'avons souligné à plus d'une reprise dans nos écrits, la pensée de la Tradition doit se libérer du nécessitarisme et embrasser une vision ouverte, active et tragique de l'historicité. Dans celui-ci, l'origine n'est pas rétrofléchie, c'est un objectif au-delà du crépuscule. Le livre que nous avons présenté, au moins dans certains plexus, présente une telle conception.
11:41 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, tradition, traditionalisme | |
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Le chercheur russe Artyom Lukin : trois options idéologiques à l'oeuvre dans le monde
Le chercheur russe Artyom Lukin : trois options idéologiques à l'oeuvre dans le monde
Markku Siira
Ex: https://markkusiira.com/2021/11/06/venalaistutkija-kolme-ideologista-vaihtoehtoa/
Le chercheur russe Artyom Lukin conteste l'argument selon lequel la compétition géopolitique actuelle ne peut être comparée à la guerre froide, car il ne s'agit plus d'un "choc des idéologies". Selon M. Lukin, les trois superpuissances actuelles - les États-Unis, la Chine et la Russie - représentent des "choix idéologiques différents".
Les États-Unis défendent "une idéologie libérale-progressiste, connue dans sa forme extrême [de pureté idéologique] sous le nom de wokeness". La Chine et la Russie remettent en question cette vision libérale américaine - et, par ailleurs, néo-gauchiste.
La Chine et la Russie sont souvent mises dans le même sac en tant qu'"amis autocratiques", note M. Lukin. Toutefois, le spécialiste de la Russie estime que Pékin et Moscou représentent "des modèles idéologiques très différents". Le modèle chinois est "une synthèse du socialisme marxiste-léniniste-maoïste et de la culture traditionnelle chinoise coutumière, renforcée par une technologie numérique avancée".
M. Lukin estime également que c'est une erreur de penser que M. Poutine veut faire revivre l'Union soviétique communiste. En fait, le président russe de longue date est très ambivalent à l'égard de l'ancien modèle soviétique. "Poutine n'est pas un communiste, mais plutôt un suzerain néo-féodal", dit Lukin.
La préférence de Poutine semble être pour la "vieille Russie tsariste": pour lui, la Russie ne doit pas être un empire idéologique universel, mais une "large autocratie continentale" qui s'appuie sur "les armes nucléaires, un conservatisme sain et des traditions éprouvées".
L'idéal russe de Poutine vient donc du passé ; en tant que telle, l'idéologie russe plaît à "certains conservateurs de droite en Europe et en Amérique du Nord". C'est pourquoi l'élite libérale occidentale considère Poutine comme son "adversaire idéologique".
Pourtant, le défi idéologique de la Russie à l'égard de l'Occident n'est rien comparé au défi posé par la Chine. "L'Occident a de plus en plus peur de la Chine, non seulement en raison de la puissance économique et militaire croissante de la Chine, mais aussi parce que le développement moderne et très réussi de la Chine renforce l'idéologie du parti communiste chinois", explique M. Lukin.
Il estime que "la pandémie du coronavirus a été un moment décisif qui a montré la supériorité du système chinois". "Alors que la plupart des pays occidentaux, ainsi que la Russie et l'Inde, ont échoué de manière désastreuse à protéger leurs populations, la Chine a gagné la bataille contre le virus", estime l'universitaire russe. Les lecteurs critiques peuvent, s'ils le souhaitent, débattre de la validité de ce point de vue dans le fil de discussion du compte Twitter de Lukin.
M. Lukin admet que le système chinois présente des "caractéristiques dystopiques", mais qu'il est actuellement "le système le plus efficace lorsqu'il s'agit de générer des richesses matérielles pour les masses et de protéger la vie humaine biologique". Au lieu d'arguments plus spécifiques, il invite les lecteurs à explorer le personnage du "grand inquisiteur" créé par l'écrivain Fyodor Dostoïevski.
Lukin n'oublie pas de mentionner qu'il existait également une quatrième idéologie concurrente, l'"islamisme radical", mais que l'"État islamique" qui la représentait a été détruit par l'action collective des grandes puissances. Il s'agit de la plus extraordinaire des affirmations de Lukin, car il existe des exemples plus réussis de groupes terroristes fondés sur le modèle de la civilisation islamique en Iran, en Arabie saoudite et, par exemple, en Turquie.
En résumé, Lukin conclut que "l'humanité a désormais le choix entre le wokéisme occidental, le néoféodalisme russe et le socialisme numérique quelque peu dystopique de la Chine". Y a-t-il vraiment un choix entre ces modèles, ou est-ce l'histoire, la géographie et les liens avec la politique étrangère et de sécurité qui déterminent à quelle superpuissance appartient chaque pays ? La deuxième question est la suivante : comment la crise mondiale actuelle affectera-t-elle les aspirations des grandes puissances ?
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dimanche, 07 novembre 2021
L'Ile et le Continent
L'Ile et le Continent
Par Marco Ghisetti
Ex: https://www.eurasia-rivista.com/lisola-e-il-continente-2/
L'île et le continent à l'époque colombienne (XV-XIX)
Le géographe français Yves Lacoste définit la géopolitique comme "la situation dans laquelle deux ou plusieurs acteurs politiques se disputent un territoire" (1) et, par ailleurs, comme l'étude du conditionnement géographique de l'action de l'État. Le conditionnement du facteur géographique et du facteur interprétatif peut facilement être vérifié à l'aide d'un cas exemplaire. La France a été unifiée avant l'Allemagne parce que le réseau fluvial français s'est développé selon une forme radiale dont l'épicentre était Paris. Cela a permis à un centre de pouvoir basé à Paris d'étendre son pouvoir et d'absorber les autres entités politiques présentes dans l'espace français ; cette unification a eu lieu pendant l'ère moderne post-médiévale, car il y avait eu des développements technologiques qui rendaient possible l'unification politique de territoires plus vastes que la taille des entités politiques du Moyen Âge. En revanche, l'unification de l'Allemagne par la Prusse n'a pas eu lieu en même temps que l'unification française, car le réseau fluvial allemand s'est développé de manière parallèle, ce qui a entravé l'unification politique. La Prusse n'a pu organiser autour d'elle les différentes entités politiques allemandes qu'à la suite de nouveaux développements technologiques, notamment dans le secteur ferroviaire, qui lui ont permis de surmonter ses contraintes géographiques.
Lacoste a ensuite enrichi sa définition en y ajoutant une composante interprétativiste, selon laquelle une connaissance approfondie de son propre espace géographique et de la manière dont un acteur politique interprète son espace influence la manière dont cet acteur politique oriente son action dans le monde. Il est également possible ici de le montrer à travers un cas exemplaire. Vers le 15ème siècle, les Anglais et les Chinois disposaient de technologies assez similaires dans le domaine naval. Cependant, les Anglais, comme l'écrit Carl Schmitt, sont passés d'un "peuple d'éleveurs de moutons" à un "peuple d'écumeurs de mer et de corsaires, [de] fils de la mer" (2), tandis que les Chinois, comme le souligne Friedrich Hegel, sont restés un peuple qui considérait la mer comme le lieu où la terre se terminait, tout simplement (3). L'Angleterre devient une puissance maritime et fonde un empire transocéanique, tandis que la Chine reste une puissance continentale, sans révolutionner son image de l'espace, même si le niveau de développement technologique naval en Chine et en Angleterre était,à l'époque, très similaire.
La révolution spatiale anglaise du 15ème siècle est décrite par Schmitt comme une transformation qui a fait de l'Angleterre "une île", un territoire qui "est devenu le sujet et le centre du retournement élémentaire du continent vers la haute mer [...] héritier de toutes les énergies maritimes alors libérées [...] il est devenu une île dans un sens nouveau et jusqu'alors inconnu" (4), détachant "son regard du continent" et l'élevant même "jusqu'aux grandes mers du monde" (5), et générant un conflit entre la Mer (l'île anglaise, puissance maritime) et la Terre (les Etats européens, puissances continentales).
Antonio Zischka, contemporain de Schmitt, porte un jugement similaire en affirmant que "pendant l'époque romaine et le Moyen Âge, l'Angleterre n'avait aucune importance", mais qu'avec la guerre de Cent Ans (1337-1453), elle a "coupé, pour ainsi dire, le cordon ombilical" qui la reliait à l'Europe et, ce faisant, "sa nature insulaire s'est clairement affirmée" (6). Pendant la Seconde Guerre mondiale, Johann von Leers a écrit que "pendant tout le Moyen Âge, les îles britanniques ont eu peu d'importance pour l'histoire de l'Europe", alors qu'après la conquête normande (1090), les Anglais "appréciaient l'insularité anglaise, l'avantage d'être dans une terre sans voisins et inattaquable, comme une politique de puissance" (7).
L'Anglais et contemporain de ces auteurs, Halford Mackinder, définit cette transformation spatiale comme celle qui a ouvert une période historique différente de la période médiévale, la "période colombienne". Il s'agit d'une période historique au cours de laquelle les "découvertes colombiennes" ont fait de "l'Atlantique Nord [...] un bassin arrondi" et au cours de laquelle la "Grande-Bretagne", en raison de la "position centrale" dont elle a commencé à jouir dans ce bassin, combinée à sa "position insulaire [...] au large du grand continent [...] est progressivement devenue la terre centrale, plutôt que marginale, du monde" (8). Ayant atteint cette centralité dans le bassin atlantique, Mackinder souligne comment l'Angleterre a atteint la "dominance sur la mer", c'est-à-dire qu'elle a pu dominer, grâce à sa flotte, sa puissance économique et les différentes bases navales et transocéaniques qu'elle a installées tout au long de "la grande route océanique": l'Angleterre est devenue une puissance maritime qui, par rapport au grand continent dont elle s'est détachée en se donnant à la mer, maintient la " politique traditionnelle [de] faire des alliances avec des États plus petits en opposition à tout grand État qui menace de bouleverser l'équilibre des forces en Europe" (9).
Claudio Mutti, en reconstituant ce en quoi consistait la politique d'équilibre des forces, écrit qu'il s'agissait davantage de "monter les nations européennes les unes contre les autres" en vue d'"empêcher l'unification politique de l'espace continental" (10) (d'où le choix anglais de soutenir la nation faible contre la nation forte) que d'une véritable défense des faibles. Tiberio Graziani a résumé la politique de puissance anglaise envers le continent pendant la période colombienne comme une "politique de puissance séculaire visant à contenir et à contrecarrer les accords d'amitié et/ou d'intégration entre les nations du continent européen" (11). C'était la stratégie britannique car, écrit Jean Thiriart, "la formation d'une Europe unifiée [...] entraînerait la création d'une force capable de l'envahir" (12).
En affirmant son insularité, la stratégie générale anglaise était donc de maintenir sa domination maritime et, en même temps, de garder le continent divisé. Cette stratégie est aussi généralement qualifiée d'"isolationnisme" dans la littérature, mais il convient de préciser qu'elle ne doit pas être assimilée, par exemple, à la politique fermée du Sakoku du Japon, par laquelle l'Empire de la Fleur de Cerisier (également un groupe d'îles flanquant un continent) entendait minimiser toute forme de contact avec les autres puissances. L'isolationnisme britannique, en revanche, était une véritable politique de puissance, un isolationnisme qui "était en fait très extraverti" (13). Pendant la période colombienne, la puissance hégémonique était donc l'Angleterre, l'île hégémonique face au continent.
L'île et le continent à l'époque postcolombienne (XX-)
Cependant, entre le 19ème et le 20ème siècle, il y a eu des changements et des développements technologiques qui, comme ceux qui avaient provoqué le passage du monde médiéval au monde colombien (qui était caractérisé à la fois par l'ouverture européenne au monde et par l'unification des microstructures politiques médiévales en États modernes), ont conduit à la naissance du monde post-colombien, dans lequel il n'y avait plus de terrae nullius et qui était caractérisé par l'unification des empires continentaux. Ces transformations ont fait de l'Angleterre une "petite île [qui n'a pas] une productivité suffisante pour établir un empire capable de tenir tête aux grands empires continentaux qui émergent" (14) (la Russie, les États-Unis, et potentiellement la Chine, l'Inde et le Brésil).
En outre, écrit Mackinder, "le continent combiné de l'Europe, de l'Asie et de l'Afrique" est devenu "effectivement et pas seulement théoriquement une île : [...] le monde insulaire" (15). Les autres macro-régions du monde (Amérique du Nord et du Sud, Australie, dominions britanniques), étant des terres beaucoup plus petites avec beaucoup moins de ressources naturelles et de population que l'île-monde, sont considérées par Mackinder comme des "satellites" de l'île-monde. Pour Mackinder, l'île-monde est constituée d'un centre appelé "cœur de la terre" (heartland) et de quatre appendices (le croissant intérieur/inner crescent) qui se développent autour de lui: l'Europe péninsulaire, l'Asie du Sud-Ouest (Proche et Moyen-Orient, Afrique du Nord), l'Inde et la Chine ; ces quatre zones sont des appendices mais font néanmoins partie intégrante de l'île-monde. Les appendices seront plus tard appelés "rimlands" par Nicholas Spykman. Le potentiel de puissance de la World Island est tel que si une puissance ou un concert de puissances locales parvenait à organiser cette World Island, elle ou ils auraient à leur disposition "l'utilisation de vastes ressources continentales pour la construction de flottes, avec la possibilité conséquente de conquérir la domination du monde" (16) . L'ère post-colombienne est devenue, pour Mackinder, l'ère des "empires continentaux", dans laquelle les structures politiques modernes s'unissent en États de dimensions continentales.
Les changements radicaux survenus entre le 19ème et le 20ème siècle ont également été identifiés par Alfred Thayer Mahan, "le premier à théoriser la stratégie maritime [et] à souligner l'importance, dans la géopolitique contemporaine, de la "domination maritime"" (17) et celui qui allait devenir le père de la doctrine géopolitique américaine. Il est le père de la doctrine militaire américaine parce qu'il est celui qui a systématisé la stratégie maritime américaine pour le monde post-colombien et indiqué les constantes stratégiques que les États-Unis devaient suivre pour devenir la "véritable île contemporaine", l'"île continentale" du 20ème siècle et au-delà. Mahan écrit :
"Les États-Unis sont à toutes fins utiles une puissance insulaire, comme la Grande-Bretagne. Nous n'avons que deux frontières terrestres, le Canada et le Mexique. Ce dernier pays dernière est désespérément inférieure à nous dans tous les éléments de la force militaire. Quant au Canada [...] les chiffres indiquent clairement que l'agression ne sera jamais sa politique. [...] Nous sommes, répétons-le, une puissance insulaire, donc dépendante de la marine. En outre, une puissance navale durable dépend en fin de compte des relations commerciales avec les pays étrangers" (18).
Suivant l'étoile polaire indiquée par Mahan, les États-Unis ont promu une double ligne d'expansion, verticale et horizontale, afin de devenir la véritable puissance insulaire contemporaine. Avec le percement du canal de Panama, fortement préconisé par Mahan, les États-Unis ont obtenu la condition du bi-océanisme avec les côtes reliées par la mer. Au sud, les États-Unis ont promu l'expulsion des puissances européennes, faisant de la mer des Caraïbes et de la mer du Mexique une mer intérieure américaine, hégémonisée par les États-Unis, et, par une déclinaison agressive de la doctrine Monroe, ont favorisé, comme l'écrit Tiberio Graziani, "l'unité géopolitique pour [l'Amérique du Nord] [et] la fragmentation excessive pour l'Amérique centrale et du Sud" (19).
En ce qui concerne l'expansion horizontale, Mahan insiste sur l'unité de la puissance marchande et militaire des puissances maritimes, plaide pour la nécessité d'hériter de l'empire maritime britannique, de maintenir l'équilibre des forces en Europe afin qu'un challenger ne se présente pas, maintenir l'équilibre des forces en Méditerranée afin de disposer d'un "libre accès au canal de Suez", le "chemin de fer maritime" (20) qui relie la mer Méditerranée au golfe Persique car, à travers lui, on accède par mer à l'océan Indien, au Pacifique et, par le canal de Panama, à l'Atlantique à nouveau. En exerçant l'hégémonie maritime sur ces routes, on crée ce que Mahan appelle "l'océan uni", qui selon l'amiral est le siège principal de la puissance mondiale; une hégémonie qui peut être partiellement soulagée et partagée avec des puissances maritimes secondaires. Le Moyen-Orient et l'Asie doivent être maintenus dans un équilibre des forces, comme c'est le cas en Europe.
Les conclusions maritimes de Mahan ont été développées par Isaiah Bowman, qui renforce la thèse de l'interconnexion de l'Amérique latine avec les États-Unis en vue d'augmenter les débouchés commerciaux américains en Amérique du Sud et de diminuer les débouchés européens sur le "continent vertical" et, d'autre part, développe l'analyse des processus géoéconomiques et des opérations financières de contrôle du marché sur les relations politiques interétatiques en vue d'élire les États-Unis au rôle de garant de l'équilibre mondial, liant ainsi doublement la puissance navale américaine à la puissance financière (21).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la géopolitique de Mahan a été développée par Nicholas Spykman, un auteur qui a réalisé "l'achèvement de la géopolitique anglo-saxonne classique" (22), qui a déplacé le siège de la puissance mondiale de l'océan Indien vers les zones frontalières eurasiennes (rimlands) et a ajouté un "conflit permanent" entre le "nouveau monde", c'est-à-dire l'Amérique, et le "vieux monde", qui, ayant un potentiel de puissance plus important que le nouveau monde, doivent être maintenus dans un équilibre neutralisant par les Etats-Unis en y installant des bases militaires américaines et en liant l'économie de ces zones à l'économie américaine, afin qu'elles ne regardent pas vers le cœur de la terre eurasienne (23). Selon Spykman, dans la période post-colombienne, les États-Unis font face à l'Eurasie de la même manière que l'Angleterre faisait face à l'Europe pendant la période colombienne.
Les travaux de Mackinder, Mahan et Spykman constituent toujours le pivot de la doctrine géopolitique américaine, l'étoile polaire qui guide l'action des États-Unis dans l'ère post-colombienne (24) toujours en cours.
Henri Kissinger écrit :
Géopolitiquement, l'Amérique est une île au large du grand continent eurasien. La domination par une seule puissance de l'une des deux sphères principales de l'Eurasie - Europe ou Asie - est une bonne définition d'un danger stratégique pour les États-Unis, guerre froide ou pas. Ce danger doit être écarté même si cette puissance ne manifeste pas d'intentions agressives, car si cette puissance devait devenir agressive par la suite, l'Amérique se retrouverait avec une capacité de résistance efficace très réduite et une incapacité croissante à influencer les événements (25).
Zbigniew Brzezinski écrit :
L'Eurasie est le supercontinent axial du monde. Une puissance dominant l'Eurasie exercerait une influence décisive sur deux des trois régions les plus productives économiquement du monde: l'Europe occidentale et l'Asie orientale. Un coup d'œil à la carte suggère également qu'un pays dominant en Eurasie commanderait presque automatiquement le Moyen-Orient et l'Afrique [...] la puissance potentielle de l'Eurasie éclipse même celle de l'Amérique. [La stratégie américaine consiste donc à] s'assurer qu'aucun État ou combinaison d'États n'acquiert la capacité d'expulser les États-Unis ou même de diminuer leur rôle [...] en Eurasie (26).
Phil Kelly écrit, en résumant les études géopolitiques américaines :
Toutes les visions stratégiques géopolitiques présentent l'Eurasie comme le facteur central. Tout comme pour l'Angleterre, pour les États-Unis, c'est de là que vient la principale (bien que plus lointaine) menace pour la sécurité. [La conscience de la vulnérabilité de l'Eurasie a longtemps été présente dans la pensée géopolitique américaine, et continue de l'être aujourd'hui. [...] La géopolitique américaine est étroitement liée aux principes de base des doctrines classiques des Britanniques [...] Tous deux se dépeignent comme une "île", flanquée d'une masse continentale menaçante qui doit être maintenue divisée pour protéger leur propre sécurité (27).
Kissinger lui-même résume ainsi toute la signification des interventions militaires américaines au cours du 20ème siècle : "Dans la première moitié du 20ème siècle, les États-Unis ont mené deux guerres pour empêcher la domination de l'Europe par un adversaire potentiel [...] Dans la seconde moitié du 20ème siècle (en fait à partir de 1941), ils ont mené trois guerres pour défendre le même principe en Asie - contre le Japon, en Corée et au Vietnam" (28). Nous constatons qu'en deux phrases seulement, Kissinger révèle le sens des guerres menées par les États-Unis tout au long du 20ème siècle, en les dépouillant de toute justification idéologique qui leur est habituellement attachée (guerres antifascistes, anticommunistes, guerre pour la liberté, pour la démocratie, pour la civilisation, etc.).
Alors que cela était vrai au 20ème siècle, François Thual note avec le début du troisième millénaire un paradoxe apparent dans l'évolution historique : là où la modernité se caractérisait par l'unification des microstructures politiques médiévales, l'époque contemporaine se caractérise par la multiplication des "impuissances géopolitiques", c'est-à-dire par la fragmentation, selon des lignes ethnoculturelles plus ou moins artificielles, des empires et des États de taille moyenne en petits États, donc en États qui ne sont que nominalement souverains. L'"éclatement de la planète" comme "stade suprême de la mondialisation", écrit Thual, s'explique par le fait que le "morcellement de la planète est le résultat de manipulations génétiques [...] l'expression d'un volontarisme [...] avec des États réels et des États que l'on pourrait qualifier d'"effacés" et qui sont généralement des "États dominés"" (29).
Les considérations de Thual ont été développées par Tiberio Graziani, qui affirme que la politique de fractionnement de la planète est menée par les États-Unis, qui, après avoir réussi au 20ème siècle à devenir - dans le langage de John Mearsheimer - le seul "hégémon régional" du monde, font maintenant "tout pour affaiblir, voire détruire" (30) un État qui se propose de faire de même. Le "processus de déstabilisation [...] de l'espace eurasiatique", lancé par les États-Unis après l'échec de la fonction d'équilibrage de l'Union soviétique, visait à exploiter les deux piliers de la puissance américaine - "le rôle de Wall Street en tant que centre financier incontesté du monde [et] la puissance de guerre nord-américaine du Pentagone" (31) - afin de diviser ce que Brzezinski avait appelé le "grand échiquier eurasiatique" (l'Île-Monde) et de hisser les États-Unis au rang de "première, unique et vraiment dernière superpuissance mondiale" (32). En bref, réaliser ce qu'un "employé du Département d'État américain" (33), Francis Fukuyama, avait appelé la "fin de l'histoire" (34).
Toutefois, le processus de fractionnement des États-Unis s'est accompagné d'un autre processus égal et opposé: celui des intégrations continentales, promu principalement par la Russie post-soviétique - qui "tente d'endiguer la marche des États-Unis vers l'Est par le tissage méthodique d'un système d'alliances stratégiques avec la Chine, le sous-continent indien et l'Iran" (35) - et par la Chine - qui, ayant survécu au "projet de transformer la République populaire de Chine en colonie économique américaine" (36) - tente de se présenter comme un hégémon régional en Asie. Les frictions générées par les deux tendances divergentes de l'intégration et de la fragmentation transforment les quatre annexes de l'île-monde en "décharges" (37) de tensions internationales, où se dérouleront les prochaines batailles pour la domination mondiale. Le succès ou non de la création d'un monde multipolaire ou, inversement, le succès des États-Unis à rester le Léviathan hégémonique, dépendra de la preuve et de la solidité de la collaboration intégrationniste sino-russe.
Claudio Mutti, commentant les projets d'intégration sino-russes, écrit: "La perspective d'un rapprochement entre l'Europe et la Russie, qui inquiète tant les États-Unis, devient un véritable cauchemar à Washington si l'on considère qu'au terme du parcours d'intégration représenté par la nouvelle route de la soie, la Russie et l'Europe pourraient être rejointes par la Chine; dans ce cas, en effet, l'Eurasie deviendrait le siège du pouvoir géopolitique mondial. Les "analyses" préconisant un nouveau renforcement des relations entre les États-Unis et l'Europe découlent de cette "anxiété américaine" (38).
Alain de Benoist écrit, en établissant un parallèle entre l'Angleterre de la période colombienne et les Etats-Unis d'aujourd'hui: "comme l'Angleterre d'hier, l'hégémonie américaine repose sur la domination mondiale des mers, prolongée par la domination des airs, et sur l'absence d'unité dans l'espace eurasien. L'axe Madrid-Paris-Berlin-Moscou acquiert toute son importance, aux côtés de l'axe Moscou-Téhéran-New Delhi [tandis que] l'inconnu chinois domine tout le reste" (39). Ainsi, comme dans la période colombienne et au 20ème siècle, l'histoire du 21ème siècle sera très probablement celle du choc entre deux tendances opposées: celle de la tentative d'unification et d'organisation de l'espace eurasiatique, voulue par les grandes puissances eurasiatiques, et celle de la tentative de l'empêcher, poursuivie par les États-Unis. Aujourd'hui comme hier, en utilisant les catégories géo-historiques de Mackinder et Schmitt, nous assistons à l'affrontement entre les loups de la mer et les loups de la terre, entre la Mer et la Terre, entre Poséidon et Antée, entre l'Île et le Continent.
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Notes:
- (1) Yves Lacoste, “Che cos’è la geopolitica”, eurasia-rivista.com, 17 luglio 2007, https://www.eurasia-rivista.com/yves-lacoste-che-cose-la-...
- (2) Carl Schmitt, Terra e mare: una considerazione sulla storia del mondo, Milano, Giuffrè, 1986, p. 54-5.
- (3) Friedrich Hegel, Lezioni sulla filosofia della storia, Bari, Laterza, 2003.
- (4) Carl Schmitt, op. cit., p. 17.
- (5) Ibid, p. 99.
- (6) Antonio Zischka, Le alleanze dell’Inghilterra. Sei secoli di guerre inglesi combattute con le armi altrui, Roma, Mediterranea, 1941-XIX, p. 41.
- (7) Johann Von Leers, L’Inghilterra: il nemico del continente europeo, Parma, Insegna del Veltro, 2004, p. 41-2
- (8) Halford Mackinder, Britain and the British Seas, Londra, William Heinemmann, 1902, pp. 3-4.
- (9) Halford Mackinder, Nations of the Modern World: An Elementary Study in Geography, Londra, Philip and Son, 1911, p. 291.
- (10) Claudio Mutti, “L’isola e il continente”, eurasia-rivista.com, 18 luglio 2017, https://www.eurasia-rivista.com/lisola-e-il-continente/
- (11) Tiberio Graziani, “Il Patto atlantico nella geopolitica Usa per l’egemonia globale”, eurasia-sito.com, 1 gennaio 2009, https://www.eurasia-rivista.com/patto-atlantico-nella-geo...
- (12) Jean Thiriart, Il fallimento dell’impero britannico, in “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, Vol. 3/2019, 2019, pp. 183-191.
- (13) Daniele Scalea, “Come nacque un ‘impero’ (e come finirà presto)”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, p. 49.
- (14) Halford John Mackinder, Geographical Conditions Affecting the British Empire. I. The British Islands’, in “Geographical Journal”, Vol. 33, 1909, p. 474.
- (15) Halford Mackinder, Democratic Ideals and Reality, Washington, National Defence, 1996, 45.
- (16) Halford Mackinder, “Il perno geografico della storia”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 2/2018, 40.
- (17) Pascal Lorot, Storia della geopolitica, Trieste, Asterios, 1995, 35.
- (18) Alfred Mahan, The Interest of America in Sea Power: Present and Furure, Boston, 1917.
- (19) Tiberio Graziani, “Il risveglio dell’America indiolatina”, eurasia-sito.com, 1 luglio 2007, https://www.eurasia-rivista.com/il-risveglio-dellamerica-...
- (20) Alfred Mahan, The Problem of Asia and its Effects upon International Politics, Boston, 1900, 191.
- (21) Isaiah Bowman, The New World: Problems in Politics Geography, Nuova York, World Book, 1921.
- (22) Federico Bordonaro, La geopolitica anglosassone, Milano, Guerini, 2012, 116.
- (23) Nicholas Spykman, America’s Strategy in World Politics. The United States and the Balance of Power, Yale, 1942.
- (24) Marco Ghisetti, Talassocrazia: I fondamenti della geopolitica anglo-statunitense, Cavriago, Anteo, 2021.
- (25) Henry Kissinger, L’arte della diplomazia, Milano, Sperling & Kupfer, 634-5.
- (26) Zbigniew Brzezinski, “A Geostrategy for Eurasia”, in Foreign Affairs, Vol. 76, No. 5, Sep.-Oct., 1997, 50-1.
- (27) Phil Kelly, “Geopolitica degli Stati Uniti d’America”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, p. 31.
- (28) Henri Kissinger, Does America Need a Foreign Policy?, Simon & Schuster, 2002, 110.
- (29) François Thual, Il mondo fatto a pezzi, Parma, Insegna del Veltro, 2008, 113.
- (30) John Mearsheimer, La logica di potenza. L’America, le guerre e il controllo del mondo, Milano, UBE, 2008, 39.
- (31) William Engdahl, “L’odierna posizione geopolitica degli Usa”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 3/2010, 57.
- (32) Zbigniew Brzezinski, La grande scacchiera: il mondo e la politica nell’era della supremazia americana, Longanesi, 1998, 284.
- (33) Costanzo Preve, Elogio del comunitarismo, Napoli, Controcorrente, 2006, 182.
- (34) Francis Fukuyama, La fine della storia e l’ultimo uomo, Milano, Rizzoli, 1992.
- (35) Tiberio Graziani, “Editoriale”, in Eurasia. Rivista di studi geopolitici, Vol. 2/2005, 5.
- (36) Claudio Mutti, “Guerra senza limiti”, eurasia-sito.com, 15 settembre 2020, https://www.eurasia-rivista.com/guerra-senza-limiti-2/
- (37) Zona di scaricamento è un’espressione coniata da Karl Haushofer.
- (38) Claudio Mutti, “Editoriale”, eurasia-sito.com, 15 settembre 2020, https://www.eurasia-rivista.com/negozio/lx-guerra-senza-l...
- (39) Alain de Benoist, “Géopolitique”, in Nouvelle Ecole, No. 55, 2005, 1.
16:05 Publié dans Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : géopolitique, théorie géopolitique, théorie politique, relations internationales, politique internationale, politologie, sciences politiques | |
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Diego Fusaro : "Plus que Gramsci, nous vivons aujourd'hui dans une hégémonie subculturelle"
Diego Fusaro : "Plus que Gramsci, nous vivons aujourd'hui dans une hégémonie subculturelle"
Propos recueillis par Francesco Subiaco
Ex: https://culturaidentita.it/diego-fusaro-altro-che-gramsci-oggi-viviamo-unegemonia-subculturale/
Révolutionnaire, humaniste, national-populaire. Il s'agit d'Antonio Gramsci, l'un des plus grands penseurs du vingtième siècle qui, dans ses Cahiers de prison, a réalisé une réforme humaniste du marxisme, rompant avec tout déterminisme et tout mécanisme. Il a affirmé que l'histoire sans les hommes ne progresse pas. Retour à la culture humaniste, à la vision révolutionnaire de la culture et de l'école dans la formation d'un nouveau Léonard de Vinci, capable de dépasser l'atomisme et la spécialisation entomologique de l'homme contemporain. Une philosophie de la praxis qui poursuit le projet d'une hégémonie fondée sur le lien sentimental entre le peuple et l'élite, le national et le populaire, qui est bien représenté dans le nouveau livre de Diego Fusaro (Bentornato Gramsci, La nave di Teseo, pp. 362, 18 euros). Une grande exégèse du penseur sarde qui devient la clé de voûte pour interpréter notre société et décoder les relations de pouvoir inhérentes aux fictions de la société de consommation.
Qu'est-ce qui rend la pensée de Gramsci si actuelle à notre époque ?
À mon avis, il est particulièrement actuel pour diverses raisons, mais surtout sur le plan ontologique, car il déconstruit la mystique néolibérale de la nécessité, cette vision selon laquelle le monde est dépourvu d'alternatives, mais d'une positivité morte, qu'il faut accepter comme un rapport de force donné et indiscutable. Alors que pour Gramsci, toute vision est le produit d'un processus, d'une praxis, d'une histoire en cours. Défataliser l'existant et lui redonner la dimension du possible et de la volonté transformatrice.
Quelle est la principale différence entre la vision du monde libérale-progressiste, qui se développe à travers le politiquement correct, et la vision gramscienne ?
Gramsci a théorisé le concept d'hégémonie parmi de nombreux autres concepts fondamentaux dans les Cahiers de prison. L'hégémonie est la domination plus le consentement. C'est-à-dire une domination qui s'exerce par le biais du consentement et de la culture. Aujourd'hui, cependant, nous vivons dans une hégémonie subculturelle, qui n'utilise pas l'hégémonie culturelle comme celle de l'idéologie bourgeoise et libérale du début du vingtième siècle, mais une subculture faite de spectacle médiatique et d'annulation de la culture. Qui s'exerce en niant l'idée même de culture par le politiquement correct, ce qui se traduit par une culture éthiquement corrompue et annulée.
Le politiquement correct est-il la superstructure du monde néo-capitaliste global ?
Il se présente certainement comme la superstructure du monde global. Il procède à la sanctification idéologique des relations installées par le capitalisme financier. Il doit lutter contre toute souveraineté nationale, en la dénigrant jusqu'à la définir comme fascisme et ce, à ses propres fins, il doit ensuite détruire la famille en brisant tout lien social pour ne créer que des consommateurs, en délégitimisant la famille comme étant d'emblée homophobe, paternaliste et sexiste, tout cela se fait par le biais du politiquement correct. Qui devient ainsi le sanctificateur de l'immigration massive, ou de la déportation massive, qui par humanitarisme légitime le trafic de nouveaux esclaves qui deviennent des travailleurs très bon marché exploités par le capital.
Quelle est la relation entre Gramsci et Marx et quelle partie du marxisme le philosophe des Cahiers de prison examine-t-il ?
La grandeur de Gramsci dans sa lecture de Marx est de le libérer des scories du naturalisme, du fatalisme. Le montrant comme une ligne de faille sismique entre l'idéalisme allemand et le positivisme anglo-saxon. Gramsci développe chez Marx la composante de la praxis, celle des thèses de Feuerbach, de l'idéalisme. Qui abandonne le déterminisme au nom d'une vision de l'histoire faite par les hommes. Montrer la Révolution d'Octobre comme une révolution contre le capital, à la fois dans le sens d'une révolution anticapitaliste, et comme une révolution volontariste contre la vision capitaliste de Marx dans Das Kapital.
Gramsci a réformé Hegel, s'éloignant de l'actualisme pour se rapprocher d'une philosophie de la praxis. Qu'est-ce que Gramsci entend par une philosophie de la praxis et dans quelle mesure est-elle éloignée de la vision de Gentile ?
La thèse que j'ai développée dans mon livre est que le marxisme de Gramsci est un marxisme d'actualité. L'idée de l'essentiel comme praxis a un lien profond avec la philosophie de Gentile, car l'acte de penser est proprement réel. Il met en avant une philosophie de l'acte impur, par opposition à l'acte pur de la pensée du Gentile. Une vision qui ramène la philosophie dans le concret et le réel. Car, comme je le dis dans le livre, Gramsci est à Gentile ce que Marx est à Hegel.
14:22 Publié dans Entretiens, Livre, Livre, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, antonio gramsci, diego fusaro, italie, livre, marxisme, gramscisme, philosophie, philosophie politique, théorie politique, politologie, sciences politiques | |
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La revue de presse de CD - 07 novembre 2021
La revue de presse de CD
07 novembre 2021
ÉTATS-UNIS
Un agent de Clinton est à la source du Russiagate
Selon le New York Times, « Les autorités fédérales ont arrêté jeudi un analyste qui, en 2016, avait rassemblé des indices sur les liens possibles entre Donald J. Trump et la Russie pour ce qui s’est avéré être une recherche financée par l’opposition démocrate, selon des personnes familières avec l’affaire. » Une sacrée bombe…
Saker francophone
https://lesakerfrancophone.fr/un-agent-de-clinton-est-a-l...
GAFAM
Jedi Blue : Google et Facebook, unis contre votre vie privée et la concurrence
Dernier scandale en date, une apparente collusion du nom de Jedi Blue, entre Google et Facebook. Le tout contre votre vie privée et pour tuer la concurrence sur le marché de la publicité en ligne. C’est du moins la thèse avancée par l’accusation, dans le cadre de la plainte portée par une vingtaine d’états américains. Le 22 octobre, la version intégrale de la plainte a été rendue publique suite à la décision d’un juge fédéral autorisant sa publication. Ne cherchez pas, vous n’en avez quasiment pas entendu parler en France à part dans la presse spécialisée.
Contrepoints
https://www.contrepoints.org/2021/11/03/410466-jedi-blue-...
Édulcorer-oblitérer le crime, l’information contrôlée GAFAM
Les titans du Net, GAFAM, etc., savent frapper fort. “PARLER” était une sorte de Twitter au public parfois virulent et politiquement incorrect. Offusqués, les libertaires-antifa de la Silicon Valley ont crié au loup. Amazon Web Services, fournisseur d’accès n°1 au monde, a fermé PARLER début 2021, et Apple et Google l’ont viré de leur “store” : l’exécution de ce réseau social non-conformiste a pris dix minutes (PARLER a pu revenir en ligne après plusieurs mois). De même, le président en exercice Donald Trump fut-il jeté sans recours de Twitter, Facebook, Instagram, Snapchat et Twitch — révélatrice leçon de choses sur les rapports de force dans la société de l’information. Par Xavier Raufer.
OJIM
https://www.ojim.fr/censure-crime-gafam/?utm_source=newsl...
Derrière la lanceuse d’alerte de Facebook, la censure
Les positions de la lanceuse d’alerte de Facebook vont être utilisées pour davantage de censure et de contrôle sur internet.
Contrepoints
https://www.contrepoints.org/2021/11/06/411017-derriere-l...
GÉOPOLITIQUE
Scénarios géopolitiques du changement énergétique mondial
Nous allons analyser du point de vue géopolitique les scénarios énergétiques qui se présentent dans le monde aujourd'hui ; un survol des modèles de transition énergétique, visant à accélérer à la quatrième révolution industrielle (4RI) ou à empêcher les pays d'y accéder, c'est-à-dire à la 6G, à l'intelligence artificielle (IA), à la robotique et à l'internet des objets.
Euro-synergies
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/10/25/s...
Parole d’expert : Les radicalismes religieux
Les radicalismes religieux sont ils un facteur à prendre en compte pour la géopolitique ? Hindouisme, bouddhisme, islamisme, évangélisme… Le point en synthèse et en vidéo avec Pierre Conesa.
Geopragma
https://geopragma.fr/parole-dexpert-les-radicalismes-reli...
La Roumanie, l'Europe et le Projet "Intermarium"
L'année 2016 avait enregistré les débuts d'une nouvelle opération géopolitique sur le sol européen, sous l'appelation d'Intermarium. Tout le scénario de cette opération montre que l'Intermarium, vieille nostalgie impériale polono-lituanienne du Moyen Âge, est aujourd'hui une construction artificielle, anti-européenne, contraire aux besoins réels de la géopolitique européenne et eurasienne. Elle constitue un instrument américain de contrôle de la périphérie orientale de l'Union européenne, c'est-à-dire de l'espace de contact entre le monde allemand (et plus généralement ouest-européen) et le monde russe. La Roumanie ne semble pas intéressée à jouer le rôle que les Etats-Unis ont attribué à la Pologne et à l'Ukraine : les déclarations de ses représentants suggèrent qu'elle n'a pas l'intention de se distancer du noyau franco-allemand de l'Europe.
Euro-synergies
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/11/03/l...
MAGHREB
Sahara occidental : le Maroc et la France ont besoin l’un de l’autre
La crise du Sahara occidental ne saurait totalement se résumer aux vives tensions opposant l’Algérie à son voisin, le royaume du Maroc. Cette région du monde est essentielle pour les Européens et l’Afrique, notamment de par sa proximité avec le Sahel où se sont implantés les djihadistes. Isolé et peu soutenu, le Maroc doit compter sur la France pour se sortir de ce bourbier.
Conflits
https://www.revueconflits.com/sahara-occidental-le-maroc-...
RUSSIE
Un prix Nobel très à propos
Treize jours. C’est le temps qu’il aura fallu à Vladimir Poutine pour féliciter officiellement un journaliste devenu, au début du mois d’octobre, l’un des Russes les plus célèbres au monde. Lui qui est d’habitude si prompt à réagir aux exploits de ses compatriotes, pourquoi a-t-il été si lent cette fois-ci ? Il faut dire que le Russe en question, beaucoup, en dehors des frontières du pays, ont découvert son nom le 8 octobre dernier, lorsque le Prix Nobel de la Paix lui a été attribué, en même temps qu’à une de ses collègues philippines, Maria Ressa. En cent vingt ans d’histoire c’est le premier Prix Nobel de la Paix qui récompense la liberté d’information en tant que telle, remise à ces deux journalistes pour « leur combat courageux pour la liberté d’expression », comme l’a expliqué le comité Nobel.
Geopragma
https://geopragma.fr/un-prix-nobel-tres-a-propos/
La Russie change les règles de la logistique mondiale en contournant Suez
Le récent réchauffement climatique a progressivement érodé la calotte glaciaire de l'Arctique, ouvrant l'accès à une activité économique tout au long de l'année dans cette région. Dans ce contexte, on peut parier que la route de la mer du Nord (NSR), longue de 5600 km, reliant l'Asie à l'Europe, sera la principale alternative maritime au canal de Suez.
Euro-synergies
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/11/04/l...
UNION EUROPÉENNE
Le nucléaire et l'Europe : un partenariat indispensable
Alors que la fusion nucléaire ouvre de nouvelles frontières, les folies des Verts risquent de condamner nos entreprises à mort. Ce n'est qu'avec l'atome que l'Europe pourra atteindre une véritable autonomie énergétique.
Euro-synergies
http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/10/28/l...
À Bruxelles, le droit européen contre la démocratie
« Le droit de l’UE prime sur le droit national, y compris sur les dispositions constitutionnelles. C’est ce à quoi tous les États membres de l’UE ont adhéré ». Ces quelques mots, prononcés par la présidente de la Commission européenne en réaction à la récente décision de la Cour constitutionnelle polonaise, ont de quoi inquiéter. Car si les choses étaient telles que l’affirme Ursula von der Leyen, cela signifierait que l’UE est devenue un super-État technocratique, exerçant l’essentiel du pouvoir en lieu et place des élus nationaux, devenus les représentants fantoches de peuples dépossédés de leur souveraineté.
Elucid
https://elucid.media/politique/a-bruxelles-le-droit-europ...
11:44 Publié dans Actualité, Affaires européennes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journaux, presse, médias, europe, france, affaires européennes | |
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Erdogan continue de jeter de l'huile sur le feu du conflit libyen
Erdogan continue de jeter de l'huile sur le feu du conflit libyen
par Alessandro Sansoni
Ex: https://www.lavocedelpatriota.it/erdogan-continua-a-gettare-benzina-sul-fuoco-del-conflitto-libico/?fbclid=IwAR1eql9a2imoe7z0Pg2UZdKtsmv0T4YC7N6wHrH2SHZB18VPSJavJUz4JSc
Les reportages triomphalistes des médias nous ont empêchés d'y prêter toute l'attention nécessaire, mais un développement dangereux a émergé du G20 à Rome. Au cours du sommet, en effet, le président turc Recep Erdogan a déclaré officiellement, et en termes non équivoques, qu'Ankara refuse de retirer ses troupes de Libye. Cette déclaration intervient alors que l'ONU s'est engagée à organiser et à mener à bien le retrait de toutes les troupes étrangères présentes dans le pays, condition préalable indispensable à la célébration des élections censées ramener la paix dans le pays.
Par sa position, la Turquie jette de l'huile sur le feu et menace de porter à un niveau très élevé le conflit entre les factions qui se disputent le pouvoir en Libye, mettant ainsi en péril le processus électoral. Une situation qui aurait des répercussions graves et dangereuses pour l'Italie et l'ensemble de l'Union européenne.
Premier problème : le retrait des mercenaires
La Libye devrait organiser ses élections présidentielles tant attendues le 24 décembre, tandis que les élections législatives sont prévues pour le début de 2022.
L'espoir est de mettre ainsi fin à la longue période d'anarchie et de guerre civile dans laquelle le pays a plongé depuis la fin du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, en sauvegardant éventuellement l'unité du territoire libyen, aujourd'hui effectivement divisé en une partie occidentale sous le contrôle du gouvernement de Tripoli et une partie orientale aux mains du général Khalifa Haftar et de son Armée nationale libyenne (ANL), engagés depuis des années dans un dur conflit non seulement avec les milices tripolitaines, mais aussi avec des groupes islamistes, alliés des Turcs. La situation est encore compliquée par le nombre élevé de mercenaires et de forces étrangères présents sur le terrain pour soutenir les deux prétendants.
C'est précisément pour cette raison que la feuille de route élaborée par les Nations unies prévoit, avant tout, l'élimination des groupes armés étrangers, qui doit être définie dans le cadre d'un format de négociation "5+5", dans lequel toutes les factions belligérantes sont présentes à la table des négociations, sous les auspices des Nations unies. Le 8 octobre, le Comité militaire conjoint "5+5" s'est réuni pendant trois jours au Palais des Nations à Genève et s'est conclu par la signature d'un plan d'action prévoyant un retrait progressif, équitable et coordonné de tous les mercenaires et forces étrangères de Libye.
La réunion de Genève s'est tenue conformément aux pistes définies dans l'accord de cessez-le-feu du 23 octobre 2020 et aux résolutions connexes émises par le Conseil de sécurité des Nations unies. La réunion faisait partie intégrante des diverses négociations intra-libyennes promues par l'ONU, ainsi que des efforts déployés par la communauté internationale à travers la conférence de Berlin.
Début novembre, le Comité 5+5 a tenu une autre réunion, cette fois au Caire, toujours organisée par l'ONU, à laquelle ont également participé des représentants du Soudan, du Tchad et du Niger. À cette occasion, tous les pays voisins de la Libye ont exprimé leur volonté de coopérer au processus d'expulsion des combattants étrangers et des mercenaires, tandis que les délégués du Soudan, du Tchad et du Niger se sont engagés à coopérer pour assurer le retrait des hommes armés de leurs pays, en coordonnant leurs actions pour éviter qu'ils ne reviennent en Libye et ne déstabilisent les États voisins.
Cependant, le refus de la Turquie de s'aligner sur les accords généraux ouvre un problème gigantesque. En fait, près de la moitié des forces étrangères présentes en Libye sont liées à Ankara : selon le SOHR (Observatoire syrien des droits de l'homme), le nombre total de mercenaires syriens soutenus par la Turquie dans le pays d'Afrique du Nord est d'environ 7000, tandis que les Nations unies ont estimé la présence de 20.000 combattants étrangers sur le territoire libyen. Les sources de SOHR ont également confirmé qu'en dépit des tentatives de négociation de leur retrait début octobre, des miliciens islamistes vétérans du conflit syrien continuent d'être stationnés dans des bases turques en Libye, tandis qu'un nouveau contingent de 90 personnes en provenance de Syrie est arrivé en Libye transporté par des avions turcs.
G20 : la diplomatie à la turque
Lors du G20, Erdogan a non seulement confirmé son intention de ne pas démobiliser ses troupes en Libye, mais a également réaffirmé au président français Emmanuel Macron que la présence turque est légitimée par un accord de coopération militaire signé avec le gouvernement libyen.
"Nos soldats sont là en tant qu'instructeurs", a-t-il réitéré, niant que leurs activités puissent être assimilées à celles de mercenaires illégaux.
Or, ce n'est pas exactement le cas. Tout d'abord, ses propos peuvent s'appliquer au contingent militaire officiellement envoyé par l'armée turque début janvier 2020, et certainement pas aux mercenaires syriens qui continuent à être stationnés dans les bases militaires d'Ankara.
Par ailleurs, les accords conclus lors du sommet du 8 octobre à Genève font explicitement référence au retrait des "mercenaires, combattants étrangers et forces étrangères", les "forces étrangères" étant comprises comme incluant les troupes régulières et les instructeurs.
Enfin, les "instructeurs" turcs ont débarqué en Libye dans le cadre d'un accord signé par Ankara en novembre 2019 avec le gouvernement d'entente nationale (GNA) dirigé par Fayez al-Sarraj, un gouvernement intérimaire auquel a succédé en mars dernier le nouveau gouvernement d'union nationale dirigé par Abdul Hamid Dbeibah. Le point crucial, cependant, est qu'au moment où le traité a été signé, le mandat du GNA avait déjà expiré et donc, en tant que gouvernement intérimaire, il n'avait pas le droit de signer un tel traité de coopération militaire. C'est pour la même raison que tous les voisins de la Libye et de la Turquie ont désavoué le traité sur les frontières maritimes (et les zones économiques exclusives correspondantes) signé par Tripoli et Ankara au même moment. Ce dernier accord a considérablement étendu les revendications turques sur la Méditerranée et ses riches gisements de pétrole et de gaz.
C'est pour ces raisons que la présence militaire turque en Libye doit être considérée comme illégale au regard du droit international, car elle constitue un avant-poste des ambitions néo-impérialistes d'Erdogan. Ce n'est pas une coïncidence si Erdogan, pendant le G20, a annoncé son refus de participer au sommet sur la Libye à Paris (ce qui l'a fait couler), confirmant ainsi qu'il n'a aucune intention de soutenir les efforts internationaux visant à stabiliser le pays.
Nous avons notifié au président Macron, a déclaré Erdogan, notre refus de participer à une conférence à Paris à laquelle participent la Grèce, Israël et l'administration chypriote grecque. Pour nous, il s'agit d'une condition absolue. Si ces pays sont présents, cela n'a aucun sens pour nous d'envoyer des délégués".
À Rome, Erdogan a également eu une réunion séparée avec le Premier ministre Mario Draghi, mais celle-ci n'a donné aucun résultat concret. Aucun progrès n'a été enregistré dans les relations italo-turques, y compris en ce qui concerne le système de défense antimissile italo-français SAMP-T, pour lequel la Turquie avait précédemment manifesté son intérêt. Malgré l'annonce générale de développements futurs à cet égard, il est peu probable que la Turquie reprenne ce projet, à moins que ses relations avec Paris ne s'améliorent. Et Erdogan ne semble avoir aucune envie de poursuivre dans cette direction.
Tensions en Libye
Entre-temps, la situation politique en Libye devient de plus en plus précaire, surtout depuis que la Chambre des représentants (le parlement de Tobrouk) a remis en cause en septembre dernier, à l'instigation de Haftar, le gouvernement d'unité nationale.
D'un point de vue militaire, les tensions augmentent également, à tel point que ces derniers jours, les chefs de deux milices tripolines - Muammar Davi, chef de la Brigade 55, et Ahmad Sahab - ont été victimes d'attaques visant à les tuer.
À ce stade, il est difficile d'être sûr que les élections présidentielles auront lieu en décembre, tandis que les élections parlementaires ont déjà été reportées à 2022.
Le chantage d'Erdogan : géopolitique, énergie, flux migratoires
Si la Turquie a pu renforcer considérablement son influence en Libye, une part considérable de la responsabilité doit être attribuée aux gouvernements dirigés par Giuseppe Conte (surtout le second), caractérisés par un manque d'incisivité sur la question libyenne. Bénéficiant de facto d'une carte blanche, Ankara a pu, en quelques années seulement, débarquer des centaines de "conseillers militaires" dans le pays d'Afrique du Nord.
Avec le traité sur les frontières maritimes et la délimitation des zones économiques exclusives respectives, la Turquie a pris le contrôle du littoral de la Tripolitaine ainsi qu'une sorte de patronage sur les gisements de gaz et de pétrole de la Méditerranée centrale. Son influence politique sur le gouvernement d'accord national, puis sur le gouvernement d'unité nationale, est énorme.
La guerre civile entre Tripoli et Benghazi a permis à Ankara de fournir des troupes et des armes au camp ouest-libyen, de redéployer ses milices mercenaires précédemment actives en Syrie et d'obtenir la gestion du port et de l'aéroport de Misurata pour les 99 prochaines années.
Aujourd'hui, Erdogan, grâce à la forte influence qu'il est en mesure d'exercer sur l'un des plus grands producteurs de pétrole au monde, dispose d'une arme supplémentaire pour faire pression sur l'Europe, celle de l'approvisionnement énergétique, en plus de l'arme déjà largement utilisée du contrôle des flux migratoires, qu'il est désormais en mesure de réguler non seulement sur la route des Balkans, mais aussi sur celle de la Méditerranée centrale. La route la plus empruntée par les trafiquants d'êtres humains, selon les chiffres officiels, selon lesquels, au 22 octobre, 51.568 migrants sont déjà arrivés en Italie cette année, contre 26.683 en 2020.
Les demandes de Draghi à l'Union européenne d'allouer des fonds pour protéger "toutes les routes" sont du miel aux oreilles turques. Ils font en effet référence aux 6 milliards que Bruxelles a déjà versés à la Turquie pour gérer la route des Balkans et à ceux qu'elle versera encore. Il y a actuellement 3,7 millions de Syriens vivant sur le sol turc, auxquels il faut ajouter 300.000 Afghans. Une bombe à retardement qu'Ankara menace de faire exploser à tout moment si ses exigences ne sont pas satisfaites.
En bref, les crises humanitaires - de l'Afghanistan à la Syrie, auxquelles s'ajoute désormais la crise libyenne - sont devenues une occasion extraordinaire pour la Turquie d'obtenir des ressources de l'Europe et de la maintenir sous pression. C'est pourquoi le maintien d'un gouvernement pro-turc à Tripoli est si important pour Erdogan : il lui permet de jouer un jeu géopolitique complexe contre l'UE qui combine énergie et flux migratoires.
Reconstruire un équilibre en Méditerranée et redimensionner les ambitions turques en adoptant une attitude plus ferme à l'égard du nouveau sultan est le véritable défi que l'Italie doit relever, plutôt que de s'aventurer dans des aspirations improbables et irréalistes à diriger l'UE ou à renforcer les relations transatlantiques.
Alessandro Sansoni
Directeur du magazine mensuel CulturaIdentità
11:26 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, méditerranée, libye, turquie, erdogan, afrique du nord, afrique, affaires africaines, géopolitique, politique internationale | |
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