Medvedev et Poutine « Il n'y a pas aux Etats-Unis le moindre débat pertinent sur l'une des puissances régionales les plus importantes du monde. Même une simple reconnaissance du fait que la Russie est effectivement une puissance régionale avec des intérêts nationaux légitimes serait déjà un exploit considérable. Admettre cette situation – qui existe indépendamment de la capacité des Etats-Unis à la reconnaître – ne signifie pas soutenir les politiques de la Russie ou, d'ailleurs, d'aimer les Russes. En fait, ces deux obstacles à un débat sérieux sur la Russie se renforcent mutuellement. Les meilleures universités des Etats-Unis et les think tanks de Washington se disputent les plus brillants esprits disponibles, américains et étrangers, en études régionales chinoises et arabes. C'est tout à fait approprié dans un pays aussi vaste et puissant que les Etats-Unis. La plupart des Américains doués de raison se refuseraient à réduire l'ensemble du monde arabe à une scène peuplée de chameaux et de harems, ou à limiter leur connaissance de la Chine aux baguettes et aux pandas. Mais s'agissant de la Russie, les Américains semblent savourer leur ignorance. La Guerre froide est terminée et la perspective d'un conflit avec l'URSS ne menace plus l'existence du genre humain. L'Amérique jubile carrément de ne pas songer un seul instant à la Russie.


Le résultat est une uniformité d'opinions mal informées parmi les penseurs de la politique étrangère au sein des partis démocrate et républicain. Si l'on examine les récentes déclarations des candidats à la présidence sur n'importe quel sujet ayant trait à la Russie, on constate qu'elles sont fondamentalement semblables. Trouver des nuances entre McCain et Obama sur la Russie est une quête aussi ésotérique que celle des revirements soviétiques à l'égard de l'Ouest dans les années 1970. Les démocrates ont une mauvaise opinion de la Russie à cause de leurs idées préconçues, tandis que l'hostilité des républicains résulte d'une fossilisation idéologique remontant à la Guerre froide. Chez les démocrates, les diplomates et les spécialistes de la Russie ont souvent des origines est-européennes et les a priori qui vont avec. Ni les racines polonaises catholiques de Zbigniew Brzezinski, ni l'origine tchèque juive de Madeleine Albright ne font d'eux des juges impartiaux de la Russie. Apparemment, la majorité des républicains qui accordaient parfois une pensée à la Russie ont été déçus que Mikhaïl Gorbatchev accepte le défi du président Reagan de laisser tomber le Mur de Berlin. Une génération plus tard, Oussama ben Laden et Al-Qaida servent d'exutoire à cette haine idéologique, mais cela ne paraît pas aussi amusant.


La situation qui en résulte est la preuve éclatante du principe selon lequel un débat éclairé produit une excellente politique. Etrangement pourtant, toute action russe, forcément considérée avec suspicion, ou inaction russe, perçue comme la confirmation que la Russie est un empire déchu, sera examinée à la loupe de l'ignorance volontaire. Quel que soit le vainqueur de l'élection présidentielle, les relations américano-russes oscilleront entre l'assoupissement et la dégradation permanente. »



Vladimir Berezansky, avocat américain spécialiste de la Russie, Le Temps, 13 octobre 2008