Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 16 juin 2016

Le municipalisme libertaire - Une nouvelle politique communale?

votsuibnail.588.368.png

Murray Bookchin
Le municipalisme libertaire
Une nouvelle politique communale?

Commenté par Yohann Sparfell

Ex: http://www.in-limine.eu

(Ces commentaires ne visent pas à établir une position de rejet ou d'adoption absolue vis à vis des présupposées et propositions concernant le municipalisme libertaire mais à les considérer à la lumière d'une pensée métapolitique actuelle influencée par plusieurs sources: critique de la valeur, réflexions et actions du socialisme patriote et révolutionnaire, théorie althusienne de la souveraineté (Althusius)... Ils visent surtout à inciter à développer l'intérêt pour les communes en tant que lieux multidimentionnels d'élaboration possible de relations sociales alternatives, non à partir d'un devoir-être utopique, mais d'actions concrètes qui seraient à même de pouvoir redéfinir notre rapport à l'être).

Les deux sens du mot "politique"

Il existe deux manières de comprendre le mot politique. La première et la plus répandue définit la politique comme un système de rapports de pouvoir géré de façon plus ou moins professionnelle par des gens qui s'y sont spécialisés, les soi-disant "hommes politiques". Ils se chargent de prendre des décisions qui concernent directement ou indirectement la vie de chacun d'entre nous et ils administrent ces décisions au moyen des structures gouvernementales et bureaucratiques.

Ces "hommes politiques" et leur "politique" sont habituellement considérés avec un certain mépris par les gens ordinaires. Ils accèdent le plus souvent au pouvoir à travers des entités nommées "partis", c'est-à-dire des bureaucraties fortement structurées qui affirment "représenter" les gens, comme si une seule personne en "représentait" beaucoup d'autres, considérées comme de simples "électeurs". En traduisant une vieille notion religieuse dans le langage de la politique, on les appelle des élus et ils forment en ce sens une véritable élite hiérarchique. Quiconque prétend parler au nom des gens n'est pas les gens. Lorsqu'ils affirment qu'ils sont leurs représentants, ils se placent eux-mêmes en-dehors de ceux-ci. Souvent, ce sont des spéculateurs, des représentants des grandes entreprises, des classes patronales et de lobbies en tout genre.

Souvent aussi, ce sont des personnages très dangereux, parce qu'ils se conduisent de façon immorale, malhonnête et élitiste, en utilisant les média et en répandant des faveurs et des ressources financières pour établir un consensus public autour de décisions parfois répugnantes et en trahissant habituellement leurs engagements programmatiques au "service" des gens. Par contre, ils rendent ordinairement de grands services aux couches financièrement les mieux nanties, grâce auxquelles ils espèrent améliorer leur carrière et leur bien-être matériel.

Cette forme de système professionnalisé, élitiste et instrumentalisé appelé ordinairement politique est, en fait, un concept relativement neuf. Il est apparu avec l'État-nation, il y a quelques siècles, quand des monarques absolus comme Henry VIII en Angleterre et Louis XIV en France ont commencé à concentrer entre leurs mains un énorme pouvoir.

Avant la formation de l'État-nation, la politique avait un sens différent de celui d'aujourd'hui. Elle signifiait la gestion des affaires publiques par la population au niveau communautaire ; des affaires publiques qui ne sont qu'ensuite devenues le domaine exclusif des politiciens et des bureaucrates. La population gérait la chose publique dans des assemblées citoyennes directes, en face-à-face, et élisait des conseils qui exécutaient les décisions politiques formulées dans ces assemblées. Celles-ci contrôlaient de près le fonctionnement de ces conseils, en révoquant les délégués dont l'action était l'objet de la désapprobation publique.

Mais en limitant la vie politique uniquement aux assemblées citoyennes, on risquerait d'ignorer l'importance de leur enracinement dans une culture politique fertile faite de discussions publiques quotidiennes, sur les places, dans les parcs, aux carrefours des rues, dans les écoles, les auberges, les cercles, etc. On discutait de politique partout où l'on se retrouvait, en se préparant pour les assemblées citoyennes, et un tel exercice journalier était profondément vital. À travers ce processus d'autoformation, le corps citoyen faisait non seulement mûrir un grand sens de sa cohésion et de sa finalité, mais il favorisait aussi le développement de fortes personnalités individuelles, indispensables pour promouvoir l'habitude et la capacité de s'autogérer. Cette culture politique s'enracinait dans des fêtes civiques, des commémorations, dans un ensemble partagé d'émotions, de joies et de douleurs communes, qui donnaient à chaque localité (village, bourg, quartier ou ville) un sentiment de spécificité et de communauté et qui favorisait plus la singularité de l'individu que sa subordination à la dimension collective.

Commentaires : Lorsque Murray Bookchin écrivait que les « politiques » « rendent de grands services aux couches financièrement les mieux nantis » (ce qui est totalement exact si l'on se réfère par exemple à la démonstration qui a été faite il y a quelques temps de la façon dont la classe politique s'est constamment tut sur les agissements d'organismes financiers internationaux comme Clearstreem), il ne faisait que décrire un phénomène qui plonge ses racines en une cause bien plus profonde et inhérente à la structure sociale fondée par le capitalisme. Les relations sociales d'accointances entretenues avec la classe néo-bourgeoise post-moderne, la « Nouvelle Classe », par les « politiques » (par intérêts ou par nécessités, les « politiques » menées par ces derniers ne pouvant l'être qu'à condition que leur soit consacré une part du capital issue de la circulation de celui-ci) sont le voile qui cache des rapports sociaux de quasi-asservissement vis à vis de la dynamique sociale de production des multinationales auto-entretenue par la recherche incessante de valorisation du Capital. En effet, les institutions étatiques par delà le fait qu'elles autorisent à une classe dirigeante et bureaucratique de bénéficier grassement de la manne engendrée par le cycle de valorisation, permet surtout au capitalisme, pseudo-société structurée autour de la valorisation des capitaux, de trouver en ces institutions les instruments indispensables à son bon fonctionnement et sa pérennisation. C'est en cela que l'on peut déclarer que la création de l'État-Nation moderne et le rôle particulier des rapports sociaux qu'il entretient depuis son avènement, sont historiquement déterminés par la dynamique sociale caractérisant un type original de production : le capitalisme. C'est la raison pour laquelle cette forme étatique a progressivement élaboré, et maintient, les structures organisationnelles nécessaires au fonctionnement des rapports sociaux de production au sein des différentes sphères de la production, de la distribution et de la circulation : la définition et le respect du droit juridique des individus (la garantie du droits des individus « libres et égaux », les individus « atomisés ») appelé « droits-de-l'homme » déconnectés de ceux du « citoyen », la formation adéquates des savoirs aux normes d'efficacité en vigueur, la mise en œuvre des infrastructures et organismes nécessaires à la circulation des individus-producteurs-consommateurs, des marchandises et des capitaux, le développement des moyens de production (recherche techno-scientifique, …), l'éducation adaptée au strict minimum dans le but d'adapter le jeune individu à la « pensée unique », etc… La machinerie étatique a en outre pour fonction d'adapter ses différents attributs aux besoins contextuels du capital. C'est ainsi que l'État a pu se parer d'une certaine religiosité en s'adjoignant le terme de « Providence » (dans les moments où le capitalisme a besoin de l'assistance des moyens publiques afin d'accompagner la croissance de sa productivité – keynésianisme des trente glorieuses – ou de combler les pertes dues à ses « errements » financiers, en fait émanant de nécessité immanentes au contexte particulier de sa fin de règne peu glorieuse – crise de 2008), ou renforcer son rôle régalien tout en permettant aux capitaux d'organiser eux-même, afin de trouver de nouvelles mannes, ce qui était autrefois de ses attributions, dans un cycle de dérégulation et de libéralisation autoritaire (mais dans les deux cas, il conserve toujours le rôle de faciliter l'ouverture à de nouveaux marchés pour le Capital, par exemple par le biais des normes en tous domaines lui fournissant prétexte à taxes, contrôles et contraintes ou bien par une privatisation rampantes et juteuse de diverses assurances dont personne aujourd'hui ne pourrait se passer, comme de la retraite par exemple). Dépasser la logique de la valeur implique donc forcément dépasser l'État dans sa forme moderne – voire postmoderne dans son rôle d'accompagnateur servile du diktat mondialiste et réduit à ses fonctions de surveillance et de répression - car l'un comme l'autre sont des éléments structurels de l'économisme et de ses règles qui dominent les hommes et leurs rapports sociaux mais aussi bien sûr les communautés, familiales, régionales, nationales et continentales. On peut d'ailleurs s'en apercevoir par un aspect de plus en plus prenant de l'économisme et de l'État auquel M Bookchin faisait souvent référence : la centralisation croissante ainsi que l'uniformisation des modes de vie et de pensée qui lui est consubstantiel, et qui pourtant apparaissent sous des formes de décentralisations politiques et de « libertés » individuelles, fortement illusoires, parce que déconnectées de toute co-création collective.

Il est bien entendu qu'une dynamique de renversement de ce paradigme auto-destructeur ne peut, à moins d'hypothéquer gravement sa réussite éventuelle, songer à établir une étape de transition étatisée concentrant en elle l'ensemble de la souveraineté comme cela s'est fait lors de la révolution soviétique, ou autres, c'est-à-dire une continuité d'une interprétation bodinienne (Jean Bodin, jurisconsulte français du XVIème siècle) de la souveraineté. Un mouvement de « communalisme », dans le sens où il se veut être une dynamique de renversement des valeurs que l'on peut appeler « occidentales », se doit de pouvoir repositionner la souveraineté actuellement concentrée au sein des États modernes vers les peuples eux-mêmes et leurs diverses corporations imbriquées, et donc influer positivement sur - pour ne pas dire aussi renverser - les rapports sociaux, qui sont les vecteurs de leur pérennisation, par des relations humaines associatives préfigurant un tout autre type d'organisation de la société basée sur une responsabilité directe et partagée (non médiatisées par des catégories aliénantes). La dynamique sociale partirait donc de la base, de la source inépuisable du besoin de complémentarité humaine en tous les domaines de la vie, à commencer par celui de la fourniture de tout ce qui est nécessaire à la pérennité de la vie humaine, tant matérielle que morale et spirituelle. Il s'agirait en somme de redynamiser la « volonté vers la puissance », figure narrative de la dynamique symbiotique et autonome de la vie elle-même.

fo1311844-Forêt.jpg

Murray Bookchin

Un écosystème politique

Une politique de ce genre est organique et écologique et non formelle ou fortement structurée (dans l'acception verticale du terme) comme elle le deviendra par la suite. Il s'agissait d'un processus constant et non d'un épisode occasionnel comme les campagnes électorales. Chaque citoyen mûrissait individuellement à travers son propre engagement politique et grâce à la richesse des discussions et des interactions avec les autres. Le citoyen avait le sentiment de contrôler son destin et de pouvoir le déterminer, plutôt que d'être déterminé par des personnes et des forces sur lesquelles il n'exerçait aucun contrôle. Cette sensation était symbiotique : la sphère politique renforçait l'individualité en lui donnant un sentiment de possession et, vice versa, la sphère individuelle renforçait la politique en lui procurant un sentiment de loyauté, de responsabilité et d'obligation.

Dans un tel processus de réciprocité, le moi individuel et le nous collectif n'étaient pas subordonnés l'un à l'autre mais se soutenaient mutuellement. La sphère publique fournissait la base collective, le sol pour le développement de fortes personnalités et ceux-ci, à leur tour, se rassemblaient dans une sphère publique créative, démocratique, institutionnalisée de façon transparente. C'étaient des citoyens au plein sens du terme, c'est-à-dire des acteurs agissants de la décision et de l'autogestion politique de la vie communautaire, y compris l'économie, et non des bénéficiaires passifs de biens et de services fournis par des entités locales en échange d'impôts et de taxes. La communauté constituait une unité éthique de libres citoyens et non une entreprise municipale instituée par "contrat social".

Commentaires : Je ne pense pas qu'il faille voir dans cette vision d'une certaine forme de citoyenneté passée, de la part de Murray Bookchin, qu'une nostalgie d'un temps certes révolu mais surtout riche d'enseignements pour l'élaboration d'une véritable démocratie. Le souvenir des époques où des relations sociales d'un tout autre type que les rapports sociaux existant aujourd'hui structuraient la vie des communautés humaines s'évanouit sous les brumes de l'absolutisme ambiant, du sentiment d'une rationalité souveraine d'où émane une impression de « fin de l'Histoire » ou d'un triomphe sur les « obscurantismes » du passés. Des pans entiers de l'histoire sont ainsi maintenus cachés de la surprise qu'il y aurait alors à découvrir que l'homme est capable de bien autres choses que de courir après ses petits intérêts égoïstes. Ainsi est est-il allé de la mémoire des Enragés de 1792-93 à Paris et Lyon qui voulaient poursuivre la Révolution, et préparer la troisième révolution française, en pratiquant la démocratie directe et la résistance à la dictature du commerce au sein de comités de quartiers, ou de la Commune de Paris en 1871 qui fut un combat patriote en même temps que social pour ne pas dire socialiste selon le sens vrai de ce mot, ou encore de la révolution anarcho-syndicaliste en Espagne en 1936, surtout dans les petites communes... D'où l'importance de notre longue mémoire ! Dans ce qui peut paraître un éloge quelque peu idéaliste de formes politiques quasi-démocratiques du passé, il y a en fait matière à s'interroger sur les possibles que comportaient l'organisation sociale structurée autours de rapports directs (de « face à face »), d'une part en ce qui concerne la vie courante dans les sociétés non capitalistes, et d'autre part, en la puissance d'agir contenue en elles et qui peut les amener éventuellement à créer de façon contextuelle des dynamiques de renversement - d'un pouvoir indigne ou de droits injustes – et capables de redistribuer le pouvoir de façon plus autonome et juste par et pour l'ensemble des « citoyens » (ou de quelque façon que l'on nomme les personnes impliquées dans ce que l'on peut appeler la véritable politique, celle qui concerne la vie réelle, tangible, bien moins dominée par des abstractions pouvant menées jusqu'à l'aliénation). Il est sûr que ces relations sociales, structurant la société pré-capitalistes en Europe (et en Amérique lors des débuts de la colonisation), ont laissés des traces et des habitudes sociales chez les peuples de ces continents, parce qu'ils faisaient partis intégrantes de notre Culture Européenne depuis des millénaires. Murray Bookchin, comme beaucoup de sa génération, avait conservé le souvenir de cet habitus caractérisant la vie courante de la classe ouvrière et paysanne jusqu'au milieu du 20ème siècle. Je pense que cette évocation a guidé sa vie durant l'espoir d'un autre possible contenu au sein même de nos peuples de pouvoir fonder une réelle démocratie au-delà de la « démocratie » libérale. Il ne pouvait donc ignorer l'âpreté d'une telle démarche lorsqu'il faisait lui-même le constat d'une progression de l'individualisme dans « notre » société moderne. Peut-être lui restait-il à soumettre ce fait à la réalité de rapports sociaux réifiés dans la marchandise, à commencer par l'argent ? Et donc à situer l'origine de ces rapports en une dynamique folle d'auto-accumulation du capital prenant naissance dans le procès de production, la logique de la valeur, qu'il nous faudra bien interroger afin de pouvoir interpréter efficacement le rôle spécifique du travail salarié dans le paradigme de la société capitaliste et ses effets néfastes tant sur le plan humain que écologique (tout en y mettant au jour les rapports de pouvoir profitables à une certaine oligarchies internationale – la bourgeoisie n'a pas de Patrie !).

Ce qui est trop peu pressenti dans la démarche critique radicale (y compris de l'écologie radicale), c'est la fonction de l'économisme (et peut-être même de la technologie – ou techno-science - qui en est liée) en tant que telle dans la structuration des dominations caractérisant le monde capitaliste, la particularité des rapports sociaux qui lui sont immanents, et donc la spécificité historique de l'économie et de ses catégories au sein du monde capitaliste (travail salarié, capital, marchandise, valeur,...) introduisant logiquement un doute sérieux sur la possibilité d'un contrôle citoyen sur celle-ci (« ré-insérer l'économie dans le social »). L'économisme – la « science » économique - étant spécifique à la réalité sociale du capitalisme, c'est donc une autre forme de production-distribution des biens (d'échanges avec les hommes et la « nature ») qu'il nous faudra inventer afin de dépasser ce système destructeur et dé-structurant tout en étant bien conscient que l'on ne pourra faire abstraction de tous acquêts émanant de ce système (toutes techniques et formes d'indépendances individuelles introduites dans la vie sociale par le capitalisme). L'essence même de l'Écologie Sociale, en tant qu'expression possible d'un véritable socialisme – fédéraliste, c'est-à-dire relevant d'une prise de conscience de la réelle puissance de la vie sociale humaine organique, et enraciné -, devrait inciter à une raison supérieure mais non pas hégémonique, et une remise en cause du fétichisme de la marchandise ; sans pour autant vouloir immiscer une pensée fétichiste issue d'un passé idéalisé au sein d'une critique du monde moderne, ni pour autant vouloir annihiler toutes croyances de la vie sociale et personnelle à partir du moment où celles-ci puissent être interrogées et éventuellement remises en cause dans le principe de redynamisation d'une véritable autorité qui reste à redéfinir. Mais, comme le pensait M Bookchin, seule la constitution de relations sociales directs, ré-inventés, ré-élaborés plus ou moins consciemment, peut être à même de fournir la base d'un dépassement radicale du capitalisme, en s'appuyant sur une construction sociale publique : la commune, dans la mesure où ce que décrit ce terme puisse représenter à nos yeux non forcément un moyen actuel eu égard à la structuration des villes modernes, mais plutôt l'aboutissement d'une dynamique sociale d'émancipation du cycle d'effacement de nos identités sociales et culturelles, et rassemblant des hommes et des femmes autour des mêmes désirs collectifs et individuels de dépassement d'un état d'aliénation en un lieu donné à taille humaine. Et tout ceci en redécouvrant la force inhérente à la dynamique associative (les « Genossenschaften » althusiens). D'où l'importance d'appuyer sur le fait que « La communauté constituait une unité éthique de libres citoyens et non une entreprise municipale instituée par "contrat social" », car la puissance d'élaboration sociale inhérente au besoin de socialité contenu en chaque homme vrai du fait de son incomplétude ontologique, est consubstantielle à la double dynamique de constitution de l'individu-citoyen, c'est-à-dire enraciné dans ses communautés, et des institutions qui sont aptes à lui garantir la légitimité de sa recherche d'autonomie, institutions partant de la base et se dirigeant vers le sommet, celle du jus regni, de la pyramide de la souveraineté politique. Alors oui, nous pouvons bien parler de symbiose et non de « contrat social », car il n'est pas question d'ouvrir la scène aux délires d'un individu déraciné passant contrat avec d'autres êtres tout aussi psychotiques et soumis à l'avoir. Il n'est pas question de cette « horizontalité » là qui peine désormais à cacher sa soumission à un Nouvel Ordre Mondial destructeur des communautés réelles et charnelles. La souveraineté populaire ne peut tirer son existence que d'êtres enracinés dans leur réalités sociales et communautaires, dans leur culture et leurs espérances. La souveraineté n'existe que par la responsabilité, à chaque échelon de la vie sociale. À travers l'acceptation de cette notion de responsabilité, l'on se donne aussi la possibilité de redéfinir le droit, « le droit d'avoir des droits » Hannah Arendt, c'est-à-dire de lier celui-ci à la participation effective, citoyenne, à la vie commune. Nous n'avons pas des droits parce que nous sommes « citoyens » – en tant qu' « hommes » : inclusion inconditionnelle – mais nous devenons citoyens en obtenant des droits – en tant que membre d'une communauté à laquelle nous nous identifions et en laquelle nous participons.

commune.jpg

La commune : un enjeu moderne

Il y a beaucoup de problèmes qui se posent à ceux qui cherchent à tracer les caractéristiques d'une intervention au niveau communal, mais, en même temps, les possibilités d'imaginer de nouvelles formes d'action politique, qui récupéreraient le concept classique de citoyenneté et ses valeurs participatives, sont considérables.

À une époque où le pouvoir des États-nations augmente, où l'administration, la propriété, la production, les bureaucraties et les flux de pouvoir et de capitaux tendent à la centralisation, est-il possible d'aspirer à une société fondée sur des options locales, à base municipale, sans avoir l'air d'utopistes inguérissables ? Cette vision décentralisée et participative n'est-elle pas absolument incompatible avec la tendance à la massification de la sphère publique ? La notion de communauté à l'échelle humaine n'est-elle pas une suggestion atavique d'inspiration réactionnaire qui se réfère au monde prémoderne (du genre de la communauté du peuple du nazisme allemand) ? Et ceux qui la soutiennent n'entendent-ils pas rejeter ainsi toutes les conquêtes technologiques réalisées au cours des différentes révolutions industrielles depuis deux siècles ? Ou encore, est-ce qu'une "société moderne" peut être gouvernée sur des bases locales à une époque où le pouvoir centralisé semble être une option irréversible ?

À ces questions à caractère théorique, s'en ajoutent beaucoup d'autres à caractère pratique. Comment est-il possible de coordonner des assemblées locales de citoyens pour traiter de questions comme le transport ferroviaire, l'entretien des routes, la fourniture de biens et ressources provenant de zones éloignées ? Comment est-il possible de passer d'une économie basée sur l'éthique du business (ce qui inclut sa contrepartie plébéienne : l'éthique du travail) à une économie guidée par une éthique basée sur la réalisation de soi au sein de l'activité productive ? Comment pourrions-nous changer les instruments de gouvernement actuels, notamment les constitutions nationales et les statuts communaux, pour les adapter à un système d'autogouvernement basé sur l'autonomie municipale ? Comment pourrions-nous restructurer une économie de marché orientée sur le profit et basée sur une technologie centralisée, en la transformant en une économie morale orientée sur l'homme et basée sur une technologie alternative décentralisée ? Et, de plus, comment toutes ces conceptions peuvent-elles confluer au sein d'une société écologique qui cherche à établir une relation équilibrée avec le monde naturel et qui veut se libérer de la hiérarchie sociale, de la domination de classe et sexiste et de l'homogénéisation culturelle?

La conception suivant laquelle les communautés décentralisées sont une sorte d'atavisme prémoderne, ou mieux antimoderne, reflète une incapacité à reconnaître qu'une communauté organique ne doit pas nécessairement être un organisme, dans lequel les comportements individuels sont subordonnés au tout. Cela relève d'une conception de l'individualisme qui confond individualité et égoïsme. Il n'y a rien de nostalgique ou de novateur dans la tentative de l'humanité d'harmoniser le collectif et l'individuel. L'impulsion à réaliser ces buts complémentaires (surtout en un temps comme le nôtre, où tous deux courent le risque d'une dissolution rapide) représente une recherche humaine constante qui s'est exprimée tant dans le domaine religieux que dans le radicalisme laïc, dans des expériences utopistes comme dans la vie citoyenne de quartier, dans des groupes ethniques fermés comme dans des conglomérats urbains cosmopolites. Ce n'est que grâce à une connaissance qui s'est sédimentée au fil des siècles qu'on a pu empêcher la notion de communauté de verser dans le grégarisme et l'esprit de clocher et celle d'individualité de verser dans l'atomisme.

Commentaires : La question de l'espace adéquate où puisse se déployer un agir à l'opposé du système marchant dominant les esprits et les actes, et en y associant de façon pérenne ses habitants, est une question à partir de laquelle il peut être possible d'établir un projet réalisateur en y faisant naître un désir politique. La localisation, non uniquement spatiale, d'un projet alternatif se heurte néanmoins le plus souvent dans sa mise en œuvre, surtout au bout de quelque temps, à un recentrage de la dynamique expérimentale sur un groupe de personnes, en particulier les plus à même d'assurer théoriquement et pratiquement une remise en cause, le plus souvent évertuée, de leur mode de vie (personnes issues d'un niveau social plus aisé intellectuellement et financièrement, et le plus souvent imprégnés d'idéologies ou de délires « utopistes » visant l'élaboration programmatique d'un « autre monde »), et qui finissent par réintroduire insidieusement des méthodes et des pensées en adéquation avec la perpétuelle réadaptation du système. C'est ainsi que l'on peut faire des constats pour le moins mitigés en ce qui concerne des initiatives de démocratie participative locales passées (comme à Porto Alegre au Brésil), des créations de coopératives dans des domaines considérés comme alternatifs mais peinant à dépasser la prééminence de la logique marchande (le bio, le commerce équitable, beaucoup de scoop, …), des tentatives de dynamisation populaire assembléistes de mouvements sociaux comme celui des retraites en 2010 ou encore des « Nuits debout » du mouvement contre la Loi travail en 2016. Dans tous les cas, ce qui peut paraître le plus ardu, c'est bel et bien de dépasser les rapports sociaux propres à « notre » société afin d'en expérimenter de nouveaux, en inadéquation totale avec les prérequis incontournables d'un processus de valorisation, et de domination oligarchique, aux multiples visages y compris « contestataires » (individualisme « libéral » évoluant sous diverses formes). Or, ces rapports, médiatisés par la marchandise, l'argent, le travail salarié, l'État, sont à ce point ancrés dans nos têtes, qu'il est bien difficile de trouver le lieu et le moment adéquats où peut apparaître un désir quasi paroxistique au sein d'un ensemble d' « acteurs » qui, du fait de cette limite atteinte par une situation vécue comme insupportable et surtout insensée, vise à construire des relations sociales directes et non dominées par une forme de fétichisme, surtout économique et accumulative bien sûr (la ras-le-bol peut-il suffire ? Tout autant que les grandes théories sur le « genre humain » ne brillant que par leur abstraction ?). C'est pourtant la condition de l'élaboration d'une véritable démocratie, partant de la base, vers le sommet qui se doit d'être à son service, qui est conditionnée par cet communion du désir dépassant toutes les barrières sociales introduites par l'Ordre « libérale ». Et cette condition est la prémisse d'une remise en cause des rapports sociaux aliénants du capitalisme en créant simultanément à un mouvement profond et osant dépasser le nihilisme ambiant, une contre-culture à la non-culture dominante, « ...ce que les allemands appellent un Bewegung, une culture entière, pas juste une cause....Ce n'est pas le monde du marché libre de la rivalité. Donc derrière cette mentalité écologique se trouve aussi une culture – et même une personnalité. Une façon d'expérimenter. Ou si on veut, d'absorber le monde autour de nous et d'interagir avec. » (M Bookchin dans une conférence donnée à San Francisco en 1985).

La notion de communauté a tendance à verser dans le grégarisme et celle d'individualité dans l'atomisme, c'est le constat amère que l'on peut hélas formuler en ce début de 21ème siècle ; même si bien sûr, l'homme ne peut jamais être réduit à une machine ne visant qu'à satisfaire ses envies individualistes malgré les desseins insensés promulgués par la clique « scientifique » économiste. Néanmoins, le désir de politique n'est jamais loin, même s'il est trompé et détourné par les illusions du politique-spectacle, comme nous pouvons le constater par exemple suite à de récents attentats terroristes et à la tentative de la part du pouvoir dit « démocratique » de détourner les regards des véritables responsables : eux-mêmes et leurs « politiques », ou plutôt leurs renoncements. La commune ou le quartier (à taille humaine, limitée, non celle des mégalopoles crées pour l'anonymat post-moderne et la circulation rationalisée des marchandises et des individus sérialisés) sont des lieux potentiels de puissance politique, d'émancipation, à partir du moment où l'on tient compte que ces lieux sont des lieux publics qui ne peuvent qu'être fondés sur le foisonnement premier d'une vie privée corporative, associative et familiale, collective, foisonnante et créatrice surtout, qui leur donne corps et légitimité. Car c'est là effectivement, en tout premier lieu que peut émerger une pensée plus ou moins radicale contre le système social de production capitaliste (par les effets délétères qui y sont ressentis localement et individuellement de façon directe et quotidienne, comme par exemple l'immigration massive et ses répercussions négatives et déstructurantes dont sont victimes maints quartiers : pauvreté, violence, trafics en tout genre, etc) et donc d'une élaboration de contre-pouvoirs à l'échelle de la vie quotidienne au sein de ces espaces d'identités sociales. La municipalité, la commune autonome, ne peut être qu'une résultante d'un élan vers la puissance et l'autonomie sociale, une expression politique publique indispensable parce que jugée nécessaire à élaborer et maintenir le droit et l'harmonie au sein de l'ensemble symbiotique communautaire. Cette dynamique peut alors s'accroître aux niveaux institutionnels supérieurs telles les régions et les nations, jusqu'au niveau « impérial » du Res Publica, garant du Tout, et au service de tous. Le devenir humain, et non mécaniste et trans-humain, resurgira d'une créativité qui aura su se réinsérer dans le local et sa singularité, s'en nourrir afin de redonner du sens à ceux qui l'habitent, du sens et du goût pour la véritable politique : la vie de l'Agora !

Le mouvement des villes en transition ou pour la résilience par exemple est une dynamique éventuellement intéressante si on la considère sous cet angle. Il est indéniable qu'il porte en lui, en plus d'une remise en cause d'un mode de vie consumériste et déconnecté du réel, une culture invitant à l'établissement de rapports sociaux alternatifs entre les personnes et entre celles-ci et la « nature ». Peut-il représenter une possibilité d'élaborer à l'échelle de municipalités une société d'individus librement associés se ré-appropriant leur subjectivité en se dégageant peu à peu du sujet-automate (le Capital) dominant, et ainsi trouver un moyen de faire vivre des expériences de communalisme en se ré-appropriant conjointement la souveraineté ? Peut-être, s'il ne tombe dans le mirage (ou le fétiche) d'un économisme local accouplée à une vision universaliste, dans lesquels se prennent les pied nombre de mouvements localistes (le « manger local » par exemple peut aussi être un moyen pour le capitalisme de tenter de résoudre certaines de ses limites – accroissement de la misère et opportunisme vis-à-vis de la compassion charitable des « grandes âmes » - d'autant plus qu'il peut s'intégrer dans le « débrouillez-vous » - J. Attali – cher au libéralisme post-moderne). Et si bien sûr ce mouvement sait se radicaliser (aller à la racine des problèmes rencontrés) peu à peu sans se laisser bercer par les sirènes du mondialisme néo-libéral qui idéalise l'Autre afin de faire de tous des « tous-pareils » en tuant ainsi tout espoir de redonner vie à une véritable politique populaire dont la source de la vitalité découle d'une conflictualité dont l'assomption est la condition d'être d'une véritable humanité. Il ne devrait pas s'agir uniquement de tenter de ré-introduire des modes de vie à une échelle plus « humaine » (petits commerces locaux, artisanat marchand, prises de décisions collectives, coopératives diverses, économiques et culturelles, etc) mais aussi de comprendre l'enjeu de réenraciner toute initiative de ce genre dans une réalité culturelle et historique qui est la sienne. S'il s'agit d'inventer d'autres formes de relations sociales, moins fétichistes donc plus directes et collectives, dont la structure découlera d'activités productives et autres débarrassées des rapports strictement individualistes (spécifiques au mode de production-financiarisation capitaliste postmoderne), ceux-ci devront être générés en fonction des aléas et besoins de la vie réelle des communautés et des luttes locales et nationales dont elles décident d'elles-mêmes de devenir les portes-étendard (luttes contre l'immigration massive et déstructurante pour tous les peuples, les pollutions, la perte des savoirs, l'anéantissement de nos cultures locales, nationales et européennes, etc). La pensée métapolitique devra y prendre une grande place car ces luttes sociales n'auront une chance de participer à donner une nouvelle tournure à ce monde qu'en se liant à une analyse globale et aux déductions qui en découlent. Ce qui veut aussi dire qu'il faut bien que nous soyons conscients de ce qu'il sera souhaitable de faire ou pas faire de ces lieux de réappropriation communalistes de la souveraineté (les limites d'une récupération possible par le système dominant) et du fait que la municipalité (situation géographique) n'est pas le lieu premier de la dynamique de ré-appropriation de la souveraineté, mais l'aboutissement local, public et politique, des dynamiques sociales, en tant que contres-pouvoir volontairement déconnectés des institutions mises en place et financées par le système dominant (partis, syndicats réformistes, collectivités territoriales, ONG subventionnées,...).

Il sera donc indispensable de réinsérer les « communes » dans une spacialité qui tendra à faire redécouvrir le sens profond du mot Patrie, redécouverte d'une filiation, et par conséquent du sens intime de l'être : du sens commun diffusé en l'irréductibilité de chacun. C'est la condition afin de réapprendre, et res-sentir, le lien intime unissant en une même dynamique la nature et la culture, ou LES cultures.

conseil-municipal-sous-haute-tension-saint-lo-ce-mardi-soir_0.jpg

Murray Bookchin

Une politique en-dehors de l'État et des partis

N'importe quel programme qui essaye de rétablir et d'élargir la signification classique de la politique et de la citoyenneté doit clairement indiquer ce que celles-ci ne sont pas, ne fût-ce qu'à cause de la confusion qui entoure ces deux mots...

La politique n'est pas l'art de gérer l'État, et les citoyens ne sont pas des électeurs ou des contribuables. L'art de gérer l'État consiste en des opérations qui engagent l'État : l'exercice de son monopole de la violence, le contrôle des appareils de régulation de la société à travers la fabrication de lois et de règlements, la gouvernance de la société au moyen de magistrats professionnels, de l'armée, des forces de police et de la bureaucratie. L'art de gérer l'État acquiert un vernis politique lorsque les soi-disant "partis politiques" s'efforcent, à travers divers jeux de pouvoir, d'occuper les postes où l'action de l'État est conçue et exécutée. Une "politique" de ce genre est à ce point typée qu'elle en est presque assommante. Un "parti politique", c'est habituellement une hiérarchie structurée, alimentée par des adhérents et qui fonctionne de façon verticale. C'est un État en miniature et dans certains pays, comme l'ex-Union Soviétique et l'Allemagne nazie, le parti constitue réellement l'État lui-même.

Les exemples soviétique et nazi du Parti/État ont représenté l'extension logique du parti fonctionnant à l'intérieur de l'État. Et de fait, tout parti a ses racines dans l'État et non dans la citoyenneté. Le parti traditionnel est accroché à l'État comme un vêtement à un mannequin. Aussi varié que puisse être le vêtement et son style, il ne fait pas partie du corps politique, il se contente de l'habiller. Il n'y a rien d'authentiquement politique dans ce phénomène : il vise précisément à envelopper le corps politique, à le contrôler et à le manipuler, et non à exprimer sa volonté - ni même à lui permettre de développer une volonté. En aucun sens, un parti "politique" traditionnel ne dérive du corps politique ou n'est constitué par lui. Toute métaphore mise à part, les partis "politiques" sont des répliques de l'État lorsqu'ils ne sont pas au pouvoir et sont souvent synonymes de l'État lorsqu'ils sont au pouvoir. Ils sont formés pour mobiliser, pour commander, pour acquérir du pouvoir et pour diriger. Ils sont donc tout aussi inorganiques que l'État lui-même - une excroissance de la société qui n'a pas de réelles racines au sein de celle-ci, ni de responsabilité envers elle au-delà des besoins de faction, de pouvoir et de mobilisation.

Commentaires : Le problème n'est pas tant celui des partis politiques que du système au sein duquel il est nécessaire pour eux de s'intégrer afin d'accéder à une reconnaissance. Car au fond c'est bien ce « système » qui incite à la création de formations dites « politiques » dont l'existence reconnue ne sert effectivement qu'à légitimer une démocratie de façade. Mais néanmoins que des opinions politiques puissent s'assembler et s'organiser au sein d'associations afin d'en défendre les singularités est indiscutable si l'on ressent la nécessité de devoir respecter la diversité et la démocratie. La question est de savoir si les partis actuels sont vraiment politiques en fonction de la façon dont ils perçoivent ce que doit être la souveraineté, et le lieu où elle doit se déployer, et, conjointement, en la faveur de qui réellement ? Encore une question qui doit aider à définir un Droit au bénéfice de l'autonomie populaire !

Il est vrai que les grands partis actuels se sont dévoyés depuis longtemps déjà dans un rôle d'accompagnement de la logique folle d'accumulation du Capital comme j'ai pu le faire remarquer plus haut, en se faisant « partis de gouvernement », au service de l'économisme et d'une acception étriquée du nationalisme (« communion nationale » fantasmatique). C'est bien la raison pour laquelle l'ambition de ne faire aboutir toute dynamique alternative qu'au travers une prise de pouvoir globale à l'aide de la constitution de partis politiques est au mieux inefficace, au pire complètement irresponsable. En effet, les États modernes (et les « lieux » où se concentrent la souveraineté, absolue, y compris les assemblées de « représentants ») sont des lieux d'impuissance sociale, ne représentant autre chose que notre renoncement à notre puissance sociale, celle des peuples par eux-mêmes. Les personnages politiques s'y transforment automatiquement en fonctionnaires-gestionnaires du Capital et en larbins des intérêts oligarchiques, et ce en dépit de la bonne volonté de certains (voir actuellement l'approche de nos « gouvernants » envers les multinationales comme Monsanto, Microsoft, et autres...). Organiser la société par le haut implique des moyens financiers dont la source ne peut se trouver que dans les ponctions qui sont opérées sur les revenues du travail, moteur interne de l'accumulation sans fin du Capital. Les rapports sociaux de production ne seraient donc être mise en cause selon un tel paradigme, pas plus que les rapports d'exploitation de la force de travail humaine au sein des entités de production dont le but ultime resterait de valoriser des capitaux et non d'être au service de la collectivité. Ce sont ces rapports sociaux, faut-il le répéter, qui engendrent une domination totale imposée sur la nature, sur nous-même en tant que « nature », celle-ci n'étant d'ailleurs que l'expression conceptuelle de cette domination, d'une domination sur la vie elle-même. Bien sûr que l'État-Nation capitaliste, par conséquent, a le monopole de la violence dans la mesure où cette nécessité structurelle d'exploitation (ou de maintenir une telle exploitation afin de créer de la survaleur) est la violence première opérée sur l'ensemble de la vie, des êtres vivants, humains ou animaux. L'État moderne a pour rôle d'institutionnaliser cette violence, de l'organiser à l'échelle de la société au travers de ses attributions, puis du monde au travers des institutions internationales, pour les besoins infinis de valorisation du Capital (OMC, FMI, Groupe Bilderberg, Commission européenne, etc...) comme, consubstantiellement, de contrôle total des populations (des masses d'individus atomisés !). Le prolétariat par exemple, pur produit de la société capitaliste, afin de nier son existence par lui-même en tant que classe au sein de ce monde, ne saurait déléguer sa puissance de l'agir à des représentants censés porter ses désirs, ses besoins à un moment donné à moins de penser qu'à ce « moment » l'on a retrouvé le Messie !

Mais, d'un autre côté, nous pouvons constater à l'heure actuelle l'essoufflement de l'État-Nation et de la « politique » telle qu'ils s'étaient déployés depuis les prémisses du capitalisme à la fin du XVIIIéme siècle. En ce début de XXIéme siècle, le capitalisme se mondialise de plus en plus, échappe aux quelques limites que lui donnaient encore certains États européens il y a peu, aux différentes options que tentaient de lui appliquer les partis « politiques ». C'est aujourd'hui le règne, tant souhaité par l'oligarchie mondialiste, de la pensée unique et de la voie unique vers une pseudo-puissance hyper-technologisée de Progrès post-humain. Les partis politiques y ont-ils encore leur places ? Nous pourrons de plus en plus en douter. Sauf à revenir urgemment sur la définition de ce qu'est la, et le politique ! Et s'il faut redéfinir la politique, disons qu'il s'agit d'une possibilité de choisir une orientation parmi toutes celles possibles s'offrant aux diverses communautés et à leurs élites, et certainement pas d'en faire semblant tout en imposant une seule direction, gestionnaire, à l'ensemble des communautés humaines, guidée par l'impératif financier et le retour sur investissements. Il s'agit là alors d'un tout autre projet d'humanité, d'une réappropriation de notre souveraineté perdue et transmise à des fous, des marionnettes (Porochenko...) et des impuissants. Cela implique aussi l'idée fondamentale pour cette humanité européenne nouvelle que des personnes en pleine reconquête de leur destin ne pourraient être ainsi dirigées tels les individus massifiés qui aujourd'hui se laissent mener vers le néant.

Suicide_lucretia.jpg

Un nouveau corps politique

La politique, au contraire, est un phénomène organique. Elle est organique au vrai sens où elle représente l'activité d'un corps public - une communauté si on préfère - de même que le processus de la floraison est une activité organique de la plante enracinée dans le sol. La politique, conçue comme une activité, implique un discours rationnel, l'engagement public, l'exercice de la raison pratique et sa réalisation dans une activité à la fois partagée et participative.

La redécouverte et le développement de la politique doit prendre pour point de départ le citoyen et son environnement immédiat au-delà de la famille et de la sphère de sa vie privée. Il ne peut pas y avoir de politique sans communauté. Et par communauté, j'entends une association municipale de gens renforcée par son propre pouvoir économique, sa propre institutionnalisation des groupes de base et le soutien confédéral de communautés similaires organisées au sein d'un réseau territorial à l'échelle locale et régionale. Les partis qui ne s'impliquent pas dans ces formes d'organisation populaire de base ne sont pas politiques au sens classique du mot. Ce sont plutôt des partis bureaucratiques et opposés au développement d'une politique participative et de citoyens participatifs. La cellule véritable de la vie politique est, en effet, la commune, soit dans son ensemble, si elle est à l'échelle humaine, soit à travers de ses différentes subdivisions, notamment les quartiers.

Un nouveau programme politique ne peut être un programme municipal que si nous prenons au sérieux nos obligations envers la démocratie. Autrement, nous serons ligotés par l'une ou l'autre variante de gestion étatique, par une structure bureaucratique qui est clairement hostile à toute vie publique animée. La commune est la cellule vivante qui forme l'unité de base de la vie politique et de laquelle tout provient : la citoyenneté, l'interdépendance, la confédération et la liberté. Le seul moyen de reconstruire la politique est de commencer par ses formes les plus élémentaires : les villages, les villes, les quartiers et les cités où les gens vivent au niveau le plus intime de l'interdépendance politique au-delà de la vie privée. C'est à ce niveau qu'ils peuvent commencer à se familiariser avec le processus politique, un processus qui va bien au-delà du vote et de l'information. C'est à ce niveau aussi qu'ils peuvent dépasser l'insularité privée de la vie familiale - une vie qui est souvent célébrée au nom de la valeur de l'intériorité et de l'isolement - et inventer des institutions publiques qui rendent possible la participation et la cogestion d'une communauté élargie.

En bref, c'est à travers la commune que les gens peuvent se transformer eux-mêmes de monades isolées en un corps politique innovateur et créer une vie civique existentiellement vitale car protoplasmique, inscrite dans la continuité et dotée tant d'une forme institutionnelle que d'un contenu citoyen. Je me réfère ici à des organisations de blocs d'habitations, à des assemblées de quartier, à des réunions de ville, à des confédérations civiques et à un espace public pour une parole qui aille au-delà de manifestations ou de campagnes monothématiques, aussi valable qu'elles puissent être pour redresser les injustices sociales. Mais protester ne suffit pas. La protestation se détermine en fonction de ce à quoi elle s'oppose et non par les changements sociaux que les protestataires peuvent souhaiter mettre en place. Ignorer l'unité civique élémentaire de la politique et de la démocratie, c'est comme jouer aux échecs sans échiquier, car c'est sur le plan citoyen que les objectifs à long terme de rénovation sociale doivent d'abord se jouer.

Commentaires : Qu'est ce qu'une société ? Ou plutôt, qu'est ce qu'elle n'est pas, et ne saurait être, quoique cette antithèse nous soit présentée comme la réalisation ultime de l'évolution humaine (cf M Thatcher : « la société n'existe pas, il n'existe que des individus ») ? Cette non-société serait un conglomérat d'individus « indépendants » mus par leurs seuls intérêts égoïstes dans leur rapports avec les autres et dont les droits individuels seraient garantis par une administration étatique (pieuvre dont les tentacules se prolongent jusqu'au niveau de l'administration municipale, voire jusque la famille, ou plutôt ce qu'il en reste : victime des « choix » individualistes). Les individus, dans ce cadre théorique de l'anti-société, seraient les atomes constituant de la masse. Cette masse serait donc une population d'entités vivantes mus par des praxis mécanistes dont l'unidirectionnalité déterminerait a-priori la logique de la préséance du marché en ce qui concerne l'organisation de l'espace où s'opéreraient la quête égoïste des intérêts individuels. Cette présupposition est la condition théorique primordiale incluse dans les fondements de la « science économique » et conditionnant par là-même la bonne marche du paradigme économiste dont le but est la valorisation sans fin du Capital. À ce niveau d'interprétation du fonctionnement des « sociétés » humaines, les rapports sociaux seraient donc vus comme étant d'origine supra-individuels car déterminés par une loi « naturelle » mono-constituante (une seule règle, celle de la recherche exclusive des intérêts particuliers dont la somme serait sensée élaborer un monde meilleur) et prédéterminant la forme que prennent « logiquement » ces rapports dans toutes les sociétés humaines. Or, et y compris dans la société capitaliste, les rapports sociaux sont en réalité trans-individuels, c'est à dire qu'ils découlent des relations d'inter-dépendances, de réciprocités, d'influences et de conflictualités propres à une formation sociale, quelle qu'elle soit. Ces rapports peuvent être directs, plus ou moins conscients (de dominations, de coercition comme d'entraides et de solidarité) et mâtinés de formes fétichistes, ou bien presque totalement aliénés à une de ces formes au sein de laquelle les individus déposent leur puissance de l'agir, leur propre auto-détermination, leur capacité à générer par eux-mêmes le type de rapports qu'ils établissent entre eux (ce qui génère une illusion de liberté et d'autonomie, un rationalisme abstrait liée à la notion de Progrès, un destin impensé qui obscurcie les relations sociales – nous n'avons plus de prise sur le réel, sur ce qui se trame par-delà nos volontés). En ce qui concerne la société capitaliste, cette forme fétichiste se matérialise dans la marchandise, l'argent et le travail salarié. La religion qui accompagne ce fétichisme est l'économisme avec sa théologie du présupposé de l'individu égoïste et rationnel porté par ses seuls intérêts. L'économisme a d'ailleurs participé, si ce n'est fondé, la logique déterministe, aujourd'hui en crise, qui a posé le principe d'une téléologie du progrès humain devant nous mener vers une réalisation ultime idéaliste d'une pseudo-organisation sociale répondant à notre « nature » humaine « fondamentalement » individualiste.

La condition d'une émancipation identitaire de l'homme – par rapport à ce qui fait de l'animal humain un homme - passe donc par l'établissement de rapports sociaux véritablement démocratiques, de relations sociales nouées directement entre les acteurs (dans des domaines aussi variés que la production et le partage de ses fruits, l'entraide et le partage de savoirs, les solidarités familiales, communautaires, nationales comme de voisinage, les confrontations et conflits liées aux activités décisionnaires, etc...). La politique, entendue comme activité propre à une communauté humaine afin de déterminer et structurer consciemment son organisation sociale – sa pérennité et son développement futur - peut effectivement être qualifié d'organique sans pour autant que cet organicisme puisse forcément être interprété comme une forme détournée de holisme déterminant a-priori les rapports sociaux, assujettis à un Tout supérieur aux partis. La politique est inhérente aux communautés humaines, et il n'y a pas de forme politique déterminées par une loi supérieure, transcendante, mais seulement coextensive au développement et à l'affirmation des relations sociales caractérisant chacune de ces communautés (c'est pourquoi l'on peut dire que l'État moderne représente une cristallisation de rapports sociaux propres au capitalisme).

Comme il en a déjà été fait part dans un commentaire précédent, la question est de savoir, ou de reconnaître intuitivement et expérimentalement, à partir de quelle réalité sociale actuelle (les situations données au sein desquelles nous vivons) peut-on développer le désir de politique, l'engouement et la conscience de la nécessité de l'agir en nous ré-appropriant la puissance sociale que nous avons transmué dans les fétiches de la structure sociale capitaliste (en nous dépossédant de cette puissance de l'agir sur nos vies quotidiennes). Il s'agit donc pour nous de retrouver la confiance et la conscience nécessaires à l'acte publique émancipateur et auto-constituant. La commune (villages, quartiers, petites villes, dans le domaine public issus de la fédération symbiotique des familles, communautés coopératives, fédérations de métiers, associations spirituelles, jardins communautaires, dans le domaine privé...) est le lieu où nous devrions quotidiennement faire l'expérience d'une vie sociale publique, mais même si celle-ci est le plus souvent faussée du fait de rapports médiatisés par un support quelconque (argent ou autre), il y subsistent néanmoins des relations sociales inter-personnelles directs, « à la marge » (je ne sous-entends pas seulement dans le qualificatif « direct », une façon d'établir un contact inter-individuel « de face à face », celui-ci correspondant tout à fait à une mise en relation des individus sur le marché ou pour se positionner socialement, mais principalement un type de rapports sociaux qui ne prend pas la forme de rapports entre choses, qui ne se médiatisent pas dans des formes sociales inanimées). Nos vies concrètes s'y meuvent, influencées par des particularités culturelles, ethniques, sociales, économiques, ou du biotope. C'est donc un des lieux possibles d'où peuvent émerger des initiatives, solidarités et luttes visant à nous ré-approprier nos vies en y recréant des rapports sociaux directs sans passer par des médias fétichistes (à condition de ne pas tenter, selon la façon dont on pourrait interpréter les propositions de M Bookchin formulées dans les dernières années de sa vie, de ne penser uniquement qu'à utiliser les institutions accompagnant le développement du capitalisme, tel que l'institution municipale actuelle – gagnée par le truchement des élections - car nous ne pourrions pas baser un nouveau paradigme de « société » sur les fondements de l'ancien, parce que le lieux même où a été placé en notre époque une souveraineté illusoire en font des « lieux d'impuissance » où la dynamique de libération s'essoufflerait inévitablement si elle n'était accompagnée d'une forte et volontaire dynamique sociale de base). Si la commune peut être effectivement la cellule publique de base d'une réorganisation sociale dans une société fédéraliste post-capitaliste, dans la phase historique qui est la nôtre, d'autres lieux, bien souvent en inter-connexion les uns avec les autres, peuvent se présenter comme des opportunités afin d'expérimenter des relations sociales vraiment alternatives aux rapports qui aliènent nos vies au pouvoirs occultes des fétiches économistes. Il formeraient en outre les cellules de base d'une réorganisation de l'ensemble civilisationnel européen par le bas, les bases d'une réorganisation véritablement démocratique de l'Imperium européen dont la tête, le majoris status, se devrait d'être par son abnégation, sa frugalité et le sens suprême de sa responsabilité au service du « corps » tout en stimulant lui-même par la transcendance de son autorité – selon le sens réel de ce terme – et la fascination, cette réorganisation vitale ou vitaliste. Le terme « commune » a donc une signification bien plus ouverte et forte (en même temps que plus générale) que celle qui désigne les entités géographiques regroupant en un même lieu de vie un certains nombre de personnes, les municipalités d'aujourd'hui, et peut-être de demain. Le sens qu'il est nécessaire de lui donner à notre époque, en notre situation où l'économisme et sa raison se sont étendues à toutes les sphères de la vie et à quasiment tous les lieux de la planète, est en lien avec la notion d'engagement personnel susceptible de briser l'anonymat de la massification, et de participer à des mouvements collectifs de communalisme, prenant naissance partout où l'esprit de révolte incite à la création et à l'élaboration d'expérimentations de relations sociales radicalement différents des rapports qui nous aliènent à la marchandise, au travail salarié et à la valeur (universités populaires par exemple, ou cercles créés autours de revues militantes, de projets de jardins populaires, etc).

decen-e1419822887373.jpg

La commune de Paris

Pour la décentralisation

En écartant toutes les objections d'inspiration étatiste, le problème du rétablissement des assemblées municipales semble cependant difficilement réalisable si l'on reste dans le cadre des formes administratives et territoriales actuelles. New York ou Londres n'auraient pas les moyens de s'assembler si elles voulaient imiter l'Athènes antique, avec son corps relativement peu nombreux de citoyens. Ces deux villes ne sont plus, en fait, des cités au sens classique du terme, ni même des municipalités selon les standards urbanistiques du XIXe siècle. Vues sous un angle étroitement macroscopique, ce sont de sauvages proliférations urbaines qui ingurgitent chaque jour des millions de personne à une grande distance des centres commerciaux. Mais New York et Londres sont formées de quartiers, c'est-à-dire de plus petites communautés qui possèdent jusqu'à un certain point un caractère organique et une certaine identité propre, définie par un héritage culturel partagé, des intérêts économiques, une communauté de vues sociales et parfois aussi une tradition artistique comme dans le cas de Greenwich Village à New York ou de Camden Town à Londres. Aussi élevé que soit le degré nécessaire de coordination de leur gestion logistique, sanitaire et commerciale par des experts et leurs assistants, elles sont potentiellement ouvertes à une décentralisation politique et même, avec le temps, physique. Sans aucun doute, il faudra du temps pour décentraliser réellement une métropole comme New York en plusieurs municipalités véritables et, finalement, en communes, mais il n'y a pas de raison pour qu'une métropole de cette taille ne puisse progressivement se décentraliser au niveau institutionnel. Il faut toujours bien distinguer entre décentralisation territoriale et décentralisation institutionnelle. On a avancé d'excellentes propositions pour implanter au niveau local la démocratie dans de telles entités métropolitaines, en restituant le pouvoir aux gens, mais elles ont été bloquées par les centralisateurs qui, avec leur cynisme habituel, ont évoqué toute sorte d'empêchements matériels pour réaliser une telle entreprise. On prétend réfuter les arguments des partisans de la décentralisation en jetant la confusion entre la décentralisation institutionnelle et la désagrégation territoriale effective de ces métropoles. Il faut, au contraire, toujours bien faire la distinction entre décentralisation institutionnelle et décentralisation territoriale, en comprenant clairement que la première est parfaitement réalisable alors qu'il faudrait quelques années pour réaliser la seconde.

En même temps, je voudrais souligner que les conceptions municipalistes (ou, c'est la même chose, communalistes) libertaires que je propose ici s'inscrivent dans une perspective transformatrice et formatrice - un concept de la politique et de la citoyenneté qui cherche à transformer finalement les cités et les mégalopoles urbaines éthiquement aussi bien que spatialement, et politiquement aussi bien qu'économiquement.

Des assemblées populaires ou même de quartiers peuvent être constitués indépendamment de la taille de la cité, pourvu qu'on en identifie les composantes culturelles et qu'on fasse ressortir leur spécificité. Les débats sur leur dimension optimale sont politiquement irrelevants, c'est l'objet de discussion préféré de sociologues entichés de statistique. Il est possible de coordonner les assemblées populaires à travers des délégués pourvus d'un mandat impératif, soumis à rotation, révocables et, surtout, munis d'instructions écrites rigoureuses pour approuver ou rejeter les points à l'ordre du jour des conseils locaux confédérés composés de délégués des différentes assemblées de quartiers. Il n'y a aucun mystère dans cette forme d'organisation. La démonstration historique de son efficacité a été faite à travers sa réapparition constante aux époques de transformation sociale accélérée. Les sections parisiennes de 1793, en dépit de la taille de Paris (entre 500.000 et 600.000 habitants) et des difficultés logistiques de l'époque (où le cheval était ce qu'il y avait de plus rapide) ont œuvré avec beaucoup de succès, en étant coordonnées par des délégués de sections au sein de la Commune de Paris. Elles étaient réputées non seulement pour leur efficacité dans le traitement des problèmes politiques, en se basant sur des méthodes de démocratie directe, mais elles ont aussi joué un rôle important dans l'approvisionnement de la ville, dans la sécurité alimentaire, dans l'élimination de la spéculation, dans le contrôle du respect du maximum des prix et dans beaucoup d'autres tâches administratives complexes.

Aucune cité n'est par conséquent trop grande pour ne pas pouvoir être innervée d'assemblées populaires avec des objectifs politiques. La vraie difficulté est dans une large mesure d'ordre administratif : comment entretenir les ressources matérielles de la vie de la cité ? Comment affronter d'énormes charges logistiques et tout le poids de la circulation ? Comment préserver un environnement salubre ? Ces problèmes sont fréquemment mystifiés au moyen d'une confusion dangereuse entre la formulation d'une politique et sa gestion. Le fait pour une communauté de décider de manière participative quelle orientation suivre dans une question donnée n'implique pas que tous les citoyens participent effectivement à la mise en œuvre de la décision. Par exemple, la décision de construire une route n'implique pas que tous doivent savoir comment on conçoit et comment on réalise une route. C'est le travail des ingénieurs, qui peuvent présenter des projets alternatifs, et les experts remplissent donc par là une fonction politique importante, mais c'est l'assemblée des citoyens qui est libre de décider. L'élaboration du projet et la construction de la route sont des responsabilités strictement administratives, alors que la discussion et la décision sur la nécessité de cette route, y compris le choix de son emplacement et l'appréciation du projet relèvent d'un processus politique. Si on garde clairement en tête la distinction entre la formulation d'une politique et son exécution, entre la fonction des assemblées populaires et celle des gens qui assurent la gestion des décisions prises, il est alors facile de distinguer les problèmes logistiques des problèmes politiques, deux niveaux habituellement entremêlés.

Commentaires : Toute véritable dynamique d'émancipation sociale dont le sens même s'incorpore dans un désir de faire surgir et vivre une démocratie plus évoluée, plus réelle et tangible, prend nécessairement naissance de conflits émergeant au sein des situations dans lesquelles nous entrevoyons par la même occasion la nécessité d'en dépasser les limites contextuelles. Dans les mégalopoles ou les grandes villes, entités engendrées par le besoin impératif du système capitaliste de rationaliser sa sphère de circulation (des forces-de-travail, des marchandises, des capitaux) sur une aire relativement restreinte (où se côtoient banques, super-marchés, services sociaux, de santé, axes de communication, centres technologiques,...), ces conflits sont prégnant, et sous-jacents à l'image pacifiée d'un conglomérat d' « identités » individualistes formant un tout massifié à l'image d'un vaste espace « parfait » collant à l'idéalisme de l'idéologie post-libérale. Les conflits sociaux avec un potentiel radical ne peuvent être issues d'un besoin d'affirmation superficielle d'identité (« culture bobo ») ou de revendications par exemple salariales émanant d'individus ou de groupes défendant donc certains intérêts (tout à fait gérables sinon souhaités par le système) mais d'une nécessité situationnelle, ou d'un désir formel, de dépasser un état d'encasernement limitant les individus dans des rôles qui ne conviennent pas à des besoins nouveaux de changer radicalement les modes de vie et/ou les rapports sociaux inter-personnels. Ces conflits dont il est nécessaire d'en assurer l'assomption à partir du moment où ils peuvent trouver au sein de l'ensemble social plus vaste une justification morale (hormis donc les actes de sauvagerie trop souvent commis à l'encontre de personnes de mêmes conditions que leurs auteurs et sans véritable espoir de transition sociale dans les « citées », comme en 2005), trouvent à s'exprimer dans les moments de crises sociales, lorsque les règles paradigmatiques de l'économie commandent aux hommes des sacrifices (incluant la négation de sa propre existence sociale) devenus insupportables. C'est dans de tels contextes que peut s'organiser une « décentralisation », dans la mesure où la souveraineté peut dans ces moments se réinventer dans ces actes sociaux et les initiatives associatives, et peut alors être à même de s'affronter au pouvoirs illusoires des centres de gestion que sont devenus les municipalités modernes des mégalopoles courroies de transmission de l'État et de la Rationalité capitaliste. Et ces formes de résistance pourront d'autant mieux le faire qu'elles sauront se fédérer, et ainsi préfigurer une autre forme de municipalité émanant de la volonté populaire et devenant garante des droits – et devoirs - inhérents à l'affirmation de la pluralité sociale la composant (maintenir l'équilibre des droits et des devoirs des personnes et communautés membre de la municipalité libre). En même temps que ces mouvement sociaux élaboreront l'alternative par la pratique, il sera donc nécessaire de redéfinir et de redéployer la notion d'autorité (message aux futures élites en tout lieux et en tout domaine !).

Murray Bookchin parle d'organiser la décentralisation en tenant compte de spécificités culturelles. Ces spécificités sont bien souvent réelles et palpables au sein des différents quartiers des villes et cités. Il s'agit donc d'asseoir une organisation sociale « alternative » par rapport à un certain nombre de propositions et d'actions émanant de la souveraineté municipale reconquise, d'une réorganisation démocratique basée sur des délégations de pouvoirs et des reconnaissances de responsabilités à des assemblées « populaires », expressions de ces entités géographiques et culturelles. Il est néanmoins nécessaire de faire en sorte qu'une telle organisation démocratique n'amène à encadrer de façon trop précise, et par suite autoritaire, la dynamique politique dans un schéma qui risquerait à terme de court-circuiter la réalité complexe des cités, et fasse sienne le principe de la nécessaire latitude à laisser à l'initiative personnelle et collective de rang inférieur dans tous les domaines de la vie : réinscription dans la vie populaire du principe de subsidiarité. Dans les situations actuelles vécus au sein des villes, il peut être réducteur d'affirmer comme seule solution d'émancipation une réorganisation démocratique dont l'élaboration ne pourrait venir que du pouvoir municipal (dont M Bookchin propose la conquête dans une vision devenue électoraliste). Le rétablissement du pouvoir populaire ne saurait être le fait uniquement d'assemblées de quartiers par exemple qui verraient le jour sous la férule d'un pouvoir municipal central reconquis par les urnes. Et on peut en outre arguer que le taux de participation à ce type d'assemblées de quartiers existant déjà dans certaines villes est le plus souvent assez faible et qu'il n'est pas sûr qu'il soit largement supérieur le jour où une municipalité « écologiste sociale » décidera d'en faire les lieux de décisions démocratiques sur tous les sujets concernant la vie de la société et de ceux/celles qui y vivent, au vue de l'actuel d'apathie généralisée et du recul net de l'esprit de responsabilité collective dans nos sociétés hyper-gérées. En d'autres termes, il faut être clair sur le fait que la délégation ne devrait pas être vue uniquement comme une élection de représentants à une chambre décisionnelle, fusse-t-elle municipale, mais comme une délégation de pouvoir au-delà de la limite de ce qu'une entité sociale peut être capable d'assumer ; il s'agit là du principe de subsidiarité qui élabore en même temps qu'une dynamique sociale d'auto-organisation, les « lieux » où s'affirment les autorités qui en sont en quelque sorte l'aboutissement ultime, pensée comme une élévation vers des formes d'excellence et de responsabilité, des strates représentatives d'une juste hiérarchie assumant de façon croissante la notion de devoir. Et ce principe devra s'appliquer de la base, des personnes et des petites collectivités, vers le haut en passant par toutes les organisations que ces personnes devront créer afin d'assurer leur existence loin du désert spirituel de la vie postmoderne. Nous ne devrons pas poser l'ordre municipal avant que ne se soit déployées les forces sociales dans une grande part de leur potentialité, et ce précédemment à la nécessité d'une circulation vitale de la puissance sociale, du bas vers le haut et vice-versa, le long d'un axe « lumineux » assurant l'équilibre de l'ensemble. Une municipalité, tout comme un État régional, national ou européen, ne pourront rien sans que ne réapparaisse au préalable un élan vitaliste au sein des peuples, puisé en ce qui distingue l'homme de l'animal et ce qui nous distingue des autres cultures, ainsi que dans notre Tradition. Leur rôle d'arbitre ne peut se déployer véritablement qu'au sein d'une société de personnes responsables !

Nous sommes encore dans une phase d'actions et de réflexions sociales coextensive à la réalité que nous vivons, et la vision que nous devons défendre de la politique est celle d'un pari fait sur un dépassement du système destructeur actuel (basé sur une accumulation folle et sans fin de capitaux), sans pour autant devoir formuler une idée précise d'un schéma d'organisation d'une société post-capitaliste (tout juste un schéma global comme j'ai pu le faire dans mon texte Res Publica Europensis). Les initiatives et mouvements sociaux surgis en opposition aux attaques faire contre nos valeurs éthiques européennes ainsi qu'en réaction aux problèmes graves liés à la déconnexion de la société moderne par rapport au biotope (droits et dignité des travailleurs – attaque contre le Code du travail -, pollutions, santé, crise des « migrants », sabordage de l'éducation, etc), peuvent trouver une convergence, une articulation à leurs diverses praxis dans des réflexions communes, des théories élaborées dans le cadre expérimental. Mais se donner un objectif précis de réalisation, par le haut, qui ne peut donc à terme que passer par la case « prise de pouvoir », même de façon « très démocratique », risque d'affaiblir ou d'affadir la dynamique politique contenue dans les mouvements sociaux. Plutôt que de proposer d'ors et déjà un schéma précis d'organisation de la société, nous devrions stimuler par nos actions et réflexions théorique et pratiques des attitudes politiques visant à étayer le fond des engagements personnels et collectifs (en atteignant les causes réelles et profondes des problèmes qui alors s'avèrent bien souvent liés entre eux par une même dynamique mortifère), et dont les formes d'organisation actuelles peuvent être diverses et celle à venir hypothétique (les assemblées communales font partis des possibles liées aux points de rencontres locales des diverses expériences sociales d'élaborations d'alternatives politiques et associatives mais d'autres structures démocratiques multi-dimentionnelles peuvent s'avérer plus en adéquation avec les réalités sociales et politiques vécus par les acteurs tel des organisations inter-communales de métiers par exemple, et ce donc au niveau du domaine privé de la fourniture du nécessaire à la vie personnelle et collective).

Quand à la taille des cités, comme le dit M Bookchin, ce n'est pas ça qui pose problème puisque face à un contexte de maximisation des profits (immobiliers notamment) et d'accroissement de l'individualisme dont les grands centres urbains sont les lieux d'accomplissement, nous avons à opposer la reconstruction de relations sociales directes dans des élaborations politiques réduites à la taille des rencontres entre personnes au sein d'expériences de résistances à l'Ordre actuel et de redécouvertes des antiques communautés humaines qui sont toujours capables de nous apporter l'équilibre qui aujourd'hui nous fait trop souvent défaut. Que ce soit à la « campagne » où dans les grandes villes, notre cadre de vie sera à l'image des relations sociales que nous aurons pu y faire vivre. Et donc à l'image d'une certaine forme de « citoyenneté » que nous aurons pu faire naître en osant le pari d'une politique libératrice et conquérante, symbole d'une puissance réaffirmée.

vie-citoyen.jpg

Murray Bookchin

Le citoyen véritable

Au premier coup d'œil, il peut sembler que le système des assemblées est proche de la formule du référendum, basé sur le partage de la prise de décision entre toute la population et sur la règle majoritaire. Pourquoi, dès lors, souligner l'importance de la forme de l'assemblée pour l'autogouvernement ? Ne serait-il pas suffisant d'adopter le référendum, comme c'est aujourd'hui le cas en Suisse, et de résoudre la question par une procédure démocratique apparemment beaucoup moins compliquée ? Ou alors pourquoi ne pas prendre les décisions politiques par la voie électronique - comme le suggèrent certains enthousiastes de l'internet - où chaque individu "autonome", après s'être informé des débats, prendrait part au vote dans l'intimité de son foyer ?

Pour répondre à ces questions, il faut prendre en considération une série de thèmes vitaux qui touchent à la nature même de la citoyenneté. L'individu "autonome", qui, selon la théorie libérale, représente, en tant qu'"électeur", l'unité élémentaire du processus référendaire, n'est qu'une fiction. Abandonné à son destin personnel au nom de "l'autonomie" et de "l'indépendance", cet individu devient un être isolé dont la liberté véritable est dépouillée des traits politiques et sociaux sans lesquels l'individualité est privée de chair et de sang... La notion d'indépendance, qui est souvent confondue avec celles de pensée indépendante et de liberté, a été tellement imprégnée du pur et simple égoïsme bourgeois que nous avons tendance à oublier que notre individualité dépend largement des systèmes de soutien et de solidarité de la communauté. Ce n'est ni en nous subordonnant de façon infantile à la communauté, ni en nous détachant d'elle que nous devenons des êtres humains majeurs. Ce qui nous distingue comme êtres sociaux, de préférence dans des institutions rationnelles, d'êtres solitaires dépourvus de toute affiliation sérieuse, ce sont nos capacités d'exercer une solidarité les uns par rapports aux autres, d'encourager l'autodéveloppement et la créativité réciproques, d'atteindre la liberté au sein d'une collectivité socialement créatrice et institutionnellement enrichissante.

Une "citoyenneté" séparée de la communauté peut être tout aussi débilitante pour notre personnalité politique que l'est la "citoyenneté" dans un État ou une communauté totalitaire. Dans les deux cas, nous sommes reconduits à un état de dépendance caractéristique de la petite enfance, qui nous rend dangereusement vulnérables devant la manipulation, soit de la part de fortes personnalités dans la vie privée, soit de la part de l'État ou des grandes firmes dans la vie publique. Dans les deux cas, et l'individualité et la communauté nous font défaut. Elles se retrouvent toutes deux dissoutes par la suppression du sol communautaire qui nourrit l'individualité authentique. C'est au contraire l'interdépendance au sein d'une communauté solide qui peut enrichir l'individu de cette rationalité, de ce sens de la solidarité et de la justice, de cette liberté effective qui en font un citoyen créatif et responsable.

Bien que cela paraisse paradoxal, les éléments authentiques d'une société libre et rationnelle sont communautaires et non individuels. Pour le dire en termes plus institutionnels, la commune n'est pas seulement la base d'une société libre mais aussi le terrain irréductible d'une individualité authentique. L'importance énorme de la commune est due au fait qu'elle constitue le lieu de parole au sein duquel les gens peuvent intellectuellement et émotionnellement se confronter les uns aux autres, s'éprouver réciproquement à travers le dialogue, le langage du corps, l'intimité personnelle et des modalités directes, non-médiatisées, du processus de prise de décision collective. Je me réfère ici aux processus fondamentaux de socialisation, d'interaction continue entre les multiples aspects de l'existence qui rendent la solidarité - et pas seulement la "convivialité" - tellement indispensable pour des rapports interpersonnels vraiment organiques.

Le référendum, réalisé dans l'intimité de "l'isoloir", ou, comme le voudraient les partisans enthousiastes de l'internet, dans la solitude électronique de sa propre maison, privatise la démocratie et ainsi la mine. Le vote, de même que les sondages d'opinion sur les préférences en matière de savons et de détergents, représente une quantification absolue de la citoyenneté, de la politique, de l'individualité et une caricature de la formation véritables des idées au cours d'un processus d'information réciproque. Le vote à l'état pur exprime un "pourcentage" préformulé de nos perceptions et de nos valeurs et non leur expression entière. C'est une réduction technique des opinions en simples préférences, des idéaux en simples goûts, de la compréhension générale en pure quantification, de façon à pouvoir réduire les aspirations et les convictions des hommes à des unités numériques.

Commentaire : Comme le dit justement M Bookchin dans ce passage très intéressant, la commune est le lieu de confrontations entre les personnes investis dans un projet commun de vie, de résistance, de création. C'est l'endroit où l'on peut en toute humanité (eu égard à nos besoins de nous auto-construire par rapport aux autres) accepter et assumer les conflits qui peuvent alors devenir les moyens de faire de la politique un pari sur des possibilités de dépassement des situations au sein desquelles trouvent leur place ces conflits (les conflits redeviennent alors socialisant et structurant par opposition aux conflits déstructurant de l'âge moderniste ou post-moderniste). Comme j'ai commencé à le faire plus haut, je donne néanmoins au mot « commune » une signification plus large, plus variable, de ce qu'elle représente en tant que lieu géographique déterminé dans l'état actuel de la situation sociale où nous vivons. Les communes sont alors tous ces lieux où les rencontres se font créations par l'engagement de ceux et celles qui agissent pratiquement et théoriquement, par désir de dépasser des situations d'injustices morales (où la dignité des êtres est atteinte par une dynamique infernale de valorisation et son cortège d'exploitations, de répressions, de contrôles totalitaires, de dépossessions, de chaos ethnico-culturel). Leur situation n'est plus alors seulement ou nécessairement géographique mais elle est déterminée par tout point de rupture devenu indispensable dans le cours inique d'une logique systémique dé-socialisante et dés-identificatoire, et qui incite à enrichir les conflits sociaux traditionnels (luttes de classes) par des conflictualités donnant un sens à la politique outrepassant les ronrons soporifiques de la gestion dé-responsabilisante. Comme il a été dit plus haut aussi, la rencontre de ces mouvements sociaux de résistance et de création, allant tous dans le sens d'une recherche d'une véritable justice, peut s'élaborer par la suite dans un lieu commun et localisé où s'articulent et s'élaborent les décisions politiques ainsi que l'éthique de responsabilité (« qui cherche à tenir compte des effets possibles des actions menées pour donner vie à certaines valeurs dans les rapports sociaux » Jean-Marie Vincent « Max Weber ou la démocratie inachevée »): l'assemblée communale, formée de mandatés.

Le mot citoyen dans le cadre d'un engagement social prend tout son sens. Il s'extrait d'une gangue de significations dé-responsabilisantes où l'illusion de liberté à laquelle il est attachée n'a d'égale que la rationalité intriquée avec la logique de valorisation qui lui sert de caution. M Bookchin précise bien que la citoyenneté véritable ne peut être séparée de la communauté particulière qui lui donne sens. Cette citoyenneté de l'implication, de l'engagement personnel et collectif, est corrélative à la puissance sociale de pouvoir assumer les potentialités inscrites dans des situations données et pouvant déboucher sur des créations nouvelles ; cette puissance de l'agir et de la responsabilité émanant elles-même d'une vie politique libérée des contraintes d'une rationalité orientée par une quête de résultats (et dirigée par l'économisme). Autant dire que la citoyenneté telle qu'elle est entendue par cette dernière condition, ne saurait se décréter à mon avis, par une simple réorganisation institutionnelle « municipaliste » issue des urnes fussent-elles locales. Mais on peut plutôt dire qu'elle (la citoyenneté refondée) est à même d'engendrer des possibles à partir de son exercice (subversif), une réorganisation des pouvoirs en symbiose avec les puissances sociales réaffirmée par un agir politique volontariste. Cette citoyenneté révolutionnaire (bouleversant l'ordre social) ne peut émaner que d'une position visant à assumer et dépasser les situations concrètes au sein desquelles elle agit et où elle peut être à même de relever les défis posés par toutes formes d'injustices ou de dysfonctionnements moraux, sociaux ou matériels qui peuvent y avoir court en donnant la possibilité de l'auto-dépassement, une position enracinée. Elle se confond donc avec la réelle liberté. Elle assoit surtout le fait que, dans l'optique d'une souveraineté réappropriée par le peuple lui-même, la personne-citoyenne n'existe qu'en tant qu'elle est un être de communication sociale, de partages et de conflits avec les Autres, le moteur de ce qu'Althusius nommait la « communicatio » : une dynamique d'autonomie et de coopération.

La vraie formation à la citoyenneté

citrommage033.jpgEn fin de compte, "l'individu autonome", privé de tout contexte communautaire, de rapports de solidarité et de relations organiques, se retrouve désengagé du processus de formation de soi - paideia - que les Athéniens de l'Antiquité assignaient à la politique comme l'une de ses plus importantes fonctions pédagogiques. La vraie citoyenneté et la vraie politique impliquent la formation permanente de la personnalité, l'éducation et un sens croissant de la responsabilité et de l'engagement public au sein de la communauté, lesquels, en retour, sont seuls à donner une vraie substance à celle-ci. Ce n'est pas dans le lieu clos de l'école, et encore moins dans l'isoloir électoral, que des qualités personnelles et politiques vitales peuvent se former. Pour les acquérir, il faut une présence publique, incarnée par des individus parlants et pensants, dans un espace public responsable et animé par la parole. Le "patriotisme", comme l'indique l'étymologie du mot [patrie vient du mot latin pater, le père], est un concept typique de l'État-nation, où le citoyen est considéré comme un enfant et est donc la créature obéissante de l'État-nation conçu comme pater familias, ou comme un père sévère qui impose la croyance et le dévouement à l'ordre. Plus nous sommes les "fils" ou les "filles" d'une "patrie", plus nous nous situons nous-mêmes dans une relation infantile avec l'État.

La solidarité ou philia, au contraire, implique le sens de la responsabilité. Elle est créée par la connaissance, la formation, l'expérience et l'exercice d'une certaine sensibilité - en bref, par une éducation politique qui se développe à travers la participation politique. En l'absence d'une municipalité à l'échelle humaine, compréhensible et accessible au point de vue institutionnel, il est tout simplement impossible d'assurer cette fonction fondamentale de la politique et de l'incarner dans la citoyenneté. En l'absence de philia, nous jaugeons "l'engagement politique" par le pourcentage des "votants" qui "participent" au processus "politique" : un avilissement des mots qui dénature totalement leur signification authentique et les dépouille de leur contenu éthique...

Qu'elles soient grandes ou petites, les assemblées initiales et le mouvement qui cherche à les étendre restent la seule école effective de citoyenneté que nous possédions. Il n'y a pas d'autre curriculum civique qu'un domaine politique vivant et créatif pour faire surgir des gens qui prennent la gestion des affaires publiques au sérieux. À une époque de marchandisation, de concurrence, d'anomie et d'égoïsme, cela signifie créer consciemment une sphère publique qui inculquera des valeurs d'humanisme, de coopération, de communauté et de service public dans la pratique quotidienne de la vie civique.

La polis athénienne, en dépit de ses nombreux défauts, nous offre des exemples significatifs de comment le sens élevé de la citoyenneté qui l'imprégnait s'est trouvé renforcé non seulement par une éducation systématique mais par le développement d'une éthique du comportement civique et par une culture artistique qui illustrait des idéaux de service civique par les faits de la pratique civique. Le respect des opposants au cours des débats, le recours à la parole pour obtenir un consensus, les interminables discussions publiques sur l'agora, au cours desquelles les personnalités les plus en vue de la polis étaient tenues à discuter des questions d'intérêt public même avec les moins connus, l'utilisation de la richesse non seulement à des fins personnelles mais aussi pour embellir la polis (en attribuant ainsi une plus grande valeur à la redistribution qu'à l'accumulation de richesse), un grand nombre de festivités publiques, de tragédies et de comédies en grande partie centrées sur des thèmes civiques et sur le besoin d'encourager la solidarité... tout cela et bien d'autres aspects encore de la culture politique d'Athènes formaient les éléments qui ont contribué à créer un sens de responsabilité et de solidarité civiques qui a produit des citoyens activement engagés et profondément conscients de leur mission civique.

Pour notre part, nous ne pouvons pas faire moins - et, souhaitons-le, à terme, nous ferons considérablement plus. Le développement de la citoyenneté doit devenir un art et pas simplement une forme d'éducation - et un art créateur au sens esthétique qui fasse appel au désir profondément humain d'expression de soi au sein d'une communauté politique pleine de sens. Ce doit être un art personnel grâce auquel chaque citoyen est pleinement conscient du fait que sa communauté confie sa destinée à sa probité morale et à sa rationalité. Si l'autorité idéologique de l'étatisme repose sur la conviction que le "citoyen" est un être incompétent, quelquefois infantile et généralement peu digne de confiance, la conception municipaliste de la citoyenneté repose sur la conviction exactement contraire. Chaque citoyen devrait être considéré comme compétent pour participer directement aux "affaires de l'État" et surtout, ce qui est le plus important, il devrait être encouragé à le faire.

Il faudrait fournir tous les moyens destinés à favoriser une participation complète, comprise comme un processus pédagogique et éthique qui transforme la capacité latente des citoyens en une réalité effective. La vie politique et sociale devrait être orchestrée de manière à promouvoir une sensibilité diffuse, la capacité réelle à accepter les différences, sans se soustraire, lorsque c'est nécessaire au besoin de mener de vigoureuses disputes.

Le service civique devrait être considéré comme un attribut humain essentiel et non comme un "don" que le citoyen offre à la communauté ou une tâche onéreuse qu'il est contraint à accomplir. La coopération et la responsabilité civique devraient être vues comme des expressions de la sociabilité et de la philia, et non comme des obligations auxquelles le citoyen essaye d'échapper dès qu'il le peut.

La municipalité serait donc vue comme une scène de théâtre où se déroule la vie publique sous sa forme la plus pleine de sens, un drame politique dont la grandeur s'étend aux citoyens qui en sont les protagonistes. Tout au contraire, nos villes modernes sont devenues dans une large mesure des agglomérations d'appartements-dortoirs dans lesquels les hommes et les femmes s'assoupissent spirituellement et trivialisent leurs personnalités dans le divertissement, la consommation et le bavardage mesquin.

Commentaires : Peut-on penser que la spontanéité suffirait à assurer un engagement généralisé une fois que certaines conditions seraient essentiellement réunies afin de la provoquer ? C'est une question à laquelle il peut être difficile de trancher de façon nette et précise, mais à laquelle il est aussi possible de répondre par la négative, avec une attitude désenchantée, en cette époque qui est la nôtre. Comme il a été dit plus haut, les injustices morales incitent bon nombres d'entre nous à ré-agir, tout comme la conscience de l'impasse dans laquelle nous nous engageons, et donc pour beaucoup à s'engager sur une voie menant à une redéfinition de ce que pourrait être la citoyenneté selon une culture replaçant la personne et son accomplissement au centre des préoccupations. . Malgré la possibilité d'un engagement effectif pour des valeurs dans nos sociétés occidentales, encore sous la garantie de certains droits dit « démocratiques », force est de constater que, mis à part les aveuglés par les « divertissements, la consommation et le bavardage mesquin », nombres de ceux qui s'engagent dans l'élaboration de créations et relations sociales un tant soit peu alternatives ne savent précisément de quelles façon ils pourraient les généraliser. Ceux-ci vont alors à rebours de leurs espoirs déçus et en reviennent le plus souvent à un attentisme mâtiné de « positions plus raisonnables ». La dé-socialisation, plus encore peut-être que l'individualisme égoïste, a des-organisé le corps social en de multiples entités isolées et noyées par le flux incessant des impératifs de la survie quotidienne, tout juste augmentée pour un nombre croissant d'entre nous. Mis à part les petits gestes « citoyens » qui s'intègrent bien dans le paradigme univoque du Progrès, il paraît bien difficile de dépasser une participation à l'unidirectionnalité imposée, pour une implication multidimentionnelle. Celle-ci pourtant, par l'engagement de l'être dans son entièreté, est à même de stimuler une auto-éducation à une citoyenneté réelle dans l'acte théorique et pratique de dépasser des situations ressentis comme insupportables. La difficulté de s'impliquer, malgré que ne soit pas absente bien souvent une réelle motivation, tient la plupart du temps au fait que nous n'avons pas reçu une éducation visant à véritablement nous élever socialement (mise à part dans une optique opportuniste et individualiste, mais il ne s'agit plus là d'une véritable élévation). L'éducation nous a donné des outils afin de cheminer sur la voie d'une intégration à un système social, et surtout économique, en quête perpétuelle d'individus soumis à ses besoins. Il est vrai que le système éducatif ne fournit pas, ou si peu, les éléments nécessaires à l'accomplissement d'une véritable citoyenneté (et de moins en moins de nos jours à l'heure d'une offensive marchande sans précédent sur les secteurs publiques, de l'éducation entre autres, comme l'ont prouvées encore les attaques récentes du niveau actuel de l'éducation, pourtant déjà bien bas, par la ministre Belkasserole). Il ne structure pas son « plan de formation des individus à la vie active » autours de ce qui constitue intimement pourtant la « matière première » à éduquer : la personne sociale en devenir. Puisque l'homme se construit socialement par rapports aux autres, se fait homme dans ses rapports conflictuels aux Autres, et que la découverte de sa personnalité ne peut s'avérer qu'au travers de ces rapports sociaux comme d'un miroir nous renvoyant notre propre image sociale, on peut effectivement dire que le désir social est latent chez les êtres en formation, car indispensable à l'épanouissement de la personnalité. Eu égard à cela, il est donc tout à fait compréhensible que tout déploiement de l'agir au sein du corps social dans le but de donner à ce dernier un caractère organique et vivant, c'est à dire à le composer en accord avec des désirs sociaux de justice éthique et de réel autonomie (et non d'autarcie), offre autant d'opportunités pour une éducation à une socialité directe et responsabilisante (la plupart des actions sociales de résistances qui ont pu être mis en œuvre en fournissent parfois la preuve par le mûrissement d'une conscience véritablement politique). Cela est d'autant plus nécessaire, que la constitution de valeurs universelles, et non universalistes, ne peut se faire que par la confrontation au sein de la diversité des valeurs nées du pluralisme culturel inhérent à un regroupement humain de plus en plus large. Le déplacement des valeurs individuelles, et du sens commun, ne peut effectivement se réaliser que par des interactions multiples entre consciences individuelles et groupes sociaux autonomes. En d'autres termes, c'est par les conflits et modes d'appréhensions directs du réel au travers de l'engagement social que peuvent émerger des valeurs sociales acceptées par tous et allant dans le sens d'un accroissement d'une logique de vie. La notion de sens commun est aussi hyper-importante, tout comme celle de bien commun dans les domaines publics imbriqués.

Mais cette pratique se trouve confrontée aujourd'hui à la domination de la « valeur » de la valorisation. Celle-ci induit une atomisation du corps social en une multitude d'individus soumis à la dictature de la concurrence, de la compétitivité, de la performance et de l'adaptabilité croissante aux normes technicistes. La logique de valorisation tend à annihiler la dynamique sociale de création de valeurs sociales de justice, de solidarité, de Grandeur, de patriotisme même (qui ne doit pas être vue comme une barrière à la responsabilité, mais comme une incitation afin de retrouver le sens plein et entier de cette valeur primordiale au contraire, et ce en son acception antique de « Terre de nos Pères »), en fragmentant les rapports sociaux et en rendant plus que difficile la condition de l'inventivité et de l'auto-accomplissement personnelle. Une éducation à la citoyenneté passe donc nécessairement par une prise de conscience et une connaissance critique de la situation dans laquelle nous (sur)vivons. C'est à ce point qu'une pensée métapolitique prend tout son sens en lien avec les pratiques sociales de résistance. Car ces deux aspects de la lutte sociale sont inter-dépendants et coextensifs dans leur élaboration de la conscience et de l'éducation politique à une citoyenneté autonome.

Les communes (dans le sens large décrit plus haut) et leurs instances organiques de décisions (contrôlées par les assemblées, mais aussi toujours nécessairement élitistes car les responsabilités se doivent d'être partagées en fonction des talents de chacun) sont des lieux où peuvent donc s'effectuer une éducation à la citoyenneté à partir du moment où sont consciemment créés d'autres relations sociales que les rapports qui prévalent dans la société marchande, des relations non aliénées à des abstractions telles que la marchandise, le travail salarié ou la valeur (et donc la nécessité absolue de croissance qui lui est liée). Nous devrons créer par conséquent les conditions d'une réélaboration de liens sociaux capables, à partir des multiples situations que nous vivons, de briser une logique mortifère de séparation, d'étiquetage et de contrôle et de réinventer un engagement qui, sans nous bercer d'illusions et en nous gardant de nous acquitter des doutes et des paris sur l'avenir, peut nous donner le désir et la liberté de tendre vers des valeurs communes d'une humanité plurielle consciente d'elle-même et de ses particularités et du respect qui leur est du. En vertu d'un tel engagement, le premier pas vers une éducation à la citoyenneté est de prendre conscience de la rupture qu'il est nécessaire d'opérer vis à vis des connexions qui nous lient en permanence, et de manière individuelle, aux éléments de soumissions et de manipulations (médias inféodés au pouvoirs actuels, incitations à la compétition – notamment dans le « monde » du travail -, surconsommation, crédits, actions centrées sur ses intérêts, apathie face aux décisions injustes – notamment émanant de l'État -, etc). Et cette rupture nous engage en retour bien souvent à la désobéissance qui peut être à même d'inaugurer une véritable rébellion salvatrice et formatrice.

En cela, l'éducation à la citoyenneté, malgré son assise philosophique et théorique, ne peut s'endormir dans les salons feutrés des salles de conférences des universités ou autres lieux où a trop tendance à s'isoler la pensée supposément rebelle, mais se découvre à chaque pas d'une pratique sachant assumer les conflits (dans et en-dehors de soi), à chaque étape d'une praxis qui pousse nos consciences à s'extirper de la gangue des convenances et des soumissions imposées par des rapports sociaux aliénés.

ecomun50066d7064d808df16652e8f.jpg

L'économie municipale

Le dernier et un des plus intraitables problèmes que nous rencontrons est celui de l'économie. Aujourd'hui, les questions économiques tendent à se centrer sur qui possède quoi, qui a plus que qui et, surtout, sur comment les disparités de richesse peuvent se concilier avec un sentiment de communauté civique. Presque toutes les municipalités avaient dans le passé été fragmentées par des différences de statut économique, avec des classes pauvres, moyennes et riches dressées les unes contre les autres jusqu'au point de ruiner les libertés municipales, comme le montre clairement l'histoire sanglante des communes du Moyen-âge et de la Renaissance en Italie.

Ces problèmes n'ont pas disparu à l'époque actuelle. Ils sont même assez souvent tout aussi graves que par le passé. Mais ce qui est spécifique à notre époque (et qui a peu été compris par beaucoup de gens de gauche et d'extrême-gauche en Amérique et en Europe), c'est le fait qu'ont commencé à apparaître des questions transclassistes totalement nouvelles qui concernent l'environnement, la croissance, les transports, la déglingue culturelle et la qualité de la vie urbaine en général. Ce sont des problèmes suscités par l'urbanisation et non par la constitution de la cité. D'autres questions traversent aussi transversalement les intérêts conflictuels de classe, comme les dangers de guerre thermonucléaire, l'autoritarisme étatique croissant et finalement la possibilité d'un effondrement écologique de la planète. À une échelle sans précédent dans l'histoire américaine, une énorme variété de groupes de citoyens ont rassemblé des gens de toute origine de classe dans des projets communs autour de problèmes souvent à caractère local mais qui concernent la destinée et le bien-être de l'ensemble de la communauté.

L'émergence d'un intérêt social général par-delà les vieux intérêts particularistes démontre qu'une nouvelle politique peut facilement prendre corps et qu'elle visera non seulement à reconstruire le paysage politique au niveau municipal mais aussi le paysage économique. Les vieux débats entre la propriété privée et la propriété nationalisée sont devenus de la pure logomachie. Non que ces différents genres de propriété et les formes d'exploitation qu'elles impliquent aient disparu, mais elles ont été progressivement rejetées dans l'ombre par des réalités et des préoccupations nouvelles. La propriété privée, au sens traditionnel du terme, qui perpétuait le citoyen en tant qu'individu économiquement autosuffisant et politiquement indépendant est en train de disparaître. Elle ne disparaît pas parce que le "socialisme rampant" a dévoré la "libre entreprise" mais bien parce que la "grande firme rampante" a tout dévoré - ironiquement au nom de la "libre entreprise". L'idéal grec d'un citoyen politiquement souverain qui pouvait juger rationnellement des affaires publiques parce qu'il était libéré du besoin matériel et du clientélisme n'est plus qu'une moquerie. Le caractère oligarchique de la vie économique menace la démocratie en tant que telle, pas seulement au niveau national mais aussi municipal, là où elle conservait encore un certain degré d'intimité et de souplesse.

Nous en arrivons ainsi, soudainement, à l'idée d'une économie municipale qui se propose de dissoudre de manière novatrice l'aura mystique qui entoure la propriété des firmes et la propriété nationalisée. Je me réfère à la municipalisation de la propriété, comme opposée à sa privatisation ou à sa nationalisation. Le municipalisme libertaire propose de redéfinir la politique pour y inclure une démocratie communale directe qui s'étendra graduellement sous des formes confédérales, en prévoyant également une approche différente de l'économie. Le municipalisme libertaire propose que la terre et les entreprises soient mises de façon croissante à la disposition de la communauté, ou, plus précisément, à la disposition des citoyens dans leurs libres assemblées et de leurs députés dans les conseils confédéraux. Comment planifier le travail, quelles technologies employer, quels biens distribuer ? Ce sont toutes des questions qui ne peuvent être résolues que dans la pratique. La maxime de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins, cette exigence célèbre des différents socialismes du XIXe siècle, se trouverait institutionnalisée comme une dimension de la sphère publique. En visant à assurer aux gens l'accès aux moyens de vivre indépendamment du travail qu'ils sont capables d'accomplir, elle cesserait d'exprimer un credo précaire : elle deviendrait une pratique, une manière de fonctionner politiquement.

Aucune communauté ne peut espérer acquérir une autarcie économique, ni ne devrait essayer de le faire. Économiquement, la large gamme de ressources nécessaires à la production de nos biens d'usage courant exclut l'insularité refermée sur elle-même et l'esprit de clocher. Loin d'être une contrainte, l'interdépendance entre communautés et régions doit être considérée - culturellement et politiquement - comme un avantage. L'interdépendance entre les communautés n'est pas moins importante que l'interdépendance entre les individus. Si elle est privée de l'enrichissement culturel mutuel qui a souvent été le produit de l'échange économique, la municipalité tend à se refermer sur elle-même et s'engloutit dans une forme de privatisme civique. Des besoins et des ressources partagés impliquent l'existence d'un partage et, avec le partage, d'une communication, d'un rajeunissement grâce à des idées nouvelles et d'un horizon social élargi qui facilite une sensibilité accrue aux expériences nouvelles.

Commentaires : Murray Bookchin nous propose là un schéma de réorganisation de l'économie qui passe par une certaine forme d'abolition de la propriété privée : la municipalisation des moyens de production et de distribution. Celle-ci d'après lui, pourra se faire d'autant plus facilement qu'elle se fera sous l'emprise d'une nécessité d'établir une politique menée dans l'intérêt social de tous du fait des menaces écologiques et sociales qui pointent à l'horizon proche ; une politique tenant compte d'intérêts « tran-classistes ».

Une critique qu'il est possible d'émettre à l'encontre d'une telle vision d'un futur utopique, c'est que l'on voit mal pour quelle raison les possédants se déposséderaient aussi facilement des moyens de production qui leur assurent une position sociale dominante, désormais mondiale, et la condition des avantages qu'ils en retirent. Ou l'espoir se reposerait sur d'hypothétiques décisions « politiques » émanant de représentants élus par une « majorité écologiste sociale » (c'est le sens qu'avaient pris les propositions de Bookchin à la fin de sa vie avec, comme on peut le comprendre dans ses propos, un ralliement tout aussi hypothétique des capitalistes à cette noble cause : mais quels capitalistes ? Car de nos jours, ceux-ci n'ont plus aucun liens affectifs avec un territoire en particulier, pas plus qu'avec un continent !). En outre, le paradigme économique ne repose pas uniquement, loin s'en faut, sur l'appropriation des moyens de production, de distribution et de circulation des capitaux et marchandises.

Cette propriété des moyens de production et de distribution par la classe bourgeoise, sans dire que ce point serait de moindre importance bien sûr car il participe à la dynamique d'auto-accumulation des capitaux (on peut se référer à l'épisode historique des « enclosures » comme d'un moment de cette dynamique qui se poursuit de nos jours), n'en est pas moins devenue que toute relative par rapport aux nécessités et impératifs de l'économie capitaliste actuels. En effet, la dynamique économique capitaliste est mue par la logique impersonnelle et abstraite de valorisation des capitaux poussée à l'extrême à un actionnariat et une financiarisation mondialisés, logique qui ne porte absolument plus en elle-même de fin, mais dont l'effet le plus pervers à l'échelle du Globe est la dé-appropriation de nos puissances de décision et d'actions qui pourraient encore être à même selon certains, illusoirement, de réorienter le sens de cette logique, et d'amoindrir le caractère trans-classiste de cette dépossession. Les entreprises vraiment indépendantes aujourd'hui se font de plus en plus rares et beaucoup sont devenues des « sites » localisés (ou « délocalisés ») où s'opère de façon uniforme la rationalité instrumentale par laquelle les hommes devront continuer à se soumettre à la logique productiviste financiarisée et mondialisée. Bookchin a néanmoins pressenti cette réalité lorsqu'il parle de ces « grandes firmes rampantes » qui auraient dévoré l'univers économique local traditionnel. Toutefois, il ne suffit pas d'être conscient de la façon dont les localités ont été plus ou moins directement dépossédées de la maîtrise de leur lieux de production et distribution économique mais surtout, et cela me paraît cruciale, de la façon dont l'humanité entière a été dépossédé de sa possibilité de contrôler l'économie pour le service du bien être général (et même d'une classe dirigeante, car les « bénéfices » de toutes natures qui entrent dans les causes d'une collaboration consciente et prolongée de l'oligarchie ne doivent pas voiler le fait que celle-ci, à moins de renoncer totalement à ses privilèges et de rejeter radicalement ce qui a fourni les fondement de sa « responsabilité » vis à vis du monde, est intégré elle même à une dynamique qu'elle ne contrôle plus totalement). Même s'il est vrai que le caractère oligarchique de la vie économique menace la démocratie (comme l'a d'ailleurs démontré Hervé Kempf dans « L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie », Éditions du Seuil) comme nous le constatons d'ailleurs quotidiennement, il ne suffit donc pas de municipaliser l'économie afin d'en obtenir le contrôle au service des populations mais bel et bien de dépasser le paradigme économiste dont les règles ne peuvent être remises en cause que si l'on remet en cause son existence même (une municipalisation ne pourrait se faire dans toutes les cités au même moment !). Et remettre en cause son existence implique de créer des relations sociales à l'inverse des rapports qui fondent et font perdurer l'économisme en tant que paradigme subsumant les différentes sphères sociales caractérisant une société humaine (la politique, les échanges, la communication, etc). L'aura mystique qui entoure l'économisme ne tient pas principalement à la propriété des moyens de production, de distribution et de circulation par une oligarchie, mais bien plutôt au fétichisme qui fonde l'existence de la marchandise (dont la principale d'entre elles : l'argent), du travail (sous ces différentes formes, y compris l'intelligence adaptative), de la valeur, comme d'un pseudo-ré-enchantement du monde sous la forme d'évanescences futiles et illusoires (la croyance aveugle en la marchandisation du monde et de la vie). Ce sont des relations sociales radicalement différentes des rapports sociaux qui nous isolent du monde réel, qui déréalisent nos vie en les soumettant à une logique nous rabaissant à un rôle de spectateurs impuissants de ce dont nous n'avons plus prise, qu'il nous faut créer au sein de communes qui deviennent alors des centres de résistances où s'entremêlent les diverses expériences associatives autonomes. Ces communes anticipent alors ce mouvement populaire public général qui pourrait être celui qui ferait naître des municipalités en quête d'autonomie. En elles, l'économie ne devrait plus pouvoir signifier autre chose que cet échange métabolique avec la vie qui nous permet de subvenir aux besoins réels et dés-aliénés et inventer des relations sociales directes et consciemment élaborées par la raison fondée sur des valeurs culturelles partagées et particulières au sein de chaque communauté et peuple.

Ce qu'il est important de comprendre dans ce qui précède, c'est que les unités de production capitalistes (sous ses différentes formes postmodernes : l'industrie en réseau tout comme l'ingénierie) sont toujours les lieux où se cristallisent la rationalité « instrumentale » et que se ré-approprier ces unités, formule creuse au vue de l'organisation actuelle de la production, ne détermine en rien la possibilité d'instaurer une « autre économie » sensée pouvoir contribuer à la création de rapports sociaux plus directs et non aliénés. La réorganisation de la production à l'échelle des communautés humaines implique par là même de redéfinir radicalement (à la racine) ce que doivent représenter les lieux de production pour les personnes vis à vis de relations sociales proprement révolutionnaires qui s'établissent peu à peu entre elles dans leurs pratiques. Comment pourraient s'agencer ces lieux de production en fonction de la structure des relations établies par des modes d'activités productives et d'échanges consciemment mis en œuvre par les personnes elles-même en fonction de leurs réels besoins tant matériels que « spirituels ». Il peut paraître évident qu'une telle structure forgée par des pratiques expérimentales ne pourrait découler uniquement de décisions arbitraires émanant d'assemblée communales. Nous vivons dans une situation donnée et nous ne pourrons baser nos théories et nos pratiques quotidiennes communautaires dans une optique de dépassement de celle-ci que si nous adoptons une pensée et un agir qui ne puisse être négociable pour le système dominant. En d'autres termes, il ne s'agit pas de vouloir récupérer l'économie, aujourd'hui « économisme », afin d'en faire un outils au service des hommes (enfin... prétendument de tous !) ; il s'agit bien plutôt de sortir de l'économisme, de sortir d'un paradigme qui impose une relation avec la vie, des rapports des hommes entre eux, qui ne pourrons jamais signifier autre chose que des formes d'aliénation et de fétichisme pleinement contradictoires avec tout désir véritablement démocratique. Dans cette optique, la propriété personnelle de petite unités artisanales ou commerciales ne posent pas de problèmes en soi, beaucoup moins en tout cas que celle de bien plus grandes unités de fabrication qui devraient être mises en œuvre dans l'optique de générer la satisfaction des besoins réels (à l'échelle des entités géographiques plus importantes, notamment continentale) et de puissance à garantir pour la pérennité de notre Culture (européenne).

Il ne paraît plus opportun de chercher à devenir majoritaire (dans une optique d'instaurer un pouvoir central « libérateur », détenteur d'une souveraineté perdue), mais de s'appuyer sur les communautés (des communes, « ce que nous avons en commun – cum - n'est rien d'autre qu'un don à faire – munus - , une exposition à autrui ») en rupture avec les lois établis du système dominant, des point de résistances à la dynamique liberticide et totalitaire (parce que globalisante et mondialiste) de la majorité instituée. Avoir l'espoir d'une gestion « alternative » de ce qui mène le monde, de ce qui le fonde même, l'économisme, en projetant la politique vers une promesse messianique (dé)-mobilisatrice, c'est obscurcir la vision que nous devrions avoir aussi limpide que possible pourtant du point d'inconsistance sur lequel repose entier la structure abstraite et pourtant réelle du monde de la marchandise. Sortir d'un économisme ravageur ne peut se décréter par le déploiement programmatique, aussi démocratique puisse-t-il être dans ses intentions, d'un plan visant à transposer dans le futur les conditions d'un agir libre. Une société municipaliste libertaire ne peut être qu'un possible vu d'en-dehors de la situation dans laquelle nous vivons et luttons. Mais du dedans de cette situation, seule position raisonnable, nous n'aurons d'autre choix que de créer des conditions de dépassement des aliénations présentes, en expérimentant des actions politiques (collectives) en rupture avec l'ordre dominant. Les communes-municipalités à taille encore humaine (il en reste, surtout dans les « campagnes » - zones vertes de la Grande Métropole- , qui ne se sont pas séparées totalement d'une certaine autonomie, d'une certaine capacité de résilience diront certains) peuvent être des espaces d'une telle dynamique sociale, mais non sans avoir vis à vis du paradigme économique une attitude critique radicale dont le sens est de s'émanciper des aliénations qui fondent son existence, d'une pseudo-liberté sans autonomie, d'une recherche incessante et folle d'autarcie déshumanisante parce qu'assujettie aux fétichismes de la marchandise et de la techno-science.

Les moyens et agents économiques sont structurés afin de répondre à des impératifs qui se sont éloignés depuis déjà bien longtemps de la nécessité d'assouvir les besoins réels des populations, à fortiori locales. Nul doute qu'il nous faudra à l'avenir déterminer ensemble la nature de ces besoins (encore que cela ne pourrait être humainement envisageable que par ceux d'où émanent ces besoins) et des moyens à employer afin de les satisfaire, mais cela ne pourrait être possible sans créer les conditions de l'élaboration de relations sociales radicalement différentes des rapports qui nous séparent de notre humanité, ici-même européenne, de nos sensibilités, de nos émotions, de nos désirs particuliers de vie, de nos valeurs (de nous lier aux autres dans un désir de prolonger la vie, de la rendre autonome et pérenne). Comment cela pourra-t-il se faire ? Il paraît impossible dans notre situation d'augurer précisément la dynamique politique qui ouvrira la possibilité de généraliser des relations sociales plus humaines et en harmonie avec la vie dans son ensemble. Il nous est par contre possible de créer d'ors et déjà des centres de résistance et d'élaborations et de réflexions sociales pouvant préfigurer par une mise en réseau de ces expérimentations, une approche vraiment alternative à la satisfaction de nos besoins matériels, sociaux et spirituels (convivialité, sentiments, entraide,...).

ecosur107595.jpg

Une question de survie écologique

À la lumière de ces coordonnées, il est possible d'envisager une nouvelle culture politique avec une nouvelle renaissance de la citoyenneté, d'institutions civiques populaires, un nouveau type d'économie, et un contre-pouvoir parallèle, dans un réseau confédéral, capable d'arrêter et, espérons-le, de renverser la tendance à une centralisation accrue de l'État et des grandes firmes et entreprises. En outre, il est aussi possible d'envisager un point de départ éminemment pratique pour dépasser la ville et la cité telles que nous les avons connues jusqu'à présent et pour développer de nouvelles formes d'habitation réellement communautaires, capables de réaliser une nouvelle harmonisation entre les gens et entre l'humanité et le monde naturel. J'ai souligné le mot "pratique" parce qu'il est évident que n'importe quelle tentative d'adapter une communauté humaine à un écosystème naturel se heurte de plein fouet à la trame du pouvoir centralisé, que ce soit celui de l'État ou des grandes firmes.

Le pouvoir centralisé se reproduit inexorablement à tous les niveaux de la vie sociale, économique et politique. Il ne s'agit pas seulement d'être grand : il pense "en grand". Ainsi, ce mode d'être et de penser est non seulement la condition de sa croissance mais de sa survie même. Nous vivons déjà dans un monde où l'économie est excessivement mondialisée, centralisée et bureaucratisée. Beaucoup de ce qui pourrait être fait au niveau local et régional, l'est à l'échelle mondiale - en grande partie pour des raisons de profits, de stratégie militaire et d'appétits impériaux - avec une complexité apparente qui pourrait en réalité être facilement simplifiée.

Si toutes ces idées peuvent sembler trop "utopiques" pour notre temps, alors on peut aussi considérer comme utopiques les exigences urgentes de ceux qui demandent un changement radical des politiques énergétiques, une réduction drastique de la pollution de l'atmosphère et des mers et la mise en œuvre de programmes au niveau mondial pour arrêter le réchauffement de la planète et la destruction de la couche d'ozone. Est-ce qu'il est vraiment illusoire de poursuivre des changements institutionnels et économiques non moins drastiques mais qui se basent en réalité sur des traditions démocratiques profondément enracinées ?

Commentaires : Peut-on parler de renaissance de la citoyenneté, de civisme, de nouvelle économie, de démocratie générale si nous ne critiquons pas la part (importante) de récupération idéologique (et opportuniste) dont ces expressions ont été les victimes ? Citoyenneté, économie, communautés, politique, responsabilité et bien d'autres, sont des mots qui sont imprégnés des effluents du procès capitaliste en cours. Les utiliser sans tenir compte du fait que leur sens ait pu être galvaudé par le système manipulateur (« novlangue ») risquerait de leur ôter toute possibilité de renversement des valeurs actuelles. Il pourrait donc sembler délicat, au premier abord, de les employer dans le but de décrire ce qui paraît être les fondements d'une vision pour un monde plus équilibré, harmonieux : la mise en œuvre de nos puissances sociales pour une rupture par rapport à l'ordre dominant. La citoyenneté par exemple peut donner l'impression de traîner en son sillage une histoire ayant permis la domination de l'idéologie bourgeoise depuis la Révolution (celle de 1789). C'est oublier qu'elle n'implique pas forcément un abandon de la souveraineté du peuple vers l'État comme cela a perduré en France suite à la Révolution récupérée par la classe marchande, mais qu'elle contient une signification bien plus profonde et générale, dévoilant pour qui s'en donne la peine le lien indéfectible qui unit la personne, sa réalisation, à la vie de ses communautés, familiale et politiques. C'est véritablement redonner honneur à la vie de la Cité, et par-delà, à la politique selon son sens originel.

Or, les mouvements dits « alternatifs » usent trop souvent des concepts forgés par l'Ordre dominant en ne reformulant pas le sens des mots, en n'en renversant pas la valeur (ou tout bonnement rejettent ces termes avec leur sens modernes appauvris en s'interdisant ainsi de réintroduire dans la pensée populaire une vision en adéquation avec les anciennes traditions politiques, pourtant encore porteuses d'un univers d'émancipation). L'alternative est ainsi récupérée à dessein par le système au travers de ses excroissances contestataires (excroissances bien involontaires parfois, mais indubitablement intégrées à l'ordre dominant comme nous le démontrent bien des mouvements écologistes, « politiques » ou associatifs, « antifa » ou autres) représentant le pôle « progressiste » d'une sociale-démocratie en perte d'identité ou d'une gauche « alternative » en proie à ses incertitudes résultant d'une méfiance ou d'un rejet paranoïaque de la critique théorique radicale sur les catégories qui fondent nos aliénations (libérer le travail du capital sans remettre en cause radicalement le salariat, foi envers le multiculturalisme, etc.). Le capitalisme vit des contradictions qu'il engendre et du mouvement dialectique que celles-ci insufflent à la société, autrefois la lutte des classes, aujourd'hui la responsabilité citoyenne de devoir « sauver la planète » par des initiatives individuelles « alternatives au productivisme » mais qui restent toujours dans le cadre d'un consensus immanent à une structure établie par des rapports sociaux aliénés à la marchandise (puisse-t-elle être bio). Le but de ces contradictions en acte, de ces mouvements sociaux revendicatifs, est de faire intégrer à la forme juridique bourgeoise des lieux communs de la conscience militante plus émotive qu'autre chose et mobilisant l'individu-citoyen dans des actes de création de pseudo-alternatives ou des luttes pour une reconnaissance sociale (par exemple, actuellement, des « migrants ») permettant au capitalisme de poursuivre sa dynamique de marchandisation de l'ensemble du vivant et puis d'assurer ses besoins du moment, sous des formes toujours réactualisées.

Au fond, la visée postmoderne d'une forme juridique post-bourgeoise théorisée par le système actuel correspond exactement aux revendications des groupements de la militance sociétale dont le but est de renforcer une sorte de sujet de droit dont l'émancipation ressemble plus à l'élaboration d'un individu totalement désolidarisé de ses communautés originelles et constitutives de sa personne. La réalité propre à chaque situation vécue par les gens réels se trouve niée par la non remise en cause fondamentale de l'abstraction généralisée caractérisée par ses deux principaux moments actuels de cristallisation : la finance et l'Ordre mondial. Une aspiration à une réintroduction (re-embeded) des conditions de la production des biens au sein de la société ne peut être plausible en tant qu'acte fondateur d'une véritable alternative au capitalisme qu'à partir du moment où la forme juridique – l'absolutisme des droits-de-l'homme - sur laquelle repose la structure capitaliste est remise en cause. Cela implique donc de rendre obsolète les rapports sociaux entre les individus faisant de ceux-ci des représentants de la marchandise, et d'instaurer à la place des relations sociales. Un mouvement communaliste, directement lié à une repolitisation des relations sociales dans la sphère publique, pourrait se déployer par un refus de la globalisation capitaliste et de la naturalisation des rapports marchands qui obscurcissent en tant que sens commun devenu majoritaire, les fondements de chaque situation dont la compréhension conditionne pourtant une affirmation politique de la nécessité d'une compréhension de chacune d'elles. Une commune, basée sur la rencontre entre des personnes mues par ce même désir de dépassement politique de situations devenues insupportables (comme en Grèce en 2008), peut alors voir le jour comme d'une création reposant sur un sentiment minoritaire de trahir la norme. La politique doit reprendre ses droits !

Il peut sembler difficile de présupposer de quelle façon une commune, une association corporative (en tout lieux, géographique, social, productif, …) pourrait s'organiser afin de créer les conditions d'une rupture avec l'ordre social dominant. Le territoire d'un quartier, d'un village, d'une ville peut être, dans la situation actuelle de domination des rapports marchands, l'espace de déploiement d'une radicalité non négociable. Mais il est plus probable actuellement que les communes, en tant que lieu d'émancipation de rapports sociaux aliénés, de fonctionnement d'institutions communautaires et solidaires, voient le jour de façon diffuse sur une territorialité devenant ainsi peu à peu opaque aux pouvoirs (et non forcément située spacialement dans un premier temps).

La première des utopies est celle qui accompagne la croissance de la globalisation capitaliste dans son rêve fou de contrôler l'ensemble de la vie dans sa dynamique d'accumulation sans fin. Devrait-on pour autant lui opposer une utopie « alternative » ? Est-ce qu'un schéma global d'organisation peut-il être à même de correspondre aux tendances imprévisibles que prendront les dynamiques des communes qui à l'heure actuelle ne peuvent que se diffuser à partir des diverses situations vécues en ces temps de barbaries ? Il ne s'agit plus, répétons-le, de gérer les situations qui sont pour nous ces vérités à partir desquelles germe le désir de dépasser nos aliénations, les injustices et autres saccages, mais de faire surgir des sujets politiques de tous les possibles que chaque situation nous offre tout en finissant par recréer – du bas vers le haut - les indispensables lieux de coordination et de pouvoir où l'acte décisionnel pourra en toute liberté s'élever et s'affirmer en fonction de nos limites propres. La liberté, qui assume la vérité d'une situation actuelle d'aliénation aux fétiches du paradigme économique capitaliste, ne doit pas être conditionnée à une nécessité idéologique supposée remplir la fonction de répondre, a priori, aux urgences de notre temps (aussi bien sociales qu'écologiques), mais doit plutôt nous servir à briser l'enveloppe d'identification à l'individu normalisé qui est la base d'une praxis sociale visant à surseoir tout désir dans de vaines utopies qui nous isolent toujours d'avantage et nous éloignent de toute autonomie (utopies envers la technologie, le pouvoir de l'argent, la croissance mais aussi envers un idéalisme post-humain, comme le fut le communisme !). La pensée métapolitique a un rôle très important à y jouer afin de pouvoir comprendre et atteindre ces fameux points d'inconsistance des situations à partir desquelles il est possible de construire de véritables alternatives, des communes comme lieux de rencontres et de créations non négociables, qui pourrons être comme autant de cellules à même de reformuler des rapports sociaux radicalement différents de ceux qui, médiatisés par les fétiches du système dominant, nous séparent les uns des autres toujours un peu plus en nous voilant les causes réelles de nos aliénations.

Alors, le municipalisme libertaire, pourquoi pas ? Mais il me parait évident comme j'ai pu l'exposer ici que la priorité ne se situe pas dans la proposition d'une utopie programmatique tant que nous n'aurons pas porté la contestation sur les causes réelles des destructions sociales et écologiques qui menacent nos communautés et l'humanité toute entière et que ne se dessinera pas à l'horizon un mouvement autonome de création de relations sociales nouvelles et tout à la fois ancrées dans la tradition, aptes à menacer la suprématie de l'ordre marchand. En d'autres termes, des « changements institutionnels et économiques drastiques », même s'ils seront indispensables, ne suffiront pas à bâtir les fondements de ce qui fera naître une société humaine plus consciente d'elle-même, si ces changements ne se construisent pas au sein d'une dynamique politique de transformation des rapports humains. Il nous faut déjà nourrir le cœur de la rébellion pour ensuite rebâtir l'Europe par le truchement d'une nouvelle et véritable politique et d'un nouvel Ordre hiérarchique !

MurrayBookchinWEB.jpg

Murray Bookchin était un écologiste radical américain né le 14 janvier 1921 à New York dans le Bronx d'une famille juive révolutionnaire (sa grand-mère fut membre du parti socialiste révolutionnaire) émigré de Russie en 1905. Après avoir milité dans la Ligue des Jeunes Communistes des États-Unis, et dans le mouvement trotskiste, mais aussi militant syndical, il développe une vue particulière de l'écologisme radical jusqu'à élaborer la théorie du municipalisme libertaire (voir à ce sujet son livre : Pour un municipalisme libertaire, Lyon, éd. Ateliers de Création libertaire,‎ 1er janvier 2003.)

 

mercredi, 15 juin 2016

Carl SCHMITT, La guerra d'aggressione come crimine internazionale

hillary_rambabe.jpg

Teodoro Klitsche de la Grange: Recensione a

Carl SCHMITT, La guerra d'aggressione come crimine internazionale

Ex: http://civiumlibertas.blogspot.com

Carl Schmitt La guerra d’aggressione come crimine internazionale. Il Mulino Bologna 2015 pp. 142, € 16,00.

schmittzzzzzz.jpgNel 1945 il grande industriale tedesco Friedrick Flick, che aveva fondate ragioni di credere di venire accusato dagli alleati per la collaborazione a guerra d’aggressione, richiese a Carl Schmitt un parere per la difesa da tale (eventuale) accusa. Accusa che non venne mai mossa a Flick, il quale fu tuttavia condannato per un “capo d’imputazione” diverso: lo sfruttamento di manodopera straniera deportata dalle S.S..

Schmitt in tale promemoria distingue tra i crimini di guerra tra classi le “violazioni delle regole e degli usi della guerra, commesse principalmente da appartenenti alle forze armate di uno Stato belligerante. Si tratta d’infrazioni del cosiddetto diritto in guerra, lo jus in bello … Tale regole presuppongono che la guerra sia permessa e legale”; “Di natura essenzialmente diversa è il secondo tipo di crimini di guerra che qui deve essere distinto. Si tratta delle atrocities in un senso specifico: uccisioni pianificate e crudeltà disumane, le cui vittime erano uomini inermi”. Neppure la “esimente” dell’esecuzione di un ordine superiore può escludere in tali casi l’imputabilità e la punibilità. Infine la terza “Crimini di guerra nel terzo significato del termine è la guerra di aggressione, concepita come un crimine in sé, vale a dire come un crimine secondo il diritto internazionale. Qui, dunque, la guerra stessa è un crimine e non si tratta propriamente di un crimine di guerra ma, più precisamente, del «crimine di guerra»”.

aggre6cover25992.jpegSchmitt valuta queste tre classi alla luce sia del “politico” che dei principi dello jus publicum europaeum. In primo luogo se la guerra è, nel sistema westphaliano, non solo un fatto pubblico ma che presuppone la distinzione tra pubblico e privato, allora non può farsi carico a un privato (come Flick) di aver concorso ad una guerra di aggressione.

Come scrive Galli nella presentazione, Schmitt considera “la guerra come un atto di sovranità di cui sono responsabili gli Stati – una responsabilità politica soprattutto – e non certo i singoli cittadini, tenuti solo ad obbedire al potere legale. Schmitt recupera quindi l’ordine moderno che egli invece ha descritto, già da una decina d’anni, come periclitante: ovvero lo jus publicum europaeum all’esterno, per cui la guerra è affare di Stato, che non può essere processata; e, all’interno, un rigido positivismo giuridico statocentrico”.

D’altra parte il giurista di Plettenberg distingue tra il pensiero giuridico inglese (e in larga misura anche americano) da quello continentale in relazione alla guerra d’aggressione come crimine: “si pone anche per la concezione americana la questione di che cosa propriamente sia la novità di un crimine. La conseguenza è che qui si giunge spesso a una sintesi e a una mescolanza di punti di vista morali e giuridici. Per il modo di pensare del giurista di formazione positivistica, continentale, la separazione del punto di vista giuridico da quello morale è familiare da quasi due secoli, proprio rispetto alla questione della penalizzazione di nuove fattispecie di reato. Negli Stati Uniti d’America l’unione dei due punti di vista potrebbe far sì che gli ostacoli che derivano dal principio nullum crimen sine lege siano addirittura meno presenti per il giurista americano di quanto lo siano per un giurista della tradizione inglese pura”.

Per la guerra d’aggressione prosegue: “In questo caso, sia la fattispecie stessa (atto di aggressione e guerra di aggressione) sia la connessione tra il carattere internazionale e quello criminale, rappresentano davvero un novum, la cui particolarità deve essere portata a consapevolezza per mostrare come il principio nullum crimen abbia qui il significato di un limite alla punizione”.

È chiaro che poi l’argomentazione di Schmitt va sul concetto di giusta causa, la quale cancella il requisito dello justus hostis che nel pensiero dei teologi (da Suarez a Bellarmino) andava con quello di conserva: ambedue, insieme allo jus in bello e alla recta intentio, condizioni dello justum bellum.

Nel complesso un libro interessante che completa i numerosi scritti dedicati da Schmitt alla modificazione del concetto di guerra nel XX secolo.

Teodoro Klitsche de la Grange

mardi, 14 juin 2016

Carl Schmitt, Un giurista davanti a se stesso

schmittlllllll.jpg

Teodoro Klitsche de la Grange: recensione a:

 
Carl Schmitt, Un giurista davanti a se stesso
Neri Pozza Editore, Vicenza 2012, pp. 312, € 16,50.
 
Ex: http://civiumlibertas.blogspot.com

Questa non è una delle molte raccolte di scritti di Schmitt tradotti e pubblicati in Italia negli ultimi quarant’anni, ma si prefigge, attraverso i testi e le interviste raccolte (alcuni dei quali già pubblicati in italiano), di “fornire una chiave di lettura per una delle figure più discusse e contraddittorie del ventesimo secolo” e l’“esercizio di lettura che il libro propone assomiglia pertanto alla decifrazione di quelle figure nascoste dentro un paesaggio o in altro disegno che appaiono improvvisamente se si tiene lo sguardo fisso sull’immagine abbastanza a lungo” (così Giorgio Agamben nell’introduzione).

cs-$_35.JPGSchmitt è stato uno dei maggiori interpreti della crisi del XX secolo; la sua peculiare concezione del diritto ha fatto si che lui, giurista come si considerò sempre fino alla morte – ma come tutti i grandi giuristi portatore di una visione che trascende il mero orizzonte giuridico – sia stato in Italia apprezzato prevalentemente come politologo e filosofo della politica.

Tuttavia come scrive Agamben nell’attenta introduzione “non si comprende nulla del pensiero di Schmitt, se non lo si situa innanzitutto in una concezione del diritto che poggia su un elemento antagonistico rispetto alla legge”. E tale considerazione è del tutto condivisibile; ancor più a considerare che la polemica anti-normativista di Schmitt è essa stessa rivolta ad indagare la crisi dell’Europa (e del pensiero europeo) del XX secolo, di cui il normativismo di Kelsen – e ancor più quello dei suoi epigoni è stato, ad un tempo, la conseguenza e anche la rappresentazione (forse) più coerente. Risolvere la legittimità nella legalità, l’esistente nel normativo, l’ordinamento nella norma, la decisione sovrana nella coscienza dell’interprete, espungendo (i primi termini) dal diritto è la sintesi giuridica e politica di una concezione che ha perso i riferimenti (e la dipendenza) dalla concretezza e dalla storia. E così da quello che Maurice Hauriou chiamava le fond théologique, al quale la couche juridique è ancorata (e senza la quale diventa ondivaga).

D’altra parte i contributi del giurista di Plettemberg hanno il pregio d’interpretare non solo il tempo a lui contemporaneo, ma anche il futuro. Come si legge nell’introduzione “A quasi trent’anni di distanza, le analisi di Schmitt sono divenute ancora più pertinenti. Si prenda il problema della costituzione europea, che oggi è al centro del dibattito politico. Ciò che il «no» dei cittadini francesi e olandesi è venuto a ricordare è che una nuova costituzione non può essere insediata attraverso accordi «legali» fra governi, ma deve passare attraversi una fase costituente. Un nuovo potere costituito senza un potere costituente può essere legale, ma non legittimo. E nulla è più sconcertante dell’incoscienza con cui le democrazie occidentali, dopo essere scivolate tra le due guerre legalmente nel fascismo, pretendono oggi di trapassare altrettanto legalmente in prassi e forme di governo per le quali ci mancano i nomi e che non sono certo migliori di quello”. Schmitt ha buon gioco nel dimostrare che un potere costituente europeo implica “qualcosa come un patriottismo europeo”. Il quale a sua volta presuppone un sentire comune e un patrimonio che, in omaggio ad un legalismo burocratico il trattato naufragato, col rifiuto delle “radici giudaico-cristiane”, dimenticava e respingeva.

Non sorprende perciò quanto ancora si legge nell’introduzione del saggio Staat, bewegung, volk, tradotto da Cantimori con il titolo Principi politici del Nazionalsocialismo, indovinato perché Cantimori aveva ben capito che Schmitt intendeva ivi delineare i principi del nuovo ordine nazionalsocialista. Come scrive Agamben “Ma, per i lettori attenti di oggi, l’interesse è raddoppiato dalla scomoda, ma ineludibile consapevolezza che questo testo delinea, in realtà, i principi costituzionali delle società postdemocratiche del secolo ventesimo nel cui solco ancora oggi ci muoviamo. Se l’interpretazione che di questo testo proponiamo è corretta, allora esso conterrebbe il centro esoterico e per così dire l’arcanum della teoria schmittiana del diritto pubblico”. Tuttavia oltre che alla biopolitica e al criterio del politico/impolitico il collegamento con le costituzioni novecentesche, del c.d. Stato sociale (o pluriclasse), è, ad avviso di chi scrive, dato dalla continuità (dialettica) dello Stato totale come “autorganizzazione della società”. Stato totale quantitativo nella Repubblica di Weimar, che diviene (anche e soprattutto) qualitativo col Terzo Reich (v. Der Hüter des Verfassung, saggio di Schmitt, peraltro precedente l’ascesa di Hitler al potere).

La stessa capacità di comprensione dell’attualità emerge (tra gli altri) dal saggio sulla “Rivoluzione legale mondiale”, nel quale l’ormai anziano (1978) Schmitt applica all’eurocomunismo - che appartiene di pieno diritto alla fase senescente, ideologica e politica, del comunismo – le proprie considerazioni sull’uso politico della legalità e sul cambiamento legale della costituzione della rivoluzione, già enunciate negli anni ’20 sulla dottrina (e la prassi) leninista e sul costituzionalismo di Kelsen.

Valutando la tesi di Santiago Carillo che i metodi violenti della rivoluzione bolscevica sono “oggi antiquati e si troverebbero nel posto giusto e nel momento giusto solo laddove si trattasse di fare il salto da una società agrario-contadina a una moderna ed industriale. In quanto metodi di una rivoluzione comunista erano legittimi ma non legali. Oggi invece sono superati, perché adesso a essere in questione nelle società industrialmente sviluppate è la potenza statale. Quei metodi, pertanto, non possono più essere un modello appropriato di rivoluzione comunista e devono essere sostituiti da metodi pacifici, vale a dire statali-legali”. Lo Stato peraltro è “il portatore della legalità, la quale realizza quel miracolo che è una rivoluzione pacifica. La rivoluzione, dal canto suo, legittima lo Stato in cambio dell’atto di beneficenza con cui esso permette che abbia luogo una rivoluzione statale-legale. La rivoluzione legale diviene permanente e la rivoluzione statale permanente diviene legale”. Il che significa per gli eurocomunisti condividere la tesi kelseniana sull’abrogazione legale della Costituzione. Schmitt ricorda che proprio le ascese del fascismo in Italia e del nazismo in Francia avvennero osservando le procedure costituzionali, pure quelle dettate in omaggio alla “superlegalità” (concetto di Maurice Hauriou). Quindi, in sostanza nulla di nuovo. Solo che il tutto non elimina il problema della legittimità dell’ordinamento e del potere costituente, ambedue non riconducibili alla legalità.

Daumier_Avocats_avec_toques_m.jpgIn particolare il potere costituente ha generato una prassi per il cambiamento di costituzione: “ogni rivoluzionario di professione ha imparato a maneggiarle: si destituisce il governo legale esistente, si convoca un «governo provvisorio» e si indice un’assemblea nazionale costituente… attraverso rivoluzioni grandi e piccole, europee e non europee, è sorta nell’arco di due secoli una prassi legittimante nella legalizzazione del colpo di stato e delle rivoluzioni”. Tuttavia è “difficile immaginare il trasferimento di un potere costituente dalla nazione all’umanità…L’organizzazione attuale della pace mondiale non è utile solo all’unità, ma anche allo status quo dei suoi numerosi membri sovrani. Dovremmo forse prospettarci un’assemblea plenaria dell’ONU p almeno una seduta del Consiglio di sicurezza che si svolga similmente a quella della notte del 4 agosto 1789, in cui i privilegiati rinunciarono festosamente a tutti i loro privilegi feudali?”.

A cercare il “filo di Arianna” in questi saggi e contributi (uno di questi fili perché, data la ricchezza delle riflessioni di Schmitt, ve ne sono parecchi) pare a chi scrive di ricondurlo alla formula che “l’esistente prevale sul normativo”, la quale, pur nelle differenze, accomuna Schmitt non solo ai concetti ed alla dottrina dello jus publicum europeaeum, ma anche al pensiero di Hauriou e di Santi Romano. Al contrario della dottrina del diritto prevalente nel secondo dopoguerra, dove è il normativo che più che prevalere, non considera l’esistente.

Così i rapporti forza/diritto, legittimità/legalità, costituente/costituiti, comando/obbedienza sono più che risolti, occultati da un normativismo che ha la funzione della notte di Hegel: di rendere grigie tutte le vacche. E così di nascondere il potere sotto la couche di una legalità autoreferenziale. La quale è come il barone di Munchaüsen il quale evitava di cadere nella palude sostenendosi per il codino della parrucca. Prima o poi il tonfo è assicurato.
Teodoro Klitsche de la Grange

dimanche, 12 juin 2016

Pierre Boutang de Stéphane Giocanti

pierre_boutang_louis_monier_-_rue_des_archives_0.jpg

Pierre Boutang de Stéphane Giocanti

par Juan Asensio

Ex: http://www.juanasensio.com

C'est une règle aussi dure, ancienne et immuable que le monde lui-même : une fois que le fauve est mort, les petits animaux, souvent des charognards qui, de son vivant, auraient détalé en le reniflant à quelques bons kilomètres à la ronde, osent approcher le cadavre, encore frémissant de vie et, prudemment, la truffe humide au vent, osent réclamer leur maigre pitance, quelques rognures d'ongle et, pour les plus chanceux, une ou deux miettes de chair.

Boutangfffff.jpgPrenons un récent exemple, que nous développerons sans doute dans une prochaine note : qui aurait pu croire que le lion d'Espagne, Georges Bernanos, deviendrait ainsi, non point à peine mort mais enterré depuis des lustres, l'objet de toutes les attentions philologiques, méritantes quoique si peu profondes, d'une Monique Gosselin-Noat, picorant l'intraitable écrivain en y déposant au passage quelques larves de fausse érudition ?

C'est donc une chance et une plaie que la position privilégiée de Stéphane Giocanti, qui aime lui aussi picorer, qu'il s'agisse des dépouilles considérables d'un T. S. Eliot ou bien de celles, plus réduites, des Daudet ou de Maurras. Une chance parce qu'il a bien connu l'homme, le fauve si complexe et dangereux pour les sots (et même les intelligents) et ne méconnaît point son œuvre, c'est une évidence qu'il serait pour le moins malhonnête de contester.

Une malchance cependant car la position de Stéphane Giocanti n'échappe pas aux critiques, qu'il formule d'ailleurs lui-même dans son dernier livre (1). Il est ainsi du plus haut degré de comique et surtout d'une assez singulière mauvaise foi de se plaindre, dans l'introduction à sa biographie, de la relative ignorance dans laquelle le public français, fût-il savant, tient fermement cloîtré Pierre Boutang, pour l'y laisser discuter avec Maurras comme dans une cloche sous vide de la destinée de la France et, de l'autre, de n'avoir pas fait grand-chose pour publier davantage de textes de Boutang, notamment ses Cahiers et ses Carnets, que l'auteur a respectivement tenus de 1947 à 1997 et de 1967 à 1998, alors même que Stéphane Giocanti n'oublie pas de citer ses amis éditeurs, eux-mêmes boutangiens.

Certes, et je ne l'ignore pas, Stéphane Giocanti a fait rééditer plusieurs livres de Pierre Boutang, depuis la disparition du grand penseur en 1998, ce qui est finalement assez peu relativement à la masse des textes que seuls une poignée de ses proches ont lus (dont Giocanti bien sûr, qui en cite des passages dans sa biographie), et que l'on ne vienne pas m'expliquer que cette difficulté a été en partie provoquée par l'auteur lui-même, car c'est là se défausser à trop bon compte ! (cf. p. 17). Ce n'est pas moi mais Gabriel Matzneff, qui l'a connu de son vivant, qui s'alarmait déjà, en 2007, de l'inaction de celles et ceux qu'il appelait les héritiers de Pierre Boutang, et qu'il sommait de se réveiller. Il paraît qu'Olivier Véron est en train de se réveiller, entre deux rêves sur la fondation d'Eretz Israël défendu par le plus grand de nos modernes combattants du Verbe phalangiste, Richard Millet bien sûr, d'un sommeil qui a duré tout de même plusieurs années et va publier, avant 2030 nous l'espérons et la publication du 867e livre apocalyptique dudit phalangiste de boudoir, un recueil d'articles que Pierre Boutang écrivit pour La Nation française.

Cette position entre deux eaux n'exclut même pas, ô surprise si prévisible, les petites vilenies, comme celle consistant à omettre mon rôle, modeste mais pas moins réel, dans la publication des notes de cours prises par mon ami Francis Moury, que Stéphane Giocanti n'oublie pas de citer, sans même rappeler d'une pauvre ligne que c'est moi (avec Gaël Olivier Fons) qui les ai d'abord éditées dans le numéro 10 de la revue Dialectique (en... 2003 !), avant de les faire paraître, amendées, dans la Zone en 2007. Stéphane Giocanti ne pouvait bien sûr ignorer l'existence du texte de Francis Moury puisque je me souviens fort bien avoir reçu de vifs et chaleureux remerciements de sa part à l'époque où Dialectique évoquait ses Enfants de l'utopie, tout comme il est plus qu'improbable qu'il ne se soit pas rendu compte, depuis 2007 tout de même, de la mise en ligne des souvenirs de Moury, mais il est vrai qu'il n'a dû guère goûter la petite critique que j'ai écrite, à sa parution en 2009, sur l'un de ses ouvrages oubliables, Une histoire politique de la littérature, la critique, point si méchante que cela, expliquant peut-être la vilenie, mais ne la justifiant pas. Il est vrai aussi, l'homme ayant visiblement une excellente mémoire, qu'il a dû se souvenir que je n'aimais que très peu, voire pas du tout, la revue Les Épées dont il était le principal ordonnateur, bien qu'officiant, on ne sait jamais quel risque aurait pu l'assaillir, sous un pseudonyme. Il est surtout vrai que je n'ai jamais été, de près ou de loin, directement ou pas (par ses textes ou ce qu'un Boutang en a écrit) attiré par la pensée et les textes de Charles Maurras. Il est vrai enfin que, contrairement à Stéphane Giocanti, qui remercie à peu près toute la sphère intellectuelle de droite (expression journalistique, cela va de soi) qu'il importe de remercier dûment, on ne sait jamais là encore (dont Jean-François Colosimo, cf. p. 363 et Pierre-Guillaume de Roux, tous deux éditeurs, ainsi que Fabrice Hadjadj, dont Giocanti est le parrain, et dont nous sommes vraiment ravis de savoir que Boutang lui a trouvé un beau regard, cf. p. 392), je ne remercie guère ou plutôt, et ce n'est pas Giocanti qui pourra dénier ce point, à la façon de Pierre Boutang qui détestait selon son biographe les ascenseurs et leurs renvois (cf. p. 358), je ne renvoie aucun ascenseur, hélas pour ma carrière qui, sans cette fort peu germanopratine habitude, eût pu être journalistiquement fulgurante. Qui sait si, devenu éditeur ou journaliste au Figaro, Stéphane Giocanti n'aurait pas été contraint, à la mode du Flore, de se souvenir de moi bien qu'il lui en coûtât ! Si par ailleurs je faisais montre d'un orgueil inconsidéré, je pourrais faire remarquer à Stéphane Giocanti que, comme Boutang, je ne cesse d'établir des ponts entre des auteurs que rien ne relie a priori que, comme Boutang, je ne cesse de questionner la déchéance contemporaine du langage que, comme Boutang, je n'hésite pas à explorer certaine voie d'écriture hermétique que, comme Boutang, j'appelle un chat un chat. J'ai affirmé que Stéphane Giocanti avait remercié toutes celles et ceux qu'il fallait remercier. Exercice convenu, sans doute ? Mais, dans ce cas, pourquoi n'avoir soufflé mot et même virgule des travaux sur Boutang d'un Axel Tisserand, grand connaisseur de Maurras, publiés aux éditions Pardès (coll. Qui suis-je ?) ou bien de ceux d'un Jérôme Besnard (éditions Muller), dont les pages sur les relations entre Pierre Boutang et les Hussards sont bien plus intéressantes que les lignes que leur consacre Stéphane Giocanti ? Il est toujours frappant de voir avec quelle prodigieuse facilité un auteur, se proposant d'écrire une somme biographique sur la vie d'un écrivain ou d'un philosophe, en vient à occulter (car il est strictement impossible que Giocanti ne les connaisse pas) les travaux d'autres auteurs qui, avant lui, moins bien que lui ou au contraire mieux que lui, ont évoqué le philosophe royaliste. Ces procédés sont tout bonnement pitoyables et malhonnêtes.

Il n'en reste pas moins que cette biographie sérieuse, instructive et qui se lit très agréablement même si elle flatte le péché mignon de l'auteur, une assez comiquement involontaire préciosité de journaliste, eût tout de même gagné à disposer d'une succincte chronologie, voire d'une biographie un peu plus épaisse que quelques livres indiqués par leurs initiales même si, fort heureusement, elle dispose d'un index des noms, qui sont nombreux (3) tant Pierre Boutang a noué des amitiés (et des inimitiés, puisqu'il ne pouvait laisser qui que ce soit indifférent). Paresse de l'éditeur ou du biographe ? Paresse des deux sans doute, mais ces défauts purement formels ne nous empêchent point d'apprécier le texte de Stéphane Giocanti, à quelques réserves près, importantes qui, si je m'étais montré plus sévère que je ne le suis, eussent pu être rédhibitoires.

boupurg42219.jpgJe commencerai par la critique la plus féroce, capable sans doute de porter un coup fatal à l'exercice biographique auquel Stéphane Giocanti s'est livré, puisque Pierre Boutang, comme il ne cesse d'ailleurs de nous le répéter, non seulement était un homme du secret, mais, une fois pour toute, a dit tout ce qu'il pouvait dire sur lui-même dans son monstrueux Purgatoire. Ce roman difficile, le dernier que Boutang a fait paraître, couronne sa carrière d'écrivain hermétique, et Giocanti a raison de le qualifier comme étant «l'odyssée poétique de son âme» (p. 289) et tort, du moins dans l'absolu, d'écrire sur Boutang, puisque, une fois pour toute, ce dernier a dit tout ce qu'il pouvait dire, s'exposant sans fard (ou presque) à la corne de taureau dont parlait Michel Leiris, seule capable de garantir la sincérité de l'écrivain : «Ce n'est donc pas la surface peccamineuse que l'écrivain développe en racontant ou en projetant sa vie (lui qui abhorre ces miroirs que l'on promène le long d'une route, et que l'on appelle romans modernes), mais ce qui du péché témoigne du voyage du salut : le regard sur soi est un détour poétique et ironique à l'intérieur duquel l'écrivain veut avant tout parler de Dieu, du Christ et des anges, ou encore décrire la pente ascensionnelle du désir» (p. 290). C'est la raison pour laquelle Le Purgatoire, «roman héroï-comique et pénitentiel» (p. 292), non seulement montre à l'évidence que «la morale de Boutang (celle qu'il s'efforce de vivre, et de laquelle il parle peu) ne trouve pas en elle-même ses fondements ultimes, et qu'elle possède une analogie fondatrice avec des réalités différentes, qui rejoignent le mystère chrétien» (p. 293), mais réduit à néant les introspections giocantiennes, quelque précaution que prenne notre biographe. Je ne suis ainsi pas du tout certain que Stéphane Giocanti respecte à la lettre le précepte boutangien consistant à exclure «tout élément autobiographique qui ne correspondrait pas à un ancrage dans la pensée» (p. 58). En fait, Giocanti, mais c'est une part de son fardeau de biographe, est bien obligé, à la différence de celui sur lequel il écrit, de ne pas contourner «le moi, l'aveu» (p. 60).

Il n'en prend du reste pas tant que cela, des précautions, malgré son insistance à évoquer Pierre Boutang, métaphysicien ayant la belle gueule de Jack Palance (cf. p. 145), esprit prodigieux faisant jaillir «politique, poésie, philosophie» «d'un seul cœur, d'une même voix» (p. 69) comme un faune au désir sexuel incontrôlable. Sans doute est-ce l'exercice même auquel se livre notre biographe qui commande ces intrusions dans les recoins explorés, quoique métaphoriquement, par cet «ovni littéraire au galbe précieux», roman «truffé de références aux sommets de la littérature, de la philosophie et de la théologie» (p. 303) qu'est Le Purgatoire, roman de la confession totale et, partant, de la solitude et de la tristesse totales, dans lequel pourtant «Marie-Claire ni aucune femme n'y est Béatrice» (p. 304). Ce qui restait en partie voilé dans les «ruptures et [les] ellipses» d'une écriture pouvant être considérée comme «un acte de contrition, un geste de pénitence et de louange que les théologiens comprennent mieux que des lecteurs éloignés de toute lecture spirituelle et sacrée» (p. 305), est ainsi exposé sous les yeux de tous, par un commentateur intraitable et surtout ne dédaignant pas de coller ses lunettes au trou de la serrure, qui dépeint en Pierre Boutang et en paraphrasant Maurras parlant de Verlaine «un philosophe chrétien aux cuisses de faune» (p. 316) qui, comme il se doit, préoccupation réelle de Boutang ou bien davantage sujet de méditation intime pour Stéphane Giocanti, une maigre répugnance pour des penchants homosexuels refoulés, du moins chez Boutang (cf. p. 315) dont la complexion ne serait, même, pas étrangère, nous dit son biographe, à une certaine «instabilité sexuelle» (p. 87).

Ce n'est donc pas tant sur la «place publique» que Pierre Boutang, «apocalyptique métaphysicien du désir, qui bat Derrida et Deleuze sur le terrain de l'endurance sensuelle et sexuelle» (p. 336), est démasqué que dans la biographie que Giocanti lui consacre. Je ne m'appesantirai pas sur un sujet qui obsède visiblement Stéphane Giocanti, et lui retournerai sa propre observation : «Paradoxalement, ce masque est souvent transparent : au lieu de montrer le maître, le disciple devenu maître à son tour lui fait dire autre chose, prête à son aîné des préoccupations et des sonorités qui sont surtout les siennes» (p. 344), même si on aura beau jeu de me faire remarquer que Stéphane Giocanti n'est jamais qu'un disciple qui jamais ne deviendra, ni ne pensera d'ailleurs à devenir maître.

boutapoCChL._AC_UL320_SR200,320_.jpgCette pesante insistance de Stéphane Giocanti sur la sexualité débridée de Pierre Boutang, considéré comme «une espèce d'ogre du lit, des soupentes et des porches» (p. 245), taraudé selon son biographe par le «démon qui va le distraire du regard intérieur de la mort et de la mélancolie de la pensée» (p. 66), est finalement la petite lorgnette commode par laquelle le secret fondamental de l'auteur n'est qu'à peine entrevu. Ce secret est peut-être bien réel après tout, mais, prudemment, Stéphane Giocanti, ne fait que l'évoquer dans les pages denses, parfois quelque peu confuses ou anecdotiques (4), qu'il consacre au rôle et à l'action politique de Boutang, surtout pendant la Guerre d'Algérie. Quel a été le rôle exact de Pierre Boutang dans la volonté de s'allier aux gaullistes pour favoriser le retour d'un Roi au pouvoir et, aussi, dans l'assassinat de Darlan, aux abords du trouble personnage qu'était Henri d'Astier de La Vigerie ? : «Un secret qui, sous le soleil d'une épopée paternelle, ne saurait être connu que de lui-même» (p. 111). Stéphane Giocanti se tait (a raison de se taire) et conclut sobrement : «En tout et pour tout, Boutang aura été chef d'un cabinet ministériel pendant deux mois et demi. L'aventure auprès de Jean Rigault, d'Astier, du comte de Paris, d'Alfred Pose et d'autres conspirateurs laissera des traces durables dans sa vie et sa pensée», notamment l'idée, commune à un Dominique de Roux qu'appréciera Boutang (cf. p. 272), selon laquelle «des minorités agissantes peuvent faire pencher la balance de l'histoire, et réintroduire l'idée monarchique dans le jeu des forces politiques» (p. 117). En tout cas, les pages évoquant l'évolution politique de Pierre Boutang (cf. p. 199) sont peut-être les plus intéressantes de la biographie de Stéphane Giocanti, qui s'efforce, non sans mal, d'expliquer la relation qu'entretint le penseur et bretteur avec le général de Gaulle.

Ce secret constituant le nœud gordien de la pensée et de l'action politique (5) de Pierre Boutang possède une clé qui me paraît plus essentielle que la seule fringale sexuelle de l'auteur, même si celle-ci, selon Giocanti, constitue une pierre d'achoppement qui lui permet de se sentir pécheur, donc catholique (cf. p. 165), clé qui ne réside pas davantage dans la fragilité réelle du grand penseur, sur laquelle Giocanti ne cesse (aussi) de revenir, qui parle de «sa profonde vulnérabilité" (p. 181; voir encore p. 317) surtout consignée dans ses Cahiers qu'il est un des rares à avoir la chance de pouvoir lire. Giocanti parle même de «hiatus» qui se creuse «entre les articles qu'il publie, l'apparence qu'il se donne en public», celui d'un «éternel bretteur», d'un «orateur de bronze, rempli de certitudes», et les «réflexions» (p. 218) qu'il confie à ses textes non publiés. Comme l'écrit Stéphane Giocanti, Pierre Boutang est à la fois «gigantesque et minuscule; grande gueule, géant de la pensée, et toute petite voix parmi les hommes, irrévocablement destiné aux unhappy few» (p. 319), peut-être parce que plus personne ou presque ne lit les écrivains qu'il a pu fréquenter et dont il a été l'ami, comme Blondin (cf. p. 138) ou encore Nimier (cf. p. 164), ou qu'il a aimé, non sans réserves d'ailleurs, comme Bernanos (cf. p. 168).

C'est peut-être dans le rapport de Pierre Boutang avec son père, donc dans la question de la piété plutôt que dans celle, si appauvrissante, de l'inconscient que privilégiera pourtant une lecture psychologisante, qu'il faut rechercher la clé de ce secret de l'auteur, secret que nous pourrions qualifier à bon droit de «puissance oblique et lumineuse» (p. 240). C'est que ce «corsaire Boutang» (p. 265) pratiquant nous l'avons vu «la licence sexuelle davantage encore que la liberté» (p. 264) et qui, «pour le nombre des enfants naturels», n'est battu, «peut-être, que par Louis XIV» (p. 266), cet «homme de la Renaissance tant par sa vitalité, son érudition, la violence de son Éros et l'ardeur de ses combats» (p. 275), cet ancien «militant de l'Action française, toujours royaliste» qui est «prêt à militer parmi les gaullistes» (p. 273), cet «anarchiste de droite, royaliste impossible, catholique baroque» (p. 292) gardera toute sa vie un souvenir aimant et pieux de son père, et comme une blessure que l'Ontologie du secret inscrira dans sa trame de réflexions de haut vol, encloses dans «un hermétisme dans le sillage de Maurice Scève» (p. 284). Pierre Boutang père est «une sorte de chouan forrézien, un réfractaire, un rebelle, au tempérament entier» (p. 29) nous apprend Giocanti, qui évoque son rôle dans le contre-espionnage, parlant dès lors d'un «enfant d'espion, ou enfant-espion [conçu en mission, qui] placera cette ascendance paternelle comme le nœud symbolique de sa destinée et de sa sensibilité» (p. 34, l'auteur souligne) et évoquera magistralement ce lien charnel et métaphysique dans sa Maison un dimanche dont le thème principal est selon Stéphane Giocanti celui de la filiation (cf. p. 39), miroir d'une «adoration déchirée» où se joue «l'idée qu'il faut aider et surtout sauver l'autre que l'on aime, coûte que coûte, par-delà les intimations de la raison» (p. 40). Giocanti a sans doute raison, pour le coup, d'insister sur la relation ayant uni le fils au père, dont il fait la matrice même de la formation intellectuelle et politique du fils : «Le royalisme des deux Pierre se croise et se confond, comme si le second devait devenir l'«interprète et le chantre du premier» (p. 41), le père apportant au fils, en fin de compte, une dimension charnelle de confiance dans l'autorité suppléant «l'écorce d'une tradition vidée de tout sens» (p. 42), l'idée du Roi étant pour Boutang, comme pour tant d'autres sans doute, «connexe à l'idée du père» (p. 45), et d'un père plus humilié et déchu que triomphant (cf. p. 46, le témoignage de Mariette Canevet). Du père au père intellectuel et même spirituel, malgré son athéisme revendiqué, Maurras bien sûr, occasion pour Giocanti de risquer une hypothèse de lecture qui a, pour que nous y adhérions, la facilité du raccourci journalistique : «Hanté par le salut, Boutang voudrait sauver son père par-delà la mort, sauver Maurras de lui-même et des autres, et s'il se dit royaliste, c'est que ce principe de gouvernement peut, selon lui, sauver la France de la mortalité ou de l'abaissement» (p. 346).

boumaurr7291-0905-9_1.jpgIl y a plus, mais nous nous aventurons là dans un territoire que Pierre Boutang, plutôt qu'il ne l'a vraiment arpenté, n'a fait qu'entrevoir au loin, contrée où seul il peut s'aventurer, sous le regard de Dieu dont il se pressent ou se sait l'espion (6) : «Je sens en moi», écrit-il ainsi, «l'épreuve d'une «élection» divine aussi inexplicable que celle du peuple juif» (p. 287, Cahier 10, 3 septembre 1973, p. 15). C'est peut-être supposer, au-delà même d'un secret et de l'obliquité, de «la part d'ombre», corollaire indispensable d'une sorte de «tenue du langage qui comporte la tension de la recherche métaphysique, avec la volonté de ne pas trop céder au dévoilement» (p. 48), un rôle que nul ne peut sonder, puisqu'il entre dans les seules raisons, impénétrables, de Dieu. Ce serait aussi postuler l'existence de plus d'un point commun entre Pierre Boutang et Léon Bloy (cf. p. 391), dont Stéphane Giocanti nous assure qu'il a été proche, par la pensée bien sûr, durant ses dernières années de vie. Ce ne serait donc pas simplement Pierre Boutang qui pourrait rêver «d'une parole qui serait l'instrument de la colère de Dieu», ce ne seraient pas seulement ses propres colères qui serviraient les «causes, les vérités ou les valeurs auxquelles il tient par-dessus tout» et que Giocanti rappelle («la France, l'honneur, la foi chrétienne», la «liberté intérieure, le roi, l'exigence de la plus haute culture», p. 345), c'est son âme tout entière qu'il faudrait rêver de pouvoir placer sous la lumière d'une enquête métaphysique qui parviendrait à rattacher ce fabuleux et héroïque destin à celui d'Adam (7), qui fascina durant presque toute sa vie Pierre Boutang.

Du reste, ce serait faire injure à Stéphane Giocanti que de prétendre qu'il n'a pas entrevu la véritable tâche du commentateur inconnu qui parviendrait à lire l’œuvre de Pierre Boutang comme un livre ouvert, qui réussirait à démêler le véritable nœud gordien de ce chrétien de la fuite et du masque (cf. p. 122) rendant sa destinée non point prévisible (cf. p. 130) mais cohérente, qui déchiffrerait l'énigme d'un contre-révolutionnaire (cf. p. 144) chantre et poète «du roi absent et espéré, l'ombre de Richard II, la trace d'un roi de souffrance, roi de passion christique» (p. 145), Giocanti qui évoque l'idée si belle que «la vie et l'évolution personnelle correspondent à un voyage, une traversée odysséenne ou adamique, au-delà de toutes les réifications, de tous les jeux d'ombre de la morale et du vernis social ou culturel» (p. 401).

Quel piégeur romanesque pour capturer à son propre jeu de feintes et de masques le si diablement vif Pierre Boutang, sans doute le dernier furet véritable métaphysique encore capable de débusquer les âmes ?

Notes
 
Autre texte sur Boutang sur le site de Juan Asensio: Pierre Boutang dans la Zone.

(1) Voir Stéphane Giocanti, Pierre Boutang (Flammarion, coll. Grandes biographies), 2016, pp. 21 et 23.

(2) Même s'il ne m'a pas échappé que le caractère intime des Carnets empêche très certainement toute publication avant des lustres !

(3) Nombreux ne veut pas dire exhaustif. Il est ainsi pour le moins étrange de constater la moindre mention du livre d'Axel Tisserand aux éditions Pardès. De deux choses l'une : soit Stéphane Giocanti, comme moi, ne l'a pas lu, mais il aurait dû le faire, soit il l'a lu et ne le cite aucunement. Dans les deux cas, il est coupable : de manque d'exhaustivité pour un livre se voulant une enquête sérieuse qui dépasse 450 pages ou d'omission volontaire, dont il faudrait dans ce cas se demander la mystérieuse raison.

(4) Stéphane Giocanti se laisse plus d'une fois à de faciles anecdotes ou plutôt, son propos devient tout entier anecdotique, forme et fond confondus, lorsqu'il évoque Boutang en «Platon de la fin du XXe siècle» (p. 400) ou en «alpiniste de la pensée» (p. 389) ou se croit obliger de préciser, comme s'il était pigiste pour Closer ou sa version royaliste, Point de vue, que «ce métaphysicien a en lui une fervente Anglaise qui attend des heures devant Buckingham le passage d'Elizabeth» (p. 387). Ce sont parfois des pages entières (cf. p. 352) qui ne sont qu'une plate série de petits faits vrais. De la même façon, les épithètes de nature qu'il accole bien trop souvent à Pierre Boutang peuvent finir par lasser (cf. le penseur qualifié par exemple de «pécheur et pénitentiel à la fois», p. 358).

(5) Action politique qui mériterait à elle seule un ouvrage, même si Stéphane Giocanti nous en donne de très intéressants aperçus, lorsqu'il ramasse par exemple le rôle de Boutang en quelques mots : «Exclu pendant vingt-trois ans de l'Université pour giraudisme, alors qu'il a joué un rôle (certes modeste) dans le débarquement américain de 1942, et servi deux ans comme officier, Boutang a été poussé du côte de la dissidence par le pouvoir lui-même» (p. 255). Du reste, l'action politique de Pierre Boutang peut elle-même s'expliquer par la thématique du secret.

(6) Consubstantielle à la thématique du secret, celle de l'agent qui se cache sous son voile, l'espion (cf. p. 322), considéré dans son rapport métaphysique à Dieu, sur les brisées de Shakespeare parlant, dans Le Roi Lear des «espions de Dieu» mais aussi, bien sûr, de Kierkegaard.

(7) «Adam le fascine, l'interroge et le retient. Il fait écho à sa propre enfance embellie par le jardin de la maison à Saint-Étienne, traverse ses recherches sur la Création, la relation entre l'homme et Dieu, le secret», puisque Adam fait figure, précise Giocanti en citant Boutang, «d'agent de renseignement», «à qui Dieu aurait appris à nommer les êtres dans leur vérité» (p. 219).

James Burnham – Like Gramsci, Only Better

James_Burnham2.jpgIt is not enough to view intellectuals as the makers of political change through their transmutation of culture. It is also necessary to consider the state and the elite who will rule it. Politics becomes impossible to conduct without the type of hardworking, ruthless, and ambitious people who generally make up the political class.

James Burnham was an American political theorist who was a somewhat influential figure within the circles of American post-war conservatism. Like some others who joined the conservative movement during that time, Burnham was an ex-Trotskyite who had lost his faith in Communism and come over to the conservative side of politics. Among others, Burnham influenced the late Sam Francis, who was a journalist within the conservative movement, but who was later purged because of his heretical views on race and other topics. It was through some of Francis’ excellent articles published at Radix that I was introduced to Burnham to begin with.

One of the most important and engaging topics for the Alt-Right is the relation between culture and politics: so-called metapolitics. In this context, the Marxist theorist Antonio Gramsci is often put forward as an important thinker because of his thoughts about hegemony, the prerequisites for political change, and the necessity for intellectuals. My personal view, which I have argued for elsewhere, is that Gramsci is best understood as a form of constructivist, meaning someone who believes that reality is not a given but that it can be shaped and changed by ideas. As I read Gramsci, the Marxist trajectory is not as much revealed as it is created by convincing people of its truth. Borrowing a term from Simon Hix, Gramsci could be called a ‘strategic constructivist’, meaning someone who uses ideas strategically to reach a political goal.

There are, however, several weaknesses in Gramsci as a thinker. His first fault is, of course, that he was a Marxist, and was attempting to save a failing theory. Furthermore, he wrote down his thoughts under anything but ideal circumstances, having been jailed by the Italian state. As a result of this, his writing is often unsystematic, and the good points have to be singled out from a vast number of lesser points. I think that Gramsci touched on important topics, but much of his claim to fame was established by others after his death. Roger Scruton writes in his Thinkers of the New Left that the Left wanted a hero, after all the others had been defamed, and that they found a heroic figure in Gramsci as the martyr of their cause.

Gramsci touched upon important topics, and he was, to a degree, an original thinker. But there is much lacking in his analysis, and this is unfortunate. Gramsci’s analysis needs to be complemented by a more thorough one. Toward this end, I would like to discuss some of the ideas which were advocated by Burnham. It is my opinion that Burnham touched upon topics which, as with Gramsci, deal with the prospect of political change and how to bring a new political elite to power. The difference, as I see it, is that Burnham does a better job than Gramsci.

Managerial-revolution-1941.jpgHis books of greatst interest are The Machiavellians and The Managerial Revolution. The first one is mainly about the political theories of a number of thinkers who Burnham considered to be a part of what he called the Machiavellian tradition. The main argument of the book is that politics, defined as a struggle for power, can never be removed from human existence. In every society, there must be one group of people who rule, and one group who is the subject of that rule. In the second book, Burnham makes the case that a revolution is well under way, but not the type of revolution which is often advocated by the Left. The managerial revolution is taking place within the bureaucracy of the modern state, and is the revolution of the managers, at the expense of other forms of leadership.

In the first chapter of The Machiavellians, Burnham discusses the poet Dante Alighieri as an example of someone who promoted ideas which in practice had a different purpose than that which was stated by their author. The point of the chapter is to introduce a type of thinking which Burnham calls ‘anti-formalism’, and which is divided into two different meanings: the formal and the real. The formal meaning is the intention as it is explicitly stated by the author, and the real meaning is what this intention actually implies. Using Dante as an example, Burnham points to the fact that Dante advocated a number of normative principles which he believed should be defining characteristics of a good government. Dante also advanced the idea that the Emperor of the Holy Roman Empire should be sovereign in relation to the Pope.

Burnham further explores the meaning of anti-formalist thinking in the second chapter of The Machiavellians, which is about Machiavelli himself. In this chapter, Burnham elaborates on the Machiavellian tradition and its prospects for a political science. Burnham’s position is that politics should be studied in a scientific way, freed from various normative concepts, ethical systems, and the demands that they can make on a science. The Machiavellian way of thinking should not, says Burnham, be condemned because of its lack of adherence to some ethical system. It should only be judged in terms of how well its conclusions match the facts, as with all forms of science. Moreover, a political science should not pretend that politics is anything other than what it is: a struggle for power.

machiaV6IXJHqzL._UY250_.jpgWhen it comes to Dante, Burnham goes on to place his seemingly independent normative principles in their proper context. He shows that Dante had been involved in an extensive and lengthy conflict between the Ghibelline and the Guelph factions. Dante and the faction to which he belonged lost to their rivals, and he went to the Holy Roman Emperor to ask for his support. When these facts were presented, it became quite clear that Dante had put forward his principles with the hope of winning the good graces of the Emperor, and thus attempted to justify his rule. That is the true meaning of De Monarchia, as Burnham sees it.

Using Dante as an example can seem rather difficult to relate to, since he is virtually unknown as a political theorist, and is more or less exclusively regarded as a great poet. I think it’s more useful to apply the same analysis to schools of thought more relevant to our day instead. For illustrative purposes, we can say something about feminism. When feminism becomes involved in politics, it is often or always the case that its proponents advocate their suggested policies from the standpoint of normative principles; chiefly, equality between the sexes. From this standpoint, they often point out problems such as the idea that there are more men than women on executive boards, that male cultural symbols dominate the public sphere, that women in general have a more difficult time on the labour market because of motherhood, male discrimination, and so on. Or, in the case of Sweden, they claim that mothers in general make greater use of paid parental leave than do their husbands.

The suggested solution to perceived problems such as these are often to advocate various measures to be taken by the government. Agencies within the government should be allowed to dictate corporate policy and tell them who to hire and who not. Measures should be taken to do away with male symbols from public spaces. Parents should be forced to share parental leave equally, regardless of the wishes and needs of the individual family. Some feminist theorists, such as Nancy Fraser, propose openly that the government should assume control over corporate life in order to make sure that they hire equally, and that extensive and costly social strategies aimed at women can be paid for through taxation. The assumption made by people such as Fraser and her colleagues is that increased state powers are necessary in order to come to terms with inequality.

We could take Fraser and other feminists at face value and debate whether equality and their other proposed political measures are good or bad. But if we are to apply anti-formalism, we would instead draw the conclusion that these values are less important than the measures of power that they justify. And these particular principles justify encroachment by the state – and more specifically, certain groups within the state – at the expense of the business community and civil society. This is not really about which policies are good or bad, but about which groups are to decide on these things at the expense of other groups. As Burnham eloquently puts it:

We think we are debating universal peace, salvation, a unified world government, and the relation between state and church, when what really is at issue is whether the Florentine Republic is to be run by its own citizens or submitted to the exploitation of a reactionary foreign monarch. We think, with the delegates at the council at Nicea, that the discussion is concerned with the definition of God’s essence, when the real problem is whether the Mediterranean is to be politically centralized under Rome, or divided. We believe we are disputing the merits of a balanced budget and a sound currency when the real conflict is deciding what group shall regulate the distribution of the currency. We imagine we are arguing over the moral and legal status of the principle of the freedom of the seas when the real question is who is to control the seas. (Burnham, The Machiavellians, p. 16)

It shouldn’t be a surprise that Burnham had a cynical view of the role of some intellectuals and scientists. He held the view that those who contend for power will always find someone who is willing to be their spokesman and justify their rule through a philosophical or scientific system. Burnham elaborated his view on ideology further in The Managerial Revolution. The important thing here is that ideologies should be viewed as an expression of group interests. If an ideology happens to be dominant in a society, then it is connected to the group currently in power. This is the important thing for our purpose; not whether an ideology is true or false, good or bad, but rather that it expresses the will to power of a particular group.

Ideologies are often frowned upon as unscientific, or even mythic in essence. Burnham would agree completely with this view. But that doesn’t mean that  ideologies are not important and useful. Ideologies can convert people to a cause that they would not otherwise support. Ideologies can make people forget their own interests and instead pursue the interests of another group. If a group cannot produce a coherent ideology, can it be said to have any will to power? My answer is no. The Left has done a very good job during the course of the twentieth century in producing powerful and attractive ideological systems: Marxism, socialism, feminism, post-colonialism, and psychoanalysis. We also have ideologies emerging from what can be seen as a form of Right: neo-liberalism, Americanism, and individualism. Moreover, we have endless combinations of these ideologies.

webS+ZBL._SX298_BO1,204,203,200_.jpgIt is important not to overlook the importance of the managerial state, and the importance of the state in general. It is not enough to merely philosophise; there needs to be a political elite and a physical structure which underpins this elite. We can take Sweden as an example. Sweden took a turn toward the Left during the 1960s and never really recuperated. This was not achieved solely through the work of intellectuals and Leftist philosophical theories. What happened in addition to this was that a large number of people were recruited to work as functionaries and civil servants in the ever-growing state machinery. Social workers, teachers, and administrators were recruited and formed a bureaucracy the like of which Sweden had never experienced before. They became the new class of managers. Regardless of what kind of government gets elected, this establishment stays more or less the same.

Burnham deals with the question of the elites in Chapter Three, in which he discusses the theorist Gaetano Mosca. In this chapter, he stresses the importance of the ruling class:

From the point of view of the theory of the ruling class, a society is the society of its ruling class. A nation’s strength or weakness, its culture, its prosperity, its decadence, depend in the first instance upon the nature of its ruling class. (Ibid., p.67)

The ruling class is the group of people who can be successful in the struggle for power, namely politics. Typically, it is made up of people who can break through in the struggle and face its challenges. These people are usually not the wise and self-reflecting types. More successful traits include ambition, ruthlessness, and the capacity for hard work. Everyone who has ever been involved in politics knows that hens and peacocks seldom, or never, live long in a world dominated by wolves, vultures, and centipedes – in a word, predators. But taken at face value, no elite is so raw and unrefined. Usually, as Burnham emphasises, it expresses itself through some form of political formula or myth. As I stated above, the meaning of ideology is to express and direct the will to power of a particular group.

I draw the following conclusions from this discussion:

I: To begin with, it is not enough to view intellectuals as the makers of political change through their transmutation of culture. It is also necessary to consider the state and the elite who will rule it. Politics becomes impossible to conduct without the type of hardworking, ruthless, and ambitious people who generally make up the political class. Oswald Spengler described Caesarism as no one else could, but he could never have been a Caesar himself. Gramsci assigned the so-called ‘organic intellectuals’ an important role as the makers of political change, but they are not enough in themselves.

II: Nevertheless, the intellectuals are important. A group which contends for power needs a political myth or ideology to express its will to power and to justify their struggle and coming ascension to the position of the ruling class. It would seem that a group lacking such a formula will achieve no success in its endeavors. The political agents need to work together with the intellectuals: one group to formulate the ideas, and one group to express them. The present political elite justifies their actions through the framework of Cultural Marxism; it would have been impossible for them to act without this framework.

III: From a scientific point of view, Burnham is superior to Gramsci because he tells the truth about all politics, and not just about the politics of his adversaries. If we are to take Gramsci at face value, his theory describes how the Marxists are hindered in their struggle to express the true interests of the working class because they are under the spell of the bourgeois hegemony. The real meaning of Gramsci’s theory was, however, not to describe facts about political life but rather to create a myth strong enough to motivate the working class into changing their preferences, and throw in with the Left as it was. These Machiavellian insights can be applied to all political ideas – and not just from the perspective of one particular position.

To conclude, I think that the success of the Alt-Right will come when ambitious and somewhat ruthless people pick up its ideas and use them to serve their ambition. Such a person is Donald Trump, who represents the ideas of nationalism and populism. But this could never have happened without intellectuals who ‘memed into existence’, to use a clever and true phrase. Trump would still only be a successful businessman and TV celebrity without the nationalist ideas which he advocates, and which in turn justifies his struggle for power. The success of the ideas of the Alt-Right will mean the success of a new elite, and the success of this elite will mean the success of the Alt-Right.

About The Author

Anton Stigermark earned his bachelor’s degree in political science at Lund University and is currently pursuing his master’s degree at Uppsala University. As a writer of essays his main interest lies in culture, old and new, political theory, and intellectual history in the more general sense.

samedi, 11 juin 2016

Reinhold Oberlercher – Der letzte Hegelianer

roberlercherhqdefault.jpg

Reinhold Oberlercher – Der letzte Hegelianer

PDF der Druckfassung aus Sezession 67 / August 2015

von Siegfried Gerlich

Politisch verfemte Denker der Zeitgeschichte sind Legion, aber Reinhold Oberlercher ist ein Enfant terrible gesteigerter Art: vom linksliberalen Juste Milieu ignoriert, flieht ihn nicht minder auch die rechtskonservative Szene. Sogar in der radikalen Rechten steht Oberlercher auf verlorenem Posten, seit Hans-Dietrich Sander sich von dem Starautor seiner Staatsbriefe trennte und selbst Horst Mahler sich mit seinem geistigen Mentor überwarf.

So beschränkt sich seine Anhängerschaft mittlerweile auf jenen verlorenen Haufen kompromißloser Nationalrevolutionäre, die dem »Deutschen Kolleg« verbunden geblieben sind, welches 1994 gegründet und 1998 von Mahler und Oberlercher als »Schulungseinrichtung der nationalen Befreiungsbewegung der Deutschen« zu neuem Leben erweckt wurde.

Oberlerchers einsame Stellung verdankt sich jedoch nicht nur seinem politischen Extremismus, sondern zumal seinem philosophischen Rigorismus. Denn bei allen didaktischen Ambitionen, die Oberlercher notorisch wie einen Oberlehrer dozieren lassen, bewegt er sich durchweg auf einem zu hohen Theorieniveau, um noch mit volkspädagogischer Breitenwirkung rechnen zu können. Und die wenigen ihm geistig gewachsenen Intellektuellen scheuen jede Auseinandersetzung, so als würde unweigerlich zum politischen Gefolgsmann, wer sich mit Gewinn an seinen theoretischen Schriften abarbeitet.

Dabei lebt in Oberlerchers doktrinärer Unduldsamkeit noch immer der revolutionäre Habitus des einstmaligen Agitators des Hamburger SDS fort, und gewiß hätte er es ohne seine marxistischen Lehrjahre kaum zu jener dialektischen Meisterschaft gebracht, mit der er noch Adolf Hitler als legitimen Erben von Karl Marx auszuweisen versteht.

Jedenfalls besticht Oberlerchers Werk durch eine so strenge Systematik und stupende Sachkompetenz in nahezu allen Wissensbereichen, daß nicht nur Rechte, sondern auch Liberale und Linke ihren politischen Verstand daran schulen könnten – und sei es mit dem Ziel, den fatalen Strategien seines überspitzten Intellektualismus auf die Schliche zu kommen anstatt sich mit begriffsstutzigem Kopfschütteln zu begnügen.

Am 17. Juni 1943 in Dresden geboren und später in Leipzig aufgewachsen, wurde Oberlercher bereits 1959 »republikflüchtig« und siedelte nach Hamburg über, wo er seit 1965 Philosophie, Pädagogik und Soziologie studierte und die »Wortergreifung« von 1968 intellektuell munitionierte.

Während des »roten Jahrzehnts«, als die revoltierenden Pragmatiker ihren kommoden Marsch durch die Institutionen antraten, arbeitete der revolutionäre Theoretiker dagegen an einer Formalisierung des Marxschen Kapital und gab die Zeitschrift Theorie und Klasse heraus.

roberhegel51Z+Su7RhYL.jpgOberlerchers philosophischer Totalitätsanspruch sollte indessen erst in den folgenden Dekaden ganz hervortreten: Das 1986 vollendete enzyklopädische System der Sozialwissenschaften wurde 1994 in eine sozialphilosophische Lehre vom Gemeinwesen überführt und 2014 von einem holistischen System der Philosophie [2] überwölbt.

Auf seinem nicht weniger totalisierenden politischen Denkweg wiederum durchlief Oberlercher nach marxistischen Anfängen erst noch eine sozialdemokratische sowie eine anarchistische Phase, bevor sich schließlich eine nationalrevolutionäre Position herauskristallisierte, welche die frühe »dutschkistische« Programmatik geläutert in sich aufnahm.

Als Hegelianer war Oberlercher davon überzeugt, daß die Philosophie weder rechts noch links stehen dürfe, da sie das »Ganze« als das »Wahre« zu denken habe. Und weil der mittlere, der liberale Weg als einziger nicht nach Rom führt, ließ er die Extreme so überhitzt aufeinanderprallen, daß es dabei gleichsam zu einer »nationalmarxistischen« Kernfusion kam.

Einen »Nationalmarxisten« darf Oberlercher sich ohne Koketterie nennen, hat er doch die Marxsche Klassenanalyse, mit der Das Kapital unvollendet abbrach, konsequent weitergeführt [3] und aus den ökonomischen Produktionsfaktoren die ihnen entsprechenden politischen Parteiungen abgeleitet:

Wie der »Liberalismus« das »Kapital« repräsentiert, so der »Konservatismus« den »Grundbesitz« und der »Sozialismus« die »Arbeitskraft«.

Um eine angemessene Repräsentation dieser Eigentumsklassen zu gewährleisten, müßten die Parteien daher wieder als reine, kämpferische »Klassenparteien« auftreten, nachdem die sogenannten »Volksparteien«, die eben nicht das ganze Volk vertreten, sich den Staat zur Beute gemacht und die öffentlichen Kassen geplündert haben.

Nur durch die Abschaffung der kapitalistischen Klassenherrschaft wie der parlamentarischen Parteienherrschaft läßt sich nach Oberlercher das Staatsvolk in seine politischen Rechte einsetzen; denn nicht nur eine despotische Monopolpartei bolschewistischen Typs, auch ein pluralistisches Parteiensystem kapitalistischen Typs usurpiert die verfassungsgebende Gewalt des Volkes, welches allein in einem souveränen Nationalstaat zu historischem Dasein findet.

Der wesensgemäße Lebensraum des Staates ist mithin nicht die bürgerliche Gesellschaft, die ihn ökonomisch zu vereinnahmen trachtet, sondern die durchaus unbürgerliche Staatengesellschaft, in der er sich politisch zu behaupten hat. Aber freilich unterscheidet sich der historisch gewachsene »Nationalstaat« kontinentalgermanischer Prägung charakteristisch von der politisch gewollten »Staatsnation« angloamerikanischer Provenienz, welche kein kulturell homogenes »Volk« versammelt, sondern lediglich eine multikulturell heterogene »Bevölkerung« zusammenhält.

Insofern taugen gerade klassische Einwanderungsländer, die von »staatsgeborenen Pseudovölkern« besiedelt werden, keinesfalls als Modell für »volksgeborene Staaten« wie Deutschland, das traditionell ein die osteuropäischen Länder kulturell bereicherndes Auswanderungsland gewesen war.

In diesem modernen Gegensatz von bodenständigen Nationalstaaten und wurzellosen Staatsnationen aber sieht Oberlercher noch immer den alten Widerstreit zwischen »seßhaft-produktiven« und »nomadisch-extraktiven« Lebens- und Wirtschaftsformen fortwirken:

Hatten einst indogermanische Bauernvölker dank der kulturstiftenden Erfindung des Ackerbaus die »neolithische Revolution« getragen, welche dem prähistorischen Jäger- und Sammlerdasein des Menschen ein Ende setzte, so rüsteten sich dagegen orientalische Nomadenvölker zu einer »anti-neolithischen Gegenrevolution«, indem sie mit ihrer primitiven Raub- und Viehwirtschaft eine Politik der verwüsteten und abgeweideten Erde betrieben.

Viele Jahrtausende später wiederum, als die von Europa ausgegangene industrielle Revolution sich als Fortsetzung der neolithischen Revolution mit technisch fortgeschrittenen Mitteln entfaltet hatte, waren es »kosmopolitische Kapitalnomaden« vornehmlich aus den Vereinigten Staaten, die »parasitäre Abweidungsfeldzüge« gegen produktive Volkswirtschaften und gehegte Kulturlandschaften unternahmen.

Schon die extrem-calvinistischen Pilgrims, die mit ihrer alttestamentlichen Verschärfung der katholischen Werkheiligkeit zur kapitalistischen Erfolgsheiligkeit zugleich die lutheranische Gnadenheiligkeit zurückwiesen und so das germanische Reformationswerk insgesamt verrieten, wähnten sich als auserwähltes Gottesvolk und beschworen damit jenes »Unheilige Reich« herauf, welches sich nachmals durch »frömmelnden Imperialismus und globalen Interventionismus« auszeichnen sollte.

Einstweilen hat der US-amerikanische Globalkapitalismus sein Militär als freihändlerische Eingreiftruppe in einen missionarischen Dauereinsatz versetzt, um mit frei flottierendem Spekulationskapital alles standortgebundene Produktionskapital ungehemmt in den Ruin treiben zu können.

Vollends seit die Deregulierung von Finanzmärkten und Warenströmen auch immer mobilere Informationsfluten und Migrationsströme freisetzt, erweist sich die »Nomadologie« als Schicksalsgesetz einer im Posthistoire versandenden Moderne.

Gleichwohl sind nach Oberlercher seßhafte germanisch-europäische Kulturstaaten gegen mobile orientalische wie angloamerikanische Migrationsgesellschaften, die noch dem nomadischen Gesetz der Wüste gehorchen oder bereits hochtechnisierte Wüstenstürme entfesseln, allemal im Recht, da nur sie beglaubigtes »Recht« und beständiges »Eigentum« von bloßem »Gesetz« und beweglichem »Besitz« überhaupt unterscheiden können.

roberlphilo40553332z.jpgIn Opposition zu einer gesetzes- und vertragsförmig normierten Weltgesellschaft aus entwurzelten Individuen fordert Oberlercher folgerichtig die rechts- und ordnungsgemäße Wiedereinwurzelung von souveränen Volksgemeinschaften, wie sie nur eine »völkische Weltrevolution« durchsetzen könnte.

Und für diese am Selbstbestimmungsrecht der Völker ausgerichtete Totalrevolution weist er, kaum überraschend, den Deutschen als dem »reichsbildenden Volk Europas« die Führungsrolle zu: War der Deutschen Nation schon vom Heiligen Römischen Reich das Amt des »Katechonten« übertragen worden, so hätte sich ein erneuertes Deutsches Reich als stabilisierende Ordnungsmacht der künftigen europäischen Geschichte und zumal als »antiimperialistischer Aufhalter« einer »judäo-amerikanischen Endzeitherrschaft« zu bewähren.

Als letzter Fluchtpunkt von Oberlerchers unzeitgemäßen Betrachtungen aber firmiert stets das Dritte Reich, und allein aus dessen hegelmarxistischer Umdeutung erklärt sich die Entschiedenheit, mit der er Rudi Dutschke zur neuen deutschen Führergestalt und die RAF zum »Waffen-SDS« als vorauseilender »Reichs-Armee-Fraktion« eines »Viertes Reiches« stilisiert hat.

Als Schüler Hegels, der die Deutschen aufgrund ihrer geglückten Reformation zum neuzeitlichen Träger des Weltgeistes berufen hatte, aber auch Marxens, der keine proletarische Klassenherrschaft errichten, sondern das Proletariat als Klasse vernichten und im Volk aufgehen lassen wollte, vertritt Oberlercher die tollkühne Auffassung, die von beiden Denkern avisierte National- und Sozialrevolution sei in der nationalsozialistischen Revolution zumindest ansatzweise zur Wirklichkeit geworden.

Indem Oberlercher den Nationalsozialismus allerdings scharf gegen den Faschismus abgrenzt, bezieht er eine buchstäblich »antifaschistische« Position, die gegen Max Horkheimers bekanntes Diktum, wer vom Kapitalismus nicht reden wolle, solle auch vom Faschismus schweigen, keinerlei Einwände erhebt.

Denn gemessen an Hitler, der eine »antikapitalistische Volksrevolution« vollzogen habe und damit dem Ideal der von Hegel gefeierten germanischen Volksdemokratie treu geblieben sei, muß Mussolini nachgerade als ein konterrevolutionärer Etatist erscheinen, der weit mehr Affinitäten zu Lenin aufweist:

Wie der russische Bolschewismus eine »asiatische Konterrevolution« war, die sich am orientalischen Despotismus und zumal der pharaonischen Zwangswirtschaft orientierte, so stellt entsprechend der italienische Faschismus eine »antike Konterrevolution« dar, sofern er sich an der römischen Diktatur ausrichtete und das Volk unter der Herrschaft eines zum Imperium überhöhten Staates begrub.

Deutschland hingegen habe gerade aufgrund seines nationalromantischen Antikapitalismus und seiner antirömischen Affekte einen echten »völkischen Sozialismus« hervorgebracht.

Immerhin räumt Oberlercher ein, daß das Dritte Reich zum Scheitern verurteilt war, da es durch seine faschistischen Bündnisse korrumpiert worden und in seinen imperialistischen Herrschaftsanmaßungen auf faschistisches Niveau herabgesunken sei. Zudem habe Hitler das deutsche Volk, anstatt es als »Rechtssubjekt« zu konstituieren und zum Souverän des politischen Gemeinwesens zu erheben, nach jüdischem Vorbild zur »Rasse« naturalisiert und für eine altisraelische Lebensraumpolitik instrumentalisiert.

Aber auch in der nationalsozialistischen Judenverfolgung kann Oberlercher nur eine »tätige Beihilfe zur jüdischen Religionspropaganda« sehen, die sich nicht ohne Grund gegen deren Urheber selbst gewendet habe – denn als »radikal böse« gilt ihm bezeichnenderweise nicht der reale Völkermord, sondern vielmehr das religiöse »Völkermordgebot«.

Daß Oberlercher aus einschlägigen Stellen des 5. Buches Mose, unbekümmert um tatsächliche jüdische Lehrmeinungen, einen solchen kategorischen Vernichtungsimperativ glaubt extrahieren zu dürfen, ist indessen nicht nur seinem unversöhnlichen Antijudaismus geschuldet, zu dem er sich forsch und freimütig bekennt, sondern ebensowohl seinem unerschütterlichen Hegelianismus.

Auch für Oberlercher nämlich ist die Weltgeschichte das Weltgericht, und schon darum durften all jene Zeitgenossen, welche die Deutschen nach der Judenvernichtung für ein »von der Geschichte widerlegtes Volk« (Otto Westphal) hielten, keinesfalls Recht behalten.

Und gegen jene Geisteshistoriker, die lange zuvor schon den »Zusammenbruch des Hegelschen Systems« vermeldet hatten, suchte Oberlercher mit einem wahrhaft kindlichen Urvertrauen in den deutschen Idealismus dieses »Allerheiligste des deutschen Geistes« wieder in Kraft zu setzen. Die größte Herausforderung der Hegelschen Geschichtsphilosophie aber war die Theodizee: die Rechtfertigung Gottes, wodurch »das Übel in der Welt begriffen, der denkende Geist mit dem Bösen versöhnt werden« sollte.

Und weil dieses Böse, als welches die Epoche der Aufklärung noch das Erdbeben von Lissabon erlebt hatte, nach der Epoche des Faschismus sich in Auschwitz zu inkarnieren schien, mußte Oberlercher alles daran setzen, eine philosophische Versöhnung noch und gerade mit dieser entsetzlichsten Untat der deutschen Geschichte zustande zu bringen.

roberllegal8136703034.jpgMit sicherem Gespür für den würdigen Feind attackierte er den »kafkaesken Professor« Theodor W. Adorno, der in seinen philosophischen Fragmenten einen Angriff auf das deutsche Systemdenken geführt und das »Ganze« zum »Unwahren« erklärt hatte.

Insbesondere Adornos Negative Dialektik [4], die er als »jüdische Rache« für Auschwitz beargwöhnte, suchte Oberlercher durch eine »positive Dialektik« von deutscher Gründlichkeit zu parieren. Unerschrocken zitierte er Paul Celans berüchtigtes Verdikt vom Tod als »Meister aus Deutschland«, um diesem eine ungeheuerliche affirmative Wendung zu geben: »Nur der Tod aus Deutschland ist ein Meisterwerk, jede der vielen schlechten Auschwitz-Kopien seit dem zweiten Weltkrieg zeigt das.«

Doch selbst mit solchem wahnwitzigen Bekennermut, der freilich die notorischen Auschwitz-Revisionisten ihrer Gesinnungsschwäche überführte, blieb Oberlercher am Ende nur Hegel treu.

Denn nicht obwohl, sondern weil Oberlercher sich stets als der konsequenteste aller Hegelianer verstand, mußte er in letzter Konsequenz auch zum Hitlerianer werden und ungerührt darüber hinwegsehen, daß gerade Hitlers Vernichtungspolitik aus Hegels bekanntem Bild von der Geschichte als »Schlachtbank«, auf welcher »das Glück der Völker, die Weisheit der Staaten und die Tugend der Individuen zum Opfer gebracht werden«, eine geradezu monströse Wahrheit freigesetzt hat.

Insofern zeugt Oberlerchers bis zur Manie gesteigerte Apologie des Dritten Reiches immer auch von einer verzweifelten Abwehr jener Depression, die den deutschen Geist nach dessen Untergang befiel und bis zur Selbstverleugnung trieb.

Aber wenn er mit einer intellektuellen Stringenz und einem militanten Ethos ohnegleichen auch nach den Katastrophen des 20. Jahrhunderts noch einmal versucht hat, »die Vernunft in der Geschichte« zu erweisen und selbst Auschwitz in den Dienst des Wahren, Guten und Schönen zu zwingen, so konnte daraus nur eine sich selbst kompromittierende, schwarze Theodizee resultieren.

Der tragische Umstand, daß gerade Oberlerchers messerscharfer Verstand ihn zu diesem Wahnsinn mit Methode verführte, ist dabei so wenig zu verkennen wie der terroristische Grundzug eines Denksystems, in dessen perfektionistischer Hermetik schlechthin alles aufgeht – das konservative Wissen um die problematische Mängelnatur des Menschen aber ausgelöscht ist.

Article printed from Sezession im Netz: http://www.sezession.de

URL to article: http://www.sezession.de/53127/reinhold-oberlercher-der-letzte-hegelianer.html

URLs in this post:

[1] PDF der Druckfassung: http://www.sezession.de/wp-content/uploads/2015/12/Sez_67_Gerlich.pdf

[2] System der Philosophie: http://antaios.de/grossist/16323/system-der-philosophie

[3] konsequent weitergeführt: http://antaios.de/detail/index/sArticle/21638

[4] Negative Dialektik: http://antaios.de/detail/index/sArticle/21639

vendredi, 10 juin 2016

Echte opvattingen verdedigen

assaut-de-julien-leclercq-10383958jnofm.jpg

Echte opvattingen verdedigen

Ex: http://www.erkenbrand.nl

deterugkeervanechtrechts.jpgIs het tegenwoordig nog wel mogelijk de opvattingen van politiek links en de tegenhangers ter rechterzijde nog enigszins samen te vatten of zelfs te begrijpen? Het lijkt erop dat in het verlengde van het Amerikaanse propagandaverhaal van Francis Fukuyama, die de overwinning van de liberale democratieën verkondigde, enkel nog maar bewegingsruimte is binnen de beperkte reikwijdte van deze liberale democratie. Omdat het model van de liberale democratie, zeker in West-Europa en de V.S.A., als overwinnaar uit de bus is gekomen en vanaf het einde van de Tweede Wereldoorlog de politieke werkelijkheid domineert. Alle invloedrijke ideologieën, liberalisme, socialisme en christen-democratisme, zijn gericht om het te maken binnen dit restrictieve kader.

Als we iets verder teruggaan, juist na de Franse Revolutie van 1798, ontstond er in Franse Staten Generaal een tweedeling tussen de behoudende krachten die ter rechterzijde plaatsnamen en zij ter linkerzijde die op de revolutiekoers vooruit wilden. Dat bracht meteen een heldere invulling van deze links en rechts begrippen, maar die zouden snel en blijvend veranderen, zodat vandaag niemand meer echt weet waar links of rechts eigenlijk nog voor staan. Dat heeft dan ook gevolgen voor de manier waarop er vorm is gegeven door de verschillende ideologieën die steeds meer binnen het nauwere kader zijn geraakt. Dit nog met een tiende versnelling met de ideologische revolutie van mei ’68 en de eerder genoemde boek van Fukyama, wat voor velen het gevolg had van het afschudden van de ‘ideologische veren’. En zodoende is links nauwelijks van rechts nog te onderscheiden, daar ze eigenlijk beide liberaal en dus links zijn.

Voor wie authentieke rechtse opvattingen koestert, moet zodoende terug naar de opvattingen van voor de intrede van het liberalisme dat met de Franse Revolutie is meegekomen. Deze authentieke, Europese waarden vernieuwen lijkt de grote uitdaging van formaat, zeker nu het liberalisme zich over alle terreinen in de maatschappij heeft uitgestrekt en overal de belangen van het individu boven die van de maatschappij worden geplaatst. Een eerste stap is begrijpen hoe die opvattingen van links over de jaren zoveel terrein hebben gewonnen. Een van de denkers die probeert dit te vatten is de Zweedse schrijver Daniel Friberg, o.a. in zijn boek De terugkeer van Rechts, een handboek voor de echte oppositie. Hij ziet daarin de Kritische Theorie van de Frankfurter Schule, als belangrijkste theorie die de waarden van de klassieke maatschappij ondergraaft.

Middels deze theorie en haar metapolitieke zendingswerk, zijn de linkse opvattingen van deze Frankfurter denkschool vandaag de dag overal in de maatschappij terechtgekomen. Daarbij kwam deneergang van oud rechts door het verlies van de Tweede Wereldoorlog, een linkse mars door alle maatschappelijke instellingen en het samenvallen van de linkse opvattingen in de zestiger en zeventiger jaren met de belangen van de Westerse oligarchen. Friberg stelt voor om het omgekeerde in werking te zetten, d.w.z. een metapolitiek van echt rechts. Een alles omvattend alternatief voor de moderniteit, dat draait om het hervinden en vormen van mensen op het niveau van wereldbeeld, gedachten en cultuur. Dat echte rechts, zou de etnische identiteit als uitgangspunt nemen en Europa vormgeven als imperium, dus als soeverein continent, met wel versterking van nationale en regionale identiteiten. Deze stroming zou voor haar doelen geen geweld moeten gebruiken, wel trachten de maatschappij geleidelijk te veranderen.
 

nouvelle droite,nouvelle droite suédoise,vraie droite,echt rechts,livre,théorie politique,métapolitique,sciences politiques,politologie

Om een nieuwe (rechtse) koers in te slaan zijn er natuurlijk nieuwe begrippen en steekwoorden nodig die men kan gebruiken om de opvattingen naar buiten toe te verklaren of juist om linkse en liberale analyses te begrijpen. Zo is er het differentieel antiracisme, als antwoord op het universalisme, waarbij juist wel de verschillen tussen volkeren - én zonder hiërarchie - worden gerespecteerd. Of de nefaste gevolgen van de alles overheersende consumptiemaatschappij begrijpen, die consumeren als levensstijl aangereikt en mensen laat identificeren met goederen. Dit gaat ten koste van etnische of maatschappelijke identiteit, dus ook wat een geheel aan mensen bij elkaar houdt.

De zeer succesvolle strategie van links, kennen wij vandaag als cultureel marxisme, d.w.z. het gebruik van de kritische theorie om normen en waarden in twijfel te trekken en de cultuur te wijzigen ten voordele van zogenaamde onderdrukte groepen en de eigen groep. Men creëert hierbij groepen, maakt ze sterk en zet ze op tegen gewone mensen, met uiteraard als doel om zelf zo een maatschappij te controleren. Het heeft naast het behalen van macht het doel om hiërarchische structuren, georganiseerd op traditionele basis, af te breken en zo het onmogelijk te maken om autoriteit uit te oefenen op om het even welk niveau.

Het primaire gevaar van het liberalisme, blijft dat het individualisme predikt als kernwaarde en benadrukt dat belangen van het individu boven die van de gemeenschap gaan. Daniel Friberg stelt dat er een dus een culturele strijd moeten worden gevoerd, met het gebruik van echte rechtse opvattingen. Die niet enkel vernietigingen verwoorden, maar zoeken naar redding, berustende op een gepland, constructief en strategisch tegenoffensief. Kan dit nog in tijden van defaitisme en negativisme? Friberg ziet juist in de neergang kansen en dat biedt volgens hem aan velen juist een enorm avontuur, dat hij mensen aanmoedigt om te ondernemen.

Bron:
Daniel Friberg: De Terugkeer van Echt Rechts –Een handboek voor de echte oppositie, Uitgeverij Arktos http://www.arktos.com

mercredi, 08 juin 2016

Idéologie : l'idée comme force

Athens_reverse_CdM_Paris.jpg

L'idée comme force !...

Nous reproduisons ci-dessous un texte de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site et consacré à l'idéologie. Spécialiste de la communication et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais et a publié dernièrement La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2016).

Idéologie : l'idée comme force

par François-Bernard Huyghe

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Comment parler de façon non idéologique de l'idéologie (dont on sait bien que c'est l'idée de l'Autre) ? La définir, c'est se poser en maître de vérité, dévoilant aux égarés les leurres dont ils sont dupe : ceci est la vérité (ou de la science, ou la réponse technique, ou voici une vision pragmatique du monde tel qu'il est) cela est l'idéologie !

La plupart des définitions de l'idéologie insistent sur son côté :


- irréel (irréfutables, parce qu'insensibles au démenti). L'idéologie (souvent assimilée à une maladie de l'idéalisme qui prendrait ses rêves pour des réalités) est alors une machine à décoller du concret et du vérifiable, à imaginer de fausses espérances, des explications fallacieuses, une pseudo logique dans les événements, à balayer toutes les critiques ou les objections de la raison, à réinterpréter les faits dans le sens qui arrange « Une idéologie est précisément ce que son nom indique : elle est la logique d’une idée….L’émancipation de la pensée à l’égard de l’expérience. » disait Hananh Arendt. L'idéologie est donc surtout non-vraie dans cette perspective.

- "bricolé" : l'idéologie n'est pas totalement délirante. Simplement mêlant des discours pseudo-rationnels, présentant une cohérence et une logique relative, elle trouve des explications et forge une apparente cohérence explicative ou prospective. Elle imite la science mais n'est qu'un système de représentations qui donne réponse à tout, et qui est symptomatique des préconceptions de celui qui le formule et qui s'auto-illusionne plutôt qu'une démarche pour approcher de la réalité. L'idéologie, c'est du vrai, plus du faux, plus du spéculatif, plus de l'indécidable, plus du douteux formant un tout. L'idéologie est inconsistante.

- son caractère de "fausse conscience", ou vision "inversée" de la réalité. Cest ici la définition marxiste classique. Les hommes qui ont des positions de classe formulent des systèmes intellectuels pour s'expliquer le monde tel qu'il leur apparaît (donc avec toute la subjectivité due à leur position historique). Ces systèmes, qui reflètent en réalité leurs intérêts, ils les prennent pour des vérités universelles et souvent même les dominés, à rebours de leurs intérêts réels adoptent l'idéologie que leur imposent les dominants. C'est par exemple une idéologie qui décrit comme naturel, juste et conforme à la raison un monde où les dominants dominent et où les dominés ne se révoltent pas. Mais les marxistes ajoutent que l'on peut échapper à la malédiction de la fausse conscience et produire de la science. Certes, par un effort intellectuel (la production théorique) mais aussi et surtout en adoptant le point de vue de la classe "universelle", le prolétariat, appelé à réaliser les potentialités universelles de l'homme et de la raison humaine. Bien sûr, les malins remarquent que les raisonnement est un peu circulaire : tandis que vous, vous faites de l'idéologie (ce qui démontre combien vous êtes égaré par vos intérêts de classe, comme je peux le montrer scientifiquement) ; moi, je dis la vérité parce que le marxisme est scientifique, il est scientifique parce qu'il correspond au mouvement historique de la réalité, il y correspond parce que je dis la vérité. Vous ignorez cette vérité parce que vous êtes dans l'idéologie. Dans cette optique, l'idéologie est un aveuglement symptomatique.


- "légitimant". L'idéologie n'est pas une méthode pour résoudre des questions et pour juger, par exemple, si quelque chose est souhaitable (ainsi : un certain type de régime politique), elle le présuppose au départ. Elle est une réponse déguisée en question ou une valeur qui cherche réalisation mais se prend pour une rationalité. Elle part de ce qu'elle devrait prouver à la fin (ce qui est juste, ce qu'il faut faire ou au contraire, ce qu'il faut supprimer, la cause des malheurs du monde) et conclut forcément là où elle voulait mener. L'idéologie est un moyen au service d'une fin.



id04b41f17.jpgLes quatre visions ne sont, du reste, pas incompatibles (l'on peut, par exemple, penser que les hommes bricolent des pseudo-explications avec des faits pour légitimer des valeurs, parce qu'ils sont victimes d'une fausse conscience...). Il est permis de penser qu'elles ont toutes leur part de vérité, dans la mesure où elles décrivent le rôle des idéologies. Une idéologie, ce n'est pas seulement une idée à laquelle on peut adhérer ou pas, ce n'est même pas un corpus, un ensemble de notions et affirmations ayant une relation de cohérence entre elles, c'est un code : une machine à produire de nouvelles interprétations conformes aux finalités du modèle. Une idéologie permet tout à la fois de rêver, de croire que l'on possède une explication du monde, de s'imaginer que l'on échappe à l'idéologie (c'est une différence avec la foi : chacun dit "je le crois parce que c'est ma religion", personne ne dit "je le crois parce que c'est mon idéologie"). Enfin l'idéologie sert à rentrer dans une communauté (avec tous ceux qui partagent la même vérité que vous) et, ce n'est peut-être pas le moins important, à se faire des ennemis. Où au moins à désigner le mal : l'idéologie adverse. Toute idéologie est en effet une "pensée contre" qui s'oppose aux idées mauvaises ou fausses (ce qu'elle nomme justement "idéologies"), ne vit que dans le conflit avec elle et avec une autre communauté de croyants et se condamne par là même à convaincre sans cesse, à augmenter les nombre de ses adhérents (au détriment de l'erreur et du mal). Du reste on reconnaît assez bien un discours idéologique à ceci qu'il explique qu'il faut se battre pour libérer l'humanité du poison des idéologies perverses : néolibéralisme, nationalisme archaïque, islamisme, tiers-mondisme anti-américain, utopisme altermondialisme, populisme sécuritaire fascisant suivant le cas..


En fait l'idéologie pose une question 
- philosophique : qu'est-ce que la vérité ? la doxa (l'opinion communément admise) ? l'erreur ?
- épistémologique : comment se fait-il que l'on arrive à des conclusions ou bien vraies ou bien fausses ou bien fallacieuses (parfois à partir des mêmes éléments d'information) ? comment accéder à la connaissance vraie en évitant le piège de l'idéologie ?
- historique et politique : est-ce l'idéologie qui gouverne l'action des hommes ? n'y a-t-il rien à faire pour leur faire adopter une conduite raisonnable ? l'idéologie est-elle secondaire par rapport à d'autres facteurs déterminants comme les intérêts géopolitiques ou l'économie ?
- psychologique ou sociologique : comment se fait-il que tel individu ou tel groupe se rattache à telle idéologie ? et qu'il puisse en changer ?

L'auteur de ces lignes n'a aucune prétention à les résoudre. En revanche, il serait se permet de préconiser une approche médiologique.
En l'occurrence, il ne s'agirait plus de poser la question de l'idéologie dans son rapport à la connaissance vraie, ni aux valeurs justes, mais dans sa relation avec l'action. L'idéologie n'est pas faite (uniquement) pour expliquer le monde, mais pour le changer : son adoption, le nombre et la qualité de ses adeptes est censé produire un changement politique, à se traduire en un nouveau rapport de pouvoir ici et maintenant.
C'est une idée qui veut devenir une force. On nous objectera qu'il existe des idéologies conservatrices, dont la fonction est précisément de nous convaincre qu'il ne faut rien changer d'essentiel dans le réel tel qu'il est, et que nous devons continuer à croire et à faire ce que nous avons toujours cru et fait.
Mais, si ce sont vraiment des idéologies qui se défendent et se propagent (et non des cultures dans lesquelles on baigne et qui se transmettent), elles sont obligées d'appeler à un combat contre la subversion, l'erreur, la menace... Elle créent par là même un certain dynamisme : il leur faut sans cesse produire des contre-arguments, des projets, des enjeux..


Une idéologie, c’est une force en marche, une idée de tête en tête. Elle a besoin de vecteurs et relais. Toute idéologie veut changer le monde sous couleur de l’interpréter. Son succès dépend de configurations stratégiques et techniques qui lui confèrent plus ou moins d’impact. On l'adapte et on l'adopte : elle s'intériorise.

artfichier_779041_4635048_201503061520185.jpeg



Pour cela, il faut des médias pour transmettre le message (et, si possible, étouffer le message contraire), Il faut s'adapter à un milieu à conquérir et il faut enfin et surtout une stratégie et des gens. Une stratégie pour propager l'idéologie, par exemple une technique de prosélytisme ou de propagande. Il faut des gens pour commenter, illustrer et faire passer l'idéologie. Selon les lieux et les époques, ces gens là se nomment des missionnaires, des militants, des journalistes, des intellectuels, des minorités actives...
La propagation d'une idéologie requiert donc :

- le bon message. Le bon message est certes "persuasif" donc capable d'entraîner la conviction de celui qui le reçoit par une démonstration (administration de preuves dont éventuellement des preuves par l'image, mais aussi raisonnement amenant le destinataire aux mêmes conclusions que vous), mais il est aussi émotif. Au-delà de la question de la démonstration rationnelle ou pseudo-rationnelle, il s'agit aussi de toucher la corde affective, de provoquer des sentiments d'admiration, de répulsion, d'indignation, d'enthousiasme, etc.

Mais aussi d'amener le destinataire à croire que les conclusions qu'il retire coïncident avec des valeurs fondamentales de liberté, de justice, etc.

Nous retrouvons là une vieille recette de la rhétorique antique : logos plus pathos plus ethos. Avec cette différence que l'idéologie ne doit pas seulement persuader d'un fait passé ou futur (Untel est innocent, telle loi contribuera à la prospérité du pays), elle ne doit pas seulement amener à certaines généralisations intellectuelles (le capitalisme a provoqué la crise, donc il faut imaginer un autre système,ce régime islamiste viole les droits de l'homme donc il faut établir une démocratie laïque partout dans le monde), elle doit inciter à s'engager ou à agir (au minimum : voter, soutenir), du moins à adopter un ensemble de cadres de pensée. Ils permettent à l'idéologie de s'auto-reproduire. Nous entendons qu'elle amènera le néophyte à choisir à l'avenir la réponse conforme à l'idéologie (la crise semble s'atténuer, donc les rares mécanismes étatiques subsistant pour contrôler l'économie sont indispensables face au excès de l'ultra-libéralisme, ce régime islamiste organise des élections, donc elles sont truquées). Précisons que le fait que le message se révèle ou bien faux ou bien vrai (au sens de : confirmé par les faits) ne change rien à son efficacité.


- le bon média. Pour remplir les cerveaux, il faut pouvoir les atteindre. Ne serait-ce que pour les immuniser contre les messages adverses. D'où la nécessité suivant les époques d'avoir une collection chez un grand éditeur toute dévouée à votre chapelle intellectuelle, de lancer un journal militant reflétant les thèses de votre parti, de financer une télévision internationale d'information favorisant l'influence de votre pays ou d'établir un réseau de vos partisans présents sur les forums et les sites.

- le bon milieu. Ce qui s'entend dans les deux sens : il faut envoyer le message par des vecteurs et avec le soutien de relais efficaces dans des termes qui correspondent à la culture au sens large de leurs destinataires. Il faut que l'interprétation qu'il fera de l'idéologie coïncide avec ce qu'il sait, ce qu'il croit, ce qu'il respecte et ce qu'il refuse. Mais la règle du milieu vaut dans l'autre sens : l'idéologie ne prospère qu'autant que ses partisans peuvent se rencontrer, se renforcer mutuellement, que si elle est cohérente avec leurs valeurs ou leur expérience quotidienne. Nous serions tentés d'ajouter cyniquement : que s'ils ont intérêt à la produire ou à la diffuser (par exemple pour leur carrière, pour être bien vus dans leur milieu social...). Le problème commence quand deux milieux se rencontrent, par exemple quand le milieu des think tanks, de la haute administration ou de l'armée US veulent convertir à leur idéologie un montagnard parlant pachtou et membre d'une tribu aux traditions guerrières et patriarcales. "Les filles doivent voter et aller à l'école car cela renforce le sentiment d'égalité autant que les libertés démocratiques et leur contribution à l'économie augment la prospérité, surtout dans le cadre du développement durable." est un exemple de contenu idéologique à réadapter dans le cas évoqué.

- les bonnes médiations. Nous entendons par là les groupes et institutions qui formeront le biotope intellectuel de l'idéologie et lui permettront de croître et de prospérer. et de trouver de nouveaux repreneurs.

Dans toute société, on peut considérer que toute institution - comme une église, une école, l'armée - remplit, comme de surcroît, une fonction idéologique qui consiste à inculquer des valeurs et des croyances. Elles le font de haut en bas, de l'aîné ou du supérieur vers le plus jeune et l'inférieur et ceci sans aucune hypocrisie : il s'agit d'inculquer, de former...

Mais d'autres organisations répandent l'idéologie de manière plus horizontale ou plus indirecte. Celles que nous avons nommé Organisations Matérialisées d'Influence. Une société de pensée, une ONG, un think tank, ou à plus forte raison un parti (qui en fait une de ses ambitions avouées) répandent une idéologie : ces groupes passent leur temps à faire entrer "des idées dans la tête des gens", car leur existence dépend du nombre et de l'importance de ceux qui partagent leurs visions ou leurs valeurs. Un médecin qui soigne des enfants à l'autre bout du monde répondra peut-être que son dévouement au service d'une ONG n'a rien à voir avec l'idéologie : il répond à une urgence humanitaire. Il suit une morale naturelle de la compassion qui pousse un être humain à aider un être humain. Du point de vue moral, notre médecin a parfaitement raison et il n'y a aucune raison de le soupçonner d'avoir des desseins politiques cachés (répandre la civilisation occidentale auprès de peuples "inférieurs", ou compenser par un peu de charité ce que le capitalisme a de sauvage aux yeux des gens du Sud, par exemple). En revanche, en amont, si nous regardons toute la machinerie qui a permis audit docteur d'arriver sur place, nous rencontrons une association qui a pignon sur rue, reçoit des fonds du public, fait parfois de la publicité à la télévision et dont le succès dépend largement d'une image de marque. Or, pour bien faire tout cela, l'ONG doit s'appuyer sur une idéologie, noble et juste peut-être, mais idéologie quand même, qui est celle des droits de l'homme, des "french doctors" et de l'urgence humanitaire dans un monde sans frontière.

chou6aa9bfee857f4d1fac.jpg



D'une certaine manière, même un lobby est "idéologique". Non pas que ses membres aient des convictions sincères : le plus souvent ils agissent parce qu'ils sont payés par un client. Par ailleurs, ils sont censés défendre des intérêts et absolument pas des idéaux ou des idées. Mais dans leur "plaidoirie", car leur rôle est, après tout, de plaider pour une cause comme des avocats, ils doivent s'adapter à l'idéologie dominante. Ils doivent, par exemple (voir la rubrique "milieu" plus haut) convaincre leur interlocuteur membre d'une Organisation Internationale Gouvernementale que la proposition qu'ils avancent va parfaitement dans le sens du développement durable, de la bonne gouvernance, de la société de l'information... et autres notions qui sont inculquées à tout fonctionnaire international (y compris l'auteur de ces lignes qui l'a été en son jeune temps).En ce sens, même si nous croyons baigner dans les évidences morales (l'urgence, les droits de l'homme, la démocratie, la société civile) ou dans les évidences scientifiques et techniques  (le réchauffement planétaire, la croissance verte, le rôle indispensable du marché), nous vivons dans un monde où croît le rôle de l'idéologie (dont on a trop tôt claironné la mort dans les années 90, comme on l'avait déjà fait dans les années 60 avec l'avènement de la "société post-industrielle").

Comme le dit Régis Debray « L’idéologie n’est pas l’antithèse d’un savoir ou d’une réalité, comme illusion, méconnaissance ou fausse conscience, mais la forme et le moyen d’une organisation collective. Ce n’est pas une modalité du voir, mais une contrainte du faire.» 


François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 4 juin 2016)

mardi, 07 juin 2016

Montesquieu van twaalf kanten belicht

Montesquieu_1.jpg

Boekrecensie

Door Paul Muys

Ex: http://www.doorbraak.be

Montesquieu van twaalf kanten belicht

Andreas Kinneging, Paul De Hert, Maarten Colette (red.)

Een vaak geciteerde denker waar toch veel misverstanden over bestaan

De wakkerste geesten onder u kennen baron de Montesquieu wel een beetje: de scheiding der machten, indertijd op school het obligate fragment uit de Lettres Persanes (Comment peut-on être Persan?) maar daar houdt het meestal bij op. Nu is er dit stevig gedocumenteerde werk waarin deze filosoof, voorloper van de Verlichting en grondlegger van de sociologie, vanuit diverse invalshoeken wordt bekeken.

Montesquieu_web.jpgHet onderwerp scheiding der machten is actueler dan ooit, nu dat kostbare beginsel weer moet worden verdedigd tegen de her en der dreigende sharia. In zijn hoofdwerk, De l’Esprit des Lois (Over de geest van de wetten) staat het bewuste principe centraal, net zoals dat van de checks and balances (zoiets als controles en waarborgen). Veelal getypeerd als een liberaal geeft Montesquieu in De l’Esprit aan dat hij na rijp beraad kiest voor een gematigde regering, gematigd door middel van de scheiding van de wetgevende, uitvoerende en rechterlijke macht. Liefst dan nog een regering waarin de adel een belangrijke rol vervult. Die machtenscheiding en de checks and balances liggen aan de basis van de Amerikaanse constitutie en die van een pak andere democratische landen, zonder die adel dan.

Ook al is Montesquieu zelf edelman, dat hij zo’n belangrijke rol toekent aan deze stand kan verbazen. Nog verbazender is het voor de leek dat hij een bewonderaar is van de staatsvorm zoals het middeleeuwse Frankrijk die kende. Dat heeft alles te maken met de evolutie die de monarchie onder de Franse koningen doormaakt: van een gematigd koningschap, getemperd door de tussenmacht van de adel, evolueert zij naar absolutisme en zelfs despotisme. Het is een impliciete kritiek op Lodewijk XIV (L’état, c’est moi).

Macht en tegenmacht. Machtsdeling voorkomt machtsmisbruik. Montesquieu is geen Verlichtingsdenker, hij is niet per se tegen de monarchie, noch tegen de republiek overigens, al vreest hij dat die laatste minder doelmatig zal zijn dan in de Romeinse oudheid. Evenmin heeft hij bezwaar tegen de standen, op voorwaarde dat ook zij gecontroleerd worden door een tegenmacht. Precies omdat het Engeland van na de Glorious Revolution dit in de praktijk brengt, geeft Montesquieu het als voorbeeld. Het tweekamerstelsel (Hoger en Lagerhuis), waarbij elke kamer een sociaal verschillende samenstelling heeft, verhindert dat de adel zich kan bevoordelen. ‘Essentieel is’, zo betoogt co-auteur Lukas van den Berge, ‘dat de dragers van de drie machten geen van alle een primaat opeisen. In plaats daarvan dienen zij zich elk afzonderlijk te voegen naar een onderling evenwicht waaraan zij zich niet kunnen onttrekken zonder de politieke vrijheid om zeep te helpen.’

Vrijheid is voor Montesquieu niet zozeer de mogelijkheid tot politieke participatie of zelfbestuur – wat wij in de 21ste eeuw voetstoots aannemen – ze zit veeleer in de bescherming van de privésfeer. Annelien de Dijn betoogt: ‘Vrijheid is niet de macht van het volk, maar de innerlijke vrede die ontstaat uit het besef dat men veiligheid geniet.’ Dit kan onder vele verschillende regeringsvormen, op voorwaarde dat machtsmisbruik geen kans krijgt. Overheden hebben zich niet te bemoeien met zaken die mensen als persoon treffen, en niet als burger. Wanneer zij de dominante gewoonten en overtuigingen krenken, voelen mensen zich aangetast in hun vrijheid en ervaren dit als tirannie, zo schrijft Montesquieu in zijn commentaar op de mislukte poging van tsaar Peter de Grote om mannen bij wet te verbieden hun baard te laten groeien. Hij beveelt de tsaar andere methoden aan om zijn doel te bereiken. Paul De Hert: ‘Montesquieu pleit niet voor het recht om een baard te dragen. Zijn sociologische methode leert ons niet wat vrijheid zou moeten zijn, wel hoe vrijheid in een gegeven context ervaren wordt, of juist niet.’ Wat zou de observateur Montesquieu trouwens van het dragen van hoofddoeken in scholen en openbare diensten gedacht hebben?

espritdeslois-f9b7b.jpgMontesquieu zet zijn lezers vaak op het verkeerde been. Allicht verwijst de kwalificatie ‘enigmatisch’ in de titel hiernaar. Zo lezen we in de bijdrage van Jean-Marc Piret dat Montesquieu best kan leven met cliëntelisme, het uitdelen van postjes, waarbij de uitvoerende macht steun zoekt tegen de wetgevende kamers in. Wie geen voordelen uit die hoek hoeft te verwachten, zal dan weer zijn hoop op één van beide kamers stellen. Risico is daarbij dat teleurstelling mensen kan doen overlopen naar de tegenpartij. Schaamteloos opportunisme ? Volgens Montesquieu, die zich geen illusies maakt over hoe het er in de politiek toegaat, is dit juist een teken van de ‘pluralistische vitaliteit van de maatschappij’.

Op zijn reizen stelt Montesquieu de achteruitgang vast van de Zeven Provinciën en van de republieken Venetië en Genua. Valt in Italië vooral corruptie op, in het achttiende-eeuwse Holland ziet hij alleen verval en kille zakelijkheid, sinds het land zich moest verweren tegen de invasie van Lodewijk XIV in 1672. De ooit zo bloeiende, creatieve koopmansstaat ziet zich verplicht een ruïneuze oorlog te voeren, die van de Hollanders een kil, berekenend, gesloten volk maakt, niet langer in staat tot grootse, creatieve daden. Het geweld is bovendien de grootste vijand van de eros, de humaniserende liefde zoals die groeide en bloeide ‘in het mediterrane land van wijn en olijven’, in Knidos in de Griekse oudheid (Le Temple de Gnide is een erotisch gedicht van Montesquieu naamloos uitgegeven in Amsterdam). Van de eros gesproken: Montesquieu is volgens een van de auteurs van dit boek, Ringo Ossewaarde, een liberaal ‘in de zin dat hij voor politieke en burgerlijke vrijheid staat, voor constitutionalisme, humanisme, tolerantie, matiging, internationalisme en machtsdeling en hij een afkeer heeft van absolutisme. Al deze aspecten zijn echter voor hem slechts voorwaarden voor een erotisch bestaan, voor humanisering, verfijning en verheffing.’

Als kind van zijn tijd kan Montesquieu bezwaarlijk een Europees federalist zijn, maar hij bepleit de humanisering van de verhouding tussen staten en bevolkingen en hecht daarbij veel belang aan vrijhandel en het machtsevenwicht tussen onderling afhankelijke staten. Dit kan een einde maken aan de permanente confrontatie, en de burger beschermen tegen misbruik van gezag, betoogt Frederik Dhondt in zijn bijdrage.

Zo biedt dit boek menig verrassend inzicht, waarop ik hier niet kan ingaan. Ook kan de lezer nader kennismaken met de fameuze Perzische Brieven, anoniem verschenen roman in briefvorm, een puntige satire op het absolutistische Frankrijk, die ook voor de hedendaagse lezer een eyeopener kan zijn. Montesquieu toont zich hier en elders een helder waarnemer, niet beïnvloed door modedenken, niet geneigd mee te huilen met de goegemeente, kritisch over de katholieke clerus, fel tegen de inquisitie en verwoed tegenstander van de slavernij.

Ten slotte: De l’Esprit kan niet begrepen worden zonder er de klimaattheorie van de auteur bij te betrekken. Het klimaat is voor Montesquieu en veel van zijn tijdgenoten namelijk de belangrijkste van alle invloeden op het leven van de mens. Maar diezelfde mens kan naar de overtuiging van de Franse denker door oordeelkundig handelen de invloed van het klimaat bijsturen, zo troost Patrick Stouthuysen de mogelijk verontruste lezer.

Beoordeling : * * * *
Titel boek : Montesquieu. Enigmatisch observateur
Subtitel boek :
Auteur : Maarten Colette, Frederik Dhondt, Annelien de Dijn, Paul De Hert, Michel Huysseune, Andreas Kinneging, Paul Pelckmans, Ringo Ossewaarde, Jean-Marc Piret, Alexander Roose, Patrick Stouthuysen, Lukas van den Berge
Uitgever : Uitgeverij Vrijdag, Antwerpen
Aantal pagina's : 353
Prijs : 29.99 €
ISBN nummer : 978 94 6001 472 7
Uitgavejaar : 2016

vendredi, 03 juin 2016

Jean-Yves Pranchère: «La critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque»

dhfrkMTFkLWNlZGMtNGIzMC04MTQzLTkzMDIxYWM3YWFmNA.jpg

Jean-Yves Pranchère: «La critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque»

Diplômé de l’École normale supérieure, Jean-Yves Pranchère est par ailleurs professeur à l’Université libre de Bruxelles et membre du comité de rédaction de la Revue européenne des sciences sociales (Droz, Genève). Son domaine d’étude est la théorie politique, avec un attrait tout particulier pour les auteurs réactionnaires sur lesquels il a notamment travaillé pour sa thèse. Il a récemment publié chez Seuil une somme avec Justine Lacroix (professeure de théorie politique à l’ULB) sur les critiques des droits de l’homme, des contre-révolutionnaires à Hannah Arendt en passant par Marx ou Carl Schmitt : « Le Procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique ». Nous avons voulu nous entretenir avec lui car, antilibéraux, nous nous interrogeons nous-mêmes sur le rapport entre droits de l’homme et politique révolutionnaire.

Le Comptoir : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser spécifiquement à la thématique de la critique des droits de l’homme ?

jpr021181006.jpgJean-Yves Pranchère : L’initiative est venue de Justine Lacroix, qui s’est engagée il y a six ans dans le projet d’une étude des résistances contemporaines aux droits de l’homme ; elle en a exposé les attendus dans deux articles programmatiques, « Des droits de l’homme aux droits humains ? » et « Droits de l’homme et politique ». Elle a organisé sur ce sujet, dans le cadre du Centre de Théorie politique qu’elle dirige, un intense travail collectif ; le récent dossier publié par le site Raison publique en est une des traces. Ce travail entrait en résonance avec mes propres recherches sur la tradition contre-révolutionnaire, que je me suis efforcé d’étudier comme une des coordonnées décisives de ce qu’Adorno et Horkheimer ont nommé la « dialectique des Lumières » – qu’il ne faut justement pas concevoir, à la façon des contre-révolutionnaires eux-mêmes, comme la logique nécessaire d’un déclin ou d’une autodestruction de la raison, mais comme le processus pluriel au cours duquel se révèlent, entrent en crise ou s’élucident les ambiguïtés du projet d’autonomie.

Parmi les motifs du livre, que nous avons écrit à deux dans une interaction permanente, je soulignerai la perplexité éprouvée devant le succès d’une critique des droits de l’homme menée au nom de la démocratie.

Le paradoxe est déjà ancien : il surgit dès le retour des droits de l’homme sur l’avant de la scène politique dans les années 1970, à la suite du coup d’État de Pinochet au Chili et des luttes des dissidents des pays de l’Est[i]. Ceux-ci induisirent une large conversion de la gauche, y compris de la gauche dite alors “eurocommuniste”, à un refus définitif de l’idée que la violation des droits fondamentaux pouvait être une étape de la construction du socialisme. Or, cette reconquête du langage des droits de l’homme, accomplie à la fois contre l’effondrement totalitaire du “socialisme réel” et contre le soutien des USA aux régimes tortionnaires d’Amérique latine, s’est presque aussitôt accompagnée d’un discours de méfiance à l’égard desdits “droits de l’homme” ; discours qui n’a cessé de s’amplifier depuis, alors même que ceux qui l’adoptent disent explicitement ne rien opposer aux droits de l’homme. Marcel Gauchet, par exemple, assume en termes très clairs l’impossibilité d’une opposition de principe au droits de l’homme : « Les droits de l’homme sont cette chose rare entre toutes qu’est un principe de légitimité. Ils sont le principe de légitimité qui succède au principe de légitimité religieux. Il n’y en aura eu que deux dans l’histoire, et il y a toutes les raisons de penser qu’il n’y en a que deux possibles, logiquement parlant. À quelle source rapporter ce qui fait norme parmi les êtres, quant à ce qui organise leurs communautés, quant à ce qui les lie, quant à ce qui permet d’établir le juste entre eux, quant à l’origine des pouvoirs chargés de régler l’existence en commun ? À ce problème fondamental, il y a deux façons de répondre et deux seulement. Ou bien cette source est au-delà du domaine des hommes, ou bien elle est en lui — ou bien elle est transcendante, ou bien elle est immanente. »[ii]

On croit comprendre alors que la réserve exprimée envers les droits de l’homme vise uniquement une interprétation illusoire de ceux-ci, selon laquelle ils seraient susceptibles de fournir, non seulement le cadre juridique, mais la substance même de la vie sociale. Comme l’explique encore Marcel Gauchet, dans son tout dernier livre : « Ce n’est pas le principe qu’il y a lieu de condamner : nous sommes bien évidemment tous pour les droits de l’homme. C’est l’usage qu’on en fait qui doit être incriminé ; l’impossibilité pour une société de se réduire à ce principe, qui est par ailleurs vrai. Nous sommes tous pour les droits de l’homme, mais… Tout est dans ce “mais” qu’il est très difficile de faire entendre aux procureurs qui pensent être dans le vrai […]. »[iii]

Cette distinction entre le “principe” et “l’usage” n’est pourtant pas suffisante pour supprimer toute perplexité. Dans la phrase : « les droits de l’homme, mais… », le « mais » porte bel et bien sur le principe qu’on s’efforce de relativiser au moment même où on admet qu’il n’a pas de rival. S’il ne s’agissait que de critiquer un « usage », il n’y aurait aucune nécessité à soumettre le principe à un « mais » ; il suffirait de lui ajouter un “et”, un “avec”, un “de telle manière que…” – bref, de lui ajouter un mode d’emploi. Imagine-t-on un chrétien qui dirait “Aimez-vous les uns les autres, mais…” ou “Soyez justes, mais…” ? Son message en serait immédiatement brouillé.

Force est donc de constater que la critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque. À preuve le fait que le « mais », dans le propos cité de Marcel Gauchet, n’introduit pas à une spécification de l’idée, mais à l’indétermination de trois points de suspension, suivis de l’esquive facile que constitue la polémique rebattue contre le “politiquement correct” qui, paraît-il, empêche Zemmour, Onfray et Finkielkraut de faire la une des magazines.

“Les droits de l’homme, mais…” Cette rumeur qu’on entend partout, et qui inspire l’accusation vide de “droit-de-l’hommisme”, appelle une question simple : “… mais quoi ?” C’est là l’objet de notre livre.

La critique des droits de l’homme a pu connaître diverses formes. Contrairement à ce que l’on pense généralement, elle n’a pas été l’apanage des réactionnaires. Pourriez-vous nous dresser un bref panorama de ces critiques ?

Je crains de ne pas pouvoir résumer en quelques lignes ce qui nous a demandé un livre entier ! Je serai donc elliptique plutôt que bref. Notre livre part d’un essai de classification des critiques contemporaines des droits de l’homme et dresse l’arrière-plan généalogique de celles-ci. La typologie contemporaine distingue trois grands courants :

  • un courant “antimoderne”, qui conteste le principe même des droits de l’homme ; il se divise en deux branches, une branche néo-thomiste axée sur l’idée d’un ordre juste qui ne connaît de droits que relatifs, et une branche qu’on pourrait dire néo-schmittienne qui dénonce les droits de l’homme comme un moralisme antipolitique ;
  • un courant “communautaire”, qui reconnaît la valeur normative des droits de l’homme mais en limite la portée en soulignant que ces droits ne peuvent produire ni communauté politique ni lien social ; cette thématique a été développée, de manière parallèle, par les communautariens américains et par les souverainistes français qui entendent par “république” le régime de l’incarnation de la nation en une volonté générale ;
  • un courant “radical”, d’ascendance marxienne, qui voit dans les droits de l’homme l’indice d’un abandon du projet de l’auto-organisation démocratique de la société au profit de l’éternisation de la séparation entre “société civile” et État.

Ces différents courants reprennent, sur un mode souvent diffus, des argumentaires qui ont été mis au point, sous des formes extrêmement conséquentes, par de grands théoriciens politiques dont les pensées nous ont paru constituer, pour ainsi dire, des “idéaux-types” réalisés des critiques possibles des droits de l’homme. Il nous a donc semblé nécessaire de confronter les critiques contemporaines à ces modèles antérieurs qui définissent les enjeux dans toute leur acuité.

« La similarité des arguments utilisés par les différents auteurs n’empêche pas la profonde hétérogénéité des dispositifs théoriques. »

Nous avons distingué ainsi une critique réactionnaire, théologico-politique, axée sur les devoirs envers Dieu, dont la version “sociologique” est fournie par Bonald et la version “historiciste” par Maistre ; une critique conservatrice, à la fois libérale et jurisprudentialiste, axée sur les droits de la propriété et de l’héritage, représentée par Burke ; une critique progressiste, utilitariste, axée sur le primat des besoins sur les droits, dont la version individualiste, libérale-démocratique, est donnée par Bentham, et dont la version organiciste, qu’on peut dire en un sens “socialiste”[iv], est donnée par Comte ; une critique révolutionnaire, axée sur le refus de discipliner par le droit l’auto-émancipation sociale, dont la figure éminente est bien entendu le communisme de Marx.

L’étude de ces quatre modèles fait d’abord apparaître que la similarité des arguments utilisés par les différents auteurs n’empêche pas la profonde hétérogénéité des dispositifs théoriques : quoi de commun entre un Burke, qui entend subordonner les droits de l’homme au droit de propriété qui les annule socialement, et un Marx qui entend pousser les droits de l’homme au-delà d’eux-mêmes en tournant leur revendication d’égalité contre le droit de propriété ?

De là une deuxième leçon : les critiques des droits de l’homme sont instables, traversées par des dialectiques qui les conduisent, quand elles ne veulent pas déboucher sur des positions contradictoires ou régressives, à fournir malgré elles les moyens d’un enrichissement ou d’un approfondissement des droits de l’homme.

Cette leçon est illustrée par deux grandes figures antithétiques du XXe siècle : la figure “régressive” de Carl Schmitt, qui dans les années 1920, avant son passage au nazisme, a développé de manière systématique – et, il faut bien le dire, fallacieuse – le thème d’une opposition entre démocratie et État de droit, conduisant à une dénonciation virulente de la fonction “dépolitisante” des droits de l’homme ; et la figure dialectiquement instruite de Hannah Arendt, qui, aux antipodes de la régression nationaliste proposée par Schmitt, a réarticulé l’idée des droits de l’homme sous la forme du “droit à avoir des droits”. Hannah Arendt, nous semble-t-il, indique les voies d’une conception politique des droits de l’homme, qui les lie indissolublement à la citoyenneté sans confondre celle-ci avec la forme de l’État-nation ni céder au mirage d’un État mondial qui en finirait avec la condition politique de la pluralité.

On parle beaucoup aujourd’hui des droits de l’homme, mais on oublie l’autre versant de la Déclaration de 1789, qui était là pour satisfaire la frange républicaine des révolutionnaires : les droits du citoyen. N’est-ce pas là une preuve du triomphe de la vision libérale de ces droits ?

Je vous répondrais volontiers en pastichant le célèbre paragraphe des Considérations sur la France de Maistre contre l’idée de “l’homme” : j’ai vu des partisans et des ennemis des droits de l’homme, mais quant à “on”, je ne l’ai jamais rencontré de ma vie !

Plus sérieusement, les droits de l’homme ne sont ni une idéologie unifiée ni une doxa anonyme sous laquelle on pourrait ranger pêle-mêle des phénomènes aussi différents que les militantismes nationaux et transnationaux en faveur de l’égalité des droits et des solidarités sociales, le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme ou du Tribunal pénal international de La Haye (dont l’autorité reste refusée par nombre de grands États), l’architecture démocratique de l’État de droit social, l’influence médiatique de rhétoriques moralisantes dont l’effet est d’émousser la pointe critique des droits de l’homme, ou encore l’existence de falsifications impérialistes éhontées qui font servir le langage des droits de l’homme à la mise en œuvre de leur violation, comme ce fut le cas avec Georges W. Bush.

Cette hétérogénéité est irréductible. Dans la mesure où les droits de l’homme sont « un principe de légitimité », pour reprendre l’expression de Marcel Gauchet, ils ne sont pas tant un “discours” que l’ouverture d’un champ discursif et d’un espace d’action politique. À ce titre, ils tolèrent une multiplicité d’investissements : ils s’exposent aux ruses des faussaires ; ils peuvent subir les distorsions que leur imposent des stratégies intéressées ; mais ils peuvent aussi – et surtout – nourrir des revendications fortes qui réclament que la réalité soit mise en conformité avec l’idéal et que les droits soient établis dans toute leur extension et leur plénitude. Il faut donc renoncer à faire la psychologie imaginaire d’un sujet imaginaire qui serait “l’époque” – le “on”, qui serait en attente de nos leçons de morale –, et se tourner vers l’analyse politique des lignes de force du champ de bataille des “droits de l’homme”.

« La réticence néo-libérale à l’égard des droits de l’homme est cohérente. »

Pour ce qui est de cette “vision” qui oublie les droits du citoyen dans les droits de l’homme, je serais d’accord avec vous pour dire qu’elle est libérale, mais au sens d’un libéralisme très étroit et très appauvri : un libéralisme hayékien, mais pas rawlsien.

En revanche, je suis assez dubitatif devant l’idée que ce libéralisme hayékien détiendrait la clef de la vision dominante des droits de l’homme. Je crois au contraire qu’il ne parle le langage des droits de l’homme qu’à contrecœur, et pour le subvertir. Rappelons-nous que l’offensive ultralibérale a trouvé son premier terrain d’application dans le Chili de la fin des années 1970 et que Hayek, par son soutien à Pinochet, a montré que les droits individuels requis par la liberté du marché n’étaient pas les “droits de l’homme”.

Et, j’ajouterais que la réticence néo-libérale à l’égard des droits de l’homme est cohérente. Elle vient d’une conscience lucide de ce que les “droits du citoyen” n’ont jamais été et ne peuvent jamais être un ”autre versant” des droits de l’homme, à la façon d’un “volet facultatif” : ils sont leur cœur même depuis le début, depuis ce mois d’août 1789 où personne n’était encore “républicain” et ne pouvait imaginer jusqu’où conduirait la radicalité du processus révolutionnaire qui venait de se donner sa justification théorique dans la Déclaration.

Il ne faut pas oublier, en effet, que la Déclaration inscrit en elle l’acte insurrectionnel dont elle procède : elle est le texte par lequel une insurrection politique énonce et réfléchit son droit. Par là s’explique que les énoncés de la Déclaration aient pu constituer une sorte d’événement originaire, en rupture avec ses propres antécédents jusnaturalistes, et initier un développement voué à dépasser les intentions conscientes des rédacteurs. Relisez donc les trois premiers articles : l’affirmation que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (article 1) débouche presque immédiatement sur la proclamation de la souveraineté de la nation, comprise comme la communauté politique des individus égaux en droits (article 3). L’égalité des droits induit directement la souveraineté du peuple qui en est la seule forme possible.

Il n’y a pas là deux “versants” ou deux idées, celles de l’homme et du citoyen (auxquels on aurait accordé des droits distincts pour faire plaisir aux uns et aux autres), mais bien une seule et même proposition, qu’Etienne Balibar nomme « la proposition de l’égaliberté »[v]  afin de souligner l’identité qu’elle affirme entre égalité et liberté, une identité plus étroite que celle que suggère l’expression “égalité des libertés”. Cette identité entre égalité et liberté implique que l’homme et le citoyen soient indissociables, puisque l’égalité est à la fois la condition et l’objet de la pratique des citoyens en tant qu’ils sont des hommes libres.

justpranch.jpg

Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère

Les droits de l’homme sacralisent d’une certaine manière les droits qu’ils proclament, en les absolutisant. L’idée est bien souvent de les préserver de l’intervention du pouvoir, des délibérations humaines. Par ailleurs, l’idée d’une charte de droits sacralisés pourrait être perçue comme une limite à la décision humaine, donc un facteur d’hétéronomie. Les droits de l’homme ne sont-ils pas aujourd’hui devenus l’un des principaux vecteurs de destruction de la politique, comme l’affirme Marcel Gauchet ?

Le refus de la sacralisation des droits, au nom du droit (sacré, donc ?) qu’ont les hommes de se donner les lois qu’ils veulent, est le thème central de la critique utilitariste et libérale des Déclarations faite par Bentham. À cette critique, on peut objecter qu’elle repose sur un contresens – qui, il est vrai, a été commis par certains (certains seulement) des révolutionnaires eux-mêmes[vi].

Car, la Déclaration de 1789 n’est pas une “charte de droits sacralisés” ou une énumération de droits absolus : elle est l’effort pour tirer les conséquences de la proclamation de l’égalité des hommes en droit. Elle n’absolutise pas les droits qu’elle énonce : elle décrit la manière dont ils s’équilibrent entre eux sous le principe de l’égalité et de la réciprocité des libertés. Elle est un développement, une explicitation, de la proposition de l’égaliberté – proposition dont les Déclarations ultérieures proposeront des explications qui se voudront, sans toujours l’être, plus complètes et mieux instruites.

Vous m’objecterez que le dernier article de la Déclaration de 1789 insiste bel et bien sur la sacralité du droit de propriété. Assurément ! Il ne s’agit pas de nier que le texte porte en lui, sous l’unité de son geste insurrectionnel si bien analysé par Claude Lefort[vii], les tensions théoriques induites par les désaccords des rédacteurs – tensions superbement étudiées par Marcel Gauchet dans La Révolution des droits de l’homme[viii].

Mais je n’en répondrai pas moins en rappelant que Bentham n’avait peut-être pas tort de voir, dans l’étrange insistance du dernier article à déclarer la propriété sacrée, le signe de ce que nous appelons depuis Freud une dénégation. Bentham pensait que l’égalitarisme professé par la Déclaration de 1789 avait, dans les faits, tellement désacralisé la propriété que les rédacteurs, saisis de peur devant le sens général de leur propre texte, s’étaient crus obligés de nier par un article final les conséquences évidentes des articles précédents. La Déclaration, disait Bentham, « a sacralisé la propriété à la façon dont Jephté s’est senti obligé de sacraliser sa sœur en lui coupant la gorge ». Jaurès ne dira en un sens pas autre chose lorsqu’il expliquera longuement, dans ses Études socialistes de 1901 (publiées par les Cahiers de la quinzaine de Péguy) que la Déclaration allait d’emblée très au-delà des intentions bourgeoises des révolutionnaires et portait en elle le socialisme.

Quoi qu’il en soit, accuser l’idée des droits de l’homme d’être un facteur d’hétéronomie revient à se méprendre sur leur sens, qui est précisément d’énoncer les conditions de l’autonomie individuelle et collective. La seule limite qu’ils imposent à l’autonomie est de ne pas détruire les conditions même qui la rendent possible. Habermas a parfaitement vu ce point quand il a soutenu la thèse de la « co-originarité » des droits de l’homme et de la souveraineté populaire.

Autonomie individuelle et autonomie collective s’impliquent l’une l’autre sous le régime de l’égalité des droits : telle est l’idée des droits de l’homme, le principe de leur énonciation.

Les énoncés de ces droits sont quant à eux les résultats, toujours révisables, de la façon dont la collectivité politique réfléchit les conditions de sa propre autonomie. Ils sont la forme sous laquelle les citoyens se reconnaissent réciproquement comme libres et égaux en se déclarant les uns aux autres leurs droits tels qu’ils les concluent de leur « égaliberté ».

On peut dès lors rester sceptique devant le reproche adressé aux droits de l’homme de “détruire” la politique. Ce thème avait un sens précis chez Carl Schmitt, qui identifiait l’égalité démocratique à l’homogénéité nationale et la politique à la capacité de distinguer ses ennemis, à commencer par ses ennemis intérieurs (que Schmitt désignera clairement en 1933 : les juifs et les communistes). Si la politique consiste, pour un peuple, à être capable d’assumer l’hostilité requise envers l’ennemi extérieur et intérieur, il va de soi que le respect des droits de l’homme désarme la politique. Mais une telle position est inconcevable dans le cadre d’une pensée qui ne confond pas l’autonomie démocratique avec une théologie nationaliste.

Comment comprendre alors le sens de cette critique chez des républicains d’aujourd’hui, en particulier chez Marcel Gauchet ?

Avant de nous pencher sur cette critique, commençons par rappeler qu’aux États-Unis, dans la deuxième moitié des années 1970, les idéologues républicains qui allaient inspirer la “révolution conservatrice” reaganienne, tel Irving Kristol[ix], ont mis en garde contre le danger qu’il y avait à élever des droits de l’homme à la hauteur d’un principe politique (et non d’une simple limite morale). Vouloir modeler la politique sur les droits de l’homme conduisait selon eux à s’enfoncer dans la “crise de gouvernabilité” qui inquiétait alors les économistes libéraux ; cela revenait à encourager un programme de démocratie sociale incompatible avec le bon fonctionnement d’un ordre de marché appuyé sur les vertus du respect de l’autorité et de la fierté patriotique liée au culte de la réussite et de la compétitivité. Notons au passage qu’Irving Kristol, en des termes pas si éloignés de ceux utilisés dix ans plus tard par Régis Debray, définissait la république comme la démocratie corrigée par l’éducation et le savoir (y compris le savoir de la science économique).

À la différence de ces critiques néoconservatrices et néolibérales, le retentissant article de Marcel Gauchet publié en 1980 dans Le Débat sous le titre-slogan « les droits de l’homme ne sont pas une politique » rendait un son nettement social-démocrate[x]. Marcel Gauchet soulignait que le repli sur les droits de l’homme traduisait une « impuissance à concevoir un avenir différent pour cette société », un abandon du « problème social » et du projet « d’une société juste, égale, libre ». En retombant dans « l’ornière et l’impasse d’une pensée de l’individu contre la société », les militants des droits de l’homme se faisaient les promoteurs d’une « aliénation collective », marquée par « le renforcement du rôle de l’État » et « l’aggravation du désintérêt pour la chose publique ». Contre quoi Gauchet soulignait qu’il n’était pas possible de « disjoindre la recherche d’une autonomie individuelle de l’effort vers une autonomie sociale ». Cette expression d’autonomie sociale suggérait qu’il s’agissait de maintenir les idéaux d’un socialisme anti-totalitaire, qu’on pouvait supposer autogestionnaire, contre la renonciation à la transformation sociale qu’impliquait un militantisme confiné à la protection des droits individuels.

Le propos n’allait pourtant pas sans une certaine ambiguïté. D’une part, il était étrange de voir Marcel Gauchet passer sous silence les thèses de celui qui était alors le principal représentant d’une philosophie politique des droits de l’homme, à savoir Claude Lefort. Car Claude Lefort, qui semblait être la cible non nommée de la polémique, ne pouvait certainement pas être tenu pour un penseur de “l’individu contre la société” : sa réhabilitation des droits de l’homme insistait au contraire sur le fait que ces droits n’étaient pas des droits de l’individu, mais bien des droits de la liberté des rapports sociaux. Ce qui était selon lui en jeu dans les droits de l’homme, par opposition au totalitarisme, n’était pas la sécession de l’individu à l’égard du social et du politique, mais la nécessité de ne pas penser la citoyenneté sous le fantasme du Peuple-Un et de la volonté homogène.

D’autre part, Marcel Gauchet décrivait les effets délétères des droits de l’homme sur la démocratie à travers des formules qui ne permettaient pas de décider de la nature exacte du lien qu’il faisait entre droits et désocialisation. Il parlait ainsi de « la dynamique aliénante de l’individualisme qu’ils [les droits de l’homme] véhiculent comme leur contre-partie naturelle », tournure qui suggérait à la fois que « l’aliénation individualiste » surgissait de la nature même des droits de l’homme et qu’elle leur restait extérieure puisqu’ils n’en étaient qu’un véhicule. Marcel Gauchet donnait à penser que l’effet aliénant des droits n’avait rien de nécessaire quand il écrivait que les droits de l’homme pourraient « devenir une politique » à la condition « qu’on sache reconnaître et qu’on se donne les moyens de surmonter » leur individualisme adjacent.

L’œuvre ultérieure de Marcel Gauchet réduisit l’équivoque en interprétant, de façon plus unilatérale, la menace que faisaient peser les droits de l’homme sur la démocratie comme une menace purement endogène – ce qu’exprime le titre de son recueil de 2002, La démocratie contre elle-même. L’inflexion conservatrice était sensible dans l’article de 2000, « Quand les droits de l’homme deviennent une politique » : « La démocratie n’est plus contestée : elle est juste menacée de devenir fantomatique en perdant sa substance du dedans, sous l’effet de ses propres idéaux [Jean-Yves Pranchère souligne ici]. En s’assurant de ses bases de droit, elle perd de vue la puissance de se gouverner. Le sacre des droits de l’homme marque, en fait, une nouvelle entrée en crise des démocraties en même temps que leur triomphe. »

Selon cette analyse, la crise venait, non pas d’un manque de démocratie, mais de l’excès produit par la pleine réalisation des idéaux démocratiques. L’inquiétude portait donc désormais, comme chez les néolibéraux, sur l’ingouvernabilité induite par la dynamique des droits et aggravée par le contexte de la société française – que la revue Le Débat avait souvent décrite, notamment en 1995, comme trop incapable de réforme en raison de son attachement irrationnel aux archaïsmes de son État social[xi]. L’interprétation de la crise de la démocratie comme une crise imputable à la seule logique de l’extension des droits avait pour effet de détourner l’attention de ce sur quoi, au même moment, un auteur conspué par Marcel Gauchet, à savoir Pierre Bourdieu, centrait quant à lui ses interventions politiques : la montée des inégalités, la généralisation de la précarité, la destruction des solidarités sociales induite par les politiques de dérégulation, bref le recul factuel de la démocratie et des droits sous l’effet d’une offensive néo-libérale qu’un auteur comme Pierre Rosanvallon n’hésite plus aujourd’hui à décrire comme une « véritable contre-révolution ».

Marcel Gauchet a depuis lors réaffirmé, dans son dialogue avec Alain Badiou[xii] ou dans tel article récent, l’orientation sociale-démocrate de sa pensée. Cette orientation est cependant peu visible dans son dernier livre Comprendre le malheur français. Marcel Gauchet y polémique contre le “néolibéralisme”, mais il définit celui-ci comme « un discours de contestation de la possibilité, pour le politique, d’imposer quelque limite que ce soit aux initiatives économiques des acteurs et plus généralement à l’expression de leurs droits », ce qui revient à faire du néolibéralisme un simple cas de la politique des droits. L’argument oublie que les versions les plus fortes du néolibéralisme, comme celle de Friedrich Hayek, ont pour cœur l’efficience du marché et pensent les droits comme les « règles de juste conduite » qui assurent la possibilité de cette efficience[xiii]. Le néolibéralisme ainsi compris est farouchement hostile à tout projet de contrôle démocratique de l’économie et à toute “expression” des droits individuels au-delà de l’objectif abstrait de l’existence d’un ordre légal assurant l’honnêteté des échanges. C’est pourquoi Hayek a toujours salué en Burke un des meilleurs représentants du libéralisme tel qu’il l’entendait – Burke qui, en disciple d’Adam Smith, dénonçait les droits de l’homme au nom des lois de la propriété, de l’héritage et du marché qui font la « richesse des nations« , en même temps qu’au nom du droit particulier de ces nations dont chacune a une identité propre.

Une même thèse court de Burke à Hayek : parce que le marché ne peut constituer un ordre qu’à la condition que ceux qui agissent en lui possèdent les vertus nécessaires à cet ordre, et que la première de ces vertus est la méfiance envers les projets de planification rationnelle, autrement dit le respect de la sagesse inconsciente des développements spontanés qui constituent la tradition, le néo-libéralisme appelle comme son complément naturel un traditionalisme. En règle générale, soutient Hayek, « les règles hérités de la tradition sont ce qui sert le mieux le fonctionnement de la société, plutôt que ce qui est instinctivement reconnu comme bon, et plutôt que ce qui est reconnu comme utile à des fins spécifiques »[xiv].

Ce traditionalisme implique un nationalisme dans la mesure où la “nation” est la forme par excellence de la tradition. L’alliance qu’on observe partout entre néolibéralisme et nationalisme néoconservateur semble d’abord un paradoxe, tant le principe du marché ouvert paraît incapable de justifier l’existence des communautés nationales. L’éloge de Burke par Hayek permet de comprendre que le paradoxe n’en est pas un : le nationalisme est le supplément d’âme dont le “patriotisme du marché” néolibéral a besoin pour se réaliser. Les inégalités sociales, si elles sont un moyen de la grandeur du pays et de la promotion de son identité, ne trouvent-elles pas leur meilleure justification dans l’imaginaire de l’unité nationale ?

Or, les critiques qu’adresse Marcel Gauchet au “néolibéralisme” – confondu avec une sorte de paradoxale anomie des droits – recoupent sur bien des points la critique des droits de l’homme par Burke, c’est-à-dire par un penseur qui est un des grands ancêtres du néolibéralisme contemporain dans sa version conservatrice. Après tout, Burke déclarait déjà ne pas attaquer l’idée des droits de l’homme, mais seulement leur interprétation révolutionnaire : « je suis aussi loin de dénier en théorie les véritables droits des hommes que de les refuser en pratique », disait-il en soulignant que les besoins de la société imposaient à ces droits toutes sortes de « réfractions ».

La critique des effets “dépolitisants” des droits de l’homme est donc, comme telle, très ambiguë : entend-on dire par là que l’idée des droits de l’homme entrave les luttes pour l’égalité ? L’argument est peu crédible. Veut-on dire que cette idée nuit à l’identification des citoyens à leur nation, identification qui seule les rendrait capables d’altruisme et de sacrifice ? Il reste alors à faire la différence entre l’amour de l’ordre établi et l’esprit de solidarité, qui lie autonomie individuelle et autonomie collective sans supprimer la première dans la seconde. À moins qu’on ne veuille, sous le poids de la toute-puissance des marchés financiers, renoncer à la politique de l’égalité et lui substituer une politique de l’identité nationale qui nommerait “république”, non plus le régime de l’égalité des droits et de l’élaboration d’une rationalité partagée, mais le narcissisme collectif d’un sentiment communautaire.

mich3.jpgNe faudrait-il pas, plutôt qu’un « pompeux catalogue des droits de l’homme » (Marx) – dont on ne sait trop sur quels critères ils ont été choisis –, « une modeste “Magna Carta” susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales » (Michéa) ?

Cette formule sonne comme une proposition ultra-libérale qui demanderait qu’on s’en tienne aux seules libertés négatives ou défensives, “modestes” en ce sens qu’elles ne doivent surtout pas se prolonger dans des droits sociaux ou un projet de démocratie radicale !

Les droits de l’homme ne sont « pompeux » que si on les comprend comme un « catalogue » – ce qu’était la « Magna Carta », catalogue de libertés assurant surtout les privilèges de l’aristocratie anglaise. Mais, encore une fois, cette réduction des droits de l’homme à un catalogue en manque la logique propre. Saisis comme le développement de la « proposition de l’égaliberté », ils constituent une idée somme toute moins « pompeuse », et certainement moins exposée à la tentation totalitaire, que l’idée vague du communisme qui irriguait la critique de Marx.

Il ne faudrait d’ailleurs pas mécomprendre le sens de la déclaration de Marx que détourne Michéa. On lit dans Le Capital que la lutte de la classe ouvrière, lorsqu’elle obtient des mesures imposant des limites à l’exploitation, « remplace le pompeux catalogue des “inaliénables droits de l’homme” par la modeste Magna Carta d’une journée de travail limitée par la loi ». Marx n’entendait certainement pas par là qu’il fallait se contenter de tempérer l’exploitation sans y mettre fin, et renoncer au projet d’une auto-organisation démocratique de la société pour s’en tenir à de “modestes” corrections apportées à la violence des rapports de propriété et de production ! Ce qu’il dénonçait, c’était une interprétation des droits de l’homme qui réduisait ceux-ci à une égalité formelle entre des libertés inégalement réelles. Mais cette dénonciation même reconnaissait paradoxalement la force émancipatrice de la loi et du droit, conformément à la pratique du mouvement ouvrier qui a toujours formulé ses revendications en termes de “droits”[xv].

« Il se trouve que la critique marxienne des droits de l’homme est beaucoup plus complexe et contradictoire que ce qu’en a retenu la catastrophique vulgate léniniste. »

Il se trouve que la critique marxienne des droits de l’homme est beaucoup plus complexe et contradictoire que ce qu’en a retenu la catastrophique vulgate léniniste. La phrase “réformiste” de Marx que vous avez citée suffirait d’ailleurs à montrer que nous n’avons aucune raison de tenir le révolutionnarisme autoritaire de Lénine pour plus “légitime” ou plus “marxiste” que la social-démocratie de Kautsky ou de Jaurès. Mais cet entretien est déjà bien trop long pour que nous entrions dans ces méandres. Sans innocenter Marx ni lui imputer directement les ravages totalitaires causés par la simplification léniniste de sa critique des droits de l’homme, je me contenterai de dire qu’entre la modestie de l’action syndicale et la démesure d’une idée aussi indéterminée que celle d’une “démocratie totale” qui aurait magiquement aboli l’État et le marché, la référence maintenue aux droits de l’homme rappelle la nécessité de penser ensemble l’horizon de l’universel, la condition de la pluralité et les médiations de l’institution – sur le triple plan de l’international, du national et du transnational.

Les droits de l’homme sont-ils dépassés ?

C’est le vieux rêve contre-révolutionnaire : en finir avec les droits de l’homme et avec l’exorbitant processus révolutionnaire qu’ils ont déclenché par leur promesse d’égalité impossible à satisfaire. Bonald disait qu’il fallait « se pénétrer de cette vérité philosophique et la plus philosophique des vérités : que la révolution a commencé par la Déclaration des droits de l’homme, et qu’elle ne finira que par la déclaration des droits de Dieu« . Mais cette position avait son propre horizon “révolutionnaire”, proprement apocalyptique, avoué par Maistre dans le dernier entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg qui annonce la fusion des nations dans l’imminence d’une Troisième Révélation divine…

La contre-révolution d’aujourd’hui n’a pas la radicalité d’un Bonald ou d’un Maistre. Elle espère plutôt, comme Barnave en 1791 ou François Furet dans les années 1980, « terminer la révolution » en contenant l’essor des droits de l’homme, en les faisant rentrer dans le rang de ces “libertés négatives” qu’ils ont toujours excédées, à tous les sens de ce mot. Et, à voir la popularité de personnages politiques tels que Trump, Abe, Poutine, Erdogan ou Orban, on peut se demander si le futur ne pourrait pas avoir la forme d’une « (mal)sainte alliance entre Schmitt et Hayek », qui compenserait les duretés de l’inégalité par les satisfactions fantasmatiques de la communion nationale. Mais cela même ne prouverait rien contre les droits de l’homme : nous n’en sentirions que plus vivement la force de leur exigence.

Quant à un “dépassement” des droits de l’homme qui viendrait de la parfaite réalisation de leurs demandes, faut-il vraiment expliquer en détail pourquoi nous en sommes très loin ?

Nos Desserts :

Notes :

[i] Dans son compte rendu de l’ouvrage de Jean-Yves Pranchère et Justine Lacroix, Mark Hunyadi a noté à juste titre que le rôle joué par la mouvement praguois de la “Charte 77” aurait dû être évoqué.

[ii] Marcel Gauchet, « Du bon usage des droits de l’homme », Le Débat, 2009/1, n° 153.

[iii] Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Paris, Stock, 2016, p. 358.

[iv] Comte ne fut assurément pas “socialiste” au sens propre : il ne demandait pas l’égalité et sa conception de la “propriété sociale” laissait aux capitalistes la propriété privée des moyens de production. Mais il partageait avec le socialisme le souci d’une solidarité sociale débordant les mécanismes du marché et de l’État. Il faut renvoyer ici aux impeccables analyses de Frédéric Brahami, « L’affect socialiste du positivisme. Auguste Comte, le socialisme “politique” et le prolétariat », dans Incidence 11, 2015 qui portait sur « Le sens du socialisme ». Ce numéro entier d’Incidence, pourvu d’une remarquable introduction de Bruno Karsenti, devrait être désormais une référence incontournable de toute discussion sérieuse sur la signification du socialisme.

[v] Etienne Balibar, « Droits de l’homme et droits du citoyen : la dialectique moderne de l’égalité et de la liberté », dans Les Frontières de la démocratie, Paris, La Découverte, 1992 ; La Proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, 2010.

[vi] Mais pas par tous. Condorcet disait que les droits de l’homme ne devaient surtout pas être adorés comme des « Tables descendues du ciel ».

[vii] Claude Lefort, L’Invention démocratique, Paris, Fayard, 1981 ; Essais sur le politique, Paris, Seuil, 1986.

[viii] Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989.

[ix] Voir Irving Kristol, Réflexions d’un néo-conservateur, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1987.

[x] Ce ton social-démocrate caractérise de même le livre de Samuel Moyn paru en 2010, The Last Utopia. Human Rights in History, qui a suscité un vif débat dans le monde anglophone et recoupe largement les analyses de Marcel Gauchet.

[xi] Jacques Rancière, dans son livre de 2005 La Haine de la démocratie, a soumis ce discours à une critique acérée : la dénonciation indéterminée de “l’individualisme” conduit à imputer à la démocratie ce qui relève de logiques qui lui sont exogènes, notamment celle du Capital, et à stigmatiser au titre du “consumérisme” la masse des individus dépossédés – tout en passant sous silence le séparatisme des élites et la captation oligarchique du pouvoir. La psychologie moralisatrice sert à empêcher l’analyse des rapports de force qui configurent l’état de la société.

[xii] Alain Badiou et Marcel Gauchet, Que faire ? Dialogues sur le communisme, le capitalisme et l’avenir de la démocratie, Paris, Philo éditions, 2014.

[xiii]  On peut renvoyer, en dépit des corrections de détail qu’il faudrait leur apporter, aux analyses de Michel Foucault dans son cours de 1979 « Naissance de la biopolitique » (Paris, EHESS/Seuil/Gallimard, 2004, p. 40-45), qui montrent de manière lumineuse l’hétérogénéité profonde entre la logique de la gouvernementalité libérale, fondée sur l’ordre spontané du marché et la destitution du pouvoir souverain par le principe d’utilité, et la logique révolutionnaire de la réquisition des droits de l’homme, qui conduit d’elle-même à l’affirmation de la souveraineté de la communauté des citoyens.

[xiv] F. A. Hayek, Droit, législation et liberté 3, trad. R. Audouin, Puf, Paris, 1983, p. 193-199.

[xv] Comme le note Pierre Zaoui dans le numéro 47 de Vacarme : « La lutte de classes est d’abord et essentiellement une lutte pour le droit et par le droit, ce dont témoigneront, en un sens contre leur propre théorie du droit, Marx et Engels, notamment dans les appendices du livre I du Capital, en montrant que la lutte de classe n’a connu de succès que dans et par le droit et les institutions : réduction progressive de la journée légale de travail, interdiction progressive du travail des enfants, institution de sociétés d’assistance mutuelle, etc. »

mercredi, 01 juin 2016

Le pouvoir réside dans les infrastructures

infrastructure.jpg

Le pouvoir réside dans les infrastructures

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

A l'heure où certains critiquent les blocages, il serait bon de réfléchir à ce qui permet concrètement, et non idéalement, de lutter contre le pouvoir. Les récentes élections en Autriche démontrent qu'il est difficile de s'emparer des institutions. Mais il serait tout aussi difficile de gouverner ces institutions sans avoir le pouvoir sur les infrastructures et ceux en charge de les faire fonctionner.

A l'ère de la mondialisation, plus encore qu'à l'époque de Georges Sorel, il convient de couper les flux.

Les "gauchistes" ont compris que le pouvoir réside en grande partie dans les infrastructures. Avec la mondialisation et la liberté accrue des biens et des personnes, "bloquer" c'est réactiver symboliquement une frontière, poser une limite entre le globalisme et la France. Ça signifie "dans ce pays on ne veut pas de vos lois néo-libérales". Tout patriote devrait se satisfaire du blocage, qui attaque directement le rêve du libre-échange sans entrave.

En effet, contrairement à ce qu'affirment certains qui parlent souvent trop vite d'une mondialisation hors-sol, la mondialisation est au contraire génératrice de territoires. Les flux, loin d'être abstraits, sont des traits d'union entre des territoires concrets, aménagés avec des infrastructures concrètes : un terminal méthanier, un pont, une ligne de chemin de fer, une piste d'aéroport, un centre d'affaire, une zone commerciale... les flux relient des territoires qui concentrent et polarisent des activités.

C'est donc paradoxalement un milieu politique favorable à l'ouverture - l'ultra-gauche - qui appelle au blocage des flux, et un milieu politique favorable aux frontières, aux limites, aux murs, qui s'oppose au blocage : la droite nationale.
Ainsi, pour mieux appréhender ce qui se passe et pour nourrir la réflexion d'une droite nationale quelque peu embourbée dans ses réflexes réactionnaires, nous vous livrons un court extrait de l'ouvrage A Nos Amis du Comité Invisible.

"Mais lorsque les insurgés parviennent à investir les parlements, les palais présidentiels et autres sièges des institutions, comme en Ukraine, en Libye ou dans le Wisconsin, c’est pour découvrir des lieux vides, vides de pouvoir, et ameublés sans goût. Ce n’est pas pour empêcher le « peuple » de « prendre le pouvoir » qu’on lui défend si férocement de les envahir, mais pour l’empêcher de réaliser que le pouvoir ne réside plus dans les institutions. Il n’y a là que temples désertés, forteresses désaffectées, simples décors – mais véritables leurres à révolutionnaires. L’impulsion populaire d’envahir la scène pour découvrir ce qu’il se passe en coulisse a vocation à être déçue. Même les plus fervents complotistes, s’ils y avaient accès, n’y découvriraient aucun arcane ; la vérité, c’est que le pouvoir n’est tout simplement plus cette réalité théâtrale à quoi la modernité nous a accoutumés."

La vérité quant à la localisation effective du pouvoir n’est pourtant en rien cachée ; c’est seulement nous qui refusons de la voir tant cela viendrait doucher nos si confortables certitudes. Cette vérité, il suffit de se pencher sur les billets émis par l’Union européenne pour s’en aviser. Ni les marxistes ni les économistes néo-classiques n’ont jamais pu l’admettre, mais c’est un fait archéologiquement établi : la monnaie n’est pas un instrument économique, mais une réalité essentiellement politique. On n’a jamais vu de monnaie qu’adossée à un ordre politique à même de la garantir. C’est pourquoi, aussi, les devises des différents pays portent traditionnellement la figure personnelle des empereurs, des grands hommes d’état, des pères fondateurs ou les allégories en chair et en os de la nation. Or qu’est-ce qui figure sur les billets en euros ? Non pas des figures humaines, non pas des insignes d’une souveraineté personnelle, mais des ponts, des aqueducs, des arches – des architectures impersonnelles dont le cœur est vide. La vérité quant à la nature présente du pouvoir, chaque Européen en a un exemplaire imprimé dans sa poche. Elle se formule ainsi : le pouvoir réside désormais dans les infrastructures de ce monde."

Jean / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

mardi, 31 mai 2016

Karl Marx en José Antonio

marx-japr.png

Karl Marx en José Antonio

Por Mario Montero
Ex: http://soldadosdeunaidea.blogspot.com

Cualquiera que se acerque con un mínimo de interés a la atractiva figura de José Antonio Primo de Rivera como hombre de política, habrá podido observar la radical evolución ideológica que sufrió, en tan solo 3 años, desde la fundación de Falange Española en 1933 hasta su muerte en la cárcel de Alicante en 1936, el Marqués de Estella. Una evolución ideológica que fue propiciada, según algunos, por la escisión de Ramiro Ledesma Ramos de Falange Española de las JONS en 1935 y las lecturas de distintos sindicalistas revolucionarios y la de algunos de los "no conformistas" franceses de la época.

Y si en esta evolución en el pensamiento de José Antonio hubo un filósofo, político o ideólogo que lo influenció marcadamente, ese fue, sin ningún género de dudas, Karl Marx -o Carlos Marx como él prefería llamarlo-. En sus dos últimos años de vida, de 1935 a 1936, se pudo ver reflejado de forma más clara, en sus diversos discursos, las influencias, a parte del ya mencionado Marx, de Ramiro Ledesma Ramos, Ortega y Gasset y los sindicalistas George Sorel y Hubert Lagardelle. Conocida es ya la relación de gran amistad que mantenía José Antonio con el líder sindicalista Ángel Pestaña o sus palabras en 1936 en las que decía que "Donde  Falange  logrará  más  pronto  avivar  las  corrientes de  simpatía  es  en  las  filas  del  viejo  sindicalismo  revolucionario  español". (1) 

faaff.jpgSi bien es verdad que en la Falange más embrionaria y en los primeros pasos de José Antonio en ésta se puede observar un marcado antimarxismo considerado por algunos como un "residuo" de su pasado monárquico y reaccionario, esta característica fue progresivamente desapareciendo y llegó a declarar en el diario La  Voz  de  Madrid el 14  de  febrero  de  1936: "Los  antialgo,  sea  lo  que  sea  este  algo,  se  me presentan  imbuidos  de  reminiscencia  del  señoritismo  español,  que  se  opone  irreflexiva, pero  activamente,  a  lo  que  él  no  comparte.  No  soy  ni  antimarxista  siquiera,  ni anticomunista,  ni...  antinada.  Los  anti  están  desterrados  de  mi  léxico  como  si  fueran tapones  para  las  ideas".

Pese a lo que generalmente se cree, Primo de Rivera no citaba a Marx exlucivamente para descalificarlo a él, a su pensamiento y a sus camaradas sino que reconoció en él, al hombre que supo preveer con una cierta exactitud las consecuencias de un sistema, el capitalismo, y criticarlo. Un sistema que ambos -tanto Jośe Antonio como Marx- consideraban injusto e inhumano y al que ambos criticaron con dureza. Tanto es así que en 1935 José Antonio diría, "Desde  el  punto  de  vista  social  va  a  resultar  que,  sin  querer,  voy  a  estar  de  acuerdo  en más  de  un  punto  con  la  crítica  que  hizo  Carlos  Marx.  Como  ahora,  en  realidad  desde  que todos  nos  hemos  lanzado  a  la  política,  tenemos  que  hablar  de  él  constantemente;  como hemos  tenido  todos  que  declararnos  marxistas  o  antimarxistas,  se  presenta  a  Carlos Marx,  por  algunos  –desde  luego,  por  ninguno  de  vosotros–,  como  una  especie  de  urdidor de  sociedades  utópicas.  Incluso  en  letras  de  molde  hemos  visto  aquello  de  "Los  sueños utópicos  de  Carlos  Marx".  Sabéis  de  sobra  que  si  alguien  ha  habido  en  el  mundo  poco soñador,  éste  ha  sido  Carlos  Marx:  implacable,  lo  único  que  hizo  fue  colocarse  ante  la realidad  viva  de  una  organización  económica,  de  la  organización  económica  inglesa  de las  manufacturas  de  Manchester,  y  deducir  que  dentro  de  aquella  estructura  económica estaban  operando  unas  constantes  que  acabarían  por  destruirla.  Esto  dijo  Carlos  Marx  en un  libro  formidablemente  grueso;  tanto,  que  no  lo  pudo  acabar  en  vida;  pero  tan  grueso como  interesante,  esta  es  la  verdad;  libro  de  una  dialéctica  apretadísima  y  de  un  ingenio extraordinario;  un  libro,  como  os  digo,  de  pura  crítica,  en  el  que,  después  de  profetizar  que la  sociedad  montada  sobre  este  sistema  acabaría  destruyéndose,  no  se  molestó  ni siquiera  en  decir  cuándo  iba  a  destruirse  ni  en  qué  forma  iba  a  sobrevenir  la  destrucción. No  hizo  más  que  decir:  dadas  tales  y  cuales  premisas,  deduzco  que  esto  va  a  acabar  mal; y  después  de  eso  se  murió,  incluso  antes  de  haber  publicado  los  tomos  segundo  y  tercero de  su  obra;  y  se  fue  al  otro  mundo  (no  me  atrevo  a  aventurar  que  al  infierno,  porque  sería un  juicio  temerario)  ajeno  por  completo  a  la  sospecha  de  que  algún  día  iba  a  salir  algún antimarxista  español  que  le  encajara  en  la  línea  de  los  poetas. Este  Carlos  Marx  ya  vaticinó  el  fracaso  social  del  capitalismo  sobre  el  cual  estoy departiendo  ahora  con  vosotros.  Vio  que  iban  a  pasar,  por  lo  menos,  estas  cosas: primeramente,  la  aglomeración  de  capital.  Tiene  que  producirla  la  gran  industria.  La pequeña  industria  apenas  operaba  más  que  con  dos  ingredientes:  la  mano  de  obra  y  la primera  materia.  En  las  épocas  de  crisis,  cuando  el  mercado  disminuía,  estas  dos  cosas eran  fáciles  de  reducir:  se  compraba  menos  primera  materia,  se  disminuía  la  mano  de obra  y  se  equilibraba,  aproximadamente,  la  producción  con  la  exigencia  del  mercado;  pero llega  la  gran  industria;  y  la  gran  industria,  aparte  de  ese  elemento  que  se  va  a  llamar  por el  propio  Marx  capital  variable,  emplea  una  enorme  parte  de  sus  reservas  en  capital constante;  una  enorme  parte  que  sobrepuja,  en  mucho,  el  valor  de  las  primeras  materias  y de  la  mano  de  obra;  reúne  grandes  instalaciones  de  maquinaria,  que  no  es  posible  en  un momento  reducir.  De  manera  que  para  que  la  producción  compense  esta  aglomeración  de capital  muerto,  de  capital  irreducible,  no  tiene  más  remedio  la  gran  industria  que  producir a  un  ritmo  enorme,  como  produce;  y  como  a  fuerza  de  aumentar  la  cantidad  llega  a producir  más  barato,  invade  el  terreno  de  las  pequeñas  producciones,  va  arruinándolas una  detrás  de  otra  y  acaba  por  absorberlas. Esta  ley  de  la  aglomeración  del  capital  la  predijo  Marx,  y  aunque  algunos  afirmen  que  no se  ha  cumplido,  estamos  viendo  que  sí,  porque  Europa  y  el  mundo  están  llenos de  trusts,  de  Sindicatos  de  producción  enorme  y  de  otras  cosas  que  vosotros  conocéis mejor  que  yo,  como  son  esos  magníficos  almacenes  de  precio  único,  que  pueden  darse  el lujo  de  vender  a  tipos  de  dumpimg,  sabiendo  que  vosotros  no  podéis  resistir  la competencia  de  unos  meses  y  que  ellos  en  cambio,  compensando  unos  establecimientos con  otros,  unas  sucursales  con  otras,  pueden  esperar  cruzados  de  brazos  nuestro  total aniquilamiento. Segundo  fenómeno  social  que  sobreviene:  la  proletarización.  Los  artesanos  desplazados de  sus  oficios,  los  artesanos  que  eran  dueños  de  su  instrumento  de  producción  y  que, naturalmente,  tienen  que  vender  su  instrumento  de  producción  porque  ya  no  les  sirve  para nada;  los  pequeños  productores,  los  pequeños  comerciantes,  van  siendo  aniquilados económicamente  por  este  avance  ingente,  inmenso,  incontenible,  del  gran  capital  y  acaba incorporándose  al  proletariado,  se  proletarizan.  Marx  lo  describe  con  un  extraordinario acento  dramático  cuando  dice  que  estos  hombres,  después  de  haber  vendido  sus productos,  después  de  haber  vendido  el  instrumento  con  que  elaboran  sus  productos, después  de  haber  vendido  sus  casas,  ya  no  tienen  nada  que  vender,  y  entonces  se  dan cuenta  de  que  ellos  mismos  pueden  una  mercancía,  de  que  su  propio  trabajo  puede  ser una  mercancía,  y  se  lanzan  al  mercado  a  alquilarse  por  una  temporal  esclavitud.  Pues bien:  este  fenómeno  de  la  proletarización  de  masas  enormes  y  de  su  aglomeración  en  las urbes  alrededor  de  las  fábricas  es  otro  de  los  síntomas  de  quiebra  social  del  capitalismo. Y todavía  se  produce  otro,  que  es  la  desocupación[...]". (2)

Para meses más tarde, añadir, "Pero  hay  otra  cosa:  como  la  cantidad  de  productos que  pueden  obtenerse,  dadas  ciertas  medidas  de  primera  materia  y  trabajo,  no  es susceptible  de  ampliación;  como  no  es  posible  para  alcanzar  aquella  cantidad  de productos  disminuir  la  primera  materia,  ¿qué  es  lo  que  hace  el  capitalismo  para  cobrarse el  alquiler  de  los  signos  de  crédito?  Esto:  disminuir  la  retribución,  cobrarse  a  cuenta  de  la parte  que  le  corresponde  a  la  retribución  del  trabajo  en  el  valor  del  producto.  Y  como  en cada  vuelta  de  la  corriente  económica  el  capitalismo  quita  un  bocado,  la  corriente económica  va  estando  cada  vez  más  anémica  y  los  retribuidos  por  bajo  de  lo  justo  van descendiendo  de  la  burguesía  acomodada  a  la  burguesía  baja,  y  de  la  burguesía  baja  al proletariado,  y,  por  otra  parte,  se  acumula  el  capital  en  manos  de  los  capitalistas;  y tenemos  el  fenómeno  previsto  por  Carlos  Marx,  que  desemboca  en  la  Revolución  rusa. Así,  el  sistema  capitalista  ha  hecho  que  cada  hombre  vea  en  los  demás  hombres  un posible  rival  en  las  disputas  furiosas  por  el  trozo  de  pan  que  el  capitalismo  deja  a  los obreros,  a  los  empresarios,  a  los  agricultores,  a  los  comerciantes,  a  todos  los  que,  aunque no  lo  creáis  a  primera  vista,  estáis  unidos  en  el  mismo  bando  de  esa  terrible  lucha económica;  a  todos  los  que  estáis  unidos  en  el  mismo  bando,  aunque  a  veces  andéis  a tiros  entre  vosotros.  El  capitalismo  hace  que  cada  hombre  sea  un  rival  por  el  trozo  de  pan. Y el  liberalismo,  que  es  el  sistema  capitalista  en  su  forma  política,  conduce  a  este  otro resultado:  que  la  colectividad,  perdida  la  fe  en  un  principio  superior,  en  un  destino  común, se  divida  enconadamente  en  explicaciones  particulares.  Cada  uno  quiere  que  la  suya valga  como  explicación  absoluta,  y  los  unos  se  enzarzan  con  los  otros  y  andan  a  tiros  por lo  que  llaman  ideas  políticas.  Y  así  como  llegamos  a  ver  en  lo  económico,  en  cada  mortal, a  quien  nos  disputa  el  mendrugo,  llegamos  a  ver  en  lo  político,  en  cada  mortal,  a  quien nos  disputa  el  trozo  de  poder,  la  parte  de  poder  que  nos  asignan  las  constituciones liberales. He  aquí  por  qué,  en  lo  económico  y  en  lo  político,  se  ha  roto  la  armonía  del  individuo  con la  colectividad  de  que  forma  parte,  se  ha  roto  la  armonía  del  hombre  con  su  contorno,  con su  patria,  para  dar  al  contorno  una  expresión  que  ni  se  estreche  hasta  el  asiento  físico  ni se  pierda  en  vaguedades  inaprehensibles. Perdida  la  armonía  del  hombre  y  la  patria,  del  hombre  y  su  contorno,  ya  está  herido  de muerte  el  sistema". (3)

falangeforozk2.jpgAdemás de aceptar, como era de esperar, las teorías marxistas sobre el devenir del capitalismo -¿Acaso no se han cumplido la gran mayoría, si no todas, las "profecías" marxistas sobre el capitalismo?- José Antonio recogió de Marx, también, la crítica a la propiedad capitalista. Prueda de ello fueron aquellas palabas de Primo de Rivera en 1935,"Pensad  a  lo  que  ha  venido  a  quedar  reducido  el  hombre  europeo  por  obra  del  capitalismo. Ya  no  tiene  casa,  ya  no  tiene  patrimonio,  ya  no  tiene  individualidad,  ya  no  tiene  habilidad artesana,  ya  es  un  simple  número  de  aglomeraciones. [...] La  propiedad  capitalista  es  fría  e  implacable:  en  el  mejor  de  los  casos,  no cobra  la  renta,  pero  se  desentiende  del  destino  de  los  sometidos. [...]mientras  que  ahora  se  muere  un  obrero  y  saben  los  grandes señores  de  la  industria  capitalista  que  tienen  cientos  de  miles  de  famélicos  esperando  a  la puerta  para  sustituirle. Una  figura,  en  parte  torva  y  en  parte  atrayente,  la  figura  de  Carlos  Marx,  vaticinó  todo  este espectáculo  a  que  estamos  asistiendo,  de  la  crisis  del  capitalismo.  Ahora  todos  nos hablan  por  ahí  de  si  son  marxistas  o  si  son  antimarxistas.  Yo  os  pregunto,  con  ese  rigor  de examen  de  conciencia  que  estoy  comunicando  a  mis  palabras:  ¿Qué  quiere  decir  el  ser antimarxista?  ¿Quiere  decir  que  no  apetece  el  cumplimiento  de  las  previsiones  de  Marx? Entonces  estamos  todos  de  acuerdo.  ¿Quiere  decir  que  se  equivocó  Marx  en  sus previsiones?  Entonces  los  que  se  equivocan  son  los  que  le  achacan  ese  error. Las  previsiones  de  Marx  se  vienen  cumpliendo  más  o  menos  de  prisa,  pero implacablemente.  Se  va  a  la  concentración  de  capitales;  se  va  a  la  proletarización  de  las masas,  y  se  va,  como  final  de  todo,  a  la  revolución  social,  que  tendrá  un  durísimo  período de  dictadura  comunista. [...]también  el  capitalismo  es  internacional  y materialista.  Por  eso  no  queremos  ni  lo  uno  ni  lo  otro;  por  eso  queremos  evitar  –porque creemos  en  su  aserto–  el  cumplimiento  de  las  profecías  de  Carlos  Marx.  Pero  lo queremos  resueltamente;  no  lo  queremos  como  esos  partidos  antimarxistas  que  andan por  ahí  y  creen  que  el  cumplimiento  inexorable  de  unas  leyes  económicas  e  históricas  se atenúa  diciendo  a  los  obreros  unas  buenas  palabras  y  mandándoles  unos  abriguitos  de punto  para  sus  niños. Si  se  tiene  la  seria  voluntad  de  impedir  que  lleguen  los  resultados  previstos  en  el  vaticinio marxista,  no  hay  más  remedio  que  desmontar  el  armatoste  cuyo  funcionamiento  lleva implacablemente  a  esas  consecuencias:  desmontar  el  armatoste  capitalista  que  conduce a  la  revolución  social,  a  la  dictadura  rusa.  Desmontarlo,  pero  ¿para  sustituirlo  con  qué?[...]". (4)

Porque como decía Adriano Gómez Molina, en el pensamiento de José Antonio, "La plusvalía es una columna vertebral del análisis marxista del capitalismo. La inclusión de la plusvalía en el programa de la Falange se sitúa junto a otras propuestas de porte izquierdista, pero entraña una importancia suprema. A pesar de su gran calado ha quedado desvaída. Cuando se habla de la radicalización de José Antonio, que ciertamente se produjo, no se suele enfatizar la asignación de la plusvalía al trabajo. Pero es ahí en donde está la radicalización decisiva, muy por encima de la nacionalización de la banca, de la sindicalización de la economía o de la «reinstalación revolucionaria del pueblo campesino»". (5)

No he creído necesario profundizar en la aclaración de que, pese a la fuerte influencia de Karl Marx en José Antonio, éste no fue nunca marxista ni aceptó nunca las soluciones propuestas por los marxistas ante el capitalismo.

Por otra parte, sí veo necesario aclarar, que pese a ver en el marxismo un enemigo, José Antonio -prueba de ello es lo anteriormente expuesto- no combatió dialécticamente al marxismo desde una óptica conservadora y reaccionaria sino revolucionariamente, desde una óptica nacionalista alejada, claro está, de toda rémora zarzuelera y reaccionaria.

 Para terminar, citar de nuevo a José Antonio Primo de Rivera, "Pero hay algo más  que  hacer  que  oponerse  al marxismo.  Hay  que  hacer  a  España.  Menos  "abajo  esto",  "contra  lo  otro",  y  más  "arriba España",  "por  España,  una,  grande  y  libre",  "por  la  Patria,  el  pan  y  la  justicia". (6)


Por Mario Montero

Notas:

(1) Contestaciones que José Antonio dio a las preguntas que le remitió el periodista Ramón Blardony, por intermedio del enlace Agustín Pelaéz, en Alicante, el 16 de Junio de 1936.

(2) Conferencia pronunciada en el Círculo Mercantil de Madrid, el 9 de Abril de 1935.

(3) Discurso de clausura del II Consejo Nacional de la Falange, pronunciado en el Cine de Madrid el 17 de Noviembre de 1935.

(4) Discurso pronunciado en el Cine de Madrid, el 19 de Mayo de 1935.

(5) Adriano Gómez Molina, El Catoblepas, número 101.

(6) Discurso pronunciado en el Teatro Norba de Cáceres, el 19 de Enero de 1936.

Le corporatisme: genèse et perspectives

Le corporatisme:

genèse et perspectives

(entretien avec Jean-Philippe Chauvin)

Entretien du Cercle Henri Lagrange avec Jean-Philippe Chauvin

(professeur d'Histoire, animateur du blog nouvelle-chouannerie.com)

corporatisme,histoire,théorie politique,politologie,philosophie politique,sciences politiques

lundi, 30 mai 2016

El principio solidarista de José Antonio Primo de Rivera y de Leon Duguit

leon-duguit-jose-antonio.jpg

El principio solidarista de José Antonio Primo de Rivera y de Leon Duguit

Por José Ignacio Moreno Gómez
Ex: http://linkis.com/falange-autentica.es

No se ha destacado suficientemente la enorme influencia de la nueva Sociología del Derecho, especialmente la del Sindicalismo solidarista de Durkheim y, sobre todo, de Léon Duguit, en la formación del pensamiento del fundador de la Falange. Salvando la pretensión antimetafísica del pensador francés, que pone en riesgo de ser malinterpretada su negación de los derechos subjetivos, y en contraste con la fundamentación teológica que el líder falangista hace de la libertad y la dignidad de la persona humana, el paralelismo entre las propuestas de uno y otro son evidentes, tal y como pretendo exponer a continuación.

dandy.jpgDerecho y Política

Hay que insistir, para entender en profundidad a José Antonio Primo de Rivera y a su pensamiento, que la  vocación primigenia del jefe falangista no fue la política, sino el Derecho. Es por medio del estudio de juristas y filósofos, que inicia en su etapa de estudiante y continúa posteriormente, como llega el fundador de la Falange a construir el andamiaje de estructura firme y constante desde el que realizará su construcción política. José Antonio estudia las reflexiones de juristas como Stammler, Ihering, Kelsen, Jellinek, Hauriou, Durkheim o Duguit acerca de la regulación de los derechos reales como  objeto de la ciencia jurídica, y se plantea, siguiendo a filósofos y teólogos como S. Agustín, Santo Tomás, Platón, Kant, Hegel o el positivista Comte, si existe alguna relación de éstos derechos con aquellos otros principios meta-jurídicos que encarnan un ideal de Justicia y que, por ello, no son  objeto del Derecho, sino de la Política. José Antonio se aparta del positivismo cuando nos advierte en su conferencia sobre Derecho y Política, pronunciada en la inauguración de curso del Sindicato Español Universitario de 1935, que todo jurista tiene la necesidad de ser político, pues no es honesto, nos dice, incitar al fraude diciendo profesar, como único criterio organizador de la sociedad, la juridicidad. Pero, al mismo tiempo, una vez abrazado un ideal (político) de Justicia, habrá que cuidar de procurarse una “técnica limpia y exacta, pues en el Derecho toda construcción confusa lleva agazapada una injusticia”. Se puede afirmar que la aproximación a la política del falangista fue, ante todo, una exigencia de enfoque jurídico. José Antonio admitió, siguiendo a Stammler, que los fenómenos jurídicos se habían de referir a la ordenación de ciertos medios para conseguir unos fines pretendidos – la vieja ordinatio rationis de Santo Tomás, añadiendo la distinción kantiana entre contenido y forma– y defendió, meta-jurídicamente, la capacidad de los hechos revolucionarios para producir una legitimidad jurídica de origen; principio que aplicaría a la defensa de la Dictadura de su padre, así como a la aceptación del hecho revolucionario del 14 de Abril como legitimador de la II República española, que nació rompiendo el ordenamiento constitucional anterior.

dug8132406.jpg¿Fascismo o solidarismo?

Cuando, más tarde, José Antonio publica en El Fascio su artículo “Orientaciones hacia un nuevo Estado”, no nos habla un seguidor de aquellos que, desde coordenadas hegelianas, propugnaban un Estado totalitario de soberanía plena. Su planteamiento tiene un enfoque, jurídico y político, que en nada recuerda a la posición mussoliniana que identificaba al pueblo con el cuerpo del Estado y al Estado con el espíritu del pueblo, y que reservaba todo el poder, sin divisiones ni restricciones, para el Estado – actitud próxima, por paradójico que pueda parecer, a la de los defensores del mito de la soberanía popular–. La crítica de Primo de Rivera a esta idea de soberanía, que luego repetirá en el mitin de La Comedia y  en numerosos escritos posteriores, es la misma que expone Léon Duguit en sus lecciones acerca de Soberanía y Libertad. En José Antonio no existe esa sumisión de la razón a la voluntad tan característica del fascismo y de los adictos a la soberanía nacional. El discurso de José Antonio no es fascista. ¿Es solidarista?

La soberanía y el principio de solidaridad

El principio sobre el que habrán de vertebrarse los sistemas jurídicos de los Estados futuros, según la nueva sociología francesa del Derecho, habrá de ser un principio de solidaridad. Duguit proclamaba que estaba en camino de alumbrarse una nueva sociedad basada en el rechazo del derecho subjetivo como noción básica del sistema político. Sería el derecho objetivo la regla fundamental de la sociedad nueva. Para Duguit el fundamento de la norma permanente del Estado se encontraba en el concepto solidario de libertad y en la división del trabajo; es decir, en las distintas funciones a realizar en una sociedad unida por lazos de solidaridad y cooperación. La libertad es concebida como un deber, no como una especie de soberanía individual, sino, más bien, como una función. Para Duguit, la doctrina de la soberanía es, en la teoría y en la práctica, una doctrina absolutista. Rousseau sacralizaba el sofisma de la dictadura de la mayoría, de un sufragio universal que imponía tiranías en nombre de la democracia parlamentaria.  El sistema jurídico-político al que Duguit aspiraba no podía fundarse sobre el concepto de soberanía, sino sobre la dependencia recíproca que une a los individuos; es decir sobre la solidaridad y la interdependencia.

Libertad y servicio

La autonomía individual  es un servicio; la actividad de los gobernantes es el servicio público, afirma Duguit. José Antonio, en la conferencia que pronuncia en 1935 sobre Estado, individuo y libertad, avisa que si el Estado se encastilla en su soberanía y el individuo en la suya, el pleito no tiene solución. La única salida, justa y fecunda, para el líder falangista, es que no se plantee el problema de la relación entre el individuo y el Estado como una competencia de poderes y derechos, sino como un cumplimiento de fines y de destinos:”Aceptada esta definición del ser-portador de una misión…florece la noble, grande y robusta concepción del servicio…Se alcanza la personalidad, la unidad y la libertad propias sirviendo en la armonía total. Primo de Rivera está formulando los mismos principios solidaristas de Léon Dugit enlazándolos con la doctrina de Santo Tomás y de la escuela de Salamanca.

El Estado descentralizado sindicalista

En el terreno político, el Estado no justifica su conducta, como no la justifica un individuo, ni una clase, sino en tanto no se amolda en cada instante a una norma permanente, explica el falangista a quienes lo acusan de divinizar al Estado. Así es como el hombre puede fundar todo el sistema político-social sobre el postulado de una regla de conducta que se impone a todos. Existe una “ley orgánica de la sociedad”, objetiva y positiva, por encima de la voluntad de los individuos y de la colectividad, nos dice Duguit. Sobre esta regla se realiza la transformación del Estado, a través de una organización social que debe basarse en la descentralización o federalismo sindical. El sindicato se convierte, pues, en la corporación elemental de la estructura jurídica ideada por el jurista francés, y pasa de ser un “movimiento clasista” a desempeñar funciones concretas capaces de limitar la acción del gobierno central.

Léon Duguit en La représentation sindicale au Parlement (1911) concretó, finalmente, esta idea de un nuevo régimen político erigido sobre la representación funcional del sindicalismo que, tras la Revolución rusa, se convertía en el único medio de asegurar las libertades propias de la civilización occidental (Souveraineté et liberté, 1922). José Antonio es ya un sindicalista, en este mismo sentido, antes de conocer a Ledesma, y es ésta la idea de sindicalismo que permanece  en su pensamiento, también tras haberse fusionado con el grupo de las JONS, aunque profundice más en ella y la radicalice tras leer a Sorel.

autour-de-leon-duguit-9782802729891.jpgEconomía solidaria

Algo similar a la transmutación solidarista del contrato social, ocurre con la propiedad privada. En el terreno de la economía, Duguit rechazaba tanto la lucha de clases como el derecho absoluto a la propiedad: nadie tiene “derechos subjetivos” para imponer su voluntad de manera absoluta. La propiedad es el producto del trabajo y nadie tiene derecho a dejarla improductiva. La propiedad sobre el capital no es un derecho, sino una función, dirá el francés, para el que la propiedad privada adquiere una función social al transmutarse de propiedad-derecho a propiedad-función. Para José Antonio, la propiedad es un atributo humano distinto al capital, que es un mero instrumento.

El Estado de Bienestar

Bajo la inspiración del principio solidarista, se pasa de una concepción negativa del orden público, como la que se tenía en el Estado liberal-individualista, a la necesidad de ajustar la idea del contrato social al postulado del bien común (ad bonum commune), y a entender que las libertades individuales vienen limitadas por el principio solidario de la función social. Cuando Duguit anuncia la superación del Estado liberal, que desaparecería aquel día en que la evolución social llevase a los gobernados a pedir a sus gobernantes algo más que los servicios de defensa,  policía y administración de justicia, está sentando los fundamentos del Estado del Bienestar, que vendría tras la II Guerra Mundial y que hoy encontramos casi en trance de desaparecer. José Antonio va más allá, pues la finalidad del Estado que él defiende no se limita a procurar un bienestar puramente materialista, sino que tiene como objetivo supremo asegurar unas condiciones que permitan a los pueblos volver a la supremacía de lo espiritual.

Hacia un nuevo Estado

Duguit fue acusado de antiestatismo y de anarquizante. Desde el realismo político, Carl Schmitt lo situó entre los precursores del “pluralismo disgregador”. José Antonio, defendiendo ideas parecidas, ha sido calificado de fascista, de totalitario y de defensor del panestatismo.

Pero asistimos hoy a la crisis de los Estados nacionales y de las organizaciones internacionales, cada vez con menor margen de maniobra para garantizar el bienestar de los ciudadanos; presenciamos el auge de un neoliberalismo (sobre todo en Economía), que extiende su oscura sombra de desconfianza hacia la capacidad del Estado para ordenar la sociedad, y que pretende recortar cada vez más las funciones de éste; intentan inculcarnos una renovada fe en la quimérica y fracasada mano invisible de Adam Smith, que  se nos vuelve a proponer como mágica panacea para alcanzar el bien de todos mediante el equilibrio mecánico de egoísmos contrapuestos; comprobamos el poder enorme de los grandes trust multinacionales y transnacionales, y de los grupos de presión, con una libertad de acción cada vez menos limitada en los mercados globalizados.

La ausencia de un armazón verdaderamente fraterno y humano en la vertebración de las sociedades nos invitan también a considerar que el principio solidarista de Duguit y, sobre todo, el de José Antonio Primo de Rivera necesitan, con prontitud, ser  repensados y vueltos a calibrar, para que esa solidaridad orgánica que ellos consideraban como la regla fundamental, sea emplazada como piedra angular en un nuevo concepto de Estado y como pilar de una nueva sociedad.

José Ignacio Moreno Gómez.

samedi, 28 mai 2016

"Eloge du populisme" de Vincent Coussedière

vcoussefault.jpg

"Eloge du populisme" de Vincent Coussedière

Dr Bernard Plouvier,

Auteur, essayiste

Ex: http://metamag.fr

L’auteur est un philosophe qui vient de passer le cap de la cinquantaine et récidive en 2016 avec un second livre sur le sujet (Le retour du peuple. An 1, paru au Cerf).

elogedupopulisme.jpgDeux remarques préliminaires paraissent nécessaires au lecteur qui veut aborder la prose, de style parfait, dégagé de toute fioriture académique, de l’auteur… qui est l’un des rares penseurs politiques français du moment à être intéressant et original.

Qu’est-ce que l’élite d’un peuple ? Si l’on préfère formuler autrement la question : un élu, fût-il appelé à de très hautes fonctions, est-il obligatoirement doté du courage et du caractère, voire simplement de l’intelligence indispensables au gouvernant ? La notion « d’élite politique » est, en soi, risible. Jamais la politique ne devrait être une profession, mais une fonction temporairement exercée par un individu ayant fait preuve d’une remarquable efficacité dans son activité professionnelle. La politique n’est pas un métier : ce devrait être l’un des fondements de la mentalité populiste.

Qui gouverne en Occident depuis le début des années 1980 ? Et de façon opposée, quel type d’homme gouverne en Russie et en Chine débarrassées de l’immondice communiste (ou marxiste, au gré de chacun… encore qu’il existe des clowns pour prétendre que la pure doctrine de  Karl Marx n’ait jamais été appliquée, ce qui est entièrement faux : elle l’a été en Russie, de 1919 à 1921, et ‘’Lénine’’ a eu recours à la Nouvelle Économie Politique pour éviter l’implosion de l’URSS) ?

Après avoir répondu à ces deux questions, le lecteur peut aborder le premier livre de l’auteur qui s’intéresse au vide politique (et à celui non moins profond du discours politique) dans la France, des années Mitterrand à nos tristes jours. M. Coussedière a parfaitement compris que c’est Mitterrand qui a sciemment lancé la Nation française dans l’économie globale et la mondialisation politique, raciale et pseudo-culturelle (alors qu’à l’époque, Helmut Schmidt hésitait à y lancer l’Allemagne de l’Ouest, comme le prouve la prose de Jacques Attali, cf. Verbatim-I).

Le monde occidental actuel est celui du consumérisme, de l’hédonisme, de la niaiserie : le triomphe de l’individualisme et du très court terme. Ce n’est nullement de façon innocente que les maîtres encouragent la multiplication des langues exotiques dans les pays où ils contraignent les autochtones à se laisser envahir, ainsi que la déstructuration des langues à diffusion quasi-universelle : l’anglais devient le basic english, voire l’immonde bafouillage des blogs débiles du Net.

La définition du populisme par l’auteur est parfaitement exacte : c’est la réaction d’un peuple qui se sent trahi ou abandonné par la caste dirigeante, inepte, inapte et/ou corrompue. C’est une aspiration à renouveler le fonctionnement du couple Nation-État… « une errance », tant que le peuple n’a pas trouvé son chef ou lorsqu’il se laisse prendre aux rets d’un oiseleur, tel le démagogue Sarkozy – exemple pris par l’auteur.

La démagogie n’a jamais été que l’art de faire croire à un peuple qu’il pouvait obtenir (presque) tout, sans effort notable. Seuls les plus modernes des populistes ont soutenu le contraire, exigeant énormément d’efforts pour surmonter une énorme détresse morale, ce qui est bien plus grave qu’une crise économique : tels Mustafa Kemal ‘’Atatürk’’, le Mussolini des années 1920, ou Raoul Perón. De nos jours, partout en Occident, les autochtones ressentent une angoisse de ce type, associant désillusions et déréliction, sensation de péril imminent et surtout la tristesse spécifique de la fin d’une ère historique.

À dire vrai, Sarkozy avait de bonnes idées, mais il n’a jamais osé les appliquer, pour l’excellente raison que, parvenu à l’Élysée, il a dû jouer son rôle de pion, de sous-ordre des titulaires actuels du Pouvoir dans les États de style de vie occidental : les maîtres du jeu économique. Les « gouvernants sont devenus des administrateurs » (les guillemets indiquent des citations de l’œuvre)… plus exactement des gérants de la globalo-mondialisation, pratiquant, à l’instar de leurs spéculateurs de maîtres, la technique du pilotage sans visibilité.

Une critique que l’on pourrait faire à l’auteur est de n’avoir pas donné sa définition personnelle du mot Nation et de s’être contenté de celles d’autrui. Or, le problème sémantique devient un choix crucial de nos jours, aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe occidentale et danubienne : faut-il ou non faire intervenir la notion d’origine raciale dans l’acception du mot Nation… pour certains, l’étymologie le commande, comme le simple bon sens.

Si un peuple – soit un groupe de citoyens enregistrés par l’état-civil – n’a pas d’identité propre et s’avère composite par les religions (suprême facteur de désunion), les usages (par exemple culinaires), voire la langue (combien d’immigrés ne font pas l’effort d’apprendre la langue du pays où ils viennent résider ?), la Nation est définie par des origines continentales et une histoire communes, des lois et des usages communs, soit des valeurs identitaires. L’auteur a raison : le populisme n’est pas obligatoirement corrélé au nationalisme.

Le populisme est la volonté d’un peuple d’être « gouverné selon son intérêt ». C’est le besoin de voir correctement géré le Bien commun (cher à Platon, Aristote, Hobbes etc.), c’est la nécessité de créer les meilleures conditions pour la génération à venir, en se souvenant que les prévisions d’expert à long terme s’avèrent constamment fausses.

Le populisme, c’est l’espoir pour un peuple de renaître, de recommencer une vie commune sur de nouvelles fondations. Le populisme, ce n’est nullement l’utopie égalitaire (c’est, au contraire, le Leitmotiv des propagandes démagogiques). Le populisme, c’est se vouer à une grande aventure collective, à la fois politique, économique, sociale et culturelle… soit l’inverse de l’actuel individualisme stéréotypé, de l’individu standardisé.

Car le grand art de nos maîtres est de faire réagir de façon similaire l’Européen et le Nord-Américain, l’Africain ou l’Asiatique évolués. Léon XIII l’avait prévu, dès la fin des années 1890, comme divers sociologues, tels Gabriel Tarde cher à l’auteur ou l’inusable Gustave Le Bon.

C’est en cela que la mondialisation sous-culturelle et politique réalise le pire des totalitarismes : on impose une pensée unique, sans violence excessive, par le seul effet de la répétition ad nauseam d’une propagande niaise et optimiste, chez des êtres gavés de jouissances matérielles et de petits bonheurs. Hannah Arendt n’a donné qu’une définition très partielle du phénomène totalitaire, pour s’être limitée aux seuls cas marxiste et nazi. Le totalitarisme est le fait de prendre l’être humain dans sa globalité : travail, vie de relation et surtout croyances et pensée, le tout pour uniformiser l’expression de l’opinion publique. La violence n’est nullement nécessaire : au Moyen Âge, l’espoir du paradis et la peur des infernales souffrances éternelles suffisaient à imposer une croyance commune aux Européens.

On peut ne pas être d’accord avec l’auteur dans sa longue digression sur le gauchisme des années 1968 sq. – l’auteur était trop jeune pour avoir vécu cette époque de profonde hypocrisie et d’énorme malhonnêteté intellectuelle. Les ex-gauchistes de 1968 sq. se sont parfaitement intégrés au consumérisme mondialiste (l’exemple de Cohn-Bendit est particulièrement démonstratif). Le populisme n’a rien à voir avec ces fumistes.

De même, il est faux de considérer que la vichyssoise « révolution nationale livrait le pays à l’occupation allemande » : c’était un essai de technocratie, elle-même réactionnelle aux excès opposés d’une finance trop attirée par la spéculation boursière et monétaire et de la surenchère démagogique du Front populaire (dont les réformes furent à la fois très incomplètes et abominablement coûteuses). La société des années 1950 sq. – qui a fait le lit de la Ve République gaullienne, morte en 1969 – est directement issue des réformes proposées par le brain-trust qui entourait le maréchal Pétain puis l’amiral Darlan.

Mais on ne peut qu’abonder dans le sens de l’ultime comparaison de l’auteur : être populiste en nos jours de toute puissance de la globalo-mondialisation, c’est faire acte de Résistance, comme certains l’ont fait, avec panache, dès 1940.  Finalement, ne pourrait-on pas imaginer que toute la question se résume à une simple équation : Populisme = Démocratie véritable… soit le gouvernement POUR le peuple et non plus le gouvernement pour défendre les privilèges de la caste politicienne ?

Ce très bon ouvrage n’est pas un livre d’historien : il ne faut pas y chercher une référence aux populismes antiques (Pisistrate, les Gracques ou Jules César), médiévaux, modernes ou contemporains. C’est l’œuvre d’un penseur, à la fois philosophe et sociologue, qui – heureuse surprise – n’est ni un raseur, ni un fumiste. C’est une œuvre utile, car – chose exceptionnelle – elle fait réfléchir le lecteur, qu’il soit ou non en phase avec telle ou telle option de l’auteur. La clarté d’expression sert une pensée originale et honnête sur un sujet brûlant d’actualité, non seulement européenne, mais aussi dans toutes les parties du monde où la globalo-mondialisation exerce ses charmes vénéneux.

Vincent Coussedière, Éloge du populisme, Élya Éditions, collection Voies Nouvelles, 168 pages, 16€. (2012).

Du même auteur, Le retour du peuple, an 1, Éditions du Cerf, 272 pages, 19 € ( mars 2016).

mardi, 24 mai 2016

Behind the New German Right

protests.jpg

Behind the New German Right

Ex: http://nybooks.com

Throughout its postwar history, Germany somehow managed to resist the temptations of right-wing populism. Not any longer. On March 13, the “Alternative for Germany” (AfD)—a party that has said it may be necessary to shoot at migrants trying to enter the country illegally and that has mooted the idea of banning mosques—scored double-digit results in elections in three German states; in one, Saxony-Anhalt, the party took almost a quarter of the vote. For some observers, the success of the AfD is just evidence of Germany’s further “normalization”: other major countries, such as France, have long had parties that oppose European integration and condemn the existing political establishment for failing properly to represent the people—why should Germany be an exception?  

Such complacency is unjustified, for at least two reasons: the AfD has fed off and in turn encouraged a radical street movement, the “Patriotic Europeans Against the Islamization of the West,” or Pegida, that has no equivalent elsewhere in Europe. And perhaps most important, the AfD’s warnings about the “slow cultural extinction” of Germany that supposedly will result from Chancellor Angela Merkel’s welcoming of more than a million refugees have been echoed by a number of prominent intellectuals. In fact, the conceptual underpinnings for what one AfD ideologue has called “avant-garde conservatism” can be found in the recent work of several mainstream German writers and philosophers. Never since the end of the Nazi era has a right-wing party enjoyed such broad cultural support. How did this happen?

afd9_mo.jpg

The AfD was founded in 2013 by a group of perfectly respectable, deeply uncharismatic economics professors. Its very name, Alternative for Germany, was chosen to contest Angela Merkel’s claim that there was no alternative to her policies to address the eurocrisis.The professors opposed the euro, since, in their eyes, it placed excessive financial burdens on the German taxpayer and sowed discord among European states. But they did not demand the dissolution of the European Union itself in the way right-wing populists elsewhere in Europe have done. Still, Germany’s mainstream parties sought to tar them as “anti-European,” which reinforced among many voters the sense that the country’s political establishment made discussion of certain policy choices effectively taboo. Like other new parties, the AfD attracted all kinds of political adventurers. But it also provided a home for conservatives who thought that many of Merkel’s policies—ending nuclear energy and the military draft, endorsing same-sex unions, and raising the minimum wage—had moved her Christian Democratic Union (CDU) too far to the left. Since there was a mainstream conservative view opposing many of these decisions, the AfD could now occupy space to the right of the CDU without suspicion of being undemocratic or of harking back to the Nazi past.

The AfD narrowly failed to enter the German parliament in 2013, but managed to send seven deputies to Brussels after the 2014 elections to the European Parliament, where they joined an alliance of Euroskeptic parties led by Britain’s conservatives. With outward success came internal strife. Young right-wingers challenged the AfD’s professors with initiatives such as the “Patriotic Platform,” which appeared closer to the nationalist far right than an authentically conservative CDU. In summer 2015, most of the founders of the AfD walked away; one expressed his regret about having created a “monster.” The AfD seemed destined to follow the path of so many protest parties, brought down by infighting, a lack of professionalism, and the failure to nurture enough qualified personnel to do the day-to-day parliamentary politics it would have to engage in to become more than a flash in the pan.

And then the party was saved by Angela Merkel. Or so the AfD’s new, far more radical leaders have been saying ever since the chancellor announced her hugely controversial refugee policy last summer. At the time, her decision was widely endorsed, but in the months since, her support has declined precipitously—while the AfD’s has surged. Many fear that the German state is losing control of the situation, and blame Merkel for failing to negotiate a genuinely pan-European approach to the crisis. Alexander Gauland, a senior former CDU politician and now one of the most recognizable AfD leaders—he cultivates the appearance of a traditional British Tory, including tweed jackets and frequent references to Edmund Burke—has called the refugee crisis a “gift” for the AfD.

Beatrix-von-Storch-600x252.jpg

Others have gone further. Consider the statements of Beatrix von Storch, a countess from Lower Saxony who is one of the AfD’s deputies to the European Parliament, where she just joined the group that includes UKIP and the far right Sweden Democrats. A promoter of both free-market ideas and Christian fundamentalism she has gone on record as saying that border guards might have to use firearms against refugees trying illegally to cross the border—including women and children. After much criticism, she conceded that children might be exempted, but not women.   

Such statements are meant to exploit what the AfD sees as a broadening fear among voters that the new arrivals pose a deep threat to German culture. The AfD will present a full-fledged political program after a conference at the very end of April, but early indications are that there will be a heavy emphasis on preventing what the party views as the Islamization of Germany. A draft version of the program contains phrases such as “We are and want to remain Germans”—and the real meaning of such platitudes is then made concrete with the call to prohibit the construction of minarets. It is here that the orientation of AfD and the far more strident, anti-Islam Pegida movement most clearly overlap. 

PEGIDA.jpg

Pegida was started by right-wing activists in the fall of 2014 who invited citizens to join them for what they called “evening strolls” through Dresden and other cities to oppose “Islamization.” The movement’s leaders have also advocated better relations with Russia (posters have said “Putin help us!”), a call strongly echoed by AfD politicians such as Gauland. The demonstrators appropriated the slogan “We are the people,” which East German citizens had famously chanted in 1989 to protest against the state socialist regime. Pegida not only lives off diffuse fears (there are hardly any Muslims in Dresden), but also questions the democratic system as such. Elected representatives in parliament—Volksvertreter—are denounced as traitors—Volksverräter. Pegida members have decried Merkel’s policies of maintaining open borders as violating her oath of office to keep the German people safe.

Supporters of the movement have demanded “resistance,” or at least “civil disobedience,” for instance by blocking access to refugee centers. Demonstrators sometimes hold up the “Wirmer flag,” which the anti-Hitler resistance around Claus von Stauffenberg had intended as the symbol of a post-Nazi Germany. In fact, many far-right groups in Germany have appropriated this symbol to signal that they consider the current state illegitimate (even though Josef Wirmer, the designer of the flag, was a Catholic democrat who was executed by the Nazis; his son has said the Wirmer family might sue Pegida demonstrators for using the banner). Pegida events have been attended by right-wing leaders from outside Germany, most prominently the Dutch right-wing anti-Islam politician Geert Wilders (who calls the Tweede Kammer, the Dutch House of Representatives in The Hague, a “fake parliament”).

Peter Sloterdijk - Germany two.jpgHere is where German intellectuals come into the story. Journalists and academics have had a hard time understanding why the Pegida movement emerged when it did and why it has attracted so many people in Germany; there are branches of the Pegida movement in other parts of Europe, but they have gathered only marginal support thus far. Those who suggest it is driven by “anger” and “resentment” are being descriptive at best. What is remarkable, though, is that “rage” as a political stance has received the philosophical blessing of the leading AfD intellectual, Marc Jongen, who is a former assistant of the well-known philosopher Peter Sloterdijk. Jongen has not only warned about the danger of Germany’s “cultural self-annihilation”; he has also argued that, because of the cold war and the security umbrella provided by the US, Germans have been forgetful about the importance of the military, the police, warrior virtues—and, more generally, what the ancient Greeks called thymos (variously translated as spiritedness, pride, righteous indignation, a sense of what is one’s own, or rage), in contrast to eros and logos, love and reason. Germany, Jongen says, is currently “undersupplied” with thymos. Only the Japanese have even less of it—presumably because they also lived through postwar pacifism. According to Jongen, Japan can afford such a shortage, because its inhabitants are not confronted with the “strong natures” of immigrants. It follows that the angry demonstrators are doing a damn good thing by helping to fire up thymos in German society.

Jongen, who is now deputy leader of the AfD in Baden-Württemberg, was virtually unknown until this spring. Not so Sloterdijk, one of Germany’s most prominent philosophers (and undoubtedly the most prolific) whose work has also become well-known in the US. Sloterdijk regularly takes on controversial subjects such as genetic engineering and delights in provoking what he sees as an intellectual left lacking in humor and esprit. His books, which sell extremely well, are not so much driven by clear-cut arguments as suggestively offering philosophical, and often poetic, re-descriptions of recent history, or even the history of the West as a whole.

fn-gmJY9qL._SY344_BO1,204,203,200_.jpgLike in Nietzsche’s On the Genealogy of Morality—a continuous inspiration for Sloterdijk—these re-descriptions are supposed to jolt readers out of conventional understandings of the present. However, not much of his work lives up to Nietzsche’s image of the philosopher as a “doctor of culture” who might end up giving the patient an unpleasant or outright shocking diagnosis: Sloterdijk often simply reads back to the German mainstream what it is already thinking, just sounding much deeper because of the ingenuous metaphors and analogies, cute anachronisms, and cascading neologisms that are typical of his highly mannered style. 

Sloterdijk has distanced himself from Jongen’s self-declared “avant-garde conservatism.” But the “psycho-political” perspective Jongen adopts is one of Sloterdijk’s philosophical trademarks. In his 2006 volume Rage and Time, in which he also takes his cues from Nietzsche, Sloterdijk argued that in the West thymos had been largely forgotten because of the dominance of eros in consumer capitalism, with the result that envy and resentment dominate the inner lives of citizens. He echoed Francis Fukuyama’s argument in his The End of History and the Last Man that pacified liberal democracies generally fail to find a proper place for “thymotic energies,” and Sloterdijk has said explicitly that, in confrontations with Islam, the West needs to rediscover the role of thymos. Just like Jongen, who criticizes the EU for being “post-thymotic,” Sloterdijk longs for Europe to assert itself more forcefully on the global stage and fears that the refugee crisis will weaken the continent—to the delight, he says, of the US (“that’s why Obama praises Merkel,” as Sloterdijk put it in an interview published at the beginning of 2016). 

Sloterdijk has also invoked the concept of “the state of exception” developed by the right-wing jurist Carl Schmitt in the Twenties. As Schmitt saw it, the sovereign could, in order to save the polity in a situation of crisis, suspend the constitution by declaring a state of exception. He added that whoever decides whether there really is an existential threat to a state is revealed as the supreme power. Today, Sloterdijk holds, it is not the state, the nominal sovereign, but the refugee who decides on the state of exception. As a result of Merkel’s policy to allow the unrestricted entry of Syrians, Sloterdijk charges, Germany has waived its own sovereignty, and this “abdication” supposedly “continues day and night.”

No doubt refugees themselves have faced a state of emergency and no doubt their arrival has created an exceptional challenge for Germany—but Sloterdijk’s observation makes at best for a momentarily arresting aphorism, as opposed to providing any real analysis of the situation: Merkel and her parliamentary majority in fact retain decision-making power, and there is no reason to believe that Europe’s most powerful state has become a plaything of dangerous foreigners. But Sloterdijk has charged that his critics are superficial intellectuals who surround his ideas as if the latter were “women at New Year’s Eve”—a tasteless allusion to the attacks on females in Cologne this winter. 

Botho-Strauss.jpg.1339092.jpgSloterdijk is not the only prominent cultural figure who willfully reinforces a sense of Germans as helpless victims who are being “overrun” and who might eventually face “extinction.” The writer Botho Strauβ recently published an essay titled “The Last German,” in which he declared that he would rather be part of a dying people than one that for “predominantly economic-demographic reasons is mixed with alien peoples, and thereby rejuvenated.” He feels that the national heritage “from Herder to Musil” has already been lost, and yet hopes that Muslims might teach Germans a lesson about what it means to follow a tradition—because Muslims know how to submit properly to their heritage. In fact, Strauβ, who cultivates the image of a recluse in rural East Germany, goes so far as to speculate that only if the German Volk become a minority in their own country will they be able to rediscover and assert their identity.    

Such rhetoric indicates a potentially profound shift in German political culture: it is now possible to be an outspoken nationalist without being associated with—or, for that matter, without having to say anything about—the Nazi past. And it is possible to argue that Germany needs to experience a kind of 1968 in reverse: whereas back then, a grand coalition of Social and Christian Democrats meant that there was no real representation of the left in parliament, or so student activists thought, there are now a growing number of established intellectuals who are prepared to argue that there is no effective way to counter Merkel’s refugee policies in the Bundestag—with the consequence that the right needs to engage in “extra-parliamentary opposition.” It is one thing to oppose a government’s particular policies; it is another to claim, as the AfD explicitly does in its draft program, that a self-serving political class consisting of all parties has hijacked the democratic system as a whole: an “illegitimate situation,” the party says, which the Volk needs to correct.

kubitschek_bcr.jpgLike at least some radicals in the late Sixties, the new right-wing “avant-garde” finds the present moment not just one of apocalyptic danger, but also of exhilaration. There is for instance Götz Kubitschek, a publisher specializing in conservative nationalist or even outright reactionary authors, such as Jean Raspail and Renaud Camus, who keep warning of an “invasion” or a “great population replacement” in Europe. Kubitschek tells Pegida demonstrators that it is a pleasure (lust) to be angry. He is also known for organizing conferences at his manor in Saxony-Anhalt, including for the “Patriotic Platform.” His application to join the AfD was rejected during the party’s earlier, more moderate phase, but he has hosted the chairman of the AfD, Björn Höcke, in Thuringia. Höcke, a secondary school teacher by training, offered a lecture last fall about the differences in “reproduction strategies” of “the life-affirming, expansionary African type” and the place-holding European type. Invoking half-understood bits and pieces from the ecological theories of E. O. Wilson, Höcke used such seemingly scientific evidence to chastise Germans for their “decadence.”  

These ideas have been met with significant resistance. Some intellectuals have criticized Sloterdijk for being an armchair philosopher who offers Volk-psychology with little awareness of the reality of refugees’ lives or, for that matter, of the complex political imperatives Merkel is trying to juggle. (Sloterdijk in turn has said that he is simply on the side of populism, which he understands as the “realpolitik of the less and less silent majority.”) The social theorist Armin Nassehi has shrewdly pointed out that the seemingly avant-garde conservatives offer not much more than the sociologically naive view that more national homogeneity will solve all problems; and the novelist and essayist Navid Kermani, who with his much-praised reporting from the “Balkans route,” has reminded Germans of the actual plight of refugees. Nassehi and Kermani are among the most thoughtful intellectual voices in Germany today. Both also happen to be second-generation immigrants whose parents came to Germany from Iran in the 1950s. 

The AfD might yet fail to establish itself in the political system. Infighting continues, not least because there are deep disagreements about whether the party should enter coalition governments or remain in “fundamental opposition.” It’s not clear that the AfD can successfully evoke the heroism of resistance and be a home for moderate Bürger all at the same time. As the number of refugees reaching Germany has dwindled with the effective closing of the “Balkans route,” the pressure on Merkel is easing. But neither conservatives nor nationalists are likely to forgive her for her stance during the refugee crisis. Three-quarters of Germans now expect the AfD to enter parliament in the national elections in 2017. And even if the party doesn’t reach the required threshold, it, and its intellectual supporters, will have brought about the most dramatic change in mainstream German political discourse since the country’s unification in 1990.

 

wirmer-start.jpg

People in the crowd waving the Stauffenberg's cross flag, that the celebrated Colonel, who tried to kill Hitler in July 1944, intended to use to replace the Nazi swastika banner.

"Het geheim van de laatste staat" van Paul Frissen

Paul-Frissen-2-Foto-Ben-Bergmans.jpg

"Het geheim van de laatste staat" van Paul Frissen

door Dirk Verhofstadt

Ex: http://www.liberales.be

frissen089539632.jpgHeel wat politici, filosofen en gewone burgers eisen van de overheid meer transparantie in het politiek bedrijf. Het lijkt wel het tovermiddel om onze democratie sterker en efficiënter te maken. En de politiek speelt daar ook op in. Nieuwe parlementsgebouwen worden gebouwd met grote glaspartijen als figuurlijk, maar ook letterlijk symbool van de gezamenlijke wil om te komen tot transparantie. Burgers krijgen zo bijna letterlijk inzage in de parlementaire werking en de verkozenen van het volk zien als het ware hoe de burgers op hen toekijken. Dus geen beslissingen meer in duistere achterkamertjes maar openbare debatten die dan via televisie en het internet gevolgd kunnen worden door al wie interesse heeft. Transparantie wordt ook geëist van zowat alle burgers om aan te tonen dat ze ‘niets te verbergen hebben’ en daarom figuurlijk doorzichtig moeten zijn. Leve de transparantie dus. Maar tegen die trend in schreef de Nederlandse hoogleraar Bestuurskunde Paul Frissen het boek Het geheim van de laatste staat waarin hij kritiek geeft op de transparantie en pleit voor het fundamentele recht van de burger op geheimen als één van de waarborgen van zijn vrijheid.

Frissen beseft dat het begrip ‘transparantie’ een buzzwoord van onze tijd is dat voortdurend wordt aangehaald ter bevordering van de democratie en om ‘de waarheid’ te kennen. Maar hij is overtuigd dat zowel de burgers als de staat geheimen nodig hebben om de vrijheid van de burgers te beschermen. Hij wijst daarbij op de paradox dat we met zijn allen wel belang hechten aan onze privacy maar via de sociale media overal sporen nalaten. En dat we wel alles willen weten over onze machthebbers maar schrikken als de staat in onze geheimen komt snuffelen. De auteur bespreekt eerst de historische oorzaken naar die drang naar transparantie. Sinds de Verlichting willen we zoveel mogelijk weten. ‘De sluiers van onwetendheid waarin geloof en magie de mensheid millennia lang hebben gehuld, moesten worden afgeworpen,’ schrijft Frissen. En met de opkomst van de democratie hebben burgers recht op informatie, moet openheid bijdragen in het geheel van check and balances, en willen we weten wat we van de overheid en onze bestuurders mogen verwachten. Transparantie draagt trouwens ook bij tot een betere marktwerking en het voorkomen van corruptie en belangenvermenging.

Je zou dus kunnen stellen dat transparantie in de democratie ‘zowel een voorwaarde als een doel is’, aldus Frissen. Maar toch kunnen er redenen zijn om niet alles te onthullen. Als dit nodig is voor de veiligheid van de staat, als belangrijke staatsbelangen op het spel staan, of bij de opsporing en vervolging van strafbare feiten. En, nog belangrijker, om onze privacy te beschermen. De auteur komt dan tot het besluit dat de ‘verbintenis tussen transparantie en democratie om verschillende redenen echter minder vanzelfsprekend (is)’. Sterker nog: totale zichtbaarheid van mensen spoort met totalitarisme. Frissen beklemtoont dat democratieën maar kunnen functioneren door representatie en dat politiek een vorm van ‘creatie’ is. Denk hierbij aan het sluiten van een compromis dat tot stand komt in beslotenheid. De auteur stelt dat de transparantiedwang veel van doen heeft met wantrouwen. Zijn voornaamste bezwaar is dat een transparante samenleving overeenkomt met een volmaakte controlesamenleving.

Dat laatste vormt het thema van diverse dystopische romans zoals Wij van Jevgeni Zamjatin, 1984 van George Orwell en De Cirkel van Dave Eggers. Vooral die laatste roman geeft een hallucinant beeld van wat er zou kunnen gebeuren mochten de sociale mediasystemen die we vandaag kennen, gebundeld worden in één groot bedrijf dat zo een quasi monopolie zou hebben over het doen en laten van bijna de gehele wereldbevolking. Politiek wordt overbodig omdat iedereen, in een vorm van directe democratie, op elk moment een voorstel kan goed- of afkeuren. ‘Privacy is diefstal’ en ‘Geheimen zijn leugens’ zo luiden de slogans van het bedrijf. Want waarom zou je eigen ervaringen niet willen delen met anderen, tenzij je slechte bedoelingen hebt? En zo volgen meer stappen naar volledige transparantie die bijna steeds voortvloeien uit goede bedoelingen, maar een gitzwarte keerzijde kennen. Namelijk een onthutsende ontmanteling van onze privacy met levens die permanent onder toezicht staan en gecontroleerd worden op afwijkend of ongezond gedrag. Het leidt alvast tot een totalitair systeem zonder enige vrijheid om zich eraan te onttrekken. ‘Niet gezond maar ongezond willen leven, dat alles is ook vrijheid’, aldus Frissen.

Gelukkig leven we niet in De Cirkel. We hebben nog steeds het recht om niet alles te onthullen en sommige vormen van geheimhouding zijn zelfs wettelijk voorzien zoals het beroepsgeheim van dokters, advocaten, journalisten, enz. Ook op de vrije markt mogen bedrijven geheimen hebben (denk aan het recept van Coca Cola), maar ook in de diplomatie, inlichtingendiensten, de politie en bij politiek overleg. De overheid heeft zelfs de taak om persoonsgegevens van burgers te beschermen. ‘Geheimhouding is noodzakelijk en functioneel voor de moderne staat, maar stuit op het ideaal van transparantie’, schrijft Frissen. Toch is de lijn soms flinterdun. Neem de bestrijding van criminaliteit en terreur waarvoor de staat moet kunnen beschikken over bijzondere bevoegdheden. Maar anderzijds mogen die bevoegdheden de rechten en vrijheden van de burgers niet aantasten. Frissen citeert dan ook de liberale denker Michael Ignatieff die pleit voor ‘het minste kwaad’ als een soort middenweg. In elk geval is geheimhouding soms noodzakelijk om de open samenleving in stand te houden.

‘Vrijheid is het recht in verborgenheid te leven’, aldus Frissen. Dit is een belangrijke uitspraak, zeker in het licht van de toenemende aantasting van onze privacy door de grote internetbedrijven. Vandaar de noodzaak van een kritische tegenbeweging van burgers en politici die opkomen voor onze privacy. Vandaar het belang van de rechtelijke uitspraak met betrekking tot Google over het ‘recht om vergeten te worden’. Vandaar de reden om elke wijziging in de bedrijfspolitiek in de nieuwe mediabedrijven met argwaan te onderzoeken. De leiders van Google, Facebook, Twitter en andere succesbedrijven zullen in alle toonaarden ontkennen dat ze onze privacy willen aantasten. De realiteit is dat onze private voorkeuren in de loop van geschiedenis nog nooit zo erg werden uitgebuit ten bate van de beurskoersen van de betrokken bedrijven. Geheimhouding is ook nodig om de veiligheid van de staat en haar burgers zo goed als mogelijk te beschermen tegen interne en externe vijanden. Om die reden is de auteur ook geen sympathisant van Julian Assange en Edward Snowden, al lijkt hun onthulling over de bedrijvigheden van geheime inlichtingendiensten nu net wel een positieve zaak in het zoeken naar het precaire evenwicht tussen geheimhouding en transparantie.

transparencyAJDYwZDk5M.jpg

‘Geheimhouding en transparantie zijn beide ten diepste verbonden in een dynamisch evenwicht dat voortdurend kan ontsporen’, schrijft Frissen. Vandaar het belang van de democratie en democratische processen om voortdurend afwegingen te maken. Dit boek vormt alvast een belangrijke bijdrage in het debat hierover en moet dan ook breed gelezen worden door beleidsmakers en gewone burgers om met de nodige nuance te kunnen oordelen.


Recensie door Dirk Verhofstadt

Paul Frissen, Het geheim van de laatste staat. Kritiek van de transparantie, Boom, 2016

Links
mailto:verhofstadt.dirk@telenet.be
 

lundi, 23 mai 2016

Basteln an der neuen rechten Weltanschauung

Marc_Jongen_afd-1200x700_c.jpg

Basteln an der neuen rechten Weltanschauung

Jürg Müller-Muralt

Ex: http://infosperber.ch

Die Partei «Alternative für Deutschland» ist auf dem Vormarsch. Fortschritte macht auch der weltanschauliche Überbau.

«Klassiker der Ästhetik»: So lautet die Lehrveranstaltung des Philosophiedozenten Marc Jongen (Foto) an der Staatlichen Hochschule für Gestaltung (HfG) Karlsruhe im Wintersemester 2015/16. «Im Seminar werden klassische philosophische Texte, die für das Verständnis der Ästhetik wesentlich sind, gelesen und diskutiert», steht in der Ankündigung. Ein akademischer Feingeist? Nicht nur; er kann auch anders. Flüchtlinge sieht er als eine Art Naturkatastrophe, als «schrankenlose Überschwemmung mit Menschen, die auf die lange Dauer nicht integrierbar sind, weil sie einfach zu viele sind und zu fremd». Wer das anders sieht, den bezichtigt er wahlweise einer «überzogen humanitaristischen Moral» oder einer «Hypermoral».

Nachzulesen ist dies in einem Interview mit Marc Jongen in der «NZZ am Sonntag». Dort ruft er auch zu Wehrhaftigkeit auf: «Wir müssen, um als europäische Staaten und Völker zu überleben, deutlich nüchterner, realistischer und auch wehrhafter werden». Denn: «Wenn unsere Vorväter dieses Territorium nicht leidenschaftlich und wenn nötig auch mit Gewalt verteidigt hätten, würden wir jetzt nicht hier sitzen und uns in unserer Sprache unterhalten». So kann man deutsche Geschichte auch interpretieren, wenn man der Wahrheit nur genügend Gewalt antut.

«Thymotische Unterversorgung»

plato2_1559507e.jpgGewalt, Wut und Zorn sind ohnehin Schlüsselbegriffe in der Welt des Marc Jongen. «Wir pflegen kaum noch die thymotischen Tugenden, die einst als die männlichen bezeichnet wurden», doziert der Philosoph, weil «unsere konsumistische Gesellschaft erotozentrisch ausgerichtet» sei. Für die in klassischer griechischer Philosophie weniger bewanderten Leserinnen und Leser: Platon unterscheidet zwischen den drei «Seelenfakultäten» Eros (Begehren), Logos (Verstand) und Thymos (Lebenskraft, Mut, mit den Affekten Wut und Zorn). Jongen spricht gelegentlich auch von einer «thymotischen Unterversorgung» in Deutschland. Es fehle dem Land an Zorn und Wut, und deshalb mangle es unserer Kultur auch an Wehrhaftigkeit gegenüber anderen Kulturen und Ideologien.

Der in der Schweiz noch wenig bekannte Marc Jongen gehört zur intellektuellen Abteilung der Rechtspartei «Alternative für Deutschland». Die AfD galt ja in ihrer Gründungszeit bis zur Parteispaltung Mitte 2015 als «Professorenpartei» und geizte auch im jüngsten Wahlkampf nicht mit akademischen Titeln auf Plakaten. Als akademischer Mitarbeiter an der Hochschule für Gestaltung Karlsruhe diente Jongen lange Jahre als Assistent des bekannten Philosophen und früheren Rektors Peter Sloterdijk, der sich allerdings mittlerweile deutlich von den politischen Ansichten seines Mitarbeiters distanziert (mehr zum Verhältnis Jongens zu Sloterdijk findet sich in einem Beitrag der Online-Plattform «Telepolis»). In der AfD ist Jongen Vize-Landesvorsitzender in Baden-Württemberg und Mitglied der AfD-Bundesprogrammkommission. Er schreibt an einem Papier, das die weltanschauliche Marschrichtung der Partei skizzieren soll.

«Gefilde abseits der Vernunft»

Der Mann hat also das Potenzial, innerhalb der seit den März-Wahlen in drei deutschen Bundesländern sehr erfolgreichen Partei eine zentrale Rolle zu spielen. Da muss es interessieren, wes Geistes Kind er ist. Jongen gehört nicht zu den Lauten in der Partei, er argumentiert lieber mit Platon und anderen philosophischen Grössen; da kennt er sich aus. Aber er war eben im vergangenen Jahr auch am Sturz von Bernd Lucke beteiligt, des verhältnismässig liberalen Parteivorsitzenden. Damit hat er den populistischen, nationalromantischen bis rechtsradikal-völkischen Kräften innerhalb der AfD zum Durchbruch verholfen.

Auffallend ist, wie stark sich Jongen mit reaktionären philosophischen Konzepten beschäftigt. Die «Frankfurter Allgemeine Zeitung» findet in einer lesenswerten Analyse, bei ihm schimmere eine Fundamentalkritik der Moderne durch: «Der Philosoph bezieht sich jedenfalls vorwiegend auf Denker, die in diesem Ruf stehen: Friedrich Nietzsche, Oswald Spengler, Martin Heidegger und einen Vordenker der ‘konservativen Revolution’ wie Carl Schmitt, der zunächst von seinem Schreibtisch aus die Weimarer Republik zu sabotieren suchte und dann nach der Machtergreifung ebenso wie Heidegger dienstfertig dem Nationalsozialismus zuarbeitete. Gemeinsam ist diesen Denkern, dass sie von der Vernunft und republikanischer Mässigung wenig hielten, sondern mehr von scharfen historischen Brüchen. Sie operierten vorwiegend in geistigen Gefilden abseits der Vernunft, in Ausnahmezuständen und Seinsordnungen, Freund-Feind-Schemata und dionysischen Rauschzuständen.»

Gegen Gleichstellung der Geschlechter

«Die Zeit» macht darauf aufmerksam, dass der AfD-Landesparteitag Baden-Württemberg unter der Federführung Jongens die Gleichstellung der Geschlechter mit der Begründung abgelehnt habe, man wisse sich dabei «mit den ethischen Grundsätzen der grossen Weltreligionen einig». Die dürften nicht «auf dem Altar der pseudowissenschaftlichen Gender-Ideologie» geopfert werden. Dies ist eine für einen philosophisch Gebildeten recht abenteuerliche Argumentation. Denn damit wird den Weltreligionen im Umkehrschluss eine wissenschaftliche Grundlage zugebilligt.

Die Mitgliedschaft Marc Jongens in der AfD hat, wenig erstaunlich, auch zu einigen Turbulenzen an der Hochschule für Gestaltung geführt. Der neue Rektor, Siegfried Zielinski, hat Jongen alle Leitungsfunktionen entzogen und ihn auch als Herausgeber der Schriftenreihe «HfG-Forschung» abgesetzt. Das ist demokratiepolitisch heikel und kann als Beschneidung der Meinungsäusserungsfreiheit interpretiert werden. Rektor Zielinski hat jedoch in einer bemerkenswerten Medieninformation vom 24. Februar 2016 seinen Schritt sauber begründet. Solange «die Partei, in der Jongen politisch engagiert ist, zu den legalen politischen Formationen gehört, geniesst er denselben Schutz wie alle anderen Hochschulangehörigen». Das Rektorat sei «indessen nicht für die personellen Konstellationen der Vergangenheit verantwortlich» und müsse sie deshalb nicht so belassen wie bisher.

«Wer denkt, ist nicht wütend»

Die Medieninformation wurde unter dem Titel «Wer denkt, ist nicht wütend» veröffentlicht, ein Zitat von Theodor W. Adorno. Es spielt an auf den von Jongen so oft bemühten und oben erwähnten Thymos (Wut, Zorn). Das Dokument ist auch deshalb eindrücklich, weil es präzis die Aufgabe einer Kunsthochschule beschreibt:

«Kunsthochschulen haben die Aufgabe, werdenden Intellektuellen, Künstlerinnen und Künstlern sowie Gestalterinnen und Gestaltern einen optimalen, anregenden, ihr Wissen und ihre Begabungen fördernden Freiraum zu organisieren. Das ist eine von Grund auf positive Herausforderung und Bestimmung. Eine Ideologie, die prinzipiell in der Verneinung eine Alternative sieht und aus der Perspektive der Verachtung handelt, bildet einen maximalen Gegensatz zu dieser Aufgabe.

(…)

Hass, Verbitterung, radikale Enttäuschung oder Unlust am Heterogenen vertragen sich nicht mit dem positiven Überraschungsgenerator, den eine gute Kunsthochschule der Möglichkeit nach darstellt.

(…)

Der neue Rektor folge «in seiner Arbeit einer Logik der Mannigfaltigkeit, der unbegrenzten Vielheit. (…) Als wichtigsten Impuls enthält eine Logik der Mannigfaltigkeit die uneingeschränkte Achtung vor dem Anderen, vor dem, was nicht mit uns identisch ist.»

(…)

«Die veröffentlichte Debatte um die Mitgliedschaft eines akademischen Mitarbeiters einer universitären Einrichtung des Landes Baden-Württemberg in der durch den Staat zugelassenen politischen Partei AfD schadet der HfG Karlsruhe als einer Einrichtung, die von kritischem Engagement, Gastfreundschaft, Erfindungsreichtum, Neugier und Toleranz getragen ist.»

Het politieke denken van Chantal Mouffe

mouffe.jpg

Het politieke denken van Chantal Mouffe

Patrick De Vos

Ex: http://www.dewitteraaf.be

Het cordon sanitaire mag het VB (Vlaams Blok/Vlaams Belang) dan al verhinderen om aan het bestuur deel te nemen, de probleemstellingen, thema's en ideeën van het VB zijn uitgegroeid tot de common sense van het politieke denken in Vlaanderen en België. [1] In België is het VB daarmee het meest succesvolle politieke project van de voorbije 15 jaar; in heel Europa is het inmiddels de sterkste partij in haar soort geworden. Het oogst daarvoor aanzien in rechtse kringen over het hele continent.

Zoveel electorale voorspoed en ideologische impact stemt tot nadenken over de manier waarop we nu al jaren met die partij omgaan. In dat verband is het vreemd dat een Belgische politieke theoretica die ons daarbij kan helpen, de in Londen docerende Chantal Mouffe, in haar geboorteland, waar de problematiek wellicht het acuutst is, nagenoeg onbekend blijft. Als coauteur (met Ernesto Laclau) van het in 1985 verschenenHegemony and Socialist Strategy, en als auteur van The Return of the Political (1993), The Democratic Paradox(2000) en On the Political (2005), geniet zij bij een Anglo-Amerikaans, Latijns-Amerikaans, Frans en Duits lectoraat bekendheid om haar radicale en vernieuwende kijk op democratie.

Het werk van Laclau en Mouffe vind je binnen de politieke en sociale wetenschappen onder de noemer postmarxisme: de recentste telg van de marxistische stamboom, waarvan ook de sociaal-democratie, althans in principe, nog altijd een tak is. Laclau en Mouffe zijn kinderen van hun tijd: ‘68-ers die met het links-radicale denken zijn opgegroeid. Mouffe ging meteen na haar studies in Leuven naar Parijs om er bij de structuralist-marxist Louis Althusser te studeren. Daarna trok ze, als velen van haar generatie, naar de derde wereld. In Columbia werd haar al snel duidelijk dat althusseriaanse concepten, om het minste te zeggen, maar beperkt bruikbaar waren.

Rond 1970 radicaliseerde ook de Latijns-Amerikaanse studentenbeweging, aangemoedigd door de Cubaanse revolutie. Aan de Universiteit van Buenos Aires is de jonge marxist Ernesto Laclau politiek erg actief. Maar met de dogma’s van het marxisme worstelde hij toen al. Onder invloed van het Peronisme wou hij het marxisme met iets anders vermengen. Met hun lezing van de Italiaanse marxist Antonio Gramsci zullen Laclau en Mouffe uiteindelijk breken met het essentialisme en economisme van marxisten als Althusser en Poulanzas. In hun postmarxisme integreren zij de liberale notie van individuele rechten. De sociale horizon van hun politieke project is een radicale en pluralistische democratie. Het moet de doelstelling van Links zijn om de Democratische Revolutie, die tweehonderd jaar geleden geïnitieerd werd, te verdiepen en uit te breiden naar steeds meer gebieden van het sociale leven, steeds meer maatschappelijke sferen. Dat is wat ze bedoelen met “de radicalisering van de democratie”.

Daarnaast verwijderen Laclau en Mouffe het klassebegrip en de klassestrijd uit het marxisme. [2] De arbeidersklasse is niet langer de geprivilegieerde agent van de geschiedenis, en de strijd tegen het kapitalisme is niet noodzakelijk acuter dan die tegen racisme, seksisme of andere vormen van onderdrukking. Als we morgen alle kapitalistische productieverhoudingen afschaffen – voor zover dat al mogelijk is – dan zijn alle vormen van ongelijkheid en onderdrukking nog niet de wereld uit. [3] Wie de arbeider als geprivilegieerde politieke actor van de geschiedenis blijft zien, zal onder feministen of ecologisten weinig bondgenoten vinden. Hun politieke strijd is vanuit zo’n optiek immers van ondergeschikt belang. Laclau en Mouffe ontdoen het socialisme van deze essentialismen en effenen zodoende het pad om het, samen met feminisme, ecologisme, antiracisme, andersglobalisme enzovoort, tot een nieuw links project te articuleren. We spreken midden jaren ‘80 toen in de Britse context, waar ze inmiddels werkten, het thatcherisme pas goed op dreef kwam.

De liberale democratietheorie

Historisch gezien is onze democratie gegroeid uit de combinatie van twee vormgevende principes. Ten eerste de zogenaamde rule-of-law, die geassocieerd wordt met liberalisme, scheiding der machten, individuele vrijheden en mensenrechten. Elke burger komen onvervreemdbare, fundamentele rechten toe, die grondwettelijk verankerd zijn, en die de bescherming garanderen van de integriteit en de vrijheid van het individu. Deze ideeën passen in een liberale denktraditie die teruggaat tot de 17de-eeuwse Engelse filosoof John Locke. “All men are born free and equally alike”, zei Locke: dat is hun natuurlijke staat.

Ten tweede is er de notie van de volkssoevereiniteit, die geassocieerd wordt met democratische participatie, formele gelijkheid tussen burgers en het beslissen bij meerderheid. Hier staat de gedachte centraal dat het volk zichzelf bestuurt; een gedachte die teruggaat tot de Griekse stadstaat en die in de moderne tijd terugkeert bij de 18de-eeuwse Franse filosoof Jean-Jacques Rousseau.

laclaumouff-1439283629-73.jpg

Deze twee principes vormen geen eeneiige tweeling. Tussen beide heerst een onherleidbare spanning, die Mouffe “de democratische paradox” noemt. Er is bijvoorbeeld een spanning tussen het liberale principe van individuele rechten en de nood van elke democratische samenleving aan sociale en politieke eenheid. Niet-negotieerbare mensenrechten (liberalisme) beperken onvermijdelijk de volkssoevereiniteit (democratie), terwijl de in- en uitsluiting aan de hand waarvan bepaald wordt wie er wel en niet tot de demos behoort (democratie) aan de universele mensenrechten (liberalisme) noodzakelijk beperkingen oplegt. Er is immers geen garantie dat een democratische beslissing de individuele rechten en vrijheden niet op het spel zet.

Hoewel we vandaag onder democratie, als vanzelfsprekend, liberale democratie verstaan, gaat het dus om een articulatie van twee verschillende tradities: de liberale traditie van individuele vrijheid en pluralisme, en de democratische traditie van volkssoevereiniteit en gelijkheid. Liberalisme is geen homogene doctrine, maar een amalgaam van principes: de rechtsstaat, individuele vrijheden en rechten, de erkenning van sociaal-politiek pluralisme, representatief bestuur, de scheiding der machten, limitatie van de staatsmacht, de kapitalistische markteconomie. Democratie, van haar kant, ontstond als een vertoog over volkssoevereiniteit, universeel stemrecht en gelijkheid.

In oorsprong waren liberalisme en democratie oppositioneel, en had de term democratie zelfs een pejoratieve betekenis: de heerschappij van het gepeupel, en dus chaos. Beide beginselen werden voor het eerst samen gearticuleerd in de 19de eeuw, wat er op den duur voor gezorgd heeft dat het liberalisme gedemocratiseerd en de democratie geliberaliseerd werd. Dit gebeurde door een opeenvolging van politieke conflicten, waarbij de ene traditie telkens weer haar suprematie over de andere wil doen gelden. Lange tijd werd dat conflict als legitiem beschouwd; pas in de voorbije decennia werd het als achterhaald van de hand gewezen. Maar volgens Mouffe bestaat er tussen de liberale principes van pluralisme, individualisme en vrijheid, en de democratische principes van eenheid, gemeenschap en gelijkheid, nog altijd een aanhoudende spanning, die in de huidige democratische theorie en praktijk verwaarloosd wordt. Het is deze onoplosbare spanning die de democratie levendig houdt en het primaat van de politiek garandeert, zegt Mouffe.

Traditioneel wordt democratie door de liberale theorie opgevat als een aggregatie van belangen. Dit model werd in de voorbije decennia wat verdrongen door het model van de deliberatieve democratie, dat politiek ziet in ethische en doorgaans universele termen, en dat verdedigd wordt door onder anderen Jürgen Habermas, John Rawls en Ronald Dworkin. Volgens hen is de democratische samenleving gericht op de creatie van een rationele consensus, die bereikt wordt aan de hand van deliberatieve processen die tegemoetkomen aan de belangen vaniedereen. Een beslissing is democratisch wanneer, na het voeren van een redelijke deliberatie, tussen álle betrokkenen een overeenstemming wordt bereikt. In dit denken domineren consensus en compromis, verkregen door rationele argumentatie en overtuiging.

Kenmerkend voor het individualistisch rationalisme van deze liberale democratieopvatting is het onvermogen om de specifieke aard van het politieke, en de formatie van politieke identiteiten die daarmee gepaard gaat, ten gronde te begrijpen. De idee van een perfecte consensus – of een harmonieuze collectieve wil, zoals bij Rousseau – wijst Mouffe als gevaarlijk van de hand. [4] Het liberale pluralisme wordt gekenmerkt door eindeloze conflicten tussen verschillende opinies en opvattingen inzake de ‘correcte’ interpretatie van vrijheid en gelijkheid. Het is deze aanhoudende onenigheid die mensen opdeelt in vrienden en vijanden. Als liberale denkers het collectieve karakter van de politieke strijd, die door het pluralisme bevorderd wordt, niet zien, dan komt dat door hun individualistische opvatting van politiek, als het rationeel nastreven en onderhandelen van individueel eigenbelang.

chmeL._SX331_BO1,204,203,200_.jpgNet als Carl Schmitt (1888-1985) voert Chantal Mouffe de differentia specifica van het politieke terug op het onderscheid tussen vriend en vijand; oftewel tot de altijd aanwezige mogelijkheid van vijandelijkheid in intermenselijke relaties. Mouffe zegt niet dat alle sociale relaties noodzakelijk antagonistisch zijn, maar dat de mogelijkheid van conflict en vijandigheid in elke relatie op elk moment aanwezig is. Het politieke heeft altijd te maken met conflict en antagonisme, het gaat altijd gepaard met de formatie van een ‘wij’ versus een ‘zij’. In de discourstheorie van Laclau en Mouffe heet dit equivalentielogica: het opdelen van de sociale ruimte door betekenissen en identiteiten te comprimeren tot twee antagonistische polen.

Antagonisme is het sleutelwoord om de vorming van politieke identiteit te begrijpen. Anders dan de traditionele notie van sociaal antagonisme – dit is een confrontatie tussen sociale agenten die reeds beschikken over een volledig ontwikkelde identiteit – beweren Laclau en Mouffe dat antagonismen juist voorkomen omdat wij, als sociale agenten, niet bij machte zijn onze identiteit volledig te ontwikkelen. Zij steunen daarvoor in hoofdzaak op de lacaniaanse psychoanalyse en de derridiaanse notie van een constitutieve buitenkant, als voorwaarde voor de constructie van elke identiteit. Eenvoudig gesteld: een antagonisme ontstaat wanneer de aanwezigheid van ‘de Andere’ mij verhindert om volledig mezelf te zijn. [5] Deze blokkade is een wederzijdse ervaring. [6] Antagonismen onthullen niet alleen het tekort aan identiteit van sociale agenten, zij geven vorm aan de sociale werkelijkheid als zodanig. Sociale formaties worden gevormd aan de hand van antagonistische relaties, waardoor zich tussen sociale agenten politieke breuklijnen vestigen en verschillende identificaties vorm aannemen. [7]

Een democratie behoort pluraal te zijn. Op dat punt is Mouffe het eens met de liberale theorie. Zij betwist evenmin dat een plurale democratie een minimale consensus vereist over gemeenschappelijke ethisch-politieke principes. Maar consensus alleen volstaat niet. Zij is slechts het resultaat van een onderhandeling die telkens weer gevoerd moet worden. In de liberale democratieopvatting ligt de focus op het resultaat van consensus, die bereikt wordt door rationele compromisvorming tussen subjecten met een stabiele en gepreconfigureerde identiteit. Politiek wordt als een neutraal terrein gezien waarop verschillende groepen strijden om politieke macht. De politiek is als een schaakspel waarvan de spelregels en limieten vastliggen. Voor Mouffe daarentegen, gaat het er juist om de regels van de politiek te herschrijven. Het politieke terrein is niet neutraal. Het is in zekere zin de inzet van politieke strijd; in die strijd zelf wordt het terrein gevormd of hervormd.

Liberalism forever!

Sinds de val van de Berlijnse Muur domineert het in oorsprong thatcheriaanse denkbeeld dat er voor de huidige liberaal-kapitalistische wereldorde geen alternatief bestaat. Het failliet van het reëel bestaande socialisme betekende de definitieve overwinning van het kapitalisme en de liberale democratie: dat was de these van Francis Fukuyama, de Amerikaanse politicoloog en adviseur van Ronald Reagan. [8] Het liberalisme had die overwinning volgens hem te danken aan het feit dat het zowel op het materiële vlak (kapitalistisch marktmechanisme) als op het niet-materiële vlak (individuele erkenning) een maximale bevrediging biedt. Uit een hegeliaanse analyse van de geschiedenis haalt Fukuyama het ‘bewijs’ voor de afwezigheid van samenhangende alternatieven voor het liberalisme. De geschiedenis, als voortdurende strijd tussen politieke ideologieën en statenstelsels, heeft haar eindtermen bereikt: “liberalism forever!”

Het einde van de geschiedenis is een wat filosofische uitdrukking die staat voor het einde van de politiek, en Fukuyama was niet de eerste die deze stelling verdedigde. Om te beginnen was er Hegel zelf die in 1806, na de overwinning van Napoleon in de slag bij Jena, verklaarde dat de geschiedenis aan haar einde was gekomen. Begin jaren ‘60 initieerde de Harvardsocioloog Daniel Bell het debat over het einde van de grote ideologische conflicten. In de welvarende samenlevingen van het westen, aldus Bell, is de voorraad aan politieke ideeën uitgeput en zijn ideologische vraagstukken irrelevant geworden. Er is een brede ideologische consensus ontstaan, met als gevolg dat politieke partijen enkel nog om de macht strijden door hun electoraat meer welvaart te beloven. Volgens Bell zegevierde het economische dus ook over het politieke. Maar de heropleving van politiek-ideologische tegenstellingen en de politieke radicalisering van mei ‘68 haalden zijn these onderuit.

De clou bij dit soort politieke eschatologie is de volgende. Politieke ideologieën zijn supra-individuele denkvormen waardoor sociale actoren en groupe zin en richting geven aan hun maatschappelijk bestaan. Ze zijn naast descriptief altijd ook normatief. Ze willen vormgeven aan (toekomstige) sociale verhoudingen en bijgevolg zijn ze op handelen gericht. Elke politieke ideologie heeft de ambitie sociaal te interveniëren (decision making) of zo’n interventie te verhinderen (non-decision making). Deze toekomstgerichtheid vereist een sociale horizon (of sociale utopie) die het resultaat belooft te zijn van dat politieke project.

Elke politieke ideologie houdt dus de belofte in dat ze, met de realisatie van haar project, een eind zal maken aan de politiek. Het was Friedrich Engels die de stelling van Claude Henri de Saint-Simon overnam dat het heersen over mensen in de klassenloze maatschappij – de sociale horizon van het socialistische project – plaats zal maken voor het beheer van zaken. “Goed bestuur”, zeggen we vandaag. En het was de Italiaanse nationalist Giuseppe Mazzini (1805-1872) die stelde dat, als elke natie, separaat en distinct, een volwaardige organische eenheid zal zijn, er geen reden meer is voor onderling conflict. Macht en geweld zijn nodig om de oude orde aan de kant te zetten, maar eens de wereld volgens de nationalistische doctrine van één taal, één volk en één natie geordend zal zijn, wordt oorlog overbodig. [9]

Elk politiek project belooft dat, met de volledige realisatie van haar utopie, politiek overbodig wordt. Het is in die geest van het einde der tijden en het laatste oordeel dat Fukuyama de superioriteit van de liberaal-democratische staatsordening en van het kapitalistisch economisch systeem als bewezen proclameert. Nochtans was zijn these onder meer op feitelijke onjuistheden gebaseerd. Niet het liberalisme ‘pur sang’ had de Koude Oorlog overleefd, maar een gemengd model dat het laisser-fairebeginsel van de vrije markt compenseert door staatstussenkomst, regulatie en herverdeling. In de moderne geschiedenis heeft er nooit een volledig vrije markt bestaan, en dit geldt zelfs voor die landen waar het politieke liberalisme op dat moment hoogtij vierde: het Amerika van Reagan en Bush Senior en het Engeland van Thatcher en Major. Alle sterke, geïndustrialiseerde landen zijn sterk geworden door een mix van laisser faire en staatsinterventie. Ook hier zien we dat het principe van de vrije markt op gespannen voet staat met de democratie: de markt genereert ongelijkheid, die vervolgens door staatsinterventie gecompenseerd wordt. Op dat punt is er geen finale, rationele consensus mogelijk. Het economisch liberalisme is een moderne theorie van de ongelijkheid, zoals de vertegenwoordigende democratie een moderne theorie van de gelijkheid is. Het dispuut over de juiste verhouding tussen markt en staat is inherent aan de liberaal-democratische samenleving. [10]

Chantal-Mouffe-Agonistik-suhrkamp-Rezension-Gordian-Ezazi.jpgWat een radicale democratie à la Laclau en Mouffe onderscheidt van de moderne politieke projecten, is dat ze niet van een realiseerbare telos uitgaat, maar van het besef dat elk sociaal project onvolmaakt en conflictueel zal blijven. Het streven naar een volledig democratische maatschappij, waarin alle mensen volledig vrij zijn omdat ze volledig gelijk zijn, en vice versa, veronderstelt een volledige transparantie. Het veronderstelt een samenleving zonder spanningen en repressie, die dus alle conflicten onderdrukt. [11] Zo’n harmonieuze democratie zou een totalitaire nachtmerrie zijn. Bij Laclau en Mouffe wordt de mogelijkheid om het finale doel te realiseren verlaten, zelfs als louter regulatief idee. Er is trouwens geen reden om dat te betreuren. Integendeel, het is de garantie dat het democratisch-pluralistisch proces aan de gang blijft. Het is door de liberale rechten samen met volkssoevereiniteit te articuleren, dat we vermijden dat de democratie tiranniek wordt. Een ideale, vrije en gelijke democratische samenleving is er noodzakelijk een zonder pluralisme, want pluralisme veronderstelt dat de sociale orde en haar machtsrelaties kunnen worden gecontesteerd. Een samenleving zonder machtsrelaties (het einde van de politiek) is evenmin mogelijk, want het zijn precies de machtsrelaties die de sociale orde constitueren. Laclau en Mouffe vertrekken dus van een niet-reduceerbare, pluralistische sociale orde; en dit betekent dat de finale sociale orde nooit bereikt wordt. Niet alleen de individuen verkeren in de onmogelijkheid om hun identiteiten te finaliseren; ook de samenleving als zodanig is nooit af.

Politiek zonder ware tegenstanders

Dit plurale en onvoltooibare van elke samenleving wordt door de consensuspolitiek van het centrum verdoezeld; en het is tegen die achtergrond dat we volgens Chantal Mouffe het succes van rechts-populistische partijen kunnen begrijpen. In nagenoeg dezelfde periode waarin het VB in Vlaanderen opgang maakt, bewegen de traditionele partijen naar het centrum, en claimen daar de zogenaamde Derde Weg. Toen New Labour op 1 mei 1997 de Britse verkiezingen won, nam het toenmalige BRTN-journaal de proef op de som. Het vroeg de partijvoorzitters van de drie grootste Vlaamse partijen, onafhankelijk van elkaar, om commentaar te geven bij deze gebeurtenis. Eén voor één verklaarden ze op dezelfde lijn te zitten als Tony Blair: de christen-democraten vonden dat ze altijd al de gulden middenweg van Blair hadden bewandeld; de liberalen zegden dat zij, net als Blair, de grote politieke vernieuwers van hun generatie waren; en de sociaal-democraten zagen in de verkiezingsoverwinning van Blair een bevestiging van de vernieuwingsbeweging in heel de Europese sociaal-democratie.

chmffTVnWcL._UY250_.jpgDe ideologische tegenstellingen tussen de gevestigde partijen is in de loop van het laatste decennium alsmaar kleiner geworden, waardoor het steeds moeilijker is om partijen en politici in hun optreden en standpunten te onderscheiden. Ideologische beginselen boeten aan belang in, terwijl politiek pragmatisme en consensuspolitiek op de voorgrond treden. In de consensuspolitiek van het centrum, zegt ook de Sloveense filosoof Slavoj Zizek, moet elke fundamentele belangentegenstelling plaats ruimen voor een vrijmoedig geloof in een politiek zonder ware tegenstanders, en zonder enige subversiviteit. [12] Eens beyond left and right lossen sociale tegenstellingen vanzelf op en bieden er zich politieke oplossingen aan die kennelijk voor iedereen goed zijn. Bij gebrek aan een reële politieke strijd, onderscheiden politieke partijen zich enkel nog door culturele attitudes. De politieke strijd wordt herleid tot een belangencompetitie op neutraal terrein, met als enige doel het bereiken van compromissen en het aggregeren van voorkeuren. Om fundamentele belangenconflicten te omzeilen, weigert men om duidelijke politieke grenzen te trekken. Daarmee wordt de integratieve rol van conflict in de moderne democratie genegeerd. [13]

Want het specifieke van een democratie schuilt niet zozeer in haar formele procedures – zoals verkiezingen of de parlementaire stemrondes – maar in haar erkenning van de legitimiteit van sociaal conflict, en haar afwijzing van de autoritaire onderdrukking ervan. [14] Democratie is meer dan een populariteitspoll. Wat een samenleving werkelijk democratisch maakt, is dat ze plaats ruimt voor de expressie van conflicterende belangen en waarden; of anders gezegd, dat zij de voorwaarden schept die antagonistische confrontatie mogelijk maken. Alleen dan leeft die democratie. Het onvermogen om dat in te zien, zegt Mouffe, is zonder meer de belangrijkste tekortkoming van de consensuspolitiek. De reële keuzemogelijkheid die een democratie haar burgers behoort te bieden, is als gevolg van het sacraliseren van de consensus in feite verdwenen. Daardoor kunnen belangrijke politieke sentimenten niet meer worden uitgedrukt binnen het democratische systeem. Naast de nieuwe liberale orde is er geen plaats voor een debat over mogelijke alternatieven; er is geen ruimte voor andere identificatiemodellen waarrond mensen kunnen worden gemobiliseerd. En daardoor winnen andere vormen van politieke identificatie terrein: vormen die met de democratie nauwelijks verzoenbaar zijn – zoals rechts-extremisme en religieus fundamentalisme. [15] Het succes van populistisch rechts, zegt Zizek, is de prijs die de linkerzijde betaalt voor het verloochenen van elk radicaal politiek project en voor het aanvaarden van het kapitalisme als een fait accompli. [16]

Slavoj_Zizek_Fot_M_Kubik_May15_2009_02.jpgDienen we de kritiek van Chantal Mouffe op te vatten als een ultieme oproep om het cordon sanitaire in Vlaanderen dan toch maar op te doeken? Dat valt te betwijfelen. Waar het Mouffe om te doen is, is laten zien wat het ons heeft opgeleverd, om daaruit conclusies te trekken. Het probleem is overigens niet dat mensen uit zijn op conflict omwille van het conflict. Het probleem is dat, door het gebrek aan een sociale horizon, bepaalde sentimenten geen uitdrukking vinden binnen het democratisch spectrum. Deze sentimenten moeten democratisch gemobiliseerd worden; en daarvoor moeten de democratische partijen een sociale horizon projecteren die mensen uitzicht biedt op een andere en betere toekomst.

De opkomst van extreem-rechts heeft voor Mouffe dus in eerste instantie te maken met het gebrek aan hoop dat het democratisch systeem ons vandaag biedt. Als mensen niet langer geïnteresseerd zijn in politiek, of hun toevlucht nemen tot intolerante en fundamentalistische groeperingen, dan komt dat in hoofdzaak omdat de democratische partijen hen te weinig solide alternatieven bieden. Het liberale consensusdenken verhindert dat we de rol van non-rationele factoren – zoals sentimenten, dromen, passie, fantasie, verlangen, ontgoocheling en hoop – goed begrijpen. Mouffe beschouwt deze individueel verankerde motivaties als een drijvende politieke kracht. “I had a dream”, zei Martin Luther King. Hij zei niet dat hij een oplossing had bedacht, een rationele consensus die het conflict van de baan zou helpen. Rationalisme is altijd ook een obstakel om de conflictuele aard van de politiek te begrijpen.

De Amerikaanse socioloog Immanuel Wallerstein vroeg zich ooit af waarom de armen het tolereren dat de rijken rijker worden, terwijl zijzelf armer worden. [17] Volgens hem hebben zij dat de voorbije twee eeuwen voornamelijk getolereerd omdat zij geloofden dat er hoop was, en omdat zij verwachtten dat hun situatie zou verbeteren, dankzij politieke mechanismen zoals de sociaal-democratie en de welvaartsstaat. Maar hoop is niet alleen wat de armen nodig hebben. Hoop is altijd verbonden met iets wat afwezig is, en die absentie is iets wat we allemaal, in een of andere vorm, ervaren.

De notie van hoop is bij Chantal Mouffe verbonden met die van menselijke emancipatie. Als we ons als mens beknot voelen in onze potentiële ontwikkeling, creëren we een soort toekomstbeeld waarin we die limitaties overstijgen. In een situatie van radicale wanorde en machtswillekeur, bijvoorbeeld, wordt de voorstelling van een ordelijke maatschappij een sociale utopie. Zo’n denkbeeld, waaruit we hoop putten, geeft richting aan ons streven. Hoop is wat onze sociale horizon voedt. Die hoop is onuitroeibaar; maar zij kan op verschillende manieren en in verschillende richtingen gemobiliseerd worden. Wanneer de democratie er zelf geen ruimte voor schept, door fundamentele dissensus toe te laten, dan zal zij zich uiten op een negatieve manier: als een proteststem bijvoorbeeld, een stem tégen de afwezigheid van hoop.

Het verwaarlozen van de antagonistische dimensie in de politiek, zorgt ervoor dat die hoop zich naar de rand van het politieke spectrum verplaatst. Dat is de belangrijkste oorzaak van de opkomst van extremistische groeperingen. En dit lijkt meteen ook de kern van Mouffes boodschap. De aantrekkingkracht van extreem-rechts is dat het wél een sociale horizon biedt, terwijl de gevestigde partijen doen alsof er geen fundamenteel alternatief mogelijk is. Maar omdat de sociale horizon van extreem-rechts geen plaats voor pluralisme biedt, bedreigt zij de liberale democratie en biedt zij ook geen ‘hoop’ in de ware zin van het woord – de zin die Mouffe eraan geeft. Mouffe ziet in de huidige politieke situatie een democratisch deficit: een samenleving die verstoken blijft van een dynamisch democratisch leven, met reële confrontaties rond een diversiteit van effectieve alternatieven, legt het terrein voor andere vormen van identificatie rond etnische, religieuze, nationalistische en soortgelijke problematische claims; claims waarmee het democratisch systeem uiteindelijk slecht gediend is. [18]

Noten

1 Zie Jan Blommaert, Blokspraak, in: De Witte Raaf nr. 114, maart-april 2005, pp. 1-3.

2 Ellen M. Wood, The Retreat from Class: the New ‘True Socialism’, London, Verso, 1986, p. 4.

3 Ernesto Laclau & Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics, London, Verso, 1985, p. 192.

4 Chantal Mouffe, Radical Democracy or Liberal Democracy, in: Socialist Review, vol. 20 (2), 1990, pp. 58-59.

5 Laclau & Mouffe, op. cit. (noot 3), p. 125.

6 David Howarth & Yannis Stavrakakis, Discourse Theory and Political Analysis, in: David Howarth, Aletta J. Noval & Yannis Stavrakakis (red.), Discourse Theory and Political Analysis: Identities, Hegemonies and Social Change, Manchester, Manchester University Press, 2000, p. 10.

7 David Howarth, Discourse Theory and Political Analysis, in: Elinor Scarbrough & Eric Tanenbaum (red.),Research Strategies in the Social Sciences: a Guide to New Approaches, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 276; Howarth & Stavrakakis, op. cit. (noot 6), p. 11.

8 Francis Fukuyama, Het einde van de geschiedenis en de laatste mens, Amsterdam, Contact, 1992.

9 Peter J. Taylor, Political Geography: World-Economy, Nation-State and Locality, Harlow, Longman Scientific & Technical, 1993, p. 206.

10 Siep Stuurman, Het begin van de toekomst, in: Vrij Nederland, 9 oktober 1999.

11 Jacob Torfing, New Theories of Discourse: Laclau, Mouffe and Zizek, Oxford, Blackwell, 1999, p. 258.

12 Slavoj Zizek, Wat is het fijn om tegen Haider te zijn, in: Nieuw Wereldtijdschrift, vol. 17 (3), april 2000, pp. 43-45.

13 Chantal Mouffe, The Democratic Paradox, London, Verso, 2000, pp. 113-116.

14 Chantal Mouffe, The Radical Centre: a Politics Without Adversary, in: Soundings, nr. 9, zomer 1998, p. 13.

15 Chantal Mouffe, 10 Years of False Starts, in: New Times, 9 november 1999.

16 Zizek, op. cit. (noot 12), pp. 43-45.

17 Immanuel Wallerstein, geciteerd in: Bart Tromp, Het systeem kraakt, in: De Groene Amsterdammer, 3 december 1997.

18 Chantal Mouffe, op. cit. (noot 14), p. 13.

 

dimanche, 22 mai 2016

'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'

archery-1105287-TwoByOne.jpg

'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'

An interview with Chantal Mouffe

Ex: http://www.citsee.eu

Chantal Mouffe is a Belgian political theorist well known for her conception of radical and agonistic democracy. She is currently Professor of Political Theory at Westminster University where she also directs the Centre for the Study of Democracy. Her books include On the Political (2005), Democratic Paradox (2000) the Return of the Political (1993), Agonistics (2013) and Hegemony and Socialist Strategy co-authored with Ernesto Laclau (1985).  She spoke to Biljana Đorđević and Julija Sardelić in May 2013 whilst at the Subversive Forum in Zagreb.

Đorđević: So maybe it's best to start with a preview before the talk you will give tomorrow. As far as I understand you'll be challenging the interpretation of protest movements - Occupy movement - as horizontal practices of democracy and you will be offering that it should be read as agonistic practising democracy. What is the key difference between these horizontal conceptualizations of democracy and agonistic democracy?

Mouffe: Well, you can’t really make that level. What I am going to discuss is those protests as seen from different points of view as expression either of rejection of representative democracy or the beginning of or a call for non-representative form of democracy, basically called sometimes presentist or horizonal form of democracy. That's for instance the common interpretation, which we find in the work of people who are influenced by Hardt and Negri’s strategy of what I call ‘withdrawal from’ or strategy that they themselves call ‘exodus’ which is their main view of envisaging radical politics. This is the strategy of the Indignados in Spain or Occupy Movement, as the protesters say, "we don't want anything to do with parties, with trade unions, with existing institutions because they can't be transformed. We need to assemble and organise new forms of life. We should try democracy in presence, in act." The strategy that I oppose to that of ‘withdrawal from’ is a strategy that I call ‘engagement with’ – it engages with the existing institutions in order to transform them. The strategy of exodus declares: “ We don't want anything to do with the system, we are going to construct a completely different form of democracy outside the parties, outside the representation." I am going to read those protests from the point of view of the conception of agonism, which I presented in my book On the Political. So my line is the following. Of course those movements are an expression of crisis of representative democracy but the question we need to ask is: Is it a crisis of representative democracy that means that representative democracy in whatever form cannot work or is it a crisis of the way representative democracy exists at the moment? In my view the problem is not representative democracy per se but the way it exists at the moment, and the problem is that it is not agonistic enough. Because my view is that a vibrant democracy needs to have the possibility for an agonistic confrontation between different points of view and in On the Political what I argue is that the problem with our post-political societies is that there is no difference basically between the centre-right and the centre-left. So there is nobody offering an alternative to neo-liberal globalisation. So it's the lack of agonism, which is the origin of the crisis of representative democracy today. And the solution is not simply to abandon representative democracy but to transform it and to make it really agonistic. And I think these movements are a symptom of this lack of an agonistic debate and this is why one of the mottos of these movements is “we have a vote but we don't have a voice.” And to give a voice is to allow for an agonistic debate.

Sardelić: We have been witnessing new protest movements in the post-Yugoslav region, you’re probably familiar with the recent protests in Slovenia and also on-going protest movements for free education in many other post-Yugoslav states. Can these protests be understood under your notion of agonistic democracy and are they substantially different from movements such as Occupy?

Mouffe: Well I think that what is common across all the differences is that they point to the lack of an agonistic democracy. The problem here is the hegemony of neoliberalism. It is so total that it has imposed the view that there is no alternative. Mrs Thatcher used to be called TINA because she kept repeating, “There is no alternative” and of course this is why some social democratic and labour parties have accepted neoliberal hegemony. For instance, the imposition of the neoliberal model is particularly important in the field of education because, instead of accepting before that the state has the obligation to provide free education, students are now seen as consumers. Education is not a public service, it is a product, you sell that to the students. The relation between the teacher and the students is completely transformed. One of the speakers here was saying that in the United States 60% of the students are already in debt when they enter their studies. This is why they have these movements for free and better education but that is a consequence of the fact that neoliberalism challenges the view that education is a public service that the state needs to provide. And again the problem is that this view has been accepted also by social democratic parties. There is a consensus between centre-right and centre-left parties whose consequence is a lack of possibility for people to choose between alternatives. So the only way they can manifest their voice is through these protest movements because there are no real political channels other than protests.

Sardelić: So you see the protests in Slovenia in this line as well?

Mouffe: Yes. I think it's definitely an expression of a lack of an agonistic democracy that will offer alternatives to neoliberal globalisation.

Đorđević: How do we evade turning agonism into antagonism, which is something of a burden for this region? Because if there is something we had here and we still have are these deep disagreements but at the same time we lack political openness (of the political field) that agonism entails.

Mouffe:  In this region there are still forms of antagonism but these are more to do with the question of nationalities, ethnicities. In Bosnia or Kosovo there is no agreement among the different ethnic communities on how to live together but that is a problem, which is completely different from the problem that we were mentioning before about movement for free education and things like that. So I think I will ask the reverse: those antagonisms exist, how can they be transformed into agonism, so that people will accept to live together and be citizens of the political community? So it's not a move from agonism to antagonism because I don't think that at the moment we really have agonism at that level. Where do you see that there is agonism today?

hungergames_720.jpeg

Đorđević: I had in mind those theorists that used the concept of agonism in transitional justice, talking about agonistic reconciliation for divided societes. What you think about these attempts to appropriate agonism for reconciliation?

Mouffe: My view is that what democracy should try to do is to create the institutions which allows for conflict - when it emerges - to take an agonistic form, a form of adversarial confrontation instead of antagonism between enemies. But when antagonisms already exist to transform them is of course is much more difficult but it's not impossible and I think one of the good examples is Northern Ireland. Because in Northern Ireland we had for a long time an antagonistic conflict between Protestants and Catholics. They were treating each other as enemies. Now since the Good Friday Agreement and with the institutions that have been created there is no more antagonism, there is an agonism. It doesn't mean that these people agree, they do disagree but they disagree in a way that they no longer see the other community as an enemy to be destroyed. They say, “We need to find a way to live together” so I think this is where this idea of agonism is important for these kind of situations. I can think of another case where the same thing should happen - but we are very far from the solution there - Palestine and Israel. Obviously we can never imagine that the Palestinians and Israelis are going to agree but it will be a very important step that instead of having this antagonistic relationship there will be an agonistic one in that they will accept each other, and of course this is mainly on the part of the Israelis. Of course we also need the Palestinians to recognise the right of Israel to exist but it should also be on the part of Israel to create a condition for the Palestinians to have a real state. So this is where the idea of the agonistic perspective is important because it allows us to imagine how can we in a situation of antagonism create some form of life in common. The question is what is the aim in the resolution of such conflicts. Some people will say that the aim is to create a consensus but this is not possible because the demands are incompatible. What is possible is for that confrontation to take a form that is agonistic which would mean that there is a possibility of life in common. Total rational reconciliation is not possible but that is the agonistic perspective - there are antagonistic conflicts that can't be solved rationally but those conflicts could take an agonistic form. The problem of Northern Ireland is not completely solved but things have changed a lot between ten years ago and now and I think this should be the aim of such processes.

Sardelić: In your work you contemplate about the rise of the right-wing populist parties where you claim - and I’m quoting you here “this is a consequence of a post-political consensus and a lack of an effective democratic debate.” We can see this rising populism here in the post-Yugoslav space, but also in the wider Europe   right-wing populist parties and protest movements on the right are expanding.  They also claim that they speak in the name of the people. You say we should avoid the moralistic approach in theorizing these right wing movements, but since many in these movements say that some groups should be extinguished and so on, can these movements really contribute to agonism? How can we include them into agonism?

Mouffe: Well you can address this question at two levels. One, and that needs to be posed, what are the limits of the agonistic debate? Because I'm not saying that all the demands should be part of the agonistic debate. My argument is that we need a conflictual consensus for democracy to exist. There needs to be some form of consensus but the consensus is on what I call ‘the ethical-political principles’, the values that we are going to accept in order to organise our coexistence: liberty and equality for all. But those values are going to be interpreted differently according to different perspectives. Another thing that is particularly important is who is part of this. Are the immigrants part of this? This is the main problem in deciding whether to accept right-wing populism or not. Some people argue that those parties cannot be part of the democratic politics, they should not have the right to contest in elections, they should not have the right to have people elected because as they say in France they are not ‘Republican’ parties. Some people, a few years ago viewed the Front National of Jean-Marie Le Pen as a party that should be outlawed. I personally believe that it’s really a question of borderline because in general these right-wing populist parties do not contest that liberty and equality should be the main values, the main problem is the way they understand "for all" from which the immigrants are not part. Such parties should be accepted into the agonistic debate because you can't really say that they are totally outside. They've got an interpretation of the common ethico-political values that we don't like and of course we want to fight that interpretation but we are going to fight it within the agonistic debate. But there are other parties such as Golden Dawn in Greece that I think should not be able to contest in elections because this is clearly a neo-Nazi party. There is a difference between neo-Nazi parties and right-wing populist ones and I think that those parties should not be part of agonistic debate. They are enemies, not adversaries. That does not mean of course that we should eliminate them. It means that they don't have the right to present candidates and be elected in Parliament. In my view the best way to fight against right-wing populism is to deliver what I call left-wing populism. To create another form of the idea of the people, a people constructed in a different way. A good example of that is the party of Jean-Luc Mélenchon in France - le Parti de Gauche that is part of the Front de gauche. It is a populist movement because they also want to create people. I think that there is a necessary populist dimension in democracy and we should not use populism only in a negative sense because in democracy there is always the aim of constructing a people, a collective will. But of course this collective will, this people, can be constructed in different ways according to how you define the adversary. For instance, Marine Le Pen defines the adversary in terms of the immigrants and mainly the Muslims; they are the people to be excluded. Jean-Luc Mélenchon, on the contrary, is also constructing a people but a people, which includes the Muslims and immigrants and for him the adversary of these people is the big transnational corporations, the financial system and all the things that are the pillars of a neoliberalism. This is the only way to really fight the right-wing populism by constructing a different people.

Đorđević: There are some voices that are criticizing the agonistic approach as too soft on capitalism, and that in its emphasising the autonomy of the political it neglects a bit this economic dimension. What would actually be this agonistic take on wealth and inequalities and power relations that these wealth and inequalities produce? Or to rephrase: is 1% an enemy or an adversary?

archery_by_elvenmaedchen-d4vv1hi.jpgMouffe: I think that criticizing an agonistic perspective for not being critical enough of capitalism is basically a difference of strategy and again this is where the strategy of ‘engagement with’ or, using a term of Gramsci - ‘a war of position’ - is what is the one I propose. I imagine that the person that you have in mind is Slavoj Žižek because he's the one who is criticising the agonistic approach for being a liberal one. But his position is a rhetorical revolutionary one which does not propose any strategy. We want the end of capitalism, sure, but how are we going to do it, with whom? It's very rhetorical to say: the end of capitalism. I think the question is to engage with existing institutions, and this requires a long process. Some people still would say we need a revolution like the Soviet revolution. If we are to learn something from the experience, the tragic experience of really existing socialism, is precisely that this strategy of making a complete new start doesn’t work. You can't just end a society in one move and start from scratch - it’s not possible. It’s only possible by using terror. ‘A war of position’ is better strategy; we need to target specific institutions in order to transform them. For me at the moment the most important task is to end the hegemony of neoliberalism and of financial capitalism. Of course that's not going to be the end of capitalism. The aim is to create a society that will not be submitted to the logic of the market. They might still remain some sectors which are going to be organised by capitalists but the main society will not be one in which the market controls everything. But that cannot be done one day. There are of course proposals in the line of Hardt and Negri who believe that the development of the self-organisation of the multitude is going to make capitalism completely irrelevant. They accept that it is going to be a process and they do not advocate any kind of Jacobin form of revolution but they believe that the state will disappear and I don't believe that. Some of those experiences of new forms of living are important but they are not enough. The power of capitalism is not going to disappear because we have a multitude of self-organizing outside the existing institutions. We need to engage with those institutions in order to transform them profoundly. I saw a few years ago a film called Was tun? (What is to be done). It was about the anti-globalization movement and the role of Hardt and Negri’s strategy. At the end of the film they asked them “what should we do?” And Negri answered “wait and be patient” and Hart answered “follow your desire.” That’s their strategy. They believe that there is some kind of law of history that is necessarily going to lead to ‘absolute democracy’. It's very similar to the traditional Marxist view that capitalism is its own gravedigger but I don't think that's the case. Capitalism is not going to disappear simply by us being patient and waiting, we need to engage with it, and that is the strategy of agonistic engagement. It's not a total revolution, that’s not possible, it's ‘a war of position’ in order to transform the existing institutions.

NATION? – Un retour du «romantisme politique»?

NATION? – Un retour du «romantisme politique»?
 
par Maryse Emel
Ex: http://www.nonfiction.fr


greek.jpgLe livre récent de Christian E. Roques , (Re)construire la communauté, a pour projet de présenter la réception du romantisme politique sous la République de Weimar par des philosophes et des penseurs politiques critiques de la modernité. Son but n'était pas de faire un travail sur la vérité des interprétations multiples qui en ont été faites, mais plutôt de voir ce que ces diverses lectures ont pu ouvrir comme perspectives politiques. L’enjeu est qu’au départ, le romantisme politique consiste en un discours en opposition à la philosophie des Lumières, qui met en question le pouvoir de la raison, et donc le pouvoir politique fondé sur l’exercice de la raison.

Genèse du romantisme politique

Le premier romantisme allemand s’organisme autour du Cercle d’Iéna, qui rassemble le théoricien de la littérature, Friedrich Schlegel, le philosophe Johann Gottlieb Fichte et des écrivains comme Ludwig Tieck, Wilhelm Heinrich Wackenroder et Novalis. Reprenant la thématique de Max Weber à propos du désenchantement du monde, le philosophe allemand Rüdiger Safranski identifie le projet romantique, dans sa globalité, comme une tentative pour ré-enchanter le monde et redécouvrir le magique, en repoussant la raison dans ses confins. Autour de 1800, le motif romantique s’inscrit dans plusieurs champs : la théologie protestante de Friedrich Schleiermacher définit ainsi la religion comme « le sens et le goût pour l’infini », et les études philologiques d’un Görres ou d’un Schlegel cherchent les racines de la langue et la vérité de l’origine dans l’Orient et l’Inde antiques. Ce désir des origines perdues s’exprime non seulement à travers des voyages spirituels dans le lointain, mais aussi dans la reconstitution d’un passé imaginaire. La Grèce de Friedrich Hölderlin illustre cette relation au passé, poétiquement condensée, et qui confronte une Antiquité mythologiquement sublimée à la réalité profane de sa propre époque :

«La vie cherches-tu, cherche-la, et jaillit et brille
Pour toi un feu divin du tréfonds de la terre,
Et frissonnant de désir te
Jettes-tu en bas dans les flammes de l’Etna.
Ainsi dissolvait dans le vin les perles l’effronterie
De la Reine ; et qu’importe ! si seulement
Tu ne l’avais pas, ta richesse, ô poète,
Sacrifiée dans la coupe écumante !
Pourtant es-tu sacré pour moi, comme la puissance de la terre,
Celle qui t’enleva, mis à mort audacieux !
Et voudrais-je suivre dans le tréfonds,
Si l’amour ne me retenait, ce héros.» 

Dans un second temps, émerge le romantisme politique. Il prend racine à partir du concept de nation chez Fichte, de l’idée d’un « Etat organique » développée par Adam Müller, ainsi que dans le populisme artificiel de Ernst Moritz Arndt et de Friedrich Jahn. Il se nourrit également de la haine à l'encontre de Napoléon et des Français, transfigurée par la littérature de Heinrich von Kleist. Aussi le romantisme s’est-il éloigné de ses prémisses philosophiques. Cette prise de distance caractérisera également la littérature du romantisme tardif d’un Josef von Eichendorff et d’un E.T.A. Hoffmann.

Réceptions du romantisme : un concept polémique

Qui sont les philosophes ou les théoriciens qui, sous la République de Weimar, opposent le romantisme à ce qu’ils perçoivent comme des errements de la modernité? . Christian E. Roques distingue trois principales lectures du « romantisme politique ».

La première, de 1918 à 1925, fait immédiatement suite à l’instauration de la République weimarienne : elle met en place un discours à la recherche d’une communauté nouvelle ainsi qu’une critique de l’individualisme libéral. Le romantisme, traditionnellement identifié à un discours conservateur, a inspiré des projets communautaires d’inspiration à la fois socialistes et romantiques, cherchant à donner sens au politique après la conflagration guerrière de 1914-1918. A droite, au contraire, certaines voix comme celle du philosophe Carl Schmitt s’élèvent contre le romantisme.

La seconde lecture du « romantisme politique », de 1925 à1929, est plus apaisée : elle tente d’établir le romantisme comme fondement de la « pensée allemande ». C’est ce qui structure la pensée du philosophe et sociologue autrichien Othmar Spann tout au long des années 1920-1930. Le romantisme politique devient chez lui un discours droitier. Il met en place tout un travail philologique sur les auteurs romantiques. Quant au sociologue allemand Karl Manheim, il démontre dans sa thèse de 1925,  comment le conservatisme est inhérent au romantisme. Il révèle ainsi à partir de ses travaux un nouveau rapport entre politique et savoir, ouvert sur la dimension irrationnelle de l’existence humaine.

Puis de la crise de 29 jusqu’à la veille de l’avènement du parti nazi, l’ampleur des troubles socio-économiques rend caduque le questionnement théorique sur la question de la modernité et de son dépassement, face à l’imminence de la crise politique et l’urgence de la question du « que faire ? » - qualifiée de léniniste par Christian Roques. Ainsi, si l'ancien officier de la Wehrmacht Wilhem von Schramm affirme encore l’actualité du projet romantique, c’est en proposant d’adopter la démarche de « l’ennemi bolchévique », à savoir sa méthode révolutionnaire d’enthousiasme pseudo-religieux, afin de retrouver l’esprit communautaire vécu dans les tranchées. Le théologien protestant allemand Paul Tillich ouvre dans un même temps un dialogue avec les forces « socialistes » de tout bord.


romcom260.jpgRéactiver la polémique du romantisme au XXIe siècle ?

Mais l’essentiel se situe peut-être après le moment de Weimar : en effet, ce sont les discours et les actions politiques produites pendant la République à partir de ces lectures des romantiques, qui donneront sens aux réflexions et décisions politiques après Weimar. A ce titre, l’ouvrage de Christian E. Roques s’apparente au laboratoire d’une modernité en crise. Il y expérimente, par des lectures croisées du « romantisme politique », des rencontres imprévues entre des penseurs au positionnement politique opposé. De fait, dès Weimar, le « romantisme politique » est d’abord un concept polémique pour comprendre le réel présent : c’est une sorte d’instrument de mesure des idéologies politiques actuelles, à la lumière des idéologies passées d’Etats en crise.

Dans le monde moderne, le romantisme se présente comme le correctif salutaire aux discours politiques « rationnels », dans la mesure où ses aspirations transgressives font apparaître les limites de la rationalité. C’est en cela qu’on a pu y lire une opposition aux Lumières ou du moins une réflexion sur les limites du pouvoir de la raison. Le philosophe brésilien Michael Lôwy, déclarait, en faisant référence à Marx que le romantisme était d’abord une « vision du monde » en opposition à la bourgeoisie au nom d’un passé antérieur à la civilisation bourgeoise, et qu’il perdurerait tant que cette bourgeoisie sera là, comme son contre-modèle indissociable  : « On pourrait considérer le célèbre vers de Ludwig Tieck, Die mondbeglanzte Zaubernacht, « La nuit aux enchantements éclairée par la lune », comme une sorte de résumé du programme romantique » .

Finalement, le travail de Christian Roques se justifie par sa conviction que le concept romantique n’aurait rien perdu de sa force polémique dans notre propre présent : « Au regard notamment du retour en force du discours écologique (voir éco-socialiste) qui repose fondamentalement sur un appel à une approche universaliste, dépassant les égoïsmes individuels pour adopter une conception globale, il semble légitime de se demander si nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle "situation romantique". » . Présenté comme alternative au discours libéral en temps de crise, le romantisme politique réapparaît aujourd’hui avec des références politiques et philosophiques qui dépassent le cadre binaire des partis politiques. .

Christian E. Roques, (Re)construire la communauté : La réception du romantisme politique sous la République de Weimar, MSH, 2015, 364 p., 19 euros

 À retrouver sur nonfiction.fr

Tous les articles de la chronique Nation ?

revolution.jpg

Présentation de l'éditeur:

(sur: http://www.fabula.org ) 

"Le "romantisme politique" connaît un regain d'intérêt important en Allemagne sous la République de Weimar (1918-1933), au point de devenir un élément essentiel du discours politique de l'époque. Avec la "communauté", la "nation" ou le "peuple", le "romantisme" va constituer un des mots magiques autour desquels se cristallisent les débats de la vie intellectuelle weimarienne. Le présent ouvrage entreprend donc d'analyser les stratégies de discours politiques qui se structurent autour du paradigme romantique entre 1918 et 1933. À partir d'un corpus d'auteurs variés, pour certains célèbres et pour d'autres tombés dans l'oubli (Arthur Rubinstein, Carl Schmitt, Othmar Spann, Karl Mannheim, Wilhelm von Schramm, Paul Tillich), il est possible de montrer l'existence non d'une idéologie politique clairement définie, mais d'une sensibilité "romantique" qui transcende les oppositions politiques traditionnellement conçues comme imperméables (gauche/droite, conservateur/progressiste, nationaliste/universaliste, etc.) et qui se construit dans l'opposition fondamentale à l'individualisme matérialiste du "libéralisme" capitaliste."

Sommaire:

  • Introduction : La république de Weimar, laboratoire d'une modernité en crise -- Romantisme, romantisme politique : l'impossible définition ? -- La généalogie du romantisme : un paradigme fantôme -- Le romantisme politique : de gauche, de droite, au-delà ? -- Pour une archéologie de la réception -- La rupture méthodologique -- Le problème de la téléologie : savoir historique et condamnation morale des engagements en faveur du nazisme -- Le champ discursif du "romantisme politique" : les marqueurs d'une renaissance -- Des "néoromantiques" sous la République de Weimar ? -- La redécouverte d'Adam Müller -- Le socialisme romantique : un projet démocratique post-marxiste -- Socialisme, marxisme, romantisme : affinités électives ? -- Landauer, penseur socialiste vakisch -- Les jeunesses socialistes entre romantisme et marxisme -- Une révolution sous le signe des conseils -- Faire sens du moment révolutionnaire -- Crise de la théorie marxiste -- Une nouvelle idée émerge : des soviets allemands ? -- Le conseil au coeur de la nouvelle démocratie -- Du paradis médiéval aux abysses absolutistes -- Le Moyen Âge communautaire et démocratique -- La barbarie de l'absolutisme : contrat social et souveraineté -- Crise de l'absolutisme -- Romantisme et absolutisme -- Le romantisme comme projet d'avenir -- Le romantisme, une hérédité occultée -- Une critique radicale du libéralisme -- La radiographie de l'ennemi : Carl Schmitt contre le romantisme politique -- Un livre sous influences : les racines françaises de la critique schmittienne -- Le jeune Schmitt : une position atypique entre isolement et influence étrangère -- Les inspirateurs allemands -- Les parrains français -- Le romantisme politique : l'idéologie de l'ennemi -- Romantisme : l'impossible définition ? -- Aux sources intellectuelles du romantisme -- L'essence du romantisme : l'occasionnalisme subjectivisé -- Le romantisme comme impuissance politique -- Qui est l'ennemi ? Schmitt et la crise de l'idéologie allemande -- Schmitt l'inquisiteur de Carl ? -- Continuités d'une pensée en guerre -- La mort de l'intellectuel apolitique -- L'universalisme romantique d'Othmar Spann : la réponse allemande à l'individualisme moderne -- Spann et la galaxie universaliste -- Othmar Spann, père de l'Église néoromantique -- L'école néoromantique -- "L'État véritable" et l'actualité du romantisme politique -- De l'histoire économique au projet politique -- Les éléments de la contre-offensive romantique -- Rejet nazi de l'universalisme spannien : l'enjeu romantique -- Penser l'envers de la modernité : romantisme et conservatisme chez Karl Mannheim -- Penser à la marge -- L'émigré hongrois -- Un travail scientifique entre décentrement et écriture essayistique -- Trouver sa place à l'université : la thèse de 1925 -- La naissance romantique du conservatisme -- Conservatisme et traditionalisme : de l'anthropologie à l'idéologie -- Morphologie du conservatisme allemand : à contre-courant de la modernité -- Le locus antimoderne : le romantisme aux sources du conservatisme -- Une nouvelle synthèse ? -- S'ouvrir à l'irrationnel : penser comme conservateur -- La synthèse et ses "vecteurs" : une conceptualité romantique ?
  • La politique radicale de Wilhelm von Schramm : victoire du christianisme romantique -- Wilhelm von Schramm : officier, écrivain et théoricien politique -- Au coeur des réseaux du nouveau conservatisme weimarien -- La fascination du modèle russe : le bolchevisme entre émulation et terreur -- Ernst Jünger : nationalisme militaire et théorie de la guerre -- Les jeunes-conservateurs et la tradition du romantisme politique -- Le modèle soviétique -- Le projet intellectuel : aller à l'essentiel -- Théorie générale du bolchevisme -- Bolchevisme et romantisme allemand : généalogie du nouvel universalisme -- Revenir aux racines allemandes : le romantisme comme solution -- Le XIXe siècle allemand : entre mission romantique et schizophrénie nationale -- Le projet romantique et chrétien de Wilhelm von Schramm -- Mythe romantique et décision socialiste : Paul Tillich à la recherche de l'unité du politique -- La "jeune droite" et la rénovation de la social-démocratie -- Des "jeunes-socialistes" à la "jeune droite" -- La plateforme du renouveau : les Neue Blatter flir den religilisen Sozialismus -- Le projet socialiste contre le mythe romantique -- Crise et division : penser le monde moderne à l'aune du jeune Hegel -- Ontologie politique : l'homme entre origine et devenir -- Le mythe de l'origine : retour critique sur le romantisme politique -- Antinazisme ou réconciliation ? -- Le projet politique de Tillich en 1933.

Agonistic Democracy and Radical Politics

escr0708956_L.jpg

Chantal Mouffe:

Agonistic Democracy and Radical Politics

Ex: http://www.pavilionmagazine.org

The political between antagonism and agonism

What is the best way to envisage democratic politics? Until a few years ago, the most fashionable model in political theory was that of ‘deliberative democracy’ defended, in different forms, by John Rawls and Jürgen Habermas. But another model, which proposes an ‘agonistic’ way of conceiving democracy, is steadily gaining influence, and I believe it is useful to examine what its representatives have in common. As I myself belong to the ‘agonistic camp’, I have chosen to highlight the differences that exist between my conception of agonism and that of a certain number of theorists who have other sources of inspiration.

I will begin by presenting the main principles of the theoretical framework that informs my reflection. I have suggested distinguishing between the political, which is linked to the dimension of antagonism present in human relations an antagonism that manifests itself politically in the construction of the friend/enemy relation and that can emerge from a large variety of social relations -, and politics, which aims to establish an order and to organise human coexistence under conditions that are marked by ‘the political’ and thus always conflictual. We find this distinction between the political and politics in the other agonistic theories, though not always with the same signification. We can in fact distinguish two opposing conceptions of what characterises ‘the political’. There are those for whom the political refers to a space of liberty and common action, while others view it as a site of conflict and antagonism. It is from this second perspective that my work proceeds, and I will demonstrate how it is on this point that the fundamental divergence between the different agonistic theories rests.

Politics and antagonism

One of the principal theses that I have defended in my work is that properly political questions always involve decisions which require a choice between alternatives that are undecidable from a strictly rational point of view. This is something the liberal theory cannot admit due to the inadequate way it envisages pluralism. The liberal theory recognises that we live in a world where a multiplicity of perspectives and values coexist and, for reasons it believes to be empirical, accepts that it is impossible for each of us to adopt them all. But it imagines that these perspectives and values, brought together, constitute a harmonious and non-conflictual ensemble. This type of thought is therefore incapable of accounting for the necessarily conflictual nature of pluralism, which stems from the impossibility of reconciling all points of view, and it is what leads it to negate the political in its antagonistic dimension.

I myself argue that only by taking account of the political in its dimension of antagonism can one grasp the challenge democratic politics must face. Public life will never be able to dispense with antagonism for it concerns public action and the formation of collective identities. It attempts to constitute a ‘we’ in a context of diversity and conflict. Yet, in order to constitute a ‘we’, one must distinguish it from a ‘they’. Consequently, the crucial question of democratic politics is not to reach a consensus without exclusion which would amount to creating a ‘we’ without a corollary ‘they’ but to manage to establish the we/they discrimination in a manner compatible with pluralism.

According to the ‘agonistic pluralism’ model that I developed in The Democratic Paradox (London: Verso, 2000) and On the Political (London: Routledge, 2005), pluralist democracy is characterised by the introduction of a distinction between the categories of enemy and adversary. This means that within the ‘we’ that constitutes the political community, the opponent is not considered an enemy to be destroyed but an adversary whose existence is legitimate. His ideas will be fought with vigour but his right to defend them will never be questioned. The category of enemy does not disappear, however, for it remains pertinent with regard to those who, by questioning the very principles of pluralist democracy, cannot form part of the agonistic space. With the distinction between antagonism (friend/enemy relation) and agonism (relation between adversaries) in place, we are better able to understand why the agonistic confrontation, far from representing a danger for democracy, is in reality the very condition of its existence. Of course, democracy cannot survive without certain forms of consensus, relating to adherence to the ethico-political values that constitute its principles of legitimacy, and to the institutions in which these are inscribed. But it must also enable the expression of conflict, which requires that citizens genuinely have the possibility of choosing between real alternatives.

escrime17054_45479.jpg

Politics and hegemony

It is necessary at this point to introduce the category of hegemony, which will enable us to identify the nature of the agonistic struggle. To understand the political as the ever present possibility of antagonism, the absence of a final foundation and the undecidability that pervades every order must be acknowledged. It is precisely to this that the category of hegemony refers, and it indicates that every society is the product of practices that seek to institute an order in a context of contingency. Every social order is therefore hegemonic in nature, and its origin political. The social is thus constituted by sedimented hegemonic practices, that is, practices that conceal the originary acts of their contingent political institution and that appear to proceed from a natural order. This perspective reveals that every order results from the temporary and precarious articulation of contingent practices. Things could always have been different and every order is established through the exclusion of other possibilities. It is always the expression of a particular structure of power relations, and it is from here that its political character stems. Every social order that at a given moment is perceived as natural, together with the ‘common sense’ that accompanies it, is in fact the result of sedimented hegemonic practices and never the manifestation of an objectivity that one could consider external to the practices through which it was established.

What is at stake in the agonistic struggle is the very configuration of the power relations that structure a social order and the type of hegemony they construct. It is a confrontation between opposing hegemonic projects that can never be reconciled rationally. The antagonistic dimension is therefore always present but it is enacted by means of a confrontation, the procedures for which are accepted by the adversaries. The agonistic model that I propose acknowledges the contingent character of the hegemonic articulations that determine the specific configuration of a society at a given moment; as pragmatic and contingent constructions, they can always be disarticulated and transformed by the agonistic struggle. Unlike the liberal models, such an agonistic perspective takes account of the fact that every social order is politically instituted and that the ground on which hegemonic interventions occur is never neutral for always the product of previous hegemonic practices. Far from envisaging the public sphere, as for example Habermas does, as fertile ground in the search for consensus, my agonistic approach conceives it as the battlefield on which hegemonic projects confront one another, with no possibility whatsoever of a final reconciliation.

Which agonism?

My disagreement with Habermas is not surprising given that it is partly in opposition to his ‘deliberative democracy’ model that I developed my agonistic conception. But I would now like to examine the differences that exist between my approach and the one found within a certain number of conceptions that also adopt an agonistic perspective. Beyond the ‘family resemblance’ linking these conceptions, there are important points of divergence, which similar vocabulary tends to conceal.

I will begin with the case of Hannah Arendt. Arendt is often considered a representative of agonism, and her references to the Greek Agon can justify such a reading. But the conception of agonism that can be derived from her work is very different to the one I defend. Indeed, we discover in Arendt what I would call an ‘agonism without antagonism’. By this I mean that, although she insists a good deal on human plurality and conceives politics as dealing with the community and with reciprocity between different beings, she never recognises that this plurality is at the origin of antagonistic conflicts. According to Arendt, to think politically consists in developing the ability to see things from a multiplicity of perspectives. As indicated by her reference to Kant and his notion of enlarged mentality, the pluralism she advocates is finally not so different to Habermas’s, also resting as it does on the horizon of intersubjective agreement. It is clear that what she seeks in the Kantian critique of aesthetic judgement is a procedure to obtain intersubjective agreement in the public sphere. Despite the differences in their respective approaches, I therefore believe that Arendt, like Habermas, envisages the public sphere as a place where consensus can be established. Obviously, in her case, this consensus will be the result of an exchange of voices and opinions (in the Greek sense of doxa), rather than the rational Diskurs found in Habermas. As noted by Linda Zerilli in Feminism and the Abyss of Freedom (Chicago: The University of Chicago Press, 2005), while for Habermas consensus emerges through what Kant calls disputieren, an exchange of arguments bound by logical rules, for Arendt it is a matter of streiten, where agreement is produced by persuasion and not based on irrefutable proofs. But neither of the two manages to acknowledge the hegemonic nature of every form of consensus in politics or the ineradicable character of antagonism, the moment of Widerstreit, that which Lyotard calls the différend.

Combat_descrime.jpg

My conception of agonism must also be distinguished from Bonnie Honig’s, which is clearly influenced by Arendt. In her book Political Theory and the Displacement of Politics (Ithaca: Cornell University Press, 1993), Honig criticises liberal conceptions for being too consensual and she advances the emancipatory potential of political contestation, which enables established practices to be questioned. She defends a conception of politics centred on virtú, and places agonistic contestation at its heart, thanks to which citizens are able to keep open a space of debate and prevent the confrontation of positions from drawing to a close. The permanent questioning of dominant identities and ideas is central to the agonistic struggle as conceived by Honig. Thus, in an article titled “Towards an Agonistic Feminism: Hannah Arendt and the Politics of Identity” (Feminist Interpretations of Hannah Arendt, edited by Bonnie Honig, The Pennsylvania State University Press, 1995), she declares that the importance of Hannah Arendt’s work for feminists is to provide them with an agonistic politics of performativity. While acknowledging that Arendt never identified with feminism, Honig asserts that her agonistic politics of performativity is crucial for a feminist politics because it enables feminism to be envisaged as a site of contestation over the meaning, practice and politics of gender and sexuality. The appropriation of Arendt’s ideas should, according to Honig, enable feminists to understand that identities are always performative productions and to thereby question the existing positions of subject and liberate the identity of ‘woman’ from the restrictive categories in which we try to enclose it. The idea of an identity suitable for women and that would serve as a starting point for a feminist politics is replaced by a multiplicity of identities constantly produced in an agonistic space, opening the way for feminist emancipation.

We can observe that the agonistic struggle is, according to Honig, reduced to the moment of contestation. It is important for her to guarantee the expression of plurality and to prevent the closure of the questioning process. However, I myself consider that this is but one of the dimensions of the agonistic struggle, which cannot be limited to contestation. The second moment, involving the construction of new hegemonic articulations, is fundamental in politics. It is for this reason that I regard Honig’s conception of agonism as inadequate for envisaging democratic politics.

I have a similar problem with the conception of William Connolly, another theorist of agonism. Connolly is influenced by Nietzsche rather than Arendt, and he has endeavoured to render his Nietzschian conception of the Agon compatible with democratic politics. In his book Pluralism (Durham: Duke University Press, 2005) he argues for a radicalisation of democracy through the development of a new democratic ethos among citizens. He conceives this ethos as one of permanent engagement in agonistic contestation that would make all attempts to bring closure to debate impossible. The central notion of Connolly’s work is that of ‘agonistic respect’, which he presents as originating in our common existential condition, itself linked to our struggle for identity and the recognition of our finitude. Agonistic respect constitutes for him the cardinal virtue of the type of pluralism he advocates and he considers it the most important political virtue in the pluralist world we live in today. Of course, I agree with Connolly when he insists on the role respect must play between adversaries engaged in an agonistic struggle. But I believe it is necessary to question the limits of this agonistic respect. Can all antagonisms be transformed into agonism? In other words, must all positions be considered legitimate and must they be granted a place inside the agonistic public sphere? Or must certain claims be excluded because they undermine the conflictual consensus that constitutes the symbolic framework in which opponents recognise themselves as legitimate adversaries? To put it another way, can one envisage pluralism without antagonism?

This is in my opinion the properly political question that Connolly’s approach is not able to ask. It is for this reason that I do not consider his conception of agonism any better placed than Honig’s to serve as a framework for democratic politics. In order to think and act politically, we cannot escape the moment of decision and this requires establishing a frontier and determining a space of inclusion/exclusion. Any perspective that evades this moment renders itself incapable of transforming the structure of power relations and of instituting a new hegemony. I certainly do not intend to deny the importance of a democratic ethos but I think it would be a mistake to reduce democratic politics to the promotion of an ethics of agonistic respect. Yet this appears to be what Connolly proposes and, rather than a new conception of democratic politics, what we find in his work is a new form of pluralist ethics. It undoubtedly has its merits but is not sufficient to envisage the nature of a hegemonic democratic politics and the limits the latter must impose on pluralism.

The fundamental difference between my conception of agonism and those that I have just examined resides in the absence in the cases of Arendt, Honig and Connolly of the two dimensions central to my approach and which I believe are indispensable to think the political: antagonism and hegemony. The principal objective of these authors is to prevent the closure of debate and to give free rein to the expression of plurality. Their celebration of a politics of destabilisation ignores the phase of hegemonic struggle, which consists in the establishment of a chain of equivalence between democratic struggles in order to construct another hegemony. However, it is not enough to disturb the dominant procedures and disrupt existing arrangements to radicalise democracy. Once we accept that antagonism can never be definitively eliminated and that every order is hegemonic in nature, we cannot avoid the central question in politics: what are the limits of agonism, and which institutions and configurations of power must be transformed to radicalise democracy? This requires the moment of decision to be confronted and necessarily implies a form of closure. It is the price to pay for acting politically.

duel.JPG

To finish, I would like to suggest that this inability to account for the nature of the political decision in the authors I have just examined is linked to the way they conceive the political as common action and envisage pluralism on the mode of the valorisation of multiplicity. This is what leads them to elude the constitutive role of conflict and antagonism. On the contrary, the other vision of the political, the one from which my work proceeds, recognises the constitutive character of social division and the impossibility of a final reconciliation. The two conceptions affirm that in modern democracy ‘the people’ can no longer be considered as ‘one’; but whereas in the first perspective it is seen as ‘multiple’, in the second it is understood as ‘divided’. The thesis I defend is that only once the ineradicable character of division and antagonism is recognised does it become possible to think in a properly political manner.

Chantal Mouffe (b. 1943) is a political theorist educated at the universities of Louvain, Paris, and Essex and a Professor of Political Theory at the University of Westminster. She has taught at many universities in Europe, North America and Latin America, and has held research positions at Harvard, Cornell, the University of California, the Institute for Advanced Study in Princeton, and the Centre National de la Recherche Scientifique in Paris. Between 1989 and 1995 she was Directrice de Programme at the College International de Philosophie in Paris. Professor Mouffe is the editor of Gramsci and Marxist Theory, Dimensions of Radical Democracy, Deconstruction and Pragmatism, and The Challenge of Carl Schmitt; co-author (with Ernesto Laclau) of Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics (1985); and author of The Return of the Political (1993), and The Democratic Paradox (2000). Her latest work is On the Political published by Routledge in 2005. She is currently elaborating a non-rationalist approach to political theory; formulating an ‘agonistic’ model of democracy; and engaged in research projects on the rise of right-wing populism in Europe and the place of Europe in a multi- polar world order.

Le totalitarisme inversé

Source : Sheldon Wolin, The Nation

Ex: http://www.les-crises.fr

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

wolinsh_SX319_BO1,204,203,200_.jpgLa guerre d’Irak a tellement accaparé l’attention du public que le changement de régime en train de s’accomplir chez nous est resté dans l’ombre. On a peut-être envahi l’Irak pour y apporter la démocratie et renverser un régime totalitaire, mais, ce faisant, notre propre système est peut-être en train de se rapprocher de ce dernier et de contribuer à affaiblir le premier. Le changement s’est fait connaître par la soudaine popularité de deux expressions politiques autrefois très rarement appliquées au système politique américain. « Empire » et « superpuissance » suggèrent tous les deux qu’un nouveau système de pouvoir, intense et s’étendant au loin, a pris naissance et que les anciens termes ont été supplantés. « Empire » et « superpuissance » symbolisent précisément la projection de la puissance américaine à l’étranger, mais, pour cette raison, ces deux termes en obscurcissent les conséquences domestiques.

Imaginez comme cela paraîtrait étrange de devoir parler de “la Constitution de l’Empire américain” ou de “démocratie de superpuissance”. Des termes qui sonnent faux parce que “Constitution” signifie limitations imposées au pouvoir, tandis que “démocratie” s’applique à la participation active des citoyens à leur gouvernement et à l’attention que le gouvernement porte à ses citoyens. Les mots “empire” et “superpuissance” quant à eux sont synonymes de dépassement des limites et de réduction de la citoyenneté à une importance minuscule.

Le pouvoir croissant de l’état et celui, déclinant, des institutions censées le contrôler était en gestation depuis quelque temps. Le système des partis en donne un exemple notoire. Les Républicains se sont imposés comme le phénomène unique dans l’Histoire des États-Unis d’un parti ardemment dogmatique, fanatique, impitoyable, antidémocratique et se targuant d’incarner la quasi-majorité. A mesure que les Républicains se sont faits de plus en plus intolérants idéologiquement parlant, les Démocrates ont abandonné le terrain de la gauche et leur base électorale réformiste pour se jeter dans le centrisme et faire discrètement connaître la fin de l’idéologie par une note en bas de page. En cessant de constituer un véritable parti d’opposition, les Démocrates ont aplani le terrain pour l’accès au pouvoir d’un parti plus qu’impatient de l’utiliser pour promouvoir l’empire à l’étranger et le pouvoir du milieu des affaires chez nous. Gardons à l’esprit qu’un parti impitoyable, guidé par une idéologie et possédant une base électorale massive fut un élément-clé dans tout ce que le vingtième siècle a pu connaître de partis aspirant au pouvoir absolu.

Les institutions représentatives ne représentent plus les électeurs. Au contraire, elles ont été court-circuitées, progressivement perverties par un système institutionnalisé de corruption qui les rend réceptives aux exigences de groupes d’intérêt puissants composés de sociétés multinationales et des Américains les plus riches. Les institutions judiciaires, quant à elles, lorsqu’elles ne fonctionnent pas encore totalement comme le bras armé des puissances privées, sont en permanence à genoux devant les exigences de la sécurité nationale. Les élections sont devenues des non-évènements largement subventionnés, attirant au mieux une petite moitié du corps électoral, dont l’information sur les affaires nationales et mondiales est soigneusement filtrée par les médias appartenant aux firmes privées. Les citoyens sont plongés dans un état de nervosité permanente par le discours médiatique sur la criminalité galopante et les réseaux terroristes, par les menaces à peine voilées du ministre de la justice, et par leur propre peur du chômage. Le point essentiel n’est pas seulement l’expansion du pouvoir du gouvernement, mais également l’inévitable discrédit jeté sur les limitations constitutionnelles et les processus institutionnels, discrédit qui décourage le corps des citoyens et les laisse dans un état d’apathie politique.

Il ne fait aucun doute que d’aucuns rejetteront ces commentaires, les qualifiant d’alarmistes, mais je voudrais pousser plus loin et nommer le système politique qui émerge sous nos yeux de “totalitarisme inversé”. Par “inversé”, j’entends que si le système actuel et ses exécutants partagent avec le nazisme la même aspiration au pouvoir illimité et à l’expansionnisme agressif, leurs méthodes et leurs actes sont en miroir les uns des autres. Ainsi, dans la République de Weimar, avant que les nazis ne parviennent au pouvoir, les rues étaient sous la domination de bandes de voyous aux orientations politiques totalitaires, et ce qui pouvait subsister de démocratie était cantonné au gouvernement. Aux États-Unis, c’est dans les rues que la démocratie est la plus vivace – tandis que le véritable danger réside dans un gouvernement de moins en moins bridé.

Autre exemple de l’inversion : sous le régime nazi, il ne faisait aucun doute que le monde des affaires était sous la coupe du régime. Aux États-Unis, au contraire, il est devenu évident au fil des dernières décennies que le pouvoir des grandes firmes est devenu si dominant dans la classe politique, et plus particulièrement au sein du parti Républicain, et si dominant dans l’influence qu’il exerce sur le politique, que l’on peut évoquer une inversion des rôles, un contraire exact de ce qu’ils étaient chez les nazis. Dans le même temps, c’est le pouvoir des entreprises, en tant que représentatif du capitalisme et de son pouvoir sans cesse en expansion grâce à l’intégration de la science et de la technologie dans sa structure même, qui produit cette poussée totalitaire qui, sous les nazis, était alimentée par des notions idéologiques telles que le Lebensraum.

On rétorquera qu’il n’y a pas d’équivalent chez nous de ce que le régime nazi a pu instaurer en termes de torture, de camps de concentration et autres outils de terreur. Il nous faudrait toutefois nous rappeler que, pour l’essentiel, la terreur nazie ne s’appliquait pas à la population de façon générale ; il s’agissait plutôt d’instaurer un climat de terreur sourde – des rumeurs de torture – propre à faciliter la gestion et la manipulation des masses. Pour le dire carrément, il s’agissait pour les nazis d’avoir une société mobilisée, enthousiaste dans son soutien à un état sans fin de guerre, d’expansion et de sacrifices pour la nation.

Tandis que le totalitarisme nazi travaillait à doter les masses d’un sens du pouvoir et d’une force collectifs, Kraft durch Freude (“la Force par la Joie”), le totalitarisme inversé met en avant un sentiment de faiblesse, d’une inutilité collective. Alors que les nazis désiraient une société mobilisée en permanence, qui ne se contenterait pas de s’abstenir de toute plainte, mais voterait “oui” avec enthousiasme lors des plébiscites récurrents, le totalitarisme inversé veut une société politiquement démobilisée, qui ne voterait quasiment plus du tout. Rappelez-vous les mots du président juste après les horribles évènements du 11 septembre : “unissez-vous, consommez, et prenez l’avion”, dit-il aux citoyens angoissés. Ayant assimilé le terrorisme à une “guerre”, il s’est dispensé de faire ce que des chefs d’États démocratiques ont coutume de faire en temps de guerre : mobiliser la population, la prévenir des sacrifices qui l’attendent, et appeler tous les citoyens à se joindre à “l’effort de guerre”.

fascisme-capitalisme.jpg

Au contraire, le totalitarisme inversé a ses propres moyens d’instaurer un climat de peur générale ; non seulement par des “alertes” soudaines, et des annonces récurrentes à propos de cellules terroristes découvertes, de l’arrestation de personnages de l’ombre, ou bien par le traitement extrêmement musclé, et largement diffusé, des étrangers, ou de l’île du Diable que constitue la base de Guantanamo Bay, ou bien encore de la fascination vis-à-vis des méthodes d’interrogatoire qui emploient la torture ou s’en approchent, mais également et surtout par une atmosphère de peur, encouragée par une économie corporative faite de nivelage, de retrait ou de réduction sans pitié des prestations sociales ou médicales ; un système corporatif qui, sans relâche, menace de privatiser la Sécurité Sociale et les modestes aides médicales existantes, plus particulièrement pour les pauvres. Avec de tels moyens pour instaurer l’incertitude et la dépendance, il en devient presque superflu pour le totalitarisme inversé d’user d’un système judiciaire hyper-punitif, s’appuyant sur la peine de mort et constamment en défaveur des plus pauvres.

Ainsi les éléments se mettent en place : un corps législatif affaibli, un système judiciaire à la fois docile et répressif, un système de partis dans lequel l’un d’eux, qu’il soit majoritaire ou dans l’opposition, se met en quatre pour reconduire le système existant de façon à favoriser perpétuellement la classe dirigeante des riches, des hommes de réseaux et des corporations, et à laisser les plus pauvres des citoyens dans un sentiment d’impuissance et de désespérance politique, et, dans le même temps, de laisser les classes moyennes osciller entre la peur du chômage et le miroitement de revenus fantastiques une fois que l’économie se sera rétablie. Ce schéma directeur est appuyé par des médias toujours plus flagorneurs et toujours plus concentrés ; par l’imbrication des universités avec leurs partenaires privés ; par une machine de propagande institutionnalisée dans des think tanks subventionnés en abondance et par des fondations conservatrices ; par la collaboration toujours plus étroite entre la police locale et les agences de renseignement destinées à identifier les terroristes, les étrangers suspects et les dissidents internes.

Ce qui est en jeu, alors, n’est rien de moins que la transformation d’une société raisonnablement libre en une variante des régimes extrémistes du siècle dernier. Dans de telles circonstances, les élections nationales de 2004 constituent une crise au sens premier du terme, un tournant. La question est : dans quel sens ?

Source : Sheldon Wolin, The Nation, le 26/02/2012

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

vendredi, 20 mai 2016

Arnold Gehlen et l’anthropologie philosophique

 

Arnold Gehlen et l’anthropologie philosophique

par Robert Steuckers

INTRODUCTION (2016): Arnold Gehlen (1904-1976) est, avec Max Scheler et Helmut Plessner, l’un des représentants majeurs de l’anthropologie philosophique apparue dans les années vingt en Allemagne. L’homme est pour lui une créature dont la culture est la seule nature. Être imparfait (Mängelwesen), il compense sa déficience biologique par l’invention de la technique et des institutions. Libéré ainsi des sollicitations immédiates des besoins et des pulsions, il peut prévoir et planifier. Après avoir cédé à la tentation du national-socialisme pendant les années trente, Gehlen est devenu après 1945 un représentant du conservatisme technocratique et un critique avisé de la société moderne. Ses thèses ont nourri la réflexion de Jürgen Habermas, Hans Blumenberg, Ernst Tugendhat et Theodor W. Adorno. Quand les pollutions, le dérèglement climatique etc. menacent l’avenir de l’humanité, mais quand aussi s’exprime partout le souci de sa préservation, alors il est temps de découvrir l’anthropologie d’Arnold Gehlen (B.).
 
◊◊◊◊◊◊ 
 
Arnold Gehlen et l’anthropologie philosophique
 
Rédigé en 1979 et en 1980, le texte de cette conférence sur Arnold Gehlen mérite toujours d’être lu, malgré les années qui ont passé. En effet, parmi les éditeurs francophones, seules les Presses Universitaires de France ont estimé utile de publier ses Travaux d’anthropologie sociale. Livre indispensable, incontournable mais auquel il manque tout le contexte de l’œuvre. Puisse notre article y remédier, de façon fort simple et didactique.
 
***
Depuis longtemps déjà, notre courant de pensée se penche sur la nécessité de tracer les grandes lignes d’une anthropologie pour le XXe voire le XXIe siècle. Au seuil de cet exposé, il me semble bon de définir, avant toute chose, le terme “anthropologie”. L’anthropologie consiste en l’étude scientifique de l’homme ; cependant, il faut distinguer : 1) l’anthropologie culturelle ; 2) l’anthropologie biologique ; 3) l’anthropologie philosophique.
 
L’anthropologie culturelle s’attache à partir des sciences sociales (sociologie, économie, etc.), à étudier les phénomènes culturels humains, autrement dit, les variations de comportement observables à partir d’une même base génétique. Ainsi, l’anthropologie culturelle, étudiant une même race, peut expliquer des variations de comportement dues au milieu social. Par exemple, une étude d’anthropologie culturelle comparée de la société viking et de la Scandinavie moderne montre, pour une même race, des variations dans l’idéologie, dans l’éthique, le niveau des techniques, qui s’expliquent par l’évolution historique du dressage culturel et non par la biologie (cette race n’ayant pas fondamentalement varié depuis lors) (Secrétariat “Études et Recherches” du GRECE, « L’anthropologie philosophique », in : Études et Recherches n°2 [1ère série], supplément au n°10 d’éléments, 1975).
 
L’anthropologie biologique étudie l’homme du point de vue de la biologie, c’est-à-dire de la génétique et des lois de l’hérédité en particulier.
 
L’anthropologie philosophique s’efforce d’étudier l’homme scientifiquement de manière globale, c’est-à-dire en utilisant les ressources de toutes les sciences de l’homme. Elle s’efforce entre autres d’établir la synthèse entre l’apport de l’anthropologie biologique et celui de l’anthropologie culturelle. L’anthropologie philosophique cherche ainsi à définir une conception totale de l’homme à partir de laquelle peut se déduire une conception du monde (art. cit). Parler d’anthropologie philosophique équivaut à parler sans détours d’Arnold Gehlen, l’auteur qui a appliqué le fruit de ses recherches aux problèmes de la société industrielle moderne. Aucun de ses ouvrages n’est, à ce jour, traduit en français.
 
Qui est Arnold Gehlen ?
 
Qui est Arnold Gehlen ? Penchons-nous d’abord sur sa biographie. Il est né le 29 janvier 1904 à Leipzig, dans une famille originaire de Westphalie. En 1927, il acquiert le titre de docteur en philosophie. En 1930, il est professeur ordinaire à l’université de Leipzig. En 1938, il est nommé à Königsberg et, en 1940, à Vienne. Mobilisé, il interrompt son enseignement. Grièvement blessé au cours des combats de Silésie en janvier 1945, il échappe à la captivité. En 1947, il reprend ses activités à Spire (Speyer), puis, en 1962, il reçoit une chaire de sociologie à l’école technique supérieure d’Aix-la-Chapelle. On le constate: la carrière d’Arnold Gehlen est essentiellement universitaire.
 
Il a été un homme de son temps. Il a vécu quatre régimes politiques et sociaux différents : le IIe Reich wilhelminien, la République de Weimar, le IIIe Reich de Hitler et la République de Bonn. Cette succession de pouvoirs différents l’a tout naturellement amené à réfléchir sur l’obsolescence des régimes politiques et des philosophies qui leur servent d’assises intellectuelles. Il a ainsi perçu le ridicule des fantaisies passéistes qui ne sont que fuite devant le réel et refus de relever les défis du monde politique. Mais il a également perçu l’importance capitale de certains fondements inébranlables qu’il appellera les institutions.
 
En somme, la philosophie d’Arnold Gehlen reste ouverte aux situations nouvelles. Elle est comme l’homme, seul être vivant adaptable à des situations nouvelles, en état de malléabilité, de plasticité permanente. Cela peut paraître compliqué. Mon objectif, ce soir, visera principalement à démontrer pourquoi l’homme est cet être qui peut s’adapter à des situations différentes et qui, en fin de compte, est le créateur de son univers.
 
Nous allons analyser les différentes étapes de l’œuvre d’Arnold Gehlen, résultat d’une réflexion qui a l’immense mérite de n’avoir négligé aucune discipline. Nous analyserons donc sa démarche au niveau philosophique d’abord ; au niveau biologique, ensuite. En conclusion, nous parlerons des implications de ces investigations rigoureuses.
 
Les références philosophiques
 
Replaçons-nous dans le contexte du XVIIIe siècle, à l’aurore du RomantismeSchopenhauer souligne dans Über den Willen in der Natur [1836, tr. fr. : De la volonté dans la nature, PUF, 1969] l’harmonie qui existe entre la constitution physique des animaux et le milieu dans lequel ils vivent. Schopenhauer admirait l’utilité de chaque organe chez l’animal, la mobilité des fauves à se porter là où ils pouvaient saisir leur proie, s’émerveillait, par exemple, du caractère préhensile de la queue des singes arboricoles. Chaque animal, concluait-il, est l’expression d’une volonté, voire d’une volonté globale qui se manifeste sous différents aspects. L’animal, en conséquence, est parfaitement adapté à son milieu. Il est doté des organes adéquats. Une des grandes questions auxquelles l’œuvre d’Arnold Gehlen s’efforcera de donner une réponse satisfaisante est la suivante : en est-il de même pour l’homme ?
 
Herder
 
En 1772, Johann Gottfried Herder, dans un ouvrage intitulé Vom Ursprung der Sprache [tr. fr. : Traité de l’origine du langage, PUF, 1992], distingue pertinemment l’homme de l’animal : l’homme n’a ni les instincts ni les potentialités physiques des animaux. Chaque animal, écrit Herder, vit et meurt dans sa « sphère », nous dirions aujourd’hui dans son “environnement”. Et si les sens d’un animal sont très développés, il aura une sphère d’autant plus réduite. C’est en quelque sorte une proportion inversée : plus la sphère est réduite, dit Herder, plus les capacités de l’animal seront perfectionnées. Ces capacités ont la possibilité de se concentrer sur le milieu réduit, sans être éparpillées sur une surface importante.
 
Avec la même pertinence, Herder définit l’homme comme un être auquel il “manque” beaucoup d’atouts, comme un être en état de manque (Mängelwesen). L’enfant nouveau-né, dit-il, est le plus démuni des êtres produits par la nature. Il est nu, faible, désarmé, privé de tous les moyens de protection et de défense que la nature offre à d’autres êtres, animaux ou végétaux. En somme, il faut définir l’homme négativement : par ses “manques”, par ses “lacunes organiques”. Pour dire, sans avoir notre vocabulaire scientifique, que l’homme n’a pas d’instincts précis, c’est-à-dire qu’il n’est pas phylogénétiquement programmé et que, par conséquent, il est soumis à un choix, placé devant un choix, Herder disait : « Ses sens, son organisation ne sont pas axés, concentrés sur une seule chose, sur un seul type d’activité. L’homme a des sens pour tout. Ses forces physiques sont répandues à travers le monde. Ses représentations ne vont pas dans une seule direction ». C’était la façon à Herder de rejeter le déterminisme. Car, de surcroît, l’homme n’a pas de milieu, n’a pas de sphère étroite et uniforme, où il n’y a qu’un seul type de travail à accomplir ; il y a un monde d’activités autour de lui et un grand nombre de vocations s’adressent à lui. Herder avait parfaitement pressenti ce que, plus tard, les recherches biologiques allaient confirmer : l’ouverture-au-monde et l’inadéquation biologique.
 
Pour Herder, le langage, ou plutôt les langages, cherchent à pallier la pauvreté organique et instinctuelle de l’être humain. Les langages produisent entendements et raisons. Ils rendent des facultés possibles. On peut donc dire que l’entendement et la raison ne reposent pas sur l’organisation animale de l’homme mais qu’elles sont une nouvelle direction, une nouvelle voie que la nature offre à l’homme. Depuis ces intuitions de Herder, l’anthropologie philosophique n’a pas fondamentalement progressé. Elle n’a fait qu’approfondir et cerner avec plus de précision « un état de chose, un fait dans l’ensemble des faits que constitue le monde », pour paraphraser Wittgenstein.
 
Nietzsche
 
Il nous semble utile, à ce stade-ci de notre exposé, de rappeler le contexte presque trimillénaire de la philosophie européenne : ce contexte, que nous allons schématiser considérablement voire outrancièrement, nous dévoile une opposition entre les philosophies de la volonté, d’une part, et les philosophies de l’esprit, d’autre part. Les premières, pourrait-on dire, sont inégalitaires parce que l’intensité des volontés est chaque fois différente ; les autres sont égalitaires parce que tous partagent indistinctement la même parcelle d’esprit. Ces philosophies s’opposent sur l’objet et sur les méthodes.
 
• À propos de l’objet : 
 
— Les philosophies de l’esprit (que nous posons ici comme égalitaires) croient en une vérité absolue qu’il est possible d’atteindre en connaissant son essence, son être. Elles visent une ontologie.
 
— Les philosophies de la volonté (que nous posons ici comme inégalitaires) sont fondées sur l’idée que la vérité absolue n’existe pas. L’homme ne saisit qu’une perspective du monde. Nietzsche dit dans Wille zur Macht (La Volonté de puissance) : « Il n’y a pas de chose en soi, pas de connaissance absolue ; ce caractère perspectiviste et illusoire est inhérent à l’existence » [tr. G. Bianquis]. Ces philosophies de la volonté impliquent donc une connaissance des hommes, de “qui” peut connaître. Elles reposent sur une anthropologie.
 
• À propos des méthodes :
 
— Les philosophies de l’esprit partent du point de vue que l’homme dispose d’un esprit d’une raison (par ailleurs égale chez tous) qui permet de connaître “l’essence des choses”, “l’être”, les vérités “évidentes”. La méthode consiste à parler logiquement, à utiliser le verbe (nous renvoyons ici à la critique empiriste logique, à Bertrand Russell, à Ludwig Wittgenstein, à Louis Rougier et à la linguistique de Benjamin Lee Whorf).
 
— Les philosophies de la volonté considèrent qu’il n’y a d’autres vérités que les vérités d’expérience. Mais il faut avoir la volonté de faire ces expériences. Elles mettent comme le Faust de Goethe l’action au commencement de tout (Am Anfang war die Tat).
 
• L’opposition vue d’un point de vue historique :
 
Les philosophies de l’esprit ont Socrate pour initiateur. Thomas d’Aquin, Kant et Descartes ont continué le courant. Hegel lui a apporté la dialectique. Marx appelle “matière” l’“esprit” de Hegel mais ne révolutionne rien : en fait, sous un nom différent, nous avons toujours affaire au même “Être” immuable qui préside le débat et dont il faut connaître l’essence.
 
L’homme : un animal sans fixité
 
friedrich-nietzschehhhh.jpgLes philosophies de la volonté, parties d’Héraclite (mais avec Ernst Krieck on peut dire que Héraclite est à mi-chemin entre le mythe et le logos) vont être longtemps méconnues. Le Moyen Âge allemand a produit un Maître Eckhart. Avec le romantisme apparaissent Fichte, Herder, Schopenhauer. À la fin du siècle passé et au début de celui-ci, la philosophie de la Vie prend le relais avec Dilthey, Klages, Spengler, Tönnies, Spann. Mais Nietzsche reste celui qui nous a légué l’œuvre la plus considérable. Sa formule « deviens ce que tu es » implique que l’homme n’est pas un fait établi. Il est l’animal sans fixité. Il est à établir. L’homme doit réaliser ses virtualités par l’action. Son éthique doit justifier une discipline organisatrice du chaos instinctif qu’il est par nature. C’est aussi ce que nous enseignent les vieux mythes de l’humanité primordiale qui concevaient des dieux organisateurs du chaos primitif.
 
Nietzsche a donc décrit l’homme comme « un animal non encore déterminé » (ein nicht festgestelltes Tier). L’homme n’est pas créé une fois pour toutes ; il continue en permanence à se créer lui-même. Il cherche le surhomme (c’est-à-dire le dépassement de sa condition physiquement déficiente), parce qu’« il danse sur une corde entre singe et le surhomme ». Nietzsche résume cet état instable de l’homme avec autant de brièveté que de pertinence : « L’homme n’est pas, il devient ». Pour lui, il faut toujours attribuer la première place au devenir. On ne peut pas régresser. Et nous retrouvons la position qu’Arnold Gehlen a toujours prise devant les transformations politiques successives de son pays. Ce qui devient change mais n’abandonne pas pour autant son identité. Ce qui change reste lui-même mais toujours sous de nouvelles formes. Ainsi, il n’y a pas d’opposition entre “tradition” et “changement”. La continuité de la tradition exige son renouvellement. Une double tâche pour l’homme : s’appuyer sur son héritage et réaliser ses potentialités créatrices. Sans passéisme et sans faux espoirs en des lendemains qui chanteront nécessairement, obligatoirement juste.
 
Max Scheler
 
À la base de la démarche d’Arnold Gehlen, il y a également une idée simple, tirée d’un livre que le philosophe juif allemand Max Scheler, s’inscrivant dans la tradition phénoménologique, a publié en 1928 (La situation de l’homme dans le monde). Ce petit volume devait servir d’esquisse à un plus vaste ouvrage que l’auteur, victime d’une attaque d’apoplexie, ne put jamais achever. Le problème de l’homme ne saurait être résolu, aux yeux de Max Scheler, ni par le naturalisme ni par le rationalisme dualiste. Il ne faut pas que la liaison intime de l’homme avec la nature fasse oublier son indépendance vis-à-vis d’elle. Il ne faut pas non plus que l’on exagère cette indépendance et cette supériorité au point d’arracher l’homme « aux bras maternels de la nature ». Le principe transcendant et même, en un sens, opposé aux forces vitales, qui assure à l’homme une situation métaphysique originale, c’est l’esprit (cf. M. Dupuy, préface à la traduction française de la situation de l’homme dans le monde, Aubier-Montaigne, 1951).
 
Les attributs de l’homme, en tant qu’être spirituel, doivent être « compris comme des perfectionnements ou des affinements des formes psychiques antérieures (instinct, mémoire, intelligence technique) » (cf. M. Dupuy, op. cit.). L’homme a, entre autres, la faculté de s’ouvrir au monde. Ni la théorie “négative” de l’homme, qui se représente l’esprit comme une dérivation d’ordre physico-chimique, ni la théorie “classique”, qui veut que l’esprit possède par lui-même la puissance et l’efficacité, alors qu’il n’a pas d’énergie propre, ne sont satisfaisantes. L’esprit, pour pouvoir se réaliser, doit recourir au dynamisme des formes inférieures de l’être, seules détentrices de puissance, mais auxquelles il apporte discipline et norme. Vie et esprit deviennent principes réciproquement complémentaires (M. Dupuy, op. cit.), malgré la possibilité qu’a l’homme de dire “non” aux phénomènes vitaux, de freiner ses pulsions.
 
Une anthropologie dérivée de l’action
 
À partir de cette position, Gehlen posera la question centrale de son anthropologie philosophique, celle de la validité de toute espèce de dualisme. Il en découle une théorie de l’action, qui n’implique pas seulement la différence entre l’homme et l’animal, mais récapitule tous les stades d’évolution que l’on considérait métaphysiquement comme inférieurs (Gehlen rejette la notion d’échelle du vivant présentée chez Scheler) dans une conception de l’homme incluant l’âme et le corps. C’est pourquoi l’anthropologie de Gehlen ne déduit pas la totalité de l’homme de l’esprit, c’est-à-dire d’un “principe” opposé à la vie, mais d’une catégorie médiane : l’action. Scheler, explique Gehlen (dans « Zur Geschichte der Anthropologie », in : Anthropologische Forschungen, Rowohlt, Reinbeck, 1974), n’a fait que déplacer le vieux dualisme, issu de la théologie médiévale et modernisé par Descartes au XVIIe siècle.
 
Pour mieux illustrer ce résumé, il nous paraît intéressant de laisser la parole à Max Scheler lui-même :
« La réalité la plus puissante qu’il y ait au monde est donc constituée par les centres de force du monde inorganique en tant qu’ils sont les points les plus bas où agit “l’impulsion” fondamentale ; ils sont aveugles à tout ce qui est idée, forme et structure. D’après une conception de plus en plus répandue de notre physique théorique : ces centres ne sont probablement pas soumis, dans leur rapprochement et leur opposition réciproques, à des lois ontiques mais seulement aux lois statistiques du hasard. C’est l’être vivant qui, parce que ses organes et fonctions sensoriels indiquent plutôt dans le monde les régularités que les anomalies, introduit le premier dans l’univers cette “légalité naturelle” que l’entendement y saisit ensuite. Aussi n’est-ce pas la loi qui se trouve ontologiquement parlant derrière le chaos du hasard et de l’arbitraire, mais c’est le chaos qui est situé derrière la loi du mécanisme formel. Si cette idée s’imposait, selon laquelle toutes les lois naturelles de cette sorte n’ont au fond qu’une signification statistique et que tous les phénomènes naturels (même dans la micro-sphère) résultent déjà de l’interaction d’unités dynamiques sans règle, — toute notre représentation de la nature subirait une transformation considérable. Il faudrait alors regarder comme les vraies lois ontiques ce qu’on nomme les lois de la forme, c’est-à-dire les lois qui prescrivent un certain rythme temporel de devenir, et en fonction de ce rythme, certaines formes statiques de l’existence corporelle (…).
Comme, dans le domaine de la vie, tant physiologique que psychique, ne sont assurément valables que des lois du type des lois de la forme (bien que ce ne soient pas nécessairement les seules lois matérielles de la physique), la légalité de la nature serait encore, grâce à cette conception, une légalité rigoureusement unitaire. Il ne serait pas impossible alors d’appliquer la forme de l’idée de sublimation à tout ce qui arrive dans le monde. Il y aurait sublimation en chacun des phénomènes essentiels par lesquels, au cours du devenir universel, des forces d’une sphère inférieure passeraient peu à peu au service d’une forme plus élevée de l’être et de l’évolution : ainsi par ex. les forces qui se déploient entre les électrons au service de la forme de l’atome ; ou les forces qui agissent dans le monde inorganique, au service de la structure de la vie. La formation de l’homme et la spiritualisation devraient alors être considérées comme la dernière en date des sublimations de la nature ; elle se manifesterait à la fois par l’emploi croissant des énergies externes assimilées par l’organisme, dans les processus les plus complexes que nous connaissions, les processus d’excitation de l’écorce cérébrale ; et, dans l’ordre psychique, par le phénomène analogue de la sublimation des tendances, en tant que conversion de l’énergie instinctive en activité “spirituelle” » (La situation de l’homme dans le monde, trad. M. Dupuy, cité in : Max Scheler, Alexandre Métraux, Seghers, 1973).
Le point de départ biologique : une définition de la néoténie
 
À propos de la néoténie, que dit le dictionnaire ? Que la néoténie est la persistance de la forme larvaire ou d’un autre stade antérieur de développement. Cette persistance peut ou bien être temporaire (à cause de l’influence du climat par ex.) ou bien rester permanente (dans ce cas, l’animal se reproduit à un stade juvénile de développement, exemple : l’axolotl parmi les batraciens). Une définition tirée d’un dictionnaire ne nous apparaît toutefois pas suffisante. C’est pourquoi, nous nous sommes inspirés de deux livres fondamentaux d’Arthur Koestler : The Ghost in the Machine (littéralement Fantôme dans la machine, tr. fr. : Le cheval dans la locomotive) et Janus : A Summing Up (tr. fr. : Janus). Si l’animal se reproduit à un stade juvénile de développement, cela signifie automatiquement que l’âge de la maturité sexuelle se trouve abaissée. Ce phénomène a deux aspects : d’abord, l’animal commence déjà à se reproduire à l’état larvaire ou au moins avant l’âge adulte ; ensuite, l’animal n’atteint jamais le stade adulte, qui est ainsi éliminé du cycle de la vie.
 
En conclusion, les stades “juvéniles” propres aux ancêtres deviennent définitifs chez leurs descendants. On assiste donc à un processus de “juvénilisation” et de dé-spécialisation, c’est-à-dire un processus qui permet à un être vivant de s’échapper d’une impasse dans l’évolution. Clarifions donc ce que Koestler appelle une impasse (en anglais : blind alley). Il commence par nous expliquer que la cause principale qui entraîne la stagnation, avant de provoquer l’extinction, est la sur-spécialisation. Il nous en donne un exemple, celui d’un animal tout-à-fait charmant, le koala d’Australie, qui se nourrit exclusivement de feuilles d’eucalyptus ; qui plus est, d’un certain type d’eucalyptus ! Cet animal possède des griffes en forme de crochets pour pouvoir grimper aux arbres. Il est absolument déterminé dans sa spécialisation. Koestler ajoute non sans humour que le koala à un équivalent humain, dépourvu toutefois de charme : le pédant, esclave de ses habitudes mentales. Et, ironise Koestler, nos universités regorgent de spécimens de ce genre, qui s’appliquent à fabriquer des “koalas”.
 
Les impasses de l’évolution
 
Sir Julian Huxley, un des plus éminents biologistes anglais, résume brièvement l’évolution comme suit : « À partir d’un type biologique général, plusieurs lignées se forment qui exploiteront l’environnement de diverses façons. Quelques-unes parmi ces lignées atteignent relativement rapidement leurs limites. Tout au moins en ce qui concerne les modifications importantes. Elles se contenteront dorénavant de former de nouveaux genres et de nouvelles espèces (ex. : du loup au chien et du chien primitif aux différentes races de chiens). D’autres lignées peuvent poursuivre leur “carrière”, générer de nouveaux types grâce à leur contrôle plus perfectionné de l’environnement et leur plus grande indépendance à son égard. Ces nouveaux types forment à leur tour un nombre de lignées qui se spécialiseront dans une direction particulière. La plupart de ces lignées aboutissent dans une impasse, ne progressent plus : leur spécialisation n’est qu’un progrès unilatéral, il finit par atteindre sa limite biomécanique… C’est alors l’extinction ou la stagnation. Un exemple de stagnation est l’embranchement des échinodermes (étoiles de mer, oursins). Généralement, une ou deux lignées subit ce sort, les autres poursuivent la différenciation. Les reptiles sont tous des blind alleys [des impasses, des sentiers qui ne mènent nulle part, ndt] sauf ceux qui ont permis l’éclosion des oiseaux et des mammifères. Tous les oiseaux sont des blind alleys. Et tous les mammifères. Sauf un : l’homme » (cité par A. Koestler, The Ghost in the Machine, Pan/Picador, London, 1970-75).
 
Gehlen[Ci-contre : têtes d’embryons, à gauche, de chaton ; à droite, de chauve-souris. D’après Portmann (1962). On aperçoit l’occlusion temporaire au stade fœtal des yeux et des oreilles. Ci-contre, à droite, ontogenèse du crâne chez l’orang-outang. En a) et en b), stades infantiles ; en c) stade adulte. Le phénomène de retardation, mis en avant par Bolk, s’aperçoit très clairement ici]
 
Effectivement, on peut constater que les insectes dérivent tous d’un ancêtre commun qui était une espèce de mie, de mille-pattes. Ils ne dérivent pas du stade adulte de ce dernier mais bien du stade larvaire, moins spécialisé. Les batraciens ou amphibiens représentent aujourd’hui encore de façon saisissante le processus. Ils naissent poissons, respirent avec des branchies mais acquièrent ultérieurement une respiration pulmonaire. Nous savons depuis les recherches du biologiste hollandais Louis Bolk que l’adulte humain “ressemble” plus à l’embryon d’un singe qu’au singe adulte. Tant chez l’embryon de l’anthropomorphe que chez l’adulte humain, le poids du cerveau par rapport au poids total est disproportionné. Dans les deux cas, au stade de l’embryon chez le singe et au stade du bébé chez l’homme les os du crâne ne se soudent pas, pour permettre au cerveau de croître. Nous verrons dans la suite de cet exposé, quand nous aborderons plus spécialement les théories de Bolk, que l’homme possède encore beaucoup de caractéristiques fœtales, embryonnaires. Le “chaînon manquant” entre l’homme et le singe, ajoute Koestler, ne sera peut-être jamais découvert, parce qu’il était tout simplement un… embryon.
 
Le recul pour mieux sauter
 
Gehlen-Koestler[Ci-contre : Schéma présenté par Koestler dans Le Cheval dans la locomotive : l’évolution, perçue non comme linéaire mais comme zig-zaguante, avec des “reculs pour mieux sauter”]
 
La néoténie (ou pédomorphose ou encore juvénilisation) semble jouer un rôle capital dans la stratégie de l’évolution. Le néoténie implique un retrait par rapport aux formes adultes trop spécialisées, moins malléables. Les stades antérieurs de l’évolution ontogénétique permettent une réorientation, un changement de cap. Le fleuve de la vie remonte en amont. C’est, dit Arthur Koestler, un recul pour mieux sauter. Ce “modèle stratégique” se retrouve dans les sciences et dans les arts. L’évolution biologique est l’histoire des sorties hors des impasses de la sur-spécialisation, tout comme l’évolution des idées est le produit du refus des habitudes mentales et des routines sclérosées. L’émergence de nouvelles formes dans l’évolution et la création d’innovations culturelles partagent le même modèle : celui du faire et défaire (undoing-redoing). On constate donc par analogie, que ni l’évolution biologique ni le progrès culturel ne suivent une ligne continue ; ni ne sont strictement cumulatifs. Les deux types de progrès suivent le tracé d’un zig-zag. Ainsi, dit Koestler, la science ne progresse qu’aux époques immédiatement postérieures aux changements de paradigme. Autrement, la science entre dans une période de “consolidation” où règne une rigidité propre à toutes les orthodoxies. C’est l’impasse de la sur-spécialisation, analogue à la position du koala dans le règne animal.
 
Spengler : féconde barbarie
 
Mais précisons. La nouvelle structure théorique émergente n’est pas tout simplement ajoutée au vieil édifice ; son point de départ est là où l’évolution des idées a adopté une fausse piste. Comme en littérature et dans les arts, le tracé en zig-zag de l’évolution est bien en évidence ; quand une école succombe à la décadence du maniérisme, la crise se résoudra inévitablement par le fameux “recul pour mieux sauter”, amorce d’une révolution dans la sensibilité et dans le style. C’est ainsi qu’il faut comprendre le mot de Spengler, qui a tant heurté les âmes sensibles du vieux monde, tout occupées à cultiver leurs pénibles mièvreries : « Les temps sont venus où il n’y aura plus de place pour les âmes molles et les idéaux faibles. Elle se réveille, l’antique barbarie cachée et neutralisée pendant des siècles derrière la rigidité des formes d’une haute culture. Mais cette culture a achevé son cycle. Et la civilisation a commencé. La barbarie veut vivre une joie saine de guerrier, elle méprise la pensée rationaliste d’un siècle saturé de littérature. L’instinct dompté veut se débarrasser de la pression qu’exercent sur lui les idéaux livresques. Il nous faut un pessimisme de la bravoure!».
 
Koestler, pour illustrer son propos, nous parle de la différence entre pédomorphose — ce que nous venons d’expliquer — et gérontomorphose. La pédomorphose, avons-nous dit, permet une certaine plasticité. La gérontomorphose, c’est la modification de structures pleinement adultes et déjà hautement spécialisées. La gérontomorphose ne peut donc conduire à des changements radicaux et à de nouveaux départs. C’est ce qu’Arnold Gehlen appellera die Statik des unbewegt bewegten der modernen Kultur (le statisme du mouvant immobile de la culture moderne) ou encore die fortschrittlose Ruhelosigkeit des Betriebs (L’activité sans repos qui n’amorce aucun progrès). Au fond, le monde de la Zivilisation, au sens spenglérien du terme, ne tolère que des modifications fort superficielles parce qu’il craint et refuse le risque. Aux défis (les challenges décrits par Toynbee), il est incapable d’apporter des réponses (responses chez Toynbee) satisfaisantes, parce qu’il s’obstine à parier sur les idéologies dominantes.
 
Néoténie et régénération
 
Mais revenons à la néoténie strictement biologique. Nous devons également mentionner le phénomène de “régénération”, souvent confondu avec celui de reproduction. Quand on parle de régénération, il faut parler du phénomène qu’on constate chez les êtres les plus élémentaires. Lorsque l’on sectionne un ver ou une hydre, il se crée autant de nouveaux êtres qu’il y a de morceaux. Plus haut dans l’échelle de l’évolution, les batraciens sont encore capables de “régénérer” un membre ou un organe perdu. Ce mode d’auto-réparation s’accomplit au niveau ontogénétique. En revanche, l’auto-réparation phylogénétique est une série d’adaptation qui remodèle les structures mal adaptées en remontant l’échelle. La capacité de régénérer des parties du corps décroît au profit d’un accroissement de la puissance du cerveau et du système nerveux à réorganiser les comportements. Voilà qui détruit la conception réductionniste du système nerveux qui veut que celui-ci soit un automate condamné à répéter rigidement les mêmes réflexes. Finalement, la capacité de notre espèce à régénérer des parties du corps est réduite au minimum. Elle est remplacée par le pouvoir de remodeler les structures de pensée et de comportement En somme, de répondre aux défis critiques par des réponses créatives.
 
Le XIXe siècle avait une vue-du-monde mécaniciste, basée sur la fameuse doctrine de Clausius à propos de la “seconde loi de la thermodynamique”. C’était très pessimiste. Cette loi prétendait que l’univers allait vers sa dissolution finale car l’énergie se dissipait constamment, inexorablement, pour terminer en une unique et amorphe bulle de gaz de température uniforme. Le cosmos, dans cette optique, était condamné à être dissous dans le chaos. Mais il a bien fallu constater que cette seconde loi de la thermodynamique ne s’appliquait qu’aux systèmes appelés “fermés” (par ex. un gaz enfermé dans un conteneur parfaitement hermétique). Les organismes vivants sont des systèmes ouverts qui se maintiennent en tirant constamment des matériaux et de l’énergie de leur milieu. Les systèmes vivants absorbent de l’énergie pour en recréer. L’input est inférieur à l’output. Ainsi, ces organismes sont avant tout actifs, et non pas seulement réactifs. Il y a création continuelle de nouvelles structures. Cette conception des choses se heurte naturellement au Zeitgeist, à l’esprit de notre temps. Tous les réductionnistes, enfermés dans l’étroit secteur du réel qu’ils privilégient arbitrairement, ne savent apprécier la valeur des multiples produits d’une infinie différenciation. Les phénomènes de la vie ne se réduisent pas aux lois de la physique mécaniciste.
 
La logique de Lupasco
 
Cependant, il y a moyen de saisir la réalité physique-à partir d’une logique nouvelle. À la logique aristotélo-scolastique traditionnelle, Stéphane Lupasco a proposé une logique de l’antagonisme, de l’hétérogénéité. En clair, c’est faire la distinction entre un système vital caractérisé par une hétérogénéité sans cesse dominante (nous l’avons vu) et un système inanimé, caractérisé par une homogénéité sans cesse dominante. L’univers est un lieu où s’affrontent les antagonismes ; l’homogénéité affaiblit les antagonismes ; elle est une sorte de principe de mort, préludant l’extinction et la disparition définitive. Cela vaut pour les espèces vivantes et pouf les cultures, dont Spengler disait qu’elles étaient des organismes. L’hétérogénéité est la vie, productrice infatigable de différenciations.
 
L’apport d’Adolf Portmann
 
Portmann-Adolf[Ci-contre : Adolf Portmann, le biologiste suisse qui n’a jamais cessé de s’interroger sur le mystère du vivant. Son influence sur Arnold Gehlen a été capitale. En effet, il a été l’un des premiers à avancer la théorie qui veut que le milieu culturel est comme un second utérus pour le bébé et le jeune enfant humain. De là, Gehlen déduit que notre culture est en fait notre nature. Et que sans un “dressage” approprié et minutieux dans la jeune enfance, les civilisations ne tiennent pas. Quand le dressage est négligé ou ébranlé, les civilisations s’effondrent, perdent leur tonus]
 
Il serait trop long de parler ici de la fascinante personnalité d’Adolf Portmann et de toutes les facettes de son œuvre. Je me bornerai à parler de sa théorie la plus connue : celle de l’année extra-utérine de l’homme. Pour comprendre ce que Portmann veut dire par là, nous devons préalablement classer les mammifères en trois catégories :
  • 1) casaniers du nid (mammifères inférieurs)
  • 2) évadés secondaires du nid (chevaux, bovidés, …)
  • 3) casaniers secondaires du nid (l’homme).
Cette théorie nous dévoile que le bébé est encore un embryon après sa naissance, que la première année de la vie de l’homme est une année embryonnaire. L’homme possède à la naissance un cerveau dont le poids est trois fois supérieur à celui des singes anthropomorphes. Mais la station verticale, qui lui est spécifique, il ne l’acquiert qu’après un an, presque en même temps que le langage. Ainsi, pour que l’homme ait le même stade que.les autres mammifères à leur naissance, la grossesse devrait durer 21 mois. Cette période de plus ou moins douze mois est d’une importance capitale pour notre espèce ; il se crée autour du bébé une espèce d’utérus social, où il apprend le langage et la communication. Le bébé apprend donc une foule de choses de l’extérieur. C’est la raison pour laquelle on parle de dressage (Dressur), c’est-à-dire d’acquisition de normes culturelles.
 
C’est à partir de ce point de vue qu’Arnold Gehlen a pu affirmer que la nature de l’homme, c’est la culture. La culture, c’est notre “seconde nature”, basée sur un système instinctuel incomplet. Bien sûr, l’hérédité joue un rôle très important, mais par comparaison aux animaux, le donné héréditaire est largement “ouvert”. Ce donné détermine l’ampleur, la direction et l’intensité des actes posés par le sujet. L’hérédité ne détermine pas le contenu, la forme concrète des réalisations culturelles. Le langage constitue un exemple assez frappant : au début, toutes les potentialités sont présentes, c’est-à-dire que les balbutiements du bébé peuvent engendrer n’importe quelle langue, avec son système phonétique particulier. Par l’influence du milieu culturel, il s’opère une sélection phonétique et une syntaxe s’impose. Désormais, l’acquisition de sons étrangers se fera avec difficulté. Qu’on songe aux [θ] et [ð] anglais et à certaines voyelles anglaises, telles [ʌ], [ɔ̹], [ae] que les Français sont incapables de prononcer spontanément de manière correcte. Notre [r] est plus proche du [ʁ] anglais ; les Français le prononcent sur un timbre plus aigu. Le [ʌ] se retrouve dans les dialectes ouest-flamands et le [ɔ̹] est courant en Brabant, alors que les Français privilégient le [o] long et ouvert, qui n’est pas toujours spontané chez nous.
 
L’homme, nous enseigne Portmann, est une étape de la vie qualitativement nouvelle. Il a une position particulière, mais reste inclus dans la « symphonie cosmique » des manifestations du vivant. Il prend part au secret du vivant ; c’est pourquoi l’œuvre de Portmann inaugure une recherche biologique de type post-cartésien, qui tend à dépasser la séculaire opposition que les métaphysiciens scolastiques posaient entre l’âme et le corps. J’ai dit, il y a quelques instants, que les organismes ne sont pas seulement réactifs mais surtout actifs. Ce qui est décidément neuf dans la théorie de Portmann, c’est l’acceptation du fait que tous les êtres vivants participent au monde en tant que sujets qui ont une relation avec le monde qui les entoure. Ils ne sont plus conçus comme posés dans le monde. On constate qu’ils réagissent activement aux influences du milieu.
 
La théorie de Bolk
 
Toutes les recherches biologiques et anatomiques que nous avons mentionnées mettent l’accent sur les caractères non spécialisés de l’organisme humain. Mais ce n’est pas tout. Ces recherches ont également démontré l’impossibilité d’attribuer une ascendance simiesque à ces caractéristiques. C’est au contraire les primitivismes, les archaïsmes de notre organisme humain qui permettent de déduire notre position assez particulière dans le monde vivant. Louis Bolk, biologiste natif d’Amsterdam, soulignait la proximité biologique des anthropoïdes et des humains. Il concluait même que ces derniers descendaient d’ancêtres singes. Mais là où ses théories deviennent plus intéressantes, pour la démarche ultérieure d’Arnold Gehlen, c’est quand il tente d’apporter une réponse à deux questions : 1) Qu’est-ce qui est essentiel à l’organisme humain ? 2) Quel est l’essentiel chez l’homme en tant que forme ? En résumé, Bolk répond : ce n’est pas parce que les corps se sont dressés que l’homme est devenu ce qu’il est, mais c’est parce que la forme s’est humanisée que le corps s’est redressé. Bolk énumère toute une série de caractéristiques anatomiques humaines qui prouvent le caractère “embryonnaire” de notre espèce. Par exemple, l’orthognathie, l’absence de poils, la configuration du pavillon de l’oreille, la persistance des “coutures” là où se joignent les os du crâne, etc.
Naef 
Des traits fœtaux devenus permanents
 
[Ci-contre : Évolution vers la forme crânienne hominienne, au cours de la période tertiaire. D’après A. Naef. De gauche à droite : lémurien, anthropoïde, pré-hominien. L’anatomiste russe Bustrov compare le crâne volumineux du bébé à celui de l’homme adulte actuel. Progressiste, Bustrov estime que l’humanité future disposera d’un cerveau proportionnellement égal à celui du bébé]
 
Toutes ces particularités de l’anatomie humaine sont des traits fœtaux devenus permanents. Pour être plus précis, disons que ces traits qui sont passagers chez les primates, parce que propre à leurs embryons, sont devenus stables chez l’homme. Bolk en conclut que les traits spécifiquement humains ne sont pas de nouvelles acquisitions, mais des stabilisations de stades passagers communs à tous les primates. Mais, et c’est là que Bolk est original, il faut parler de freinage dans l’évolution de notre espèce. Ce freinage, qui provoque la conservation de traits propres au fœtus, ne doit pas être extérieur mais intérieur. L’homme est un être retardé, ce que prouve notamment le temps anormalement long, nécessaire à l’accomplissement total de sa croissance. On doit parler d’une phase prolongée de l’enfance, ce qui n’est pas animal.
 
Exemples : Poids à la naissance Ce poids X2 après
Porc 02 kg 14 jours
Bœuf 40 kg 47 jours
Cheval 45 kg 60 jours
Homme 3,5 kg 180 jours
 
Les hommes “préhistoriques”, différents de l’homo sapiens ont dû avoir une croissance plus rapide. En effet, les squelettes d’enfants, découverts sur les champs de fouille, montrent qu’ils perdaient leurs dents de lait comme les perdent les primates anthropomorphes. Ce serait ainsi que se serait formé le menton que n’ont pas les primates.
 
La retardation ne peut être due qu’à une action du système endocrinien. Celui-ci permet justement l’accélération ou la retardation du développement de membres ou d’organes. Si ce système endocrinien est, d’une façon ou d’une autre défectueux, on assiste à un développement qui va au-delà du stade où l’homme est resté stabilisé. Ainsi, le système pileux se développe, les os du crâne se soudent trop tôt ; les caractéristiques pithécoïdes sont toujours latentes et si le freinage rate, elles réapparaissent.
 
J’ai déjà mentionné les dents de lait dont parle Bolk. Sa théorie est encore plus pertinente quand on aborde l’étude de la puberté. À quatre ans, les ovaires de la fillette sont déjà mûres, avant que l’organisme ne soit somatiquement apte à la grossesse. Vers cinq ans, commence une période de repos. Et, si à l’âge de onze ans ou de douze ans, le sujet est capable de se reproduire, il faut admettre qu’il reste une contradiction biologique parce qu’il faudra encore attendre quatre à six ans avant que le corps ne soit entièrement arrivé à maturité. Il y a donc une accélération de la croissance (de 11 à 12 ans), en même temps qu’une seconde retardation (de 12 à 16 ou 18 ans).
 
L’essentiel chez l’homme, dit Bolk, est qu’il est le résultat d’une fœtalisation, que la marche de son existence est la conséquence de ce qu’il faut appeler la retardation. La fœtalisation de la forme est la nécessaire conséquence de la retardation de la forme dans son devenir.
 
L’impact des théories de Bolk
 
En bref, on peut dire que l’homme garde permanentes des situations juvéniles. Ainsi, l’hypothèse de Bolk, permet :
  • 1) de déduire de la retardation toutes les non-spécialités spécifiques de l’homme
  • 2) de déduire de la nécessaire longue durée de l’enfance, un cadre familial durable
  • 3) de rejeter les vieilles conceptions que l’on se faisait de l’homme primitif, conceptions qui veulent que celui-ci soit littéralement descendu du singe. L’hominisation provient du système endocrinien
  • 4) d’aborder le problème des races sous une lumière nouvelle. Avant Bolk, de nombreux auteurs avaient déjà parlé de différences issues de l’équilibre hormonal. Les races mongoloïdes ont, pour Bolk, des traits plus fœtaux que les autres races. Les Europoïdes ont certains de ces traits dans leur embryon. Les Négroïdes, écrit Bolk, se développent plus vite mais vieillissent également plus vite. Bolk poursuit son raisonnement en constatant que l’embryon négroïde présente des traits europoïdes que les adultes ont dépassés.
Arnold Gehlen, après avoir passé en revue les hypothèses de Bolk, nous signale leur importance pour l’anthropologie. Elles confirment la non spécialité et la non adéquation de l’homme à un milieu naturel bien défini. En somme, sa caractéristique majeure est d’être plein de “manques”. Ainsi se pose impérativement la question de savoir si un tel être est viable ? On répondra, avec Arnold Gehlen, que l’action nous éclaire sur la fonction biologique de la conscience. Il évacue les faux problèmes du dualisme véhiculé par la métaphysique aristotélo-thomiste, pour se pencher sur le fondement de l’hominisation, donc de la culture, qui se trouve au cœur des phénomènes.
 
L’œuvre d’Otto Storch
 
Le zoologue Otto Storch (1886–1951) a souligné la rigidité de la motricité héréditaire des animaux. Storch veut parler du nombre peu variable de mouvements que peuvent exécuter les animaux et aussi leur faible capacité d’apprendre de nouvelles combinaisons de mouvements. L’homme au contraire a une motricité acquise, malléable et variable à un degré très élevé. On ne découvre que peu de mouvements instinctuels et quand on en découvre, c’est chez les enfants en bas âge. Storch oppose donc une motricité héréditaire, peu différenciée et propre au règne animal, à une motricité acquise, très variable et propre à l’homme. La caractéristique principale que l’on constate chez l’homme, c’est le nombre réduit d’actes génétiquement déterminés et le nombre élevé d’actes acquis. Cela correspond à la disposition constitutionnelle de l’homme à l’action, c’est-à-dire à la transformation intelligente de situations imprévues qu’il rencontre dans le monde. Gehlen conclut donc qu’une réaction seulement instinctive constituerait une fuite.
 
Conclusions : l’homme et les institutions
 
Rappelons-nous que Max Scheler avait réintroduit, à partir de son intuition intéressante et malgré elle, le schéma dualiste des philosophies médiévale et cartésienne. Mais, comme dans le schéma que Koestler nous livre dans son ouvrage (cf. supra), il faut partir du moment immédiatement antérieur à la rechute schélérienne dans le dualisme. Appliquons la stratégie du “recul pour mieux sauter” et renonçons aux thèmes devenus stériles. Ce n’est pas sur l’esprit figé dans on ne sait quelle empyrée qu’il faut raisonner mais sur le comportement “intelligent”, c’est-à-dire transformateur de l’homme. L’homme ne pourrait survivre dans la nature. Son activité intelligente le porte d’abord à des transformations constructives du monde extérieur : c’est ainsi qu’il se procure et se fabrique des armes, des vêtements, qu’il n’a pas organiquement puisqu’il n’a ni griffes ni canines acérées ni toison chaude.
 
En poussant ses investigations plus loin, Arnold Gehlen a pu tirer des conclusions métapolitiques du plus haut intérêt. Il s’agit de :
  • la fonction de décharge des institutions
  • le dépassement du subjectivisme
  • l’analogie institution/idée.
Les thèmes les plus importants de l’anthropologie sont ceux qu’aborde l’étude du droit, des mœurs, de la famille et de l’État. En bref, ce que Hegel appelait l’esprit objectif. Herder, Nietzsche et les biologistes dont j’ai parlés ont mis l’accent sur la pauvreté des instincts humains, sur la malléabilité du comportement de l’homme. Pour pallier cette pauvreté, l’homme a les institutions. Il se donne une définition courte mais riche.en enseignements des rapports qui existent entre la pauvreté instinctuelle et l’émergence des institutions : « Les instincts ne déterminent pas, chez l’homme comme chez l’animal, des modèles de comportement bien fixés. C’est pourquoi chaque culture choisit dans la pluralité des modes possibles de comportement qui s’offre à l’homme des variantes bien précises. Elles les érigent au rang de modèles, sanctionnés par la société et valables pour tous ses membres. Ainsi, l’individu se voit déchargé de la nécessité de faire trop de choix (c’est-à-dire d’être désorienté face aux multiples choix possibles). Ces institutions agissent en quelque sorte comme des poteaux indicateurs qui désignent à l’homme, submergé par les stimuli du monde sur lequel il s’ouvre, le chemin à suivre. Elles ont un effet indubitablement stabilisateur. Elles créent la “bienfaisante certitude” parce que l’individu se sait organiquement inclus dans un cadre professionnel, familial, national. C’est ainsi que se créent les mentalités » (Ilse Schwidetzky).
 
Arnold Gehlen va plus loin. Il dit que, grâce à la fonction de décharge des institutions, la personnalité peut se construire. La personnalité n’est pas l’affirmation protestataire du moi mais l’utilisation des énergies économisées grâce au rôle stabilisateur des institutions, une utilisation créatrice de formes originales. On peut poser la question de savoir ce qui se passe quand les institutions d’un peuple s’effondrent à cause d’une guerre, de catastrophes, de révolutions. Les populations concernées entrent alors dans un monde d’insécurité profonde. L’art et la littérature sont les miroirs de ces états de choses. Kafka, par exemple, nous décrit un monde où les points d’équilibre n’existent plus, où un grand nombre de “centres” entament une sarabande infernale autour du sujet bouleversé par ce qui arrive. Dans de telles périodes, même la philosophie évacue la “raisonnabilité” qui lui était propre. Le désorientement des peuples est tel, dit Arnold Gehlen, qu’il faudrait peut-être écouter Samuel Beckett et comprendre qu’il n’y a plus rien à dire, qu’il faut se taire, ou énoncer des discours purement phatiques.
 
Le débridement du subjectivisme par l’effondrement des institutions
 
Si les institutions s’effondrent, Je subjectivisme ne connaît plus de bornes. Les individus ne prennent plus en considération que leurs “problèmes”, leurs “convictions” et leurs “idées” personnelles. Ils vivent leurs sentiments immédiatement en croyant qu’ils ont une importance supra-personnelle. Les idées ont besoin d’organisations pour se traduire dans les faits. Les idées ne se meuvent pas par elles-mêmes, comme Hegel le voulait. Prenons l’exemple du socialisme, qui a voulu réagir, à juste titre, contre le déracinement et l’effondrement social dû aux révolutions française et industrielle. Proudhon, Fourier, malgré la pertinence de leurs vues, n’ont jamais pu les réaliser dans le concret. Parce qu’ils n’avaient pas, comme le marxisme allemand, une discipline d’organisation. Les idées doivent pouvoir mobiliser des hommes pour s’insinuer, se capillariser dans la société.
 
► Robert Steuckers, Orientations n°13, 1991.
 

mercredi, 18 mai 2016

L’ère de la pyropolitique a commencé…

policier-afghan-devant-la-voiture-piegee_a3b12f6408736a9d7c3c3baabbf5aa3d.jpg

Robert Steuckers :

L’ère de la pyropolitique a commencé…

pyro1.jpgQu’entendent les quelques politologues contemporains par « pyropolitique », concept qui vient d’être formé, notamment par le Professeur Michael Marder (cf. infra) ? Pour comprendre le contexte dans lequel ce vocable nouveau a émergé, il convient d’explorer deux domaines particuliers, exploration qui nous permettra de cerner le contenu même de la pyropolitique : le premier de ces domaines est celui de la théologie politique, avec, notamment, les réflexions de Juan Donoso Cortès sur le libéralisme, le socialisme et le catholicisme (posé, dans son œuvre, comme la « Tradition » à l’état pur) ; il faudra aussi, en explorant ce domaine de la théologie politique, relire les textes où Carl Schmitt affirme que tout concept politique moderne recèle en lui-même, quelque part, une racine théologique ; deuxième domaine à explorer dans l’œuvre politologique de Carl Schmitt : le corpus dans lequel le juriste de Plettenberg pose les confrontations du monde contemporain comme un choc permanent entre forces élémentaires brutes, de pré-socratique mémoire, en l’occurrence l’affrontement entre l’élément Terre et l’élément Eau. Toute expression réelle du politique (« das Politische ») étant, dans cette optique, une expression du facteur élémentaire « Terre », le politique en soi ne pouvant avoir qu’un ancrage tellurique, continental. Le véritable homme politique est alors une sorte de géomètre romain, explique Carl Schmitt dans son Glossarium publié après sa mort. Un géomètre qui mesure et organise le territoire qui tombe sous sa juridiction.

Suite aux deux défaites allemandes de 1918 et de 1945, la Terre n’a plus été l’élément dominant de la politique mondiale : elle a été remplacée par l’Eau, élément du Léviathan thalassocratique. D’où Carl Schmitt démontre quelle dialectique subversive et mortifère se profile derrière la lutte de la Terre (« Land ») contre la Mer (« Meer »). L’Eau/la mer arrache finalement la victoire au détriment des forces telluriques et des puissances continentales. Dans son Glossarium, Carl Schmitt insiste lourdement sur les effets désastreux, pour toute civilisation, de l’écrasante victoire de l’hydropolitique américaine.

« Pyros » signifie « feu » en grec ancien et représente un autre élément fondamental selon Michael Marder, qui combine en son sein plusieurs aspects : celui d’un feu omni-dévorant, aux flammes destructrices, mais aussi des corollaires comme la lumière et la chaleur, aspects autres, et tout aussi fondamentaux, de l’élément « feu ». Si Schmitt avait campé le choc animant la scène internationale comme le choc entre les deux éléments « Eau » et « Terre », cela ne signifie pas que les éléments « air » et « feu » n’existaient pas, ne jouaient aucun rôle dans le politique, même si cela ne transparaissait pas aussi clairement aux époques vécues par Schmitt.

L’élément « Feu » recouvre dès lors plusieurs significations : il est la force brûlante/dévorante de la destruction (que l’on retrouve dans les révolutions anti-traditionnelles) ; il est aussi la « lumière-sans-chaleur » de l’idéologie des Lumières ou encore la chaleur couvant sous la cendre, celle de la révolte silencieuse contre les institutions abstraites et anti-traditionnelles issues des divers corpus modernistes du 18ème siècle des Lumières.

Dès le moment historique où il n’y a plus aucun territoire vierge à conquérir et à organiser sur la planète (voir les thèses de Toynbee à ce sujet), à la mode tellurique/continentale des géomètres romains, la « Terre », en tant qu’élément structurant du véritable politique, cède graduellement sa place prépondérante, non seulement à l’Eau mais aussi au Feu. L’Eau est l’élément qui symbolise par excellence le libéralisme marchand des thalassocraties, des sociétés manchestériennes, des ploutocraties : voilà pourquoi un monde dominé par l’élément Eau refuse de reconnaître limites et frontières, les harmonies paisiblement soustraites à toute fébrilité permanente (Carl Schmitt rappelle dans son Glossarium que qui cherche le repos, immobile, en mer coule et se noie). Il n’y a plus d’ « otium » (de repos fructueux, d’introspection, de méditation, de transmission sereine) possible, il n’y a plus que du « neg-otium » (de la nervosité fébrile, des activités matérielles, acquisitives et cumulantes, sans repos). Seul ce « neg-otium » permanent et ubiquitaire survit et se développe de manière anarchique et exponentielle, submergeant tout sous son flux. Nous vivons alors dans des sociétés ou une accélération sans arrêt (Beschleunigung) domine et annule toutes les tentatives raisonnables de procéder à une « décélération » (Entschleunigung). Dans cette perspective, toute véritable pensée écologique, et donc non politicienne, vise à ramener l’élément Terre à l’avant-plan de la scène où se joue le politique (même si la plupart de ces menées écologiques sont maladroites et empêtrées dans des fatras de vœux pieux impolitiques).

La domination de l’hydropolitique, par l’intermédiaire des superpuissances maritimes, conduit donc à la dissolution des frontières, comme nous pouvons très clairement le percevoir aujourd’hui, à la suprématie mondiale de l’économique et aux règles hypermoralistes du nouveau droit international, inauguré par le wilsonisme dès la première guerre mondiale. L’économique et l’hypermoralisme juridique étant diamétralement contraires aux fondements du politique vrai, c’est-à-dire du politique tellurique et romain.

glos338_BO1,204,203,200_.jpgCependant, même si la Terre est aujourd’hui un élément dominé, houspillé, cela ne veut pas dire qu’elle cesse d’exister, de constituer un facteur toujours potentiellement virulent : elle est simplement profondément blessée, elle gémit dans une hibernation forcée. Les forces hydropolitiques cherchent à détruire par tous moyens possibles cette terre qui ne cesse de résister. Pour parvenir à cette fin, l’hydropolitique cherchera à provoquer des explosions sur les lambeaux de continent toujours résistants ou même simplement survivants. L’hydropolitique thalassocratique va alors chercher à mobiliser à son profit l’élément Feu comme allié, un Feu qu’elle ne va pas manier directement mais confier à des forces mercenaires, recrutées secrètement dans des pays ou des zones urbaines en déréliction, disposant d’une jeunesse masculine surabondante et sans emplois utiles. Ces forces mercenaires seront en charge des sales boulots de destruction pure, de destruction de tout se qui ne s’était pas encore laissé submerger.

L’apogée des forces thalassocratiques, flanquées de leurs forces aériennes, a pu s’observer lors de la destruction de l’Irak de Saddam Hussein en 2003, sans que ne jouent ni l’adversaire continental russe ni les forces alliées demeurées continentales (l’Axe Paris-Berlin-Moscou). Il y avait donc de la résistance tellurique en Europe et en Russie.

Mais la guerre contre l’Irak baathiste n’a pas conduit à une victoire totale pour l’agresseur néoconservateur américain. Les puissances thalassocratiques n’étant pas des puissances telluriques/continentales, elles éprouvent toujours des difficultés à organiser des territoires non littoraux comme le faisaient les géomètres romains. Les terres de l’intérieur de l’Irak arabe et post-baathiste résistaient par inertie plus que par volonté de libération, ne passaient pas immédiatement au diapason moderniste voulu par les puissances maritimes qui avaient détruit le pays. Cette résistance, même ténue, recelait sans doute un maigre espoir de renaissance. Or cet intérieur irakien, mésopotamien, doit être maintenu dans un état de déréliction totale : la thalassocratie dominante a eu recours à l’élément Feu pour parfaire cette politique négative. Le Feu est ici l’incendie destructeur allumé par le terrorisme qui fait sauter immeubles et populations au nom d’un fanatisme religieux ardent (« ardent » dérivant du latin « ardere » qui signifie « brûler »). Les attentats terroristes récurrents contre les marchés chiites à Bagdad (et plus tard au Yémen) constituent ici les actions les plus horribles et les plus spectaculaires dans le retour de cette violente pyropolitique. Le même modèle de mobilisation pyropolitique sera appliqué en Libye à partir de 2011.

pyro3flammes_2680164.jpg

Lorsque l’on refuse les compétences du géomètre, ou qu’aucune compétence de géomètre n’est disponible, et lorsque l’on ne désire pas créer un nouvel Etat sur les ruines de celui que l’on a délibérément détruit, nous observons alors une transition vers une pyropolitique terroriste et destructrice. L’ex-élite militaire baathiste, dont les objectifs politiques étaient telluriques, ont été mises hors jeu, ont cherché emploi et vengeance : elles ont alors opté pour la pyropolitique en créant partiellement l’EIIL, l’Etat islamique, qui s’est rapidement propagé dans le voisinage immédiat de l’Irak meurtri, aidé par d’autres facteurs et d’autres soutiens, aux intentions divergentes. Aux sources de l’Etat islamique, nous trouvons donc des facteurs divergents : une révolte (assez légitime) contre le chaos généré par l’agression néoconservatrice menée par les présidents Bush (père et fils) et une manipulation secrète et illégitime perpétrée par les puissances hydro- et thalassopolitiques et leurs alliés saoudiens. L’objectif est de mettre littéralement le feu aux pays indésirables, c’est-à-dire aux pays qui, malgré tout, conservent une dimension politique tellurique. L’objectif suivant, après la destruction de l’Irak et de la Syrie, sera d’amener le Feu terroriste chez les concurrents les plus directs du monde surdéveloppé : en Europe d’abord, aujourd’hui havre de réfugiés proche- et moyen-orientaux parmi lesquels se cachent des terroristes infiltrés, puis en Russie où les terroristes tchétchènes ou daghestanais sont d’ores et déjà liés aux réseaux wahhabites.

Conclusion : la stratégie thalassocratique de mettre le Feu à des régions entières du globe en incitant à des révoltes, en ranimant des haines religieuses ou des conflits tribaux n’est certes pas nouvelle mais vient de prendre récemment des proportions plus gigantesques qu’auparavant dans l’histoire. C’est là le défi majeur lancé à l’Europe en cette deuxième décennie du 21ème siècle.

La pyropolitique de l’Etat islamique a un effet collatéral : celui de ridiculiser –définitivement, espérons-le-  les idéologies de « lumière-sans-chaleur », dérivées des Lumières et professées par les élites eurocratiques. La lumière seule, la trop forte luminosité sans chaleur, aveugle les peuples et ne génère aucune solution aux problèmes nouveaux qui ont été fabriqués délibérément par l’ennemi hydro- et pyropolitique, qui a l’habitude de se déguiser en « allié » indispensable. Toute idéologie politique déterminée uniquement par l’élément « lumière » est aveuglante, dans la perspective qu’inaugure Michael Marder en sciences politiques ; elle est aussi dépourvue de tous sentiments chaleureux, déterminés par l’aspect « chaleur » de l’élément Feu. Cette absence de « chaleur » empêche tout élan correcteur, venu du peuple (du pays réel), et ôte tout sentiment de sécurité. Toute idéologie de « lumière sans chaleur » est, par voie de conséquence, condamnée à échouer dans ses programmes d’organisation des sociétés et des Etats. Les Etats européens sont devenus des Etats faillis (« failed States ») justement parce que leurs élites dévoyées n’adhèrent qu’à des idéologies de « lumière-sans-chaleur ». Dans les circonstances actuelles, ces élites ne sont faiblement défiées que par des mouvements plus ou moins populistes, exigeant le facteur « chaleur » (la Pologne fait exception).

L’Europe d’aujourd’hui subit une double agression, procédant de deux menaces distinctes, de nature différente : la première de ces menaces provient des systèmes idéologico-politiques relevant de la « lumière seule » parce qu’ils nous conduisent tout droit à cet effondrement planétaire dans la trivialité qu’Ernst Jünger avait appelé la « post-histoire ». L’autre menace est plus visible et plus spectaculaire : c’est celle que représente la pyropolitique importée depuis le monde islamisé, littéralement incendié depuis deux ou trois décennies par divers facteurs, dont le plus déterminant a été la destruction de l’Irak baathiste de Saddam Hussein. La pyropolitique de l’Etat islamique vise désormais à bouter le feu aux pays de l’Europe occidentale, tenus erronément pour responsables de l’effondrement total du Proche- et du Moyen-Orient. La pyropolitique de l’Etat islamique est un phénomène complexe : la dimension religieuse, qu’elle recèle, se révolte avec sauvagerie contre l’idéologie dominante de l’Occident et de la globalisation, qui est, répétons-le, une idéologie de lumière froide, de lumière sans chaleur. Exactement comme pourrait aussi se révolter un pendant européen de ce déchaînement féroce de feu et de chaleur, qui agite le monde islamisé. Ce pendant européen viserait alors le remplacement définitif des nuisances idéologiques aujourd’hui vermoulues, qualifiables de « lumière seule ». Le piètre fatras libéralo-eurocratique, condamnant les peuples au dessèchement et au piétinement mortifères et post-historiques, cèderait le terrain à de nouveaux systèmes politiques de cœur et de chaleur. L’avatar néolibéral des idéologies de « lumière seule » cèderait ainsi devant un solidarisme générateur de chaleur sociale, c’est-à-dire devant un socialisme dépouillé de toute cette froideur qu’avait attribué aux communismes soviétique et français Kostas Papaioannou, une voix critique du camp marxiste dans les années 60 et 70 en France.

La pyropolitique salafiste/wahhabite n’est pas seulement une critique, compréhensible, de la froideur des idéologies de la globalisation ; elle recèle aussi un aspect « dévorateur » et extrêmement destructeur, celui qu’ont cruellement démontré les explosions et les mitraillades de Paris et de Bruxelles ou que mettent en exergue certaines exécutions publiques par le feu dans les zones syriennes conquises par l’Etat islamique. Ces attentats et ces exécutions visent à insuffler de la terreur en Europe par le truchement des effets médiatiques qu’ils provoquent.

L’utilisation de ces dimensions-là de la pyropolitique, et le fait qu’elles soient dirigées contre nous, en Europe, constituent une déclaration de guerre à toutes les parties du monde où la religiosité absolue (sans syncrétisme aucun) des wahhabites et des salafistes n’a jamais eu sa place. Le monde, dans leur perspective, est un monde constitué d’ennemis absolus (Dar-el-Harb). Nous faisons partie, avec les orthodoxes russes, les Chinois ou les bouddhistes thaïlandais, de cet univers d’ennemis absolus. Position qu’il nous est impossible d’accepter car, qu’on le veuille ou non, on est toujours inévitablement l’ennemi de celui qui nous désigne comme tel. Carl Schmitt et Julien Freund insistaient tous deux dans leurs œuvres sur l’inévitabilité de l’inimitié politique.

Personne ne peut accepter d’être rejeté, d’être la cible d’un tel projet de destruction, sans automatiquement se renier, sans aussitôt renoncer à son droit de vivre. C’est là que le bât blesse dans l’Europe anémiée, marinant dans les trivialités de la post-histoire : le système politique qui la régit (mal) relève, comme nous venons de le dire, d’une idéologie de lumière sans chaleur, mise au point au cours des cinq dernières décennies par Jürgen Habermas. Cette idéologie et sa praxis proposée par Habermas n’acceptent pas l’idée agonale (polémique) de l’ennemi. Dans son optique, aucun ennemi n’existe : évoquer son éventuelle existence relève d’une mentalité paranoïaque ou obsidionale (assimilée à un « fascisme » irréel et fantasmagorique). Aux yeux d’Habermas et de ses nombreux disciples (souvent peu originaux), l’ennemi n’existe pas : il n’y a que des partenaires de discussion. Avec qui on organisera des débats, suite auxquels on trouvera immanquablement une solution. Mais si ce partenaire, toujours idéal, venait un jour à refuser tout débat, cessant du même coup d’être idéal ? Le choc est alors inévitable. L’élite dominante, constitué de disciples conscients ou inconscients de l’idéologie naïve et puérile des habermassiens, se retrouve sans réponse au défi, comme l’eurocratisme néolibéral ou social-libéral aujourd’hui face à l’Etat islamique et ses avatars (en amont et en aval de la chaîne de la radicalisation). De telles élites n’ont plus leur place au devant de la scène. Elles doivent être remplacées. Ce sera le travail ardu de ceux qui se sont toujours souvenu des enseignements de Carl Schmitt et de Julien Freund.

Robert Steuckers,

Forest-Flotzenberg, mai 2016.   

Source: Michael Marder, Pyropolitics: When the World is Ablaze (London: Rowman and Littlefield, 2015).

pyromarder2.jpgLectures complémentaires (articles du Prof. Michael Marder):

"The Enlightenment, Pyropolitics, and the Problem of Evil," Political Theology, 16(2), 2015, pp. 146-158.

"La Política del Fuego: El Desplazamiento Contemporáneo del Paradigma Geopolítico," Isegoría, 49, July-December 2013, pp. 599-613.

"After the Fire: The Politics of Ashes," Telos, 161, Winter 2012, pp. 163-180. (special issue on Politics after Metaphysics)

"The Elemental Regimes of Carl Schmitt, or the ABC of Pyropolitics,"  Revista de Ciencias Sociales / Journal of Social Sciences, 60, Summer 2012, pp. 253-277. (special issue on Carl Schmitt)

 

Note à l'attention des lecteurs:

La version originale de ce texte est anglaise et a paru pour la première fois le 6 mai 2016 sur le site américain (Californie): http://www.counter-currents.com dont le webmaster est Greg Johnson qui a eu l'amabilité de relire ce texte et de le corriger. Merci!

La version espagnole est parue sur le site http://www.katehon.com/es , lié aux activités d'Alexandre Douguine et de Leonid Savin. Merci au traducteur!

La version tchèque est parue sur le site http://deliandiver.org . Merci au traducteur!