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vendredi, 19 novembre 2010

Croquis étrusques de D. H. Lawrence

Croquis étrusques de D. H. Lawrence

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À propos de D. H. Lawrence, Croquis étrusques (Le Bruit du Temps, préface de Gabriel Levin, traduction de l’anglais par Jean-Baptiste de Seynes, appareil critique établi par Simonetta de Filippis pour la Cambridge Edition of the Works of D. H. Lawrence, notice traduite par Élisabeth Vialle, 2010).
LRSP (livre reçu en service de presse).

Lawrence-Etruscan.jpgC’est à la fin du VIIe siècle avant la naissance du Christ qu’apparaît en Toscane une population que les Latins appelleront Tusci ou Etrusci, dont les origines continuent de rester énigmatiques. On suggère aujourd’hui que la culture étrusque est née d’un ancien substrat local qui s’est lentement modifié au cours des différentes vagues de population s’installant en Italie, tandis que l’hypothèse qui prévalait au début du siècle passé rejoignait le récit d’Hérodote, d’après lequel ce peuple serait venu par la mer de Lydie.
Après un essor spectaculaire, la civilisation étrusque est entrée, à partir du Ve siècle, dans une phase d’affaiblissement notable jusqu’à sa soumission à Rome aux IVe et IIIe siècles.
Pourtant, au milieu du VIIe siècle, ce peuple fascinant de Toscane à la vocation maritime, avait commencé à se poser en rival sérieux des Grecs pour l’hégémonie méditerranéenne. Ainsi, allié à Carthage, il avait accepté la pénétration punique en Sardaigne alors que, dès le milieu du VIe siècle, il dut affronter les Hellènes désireux de coloniser l’Italie méridionale.
Cette période de guerres et d’alliances s’acheva en 474 par une défaite étrusque face à la coalition maritime que menèrent Cumes et Syracuse.
Cette date marque le début de l’effondrement du système confédéral instauré par Tarchon et regroupant, selon la tradition, douze cités ou groupes urbains dirigés par un lucumon, dans la région située entre l’Arno et le Tibre. C’est ce même Tarchon qui, selon la légende, fut le premier à fonder douze villes dans le nord de l’Italie, franchit ensuite les Apennins pour fonder la ville de Mantoue puis onze autres villes, redoublant ainsi la ligue originelle, villes qui s’unirent en une ligue appelée par les Latins Duodecim Populi Etruriae. Tarquinia était la plus ancienne des douze premières cités-États. Il y avait aussi Vulci, Vetulonia, Cerveteri, Arezzo, Chiusi, Roselle, Volterra, Cortona, Perugia, Volsinii, Populonia, certaines d’entre elles constituant les titres des chapitres du livre de Lawrence.
Après la défaite devant Cumes, les comptoirs commerciaux étrusques s’effondrèrent les uns après les autres sous la pression des Oscques et des Sabelliens qui prennent Capoue en 430.
Quoi qu’il en soit, durant les premiers siècles de l’histoire romaine, l’Étrurie sut conserver une relative indépendance, les Étrusques ayant obtenu le droit à la citoyenneté romaine en 89 avant Jésus-Christ, alors que l’Étrurie devient, elle, dans la division administrative de l’Italie conçue par Auguste, la septième région. Élie Faure évoque bellement l’appétit insatiable de conquêtes, secrètement conforté par l’Étrurie soumise devenue le cœur de l’Empire, qui fut celui de Rome : «Dès ses débuts, Rome est elle-même. Elle détourne à son profit les sources morales du vieux monde, comme elle détournait les eaux dans les montagnes pour les amener dans ses murs. Une fois la source captée, son avidité l’épuise, elle va plus loin pour en capter une autre.Dès le commencement du IIIe siècle l’Étrurie, broyée par Rome, cimente de son sang, de ses nerfs, avec le sang et les nerfs des Latins, des Sabins, le bloc où Rome s’appuiera pour se répandre sur la terre, en cercles concentriques, dans un effort profond» (in Histoire de l’art. L’art antique, Gallimard, coll. Folio Essais, 1988, pp. 305-6). Lawrence, parfois, fort rarement à vrai dire, croit découvrir sur les visages de certains hommes et femmes croisés lors de son périple les traits caractéristiques qu’il prête aux anciens Étrusques. De même, il constatera que de très anciens édifices construits par ce peuple disparu ont été restaurés, plus ou moins fidèlement à son goût, par son implacable conquérant romain.
La langue étrusque fut tout d’abord parlée en Toscane. Nous en avons conservé plus de dix mille inscriptions ainsi qu’un texte manuscrit de mille cinq cents mots environs, inscrits sur les bandelettes de lin enveloppant une momie. Les autres textes connus à caractère votif ou funéraire n’expriment guère que le nom du fidèle ou du défunt. L’alphabet a été emprunté au grec, probablement autour de 700 avant Jésus-Christ, sous l’influence des colonies grecques des îles Pithécuses. Elle demeure indéchiffrable pour Lawrence et, bien sûr, d’autant plus poétique.
La religion des Étrusques, sur laquelle notre auteur écrira de belles et étranges pages, a fait l’objet de maints commentaires de la part des Anciens. Peut-être d’origine orientale, sa «révélation» avait été consignée dans des livres sacrés dépositaires de la théologie et des rites inspirés par le génie Tagès et la nymphe Végoia, aux antipodes du paganisme gréco-romain.
C’est chargé d’un immense savoir livresque qu’il ne manquera pas de moquer dans son propre livre, c’est après avoir accumulé les lectures des ouvrages savants de Mommsen, Weege, Ducati ou encore Fell (1), que D. H. Lawrence commence son périple au milieu des ruines des anciennes villes étrusques, qu’il a projeté de visiter dès la fin mars 1926. Lawrence connaît aussi bien qu’il l’aime l’Italie qui ne «juge pas» (2), à ses yeux, à la différence de pays fatigués comme l’Angleterre et l’Allemagne, où la morale a remplacé la belle vitalité des peuples jeunes. Pour ce qui concerne la civilisation étrusque, l’écrivain semble avoir été frappé, assez tôt (en 1908) par sa lecture de La Peau de chagrin de Balzac, roman publié en 1831, dans lequel, dès le début du livre, le héros observe un vase étrusque qui le fascine : «Ah ! Qui n’aurait souri comme lui de voir sur un fond rouge la jeune fille brune dansant dans la fine argile d’un vase étrusque devant le Dieu Priape qu’elle saluait d’un air joyeux». En 1915, c’est la lecture du chapitre IX (intitulé Le culte des arbres) du célèbre Rameau d’or de Frazer qui frappe l’esprit de Lawrence comme il a durablement frappé celui de tant d’autres écrivains (comme T. S. Eliot), chapitre où sont mentionnés l’Étrurie centrale et ses «champs fertiles».
Ce savoir que D. H. Lawrence accumula pourtant consciencieusement durant les années de lente maturation de son projet de livre ne lui fut que d’un maigre secours au moment de rédiger ce dernier et même, au moment où il fut lu et critiqué par ses premiers lecteurs professionnels (cf. pp. 272-278 de notre ouvrage). Plusieurs critiques reprochèrent en effet à l’écrivain son manque de sérieux scientifique, alors que Lawrence, de son côté, avait plusieurs fois émis des doutes, dans les lettres adressées à ses amis et éditeurs, sur la capacité réelle des foules à apprécier et goûter son œuvre qui, pour réellement exister, devait à son goût se détacher du savoir pulvérulent et sans grâce des gros livres savants et inutiles mais, tout autant, se frayer un chemin difficile vers le cœur de lecteurs ne sachant plus vraiment lire.
Quoi qu’il en soit, ce dépouillement nécessaire était finalement dans la logique même des différents croquis que Lawrence consacra aux tombes étrusques ornées de fresques magnifiques. Car c’est tout compte fait peu dire que, au travers de la découverte puis de la description de ces chefs-d’œuvre picturaux des anciens âges, l’unique sujet de l’écrivain est l’opposition entre le fourmillement plein de vie du passé et l’étiolement bavard dans lequel nos sociétés modernes sont tombées. Pénétrant dans les ténèbres des caveaux étrusques, Lawrence est un homme qui semble se dépouiller de sa très vieille peau occidentale comme un serpent qui ferait sa mue, et se remplir, a contrario, d’un savoir paradoxal qui irrigue son être tout entier, comme la religion des Anciens, selon l’écrivain, a irrigué les danseurs dont il contemple les représentations sur les murs des tombeaux : «Comme le disait l’antique auteur païen, écrit ainsi Lawrence : Il n’est partie vivante de nous ou de nos corps qui ne ressente la religion; dès lors, qu’aucune chanson ne manque à l’âme, et qu’aux genoux et au cœur abondent le bond et la danse; car tous autant qu’ils sont connaissent les dieux…» (p. 109). Nous ne les connaissons plus, puisqu’il est vrai que nous ne dansons ou même ne savons plus danser, comme Lawrence d’ailleurs le remarque, en accomplissant des gestes scellant la magique entente des hommes et du monde qui les porte.
L’Italie elle-même, du moins dans sa partie qui conserve quelques antiques traces du peuple disparu, paraît pour Lawrence (mais qu’en est-il de nos jours ?) s’être salutairement éloignée du foyer de contagion : la vie moderne qui corrompt le vivant de façon irrémédiable. Ainsi, dès le tout premier texte des Croquis étrusques, Cerveteri, décrivant le visage d’un des habitants de la peu riante région qu’il traverse avec son ami, nous pouvons lire sous la plume de Lawrence : «Il est probable que, quand je retournerai dans le Sud, il aura disparu. Ils ne peuvent survivre, ces hommes à visage de faune au profil si pur, avec ce calme étrange qui est le leur, éloigné de toute morale. Seuls survivent les visages déflorés» (p. 24).
C’est dire en somme que la civilisation étrusque, insouciante, légère, aérienne comme les oiseaux qui ornent les fresques de ses tombeaux, était condamnée à disparaître dans un monde qui, au fil des siècles, s’est figé dans la lourdeur sans vie des peuples sérieux qui ont oublié la danse, le rire et les chants célébrant l’harmonie rejouée par chaque nouvelle célébration. Finalement encore, notre époque consacre le triomphe des visages flétris, comme, sous couvert de respect d’une morale aussi ridicule que contraignante (sans compter qu’elle est mensongère), notre société magnifie le comble de la dégénérescence, les portraits de milliers de Dorian Gray qui, devenus trop compliqués, exclusivement cérébraux, ont perdu tout contact réel avec la «verte primitivité» chère à Kierkegaard qui est à l’œuvre, selon D. H. Lawrence, dans l’ensemble des témoignages que la civilisation étrusque nous a légués. Vitalité des premiers jours de l’homme. Immobilité, en dépit même du mythe du progrès qui lance ses milliers de tentacules dans toutes les directions, de l’homme moderne. Art de l’aube des peuples, «émerveillement des matinées humaines» comme dit le poète, science véritable de la vie quotidienne contre psychologie des «ignorantins» que nous sommes devenus (cf. p. 127).
L’écrivain poursuit, contemplant cette fois les visages féminins, porteurs d’un secret évident, qui se tient à portée de regard ou plutôt, pour l’auteur de L’Amant de lady Chatterley, à portée de toucher (au sens de communication physique et pré-mentale que Mellors, dans le roman le plus célèbre de Lawrence, développera) : «Ce sont de belles femmes, issues d’un monde ancien, en qui se mêlent ce silence et cette réserve qui les rendent si attirantes et qui sans doute étaient leur apanage, dans le passé. Comme si, au profond de chaque femme, il y avait encore quelque chose à chercher que l’œil jamais n’est en mesure de déceler. Quelque chose qui peut être perdu, et qui jamais ne peut être retrouvé» (p. 26). C’est dire que la femme est toujours du côté du passé, précieux puits originel d’où sortent les hommes hagards, presque immédiatement nostalgiques de ce qu’ils ont conscience d’avoir perdu d’une façon irrémédiable et qu’ils tenteront, leur vie durant, de reconquérir de mille et mille façons, par la guerre, l’art, l’écriture, la déchéance même, surtout si elle devient un dérèglement systématique de tous les sens. Et ce qu’ils ont perdu, ce que chaque homme perd en venant au monde, ce sont la beauté, la sécurité, une forme souveraine d’harmonie inconsciente, primitive, primesautière, pas moins reliée à toute la chaîne des vivants et à l’univers tout entier, le secret éternellement rejoué à chaque nouvelle naissance de l’être et de ses manifestations, que D. H. Lawrence ira chercher au plus profond de l’obscurité gardienne d’un peu de poussière qui autrefois fut femme et homme.
Ce secret de la spontanéité et de la fraîcheur de la vie, Lawrence les surprend ainsi dans les fresques splendides qui ornent les dernières demeures de riches Étrusques : «Aux formes et mouvements des murs et volumes souterrains s’attache une simplicité jointe à une spontanéité, un naturel dépoitraillé tout à fait particulier qui, immédiatement, réconforte l’esprit. Les Grecs cherchaient à faire impression, et le gothique bien plus encore vise à frapper l’esprit. Les Étrusques, non. Ce qu’ils réalisaient, en ces siècles insouciants où ils vécurent, apparaît aussi simple et naturel que la respiration. Ils laissent la poitrine respirer librement, aspirer sans effort une certaine abondance de vie» (p. 38).
Belle, audacieuse image bien que je ne pense pas que nous puissions véritablement parler de «siècles insouciants» à propos des âges de rapines et de violences de toute sorte qui furent ceux des anciens peuples ayant colonisé l’Italie. Élie Faure a raison de distendre l’ombre inquiétante qui est celle des personnages si joyeux de vivre que Lawrence croit contempler de son regard grisé, creusant la naïveté des dessins étrusques d’une profondeur qui, à vrai dire, n’est absolument pas étrangère au texte de Lawrence lui-même, surtout lorsqu’il contemple, pris de vertige, l’abîme des siècles et des millénaires : «Le prêtre règne. Les formes sont enfermées dans les tombeaux. La sculpture des sarcophages où deux figures étranges, le bas du corps cassé, le haut secret et souriant s’accoudent avec la raideur et l’expression mécaniques que tous les archaïsmes ont connues, les fresques des chambres funéraires qui racontent des sacrifices et des égorgements, tout leur art est fanatique, superstitieux et tourmenté» (op. cit., p. 305). Je crois que Lawrence tente en fait de magnifier en estompant plus qu’en effaçant toutes ses ombres une époque de non-réflexivité absolue pour ainsi dire, où les femmes et les hommes préféraient de très loin vivre plutôt que se voir vivre, agir plutôt que bavarder comme il en va, selon l’écrivain, à notre époque anémiée.
Nous retrouvons ici la thématique si chère à Lawrence de la «conscience phallique» que nous pourrions caractériser comme l’aspiration naïve de la vie vers son expansion maximale et, surtout, libérée de toute contrainte d’ordre moral ou religieux (3) : «C’est la beauté de proportion naturelle de la conscience phallique, qui vient s’opposer aux proportions plus recherchées ou plus extatiques de la conscience mentale et spirituelle à laquelle nous sommes habitués» (p. 35). C’est dans L’Amant de lady Chatterley que Lawrence évoquera, tout comme il a fait du toucher un de ses thèmes centraux, cette «conscience phallique», écrivant de son livre qu’il est un : «roman phallique, tendre et délicat – pas un roman érotique au sens propre […]. Je crois sincèrement qu’il faut restaurer, ajoute-t-il, une conscience phallique dans nos vies, parce qu’elle est à la source de toute vraie beauté et de toute vraie douceur» (4).
La simplicité que Lawrence voit à l’œuvre dans l’art funéraire étrusque est encore décrit comme un «naturel confinant à la platitude» et, plus loin, comme un véritable secret dont la clé a été perdue : «C’est là presque toujours présent dans les objets étrusques, ce naturel confinant à la platitude, mais qui en général l’évite, et qui, bien souvent, atteint à une originalité si spontanée, si hardie et si fraîche que nous, amoureux des conventions et des expressions «ramenées à une norme», en venons à qualifier cet art de bâtard et de banal» (p. 79).
Chimera_d'arezzo,_firenze,_06.JPGLawrence, suivant en cela la leçon d’un nombre incalculable d’auteurs mais sans toutefois tomber dans le délire de certains qui, comme Keyserling, fonda à Darmstadt en 1920 une École de la Sagesse dénonçant les limites de la culture occidentale et puisant son enseignement de pacotille dans une Inde fantasmée, confère au monde ancien une vertu éminente : au contraire de ce que nous pouvons constater à notre époque de spécialistes qui poussent de grands cris dès qu’un esprit un peu audacieux essaie de créer des passerelles entre plusieurs domaines de savoir, le monde ancien ne craignait pas d’établir des parentés symboliques, donc réelles, entre les êtres vivants et les choses, reliés par un flux souterrain de sang (5). «Merveilleux monde, écrit ainsi Lawrence, qu’était sans doute ce monde ancien où toutes choses semblaient vivantes, luisantes dans l’ombre crépusculaire du contact qui les faisait se toucher, un monde où chaque chose n’était pas seulement une individualité isolée prise au piège de la lumière diurne; où chaque chose apparaissait en son clair contour, visuellement, mais qui du sein de sa clarté même était reliée par des affinités émotionnelles ou vitales à d’autres choses étranges, une chose surgissant d’une autre, mentalement contradictoires qui fusionnaient dans l’émotion, si bien qu’un lion pouvait au même instant être aussi une chèvre, et ne pas être une chèvre [Lawrence a évoqué précédemment la chimère en bronze d’Arezzo, conservée au musée de Florence et qui fut en partie restaurée par Benvenuto Cellini)» (p. 142).
Plus même, puisque Lawrence, tirant finalement les conséquences logiques du mythe de l’Âge d’or, ayant même peut-être lu Vico qui associait naissance du langage et chant dans une même étreinte poétique de l’univers, affirme que les anciens dont il contemple les œuvres d’art étaient de véritables enfants : «Les anciens voyaient consciemment ce que les enfants voient inconsciemment : l’éternelle merveille des choses. Dans le monde antique, les trois émotions cardinales devaient être l’émerveillement, la crainte et l’admiration – l’admiration au sens latin du mot comme dans notre acception présente, et la crainte dans sa signification la plus large, qui inclut la répulsion, l’épouvante et la haine» (p. 143). Puisque les Étrusques incarnaient merveilleusement les vertus de l’aube (l’insouciance, la légèreté, la spontanéité, la fraîcheur, la joie), ils ne pouvaient être que de véritables enfants, et non point de ridicules adultes qui singeraient l’enfance. Leur caractère enfantin plutôt qu’infantile provenait du fait qu’ils ne séparaient point les êtres qu’ils considéraient de la grande chaîne reliant toutes les choses, tous les êtres créés. L’esprit d’abstraction, au sens propre du terme, leur était inconnu. Ils ne connaissaient que l’esprit procédant par association symbolique, qui est sans doute le seul qui soit capable de révéler la vérité profonde des êtres. Lawrence emploie, à propos de cette vérité profonde, une magnifique expression (que je souligne), écrivant : «C’est en étant capable de voir le qui-vive de toutes choses au cœur partout ramifié de la grande signification, toute palpitante de passion, que les anciens maintenaient vivants l’émerveillement et la délectation, mais aussi bien l’effroi et la répugnance. Ils étaient comme les enfants – mais ils avaient la force, la puissance et la connaissance sensuelle des vrais adultes» (pp. 143-4).
Et l’auteur de tirer toutes les conséquences de cette idée selon laquelle l’homme a perdu la grâce de ses premiers gestes. La religion elle-même, selon Lawrence, a vu sa nature profonde s’infléchir pour n’être plus qu’un vil instrument dont l’homme se sert. Tout le délire mécaniciste moderne semble pour Lawrence sorti du culte grec de la raison et du génie bâtisseur romain : «L’ancienne religion, qui voulait que l’homme assidûment tente de s’harmoniser avec la nature, tienne ferme sur ses pieds et s’épanouisse en fleur dans le grand bouillonnement de la vie, s’est transformée avec les Grecs et les Romains en un désir de résister à la nature, de développer la ruse mentale et la force mécanique susceptibles de surpasser la nature en intelligence et de l’enchaîner complètement, complètement au point qu’il ne subsiste plus aucune liberté en cette nature et que tout soit contrôlé, domestiqué et asservi aux pouvoirs mesquins de l’homme» (p. 158).
611MTDUIAML__SS500_2.jpgC’est dans un chapitre inachevé, resté à l’état de manuscrit et qui, peut-être, eût pu servir à Lawrence de conclusion pour ses Croquis étrusques, intitulé Le musée de Florence, que l’auteur va systématiser ses intuitions sur le thème d’une déperdition, au travers des siècles, d’une force rayonnante qui s’échappe désormais inéluctablement des œuvres des hommes. Ainsi, selon Lawrence, nous devons bien comprendre que les religions elles-mêmes de nos ancêtres les plus magnifiques, comme le sont, à ses yeux, les Étrusques, ne sont que des bribes d’un savoir immémorial ayant précédé les plus anciennes civilisations : «Ce qu’il nous faut saisir lorsque nous contemplons des œuvres étrusques, c’est que celles-ci nous révèlent les derniers feux d’une conscience cosmique humaine – disons, la tentative d’hommes aspirant à la conscience cosmique – différente de la nôtre. L’idée qui veut que notre histoire soit issue des cavernes ou de précaires habitats lacustres est puérile. Notre histoire prend corps à l’achèvement d’une phase précédente de l’histoire humaine, une phase prodigieuse et comparable à la nôtre. Il est bien plus vraisemblable que le singe descende de nous que nous du singe» (p. 225). Renversement de perspective qui a dû faire bondir les esprits scientistes ou chagrins, c’est tout un, qui lurent les Croquis étrusques lorsqu’ils furent publiés ! On se demande même comment l’auteur n’a semble-t-il pas été traité de réactionnaire. Il l’a peut-être été, à la réflexion, tout comme on n’a pas manqué de lui reprocher son manque de sérieux scientifique (cf. la réception du livre, pp. 272-278). Citons donc longuement ce très beau passage, toujours extrait du même texte qui ne fut pas recueilli en livre par Lawrence, où il semble sérieusement douter de la théorie de l’évolution, l’homme ayant toujours été un homme, l’homme ne provenant pas du singe comme nous l’avons vu mais l’homme, pourtant, depuis qu’il s’est coupé de ses plus profondes racines de savoir symbolique, paraissant en revanche devoir dégénérer, dévoluer : «Les civilisations apparaissent comme des vagues, et comme des vagues elles s’évanouissent. Tant que la science, ou l’art, n’aura pu saisir le sens dernier de ces symboles flottant sur l’ultime vague de la période préhistorique, c’est-à-dire cette période qui précède la nôtre, nous ne serons pas en mesure d’instituer la juste relation avec l’homme en ce qu’il est, en ce qu’il fut, en ce que toujours il sera.
Aux temps d’avant Homère, les hommes vivant en Europe n’étaient pas de simples brutes, des sauvages ou des monstres prognathes; ce n’étaient pas non plus de grands enfants stupides. Les hommes restent des hommes, et bien que l’intelligence puisse prendre diverses formes, les hommes sont toujours intelligents : ce ne sont pas des imbéciles mal dégrossis, des crétins en masse.
Ces symboles qui nous parviennent à la crête des dernières vagues de la culture préhistorique constituent le reliquat d’une immense et très ancienne tentative de l’humanité de se former une conception de l’univers. Cette conception s’est exténuée, elle a volé en éclats au moment même où elle reprenait vie, en Égypte. Elle a connu un nouvel essor dans la Chine ancienne, en Inde, en Babylonie et en Asie Mineure, chez les Druides, chez les Teutons, chez les Aztèques et les Mayas de l’Amérique, chez les Noirs même. Mais à chaque fois cet essor était plus faible, la vague se mourait, le flux de conscience peu à peu se transformait en un autre flux traversé de multiples courants contradictoires» (p. 226, l’auteur souligne).
Je parlais plus haut de secret. Lawrence écrit, opposant une nouvelle fois le passé magnifié d’un débordement d’énergie et de candeur et le présent se mourant par son excès de normes et de réflexion : «C’est comme si un courant puissant venu de quelque vie différente les traversait de part en part, sans rien de commun avec le courant superficiel qui nous anime aujourd’hui; comme si les Étrusques tiraient leur vitalité de profondeurs inconnues dont l’accès nous est désormais refusé» (p. 111).
Citons d’ailleurs, extrait des Tombes peintes de Tarquinia, I, ce long passage, très intéressant, où se découvre le mépris de Lawrence à l’égard d’un peuple, celui composé par ses contemporains, considéré comme étant un immense lecteur aveugle, incapable de goûter la beauté secrète d’une œuvre. Ce thème est très présent dans la correspondance de l’écrivain, y compris même durant les mois qui précèdent la rédaction de ses Croquis étrusques dont Lawrence doute fortement qu’ils soient appréciés d’un public de plus en plus grossier et inculte. L’ésotérisme, par essence, ne peut être réservé qu’à une élite puisque, de fait, il ne peut être séparé non point seulement d’une révélation mais d’une pratique, dont ne peut absolument rien dire celui qui ne l’a point vécue. Dans ce même passage, l’auteur affirme que notre époque n’est plus même reliée à son prestigieux passé par un filet de savoir secret (6), alors que, inversement, c’est la maigreur même de ce savoir transmis depuis les âges les plus anciens qui entretient son insurpassable bavardage : «Les peuples ne sont pas initiés aux cosmogonies, ni ne se voient révéler le chemin vers cet état d’éveil où palpite la conscience aiguisée. Quoi que vous puissiez faire, jamais la masse des hommes n’atteindra cette vibration de la pleine conscience. Il ne leur est pas possible d’aller au-delà d’un soupçon de conscience.en foi de quoi il faut leur donner des symboles, des rituels et des signes qui empliront leur corps de vie jusqu’à la mesure qu’ils peuvent contenir. Plus leur serait fatal. C’est la raison pour laquelle il convient de les tenir à l’écart du vrai savoir, de crainte que, connaissant les formules sans avoir jamais traversé les expériences qui y correspondent, ils deviennent insolents et impies, croyant avoir atteint le grand tout quand ils ne maîtrisent en réalité qu’un verbiage creux. La connaissance ésotérique sera toujours ésotérique, car la connaissance est une expérience, non une formule. Par ailleurs, il est stupide de galvauder les formules. Même un petit savoir est chose dangereuse. Aucune époque ne l’a mieux montré que la nôtre. Le verbiage est, en définitive, ce qu’il y a de plus désastreux» (pp. 114-5, l’auteur souligne).
D’une autre façon, Lawrence raillera la science muséographique, invoquant le prétexte que la plongée réelle dans le passé ne peut être qu’une expérience poétique : «Mais quel intérêt présentent ces leçons de choses concernant des races évanouies ? Ce que l’on cherche, c’est un contact. Les Étrusques ne sont ni une théorie ni une thèse. Ils sont, d’abord et avant tout, une expérience» (p. 218, l’auteur souligne). Et l’écrivain d’enfoncer le clou : «Et c’est une expérience toujours ratée. Des musées, encore des musées, toujours des musées, des leçons de choses bricolées n’importe comment en vue d’illustrer les théories insanes des archéologues, tentatives insensées de coordonner et ajuster en un ordre intangible cela qui échappe à tout agencement définitif et se refuse à toute coordination !» (Ibid.) (7).
Le savoir est et ne peut être qu’expérience véritable, non point accumulation de thèses mortes avant même que d’avoir été publiées, pour la raison qu’elles ne peuvent en aucun cas délivrer un savoir autre que livresque, les livres évoquant d’autres livres dans une régression infinie qui est synonyme de mort spirituelle et morale des hommes. Celui qui sait se tait (8), vérité de la plus immémoriale ancienneté que D. H. Lawrence aura redécouverte (9) en s’enfonçant dans les tombes abandonnées, pillées, parfois très endommagées, des Étrusques dont la force véritable, spirituelle, est aussi fragile que celle d’une plante mais n’en a pas moins prodigué son suc dans les membres de l’immense corps de l’empire romain, selon la loi que commente Élie Faure : «Asservi matériellement, un peuple de culture supérieure asservit moralement le peuple qui l’a vaincu» (op. cit., p. 309).
Et ce sont pourtant cette plante (une pâquerette, précise Lawrence) ou ce rossignol (10), manifestations les plus humbles de la vie qui, plus durables qu’une altière pyramide qui finira par se désagréger au fil des millénaires, témoigneront d’une force dont les fresques étrusques gardent et révèlent le magnifique et bouleversant secret.

Notes
(1) Lawrence, avant de se rendre sur le terrain, a beaucoup lu sur la question, éminemment débattue à son époque, de la civilisation étrusque. Par exemple Theodor Mommsen, Römische Geschichte, que Lawrence connaissait dans sa traduction anglaise réalisée en 1861 (revue et corrigée en 1894), par W. P. Dickson, sous le titre The History of Rome. Fritz Weege, Etruskische Malerei (Halle, 1920-1921). Pericle Ducati, Etruria Antica (Turin, 1925). Roland Arthur Lonsdale Fell enfin, Etruria and Rome, Cambridge, 1924.
(2) The Letters of D. H. Lawrence (édition établie par James T. Boulton, Cambridge, 1979), I, p. 544, citées par Simonetta de Filippis dans la Notice aux Croquis étrusques, p. 250 de notre ouvrage.
(3) Voir cette curieuse image : «Si nous n’aimons pas les asphodèles, c’est à mon sens parce que nous rejetons tout ce qui est fier et jaillissant» (p. 28).
(4) In Letters of D. H. Lawrence, op. cit., tome VI, p. 328.
(5) «Le monde vivant, nous ne le connaîtrons jamais que symboliquement. Pourtant, chaque conscience – la rage du lion et le venin du serpent – est, donc elle est divine. Tout provient du cercle ininterrompu et de son noyau, le germe, l’Un, le Dieu, s’il vous plaît de l’appeler ainsi. Et l’homme qui apparaît, avec son âme et sa personnalité, est éternellement relié à l’ensemble. Le fleuve de sang est un, il est ininterrompu, mais il bouillonne d’oppositions et de contradictions» (p. 143).
(6) «C’est comme si un courant puissant venu de quelque vie différente les traversait de part en part, sans rien de commun avec le courant superficiel qui nous anime aujourd’hui; comme si les Étrusques tiraient leur vitalité de profondeurs inconnues dont l’accès nous est désormais refusé» (p. 111).
(7) C’est le sens des moqueries que D. H. Lawrence adresse à l’un des personnages qu’il a rencontrés lors de son voyage : «Mais le jeune Allemand ne veut rien entendre à tout cela. C’est un moderne, pour qui n’existent véritablement que les seules évidences. Un lion à tête de chèvre, en plus de sa propre tête, est une chose impensable. Et ce qui est impensable n’existe pas, n’est rien. Raison pour laquelle tous les symboles étrusques n’ont pour lui aucune réalité et ne témoignent que d’une grossière incapacité à penser. Il ne gaspillera pas une minute de son temps à y réfléchir. Ces symboles ne sont que le produit de l’impuissance mentale, par conséquent négligeables» (p. 139).
(8) «L’air du dehors nous paraît immense, blême, et de quelque façon vide. Nous ne percevons plus aucun des deux mondes, ni celui, souterrain, des Étrusques, ni celui du jour banal qui est le nôtre. Silencieux, épuisés, nous revenons vers la ville environnés de vent, le vieux chien stoïquement sur nos talons – et le guide nous promet de nous montrer les autres tombes dès le lendemain» (p. 110).
(9) La quête d’une vérité originelle semble avoir fasciné Lawrence qui écrit ainsi que les dieux personnels des Grecs «ne sont que les avatars décadents d’une religion cosmique antérieure», les «mythes grecs» n’étant pour leur part que «les représentations grossières de certaines conceptions ésotériques très anciennes et fort précises, qui sont bien plus âgées que les mythes – ou les Grecs» (p. 138).
(10) Voir cette image aussi étonnante que belle : «La force brute écrase de nombreuses plantes. Et pourtant ces plantes repoussent. Les pyramides ne durent qu’un instant, comparées à la pâquerette. Avant que Bouddha ou Jésus aient commencé de parler le rossignol chantait, et bien après que les paroles de Jésus ou de Bouddha seront tombées dans l’oubli, le rossignol continuera de chanter. Point de prêche ni d’enseignement, ni de commandement ou d’intimidation : juste le chant. Au commencement n’était pas le Verbe, mais le pépiement» (p. 71). Remarquons encore que Lawrence oppose l’antique religion des Étrusques qui «s’intéresse à l’ensemble des puissances et des forces physiques et créatrices en tant qu’elles participent à la construction et à la destruction de l’âme» à la religion du Verbe qui, étrange vue, n’accorderait aucune réalité au monde physique, Verbe qui «est martelé dru jusqu’à le rendre mince et permettre, comme une dorure, de recouvrir et dissimuler toutes choses» (p. 139).

dimanche, 07 novembre 2010

Réflexions sur "Le Zéro et l'Infini" d'Arthur Koestler

Michael WIESBERG :

Réflexions sur Le Zéro et l’Infini d’Arthur Koestler

 

koestler.jpgLa vie d’Arthur Koestler fut loin d’être paisible et monotone. Après avoir abandonné ses études d’ingénieur à la « Haute Ecole Technique » de Vienne, il a émigré vers la Palestine où il a vécu de petits boulots occasionnels. Après ses mésaventures palestiniennes, les éditions Ullstein de Berlin lui offrent un poste de correspondant au Proche Orient, à Paris, puis un poste de journaliste scientifique à Berlin même. Cela durera de 1926 à 1931. Cette période est caractérisée par l’engagement passionné de Koestler pour la cause sioniste. En 1931, il change d’option : il s’engage dans le parti communiste allemand. Pendant la guerre civile espagnole, il écope d’une condamnation à mort et échappe de peu à l’exécution. Pendant la seconde guerre mondiale, il sert brièvement dans les armées française et britannique. Il finit par s’établir à Londres, où il écrira des ouvrages de vulgarisation scientifique. Le 3 mars 1983, il se suicide.

 

Le roman Le Zéro et l’Infini de Koestler paraît d’abord à Londres en 1940. La figure centrale et fictive de ce roman est un bolchevique de la vieille garde, ancien commissaire du peuple : Roubachov. Il est accusé de « menées contre-révolutionnaires », après que les services secrets soviétiques, les sbires du NKVD, l’aient arrêté et placé en détention. D’après Koestler lui-même, cette figure de fiction est inspirée par les dirigeants bolcheviques réels, et de premier plan, que furent Karl Radek, Nicolas Boukharine et Léon Trotski, qui, tous, en ultime instance, devinrent des victimes des purges staliniennes de la seconde moitié des années 30. En créant le personnage de Roubachov, Koestler a essayé de montrer, de manière exemplative, ce qui se passait dans les prisons du NKVD et d’expliquer comment ce noyau dur des anciens révolutionnaires d’octobre 1917 a pu être liquidé. Roubachov est confronté à deux autres personnages, ses adversaires tout au long de l’intrigue : Ivanov et Gletkine. Ils représentent deux générations de bolcheviques. Ivanov, le plus âgé, reçoit l’ordre de convaincre Roubachov de la nécessité de faire des aveux. Bien sûr, Ivanov sait que les crimes imputés à Roubachov sont purement fictifs. Et, malgré cela, il tente de convaincre celui-ci qu’il serait insensé de jouer les martyrs. On ne doit pas transformer le monde en un « bordel sentimental et métaphysique ». La pitié, la conscience, le remord et le doute doivent demeurer des « dérapages répréhensibles ». On ne doit pas abjurer la violence tant qu’il y a du chaos dans le monde. Tout compromis avec sa propre conscience, explique Ivanov au prisonnier, équivaut à de la désertion. Comme l’histoire est a priori immorale, toute attitude qui reposerait sur des décisions morales dictées par la conscience d’un individu, équivaudrait à faire de la politique en s’inspirant des bonnes paroles d’un prêche dominical. Pour cette raison, explique Ivanov, les blessures que ressent Roubachov dans sa propre conscience, au vu des hommes sacrifiés au nom de la « raison de parti », ne sont jamais que des « fictions grammaticales ».

 

AK-zero-infini.jpgPour Koestler, cette notion de « fiction grammaticale » doit nous expliquer cette part du moi que l’on ne définit pas comme « logique » mais comme « personnelle ». Or comme ce moi est inexistant pour le parti, mais que la grammaire réclame un substantif pour cette chose, Ivanov nomme cet aspect du « moi » celui de la « fiction grammaticale ». Roubachov, dans cette phase-là de sa détention, est tourmenté par des scrupules moraux, à cause de ses propres manières d’agir d’antan : celles-ci étaient déterminées exclusivement par un schéma de pensée rationnelle et acceptaient en toute conscience les pertes humaines qu’imposait cette rationalité. Ivanov réussit finalement à convaincre Roubachov que les idées, que celui-ci cultive et rumine, relèvent d’une « sentimentalité bourgeoise ». « On n’entendra aucun coq chanter », dit Ivanov, « si, objectivement parlant, des individus nuisibles sont liquidés ».

 

Ivanov conjure alors Roubachov de tirer les « conséquences logiques » de leurs conversations, et obtient du prisonnier que celui-ci se déclare prêt à signer un aveu qui va dans le sens de l’accusation. A partir de ce moment-là du récit, le roman prend une tournure dramatique. Ivanov, qui, lui aussi, est une figure controversée, est accusé d’avoir mené l’enquête sur Roubachov de manière trop négligente : il est alors remplacé par un représentant de la jeune génération de bolcheviques, qui ne connaît pas les compromis. Ivanov est ensuite liquidé.

 

Gletkine, qui prend la place d’Ivanov, représente, dans Le Zéro et l’Infini, une génération qui agit toujours sans réticence aucune selon la ligne fixée par le parti et qui ne connaît plus personnellement les circonstances vécues par les premiers bolcheviques dans la Russie des Tsars. La liste des crimes supposés que Gletkine présente à Roubachov, est en fait un ramassis d’accusations fantaisistes, dont, en tête, celle d’avoir fomenté un attentat contre le « numéro un », Staline. La volonté de résister, chez Roubachov, est ensuite annihilée par l’application d’une procédure d’audition véritablement éreintante. Au cours de cette longue audition, on apprend pour quels motifs Roubachov doit être sacrifié. « L’expérience nous apprend », explique Gletkine, « que l’on doit donner aux masses des explications simples et compréhensibles pour les processus difficiles et compliqués ». Si l’on disait aux paysans que malgré « les acquis de la révolution », ils sont restés fainéants et arriérés, on n’obtiendra rien. Mais si on leur explique qu’ils sont des « héros du travail » et que l’on attribue les maux qui les frappent encore à des saboteurs, alors on obtiendra quelque chose. Gletkine explique alors de manière fort plausible que le parti est régi par le principe que « la fin justifie les moyens ». Le parti attend donc des « vieux bolcheviques » qu’ils se sacrifient. La raison de cette exigence réside dans le fait que la guerre menace l’Union Soviétique. En cas de guerre, s’il y a des mouvements d’opposition, cela peut conduire à la catastrophe. Gletkine déclare alors à Roubachov  qu’on lui reproche d’avoir, en liaison avec d’autres opposants, tenté de provoquer une scission au sein du parti. Si son repentir est « vrai », alors Roubachov doit aider le parti à éliminer cette scission. Il s’agit de montrer aux masses que tout opposant est un « criminel ». Après la victoire finale du socialisme, explique Gletkine, la vérité reviendra sans doute à la surface. A ce moment-là, Roubachov et les autres recevront la gratitude qui leur revient. Complètement brisé, Roubachov accepte pour finir de signer des aveux de culpabilité. Deux balles dans la nuque mettent fin à son existence.

 

Si l’on cherche à évaluer les conséquences des « grandes purges » pour l’Union Soviétique, l’attention se focalise immanquablement sur les successeurs des « vieux bolcheviques ». La nouvelle génération fut celle qui se soumit de manière inconditionnelle au parti. A la fin de la « tchistka » (de la « purge »), se dresse la pâle figure de l’apparatchik, caractérisée par une « non-identité ». Staline a créé les conditions préalables d’un système de parasites et de pleutres qui n’ânonnaient rien d’autre que les slogans doctrinaires du parti. Sous Staline, le matérialisme cru du marxisme-léninisme est entré dans un processus de perversion, dont l’apogée la plus emblématique fut l’émergence d’une pensée purement immanentiste, érigée au rang de dogme. C’est ainsi, in fine, que Staline a introduit les conditions initiales de l’effondrement final des systèmes sociaux du « socialisme réel » ou, plutôt, de l’égalitarisme radical.  L’idée d’un ordre socialiste juste est resté une chimère en Europe orientale, pour laquelle des millions d’hommes ont dû sacrifier leur vie.

 

L’histoire ne se répète pas. Une tyrannie à la Hitler ou à la Staline ne se présentera plus. Mais il est certainement une chose que le livre de Koestler nous enseigne, et qui reste valable aujourd’hui : il nous montre où nous mène un monde régi par la pleutrerie et la pensée conformiste. Une république qui se vante d’incarner la liberté et la démocratie n’est pas pour autant immunisée contre les tumeurs totalitaires. Il faut donc toujours, dans tous les cas de figure, apprendre à se défendre contre la pleutrerie et le conformisme dès qu’ils se pointent à l’horizon.

 

Michael WIESBERG.

(article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°11/1996, dans la série « Mein Lieblingsbuch / Folge 6 : « Sonnenfinsternis » von Arthur Koestler – Chronik der stalinistischen Säuberung » / « Mon livre favori / 6°partie : « Le Zéro et l’Infini » d’Arthur Koestler – Chronique des purges staliniennes » - Trad.  franç. : octobre 2010).    

vendredi, 17 septembre 2010

William Butler Yeats: A Poet for the West

William Butler Yeats: A Poet for the West

Vic OLVIR

william_butler_yeat_by_george_charles_beresford4.jpgIn saner times our great poets, writers, and philosophers expressed the feelings and ideas which came naturally from the race-soul. In these times those feelings and ideas are too “controversial” to be expressed freely, so where they cannot be suppressed outright, they are reinterpreted, obscured, and selectively anthologized by the alien arbiters of our culture. For no poet of our race has this been more true than for William Butler Yeats.

William Butler Yeats was probably the greatest poet of the modern age; T. S. Eliot acknowledged as much. His roots were deep in Ireland, but, withal, he embodied the questing spirit of the whole of Western culture.

It is impossible without writing a volume (or two) to render even a partial appreciation of his many-faceted life and work. He was born into the Irish Protestant tradition, of that line which included Swift, Burke, Grattan, Parnell. He was poet, playwright, guiding spirit of the famed Abbey Theatre, essayist, philoso­pher, statesman, mystic. But, as he once wrote, “The intellect of man is forced to choosePerfection of the life, or of the work” ["The Choice"], and it is primarily in his poetry that most people seek an understanding of his genius.

Some of his views confounded the mediocre, left-wing poets and intellectuals who sought him out in his later years. Unable, of course, to ignore him, they attempted to appropriate him as their own, much as Walter Kaufmann, a Jew, attempted to do with Friedrich Nietzsche some years later. Thus, many writings about Yeats totally ignore his more “controver­sial” ideas, or at best refer to them only obliquely.

For example, Yeats believed in reincarnation, not only in a poet’s way, as a dramatic symbol. but quite literally: the individual human spirit remained a part of the collective race-soul even after the body died, and as long as the race endured the individual spirit might re-emerge later in another body. In an early poem, written when he was about 24, we have:

“Ah, do not mourn,” he said,
‘That we are tired, for other loves await us;
Hate on and love through unrepining hours.
Before us lies eternity; our souls
Are love, and a continual farewell.

– “Ephemera”

And just a few months before his death in 1939 at age 73, with matured powers of creative expression:

Many times man lives and dies Between his two eternities,
That of race and that of soul,
And ancient Ireland knew it all.
Whether man die in his bed
Or the rifle knock him dead,
A brief parting from those dear
Is the worst man has to fear.
Though grave-diggers’ toil is long,
Sharp their spades, their muscles strong,
They but thrust their buried men
Back in the human mind again.

– “Under Ben Bulben”

Modern liberalism and democracy were anathema to Yeats’s aristocratic spirit. He was a good friend of Ezra Pound. He was associated for a time with the Irish Blueshirts, led by General O’Duffy, and he wrote some marching songs for them. He spoke of “Mussolini’s incomparable Fascisti” (although being the kind of man he was he recoiled somewhat from the demagogic elements of fascist movements).

He read widely and avidly on race, eugenics, Italian Fascism, and German National Socialism. On eugenics, according to his biographer, Yeats “spoke much of the necessity of the unification of the State under a small aristocratic order which would prevent the materially and spiritually uncreative families and individuals from prevailing over the creative.”[1] Eugenics, to Yeats, had both physical and spiritual aspects, It is touched upon in some of the poems. In “Under Ben Bulben” he wrote:

Poet and sculptor, do the work
Nor let the modish painter shirk
What his great forefathers did,
Bring the soul of man to God,
Make him fill the cradles right.

Irish poets, learn your trade,
Sing whatever is well made
Scorn the sort now growing up
All out of shape from toe to top,
Their unremembering hearts and heads
Base-born products of base beds.

A much earlier poem reads:

All things uncomely and broken, all things worn out and old,
The cry of a child by the roadway, the creak of a lumbering cart,
The heavy steps of the ploughman, splashing the wintry mould,
Are wronging your image that blossoms a rose in the deeps of my heart.

The wrong of unshapely things is a wrong too great to be told;
I hunger to build them anew and sit on a green knoll apart,
With the earth and the sky and the water, re-made, like a casket of gold.
For my dreams of your image that blossoms a rose in the deeps of my heart.

– “The Lover Tells of the Rose in His Heart”

Yeats did not write for scholars, but for the people, and schoolchildren throughout the English-speaking world are familiar with at least a few of his works–or, perhaps, just a line or a phrase from them. Many youngsters have recited in school this verse by the young Yeats:

Down by the salley gardens my love and I did meet;
She passed the salley gardens with little snow-white feet.
She bid me take love easy, as the leaves grow on the tree;
But I, being young and foolish, with her would not agree.

– “Down by the Salley Gardens”

Another favorite is ”The Lake Isle of Innisfree.” During his many tours of the United States, every American audience insisted he recite it for them:

I will arise and go now, and go to Innisfree,
And a small cabin build there, of clay and wattle made:
Nine bean-rows will I have there, a hive for the honeybee,
And live alone in the bee-loud glade.

Nearly as familiar is the stark vision of “The Second Coming”:

Turning and turning in the widening gyre
The falcon cannot hear the falconer;
Things fall apart; the centre cannot hold;
Mere anarchy is loosed upon the world,
The blood-dimmed tide is loosed, and everywhere
The ceremony of innocence is drowned;
The best lack all conviction, while the worst
Are full of passionate intensity.

Surely some revelation is at hand;
Surely the Second Coming is at hand.
The Second Coming! Hardly are those words out
When a vast image out of Spiritus Mundi
Troubles my sight: somewhere in the sands of the desert
A shape with lion body and the head of a man,
A gaze blank and pitiless as the sun,
Is moving its slow thighs, while all about it
Reel shadows of the indignant desert birds.
The darkness drops again; but now I know
That twenty centuries of stony sleep
Were vexed to nightmare by a rocking cradle,
And what rough beast, its hour come round at last,
Slouches toward Bethlehem to be born?

People with a liberal mind set have often quoted this last poem, but some do so with a certain amount of unease, and rightly. Accepting historical necessity, Yeats is not, as the American Jewish critic Harold Bloom pointed out, necessarily averse to this “rough beast.”[2]

Thus, liberal critics are never completely comfortable in the company of Yeats. In “Under Ben Bulben,” one of Yeats’s last poems and a general summary of his ideas, he writes:

You that Mitchel’s prayer have heard
“Send war in our time, O Lord!”
Know that when all words are said
And a man is fighting mad,
Something drops from eyes long blind,
He completes his partial mind,
For an instant stands at ease,
Laughs aloud, his heart at peace.
Even the wisest man grows tense
With some sort of violence
Before he can accomplish fate,
Know his work or choose his mate.

Bloom charged that Yeats “abused the Romantic tradition” in these lines. But Yeats would have shown Bloom the contempt he deserves; in one of Yeats’s letters we can read: “I am full of life and not too disturbed by the enemies I must make. This is the proposition on which I write: There is now overwhelming evidence that man stands between eternities, that of his family and that of his soul. I apply those beliefs to literature and politics and show the change they must make. . . . My belief must go into what I write, even if I estrange friends; some when they see my meaning set out in plain print will hate me for poems which they have thought meant nothing.”

Earlier Yeats had written of war, politics, and pleasant but self-defeating illusions. In “Nineteen Hundred and Nineteen” he surveyed both the halcyon pre-World War I years and the grim aftermath of war, civil war, and revolution:

We too had many pretty toys when young:
A law indifferent to blame or praise,
To bribe or threat; habits that made old wrong
Melt down, as it were wax in the sun’s rays;
Public opinion ripening for so long
We thought it would outlive all future days.
O what fine thoughts we had because we thought
That the worst rogues and rascals had died out. . . .

Now days are dragon-ridden, the nightmare
Rides upon sleep: a drunken soldiery
Can leave the mother, murdered at her door,
To crawl in her own blood, and go scot-free;
The night can sweat with terror as before
We pieced our thoughts into philosophy,
And planned to bring the world under a rule,
Who are but weasels fighting in a hole.

Yeats himself did not take an active part in the Irish civil war, and he may have felt a certain uneasiness about the physical side of the struggle:

An affable Irregular,
A heavily-built Falstaffian man,
Comes cracking jokes of civil war
As though to die by gunshot were
The finest play under the sun.

– “Meditations in Time of Civil War”

Yeats, it is true, spent much time contemplating and expressing himself on the great problems of the age and of the individual living in this age, but he never strayed far from whimsy. As typical of his poetry as anything he wrote is the neatly lyrical “To Anne Gregory,” addressed to the granddaughter of his friend and fellow playwright Lady Augusta Gregory:

“Never shall a young man,
Thrown into despair
By those great honey-colored
Ramparts at your ear,
Love you for yourself alone
And not your yellow hair:

“But I can get a hair-dye
And set such color there,
Brown, or black, or carrot,
That young men in despair
May love me for myself alone
And not my yellow hair.’

“I heard an old religious man
But yestemight declare
That he had found a text to prove
That only God, my dear,
Could love you for yourself alone
And not your yellow hair.”

I know of no English or American poet writing today who can approach even remotely Yeats’s lyrical power or his poetic shaping of strong and startling ideas. Most of today’s poets are professors of English or fine arts who grind out pedestrian or pretentious drivel, presumably for prestige within the academic commu­nity. And it is hardly conceivable that there are any campus publications, literary or otherwise, that would publish all of Yeats’s material were he writing today. What, for instance, would they do with these lines from “John Kinsella’s Lament For Mrs. Mary Moore”?:

Though stiff to strike a bargain,
Like an old Jew man,
Her bargain struck we laughed and talked
And emptied many a can . . . .

Perhaps Yeats was the culmination of that great, surging Romantic wave, now in recession.

Though the great song return no more
There’s keen delight in what we have:
The rattle of pebbles on the shore
Under the receding wave.

– “The Nineteenth Century and After”

Perhaps. And perhaps a revitalized and resurgent West can at least produce poets in the great tradition, who refuse to wallow in mud and make a career of destroying our language.

Sing the peasantry, and then
Hard-riding country gentlemen,
The holiness of monks, and after
Porter-drinkers randy laughter;
Sing the lords and ladies gay
That were beaten into the clay
Through seven heroic centuries;
Cast your mind on other days
That we in coming days may be
Still the indomitable Irishry.

– “Under Ben Bulben”

These lines also proved upsetting to Bloom, and understandably. Yeats here issues a clear tribal call for cultural unity by appealing to racial instinct and historical experience: blood and soil. A Jewish critic, who had never shared in the experience, but rather was steeped in another totally alien, and thus had no real comprehension of the soul-state from which the poet spoke, would, as a matter of course, feel hostile to such verse. Too bad for Bloom and his fellows that Yeats’s reputation is already established; they have now little other to do but to wring their hands and rend their garments in their studies.

William Butler Yeats: rooted in Ireland, a seeker in the Western tradition, a giant of our race and culture; like Nietzsche, a “conqueror of Time”; and, perchance, one of the heralds of the times to come:

O silver trumpets, be you lifted up
And cry to the great race that is to come.
Long-throated swans upon the waves of time,
Sing loudly, for beyond the wall of the world
That race may hear our music and awake.

– “The King’s Threshold”

Notes

[1] Joseph M. Hone, W. B. Yeats, 1865–1939 (1943).

[2] Harold Bloom, Yeats (1972).

lundi, 30 août 2010

Roy Campbell

Roy Campbell

Roy Campbell was born in October 1902 in the Natal District of South Africa. He enjoyed an idyllic childhood, growing up in South Africa and being imbued as much with Zulu traditions and language as with his Scottish heritage. He showed early talent as an artist but an interest in literature including poetry soon became predominant.

In 1918 he traveled to England to attend Oxford where by this time he was an agnostic with a love for the Elizabethan literature. Campbell’s friendship with the composer William Walton at Oxford brought him into contact with the literati including T. S. Eliot, the Sitwells and Wyndham Lewis. He was by now reading Freud, Darwin and Nietzsche, and had a distaste for Anglo-Saxonism and the ‘drabness of England’ and found an affinity with the Celts. He also identified with the Futurist movement in the arts. Campbell writes at this time in a manner suggesting the Classicism of Hulme, Lewis, Pound, and the Vorticists.

Art is not developed by a lot of long-haired fools in velvet jackets. It develops itself and pulls those fools wherever it wants them to go . . .  Futurism is the reaction caused by the faintness, the morbid wistfulness of the symbolists. It is hard, cruel and glaring, but always robust and healthy.

Campbell continues by describing the new art in Nietzschean and Darwinian terms of struggle, survival and victory, but also suggesting something of his own colonial character:

It is art pulling itself together for another tremendous fight against annihilation. It is wild, distorted, and ugly, like a wrestler coming back for a last tussle against his opponent. The muscles are contorted and rugged, the eyes bulge, and the legs stagger. But there it is, and it has won the victory.

Campbell escaped from England’s ‘drabness’ to Provence where he worked on fishing boats and picked grapes. Despite his agnosticism he was impressed by the simple faith of the peasants, and started writing poems of a religious nature such as Saint Peter of the Candles—the Fisher’s Prayer, which took ten years to complete and portrays Campbell’s spiritual odyssey He returned to London in 1921, married Mary Garman, and became highly regarded among the Bloomsbury coterie who were impressed with his rough manners and hard drinking.

His wife inspired his first epic poem The Flaming Terrapin, written while the couple lived for over a year at a remote Welsh village where their first daughter was born. T. E. Lawrence was immediately impressed with the poem and took it to Jonathan Cape for publication. This established Campbell’s reputation as a poet.

Nietzsche, Christ, & the Heroic Poet
 

The Flaming Terrapin is a combination of Christianity and Nietzsche. In a letter to his parents Campbell sought to explain the symbolism as being founded on Christ’s statement: “Every tree that bringeth not forth good fruit is, hewn down and cast into fire,” and “Ye are the salt of the earth but if that salt shall have lost its savor it shall he scattered abroad and trodden under the feet of men.”

Campbell now realized that Christ, was the first to “proclaim the doctrine of heredity and survival of the fittest,” and that his “aristocratic outlook” was misunderstood by Nietzsche as being a religion of the weak. World War I had destroyed the best breeding stock and demoralized humanity. The Russians for example had succumbed to Bolshevism. But Campbell hoped that a portion might have become ennobled from the suffering.

He continued to explain that the deluge in The Flaming Terrapin represents the World War, and that the Noah family represents “the survival of the fittest,” triumphing over the terrors of the storm to colonize the earth. The terrapin in eastern tradition is the tortoise that represents “strength, longevity, endurance and courage” and is the symbol of the universe. It is this “flaming terrapin” that tows the Ark, and wherever he crawls upon the earth creation blossoms forth. He is “masculine energy” and where his voice roars man springs forth from the soil. His acts of creation are born from “action and flesh in one clean fusion.”

The poem published in 1924 in Britain and the USA received critical acclaim from the press as a fresh and youthful breath, as breaking free from both the banalities of the past and from the skeptical nihilism of the new generation. Campbell and his family returned to South Africa where he was welcomed as a celebrity. Here Campbell lectured on Nietzsche, and praised Nietzsche’s condemnation of the meanness of modern democracy. In this lecture Campbell also attacked the ascendancy of technology, stating that the rush to progress and enthronement of science during the previous century has outpaced mans’ mental and moral faculties and that man has becoming suddenly “lost.”

All those useful mechanical toys which man primarily invented for his own convenience have begun to tyrannize every moment of his life.

This was a theme that concerned Campbell throughout his life. In a poem written a year later entailed The Serf, Campbell proclaimed the tiller of the soil as “timeless” as he “plows down palaces and thrones and towers.” The tiller of the soil, states a hopeful Campbell, endures through eternity while the cycles of history rise and fall around him. This gives a sense of permanence in a constantly shifting world.

His poem in honor to his wife Dedication to Mary Campbell is Nietzschean in theme but also a criticism of his fellow South Africa, referring to the poet as “living by sterner laws,” as not concerned with their commerce, and as worshiping a god “superbly stronger than their own.”

Estranged from South Africans

In 1925 he became editor of Voorslag and was closely associated with William Plomer whose first novel Turbott Wolfe involves inter-racial marriage. However, despite their friendship and Campbell’s disdain for the racial situation in South Africa he reviewed Plomer’s novel and found it having “a very strong bias against the white colonists.” Nevertheless, Campbell was not impressed by what he considered as white South Africa, “reclining blissfully in a grocer’s paradise on the labor of the natives.”

Campbell resigned from editorship after the publisher’s interference. Some of Campbell’s best poems written in South Africa at this time are considered to be among his best. To a Pet Cobra returns to Nietzschean themes, describing poets in heroic terms, the Zarathustrian solitary atop the mountain peaks.

There shines upon the topmost peak of peril
There is not joy like them who fight alone
And in their solitude a tower of pride

Bloomsbury & Provence

On their return to Britain Campbell and his wife were introduced to the Bloomsbury coterie, including the poetess Vita Sackville-West her husband the novelist Harold Nicolson, Virginia and Leonard Wolfe, Richard Aldington, Aldous Huxley, Lytton Strachey, et al. The robust Campbell found their refined manners, pervasive homosexuality, and pretentiousness sickening, writing in Some Thoughts on Bloomsbury that his own voice is the only one he likes to hear when around all the “clever people.” Several years later in The Georgiad he satirizes the dinner parties of Bloomsbury where wishing to stop the ‘din’ of his ‘dizzy’; head he imagines stuffing his ears with meat and bread, and wishes the diners would choke on their food that their chattering would be halted.

In 1928 the Campbells returned to Provence. The atmosphere was altogether different from England and the wealthy socialist intelligentsia from which he sought escape. The Campbells fully involved themselves in the community, celebrated the harvest feasts, and welcomed the local folk into their home. Campbell became a celebrated figure in the dangerous sport of “water jousting.” He also assisted in the ring at bullfights. Campbell found in the customs and culture of the Provencal villagers stability and permanence in a changing world obsessed by science and “progress.” His own aesthetics, at the basis of his rejection of liberalism and socialism, was a synthesis of the romanticism of Provence and the Classicism of the Graeco-Roman. He admired Caesar and the stoicism and martial ethos of the ancients. His ideal was a combination of aesthete and athlete.

In Taurine Provence, published in 1932 Campbell writes of this:

So men in whom the heroic principle works will be driven by their very excess of vitality to flaunt their defiance in the face of death or danger, as in the modern arena.

Campbell, freed from the English intelligentsia, now renewed his attack with fury. Writing in 1928 in Scrutinies by Various Writers, he states that the dominant philosophy of the contemporary writer is dictated by fear of discomfort, excitement or pain than by love of life.” His attack on the “sex-socialism” of Bloomsbury as being flabby and effete is contrasted with his own robust nature that could not fit in with the simpering and decadent atmosphere of the intellectual. Following on from Wyndham Lewis’ scathing attack on Bloomsbury, The Apes of God, which Campbell enjoyed immensely, Campbell wrote The Georgiad in 1931, as his own broadside. This would bring against him the mixture of condemnation and silence that the intellectual coterie had been using against Wyndham Lewis.

The Georgiad expresses Campbell’s disdain for the way Bloomsbury makes sickly everything it touches. Campbell compares his own ‘hate’ with that of their “dribbles.”

Like lukewarm bilge out of a running leak
Scented with lavender and stale cologne
Lest by its true effluvium should be known
The stagnant depth of envy that you swim in,
Who hate like gigolos and fight like women.

Bulwark of Christendom

In 1933 the Campbells left Provence for Spain due to financial hardship, despite the success of Campbell’s acclaimed volume of poems Adamastor, published in both the USA and England. This was the final work to be well-received from the Bloomsbury crowd, while his Georgiad received what The Times Literary Supplement was to recall in 1950 as a “conspiracy of silence.”

The Campbells arrived at Barcelona where a right-wing electoral victory resulted in strikes and violence by the anarchists and where machine guns were much in evidence on the streets. However, the Campbells were greatly impressed by the traditional Catholic culture.

Campbell described himself for the first time as a “Catholic” in his 1933 autobiography Broken Record, attacking both English Protestantism as “a cowardly form of atheism” and the Freudianism that pervaded the Bloomsbury progressives. He contrasted this with the “traditional human values” that continued to form the basis of Spanish culture. Broken Record was a break with modernism, but still lacked a coherent philosophy.

Despite the reference to Catholicism, Campbell had not yet converted, but spiritual questions had long occupied him, with an interest in Mithraism emerging in Provence. This cult was still to be seen in the shrines of Provence. That it was the religion most favored by the Roman legions, with its strong martial ethos, together with the mythos of the bull, appealed to Campbell.

However, he had also been strongly impressed with the faith and traditionalism of the fishermen and farmers among whom he had been so popular in Provence. His Mithraic Sonnets are a reflection of Campbell’s own spiritual odyssey beginning with Mithras and ending with the triumph of Christ, a mixture of the two religions. The Mithraic conquering sun. Sol Invictus, the byword of the Roman legions, becomes transmogrified as the Sun of the Son of God, “the shining orb” reflecting as a mirrored shield the image of Christ. It is with these vague feelings towards Christianity and Catholic culture that the Campbells moved south to the rural village of Altea in 1934.

Campbell continued to sing the song of Catholicism in martial terms, of the solar Christ as “captain” winning the battle of faith. Spain breathes its Catholic tradition and in The Fight Campbell writes again with a martial flavor, an aerial dog-fight for Campbell’s soul; his “red self” of atheism shot down by the “white self” of the Solar Christ, “the unknown pilot.” At Altea, Campbell was again impressed with the “freshness, bravery and reverence” of the people Under such an impress the whole Campbell family, actually at the initiative of his wife, converted in 1935, received by the village priest Father Gregorio.

His daughter Anna related many years later, that for Campbell, Spain was the last country left in Europe that was still a pastoral society while much of the rest had become industrialized under the impress of Protestantism. Such was Campbell’s aversion to machinery that he never learnt to drive or even used a typewriter.

At this time Campbell wrote Rust. The rust of time that brings ruin to the intentions of those who would industrialize and modernize:

So there, and there it gnaws, the Rust,
Shall grind their pylons into dust . . .

Lackeys of Capitalism

Campbell’s political outlook becomes coherent with his religious conversion. An article published in 1935 in the South African magazine The Critic shows just how clear Campbell’s knowledge of politics now was:

The artist as romantic ‘rebel’ is the tamest mule imaginable. He dates from the industrial era and has been politicized to play into the hands of the great syndicates and cartels. First by dogmatizing immorality, breaking up the “Family,” that one definitive unit that have withstood the whole effort of centuries to enslave, dehumanize and mechanize the individual, thereby cheapening and multiplying labor. It is the “Intellectual” which had been chiefly politicized into selling his fellow mates to capitalism, whether the capitalism be disguised as a vast inhuman state [as in the USSR under communism] or whether a gang of individuals. The last century has seen more class-wars, and wars between generations, than any other period. They have been deliberately fostered by capitalism, of which bolshevism is merely an anonymous form. Divide and rule, said Cicero: encourage your slaves to quarrel and your authority will be supreme. A thousand artists and reformers with the highest ideals have leaped ignorantly and romantically into these rackets, and by means of causing hate between man and woman, father and son, class and class, white and black, almost irretrievably embroiled the human individual in profitless, exhausting struggles which leave him at the mercy of the unscrupulous few.

In 1936 Campbell met British Fascist leader Sir Oswald Mosley, at the suggestion of Wyndham Lewis. Although Campbell declined to join Mosley as British Fascism’s official poet, his poetry was to appear in Mosley’s magazines both before and after the War.

Toledo, the Sacred City

The Campbells next moved to Toldeo, which had been Spain’s capital under Charles V during the Holy Roman Empire. The city was isolated and timeless, medieval, full of churches, monasteries, convents, and shrines. The old Fortress, the Alcazar, designed to play a pivotal role in the defense of Christendom against Bolshevism, served as a military academy. The city was full of priests, nuns, monks, and soldiers, a combination of the religious, the military, and the traditional that prompted Campbell to call Toldeo the “sacred city of the mind.”

The assumption to power of the Left-wing Popular Front resulted in the release of communist and anarchist revolutionaries from gaol amidst increasing political violence in Madrid and Barcelona and street fighting between Left-wing and Right-wing factions. Churches were now being desecrated and destroyed throughout Spain. The violence reached Toledo where priests and monks were attacked and a church set ablaze.

The Campbells sheltered several Carmelite monks in their home. Campbell, well known for his anti-Bolshevik views and for his faith, was severely beaten by Government “red” guards and paraded through the streets to police headquarters. His gypsy friend, with whom he was riding at the time of his capture, “Mosquito” Bargas, was murdered at the time of the arrest. Campbell was probably spared this fate by being a foreigner. In his tribute to his friend In Memoriam of Mosquito, Campbell writes with typical stoicism and faith when beaten bloody and dragged through Toledo:

I never felt such glory
As handcuffs on my wrists.
My body stunned and gory
With tooth marks on my wrists . . .

While Spain was on the verge of civil war the Campbells were confirmed into the Church by Cardinal Goma, Archbishop of Toledo and Primate of Spain, in a secret ceremony.

In July 1938 the Government’s red guards killed parliamentary opposition leader Calvo Sotel, the leader of the monarchists. Four days later the military under General Franco revolted against the Government to restore order and liberty of worship. With the Alcazar being a military academy, Toldeo was easily taken by Nationalist troops, and peasants from the surrounding countryside fled to the city for refuge. The Government militia from Madrid prepared to attack Toledo, and the Alcazar was bombed and shelled. The Campbells hid the archives of the Carmelite monks at their home for the duration of the civil war.

Seventeen Carmelite monks were herded into the streets by the red forces and shot. Among them was the Campbell’s father confessor who died with a smile and the shout of “Long live Christ’ Long live Spain!” (Father Easebio who had received the Campbells into the Church was also killed).

In Campbell’s excursion into the city he came across the Carmelites lying in the street and found the bodies of the Marista monks. Smeared in their blood on a wall was: “Thus strike and Cheka,” a reference to the Soviet secret police. In the city square religious artifacts from churches and private homes were tossed onto bonfires.

In the besieged Alaczar were 1000 soldiers and 700 civilians, mostly women and children. Under the Command of Colonel Moscardo they held out, even as the Colonel’s 24-year-old son Louis, captured by the Red forces, was compelled to telephone his father and say that he would be shot unless Alcazar was surrendered. In an epic of heroism and martyrdom that helped make Alcazar a shrine to this day the Colonel replied to his son: “Commend your soul to God, shout ‘Viva Espana!’ And die like a hero. The Alcazar will never surrender.”

The Campbells left Spain and returned to London. They felt isolated in England where most of the literati supported the “Left” in the Spanish civil war. The family soon moved to a fishing village in Portugal, a nation that retained the same spirit of faith and tradition as Spain.

Campbell returned to Spain as a correspondent for the British Catholic newspaper The Tablet and was given safe conduct to the Madrid front. His desire to enlist in the Nationalist forces was unsuccessful as the Nationalist authorities were insistent that he could do more good for the cause as a writer. He was decorated for saving life under fire on multiple occasions, met Franco, and was present at the Nationalist victory parade in Madrid.

The Civil War was to result in the murder of 12 bishops. 4,184 priests, 2,365 monks, and around 300 nuns. George Orwell who had gone to Spain along with others of the literati to fight with the Reds, was to remark that, “Churches were pillaged everywhere as a matter of course in six months in Spain I only saw two undamaged churches” (Homage to Catalonia).

Flowering Rifle

Campbell’s epic saga Flowering Rifle is a detailed explanation of his poetical credo, a tribute to his Catholicism, to Spain’s faith and martyrdom and also a condemnation of the British intelligentsia. It his introductory note Campbell explains that “humanitarianism” is the “ruling passion” of the British intelligentsia which

sides automatically with the Dog against the Man, the Jew against the Christian, the black against the white, the servant against the master, the criminal against the judge.

As a form of “moral perversion” it was natural that such humanitarians sided with Bolshevik mass murderers. The poem begins with a description of the (fascist) salute, the “opening palm, of victory” the sign, of “palms triumphant foresting the day.” By contrast is the clenched fist of communism, “a Life-constricting tetanus of fingers,” the sign of an “outworn age” under which “all must starve under the lowest Caste.” The Bloomsbury intelligentsia represents the connection between capitalism and communism. Behind these stand “the Yiddisher’s convulsive gold”: one of many allusions to the prominent role played by Jews in Communism and in the International Brigades.

Spain is heralded as a resurrected nation that might show the rest of Europe the path to regeneration and stand against Bolshevism “which no godless democracy could quell.” The martyrs of the Nationalist cause are described in mystical terms, each death “a splinter of the Cross,” each body building a Cathedral to the sky. Nobility is achieved through suffering and sacrifice, as Christ, the “Captain” suffered. But when suffering and sacrifice are eliminated from life mankind is “shunned by the angels as effete baboons.”

Primo de Rivera, the charismatic young leader of the Falangists who had been shot without trial while in the custody of the Leftist Government, was similarly eulogized:

Whose phoenix blood in generous libation
With fiery zest rejuvenates the nation . . .

The Marxist deaths on the other hand were vacuous, for their gods are economics, science, gold, and sex, and as exponents of abortion and birth control they are the essence of anti-life. But capitalism, is just as much a debasement of man, as communism:

To cheapen thus for slavery and hire
The racket of the Invert and the Jew
Which is through art and science to subdue.
Humiliate, and to pulp reduce
The Human Spirit for industrial use
Whether by Capital or by Communism
It’s all the same despite their seeming schisms

Those who are debased the most are, under democracy, elevated to positions of honor and state, elected by the voting masses who are mesmerized by the media and the literati, the politicians hang about the League of Nations

That sheeny club of communists and masons
He bombs the Arabs, when his Jews invade.

Britannia’s trident had become a “graveyard spade” while condemning Germany and Italy. “Who from the dead have raised more vital forces…” Franco, Mussolini, and Portugal’s Salazar had “muzzled up the soul destroying lie” of communism, and as Spain had shown, victory would come through nationhood, not League sanctions, wealth or arms. Meanwhile Britain shunned its unbought men, such as Campbell who brings “the tidings that Democracy is dead.”

When the Campbells traveled to Italy in 1938 the exiled Spanish king Alfonso XIII, who was greatly impressed with Flowering Rifle, cordially greeted them. Of course the British literati were outraged, and even some Catholics felt the poem lacked “charity.”

War Service

Campbell and his wife returned to Toledo in 1939, the Nationalists having triumphed. But there was now widespread famine. Mary opened a soup kitchen and refurbished the damaged chapel, and both literally gave their clothes away to help the distressed inhabitants. As the world war approached Campbell considered that there would be two great contending forces: Fascism and Communism. With the exception of what he considered to be a pagan orientation in Germany, the Fascist states were eminently Christian and allowed Christians the right to live, whereas Bolshevism simply killed and degraded everything, being the enemy of every form of religion.

However, despite his antagonism to the English bourgeoisie and democratic Britain, Campbell always had an admiration for the heroic spirit of the British Empire and a feeling for those Britons facing an enemy. He sought to enlist, although under no illusions about the justice of the Allied cause. His animosity by this time was against all systems, fascism, democracy, and bolshevism, which he dubbed as Fascidemoshevism.

His ideal was not the cumbersome state of any of these systems but that of small, self-reliant and co-operating, family based communities, like those he had experienced in Provence, Spain, and Portugal.

In the Moon of Short Rations Campbell considered the Allied cause to be that of both socialism and the multi-national corporations, twin figures of a universal sameness. He saw that the post-war world would be ever more depersonalized and mechanical. Campbell could not sit still or take a soft option as a number of his pro-war Left-wing intellectual accusers were doing while Britons marched to war. He lampooned these hypocrites such as Spender and Cecil Day-Lewis who had a job in the Ministry of Information, when they attacked his “fascism,” and he wrote The Volunteer’s Reply to the Poet stating:

It will be the same, but a bloody sight worse . . .
Since you have a hand in the game . . .
You coin us the catchwords and phrases
For which to be slaughtered . . .

However, because of his age and a bad hip Campbell, had to be content with the home guard until 1942 when he was recruited into the Army Intelligence Corps due to his skills in languages. Britain in wartime had in Campbell’s view awakened from its “drabness” to become again a “warrior nation.” Campbell was popular with the troops as a “grandfatherly” figure, and was stationed in East Africa. Contracting malaria and with a deteriorating hip condition necessitating the use of a cane, he was discharged with an “excellent military record”

The Post-War World

The England of the post-war years returned to its drab routine and worse still for Campbell, the prospects of an all-consuming welfare state. Campbell soon went back into fighting mode against the Left-wing poets with The Talking Bronco (a name that Spender had applied to him). Even Vita Sackville-West, calling Campbell “one of our most considerable living poets” acclaimed this volume. Desmond McCarthy writing in The Sunday Times regarded Campbell as “the most democratic poet,” not politically, but in his feeling for the common man and for the common soldier. Others were of course outraged. Cecil Day-Lewis believed Campbell should be sacked as a “fascist” from the job he now had as producer of the BBC talk programs, since he was not fit to “direct any civilized form of cultural expression.”

Campbell was horrified by the Allied victory that had placed half of Europe under the USSR. However, he was equally horrified by the rest of the world falling under the dominion of the multinational corporations and their creed of global consumerism, or what we today call globalization. For Campbell the Cold War was a contention between two equally internationalist forces.

His daughter Anna wrote in 1999 that Campbell admired all types of ethnic civilization as opposed to the mass conformity of Marxism and the globalization of the likes of MacDonalds and Coca-Cola. His concern was in “everything becoming the same.” He would have been “horrified by what the world has become now” she wrote.

Despite Campbell’s sensitivity to being called a “fascist,” he was unapologetically a man of the “Right,” of tradition and nationalism, and continued to forthrightly expound this position after the war in his poetry and essays. Writing in “A Decade in Retrospect” in the Jesuit journal The Month May 1950, he refers to the “Gaderene stampede” of progress for the want of two sensible standbys (a brake and a steering wheel). In “Tradition and Reaction,” he writes: “A body without reactions is a corpse. So is a Society without Tradition.”

In 1949 Campbell left his job with the BBC to take over the editorship of The Catacomb, founded by his close friend the poet Rob Lyie as a defense of Catholic and Classical traditions against socialism and secularism.

The Catacomb stopped publication in 1951. In 1952 the family moved to Portugal. Before leaving England, Campbell got together with a number of South African literary friends and signed an open letter to the South African Government protesting voting restrictions on the colored population. However, Campbell’s misgivings about the South African situation were not prompted by the liberal desire for a democratic, monocultural state. He feared that antagonism between the races would result in Bolshevism and the destruction of his rustic ideal. With the advent of Black rule, free market capitalism was ushered in on the wings of Marxism and revolution. Today the ANC today calls globalization and trade liberalization the “correct path to Marxism-Leninism.”

In 1954 his views on his native land were given when accepting an honorary doctorate from Natal. In an off the cuff speech, much to the embarrassment of the liberal audience, he defended South Africa against England’s condemnation of apartheid, ridiculing Churchill and Roosevelt, who had sold “two hundred million natives of Europe” to the far worse slavery of bolshevism.

While in the USA on a speaking tour he praised “the two greatest Yanks” Senator McCarthy and General MacArthur.

In April 1957 returning from Spain, Campbell and his wife had a motor accident. Campbell’s neck was broken, and he died at the scene. Mary survived him by 22 years.

Edith Sitwell who converted to Catholicism through the example of the Campbells, remarked: “He died as he had lived, like a flash of lightning.”

dimanche, 29 août 2010

Henry Williamson: Nature's Visionary

Henry Williamson: Nature’s Visionary

The fact that the name of Henry Williamson is today so little known across the White world is a sad reflection of the extent to which Western man has allowed himself to be deprived of his culture and identity over the last 50 years. Until the Second World War Williamson was generally regarded as one of the great English Nature writers, possessing a unique ability to capture the essential essence and meaning of the natural world in all its variety and forms.

His most famous Nature book, Tarka the Otter, was published in 1927 and became one of the best-loved children’s books of all time, with its vivid descriptions of animal and woodland life in the English countryside. It was publicly praised by leading English literary figures such as Thomas Hardy, Arnold Bennett, and John Galsworthy. Hardy called Tarka a “remarkable book,” while Bennett declared it to be “marvelous.” Even T. E. Lawrence, also known as Lawrence of Arabia, admitted that “the book did move me and gratify me profoundly.”

Tarka was awarded the coveted Hawthornden Prize for literature in 1928 and eventually attracted the interest of Walt Disney, who offered a small fortune for the film rights. Williamson, however, was concerned that such an arrangement might compromise his artistic integrity, and he rejected the offer.

Seventy years later, however, Tarka, like the majority of Williamson’s books, is relatively unknown and has only just become available in print again. The reason: Like several other leading European authors, Williamson was a victim of the Second World War. Not only did his naturalistic message conflict with the materialistic culture that has pervaded the Western world since 1945, but he himself was a political fighter who actively opposed the war on ideological grounds.

Born in Brockley, southeast London, in December 1895, Williamson was educated at Colfe’s Grammar School, Lewisham. He spent much of his early life exploring the nearby Kent countryside, where his love of Nature and animals and his artistic awareness and sensitivity were first stimulated. Never satisfied unless he had seen things for himself, he always made sure that he studied things closely enough to get the letter as well as the spirit of reality. This enabled him to develop a microscopic observational ability which came to dominate his life.

Williamson joined the British Army at the outbreak of war in 1914 and fought at the Battle of the Somme and at Passchendaele, where he was seriously wounded. It was this experience as a frontline soldier which was the redefining moment in his life and artistic development, stimulating in him a lifelong Faustian striving to experience and comprehend the “life flow” permeating his own, and all, existence.

His spiritual development continued after the war. In 1919 he read for the first time the visionary The Story of My Heart, which was written by the English Nature writer Richard Jefferies and published in 1893. For Williamson, discovering Jefferies acted as a liberation of his consciousness, stimulating all the stored impressions of his life to return and reveal a previously smothered and overlaid self. It was not just an individual self that he discovered, however, but a racial self in which he began to recognize his existence as but a link in an eternal chain that reached back into the mists of time, and which — if it were permitted — would carry on forever.

Williamson sensed this truth in his own feeling of oneness with Nature and the ancient, living, breathing Universe as represented by the life-giving sun. It also was reflected in his idea of mystical union between the eternal sunlight and the long history of the earth. For Williamson the ancient light of the sun was something “born in me” and represented the real meaning of his own existence by illuminating his ancestral past and revealing the truth of redemption through Nature. Like Jefferies before him, Williamson “came to feel the long life of the earth back in the dimmest past while the sun of the moment was warm on me … This sunlight linked me through the ages to that past consciousness. From all the ages my soul desired to take that soul-life which had flowed through them as the sunbeams had continually found an earth.” [1]

After the war Williamson became a journalist for a time while beginning work on his first novel, The Beautiful Years (1922). Finally he decided to break all contact with London and in 1922 moved to an ancient cottage in Georgham, North Devon, which had been built in the days of King John. Living alone and in hermit fashion at first, Williamson disciplined himself to study Nature with the same meticulous observations as Jefferies, tramping about the countryside and often sleeping out. The door and windows of the cottage were never closed, and his strange family of dogs and cats, gulls, buzzards, magpies, and one otter cub were free to come and go as they chose.

It was his experiences with the otter cub which stimulated Williamson to write Tarka. He had rescued it after its mother had been shot by a farmer, and he saved its life by persuading his cat to suckle it along with her kitten. Eventually the otter cub was domesticated and became Williamson’s constant companion, following him around like a dog. On one walk, however, it walked into a rabbit trap, panicked, and ran off. Williamson spent years following otters’ haunts in the rivers Taw and Torridge, hunting for his lost pet.

The search was in vain, but his intimate contact with the animal world gave him the inspiration for Tarka: “The eldest and biggest of the litter was a dog cub, and when he drew his first breath he was less than five inches long from his nose to where his tail joined his back-bone. His fur was soft and grey as the buds of the willow before they open up at Eastertide. He was called Tarka, which was the name given to the otters many years ago by men dwelling in hut circles on the moor. It means Little Water Wanderer, or Wandering as Water.”

Williamson never attempted to pass any kind of moral judgment on Nature and described its evolutionary realities in a manner reminiscent of Jack London:

Long ago, when moose roamed in the forest at the mountain of the Two Rivers, otters had followed eels migrating from ponds and swamps to the seas. They had followed them into shallow waters; and one fierce old dog had run through the water so often that he swam, and later, in his great hunger, had put under his head to seize them so often that he dived. Other otters had imitated him. The moose are gone, and their bones lie under the sand in the soft coal which was the forest by the estuary, thousands of years ago. Yet otters have not been hunters in water long enough for the habit to become an instinct.

Williamson actually rewrote Tarka 17 times, “always and only for the sake of a greater truth.” [2] Mere polishing for grace and expression or literary style did not interest him, and he strove always to illuminate a scene or incident with what he considered was authentic sunlight.

He also believed that European man could be spiritually healthy and alive to his destiny only by living in close accord with Nature. Near the end of Tarka, for instance, he delightfully describes how “a scarlet dragonfly whirred and darted over the willow snag, watched by a girl sitting on the bank … Glancing round, she realized that she alone had seen the otter. She flushed, and hid her grey eyes with her lashes. Since childhood she had walked the Devon rivers with her father looking for flowers and the nests of birds, passing some rocks and trees as old friends, seeing a Spirit everywhere, gentle in thought to all her eyes beheld.”

Williamson’s sequel to Tarka was Salar the Salmon, which was also the result of many months of intimate research and observation of Nature in the English countryside. Then came The Lone Swallow, The Peregrine’s Saga, Life in a Devon Village, and A Clear Water Stream, all of which, in the eyes of the English writer Naomi Lewis, displayed “a crystal intensity of observation and a compelling use of words, which exactly match the movement and life that he describes.”

To Williamson himself, however, his Nature stories were not the most important part of his literary output. His greatest effort went into his two semi-autobiographical novel groups, the tetralogy collected as The Flax of Dreams, which occupied him for most of the 1920s, and the 15-volume A Chronicle of Ancient Sunlight, which began with The Dark Lantern in 1951 and ended with The Gale of the World in 1969.

Williamson’s experiences during the First World War had politicized him for life. A significant catalyst in this development was the Christmas truce of 1914, when British and German frontline soldiers spontaneously left their trenches, abandoned the fighting, and openly greeted each other as brothers.

Williamson later spoke of an “incoherent sudden realization, after the fraternization of Christmas Day, that the whole war was based on lies.” Another experience that consolidated this belief was when a German officer helped him remove a wounded British soldier who was draped over barbed wire on the front line. He was thus able to contrast his own wartime experiences with the vicious anti-German propaganda orchestrated by the British political establishment both during and after the war, and he was able to recognize the increasing moral bankruptcy of that establishment. In Williamson’s view the fact that over half of the 338 Conservative Members of Parliament who dominated the 1918 governing coalition were company directors and financiers who had grown rich from war profits was morally wrong and detestable.

This recognition, in itself a reflection of an already highly developed sense of altruism, meant that Williamson could never be content with just isolating himself in the countryside. He had to act to try to change the world for the better. Perhaps not surprisingly he came to see in the idea of National Socialism a creed which not only represented his own philosophy of life, but which offered the chance of practical salvation for Western Civilization. He saw it as evolving directly from the almost religious transcendence which he, and thousands of soldiers of both sides, had experienced in the trenches of the First World War. This transcendence resulted in a determination that the “White Giants” of Britain and Germany would never go to war against each other again, and it rekindled a sense of racial kinship and unity of the Nordic peoples over and above separate class and national loyalties. [3]

Consequently, not only was Williamson one of the first of the “phoenix generation” to swear allegiance to Oswald Mosley and the British Union of Fascists, but he quickly came to believe that National Socialist Germany, under the leadership of Adolf Hitler, pointed the way forward for European man. Williamson identified closely with Hitler — “the great man across the Rhine whose life symbol is the happy child,” seeing him as a light-bringing phoenix risen from the chaos of European civilization in order to bring a millennium of youth to the dying Western world. [4]

Williamson visited Germany in 1935 to attend the National Socialist Congress at Nuremberg and saw there the beginnings of the “land fit for heroes” which had been falsely promised the young men of Britain during the First World War by the government’s war propagandists. He was very impressed by the fact that, while the British people continued to languish in poverty and mass unemployment, National Socialism had created work for seven million unemployed, abolished begging, freed the farmers from the mortgages which had strangled production, developed laws on conservation, and, most importantly, had developed in a short period of time a deep sense of racial community. [5]

Inspired to base their lives on a religious idea, Williamson believed that the German people had been reborn with a spiritual awareness and physical quality that he himself had long sought. Everywhere he saw “faces that looked to be breathing extra oxygen; people free from mental fear.” [6]

Through the Hitler Youth movement, which brought back fond memories of his own time as a Boy Scout, he recognized “the former pallid leer of hopeless slum youth transformed into the suntan, the clear eye, the broad and easy rhythm of the poised young human being.”

In Hitler’s movement Williamson identified not only an idea consistent with Nature’s higher purpose to create order out of chaos, but the physical encapsulation of a striving toward Godhood. Influenced by his own lifelong striving for perfection, Williamson believed that the National Socialists represented “a race that moves on the poles of mystic, sensual delight. Every gesture is a gesture from the blood, every expression a symbolic utterance … Everything is of the blood, of the senses.” [7]

Williamson always believed that any spiritual improvement could only take place as a result of a physical improvement, and, like his mentor Richard Jefferies, he was a firm advocate of race improvement through eugenics. He himself was eventually to father seven children, and he decried the increasing lack of racial quality in the mass of the White population. He urged that “the physical ideal must be kept steadily in view” and called for the enforcement of a discipline and system along the lines of ancient Sparta in order to realize it. [8]

In 1936 Williamson and his family moved to Norfolk, where he threw himself into a new life as a farmer, the first three years of which are described in The Story of a Norfolk Farm (1941). But with the Jews increasingly using England as a base from which to agitate for war against Germany, Williamson remained very active through his membership in the British Union of Fascists in promoting the idea of Anglo-German friendship. Until it was banned in 1940, Williamson wrote eight articles for the party newspaper Action and had 13 extracts reprinted from his book The Patriot’s Progress. He called consistently for Hitler to be given “that amity he so deserved from England,” so as to prevent another brothers’ war that would see the victory only of Asiatic Bolshevism and the enslavement of Europe. On September 24, 1939, for instance, he wrote of his continuing conviction that Hitler was “determined to do and create what is right. He is fighting evil. He is fighting for the future.”

Williamson viewed the declaration of war on Germany by Britain and France as a spiteful act of an alien system that was determined to destroy the prospect of a reborn and regenerated European youth. And his continued opposition to it led to his arrest and internment in June 1940, along with Mosley and hundreds of others. His subsequent release on parole was conditional upon his taking no further action to oppose the war. Silently, however, Williamson remained true to his convictions. Visiting London in January 1944, he observed with satisfaction that the ugliness and immorality represented by its financial and banking sector had been “relieved a little by a catharsis of high explosive” and somewhat “purified by fire.”

National Socialism’s wartime defeat, however, dealt Williamson a heavy blow. Decrying the death struggle of “the European cousin nations” he lamented that “the hopes that have animated or agitated my living during the past thirty years and four months are dead.” [9]

Consequently, his first marriage broke up in 1947, and he returned to North Devon to live in the hilltop hut which he had bought in 1928 with the prize money from Tarka.

But it was not in Williamson’s character to give up on what he knew to be true and right, and, as his most recent biographer makes clear, he never recanted his ideas about Hitler. [10]

On the contrary, he continued to publicly espouse what he believed, and he fervently contested the postwar historical record distorted by false Jewish propaganda — even though his effort resulted, as he realized it would, in his continued literary ostracism.

In The Gale of the World, the last book of his Chronicle, published in 1969, Williamson has his main character Phillip Maddison question the moral and legal validity of the Nuremberg Trials. Among other things, he muses why the Allied officers who ordered the mass fire bombing of Germany, and the Soviet generals who ordered the mass rape and mass murder during the battle for Berlin, were not on trial; and whether it would ever be learned that the art treasures found in German salt mines were put there purely to be out of the way of the Allied bombing. He also questions the official view of the so called “Holocaust,” stating his belief that rather than being the result of a mass extermination plan, the deaths in German concentration camps were actually caused by typhus brought about by the destruction of all public utility systems by Allied bombing.

In the book Williamson also reiterates his belief that Adolf Hitler was never the real enemy of Britain. And in one scene Phillip Maddison, in conversation with his girl friend Laura, questions whether it was Hitler’s essential goodness and righteousness that was responsible for his downfall in the midst of evil and barbarity:

Laura: I have a photograph of Hitler with the last of his faithful boys outside the bunker in Berlin. He looks worn out, but he is so gentle and kind to those twelve- and thirteen-year-old boys.

Phillip: Too gentle and kind Laura … Now the faithful will be hanged.

Williamson also remained loyal in the realm of political ideas and action. When Oswald Mosley had returned to public life in Britain in 1948 by launching the Union Movement, Williamson was one of the first to give his support for an idea which he had long espoused: the unity of Western man. Contributing an article to the first issue of the movement’s magazine, The European, he called for the development of a new type of European man with a set of spiritual values that were in tune with himself and Nature.

Such positive and life-promoting thinking did not endear Williamson to the powers that be in the gray and increasingly decadent cultural climate of post-Second World War Britain. His books were ignored, and his artistic achievement remained unrecognized, with even the degrees committee at the university to which he was a benefactor twice vetoing a proposal to award him an honorary doctorate. The evidence suggests, in fact, that Williamson was subject to a prolonged campaign of literary ostracism by people inside the British establishment who believed he should be punished for his political opinions.

For Williamson, however, the machinations of trivial people in a trivial age were irrelevant; what was important was that he remained true in the eyes of posterity to himself, his ancestors, and the eternal truth which he recognized and lived by. In fact, as one observer described him during these later years, he remained a “lean, vibrant, almost quivering man with … blazing eyes, possessing an exceptional presence [and a] … continued outspoken admiration for Hitler … as a ‘great and good man.’” [11]

Certainly, Williamson knew himself, and he knew what was necessary for Western man to find himself again and to fulfill his destiny. In The Gale of the World he cited Richard Jefferies to emphasize that higher knowledge by which he led his life and by which he was convinced future generations would have to lead their lives in order to attain the heights that Nature demanded of them: “All the experience of the greatest city in the world could not withhold me. I rejected it wholly. I stood bare-headed in the sun, in the presence of earth and air, in the presence of the immense forces of the Universe. I demand that which will make me more perfect now this hour.”

Henry Williamson’s artistic legacy must endure because, as one admirer pondered in his final years, his visionary spirit and striving “came close to holding the key to life itself.”

He died on August 13, 1977, aged 81.

Notes

[1] Ann Williamson, Henry Williamson: Tarka and the Last Romantic, (London, 1995), 65.

[2] Eleanor Graham, “Introduction” to the Penguin edition of Tarka the Otter (1985).

[3] Higginbottom, Intellectuals and British Fascism , (London, 1992), 10.

[4] Henry Williamson, The Flax of Dreams (London, 1936) and The Phoenix Generation (London, 1961).

[5] Henry Williamson, A Solitary War (London, 1966).

[6] Higginbotham, op. cit., 41-42.

[7] J. W. Blench, Henry Williamson and the Romantic Appeal of Fascism , (Durham, 1988).

[8] Henry Williamson, The Children of Shallow Ford, (London, 1939).

[9] Higginbotham, op. cit., 49.

[10] Ann Williamson, op. cit., 195.

[11] Higginbotham, op. cit., 53.

National Vanguard, 117 (1997), 17-20.

http://library.flawlesslogic.com/nv.html

lundi, 23 août 2010

Paganismo y filosofia de la vida en Knut Hamsun y D. H. Lawrence

Paganismo y filosofía de la vida en Knut Hamsun y D.H. Lawrence

Knut Hamsun en "Dikterstuen", Nørholm, 1930

Robert Steuckers*

 

El filólogo húngaro Akos Doma, formado en Alemania y los Estados Unidos, acaba de publicar una obra de exégesis literaria, en el que hace un paralelismo entre las obras de Hamsun y Lawrence. El punto en común es una “crítica de la civilización”. Concepto que, obviamente, debemos aprehender en su contexto. En efecto, la civilización sería un proceso positivo desde el punto de vista de los “progresistas”, que entienden la historia de forma lineal. En efecto, los partidarios de la filosofía del Aufklärung y los adeptos incondicionales de una cierta modernidad tienden a la simplificación, la geometrización y la “cerebrización”. Sin embargo, la civilización se nos muestra como un desarrollo negativo para todos aquellos que pretenden conservar la fecundidad inconmensurable de los veneros culturales, para quienes constatan, sin escandalizarse por ello, que el tiempo es plurimorfo; es decir, que el tiempo para una cultura no coincide con el de otra, en contraposición a los iluministas quienes se afirman en la creencia de un tiempo monomorfo y aplicable a todos los pueblos y culturas del planeta. Cada pueblo tiene su propio tiempo. Si la modernidad rechaza esta pluralidad de formas del tiempo, entonces entramos irremisiblemente en el terreno de lo ilusorio. 

Desde un cierto punto de vista, explica Akos Doma, Hamsun y Lawrence son herederos de Rousseau. Pero, ¿de qué Rousseau? ¿Quién que ha sido estigmatizado por la tradición maurrasiana (Maurras, Lasserre, Muret) o aquél otro que critica radicalmente el Aufklärung sin que ello comporte defensa alguna del Antiguo Régimen? Para el Rousseau crítico con el iluminismo, la ideología moderna es, precisamente, el opuesto real del concepto ideal en su concepción de la política: aquél es antiigualitario y hostil a la libertad, aunque reivindique la igualdad y la libertad. Antes de la irrupción de la modernidad a lo largo del siglo XVIII, para Rousseau y sus seguidores prerrománticos, existiría una “comunidad sana”, la convivencia reinaría entre los hombres y la gente sería “buena” porque la naturaleza es “buena”. Más tarde, entre los románticos que, en el terreno político, son conservadores, esta noción de “bondad” seguirá estando presente, aunque en la actualidad tal característica se considere en exclusiva patrimonio de los activistas o pensadores revolucionarios. La idea de “bondad” ha estado presente tanto en la “derecha” como en “izquierda”.

Sin embargo, para el poeta romántico inglés Wordsworth, la naturaleza es “el marco de toda experiencia auténtica”, en la medida en que el hombre se enfrenta de una manera real e inmediatamente con los elementos, lo que implícitamente nos conduce más allá del bien y del mal. Wordsworth es, en cierta forma, un “perfectibilista”: el hombre fruto de su visión poética alcanza lo excelso, la perfección; pero dicho hombre, contrariamente a lo que pensaban e imponían los partidarios de las Luces, no se perfecciona sólo con el desarrollo de las facultades de su intelecto. La perfección humana requiere sobre todo pasar por la prueba de lo elemental natural. Para Novalis, la naturaleza es “el espacio de la experiencia mística, que nos permite ver más allá de las contingencias de la vida urbana y artificial”. Para Eichendorff, la naturaleza es la libertad y, en cierto sentido, una trascendencia, pues permite escapar a los corsés de las convenciones e instituciones.

Con Wordsworth, Novalis y Eichendorff, las cuestiones de lo inmediato, de la experiencia vital, del rechazo de las contingencias surgidas de la artificialidad de los convencionalismos, adquieren un importante papel. A partir del romanticismo se desarrolla en Europa, sobre todo en Europa septentrional, un movimiento hostil hacia toda forma moderna de vida social y económica. Carlyle, por ejemplo, cantará el heroísmo y denigrará a la “cash flow society”. Aparece la primera crítica contra el reino del dinero. John Ruskin, con sus proyectos de arquitectura orgánica junto a la concepción de ciudades-jardín, tratará de embellecer las ciudades y reparar los daños sociales y urbanísticos de un racionalismo que ha desembocado en puro manchesterismo. Tolstoi propone una naturalismo optimista que no tiene como punto de referencia a Dostoievski, brillante observador este último de los peores perfiles del alma humana. Gauguin transplantará su ideal de la bondad humana a la Polinesia, a Tahití, en plena naturaleza.

Hamsun y Lawrence, contrariamente a Tolstoi o a Gauguin, desarrollarán una visión de la naturaleza carente de teología, sin “buen fin”, sin espacios paradisiacos marginales: han asimilado la doble lección del pesimismo de Dostoievski y Nietzsche. La naturaleza en éstos no es un espacio idílico propicio para excursiones tal y como sucede con los poetas ingleses del Lake District. La naturaleza no sólo no es un espacio necesariamente peligroso o violento, sino que es considerado apriorísticamente como tal. La naturaleza humana en Hamsun y Lawrence es, antes de nada, interioridad que conforma los resortes interiores, su disposición y su mentalidad (tripas y cerebro inextricablemente unidos y confundidos). Tanto en Hamsun como en Lawrence, la naturaleza humana no es ni intelectualidad ni demonismo. Es, antes de nada, expresión de la realidad, realidad traducción inmediata de la tierra, Gaia; realidad en tanto que fuente de vida.

 

D H Lawrence

Frente a este manantial, la alienación moderna conlleva dos actitudes humanas opuestas: 1.º necesidad de la tierra, fuente de vitalidad, y 2.º zozobra en la alienación, causa de enfermedades y esclerosis. Es precisamente en esa bipolaridad donde cabe ubicar las dos grandes obras de Hamsun y de Lawrence: Bendición de la tierra, para el noruego, y El arcoiris del inglés.
En Bendición de la tierra de Hamsun, la naturaleza constituye el espacio el trabajo existencial donde el hombre opera con total independencia para alimentarse y perpetuarse. No se trata de una naturaleza idílica, como sucede en ciertos utopistas bucólicos, y además el trabajo no ha sido abolido. La naturaleza es inabarcable, conforma el destino, y es parte de la propia humanidad de tal forma que su pérdida comportaría deshumanización. El protagonista principal, el campesino Isak, es feo y desgarbado, es tosco y simple, pero inquebrantable, un ser limitado, pero no exento de voluntad. El espacio natural, la Wildnis, es ese ámbito que tarde o temprano ha de llevar la huella del hombre; no se trata del espacio o el reino del hombre convencional o, más exactamente, el acotado por los relojes, sino el del ritmo de las estaciones, con sus ciclos periódicos. En dicho espacio, en dicho tiempo, no existen interrogantes, se sobrevive para participar al socaire de un ritmo que nos desborda. Ese destino es duro. Incluso llega a ser muy duro. Pero a cambio ofrece independencia, autonomía, permite una relación directa con el trabajo. Otorga sentido, porque tiene sentido. En El arcoiris, de Lawrence, una familia vive de forma independiente de la tierra con el único beneficio de sus cosechas.

Hamsun y Lawrence, en estas dos novelas, nos legan la visión de un hombre unido al terruño (ein beheimateter Mensch), de un hombre anclado a un territorio limitado. El beheimateter Mensch ignora el saber libresco, no tiene necesidad de las prédicas de los medios informativos, su sabiduría práctica le es suficiente; gracias a ella, sus actos tienen sentido, incluso cuando fantasea o da rienda suelta a los sentimientos. Ese saber inmediato, además, le procura unidad con los otros seres.

Desde una óptica tal, la alienación, cuestión fundamental en el siglo XIX, adquiere otra perspectiva. Generalmente se aborda el problema de la alienación desde tres puntos de vista doctrinales:

1.º Según el punto de vista marxista e historicista, la alienación se localizaría únicamente en la esfera social, mientras que para Hamsun o Lawrence, se sitúa en la naturaleza interior del hombre, independientemente de su posición social o de su riqueza material.

2.º La alienación abordada a partir de la teología o la antropología.

3.º La alienación percibida como una anomalía social.

 

D H Lawrence

En Hegel, y más tarde en Marx, la alienación de los pueblos o de las masas es una etapa necesaria en el proceso de adecuación gradual entre la realidad y el absoluto. En Hamsun y Lawrence, la alienación es un concepto todavía más categórico; sus causas no residen en las estructuras socioeconómicas o políticas, sino en el distanciamiento con respecto a las raíces de la naturaleza (que no es, en consecuencia, una “buena” naturaleza). No desaparecerá la alienación con la simple instauración de un nuevo orden socioeconómico. En Hamsun y Lawrence, señala Doma, es el problema de la desconexión, de la cesura, el que tiene un rango esencial. La vida social ha devenido uniforme, desemboca en la uniformidad, la automatización, la funcionalización a ultranza, mientras que la naturaleza y el trabajo integrado en el ciclo de la vida no son uniformes y requieren en todo momento la movilización de energías vitales. Existe inmediatez, mientras que en la vida urbana, industrial y moderna todo está mediatizado, filtrado. Hamsun y Lawrence se rebelan contra dichos filtros.

Para Hamsun y, en menor medida, Lawrence las fuerzas interiores cuentan para la “naturaleza”. Con la llegada de la modernidad, los hombres están determinados por factores exteriores a ellos, como son los convencionalismos, la lucha política y la opinión pública, que ofrecen una suerte de ilusión por la libertad, cuando en realidad conforman el escenario ideal para todo tipo de manipulaciones. En un contexto tal, las comunidades acaba por desvertebrarse: cada individuo queda reducido a una esfera de actividad autónoma y en concurrencia con otros individuos. Todo ello acaba por derivar en debilidad, aislamiento y hostilidad de todos contra todos.

Los síntomas de esta debilidad son la pasión por las cosas superficiales, los vestidos refinados (Hamsun), signo de una fascinación detestable por lo externo; esto es, formas de dependencia, signos de vacío interior. El hombre quiebra por efecto de presiones exteriores. Indicios, al fin y a la postre, de la pérdida de vitalidad que conlleva la alienación.
En el marco de esta quiebra que supone la vida urbana, el hombre no encuentra estabilidad, pues la vida en las ciudades, en las metrópolis, es hostil a cualquier forma de estabilidad. El hombre alienado ya no puede retornar a su comunidad, a sus raíces familiares. Así Lawrence, con un lenguaje menos áspero pero acaso más incisivo, escribe: “He was the eternal audience, the chorus, the spectator at the drama; in his own life he would have no drama” (“Era la audiencia eterna, el coro, el espectador del drama; pero en su propia vida, no había drama alguno”); “He scarcely existed except through other people” (“Apenas existía, salvo en medio de otras personas”); “He had come to a stability of nullification” (“Había llegado a una estabilidad que lo había anulado”).

En Hamsun y Lawrence, el Ent-wurzelung y el Unbehaustheit, el desarraigo y la carencia de hogar, esa forma de vivir sin fuego, constituye la gran tragedia de la humanidad de finales del siglo XIX y principios del XX. Para Hamsun el hogar es vital para el hombre. El hombre debe tener hogar. El hogar de su existencia. No se puede prescindir del hogar sin autoprovocarse una profunda mutilación. Mutilación de carácter psíquico, que conduce a la histeria, al nerviosismo, al desequilibro. Hamsun es, al fin y al cabo, un psicólogo. Y nos dice: la conciencia de sí es a menudo un síntoma de alienación. Schiller, en su ensayo Über naive und sentimentalische Dichtung, señalaba que la concordancia entre sentir y pensar era tangible, real e interior en el hombre natural, al contrario que en el hombre cultivado que es ideal y exterior (“La concordancia entre sensaciones y pensamiento existía antaño, pero en la actualidad sólo reside en el plano ideal. Esta concordancia no reside en el hombre, sino que existe exteriormente a él; se trata de una idea que debe ser realizada, no un hecho de su vida”).

Schiller aboga por una Überwindung (superación) de dicha quiebra a través de una movilización total del individuo. El romanticismo, por su parte, considerará la reconciliación entre Ser (Sein) y conciencia (Bewußtsein) como la forma de combatir el reduccionismo que trata de arrinconar la conciencia bajo los corsés de entendimiento racional. El romanticismo valorará, e incluso sobrevalorará, al “otro” con relación a la razón (das Andere der Vernunft): percepción sensual, instinto, intuición, experiencia mística, infancia, sueño, vida bucólica. Wordsworth, romántico inglés, representante “rosa” de dicha voluntad de reconciliación entre Ser y conciencia, defenderá la presencia de “un corazón que observe y apruebe”. Dostoievski no compartirá dicha visión “rosa” y desarrollará una concepción “negra”, donde el intelecto es siempre causa de mal, y el “poseso” un ser que tenderá a matar o a suicidarse. En el plano filosófico, tanto Klages como Lessing retomarán por su cuenta esta visión “negra” del intelecto, profundizando, no obstante, en la veta del romanticismo naturalista: para Klages, el espíritu es enemigo del alma; para Lessing, el espíritu es la contrapartida de la vida, que surge de la necesidad (“Geist ist das notgeborene Gegenspiel des Lebens”).

Lawrence, fiel en cierto sentido a la tradición romántica inglesa de Wordsworth, cree en una nueva adecuación del Ser y la conciencia. Hamsun, más pesimista, más dostoievskiano (de ahí su acogida en Rusia y su influencia en los autores llamados ruralistas, como Vasili Belov y Valentín Rasputín), nunca dejará de pensar que desde que hay conciencia, hay alienación. Desde que el hombre comienza a reflexionar sobre sí mismo, se desliga de la continuidad que confiere la naturaleza y a la cual debiera estar siempre sujeto. En los ensayos de Hamsun, encontramos reflexiones sobre la modernidad literaria. La vida moderna, ha escrito, influye, transforma, lleva al hombre a arrancarlo de su destino, a apartarlo de su punto de llegada, de sus instintos, más allá del bien y del mal. La evolución literaria del siglo XIX muestra una fiebre, un desequilibrio, un nerviosismo, una complicación extrema de la psicología humana. “El nerviosismo general (ambiente) se ha adueñado de nuestro ser fundamental y se ha fijado en nuestra vida sentimental”. El escritor se nos muestra así, al estilo de un Zola, como un “médico social” encargado de diagnosticar los males sociales con objeto de erradicar el mal. El escritor, el intelectual, se embarca en una tarea misionera que trata de llegar a una “corrección política”.

 

Nietzsche con el uniforme de artillero prusiano, 1868

Frente a esta visión intelectual del escritor, el reproche de Hamsun señala la imposibilidad de definir objetivamente la realidad humana, pues un “hombre objetivo” es, en sí mismo, una monstruosidad (ein Unding), un ser construido como si de un mecano se tratase. No podemos reducir al hombre a un compendio de características, pues el hombre es evolución, ambigüedad. El mismo criterio encontramos en Lawrence: “Now I absolutely flatly deny that I am a soul, or a body, or a mind, or an intelligence, or a brain, or a nervous system, or a bunch of glands, or any of the rest of these bits of me. The whole is greater than the part” (“Bien, yo niego absoluta y francamente ser un alma, o un cuerpo, o un espíritu, o una inteligencia, o un cerebro, o un sistema nervioso, o un conjunto de glándulas, o cualquier otra parte de mí mismo. El todo es más grande que las partes”). Hamsun y Lawrence ilustran en sus obras la imposibilidad de teorizar o absolutizar una visión diáfana del hombre. El hombre no puede ser vehículo de ideas preconcebidas. Hamsun y Lawrence confirman que los progresos en la conciencia de uno mismo no conllevan procesos de emancipación espiritual, sino pérdidas, despilfarro de la vitalidad, del tono vital. En sus novelas, son las figuras firmes (esto es, las que están arraigadas a la tierra) las que logran mantenerse, las que triunfan más allá de los golpes de suerte o las circunstancias desgraciadas.

No se trata, en absoluto, repetimos, de vidas bucólicas o idílicas. Los protagonistas de las novelas de Hamsun y Lawrence son penetrados o atraídos por la modernidad, los cuales, pese a su irreductible complejidad, pueden sucumbir, sufren, padecen un proceso de alienación, pero también pueden triunfar. Y es precisamente aquí donde intervienen la ironía de Hamsun o la idea del “Fénix” de Lawrence. La ironía de Hamsun taladra los ideales abstractos de las ideologías modernas. En Lawrence, la recurrente idea del “Fénix” supone una cierta dosis de esperanza: habrá resurrección. Es la idea de Ave Fénix, que renace de sus propias cenizas.

El paganismo de Hamsun y Lawrence

Si dicha voluntad de retorno a una ontología natural es fruto de un rechazo del intelectualismo racionalista, ello implica al mismo tiempo una contestación de calado al mensaje cristiano.

En Hamsun, se ve con claridad el rechazo del puritanismo familiar (concretado en la figura de su tío Han Olsen) y el rechazo al culto protestante por los libros sagrados; esto es, el rechazo explícito de un sistema de pensamiento religioso que prima el saber libresco frente a la experiencia existencial (particularmente la del campesino autosuficiente, el Odalsbond de los campos noruegos). El anticristianismo de Hamsun es, fundamentalmente, un acristianismo: no se plantea dudas religiosas a lo Kierkegaard. Para Hamsun, el moralismo del protestantismo de la era victoriana (de la era oscariana, diríamos para Escandinavia) es simple y llanamente pérdida de vitalidad. Hamsun no apuesta por experiencia mística alguna.

Lawrence, por su parte, percibe la ruptura de toda relación con los misterios cósmicos. El cristianismo vendría a reforzar dicha ruptura, impediría su cura, imposibilitaría su cicatrización. En este sentido, la religiosidad europea aún conservaría un poso de dicho culto al misterio cósmico: el año litúrgico, el ciclo litúrgico (Pascua, Pentecostés, Fuego de San Juan, Todos los Santos, Navidad, Fiesta de los Reyes Magos). Pero incluso éste ha sido aherrojado como consecuencia de un proceso de desencantamiento y desacralización, cuyo comienzo arranca en el momento mismo de la llegada de la Iglesia cristiana primitiva y que se reforzará con los puritanismos y los jansenismos segregados por la Reforma. Los primeros cristianos se plantearon como objetivo apartar al hombre de sus ciclos cósmicos. La Iglesia medieval, por el contrario, quiso adecuarse, pero las Iglesias protestantes y conciliares posteriores han expresado con claridad su voluntad de regresar al anticosmicismo del cristianismo primitivo. En este sentido, Lawrence escribe: “But now, after almost three thousand years, now that we are almost abstracted entirely from the rhythmic life of the seasons, birth and death and fruition, now we realize that such abstraction is neither bliss nor liberation, but nullity. It brings null inertia” (“Pero hoy, después de tres mil años, después que estamos casi completamente abstraídos de la vida rítmica de las estaciones, del nacimiento, de la muerte y de la fecundidad, comprendemos al fin que tal abstracción no es ni una bendición ni una liberación, sino pura nada. No nos aporta otra cosa que inercia”). Esta ruptura es consustancial al cristianismo de las civilizaciones urbanas, donde no hay apertura alguna hacia el cosmos. Cristo no es un Cristo cósmico, sino un Cristo rebajado al papel de asistente social. Mircea Eliade, por su parte, se ha referido a un “hombre cósmico”, abierto a la inmensidad del cosmos, pilar de todas las grandes religiones. En la perspectiva de Eliade, lo sagrado es lo real, el poder, la fuente de vida y de la fertilidad. Eliade nos ha dejado escrito: “El deseo del hombre religioso de vivir una vida en el ámbito de lo sagrado es el deseo de vivir en la realidad objetiva”.

Knut Hamsun, 1927

La lección ideológica y política de Hamsun y Lawrence

En el plano ideológico y político, en el plano de la Weltanschauung, las obras de Hamsun y de Lawrence han tenido un impacto bastante considerable. Hamsun ha sido leído por todos, más allá de la polaridad comunismo/fascismo. Lawrence ha sido etiquetado como “fascista” a título póstumo, entre otros por Bertrand Russell que llegó incluso a referirses a su “madness”: “Lawrence was a suitable exponent of the Nazi cult of insanity” (“Lawrence fue un exponente típico del culto nazi a la locura”). Frase tan lapidaria como simplista. Las obras de Hamsun y de Lawrence, sgún Akos Doma, se inscriben en un cuádruple contexto: el de la filosofía de la vida, el de los avatares del individualismo, el de la tradición filosófica vitalista, y el del antiutopismo y el irracionalismo.

1.º La filosofía de la vida (Lebensphilosophie) es un concepto de lucha, que opone la “vivacidad de la vida real” a la rigidez de los convencionalismos, a los fuegos de artificio inventados por la civilización urbana para tratar de orientar la vida hacia un mundo desencantado. La filosofía de la vida se manifiesta bajo múltiples rostos en el contexto del pensamiento europeo y toma realmente cuerpo a partir de la reflexiones de Nietzsche sobre la Leiblichkeit (corporeidad).

2.º El individualismo. La antropología hamsuniana postula la absoluta unidad de cada individuo, de cada persona, pero rechaza el aislamiento de ese individuo o persona de todo contexto comunitario, familiar o carnal: sitúa a la persona de una manera interactiva, en un lugar preciso. La ausencia de introspección especulativa, de conciencia y de intelectualismo abstracto hacen incompatible el individualismo hamsuniano con la antropología segregada por el Iluminismo. Para Hamsun, sin embargo, no se combate el individualismo iluminista sermoneando sobre un colectivismo de contornos ideológicos. El renacimiento del hombre auténtico pasa por una reactivación de los resortes más profundos de su alma y de su cuerpo. La suma cuantitativa y mecánica es una insuficiencia calamitosa. En consecuencia, la acusación de “fascismo” hacia Lawrence y Hamsun no se sostiene en pie.

3.º El vitalismo tiene en cuenta todos los acontecimientos de la vida y excluye cualquier jerarquización de base racial, social, etc. Las oposiciones propias del vitalismo son: afirmación de la vida / negación de la vida; sano / enfermo; orgánico / mecánico. De ahí, que no se pueda reconducirlas a categorías sociales, a categorías políticas convencionales, etc. La vida es una categoría fundamental apolítica, pues todos los hombres sin distinción están sometidos a ella.

4.º El “irracionalismo” reprochado a Hamsun y Lawrence, igual que su antiutopismo, tienen su base en una revuelta contra la “viabilidad” (feasibility; Machbarkeit), contra la idea de perfectibilidad infinita (que encontramos también bajo una forma “orgánica” en los románticos ingleses de la primera generación). La idea de viabilidad choca directamente con la esencia biológica de la naturaleza. De hecho, la idea de viabilidad es la esencia del nihilismo, como ha apuntado el filósofo italiano Emanuele Severino. Para Severino, la viabilidad deriva de una voluntad de completar el mundo aprehendiéndolo como un devenir (pero no como un devenir orgánico incontrolable). Una vez el proceso de “acabamiento” ha concluido, el devenir detiene bruscamente su curso. Una estabilidad general se impone en la Tierra y esta estabilidad forzada es descrita como un “bien absoluto”. Desde la literatura, Hamsun y Lawrence, han precedido así a filósofos contemporáneos como el citado Emanuele Severino, Robert Spaemann (con su crítica del funcionalismo), Ernst Behler (con su crítica de la “perfectibilidad infinita”) o Peter Koslowski. Estos filósofos, fuera de Alemania o Italia, son muy poco conocidos por el gran público. Su crítica a fondo de los fundamentos de las ideologías dominantes, provoca inevitablemente el rechazo de la solapada inquisición que ejerce su dominio en París.

Nietzsche, Hamsun y Lawrence, los filósofos vitalistas o, si se prefiere, “antiviabilistas”, al insistir sobre el carácter ontológico de la biología humana, se opusieron a la idea occidental y nihilista de la viabilidad absoluta de cualquier cosa; esto es, de la inexistencia ontológica de todas las cosas, de cualquier realidad. Buen número de ellos —Hamsun y Lawrence incluidos— nos llaman la atención sobre el presente eterno de nuestros cuerpos, sobre nuestra propia corporeidad (Leiblichkeit), pues nosotros no podemos conformar nuestros cuerpos, en contraposición a esas voces que nos quieren convencer de las bondades de la ciencia-ficción.

La viabilidad es, pues, el “hybris” que ha llegado a su techo y que conduce a la fiebre, la vacuidad, la ligereza, el solipsismo y el aislamiento. De Heidegger a Severino, la filosofía europea se ha ocupado sobre la catástrofe que ha supuesto la desacralización del Ser y el desencantamiento del mundo. Si los resortes profundos y misteriosos de la Tierra o del hombre son considerados como imperfecciones indignas del interés del teólogo o del filósofo, si todo aquello que ha sido pensado de manera abstracta o fabricado más allá de los resortes (ontológicos) se encuentra sobrevalorado, entonces, efectivamente, no puede extrañarnos que el mundo pierda toda sacralidad, todo valor. Hamsun y Lawrence han sido los escritores que nos han hecho vivir con intensidad dicha constante, por encima incluso de algunos filósofos que también han deplorado la falsa ruta emprendida por el pensamiento occidental desde hace siglos. Heidegger y Severino en el marco de la filosofía, Hamsun y Lawrence en el de la creación literaria, han tratado de restituir la sacralidad en el mundo y revalorizar las fuerzas que se esconden en el interior del hombre: desde ese punto de vista, estamos ante pensadores ecológicos en la más profunda acepción del término. El oikos nos abre las puertas de lo sagrado, de las fuerzas misteriosas e incontrolables, sin fatalismos y sin falsa humildad. Hamsun y Lawrence, en definitiva, anunciaron la dimensión geofilosófica del pensamiento que nos ha ocupado durante toda esta universidad de verano. Una aproximación sucinta a sus obras se hacía absolutamente necesaria en el temario de 1996.

________________

* Comentario al libro de Akos Doma, Die andere Moderne. Knut Hamsun, D.H. Lawrence und die lebensphilosophische Strömung des literarischen Modernismus (Bouvier, Bonn, 1995), leído como conferencia en Lombardía, en julio de 1996. Traducción de Juan C. García Morcillo.

[Tomo el artículo del archivo de su fuente primera, la asociación Sinergias Europeas, que editaba el boletín InfoEuropa. Ya no cabalgan.]

jeudi, 04 mars 2010

Les plus atroces injustices...

Les plus atroces injustices...

Ex: http://zentropa.splinder.com/

"Aucun adulte ne peut lire Dickens sans percevoir ses limites, mais elles ne remettent pas en cause cette générosité d'esprit innée qui joue en quelque sorte le rôle d'une ancre et empêche presque toujours Dickens de partir à la dérive. C'est probablement là le secret de sa popularité. Cette espèce d'heureux antinomianisme que l'on trouve chez Dickens est l'un des traits caractéristiques de la culture populaire occidentale. Il est présent dans les contes et chansons humoristiques, dans les figures mythiques comme Mickey Mouse ou Popeye, dans l'histoire du socialisme ouvrier, dans les protestations populaires contre l'impérialisme, dans l'élan qui pousse un jury à accorder des indemnités exorbitantes quand la voiture d'un riche écrase un pauvre. C'est le sentiment qu'il faut toujours être du côté de l'opprimé, prendre le parti du faible contre le fort. En un sens, c'est un sentiment qui est passé de mode depuis une cinquantaine d'années.
L'homme de la rue vit toujours dans l'univers psychologique de Dickens, mais la plupart des intellectuels, pour ne pas dire tous, se sont ralliés à une forme de totalitarisme ou à une autre. D'une point de vue marxiste ou fasciste, la quasi-totalité des valeurs défendues par Dickens peuvent être assimilées à la "morale bourgeoise" et honnies à ce titre. Mais pour ce qui est des conceptions morales, il n'y a rien de plus "bourgeois" que la classe ouvrière anglaise.

dickensmisère.jpgLes gens ordinaires, dans les pays occidentaux, n'ont pas encore accepté l'univers mental du "réalisme" et de la politique de la Force. Il se peut que cela se produise un jour ou l'autre, auquel cas Dickens sera aussi désuet que le cheval de fiacre. Mais s'il a été populaire en son temps, et s'il l'est encore, c'est principalement parce qu'il a su exprimer sous une forme comique, schématique et par là même mémorable, l'honnêteté innée de l'homme ordinaire. Et il est important que sous ce rapport des gens de toutes sortes puissent être considérés comme "ordinaires". Dans un pays tel que l'Angleterre, il existe, par delà la division des classes, une certaine unité de culture. Tout au long de l'ère chrétienne, et plus nettement encore après la Révolution française, le monde occidental a été hanté par les idées de liberté et d'égalité. Ce ne sont que des idées, mais elles ont pénétré toutes les couches de la société. On voit partout subsister les plus atroces injustices, cruautés, mensonges, snobismes, mais il est peu de gens qui puissent contempler tout cela aussi froidement qu'un propriétaire d'esclaves romain, par exemple. Le millionnaire lui-même éprouve un vague sentiment de culpabilité, comme un chien dévorant le gigot qu'il a dérobé. La quasi-totalité des gens, quelle que soit leur conduite réelle, réagit passionnellement à l'idée de la fraternité humaine. Dickens a énoncé un code auquel on accordait et on continue à accorder foi, même si on le transgresse. S'il en était autrement, on comprendrait mal comment il a pu à la fois être lu par des ouvriers (chose qui n'est arrivée à aucun autre romancier de son envergure), et être enterré à Westminster Abbey."

George Orwell, Charles Dickens (1939) in Dans le ventre de la baleine et autres essais, Editions Ivrea/Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2005, pp. 124-125.

jeudi, 04 février 2010

1984, 1984,5,1985 ou d'Orwell à Burgess

burgess.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1985

1984... 1984 1/2... 1985

ou d'Orwell à Burgess

 

1984 fut incontestablement l'année Orwell. Une abondante littérature et même un film remirent à l'honneur l'œuvre immortelle de cet ancien combattant de la Guerre d'Espagne que fut Orwell. Beaucoup de critiques s'obstinent à voir, dans son chef-d'œuvre, 1984, une description un peu exagérée de notre monde actuel. Ils affirment que les éléments décrits par Orwell et non encore advenus dans notre monde quotidien, seront réalité dans un avenir plus ou moins rapproché. D'autres pensent que le monde de 1984 ne ressemble qu'à certaines facettes de la réalité soviétique et se félicitent, en guise de conclusion, de vivre dans l'hémisphère libre, lisez occidental. La critique d'un autre génie littéraire, compatriote d'Orwell, mérite une attention toute particulière. Car cette critique transcende nettement les bavardages des littérateurs médiatiques et des sociologues abscons. Cet écrivain, qui a tenté une critique nouvelle d'Orwell, n'est autre que le très célèbre Anthony Burgess, créateur de A Clockwork Orange (Orange mécanique). Il a écrit, à l'occasion de l'année Orwell, un ouvrage resté trop ignoré des médias et qui s'intitule significativement 1985.

 

Globalement, Burgess estime que la vision que nous transmet Orwell est exagérée et improbable. Tout d'abord, écrit Burgess dans la première partie de son 1985, les éléments essentiels de 1984 sont trop liés à une époque historique précise pour avoir réelle valeur prophétique. « La Grande-Bretagne décrite par Orwell, avec ses omniprésentes odeurs de choux cuits, ses rations de viande et sa pénurie de cigarettes n'est pour Burgess qu'une image trop reconnaissable de l'ère d'austérité et de socialisme qui suivit les années de guerre (celle de 39-45, ndlr) », écrit Marc Paillot (The Dystopian Novels of Anthony Burgess, mémoire de licence, Bruxelles, 1984).

 

En effet, il semblerait que l'Ingsoc orwellien (abréviation pour English Socialism, idéologie officielle dans le monde de 1984 [expression de la pensée unique de Big Brother]) ne soit qu'une caricature in absurdo du régime socialiste (travailliste) de Mr. Attlee. Mais, plutôt que tyrannique, le régime de Mr. Attlee fut paternaliste (Cf. Paillot, op. cit.). Dans sa critique de 1984, Burgess prétend qu'Orwell a exprimé en fait la rancune ou du moins les sentiments ambigus de sa génération à l'égard de la politique intérieure anglaise de 1948 ("84" étant, rappelons-le, l'inverse de "48").

 

Ensuite, dit Burgess, 1984 nous présente un monde qui repose sur une seule motivation : la haine. Le fonctionnaire O'Brian y explique à ses victimes que le « grand et terrible but du Parti est un monde de peur et de trahison, de torture (...), un monde d'où toute notion de merci sera progressivement évacuée ». Selon Burgess, une telle société ne peut survivre et certainement pas à l'échelle mondiale. Aucun régime ne peut s'alimenter impunément à la seule source de la haine et de la trahison. Marc Paillot insiste sur ce point avec pertinence : « Le régime appelé Ingsoc (English Socialism ?) dont le but n'est même plus le pouvoir mais d'infliger la souffrance ne peut être, même dans le cas de 1984, qu'une aberration temporaire. Ing­soc n'est dans ce sens, non une représenta­tion de la Puissance, mais, n'en représente qu'une métaphore » (op.cit.).

 

AnthonyBurgess_1985.jpgBurgess critique également la division du monde en trois blocs ou zones de puissance qui apparaît dans le 1984 d'Orwell. Il déclare cette vision irréaliste. Pour les lecteurs de Vouloir et Orientations habitués à l'argumentation géopolitique, bornons-nous à constater, ici, que George Orwell imaginait, à l'aube des années 50, qu'une superpuissance eurasiatique (le bloc imaginé par Haushofer, Niekisch et les si­gnataires du Pacte germano-soviétique d'août 1939) allait se constituer pour défier le Nouveau Monde et l'Océania thalassocrati­que, c'est-à-dire les États-Unis avec leur arrière-cour sud-américaine et le Common­wealth.

 

Mais, il nous apparaît légitime de poser à Burgess quelques questions critiques quand il nous expose son scepticisme en analysant le rôle joué par les mass-media dans la contre-­utopie orwellienne. Selon Orwell, les mass­media serviraient le grand dessein des dictatures réelles ou potentielles. Pourtant, dit Burgess, au lieu de voir les traits sérieux et sévères de Big Brother sur nos petits écrans, nous sommes contraints de subir d'interminables successions de spots publicitaires (M.Paillot, op.cit.). Bien qu'il admette que la société de consommation soit une forme moderne de tyrannie - nous dirions plutôt qu'il s'agit d'un totalitarisme doux et tiède - Marc Paillot reprend la critique de Burgess : Orwell s'est, d'après eux, complètement trompé dans ce domaine.

 

Que faut-il en penser ? Lorsqu'on nous assène sans cesse au petit écran les images d'un Reagan qui, "Big Smile" hollywoodien en prime, nous impose les vues de l'élite puritaine et droitière américaine ; lorsqu'on nous assène sans cesse les sourires mielleux d'un Karol Woytila qui, célibataire par la force des choses, prétend enseigner à ses ouailles comment vivre en mariage ; lorsqu'on nous assène sans cesse des feuilletons débiles et des spots publicitaires de même acabit, n'avons-nous pas affaire à autant de masques différents du Big Brother ? Diversité sans doute plus dangereuse que la monotonie que subissent les Est-Européens, saturés des photos retouchées de Staline, Brejnev, Andropov ou Gorbatchev.

 

« Le monde moderne exige notre argent et non point notre âme », écrit Paillot. Entendons par là que le consumérisme et les valeurs marchandes, souverains "-ismes" d’aujourd’hui, ne sollicitent pas particulièrement ce qu'il y a de meilleur en l'homme. La société de consommation enterre l'âme des peuples sous l'argent et les gadgets. Ces funérailles, accompagnées des rythmes saccadés des hit-parades truqués et des bénédictions reagano-papales, n'ont pas lieu à Disneyland, mais bien EN chacun d'entre nous.

 

Comme l'indique Paillot dans sa remarquable étude des romans dystopiques de Burgess, en tant qu'individus, nous sommes impuissants face à la marée consumériste comme face aux régimes carcéraux de l'Est. La seule possibilité de combattre avec succès le marxisme-léninisme dégénéré en apparatchnikisme gérontocratique et l'angélisme rose-­bonbon du libéralisme hollywoodien, c'est de recourir aux consciences populaires euro­péennes, vieilles de plusieurs millénaires. Cette renaissance-là nous est suggérée, notamment, par notre ami Guillaume Faye. Qui a su, de manière plus poignante que lui, réclamer une telle révolution ?

 

1984... Et après ? Après, il y a 1984 1/2. Tel aurait dû être le titre du film Brazil, une production d'un membre du désopilant groupe Monty Python (Brian's Life, The Holy Grail, etc...). Ce film demeure dans la ligne de The Meaning of Life, création du même groupe ; il est une critique particulièrement féroce à l'adresse de la société occidentale.

 

Au premier abord, Brazil nous apparaît défaitiste. En réalité, ce film est une sonnette d'alarme. En effet, Brazil nous montre, non sans humour et par le biais des péripéties étranges que vit le héros central, que l'ennemi à combattre immédiatement est à l'intérieur de nous-mêmes. Car c'est là qu'agit l'Hydre des solutions faciles, de la servitude, de la banalité et de l'auto-­destruction. Dans ce film, les forces qu'il s'agit de réanimer et d'opposer à l'engloutissement lent mais certain dans le bain tiède que nous préparent prédicateurs (hypocrites) des droits de l'homme et multinationales, ne sont autres que l'imagination et la puissance créatrice. Rappelant par là le chef-d’œuvre de Michael Ende, Unendliche Geschichten, l'auteur du film semble vouloir démontrer que la régénération nécessaire de l'homme moderne doit passer par là, et que ces forces ne sont pas encore anéanties. Loin de là. Tant que l'amour et le Reinmenschliches (le pur-humain) existeront, il restera une lueur d'espoir dans ce monde sinistre que nous présente finalement Brazil. L'œuvre de Burgess s'inscrirait, selon Paillot, dans la même ligne, tandis que chez Orwell, toute notion d'amour ferait défaut.

 

Le film ne connaît pas de happy end : sans doute pour nous montrer à quel point nous avons le couteau sur la gorge. Tous les critiques de cinéma, trop spécialistes peut-­être, sont d'accord pour définir le per­sonnage principal comme le type même du anti-héros moderne. Je crois au contraire que ce personnage mérite le titre de héros à part entière, comme bon nombre de héros légendaires. Ne s'agit-il pas d'un reiner Tor (un fou pur, à la Parzifal), déplace dans un scénario futuriste ? Tous ses actes, ses mouvements et ses paroles s'inscrivent dans l'innocence d'une nouvelle jeunesse non préparée par et pour cette société de consommation hypocrite où se déroule Brazil. Il ne sera pourtant pas couronné Roi de la Table Ronde ou Maître du Graal renouvelé : per son sacrifice qui marque la fin du film, il espère éveiller notre conscience humaine. La mélodie qui continue après la fin du film n'est-elle pas la torche enflammée d'une force créatrice et d'une imagination ressuscitées, torche que le héros de l'écran remet à chaque spectateur ?

 

1984 1/2... Et après ? Après : 1985. Dans 1985, la contre-utopie d'Anthony Bur­gess, en quelque sorte sa version à lui de 1984, nous est décrite une Angleterre chaotique et entièrement dirigée par un syndicalisme tout-puissant. En cela, Burgess s'est sans doute basé sur la réelle puissance des syndicats britanniques (les trade unions) dont témoignaient, il y a peu, les grèves des mineurs.

 

Dans l'œuvre d'Orwell, les dirigeants transforment et falsifient sans cesse l'Histoire, falsifications qui passent ensuite par le canal des médias. Les chefs de 1985, eux, mettent tout en œuvre pour évacuer la conscience historique et les fondements culturels de la société pour mieux asservir la population, en grande partie d'origine arabe. Ici également, Burgess emprunte des éléments qui marquent la réalité anglaise actuelle, où les capitaux arabes [allusion aux « rois du pétrole »] jouent un rôle prépondérant. Les moyens mis en œuvre pour liquider toute conscience historique et culturelle dans les cerveaux du peuple sont d'ordre pédagogique, idéologique et linguistique.

 

Le niveau de l'enseignement est progressivement diminué. « Il est effectivement plus facile d'assujettir une population de semi­-illettrés que d'intellectuels ou même de gens moyennement cultives », écrit Marc Paillot. Heureusement que pareille chose ne puisse se passer que dans l'imagination de quelques écrivains,..

 

Ensuite, l'histoire a été réduite à une étude du syndicalisme avec une double conséquence : primo, c'est un excellent moyen de propa­gande ("Regarde comme ils t'exploitaient avant qu'il n'existe des syndicats") et, se­cundo, cela empêchera, même à très court terme, la population d'imaginer que l'histoire fut peut-être autre chose qu'une longue et pénible évolution aboutissant tout naturellement à une forme de syndicalisme holiste (holistic syndicalism) ainsi que le suggère Marc Paillot.

 

Quant aux procédés linguistiques destinés à accélérer la soumission du peuple, il s'agit de transformations, de grossières simplifications syntaxiques. Cette nouvelle langue, le Worker's English n'est pas qu'un cauchemar dont il ne reste plus une trace à l'aube : sans vouloir entrer dans la problématique posée par l'invasion de mots et d'expressions anglo-saxonnes dans les autres langues, il suffit de citer un slogan publicitaire d'une chaîne belge de fast-food, au lecteur d'en juger : « Toi goûter nouveau shake ». Au seuil du XXIe siècle, l'homo occidentalis retourne dans les arbres.

 

Les excès de la "démocratisation", le nivellement par le bas généralisé, constituent les pires fléaux qui frappent le monde d’aujour­d'hui, remarque Paillot. Et a poursuit : « Nous avons déjà bien trop sacrifié sur l'autel de l'égalitarisme ».

 

C'est un exercice intellectuel assez vain de chercher ce qui est irréaliste dans les contre-utopies d'Orwell et de Burgess. Il est encore plus vain de les critiquer sous prétexte que tel ou tel détail ne s'est jamais concrétisé. L'important, c'est que cha­cune de ces œuvres réveille en nous l'instinct de survie propre à tous les êtres vivants. Avec cet instinct seul, nous pour­rons retrouver la conscience nécessaire qui nous aidera à briser les chaînes des totalitarismes de toutes natures. Avec une nouvelle conscience historique, comme avec notre âme, renaîtra, tel le phénix de ses cendres, la liberté sacrée et fondamentalement aristocratique dont ont besoin les peuples européens.

 

► Ralf  VAN DEN HAUTE, Vouloir n°21-22, sept. 1985.

 

Bibliographie complémentaire :

 

Anthony Burgess, 1985, Hutchinson, Lon­don, 1978. Edition de poche anglaise : Arrow Books, 1980/83.

Bernard Crick, Georges Orwell, une vie, Balland, Paris, 1982. Une des plus célèbres biographies d'Orwell. Une édition de poche est également disponible.

Mark R. Hillegas, The Future as Night-mare : HG Wells and the Anti-Utopians, Southern Illinois University Press, Carbondale and Edwardsville, 1967. Un des meilleurs ouvrages en anglais sur la littérature "dystopique".

 

mercredi, 27 janvier 2010

Saint Chesterton, riez pour nous !

Saint Chesterton, riez pour nous !

Dieu : la preuve par l’Absurde

Ex: http://www.causeur.fr

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Puisque la mode est aux béatifications, j’en ai une bien bonne à vous raconter ! En plus, celle-là n’a guère été médiatisée, et pour cause : Gilbert K. Chesterton n’a pas été pape de 1939 à 1945. Primo, la place était prise ; deuxio les papes anglais, ça se fait plutôt rare ces deux mille dernières années ; et puis de toute façon, l’intéressé était mort depuis trois ans.
Accessoirement, la cause de béatification de Gilbert n’en est qu’à ses tout débuts. C’est seulement l’été passé que le Chesterton Institute a eu l’idée de l’introduire auprès du Vatican, à l’issue d’un colloque judicieusement intitulé  “The Holiness of Gilbert K. Chesterton“.
La nouvelle fut annoncée au monde ébahi le 14 juillet dernier par Paolo Giulisano, auteur de la première biographie en italien de mon écrivain ultra-mancien préféré1.

Il y raconte comment Pie XI avait réagi à l’annonce du décès de Chesterton (par la plume de son secrétaire d’Etat Eugenio Pacelli, encore lui !) Bref le pape Ratti déplorait, dans son message de condoléances, la perte de ce “fils fervent de la Sainte Eglise, brillant défenseur des bienfaits de la foi catholique.”

C’était seulement la deuxième fois dans l’Histoire qu’un pontife décernait ce titre, jadis prestigieux, de “défenseur de la foi” à un Anglais. Et encore, rappelle malicieusement Giulisano, la première fois ce ne fut pas un succès : ça concernait Henry VIII, peu avant qu’il n’invente sa propre Eglise pour des raisons de convenance personnelle2.

Le chemin de Chesterton fut exactement inverse : élevé dans le protestantisme pur porc, marié à une “high anglican“, il n’a cessé de se rapprocher du catholicisme jusqu’à s’y convertir.
Dès ses jeunes années de journaliste, Gilbert s’exerça à dézinguer tour à tour les penseurs organiques de la société anglicano-victorienne : Kipling, Wells, G.-B. Shaw et leur “monde rapetissé”.
En 1901, il publie ses chroniques dans un recueil aimablement intitulé Hérétiques. Pourtant, il ne sortira lui-même officiellement de cette hérésie dominante, en se faisant baptiser, qu’à 40 ans passés… Le temps sans doute de peser la gravité d’une telle apostasie, et surtout de ménager son épouse – qui le suivra un an plus tard dans cette conversion. Happy end !

Dans l’intervalle, il avait quand même publié Orthodoxie, son Génie du christianisme à lui, en moins chiant quand même. Ce Credo iconoclaste, si l’on ose dire, fut sa réponse à une question mille fois entendue, genre : “C’est bien beau de tout critiquer, mais tu proposes quoi, petit con ?” (Gilbert avait 27 ans à la parution d’Hérétiques.) Une réponse en forme de pamphlet prophétique et drôle qui à coup sûr, un siècle plus tard, a moins vieilli que l’avant-dernier Onfray.
Je ne saurais trop recommander la lecture de ce chef-d’œuvre d’humour et d’amour – y compris à ceux d’entre vous qui n’ont “ni Dieu ni Diable”, comme disait ma grand-mère3. Après tout, les amateurs de films de vampires ne croient pas tous à l’existence de ces fantômes suceurs de sang…

Je reviendrai volontiers, à l’occasion, sur l’apologétique chestertonienne, pour peu qu’Elisabeth Lévy m’en prie… Mais pour aborder le bonhomme, dont toute l’œuvre n’a d’autre but que de mettre l’esprit au service de l’Esprit, il semble plus raisonnable de commencer par le “e” minuscule. Surtout sur un site comme Causeur – laïc et gratuit, faute hélas d’être obligatoire.

Journaliste, essayiste et romancier, “confesseur de la Foi” et auteur de polars, Chesterton fut d’abord, dans toutes ces entreprises, un incomparable théoricien mais aussi praticien du Rire (contrairement à l’ami Bergson, qui rit quand il se brûle4).
Ainsi, dans Le Défenseur5, publié la même année qu’Hérétiques, consacre-t-il un chapitre à la “Défense du nonsense”. Est-ce à dire que sa foi relève elle-même du nonsense ?

La réponse est oui à toutes les questions ! Ce punk, figurez-vous, n’hésite pas à justifier un paradoxe par un jeu de mots. Le fou, le vrai, nous dit-il, ce n’est pas comme dans le dico l’homme qui a perdu la raison ; c’est “celui qui a tout perdu sauf la raison”.
Le nonsense au sens de l’oncle Gilbert, c’est le contraire de la folie : une des façons les plus sensées, pour nous autres pauvres créatures – peut-être même pas créées ! – d’assumer notre condition. Et d’abord notre incapacité naturelle à “comprendre” l’Univers qui nous inclut. Il ferait beau voir, n’est ce pas, qu’un contenu explique son contenant !
Mais Chesterton ne plaisante pas avec le nonsense. N’allez pas, par exemple, lui parler de Lewis Carroll ! Son Alice au Pays des Merveilles relève tout juste de l’ ”exercice mathématique”. Loin d’abjurer la foi en la déesse Raison, il en intègre tous les principes. Ses fantaisies millimétrées ne sont pas un moyen d’évasion : juste la cour de la prison !

Le vrai nonsense selon G.K., il faut aller le chercher chez Edward Lear (1812-1888), passé d’extrême justesse à la postérité grâce à ses Nonsense poems6. Pourtant, au temps de Chesterton déjà, ce ouf malade était bien démodé, quand “Alice” avait commencé de s’imposer comme la Bible du nonsense.
Eh bien, Gilbert s’en fout : la différence irréductible, explique-t-il, c’est que les limericks de Lear ne riment littéralement à rien – même si leur versification, elle, a la rigueur métronomique d’une nursery rhyme. Et si l’ensemble donne une idée de l’Absolu, c’est qu’il n’est relatif à rien de particulier : ouvert comme un Oulipo en plein air.

Bien sûr la lettre en est inaccessible, et plus encore au lecteur non anglophone. Reste l’esprit, qui n’en est que plus libre.
Un exemple ? Mais bien volontiers : à la demande générale, laissez-moi “traduire” les premiers vers de Cold are the crabs, un des plus beaux poèmes du roi Lear 7. Ça m’a pris plus d’une heure pour un quatrain, alors doucement les basses ! De toute façon, je ne risque rien : personne n’a jamais pu faire le job convenablement, même Google !

Faute de “sens” conventionnel, que traduire exactement ? Rien. A sa façon, le learisme est un darwinisme : adapt or die ! Voici donc mon adaptation de Cold are the crabs8 (on considérera comme muets, par licence poétique, les “e” qui figurent entre parenthèses) :
“Froids sont les crab(e)s qui rampent sur nos monts,
Et plus froids les concombr(e)s qui poussent tout au fond ;
Mais plus froides encor(e) les menteries cyniques
Qui emballent nos trist(e)s pilules philosophiques.”

Comment ça, je ne suis pas fidèle au texte ? Mais qui êtes-vous pour parler de contre-sens dans l’adaptation d’un nonsense ? Bien sûr, là où j’écris “menteries cyniques”, Google préfère traduire littéralement “côtelettes d’airain”. Du coup ça vous prend une consonance surréaliste, et ça perd tout sens.

Or, pour notre ami Gilbert, le vrai nonsense a un sens, et c’est précisément que le sens de la vie nous est caché ! On ne peut y accéder qu’en passant par le “Royaume des Elfes”.

Pas les délires formatés à la Lewis Carroll ; plutôt les rêveries inspirées à la C.S. Lewis… Je sais : Chesterton n’a connu que l’un des deux, et moi aucun. Mais à ce compte-là, qu’est ce qu’on fait de vous ?

En tout cas, ça serait con de se brouiller maintenant, surtout sans raison. Alors j’en ai trouvé une excellente : pinailler jusqu’au bout sur le sens du nonsense.
Deux erreurs de perspective, plutôt courantes ces derniers siècles, consistent d’un même mouvement à naturaliser le surnaturel et à surnaturaliser le naturel. Grâce au nonsense, prêche le père Gilbert, sortons enfin de ce cercle vicieux !
Admettons-le une fois pour toutes en souriant : quelque chose ici-bas nous dépasse ! “Et si les plus vieilles étoiles n’étaient que les étincelles d’un feu de joie allumé par un enfant ?”


Les enquêtes du Père Brown
Gilbert Keith Chesterton
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  1. Et encore, il la partage avec l’excellent Hilaire Belloc (”Chesterton & Belloc : Apologia e Profezia”, Ed. Ancora).
  2. Du temps de son “Adversus Lutherum”, qui fait toujours autorité.
  3. Maternelle. L’autre était athée.
  4. Et encore, au deuxième degré !
  5. Un des noms de Dieu dans la Bible.
  6. Que Chesterton et son pote Hilaire ont même tenté d’imiter ; mais on ne peut pas être doué pour tout, n’est ce pas ? Moi-même, etc.
  7. D’après moi.
  8. Cold are the crabs that crawl on yonder hills,
    Colder the cucumbers that grow beneath,
    And colder still the brazen chops that wreathe
    The tedious gloom of philosophic pills
    !

samedi, 23 janvier 2010

Wyndham Lewis

Wyndham Lewis

Percy Wyndham Lewis, 1882 - 1957

Percy Wyndham Lewis, 1882 - 1957

Percy Wyndham Lewis is credited with being the founder of the only modernist cultural movement indigenous to Britain. Nonetheless, he is seldom spoken of in the same breath as his contemporaries, Ezra Pound, James Joyce, T. S. Eliot, and others. Lewis was one of the number of cultural figures who rejected the bourgeois liberalism and democracy of the nineteenth century that descended on the twentieth. However, in contradiction to many other writers who eschewed democracy, liberalism, and “the Left,” Lewis also rejected the counter movement towards a return to the past and a resurgence of the intuitive, the emotional and the instinctual above the intellectual and the rational. Indeed, Lewis vehemently denounced D. H. Lawrence, for example, for his espousal of instinct above reason.

Lewis was an extreme individualist, whilst rejecting the individualism of nineteenth Century liberalism. His espousal of a philosophy of distance between the cultural elite and the masses brought him to Nietzsche, although appalled by the popularity of Nietzsche among all and sundry; and to Fascism and the praise of Hitler, but also the eventual rejection of these as being of the masses.

Born in 1882 on a yacht off the shores of Nova Scotia, his mother was English, his father an eccentric American army officer without income who soon deserted the family. Wyndham and his mother arrived in England in 1888. He attended Rugby and Slade public schools both of which obliged him to leave. He then wandered the art capitals of Europe and was influenced by Cubism and Futurism.

Wyndham Lewis, "Timon of Athens"

Wyndham Lewis, "Timon of Athens"

In 1922, Lewis exhibited his portfolio of drawings that had been intended to illustrate an edition of Shakespeare’s Timon of Athens, in which Timon is depicted as a snapping puppet. This illustrated Lewis’ view that man can rise above animal by a classical detachment and control, but the majority of men will always remain as puppets or automata. Having read Nietzsche, Lewis was intent on remaining a Zarathustrian type figure, solitary upon his mountain top far above the mass of humanity.

Vortex

Lewis was originally associated with the Bloomsbury group, the pretentious and snobbish intellectual denizens of a delineated area of London who could make or break an aspiring artist or writer. He soon rejected these parlor pink liberals and vehemently attacked them in The Apes of God. This resulted in Lewis largely being ignored as a significant cultural figure from this time onward. Breaking with Bloomsbury’s Omega Workshop, Lewis founded the Rebel Art Centre from which emerged the Vorticist movement and their magazine Blast. Signatories to the Vorticist Manifesto included Ezra Pound, French sculptor Henri Gaudier-Brzeska, and painter Edward Wadsworth.

Pound who described the vortex as “the point of maximum energy” coined the name Vorticism. Whilst Lewis had found both the stasis of Cubism and the frenzied movement of Futurism interesting, he became indignant at Mannetti’s description of him as a Futurist and wished to found an indigenous English modernist movement. The aim was to synthesis cubism and futurism. Vorticism would depict the static point from where energy arose. It was also very much concerned with reflecting contemporary life where the machine was coming to dominate, but rejected the Futurist romantic glorification of the machine.

Both Pound and Lewis were influenced by the Classicism of the art critic and philosopher T. E. Hulme, a radical conservative. Hulme rejected nineteenth century humanism and romanticism in the arts as reflections of the Rousseauian (and ultimately communistic) belief in the natural goodness of man when uncorrupted by civilization, as human nature infinitely malleable by a change of environment and social conditioning.

A definition of the classicism and romanticism, which are constant in Lewis’ philosophy, can be readily understood from what Hulme states in his publication Speculations:

Here is the root of all romanticism: that man, the individual, is an infinite reservoir of possibilities, and if you can so rearrange society by the destruction of oppressive order then these possibilities will have a chance and you will get progress. One can define the classical quite clearly as the exact opposite to this. Man is an extraordinarily fixed and limited animal whose nature is absolutely constant. It is only by tradition and organization that anything decent can be got out of him.

Wyndham Lewis, "Ezra Pound"

Wyndham Lewis, "Ezra Pound"

Lewis’s classicism is a dichotomy, classicism versus romanticism, reason versus emotion, intellect versus intuition and instinct, masculine versus feminine, aristocracy versus democracy, the individual versus the mass, and later fascism versus communism.

Artistically also classicism meant clarity of style and distinct form. Pound was drawn to the manner in which, for example, the Chinese ideogram depicted ideas succinctly. Hence, art and writing were to be based on terseness and clarity of image. The subject was viewed externally in a detached manner. Pound and Hulme had founded the Imagist movement on classicist lines. This was now superseded by Vorticism, depicting the complex but clear geometrical patterns of the machine age. In contradiction to Italian Futurism, Vorticist art aimed not to depict the release of energy but to freeze it in time. Whilst depicting the swirl of energy the central axis of stability dissociated Vorticism form Futurism.

The first issue of Blast describes Vorticism in terms of Lewis’ commitment to classicism:

Long live the great art vortex sprung up in the center of this town.
We stand for the reality of the Present-not the sentimental Future or the scarping Past . . .

We do not want to make people wear Futurist patches, or fuss people to take to pink or sky blue trousers . . .  Automobilisim (Marinetteism) bores us. We do not want to go about making a hullabaloo about motor cars, anymore than about knives and forks, elephants or gas pipes . . .  The Futurist is a sensational and sentimental mixture of the aesthete of 1890 and the realist of 1870.

In 1916 his novel Tarr was published as a monument to himself should he be killed in the war in which he served as a forward observation officer with the artillery. Here he lambastes the bohemian artists and literati exemplified in England by the Bloomsbury coterie:

Your flabby potion is a mixture of the lees of Liberalism, the poor froth blown off the decadent Nineties, the wardrobe-leavings of a vulgar bohemianism . . . . You are concentrated, highly-organized barley water; there is nothing in the universe to be said for you: any efficient state would confiscate your property, burn your wardrobe–that old hat and the rest–as infectious, and prohibit you from propagating.

A breed of mild pervasive cabbages has set up a wide and creeping rot in the West . . .  that any resolute power will be able to wipe up over night with its eyes shut. Your kind meantime make it indirectly a period of tribulation for live things to remain in your neighborhood. You are systematizing the vulgarizing of the individual: you are the advance copy of communism, a false millennial middle-class communism. You are not an individual: you have. I repeat, no right to that hair and to that hat: you are trying to have the apple and eat it too You should be in uniform and at work. NOT uniformly OUT OF UNIFORM and libeling the Artist by your idleness. Are you idle? The only justification of your slovenly appearance it is true is that it’s perfectly emblematic.

There is much of Lewis’ outlook expressed here, the detestation of the pseudo-individualistic liberal among the intelligentsia and his desire to impose order in the name of Art. In 1918, he was commissioned as an official war artist for the Canadian War Records Office. Here some of his paintings are of the Vorticist style, depicting soldiers as machines of the same quality as their artillery. Once again, man is shown as an automaton. However, the war destroyed the Vorticist movement, Hulme and Gaudier-Brzeska both succumbing, and Blast did not go beyond two issues.

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Wyndham Lewis, "A Battery Shelled" (1919)

In 1921, Lewis founded another magazine. Tyro: Review of the Arts. The title reflects Lewis’ view of man as automaton. Tyros are a mythical race of grotesque beings, all teeth and laughter. Satire is a major element of Lewis’ style. His exhibition “Tyros and Portraits” satirizes humanity.

The Code of a Herdsman

Lewis’ non-Nietzschean Nietzsechanism is succinctly put in an essay published in The Little Review in 1917, “The Code of a Herdsman.” Among the eighteen points:

In accusing yourself, stick to the Code of the Mountain. But crime is alien to a Herdsman’s nature. Yourself must be your Caste.

Cherish and develop side by side, your six most constant indications of different personalities. You will then acquire the potentiality of six men . . .  Each trench must have another one behind it.

Spend some of your time every day in hunting your weaknesses caught from commerce with the herd, as methodically, solemnly and vindictively as a monkey his fleas. You will find yourself swarming with them while you are surrounded by humanity. But you must not bring them up on the mountain . . .

Do not play with political notions, aristocratisms or the reverse, for that is a compromise with the herd. Do not allow yourself to imagine a fine herd though still a herd. There is no fine herd. The cattle that call themselves ‘gentlemen’ you will observe to be a little cleaner. It is merely cunning and produced by a product called soap . . .

Be on your guard with the small herd of gentlemen. There are very stringent regulations about the herd keeping off the sides of the mountain In fact your chief function is to prevent their encroaching. Some in moment of boredom or vindictiveness are apt to make rushes for the higher regions. Their instinct fortunately keeps them in crowds or bands, and their trespassing is soon noted Contradict yourself. In order to live you must remain broken up.

Above this sad commerce with the herd, let something veritably remain “un peu sur la montagne” Always come down with masks and thick clothing to the valley where we work. Stagnant gasses from these Yahooesque and rotten herds are more dangerous than the wandering cylinders that emit them . . .  Our sacred hill is a volcanic heaven. But the result of the violence is peace. The unfortunate surge below, even, has moments of peace.

Fascism

Wyndham Lewis,<br> "The Artist's Wife, Froanna"

Wyndham Lewis, "The Artist's Wife, Froanna"

Poverty dogged Lewis all his life. He, like Pound, looked for a society that would honor artists. Like Pound and D. H. Lawrence, he felt that the artist is the natural ruler of humanity, and he resented the relegation of art as a commodity subject to the lowest denominator to be sold on a mass market.

Lewis’s political and social outlook arises form his aesthetics. He was opposed to the primacy of politics and economics over cultural life. His book The Art of Being Ruled in 1926 first details Lewis’s ideas on politics and a rejection of democracy with some favorable references to Fascism.

Support for Fascism was a product of his Classicism, hard, masculine, exactitude, and clarity. This classicism prompted him to applaud the “rigidly organized” Fascist State, based on changeless, absolute laws that Lewis applied to the arts, in opposition to the “flux” or changes of romanticism.

Lewis supported Sir Oswald Mosley’s British Fascist movement, and Mosley records in his autobiography how Lewis would secretly arrange to meet him. However, Lewis was open enough to write an essay on Fascism entitled “Left wing” for British Union Quarterly, a magazine of Mosley’s British Union of Fascists, which included other well-known figures in its columns, such as the tank warfare specialist General Fuller, Ezra Pound, Henry Williamson, and Roy Campbell. Here Lewis writes that a nation can be subverted and taken over by numerically small groups. The intelligentsia and the press were doing this work of subversion with a left wing orientation. Lewis was aware of the backing Marxism was receiving from the wealthy, including the millionaire bohemians who patronized the arts. Marxist propaganda in favor of the USSR amounted to vast sums financially. Marxism is a sham, a masquerade in its championship of the poor against the rich.

That Russian communism is not a war to the knife of the Rich against the Poor is only too plainly demonstrated by the fact that internationally all the Rich are on its side. All the magnates among the nations are for it; all the impoverished communities, all the small peasant states, dread and oppose it.

That Lewis is correct in his observations on the nature of Marxism is evidenced by the anti-Bolshevist stance of Portugal and Spain for example, while Bolshevism itself was funded by financial circles in New York, Sweden, and Germany; the Warburgs, Schiff, and Olaf Aschberg the so-called “Bolshevik Banker.”

Lewis concludes his brief article for the BUF Quarterly by declaring Fascism to be the movement that is genuinely for the poor against the rich, who are for property whilst the “super-rich” are against property, “since money has merged into power, the concrete into the abstract . . . ”

You as a Fascist stand for the small trader against the chain store; for the peasant against the usurer: for the nation, great or small, against the super-state; for personal business against Big Business; for the craftsman against the Machine; for the creator against the middleman; for all that prospers by individual effort and creative toil, against all that prospers in the abstract air of High Finance or of the theoretic ballyhoo of internationalisms.

Nonetheless, Lewis had reservations about Fascism just as he had reservations about commitment to any doctrine. For him the principle of action, of the man of action, becomes too much of a frenzied activity, where stability in the world is needed for the arts to flourish. He states in Time and Western Man that Fascism in Italy stood too much for the past, with emphasis on a resurgence of the Roman imperial splendor and the use of its imagery, rather than the realization of the present. As part of the “Time cult,” it was in the doctrinal stream of action, progress, violence, struggle, of constant flux in the world, that also includes Darwinism and Nietzscheanism despite the continuing influence of the latter on Lewis’s own philosophy.

Wyndham Lewis,<br> "The Apes of God" (1930)

Wyndham Lewis, "The Apes of God" (1930)

An early appreciation entitled Hitler was published in 1931, sealing Lewis’ fate as a neglected genius, despite his repudiation of both anti-Semitism in The Jews, Are They Human? and Nazism in The Hitler Cult both published in 1939.

Well before such books, Lewis’ satirizing and denigration of the bohemian liberal Bloomsbury set had resulted in what his self-styled “literary bodyguard,” the poet and fellow “Rightist” Roy Campbell, calls a “Lewis boycott” “When life’s bread and butter depended on thinking pro-Red and to generate one’s own ideas was a criminal offence.”

Time and Space

A healthy artistic environment requires order and discipline, not chaos and flux. This is the great conflict between the “romantic” and the “classical” in the arts. This dichotomy is represented in politics and the difference between the philosophy of “Time” and of “Space,” the former of which is epitomized in the philosophy of Spengler. Unlike many others of the “Right,” Lewis was vehemently opposed to the historical approach of Spengler, critiquing his Decline of the West in Time and Western Man. To Lewis, Spengler and other “Time philosophers” relegated culture to the political sphere. The cyclic and organic interpretations of history are seen as “fatalistic” and having a negative influence on the survival of the European race.

Lewis does not concur with Spengler, who sees culture as subordinate to historical epochs that rise and fall cyclically as living organisms. “There is no common historical and cultural outlook representing any specific cycle, but many ages co-existing simultaneously and represented by various individuals.”

This time philosophy was in contrast to that of Space or the Spatial, and resulted in the type of ongoing change or flux that Lewis opposed. Lewis looked with reverence to the Greeks, who existed in the Present, which he regarded Spengler as disparaging, in contrast to the “Faustian” urge of Western Man that looked to “destiny.”

Democracy

Lewis’s antipathy towards democracy is rooted in his theory on Time. Of democracy, he writes in Men Without Art, “No artist can ever love.” Democracy is hostility to artistic excellence and fosters “box office and library subscription standards.” Art is however timeless, classical.

Democracy hates and victimizes the intellectual because the “mind” is aristocratic and offensive to the masses. Here again Lewis is at odds with others of the “Right,” with particular antipathy toward D. H. Lawrence. Again, it is the dichotomy of the “romantic versus the classical.”

Conjoined with democracy is industrialization, both representing the masses against the solitary genius. The result is the “herding of people into enormous mechanized masses.” The “mass mind . . .  is required to gravitate to a standard size to receive the standard idea.”

Wyndham Lewis, "Self-Portrait"

Wyndham Lewis, "Self-Portrait"

Democracy and the advertisement are part and parcel of this debasement and behind it all stands money, including the “millionaire bohemians” who control the arts. Making a romantic image of the machine, starting in Victorian times, is the product of our “Money-age.” His opposition to Italian Futurism, often mistakenly equated with Vorticism, derives partly from Futurism’s idolization of the machine. Vorticism, states Lewis, depicts the machine as befits an art that observes the Present, but does not idolize it. It is technology that generates change and revolution, but art remains constant; it is not in revolt against anything other than when society promotes conditions where art does not exist, as in democracy.

In Lewis’s satirizing of the Bloomsbury denizens, he writes of the dichotomy existing between the elite and the masses, yet one that is not by necessity malevolent towards these masses:

The intellect is more removed from the crowd than is anything: but it is not a snobbish withdrawal, but a going aside for the purposes of work, of work not without its utility for the crowd . . .  More than the prophet or the religious teacher, (the leader) represents . . .  the great unworldly element in the world, and that is the guarantee of his usefulness. And he should be relieved of the futile competition in all sorts of minor fields, so that his purest faculties could be free for the major tasks of intelligent creation.

Unfortunately, placing one’s ideals onto the plane of activity results in vulgarization, a dilemma that caused Lewis’s reservations towards Nietzsche. In The Art of Being Ruled Lewis writes that of every good thing, there comes its “shadow,” “its ape and familiar.”

Lewis was still writing of this dilemma in Netting Hill during the 1950s.
“All the dilemmas of the creative seeking to function socially center upon the nature of action: upon the necessity of crude action, of calling in the barbarian to build a civilizations.” This was of course the dilemma for Lewis in his early support for Hitler and for Italian Fascism.

Revolt of the Primitive

Other symptoms of the romantic epoch subverting cultural standards include the feminine principle, with the over representation of homosexuals and the effete among the literati and the Bloomsbury coterie; the cult of the primitive; and the “cult of the child,” that is closely related to the adulation of the primitive.

Female values, resting on the intuitive and emotional, undermine masculine rationality, the intellect–the feminine flux against the masculine hardness of stability and discipline. To Lewis revolutions are a return to the past. Feminism aims at returning society to an idealized primitive matriarchy. Communism aims at a returning to primitive forms of common ownership. The idolization of the savage and the child are also returns to the atavistic. The millionaire world and “High Bohemia” support these, as it does other vulgarizing revolutions. The supposedly outrageous, to Lewis, is tame.

Lewis’s book Paleface: The Philosophy of the Melting Pot inspired as a counter-blast to D. H. Lawrence, was written to repudiate the cult of the primitive, fashionable among the millionaire bohemians, as it had been among the parlor intellectuals of the eighteenth century; the Rousseauean ideal of the “return to nature” and the “noble savage.” Although D. H. Lawrence was writing of the primitive tribes to inspire a decadent European race to return to its own instinctual being, such “romanticism” is contrary to the classicism of Lewis, with its primacy of reason. In contradiction of Lawrence, Lewis states that,

I would rather have an ounce of human consciousness than a universe full of “abdominal” afflatus and hot, unconscious, “soulless” mystical throbbing.

Wyndham Lewis, <i>Blast</i>, no. 2

Wyndham Lewis, Blast, no. 2

In Paleface Lewis calls for a ruling caste of aesthetes, much like his friend Ezra Pound and his philosophical opposite Lawrence:

We by birth the natural leaders of the white European, are people of no political or public consequence any more . . .  We, the natural leaders of the world we live in, are now private citizens in the fullest sense, and that world is, as far as the administration of its traditional law of life is concerned, leaderless. Under these circumstances, its soul, in a generation or so, will be extinct.

Lewis opposes the “melting pot” where different races and nationalities are becoming indistinguishable. Once again, Lewis’ objections are aesthetic at their foundation. The Negro gift to the white man is jazz, “the aesthetic medium of a sort of frantic proletarian subconscious,” degrading, and exciting the masses into mindless energy, an “idiot mass sound” that is “Marxistic.”

Compulsory Freedom

By the time Lewis wrote Time and Western Man he believed that people would have to be “compelled” to be free and individualistic. Reversing certain of his views espoused in The Art of Being Ruled, he now no longer believed that the urge of the masses to be enslaved should be organized, but rather that the masses will have to be compelled to be individualistic.

I believe they could with advantage be compelled to remain absolutely alone for several hours every day and a week’s solitary confinement, under pleasant conditions (say in mountain scenery), every two months would be an excellent provision. That and other coercive measures of a similar kind, I think, would make them much better people.

Return to Socialist England

In 1939, Lewis and his wife went to the USA and on to Canada where Lewis lectured at Assumption College, a situation that did not cause discomfort, as he had long had a respect for Catholicism although not a convert. Lewis as a perpetual polemicist began a campaign against extreme abstraction in art, attacking Jackson Pollock and the Expressionists.

Lewis returned to England in 1945, and despite being completely blind by 1951 continued writing, in 1948 his America and Cosmic Man portrayed the USA as the laboratory for a coming new world order of anonymity and utilitarianism. He also received some “official” recognition in being commissioned to write two dramas for BBC radio, and becoming a regular columnist for The Listener.

A post-war poem, So the Man You Are autobiographically continues to reflect some of Lewis’ abiding themes; that of the creative individual against the axis of the herd and “High Finances”:

The man I am to blow the bloody gaff
If I were given platforms? The riff-raff
May be handed all the trumpets that you will.
No so the golden-tongued. The window sill
Is all the pulpit they can hope to get.

Lewis had been systematically stifled since before World War I when he broke with the Bloomsbury wealthy parlor Bolsheviks who ruled the cultural establishment in Britain. Lewis continued with “Herdsman’s principles of eschewing both Bolshevism and Plutocracy, staying above the herd in solitude”:

What wind an honest mind advances? Look
No wind of sickle and hammer, of bell and book,
No wind of any party, or blowing out
Of any mountain blowing us about
Of High Finance, or the foot-hills of same.
The man I am he who does not play the game!

Lewis felt that “everything was drying up” in England, “extremism was eating at the arts and the rot was pervasive in all levels of society.” He writes of post-war England:

This is the capital of a dying empire–not crashing down in flames and smoke but expiring in a peculiar muffled way.

Wyndham Lewis,<br> Portrait of Edith Sitwell

Wyndham Lewis, "Portrait of Edith Sitwell"

This is the England he portrays in his 1951 novel Rotting Hill (Ezra Pound’s name for Netting Hill) where Lewis and his wife lived. The Welfare State symbolizes a shoddy utility standard in the pursuit of universal happiness. Socialist England causes everything to be substandard including shirt buttons that don’t fit the holes, shoelaces too short to tie, scissors that won’t cut, and inedible bread and jam. Lewis seeks to depict the socialist drabness of 1940s Britain.

Unlike most of the literati, who rebelled against Leftist dominance in the arts, Lewis continued to uphold an ideal of a world culture overseen by a central world state. He wrote his last novel The Red Priest in 1956. Lewis died in 1957, eulogized by T. S. Eliot in an obituary in The Sunday Times: “a great intellect has gone.”

Chapter 8 of K. R. Bolton, Thinkers of the Right: Challenging Materialism (Luton, England: Luton Publications, 2003).

vendredi, 25 décembre 2009

Citation de D. H. Lawrence

apoDHL2222.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

APOCALYPSE:

Un commentaire païen de l'Apocalypse selon Saint-Jean

 

«L'Apocalypse nous montre ce à quoi nous résistons, résistance contre-nature, nous résistons à nos connexions avec le cosmos, avec le monde, la nation, la famille. Toutes nos connexions sont anathèmes dans l'Apocalypse, et anathèmes encore en nous. Nous ne pouvons pas supporter la connexion. C'est notre maladie. Nous avons besoin de casser, d'être isolés. Nous appelons cela liberté, individualisme. Au-delà d'un certain point, que nous avons atteint, c'est du suicide. Peut-être avons-nous choisi le suicide. C'est bon. L'Apocalypse aussi choisit le suicide, avec l'auto-glorification que cela implique.

 

Mais l'Apocalypse montre, par sa résistance même, les choses auxquelles le cœur humain aspire secrètement. La frénésie que met l'Apocalypse à détruire le soleil et les étoiles, le monde, tous les rois et tous les chefs, la pourpre, l'écarlate et le cinnamome, toutes les prostituées et finalement tous les hommes qui n'ont pas reçu le “sceau” nous fait découvrir à quel point les auteurs désiraient le soleil et les étoiles et la terre et les eaux de la terre, la noblesse et la souveraineté et la puissance, la splendeur de l'or et de l'écarlate, l'amour passionné et une union juste entre les hommes indépendamment de cette histoire de “sceau”. Ce que l'homme désire le plus passionnément, c'est sa totalité vivante, une forme de vie à l'unisson, et non le salut personnel et solitaire de son “âme”.

 

L'homme veut d'abord et avant tout son accomplissement physique, puisqu'il vit maintenant, pour une fois et une fois seulement, dans sa chair et sa force. Pour l'homme, la grande merveille est d'être en vie. Pour l'homme, comme pour la fleur, la bête et l'oiseau, le triomphe suprême, c'est d'être le plus parfaitement, le plus vivement vivant. Quoi que puissent savoir les morts et les non-nés, ils ne peuvent rien connaître de la beauté, du prodige d'être en vie dans la chair. Que les morts apprêtent l'après, mais qu'ils nous laissent la splendeur de l'instant présent, de la vie dans la chair qui est à nous, à nous seuls et seulement pour une fois. Nous devrions danser de bonheur d'être vivants et dans la chair, d'être une parcelle du cosmos vivant incarné. Je suis une parcelle du soleil comme mon oeil est une parcelle de moi-même. Mon pied sait très bien que je suis une parcelle de la terre, et mon sang est une parcelle de la mer. Mon âme sait que je suis une parcelle de la race humaine, mon âme est une partie organique de l'âme de l'humanité, tout comme mon esprit, une parcelle de ma nation. Dans mon moi le plus privé, je fais partie de ma famille. Rien en moi n'est solitaire ni absolu, sauf ma pensée, et nous découvrirons que la pensée n'a pas d'existence propre, qu'elle n'est que le miroitement du soleil à la surface des eaux.

 

Si bien que mon individualisme est en fait une illusion. Je suis une parcelle du Grand Tout, et n'y échapperai jamais. Mais je peux nier mes connexions, les casser, devenir un fragment. Alors, c'est la misère.

 

Ce que nous voulons, c'est détruire nos fausses connexions inorganiques, en particulier celles qui ont trait à l'argent, et rétablir les connexions organiques vivantes avec le cosmos, le soleil et la terre, avec l'humanité, la nation et la famille. Commencer avec le soleil, et le reste viendra lentement, très lentement».

(D. H. LAWRENCE, Apocalypse, 1931; éditions Balland, Paris, 1978 pour la traduction française, pp. 210 à 212).

 

mercredi, 14 octobre 2009

Gilbert K. Chesterton, la ironia hecha inocencia

chesterton.jpgGilbert K. Chesterton, la ironía hecha inocencia

Un escritor y pensador ameno en él que incluso sus novelas más ligeras tienen un mensaje

Ex: http://www.arbil.org/

Gilbert K. Chesterton fue uno de los más famosos y polémicos escritores ingleses de este siglo.

Este periodista británico nació en el seno de una familia pudiente de mentalidad liberal y protestante.

Sin embargo, su búsqueda de la verdad le llevó a ser después de Newman uno de los casos más llamativos de conversión al catolicismo en la Inglaterra victoriana.

Nacido el 29 de mayo de 1874 en el barrio londinense de Kensington, en una familia de corredores de fincas.

A los cinco años nació su hermano Cecil, con quien discutiría de temas intelectuales.

Ya en la escuela demuestra su interés por la polémica y forma parte de un club de debate.

De joven, su padre le hace inscribirse en Bellas Artes, es más fácil que el joven Gilbert viva del dibujo, que de escritor.

Pero desde 1895, Gilbert abandona el dibujo y decide dedicarse a escribir para una pequeña editorial.

Con ingresos mínimos se enamora de Frances, una anglocatólica de pobres recursos, menuda y tímida, con la cual iniciará un largo noviazgo que les llevará al matrimonio en 1901.

Como era natural, a Gilbert se le perdió la corbata, perdieron luego el tren y finalmente llegaron tarde al hotel donde les esperaban para la luna de miel.

Por cuestiones de salud de élla nunca pudieron tener hijos lo que les unió más en una simbiosis platónica castigada por la ausencia de descendencia.

A pesar de todo, su casa se convirtió en lugar de reunión deescritores y periodistas, donde siempre encontraban cerveza y salchichas.

Gilbert recorría las tabernas vecinas y polemizaba aficionado al borgoña y al jerez.

Sin embargo, de su excesivo trabajo, acompañado de la bebida le llevó a tener problemas cardiacos.


Gilbert K. Chesterton, con un descomunal físico y maneras de sabio despistado, fue un gran literato en la lengua inglesa con Un hombre llamado jueves, Las historias del P. Brown, La esfera y la cruz, La balada del caballo blanco, Magia, Ortodoxia, San Francisco de Asís, Santo Tomás de Aquino y otras más.

No obstante, no pasará a la historia únicamente por su labor literaria, al haberse cruzado en su camino un escritor anglofrancés de firme carácter católico, Hilarie Belloc.

Belloc era un defensor a ultranza de la justicia social frente al liberalismo capitalista y al socialismo marxista.

Pronto el anglofrancés convenció a Cecil Chesterton, hermano del novelista, para que colaborase con él en varias revistas, donde difundieron sus teorías inspiradas en las ideas que León XIII había desarrollado en la Encíclica Rerum Novarum.

Estas ideas que fomentaban la formación de una sociedad orgánica como mejor sistema para evitar las desigualdades sociales fue conocido en Inglaterra como distribucionalismo.

Pero, cuando en la Primera Guerra Mundial falleció Cecil en Francia, su hermano Gilbert decidió ocupar su puesto y colaborar con Belloc en la difusión del corporativismo católico.

Del mismo modo, en que Cecil se había convertido al catolicismo, Gilbert aceptó la Fe romana en julio de 1922, ya que había llegado al convencimiento de que las diferentes formas anglicanas eran pálidos reflejos de la verdadera Iglesia encabezada por el Papa.

El P. O`Connor, un sacerdote irlandés, con el cual tuvo sus polémicas y una antigua amistad, sirviéndole el clérigo de inspiración para su personaje literario el P. Brown


La conversión de Gilbert K. Chesterton fue tomada como la máxima provocación.

Pero Frances, su esposa, le acompañará en 1926 en su entrada en la Iglesia Católica, como su secretaria Dorothy Collins poco después.

Gilbert mantiene una gran intensidad de trabajo con conferencias que le lleva por Canada, Estados Unidos, Polonia y España.

Al mismo tiempo que publica "El retorno del Quijote" y "La vida de Santo Tomás de Aquino", Chesterton fue un periodista crítico y contracorriente que defendió el nacionalismo británico en contra del imperialismo victoriano dominante, lo que le llevó a posicionarse a favor de los böers en la guerra sudafricana y de los fascistas italianos en su toma de Abisinia.

Pero su lucha principal fue contra el parlamentarismo, al que acusaba de representar a la plutocracia política que dirigía el país y oprimía a la mayoría de la población.

Para Chesterton y Belloc, las elecciones no tenían importancia al no variar substancialmente la política.

Los resultados producían alternancias del poder entre miembros de una élite política entrelazada en intereses comunes, pero que no representaban los de la sociedad.

En cambio, el corporativismo representaría más fielmente los intereses de la sociedad real.

Chesterton y Belloc creían que esta forma política se había dado ya en la historia con éxito en la Edad Media y había que readaptarla a la época contemporanea.

El organicismo natural de la sociedad se había perdido definitivamente con la aparición del protestantismo.

Al ser la Iglesia católica la inspiradora de esa tercera alternativa al capitalismo y al socialismo.

No es raro ver como los hermanos Chesterton decidieron dar el paso hacia el catolicismo después de su lucha política por la justicia social

Su último viaje le lleva de peregrinación a Lourdes y Lisieux, pero a su vuelta debe guardar descanso.

Frances le cuida con esmero y únicamente el P. O`Connor es recibido por el obeso escritor.

Los problemas económicos se mantienen, las ganancias obtenidas por los éxitos publicados y las conferencias dadas suplen las deudas que proporciona la revista que mantiene con Hilaire Belloc.

Sin embargo, en junio empeora su estado, el P. Vincent Mc Nabb O.P. le reza el Salve Regina, costumbre que tiene la orden con sus miembros moribundos.

El 14 de junio de 1936 murió Gilbert, su mujer Frances, únicamente le sobrevivivó dos años

J.L.O.

dimanche, 05 juillet 2009

James Graham Ballard nous a quittés...

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Claudio ASCIUTI:

 

James Graham Ballard nous a quittés...

 

James Graham Ballard, l’écrivain pessimiste et cyberpunk a disparu

 

Les “crocodiles” du journalisme italien sont des animaux étranges. Pendant longtemps, ces “crocodiles”  —expression italienne pour désigner les fiches biographiques d’hommes et de femmes célèbres que l’on conserve dans les rédactions des journaux—  demeurent dans les tiroirs secrets des experts auto-proclamés des médias. On ne les libère de leur prison poussiéreuse qu’à la mort de l’être d’exception qui a justifié leur existence. Aujourd’hui, ces “crocodiles” n’ont presque plus raison d’être: il suffit de faire une petite promenade sur la grande toile, de consulter par paresse Wikipedia et le tour est joué! Tout défunt qui vient fraîchement de décéder, et dont on ignore tout ou quasi tout, trouve subitement, face à son cadavre, une foultitude d’experts qui, par une sorte de parthénogénèse, lui taillent de belles biographies posthumes, véritables “crocodiles” de brics et de brocs, de vérités toute faites et d’approximations. Le 25 février 2009, le grand Philip José Farmer nous quittait et aucun de nos quotidiens nationaux ne lui a consacré une ligne. Le 19 avril 2009, c’était au tour d’un autre grand écrivain anglo-saxon de passer de vie à trépas: James Graham Ballard. Les journalistes italiens de service lui ont consacré des articles, tous égaux, tous similaires, ce qui nous donne l’impression que tous ces zélotes de nécrologues avaient l’habitude de dormir avec ses oeuvres sous l’oreiller.

 

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C’est faux. Evidemment. Seul le quotidien “L’Unità” a choisi un homme digne d’écrire une rubrique nécrologique substantielle à l’occasion de la disparition de James Graham Ballard. Cet homme est Antonio Caronia, spécialiste universitaire de l’imaginaire moderne et traducteur de notre écrivain anglais. Les autres nécrologues zélés ne savaient manifestement pas qui était Ballard: dans leurs “crocodiles”, ils nous ont décrit un homme et sa littérature mais c’était un homme et une littérature qui n’existaient pas. Ou bien ils ont glosé, de manière conventionnelle,  sur d’autres problématiques, déconnectées de la biographie réelle de l’écrivain. Ils évoquaient certes le titre de ses livres mais ceux-ci, sous leur plume, semblaient changer de contenu. On peut même se demander s’il s’agissait bien des mêmes livres. Ou du même auteur...

 

Ballard fut essentiellement un écrivain de science-fiction, qui n’a pas “renié”, comme quelqu’un l’a écrit, ses oeuvres antérieures à 1962, année où il a inventé l’ “inner space”, l’espace intérieur, évoqué dans les “crocodiles” les moins banals mais sans que leurs auteurs ne comprennent réellement de quoi il s’agit. Alors que c’est fondamental. Avec cet “espace intérieur”, Ballard a provoqué une grande révolution dans ce genre littéraire, tout en déclarant, comme bien d’autres dans les années 60, que c’était fini d’écrire encore et toujours comme on l’avait fait auparavant. Les temps avaient changé: la littérature devait changer elle aussi. Ballard s’est donc mis au travail, à fond, jusqu’à pouvoir dépasser les conventions du genre; il s’est mis à écrire des thrillers dans une sphère postmoderne. Le succès mondial est alors arrivé, avec le roman autobiographique “L’Empire du Soleil” (1984); c’est par cet ouvrage que les intellectuels et le grand public l’ont découvert. Lorsque, trois ans plus tard, Steven Spielberg en a tiré un film homonyme et lorsque la vogue du “cyberpunk” l’élit comme son “père putatif”,  alors le monde a su que Ballard était prêt à être “embaumé” dans le mastaba de la littérature.

 

D’où cette volonté des fauteurs de “crocodiles” de donner à leurs lecteurs un cadre préétabli  pour l’oeuvre et une définition homologuée de l’auteur, cadre et définition qui font de lui un écrivan présentable, digne de figurer dans les hautes sphères de la culture officielle, après avoir expurger la science-fiction du discours. Ballard est ainsi devenu un précurseur de la vogue “cyberpunk”, un écrivain décrété “subversif” à la façon des médiacrates, un révolutionnaire, un prophète du futur, un visionnaire, celui qui utilise la science-fiction pour dénoncer le monde moderne, alors qu’en réalité Ballard n’écrivait pas de science-fiction. Et dans la foulée, Ballard est également devenu un anti-fasciste bon teint, un philo-américain. Mais le Ballard, que mes amis et moi avons connu, celui que nous avons aimé, est bien différent de l’image que lui ont taillée les fauteurs de “crocodiles”. Et c’est bien sûr notre vision que nous aimerions évoquer dans cet hommage. Les éléments biographiques coïncident, entre nous et les “crocodiles”, mais non les résultats, non le jugement final à porter sur l’homme et sur l’oeuvre. C’est comme ses livres: mêmes titres mais autres contenus.

 

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Le Ballard, dont nous aimons nous souvenir aujourd’hui, est né à Changhai, en Chine, en 1930, dans une famille anglaise. Elle a été internée dans le camp de détention japonais de Lunghua de mars 1943 à août 1945. Ballard n’utilisera jamais cette détention pour en tirer de quelconques avantages ou pour se faire valoir. Au contraire, en dépit des privations et de la violence des gardiens, il ne cessera de considérer ces deux années comme les meilleures de sa vie. Il témoignera amitié et respect pour les Japonais et l’image que son art nous a léguée, celle du gamin anglais auquel les soldats nippons enseignent le kendo, est très belle. Son père, après la guerre, témoignera d’ailleurs en faveur du premier commandant du camp, Hyashi. Ballard décrira également les avions japonais et anglais, et surtout américains, qu’il verra en action; dès son retour en Grande-Bretagne et après avoir terminé sa scolarité, il s’engagera comme volontaire dans la RAF et partira pour le Canada, où il acquerra toutes les techniques du pilote. C’est quand il servait dans les rangs de la RAF que Ballard a découvert la science-fiction et décidé de devenir écrivain. Il donne sa démission, retourne en Angleterre et commence à écrire des nouvelles.

 

Avec “Prima Belladonna” (1956), il sort de l’anonymat. Avec cet ouvrage, il crée le noyau central de ce que l’on appellera “le cycle de Vermillon Sands”, d’après le nom du lieu où se déroulent les récits. Un lieu qu’il définit comme “les périphéries exotiques de son esprit”, avec un scénario inspiré de Dali et de Tanguy autant que d’Ernst, avec voiliers de sable et scorpions gemmés, et surtout les destins obscurs qui accablent les protagonistes de ses nouvelles et romans. Il suffit de penser à “Mers de sable”, qui reprend et rappelle Coleridge et sa “Balade du vieux marin”, pour se rendre compte de l’ampleur du discours narratif ancré dans “Vermillon Sands”.

 

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Mis à part ce cycle, les nouvelles de Ballard forment, à elles seules, une sorte de second texte: “La parade des atrocités”, qui n’est pas un roman comme l’ont écrit les fauteurs de “crocodiles” mais un recueil de quinze nouvelles qui ont eu un impact très puissant sur l’imaginaire contemporain; il s’agit d’écrits de style expérimental, sorte de croisement entre Dos Passos, William Burroughs et James Joyce. La censure américaine a frappé ces récits de l’anathème d’une interdiction et c’est là, d’après les fauteurs de “crocodiles”, que réside la marque essentielle de cette oeuvre. En réalité, la première édition américaine de 1970 a été envoyée au pilon parce qu’elle contenait un récit (et non un article comme on l’a écrit) intitulé “Pourquoi vouloir enc.. Ronald Reagan”. Ce récit a fait, comme on s’en doute, la réputation de Ballard, tout comme, d’ailleurs, un autre, intitulé, lui, “Plan pour l’assassinat de Jacqueline Kennedy”. Et si le titre n’est pas dû à l’auteur lui-même, “Amour et napalm: les Etats-Unis organisent leurs exportations” en dit long sur son contenu. Le récit le plus célèbre de Ballard, dans cette veine, demeure toutefois “La mort de John Fritz Kennedy considérée comme une course automobile en vrille”. L’idée de Ballard était la suivante: si on commence un récit par la mort de Kennedy, on peut amorcer une construction de la réalité par le truchement des médias; surtout aux Etats-Unis, nous assistons, par le jeu permanent des médias, à la création constante d’une nouvelle mythologie avec des individus et futurs héros de l’imaginaire contemporain, tels Kennedy, Marilyn Monroe, James Dean et Reagan, dont Ballard avait prédit avec beaucoup de lucidité l’élection au poste de Président. Précisons que notre écrivain anglais si raffiné n’est pas anti-américain.

 

Après “La parade des atrocités”, on aurait pu penser que tous les écrits de science-fiction que l’auteur écrirait ultérieurement déboucherait sur la farce. Mais Ballard a continué. Depuis la fin des années 50 jusqu’à la fin de son itinéraire littéraire, il a bousculé le concept même de science-fiction et, dans son oeuvre, publiée en quatre volumes en Italie chez Fanucci après que Mondadori en ait cédé les droits, il me paraît impossible d’établir une hiérarchie, de dire que ceci est meilleur que cela. De l’oeuvre de Ballard, on peut dire qu’elle a exploré le présent ou, mieux, les plis et replis d’événements occultés de notre présent: des “aliens” invisibles qui nous espionnent, des explosions nucléaires, des simulations d’événements, les régressions psychologiques des individus. Les fauteurs de “crocodiles” n’ont pas perçu la similitude qui existe, indubitablement, entre Ballard et le grand poète anglais Thomas Stearns Eliot et sa théorie de l’ “objectif corrélatif”  —mais on pourrait dire aussi qu’ils n’ont pas vu, non plus, le lien entre Ballard et un autre grand poète, Italien celui-là: Eugenio Montale. Selon l’idée de l’ “objectif corrélatif”, l’espace physique extérieur devient la manifestation de l’espace intérieur. Les terrains d’aviation abandonnés, les carcasses amoncelées de vieilles voitures ou alignées de bombardiers déclassés, de hangars délaissés, d’espaces évacués par leurs habitants, de dunes, de marais, d’habitations vides, de plages désertes, de cieux si vifs qu’ils aveuglent, de soleils implacables, voilà tous les paysages, termes des équations narratives de l’écrivain. Ce sont des espaces géographiques d’une valeur unique, qui deviennent les expressions et les symboles d’un mal-être intérieur.

 

L’autre Ballard que nous entendons commémorer est le romancier, celui de “Vent de nulle part” (1961), “Le monde submergé” (1962), “Terre brûlée” (1964), “Forêt de cristal” (1966). Avec ces quatres livres, Ballard a réussi à décrire quatre types différents d’apocalypses de science-fiction. Ces romans témoignent d’une sensibilité écologique, qui, à l’époque, en était à ses premiers balbutiements. Ils mettaient en scène des modes divers par lesquels la Terre allait finir par frapper ses propres habitants, chaque fois à l’aide des quatre éléments alchimiques. Mais “Le monde submergé” et “Forêt de cristal” parient sur un registre plus vaste, en faisant implicitement référence aux symboles mythiques de l’eau et du cristal; l’individu s’y perd en régressant sur l’échelle de l’évolution, dans un monde submergé sous les eaux et devenu ansi un gigantesque marais ou dans une forêt qui, lentement, minéralise ses arbres et les êtres qui y  habitent. L’étape suivante de l’oeuvre ballardienne est marquée par “Crash” (1973), élaboration nouvelle du récit homonyme paru dans “La parade des atrocités”. “Crash” met l’accent sur un problème devenu, au fil du temps, une triste réalité contemporaine: la manie automobiliste qui contamine tous les hommes et provoque une avanlanche ininterrompue d’accidents de la route. Dans le roman de Ballard, l’automobile est devenu un ersatz de la sexualité; un groupe de personnes met en scène les grands accidents de l’histoire de l’imaginaire moderne: la séduction, la mort au volant, le fétichisme des images, tout cela devient autant de points de référence. Quand David Cronemberg fait de ce roman un film du même nom, en 1997, les bien-pensants furent atterrés.

 

 

 

Par la suite, Ballard a travaillé sur des romans largement autobiographiques sinon carrément biographiques: “L’Empire du Soleil”, que nous venons d’évoquer, et aussi “La gentillesse des femmes” (1991). Quant aux ouvrages ultérieurs des années 90, ceux qui permettent aux fauteurs de “crocodiles” de crier au miracle, ils recèlent tantôt une dimension écologiste, comme “Le paradis du diable” (1994), tantôt mettent au goût du jour sa poétique du désastre en situant l’intrigue des thrillers à la Costa del Sol ou en France; enfin, “Le Règne à venir” (2006) appartient aussi à la catégorie des bons romans, mais tous ces livres des années 90 et de la première décennie du 21ème siècle n’ont plus ni l’intensité destructrice ni la magie charmante du premier Ballard. Le passage du monde décapant de la science fiction à celui de la “haute” littérature, a certes apporté la consécration à notre auteur, l’a hissé dans l’empyrée des écrivains aimés du grand public et des intellectuels; ce n’est donc pas un hasard si tous ses romans sont aujourd’hui publiés par Feltrinelli en Italie, alors qu’auparavant ses oeuvres étaient éditées dans la collection de science fiction de Mondadori. Ce passage a fatalement transformé sa force  créatrice et l’a infléchie dans une direction nouvelle. Les fauteurs de “crocodiles” n’ont évidemment jamais lu les pages qu’il écrivait dans la légendaire revue anglaise “New Worlds”, et encore moins les récits qui l’ont fait découvrir et l’ont intronisé “grand écrivain”. Par conséquent, à la lecture de ces textes-là, nous pouvons dire qu’il est vraiment “réducteur” de confiner Ballard dans le seul rayon de science fiction.

 

Le Ballard que nous aimons n’est pas le Ballard des grands médias, des intellectuels médiatisés et médiacrates. C’est bien davantage l’homme qui a rédigé sa propre biographie (“Les miracles de la vie”), éditée depuis peu de temps seulement en Italie, chez Feltrinelli. Dans ce récit autobiographique, Ballard affirme qu’après le camp de prisonniers les meilleurs moments de sa vie sont tous ceux liés à son épouse (qui mourra jeune) et à ses trois fils qui se sont débrouillés seuls et qui, par là même, constituent des miracles, bien plus que ses livres. Il est resté quarante ans avec la même compagne et il en parle avec le même enthousiasme qu’il y a quatre décennies.

 

L’auteur que nous lisions quand nous étions adolescents dans les années 60 et 70 dans les pages de la revue “Urania”, qui nous faisait découvrir les pistes nouvelles de la science fiction où il n’y avait plus de vaisseaux spatiaux, de voyages intersidéraux, d’envahisseurs extra-terrestres mais seulement une volonté bien précise de parler du présent et de ses maux, à travers, par exemple, le corps d’un géant abandonné sur une plage, l’ampleur d’un baiser, un delta grouillant de serpents, de mystérieuses tours d’observation qui descendent du ciel, la carcasse d’un B52. C’est donc ce même homme qui, après une vie qui ne fut guère facile, n’a pas sombré dans les pleurnicheries ou dans les invectives,  comme beaucoup d’autres, mais, au contraire, s’est retroussé les manches pour affronter le réel sans faiblir. Et il termine son autobiographie en annonçant à ses lecteurs qu’il est miné par un cancer et que, par conséquent, ils viennent de lire ses dernières lignes.

 

Je me rappellerai toujours le “gentleman” du Festival du Dragon de Viareggio en 1992 quand, avec ma copine et un ami, je m’étais faufilé parmi les “VIP” pour me retrouver  finalement à sa table, sans y avoir été invité; nous étions là, tous les trois inconnus, en shorts, en maillots de rugby, les cheveux longs. Ballard ne parlait pas italien et, nous, nous ne parlions pas anglais: cela ne l’a nullement empêché de dîner avec nous, ce soir-là, en irradiant une gentillesse toute britannique (soit dit en passant: à peu près toutes les grandes huiles de la littérature italienne auraient fait appel aux services de sécurité pour nous faire virer illico...). Ballard souriait et parlait, interrompu par une interprète. Il y avait là un grand écrivain mondialement connu et trois de ces lecteurs italiens les plus férus incapables de balbutier la moindre parole. Je n’en dirai pas  davantage. Merci, James, bon vol. Et bon atterrissage.

 

Claudio ASCIUTI.

(article paru dans le quotidien romain “Rinascita”, 25-26 avril 2009; traduction et adaptation française:  Robert Steuckers).

samedi, 02 mai 2009

Portret C. S. Lewis (1898-1963)

Portret C.S. Lewis (1898-1963)

C.S. LEWIS

door Bart Jan Spruyt - http://bitterlemon.eu/

 

"Do not be scared by the word authority. Believing things on authority only means believing them because you have been told by someone you think trustworthy. Ninety-nine per cent of the things you believe are believed on authority. I believe there is such a place as New York. I have not seen it myself. I could not prove by abstract reasoning that there must be a place. I believe it because reliable people have told me so. The ordinary man believes in the Solar System, atoms, evolution, and the circulation of the blood on authoritybecause the scientists say so. (...) A man who jibbed at authority in other things as some people do in religion would have to be content to know nothing all his life."

Clive Staples Lewis werd op 29 november 1898 in Belfast geboren uit ouders die nominaal lid waren van de Anglicaanse Kerk. Zijn vader, waarmee Lewis een groot deel van zijn leven een problematische verhouding had, was advocaat en stamde uit een sociaal geëmancipeerd Engels arbeidersmilieu. Zijn moeder was van vaders kant afkomstig uit een Schots-Iers predikantengezin en van moeders kant stamde zij uit een oud Anglo-Normandisch geslacht dat zich onder Hendrik II in Ierland gevestigd had. Op dat laatste was Lewis als jongeman erg trots.

Samen met zijn drie jaar oudere broer Warren beleefde hij een gelukkige kindertijd. Centraal in hun bestaan stond een fantasiewereld, uitgedrukt in zelf geschreven sprookjes, tekeningen en sILLEtjes, al snel mede gevoed uit de omvangrijke ouderlijke boekerij waar de kinderen onbeperkte toegang toe hadden. Zo vermeldde Lewis als tienjarige in zijn dagboek: “Paradise Lost gelezen, erover nagedacht.” Daar is hij nog vele jaren mee doorgegaan, getuige het in 1942 verschenen A Preface to Paradise Lost. Aan deze gelukkige periode kwam abrupt een einde door de vroege dood van zijn moeder. Vervolgens bracht hij enkele jaren door op twee Engelse kostscholen die hem tot laat in zijn leven depressief makende herinneringen opleverden. In zijn autobiografie Surprised by Joy (1955) heeft hij maar liefst zeven hoofdstukken nodig om dit liefdeloze en intellectueel afstompende milieu te beschrijven.

In 1916 won Lewis een beurs voor University College in Oxford, maar moest al spoedig zijn studie afbreken om als negentienjarige officier zijn land te dienen in de Noord-Franse loopgraven. In april 1918 kwam er een eind aan zijn oorlogservaringen door een ernstige granaatwond die hij opliep tijdens de Slag bij Arras. Na de oorlog hervatte hij zijn studie in Oxford. Hij studeerde er cum laude af in de klassieke talen, in de klassieke filosofie en in de Engelse taal- en letterkunde. Vanaf 1925 was hij als fellow in de Engelse taal- en leterkunde verbonden aan Magdalen College. Nadat hij gedurende zijn jeugd langere tijd van het christendom vervreemd was geraakt, begon rond die tijd ook een proces van religieuze heroriëntatie. Onder andere onder invloed van de dood van zijn vader en als gevolg van gesprekken met gelovige collega's als J.R.R. Tolkien en Hugo Dyson bekeerde hij zich tot het christendom. Zoals hij later in Surprised by Joy zou beschrijven vond de eigenlijke bekering plaats op 22 september 1931 tijdens een tochtje in de zijspan van de motorfiets van zijn broer. Als eerste literaire neerslag van zijn bekering publiceerde hij The Pilgrim's Regress (1932), een geestrijke allegorie naar het model van John Bunyan's boek.

Een nationaal bekend figuur zou Lewis pas tijdens de Tweede Wereldoorlog worden. Die bekendheid kreeg hij enerzijds door een aantal druk beluisterde lezingen over filosofische en religieuze onderwerpen voor de BBC-microfoon. Een aantal van die lezingen werden later gebundeld onder de titel Mere Christianity (1952), nog steeds een van zijn meest gelezen boeken. Daarnaast verscheen in 1942 het eerste publiekssucces, The Screwtape Letters, dat in het eerste jaar negen drukken kende en een jaar later eenzelfde succes kende in de Verenigde Staten.

Tot 1954 werkte hij onafgebroken in Oxford. In dat jaar werd hij in Cambridge benoemd op een speciaal voor hem ingestelde leerstoel voor letterkunde. In 1956 trouwde hij met de Amerikaanse Joy Davidham Gresham, een gescheiden voormalige communiste die zich onder invloed van Lewis’ boeken tot het christendom bekeerd had. Vier jaar later al stierf zij. In een van zijn laatste boeken, A Grief Observed (1961), dat onder het pseudoniem N.W. Clerk verscheen, probeerde hij verslag te doen van dit verschrikkelijke verlies. C.S. Lewis stierf op 22 november 1963, de dag dat John F. Kennedy in Dallas werd neergeschoten. Hij ligt begraven op het kerkhof van de Holy Trinity Church in Headington, Oxford.

Volgens zijn levenslange vriend Owen Barfield zijn er in zekere zin drie “C.S. Lewissen” geweest. Tijdens zijn leven heeft Lewis aan drie verschillende roepingen succesvol beantwoord. Op de eerste plaats was daar de gerespecteerde Oxford-docent, literatuurgeleerde en literair criticus. Daarnaast de schrijver van romans en kinderboeken. En ten slotte was er de populaire en invloedrijke apologeet, filosoof en volkstheoloog die veel lezers (opnieuw) op een verfrissende wijze het christendom binnen leidde. Daarbij geldt echter ook dat in veel van zijn werk filosofie, theologie, literatuur en fictie niet scherp te scheiden zijn.

In 1936 publiceerde Lewis zijn baanbrekende The Allegory of Love. Lewis beschrijft in dit boek hoe in de vroege middeleeuwen de klassieke goden in allegorische vorm weer het christelijk denken binnenkomen. Streden de goden vroeger tegen elkaar, nu worden het personificaties van krachten in de mens zelf. In de loop van de eeuwen begint de kracht van de allegorie echter te verzwakken. Dit wordt veroorzaakt door het verzwakkende besef dat de stoffelijke wereld primair een afspiegeling is van de bovennatuur. Steeds meer gaan elementen als satire, alledaagsheid en liefdesperikelen overheersen en daarmee verdwijnt de kracht van de allegorie in de westerse literatuur. Een ander levenswerk op het gebied van de literatuurgeschiedenis was zijn English Literature in the Sixteenth Century (1954) dat als deel III verscheen van The Oxford History of English Literature.

In zijn zeven kinderboeken (The Chronicles of Narmia) en drie science fiction romans verwerkte Lewis ook tal van theologische en filosofische ideeën. Zo vindt men in de roman That Hideous Strength talloze ideeën in literaire vorm die men in The Abolition of Man (1943) in filosofische vorm uitgewerkt vindt. Zijn beroemdste literaire werk is ongetwijfeld het al eerder genoemde The Screwtape Letters. In dit boek schrijft een oudere duivel eenendertig brieven aan een jongere collega met talloze adviezen hoe een jonge gelovige het best verleid kan worden. Het boek weerspreekt het binnen de hedendaagse Nederlandse intelligentsia wijd verbreide vooroordeel dat christendom en humor elkaar niet verdragen.

C.S. Lewis vormde de belichaming van een natuurlijk soort conservatisme. In zijn levensstijl (zo weigerde hij pubs te betreden waar de radio aan stond), in zijn literaire opvattingen (pas heel laat kwam hij tot waardering voor het werk van T.S. Eliot) en in zijn politieke opvattingen was Lewis een conservatief pur sang. Voor wat betreft de politiek moet daarbij wel vermeld worden dat Lewis een groot scepticus was ten aanzien van politici en partijpolitiek. Winston Churchill bewonderde hij overigens zeer, maar dat verhinderde hem in 1951 niet de minister-president te laten weten dat hij afzag van een hem aangeboden titel. Lewis was bang dat zijn critici zo'n adellijke titel als bewijs zouden opvatten dat zijn religieus werk slechts verholen anti-progressieve propaganda was. Zijn onverschilligheid inzake de dagelijkse politiek weerhield hem er niet van over een breed scala aan politieke onderwerpen te schrijven: misdaad, censuur, pacifisme, doodstraf, dienstplicht, vivisectie enzovoorts. Ook over de verzorgingsstaat had hij uitgesproken opvattingen. In een artikel in The Observer schreef hij in 1958:

"The modern State exists not to protect our rights, but to do us good or make us good — anyway, to do something to us or to make us something. Hence the new name ‘leaders’ for those who were once ‘rulers’. We are less their subjects than their wards, pupils, or domestic animals. There is nothing left of which we can say to them, ‘mind your own business.’ Our whole lives are their business."

De staat kan ervoor zorgen dat mensen zich gedragen, maar uiteindelijk kan hij de mens niet goed maken. Deugd veronderstelt vrije keuze. Lewis was er vooral bang voor dat de verzorgingsstaat zich verder zou ontwikkelen tot een technocratie van het soort dat hij al in romanvorm had beschreven in That Hideous Strength.

Veel conservatieven zien in The Abolition of Man zijn belangrijkste filosofische werk. In dit werk geeft Lewis een zeer originele verdediging van de natuurrechtsleer. De meeste beschavingen, religies en denksystemen gingen in het verleden van dezelfde morele codex uit. Wanneer men die codex analyseert komt men vanzelf uit bij de bekende deugden als Rechtvaardigheid, Eerlijkheid, Bramhartigheid en Voorzichtigheid. Hij laat zien wat de consequenties zijn wanneer de moderne cultuur het idee van een objectieve morele orde verwerpt.

Lewis is in Nederland een bekend auteur. Een aantal belangrijke boeken van hem is vertaald en leverbaar.

Literatuur

Er is zoveel over Lewis geschreven dat het hier slechts mogelijk is een bescheiden selectie te geven.

Een mooie biografie werd geschreven door Roger Lancelyn Green en Walter Hooper: C.S. Lewis: A Biography (A Harvest Book).

De biografie Jack: A Life of C.S. Lewis van George Sayer werd ook in het Nederlands vertaald (Crossway Books).

In de bundel Ontijdige bespiegelingen van Robert Lemm is een korte lezenswaardige inleiding in het werk van Lewis opgenomen (Kok Agora).

Een interessante visie op het conservatieve mens- en geschiedbeeld van Lewis vindt men in het door Peter Kreeft geschreven C.S. Lewis for the Third Millennium. Six essays on the Abolition of Man (Ignatius Press).

Een kort essay over de politieke opvatingen van Lewis werd geschreven door John G. West, Jr.: Public Life in the Shadowlands. What C.S. Lewis Teach Us About Politics (Acton Institute), met een geannoteerde bibliografie van de boeken en essays van Lewis die handelen over politieke thema's.

samedi, 21 mars 2009

Christopher Isherwood : "Adieu à Berlin"

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Christopher Isherwood: «Adieu à Berlin»

 

 

«Ainsi défilaient les champions de la Révolution. La flambée de passion propice à la réalisation du rêve ardent de sang et de barricades devrait surgir de cette fourmilière noirâtre?» (Ernst von SALOMON).

 

La disparition, voici bientôt dix ans, de l'écrivain anglais Christopher Isherwood, auteur, entre autres nouvelles, d'Adieu à Berlin, nous rappelle qu'il faut aborder différemment la littérature traitant des événements qui ont secoué l'Allemagne de la défaite de 1918 à l'avènement du national-socialisme. Isherwood (1904-1986) a traité cette époque de manière magistrale, surtout la véritable période charnière entre 1929 et 1933, époque où il a vécu en Allemagne et a été témoin direct des bouleversements politiques. L'auteur a observé la reconstitution d'une forme particulière d'engagement politique collectif, propre à l'action de l'ère du nihilisme, due à un surplus de volonté accompagnant la décomposition des hautes sphères de la bourgeoisie et le déclin des valeurs civiques, entraînant la disparition du citoyen traditionnel, pacifique et productif.

 

Adieu à Berlin correspond à ce que Roger Stéphane décrit dans Portrait de l'aventurier comme étant un moment particulier de la culture européenne, où éclot la «désolidarisation d'avec un monde moribond». Ce monde, en effet, produit une “réalité négative et obscure”, où domine un type humain bien cerné par Drieu la Rochelle: «l'homme de main communiste, l'homme citadin, neurasthénique, excité par l'exemple des “fasci” italiens, de même celui des mercenaires des guerres de Chine, des soldats de la Légion Etrangère».

 

Malgré la volonté d'Isherwood de se distancier de l'horreur et de la violence d'une guerre civile berlinoise se camouflant derrière une fausse normalité, celle des cabarets, des quartiers riches en marge des masses et des hôtels de maître hors de la réalité violente de la rue, sa narration se transforme en une chronique de la révolte aveugle et désespérée, celles des hommes qui diront plus tard: «nous connaissions ce que nous aimions et nous n'aimions pas ce que nous connaissions» (propos rapportés par Ernst von Salomon).

 

L'importance d'Isherwood réside au fond en ceci: il est curieux d'une époque et d'une atmosphère, il s'en fait donc le chroniqueur et l'historien et, par l'excellence littéraire de son récit, il nous offre un accès aisé à cette trame d'événements qui ont fait les “années décisives” comme les a appelées Spengler. Vue sous cet angle, l'œuvre de l'écrivain anglais, devenu par après citoyen américain, n'est pas seule: sur le plan narratif, nous avons la nouvelle autobiographique d'Ernst von Salomon, Les Réprouvés;  sur un plan plus philosophique, nous avons les Considérations d'un apolitique de Thomas Mann, réflexions, hésitations d'un intellectuel qui est organiquement un citadin et un bourgeois et qui jette son regard sur ce que sont devenues les valeurs des Lumières.

 

Adieu à Berlin  est donc l'adieu à une époque qui se termine, à ces illusions bourgeoises qui prétendent que “plus rien ne doit se passer”. Adieu à Berlin nous restitue le cadre d'une réalité, nous livre la chronique d'une histoire complexe qui est aussi la récapitulation en condensé d'un large pan de l'histoire européenne contenu tout entier dans les années qui ont immédiatement suivi la défaite allemande de 1918. Dans Les Réprouvés  de von Salomon, on trouve les sédiments de ce qu'expérimentera Isherwood quelques années plus tard. Les thématiques littéraires qui fascineront ou horrifieront l'écrivain anglais étaient déjà nées dans les expériences de ce volontaire des Corps Francs, de ce franc-tireur, de ce terroriste, de cet aventurier, de ce partisan des solutions les plus radicales dans la lutte contre le spartakisme ou contre la République bourgeoise et procédurière de Weimar: Ernst von Salomon.

 

Isherwood décrit les violences des combats de rues à Berlin, la ville conquise par l'habilité propagandiste du Dr. Goebbels et de son journal agressif, dur, caustique et percutant, Der Angriff. «Dans les murs d'un Berlin qui se transformait, apparaissaient, écrites en lourdes lettres gothiques, les affiches de la peste brune. On pouvait y lire: “l'Etat bourgeois approche de sa fin! Il faut forger une nouvelle Allemagne! Elle ne sera ni un Etat bourgeois ni un Etat de classe! Pour réaliser cette mission, l'histoire t'a choisi, toi, le Travailleur manuel et intellectuel!». Pour sa part, von Salomon ne se fait plus aucun illusion, ses espoirs se sont définitivement évanouis: «Le vin qui fermentait dans les tonneaux de la bourgeoisie, sera un jour bu sous la dénomination de “fascisme”».

 

Adieu à Berlin est la mémoire qui nous reste d'une civilisation vieille-bourgeoise, démocratique et pluraliste, perdue au milieu de la marée montant du nihilisme s'annonçant dans l'élan et les ruines, dans un nouveau vitalisme, tel celui que prévoit un personnage du livre, Hinnerk: «Unir les jeunesses communistes et hitlériennes et, avec l'aide de ces bataillons unifiés, envoyer au diable les voleurs de la grosse industrie et de la haute finance, avec leurs appendices, ces ordonnances de merde, et ensuite établir, comme loi suprême, comme unique loi décente, la camaraderie (...) Et tu pourras appeler cela socialisme ou nationalisme, cela m'est absolument égal».

 

Sur les décombres et les différences, Christopher Isherwood salue un écrivain allemand, dont l'idiosyncrasie est foncièrement différente de la sienne, mais dont le constat est pareil au sien: une époque entrait, à Berlin, dans ces années décisives, en extinction.

 

José Luis ONTIVEROS.

(Trad. franç.: Rogelio PETE).

mercredi, 21 janvier 2009

Citation de George Orwell

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Citation de George Orwell

On verra que, tel qu’il est utilisé, le mot ‘fascisme’ est presque entièrement dénué de sens. Dans une conversation, bien sûr, il est utilisé encore plus sauvagement. Je l’ai entendu appliqué : aux agriculteurs, aux commerçants, au Crédit social, aux châtiments corporels, à la chasse aux renards, à la tauromachie, au Comité 1922, au Comité 1941, à Kipling, à Gandhi, à Chiang Kai-Shek, à l’homosexualité, aux émissions de Priestley, aux auberges de jeunesse, à l’astrologie , aux femmes, aux chiens et je ne sais pas quoi d’autre.

George Orwell - What is Fascism? (1944)

Source: http://ongong.canalblog.com

lundi, 15 décembre 2008

Th. Carlyle en het mammonisme

Thomas Carlyle en het mammonisme

 

Geplaatst door yvespernet 

In deze ingewikkelde tijd [...] is geld de enige schakel tussen de mensen [...]. Geld is de enige schakel, maar er zijn zoveel zaken die met geld niet te koop zijn! Geld is een groot wonder, maar het bezit niet alle macht in het uitspansel, en zelfs niet op Aarde…

Thomas Carlyle in Chartism (1840)

Het evangelie van het mammonisme [...] heeft ook zijn eigen hemel. Want te midden van alle verzinselen is er één werkelijkheid, er is één zaak die we buitengewoon serieus nemen: het verdienen van geld [...]. We zijn helemaal vergeten dat geld niet de enige schakel tussen mensen is.

Thomas Carlyle in Past and present (1843)

mercredi, 10 décembre 2008

L'univers de G. K. Chesterton

L’univers de G.K. Chesterton

L’univers de G.K. Chesterton

petit dictionnaire raisonné
Philippe Maxence
24,00 €

Auteur de plus de cent livres, maître du suspense, de l’humour et de la polémique, le romancier et poète Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) a bâti une œuvre qui a vite traversé les frontières de son Angleterre natale.
En dépit de sa série des “Father Brown”, son héros de prêtre détective, aujourd’hui traduite dans le monde entier, il manquait cependant un aperçu audacieux de ses thèmes et de ses bons mots.

Voici le libre abécédaire de cet univers étoilé de bonheur, de bon sens, de paradoxe et d’excentricité : une occasion unique de découvrir l’homme de cœur et de conviction.
“Chesterton est l’un des premiers écrivains de notre temps et ceci non seulement pour son heureux génie de l’invention, pour son imagination visuelle et pour la félicité enfantine ou divine que laisse entrevoir chaque page de son œuvre, mais aussi pour ses vertus rhétoriques, pour sa pure virtuosité technique.”
Jorge Luis Borge

Passionné par le monde anglo-saxon, Philippe Maxence est notamment l’auteur de Baden-Powell, éclaireur de légende et fondateur du scoutisme (Perrin, 2003), du Monde de Narnia décrypté (Presses de la Renaissance, 2005), et de Pâques 1916, renaissance de l’Irlande. Il est rédacteur en chef du bimensuel L’Homme Nouveau.

 

http://www.librairiecatholique.com

jeudi, 20 novembre 2008

Paganisme et philosophie de la Vie chez Knut Hamsun et D. H. Lawrence

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Paganisme et philosophie de la vie chez Knut Hamsun et David Herbert Lawrence

 

Robert STEUCKERS

Conférence prononcée lors de la quatrième université d'été de la F.A.C.E., Lombardie, juillet 1996

 

Analyse: Akos DOMA, Die andere Moderne. Knut Hamsun, D.H. Lawrence und die lebensphilosophische Strömung des literarischen Modernismus, Bouvier, Bonn, 1995,

284 p., DM 82, ISBN 3-416-02585-7.

 

Le philologue hongrois Akos Doma, formé en Allemagne et aux Etats-Unis, vient de sortir un ouvrage d'exégèse littéraire, mettant en parallèle les œuvres de Hamsun et de Lawrence. Leur point commun est une “critique de la civilisation”, concept qu'il convient de remettre dans son contexte. En effet, la civilisation est un processus positif aux yeux des “progressistes” qui voient l'histoire comme une vectorialité, pour les tenants de la philosophie de l'Aufklärung et les adeptes inconditionnels d'une certaine modernité visant la simplification, la géométrisation et la cérébralisation. Mais la civilisation apparaît comme un pro­cessus négatif pour tous ceux qui entendent préserver la fécondité incommensurable des matrices culturelles, pour tous ceux qui constatent, sans s'en scandaliser, que le temps est plurimorphe, c'est-à-dire que le temps de telle culture n'est pas celui de telle autre (alors que les tenants de l'Aufklärung affirment un temps monomorphe, à appliquer à tous les peuples et toutes les cultures de la Terre). A chaque peuple donc son propre temps. Si la modernité refuse de voir cette pluralité de formes de temps, elle est illusion.

 

Dans une certaine mesure, explique Akos Doma, Hamsun et Lawrence sont héritiers de Rousseau. Mais de quel Rousseau? Celui qui est stigmatisé par la tradition maurrassienne (Maurras, Lasserre, Muret) ou celui qui critique radicalement l'Aufklärung sans se faire pour autant le défenseur de l'Ancien Régime? Pour ce Rousseau critique de l'Aufklärung, cette idéologie moderne est précisément l'inverse réel du slogan idéal  qu'elle entend généraliser par son activisme politique: elle est inégalitaire et hostile à la liberté, même si elle revendique l'égalité et la liberté. Avant la modernité du XVIIIième siècle, pour Rousseau et ses adeptes du pré-romantisme, il y avait une “bonne communauté”, la convivialité règnait parmi les hommes, les gens étaient “bons”, parce que la nature était “bonne”. Plus tard, chez les romantiques, qui, sur le plan politique, sont des conservateurs, cette notion de “bonté” est bien présente, alors qu'aujourd'hui on ne l'attribue qu'aux seuls activistes ou penseurs révolutionnaires. L'idée de “bonté” a donc été présente à “droite” comme à “gauche” de l'échiquier politique.

 

Mais pour le poète romantique anglais Wordsworth, la nature est “le théâtre de toute véritable expérience”, car l'homme y est confronté réellement et immédiatement avec les éléments, ce qui nous conduit implicitement au-delà du bien et du mal. Wordsworth est certes “perfectibiliste”, l'homme de sa vision poétique atteindra plus tard une excellence, une perfection, mais cet homme, contrairement à ce que pensaient et imposaient les tenants de l'idéologie des Lumières, ne se perfectionnera pas seulement en développant les facultés de son intellect. La perfection de l'homme passe surtout par l'épreuve de l'élémentaire naturel. Pour Novalis, la nature est “l'espace de l'expérience mystique, qui nous permet de voir au-delà des contingences de la vie urbaine et artificielle”. Pour Eichendorff, la nature, c'est la liberté et, en ce sens, elle est une transcendance, car elle nous permet d'échapper à l'étroitesse des conventions, des institutions.

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Avec Wordsworth, Novalis et Eichendorff, les thématiques de l'immédiateté, de l'expérience vitale, du refus des contingences nées de l'artifice des conventions, sont en place. A partir des romantiques se déploie en Europe, surtout en Europe du Nord, une hostilité bien pensée à toutes les formes modernes de la vie sociale et de l'économie. Un Carlyle, par exemple, chantera l'héroïsme et dénigrera la “cash flow society”. C'est là une première critique du règne de l'argent. John Ruskin, en lançant des projets d'architecture plus organiques, assortis de plans de cités-jardins, vise à embellir les villes et à réparer les dégâts so­ciaux et urbanistiques d'un rationalisme qui a lamentablement débouché sur le manchestérisme. Tolstoï propage un natura­lisme optimiste que ne partagera pas Dostoïevski, brillant analyste et metteur en scène des pires noirceurs de l'âme humaine. Gauguin transplantera son idéal de la bonté de l'homme dans les îles de la Polynésie, à Tahiti, au milieu des fleurs et des va­hinés.

 

Hamsun et Lawrence, contrairement à Tolstoï ou à Gauguin, développeront une vision de la nature sans téléologie, sans “bonne fin”, sans espace paradisiaque marginal: ils ont assimilé la double leçon de pessimisme de Dostoïevski et de Nietzsche. La nature, pour eux, ce n'est plus un espace idyllique pour excursions, comme chez les poètes anglais du Lake District. Elle n'est pas non plus un espace nécessairement aventureux ou violent, ou posé a priori comme tel. La nature, chez Hamsun et Lawrence, est avant tout l'intériorité de l'homme, elle est ses ressorts intérieurs, ses dispositions, son mental (tripes et cerveau inextricablement liés et confondus). Donc, a priori, chez Hamsun et Lawrence, cette nature de l'homme n'est ni intellectualité ni pure démonie. C'est bien plutôt le réel, le réel en tant que Terre, en tant que Gaïa, le réel comme source de vie.

 

Face à cette source, l'aliénation moderne nous laisse deux attitudes humaines opposées: 1) avoir un terroir, source de vitalité; 2) sombrer dans l'aliénation, source de maladies et de sclérose. C'est entre les deux termes de cette polarité que vont s'inscrire les deux grandes œuvres de Hamsun et de Lawrence: L'éveil de la glèbe pour le Norvégien, L'arc-en-ciel  pour l'Anglais.

 

Dans L'éveil de la glèbe de Hamsun, l'espace naturel est l'espace du travail existentiel où l'Homme œuvre en toute indépen­dance, pour se nourrir, se perpétuer. La nature n'est pas idyllique, comme celle de certains pastoralistes utopistes, le travail n'est pas aboli. Il est une condition incontournable, un destin, un élément constitutif de l'humanité, dont la perte signifierait dés-humanisation. Le héros principal, le paysan Isak est laid de visage et de corps, il est grossier, simple, rustre, mais inébran­lable, il est tout l'homme, avec sa finitude mais aussi sa détermination. L'espace naturel, la Wildnis, est cet espace qui tôt ou tard recevra la griffe de l'homme; il n'est pas l'espace où règne le temps de l'Homme ou plus exactement celui des horloges, mais celui du rythme des saisons, avec ses retours périodiques. Dans cet espace-là, dans ce temps-là, on ne se pose pas de questions, on agit pour survivre, pour participer à un rythme qui nous dépasse. Ce destin est dur. Parfois très dur. Mais il nous donne l'indépendance, l'autonomie, il permet un rapport direct avec notre travail. D'où il donne sens. Donc il y a du sens. Dans L'arc-en-ciel (The Rainbow)  de Lawrence, une famille vit sur un sol en toute indépendance des fruits de ses seules récoltes.

 

Hamsun et Lawrence, dans ces deux romans, nous lèguent la vision d'un homme imbriqué dans un terroir (ein beheimateter Mensch), d'un homme à l'ancrage territorial limité. Le beheimateter Mensch se passe de savoir livresque, n'a nul besoin des prêches des médias, son savoir pratique lui suffit; grâce à lui, il donne du sens à ses actes, tout en autorisant la fantaisie et le sentiment. Ce savoir immédiat lui procure l'unité d'avec les autres êtres participant au vivant.

 

Dans une telle optique, l'aliénation, thème majeur du XIXième siècle, prend une autre dimension. Généralement, on aborde la problématique de l'aliénation au départ de trois corpus doctrinaux:

1. Le corpus marxiste et historiciste: l'aliénation est alors localisée dans la seule sphère sociale, alors que pour Hamsun ou Lawrence, elle se situe dans la nature intérieure de l'homme, indépendemment de sa position sociale ou de sa richesse maté­rielle.

2. L'aliénation est abordée au départ de la théologie ou de l'anthropologie.

3. L'aliénation est perçue comme une anomie sociale.

Chez Hegel, puis chez Marx, l'aliénation des peuples ou des masses est une étape nécessaire dans le processus d'adéquation graduelle entre la réalité et l'absolu. Chez Hamsun et Lawrence, l'aliénation est plus fondamentale; ses causes ne résident pas dans les structures socio-économiques ou politiques, mais dans l'éloignement par rapport aux ra­cines de la nature (qui n'est pas pour autant une “bonne” nature). On ne biffera pas l'aliénation en instaurant un nouvel ordre socio-économique. Chez Hamsun et Lawrence, constate Doma, c'est le problème de la coupure, de la césure, qui est es­sentiel. La vie sociale est devenue uniforme, on tend vers l'uniformité, l'automatisation, la fonctionalisation à outrance, alors que nature et travail dans le cycle de la vie ne sont pas uniformes et mobilisent constamment les énergies vitales. Il y a im­médiateté, alors que tout dans la vie urbaine, industrielle et moderne est médiatisé, filtré. Hamsun et Lawrence s'insurgent contre ce filtre.

 

Dans la “nature”, surtout selon Hamsun et, dans une moindre mesure selon Lawrence, les forces de l'intériorité comptent. Avec l'avènement de la modernité, les hommes sont déterminés par des facteurs extérieurs à eux, tels les conventions, l'agitation politicienne, l'opinion publique qui leur donnent l'illusion de la liberté, alors qu'elles sont en fait l'espace de toutes les manipulations. Dans un tel contexte, les communautés se disloquent: chaque individu se contente de sa sphère d'activité auto­nome en concurrence avec les autres. Nous débouchons alors sur l'anomie, l'isolation, l'hostilité de tous contre tous.

 

Les symptômes de cette anomie sont les engouements pour les choses superficielles, pour les vêtements raffinés (Hamsun), signes d'une fascination détestable pour ce qui est extérieur, pour une forme de dépendance, elle-même signe d'un vide in­térieur. L'homme est déchiré par les effets des sollicitations extérieures. Ce sont là autant d'indices de la perte de vitalité chez l'homme aliéné.

 

Dans le déchirement et la vie urbaine, l'homme ne trouve pas de stabilité, car la vie en ville, dans les métropoles, est rétive à toute forme de stabilité. Cet homme ainsi aliéné ne peut plus non plus retourner à sa communauté, à sa famille d'origine. Pour Lawrence, dont les phrases sont plus légères mais plus percutantes: “He was the eternal audience, the chorus, the spectator at the drama; in his own life he would have no drama” (Il était l'audience éternelle, le chorus, le spectateur du drame; mais dans sa propre vie, il n'y avait pas de drame). “He scarcely existed except through other people” (Il existait à peine, sauf au travers d'autres gens). “He had come to a stability of nullification” (Il en était arrivé à une stabilité qui le nullifiait).

 

Chez Hamsun et Lawrence, l'Ent-wurzelung et l'Unbehaustheit, le déracinement et l'absence de foyer, de maison, cette façon d'être sans feu ni lieu, est la grande tragédie de l'humanité à la fin du XIXième et au début du XXième. Pour Hamsun, le lieu est vital pour l'homme. L'homme doit avoir son lieu. Le lieu de son existence. On ne peut le retrancher de son lieu sans le mutiler en profondeur. La mutilation est surtout psychique, c'est l'hystérie, la névrose, le déséquilibre. Hamsun est fin psychologue. Il nous dit: la conscience de soi est d'emblée un symptôme d'aliénation. Déjà Schiller, dans son essai Über naive und sentimen­talische Dichtung (= De la poésie naïve et sentimentale), notait que la concordance entre le sentir et le penser était tangible, réelle et intérieure chez l'homme naturel mais qu'elle n'est plus qu'idéale et extérieure chez l'homme cultivé («La concor­dance entre ses sensations et sa pensée existait à l'origine, mais n'existe plus aujourd'hui qu'au seul niveau de l'idéal. Cette concordance n'est plus en l'homme, mais plane quelque part à l'extérieur de lui; elle n'est plus qu'une idée, qui doit encore être réalisée, ce n'est plus un fait de sa vie»).

 

Schiller espère une Überwindung (= un dépassement) de cette césure, par une mobilisation totale de l'individu afin de combler cette césure. Le romantisme, à sa suite, visera, la réconciliation de l'Etre (Sein) et de la conscience (Bewußtsein),  combattra la réduction de la conscience au seul entendement rationnel. Le romantisme valorisera et même survalorisera l'“autre” par rapport à la raison (das Andere der Vernunft): perception sensuelle, instinct, intuition, expérience mystique, enfance, rêve, vie pastorale. Wordsworth, romantique anglais, exposant “rose” de cette volonté de réconciliation entre l'Etre et la conscience, plaidera pour l'avènement d'“un cœur qui regarde et reçoit” (A Heart that watches and receives). Dostoïevski abandonnera cette vision “rose”, développera en réaction une vision très “noire”, où l'intellect est toujours source du mal qui conduit le “possédé” à tuer ou à se suicider. Sur le plan philosophique, dans le même filon, tant Klages que Lessing reprendront à leur compte cette vision “noire” de l'intellect, tout en affinant considérablement le romantisme naturaliste: pour Klages, l'esprit est l'ennemi de l'âme; pour Lessing, l'esprit est la contre-partie de la vie, née de la nécessité («Geist ist das notgeborene Gegenspiel des Lebens»).

 

Lawrence, fidèle en un certain sens à la tradition romantique anglaise de Wordsworth, croit à une nouvelle adéquation de l'Etre et de la conscience. Hamsun, plus pessimiste, plus dostoïevskien (d'où son succès en Russie et son impact sur les écrivains ruralistes comme Belov et Raspoutine), n'a cessé de croire que dès qu'il y a conscience, il y a aliénation. Dès que l'homme commence à réfléchir sur soi-même, il se détache par rapport au continuum naturel, dans lequel il devrait normalement rester imbriqué. Dans les écrits théoriques de Hamsun, on trouve une réflexion sur le modernisme littéraire. La vie moderne, écrit-il, influence, transforme, affine l'homme pour l'arracher à son destin, à son lieu destinal, à ses instincts, par-delà le bien et le mal. L'évolution littéraire du XIXième siècle trahit une fébrilité, un déséquilibre, une nervosité, une complication extrême de la psychologie humaine. «La nervosité générale (ambiante) s'est emparée de notre être fondamental et a déteint sur notre vie sentimentale». D'où l'écrivain se définit désormais comme Zola qui se pose comme un “médecin social” qui doit décrire des maux sociaux pour éliminer le mal. L'écrivain, l'intellectuel, développe ainsi un esprit missionnaire visant une “correction po­litique”.

 

Face à cette vision intellectuelle de l'écrivain, Hamsun rétorque qu'il est impossible de définir objectivement la réalité de l'homme, car un “homme objectif” serait une monstruosité (ein Unding), construite à la manière du meccano. On ne peut ré­duire l'homme à un catalogue de caractéristiques car l'homme est changeant, ambigu. Même attitude chez Lawrence: «Now I absolutely flatly deny that I am a soul, or a body, or a mind, or an intelligence, or a brain, or a nervous system, or a bunch of glands, or any of the rest of these bits of me. The whole is greater than the part»  (Voilà, je dénie absolument et franchement le fait que je sois une âme, ou un corps, ou un esprit, ou une intelligence, ou un cerveau, ou un système nerveux, ou une série de glandes, ou tout autre morceau de moi-même. Le tout est plus grand que la partie). Hamsun et Lawrence illustrent dans leurs œuvres qu'il est impossible de théoriser ou d'absoluiser une vision claire et nette de l'homme. L'homme, ensuite, n'est pas le véhicule d'idées préconçues. Hamsun et Lawrence constatent que les progrès dans la conscience de soi ne sont donc pas des processus d'émancipation spirituelle, mais une perte, une déperdition de vitalité, de tonus vital. Dans leurs romans, ce sont toujours des figures intactes, parce qu'inconscientes (c'est-à-dire imbriquées dans leur sol ou leur site) qui se maintiennent, qui triomphent des coups du sort, des circonstances malheureuses.

 

Il ne s'agit nullement là, répétons-le, de pastoralisme ou d'idyllisme. Les figures des romans de Hamsun et de Lawrence sont là: elles sont traversées ou sollicitées par la modernité, d'où leur irréductible complexité: elles peuvent y succomber, elles en souffrent, elles subissent un processus d'aliénation mais peuvent aussi en triompher. C'est ici qu'interviennent l'ironie de Hamsun et la notion de “Phénix” chez Lawrence. L'ironie de Hamsun sert à brocarder les idéaux abstraits des idéologies mo­dernes. Chez Lawrence, la notion récurrente de “Phénix” témoigne d'une certaine dose d'espoir: il y aura ressurection. Comme le Phénix qui renaît de ses cendres.

 

Le paganisme de Hamsun et de Lawrence

 

Si cette volonté de retour à une ontologie naturelle est portée par un rejet de l'intellectualisme rationaliste, elle implique aussi une contestation en profondeur du message chrétien.

 

Chez Hamsun, nous trouvons le rejet du puritanisme familial (celui de son oncle Hans Olsen), le rejet du culte protestant du livre et du texte, c'est-à-dire un rejet explicite d'un système de pensée religieuse reposant sur le primat du pur écrit contre l'expérience existentielle (notamment celle du paysan autarcique, dont le modèle est celui de l'Odalsbond  des campagnes norvégiennes). L'anti-christianisme de Hamsun est plutôt a-chrétien: il n'amorce pas un questionnement religieux à la mode de Kierkegaard. Pour lui, le moralisme du protestantisme de l'ère victorienne (en Scandinavie, on disait: de l'ère oscarienne) exprime tout simplement une dévitalisation. Hamsun ne préconise aucune expérience mystique.

 

Lawrence, lui, perçoit surtout la césure par rapport au mystère cosmique. Le christianisme renforce cette césure, empêche qu'elle ne se colmate, empêche la cicatrisation. Pourtant, la religiosité européenne conserve un résidu de ce culte du mystère cosmique: c'est l'année liturgique, le cycle liturgique (Pâques, Pentecôte, Feux de la Saint-Jean, Toussaint et Jour des Morts, Noël, Fête des Rois). Mais celui-ci a été frappé de plein fouet par les processus de désenchantement et de désacralisation, entamé dès l'avènement de l'église chrétienne primitive, renforcé par les puritanismes et les jansénismes d'après la Réforme. Les premiers chrétiens ont clairement voulu arracher l'homme à ces cycles cosmiques. L'église médiévale a cher­ché au contraire l'adéquation, puis, les églises protestantes et l'église conciliaire ont nettement exprimé une volonté de retour­ner à l'anti-cosmisme du christianisme primitif. Lawrence: «But now, after almost three thousand years, now that we are al­most abstracted entirely from the rhythmic life of the seasons, birth and death and fruition, now we realize that such abstraction is neither bliss nor liberation, but nullity. It brings null inertia» (Mais aujourd'hui, après près de trois mille ans, maintenant que nous nous sommes presque complètement abstraits de la vie rythmique des saisons, de la naissance, de la mort et de la fé­condité, nous comprenons enfin qu'une telle abstraction n'est ni une bénédiction ni une libération, mais pure nullité. Elle ne nous apporte rien, si ce n'est l'inertie). Cette césure est le propre du christianisme des civilisations urbaines, où il n'y a plus d'ouverture sur le cosmos. Le Christ n'est dès lors plus un Christ cosmique, mais un Christ déchu au rôle d'un assistant so­cial. Mircea Eliade parlait, lui, d'un «Homme cosmique», ouvert sur l'immensité du cosmos, pilier de toutes les grandes reli­gions. Dans la perspective d'Eliade, le sacré est le réel, la puissance, la source de la vie et la fertilité. Eliade: «Le désir de l'homme religieux de vivre une vie dans le sacré est le désir de vivre dans la réalité objective».

 

La leçon idéologique et politique de Hamsun et Lawrence

 

Sur le plan idéologique et politique, sur le plan de la Weltanschauung,  les œuvres de Hamsun et de Lawrence ont eu un im­pact assez considérable. Hamsun a été lu par tous, au-delà de la polarité communisme/fascisme. Lawrence a été étiquetté “fasciste” à titre posthume, notamment par Bertrand Russell qui parlait de sa “madness” («Lawrence was a suitable exponent of the Nazi cult of insanity»;  Lawrence était un exposant typique du culte nazi de la folie). Cette phrase est pour le moins simpliste et lapidaire. Les œuvres de Hamsun et de Lawrence s'inscrivent dans un quadruple contexte, estime Akos Doma: celui de la philosophie de la vie, celui des avatars de l'individualisme, celui de la tradition philosophique vitaliste, celui de l'anti-utopisme et de l'irrationalisme.

 

1. La philosophie de la vie (Lebensphilosophie)  est un concept de combat, opposant la “vivacité de la vie réelle” à la rigidité des conventions, jeu d'artifices inventés par la civilisation urbaine pour tenter de s'orienter dans un monde complètement dé­senchanté. La philosophie de la vie se manifeste sous des visages multiples dans la pensée européenne et prend corps à partir des réflexions de Nietzsche sur la Leiblichkeit  (la corporéité).

2. L'individualisme. L'anthropologie de Hamsun postule l'absolue unicité de chaque individu, de chaque personne, mais re­fuse d'isoler cet individu ou cette personne hors de tout contexte communautaire, charnel ou familial: il place toujours l'individu ou la personne en interaction, sur un site précis. L'absence d'introspection spéculative, de conscience, d'intellectualisme abs­trait font que l'individualisme hamsunien n'est pas celui de l'anthropologie des Lumières. Mais, pour Hamsun, on ne combat pas l'individualisme des Lumières en prônant un collectivisme de facture idéologique. La renaissance de l'homme authentique passe par une réactivation des ressorts les plus profonds de son âme et de son corps. L'enrégimentement mécanique est une insuffisance calamiteuse. Par conséquent, le reproche de “fascisme” ne tient pas, ni pour Lawrence ni pour Hamsun.

 

3. Le vitalisme tient compte de tous les faits de vie et exclut toute hiérarchisation sur base de la race, de la classe, etc. Les oppositions propres à la démarche du vitalisme sont: affirmation de la vie/négation de la vie; sain/malsain; orga­nique/mécanique. De ce fait, on ne peut les ramener à des catégories sociales, à des partis, etc. La vie est une catégorie fondamentalement a-politique, car tous les hommes sans distinction y sont soumis.

4. L'“irrationalisme” reproché à Hamsun et à Lawrence, de même que leur anti-utopisme, procèdent d'une révolte contre la “faisabilité” (feasability: Machbarkeit),  contre l'idée de perfectibilité infinie (que l'on retrouve sous une forme “organique” chez les Romantiques de la première génération en Angleterre). L'idée de faisabilité se heurte à l'essence biologique de la nature. De ce fait, l'idée de faisabilité est l'essence du nihilisme, comme nous l'enseigne le philosophe italien contemporain Emanuele Severino. Pour Severino, la faisabilité dérive d'une volonté de compléter le monde posé comme étant en devenir (mais non un devenir organique incontrôlable). Une fois ce processus de complétion achevé, le devenir arrête forcément sa course. Une stabilité générale s'impose à la Terre et cette stabilité figée est décrite comme un “Bien absolu”. Sur le mode lit­téraire, Hamsun et Lawrence ont préfiguré les philosophes contemporains tels Emanuele Severino, Robert Spaemann (avec sa critique du fonctionalisme), Ernst Behler (avec sa critique de la “perfectibilité infinie”) ou Peter Koslowski (cf. NdSE n°20), etc. Ces philosophes, en dehors d'Allemagne ou d'Italie, sont forcément très peu connus du grand public, d'autant plus qu'ils criti­quent à fond les assises des idéologies dominantes, ce qui est plutôt mal vu, depuis le déploiement d'une inquisition sournoise, exerçant ses ravages sur la place de Paris. Les cellules du “complot logocentriste” sont en place chez les éditeurs, pour refu­ser les traductions, maintenir la France en état de “minorité” philosophique et empêcher toute contestation efficace de l'idéologie du pouvoir.

 

Nietzsche, Hamsun et Lawrence, les philosophes vitalistes ou “anti-faisabilistes”, en insistant sur le caractère ontologique de la biologie humaine, s'opposent radicalement à l'idée occidentale et nihiliste de la faisabilité absolue de toute chose, donc de l'inexistence ontologique de toutes les choses, de toutes les réalités. Bon nombre d'entre eux  —et certainement Hamsun et Lawrence—  nous ramènent au présent éternel de nos corps, de notre corporéité (Leiblichkeit).  Or nous ne pouvons pas fabri­quer un corps, en dépit des vœux qui transparaissent dans une certaine science-fiction (ou dans certains projets délirants des premières années du soviétisme; cf. les textes qu'ont consacrés à ce sujet Giorgio Galli et Alexandre Douguine; cf. NdSE n°19).

 

La faisabilité est donc l'hybris poussée à son comble. Elle conduit à la fébrilité, la vacuité, la légèreté, au solipsisme et à l'isolement. De Heidegger à Severino, la philosophie européenne s'est penchée sur la catastrophe qu'a été la désacralisation de l'Etre et le désenchantement du monde. Si les ressorts profonds et mystérieux de la Terre ou de l'homme sont considérés comme des imperfections indignes de l'intérêt du théologien ou du philosophe, si tout ce qui est pensé abstraitement ou fabri­qué au-delà de ces ressorts (ontologiques) se retrouve survalorisé, alors, effectivement, le monde perd toute sacralité, toute valeur. Hamsun et Lawrence sont les écrivains qui nous font vivre avec davantage d'intensité ce constat, parfois sec, des phi­losophes qui déplorent la fausse route empruntée depuis des siècles par la pensée occidentale. Heidegger et Severino en phi­losophie, Hamsun et Lawrence au niveau de la création littéraire visent à restituer de la sacralité dans le monde naturel et à revaloriser les forces tapies à l'intérieur de l'homme: en ce sens, ils sont des penseurs écologiques dans l'acception la plus profonde du terme. L'oikos et celui qui travaille l'oikos recèlent en eux le sacré, des forces mystérieuses et incontrôlables, qu'il s'agit d'accepter comme telles, sans fatalisme et sans fausse humilité. Hamsun et Lawrence ont dès lors annoncé la di­mension géophilosophique de la pensée, qui nous a préoccupés tout au long de cette université d'été. Une approche succincte de leurs œuvres avait donc toute sa place dans le curriculum de 1996.

 

Robert STEUCKERS.

vendredi, 17 octobre 2008

Vision du futur

VISION DU FUTUR

Trouvé sur: http://coterue.over-blog.com

Un passage du grand romancier américain Ray Bradbury (auteur notamment de Fahrenheit 451 sur la criminalisation du livre dans un monde futur) qui imagine pour les environs de 2006, plusieurs décennies avant, certains changements qui pourraient affecter notre société. Il s’agit bien sûr de science-fiction apocalyptique, mais tout n’est pas si faux dans sa vision d’une censure moderne, de l’apparition d’un nouveau politiquement correct et du pouvoir grandissant donné aux communautés aux dépens de l’intérêt général.

 

 

« Ça a commencé en douceur. En 1999, ce n’était qu’un grain de sable. On s’est mis à censurer les dessins humoristiques, puis les romans policiers, et naturellement les films, d’une façon ou d’une autre, sous la pression de tel ou tel groupe, au nom de telle orientation politique, tels préjugés religieux, telles revendications particulières ; il y avait toujours une minorité qui redoutait quelque chose, et une grande majorité ayant peur du noir, peur du futur, peur du passé, peur du présent, peur d’elle-meme et de son ombre. Peur du mot "politique" (qui était, parait-il, redevenu synonyme de communisme dans les milieux les plus réactionnaires, un mot qu’on ne pouvait employer qu’au péril de sa vie). Et avec un tour de vis par-ci, un resserrage de boulon par-là, une pression, une traction, une éradication, l’art et la littérature sont devenus une immense coulée de caramel mou, un méli-mélo de tresses et de noeuds lancés dans toutes les directions, jusqu’à en perdre toute élasticité et toute saveur. Ensuite, les caméras ont cessé de tourner, les salles de spectacle se sont éteintes, et les imprimeries d’où sortait un flot niagaresque de lecture n’ont plus distillé qu’un filet inoffensif de produits "épurés". Oh, le mot "évasion" aussi était extrémiste, faites-moi confiance ! [...]

 

Chacun, disait-on, devait regarder la réalité en face. Se concentrer sur l’Ici et le Maintenant ! Tout ce qui ne s’y conformait pas devait disparaitre. Tous les beaux mensonges littéraires, tous les transports de l’imagination devaient être abattus en plein vol ! Alors on les a alignés contre un mur de bibliothèques un dimanche matin de 2006 ; on les a tous alignés, le Père Noel, le Cavalier sans tête, Blanche-Neige, le Petit Poucet, ma Mère l’Oie – oh, quelle lamentation ! Et on les a abattus. On a brûlé les chateaux en papier, les grenouilles enchantées, les vieux rois, tous ceux qui "vécurent toujours heureux" (car naturellement, il était bien connu que personne ne vivait toujours heureux !) et "il était une fois" est devenu "plus jamais". On a dispersé les cendres de Rickshaw, le fantome ainsi que les décombres du pays d’Oz ; on a désossé Clinda la bonne et Ozma, fait voler la polychromie en éclats dans un spectroscope, et meringué chaque Tête de Citrouille pour les servir au bal des Biologistes ! La tige du haricot magique est morte étouffée sous les ronces de la bureaucratie ! La Belle au Bois-Dormant s’est réveillée au baiser d’un scientifique pour expirer sous la piqure fatale de sa seringue. Ils ont fait boire à Alice une potion qui l’a fait rapetisser au point qu’elle ne pouvait plus s’écrier : "De plus en plus curieux", et d’un coup de marteau, ils ont fracassé le Miroir et chassé tous les Rois rouges et toutes les Huitres. »

 

 

Ray Bradbury, "Usher II" in. "Chroniques Martiennes", Denoel, 1997, p.210-212

samedi, 13 septembre 2008

Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du dandy

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Réflexions sur la figure esthétique et littéraire du “dandy”

 

Intervention de Robert Steuckers au séminaire de “SYNERGON-Deutschland”, Basse-Saxe, 6 mai 2001

 

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais formuler trois remarques préliminaires:

◊ 1. J’ai hésité à accepter votre invitation à parler de la figure du dandy, car ce type de problématique n’est pas mon sujet de préoccupation privilégié.

 

◊ 2. J’ai finalement accepté parce que j’ai redécouvert un essai aussi magistral que clair d’Otto Mann, paru en Allemagne il y de nombreuses années (i. e. : Dandysmus als konservative Lebensform) (*). Cet essai mériterait d’être à nouveau réédité, avec de bons commentaires.

 

◊ 3. Ma troisième remarque est d’ordre méthodologique et définitionnel. Avant de parler du “dandy”, et de rappeler à ce sujet l’excellent travail d’Otto Mann, il faut énumérer les différentes définitions du “dandy”, qui ont cours, et qui sont contradictoires. Ces définitions sont pour la plupart erronées, ou superficielles et insuffisantes. D’aucuns définissent le dandy comme un “pur phénomène de mode”, comme un personnage élégant, sans plus, soucieux de se vêtir selon les dernières modes vestimentaires. D’autres le définissent comme un personnage superficiel, qui aime la belle vie et pérégrine, oisif, de cabaret en cabaret. Françoise Dolto avait brossé un tableau psychologique du dandy. D’autres encore soulignent, quasi exclusivement, la dimension homosexuelle de certains dandies, tel Oscar Wilde. Plus rarement on assimile le dandy à une sorte d’avatar de Don Juan, qui meuble son ennui en collectionnant les conquêtes féminines. Ces définitions ne sont pas celles d’Otto Mann, que nous faisons nôtres.

 

L’archétype: George Bryan Brummell

 

Notre perspective, à la suite de l’essai d’Otto Mann, est d’attribuer au dandy une dimension culturelle plus profonde que toutes ses superficialités “modieuses”, épicuriennes, hédonistes, homosexuelles ou donjuanesques. Pour Otto Mann, le modèle, l’archétype du dandy, reste George Bryan Brummell, figure du début du 19ième siècle qui demeurait équilibrée. Brummell, contrairement à certains pseudo-dandies ultérieurs, est un homme discret, qui ne cherche pas à se faire remarquer par des excentricités vestimentaires ou comportementales. Brummell évite les couleurs criardes, ne porte pas de bijoux, ne se livre pas à des jeux sociaux de pur artifice. Brummell est distant, sérieux, digne; il n’essaie pas de faire de l’effet, comme le feront, plus tard, des figures aussi différentes qu’Oscar Wilde, que Stefan George ou Henry de Montherlant. Chez lui, les tendances spirituelles dominent. Brummell entretient la société, raconte, narre, manie l’ironie et même la moquerie. Pour parler comme Nietzsche ou Heidegger, nous dirions qu’il se hisse au-dessus de l’«humain, trop humain» ou de la banalité quotidienne (Alltäglichkeit).

 

Brummell, dandy de la première génération, incarne une forme culturelle, une façon d’être, que notre société contemporaine devrait accepter comme valable, voire comme seule valable, mais qu’elle ne génère plus, ou plus suffisamment. Raison pour laquelle le dandy s’oppose à cette société. Les principaux motifs qui sous-tendent son opposition sont les suivants : 1) la société apparaît comme superficielle et marquée de lacunes et d’insuffisances; 2) le dandy, en tant que forme culturelle, qu’incarnation d’une façon d’être, se pose comme supérieur à cette société lacunaire et médiocre; 3) le dandy à la Brummell ne commet aucun acte exagéré, ne commet aucun scandale (par exemple de nature sexuelle), ne commet pas de crime, n’a pas d’engagement politique (contrairement aux dandies de la deuxième génération comme un Lord Byron). Brummell lui-même ne gardera pas cette attitude jusqu’à la fin de ses jours, car il sera criblé de dettes, mourra misérablement à Caen dans un hospice. Il avait, à un certain moment, tourné le dos au fragile équilibre que réclame la posture initiale du dandy, qu’il avait été le premier à incarner.

 

Un idéal de culture, d’équilibre et d’excellence

 

S’il n’y a dans son comportement et sa façon d’être aucune exagération, aucune originalité flamboyante, pourquoi la figure du dandy nous apparaît-elle quand même importante, du moins intéressante? Parce qu’elle incarne un idéal, qui est en quelque sorte, mutatis mutandis, celui de la paiedeia grecque ou de l’humanitas romaine. Chez Evola et chez Jünger, nous avons la nostalgie de la magnanimitas latine, de l’hochmüote des chevaliers germaniques des 12ième et 13ième siècles, avatars romains ou médiévaux d’un modèle proto-historique perse, mis en exergue par Gobineau d’abord, par Henry Corbin ensuite. Le dandy est l’incarnation de cet idéal de culture, d’équilibre et d’excellence dans une période plus triviale de l’histoire, où le bourgeois calculateur et inculte, et l’énergumène militant, de type hébertiste ou jacobin, a pris le pas sur l’aristocrate, le chevalier, le moine et le paysan.

 

A la fin du 18ième siècle, avec la révolution française, ces vertus, issues du plus vieux fond proto-historique de l’humanité européenne, sont complètement remises en question. D’abord par l’idéologie des Lumières et son corrolaire, l’égalitarisme militant, qui veut effacer toutes les traces visibles et invisibles de cet idéal d’excellence. Ensuite, par le Sturm und Drang et le romantisme, qui, par réaction, basculent parfois dans un sentimentalisme incapacitant, parce qu’expression, lui aussi, d’un déséquilibre. Les modèles immémoriaux, parfois estompés et diffus, les attitudes archétypales survivantes disparaissent. C’est en Angleterre qu’on en prend conscience très vite, dès la fin du 17ième, avant même les grands bouleversements de la fin du 18ième : Addison et Steele dans les colonnes du Spectator et du Tatler, constatent qu’il est nécessaire et urgent de conserver et de maintenir un système d’éducation, une culture générale, capables de garantir l’autonomie de l’homme. Une valeur que les médias actuels ne promeuvent pas, preuve discrète que nous avons bel et bien sombré dans un monde orwellien, qui se donne un visage de “bon apôtre démocratique”, inoffensif et “tolérant”, mais traque impitoyablement toutes les espaces et résidus d’autonomie de nos contemporains. Addison et Steele, dans leurs articles successifs, nous ont légué une vision implicite de l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Europe.

 

L’idéal de Goethe

 

Le plus haut idéal culturel que l’Europe ait connu est bien entendu celui de la paideia grecque antique. Elle a été réduite à néant par le christianisme primitif, mais, dès le 14ième siècle, on sent, dans toute l’Europe, une volonté de faire renaître les idéaux antiques. Le dandy, et, bien avant son émergence dans le paysage culturel européen, les deux journalistes anglais Steele et Addison, entendent incarner cette nostalgie de la paideia, où l’autonomie de chacun est respectée. Ils tentent en fait de réaliser concrètement dans la société l’objectif de Goethe: inciter leurs contemporains à se forger et se façonner une personnalité, qui sera modérée dans ses besoins, satisfaite de peu, mais surtout capable, par cette ascèse tranquille, d’accéder à l’universel, d’être un modèle pour tous, sans trahir son humus originel (Ausbildung seiner selbst zur universalen und selbstgenugsamen Persönlichkeit). Cet idéal goethéen, partagée  anticipativement par les deux publicistes anglais puis incarné par Brummell, n’est pas passé après les vicissitudes de la révolution française, de la révolution industrielle et des révolutions scientifiques de tous acabits. Sous les coups de cette modernité, irrespectueuse des Anciens, l’Europe se retrouve privée de toute culture substantielle, de toute épine dorsale éthique. On en mesure pleinement les conséquences aujourd’hui, avec la déliquescence de l’enseignement.

 

A partir de 1789, et tout au long du 19ième siècle, le niveau culturel ne cesse de s’effondrer. Le déclin culturel commence au sommet de la pyramide sociale, désormais occupé par la bourgeoisie triomphante qui, contrairement aux classes dominantes des époques antérieures, n’a pas d’assise morale (sittlich) valable pour maintenir un dégré élevé de civilisation; elle n’a pas de fondement religieux, ni de réelle éthique professionnelle, contrairement aux artisans et aux gens de métier, jadis encadrés dans leurs gildes ou corporations (Zünfte). La seule réalisation de cette bourgeoisie est l’accumulation méprisable de numéraire, ce qui nous permet de parler, comme René Guénon, d’un “règne de la quantité”, d’où est bannie toute qualité. Dans les classes défavorisées, au bas de l’échelle sociale, tout élément de culture est éradiqué, tout simplement parce que chez les pseudo-élites, il n’y a déjà plus de modèle culturel; le peuple, aliéné, précarisé, prolétarisé, n’est plus une matrice de valeurs précises, ethniquement déterminées, du moins une matrice capable de générer une contre-culture offensive, qui réduirait rapidement à néant ce que Thomas Carlyle appelait la “cash flow mentality”. En conclusion, nous assistons au déploiement d’une barbarie nantie, à haut niveau économique (eine ökonomisch gehobene Barbarei), mais à niveau culturel nul. On ne peut pas être riche à la mode du bourgeois et, simultanément, raffiné et intelligent. Cette une vérité patente : personne de cultivé n’a envie de se retrouver à table, ou dans un salon, avec des milliardaires de la trempe d’un Bill Gates ou d’un Albert Frère, ni avec un banquier ou un fabricant de moteurs d’automobile ou de frigidaires. Le véritable homme d’esprit, qui se serait égaré dans le voisinage de tels sinistres personnages, devrait sans cesse réprimer des baillements en subissant le vomissement continu de leurs bavardages ineptes, ou, pour ceux qui ont le tempérament plus volcanique, réprimer l’envie d’écraser une assiette bien grasse, ou une tarte à la façon du Gloupier, sur le faciès blet de ces nullités. Le monde serait plus pur —et sûrement plus beau— sans la présence de telles créatures.

 

La mission de l’artiste selon Baudelaire

 

Pour le dandy, il faut réinjecter de l’esthétique dans cette barbarie. En Angleterre, John Ruskin (1819-1899), les Pré-Réphaélites avec Dante Gabriel Rossetti et William Morris, vont s’y employer. Ruskin élaborera des projets architecturaux, destinés à embellir les villes enlaidies par l’industrialisation anarchique de l’époque manchesterienne, qui déboucheront notamment sur la construction de “cités-jardins” (Garden Cities). Les architectes belges et allemands de l’Art Nouveau ou Jugendstil, dont Henry Vandervelde et Victor Horta, prendront le relais. A côté de ces réalisations concrètes  —parce que l’architecture permet plus aisément de passer au concret—  le fossé ne cesse de se creuser entre l’artiste et la société. Le dandy se rapproche de l’artiste. En France, Baudelaire pose, dans ses écrits théoriques, l’artiste comme le nouvel “aristocrate”, dont l’attitude doit être empreinte de froideur distante, dont les sentiments ne doivent jamais s’exciter ni s’irriter outre mesure, dont l’ironie doit être la qualité principale, de même que la capacité à raconter des anecdotes plaisantes. Le dandy artiste prend ses distances par rapport à tous les dadas conventionnels et habituels de la société. Ces positions de Baudelaire se résument dans les paroles d’un personnage d’Ernst Jünger, dans le roman Héliopolis : «Je suis devenu le dandy, qui prend pour important ce qui ne l’est pas, qui se moque de ce qui est important » («Ich wurde zum Dandy, der das Unwichtige wichtig nahm, das Wichtige belächelte»). Le dandy de Baudelaire, à l’instar de Brummell, n’est donc pas un personnage scandaleux et sulfureux à la Oscar Wilde, mais un observateur froid (ou, pour paraphraser Raymond Aron, un “spectateur désengagé”), qui voit le monde comme un simple théâtre, souvent insipide où des personnages sans réelle substance s’agitent et gesticulent. Le dandy baudelérien a quelque peu le goût de la provocation, mais celle-ci reste cantonnée, dans la plupart des cas, à l’ironie.

 

Les exagérations ultérieures, souvent considérées à tort comme expressions du dandysme, ne correspondent pas aux attitudes de Brummell, Baudelaire ou Jünger. Ainsi, un Stefan George, malgré le grand intérêt de son œuvre poétique, pousse l’esthétisme trop loin, à notre avis, pour verser dans ce qu’Otto Mann appelle l’«esthéticisme», caricature  de toute véritable esthétique.Pour Stefan George, c’est un peu la rançon à payer à une époque où la “perte de tout juste milieu” devient la règle (Hans Sedlmayr a explicité clairement dans un livre célèbre sur l’art contemporain, Verlust der Mitte, cette perte du “juste milieu”). Sedlmayr mettait clairement en exergue cette volonté de rechercher le “piquant”. Stefan George le trouvera dans ses mises en scène néo-antiques. Oscar Wilde ne mettra rien d’autre en scène que lui-même, en se proclamant “réformateur esthétique”. L’art, dans sa perspective, n’est plus un espace de contestation destiné à investir totalement, à terme, le réel social, mais devient le seule réalité vraie. La sphère économique, sociale et politique se retrouve dévalorisée; Wilde lui dénie toute substantialité, réalité, concrétude. Si Brummell conservait un goût tout de sobriété, s’il gardait la tête sur les épaules, Oscar Wilde se posait d’emblée comme un demi-dieu, portait des vêtements extravagants, aux couleurs criardes, un peu comme les Incroyables et les Merveilleuses au temps de la révolution française. Provocateur, il a aussi amorcé un processus de mauvaise “féminisation/dévirilisation”, en se promenant dans les rues avec des fleurs à la main. A l’heure des actuelles “gay prides”, on peut le considérer comme un précurseur. Ses poses constituent tout un théâtre, assez éloigné, finalement, de ce sentiment tranquille de supériorité, de dignité virile, de “nil admirari”, du premier Brummell.

 

Auto-satisfaction et sur-dimensionnement du “moi”

 

Pour Otto Mann, cette citation de Wilde est emblématique : « Les dieux m’ont presque tout donné. J’avais du génie, un nom illustre, une position sociale élevée, la gloire, l’éclat, l’audace intellectuelle ; j’ai fait de l’art une philosophie et de la philosophie un art; j’ai appris aux hommes à penser autrement et j’ai donné aux choses d’autres couleurs... Tout ce que j’ai touché s’est drapé dans de nouveaux effets de beauté; à la vérité, je me suis attribué, à juste titre, le faux comme domaine et j’ai démontré que le faux, tout comme le vrai, n’est qu’une simple forme d’existence postulée par l’intellect. J’ai traité l’art comme la vérité suprême, et la vie comme une branche de la poésie et de la littérature. J’ai éveillé la fantaisie en mon siècle, si bien qu’il a créé, autour de moi, des mythes et des légendes. J’ai résumé tous les systèmes philosophiques en un seul épigramme. Et à côté de tout cela, j’avais encore d’autres atouts». L’auto-satisfaction, le sur-dimensionnement du “moi” sont patents, vont jusqu’à la mystification.

 

Ces exagérations iront croissant, même dans l’orbite de cette virilité stoïque, chère à Montherlant. Celui-ci, à son tour, exagère dans les poses qu’il prend, en pratiquant une tauromachie fort ostentatoire ou en se faisant photographier, paré du masque d’un empereur romain. Le risque est de voir des adeptes minables verser dans un “lookisme” tapageur et de mauvais goût, de formaliser à l’extrême ces attitudes ou ces postures du poète ou de l’écrivain. En aucun cas, elles n’apportent une solution au phénomène de la décadence. En matière de dandysme, la seule issue est de revenir calmement à Brummell lui-même, avant qu’il ne sombre dans les déboires financiers. Car ce retour au premier Brummell équivaut, si l’on se souvient des exhortations antérieures d’Addison et Steele, à une forme plus moderne, plus civile et peut-être plus triviale de paideia ou d’humanitas. Mais, trivialité ou non, ces valeurs seraient ainsi maintenues, continueraient à exister et à façonner les esprits. Ce mixte de bon sens et d’esthétique dandy permettrait de dégager un objectif politique pratique : défendre l’école au sens classique du terme, augmenter sa capacité à transmettreles legs de l’antiquité hellénique et romaine, prévoir une pédagogie nouvelle et efficace, qui serait un mixte d’idéalisme à la Schiller, de méthodes traditionnelles et de méthodes inspirées par Pestalozzi.

 

Retour à la religion ou “conscience malheureuse”?

 

La figure du dandy doit donc être replacée dans le contexte du 18ième siècle, où les idéaux et les modèles classiques de l’Europe traditionnelle s’érodent et disparaissent sous les coups d’une modernité équarissante et arasante. Les substances religieuses, chrétiennes ou pré-chrétiennes sous vernis chrétien, se vident et s’épuisent. Les Modernes prennent le pas sur les Anciens. Ce processus conduit forcément à une crise existentielle au sein de l’écoumène civilisationnel européen. Deux pistes s’offrent à ceux qui tentent d’échapper à ce triste destin : 1) Le retour à la  religion, ou à la tradition, piste importante mais qui n’est pas notre propos aujourd’hui, tant elle représente un continent de la pensée, fort vaste, méritant un séminaire complet à elle seule. 2) Cultiver ce que les romantiques appelaient la Weltschmerz, la douleur que suscitait ce monde désenchanté, ce qui revient à camper sur une position critique permanente à l’endroit des manifestations de la modernité, à développer une conscience malheureuse, génératrice d’une culture volontairement en marge, mais où l’esprit politiquepeut puiser des thématiques offensives et contestatrices.

 

Pour le dandy et le romantique, qui oscille entre le retour à la religion et le sentiment de Weltschmerz, cette dernière est surtout ressentie de l’intérieur. C’est dans l’intériorité du poète ou de l’artiste que ce sentiment va mûrir, s’accroître, se développer. Jusqu’au point de devenir dur, de dompter le regard et d’éviter ainsi les langueurs ou les colères suscitées par la conscience malheureuse. En bout de course, le dandy doit devenir un observateur froid et impartial, qui a dominé ses sentiments et ses émotions. Si le sang a bouillonné face aux “horreurs économiques”, il doit rapidement se refroidir, conduire à l’impassibilité, pour pouvoir les affronter efficacement. Le dandy, qui a subi ce processus, atteint ainsi une double impassibilité : rien d’extérieur ne peut plus l’ébranler; mais aucune émotion intérieure non plus. Pierre Drieu La Rochelle ne parviendra jamais à un tel équilibre, ce qui donne une touche très particulière et très séduisante à son œuvre, tout simplement parce qu’elle nous dévoile ce processus, en train de se réaliser, vaille que vaille, avec des ressacs, des enlisements et des avancées. Drieu souffre du monde, s’essaie aux avant-gardes, est séduit par la discipline et les aspects “métalliques” du fascisme “immense et rouge”, en marche à son époque, accepte mentalement la même discipline chez les communistes et les staliniens, mais n’arrive pas vraiment à devenir un “observateur froid et impartial” (Benjamin Constant). L’œuvre de Drieu La Rochelle est justement immortelle parce qu’elle révèle cette tension permanente, cette crainte de retomber dans les ornières d’une émotion inféconde, cette joie de voir des sorties vigoureuses hors des torpeurs modernes, comme le fascisme, ou la gouaille d’un Doriot.

 

Blinder le mental et le caractère

 

En résumé, le processus de deconstruction des idéaux de la paideia antique, et de déliquescence des substantialités religieuses immémoriales, qui s’amorce à la fin du 18ième siècle, équivaut à une crise existentielle généralisée à tous les pays occidentaux. La réponse de l’intelligence à cette crise est double : ou bien elle appelle un retour à la religion ou bien elle suscite, au fond des  âmes, une douleur profondément ancrée, la fameuse Weltschmerz des romantiques. La Weltschmerz se ressent dans l’intériorité profonde de l’homme qui fait face à cette crise, mais c’est aussi dans son intériorité qu’il travaille silencieusement à dépasser cette douleur, à en faire le matériel premier pour forger la réponse et l’alternative à cette épouvantable déperdition de substantialité, surplombée par un économicisme délétère. Il faut donc se blinder le mental et le caractère, face aux affres qu’implique la déperdition de substantialité, sans pour autant inventer de toutes pièces des Ersätze plus ou moins boîteux à la substantialité de jadis. Baudelaire et Wilde pensent, tous deux à leur manière, que l’art va offrir une alternative, plus souple et plus mouvante que les anciennes substantialités, ce qui est quasiment exact sur toute la ligne, mais, dans ce cas, l’art ne doit pas être entendu comme simple esthétisme. Le blindage du mental et du caractère doit servir, in fine, à combattre l’économicisme ambiant, à lutter contre ceux qui l’incarnent, l’acceptent et mettent leurs énergies à son service. Ce blindage doit servir de socle moral et psychologique dur aux idéaux de combat politique et métapolique. Ce blindage doit être la carapace de ce qu’Evola appelait l’«homme différencié», celui qui “chevauche le tigre”, qui erre, imperturbé et imperturbable, “au milieu des ruines”, ou que Jünger désignait sous le vocable d’«anarque». “L’homme différencié qui chevauche le tigre au milieu des ruines” ou “l’anarque” sont posés d’emblée comme des observateurs froids, impartiaux, impassibles. Ces hommes différenciés, blindés, se sont hissés au-dessus de deux catégories d’obstacles : les obstacles extérieurs et les obstacles générés par leur propre intériorité. C’est-à-dire les barrages dressés par les “hommes de moindre valeur”  et les alanguissements de l’âme en détresse.

 

Figures tchandaliennes de la décadence

 

La crise existentielle, qui débute vers le milieu du 18ième siècle, débouche donc sur un nihilisme, très judicieusement défini par Nietzsche comme un “épuisement de la vie”, comme “une dévalorisation des plus hautes valeurs”, qui s’exprime souvent par une agitation frénétique sans capacité de jouir royalement de l’otium, agitation qui accélère le processus d’épuisement. La mise en schémas de l’existence est l’indice patent que nos “sociétés”ne forment plus des “corps”, mais constituent, dit Nietzsche, des “conglomérats de Tchandalas”, chez qui s’accumulent les maladies nerveuses et psychiques, signe que la puissance défensive des fortes natures n’est plus qu’un souvenir. C’est justement cette “puissance défensive” que l’homme “différencié” doit, au bout de sa démarche, de sa quête dans les arcanes des traditions, reconstituer en lui. Nietzsche énumère très clairement les vices du Tchandala, figure emblématique de la décadence européenne, issue de la crise existentielle et du nihilisme: le Tchandala est affecté de pathologies diverses, sur fond d’une augmentation de la criminalité, de célibat  généralisée et de stérilité voulue, d’hystérie, d’affaiblissement constant de la volonté, d’alcoolisme (et de toxicomanies diverses ajouterions-nous), de doute systématique, d’une destruction méthodique et acharnée des résidus de force. Parmi les figures tchandaliennes de cette décadence et de ce nihilisme, Nietzsche compte ceux qu’il appelle les “nomades étatiques” (Staatsnomaden) que sont les fonctionnaires, sans patrie réelle, serviteurs du “monstre froid”, au mental mis en schémas et, subséquemment, générateurs de toujours davantage de schémas, dont l’existence parasitaire engendre, par leur effroyable pesanteur en progression constante, le déclin des familles, dans un environnement fait de diversités contradictoires et émiettées, où l’on trouve

 

-         le “disciplinage” (Züchtung) des caractères pour servir les abstractions du monstre froid,

-         la lubricité généralisée comme forme de nervosité et comme expression d’un besoin insatiable et compensatoire de stimuli et d’excitations,

-         les névroses en tous genres,

-         les fascinations morbides pour les mécanismes et pour les enchaînements, limités, de sèches causalités sans levain,

-         le présentisme politique (Augenblickdienerei) où ne dominent plus, souverainement, ni longue mémoire ni perspectives profondes ni sens naturel et instinctif du bon droit,

-         le sensibilisme pathologique,

-         les doutes inféconds procédant d’un effroi morbide face aux forces impassables qui ont fait et feront encore l’histoire-puissance,

-         une peur d’arraisonner le réel, de saisir les choses tangibles de ce monde.

 

Victor Segalen en Océanie, Ernst Jünger en Afrique

 

Dans ce complexe de froideur, d’immobilisme agité, de frénésies infécondes, de névroses, une première réponse au nihilisme est d’exalter et de concrétiser le principe de l’aventure, où le contestataire quittera le monde bourgeois tissé d’artifices, pour s’en aller vers des espaces vierges, intacts, authentiques, ouverts, mystérieux. Gauguin part pour les îles du Pacifique. Victor Segalen, à sa suite, chante l’Océanie primordiale et la Chine impériale qui se meurt sous les coups de l’occidentalisme. Segalen demeure breton, opère ce qu’il appelait le “retour à l’os ancestral”, dénonce l’envahissement de Tahiti par les “romances américaines”, ces “parasites immondes”, rédige un “Essai sur l’exotisme” et “Une esthétique du divers”. Le rejet des brics et brocs sans passé profond ont valu à Segalen un ostracisme injustifié dans sa patrie : il reste un auteur à redécouvrir, dans la perspective qui est nôtre.

 

Le jeune Jünger, encore adolescent, rêve de l’Afrique, du continent où vivent les éléphants et d’autres animaux fabuleux, où les espaces et les paysages ne sont pas meurtris par l’industrialisation, où la nature et les peuples indigènes ont conservé une formidable virginité, permettant encore tous les possibles. Le jeune Jünger s’engage dans la Légion Etrangère pour concrétiser ce rêve, pour pouvoir débarquer dans ce continent nouveau, perclus de mystères et de vitalité. 1914 lui donnera, à lui et à toute sa génération, l’occasion de sortir d’une existence alanguissante. Dans la même veine, Drieu La Rochelle parlera de l’élan de Charleroi. Et plus tard, Malraux, de “Voie Royale”. A “gauche” (pour autant que cette dichotomie politicienne ait un sens), on parlera plutôt d’ “engagement”, où ce même enthousiasme se retrouvera surtout lors de la Guerre d’Espagne, où Hemingway, Orwell, Koestler, Simone Weil s’engageront dans le camp des Républicains, et Campbell dans le camp des Nationalistes, qui fut aussi, comme on le sait, chanté par Robert Brasillach. L’aventure et l’engagement, dans l’uniforme du soldat ou des milices phalangistes, dans les rangs des brigades internationales ou des partisans, sont perçus comme antidotes à l’hyperformalisme d’une vie civile sans couleurs. “I was tired of civilian life, therefore I joined the IRA”), est-il dit dans un chant nationaliste irlandais, qui, dans son contexte particulier, proclame, avec une musique primesautière, cette grande envolée existentialiste du début du 20ième siècle avec toute la désinvolture, la verdeur, le rythme et la gouaille de la Verte Eirinn.

 

Ivresses? Drogues? Amoralisme?

 

Mais si l’engagement politique ou militaire procure, à ceux que le formalisme d’une vie civile, sans plus aucun relief ni équilibre traditionnel, ennuie, le supplément d’âme recherché, le rejet de tout formalisme peut conduire à d’autres attitudes, moins positives. Le dandy, qui quitte la pose équilibrée de Brummell ou la critique bien ciselée de Baudelaire, va vouloir expérimenter toujours davantage d’excitations, pour le seul plaisir stérile d’en éprouver. La drogue, la toxicomanie, la consommation exagérée d’alcools vont constituer des échappatoires possibles: la figure romanesque créée par Huysmans, Des Esseintes, fuira dans les liqueurs. Thomas De Quincey évoquera les “mangeurs d’opium” (“The Opiumeaters”). Baudelaire lui-même goûtera l’opium et le haschisch. Ce basculement dans les toxicomanies s’explique par la fermeture du monde, après la colonisation de l’Afrique et d’autres espaces jugés vierges; l’aventure réelle, dangereuse, n’y est plus possible. La guerre, expérimentée par Jünger, quasi en même temps que les “drogues et les ivresses”, cesse d’attirer car la figure du guerrier devient un anachronisme quand les guerres se professionnalisent, se mécanisent et se technicisent  à outrance.

 

Autre échappatoire sans aucune positivité : l’amoralisme et l’anti-moralisme. Oscar Wilde fréquentera des bars louches, exhibera de manière très ostentatoire son homosexualité. Son personnage Dorian Gray devient criminel, afin de transgresser toujours davantage ce qui a déjà été transgressé, avec une sorte d’hybris pitoyable. On se souviendra de la fin pénible de Montherlant et on gardera en mémoire l’héritage douteux que véhicule encore aujourd’hui son exécuteur testamentaire, Gabriel Matzneff, dont le style littéraire est certes fort brillant mais dans le sillage duquel de bien tristes scénarios se déroulent, montés en catimini, dans des cercles fermés et d’autant plus pervers et ridicules que la révolution sexuelle des années 60 permet tout de même de goûter sans moralisme étriqué à beaucoup de voluptés gaillardes et goliardes. Ces drogues, transgressions et sexomanies bouffonnes constituent autant d’apories, de culs-de-sac existentiels où aboutissent lamentablement quelques détraqués, en quête d’un “supplément d’âme”, qu’ils veulent “transgresseur”, mais qui, pour l’observateur ironique, n’est rien d’autre que le triste indice d’une vie ratée, d’une absence de grand élan véritable, de frustrations sexuelles dues à des défauts ou des infirmités physiques. Décidément, ne “chevauche pas le  Tirgre” qui veut et on ne voit pas très bien quel “Tigre” il y a à chevaucher dans les salons où le vieux beau Matzneff laisse quelques miettes de ses agapes sexuelles à ses admirateurs un peu torves...

 

Ascèse religieuse

 

L’alternative véritable, face au monde bourgeois, des “petits jobs” et des “petits calculs”, moqués par Hannah Arendt, dans un monde désormais fermé, où aventures et découvertes ne sont plus que répétitions, où la guerre est “high tech” et non plus chevaleresque, réside dans l’ascèse religieuse, dans un certain retour au monachisme de méditation, dans le recours aux traditions (Evola, Guénon, Schuon). Drieu la Rochelle évoque cette piste dans son “Journal”, après ses déceptions politiques, et rend compte de sa lecture de Guénon. Les frères Schuon sont exemplaires à ce titre : Frithjof part à la Légion Etrangère, arpente le Sahara, fait connaissance avec les soufis et les marabouts du désert ou de l’Atlas, adhère à une mystique soufie islamisée, part ensuite dans les réserves de Sioux aux Etats-Unis, laisse une œuvre picturale étonnante et époustouflante. Son frère, nommé le “Père Galle”, arpente les réserve améridiennes d’Amérique du Nord, traduit les évangiles en langue sioux, se retire dans une trappe wallonne, y dresse des jeunes chevaux à la mode indienne, y rencontre Hergé et se lie d’amitié avec lui. Des existences qui prouvent que l’aventure et l’évasion totale hors du monde frelaté de l’occidentisme (Zinoviev) demeure possible et féconde.

 

Car la rébellion est légitime, si elle ne bascule pas dans les apories ou ne débouche pas sur un satanisme de mauvais aloi, comme dans certaines sectes néo-païennes, plus ou moins inspirées par les faits et gestes d’un Alistair Crowley. Ce dérapage s’explique : la rébellion, faute de cause, devient hélas service à Satan, lorsque le mal en soi  —ou ce qui passe pour le “mal en soi”—  est devenu l’excitation existentielle considérée comme la plus osée. Dans un monde désenchanté, comme le nôtre, livré aux plaisirs stupides et passifs fournis par les médias, ce satanisme, avec son cortège sinistre de gesticulations absurdes et infécondes, séduit des esprits faibles, comme ceux qui traînent, par puritanisme mal digéré et mal surmonté, dans les salons où agit Matzneff et “passivent” ses voyeurs d’admirateurs. Ce n’est en tout cas pas l’attitude que souhaitait généraliser Brummell.

 

Robert STEUCKERS,

Forest/Flotzenberg, Vlotho im Weserbergland, mai 2001.

 

Note:

(*) : Otto MANN, “Dandysmus als konservative Lebensform” in: Gerd-Klaus KALTENBRUNNER (Hrsg.), Konservatismus International, Seewald Verlag, Stuttgart, 1973, ISBN 3-51200327-3, pp.156-170.

vendredi, 22 août 2008

Brèves réflexions sur l'oeuvre de H. G. Wells

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Werner OLLES:

 

Brèves réflexions sur l’oeuvre de H. G. Wells

 

Incontestablement,  Herbert George Wells est l’un des plus intéressants écrivains du 20ème siècle, à facettes multiples. Son oeuvre complète comprend près de cent volumes et va de la théorie (en biologie, en histoire contemporaine, en philosophie et en politique) à ces romans et récits devenus si célèbres dans le monde entier. Toutes ces créations littéraires sont des exemples de perfection en matière de littérature fantastique et utopique: de véritables classiques de la narration contemporaine. Wells est entré dans l’histoire intellectuelle de notre monde comme le père fondateur de la littérature de science-fiction et comme l’un des plus géniaux écrivains de ce genre.

 

H. G. Wells est né le 21 septembre 1866 dans la petite ville de Bromley dans le Comté de Kent en Angleterre. Son père était jardinier; plus tard, ses économies lui permirent d’ouvrir un petit commerce d’étoffes mais sa carrière de commerçant ne fut guère brillante. Le foyer parental était petit bourgeois, bigot, ce qui limitait les perspectives du jeune Wells. De cette époque de jeunesse date également son antipathie profonde à l’encontre du catholicisme qu’il abhorrait véritablement, l’accusant d’être une pensée pré-bourgeoise. La haine intense qu’il cultivait pour le culte “romain”, accusé d’être contre-révolutionnaire et médiéval, hostile à la modernité, l’amena même à plaider, pendant la seconde guerre mondiale, pour une destruction complète de Rome par les bombardiers alliés. Cette violente position anti-catholique le mettait pourtant en porte-à-faux par rapport à de nombreux intellectuels et écrivains anglais de son époque mais ne le dérangeait pas outre mesure: beaucoup d’écrivains anglicans en effet, comme Graham Greene, Evelyn Waugh, G. K. Chersterton ou Julien Green se convertirent au catholicisme.

 

Déjà dans ses premiers ouvrages, comme “La machine à remonter le temps”, un récit fantastique où un inventeur s’envole vers le futur, il se percevait lui-même en héros. De manière parfaitement prosaïque, il décrit un petit paradis où débarque son “voyageur à travers le temps”; y vivent les “Eloïs”, des créatures affables qui vivent en dehors de tous soucis. Mais bien vite, l’inventeur et voyageur remarque que cette société, en apparence si paisible, est pourtant soumise à la terreur le plus brutale. Les “Eloïs”, en effet, sont rançonnés et exploités par les Morloks, des monstres souterrains qui les massacrent sans pitié.

 

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Dans “L’Ile du Dr. Moreau”, le héros est un scientifique expulsé d’Angleterre qui mène des  expériences dans une île du Pacifique Sud, afin de transformer des animaux en demi-êtres à la suite d’opérations chirurgicales précises. Moreau, vivisectionniste démoniaque, est simultanément un Prométhée et un dieu punisseur. Les parallèles avec le récit de la Genèse sont flagrants: l’homme est toujours menacé de glisser à nouveau vers l’état de la bête et, à l’instar des créatures fabriquées par Moreau, les hommes, eux aussi, sont condamnés à la souffrance.

 

Wells s’était engagé dans la “Fabian Society”, une association de socialistes britanniques mais ce ne fut que pour une courte durée. Ses rêves sociaux-révolutionnaires se sont assez rapidement évanouis et il se tourne alors vers la métaphysique. Dans “La guerre des mondes”, il décrit comment des extra-terrestres réduisent l’Angleterre en cendres. Dans les années 30, Orson Welles fit de ce récit un reportage radiophonique qui semblait si vrai que des dizaines de milliers  d’Américains prirent la fuite, en panique devant cette invasion imminente de Martiens. Dans “Les géants arrivent”, il pose la question: les hommes, comme jadis les dinosaures, sont-ils condamnés à disparaître?

 

A la fin de sa vie, l’évolution de la politique et le développement des technologies firent de lui un pessimiste (voir son essai: “L’esprit est-il au bout de ses possibilités?”). H. G. Wells meurt le 13 août 1946 à l’âge de 79 ans à Londres.

 

Werner OLLES.

(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°33/2006; trad. franç.: Robert Steuckers).