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jeudi, 19 décembre 2024

La Russie et son double

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La Russie et son double

Ouvrage édité par "Perspectives libres", novembre 2023

Exposé liminaire

par Gérard Conio

J’ai écrit ce livre pour donner de la Russie une autre image que celle propagée par une russophobie délirante fondée sur l’ignorance et le dénigrement systématique.

J’ai voulu montrer tout d’abord l’état rédhibitoire de la Russie que j’ai constaté en 1996 pour qu’on puisse le comparer à l’essor qu’elle connaît aujourd’hui grâce au redressement opéré par Vladimir Poutine, depuis son accession à la présidence.

Ce que j’ai observé d’une manière subjective est confirmé par les statistiques objectives des économistes et des politologues indépendants qui ont refusé de se plier à la doxa officielle.

 

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Le conflit entre la Russie et l’Occident est avant tout un choc des civilisations qui oppose des visions du monde et on peut comprendre que les adorateurs de la démocratie regrettent une évolution qui écarte la Russie de la sacro-sainte liberté individuelle au nom de laquelle elle a été entraînée dans un paradis qui s’est révélé pour elle un enfer.

Les débats fondés sur des axiomes et des pétitions de principe engendrent le déni des réalités vécues par le peuple russe dans son adhésion à une autorité qui lui rendait sa souveraineté et son indépendance en lui apportant une sécurité et une stabilité retrouvées ainsi que l’amélioration de ses conditions de vie détériorées par l’emprise de quelques prédateurs sur la société russe.

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Le narratif occidental sur « l’opération spéciale » a le tort de se polariser sur un moment isolé de son contexte, sans tenir compte de tous les facteurs qui ont pesé sur une rupture dont les conséquences n’ont été sérieusement envisagées ni dans une décision que le président russe jugeait inévitable ni dans les «  sanctions » qu’elle a suscitées et qui se sont retournées contre leurs auteurs.

Une « agression »  aux objectifs limités a provoqué « le basculement du monde », parce qu’elle avait des origines très anciennes.

Ce moment n’est pas né «  par hasard », il s’inscrit dans un devenir historique.

C’est pourquoi j’ai jugé bon de relater mon expérience des stades successifs d’une évolution dont j’ai été le témoin.

Mais, pour éclairer une opinion abusée par la fausse parole, il importe en tout premier lieu de remettre la Russie à sa place sur la carte du monde. 

L’histoire de la Russie est déterminée par «  le fait géographique » qui l’ouvre vers l’Ouest et vers l’Est, l’Europe et l’Asie. Dépourvue de frontières naturelles, elle a dû se défendre contre les invasions qui, depuis des siècles, sont venues se briser contre le Heartland, le coeur du monde, ainsi nommé par Mackinder, le fondateur de la géopolitique au 19ème siècle qui avait déduit le résultat de ses observations dans une formule restée célèbre: «Qui contrôle l’Europe de l’est, contrôle le Heartland, qui règne sur le Heartland, règne sur le monde». Mackinder désignait ainsi l’Empire russe couvrant « la plaine qui s’étend  de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale et rayonne sur la mer Méditerranée, le Moyen Orient, l’Asie du Sud et la Chine ». 

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Un géopoliticien américain, Nicolas Spykman (photo), appliquera cette théorie à la deuxième guerre mondiale. Il ajoute au Heartland la bande de terre côtière qu’il appelle le Rimland et il critique Mackinder en parodiant sa formule:  « Qui contrôle le Rimland contrôle   l’Eurasie, qui règne sur l’Eurasie contrôle le destin du monde ». Et il souhaite que les Américains contrôlent le littoral européen afin de contenir l’expansion du Heartland.

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La  vision de Spykman est à la base de la "politique d'endiguement" formulée par le diplomate Georges Kennan (photo) dans son article, The Sources of Soviet Conduct  (juillet 1947) et mise en œuvre par les États-Unis dans la guerre froide.

Il s’agissait « d’endiguer » le Heartland en contrôlant  la zone tampon du Rimland, auquel appartenaient les satellites de la Russie soviétique, dont l’Ukraine était le maillon fondamental.

On tient dans ce schéma tous les paramètres de l’évolution qui a mené la Russie de la chute de l’URSS sous Gorbatchev à sa déliquescence sous Boris Eltsine, puis à son redressement sous Vladimir Poutine. 

La chronologie de cette évolution s’inscrit entre deux catastrophes, la fin de l’URSS et la guerre en Ukraine.

Mais on doit inscrire en filigrane de cette évolution une continuité dans la pensée  géopolitique occidentale manifestée par Mackinder, Spykman, Kennan, et plus tard Brzezinski.

Mackinder se disait convaincu de la suprématie des Anglo-Saxons qui leur donnait le droit de dominer le monde et donc de s’emparer du Heartland. Il opposait les puissances de la terre aux puissances de la mer et redoutait l’émergence d’une Allemagne forte pouvant s’allier à l’Empire russe.

Or, cette obsession a été partagée par les dirigeants américains qui n’ont cessé d’oeuvrer pour empêcher une alliance aussi favorable au développement de l’économie européenne que nuisible à leurs intérêts. Ils l’ont sapée définitivement en détruisant le Nordstream 2 et en privant l’Allemagne d’une source d’énergie indispensable pour son industrie. Aujourd’hui, les entreprises allemandes sont contraintes, pour exister, de se délocaliser aux Etats-Unis.

Spykman, en donnant la primauté au Rimland sur le Hearland, posait déjà la question du rapport de force entre la Russie et l’Union européenne. En se concentrant sur les choix de l’Ukraine, cet antagonisme est à l’origine d’un conflit localisé qui, en s’aggravant, met à présent le monde au bord de l’escalade nucléaire.

Les stratèges américains ont fait fausse route  en misant sur la supériorité du Rimland et en minimisant la puissance du Heartland  russe.

Au lieu d’affaiblir la Russie en instrumentalisant l’Ukraine, l’Occident a démontré sa propre faiblesse dont visiblement il n’avait pas conscience et en s’infligeant des échecs imputables à ses erreurs de calcul.

51ycA9nCaQL._AC_SY780_.jpgMon témoignage sur une Russie qui, dans les années 90, sombrait dans l’anarchie et le chaos, trouve un éclairage paradoxal dans Le Grand Echiquier de Brzezinski  paru en 1997, la veille de la faillite financière de l’État russe sous le gouvernement de Boris Eltsine.

En cette même année 1998, où la Russie a été sur le point de disparaître, Soljénitsyne consignait dans La Russie sous l’avalanche un constat analogue sur le désespoir d’une population décimée par les privatisations et par l’emprise des oligarques qui avaient pris le pouvoir, ces oligarques n’étant que les prête-noms des « bandits dans la loi » qui sévissaient déjà à l’époque soviétique.

En dépit de cette situation désespérée qui semblait ôter tout soupçon de velléité impérialiste,  Brzezinski reprend les idées de Mackinder et de Spykman en les actualisant et il considère que, malgré la disparition de sa puissance,  la Russie, par sa position dominante dans le Heartland, restait une menace pour l’ordre du monde instauré par les Etats-Unis.

Il en avait conclu qu’il fallait séparer l’Ukraine de la Russie pour enlever à celle-ci toutes les chances de redevenir une grande puissance.

Si l’on admet que les analyses de Mackinder et de Spykman trouvaient un fondement dans un empire qui détenait le Heartland en couvrant la moitié de l’Europe, il est plus difficile de sonder les motivations de Brzezinski quand il souhaitait la destruction d’une Russie qui s’était déjà détruite elle-même.

Et il  convient de rappeler que Kennan, pourtant promoteur de la politique d’« endiguement » contre l’URSS, a été très circonspect sur les « guerres humanitaires » menées par des politiciens incompétents et aventureux qui prenaient leurs désirs pour des réalités. On le donne même en exemple aujourd’hui en Russie en l’opposant à la courte vue des dirigeants qui lui ont succédé.

Il a fortement  désapprouvé l’élargissement de l’Otan qui a été le coup d’envoi d’une escalade dont il prévoyait les dangers pour la paix du monde.

On ne saurait comprendre le processus qui a mené de la fin de l’URSS à la guerre en Ukraine, sans faire état du « syndrome occidental » qui a pesé de tout temps sur la mentalité et la politique russe.

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La Russie a été sans cesse confrontée à son double par son désir passionné d’être reconnue par l’Occident comme un partenaire à part entière. Et Vladimir Poutine lui-même n’a pris conscience que fort tard du péril auquel il exposait la sécurité de la Russie en accordant sa confiance à des interlocuteurs qui après la réunification de l’Allemagne, ont refusé la main tendue par les Russes dans l’espoir d’une coopération économique qui devait se substituer à leurs yeux au conflit entre les deux idéologies en lice dans la guerre froide.

En sacrifiant son empire, sans contre partie, la Russie avait donné un gage de sa volonté de devenir une démocratie qui entrerait de plain-pied dans le concert européen.

Et cette coopération s’appuyait sur des intérêts réciproques qui auraient assuré la consolidation de la paix et une meilleure prospérité dans le continent européen.

Mais les passions idéologiques ont pris le pas sur les intérêts économiques et cet espoir a été battu en brèche à trois reprises, lorsque l’Otan n’a pas tenu la promesse de ne pas s’étendre à l’est, lorsque les accords de Maïdan, garantis par la signature de trois ministres européens, ont été violés sans autre forme de procès, et enfin quand les accords de Minsk, destinés à réintégrer à l’Ukraine les républiques séparatistes, ont été signés sans la volonté de les appliquer pour réarmer le gouvernement de Kiev, issu d’un putsch, et continuer la guerre inaugurée par «l’opération contre- terroriste » déclenchée en 2014 par le gouvernement de Kiev contre des populations civiles.

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Même si on juge obsolètes aujourd’hui les prophéties de Fukuyama sur la fin de l’histoire et les assertions de Brzezinski, en 1997, sur la nécessité de mettre un terme au danger potentiel représenté par la Russie, il n’en reste pas moins que ces convictions triomphalistes étaient conformes à la doctrine Wolfowitz (photo) qui, dès 1992, avait annoncé l’invasion de l’Irak pour pérenniser la domination des Etats-Unis sur le monde. 

Si le bellicisme des néo-conservateurs peut s’expliquer du point de vue des Etats Unis, il apparaissait alors contraire aux intérêts de l’Europe, c’est pourquoi la France et l’Allemagne, en accord avec la Russie et la Chine, ont dénoncé une violation du droit international qui ne pouvait mener qu’à un désastre humanitaire.

Mais on est en droit de s’interroger sur les raisons qui poussent aujourd’hui les Européens à ruiner leur économie en participant à fonds perdus à la guerre en Ukraine en se soumettant, contre leurs intérêts, au diktat des Etats-Unis et en reprenant à leur compte les arguments des anciens satellites de l’URSS qui brandissent le spectre d’une menace russe.

L’agression de l’Ukraine confirme à leurs yeux cette menace, qui apparaît d’autant plus irréelle que, nonobstant la supériorité militaire acquise par Vladimir Poutine, la Russie n’aurait pas les moyens de la mettre en exécution, du fait de sa démographie et des rapports de force avec la coalition de l’Otan. 

Et pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la rupture consommée le 24 février 2022, il n’est pas inutile de revenir a posteriori sur les raisons qui poussaient Wolfowitz en 1992 et Brzezinski en 1997 à se lancer dans une confrontation qui met aujourd’hui le monde au bord du gouffre.

On assiste, en effet, à une fuite en avant de la part des néo-conservateurs qui, malgré leurs échecs successifs refusent de voir en face les conséquences planétaires de leur aventurisme. A cause de leurs tentatives mal calculées, mal engagées, ils ont provoqué la méfiance croissante des trois quarts de la planète à l’égard des Etats-Unis qui ne sont plus en mesure d’imposer au monde leur hégémonie par la suprématie du dollar.

Le réveil de la Russie a été le facteur principal de ce renversement du monde unipolaire auquel l’Occident reste attaché comme le pendu à sa corde.

L’Occident démocratique subit aujourd’hui la même psychose qui a entraîné l’Union soviétique à sa perte.

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On assiste à une inversion des rôles et il faut considérer que, pour redevenir une puissance « normale », uniquement soucieuse de son indépendance et de sa souveraineté, sans céder à la mégalomanie messianique, la Russie devait passer par la cure d’une démocratisation ratée qui alimente encore les rêves de sa minorité libérale.

Après avoir, dans cette première partie, évoqué, à des fins pédagogiques, ce passé douloureux, je me suis appuyé sur quelques-uns de mes travaux pour montrer l’apport de la Russie au patrimoine culturel, artistique et scientifique de l’humanité.

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Dans « La vision russe du cosmos », j’ai indiqué les sources spirituelles du cosmisme russe fondé par le philosophe Nicolas Fiodorov, qui a été le mentor de Tsiolkovski, dont les travaux sur les fusées ont abouti au vol de Gagarine.

Au moment où l’on glose sur la renaissance de la religion pour compenser le vide idéologique, j’ai retracé dans « L’Empire russe et Moscou Troisième Rome », les relations ambivalentes entre l’orthodoxie et l’autocratie.

Dans « La dialectique du double chez Dostoïevski », j’ai analysé dans le thème du double la parodie romanesque de la dialectique de Hegel dans une esthétique de la création verbale qui trouvera son accomplissement chez les futuristes.

Dans « Le dernier dialogue de Bakhtine », j’ai tiré la quintessence des mémoires parlés du grand philosophe russe dans ses entretiens avec Douvakine, professeur de Siniavski et Daniel dont il a pris la défense lors de leur procès.

Puis, j’ai analysé longuement le thème du MLB ( « la plongée dans le sein maternel »)  dans Ivan le Terrible d’Eisenstein et dans sa mise en scène de la Walkyrie au Bolchoï en 1940.

En raison du rôle controversé de la Pologne dans le conflit ukrainien, j’ai tenu à rendre hommage à Wat et Mlosz, deux auteurs polonais que j’ai traduits et commentés pour mettre en exergue leur russophilie qui n’était pas incompatible à leurs yeux avec leur critique du communisme totalitaire. Cette largeur de vue chez ces «dissidents » antisoviétiques tranche sur l’amalgame raciste et imbécile pratiqué aujourd’hui entre la culture et la politique vis-à-vis de la Russie.

Enfin j’ai cité mes interventions à un colloque sur « L’URSS, un paradis perdu ».
Et j’ai mis en conclusion une réflexion sur les deux Russies qui s’opposent aujourd’hui à propos de la guerre en Ukraine.

Chaque livre est une bouteille à la mer et j’espère que celui-ci trouvera les bons lecteurs qui sauront en tirer la substantifique moelle.

 

vendredi, 13 décembre 2024

Les mémoires de Merkel: chronique stérile d'une vie sans relief

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Les mémoires de Merkel: chronique stérile d'une vie sans relief

Alexander Meschnig

Source: https://philosophia-perennis.com/2024/12/03/merkels-memoi...

Elle est de retour. Les mémoires d'Angela Merkel, intitulées « Freiheit » (Liberté), sont parues simultanément dans trente pays la semaine dernière. Un volume de 736 pages, au prix de 42 euros, ce n'est donc pas pour rien. Alexander Meschnig commente sur Kontrafunk.

Selon la rumeur, Merkel a reçu pour cela une avance de plusieurs dizaines de millions d'euros. C'est une grande marque de confiance envers une ex-politicienne qui est responsable des pires décisions erronées de ces dernières années: sauvetage de l'euro, sortie du nucléaire, politique anti-russe, ouverture des frontières et immigration de masse, confinements covidesques avec de graves atteintes aux droits fondamentaux des citoyens. L'autocritique et l'aveu de ses propres erreurs, c'est le moins que l'on puisse dire, n'apparaissent pas dans le livre.

L'absence d'alternative

Même avec le recul, toutes les décisions de l'ère Merkel semblent sans alternative. Outre la politique désastreuse à l'égard de la Russie, c'est notamment l'absence de prise de conscience des conséquences de sa politique migratoire qui laisse un goût amer au lecteur. Le fait que Merkel, fin 2024, après la nuit de la Saint-Sylvestre à Cologne, l'attentat sur le marché de Noël de Berlin, les nombreux meurtres et actes de violence commis par des soi-disant réfugiés, s'accroche encore à sa politique d'accueil sans limites - sans aucune réflexion sur les conséquences sociales - est significatif.

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La version française de l'insipide pavé: on peut dire que l'éditeur, Albin Michel, a souvent été mieux inspiré...

Quelques jours avant la parution de ses mémoires, Merkel a accordé une interview au « Spiegel », dans laquelle elle a également évoqué sa politique d'immigration. Elle n'a pas ménagé ses critiques à l'égard de son propre parti qui, sans doute sous la pression des résultats électoraux de l'AfD, exige désormais le refoulement des migrants aux frontières allemandes. Merkel transforme les problèmes de l'immigration de masse en une « dette » que doit la société d'accueil, qui se voit reprocher de l'exclure. Car, selon les termes de l'interview : « Il ne peut y avoir d'intégration sans ouverture d'esprit et sans volonté de changement de la part de la société d'accueil. La condition préalable est d'acquérir un minimum de connaissances sur les autres cultures, je dois déjà m'y intéresser ».

« Aucun être humain n'est illégal ! »

Merkel suit ici manifestement une conception universaliste de l'être humain, qui accorde à chaque migrant les mêmes droits qu'aux citoyens autochtones. Cela n'a pas toujours été le cas. Rappelons-nous les célèbres photos de la chancelière avec la petite Libanaise Reem. Les larmes de la jeune fille - Merkel n'a pas pu lui promettre qu'elle pourrait rester en Allemagne - ont déclenché une véritable tempête émotionnelle dans les médias mainstream à l'été 2015. La pression médiatique permanente et les campagnes des gauches et des Verts (« Aucun être humain n'est illégal ! ») n'ont pas manqué d'avoir de l'effet sur les hommes politiques de premier plan.

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Personne, pas même la chancelière, ne pouvait et ne voulait gouverner contre les médias et l'opinion publique ou passer pour "inhumain". C'est ainsi que la « chancelière glaciale » s'est muée en quelques semaines en « maman Merkel », une femme qui a fait la seule chose à faire en ouvrant grand les frontières, célébrée ensuite par les médias pour son humanisme, en tant que sauveuse des valeurs européennes. Reste à savoir si Merkel elle-même croyait à cette transformation, mais sa décision d'ouvrir les frontières a rendu la division du pays définitivement flagrante, selon ses propres mots: « Si nous devons maintenant commencer à nous excuser de montrer un visage amical dans les situations d'urgence, alors ce n'est pas mon pays ».

« Sacralisation » de l'étranger

Si nous laissons de côté la question des motivations personnelles de Merkel, la conception d'une « dette portable » montre qu'il existe manifestement quelque chose comme un « contrat de dette » entre la « riche Europe » et le « pauvre reste » du monde, qui peut être appelé à tout moment. En accueillant sans limites tous les défavorisés et les personnes en détresse, l'Europe et l'Allemagne en particulier ont pu montrer qu'elles étaient prêtes à expier définitivement leurs crimes. Le magazine italien « La Stampa » a commenté en ce sens l'événement de septembre 2015 comme une césure historique : « La décision de Merkel d'accueillir des réfugiés clôt dans la mémoire collective de nombreux Européens l'époque de l'Allemagne cruelle et hostile ».

En principe, on peut parler d'une « canonisation » de l'étranger. Lui seul peut dissoudre le complexe de culpabilité et de pénitence et apporter la rédemption. Puisque notre richesse, selon une conviction largement répandue, repose sur l'exploitation de l'hémisphère sud, il n'est que juste, et c'est notre devoir moral, d'accueillir le monde entier à bras ouverts. Dans cette conception, les migrants qui arrivent actuellement ne font donc que récupérer ce que nous leur avons pris pendant des siècles et que nous continuons à leur prendre.

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La chancelière verte

Le sociologue français Pascal Bruckner résume cette relation de manière précise et polémique: « L'Europe doit tout à ces derniers: le logement, la nourriture, les soins de santé, l'éducation, des salaires corrects, la prise en charge rapide de leurs demandes et surtout le respect de leur identité. Avant même d'avoir posé un pied sur notre sol, ils sont des créanciers qui réclament leurs dettes ». Le fait qu'une politicienne de la CDU suive encore ce récit après les expériences des dix dernières années - un point de vue qui se situe essentiellement chez les gauches et les Verts - montre à quel point sa carrière politique a été désastreuse pour l'Allemagne.

Car le fait que Merkel fasse actuellement la promotion d'une alliance noire-verte et qu'elle critique vivement son propre parti pour s'être démarquée des Verts montre clairement que l'ex-chancelière ne défend pas seulement une position indifférente, voire hostile, aux intérêts du pays sur la question de l'immigration. Le fait qu'elle dupe une dernière fois Friedrich Merz avec son livre et son attachement à une politique d'immigration de masse illimitée montre ce que l'on appelle désormais "des traits humains". Des émotions que l'on chercherait autrement en vain dans ses mémoires, qui se lisent comme la chronique stérile d'une vie sans relief.

 

mardi, 10 décembre 2024

D'Annunzio gardien du désordre

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D'Annunzio gardien du désordre

Un essai de Claudio Siniscalchi: l'« œuvre totale » de D'Annunzio peut être un instrument pour libérer l'imagination contemporaine de la colonisation mercantile effectuée par la Forme-Capital, qui domine aujourd'hui.

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/117212-dannunzio-custode-del-disordine/

Claudio Siniscalchi, historien du cinéma et essayiste attentif depuis toujours à la culture des non-conformistes du 20ème siècle, attire l'attention du lecteur, avec son dernier ouvrage, sur la figure de Gabriele D'Annunzio, protagoniste incontesté de l'histoire italienne et européenne, ainsi que des patries des lettres. Il s'agit du volume D'Annunzio custode del disordine (= D'Annunzio gardien du désordre), en librairie grâce à Oaks editrice (à commander ici: https://www.oakseditrice.it/catalogo/dannunzio-custode-del-disordine/, 121 pages, 15,00 euros). Le livre est mince, mais comme le reconnaît Marcello Veneziani dans la préface, il est « incisif » en ce qui concerne le sujet. L'intention déclarée de ces pages est de retracer, non seulement dans le monde des valeurs du poète-voyageur, mais aussi dans son expérience, l'humus existentiel, intellectuel et politique du groupe d'auteurs qui a donné vie à l'« idéologie italienne » (selon la définition de Bobbio), avec ses traits « révolutionnaires-conservateurs ». Au terme de la lecture, on peut affirmer que Siniscalchi a compris, de manière totale, les intentions herméneutiques explicites.

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"D'Annunzio gardien du désordre" par Claudio Siniscalchi

Pour comprendre le sens et les intentions de la révolution conservatrice italienne qui, il faut le souligner, a été un moment de la révolution européenne, ce phénomène doit être contextualisé historiquement et théoriquement. Pour ce faire, l'auteur rappelle les positions d'Ernst Nolte et, surtout, d'Augusto Del Noce. Ce dernier a compris que l'histoire du 20ème siècle ne pouvait être interprétée que dans une approche transpolitique, car dans celle-ci, c'est la philosophie moderne, résultat de l'immanentisation de la fin chrétienne de l'histoire, qui devient le monde. Les révolutionnaires-conservateurs, s'appuyant sur les leçons d'Armin Mohler et de Giorgio Locchi, ont donné naissance à un « contre-mouvement » culturel et politique, anti-égalitaire, visant à saisir les limites de la démocratie parlementaire et à la dépasser, sans nostalgie passéiste. Au contraire, le dépassement du présent aurait dû partir de la modernité elle-même, voire de son accélération. La vie et l'œuvre de D'Annunzio, leur originalité et leur centralité, ne peuvent être comprises que si elles sont incluses dans le panorama intellectuel de cette tentative oxymorique et très actuelle. Le titre du volume fait référence à l'écrit de Malaparte, I custodi del disordine (= Les gardiens du désordre) : « Une définition qui convient bien au “D'Annunzio politique”. Un « gardien » (« conservateur ») du « désordre » (« révolutionnaire ») » (p. 25).

Siniscalchi reconstruit les événements biographiques dans lesquels le poète d'armes a été impliqué avec une acuité méthodologique, à travers une masse ample et significative de documentation et en vertu de sa connaissance de la bibliographie critique la plus importante sur le sujet (comme tout historien sérieux devrait le faire). De ses études à Rome à ses débuts dans le monde journalistique de la capitale. Il présente et analyse les fréquentations intellectuelles et politiques de D'Annunzio et évoque ses nombreuses liaisons sentimentales. Siniscalchi ne traite pas, sic et simpliciter, du moment politique de D'Annunzio mais explicite, dans les chapitres qui composent le livre, avec une argumentation pertinente et des accents persuasifs, la production littéraire, la tension vers l'action de l'« esthète décadent » et, ensuite, du « poète-chef d'orchestre » au cours de l'aventure de Fiume, pour arriver au « Vate des Italiens ». Le D'Annunzio littéraire, à partir de Il piacere, se révèle être, avec Giovanni Verga, l'initiateur de la littérature italienne du 20ème siècle: « La contribution de D'Annunzio se manifeste dans plusieurs directions: le symbolisme narratif; l'utilisation novatrice de l'espace et du temps; la représentation des personnages » (p. 32). La source d'inspiration principale de l'écrivain est la culture française. Il y a puisé la leçon, propre à Drieu, qu'écrire sur soi et sur son époque, malade et décadente, implique non seulement l'usage de l'encre, mais du « sang », du pathos existentiel vivant. Dans Les Vierges aux rochers, D'Annunzio met en scène « tout le mépris de la démocratie représentative » (p. 37) qui l'a conduit, tout comme Wagner, à la recherche d'une « œuvre d'art totale », visant à l'affirmation d'une nouvelle classe dominante de « héros » au profil à la Carlyle.

Animé par cette conception, la confrontation avec la réalité socio-politique fut pour D’Annunzio une source de désillusion. D’où la nécessité de l’action. Élu au Parlement dans les rangs de la droite, il passa rapidement à gauche. Il affirma qu’il allait « vers la vie » (46), porté par la recherche d’une coincidentia oppositorum en politique. Il fut l’un des principaux protagonistes des « radieuses journées » de mai, marquées par l’interventionnisme, qui réunirent sur les mêmes barricades nationalistes, socialistes maximalistes et syndicalistes révolutionnaires. À la fin du conflit, en réponse à la « victoire mutilée », il entreprit l’expédition de Fiume, le 12 septembre 1919. Dans cette ville d'Istrie, D’Annunzio réalisa une « œuvre d’art totale ». La fantaisie, pendant ces journées tumultueuses, parvint véritablement au pouvoir. Toutes les restrictions furent abolies: religieuses, sexuelles, politiques. On célébra la « fête » de la Révolution: Guido Keller et Giovanni Comisso animèrent le groupe fiumain-ésotérique Yoga, tandis que « Harukichi Shimoi devint le “Samouraï de Fiume” ». Avec le « Noël de sang » et la fin de la Régence, la trajectoire politique de D’Annunzio prit, en réalité, fin.

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Dès les mois précédents, Mussolini, stratège politique, réaliste sceptique et non poietes pur comme le Pescarais, s’imposait comme un nouveau point de ralliement pour ceux qui souhaitaient construire une nouvelle Italie, en opposition à la petite Italie de Giolitti qui, paradoxalement, semblait pouvoir renaître des décombres du conflit. Après la Marche sur Rome, le Vate vécut dans la « prison dorée » du Vittoriale, honoré par le nouveau régime. Mussolini, rappelle Siniscalchi, lui rendit visite. La dernière partie de l’essai examine les relations entre les deux hommes. À ce sujet, Veneziani commente: « Il ne s’agit pas de déterminer si D’Annunzio a été ou non fasciste, mais de reconnaître que le fascisme a été dannunzien » (p. 9). Le plus grand mérite de D’Annunzio, gardien du désordre, réside dans l’exégèse des actions et des œuvres d’un grand Italien, examinées sous un angle différent de la vulgate historiographique diffusée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui condamna D’Annunzio à l’exclusion réservée à toutes les « intelligences inconfortables » du 20ème siècle.

La révolution-conservatrice poietica du Pescarais est un héritage auquel il faut revenir à une époque où, au-delà des guerres armées, l’Europe est en proie, comme l’a observé le philosophe Stiegler, à une guerre esthétique. L’« œuvre totale » dannunzienne peut être un instrument destiné à libérer l’imaginaire contemporain de la colonisation mercantiliste imposée par la Forme-Capital, aujourd’hui dominante.

 

lundi, 18 novembre 2024

Les écrits redécouverts d'Adriano Romualdi et le «réalisme» en politique étrangère

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Les écrits redécouverts d'Adriano Romualdi et le «réalisme» en politique étrangère

Toujours proche de Julius Evola, il a obtenu son diplôme en discutant, de manière semi-clandestine, un dimanche matin, d'une thèse sur les auteurs de la révolution conservatrice allemande à l'université « Sapienza », sous la direction de Renzo De Felice et avec le rapporteur Rosario Romeo.

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/116750-gli-scritti-ritrovati-di...

Adriano Romualdi est l'un des noms les plus significatifs de la droite culturelle italienne. Fils de Pino, l'un des principaux protagonistes du fascisme et du néofascisme, il a connu très tôt le débat qui animait la vie du MSI de l'intérieur. Actif au sein de Giovane Italia et de la Fuan, il a donné vie à plusieurs clubs de jeunes, dont le « Gruppo del Solstizio ». Au milieu des années 60, il obtient son diplôme en discutant, de manière semi-clandestine, un dimanche matin, une thèse sur les auteurs de la révolution conservatrice allemande à l'université « Sapienza », dont le directeur et le co-rapporteur étaient Renzo De Felice et Rosario Romeo. Toujours proche d'Evola, qu'il fréquentait dans sa maison du Corso Vittorio Emanuele, il est considéré comme le seul véritable disciple du « Maître qui ne voulait pas de disciples ». Il fut l'assistant de Giuseppe Tricoli, historien de l'époque contemporaine, à l'université de Palerme. Il a eu la chance, comme quelqu'un de « cher aux dieux », de mourir à seulement trente-trois ans, le 12 août 1973, des suites d'un accident de voiture. En témoignage de sa profonde culture, ses livres demeurent. Parmi eux, la première biographie d'Evola.

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L'anthologie des écrits retrouvés d'Adriano Romualdi

Une compilation de ses articles et essais (67 au total, parus dans diverses revues entre 1957 et 1973), intitulée Scritti ritrovati (Écrits redécouverts), est actuellement en librairie grâce aux éditions Arya. Le volume comprend un avant-propos de Gianfranco de Turris, ami personnel d'Adriano, ainsi qu'une introduction contextuelle de l'éditeur Alberto Lombardo, l'un des plus grands exégètes de l'œuvre de Romualdi (sur commande : info@edizioniarya.it, pp. 312, euro 29.00). Le texte est accompagné d'un important dossier photographique et se termine par un appendice présentant une interview de de Turris pour Intervento et deux autres articles du jeune chercheur.  Les premiers articles ont été publiés dans la revue étudiante romaine Le corna del diavolo, dirigée par Franco Pintore. Ce dernier était chercheur contractuel à l'université de Pavie. Il s'occupait de philologie égéenne-anatolienne et cultivait un profond intérêt pour l'ésotérisme et la Tradition. Ces domaines de recherche le lient au jeune Romualdi. Les articles de ce dernier, certains signés de son nom, d'autres de pseudonymes, traitent de sujets disparates: de Thomas Mann à Spengler, de l'Ulysse de Joyce à une critique d'un ouvrage d'Oswald Mosley .

Parmi les plus importants, d'un point de vue théorique, figurent les quatre écrits intitulés Perspectives. Ils traitent de la Tradition européenne qui, pour lui, se divise en quatre moment : les Aryens, Hellas, Rome et le Moyen Âge comme midi de la civilisation européenne. Des thèmes qui, comme le note Lombardo, seront un « véritable work in progress » tout au long de la vie d'Adriano, car il s'avère qu'au cours des deux années 1965-1966, ce travail a débouché sur trois cycles de formation de la FUAN-Caravella intitulés « Documents pour une vision du monde » (p. 31). Sur deux numéros de la revue apparaissent, en première page, des dessins qui pourraient, pour le moins, avoir été inspirés par les idées de Romualdi, en particulier celui d'avril 1961, qui rappelle Chevaucher le Tigre d'Evola, publié la même année. Cinq, en revanche, sont les écrits qu'Adriano a publiés dans Il Conciliatore de Milano, une glorieuse publication fondée en 1818 par Pellico et Berchet, reprise par Carlo Peverelli en 1952. Trois des écrits de Romualdi « traitent de la Seconde Guerre mondiale [...] un sur l'édition critique de Nietzsche, un autre sur la deuxième édition de Chevaucher le Tigre » (p. 34).

7913128994.jpgLa collaboration à L'Italia che scrive, journal fondé en 1918 par Angelo Fortunato Formiggini, est plus substantielle. Il s'agit d'écrits sur la philosophie de Nietzsche, de critiques d'ouvrages de Huizinga, Cantimori et Gibbon, ainsi que du long texte I settant' anni di Julius Evola. L'article consacré à Wagner a lui aussi une approche clairement évolienne : le musicien est en effet critiqué en termes nietzschéens et évoliens. La monographie photographique du Touring Club italien consacrée au paysage du Latium, qu'Adriano croyait profondément animé, comme Bachofen l'avait déjà compris, par les anciens potestats divins, est intéressante. Tout aussi importants sont les essais parus dans Pagine Libere, revue dirigée par Vito Panunzio et publiée par Volpe. Dans ses colonnes paraît l'essai Idee per una cultura di Destra. Romualdi prend ses distances avec la nostalgie patriotarde du MSI.

Dans l'annexe, le lecteur trouvera la distance décisive prise par la direction du périodique par rapport aux positions exprimées sur le sujet par Adriano, confirmant la fermeture culturelle étroite de la classe dirigeante du MSI, à des années-lumière des thèses d'Evola et de Romualdi. L'Occident et l'Occidentalisme sont au cœur de la compréhension de la vision du monde d'Adriano. Par cet écrit, le jeune érudit montre qu'il est conscient de la nécessité de réveiller les Européens pour qu'ils redécouvrent les racines sacrées du continent.

md6824406386.jpgIl faut souligner que Romualdi était, à la différence de Thiriart et de Jeune Europe, animé par un réalisme politique qui lui faisait considérer comme « pure velléité de penser à se libérer [...] de la défense armée américaine » (p. 39), ce qui l'aurait rendu indigne du communisme en marche. Ici aussi, Adriano épouse les positions évoliennes. Sont également rassemblés dans le livre les écrits romualdiens sur Cavour (deux à caractère historique), de La Torre (trois, dont un posthume) et de La Destra (trois articles significatifs, notamment celui concernant les courants politiques allemands actifs de 1918 à l'avènement du nazisme), ainsi que ceux de L'Italiano, tribune libre de la droite culturelle. On notera en particulier les écrits relatifs aux manifestations étudiantes, d'où il ressort qu'il avait compris que le « carnavalesque soixante-huitard » visait à faire taire la Tradition.

Scritti ritrovati nous permet de reconstruire le bref mais intense itinéraire de Romualdi. Adriano, rappelle Lombardo, comme Locchi, a dépassé les limites du « traditionalisme », estimant que la pensée devait assumer le poids de la confrontation avec la modernité. C'est le moment le plus important de son héritage. L'appel à une Europe en tant que nation, bien que tempéré par le réalisme politique, reste, à notre avis, le moment le plus faible de sa proposition. L'Europe est ontologiquement plurielle. Pour reprendre les termes d'Andrea Emo, il s'agit en effet d'un « pays du crépuscule », d'un laboratoire toujours en cours d'expérimentation. En son sein, toute stagnation ou mise en forme politique du monde, dans la mesure où elle s'expose au tragique, quintessence de la vie, doit être transcendée dans l'incipit vita nova, dans un Nouveau Commencement.

dimanche, 17 novembre 2024

Électeur du berceau jusqu’au cercueil

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Électeur du berceau jusqu’au cercueil

par Georges Feltin-Tracol

Le « Camp du Bien » autoproclamé cherche sans cesse à inventer et à étendre des droits pour l’individu. Cet activisme vire souvent en réclamations sinon grotesques, pour le moins farfelues. Le court essai de Clémentine Beauvais en est un exemple édifiant.

Cette dame enseigne les sciences de l’éducation à l’université britannique de York. Considérées comme une science « molle », c’est-à-dire sans protocole empirique rigoureux, aux prétentions didactiques excessives, les soi-disant sciences de l’éducation mobilisent des apports en psychologie, en histoire de la scolarité, en sociologie, en études du comportement humain et en pédagogie. Elle s’inscrivent dans une évidente charlatanerie postmoderniste. Leurs théoriciens et leurs praticiens correspondent pour leur part aux fameux médecins des pièces de théâtre de Molière.

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Clémentine Beauvais avoue volontiers grenouiller «de longue date dans les milieux progressistes». Elle use toutefois avec parcimonie de l’écriture inclusive. En publiant dans la collection «Tracts» Pour le droit de vote dès la naissance (n°59, Gallimard, 2024, 3,90 €), elle entend lancer un débat institutionnel sur une discrimination généralisée. Elle réclame en effet l’«abolition totale, pour toutes les élections, de la limite d’âge». Elle souhaite une évolution des institutions et des usages politiques qui assurent enfin le vote de «tous les êtres humains, c’est-à-dire les bébés, enfants et adolescents ». Elle estime que «l’exclusion des enfants du suffrage  “universel“ met les régimes démocratiques en incohérence par rapport à leurs propres principes d’égalité». Elle ne supporte pas qu’une barrière d’âge affecte le plein exercice de la citoyenneté élargie.

L’autrice ne rappelle pas que des États démocratiques libéraux bourgeois ont abaissé à seize ans le droit de vote. La Belgique s’y est risquée pour les élections européennes de juin 2024. Pour les élections générales, on peut citer le Brésil, l’Équateur, l’Autriche, Cuba, Malte, le Nicaragua et l’Argentine. C’est possible en Écosse pour les scrutins locaux. Clémentine Beauvais veut que les enfants votent comme leurs parents. Elle ne s’attarde pas cependant sur les modalités pratiques pour l’application de ce nouveau droit auprès des nouveaux électeurs dont les nouveaux-nés. Lors du Championnat d’Europe en 2008 et de la Coupe du monde de balle au pied en Afrique du Sud en 2010, Paul le poulpe prédisait l’équipe victorieuse. L’expérience serait-elle reproductible avec un bambin?

Clémentine Beauvais récuse en revanche tout projet qui pondérerait chaque bulletin de vote en fonction de l’âge de l’électeur. Inquiets du vieillissement de la population en Occident et d’une inclination plus ou moins conservatrice – ce qui reste à démontrer -, certains cénacles proposent qu’un jeune électeur ait une triple ou quadruple voix et son aïeul centenaire un quart de voix… L’autrice refuse en outre le choix même du vote par procuration. Elle exprime ici son désaccord avec John Wall, le principal théoricien de cette revendication civique, qui suggère que « chaque parent disposerait d’une demi-voix supplémentaire par enfant (une voix entière dans le cas des parents célibataires) ».

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L’autrice veut conserver le cadre individualiste et égalitaire de la participation électorale. Sa démarche s’ouvre à tous les poncifs wokistes. Ainsi offre-t-elle une « réflexion […] démocratique, consultative, collective (et de préférence, festive) ». Mieux encore, elle se félicite  que l’électeur moyen soit incompétent. Par la force d’une quelconque « main invisible », « c’est à la fois grâce à et malgré la potentielle incompétence des électeurs que le vote est démocratique. » Elle jubile d’assister au déficit abyssal des finances publiques hexagonales, dégradation qui provient de l’extraordinaire alliance des électeurs abrutis et des bureaucrates dépensiers.

Si les adultes sont capables de commettre collectivement de formidables erreurs, les mineurs risquent d’aggraver le pire, en particulier les nouvelles générations décérébrées qui sont plus que jamais toxiques et nocives. Plutôt que de bénéficier en cas d’infractions des circonstances atténuantes et de l’excuse de minorité, les voyous mineurs devraient recevoir les circonstances aggravantes. L’enfant et, surtout, l’adolescent sont par essence des tyrans domestiques qu’il importe de dresser sans aucun ménagement. Clémentine Beauvais nie cette réalité. Cela ne l’empêche pas d’évoquer « une éducation démocratique populaire véritablement inclusive ». Pour elle, « ces risques sont gérables avec un accompagnement éducatif adapté ». Que faut-il comprendre ? L’instauration de cours obligatoires de propagande cosmopolite sous couvert d’éducation morale et civique ? L’intervention dans les salles de classe de commissaires politiques responsables de la formation préalable des consciences juvéniles ? Elle imagine même « des comités citoyens chargés de s’assurer que tous les enfants qui veulent voter puissent le faire ». Ces comités orienteraient très certainement le vote des jeunes électeurs dans la bonne direction.

D’après l’autrice, l’existence quotidienne des enfants est politique. Elle va jusqu’à mentionner le sort du « fœtus par GPA ». Mais le fœtus qu’on s’apprête à avorter n’aurait-il pas lui aussi une part politique indiscutable ? Ce raisonnement spécieux s’apparente aux revendications de certains syndicats étudiants qui veulent qu’aux examens, tant partiels qu’en fin d’année universitaire, toute copie reçoive dès le départ la note minimale de dix sur vingt. À quoi bon organiser des examens ? Les méfaits intrinsèques de l’égalitarisme touchent tous les domaines.

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Sans surprise, Clémentine Beauvais s’oppose au vote plural familial. En Espagne du Caudillo Franco et au Portugal du président Salazar, deux démocraties organiques imparfaites et incomplètes, les pères de famille disposaient d’un suffrage supplémentaire. A-t-elle pris connaissance de La famille doit voter. Le suffrage familial contre le vote individuel de Jean-Yves Le Naour avec Catherine Valenti (Hachette, 2005) ? La promotion du vote familial est très ancienne en France. Jusqu’en 2007, le programme du Front national de Jean-Marie Le Pen le proposait avec force et avec raison à la condition que s’applique dans son intégralité le droit du sang en matière de nationalité. Là encore, le « Menhir » anticipait les aspirations du prochain demi-siècle.

De manière plus pragmatique, l’extension aux moins de 18 ans du droit de vote serait un magnifique prétexte pour accorder ensuite ce même droit à tous les étrangers, y compris aux clandestins, voire aux touristes et aux passagers en transit sur le sol français. L’autrice ne cache d’ailleurs pas que l’actuelle universalité des bulletins de vote constitue un mensonge puisque « ce terme d’universel exclut aussi tout ce qui n’est pas humain ». Outre les animaux dont les insectes et les lombrics, il faut permettre aux plantes, aux rivières, à l’air et même à la planète de s’exprimer. Galéjade ? Nullement ! La Bolivie, l’Équateur, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, l’Union indienne reconnaissent déjà des droits juridiques inaliénables à des cours d’eau, à des forêts et à des glaciers. Pourquoi alors s’arrêter en si bon chemin ? Le domicile, la voiture, le lave-vaisselle, le téléviseur, le téléphone, l’ordinateur ou l’imprimante devraient eux aussi recevoir de nouveaux droits en attendant l’émancipation légale des cyborgs, des androïdes et des robots. Oui, la trottinette électrique du Bo-Bo métropolitain n’est plus un objet matériel, mais un sujet de droit extra-vivant !

L’extension du suffrage dit universel à de nouveaux groupes d’électeurs prouve son inutilité. Les élections ne sont qu’une diversion. Quand ils ne sont pas tronqués, truqués ou falsifiés, les résultats ne sont guère pris en compte. Les électeurs choisissent en faveur du changement qui ne se réalise pas dans le présent paradigme. Qu’importe donc que bébé vote, l’État profond s’en moque finalement !

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La démocratie individualiste égalitaire moderne atteint ici ses limites conceptuelles. Le temps des tribus et des identités collectives qui s’affirme dorénavant sera plus communautaire et organique. Des pratiques pré-modernes fort bien décrites par Olivier Christin dans Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel (Le Seuil, 2014) attendent leur ré-introduction au sein d’Althing plus ou moins informels. L’isoloir n’entravera pas la circulation et le renouvellement nécessaire d’une aristocratie populaire impériale et républicaine, française et européenne.  

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 133, mise en ligne le 13 novembre 2024 sur Radio Méridien Zéro.

dimanche, 20 octobre 2024

Le dessein légionnaire

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Le dessein légionnaire

par Georges Feltin-Tracol

Jeune trentenaire originaire des Alpes, Rodolphe Cart collabore à Éléments, à Front Populaire de Michel Onfray et à Omerta du journaliste - baroudeur Régis Le Sommier. Déjà auteur d’une courte biographie sur Georges Sorel et d’un pamphlet contre les identitaires regroupés autour de Daniel Conversano, il signe aux éditions Hétairie son premier essai, un ouvrage de combat percutant.

On lit sur la couverture Faire Légion. Pour un réveil des autochtones (2024, 180 p., 18 €), sous-titre qu’on ne retrouve pas en page intérieure, remplacé par un éclairant « Une jeunesse face au déclin ». Cet autre intitulé, plus explicite, indique que l’auteur s’adresse en priorité à sa génération et aux classes d’âge proche. Le ton y est énergique, enthousiaste et catégorique. Dans un monde sans valeur où tout s’équivaut, Rodolphe Cart pose les jalons théoriques d’un réveil souverainiste, conservateur, nationaliste et populaire. Ce sursaut nécessite cependant l’avènement d’un esprit martial, activiste et combattant qu’il nomme « légionnaire ».

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Bien que rédacteur au magazine des idées qui soutient et valorise la civilisation européenne, Rodolphe Cart veut qu’à travers cette implication totale, ses compatriotes retrouvent une « France primitive » et se placent sous le patronage de « la déesse France ». L’auteur cite souvent Charles Péguy. Pourquoi n’emploie-t-il pas « Notre-Dame la France » plutôt que l’expression maurrassienne? Il s’agit pour lui d’assurer « la personnification du mythe de la nation – comme Jeanne d’Arc et même Marianne ont pu l’être. Dans l’ordre de l’Être, la déesse France est inférieure à l’homme car l’homme est une substance; mais dans l’ordre de l’Agir, de la morale et du politique, la nation est supérieure à l’homme comme le tout est supérieur à la partie ». Il ne cache pas ses intentions holistes, intentions hautement révolutionnaires par ces temps d’hyperindividualisme égotiste exacerbé.

Le réveil national français passe d’après lui par le mythe légionnaire, un « mythe nationaliste, et non européiste, racialiste ou occidentaliste », précise-t-il. Sa formation s’accompagne de « la valorisation conservatrice, prélibérale et nationaliste d’un nouvel ordre social ». À l’instar de Georges Sorel, principal théoricien du mythe mobilisateur de la « grève générale » (qui ne s’est jamais produite), l’auteur de Faire Légion considère que son « mythe légionnaire est […] un mythe vitaliste par ce souci de la fécondation et de la succession des générations, par la reconnaissance du devoir qu’a une communauté de persévérer dans son être propre, par la mise en place d’une politique visant à son indépendance vis-à-vis de toute ingérence extérieure ou de tentative de déstabilisation intérieure ».

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Sachant que nous vivons au milieu des ruines, Rodolphe Cart souligne que son « mythe légionnaire défend dans un même mouvement la souveraineté et l’identité de la France ». Mais quelle identité ? Celle, revancharde conçue sous la IIIe République sur l’ethnocide des cultures vernaculaires dites régionales ou bien celle, bigarrée et chatoyante, qui s’est épanouie sur le substrat indo-européen et qui s’est déclinée en variantes locales, historiques et continentales au cours de l’histoire? L’interrogation se pose d’autant qu’il affirme que « l’État prime sur les classes et sur les races ». L’État légionnaire – allusion subtile à la Garde de Fer roumaine de Corneliu Codreanu ? – a la vocation de « refaire un peuple ». Ainsi assène-t-il avec raison et conviction que « tout ce qui est social est national ».

Rodolphe Cart veut donc la France seule. S’il exclut ouvertement tout projet alter-européen, son point de vue se confine toutefois au seul cadre hexagonal. Pourquoi n’évoque-t-il pas la dimension planétaire de la France ? Que pense-t-il des territoires d’outre-mer ? Souhaite-t-il accorder l’indépendance à ces ultimes vestiges de l’ancien empire colonial ou les envisage-t-il en pivots régionaux d’une puissance française rénovée ? Par ailleurs, Rodolphe Cart est en train de sortir une enquête sur l’emprise dangereuse des néo-conservateurs bellicistes en France. Par-delà la francophonie, facteur commode d’immigration de peuplement, ses travaux prendraient une plus grande densité en incitant à la renaissance impérieuse de la francité. Un État légionnaire français pourrait-il vraiment ignorer le destin héroïque et menacé de ces peuples issus de l’ethnie celtique – franque - normande installés en Amérique du Nord (les Québécois, les Acadiens, les « Bois Brûlés » du Grand Ouest) ?

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Avec la fougue propre à la jeunesse, Rodolphe Cart part à l’assaut de ce « monde vétuste et sans joie ». Au lieu de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, il n’a pas hésité à être le suppléant de Mélody de Witte, la candidate du Rassemblement national (RN) dans la deuxième circonscription de Paris, fief ingagnable pour l’Opposition nationale, lors des législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024. Son engagement électoral lui a valu en retour un article fielleux et outrancier de la part d’une plumitive de CaniveauPress (ô pardon – StreetPress !), un bidule gauchiste subventionné, expert dans la délation en ligne sous prétexte de pourchasser un fascisme imaginaire. Toujours en quête de dédiabolisation, les caciques du RN risqueraient de ne point apprécier Faire Légion, trop radical à leurs petits yeux fragiles. Peu lui chaut !

Rodolphe Cart apporte des solutions toniques. Il doit maintenant les approfondir, les améliorer et les affiner, surtout s’il ne veut pas que son nationalisme légionnaire finisse dans une impasse conceptuelle. Qu’il fasse donc sa mutation métapolitique ! Promouvoir l’esprit légionnaire, d’accord, mais au sein de la forteresse Europe !

GF-T

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 129, mise en ligne le 15 octobre 2024 sur Radio Méridien Zéro.

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lundi, 14 octobre 2024

"Si Moscou gagne en Ukraine, l'Europe renaît". La théorie du Français Todd qui effraie les larbins européens

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"Si Moscou gagne en Ukraine, l'Europe renaît". La théorie du Français Todd qui effraie les larbins européens

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/se-mosca-vince-in-ucraina-leuro...

Les Français, toujours les Français. A rebours de la célèbre référence transalpine aux Italiens, toujours les Italiens, il est inévitable de se résigner à l'idée qu'au moins dans l'Hexagone une once d'espace est encore accordée à la liberté de pensée. Annulée dans la quasi-totalité de l'Europe démocratique et tolérante, elle survit encore dans l'édition française. Ainsi Emmanuel Todd a écrit et publié chez Gallimard un livre - La défaite de l'Occident - dans lequel il affirme que si l'Ukraine perd la guerre contre la Russie, ce n'est pas seulement Moscou qui gagnera, mais surtout toute l'Europe.

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Le livre a été traduit en Italie par Fazi sous le même titre. Il a immédiatement déclenché une controverse, qui s'est rapidement apaisée car, pour le politiquement correct italien, il est préférable de fermer les yeux sur tout ce qui dérange. Tout d'abord en matière de politique étrangère. Car Todd affirme que la défaite de la bande à Zelensky, au service des intérêts de Washington, permettra à l'Europe de se défaire du joug américain et de construire réellement une unité politique et culturelle européenne indépendante.

Une prédiction peut-être trop optimiste quant aux capacités et au désir de liberté des Européens. Ce qui a valu à Todd l'inévitable accusation d'être pro-Poutine. Toutefois, il convient de rappeler que l'historien et anthropologue avait écrit un essai en 1976 dans lequel il indiquait le calendrier et les modalités de l'effondrement de l'URSS qui devait survenir 13 ans plus tard. Aujourd'hui, Todd souligne que les sanctions contre Moscou ont beaucoup plus pénalisé l'Europe, alors que la Russie est paradoxalement devenue plus forte. Mais Moscou a aussi des limites, à commencer par sa dénatalité, qui rendent absurdes les craintes d'expansion vers l'ouest. Mais les craintes induites servent à maintenir la soumission à Washington.

Or, si les analyses géopolitiques agacent la droite fluide italienne et l'opposition pro-US, la partie du livre consacrée au changement de la société européenne agace surtout la gauche intello. Le renoncement au sacré, le triomphe du nihilisme, la folie transgenre. Autant d'aspects qui valent à Todd l'hostilité des grands journaux français qui, comme leurs homologues italiens, continuent de perdre des lecteurs.

En théorie, Todd pourrait être adopté par la culture de la droite fluide italienne. Après tout, il se déclare antifasciste et donc parfaitement aligné sur le nouveau cours. Mais en France, il est publié par Gallimard qui, parmi l'infinité d'auteurs sous contrat, avait aussi Céline dont il réédite les textes. Une présence trop inconfortable pour les abjurateurs sans dignité à la queue basse.

dimanche, 13 octobre 2024

Sur le Bestiaire de Rome d'Alfredo Cattabiani

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Sur le Bestiaire de Rome d'Alfredo Cattabiani

Giovanni Sessa

Source: https://www.paginefilosofali.it/sul-bestiario-di-roma-di-alfredo-cattabiani-giovanni-sessa/

Alfredo Cattabiani, décédé en 2003, était un intellectuel de grande valeur, trop vite oublié par le milieu culturel auquel il appartenait. À travers ses œuvres et, surtout, sous la direction de maisons d'édition comme Dell'Albero, Borla et Rusconi (dont le catalogue a d'ailleurs été réédité par la suite par Adelphi de Calasso), Cattabiani a exercé une pédagogie obstinément traditionnelle. Un de ses livres d'une valeur incontestable, Bestiario di Roma (Bestiaire de Rome), publié par Iduna (sur commande: associazione.iduna@gmail.com, pp. 392, euro 25.00), est récemment paru en librairie. Dans ces pages, très denses en termes de contenu, l'auteur introduit le lecteur à la compréhension du sens profond de Rome et de sa mission. Il le fait en décodant et en clarifiant le sens du bestiaire symbolique que les visiteurs de la Ville éternelle ne peuvent manquer de remarquer dans les frises des palais nobles, dans les temples antiques qui ont survécu ou sur les façades des églises de la Renaissance et du Baroque : « Un bestiaire luxuriant sculpté ou peint peuple le sous-sol et les rues de cette ville à la beauté opulente [...] un labyrinthe babylonien dans le temps » (p. 7). Le volume est enrichi d'un remarquable appareil d'illustrations et de photographies qui facilitent la compréhension du récit.

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L'extraordinaire patrimoine de la Sagesse traditionnelle est gardé par les effigies animales du bestiaire sacré: pour l'élucider, l'auteur guide le lecteur à travers une exégèse érudite des mythes et des légendes, captivante et engageante sur le plan de la narration. La plume de Cattabiani est légère et rend immédiatement intelligibles, même pour le néophyte, des questions symboliques et théologiques complexes. Pour s'introduire astucieusement dans l'univers idéal de la Tradition, il faut partir d'un postulat général : le cosmos est théophanie. Chaque chose, entité ou animal est un symbole, l'incarnation d'une potestas divine : « Chaque animal [...] a évoqué à l'imagination humaine des vices et des vertus, des états psychologiques et spirituels, des dieux et des démons » (p. 7), dans une polysémie de significations qui, dans l'histoire de Rome, a connu des stratifications successives.

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Dans la Ville éternelle, en termes urbains, architecturaux et picturaux, la religiosité classique antique est flanquée de basiliques chrétiennes. Ce qui saute aux yeux dès que l'on pénètre dans le « labyrinthe » Rome-Amor, c'est la glorification du cosmos et de ses énergies. Le serpent, par exemple, est un animal qui a progressivement pris la valeur d'une icône céleste et d'une présence ténébreuse, faisant finalement allusion à la vie qui renaît à chaque printemps. C'est pourquoi Cattabiani, dans son analyse du bestiaire romain, utilise la méthode comparative qui, de temps en temps, remet en question le mythe, la théologie et les contingences historiques. Il consacre également un chapitre très intéressant à l'héraldique, car « les armoiries nobles se réfèrent à un code emblématique qui ne correspond que partiellement à celui des anciens bestiaires » (p. 8). L'exégèse des abeilles des Barberini ainsi que celle des dragons et des aigles des Borghèse est particulièrement intéressante.

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L'idée de beauté, entendue au sens traditionnel, échappe à la réduction à laquelle les nouveaux philistins l'ont condamnée : elle est la substance de la vie, en ce sens que « l'harmonie ne peut susciter autour d'elle d'autres harmonies, même sociales » (p. 9). La beauté a un caractère éducatif, c'est un paradigme civil. L'incipit du volume porte en son centre le symbole par excellence de la romanité, la Louve.

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Abordant les mythes fondateurs de l'Urbe, Cattabiani montre que le loup est l'animal totémique de Rome : « Les Étrusques vénéraient en effet un dieu des enfers représenté avec une tête de loup » (p. 14), dont les traits s'apparentent à Soranus, en l'honneur duquel des rites de purification se déroulaient sur le mont Soratte. Ces puissances divines, comme le précise Kerényi, avaient également des traits uraniques, étant représentées comme des types divins syntoniques de l'Apollon grec, avec arc et bouc à la main. Les Luperci étaient aussi ceux qui, lors du passage de l'hiver au printemps, célébraient un rituel symbolisant la refondation de la vie cosmique et sociale. Le Palatin, dans l'Antiquité, était appelé Ruma, le sein qui infuse la vie, dans une optique de géographie sacrée très évidente. Les mêmes noms, Romulus et Remus, renvoient étymologiquement à Ruma, la mamelle de la louve. L'appartenance à Dionysos et Apollon est encore confirmée par le fait que le figuier ruminal, sous lequel le panier des jumeaux s'est échoué le long du Tibre, était consacré au dieu de l'enthousiasme. À Rome, d'ailleurs, les lupe étaient appelées les prostituées sacrées, incarnant la force de reconnexion de l'éros.

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Parmi les nombreux animaux du Bestiaire de Rome, arrêtons-nous aussi brièvement sur le papillon. Platon, dans le Phèdre, soutenait que ce gracieux insecte faisait allusion aux ailes de l'âme qui, en vertu du processus anamnestique, aspirait à se réunir avec les réalités idéales. Ainsi, « Psyché, conservée au musée du Capitole, [...] est une figure féminine avec des ailes de papillon » (p. 110). Psyché-papillon vit en intimité avec la force céleste, aimée par le divin et tendue anagogiquement dans un iter qui l'élève au Bien-Belle. Dante, dans la Commedia, est conscient de ce contexte lorsqu'il écrit : « Vous ne vous rendez pas compte que nous sommes des vers/ Nés pour former le papillon angélique/ Qui vole vers la justice sans écran ?

Le Bestiaire de Rome est le gardien de l'héritage spirituel et intellectuel de la Tradition. Aujourd'hui, il n'est pas visible en raison de la pauvreté du temps présent, mais il est toujours en vigueur dans le temps. Cattabiani invite le lecteur à le réactualiser. Un héritage essentiel, à prendre au sérieux.

 

jeudi, 03 octobre 2024

Antony Loewenstein et le laboratoire palestinien

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Antony Loewenstein et le laboratoire palestinien

par Nico Maccentelli

Recension: Antony Loewenstein: Laboratoire Palestine, Fazi Editore, 2024, p. 336, 20,00 €. Comment Israël exporte la technologie d’occupation dans le monde

Deux premières remarques. La première : aujourd’hui plus qu’hier, quiconque critique Israël de quelque manière que ce soit sera accusé d’antisémitisme. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité concernant la majorité de ceux, individus, mouvements ou organisations qui soutiennent la Résistance palestinienne et le droit du peuple palestinien à avoir sa propre terre. D'autant plus que les Palestiniens sont des Sémites, donc l'accusation est non seulement fausse mais aussi insensée, si l'on ne savait pas que celui qui la fait est de parfaite mauvaise foi. Si la hasbara, c'est-à-dire ce réseau bien organisé par le sionisme pour discréditer et salir ces réalités qui se montrent solidaires avec le peuple palestinien, réseau qui se ramifie dans chaque parti institutionnel, dans chaque rédaction médiatique, bref partout où l'information et la politique sont présentes est si puissant qu’il y a une raison.

Et nous passons ici à la deuxième remarque : la raison réside dans le fait que sans Israël, l’Occident collectif, c’est-à-dire cette partie du monde dominée par l’unipolarité atlantiste dominée par les États-Unis, aurait de sérieuses difficultés à résister face à l’avancée de cette autre partie du monde qui s'affirme au niveau économique et géopolitique et, avec les conflits en cours, également au niveau militaire. La question palestinienne n’est pas quelque chose en soi mais fait partie de cette guerre mondiale fragmentée, pour paraphraser le Pape, qui risque chaque jour de devenir mondiale et nucléaire. C’est pourquoi, au-delà des appels verbeux et hypocrites de cet Occident à une trêve en Palestine et au Liban, la puissance militaire de ce chien de garde qui ne connaît ni limites ni règles est véritablement utile.

Cela dit, je peux maintenant commencer à parler de ce livre fondamental pour ceux qui veulent non seulement comprendre ce qu'est devenu Israël au cours de toutes ces décennies, mais aussi la forte corrélation avec le militarisme belligérant occidental et ses technologies de guerre, ainsi que le contrôle et la surveillance des populations comme fonction de prévention contre-révolutionnaire.

Gideon Levy, journaliste et plus grand opposant à la politique d'apartheid des gouvernements sionistes d'extrême droite qui gèrent son propre pays, écrit à propos de ce travail dans Haaretz (et que nous avons en commentaire au dos de la couverture) :

« Un livre admirable, documenté et fondé sur des preuves sur l’aspect moins connu de l’occupation. Il dresse le portrait d’Israël, l’un des dix plus grands exportateurs d’armes au monde, qui fait le commerce de la mort et de la souffrance et les vend à tous ceux qui veulent les acheter ». Voici les spécifications du livre et une brève explication donnée par la maison d'édition.

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La préface est de Moni Ovadia, dans laquelle il observe :

« Aujourd’hui, l’œuvre d’Antony Loewenstein (…) éclaire un aspect consubstantiel parallèle de la pratique sioniste : le rejet des grandes valeurs éthiques, spirituelles et universalistes du judaïsme, pour emprunter la voie idolâtre de la force, de l’arrogance, d’un nationalisme fanatique, de l’idolâtrie de la terre. Et il définit le sionisme : « … un projet colonialiste doté d’une structure ethno-nationaliste qui a toujours visé à effacer l’identité palestinienne ».

Et pour en revenir à la première prémisse de mon analyse, ceux qui luttent pour le peuple palestinien savent parfaitement qu’il existe des associations juives et des intellectuels juifs dans le monde qui s’opposent de diverses manières au sionisme raciste des classes dirigeantes israéliennes extrémistes. Et cela nous amène à commencer par encadrer l’auteur, qui appartient certainement à cette opposition juive.

Antony Loewenstein est un juif qui a grandi à Melbourne, en Australie, « … où le soutien à Israël, écrit-il, sans être une religion imposée, était tenu pour acquis » (1). Ses grands-parents étaient arrivés en Australie fuyant l'Allemagne nazie et l'Autriche en 1939.

Il a pris conscience de ce qu'était Israël en se rendant en Palestine. Et ses recherches ont pris forme avec une analyse et une richesse de détails sur la machine de guerre et technologique, les armes et les dispositifs répressifs de l’entité sioniste. Il raconte d’abord son histoire, à partir de l’idéologie sioniste qu’il ne faut pas confondre avec le judaïsme, même si la première falsifie la seconde de manière instrumentale. C'est le père du sionisme lui-même, Théodore Hertzl, évoqué par Loewenstein, qui donne l'explication la plus exhaustive de la fonction politique d'Israël : "... il écrivait dans L'État juif, son influent pamphlet de 1896: "Là-bas [en Palestine ] nous serons un secteur du mur de l'Europe contre l'Asie, nous agirons comme un avant-poste de la civilisation contre la barbarie" (2).

Ne vous souvenez-vous peut-être pas, 130 ans plus tard, de la définition donnée par Borrell du "jardin européen", de la "jungle" et de tout le reste ? La logique est la même et c’est précisément le suprématisme dont se nourrissent les élites dominantes en Occident et qui explique en partie ma deuxième prémisse sur le plan idéologique.

La technologie militaire israélienne a soutenu et continue de soutenir les pires régimes totalitaires avec la vente d'armes et d'instructeurs militaires: le Guatemala de Rios Montt, le Salvador, la Colombie, l'Haïti du Doc père et fils, la Birmanie des militaires, le Paraguay (qui avait refusé à Mengele le statut de réfugié ! pecunia non olet), le Chili de Pinochet, le Nicaragua de Somoza et d'autres, la liste est longue, à tel point que Loewenstein écrit : « Le « Sud global » a été contrôlé et pacifié avec (principalement) les armes israéliennes et américaines. Ni l’antisémitisme ni l’extrémisme n’ont empêché la collaboration avec des États qui pillent les ressources ou les personnes. Des décennies après sa création, ce système de collusion existe toujours et fonctionne sans problème. Rien n’a jamais sérieusement entravé le développement, ni pendant la guerre froide ni dans le contexte post-11 septembre 2001» (3).

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Loewenstein écrit : « Clairement, Israël souhaitait être un complice des objectifs de domination de Washington en Amérique centrale dans les années 1980. Un ministre israélien de l’Économie, Yaakov Meridor, a déclaré au début de la décennie qu’Israël voulait servir de mandataire pour les intérêts américains là où la superpuissance mondiale ne pouvait pas ou était réticente à vendre des armes directement. «Nous dirons aux Américains : ne nous faites pas concurrence dans les Caraïbes ou dans d'autres endroits où vous ne pouvez pas vendre directement des armes. Faisons-le. […] Israël sera votre intermédiaire (4).

L'activité de recherche et de production concerne les armes au sens classique, de plus en plus sophistiquées, mais aussi la cybersécurité et toutes ces techniques de contrôle social et de contrôle des personnes. Je laisse la copieuse documentation de ce travail aux lecteurs. Je me limite à formuler quelques considérations qui ne peuvent être négligées ou sous-estimées par ceux qui entendent contrer la guerre interne et externe que mènent les États-Unis, l’UE, l’OTAN et Israël dans les différents quadrants et à l’intérieur.

Israël se vante dans le domaine publicitaire actuel de l'efficacité de ses produits, les ayant testés sur les champs de bataille, comme le prétend David Ivri, qui fut directeur général du ministère israélien de la Défense (5). Cet aspect n'est pas secondaire : les meilleures promotions de la guerre israélienne et des cybertechnologies sont le résultat d'expérimentations sur le terrain, sur les populations, les gens en général, dans une sorte de mengelisme à des fins de profit et de soutien à la domination occidentale.

La première considération réside dans la « surveillance de masse israélienne », c'est-à-dire dans le traitement du peuple palestinien en Cisjordanie en particulier et avec une certaine attitude scientifique propre aux laboratoires. En fait, la fragmentation du territoire qui, selon les résolutions de l'ONU, devrait relever de la responsabilité de l'Autorité palestinienne, est non seulement au service d'une colonisation imparable par la colonisation, mais est également fonctionnelle à l'expérimentation et à l'application de technologies de contrôle et de surveillance, dont beaucoup ont besoin, notamment en mode doux et beaucoup moins invasif. On se retrouve aussi sur nos propres territoires. La colonisation, le contrôle sur place et l’exportation de méthodologies, d’applications cyber, d’appareils de toutes sortes intégrés ensemble respirent le sang et la souffrance palestiniennes.

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La cyber « sécurité » israélienne, dont Pegasus du groupe NSO, société de cybersurveillance, est emblématique de la façon dont les entreprises israéliennes de haute technologie sont à la base à la fois de la surveillance en Palestine, de l'apartheid qui y sévit, mais aussi de l'exportation de ces technologies vers d'autres États alliés, de contrôle à des fins d'espionnage et de terrorisme, comme l'a montré l'attaque contre des appareils de radiomessagerie au Liban à la mi-septembre. Un État voyou comme Israël, qui méprise toutes les résolutions de l'ONU, qui commet des massacres aveugles de civils, de Gaza au sud du Liban, a entre les mains et collabore dans ce domaine avec les États-Unis, avec le MOSSAD et la CIA ensemble (6), a le pouvoir de influencer les politiques, par exemple, des États africains qui achètent des systèmes de surveillance israéliens et assurent en échange leur vote à l’ONU (7).

Lowenstein écrit (8) : « Le lanceur d’alerte de la NSA, Edward Snowden, qualifie NSO et d’autres sociétés similaires d’« industrie de l’insécurité ». Je descends beaucoup plus loin dans le livre :

«Le téléphone entre vos mains existe dans un état d'insécurité perpétuelle, ouvert à l'infection par quiconque souhaite investir dans cette nouvelle «industrie de l'insécurité». Son activité consiste à inventer de nouveaux types d'infections capables de contourner les derniers vaccins numériques – également connus sous le nom de mises à jour de sécurité – puis à les vendre à des pays qui occupent l'intersection brûlante d'un diagramme de Venn entre « veut désespérément les outils d'oppression » et « Il lui manque totalement la capacité avancée nécessaire pour les produire en interne. » Une industrie comme celle-ci, dont le seul objectif est de produire de la vulnérabilité, devrait être démantelée ».

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Et en fait, Pegasus, écrit Lowenstein, se retrouve également dans l'entrelacement entre l'État mexicain et les organisations criminelles, comme ce fut le cas de Griselda Triana (photo), journaliste, militante des droits de l'homme et épouse de Javier Valdes Cardenas, assassinée par le cartel de Sinaloa pour les activités qu'elle menait au bénéfice de son hebdomadaire qui enquêtait sur la corruption et la criminalité liée au trafic de drogue (9). Après la mort de son mari, Triana a été espionnée via Pegasus et l'État mexicain n'a jamais voulu donner d'explications sur les raisons pour lesquelles cette attention était dirigée vers une personne qui n'était certainement pas dangereuse pour les autorités mexicaines. Ou peut-être que oui…

Au chapitre 7, on peut lire: « Les sociétés de médias sociaux n'aiment pas les Palestiniens », il devient clair comment Meta (Facebook, etc.) censure tout ce qui vient de Palestine et qui critique Israël, la collaboration entre les géants sociaux et Unity émerge "Cyber ​​​​​​Sioniste", qui a carte blanche de la Cour suprême israélienne pour opérer en coulisses et entretenir des relations secrètes avec des sociétés comme Meta (10). L'excuse « pour prévenir des actes de violence » semble plutôt ironique, si l'on considère la disproportion en termes de violence entre un État génocidaire habitué au nettoyage ethnique et la résistance existentielle d'un peuple. Ainsi, non seulement les États sous domination américaine, mais aussi les multinationales des différents secteurs (en l’occurrence les technologies de communication) coopèrent activement avec Israël, conformément à l’objectif énoncé dans ma deuxième prémisse.

Nous savons très bien comment la censure sur Facebook opère systématiquement sur nos comptes aussi. Sur cette question, je n'ai pas pu expliquer à un "camarade", exerçant entre autres un métier lié à la communication (illustrateur, mais c'est tout...), qui infestait mon tableau d'affichage et prétendait que si je ne veux pas être censuré il suffit juste que je n'utilise pas Facebook (sic !), que le fait de censurer et de filtrer les informations de millions de personnes en faisant passer les critiques pour de fausses nouvelles, signifie que de grands particuliers, au nom de gouvernements impérialistes, contrôlent l'opinion publique mondiale. À ce stade, une certaine inconscience s'est généralisée.

Mais nous pouvons dire avec une certaine raison, documentée par Loewenstein, que l'appareil scientifique et de recherche (ceux qui voient la collaboration de nos universités avec celles d'Israël), militaire et industriel font partie d'un réseau énorme et ramifié de contrôle et gestion dans le monde de tous les domaines sur lesquels s'appuie la superstructure du pouvoir de l'impérialisme : des technologies de guerre à la production d'armes, en passant par la production de systèmes de surveillance et d'espionnage, jusqu'aux communications et au contrôle sélectif des réseaux, en une sorte de tout-englobant de l’opinion publique occidentale.

Et nous arrivons ici à la dernière question, qui donne le sous-titre de ce livre: "Comment Israël exporte la technologie de l’occupation dans le monde entier". Je ne m'étendrai pas sur la partie qui concerne le contrôle et la surveillance sionistes du peuple palestinien: des tourniquets à la biométrie, des bases de données aux activités d'espionnage électronique, à la sélectivité discriminatoire sur des millions de citoyens qui doivent chaque jour franchir des points de contrôle israéliens pour aller travailler ou se rendre à hôpital, avec des restrictions de déplacement dans la zone. Un cauchemar. À tel point qu’Ovadia lui-même, toujours dans sa préface, encadre cet aspect bien documenté par Loewenstein :

« Les gouvernements sionistes choisissent la culture des armes les plus destructrices, des technologies militaires et d’espionnage les plus sophistiquées testées dans le laboratoire palestinien pour dominer, opprimer et terroriser les peuples les plus seuls du monde et exterminer des milliers de femmes et d’enfants… ».

Je veux juste observer comment ces technologies s’étendent également sur nos territoires. La période pandémique a bien démontré qu’elle constitue un terrain d’expérimentation pour le contrôle et la surveillance de toute une population. L'Italie était peut-être le laboratoire le plus avancé de ces techniques.

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Les récompenses et la discrimination, même simplement pour vérifier la valeur d'une copropriété ou du recyclage, ne sont qu'un petit avant-goût du potentiel que le système de pouvoir capitaliste et son appareil peuvent mettre en œuvre quand et comment ils le souhaitent, au-delà de toute imagination dystopique. La plupart de ces méthodologies et technologies portent le symbole de l’étoile de David et ont été testées sur la peau du peuple palestinien.

Par exemple, certains peuvent voir comme un programme vertueux tel l'agenda 2030 « pour le développement durable » mis en place par l'ONU (11), au même titre que la ville d'un quart d'heure. Mais si nous y regardons attentivement, le 1984 d’Orwell approche à grands pas. Les limitations de déplacement dans l’espace urbain, les actions obligatoires à accomplir dans la vie quotidienne sont la dernière frontière d’un capitalisme qui nous réduit à des Palestiniens qui n’ont qu’à travailler, consommer et mourir.

L'essai de Loewenstein ajoute un élément important en nous donnant une image de cette projection autoritaire mondiale, car l'élément sioniste fait partie intégrante et essentielle de toutes les pratiques totalitaires que l'Occident (et pas seulement) met en œuvre pour contrer l'autre partie du monde. , celui des 80% qui s’affirme avec le multipolarisme. Mais les risques ne se limitent pas à l’Occident unipolaire : chaque classe dirigeante, même au nom de nobles idéaux collectivistes, cache une volonté de dominer la population au niveau de la technologie la plus neutre. Et cela peut se produire aussi longtemps qu’il y aura des classes au pouvoir (qu’elles soient composées de grands particuliers, ou de bureaucraties d’État, ou un mélange de ceux-ci) et des classes subordonnées dans le système mondial de reproduction sociale capitaliste.

REMARQUES :

  1. (1) Laboratoire Palestine, page. 7
  2. (2) Page Ibidem. 44
  3. (3) Page Ibidem. 43
  4. (4) Page Ibidem. 54
  5. (5) Page Ibidem. 40
  6. (6) Page Ibidem. 185
  7. (7) Page Ibidem. 186
  8. (8) Page Ibidem. 187
  9. (9) Page Ibidem. 184
  10. (10) Ibidem, page 234
  11. (11) Ici et ici .

En outre:

Pour en savoir plus sur l'Agenda 2030, deux contributions d'Enzo Pennetta, professeur de sciences naturelles :

https://www.youtube.com/watch?v=LL3e6vHbLxI

https://www.youtube.com/watch?v=eSD3tc5UGyc

Voici enfin une analyse de Manlio Dinucci sur la stratégie terroriste israélienne, où l'abondante documentation de Loewenstein trouve une confirmation à partir de l'épisode précédemment évoqué de l'attaque contre le Hezbollah à l'aide de téléavertisseurs sabotés à l'explosif : des années de préparation (donc rien de neuf dans l'escalade actuelle, mais beaucoup de pratiques avec la vocation terroriste de l'entité sioniste), avec des technologies sophistiquées, avec le recours à des sociétés fictives créées spécifiquement à cet effet et à des hommes de paille, avec un travail des services de renseignement dont on a du mal à croire qu'il se limite au seul Mossad.

(J'apprends en ce moment où je prépare la publication de cet article, l'assassinat de Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, en compagnie de divers commandants de la résistance libanaise, lors d'une réunion au quartier général suite à une attaque terroriste par Israël qui, sans même le dire, viole une fois de plus toutes les règles internationalement reconnues.)

Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, a qualifié d'« inhumaine » l'attaque israélienne contre le Liban à l'aide d'engins explosifs mobiles et a demandé une enquête. Il a également déclaré que « les États-Unis étaient au courant des préparatifs d'Israël en vue d'une attaque à l'engin explosif mobile au Liban » (source : Antidiplomatic).

Israël, avec son gouvernement de terroristes meurtriers et génocidaires, et avec le plein soutien des États-Unis et de ses ignobles vassaux, y compris le protectorat que nous sommes, comment le définir, le bantoustan italien, nous entraîne tout droit dans la troisième guerre mondiale.

Source: https://www.sinistrainrete.info/estero/28969-nico-maccentelli-laboratorio-palestina.html

mardi, 01 octobre 2024

L’annonce du nommé Jeudi de Chesterton

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L’annonce du nommé Jeudi de Chesterton

Nicolas Bonnal

On lit et on relit Chesterton, et son génial Le nommé jeudi, publié en 1908, lisible sur Wikisource.org, ouvrage précis-moderne-prophétique-scientifique qui décrivit comme personne la situation que nous vivons, que nos anti-conspirateurs dénoncent :

« Vous partagez cette illusion idiote que le triomphe de l’anarchie, s’il s’accomplit, sera l’œuvre des pauvres. Pourquoi ? Les pauvres ont été, parfois, des rebelles; des anarchistes, jamais. Ils sont plus intéressés que personne à l’existence d’un gouvernement régulier quelconque. Le sort du pauvre se confond avec le sort du pays. Le sort du riche n’y est pas lié. Le riche n’a qu’à monter sur son yacht et à se faire conduire dans la Nouvelle-Guinée. Les pauvres ont protesté parfois, quand on les gouvernait mal. Les riches ont toujours protesté contre le gouvernement, quel qu’il fût. Les aristocrates furent toujours des anarchistes; les guerres féodales en témoignent. »

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C’est qu’en effet les oligarques n’aiment guère obéir.

Dans son roman à clé sur la montée du communisme et de la mondialisation (tous aux mains d’une clique de banquiers), Chesterton, qui avait été révolté par la guerre des boers liée au diamant (Barnato, Rothschild, Cecil Rhodes et sa périlleuse Table Ronde), ajoute :

« Nous ne sommes pas des bouffons; nous sommes des hommes qui luttons dans des conditions désespérées contre une vaste conspiration. Une société secrète d’anarchistes nous poursuit comme des lapins. Il ne s’agit pas de ces pauvres fous qui, poussés par la philosophie allemande ou par la faim, jettent de temps en temps une bombe; il s’agit d’une riche, fanatique et puissante Église: l’Église du Pessimisme occidental, qui s’est proposé comme une tâche sacrée la destruction de l’humanité comme d’une vermine».

Chesterton ajoute avec humour et fantaisie cette allusion à Cecil Rhodes et à la Table ronde – dont reparlera Carroll Quigley dans ses classiques:

« Voici son application à ces circonstances: la plupart des lieutenants de Dimanche sont des millionnaires qui ont fait leur fortune en Afrique du Sud ou en Amérique. C’est ce qui lui a permis de mettre la main sur tous les moyens de communication, et c’est pourquoi les quatre derniers champions de la police anti-anarchiste fuient dans les bois, comme des lièvres. »

Et comme aujourd’hui on accuse le mondialisme des maîtres du réseau (Google, Amazon, Facebook, Apple, GAFA, etc.), Chesterton dénonce les maîtres du rail et du télégraphe :

« Mais permettez-moi de vous faire observer que la force de cette racaille est proportionnée à la nôtre et que nous ne sommes pas grand-chose, mon ami, dans l’univers soumis à Dimanche. Il s’est personnellement assuré de toutes les lignes télégraphiques, de tous les câbles. Quant à l’exécution des membres du Conseil suprême, ce n’est rien pour lui, ce n’est qu’une carte postale à mettre à la poste, et le secrétaire suffit à cette bagatelle. »

Bibliographie:

Gilbert Keith Chesterton – Un nommé jeudi (wikisource)

Nicolas Bonnal –  Littérature et conspiration (Amazon.fr, Dualpha.com)

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lundi, 09 septembre 2024

Anthony Burgess: les prophéties de 1985

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Anthony Burgess: les prophéties de 1985

par Michele Fabbri

Source: https://www.centrostudilaruna.it/le-profezie-di-1985.html

Bev Jones, professeur d'histoire, vit dans le Londres de 1985, une ville largement islamisée: Elizabeth II a abdiqué et Charles III règne, mais les pays arabes font chanter l'Angleterre en lui fournissant du pétrole et prennent le contrôle du pays. Des troupes algériennes francophones occupent les îles britanniques de la Manche où elles instaurent une théocratie musulmane, tandis que les cheikhs prennent des mineures anglaises comme concubines.

Les syndicats sont tout-puissants et, par leurs grèves tous azimuts, paralysent la vie sociale et économique anglaise au point que les patients d'un hôpital meurent dans un incendie à cause d'une grève des pompiers. Tous les travailleurs sont encadrés par des syndicats au pouvoir immense, les patrons privés disparaissent et la quasi-totalité des entreprises sont publiques.

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Le gouvernement élabore une « néo-langue » appelée « anglais des travailleurs » (Workers' English), une langue extrêmement simplifiée qui reflète l'aplatissement de la pensée, et les villes sont couvertes d'affiches représentant « Bill le travailleur » (une figure qui rappelle Stakhanov).

Bev a une fille de 13 ans souffrant d'un certain retard mental, qui passe son temps à regarder la télévision et à se masturber : la jeune fille se faufile nue dans le lit de son père, qui lui explique que les relations sexuelles incestueuses sont malsaines ! Bev décide de changer de métier et de travailler comme ouvrière dans une chocolaterie car elle ne veut pas enseigner dans l'école idéologisée du régime.

Les villes sont infestées de gangs de voyous mineurs et les violences sexuelles pédérastiques sont monnaie courante. Certains opposants au régime se réunissent en secret et tentent de diffuser des informations alternatives, mais les dissidents sont enfermés dans des asiles. La population anglaise, plus réceptive, est divisée entre ceux qui tentent des initiatives pour s'opposer au système et ceux qui sont fascinés par la force morale de l'Islam face à un Occident plongé dans un état de dégénérescence irrémédiable.

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Une grande mosquée est construite à Londres, qui est également présentée comme un temple œcuménique. Les ouvriers se mettent en grève et la police les disperse, tandis que des briseurs de grève arabes sont utilisés pour poursuivre les travaux. Certains grévistes prennent d'assaut les quartiers islamiques et sont accusés de racisme...

Quel sera l'avenir de l'Angleterre ?

Tels sont, en résumé, les ingrédients de 1985, un récit dystopique d'Anthony Burgess, le brillant auteur d'Orange mécanique. Le livre 1985 a été publié en 1978 et son titre rappelle évidemment le 1984 d'Orwell (le livre a été traduit en italien sous le titre de 1984 - 1985 en 1979 et sous le titre de 1984-85 en français, chez Robert Laffont).

Dans 1985, Burgess entendait se confronter idéalement au maître de la dystopie. 1985 est divisé en deux parties: l'une contient le récit politique fictif de l'Angleterre du futur et l'autre contient de courts essais et des réflexions sur l'œuvre d'Orwell et des hypothèses sur les changements sociaux et politiques à venir.

Burgess imagine un contrôle de plus en plus capillaire de la vie des citoyens (il raconte lui-même que la CIA a mis son téléphone sur écoute pendant son séjour à Rome) et note également que l'Utopie de Thomas More contenait déjà les germes d'un contrôle social.

Un chapitre de 1985 est consacré au recensement britannique de 1971: un moment important dans l'histoire du Royaume-Uni parce qu'il représentait la première intrusion de l'État dans la vie privée de tous les citoyens, avec des amendes pour ceux qui ne répondaient pas aux questions.

Burgess a également prédit que les termes considérés comme racistes ou homophobes seraient interdits par la loi à l'avenir. Ces termes étaient déjà considérés comme tabous à l'époque où notre auteur écrivait, et il convient de noter que le terme « homophobie », chef-d'œuvre du néo-langage politiquement correct entré dans les mœurs au début du 21ème siècle, n'était pas encore utilisé à l'époque.

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D'ailleurs, dès 1962, dans son roman The Wanting Seed (en français: La folle semence), Burgess préfigurait une société gouvernée par les homosexuels dans laquelle les hétérosexuels étaient soumis à des contrôles et des limitations stricts... Le thème de l'homosexualité commençait à émerger dans les années 1960 et Burgess a eu l'occasion d'observer les premiers signes de ce nouveau phénomène social qui prend aujourd'hui l'ampleur d'un événement messianique ! Par ailleurs, les pages sarcastiques consacrées aux tentatives grotesques de féminisation du langage ne manquent pas: des exemples que l'auteur anglais prévoyait dans les années 70 et qui trouvent aujourd'hui leur place même au niveau institutionnel...

Selon Burgess, l'avenir verra l'élimination des liens sentimentaux et familiaux, la perte du droit au choix moral et le triomphe de la « logocratie », c'est-à-dire la capacité d'exprimer des concepts contradictoires en les acceptant tous les deux (le biplanning d'Orwell). On trouve ensuite des observations sur le roman Nous de Zamjatin, considéré comme l'antécédent le plus direct de 1984, ainsi que des réflexions sur l'influence de la pensée anarchiste et des théories de Pavlov et Skinner en ce qui concerne l'application sociale des réflexes conditionnés.

On peut se demander dans quelle mesure les prophéties de 1985 étaient justes. Les événements se déroulent dans un cadre temporel très étroit: le livre est publié en 1978 et imagine des événements qui se déroulent quelque sept ans plus tard, mais il faut considérer que l'année choisie comme titre du livre était une référence intentionnelle au roman d'Orwell. Burgess était un conservateur anglais et à l'époque où il écrivait, il était frappé par le pouvoir des syndicats qui, dans les années 1970, avaient une capacité remarquable à mobiliser les travailleurs.

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En réalité, les syndicats allaient bientôt s'engager dans une épreuve de force contre Margaret Thatcher dont ils sortiraient désespérément vaincus. De plus, nous sommes encore en pleine guerre froide et la crainte de la diffusion des idées collectivistes est persistante à l'Ouest. Burgess a néanmoins réussi à identifier la question de l'immigration comme le pilier du débat politique des temps à venir.

Comme nous l'avons dit, notre auteur imagine même des affrontements entre les grévistes britanniques et les magnats musulmans qui ont commandé les travaux de la mosquée. En réalité, les choses ne se sont pas déroulées exactement de cette manière.

L'opinion publique s'est laissée hypnotiser par la propagande antiraciste, qui s'est révélée être un excellent anesthésiant pour faire oublier les droits sociaux. Le néolibéralisme s'est servi précisément de l'antiracisme pour attaquer les droits des travailleurs, souvent avec leur consentement enthousiaste. Comme toujours, la littérature dystopique alterne les anticipations surprenantes de l'avenir et les bévues retentissantes... Après tout, les événements des dernières décennies ont été si absurdes qu'ils dépassent les efforts d'imagination les plus vifs !

Le titre qui conclut l'essai de 1985 est révélateur : « La mort de l'amour ». Et, pourrait-on ajouter aujourd'hui, « Le triomphe de la haine », puisque la morale de la rancœur et de la vengeance qui anime les idéologies progressistes est désormais devenue normative.

Anthony Burgess, 1985, Serpent's Tail, p.219 1985 - Serpent's Tail (serpentstail.com)

Anthony Burgess, 1984 & 1985, Editoriale nuova, 1979, p.355

lundi, 02 septembre 2024

Ne pas comprendre la Chine et la Russie: le vrai risque pour la paix

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Ne pas comprendre la Chine et la Russie: le vrai risque pour la paix

Carlo Formenti

Source: Avanti.it - https://avanti.it/non-capire-cina-e-russia-ecco-il-vero-rischio-per-la-pace/

La lecture de The Avoidable War (en Italie: US-China. Una guerra che dobbiamo evitare, éditions Rizzoli) de l'ancien Premier ministre australien Kevin Rudd est un exercice utile pour ceux qui veulent comprendre dans quel sac la civilisation occidentale est en train de se fourrer, dans une tentative désespérée de préserver son hégémonie face aux défis que lui lancent des alternatives stratégiques de plus en plus déterminées. C'est d'autant plus vrai que Rudd est un analyste géopolitique, qui est tout sauf paumé, et, comme en témoigne l'appréciation d'un vieux renard comme Henry Kissinger cité en quatrième de couverture, non aligné sur la fanfare et les tambours de la propagande anti-chinoise qui, de Trump à Biden, semble être devenue le leitmotiv de la politique étrangère de la bannière étoilée (ainsi que de celle des vassaux européens).

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Ce qui inspire la critique de Rudd à l'égard des impulsions belliqueuses de Washington, ce ne sont pas seulement des considérations de bon sens, comme la conscience qu'une guerre entre les États-Unis et la Chine resterait difficilement limitée à la zone indo-pacifique, mais finirait très probablement par se propager à l'échelle mondiale avec des conséquences dévastatrices pour l'ensemble de l'humanité (même si elle ne débouchait pas sur un holocauste nucléaire, ce qui ne peut pas être exclu a priori). Le vrai problème, selon Rudd, est l'incompréhension presque totale de la part des chancelleries occidentales (et pas seulement américaines) de la logique qui sous-tend les décisions stratégiques des élites chinoises.

En particulier, selon Rudd (qui, en plus de parler chinois, a séjourné en Chine à de nombreuses reprises et pendant longtemps, occupant des postes qui lui ont permis de traiter avec les plus hauts niveaux du parti-État), ce qui est sous-estimé, voire ignoré, à Washington, Londres et en Europe, c'est le poids renouvelé de l'idéologie marxiste-léniniste - intégrée aux valeurs de la tradition taoïste et confucéenne - associé à l'avènement de Xi Jinping à la tête du pays; on ignore également à quel point le souvenir du « siècle des humiliations » causées par le colonialisme occidental joue encore un rôle décisif dans le sentiment commun d'un peuple fier, tant de sa civilisation millénaire que de sa puissance économique et militaire retrouvée, sans parler de l'amélioration rapide des conditions d'une classe moyenne qui se rapproche de plus en plus du niveau de vie occidental.

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Ces facteurs et d'autres encore se combinent pour générer un mélange explosif de socialisme, de nationalisme et de « populisme » (Rudd utilise ce terme pour définir le tournant néo-socialiste de Xi Jinping, qui pénalise le pouvoir du grand capital privé et promeut une redistribution radicale des revenus vers le bas), un mélange que les États-Unis s'illusionnent de pouvoir contenir en augmentant le ton de leur agression, alors qu'ils ne font qu'attiser le risque de réactions symétriques tout aussi dures de la part de Pékin.

Il faut dire que Rudd est loin d'être favorable à la nouvelle « affirmation » de la Chine de Xi Jinping: s'il critique les illusions occidentales selon lesquelles la croissance économique conduirait « naturellement » à la transition de la Chine vers un régime démocratique libéral, il reste fermement convaincu de la supériorité du marché libre (en dépit des catastrophes récentes) et du système démocratique libéral (en dépit des dégénérescences qui le transforment en une oligarchie de recensement), il continue donc d'espérer que les limites « naturelles » de l'économie d'État (malgré les succès qu'il est lui-même amené à admettre) finiront par générer des problèmes qui saperont le leadership néo-socialiste et « populiste » de Xi Jinping, et inciteront la Chine à adopter des conseils plus doux. Bref, de son point de vue, il suffirait d'apprendre des Chinois la vertu de la patience et d'attendre que les tensions s'apaisent, en évitant entre-temps de tendre la corde jusqu'à ce qu'elle se rompe.

Rudd n'a pas mis à jour son analyse suite au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne qui, dans la mesure où elle confronte directement les militaires russes aux forces de l'OTAN, modifie le scénario géopolitique qu'il avait esquissé puisqu'elle implique la convergence stratégique de la Chine et de la Russie. S'il l'avait fait, il aurait été amené à constater que son diagnostic sur l'incapacité du bloc occidental à comprendre la logique de l'adversaire chinois s'applique d'autant plus à l'adversaire russe.

Dans le cas de la Russie, il convient de partir du refus systématique de l'Occident d'accepter les offres de Poutine lorsque celui-ci a, à plusieurs reprises, déclaré son intention d'intégrer son pays à l'Europe, voire à l'OTAN. Les motifs pour lesquels ces avancées ont été rejetées, à savoir le non-respect des droits de l'homme et le caractère prétendument antidémocratique du régime russe, sont si spécieux qu'ils ne méritent pas la moindre considération (l'Occident compte parmi ses partenaires et alliés des pays dont les normes en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme sont bien moindres).

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La vérité est que la capacité de Poutine à sortir la Russie du désastre dans lequel la thérapie de choc imposée par l'adhésion aux règles consensuelles de Washington l'avait plongée, et à lui redonner le statut de puissance régionale (et non « impériale »: même cette surestimation est clairement propagandiste), contrastait et contraste encore avec l'objectif d'en faire la fin de la Yougoslavie, c'est-à-dire de la réduire à un ensemble de petits États colonisés par les intérêts occidentaux.

Cette attitude de supériorité méprisante a produit dans la mémoire chinoise l'équivalent (d'autant plus cuisant qu'il est plus récent) des humiliations coloniales des puissances occidentales. Le large consensus politique dont jouit Poutine (malgré les tentatives des médias américains et européens de le diminuer) est fondé sur cette fierté nationale retrouvée, et la juxtaposition de la guerre ukrainienne à la grande guerre patriotique contre le Troisième Reich fonctionne précisément pour cette raison (et aussi parce que l'attitude russophobe et l'idéologie parafasciste de Kiev la justifient amplement, en rappelant la connivence ukrainienne avec l'envahisseur nazi). Elle s'appuie aussi sur le fait qu'elle a sorti des millions de concitoyens de la misère et leur a rendu leur dignité.

Si la guerre devait se prolonger, d'autres facteurs entreraient en ligne de compte (ils le sont déjà en partie): de la résilience dont l'économie russe a pu faire preuve en résistant aux sanctions occidentales grâce à ses relations de travail de plus en plus étroites avec la Chine et d'autres membres des Brics, à la réduction progressive du pouvoir des oligarques (les économies de guerre tendent à la centralisation et au renforcement du rôle de l'État, au détriment des intérêts des grandes entreprises privées), en passant par le renforcement du poids politique et organisationnel du Parti communiste russe (dépositaire du regret de millions de citoyens pour les conditions de sécurité sociale garanties par le régime soviétique).

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Le fait que les gouvernements, les partis et les médias du monde entier souhaitent la chute de Poutine, comme si cela suffisait à ramener la Russie aux fameuses conditions de l'après-Eltsine, confirme leur incapacité totale à évaluer le poids de tous ces facteurs et le risque (ou l'opportunité, selon le point de vue) qu'ils représentent pour la Russie, poids de plus en plus réel, de voir la Russie s'engager sur la voie, sinon d'un retour au socialisme, de la construction d'une économie mixte à forte connotation « étatiste » et « populiste » (pour reprendre l'expression que Rudd applique à la politique de Xi Jinping). Il s'agit d'un risque terrible pour la préservation de l'hégémonie américaine et européenne sur le système mondial, car cela impliquerait la soudure d'un puissant bloc sino-russe (doté d'une capacité de projection considérable au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique et en Amérique latine) face auquel les ambitions impériales de la bannière étoilée seraient brisées, générant une alternative brutale: accepter la transition vers un monde bipolaire ou déclencher l'Armageddon d'une guerre nucléaire qui n'aurait pas de vainqueur.

jeudi, 29 août 2024

Le polémiqueur - Les cinq meilleurs livres d'Ernst Nolte

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Le polémiqueur - Les cinq meilleurs livres d'Ernst Nolte

Source: https://www.freilich-magazin.com/kultur/der-streitbare-die-fuenf-besten-buecher-von-ernst-nolte

"Antisémite", "fasciste", "incendiaire intellectuel" - les critiques adressées à l'historien et philosophe Ernst Nolte (1923-2016) n'avaient pas de vocables assez durs pour mettre le public en garde contre ses écrits et ses travaux. Devenu célèbre pour son examen critique du nazisme et son rôle dans la «querelle des historiens» des années 1980, Nolte a créé les outils historico-politiques d'une nouvelle génération de la droite libérale et conservatrice. Mike Gutsing, rédacteur du magazine Freilich, a rassemblé les ouvrages les plus importants pour nous en dire quelques mots.

par Mike Gutsing

Le fascisme à son époque (1963)

Le premier ouvrage d'Ernst Nolte est aujourd'hui encore considéré comme un classique. Il avait déjà travaillé sur Le fascisme à son époque alors qu'il enseignait l'allemand, le latin et le grec au lycée à la fin des années 1950 et s'en était servi comme thèse de doctorat. Avec Der Faschismus in seiner Epoche, Nolte adopte une méthode de travail qui marquera toute son œuvre scientifique et qui compte encore aujourd'hui de nombreux adeptes dans et hors du milieu universitaire. Il interprète le phénomène de l'État nazi à partir de lui-même, analyse sa compréhension de lui-même et en déduit les particularités idéologiques. Jusqu'alors, le terme n'était connu que comme une auto-désignation du mouvement politique de Mussolini et comme un terme de combat de la gauche d'après-guerre, grâce à Nolte, le « fascisme » est devenu un terme d'analyse scientifique.

Contrairement à l'interprétation qu'en font ses contemporains, Nolte bouscule les schémas de pensée existants. Il affirme que le fascisme a été une réaction à certaines circonstances et crises historiques, et tente de mettre en lumière les similitudes et les différences entre les différents mouvements fascistes. L'idée selon laquelle les différentes formes de fascisme européen étaient des réactions au communisme soviétique russe est centrale. C'est notamment cette thèse qui a valu à l'ouvrage, et donc à Ernst Nolte, d'être sévèrement critiqué par les historiens.

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L'Allemagne et la guerre froide (1974)

Près de trente ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde était à nouveau sur le point de connaître une conflagration mondiale. Les puissances du bloc formé par les États-Unis d'Amérique et l'Union soviétique se sont réarmées après les efforts de détente des années 60 et se sont livrées à une course au monde jusqu'alors inédite. Dans son livre L'Allemagne et la guerre froide, Ernst Nolte a analysé comme personne d'autre les relations tendues entre les deux grandes puissances. Selon Nolte, le conflit mondial n'est pas seulement une lutte d'influence, de ressources et d'hégémonie, mais aussi un combat d'idéologies. Pour lui, les « démocraties occidentales » sont en concurrence permanente avec leurs alternatives, qui ont pris la forme du nazisme et du communisme au 20ème siècle.

Dans L'Allemagne et la guerre froide, Nolte étudie également les circonstances géopolitiques qui ont conduit à la division de l'Allemagne. En tant qu'historien, il était au cœur de l'actualité, la double décision de l'OTAN ayant donné à de nombreux Allemands de l'Ouest l'impression d'être devenus tout à coup la première tranchée de la guerre froide. Nolte établit également un parallèle avec Israël, une comparaison qui a suscité l'étonnement et parfois l'admiration de nombreux critiques contemporains pour sa méthode de travail.

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La guerre civile européenne (1987)

La fascination pour les pensées et les points de vue sous-jacents aux grandes évolutions du monde imprègne également l'œuvre la plus controversée de Nolte. Avec Der europäische Bürgerkrieg 1917-1945. Nationalsozialismus und Bolschewismus (La guerre civile européenne 1917-1945 - National-socialisme et bolchevisme ), il s'est propulsé au cœur de la querelle des historiens, exacerbée par le mouvement de 1968, sur la manière dont la recherche traite le national-socialisme. A sa critique centrale, selon laquelle l'historiographie de la RFA n'aurait pas dû adopter sans réflexion la perspective des puissances victorieuses, Ernst Nolte oppose dans ce livre un contraste en confrontant les deux adversaires de la « guerre civile ».

Avec sa thèse selon laquelle les camps de concentration nazis auraient été la réaction à l'archipel du Goulag des communistes, il fait tomber de son piédestal, selon de nombreux collègues, l'une des vaches sacrées de l'Allemagne d'après-guerre. Les recherches universitaires de Nolte sont perçues comme une attaque contre la souveraineté d'interprétation des intellectuels de la République fédérale d'Allemagne et interprétées comme une relativisation de l'Holocauste. Le conflit autour des déclarations de Nolte, souvent interprétées de manière délibérément erronée, continue d'assombrir le livre et son auteur. Il n'en reste pas moins un ouvrage de référence, non seulement pour les historiens spécialisés, mais aussi pour tous ceux qui souhaitent comprendre la pensée historique de Nolte.

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La pensée historique au XXe siècle (1991)

A propos de l'ouvrage publié au début des années 1990 , Geschichtsdenken im 20. Jahrhundert. De Max Weber à Hans Jonas, il y a peu à dire. Non pas parce que le livre est seulement faible en contenu ou même en qualité, mais parce qu'il semble à première vue être l'étape logique après les débats autour de son dernier grand ouvrage, La guerre civile européenne. Ses contemporains l'ont qualifié de « costume d'Arlequin assez abscons » que l'homme, alors âgé de 68 ans, avait revêtu. Pour Nolte, il s'agissait de trouver des personnes partageant les mêmes idées que lui, qu'il voulait à présent dénicher dans le passé après les avoir vainement recherchées dans le présent.

Les « penseurs de l'histoire », comme les appelle Nolte, sont une espèce rare d'intellectuels, même parmi les 39 grands penseurs de la fin du 19ème siècle et du 20ème siècle, qui n'est pas totalement révolu, ils ne sont qu'une poignée. Si vous souhaitez comprendre la pensée de Nolte, vous ne pouvez pas passer à côté de ce livre.

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Le troisième mouvement de résistance radicale : L'islamisme (2009)

Dans son œuvre tardive, Ernst Nolte a également cherché le point sensible. L'examen de l'islamisme, avec en toile de fond les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre internationale contre la terreur, n'est pas vraiment extravagant. Pour lui, l'islamisme, troisième idéologie après le bolchevisme et le nazisme, s'oppose fondamentalement à la démocratie libérale. Nolte reste impassible dans cette évaluation, il considère que le système de valeurs occidental n'est pas moins menaçant pour l'existence des pays marqués par l'islam, comme c'est le cas dans l'autre sens.

Tout au long de sa vie, ses détracteurs ont reproché à Nolte de s'intéresser davantage aux idéologies qu'à la réalité. Mais c'est justement La troisième résistance radicale: l'islamisme qui nous montre que l'idéologie et la réalité ne forment pas un couple antagoniste. Dans ce livre, Ernst Nolte révèle une fois de plus une manière de penser au-delà des perspectives préconçues. Si ses résultats peuvent être contestables, la grande qualité de sa méthode de travail et la force d'innovation de sa pensée ne le sont pas.

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mercredi, 28 août 2024

Un voyage à travers la parole

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Un voyage à travers la parole

Frédéric Andreu

Louis-Ferdinand Céline fustigeait les écrivains sans style, ces "cafouilleux" qui "choisissent une bonne histoire" et "rampent dans les phrases". Philippe Barthelet et Éric Heitz, son compère alsacien, en sont le contraire même. En effet, Le voyage d'Allemagne, leur ouvrage commun, est premièrement un style - c'est à dire un voyage à travers la Parole - et secondairement un voyage vers et dans un pays, l'Allemagne.

Ce double voyage fait à la fois preuve d'abandon à la poésie et de grande rigueur rhétorique. Les étymologies, nombreuses, qui émaillent ce textus, jouent le rôle de panneaux indicateurs le long de la route. Nous voyageons à travers le Luxembourg, Bâle, Fribourg et la Souabe ; quand c'est un "faune" qui indique le chemin, on a même l'impression que le voyage emprunte au rêve ou à la légende !

Mais où nous mène ce double voyage ? Devant la demeure d'un autre grand écrivain, Ernst Jünger, à Wilflingen. Philippe Barthelet, qui a rencontré le « Waldgänger » plusieurs fois au cours des dix dernières années de sa vie dans ce village « sans gare, ni poste », lui rend hommage à la mode du « Weggänger », celui qui a recourt aux chemins. Avec ce grammairien de haute volée pour qui « les mots savent mieux que nous ce qu'ils veulent dire », chaque virgule compte. Il n'a donc pas choisi d'intituler son livre Le voyage d'Allemagne - et non Un voyage en ou vers Allemagne - par hasard. Ici la préposition "de" est celle des formules héraldiques comme dans "De Gueule" ou "D'Azur" dans la description des blasons. L'auteur décrit « les oriflammes qui enjolivent l'héraldique de la plus neutre des réalités ». Les anecdotes de voyage rayonnent dans ce texte comme autant de blasons. Sous la plume d'aigle de l'auteur, les villages redeviennent des miniatures, des « objets » mythologiques. Robert Brasillach voyait dans les villages de Bavière, des jouets. 

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La maison de Wilflingen, où Helmut Kohl et François Mitterrand se rendaient en pèlerinage, est elle aussi un cabinet de curiosités ouvert sinon pour tous, du moins pour chacun.

Elle abrite en effet des souvenirs des deux guerres mondiales, des objets de voyages, et une fascinante collection d'insectes, toutes les cicindèles d'Europe notamment, que Jünger considérait lui aussi comme autant d'héraldiques à déchiffrer. Grâce à ce livre-voyage, Philippe Barthelet et Éric Heitz se révèlent être de véritables disciples - c'est à dire des « jünger » - sans pour autant être de « sérieux »   disciples, des « ernst » jünger.

Le premier, ancien producteur et chroniqueur à France Culture de 1985 à 2006, s'est fait connaître par sa plume érudite et son goût pour les grands auteurs ; quant au second, Eric Heitz, il reste plus mystérieux. Il paraît même qu'« il ne veut plus voir personne ». Serait-il parvenu au stade ultime du renonçant lucide au monde moderne que Ernst Jünger désigne sous le nom d'« Anarque » ?

En tout cas, cet ouvrage d'amitié tire un coin de voile sur le secret des Allemagnes situées des deux côtés du Rhin. Pour ce faire, la littérature y est présente. "La littérature est un mystère d'évidence qui a besoin de couverture, d'ombre, de faune mousse, de jardins aux douze portes et de librairie toujours ensoleillée". Comment mieux poser les jalons pour nous conduire, sans jamais nous contraindre, à cet obscur secret qui pourtant nous éclaire de toutes parts et de toute éternité ?

* * *

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Philippe Barthelet et Éric Heitz, Le voyage d'Allemagne, Paris, Gallimard, coll. « le sentiment géographique », 240 p. 

Ernst Jünger Stiftung : Stauffenbergstrasse 11, 88515 Wilflingen - juenger-haus.de / +4973761333

jeudi, 22 août 2024

Martin Sellner : Regime Change de droite. Une esquisse stratégique

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Recension

Martin Sellner : Regime Change de droite. Une esquisse stratégique

L'été dernier, l'activiste Martin Sellner a publié un ouvrage intitulé Regime Change von rechts, dans lequel il présente et explique différentes stratégies. Une tentative qui vaut la peine d'être lue, comme l'explique Simon Dettmann dans son compte-rendu détaillé pour la revue Freilich.

par Simon Dettmann

Source: https://www.freilich-magazin.com/kultur/rezension-martin-sellner-regime-change-von-rechts-eine-strategische-skizze

41O9Sj26YdL._AC_SY580_.jpgRegime Change von rechts, la publication la plus complète à ce jour de l'activiste politique autrichien Martin Sellner, visage et maître à penser des Identitaires dans l'espace germanophone, constitue véritablement un "grand coup". Tout d'abord parce que l'ouvrage répond effectivement à l'ambition qu'il s'est fixée, celle d'ordonner, de systématiser et d'élever à un niveau théorique supérieur les débats sur la stratégie et la tactique menés dans les milieux dits de la "nouvelle droite". Le livre de Sellner est une tentative d'unifier l'ensemble des milieux de la nouvelle droite, qu'il assimile au camp de la droite, autour d'une stratégie visant à atteindre l'objectif principal commun, à savoir assurer la pérennité du peuple allemand. L'auteur, avec sa pensée formée par Gramsci, Althusser et Gene Sharp et son regard souvent sociologique et psychologique sur les processus politiques, a de nombreux arguments en sa faveur. Mais sa façon de tourner en rond autour du problème de la démographie, qui tend à devenir monomaniaque, pourrait avoir un effet négatif à long terme sur la droite intellectuelle et politique.

Tbilissi, 7 mars 2023. Pour la deuxième nuit consécutive, des milliers de personnes patientent sur la grande place près du Parlement géorgien. Mais contrairement à hier, les forces de l'ordre ne se contentent plus d'observer avec apathie. Cette fois, la police utilise des canons à eau et des gaz lacrymogènes contre les manifestants. La foule se disperse rapidement, donnant lieu à des scènes que les journalistes qualifient généralement de "tumultueuses". Alors que presque tous les manifestants s'écartent ou se réfugient dans les rues latérales, une femme d'âge moyen court dans la direction opposée - tout droit vers les canons à eau. Elle tient dans ses mains un énorme drapeau européen qu'elle agite frénétiquement. Les canons à eau commencent immédiatement à la viser, mais cela ne semble pas l'impressionner.

Des manifestants se précipitent vers elle et tentent de la protéger des jets d'eau. Trempé et entouré de gens, elle se tient au milieu de l'une des plus grandes places de la capitale et brandit le drapeau bleu foncé avec les étoiles jaunes vers le ciel nocturne. Il en résulte pendant quelques secondes une scène d'une grande puissance iconique et d'une grande force symbolique. Il en résulte une image dont les éléments de base font partie intégrante d'une iconographie de la révolution et font partie de la mémoire collective des Européens - comme le confirmeront tous ceux qui ont déjà vu "La liberté guidant le peuple" de Delacroix ou une représentation des combats sur les barricades pendant la révolution de mars 1848. Le drapeau de l'UE, quant à lui, fait référence à la forme concrète de bouleversement social que les manifestants ont en tête: une révolution de couleur.

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Des révolutions colorées avec l'argent des autres

Les manifestations de masse sont motivées par le projet du gouvernement géorgien d'adopter une loi qui obligerait les ONG et les médias financés à plus de 20% par l'étranger à se désigner eux-mêmes comme "agents étrangers".

Une telle loi contrecarrerait la stratégie des agents étrangers, des groupes de médias et des think tanks occidentaux visant à influencer l'opinion publique en Géorgie et à faire basculer le pays dans le camp des libéraux pro-occidentaux; la dite loi entraverait donc l'intégration de la Géorgie dans le bloc de puissance occidental, du moins à moyen terme. Mais rien n'y fait. Deux jours plus tard, le 9 mars, la pression est trop forte et le gouvernement est contraint d'abroger cette loi mal acceptée.

Le mouvement de protestation, qui semble être parti de rien, n'a certes pas atteint son objectif principal, qui était de contraindre le parti au pouvoir "Rêve géorgien", qui mène une politique étrangère multisectorielle, à démissionner et à être remplacé par une alliance de partis extrêmement pro-occidentaux lors de nouvelles élections, mais il a atteint son objectif intermédiaire, annoncé publiquement et fortement mobilisateur, en quelques jours seulement.

Voilà pour la pratique concrète du changement de régime et de la révolution de couleur.

Un livre paru au bon moment

Mais ne serait-il pas possible d'adopter les stratégies, les tactiques, les formes d'organisation et de protestation d'une révolution de couleur et de les mettre en œuvre en Allemagne, en Autriche ou en Suisse ? En d'autres termes, une révolution culturelle et de couleur étiquetée "de droite", c'est-à-dire réclamant la fin de l'hégémonie discursive des idées libérales de gauche et leur remplacement par des idées conservatrices et nationalistes, associée à un changement de gouvernement, pourrait-elle avoir du succès dans l'espace germanophone ? Même s'il préfère écrire Social Change et Regime Change : Martin Sellner, on peut l'affirmer avec certitude après la lecture de son livre, en est profondément convaincu. C'est pourquoi Regime Change von rechts traite aussi de la possibilité d'une révolution de couleur, des chemins tortueux qui y mènent, de ses conditions sociales préalables, de sa théorie et de la théorie de sa pratique. C'est un livre étonnamment optimiste, qui ne cherche pas à démoraliser mais à motiver l'action, tout en invitant sans cesse le lecteur à réfléchir à ses propres actions d'un point de vue stratégique et moral.

51K9WVrXcuL.jpgMais c'est surtout un livre nécessaire, car il corrige des hypothèses théoriques erronées encore largement répandues dans le camp de la droite, souligne les impasses stratégiques et démystifie les mythes. Par exemple, Sellner explique de manière convaincante pourquoi beaucoup (d'activisme de droite) ne sert pas toujours à grand-chose, pourquoi croire que l'on peut convaincre l'adversaire de sa propre vision du monde par une argumentation rationnelle et ainsi amorcer ce qu'il appelle un tournant spirituel est politiquement naïf et part de présupposés anthropologiques erronés ou pourquoi, à l'inverse, se concentrer uniquement sur les valeurs esthétiques et les questions de style de vie personnel mène à une impasse politique. À une époque où les milieux dits de "nouvelle droite" sont trop souvent caractérisés par l'oscillation de jeunes idéalistes entre le besoin activiste de faire quelque chose tout de suite d'une part, et le défaitisme mélancolique d'autre part - c'est-à-dire, en termes mémétiques, le dualisme de "It's over !" et "We're so back !" -, il est malheureusement (pédagogiquement) nécessaire de rappeler de telles évidences.

Oui, Regime Change von rechts, livre pédagogique et morigénateur, est souvent redondant et didactique dans son écriture et sa construction, comme nous l'avons déjà souligné de manière critique. Cependant, cela est dû au fait que l'ouvrage s'adresse principalement à l'intérieur, c'est-à-dire aux mouvements et aux partis. Ainsi, les caractéristiques mentionnées ne renvoient pas à des déficits de Sellner, mais indirectement à des déficits (intellectuels) chez de nombreux acteurs de la droite.

Le peuple est au centre des préoccupations

Le cœur théorique de l'ouvrage est constitué par la définition de l'objectif principal de la droite, l'analyse du système politique ou social dans lequel la droite doit nécessairement opérer et l'évaluation des différentes stratégies concurrentes pour atteindre l'objectif principal, l'accent étant clairement mis sur l'analyse des stratégies. La définition de cet objectif principal tient en quelques pages. Et ce, à juste titre. Heureusement, il n'y a guère de désaccord au sein du dit camp sur cette question. Pour Sellner, l'objectif principal de la droite est de préserver l'identité ethnoculturelle - une formulation qui peut être identifiée sans hésitation à la garantie de la pérennité du peuple allemand. Des explications et des justifications complexes sont ici totalement inutiles; l'intérêt pour sa propre pérennité (collective) est naturel, évident et immédiatement compréhensible pour tous.

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Et d'ailleurs, ce fait est aussi la cause principale de la négation de l'existence du peuple allemand par la classe dirigeante. Car les acteurs décisifs de cette classe dirigeante sont certainement conscients qu'en admettant ce fait, ils s'engageraient sur une "pente glissante", au bas de laquelle se trouverait leur perte de pouvoir. Il est donc impossible pour la classe dirigeante de céder le moindre terrain dans la lutte pour une interprétation universelle du concept de peuple. Elle se retrancherait ainsi dans une position qu'elle a déjà reconnue comme intenable à long terme. En laissant le concept de peuple s'effacer devant celui d'identité, Sellner gâche à la légère le potentiel subversif inhérent à ce concept.

Après avoir clarifié le véritable objectif, à savoir l'autosuffisance ou l'accumulation du pouvoir politique pour l'assurer, l'auteur passe à l'explication de la relation entre certains concepts. Quelle est la relation entre l'objectif principal et les objectifs intermédiaires ? Quelle est la différence entre stratégie et tactique ? Les passages d'analyse conceptuelle de ce type, que l'on retrouve à plusieurs reprises dans le livre, peuvent être considérés comme ennuyeux et techniques par certains lecteurs, mais ils sont éminemment importants - et Sellner les expose avec la précision sobre d'un général qui présente son plan de bataille.

Avec Gramsci et Althusser contre l'élite

En revanche, la partie consacrée à l'analyse systémique est déjà bien plus vaste. Ici, Sellner est confronté au défi de dresser un tableau réaliste, mais aussi compréhensible et non hypercomplexe de l'ordre social et politique dans lequel la droite doit agir. Ce n'est pas une tâche facile dans le contexte de l'Allemagne fédérale ou de l'Autriche, car la tromperie systématique et ciblée des citoyens sur le fonctionnement réel des institutions, la dynamique interne de l'État dans ces nations n'est pas un simple sous-produit de l'ordre dominant, mais la base de son existence, et c'est justement là que trop de citoyens s'installent confortablement dans leurs représentations illusoires de l'État dans lequel ils vivent.

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Mais Sellner est ici clairement dans son élément et profite de cette partie pour introduire deux théories qui l'ont fortement marqué, lui et la Nouvelle Droite dans son ensemble : la théorie de l'hégémonie du pouvoir d'Antonio Gramsci et Les appareils idéologiques d'État de Louis Althusser. Avec ces théories, il tente d'attirer l'attention du lecteur sur la véritable base du pouvoir des classes dominantes dans les pays occidentaux, à savoir l'opinion publique ou le pouvoir de la créer, de la contrôler et de la diriger.

Pour faciliter la tâche des personnes qui ne connaissent pas le grammaticalisme juridique, il intègre la théorie dans un réseau de métaphores et de mots clés, dont certains sont même de sa propre initiative. Il y a tout d'abord la métaphore du climat d'opinion, avec laquelle il veut visualiser la production complexe de l'opinion publique et qui est tout à fait convaincante. Il illustre ensuite les changements réels et potentiels de l'opinion publique et la métaphore du couloir d'opinion avec le modèle déjà très populaire de la fenêtre d'Overton.

Tout cela est très méritoire et remplit son objectif éducatif, mais en face, il y a deux mots d'ordre qui sont malheureusement moins convaincants : le simulacre de démocratie et le totalitarisme doux.

La question cruciale de la démocratie

Le problème avec la notion de simulation de démocratie est qu'elle implique deux affirmations de base, toutes deux indiscutablement vraies, mais qui induisent néanmoins en erreur. D'une part, le fait que les dirigeants prétendent, du moins publiquement, que leur régime est démocratique et, d'autre part, le fait qu'il ne l'est pas en réalité. Sellner écrit que la démocratie n'est qu'un simulacre, parce que l'opinion publique n'est pas le produit du libre jeu des forces, mais du filtre systémique qu'il appelle le climatiseur d'opinion. Mais si une démocratie n'existe que si elle permet le libre jeu des forces, alors il n'y en a jamais eu. Sellner nourrit ici des illusions libérales et semble sur le point de ressortir de la naphtaline des phrases d'Habermas telles que le "discours sans domination" et la "contrainte sans contrainte du meilleur argument". En outre, le concept procédural de démocratie qui sous-tend toujours implicitement le discours de Sellner sur la simulation de démocratie est trompeur. Il semble vraiment croire à la possibilité d'une "vraie" démocratie au sens d'un gouvernement populaire. C'est en cela qu'il se distingue par exemple de ses adversaires libéraux de gauche, c'est-à-dire de la classe dirigeante, au sein de laquelle on défend depuis longtemps une conception substantielle de la démocratie, parfois même de manière semi-officielle.

Concrètement, cela signifie que pour les libéraux de gauche, la démocratie est devenue le mot-clé du libéralisme de gauche. Tant que les intellectuels de droite réagiront en introduisant dans le discours le mirage rousseauiste du vrai gouvernement parfait du peuple, au lieu d'élaborer à leur tour un concept substantiel de démocratie, ils contribueront à mettre la droite hors jeu. En effet, en raison de son faible degré d'organisation, de la politisation et de l'éducation souvent superficielles des individus et, surtout, de sa taille, un peuple dans son ensemble n'est pas en mesure d'exercer un quelconque pouvoir. Comme le confirme l'histoire de l'humanité, celle-ci ne peut être exercée collectivement que par de petits sous-groupes bien organisés du peuple, au sein desquels il existe un degré relativement élevé d'homogénéité idéologique et de conformité sociale et où le savoir de la domination est systématiquement accumulé. Ces sous-groupes sont les élites ou les classes dirigeantes. Elles dominent le reste du peuple, qui leur fait face en tant que "masse". Et il en sera probablement toujours ainsi. C'est pourquoi la lutte pour la vraie démocratie, dans le sens d'un gouvernement populaire, ressemble à la recherche de la mérule.

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Le courage de la cohérence politique

L'exposé de Sellner aurait gagné à faire davantage référence aux classiques de la sociologie des élites comme Vilfredo Pareto et Gaetano Mosca. Il court ainsi le risque de succomber à une illusion populiste (décrite en détail par le philosophe britannique Neema Parvini dans son livre The Populist Delusion).

Il en va de même pour l'expression "totalitarisme doux". Sellner l'utilise pour évoquer et condamner la répression de l'appareil d'État contre tout ce qui est de droite. C'est tout à son honneur, mais doit-il pour cela utiliser un terme entièrement libéral, qui a été inventé pour immuniser moralement les libéraux contre leurs critiques de gauche et de droite et qui remplit encore bien cet objectif aujourd'hui ? Est-ce vraiment une bonne idée de conforter des contemporains intellectuellement libérés dans leur tendance, typique des boomers, à rejeter l'autorité et l'ordre et à les condamner comme étant généralement totalitaires, fascistes et illégitimes, et d'introduire leur vocabulaire dans la Nouvelle Droite ? Le totalitarisme est généralement compris comme la volonté d'imposer une idéologie d'État dans tous les domaines de la vie sociale et de transformer ainsi les individus dans le sens de cette idéologie d'État. Bien sûr, l'observation que les systèmes libéraux peuvent également être totalitaires est un progrès de la connaissance par rapport à la position libérale selon laquelle le totalitarisme n'est possible que dans les systèmes non libéraux, c'est-à-dire les systèmes supposés d'extrême droite ou d'extrême gauche (Ryszard Legutko a écrit sur cette observation un livre à lire , Le démon de la démocratie!)

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Mais pourquoi s'arrêter à mi-chemin dans le processus de connaissance ? Car quelle valeur a encore la notion de totalitarisme si tout système, quelle que soit son orientation idéologique, tend à agir de manière totalitaire dans certaines situations? A long terme, la droite ne pourra pas éviter de reconnaître que dans les phénomènes qualifiés de totalitaires, l'essence du politique ne fait que se révéler à nous sous une forme particulièrement pure.

Lorsqu'un ordre étatique dérive prétendument vers le totalitarisme, l'hostilité entre deux groupes sociaux atteint simplement un niveau plus élevé. C'est pourquoi les représailles de l'État contre les droits politiques ne sont pas un pas en avant du totalitarisme doux vers le totalitarisme ouvert, mais une politisation. Et la volonté de pénétrer politiquement tous les espaces sociaux, qu'Olaf Scholz a résumée un jour dans l'un de ses rares moments de sincérité par la phrase "Nous voulons conquérir la souveraineté aérienne au-dessus des berceaux", fait désormais partie de la logique propre de la politique et de tout mouvement politique qui veut conquérir et conserver le pouvoir. La souveraineté idéologique totale du libéralisme de gauche sur toutes les institutions pertinentes, des crèches aux maisons de retraite, est une réalité en République fédérale - et c'est précisément pour pouvoir décrire cette réalité qu'Althusser a développé la théorie des appareils idéologiques d'État. Sellner la mentionne également brièvement, mais ne l'applique pas de manière conséquente.

Qui fait partie de la droite politique ?

Mais avant d'aborder les différentes stratégies, il tente, dans un très court chapitre, de clarifier la question de savoir qui et quoi fait réellement partie de la droite. Sa réponse : exclusivement la Nouvelle Droite et aucun autre milieu. Pas la vieille droite, ni les libéraux-conservateurs. Il ne veut même pas inclure les nationaux-conservateurs dans le camp de la droite. C'est étonnant, car le national-conservatisme est sans doute la description la plus précise possible de ce que Sellner lui-même et une grande partie de la Nouvelle Droite représentent politiquement. Il est bien sûr légitime de définir tous ceux qui ne sont pas de la nouvelle droite comme étant hors de leur propre camp, mais cela ne fait que renommer le milieu de la nouvelle droite en "camp de droite". Les quelques personnes de la vieille droite et surtout les nombreux libéraux-conservateurs ne disparaissent pas pour autant, bien au contraire. Le fait d'ignorer ces milieux ne facilite pas le débat sur le fond, mais le rend beaucoup plus difficile. Ce n'est pas la description qu'une personne fait d'elle-même comme étant de droite, conservatrice, nationaliste, etc. qui détermine généralement sa réalité sociale, mais une attribution étrangère émanant des libéraux et des gauchistes. Et pour eux, la droite englobe tout, de Jan Fleischhauer à la division des armes nucléaires. La nouvelle droite pourrait en rire de bon cœur si les attributions étrangères de la gauche libérale n'avaient pas un pouvoir énorme. D'une certaine manière, elles créent une réalité à laquelle la Nouvelle Droite aura du mal à se soustraire. L'énorme hétérogénéité de la droite, même par rapport à la gauche politique, est un fait, mais Sellner préfère partir d'une situation politique idéale dans laquelle il n'y a que des néo-droitiers.

35833775.jpgMais le cœur de l'ouvrage est clairement la partie consacrée à l'analyse stratégique. Il y présente quatre stratégies principales pour atteindre l'objectif principal de la droite et neuf non stratégies. Les quatre stratégies principales sont la Reconquista, le militantisme, le patriotisme parlementaire et la stratégie de rassemblement. Il en rejette deux en bloc : le patriotisme parlementaire et le militantisme. A juste titre, c'est pourquoi nous ne reviendrons pas ici sur ces chemins de traverse. La stratégie du rassemblement, c'est-à-dire la concentration de toutes les forces et ressources encore disponibles dans une région, est pour lui une solution de secours en cas d'échec de la stratégie qu'il préfère : la Reconquista. L'analyse des non-stratégies prend beaucoup de place et c'est justement là que Sellner écrit souvent avec un ton didactique ou pédagogique. Certains lecteurs s'en lasseront, mais étant donné que Sellner s'adresse parfois explicitement aux adolescents et jeunes adultes enclins au militantisme et qu'il tente de les dissuader de leurs actions destructrices, c'est malheureusement nécessaire.

Différentes stratégies pour guider...

Dans ce contexte, deux des non-stratégies semblent particulièrement intéressantes, à savoir l'accélérationnisme et la pensée dite "babo". Alors que l'accélérationnisme, bien qu'étant à l'origine une figure de pensée du philosophe néo-réactionnaire Nick Land, est devenu un mot-clé légitimant la violence brutale dans d'obscurs biopes en ligne et a rapidement sombré dans l'insignifiance, les variantes de la "pensée babo" connaissent aujourd'hui un nouvel âge d'or. Le babo est le patron ; un homme alpha charismatique qui construit autour de lui une société d'hommes de plus en plus souvent purement virtuelle. Il prêche à ses adeptes un culte du machisme, presque toujours associé à l'optimisation de soi et à l'abandon total de la politique pratique. Presque toujours, ces scènes babos sont marquées par les intérêts financiers du mâle alpha concerné. Si elles ont longtemps été des phénomènes marginaux, elles passent depuis une dizaine d'années plus souvent de la sous-culture au centre de la société.

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Figures de la "droite-style-de-vie": Kollegah, Jack Donavan et le livre de Costin Alamariu.

Il y en a pour tous les goûts: les jeunes immigrés enclins aux théories du complot y trouvent leur compte (Kollegah), tout comme les personnes exclusivement obnubilées par l'argent et le statut social (Andrew Tate), les nostalgiques du tribalisme (Jack Donovan) et les jeunes hommes en quête d'un support pseudo-intellectuel pour leurs jeux de rôle (Costin Alamariu ou "Bronze Age Pervert"). Il devrait aller de soi que cette "droite du style de vie" matérialiste, qui tend vers un amoralisme hors du monde, ne mérite pas d'être appelée droite dans un sens substantiel quelconque et qu'elle mène à une impasse stratégique. Pourtant, le départ de Trump en novembre 2020 et les déceptions qu'il a causées à ses partisans ont créé un terrain propice à l'éclosion non seulement d'un culte schizophrène de la crise (QAnon), mais aussi de cette "droite du style de vie" dont nous avons parlé. Cette vague s'est propagée depuis longtemps dans les pays germanophones. Sellner critique ces tendances, mais il aurait dû citer des noms et taper plus fort ; la pensée babo est la plus pertinente des non-stratégies actuelles.

... mais seulement une stratégie directrice ?

L'auteur consacre une attention particulière à la stratégie directrice qu'il privilégie, la Reconquista. Par reconquista, il entend une stratégie de conquête du pouvoir culturel ou discursif qui s'inspire théoriquement de Gramsci, Althusser et, même si son nom n'est pas cité, de Foucault, et qui, dans sa partie pratique, accorde une grande importance aux formes de protestation de l'action non-violente au sens de Gene Sharp. Mais plutôt que de parler d'hégémonie culturelle ou de discours hégémonique, Sellner préfère écrire "Social Change". Le "changement de régime" qui donne son titre à l'ouvrage n'est nécessaire que lorsque l'État devient ouvertement totalitaire. Si le "changement de régime" échoue également, la droite doit passer à la stratégie du rassemblement. Telles sont les grandes lignes de la Reconquista de Sellner.

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Pour résumer, je dirais que : cette stratégie est inattaquable sur le fond et est considérée, à juste titre, comme un "état de l'art" dans les cercles intellectuels de droite. Ce qui appelle en revanche une critique, ce sont les tâches de fond attribuées aux différentes composantes de la droite dans le cadre de la Reconquista. Sellner divise le camp de la (nouvelle) droite en 5 parties distinctes : le parti, le contre-public (médias/influenceurs de droite), la théorisation (intellectuels), la contre-culture et le mouvement (activiste). Au sein du camp, il existe une répartition claire des tâches et des rôles.

En outre, parmi les sous-groupes, le mouvement bénéficie d'une primauté. Comme pour lui, la préservation du peuple est l'objectif principal de droite, le problème principal est à l'inverse celui de la démographie, c'est-à-dire le Grand Remplacement/Peuplement. Jusqu'ici, rien de controversé. Mais Sellner exige en plus que TOUTE activité dans TOUT sous-groupe de la droite aborde à tout moment, directement ou indirectement, le problème du Grand Remplacement ou, comme il l'écrit, le tournant de la politique démographique et identitaire. Ce qu'il entend exactement par politique démographique et identitaire n'est pas clair. On peut toutefois supposer qu'il s'agit de tous les idéologèmes et récits qui, intériorisés collectivement, sont devenus les conditions de possibilité de la catastrophe démographique et lui ont spirituellement préparé le terrain. Il est donc probable que ces termes soient également très étroits et directement liés au Grand Remplacement.

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La droite, telle que Sellner la conçoit, tourne donc autour de l'échange de population et est fixée de manière monomaniaque sur celui-ci. Cela serait particulièrement évident dans le domaine de la culture et dans les milieux intellectuels. Les musiciens de rock de droite chanteraient à longueur de journée sur les cas de violence des migrants et les points de basculement démographiques imminents, et la tâche la plus passionnante d'un intellectuel ou d'un scientifique de droite consisterait à calculer ces points de basculement, à produire et à populariser des études sur les effets négatifs de la diversité ethnique sur des groupes ethniquement, relativement, homogènes. Oui, avec le temps, une telle droite se rapprocherait de plus en plus des images diffamatoires que la gauche et les libéraux en donnent. Mais ce ne serait même pas le problème principal. Il résiderait dans le fait qu'une telle droite serait avant tout profondément ennuyeuse.

La droite monothématique

Une telle droite monothématique n'exercerait aucun attrait culturel et intellectuel sur les non-droites (encore). Peu d'artistes et de chercheurs en sciences humaines souhaiteraient faire partie d'un milieu dans lequel ils seraient cantonnés à un rôle et à une mission aussi contraignants. Cette fixation du milieu culturel et des intellectuels sur la tâche qui leur revient rappelle de loin, avec toute la prudence requise par de telles comparaisons, l'exigence formulée par les dirigeants communistes à l'égard du monde culturel et intellectuel d'articuler clairement le point de vue de classe. Le problème d'une telle attitude n'est pas tant qu'elle soit autoritaire ou illibérale, mais plutôt qu'elle est vouée à l'échec. Il est bien sûr souhaitable qu'un artiste, un penseur ou un scientifique politiquement ancré à droite exprime clairement l'objectif principal de la droite. Mais aucun mouvement activiste ne peut le lui imposer de manière contraignante. La seule façon de parvenir à la focalisation sur le Grand Remplacement dans toutes les composantes de la droite que Sellner a en tête est de faire naître soi-même les acteurs de la contre-culture et des sciences humaines à partir de ce que son propre milieu lui offre actuellement, de les "caster" en quelque sorte. Une stratégie dont la Nouvelle Droite a fait l'expérience, parfois douloureuse, ces dernières années. Car les grands penseurs et artistes ne se laissent pas caster. Ils sont presque tous le produit d'un climat propice à leur émergence. Ils naissent de manière organique ou pas du tout.

De plus, la demande de Sellner de se concentrer uniquement sur le problème de la démographie est naïve du point de vue de la sociologie des élites. Dans les pays germanophones, des centaines de milliers de personnes travaillent dans des universités, des ONG ou des entreprises de médias et occupent des emplois qui, aux yeux de l'extérieur, paraissent souvent futiles et inutiles (bullshit jobs). Pourtant, d'un point de vue systémique, les activités de ce groupe, qui constitue une partie importante de la classe dirigeante et de la classe managériale professionnelle (PMC), ont un objectif important. Ce but est équivalent à celui des appareils idéologiques d'État dans la théorie d'Althusser : l'auto-reproduction de l'ordre dominant. Un ordre qu'Althusser décrit comme capitaliste, alors que la droite intellectuelle le décrit plutôt comme moderne ou libéral (de gauche). Les élites intellectuelles ont donc pour fonction de produire, d'orienter et de légitimer le discours hégémonique, ainsi que de former une élite de la relève dans les universités et de la mettre idéologiquement au pas. Les productions intellectuelles de ces milieux sont pour la plupart peu impressionnantes. La plupart du temps, il s'agit de rationalisations post-hoc du statu quo.

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Pas d'offre pour l'élite ?

Mais ce qui est décisif, c'est que la perception est totalement différente au sein des milieux décrits : les personnes concernées sont fermement convaincues de réaliser des prouesses intellectuelles et de travailler sur des théories révolutionnaires. Ils tirent leur légitimité et leur confiance en eux de cette image d'avant-garde de la pensée profonde. Le problème survient lorsque Sellner pense pouvoir satisfaire la curiosité intellectuelle et la soif de statut de la (nouvelle) classe moyenne universitaire avec le Grand Remplacement (qui n'est pas une théorie, mais simplement un fait) et la propagation du pronatalisme et d'une nouvelle politique identitaire (il s'agit probablement de nationalisme). Cela ne réussira pas. En effet, le surplus de capital culturel et de distinction qui, pour les personnes très intelligentes, est lié à la maîtrise et à la réflexion sur des systèmes théoriques extrêmement complexes tels que la philosophie transcendantale, la théorie des systèmes, l'éthique du discours ou les poststructuralismes, ne trouve pas d'équivalent à droite dans l'offre de Sellner sous la forme d'une théorie de droite d'une complexité comparable. Pourtant, indépendamment de la question de savoir si de telles théories existent éventuellement à droite, Sellner précise à plusieurs reprises et sans équivoque qu'il n'a aucune intention de les utiliser. C'est surprenant quand on connaît son penchant pour Heidegger et sa critique hermétique et obscure de la technique.

Une explication possible de son scepticisme prononcé à l'égard des intellectuels et de la partie de la Professional Managerial Class marquée par le discours académique réside dans le fait qu'il pourrait avoir analysé l'évolution historique de la gauche radicale en Allemagne de l'Ouest : après s'être formée et établie dans les années 60, elle s'est fragmentée dans les années 70 en centaines de petits groupes sectaires sous la forme de "groupes K", de cercles de lecture, de comités, etc. qui avaient en commun de travailler sur des questions intellectuelles de détail, de se prétendre radicaux ou extrêmes malgré leur totale passivité et d'être (sans surprise) hostiles les uns aux autres. Martin Sellner aura étudié de près cette fragmentation induite par l'intellectualisme et, conscient de son immense hétérogénéité idéologique et de la proportion élevée de trublions et de "grifters" qui lui est propre, il voudra épargner à la droite le sort de la gauche radicale après 1968. C'est louable, mais ce faisant, il dépasse l'objectif. Il verse l'enfant intellectuel de droite en même temps qu'il tente honorablement de verser le bain de la gauche académique.

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La droite a besoin de plus de débats !

En conséquence, cette critique doit se conclure par un plaidoyer pour une droite pluraliste et créative. Une droite qui, bien entendu, intègre et soutient un mouvement activiste fort en tant que partie intégrante de la mosaïque de la droite, mais qui s'oppose à ce que ce mouvement fasse valoir une "compétence directive" vis-à-vis des autres parties du camp. Il semble aberrant qu'un plus grand pluralisme interne au sein de la droite puisse détourner l'attention de l'objectif principal généralement accepté, à savoir assurer la pérennité du peuple. Actuellement, les partis de droite deviennent de plus en plus souvent des représentants des intérêts des peuples respectifs des États. Ce processus doit être compris comme le corollaire naturel de la fragmentation ethnique croissante et de l'envahissement par les étrangers. La réalité de plus en plus évidente du Grand Remplacement entraîne une prise de conscience ethnique, la transformation des partis populistes de droite en partis ethniques et l'opposition des groupes nationaux aux groupes étrangers. Ce front peut être retardé, mais pas arrêté, par des crises (externes) et des fronts transversaux temporaires. En effet, elle ne trouve pas sa racine dans une volonté ou une décision politique (collective), mais dans la nature humaine. En conséquence, malgré le scepticisme de rigueur quant à la valeur explicative des théories sociobiologiques et d'éthique humaine, un recours occasionnel à des concepts tels que le comportement territorial et la peur de l'étranger aurait été bénéfique aux explications de l'auteur. Poussée par des chocs ethniques de plus en plus importants à des intervalles de plus en plus courts, la droite se focalisera de plus en plus sur le Grand Remplacement et ses conditions directes de facilitation. Le véritable art consiste à l'élargir sur le plan thématique.

L'accent mis par Sellner sur la démographie semble ici relever de la pensée "beaucoup d'aide pour beaucoup", qu'il rejette pourtant tant. Mais si 2.000 militants contre le Grand Remplacement distribuent des tracts et collent des affiches au lieu de 1.000, l'effet n'est pas double. Au lieu de plus de flyers et de sites web sur le problème de la démographie, la droite a besoin de plus et de meilleurs débats sur la géopolitique, l'ordre économique, la protection de la nature, la politique éducative, le transhumanisme, les études de genre, l'architecture ou l'éthique. Elle a besoin de l'écologiste hirsute de la vieille école qui veut désormais empêcher non seulement les routes de contournement mais aussi les éoliennes, de l'intello génial qui travaille dans sa cave sur des recherches révolutionnaires sur la bataille des chars de Prokhorovka et sur l'histoire économique de la Saxe Kursawa, de l'ex-féministe désabusée qui se bat désormais avec passion contre le "wokisme" et le translobby et du renégat de gauche que l'étroitesse d'esprit des cercles intellectuels de gauche a poussé vers la droite. Et surtout, la droite doit se défaire de l'illusion qu'elle peut remettre à plus tard, c'est-à-dire après l'arrivée espérée au pouvoir, toutes les questions essentielles en dehors de l'objectif principal commun. Si tel était le cas, la large alliance de circonstance se déchirerait immédiatement après sur toutes sortes de questions et le pouvoir tout juste conquis s'effriterait entre les doigts.

Une réponse convaincante

Dès le 14 mars 2023, soit une semaine seulement après la grande manifestation de Tbilissi, la "femme au drapeau européen", comme est présentée la Géorgienne, est assise dans un studio de télévision de Radio Free Europe (RFE) et parle avec éloquence, dans une vidéo, de l'événement qui l'a rendue célèbre en Occident. Il s'agit d'une production sur papier glacé qui trouvera son public sur Youtube. "Radio Free Europe" est un média américain basé à Prague, considéré par les critiques de gauche comme de droite comme un instrument de propagande du gouvernement américain proche de la CIA et destiné à préparer des révolutions de couleur. Des liens tout aussi évidents existent également entre l'opposition géorgienne et le National Endowment for Democracy (NED), une organisation qui, selon son ex-président Allen Weinstein, fait publiquement ce que la CIA faisait auparavant en secret. La RFE et la NED reçoivent toutes deux des fonds directs du budget fédéral américain, une source de financement quasiment inépuisable.

Reste à savoir si, contrairement aux mouvements d'opposition pro-occidentaux d'Europe de l'Est et d'Asie, la droite ne doit pas miser sur une stratégie de changement social ou de changement de régime par le biais de la métapolitique et des formes de protestation, dans l'esprit de Gene Sharp, alors qu'elle n'a pas d'oligarques milliardaires, d'ONG proches de l'État et de superpuissance derrière elle, mais qu'elle a contre elle les élites nationales, les ONG proches de l'État et une superpuissance. Il n'y aura jamais de réponse définitive à une telle question. Mais il est possible d'y répondre de manière convaincante. C'est exactement ce que fait Martin Sellner dans Regime Change von rechts - et il conseille avec passion et pour de nombreuses bonnes raisons cette stratégie qu'il appelle "Reconquista". La droite devrait suivre son conseil.

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A propos de l'auteur :

Simon Dettmann, né en 1993, a étudié la philosophie et l'histoire dans une université d'Allemagne de l'Ouest. Ses domaines d'intérêt incluent la philosophie politique, l'éthique et l'architecture

jeudi, 08 août 2024

Paris et sa banlieue dans l'œil de Blaise Cendrars et Robert Doisneau

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Les Pionniers du Monde Moderne:

Paris et sa banlieue dans l'œil de Blaise Cendrars et Robert Doisneau

Frédéric Andreu

Il s'y connaît un rayon, le Blaise, en terme de bourlingue ! Le rayon banlieusard arpenté à bicyclette « par les yeux et les jambes ». En cinquante ans, « entre deux promenades dans le monde », il explore tous les quartiers décrépis, les usines interlopes, mais aussi le « Bateau-Lavoir » de Montmartre qui servit de phalanstère à toute une génération d'artistes ; un jour, le père de Modigliani (son complice de toujours) pénètre, ivre, au milieu de cette grappe d'artistes, en molestant leurs œuvres ;  c'en est fini du phalanstère !..

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Cendrars, né Frédéric Sausser, n'était pas français, mais suisse ; il n'a pas la même curiosité, le même regard que le Parisien de souche qui n'irait pas spontanément visiter la "zone" recluse. Le 13ème arrondissement, au départ attribué à ce qui est aujourd'hui le 16ème, est relégué à un quartier de banlieue jugé interlope.

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Cendrars et Apollinaire sont deux numéros gagnants de la modernité en art, même si le premier est resté dans l'ombre du second. C'est pourtant bien Cendrars qui invente le vers secoué de mouvements et de vitesse qui scande sa célèbre "Prose du Transsibérien". Il n'est pas assuré que Cendrars ait réellement pris le train à Moscou. Lorsqu'il a répondu au journaliste Pierre Lazareff, au sujet de la réalité de ce voyage, il répond : « Qu'est-ce ça peut faire puisque je l'ai fait prendre à tous » ! En revanche, ces virées à bicyclette dans la banlieue parisienne sont garanties sans ogm, tant il décrit notamment Meudon et Versailles, avec force détails. Et Viroflay dont la traversée n'était guère aisée pour les "vélocypédistomanes". Le Paris de Cendrars est un pied-à-terre et un atelier ; la banlieue, un autre monde. "Ici, il n'y a pas d'illusion, il n'y a pas d'exotisme, pas de chiqué littéraire possible [...]. Ici, en un mot, c'est la misère".

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La messe est dite. C'est à Paris que Cendrars envoie ces "instantanés verbaux" à Sonia et Robert Delaunay. Ensemble, le poète suisse et Sonia, d'origine ukrainienne, inventent le "simultanéisme", où le chromatisme orphique répond à l'introspection du poète et au rythme du train. Non seulement Sonia inclut la tour Eiffel dans sa frise, mais celle-ci devient l'"étalon" de l'oeuvre commune. En effet, une fois dépliée, la fresque mesure deux mètres, multipliés par cent cinquante exemplaires, cela donne trois cents mètres, hauteur de la tour ! Cendrars admire la tour comme symbole de la Modernité, non sans évoquer les affres de l'industrie, bien au contraire.

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C'est en 1945, que Cendrars revisite, avec Robert Doisneau, cette banlieue d'avant-guerre, déjà transformées, et aujourd'hui remplacés par des quartiers tribaux. Mais alors que le photographe se dit « faux témoin » soulignant la « tendresse » des petites gens, le poète met en exergue la misère noire de la banlieue. Il décrit sans ambages le "bagne" de Renault à Billancourt, fustige cette "zone voiture-avion qui empoisonne les agglomérations surpeuplées, coincées entre Paris et la banlieue" en épinglant au passage le profil "avaricieux, rasé de prêt", du directeur de l'usine. Dans un style qui rappelle parfois celui de Céline, Cendrars se fait l'avocat des ouvriers, chiffonniers, et autres petites gens.

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Pour autant, il ne confond pas, comme un vulgaire propagandiste, le Bourgeois et l'Aristocrate. Louis XIV est même promu, dans le ton fantasque et burlesque qu'on lui connaît, "premier banlieusard de l'Histoire" ! "En bâtissant Versailles et en priant ses bons sujets de venir le regarder manger et de faire un tour dans les jardins avant de s'en aller, Louis XIV a donné aux Parisiens le goût de la campagne" !

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Cendrars n'est pas, comme Louis Aragon, un carriériste ; il ne goutte guère les mondanités célébrant l'"écrivain". « Ecrire, c'est brûler vif, mais aussi renaître de ses cendres » s'écrit-il dans « L'homme foudroyé ». Sa poésie elle aussi est une braise et non un bijou littéraire. En fait, c'est un brouillon de l'âme. Ses voyages sont des bourlingues et du bricolage, à l'opposé du tourisme organisé. Sismographe solitaire, comme Jünger, Cendrars est un de ces précurseurs dont la signature n'est reconnue qu'un siècle après sa mort. On découvrira un jour que les Picasso, Breton et bien d'autres petits chefs de fil, qui occupent aujourd'hui le haut de l'affiche, ont été, à bien des égards, ses épigones.

Les textes de Blaise Cendrars sont accompagnés par les photographies de Robert Doisneau. Ils dépeignent la vie quotidienne dans la banlieue parisienne entre 1947 et 1949. L'ouvrage est réédité aux Éditions Denoël, Collection album et beau livre. www.denoel.fr  - 49,00 €.

 

Georges Duhamel et le triomphe de la matrice US

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Georges Duhamel et le triomphe de la matrice US

Nicolas Bonnal

CVT_Scenes-de-la-vie-future_6606.jpgLivre légendaire, que je n’avais jamais lu. Mon lecteur Paul qui est ukrainien, admirateur de Parvulesco, ingénieur qui vit en Amérique, spécialiste de la recherche des livres sur le web, n’a rien trouvé. Je l’ai acheté car un éditeur a cru bon de le publier, avec d’ailleurs une très bonne préface de Catherine Cusset. On cite cette plume courageuse (qui vit aussi en Amérique, car qui n’y vit pas ?) :

« La première fois que je suis entrée dans un magasin Gap et que j'ai vu les rangées de tee-shirts sans forme aux couleurs criardes, je n'aurais pu imaginer que trente ans plus tard Gap débarquerait en France. Ni Starbucks, ni les fast-foods, ni les chocolate cookies et les cupcakes. Nous avions l'élégance française, les cafés français, la pâtisserie française, quel besoin y avait-il de ces gâteaux insipides et de ces chaînes où le café n'avait d'autre goût que celui du sucre? Nous qui avions les plus jolis vêtements d'enfants, pourquoi suivons-nous maintenant la mode américaine ? Le confort américain s'est imposé. Comme se sont imposés les rituels de Halloween et de la Saint-Valentin qui ont pris la place de nos propres carnavals. Et le club de gym au coin de la rue, remplaçant la promenade matinale ou dominicale… »

a9ee9663a610c05fb1204b6f591e31a0900b3039e8b3cd0689e36fcf1eed6117.jpgC’est cela qu’il faut comprendre. Le livre de Duhamel (auteur cent fois inférieur à Céline, Evola ou  Bernanos, mais qu’importe ?) n’est pas un opus sur l’antiaméricanisme (voyez Philippe Roger pour ça), c’est le livre sur le monde futur déjà en place depuis un siècle alors (voyez mes textes sur Poe et surtout Baudelaire), monde futur américain qui va bouffer l’humanité et contre lequel personne ne pourra rien, ni Dieu ni saint ni héros. L’Amérique est une malédiction cosmique. C’est le pays de la vingt-cinquième heure. Trop tard pour Dieu, les machins sont là.

On commence par le cinéma, car ce sont les pages les plus célèbres de ce livre qui fut un succès extraordinaire de librairie (150 éditions) avant d’être maudit par Satan.

« Et, déjà, les images. Elles passent, c'est le mot. Alors que toute œuvre digne de ce nom cherche à demeurer, elles passent, ces images qui ne représentent pas la vie, mais un monde à part, le monde-cinéma, où tout est faux, arbitraire, absurde. Les images dont une quelconque, isolée, immobile, apparaît, par son échelle, ses dimensions, sa mise en page, ses trucs, ses conventions, ses poncifs, ses accessoires, ses costumes, sa gesticulation, apparaît, dis-je, comme prodigieusement étrangère à ce que nous savons de la vie véritable et vivante. »

Lui-même prend peur alors :

« Cette fois, parfaitement ressaisi, maître de moi comme de ce misérable univers, sûr de mon jugement, je ferme les yeux et, dans mon esprit bien étanche, impénétrable, incorruptible, j'instruis paisiblement le procès. »

Les insultes célèbres :

« C'est un divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables, ahuries par leur besogne et leurs soucis. C'est, savamment empoisonnée, la nourriture d'une multitude que les puissances de Moloch ont jugée, condamnée et qu'elles achèvent d'avilir. »

Et dire que je revois mille films par an et que j’ai publié douze livres de cinéma…

Mais continuons :

« Un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées, ne soulève aucune question, n'aborde sérieusement aucun problème, n’allume aucune passion, n'éveille au fond des cœurs aucune lumière, n'excite aucune espérance, sinon celle, ridicule, d'être un jour « star » à Los Angeles. »

1dc028728f63e2b5f652ebbdacde392731282b1370221b3dc5dd6ec3e89bb59b.jpgNous devenons des machines (Bernanos) et nous succombons à la vitesse (Virilio) :

« Le dynamisme même du cinéma nous arrache les images sur lesquelles notre songerie aimerait de s'arrêter. Comme les pires caresses mercenaires, les plaisirs sont offerts au public sans qu’il ait besoin d'y participer autrement que par une molle et vague adhésion. Ces plaisirs se succèdent avec une rapidité fébrile, si fébrile même que le public n'a presque jamais le temps de comprendre ce qu'on lui glisse sous le nez. Tout est disposé pour que l'homme n'ait pas lieu de s'ennuyer, surtout! Pas lieu de faire acte d'intelligence, pas lieu de discuter, de réagir, de participer d'une manière quelconque. Et cette machine terrible, compliquée d'éblouissements, de luxe, de musique, de voix humaines, cette machine d'abêtissement et de dissolution compte aujourd'hui parmi les plus étonnantes forces du monde. »

Dissolution est un terme éminemment guénonien. Duhamel souvent très inspiré use du terme « simulacre » trente ans avant Baudrillard aussi :

«Si je quitte les images une seconde, si je lève les yeux au plafond, j'aperçois un ciel où clignotent des étoiles et que parcourent des nuées légères. Bien entendu, c'est un faux ciel, avec des fausses étoiles, de faux nuages. Il nous verse une fausse impression de fraîcheur. Car, ici, tout est faux. Fausse, la vie des ombres sur l'écran, fausse, I’espèce de musique répandue sur nous par je ne sais quels appareils torrentueux et mécaniques. Et qui sait? fausse, aussi, cette multitude humaine qui semble rêver ce qu'elle voit et s'agite parfois, sourdement, avec des gestes de dormeur. Tout est faux. Le monde est faux. Je ne suis peut-être plus, moi-même, qu'un simulacre d'homme, une imitation de Duhamel... »

Et il annonce la Société du Spectacle et il constate déjà le grand abrutissement général. Que n’aurait-il dit devant une télé ou un smartphone ou un ordinateur ? Mais il a tout compris quand même, à l’heure de Trump, Macron, Kamala et Ursula :

41123yllLKL.jpg« J'affirme qu'un peuple soumis pendant un demi-siècle au régime actuel des cinémas américains s'achemine vers la pire décadence. J'affirme qu'un peuple hébété par des plaisirs fugitifs, épidermiques, obtenus sans le moindre effort intellectuel, j'affirme qu'un tel peuple se trouvera, quelque jour, incapable de mener à bien une œuvre de longue haleine et de s'élever, si peu que ce soit, par l'énergie de la pensée. J'entends bien que l'on m'objectera les grandes entreprises de l'Amérique,  les gros bateaux, les grands buildings. Non! Un building s'élève de deux ou trois étages par semaine. II a fallu vingt ans à Wagner pour construire la Tétralogie une vie à Littré pour édifier son dictionnaire… »

C’est la fin du Temps décrite par Guénon. Mais il y aura aussi la Fin de l’espace que Guénon refuse de voir (Règne de la Quantité toujours)  - et cette fin, elle est liée à la bagnole :

« Qu'est la difficulté de l'automobile, aujourd'hui, au prix de celle que l'on trouve à jouer, même modestement, de la flûte ou du violon ?

L'auto n'a pas conquis l'espace. Elle l’a perdu, gâté. Il n'y a plus de solitude, plus de silence, plus de refuges. Qui fuit la ville en auto retrouve tout de suite la ville. »

RO40023817.jpgSur le cheval soudain libéré mais aussi inutile Duhamel écrit ces lignes flippantes (sic) et prodigieuses :

« Mais heureux, heureux le cheval ! II ne souffrira plus. C'est lui le héros de la fête. Il ne tombera plus entre les brancards brisés. II ne tremblera plus sur ses pattes roidies. Il ne sera plus relevé à coups de pied et à coups de fouet. L'auto va le dispenser de souffrir et surtout de vivre. Le meilleur service que l'on puisse rendre à cette bonne bête, c'est de le soulager de l'existence. Le non-être n'est pas terrible. C'est le ne-plus être qui nous fait horreur. »

Dispenser de souffrir et de vivre : c’est du Tocqueville cette fois (« le trouble de penser et la peine de vivre »). Ce qui arrive au troupeau arrivera au troupeau humain du spectaculaire, à coups de Reset et de vaccins ou autres. Il est déjà anesthésié le troupeau (Drumont), et déjà prêt à ne plus être.

les_espions.jpgComme Fritz Lang (revoir Metropolis et surtout les Espions, cent fois supérieurs), Duhamel prend peur en Allemagne :

« Les plus étranges américaneries, je les ai vues en Allemagne, dans ce pays dont les jeunes hommes, au retour de leur premier voyage transatlantique, trouvent que New York n'est pas mal, mais plus assez américain. Derrière ses architectes, j'ai visité la nouvelle ville de Francfort, la cité des blocks pareils, en leur monotonie, à des falaises de craie blanches habitées par des bestioles disciplinées.

Il y a, sur notre continent, en France comme partout, de larges places que l'esprit de la vieille Europe a dès maintenant désertées. Le génie américain colonise, petit à petit, telle province, telle cité, telle maison, telle âme. »

On rejoint Catherine Cusset citée plus haut : ils reviennent toujours et ils bouffent tout, nos ricains. Chaque moment et chaque mètre carré seront bouffés. Car on n’est jamais assez américanisés et eux n’ont jamais fini d’inventer ou de réinventer une salauderie-friandise.

Il n’y aura aucune résistance politique ou autre (si, contre Trump !):

« La civilisation des fourmis s'étend sur la face des continents émergés, depuis le froid du Nord jusqu'au froid du Sud. Peut-être y a-t-il, çà et là, quelque révolte de palais. Mais la civilisation des fourmis dure depuis des siècles de siècles. Pas de révolution chez les insectes. Pas de révolution imaginable dans la fourmilière américaine. »

a21c7b862a2b1f02824a354d60e161c905ac41b4575c33fe0d5087eb533a5452.jpgVoyez mon texte sur Davos, Sunak et les termites inspiré par le livre de Maeterlinck sur ces êtes étranges et si américains.

Et comme on est en plein jeux olympiques :

« Le sport, entre les mains de traitants ingénieux, est devenu la plus avantageuse des entreprises de spectacles. Il est - corollaire obligé - devenu la plus étonnante école de vanité. L'habitude, allègrement acquise, d'accomplir les moindres actes du jeu devant une nombreuse assistance a développé, dans une jeunesse mal défendue contre les chimères, tous les défauts que l'on reprochait naguère encore, aux plus arrogants des cabotins. Il s'est fait un bien étrange déplacement de la curiosité populaire. Quel ténor d'opérette, quel romancier pour gens du monde et du demi-monde, quel virtuose de l'éloquence politique peut se vanter, aujourd'hui, d'être aussi copieusement adulé, célébré, caricaturé que les chevaliers du «ring», du stade ou de la piste? Et je ne parle pas des pinces, des spécialistes exceptionnels, des inventeurs, de ceux qui ont des traits d'inspiration, créent un genre, une tradition, se montrent, en quelque mesure, grands par la patience, le courage, la grâce ou la fantaisie… »

On répète car le modèle a triomphé partout y compris chez ceux qui font mine de s’opposer aux ricains (Baudrillard parle bien de ce simulacre) :

« Pas de révolution chez les insectes. Pas de révolution imaginable dans la fourmilière américaine. »

4 Juillet 1776, date du début de la Fin (pardon, de la « Grande Transformation ») de l’Humanité.

Sources:

https://lesakerfrancophone.fr/de-notre-devenir-termite-vi...

https://www.amazon.fr/puissance-apocalyptique-Essais-foli...

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/09/20/j...

https://www.amazon.fr/Sc%C3%A8nes-vie-future-Georges-Duha...

https://www.dedefensa.org/article/poe-et-baudelaire-face-...

https://www.dedefensa.org/article/lamericanisation-et-not...

https://lesakerfrancophone.fr/de-notre-devenir-termite-vi...

samedi, 03 août 2024

La Kallocaïne (1940) : un roman prophétise l'État mondial

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La Kallocaïne (1940) : un roman prophétise l'État mondial

par Benjamin Kaiser

Source: https://sezession.de/69354/kallocain-1940-ein-roman-prophezeit-den-weltstaat

Des conditions sociales poussées à l'extrême, telles que l'actuelle "bigarrure et diversité", peuvent-elles vraiment être conservées durablement ?

C'était et c'est toujours une question centrale que l'écrivaine suédoise Karin Boye a abordée dans son classique de science-fiction La Kallocaïne, publié en 1940, un texte précurseur important du 1984 de George Orwell.

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Le personnage principal du roman est le chimiste Kall, un père de famille bien établi, citoyen loyal de l'État mondial totalitaire et chercheur dans la ville chimique n°4. En tant que lecteur, nous écoutons avec étonnement son monologue intérieur, qu'il censure constamment devant nous et devant lui-même, afin de ne pas sortir du corset étroit de ce qui est autorisé par la pensée.

Après de longues années de recherche, Kall (qui signifie "froid" ou "insensible" en suédois) met au point la kallocaïne, une drogue de la vérité qui oblige toute personne à qui elle est injectée à révéler sans réserve toutes ses pensées, ses sentiments et même toute sa vie intérieure. Avide de reconnaissance, il est impatient de mettre son invention en pratique et de la mettre au service de l'État mondial, de sorte que les hautes fonctions de l'État ne puissent être attribuées qu'après un entretien sous l'influence de la drogue. L'objectif est d'éviter que des personnes manquant de loyauté n'accèdent à des postes élevés:

 "'J'espère que cela profitera à l'État', ai-je dit, 'une drogue qui aide chaque personne à révéler ses secrets, tout ce qu'elle a jusqu'ici gardé pour elle en silence par honte ou par peur'".

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Quant à savoir si l'invention d'une telle drogue pourrait avoir des conséquences négatives dans un état de surveillance, c'est une question que Kall ne se permet de poser à aucun moment. Il devient donc méfiant lorsque son supérieur, Rissen, ose suggérer les conséquences possibles d'une telle invention avec une remarque pointue:

"Vous semblez avoir une conscience inhabituellement bonne", dit sèchement Rissen, "ou bien faites-vous semblant ?".

Les rares conversations de Kall avec sa femme Linda nous montrent qu'elle aussi est nettement plus clairvoyante que lui et que, même si elle se tait la plupart du temps pour des raisons politiques, elle est consciente que derrière le masque de bon citoyen du monde, il n'y a pas que l'adhésion à l'idéologie officielle.

Le "matériel humain" pour la première série d'essais de la drogue de la vérité, la kallocaïne, provient du "Service des victimes volontaires", un groupe au sein de la ville chimique n°4, auquel les citoyens se joignent généralement à l'adolescence après avoir regardé des films de propagande et qui se mettent dès lors à disposition comme cobayes pour des expériences scientifiques. Ils ne vivent pas très longtemps, car les expériences médicales menées sur eux leur causent de graves problèmes de santé. Néanmoins, leur apparence extérieure est idéologiquement entièrement dévouée à l'État mondial.

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Le premier sujet sur lequel la nouvelle drogue, la kallocaïne, est testée est le numéro 35. Il se présente au laboratoire avec un bras en écharpe et n'a plus l'air très en forme. Kall se plaint à Rissen qu'il aimerait avoir du matériel plus frais, mais celui-ci lui explique qu'il n'y a plus personne : il y a eu tellement d'expériences avec des gaz toxiques ces derniers temps.

Sous l'influence de la kallocaïne, le numéro 35 déclare qu'il ne s'est jamais senti aussi bien, que la drogue le libère enfin de toutes les contraintes intérieures, mais tout le reste ressort: la peur, le désespoir et le fait qu'il ne puisse pas trouver de femme en tant que membre du "Service des victimes volontaires". Presque étonné, Rissen note que Kall est sérieusement horrifié par les révélations du numéro 35 et doit intervenir pour que Kall ne signale pas à la police l'insubordination politique que le numéro 35 exprime sous l'influence de la drogue de la vérité.

Alors que les interviews suivantes se déroulent de manière très similaire et que Rissen continue à empêcher Kall de les signaler, un sujet finit par faire une déclaration lourde de conséquences. Kall s'impose alors et fait appel à la police.

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Des informations incompréhensibles ont filtré, l'un des sujets a admis que des groupes de personnes mystérieuses se réunissent et ne font que se taire lors de leurs rencontres. Ni Kall ni la police ne parviennent à trouver une explication : des personnes qui s'assoient simplement ensemble sans se dire un seul mot :

"Une autre personne, également une femme, a finalement pu nous donner quelques noms. Nous avons donc pensé que nous pourrions lui mettre une pression particulière en lui demandant quelle organisation se cachait derrière tout cela. Sa réponse était tout aussi déroutante que celle des autres".

"Nous ne cherchons pas à être organisés", a-t-elle déclaré. Ce qui est organique n'a pas besoin d'être organisé. Vous construisez de l'extérieur, nous sommes construits de l'intérieur. Vous avez construit avec vous-mêmes, comme si vous étiez des pierres, et vous vous désagrégez de l'extérieur, vers l'intérieur. Nous sommes construits de l'intérieur, comme des arbres, et entre nous poussent des ponts qui ne sont pas faits de matière morte et de contrainte morte. C'est de nous que sort le vivant. A travers vous, c'est l'inanimé qui pénètre".

A la fin, c'est l'épouse du protagoniste Kall qui se rend compte que l'Etat total et l'utopie sociale qu'il maintient ne sont invincibles qu'en apparence, mais qu'ils sont menacés d'effondrement à tout moment à l'intérieur, car la masse des gens rejette consciemment ou inconsciemment l'Etat total.

Pour Boye, les conditions sociales créées artificiellement et poussées à l'extrême - qui ne peuvent être maintenues qu'au moyen de la violence et de la manipulation étatiques - sont donc une cause essentielle de l'émergence de systèmes totalitaires. Plus un état social est extrême, plus il s'est éloigné du droit naturel, plus l'effort que l'État doit fournir pour conserver cet état "d'utopie sociale" est important.

L'utopie actuelle "bigarrée et diversifiée" de la République fédérale se voit elle aussi de plus en plus exposée à ce dilemme, malgré ou justement à cause de son "ordre fondamental libéral et démocratique" bruyamment propagé par les médias. Après des décennies de travail préparatoire, le pendule a penché vers l'extrême-marxisme culturel ; maintenant, la société, dans son inertie naturelle, voudrait revenir dans l'autre sens - et voilà que le brouhaha des ivrognes devient un cas pour la protection de l'Etat.

Pour préserver une utopie sociale, il faut donc aussi diriger les pensées et les sentiments. C'est pourquoi, dans les premières pages du roman, Kall vante son invention à la gouvernante de la famille, qui l'espionne en même temps officiellement pour le compte de l'État mondial :

"Les pensées et les sentiments donnent naissance aux mots et aux actes. Comment les pensées et les sentiments pourraient-ils donc être l'affaire privée de l'individu ? ... A qui appartiennent donc les pensées et les sentiments, si ce n'est à l'Etat" ?".

George Orwell a également décrit ce phénomène de manière similaire en mai 1941 dans son émission "Littérature et totalitarisme" ; à savoir que

les États totalitaires visent toujours à contrôler par tous les moyens les pensées et les sentiments de leurs habitants au moins autant que leurs actions.

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Aujourd'hui encore, lorsqu'on tente d'arrêter le mouvement de balancier, on constate que l'État veut de plus en plus savoir si le citoyen est loyal envers l'utopie à préserver, non seulement en ce qui concerne l'attitude extérieure, mais aussi et surtout en ce qui concerne l'état d'esprit. L'effacement des différences entre les paroles et les actes par des constructions linguistiques telles que le "discours de haine" est symptomatique de ce phénomène, ce qui a créé devant les tribunaux allemands la situation absurde où la fausse opinion est devenue une "violence" linguistique et est de plus en plus souvent punie plus sévèrement que l'acte de violence réel.

Le fait que Boye, l'une des premières lesbiennes avouées du 20ème siècle, jouisse d'un statut culte dans les "études de genre" ne devrait d'ailleurs pas décourager la lecture de son roman oppressant et génial. Au contraire. Kallocain a été écrit après avoir visité l'Union soviétique et l'Allemagne nazie. Ces deux expériences ont été décisives pour Kallocain.

Alors que Boye a visité l'Union soviétique en tant que jeune socialiste et en est repartie profondément désillusionnée, les spectacles de masse du national-socialisme en Allemagne ont dû la fasciner d'une autre manière, elle qui vivait avec une juive allemande. Sa biographe Margit Abenius décrit la visite d'un rassemblement avec un discours de Goering au Palais des sports:

"Scharp a regardé Karin se tenir là, le bras tendu, complètement fascinée, et faire le salut hitlérien".

Plus tard, elle a écrit à propos de cette expérience que les émotions politiques éruptives avaient "déclenché des crises nerveuses chez les jeunes". Et à l'instar de la croissance de l'intérieur décrite dans le roman, Boye a plus tard nié avoir "écrit" Kallocain, affirmant que le roman avait plutôt été écrit à travers elle, qu'elle s'était vécue comme une "receveuse" en l'écrivant.

Kallocain s'inscrit, selon la littérature officielle, dans la lignée des grands "romans de science-fiction post-chrétiens" (Erika Gottlieb), des dystopies dans lesquelles la question chrétienne du salut éternel ou de la damnation est devenue une question séculière. Commençant par le roman Nous d'Evgueni Zamiatine, traduit pour la première fois dans des langues occidentales en 1924, qui traduisait en dystopie l'utopie du communisme réel de l'Union soviétique, suivi par Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley (1932) et 1984 de George Orwell (1949), le roman de Boye va au-delà de tout cela.

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Considérée comme l'un des plus grands écrivains suédois (un cratère de Vénus porte son nom), Boye est passée du bouddhisme au christianisme alors qu'elle était encore étudiante. Elle en a cependant souffert toute sa vie en raison de son homosexualité, ce qui l'a conduite à des conflits intérieurs qu'elle a exprimés dans de nombreux poèmes. Prisonnière de ce conflit qu'elle jugeait insoluble, elle écrivit à son amie Agnes Fellenius :

"Je croyais voir le monde sous un jour nouveau - sous le signe de la croix, de la souffrance par procuration. La croix de Dieu s'étend à travers tous les âges et tous les espaces. Et qu'est-ce que la sainte communion sinon une initiation à la croix, la nouvelle union avec Dieu: on s'initie soi-même pour ensuite prendre sur soi, à cause de Lui, une partie de Sa souffrance éternelle - pour combattre le combat de Dieu dans le monde : cela s'accompagne d'une grande douleur".

Et non, Kallocain ne connaît pas de message ouvertement chrétien et pourtant, il y a plus en sous-cutané lorsque l'individu est placé devant le choix de se conformer et de sacrifier toute spécificité à l'utopie sociale ou de prendre le chemin de la dissidence et d'y laisser sa vie: il s'agit également d'une initiation. En effet, puisque dans un État qui veille lui-même au respect de la pensée correcte, le monde intérieur n'est plus un lieu d'évasion, il ne reste à l'homme que le silence spirituel. Et cela rappelle le mystique médiéval Heinrich von Seuse, que seule la sérénité dans le silence peut donner naissance à une nouvelle vision du monde qui brise toutes les entraves.

Et c'est ainsi que les citoyens de l'État mondial interrogés sous l'influence de la drogue parlent du fait que l'expérience du silence leur redonne une initiation qui leur fait voir les choses autrement et les "éveille" à un état de connaissance spirituelle qui, du point de vue de l'État, est irréversible :

 "'Tu as parlé d'initiation', répondit Rissen à la femme, sans me prêter attention. 'Comment les gens sont-ils initiés ?".

"Je ne sais pas. Cela se produit simplement. Tout d'un coup, et puis c'est toi. Les autres le remarquent, ceux qui sont aussi initiés".

"Donc n'importe qui peut venir et dire qu'il est initié ? Il doit y avoir un rituel, une cérémonie - il n'y a pas d'initiation à un quelconque secret?".

"Non, rien de tout cela. C'est quelque chose que vous remarquez de vous-même, vous comprenez ? Pensez-y comme suit : soit vous l'êtes, soit vous ne l'êtes pas - et certaines personnes ne font jamais cette expérience".

Mais comment le remarque-t-on ?

'Eh bien, on le remarque en tout - à la vue d'un couteau, et quand on dort, et quand cela vous vient à l'esprit avec une sainte clarté - et beaucoup d'autres choses -'"

* * *

Karin Boye : La Kallocaïne - à commander ici: https://www.babelio.com/livres/Boye-Kallocaine/804983

Résumé :
 
Dans une société où la surveillance de tous, sous l’œil vigilant de la police, est l’affaire de chacun, le chimiste Leo Kall met au point un sérum de vérité qui offre à l’État Mondial l’outil de contrôle total qui lui manquait.
En privant l’individu de son dernier jardin secret, la kallocaïne permet de débusquer les rêves de liberté que continuent d’entretenir de rares citoyens. Elle permettra également à son inventeur de surmonter, au prix d’un viol psychique, une crise personnelle qui lui fera remettre en cause nombre de ses certitudes. Et si la mystérieuse cité fondée sur la confiance à laquelle aspirent les derniers résistants n’était pas qu’un rêve ?
 
On considère La Kallocaïne, publié en 1940 en Suède, comme l’une des quatre principales dystopies du XXe siècle avec Nous autres (Zamiatine, 1920), Le Meilleur des mondes (Huxley, 1932), et 1984 (Orwell, 1949).
Nouvelle traduction intégrale. Traduction du suédois par Leo Dhayer.

 

 

 

dimanche, 28 juillet 2024

La 25ème heure et le citoyen technique

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La 25ème heure et le citoyen technique

Nicolas Bonnal

La vingt-cinquième heure ? C’est selon Virgil Gheorghiu « le moment où toute tentative de sauvetage devient inutile. Même la venue d’un messie ne résoudrait rien ».

JO, surveillance, confinements-vaccins, reset-écologie….

Nous y sommes car nous avons devant nous une conspiration avec des moyens techniques et financiers formidables, une conspiration formée exclusivement de victimes et de bourreaux volontaires. On a vu les bras croisés le cauchemar s’asseoir depuis la mondialisation des années 90 et la lutte contre le terrorisme (2001), puis progresser en 2020-21 à une vitesse prodigieuse, cauchemar que rien n’interrompt en ces temps de pleine apostasie catholique. La dégoûtante involution du Vatican s’est faite dans la totale indifférence du troupeau de nos bourgeois-diplômés-cathos, et on comprend ce qui pouvait motiver Drumont, Léon Bloy ou Bernanos contre une telle engeance de bien-pensants. Un pour cent ou un pour mille de résistants ? Le reste s’est assis masqué et a applaudi.

413k8wBPgGL._AC_SY780_.jpgLa situation est pire que sous le nazisme ou le communisme, car à cette époque elle était localisée. Il y a des Thomas Mann, il y a des Soljenitsyne pour témoigner, pour tonner contre, comme dit Flaubert. Là, la situation techno-nazie de Schwab-Gates-Leyen sera globale. La crise du virus a déclenché une solution totalitaire planétaire et des expédients ubiquitaires - signe de l’Antéchrist, dit Mgr Gaume. Certes c’est surtout l’Occident la cible, et cette vieille race blanche toujours plus gâteuse, que je mettais en garde il y a dix ans (Lettre ouverte) ou trente (La Nuit du lemming). Mais c’est le propre des Cassandre de n’être jamais crues ou des Laocoon d’être étouffés par les serpents. Lisez dans Virgile l’entrée du cheval dans la cité de Troie pour comprendre. Après la mort de Laocoon, le peuple troyen enjoué abat les murs et laisse entrer la machine pleine de guerriers. Allez, un peu de latin :

Diuidimus muros et moenia pandimus urbis.

Nous sommes donc à la veille d’une gigantesque extermination et d’un total arraisonnement. Et tout cela se passe facilement et posément, devant les yeux des victimes consentantes ou indifférentes que nous sommes. Nous payons ici l’addition de la technique et de notre soumission. De Chateaubriand à Heidegger elle a été rappelée par tous les penseurs (voyez ici mes chroniques). C’est cette dépendance monotone qui nous rend incapables de nous défendre contre les jobards de l’économie et de l’administration qui aujourd’hui veulent faire de leur troupeau humain le bifteck de Soleil vert ou les esclaves en laisse électronique. Et le troupeau est volontaire, enthousiaste comme disait Céline avant juin 40.

Chateaubriand dans ses Mémoires :

« Au milieu de cela, remarquez une contradiction phénoménale : l’état matériel s’améliore, le progrès intellectuel s’accroît, et les nations au lieu de profiter s’amoindrissent : d’où vient cette contradiction ?

C’est que nous avons perdu dans l’ordre moral. En tout temps il y a eu des crimes ; mais ils n’étaient point commis de sang-froid, comme ils le sont de nos jours, en raison de la perte du sentiment religieux. À cette heure ils ne révoltent plus, ils paraissent une conséquence de la marche du temps ; si on les jugeait autrefois d’une manière différente, c’est qu’on n’était pas encore, ainsi qu’on l’ose affirmer, assez avancé dans la connaissance de l’homme ; on les analyse actuellement ; on les éprouve au creuset, afin de voir ce qu’on peut en tirer d’utile, comme la chimie trouve des ingrédients dans les voiries ».

Voilà pourquoi les parlements et les administrations ne seront arrêtés par rien. Et le troupeau renâclera peut-être trois minutes mais il se soumettra comme les autres fois sauf qu’ici ce sera global et simultané. Quant aux minorités rebelles (1% tout au plus) le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles ne sont pas très agissantes…

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Dans La vingt-cinquième heure, Virgil Gheorghiu dénonce avec son personnage Trajan notre déchéance liée au progrès, au confort, à la technique, à la bureaucratie, ce qu’on voudra. Et cela donne :

« Nous apprenons les lois et la manière de parler de nos esclaves pour mieux les diriger. Et ainsi, peu à peu, sans même nous rendre compte, nous renonçons à nos qualités humaines, à nos lois propres. Nous nous déshumanisons, nous adoptons le style de vie de nos esclaves techniques… »

Cela explique pourquoi l’homme moderne, fils des droits constitués et pas gagnés, se laisse liquider partout si commodément.

« L’homme moderne sait que lui-même et ses semblables sont des éléments qu’on peut remplacer ».

Celui qui ne veut pas de leur ordre nouveau sera liquidé ou marginalisé (pas de restau, de magasin, de transport, d’eau, d’électricité). Gheorghiu, futur prêtre orthodoxe, le dit :

« Ceux qui ne respectent pas les lois de la machine, promue au rang des lois sociales, sont punis. L’être humain qui vit en minorité devient, le temps aidant, une minorité prolétaire ».

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L’humain déshumanisé, Gheorghiu l’appelle le citoyen technique :

« Les esclaves techniques gagneront la guerre. Ils s’émanciperont et viendront les citoyens techniques de notre société. Et nous, les êtres humains, nous deviendrons les prolétaires d’une société organisée selon les besoins et la culture de la majorité des citoyens, c’est-à-dire des citoyens techniques ».

Et comme Chateaubriand Gheorghiu rappelle :

« Dans la société contemporaine, le sacrifice humain n’est même plus digne d’être mentionné. Il est banal. Et la vie humaine n’a de valeur qu’en tant que source d’énergie ».

Et de conclure moins lugubre que réaliste :

« Nous périrons donc enchaînés par les esclaves techniques. Mon roman sera le livre de cet épilogue… Il s’appellera La vingt-cinquième heure. Le moment où toute tentative de sauvetage devient inutile. Même la venue d’un messie ne résoudrait rien. Ce n’est pas la dernière heure : c’est une heure après la dernière heure. Le temps précis de la société occidentale. C’est l’heure actuelle, l’heure exacte ».

Je dis moins lugubre que réaliste car il est temps de voir et de dire que tout cela est au final scientifique et juste, comme disait l’orthodoxe Vladimir Volkoff. Volkoff disait que le bolchévique c’est celui qui en veut plus, idéaliste, progressiste, banquier central, militaire, agent secret ou même journaliste. Le troupeau c’est celui qui n’y croit pas ou ricane et de toute manière se soumet. C’est celui qui en veut moins. C’est le troupeau des citoyens-troyens euphoriques.

Sources :

https://www.amazon.fr/Livre-pri%C3%A8res-orthodoxes-Psaumes-Tropaires/dp/B09BGPCBQT/ref=sr_1_1?dib=eyJ2IjoiMSJ9.3q6yZRkLCWxCycvHI49pGFsojGCJrsn4TiWa0RYSI75hJnAmKQ-F7Lk-bqQ2BUWi0yLX2NbFrs2p_EF2_RtC2-QvYAEyaX8WTBF7GsyMQPFVJvgOFEz8u4cUSjbJEzepJVyefBiiRh29Opd905ONdGrZAjVrW5bLpXRXkjzNLrVEm7bxUVnDAvASFzsGBPMSF3249pgBiWTgxh-SW6zbckLwXkIyx_PSydZRzwbasIo.bzzh2o1bB1qKqmsycqESOEYwMHiWsQkNyM7uT6jcLp0&dib_tag=se&qid=1721988976&refinements=p_27%3ANicolas+Bonnal&s=books&sr=1-1

https://www.amazon.fr/vingt-cinqui%C3%A8me-heure-Virgil-G...

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mercredi, 24 juillet 2024

Emmanuel Todd et la dématérialisation occidentale

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Emmanuel Todd et la dématérialisation occidentale

Nicolas Bonnal

Relisons Todd et son extraordinaire, dense et variée Défaite de l’Occident (j’écrirais accident, trop guénonien que je suis…). Plutôt que de décadence, mot trop ressassé depuis Spengler et sans signification maintenant, je préfère parler de dématérialisation: la puissance soi-disant économique et militaire des USA ne peut rien contre la Russie (ou les Houthis). C’est que tout disparaît. Todd:

« Pourtant, on le verra, le système américain, même s’il a réussi à soumettre l’Europe, souffre spontanément du même mal qu’elle: la disparition d’une culture nationale partagée par la masse et les classes dirigeantes. »

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L’effondrement culturel et religieux (non au sens guénonien, traditionnel, mais quantitatif occidental) précipite une inefficacité tragi-comique (de Leslie Nielsen à Joe Biden – voyez l’amiral-président Benson de la série Hot Shots aussi) dont PhG s’est fait l’ardent-hilarant commentateur :

« L’implosion, par étapes, de la culture WASP – blanche, anglo-saxonne et protestante – depuis les années 1960 a créé un empire privé de centre et de projet, un organisme essentiellement militaire dirigé par un groupe sans culture (au sens anthropologique) qui n’a plus comme valeurs fondamentales que la puissance et la violence. Ce groupe est généralement désigné par l’expression « néocons ». Il est assez étroit mais se meut dans une classe supérieure atomisée, anomique, et il a une grande capacité de nuisance géopolitique et historique. »

Oui, on en revient toujours à cette capacité de nuisance dont me parla un jour J. J. Annaud (voyez mon livre) à propos de la critique de cinéma. Idem donc pour l’énarchie française ou la bureaucratie bruxelloise.

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Evidemment Todd compare notre empire américain au bon vieil empire romain :

« L’afflux massif en Italie de blé, de produits manufacturés et d’esclaves y avait détruit la paysannerie et l’artisanat, d’une manière qui n’est pas sans rappeler celle dont la classe ouvrière américaine a succombé à l’afflux de produits chinois. Dans les deux cas, en forçant un peu le trait, on peut dire qu’a émergé une société polarisée entre une plèbe économiquement inutile et une ploutocratie prédatrice. La voie d’une longue décadence était désormais tracée et, malgré quelques sursauts, inéluctable. »

NDLR : la « plèbe économiquement inutile », c’est nous, c’est les mangeurs inutiles que Davos veut exterminer. Mais continuons :

« Enfin, différence fondamentale : le Bas-Empire a vu l’établissement du christianisme. Or, l’une des caractéristiques essentielles de notre époque est la disparition complète du substrat chrétien, un phénomène historique crucial qui, justement, explique la pulvérisation des classes dirigeantes américaines. »

Ici petit désaccord : le christianisme du début détraqua l’empire ; Escobar a écrit de très bonnes lignes dessus. Il fonctionna comme un wokisme (femmes, esclaves, rebelles, nihilistes, voyez Nietzsche) et accompagna l’effondrement technique à cette époque (lisez un extraordinaire texte de Bill Bonner sur ce sujet).

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Citons Escobar : « Le tissu urbain même de Rome a été détruit : les rituels, le sens de la communauté, le chant et la danse. Rappelez-vous que les gens baissent encore la voix en entrant dans une église.

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Pendant des siècles, nous n’avons pas entendu les voix des dépossédés. Une exception flagrante se trouve dans un texte du début du VIe siècle d’un philosophe athénien, cité par Ramsay MacMullen dans « Chrétienté et Paganisme du IVe au VIIIe siècle ».

Le philosophe grec écrit que les chrétiens sont « une race dissoute dans toutes les passions, détruite par une auto-indulgence contrôlée, rampante et féminine dans sa pensée, proche de la lâcheté, se vautrant dans toutes les bassesses, avilie, se contentant de la servitude dans la sécurité ».

Si cela ressemble à une proto-définition de la culture de l’annulation occidentale du XXIe siècle, c’est parce que c’est le cas. »

Sans rancune, Bergoglio ? Et notre culture de la Croisade et du migrant à recueillir alors ?

Bill Bonner lui précise : 

« Durant une période de 300 ans environ, la taille de pierre a disparu d’Angleterre. Pendant la période romaine, on trouvait des milliers d’artisans expérimentés qui savaient extraire la pierre… brûler de la chaux pour faire du mortier… mais aussi tailler et assembler les pierres pour faire d’élégantes villas.

Ils savaient comment construire une maison pavée de mosaïques, avec chauffage au sol – et un toit de tuiles d’argile.

Au VIème siècle, ils avaient oublié. Au VIIème siècle, on ne trouvait peut-être pas une seule personne, en Bretagne anglaise, qui sache comment faire du mortier de chaux – ou tourner un pot.

Il n’y avait plus d’importations de la Méditerranée – vin, huile d’olives, vaisselle, bijoux, épices, blé. Il n’y avait plus non plus de marché où les acheter… ni d’argent pour cela. La seule monnaie encore en circulation avait été frappée avant l’effondrement de l’empire romain. »

On se dirige, on retourne plutôt à cette société occidentale dite des âges sombres : celle condamnée où personne ne sait plus rien faire !

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J’avais écrit ici un texte sur Todd et le micro-théâtre militaire US. Il insiste sur sa non-portée :

« Pour revenir à notre tentative de classification, je serais tenté de parler, concernant les États-Unis et leurs dépendances, d’État post-impérial : si l’Amérique conserve la machinerie militaire de l’empire, elle n’a plus en son cœur une culture porteuse d’intelligence et c’est pourquoi elle se livre en pratique à des actions irréfléchies et contradictoires telles qu’une expansion diplomatique et militaire accentuée dans une phase de contraction massive de sa base industrielle – sachant que « guerre moderne sans industrie » est un oxymore. »

C’est surtout une absurdité. Rappelons que cette guerre occidentale se fait aussi sans soldats. Ma femme qui est ukrainienne me dit que ce serait aux soldats ukrainiens de former les cadres incapables de l’Otan, pas l’inverse.

Mais restons dans ce cadre moral effondré (qui a duré jusqu’aux années soixante, voyez toujours cette ère du cool de Thomas Frank):

« Ce principe s’applique ici à plusieurs champs essentiels: à la séquence « stade national, puis impérial puis post-impérial » ; à l’extinction religieuse, qui a fini par entraîner la disparition de la moralité sociale et du sentiment collectif ; à un processus d’expansion géographique centrifuge se combinant à une désintégration du cœur originel du système. »

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Todd retombe sans le vouloir ou le savoir sur Nietzsche ensuite :

« Ce que j’appellerai l’« état religieux zéro » va produire, dans certains cas, les pires, une déification du vide.

J’utiliserai le mot « nihilisme » dans une acception qui n’est pas forcément la plus commune, et qui rappellera plutôt – et ce n’est pas un hasard – le nihilisme russe du XIXe siècle. »

Problème alors : on échappe au raisonnable et à la réalité : « le nihilisme tend alors irrésistiblement à détruire la notion même de vérité, à interdire toute description raisonnable du monde. »

Problème : mais n’était-ce déjà pas le cas avec Hegel (que j’ai toujours considéré comme un mauvais moment philo à passer) et le marxisme-léninisme du siècle passé ?

Todd ajoute sur ce désarmement ontologique :

« L’état zombie n’est pas la fin du voyage. Les mœurs et les valeurs héritées du religieux s’étiolent ou explosent, et disparaissent enfin ; et alors, mais alors seulement, apparaît ce que nous sommes en train de vivre, le vide religieux absolu, avec des individus privés de toute croyance collective de substitution. Un état zéro de la religion. C’est à ce moment-là que l’État-nation se désintègre et que la globalisation triomphe, dans des sociétés atomisées où l’on ne peut même plus concevoir que l’Etat puisse agir efficacement.

On peut donc définir les années 2000 comme les années de la disparition effective du christianisme en Occident, d’une façon précise et absolue. On relève aussi une convergence dans le néant des catholiques et des protestants. L’Europe de l’Est n’est pas concernée et l’Italie, Vatican oblige, ne dispose toujours que de l’union civile. »

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On en revient au vide, au zombi, à l’objectif nul – ici on se rapproche de Baudrillard. Il ne reste que du simulacre (et encore…). Todd écrit très justement :

« L’individu ne peut être grand que dans une communauté et par elle. Seul, il est voué par nature à rétrécir. »

Si ma mémoire est bonne c’est ce qu’écrivait J. F. Lyotard dans sa scolaire et ennuyeuse Condition postmoderne : « chacun est ramené à soi ; et chacun sait que ce soi est peu ». Entre le code QR et le bulletin de vote anti-RN le froncé de souche aime rappeler que son soi est peu…

Mais venons-en à la bonne vieille dématérialisation. La clé de tout c’est ça : comment un pays déglingué et dégénéré (la Russie donc), qui a le PNB de l’Espagne ou de Monaco peut-il résister à l’Amérique et à ses dominions ?

« À la veille de l’invasion de l’Ukraine, je le rappelle, la Russie, en incluant la Biélorussie, ne pesait que 3,3 % du PIB de l’Occident. Comment ces 3,3 % ont-ils pu tenir et produire plus d’armement que l’adversaire ? Pourquoi les missiles russes, dont on attendait la disparition par épuisement des stocks, continuent-ils de tomber sur l’Ukraine et son armée ? Comment une production massive de drones militaires a-t-elle pu se développer depuis le début de la guerre, après que les militaires russes eurent constaté leur carence dans ce domaine ? »

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Après notre statisticien-démographe arrive avec des données qui font mal : notre nullité ontologique en matière de science dure et d’ingénierie pas sociale (on préfère étudier l’écologie, les droits de la femme...).

« Or, ce qui distingue fondamentalement l’économie russe de l’économie américaine, c’est, parmi les personnes qui font des études supérieures, la proportion bien plus importante de celles qui choisissent de suivre des études d’ingénieur : vers 2020, 23,4% contre 7,2% aux États-Unis.

Aux États-Unis, 7,2% de 40% de 46,8 millions de personnes donnent 1,35 million d’ingénieurs. En Russie, 23,4 % de 40 % de 21,5 millions en donnent 2 millions. Malgré la disproportion des populations, la Russie parvient à former nettement plus d’ingénieurs que les États-Unis. »

Mais les Russes ne sont pas tout-puissants. Je parlais de la résistance ukrainienne, à qui Todd rend un bel hommage. Il écrit même (en se riant des fuyards US) :

« Les Américains eux-mêmes furent surpris par la résistance de l’Ukraine. Occupés à en rééquiper et réorganiser l’armée, ils avaient annoncé que l’invasion russe était imminente, puis détalèrent comme des lapins, entraînés sans doute par leur expérience de Kaboul dans l’art de l’évacuation. »

L’œuvre de dématérialisation vient aussi de l’instruction, de la féminisation et de la politisation. Gustave Le Bon en a très bien parlé dans sa Psychologie du socialisme, et Tocqueville dans son Ancien régime (« la France nation abstraite et littéraire »).

Le pire vient de la presse (déjà Kraus, Nietzsche ou Bernanos…) :

« Notre presse donne parfois l’impression que la destruction de l’économie de la France, plus encore que celle de la Russie, est son objectif. On pense à un enfant qui, fou de rage, casse ses propres jouets ; et l’expression de « nihilisme économique » vient à l’esprit. »

Trop d’éducation a tué l’éducation ; Todd remarque aussi tel un sage taoïste (ils savaient tout, ces chinois !) :

« C’est le grand paradoxe de cette séquence historique et sociologique : le progrès éducatif y a occasionné, à terme, une régression éducative, parce qu’il a provoqué la disparition des valeurs favorables à l’éducation. »

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Lui parle des années soixante, mais Gustave Le Bon (Psychologie du socialisme) ou Taine (toujours lui…) observent le même phénomène au XIXème siècle : l’école et l’université fabriquent du militant, de l’intello, de l’inadapté (voir Maupassant) et de la nihiliste-écolo-féministe (plein de Sandrine Rousseau…) ; et si comme d’habitude Molière avait tout vu et/ou prévu : le sot savant qui est plus sot qu’un sot ignorant, le Trissotin, la femme savante (elle dit faire la chasse aux mots et les censurer !), le vieillard industriellement fabriqué, l’hypocrite, le tyran (tirade Don Juan), le bigot bourgeois, le Tartufe, le faux médecin et le faux malade ?

D’où vient ce qui reste de la puissance US alors ?

C’est simple et génial : de sa victoire à l’Amérique contre la… Suisse. Todd explique :

« Il est clair que, du point de vue américain, briser la Suisse était essentiel pour tenir les oligarchies européennes. Si 60 % de l’argent des riches Européens (proportion donnée par Zucman) fructifient sous l’œil bienveillant d’autorités supérieures situées aux États-Unis, on peut considérer que les classes supérieures européennes ont perdu leur autonomie mentale et stratégique. Mais le pire, leur surveillance par la NSA, restait à venir. Je ne pense pas que les riches qui ont commencé à déposer leur argent dans les paradis fiscaux anglo-saxons aient compris tout de suite qu’ils se plaçaient sous l’œil et le contrôle des autorités américaines. »

Ce livre est énorme et on pourrait composer un recueil dessus. Je vous conseille de le lire de temps à autre, par paquets comme on dit. Tiens, sur la fragilité juive par exemple :

« Un article saisissant du magazine en ligne Tablet (un magazine juif) montre à quel point la tendance actuelle est aujourd’hui à l’effacement de la centralité des Juifs aux États-Unis. Le titre de l’article, «The Vanishing », daté du 1er mars 2023 et signé Jacob Savage, est plutôt catastrophiste. L’auteur constate que « dans le monde universitaire, à Hollywood, à Washington et même à New York, partout où les Juifs américains avaient réussi à s’imposer, leur influence est en net recul ».

Et dans le chapitre hilarant sur l’Angleterre (croule Britannia), Todd remarque les britanniques de souche comme on dit sont devenus trop abrutis pour devenir ingénieurs ou docteurs, se condamnant à une domination indo-pakistanaise. Remarquez, on a Kamala machin et Mrs Vance aux affaires aux US…

Quelques références :

https://reseauinternational.net/comment-loccident-a-ete-v...

https://reseauinternational.net/le-meilleur-des-mondes-de...

https://nicolasbonnal.wordpress.com/2022/05/25/bill-bonne...

https://la-chronique-agora.com/irlande-maconnerie-chute-e...

https://www.dedefensa.org/article/gustave-le-bon-et-le-ch...

https://www.dedefensa.org/article/emmanuel-todd-et-le-mic...

https://www.dedefensa.org/article/emmanuel-todd-et-le-nar...

 

mercredi, 10 juillet 2024

David Engels et la voie hespérialiste

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David Engels et la voie hespérialiste

par Georges FELTIN-TRACOL

Il est souvent jubilatoire de consulter le quotidien-phare du déclin journalistique en France. Dans son édition du 1er juin 2024, Le Monde s’intéressait à « L’Europe dans le viseur de l’extrême droite ». Bigre ! Mentionnant une réunion tenue à Bruxelles, les 16 et 17 avril derniers, à l’initiative de la National Conservatism Conference sur le thème de « Défendre l’État-nation en Europe », la journaliste Marion Dupont qualifie l’un des intervenants, David Engels, d’« essayiste néo-conservateur » !

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A-t-elle au moins lu un seul ouvrage de cet historien belge qui a enseigné en Pologne ? Bien connu des auditeurs de Radio Méridien Zéro, David Engels vient de publier en français Défendre l’Europe civilisationnelle. Petit traité d’hespérialisme (Salvator, 2024, 162 p., 18,50 €). Le président – fondateur de la Société Oswald-Spengler juge que les discours traditionaliste, réactionnaire, conservateur, nationaliste et identitaire n’opèrent plus. Il propose une synthèse dynamique de ces notions dans un nouveau modèle qui s’appuie sur le retour de la transcendance qu’incarnerait dans l’histoire de notre continent le catholicisme romain.

Cette référence au christianisme, en particulier catholique, surprend si l’on suit Marcel Gauchet pour qui « le christianisme est la religion de la sortie de la religion » dans Le Désenchantement du monde en 1985. Quand l’Église romaine tend vers l’humanitarisme, il faut craindre le pire. Le Figaro du 2 septembre 2015 rapportait que la veille, lors de sa rencontre avec Jacques Gaillot (1935 - 2023), ancien évêque d’Évreux et évêque jusqu’à la mort de Parténia, principale figure du catholicisme français d’extrême gauche, le pape Bergoglio lui certifia en français que « les migrants, c’est la chair de l’Église ».

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À quel catholicisme David Engels pense-t-il vraiment? Celui issu du concile Vatican II? Le catholicisme tridentin qui marqua la fin de l’enchantement des âmes? Le catholicisme médiéval nourri d’une sève païenne comme le démontre Jacques Le Goff dans Le Dieu du Moyen Âge (Bayard, 2003) et qu’éradiqua la Réforme dite catholique? La présente ambiguïté chrétienne romaine ne cessera qu’avec la formation d’un « euro-catholicisme » différencialiste qui emprunterait à l’Orthodoxie l’autocéphalie et la symphonie des pouvoirs spirituel et temporel.

David Engels désire s’extraire du cadre stato-national au profit d’un ensemble civilisationnel européen organisé dont la matrice serait le Moyen Âge occidental roman et gothique. Contrairement à Dominique Venner, l’auteur délaisse volontiers la dimension anthropologique de l’homme européen. Difficile dans ces conditions d’associer correctement regain chrétien et renouveau continental. Oui, tout combat politique comporte une part spirituelle, voire mystique, à la condition qu’il bénéficie d’une réelle adéquation avec les circonstances.

David Engels suggère le projet politique d’une confédération des nations européennes. « Nous avons [...] besoin, écrit-il, d’une Europe assez forte pour protéger l’État-nation individuel contre la montée de la Chine, l’explosion démographique de l’Afrique, les relations difficiles avec la Russie et la radicalisation du Proche-Orient. Mais d’un autre côté, une telle Europe ne sera acceptée par le citoyen que si elle reste fidèle aux traditions historiques de l’Europe au lieu de les combattre au nom d’un universalisme multiculturel chimérique. »

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L’antiquiste qu’il est réclame par conséquent une « synthèse augustéenne [qui] porterait formellement les traits d’un retour aux origines de l’histoire occidentale tout en conservant les acquis matériels essentiels des temps modernes ». Ce sujet belge de langue allemande précise en outre que « l’exemple [qui] pourrait être mieux adapté pour ancrer à nouveau l’unité européenne dans l’histoire et l’identité [… est] celui du Sacrum Imperium, du Saint-Empire dont la plupart des nations européennes actuelles sont issues et dont la vocation primaire avait toujours été l’unité civilisationnelle dans la diversité subsidiaire tout en ancrant l’Europe dans une vision grandiose de sa mission transcendante ». L’héritage du Saint-Empire affecte en effet les traditions politiques des États d’Europe occidentale, latine et catholique, y compris la Grande-Bretagne, la France et la Pologne (avec sa République royale des Deux-Nations). L’auteur aimerait ainsi concilier Jean Bodin (1530 - 1596) et Johannes Althusius (1557 - 1638) dans une réflexion dialectique originale. Bien des arguments de Défendre l’Europe civilisationnelle rappellent ceux de Guillaume Faye et de son compatriote d’outre-Quiévrain Daniel Cologne. Ce dernier avançait au sein du Cercle Culture et Liberté dans les années 1970 un point de vue assez semblable.

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Renouvellement inédit d’une pensée de droite, l’hespérialisme poursuit-il l’esprit faustien ? David Engels constate sur la longue durée européenne un élan vital permanent, une « quête effrénée d’absolu, ce désir d’atteindre et de dépasser l’horizon ». Dans La Parole d'Anaximandre de Martin Heidegger, le traducteur pour le public francophone, Wolfgang Brokmeier, inventait le néologisme d’« Hespérie » pour traduire Abend-Land au lieu d’Occident… Dans un encart, « Quand l’Occident a oublié la Grèce », de son célèbre article « Pour en finir avec la civilisation occidentale » paru dans Éléments n° 34 d’avril – mai 1980, Guillaume Faye écrivait que « l’Hespérie, c’est, comme l’indique la racine grecque, la terre du couchant. Mais il ne désigne pas l’Ouest, ni les régions occidentales du monde, mais bien plutôt un projet d’organisation du monde qui marquerait le couchant, c’est-à-dire l’accomplissement d’une vue-du-monde aurorale exprimée au VIIe siècle avant notre ère par le premier penseur européen ». 

L’hespérialisme est donc plus qu’un conservatisme reformulé ou un énième plaidoyer en faveur d’une union de droite des peuples autochtones d’Europe. Il serait néanmoins profitable que David Engels médite sur les livres de Dominique Venner ainsi que sur les riches essais du philosophe – paysan Gustave Thibon. Ainsi pourrait-il fortifier et améliorer la voie hespérialiste de l’Europe, voie plus que jamais nécessaire en ces temps incertains pour tous les Européens originaires du monde boréal. 

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  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 122, mise en ligne le 5 juillet 2024 sur Radio Méridien Zéro.

mercredi, 26 juin 2024

Bons à rien et prêts à tout: voici les modérés (qui ne sont pas les conservateurs)

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Bons à rien et prêts à tout: voici les modérés (qui ne sont pas les conservateurs)

Gennaro Malgieri

Source: https://electomagazine.it/buoni-a-nulla-e-disposti-a-tutto-ecco-i-moderati-che-non-sono-i-conservatori/

Nous sommes assiégés par les "modérés". Réels ou supposés. Mais indéfinissables dans l'absolu. Chacun se définit à sa manière et décline cette catégorie intangible comme il l'entend. C'est aussi une façon d'être "modéré": ne pas avoir de caractère établi et reconnu. Et au final, il n'est pas irréaliste de penser que les "modérés" sont les femelles de la politique: ils souhaitent être soumis à une violence agréable. "L'idée d'être sauvées par un adversaire est toujours dans leur cœur".

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Ainsi s'exprimait Abel Bonnard (1883-1960), universitaire, poète, romancier, essayiste et homme politique français qui publia en 1936 Les modérés, livre publié en Italie en 1967 par l'éditeur Volpe et ensuite oublié. Pourtant, à sa sortie, il suscita curiosité et discussion: pour la première fois, il diagnostiquait un "symptôme" (pour ne pas dire un "mal") du siècle qui allait se répandre surtout dans l'après-guerre dans toute l'Europe et en particulier dans les pays les plus fragiles, comme l'Italie, où elle allait connaître les fastes du pouvoir incarné par des partis politiques qui, comme l'écrit Stenio Solinas dans la brillante préface de la nouvelle édition italienne des Modérés (Oaks editrice, pp.178, 14,00 €), se sont référés à la catégorie des "modérés" pour représenter "cette bourgeoisie moyenne qui espère la révolution parce qu'elle n'ose plus croire à la conservation".

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Abel Bonnard.

Telle est la donnée culturellement et anthropologiquement décisive qui caractérise le modérantisme: son aversion pour le conservatisme, auquel il a aussi été assimilé à tort par les habituels benêts qui manipulent les idées comme s'il s'agissait d'eau et de farine, sans même imaginer que pour faire fructifier des éléments essentiels et primaires, il faut les faire lever.

Et les conservateurs ont été et sont le levain des sociétés ordonnées: quand on croit pouvoir s'en passer, voici que le modérantisme se substitue à eux et devient l'avocat d'une sauvagerie politique qui n'a rien à voir avec la tendance naturelle à soutenir l'organicité communautaire et, par conséquent, une agrégation civile et cohésive. Solinas note d'ailleurs que le "conservatisme impossible" en Italie provient précisément de l'incompréhension du fait que les modérés ne s'identifient pas aux conservateurs. Pour en venir à aujourd'hui, Solinas observe que "les modérés de Berlusconi se définissent comme des réformateurs et accusent la gauche de conservatisme, et les modérés de l'Ulivo puis du PDD se définissent comme tels contre l'extrémisme de leurs adversaires... Et, en somme, les conservateurs sont toujours les autres".

Mais alors, qui sont les modérés? Abel Bonnard les voit constitués en parti, un parti imaginaire ou idéal si l'on veut, "semblable à une ampoule d'eau pure, dans laquelle le profane ne voit qu'un objet insignifiant, mais où le devin intentionné voit mille scènes du passé et de l'avenir".

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Lors des campagnes électorales, se souvient Bonnard, parmi les maisons fouettées des petites villes, les affiches des candidats modérés étaient celles qui entraient le moins en conflit avec l'environnement, la douceur du contexte : "Tous les mots ronflants y apparaissaient, mais comme des cadavres jetés sur une pierre tombale ; aucun ne conservait sa propre vertu. On y parlait d'ordre, sans jamais indiquer de principes ni de conditions ; de progrès, avec une volonté évidente de ne pas bouger ; de liberté, mais pour éviter toute discipline ; le seul mot de patrie impliquait des obligations acceptées avec sincérité et parfois même avec courage". Et au Parlement ? "Les modérés, se souvient Bonnard, apparaissaient comme un ramassis d'indécis, et leurs têtes tournaient au vent des discours, comme des girouettes au sommet des cheminées, obéissant à tous les zéphyrs. Ils semblaient toujours avides d'un malentendu qui leur permettrait de rattraper leurs adversaires. A la moindre phrase d'un ministre, qui ne les traitait pas trop dédaigneusement, ils l'applaudissaient avec enthousiasme. Si, par contre, l'un d'entre eux parlait en leur nom avec une certaine vigueur, ils se détournaient rapidement de lui, l'abandonnaient par leur silence, avant de l'abandonner à l'ennemi avec les "lignes de couloir".

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L'attitude des modérés n'a pas beaucoup changé depuis 1936. Il faut avoir siégé au parlement au cours des dernières décennies pour confirmer l'expérience de Bonnard. Le portrait semble sortir de la plume d'un chroniqueur contemporain. Sans parler de l'esquisse morale dont l'écrivain français n'imaginait même pas qu'elle aurait pu traverser les époques et s'adapter au nouveau siècle où le modérantisme, loin de ne représenter rien de politiquement pertinent, est en réalité l'absence de sentiment politique auquel certains se raccrochent pour justifier leur présence dans la vie.

Bons à rien mais prêts à tout, les modérés que l'on voit pulluler dans les palais du pouvoir ont toujours l'air d'être sur le point de dire quelque chose de fondamental, d'incontournable, d'inévitablement intelligent. Ils sont devenus, sans le vouloir probablement, la colonne vertébrale du système politique qui, dans ses différentes composantes, est désormais modéré par habitude.

Regardez-les bien, ce sont des extrémistes prêts à tout et qui n'ont rien à voir avec la modération: "elle, dit Bonnard, est aux antipodes de ce qu'ils sont... la vraie modération est l'attribut du pouvoir : il faut y reconnaître la plus haute vertu de la politique". Elle marque le moment solennel où la force devient capable de scrupules et se tempère selon la conception de l'ensemble dans lequel elle intervient". On peut dire que ces mots sont sortis de la bouche d'Edmund Burke dans l'un de ses célèbres discours au Parlement de Dublin. Ce sont celles d'un universitaire modéré qui ne pensait pas offrir, il y a quatre-vingts ans, avec son traité politico-moral, des conseils pour reconnaître un type humain qui, hélas, sévit dans la vie publique, inondant malheureusement jusqu'à nos vies privées.

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Pour tempérer ce malheur, il ne serait peut-être pas inutile de relire - puisque tout le monde est essentiellement "modéré" - l'essai en or de Simone Weil, Contro i partiti (Piano B edizioni, pp.125, €12.00), qui vient d'être réédité, dans lequel la grande essayiste française qui eut une vie brève (1909-1943) et à la pensée longue et intense, analyse impitoyablement l'inadéquation des partis et leur tendance intrinsèque au conformisme pour conclure que "le parti ne pense pas", mais crée des consensus et des passions collectives. Rédigé quelques mois avant sa mort, Weil aurait ajouté, si elle avait eu le temps de voir comment ils se réorganisaient après la guerre, que les partis sont aussi des vecteurs de corruption ; pas toujours et pas tous, bien sûr. Leur tendance à s'immiscer dans l'administration publique, cependant, n'oublions pas qu'elle a été prévue et dénoncée par Marco Minghetti dans la seconde moitié du XIXe siècle, alors que le processus du Risorgimento était en train de s'achever politiquement.

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Weil affirme que le problème politique le plus urgent auquel sont confrontés les partis est double: comment offrir au peuple la possibilité d'exprimer une opinion sur les grandes questions collectives d'une part, et d'autre part, comment éviter que ce même peuple, une fois interrogé, ne soit imprégné et donc conditionné par une quelconque passion collective. Une réflexion très actuelle. Il suffit de lire les considérations sur le besoin de démocratie directe soulevé en France par l'écrivain Michel Houllebecq. L'élimination de la médiation des partis pourrait-elle favoriser le besoin exprimé par Simone Weil (et plus tôt encore en Italie par Giuseppe Rensi, pour ne citer qu'un intellectuel qui a posé très tôt le problème de la démocratie, en notant toutes les apories liées à la production du consensus) ? La réponse n'est pas simple. Mais que les partis traversent (comme le supposait l'écrivain français) une phase de crise profonde est incontestable.

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Certes, un parti est une machine à fabriquer de la passion collective ; c'est une organisation construite de manière à exercer une pression sur la pensée de chacun ; son but exclusif est sa propre croissance, "sans aucune limite". Et alors ?

Weil n'indique pas d'issue. Mais elle offre une plate-forme sur laquelle articuler une nouvelle pensée politique qui dépasse la médiation des partis. Méfions-nous de ceux qui rejettent tout avec l'anathème du "populisme". Cette lecture autorise également les pages de Weil. Elle conclut, non sans raison, que presque partout "l'opération de prise de parti, de prise de position pour ou contre, a remplacé l'obligation de penser. Cette lèpre a pris racine dans les milieux politiques et s'est étendue à la quasi-totalité du pays".

Comment en finir avec cette lèpre ? Qui sait, peut-être en battant en brèche le tabou du "modérantisme" qui, comme une subtile tentation totalitaire, voudrait que tous les partis s'alignent sur la pensée unique. A bien y regarder, Abel Bonnard et Simone Weil n'étaient pas si éloignés que leurs histoires le laissent entendre.

lundi, 24 juin 2024

"Rien de nouveau à droite" : l'essai de Marco Iacona

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"Rien de nouveau à droite" : l'essai de Marco Iacona

Un ouvrage à lire comme une réflexion sans fard sur le monde non-conformiste entre culture et pouvoir

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/114721-a-destra-niente-di-nuovo-il-saggio-pungolo-di-iacona/

Iacona-333x500.jpgUn nouveau volume de l'essayiste Marco Iacona est dans les librairies, pour les éditions Youcanprint. Il s'agit du texte A destra niente di nuovo, quasi un diario di bordo (= "A droite rien de nouveau, quasi un journal de bord"; sur commande : info@youcanprint.it, pp. 133, euro 14.00). Il s'agit d'un pamphlet innervé d'une vision polémique stimulante et d'une verve ironique captivante. Les cibles auxquelles Iacona réserve son mépris sont le monde de la droite italienne, en particulier la droite culturelle, et surtout le sentiment commun et le modus vivendi propres à notre époque. Fabio Granata, auteur de la préface, note que le rapport de Iacona avec la droite est : "un rapport de haine/amour, comme celui d'un amant trahi et déçu" (p. 3). L'objectif de l'auteur est résumé dans la même préface : "nous devrions retrouver la capacité d'imaginer un monde "nouveau" [...] la capacité de saisir la grandeur et la fécondité du "sens" tragique de la vie"" (p. 5). Jugement que je partage pleinement.

L'incipit du livre photographie la situation de la droite dans la conjoncture historique actuelle, en notant la contradiction flagrante entre ses références idéales et sa praxis politique: "Une droite tolkienienne qui voudrait anéantir l'anneau du pouvoir, anti-occidentale, anti-américaine [...] qui fait sourire le démocrate Joe Biden" (p. 9). Une droite qui se déplace politiquement en se pliant exclusivement à ses propres raisons d'exister, ou plutôt de rester dans la salle de contrôle. Ce même parti politique, à partir de 1994, a renoncé à lui-même, à son histoire et à ses valeurs de référence. Même parmi ceux qui ont critiqué ce choix à l'époque, il y a des gens qui semblent avoir pleinement adhéré à l'aplatissement libéral-conservateur de la droite melonienne, au nom d'un "réalisme" politique qui, à long terme, s'avérera improductif. Inattentive (pour être généreuse !) au monde de la production intellectuelle, la droite a proposé, de l'après-guerre à aujourd'hui, une culture centrée sur la lecture scolaire des mêmes auteurs, incapable de saisir les transformations radicales de la société hyperindustrielle (définition du philosophe Stiegler). Pourtant, nombre de ses auteurs de référence pourraient jouer un rôle essentiel dans le débat intellectuel, étant devenus porteurs, à l'heure de la sécularisation, d'un possible retour du sacré. Malheureusement : "On commence par un divin, on finit par un divan" (p. 10).  Pour ces raisons, Iacona croit devoir chercher ailleurs.

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Il se tourne vers les maîtres du désenchantement et de la sprezzatura, il regarde Sgalambro, Svevo, Joyce et Campo, animé par une scepsis proactive, dans la conviction exprimée par Campo lui-même que : "La beauté, avant tout intérieure avant d'être visible, la grande âme qui en est la racine et l'humour heureux" (p. 12), peut induire le Nouveau Commencement. Il retrouve, en traversant synthétiquement leur pensée, l'élitisme de Pareto et Mosca, dans la conviction sgalambrienne que le Mundo pessimo (le pire des mondes), a toujours derrière lui la dimension polémologique, consubstantielle à la vie. D'ailleurs, rappelle l'auteur, Evola lui-même appréciait Le mythe vertuiste et la littérature immorale de Pareto, ce qui a permis au traditionaliste d'évoquer dans Chevaucher le tigre l'une des raisons de la "dissolution" du monde contemporain : le pansexualisme. Dans la société contemporaine, c'est le "type féminin" qui domine. Zolla l'a compris dans son roman Cecilia ou l'inattention. Dans ces pages, il préfigurait l'horizontalité de l'époque contemporaine, la réduction du monde à l'Un. Même les vacances sont "organisées" par l'Appareil. Un monde de paupérisme spirituel dont l'"antifasciste" Pavese était conscient dans sa nostalgie "païenne-padanienne" de la vie communautaire des paysans des Langhe, qu'il opposait, dans ses œuvres, à l'in-solitude (à la solitude de l'être-ensemble épidermique des citadins). Iacona, dans un excursus sur l'évolisme, définit le penseur comme un "philosophe-non-philosophe" (Evola était philosophe, et comment, peut-être malgré lui et les "évolomanes"), et le considère comme un tabou : "pour avoir parié sur la politique [...] pour avoir "mal" fait les calculs avec la philosophie pratique" (p. 25).

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Il juge négativement les expositions consacrées à ses tableaux, dont celle, récente, du Mart, due à Vittorio Sgarbi, qu'Evola aurait jugé comme un "Marinetti bruyant" (p. 31). Il reconnaît le trait phénoménologique à travers lequel Evola, dans Chevaucher le tigre, a reproposé la "Nouvelle Objectivité" qui ne pouvait pas conduire dans la modernité, exclusivement humaine, à une solution politique, mais plutôt individuelle et philosophique. Il s'ensuit qu'à droite : "Plus ou moins bien agrégés, les conservateurs s'agitent, les antimodernes vivent isolés, maîtres d'eux-mêmes" (p. 33).

Discutant de l'idée d'Empire chez Dante (et chez Evola), Iacona s'entretient avec Cardini, Volpi, Alliata di Villafranca, Principe. Il en arrive à cette conclusion : "Dante figure ... l'Italien parmi les non-Italiens, ou le non-Italien parmi les Italiens" (p. 59), un Italien inutile, comme Prezzolini. En fin de compte, Dante vise, comme Gentile, à refonder un esprit national digne de ce nom : "Une Italie, un peuple et une tradition qui peuvent être gardés (conservés) dans chaque individu et finalement un véritable État unique" (p. 61). Dans la figure du physicien Ettore Majorana, mystérieusement disparu, on saisit une propension proprement sicilienne qui vise : "la fuite de l'individu moderne de l'esprit de la modernité" (p. 67), vers l'ailleurs. Cette errance dans la culture nationale se poursuit dans le Trieste de Saba, pour arriver à Asti, dans la lutte de Vittorio Alfieri contre les distorsions de son époque et le cadre purement esthétique dans lequel vivait alors notre littérature. La liberté à laquelle aspirait le natif d'Asti est aujourd'hui offensée par la gouvernance expropriatrice de la souveraineté populaire. Le souverain n'est pas le peuple car, comme l'a écrit le philosophe Andrea Emo, la démocratie libérale est épidémique, elle se "superpose" au peuple.

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Svevo, dans l'apocalypse qui clôt la Conscience de Zéno, et le sceptique Montale l'avaient compris. La pensée critique est aujourd'hui réduite au silence par le système éducatif qui vise à former des producteurs et des consommateurs, en tout cas au service du Gestell. Les fantômes de l'antifascisme et de l'anticommunisme ambiants, évoqués sur le mode ectoplasmique, servent les besoins du pouvoir : "Mais la pensée est née comme pensée du possible" (p. 117), visant à retrouver la coïncidence supervisée du "vrai et du fait". Le possible induit l'Action, tout comme, note l'auteur, la concentration en soi, voire l'acte de prière, qui nous éloigne de la fausse communication sociale omniprésente.

Un livre, celui de Iacona, dont on peut ne pas partager les jugements ou les tonalités polémiques parfois exaspérantes, mais qui, néanmoins, renvoie aux chemins interrompus de la pensée. Même à droite. Ce n'est pas rien...   

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mercredi, 12 juin 2024

"Cœur de chien" de Mikhaïl Boulgakov

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Cœur de chien de Mikhaïl Boulgakov

Alexei Levkin

Source: https://counter-currents.com/2024/06/mikhail-bulgakovs-heart-of-a-dog/

9782253933144-001-T.jpegCœur de chien est une œuvre immortelle du célèbre écrivain russe Mikhaïl Boulgakov. Inscrit au programme scolaire obligatoire de la Fédération de Russie, ce petit livre peut sembler, à première vue, n'être qu'une comédie amusante de style théâtral, basée sur le désir des généticiens de la première moitié du 20ème siècle d'élever de « nouvelles espèces biologiques ». Mais au fond, ce livre extrêmement laconique est une satire cruelle de la réalité soviétique et traite du ressentiment de l'homme inférieur, animal, qui n'est pas seulement le sujet, mais aussi l'incarnation même de l'idée gauchiste.

L'histoire est celle d'une confrontation entre deux types de personnes: les Russes dignes de ce nom de la « vieille Russie » ; sinon les aristocrates, du moins les représentants de la haute société, qui sont séparés par un fossé colossal du soi-disant « prolétariat » - la foule qui festoie sur le cadavre de la Russie dans l'appartement d'un certain « bourgeois » F. P. Chabline (qui a déjà été abattu) dans la maison Kalabukhovsky sur la Prechistenka. Le porte-parole et principal idéologue de l'œuvre est une caricature qui porte le nom de Chvonder. Entre eux, semble-t-il, surgit une chose absolument merveilleuse, due au génie scientifique du professeur Preobrajensky: un chien transformé en homme.

L'animal, une fois sous forme humaine, se définit comme étant du côté de Chvonder et de ses camarades quelques semaines seulement après sa réincarnation miraculeuse, mémorisant même (et commentant même la correspondance d'Engels avec Kautsky) Marx, Engels et Lénine. Ainsi, devant le peuple de la Vieille Russie, qui tient la dernière ligne de défense contre ces experts qui tentent de tout « enlever et diviser », apparaît un personnage tout à fait exact: une créature absolument déconnectée du sens commun, mais qui, en fin de compte, est parfaitement adaptée à la nouvelle réalité soviétique. On lui trouve une place pour débarrasser la ville des chats et, apothéose de tout, à la fin du film, cette créature reçoit même une salve d'applaudissements lors d'une réunion internationale des membres du parti.

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Dans chaque scène, dans chaque son, l'un des nombreux fils se révèle, menant au dénouement de quelque chose de plus que l'intrigue du livre: la solution au phénomène du bolchevisme et, en général, à ce que l'on peut interpréter comme le « mob rule » dans sa forme la plus pure. Le génie littéraire de Boulgakov remplit les dialogues de codes culturels et en fait des unités sémantiques à part entière : un « orateur du peuple » annonce à la foule rassemblée chez Preobrajensky que la découverte du professeur est la propriété du communisme ; une créature chassant les chats et avalant de la poudre dentifrice donne des conseils à « l'échelle cosmique » sur la manière de tout diviser ; une femme en costume d'homme exprime son aversion pour le prolétariat (il s'agit en fait d'un « crime de pensée » orwellien) et déclare que le professeur doit être arrêté.

La métaphore des puces est également révélatrice ici : de la même manière qu'elles collent à Charikov, ce dernier commence à devenir un parasite sur le corps du professeur Preobrajensky, qui est également privé de la possibilité de se débarrasser simplement du parasite en le jetant à la rue. En même temps, la « socialisation » réussie de Charikov dans la société soviétique va de pair avec son humanisation complète, ce qui pourrait finalement conduire les héros de l'histoire à une fin décevante.

Peut-être Boulgakov voulait-il montrer comment Charikov, ayant achevé le processus d'évolution, s'établirait finalement dans ce monde : une sorte de triomphe d'un chien coiffé d'une casquette et armé d'un revolver chargé. Mais un tel rebondissement priverait définitivement Cœur de chien de ce sous-texte, en raison de la fin heureuse. Un simple spectateur n'y voit qu'une comédie et perçoit Charikov comme une créature tout à fait fantastique.

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D'autre part, lorsque les chirurgiens ramènent Charikov à son état animal, cela ne reflète-t-il pas le fait que Boulgakov lui-même nourrissait l'espoir qu'un jour les sujets du bolchevisme retomberaient dans l'égout d'où ils étaient sortis ? C'est d'ailleurs ce qu'affirme le professeur Preobrajensky, qui radicalise son rejet du bolchevisme au cours du film en déclarant : « Je jure que je finirai par abattre ce Chvonder ! ».

Il convient de noter que le chien symbolise le service. Il établit une analogie entre trois types de personnes et trois animaux: les moutons, les loups et les chiens. Ces derniers se révèlent avoir une mission de garde pour protéger les premiers des seconds. La même symbolique, avec l'identification du chien comme gardien, sera plus tard transférée aux ordres chevaleresques et à leur héraldique. Le chien est donc ici un zélateur de l'idéologie et sa symbolique est très claire: un zélateur du socialisme est un bâtard, et à en juger par ses pensées, il est également très mauvais (comparez-le par exemple au noble chien du « Croc blanc » de Jack London). Bien que dans le film le réalisateur ait dû utiliser un chien dressé - très joli d'ailleurs - pendant le tournage, on peut supposer que dans le projet de l'auteur, sa race était aussi ignoble que celle de cet ivrogne qui a été envoyé avec lui sur la table d'opération.

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Le livre a fait l'objet de deux adaptations cinématographiques, l'une italienne et l'autre soviétique. Si la première n'a rien d'exceptionnel - hormis le rôle du professeur Preobrajensky, interprété par le magnifique acteur suédois Max von Sydow -, l'autre, qui suit fidèlement le livre, s'est révélée être une excellente adaptation. Le seul épisode qui manque au livre de Boulgakov - lorsque, à la fin de la première partie, Charikov interprète dans l'amphithéâtre de l'université « Eh, Apple », qui est déjà devenu la carte de visite de ses semblables - ne gâche en rien l'authenticité du scénario. Cœur de chien est donc certainement le meilleur film soviétique, étant donné qu'il n'est pas du tout soviétique dans l'esprit et qu'il est entièrement basé sur le scénario d'un écrivain aristocrate russe. De ce fait, il ne s'agit pas d'un film indépendant, ce qui, dans ce cas, n'est qu'un avantage.

En revanche, le réalisateur de la version italienne a modifié le message principal de Boulgakov et a essayé de flirter avec l'humanité de Charikov (en changeant même son nom en Bobikov). Ici, le troisième personnage principal n'est pas le docteur Bromenthal, mais la servante Zinaida, interprétée par une actrice au physique expressif et magnifique, qui éprouve de la sympathie pour Charikov, et peut-être même de l'amour.

On assiste donc ici à une certaine analogie avec La Belle et la Bête, ce qui, dans le contexte de Heart of a Dog (Coeur de chien), semble tout simplement ridicule. Tout le reste est également ridicule : de belles prises de vue de la campagne italienne au lieu de la sombre Russie, une foule d'acteurs aux visages typiquement italiens, un travail de caméra trop rapide et des dialogues qui tentent de transformer un film d'art et d'essai en un film d'action. Et bien que Max von Sydow dans le rôle de Preobrajensky crée un contraste nécessaire entre lui et Charikov, il s'avère qu'il a un contraste général avec tous les autres visages à l'écran. Avec un peu d'ironie noire, cela suggère que des images telles que celle du professeur, joué par von Sydow, sont tout simplement étrangères au monde soviétique.

dimanche, 02 juin 2024

Les villes "15 minutes" - Une dystopie dévoilée par José Antonio Bielsa

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Les villes "15 minutes"

Une dystopie dévoilée par José Antonio Bielsa

Carlos X. Blanco

Les idées et les projets d'ingénierie sociale sont, dans leur ensemble, dérangeants. Ils sont toujours parés d'airs, d'auréoles et de pourpres de bonnes intentions : réformer l'homme, améliorer sa vie, semer la paix et le bonheur dans le monde. Mais derrière les belles paroles, derrière les valeurs proclamées, derrière les lendemains qui chantent, se cachent toujours deux démons: la tyrannie et l'oppression.

José Antonio Bielsa a la rare vertu d'écrire avec la clarté du soleil, l'agilité d'une gazelle et la profondeur d'un vrai sage, doué de clairvoyance. Le lecteur ferait bien de le suivre dans chaque paragraphe et à chaque tournant, car Bielsa annonce un avenir qui, à l'instar de l'Agenda 2030 du philistinisme ambiant, ne sera ni or ni rose ; il n'y aura pas de paix ni de vie digne pour les personnes saines et justes.

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Les villes "15 minutes" sont une construction théorique de cet infâme Agenda, pas si utopique, puisque des projets municipaux qui combinent la conception urbaine et la planification de l'ingénierie sociale sont déjà en cours dans notre pays. En principe, il s'agit de villes confortables et conviviales, qui permettront d'avoir à portée de main, à moins d'un quart d'heure de marche de chez soi, tout ce dont le bétail humain peut avoir besoin: consommation, formation, travail, loisirs et culture, sport et soins administratifs, médicaux et gériatriques. Cela sonne très bien, surtout aux oreilles de ceux qui doivent vivre dans les grandes villes et qui aspirent, utopiquement, à la proximité de toutes les choses typiques des villes et des villages semi-ruraux.

Mais Bielsa met en garde: ce modèle, qui prétend « faire la révolution à vélo », qui prône « un monde durable à zéro émission », entre autres délires de la gauche systémique, verte et otaniste, ne cache rien d'autre qu'un vaste projet concentrationnaire, déjà testé dans le monde entier lors de la pandémie de COVID-19. Au lieu de laisser les peuples en paix, conformément à leurs vieilles habitudes, les puissances mondiales s'efforcent de créer des conditions d'existence pour les peuples dans lesquelles la domination sur eux est absolue et profitable. Si nous enfermons les gens dans des compartiments apparemment confortables, où le minimum de biens et de services, dont un individu peut avoir besoin pour devenir une marchandise humaine soumise, peut être contrôlé de manière expérimentale, alors nous avons déjà la soi-disant « cage résiliente » des Villes "15 minutes".

Dans quelle direction allons-nous ? Nous nous dirigeons vers une combinaison parfaite des trois plus grandes dystopies écrites au 20ème siècle. Nous nous dirigeons vers le « Meilleur des mondes » de Huxley, où la sexualité et la procréation ont été parfaitement séparées par le truchement de techniques biologiques, et où la « libération de la femme » montre son vrai et dur visage : la création marchande d'objets humains dans des fermes, comme des poulets produits en masse. Nous nous dirigeons également vers la dystopie orwellienne de « 1984 », dans laquelle la cybersurveillance ne se limite pas à nos interactions avec les écrans et les claviers, mais s'étend à nos propres paramètres somatiques et à nos dynamiques émotionnelles et cognitives. Nous sommes conditionnés comme les chiens de Pavlov, mais à tous les niveaux. Autour de moi, je ne peux m'empêcher de voir toutes sortes de citoyens, en principe honnêtes et bienveillants, enseignants et artistes compris, saliver chaque fois que Pedro Sánchez ou Santiago Alba Rico apparaît à l'écran en disant : « la guerre, c'est la paix », ou « la paix, c'est la guerre ». La bave du conditionnement réactif, qui dégouline des coins de l'honnête petit Espagnol du 21ème siècle, acceptant les méfaits des ukronazis ou, simultanément, applaudissant les massacres sionazis d'Israël, me touche profondément.

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Il reste une troisième dystopie qui s'ajoute aux deux précédentes et à la nouvelle, celle des Villes 15 minutes : « Fahrenheit 451 », ce monde horrible imaginé par Ray Bradbury et qui est, à proprement parler, le nôtre. Depuis des décennies, j'entends des enseignants, très souvent des enseignants de ce qu'ils appellent la « Technologie », dire que les cartables sont trop lourds et que l'ère des livres scolaires est révolue. Quand j'entends cela, et qu'ils me parlent aussi d'incorporer des tablettes numériques et des « classes virtuelles » dans l'enseignement des garçons, je ne peux m'empêcher de penser aux horribles orcs de J.R.R. Tolkien, dont le capitaine, après avoir passé au fil de l'épée une belle et noble guerrière gondorienne, s'exclame, entre deux baves fétides : « l'âge de l'homme est révolu ; le temps de l'orc est venu ».  Bradbury prévoyait l'arrivée d'un nouveau type d'orc, l'ennemi de l'homme, et cet orc est le technologue impatient de mettre le feu aux livres, impatient de brancher le mannequin numérique sur le plus jeune des bébés, de l'abrutir, de le rendre brutal, dépendant et servile.

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La ville du quart d'heure peut être l'univers concentrationnaire parfait dans lequel assassiner moralement et ontologiquement la personne, la créature libre et spirituelle, fille de Dieu, en la transformant en un simple corps marchandisé et transparent, en verre fragile dans un monde panoptique et ultra-numérique, sans livres mais avec des vélos et des shorts, où tout le monde se prostitue pour continuer à jouir d'une connexion internet gratuite, en recevant un revenu de base universel. Les nouvelles écuries humaines de l'Agenda 2030, basées sur l'érotisation de tout, sont des bulles d'habitation qui bannissent et tuent l'amour, arrachent la beauté par les racines et produisent de tristes êtres stériles, des eunuques sans cerveau, caparaçonnés et impuissants, qui ne désirent plus et dont l'énergie libidinale dépend d'une constante assistance extérieure, comme leur téléphone portable qui se connecte au Wifi.

C'est un bon livre, le livre de Bielsa. C'est un vrai et bon vaccin.

https://adaraga.com/las-ciudades-de-15-minutos-una-distopia-desvelada-por-jose-antonio-bielsa-arbiol/

https://www.letrasinquietas.com/ciudades-de-15-minutos-ob...