Parution du n°447 du Bulletin célinien
Sommaire :
Entretien avec Jean Guenot
Céline dans France-Soir (1946-47)
Entretien avec Oskar Hedemann
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En français, l'article en hommage à Guillaume Faye paru le 16 avril 2022 dans le quotidien italien Il Giornale !
Ancestrale et révolutionnaire. La nouvelle Europe selon Guillaume Faye
Plus cité que lu, loin de la gauche et de la droite, l'auteur français Guillaume Faye a proposé des scénarios audacieux
Luigi Iannone
Source: https://www.ilgiornale.it/news/spettacoli/ancestrale-e-rivoluzionaria-nuova-europa-secondo-faye-2026856.html
Guillaume Faye (1949-2019), intellectuel excentrique, à la production magmatique et presque indéfinissable, est autant cité que peu lu, notamment en raison de la rareté des traductions italiennes. À l'exception du Système à tuer les peuples et Archéofuturisme, il y a très peu de choses à trouver. Adriano Scianca tente de combler cette lacune en rassemblant les essais, articles et interviews les plus significatifs de ces quarante dernières années dans Dei e potenza (Altaforte Edizioni, p. 290, euro 17).
Deux livres de Faye traduits en italien et parus dans la collection "Sinergie" des Editions Barbarossa de Milan.
Bien que ses intérêts tournent autour de thèmes et de références issus du monde identitaire (critique de la société de consommation et de l'occidentalisme, nationalisme continental, révolution conservatrice, Nietzsche, mythe indo-européen, paganisme, question de la technologie), le premier tournant de Faye est sa rupture avec la nouvelle droite. Des divertissements ininterrompus l'ont même conduit à entrer dans le monde du show-business, en tant qu'animateur d'une émission de radio humoristique et, de son propre aveu, en tant qu'acteur dans un film porno. Une fois cette phase également passée, il a repris avec vigueur son activité de conférencier et d'écrivain jusqu'aux derniers mois de sa vie, marqués par un cancer.
Le Système à tuer les peuples, un livre publié en 1981, représente le mieux la partie destructive de sa pensée. Il cloue au pilori la société globale, ses représentations massives et unificatrices et l'idéologie égalitaire occidentale structurée comme un véritable système, bien que le récit général tente de nous dire autre chose : "L'opinion publique est l'alibi. Le Système l'utilise pour démontrer à quel point il est démocratique, comment il est basé sur le consensus et l'assentiment général". Sous couvert d'un cosmopolitisme tolérant, nous assisterions en fait à la destruction de toute spécificité et à l'affirmation d'une idéologie mondiale "qui arpente les couloirs des institutions internationales et s'exprime dans les programmes de tous les partis politiques importants de la planète".
Avec L'archéofuturisme, Faye fait un pas en avant et tente de trouver une issue. L'idée est de combiner les valeurs médiévales (archaïques), des concepts tels que la hiérarchie et la virilité, avec le progrès scientifique; les archétypes avec le prométhéisme technologique. Une telle démarche serait possible pour deux raisons que l'on peut déduire des pages mêmes de Dei e Potenza: la reconquête de l'Europe par un conflit aux proportions énormes qui devra impliquer tout le continent, et la renaissance de la figure du révolutionnaire.
Selon Faye, la modernité touche à sa fin et avec elle ses fétiches libéraux et humanitaires. Notre époque ne s'achèverait pas avec la civilisation libérale dirigée par un État universel, le village planétaire prophétisé par MacLuhan, mais ouvrirait plutôt une phase où les peuples et les identités ethniques seraient en compétition: "Les peuples vainqueurs seront ceux qui resteront fidèles ou reviendront aux valeurs et aux réalités ancestrales - qui sont culturelles, éthiques, sociales et spirituelles - et qui, en même temps, domineront la technoscience. Le XXIe siècle sera le siècle où la civilisation européenne, à la fois prométhéenne et tragique, se métamorphosera ou se dirigera vers un déclin irrémédiable. Ce serait alors le moment de reprendre les anciennes valeurs, sans toutefois chercher à les réintroduire à la lettre, car elles ont été modifiées au cours des siècles, et cela pourrait se faire sous le double signe de Mars, le dieu de la guerre, et d'Héphaïstos, le dieu qui forge les épées, le seigneur de la technologie des feux chtoniens.
Et voici l'autre point. Pour Faye, l'idée de révolution, abandonnée par les intellectuels progressistes qui sont désormais réduits à des gardiens du pouvoir, ne serait même pas celle avancée par les intellectuels de droite dont les actions semblent toujours se terminer par des poses esthétiques. La figure du rebelle, plus ou moins sur le modèle de Dominique Venner, qui s'est suicidé dans la cathédrale Notre-Dame en 2013, leur semble inutile. Ce rebelle-là aspire à être une minorité, perdue dans le rêve littéraire, comblée par l'auto-exil et jamais prête à se battre. Des intellectuels comme Cioran, Debord ou Baudrillard (qu'il définit comme des "rebelles pessimistes"), ou comme Céline, Jean Mabire et Venner ("rebelles joyeux") reculeraient devant l'idée malsaine qu'ils n'ont qu'à semer.
Faye les assimile à des simulateurs de dissidence, fonctionnels à un néo-totalitarisme qui a besoin de ces faux concurrents et les nourrit presque. C'est pourquoi il espère l'entrée en scène du révolutionnaire qui - contrairement au rebelle - considère les idées comme des moyens et non comme des fins, qui n'ont donc de véracité que si elles sont subordonnées à leur efficacité. Et sur le terrain, il n'identifie que deux projets révolutionnaires, tous deux archéo-futuristes mais incompatibles: celui des musulmans (le "partisan" sans frontières, pour citer Schmitt) qui vise la conquête planétaire et avec le même rôle que le révolutionnaire marxiste du 20ème siècle, et celui qui œuvre pour la reconquête européenne.
En fin de compte, même dans un cadre analytique riche en stimuli et en provocations, certains nœuds non résolus demeurent. Tout d'abord, on ne voit pas comment il est possible de concilier, dans l'ordinaire le plus banal de nos vies, des instances archétypales, des valeurs qui ont été dépassées et le prométhéisme de la civilisation technique. Deuxièmement, pourquoi une société globale et massifiée qui s'est abandonnée à la conformité devrait-elle soudainement se retourner ? Et enfin : d'où doit venir cette nouvelle figure de révolutionnaire ?
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Le carrefour de l'histoire au cœur de l'Asie
Un carrefour de peuples et d'histoires, l'Ouzbékistan au centre de l'Eurasie. Et avant l'épopée de Samarcande, c'était grâce aux exploits d'Alexandre le Grand
Andrea Muratore
Source: https://www.ilgiornale.it/news/cultura/alessandro-magno-oggi-luzbekistan-crocevia-storia-2023581.html
D'Alexandre le Grand à aujourd'hui, l'Ouzbékistan au carrefour de l'histoire
Au cœur de l'Eurasie se trouve une nation qui a été un carrefour de peuples, d'armées, de cultures, de religions et d'identités tout au long de son histoire : l'Ouzbékistan. L'Ouzbékistan est un pays qui vit encore comme un kaléidoscope d'identités après la mort du "père du pays" Islam Karimov, à la frontière entre l'ancien espace soviétique, l'Afghanistan, la Chine et le cœur de l'Asie centrale, et qui a eu une histoire tout aussi riche dans son passé.
L'Ouzbékistan est en fait le pays de Samarcande, le "rêve turquoise", le carrefour des caravanes des anciennes Routes de la soie, des routes commerciales sur lesquelles circulaient les hommes, les marchandises et les idées. Mais c'est aussi un pays qui a eu un très noble père dans son histoire: Alexandre le Grand. C'est le Macédonien qui a été le premier à labourer les étendues sablonneuses, les plateaux et les terres aujourd'hui gouvernées par l'ancienne république soviétique, pour faire de l'Ouzbékistan d'aujourd'hui le pôle d'attraction des hommes, des peuples et des identités qui en feront un élément constitutif de la civilisation humaine.
Vittorio Russo le rappelle bien dans son livre intitulé L'Uzbekistan di Alessandro Magno (L'Uzbekistan d'Alexandre le Grand), un essai publié par Sandro Teti dans lequel, entre histoire et mythe, présent et antiquité, se dessine une véritable radiographie de ces terres. Vittorio Russo, capitaine et navigateur au long cours depuis des décennies, a également travaillé de manière intensive en tant que journaliste et essayiste. Dans son essai sur l'Ouzbékistan, il entreprend un voyage à travers la géographie historique d'un pays où passé et présent se confrontent. Notamment parce que ce sont les Grecs menés par le Macédonien au 4e siècle avant J.-C. qui ont donné leur nom à de nombreux points de repère de l'Ouzbékistan.
Les régions de Khwarizim, note Russo, "les Grecs et les Macédoniens d'Alexandre les appelaient Corasmia. Ces terres se trouvent sur les bords méridionaux de la mer d'Aral, le long du cours du fleuve-mer Amu Darya, appelé ainsi depuis les temps anciens parce qu'il était autrefois aussi illimité qu'une mer. C'est aussi la terre où les auteurs anciens ont placé le royaume des Amazones tueuses d'hommes. Le fleuve est également le même que l'ancien Oxus, dont Plutarque a écrit au premier siècle de notre ère qu'il avait "des eaux douces qui oignent la peau". La guerre d'Alexandre contre les Perses, l'Anabasis d'Alexandre racontée par Arrien, s'est déroulée sur l'Oxus, et le projet de "fusionner les peuples et les civilisations dans un destin commun, de mélanger les vies, les coutumes, les mariages et les habitudes" a été réalisé sur ses rives. Une idée unificatrice qui a favorisé un syncrétisme des civilisations, comme en témoignent le lien profond entre les cultures grecque, bouddhiste et sogdienne de l'ère post-macédonienne et le profond attrait qu'exercera, dès l'époque macédonienne, la terre de l'actuel Ouzbékistan. Selon Russo, "l'objectif d'Alexandre" était bien plus pragmatique au départ, "gouverner les peuples soumis à l'aide des structures administratives qu'il avait trouvées", tandis que "cet unitarisme harmonieux" des cultures auquel la vision classique fait référence était essentiellement un dérivé.
En fait, dans un voyage qui se déroule entre les villes contemporaines, de Tachkent à Boysun, le souvenir de la catastrophe de la mer d'Aral à l'époque soviétique et les pensées du passé, l'Alexandre le Grand qui émerge du livre de Russo est très loin de l'image oléographique véhiculée par les nombreux ouvrages, souvent pseudo-historiques, écrits à son sujet : le héros invincible immortalisé dans les marbres de Lysippe cède la place à l'ivrogne meurtrier, au fanfaron, à l'exterminateur de peuples superstitieux et cynique, mais c'est précisément dans l'actuel Ouzbékistan qu'il a vu la difficile réduction de ses diverses natures à une seule entité. Le guerrier féroce, qui a détruit l'Empire perse ; le souverain attentif au respect de l'ennemi, qui a vaincu et tué l'usurpateur Bessus, qui avait fait assassiner le Roi des Rois, et ennemi des Macédoniens, Darius III, le dernier souverain de la Perse ; le chef qui s'est imaginé comme un nouvel Ulysse, se déplaçant à travers des terres labourées plus tard par d'autres conquérants, des mers et des montagnes.
Et ce n'est que grâce à la centralité dans l'histoire donnée à la terre, étudiée par Russo, par le passage d'Alexandre, cause de l'essor ultérieur de Samarcande, que l'Ouzbékistan d'aujourd'hui a pu être un centre d'attraction humain et culturel pour le futur: le centre de la philosophie de la civilisation islamique médiévale avec la pensée d'Avicenne ; la capitale des sciences grâce à la promotion du souverain Ulugh Beg ; et surtout, le pôle politique de rayonnement d'un pouvoir qui aimait se penser universel avec l'épopée de Timur, "Tamerlan" pour nous, qui depuis Samarcande a voulu construire un empire qui entre les XIVe et XVe siècles entendait se donner des connotations universelles. Faisant référence dans la lettre à l'empire mongol de Gengis Khan mais, en fait, regardant surtout le Macédonien et son objectif de construire l'unité dans la complexité. Faire revivre et transformer par l'art, l'architecture, la culture et la force politique les terres de l'actuel Ouzbékistan en un véritable "empire" de Samarkand. C'est toujours l'un des points de repère pour comprendre la civilisation antique et le carrefour des routes des peuples d'Europe et d'Asie. L'Ouzbékistan, qui a été le théâtre des raids macédoniens, est un carrefour décisif.
Un autre ouvrage de Vittorio Russo:
18:12 Publié dans Eurasisme, Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ouzbékistan, asie, affaires asiatiques, histoire, livre, vittorio russo, samarcande | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le diagnostic du déclin occidental (vu par Spengler)
Il y a cent ans, Spengler publiait son essai monumental "Le déclin de l'Occident". Maintenant, la maison d'édition Aragno publie le deuxième volume de l'ouvrage en traduction italienne. L'occasion de reparler des concepts mis en avant par le philosophe allemand de l'histoire.
par Gennaro Malgieri
Source: https://www.barbadillo.it/103985-la-diagnosi-del-declino-occidentale-vista-da-spengler/
Une admirable description de la décadence des formes organiques, voilà ce qu'offre la fresque d'Oswald Spengler à ses lecteurs dans les pages du deuxième volume du Déclin de l'Occident, publié en 1922, il y a cent ans. Aujourd'hui, ils réapparaissent dans toute leur dramaturgie préconçue. Les "perspectives de l'histoire universelle" dans lesquelles l'auteur s'attarde, avec des références très cultivées, cachées dans les plis du temps des civilisations, sont celles parmi lesquelles, depuis quelques millénaires, nous, héritiers du faustianisme en liquidation, errons, perdus, contemplant parfois avec complaisance notre état de paria. La plante qui a poussé, grandi et s'est développée est en train de mourir. Le morphologue a l'obligation morale de nous sauver de nos illusions. Les civilisations sont des plantes. L'homme est une plante. Son début est sa fin. Avec lui, la Kultur se termine puis renaît, mais la perspective ne nous empêche pas de vivre avec la Zivilisation notre destin extrême.
Les civilisations, comme toutes les formes de vie, appartiennent au "monde organique" et répondent donc à un principe biologique. C'est pourquoi elles sont dotées d'une âme qui les caractérise. Avoir une histoire, cultiver un destin, c'est adhérer aux dictats de l'âme. Dans la période ascendante d'une civilisation (Kultur), les valeurs spirituelles et morales prédominent, donnant un sens à l'existence des êtres qui vivent selon les préceptes de la loi naturelle; l'existence communautaire est organisée en ordres, castes et hiérarchies ; un profond sentiment religieux domine dans le cœur des peuples, imprégnant l'art, la politique, l'économie et la littérature. Lorsque la civilisation vieillit et que son âme se flétrit, elle passe au stade de la "civilisation" (Zivilisation); le principe de la qualité est remplacé par celui de la quantité ; l'artisanat est remplacé par la technologie ; l'envahissement de la massification des goûts et des coutumes écrase les différences ; la ville, évoquant la vie de la campagne et organisée à l'échelle humaine, est remplacée par la mégalopole comme forme extrême de l'indifférentisme, une termitière sans dimension humaine ; les sociétés sont nivelées, l'hédonisme et l'argent sont les seules valeurs reconnues. Ce n'est que lorsque, avec l'avènement de la civilisation", écrit Spengler, "commence la marée basse de tout le monde des formes, que les structures des simples conditions de vie apparaissent nues et dominantes : Les temps viennent où le dicton vulgaire selon lequel "la faim et le sexe" sont les vrais moments de l'existence, cesse d'être ressenti comme une impudeur, les temps où ce n'est pas devenir fort en vue d'une tâche, mais le bonheur du plus grand nombre, le bien-être et le confort, panem et circenses, qui constituent le sens de la vie et où la grande politique cède la place à la politique économique comprise comme une fin en soi".
Des mots qui semblent avoir été écrits en ces temps troublés : ils ont été pensés il y a plus d'un siècle, lorsque Spengler a voulu créer, vers les années 1910, un grand roman historique et s'est retrouvé, transporté par le sentiment de décadence, à décrire ce qui allait inévitablement se produire. L'heure du coucher du soleil est notre heure. Celui qui nous a mis devant ce destin sévère, aussi livide que les couchers de soleil d'hiver, est notre contemporain. Ses avertissements doivent être accueillis avec le sérieux et la préoccupation qu'ils méritent. Le politiquement correct, l'organisation gluante du consensus égalitaire, la culture de l'annulation, l'homologation des coutumes, des vices et de l'absence de vertus, la construction du "dernier homme" voué au happy end et à l'existence de fellah sont autant d'éléments d'un déclin qui ne peut être endigué, tandis que la gloire effrayante du nihilisme se réjouit de nos destins rétrécis.
Le deuxième volume du Déclin - publié quatre ans après le premier, qui a secoué les consciences les plus alertes de l'époque, et réédité il y a quelques années par Nino Aragno (pp. 787, € 40,00) dans son habituel format élégant et son remarquable choix graphique - est la manière la plus solennelle, compte tenu de l'époque, de déclarer un anticonformisme absolu dépourvu de justification. Et Spengler noue l'élémentaire avec le complexe, identifiant les symptômes de la décadence dans le mode de vie de l'Occidental qui a écrit sa fin dans le mode de vie standardisé.
Voici les plus essentiels. La monumentalité des logements et des structures esthétiques, hideuses par définition puisqu'elles sont inspirées par le critère de l'utilité et non de la beauté pour réconforter nos petites âmes corrompues pour la plupart inadaptées à comprendre la grandeur, le pouvoir vulgaire de l'argent comme moteur de la vie bovine que nous menons, l'arrogance du démos inculte qui pousse la modernité jusqu'au sentiment de divertissement de masse nauséabond et terrifiant, sont les éléments qui connotent la fin de la Civilisation, les signes éloquents de la Civilisation.
Le "royaume" dans lequel tout cela se déroule est la ville. C'est le portrait tragique de Spengler qu'il a formulé avec une heureuse et dramatique clairvoyance au début des années 1920, lorsque la deuxième partie du Déclin prenait forme : "Le colosse de pierre appelé 'cosmopolis' se dresse à la fin du cycle de vie de chaque grande civilisation. L'homme de la civilisation, façonné psychiquement par la campagne, devient la proie de sa propre création, la ville ; il est obsédé par sa créature, devient son organe exécutif et finalement sa victime. Cette masse de pierre est la ville absolue. Son image, telle qu'elle se dessine en lignes d'une beauté grandiose dans le monde de lumière de l'œil humain, recueille le sublime symbolisme mortuaire de tout ce qui est définitivement "devenu". L'histoire millénaire du style a finalement transformé la pierre spiritualisée des bâtiments gothiques en la matière désanimée de ce désert démoniaque et saxicole (= qui vit sur le roc, sur les rochers)".
Spengler dit, et nous ne pouvons que le constater, que les maisons qui composent les villes n'ont rien des origines archaïques du style ionique ou baroque, elles ne rappellent pas l'ancienne demeure paysanne, ce ne sont pas des maisons dans lesquelles les dieux peuvent trouver une place, comme sur les petits autels des maisons helléniques et romaines. Ce sont des maisons désacralisées. Les villes sont des agrégations anonymes dans lesquelles on célèbre la frénésie orgiaque d'une vie sans but, comme l'aurait dit le plus grand poète allemand du 20ème siècle, Gottfried Benn, dans ses poèmes déchirants: "Les maisons sont les atomes dont elles sont composées". La deuxième partie du Déclin célèbre le mythe de la Zivilisation faustienne.
Le chapitre intitulé "L'âme de la ville", qui constitue le cœur du livre, propose les tons, les couleurs et les angoisses qui seront rendus célèbres par le chef-d'œuvre de Fritz Lang, Metropolis (1927). À l'arrière-plan se trouve "notre" avenir, le monde romain, dont le faustisme trace inévitablement les contours politiques. La monumentalité et la corruption, la domination de l'argent comme force prépondérante des pouvoirs obscurs du démos, c'est-à-dire les éléments constitutifs du césarisme, se mêlent à une perception de la modernité que l'on pourrait qualifier de psychédélique. Et dans ce tourbillon d'éléments hétérogènes, au centre duquel se prépare la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale, l'œil de Spengler voit plus et mieux que ses contemporains. Ses "erreurs", a écrit Ernst Jünger, "sont plus significatives que les vérités de ses adversaires".
De la dissolution des formes organiques aux baraquements. La métaphore de la décadence est complète. Et pour la compléter, elle se déploie dans le déclin de la prolificité, dans la virilité flétrie, dans la fin de la fonction royale et maternelle des femmes, dans le repli de l'amour sur une sexualité dépourvue de séduction et d'érotisme, dans l'existence du guerrier réduit à un militarisme bureaucratique dépourvu d'héroïsme.
Spengler ne néglige aucun aspect du chemin de transformation de la vie associée jusqu'à son déclin.
La deuxième partie du Déclin est l'admirable ascension de l'intelligence dans le vertige de l'histoire de l'homme occidental. Contrairement à la première partie, le "paysage" domine la description morphologique. Et ce qui en ressort sont des joyaux de génie authentique dans la composition et la décomposition des âges jusqu'à nos jours.
Dans des pages à la fois séduisantes et choquantes, comme une tempête nocturne qui nous empêche de dormir, l'œil de Spengler poursuit le tourbillon des éléments constitutifs de la civilisation et, tout étourdi que nous soyons, réussit à nous faire comprendre l'état dans lequel nous nous trouvons. Le char de la civilisation est descendu jusqu'à nous. Les marchandises qu'il transporte sont de peu de valeur. Que se passera-t-il après le naufrage de la dernière illusion, le césarisme ? Spengler répond à cette question par la phrase qui clôt son livre prophétique, tirée des Épîtres à Lucilius de Lucius Anneus Seneca : Ducunt fata volentem, nolentem trahunt (Le destin guide ceux qui veulent être guidés et entraîne ceux qui ne le veulent pas).
On ne peut rien ajouter d'autre, sinon que face à tous les couchers de soleil de nos fragiles existences, la prière reste le dernier acte de l'esprit, tandis que l'intelligence, se tournant vers les pages de Spengler, peut saisir les signes d'un destin qui n'est qu'apparemment indéchiffrable. Ce que l'on ne comprend pas, c'est parce que l'on ne le connaît pas. Oswald Spengler paie sa dette d'homme du vingtième siècle envers l'humanité souffrante dont il fait partie en enlevant les voiles de la réalité qui dissimulent les falsifications de la modernité afin de nous relier au passé, dans la vision cyclique de l'histoire, non pas pour le restaurer, mais pour comprendre l'avenir pour ceux qui l'auront.
@barbadilloit
Gennaro Malgieri
16:51 Publié dans Livre, Livre, Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oswald spengler, livre, déclin de l'occident, révolution conservatrice, philosophie, philosophie de l'histoire, allemagne | | del.icio.us | | Digg | Facebook
"Vie à vendre", Yukio Mishima est une anguille
Le cas sensationnel du succès posthume du roman inédit de l'écrivain japonais maintenant publié en Italie
par Danilo Breschi
Source: https://www.barbadillo.it/103982-vita-in-vendita-yukio-mishima-e-unanguilla/
L'anguille de la littérature mondiale. Oui, Mishima est une anguille. Vous pensez l'avoir attrapé et puis, rien !, il s'éclipse et vous vous retrouvez les mains vides. C'est ce qui se passe si vous voulez clouer son travail à une définition qui le réduit à une boîte de conserve avec une étiquette. Mais ce que son art a pu produire en l'espace de vingt-cinq ans ne peut se résumer à quelques formules commodes. L'énigme de Mishima continue. Ceci est confirmé par un roman inédit en Italie qui est sorti dans nos librairies le 31 mars.
Si vous voulez quelque chose de savoureux à lire pour les prochaines semaines ou pour l'été chaud à venir, des pages si captivantes qu'elles vous font renoncer à la dernière série télévisée parce qu'une telle intrigue, qui est un merveilleux scénario tout fait, serait disputée par Tim Burton et Quentin Tarantino, alors vous devez absolument lire Vita in vendita de Mishima.
Il a été traduit en italien pour l'éditeur Feltrinelli par Giorgio Amitrano, un japonologue qui fait autorité et un écrivain raffiné, qui a bien voulu nous accorder une interview publiée il y a quelques jours dans Pensiero Storico. Comme il l'a lui-même bien résumé dans l'exquise postface qui accompagne la traduction, Life for Sale (Inochi urimasu) a été initialement publié en série entre mai et octobre 1968 dans l'hebdomadaire Shūkan Purebōi ("Playboy Weekly" ; mais il ne s'agit pas de la version japonaise du célèbre magazine américain fondé par Hugh Hefner, bien que son contenu soit très similaire). En décembre de la même année, le roman a été publié en volume sans attirer une attention particulière. Réédité en livre de poche trente ans plus tard, en 1998, il n'a pas eu plus de chance.
Puis, tout d'un coup, en 2015, on a commencé à en vendre des milliers d'exemplaires. Jusqu'à soixante-dix mille en une quinzaine de jours. Il est ainsi devenu, comme l'écrit Amitrano, "un best-seller posthume qui a pris le monde de l'édition par surprise" (p. 242). En effet, "le livre a maintenu sa position parmi les meilleures ventes au Japon pendant deux années consécutives, il est toujours réimprimé en permanence et est en passe de devenir une vente sur le très long terme" (ibid.).
Pourquoi ce succès arrive-t-il environ cinquante ans après sa première édition? Probablement parce que le genre auquel il appartient, un pastiche d'histoire d'espionnage, de hard-boiled, de pulp, de roman érotique et d'aventure, le rend - comme le note justement Amitrano - "plus adapté à une sensibilité post-moderne qu'à celle de la fin des années 1960", notamment au Japon, alors qu'il est plus "en phase avec le présent" (ibid.).
Je ne m'attarderai pas sur l'intrigue, ni sur de nombreux aspects déjà bien décrits par Amitrano dans la postface du roman. C'est un plaisir de découvrir et d'apprécier le voyage permis par la machine narrative mise en place par Mishima, un plaisir intense que je souhaite laisser entièrement au lecteur. Dans tous les cas, je garantis que le lecteur sera bouleversé, quel que soit le jugement final qu'il porte. Que cela vous plaise ou non, l'histoire racontée a un moteur qui est exploité à fond et monté en régime.
Je voudrais juste ajouter quelques considérations concernant le fait que dans le mélange des genres littéraires utilisé dans ce roman, qui est anormal à bien des égards par rapport au reste de sa production, le trouble spirituel qui a marqué la vie de Mishima insiste et persiste. Le rapport à la mort est au centre, toujours aussi obsessionnel, même derrière la façade d'un divertissement comme l'est largement Vie à vendre. Mishima essaie de jouer avec ses propres fantômes et y parvient même. On peut voir à quel point il s'est amusé en l'écrivant. Il ressort du rythme vif qui rend la lecture fluide, vraiment en tous points semblable à un film moderne, ou plutôt postmoderne, de par la composition des scènes, les psychologies exposées et les thèmes abordés. Mais venons-en au noyau philosophique du roman.
Tout d'abord, à mon humble avis, il y a un certain écho kafkaïen dans l'incipit du roman: "Lorsque Hanio s'est réveillé, tout autour de lui était si éblouissant qu'il pensait être au paradis" (p. 9). Cela me rappelle tellement le célèbre début de Métamorphose: "Un matin, se réveillant de rêves agités, Gregor Samsa se retrouva transformé en un énorme insecte" (dans la traduction d'Emilio Castellani). Et c'est par une métamorphose, une Verwandlung (titre original du conte kafkaïen), une transformation que commence réellement l'histoire racontée par Mishima. D'un suicide raté naît l'homme de l'au-delà qui sert de protagoniste au roman. La vie peut être mise en vente par celui qui est totalement et heureusement aliéné. En se dépouillant de toute forme minimale et résiduelle d'attachement à la vie, en détachant l'ego du moi, de tout amour de soi, Hanio a-t-il accompli une authentique Umwertung aller Werte, la transvaluation nietzschéenne de toutes les valeurs?
Pas tout à fait. Et c'est là que réside l'une des nombreuses curiosités que ce roman de 1968 suscite tant chez ceux qui étudient l'œuvre de Mishima que chez le lecteur ordinaire. Du sous-sol vidé par le degré zéro du nihilisme au plan émergé d'une existence à température moyenne: c'est le chemin que j'entrevois dans les aventures de notre héros ironique nommé Hanio, un protagoniste qui présente même des traits héroïco-comiques, trois quarts James Bond, un quart Johnny English (pour être clair, la parodie hilarante que Rowan Atkinson, alias Mr. Bean, a faite du super agent secret britannique). Mais la fin est littéralement un programme entier. Je n'en dirai pas plus et laisserai au plaisir du lecteur. Je dirai seulement, sibyllin, que Hanio est aussi une anguille au sens symbolique de la culture amérindienne ou du chamanisme. Les messages que cet animal-totem spécifique véhicule sont: la transformation, la force vitale et la sexualité. De plus, l'anguille annonce toujours un grand réveil spirituel.
Ce qui ressort également du roman, c'est la dénonciation sévère d'une société japonaise tristement américanisée, frivole et corrompue, fragmentée et violente. En arrière-plan des aventures de notre héros, la jeunesse de la version japonaise des manifestants hippies se dresse bruyante mais chancelante, dépeinte par Mishima avec un mélange de sarcasme et d'indulgence. En somme, ce qui émerge est une génération en désarroi, rebelle sans cause, pour citer le titre original du film que nous connaissons sous le nom de Rebel Without a Cause. Qu'est-ce que le nihilisme de toute façon? "Nihilisme: la fin est absente, la réponse au "pourquoi?" est absente. Que signifie le nihilisme? - Que les valeurs suprêmes perdent toute valeur". Le mot de Nietzsche (d'un fragment posthume de 1887). Une Cause, surtout si elle est avec majuscule, est aussi une fin, cette réponse que toute question apporte avec elle. Ici : Hanio ne répond plus, mais il continue à poser des questions. Enfin, si le nihilisme des (plus ou moins) jeunes gens qui entourent le protagoniste est passif et terne, le sien est actif.
Du point de vue de Mishima, se rendre disponible à la mort, à la fin, à l'anéantissement, signifie prendre les choses au sérieux, assumer jusqu'au bout, avec une extrême constance, la prise de conscience que tout est vain et insensé. Rien n'a de but. D'une part, c'est aussi une échappatoire au substitut contemporain des valeurs, ce grand générateur symbolique de substituts de valeurs qu'est l'argent. Totem de la société capitaliste. "Si ma vie est évaluée à 200.000 ou à seulement 30 yens, cela ne fait aucune différence pour moi. L'argent ne fait tourner le monde que tant que l'on est en vie" (p. 86), déclare Hanio. Pas par hasard. Le passage suivant est exemplaire et éloquent, et mérite d'être cité dans toute sa longueur :
"Une nuit sans sommeil, résonnant de voix au loin, chargée de la gigantesque frustration de la métropole, où dix millions de personnes, en se rencontrant, au lieu de se saluer échangent des phrases telles que "Quel ennui, quel ennui, quel terrible ennui !". Est-il possible qu'il n'y ait rien de drôle?". Une nuit où des flots de jeunes gens sont emportés par le courant comme des planctons. Le non-sens de la vie. L'extinction des passions. La nature éphémère des joies et des plaisirs, semblable au chewing-gum qui, une fois mâché, perd son goût et finit par être recraché au bord de la route. Il y a aussi ceux qui, pensant que l'argent résout tout, volent les fonds publics. [...] Une métropole pleine de tentations et manquant de satisfaction" (pp. 184-185).
Il y a même un trait sartrien, je veux dire le Sartre de La Nausée, dans l'humeur qui envahit Hanio dans les premiers pas de sa métamorphose. Je le ressens clairement lorsque je lis: "L'intérieur de la voiture était aussi brillant que le ciel et complètement vide. Tous les supports en plastique blanc ont vibré à l'unisson. Il en a attrapé un. Mais il avait l'impression que c'était la tribune qui lui avait saisi la main" (p. 76). Les choses ne sont pas seulement si totalement extérieures à moi que le monde entier m'est étranger, elles me possèdent même. Une aliénation absolue. Avec un ajout totalement japonais, comme un bouddhiste zen, je dirais. Le détachement entre le moi et mes circonstances résulte de la perception de l'impermanence, ou vacuité de toutes choses, qui, si elle est bien comprise et assumée avec courage, ouvre sur l'éveil et l'extinction libératrice. La paix comme suppression de ce devenir qui est la peine capitale à laquelle tout être vivant est condamné. Le joug de la nécessité.
Il y a une phrase révélatrice, également associée aux pensées de Hanio, le seul éveillé potentiel dans un monde de somnambules, certains plus souffrants et d'autres plus joyeux, à partir de laquelle apparaissent les grands thèmes de l'ascendant bouddhiste dans la tétralogie de La Mer de la fertilité, que Mishima avait commencée en 1965 et dont il rédigeait le deuxième chapitre, Une bride desserrée (Honba), dans les mêmes mois où il écrivait La vie à vendre :
"Si le monde avait pu acquérir un sens, il aurait été possible de mourir sans aucun regret. Si, en revanche, le monde était irrémédiablement dénué de sens, mourir n'avait aucune importance. Était-il concevable que ces deux positions puissent trouver un terrain d'entente ? Dans les deux cas, la seule issue qui restait à Hanio était la mort" (pp. 70-71).
Nous voilà à nouveau en train d'insister et de persister sur le même point. La mort. Nous sommes aux antipodes de l'Europe, de l'Occident chrétien. Vivre et mourir sont égaux. C'est la première hypothèse. Mourir dans un monde qui a un sens, parce que nous lui avons donné un sens ou parce que nous l'avons transmis, ne devrait pas du tout nous effrayer. Nous laissons le témoin à d'autres, qui soit continueront à attribuer un sens, le leur, au monde, soit auront la tâche non moins ardue de le découvrir et de le comprendre au sein même du monde, car le sens est contenu en lui. Il s'agit de le dévoiler, platoniquement. Le monde réel derrière le monde apparent. Mourir dans un monde dénué de sens, par contre, n'a même pas d'importance. Il s'agit simplement d'un accident. Ceux-ci constituent le deuxième point. Quoi qu'il en soit, de toute façon, cela fait plus mal de vivre que de mourir. Cela semble être la suggestion de Mishima.
Pourtant, il y a quelque chose d'occidental chez cet écrivain, même s'il est si imprégné de la tradition japonaise. C'est comme si, à contre-jour, il y avait l'espoir que dans la mort, comprise comme une voie, se révèle quelque chose que la vie suggère mais n'accorde pas, qu'elle permet à l'œil de l'esprit d'entrevoir, sans que les pupilles et les mains ne saisissent aucun corps: la plénitude, l'appartenance, la pleine adhésion entre le moi et le soi, entre l'individu et le tout. Lisez le dernier paragraphe du roman, la phrase qui le clôt, et vous comprendrez ce que je veux dire. Entre paganisme et panthéisme. En ce sens, l'image de couverture choisie pour les éditions italienne et espagnole est extrêmement pertinente. Vivre pour mourir, ou mourir pour vivre ? Ou mieux encore : cette alternative n'est-elle qu'une (auto)tromperie ? Le secret de l'existence consiste peut-être à regarder imperturbablement à travers un télescope portable.
Du site ilpensierostorico.com
Danilo Breschi
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Małyński et le militarisme moderne
Je lis un livre fascinant : La modernidad y el Medievo - Reflexiones sobre la Subversión y el feudalismo (Hipérbola Janus, 2015) (= Modernité et Moyen Âge. Réflexions sur la subversion et le féodalisme).
Carlos X. Blanco
La démocratie et le parlementarisme sont le véhicule politique de la civilisation des masses, qui reflète à son tour le mode de production capitaliste, le triomphe du mammonisme. Que les masses aient l'illusion d'être gouvernées par des instruments que les seigneurs de l'argent ont conçus pour elles ne peut être qu'un mal. Le mal par excellence dans le monde moderne. Un mal qui s'étend à toutes les sphères: à l'école obligatoire (et surtout dans un collège obligatoire) où personne n'apprend autre chose que de faire partie de la masse. Dans le cadre du recensement obligatoire. Dans le cadre du vote obligatoire. Dans la conscription obligatoire, où les guerriers et les chevaliers sont remplacés par des conscrits sans idéaux, de la "chair à canon" au sens le plus littéral du terme, au service des militarismes modernes :
"Si la démocratie avec son suffrage universel et égal est un mal, la conscription obligatoire et générale, corollaire insurmontable du suffrage universel et ultima ratio de la démocratie, c'est-à-dire la démocratie armée de la tête aux pieds, est le mal de tous les maux " (p. 103-104).
À côté de la démocratie et de tous les discours moralisateurs contemporains sur la bonté naturelle de l'homme et la paix perpétuelle, nous avons, sur le plan des faits palpables et bruts, des États armés jusqu'aux dents. Un monde de mobilisation totale.
Tout comme les armées d'ouvriers d'usine et les détachements de chasseurs et de collecteurs de votes sont mobilisés, une armée de masses en armes est levée. Les anciens chevaliers, qui connaissaient la valeur de la discipline et le renforcement de la volonté et des nerfs, sont passés du statut de simples combattants à celui de dompteurs des bêtes sauvages issues des masses. Ils seront les officiers-tamers décrits par Małyński. Des dompteurs de bêtes qui seront un jour dévorés par les bêtes sauvages. La guerre a changé, tout comme la civilisation dans son ensemble a changé. Au Moyen Âge, époque supposée de ténèbres et de barbarie, les gens d'armes se battaient entre eux, en tant qu'"experts" dans leur propre domaine, loin de toute mobilisation mondiale qui se terminait par un carnage universel. Le paysan, le marchand, le moine... tous voyaient la guerre comme un métier de gentleman. Mais aujourd'hui, les civils meurent en grand nombre dans le cadre d'une guerre totale, sans règles ni quartier, une guerre dans laquelle il n'y a pas d'innocents. Tout le monde est impliqué, il n'y a pas d'innocents, il n'y a finalement pas de neutralité.
Qui dirige un tel monde, une planète qui ressemble de plus en plus à une maison de fous? Ce sont les aliénés eux-mêmes qui dirigent la maison de fous :
"...les impulsifs, les suggestibles, les ignorants et les incohérents se sont érigés en médecins de la société, transformant leurs maladies en morbidités mortelles, sous prétexte de les guérir" (p. 104).
Il ne s'agit pas seulement d'un changement dans la signification de la milice. Une mutation sociologique dans laquelle le chevalier ou le guerrier se transforme en soldat (paysan armé ou soldat), mais une involution qui répond aux besoins sociologiques d'une civilisation qui a déjà rompu ses liens avec la culture chrétienne médiévale. C'est une " cohérence " systémique par rapport au suffrage universel et aux autres éléments de ce que le comte polonais Małyński appelle la subversion. Les armées de masse, la conscription universelle et obligatoire, donnent de plus mauvais résultats dans l'art militaire. Elles sont moins bonnes en qualité, mais ce sont les armées qui doivent exister dans une société capitaliste industrielle (ou dans son reflet dans les pays du "vrai" socialisme, c'est-à-dire des dictatures à parti unique avec un capitalisme d'État. Les armées d'usine correspondent à des armées de masse mobilisées, sans motif d'honneur et sans vertus chevaleresques, apprivoisées par une couche chevaleresque en voie d'extinction rapide. C'est le militarisme du monde capitaliste. C'est la peau hérissée d'épines avec laquelle le nationalisme affronte tous les autres nationalismes, tout aussi hérissée dans chaque atome de sa peau. Le capitalisme exacerbe tous les militarismes et tous les nationalismes, et sur des montagnes de cadavres, les seigneurs de l'argent brûlent la plus-value et accumulent les profits.
"Les armements entraînent des dettes et les dettes des armements. Les militarismes, qui ne semblent avoir atteint des proportions inouïes que parce que les nations se trompent et se menacent de plus en plus durement, ne peuvent maintenir ces proportions qu'en raison de l'interdépendance des nations, aussi paradoxal que cela puisse paraître, on pourrait dire que les nations se prêtent l'argent que leurs propres États refusent de se prêter, afin qu'elles aient peur les unes des autres, et que chacune soit assez forte pour imposer son crédit à l'autre, et vice versa " (p. 109).
La guerre médiévale, sauf per accidens, était une guerre entre membres d'une milice professionnelle, soumise à des codes stricts dans lesquels aucune "raison d'état", aucun critère chrematistique, aucune volonté de puissance n'étaient impliqués. Le rétablissement de la justice face aux torts infligés n'impliquait pas de calculs rationnels, sauf de manière secondaire, mais la préservation de l'honneur. Encore au milieu de l'ère moderne, au début du XVIIe siècle, le père Suárez traite de la guerre de la manière la plus contemporaine possible, étant donné le contexte de déclin général et de brutalisation de la chrétienté qui se produit à la fin du Moyen Âge, en termes de lutte pour l'honneur et de préservation d'un droit naturel et de la propreté de l'honneur auxquels l'Empire espagnol est attaché (katehon). Mais cette théorie impériale espagnole, ni machiavélique à la manière anglaise ou française, ni érasmienne à la manière - presque - du pacifisme cosmopolite d'aujourd'hui, sagement équidistante, tentait de préserver le civilisé médiéval dans une jungle moderne. Et il est bien connu qu'il n'a pas pu être imposé. Des siècles plus tard, Małyński a sauvé la beauté médiévale et défié, de la manière la plus réactionnaire qui soit, la modernité et son horrible militarisme.
La modernidad y el Medievo (Hipérbola Janus, 2015)
Auteur Emmanuel Małyński
Avant-propos Ángel Fernández Fernández
Traduction Ángel Fernández Fernández
Conception Miguel Ángel Sánchez López
Pour commander l'ouvrage:
https://libros.hiperbolajanus.com/search/label/Emmanuel%20Ma%C5%82y%C5%84ski
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Défense de la méthode scolastique: le meilleur outil pour apprendre à "bien penser"
José Antonio Bielsa Arbiol
Le grand problème de la pédagogie de notre temps est son incapacité à se renouveler de manière cohérente, c'est-à-dire à le faire en fonction des exigences qu'une réalité complexe requiert, ou devrait requérir. L'échec du système éducatif espagnol, biaisé dans sa méthodologie et sectaire dans ses programmes, se reflète dans ce bilan: jour après jour, de plus en plus de jeunes terminent leurs études réglementées sans avoir atteint un niveau minimal de compréhension de l'écrit, et encore moins la simple articulation des idées selon un ordre rationnel, c'est-à-dire logique. L'hyper-fragmentation des récits qui répudient la vie nue, une tendance malsaine à aplatir les solides normes de compréhension d'antan, fait de la perception du monde une expérience douloureuse, voire malsaine, face au maelström de saleté et de laideur qui sont monnaie courante sur le marché postmoderne.
La grande réussite des technocrates de l'Ordre nouveau n'est autre que "la destruction progressive de l'esprit des personnes instruites". Face à la crise des valeurs qui traverse et secoue l'Occident, nous devrions sérieusement nous demander si les meilleures solutions ne consistent pas à revenir aux modèles cognitifs d'il y a trente ans. Dans le cas de l'Espagne, la désastreuse LOGSE a donné le coup de grâce à un système qui, jusqu'alors, était pour le moins efficace pour les besoins de la vie ordinaire. Aujourd'hui, cependant, le système ne parvient plus, tout au plus, qu'à "produire" des inadaptés sociaux et autres excroissances qui ne peuvent être assimilés dans un système éducatif traditionnel.
Face à tous ces fiascos et ces désertions, les grands maîtres de la pensée médiévale nous proposent des solutions, toutes plus solides les unes que les autres, pour nous sortir de l'impasse (il ne serait pas déraisonnable de se tourner à nouveau vers la Silicon Valley, quartier général où l'élite mondiale du savoir met en pratique les méthodes d'apprentissage les plus conservatrices pour ses élus...). Il est urgent, en somme, d'abolir l'empire des "images" a-signifiantes et de réhabiliter au plus vite la MÉTHODE SCOLASTIQUE : Elle seule peut nous protéger de la farce pédagogique actuelle, qui rend impossible aux nouvelles générations l'exercice de la simple pensée ; en effet, la devise de la méthode scolastique affirmait que "la pensée est un métier dont les lois sont minutieusement fixées".
Pour arriver à cette affirmation, la Méthode part du principe que la philosophie est une science fondée sur son propre langage, et que la connaissance repose sur la démonstration: il faut connaître les lois de la discussion et de l'inférence, et savoir les appliquer à la réalité, afin qu'elles ne restent pas de simples mots d'esprit. A l'heure de la dissolution paranoïaque-narcissique, du relativisme grossier et du personnalisme inerte, la Méthode Scolastique propose une sorte de gymnastique intellectuelle rigoureuse en classe; pour systématiser ce plan d'étude, la Méthode consolide la compréhension de la Réalité au moyen de l'appréhension du Langage (comme nous le savons : l'homme est homme en tant qu'animal de langage) ; l'utilisation correcte de la Méthode dans le système Scolastique présuppose au moins trois phases, à savoir :
(Nous laisserons de côté les disputationes de quodlibet, des disputationes publiques tenues deux ou trois fois par an).
Par son énorme richesse et ses perfections intrinsèques, la méthode scolastique a marqué l'âge d'or de la pensée occidentale, et a apporté avec elle de grands progrès tant dans l'ordre cognitif que dans les domaines de la logique et de la philosophie du langage.
Le meilleur de l'Europe, lorsqu'elle s'appelait "chrétienté", provenait de l'intégration parfaite de la Raison et de la Foi. Antithèse pure et douloureuse de notre funeste présent, dirigé par des sophistes éphémères, ennemis jurés du christianisme et de l'exercice droit, précis et équanime de la "bien-pensance".
Le livre Cristocentrismo : La imperecedera doctrina escolástica (Letras Inquietas, 2022) est disponible sur Amazon :
21:55 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, livre, scholastique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
La philosophie avant la philosophie: une étude innovante de Luca Grecchi
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/la-filosofia-prima-della-filosofia-uno-studio-innovativo-di-luca-grecchi-giovanni-sessa/
Les historiens de l'antiquité et les philologues débattent des origines de la philosophie depuis des siècles. Par convention, la plupart des auteurs pensent que cette forme de pensée, qui a caractérisé le cours historique de l'homme européen jusqu'à aujourd'hui, est née avec les présocratiques au sixième siècle avant J.-C., dans les colonies ioniennes d'Asie mineure. À partir des années 1970, l'enseignement de Giorgio Colli s'est orienté vers des époques plus archaïques, puisque l'éminent spécialiste de la sagesse grecque affirmait que la philosophie était née en continuité avec le mythe, et non en opposition avec lui. Une étude de Luca Grecchi est récemment parue dans le catalogue de la maison d'édition Scholé, productrice d'une innovation importante à ce sujet. Nous nous référons à La filosofia prima della filosofia. Creta, XX secolo a.C., Magna Grecia, VIII secolo a.C. (pp. 198, euro 22.00). Le volume est précédé d'une introduction de l'archéologue Daniela Lefèvre-Novaro. L'auteur, maître de conférences à l'Université de Milan-Bicocca, a déjà publié plusieurs ouvrages sur le sujet.
Dans ces pages, il part de l'hypothèse aristotélicienne selon laquelle ce qui est en acte doit avoir été préalablement en puissance. Or, si tous les exégètes s'accordent à rapporter qu'il est possible de parler d'actualisation de la philosophie, à partir du sixième siècle avant J.-C., il est nécessaire de pousser l'investigation jusqu'aux siècles précédents pour identifier le terrain "potentiel" d'où aurait surgi la philosophie. Grecchi pose cette définition de la philosophie comme fil rouge de son propre travail exégétique : "une connaissance visant à la recherche de la vérité du tout, caractérisée par la méthode dialectique, ayant comme fondement de sens et de valeur l'homme compris dans son universalité" (p. 13). La philosophie traite de deux contenus, négligés par les sciences, la vérité et le bien : c'est une discipline qui exige une praxis capable de renverser dans une action vertueuse les acquisitions du niveau théorique. Telle était donc la philosophie dans le monde antique : "Il ne peut être accidentel [...] que la philosophia se soit formée dans la Grèce antique" (p. 17) et non en Orient, où le prérequis politique et social d'un tel développement, la polis, faisait défaut.
En utilisant une approche multidisciplinaire, dans laquelle un rôle important est attribué aux données archéologiques, Grecchi s'emploie à démontrer que le processus d'incubation de la graine philosophique peut être daté d'une époque très ancienne "et dans un lieu inattendu, à savoir au vingtième siècle avant J.-C. en Crète. Cet enracinement a influencé, de manière décisive, l'ensemble de la culture grecque jusqu'à l'époque classique" (p. 16). Et si la polis était le milieu qui permettait à la fleur philosophique de se manifester dans toute sa luxuriance, c'est encore en Crète que l'on peut retrouver l'origine de la cité-état, notamment à la lumière des études historico-archéologiques de Doro Levi et Henri Van Effenterre.
La philosophie est déjà en gestation dans les fragments des Présocratiques et c'est la connaissance qui est en quelque sorte présente, avant que le terme lui-même ne devienne communément utilisé avec Platon. Homère et Hésiode la connaissaient, mais elle avait son antécédent dans la "Crète des premiers palais, qui constitue, sur le sol hellénique, la plus ancienne expérience politique et culturelle dont nous ayons la trace" (p. 24). L'auteur rejette la lecture habituelle de l'époque minoenne, qui tend à voir l'île comme le site d'un système monarchique rigide à ce moment de l'histoire. Au contraire : "La civilisation palatiale [...] constituait [...] l'une des expériences politiques et culturelles les plus communautaires qui aient jamais existé dans tout le monde antique" (p. 25).
Dans les Palais, pour la première fois en Grèce, une réflexion a été menée sur l'ensemble compris dans ses trois éléments constitutifs : la nature, le divin et l'humain. Les gens de cette époque ont décidé comment vivre, sur quelles valeurs fonder leur coexistence civile, ils se sont interrogés sur les relations à entretenir avec les dieux et avec la nature et, surtout, ils ont remis en question la répartition des ressources, de l'espace et des biens. Ils sont arrivés à : "une 'planification communautaire' élaborée [...] Elle était [...] organisée de telle sorte que tous contribuent, de manière coopérative, au meilleur développement de la vie sociale" (p. 29). Le système palatial crétois est devenu un paradigme pour toute la civilisation hellénique. L'auteur retrace les signes de continuité entre les civilisations minoenne et mycénienne et les preuves tout aussi pertinentes de la relation entre cette dernière et l'ère classique. L'expérience sociopolitique de la Crète "avec ses palais, qui servaient de centre de coordination politique, économique, social, culturel et religieux, constituait [...] le modèle pour les siècles à venir" (p. 31), le modèle du poleis classique, dans le climat spirituel duquel se sont épanouies les écoles philosophiques fondées sur la co-philosophie et la dimension dialogique.
Sur l'île, il était entendu que le processus économique devait être confié à la planification communautaire, et non laissé à la merci du jeu des intérêts particuliers. La philosophie n'est pas seulement née face à l'émerveillement induit par la rencontre avec la physis, mais elle a été une tentative de faire taire l'angoisse existentielle qui naît chez l'homme de la conscience que notre vie est exposée au danger et à la mort. Grecchi, avec une argumentation pertinente, décrit les aspects les plus pertinents de la civilisation minoenne, en partant de la période néolithique et en soulignant les apports qu'elle a su tirer de l'Orient, il fait l'éloge de son harmonie sociale et dresse un tableau clair de l'origine de l'écriture. Il traverse les siècles que l'historiographie officielle s'obstine à définir comme "obscurs", pour pénétrer au cœur de l'œuvre d'Homère. Enfin, il montre le lien étroit entre les dynamiques sociales et culturelles dans les poleis qui ont surgi au 8e siècle avant J.-C. en Grande-Grèce et en Sicile, où la philosophie a trouvé le terrain propice pour s'épanouir définitivement.
Le livre a le mérite de montrer clairement que l'époque contemporaine est structurellement antithétique à l'épanouissement de la philosophie, tant sur le plan économique et social qu'existentiel. Cette connaissance, si elle était réellement pratiquée, comme une recherche de la vie bonne, produirait un écho dissonant par rapport au système techno-scientifique, par rapport auquel, au contraire, les "philosophies" de la rue jouent un rôle accessoire. L'analyse de Grecchi, bien que novatrice, semble négliger la pertinence du mythe dans la naissance de la philosophie. Pour remonter aux origines de la Sagesse, c'est dans cette direction qu'il faut retourner pour regarder : alors, derrière l'harmonie sociale crétoise, se révélera le visage conflictuel, chaotique de la vie. Le visage de Dionysos, le dieu né dans une caverne du mont Ida.
Giovanni Sessa.
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Massimo Donà et la philosophie de Goethe: une seule vision
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/massimo-dona-e-la-filosofia-di-goethe-una-sola-visione-giovanni-sessa/
Un livre très important de Massimo Donà vient de paraître, Una sola visione. La filosofia di Johann Wolfgang Goethe (pp. 327, euro 14,00). Dans ses pages, le philosophe se confronte à la pensée du grand poète allemand, dont il lit les œuvres en termes théoriques. Ce livre a été précédé de deux autres monographies, consacrées respectivement à Leopardi et à Shakespeare. Le motif qui unit les trois volumes est le même. Donà interprète ces trois grands, en soulignant, à la lumière de ses propres positions spéculatives, leurs traits anti-platoniques, anti-universalistes. Ce n'est pas un hasard, soutient l'auteur, si Goethe était mû par un "amour surhumain pour l'unicité irrépétable de l'existence" (p. 21) : il comprenait la vie et la nature comme "l'expression d'une puissance incoercible dont il aurait été vain d'essayer de prédéterminer le cours et la direction [...] puisque "en tout lieu nous sommes en son centre"" (p. 22). Sur la base de cette intuition, le génie de Weimar a compris l'inanité des "universaux", des "idées", pour comprendre la réalité. Les concepts déterminent, "pétrifient" le connu, au mieux compartimentent, par la procédure analytique, l'Un-Tout.
L'observateur le plus superficiel de la nature est conscient de son mouvement perpétuel. Comment, dès lors, est-il concevable de prétendre la connaître à partir de la "tranquillité" des idées ? Goethe était clairement conscient de cette contradiction. Il savait également que l'attitude gnoséologique platonicienne avait survécu dans la philosophie moderne. Les formes a priori de Kant, en effet, se caractérisent par la même nature statique que les universaux. Et pourtant, chez le penseur de Könisberg, dans la Critique du jugement, palpite une autre-non-autre manière de se rapporter au monde. La même vision se manifeste chez Bruno, Leibniz, de La Mettrie et Leopardi, sans oublier Spinoza. Leur pensée ne réduisait pas la nature à une série de "problèmes" (en tant que tels solubles) mais se présente sous le trait d'une "véritable écriture de l'énigme" (p. 28). Une position qui réapparaîtra, souligne Donà, également dans la philosophie du vingtième siècle: chez Deleuze, chez Arendt et, ajouterions-nous, également dans l'idéalisme magique d'Evola. Des formes de pensée qui échappent au logo-centrisme. Pour comprendre l'ubi consistam réel de l'idée de nature de Goethe, il est bon de se référer à la "matière": elle, l'être de tout ce qui est, en un : "dit son être placé et son ne pas être placé par moi" (p. 35).
Cela signifie, d'une part, que moi, le sujet connaissant et l'objet connu, vivons une relation d'attraction, qui fait que nous ne sommes pas autres l'un par rapport à l'autre, mais identiques. En même temps, nous sommes obligés de reconnaître que cette relation se développe de manière contradictoire, dans la mesure où la signification, la "compréhension" du monde me le fait vivre comme absolument autre que moi-même. Toute réalité est : "à la fois phénomène (dans la mesure où elle est référençable pour moi) et noumène (inconnaissable)" (p. 36). La matière est donc constituée de deux forces, dont Kant et Schelling avaient déjà parlé, l'une attractive et l'autre répulsive. Dans ce contexte spéculatif, Goethe introduit le concept de "métamorphose", cœur vital de son exégèse du naturel. Cette expression doit être comprise comme ce qui se passe "au-delà de la forme". En elle, précise Donà, il n'y a pas de référence à la cyclicité, mais à ce qui dépasse toute forme donnée. Pour cette raison, l'instrument privilégié dans l'exégèse de la nature est l'analogie, et non la similitude. Connaître par analogie implique de comprendre que, dans des espaces différents, il y a la même chose. L'idée même d'identité doit être repensée. Elle ne peut être posée que d'une seule manière: "comme ce qui en vérité n'a pas de forme" (p. 41), puisque ce qui revient dans les métamorphoses continues de la nature est "toujours et seulement la négation d'une forme" (p. 41).
La "matière" représente ce mouvement qui n'est aucun des "déterminés", des entités que je rencontre dans l'expérience, mais qui est seulement donné en eux. La métamorphose de Goethe, soutient Donà, est différente du dialectisme hégélien (et, en partie, de celui de Schelling également). Le système panlogistique a des règles déterminées, capables de dessiner une identité. Chez Hegel, la synthèse, le point d'arrivée, est déjà inscrit au commencement : "La nature n'a pas de système [...] elle a la vie [...] Elle est vie et succession d'un centre inconnu vers une limite inconnaissable" (p. 50). L'energheia, pour reprendre l'expression leibnizienne, est une force centrifuge, dispersive, entropique qui, du centre, tend vers l'extérieur. La désintégration du vivant n'a pas lieu: "précisément en vertu d'une force opposée [...] "centripète" (p. 51), qui tend vers l'extérieur (p. 51), qui tend à se spécifier, à "se préserver". Nous sommes enveloppés par la nature, l'horizon transcendantal de l'homme, comme dirait Löwith, et nous ne pouvons y échapper. Face à la luxuriance des jardins de Palerme, l'Allemand comprend que l'Urpflanze, la plante originelle, n'est pas réductible à la dimension de la Gestalt, de la forme platonicienne; au contraire, elle fait allusion au centre inconnu du Tout. C'est pourquoi Goethe, comme plus tard Heidegger, considérait que la physis coïncidait avec l'être, avec l'"épanouissement".
Où que l'on soit, on est toujours au centre de la nature, impliqué dans sa danse éternelle, dans le jeu éternel de la métamorphose dionysiaque. Dans ce livre : "Tout est nouveau et pourtant toujours ancien" (p. 61). L'Antiquité est l'informe, la négation originelle qui se donne "positivement" dans les entités. Notre action est donc le fait de la nature elle-même. En elle, Orphée et Prométhée ne font qu'un et nous faisons l'expérience du fini comme quelque chose qui doit toujours être dépassé, nous avons tendance, dans la mesure où nous relevons de la physis, à nous déterminer/à nous in-déterminer (la conception augustinienne du temps comme distensio animae a une grande pertinence pour Donà à cet égard). Le postulat hermétique "tout pense" découle de cette vision du Tout, de ses corrélations sympathiques. La pensée, en somme, est l'ouverture d'un monde. Goethe devient le porteur de cette connaissance non verbale particulière, qu'Aristote qualifie dans le livre IV de la Métaphysique, en l'attribuant aux plantes, de connaissance de ceux qui "ne disent rien" (p. 122). Cette connaissance, qui ne s'oppose pas au principe d'identité, adoucit sa lumière apodictique et évite le jeu du "être autre que moi-même", auquel elle renvoie inévitablement. Après tout, c'est la pensée du néant! Elle est pensée autrement que non-autrement par rapport au théorème et, chez Goethe, elle conduit à l'intuition.
Massimo Donà
Il nous permet "d'embrasser dans une seule vision ordonnatrice l'activité vitale infiniment libre d'un seul royaume de la nature" (p. 155). L'unité véritable devait se caractériser par l'infini et la liberté: "explosion d'un multiple jamais contraignable à des 'distinctions irréversibles'" (p. 157). En bref, le mouvement naturel est pensé par Goethe "comme une unité immédiatement destinée à se dire dans la "forme de deux", c'est-à-dire comme une polarité absolue. Absolu parce qu'il est original" (p. 161). Cette thèse est confirmée dans la Théorie des couleurs. Les couleurs ne sont déterminées qu'à partir d'une impossible superposition de l'obscurité sur la lumière ou de la lumière sur l'obscurité: " qui sont 'un' [...] parce qu'ils ne peuvent pas se déterminer comme absolument différents les uns des autres " (p. 265). Les couleurs ressortent (comme l'a également souligné Steiner) sur la frontière ambiguë qui semble diviser la lumière de l'obscurité. Le jeu des contraires est retracé par Donà, dans une exégèse précise des Affinités électives, dans les relations amoureuses des quatre personnages principaux du roman.
Un livre important, Un sola visione, non seulement pour la lecture éclairante de Goethe, mais aussi pour ceux qui souhaitent regarder le monde avec un regard renouvelé.
Giovanni Sessa
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Impérieuse séparation
par Georges FELTIN-TRACOL
Collaborateur au site Novopress, puis rédacteur en chef à partir de 2013 du remarquable site d’information libre Breizh Info, Yann Vallerie signe son premier essai avec une préface de Piero San Giorgio. Explosif, son contenu ne se résume pas en une énième dissertation politico – géopolitico – métapolitico – philosophique pesante. Ce livre de 102 pages mesure 11 cm par 17,7; ces dimensions en font un ouvrage facile à lire n’importe où puisqu’il entre dans une poche quelconque. C’est un grand avantage à l’heure de l’effondrement de la lecture.
Tout curieux rétif au prêt-à-penser officiel peut découvrir Sécession de Yann Vallerie grâce à sa couverture. L’Hexagone français – sans la Corse – est repeint aux couleurs du drapeau de la Confédération sudiste pendant la Guerre de Sécession nord-américaine sans les treize étoiles remplacées par trois personnes (le père, la mère et l’enfant ?) entourées par un masque coronaviral barré, un fusil, un chapelet et un livre. La bannière à la croix de Saint-André est probablement un clin d’œil facétieux aux bâtons noueux de Bourgogne, principal symbole militaire de la Monarchie hispanique d’origine habsbourgeoise.
Par-delà ces considérations vexillologiques, le sous-titre pose une interrogation cruciale : « Comment vivre hors de la République française totalitaire ? » Yann Vallerie n’entend pas quitter sa chère Bretagne pour s’installer en Côte d’Ivoire ou en Afghanistan. Il propose au contraire de sortir du système mortifère. Il part d’un fait qu’il n’énonce pas, mais qui est flagrant : la mort de la France. Toutefois, au contraire d’un célèbre candidat-essayiste, elle ne s’est pas suicidée, mais elle a bien été assassinée. L’assassin se nomme la République dite française. Face à ce remplacement politico-idéologique presque achevé, l’auteur présente en quatre chapitres concis et percutants une méthode réaliste afin de rompre avec le Moloch républicain. Il estime en effet qu’il importe de se détourner du Régime et de poser les jalons d’un autre choix. Pragmatiques, ses propositions provoqueront certainement le mécontentement des éternels cocufiés de la politique française, à savoir les « nationaux – droitards ».
Sécession sort involontairement dans un contexte politico-médiatique favorable. En Corse, une jeunesse impétueuse et revendicative proteste et défile au cri d’« État français assassin ! »; « République française tueuse ! » aurait été mille fois plus juste. Et qu’observe-t-on ? Le gouvernement kleptocratique parisien si impitoyable envers les Gilets jaunes et les associations identitaires envisage des négociations. Les événements survenus sur l’Île de Beauté à la suite de l’odieuse agression d’Yvan Colonna par un détenu islamiste, confirment le point de vue de Yann Vallerie. « Si, sur le terrain, le rapport de forces est à l’avantage des locaux, alors, la République une et indivisible ou pas, l’État plie. » Quel formidable exemple pertinent pratiqué à Corte, à Bastia et à Ajaccio !
L’enraciné européen d’expression bretonne qu’est l’auteur appelle par conséquent à « faire sauter la déconstruction gauchiste qui est devenue l’essence de la République française depuis la fin des années 60 ». Il dénonce par ailleurs l’école soumise au conformisme pédagogique d’occupation mentale. L’« éducation nationale » n’instruit plus, elle déforme des esprits malléables qui subissent ainsi des dégâts irréparables. Certes, « niant son échec absolu, la République français entend à la fois soumettre à autorisation les réfractaires à ce système à broyer les enfants ». Le Régime cible l’instruction à domicile et les écoles hors contrat, encore préservées de l’idéologie des « gens des lettres » LGBTQIAXYZ+++ et d’un cosmopolitisme aux multiples facettes.
Ce sympathique plaidoyer pour la séparation, la rupture, la sécession emporte l’adhésion, sauf sur un point. « Le retour à la presse papier et au samizdat est un leurre, affirme Yann Vallerie. Une régression même, puisque ce serait un retour à la marginalité du départ. » Pourquoi alors veut-« on » (« qui ? ») étouffer l’hebdomadaire Rivarol ? Pourquoi Yann Vallerie a-t-il imprimé ce livre et non pas rendu disponible en format pdf sur Internet ? La hausse régulière du prix du timbre et des frais de port pénalisera les projets éditoriaux dissidents, ce qui n’est pas une coïncidence fortuite. Ne miser que sur le numérique alors que le CSA et HADOPI forment dorénavant l’ARCOM dont les employés suivent des formations inclusives, s’apparente à une mauvaise tactique. L’indispensable reconquête culturelle s’organise autour de deux axes complémentaires : une présence active sur Internet et une profusion, éventuellement clandestine, de samizdat, de journaux, de revues, de dazibao, de tracts et de livres. Il sera toujours plus difficile aux forces régimistes de localiser une imprimerie secrète, éditrice de pamphlets virulents ou d’enquêtes dévastatrices, que de censurer la Grande Toile virtuelle. D’ailleurs, Yann Vallerie applique déjà cette sécession dans le cadre factuel de cet ouvrage qui ne comporte pas d’ISBN et de code barre. Pourquoi ? La page pour le commander au prix de 15 € l’explique volontiers. Il s’agit d’abord de contourner les grandes plateformes de distribution qui asphyxient les éditeurs et les auteurs. L’auteur considère ensuite qu’il n’est pas normal qu’un éditeur doive, avant même d’éditer, s’acquitter d’une taxe supplémentaire prise par l’Etat (une cinquantaine d’euros pour avoir un ISBN). On peut donc se le procurer sur le site dédié ou par chèque bancaire à l’ordre de Breizh Information (BP 201, 29 834 Karaez/Carhaix PDC1) en précisant bien que c’est pour le livre Sécession.
Ce livre ouvre dans tous les cas de grandes perspectives de libération populaire et identitaire dans le cadre de communautés informelles soudées et structurées. Le temps presse. La survie des autochtones albo-européens passe par un choix crucial : soit l’infâme République hexagonale les écrasera, soit ils la chasseront de leur quotidien afin que leur retrait suscite finalement un salutaire renversement.
GF-T
https://www.breizh-info.com/2022/01/07/177464/secession-sortie-du-premier-livre-de-yann-vallerie-redacteur-en-chef-de-breizh-info-com/
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Le "Troisième Reich" d'Arthur Moeller van den Bruck
Carlos X. Blanco
En janvier 2015, la maison d'édition Hipérbola Janus a publié pour la première fois le volume classique Le Troisième Reich. Un livre avec lequel son auteur, Arthur Moeller van den Bruck, a signé l'une des pages les plus immortelles de la soi-disant "révolution conservatrice" allemande. Comme l'indique la quatrième de couverture du livre, "Le Troisième Reich a été publié pour la première fois en 1923, deux ans avant le suicide tragique de son auteur, dix ans avant l'avènement du national-socialisme en Allemagne et cinq ans après la fin de la Première Guerre mondiale, qui a entraîné l'effondrement du deuxième Reich de l'empereur Guillaume II et la naissance de la République de Weimar".
Cela dit, il va presque sans dire que l'ouvrage de Moeller van den Bruck n'est en aucun cas un livre "nazi". Le national-socialisme est un phénomène ultérieur, que l'auteur du Troisième Reich ne pouvait pas connaître. Certes, le nazisme s'est approprié le concept et l'expression, mais Moeller ne pouvait rien y faire, car il était déjà mort. En outre, les premières expressions du national-socialisme en tant que mouvement organisé indiquaient déjà une incompatibilité spirituelle avec l'approche révolutionnaire-conservatrice de l'auteur examiné ici. L'approche grossièrement matérialiste et raciste qui conduira Hitler et ses partisans au massacre des Juifs, des Slaves et d'autres groupes ethniques n'a rien à voir avec la "révolution conservatrice", comme nous l'avons déjà montré dans notre travail sur Oswald Spengler, une figure parallèle à celle de Moeller à certains égards et qui lui est apparentée. A l'opposé du matérialisme raciste des hitlériens, notre auteur adopte une approche nationaliste, traditionnelle et spiritualiste : c'est la nation allemande humiliée et en manque d'espace pour ses soixante millions d'âmes (selon la démographie de l'époque, les années 1920). C'est la nation, et non la race maîtresse, qui est en jeu. C'est la nation, vaincue et de surcroîts trompés par les puissances victorieuses qui ont imposé le Traité de Versailles, qui doit reprendre son destin en main.
Dans cette très brève recension (que nous avons pu compléter et étendre par le biais de l'un des nombreux podcasts prévus), nous aimerions attirer l'attention sur un autre point de contraste entre les idées de Moeller et les folies suicidaires ultérieures d'Hitler et du national-socialisme tel qu'il s'est historiquement constitué. Dans le Troisième Reich de Moeller, il n'y a pas de phobie de l'Est, pas de projet inhumain de conquête et d'asservissement de l'immensité des pays de l'Est, qui s'étend de la Pologne et de la Russie aux confins de la Sibérie. Au contraire, nous voyons une union germano-russe qui transcende les conditionnements idéologiques ou les différences ethniques. On ne trouve pas non plus la rhétorique typique de la "droite", à savoir le rejet générique du socialisme ou du communisme au nom d'une future dictature des grands propriétaires terriens et des militaires (soit dit en passant, le modèle "latin" de dictature, qui n'a rien à voir non plus avec la révolution conservatrice). Il n'y a rien de tel. Au contraire, le livre, un classique de la pensée révolutionnaire conservatrice, s'ouvre à une approche socialiste. Un socialisme non marxiste, une approche centrée sur la figure de l'ouvrier, l'ouvrier avec une patrie qui, loin de la fausse conscience internationaliste, est un ouvrier allemand. Le texte suinte et abonde en appels à la gauche ouvrière allemande à être avant tout allemande, et donc à réorienter son marxisme internationaliste vers un socialisme d'un autre type : hiérarchique, discipliné, patriotique (très proche du socialisme " prussien " prôné par Spengler) qui fait front commun avec les autres classes sociales non naturalisées d'Allemagne, le tout en vue de se réapproprier son propre pays.
Cela implique qu'il n'y a de socialisme que dans la voie nationale. Nous ne pouvons parler de socialisme que dans le sens précis où une nation possède son propre socialisme. Pas le national-socialisme, mais le socialisme national. On est socialiste à la manière française, anglaise, etc., et cette manière ou cette forme peut être très différente de celle de l'Allemand, du Russe ou de l'Espagnol.
De la même manière, nous pouvons parler de la démocratie d'une manière nationale. Qu'est-ce que la démocratie ? demande Moeller, et la réponse n'est pas celle que l'on attendrait d'un libéral. La démocratie, dit Le Troisième Reich, est l'appropriation de son propre destin. Quand un peuple s'approprie son propre destin, c'est un peuple démocratique, et l'auteur affirme que l'Allemagne est démocrate depuis des milliers d'années. Ce n'est que plus tard que ce peuple porteur d'un destin se dote d'un chef ou d'un roi. La démocratie allemande, qui, selon le livre, est organique, communautaire et non libérale, n'a pas trouvé sa véritable expression à Weimar. À Weimar, le point de vue libéral a triomphé, déplorable non pas tant pour son contenu idéologique libéral en tant que tel, qui pour des peuples comme les Anglais pourrait représenter leur costume sur mesure et leur instrument parfait pour canaliser leur volonté particulière de puissance, mais pour son incompatibilité avec l'essence de l'Allemande. À Weimar, être libéral, c'est être un traître à la patrie, c'est ouvrir la porte aux occupants et aux ennemis (France et Angleterre). En outre, cette démocratie libérale a préparé le terrain pour la révolution : l'anarchisme et le communisme n'anéantiraient pas seulement une nation vaincue dans la grande lutte européenne, mais seraient la fin de la civilisation elle-même.
L'objectif de Moeller est de fournir un fondement philosophique à sa révolution conservatrice. Sa philosophie est révolutionnaire car l'auteur, peu après la défaite de sa patrie, éprouve le profond sentiment de malaise que "ça ne peut pas continuer comme ça". Les formules réactionnaires et nostalgiques ne fonctionnent plus. Il n'est pas possible de faire revivre un passé. Le nouveau Reich doit, en même temps, être la continuation du Premier et du Deuxième Reich, car le peuple, la nation, existent toujours (bien que sans espace, humiliés et aux mains des ennemis), mais sur des bases absolument nouvelles.
Imprégné de la philosophie organiciste et vitaliste allemande, Moeller parle de "conservation" comme de la loi fondamentale de l'existence. Ce qui existe depuis des millénaires ou des siècles mérite d'être préservé face au chaos et à l'anarchie qui, au nom du "renouveau", peuvent anéantir les efforts civilisationnels les plus nobles et les plus laborieux. Conservateur n'est pas réactionnaire. Le conservateur entretient, vivifie, emploie son instinct de vie à des fins constructives. Au contraire, le réactionnaire réagit violemment à la nouveauté et la rejette, mais n'en tire aucune leçon. Il est mimétique par rapport au passé, il ne fait que copier et reproduire l'ancien, et tout ce qui est ancien n'est pas bon, classique, ennoblissant.
Nous pensons que c'est un grand succès que cet éditeur, Hipérbola Janus, mette entre les mains des lecteurs espagnols une œuvre aussi profonde et significative, en elle-même et comme moyen de connaître l'aube de la Grande Catastrophe qui a signifié pour l'Europe la montée du national-socialisme (une perversion de la Révolution conservatrice), la déprédation démo-libérale anglo-saxonne, le bolchevisme et, en définitive, la Seconde Guerre mondiale dans son ensemble, c'est-à-dire la Mort de l'Europe.
Informations rédactionnelles :
https://libros.hiperbolajanus.com/2015/01/AMVDB3R.html
El Tercer Reich. Hypérbola Janus, 2015.
https://www.hiperbolajanus.com/2015/01/arthur-moeller-van...
18:40 Publié dans Histoire, Livre, Livre, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arthur moeller van den bruck, révolution conservatrice, années 20, allemagne, histoire, livre | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Conservative Revolution: Responses to Liberalism and Modernity, volume 3
21:27 Publié dans Livre, Livre, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : allemagne, république de weimar, révolution conservatrice, histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Giorgio Locchi et la philosophie de l'origine (selon Giovanni Damiano)
Giovanni Sessa
Source: https://www.paginefilosofali.it/giorgio-locchi-e-la-filosofia-dellorigine-di-giovanni-damiano-giovanni-sessa/
Giorgio Locchi est un nom familier pour ceux qui ont appris à penser dans les années 1970. Le dernier ouvrage de Giovanni Damiano, consacré à l'exégèse de la contribution théorique de Locchi, a le mérite incontestable de raviver l'intérêt pour ce philosophe, dont la pensée vise à dépasser l'état actuel des choses. Nous nous référons à, Il pensiero dell'origine in Giorgio Locchi (La pensée de l'origine chez Giorgio Locchi), en librairie grâce à une belle initiative des éditions Altaforte Edizioni. Le texte est enrichi par un essai de Stefano Vaj, qui lit la contribution du philosophe en termes transhumanistes, et par la postface de Pierluigi Locchi, le fils du penseur (pp. 145, euro 15,00).
Le livre de Damiano analyse le sens de la démarche spéculative de Locchi, en mettant en évidence ses points essentiels. À cette fin, le chercheur de Salerne distingue son exégèse des clichés réducteurs qui ont lié, sic et simpliciter, le théoricien de l'histoire ouverte à l'expérience de la Nouvelle Droite: "Locchi [...] se place dans un excès, dans un no man's land, ni apologétiquement moderne, ni stérilement anti-moderne" (p. 8). Sa philosophie de l'origine se distingue des universalismes éthérisants et rassurants des traditionalistes, tout autant que "de la dynamique auto-fondatrice de la modernité" (p. 8).
Il était, par essence, un philosophe de la liberté. Sur la liberté, principe sans fondement, il a construit sa propre vision de la temporalité, comme on peut le voir dans les pages de, Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste (Rome, 1982) et dans celles du livre Sur le sens de l'histoire (Padoue, 2016). Une telle conception vise à préserver "ce potentiel d'excédent et de surprise qui caractérise toute histoire" (p. 9), afin de soustraire le parcours humain aux déterminismes progressifs et/ou réactionnaires.
Locchi prône l'autodétermination historico-politique de l'humanité, en la fondant sur l'existence de possibilités alternatives existant dans le temps. Le philosophe romain croit également que le mode d'existence historique est propre à l'homme. À la différence des Lumières, qui ont pensé l'historicité de manière téléologique, en l'articulant, ipso facto, dans l'idée de progrès, et qui se sont faites les interprètes par excellence de ce processus d'immanentisation de la "fin" judéo-chrétienne de l'histoire (Löwith), Locchi évite toute eschatologie qui tendrait à identifier dans la "fin" de l'histoire, la "fin" de l'histoire: "D'où, au nom de la liberté, le refus [...] de la philosophie de l'histoire en tant que telle" (p. 19). L'histoire n'est pas écrite ab initio, elle est toujours exposée au possible, à l'imprévisible. Dans le monde post-moderne, au contraire "la dynamique du progrès finit par submerger même le présent, car si d'un côté elle rompt avec le passé, de l'autre elle transforme tout le temps en une sorte de sérialité homogène" (p. 22).
Le présent est, dans ce contexte, exclusivement déterminé par le futur : Heidegger, à cet égard, parlait d'une temporalité unidimensionnelle et inauthentique. Au contraire, Locchi, à travers le duo Wagner-Nietzsche, devient un témoin du temps authentique et tridimensionnel. L'histoire n'est pas un flux irréversible, mais des temps différents y sont détectables. Par conséquent : "le passé, le présent et le futur sont toujours présents en même temps" (p. 25). Le passé est dans le présent, dans le présent il est dé-composé et re-composé. Pour cette raison, et c'est le plexus de plus grande importance théorique mis en évidence par Damiano: "chaque moment peut et doit être considéré simultanément comme début, centre et fin" (p. 25).
À chaque instant, non seulement l'avenir mais aussi le passé lui-même sont décidés. L'origine "peut toujours recommencer (le nouveau départ), en partant d'un centre (d'un présent) à chaque fois différent, en vue d'une fin (un futur) qui n'est qu'un futur possible parmi d'autres" (p. 27). Cette thèse n'est pas différente, comme le souligne l'auteur, de la XIVe Thèse sur l'histoire de Benjamin, dans laquelle il est dit que l'origine est un "but", dans le cadre d'une vision de l'historicité non plus centrée sur le continuum du temps homogène, mais sur le discontinuum : "le sens de l'histoire doit être compris comme quelque chose qui doit être conquis, chaque fois à partir de zéro" (p. 29).
L'idée même de la Tradition comme trahison est remise en question. La véritable tradition surgira de la catastrophe du continuum, devenant la quintessence du nouveau départ. Cette tradition sera voulue, choisie, et non subie. Cela ne doit pas être trompeur. L'auteur souligne que Locchi va au-delà d'une vision simplement "humaniste" de l'histoire : "L'homme n'est qu'un administrateur de la liberté [...] la liberté maintenant [...] signifie : l'homme comme possibilité de liberté" (p. 31).
La conception tridimensionnelle de la temporalité réapparaît dans la musique tonale de Wagner comme un héritage ancestral et préchrétien des peuples d'Europe du Nord. Le centre de l'univers de valeurs de Locchi se trouve chez Nietzsche qui, avec le grand musicien allemand, a défini la vision du monde surhumaniste en conflit avec la vision égalitaire. Un Nietzsche, notons-le, lu par le penseur romain à travers des lentilles bӓumlériennes, sous le signe de la "liberté du devenir". Le monde et l'histoire sont secoués par l'action inépuisable de la liberté. Une liberté, plus naturelle, productive de conflits, exposée à l'issue tragique. L'éternel retour ne se réduit pas à une pure "mécanique", mais devient l'image d'une histoire ouverte, dans laquelle chaque "moment" est potentiellement le début et chaque lieu le "centre". Ce n'est pas un hasard si Klages, comme le rapporte Damiano, a placé l'image comme le cœur vital de sa propre proposition spéculative, capable de délier les constructions fictives et photogrammatiques de la logique éléatique.
La référence au mythe est également consubstantielle à la pensée de Locchi. Selon lui, "il n'y aurait pas de communauté sans mythe" (p. 68). Néanmoins, il évite la relation modèle-copie attribuée au mythe par Eliade. Car: "l'actualisation du mythe, avec la régénération du temps qui lui est associée, n'est pas du tout un nouveau départ, mais la répétition exacte du modèle" (p. 71). Le nouveau départ exige le courage du défi, l'ouverture d'un nouveau monde. En ce sens, même l'adhésion au mythe indo-européen est conditionnelle dans la mesure où: "Un 'Oui' au devenir, devient lui-même" (p. 76). Le mythe, comme l'origine, est placé par Locchi dans l'histoire. Sa philosophie se penche sur une origine qui n'est jamais définitivement possédée, exposée à une possible catastrophe. Dans les pages du philosophe, la référence au dieu Janus et à sa duplicité revient donc. Ce dernier représente la destination de sens de la philosophie de Locchi, car il est un dieu "qui se tourne non seulement vers le passé, mais aussi vers l'avenir [...] comme le seigneur des nouveaux commencements, confirmant sa fonction non statique [...] mais destinée à agir dans le devenir historique" (p. 94).
Nous devrions nous tourner vers elle, pour éviter les dérives dans lesquelles la pensée non-conformiste s'est échouée par le passé : le libéral-conservatisme, le national-bolchevisme ou les échappatoires vers un "ésotérisme" bon marché.
Giovanni Sessa
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Les populistes américains à la rescousse : de Jefferson à Bryan
Une histoire du populisme américain, publié par la maison d'édition Oaks
par Michele Salomone
Source: https://www.barbadillo.it/102839-populisti-usa-alla-riscossa-da-jefferson-a-bryan/?utm_campaign=shareaholic&utm_medium=whatsapp&utm_source=im&fbclid=IwAR062f6rBtGz-AhBqOP8rfKGI5JNGNiQcry4WCIuA1c7iiFisocxzXrqN7Q
Recension: Avery Craven, Storia populista degli U.S.A. Da Jefferson a Bryan (Histoire populiste des États-Unis d'Amérique de Jefferson à Bryan).
Le populisme n'est pas un ennemi à abattre. Bien que la formulation officielle mette à l'index le populiste, coupable de remuer démagogiquement des questions de grand impact pour tenter d'attirer l'attention et le consensus du peuple, si l'on consulte l'encyclopédie, on constate que, lorsqu'on parle de populisme, on se réfère à des "tendances ou mouvements politiques développés dans des domaines et des contextes différents (...) qui peuvent être attribuées à une représentation idéalisée du "peuple" et à l'exaltation de ce dernier comme porteur d'instances et de valeurs positives (principalement traditionnelles), par opposition aux défauts et à la corruption des élites. Parmi ces traits communs, la tendance à dévaloriser les formes et les procédures de la démocratie représentative, en privilégiant les modalités de type plébiscitaire, et l'opposition des nouveaux leaders charismatiques aux partis et aux représentants de la classe politique traditionnelle ont souvent pris une importance politique particulière".
Attentives aux grands thèmes historiques, les éditions Oaks présentent une "Histoire populiste des U.S.A. de Jefferson à Bryan", un essai de l'historien américain Avery Craven (1885-1980) publié en 1941 sous le titre Democracy in American Life. Lançant une pique à ses compatriotes, coupables de n'avoir "jamais pu donner une définition exacte de la démocratie", Craven stigmatise "l'individualisme forcené", à l'origine d'une néfaste "aristocratie de la richesse". Il méprise donc "l'individu libre" qui, à des "fins personnelles", accumule des richesses et met en œuvre des "programmes matériels".
Contre "la richesse et le pouvoir", contre la déprédation de la "richesse publique", dans le contexte vaste et varié des États-Unis, Craven nous présente quelques personnages que l'on pourrait définir comme des populistes et, par conséquent, des antidotes aux maux dénoncés. Commençons par Thomas Jefferson (1743-1826), vice-président des États-Unis de 1797 à 1801, année où il est devenu le troisième chef d'État, poste qu'il a occupé pendant deux mandats jusqu'en 1809. Démocrate et républicain, nationaliste et libéral, la parole de Jefferson conjugue le respect des lois et de la Constitution, mais aussi la rébellion "contre les abus".
Défenseur d'une liberté fondée sur la paix et l'ordre, opposé à toute ingérence du gouvernement dans la vie des citoyens, Jefferson était convaincu que l'élimination des inégalités entraînerait une plus grande croissance démocratique aux États-Unis. Même si certains de ses programmes n'ont pas abouti lorsqu'il est devenu chef d'État - abolition de l'esclavage, amélioration des conditions de vie des agriculteurs, réduction des impôts - Jefferson reste une figure qui fait débattre les historiens, s'attirant les sympathies et les antipathies de la gauche comme de la droite.
Intéressons-nous maintenant à William Jennings Bryan (1860-1925), une figure explosive du populisme américain. Bryan a été trois fois candidat démocrate malheureux à la présidence des États-Unis entre la fin du XIXe siècle et la première décennie du XXe siècle. Défenseur tenace de l'isolationnisme américain en politique étrangère - il changera d'avis lorsque les États-Unis entreront dans la Première Guerre mondiale - Bryan est le prototype du populiste. Attentif aux questions féminines, constitutionnelles, sociales et syndicales, favorable à la prohibition, il s'oppose au pouvoir des oligarchies.
En juillet 1896, lors de la convention démocrate de Chicago en vue des élections présidentielles du mois de novembre suivant, Bryan bouleverse le parti démocrate en l'amenant à des positions populistes et, à seulement 36 ans, il obtient l'investiture pour la Maison Blanche. Au cours de la campagne présidentielle, Bryan parcourt un peu plus de 29.000 kilomètres et prononce des discours explosifs. Une partie considérable de la population est infectée par son programme économique "d'argent facile", qui implique la frappe illimitée d'argent. C'est un gigantesque plan de souveraineté monétaire au profit de ceux qui vivent la misère d'un quotidien plein de privations, qui soutiennent une économie déprimée et qui profitent d'une agriculture en crise. Soutenu par le parti démocrate, le parti populiste et le National Silver Movement, Bryan est battu de 600.000 voix par le candidat républicain William McKinley (1843-1901) qui, fort d'une machine électorale bien rodée, devient le 25e président des États-Unis.
Après avoir effectué les comparaisons nécessaires en termes d'époques et de dynamiques socio-économiques, certains des programmes proposés ces dernières années par divers mouvements populistes, tels que l'impression de monnaie pour soutenir les classes les plus faibles et l'économie en difficulté, ne sont pas différents des projets de Bryan. Il ne faut pas oublier la proposition avancée en 2019 par la Ligue du Nord (en Italie) - au gouvernement avec le Mouvement 5 étoiles - en faveur du lancement de Minibots, des titres en circulation qui auraient permis à l'État de rembourser immédiatement ses nombreuses dettes, donnant une bouffée d'oxygène aux créanciers en difficulté. Cette proposition a été rejetée par le gouverneur de la BCE de l'époque, Mario Draghi.
Il est indéniable que le populisme a laissé une trace profonde dans la société américaine. Spiro Ted Agnew (1918-1996), choisi par le président Nixon (1913-1994) comme adjoint lors de ses deux mandats présidentiels en tant que "mystique, patriote à l'ancienne, maître stratège sur les questions urbaines", de 1969 à 1973, a fait le "sale boulot" que son patron, pour des raisons évidentes, ne pouvait pas faire. L'ancien gouverneur du Maryland, en plus de s'adresser à l'Amérique profonde, dans un langage cinglant, s'en prend aux ennemis de Nixon, décrivant les journalistes comme une "petite fraternité fermée d'hommes privilégiés élus par personne" et les détracteurs comme des "nababs du négativisme".
Nous en arrivons au populiste républicain Pat Buchanan (1938), conseiller des présidents Nixon, Ford et Reagan, anticommuniste intransigeant - peut-être l'un des rares du parti républicain - qui a tenté à deux reprises de monter à la Maison Blanche, mais a été battu lors des nominations de 1992 et 1996 par George H.W. Bush et le sénateur Bob Dole. Partisan d'une Amérique isolationniste non embrigadée dans les querelles mondiales, allergique à "l'insipide establishment de Washington", adversaire du monde libéral-progressiste voué à un hédonisme débridé, Buchanan, dans son livre The Death of the West : How Dying Populations and Immigrant Invasions Threaten Our Country and Our Civilisation, publié au début des années 2000, dénonce notamment la baisse importante du taux de natalité combinée à un sentiment et une croyance hostiles au christianisme et désormais généralisés.
Le reste est l'histoire de notre époque, avec Donald Trump qui, un contre tous, bien que n'étant plus à la Maison Blanche, continue de bénéficier d'un nombre formidable de consensus populiste.
Une dernière remarque. Dans l'introduction, Luca Gallesi souligne que le "front populiste" américain n'a jamais succombé "à la tentation de la lutte des classes prônée en Europe par le marxisme". C'est un axiome qui est toujours valable aujourd'hui, étant donné que la gauche, ainsi que la droite libérale, s'opposent au populisme et, par conséquent, aux mouvements qui, sans s'en réclamer, agissent de manière populiste.
(oakseditrice.it)
18:04 Publié dans Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : populisme, populistes américains, histoire, états-unis, livre, histoire politique, idées politiques, histoire politique américaine | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Juan Manuel de Prada : "La "Matrix Progrès" est l'imposition d'une vision hégémonique du monde qui déracine l'homme de sa véritable nature"
par KontraInfo - 02/01/2022
Source: https://kontrainfo.com/juan-manuel-de-prada-la-matrix-progre-es-la-imposicion-de-una-vision-hegemonica-del-mundo-que-desarraiga-al-hombre-de-su-verdadera-naturaleza/
Juan Manuel de Prada est l'une des plumes les plus lucides, sinon la meilleure, de notre époque. Un digne héritier de Leonardo Castellani, qui, par sa critique, sa satire et ses analyses précises, a su ridiculiser le nouveau tyran de notre époque : le progressisme, qui, par sa dictature culturelle, a réussi à construire une réalité parallèle, comme l'auteur le décrit dans son livre. Tomas Várnagy affirme que l'humour peut être une arme et une forme d'attaque. Pour reprendre les mots de Bertolt Brecht : "Il ne faut pas combattre les dictateurs, il faut les ridiculiser". De Prada a réussi en ce domaine, il a utilisé l'humour comme une arme, il ne se contente pas de les combattre, mais en même temps il les ridiculise et les laisse nus (Christian Taborda).
Entretien avec Juan Manuel de Prada
MADRID, mercredi 29 avril 2009
La nueva tirania. El sentido común frente a la Mátrix progre est le titre du livre publié par l'écrivain Juan Manuel de Prada chez LibrosLibres (2009), dans lequel il rassemble ses écrits sur l'actualité et sur l'époque, datant d'il y a une douzaine d'années mais qui demeurent pertinents pour le présent.
N'est-ce pas un peu provocateur d'identifier le concept de progressisme à celui de "tyrannie" ?
-Juan Manuel de Prada : Le "progressisme" s'est en effet imposé comme un concept inattaquable à notre époque, si inattaquable que même ceux qui ne sont pas "progressistes" en termes idéologiques se sentent obligés de se déclarer comme tels. Mais qu'est-ce que c'est que d'être progressiste ? Dans un sens banal, c'est se conformer aux paradigmes culturels et aux modèles de jugement hégémoniques ; c'est-à-dire, pour reprendre l'expression de Chesterton, "être un esclave de notre temps". Et, évidemment, ceux qui sont d'accord avec les "moulins" sont des êtres tyrannisés.
- Vous pensez que les gens se sentent asservis ?
L'avantage de cette nouvelle tyrannie sur les autres, la raison pour laquelle elle est - contrairement aux tyrannies d'antan - si attrayante et si persuasive pour les gens du peuple, c'est qu'elle donne une impression de liberté totale à ses sujets, qui sont transformés en enfants qui peuvent en fait élever leurs caprices, leurs intérêts et leurs désirs au rang de droits.
C'est surtout la gauche qui ramasse ces drapeaux, n'est-ce pas ?
C'est le résultat d'une vaste manœuvre de la gauche qui, face à l'échec retentissant de ses postulats idéologiques classiques (caractérisés par leur dogmatisme rigoureux), a décidé à un moment donné de se "réinventer" et de s'ériger en championne d'un relativisme extrême, où le seul dogme accepté est qu'il n'y a pas de dogmes. À cette fin, elle accepte l'"ordre économique" historiquement prôné par la droite libérale (avec des corrections cosmétiques), en échange de l'imposition d'un nouvel ordre moral et social qui lui permet d'opérer sur un territoire toujours favorable. La droite, débordée là où elle s'y attendait le moins, accepte de jouer sur ce terrain adverse, et n'a d'autre choix que de jouer selon les règles dictées par la gauche ; ainsi, le seul débat possible se déroule dans une sphère strictement "idéologique", sans possibilité de débat proposant une vision alternative du monde. Et, bien sûr, postuler une vision alternative du monde devient non seulement provocateur, mais "blasphématoire".
- Pourquoi utilisez-vous le mot "Mátrix" pour désigner cet établissement culturel ?
- Je me permets de faire une blague cinématographique, facilement compréhensible pour ceux qui connaissent les films des frères Wachowski avec Keanu Reeves. La "Mátrix pro-verte" est l'imposition d'une vision hégémonique du monde que tout le monde accepte comme la seule possible, comme une nouvelle foi pseudo-messianique, alors que la vérité est qu'elle repose sur des piliers d'artifice et de tromperie, puisqu'elle déracine l'homme de sa véritable nature. Naturellement, se rebeller contre cette Mátrix pro-verte implique une exigence presque héroïque et une prise de risques que peu osent accepter. Il suffirait que quelques-uns s'insurgent contre elle pour que ses fondations, faites de ruses et d'artifices, s'effondrent ; mais l'accepter est une tentation trop forte, car elle assure une vie placide et des avantages indiscutables.
- Dans le monde de la culture, les portes sont fermées aux réfractaires.....
- Tout intellectuel qui ose défier la Mátrix progre sait qu'il sera condamné aux ténèbres extérieures ; d'où l'apparition d'un phénomène sans précédent dans l'histoire culturelle de l'Occident, à savoir la grégarité sans faille des artistes et des écrivains, tous prêts à s'ériger en apôtres du nouveau culte. Et pendant ce temps, un travail imparable d'ingénierie sociale est en cours.
- Pourquoi la droite ne dénonce-t-elle pas cette prédominance et n'essaie-t-elle pas de la remplacer ?
- La droite a abandonné la bataille des principes. Aujourd'hui, un conservateur est essentiellement devenu un gentleman qui se consacre à la "préservation" de l'ordre social et moral prôné par la gauche, c'est-à-dire qu'il est l'élément de respectabilité dont la gauche a besoin pour garantir sa suprématie idéologique et culturelle. Une fois le processus d'ingénierie culturelle achevé, une fois qu'il est accepté que la vision progressiste de la réalité est la seule acceptable, quel est l'intérêt d'adhérer à un substitut médisant et autoconscient dédié à la "préservation" de l'ordre que la gauche défend sans ambiguïté et sans complexe ?
- Quel est le talon d'Achille du pro-vert "Mátrix" ?
- Eh bien, la Mátrix pro-verte, bien qu'elle maintienne sa structure tyrannique sous le couvert du "culte de l'homme" (c'est-à-dire en élevant ses aspirations les plus égoïstes ou compulsives au rang de "droits" sacro-saints), est fondée sur une amputation profonde de la nature humaine, qui est la rupture avec une loi supérieure, facilement discernable par la raison humaine, et avec le reniement de sa vocation de transcendance (habilement substituée par une "spiritualité" déliquescente). Et cette amputation, que la Mátrix pro-verte vend comme une conquête, finit par éveiller une profonde nostalgie chez les tyrannisés, qui ont besoin de se réconcilier avec leur vraie nature, qui ont besoin de se nourrir à nouveau des vérités profondes qui ont été occultées ou qui leur ont été retirées.
- Et pourtant, il faut....
- Tant que nous sommes encore humains, cette nourriture restera nécessaire ; il en est autrement lorsque la Mátrix progrè achève son dessein et que nous atteignons le degré d'"abolition de l'homme" auquel C. S. Lewis faisait référence.
- La flèche qui le blessera à mort est-elle déjà lancée, ou la dictature médiatique des valeurs de gauche est-elle encore solide ?
- Jamais le système établi n'a eu à sa disposition des moyens de persuasion et de propagande aussi dévastateurs qu'à notre époque. Monopole des médias, corruption généralisée du milieu intellectuel, etc. Mais il suffira que le bien-être économique s'effrite, bien-être que le système stimule pour adoucir la blessure infligée à la nature humaine anesthésiée, pour que la tyrannie vacille.
- Quelle est donc l'alternative ? Donnez-nous, par exemple, trois points pour lesquels il vaut la peine de se battre et où il est possible de renverser la situation.
- Pour renverser la situation, il faudrait susciter des débats de société qui parviennent à se détacher de la "pollution idéologique" dans laquelle se déroulent actuellement tous les débats. C'est-à-dire des débats qui parviennent à s'élever de la boue dans laquelle se déroulent les querelles idéologiques à un niveau supérieur, où les principes sur lesquels se fonde la nature humaine redeviennent intelligibles. La bataille à mener n'est pas idéologique, mais anthropologique. Et les points ou zones de friction où cette bataille doit être menée sont la défense de la vie, la recomposition du tissu cellulaire de base de la société (c'est-à-dire la famille) et la récupération d'une éducation qui redonne la possibilité de "connaître" le monde de manière harmonieuse, et non comme un simple agrégat d'impressions contingentes et chaotiques inspirées par l'idéologie.
- Ce sont trois zones de friction très chaudes en ce moment !
- C'est précisément là que la Mátrix pro-verte lance ses divisions de Panzer, car elle sait qu'au moment où les gens ré-accepteront leur vraie nature, sa domination prendra fin.
- Votre façon de voir les choses semble bien s'accorder avec le pontificat de Benoît XVI. Comment évaluez-vous sa figure ?
- Benoît XVI est un intellectuel lumineux et un homme d'une humanité simple, qui a voulu faire de la foi le moteur d'une transformation profonde de la société, ce que nous appelons la "nouvelle évangélisation". Ce qui caractérise la prédication et le magistère de Benoît XVI, c'est un retour aux sources de la foi. Il a compris que le seul moyen de sauver notre humanité est de la ramener à ses véritables racines, de nous réconcilier avec les vérités profondes que la pollution idéologique obscurcit ou rend inintelligibles.
- Est-ce pour cela que la religion est si contestée ces derniers temps ?
- Naturellement, cet effort de probité intellectuelle et de charité fraternelle est systématiquement dénaturé par ceux qui préfèrent maintenir l'être humain aigri et divisé. Benoît XVI combat en outre le dualisme qui a triomphé dans la sphère catholique au cours des dernières décennies, selon lequel la réalité peut être divisée en deux plans, l'un naturel et l'autre surnaturel, et aussi notre tête, de telle sorte que d'un côté nous faisons une profession de foi et de l'autre nous entrons dans la réalité sans foi. C'est un combat intellectuel et spirituel passionnant qui redonne de l'espoir à l'être humain ; mais il se heurte à une résistance farouche et furieuse.
- N'avez-vous pas l'impression que ces derniers mois, la Mátrix pro-verte a tiré la sonnette d'alarme contre le pape Ratzinger ?
- Sans aucun doute, parce qu'elle a détecté que Benoît XVI n'attaque pas les problèmes dans leurs manifestations banales, mais qu'il s'attaque à leurs causes les plus profondes, qui sont celles qui permettent de recomposer une compréhension unifiée du monde et du rôle de l'homme dans la Création. Cela a été perçu, par exemple, de manière grinçante dans la réaction provoquée par les récentes déclarations de Benoît XVI sur la nécessité d'"humaniser la sexualité" ; car ce que recherche la Mátrix progrè est précisément une sexualité déshumanisée, une "physiologisation" de l'homme qui nous transforme en chiens de Pavlov répondant aux stimuli qui garantissent l'ingénierie sociale que les organes de pouvoir de la Mátrix progrè se sont fixés comme objectif.
- Cette conception du monde est-elle "la beauté de l'ordre romain" à laquelle vous faites référence dans votre livre ?
- Je me réfère, précisément, à cette reconstitution de notre humanité, qui ne peut être atteinte que lorsque nous récupérons ce qui a été amputé de nous, notre vocation de transcendance. Et cette reconstitution que l'Église postule nous réconcilie avec la beauté; car pour moi, la foi est l'acceptation d'une beauté éternelle - si ancienne et si nouvelle, comme dirait saint Augustin - qui accompagne l'homme dans sa vie, dans chaque jour de sa vie, en le rendant intelligible, en le dotant de sens. Disons que l'ordre établi par la Mátrix progrè vise à élever, comme ce Nimrod qui régnait à Babel, une tour qui atteint le ciel, faisant croire aux hommes qu'en embrassant l'idéologie ils seront comme des dieux ; l'ordre romain dit à l'homme que le ciel est dans son cœur.
- Comme on trouve aussi dans La nueva tirania des articles intimes sur votre passé et vos proches, concluons par une question personnelle: pourquoi un romancier à succès s'attire-t-il de tels ennuis, qui ont dû lui valoir plus d'un déplaisir ?
- Car la mission d'un homme de lettres, comme celle de tout artiste, n'est pas de s'installer, mais de se remuer, même si en retour il ne reçoit que des contrariétés et des revers. Et parce que toutes ces contrariétés et ces revers ne sont rien comparés à la récompense de pouvoir se regarder sans honte dans le miroir.
Source ACI Press.
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Julius Evola: le philosophe en prison
L'essai de Guido Andrea Pautasso sur le procès du penseur traditionaliste en 1951
SOURCE : https://www.barbadillo.it/103086-julius-evola-il-filosofo-in-prigione/
Le philosophe vénitien Andrea Emo, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, écrivait, en diagnosticien lucide, que la démocratie libérale est "épidémique". Le terme doit être lu dans le sens étymologique grec: la démocratie moderne tend à se placer, à travers son appareil représentatif, "sur le peuple", à limiter sa liberté et l'exercice effectif de la souveraineté politique. Aujourd'hui, en pleine ère de la gouvernance, cela va de soi, mais à l'époque, une telle thèse était, pour le moins, suspectée de "nostalgie". Un livre de Guido Andrea Pautasso, récemment publié dans le catalogue de la maison d'édition Oaks, Il filosofo in prigione. Documenti sul processo a Julius Evola, semble confirmer la thèse d'Emo (pour les commandes : info@oakseditrice.it, pp.287, euro 20.00).
Julius Evola avec Gianfranco de Turris en 1972.
Le volume est enrichi par l'avant-propos de Gianfranco de Turris et la préface de Sandro Forte. Il s'agit d'une collection de documents produits lors du procès des F.A.R. (Fasci d'Azione Rivoluzionaria), qui s'est tenue à Rome en 1951. Le texte comprend les procès-verbaux des interrogatoires des accusés et des séances du procès, ainsi que tous les articles publiés dans la presse sur le sujet. La documentation est complétée par un article de Fausto Gianfranceschi, qui a également participé à l'enquête, intitulé In prigione con Evola (En prison avec Evola). L'auteur rappelle qu'Evola a été emmené par la police qui est alle le chercher dans son appartement romain dans la nuit du 23 au 24 mai 1951. La maison avait été surveillée par les hommes de la Sécurité Publique sous les ordres de Federico Umberto D'Amato qui, non par hasard, entre 1971 et 1974 (années de la stratégie de la tension), dirigeait le Bureau des Affaires Réservées du Ministère de l'Intérieur, bien que le philosophe soit depuis longtemps paralysé des membres inférieurs et donc incapable de faire une quelconque tentative de fuite. Il est accusé d'être le "mauvais professeur" d'un groupe de jeunes gens appartenant au F.A.R., qui ont mené des attaques spectaculaires contre le siège du parti, toutefois sans effusion de sang.
Certains militants du groupe planifient, entre autres, le naufrage du navire Colombo : "qui, selon le traité de paix, devait être cédé à l'Union soviétique" (p. 14). Le plan est découvert et plusieurs membres de l'organisation sont arrêtés : Clemente Graziani, Biagio Bertucci et Paolo Andriani. En 1951, les attaques du F.A.R. se multiplient et de nombreux militants de droite sont emprisonnés dans la capitale. C'est dans cette circonstance qu'Evola, inspirateur présumé de ces actions démonstratives, fut conduit en prison. Le traditionaliste, compte tenu de son état physique, a été détenu à l'infirmerie de la prison romaine de Regina Coeli pendant six mois. Le procès a débuté le 10 octobre. Le penseur a comparu devant le tribunal le 12 de ce mois, transporté sur une civière par des prisonniers ordinaires. À ce moment de l'histoire, le philosophe est occupé à réviser ses principales œuvres, si bien qu'en mai 1951, la nouvelle édition de Révolte contre le monde moderne est publiée. Pautasso rappelle que le traditionaliste : "sur l'insistance de son ami Massimo Scaligero, a commencé à collaborer avec certains journaux proches du Mouvement social" (p. 27).
Après la publication dans La Sfida de l'article d'Evola, Coraggio Radicale (Courage Radical), le philosophe entre en contact avec un groupe de jeunes qui collaborent avec "l'encre des vaincus" : Erra, Graziani, Rauti, Gianfranceschi. Gianfranceschi, devenu plus tard catholique, écrit à propos d'Evola : "Il nous a libérés des scories du passé auxquelles nous étions politiquement attachés, sans faire de concessions aux horribles clichés de l'"antifascisme"" (p. 28).
Le penseur a assisté à une conférence du MSI à Rome et, plus tard, a participé à la 2e assemblée des jeunes du parti. C'est le début de son intense collaboration avec des magazines régionaux, dont Imperium. Les trois articles publiés dans le périodique, ont suscité un grand intérêt dans le milieu politisé, car ils étaient centrés "sur une vision spirituelle, anti-eudémoniste et qualitative de la vie" (p. 36). Ces jeunes ont convaincu Evola d'écrire un seul texte d'éclaircissement sur le chemin de formation spirituelle qu'ils devaient emprunter. C'est ainsi que naquirent les 22 pages du pamphlet Orientamenti, qui devint rapidement le livre de chevet de la "jeunesse nationale" et fut considéré par la Questura comme rien de moins qu'une sorte de vade-mecum "ésotérique" pour terroristes.
Lors du procès, un fonctionnaire du Bureau politique a déclaré que c'est un dirigeant national du MSI qui a dénoncé le courant des jeunes lecteurs de la revue Imperium. Evola, dans son autobiographie, évoque l'épisode de son emprisonnement comme s'il avait été involontairement: "impliqué dans une affaire comique" (p. 42). L'affaire était en effet cocasse, si l'on considère que le philosophe avait clairement affirmé depuis les années 30 qu'il appréciait à quel point l'héritage "traditionnel" du fascisme était revenu au premier plan. Pour cette raison, il n'avait jamais adhéré au parti national-socialiste ni, a fortiori, au parti socialiste italien. En outre, comme le soulignent les documents judiciaires, il avait exhorté à plusieurs reprises ces jeunes à renoncer à toute forme d'activité politique et à rejeter toute pratique violente.
La défense et l'autodéfense de Francesco Carnelutti ont démontré que la pensée d'Evoli n'était pas réductible, sic et simpliciter, à la pensée fasciste, ses idées étant "traditionnelles et contre-révolutionnaires" (p. 18). Ainsi, devant l'évidence des choses, le 20 novembre 1951, Evola, Melchionda, Petronio et d'autres sont acquittés pour n'avoir pas commis de fait. Trois ans plus tard, la Cour d'Assises décide de ne pas poursuivre Evola, Erra et De Biasi pour apologie du fascisme, le crime ayant été éteint par l'amnistie.
Les magistrats, dans cette deuxième partie du jugement, concernant le crime d'apologie, avaient raisonné en ces termes: si les idées " traditionnelles " d'Evola réapparaissaient, même partiellement, dans le fascisme, cela impliquait qu'elles étaient, d'une certaine manière, en phase avec le régime totalitaire. Les documents et leur exégèse, présentés dans ce volume, clarifient comment la démocratie républicaine renaissante a ordonné des "procès d'idées", contre les idées jugées non conformes. Depuis, la réputation d'enseignant "sulfureux" d'Evola a pesé sur lui, et il a été dérouté par les critiques comme un penseur "impardonnable". Même dans cette circonstance, le baron a conservé un remarquable détachement intérieur par rapport aux événements qui l'impliquaient, témoignant de sa diversité existentielle.
17:56 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julius evola, far, italie, années 50, livre, tradition, traditionalisme, traditionalisme révolutionnaire | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Il est temps de dire "non" à l'Occident dans le domaine de la culture
Konstantin Malofeev
Source: https://katehon.com/node/81693?fbclid=IwAR3JlkCkB_d6BR2ocL2sO7pc5zXD5NLmKd61w0XMoZ-D6mMItiiCQwkfdC4
Comment créer en Russie notre propre Hollywood, débarrasser les programmes scolaires et universitaires d'une idéologie qui nous est étrangère et cesser de construire des villes laides et "manœuvrières" ?
De quoi parle mon livre ?
Il s'agit d'une conception historiosophique du monde. Habituellement, les historiens montrent le monde comme une série d'événements politiques, sans donner l'importance de l'argent, que celui-ci a en réalité. Mais derrière tout processus historique, il y a toujours le capital.
Le livre Empire est un voyage historique de l'Antiquité à nos jours, mettant en scène la confrontation constante de deux visions du monde opposées. La civilisation de l'honneur - Empire et la civilisation de l'argent - Canaan.
Caractères latins au lieu de caractères cyrilliques ?
Une culture originale et distinctive est la plus grande réussite d'un peuple dans l'histoire. Chaque nation qui a assumé la mission historique d'Empire - Babyloniens, Perses, Grecs, Romains - a remporté des succès culturels exceptionnels et a créé sa propre civilisation.
Le peuple russe n'a pas fait exception : l'acceptation par la Russie de la mission de la Troisième Rome a entraîné un essor majestueux de sa culture. Après avoir subi un choc culturel occidentalisé sous l'influence des réformes de Pierre le Grand, l'Empire russe, surtout à partir du règne de l'empereur Nicolas Ier, commence à se tourner à nouveau vers les principes originels de l'orthodoxie, de l'autocratie et de la nationalité. Cette formule canonique a été exprimée pour la première fois par le comte Uvarov (tableau), ami d'enfance de l'empereur et ministre de l'éducation. Les slavophiles et F. M. Dostoïevski suivront le mouvement. Au début du règne de l'empereur Nicolas II, la Russie possédait l'une des plus grandes littératures, une grande musique, une architecture et une peinture distinctives, ainsi que les sciences exactes et humaines les plus avancées de l'histoire de l'humanité. Cette civilisation originale était imprégnée de l'esprit de l'orthodoxie.
Le régime bolchevique était, en un sens, une tentative désespérée de l'Occident d'empêcher la civilisation russe d'être enfin libérée de sa captivité occidentaliste. Tout ce qui parlait de l'identité russe - le style national dans l'architecture et la musique, les images de l'orthodoxie et de la nationalité - a été férocement détruit, les temples ont été dynamités, les poètes et les philosophes ont été bannis. Elle en arrive même à promouvoir la latinisation de l'écriture russe: "Seul l'alphabet latin correspond à la tâche du véritable internationalisme", proclament en 1932 les membres de l'"alliance internationale non nationale" (SAT), en la nommant "union internationale des nationalités". (SAT) qui se faisaient appeler Satan par l'homme de la rue.
Le cœur de la résurgence de l'empire
Mais la civilisation russe originelle était plus forte que les bolcheviks : elle a germé en URSS de l'intérieur, malgré l'opposition des dirigeants du Komintern. Les idées des Shmenovekhovites vaincus ont été reprises par le groupe de Zhdanov à Leningrad. Dans les années 1960, une décennie et demie après l'exécution des personnes impliquées dans l'"affaire Leningrad", le "Parti russe" a de nouveau parlé d'identité nationale : sa voix a été entendue de nouveau par les écrivains dévots, le peintre Ilya Glazunov, le compositeur Georgy Sviridov et bien d'autres. Après avoir survécu à la bacchanale de la russophobie pendant les années de la perestroïka et de l'eltsinisme, l'idée de l'identité russe gagne à nouveau en force ces jours-ci.
La popularité de la série télévisée Godunov, avec Sergei Bezrukov en vedette, confirme que les gens s'intéressaient beaucoup à l'histoire de l'État russe.
Non seulement cela, mais l'adieu de la civilisation russe à l'Occident semble n'avoir aucune alternative, même pour une partie de l'élite pro-occidentale. Canaan (c'est ainsi que j'appellerai la totalité des forces obscures de l'histoire du monde, dont les principaux signes sont la soif de richesse, la piété et la dépravation morale) est en train de tuer les restes de l'Europe, que Dostoïevski appelait autrefois "le pays des saintes merveilles". Sous nos yeux se forme un monstre totalitaire sodomite, qui a lancé une attaque contre les vestiges de la haute culture chrétienne européenne, désormais proclamée raciste. Par conséquent, en revenant aux idéaux de la Troisième Rome et de la Sainte Russie, nous créons également pour les chrétiens du monde entier une alternative aux non-valeurs du déclin de l'Occident.
Au sommet de la hiérarchie des valeurs culturelles devraient certainement figurer celles qui sont issues de l'orthodoxie. L'âge d'or de la littérature russe nous a donné Pouchkine et Gogol, Dostoïevski et Leskov. Tous les classiques russes sont imprégnés de l'esprit de l'orthodoxie. L'école soviétique l'a adapté du mieux qu'elle a pu aux pionniers et aux membres du Komsomol, tout en conservant les idéaux éthiques de bonté, d'amour et de loyauté. C'est sur cette base solide que nous devons construire notre politique publique culturelle. Les classiques russes, dans les nouvelles formes du XXIe siècle, devraient devenir le principal noyau culturel de l'Empire renaissant.
Du bagage du 20e siècle, nous devrions retirer la science-fiction soviétique originale dans le genre de l'utopie qui nous met sur la voie d'un avenir meilleur. À cet égard, il contraste fortement avec les dystopies occidentales dont le but est de démoraliser le public face à une "réinitialisation" totalitaire. Les gens peuvent plus facilement accepter un camp de concentration numérique, une pandémie meurtrière ou la domination des robots s'ils ont lu et regardé des histoires d'horreur sur ces sujets dès leur enfance. Au contraire, la fiction soviétique de Belyaev, Efremov, Bulychev et d'autres a créé des mondes d'un bel avenir, auxquels l'âme chrétienne russe a volontiers cru.
Notre pays est au centre de l'histoire du monde
La tradition orthodoxe, les classiques russes et la science-fiction soviétique nous distinguent et nous séparent du monde fou créé par le Canaan mondial. Le monde occidental n'est pas arrivé à son déclin actuel du jour au lendemain, aussi les éléments de la culture européenne des siècles passés, imprégnés de rébellion délibérée et de dépravation cananéenne, devraient être constamment dévalués : les références à ces éléments devraient être supprimées des programmes scolaires, et toute activité les promouvant - privée du soutien de l'État.
Les perceptions actuelles de la culture mondiale imposées par l'Occident, qui placent la Russie à la périphérie arriérée du soi-disant Nouveau Monde, doivent être complètement reconsidérées. La nouvelle vision de l'oekoumène culturel implique une vision de la Russie comme un empire majestueux de la Troisième Rome, le Kathekon, qui, selon les mots de l'apôtre Paul, retient le monde du mal. Son noyau sémantique devrait être l'idée de service à Dieu et à la patrie, portée par les millénaires.
Le nombre d'heures d'école devrait être réduit pour l'anglais adopté dans les anciennes colonies britanniques et les colonies américaines actuelles. La Russie est une civilisation distincte et ses enfants n'ont pas besoin de codes culturels étrangers. La place principale dans le programme scolaire devrait être accordée à l'histoire de la Russie et des empires précédents. Les écoliers russes des 16e et 17e siècles ont étudié une histoire claire et distincte depuis la création du monde - à travers l'Ancien Testament, la puissance d'Alexandre le Grand et l'Empire romain jusqu'aux temps modernes - comme l'histoire du Royaume établi par Dieu. L'histoire du monde s'est construite autour de l'Empire, et non autour de l'Occident comme c'est le cas aujourd'hui.
Cette déformation a commencé dans nos manuels scolaires à l'époque des historiens allemands invités en Russie par Pierre le Grand, et est devenue désastreuse à l'époque soviétique, lorsque le pamphlet de F. Engels L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État est devenu le fondement de l'historiosophie communiste.
Les écoliers russes doivent comprendre clairement qu'ils sont les héritiers de la gloire de l'Empire russe, du Royaume de Moscou, de l'ancienne Russie, de l'Empire de la Nouvelle et de l'Ancienne Rome, du Royaume d'Alexandre et de Cyrus et même de l'Ancien Empire de Babylone, Sumer et Akkad. Ce grand tableau de l'histoire humaine éduquera la prochaine génération de bâtisseurs d'empire, conscients de leur rôle décisif dans le destin du monde.
Pour donner aux écoliers une idée plus claire de la vie des empires du passé, les histoires de héros antiques devraient être ramenées à l'école, et le grec ancien et le latin devraient être ramenés dans les gymnases de sciences humaines. Toutefois, comme l'a montré l'histoire des dernières décennies de l'Empire russe, il ne suffit pas d'éduquer un citoyen uniquement sur des exemples élevés de culture classique. À côté du grec ancien et du latin, il convient d'accorder une place digne de ce nom à la langue slave de l'Église, dans laquelle, aujourd'hui encore, nous nous adressons à Dieu.
Le style russe en architecture vs. "gratte-ciel"
Faire appel au patrimoine russe en architecture est un énorme défi. Grâce aux politiques des empereurs Alexandre III et Nicolas II, le style russe distinctif a non seulement dominé de manière absolue la construction d'églises, mais a également trouvé de plus en plus d'applications (surtout en combinaison avec des éléments de l'Art nouveau) dans l'architecture civile - palais, bâtiments publics, maisons privées et villas. Son développement à son point culminant, atteint à la veille de 1917, a été artificiellement interrompu par le bolchevisme.
Le style russe est universel et peut servir de base à la construction de tous les types de bâtiments, tout comme le style arabe est clairement visible dans les gratte-ciel modernes de Dubaï, et le style chinois dans les gratte-ciel de Shanghai. L'expérience des gratte-ciel de Staline a montré que des éléments du style russe, tels que le chapiteau, peuvent également être appliqués à la construction de gratte-ciel. Le style russe devrait devenir la norme pour les infrastructures financées par les pouvoirs publics, telles que les bâtiments publics, les écoles et les musées, les gares et les stations de métro.
Les baraquements multifamiliaux, les "man-houses", doivent cesser d'être la norme du logement russe. L'attitude barbare envers les bâtiments historiques devrait être catégoriquement supprimée en Russie. La démolition des bâtiments construits avant 1917 devrait être totalement interdite. Ces bâtiments ne peuvent être reconstruits qu'avec un contrôle strict.
La fierté de la patrie
L'environnement urbain et rural de la Russie, en particulier ses régions spirituellement et culturellement significatives, doit être transformé de telle sorte qu'un séjour y soit une joie et soit associé à la connaissance de son histoire, à l'esprit de sa culture et à sa légende.
"Nous n'avons pas du tout le rêve d'avoir notre propre patrie. Et le rêve cosmopolite a poussé sur un sol nu..." a déploré Vasily Rozanov. - Étudier à Simbirsk - rien sur Sviyaga, sur la ville, sur les poètes autochtones (coutumes) - Aksakovs, Karamzin, Yazykov, sur la Volga - là déjà beau et grand. Étudier à Kostroma... rien - sur le monastère Ipatiev. Sur l'image miraculeuse de la Mère de Dieu (locale) Feodorovskaya - rien".
Cette absence de rêve de la patrie est, dans une plus large mesure encore, le talon d'Achille de la Russie contemporaine, un fait qui a été rendu particulièrement aigu par les événements de 2020, lorsque les citoyens russes, piégés par le coronavirus à l'intérieur des frontières du pays, ne savaient tout simplement pas où aller ni où trouver quoi que ce soit d'intéressant. Il ne fait aucun doute que le "tourisme" hédoniste cultivé par l'Occident comme une forme d'économie de consommation doit finir par céder la place à une exploration plus saine et plus passionnante de son pays d'origine. La Russie historique doit être à la fois un rêve, une légende, un Kitezh et un environnement accessible pour la contemplation, l'admiration et l'exploration. Et c'est cette unité avec la Mère Patrie qui devrait devenir la récréation préférée du peuple russe.
Une attention particulière doit être accordée à la politique monumentale du souvenir. La situation est anormale lorsque, d'une part, les villes russes sont couvertes de statues des organisateurs et des exécutants de la "terreur rouge" contre le peuple russe et que des rues et des places portent leur nom, alors que, d'autre part, les monuments aux fondateurs de l'État russe, détruits par les bolcheviks, n'ont toujours pas été restaurés et que les villes et les rues n'ont pas reçu leur nom historique. Il est dommage que Moscou n'ait pas de monuments à la mémoire des grands ducs Alexandre Nevsky, Ivan Kalita, Dmitry Donskoy et Ivan III, des tsars Ivan le Terrible, Mikhail Fedorovich et Alexei Mikhailovich, ou des empereurs Nicolas Ier et Alexandre III.
Comment créer "notre Hollywood" ?
Une renaissance de la culture russe devrait également avoir lieu dans le domaine de la cinématographie. Le cinéma russe commence à se développer fortement sous l'empereur Nicolas II, constituant une concurrence sérieuse pour le cinéma américain. Mais l'industrie cinématographique russe a été par le suite condamnée à exister dans les limites extrêmement restreintes de la politique culturelle officielle des autorités soviétiques.
Pourtant, cet élément russe était présent et dominant à la fois dans le cinéma historico-patriotique des années 1930 et 1950, et dans les dessins animés soviétiques de la même époque qui rivalisaient avec Disney quant à la forme impeccable et le contenu profondément national.
La Fédération de Russie a consacré des dizaines d'années d'argent public au cinéma, avec des résultats déplorables, finançant les inepties de la "classe créative" russophobe. Cette pratique doit cesser. Pour allouer des fonds publics, il faut une commande d'État strictement définie dans le domaine du cinéma - pour les films historiques-patriotiques et spirituels-moraux, le renforcement des familles, le fait d'avoir beaucoup d'enfants et les mariages précoces. Ces projets doivent être mis en œuvre dans la logique de la cinématographie de production avec un contrôle strict à toutes les étapes. Pour tout autre film qui ne relève pas du champ d'application de l'achat direct par l'État, il devrait y avoir un système de soutien à primes.
Le même principe de participation de l'État devrait s'appliquer à d'autres sphères culturelles socialement significatives telles que le théâtre, la littérature, la musique et les arts visuels. Il devrait y avoir partout des commandes d'État claires, fondées sur des valeurs, qui excluent la corruption. Et d'autre part, il devrait y avoir un système développé de prix à accorder et de concours d'État et de compétitions publiques qui soutiennent tout ce qui est brillant, vivant, vraiment réussi et en même temps existant dans la logique de la civilisation russe.
Comme l'a écrit I. Ilyin : "On peut faire appel à la vertu et à la loyauté ; on peut montrer et expliquer leurs avantages ; on peut interdire et punir les mauvaises actions. Mais le "royaume de Dieu" et la culture spirituelle ne naissent pas d'un ordre de l'État. Cela ne signifie pas que le gouvernement n'a "rien à faire", mais son travail se limite à assurer la liberté dans le droit, à prévenir toute entreprise mauvaise et tentatrice, à organiser l'éducation publique et à sélectionner les personnes de bonne volonté. C'est pour ces personnes de bonne volonté dans tous les domaines de la culture et de la science qu'un système de bourses d'État et de subventions devrait exister. Les scientifiques et les artistes qui ont obtenu des résultats d'importance nationale, voire internationale, devraient avoir la possibilité matérielle de se concentrer uniquement sur la recherche et la créativité.
Il est nécessaire de restaurer au niveau des codes culturels profonds la famille patriarcale forte et solidaire avec de nombreux enfants. C'est l'image d'une telle famille qui devrait devenir la référence pour le cinéma et la télévision existants, soutenus par l'État.
Goût - protection contre la vulgarité
La préservation du caractère élevé de la culture russe classique et l'opposition aux tentatives de la diffamer sont essentielles pour bien saisir les avantages de sa propre culture, la culture russe. Comme l'a souligné N. Karamzin : "Le Russe, au moins, devrait connaître son prix". L'éducation esthétique - musicale, artistique, littéraire - devrait devenir l'une des composantes importantes du processus éducatif dans les écoles et les universités. Les cours de littérature, de musique et de culture artistique devraient avoir pour objectif de développer le goût artistique des écoliers, qui devrait être façonné par une écoute attentive des œuvres des classiques de la musique russe et mondiale et par des visites régulières des principaux musées d'art de Russie, dont la priorité devrait être accordée aux excursions scolaires plutôt qu'à l'accueil de touristes étrangers. Un goût développé pour l'art est une protection naturelle contre la propagation du Sodome mondial moderne par le biais d'une culture de masse agressive et vulgaire sur Internet.
Le goût artistique doit être associé à l'ascétisme, caractéristique du chrétien, c'est-à-dire à une raisonnable retenue dans la consommation. Les publicités pour la consommation effrénée de crédits promue par le consumérisme occidental doivent être strictement réglementées, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, surtout lorsqu'elles touchent les enfants et les jeunes. En même temps, l'ascétisme n'implique pas la grisaille et la fadeur, mais la clarté et l'austérité, la recherche d'un minimum esthétiquement beau plutôt que d'un maximum vulgaire.
Le style impérial suggère l'introduction d'une étiquette stricte, notamment dans les espaces publics et dans le comportement entre les rangs de la fonction publique. Le retour au port de l'uniforme, non seulement pour les militaires, mais aussi pour les fonctionnaires, les enseignants et les étudiants, est nécessaire. Dans la sphère publique, il faut renoncer à la permissivité et au laisser-aller dans les discours et les écrits (y compris sur Internet), dans l'habillement et le comportement.
Il convient d'encourager les créateurs de mode russes et de favoriser toute utilisation de motifs folkloriques dans les vêtements de tous les jours. Diplômé d'Oxford, le Mahatma Gandhi, avocat londonien, a d'abord troqué son costume trois pièces pour la tenue traditionnelle indienne, avant de libérer l'Inde du colonialisme britannique.
Ligne de fond
La politique culturelle d'un empire renaissant doit, dans tous ses aspects, mettre l'accent sur l'idée d'identité et d'autarcie: l'Église orthodoxe, un Internet souverain, des commandes d'État dans le cinéma et la littérature, le soutien au grand art, un programme scolaire indépendant de l'Occident, un style impérial dans l'architecture et l'étiquette, un style russe dans l'habillement et la vie quotidienne. Un empire est toujours une civilisation distincte. Notre tâche est d'assurer par l'éducation et la culture la succession de ces traditions civilisationnelles et leur préservation pour les futures générations de créateurs et de guerriers de l'Empire. Ce n'est qu'alors que le monde pourra être sûr que, selon les mots de l'apôtre Paul, "le mystère de l'iniquité" ne se produira pas, puisque le Katechon, qui préserve le monde du mal, est toujours vivant et éveillé. Et le nom du Katechon, c'est la Russie.
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Что такое translatio imperii? Какую традицию унаследовала Российская Империя от Ассирии, Персии и Рима? Какова миссия России в мировой истории?
Книга Константина Малофеева посвящена Империи, ее прошлому, настоящему и будущему. Автор исследует взаимодействие в мировой истории имперского начала, основанного на религиозно обоснованной власти, и начала торгово-финансового.
Перед читателем разворачивается грандиозная историческая панорама — Ассирия и Вавилон, Греция и Персия, Рим и Карфаген и так вплоть до нашего времени — крушение Российской Империи, взлет и падение советского проекта, установление современного миропорядка и попытки противодействия ему. Великие завоеватели, пророки и святые, торговые корпорации и банкирские дома действуют на этих страницах. В первом томе рассматривается период зарождения Империи до падения Константинополя в 1453 году.
Исследование, с одной стороны, базируется на лучших достижениях отечественной и мировой историографии, а с другой — предлагает оригинальные историософские идеи, десятилетиями разрабатывавшиеся автором. Книга будет интересна как специалистам-историкам, философам, политологам, экономистам, так и студентам и широкому кругу любителей истории.
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Parution du n°447 du Bulletin célinien
Sommaire :
Entretien avec Jean Guenot
Céline dans France-Soir (1946-47)
Entretien avec Oskar Hedemann
Suspicion et mauvaise foi. C’est ce qui caractérise l’article de Philippe Roussin sur l’affaire des manuscrits retrouvés. Il tance les ayants droit et loue le receleur. Selon lui, il n’y eut d’ailleurs pas de recel puisqu’il n’y eut pas de vol ! Explication : les manuscrits furent « abandonnés » [sic] par Céline. Spécieux. Tout juste si Roussin ne le suspecte pas d’avoir laissé ouverte la porte de son appartement lorsqu’il s’enfuit le 17 juin 1944. Peu importe que celui-ci ait écrit : « On ne va rien toucher à l’appartement on reviendra… l’on ne peut pas dire que l’on ne reviendra jamais. » Si Céline avait été propriétaire (et non locataire) de l’appartement rue Girardon, Roussin serait-il aussi péremptoire ? Ce qui l’insupporte, c’est que, dans cette affaire, l’écrivain soit considéré comme un volé, et donc une victime. Logique : si l’écrivain n’a pas été volé, les ayants droit n’avaient aucune raison d’ester en justice. Ce que Roussin omet soigneusement de préciser, c’est que si François Gibault et Véronique Chovin ont déposé plainte, c’est parce que Thibaudat refusait obstinément de restituer ces manuscrits qui leur appartiennent. Et entendait décider seul de leur sort : en l’occurrence, en faire don à l’Institut Mémoire de l’Édition (IMEC) dont il est proche. Par ailleurs, le fait que ce recel ait privé Lucette d’une joie certaine ne préoccupe nullement Roussin. Pas davantage le fait qu’à la fin de sa vie, elle avait un pressant besoin d’argent, ayant à rémunérer plusieurs personnes qui s’occupaient d’elle en permanence. Thibaudat, lui, se considérait comme le dépositaire des manuscrits, ce qui l’a autorisé à les garder par devers lui pendant des années. Le conseil des ayants droit, Jérémie Assous, n’a pas tort de dire que le journaliste de Libé est comparable à quelqu’un qui aurait gardé pendant des décennies dans son salon une toile de maître volée. Mais, de toute évidence, le droit moral et patrimonial des héritiers, Roussin n’en a cure. Mieux : il leur fait un procès d’intention en subodorant qu’ils pourraient garder sous le boisseau des textes compromettants, ce qui est saugrenu, connaissant l’objectivité du biographe qu’est Gibault. Roussin, auteur d’un livre sur Céline de 800 pages, a-t-il jamais éprouvé pour l’écrivain « une admiration sans bornes », à l’instar de Taguieff et Duraffour qui nous firent cette confidence dans leur livre obèse ? Sûrement pas. On comprend même, entre les lignes, que Céline ne mérite pas, selon lui, le statut de « plus grand écrivain français du XXe siècle » qu’on lui accorde généralement. Et de citer complaisamment l’appréciation de Houellebecq qui le considère comme « un auteur ridiculement surévalué ». Venant de la part de quelqu’un dont le style est aussi plat qu’une limande, cela prête à sourire. Quant à Roussin, il estime qu’il faut rendre grâce à ceux qui ont “recueilli” ces manuscrits pendant des décennies. Et qu’il faut, en revanche, juger âprement les ayants droit qui ont eu le front de déposer plainte. Il importe surtout de condamner, une fois encore et toujours, les fautes dont Céline s’est rendu coupable. Et de ressasser ad libitum les éléments du procès qui lui est intenté depuis près de 80 ans. C’est qu’il s’agit pour Roussin de conjurer « le mauvais vent d’hiver maurrassien de l’époque ». De la part d’un fonctionnaire, on pouvait s’attendre à davantage de réserve. L’ironie de l’histoire étant que cet article soit publié sur un site internet placé sous l’égide de Maurice Nadeau qui prit fait et cause pour Céline lorsqu’il était exilé.
• Philippe ROUSSIN, « Déshonneur et patrie : retour sur l’affaire Céline », En attendant Nadeau, 15 décembre 2021 [https://www.en-attendant-nadeau.fr/2021/12/15/deshonneur-patrie-affaire-celine].
Marc Laudelout
Céline à hue et à dia
Louis-Ferdinand Céline est un immense écrivain. Il fut aussi antisémite et souhaita la victoire des forces de l’Axe. Deux raisons pour lesquelles il est légitime pour beaucoup de le honnir. Mais ce n’est pas suffisant pour certains qui, ajoutant la diffamation à la détestation, l’accusent d’avoir été un vil délateur, un auxiliaire de la police allemande et un partisan du génocide. Sans apporter aucune preuve formelle et contredisant ainsi les spécialistes intègres de l’écrivain : « Ses pamphlets ne présentent pas d’appel au meurtre explicite » (R. Tettamanzi) ; « Céline n’avait pas voulu l’holocauste et n’en avait pas même été l’involontaire instrument » (F. Gibault) ; « Les mesures que Céline préconise contre les juifs se suffisent à elles-mêmes, sans qu’on aille jusqu’à lui prêter une idée ou un désir d’extermination » (H. Godard).
D’autres enfin, pour enfoncer le clou, affirment que c’est un écrivain surévalué. Dans cet ouvrage, Marc Laudelout, éditeur du Bulletin célinien depuis 40 ans, épingle ces anticéliniens rabiques. Il évoque aussi diverses interférences littéraires, dresse le portrait de quelques figures (dont les « céliniens historiques ») et explore quelques faits liés à la biographie ainsi qu’à la réception critique de l’œuvre.
Un volume broché de 412 pages, 25 € frais de port inclus.
Exemplaire dédicacé sur demande.
Mode de règlement : chèque (bancaire ou postal) à l’ordre de M. Laudelout. Ou par virement bancaire sur le compte LCL du Bulletin célinien à Lille : IBAN : FR59 3000 2082 3100 0019 5794 L60 (BIC : CRLYFRPP).
Dans ce cas, il est recommandé de nous adresser un courriel signalant ce virement.
Autre mode de paiement : virement sur le compte du BC à Bruxelles : BE 79 0637 1647 0933 (BIC : GKCCBEBB).
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Marc Laudelout
139 rue Saint-Lambert
B. P. 77
BE 1200 Bruxelles
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Les deux étendards, l'amour entre paganisme et christianisme
A propos de l'édition italienne des Deux Etendards de Lucien Rebatet
par Manlio Triggiani
Les Edizioni Settecolori publient un classique de la littérature française de Lucien Rebatet : il manquait en traduction italienne. Un projet qui dure depuis vingt ans...
SOURCE : https://www.barbadillo.it/102539-segnalibro-i-due-stendardi-amore-fra-paganesimo-e-cristianesimo/
Situé dans les années 1920 mais écrit entre 1943 et 1949, Les Deux Etendards est le livre culte de Lucien Rebatet. Son style, son écriture et ses thèmes montrent que l'écrivain français était un enfant de la modernité et qu'il en a représenté les sentiments et les idées de manière complète et bien ficelée. Amateur des nouveaux mouvements culturels de l'époque, du futurisme au surréalisme et au dadaïsme, il est avant tout attiré par l'expérimentation en cours dans les différents arts. Les deux étendards représente, de manièrequais plastique, le roman traditionnel, avec une structure solide pleine de références à Dostoievsky, Balzac et Stendhal mélangées à un lexique très moderne. Un roman qui se déroule sur plusieurs niveaux, offrant différentes lectures du récit, avec des registres toujours changeants autour d'un pôle narratif : la dynamique d'un triangle amoureux entre deux jeunes amis, Régis et Michel, qui aiment tous deux Anne-Marie, dix-huit ans. Michel, de Paris, est un nietzschéen, un païen ; Régis, de Lyon, aspire à être accepté dans la Compagnie de Jésus pour satisfaire son penchant mystique et spirituel. Anne-Marie est belle, séduisante, mais plus intéressée par son propre sexe que par le sexe masculin. Elle voit en Régis, un disciple de saint Ignace de Loyola, l'homme qui a peut-être trouvé le moyen de sortir de la préoccupation de la sexualité qu'elle connaît déjà. Dans cette histoire, l'issue du triangle non résolu est un entrelacement de pulsions, d'émotions, de passions, d'obsessions et le livre montre une vue en perspective de l'être et des sentiments des trois garçons. Un sondage, un approfondissement continu qui donne à la vision de ce triangle plus de clarté et plus de couleur si l'on considère que ce livre est - aussi - un hymne à la jeunesse. Un âge difficile mais aussi un âge où tout semble possible et éternel, où les sentiments tels que l'amitié et l'amour, mais aussi les choix et les aspirations, sont totaux.
Un roman des sentiments
Un roman de sentiments, de pulsions, donc, avec la jeunesse en son centre, mais, comme le souligne efficacement Stenio Solinas dans la préface, également un roman d'idéologie ou - mieux - de visions du monde opposées : le catholicisme d'un côté, le paganisme de l'autre, le Christ d'un côté, Dionysos de l'autre, le mysticisme d'un côté et la vie avec ses plaisirs et ses peines de l'autre.
Entre-temps, Rebatet, qui est né en 1903, a vécu ses années de maturité dans un climat de conflit social et, surtout, il les a vécu en pleine guerre. Il a vécu et décrit, dans des articles et des livres, la défaite de la France et analysé la décadence du peuple français, avec la grandeur raillée, et a fait son propre choix politique, à une époque où les intellectuels manifestaient résolument leur engagement.
Rebatet a choisi le fascisme et a écrit des articles et des pamphlets violents en termes non équivoques. Il s'agissait d'une décision pour "racheter sa patrie, victime de la décadence". Après l'occupation allemande, il a été emprisonné pour avoir rejoint le fascisme et pour collaborationnisme. Ses écrits ont pesé lourd dans la décision du jury de le condamner à mort. Dans sa cellule, en attendant son exécution, il luttait contre le temps, jour après jour, pour écrire et réviser Les deux étendards, sur lequel il travaillait depuis 1943. Au début, il l'a intitulé Ni Dieu ni le diable. Après quelques mois, la peine de mort est commuée en prison à vie et l'écrivain travaille à ce roman jusqu'en 1949, date à laquelle le manuscrit est remis à l'éditeur Gallimard. Il a été publié en 1951.
Peu de temps après, Rebatet a été gracié et libéré de prison grâce à la pression de l'intelligentsia française. L'histoire de la récente publication italienne de ce livre a été troublée, ce qu'explique Stenio Solinas dans la préface, avec affection.
Le rêve de Pino Grillo devient réalité
C'est le livre que le directeur de la maison d'édition Settecolori, Pino Grillo, voulait publier, mais diverses vicissitudes et complications se sont rapidement accumulées jusqu'à ce qu'une maladie emporte ce digne et généreux éditeur. Son rêve de traduire les Deux Etendards semblait s'être envolé pour de bon. Vingt ans plus tard, son fils Manuel, avec courage, n'a pas abandonné ce rêve et, relançant la maison d'édition avec quelques amis, a mené à bien ce projet. Parfois, les "histoires parallèles", même si elles sont difficiles et troublées, donnent un sens à l'existence et aux œuvres de ceux qui restent.
Manlio Triggiani
Lucien Rebatet, I due standardi, Edizioni Settecolori, (introduction de Stenio Solinas, traduction de Marco Settimini), 2 vol. pp. 700 et 728 ; euro 48. Les volumes peuvent être achetés directement auprès de la maison d'édition dirigée par Manuel Grillo.
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L'ère hyperindustrielle et la misère du symbolique
Sur la parution en Italie d'un livre de Bernard Stiegler, qui s'est donné la mort en août 2020
par Giovanni Sessa
Source : Barbadillo & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/l-era-iperindustriale-e-la-miseria-del-simbolico
Depuis quelque temps, nous soutenons qu'il serait nécessaire de se débarrasser de l'idée néfaste de la fin de l'histoire. La société contemporaine n'est pas le "meilleur des mondes possibles", elle est surmontable et amendable. Nous avons été confortés dans cette position par la lecture d'un récent ouvrage du philosophe français Bernard Stiegler, La miseria symbolica. L'epoca iperindustriale, publié par Meltemi (pour les commandes : redazione@meltemieditore.it ; 02/22471892, pp. 164, euro 16.00). Le volume comprend une introduction de Rossella Corda, une postface de Giuseppe Allegri et un essai du Gruppo di ricerca Ippolita, qui édite les œuvres de Stiegler en Italie.
Le lecteur doit savoir que le penseur français ne se limite pas à élaborer un diagnostic des causes qui ont produit l'ère hyperindustrielle, mais propose une thérapie pour le malaise individuel et communautaire qui caractérise les relations humaines en son sein. En premier lieu, il se débarrasse du cliché de la post-modernité lyotardienne et baumanienne, qui porte implicitement en soi la référence à un prétendu post-industrialisme, trompeur pour l'exégèse du présent. Il serait plutôt approprié d'utiliser l'expression d'âge hyper-industriel pour désigner notre époque: elle permet de comprendre l'ingérabilité de la tèchne et, surtout, le lien qui unit l'esthétique et le politique en un seul. Notre époque est celle de la misère du symbolique.
Ce paupérisme ne conduit pas à la définition "du je et du nous, à partir de la pauvreté d'un imaginaire colonisé ou surexploité par les technologies hyper-médiatiques [...] qui invalident la prolifération d'un narcissisme primaire physiologique" (p.9). Conscient de la leçon de Deleuze, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle et, en ce qui concerne les processus d'individuation, de celle de Simondon, Stiegler présente une analyse de la pensée symbolique comme pharmakon, poison et antidote à la fois: "dans le sillage de cette longue tradition qui part de Platon" (p. 10), conclut Corda.
Certes, ni les guerres conventionnelles ni les conflits sociaux n'ont disparu, mais le monde contemporain connaît une guerre plus envahissante, celle qui se déroule dans la sphère "esthétique", où la con-sistance symbolique est en jeu. Pour Stiegler, le terme "esthétique" désigne le "sentiment" en général. Le politique vise la construction d'un pathos commun "qui intègre notre partialité-singularité réciproque [...] en vue d'un devenir-un" (p. 11), par l'établissement de relations de sympathie, fondées aristotéliciennement sur la philia. On peut en déduire que la politique est un acte esthétique basé sur "la participation e-motive-créative" (p. 11), visant à la construction du corps social. Elle peut induire la réalisation du nous ou ouvrir des échappatoires dissolvantes. La seconde hypothèse se produit lorsque les "affects" sont pris au piège de l'exploitation menée par la Forme-Capital qui, colonisant l'imaginaire par le marketing, dirige la dimension désirante de l'homme et marchandise la vie.
Le capitalisme cognitif et la société de contrôle, son corrélat historique, vivent de cet abus esthétique, si subtilement puissant qu'il détermine la mise à zéro de la honte prométhéenne qui, selon Anders, aurait accompagné, en tant que trait "affectif", l'âge de la technologie. Il est nécessaire, souligne passionnément le penseur, d'échapper à l'emprise de l'hétéro-direction socio-existentielle et "de remettre en mouvement les processus de désir actif " (p. 11). La guerre esthétique peut être gagnée à condition de connaître les substrats complexes de rétentions sur lesquels se structure la production imaginale. Il ne suffit pas de s'arrêter aux rétentions primaires et secondaires analysées par Husserl. Les premières se constituent sur le présent de la perception (l'écoute d'une symphonie), les secondes sur les processus d'image (le souvenir de cette écoute), mais les plus pertinentes, dans la phase actuelle, sont les rétentions tertiaires, produites par la mémoire externalisée que nous fournit la technologie. Dans ce contexte, nous avons affaire à des "objets temporels industriels", qui donnent lieu à la répétition infinie des expériences et des perceptions et qui influencent la définition du moi et du nous: "ils se déposent dans une sorte d'archive de base, à la fois physique [...] et abstraite" (p. 13). De cette façon, nous atteignons le point d'écouter sans plus entendre, nous écoutons mécaniquement, comme des magnétophones humains.
Cette situation, et son possible renversement, peut être déduite, selon Stiegler, du film de Resnais, On connaît la chanson. La rétention tertiaire a ici le visage de la répétition du refrain des chansons, devenues "mémoire collective", non pas d'un "nous consolidé", mais du "on social inauthentique", dont Heidegger a parlé magistralement. En même temps, les protagonistes de ce film visent à transvaloriser, à transformer leur "souffrance" symbolique en une action symbolique. C'est la possibilité esthético-politique cachée dans la misère imaginaire. Le penseur stimule le trait poïétique des hommes, afin qu'ils adhèrent à "une autre capacité d'imaginer" (p. 15), qui ne peut se fonder sur un retour à un passé donné, non touché par le système technique, mais qui doit en découler. Le Gestell doit être considéré comme un lieu de décision : on peut y procéder à la mise à l'écart définitive du je et du nous (l'état actuel des choses) ou à leur re-constitution, au-delà de la marchandisation universelle en cours (cette position ne semble pas différente de celle du Travailleur de Jünger).
Seule l'adhésion à une philosophie imaginaire, a-logique, comme l'idéalisme magique évolutif, peut permettre au poietes de se sentir perpétuellement exposé au novum, aux rythmes de la physis et au fondement qui la constitue : la liberté.
Nous avons trouvé la lecture du livre stimulante. Nous ne pouvons pas être d'accord avec l'auteur lorsqu'il affirme que la misère symbolique du présent s'est manifestée clairement dans le succès électoral des Lepénistes le 21 avril 2002. Peut-être pouvons-nous lire dans ce vote une réponse "instinctive" à la misère symbolique, qui nous semble au contraire incarnée de manière paradigmatique par le mouvement "En marche" d'Emmmanuel Macron, dans lequel les certitudes "solides" de la gauche se sont dissoutes.
Une dernière considération : il est paradoxal que des auteurs, issus de mondes intellectuels très éloignés de celui de Bernard Stiegler, partagent certaines de ses analyses. Sur ce sujet, nous attendons des contributions des représentants de la pensée de la Tradition, trop souvent engagés dans la répétition de vieilles leçons.
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La crise de Suez, le MSI et la séduction du patriotisme de Nasser
La crisi di Suez e la destra nazionale italiana (La crise de Suez et la droite nationale italienne) est un essai de Matteo Luca Andriola, préfacé par Franco Cardini.
par Andrea Scarano
Ex: https://www.barbadillo.it/102641-la-crisi-di-suez-il-msi-e-la-seduzione-del-patriottismo-di-nasser/
Les lignes idéologiques du Mouvement social italien ont pris un tournant important en 1956, tournant analysé par Matteo Luca Andriola dans sa monographie La crisi di Suez e la destra nazionale italiana (La crise de Suez et la droite nationale italienne), publiée en 2020 par la maison d'édition florentine goWare.
Une "expérience moins qu'adolescente d'admiration pour Nasser", un militantisme de parti et une véritable passion pour la "vraie" patrie européenne (qui conduira plus tard à l'adhésion au mouvement communautaire Jeune Europe), sont autant de filons et d'engouements rappelés par Franco Cardini dans la préface, sans oublier le souvenir amer des prévarications et des violences perpétrées en Italie ou contre des Italiens (et Italiennes) par les puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale.
Les faits évoqués dans ce livre sont dispersés dans des périodes distinctes, comme certains éléments du récit - Mussolini maniant l'épée de l'Islam et entretenant simultanément de bonnes relations avec l'Union des sionistes révisionnistes de Jabotinsky- mais expliquent tous les raisons de la fascination qu'exerçait en partie la civilisation musulmane sur Hitler - ces faits sont abordés de façon non linéaire dans un contexte qui met en évidence l'importance stratégique de l'Egypte pour les forces de l'Axe.
C'est un fil ténu à l'intérieur duquel se déroule le "flirt" ultérieur d'une composante de l'exécutif de Nasser et des Officiers Libres avec les cadres nationaux-socialistes allemands qui se sont réfugiés dans le pays après 1945, jusqu'à l'attribution de la tâche de diriger la propagande d'État anti-juive à Johann von Leers, un ancien hiérarque de la NSDAP converti à l'Islam.
La nationalisation de la Compagnie internationale du canal de Suez - qui a pris par surprise la France et l'Angleterre, détenteurs de la majorité des parts de la société chargée de gérer le transit des marchandises - peut être interprétée comme une volonté de damer le pion aux puissances qui ont changé d'avis quant à leur volonté première de financer le projet de construction du barrage d'Assouan puis qui ont accusé Nasser, leur interlocuteur, non sans fondement, de rechercher des aides économiques, des fournitures techniques et des armes auprès de l'URSS.
Dans le cas italien, un débat intéressant eut lieu, à l'époque, au sein du MSI, et la presse et les magazines se sont plus ou moins rangés de son côté et de celui de la droite extra-parlementaire : ce fut une galaxie - souvent présentée comme monolithique, en réalité extrêmement hétérogène - qui privilégie, selon le point de vue d'Andriola, une approche de la question ancrée dans une conception des relations internationales d'avant-guerre.
Le soutien à la cause d'un pays émergent comme l'Égypte se retrouve dans la correspondance écrite pour le Secolo d'Italia et le Meridiano d'Italia par Franz Maria D'Asaro, qui décrit le phénomène du nassérisme en soulignant le caractère patriotique des manifestations de la jeunesse et de l'armée - mais aussi enracinées dans les bureaux du gouvernement, les banques et les bazars - et en s'attardant sur le fait que le parti communiste local avait été interdit.
L'attitude paternaliste et insultante des ennemis d'hier, les Français et les Britanniques, a forcé le régime égyptien - une forme complexe de socialisme qui combinait un nationalisme panarabe, une rhétorique anti-britannique, des mesures sociales qui, selon la presse du MSI, faisaient écho à celles du Ventennio, et le fort pouvoir régénérateur de la foi islamique - à accepter l'amitié de Moscou. Ce dernier fait a alarmé le Centro Studi Ordine Nuovo, qui était un fier opposant des États-Unis (une puissance manipulée, disaient ses adhérents, par des "lobbies juifs occultes") et un partisan du leader de la nouvelle Egypte, Nasser, dont les intentions étaient devenues claires après la Conférence de Bandung, la naissance du bloc des pays non-alignés - il était désormais considéré comme le guide pour la rédemption des pays arabes contre les "démo-ploutocraties".
Deux télégrammes publiés par le mensuel Ordine Nuovo et adressés aux ambassades britannique et égyptienne par la Federazione Nazionale Combattenti della Repubblica Sociale Italiana indiquent que ce groupe extraparlementaire suivait une ligne similaire - Corrispondenza Repubblicana, son organe officiel, fait l'éloge du panarabisme de Nasser en tant qu'union de pays de même langue, race et religion - tout comme le groupe pro-arabe Clock, qui soutient les luttes anti-impérialistes de la Chine maoïste, du Vietcong et des Palestiniens.
En revanche, les hebdomadaires Il Nazionale - qui, par la plume d'Enzio Maria Gray, mettait en garde contre le danger d'un réveil de la spiritualité islamique, annonciateur de fanatisme religieux et d'esprit de conquête - et Il Borghese, critique de la prudente ligne diplomatique américaine et des partisans italiens du gouvernement du Raïs, "coupable" de défendre effectivement les accords qu'il avait stipulés avec ENI.
Celui qui a identifié la véritable raison du conflit dans le domaine énergétique, en dénonçant l'impuissance des organismes internationaux et la passivité italienne, est l'ancien ambassadeur Filippo Anfuso, lié à une vision géopolitique qui, partant de l'idée d'une Europe-Nation fédérée sur un modèle social de type corporatif, oppose à la conception bipolaire du monde celle de l'Eurafrique, sur la base de laquelle l'Italie aurait dû se tailler un rôle central en Méditerranée.
Au niveau international, les tentatives de résolution de la crise ont abouti à la création du Comité des Cinq. La non-participation de l'Italie attire les critiques du MSI: craignant un retour en arrière vis-à-vis de Tito (qui n'avait pas hésité, des années auparavant, à bénéficier de l'aide britannique pour s'emparer de l'Istrie, puis se montrant pro-soviétique sur la question de Suez), on s'interroge sur la nécessité pour le gouvernement de prendre parti pour des attitudes belliqueuses sans être consulté.
Le Secolo d'Italia compare la politique de contre-mesures du Foreign Office contre l'Égypte (visant à créer une association d'usagers avec le personnel de l'ancienne Compagnie) à celle des sanctions contre l'Italie fasciste après la campagne d'Abyssinie, ne cachant pas son ressentiment envers la France ; Edgardo Beltrametti s'est plutôt attardé sur le refus américain de régler le différend par le biais de l'OTAN, sans se rendre compte que la stratégie de Washington visait - selon l'auteur - à éloigner du bloc socialiste les pays impliqués dans le processus de décolonisation.
L'escalade militaire - affrontements à la frontière entre Israël et la Jordanie, attaque israélienne dans la péninsule du Sinaï avec le soutien de Paris et de Londres, désireux d'imposer leur statu quo outre-Manche - a conduit à une impasse, favorisée par l'engagement parallèle de Moscou dans la répression sévère de la révolte hongroise et l'apparente distraction des États-Unis à cause des élections présidentielles.
Si les Américains ont effectivement pesé de tout leur poids en refusant d'accorder des fournitures de pétrole d'urgence aux pays européens pendant le blocus du transit, l'ancien diplomate Alberto Mellini Ponce de Leon a observé que le geste de Nasser, qui a révoqué une concession en violation d'un contrat avec des particuliers (la concession devait expirer en 1968), constituait théoriquement un obstacle pouvant être résolu par arbitrage.
Il Popolo Italiano prend parti contre l'impérialisme britannique, publiant des photos montrant des Égyptiennes en uniforme militaire et en armes contre l'envahisseur ; des bombardements massifs frappent certaines villes faisant de nombreuses victimes civiles, après la décision du gouvernement du Caire de ne pas autoriser les Britanniques et les Français à débarquer.
La crise est reconsolidée suite aux menaces de représailles de l'URSS, aux exigences américaines de retrait "inconditionnel" et au nettoyage de la zone du canal, défini par la médiation des casques bleus de l'ONU: "La leçon inattendue qui nous a été donnée par le jeu exemplaire des Américains et des Soviétiques... l'alliance implicite et logique qui s'est engagée dans la voie de la division du monde en deux zones d'influence" - rappelle Cardini - a mis fin aux vagues ambitions des anciens empires coloniaux de rivaliser sur un pied d'égalité avec les deux superpuissances.
Andriola soutient que le "Parti de la Flamme" a progressivement changé de paradigme face à l'expansionnisme de plus en plus agressif de Moscou au Moyen-Orient et a retiré son soutien à Nasser en réaction au choc de son virage pro-soviétique présumé, au point d'identifier la crise de Suez comme un "tournant" capable de changer radicalement les idées de la plupart des adhérents du MSI, qui ont renforcé une identité pro-atlantique au cours des années 1960 et ont commencé à considérer Israël comme une "enclave européenne et occidentale" dans la région.
A l'humble avis de l'auteur, cette conclusion est peu convaincante et ne correspond pas entièrement à la réalité, à tel point que l'auteur lui-même est obligé de la circonscrire, en admettant le poids de nombreuses exceptions significatives.
Andrea Scarano
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Le dernier ouvrage d'Irnerio Seminatore sur la multipolarité!
12:06 Publié dans Actualité, Géopolitique, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, multipolarité, livre, irnerio seminatore, géopolitique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Discipline du chaos. Comment sortir du labyrinthe de la pensée unique libérale ?
par Pietro Missiaggia
Source : Pietro Missiaggia & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/disciplina-del-caos-come-uscire-dal-labirinto-del-pensiero-unico-liberale
Interview-révision du nouveau texte d'Alessio Mannino Disciplina del caos. Come uscire dal labirinto del pensiero unico liberale (La Vela, Viareggio, 2021).
Un ouvrage récemment publié qui mérite une lecture attentive pour sa critique radicale et innovante de toute la vision libérale est le récent livre du journaliste et écrivain Alessio Mannino de Vicence. Déjà connu pour son ouvrage Mare monstrum. L'immigration. Mensonges et tabous (Arianna Editrice, 2014) et Contre la Constitution. Attaque contre les philistins de la Charte 48 (éditions du Cercle Proudhon, 2017), Mannino revient sur le devant de la scène avec Disciplina del caos. Come uscire dal labirinto del pensiero unico liberale (Edizioni La Vela, 2021), une critique de fond qui va au-delà de la simple nostalgie typique des dites gauche et droite radicales (ces dernières se concentrant sur des positions allant du traditionalisme à la reprise sans critique du conservatisme à l'anglo-américaine).
Mannino propose une généalogie historique du libéralisme compris comme l'asservissement du politique à l'économie. Comme l'affirme l'auteur, l'argent est devenu la valeur dominante de la vie, et l'homme idéal, aujourd'hui, est Jeff Bezos ou Elon Musk, l'influenceur du jour, le riche spéculateur qui s'est fait la main, ne sachant parfois pas faire autre chose que produire de l'argent à partir d'argent. Ce n'est plus le politique, le religieux, l'artiste qui laisse ses œuvres à la postérité, mais l'homme d'affaires-tycoon souvent déguisé en "philanthrope".
L'interprétation proposée ici est celle d'un libéralisme qui renverse le zoon politikon aristotélicien (ζῷον πολιτικόν) et le remplace par un animal compétitif et consommateur qui dévore le monde au détriment de la socialité et de l'entraide (comme aurait dit l'anarchiste Kropotkine), dissolvant tout paradigme communautaire. La crainte et l'effroi de Carl Schmitt face à la fin du Politique sont aujourd'hui une réalité et ce n'est malheureusement pas, comme l'écrivait il y a dix ans Alain de Benoist dans Mémoire vive (Memoria viva, Bietti, 2021), un "simple mythe", car la dernière variante libérale, le néolibéralisme, a effectivement réussi à placer l'Économique au-dessus de tout. "Ma tentative, parce que nous parlons d'une tentative", nous dit Mannino, "est d'aller aux racines du système malade dans lequel nous vivons, en ajoutant aux sentiers déjà battus de la critique politico-économique du libéralisme celui de la démystification éthique et philosophique, de sorte que, au fond, le libéralisme de masse n'est rien d'autre que le nihilisme appliqué à grande échelle". Il ne s'agit pas d'un énième livre qui ne glosserait que sur la seule injustice sociale, souligne-t-il, mais un ouvrage qui parle "de la genèse de la pensée qui nous a menés jusqu'ici et, en outre, d'une recherche de l'issue possible sur la base de principes fondamentaux".
Disciplina del caos est précisément cela : un étalon pour reparamétrer la vision du monde, en renversant le point de vue de la pensée libérale unique qui est unique parce qu'il n'y a qu'une seule façon de concevoir l'existence et la société pour les puissances mondiales, même dans leurs différences nationales. Les trois références qui traversent l'œuvre de manière souterraine sont, toujours selon l'auteur : "Nietzsche, lu comme je pense qu'il doit l'être, donc ni de droite, en passant facilement sur certaines de ses idées socialement racistes inadmissibles, ni de gauche, à la Deleuze ou à la Vattimo ; l'anarcho-socialiste Camus (en laissant de côté certaines de ses utopies sur l'abolition des frontières) et je dirais Arendt à travers laquelle il est possible de redécouvrir la pertinence paradoxale d'Aristote, avec son éthique non moralisatrice mais fondée sur la vertu comme élévation".
Mannino refuse de souscrire à un quelconque espace de contestation bien balisé, qu'il soit d'extrême gauche ou d'extrême droite: "Je pense que le pire défaut des extrêmes est le syndrome autoréférentiel de la petite paroisse, dans lequel, d'une part, on aime et on se complaît à se blottir sous les couvertures confortables du passé, et d'autre part, par suite, on n'est pas capable de s'insérer dans le présent, sans scrupules, ce qui ne signifie pas abandonner les idéaux, mais plutôt les faire atterrir dans le moment, dans le contingent. De grandes énergies sont gaspillées dans l'adoration continue des idoles du vingtième siècle, alors que l'Histoire, comme la Vie, change sans cesse. Le passé doit servir de lentille pour porter un regard critique sur le présent, et non pour reproposer des formules plus ou moins voilées qui faisaient parfaitement l'affaire mais seulement il y a cent ou cinquante ans. Les formes prises par les idées se délitent au fil des événements et des processus historiques et doivent être continuellement actualisées pour coller à la réalité vivante".
Marx et le marxisme plus ou moins orthodoxe ou des penseurs comme Evola et Guénon, pour donner des exemples de noms célèbres qui planent encore parmi les anticapitalistes et les antilibéraux, sont dans cette perspective des "réservoirs de comparaisons avec le paysage actuel et peuvent fournir des contrepoints qu'il serait insensé d'ignorer". Mais l'orthodoxie est toujours un durcissement de la faculté de penser et d'agir, et représente donc une limitation en soi. Marx reste très important en tant que diagnostiqueur du capitalisme, tout comme un Evola ou un Guénon sont des auteurs qui donnent une vision très intéressante du drame intérieur de la spiritualité contemporaine et de la manière de le contrer ("bien que je les aie lus, ils n'ont pas influencé mon travail, ajoute Mannino). En tout cas, en faire des fétiches est idiot, ainsi que contre-productif".
Le champ du conflit, pour Mannino, se situe "dans l'intériorité, à condition, bien sûr, qu'il trouve son reflet au niveau social et politique". Les deux niveaux sont interconnectés, l'un implique l'autre. Il n'est pas très logique de s'entraîner exclusivement à l'auto-purification dans un contexte extérieur corrompu. Bref, il faut faire de la politique, chacun de son côté, même dans l'art, ou dans des associations diverses, en fuyant l'individualisme, tare libérale, et en s'efforçant de former un groupe, un front, une communauté, en recherchant ses pairs et en agissant surtout sur les idées, sur l'imaginaire, sur la culture, dans le mouvementisme et, dès que l'occasion se présente, même dans la compétition partisane-électorale au sens strict. Sans tabou".
Le modèle auquel Mannino pense est le communautarisme, auquel il associe également le socialisme. Voici comment il explique ce lien: "Dans ma proposition, il s'agit d'inverser l'axe autour duquel la société est fondée: dans la société libérale, c'est l'individu (dans l'abstrait, car dans la pratique le véritable décideur est celui qui est capable de déplacer de grandes quantités de capitaux ou d'influencer leur mouvement, c'est-à-dire l'appareil techno-militaire des grandes puissances), alors que dans une vision communautariste, c'est la communauté, auto-fondée sur des bases variables en fonction des situations historiques, culturelles, géographiques et géopolitiques (par conséquent, ce n'est pas nécessairement l'"État-nation", même si pour nous, je veux dire nous Italiens et Européens, les États-nations restent le rempart irremplaçable, du moins jusqu'à présent, contre la mondialisation et son bras monétaire, l'UE). Un communautarisme politique mais aussi existentiel, conscient que chacun de nous, dans son individualité, est déjà une communauté avec un guide "politique", la conscience, qui doit gouverner des parties différenciées, conscientes et inconscientes".
Le communautarisme est "avant tout une discipline éthique, une éthique de la liberté comme responsabilité de soi, comme mesure de sa propre valeur dans la mêlée sociale, comme désintoxication d'un mode de vie d'enfants paresseux et à moitié déficients, comme rejet d'une anthropologie de la solitude et du narcissisme". Et le socialisme, pourquoi ? "Parce qu'une éthique du fort, pour ainsi dire, conduit à une politique en faveur des faibles, dont la valeur, précisément, ne peut être jetée aux orties simplement parce que tout le monde n'a pas la capacité de gagner de l'argent. Alors que pour un libéral, le capitalisme est le meilleur des mondes possibles, pour un communautarien, la seule option ne peut être qu'un socialisme modernisé, c'est-à-dire non plus global, mais concrètement lié à des identités particulières, qui corrige la démocratie déléguée par de solides injections de démocratie directe, qui vise à reprendre le contrôle populaire de l'argent et des services publics".
Elle n'a rien à voir avec la critique de la démocratie formulée par des courants tels que l'accélérationnisme de Nick Land, "un courant culturel qui, pour le dire crûment, afin de sauver le malade, propose d'accélérer sa disparition". Il s'agit toutefois d'un symptôme à étudier, ne serait-ce que parce qu'il est révélateur de la manière dont la fièvre perturbatrice de l'ultramodernité se reproduit, philosophiquement parlant, dans des "hypothèses extrémistes".
Mannino est farouchement opposé à la numérisation qui glisse vers le transhumanisme: "Au milieu du livre, je fais un vaste excursus sur la virtualisation de l'existence quotidienne et collective. Je ne vois pas d'autre moyen de s'en accommoder que de procéder par essais et erreurs dans le but de réduire son impact. Le facteur décisif est la récupération, toujours possible tant que les fonctions biologiques et psychologiques de base résistent, de ces sources de guérison que sont les besoins innés non compressibles, ou du moins non compressibles complètement: la sexualité comme condition préalable à la vie, la famille comme lien primordial, l'appartenance à un groupe supérieur comme garantie d'identité, la solidarité et l'agressivité à doser en couple pour un équilibre individuel et collectif décent. Même dans la répression des instincts la plus abjecte dont l'humanité puisse se souvenir, un substrat dans lequel puiser subsiste. Par conséquent, nous ne devons pas être apocalyptiques, mais combattants.
Nous assistons à une nouvelle guerre froide entre les États-Unis d'Amérique et la République populaire de Chine. Cette dernière est-elle un espoir ou un ennemi à craindre? "Il serait insensé d'imaginer un avenir proche qui ne tienne pas compte de la montée en puissance de la Chine. Je ne traite pas de géopolitique dans ce livre, que je laisse à ceux qui sont plus compétents que moi dans ce domaine, mais ce qui est certain, c'est qu'en tant qu'Européen, on ne peut s'empêcher de rêver d'une Europe en dialogue avec la Chine (comme avec la Russie), ou plutôt d'une Europe qui sache se libérer du joug américain. Le problème est de ne pas rêver d'une Europe qui se libère soudainement des casernements américains qui l'infestent, l'Italie en premier lieu. Mais il ne fait aucun doute que notre ennemi numéro un se trouve à Washington, qui nous a maintenus dans un état de soumission, je dirais, suffisant, et non à Pékin, qui ne peut enthousiasmer un Européen fils d'une autre histoire".
La position de Mannino sur la pandémie de Covid 19, qui est gérée de manière autoritaire, pourrait être qualifiée de laïque: "Je crois qu'il s'agit d'une répression autoritaire temporaire, car le véritable contrôle ne s'obtient pas par des ordonnances et des quarantaines, mais par l'autocontrôle de l'individu massifié, rendu possible par la technologie omniprésente (le "capitalisme de la surveillance", pour citer Zuboff). Je crois davantage à un avenir tel que le Brave New World de Huxley, déjà abondamment réalisé, qu'au 1984 orwellien (bien qu'Orwell soit indispensable pour comprendre certaines dynamiques liberticides de notre époque, et d'ailleurs la dernière citation du livre est de lui).
À la fin de son livre, au nom de la fécondité créative que peut offrir le mélange de différentes orientations, Mannino interroge des penseurs italiens d'origines diverses comme l'historien Franco Cardini, le journaliste Thomas Fazi ou le mass-médiologue Carlo Freccero. Presque comme pour suggérer que c'est grâce à la confrontation de leurs idées que l'on peut sortir du labyrinthe. "Grâce à eux aussi, oui, souligne-t-il, ainsi qu'à tous ceux qui pensent et agissent dans une direction diamétralement opposée à cette marche qui se veut définitive et sans aucune possibilité d'alternative du soi-disant "progrès" à la sauce libérale. Sur le plan humain, plus encore que sur le plan politique, c'est une régression qui nous a privés de la vitalité et du goût de la vie et de la lutte. Mais pas complètement, heureusement.
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Evola, critique de la civilisation américaine
par Riccardo Rosati
Ex: https://www.ereticamente.net/2016/02/evola-critico-della-civilta-americana-riccardo-rosati.html?fbclid=IwAR15QpsIZ2jbUbAvB9I3Oi3oBGydy3B2cfdoRcmlGZAfi07Zlae2xuHkPkc
La prérogative des vrais intellectuels est d'être toujours à jour. Une affirmation de ce type peut à juste titre sembler banale, mais cela n'enlève rien à son authenticité. Julius Evola appartient à cette catégorie d'esprits supérieurs. Déjà dans le passé, en lisant et en étudiant ses articles sur l'Orient, nous nous sommes rendu compte à quel point l'adjectif "prophétique" convient bien à ce philosophe. Lorsque nous avons abordé ses écrits en tant qu'orientalistes, nous avons été frappés non seulement par l'extraordinaire compétence spécifique de ce savant autodidacte, mais surtout par sa capacité à dépasser les limites du champ d'étude sectoriel qui, depuis des années, freine une académie intarissable sur le plan de la pensée. Plus surprenante encore a été la lecture de son recueil de réflexions sur la société américaine : Civiltà americana. Scritti sugli Stati Uniti 1930-1968, qui fut, et ce n'est pas une exagération, une sorte de coup de foudre, presque un satori, en vertu de la vision prémonitoire du philosophe.
Le lecteur nous pardonnera maintenant une brève allusion autobiographique. Nous avons connu le monde anglo-saxon de première main, étant culturellement issus de cette anglosphère. Dès notre plus jeune âge, un héritage latin nous a amenés à percevoir un malaise vis-à-vis d'un système de valeurs qui n'en était pas un. Les années ont passé, et nous n'avons jamais entendu ou lu de la part des anglicistes et des américanistes italiens des mots qui stigmatisaient le moins du monde la civilisation du soi-disant progrès qui a façonné le monde moderne. Ce n'est que chez Evola que nous avons trouvé la compétence susmentionnée sur le fond, qui est manifestement absente chez les spécialistes. En somme, dans sa manière de tracer le seuil de non-retour, afin de sauver cette valeur liminale propre aux sociétés de moule traditionnel, Evola a su parfaitement raconter deux mondes et leurs maux actuels. D'une part, le monde anglo-saxon, notamment américain, porteur d'une évidente entropie spirituelle que plus personne n'est capable de reconnaître. De l'autre, celle d'une soumission volontaire de l'Italie à une mentalité qui ne lui appartient pas. "Le roi est nu", dit-on. Dans les écrits que nous allons examiner brièvement ici, c'est précisément ce qui est dénoncé.
Alberto Lombardo a édité le volume contenant les contributions journalistiques d'Evola sur l'Amérique, qui ont été publiées entre 1930 et 1968. Il serait trop long de citer les titres des différents articles dans ce texte, même si, franchement, il n'y en a pas un qui ne mérite pas une attention particulière. Toutefois, deux d'entre eux méritent d'être mentionnés, non pas parce qu'ils sont plus importants que les autres, mais parce qu'ils traitent de questions centrales dans la société italienne d'aujourd'hui. Le premier est Servilismi linguistici (Il Secolo d'Italia, 28 juillet 1964; "Servilité linguistique"). Evola y fustige l'utilisation par les médias de ce qu'on appelle en linguistique les "emprunts de luxe", c'est-à-dire l'utilisation zélée de termes étrangers alors qu'il en existe déjà d'identiques dans une langue, avec pour résultat d'appauvrir la communication dans sa propre langue maternelle. Son identification de certains faux cognats ou, plus généralement, de faux amis, inconsciemment et abusivement utilisés par la presse italienne, est également très pertinente. Cependant, l'aspect le plus frappant de cet article est l'anticipation des dangers qui se cachent derrière le soi-disant "néo-langage", le dogme de la société bien pensante qui gouverne l'Occident. Evola se moque de cette bonhomie dans la communication, en faisant remarquer que plutôt que de revendications identitaires, on devrait parler d'abdication. Il y a plusieurs décennies, il avait déjà compris comment le cheval de Troie progressiste passait précisément par la langue : "L'un des spectacles les plus tristes que présente l'Italie actuelle, dans de vastes secteurs, est celui d'un singe couché devant tout ce qui est américain" (p. 72).
Le deuxième essai est intitulé La suggestione negra (Il Conciliatore, avril 1968). Au plus fort de la Contestation, alors que les étudiants de gauche en Amérique revendiquaient le droit des minorités, sans poser le problème de la recherche d'une identité commune, le philosophe italien affirmait sans ambages que la seule forme de coexistence fertile est possible lorsque "chaque souche vit par elle-même", et certainement pas avec des sentiments amers, mais "avec un respect mutuel" (p. 77). Cette dernière affirmation suffirait à démonter, pour la énième fois, l'interprétation biaisée et incorrecte de la pensée évolienne trop souvent décrite comme un racisme tout court, ignorant de mauvaise foi l'exégèse correcte de ses écrits. Une " sélection spirituelle ", voilà ce qu'invoquait Evola, qui ne jugeait jamais l'importance d'une civilisation en fonction de l'argent conservé dans ses banques ou de la hauteur de ses édifices, mais plutôt dans la profondeur de son rapport au monde et à la Nature: "Les Amérindiens étaient des races fières, pas du tout détériorées - et ce n'est pas un paradoxe de dire que si c'était leur esprit qui avait marqué cette force formatrice et psychique dans une mesure plus considérable [...] le niveau spirituel des États-Unis serait probablement beaucoup plus élevé " (p. 63).
Il ne fait aucun doute que dans la sacro-sainte tentative de sortir Evola du ghetto politique dans lequel il avait été confiné pendant tant d'années par l'acharnement d'une gauche culturellement hégémonique, certains chercheurs non apparentés à la Pensée traditionnelle ont tenté de "lire" ce philosophe dans une perspective nouvelle, ce qui ne signifie pas automatiquement qu'elle soit exacte. En particulier, selon certains qui sont encore ancrés dans l'idée absolument dépassée du prolétariat comme classe active, qui prend la forme d'un anti-américanisme désordonné et impulsif, le soutien d'Evola à l'entrée de l'Italie dans l'OTAN en 1949 était une contradiction évidente. Rien ne pourrait être plus faux. Contrairement à l'opinion de certains jeunes marxistes qui ont été influencés - qui sait si c'est spontanément ou seulement pour paraître original et à contre-courant - par la pensée d'Evola, celui-ci a clairement expliqué les raisons de sa position: "Ainsi, le fait que matériellement et militairement nous ne puissions pas, pour le moment, ne pas soutenir la ligne "atlantique", ne doit pas nous faire sentir qu'il y a moins de distance intérieure entre nous et l'Amérique qu'entre nous et la Russie" (p. 67). C'est là que réside la différence entre un anti-américanisme déconstruit et celui d'Evola, qui est attentif à chaque nuance sociale et conscient que pour se libérer de l'influence des États-Unis, ce n'est pas la rue qu'il faut, mais la révolte de chaque individu.
En outre, l'Union soviétique du passé était jugée par le grand philosophe de la Tradition comme dangereuse uniquement sur le plan matériel, tandis que les États-Unis l'étaient également sur le plan spirituel, étant donné qu'ils étaient capables de s'imposer dans le "domaine de la vie ordinaire". Il s'agit d'une différence de première importance, qu'il aurait été opportun de garder à l'esprit au cours de ces dernières décennies, favorisant ainsi une analyse complexe du "mal américain", comme l'a dit Alain de Benoist, qui est un concept transversal chez quiconque est conscient de ce qu'Evola a défini comme la "démonie de l'économie" ; une thèse intuitionnée à sa manière même par un marxiste anti-moderne comme Pier Paolo Pasolini, et qui a été exprimée dans sa célèbre interview télévisée avec Ezra Pound en 1968. De Benoist trace également le profil de l'"ennemi principal", rendu encore plus fort par une vision européiste notoire, antidote de l'américanisme, conçu comme une idéologie pro-USA sans critique. L'universitaire français n'a aucun doute sur l'identité de l'adversaire à combattre.
"[...] l'ennemi principal est simplement celui qui dispose des moyens les plus considérables pour nous combattre et réussir à nous plier à sa volonté : autrement dit, c'est celui qui est le plus puissant. De ce point de vue, les choses sont claires : l'ennemi principal, politiquement et géopolitiquement parlant, ce sont les États-Unis d'Amérique" (Alain de Benoist, L'America che ci piace, in Diorama Letterario, n° 270, p. 3).
Il convient toutefois de préciser que pour de Benoist, c'est le cas : un adversaire du moment", et non l'incarnation du mal ; c'est là que réside la profonde différence avec une interprétation évolienne de la question. Il s'agit évidemment de penseurs d'époques différentes : l'Italien vivait dans un monde bipolaire, toujours sous la menace d'une guerre nucléaire ; le transalpin, quant à lui, est conscient qu'il est nécessaire - bien qu'à contrecœur - de se rattacher à une structure politique de type européen et à l'Occident en général, surtout lorsque, comme c'est le cas, ce dernier est mis en danger par une puissante résurgence du fanatisme islamique qui pourrait compromettre son avenir.
Ce n'est pas un mystère qu'Evola a souvent fait remarquer que l'américanisme et le bolchevisme sont les deux faces d'une même pièce qui s'oppose à une conception traditionnelle de l'existence. En bref, les deux premiers travaillent sur la masse, tandis que le second travaille sur l'Individu. Ce n'est donc pas un hasard si, dans les articles rassemblés ici, il réitère la similitude entre ces deux formes de totalitarisme. Pour lui, l'"homme américain" est un esclave moderne, un simple "animal de production" (p. 54). Mais n'est-ce pas finalement aussi un aspect qui caractérise le socialisme réel ? Dans les grandes entreprises américaines, il existe ce qu'Evola rappelle comme une "autocratie managériale" (p. 55): un gouvernement despotique du profit, alimenté par l'administration de la vie des salariés. Dans les régimes soviétiques également, de grandes industries ont été créées, éloignant l'homme de toute forme d'autodétermination. Cependant, le communisme a poursuivi cette annihilation de l'ego avec des systèmes purement idéologiques ; les Américains, en revanche, ont camouflé une dictature économique sous la bannière de la liberté, qui cesse d'exister dès que l'on devient pauvre. C'est le paradoxe de la démocratie américaine explicitement mise au pilori par Evola : une structure sociale bien plus fermée et élitiste que ce que l'opinion mondiale a été amenée à croire, grâce à des médias complaisants.
La complexité de l'anti-américanisme d'Evola a été évoquée plus haut. En effet, il ne tombe pas dans le piège banalisant d'une opposition virulente à l'impérialisme américain, et certainement pas parce qu'il n'existe pas, mais pour la simple raison que ce n'est pas le vrai problème, la raison pour laquelle épouser le modèle de vie américain s'est avéré mortel pour les pays européens, et pour l'Italie en particulier. Selon Evola, ce qui caractérise profondément la société américaine est son âme primitive, "nègre". L'immigration de personnes originaires d'Afrique a complètement effacé le seul élément culturel vraiment positif et authentiquement américain: les défenseurs des droits de l'homme le définissent avec le terme péjoratif de WASP ("White Anglo-Saxon Protestant"), alors que ceux qui connaissent mieux cette nation l'identifient comme la base du mouvement philosophique et littéraire connu sous le nom de Transcendantalisme américain ; celui de Ralph Waldo Emerson et Henry David Thoreau, pour être clair. C'est-à-dire la seule expression intellectuelle indigène (blanche) jamais produite par les États-Unis, en vertu de leur âme anglaise et protestante, qui, siècle après siècle, a été effacée par l'immigrant noir. Evola considère même la musique Jazz - longtemps appréciée en Occident comme de bon niveau - comme une involution vers un état d'être sauvage et instinctif, donc primitif.
Sur la base de ce qui a été dit jusqu'à présent, il n'est pas difficile de comprendre comment les écrits qui sont réunis dans ce recueil doivent être jugés comme d'authentiques articles de "défense" non pas tant contre l'invasion "physique" - on pense aux nombreuses bases américaines situées dans notre pays - mais surtout contre l'invasion culturelle américaine; ce n'est pas un hasard si la plupart de ces écrits datent de l'après-guerre, avec une Italie réduite à un simple État vassal dans l'échiquier géopolitique de l'OTAN. La société dans laquelle nous vivons a été déformée, afin de s'adapter à un mode de vie manifestement allogène, avec la complicité des dirigeants qui l'ont imposé comme seul modèle de référence. Evola en est bien conscient ; malheureusement, on ne peut pas en dire autant de notre peuple.
En vertu d'une lecture approfondie du système américain, Evola ne manque pratiquement jamais de révéler les "stratagèmes" pour s'imposer de manière transnationale, en se montrant également attentif à certains représentants en possession d'une vision critique de la modernité, même s'ils appartiennent au même monde anglo-saxon: c'est le cas de sa référence à l'homme politique et savant britannique, James Bryce (1838-1922) (photo). Le philosophe italien cite une phrase de lui, "confondre grandeur et grandeur", qui résume parfaitement le règne de la quantité instauré dans tous les secteurs de la vie par la culture américaine ; même dans un secteur aussi particulier que la muséologie, étant donné que l'art vit désormais de taille et de chiffres et non plus de substance ! Il est triste de constater qu'aucun des soi-disant spécialistes n'a jamais saisi l'essence de la phrase de Bryce, qui est brève mais totalement exhaustive pour exprimer ce qu'Evola considère comme: "[...] seulement une grandeur ostentatoire" (p. 65).
Démasquer la démocratie, ce serait une des nombreuses façons de résumer le sens ultime de ces articles ; tenter de dépasser ce que l'on nous a fait croire, pour découvrir une vérité nécessaire : "[...] si l'on enlevait à la démocratie son masque, si l'on montrait clairement à quel point la démocratie, en Amérique comme ailleurs, n'est que l'instrument d'une oligarchie sui generis qui suit la méthode de l'"action indirecte" en s'assurant des possibilités d'abus et de prévarication bien plus grandes que ne le comporterait un système hiérarchique juste et équitablement reconnu" (pp. 57-58). Il peut sembler absurde d'affirmer que la démocratie n'est rien d'autre qu'une forme moderne d'esclavage. Et pourtant, si l'on a la volonté de s'ouvrir au doute, en éloignant de soi le dogme du contemporain, en cherchant d'autres réponses ; dans ce cas, les écrits évoliens abordés peuvent constituer un outil précieux de libération individuelle.
En conclusion, ce recueil de textes consacrés à la (non-)culture américaine devrait représenter, à notre avis, un livre de chevet pour quiconque ressent le besoin de s'émanciper de la déficience spirituelle imposée par le sentiment commun actuel. Pour ceux qui estiment que l'homo oeconomicus prôné par la politique américaine - à l'exclusion de tout président - n'est rien d'autre que celui qui s'agenouille: "[...] lorsqu'il admire l'Amérique, lorsqu'il est impressionné par l'Amérique, lorsqu'il s'américanise avec stupidité et enthousiasme, croyant que cela signifie être libre, non arriéré et prêt à rattraper la marche imparable du progrès" (pp. 65-66), alors il n'y a probablement pas de meilleur livre vers lequel se tourner que celui-ci. C'est vrai, pour Evola, le capitalisme et le communisme sont "le même mal". Il existe toutefois une différence substantielle qu'il convient de souligner. Il est évident pour tous que cette dernière a été vaincue par l'histoire, désavouée sous toutes ses formes. À l'inverse, le capitalisme est aujourd'hui plus fort que jamais et pour l'entraver de manière structurée, il faut d'abord comprendre la substance perverse qui le compose. L'espoir d'Evola était de restaurer l'Amérique: "son rang de province" (p. 71). Peut-être n'était-il et n'est-il qu'une simple illusion. Si, par contre, chacun d'entre nous s'engageait dans une révolte intérieure et non idéologique, alors, à part la force brute, il ne resterait plus rien du modèle américain (extrait de Studi Evoliani).
Riccardo Rosati
(Julius Evola, Civiltà americana. Scritti sugli Stati Uniti 1930-1968, édité par Alberto Lombardo, Controcorrente, Naples 2010. € 10)
12:45 Publié dans Livre, Livre, Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : julius evola, civilisation américaine, états-unis, livre, traditionalisme | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Recension: Alexandre Douguine, Contre le Great Reset, le Manifeste du Grand Réveil
Alexandre Douguine, Contre le Great Reset, le Manifeste du Grand Réveil, Ars Magna, 2021, pp. 70, € 15,00
par Claudio Mutti
En réponse au projet de ce qu'on appelle le Great Reset, projet présenté en mai 2020 par le prince Charles d'Angleterre et le directeur du Forum économique mondial, Klaus Schwab, Alexandre Douguine avance la "thèse du Grand Réveil" (p. 37). L'usage anglais de ce terme, Great Awakening, n'est nullement accidentel: il désigne les différents mouvements de renouveau qui ont eu lieu aux 18e et 19e siècles dans le monde protestant et est actuellement en grande circulation dans les milieux trumpistes, tant protestants que catholiques. ("Que peuvent faire concrètement les Fils de Lumière du Grand Réveil?" a demandé l'archevêque pro-Trump Carlo Maria Viganò à l'agitateur bien connu Steve Bannon).
En fait, le Grand Réveil, explique Douguine lui-même, "vient des États-Unis, de cette civilisation dans laquelle le crépuscule du libéralisme est plus intense qu'ailleurs" (p. 47); et l'intensité de ce crépuscule serait démontrée, selon Douguine, précisément par le phénomène représenté par Donald Trump, "un centre d'attraction pour tous ceux qui étaient conscients du danger venant des élites mondialistes" (p. 37). De plus, poursuit Douguine, "un rôle important dans ce processus a été joué par l'intellectuel américain d'orientation conservatrice Steve Bannon" (p. 37), qui, selon Douguine, a été "inspiré par d'éminents auteurs antimodernes tels que Julius Evola, de sorte que son opposition au mondialisme et au libéralisme avait des racines assez profondes" (p. 37). (Sur la prétendue inspiration évolienne de l'agit-prop américain, voir AA. VV., Deception Bannon, CinabroEdizioni, 2019, passim).
Selon la conception géopolitique qui caractérisait la pensée d'Alexandre Douguine avant que Donald Trump ne devienne président des États-Unis, si l'Eurasie se trouve exposée à l'agression continue de l'expansionnisme américain, cela est dû au fait que la puissance américaine est poussée vers la conquête du pouvoir mondial par sa propre nature thalassocratique (et non simplement par l'orientation idéologique d'une partie de sa classe politique). Puis, adoptant un critère conditionné davantage par des abstractions idéologiques que par le réalisme géopolitique, Douguine a indiqué que l'"ennemi principal" n'était plus les États-Unis d'Amérique, mais le globalisme libéral ; c'est ainsi qu'il a accueilli avec enthousiasme la relève de la garde à la présidence américaine, archivant en même temps ses plus de vingt ans d'anti-américanisme. "Pour moi, déclarait Douguine en novembre 2016, il est évident que la victoire de Trump a marqué l'effondrement du paradigme politique mondialiste et, simultanément, le début d'un nouveau cycle historique (...). À l'ère de Trump, l'antiaméricanisme est synonyme de mondialisation (...) l'antiaméricanisme dans le contexte politique actuel devient une partie intégrante de la rhétorique de l'élite libérale elle-même, pour qui l'arrivée de Trump au pouvoir a été un véritable coup dur". Pour les adversaires de Trump, le 20 janvier [2017] était la 'fin de l'histoire', alors que pour nous, il représente une porte vers de nouvelles opportunités et options".
Cette position n'a cessé d'être soutenue et développée par Douguine tout au long de la présidence de Donald Trump ; et si ce dernier (à qui Douguine a souhaité "Quatre années de plus" le jour même de l'assassinat du général Soleimani) a dû renoncer à une répétition du mandat présidentiel, "le trumpisme est bien plus important que Trump lui-même, c'est à Trump que revient le mérite de lancer le processus". Maintenant, nous devons aller plus loin (Now we need to go further)". C'est ce que l'on peut lire dans un article de Douguine du 9 janvier 2021 intitulé Great Awakening : the future starts now (www.geopolitica.ru), dans lequel l'auteur répète : "Notre combat n'est plus contre l'Amérique".
Le présent Manifeste du Grand Réveil constitue donc une reconfirmation de la position de Douguine, inaugurée avec le tournant pro-Trumpiste d'il y a cinq ans. On y répète en effet la thèse selon laquelle ce ne sont pas les États-Unis qui représentent l'ennemi fondamental de l'Eurasie: "Ce n'est pas l'Occident contre l'Orient, ni les États-Unis et l'OTAN contre tous les autres, mais ce sont les libéraux contre l'humanité - y compris cette partie de l'humanité qui se trouve sur le territoire même de l'Occident" (p. 40). Dans l'affrontement idéologique esquissé par Douguine, le présage le plus favorable est vu dans le fait que le Grand Réveil a été annoncé sur le sol américain: "Le fait qu'il ait un nom, et que ce nom soit apparu à l'épicentre même des transformations idéologiques et historiques aux États-Unis, dans le contexte de la défaite dramatique de Trump, de la prise désespérée du Capitole et de la vague croissante de répression libérale, (...) est d'une grande (peut-être cruciale) importance. (p. 49).
12:50 Publié dans Actualité, Eurasisme, Livre, Livre, Nouvelle Droite | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, livre, alexandre douguine, claudio mutti, eurasisme, nouvelle droite, nouvelle droite russe | | del.icio.us | | Digg | Facebook