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jeudi, 04 septembre 2025

La Nouvelle Droite italienne, entre intérêt culturel et incidence politique

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La Nouvelle Droite italienne, entre intérêt culturel et incidence politique

Leonardo Rizzo

Source: https://electomagazine.it/la-nuova-destra-tra-interesse-c...

Une essai met en lumière « l’histoire et les idées » du « parcours métapolitique » qui va de 1977 à 1992. Deux fils parallèles se dessinent : des affirmations qui risquent à terme d'être qualifiées d’ingénues, voire de présomptueuses, et la mise en exergue de données factuelles importantes.

9791281391178_0_0_536_0_75-474x600.jpgLes données chronologiques remarquables que l'on trouve dans l’essai "Ils l’appelaient la Nouvelle Droite" ("La chaiamavano Nuova Destra", Il Palindromo) montrent la distance qu'il y a entre l'ampleur du mouvement et son « parcours métapolitique », qu’il décrit, partant de l'année 1977 à l'année 1992; autre fait à signaler: l’auteur, Giovanni Tarantino, est né en 1983 à Palerme, il n’appartient donc pas, en termes d’âge, à la période évoquée dans son travail. Il est frappant que l’intérêt d’un « jeune », non directement impliqué pour une aventure à forte valeur culturelle, soit si prononcé, alors qu’il ne résulte de ce mouvement aucune incidence politique véritablement significative.

En parcourant le livre, ces deux fils conducteurs se croisent jusqu’à s’entrelacer: des affirmations facilement taxables d'ingénuité ou de prétention, telles, d'une part, que l'énoncé d'« une autre idée de l’Europe », l'annonce de l'émergence d'« une autre dimension », le croyance de « représenter un tournant », et, d'autre part, la mise en exergue de faits importants, dignes d'être signalés, comme celui d'avoir été « verts avant les Verts » et d'avoir amorcé une « ère du dialogue ». Des figures comme Sabino Acquaviva, Massimo Cacciari, Alessandro Campi, Alex Langer, Adriano Sofri, Marco Boato, Giacomo Marramao, Gianfranco Miglio, Antimo Negri, Geminello Alvi, Roberto Formigoni, Giampiero Mughini, Massimo Fini et Francesco Rutelli ont été influencés par la Nouvelle Droite italienne.

La Nouvelle Droite italienne a su établir des connexions avec divers autres mouvances politiques, allant du milieu catholique de Comunione e Liberazione et du magazine hebdomadaire Il Sabato jusqu’aux Radicaux. Elle a ainsi anticipé en partie ce qui s’est passé en Italie depuis la fin des années 70: nous sommes encore loin du berlusconisme, mais nous ne sommes pas si éloignés de Bettino Craxi et Francesco Cossiga. Une forte nécessité de travailler de nouvelles modes, de nouveaux styles, des paroles pionnières et des contenus différents, la nécessité d'un recul nécessaire et de réflexions personnelles émerge déjà. L’Italie était alors en pleine mutation.

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Pour la Nuova Destra (ND), il s’agit surtout de transformer la jeunesse du parti qu'était le MSI. Là encore, nos deux fils conducteurs, celui des déclarations grandiloquentes et celui de la saisie juste de la réalité concrète, s’entrelacent. On pense notamment à l'initiative des Camps Hobbit, inventés par Generoso Simeone, qui, chaque année, pendant quelques jours, rassemblent initiatives de presse, créateurs de bandes dessinées, animateurs de radio, poètes, musiciens, initiateurs d'une alimentation alternative,  militants d'une écologie différentes et amateurs de littérature fantastique. Ces camps furent des chantiers d’expérimentation, où l'on a sans cesse suggéré des formes de communication sociale et de culture pop, bien plus proches de la modernité que celles de la droite partisane du MSI. Il faut penser, sur ce plan, à la « musique alternative », mais surtout à J.R.R. Tolkien, qui devient le saint patron et l’éponyme de cette révolution culturelle.

Ce constat montre à quel point il est déplacé de lancer des polémiques périodiques sur le néofascisme attribué à Giorgia Meloni, pour lui nuire. La présidente du Conseil, bien qu’elle ne vienne pas directement de la Nouvelle Droite, a grandi dans un environnement qui en est issu: la section romaine de Colle Oppio, placée sous la direction de Fabio Rampelli et d’autres que l’on peut légitimement considérer comme des "frères aînés" dans cette mouvance. Ce monde avait remplacé l’imaginaire fasciste par un imaginaire tolkienien et s’était largement inspiré du patrimoine environnemental, où des figures de la ND comme Alessandro Di Pietro avaient été pionniers, établissant notamment des contacts avec le prix Nobel Konrad Lorenz.

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Avant la volte-face de Fiuggi (ndt: l'abandon par Fini du "continuïsme néo-fasciste"), la Nouvelle Droite a apporté une contribution importante à la « modernisation de la droite italienne » et à la « sortie de ce tunnel qu'était le néofascisme », en « critiquant les nostalgiques ». La critique contre les centrales nucléaires était moins « moderne ». La tentative de « constituer un autre pôle culturel, combinant éléments de droite et de gauche, pour les amener à une nouvelle synthèse hors des partis » et de « passer de la politique au politique », de manoeuvrer entre le « léninisme de droite » et le « gramscisme de droite », a été moins réussie. Après des mots à consonance héroïque, la critique formulée par la ND envers le « conservatisme bourgeois », l’« obsession de la sécurité », la « défense de l’Occident », l’« individualisme » et le « nationalisme » a échoué : ces valeurs restent fondamentales pour la droite italienne, indépendamment du néofascisme.

On peut dire que la tentative de pousser la droite vers un libertarisme a échoué – heureusement, car, indépendamment des convictions personnelles, cela nous aurait amenés à une compétition perdante face à la gauche, qui, pour citer Augusto Del Noce, soutenait le « parti radical de masse ». Les relations avec la composante rautienne du MSI (Pino Rauti) restent également non résolues: la Nouvelle Droite aspire à une « indépendance par rapport à la forme parti », mais beaucoup de ses membres en proviennent.

Le livre de Tarantino admet qu’un « melting-pot » (incapacitant) s’est constitué au sein de la ND, où « tout aboutit à tout et à son contraire »: Tolkien se mêle à la pensée d'un Del Noce, la maison d’édition Rusconi avec Franco Freda. C'est là un « catalogue d’intentions et de déclarations qui peut sembler vain » mais qui a des répercussions concrètes dans de nombreuses actions importantes. Il a aussi permis l’émergence de personnalités intellectuelles tout aussi importantes, dont les noms restent ici non mentionnés pour éviter de porter préjudice par omission.

dimanche, 24 août 2025

«L'œuvre de Merkel – notre perte»: le nouveau livre de Gerald Grosz

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«L'œuvre de Merkel – notre perte»: le nouveau livre de Gerald Grosz

Source: https://unzensuriert.at/307306-merkels-werk-unser-untergang-neues-grosz-buch-in-wien-vorgestellt/?pk_campaign=Unzensuriert-Infobrief

Grosz-Merkels-Werk-Unser-Untergang.jpgAvec son cinquième livre, « L'œuvre de Merkel – notre perte » (https://www.buecherquelle.at/shop/merkels-werk-unser-untergang/), le commentateur politique Gerald Grosz a touché un point sensible. Avant même sa mise en vente, l'ouvrage figurait déjà dans les listes des meilleures ventes. Le best-seller a été présenté lors d'une conférence de presse à Vienne en présence de personnalités politiques autrichiennes et allemandes.

Regard sur les conséquences catastrophiques de la migration de masse

Écrit en seulement cinq semaines, Grosz documente les conséquences de la politique migratoire erronée menée depuis 2015, telles que les agressions à l'arme blanche, les viols collectifs et les vols à main armée, qui sont désormais monnaie courante dans les villes allemandes et autrichiennes comme Vienne. Le système social n'est pas destiné à ceux qui en ont besoin, mais sert d'instrument politique à l'élite pour attirer ceux qu'elle veut voir venir, critique Grosz.

Les proches des victimes s'expriment

Dans son livre, il donne également la parole aux proches de victimes bien connues du public. Par exemple, le père d'Ann-Marie (17 ans), qui a été poignardée avec son petit ami de 19 ans en 2023 à Brokstedt (Schleswig-Holstein) dans un train par un Palestinien apatride qui a également blessé cinq autres passagers, dont certains gravement. Melanie Popp, mère de Leonie, une jeune fille de 13 ans assassinée à Vienne, qui avait été agressée sexuellement par quatre jeunes Afghans en juin 2021, puis laissée pour morte devant la maison après avoir ingéré une overdose de drogue, prend également la parole.

D'autres destins des victimes du terrorisme à Vienne en 2020, à Villach en 2025, des morts de l'attentat terroriste de la Breitscheidplatz à Berlin en 2016, des victimes de Solingen ou de celles du massacre au couteau de Mannheim montrent dans ce livre comment l'échec politique flagrant détruit de plus en plus de vies innocentes.

Le travail de mémoire fait toujours défaut

Udo Landbauer, vice-président de la FPÖ de Basse-Autriche, Dominik Nepp, président de la FPÖ de Vienne et vice-maire, et Tino Chrupalla, porte-parole de l'AfD, ont souligné l'importance de l'ouvrage de Grosz. Chrupalla a critiqué le fait qu'aucun travail de mémoire n'ait été effectué à ce jour et que ce soit justement un auteur autrichien qui doive s'en charger. Landbauer a déploré: « 2015 a été une rupture fatidique, au cours de laquelle la souveraineté et l'identité de l'Autriche ont été abandonnées. » Nepp a ajouté que Vienne avait radicalement changé au cours des dix dernières années, car des migrants étrangers de rude culture et peu éduqués avaient été littéralement invités par des prestations sociales généreuses, et que les conséquences catastrophiques se faisaient sentir partout: agressions au couteau, vols à main armée, bandes de jeunes et violence collective.

Les faux conservateurs continuent d'échouer

Pour Chrupalla, Grosz, Landbauer et Nepp, une chose est claire : les soi-disant partis conservateurs (Grosz : « Avant les élections, ils clignotent pour virer à droite, après les élections, ils tournent à gauche ») ne font que simuler une ligne dure en matière d'asile, alors que la réalité montre que la politique migratoire a lamentablement échoué. Un changement de cap est nécessaire, soutenu par des partis tels que la FPÖ ou l'AfD et par des auteurs courageux comme Grosz, qui lancent le débat public.

Propagande économique et manipulation de masse

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Propagande économique et manipulation de masse

Jonas Tögel

Source: https://overton-magazin.de/hintergrund/gesellschaft/wirts...

libri_9783864894596_0.jpgDans son ouvrage fondamental intitulé « Démocratie sans risque », Alex Carey montre comment les entreprises, les agences de relations publiques et les élites politiques manipulent systématiquement l'opinion publique afin de faire valoir leurs intérêts.

Carey décrit à plusieurs reprises, avec des mots clairs, l'ampleur inimaginable de la manipulation de masse qui s'est développée depuis lors et qui utilise souvent des récits simplistes, mais d'autant plus efficaces, opposant le « bien » au « mal », le « sacré » au « diabolique » et la « liberté » à la « servitude » :

« L'utilisation efficace de la propagande comme moyen de contrôle social nécessite donc une série de conditions préalables : la volonté de l'utiliser, la compétence pour la produire, les moyens de la diffuser et, enfin, l'utilisation de « symboles significatifs », c'est-à-dire des symboles qui ont un pouvoir réel sur les réactions émotionnelles – idéalement des symboles sacrés et sataniques. Depuis longtemps déjà, les États-Unis disposent de toutes ces conditions dans une plus large mesure que tout autre pays occidental. Je vais examiner chacune de ces conditions tour à tour. »

La valeur inestimable du travail du chercheur australien en matière de propagande

Qualifier ce livre de « lecture recommandée » serait un euphémisme.

Selon Carey, l'une des principales techniques consiste à présenter le communisme ou le socialisme, en tant que système concurrent du capitalisme américain, comme « l'idéalisation négative exagérée du mal, sécularisée dans le communisme/socialisme comme quelque chose de sui generis, partout et à tout moment mauvais, oppressif, trompeur et destructeur à l'égard de toutes les valeurs civilisées et humaines ». En revanche, le mode de vie américain et l'esprit américain seraient devenus un symbole « de la force irrationnelle du sacré ». Ces déclarations sont encore plus faciles à comprendre si l'on considère que les analyses de Carey ont été écrites pendant la guerre froide, lorsque les deux systèmes économiques concurrents sont devenus le théâtre d'une lutte idéologique et mondiale par excellence.

De telles déclarations peuvent sembler un peu exagérées à première vue, et l'on pourrait être tenté d'accuser l'auteur d'exagération ou de dramatisation. C'est là toutefois que réside la valeur inestimable du travail du chercheur australien spécialisé dans la propagande: avec une minutie digne d'un détective, il étaye ces affirmations ambitieuses d'une telle abondance de faits et de preuves qu'il est parfois difficile de ne pas se laisser submerger par leur profusion.

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Ses exemples bien documentés sont encore aujourd'hui d'une valeur inestimable : de la mise en scène de l'Independence Day américain, initialement appelé Americanization Day (1917), en tant que propagande commerciale dans la lutte pour gagner le cœur et l'esprit des immigrants, en passant par la formule de la Mohawk Valley visant à briser les grèves (1936) et la création de nombreux think tanks afin de dominer le discours intellectuel (à partir des années 1970) – l'œuvre de Carey ne se contente pas d'être lue, elle doit être étudiée de près afin de pouvoir encore aujourd'hui tirer profit de la riche expérience des analyses (propagandistes) émancipatrices.

Paradoxalement, c'est sans doute grâce à une propagande économique efficace que nous savons si peu de choses aujourd'hui sur son action au cours des cent dernières années: « On peut affirmer que le succès de la propagande d'entreprise, qui a réussi à nous convaincre pendant longtemps que nous étions à l'abri de la propagande, est l'une des plus grandes réussites propagandistes du 20ème siècle. »

L'Australien oppose à cela une analyse si complète et si complexe de la propagande (américaine) des entreprises du début du 20ème siècle jusqu'aux années 1980 qu'il semble impossible d'apprécier pleinement l'importance de la démocratie sans risque en [quelques mots].

1120159-711297859.jpgUne base scientifique solide

Outre la propagande souvent difficile à déchiffrer des entreprises, Carey aborde également leurs efforts globaux pour influencer l'éducation, de l'école à l'université, dans leur propre intérêt. Il ne manque pas de critiquer également des classiques de la recherche psychologique, tels que les études Hawthorne sur la gestion efficace du personnel (à partir de 1927), qu'il soumet à une critique détaillée, ou les études de Lewin, Lippitt et White (1939) sur l'efficacité des différents styles de management, qu'il considère comme imprégnées d'intérêts économiques. « Comment se fait-il que presque tous les auteurs de manuels qui se sont appuyés sur les études de Hawthorne n'aient pas remarqué le grand écart entre les preuves et les conclusions de ces études ? », demande Carey . Cela peut également être compris comme un appel à la recherche (psychologique) à remettre sans cesse en question ses propres prémisses considérées comme allant de soi, sans préjuger des résultats.

Il convient de souligner le style de réflexion perspicace et souvent non conventionnel de l'auteur, qui aurait certainement déplu à Pilger, qui le qualifiait au début de « deuxième Orwell » :

« Orwell mettait en garde contre le fait qu'un totalitarisme cru et brutal issu du camp politique de gauche viendrait saper les libertés libérales et démocratiques dont nous souhaitons tous bénéficier. Une telle perspective n'est qu'une partie de la folie communiste du 20ème siècle ; car même si les libertés de la démocratie libérale sont sans aucun doute menacées, le danger est toujours venu de la « droite respectable ». Il se présente sous la forme d'une endoctrinement social et politique généralisé, un endoctrinement qui prône les intérêts des entreprises comme étant ceux de tous, fragmentant ainsi la communauté et excluant la pensée individuelle et critique. »

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« Trois ans après 1984, il me semble évident que les avertissements de George Orwell concernant les menaces futures qui pèsent sur les démocraties libérales ont été largement, voire dangereusement, mal compris », déclare Carey dans une critique acerbe et concise, qui lui est propre, des vérités apparemment établies.

Carey parvient toujours à étayer ses critiques souvent formulées de manière radicale sur des bases scientifiques solides. Cela tient également à son approche holistique, qui ne s'arrête pas aux frontières d'une seule discipline. Il examine ainsi la propagande sous des angles très différents et fait apparaître des approches de recherche tant psychologiques que sociologiques et historiques, qu'il combine de manière fructueuse, conformément à sa préoccupation humaniste.

Qui est le Dr. Jonas Tögel?

15157_jonas_toegel-150x150.jpgLe Dr Jonas Tögel est américainiste et chercheur en propagande. Il a obtenu son doctorat sur le thème du soft power et de la motivation et travaille comme assistant de recherche à l'Institut de psychologie de l'Université de Ratisbonne. Ses recherches portent notamment sur la motivation, l'utilisation des techniques de soft power, le nudging, la propagande et les défis historiques des 20ème et 21ème siècles. Le site web de l'auteur est www.jonastoegel.de.

Plus d'articles de Jonas Tögel: https://overton-magazin.de/author/jonas-toegel/

samedi, 23 août 2025

Kafka contre Kafka

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Kafka contre Kafka

par Joakim Andersen

Source: https://motpol.nu/oskorei/2025/07/14/kafka-mot-kafka/

Franz Kafka (1883-1924) est l'un des grands écrivains de l'ère moderne, notamment grâce à sa variante particulière du réalisme magique. Il s'agit en quelque sorte d'un réalisme social magique, d'une mytho-sociologie qui met en évidence la dimension occulte et incompréhensible du monde moderne.

Des choses étranges se produisent dans la vie quotidienne du monde moderne : « Quand Gregor Samsa se réveilla un matin de ses rêves agités, il se trouva dans son lit, transformé en un insecte gigantesque ». Le Procès et Le Château sont des descriptions brillantes de la bureaucratie, même si ses personnages principaux sont à peu près aussi héroïques que ceux de Lovecraft.

Une œuvre moins connue de Kafka est Lettre au père, datant de 1919, une longue lettre adressée à Hermann Kafka, qui était très différent de lui. Il s'agit d'un texte fascinant, à mi-chemin entre la lettre et la fiction, même si la plupart des parents ne souhaiteraient probablement pas recevoir une telle lettre de leurs enfants.

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Kafka commence sa lettre en racontant qu'il a toujours eu peur de son père, qui à son tour est accusé d'avoir toujours reproché à son fils sa « froideur, son aliénation, son ingratitude » et d'avoir été déçu par lui. Mais aucun d'eux n'est coupable, ils sont simplement très différents et l'issue était courue d'avance. Franz s'identifie à l'héritage de sa mère, il est un Löwy, secret et timide. Son père est plutôt un Kafka, avec « la volonté kafkaïenne de vivre, de prospérer et de conquérir ». Hermann était grand et fort, le jeune Franz se compare à un petit squelette.

Mais tout en affirmant que la faute n'incombe à aucun d'eux, mais plutôt à la différence entre eux, il énumère les reproches qu'il fait à son père d'une manière presque passive-agressive. C'est parfois amusant, Franz écrit notamment: « tu appelais les employés « ennemis payés » et « nous n'avions pas le droit de boire du vinaigre, toi oui ». Le raisonnement est fondamentalement malsain lorsque le père est accusé d'avoir détruit les chances de son fils dans tous les domaines, de la carrière au mariage, tout en se décrivant comme un échec et en justifiant sa déception. Il est impossible de se défendre contre les accusations de Kafka, car il se base sur Freud et estime que ce traitement destructeur était inconscient. « Tu as toujours (inconsciemment) méprisé ma capacité à prendre des décisions et tu pensais maintenant (inconsciemment) savoir exactement ce qu'elle valait », écrit-il entre autres.

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L'influence de Freud, Strindberg et Weininger est évidente. Ce dernier notamment dans la relation du couple avec le judaïsme. L'image que Franz a de lui-même rappelle la description négative que Weininger fait de la mentalité juive, ce qui n'est pas le cas de l'image d'Hermann. La lettre contient des raisonnements dialectiques intéressants, notamment sur la manière dont Ottla combinait une nature Löwy avec les meilleures armes de Kafka, ou sur la description des trois « mondes » sociaux imaginés par le jeune Franz (le sien, en tant qu'esclave soumis aux lois de Hermann, le deuxième, une sphère lointaine où Hermann régnait en roi, et le troisième, où d'autres personnes vivaient une vie heureuse et libre).

Les accusations portées contre le père concernant l'héritage juif sont également intéressantes, car il a conservé suffisamment de ses racines pour avoir confiance en lui, mais trop peu pour transmettre quoi que ce soit à ses enfants. « Ici aussi, il y avait suffisamment de judaïsme, mais trop peu pour être transmis à un enfant, il s'est évanoui au fur et à mesure que tu le transmettais », écrit Kafka. Lorsque son fils a commencé à s'intéresser à son héritage, Hermann a réagi avec dégoût.

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Dans l'ensemble, c'est une lecture captivante, même si la frontière entre autobiographie et fiction est difficile à tracer. La lettre est parfois divertissante, une version édulcorée de La Métamorphose, où l'on apprend en passant que le père n'a peut-être pas toujours été comme il est, « tu étais peut-être plus joyeux avant que tes enfants (moi en particulier) ne te déçoivent et ne te dépriment à la maison ».

On devine les personnages de Larry David dans des passages tels que « dans ton fauteuil, tu régnais sur le monde. Ton opinion était la bonne, toute autre était folle, excentrique, meshugge, anormale ». Mais la lettre a une profondeur qui va au-delà, avec des réflexions sur la psychologie, l'héritage et les relations qui font penser à Freud, Strindberg et Weininger. En bref, c'est une lecture enrichissante pour les amateurs de Kafka ou d'auteurs similaires tels que Céline et Vonnegut. 

mercredi, 13 août 2025

Le secret douloureux d'une civilisation stérile

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Le secret douloureux d'une civilisation stérile

Par José Javier Esparza

Source: https://noticiasholisticas.com.ar/el-secreto-dolor-de-una...

3648242-1660379469.jpgIl y a plus de vingt ans, Javier Ruiz Portella a eu l'inconscience de publier sous sa maison de l'époque, Áltera, mon roman intitulé El final de los tiempos. El Dolor, écrit en 1997. El Dolor — avec une majuscule — est le premier volet d'une trilogie sur une civilisation puissante qui approche inéluctablement de sa fin.

La deuxième partie, intitulée La Muerte (La Mort), est parue peu après. La troisième, qui s'intitulera La Resurrección (La Résurrection), n'est pas encore sortie, tout simplement parce que l'auteur de ces quelques lignes, c'est-à-dire moi-même, n'est pas encore prêt à la comprendre et, par conséquent, à la raconter.

Ces romans sont une dystopie allégorique sur l'effondrement de la civilisation technique, c'est-à-dire sur notre monde. On y trouve beaucoup de Jünger – celui d'Héliopolis – et aussi des touches de Huxley et d'Orwell: personne ne sillonne les mers sans une bonne carte.

9788416921195_portadaweb-1276857779.jpgUn autre aventurier de l'édition, Humberto Pérez-Tomé, a rassemblé les deux premiers volumes et les a publiés en 2018 chez lui, soit chez Sekotia, sous le titre général El final de los tiempos (La fin des temps). Je ne souhaiterais rien de plus que de compléter le cycle : douleur, mort et... résurrection. Mais pour l'instant, cette dernière semble encore assez lointaine.

Imaginons une ville formidable qui s'étend sur les flancs d'un cratère gigantesque : cette ville est Cosmopolis, le décor principal du roman. Au fond du cratère, en son centre, s'élève une masse imposante en forme de pyramide tronquée : c'est là que réside le pouvoir. Cosmopolis a accueilli des millions de survivants de tragédies telles que guerres, révolutions et famines, qui ont provoqué des déplacements colossaux de populations depuis les coins les plus reculés du globe. C'est une ville sans identité ni âme, mais qui a trouvé dans la supériorité technologique le secret de la survie. Il n'y a plus de dieux, mais une nouvelle église, l'Église de la Solidarité, satisfait les besoins moraux des masses.

Il n'y a plus de démocratie: ceux qui commandent en réalité sont les grands consortiums industriels et financiers, mais un pouvoir autoritaire, bâti sur la propagande, entretient l'illusion de la participation à la vie publique. Il n'y a pas non plus de libertés, mais la voix incessante des écrans, qui ne sont en réalité que l'écho d'un même discours – l'Omnipantalla –, apaise l'angoisse des foules avec ses messages réconfortants. À vrai dire, ainsi décrite, cette situation ne semble pas très imaginative : elle ressemble trop à notre monde. Ma seule excuse est que je l'ai écrite il y a trente ans.

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À propos de la douleur: malgré son déploiement de puissance prodigieux, Cosmopolis ne peut empêcher une douleur intense de s'emparer de ses habitants. Personne ne sait vraiment d'où elle vient, mais les esprits les plus inquiets ne tardent pas à la trouver: la stérilité. Tout simplement, Cosmopolis n'a plus d'enfants. Pourquoi la civilisation la plus confortable et la plus développée techniquement que le monde ait jamais connue est-elle incapable de se reproduire? Telle est la grande question.

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Pour une raison obscure, les citoyens de ce monde hyper-développé ne souhaitent pas avoir de descendants et ceux qui le souhaitent se trouvent dans l'impossibilité d'y parvenir. Ainsi, le progrès conduit inévitablement à l'effondrement final. D'une manière ou d'une autre, tout le monde se rend compte qu'il ne pourra rien léguer à ses descendants, car il n'y en aura pas.

Il serait très facile de rejeter la faute sur l'égoïsme individuel, mais non, la cause profonde est ailleurs. Le pouvoir, bien sûr, ne s'inquiète pas que les gens éprouvent une douleur secrète, ce qui l'effraie, c'est qu'ils se demandent pourquoi. Car la réponse se cache dans l'essence même de cette civilisation orgueilleuse, persuadée d'être au sommet de la perfection humaine, mais qui a laissé derrière elle toutes ces choses qui poussaient les hommes à perpétuer leur lignée.

Aujourd'hui, le taux de fécondité en Espagne est de 1,12 enfant par femme. En Europe, il est de 1,5. Aux États-Unis, il est de 1,6. Et nous vivons dans la civilisation la plus développée techniquement de tous les temps. La fin des temps ? Ne perdons pas de vue la résurrection.

 

17:51 Publié dans Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : déclin, josé javier esparza, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 04 août 2025

Les Indo-Européens redécouverts, comment une révolution scientifique réécrit leur histoire

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« The Indo-Europeans Rediscovered, How a scientific revolution is rewriting their history » (Les Indo-Européens redécouverts, comment une révolution scientifique réécrit leur histoire).

Benny Vangelder

Source: Newsletter du groupe de travail "Traditie" n°5 - Hooimaand 2025

Il s'agit du dernier ouvrage - publié le 24 avril 2025 - du célèbre archéologue et indo-européaniste James Patrick Mallory, que nous connaissons également pour un ouvrage similaire publié précédemment, In Search of the Indo-Europeans (1989), et d'autres ouvrages tels que The Tarim Mummies (1991) et The Origins of the Irish (2013). Sa quête de la patrie des Indo-Européens a toujours été une approche interdisciplinaire mêlant archéologie et linguistique. Dans cet ouvrage, il y ajoute l'archéo-génétique afin de renforcer et de compléter cette approche, en s'appuyant sur les dernières découvertes jusqu'en mai 2024. Le livre donne un aperçu des différentes approches et hypothèses dans la recherche de la patrie originelle des Indo-Européens, mais pour les dernières découvertes, le lecteur devra patienter jusqu'aux derniers chapitres. Il parvient néanmoins à maintenir l'intérêt et n'hésite pas à utiliser l'humour ici et là.

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Linguistique

Au début, Mallory donne un aperçu de la manière dont on est parvenu à la famille des langues indo-européennes. Il vous emmène à travers différentes couches d'analyses linguistiques, qui dévoilent les évolutions des mots et de la grammaire, jusqu'aux découvertes archéologiques. Ces comparaisons linguistiques ont mis en évidence les liens entre les langues indo-européennes. Au fil du temps, cette famille linguistique s'est élargie, alors qu'au départ, les comparaisons et les similitudes concernaient principalement les langues germaniques, romanes, grecques et indo-iraniennes. Plus tard, les langues celtiques et balto-slaves s'y sont ajoutées, puis finalement les langues tokhariennes et anatoliennes, dont le hittite est la plus connue. Au cours des 19ème et 20ème siècles, différentes hypothèses ont été avancées quant à l'emplacement de cette patrie originelle, allant de l'Europe à l'Asie, en passant par la Scandinavie, les pays baltes, l'Europe centrale, les steppes pontiques, l'Anatolie, l'Asie centrale, l'Afghanistan et l'Inde. Et des lieux « alternatifs » tels que l'Atlantide, le pôle Nord, le jardin d'Eden, la tour de Babel et l'Ararat, la montagne où Noé aurait échoué avec son arche et l'un de ses trois fils, Japhet, serait alors l'ancêtre des Indo-Européens et les deux autres fils, Sem et Cham, des Sémites et des Africains...

Pour déterminer linguistiquement la patrie indo-européenne, on examine certains mots qui peuvent renvoyer à une région mais aussi à une époque particulière. On trouve des références importantes dans les similitudes entre les mots désignant la roue, le cheval, le miel, l'hydromel, l'or, l'argent, la laine, etc. Les noms de rivières semblent également résister à l'épreuve du temps et sont souvent repris lorsqu'un autre peuple s'installe dans la région.

Pour Mallory, la paléo-linguistique, qui consiste à reconstituer des mots à l'aide de la philologie comparée, est un outil approprié à cette fin. En outre, les familles linguistiques qui formaient les voisins des Indo-Européens, telles que les langues ouraliennes, les langues parlées dans le Caucase et les langues sémitiques, sont également examinées afin de déterminer s'il existe des parentés et/ou des emprunts linguistiques. Il en ressort que la patrie indo-européenne devait être située entre les zones linguistiques ouralienne et caucasienne. Il est difficile d'aborder toutes ces déductions linguistiques dans le cadre de cette discussion. Mais on devine que la conclusion de Mallory va dans le sens des steppes pontiques. Les langues anatoliennes sont la plus ancienne branche du proto-indo-européen et sont parfois considérées comme une langue sœur plutôt que comme une langue fille, les deux appartenant à ce qu'on appelle l'indo-anatolien.

Archéologie

Ensuite, différentes cultures archéologiques susceptibles d'être considérées comme les dépositaires de la culture de la patrie originelle sont examinées. On remonte même à une culture en évolution constante qui existait déjà en Europe depuis le Paléolithique. Selon Mallory, cela n'a aucun sens, car des changements clairement démontrables se sont produits en termes de peuplement, de technologie, de rituels, de religion et de composition génétique. De même, l'affirmation selon laquelle la culture agricole du néolithique originaire d'Anatolie aurait été le vecteur de la diffusion des langues, des cultures et des peuples indo-européens ne trouve pas d'écho chez Mallory pour les mêmes raisons. Il ne veut toutefois pas exclure complètement cette possibilité. D'autres cultures archéologiques sont des candidates plus sérieuses, comme la célèbre culture Yamnaya de la steppe caspienne-pontique et la culture des vases à cordes de l'Europe centrale et du nord-est.

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Mallory compare systématiquement les cultures et les sites archéologiques concernés, en partant de trois hypothèses, à savoir: la patrie anatolienne, la patrie caucasienne/arménienne et la patrie steppique. Et bien que l'on trouve certainement des influences indiennes jusqu'en Mésopotamie et en Asie centrale (complexe archéologique de Bactriane-Margiane), ce sous-continent d'où les Indo-Européens se seraient dispersés n'est pas démontrable, tant sur le plan archéologique que génétique, selon Mallory. À cela s'ajoute le fait qu'un tiers de la population, qui a des ancêtres clairement sud-asiatiques (Ancient Ancestral South Indian), ne parle pas de langues indo-européennes, mais dravidiennes. Cette composante génétique est aujourd'hui présente dans toute l'Inde, mais pas en Europe. Mallory admet toutefois que la migration indo-aryenne depuis la plaque tournante supposée d'Asie centrale vers l'Inde n'a pas encore été prouvée de manière suffisamment claire à ce jour.

Il convient bien sûr d'être prudent et de toujours tenir compte des aspects socioculturels lorsque l'on souhaite utiliser la langue, l'archéologie (la culture) et l'ascendance biologique (les gènes) comme preuves. En effet, la céramique en soi ne dit rien sur la langue d'une culture, tout comme les gènes ne peuvent le prouver directement, car les langues peuvent être apprises ou reprises d'une autre culture ou d'un autre peuple dominant. Pour citer Mallory : « On peut convenir que seule la contextualisation archéologique des données paléo-génétiques peut établir dans quel sens et dans quelle mesure l'échantillon paléo-génétique représente les populations préhistoriques et si sa distribution spatiale et temporelle est représentative de la dynamique historique des sociétés auxquelles ces populations appartenaient. » (p. 279)

Génétique

Enfin, Mallory se concentre sur les études génétiques qui peuvent aider à trouver la patrie originelle des peuples indo-européens. Là encore, il commence par les premières étapes du siècle dernier (ou des siècles précédents), qui se concentraient principalement sur la pigmentation et les mesures crâniennes, mais qui n'ont guère apporté de réponses quant à l'origine du peuple indo-européen. Surtout si l'on se base sur les peuples contemporains qui parlent une langue indo-européenne.

Il se penche ensuite sur la génétique moderne, qui a d'abord cartographié les haplogroupes liés au sexe, à savoir l'ADN mitochondrial (ADNmt) hérité de la mère et l'ADN du chromosome Y masculin (ADN-Y), qui n'est transmis que de père en fils. Ces lignées peuvent être intéressantes comme outil, mais elles ne sont pas infaillibles, car lorsqu'une branche parentale se fond dans un autre groupe ethnique, l'ADNmt ou l'ADN-Y transmis ne dit rien sur un éventuel changement ethnique. Il en va autrement de l'ADN autosomique, qui prend en compte tout le matériel génétique des deux parents. Et pour connaître l'ascendance d'un peuple depuis ses origines, il est particulièrement important de pouvoir extraire le matériel génétique d'anciens vestiges, appelé ADN ancien. Il a été clairement démontré qu'il y a eu une intrusion en Europe depuis la steppe pontique, qui s'est également étendue vers l'est. En Europe, la culture des vases à bec est particulièrement importante en tant que vecteur des différentes ramifications ultérieures, et à l'est, la culture Andorova pour l'indo-iranien. Il s'est également avéré qu'un certain métissage s'était produit entre les peuples des steppes et les peuples autochtones des régions vers lesquelles les migrations se sont déroulées. Il s'agissait souvent d'hommes des steppes et de femmes autochtones.

Il n'y en avait apparemment qu'un seul. En Anatolie, on n'a initialement trouvé aucun ADN dit « steppique », ce qui a conduit à situer la patrie d'origine en Arménie. En effet, les peuples des steppes semblent être un mélange de chasseurs-cueilleurs d'Europe de l'Est (EHG) et du Caucase (CHG). Et en Anatolie, on n'a initialement trouvé que la composante CHG, en plus de la composante autochtone anatolienne. C'est pourquoi on a supposé que la composante caucasienne devait être déterminante. Seulement, la plupart des peuples, tant actuels (par exemple les Géorgiens) qu'anciens (par exemple les Hourrites), ayant principalement une ascendance CHG, ne parlent/parlaient pas de langue indo-européenne... Jusqu'à la publication de l'étude la plus récente, en avril 2024, à laquelle ont collaboré des généticiens tels que David Reich, ainsi que des archéologues tels que David Anthony. Il en ressort que de l'ADN steppique a bien été trouvé en Anatolie, certes seulement à 11%, et que le pays d'origine se trouvait dans la steppe. Les migrations depuis la steppe sont génétiquement et archéologiquement démontrables, et le pays d'origine correspond à ce que la linguistique avait déjà supposé, à savoir la steppe caspienne-pontique. C'est finalement la conclusion à laquelle parvient Mallory ; sur la base d'arguments linguistiques, archéologiques et génétiques, il situe la patrie indo-européenne dans la steppe pontique-caspienne, malgré les imperfections que celle-ci présente parfois. Le hasard a voulu que je travaillais sur un article à ce sujet avant la publication de ce livre. Tout d'abord pour citer des arguments contre l'hypothèse arménienne. Puis, pendant que j'écrivais, l'étude d'avril 2024 a été publiée, que j'ai pu intégrer à temps dans l'article, qui paraîtra probablement dans l'annuaire de Traditie 2025.

Conclusion

Le livre The Indo-Europeans Rediscovered n'est pas une simple énumération aride de subtilités archéologiques et linguistiques, mais emmène le lecteur dans une aventure à la recherche des origines de nos ancêtres. C'est un ouvrage qui passionnera tant les spécialistes des études indo-européennes que les profanes intéressés. Mallory a le don de rendre accessible ce sujet complexe. Il plonge toutefois souvent dans des détails techniques et, bien qu'il les explique correctement, le jargon peut être intimidant, voire dissuasif pour certains lecteurs. Ceux qui s'intéressent à ce sujet, mais ne souhaitent pas lire un livre entier à ce sujet, peuvent se reporter à l'annuaire Traditie 2025, dans lequel mon article sur ce sujet sera probablement publié. À bientôt !

Informations sur le livre :

Titre : The Indo-Europeans Rediscovered, how a scientific revolution is rewriting their story.

Auteur : J.P. Mallory

Éditeur : Thames & Hudson Ltd - ISBN : 9780500028636

Date de publication : 24 avril 2025

Nombre de pages : 448 (y compris glossaire, notes, bibliographie et index)

Langue : anglais

mercredi, 23 juillet 2025

Elon Musk, théorie et pratique d'un génie égoïste

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Elon Musk, théorie et pratique d'un génie égoïste

Un essai de Paolo Bottazzini consacré au magnat, l'un des protagonistes mondiaux de l'industrie et de la politique

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/123021-elon-musk-teoria-e-prati...

Elon Musk est la personnalité du moment. On en parle partout, sans cesse, mais pas toujours de manière pertinente. L'intérêt pour sa personne a d'abord été porté par sa proximité politique avec Trump, tandis que, dernièrement, on est revenu sur son rôle car il avait pris ses distances avec la présidence américaine. Nous venons de terminer la lecture d'un livre critique et intéressant consacré à ce magnat américain. Il s'agit de l'essai de Paolo Bottazzini, The Musk. Teoria e pratica di un genio egoista (The Musk. Théorie et pratique d'un génie égoïste), paru dans le catalogue des éditions Bietti.

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Le volume est divisé en trois chapitres. Dans le premier, l'auteur, professeur à l'Université de Milan et journaliste, présente les traits constitutifs de la psyché de Musk en s'attardant notamment sur sa formation et sur les idées qui ont façonné son imaginaire. Les deuxième et troisième chapitres, en revanche, explorent de manière organique les succès et les échecs de ce génie original de l'entreprise. Dans ces brèves notes, nous aborderons les points les plus importants du premier chapitre, car ils permettent au lecteur de se faire une idée de la vision du monde de ce protagoniste de l'histoire contemporaine.

Le récit de Bottazzini s'appuie, d'une part, sur une documentation abondante et une connaissance hors du commun des sources, comme cela transparaît dans les meilleurs essais, et, d'autre part, sur une prose captivante et engageante qui facilite la lecture.

Le portrait de Musk  est, en résumé, celui d'un héros postmoderne qui fait de la science et de la technologie les instruments salvateurs vers lesquels l'humanité doit se tourner pour se protéger d'une catastrophe historique possible et probable. Paradoxalement, le caractère postmoderne du magnat américain s'appuie sur une vision solide de l'entreprise, qui renvoie au capitalisme des origines et en rien au capitalisme cool et smart de la phase actuelle, marquée par l'informatique et la mondialisation.

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Des acteurs importants du monde de la communication et de larges couches sociales ont été attirés par certains aspects de la personnalité de Musk. Ces aspects ont exercé une influence considérable sur les masses: « L'ampleur spectaculaire de ses gains, sa tendance à la provocation à travers des déclarations lapidaires sur X.com (anciennement Twitter) [...] son excentricité de nerd ou d'autiste dans ses relations avec les autres, son projet de colonisation de Mars [...], sa prolificité record » (p. 13). Musk a déclaré à plusieurs reprises avoir trouvé un modèle archétypal de référence en Samvise Gamgee, personnage du Seigneur des Anneaux, car celui-ci découvre dans le monde un sens (« Il y a du bon dans ce monde ») pour lequel il faut se battre.

Action optimiste

Ce choix l'a conduit à une action optimiste et déterminée, en phase avec la « folie » des premiers capitalistes, qui opéraient dans une réalité hostile à leurs idées. Avec Carlyle, il est convaincu que la réflexion théorique n'est pas apte à dissiper tout doute cognitif: seule l'action volontaire du héros peut mettre de l'ordre dans la réalité: « Le travail [...] est la méthode par laquelle on vainc le manque de sens du réel et on conquiert une signification qui innerve [...] l'espace social commun » (p. 15). Ce modèle actif renvoie à la philosophie individualiste d'Ayn Rand, pour qui « l'égoïsme se réduit au droit civil de propriété privée et au droit naturel d'exercer une liberté d'entreprise  qui ne doit s'arrêter devant rien » (p. 18).

581937000-2051660347.jpgMusk est donc le porte-parole d'un capitalisme démesuré. Diplômé en physique, il a très vite  épousé la primauté de l'ingénierie, fondant ce choix sur la perspective science-fictionnelle d'Asimov et de Douglas Adams. Ce n'est pas un hasard si un personnage d'Asimov, Hari Seldon, est « capable de deviner l'imminence de l'effondrement de l'humanité » (p. 25). Le héros Musk se considère investi de la mission de sauver l'humanité. Dans la situation historique actuelle, on courrait en effet le risque de perdre « l'encyclopédie des connaissances dans laquelle se distille la conscience de notre civilisation » (p. 25). Sa prolificité (quatorze enfants !), tout comme l'idée de coloniser Mars, sont les conséquences de la terreur que ressent Musk face à l'appréhension pour la continuité de l'humanité dans le futur.

« Altruisme efficace »

Il confie la tâche de penser l'avenir à la secte de l'« altruisme efficace », dirigée par son dauphin, William MacAskill (photo, ci-dessous). Ce dernier a développé les concepts de longtermisme et de risque existentiel. Le premier concept désigne la nécessité de penser également aux « générations futures », à leur bien-être et, pour que cela se réalise, il est nécessaire d'éviter les risques existentiels, tels que les épidémies, les catastrophes nucléaires, le changement climatique.

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En particulier, Musk et ses collaborateurs sont convaincus qu'il est indispensable de contrôler les phases de récession qui marquent l'histoire afin d'éviter des drames sociaux tels que ceux provoqués par la crise de 2008. Souvent, il faut le noter, les initiatives de ces groupes ont eu des effets néfastes, comme le montre le cas de la spéculation sur les cryptomonnaies perpétrée par Sam Bankmann-Fried (photo, ci-dessous), proche de l'« altruisme efficace ».

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La prévisibilité statistique domine la vision du monde de Musk. Cette tendance l'a conduit à une vision déformée des risques inhérents au renforcement de l'intelligence artificielle, centrée, en fait, sur l'article de foi qui pose l'apparition de propriétés émergentes qui se manifesteraient lorsque certains seuils de puissance de calcul sont atteints. Dans l'état actuel des choses, tout cela n'est pas prévisible. Il s'agit d'une erreur de perspective dictée par le fait que, pour Musk, la solution à la situation actuelle devrait naître dans le même horizon de pensée qui a conduit à la situation actuelle: le paradigme logique et opérationnel du capitalisme libéral qui se manifeste dans le Ge-Stell, dans l'Installation de la techno-science.

Volonté de corriger le monde

En substance, la proposition de Musk est un nouvel historicisme eschatologique néo-gnostique motivé par la volonté de corriger le monde et la vie, au nom d'un état final de l'histoire. Son intention réelle est de préserver l'état actuel des choses, la gouvernance, en prévenant les risques auxquels le système actuel est exposé. Musk, comme on l'a vu, est un lecteur attentif de fantasy et de science-fiction, mais son exégèse de ces genres littéraires est partielle. Il nie que la vie et l'histoire sont le royaume du possible qui tend, en permanence, à déjouer les prévisions statistiques et déterministes. Le livre de Bottazzini peut être, en ce sens, un outil indispensable pour ceux qui veulent revenir avec un regard critique sur notre actualité et ses mythes.

Paolo Bottazzini, The Musk. Teoria e pratica di un genio egoista (Théorie et pratique d'un génie égoïste), Bietti, Milan 2025, 181 pages, 16,00 euros.

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« La destra e lo Stato » (La droite et l'État) de Spartaco Pupo: une étude sur les catégories de la pensée politique

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« La destra e lo Stato » (La droite et l'État) de Spartaco Pupo: une étude sur les catégories de la pensée politique

Cet ouvrage met en évidence un courant de résistance spirituelle à la dissolution nihiliste produite par le rationalisme abstrait et l'individualisme effréné.

par Giusy Capone

Source: https://www.barbadillo.it/123019-la-destra-e-lo-stato-di-...

À une époque où la modernité avancée se complaît dans la liquéfaction de tout enracinement identitaire et dans la célébration d'un universalisme sans âme, La destra e lo Stato de Spartaco Pupo s'impose comme une œuvre nécessaire, un geste de restauration intellectuelle qui rappelle aux lecteurs les plus avertis que la droite n'est ni une caricature nostalgique du passé ni une aberration pathologique de la politique, mais l'une des plus nobles traditions de la pensée occidentale, façonnée par la conscience tragique des limites inhérentes à la nature humaine et de la nécessité d'un ordre supérieur qui endigue la dérive entropique de l'anomie démocratique, comme l'avertissait Joseph de Maistre lorsqu'il écrivait que la meilleure Constitution pour un peuple est celle qu'il se donne sans le savoir.

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Spartaco Pupo, avec une lucidité aristocratique et une rigueur scientifique, reconstitue la relation intime et controversée entre la droite et l'État, montrant comment cette union ne s'est jamais cristallisée en formules dogmatiques, mais a toujours oscillé entre l'exaltation de l'État comme garant de la hiérarchie et de la tradition, et la méfiance envers les dégénérescences de l'étatisme niveleur et bureaucratique; et ici l'on ré-entend la leçon de Carl Schmitt, qui voyait dans l'État le gardien suprême de la décision souveraine contre la neutralité libérale informe. Cette oscillation n'est pas une contradiction, mais plutôt la fidélité à une vision organique de la société, dans laquelle l'État n'est légitime que dans la mesure où il se pose en gardien des identités historiques, des aristocraties naturelles, des liens communautaires façonnés par l'histoire et la lignée. Pupo rejette fermement l'approche caricaturale de ceux qui voient dans la droite une simple réaction irrationnelle au progrès, et redonne à cette tradition son statut authentique: celui d'une résistance spirituelle à la dissolution nihiliste produite par le rationalisme abstrait et l'individualisme effréné.

Ce n'est pas un hasard si son étude considère la droite comme la gardienne de valeurs permanentes, de ces vérités non négociables qui survivent aux bouleversements des modes politiques et aux velléités utopiques de la gauche, conformément à la maxime de Donoso Cortés selon laquelle quand on ne croit pas en Dieu, on finit par croire en n'importe quoi. À travers une analyse fine des différentes âmes de la droite, du conservatisme aristocratique au nationalisme identitaire, du traditionalisme organique au populisme souverainiste, Spartaco Pupo démontre que la relation avec l'État a toujours été filtrée par une vision sacrée de la politique: l'État, lorsqu'il est digne de ce nom, n'est pas une simple administration ou un mécanisme procédural, mais l'incarnation visible d'une volonté historique et spirituelle, un rempart contre le chaos destructeur des passions atomistiques.

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Avec perspicacité et sens de la mesure, Pupo illustre comment, à l'époque contemporaine, la droite a dû faire face à de nouveaux défis: la mondialisation, l'érosion des souverainetés nationales, la colonisation culturelle opérée par des élites cosmopolites et technocratiques, contre lesquelles s'élève le souvenir de la leçon d'Ortega y Gasset, selon laquelle les nations ne meurent pas parce qu'elles sont envahies, elles meurent lorsqu'elles se vident de leur substance. Et pourtant, loin d'avoir disparu, la droite a su se renouveler, en revendiquant la centralité de la communauté, la défense des frontières, la restauration de la primauté politique contre les prétentions morales et juridiques de l'universel abstrait.

Ce renouveau, loin d'être une capitulation, se révèle être un retour aux origines profondes de la droite: la primauté de la substance historique sur la forme abstraite, de la racine sur l'élan, de la fidélité sur la nouveauté, selon le principe formulé par Evola selon lequel la Tradition n'est pas ce qui était, mais ce qui est éternel.

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La destra e lo Stato est donc bien plus qu'une monographie érudite: c'est un manifeste implicite de résistance culturelle, une invitation à redécouvrir dans l'histoire les raisons éternelles de la communauté contre le cosmopolitisme désintégrateur, de la hiérarchie naturelle contre l'égalitarisme artificiel, de l'ordre substantiel contre l'anarchie déguisée en liberté.

Spartaco Pupo nous rappelle, avec sérénité, que la droite, avant d'être une doctrine politique, est une posture spirituelle face au mystère tragique de l'existence, une fidélité aristocratique à ce qui ne passe pas. À une époque qui a perdu le sens de la limite, du sacré, de la tradition, lire cet ouvrage équivaut à un acte de réappropriation de sa dignité intellectuelle, à une reconquête de la profondeur contre la superficialité joyeuse des masses.

Ces pages contiennent un appel silencieux mais puissant à ceux qui ne veulent pas céder à l'oubli, à ceux qui savent que toute civilisation authentique naît d'un acte de fidélité et d'un sens de l'honneur que nul temps, aussi sombre soit-il, ne peut éteindre.

mardi, 15 juillet 2025

Le père de toutes les théories du complot

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Le père de toutes les théories du complot

par Niki Vogt

Source: https://www.compact-online.de/der-vater-aller-verschwoeru...

Il a été le premier auteur de l'Allemagne d'après-guerre à vendre des centaines de milliers de livres grâce à ses recherches sur les sociétés secrètes et les connaissances occultes. Mais les gardiens de la vertu ont alors lancé une grande contre-offensive. Aujourd'hui, son ouvrage légendaire « Les sociétés secrètes et leur pouvoir au 21ème siècle » est à nouveau légal et disponible dans une nouvelle édition. Pour en savoir plus, cliquez ici: https://www.compact-shop.de/shop/neu/geheimgesellschaften... 

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L'éditeur Klaus-Dieter Ewert avait été très surpris lorsqu'il avait ouvert une enveloppe sans expéditeur pendant l'été 1993. Elle contenait un manuscrit accompagné d'une lettre. Le jeune auteur ne voulait pas d'argent, il demandait seulement que son livre soit publié. Cependant, en raison du caractère explosif de ses révélations, il insistait pour utiliser un pseudonyme: Jan van Helsing. Ceux qui ont lu le roman Dracula de Bram Stoker s'en souviendront: Abraham van Helsing y est le personnage principal, le chasseur de vampires.

Un véritable pionnier

Le jeune auteur, de son vrai nom Jan Udo Holey, était, à l'origine, un jeune punk curieux, issu de la scène du gauchisme, mais au fil des ans, il s'était intéressé à des sujets nouveaux et très controversés. Dans sa lettre à l'éditeur Ewert, il ne révélait pas son nom, mais donnait tout de même quelques informations sur lui-même :

« J'ai aujourd'hui 26 ans, j'ai voyagé sur cinq continents et j'ai trouvé dans presque tous les pays les machines à énergie libre, telles que décrites dans mon manuscrit, ainsi que des avatars. Rien qu'en Nouvelle-Zélande, j'ai rencontré plusieurs personnes qui avaient émigré là-bas parce qu'elles avaient eu de sérieux problèmes en Europe avec les lobbies du nucléaire, du pétrole et de l'électricité en raison du développement d'appareils permettant de produire de l'énergie gratuitement ou des disques volants antigravitationnels ».

Et il ajoute : « J'ai compris que ce sujet n'était pas un jeu lorsqu'un de mes amis, garde forestier dans le nord de l'île sud de la Nouvelle-Zélande, a découvert un terrain d'essai pour soucoupes volantes de l'armée de l'air américaine et (...) a ensuite été retrouvé assassiné au pied d'une falaise. J'ai également rencontré des membres de la CIA, des services de renseignement de la marine et du BND qui étaient ou sont encore impliqués dans de tels projets (...). J'ai rassemblé dans ce livre ces informations et d'autres informations de nature « secrète » sur lesquelles je suis « tombé » au cours de mes recherches. Tout cela est lié aux sociétés secrètes, à la religion, à la haute finance et à la politique. »

Van Helsing à la chasse aux vampires

L'éditeur Ewert a décidé de publier le livre. Il est sorti en 1994 sous le titre « Geheimgesellschaften und ihre Macht im 20. Jahrhundert » (Les sociétés secrètes et leur pouvoir au 20ème siècle) et est devenu un best-seller absolu. Le volume suivant, « Geheimgesellschaften 2 » (Sociétés secrètes 2), est paru un an plus tard. Dans ses premiers ouvrages, Holey, alias Jan van Helsing, a décrit les activités et les coulisses des hautes loges maçonniques, des Illuminati et des sociétés secrètes élitistes telles que Skull & Bones.

Il a également mis en lumière le Ku Klux Klan et les pratiques financières des familles Rothschild, Warburg, Rockefeller et Morgan. L'auteur a découvert et rapporté des informations inédites sur les coulisses de la bataille de Waterloo et sur la manière dont cette victoire sur Napoléon a fondé la richesse de la maison Rothschild. Il a également écrit sur le commerce de l'opium par la famille royale anglaise au 18ème siècle, qui a contraint la Chine rebelle à se mettre à genoux et à céder ses réserves d'argent.

Il a illustré ses thèses sur un « gouvernement mondial secret » avec des exemples tels que la City de Londres, le centre financier indépendant de la Grande-Bretagne situé sur la Tamise, et avec des informations de fond sur les instigateurs de la révolution bolchevique et l'ascension d'Adolf Hitler. Des chevaliers de Jérusalem aux sombres secrets du Vatican en passant par l'assassinat de Kennedy, de la création d'Israël à la présence supposée d'extraterrestres, rien n'a été laissé de côté.

On peut dire que l'auteur a frappé fort avec ce livre. Du jamais vu auparavant, les lecteurs en sont restés bouche bée. Jan van Helsing était à l'époque un auteur à succès: les deux volumes de « Sociétés secrètes » se sont vendus à environ 160.000 exemplaires en deux ans.

Les morts-vivants ripostent

dvd-fletchers-visionen-mel-gibson-julia-roberts-1974348097.jpgSi tout cela n'avait été que pure fantaisie, la campagne de dénigrement lancée contre l'auteur n'aurait pas été nécessaire. Ce qui lui est arrivé après la publication et le succès retentissant de ces deux livres rappelle fortement le film « Les visions de Fletcher » avec Mel Gibson.

Fletcher, un chauffeur de taxi new-yorkais, publie un petit livret dans lequel il expose ses théories sur une grande conspiration. L'opuscule a peu de lecteurs, mais un jour, il publie quelque chose qui se rapproche trop de la réalité et se retrouve pris dans une course-poursuite et un combat à mort – parce que le soi-disant psychopathe avait vu juste et devait être réduit au silence.

Jan van Helsing a lui aussi dû toucher un point très sensible avec le contenu de ses deux livres, car il a été poursuivi pour incitation à la haine raciale tant en Suisse qu'en Allemagne. Cela a conduit à la plus grande opération de confiscation de livres en Allemagne depuis 1945. À partir de 1996, Jan van Helsing a été submergé de poursuites et de plaintes, les deux livres ont été confisqués dans tout le pays et plus de 50 perquisitions ont eu lieu !

Le fait que la procédure pénale pour incitation à la haine raciale ait été classée sans suite en 1998 et que la décision de confiscation ait été annulée en 2001 n'a servi à rien à l'auteur: ses livres sont restés interdits en Allemagne et en Suisse, et ce n'est qu'en 2006 que les procureurs ont restitué les livres saisis lors des perquisitions. Par suite, cet ouvrage controversé n'a été disponible que sous le manteau, à des prix exorbitants, pendant de nombreuses années – jusqu'à présent ! En effet, une nouvelle édition actualisée de ce classique est désormais disponible sous le titre « Geheimgesellschaften und ihre Macht im 21. Jahrhundert » (Les sociétés secrètes et leur pouvoir au 21ème siècle). Et une fois de plus, ce livre temporairement interdit connaît un véritable engouement.

L'auteur demeure inébranlable

91Oh0ALL9nS._SL1500_-3098887749.jpgAprès des années de campagne médiatique à grande échelle contre le prétendu « extrémiste de droite » et « antisémite », les succès juridiques de Van Helsing n'ont étrangement – ou plutôt typiquement ! – plus été relayés par les médias. L'auteur a traité toutes ces persécutions, la procédure d'interdiction, l'acte d'accusation pour incitation à la haine raciale ainsi que l'identité et les motivations des plaignants dans son livre « Die Akte Jan van Helsing » (Le dossier Jan van Helsing). Il ne faut pas être Nostradamus pour deviner que ce livre a également dû être retiré du marché en raison de menaces de poursuites judiciaires.

L'insécurité, le stress psychologique et l'exclusion sociale en tant que paria prétendument antisémite ont laissé des traces. Pas seulement chez Jan Udo Holey, avec qui j'ai eu l'honneur de travailler pendant plusieurs années sur la chaîne alternative Secret-TV. Pour son entourage privé également, ces années de harcèlement ont été un fardeau.

Son père Johannes a déclaré un jour lors d'une interview :

« Bien sûr (...), notre cœur de parents a été profondément touché. (...) Ce qui m'énerve, c'est la presse grand public de bas étage qui continue d'associer Jan à cette scène, alors que l'État a tacitement abandonné les poursuites contre lui à ses frais. Jan n'a donc jamais été condamné, ce qui ne convient tout simplement pas aux journalistes, ou, dans la mesure où ils sympathisent intérieurement avec lui, ne doit pas leur convenir. »

Semper aliquid haeret (il reste toujours quelque chose) – telle est la devise de la meute médiatique, et elle est efficace. La chasse à l'homme et les procédures judiciaires manifestement infondées qui ont duré des années ont encore aujourd'hui des répercussions. Elle se manifeste par des articles mensongers et diffamatoires sur Jan Udo Holey / Jan van Helsing, que l'on trouve encore aujourd'hui sur les sites de dénonciation tels que Esowatch, Psiram ou Wikipédia.

Ce fait révèle également la stratégie de la guerre sainte contre la liberté d'expression. Il ne s'agit pas de thèses, de jeux intellectuels, d'opinions, d'arguments, de contre-arguments, de fausses déclarations et de corrections. Il ne s'agit certainement pas de faits ou de vérité. Au contraire, pour certains sujets, le simple fait de s'y intéresser est passible du pire: la destruction de l'existence. Dans la religion de substitution du politiquement correct, les tabous ont remplacé la morale et la conscience, et l'exécution médiatique a remplacé le peloton.

Interdit pendant des années, il est enfin à nouveau légal ! Le classique « Les sociétés secrètes et leur pouvoir au XXIe siècle », augmenté et mis à jour pour atteindre 440 pages, est enfin à nouveau disponible. Dépêchez-vous, car les censeurs affûtent déjà leurs couteaux ! Commandez ici (réf. supra).

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Une source d'inspiration pour la droite: les idées toujours d'actualité d'un théoricien français (Guillaume Faye) 

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Une source d'inspiration pour la droite: les idées toujours d'actualité d'un théoricien français (Guillaume Faye) 

Barnabás Kurucz

Source: https://magyarnemzet.hu/lugas-rovat/2025/06/eszmetar-a-jo... 

La plupart des gens considèrent que les éléments déterminants de la pensée conservatrice sont l'attachement à la tradition et la mise en œuvre lente et organique de réformes éventuelles. Cependant, la crise incite toujours ses victimes à la réflexion, car après la destruction des bases sûres, de nouveaux fondements sont nécessaires. C'est cette perte de repères qui a été à l'origine de la révolution conservatrice allemande et des courants de pensée conservateurs radicaux français qui lui sont apparentés. Le Français Guillaume Faye s'inscrit dans cette tradition intellectuelle, poussé par les bouleversements impulsés par les gauches de 1968 et par l'impuissance de la droite traditionnelle à emprunter de nouvelles pistes intellectuelles.

Guillaume Faye est né en 1949 à Angoulême, en France, dans une famille proche de la droite bonapartiste. Il a étudié à l'Institut d'études politiques de Paris, où il a dirigé plusieurs organisations étudiantes entre 1971 et 1973. En 1970, il a rejoint le GRECE (Groupe de recherche et d'études pour la civilisation européenne), un groupe de réflexion de droite dirigé par Alain de Bneoist, mais il en a été exclu en 1986 en raison de divergences idéologiques. En 1998, il fait son retour sur la scène politique française de droite avec son ouvrage L'Archéofuturisme. Après un long combat contre le cancer, il est décédé en 2019 à l'âge de 69 ans.

Bien que Faye puisse être considéré comme l'héritier spirituel de la révolution conservatrice, il rejetait lui-même cette notion, estimant que le terme « conservateur » avait un effet démobilisateur, antidynamique et recelait une connotation négative. Il préférait le terme « archéofuturisme »: selon lui, celui-ci exprimait le mieux l'unité dynamique entre les valeurs anciennes et la science moderne.

Son objectif principal n'était pas d'élaborer un plan d'action global, mais de donner des impulsions créatives à un conservatisme à venir par le biais d'une « thérapie de choc » intellectuelle. Son style est celui de l'essai et le bref croquis littéraire qui se trouve à la fin de son ouvrage mentionné ci-dessus visent également à renforcer cette idée d'un choc à provoquer. Dans son interprétation, le terme radicalité n'est pas synonyme d'extrémisme, mais indique plutôt une actualisation révolutionnaire qui repense les fondements.

Faye, à l'instar de Guy Debord et de Jean Baudrillard, estimait que le libéralisme n'opérait plus qu'avec des « simulacres » (une réalité simulée) et du spectacle, sans prendre appui sur quoi que ce soit de réel. Le système en place n'offrait aucune alternative viable, car les révolutions de gauche – pour reprendre les idées de Hans Freyer – avaient échoué et étaient devenues partie intégrante du courant libéral dominant. Les partis de droite et leurs écoles de pensée, quant à eux, ont très souvent accepté les axiomes de leurs adversaires et se sont transformés en versions modérées de ceux-ci.

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Trois thèses

L'ouvrage de Faye comprend trois thèses principales. La première est que la civilisation actuelle s'est formée sous le signe de la modernité libérale et de l'égalitarisme, mais qu'elle a atteint son apogée et est au bord de l'effondrement. Suivant Friedrich Nietzsche, éminent représentant de la philosophie allemande, Faye a rompu avec la conception progressiste de l'histoire et a identifié à la place un mouvement historique dépourvu de toute téléologie. La modernité libérale, fondée sur la philosophie individualiste des Lumières, l'idée du progrès nécessaire, l'individualisme économique et l'utilitarisme (principe de l'utilité), ainsi que sur le pathos des droits humains sécularisés, a accédé au pouvoir à l'échelle mondiale à la fin du 20ème siècle. À l'aube du nouveau siècle, le libéralisme a perdu sa capacité d'adaptation et s'est retrouvé confronté à la réalité. En conséquence, la modernité va s'autodétruire. Faye a prédit que ce choc de désintégration se produirait au début du 21ème siècle sous la forme d'une série de crises relativement rapides. En raison de la mondialisation, la chute de la culture occidentale aura un impact significatif sur l'ensemble de la planète. Mais quels sont les facteurs qui peuvent conduire à un cataclysme d'une telle ampleur ?

Selon Faye, l'immigration massive légitimée par le faux idéal du multiculturalisme libéral et la violence qui en découle, ainsi que les conflits culturels, la consommation de drogues qui se répand grâce à la « société de l'hédonisme » et l'influence des réseaux mafieux qui y sont liés détruisent les conditions d'une vie sûre. Faye s'attendait à une baisse drastique du niveau de l'enseignement, car le libéralisme soutient une réduction significative des exigences « dans l'intérêt » des élèves. Parallèlement, les difficultés mentales (troubles de l'attention) provoquées par la culture audiovisuelle continuent de nuire à l'efficacité de la transmission des connaissances.

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Dans une société individualiste axée sur l'hédonisme, avoir des enfants est un fardeau que de moins en moins de personnes sont prêtes à assumer. Il en résultera une détérioration significative des indicateurs démographiques, ce qui entraînera une augmentation des charges sociales. À terme, la pénurie de main-d'œuvre et l'augmentation des dépenses consacrées aux personnes âgées entraîneront une forte baisse de la performance économique. La raréfaction des ressources et la résurgence de la violence physique conduiront à l'appauvrissement et à la brutalisation de la société, et l'Europe sombrera et tombera au niveau du tiers-monde. Selon Faye, les États-nations ne seront pas en mesure d'enrayer cette tendance négative, car ils acceptent eux-mêmes les principes fondamentaux qui sont à l'origine des problèmes.

Situations explosives

Cependant, les tensions ne s'intensifieront pas seulement en Europe. L'industrialisation forcée des pays du Sud peut créer des situations explosives (pensons aux bidonvilles d'Amérique du Sud). Le système financier mondial est quant à lui insoutenable et pourrait déclencher une récession à l'échelle mondiale (2008 en est un bon exemple). Parallèlement, les fondamentalistes religieux hors d'Europe se renforcent, à l'instar des groupes terroristes islamistes (la catastrophe des tours jumelles à New York en est une illustration frappante). Aux yeux de Faye, l'islam est une réaction violente aux excès de la modernité occidentale et, par conséquent, il ne peut être concilié avec les valeurs du vieux continent. Le verdict du penseur français: il n'y a pas d'islam occidental. C'est pourquoi il considérait comme une erreur fatale de tolérer l'immigration illégale, car cela a conduit l'Europe à importer un nombre important de fanatiques, augmentant ainsi l'instabilité interne et préparant le terrain pour des conflits ethniques (il suffit de penser à la multiplication des actes terroristes en Europe). De plus, il estimait que, alors que le monde se regroupait en blocs ethniques ou civilisationnels, l'Europe et les États-Unis renforçaient justement le multiculturalisme, alors que l'on pouvait déjà observer ses effets désintégrateurs et la résurgence de la conscience ethnique.

Au-delà des facteurs de crise socio-économiques et géopolitiques, Faye a également mis l'accent sur les défis posés par le changement climatique et la technologie.

La fonte des calottes glaciaires pourrait entraîner la propagation de nouveaux types de virus, et en raison de l'interconnexion du monde, l'ère des pandémies mondiales est à nos portes. Par ailleurs, la complexité croissante des systèmes technologiques est également synonyme de vulnérabilité, ce qui, à l'ère de l'industrie militaire de haute technologie, comporte également de graves dangers sous la forme du terrorisme.

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La chute du libéralisme

Dans l'ensemble, selon Faye, la modernité façonnée par le libéralisme est fondamentalement contraire à la réalité; ses illusions sont de moins en moins tenables et ses dogmes sont contraires à la vie. Par conséquent, la question n'est pas de savoir si la civilisation libérale s'effondrera, mais quand cela se produira. Il voyait dans le cataclysme imminent la possibilité de dépasser la modernité. Selon Faye, la tâche de la droite sera de donner forme à cette renaissance. Pour lui, le « constructivisme vitaliste » constituait le cadre théorique nécessaire à cela. Il s'agit d'une part de construire une civilisation dans l'esprit de la volonté de puissance nietzschéenne et de la rationalité spenglerienne-faustienne, et d'autre part de mettre l'accent sur le respect de la vie, l'autodiscipline et les problèmes bioanthropologiques. L'archéofuturisme est la concrétisation de ce cadre abstrait.

Selon la deuxième thèse, les défis de l'avenir exigent une nouvelle stratégie. Faye revient à la pensée archaïque, à une pensée préhumaniste. Les progrès réalisés jusqu'à présent par la technologie, la biologie et d'autres disciplines scientifiques ne s'inscrivent pas dans la perspective humaniste, car celle-ci empêche leur plein épanouissement. C'est pourquoi il est nécessaire de combiner les valeurs archaïques et les sciences modernes. Selon Faye, il ne s'agit pas de restaurer un moment du passé, ce qui serait totalement absurde et inutile, car c'est précisément le passé qui a conduit à l'émergence de la modernité libérale. Cependant, la solution ne réside pas dans le rejet total des traditions, mais dans la sélection. Il s'agit de préserver les valeurs du passé qui méritent de devenir les fondements de l'avenir. L'élément archaïque est ainsi lié aux questions fondamentales de la vie humaine. Faye mentionne avec beaucoup de mépris les penseurs libéraux qui, même en pleine crise de la civilisation européenne, ne pensent qu'aux homosexuels. Il estimait que la clarification des rôles sexuels, la mise en place d'une hiérarchie sociale, la revalorisation des traditions populaires, la renaissance des communautés, l'établissement d'une législation stricte et d'une sécurité physique, ainsi que la préservation de l'ordre social devaient être prioritaires. Il considérait tout cela comme le retour éternel du « même » au sens nietzschéen, ce qui, dans l'interprétation du penseur français, signifiait un retour aux exigences fondamentales de l'existence humaine énumérées ci-dessus.

Le libéralisme considère ces valeurs comme diaboliques, et son hostilité envers la vie découle précisément du fait qu'il nie les particularités bioanthropologiques de l'être humain.

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Technologie et tradition

Mais tout cela n'est qu'un aspect de la pensée de Faye. Oswald Spengler qualifiait la rationalité européenne de faustienne, entendant par là une vision du monde dynamique, exploratrice et créatrice de réalité, et affirmant l'avenir. Suivant cette ligne de pensée, Faye a pris sous son aile la technologie qui assure la plasticité du monde. Il n'a pas non plus reculé devant la voie libre à donner à la biotechnologie, estimant que le système d'attentes accrues par la civilisation ne peut être éliminé que par l'amélioration de la structure biologique de l'homme. Il s'agit là d'un élément important de l'adaptabilité de la société, qui n'est pas en contradiction avec la tradition. Au contraire ! La technologie doit être mise en pratique en équilibre avec la tradition. C'est l'essence même de l'archéofuturisme : donner forme à l'efficacité et au contrôle, leur donner un sens à travers le monde des valeurs et des coutumes. Une organisation sociale archaïque sous une forme ultramoderne.

La civilisation telle qu'elle existe aujourd'hui ne peut être sauvée, son effondrement total est inévitable, et la droite doit donc se préparer à une ère post-catastrophe. Révisant le nationalisme du conservateur radical français Charles Maurras, Faye affirme dans sa troisième thèse que cela imposerait la création d'un empire ; selon lui, les blocs civilisationnels ou ethniques constituent la forme politique de l'avenir. Il considérait donc l'organisation en États-nations comme insuffisante et se prononçait en faveur d'une « Euro-Sibérie » fonctionnant sur base d'autonomies locales. Faye estimait que si l'Europe ne rompait pas avec les formes étatiques nationales, elle se retrouverait dans une situation de semi-colonie de l'Amérique. Ce changement de forme signifierait également la fin de la démocratie moderne. Cependant, cela n'affaiblirait pas, mais renforcerait au contraire la souveraineté populaire, car la démocratie moderne ne défend pas les intérêts du peuple, mais ceux de « minorités illégitimes ». Il propose à la place un système fondé sur des référendums fréquents et doté d'un pouvoir décisionnel fort, en redéfinissant la signification du terme « peuple »: au lieu d'une population urbaine sans racines, d'une masse informe issue du melting-pot, il représenterait l'appartenance organique de personnes fières et conscientes de leur propre identité culturelle.

Le peuple redevient ce qu'il a toujours été avant la brève parenthèse de la modernité: une ethnie, une communauté culturelle et biologique, écrit-il.

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La religion en pleine revalorisation

Faye a fait remarquer, à propos de l'insoutenabilité de la société de consommation, que la plupart des sociétés seront contraintes de revenir à l'agriculture et à un modèle économique basé sur les technologies prémodernes. L'Afrique dans son ensemble y serait contrainte, mais aussi une grande partie des pays d'Amérique du Sud. Une petite partie de l'humanité vivrait dans un environnement technologique de haut niveau.

Selon Faye, la religion va connaître un regain d'intérêt en Europe, mais cela n'entraînera pas une renaissance du christianisme traditionnel. L'islam pourrait combler le vide spirituel laissé par l'athéisme, mais son dogmatisme rigide est en contradiction avec la rationalité faustienne, c'est pourquoi Faye le jugeait inapte à remplir cette mission.

En ce qui concerne les mouvements New Age, il a souligné la nécessité d'une religion structurée, bien organisée et homogène. Il a également imaginé un modèle à deux niveaux pour la religion: un christianisme ritualisé, superstitieux et populaire pour les masses, et une « religion des philosophes » pour l'élite.

Ses prévisions ne se sont pas entièrement réalisées – pour l'instant –, mais les principales tendances observées par le penseur français se sont avérées justes. Son ouvrage fondamental remplit pleinement la fonction « idéologique » que lui avait assignée l'auteur: tantôt choquant, tantôt fascinant, tantôt révoltant. L'idée fondamentale de Faye, selon laquelle la modernité libérale détruit ses propres vecteurs, rend son ouvrage particulièrement actuel pour les penseurs contemporains.

lundi, 07 juillet 2025

La noblesse de la défaite dans la culture japonaise entre mort et éternité

 

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La noblesse de la défaite dans la culture japonaise entre mort et éternité

Les éditions Medhelan publient en Italie le volume d’Ivan Morris sur l’honneur et l’action des chevaliers et samouraïs, combattant au nom de l'«héroïsme».

par Manlio Triggiani

Source: https://www.barbadillo.it/122402-segnalibro-la-nobilta-de...  

L’écrivain anglais Ivan Morris (1925-1976) consacra de longues années d'études à la tradition héroïque japonaise. Britannique, diplômé d’Harvard en langue et littérature japonaise, il fut écrivain et chercheur sur la culture nippone. Connaissant bien cette culture, il fut envoyé à Hiroshima le 6 août 1945, en tant qu’interprète, après l’holocauste causé par l’aviation américaine.

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Morris, ami de Mishima

Il rencontra Yukio Mishima (1925–1970), dont il devint l'ami et qui l’incita à étudier la tradition héroïque et à apprécier le code de conduite des Japonais de Tradition. Au cours de ses études, il découvrit la différence entre l'Occident et l'Orient: pour la culture occidentale, l’échec, la non-réalisation d’un projet, la défaite dans un combat, sont une honte, et le suicide est contraire à la religion chrétienne et à la morale commune. Pour la culture bouddhiste et l’éthique chevaleresque des samouraïs, en revanche, la défaite et le suicide sont une affirmation de soi, un geste qui sera rappelé par les générations suivantes, créant autour du défunt une aura d’héroïsme. Probablement, le vainqueur ne restera pas dans la mémoire collective comme le perdant. Ivan Morris, dans un livre utile pour comprendre la mentalité et la vision du monde des peuples d'Extrême-Orient, La noblesse de l'échec, examine le désir d’honneur à travers dix cas de samouraïs et de chevaliers depuis 72 après J.-C., avec, en premier lieu, le prince Yamato Takeru, figure typique du héros japonais, puis, peu à peu, jusqu’aux samouraïs plus récents comme les kamikazes.

Il décrit l’éthique du samouraï, la psychologie japonaise, et surtout celle des héros japonais, en retraçant un millénaire d’histoire japonaise. Morris a dédié le livre à son ami Mishima et a appris à admirer les vaincus. On peut se demander: d’où venait ce charme pour des personnages qui perdent la vie de façon violente et sans hésitation, comme si la mort était quelque chose de recherché, peut-être même dès le plus jeune âge ?

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Les assises culturelles du Japon

L'éditeur du livre, Marcello Ghilardi, analyse, dans l’introduction, les bases culturelles et religieuses de la formation japonaise traditionnelle. Il met en évidence que la composante religieuse et culturelle qui a façonné le Japon se divise en trois courants principaux: le shinto (qui peut se traduire par la “voie des dieux”, seul élément d’origine vraiment japonaise, codifié rétrospectivement entre les 17ème et 18ème siècles, mais le terme était déjà en usage au 16ème siècle), le confucianisme et le bouddhisme.

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Le shinto a constitué un ensemble cohérent de pratiques qui a conservé au fil du temps ses références conceptuelles. La vertu shintoïste de la pureté se relie à celle, confucéenne, de sincérité, d’honnêteté, de fiabilité. Car, selon la mentalité japonaise, la fidélité à la parole donnée et le respect des engagements sont fondamentaux. D’où la fidélité envers ceux à qui l’on a prêté allégeance. Et la mort n’est pas considérée comme inutile, bien au contraire, elle est vue comme la parfaite coïncidence entre ce que l’on est et l’image à laquelle on aspire à adhérer.

La méditation sur « l’impermanence » est une constante de l’enseignement bouddhiste, qui dérive de Siddharta le Bouddha, ayant vécu en Inde entre le 6ème et le 5ème siècle avant J.-C., selon lequel « une personne ordinaire, ou un moine, voit le monde ainsi : ‘Ceci est le Soi, ceci est le monde ; après la mort, je serai permanent, impérissable, éternel, et je ne serai pas soumis au changement ; je durerai pour l’éternité’ ».

La mort et l’éternité

C’est un enseignement qui mène à l’habitude de l’impermanence, par le détachement du Soi, en tenant compte du fait que l’impermanence est propre à toutes les réalités — selon l’enseignement bouddhiste — qu'elles soient physiques ou métaphysiques, visibles ou invisibles. Il est évident que pour les civilisations comme l'occidentale, ces discours ne paraissent pas convaincants: l’homo oeconomicus privilégie le bien-être matériel, la réussite professionnelle, l’accumulation d’argent, la vie confortable.

Ainsi, Ivan Morris, dans ce livre plein d’enseignements, explique que les hommes de valeur, qui affrontent l’ennemi, finissent souvent comme perdants. Selon l’opinion occidentale, celui qui perd doit être méprisé, c’est un perdant qui ne peut pas être admiré. La philosophie japonaise, en revanche, enseigne qu’il vaut mieux sortir vainqueur en ayant appris quelque chose, plutôt que de gagner sans rien apprendre. Un proverbe japonais dit : “Tomber sept fois, se relever huit fois”. La confrontation avec soi-même est prioritaire. Ivan Morris, dans ce livre, décrit plusieurs biographies d’hommes passés à l’histoire comme des perdants mais, en même temps, comme des hommes d’honneur et de valeur, ayant traversé divers degrés de défaite. Pourtant, le niveau de dignité qui peut émerger du comportement de ces demi-dieux, guerriers, samouraïs, nobles et chefs, est élevé. Morris explique bien comment une vie finissant dans la défaite et la mort peut laisser le souvenir de la force, de l’honneur, du courage et du caractère.

Ivan Morris, La noblesse de l'échec, Medhelan éd., 500 pages, 28,00 euros (traduction Francesca Wagner, préface de Marcello Ghilardi). Commandes : www.edizionimedhelan.it

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Comme l’Oncle Sam en Hexagone

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Comme l’Oncle Sam en Hexagone

par Georges Feltin-Tracol

On doit à Yannick Sauveur une excellente biographie de son ami Jean Thiriart parue en 2016 chez Pardès dans la collection « Qui suis-je ? ». Ce proche du fondateur de Jeune Europe a cependant commencé son militantisme aux débuts des années 1970 dans les rangs solidaristes. Il vient de publier une enquête très étayée et un réquisitoire solide sur un mal qui ravage la France.

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L’américanisation de la société française. Acculturation et perte d’identité (L’Æncre, coll. « Nouveaux enjeux du XXIe siècle », 2025, 310 p., 35 €) met en lumière une tendance inquiétante qui atteint tout l’Hexagone. Les Français se rêvent de plus en plus en Texans de la Seine, en Californiens du Rhin, en Floridiens de la Garonne, en New-Yorkais de la Loire et en Chicagoans du Rhône. Ce phénomène, particulièrement prégnant, est fort ancien. Il se manifeste à travers divers canaux de propagation dont ceux de la culture dite populaire : le cinématographe, la variété musicale, le roman et la bande dessinée.

Yannick Sauveur rappelle l’intervention primordiale de la CIA en matière culturelle afin de mieux façonner les « élites » d’Europe occidentale. Ainsi la construction européenne s’opère-t-elle dès le départ sous la tutelle implicite – mais réelle – des États-Unis d’Amérique ! Sous le prétexte facile de contrer la menace communiste soviétique, écrivains, journalistes et essayistes de renom s’engagent volontiers dans la promotion de l’atlantisme, de l’occidentalisme et du mondialisme sans toujours en connaître les aboutissements !

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Déjà dénoncée en son temps par Régis Debray dans Civilisation. Comment nous sommes devenus américains (2017) et L’Édit de Caracalla. Ou plaidoyer pour les États-Unis d’Occident (2002), l’américanisation ne se limite pas au haut de la société; elle se diffuse partout, y compris et surtout dans les zones rurales où prolifèrent festivals, clubs et fêtes locales de country music chaque fin de semaine. La langue de Molière est sérieusement touchée par cette mode détestable. Par la faute du Conseil constitutionnel présidé par le délétère Robert Badinter, la loi Toubon de 1994 ne s’applique pas (ou si peu). On ne traduit plus les titres des films ! Une flopée d’anglicismes (« expérimentation », « létal » ou « dispatcher ») métastase le français courant. Maintes enseignes – et pas seulement les salons de coiffure ! – emploient des termes angloïdes, c’est-à-dire un sabir bâtard qui n’est finalement qu’un globish lamentable. Le grand remplacement n’est pas démographique; il est aussi linguistique.

L’Union dite européenne est en pointe dans cette invasion insidieuse. Malgré le Brexit, l’unique langue (officieuse) de travail de la Commission et du fumeux Parlement demeure l’anglais par la faute des responsables français qui, à partir de 1974, ont renoncé à soutenir leur propre langue. Mais est-ce si surprenant quand Yannick Sauveur rapporte que cette politogenèse soi-disant européenne est de confection étatsunienne et que de nombreux politiciens et politiciennes hexagonaux en tant que Young Leaders de la French American Foundation servent de relais majeurs d’influence étrangère ? Par ailleurs, l’entité terroriste planétaire appelée OTAN renforce l’intégration des États d’Europe dans une matrice occidentale cosmopolite.

On connaît bien maintenant les connexions entre les cénacles mondialistes et les instances de l’État profond US. Certes, il n’y a jamais une identité complète de vue, de projet et d’ambition entre eux. Toutefois, il importe de prendre en compte qu’en-dehors du courant isolationniste qui récuse souvent l’Ancien Monde s’affrontent une tendance hégémoniste pour qui les États-Unis doivent assumer seuls la direction politique du monde, quitte à s’emparer de nouvelles terres, et une faction globaliste chez qui l’expansion du modèle étatsunien doit susciter l’arasement total des cultures, des peuples et des nations. Pour ce dernier groupe, l’occidentalisation, l’américanisation et la mondialisation ne sont pas les étapes successives d’un seul et même procédé, mais les manifestations parfois simultanées d’une procédure d’homogénéisation de très longue durée.

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Tel un déluge ou un raz-de-marée gigantesque, l’américanisation se retrouve partout, des arts dont l’art contemporain en est le fer de lance à la gastronomie. À la pause – déjeuner de Midi, le burger remplace le sandwich ! Quant aux divertissements, Disneyland – Paris attire un public venu de toute l’Europe pour déverser sur lui un récit détourné et dévoyé des mythes ancestraux européens. L’Oncle Sam pille sans retenue nos ressources, nos talents et notre imaginaire. Résultat, « l’aliénation culturelle, écrit Yannick Sauveur, va d’abord imprégner des enfants qui, dès le plus jeune âge, vont être conditionnés par l’american way of life. Ce n’est pas être excessif de dire que Disneyland symbolise à souhait l’impérialisme américain et l’américanisation culturelle et, circonstance aggravante, avec la complicité des dirigeants de notre pays ».

Les Français portent eux aussi une grand part de responsabilité dans cette « McDonaldisation » qui « est aussi, à travers le succès de toutes ces chaînes commerciales d’origine américaine, prévient encore Yannick Sauveur, le spectacle peu réjouissant de la standardisation poussée à l’extrême et aussi avec pour conséquence la mort des centres villes et le déclin voire la disparition des petits commerces ». Le corollaire de ce triste constat correspond à l’essor d’un hyper-individualisme perceptible à l’hypertrophie de la place de l’automobile, élément central dans la surconsommation. Il serait peut-être temps que l’opinion avisée délaisse cet engouement pernicieux et s’intéresse à cette discipline novatrice lancée dès 1991 par Thomas Molnar : l’américanologie.

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  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 163, mis en ligne le 2 juillet 2025 sur Radio Méridien Zéro.

13:32 Publié dans Actualité, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : actualité, france, américanisation | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

jeudi, 26 juin 2025

Le philosophe français Marcel Gauchet voit le progressisme se déliter en un autoritarisme technocratique

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Le philosophe français Marcel Gauchet voit le progressisme se déliter en un autoritarisme technocratique

Peter W. Logghe

Source: https://www.facebook.com/peter.logghe.94

Marcel Gauchet, né en 1946, est considéré en France comme l’un des penseurs les plus stimulants de notre époque. D’après Wikipedia, son œuvre révèle une vision aiguë des enjeux tels que les conséquences politiques de l’individualisme dominant, la relation entre religion et démocratie, et les dilemmes de la mondialisation. Dans son récent essai Le Noeud démocratique, il tire une fois de plus la sonnette d’alarme, car la démocratie occidentale risque de se transformer en un autoritarisme éclairé, refusant d’écouter la voix du peuple.

Gauchet part de la définition classique de la démocratie, avec la souveraineté populaire comme fondement. Une souveraineté qui se manifeste lors des élections. Mais ce principe se voit concurrencé par une démocratie dirigée par des juges, où les décisions politiques sont filtrées ou même dictées par des décisions judiciaires. Sous prétexte de protéger les droits fondamentaux, on marginalise, par voie judiciaire, des majorités électorales, soupçonnées de basculer dans le « populisme ». Une caste judiciaire est ainsi placée au-dessus de la légitimité du peuple.

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Les figures politiques dérangeantes sont éliminées — le débat démocratique disparaît.

De la Roumanie à l’Allemagne, en passant par la France et les États-Unis, on observe l'émergence d'une certaine logique: les tribunaux sont utilisés pour neutraliser les figures politiques qui dérangent l’établissement. Trump, Marine Le Pen ou Weigel: des pans entiers de l’électorat sont effacés, en invoquant toutes sortes de raisons techniques. Le philosophe Marcel Gauchet estime que cette manière rend impossible tout débat démocratique sur des thèmes comme l’immigration, la sécurité ou la souveraineté nationale. Ce n’est pas une renaissance démocratique, mais le symptôme d’une démocratie qui a peur de son propre peuple, de ses propres électeurs.

La démocratie moderne est dominée, selon l’auteur, par un individualisme démesuré, au point que sa dimension collective — et, en lien, l’intérêt général — disparaissent totalement du radar. Le lien entre droits fondamentaux et volonté du peuple s’efface. Les élites technocratiques refusent toute remise en question de leur vision du progrès. Si le peuple s’écarte de cette ligne, il est considéré comme une anomalie qu’il faut corriger, voire exclure totalement du processus décisionnel.

Gauchet lance une nouveau cri d’alarme, et il est une voix très crédible en France. Mais les élites technocratiques et progressistes l'écouteront-elles ?

jeudi, 19 juin 2025

La philosophie d'Héraclite, penseur politique et mystique

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La philosophie d'Héraclite, penseur politique et mystique

À propos d'un essai de Filippo Venturini « Tout dirige la foudre. Héraclite : politicien et mystique » (il Cerchio)

par Giovanni Sessa

Source: https://www.barbadillo.it/121777-il-pensiero-di-eraclito-... 

Filippo Venturini « Tout dirige la foudre. Héraclite : politicien et mystique » (il Cerchio)

Eraclito-350x490.jpgFilippo Venturini est connu pour plusieurs publications importantes sur le thème de l'archéologie. Chercheur depuis toujours intéressé par la pensée antique, en particulier la philosophie présocratique, il vient de publier une étude intéressante sur Héraclite, Tout dirige la foudre. Héraclite : politicien et mystique, disponible en librairie aux éditions il Cerchio (pour commander : info@ilcerchio.it.

L'essai se termine par un recueil de fragments du penseur d'Éphèse dans l'édition Diels-Kranz, dont l'auteur fournit, dans plusieurs cas, une traduction critique et alternative, accompagnée de commentaires tout à fait pertinents et partageables sur les paroles d'Héraclite.

Dès les premières pages, l'ouvrage montre clairement que Venturini a acquis une connaissance hors du commun, tant des textes du philosophe «obscur» que de la littérature exégétique la plus reconnue sur le sujet. Le livre est divisé en trois chapitres: dans le premier, l'essayiste traite de l'inspiration politique qui caractérise la vision du monde de l'aristocrate grec; dans le deuxième, il aborde les complexes théoriques les plus significatifs de la spéculation du philosophe; enfin, dans la troisième partie, il présente la fin tragique d'Héraclite, l'interprétant comme la conséquence inévitable de l'inactualité politique des thèses du grand présocratique.

Au début du texte, Venturini, s'appuyant sur l'enseignement de Nietzsche, souligne que les Grecs, dans leur tradition, ont également accueilli des visions exotiques venues d'Orient, les ré-élaborant de manière originale, à la lumière de l'ethos hellénique. Il soutient en particulier que « Héraclite est un penseur [...] politique, au sens le plus large et le plus complet du terme [...] un penseur de la polis, un penseur communautaire » (p. 8). Sa philosophie est liée, compte tenu de son héritage noble, au contexte mythique de la culture religieuse polyadique. Dans sa vie et dans ses fragments, on voit clairement émerger les deux tendances fondamentales qui, selon Colli, ont donné naissance à la culture hellénique: la propension mystico-dionysiaque et la tension apollinienne-politique, cette dernière visant à donner une « forme » au chaos conflictuel de la vie.

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Il fut personnellement impliqué dans la vie d'Éphèse, soutenant la tentative politique d'Hermodore. Sa conception anti-dualiste et relationnelle des opposés, selon l'enseignement de Théognis, l'amena à interpréter le polemos qui régnait dans la polis comme un symptôme de ce qui se passe dans la physis. Venturini, avec Gadamer, estime que les références constantes à la phronesis, « vertu, raisonnabilité de l'action », présentes dans les fragments, attestent clairement le caractère éminemment pratique de la pensée de l'Éphésien. Héraclite pensait, comme les autres sages helléniques, que la physis était en harmonie avec la politeia, la «constitution». La dimension « démocratique », au sens grec du terme, relevée chez Héraclite par Preve, ne contredit pas l'esprit aristocratique du penseur: suite à l'échec du projet d'Hermodore, sa nature noble l'amena à mépriser les masses, désormais insensibles à toute politique anagogique.

L'intégrité du cosmos et de la polis était, à ce moment historique, menacée: « par les forces contraires et centrifuges de l'égoïsme des individus et des factions, générées par la soif de richesse » (p. 10). L'irruption de la monnaie dans le monde grec avait produit l'eris, corrompant une partie importante de l'aristocratie elle-même. À l'atomisme social dont étaient porteurs les nouvelles classes ploutocratiques émergentes, Héraclite opposa, avec une puissance théorique inhabituelle, la structure organique du cosmos, compris comme un espace ordonné par des lois.

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Il aurait voulu, par cette référence à la vision aurorale hellénique, « réveiller » les inconscients, les « endormis ». Les hommes sont un moment de l'harmonie cosmique dont parle le fr. 30 : « dont l'essence est le scintillement perpétuel de la lumière (physis) dans l'obscurité qui l'entoure » (p. 11). La lumière met en évidence les « éléments » qui constituent le réel, à travers les metra, l'espace et le temps. À cette progression naturelle, l'homme correspond par la vue, le « voir », qui dévoile l'aphanes, l'harmonie de toutes choses, dont parle le fr. 54. Heidegger a souligné que cette harmonie «discrète» est «quelque chose que l'on a constamment sous les yeux, mais dont on n'est pas conscient» (p. 11). Celui qui saisit cette conscience atteint l'origine, le principe, la coincidentia oppositorum, au-delà de la logique diairetique de l'identité. Pour y parvenir, il faut « se connaître soi-même », contrôler les pulsions catagogiques qui nous constituent pourtant. Héraclite et les Grecs ne connaissaient pas la « métaphysique », ils savaient que l'un ne se donne que dans le multiple et que « l'au-delà », si l'on veut utiliser ce terme, vit dans l'«ici et le maintenant» de l'éternel présent, dans la conjonction du kairos et de l'aion, dans la mémoire communautaire de la polis. Colli soutenait que cette instance cognitive est une «expérience vécue» non communicable, en tant que contact avec le fond abyssal de la vie, à la fois merveilleux et tragique.

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Politique et mystique coïncident chez Héraclite: la polis témoigne de l'unité du fini et de l'infini, elle permet de voir « l'unité du tout et la compétition entre les opposés » ( p. 14), comme le montre le fragment 53.  En raison de la déception subie à la suite de l'échec du projet d'Hermodore, Héraclite s'est plongé dans la nature sauvage, s'est adonné au « vagabondage ». Ce n'était pas, commente Venturini,  un choix anti-politique, mais un témoignage extrême de la vocation mystico-politique, qui est authentiquement hellénique. Dans les forêts, Héraclite « vécut », comme le savait Bruno, le sens ultime du mythe d'Actéon, il saisit l'unité du sujet et de l'objet: tout est dynamis, possibilité-puissance-liberté. Le cliché scolaire qui présente Héraclite « pleurant » doit donc être renversé pour en faire un Heraclitus ridens. Héraclite est le philosophe du seuil qui unit le temps et l'éternité, c'est pourquoi les Éphésiens vénéraient ses restes mortels. Le philosophe s'est dépensé sans compter pour enseigner à ses concitoyens que la vie nue ne peut être aimée et vécue que dans la polis ordonnée, transcription des rythmes de la physis.

Filippo Venturini, Tutto dirige la folgore. Eraclito: politico e mistico, il Cerchio, pp. 187, 24,00 euros

lundi, 09 juin 2025

Les nombreuses morts de Federico García Lorca

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Les nombreuses morts de Federico García Lorca

Giorgio Ballario

Source: https://electomagazine.it/le-molte-morti-di-federico-garc...  

Près de quatre-vingt-neuf ans après son assassinat, Federico García Lorca reste un « desaparecido ». Le poète andalou a été fusillé par les forces nationalistes au début de la guerre civile espagnole, le 19 août 1936, près de Grenade; mais son corps n'a jamais été retrouvé, il a très probablement été enterré dans une fosse commune. Au fil des ans, ce mystère a alimenté des rumeurs, des légendes, des témoignages et même des versions assez improbables qu'un chercheur sévillan, Manuel Bernal, a rassemblées dans Las muertes de Federico, un essai qui a relancé le débat sur la fin tragique du poète en Espagne.

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Bernal s'intéresse depuis une trentaine d'années à la génération dite « de 27 », ce groupe d'intellectuels qui a introduit les avant-gardes artistiques en Espagne et a également eu une grande influence sur la littérature du pays. Parmi eux, García Lorca est peut-être le plus connu au niveau international. Le chercheur sévillan a croisé toutes les données, les versions et les témoignages sur les derniers jours du poète, pour aboutir à un texte qui présente pour la première fois un éventail complet de théories sur la fin de Federico.

« J'ai voulu faire un travail de recherche historique, a expliqué Bernal dans une interview, je ne remets en cause aucune de ces hypothèses, même s'il est clair que certaines me semblent plus crédibles que d'autres. Le problème est que tous les témoins directs de ces faits sont désormais décédés, il faut donc travailler sur des textes documentaires ou des informations de seconde main. Ce que je peux dire, c'est que García Lorca a triomphé de ceux qui l'ont tué, car son souvenir est plus vivant que jamais tandis que ses assassins ont été vaincus ».

Voici donc les sept versions de la mort du poète andalou. La première, officielle ou du moins acceptée par les historiens de la guerre civile : il a été enlevé chez des amis par un groupe composé d'éléments de la Guardia Civil et de miliciens de la Ceda (Confederaciòn española de las derechas autonomas) avec l'ordre de le tuer parce qu'il était soupçonné d'être un espion des « rouges ». Son homosexualité a ensuite été considérée comme une circonstance aggravante supplémentaire. Le prisonnier a été emmené sur une route de campagne près de Viznar, fusillé, puis jeté dans une fosse commune. La deuxième version diffère légèrement, elle rapporte le témoignage de certains détenus de Grenade chargés de ramasser les cadavres des exécutés politiques et explique que l'un d'eux aurait reconnu le poète et lui aurait fermé les yeux.

La troisième version rapporte que c'est le chauffeur de taxi de confiance de la famille Lorca qui aurait récupéré le corps de Federico après l'exécution, comme il l'avait fait une semaine auparavant avec le beau-frère de l'artiste, Manuel Fernández-Montesino, maire socialiste de Grenade, lui-même exécuté par les nationalistes. Alors que ce dernier repose dans le cimetière municipal de San José, personne ne sait où la famille a éventuellement enterré la dépouille du poète. Ce détail rejoint le quatrième témoignage rapporté par Bernal : lorsque, des années plus tard, une collecte fut organisée pour acheter des terrains à Viznar et rechercher les restes de García Lorca, une amie de ce dernier expliqua aux promoteurs que le corps ne s'y trouvait plus.

Le cinquième récit fait intervenir le célèbre musicien Manuel de Falla, très proche de García Lorca: il s'adressa en personne aux autorités nationalistes pour demander la libération du poète, mais on lui répondit qu'il était mort en prison à la suite de violences subies pendant un interrogatoire. Le sixième récit de Las muertes de Federico fournit peu d'informations sur sa fin, mais rapporte le précieux témoignage de Juan Ramírez de Lucas, l'homme avec lequel Federico avait une relation amoureuse, qui se souvient de la nuit où il a été informé de son assassinat. Enfin, la septième et dernière hypothèse, sans doute la plus fantaisiste, à laquelle Bernal lui-même n'accorde pas beaucoup de crédit. Dans les années qui ont suivi la guerre civile, explique-t-il, certains amis se sont convaincus que le poète avait réussi à s'échapper d'Espagne. Bien que blessé, Federico aurait survécu à la fusillade et aurait été emmené en lieu sûr à l'étranger, pour ensuite passer les dernières années de sa vie dans la maison de Pablo Neruda au Chili.

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Le livre de Bernal consacre peu de place aux relations entre García Lorca et la Phalange de José Antonio Primo de Rivera, qui étaient plus intimes et complexes qu'on ne le pense. Jesús Cotta en a parlé il y a quelques années dans son essai Rosas de plomo, un autre livre qui a fait sensation en Espagne. Federico et José Antonio se connaissaient, se respectaient et se rencontraient parfois en secret à Madrid. L'auteur cite Gabriel Celaya, qui affirme dans Poesìa y verdad que Lorca lui-même lui a confié être ami avec le leader phalangiste, ainsi que le poète Luis Rosales, qui l'a révélé dans une interview avec l'historien britannique Ian Gibson. D'autres ont également fait allusion à cela, comme le peintre Salvador Dalì et l'écrivain Pepìn Bello.

José Antonio admirait tellement l'œuvre poétique de García Lorca qu'il aurait voulu en faire « le poète de la Phalange », tout comme il suivait avec intérêt la compagnie théâtrale créée par l'intellectuel andalou, La Barraca. « Je veux ce théâtre espagnol pour les Espagnols », disait-il à ses camarades du parti. Jouant avec les mots, José Antonio écrivit dans une lettre à Federico : « Avec mes chemises bleues (l'uniforme de la Phalange, ndlr) et tes combinaisons bleues (celles des ouvriers, ndlr), nous ferons une Espagne meilleure ».

Pour autant que l'on sache, García Lorca n'a jamais exprimé de sympathie politique pour la Phalange, mais il avait plus d'un ami qui militait dans le parti fasciste espagnol. Ce n'est pas un hasard si, peu avant d'être assassiné, il avait cherché refuge chez Luis Rosales, dont les deux frères étaient phalangistes, et si, après son arrestation, son ami avait tenté sans succès d'intercéder en faveur de sa libération. Ce qui est certain, c'est que García Lorca et Primo de Rivera rêvaient tous deux d'une Espagne meilleure que celle dans laquelle ils vivaient. Et même meilleure que l'Espagne qui a suivi leur mort. Trois mois plus tard, José Antonio a connu le même sort que Federico: il a été fusillé à Alicante par les républicains.

mercredi, 28 mai 2025

Parution du numéro 484 du Bulletin célinien

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Parution du numéro 484 du Bulletin célinien

Sommaire :

2025-05-BC-Cover.jpgDe Destouches à Céline (Montmartre, 1929-1944)

Dans la bibliothèque de Céline (D / 1)

Cosmopolitisme

Figure de proue de la “nouvelle vague conservatrice”, Laetitia Strauch-Bonart est l’auteure d’un récit stimulant dans lequel elle relate sa trajectoire intellectuelle. Évoquant ses discussions avec un père à la sensibilité politique opposée, elle précise : « Je pense que ses idées (ce rousseauisme, ce cosmopolitisme) ne sont pas réalistes. Lui et moi avons des discussions sans fin, par exemple, sur l’immigration. À ses yeux, on pourrait accueillir toute la misère du monde. Moi, je vois le coût social que cela représente pour un pays. » Et d’ajouter qu’elle en est arrivée à la conclusion suivante : « Cette capacité à verser des larmes sur le sort des malheureux les plus éloignés de vous géographiquement va souvent de pair avec une incapacité à prendre la main de ceux qui vous sont proches. C’est comme si la première attitude permettait de se décharger de la responsabilité de la seconde¹. » 
 
Comment ne pas songer au maître d’école de Surcy-sur-Loing [localité imaginaire, ndlr] campé par Céline dans Les Beaux draps ? Il se dévoue et se sacrifie « pour les héros de la mer jaune… pour les bridés du Kamtchatka… les bouleversés de la Louisiane… les encampés de la Calédonie… les mutins mormons d’Hanoï… les arménides radicaux de Smyrne… les empalés coptes de Boston… les Polichinels caves d’Ostende… » Mais quand Céline lui demande d’agir en faveur d’un compatriote, un nommé Trémoussel, il se heurte à un refus catégorique. Sommé de se justifier, son interlocuteur répond : « Trémoussel je le connais bien !… ça doit être ça qui m’empêche… J’ai vécu trois ans côte à côte [pendant la guerre de 14-18, ndlr]… les autres je les ai jamais regardés… Je les connais pas pour ainsi dire… »
 

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Céline n’a pas son pareil pour épingler cet humanitarisme occidental qui chérit les victimes éloignées pour négliger celles qui nous sont proches. Comment ne pas songer aussi à ce “philosophe” attentif aux soubresauts du monde et complètement indifférent à la détresse de ses compatriotes galérant à finir le mois ? C’est le même qui, se disant résolument cosmopolite, déclare que tout ce qui est “franchouillard” ou cocardier lui est étranger, voire odieux. Céline est généralement classé à droite. Encore faut-il préciser qu’il s’agit d’une droite dont les préoccupations sociales sont patentes. On cite souvent son plaidoyer pour les 35 heures en faveur de ceux qui accomplissent un dur labeur. Mais une lecture de tous ses écrits fait apparaître une véritable sollicitude pour les plus vulnérables de la société. Ce fut une constante lorsqu’il travaillait dans les dispensaires médicaux, à Clichy, puis à Bezons, période pendant laquelle les contraintes de l’Occupation rendaient pénible la vie au quotidien. C’est alors qu’il écrit à un journaliste collaborationniste (janvier 1943) : « Boniments insultants que toutes ces histoires “d’Europe Nouvelle” pour des êtres que l’on condamne à vivre avec 1200 calories par jour ! alors que le minimum physiologique s’établit à 2400 colories. De qui se fout-on grossièrement ? Du faible et du pauvre. » À la même époque, il faisait part au maire de Bezons de cette doléance d’une femme de prisonnier, mère d’un enfant de 5 ans : « Le jour où j’achète du charbon, nous ne mangeons pas. » Gageons que ces petits faits vrais ne correspondent pas à l’image que d’aucuns se font communément de Céline.

• Laetitia STAUCH-BONART, La Gratitude (Récit d’une trajectoire politique inattendue), Éditions L’Observatoire, 240 p. (21 €). Voir aussi son entretien avec Jean Birnbaum dans le dossier du Monde des livres, “D’une tendance à l’égarement chez les intellectuels” (n° 24975, 18 avril 2025). Chez le même éditeur : Samuel FITOUSSI, Pourquoi les intellectuels se trompent, 272 p. (22 €).

lundi, 26 mai 2025

La Chine et le retour de Confucius

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Présentation de « La Chine et le retour de Confucius »

Carlo X. Blanco

Source: https://www.hiperbolajanus.com/posts/presentacion-china-r...  

Nous présentons ici « La Chine et le retour de Confucius », une compilation éditée par Carlos X. Blanco. Le livre explore le confucianisme aux 20ème et 21ème siècles, ses défis, ses transformations et sa revitalisation dans la Chine contemporaine, en soulignant son rôle culturel, social et politique.

Nous avons le plaisir de présenter à notre public de lecteurs l'ouvrage La Chine et le retour de Confucius, une compilation d'articles du prestigieux professeur Carlos X. Blanco, auteur prolifique et collaborateur du groupe Hipérbola Janus, où nous sommes honorés et gratifiés par ses contributions à la diffusion de différents sujets et domaines de connaissance. En l'occurrence, l'Extrême-Orient reste une grande inconnue pour nous, Européens, surtout en ce qui concerne la mentalité et les idées qui animent la vision du monde de la nation la plus représentative, dont la puissance économique, commerciale et géopolitique l'a hissée au rang de superpuissance mondiale, nous parlons évidemment de la Chine. Sous une forme légère et agréable, celle du dialogue, l'ouvrage nous présente une série de textes qui nous permettent de percer les clés de la pensée confucéenne et de son évolution tout au long des 20ème et 21ème siècles. Un bref avant-propos de David Ownby sert d'introduction au livre. L'un des principaux essais est « Un siècle de confucianisme » de Chen Lai (1952), qui structure l'analyse en trois sections principales: les défis du confucianisme, ses réponses et la manière dont il a survécu à l'ère moderne.

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L'analyse du confucianisme, qui reste fortement ancré dans la conscience du peuple chinois, aborde quatre défis majeurs, qui sont énumérés ci-dessous :

- Les réformes politiques et éducatives de l'ère Qing et de l'ère républicaine (1901-1912): l'abolition du système des examens impériaux a affaibli la base institutionnelle du confucianisme, affectant son rôle dans la société et l'éducation.

- Mouvement de la nouvelle culture (1915-1919): la modernisation fondée sur la culture occidentale est encouragée, le confucianisme étant considéré comme un obstacle au progrès.

- Révolution de 1949 et révolution culturelle (1966-1976): la collectivisation et les communes populaires détruisent la base sociale confucéenne, tandis que la révolution culturelle l'attaque sur le plan idéologique.

- Réformes de Deng Xiaoping (à partir de 1978): la modernisation et l'économie de marché ont réduit l'influence des valeurs confucéennes face au pragmatisme et à l'utilitarisme.

Auparavant, le confucianisme avait toujours été un facteur de cohésion nationale, contribuant à préserver l'unité du peuple chinois, notamment face aux menaces extérieures, comme la confrontation avec le Japon dès le début des années 1930, avec l'occupation japonaise de la Mandchourie, et les épisodes successifs de guerre contre le Japon entre 1937 et 1942.

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Pour toute commande: https://www.hiperbolajanus.com/libros/china-regreso-confu...

Le texte de Chen Lai prend pour point de départ les dernières années de la dynastie Qing et les premières années de l'ère républicaine, entre 1901 et 1912, en mettant particulièrement l'accent sur le processus de modernisation entrepris durant cette période, avec l'introduction des sciences et disciplines occidentales, qui a contribué à la mise à l'écart des classiques confucéens.

Ce processus s'est déroulé en plusieurs étapes, avec l'abolition du système des examens impériaux, qui avait été pendant des années le pilier institutionnel du confucianisme, ce qui a eu pour conséquence inévitable que les érudits confucéens ont abandonné leur rôle central dans la société chinoise. La tendance à dénigrer la tradition confucéenne s'est accentuée avec le passage de la dynastie Qing aux premières années de la République, comme en témoignent l'élimination des cérémonies sacrificielles en l'honneur de Confucius et l'interdiction de l'étude obligatoire des classiques confucéens. Le confucianisme a ainsi perdu son rôle prépondérant dans l'éducation et l'administration publique et a été relégué dans le domaine de l'éthique et de la culture.

Ce processus de rejet et d'érosion du confucianisme dans son rôle de contribution à l'identité nationale chinoise et à la formation de la jeune génération s'est accéléré au cours des décennies suivantes. Ce processus a été conduit par des intellectuels tels que Chen Duxiu et Hu Shih, qui ont activement promu la modernisation et l'adoption de valeurs occidentales telles que la science et la démocratie. Adoptant des positions analogues à celles de l'Occident par rapport à la Tradition, ils ont considéré le confucianisme comme une forme de pensée arriérée et dépassée, totalement opposée au progrès, et donc jetable, ses enseignements n'ayant aucune valeur opérationnelle pour le développement de la Chine.

En conséquence, le confucianisme a été culturellement et intellectuellement mis à l'écart.

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Avec l'avènement de la révolution culturelle chinoise et la formation du régime communiste de 1949 à la mort de Mao Tsé Toung (1893-1976), la situation du confucianisme ne s'est pas améliorée et, au contraire, il a été considéré comme incompatible avec le socialisme marxiste. Les attaques se multiplient et le confucianisme fait l'objet de campagnes de haine brutales, comme la « Critique de Lin Biao et de Confucius » de 1973 à 1976, qui l'accuse d'être une « idéologie féodale et réactionnaire ». La destruction des temples confucéens et la persécution des intellectuels confucéens étaient monnaie courante durant cette période.

Dans la période qui suit immédiatement, à partir de 1978, le facteur idéologique s'atténue avec l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping (1904-1997), au profit d'une ère marquée par le pragmatisme et l'importance croissante du développement économique et matériel. Les attaques contre le confucianisme ont largement cessé, mais celui-ci a été soumis à la logique unificatrice de l'utilitarisme et de la croissance économique.

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Kang Youwei et Liang Shuming

Cependant, malgré les attaques continues contre le confucianisme, Chen Lai met en évidence la résilience du confucianisme, sa volonté inflexible face à la menace de sa disparition, à travers les propositions de divers penseurs confucéens contemporains. C'est le cas, par exemple, de Kang Youwei (1858-1927) avec ses propositions de faire du confucianisme une religion officielle ou de l'intégrer dans le modèle éducatif avec ses enseignements moraux pour l'ensemble du peuple chinois. D'autres philosophes, comme Liang Shuming (1893-1988), ont tenté de surmonter les antithèses du monde moderne et de faire de la doctrine confucéenne un élément fonctionnel du socialisme grâce à ses fondements moraux et sociaux, car il voyait dans ces idées la clé de l'harmonie et de la stabilité sociale, comme cela avait été le cas dans les moments les plus délicats de l'histoire du grand pays asiatique.

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Xiong Shili et Feng Youlan

Parallèlement, des intellectuels confucéens tels que Xiong Shili (1885-1968), Feng Youlan (1895-1990) et He Lin (1902-1992) ont tenté d'apporter de nouveaux développements à la doctrine confucéenne dans les domaines de la philosophie et de la métaphysique. Ces spéculations ont donné naissance à de nouvelles écoles, telles que la « nouvelle philosophie des principes » de Feng Youlan et la « nouvelle philosophie de l'esprit » de He Lin. De nouvelles tentatives d'intégration entre les valeurs traditionnelles et le socialisme marxiste ont également vu le jour grâce aux interprétations de Xiong Shili. Ce n'est qu'après l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping que le confucianisme a été réévalué, subissant un révisionnisme qui l'a finalement ramené dans les universités et la société chinoises, et à partir de ce moment, son héritage a été récupéré en tant que partie de l'identité nationale.

Ce processus de revitalisation a contribué à l'étude du confucianisme et à l'émergence de nouvelles interprétations au cours des dernières décennies. Les réinterprétations de la pensée confucéenne ont mis la doctrine en contraste avec les idées politico-idéologiques du monde d'aujourd'hui, liées à la « démocratie », aux « droits de l'homme » et à la « mondialisation », c'est-à-dire avec ces éléments idéologiques dont nous souffrons depuis longtemps et qui sont à l'origine de changements dramatiques dans nos sociétés en ce moment même. Cependant, cette récupération du confucianisme ne s'est pas limitée aux sphères les plus cultivées et académiques, mais est également devenue populaire, et sa présence dans la société chinoise s'est accrue depuis les années 1990, comme on le voit à travers la connaissance des classiques confucéens par le biais d'activités et de cours destinés à l'ensemble de la population.

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Ainsi, pour Chen Lai, le moment actuel, après la réhabilitation de la pensée confucéenne, est un moment-clé pour continuer à renforcer sa doctrine, notamment en raison de la montée de la Chine en tant que puissance mondiale, qui a conduit à un intérêt croissant pour la Chine et sa culture au-delà de ses frontières. Mais aussi, et au-delà des aspects généraux et plus formels, en raison de son contenu éthique et moral inhérent, qui peut agir comme un frein à la corruption et à la dégradation des temps modernes. Nous pouvons donc affirmer qu'une véritable synergie est possible entre les valeurs traditionnelles et les nouveaux défis que la modernité propose à la Chine, sur un large front, dans les domaines culturel, politique, social, etc.

Dans le deuxième chapitre du livre, Chen Ming, l'une des figures les plus importantes de la résurgence du confucianisme dans la Chine contemporaine, aborde la signification de cette doctrine dans le contexte de l'État et de la nation chinoise au 21ème siècle. Son approche donne un aperçu des aspects politiques, sociaux, éducatifs, culturels, identitaires et religieux du confucianisme, tout en le distinguant d'autres perspectives néo-confucéennes plus orientées vers la philosophie ou l'éthique.

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Tu Weiming

Le néo-confucianisme hors des frontières chinoises a diversifié ses courants et ses thèmes, en se concentrant sur le rapport à la démocratie, à la science et, en somme, sur sa compatibilité avec les valeurs du libéralisme occidental. Ces thèmes ne sont pas nouveaux dans les dérives interprétatives et les spéculations confucéennes du siècle dernier. Tu Weiming (1940), philosophe d'origine chinoise naturalisé américain, en est un éminent représentant.

En Chine continentale, le discours confucéen s'est révélé pleinement fonctionnel pour les intérêts de l'État chinois, contribuant à fonder les valeurs de l'État et de la nation, se dissociant de toute recherche de compatibilité avec les valeurs occidentales et, à son détriment, essayant de renforcer l'identité culturelle chinoise en s'affichant ouvertement comme un pilier fondamental du nationalisme culturel et politique du pays. Ainsi, Chen Ming ne considère pas la doctrine confucéenne comme un ensemble d'idées abstraites et anachroniques, mais comme un potentiel en devenir permettant de renforcer les fondements de l'État et de la société chinoise dans le monde d'aujourd'hui.

Son analyse du confucianisme par rapport à la religion est également importante, car elle différencie ses éléments de toute forme de religion monothéiste telle que nous la concevons en Occident. Néanmoins, il y a un élément religieux dans son origine, et l'idée d'un Dieu (Shangdi ou Tian) en tant que créateur et colonne vertébrale d'un ordre moral. On peut dire que Confucius a transformé cette pensée en une pratique fondée sur l'éthique et la vertu, mais sans en éliminer la dimension spirituelle. Certains interprètes modernes de la doctrine ont tenté d'en dénaturer le contenu en la réduisant à ce que l'on appelle en chinois le « wenjiao » (enseignement culturel), cherchant une formule de sécularisation pour la vider de son contenu transcendant. Selon Chen Ming, ces tentatives de sécularisation ont été perpétrées par le Mouvement du 4 mai à partir de 1919.

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Il faut cependant insister sur le fait que le confucianisme, tout en possédant une dimension spirituelle, ne doit pas être confondu avec notre concept de religion, et que l'accent doit être mis sur l'idée de structure morale et sociale, comme une sorte de guide moral et spirituel qui agit comme un antidote à la crise des valeurs si caractéristique de l'époque moderne. Le texte de Chen Ming aborde également d'autres questions que nous ne pouvons décomposer dans cette présentation en raison de leur ampleur et de leur complexité, comme par exemple la relation entre le confucianisme et l'État, l'athéisme du parti communiste chinois, la recherche de formes d'intégration et de synthèse, la cohésion sociale, le problème de l'éducation, etc. Les idées confucéennes sont remises en cause dans la mesure où cette recherche d'insertion dans la Chine contemporaine pose une série de défis qui mettent en péril l'essence même de sa tradition.

Le dernier chapitre du livre est réservé à un entretien entre Chen Yizhong et Chen Ming dans lequel toutes les questions abordées dans les chapitres précédents sont traitées sous la forme d'un dialogue approfondi. Nous assistons à une confrontation entre une multitude d'arguments sur le confucianisme et sa relation avec la modernité, avec les défis de l'avenir, avec les tensions et les réticences soulevées par les valeurs libérales et occidentales, totalement sécularisées et, nous le disons, vouées à la destruction de tout fondement traditionnel, ethnique ou spirituel à tous les niveaux.

dimanche, 18 mai 2025

L'État profond devient viral

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L'État profond devient viral

Jeffrey Tucker

Source: https://dissident.one/de-deep-state-gaat-viraal  

Le livre de Debbie Lerman intitulé « The Deep State Goes Viral : Pandemic Planning and the Covid Coup » examine le rôle de l'État profond dans la planification des pandémies et la mise en œuvre des confinements.

Selon l'avant-propos de Jeffrey Tucker, le livre examine les origines et les implications du « Plan d'action en cas de crise pandémique - Adapté (PanCAP-A) », qui a été publié le 13 mars 2020, quelques jours avant que le président Trump n'annonce les lockdowns. Toutefois, le plan de confinement a été élaboré par l'administration Bush en 2005, écrit Rhoda Wilson.

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Les confinements imposés en 2020 à cause du covi d ont été planifiées pour la grippe en 2005

Ce qui suit est la préface de Jeffrey Tucker au nouveau livre de Debbie Lerman, The Deep State Goes Viral : Pandemic Planning and the Co vid Coup (= L'État profond devient viral : la planification de la pandémie et le coup d'État contre le cov id).

* * *

C'est environ un mois après le début des confinements, en avril 2020, que mon téléphone a sonné avec un numéro inhabituel. J'ai décroché et l'appelant s'est identifié comme étant Rajeev Venkayya (photo), un nom que je connaissais grâce à mes articles sur la peur de la pandémie de 2005. Il est aujourd'hui directeur d'une société de vaccins, a été assistant spécial du président pour la biodéfense et a prétendu être l'inventeur de la planification des pandémies.

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Venkayya est l'un des principaux auteurs du document intitulé « A National Strategy for Pandemic Influenza », publié par l'administration de George W. Bush en 2005. Il s'agit du premier document à présenter une version émergente des mesures de confinement conçues pour être mises en œuvre à l'échelle mondiale. « Une pandémie de grippe aurait des conséquences mondiales », avait déclaré Bush, “aucun pays ne peut donc se permettre d'ignorer cette menace, et chaque pays a la responsabilité de détecter et d'arrêter sa propagation”.

Ce document a toujours été étrange, car il contredisait constamment l'orthodoxie en matière de santé publique datant de plusieurs décennies, voire d'un siècle. Il proposait deux voies alternatives en cas d'apparition d'un nouveau virus : la voie normale que tout le monde apprend à l'école de médecine (thérapies pour les malades, prudence en cas d'agitation sociale, calme et raison, quarantaine uniquement dans les cas extrêmes) et une voie de biosécurité qui exigeait des mesures totalitaires.

Ces deux voies ont coexisté pendant 15 ans, avant les confinements.

Je parlais maintenant à l'homme qui s'attribue le mérite d'avoir tracé l'approche de la biosécurité, qui allait à l'encontre de toute la sagesse et de toute l'expérience en matière de santé publique. Son plan était enfin mis en œuvre. Peu de voix se sont élevées pour exprimer leur désaccord, en partie par peur, mais aussi à cause de la censure, qui était déjà très stricte. Il m'a dit d'arrêter de protester contre les confinements parce qu'ils avaient tout sous contrôle.

J'ai posé une question fondamentale. Supposons que nous rampions tous sous le canapé, que nous évitions les rencontres physiques avec notre famille et nos amis, que nous fassions la grève de toutes les réunions, que nous fermions les entreprises et les écoles. Qu'advient-il alors du virus lui-même ? Saute-t-il dans un trou dans le sol ou se rend-il sur Mars par crainte d'une nouvelle conférence de presse d'Andrew Cuomo ou d'Anthony Fauci ?

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Après quelques commentaires absurdes sur le R-zéro, j'ai remarqué qu'il s'irritait, et finalement, avec un peu d'hésitation, il m'a dévoilé le plan. Il y aurait un vaccin. J'ai hésité et j'ai dit qu'aucun vaccin ne stérilise contre une infection respiratoire à mutation rapide avec un réservoir zoonotique. Même si un tel vaccin apparaissait, il faudrait dix ans de tests et d'essais avant qu'il puisse être diffusé en toute sécurité auprès de la population. Allons-nous rester enfermés pendant toute une décennie ?

« Les choses s'accélèrent », a-t-il déclaré. « Observez. Vous serez surpris. »

Je me souviens l'avoir considéré comme un excentrique, un écrivain blasé qui n'avait rien de mieux à faire que d'appeler les mauvais écrivains et de les harceler.

Je m'étais complètement trompé, tout simplement parce que je n'étais pas préparé à la profondeur et à l'ampleur de l'opération qui était en cours. Tout ce qui se passait me paraissait manifestement destructeur et fondamentalement vicié, mais il s'agissait d'une sorte de faille intellectuelle: une incompréhension des principes de base de la virologie.

impanages.jpgÀ peu près au même moment, le New York Times a publié un nouveau document intitulé « PanCAP-A : Pandemic Crisis Action Plan - Adapted » (Plan d'action en cas de crise pandémique - Adapté). Il s'agit du plan de Venkayya, mais intensifié, tel qu'il a été publié le 13 mars 2020, trois jours avant la conférence de presse du président Trump annonçant les confinements. Je l'ai lu et reposté, mais je n'avais aucune idée de ce qu'il signifiait. J'espérais que quelqu'un pourrait l'expliquer, l'interpréter et en démêler les implications, afin de découvrir le qui, le quoi et le pourquoi de cette attaque fondamentale contre la civilisation elle-même.

Cette personne y est parvenue. Il s'agit de Debbie Lerman, l'intrépide auteur de ce merveilleux livre qui présente si bien les meilleures idées sur toutes les questions qui m'avaient échappé. Elle a démonté le document et y a découvert une vérité fondamentale. L'autorité réglementaire pour répondre à la pandémie ne relevait pas des autorités de santé publique, mais du Conseil national de sécurité.

C'était clair comme de l'eau de roche dans le document ; je l'avais manqué pour une raison ou une autre. Il ne s'agissait pas de santé publique. Il s'agissait de sécurité nationale. L'antidote qui était en cours de développement avec le vaccin labellisé était en fait une contre-mesure militaire. En d'autres termes, c'était le plan de Venkayya multiplié par dix, et l'idée même était de contourner toutes les traditions et les préoccupations de santé publique pour les remplacer par des mesures de sécurité nationale.

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Cette prise de conscience modifie fondamentalement la structure de l'histoire des cinq dernières années. Il ne s'agit pas de l'histoire d'un monde qui a mystérieusement oublié l'immunité naturelle et qui a commis une erreur intellectuelle en pensant que les gouvernements pouvaient arrêter et redémarrer les économies, en poursuivant un agent pathogène jusqu'à son point d'origine. Ce à quoi nous avons assisté, dans un sens très réel, c'est à une sorte de coup d'État, un coup d'État perpétré par l'État profond, non seulement au niveau national, mais aussi au niveau international.

Ce sont des pensées terrifiantes et presque personne n'est prêt à en parler, c'est pourquoi le livre de Lerman est si crucial. En termes de débat public sur ce qui nous est arrivé, nous n'en sommes qu'au début. Il existe aujourd'hui une volonté d'admettre que les confinements ont généralement fait plus de mal que de bien. Même les médias traditionnels s'aventurent à autoriser de telles réflexions. Mais le rôle de l'industrie pharmaceutique dans la conduite de la politique, et le rôle de l'État de sécurité nationale dans le soutien de ce projet industriel massif, restent tabous.

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Dans le journalisme et le plaidoyer du 21ème siècle visant à influencer l'opinion publique, la préoccupation primordiale de tous les rédacteurs et institutions est la survie professionnelle. Cela signifie qu'il faut s'adapter à un ethos ou à un paradigme approuvé, quels que soient les faits. C'est pourquoi la thèse de Lerman n'est pas débattue ; elle est à peine discutée dans le monde civilisé. Cela dit, mon travail à l'Institut Brownstone m'a permis d'être en contact étroit avec de nombreux penseurs de haut niveau. Je peux dire ceci : ce que Lerman a écrit dans ce livre n'est pas contesté, mais admis en privé.

Étrange, n'est-ce pas ? Nous avons vu pendant les années covidées comment les aspirations professionnelles encourageaient le silence, même face à des violations flagrantes des droits de l'homme, telles que les fermetures obligatoires d'écoles qui privaient les enfants d'éducation, suivies par des bouchons obligatoires et des injections forcées pour l'ensemble de la population. Le quasi-silence était assourdissant, même si toute personne dotée d'un cerveau et d'une conscience savait que tout cela était inacceptable. Même l'excuse « Nous ne savions pas » ne fonctionnait plus, car nous savions.

Cette même dynamique de contrôle social et culturel bat son plein maintenant que nous sommes passés de cette phase à une autre. C'est précisément la raison pour laquelle les conclusions de Lerman n'ont pas encore atteint la société civilisée, et encore moins les grands médias. Y parviendrons-nous un jour ? Peut-être. Ce livre peut y contribuer ; au moins, il est désormais accessible à tous ceux qui ont le courage de regarder les choses en face. Vous y trouverez la présentation la mieux documentée et la plus cohérente des réponses aux questions clés (quoi, comment, pourquoi) que nous nous posons tous depuis que cet enfer nous est arrivé.

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jeudi, 08 mai 2025

Critique du livre : « Le complexe eurasien : pourquoi et comment l'avenir échappe à l'Occident » de Uwe Leuschner et Thomas Fasbender

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Critique du livre : « Le complexe eurasien : pourquoi et comment l'avenir échappe à l'Occident » de Uwe Leuschner et Thomas Fasbender

Hanno Borchert

Source: https://wir-selbst.com/2025/05/05/buchbesprechung-der-eur...

Le livre Der Eurasien-Komplex : Warum und wie dem Westen die Zukunft entgleitet (= Le complexe eurasien: pourquoi et comment l'avenir échappe à l'Occident) d'Uwe Leuschner et Thomas Fasbender est un ouvrage extrêmement intéressant et stimulant qui met en lumière les glissements géopolitiques du 21ème siècle. Les auteurs, un Allemand de l'Est (Leuschner) et un Allemand de l'Ouest (Fasbender), mettent à profit leur vaste expérience acquise au cours de plusieurs décennies de travail en Eurasie - notamment en Russie, en Chine et en Asie centrale - pour formuler un plaidoyer en faveur de la coopération plutôt que de la confrontation entre l'Ouest et l'Est. Ce livre de 256 pages au format broché, publié par la maison edition ost, une impression du groupe d'éditeurs Eulenspiegel, combine anecdotes personnelles et analyse géopolitique et s'adresse aux lecteurs intéressés par les relations internationales, notamment avec la Russie, l'Asie centrale et la Chine, et par l'avenir de l'Occident.

Le livre est précédé d'une citation de Lucie Varga (1904-1941), historienne juive autrichienne et co-initiatrice de l'histoire des mentalités, dans laquelle on peut lire : « Tout près de nous, un monde vient de s'achever. Un nouveau monde est en train de naître avec des contours jusqu'ici inconnus. Ne disposons-nous pas de tous les moyens pour le comprendre ? L'historien peut désormais observer de près l'histoire qui est en train de se dérouler. Il peut se procurer de nombreux documents de première main. Et il peut, s'il le souhaite, se rendre sur place, observer et mener des entretiens. Plus encore : il peut vivre dans le pays qu'il étudie afin de le comprendre dans ses habitudes de pensée et ses modèles de comportement. Mais il n'en reste pas moins qu'il est extrêmement difficile d'interpréter correctement le présent ».

L'idée centrale du livre est que l'Occident - en particulier l'Europe et les États-Unis - perd sa capacité à participer à la construction de l'avenir mondial à cause de préjugés, de l'arrogance et de faux récits. Les auteurs reprennent la thèse de Zbigniew Brzeziński selon laquelle l'avenir du monde se décide en Eurasie, mais la relativisent : une coopération constructive avec des pays comme la Russie et la Chine est possible si l'Occident abandonne sa politique de confrontation. Leuschner et Fasbender critiquent vivement le fait que des décisions motivées par l'idéologie - comme le « dé-couplage » des chaînes d'approvisionnement mondiales ou des sanctions coûteuses - font perdre des opportunités économiques et affaiblissent l'Occident. Une citation marquante du livre est la suivante : « Au lieu de prendre des décisions raisonnables sur le plan commercial, nous prenons des décisions entêtées sur le plan idéologique » (p. 130), ce qui résume la critique principale à l'encontre d'une politique résistante à tous conseils utiles, en particulier en Allemagne.

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Vous pouvez commander ici directement auprès de l'éditeur: 

https://www.eulenspiegel.com/verlage/edition-ost/titel/25...

La force incontestable de ce livre réside dans la combinaison d'expériences personnelles et d'analyses fondées. Leuschner, avec son expérience dans le commerce extérieur de la RDA et en tant que logisticien en Russie, et Fasbender, qui a vécu et travaillé à Moscou de 1992 à 2015 et dirige aujourd'hui la rubrique géopolitique du Berliner Zeitung, décrivent de manière vivante comment les gens pensent et ressentent l'Eurasie. Ces aperçus rendent le livre vivant et accessible. Fasbender décrit par exemple l'euphorie des années 1990, lorsque l'Est était considéré comme un marché aux possibilités illimitées, et le passage à un scénario de menace alimenté par le scepticisme occidental.

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De haut en bas: Uwe Leuschner, Thomas Fasbender, un ouvrage très remarqué de ce dernier sur la "Voie russe" mais qui n'a pas été traduit.

Les auteurs évitent de prendre parti de manière unilatérale en ne glorifiant ni l'Est ni l'Ouest, mais en soulignant les possibilités de coopération. La perspective personnelle des auteurs est toutefois fortement axée sur la Russie, ce qui a pour conséquence que d'autres régions eurasiennes comme l'Inde ou l'Asie du Sud-Est sont quelque peu reléguées au second plan.

Dans l'ensemble, « Le complexe eurasien » est un ouvrage qui vaut la peine d'être lu et qui séduit par son langage clair, son authenticité personnelle et son attitude critique. Il invite le lecteur à remettre en question les schémas de pensée euro-centriques et à considérer l'Eurasie comme un partenaire plutôt que comme un adversaire.

Pour tous ceux qui souhaitent mieux comprendre les changements de pouvoir au niveau mondial, ce livre offre une perspective rafraîchissante et un appel passionné à la coexistence. Il ne s'agit pas seulement d'une chronique des occasions manquées, mais aussi d'un appel au réveil pour participer activement à la construction de l'avenir.

Référence : Leuschner, Uwe / Fasbender, Thomas : Der Eurasien-Komplex : Warum und wie dem Westen die Zukunft entgleitet. Edition Ost, ISBN 978-3-360-02818-1.

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Qui est Hanno Borchert ?

Hanno Borchert, né en 1959, une jeunesse passée à Cuxhaven à l'embouchure de l'Elbe. Dès son plus jeune âge, le vagabondage autour du monde (Tyrol du Sud, Balkans, Scandinavie, Inde, Iran, Indonésie, etc.) a éveillé son enthousiasme pour la cause des peuples.

Artisan de formation, diplômé en sciences économiques. Passionné de livres depuis l'enfance, aime la musique, la peinture et l'art du design graphique.

« Alter Herr» de l'association d'étudiants duellistes “Landsmannschaft Mecklenburgia-Rostock im CC zu Hamburg”. Sans appartenance politique. Se rend souvent à des concerts dans presque tous les genres. Aime particulièrement écouter le bluegrass, la country, le blues et le folk irlandais. Grand fan de l'auteur-compositeur-interprète d'Allemagne centrale Gerhard Gundermann, malheureusement décédé trop tôt.

Rédacteur de l'ancien et du nouveau « wir selbst », entre-temps rédacteur de « Volkslust ».

mercredi, 07 mai 2025

De Machiavel à Schmitt: le réalisme politique renaît

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De Machiavel à Schmitt: le réalisme politique renaît

Alexander Raynor

Alexander Raynor examine comment le philosophe belge Antoine Dresse renouvelle le réalisme politique pour relever les défis du 21ème siècle.

Qui est Antoine Dresse, alias Ego Non?

Né en 1996 à Liège, en Belgique, Antoine Dresse a poursuivi des études de philosophie à Bruxelles. Pendant sa scolarité, il a étudié l'anglais, l'allemand et le russe. À 18 ans, avant de commencer l'université, il a passé plusieurs mois à Heidelberg, en Allemagne, et à Saint-Pétersbourg, en Russie, pour perfectionner ses connaissances linguistiques.

Aujourd'hui, Antoine Dresse anime la chaîne YouTube, qui compte plus de 29.000 abonnés et est intitulée Ego Non (« Même si tous les autres, pas moi ») consacrée à la philosophie politique et morale, et contribue régulièrement à la publication Éléments. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont La Guerre des civilisations : Introduction à l’œuvre de Feliks Koneczny, publié en 2025. Dans cet ouvrage, Dresse analyse la pensée politique du philosophe polonais Feliks Koneczny et sa théorie des civilisations.

Il a également co-écrit À la rencontre d'un cœur rebelle avec Clotilde Venner, l'épouse de feu Dominique Venner. De plus, il a contribué en tant que préfacier à Definitions: The Texts That Revolutionized Nonconformist Culture, écrit par Giorgio Locchi et récemment traduit et publié en langue anglaise par Arktos.

L'approche philosophique de Dresse offre des voies de libération intellectuelle face aux dogmes moralisateurs. Loin de faire l'éloge du cynisme, son travail aide à décoder la nature souvent trompeuse de la rhétorique révolutionnaire qui, malgré des présupposés apparemment généreux, aboutit fréquemment à des conflits.

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Antoine Dresse

Critique de livre : Political Realism: Principles and Assumptions d'Antoine Dresse

Political Realism: Principles and Assumptions d'Antoine Dresse, traduit et publié en 2025 par Arktos Media en partenariat avec l'Institut Iliade, constitue une contribution profonde et intellectuellement rigoureuse au discours sur la théorie politique. À une époque où l'interaction entre l'idéalisme moral et la gouvernance pragmatique est de plus en plus tendue, Dresse offre à ses lecteurs un cadre clarifiant et résolument réaliste pour comprendre la nature de la politique. Cet ouvrage rend non seulement hommage aux penseurs fondateurs du réalisme politique — Machiavel, Thomas Hobbes et Carl Schmitt — mais trace également un chemin unique à travers leurs héritages, offrant une synthèse à la fois érudite et remarquablement lucide.

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Dès le début, Dresse démantèle l'illusion réconfortante selon laquelle les bonnes idées donnent naturellement de bonnes politiques. L'introduction est un tour de force qui met le lecteur au défi de séparer l'aspiration de la réalité, l'exhortant à reconsidérer la relation fondamentale entre la moralité, la théorie et l'action politique. La précision de Dresse dans la catégorisation des « idées » — en tant qu'impératifs moraux, esprits du temps et modèles conceptuels — donne le ton à l'ensemble de l'ouvrage: prudent, incisif et déterminé à délimiter les phénomènes politiques en tant que tels.

L'une des plus grandes vertus du livre réside dans sa généalogie intellectuelle. Dresse revisite Nicolas Machiavel, tout en ne le percevant pas comme l'archétype du cynique que garde de lui l'imaginaire populaire, mais comme un penseur pionnier de la technique politique — préoccupé par l'action, non par l'abstraction. Il dépeint Machiavel comme un observateur honnête de la nature humaine, qui a refusé de confondre moralité et art de gouverner. L'analyse de Dresse du Prince et des Discours est particulièrement éclairante en attirant l'attention sur le réalisme méthodologique de Machiavel: l'idée que le succès politique exige une attention impitoyable aux circonstances et l'application adaptative des connaissances historiques.

Dans le chapitre sur Thomas Hobbes, Dresse aborde le problème fondamental de l'obéissance et de l'autorité. Il contextualise la théorie politique de Hobbes comme une réponse à la menace existentielle posée par la guerre civile, montrant comment le Léviathan de Hobbes a offert un nécessaire recentrage de la politique autour de la sécurité et de la stabilité. Plutôt que de rejeter le contrat social de Hobbes comme naïf ou mécaniste, Dresse l'apprécie comme une puissante expérience de pensée — conçue pour établir la légitimité du pouvoir dans un monde sans consensus moral.

L'inclusion de Carl Schmitt dans le troisième grand chapitre est un choix opportun. L'œuvre de Schmitt est traitée avec un soin érudit, soulignant son insistance sur l'autonomie du politique et la centralité de la distinction ami/ennemi. Dresse ne recule pas devant les implications de l'argument de Schmitt : que toute dépolitisation du monde — par le droit, l'économie ou la moralité — est intrinsèquement politique en soi. Son analyse accorde le poids voulu à la critique du libéralisme par Schmitt, offrant une sobre lentille à travers laquelle regarder notre ère post-politique.

Ce qui rend Political Realism particulièrement convaincant, c'est qu'il parvient à être lucide sans sombrer dans le cynisme. Dresse ne cherche pas à glorifier la manipulation ou la cruauté; au lieu de cela, il plaide pour une compréhension désintéressée de la politique en tant que domaine propre, régi par sa propre logique. C'est peut-être la correction la plus importante que le livre offre à une époque saturée de confusion idéologique: l'insistance sur le fait que confondre politique avec moralité, économie ou esthétique n'ennoblit aucune d'entre elles — cela ne fait qu'obscurcir la réalité politique et affaiblir la capacité d'action efficace.

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L'écriture — magistralement traduite par Roger Adwan — est claire, mesurée et élégante. Malgré sa densité d'idées, le livre reste accessible à un large public intéressé par la philosophie politique, l'histoire ou les affaires contemporaines. La structure, qui progresse logiquement à travers une progression conceptuelle, est facilitée par des notes de bas de page et des références utiles, ce qui en fait une ressource utile pour les nouveaux venus comme pour les théoriciens chevronnés. Sans oublier que le livre est une lecture courte, agréable et facile à digérer.

Political Realism est une intervention de premier plan dans la pensée politique moderne. Il réintroduit le réalisme non pas comme une doctrine, mais comme une disposition nécessaire — une posture intellectuelle qui reconnaît les limites de l'idéalisme humain et les vérités persistantes, souvent inconfortables, de la vie collective. Ce faisant, Antoine Dresse ne se contente pas de répéter les idées des réalistes politiques du passé ; il les revitalise pour une nouvelle génération confrontée aux périls de la dépolitisation et de l'excès idéologique.

Ce livre est un manuel essentiel de Realpolitik pour les universitaires, les étudiants et les militants politiques.

Commander Political Realism: Principles and Assumptions:

https://www.amazon.com/dp/1917646453

Pour commander l'original français: 

https://boutique.institut-iliade.com/product/le-realisme-...

mardi, 29 avril 2025

Les Alpes, colonne vertébrale de l'Europe. Où l'anglais n'existe pas

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Les Alpes, colonne vertébrale de l'Europe. Où l'anglais n'existe pas

Ala de Granha

Source: https://electomagazine.it/alpi-spina-dorsale-delleuropa-d...

1.200 km de longueur, 15 millions d'habitants. C'est le monde des Alpes. Qui traversent Munich, la France, la Suisse, le Liechtenstein, l'Autriche, l'Allemagne, la Slovénie et qui, sur le versant sud, englobent l'Italie. Les Alpes, colonne vertébrale de l'Europe, ouvrage collectif édité par les bons soins des Éditions "Guerini e Associati" et dirigé par Daniele Lazzeri, président de la Fondation Nodo di Gordio. Il est consacré au rôle déterminant de la chaîne alpine dans la création et la définition de l'Europe.

Un livre différent de ceux qui s'occupent souvent de la montagne, car l'éditeur a choisi de ne pas se concentrer sur un seul thème ou un seul aspect, mais d'aborder à 360 degrés les problématiques relatives à la chaîne montagneuse qui représente la charnière de l'Europe, la colonne vertébrale du Vieux Continent.

C'est pourquoi les auteurs des diverses interventions – de provenances géographiques différentes, avec des professions et des compétences variées – ont offert un tableau des Alpes qui s'étend du mythe à l'histoire ancienne; de la réalité politique des Alpes à l'époque pré-napoléonienne à la division en États nationaux; des aspects agropastoraux à l'intelligence artificielle; du tourisme aux communautés énergétiques; des agrégations transnationales à la culture.

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Il en est ressorti un tableau parfois surprenant, avec des aspects qui demeurent inconnus du plus grand nombre ou qui ont été volontairement oubliés. Des aspects, cependant, qui offrent des opportunités pour relancer un monde alpin qui unit, en Europe, la culture méditerranéenne et la culture germanique. Un monde où l'on peut, le cas échéant, expérimenter de nouveaux rapports entre les peuples, forger de nouvelles formes de développement.

L'éditeur et les auteurs partent cependant d'un constat: les États nationaux ont imposé une rupture avec le rôle historique traditionnel des populations alpines. Qui ignoraient les frontières créées artificiellement le long des lignes de crête. Les cultures, les traditions, les langues étaient souvent les mêmes des deux côtés de la montagne. Et parmi toutes les langues des Alpes, il n'y avait pas l'anglais. Celui-ci a apparu et s'est imposé comme la langue de l'argent, des affaires, de la vente à l'encan de sa propre identité, de sa propre dignité. Construire une nouvelle Europe en partant des Alpes est donc possible et nécessaire. Mais en commençant par effacer les symboles linguistiques d'un colonialisme ploutocratique.

Pour analyser cette réalité complexe et offrir des hypothèses de solutions et de développement, Lazzeri a impliqué des enseignants universitaires, des hommes politiques, des historiens, des journalistes, des managers internationaux. Cela a donné naissance à un volume qui représente une source de réflexion non seulement pour ceux qui aiment les Alpes et la montagne en général, mais aussi pour ceux qui doivent penser à un nouveau modèle de développement pour l'Europe et à de nouveaux modèles de relations avec le monde entier.

dimanche, 13 avril 2025

Selenia De Felice: Mishima est un guerrier de la vie enivré par la séduction de la belle mort ancienne

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Selenia De Felice: Mishima est un guerrier de la vie enivré par la séduction de la belle mort ancienne

Propos recueillis par Eren Yeşilyurt

Bien que de nombreuses œuvres de Yukio Mishima aient été traduites en turc, ses réflexions sur la politique et la culture ne sont pas encore suffisamment connues dans notre pays. Mishima est une figure importante qui a émergé dans mes recherches sur la révolution conservatrice. Le livre sur la pensée de Mishima publié par Idrovolente Edizioni, « Yukio Mishima : Infinite Samurai » a été édité sous la houlette de Selenia De Felice.

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Pouvez-vous nous parler brièvement de Yukio Mishima ?

Yukio Mishima, pseudonyme de Kimitake Hiraoka, est né à Tokyo en janvier 1925. Il reste l'un des cas littéraires les plus fascinants de la culture japonaise du 20ème siècle. De noble ascendance samouraï, il fait de ses œuvres un magnifique résumé de la coexistence, souvent conflictuelle, de la modernité, de l'existence spirituelle et de la civilisation industrielle dans le Japon de son époque. En 1949, son best-seller Confessions d'un masque le propulse sur la scène internationale et il commence à voyager en Occident, où il découvre la Grèce classique et s'éprend de la philosophie de la beauté et de la perfection. Les éléments clés de son récit ne sont jamais séparés d'une quête esthétique constante, de la précision du langage choisi aux thèmes abordés: beauté et mort, beauté et violence, beauté et éros.

Yukio Mishima était également un excellent dramaturge et expert en théâtre nō, initié à la connaissance de cet art par sa grand-mère maternelle, qui a profondément marqué ses premières années, le soustrayant aux soins de sa mère et l'élevant en fait comme un enfant du Vieux Japon, dans l'atmosphère ancienne et austère de sa maison. On peut observer l'histoire de la vie de Mishima en même temps que la nature de ses œuvres : de la phase introspective de Couleurs interdites et Neige de printemps, il passe en 1967 à La Voie du guerrier, une interprétation personnelle du Hagakure de Tsunetomo Yamamoto, un samouraï du 17ème siècle. Au cours des dernières années de sa vie, son intention de protéger l'empereur se matérialise par la fondation d'une armée privée entièrement financée par lui, la Tate no Kai (ou Société du bouclier).

Le 25 novembre 1970, après avoir pris d'assaut l'Agence de défense nationale, dirigée par le général Mashita, il prononce un dernier discours sur la préservation des traditions et de l'esprit japonais originel, mais il est moqué par l'assistance et se rend compte de l'échec de son message. Il charge alors son disciple préféré de le seconder pendant le seppuku et accomplit le suicide rituel, faisant ainsi passer à jamais sa figure dans l'histoire du monde.

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Quelles étaient les principales critiques de Mishima à l'égard du processus de modernisation de la société japonaise, quel type de culture préconisait-il et comment abordait-il le nationalisme ?

Le projet de façonner la société et la culture japonaises d'une manière considérée comme plus avant-gardiste remonte à l'ère Meiji (1868-1912), lorsque le shogunat était orienté vers la restauration du pouvoir impérial en termes politiques. Au cours de ces années, des chefs d'armée, des médecins et des ingénieurs d'État ont été envoyés en Europe pour apprendre les nouvelles technologies dans divers domaines par l'observation pratique et l'émulation/imitation, puis sont rentrés au Japon avec des connaissances sans précédent qui, en fait, ont changé la structure du pays au cours des années suivantes. Mais à quel prix ? L'inspiration équilibrée des nouvelles découvertes culturelles de l'Occident finit inévitablement par avoir un impact négatif sur le mode de vie japonais, qui est progressivement altéré dans presque toutes ses facettes. Le domaine qui souffre le plus de l'occidentalisation excessive est sans aucun doute celui des traditions, qu'elles soient religieuses ou historico-culturelles. La critique de Yukio Mishima doit cependant être mise en relation avec le contexte chronologique dans lequel il vit. L'ère Shōwa, correspondant au règne de Hirohito, est la plus longue ère du Japon moderne-contemporain, débutant en décembre 1926 et se terminant en janvier 1989. Au cours de cette période, le pays a connu un tournant important, celui de la défaite de la Seconde Guerre mondiale et la déclaration officielle de la nature humaine de l'empereur - connu sous le nom de ningen-sengen - qui avait toujours été considéré comme un descendant divin de la déesse du soleil Amaterasu. Dans ce cadre temporel, on a assisté à l'implosion des valeurs axiomatiques qui sont à la base de la civilisation japonaise, Mishima, qui, rappelons-le, menait un style de vie étranger - il portait souvent des chemises italiennes taillées sur mesure, fumait des cigares cubains et avait une maison meublée dans le style baroque, par exemple - reconfirme néanmoins sa totale loyauté à la figure de l'Empereur, qui incarne le véritable esprit du Japon.

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Dans La défense de la culture, Mishima raconte brièvement ce qui s'est passé en février 1936, lorsqu'une poignée de jeunes officiers sont descendus dans la rue pour réclamer une réforme de l'État qui limiterait le pouvoir excessif des oligarchies financières, espérant la participation active de l'empereur Hirohito, qui non seulement s'en est désolidarisé, mais a procédé à une condamnation sévère de leurs actions, ce qui a conduit les soldats insurgés qui n'avaient pas commis de seppuku à être exécutés sommairement; on les a traités comme des meurtriers de droit commun. Bien que l'auteur évoque les Événements du 26 février comme synonymes de révolution morale, la croyance enla personne divine du Tennō reste la seule forme de révolution permanente inhérente au système impérial lui-même.

Du point de vue de la « révolution conservatrice », quels aspects de l'attachement profond de Mishima à la culture traditionnelle et de son désir de transformation politique radicale pouvons-nous combiner ?

Toujours en se référant aux Actes du 26 février, mais en partant d'un point de vue alternatif, nous pourrions dire que l'attachement profond à la culture traditionnelle s'exprime, selon Mishima, par une restauration des valeurs anciennes en politique, en gardant toujours à l'esprit la centralité de l'Empereur et en réfléchissant également à l'idéal du Hakko-ichiu, c'est-à-dire « le monde entier sous un même toit », qui défend l'universalité des valeurs japonaises et voit le Japon comme un ambassadeur de leur diffusion dans le monde. Un aspect particulier: la littérature, en raison de l'utilisation qu'elle fait de la langue japonaise, est un élément important dans la formation de la culture et de la politique en tant que forme.

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Pouvez-vous nous parler du célèbre débat de Mishima avec les leaders étudiants de gauche à l'université de Tokyo le 13 mai 1969 ? Quelles significations symboliques ce débat a-t-il apportées au climat intellectuel japonais et comment a-t-il influencé les orientations politiques et philosophiques des générations suivantes ?

« Je suis japonais. Je suis né ainsi et je mourrai ainsi. Je ne veux pas être autre chose qu'un Japonais ». Cette déclaration a été prononcée lors d'une rencontre avec des étudiants de l'université de gauche Zenkyōto, le 13 mai 1969, alors que Yukio Mishima était invité à l'université de Tōkyō pour débattre avec Akuta Masahito, à l'époque l'une des figures les plus éminentes du domaine créatif du mouvement, aujourd'hui maître estimé du théâtre japonais contemporain. Au cours de cette confrontation, si vive et acérée qu'elle ressemblait à un combat de fleurets, Mishima reconfirme deux points essentiels de sa pensée, qu'il partage étonnamment avec les Zenkyōto : l'anti-intellectualisme et l'acceptation de la violence, à condition qu'elle soit soutenue par un cadre idéologique valable. Le Japon des années 1960 et 1970 est anesthésié face aux douleurs du passé et oriente ses efforts vers une reconstruction économique qui ne trouve cependant pas de correspondance spirituelle. Dans son propre pays, Mishima est une figure détestée par la gauche pacifiste et considérée avec suspicion par la droite conservatrice, une présence trop éclectique pour lui donner une position politique fixe et adéquate.

Quel est le rapport entre l'idéologie de Mishima et sa conception de l'art et de l'esthétique, en particulier du corps, de la beauté, de la discipline et de la mort, et quelle a été son influence sur les écrivains et penseurs ultérieurs ?

À l'instar de Gabriele d'Annunzio en Italie, Mishima a inscrit sa vie et son œuvre dans une vigoureuse commémoration du passé, alors que la grande majorité de l'élite culturelle se déclarait totalement projetée dans un avenir lointain (et hypothétique).

La vie et la littérature sont devenues deux éléments inséparables, et ce n'est probablement pas une coïncidence si Mishima a été le traducteur du barde italien en japonais. L'idéologie de Mishima trouve dans l'esthétique et dans sa recherche constante un fil conducteur étroitement lié, surtout dans ses romans, à la carnalité du corps, à ses descriptions plastiques et à l'appel constant à une discipline de fer. Il suffit de rappeler que le jeune Yukio Mishima a été réformé lorsqu'il a été appelé sous les drapeaux pour avoir été jugé trop chétif.

Après son voyage en Grèce, des années plus tard, il a pu observer les proportions parfaites des statues classiques et est rentré au Japon avec l'intention d'endurcir son corps, commençant ainsi à pratiquer les arts martiaux et le culturisme. L'image de lui, les mains attachées à la tête et les flancs transpercés de flèches, comme saint Sébastien, est si populaire que chacun d'entre nous l'a vue au moins une fois. Alors pourquoi devrions-nous encore parler sérieusement de Yukio Mishima ? Cent ans après sa naissance et à des centaines de milliers de kilomètres de distance (et une distanc qui n'est pas seulement culturelle), il exerce toujours une fascination - terrifiante pour certains - dérivée de son éblouissante pertinence.

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Comment Mishima a-t-il été perçu en Europe, et quels parallèles peut-on établir entre le nationalisme de Mishima et les interprétations de la crise culturelle par les intellectuels de droite en Europe ?

En dehors des best-sellers, dire que la diffusion et la réception de Yukio Mishima en Europe est aussi large que celle d'autres auteurs japonais, tels que Murakami ou Kawabata, par exemple, est plutôt osé. Cette raison pourrait également être due au caractère délicieusement politico-philosophique de certaines de ses œuvres, je mentionne à nouveau La défense de la culture en premier lieu, traduit parce que cet ouvrage était encore inédit par Idrovolante Edizioni.

Pour aborder le Mishima politique, il faut s'intéresser à l'histoire et à la culture japonaises. Certes, quelques stars comme David Bowie ou le photographe Eikō Hosoe ont contribué à diffuser son image en Occident, mais est-il vraiment correct de considérer Yukio Mishima comme une icône pop, comme certaines bibliothèques occidentales voudraient nous le faire croire ? Pour les milieux intellectuels de droite, Yukio Mishima représente un jalon en raison du caractère universaliste de ses essais politico-philosophiques. Soleil et acier ou Leçons pour les jeunes samouraïs, conçus dans une écriture agile, didactique et facile d'accès, représentent presque des vade-mecum pour tous ceux qui, comme lui, pour leur époque et leur pays, construisent jour après jour leur engagement politique militant comme dernier rempart à la défense des traditions de leur nation, et ceci est valable de Lisbonne à Budapest.

L'acte de seppuku de Mishima, le 25 novembre 1970, est-il l'aboutissement de sa quête idéologique et esthétique, ou doit-il être lu comme l'expression d'une profonde désillusion face à la modernisation de la société japonaise et à ses propres idéaux ?

Yukio Mishima a choisi le seppuku, le suicide rituel pratiqué par les anciens samouraïs, comme acte de mort, non pas par hasard, mais précisément pour démontrer de manière concrète et hautement dramatique sa désillusion face à la société japonaise alors totalement apathique. En même temps, cependant, on pourrait aussi y voir un désir de préservation esthétique jusqu'au dernier souffle. En effet, il est un guerrier de la vie, enivré par la séduction de la belle mort à l'ancienne, antidote infaillible à la lente décadence que représente la modernité.

Source : https://erenyesilyurt.com/index.php/2025/04/03/selenia-de...

vendredi, 28 mars 2025

La menace libérale

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La menace libérale

Georges Feltin-Tracol

Né en 1966 à Gijón dans les Asturies, Carlos X. Blanco enseigne la philosophie. Lecteur assidu d’Oswald Spengler, de Ludwig Klages, de David Engels et de Robert Steuckers, il a signé plusieurs essais parmi lesquels La caballería espiritual. Un ensayo de psicología profunda (2018), Ensayos antimaterialistas (2021) ou La insubordinación de España (2021). Récemment fondées, les éditions La Nivelle publient enfin un court essai, Le virus du libéralisme, la traduction française de El virus del liberalismo. Un virus recorre el mundo (2021).

À rebours de la mode actuelle qui voit une droite nationale – identitaire européenne se fourvoyer dans l’adulation de Donald Trump, d’Elon Musk et du président argentin Javier Milei, Carlos X. Blanco conteste l’idéologie libérale sous ses différentes facettes mortifères en appliquant à sa réflexion « la méthode de l’analyse dialectique […], par essence, holistique et fonctionnelle ».

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Ainsi constate-t-il que « l’économie est libérée du pouvoir politique », ce qui favorise la propagation du « virus du libéralisme […], véritable parasite culturel, [qui] n’a pas de vie propre. Son activité vitale, car elle est toute de prédation et de reproduction, n’a pas de moteur propre ». Cependant, « ce virus a favorisé et profité de la dissolution de la communauté traditionnelle ». Il estime que « le monde d’aujourd’hui est un monde pornographique. C’est l’essence ultime et radicale du libéralisme et de l’expansion du mode de production capitaliste dans sa phase mondialiste ». Il cible aussi volontiers « la “ mondialisation “ [qui] n’est rien d’autre que le nom à la mode qui résume les tendances expansives, intrusives et destructrices du capitalisme à l’échelle planétaire ».

Selon l’auteur, « l’impérialisme américain est l’agent militaire de l’avant-garde et de la mondialisation forcée, entendue au sens strictement économique, la mondialisation exercée par le capital mondial ». Toutefois, « aujourd’hui, le libéralisme n’est pas exclusivement représenté par les États-Unis et leur cortège de satellites anglo-saxons et sionistes ». Bien avant la distorsion actuelle des relations transatlantiques sous les coups de butoir du trio Donald Trump – JD Vance – Marco Rubio, il devine que pour les États-Unis d’Amérique, « l’alliance actuelle avec l’Europe est purement conjoncturelle, et un jour viendra où elle sera rompue. L’ingérence des sionistes, des Russes et des Chinois, le conflit avec les forces plus expansionnistes de l’Islam, etc., y seront pour quelque chose ». La dissociation en cours est finalement la bienvenue, surtout si l’idéologie libérale « est la cause de la mort de l’Europe ».

L’échec pseudo-européen

Ces fortes considérations confirment un solide réalisme, en particulier sur le sort de la politogenèse européenne. L’Europe « est le jouet de l’américanisme et du sionisme. Elle n’a pas de véritable armée, et son économisme forcené empêche une éducation exigeante et disciplinée de ses citoyens pour une véritable Union fédérale européenne. » L’auteur rappelle avec une ironie cinglante que « cette même merveilleuse Union [...] a permis les génocides lors des guerres de l’ex-Yougoslavie. Cette même “ union de destin dans l’universel “ [...] a récemment couvert et dissimulé les vols secrets de la CIA ». Plus récemment, elle a annulé le second tour de l’élection présidentielle en Roumanie comme elle avait incité en 2016 à organiser un autre second tour pour l’élection du chef d’État autrichien.

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Il soutient en outre que « l’Union européenne est une union d’États, mais elle n’est pas du tout une union de peuples. États et peuples : deux catégories conceptuelles disjointes ». Il est toujours heureux de procéder à cette distinction salutaire. Peuples et États ne sont jamais synonymes ou interchangeables. L’État – peuple (et non l’État-nation) est rare si on prend le mot « peuple » dans son acception ethno-culturelle, à l’exception peut-être du cas de la République populaire démocratique de Corée. L’État – peuple dans un sens social (et plébéien) n’existe pas, y compris au temps du socialisme soviétique.

L’État peut susciter un peuple suivant une approche civique et contractuelle, c’est-à-dire un ensemble de citoyens égaux en droits et en devoirs, une collectivité politique qui gommerait les spécificités bio-culturelles. On trouve encore des États formés de plusieurs peuples, surtout en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Des peuples relèvent de plusieurs appartenances étatiques distinctes (des francophones vivent dans le Val d’Aoste italien, en Suisse romande, en Wallonie belge sans omettre, outre-Atlantique, les Francos et les Cajuns aux États-Unis, les Québécois, les Acadiens, les « Bois-Brûlés » et les Fransaskois au Canada).

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Entre les séparatismes régionaux qui minent l’Espagne et un étatisme centralisateur qui efface les différences historiques et populaires, Carlos X. Blanco adopte une troisième voie. « Ni un nationalisme espagnol jacobin, comme celui de l’UPyD [centristes centralisateurs] ou de Vox [droite nationaliste], ni un post-communisme sans Marx comme Podemos [l’équivalent espagnol de La France insoumise] (et donc sans une analyse actualisée du mode de production capitaliste en termes d’exploitation, de plus-value et d’aliénation) n’ont d’avenir à long terme. » Mieux, « l’État d’Espagne n’existe presque pas, d’après ce [que les politiciens installés] nous disent, c’est une sorte d’ONG “ qui veille à la solidarité “ entre les régions autonomes, et autres balivernes ». Les souverainismes nationaux et régionaux incarnent dorénavant de « vieilles idéologies ou des tactiques usées qui incitent à la méfiance, renforcent la partitocratie et profitent à une partie de l’oligarchie. Elles sont incapables de dépasser le cadre actuel : “ l’Espagne “ et “ l’Europe “ sont pensées en termes de catégories anciennes et vides. De plus, elles ignorent la géopolitique actuelle : un Islam en guerre civile, une africanisation de l’Europe, une réorganisation des puissances extracommunautaires (Chine, Russie, Inde, Brésil, etc.) qui rend dangereux notre partenariat avec les États-Unis, etc. ».

Par ailleurs, l’auteur décrit l’Union dite européenne comme l’« absorption centralisée despotique des souverainetés nationales, avec sa recherche perpétuelle de mécanismes pour empêcher de manière coercitive le protectionnisme économique de chaque État-nation, avec sa soumission désastreuse aux diktats mondialistes ». Pour lui, « ceux qui disent que l’Union européenne est un antidote à l’étatisme savent qu’ils mentent. L’Union européenne est une entité monstrueuse, une entité de signe clairement capitaliste et au service de la grande accumulation de la plus value. L’Union européenne n’est pas “ moins d’État “, ni au sens libéral, ni au sens anarchiste : c’est simplement le club des États-nations existants et l’instrument de quelques-uns d’entre eux avec la primauté desquels ils pourront exercer une sorte de néo-colonialisme sur les autres ».

Refondation néo-médiévale pour le XXIe siècle

Au début du XVIIIe siècle au moment de la terrible Guerre de Succession d’Espagne (1701 – 1714), Carlos X. Blanco aurait certainement été un austraciste ardent, c’est-à-dire un partisan espagnol du prétendant Charles de Habsbourg. Hostile à la dynastie des Bourbons restaurée en 1975, il déplore l’américanisation accélérée de la Couronne et de la vie politique espagnole. Il condamne en outre, d’une part, « le concept d’égalité (de tous les hommes) [qui] dissimule l’inégalité matérielle de l’espèce à tous égards, surtout en ce qui concerne la possession des moyens de production », et, d’autre part, au risque de passer pour un réactionnaire, « la démocratie, qui […] est strictement une forme de droit politique, [désormais ...] transplantée sur des terrains où le concept même dégénère ». Il en sort dès lors la « langue de coton » (titre d’un ouvrage de François-Bernard Huyghe paru en 1991), le politiquement correct et le wokisme.

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On décèle dans les analyses de Carlos X. Blanco (photo) des formulations qui se rapprochent de celles du Français Guy Debord dans La société du spectacle (1967), puis dans Commentaires sur la société du spectacle (1988). A-t-il lu Debord ? On peut le supposer comme il a dû s’intéresser aux écrits de Guillaume Faye. En effet, il affirme que « occidental et européen seront des termes mal assortis. Ils ne le sont pas déjà, mais la divergence ne fera que s’accentuer dans les décennies à venir ». Retrouver l’essence de l’Européen implique au préalable de récuser « le “ moderne “ [qui] était donc le processus de sécularisation du moi protestant ». L’apparition et l’expansion de l’individualisme a aboli « la véritable charité, c’est-à-dire l’amour de l’autre qui consiste à le considérer comme une partie de son propre sang et comme un aspect de la même communauté éthique organique ». Issu de la matrice réformée, prélude de la fétide idéologie des Lumières, l’individualisme a conçu le libéralisme, grand corrupteur des liens organiques communautaires. « Les assemblées et les synodes, les hiérarchies et les corps intermédiaires, les principes de subsidiarité et de droit naturel protégeaient l’homme de tout réductionnisme. Ils protégeaient l’individu du virus libéral. » En réponse, il insiste sur l’obligation impérieuse de redécouvrir le « féodalisme [qui] est un personnalisme par opposition à la réification capitaliste ». Il faut néanmoins faire attention quand on aborde cette notion historique. Karl Marx se trompe quand il parle de l’économie féodale. Féodalisme et féodalité s’inscrivent dans l’essence du politique, et non dans celle de l’économique, en établissant des liens synallagmatiques en dépit d’une forte hiérarchisation politico-sociale entre membres du clergé et/ou de la noblesse.

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À l’instar du philosophe russe Nicolas Berdiaeff, Carlos X. Blanco préconise le retour au Moyen Âge dans un contexte techno-scientifique avancé. « Ce que l’on appelle le Moyen âge, et sa continuité légitime, l’Empire de la Monarchie hispanique, fut un katechon, l’esprit de résistance et de recomposition de cette Unité spirituelle, qui est aussi une union politico-militaire, de l’Imperium. » On sait par Carl Schmitt que le katechon est le retardateur de l’avènement de l’Antéchrist. Il s’agit d’un facteur déterminant qui empêche le surgissement du chaos en grande politique. En se référant à la Monarchie hispanique, puissance à la fois tellurocratique et thalassocratique, qui surplombait divers peuples (dont les francophones arpitans de Franche-Comté et les locuteurs d’oïl picard des Pays-Bas), l’auteur fait-il une allusion implicite à une nouvelle Union des Armes ? En 1626, le roi d’Espagne Philippe IV tenta d’accélérer l'unité de ses couronnes et royaumes (Castille, Portugal, Pays-Bas, Aragon, Deux-Siciles, Franche-Comté et possessions ultra-marines d’Amérique, d’Afrique et d’Asie) sur les plans militaire et financier. Les réserves et autres réticences des assemblées provinciales paralysèrent et interrompirent finalement cette grande idée géopolitique inaboutie.

On le voit, Le virus du libéralisme montre une hostilité radicale envers la marchandisation du monde. Carlos X. Blanco tient une position essentielle dans l’actuel combat des idées. Un fascicule à méditer d’urgence !

  • Carlos X. Blanco, Le virus du libéralisme. Un virus s’abat sur le monde, Éditions La Nivelle, 2024, 71 p., 11,98 €.

mardi, 18 mars 2025

«Le secret et les sociétés secrètes» de Georg Simmel et la lutte pour le pouvoir

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«Le secret et les sociétés secrètes» de Georg Simmel et la lutte pour le pouvoir

L'essai du sociologue allemand sur les dynamiques complexes de l'ésotérisme, publié par Aragno dans une nouvelle traduction italienne

par Lello Sciannimanico

Source: https://www.barbadillo.it/119816-il-segreto-e-le-societa-...

download-1.jpegDans Le secret et les sociétés secrètes, Georg Simmel aborde le concept de « secret » d’un point de vue sociologique et philosophique, explorant sa pertinence dans les dynamiques sociales et les structures de pouvoir. L’auteur, l'un des penseurs les plus influents de la sociologie, ne se contente pas de traiter le secret comme un phénomène exclusivement privé ou psychologique, mais l’examine comme un élément fondamental des liens sociaux, de la construction de l’identité et des hiérarchies de pouvoir.

Le texte est structuré en deux parties principales: la première se concentre sur l’analyse du secret en soi, explorant sa nature psychologique et sociale. Simmel en souligne la fonction ambivalente, capable de renforcer les liens de confiance entre ceux qui le partagent, mais aussi génératrice de suspicions et de divisions, créant une frontière subtile entre l'inclus et l'exclus. Le secret, dans cette vision, n'est pas seulement un moyen de protection, mais aussi une manière dont la société se structure, excluant et protégeant simultanément. La seconde partie du livre traite de manière incisive des « sociétés secrètes », ces groupes qui reposent sur des connaissances exclusives, réservées à quelques initiés. Simmel explore le rôle de ces organisations dans le maintien des structures de pouvoir, la création de solidarité entre les membres et l'attrait qu’elles suscitent à travers le mystère et la confidentialité. Les sociétés secrètes deviennent ainsi une lentille privilégiée à travers laquelle observer les dynamiques de pouvoir et d’appartenance qui traversent la société dans son ensemble.

Particulièrement fascinante est l'approche de Simmel concernant la relation entre visibilité et invisibilité, public et privé. Le secret, bien qu'il reste caché, exerce une influence continue sur les structures visibles de la société, créant des espaces de pouvoir, de contrôle et de résistance. Cette dialectique entre ce qui est connu et ce qui est occulté traverse toute la réflexion de l’auteur, faisant de l'œuvre une clé de lecture importante des sociétés contemporaines, tant dans la sphère politique que dans les relations intimes.

Le langage de Simmel, bien que philosophiquement dense, est extrêmement raffiné et incisif, et la traduction restitue fidèlement la richesse de la pensée originelle. Le texte se distingue par sa capacité à mêler sociologie, philosophie et psychologie, offrant une vision complexe et multidimensionnelle du secret, d’où émergent des réflexions qui ne sont en rien obsolètes concernant les structures sociales et politiques du présent.

Le secret et les sociétés secrètes est donc une œuvre d'une rare profondeur, qui continue de susciter des interrogations et des pistes de réflexion sur la nature du pouvoir, des relations sociales et de l’intimité. Un travail qui invite à s'interroger sur le rôle fondamental que joue le secret, avec son pouvoir invisible, dans nos vies sociales, politiques et personnelles. Un texte incontournable pour ceux qui souhaitent comprendre les dynamiques souterraines qui gouvernent les sociétés, tant dans le passé que dans le présent.

Georg Simmel, Il segreto e le società segrete, a cura di Giovanni Balducci e Mauro Cascio, Introduzione di Antonio De Simone, Aragno, Torino 2024 (= Georg Simmel, Le secret et les sociétés secrètes, édition par Giovanni Balducci et Mauro Cascio, introduction d'Antonio De Simone, Aragno, Turin 2024).

14:15 Publié dans Livre, Livre, Philosophie, Sociologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, georg simmel, sociologie, philosophie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 11 mars 2025

Le Paradoxe de Platon: l’extrême contemporain et le super-mythologue

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Le Paradoxe de Platon: l’extrême contemporain et le super-mythologue

François Mannaz

« Et si Platon revenait… » se demande Roger-Pol Droit. Olivier Battistini de lui répondre que Platon ne se sera jamais absenté. Il est notre « extrême contemporain ».

Cette proposition est la phrase-clé de l’ouvrage d'Olivier Battistini, consacré à Platon. Ce put en être le titre; ce sera la thèse du livre: « Platon Le philosophe-roi », bellement préfacé par Michel Maffesoli.

La biographie de Platon est courte. On sait peu de choses de lui. « Il est né » en 428 ou 427; « il est mort » en 347 ou 346. Mais il est le seul penseur grec dont l’œuvre complète nous est parvenue. (Etrange: pourquoi pas les autres? Désamour, mal-pensance, censure?)

Donc Platon tient la corde du théologiquement correct depuis deux millénaires et demi.

On saluera la judicieuse initiative de l’auteur de contextualiser son travail. Le livre contient en effet une imposante galerie des portraits: des interlocuteurs, adversaires, amis, clients, ou gitons de Platon. Cet utile catalogue fixe « les protagonistes » et « antagonistes », (ensemble leurs « caractères », statut, camp, rôle, pedigree) qui défilent sous la plume de l’auteur et constituent le paysage de « la scène à Athènes » sous Platon, Socrate et consorts.

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Platon « extrême contemporain », cela veut dire l’hypermoderne qui fonde et structure la modernité, ouvre et habite « l’âge axial » (Karl Jaspers) vieux de 2500 ans. Es klang so neu und war doch so alt…..

Curieusement Platon n’aura jamais été pris au sérieux de son vivant. Il n’a d’ailleurs inventé ni doctrine ni théorie, et se bornera à mettre en forme ce qui fut pensé avant lui (Battistini s’essaye à dire « système apparent »). Reste que sa griffe ne laisse de fasciner. Son savoir caché accouchera en mythe une causalité d’exception appelée à se fixer en horizon absolu de science.

Divers auteurs opinent que Platon aurait créé la « philosophie », comme si on n’avait pas pensé avant lui. Ce qui revient à faire peu de cas des millénaires de sagesse dite primordiale, des innombrables sages amants de la Sophia, et surtout des ennemis irréductibles de Platon qu’il  racise  en « Sophistes ». À preuve sont les écrits de bagarre de Platon lui-même. Comme Cicéron, il fait des livres de ses pugilats et les titre du nom de ses cibles. Il cogne et éborgne les porteurs de la Sophia. Parce qu’en eux le mythos honni brille de mille feux. Michel Maffesoli indique que ce mythos, c’est notre « Tradition ». Tandis qu’en face mugit leur déconstruction.

Platon n’aura de cesse que de provoquer à l’adultère philosophique. Il cancelle et wokise les mythèmes et les hérauts de la Sophia (Calliclès, Gorgias, Critias ou Protagoras). Il culpabilise ses adversaires à la faute d’impiété à l’encontre de son snobisme de clerc mercenaire. En toute occurrence, il fait « pliure » et excite au « devenir minoritaire -majoritaire » de conformation à son modèle (G. Deleuze).

Platon éclipse la « philosophie », invente le concept, la catégorie, le genre de la misosophie (doctrine accusatoire de détestation) et l’installe en tout théologique de négation de la négation, de l’en-même-temps de la théologie spéculative et de la théologie expérimentale.

Platon inaugure la figure, la fonction et l’impact de l’intellectuel, activiste, propagandiste. Un « possédé » insiste Battistini. Un « prédicateur contre l’ennemi » (Hermann Lübbe) qui excelle à faire la guerre avec les idées, les valeurs et les fétiches de la théologie expérimentale.

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Platon est assurément un polémiste de la réaction théologique. Il n’a de cesse d’accumuler, d’activer et d’exciter à la controverse. Partout, il est à l’attraction – répulsion – scandale. Discourir toujours pour provoquer un effet théologico-matriciel. Son entreprise est toute d’agitation religieuse et politique. Platon pousse sans relâche au degré ultime d’association et de dissociation dans la cité. Il se fait bélier de la pressure policy. Sa stratégie est au choc contre la physique politique et le primat de l’autochtonie: la cité grecque n’est pour lui qu’une « hypothèse ». Platon est le mécanicien du basculement de l’état politique à l’état cosmopolitique. Il s’impose en chiffre d’une triplice particulière de métaphysique, de métapolitique et de métacognition (où meta s’entend en mise à distance du point de vue tiers). Cela donne un anti-système, une métathéologie, une épi-théologie patriarcale de la plus forte nuisance, médisance, fraudulence, modulant à la chute.

De la sorte Platon se retrouvera à la tête d’un mouvement de contestation théologique qui perdure à ce jour (Osons dire que le climat est permaplatonique). Son énergie mentale se déchaîne contre le mythe politique de la polis et du peuple politique. Son idéologie est à l’inversion; sa (mytho)graphie est à la misosophie; sa misosophie est commissionnaire et commissaire: elle charrie l’en-soph-ie ! Emblématiquement, Léo Strauss proclamera qu’avec Platon l’activité de penser revient à s’aligner, se soumettre, se conformer à l’instance supérieure du théologique. Désormais, misosopher est décision et méthode ad hoc de technique sociale (scripsit K. R. Popper).

Platon demeure la star de l’esprit néolithique qui s’étale en « dialogue » inquisitorial, en  « maieutique » engagée et en « dialectique » ravageuse.

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Sa rhétorique est fractale. La mise en état du monde est jeu d’attaques. La plus-value doit aller à l’insolence, à l’effronterie, à la cacologie. Il en va de « réduire l’adversaire à quia », de lui ôter toute légitimité, de le déposséder de son humanité !

Comme l’on voit, le terrorisme théologique est d’une antique actualité. Walter Benjamin précisera que « l’esprit est la capacité même à exercer la dictature » ! Pour forcer à lui obéir, ajoutera Léon Chestov !!

Le combat des idées est donc travail théologique: « Idée, c’est Dieu ». Le monde des idées c’est la pensée du dieu jaloux. C’est théâtralité de l’absence de « liberté des présupposés » (Julien Freund) et de la technologie téléologique du miraculisme . C’est surtout violence théologique qui motorise l’« image inversée », « opposé absolu », schème d’alter-culte à effet direct d’application immédiate. Qui métabolise l’excès, l’exception, l’abstraction. Qui est lavé de la Haine (Empédocle).

Et Platon sait hair: la cité, ses héros, les femmes, la mer, ses opposants, les dieux, les déesses, les poètes, les arts, les Muses,... jusqu’à « la démocratie » ! L’auteur de reproduire le brevet de M. I. Finley: « le plus puissant et le plus radical penseur antidémocratique que le monde ait jamais connu » ! Ergo, Platon roule pour l’élite. Un théologien, ça pense cybernétiquement, et politiquement ça veut » l’hégémonie ! « Les civilisations meurent »; les théologiens restent. Est-ce là « ce que penser veut dire » ?

La parole théologique est vendue comme logos  Le « logos platonicien » est l’arme des armes, » l’outil politique par excellence », « theoria » en marche. Logos est  toujours assaut contre ce qui est dit  a-logique, c’est à dire a-causal, ir-rationnel, impie (Georg Lukacs a tout dit sur le sujet). Il mathétise la prise. Il ingéniérise la culbute de la Thèse en antithèse, de la physis en cosmos, du Nomos (ou habitus d’ordre) en « nomos » (complot, décision ou loi au sens de lex dei), du peuple (laos) en parti (demos), des dèmes en classes, de la politeia en république, de la politeia en ressentimentalité, de ressentiment en croisade de conversion, etc. Il met tout à l’envers et ostracise ceux qui sont déclarés incompatibles. Logos devient raison, grammaire, discours divin dévoilé… en égologie. Bien sûr, ce logos est proclamé « roi », totem, grenier à « valeurs ».  Socrate expérimentera qu’on meure pour lui.

Dans son écrit le plus célèbre, La République, Platon déchaine sa théologie « naturelle » contre les possibles biologiques du politique mais se déploie en technocrate théocratique indexé à la loi du plus fort. Or le gars s’y connait en la matière: saches lecteur que « Platon » c’est un surnom, un nom de scène, une marque. « Platon » veut dire le balaise, le barraqué, le prolixe (la grande gueule?). Son vrai nom est Aristoclès et çà déplait à ses péripatéticiens camarades de lutte pour la dictature du socratisme (et que Saul de Tarse traitera de « chiens »).

Il convient dès lors de calibrer Platon en théologien et porteur des valises de la théologie (nous savons depuis Hans-Günther Adler qu’elle s’entend de la mentalité arrimée au désir insatiable d’expérimenter le grand remplacement du réel par une réalité nouvelle enchainée à sa causalité irrépressible). Il lui importe de déconstruire la dimension polaire de la cité, de dézinguer la physis (de l’incréé) et de mettre en déchéance théologique tout mythe alternatif au récit unique. Son but est de créer une « cité seconde « dans laquelle logos est théos », « la divinité mesure de toutes choses » (non l’hominidé… parce que homo est le jouet du dieu-dieu...), où machine quelque sombre « loi générale de l’humanité ».

Telle est la face 1 du disque Platon, celle du théologien commissionnaire des premières années.

Il est une face 2 de doxanalyse que nous offre avec brio l’auteur, celle de l’homme mûr , revenu de ses emportements pour compte d’autrui, l’homme du Mythe.

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Olivier Battistini souligne la metanoia de l’homme et le tour « dans le sens opposé » de son œuvre. Il présente un Platon en sage révulsé par la « théonose », défroquant la fraude, marri de son avocature, qui fait anamnèse vers le plus lointain passé. S’agaçant d’évidence sur le tard de l’absurdité de l’idée théologique et la remisant en thèse déontologique, Platon renordisera ses réflexions. Il quêtera sur les terres inaugurales des peuples premiers en osant penser l’avant de la création confessionnelle, et donc « l’avant du mythe politique », l’hyper-alterité alternative. Il se consacrera désormais à Thulé, à l’Atlantide ou à la course fâcheuse du nomos-basileus.

Platon de nous décrire Thulé (Tula), l’ile fabuleuse de l’extrème-Nord, la matrie des Hyperboréens, « la grande aurore », par le menu. Il gagnera des renseignements de première main auprès de son marin-reporter, le navigateur Pytheas au soutien de son offre  d’avoir à penser l’hyper-alternation primordialice. C’est donc fait historique avéré que Thulé aura été la terre du primordial. Celui-là même que la théologie jalousera au point d’y originer sa diatribe vengeresse contre toute fragrance et mémoire de certain passé à l’Infraction de « péché originel »qui n’en finit pas d’empester la planète. Au rebours, Platon en fait donnée qui appelle à « réminiscence », à la purge des vices, au soleil du Pôle. Ce faisant il nous offre de penser l’origine, le Nord, le paradis magnétique, loin de tout péché, hors la chute, à l’abri du sabir théomaniaque et pirate. Platon d’inviter in fine à l’hyper-sécession d’avec la modernité et de ses « ombres ».

Bien plus tard, Pierre-Simon Ballanche se résoudra à acter cette alternative de palingénésie. En deçà de la bifurcation, il y a re-départ, altercroisement, autre commencement. Inverser l’inversion est le programme. « Callipolis » ou l’architectonie à l’angle droit est le projet. Castoriadis parlera pertinemment de « contre-révolution platonicienne ».

Battistini renchérit. Il nous incite à penser Platon contre Platon, nous convoque à penser la technique de Platon contre la technologie de Platon, nous provoque à renverser la table et à nover l’espace-temps au devenir de l’extraordinaire !

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Michel Maffesoli l’a bien compris, lui qui dans sa préface salue la « belle œuvre » valant « chemin initiatique » vers la Vérité. Là est le fil d’Ariane vers la vraie sagesse ayant origine et dévoilement propres; là est le socle des « potentialités » du « ce que penser veut dire » fondamentalement, fondativement, sophialogiquement; là est le travail de fixation et de concrétion  à mythe contre mythe (théologie n’est d’ailleurs qu’un mythe parmi d’autres, contre tous les autres,avec une enseigne autre). La conflagration des mythes prend le nom maffésolique de « complexio oppositorum ».  

Le Paradoxe de Platon signe la victoire oblique, rétroactive et sophistiquée des Sophistes et de la Sophia. Il culmine en schème de décolonisation, de désintoxication, de résonnance parfaites. Loin de toute interdiction de penser l’autre provenance-appartenance ou Denkverbot de l’épi-théologie (S. Freud). « Le réel est sophique » et nullement théologique, souligne Jean Vioulac avec force .

Olivier Battistini fait bien d’élever Platon à « génie », « maitre de la métapolitique » et  réinitialisateur du devenir. C’est judicieuse offre télesmatique à la clôture de l’interrègne de la modernité. C-ar-thage n’a-t-elle pas vaincu Rome obliquement in fine ?

Après tout, Peter Sloterdijk ne conte-t-il pas que la terre est sphère, ronde, boule où tout  peut rouler dans tous les sens? Dès lors, tout vient et revient, au point que l’on pourra se baigner à nouveau dans la polyversité de ses eaux… et de ses fleuves.

Lecteur, bon voyage en sophialogie.