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mercredi, 07 juillet 2021

Comprendre la Magie Sociale - Entretien avec Lucien Cerise

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Comprendre la Magie Sociale

Entretien avec Lucien Cerise

Alors que la planète est en hypnose, empêchant ses habitants de réagir face à l’évidente supercherie, nous avons demandé à Lucien Cerise, spécialiste de l’ingénierie sociale, si et comment celle-ci pouvait intégrer une dimension occulte.

1. Bonjour Lucien Cerise, un an et demi après le premier COVID, comment s’annonce le prochain ?

Il faudrait dire « Comment s’annonce l’avenir ? » En effet, comme nous l’a annoncé Klaus Schwab, nous ne sommes pas censés sortir un jour de la crise dite sanitaire, qui est en fait purement politique. D’un point de vue sanitaire, la covid-19 n’est pas un problème, mais elle sert de prétexte à faire entrer le monde entier dans une « nouvelle normalité » – du moins, c’est ce que veut le biopouvoir transhumaniste. Son projet est la société « sans contact », c’est-à-dire sans contacts humains, programme soutenu entre autres par le gouvernement sud-coréen, où les interactions sociales directes disparaîtront et seront encadrées, médiatisées et si possible remplacées par la techno-science, l’informatique et les écrans 1. Pour y parvenir par étapes, le pouvoir accumule les mesures de contrôle social sans qu’aucune n’annule les autres et en espérant les rendre irréversibles. Le confinement et le couvre-feu doivent devenir perpétuels, le port du masque doit être permanent, la distanciation physique aussi, il faudra nous revacciner tous les six mois pour mettre à jour notre « passe sanitaire », nouvelle mouture du passeport intérieur des régimes totalitaires, etc. J’ai pris le train et l’avion récemment : il y a des annonces écrites et vocales qui nous parlent de biosécurité, de port du masque obligatoire et de distanciation sociale même pour les personnes déjà vaccinées ou testées négatives au coronavirus. Pour éviter de tomber malade, nous devons donc tous vivre désormais comme des malades. Tout le monde – y compris les bien-portants – doit régler son comportement sur les malades et adopter un style de vie calqué sur celui des malades en acceptant de se soumettre quotidiennement à des mesures destinées en temps normal seulement aux malades.

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La frontière entre maladie et santé s’efface : nous sommes tous potentiellement malades, comme chez le Docteur Knock, et nous devons donc tous accepter d’être tous traités comme des malades. Cette « nouvelle réalité » de la maladie permanente et omniprésente doit permettre de remettre votre santé entre les mains du biopouvoir cybernétique. Comment ? En implantant dans les esprits un parallèle entre les risques encourus par nos ordinateurs et par nos corps. La cybernétique ne distingue pas le vivant et la machine. Ainsi, le biopouvoir pose plusieurs équations : homme = ordinateur ; virus biologique = virus informatique ; anti-virus biologique = anti-virus informatique. Bill Gates est l’homme qui incarne cette fusion de l’informatique et de la santé publique. D’où vient l’intérêt du fondateur de Microsoft pour les virus biologiques et les vaccins, au travers notamment de sa fondation GAVI – Global Alliance for Vaccines and Immunization ? Cela pose question. Lui et d’autres transhumanistes essayent de nous transformer en névrosés hypocondriaques volontairement intégrés dans un système fusionnant le corps humain et les machines par la transposition dans le biologique de ce qui existe en informatique : la peur permanente des virus – phénomène purement psychologique car, en réalité, il y a très peu de virus dangereux – et l’obligation de vivre avec un antivirus fabriqué, un pare-feu dans le langage informatique, équivalent du masque et du vaccin. Pourtant, l’antivirus biologique naturel existe déjà – il s’appelle le système immunitaire – mais justement, le projet est de remplacer l’immunité naturelle, gratuite et universelle, par une immunité artificielle, qui sera facturée et dépendante d’un fabricant d’antivirus. Comme disait quelqu’un sur Twitter 2 :

« Privatisation du système immunitaire des êtres humains en cours : là où avant ton corps faisait le job tout seul pour chaque infection, la réponse immunitaire perdurait à vie, tu auras désormais besoin d’injections à répétition pour chaque variant de chaque virus. » (Anonyme, Twitter)

2. Alan Moore, auteur des BD V for Vendetta et Watchmen – accessoirement sorcier – déclarait que les publicitaires sont les nouveaux chamans…

Ce type est un génie. Il a compris les constantes universelles de l’occultisme, qui en montrent la brûlante actualité, au-delà des variables culturelles et folkloriques, qui peuvent produire un sentiment d’éloignement ou d’exotisme. L’occultisme est un rapport proactif et interventionniste à la perception de la réalité pour modifier la réalité. On ne touche pas directement la réalité matérielle, on touche sa perception, et surtout sa perception narrée, inscrite dans un récit. On peut donc transformer indirectement la réalité en agissant sur l’esprit des gens qui la perçoivent. Et agir sur l’esprit signifie agir sur la narration qui raconte la réalité, principe du Storytelling. Il n’y a pas d’esprit en dehors d’une narration, d’un langage, d’un code. L’esprit humain est langagier, structuré par une grammaire et une syntaxe – les phénomènes psychiques n’arrivent pas au hasard – et constitué physiquement de signes linguistiques, qui sont les « unités discrètes », les briques élémentaires, les atomes de l’esprit. Pour agir sur l’esprit d’autrui comme un occultiste, il faut donc agir sur la narration qui structure son esprit, devenir un maître linguiste, un maître du langage – plus simplement, un bon écrivain, un bon scénariste – ce qui explique le rôle des « formules magiques », ce que l’on appelle aujourd’hui des slogans, et qui sont omniprésents dans l’espace médiatique et publicitaire.

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« À l’origine toutes les facettes de notre culture, que ce soit des arts ou des sciences, appartenaient aux shamans. Le fait qu’à notre époque ce pouvoir magique ait dégénéré et soit devenu un simple divertissement et une manipulation est à mon avis une tragédie. En ce moment les gens qui utilisent le shamanisme et la magie pour influencer notre culture sont des publicitaires. Plutôt que d’essayer d’éveiller la conscience des gens, leur shamanisme est utilisé comme opium pour les tranquilliser et les rendre plus malléables. Avec leur boîte magique, la télévision, et leurs mots magiques, leurs slogans, ils arrivent à ce que tout le pays pense aux mêmes mots et aux mêmes choses banales, exactement au même moment. » – Alan Moore 3

Un bon slogan transforme votre perception de la réalité et déclenche un comportement, ou du moins pèse sur votre comportement en reformulant votre description de la réalité, ou narration de la réalité, donc votre perception de la réalité. Il y a deux façons de peser sur le comportement d’autrui : directement par la pression physique, ou indirectement par la magie, ce qu’on appelle aujourd’hui la psychologie, c’est-à-dire en passant par le système de représentation et de perception d’autrui, ce qu’il a dans la tête, la manière dont il se raconte le monde, et dont il se raconte à lui-même. Le rapport du langage et de l’esprit est encore plus étroit qu’un filtre au travers duquel on percevrait la réalité depuis un esprit possédant son intégrité. En effet, l’esprit est intrinsèquement une structure langagière et linguistique, dépendante d’un récit. On entre dans l’esprit, c’est-à-dire dans l’intériorité, depuis l’extérieur du langage et des signifiants, entendus phonétiquement ou lus sur un support. Si l’on retire le langage, il n’y a plus d’esprit au sens humain du terme. Il y a du vécu hors langage, c’est-à-dire du vécu en dehors du sens, mais pas d’esprit au sens humain. Faites l’expérience : essayez de penser quelque chose en dehors du langage, et vous allez comprendre rapidement à quel point votre esprit est – et à quel point vous êtes – totalement dépendant du langage, et en particulier de votre langue maternelle. Il n’y a pas de langage privé, ou intérieur. Le solipsisme est une fiction théorique.

«  Il n’y a pas de science occulte, il n’y a que des sciences occultées. »  – Alexandre de Saint-Yves d’Alveydre

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Dans Le mythe de l’intériorité, Jacques Bouveresse s’appuie sur Wittgenstein et ses jeux de langage publics pour montrer que nous sommes des êtres intrinsèquement communicants, traversés par du code appris et reçu de l’extérieur. Même les gens qui croient à une intériorité pré-langagière (antéprédicative) sont obligés de passer par le langage, donc par l’extérieur, pour la penser et en parler. La structure de l’esprit est la structure du signe linguistique. L’esprit a donc une partie extérieure, constituée par le signifiant, et une partie intérieure, constituée par le signifié. Les deux parties sont dans un continuum, on passe de l’une à l’autre sans s’en rendre compte la plupart du temps. L’occultisme n’est rien d’autre que l’exploration de ce ruban de Möbius – pour reprendre une figure de topologie lacanienne – qui définit la continuité sémantique entre l’extériorité environnementale et l’intériorité mentale, et dont il faut prendre le contrôle si l’on souhaite peser sur le comportement d’autrui. C’est de la Programmation neuro-linguistique avant l’heure, tout le monde en fait sans le savoir et intuitivement quand on essaye d’influencer autrui, c’est-à-dire quand on essaye de pénétrer discrètement dans l’intériorité d’autrui pour le retourner en notre faveur, consciemment ou non. La psychologie du conditionnement, en particulier du conditionnement furtif, c’est-à-dire du piratage mental, autre nom de l’ingénierie sociale, c’est-à-dire le passage furtif de l’extérieur à l’intérieur de l’esprit, est la forme scientifique de l’occultisme, en tant qu’effort pour influencer autrui.

3. Dès lors, au-delà de la PsyOp, est-il possible de considérer le « covidisme » comme un rituel surdimensionné via une amplification médiatique sans précédent ?

Techniquement, le « covidisme » – la croyance en la narration politico-médiatique sur la covid-19 – est effectivement un égrégore, un facteur de convergence et d’uniformisation des comportements, qui doit synchroniser un maximum d’individus pour les faire agir comme un seul homme. Les médias de masse procèdent à une séance d’hypnose collective en continu, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, que l’on peut décrire à la suite de Tchakhotine comme un « viol des foules », mais un viol consenti, une pénétration furtive de l’intériorité d’autrui, pour téléguider autrui, agir sur lui depuis son extériorité sans qu’il en soit pleinement conscient. Tout ceci évoque le concept d’Inception, comme dans le film de Christopher Nolan, consistant à pénétrer dans l’inconscient d’autrui pour y déposer une idée, un mot-clé, un signifiant déclencheur (trigger) qui sera activé à un moment donné, pas toujours immédiatement, comme une bombe à retardement. Tel est le rôle du symbole de l’arc-en-ciel et de tous les signes de ralliement, hashtags, graffitis, slogans, et de la pratique d’ingénierie sociale d’hameçonnage (phishing), fondée sur le double sens, l’ambivalence sémantique, qui fait passer une signification sous couvert d’une autre signification, avec un sens caché dans un autre sens, principe de la stéganographie.

Autrefois utilisé par les causes mondialistes écologique et LGBT, l’arc-en-ciel du slogan #ToutIraBien a inondé les fenêtres du monde entier au premier confinement. PsyOp ou égrégore noachide ?

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En fait, nous baignons tous dans un environnement sémantique partagé et nous pratiquons tous naturellement cette influence subliminale sur autrui, pour le programmer, le déprogrammer ou nous déprogrammer et reprogrammer nous-mêmes quand nous sommes mal à l’aise avec une influence psycho-sociale que nous ressentons comme nuisible. L’occultisme et ses versions scientifiques comme l’ingénierie sociale consistent donc à faire consciemment et de manière rationnelle, méthodique et planifiée ce que l’on fait déjà spontanément, comme Monsieur Jourdain prenant conscience qu’il parle en prose depuis toujours. La méthode des Nudges, qui consiste à envelopper autrui en tapissant son environnement d’incitations douces ou indirectes, commence à être bien connue du grand public. Poussé à son terme, cet effort pour influencer autrui culmine dans la « zombification », c’est-à-dire l’abolition de la conscience réflexive pour réduire autrui à devenir un esclave mental, une marionnette qui obéit au doigt et à l’œil. Pour revenir au coronavirus, le résultat concret de cette opération de Mind Control de masse est ce bal des zombies que nous voyons se déployer autour de nous quotidiennement. Tous ces êtres qui portent des masques dans la rue ou qui vont se faire inoculer avec des produits génétiques expérimentaux sont sous l’effet d’un envoûtement, véritable opération psychologique d’ingénierie sociale, c’est-à-dire de piratage mental ou de rituel occultiste de masse, au sens d’Alan Moore.

4. Si le lien entre ingénierie et magie se résume à la furtivité, la Kabbale, adepte des petits calculs et grands secrets, en est-elle la quintessence ?

Les magiciens, les illusionnistes, prestidigitateurs et autres mentalistes exploitent les angles morts de la perception et de l’attention du public, ces zones écrans derrière lesquelles on peut se cacher et qui sont générées par les biais psychologiques et cognitifs du fonctionnement normal du cerveau. Il en va de même pour l’ingénierie sociale dans son volet du piratage informatique, qui n’est autre que du piratage psychologique et cognitif car on s’attaque non pas à la machine mais à son utilisateur selon deux axes, l’usurpation d’identité et l’abus de confiance – en jouant avec la sensibilité d’autrui selon la trilogie de Karpman sauveur/bourreau/victime. Dans tous les cas, une dose de furtivité est nécessaire pour agir. Le réel, c’est-à-dire le geste réel de l’ingénierie magique, c’est-à-dire la modification intentionnelle du lien social, doit devenir invisible et être remplacé par une illusion de transformation spontanée. Par exemple : si les médias ne parlaient pas de la covid-19, les gens ne sauraient même pas que ça existe. La réalité serait différente : les symptômes de la covid-19 seraient interprétés comme une grippe ou une pneumonie banale, et personne n’accepterait les mesures totalitaires dites sanitaires. La nomination, le fait de nommer une chose, la fait exister, soit en la soulignant et en l’extrayant du bruit de fond, soit en la faisant être à partir de rien, création ex nihilo. Dans la controverse entre Réalisme et Nominalisme, le langage a choisi : il est nominaliste. La magie kabbalistique exploite les ressources nominalistes du langage mais a besoin de vous faire croire au Réalisme pour produire une illusion d’objectivité incontestable en dissimulant le geste subjectif de construction langagière de la réalité. Je me suis amusé à angliciser ce constructivisme en inventant le concept de « reality-building ». L’ingénierie sociale, comme la kabbale, consiste à nommer les choses pour les faire exister, en effaçant le geste de la nomination créatrice, le geste de la fonction performative du langage, pour donner l’illusion que cela arrive tout seul. Le pouvoir politique en général consiste à appliquer toutes les ressources de ce nominalisme furtif, pour laisser entendre que les choses nommées par le pouvoir ne dépendent pas de sa volonté mais existent objectivement, ce qui permet d’asseoir la domination symbolique du récit du pouvoir dans les esprits.

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5. Dans cette perspective, le panopticon de Jeremy Bentham n’est que l’application de l’En To Pan cher à la Gnose…

On doit à Michel Foucault d’avoir montré l’actualité du concept de panoptique de Bentham, ce modèle de prison où les prisonniers ne savent pas s’ils sont surveillés ou non par les gardiens, ce qui les conduit à intérioriser la surveillance comme un risque permanent et à auto-discipliner leur comportement. On trouve ici le point de départ d’une réflexion sur l’exercice du pouvoir dans le champ subtil. Les corps n’ont plus besoin d’être disciplinés par d’autres corps ou par de la matière. La domination des corps est psychologique et intériorisée, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une auto-soumission des corps par l’esprit, sous la forme d’une parole venant de l’extérieur et assimilée, à laquelle on s’identifie. La noosphère, la « sphère de la pensée humaine » 4 chez Teilhard de Chardin, notion proche du grand Autre de Lacan ou de l’inconscient collectif jungien, exerce une force de contrainte sur les individus et de façonnage du réel. On en voit les résultats avec ces gens qui portent encore le masque même quand ce n’est plus obligatoire. L’esprit, c’est-à-dire l’information diffusée par le pouvoir, surveille et discipline les corps sans besoin d’un policier ou d’un gardien de prison.

Chez l’être humain, l’information est plus forte que la matière brute, plus forte que l’instinct de conservation, et peut façonner le comportement jusqu’au suicide collectif. C’est ce que la psychologie appelle les pulsions de mort, qui sont un effet du langage humain, absent chez les animaux. Essayez de faire porter volontairement des masques qui empêchent de respirer à des animaux. Leur instinct vital se révoltera rapidement, sauf s’ils sont en voie d’hominisation, sensibilisés au langage humain et à ses effets de déréalisation, c’est-à-dire dressés comme des chiens sous influence de la parole d’un maître. Tout le domaine du sens, de la sémantique, de l’information langagière est lui-même de la matière, mais organisé de manière néguentropique pour réduire l’incertitude. Son caractère morbide et entropique advient quand il essaye d’encadrer totalement le réel et son caractère toujours imprévisible. L’utopie d’en finir totalement avec l’incertitude est d’ailleurs le fil conducteur du biopouvoir, autre concept tiré de l’œuvre de Foucault et retravaillé par Giorgio Agamben. Le sommet du pouvoir est le contrôle scientifique de la vie dans ses moindres aspects, et l’artificialisation du monde naturel dans la mesure du possible. La recherche sur les interfaces cerveau/machine ou corps/machine, c’est-à-dire le couplage direct du cerveau ou du corps sur un dispositif informatique fermé ou ouvert comme internet, est déjà ancienne. Un exemple bien connu est le développement des implants électroniques sous-cutanés, puces RFID ou autres, ainsi que la recherche sur les moyens de les faire accepter à la population de manière souriante et détendue. On se souvient des Implant Parties qui ont eu lieu dans divers pays, dont la France 5.

6. Selon les gnostiques, le diable serait sans limite 6. Toute spéculation est-elle donc d’essence diabolique ? Cela évoque la dialectique de la carte et du territoire, et la tentative du symbole, ou de la pensée, de modéliser le réel. Hystérie, paranoïa, schizophrénie sont des noms savants aux symptômes identifiés en démonologie. Seuls les signifiants changent-ils ?

Pour l’occultisme, la pensée ne doit pas se contenter de modéliser le réel, la carte ne doit pas se limiter à représenter le territoire : la pensée doit être le réel, la carte doit remplacer complètement le territoire. Pour qualifier ce moment où l’image du réel supplante le réel, Jean Baudrillard parlait d’hyper-réalité. Pour y parvenir, il faut reléguer définitivement le réel dans les oubliettes, de sorte que le réel ne soit plus la référence de la pensée, afin qu’il ne pose plus de limite au libre jeu de la pensée spéculative. Il faut parvenir à reconnaître sans sourciller et sans dissonance cognitive que 2 + 2 = 5, ou qu’une femme qui dit être un homme est un homme.

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Pour l’occultiste, la pensée, la représentation du réel, doit être libre par rapport au réel : libre de le déformer, mais surtout libre de ne plus être indexée sur du réel extérieur à elle-même, donc libre d’être autoréférentielle. En économie, la spéculation infinie, sans limite, apparaît quand la valeur d’usage disparaît au profit de la valeur d’échange, quand la monnaie se réduit à un signe. La perte de contact avec un référent réel et la préférence accordée aux signes, c’est-à-dire aux idées, est symptomatique de l’entrée dans la folie, qui est une sorte d’ivresse du langage, une ivresse des idées, une ivresse sémantique, car la pensée ne veut plus tenir compte des limites du sens, limites matérielles, objectives qui viennent dégriser la dérive interprétative. Pour le paranoïaque, tout fait sens, tout est interprétable, il n’y a pas de limites à son interprétation du réel et à son système d’idées. La transgression de toutes les limites, la démesure, l’hubris, le déni de réalité et le délire de toute-puissance caractérisent de nombreuses pathologies mentales et comportementales que l’on décrivait jadis comme des états de possession démoniaque. Les signifiants ont changé, ce qui a eu aussi un impact sur la formulation des symptômes et leur signifié. Aujourd’hui, une hystérique ne dira pas qu’elle est possédée par le diable mais qu’elle a envie de s’amuser et de s’éclater, ou qu’elle mène une lutte féministe contre le patriarcat.

7. L’harmonie jacobine égalisant, tout y est pesé, voire aseptisé, et qui après avoir tenté de mettre la France en damiers, fait maintenant fleurir les cubes à travers un monde digne de l’ordinateur de 2001, l’Odyssée de l’espace. Programmation génocidaire en vue ?

L’esprit jacobin de la révolution française, c’est l’esprit du progressisme maçonnique, c’est-à-dire l’esprit scientiste, mathématique, géométrique. Bien sûr, cette approche entièrement quantitative du monde, qui réduit tout aux nombres, est assez répandue au-delà de la pensée maçonnique et se rencontre à diverses époques et en divers lieux. Les cultures juive et arabo-musulmane attribuent une valeur numérique aux lettres de leurs alphabets, ce qui a donné la numérologie mystique, ou guématrie, qui se développe aussi en Grèce antique à l’époque de Pythagore, se poursuit avec Platon et la fameuse phrase gravée à l’entrée de son école – « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre » – et s’épanouit dans la techno-science occidentale. On en trouve une expression politique dans le projet de quadrillage administratif de la France en départements dessinés en carrés, enfermant la vie dans des formes à angles droits, programme élaboré sous l’Ancien régime et qui sera repris par les premiers révolutionnaires en 1790 avant de l’abandonner sous la pression du réel. Le cube est la projection tridimensionnelle du carré, c’est-à-dire de l’angle droit, qui n’existe pas dans la nature. Trouver une forme à angles droits dans la nature signifie qu’une intelligence est forcément passée par là pour la fabriquer.

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C’est toute la signification du monolithe noir, en tant que cube allongé, dans le célèbre film de Stanley Kubrick que vous mentionnez. Il est totalement noir et vide de sens, ce qui signifie qu’il peut recevoir toutes les significations car il n’en porte aucune par lui-même. Pourquoi ? Parce que, comme dirait Marshall McLuan : « Le média est le message ». Parce que c’est la forme matérielle à angles droits qui compte, qui est significative, en ce sens qu’elle tranche avec tout ce que la nature peut produire naturellement, et qu’elle se signale ainsi comme étant nécessairement un produit culturel, un artefact, donc la trace d’une intelligence. Le monolithe noir de 2001 symbolise l’émergence de l’intellect et de la culture supranaturelle à l’état pur : il apparaît chez les primates quand ils inventent le premier outil, la première prothèse ; il apparaît sur la Lune en tant que symbole du passage d’une intelligence extra-terrestre, que l’équipe d’astronautes humains découvre avec stupeur ; il réapparaît à la fin, en miroir de l’intelligence artificielle Hal, l’ordinateur tueur d’humains, pour suggérer au spectateur quel est le sens de l’Histoire, qui tient en quelques mots : « La culture doit remplacer la nature. » Remplacer veut dire tuer. La culture doit tuer la nature, l’esprit doit tuer le corps, tel est le cœur conceptuel de la pensée gnostique, progressiste, utopiste, prométhéenne, transhumaniste et maçonnique. Ce qui était impossible naturellement deviendra possible culturellement, par la techno-science, et rendra la nature obsolète. L’esprit vaincra la matière. L’âme vaincra le corps. L’utopie vaincra le réel.

8. La franc-maçonnerie bâtissant la cité tel un tableau de loge pour acclimater la population, sortir de cette idéologie n’implique t’il pas de détruire ses landmarks 7 urbains rythmant la vie et donc la pensée ?

Le principe progressiste « La culture doit tuer la nature » transposé dans le domaine esthétique signifie que l’angle droit doit remplacer, ou tuer, la forme naturelle, plutôt arrondie. L’architecture contemporaine diffuse ce nouvel ordre visuel maçonnique dans le monde entier avec l’émergence de ce qu’on appelle le « style international » au XXe siècle, c’est-à-dire la généralisation des tours rectangulaires, froides et sans âme. Ces formes géométriques pures et impersonnelles s’opposent à toutes les architectures traditionnelles et ancestrales, qui imitent la nature et sont souvent anthropomorphiques, conçues à l’image du corps humain, ou en cercles concentriques, en voutes, en ogives, parfois ornées de statues, ce qui explique pourquoi on s’y reconnaît. En revanche, l’architecture moderne, de même que la peinture abstraite, ne ressemble à rien de ce qu’il y a dans la nature et n’est pas faite pour les humains.

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Le bâtiment de la nouvelle Bibliothèque nationale de France radicalise l’anti-naturalisme avec sa végétation totalement encadrée, littéralement cernée et encerclée par une construction minérale entièrement à angles droits, et où les arbres du jardin intérieur ont besoin d’être soutenus par des câbles métalliques pour ne pas tomber. Le message est fort : la nature ne doit plus être auto-suffisante, indépendante, autonome, elle doit être réécrite, redessinée, recomposée, restructurée, placée sous la dépendance de la culture. L’esprit maçonnique, c’est la haine de la nature et le projet de la rééduquer, de la transformer, de la tuer en la plaçant sous tutelle de la culture. Appliqué à la nature humaine, c’est le programme transhumaniste, le Great Reset, etc. Pour faire accepter ce projet global, on utilisera des termes aux connotations positives et on parlera de civiliser la nature, comme on parle aussi d’augmenter l’humain avec de nouvelles capacités et de nouvelles prothèses. Mais il ne faut pas se leurrer : au prétexte de civiliser, d’augmenter ou de réparer le monde naturel, le but est bien de le détruire, comme le veut la kabbale avec la notion de Tikkoun Olam. Pour détruire la nature et la remplacer entièrement par de la culture, il faut commencer par stériliser la nature. Le remplacement de fruits et légumes fertiles, avec des pépins et noyaux, par des fruits et légumes stériles, sans pépins ni noyaux, est l’objectif du développement des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), introduits également dans les thérapies génétiques inoculées au prétexte de la covid-19, et qui vont stériliser l’espèce humaine. Les semences végétales et animales doivent devenir l’objet d’un marché, mais surtout d’un contrôle. Transposé aux êtres humains, la procréation doit devenir entièrement assistée – médicalement et scientifiquement – au moyen d’utérus artificiels ou d’autres artifices de laboratoires. Si l’on pousse cette logique à son terme, le monde réel est réduit à un désert stérile, et entièrement reproduit dans un simulacre virtuel sous contrôle total, comme dans le film Matrix. La stérilisation du vivant est le fil conducteur du capitalisme mondialiste. C’est aussi, malheureusement, ce qui définit notre environnement socio-économique global, attaquant notre espèce avec le LGBT, vaste opération de normalisation et de promotion d’une sexualité stérile, et qui est passé à la vitesse encore supérieure depuis 2020 avec la dictature sanitaire. Face à ce désastre, les penseurs naturalistes et écologistes sont effectivement des sources d’inspiration.

9. Pour y parvenir, ne faut-il pas viser ces landmarks, car même plus nombreux, il n’existe aucune chance d’en réchapper, la domination bi-séculaire l’atteste?

Il faut viser qualitativement pour ce qui concerne la métapolitique, mais pour ce qui concerne la politique concrète de terrain, il faut viser la quantité, c’est-à-dire la moyenne, et ne pas craindre une forme de nivellement par le bas car c’est ainsi que fonctionnent les sociétés humaines. On dit que la démocratie commence en Grèce antique mais en fait elle est consubstantielle à toute forme d’organisation humaine puisque c’est le règne de la moyenne et du consensus. Même les dictateurs se préoccupent de ce pensent les masses, au moins pour façonner ce qu’elles pensent et essayer de tuer dans l’œuf toute contestation émergente. N’importe quelle tribu préhistorique ou isolée au fond de la forêt amazonienne doit élaborer un consensus entre ses membres, avec des négociations, des compromis, des compromissions et des stratégies de persuasion, qui tirent l’intelligence collective vers une moyenne. C’est d’ailleurs ce qui embête le pouvoir mondialiste actuel, qui a décidé de remplacer le peuple par des machines pour ne plus avoir à travailler sur la construction de ce consensus en permanence. La fabrique du consentement et de l’opinion publique présente un coût, et le pouvoir en a marre. Ça tombe bien pour lui, on peut pratiquement tout automatiser de nos jours. Ensuite, pour s’en sortir quand on fait partie du petit peuple, c’est-à-dire pour échapper à la stérilisation, à la dépopulation, au génocide, il faut comprendre que le problème n’est pas réductible à la kabbale ou à la franc-maçonnerie. La déconstruction intégrale de tous leurs symboles architecturaux permettrait, certes, de purger l’environnement visuel, mais ne mettrait pas fin à la dialectique de la nature et de la culture, qui est universelle. À titre personnel, je considère même que c’est le sens problématique de l’Histoire. Comment gérer le progrès technique pour qu’il ne devienne pas une menace contre la vie ? La première réponse est anti-progressiste, ou « luddite » : refuser le progrès technique. La deuxième réponse est maçonnique : la culture tuera la nature inévitablement, donc autant y aller à fond. Guillaume Faye a proposé une solution intermédiaire avec l’archéo-futurisme, mais elle pose un problème de cohérence interne. Aucune de ces trois réponses n’est satisfaisante. En tant que cette problématique est universelle, elle est aussi présente dans la kabbale et la franc-maçonnerie, évidemment. Mais si l’on fait le compte du nombre de gens qui sont d’accord pour tuer la nature – pour tuer leur nature – au nom du progrès culturel, il faut admettre que cela dépasse largement les effectifs de la kabbale et de la franc-maçonnerie. Ces forces occultes et occultistes disposent de nombreux relais complaisants dans le peuple. Leur domination bi-séculaire se réalise avec une vraie complicité populaire, il suffit de sortir dans la rue et de compter les masques pour s’en rendre compte. Aujourd’hui, pour ma part, je pense qu’il faut arrêter de tout mettre sur le compte des minorités actives et se demander si, finalement, la majorité silencieuse n’a pas plus de responsabilités dans ce qui se passe. Ce discours qui consiste à exonérer de la situation le bon peuple, ou les individus qui en sont issus dans les « forces de l’ordre », pour n’accuser que les oligarques, ce discours est contre-productif. J’affirme que l’agent de police ordinaire, venant des classes moyennes comme moi mais qui me colle malgré tout une amende pour non-port du masque dans la rue, a plus de responsabilité dans la situation que Jacques Attali, Bill Gates ou Klaus Schwab. Ces trois figures du Great Reset estiment avoir un intérêt à tout détruire, et elles font leur job avec beaucoup d’application et de conscience professionnelle, mais où est l’intérêt du flic de base, qui sera lui-même sacrifié à la fin, et remplacé par un drone de surveillance ? Quel sera l’intérêt des agents de police qui viendront nous chercher chez nous pour nous emmener au centre de vaccination obligatoire ? Ce fossé entre l’intérêt bien compris de l’individu et son comportement rend ce comportement encore plus inexcusable quand l’individu n’en bénéficie pas. 

10. Merci pour vos réponses, à noter la parution de votre dernier ouvrage sur le suprémacisme blanc et ses origines – occultes aussi – et le Great Reset

Depuis quelques années, le discours politico-médiatique s’est emparé de la question du suprémacisme blanc et le présente comme une menace universelle…

Qu’en est-il réellement ? Le suprémacisme racial en général est la doctrine qui affirme l’existence d’une hiérarchie entre les races et la supériorité de certaines races sur d’autres. Son expression la mieux documentée est le suprémacisme blanc, qui a connu quatre tentatives historiques de trouver une forme institutionnelle dans des régimes politiques : la Confédération sudiste, prolongée dans le Ku Klux Klan ; l’apartheid en Afrique du Sud ; le Troisième Reich ; l’Ukraine post-soviétique. Quatre tentatives, mais aussi quatre échecs.

Avant de porter un jugement sur le suprémacisme blanc en tant que tel, cette étude vise surtout à répondre à la question : « Pourquoi ces échecs ? » S’agit-il de causes internes ou externes ? De facteurs endogènes ou exogènes ? Ces échecs répétés viennent-ils d’un défaut de conception ou d’ennemis trop puissants ? Peut-être les deux à la fois dans la mesure où le suprémacisme blanc pourrait bien être en fait son meilleur ennemi.

Il est pourtant bien vrai que les « Blancs » sont menacés de disparition à moyen terme par la globalisation des échanges et des techniques, mais ils ne sont pas les seuls. Les nationalismes autochtones de tous horizons peuvent et doivent s’allier pour revendiquer leurs droits et lutter ensemble contre leurs ennemis communs en s’appuyant juridiquement sur la Déclaration de l’Organisation des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

81A+B+6GANS._AC_UL320_.jpgLes nationalistes blancs, enfin débarrassés de la tentation du suprémacisme, et leurs homologues – nationalistes arabes, nationalistes africains, etc. – ont donc du travail car la tâche est immense. Elle déterminera si l’espèce humaine survivra ou non à la biopolitique mondialiste et à la Grande réinitialisation (Great Reset), c’est-à-dire au Grand remplacement par l’intelligence artificielle, la robotisation et les chimères génétiques homme/animal.

Dans ce dernier livre, Lucien Cerise nous fait part de sa réflexion sur les dangers mortels qui menacent les peuples indigènes de la planète, et plus particulièrement les peuples indigènes d’Europe. Pris en tenaille par la Grande réinitialisation mondialiste, d’une part, et la tentation suprémaciste, d’autre part, et sachant que ces options apparemment antagonistes se rejoignent finalement sur le transhumanisme, les peuples autochtones n’ont d’autre choix que de renvoyer les deux dos à dos. Alors, quelle solution pour en sortir vivants ? Le nationalisme autochtone.

Notes:

1 – Cf. « Connaissez-vous la stratégie « untact »? Le projet de la Corée du Sud pour une vie sans contact » https://www.rtbf.be/info/monde/detail_connaissez-vous-la-...

2 – Cf. https://twitter.com/Justindoigt2/status/1403282243427131398

3 – Cf. The Mindscape of Alan Moore, 2003. https://www.youtube.com/watch?v=MFHn-HzacxY

4 – Cf. https://noach.es/category/ordo-ab-chao/ordo-ab-chao-tome-...

5 – Cf. « Première « Implant Party » en France : les images d’ERTV ». https://www.egaliteetreconciliation.fr/Premiere-Implant-P...

6« Nous venons de dire que le mot « exister » ne peut pas s’appliquer proprement
au non-manifesté, c’est-à-dire en somme à l’état principiel ; en effet, pris dans son
sens strictement étymologique (du latin ex-stare), ce mot indique l’être dépendant à
l’égard d’un principe autre que lui-même, ou, en d’autres termes, celui qui n’a pas en
lui-même sa raison suffisante, c’est-à-dire l’être contingent, qui est la même chose
que l’être manifesté. »
(Chapitre I – Le symbolisme de la Croix – René Guénon)

7 – Repères utilisés en maçonnerie pour désigner les points inaltérables. Bien que les maçons parlent souvent de Parole créatrice, les landmarks concernent autant le posisme (magie gestuelle).

 

lundi, 05 juillet 2021

L'opposition continue de la philosophie japonaise à la mondialisation

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L'opposition continue de la philosophie japonaise à la mondialisation

Par Troy Southgate

Ex: https://grupominerva.com.ar/2021/07/la-continua-oposicion-de-la-filosofia-japonesa-a-la-globalizacion/

Certains utilisent les efforts de l'école de Kyoto pour faciliter les échanges intellectuels entre l'Est et l'Ouest comme une excuse commode pour promouvoir le soi-disant multiculturalisme. Cependant, bien que l'attitude plus ouverte du Japon à l'égard de l'Occident à partir de la fin du XIXe siècle ait conduit nombre de ses principaux penseurs à explorer en profondeur la philosophie et la métaphysique de Kant, Schelling, Hegel, Nietzsche, Heidegger et d'autres, l'école de Kyoto était une réaction à l'empiètement du monde moderne et reste donc fermement opposée aux valeurs pernicieuses du mondialisme. Comme l'explique le philosophe de la troisième génération du mouvement, Ueda Shizuteru (photo) :

    "Il faut dire que la sinistre réalité mondiale d'aujourd'hui est la formation d'un monde unique qui vide de leur sens les différences entre l'Est et l'Ouest, et invalide ainsi l'entreprise historique de Nishida comme de Nishitani. L'hyper-systématisation du monde entraîne un processus rapide et puissant d'homogénéisation, superficielle mais profonde, qui génère à son tour des frictions et même des confrontations entre les groupes ethniques et leurs cultures ; la destruction accélérée de la nature ; des irrégularités et des troubles physiologiques humains, ainsi que l'approfondissement des fissures psychologiques intérieures ; la propagation d'un sentiment de vide ; et une frénésie folle et sans fin d'activités vides de sens. Malgré les efforts déployés pour parvenir à un monde plein de diversité, mais encore unifié par le contact entre les différentes traditions, il ne semble pas que ces efforts soient aujourd'hui capables de dégager la voie d'un mouvement contre-culturel mondial qui s'opposerait à l'hyper-systématisation contemporaine du monde et à son homogénéisation concomitante".

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Il n'y a pas grand-chose ici avec lequel le libéral de gauche moyen puisse se sentir à l'aise, malgré le fait que les travaux contemporains sur l'école de Kyoto sont invariablement imprégnés d'efforts visant à combiner les idées traditionnelles de ses principaux protagonistes avec des notions de multiculturalisme, de féminisme et d'autres formes de politiquement correct qui servent finalement l'agenda capitaliste mondial.

L'exposition soudaine du Japon il y a un siècle et demi, après des siècles d'isolement, ne signifie pas que les figures de proue de l'école de Kyoto se soient mises à la recherche de concepts philosophiques qui les éloigneraient du passé de leur pays pour les conduire vers un nouvel avenir occidentalisé. Au contraire, l'école de Kyoto était une réaction à la mondialisation et cherchait à défendre les valeurs traditionnelles du Japon en examinant la pensée occidentale avec un regard oriental. Comme le poursuit Ueda :

    "Le système mondial uniforme couvre de plus en plus une variété de zones et de scénarios, de sorte que cette variété elle-même devient insignifiante. Tout comme l'asphalte dans une métropole, le béton du système mondial uniforme recouvre progressivement mais densément le monde entier, même ce qu'on appelle l'espace extra-atmosphérique, et l'épaisseur de ce recouvrement correspond à l'écart du vide qui se répand. C'est comme si, indépendamment de ce moment historiquement vital de poser et de répondre à la question du néant, ce néant - situé au point de contact entre les versos de la question et de la réponse - s'était vidé, et que le béton du système mondial uniforme s'était déversé pour remplir ce vide du néant. Et maintenant, étouffant les voix de ceux qui posent les questions et de ceux qui y répondent, si ce n'est en leur bouchant la bouche et en les balayant, ce béton se répand sans fin."

La nouvelle selon laquelle les environs de la célèbre Acropole d'Athènes viennent d'être recouverts de béton, à la consternation des défenseurs de l'environnement, est peut-être une bonne analogie pour cette déclaration très pertinente. En attendant, il devrait être clair qu'il reste un énorme fossé entre ceux qui souhaitent créer un processus d'amélioration mutuelle entre les philosophies de l'Est et de l'Ouest et ceux qui, au contraire, cherchent à imposer le monotone terne de l'uniformité mondialiste.

Projet des éditions Carmin : rééditer l’homme du ressentiment, de Max Scheler

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Projet des éditions Carmin : rééditer l’homme du ressentiment, de Max Scheler

Rééditer "L'homme du ressentiment" de Max Scheler (Philosophie, 220 pages)

À propos du projet de financement via la plateforme Ulule :

Là où l’on fait revivre un livre, on ressuscite des hommes.

Le relativisme moral vous étouffe et la médiocrité vous révolte ? Le mouvement « woke » vous inquiète et vous ne savez pas comment lui répondre ? Mais grâce à Nietzsche, vous avez compris que ce progressisme est en grande partie une « école du ressentiment » (Harold Bloom). Cependant, si Nietzsche vous intéresse, vous le trouvez injuste avec la civilisation chrétienne. Il a stimulé votre appétit de grandeur, mais vous ne voyez pas en quoi par exemple l’héroïque Moyen Age chrétien serait basé sur une « morale de faibles ».

L’homme du ressentiment de Max Scheler est le livre qu’il vous faut. C’est un livre sauvé des flammes. Le 10 mai 1933, les nazis brûlaient publiquement les ouvrages des plus grandes figures intellectuelles du XXe siècle. Ces autodafés marquaient la "décapitation intellectuelle" du pays ; ces bûchers étaient l’expression même du ressentiment des masses abruties. Le grand philosophe allemand l’avait prévu. Son livre avait diagnostiqué ce mal dès 1913, si bien qu’arrivés au pouvoir, les nazis ont voulu supprimer l’ensemble de son œuvre.

C’est un essai qui approfondit l’analyse pénétrante de Nietzsche de cet esprit qui rapetisse toute chose, tout en en montrant les limites. Introuvable en français, nous le proposons à la réédition, car le renouveau du nietzschéisme en France stimule certains esprits intrépides à dépasser le nihilisme post-moderne. Cependant, le vitalisme de Nietzsche frustre lui-même ses propres promesses, parce que la vie n’est pas la plus haute valeur, les instincts ne remplacent pas la conscience, et le pan-déterminisme biologique ne saurait être véritablement libérateur. Si la vie est l’alpha et l’oméga, comment être héroïque et pour quoi donner sa vie ? C’est ce que montre Max Scheler dans ce livre si nietzschéen qu’il dépasse Nietzsche, et qui a été publié pour la première fois en 1913.

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L’amour n’est pas à la portée des caniches ! Voilà ce qu’avait affirmé déjà avec et contre Nietzsche, le plus grand philosophe allemand de l’entre-deux guerres. L’amour est et restera un sentiment viril et héroïque, c’est ce qu’avance magistralement Scheler, en s’insurgeant contre l’assimilation du christianisme à un sous-marxisme spiritualisant. Avec les outils de Nietzsche, qu’il expose et exploite dans toute leur puissance, Scheler montre la voie de la grandeur éternelle et temporelle. Paradoxalement, il montre aussi que Nietzsche était lui-même pétri de ressentiment envers les valeurs qu’il ne pouvait lui-même atteindre, et qu’il rabaissait à la seule valeur de la vie.

L’œuvre de Max Scheler est d’une importance capitale. Le pape Jean-Paul II n’a cessé de s’en nourrir et de la critiquer, lui consacrant sa thèse de doctorat. Les personnalistes comme les fondateurs de la revue « Esprit » s’y référaient. Pourtant, Scheler reste assez méconnu en France. Il n’existe pas d’édition de ses œuvres complètes en français, et son œuvre majeure, Le Formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs est introuvable.

Max Scheler a été victime de sa propre richesse, car sa pensée n’est pas réductible à des slogans partisans. Son parti-pris résolument anti-subjectiviste en a fait un auteur maudit pour tous ceux épris de consensus mou. Les philistins détestent son élitisme. Les libéraux abhorrent son exigence spirituelle. Les fascistes et les communistes haïssent son intellectualisme. Les spiritualistes font la moue devant son pragmatisme. Les néo-kantiens qui dominent l’université française craignent son « éthique matériale », qui est un dynamitage en règle du formalisme kantien. Les existentialistes ne veulent pas de ses valeurs absolues. Les heideggériens souhaitent faire oublier les critiques définitives de Scheler envers le « calvinisme » d’Etre et temps. Bref, tous ceux qui veulent réduire l’Homme à une seule dimension manipulable par leurs intérêts, c’est-à-dire à peu près toutes les « chapelles philosophiques », ont intérêt à faire oublier cet esprit exigeant. Ils parachèvent par le silence ce que les nazis avaient voulu accomplir par la violence.

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Le noyau de la philosophie de Scheler, c’est une pensée de Pascal : « le cœur a ses raisons que la raison n’a pas ». L’effort intellectuel de Scheler s’est appuyé sur cette intuition fondamentale que ces « raisons du cœur » ne sont pas subjectives, émotionnelles et méprisables, mais au contraire, qu’elles sont hiérarchisées, ordonnées, et vivifiantes, et que nul n’ignore impunément cet ordre objectif des valeurs. Le consumérisme, le totalitarisme et le conformisme sont chacun à sa manière un renversement des valeurs qui finit par se payer très cher. C’est la voie qu’a explorée un autre disciple de Scheler, Viktor Frankl, psychiatre rescapé d’Auschwitz et inventeur de la logothérapie. Cette troisième école de psychothérapie viennoise, après celle de Freud et celle d’Adler, emploie les idées de Max Scheler pour répondre à ces maux spécifiques de la modernité : le nihilisme, le vide existentiel, la perte du sens de la vie, qui tourmentaient aussi le malheureux Nietzsche.

Pour s’armer contre le nivellement, contre l’absurdité moderne et contre le désarroi libéral-hédoniste, il faut sauver des cendres L’homme du ressentiment. On y puisera une vigueur spirituelle insoupçonnée.

Quelques citations :

« Scheler a perçu dans l'homme contemporain une attitude spirituelle caractéristique défavorable à une véritable estime de la vertu : le ressentiment. » 

Jean-Paul II, Amour et responsabilité, 1960.

 « Le premier homme de génie, Adam du nouveau Paradis, ce fut Max Scheler. » 

José Ortega y Gasset, Revista de Occidente, LX, juin 1928

« Max Scheler était la force philosophique la plus puissante dans l'Allemagne moderne, voire dans l'Europe contemporaine et même dans philosophie en tant que telle. »

Martin Heidegger, Fonds métaphysiques initiaux de la logique, 1928

Extraits choisis:

« Le ressentiment est un auto-empoisonnement psychologique, qui a des causes et des effets bien déterminés. C’est une disposition psychologique, d’une certaine permanence, qui, par un refoulement systématique, libère certaines émotions et certains sentiments, de soi normaux et inhérents aux fondements de la nature humaine, et tend à provoquer une déformation plus ou moins permanente du sens des valeurs, comme aussi de la faculté du jugement. Parmi les émotions et les sentiments qui entrent en ligne de compte, il faut placer avant tout : la rancune et le désir de se venger, la haine, la méchanceté, la jalousie, l’envie, la malice. »

« L’attitude du fort à l’égard du faible, du riche à l’égard du pauvre, et généralement du plus vivant vers le moins vivant, dans l’acte de s’incliner et de lui porter assistance peut se réaliser selon deux modes radicalement différents. Elle peut découler et être animée d’un sentiment très ferme de sûreté, d’assurance, du sens que l’on a d’être sauf, de l’invincible plénitude de son être et de sa vie, et plus encore d’un sentiment très net de pouvoir quitter tout ce que l’on est et tout ce que l’on possède. Amour, Sacrifice, Service, inclination vers les humbles et les faibles, tout cela est comme un débordement spontané de nos forces, accompagné de la joie et de la paix la plus profonde. En regard de cette disponibilité spontanée à l’amour et au sacrifice, tout égoïsme particulier, tout retour sur soi-même ou sur ses intérêts propres, et jusqu’à « l’instinct de conservation », représente comme tel un rétrécissement, un affaiblissement d’intensité de la vie. La vie est essentiellement expansion, développement, croissance, plénitude : non conservation de soi, comme le veut une fausse doctrine, qui par ailleurs cherche à réduire tous les phénomènes d’expansion, de développement et de croissance à de purs épiphénomènes des forces de conservation, et en définitive à la conservation du « plus adapté ». »

« Le christianisme n’a jamais affirmé cette « égalité des âmes devant Dieu », où Nietzsche voit la racine de toute démocratie, si l’on entend par là autre chose que l’action de Dieu dégageant la valeur réelle de l’homme des fausses valeurs produites par les situations, les petitesses, les aveuglements, les intérêts particuliers. Mais il est absolument étranger à l’esprit du christianisme de croire que tous les hommes ont la même valeur devant Dieu, et que toute différence de valeur, et tout ce qui tient à l’aristocratie des valeurs humaines, procède de préjugés, d’une étroitesse d’esprit ou d’un anthropomorphisme ; (….). Au contraire, il est authentiquement chrétien de sentir que, sous l’uniformité apparente et superficielle des valeurs humaines, au sein des races, des sociétés, des individus, tels qu’ils nous apparaissent, Dieu saisit une inépuisable multiplicité de perfections et de valeurs diverses ; de même que chez les hommes, selon le mot profond de Pascal, à mesure que l’on a plus d’esprit on trouve plus de gens originaux, en dépit de leur uniformité apparente. »

Lien vers notre vidéo Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=q3dYiNaJMNQ&feature=e...

Paliers de financement du projet :

100% Si vous précommandez 500 exemplaires, le livre "L'homme du ressentiment" sera préfacé, imprimé et envoyé.

200% Si nous atteignons 1000 exemplaires précommandés, nous ajouterons au texte initial un essai de Max Scheler : "LA REHABILITATION DE LA VERTU" (environ 30 pages)

Extrait: "La vertu nous est devenue si intolérable surtout parce que nous ne voulons plus la comprendre comme une conscience durable, vivante et joyeuse de la capacité de l'homme de pouvoir, de désirer et d'agir pour ce qui est juste et bon en soi et, simultanément, désirer et agir pour son propre moi individuel, comme conscience de puissance qui jaillit de son être même."

300% Si nous atteignons 1500 précommandes, nous ajouterons au texte initial un deuxième essai de Max Scheler :"REPENTENCE ET RENAISSANCE", qui est une réponse vigoureuse à Nietzsche (environ 40 pages).

Extrait: "Le repentir n'est ni une erreur spirituelle ni une auto-tromperie, ce n'est ni un simple symptôme de disharmonie mentale, ni une tentative absurde de la part de l'âme humaine de chasser ce qui est passé et immuable. Au contraire, le repentir est une forme d'auto-guérison de l'âme, et c'est en fait son seul moyen de retrouver ses pouvoirs perdus."

500% Si nous atteignons 2500 précommandes, nous traduirons un troisième essai inédit « LES LEADERS ET LES MODELES EXEMPLAIRES (Le saint, le héros, le génie, le dirigeant des civilisations, le maître dans l'art de vivre) » (environ 65 pages)

Extrait: "Nous utiliserons le terme "leader" sans renvoyer à aucune valeur. Car un leader peut être un sauveur ou un démagogue impitoyable ; il peut être un leader positif ou un séducteur ; il peut être le chef d'une alliance morale, ou d'une bande de voleurs ; dans un contexte sociologique sens du terme, il est un « leader » dans la mesure où il veut diriger et il a des suiveurs. C'est assez différent d'une personne exemplaire. Le sens du concept « modèle exemplaire » émerge toujours dans un contexte de valeur. Nous considérons nos modèles exemplaires comme bons, voire parfaits et comme incarnant quelque chose qui devrait être, pendant que nous les suivons. Toute âme est unie à son modèle personnel par une sorte d'amour et une valorisation positive, que ce soit d'un point de vue religieux, moral ou esthétique. Il y a toujours une relation passionnée et affective. Mais un leader peut être méprisé s'il ne fait que diriger."

700 %  3500 exemplaires ! A ce niveau d'intérêt pour Max Scheler, les lecteurs recevront deux livres au lieu d’un. 

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En effet, nous traduirons l’essai « LA PLACE DE L'HOMME DANS LE COSMOS » Comme cet écrit fait 110 pages, nous ne pourrons pas le rajouter au livre L'homme du ressentiment, car cela rendrait le livre trop volumineux. Alors nous regrouperons ces essais supplémentaires et nous en ferons un deuxième livre distinct d'environ 245 pages que nous offrirons à tous ceux qui auront précommandé L'homme du ressentiment.

Ce livre exprime la vision finale de Scheler, juste avant sa mort prématurée, en 1928, la veille de l'ascension au pouvoir des nazis. C'est la démonstration que l'homme a une place héroïque dans le cosmos, à cause et grâce à sa conscience, sa liberté et sa responsabilité. Ainsi, loin d'être une créature impuissante, il est le co-créateur du cosmos, pour autant qu'il en valorise librement l'existence, et qu'il la sanctifie par son amour viril. C'est le visage du véritable Surhomme que nous montre ici Scheler, au-delà des limites biologisantes fixées par Nietzsche.  

TABLE DES MATIERES:

Préface 

Note préliminaire

1. Phénoménologie et Sociologie du ressentiment

2. Ressentiment et jugement moral

3. Ressentiment et morale chrétienne

4. Ressentiment et « Humanitarisme »

5. Du ressentiment et de quelques autres transmutations des valeurs dans la morale moderne

5.1. Valeur du travail personnel et de l’acquisition propre

5.2. Le Subjectivisme des valeurs

5.3. Subordination des valeurs de vie aux valeurs d’utilité

5.3.1. L’utile et l’agréable

5.3.2. Valeur d’utilité et valeur de vie

5.3.2.1. L’être vivant, somme de parties

5.3.2.2. Organe et Outil

(220 pages au total, 19 cm x 13,5 cm, cahiers cousus)

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A propos des éditions Carmin :

Ce projet est le premier des Éditions Carmin. Nous souhaitons proposer des textes inédits et importants pour la formation d'un "honnête homme" du XXIe siècle. Il s'agit d'offrir la nourriture spirituelle aux hommes en désarroi. Nous partons du principe que l'essentiel chez un homme, l'aspect que nous souhaitons développer, c'est la capacité d'autodépassement, la force pour surmonter les difficultés de la vie. Cette force ne saurait se résumer à la force physique. Et cet autodépassement implique une connaissance lucide des conditions nouvelles des relations hommes/femmes et de avancées de la médiocrité dans tous les domaines.

Nietzsche est récupéré et utilisé à l'heure actuelle comme un maître à penser sans critique aucune, comme si personne n'avait recadré son enseignement depuis cent ans. On propose sa théorie du Surhomme comme une sorte de panacée aux jeunes gens en quête de sens. Or donner la "volonté de puissance" pour l’Alpha et l’Omega de la vie, c'est une doctrine appauvrissante, darwiniste sociale, bien médiocre. C'est parce que Scheler a recadré Nietzsche sur ce point très précisément, que le livre L'homme du ressentiment est en quelque sorte notre manifeste. 

12:35 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, philosophie, max scheler | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 30 juin 2021

Le solitaire en période d'incertitude

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Le solitaire en période d'incertitude

Ex : Association Minerva, https://grupominerva.com.ar/2021/06/

Par David Porcel Dieste

Je suis invité, ici, à écrire quelque chose sur Ernst Jünger (1895-1998) à l'occasion de l'anniversaire de sa mort. Si mon temps le permet, j'écrirai sur le Solitaire, car Jünger était, bien sûr, un Solitaire. À une époque comme la nôtre, où de plus en plus de personnes vivent connectées les unes aux autres, comme des constructions intersubjectives dans lesquelles l'inter est plus important que la subjectivité, parler du Solitaire peut sembler étrange, ou, du moins, étranger. Et ce, bien qu'une série d'écrivains chevronnés, tels que Peter Handke dans Essai sur le lieu tranquille (titre original : Versuch über den stillen Ort) ou le Japonais Seicho Matsumoto, l'aient déjà fait, et de quelle manière !

Solitaires étaient toutes ses Figures, qu'il a magistralement représentées dans chacun des moments du 20ième siècle dans lequel il a vécu. Solitaire est le Soldat inconnu qui, dans Orages d'acier (1920), incarne le sentiment d'aventure de celui qui fait de son expérience intérieure une expérience partagée. Indifférent aux couleurs et aux drapeaux, le soldat Jünger de la Première Guerre mondiale, armé de son fusil et de son ‘’journal thanatique’’, entame un nouveau rapport au danger qu'il n'abandonnera plus jamais: "Nous avions quitté les salles de classe des universités, les pupitres des écoles, les tableaux des ateliers, et en quelques semaines d'entraînement nous avions fusionné jusqu'à devenir un seul corps, grand et plein d'enthousiasme. Ayant grandi à l'ère de la sécurité, nous avons tous ressenti une envie de choses inhabituelles, de grands dangers. Et puis la guerre nous avait pris comme une ivresse. Nous étions partis pour le front sous une pluie de fleurs, dans une atmosphère enivrée de roses et de sang. C'est elle, la guerre, qui devait nous apporter cela, les choses grandes, fortes et splendides." [1].

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On a beaucoup réfléchi à l'eros et à ses formes, comme la polis et les théories politiques, l'art ou les typologies sociales, mais, par rapport à cela, on s'est peu intéressé au thanos et à ses fins, présents dans les figures du Soldat inconnu et de son héritier le Travailleur. Si tous deux sont mus par l'eros, ils incarnent également cette autre impulsion vers la destruction et le renouvellement. En effet, l'impératif de performance, que prend sur lui le "travailleur", héritier du soldat anonyme de la Première Guerre mondiale, est en même temps à l'origine de la construction et de la destruction, puisqu'il ne peut être construit que sur les ruines d'un passé suffisamment obsolète pour ne plus servir de fondement. Il convient de noter que Jünger n'est pas anti-Lumières, car il ne croit pas nécessaire d'affronter les Lumières; à ses yeux, il s'agit d'une autre tentative ratée de dompter le sauvage, de marquer le caché. C'est, redisons-le, un Solitaire, ou un Embisqué, comme il aimait à se définir, qui croyait au pouvoir des mythes.

Malgré le style combatif de son livre Le Travailleur (1932), avec sa mythologie de l'ouvrier, il n'avait pas l'intention de mobiliser ou de révolutionner les masses, comme on l'interprétait à son époque, mais de témoigner de l'entrée dans l'histoire d'une nouvelle force métaphysique qui se matérialiserait plus tard dans les grandes formations technologiques et politiques supranationales. Le travail est le rythme des poings, des pensées et du cœur ; le travail est la vie jour et nuit ; le travail est la science, l'amour, l'art, la foi, le culte, la guerre; le travail est la vibration de l'atome et le travail est la force qui fait bouger les étoiles et les systèmes solaires[2] - proclame Jünger pour souligner l'omniprésence de la figure du Travailleur. Car le "travail" est, pour l'Allemand, tout ce qui existe, organisé selon la loi du timbre et de l'empreinte [3], qui n'a rien à voir avec le principe moderne de causalité. La première inclut l'élémentaire ; qui, cependant, se rebelle contre la logique de cause à effet. Et parce qu'il inclut l'élémentaire, les cœurs énergiques et solitaires de ceux qui sont poussés à la mobilisation totale [4], que ce soit pour combattre sur les champs de bataille ou pour capituler dans les usines, sont aussi sous l'influence de cette force venue du fond primordial.

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Mais Jünger voulait aussi se réfugier loin du monde des fonctions et de l'appel à la mobilisation. Et c'est dans ce but qu'il a inventé, au milieu du siècle dernier, son autre Figure - pendant du Travailleur - qu'il a lui-même représenté pratiquement jusqu'à la fin de sa vie, et qu'il a appelé le Rebelle (l’Emboscado en espagnol). Avec le titre Traité du Rebelle/Recours aux forêts (1951), Jünger écrit pour ceux qui résistent à être annihilés par le défaitisme et le fatalisme de l'époque. Écrit en pleine guerre froide, il dépeint les sentiments de ceux qui ne se laissent pas gagner par la peur et décident de résister activement au monde des diktats et de l'automatisme: "Nous appelons rebelle, en revanche, ceux qui, privés de leur patrie par le grand processus et transformés par lui en individu isolé, finissent par se livrer à l'anéantissement. Ce destin pourrait être celui de beaucoup et même de tous - il n'est donc pas possible de ne pas ajouter une précision. Et cela consiste en ceci : la personne rebelle est déterminée à offrir une résistance et a l'intention de poursuivre la lutte, une lutte qui n'a peut-être aucune perspective" [5].

La forêt n'est pas pour Jünger un lieu naturel concret de retraite, comme la Forêt Noire l'était pour Heidegger ou les cabanes de Thoreau, mais le résultat d'une confrontation avec le monde par laquelle un territoire vierge s'ouvre à l'homme singulier pour se retirer du nihilisme et de la destruction. La forêt est maison (Heim), patrie (Heimat), secret (heimlich), non seulement dans le sens où elle cache, mais aussi dans le sens où, en cachant, elle protège. La forêt est l'intemporel, et c'est là que se retirent les personnages d'après-guerre de Jünger. Et ils se laissent submerger, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un abri. Ils résistent aux forces du nihilisme par le seul esprit, se donnant à la tâche qui les sort d'eux-mêmes et les ramène à une Nature qui semblait les attendre depuis l'éternité: "Tandis que le crime fleurissait dans le pays comme la moisissure pousse dans la forêt pourrie, nous étions de plus en plus profondément absorbés par le mystère des fleurs, et leurs calices nous paraissaient plus grands et plus rayonnants que jamais. Mais nous avons surtout poursuivi nos études sur le langage, car dans le mot nous avons reconnu l'épée magique dont l'éclat fait pâlir le pouvoir des tyrans. La parole, l'esprit et la liberté sont trois aspects et une seule et même chose " [6].

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La dernière de ses Figures, l'Anarque, présent dans ses romans dystopiques du dernier quart du siècle, notamment dans Eumeswil (1977), représente le dernier refuge à partir duquel initier un nouveau rapport au monde et aux autres. Si le Rebelle représente la résistance active et l'ardeur de la passion, l'anarque incarne la résistance passive et la passion froide. L'Anarque n'est pas l'anarchiste, ni même l'Unique de Stirner. L'anarchiste croit encore à la société, à la possibilité de faire une société meilleure; il en va de même pour l'Unique de Stirner, qui s'unit en vue de renverser les drapeaux et les ismes. L'Anarque, lui, ne croit ni ne reconnaît aucun régime, ni ne plonge dans des paradis perdus. Au contraire, il n'a pas de société. Il vit, disons-le, éloigné de tout, ce qui peut le rattacher à un monde assez inconstant pour se retourner contre soi-même. Mais c'est précisément dans cette retraite qu'il trouve la sécurité et la paix: "L'Anarque, par contre, connaît et évalue bien le monde dans lequel il se trouve et a la capacité de s'en retirer quand il en a envie. En chacun de nous, il y a un fond ‘’anarquique’’, une impulsion originelle vers ‘’l'anarquie’’. Mais dès notre naissance, cet élan est limité par notre père et notre mère, par la société et l'État. Ce sont des saignements inévitables dont souffre l'énergie originelle de l'individu et auxquels personne ne peut échapper"[7]

Avec le proverbe "Pour l'homme heureux, aucune horloge ne dit les heures", si souvent répété dans son œuvre [8], Jünger semble nous rappeler que nous ne pouvons pas retourner à notre première enfance, mais que nous pouvons la ramener à nous, en provoquant le monde d'une manière totalement nouvelle pour laquelle seuls les esprits solitaires sont préparés. L'aventurier d’Orages d'acier, l'amoureux d'Héliopolis ou le navigateur d'Approches partagent un vif désir d'accumuler de nouvelles expériences et de viser de nouveaux buts, puis de les partager avec ceux qui, comme eux, sont également mus par le désir de se nourrir de l'innommé. Car la tradition, semble nous dire Jünger, nous a incités à tort à nous saisir de la vie, en y voyant un flux qu'il faut réorienter ou un champ de possibilités susceptible d'être confiné dans le domaine ennuyeux du ‘’dû’’. La tradition nous a incités à faire de la vie un ethos et de la pensée une éthique. Mais l'innommé compte aussi, prévient Jünger. Même la vie peut devenir quelque chose de poreux, ouvert à ce qui est déjà là, le laissant entrer, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus nous enseigner: "La douleur est une de ces clés avec lesquelles nous ouvrons les portes non seulement du plus intime, mais aussi du monde. Lorsque nous nous approchons des points où l'être humain se montre à la hauteur de la douleur ou supérieur à elle, nous accédons aux sources d'où découle sa puissance et au secret qui se cache derrière sa domination"[9].

(1) Tempestades de acero, Tusquets, Barcelone, 1987, p. 5.

(2) Le travailleur, Tusquets, Barcelone, 1993, p. 69, 70.

(3) "La loi qui, dans le domaine de la Figure, décide de l'ordre hiérarchique, n'est pas la loi de la cause et de l'effet, mais la loi, toute différente, du timbre et de l'empreinte; et nous verrons que, dans l'époque où nous entrons, nous devrons attribuer l'empreinte de l'espace, du temps et de l'être humain à une figure unique, la figure du Travailleur", Le Travailleur, p. 38

(4) Voir La movilización total, Tusquets, Barcelone, 1995.

(5) La emboscadura, Tusquets, Barcelone, 1993, p. 59, 60.

(6) Sobre los acantilados de mármol, Ediciones Destino, Barcelone, 1990, p. 92, 93.

(7) Los titanes venideros, Península, Barcelone, 1998, p. 56.

(8) Voir El libro del reloj de arena, Tusquets, Barcelone, 1998, p.13.

(9) Sobre el dolor, Tusquets, Barcelone, 1995, p. 13.

Tiré de : https://posmodernia.com/el-solitario-en-tiempos-de-incertidumbre/

Post-vérité. L'apogée du relativisme

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Post-vérité. L'apogée du relativisme

Federico Gastón Addisi

Ex: https://www.geopolitica.ru/es/article/la-postverdad-el-apogeo-del-relativismo

Parmi les différents traits qui caractérisent l'époque contemporaine, que nous appellerons postmodernité, l'un des plus saillants est le relativisme. Il n'est pas étonnant que cela se produise puisque l'homme, par le biais de Nietzsche, a proclamé la mort de Dieu, et avec lui, comme le dirait Léon Bloy, la perte de l'Absolu. Sans ces concepts directeurs, même pour ceux qui n'ont pas la foi, tout se réduit à la raison.

Et cette philosophie vivace qui luttait pour trouver la vérité a disparu depuis longtemps. Il suffit de se rappeler la lutte courageuse de Socrate contre les sophistes, même avant le Christ. Mais avec le triomphe de la Révolution française et la suprématie dans la science de l'un des trois grands réformateurs (pour paraphraser Maritain), le doute méthodique de Descartes a tout enveloppé.

Quel mélange explosif, l'absence de Dieu, la non-existence de l'Absolu, le doute comme Nord, le tout enrobé de l'histoire à la mode sophiste qui, comme on le sait, ne cherche à convaincre que sur ce qui est argumenté.

Nous arrivons ainsi à ce que les médias ont appelé la post-vérité. Ce qui serait le triomphe du néant. Du nihilisme pur et simple.
En simplifiant, et de manière familière, nous pouvons aborder deux définitions opposées qui ouvriront la porte pour clarifier ce qui se cache derrière ce supposé relativisme.

Nous croyons que toute "vérité relative" (subjectivisme) n'est rien de plus qu'une simple opinion. Au contraire, toute "vérité objective" (objectivisme) est celle qui correspond à la réalité.

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L'adage aristotélicien, repris en substance par les classiques, par le général Perón : "La seule vérité est la réalité".
Quelle est donc l'opinion que nous définissons ici comme synonyme de relativisme ?

Et une fois de plus, le sage prophète de nos lettres, c'est-à-dire le père Castellani, nous vient en aide :

    "L'opinion est une affirmation non certaine, fondée sur des arguments valables, mais non évidents, opposés à d'autres qui sont également valables. Par exemple : "Je suis d'avis que les névroses sont psychosomatogènes, d'autres médecins identifient qu'elles sont toutes psychogènes, d'autres qu'elles sont toutes somatogènes. L'opinion n'est pas une affirmation quelconque lancée en l'air juste pour le plaisir, par charlatanisme ou par la témérité d'un imbécile ; c'est de la folie. Ne confondez donc pas le droit d'opinion et le droit de faire des bêtises, ce qu'a fait le libéralisme. Qui a le droit de donner une opinion ? Pas tous les hommes sur tous les sujets, mais les connaisseurs sur ce qu'ils comprennent".

Et c'est là que se trouve le nœud gordien qu'il faudra trancher. Dans notre Argentine postmoderne et semi-coloniale, chacun donne son avis sur ce qu'il ne connaît pas. Et comme on le sait, là où les ignorants crient, les sages se taisent. Et la vérité est de plus en plus insaisissable.

mardi, 29 juin 2021

Le néolibéralisme et le "piège de l'oméga"

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Le néolibéralisme et le "piège de l'oméga"

par Pierluigi Fagan

Source : Pierluigi Fagan & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/neo-liberalismo-e-trappola-dell-omega

Le concept de "piège oméga" est dû à un physicien-climatologue allemand, H. J. Schellnhuber, qui décrit le piège mental par lequel on devient convaincu que lorsque les choses ne fonctionnent plus comme d'habitude ou comme prévu, l'image du monde qui reflétait ce "comme d'habitude" ou "comme prévu" nous ordonne de faire ce qui était fait auparavant, mais avec plus de force, plus radicalement, plus largement et plus intensément.

L'aphorisme "La folie consiste à faire la même chose encore et encore en s'attendant à des résultats différents" a été attribué à différents esprits aphoristiques supposés prolifiques, à savoir A. Einstein, B. Franklin et M. Franklin. Einstein, B. Franklin et M. Twain, saisissent le mécanisme sous un autre angle.

L'idéologie néo-libérale dénonce sa dette envers le "comme d'habitude" précisément en utilisant un préfixe actualisant "neo", à apposer avant le "comme d'habitude" du libéralisme de longue date. Au niveau de l'histoire des idées, il est toujours difficile de dater, puisqu'il est possible de remonter jusqu'aux premières formes d'une pensée encore immature et peu répandue, pour arriver à sa pleine force, qui reste cependant débitrice de cette origine bien antérieure. Dans notre cas néo-libéral, nous pouvons donc remonter à l'école autrichienne des années 20 et 30, jusqu'à la société du Mont Pelerin des années 40 et 50, mais sans doute le dévoilement de l'idéologie dans ses ambitions de guider la vérité a eu lieu dans les années 70 avec un double prix Nobel. Il a d'abord été remis à F. von Hayek en 1974, puis à M. Friedman en 1976. Dans les années 1980, l'ambition devient réalité avec la séquence Thatcher-Reagan pour le début et le consensus de Washington (1989) pour l'affirmation finale. Il convient de noter que Hayek a reçu le prix à l'occasion de son 75e anniversaire, presque un prix de carrière, et on peut donc se demander : pourquoi si tard et pourquoi dans les années 1970 ?

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H. J. Schellnhuber.

Car c'est dans les années 1970 que l'économie occidentale (américaine et britannique en premier) a commencé à ne plus fonctionner "comme d'habitude". D'où la substance de cette version "néo" du libéralisme : imposer le système libéral mais avec plus de force, plus radicalement, plus largement et plus intensément.

Il convient ici de faire une distinction entre la forme et le contenu des idéologies. L'idéologie libérale, par exemple, est née dans l'Angleterre du XVIIe siècle, mais trouve son origine dans le libertinage français de la fin du XVIe siècle. Son contenu est évidemment l'esprit de liberté, l'affranchissement des dogmes, le pluralisme des connaissances alors limitées par des contraintes théologiques, la tolérance, le principe de réalité. Tel était son contenu lorsqu'il est né en défiant l'ordre précédent. Mais les contenus peuvent toujours être interprétés, et ainsi lorsque dans un passé récent elle s'est imposée dans la version fondamentaliste, n'exerçant donc plus la fonction de contestation mais d'ordre, la voici devenue dogmatique, orthodoxe, intolérante, s'éloignant de plus en plus du principe de réalité, s'empêchant d'appliquer avec toujours plus "d'obtusité" ses principes inébranlables. La parabole qui a conduit de Marx à Staline ou du Christ à l'Inquisition est la même.

Quand les idéologies naissent avec des intentions émancipatrices, elles ont certains effets, quand elles atteignent leur objectif naturel d'ordonner le pouvoir sur l'image du monde et ceci sur les manières d'agir, donc sur le tissu de la réalité, elles entrent dans le mode impératif. Lorsque les événements du contexte changent profondément et que la réalité éclate de toutes parts et donc hors du cadre ordonnateur attendu, ils se retrouvent dans le piège de l'oméga. Cette forme de sclérose des systèmes de pensée qui nie la réalité pour répéter de manière obsessionnelle sa formule de vérité qui, en tant que telle, ne peut être discutée, est l'Alzheimer des idéologies qui annonce la mort de tout le corps qu'elle voulait ordonner.

L'Inquisition annonce la fin de la société médiévale ordonnée par le théologique, le stalinisme annonce la fin du communisme réel, le néo-libéralisme annonce la fin de la société occidentale moderne (voir post-moderne) ordonnée par le marché. Le passage à l'ordre nouveau peut prendre des décennies, mais ce n'est que le temps nécessaire à l'"effacement" qui, historiquement, a sa propre irréversibilité. Cela peut consoler ceux qui vivent dans cette transition où se produisent les "phénomènes morbides les plus variés" de la mémoire gramscienne, bien que la consolation historique soit une valeur, vivre dans des temps de décadence oppressante et de faillite du sens commun, une autre.

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dimanche, 27 juin 2021

Une démocratie mal entendue, la ruine du peuple (Ernest Renan)

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Une démocratie mal entendue, la ruine du peuple (Ernest Renan)

 
Dans cette vidéo, nous nous intéressons à un auteur fameux, plus souvent cité que lu de nos jours : Ernest Renan et son livre fondamental, "la Réforme intellectuelle et morale". Ce livre, capital, fut écrit à la suite de la défaite française de 1870 et l'auteur s'interroge sur les causes de la faiblesse de la France. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce texte, loin d'être dépassé, est plus actuel que jamais : les mêmes causes engendrent les mêmes effets.
 
 
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- Andante con moto
 
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samedi, 26 juin 2021

Le vicomte de Bonald et le catastrophique modèle britannique

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Le vicomte de Bonald et le catastrophique modèle britannique

par Nicolas Bonnal

Nous sommes dominés par le monde anglo-américain depuis deux siècles, et sommes à la veille de la troisième guerre mondiale voulue par ses élites folles. L’Angleterre veut nous précipiter dans une guerre avec la Russie tout en montrant l’exemple sur le plan orwellien, vaccinal et bien sûr malthusien. Victor Hugo a décrit l’horreur féodale britannique dans l’Homme qui rit (j’y reviendrai). Mais le premier penseur français à avoir radicalement déconstruit la crapulerie britannique fut le vicomte de Bonald.

J’ai glané ces citations (voyez archive.org), dans les dix-sept volumes de Bonald (1754-1838), cet unique défenseur de la Tradition (j’allais écrire bon guénonien : hyperboréenne) française. Je les distribue à mes lecteurs au petit bonheur.

A l’époque de Macron et de l’oligarchie mondialiste, ce rappel :

« Ceci nous ramène à la constitution de l'Angleterre, où il n'y a pas de corps de noblesse destinée à servir le pouvoir, mais un patriciat destiné à l'exercer. »

J’ai souvent cité ce surprenant passage des Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand (3 L32 Chapitre 2) :

« Ainsi ces Anglais qui vivent à l'abri dans leur île, vont porter les révolutions chez les autres ; vous les trouvez mêlés dans les quatre parties du monde à des querelles qui ne les regardent pas : pour vendre une pièce de calicot, peu leur importe de plonger une nation dans toutes les calamités. »

On comprend enfin que le commerce américain ne prépare pas la paix mais la guerre. Bonald se montre ici d’accord avec les marxistes (comme souvent) en rappelant que l’Angleterre est toujours en guerre :

« L'Angleterre est en système habituel, je dirais presque naturel de guerre, ou du moins d'opposition, avec tous les peuples du monde, et le repos ne peut être pour elle qu'un état forcé et accidentel. Cet état d'opposition est totalement indépendant des dispositions personnelles et du caractère particulier de ceux qui la gouvernent : il tient à sa position insulaire, à sa constitution populaire, qui donne à sa politique un caractère inquiet et agresseur, et qui la place constamment dans le système d'accroissement, et jamais dans celui de repos et de stabilité; en sorte que, comme elle est continuellement agitée au dedans, on peut dire qu'elle entretient au dehors et dans le monde politique le mouvement perpétuel. »

Sur le même inquiétant sujet Bonald ajoute, non sans quelque réminiscence de Thucydide (voyez livre premier, CXL et suivantes):

« Cette disposition à toujours s'étendre, et cette facilité à attaquer partout, ont, dans tous les temps, donné aux peuples dominateurs des mers, comme l'observe Montesquieu, un tour particulier d'esprit impérieux et arrogant, dont les Anglais ne sont pas exempts; en sorte que le caractère particulier de l'Anglais est la soif démesurée d'acquérir et la fureur de la cupidité, parce que le système politique de l'Angleterre est une tendance sans mesure à l'accroissement. »

9782364410022-475x500-1.jpgSanctions économiques et commerciales ? L’Angleterre les applique déjà :

« L'Angleterre n'attaque pas le territoire de tous les peuples; mais elle en attaque le commerce ou par la force ou par la ruse…

Au reste, les peuples commerçants ont tous plus ou moins de cet esprit envahisseur, comme tous les hommes qui font le commerce ont tous le désir de s'enrichir les uns aux dépens des autres. »

Bonald offre une belle comparaison psychologique entre les peuples agricoles qui ont disparu et les commerçants :

« Et il est peut-être vrai de dire que le commerce, qui peuple les cités, rapproche les hommes sans les réunir, et que l'agriculture, qui les isole dans les campagnes, les réunit sans les rapprocher. »

Et de conclure cruellement sur le destin colonial anglo-saxon :

« Ainsi le vol et l'intempérance, vices particuliers aux sauvages, sont très-communs chez les Anglais. Le peuple y est féroce jusque dans ses jeux; les voyageurs l'accusent d'un penchant extrême à la superstition, autres caractères des peuples sauvages… »

Si « le credo a été remplacé par le crédit » (Marx toujours), la superstition aujourd’hui c’est le fanatisme médiatique (voyez Macluhan encore et la galaxie Gutenberg). Ces peuples soi-disant libres sont toujours les plus conditionnés par la presse et leurs médias. « L’ineptie qui se fait respecter partout, il n’est plus permis d’en rire », écrit un Guy Debord toujours hautement inspiré.

L’Angleterre, rappelle Bonald est aussi philosophe (« quelle race peu philosophique que ces Anglais », écrira Nietzsche dans Jenseits, §252), et sa philosophie a créé le bourgeois moderne, « le dernier homme », comme l’a bien vu Fukuyama (The end of history, chapter XVII) :

« On pourrait, avec plus de raison, représenter l'Angleterre exportant dans les autres États le philosophisme, dissolvant universel qu'elle nous a envoyé un peu brut à la vérité, mais que nous avons raffiné en France avec un si déplorable succès. »

Hélas, l’Angleterre est une puissance mimétique, disait René Girard, et Bonald avant lui :

« Les autres nations, et particulièrement la France, n'ont pas fait assez d'attention à cet engouement général que les Anglais ont eu l'art d'inspirer pour leurs mœurs, leurs usages, leur littérature, leur constitution. »

Bonald voit poindre le continent américain, qui sauvera les miséreux de Dickens d’une organisation sociale scandaleuse (combien de famines, de pendaisons, de déportations ?) :

« Dans l’état où se trouvent aujourd'hui les deux mondes, il en faudrait un troisième où pussent se réfugier tous les malheureux et tous les mécontents. L'Amérique, dans l'autre siècle, sauva peut-être l'Angleterre d'un bouleversement total. »

Bonald explique même l’excentricité britannique :

« Après les changements religieux et politiques arrivés en Angleterre sous Henri VIII, on remarqua dans cette île une prodigieuse quantité de fous, et il y a encore plus d'hommes singuliers que partout ailleurs. »

Les individus et même le pays peuvent rester sympathiques (William Morris, Chesterton, Tolkien, mes témoins de mariage…) :

« Heureusement pour l'Angleterre, elle a conservé de vieux sentiments, avec ou plutôt malgré ses institutions. »

Surtout, l’Angleterre ne défend que l’argent :

4109Y12GPqL._SX302_BO1,204,203,200_.jpg« Dans ce gouvernement, il est, dans les temps ordinaires, plus aisé au particulier de constituer en prison son débiteur, qu'au roi de faire arrêter un séditieux, et il est moins dangereux pour sa liberté personnelle d'ourdir une conspiration que d'endosser une lettre de change; c'est ce qu'on appelle la liberté publique. »

Il faut dire que le roi là-bas n’est pas un monarque.

Le modèle social (Bonald écrit avant Dickens, il est contemporain du grand penseur incompris Godwin) reste ignominieux et humainement destructeur :

« Les fabriques et les manufactures qui entassent dans des lieux chauds et humides des enfants des deux sexes, altèrent les formes du corps et dépravent les âmes. La famille y gagne de l'argent, des infirmités et des vices ; et l'État une population qui vit dans les cabarets et meurt dans les hôpitaux. »

Le commerce n’enrichit pas forcément les nations, rappelle notre grand esprit :

« Le commerce fait la prospérité des États; on le dit : mais avant tout il veut la sienne; et toutes les usurpations y trouvent des fournisseurs, la contrebande des assureurs, et les finances des agioteurs, qui font hausser ou baisser les fonds publics dans leur intérêt, et jamais dans celui de l'État. »

La dépravation sociale, morale, mentale, y est totale (relisez Defoe, l’affreux de Quincey ou découvrez Hogarth sous un autre angle –le rake’s progress) :

« Dans les petites villes, les spectacles et les cafés, prodigieusement multipliés, et les cabarets dans les campagnes, dépravent et ruinent toutes les classes de la société, et troublent la paix et le bonheur des familles. Les tavernes et les liqueurs fortes sont, en Angleterre, une cause féconde de mendicité. »

Déficit commercial ? Perversion de modèle économique ? Dépendance aux importations ? Lisez Bonald sur l’Angleterre :

« Telle nation qu'on regarde comme la plus riche, l'Angleterre, par exemple, est, comme nation, réellement plus pauvre que bien d'autres, parce qu'elle est, comme nation, moins indépendante, et qu'elle a, plus que les nations continentales, besoin des autres peuples et du commerce qu'elle fait avec eux, sur eux, ou contre eux, pour subsister telle qu'elle est. »

Surtout pas de blocus, pas d’autarcie alors :

 « De là vient que la guerre la plus dangereuse qu'on lui ait faite, est la mesure qui l'excluait des ports de toute l'Europe. »

Bonald ne parle pas de la dette publique qui émerveille Marx (Capital, I, sixième partie) et atteint 200% du PNB pendant les guerres napoléoniennes !

Le bilan du miracle industriel célébré par tous les imbéciles depuis deux siècles ou plus :

« Qu'est-il résulté en Angleterre de l'extension prodigieuse donnée à l'industrie et au système manufacturier ? une population excessive, une immense quantité de prolétaires, une taxe des pauvres qui accable les propriétaires, une guerre interminable entre agriculture , qui veut vendre ses denrées à un haut prix pour atteindre le haut prix des frais de culture, et les fabricants qui voudraient les acheter à bon marché pour pouvoir baisser le prix de leurs salaires et soutenir la concurrence dans les marchés étrangers ; l'impossibilité à une famille distinguée de vivre à Londres conformément à son rang, même avec cent mille livres de rente ; tous les extrêmes de l'opulence et de la misère, et les malheurs dont ils menacent tous les Etats. »

Et c’est ce modèle qui a triomphé dans le monde ; il n’aurait plus manqué que cela…

 

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mercredi, 16 juin 2021

La philosophie politique avec Ego Non

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La philosophie politique avec Ego Non

Entretien avec les animateurs de "The Conservative Enthusiast"

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Le déclin de l'Europe annoncé il y a un siècle

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Le déclin de l'Europe annoncé il y a un siècle

Valentin Katasonov*

Ex: http://www.elespiadigital.com/index.php/tribuna-libre/34222-2021-05-27-11-56-23

Il y a environ cent ans paraissait le livre "Le déclin de l'Occident" (Der Untergang des Abendlandes) d'Oswald Spengler (1880-1936). Je dis "approximativement" parce que l'œuvre se compose de deux volumes, elle a dès lors deux dates de naissance. Le premier volume a été publié en 1918, le second en 1922.

Le livre est né à une époque où l'Europe se consumait dans les flammes de la Première Guerre mondiale, et les mots "décadence", "effondrement", "mort" de l'Europe en 1918 n'étaient pas perçus comme choquants.

Dans une traduction exacte, le titre du livre de Spengler ressemble plutôt à l'anglais "The Sunset of the West" (= Le crépuscule de l'Occident), et l'accent mis sur l'Europe dans l'édition traduite a été mis dans les années 1920 : l'Amérique du Nord semblait alors assez prospère, il n'y avait aucun signe du déclin du nouveau monde. Aujourd'hui, il s'agit d'une autre question, celle de savoir si le livre de Spengler doit revenir à son titre original que nous baptiserions en anglais "Sunset of the West".

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Pendant une centaine d'années, l'œuvre de Spengler a figuré parmi les plus célèbres ouvrages du XXe siècle sur la philosophie de l'histoire et de la culture. À différents moments, l'intérêt pour le livre a explosé puis s'est émoussé. K. A. Svasian, qui a fait une nouvelle traduction du premier volume de Der Untergang des Abendlandes donne, dans la préface à la publication de ce volume en 1993, des statistiques intéressantes. En Allemagne, entre 1921 et 1925, la bibliographie des ouvrages sur Spengler contient 35 titres. Dans les cinq prochaines années, leur nombre sera réduit à cinq. 1931-1935 - pendant la période marquée par la persécution de Spengler par les nazis, neuf œuvres apparaissent, en 1936-1940 - cinq encore. "Dans la période d'après-guerre", écrit K. A. Svasyan, "l'image s'est considérablement détériorée, et ce n'est que dans les années 1960 qu'il reveindra timidement à l'avant-plan, grâce aux efforts d'Anton Mirko Koktanek (l'auteur du livre Oswald Spengler und seine Zeit publié en 1968 - V.K.) , lequel a publié la correspondance de Spengler et certains matériaux de son héritage... éphémère..."

Il me semble que dans les années 1990 et 2000, l'intérêt pour l'œuvre de Spengler a commencé à retomber, est resté le même dans les années 2010, et depuis l'année dernière, l'intérêt est reparti. Et ce n'est pas étonnant : des signes sont apparus non seulement du déclin, mais aussi de la mort de l'Europe, de l'ensemble du monde occidental, voire de l'humanité.

oseph.jpgLes évaluations du travail de Spengler étaient différentes, parfois diamétralement opposées. L'une des premières estimations appartient au philosophe et sociologue allemand Georg Simmel (1858-1918). Il a pris connaissance du premier volume du Déclin de l'Occident un mois avant sa mort et a qualifié l'œuvre de Spengler de "philosophie la plus significative de l'histoire après Hegel". Mais le philosophe et culturologue allemand Walter Benjamin (1892-1940) considérait l'auteur du Déclin de l'Occident comme "un petit chien sans intérêt".

L'œuvre de Spengler est inégale et ambiguë. On y trouve de la trivialité et de l'ingéniosité, mais aussi des choses tout à fait originales. L'auteur fait preuve d'une étonnante érudition en termes de connaissance de nombreuses cultures. Certains critiques ont fait remarquer à Spengler qu'il avait construit sa philosophie de l'histoire sur des bases fragiles, sans se référer à de nombreux ouvrages sur la philosophie de l'histoire. Spengler dans les pages de Der Untergang des Abendlandes réfute les attaques qu'il attendait. Il déclare qu'il ne fait pas confiance à la science académique officielle. Cette histoire, comme les autres sciences sociales (humanitaires), il ne la considère pas comme une science, s'appuyant uniquement sur les sciences naturelles. Mathématicien de formation, Spengler s'appuie principalement sur cette science-là. Il aime le mysticisme des nombres, et le premier chapitre du premier volume s'intitule "Sur la signification des nombres".

Beaucoup ont attribué l'œuvre de Spengler au genre de la philosophie de l'histoire (l'historiosophie). Cependant, l'auteur lui-même a déclaré que les critiques ne comprenaient même pas son intention. Il s'agit d'un ouvrage portant non pas sur la philosophie de l'histoire, mais sur la culture en tant que phénomène de l'histoire humaine. Dans l'histoire, certaines cultures sont remplacées par d'autres, diverses cultures coexistent, les cultures peuvent s'influencer mutuellement, s'emprunter quelque chose, se concurrencer et même essayer de se détruire. Avec une certaine variabilité dans les formes externes, la structure interne de la culture est très forte. L'objet de recherche de Spengler est la culture, sa structure et ses formes. Le sous-titre de Der Untergang des Abendlandes explique d'ailleurs l'intention de l'auteur : "Essais sur la morphologie de l'histoire mondiale".

imaosdows.jpgSpengler considère la science historique officielle comme primitive : "Le monde antique, le Moyen Âge, les temps modernes : voilà un schéma incroyablement maigre et vide de sens". Spengler oppose ce schéma linéaire à son schéma morphologique. La morphologie est une science née dans le cadre des sciences naturelles, qui étudie la structure et les formes des différents objets du monde matériel : minéraux, végétaux, organismes vivants. Et Spengler applique le schéma de l'étude morphologique de la nature à la société humaine. Pour Spengler, toute société est un organisme à la structure complexe, aux éléments et aux formes interconnectés. Et cet organisme social s'appelle "culture". Toute culture est précédée par la naissance d'une "âme", par laquelle Spengler entend une nouvelle vision du monde (religieuse ou scientifique) : "Toute nouvelle culture s'éveille avec une certaine nouvelle vision du monde".

Spengler a identifié huit cultures mondiales : égyptienne, babylonienne, chinoise, indienne, mésoaméricaine, antique, arabe et européenne. Spengler mentionne également la neuvième grande culture : la culture russe-sibérienne. Il la considérait comme un éveil et en parlait très brièvement, ses contours étaient vagues pour lui.

Il est facile de voir que la "culture" de Spengler correspond à ce qu'on appelle plus souvent "civilisation" aujourd'hui.

Bien que Spengler ait également fait usage du concept de "civilisation", mais l'utilise toutefois dans un sens différent. Dans son concept, chaque culture a son propre cycle de vie : "Chacune a sa propre enfance, sa propre jeunesse, sa propre maturité et sa propre vieillesse". Ce qui précède la vieillesse, Spengler l'appelle culture au sens propre du terme. Et il appelle une culture vieillissante et mourante une "civilisation": "Chaque culture a sa propre civilisation". Les civilisations "continuent à devenir ce qu'elles sont devenues, la vie comme la mort, le développement comme l'engourdissement ...". Spengler calcule l'espérance de vie moyenne des cultures à un millénaire, suivi de la léthargie et de la mort. Pour décrire la civilisation, Spengler a introduit le concept de "fellahisation", c'est-à-dire "l'acquisition lente d'états primitifs dans des conditions de vie hautement civilisées".

Plusieurs cultures sont déjà passées par une phase de civilisation, disparaissant ensuite de l'histoire (les cultures égyptienne, babylonienne, antique). Spengler identifie les traits distinctifs suivants de la phase de civilisation: la domination de la science (scientisme) ; l'athéisme, le matérialisme, le révolutionnisme radical; la sursaturation technologique; le pouvoir de l'État devient tyrannie; l'expansion extérieure agressive, la lutte pour la domination mondiale. Il considère également comme un signe de "civilisation" le remplacement des établissements ruraux par des villes géantes, la formation de grandes masses humaines dans celles-ci : "dans la ville-monde, il n'y a pas de gens, il n'y a que de la masse".

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Spengler identifie et analyse scrupuleusement tous les signes de la disparition des cultures primitives afin de répondre à la question : à quel stade de son développement se trouve la culture européenne ? Selon lui, cette culture est née à la jonction du premier et du deuxième millénaire après la naissance du Christ. La durée de vie moyenne des cultures qu'il a examinées avant d'entrer dans le stade de la "vieillesse" ("civilisation") est d'environ mille ans. Il s'avère que sur la base de ces termes estimés, la culture européenne est sur le point de se transformer en civilisation.

Apparemment, Spengler ne croyait pas vraiment (ou ne voulait pas croire) que la culture européenne entrerait rapidement dans une phase de décrépitude et de mort. Lui-même, comme il l'a avoué dans ses notes autobiographiques, est arrivé à cette conclusion de manière soudaine. Ce fut une sorte de révélation au moment où il apprit le déclenchement de la Première Guerre mondiale : "Aujourd'hui, au plus grand jour de l'histoire du monde qui tombe sur ma vie et qui est si impérieusement lié à l'idée pour laquelle je suis né, le 1er août 1914, je me sens seul chez moi. Personne ne pense même à moi. C'est alors qu'il a conçu l'idée de justifier rationnellement le "déclin de l'Europe".

De nombreux détracteurs de Spengler l'ont accusé d'emprunter, voire de plagier. La liste des prédécesseurs à qui Spengler aurait "emprunté" est assez longue. Plus d'une centaine de noms sont cités, en commençant par Machiavel, en poursuivant par Hegel, Schelling, les encyclopédistes français, pour finir par Henri Bergson, Theodore Lessing, Houston Stuart Chamberlain, Max Weber, Werner Sombart. Ces listes comprenaient également deux penseurs russes : Nikolai Danilevsky et Konstantin Leontiev.

51D11GFPS9L._SX348_BO1,204,203,200_.jpgEn réponse à ces attaques, Spengler a déclaré que s'il avait réellement étudié les œuvres d'un cercle aussi large de personnes intelligentes, voire brillantes, il n'aurait pas eu le temps d'écrire ses propres œuvres. Spengler a admis qu'il avait des prédécesseurs: Johann Wolfgang Goethe et Friedrich Nietzsche. Les deux sont les idoles de Spengler. Voici un extrait des notes de Spengler sur Nietzsche : "Il a découvert la tonalité des cultures étrangères. Personne avant lui n'avait la moindre idée du rythme de l'histoire...... Dans le tableau de l'histoire, que les recherches scientifiques ultérieures ont résumé en dates et en chiffres, il a d'abord connu un changement rythmique d'époques, de mœurs et de modes de pensée, de races entières et de grands individus, comme une sorte de symphonie ... Le musicien Nietzsche élève l'art du sentiment au style et au sentiment des cultures étrangères, sans tenir compte des sources et souvent en contradiction avec elles, mais quel sens !". Dans les notes autobiographiques de Spengler, publiées après sa mort, on trouve une telle révélation : "J'ai toujours été un aristocrate. Nietzsche était clair pour moi avant même que je ne le connaisse."

L'influence de Goethe sur Spengler n'est pas moins évidente. La culture européenne, qui était au centre de l'attention de Spengler, il l'appelle la culture faustienne, ou "la culture de la volonté", et Faust en est un symbole. Pour lui, la culture faustienne qui se désintègre est la civilisation faustienne, et le citoyen de la civilisation faustienne est un nouveau nomade, pour qui l'argent et le pouvoir passent avant les mythes héroïques et la patrie.

PS : Dans ses mémoires, la sœur de Spengler a écrit à propos du dernier voyage de l'auteur du "Déclin de l'Occident" : "Nous avons mis Faust et Zarathoustra dans le cercueil. Il les prenait toujours avec lui quand il partait quelque part".

Le déclin de l'Europe hier et aujourd'hui

En poursuivant la conversation sur Le déclin de l'Occident d'Oswald Spengler, il n'est pas superflu de parler de ceux qui peuvent être considérés comme ses précurseurs et ses suiveurs.

J'ai déjà dit que Spengler lui-même a identifié ses mentors, deux seulement : Goethe et Nietzsche. "Il avait cette façon, écrit Spengler à son éditeur Oscar Beck, de connaître plus de cinquante prédécesseurs, dont Lamprecht, Dilthey et même Bergson. Leur nombre, quant à lui, devait dépasser la centaine. Si je m'étais mis en tête d'en lire au moins la moitié, aujourd'hui je n'aurais pas fini .... Goethe et Nietzsche sont les deux penseurs dont je me sens dépendant de manière fiable. Celui qui, depuis vingt ans, déterre des "prédécesseurs" ne pense même pas que toutes ces pensées, et de surcroît dans une édition beaucoup plus anticipée, sont déjà contenues dans la prose et les lettres de Goethe, comme, par exemple, l'enchaînement des premiers temps. de l'ère, de l'ère postérieure et de la civilisation dans un petit article "Epoques spirituelles", et qu'il est aujourd'hui généralement impossible de dire quoi que ce soit qui n'ait été mentionné dans les volumes posthumes de Nietzsche."

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Nikolai Danilevski & Konstantin Leontiev.

Dans la longue liste de ceux qui ont alimenté de leurs réflexions l'auteur du Déclin de l'Occident, les penseurs russes Nikolai Yakovlevitch Danilevsky (1822-1885) et Konstantin Nikolaevitch Leontiev (1831-1891) sont également mentionnés. Cependant, il est ici presque impossible de parler d'emprunts: en Occident, ces penseurs étaient peu connus, peu traduits. Ainsi, la traduction allemande de Russia and Europe (1869) de Danilevsky n'a été publiée qu'en 1920, deux ans après la publication du premier volume de Der Untergang des Abendlandes. Rien n'indique que Spengler ait lu Danilevsky, Leontiev et les auteurs russes en général.

Et la similitude de certaines des idées entre ces trois-là est frappante. Pour un Allemand, le concept clé est "culture", pour N. Danilevsky, c'est "type culturel-historique". Pour un Allemand, la "culture" signifie un "organisme", c'est-à-dire un système social complexe composé d'une idéologie (religion), d'une science, d'un art, d'une économie, d'un droit et d'un État interconnectés. Danilevsky dit presque la même chose dans son Russia and Europe. La même composition, le même principe morphologique (la forme détermine le type de culture). Même analogie avec les organismes vivants (Danilevsky était biologiste de formation).

La "culture" de Spengler, le "type culturel-historique" de Danilevsky, la "civilisation" de Toynbee sont des concepts identiques, Danilevsky a juste eu recours à ce concept plusieurs décennies avant Spengler et Toynbee.

En ce qui concerne la proximité idéologique entre Konstantin Leontiev et Oswald Spengler, il convient de noter que le penseur allemand consacre une part importante de son œuvre à la description du cycle de vie de la culture. Pour lui, le point de départ de la naissance d'une culture est la vision du monde: "Chaque nouvelle culture s'éveille avec une certaine nouvelle vision du monde". Spengler, dans le cadre de la vision du monde, peut comprendre à la fois la religion et le système des vues scientifiques. La vie de la culture, selon Spengler, se développe selon le schéma suivant: "Chaque culture passe par les étapes de l'âge d'un individu. Chacun a son enfance, sa jeunesse, sa maturité et sa vieillesse". Dans Der Untergang des Abendlandes, il identifie quatre étapes du cycle de vie de la culture : 1) l'origine ("mythologique-symbolique") ; 2) le début ("morphologique") ; 3) le sommet ("métaphysique et religieux") ; 4) le vieillissement et la mort ("civilisation").

Konstantin Leontiev (qui a repris de Danilevsky le concept de "types culturels-historiques", mais a également utilisé les termes "culture" et "civilisation") a presque le même schéma. Leontiev a formulé la loi du "processus trilatéral de développement", selon laquelle tous les organismes sociaux ("cultures"), comme les organismes naturels, naissent, vivent et meurent : il a défini la naissance comme la "simplicité primaire", la vie comme la "complexité florissante", la mort comme la "simplification secondaire du mélange". Leontiev a diagnostiqué le début de la transition de la culture européenne de la phase de "complexité florissante" à la phase de "simplification par mélange secondaire" dans l'ouvrage Byzantinisme et monde slave (1875). Dans le langage de Spengler, c'est le "déclin de l'Europe". La chronologie des étapes de la civilisation (culture) européenne est similaire pour Spengler et Leontiev. L'apogée de l'Europe dans les deux cas remonte à la période des XVe-XVIIIe siècles, et la transition vers le stade de l'extinction commence au XIXe siècle. Seul Leontiev a formulé l'idée d'un "processus de développement trilatéral" ("cycle de vie de la culture") quarante-trois ans avant le philosophe allemand.

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Arnold Toynbee.

En Occident, il est généralement admis que l'ouvrage le plus fondamental sur l'histoire et la théorie des civilisations est l'ouvrage fondamental (en 12 volumes) A Study of History d'Arnold Toynbee (1889-1975). Cet Anglais a admis que pour lui Spengler était un génie, et, lui, Toynbee, a adopté et développé l'enseignement de l'Allemand sur les cultures et les civilisations (Toynbee a étendu la liste de Spengler de 8 cultures majeures à 21, les appelant civilisations).

La priorité incontestée de deux penseurs russes - Danilevsky et Leontiev - par rapport à Spengler et Toynbee est malheureusement rarement, voire pas du tout, évoquée.

Les chercheurs de l'œuvre de Spengler notent la forte influence de Der Untergang des Abendlandes sur José Ortega y Gasset (1883-1955), philosophe, publiciste et sociologue espagnol. Dans ses œuvres majeures La déshumanisation de l'art (1925) et La révolte des masses (1929), un Espagnol a exposé pour la première fois dans la philosophie occidentale les idées fondamentales sur la "culture de masse" et la "société de masse" (culture et société qui se sont développées en Occident à la suite de la crise de la démocratie bourgeoise et de la pénétration des diktats de l'argent dans toutes les sphères des relations humaines). Mais cette idée a d'abord été formulée par Spengler, qui a décrit les signes de la mort de la culture dans les phases de la civilisation. Le signe le plus important de cette mort est l'urbanisation, la concentration de personnes dans des villes géantes, dont les habitants, selon Spengler, ne sont plus du tout des citoyens, mais une "masse humaine" dans laquelle une personne a le sentiment de faire partie d'un collectif impersonnel, d'une foule.

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Nikolai Berdiaev.

Tous les intellectuels allemands n'ont pas eu le temps de réagir à la sortie du Déclin de l'Occident, et à Petrograd en 1922 est apparu le recueil Oswald Spengler et le déclin de l'Europe (auteurs N. A. Berdiaev, Ya. M. Boukchan, F.A., S . L. Frank). Le plus intéressant de ce recueil est l'essai de Nikolaï Berdiaev intitulé Pensées de Faust sur son lit de mort ..... Berdiaev pensait à Oswald Spengler lui-même, un admirateur de la culture "faustienne" (européenne). Le paradoxe de ce nouveau Faust, selon Berdiaev, est que, tout en décrivant les signes de l'apocalypse, il n'a pas compris qu'il s'agissait de l'Apocalypse de Jean le Théologien. Il (c'est-à-dire Faust, également connu sous le nom de Spengler) montre que la culture européenne, qui entre dans la phase de "civilisation", mourra, et qu'une nouvelle culture la remplacera, mais elle ne viendra pas ! La tragédie de Spengler-Faust, souligne N. Berdiaev, est que, étant athée, il ne réalise pas que la religion est le noyau de toute culture. La civilisation européenne (selon Berdiaev) tue finalement la religion, et, sans elle, la suite de l'histoire terrestre est impossible. Les chercheurs qui se sont penchés sur la créativité de N. Berdiaev ont noté que les travaux de Spengler ont eu une forte influence sur le philosophe russe,

La Seconde Guerre mondiale a pleinement manifesté la tendance désastreuse décrite dans Le Déclin de l'Occident. Depuis lors, de nombreux philosophes, historiens et politologues ont diffusé un état psychologique alarmant. Cette alarme est portée sur les couvertures des livres publiés: Jane Jacobs, The Decline of America. The Dark Ages Ahead (1962); Thomas Chittam, The Collapse of the United States. The Second Civil War. 2020  (1996) ; Patrick Buchanan, Death of the West (2001), On the Brink of Death (2006), The Suicide of a Superpower (2011); Andrew Gamble, A Crisis Without End ? The Collapse of Western Prosperity (2008), etc.

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L'un des auteurs qui a utilisé les concepts de "culture faustienne" et de "civilisation faustienne" de Spengler était Igor Ivanovitch Sikorsky, qui, en tant que concepteur d'avions de premier plan (et d'hélicoptères), était également théologien. En 1947, son ouvrage Invisible Encounter est publié aux États-Unis. L'un des concepts avec lesquels Sikorsky décrit l'état du monde au 20ème  siècle est la "civilisation faustienne" de Spengler.

*Professeur, docteur en économie, président de la Société économique russe. S.F. Sharapova.

jeudi, 10 juin 2021

L'intuition d'un livre intuitif. Un siècle après Spengler

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L'intuition d'un livre intuitif. Un siècle après Spengler

Le produit de masse de la décadence de la civilisation occidentale est déjà une sorte d'animal urbain dénaturé, qui a enterré ou tué ses archétypes.

par Carlos X. Blanco

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/06/08/la-intuicion-de-un-libro-intuitivo-un-siglo-despues-de-spengler/   

Der Untergang des Abendlandes est un livre intuitif à lui seul. Le véritable historien est un philosophe de l'histoire, un homme doté d'une faculté particulière, l'intuition historique, un pouvoir avec lequel il saisit, à la manière d'un artiste, les objets de sa connaissance. Ce qui est à découvrir dans l'Histoire, ses objets, ne sont pas des entités statiques, fixes et mortes, mais un flux d'êtres historiques, comme le fleuve d'Héraclite dans lequel on ne peut se baigner deux fois. Les êtres historiques ne sont pas du tout des objets rigides ou morts. L'intuition historique est, avant tout, un devenir. Le philosophe de l'histoire n'a d'autre choix que de se présenter devant le devenir. En tant que penseur, il fait partie de ce devenir, et il n'est pas libre de saisir ce qu'il doit saisir si son contexte personnel est, en fait, celui d'un philosophe de l'histoire. Dans l'avant-propos de la deuxième édition allemande, Spengler écrit : "Un penseur est un homme dont le destin consiste à représenter symboliquement son époque au moyen de ses intuitions et concepts personnels. Il ne peut pas choisir. Il pense comme il doit penser, et ce qui est vrai pour lui est finalement ce qui naît avec lui, constituant l'image de son monde " [LDO, I, p. 20]. Ein Denker est dans Mensch, dem es bestimmt war, durch das eigene Schauen und Verstehen die Zeit symbolisch darzustellen. Il n'a pas le choix. Er denkt, wie er denken muss, und wahr ist zuletzt für ihn, was als Bild seiner Welt mit ihm geboren wurde, VII].

cms_visual_1056799.jpg_1529499361000_267x450.jpgLe philosophe de l'histoire porte en lui un archétype, inné et non construit, et lorsque ces objets fluides lui sont présentés, il n'a pas le choix. Il déploie les potentialités de son archétype. Au niveau personnel et gnoséologique, il se passe la même chose que dans le cycle des cultures. L'âme de chaque culture, lorsqu'elle naît dans une parcelle primordiale, est tout entière un immense -mais non infini- rassemblement de possibilités : la biographie de cette culture est l'ensemble des manifestations déjà closes, qui se présentent à son regard et à sa compréhension. Une manifestation historique est déjà une obstruction à des possibilités qui n'ont pas eu lieu.

Et qu'est-ce que la vérité historique ? Il ne s'agit pas, à la manière de l'évolutionnisme et du matérialisme historique, d'une construction ou de la découverte de causes finales ou efficientes, de relations fonctionnelles, etc. La vérité historique spenglerienne est une vérité par découverte, mais par découverte de l'archétype qu'un type d'homme très spécifique doit réaliser. Un homme, disait Fichte, réalise la philosophie selon le genre d'homme qu'il est. Eh bien, le philosophe spenglerien, ou le véritable historien qui comprend l'objet du devenir, est un homme très proche du poète. Le poète n'est ni un raisonneur ni un bâtisseur de systèmes. Il est une lanterne qui se concentre dans les profondeurs de son âme et trouve le trésor auquel il est appelé :

"La vérité, il ne la construit pas, mais la découvre en lui-même. La vérité, c'est le penseur lui-même ; c'est sa propre essence réduite à des mots, le sens de sa personnalité vidé en une doctrine. Et la vérité est immuable pour toute sa vie, parce qu'elle est identique à sa vie" [LDO, I, 19] [Es ist das, war er nicht erfindet, sondern in sich entdeckt. Es ist er selbst noch einmal, sein Wesen in Worte gefasst, der Sinn seiner Persönlichkeit als Lehre geformt, unveränderlich für sein leben, weil es mit seinem Leben identisch ist", VII].

Il n'y a pas d'invention de la vérité historique, il y a l'intuition et la découverte de son propre archétype. Une faculté intuitive qui rend compte de la construction de l'histoire est en accord avec un livre qui a fait l'histoire : Le Déclin de l'Occident, un texte qui, selon les mots de son auteur lui-même, est "... intuitif dans toutes ses parties". Il est écrit dans un langage qui cherche à reproduire avec des images sensibles les choses et les relations, au lieu de les substituer par des séries de concepts" [LDO, I, p. 20]. Il est difficile de rédiger et de faire rédiger un texte dans une langue qui décrit les situations et les relations d'une manière claire et nette, sans qu'il soit nécessaire d'établir des comparaisons entre les textes, et c'est aux lecteurs qu'il revient de le faire, car les textes et les images sont tout aussi claires", VIII]  [Es ist anschaulich durch und durchgeschrieben in einer Sprache, welche die Gegenstände und die Beziehungen sinnlich nachzubilden sucht, statt sie durch Begriffsreihen zu ersetzen, und es wendet sich allein an Leser, welche die Wortklänge und Bilder ebenso nachzuerleben verstehen”, VIII]..

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Ce lecteur, pour vraiment comprendre ce livre, doit être un lecteur poétique. Il est obligé de percevoir la décadence très profondément. Le produit de masse de la décadence de la civilisation occidentale est déjà une sorte d'animal urbain dénaturé, qui a enterré ou tué ses archétypes. Ou bien c'est une créature transplantée d'autres cultures, le nouveau nomade, l'être sans racines. Ce type de lecteur ne verra dans la grande œuvre spenglerienne qu'une accumulation d'absurdités, de textes non rationnels, de fatras de toutes sortes de choses. Pour ce nouveau nomade sans racines, pas le livre qu'écrit Spengler. Mais dans la même présentation de l'ouvrage, Oswald Spengler s'adresse de façon individuelle à celui qui est capable d'intuitionner l'archétype même qui lui parlera de la décadence de sa civilisation, car il lui suffira d'opposer cette âme faustienne à tous les phénomènes -parfois horribles- qui se déroulent autour de lui et alors... quoi ? Alors il ne succombera pas au désespoir. Le sort qui nous est réservé ici n'est pas à regretter. Il faut aimer le destin et chevaucher le tigre. Vous devez vous préparer pour un dernier combat.

Un monde entier s'effondre, mais avant le chaos et la décadence, il reste un combat à mener. Le philosophe du socialisme prussien n'est pas - pas du tout - le philosophe pessimiste, qui prône la passivité ou la lâcheté de la résignation. Il est l'homme qui voit loin et qui est capable de prévoir, comme il y a juste un siècle, les tâches de lutte pour un monde qui va tomber. Parce qu'il doit y avoir une lutte, et que la transition vers un nouveau "monde" au sens spirituel est inéluctable, et que sans notre lutte, l'horreur ne fera que croître.

Note : les citations sont extraites de la traduction espagnole de Manuel García Morente, La Decadencia de Occidente, volume I, Austral, Madrid, 2011. La version allemande consultée est celle du Deutscher Taschenbuch Verlag, Munich, 1979, qui est elle-même basée sur celle de Beck (Munich, 1923) : 

vendredi, 04 juin 2021

Ordre, force et raison, les bases de tout progrès véritable (Charles Maurras)

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Ordre, force et raison, les bases de tout progrès véritable (Charles Maurras)

 
Dans cette vidéo, nous nous pencherons sur un des premiers textes politiques de Maurras, "Trois idées politiques". A partir des trois figures de Chateaubriand, de Michelet et de Sainte-Beuve, Maurras renvoie ici dos à dos le sentimentalisme passéiste de la droite et le sentimentalisme progressiste de la gauche pour proposer le dépassement de cette opposition : une conception rationnelle et ordonnée du progrès, en accord avec l'idée de tradition.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Jean-Philippe Rameau, «Les Indes Galantes», Forêts paisibles (Les sauvages)
- Schubert, Der Tod und das Mädchen, II. Andante con moto
- Johann Strauss, Le beau Danube bleu - Vivaldi, l'Hiver

lundi, 31 mai 2021

Le Nihilisme en Six Questions

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Café Noir N.25

Le Nihilisme en Six Questions

 
Friedrich Nietzsche, Arthur Schopenhauer, Johann Wolfgang von Goethe, Martin Heidegger, etc.
Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde.
Émission du vendredi 28 mai 2021 avec Pierre Le Vigan & Gilbert Dawed.
 
Pierre Le Vigan – Achever le Nihilisme (Éditions Sigest) https://edsigest.blogspot.com/2019/01...
 

vendredi, 28 mai 2021

Stefan Zweig et la grande uniformisation du monde

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Stefan Zweig et la grande uniformisation du monde

par Nicolas Bonnal

 

« On aurait dit des grosses bêtes bien dociles, bien habituées à s’ennuyer. »

                                                        Le Voyage dans le passé.

La dictature sanitaire a renforcé la tendance lourde à l’extermination des nations, des cultures et des traditions. L’unification parfois folle et aberrante des politiques de santé au détriment de la santé des nations  a bien renforcé ce « capitalisme totalitaire » (Bernanos) et anglo-saxon dont le but est le meurtre du monde par le lit social-impérialiste de Procuste de la mondialisation. Les persécutions et la dérive autoritaire des soi-disant démocraties occidentales et de l’Europe de la monstrueuse Van Der Leyen (descendante de nazis et d’esclavagistes tout de même, voyez Wikipédia) ne connaissent plus de limites et n’e connaitront plus, si nous n’y mettons un terme, d’une manière ou d’une autre.

Liquéfaction des nations, des sexes, des religions (avec la bonne volonté papiste c’est entendu) d’un côté, renforcement du terrorisme sanitaire et administratif de l’autre, le tout pour créer ce paradis infernal dont rêvent nos utopistes depuis des siècles (voyez le grand livre de Mattelart qui détaille bien la montée séculaire de cette utopie planétaire). L’alliance de la finance, du capital, des administrations et des médias sous contrôle rendent cette opération de magie noire apparemment imparable.

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Cette dénonciation a souvent été l’apanage de gens de droite comme Céline ou Bernanos. Comme j’e l’ai montré c’est dans la Conclusion des mémoires d’outre-tombe que résonne le premier appel à la mobilisation politique  et spirituel contre le monde moderne. Dans mon livre sur Céline j’ai établi un aparallèle entre les dénonciations souvent incomprises de Céline et les meilleurs chapitres du surprenant Loup des steppes de Hermann Hesse, qui lui aussi se déchaîne contre l’entrée en vigueur d’une civilisation basée sur la consommation, l’abrutissement et la massification ; j’ai nommé la civilisation américaine, pas la première qui a ses défauts et ses qualités comme toutes (qui va jeter la pierre à Poe, Melville, Frank Lloyd Wright ou Charles Ives ?) mais la deuxième celle de l’écrasement des identités de tout ordre, et qui réunit le monde sous la grand étendard (standardisation) de la consommation. C’est la révolution hollywoodienne si l’on veut, celle que célèbre Bernays dans un livre célèbre que j’ai maintes fois évoqué.

Elle apparait dans les années vingt et commence à gêner des gens plus à gauche, et même des « juifs cosmopolites » comme Stefan Zweig l’alors l’écrivain le plu dans le monde, et qui avant de devenir un nostalgique furieux (voyez l’admirable Monde d’hier) tente de dénoncer cette uniformisation/ américanisation du monde et de nous donner les moyens (toujours plus difficiles) d’y échapper.

C’est dans une dissertation que Zweig dénonce en 1926 cette entropie du monde moderne. Il voit deux choses : cette menace est américaine, et elle menace l’Europe, qui est encore le continent de la variété et des nations – aujourd’hui un conglomérat affairiste et russophobe. Zweig :

« Une impression tenace s’est imprimée dans mon esprit : une horreur devant la monotonie du monde…. Nous devenons les colonies de la vie américaine, de son mode de vie, les esclaves de la mécanisation de l’existence …»

Certes cette américanisation peut aussi enchanter les imbéciles ;  mais Zweig voit dans cette américanisation une tendance lourde à la servitude volontaire. A la même époque Céline parle de ce troupeau américain de bêtes dociles, bien habituées à obéir. Un coup de woke et de Biden, de masque et de vaccin ?

Zweig : « Pour les âmes serviles tout asservissement parait doux et l’homme libre sait préserver sa liberté en tout lieu… Le vrai danger pour l’Europe me parait résider dans le spirituel. »

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La Boétie parlé comme Chrysosotome des boissons, des tables et des spectacles pour abrutir les massés (voyez le passage sur les origines lydiennes du mot ludique) ; et Zweig de noter :

«  La plupart des gens ne s’aperçoivent pas à quel point ils sont devenus des particules, des atomes d’une violence gigantesque. Ils se laissent ainsi entrainer par le courant qui les happe vers le vide ; comme le disait Tacite : « Ruere in servitium » ils se jettent dans l’esclavage ; cette passion pour l’auto-dissolution a détruit toutes les nations… »

La dissolution ici en Espagne comme en France (où l’on a pas besoin d déconsruire une histoire qui n’est plsu enseigéne depuis des décennies, pas vraie ?) de la nation est notoire. Et on ne parlera aps de ‘lAllemagne et du reste.

Zweig ajoute sur ce renforcement à la passivité (le masque étant un vêtement à la mode comme les autres maintenant) :

…Cette uniformité enivre par son gigantisme. C'est une ivresse, un stimulant pour les masses, mais toutes ces merveilles techniques nouvelles entretiennent en même temps une énorme désillusion pour l’âme et flattent dangereusement la passivité de l’individu. Ici aussi comme dans la danse, la mode et le cinéma, l’individu se soumet au même gout moutonnier, il ne choisit plus à partir de son maître intérieure mais en se rangeant à l’opinion de tous… Conséquences : la disparition de toute individualité, jusqu’à dans l’apparence extérieure. »

La conclusion de Zweig :

« Le fait que les gens portent tous les mêmes vêtements, que les femmes revêtent toutes la même robe et le même maquillage n'est pas sans danger : la monotonie doit nécessairement pénétrer à l’intérieur. Les visages finissent tous par se ressembler parce que soumis aux mêmes désirs… Une âme unique se crée, mue par le désir accru d’uniformité, et la mort de l‘individu en faveur d’un type générique».

Et à l'époque ou un serviteur de la Bête comme Bernays, encense ce monde de la manipulation et d’uniformisation, Zweig écrit : "Séparons-nous à l'intérieur mais pas à l'extérieur: portons les mêmes vêtements, adoptons le confort de la technologie, ne nous consumons pas dans une distanciation méprisante, dans une résistance stupide et impuissante au monde. Vivons tranquillement mais librement, intégrons nous silencieusement et discrètement dans le mécanisme extérieur de la société, mais vivons enfin en suivant notre seule inclination, celle qui nous est la plus personnelle et gardons notre propre rythme de vie...".

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Zweig lutte contre l'empire (le monde moderne donc). Ce n'est pas un hasard s'il se rapproche d'une autre machine à niveler, l'empire romain, dont le résultat fut de rendre les hommes sots (voyez nos réflexions sur Hollywood et l'idiocratie) pour des siècles. Il rapproche donc notre écrivain de Sénèque qui note (Lettre à Lucilius, V): "Ayons des façons d'être meilleures que celles de la foule, et non par contraire (Id agamus ut meliorem vitam sequamur quam vulgus, non ut contrariam...)".    

C’est que Sénèque aussi avait en tant que penseur fort à faire avec son empire…

On peut trouver le texte en bilingue de Zweig aux éditions Allia, pour une somme dérisoire.

 

jeudi, 20 mai 2021

Pourquoi se plonger dans l’œuvre des stoïciens de l’antiquité?

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Pourquoi se plonger dans l’œuvre des stoïciens de l’antiquité?

Natella Speranskaya

Ex : https://syg.ma/@natella-speranskaja

Je vais maintenant vous expliquer quelles techniques des anciens stoïciens j'utilise dans ma vie quotidienne et ce qu'elles m'apportent.

Il existe des problèmes qui sont communément classés comme difficiles à résoudre: pièges existentiels, pensées suicidaires, apathie totale, dépression persistante, aboulie, incapacité à acquérir un contrôle cognitif, etc. Ce sont là tous nos "vampires". Bien qu'aujourd'hui nous ayons accès à presque toutes les informations et que nous soyons devenus "alphabétisés numériquement", nous ne gérons toujours pas bien notre problème de conscience.

Ne pas être ‘’sans quoi’’ ?

Imaginons qu'en ce moment même, ce texte soit lu par une personne qui a perdu le sens de la vie et qui a finalement perdu ses mains. Avant de trouver la clarté dans la question hamlétienne "Être ou ne pas être?", il doit avoir répondu à la question-racine, qui sonne non pas comme "Ne pas être pourquoi?" mais comme "Ne pas être SANS QUOI ?". Quelle perte, quel non-accomplissement a formé une brèche intérieure si terrible que toute la vitalité de la vie en sort ?

Chaque personne définit la plénitude de l'être à sa manière. Chacun a sa propre échelle de valeurs. Si vous avez votre carrière en première position, vous perdrez bien sûr le sens de la vie si vous ne parvenez pas à la construire ou si quelqu'un ou quelque chose la ruine pour vous et annule toute chance de la construire à nouveau.

Si l'essentiel pour vous est d'atteindre la célébrité mondiale et que, quels que soient vos efforts, vous êtes tellement médiocre et quelconque que même la caissière du magasin où vous entrez chaque matin oublie votre visage, il est peu probable que vous ayez soif de vivre et que vous vous réveilliez avec un sourire aux lèvres.

Si l'amour est au sommet de votre système de valeurs, le fait de ne pas pouvoir être avec la personne que vous aimez vous conduira dans votre tombe, vous privera de vos forces, vous fera souhaiter être mort, etc.

En même temps, le carriériste, le mégalomane et l'homme amoureux ne se comprendront jamais. Pour le carriériste, l'agonie de l'amant semblera une simple bagatelle et lui, en riant, l'admonestera : "Regarde autour de toi ! Regardez combien de personnes il y a ! Je ne veux pas le prendre ! Qu'est-ce qui t'obsède, espèce d'idiot?". Un amoureux fera de même, analysant les raisons pour lesquelles un mégalomane et un carriériste tendent la main vers une arme.

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Le centre de notre être

Il ne s'agit pas seulement d'un petit puzzle que l'on peut retirer sans trop endommager l'image - c'est un fil qui vous relie à l'être lui-même. En outre, ce qui se trouve au sommet du système de valeurs est le centre de votre être. Quand on le perd, quand on ne l'atteint pas, tout perd son sens. Vous tournez autour de ce centre comme la Terre tourne autour du Soleil.

Et ce soleil occupe votre conscience au point que vous devenez non pas son prêtre mais son esclave. Comment cette occupation se produit-elle ? Vous vous rendez à une réunion importante, vous traversez la route et entrez dans un café agréable, où vous attendez un partenaire commercial. Vos pensées sont strictement structurées. Même la veille, vous avez répété votre discours et vous savez exactement ce que vous allez lui dire. Mais comme par hasard, vous rencontrez en chemin une femme dont vous êtes follement amoureux et que vous n'avez pas vue depuis longtemps. Pire, une femme accompagnée d'un homme quelconque. Elle vous salue sèchement et, prenant la main du monsieur, traverse de l'autre côté de la rue.

C'est tout. Dans votre conscience - jusqu'à cette rencontre ordonnée et harmonieuse – cette rencontre fortuite vous a envahi, avec l'image de cette femme, et avec elle la pensée suivante: quel méchant l'accompagne? Vous ne pensez plus à la réunion d'affaires. Dans votre cœur, il y a une épine, votre pensée est paralysée, votre sang regorge des poisons de la douleur, du ressentiment et de la jalousie. Automatiquement, vous allez dans le café, ou plutôt c'est seulement votre corps qui y va. Vous n'êtes plus là depuis longtemps. Essayant fébrilement de rassembler vos pensées et de vous mettre au diapason d'une conversation d'affaires, vous commandez un café, en essayant de retenir le frisson dans votre voix et un léger tremblement des mains. Passent 30 minutes, une heure, une heure et demie, pendant que vous écoutez votre interlocuteur sans enthousiasme. Il semblait que chaque cellule de votre corps était remplie de la même pensée, de la même façon.

Vous n'avez pu satisfaire ni la promotion, ni conclure l'affaire avec succès, ni faire afficher votre visage sur la couverture d'un magazine populaire, ni préparer les vacances à venir. Et tout cela parce que le premier échelon de votre hiérarchie de valeurs n'est pas une carrière, ni le succès, ni la gloire, ni l'argent. C'est l'amour. Est-il possible, dans une telle situation, de reprendre le contrôle de son esprit et de se mettre à l'écoute, en écartant temporairement les pensées vampiriques ? Oui, c'est possible.

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La capacité de se concentrer

Lorsque vous êtes seul à la maison, vous pouvez décider de pleurer ou de soulager une tension érotique. Là, vous pouvez vous livrer à l'auto-torture en toute tranquillité. Mais lorsque vous êtes dans une situation qui implique de prendre des responsabilités (pour un projet, pour tel ou tel processus, etc.), forcez-vous à vous concentrer pleinement sur la tâche à accomplir. Alors faites ce qu'il faut. Pleurez, cassez des meubles, frappez un sac de boxeur, appelez un ami et épanchez votre cœur, ouvrez une bouteille de vin, fumez un cigare, montez sur le toit de la maison et menacez le ciel avec votre poing. Vous avez tout à fait le droit de le faire. Mais si vous avez un intellect développé, beaucoup de capacités, que vous aimez faire face aux tâches difficiles, que vous maîtrisez l'art de la concentration ultime sur l'affaire et que vous ne traînez pas vos angoisses, vos ambitions brisées, des fragments de votre ego dans cette même affaire. Ne laissez pas les pensées vampiriques occuper votre conscience pendant de longues périodes.

Savez-vous pourquoi beaucoup de gens trouvent le vrai salut dans le travail? Un travail qui prend 18 à 20 heures par jour? Oui, oui, précisément parce que c'est le seul moyen de ne pas se retrouver dans une personnalité alcoolique ou toxicomane - parce que le processus de travail aide à pousser tous vos "vampires" hors de votre conscience. Ne parvenez-vous pas à atteindre le centre de votre être? Dites-vous: "Si Dieu vous repousse, cela ne veut pas dire qu'il vous dit non". Si vous continuez à vous heurter à un mur inflexible, vous finirez par perdre toute votre force.

D'après ma propre expérience, je peux dire que le seul moyen efficace pour moi de sortir d'un état suicidaire était de me concentrer sur les autres niveaux de mon système de valeurs. En prenant conscience de la façon dont mes nerfs réagissaient à tous les échecs associés à la première étape, j'ai restructuré ma liste de priorités. En retour, cela m'a obligé à passer à un autre niveau de réflexion, car la nature des défis a changé. Tant que vous n'éliminerez pas le chaos intérieur en le transformant en ordre, vous serez toujours déchiré par tout un tas de pensées.

Agissez

Si votre première étape est une carrière, mais que vous avez échoué, réorientez votre attention vers l'amour (ou de l'amour vers la carrière). Après avoir créé l'ordre dans un domaine de votre vie, vous le créerez inévitablement dans l'autre. Sachez attendre et planifier.

La première chose que j'ai faite lorsque j'étais dans une situation si désespérée que la seule issue était la mort, a été d'ordonner mon attention et de sortir de cette maudite entropie. En me concentrant sur un autre niveau de mon système de valeurs, j'ai créé une structure pour ma vie future et j'ai défini une série d'étapes que je n'ai pas seulement écrites, mais que j'ai transformées en une séquence d'actions.

Si vous n'agissez pas, vous pouvez considérer que vous avez déjà perdu. Votre liste de projets restera une liste.

La dichotomie du principe de contrôle

J'ai ensuite eu recours au principe de la dichotomie de contrôle, que j'ai appris des stoïciens. J’y ai eu recours chaque fois que je commençais à me demander si un événement, un problème, un phénomène particulier était sous mon contrôle ou non. Si oui, j'assume la responsabilité de ce qui se passe, je trouve une solution et je passe à l'action. Sinon, je ne dois pas gaspiller mes nerfs inutilement: à quoi bon s'angoisser, par exemple, à bord d'un avion qui tombe, si la catastrophe est indépendante de notre volonté? J'ai donc séparé les bons grains de l'ivraie. Lorsque la pandémie du coronavirus a traversé nos plans, peu de choses étaient hors de notre contrôle, n'est-ce pas?

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Vous pouvez vous arracher les cheveux, mais il y a des situations où nous sommes impuissants à changer les choses. Au moins, pour le changer immédiatement.

La dichotomie du contrôle a fait disparaître mon énergie. J'ai concentré mon énergie uniquement sur les choses que je pouvais encore changer et contrôler.

J'ai élaboré un plan d'action basé sur ma situation actuelle et j'ai commencé à le suivre. Je ne pouvais plus reporter, je ne pouvais pas faire de pause, la situation avait atteint un stade critique, et comme je n'avais rien à perdre, j'ai commencé à agir immédiatement.

Pendant tout ce temps, je contrôlais soigneusement l'état de ma conscience. J'étais dans la phase, et j'étais dans cette phase-là, mais je n'étais pas sûre de ce que je pensais. J'ai dû faire des efforts inimaginables pour écarter ces doutes. J'ai cherché des "déplaceurs" puissants. J'ai trouvé des processus dans lesquels l'immersion requérait toute mon attention, j'ai délibérément chargé mon cerveau de telle sorte qu'il n'avait pas le temps de mettre en bouillie des pensées destructrices. Bien sûr, dans les moments de soi-disant repos, la première chose qu'il faisait était de coupler ces pensées, empoisonnant mon existence. Puis j'ai réalisé que j'avais besoin de travailler tout le temps. Et sur les tâches les plus difficiles. Je me suis donné deux ans pour m'occuper uniquement des nouvelles priorités, en mettant toutes les autres hors jeu. Vous devez être capable de remettre quelque chose à plus tard. Non pas pour battre en retraite, mais pour me donner la possibilité d'attendre, de reprendre des forces, de ne pas m'effondrer. Ce qui pour d'autres peut sembler un fardeau impensable, est pour moi la seule façon normale d'exister. J'ai besoin d'un processus à grande échelle. C'est une façon de rationaliser la conscience. Vous pouvez avoir le vôtre.

Fantaisie cataleptique

Ce terme a été introduit par le stoïcien Zénon.

Nous sommes tous souvent la proie de nos propres erreurs d'interprétation. Nous rencontrons un événement, un fait, un motif, un acte, et nous y projetons immédiatement nos jugements de valeur. Nous créons une certaine interprétation et croyons en sa véracité, à tel point que les autres options perdent le droit d'exister. Une femme dont vous êtes amoureux est passée par là. Son regard froid et un hochement de tête à peine perceptible que vous avez immédiatement considéré comme une indifférence totale, voire une négligence. Ensuite, vous passez la serpillière et vous êtes prêt à abandonner vos rêves. Vous ne pensez même pas que son comportement pourrait avoir une douzaine d'autres motivations. Vous vous saisissez seulement du premier et vous vous livrez à une réflexion catastrophique, qui vous rend malade. Nous devons apprendre à prendre de la distance par rapport à ce qui nous arrive. C'est-à-dire regarder les événements de l'extérieur. Sans essayer de les colorer avec nos émotions, évaluations, pensées.

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Dans la thérapie cognitivo-comportementale, cela s'appelle la DISTANCE COGNITIVE. Nous ne souffrons pas tant à cause des événements eux-mêmes que de nos réactions face à ceux-ci. Je dois admettre que je suis moi-même victime de mes propres erreurs d'interprétation avec une régularité enviable. J'apprends régulièrement à détourner le regard des événements extérieurs, et des pensées qu'ils produisent en moi. Personne n'est parfait, mes amis ! Faites-vous amis avec les anciens stoïciens et vous aurez une nouvelle perspective sur vos problèmes.

Natella Speranskaya

Philosophe, spécialiste de la mythologie ancienne, de la philosophie et de la culture, culturologue, publiciste. Elle est l'auteur des livres The Path to a New Metaphysics (2011), Dionysus Pursued (2014), Essays on the Revival of Antiquity (en cours) ainsi que de nombreux articles sur la philosophie, la culture, l'histoire de l'art, les relations entre les sciences humaines et la technologie. Fondateur du projet éducatif interdisciplinaire Janus Academy, dont la mission est la formation de polymathes (homo univeralis) au 21e siècle. Développeur de programmes éducatifs et culturels, de cours magistraux. Conservateur et responsable du groupe de lecture sur les textes d'Homère (Théâtre électrique Stanislavsky).

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mardi, 18 mai 2021

La philosophie comme mode de vie

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La philosophie comme mode de vie

Natella Speranskaya

Ex: https://syg.ma/@natella-speranskaja/filosofiia-kak-obraz-zhizni

Il y a longtemps que la philosophie a cessé d'être un mode de vie, une manière d'être, pour se transformer en un champ de recherche, en une analyse détachée, en un "discours philosophique" ; elle ne pense plus au primordial, elle ne s'occupe plus de la transformation de la pensée, de la formation de l'esprit et de l'âme, de la transformation intérieure de l'homme. Le Grec ancien s'adonnait à la philosophie, qui était pour lui un choix existentiel, une forme de vie, une manière de penser, tandis que la lecture des œuvres d'Héraclite, de Phérécyde ou d'Empédocle conduit à un "exercice spirituel" (Pierre Hadot), une pratique personnelle volontaire.

Les écrits philosophiques des penseurs de l'époque hellénistique et romaine ne visaient pas à informer, mais à façonner et à transformer la pensée des lecteurs. Pythagore, Platon et Aristote ne philosophaient pas devant leurs disciples pour leur fournir un maximum d'informations, ils s'occupaient exclusivement de former les esprits, ils révélaient à leurs auditeurs d'autres niveaux ontologiques, d'autres modes d'être, en fait ils les poussaient vers une transformation intérieure comparable à celle vécue par les initiés des Mystères.

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Pierre Hadot

Comme le souligne à juste titre Pierre Hadot, les œuvres des premiers penseurs n'étaient pas l'exposition d'un quelconque système (l'idée de philosophie systématique n'apparaît pour la première fois que chez le scolastique médiéval Francisco Suarez); il s'agissait d'"exercices spirituels" visant à la transformation de la personnalité. La philosophie dans l'Antiquité était un mode d'existence qui exigeait de la part du philosophe une transformation intérieure et une implication personnelle à chaque instant de sa vie. Les exercices spirituels impliquaient l'ensemble de l'esprit. Néanmoins, les historiens modernes de la philosophie continuent à aborder la philosophie de l'Antiquité avec les normes du Moyen Âge et du Nouvel Âge, c'est-à-dire qu'ils persistent à la considérer comme une activité théorique et abstraite, mais en aucun cas comme une pratique. La philosophie n'était plus considérée comme un mode de vie. Hadot pensait que c'était une conséquence de l'absorption de la philosophia par le christianisme.

Dans la scolastique du Moyen Âge, la theologia et la philosophia étaient très éloignées l'une de l'autre et la philosophie était reléguée au rang de "servante de la théologie". Ce n'est qu'à la Renaissance que nous avons redécouvert Sénèque, Épictète et, plus tard, Marc-Aurèle, puis aussi Cicéron et l'épicurisme, et que nous avons réalisé que la philosophie pouvait être un mode de vie. Le fait que la philosophie ait cessé d'être un mode de vie avec la montée du christianisme est également écrit par André van der Braak. Il souligne que Nietzsche a cherché à faire revivre l'approche grecque de la philosophie en tant que mode de vie. On peut ajouter à cela que Michel Foucault et Ludwig Wittgenstein ont rejoint ces rangs.

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En ouvrant les œuvres des penseurs anciens, nous devrions une fois pour toutes abandonner l'habitude de leur appliquer le système de valeurs de la modernité. Hors du temps sont les idées, les universaux, mais pas leur compréhension à différentes époques! "Avant, je considérais les textes philosophiques - qu'il s'agisse de textes d'Aristote, de Saint Thomas ou de Bergson - comme s'ils étaient intemporels et que les mots avaient toujours la même signification, indépendante de l'époque. Je me suis rendu compte qu'il fallait prendre en compte l'évolution des pensées et des mentalités à travers les âges", lit-on dans Pierre Hadot. J'ai appris que nous devons tenir compte de l'évolution des pensées et des mentalités au fil des siècles", admet Pierre Hadot. Pour moi, c'est le point de départ. On ne peut pas prendre en compte de la même manière les textes de la philosophie ancienne et ceux de la philosophie moderne". Qu'il s'agisse des dialogues de Platon ou des manuels d'Aristote, des traités de Plotin ou des commentaires de Proclus, les œuvres des philosophes ne peuvent être interprétées sans tenir compte de la situation spécifique dans laquelle elles sont nées : elles sont issues d'une école de philosophie au sens le plus concret du terme, où le précepteur façonne les élèves, en essayant de les conduire à la transformation et à l'accomplissement de soi. Au fond, si toute composition est un monologue, une œuvre philosophique est toujours un dialogue sous une forme implicite; la figure de l'interlocuteur possible est toujours présente", conclut Pierre Hadot. Il conclut en considérant que les textes philosophiques de l'Antiquité étaient toujours destinés à un public restreint et avaient des destinataires bien précis, soit un groupe de disciples, soit un adepte spécifique à qui ils étaient écrits. Par exemple, selon Porphyre, Plotin a produit ses œuvres en réponse aux questions posées par ses auditeurs. L'enseignement de la philosophie au cours des trois siècles, c'est-à-dire de Socrate au premier siècle, était presque toujours présenté selon le schéma question-réponse. Le dialogue en tant que genre philosophique a presque disparu aujourd'hui, remplacé par des traités systématiques. Hadot lui-même est assez sceptique quant à la possibilité de faire revivre de nos jours le caractère dialogique de la philosophie antique. Il estime que cette forme d'enseignement n'est possible que dans des communautés telles que les écoles de l'Antiquité "organisées au nom de la convivialité de la philosophie".

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Pour comprendre ce que Pierre Hadot entend par "exercices spirituels", il faut savoir ce qu'il entend par "Esprit". Il appelle Esprit ce que Plotin appelait l'Intellect, le Nous, la Réalité suprême. Le Nous est ce qui se trouve entre l'Un et le multiple. Pierre Hadot : "Personnellement, je définirais l'exercice spirituel comme une pratique personnelle volontaire destinée à provoquer la transformation de l'individu, la transformation de soi. Avant de se fixer sur l'épithète "spirituel", il a passé en revue différentes options: exercices intellectuels, éthiques, mentaux, exercices de pensée, exercices d'âme, et finalement, dans son intention de parler de la tradition philosophique dans l'antiquité gréco-romaine, il s'est fixé sur les exercices spirituels. Puis il a longuement expliqué ce que ces exercices très spirituels ne sont pas (par exemple, ils ne sont pas synonymes de "théologique" ou de "religieux", car ces derniers n'en sont qu'une partie).

Si Pierre Hadot s'était arrêté à l'épithète "éthique", il aurait dû se lancer dans de longues explications. Comment avons-nous l'habitude d'interpréter le mot "éthique"?

L'éthique est communément considérée comme la doctrine de la moralité et de la vertu, mais prêtons attention au mot grec ancien ἦθος, ethos ("moralité", "disposition", "caractère") et surtout à la célèbre phrase d'Héraclite: ἦθος ἀνθρώπῳ δαίμων (que l'on peut traduire par: "l'ethos de l'homme est son daimon").

Daimon, c'est-à-dire le médiateur entre le monde divin et le monde humain (sans les connotations négatives apparues à l'époque post-antique). Le mot ἦθος a aussi le sens de "demeure". Et qu'est-ce que cette demeure sinon ce point intermédiaire où l'homme et la divinité se rencontrent/se confondent/et/ou se heurtent? Selon Aristote, le point médian est ce que la vertu choisit toujours. C'est sa demeure. "Entre" l'excès et la carence, l'humain et le divin, etc. En fait, lorsque l'immoraliste Nietzsche s'est attaqué à la morale moderne, il l'a fait au nom de la "vertu de style renaissanciste, virtu, une vertu libérée du moralisme". Mais si Hadot avait pris l'épithète "noétique" (pour se tourner vers le grec νόησις pour "penser", νόημα pour "pensée", νοῦς pour " esprit "), son exercice n'aurait pas eu à se distancier des mauvaises connotations associées au concept de "spirituel".

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Selon Hadot, la formation des esprits est le fondement des sciences humaines. La philosophie peut-elle être classée parmi les sciences humaines? Andrei Baumeister souligne que le terme "humanités" est apparu à la Renaissance, au XVe siècle, mais que la philosophie est bien plus ancienne. Peut-elle donc être une science des sciences humaines? Les humanités se concentrent sur l'être humain, sur une compréhension anthropocentrique du monde, alors que la philosophie peut émerger comme une manière de dépasser "l'humain, trop humain".

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Peter Kingsley

Le philosophe contemporain Peter Kingsley a réussi à faire revivre l'approche grecque de la philosophie en tant que mode de vie. Kingsley dit qu'il était EXIGÉ par Parménide, comme il était EXIGÉ par Empédocle. "En retournant dans le monde des présocratiques, en me plongeant dans les textes grecs anciens qu'ils nous ont laissés en héritage, j'ai immédiatement commencé à découvrir quelque chose de tout à fait différent. Ces soi-disant philosophes n'étaient pas des penseurs théoriques ou des escrocs, ils n'étaient pas du tout des rationalistes au sens moderne du terme. Beaucoup d'entre eux se présentaient comme des êtres spirituels extrêmement puissants. Les textes grecs avec lesquels j'ai rapidement été en contact - mal interprétés et mal traduits au cours des siècles - ont montré - lorsque les distorsions et les interprétations déplacées étaient mises de côté - qu'ils représentaient des enseignements spirituels exceptionnels et des techniques de méditation extrêmement puissantes qui pouvaient encore être appliqués et pratiqués aujourd'hui. Je les ai pratiqués moi-même et j'ai ressenti une transformation. Je suis entré en contact avec la lignée de succession et les enseignements des anciens maîtres qui, à l'aube de notre civilisation, ont contribué à façonner le monde occidental et à faire naître notre culture", déclare Peter Kingsley.

John Bussanich écrit: "Il [Kingsley] raconte une conversation qui s'est déroulée au département de philologie classique de l'université de Californie, à Los Angeles, après une conférence sur Parménide. Un représentant du ministère s'est plaint que Kingsley était trop dogmatique et que son interprétation n'était pas meilleure que celle des autres. Kingsley a répondu: "Mais vous et moi ne sommes pas les mêmes. Vous lisez Parménide de manière à pouvoir changer son sens à votre guise. Moi, par contre, j'ai lu Parménide de telle manière qu'il peut me changer’’.

Dans-les-antres-de-la-sagesse.jpgLa notion même de "philosophie" devrait acquérir un autre sens. Rappelez-vous les mots de Nietzsche : "Que les dieux aussi philosophent me semble une pensée digne et pieuse, qui peut donner de la joie même au croyant dévot" ? C'est ce qu'il a écrit dans les brouillons de son livre Dionysos. Expérience de la philosophie divine. On sait que Nietzsche se disait élève du philosophe Dionysos. Sans doute, qu'en philosophant on entre dans la sphère du divin. Et, se référant une fois de plus à Nietzsche, on ne peut s'empêcher de souligner que "tous les philosophes sont des gens qui ont fait l'expérience de quelque chose d'inhabituel". Bien plus tôt, à l'époque de la Renaissance, Pic de la Mirandole avait dit quelque chose de similaire: "Si l'on examine la signification et le sens secret des noms sacrés d'Apollon, on verra qu'ils témoignent que Dieu est un philosophe non moins qu'un devin".

Être philosophe, c'est être celui qui accomplit une action, car la pensée est une action. Si vous n'avez pas encore compris cela, vous n'avez pas encore commencé à penser. Débarrassez-vous de l'idée erronée selon laquelle le philosophe est un employé de bureau qui interagit avec le monde en regardant par la fenêtre et en se livrant à des études académiques sans fin. De même, il faut bannir l'autre notion selon laquelle le fatras sans signification que la plupart des gens produisent est une action.

La philosophie implique une intervention active dans un acte cosmogonique infiniment durable en transformant le monde extérieur, en l'influençant subtilement par l'identification des structures paradigmatiques qui sous-tendent l'univers; la philosophie est, si l'on veut, une tentative de transférer les "images archétypales" du mundus imaginalis dans le monde matériel, le monde des formes.

"Imprimer au devenir les signes de l'être" (comme disait Nietzsche), c'est philosopher, et donc agir.

Le philosophe n'est pas l’homme d’un métier, il est impossible de le devenir. Il s'agit d'une sorte d'assignation ontologique, que l'on réalise ou que l'on laisse s'effacer. Une vieille et belle légende parle de l'ange de la mort, dont les ailes sont constellées d'innombrables yeux. Lorsque l'Ange arrive trop tôt, il se contente de toucher un homme de son aile et, de peur qu'il n'oublie la rencontre, lui donne une paire d'yeux supplémentaire. Des yeux qui regardent la préexistence. La philosophie est donc ce "regard" sur la préexistence. Un philosophe reçoit sa deuxième paire d'yeux en même temps que la première, mais ces yeux ne s'ouvrent pas tout de suite. Ils ont parfois besoin d'un professeur, d'un livre, d'un choc soudain, d'une rencontre avec la mort, d'une expérience du numineux. Les mystères servaient cet objectif dans les temps anciens.

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Nietzsche, qui se sentait contemporain d'Héraclite plutôt que du XIXe siècle, savait que la vraie pensée (et donc, oser penser dangereusement) était une expérience de philosophe divin. La philosophie comme action, comme mode de vie. Dans le livre Nietzsche. Une biographie de sa pensée, Rüdiger Safranski écrit:

"Pour le jeune Nietzsche, la philosophie est une occupation qui envahit puissamment la vie. Elle n'est pas seulement un reflet de la vie, elle contribue aussi à son changement, elle est déjà ce changement elle-même. Penser, c'est agir. Cependant, cela ne fait pas référence à une quelconque pensée et pas à un quelconque penseur. Pour que les vérités soient non seulement trouvées, mais aussi incarnées, il faut ajouter le charisme particulier d'un penseur et le pouvoir vitalisant des idées. Une décennie plus tard, dans Humain, trop humain, Nietzsche qualifiera de tels philosophes, capables d'incarner des idées, de "tyrans de la pensée". Nous en voyons l'exemple le plus classique dans la Grèce antique. Parménide, Empédocle, Héraclite, Platon - tous voulaient "se mettre d'un seul coup au milieu de tout l'être".

Thomas Rohkrämer’s Martin Heidegger: A Political Biography 

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Thomas Rohkrämer’s Martin Heidegger: A Political Biography 

Ex: http://www.counter-currents.com

Thomas Rohkrämer
Martin Heidegger: Eine politische Biographie
Paderborn: Ferdinand Schöningh, 2020

“Heidegger passes the comeback test with the grade of fully satisfactory on both sides.” 

— Carl Schmitt (1950) [1] [2]

“But what is essential is not counting but the right time — that is, the right moment and the right endurance. ‘For,’ as Hölderlin said, ‘the mindful god does detest untimely growth.'” 

— Heidegger, An Introduction to Metaphysics

Céline once said: “Stalingrad. There’s the catharsis for you. The fall of Stalingrad was the end of Europe. There’s a cataclysm. The epicenter was Stalingrad. After that you can say white civilization was finished, really washed up.” [2] [3]

Was he right about that? Stalingrad, the decisive battle for the Germans, was a tragedy and cataclysm, no doubt, but was it really “the end of Europe”? This remark — and this question — have stuck with me since I encountered it here at Counter-Currents last year [4]. It speaks to a problem that I’m most familiar with from the work of Heidegger: Do we have a future?

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At the end of the speech he gave when he assumed the rectorate of Freiburg University in May 1933, Heidegger foretells a future when “the spiritual force of the West fails, cracking in its joints, and its worn-out pseudo-culture collapses upon itself, dragging all forces into confusion and leaving them to suffocate in madness.” At this time, however, the cataclysm is not inevitable, for: “Whether such a thing happens or does not happen, that depends solely on whether we as a historical-spiritual Volk yet still again will ourselves — or whether we no longer will ourselves.” [3] [5] For Heidegger here, to truly “will” (or “want,” wollen, the German word is ambiguous) and assert “ourselves” is much more demanding than a thoughtless, vain, greedy insistence on the importance of one’s identity, power, or interests. For us to want and will ourselves, as a people, requires that we “know who we ourselves are,” and this knowing in turn can come only out of rigorous reflection on our Western historical Being — our heritage, our contemporary situation in its crisis, and our future possibilities — that is, it requires the guidance of a “thinking” of the peculiar sort that we now find at work in all of Heidegger’s writings. But, by the end of the war, in May 1945, it had long been clear that this extraordinarily noble effort at last-ditch resistance had failed.

Where then does that leave us, in Heidegger’s view? For a long time, on the basis of a slight acquaintance with his later work, I was of the opinion that, all-in-all, and despite the vague, dimly hopeful intimations of the future — such as his musings on a “homecoming race” (heimkehrenden Geschlecht) in his reading of poet Georg Trakl [4] [6] — Heidegger basically agreed with Céline: “we’re finished . . . really washed up!” But of late, other writings, such as Contributions to Philosophy (which contains the most focused and extensive reflection on what another, new, beginning or “inception” in our history would involve), along with entries in the recently published Black Notebooks from the late 1940s, make me reconsider this opinion. And now this new “political biography” by Thomas Rohkrämer provides much more support for a revision of our understanding of Heidegger’s postwar work. [5] [7]

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I had in fact given up reading Heidegger biographies decades ago on account of their unbearable, indignant tone, the way they play up the most trivial details of Heidegger’s rectorship for the sake of scandal, and especially their utter obliviousness to what is truly at stake in his political engagement and thinking. The authors of these books almost invariably seem to see themselves as self-appointed officials on Heidegger’s denazification “cleansing committee” (Bereinigungsausschuss), reconvened a half-century later — and in continuous session ever since — to prosecute him for sins that went undetected and unpunished the first time around. But Rohkrämer’s book is altogether different and worthy of your attention if you have interest in Heidegger — and even if you don’t, for it might spark one. (Yes, unfortunately, the book is in German, but perhaps a favorable review at Counter-Currents will induce the publisher to put out a translation sooner rather than later.) 

Rohkrämer’s account is dispassionate and sober, but yet utterly engaging at the same time, the latter by virtue of his keen sense for what the main issues are for Heidegger, as well as a talent for presenting them. He has clearly read — and, I now see, written [6] [8] — much about the men who were grouped together and designated members of the “Conservative Revolution in Germany” (Heidegger, Schmitt, Spengler, Ernst, and Friederich Georg Jünger, among others) on account of their common advocacy of nationalist, elitist, anti-liberal, and generally anti-modern metapolitical ideas in the 1920s and early 30s. 

However serious and deep Rohkrämer’s interest in his subject, he maintains a cool, scholarly, objective distance from it by means, for example, of a most frequent use of the word angeblich (“would-be,” “supposed”), in expositing Heidegger’s opinions (as in, “the Germans are the would-be ‘shepherds of being’”). 

While Rohkrämer is often critical of Heidegger’s ideas, his criticisms are not unduly obtrusive, for they come in the form of questions that illuminate the matter at hand, rather than serve the usual purpose of self-righteous posturing. For instance, in a discussion of Heidegger’s conception of the genuine work of art as something that opens and grounds a “world,” — with a Greek temple the prime example — Rohkrämer not only sees (as most readers do not) that art here is political in that it shapes the outlook of a community, he goes further and points out something absolutely crucial that Heidegger himself does not make explicit: that this community must be ethnically and culturally homogeneous. “A community founding work of art stands in tension with a pluralistic world. Can the ‘Greek paradigm’ again become alive for a multicultural nation, or is there not a clear affinity to a rigorously ordered community which is united in a communal belief?” [7] [9] And then, to elaborate the point, he considers Leni Riefenstahl’s Triumph of the Will and whether it is not the best contemporary analogue of the Greek temple for the way in which helps establish and unify a people.

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Rohkrämer’s treatment of Heidegger on art is just one instance of many where he takes up a theme of Heidegger’s work that is not obviously “political” to many or most readers — religion, “authenticity,” the Greek “inception,” technology are others — and shows how Heidegger’s concern with it is bound up with his radical völkisch metapolitics. This suggests that genuine philosophic thinking itself, for Heidegger, grows out of, or simply is, at root, the highest expression of the care for “one’s own.” [8] [10] 

But what I find most useful about this book is the attention paid to the question of the continuity of Heidegger’s ethnonationalist concerns after the war, which was our initial query here: do the peoples of the West have a future, in Heidegger’s view? Is his work still devoted to “another inception” in our history? And if so, how does he do this, after the war, under the oppressive conditions of the American occupation and the new German Bundesrepublik? And, further, if his focus on preparation for “another inception” is maintained throughout the post-war era, why is there the impression that he has given up serious efforts at the “salvation of the West” that he spoke of so movingly in 1937? [9] [11] This is a large constellation of questions, yes, but one might begin to orient oneself here by considering one question posed in a section title in chapter five, the most rewarding part of Rohkrämer’s book: “Continuity in Change: An Unsuccessful Denazification?” The following discussion is less a review of Rohkrämer’s excellent book, than my own rumination on these matters after an initial reading of the Black Notebooks and other texts from the years of occupation.

But first, what does it mean to speak of “völkisch metapolitics” — what is it that Heidegger is supposed to have “continued” or preserved after the war? For, admittedly, Heidegger never uses such a phrase to describe his own thinking or opinions — indeed he always resists, modifies, calls into question, or rejects altogether the use of such words in the meaning they carry in everyday “public” discourse. This holds true for concepts like “Volk,” “politics,” and “nationalism,” as it does for “being,” “world,” “truth,” “death,” “history,” “present,” “past,” “present,” and “future.” This state of affairs, the “uprootedness” or “fallenness” of all language from a stratum of “primordial” signification, is what makes the work of inquiry, understanding, and clarification both necessary and challenging. In any case, Heidegger articulates what we will call his “nationalist” preoccupations in this 1945 explanation of his motivations at the beginning of the preceding decade: “I then saw in the movement coming to power the possibility for an inner gathering and renewal of the Volk, and a way in which it could find its historical-Western determination.” [10] [12] Heidegger, as far as I can tell, never repudiates this “possibility” of German and Western renewal. However, from early on, he did indeed criticize and come to reject National Socialist public ideology and government policy as a way of actualizing this possibility. In other words, what we might call Heidegger’s ethononationalism is to be distinguished from “what is peddled about today as the philosophy of National Socialism” — although it might coincide with the “inner truth and greatness” of the latter that Heidegger affirmed in 1935 — and then reaffirmed in 1953. [11] [13)

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[14]

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Heidegger’s criticism of National Socialism can be boiled down to two interrelated points. First, aside from whatever virtues they may have possessed, “these people,” i.e., the leaders of “the movement,” were “too naïve” in their thinking (as Heidegger said in his 1966 interview with the magazine Der Spiegel.) [12] [16] There was no one sufficiently “prepared” or “educated” to understand the depth of the problem posed by modern, technological nihilism, and what would constitute an adequate response. Second, despite its initial will to confront technological machination, National Socialism became manifest as just another form of the “will-to-power,” the metaphysics that governs the planet — then and now — and which was most adequately thought and described by Nietzsche and Ernst Jünger respectively. After an intense, decade-long confrontation with Nietzsche, [13] [17] Heidegger concluded that the very “desire to overcome” nihilism, [14] [18] metaphysics, and modernity has paradoxically led the Germans to become more inextricably entangled in its web.

And, aside from these criticisms, Heidegger came to see that it was an “error” on his own part to have not realized that the time for a new beginning had not yet arrived. “The error of 1933 consisted in the fact that it was not recognized how little prepared the forces were, and how little historically suitable.” [15] [19] But he still insists that the decision in 1933 was “essential” and not an error “in the world-historical sense” because the National Socialist regime was never considered to be an ultimate end or goal, but only a transition to something else, and thus an experience that one must first pass through in order to learn the lesson that must be learned. Whatever the error (or errors — Heidegger gives various descriptions of “der Irrtum 1933”), this self-reflection does not occasion regret, self-reproach — and certainly not guilt — but only further inquiry into the origins of the contemporary crisis, with a view to preparation for another commencement. Although this guiding intention remains throughout his life, from at least the late 1920s until his death in 1976, both the sense of what is possible, and the manner in which it can be communicated, changes at certain junctures, most notably in 1945, with the defeat, occupation, and “denazification” of Germany.

imagesMHP.jpgHeidegger’s struggles under persecution during this era are of special interest for us today, given that we all now find ourselves subject to a new stage in what is basically the same process, what Stephen Paul Foster calls “Denazification, American Style [20].” Heidegger can help us confront this problem, for nobody has thought more deeply about this globalist-liberal attempt to irradicate the attachments to “one’s own” — family, Volk, race, community, land, heritage, customs, future — within the peoples of the West, and nobody has done more to prepare for a possible restoration of Western rootedness.

Like most Germans who held official positions in the Third Reich, Heidegger was called before a “cleansing committee,” commissioned to investigate and punish supposed wrongdoings. He recognized that the real aim of the authorities here was to make the Germans feel and think themselves “guilty” in their very being for the suffering that humanity had experienced in the preceding half-century. Heidegger viewed the effect and significance of the occupation, and even the specific efforts to purge him and his work, in the deepest and broadest of terms. “However terrible to bear the destruction and devastation which have descended upon the Germans and their homeland may be, all that never reaches to the self-annihilation which now threatens our being [Dasein] in the betrayal of thinking.” [16] [21] 

This process is to be understood as “self-annihilation” — and not simply the assault of foreign enemies — for a number of reasons. Heidegger’s own case was tried before his university senate, and so, as was typical with denazification tribunals, this was a case of “German against German.” [17] [22] And whereas earlier, in 1937, Heidegger saw Germany and Europe as threatened by the foreign, “the Asiatic” (whatever that means), now after the war it becomes clear that the Americans are most properly viewed as Europeans, and that the destruction of Europe — “the work of the Americans” — is in truth Europe’s “self-destruction.” [18] [23] 

Moreover, as talk of German “guilt” and “disgrace” dominate public life, Heidegger reprises his early critique of the Christian-moral understanding of “guilt” and responsibility as a way in which Dasein evades and conceals from itself a fundamental awareness of its own groundlessness — i.e., that nothing and no one is ultimately responsible for the way things are. [19] [24] He now speculates on how the “artificially staged” discussion of guilt is a “façade” that conceals the true crisis faced by Germany and the West. [20] [25]

So at age 51 — the prime of life for a philosopher and teacher — Heidegger was expelled from university life: forced into retirement, denied a pension, forbidden to take part in university activities, and worst of all, from his own point of view, denied permission to teach students in any capacity. [21] [26] Considering the magnitude of the atrocities suffered under the Americans and Soviets, one might believe Heidegger fortunate. 

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But for Heidegger, this ordeal was experienced not so much as a personal affront and loss, but as the annihilation of the possibility of “thinking” itself, and that means the annihilation of the possibility of any future for Germany and the West. [22] [27] This sense of what is at stake here rests upon Heidegger’s own peculiar understanding of what “philosophy” or thinking “can and must be,” and that is (according to An Introduction to Metaphysics [1935]): “a thinking opening of the paths and vistas of the knowing that establishes measure and rank, in which and out of which a Volk conceives its Dasein in the historical-spiritual world and brings it to fulfillment — that knowing which ignites and threatens and necessitates all questioning and appraising.” [23] [28] 

Along with Fichte, Shelling, and Hegel, Heidegger had considered the German university to be the “innermost determining center” of the Volk, the place where this national educational mission of philosophy is fulfilled. [24] [29] And he accordingly saw that this leadership role would be lost as authentic philosophy was replaced with “ersatz forms,” content to be the slave of “international moralism.” Newly vacant university positions could now be filled by the cultural Marxists who had left the country in the 1930s, and were now free to exact vengeance on Germany and the West, as Heidegger understood them. [25] [30]

For Heidegger, it was not only the Americans who failed to recognize that the destiny of the West depends entirely on the fate of authentic philosophic thinking. Under the “modern orders that have long prevailed” even the “nationalists of both young and old stamp” — and he here seems to include völkisch nationalists and radical conservatives — never acquired an adequate experience of “the world-wide historical determination of the Germans,” because they never seriously reflected on the questions such as: “who are we?” and “what is ‘our own?’” Heidegger now laments this “betrayal” because the Germans who have ascended to power under the victors are stridently hostile to any concern with the German heritage and destiny. 

It is not that they have become indifferent and simply unreflective, rather they have adopted the mission of the enemy: “to pursue like a shadow and hinder every awakening into our own.” [26] [31] Under occupation and denazification, the Germans have made what is most “their own” into their enemy. Heidegger illustrates this now commonplace state of affairs with an odd quotation from an order which Winston Churchill, as Minister of the Navy in WWI, gave to British forces. He directed them to view “their own” vessels as possible enemies: “Be prepared to shadow possibly hostile men-of-war and consider H. M. ships under your command from this point of view.” [27] [32]

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Heidegger believed that he was singled out for special persecution because of the danger that his thinking posed to the global liberal order. In a curious document (composed in 1946, but published posthumously in 2000), which presents itself as an unsent letter to an unnamed friend, Heidegger discloses — to us, readers of later generations — what he deliberately kept secret at the time. He writes, “Along with others, you wonder why my ‘denazification’ is still not finished. That can easily be explained. My being pushed to the side [Beseitigung] basically has nothing to do with Naziism. Rather, they sense something unsettling in my thinking, perhaps something uncanny, and they would like to get rid of it — that they at the same time take an interest in it, is only proof of this. . . . And as sharply as the Russians — i.e., European communistic technicism (which is not Russia) — oppose my thinking, just as clearly is it against the Anglo-American technocracy.” [28] [33] All contemporary ruling powers would thus discern a danger in Heidegger’s thought. 

At the same time, he hints here that beyond or beneath and against the planetary technocracy there lies something like a “secret Russia” — just as he elsewhere suggests that there is a “secret Germany” and a “secret Evening-land” (i.e., the Occident or West), which has not been destroyed in the war, indeed has not yet emerged. [29] [34] In 1945, Heidegger writes, “Everyone now thinks about our downfall [Untergang]. But we Germans cannot go under, because we have not yet arisen and must first pass through the night.” [30] [35] The question we are left with then is: how do “we” make it through the night of the world, how do “we” prepare ourselves for a new morning?

The anonymous — most likely fictive — correspondent appears to have asked why the formal denazification process has not been terminated, as if to inquire, “why is your case taking so long?” But Heidegger’s response to the question seems to rely on a different sense of the word “unfinished.” With their reeducation efforts, the occupation authorities surely intended to elicit from the “guilty” ones a total repudiation and repentance of the thoughts, opinions, commitments, tastes, attitudes, and sentiments that they associate with what they call “Naziism.” If this is so, Heidegger’s “denazification” would never be “finished,” at least in the sense intended by these authorities.

And this seems to be the point Rohkrämer has in mind when he speaks of Heidegger’s “failed” or “unsuccessful” denazification. Rohkrämer provides much evidence of Heidegger’s resistance to the pressure exerted upon him to recant, “apologize,” admit his supposed “guilt” and alter the anti-liberal, anti-democratic, anti-American, nationalist direction of his thinking. Moreover, after the war, in 1945, precisely when the saving justice of American liberalism is supposed to have cleansed the world of the scourge of “German nihilism,” Heidegger writes that we now experience the full “completion of nihilism” and that the possible future recovery has already been announced in, and only in, “the poetic thinking and singing of the Germans.” [31] [36] Whereas in 1934 Heidegger had spoken of the “darkening of the world” (Weltdüsterung) to describe the historical moment, he now under American domination in 1946 suggests that “the world’s night is approaching its midpoint.” [32] [37] And unlike Celine’s Journeythis “night” may very well lead to morning (although it may require a few hundred years.)

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So for Heidegger, the postwar period is truly a “needy time”: the philosopher who united thinking and teaching like no one before, and became the very greatest of teachers, found himself “deplatformed,” barred for the foreseeable future from lecture hall podium and the seminar. In this situation, there is no way Heidegger could openly educate those he calls “the ones to come” [33] [38] — die Zukünftigen — to enact a future “inception” and “homecoming” for Western man, and all of Heidegger’s postwar publications must be read with this in mind. Heidegger must now teach primarily through his writings, and these must, on the one hand, preserve and hold open essential possibilities for the “ones to come” who may live in the very distant future, and on the other hand, be sufficiently intelligible, interesting, and unoffensive to contemporaries that they are studied and preserved for that future.

Given the magnitude of these difficulties, the question as to how Heidegger carries out the task of saving the West in such an unpropitious time looms larger. In the note about his “unfinished” denazification, he claims, “I have been silent in thinking, not only since 1927, since the publication of Being and Time, but rather in this itself and constantly before.” [34] [39] Heidegger thus suggests that he always wrote for publication in a manner that somehow conveys what is essential, even as it preserves itself from both public distortion and persecution: by keeping silent.

This reference to meaningful silence may help explain, for example, why all explicit reference to das Volk — central even to the writings of the late 1930s — just disappears in the postwar publications (but not from the then-unpublished notebooks.) Heidegger obliquely calls attention to his deliberate silence about the Völkische in his response to an interview question about speeches he gave during his rectorate: 

I would no longer write the lines you quote. Already in 1934 I would no longer have spoken them. But I would still today and even more decisively than before deliver the speech on the “Self-Assertion of the German University,” although without the reference to nationalism. Society has stepped into the place of the Volk. But in that respect the speech would today be spoken into the wind just as it was then. [35] [40] 

Here we see how Heidegger adapts his discourse to altered historical circumstances, and that this adaptation requires consideration of what is politically appropriate and permissible to say, consideration of what is actual today (i.e., a liberal society of individuals in place of a Volk), and consideration of whether what one says will be heard and understood, or “spoken to the wind.” The circumstance that the Volk has been replaced by the liberal society of uprooted, historyless individuals would seem to render the possibility for an “inner gathering and renewal of the Volk” in the future especially problematic. [36] [43] 

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Rohkrämer helps us see how Heidegger and his compatriots on the political right modified their rhetoric in response to the difficulties posed by the oppressive post-war order. “One could no longer publicly express racism, but [other topics] — anticommunism, thoughts on the national community and the wishes for communal beliefs, the rejection of mass society, the call for an influential spiritual elite, cultural anti-Americanism, and the glorification of the Western tradition — could all very well be discussed.” [37] [44]

But here again, in this context, it is crucial to remind ourselves that throughout the post-war years, Heidegger never loses sight of the fundamental “errors” of National Socialism. I stress this point not as an “apologist” intent on preserving what remains of the academically respectable reputation of Heidegger (and the study of his works) from the presumed stain of fascism. Heidegger himself, and then also the public advocates managed or influenced by him, tried of course to put as much distance as possible between him and National Socialism. And we are grateful for their success: thanks to them, Heidegger’s stature as one of the greatest thinkers of the West has been established, his works are available everywhere, and many very helpful studies (including Rohkrämer’s) have been produced. The possibility of a new inception has thereby been handed down to us and future generations. 

Nevertheless, we must recognize that this respectability has been built upon misunderstandings, or partial, superficial understandings, that make aspects of Heidegger’s thinking appealing to the liberal sensibilities of his contemporaries, but which distort or conceal his ethnonationalism. In any case, for us, the serious meaning of his twofold criticism of National Socialism — again, that leaders were unprepared in their thinking, and that the movement was too early because metaphysics had not yet reached its completion through planetary technocracy — is that it points to the necessity of making the hitherto inadequate or missing preparations for a new inception.

Taking only his most public statements into consideration, this task does not appear to be anything one would recognize as “political.” Consider, for example, Heidegger’s famous reply to a menial journalist, who asked if philosophy could do anything about the movement towards an “absolute technological state”: “Let me respond briefly and somewhat ponderously, but from long reflection: philosophy will not be able to effect an immediate transformation of the current condition of the world. This is not only true of philosophy, but of all merely human hitherto thought and endeavor. Only a god can save us. The sole possibility is to prepare a preparedness [eine Bereitschaft vorzubereiten] for the appearance of the god in thinking and poetry, or for the absence of the god in decline.” [38] [45] 

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Thus Heidegger’s postwar focus on seemingly unpolitical topics — the essence of modernity, the problem of nihilism, technology, “poetic dwelling,” modern “homelessness,” language, and the origin and end of the history of the West — in fact serves the purpose of “preparation” for a new “inception,” a new form of ethnonationalist metapolitics in the future, at the right moment. In the conclusion of his book, Rohkrämer brilliantly describes this “continuity” of Heidegger’s concerns, and why they are subversive in a liberal, multicultural society: 

Like most right-wing intellectuals, Heidegger deradicalized himself, and yet he remained anti-democratic and elitist, because he expected an awakening of the sense for the holy only from exceptional poets and thinkers. He remained focused on the Völkische, because for him the important things could emerge only out of one, above all his own German tradition, and not out of the effect of a pluralistic mixing and cross-pollination. Also, his conviction that only a god could save humanity points to the denial of plurality: in his vision of an ideal future, men are unified in a communal belief in one god. For being-with-one-another, or at least a harmonious coexistence in a world with different ideals in cultures and sub-cultures, Heidegger offers no answer. [41] [48] 

According to Rohkrämer, then, Heidegger’s ideal future would presuppose ethnic, racial, and cultural homogeneity throughout the countries of the West, even as these are to be transformed and grounded anew through revolutionary, founding works of thinkers and poets. While that sounds right, it points to a further difficulty for us: what if the culture of “denazification” (i.e., “modernity”) brings ever more “pluralistic mixing,” such that “the holy heart of the peoples” (Hölderlin) — and thereby the West as a whole — dissolves into a multicultural dystopia?

Heidegger clearly saw that the trajectory of globalization was moving towards a world society and even a world government. [42] [49] And he clearly “hears,” and in his own way responds to, the “call to reflect on the essence of planetary domination” that he speaks of in his exchange with Ernst Jünger on nihilism. [43] [50] At the time that he writes this, in 1950, the peoples of Europe were still fairly homogeneous, and so it would not be surprising if many simply lacked awareness of the perils of encroaching pluralism. And in such a climate of moral opinion, no one, certainly not NSDAP members, was free to openly voice such concerns if he had them — as we today can surely appreciate. But given the depth of his preoccupation with the problem of a world society, and given the continuation of his völkisch concerns after the war, it is likely that Heidegger remains focused on the task of “preserving” and restoring the rootedness and integrity of the peoples of the West. [44] [51] And so we can now return to Heidegger’s postwar work and give it a much more careful reading, animated now by the hope that he can help us in our plight.

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Notes

[1] [52] Carl Schmitt, Glossarium: Aufzeichnungen der Jahre 1947-1951 (Berlin: Duncker & Humblot, 1991), p. 297. 

[2] [53] Interview in the Paris Review, June 1, 1960.

[3] [54] Martin Heidegger, Reden und andere Zeugnisse (GA 16), p. 107; tr. in The Heidegger Controversy, ed. Wolin, p. 29.

[4] [55] Unterwegs zur Sprache (Stuttgart: Neske, 1959), p. 80; tr. (by P. Hertz), On the Way to Language, p. 196. Of course, this translation renders “Geschlecht” as “generation.”

[5] [56] Thomas Rohkrämer, Martin Heidegger: Eine politische Biographie, Schöningh, 2020.

[6] [57] See Thomas Rohkrämer, A Single Communal Faith: The German Right from Conservatism to National Socialism (New York: Berghahn Books, 2007). From the little that I have just read of this earlier work of Rohkrämer, I can say that it is a rich and sensitive history of the “volkisch nationalist” and “conservative revolutionary” movement, both of which overlapped with each other, and prepared the way for — but ought not be identified with — National Socialism. It puts me in a mind to write another review article, one that focuses on the relation of atheism, anti-Judeo-Christianity, and völkisch-political religiosity in Heidegger and other thinkers of the German Right, a topic touched upon towards the end of my review here.

[7] [58] Rohkrämer, Martin Heidegger, p. 122. 

[8] [59] See, especially, Part Three of Heidegger’s wartime lectures on Hölderlin’s “Remembrance” (“Andenken”), titled: “The Search for the Free Use of One’s Own.” Hölderlins Hymne “Andenken” (GA 52); tr. (by. W. McNeill) Hölderlin’s Hymn “Remembrance.” 

[9] [60] “Europa und deutsche Philosophie.” In Europa und die Philosophie (Frankfurt: Klostermann, 1993), p. 41.

[10] [61] GA 16, p. 374.

[11] [62] Heidegger, An Introduction to Metaphysics, trans. Fried and Polt (Yale University Press, 2000), p. 213.

[12] [63] GA 16, p.677; tr. in The Heidegger Controversy, ed. Wolin, p. 111.

[13] [64] Heidegger’s multi-volume Nietzsche (tr. by D.F. Krell) and the condensed version of these lectures in the essay, “Nietzsche’s Word ‘God is Dead,’” (in Off the Beaten Track), along with his rectoral address, “The Self-Assertion of the German University” (see fn. 3 above), are in my opinion the best entryways into Heidegger’s thought.

[14] [65] Heidegger, Wegmarken (GA 9), p. 52; tr. (by W. McNeill) Pathmarks, p. 320.

[15] [66] Anmerkungen I-V (Schwarze Hefte 1942-1948)(GA 97), p. 147.

[16] [67] GA 97, p. 83.

[17] [68] GA 97, p. 80.

[18] [69] GA 97, p. 143.

[19] [70] See section 58 of Being and Time. Heidegger here deepens the understanding and critique of the “moral” understanding of guilt and conscience initiated by Nietzsche in the Genealogy of Morals. Heidegger is usually very reticent, for some reason, about the role of Judeo-Christian morality and metaphysics in the process of European “self-annihilation,” but it occasionally surfaces in the notebooks, for example, when he writes that Christendom (Christentum) has “nothing to do with the West, because it denies the domain of the Greeks (Griechentum)” (GA 97), p. 144.

[20] [71] GA 97, pp. 134-35.

[21] [72] Some of these sanctions were partially lifted in later years as Heidegger succeeded in making a “comeback” — as Schmitt calls it — to public respectability. Most notably, he was permitted to teach two lecture courses (in 1951/52 and 1955/56 at Freiburg University, both of which were later published as books and translated into English: Was heisst Denken? (What is Called Thinking?) and Der Satz vom Grund (The Principle of Reason). Both works, rambling and unfocused as they may have seemed on first glance (at least in comparison to the earlier Heidegger) will reward careful reading by die Zukünftigen as they consider how they must “prepare” themselves.

[22] [73] “It concerns the betrayal of thinking, and that means of the historical determination of the Volk” (GA 97), p. 83. Also, “It doesn’t concern my person, or even the possibility or impossibility of stepping out publicly, but rather only about the question as to whether my work will be used for the salvation of our own essence” (GA 97), p. 80. 

[23] [74] An Introduction to Metaphysics, p. 11.

[24] [75] See Heidegger’s 1934 lecture, “Die deutsche Universität” (GA 16), pp. 285ff.

[25] [76] Rohkrämer, Martin Heidegger, pp. 176, 231, and cf. Was heisst Denken, (GA 8), pp. 92ff.

[26] [77] GA 97, p. 84.

[27] [78] GA 97, p. 84.

[28] [79] GA 16, p. 421.

[29] [80] “But ‘Europe’ is not the Evening-land. The latter returns into the twilight and disappears for a long time in the world night. But it does not go under, because it cannot go under, since it has not yet emerged” (GA 97, p. 143). Also see Heidegger’s essay on the poetry of Georg Trakl (in Unterwegs zur Sprache; tr. On the Way to Language: “A discussion of his poetry shows us Georg Trakl as the poet of the still hidden Evening-Land.” (p. 81; tr. p. 197).

[30] [81] GA 16, p. 371.

[31] [82] GA 16, p. 390. 

[32] [83] “Wozu Dichter,” in Holzwege, 6th ed. (Klostermann, 1980), p. 267; tr. (Young and Haynes), Off the Beaten Track, p. 201.

[33] [84] “It is necessary to prepare the ones to come. Inceptual thinking serves this preparation as silent reticence of enowning. That thinking is only one way, in which the few venture the leap into be-ing.” Beiträge zur Philosophie (GA 65), p. 395.

[34] [85] GA 16, p. 371. 

[35] [86] GA 16, p. 657.

[36] [87] GA 16, p. 374.

[37] [88] Rohkrämer, Martin Heidegger, p. 176.

[38] [89] “Spiegel-Gespräch,” (GA 16), p. 671.

[39] [90] Beiträge zur Philosophie, (GA 65), p. 398; tr. (by Emad and Maly), Contributions to Philosophy, p. 257.

[40] [91] Seminare: Hegel—Schelling (GA 86).

[41] [92] Rohkrämer, Martin Heidegger, p. 239.

[42] [93] See for example the end of “Aniximander’s Saying” (composed in 1946, published in 1950): “Man is about to hurl himself upon the entire earth and its atmosphere, to arrogate to himself the hidden workings of nature in the form of energy, and to subordinate the course of history to the plans and orderings of a world government.” (Off the Beaten Track, p. 280.)

[43] [94] Wegmarken (GA 9), p. 425; tr. (by W. McNeill), Pathmarks, p. 321.

[44] [95] “Our historical Dasein experiences with increasing urgency and clarity, that its future has arrived at the naked either-or of a salvation of Europe or its destruction. The possibility of salvation however demands two things: 1. The preservation of the European peoples before the Asiatic. 2. The overcoming of their own uprooting and separation.” (“Europa und Deutsche Philosophie.”)

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[4] here at Counter-Currents last year: https://counter-currents.com/2020/05/in-search-of-celine/

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[15] here: https://counter-currents.com/2020/09/graduate-school-with-heidegger-2/

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[20] Denazification, American Style: https://counter-currents.com/2021/01/denazification-american-style/

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[42] here: https://counter-currents.com/what-is-a-rune-other-essays-order/

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dimanche, 16 mai 2021

Dmitry Orlov : Mon credo politique

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Dmitry Orlov : Mon credo politique

Par Dmitry Orlov 

Source: Club Orlov

Compte tenu du haut niveau de polarisation politique aux États-Unis et, de plus en plus, en Europe occidentale, il semble assez important d’éviter de se retrouver pris entre deux feux. Certains esprits curieux voudront peut-être savoir quelle est ma position politique : suis-je un Trumpiste ou une groupie de Biden ? Suis-je un communiste ou un fasciste ? Il ne sert à rien de dire aux gens que je ne suis rien de tout cela. Les gens supposent automatiquement que si vous n’êtes pas une chose, alors vous devez être l’autre. Heureusement, j’ai un credo politique fondé sur des principes. Ce n’est même pas individuellement le mien ; je le partage avec mon collègue Sergei Vasilyev et probablement avec tout un tas d’autres personnes raisonnables qui l’accepteront volontiers comme le leur après l’avoir lu. Et donc, sans plus attendre, voici mon credo politique (et celui de Sergei).

41oXOkGV+9L._SX331_BO1,204,203,200_.jpg1. Je crois que seul le gouvernement fédéral peut et doit être le centre de pouvoir qui concentre les ressources et les dirige vers des activités qui ne peuvent ou ne doivent pas être gérées sur une base lucrative. Cette liste comprend toutes les activités qui forment la structure cohésive de l’État et qui lient les citoyens en un tout bien coordonné : l’exploitation et la protection des ressources naturelles, la construction de routes, les communications, la sécurité publique et la défense, les infrastructures sociales telles que les transports en commun et les installations de loisirs, les soins de santé et l’éducation. Tout cela doit être tenu par un seul ensemble de mains très fortes. Cela fait de moi un gauchiste totalitaire – un de ceux qui préconisent toujours un rôle accru pour le gouvernement.

2. Simultanément, je crois que le gouvernement, qu’il soit fédéral ou local, a un rôle purement consultatif et de supervision dans des domaines tels que la restauration, l’habillement et la chaussure, le toilettage des chiens, la réparation automobile et mille et une autres activités du quotidien, où une lourde bureaucratie gouvernementale n’a aucune chance de suivre la cadence d’entrepreneurs privés agiles. Bien sûr, le gouvernement peut et doit fixer et faire respecter des normes de qualité, de sécurité publique et d’environnement, des lois sur le travail et maintenir et mettre à jour toutes les réglementations applicables, en établissant, chaque fois que cela est possible, des partenariats public-privé dans le but de contrôler et de rendre compte de la conformité. Cela fait de moi un capitaliste de droite – un de ceux qui plaident constamment pour une implication minimale du gouvernement dans l’économie.

3. Je crois que le gouvernement ne devrait pas escroquer le public par le biais des taxes, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu, de la taxe sur la valeur ajoutée ou de la taxe sur les ventes. Plus précisément, le travail ne devrait pas être taxé – jamais, du tout. Le gouvernement est (ou devrait se rendre, en réquisitionnant les ressources) suffisamment riche pour payer sa propre part en exploitant et en faisant payer un loyer pour toutes les ressources naturelles qu’il possède et/ou contrôle directement, en fixant des droits de licence suffisants, des tarifs d’importation et d’exportation, des droits sur l’utilisation commerciale des chemins de fer, des routes et des communications électroniques, etc. Je suis sûr que, libérés du joug de la fiscalité gouvernementale, les entreprises et les particuliers prospéreraient. Cela fait de moi non seulement un capitaliste de droite mais aussi un libertarien radical – un de ceux qui affirment toujours que l’impôt est un vol et qui demandent que tous les impôts soient abolis.

51Ylnnb1XcL._SX332_BO1,204,203,200_.jpg4. Afin de remplir toutes ses obligations énumérées dans la section 1 ci-dessus, le gouvernement doit avoir accès aux ressources. À cette fin, je crois que le gouvernement doit avoir un accès garanti à toutes les ressources dont il a besoin, quelle que soit la situation financière des particuliers ou des entreprises privées. Les retraites doivent être payées et les routes doivent être entretenues, quels que soient les sentiments des entreprises et des super-riches à ce sujet ou l’ingéniosité dont ils font preuve pour éviter les impôts en cachant leur argent dans des paradis fiscaux offshore et en utilisant d’autres astuces de ce genre. Encore une fois, la meilleure façon d’obtenir ces revenus est de fixer stratégiquement des taux sur l’utilisation des ressources, surtout des ressources énergétiques, qui devraient être réquisitionnées selon les besoins et maintenues sous le contrôle direct du gouvernement. Cela produira l’équivalent d’un système d’imposition progressif, puisque les riches consomment beaucoup plus que les pauvres. Cela fait de moi à la fois un socialiste – l’un de ceux qui se prononcent toujours en faveur de l’impôt progressif – et un capitaliste d’État – l’un de ceux qui croient en un secteur public important et rentable.

5. Je crois que le gouvernement doit être formé de cadres de la plus haute qualité : responsables, motivés pour obtenir des résultats, honnêtes, incorruptibles, patriotes et travailleurs. Cela fait de moi non seulement un gauchiste, mais aussi un communiste pur et dur.

6. Je crois que si quelqu’un fait du bon travail dans sa position d’autorité, que ce soit dans le secteur privé ou dans le gouvernement, il devrait avoir la possibilité de rester dans cette position jusqu’à la retraite. Il est tout simplement stupide de demander à quelqu’un d’investir des années dans l’apprentissage d’un travail compliqué et exigeant pour le remplacer par quelqu’un d’inexpérimenté et donc moins compétent dans le seul but d’imposer des limites artificielles à la durée du mandat. Les républiques bananières se caractérisent par le fait que la plupart des progrès réalisés par une administration sont, dès la fin de son mandat, immédiatement annulés par la suivante. Les personnes dont les postes sont essentiellement honorifiques et établis dans le but d’assurer la continuité et la stabilité politique devraient conserver leur emploi aussi longtemps que possible, dans de nombreux cas jusqu’à la mort, et dans certains cas, ces postes honorifiques devraient être hérités. Cela fait de moi un monarchiste pur et dur.

41G9p4zGYpL._SX332_BO1,204,203,200_.jpg7. Je crois que les hommes politiques doivent assumer l’entière responsabilité de leurs paroles comme de leurs actes, et que cette responsabilité doit être mise en œuvre par le biais du droit administratif et pénal. Les politiciens doivent assumer la responsabilité personnelle et matérielle de toutes les promesses qu’ils font pendant leur campagne et le non-respect de ces promesses devrait être assimilé à une rupture de contrat et à une négligence criminelle. Cela fait de moi non seulement un gauchiste mais aussi un stalinien pur et dur, puisque c’est sous Staline que les fonctionnaires ont particulièrement découvert la facilité de passer d’un travail de bureau à un travail à l’extérieur avec un pic à glace et une pelle à neige.

8. Je trouve déraisonnable d’espérer qu’un électorat irresponsable et incompétent élise des politiciens responsables et compétents. Je peux comprendre que le vote pour un chef d’État puisse être utile en tant qu’exercice patriotique – un acte d’acclamation où la masse de la population peut exprimer son approbation pour son dirigeant bien-aimé. Je peux également voir comment un vote public libre et honnête est un bon mécanisme pour choisir les fonctionnaires. Cela fait très certainement de moi un démocrate. Mais le choix des politiciens est une responsabilité sérieuse et chaque vote exprimé devrait être traité non pas comme un sondage d’opinion utilisé pour guider la sélection, mais comme une délégation directe et personnelle d’autorité et une garantie personnelle. Si l’élu s’avère ensuite être un criminel qui escroque le public, alors ceux qui ont voté pour lui doivent être tenus responsables du paiement des dommages et intérêts. Et si un groupe de fonctionnaires utilise des preuves falsifiées pour déclencher une guerre génocidaire dans laquelle de nombreuses vies innocentes sont perdues, alors eux, ainsi que tous ceux qui ont voté pour eux, devraient être jugés comme des criminels de guerre, dûment reconnus coupables et condamnés, selon le jugement du tribunal, soit à une vie entière de travaux forcés, soit à une exécution immédiate par un peloton d’exécution. Je ne sais pas si cela fait de moi quelqu’un de gauche ou de droite, ou peut-être les deux à la fois, mais je suis définitivement internationaliste dans la mesure où je crois qu’aucun pays – ses responsables ou ses citoyens – ne peut être autorisé à se placer au-dessus du droit international et doit assumer la responsabilité individuelle de ses crimes de guerre.

S’il y a un enseignement clé à tirer de cette discussion, c’est celui-ci. Il est possible d’adopter une position politique raisonnée et fondée sur des principes en étant, simultanément et sans contradiction interne, un internationaliste démocratique de gauche, totalitaire, capitaliste de droite, libertarien, socialiste, capitaliste d’État, monarchiste et stalinien. Cela indique que ce que les politologues postulent comme étant un spectre politique de gauche à droite, dans lequel ils tentent de contraindre chacun d’entre nous, est un ramassis de conneries. Pire encore, il s’agit d’une tentative flagrante de polarisation, de ségrégation par opinion, puis d’utilisation de tactiques de division et de conquête pour annuler les opinions opposées. Par conséquent, dans une discussion politique, vous devriez vous sentir libre d’appeler cela conneries et d’y mettre fin dès que quelqu’un tente d’introduire des termes polarisants tels que « gauche » et « droite ».

Oh, et si vous voulez toujours m’étiqueter politiquement, je suis un gauchiste totalitaire de droite capitaliste libertarien socialiste capitaliste d’état monarchiste stalinien démocratique.

Dmitry Orlov
 

51RqfXqhj7L._SX332_BO1,204,203,200_.jpgLe livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

vendredi, 14 mai 2021

Le réalisme politique: un art de l'action (Nicolas Machiavel)

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Le réalisme politique: un art de l'action (Nicolas Machiavel)

 
Cette vidéo a pour but d’inaugurer une série consacrée à des philosophes appartenant au courant « réaliste politique ». Je reviendrai occasionnellement sur certaines figures majeures de cette tradition. C'est pourquoi il m'a semblé nécessaire de commencer par l'initiateur de celle-ci, Nicolas Machiavel. Son oeuvre, bien que vieille de cinq siècles, reste d'une étonnante actualité. Le philosophe florentin montre qu’il ne faut jamais couper la pensée politique de sa finalité qu’est l’action concrète et pragmatique.
 
 
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Musiques utilisées dans la vidéo :
- R. Wagner : Ouverture de Rienzi
- Bach : Musikalisches Opfer
– Thema Regium (Jordi Savall and the Concert of Nations)

Thoreau et la difficile désobéissance civile face à la dictature sanitaire

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Thoreau et la difficile désobéissance civile face à la dictature sanitaire

par Nicolas Bonnal

« La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines… »

Relire Thoreau par les temps qui courent en occident est intéressant, parce que ce légendaire résistant nous explique à quel point il est difficile de… résister. Et il ne fait pas de cadeaux, même à ceux qui se disent résistants :

« Ils parlent de changer la société, mais ils n’ont point de refuge hors d’elle. »

Thoreau en grand ancêtre des libertariens (une école où l’on trouve le meilleur et parfois le pire) explique comme les taoïstes (voyez le Tao Te King) que le gouvernement idéal serait celui qui ne gouvernerait pas :

« De grand cœur, j’accepte la devise : « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie de manière plus rapide et plus systématique. Poussée à fond, elle se ramène à ceci auquel je crois également : « que le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout » et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront. »

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Thoreau refuse l’esclavage (un homme sur six alors est esclave : on n’est pas woke pour rien en Amérique) et la guerre contre le Mexique. L’Amérique hispanique fut volée et conquise, et on assiste en ce moment à une Reconquista – si j’ose dire. Thoreau explique cette guerre car les gouvernements américains servent déjà (en 1849) les intérêts des oligarques :

« L’armée permanente n’est que l’arme d’un gouvernement permanent. Le gouvernement lui-même — simple intermédiaire choisi par les gens pour exécuter leur volonté —, est également susceptible d’être abusé et perverti avant que les gens puissent agir par lui. Témoin en ce moment la guerre du Mexique, œuvre d’un groupe relativement restreint d’individus qui se servent du gouvernement permanent comme d’un outil ; car au départ, jamais les gens n’auraient consenti à cette entreprise. »

Mais Thoreau se fait peu d’illusions : les gens veulent du gouvernement et des interventions étatiques. Il explique :

« Le gouvernement n’a ni vitalité ni l’énergie d’un seul homme en vie, car un seul homme peut le plier à sa volonté. C’est une sorte de canon en bois que se donnent les gens. Mais il n’en est pas moins nécessaire, car il faut au peuple des machineries bien compliquées — n’importe lesquelles pourvu qu’elles pétaradent — afin de répondre à l’idée qu’il se fait du gouvernement. »

La crise actuelle a montré la formidable faiblesse du caractère humain (voyez mon émission sur Coronavirus et servitude volontaire) ; de cette faiblesse résulte la montée de la puissance étatique et donc militaire. Thoreau :

« Le résultat courant et naturel d’un respect indu pour la loi, c’est qu’on peut voir une file de militaires, colonel, capitaine, caporal et simples soldats, enfants de troupe et toute la clique, marchant au combat par monts et par vaux dans un ordre admirable contre leur gré, que dis-je? contre leur bon sens et contre leur conscience, ce qui rend cette marche fort âpre en vérité et éprouvante pour le cœur. »

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Puis Thoreau devient terrible. L’homme moderne sert l’Etat comme une machine. Et là il règle ses comptes :

« La masse des hommes sert ainsi l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps. C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc. La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral ; au contraire, ils se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service. Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant on les tient généralement pour de bons citoyens. »

Certes tout le monde est a priori hostile à la tyrannie :

« Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution, c’est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires et intolérables. Il n’en est guère pour dire que c’est le cas maintenant. »

Mais qui est pris à agir contre réellement ?

« Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’esclavage et à la guerre mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme ; qui se proclamant héritiers de Washington ou de Franklin, restent plantés les mains dans les poches à dire qu’ils ne savent que faire et ne font rien ; qui même subordonnent la question de la liberté à celle du libre-échange et lisent, après dîner, les nouvelles de la guerre du Mexique avec la même placidité que les cours de la Bourse et peut-être, s’endorment sur les deux. »

Thoreau a observé en effet qu’on s’endort au milieu des news qui a cette époque arrivent par télégraphe. C’est dans Walden. Il aussi écrit que l’info est devenue un éther, une drogue (voyez mon texte « De Platon à Cnn »). Il établit une différence entre l’homme de vertu et le facile défenseur de la vertu :

« On tergiverse, on déplore et quelquefois on pétitionne, mais on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. On attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal, afin de n’avoir plus à le déplorer. Tout au plus, offre-t-on un vote bon marché, un maigre encouragement, un « Dieu vous assiste » à la justice quand elle passe. Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un seul homme vertueux. »

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Cela donne un résistant sur mille contre la dictature actuelle, et pas 10 ou 30% comme le croient les distraits. Nous sommes d’accord.

Thoreau vomit donc les tièdes comme les rédacteurs de l’apocalypse :

« Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la justice. Cela revient à exprimer mollement votre désir qu’elle l’emporte. Un sage n’abandonne pas la justice aux caprices du hasard ; il ne souhaite pas non plus qu’elle l’emporte par le pouvoir d’une majorité. Il y a bien peu de vertu dans l’action des masses humaines. Lorsqu’à la longue la majorité votera pour l’abolition de l’esclavage, ce sera soit par indifférence à l’égard de l’esclavage, soit pour la raison qu’il ne restera plus d’esclavage à abolir par le vote. Ce seront eux, alors, les véritables esclaves. »

Il enfonce le clou :

« Ainsi, sous le nom d’Ordre et de Gouvernement Civique, nous sommes tous amenés à rendre hommage et allégeance à notre propre médiocrité. On rougit d’abord de son crime et puis on s’y habitue ; et le voilà qui d’immoral devient amoral et non sans usage dans la vie que nous nous sommes fabriquée. »

Comment résister ? Par exemple en ne payant pas ses impôts :

« Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’État de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible. »

Cela serait bien en effet mais cela nous semble difficile à une époque où tout le monde, entrepreneurs compris, finit par vivre de l’Etat (c’est la logique du Reset et de la dictature numérique en cours d’achèvement) et de la dette publique.

Textes :

https://instituthommetotal.fr/bibliotheque/PDF/henry-david-thoreau-la-desobeissance-civile.pdf

http://www.dedefensa.org/article/de-platon-a-cnn-lenchain...

https://www.dedefensa.org/article/guenon-et-le-rejet-des-...

jeudi, 13 mai 2021

Du retour de Malthus et du devoir de dépeuplement

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Du retour de Malthus et du devoir de dépeuplement

par Nicolas Bonnal

Marx a écrit de nombreux textes contre Malthus. Il sentait que la tendance lourde ou finale serait au malthusianisme qui est le propre des élites anglo-saxonnes (normandes plutôt). Ces élites éternellement sans pitié ont dépeuplé l’Ecosse, l’Irlande et aussi le pays de Galles, dépeuplé par les guerres et le charbon, et où fut tourné l’effrayant Prisonnier. Puis elles ont créé une Amérique vide de rares colons où furent massacrés les indiens et exploités les esclaves africains. L’explosion démographique européenne et le capitalisme industriel peuplèrent cette Amérique, mais le Canada, la Nouvelle-Zélande et l’Australie restèrent vides ; on sait que ces médiocres dominions appliquent à la lettre la dictature sanitaire, avec une conscience que seule peut leur envier la France à Macron ou l’Allemagne de Merkel, qui applique le plan Morgenthau presque à la lettre.

Marx explique surtout que pour Malthus il faut rendre la population surnuméraire. Elle ne l’est pas au départ, mais elle le devient. On fabrique un être humain bon à rien dans les mégalopoles et puis on le lui reproche ensuite. Nous sommes de trop et pour être de trop – et donc « exterminables » – il faut être sans travail, ce qui arrive partout maintenant. Complexé ou abruti, le surnuméraire humain se laisse effacer.

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Comme je l’ai expliqué dans mon texte sur le Reset, nous avons été conditionnés par le cinéma pour crever, et ce depuis un demi-siècle.  Nous vivons une époque formidable qui relève en effet des bonnes dystopies des années 70. Je recommanderais ironiquement « Woody et les robots (Sleeper) »… En voyage dans les années 2200 dans une société néototalitaire, notre bon Woody trouve qu’elle ressemble à sa bonne vieille Californie sociétale. On n’y a aucune liberté, on n’y fait plus l’amour ni l’humour… Quant à ce qu’on y mange… On n’y voit pas d’enfants. On n’en voit jamais dans les films dystopiques. Car à quoi serviraient-ils en effet sinon à être mangés ? Kronos le mangeur d’enfants rime avec chronos le temps qui passe.

L’addiction technologique, les news, la théorie du genre, les migrations impromptues, le pullulement législateur (relisez Lao Tsé), l’ineptie fiscalité, le féminisme ultra, les éoliennes, la dinguerie écolo ou la mode hyper-végétarienne ont un seul but : la réduction du stock humain jugé pléthorique. Mais tout cela reste timide à côté du moyen définitif employé par nos grands-argentiers et usuriers : l’argent. 

Rien de neuf depuis Marx et Malthus, dira-t-on. 

Le coût de la vie devient fou en Occident et il est nié par les instituts de statistiques ; on sait évidemment pourquoi. Car la folie haussière voulue par les banquiers centraux et leurs séides a un effet collatéral – une conséquence objective bien visible: le dépeuplement. Il est trop cher de faire des enfants, de les élever, de les mettre au monde au sens noble du terme.

Mon ami Hervé avait traduit pour lesakerfrancophone.fr un texte étonnant de l’économiste hérétique Chris Hamilton. Et lui donne une info que taisait Michael Snyder dans ses chroniques sur les US décatis : la belle chute démographique.

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Et cela donne:

« De 2007 à 2018, les naissances aux États-Unis ont diminué de 470 000 sur une base annuelle, soit une baisse de 11 %. Le taux de fécondité aux États-Unis a également baissé, passant de 2,12 à 1,72 naissances, soit une baisse de 18 % (2,1 naissances chez les femmes en âge de procréer est considéré comme une croissance zéro). Cela s’est traduit par 4,5 millions de naissances nettes de moins aux États-Unis depuis 2007 que ce que le recensement avait estimé en 2000 et à nouveau en 2008. C’est plus d’une année entière de naissances qui n’ont jamais eu lieu. »

Chris donne les conséquences de cet effondrement forcé de la natalité :

« La forte baisse des naissances, par rapport à la hausse anticipée, et le ralentissement de l’immigration anticipée ont eu pour conséquence que le recensement a revu à la baisse la croissance de la population américaine jusqu’en 2050 de plus de 50 millions de personnes. »

Les détails arrivent chez notre économiste et accrochez-vous ? car ils sont effrayants et concernent toutes les races (même les gilets jaunes ?)…

« Le déclin des naissances aux États-Unis a été particulièrement marqué chez les personnes ayant les revenus et les actifs les plus faibles. De 2007 à 2016, les taux de fécondité des Amérindiens sont passés de 1,62 à 1,23. Le taux de natalité hispanique est passé de 2,85 à seulement 2,1. Le taux de natalité des Noirs est passé de 2,15 à environ 1,9 et celui des Blancs de 1,95 à 1,72 (mise à jour avec le rapport national des statistiques de l’état civil jusqu’en 2017 … Le taux de natalité des Hispaniques est tombé sous le seuil de remplacement à 2,006, celui des Noirs à 1,824 et celui des Blancs à 1,667). Encore une fois, ces taux de natalité ne sont valables que jusqu’en 2016, les baisses en 2017 et 2018 sont importantes et s’accélèrent. »

La natalité baisse ou s’effondre en Grèce en en France, en Espagne, en Italie, etc. Idem en Amérique du sud ou en Asie où le coût de la vie est prohibitif.

Hamilton explique la conspiration des Harpagon pour nous faire disparaître :

« La raison de la baisse rapide des taux de natalité depuis 2007 aux États-Unis et dans la plupart des pays du monde semble être les programmes actuels de ZIRP, les faibles taux d’intérêt et les programmes d’assouplissement quantitatif qui ont pour effet de gonfler les prix des actifs. »

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Observation-clé de notre hérétique :

« La majorité des actifs sont détenus par de grandes institutions et par des populations qui ne sont plus en âge de procréer. Ces politiques se traduisent par une hausse des prix des actifs beaucoup plus rapide que celle des revenus. Par exemple, les éléments non discrétionnaires comme la maison ; le loyer ; l’éducation ; les soins de santé ; les assurances ; la garde d’enfants, etc. augmentent en flèche par rapport aux salaires. »

A moins de bosser dans le foot ou comme gardiens-cadres-supérieurs du camp électronique-GAFA, les jeunes adultes sont sacrifiés, on le voit autour de nous.Serveur dans un café paumé ou ingénieur sous-payé dans une métropole surpeuplée ; je connais personnellement des dizaines de cas, tous d’anciens étudiants du reste. 

Hamilton écrit :

« Pour les jeunes adultes, cela signifie qu’ils comptent beaucoup plus sur l’endettement pour s’instruire et qu’une proportion beaucoup plus grande de leur revenu subséquent est consacrée au service de cette dette. Il en résulte aussi une plus grande dépendance des jeunes adultes à l’égard de l’endettement pour acheter une maison ou une plus grande partie de leur revenu pour payer leur loyer, fournir des soins de santé, s’assurer ou s’occuper de leurs enfants (puisque les deux parents travaillent généralement à temps plein). »

On liquide les stocks de population pauvre :

« Le résultat net de ces politiques du gouvernement fédéral et de la banque centrale visant à stimuler le marché boursier, le prix des maisons et l’effondrement des intérêts payés sur l’épargne est l’effondrement des taux de natalité et du total des naissances. Cela diminue la demande actuelle et future et la qualité de vie des jeunes, des pauvres, surtout des non-Blancs, ce qui représente peut-être le plus grand transfert de richesse que l’humanité ait connu. »

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Le robot remplacera le philippin. La bourse monte comme ça, miraculeusement, indépendamment du chiffre d’affaires et des perspectives macroéconomiques. Les banques centrales suffisent à rassurer les marchés par leur comportement saligaud. Le super-Mario a bien mérité de son employeur Goldman Sachs. Par contre, si le marché n’a plus besoin de notre consommation, mais seulement de notre disparition ou de notre remplacement, faisons notre prière…

Et Chris de conclure pour nous éclairer :

« Ainsi, les États-Unis continuent le débat ridicule sur le « Mur de Trump » et les naissances internationales continuent de s’effondrer de Chine en Russie, en Europe, au Japon, en Corée du Sud, etc. Le coupable de la décélération des naissances est la « médecine » de la banque centrale et du gouvernement fédéral pour gaver le prix des actifs, détruisant l’avenir pour faciliter la vie des riches et des personnes âgées. Il en résulte un effondrement des taux de fécondité dans le monde entier […] ce qui fait que les gains financiers sont transférés à une minorité décroissante de détenteurs d’actifs et les pertes aux jeunes, aux pauvres et à ceux qui ont peu ou pas de biens. »

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C’est Gilles Chatelet que j’ai évoqué ici qui mêlait Hermès (la duperie de la communication typique de notre monde néototalitaire) et le vieux scélérat anglican. Car comme on citait Malthus et son irréprochable et inusable essai sur les populations :

« Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s’il ne peut obtenir de ses  parents la subsistance qu’il peut justement leur demander et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit à la plus petite portion de nourriture et, en fait, il est de trop. Au grand banquet de la Nature, il n’a pas de couvert pour lui. »

Très juste donc, grand maître et inspirateur de nos socialos-néo-libéraux. A ceci près qu’aujourd’hui, non content d’interdire la table aux pauvres, on vire de table une partie de ceux qui étaient déjà assis. C’est même pour cela qu’on nous demande de voter… on verra si les exterminés réagiront…

Rappelons que les Harpagon qui dirigent le monde, les décisionnaires donc, sont des nonagénaires génocidaires. On a la famille d’Angleterre, le prince Charles, Schwab, Rockefeller, Soros, Rothschild, Gates (qui a 66 ans mais en paraît le double), des poignées de faces hideuses effritées qui n’ont qu’une seule obsession : liquider la jeunesse et dépeupler à coups de vaccins ou de privations.

 

Viatique pour des temps obscurs

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Viatique pour des temps obscurs

(Extrait d'un ouvrage à paraître)

par Luc-Olivier d'Algange

«  Nous sommes en exil dans des temps obscurs  »

Giorgio Cavalcanti

Sans doute ne sommes-nous jamais entièrement seuls à trouver ces temps que nous vivons quelque peu obscurs. Un voile terne, qui estompe les formes et les couleurs, semble être tombé, comme un précoce crépuscule brumeux, sur les êtres et les choses. Les cités s'étendent dans la laideur, les véritables libertés se restreignent dans ces âmes ignorantes d'elles-mêmes qui prétendent à gouverner nos mœurs et nos plus intimes pensées. Le ressentiment et la plainte despotisent et renient les heures heureuse et la chantante civilité dont fleurissait, en lys et en iris, le bel héritage.

Figés devant leurs écrans, en statues de sel, nos contemporains rendent leur culte à Hypnos, dans une clarté blafarde, et Mnémosyne délaissée cherche, et trouve, mais seulement chez de rares heureux, ses amis et ses alliés. La scintillante rivière du tradere passe inaperçue et ceux qui entendent son cours passent pour des illuminés, des fous et des méchants. La titanesque alchimie à rebours, appareillée de technologies diverses, travaille à changer l'or du temps en plomb, - en ténèbres tenaces et inexpugnables.

Ni la miséricorde accordée au passé, ni l'amour du présent, ni la disposition providentielle de l'avenir n'ordonnent plus les entendements humains qu’obscurcissent le grief et la rancune. L'art de la gratitude semble s'être perdu, et, avec lui, le sens des bonheurs fragiles. Notre civilisation elle-même, dans ses fastes et ses défaillances, semblable à nos vies fugitives, s'éloigne et nous négligeons ses beautés et ses grandeurs pour n'en plus commenter, en accusations hystériques, que les erreurs et les fautes.

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Ce qui subsistera de ces ravages critiques, ne seront que d'autres erreurs, parées de vertus morales, mais, la pellicule ôtée, vengeresses comme le furent les Mégères et les Erynnies, lesquelles, moins rutilantes qu'autrefois, siègent dans ces nouvelles ligues de vertus, où la «  bienveillance  » pour n'importe quoi se conjugue à une haine de soi,- moins individuelle au demeurant, que collective; le moralisateur prise encore, selon le mot de La Rochefoucauld, de se mépriser.

Notre langue elle-même, qui nous donnait la chance de tout réinventer au cœur des pires désastres, est défigurée et avilie. Le ressentiment donne le la de toute idéologie, et, rendue mutique, la joie laisse la parole, la logorrhée devrait-on dire, à la plainte et à la jalousie. C'est peu dire que cette époque pénale, punie et punitive, n'honore plus les dieux, qui sont puissances; elle s'applique à en détruire en nous toute trace, tout ressouvenir. Un homme qui honore les dieux est perdu pour le culte de la technique et de la finance, - ces idoles des réalistes auxquels le Réel échappera toujours.

Temps obscurs disions-nous, mais une nuance s'impose. Si nos temps sont obscurs, ce n'est pas dans l'Obscur d'Héraclite qu'ils s'aventurent, ni dans l'ombre de Tanizaki, et moins encore dans la nuit de Novalis. Ce ne sont point des demi-jours d'aurore ou de tombée du soir qui nous viennent, ce n'est plus même l'Untergang, la crépusculaire décadence, à laquelle Baudelaire trouvait son charme et Oswald Spengler, sa nécessité, mais un nœud noir qui se noue en nous sous la clarté scialytique, comme dans une salle d'opération, du contrôle universel. Ce monde est l'ennemi tout autant des glorieuses épiphanies que des secrets ombrages. En sa haine du secret, il parachève ce qu'il nomme le «  progrès  », qui n'est pas seulement, comme l'écrivait Cocteau, «  le progrès d'une erreur  », mais celui de l'aplatissement, de la planification globale des êtres et des choses.

Le message est clair: «  Vous qui vous distinguez encore par quelque fidélités aux anciennes sapiences, des plus humbles aux plus hautaines, vous allez mourir et ne laisserez, comme nous y veillons, que la possibilité de vous remplacer, dans un premier temps par des barbares, et ceux-ci ayant accompli leur travail, par une cyber-humanité, augmentée, pucée, contrôlée. Disparaissez au plus vite, Hommes Anciens, avec vos vices et vos vertus mêlées, vos songes, vos rites, vos chants, vos réminiscences, votre temps est passé, vous encombrez les autoroutes de l'Information, vous ralentissez les flux financier, votre attachement à vos terres, vos ciels, vos œuvres, est une offense au Meilleur des monde, nous vous ferons disparaître car nous sommes le Bien en hypostasie, nous sommes le futur sans Providence, notre Bienveillance nous donne le droit et même le devoir de vous tuer.  » Connaître le discours des forces adverses, ce qu'il nous veut, est le premier viatique, celui qui permet d'oser un cheminement hors des sentiers communs, une fuite légitime.

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La mise en accusation permanente de toute beauté et de toute grandeur n'est pas un accident de l'Histoire, mais son sens, désormais. Ainsi nous faudra-t-il échapper à l'Histoire, mais non à la mémoire; entrer dans les secrets du Temps, qui n'est point cette chose linéaire que l'on voudrait nous faire accroire. L'expérience, si périlleuse soit-elle, est salvatrice. Elle sera ce que fut pour Dante, la «  salutation angélique  » de Béatrice. Telle clarté latérale qu'allume sur son passage la vérité secrète des couleurs  soudain touche notre front et nos paupières, si bien que, même les yeux fermés, nous la percevons et ce doux foyer d'or qu'elle éveille dans nos prunelles annonce une Vita nova, une vie nouvelle, ou, plus exactement, renouvelée. Le temps revient à sa base qui est le rythme, le battement du cœur, ou le triple mouvement bruissant de la vague qui toujours recommence.

L'Annonce heureuse est victorieuse de l'Histoire, toutes les défaites sont abolies, la résolution nouvelle alors n'est plus de l'ordre de la volonté, cette grande fourvoyeuse, mais de l'évidence légère. Ce monde lourd, il serait bien vain de le vouloir vaincre par une autre lourdeur, par quelque déploiement de forces titanesques, car il est lui-même sujet du règne des Titans. C'est une légèreté divine qui est requise, un entendement semblable à l'envol du pollen, aux irisations d'une aile de libellule, à la profondeur infinie de la contemplation de l'infime, - du presque indiscernable, qui fait signe. De quelle nuit des temps adviennent cet éclat, ce scintillement ? La voici, protectrice, telle le vaste manteau des constellations.

Par temps obscurs, dans cet exil qui menace de nous faire perdre le sens même de l'exil, - et il n'est rien de plus fatal qu'un exil oublieux de lui-même - il importe de reconnaître et d'honorer ses alliés. L'immémoriale distinction entre amis et ennemis demeure de bon usage. Force est de reconnaître que la grande réconciliation universelle que l'on eût espéré, cette parousie, n'est pas encore advenue. Les temps sont obscurs car nos ennemis, pour lors, ont plus de pouvoir que nos amis. Cependant l'inimitié à laquelle nous devons faire face n'est pas seulement celle des barbares puritains, mais l'Ennemi-en-soi, c'est dire qu'il est aussi en nous-mêmes, et l'inimitié des barbares n'a pas seulement pour espace les lieux où elle se manifeste en force, avec sa fausse piété et ses règlementations obtuses, mais aussi les aires où notre pusillanimité refuse de la discerner et de la combattre; elle agit alors non comme un glaive mais comme un poison, une tristesse qui nous semble sans cause, - et dont nous ne pouvons nous défendre.

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Quels, dans ce désastre, seront nos alliés ? De même qu'il importe de discerner, dans la confusion et le brouhaha moderne, ce qui veut exactement nous nuire, à commencer par cette confusion elle-même, il importe de reconnaître, là où ils se trouvent ou adviennent, nos alliés. Un soir, il m'en souvient, un oiseau marin passant dans le ciel, me sauva la vie. Une translation mystérieuse s'était opérée, j'étais lui et il était moi. La tentation de me jeter par la fenêtre à ce moment-là avait été suspendue par cet impondérable échange entre la magnifique créature ailée aux ailes argentées dans le bleu du ciel au matin et ma personne, chancelante, accablée, assourdie, prise à gorge par l'horreur du monde, et comme poussée par une force active vers la mort, qui est toujours banale.

Cette mouette salvatrice, il m'en souvient maintenant, alors que j'écris ces lignes, me faisait signe aussi d'une autre façon; me ramenant, sans que j'en eusse conscience au moment où elle m'apparut, pour que je vive, à un espace-temps de l'enfance, celui de nos longs séjours sur la côte ligure, à Alassio. Avec mes jeunes amis italiens, nous avions recueilli un gabiano, échoué sur la plage, dont les ailes avaient été souillé par du mazout. Nous l'avions installé sur le balcon de l'hôtel, nettoyé délicatement ses ailes et nourri jusqu'à ce que lui vint l'allant de s'envoler vers son étrange patrie d'air et de mer. L'oiseau qui, bien plus tard, m'avait adressé son salut, du fond de l'azur, était peut-être un "Merci" qui m'était adressé du fond du Temps.

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Ainsi le fonds du temps redevenait une profondeur de ciel, et la mort vers laquelle une déconvenue atroce me poussait, se trouvait abolie. Ce qui nous sauve vient de loin, d'un lointain dont nous n'avions pas assez conscience, d'un lointain perdu. Je contemplais le bel allié disparaître de ma vue comme il était venu, et la vie repris son cours, Vita nova.

Quelques dates sont importantes, c'est le 11 Mars 2018, - le génie numérologique de Dante en déchiffrera le sens, - que l'idée me vint de l'ouvrage que j'écris en ce moment, et surtout, le courage de l'écrire, plus exactement à Alassio, où nous nous étions arrêté sur la route qui devait nous conduire à Florence. Le bruit de la mer la nuit, en face d'un autel floral dédié à Saint-François d'Assise, l'impression, sous le manteau de la nuit qui s'étoilait progressivement, d'avoir trouvé refuge dans une conque du Temps, la passerelle entre l'enfance et ce jours-là, avec, entre les deux les Ailes de Mercy du gabiano, une alchimie impondérable s'accomplissait, une sortie de l'œuvre-au-noir.

Lorsque les alliés humains défaillent, ceux du moins qui nous sont contemporains, et auxquels on ne saurait, par ces temps désastreux, trop le reprocher, d'autres viennent à notre rescousse sur l'orée, là où, selon la formule d'Héraclite, «  la nature ne montre pas, ne dissimule pas, mais fait signe  ». Ce qui nous fait signe est antérieur à la vision, il est ce vide du ciel avant que les ailes n'y paraissent, - attente, attention. Entre celui qui voit et la chose vue, le signe a surgi, qui les accorde dans le secret du cœur. Toute vie est attente et sacrifice - et quand il est possible d'attendre autre chose que la mort, et de se sacrifier à autre chose qu'à l'utilitarisme des «  réalistes  », alors les dieux sont heureux car nous sûmes les honorer.

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Sans doute sommes-nous tous les exilés de notre enfance. Dans la réalité adultérée qui nous est faite, nous sommes en exil du Réel. Celui-ci n'est pas seulement «  ce à quoi l'on se heurte  » selon le mot de Lacan, mais une double-nature, cachée-révélée, ombrée et claire, visible et invisible, intérieure et extérieure. Le Réel est l'adversaire du monde planifié, lequel s'efforce d'établir partout le non-réel «  réaliste  », la fiction commune à laquelle il faudrait croire, et dont le propre est d'ignorer ces gradations, ces mystères, ces temporalités circulaires ou transversales qui échappent au temps de l'usure et nous invitent au recommencement ou à la transcendance. Le monde des réalistes, - qui fait de notre terre une terre d'exil, - n'est plus ni païen, ni chrétien, et cependant une effroyable dévotion, une dévotion inversée, l'entoure, car la fiction qu'il veut imposer n'existe que par la croyance, la doxa la plus butée et la moins encline au doute.

Le Mystère de Delphes, le Mystère chrétien veillaient encore sur nos frontières tremblantes et laissaient à celui qui les éprouvait le sentiment de son matin profond. A ces latitudes et ces longitudes de l'âme le réaliste moderne oppose une certitude si totalitaire qu'elle ne lui apparaît plus comme une certitude qu'une incertitude pourrait contredire ou nuancer mais comme une évidence, une chose «  qui va de soi  », perpetuum mobile. Le réaliste ignore l’exil  ; il est entièrement là où il a réduit le monde, et s'il en souffre, il ne le sait pas. L'identique est sa fin dernière, - et c'est ainsi qu'il travaille à l'uniformisation du monde, afin d'échapper à cette expérience fondamentale, propre de l'espèce humaine, qui est d'entrevoir une profondeur du Temps dans laquelle il est tout aussi possible de se perdre que de se retrouver. Sachant que nous ne cessons de nous perdre, nous nous donnons, par ce savoir, une chance de nous retrouver.

La pire déchéance n'est pas le désespoir mais l'oubli de ce que nous avons perdu. Le sens de l'exil est la chance des retrouvailles; l'exil de l'exil nous incarcère à jamais dans l'illusion qu'il n'y eut jamais, nulle part, ni sur la terre, ni au ciel, les prairies fleuries, les rives, les forêts, les jardins d'une patrie aimée. Tant que l'exil de l'exil, l'oubli de l'oubli n'a pas étendu sa tyrannie sur toute chose et dans toute âme, la plus grande espérance demeure vive, elle qui nous vient de l'Attelage Ailé, de la platonicienne réminiscence.

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Tout est bon au monde planifié et planificateur pour nous interdire ou obscurcir ces advenues. Sur les rivages du monde moderne, ce ne sont pas des Aphrodites Anadyomènes qui sont attendues mais un ressac de bouteilles en plastique et de flaques de mazout. Tout ce qui peut nuire, démoraliser, exacerber l'instinct de mort, est favorisé, les médias s'en chargent. Avons-nous encore, en nous, la disposition d'une attente heureuse ? L'homme sans nostalgie, le parfait consommateur, sera aussi un homme sans pressentiment. Lorsqu'un monde perdu ne luit plus aux confins de la mémoire, lorsqu'une parole perdu ne palpite plus au cœur du silence antérieur, nous sommes, de ne plus nous savoir perdus, semblables à des amnésiques égarés dans l'horreur d'une zone commerciale, et croyant qu’ils sont chez eux.

Entourés des Sinistres et des Rabat-joie, ces majoritaires, comment n'aurions-nous pas ce pressentiment de nostalgie, cette intuition qu'il y eut, et qu'il y aura peut-être, un monde plus intense et plus léger, un monde de gradation heureuses et de nuances qui font rêver, comme les nuées, là-bas, leurs sœurs étymologiques ? Parmi divers processus de neutralisation des œuvres qui sont, dans leur essence et dans leur manifestation, des passerelles vers ce monde perdu, la méthode psychologisante,  après les nombreuses excommunications idéologiques, est la plus courue. Ce qui est dit n'est plus un aspect de la parole, un miroir du Verbe, mais un symptôme à classer dans telle ou telle catégorie.

Tout auteur et toute œuvre, et, plus profondément, toute distinction, ne sont désormais pris en considération que pour être neutralisées. Les temps de l'exil dans l'exil, de l'oubli dans l'oubli sont, fondamentalement des temps de neutralisation, comme en témoignent, par exemple, l'écriture, dite inclusive, et ses théories afférentes. Cependant, dans la langue des services spéciaux et des malfrats, «  neutraliser  » veut bien dire tuer, et c'est bien un instinct de mort qui est à l'œuvre dans l'uniformisation des styles, la haine de toute distinction, de toute supériorité et de tout secret. Toute chose vivante est l'éclosion d'un secret.

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Dans le monde moderne, les seuls secrets protégés sont bancaires et les seules hiérarchies, celles de l'argent et de la technique qui mettent précisément au plus haut ceux qui ont le plus grand pouvoir de neutralisation et juste en dessous, les techniciens subalternes, le petit personnel, les petites mains de la neutralisation, politiciens, journalistes, semi-intellectuels, agents de l'actuelle bouillie «  culturelle  » et subventionnée qui n'existe que pour étouffer les rares surgissements de la parole libre et de la beauté. Tout ce qui peut être produit de niais, mais d'une niaiserie totalitaire, de vulgaire et d'avilissant est promu, à la condition de disposer du pouvoir de neutraliser le médium par lequel quelque chose est communiqué, que ce soit le mot, l'image ou le son. La langue française sera ainsi écrite en traduidu, l'image choisie pour sa hideur et le son pour sa fonction assourdissante ou abrutissante.

La civilisation est devenue notre plus impensé, notre pensée la plus neutralisée. Les mœurs, la façon de réagir aux êtres et aux choses, ne pouvant plus lui être rapportée, les sciences dites humaines s'évertuent à analyser les comportements humains en fonction de la psychologie et la sociologie. Or, ce que nous répondons au monde, et même les réponses que nous en recevons, tiennent tout autant, sinon plus, à la civilisation dont nous héritons qu'à notre complexion psychologique particulière ou à notre classe sociale, - qui elles-mêmes prennent sens par la façon dont nous les interprétons, selon nos propres modalités civilisationnelles. Dans telle culture, le père qui égorge sa fille surprise à fleureter, sauve son honneur et celui de sa famille; dans telle autre, il serait considéré comme criminel. L'héritier de Rabelais, de Montaigne, du Prince de Ligne ou de Pierre Louÿs n'entretient pas les mêmes relations avec l'âme et le corps que le salafiste ou le puritain anglo-saxon. Cette relation moins nouée, plus déliée, ne va, comme toute chose humaine, la pire ou la meilleure, jamais de soi. Elle est apprise et transmise, inventée par une liberté conquise, non dans l'abstrait mais dans l'exercice spirituel et charnel, de proche en proche, qui atténue nos rages et affine nos nuances.

Sans vouloir en rabattre à l'orgueil proverbial des écrivains (on se souviendra de cette phrase délicieuse de Montherlant, à la fin d'un poème: «  Dieu baisa ma main lorsque j'eus écrit ceci  ») et dans un monde médiocratique, certains ont bien raison, face à l'arrogance de tous, de faire flamber haut ce soi-disant vice qui, souvent, se confond avec la vertu du courage, - force est de reconnaître que jusqu'en leurs moindres épithètes, leur virgule la mieux méditée, et surtout dans le rythme qu'ils impriment à leurs phrases, nos bons écrivains sont d'abord, et les plus singuliers d'entre eux, héritiers d'une civilisation, à laquelle ils doivent leurs images et leurs symboles, les sujets dont ils traitent et leur style.

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Ce à quoi nous appartenons - en profondeur, - en dépit de tous les effets de surface voulus, se trahit en deux phrases, si bien que les œuvres les plus «  originales  » ne sont encore qu'une part de la frondaison qui vient puiser sa sève et recevoir son soleil d'une civilité plus ancienne, et sans laquelle nous ne serions, par le Diable, que des «  Communiquants  ». Ce qui nous est propre, notre personne, ce qui, en nous, est irréductible, sachons-le, sera sans que nous n'y puissions rien, et quelles que soient nos transigeances, nos douceurs, l'objet de la haine la plus noire. Par un instinct malfaisant, ce qui nous fonde sera haï, ou nous sera contesté, autant que nous le serons nous-mêmes, dans nos particularités acquises. Ce mouvement dégagé, cette allure, ce style qui ne convient plus aux convenances média-médiocratiques, ces possibilités d'exercer la vie durant notre bref séjour, hors des normes de la servitude volontaire, suscitera contre nous des volontés agrégées.

Notre civilisation est dévastée non seulement par les barbares, mais par nos reniements les plus intimes, lesquels laissent aux barbares la puissance qu'elle éteint dans notre propre cœur. Les «  Droits de l'homme  » (qui au demeurant ne sont exercés que lorsqu'ils ne contredisent pas quelque intérêt financier ou technomorphe) ont remplacés, dans la doxa commune, les droits de l'Ame, et finissent par ne plus être, somme toute, dans le règne de la quantité, que le devoir d'être interchangeables. Or, lorsque les hommes sont devenus interchangeables, la pensée leur fait défaut et la conscience sourde de leur misère leur fait inventer de ténébreuses conspirations, des causalités maléfiques, extérieures à eux-mêmes alors que dans un monde planifié, un monde littéralement neutralisé, les interchangeables ne sont jamais dominés que par d'autres interchangeables, et que les agents de la servitude n'ont plus d'identité, comme ils en eurent naguère dans les romans d'Eugène Sue.

Désormais ce ne sont plus les hommes qui communiquent entre eux par l'entremise des machines mais la Machine qui communique avec elle-même par l'entremise des hommes. Le grand Contrôleur qui se figure lui-même «  en chef  » est lui-même contrôlé par le dispositif qu'il sert  ; ce qu'il peut y gagner, en argent ou en pouvoirs illusoires, est infiniment inférieur à ce qu'il y perd: le rapport sensible avec les être et les choses, - et son âme. De plus en plus nombreux sont ceux qui ont tant et si bien perdu leur âme qu'ils ne croient plus en son existence pour personne. Ils se font progressivement à l'image de leur dieu, qui est Machine, et rêvent de s'appareiller, de se perpétuer, de s'augmenter, comme le font les Machines. L'âme niée demeure cette absence en eux qui les rend fou, d'une folie insatiable. Mais qu'est-ce que l'Ame ? L'âme est vive, mouvement, littéralement «  ce qui anime  », elle est floraison et mystère, profondeur dans la profondeur; l'âme est un matin de printemps où nous sommes chez nous, soudain, alors même que nous savons que le monde est notre exil.

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Comptez les heures que vous passez devant un écran, c'est dire aussi radicalement séparés du monde que possible. Chacune de ces heures est une prière ôtée aux ressources de l'âme, - un triomphe de l'abstrait au détriment du sensible. Le premier viatique par temps obscurs sera de regarder à côté et au-dessus de l'écran, de tout ce qui fait écran, par-delà cette fausse perfection, vers tout ce qui est imparfait et changeant, vers tout ce qui repose dans sa fragilité originelle, vers toutes les puissances en train d'éclore, celles du jour qui point, des nuages qui se défont et s'assemblent, de la pluie qui heurte la vitre, et, peut-être, du visage de son semblable. Si petit que soit l'écran, tenant au creux de la main, voici de nouvelles générations auquel il suffira pour abolir le monde autour d'eux.

Le Diable est dans l'inattention qui nous sépare du monde et nous laisse à disposition des pensées venimeuses qu'il nous inspire. Abstraits du monde, nous sommes livrés, sans contredits, à ses tristes palabres. Ce qu'il veut nous inspirer de jalousies amères et de griefs lancinants nous assourdit dans un silence de mort. Abstraits du monde, nous sommes sans défenses face aux mauvaises tentations de la tristesse. Est-ce assez comprendre que les temps obscurs sont d'abord en nous-mêmes, sous forme d'attristantes pensées, certes, mais aussi sous la forme d'un Temps dont la linéarité, la mesure purement quantitative ne laisse aucun espoir à ce qui rayonne, ni à la qualité exquise.

Au temps linéaire, qui nous éloigne de toute patrie aimée, opposons le temps en rayons, en corolles, telles que surent les figurer les rosaces de nos cathédrales. A la quantité omnipotente opposons les qualités des êtres et des choses et leur irréductible mystère, et leurs saveurs qui sont sapience. «  Les goûts et les couleurs ne se discutent  » dit le proverbe. S'ils ne se discutent, ils s'interprètent à la façon de l'herméneute ou du musicien, - c'est encore une affaire de goût. Ce qu'une civilisation développe en nous, c'est le goût.

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Les progrès notoires de la vulgarité tiennent à ce qu'elle ne cesse d'être récompensée, comme le sont aussi le mauvais goût et la mauvaise foi. Nous vivons ces temps où toute distinction est honnie au nom d'une morale qui tient toute vertu aristocratique pour un mal en soi. La faveur dont jouit la vulgarité est idéologique et dépasse l'assentiment que les vulgaires donnent à leurs semblables. Pour s'en convaincre, il suffit d'allumer le poste: tout ce qu'il y a de vil et d'avilissant nous saute au visage. Cette vulgarité n'est pas seulement l'absence de distinction, elle est sa destruction âprement programmée, voulue avec détermination, avec une arrogance absolue.

Peut-être conviendrait-il de s'attarder sur la nature de ce qui est ainsi voué à disparaître sous l'assaut ? Quel est ce goût, cette éthique, ce style, cette sapience dont on ne veut plus, et qu'il convient, selon la bonne morale en cours, d'éradiquer ? A partir de quels critères cette civilité est-elle reconnue comme l'Ennemie par le monde utilitaire, global, planificateur ? Pour bien le comprendre, il faudrait, et l'exercice n'est pas coutumier, concevoir ce qui est à la fois le plus impersonnel et le plus intime et rétablir entre ces deux extrêmes une relation fulgurante.

Ce monde qui nous exile de nous-mêmes est d'abord un monde de subjectivités en série, séparées, abstraites, non seulement d'autrui mais du courant même de la rivière de la tradition, et ce qui nous en vient à manquer, ce n'est pas tant une «  identité  », le monde moderne en pullule, qu'une harmonique, une gradation des possibles dont l'exercice fut d'abord musical, y compris dans le silence de la lettre et la contemplation de l'image. Ce qui nous manque, mais se manifeste alors comme un désir créateur par l'absence ainsi désignée, un dessein de reconquête d'un pays perdu livré aux barbares, n'est autre que le chœur des voix sensibles et intellectuelles, telles que nous les retrouvons intactes cependant, exemples parmi d'autres, diverses avec bonheur, dans les voix reçues et transmises par Hildegarde de Bingen ou encore, dans les Neufs cents conclusions de Pic de la Mirandole.

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Que nous disent ces œuvres majeures, mais secrètes quelque peu, de notre civilisation ? Elles nous disent que les êtres et les choses ne sont pas seulement ce qu'ils paraissent être. La vie et la mort ne sont pas seulement un processus biologique et sa cessation. Un visage n'est pas seulement une réalité morphologique. Un arbre n'est pas seulement une plante, mais un symbole. Les dieux sont des réalités à la fois intérieures et extérieures. L'aventure de l'âme est de connaitre les gradations entre le sensible et l'intelligible, qui voilent et dévoilent ce qui est unique, indivisible.

Les notions les plus généralement répandues, traitées, critiquées sont souvent les plus incomprises et les moins interrogées. Ainsi en est-il de «  l'individu  », - objet de notables disputes de la part de nos idéologues. Aux adeptes de l'individu et de sa liberté universelle s'opposent les critiques, de gauche et de droite, parfois pertinentes dans leurs limites propres, sinon qu'elles semblent oublier que l'individu interchangeable du monde global est le sujet même du collectivisme le plus radical, dont le triomphe est l'indifférenciation.

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Qu'est-ce qu'un individu ? En quoi une certaine façon d'être individué, est-il le propre de la culture européenne, avec, certes, tous les périls inhérent à ce processus d'individuation ? Il n'est pas indifférent de constater que les occurrences diverses de la philosophie moderne, - dressées contre la philosophie stoïcienne, platonicienne, et contre la tradition théologique de l’Occident, - du marxisme classique aux philosophes de la «  déconstruction  », se sont d'abord évertuées à la critique du «  sujet  » en tant qu'individu. A la rescousse de ces théories sont venues, par la suite, des idéologies plus naïves  : «  tribus  » new âge, communautarismes vindicatifs, collectivisme entrepreneurial ou managérial, - tout cela dans un même mouvement appliqué à faire disparaître cette disposition fragile, inquiète, mais d'autant plus créatrice que perpétuellement en péril, et nuancée par sa propre expérience du nihilisme, que l'on nomme une civilisation, - comme s'il n'y avait plus, sur notre horizon politique, que cette notable opposition entre l'individu et le collectif, quel qu'il soit, et que l'individu se bornait à n'être que la figure du libéralisme économique, alors que celui-ci, dans son mode opératoire et ses fins, - l'asservissement à la production et à la consommation, - est un collectivisme comme les autres, et non le moindre car il suppose la servitude volontaire.

Certains anti-libéraux arguent du fait que le libéralisme n'accorde la liberté aux individus que pour la ôter aux peuples, mais l'argument semble naïf, car la liberté accordé aux individus n'est pas seulement abstraite, elle est un leurre. L'individu irrélié tombe sous le joug du pouvoir le plus évident: celui de l'argent et de la technique, ces despotes sans défaillances. En quoi suis-je libre, individué, si rien de ce dont j'hérite ne peut plus être dit ni manifesté, et si ma langue elle-même se réduit à n'être que le vecteur de l'utilitarisme et de la communication de masse  ; ou si, ayant appris à lire, à penser, avec Montaigne ou Valéry, je ne suis plus compris de personne, et condamné ainsi à un exil sans fin dans mon propre usage de la langue ?

L'individu véritablement différencié est l'indivis, ce qui, en moi, est irréductible et ne peut être divisé, ce noyau d'être qui établit ma relation avec le noyau de l'être, le feu central de l'être, selon la formule de Dominique de Roux, - qui est à la fois la chose la plus intime et la plus objective. A quoi visent les théories de la déconstruction, sinon à fondre l'indivis dans le flux de la société, dans l’indifférenciation globale ? Or, la société, devenue l'ennemie de la civilisation, ne saurait être d'aucun recours contre le drame de l'existence insolite, isolée dans la masse, qui interdit l'expérience même de la solitude essentielle, celle du contemplateur de la mer de nuages, celle de Nietzsche qui veut se délivrer de son dégoût à voir la canaille assise près de la fontaine. La critique de l'individualisme tourne court dès lors que l'individu qu'elle vise n'est déjà plus que cette unité interchangeable, parfaitement rodée, que révèrent, sans pouvoir la réaliser, les totalitarismes de naguère. Le véritable indivis, ne se divise ni ne s'interchange, il s'enracine dans la terre et le temps et se démultiplie. Si notre héritage ne nous allège et n'accroît notre puissance, s'il n'est qu'écorces mortes et pesanteur atmosphérique, il est temps, non de le renier, mais d'aller chercher en lui, plus loin, plus profond, jusqu'au mystère, qui nous tient en exil de notre plus abyssale vérité.  «  Deviens qui tu es  » dit l'adage. Allons, mes amis, vers Delphes et vers Eleusis, recevons l'enseignement des forêts et des mers, soyons arthuriens et odysséens à la folie, souvenons-nous des Muses, afin qu'elles se souviennent de nous et nous protègent.

Luc-Olivier d'Algange

11:39 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : philosophie, luc-olivier d'algange, temps obscurs | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mercredi, 12 mai 2021

Comprendre le fatum pour surmonter le nihilisme

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Pierre Le Vigan:

Comprendre le fatum pour surmonter le nihilisme

L’homme est un animal réflexif. Il vit et se regarde en train de vivre. Il en est de même des peuples. Ils font leur histoire, mais ils ne savent que rarement l’histoire qu’ils font. Mais ils se regardent faire l’histoire. Celle-ci leur apparait comme destin. Ce qui est destin est ce qui a eu lieu. Ce n’est aucunement l’inéluctable. Mais ce n’est pas non plus un hasard. C’est pourquoi il nous faut toujours regarder notre destin comme quelque chose qui nous était échu. Il nous enseigne sur ce que nous fûmes et sur ce que nous sommes.

Le fatum, le destin, c’est l’acceptation de la vie comme porteuse de sens. Accepter le fatum, ce n’est pas être fataliste sur notre situation personnelle ou notre situation historique. Ce n’est pas être téléologique, et penser que les choses ne pouvaient pas être autrement. C’est être conscient qu’il y a un sens dans ce qu’elles ont été, peut-être une grandeur dans le malheur, et un malheur dans la grandeur (le fait que la Russie s’est trouvée amenée à dominer l’Europe de l’est durant plus de 40 ans, de 1945 à 1949 en est un bon exemple). C’est surtout savoir que si nous avons une liberté, cette liberté n’est pas sans limites, ni sans responsabilités. Voir et accepter les limites de notre propre liberté, c’est une force, car toute lucidité est une force. C’est pourquoi acquérir le sens du fatum n’est pas un renoncement à vivre et à agir. Le sens du fatum n’exclut pas de vouloir changer le cours des choses, le cours de nos vies, le cours de l’histoire.

41zilsQO4xL.jpgLe fatum est d’abord le sentiment de l’unité du monde. Diogène Laerce (3ème s. av. JC) dit : « Dieu, l'Intellect, le Destin et Zeus ne font qu'un » (Vies et doctrines des philosophes illustres, VII, 135, Livre de poche / Classique, 1999). Il est ensuite, avec les stoïciens, le sentiment des causalités nécessaires pour que les choses adviennent, de l’interaction de toutes choses (ou encore principe de sympathie universelle), et du principe de non-contradiction qui régit le réel : une chose ne peut être et ne pas être. « Le destin est la somme de toutes les causes », résume Marc-Aurèle en une formule qui est celle du stoïcisme tardif, de plus en plus causaliste. Le fatum c’est l’acceptation que la volonté, et le caractère de chacun, puissent ne pas suffire à changer les choses et soi-même.  Ce n’est pas le renoncement à essayer de forger son destin, à avoir des ambitions pour soi et les autres. Le sentiment du fatum n’est pas le nihilisme.

Qu’est-ce que le nihilisme ? C’est l’idée que rien ne vaut la peine de vouloir. Nietzsche distingue le nihilisme passif, qui constate que toutes les valeurs établies sont ruinées par leur propre imposture, et le nihilisme actif, qui veut sur cette table rase refonder par la seule volonté de nouvelles valeurs. « Je suis aussi une fatalité », écrit Nietzsche (Ecce Homo). Il écrit aussi dans une lettre à Georg Brandes, le 20 novembre 1888, à propos de l’Antéchrist : « - Mon "Inversion de toutes les valeurs", dont le titre principal est l'Antéchrist, est terminée ».  C’est-à-dire qu’à la piété, Nietzsche a opposé la volonté, à la charité, il oppose la générosité, à la complaisance pour la faiblesse, il oppose l’admiration de la force. En d’autres termes, rien ne peut empêcher la volonté de l’homme, et certainement pas une autorité supra-humaine, de donner du sens au monde. Mais pour Nietzsche, toutes les donations de sens ne sont pas équivalentes. « Le mal suprême fait partie du bien suprême, mais le bien suprême, c'est le bien créateur. » (Ecce Homo, « Pourquoi je suis une fatalité »). Un mal aussi incontestable et profond que la guerre n’a t-il pas pu être vu comme  « une revanche de l’enthousiasme orgiaque » par Jan Patocka (Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Verdier, 1988) ? La violence peut être nihiliste, mais, comme l’ont vu Michel Maffesoli et René Girard, elle peut aussi être fondatrice.

C’est assez signifier la question de l’ambiguïté de la volonté : la volonté peut tourner sur elle-même. Elle peut être pure « volonté de volonté » c’est-à-dire nihilisme actif, non au sens de Nietzsche (qui détruit pour reconstruire), mais au sens d’un nihilisme destructeur.  De son coté, Léo Strauss avait bien montré que l’énergie nihiliste pouvait trouver l’un de ses aboutissements dans le nazisme (Nihilisme et politique, Rivages, 2000), en tant que ce dernier est héritier du positivisme (croyance scientiste au progrès) et de l’historicisme (croyance mystique en un âge d’or et millénarisme).

Positivisme et historicisme millénariste : un cocktail explosif.

41oqpoPF1nL._SX328_BO1,204,203,200_.jpgAprès ce que Jan Patocka a justement appelé la « traversée de la mort » (Essais hérétiques, op. cit.), représentée par les heurs et malheurs, drames inouïes et désillusions du XXème siècle, se pose la question des fondements de la volonté. Vouloir, mais pour quoi faire ? L’énergie est un bien, mais il faut aussi l’appliquer à un bien.  Le bilan de la traversée du XXème siècle est double. 1/ le nihilisme acharné, destructeur et radicalisé, le nihilisme qui dit que « puisque certaines choses sont fichues, que tout soit fichu ». 2/ le nihilisme « mou » qu’est la fatigue.

La « bonne fatigue » d’après le travail, celle qu’évoque Peter Handke (Essai sur la fatigue, Gallimard, 1991) doit, en effet, ici être opposée à une fatigue structurelle qui est une sorte de découragement, d’« à quoi-bon », d’acédie, selon Evagre et Cassien, et s. Thomas d’Aquin, qui précède même toute action, comme le dit  Jean-Louis Chrétien (La fatigue, Minuit, 1996). C’est alors une grande fatigue de la volonté. Le découragement ou ce que Jacques Arènes et Nathalie Sarthou-Lajus appellent justement « La défaite de la volonté » (éponyme, Seuil, 2005), trouvent leur origine dans deux distorsions modernes du fatum, c’est-à-dire du destin.

La première distorsion est celle qui dit que le destin moderne est que tout est possible et que tout ce qui sera possible sera réalisé. A l’échelle des subjectivités individuelles, à qui il est requis d’être « inventif », « créatif » et même « récréatif », on conçoit qu’un gouffre d’angoisse et d’incertitude s’ouvre.   Quelle place subsiste pour la volonté personnelle si un mouvement anonyme et irréversible – la technique – rend tout possible et toute possibilité inéluctable ?

La deuxième distorsion qui affecte la volonté et incline au découragement est la vision désenchantée et déterministe de la société. Si la reproduction sociale et culturelle est si fortement déterminée que le disent les sociologues tels Pierre Bourdieu, et si, en même temps, le destin est tout entier social, fait de conformité à la norme et d’intégration, quelle place y a t-il encore pour l’exercice de la volonté ?

L’illusion de la toute-puissance et l’illusion de l’impuissance se rejoignent ainsi pour décourager l’exercice de la volonté. La négation du manque comme constitutif de la vie des hommes remplace toute énergie pour chercher à combler une incomplétude. Soit on remplit un manque par un produit ou par une pratique   – et c’est l’addiction – ou bien on s’enlise dans l’ennui. La recherche d’excitations et d’excitants aboutit à la perte de la présence à soi et de la présence aux autres, à l’incapacité de faire des expériences  dans la durée, donc à avoir une réelle expérience de la vie.  Nous sommes ici à l’opposé du précepte de James Joyce : « Ô vie, je vais pour la millionième fois à la rencontre de la réalité de l’expérience » (Dedalus).

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L’hyperémotivité contemporaine et l’hypersensibilité nourrissent le narcissisme qui demande lui-même en retour des réassurances hyper-protectrices (cellules de soutien psychologique, etc). La volonté opiniâtre de continuer son chemin, quel qu’il soit, défaille. La société valorise la repentance plutôt que l’orgueil et la persévérance. On assiste ainsi à une déstabilisation des fondements de la volonté d’une part par le discours du bougisme, par un  lent travail de sape de la longue durée de l’autre. L’instrument de ce dernier ? L’ennui. Or, l’ennui est le contraire de l’activation de la volonté, comme le montre  Lars Fr. H. Svendsen (Petite philosophie de l’ennui, Fayard, 2003). C’est pourquoi entre le chagrin et le néant, ou entre le chagrin et l’ennui, certains - le mélancolique en l’occurrence – choisissent le chagrin (inguérissable de préférence).

Mais si la volonté du mélancolique est une vraie volonté, c’est une volonté triste. C’est une des passions tristes dont parle Spinoza. Une volonté sereine suppose un fatum sans fatalisme ni culpabilité. Selon Job (Livre de Job, 9, 28 : « Je suis effrayé de toutes mes douleurs. Je sais que tu ne me tiendras pas pour innocent »), nul n’est innocent de ses maux. A défaut de trouver le responsable en soi-même, on peut toujours passer sa vie à chercher un coupable ailleurs. Il faut balayer ces âneries. Chercher un coupable, c’est justement là qu’est l’erreur. C’est là qu’est l’impasse. 0C’est le chemin du ressentiment, et c’est aussi le principe de nombre de pathologies.

Michel Houellebecq résume les temps modernes en indiquant en substance que nous avons gardé du christianisme la honte mais enlevé le salut, ou encore, gardé le péché mais enlevé la grâce (Les particules élémentaires). D’où le désarroi contemporain. Voire. La honte et le péché ne sont pas la même chose. La honte renvoie à l’honneur, le péché renvoie à la culpabilité, à la faute morale. Ne cherchons pas la morale dans un monde supralunaire. Nous n’avons nul besoin d’un salut éternel. Nous devons remplacer le sentiment du péché par celui de la honte, qui, quand elle survient, n’est autre que le sentiment de l’honneur perdu.

« Chacun est responsable de son choix, la divinité est hors de cause », écrit Platon (La République, livre X, 617, « le mythe d’Er le Pamphylien», Gallimard, 1993). Le choix (hairesis) de vie s’apparente toujours pour Platon à une partie de l’âme qui est la volonté. « Déclaration de la vierge Lachésis, fille de Nécessité. Âmes éphémères ! C'est le début pour une race mortelle d'un autre cycle porteur de mort. Ce n'est pas un "démon"  qui vous tirera au sort, mais vous allez vous choisir vous-mêmes un "démon" (le démon des Grecs n’a pas un sens négatif mais désigne une semi-divinité entre le monde des dieux et celui des hommes- PLV). Que le premier que le sort désigne se choisisse le premier une vie à laquelle il sera uni par nécessité. Mais l'excellence  n'a pas de maître ; selon qu'il lui accordera du prix ou ne lui en accordera pas, chacun en aura beaucoup ou peu. Celui qui choisit est seul en cause ; dieu est hors de cause. » (Platon, ibid.).

838_400px-epikouros_met_11.90.jpgToutefois, entre les choix et les conséquences des choix se glisse le hasard. C’est le clinamen d’Epicure. C’est une déviation dans la chute des atomes qui fait qu’ils ne tombent pas exactement où on les attend et que la vie nait de cette déviation, de cet écart entre l’attendu et l’inattendu.  Le tragique du fatum, c’est cela, c’est l’incertitude du destin. Elle a de quoi faire peur. « La pensée du hasard est une pensée d’épouvante », indique Clément Rosset (Logique du pire, PUF, 1971). Mais l’homme est celui qui détermine, non pas le triomphe du Bien, mais sa forme, non pas le triomphe du Beau, mais encore sa forme.

L’homme ne détermine pas son destin, mais il donne à son destin un style. Si le fatum des Antiques est « ce qu’a annoncé l’oracle », l’histoire d’une vie est toujours celle d’une liberté. L’homme a toujours des libertés. L’amor fati est ainsi l’amour du monde compris comme liberté souterraine toujours cheminant sous les apparentes contraintes, comme liberté de s’ouvrir aux événements, au kaïros – au moment opportun. Le kaïros ne dépend pas de nous, mais le saisir ou pas dépend de nous.

Ainsi, avec Nietzsche, l’amor fati – l’amour du destin - constitue la voie même de la sortie du nihilisme, faisant d’Apollon « l’éminence grise » de Dionysos, comme dit Mathieu Kessler (L'esthétique de Nietzsche, P.U.F, 1998). « On ne soigne pas le destin », disait Cioran (La tentation d’exister). Il voulait dire : « On n’en guérit pas ». Mais il est toujours temps de lui donner un style et de se réveiller de toute servitude.

PLV 

Pour aller plus loin :

- Le malaise est dans l’homme, de Pierre Le Vigan, la barque d’or, 2017.

https://www.google.com/url?sa=i&url=https%3A%2F%2Fwww...

- Achever le nihilisme, de Pierre Le Vigan, Sigest, 2019.

https://www.amazon.fr/Achever-nihilisme-manifestations-th... 

- Face à l’addiction, de Pierre Le Vigan, La barque d’or, 2019.

https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=...

 

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samedi, 08 mai 2021

Interview d’Alberto Buela sur la métapolitique

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Interview d’Alberto Buela sur la métapolitique

Ex: https://www.tradicionviva.es/2021/05/06/una-gran-entrevista-en-la-que-alberto-buela-habla-sobre-metapolitica/

"Les classiques ne sont rien d'autre que des auteurs anciens qui ont des réponses contemporaines."

Nous reproduisons ici une partie de l'entretien que le Professeur Alberto Buela a accordé au journal perfil.com.

Comment expliqueriez-vous la métapolitique à un profane ?

En 1994, nous avons commencé à publier un magazine intitulé Disenso sur papier. À l'époque, il n'y avait pas d'Internet ou, du moins, nous n’en disposions pas. Le magazine m'a permis d'entrer en contact avec de nombreuses personnalités d'Europe et des États-Unis. À un moment donné, un auteur italo-chilien, Primo Siena, m'a envoyé une lettre et m'a dit: « Alberto, ce que tu fais est métapolitique, pourquoi ne lis-tu pas Silvano Panunzio? Un auteur italien qui n'est pas connu ici ». J'ai demandé à un ami de Rome, Aldo La Fata, de m'envoyer un de ses textes. Don Silvano était sur le point de mourir. Je l'ai trouvé intéressant bien qu'il ait une vision quelque peu ésotérique. En philosophie, nous avons l'habitude de réfléchir avec la raison. Nous savons que l'homme, comme le disait José Ortega y Gasset, est une île rationnelle entourée d'une mer d'irrationalités, mais nous devons toujours œuvrer à sauver la rationalité de l'être humain. Si je reste dans l'irrationnel, je fais des horoscopes, je me consacre aux sciences occultes; quelque chose de différent de la philosophie stricte. Je commence donc à l'étudier, je le lis et je découvre d'autres auteurs. Primo Siena m'écrit à nouveau. Je demande à des gens qui font de la science politique, des chercheurs du CONICET (Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas)... Rien.

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Puis un philosophe très important en Espagne à la fin du XXe siècle, Gustavo Bueno, m'écrit. Bueno était un philosophe matérialiste issu du parti communiste. Il avait ensuite quitté le PC, bien qu'il soit resté matérialiste jusqu'à sa mort. C'est lui qui m'a dit que j'avais "les conditions idéales pour développer la métapolitique, car la métapolitique n'est rien d'autre que la métaphysique de la politique". J'ai répondu que cela ne me plaisait pas car on peut lier la politique à la métaphysique. La métaphysique parle du nécessaire et la métapolitique parle du contingent parce que la politique est contingente, elle peut se positionner dans un sens ou dans un autre. Le nécessaire ne peut aller que dans un seul sens. Je préfère définir la métapolitique comme les grandes catégories qui conditionnent l'action politique. C'est ainsi que j'ai trouvé un texte de Max Scheler. Il faut toujours aller vers les grands car les classiques ne sont rien d'autre que des auteurs anciens qui ont des réponses contemporaines. Il est difficile de se tromper si l'on se tourne vers Max Scheler. J'ai trouvé une de ses conférences à l'école de guerre allemande en 1927, un an avant sa mort, sur la phase de nivellement. Il y dit: "Espérons que ce cours que je donne pourra à terme remplacer culturellement la classe dirigeante allemande qui est dépassée aujourd’hui" ; il y avait, en effet, à cette époque, toute la décadence de la République de Weimar. Et Scheler ajoutait : "... et que nous pourrons construire une haute politique". C'est là que j'ai découvert le véritable fondement de la métapolitique.

La métapolitique est-elle un progrès par rapport à la théorie politique ?

Il la met en crise, la soumet à la critique. Si on la pratique bien, la métapolitique montre quels sont les présupposés politiques des acteurs, l'idéologie. Nos acteurs politiques, de notre président à l'un des 88 secrétaires d'État, font essentiellement de l'idéologie. L'idée d'étudier la métapolitique est de se confronter aux grandes catégories, telles que l'homogénéisation, la pensée unique, la théorie du genre, entre autres.

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La métapolitique est-elle une simple activité culturelle ou précède-t-elle nécessairement une action politique ultérieure ?

Il existe deux versions. Une version est la version française, qui dit que la métapolitique doit être faite sans politique. Nous, en revanche, nous soutenons que nous devons faire de la métapolitique, mais en cherchant un ancrage dans la politique. Nous avons un besoin impérieux et manifeste de l'étudier, surtout en Argentine. Nous constatons que nous avons un gouvernement progressiste, de gauche, libéral, social-démocrate, dans lequel Bob Dylan a plus d'influence que Perón. Nous devons d'une manière ou d'une autre clarifier ce mélange.

Comment voulez-vous éclaircir la situation ?

Au lieu de parler des droits de l'homme, je parlerais des droits des peuples. Au lieu de parler de privilégier les minorités, je privilégierais les majorités. Comme aujourd'hui aucun gouvernement n'en dispose, ils privilégient les minorités par rapport aux majorités, même s'ils se disent péronistes. Contrairement à ce que le péronisme a toujours fait. "La métapolitique est un ensemble de grandes catégories qui conditionnent l'action politique".

(...)

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Que pensez-vous de l'utilisation de la métapolitique par la nouvelle droite ?

La nouvelle droite se trompe dans son approche de la politique. Elle veut faire de la métapolitique sans politique. C'est comme Gramsci, mais au départ de la droite. Cela n'a aucun sens pour moi de commencer à réfléchir à la manière de modifier les catégories qui conditionnent l'action politique des agents politiques et de ne rien faire pour modifier cela.

Y a-t-il un rapport entre cela et les libertaires actuels qui sont si à la mode en Argentine ?

Les libéraux et les ‘’terra-planistes’’ sont des minorités qui ont poussé comme des champignons partout.

La nouvelle droite ne mène pas d'action politique de parti parce qu'elle considère que les partis politiques ont été dépassés en pouvoir d'initiative par les méga-médias et que c'est là que se trouve le courant de pensée et que la contestation doit être menée?

C'est là une métapolitique sans fin. C'est une métapolitique conforme à l’idéologie des Lumières. La droite, en ce cas, fait une ‘’métapolitique des Lumières’’. C'est philosopher comme Descartes depuis sa chambre: il voit passer un homme avec un parapluie et philosophe depuis sa cloche de verre. Ce n'est pas non plus de la philosophie. On agit comme on pense ou on finit par penser comme on agit.

(..)

Que pensez-vous de ce que vit l'Argentine aujourd'hui et quel conseil ou message pourriez-vous donner aux lecteurs ?

D'abord, un sentiment de tristesse. Je suis né dans un pays où nous étions inclus dans une communauté. J'ai 72 ans aujourd’hui, j'ai été élevé moitié en ville, moitié à la campagne. Je suis né à Parque Patricios mais deux jours plus tard, mes parents m'ont emmené à Magdalena, où toute ma famille se trouvait, donc je suis né là-bas en fait. J'y ai grandi, nous avions l'école, le club Huracán, il y avait la paroisse de San Bartolomé à Chiclana et Boedo. Nous avions de nombreuses organisations qui nous soutenaient; nous étions une famille modeste. J'avais l'habitude d'aller à la piscine de la rue Pepirí, je m'exprimais en tant que nageur. Au club Huracán, je jouais à la pelote ou au fronton, ce qui me plaisait aussi. Dans la paroisse, nous avions l'habitude d'aller dans des camps. A l'école, nous avons étudié. Je suis né dans une communauté. Je suis né dans une polis. Et nous avons produit quelque chose d'extraordinaire: tout comme les Grecs sont passés des tribus à la polis, nus avons suivi la même voie. Voici ce que dit Platon dans le dernier livre des lois: "La différence avec les barbares, c'est que nous avons la polis et qu'ils n'en ont pas. Et nous avons un système de lois qui fait dire à Socrate, lorsqu'il doit échapper à la ciguë: "La loi est ma mère et ma sage-femme". L'Argentine a réalisé un mauvais miracle extraordinaire, en plus d'avoir Lionel Messi et Diego Maradona. Je suis né dans une polis et je vais mourir dans une tribu. Nous avons les tribus des avorteurs, des anti-avorteurs, des ‘’terraplanistas’’, des subventionnés, des mères, des enfants, des cousins, des Indiens. L'idée du peuple en tant que majorité a été brisée. Nous avons fait le contraire des Grecs.

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mardi, 04 mai 2021

Luc-Olivier d'Algange: Entretien avec Anna Calosso, à propos du paganisme et du christianisme

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Luc-Olivier d'Algange: Entretien avec Anna Calosso, à propos du paganisme et du christianisme

Anna Calosso: On discerne dans presque toutes les pages que vous écrivez une sorte de filigrane sacré, tantôt chrétien, dans Lux Umbra Dei, et tantôt païen, dans Le Songe de Pallas, ou dans vos poèmes du Chant de l'Ame du monde, et parfois l'un et l'autre, comme dans L'Ombre de Venise,- qui vient d'être réédité, avec d'autres textes inédits dans un vaste receuil intitulé L'Ame secrète de l'Europe.

Luc-Olivier d'Algange: Allons en amont... Nous vivons dans un Purgatoire mais le Paradis s'entrevoit par éclats. Dans ces éclats le temps se rassemble puis vole au-dessus de lui-même, dans l'éther où vivent les dieux. Dans la tradition européenne le paganisme et le christianisme s'enchevêtrent, moins en théorie qu'en pratique, dans les rites, les légendes et les œuvres qu'elles soient poétiques, picturales ou architecturales. Est-il même possible, depuis le Moyen-Age, pour ne rien dire de la Renaissance, d'être chrétien sans être quelque peu païen, et à l'inverse ? Souvenons-nous simplement que le Versailles du «  Roi Très-Chrétien  » fut un temple apollinien.

Les «  monothéistes  » purs et durs le savent qui considèrent le catholicisme comme «  associationniste  », autrement dit comme un paganisme, voire comme une mécréance. Allons plus loin... Il me semble qu'il est même possible d'être catholique, ou païen, sans croire, en laissant simplement s'éprouver en nous le sens du surnaturel, du Temps au-delà du temps. Ce qui s'éprouve n'est-il pas plus profond que ce que l'on croit ?

305367_medium.jpgAu demeurant, la croyance, comme l'opinion, sont affaires subjectives, souvent superficielles et étroites. On se demande pourquoi les hommes sont si attachés à leurs croyances: ils aiment l'étroitesse, ils s'y croient à l'abri, - grave illusion. Ils croient pour n'avoir pas à éprouver. La citerne croupissante leur semble préférable à la source vive... Et moins ils éprouvent et plus ils veulent faire croire, imposer leurs croyances qui ne reposent alors que sur leur incommensurable vanité.

La «  gnôsis  », qui dépasse la «  doxa  », ne se réduit pas au «  gnosticisme  », qui serait une autre croyance, mais une nouvelle profondeur, la profondeur de l'immédiat, la profondeur du sensible: telle couleur qui nous vient en transparence, tel silence entre les notes de Debussy ou de Ravel. La pensée ne vaut qu'anagogique, en vol d'oiseau. Certes la pensée s'exerce, mais elle se saisit au vol. Elle est un commerce avec l'impondérable qui nous vient de loin... Ce beau, ce vaste lointain est la profondeur de la présence.

A force de s'identifier à une croyance, la croyance elle-même se perd, devient écorce morte, revendication hargneuse. Cela se voit, hélas, tous les jours. Le ressentiment s'ensuit contre tout ce que nous aimons, la liberté d'allure et de propos, Villon, Rabelais, Musset, la musique, les cheveux au vent... Un grand défi se pose à l'honnête homme: ne pas être gagné lui-même par le ressentiment contre le ressentiment. Pour cela, cependant, il faut bien connaître ses ennemis, et plus encore, ses amis. Honorer ce qui nous est amical. L'air du matin qui nous délivre des songes moroses, les amants heureux de Valery Larbaud, les grains de pollen de Novalis, la bienveillance pleine de courage de Nietzsche, les rameaux, les rameaux d'or...

Toujours garder en mémoire : se garder du pathos et de l'outrance, et de ceux qui les propagent, et être, à cet égard, d'une intransigeance parfaite et limpide... Ne pas céder, tant qu'il est possible, sur nos vertus, nos légendes héritées, d'autant qu'européennes, elles sont arborescente, pleines de rumeurs et légères. Réciter en soi, de temps à autres, quelques noms, Homère, Pindare, Villon, Dante, Rabelais, Montaigne, Hölderlin, Shelley, Nerval…

Ce qui nous en vient n'est pas un dogme, un système, un goût peut-être, un savoir qui est saveur, une possibilité de traverser la vie, moins chagrine, moins vengeresse, moins stupide. Ces noms, comprenons bien, désignent des œuvres, et ces œuvres sont des évènements d'une bien plus grande importance, Horace le savait déjà, que les événements dits historiques ou politiques. Chacun de ces événements de l'âme est un avènement, l'entrée dans un Temps secret qui a tout à nous dire, à chaque instant. Si nous devions formuler un vœu, ou une prière, ce serait: Que chaque instant soit l'éclat de son Paradis !

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Anna Calosso: Vos ouvrages récemment parus sont de préoccupations et de tons forts divers. Notes sur l'Eclaircie de l'être est consacré à Heidegger, Intempestiva Sapientia sont des propos, des formes brèves, proches de Joseph Joubert, Apocalypse de la beauté est une méditation sur la philocalie et la lumière émanée des icônes. Quel unité fonde ces diverses approches, s'il en est une ?

Luc-Olivier d'Algange: La réponse la plus simple, ce serait l'auteur. Mais sans doute ne suffit-elle pas pour un auteur auquel il semble assez souvent avoir pratiqué, comme une diététique, voire comme un exercice spirituel, une certaine «  impersonnalité active  », pour reprendre la formule de Julius Evola, elle-même issue de la philosophie stoïcienne. Au demeurant, je serais enclin à penser que, d'une certaine façon, toute activité créatrice nous impersonnalise dès lors que l'art n'est plus seulement, pour nous, l'expression de notre «  moi  » mais un véhicule, un vaisseau, un instrument de connaissance.

Enfin, les thèmes que vous indiquez ne sont pas si éloignés qu'il semblerait aux spécialistes de l'un ou de l'autre. C'est bien dans une éclaircie de l'être que surgissent et scintillent les formes brèves de Joseph Joubert. Les épiphanies qu'évoque la Philocalie orthodoxe, sont, elles aussi, surgissement. La beauté, enfin, est notre Haut Désir.

Anna Calosso: Si l'on vous en croit, la beauté mène un combat contre la laideur, la laideur de ce monde, la laideur moderne....

Luc-Olivier d'Algange: Ou peut-être, serait, dans l'autre sens, la laideur qui mène un combat contre la beauté... Il me semble parfois assister au spectacle d'une volonté planificatrice de la laideur, avec ses stratégies, ses machines de guerre, la télévision, l'architecture de masse etc... Il y a dans la beauté comme une ingénue, une inconsciente présence de l'être. La beauté est-elle combative ? Elle est une victoire à chaque fois qu'elle advient. Elle se suffit à elle-même, d'où le sentiment de plénitude qu'elle nous apporte, elle est, comme la rose d'Angélus Silésius, «  sans pourquoi  ». La laideur, elle, est un mouvement de destruction concerté, elle est le «  quoi  » du pourquoi, un ressentiment, une représentation; c'est la grimace de la jalousie à laquelle cependant toujours échappe ce qui est.

l_etincelle_d_or-51064-264-432.jpgLe vaste enlaidissement de tout ne doit pas nous dissimuler que la beauté demeure, et l'enlaidissement même, dans sa planification, dans sa volonté, témoigne de la souveraineté de la beauté qui sera humiliée, recouverte, insultée mais jamais défaite. Le brin d'herbe perce le goudron.

On accuse souvent les amants de la beauté d'être des esthètes, et «  l'esthète  », il va sans dire, dans la bouche de ces moralisateurs, est un méchant homme. Mais est-il un plus généreux acte de bonté que de vouloir répandre la beauté, l'honorer et tenter de faire vivre nos semblables en sa compagnie ? Que serait une bonté qui serait laide ? Nous le savons par les meurtrières utopies, ces maîtresses du kitch. On voudrait alors pouvoir respirer, repousser les fanatiques, les «  arriérés de toutes sortes  », selon la formule de Rimbaud, les obtus, les puritains, pour élargir l'espace et le temps, laisser venir à nous des confins d'or et d'azur. C'est ainsi que l'idée d'une défense de la beauté redevient pertinente. Elle se fera par touches exquises, par intransigeances transparentes, par nuances, «  sur des pattes de colombe  », autant dire de la façon la plus aristocratique possible, - ce qui ne veut pas dire que chacun n’y soit pas convié. La beauté est ce qui ne passe pas. Au contraire des mœurs, elle demeure elle-même dans ses manifestations. Le temple de Delphes, les fresques de Piero de la Francesca sont aussi beaux pour nous qu'ils le furent pour leurs contemporains. Voici bien l'approche du Temps au-delà du temps, l'effleurement de son aile...

Anna Calosso: Tel pourrait bien être le cœur de vos écrits, dire le Temps au-delà du temps, dire le cœur du temps, l'éternité de l'Instant, et je songe, en particulier à ce poème, Le Sacre de l'Instant.

Luc-Olivier d'Algange: L'activisme planificateur nous assigne à une temporalité, laquelle nous pousse en avant à toutes fins utiles, mais n'oublions pas qu'en avant, c'est la mort, et non la mort toute nue, vouée aux vautours ou au feu, mais la mort profitable. Cette mort profitable, c'est la vie, toute la vie assignée au temps du travail et de l'usure... Je ne vois guère d'autre objet à la pensée, et précisément à une pensée qui résiste et se rebelle, que d'œuvrer à la révélation, à la réactivation d'autres temporalités secrètes, transversales ou latérales. J'en dis quelques mots dans un essai récent, Les dieux, ceux qui adviennent...   Au discours du temps utilitariste, profane et profanateur, du discours qui nous sépare de nous-mêmes et du monde, opposons la fidélité à un autre cours, une rivière enchantée, un Lignon, dont Honoré d'Urfé savait qu'il traverse une géographie sacrée.

Toute géographie, au demeurant, est sacrée, mais nous l'avons oublié. Qui n'a observé que selon les lieux où nous nous trouvons, nos pensées changent de cours ? Une qualité particulière à tel lieu nous imprègne. ce que nous sommes est dans cet accord, dans cet échange magnétique, à la fois intime et impersonnel, par notre façon de nous y mouvoir, de même que la musique, à chaque note, désigne le silence pur où elle se pose, le révélant par ses interstices.

imagLOdA.jpgAnna Calosso: Il semblerait que dans votre éloge de l'accord entre l'homme et son paysage, il y eût une implicite critique du «  cosmopolitisme  », tel, du moins qu'il se revendique parfois aujourd'hui.

Luc-Olivier d'Algange: Votre précision est importante  :  tel qu'il se revendique aujourd'hui. La critique, implicite ou explicite, en l'occurrence, porte bien davantage sur la globalisation, et la mondialisation, qui ont pour conséquences les communautarismes les plus obtus, les plus incarcérés, que sur le «  cosmopolitisme  », mot grec qui désigne une pratique spécifiquement européenne.  On doute fort que ces grands cosmopolites à leur façon, que furent Fernando Pessoa, Valery Larbaud, Paul Morand, Mircea Eliade, et, plus en amont, Goethe ou Frédéric II de Hohenstaufen, eussent éprouvés la moindre sympathie pour l'actuelle globalisation. Le cosmopolite, l’habitant du cosmos, de l’ordre, est enraciné et peut s'enraciner, et il peut aussi éprouver le sens de l'exil, qu'évoquaient Hölderlin ou, plus proche de nous dans le temps, Dominique de Roux... Le cosmopolite goûte le charme de la découverte, de la mission de reconnaissance. Le globalisé, lui, est partout chez lui dans le nulle part. Le cosmopolitisme appartient, dans son ambiguïté même, à la tradition européenne. Le globalisé n'appartient à rien, sinon aux outrances de sa subjectivité. Dans ce monde déchu, qui est celui de la séparation, du diaballein, la pire séparation est celle qui règne dans le monde globalisé; chacun y étant le geôlier de soi-même. Autant le cosmopolitisme était le luxe de ceux qui s'inscrivent dans un tradere, autant la globalisation est la misère, fut-elle cossue et bancaire, des renégats.

Anna Calosso: L'adversaire, si je vous suis, est donc l'uniformisation...

Luc-Olivier d'Algange: oui, elle, et la schématisation, la simplification, la généralité et l'abstraction, choses plus ou moins équivalentes en la circonstance. La liberté n'est possible que dans un monde complexe et même profus, mais d'une profusion, non point numérique mais concrète. Si tout est plat, on nous tire à vue. Il faut, pour être libre, des espaces secrets, des labyrinthes, des passages vers d'autres mondes et d'autres temps. Tanizaki écrivit un Eloge de l'ombre, dont je conseille la lecture. Ceux auxquels on colle volontiers l'étiquette «  anarchistes de droite  » aiment le secret, les abbayes de Thélème, les Ermitages aux buissons blanc, les «  mondes flottants  », comme on dit au Japon. Le monde ante-moderne excellait à ces désordres féconds qui obéissaient à un ordre supérieur, invisible. Voyez une cité médiévale, ses recoins, ses surprises, son harmonie qui semble improvisée, voyez encore Venise et comparez les aux productions des architectes et urbanistes modernes conçues rigoureusement pour travailler, vendre et surveiller. Quelques architectes modernes eurent même l'idée de supprimer les rues, où l'on se promène, et de créer un dispositif où les hommes, parqués selon leurs catégories professionnelles, iraient directement de leur appartement à leur lieu de travail, avec pour seules stations intermédiaires le garage collectif et le supermarché. Nous sommes là aux antipodes de ce que Pasolini nommait la société des arcades où les castes se mêlaient dans la recherche des conversations, des saveurs et des plaisirs, dans le goût de l'otium. L'étymologie dit bien que c'est le negotium qui est la négation de l'otium. On voit aussitôt de quel côté est le nihilisme.

9782879131696.jpgAnna Calosso: Le nihilisme est quelque chose qui doit être surmonté nous dit Nietzsche...

Luc-Olivier d'Algange: Surmonté est le mot juste. Tout homme de ce temps est contraint à la traversée du nihilisme. Que voit-il dans ce parcours ? Les murs qui l'enserrent de plus en plus ou la lueur au loin, celle des «  aurores  » védiques ? La critique de la modernité est souvent perçue comme le fait de «  réactionnaires  », - mais nombre de ceux que l'on nomme ainsi ne le sont guère. Ce ne sont pas les formes anciennes qu'ils veulent restaurer mais perpétuer les forces, l'imagination créatrice qui les firent naître. Ce qui est tout autre chose.

Anna Calosso: J'hésite enfin à vous poser cette question, un peu trop courue: êtes-vous optimiste ou pessimiste ?

Luc-Olivier d'Algange: La grande espérance, la plus lumineuse, nous vient lorsque tout est à désespérer. Peut-être même y a-t-il quelque chose de providentiel dans le détachement auquel nous sommes obligés, et dont nous serons peut-être les obligés. Une réduction à l'essentiel s'opère, un feu de roue alchimique. Les œuvres qui ne sont plus enseignées publiquement deviennent un secret, dont naît une discipline de l'arcane. La beauté perdue au milieu de la laideur devient éperdue. La destruction des formes visibles nous livre au «  séjour auprès de l'invisible invulnérable  » pour reprendre la formule de Heidegger. L'hostilité du monde renforce l'amour entre quelques-uns. Les temps prochains seront aux Calenders.