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mardi, 08 décembre 2009

L'identité entre devenir individuel et devenir collectif

enracinement.jpg

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

L’identité entre devenir individuel et devenir collectif

 

Les racines finissent toujours par surgir du passé, là et au moment où on les attend le moins, au détour d'une identité qui s'affermit et consolide ses linéaments culturels, philosophiques et esthétiques. Les racines constituent le socle "gaïen" dans lequel viennent s'ancrer les identités individuelles, plurales, locales, ethniques, régionales et nationales. Ces mêmes racines fondent le "nomos" de nos origines, sa limite spatiale et territoriale, et le cadre ontologique des devenirs collectifs. Les racines, lesquelles sont à la base de nos communautés charnelles de sang et de sol, ont un langage holiste, unilatéral et statique. Tout autre est le devenir individuel des identités qui prend corps dans les matrices du nomos de nos racines. Le devenir des identités individuelles s'inscrit dans un langage dynamique, transversal et constructiviste. En effet, si les racines s'emploient à enfanter biophysiquement à l'état brut une identité, il importe à chaque être humain de façonner, mûrir et affirmer une identité propre. Là se situe la frontière entre le déterminisme de nos origines naturelles et la liberté personnelle qui n'est autre que volonté de puissance. Car nous n’affirmons une identité que dans la mesure ou nous sommes pleinement libres, ç'est à dire capables de générer et d'affirmer dans le présent des valeurs propres, voir selon un schéma heideggerien d'actualiser des actes en puissance.

 

L'identité individuelle serait en quelque sorte une puissance de flux intégrationiste, qui reçoit, conquiert et digère. C'est pourquoi, la logique des identités individuelles peut parfois être paradoxalement centrifuge à l'endroit même où leurs racines demeurent immuables. Les identités individuelles culminent dans le voyage intérieur, virtuel, et ont pour terrain d'élection l'inconnu multiforme. Elles disposent de capacités d'appréhension et d'attraction inépuisables, et cultivent le goût d'une curiosité insatiable et à bon escient. Dans le cadre d'une perspective deleuzienne, le devenir des identités individuelles progresse dans le temps présent en traçant des lignes de fuite, qui partent toujours du milieu où elles s'affirment instantanément. C'est au cœur de cette perpétuelle gestation de lignes de fuites d'un présent à un autre que peut se produire la rencontre d’une amitié ou d'un amour inestimable entre deux identités authentiques et intrinsèquement différentes. Ce devenir se caractérise par la conquête d'espaces idéologiques et la fermentation d'une pensée vive, d’un savoir libéré des inhibitions morales et sociales. Au carrefour du devenir individuel d'une identité en gestation, peut surgir le devenir collectif et centripète de ses racines.

 

Alors de la croisée de ses deux routes distinctes pourra naître une navigation existentielle commune, si le dialogue s'instaure organiquement, sans mutilations, blocages et préjugés. Le devenir individuel de l’identité se retrempera progressivement dans le fleuve nourricier du devenir collectif des racines si ce dernier se fait le réceptacle et la brèche ouverte à la maturation et l'épanouissement du premier. Le recentrage au présent de ces deux devenirs complémentaires se fera au prix d'un parallélisme tolérant des formes et du contenu, en évitant les dysfonctionnements toujours possibles. Le réancrage de l’identité individuelle au cœur des racines communautaires fournira à la stabilité d'un socle "gaïen" les denrées d'une pensée éclectique que génère chaque devenir identitaire. Les dimensions architectoniques d'une identité peuvent être profondément urbaines et imbriquées dans les ramifications bétonnées d'une ville qui constitue son champ d'expérimentation et d'expression comme elle représente sa première ligne de front. Son essence originellement tellurique et élémentaire s'encrassera dans l’artificialité des constructions théoriques, comme dans une mélasse confuse d'apocryphes citadins, et participera à ce que Schauwecker écrivait, "le ruissellement des sources souterraines en regardant pourrir et grandir l'époque, dans le creuset d'âmes et d’excréments qui est au cœur de toute ville" .

 

Retrouver ses racines démétriennes supposera alors de briser les chaînes envoûtantes des rhytmes cinétiques, de la fébrilité et de l’anonymat quantitatif, et de se libérer de l’asservissement du langage individualiste abstrait et autocentrée pour renouer avec le langage élémentaire et poly­morphe de la nature, en sachant l'écouter puis communier dans la simplicité en apprenant lentement à comprendre l'arbre de la vie, lequel est vert et florissant alors que toute théorie est grise (pour citer Goethe). Se libérer des circuits de bitume qui convergent vers un centre épidermique et fictif, supposera de déplacer son individualité vers son propre centre spirituel dans les dédales de notre labyrinthe intérieur. Les devenirs collectifs appartiennent à l'ordre de l'immanence et sont versés dans l’historicité comme Dieu reste à l'intérieur du monde comme “causa immanenta”, ainsi que Spinoza l'a si bien enseigné; les devenirs individuels quant à eux s’expriment grâce à la transcendance et appartiennent à la sphère de « l’être possible et global » pour reprendre une catégorie de Jaspers.  Elles ont les potentialités pour dépasser le domaine du naturel, de la pure expérience, pour parvenir aux frontières kantiennes du « méconnaissable». Devenir collectifs et devenirs individuels, l'immanence et la transcendance sont sur le chemin rectiligne d’un ciseau qui "ne coupe pas”, pour reprendre une métaphore jüngerienne.  Les ciseaux évoluent dans un monde ouvert et fermé; l’effet réside dans la coupure.

 

Pour des ciseaux qui ne coupent pas, le chemin ne s’est pas encore ouvert, et la souffrance reste secondaire. Dans ce sens, le chemin ne se s'est pas confronté à la qualité (abgespalten), et c'est ainsi que le chemin est plus significatif que le but. Avec cette métaphore, Jünger nous enseigne que les mondes de l’immanence et de la transcendance ne se recouvrent pas, et gardent entre eux une distance comme une certaine tension. La même tension oppose les devenirs collectifs aux devenirs individuels. C’est pourquoi le retour inopiné d'un enfant arrivé à sa maturation identitaire au sein de sa communauté charnelle, peut ressembler au commencement d'une nouvelle ligne de fuite se situant à l’intercession de deux devenirs, entre immanence et transcendance, dont on peut penser que la rencontre est le fruit du destin.

 

Maître Jure VUJIC.

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dimanche, 06 décembre 2009

Kapuscinski, demolitore di luoghi comuni

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Roberto Alfatti Appetiti / http://robertoalfattiappetiti.blogspot.com/

Kapuscinski, demolitore di luoghi comuni

Dal mensile Area, giugno 2007

Da bambino sognava di diventare portiere della nazionale polacca di calcio ed invece, per via di una poesia (brutta, a suo dire) inviata ad un giornale, è diventato il fuoriclasse per eccellenza dei corrispondenti esteri, la punta più avanzata: l’inviato di guerra. Un mestiere complesso e pericoloso, affrontato con passione pari alla consapevolezza: «Una libera scelta, nessuno ti obbliga. Nel mondo muoiono oltre cento giornalisti l’anno, molti dei colleghi della mia generazione, con i quali lavoravo, sono morti, mentre io sono ancora vivo». Era. Anche se è difficile parlarne al passato, tanto vivi, oltre che estremamente attuali, rimangono i suoi libri, l’ultimo dei quali - piccolo ma prezioso, raccoglie il materiale di sei conferenze - è arrivato da pochi giorni in libreria, L’altro (euro 6, Feltrinelli).
Ryszard Kapuscinski è morto a Varsavia pochi mesi fa, lo scorso 23 gennaio, a causa delle complicazioni seguite ad un intervento chirurgico, all’età di settantacinque anni (era nato nel ’32 a Pinsk, nella Polonia Orientale, oggi Bielorussia). Prima di allora era sfuggito alla morte in centinaia di occasioni, forse perché l’aveva frequentata sin da bambino: «La Seconda guerra mondiale è cominciata quando avevo sette anni ed è durata per tutta la mia infanzia. Quando si possiede una conoscenza così istintiva della guerra, è più facile cavarsela sgattaiolando tra le linee del fronte». E non si può dire che non sia andato a cercarsela: in oltre quaranta anni di viaggi in circa cento paesi del mondo, è stato testimone diretto di ventisette “guerre” tra colpi di Stato e rivoluzioni, dall’Asia all’Africa (Ebano), dall’Iran della rivoluzione del ’79 (raccontata in Shah-in-shah) all’America Latina: «Io voglio solo stare in prima linea, sul fronte degli eventi e, sul momento, non penso al rischio o al fatto che potrei rimetterci la pelle». Non perché fosse un temerario o un avventuriero. Di statura e corporatura media, d’indole mite e tollerante, non aveva certo il fisico né tanto meno la baldanza strafottente di un Indiana Jones. Di fronte all’altro non tirava fuori la pistola, ma una penna a sfera e il taccuino. Neanche il registratore, perché crea una distanza con l’interlocutore, alimenta la diffidenza. Una volta arrivato a destinazione, la sua prima preoccupazione era confondersi con il luogo, parlare con gli abitanti, studiare e cercarne di comprenderne la cultura, evitando accuratamente incontri istituzionali, versioni ufficiali e voci di palazzo, fonti quasi esclusive per buona parte dei colleghi che considerano il viaggio «una specie di missione diplomatica e non sono particolarmente interessati a come viva la gente in un dato paese: li interessano solo l’alta politica, i governi, gli attori della scena internazionale. Appena possibile, si isolano dalla realtà».
«Il vero reporter non abita all’Hilton - scrive in Autoritratto di un reporter - dorme dove dormono i personaggi dei suoi racconti, mangia e beve quello che mangiano e bevono loro. E’ l’unico modo per scrivere qualcosa di decente. Per essere accettato, deve imparare a vivere tra la gente, deve essere una persona umile e dotata di empatia». E prima di raggiungere la celebrità mondiale, tanto da essere salutato dal Washington Post come «il più famoso corrispondente di guerra della sua generazione» e accostato per il suo talento ai più grandi nomi della letteratura - «il Bruce Chatwin dell’est» - il suo è stato un lungo apprendistato. Ha appena vent’anni quando, senza conoscere una sola parola di inglese e aver mai lasciato prima il suo Paese, viene catapultato in India. Unico viatico: una vecchia edizione - censurata dal regime socialista - delle Storie di Erodoto, lo storico dell’antica Grecia che ha scelto come mentore (In viaggio con Erodoto è il titolo della sua biografia).
Il suo amore per il giornalismo nasce dalla curiosità per il mondo, ma anche dal desiderio di evasione da un territorio che l’occupazione sovietica ha trasformato in un luogo del terrore (Imperium è probabilmente il più bel saggio-reportage mai scritto sul disfacimento dell’impero sovietico). Descrive l’orrore entrare nelle case e nelle scuole, i genitori dei compagni di classe scomparire uno a uno, così come il maestro, che lo chiama dal carro merci con cui lo stanno deportando in Siberia. Il padre, destinato all’eliminazione in quanto funzionario dello Stato polacco, riesce a nascondersi. Ryzard a “fuggire”.
«Mi occupavo dei problemi del Terzo Mondo, campo in cui le pressioni ideologiche da parte del potere erano molto minori di quelle esercitate, per esempio, su un corrispondente di Mosca o di Praga». Approda alla Pap, l’agenzia polacca di stampa, dove lavorerà per oltre venti anni. Tale lavoro è «il prezzo da pagare per poter scrivere dei libri», per raccontare «il mondo ricchissimo, affascinante che scoprivo viaggiando di paese in paese e di continente in continente». Un patrimonio di conoscenze che non poteva essere racchiuso in scarni dispacci giornalistici e lanci di agenzia, anche se il tempo per scrivere è sempre poco: «Mi rendo conto che dovrei scrivere di più. E invece so che se in Africa accadesse qualcosa di importante, come una guerra in Rhodesia, partirei su due piedi senza neanche finire la frase». Gli unici “souvenir” dei suoi viaggi sono i libri, a tonnellate: di ritorno dalla Nigeria lo seguono solo una cassa di libri, un paio di jeans e una padella. Esempio poco seguito dal giornalismo ideologicamente orientato di casa nostra, popolato da telepredicatori dall’ego ipertrofico, giornalisti per caso e “specialisti” in instant-book affidati a volenterosi ghost writer, che rimangono sulla superficie degli avvenimenti.
«Di tutti i reporter che viaggiavano per il mondo negli anni sessanta - ripeteva con una punta di civetteria - sono rimasto solo io. Gli altri sono diventati direttori di reti televisive, di emittenti radiofoniche, di case editrici e di quotidiani. Sono diventati stanziali». Altri ancora, aggiungiamo noi, hanno capitalizzato la popolarità per farsi eleggere nelle istituzioni, per erigere un monumento alla propria vanità. Kapuscinski no: «Niente titoli, niente cariche, niente funzioni». Il suo giornalismo è improntato ad una scelta etica, quella di dare voce a chi non ce l’ha, un giornalismo che definiva “intenzionale”: «Vale a dire quello che si dà uno scopo e che mira a produrre una qualche forma di cambiamento».
Più esattamente definisce la sua professione come quella di un “traduttore”. «Non da una lingua all’altra, ma da una cultura a un’altra. L’importante sarebbe fare in modo che tra le culture si creassero rapporti non di dipendenza e subordinazione, ma di intesa e collaborazione. Solo così può esserci una speranza che, nella nostra famiglia umana, l’intesa e la benevolenza prendano il sopravvento sulle ostilità e i conflitti. Anch’io nel mio piccolo vorrei contribuirvi, ed è questa la ragione per cui scrivo». Dimostra a tutti noi europei «che abbiamo una mentalità molto eurocentrica, che l’Europa, o meglio una sua parte, non è la sola cosa esistente al mondo». Ma, a differenza di molti suoi colleghi di sinistra, Kapuscinski non auspica l’affermazione di una cultura globale, non formula la “hit parade” delle culture - «non esiste una gerarchia delle culture» - né tanto meno individua negli Stati Uniti il comodo capro espiatorio di tutti i mali del mondo.
Da cattolico, sostiene l’importanza delle identità: «Lo sradicamento della propria cultura costa caro. Per questo occorre avere chiaro il senso della propria identità, della sua forza e del suo valore. Solo allora l’uomo può liberamente confrontarsi con una cultura diversa». Il mondo in cui stiamo entrando - sostiene nel libro appena arrivato in libreria - è «il Pianeta della Grande Occasione». E sbagliano i media occidentali «a rappresentare tutto ciò che non è occidentale come una minaccia: A Oriente siamo minacciati dalla mafia. A sud, dai fondamentalismi. In Africa da africani dementi che si trucidano a vicenda. Dall’Asia e dall’America Latina incombono i narcotrafficanti». Un caparbio, tenace demolitore di luoghi comuni, questo era ed è Ryszard Kapuscinski.

jeudi, 03 décembre 2009

Le cauchemar de Marx

Le cauchemar de Marx

Ex: http://unitepopulaire.org/

 

« Au cours des trois ou quatre dernières décennies a dominé une idéologie du dépérissement de l’État, partagée aussi bien par les libéraux que par les sociaux-démocrates. Et ce n’était pas qu’une idéologie. On a tenté et on tente encore de mettre en place des institutions supra-étatiques pour une "gouvernance mondiale", sous l’égide cependant de l’État le plus fort, les USA. On prétendait passer ainsi du "gouvernement des hommes à l’administration des choses", selon une formule de Saint-Simon reprise par Marx et Engels… Mais la crise remet les choses à l’endroit : on retourne aux États-nations, les seules réalités effectives. La "gestion" de la crise par les puissances européennes le montre à l’envi. […]

marx_karl_nodeimage.jpgChez Marx, dans Le Capital, le véritable sujet de la révolution sociale, c’est-à-dire de "l’expropriation des expropriateurs", ce sont les "producteurs associés", c’est-à-dire tous ceux qui jouent un rôle nécessaire dans la production, et cela va de l’agent d’entretien au directeur. L’idée de Marx était que le détenteur de capital était de plus en plus en dehors du procès de production et de plus en plus parasitaire, puisque son travail d’organisation et de direction était effectué par des salariés fonctionnaires du capital. Ensuite, à partir de la social-démocratie s’est inventé autre chose : l’idée que la classe ouvrière devenait la classe rédemptrice. Mais ça, ça ne découle pas de la théorie de Marx. C’est une nouvelle religion pour classes dominées… et qui doivent le rester, comme le dit très bien mon ami Costanzo Preve. Le vrai problème, c’est qu’une classe dominée transformée en classe dominante est une contradiction dans les termes ! Le prolétariat est défini pas sa soumission à la domination. La dictature du prolétariat est aussi impossible à concevoir qu’un cercle carré. […]

Il y a des mouvements de résistance anti-systémiques qui entraînent des fractions de toutes les classes de la société, à partir de motivations différentes mais qui peuvent converger vers un communisme non utopique. […] Le communisme dans sa seconde phase, tel que le définissent Marx en 1875 et la tradition marxiste, c’est le développement illimité des forces productives, l’abondance et la fin du travail (à chacun selon ses besoins), l’extinction de l’État. En fait, ce communisme-là, c’est du pur christianisme millénariste. Le développement des forces productives est limité par la capacité de la planète (et nous n’en avons pas d’autre accessible). L’abondance est, pour cette raison, une rêverie creuse. Et la fin de l’État supposerait que les deux précédentes utopies soient réalisables. Mais une fois ces utopies abandonnées, il reste pas mal de choses à faire et des transformations sociales radicales sont possibles, qui ne feront pas de ce monde un paradis mais éviteront qu’il ne se transforme en enfer. »

 

Denis Collin, auteur de Le Cauchemar de Marx : Le Capitalisme est-il une Histoire sans Fin ? (Editions Max Milo, 2009), entretien accordé à Lettres Françaises, 5 septembre 2009

lundi, 30 novembre 2009

Edward Abbey, Conservative Anarchist

edward-abbey.jpgEdward Abbey, Conservative Anarchist

By Bill Croke / http://newrightamerica.blogspot.com/ 


http://spectator.org/archives/2009/03/13/edward-abbey-conservative-anar

Cactus Ed (a nickname he liked) is dead, lo these twenty years (March 14, 1989). He was a less controversial figure in his time than he is today, and certainly has more readers. I recently attended a lecture/book discussion on the author's Desert Solitaire at my local public library, and wasn't surprised by what I heard. Small town book clubs tend to be the pet projects of liberals bent on "promoting literacy," and attract likeminded people. The discussion was moderated by a local Abbey fan, a woman of some academic credentials, and roughly twenty people took part. I've read Desert Solitaire twice, but went to the lecture on a whim, only flipping through my paperback copy shortly beforehand, intending to just listen. The group chewed over the book for 90 minutes, and the takeaway for me was that most people there thought Abbey to be a larger-than-life iconic character, the life transcending the work. And they mostly agreed with his severe critique of the management of the public lands, his ambiguous views on the national parks, and his anarchic thoughts concerning humankind's history and place on the planet, in general. An amusing evening.

Edward Abbey's posthumous fame lies mostly with the Green Left, especially in the West. He's attained that iconic cult status as a man who embodied equal parts Henry David Thoreau (Larry McMurtry once called him "The Thoreau of the American West") and John Muir, with an added dash of Mikhail Bakunin. Somebody who thought and wrote, but also acted, and influenced others to act, however indirectly. All this begs an old question: Does a writer pushing an agenda in his work compromise the artistic integrity of that work? In Abbey's case the answer is both yes and no, because he was much more a polemicist than an artist.

Edward Paul Abbey was born on January 29, 1927, in Indiana, Pennsylvania, the son of a farmer and logger. After a 1944 hitchhiking trip west at 17, he served in the U.S. Army late in World War II and afterwards, then enrolled at the University of New Mexico in 1948 on the G.I. Bill, eventually earning a Master's Degree in philosophy. During this time Abbey started to write as he began concurrently to explore the backcountry of the Southwest in his spare time, specifically the Four Corners area (where Utah, Colorado, Arizona, and New Mexico meet), otherwise known as the Colorado Plateau because it's drained by that great river.

It was among the last of Western regions to be surveyed and mapped. In 1869, John Wesley Powell was its primary explorer when he led a party in dories down the rapids-ravaged canyons of the Green and Colorado Rivers from Green River, Wyoming, all the way through the Grand Canyon. It's an unforgiving region of deserts and mountains, much of it federal land, and home to a half dozen national parks. Here Abbey found the subject that was the focus of his four decades as a writer.

Abbey started as a novelist with a run into the 1960s with series of competently executed but forgettable books such as Jonathan Troy (1954), The Brave Cowboy (1956), and Fire on the Mountain (1962). The Brave Cowboy was made into Lonely Are the Brave (1962), a film starring Kirk Douglas, thus earning Abbey some much-needed Hollywood money. During this time he also churned out essays and journalism about his wanderings in "the back of beyond."

Money was tight, though, and Abbey also worked odd jobs through the 1950s and '60s. His most noteworthy employment was as a seasonal ranger at Arches National Monument (now Arches National Park) near Moab, Utah, in 1959. This experience (along with others) culminated in the 1968 publication of Desert Solitaire, the book that made his reputation. After that, Cactus Ed became the Thoreau of the West.

Edward-Abbey_000.jpgThe book is in some ways an episodic pastiche. Abbey alternates vividly written chapters describing the multi-hued landscapes of Arches and elsewhere with others featuring cranky polemics about Bureau of Reclamation river dams and "Industrial Tourism." But those sharp landscape renderings are some of the finest writing extant about the desert Southwest. Here he is in Glen Canyon before the eponymous dam was built (1963) that created Lake Powell:

The sandstone walls rise higher than ever before, rounding off on top as half-domes and capitols, golden and glowing in the sunlight, a deep radiant red in the shade.

And this from the same trip:

Beyond the side canyon the walls rise again, slick and monolithic, in color a blend of pink, buff, yellow, orange, overlaid in part with a glaze of "desert varnish" (iron oxide) or streaked in certain places with vertical draperies of black organic stains, the residue from plant life beyond the rim and from the hanging gardens that flourish in the deep grottoes high on the walls. Some of those alcoves are like great amphitheatres, large as the Hollywood Bowl, big enough for God's own symphony orchestra.

Companions to Desert Solitaire are the essays found in such collections as The Journey Home (1977), Abbey's Road (1979), Down the River (1982), Beyond the Wall (1984), and One Life at a Time, Please (1988). The subjects of the essays (the form being possibly Abbey's greatest strength as a writer) vary from detailed accounts of his wanderings -- rafting the Colorado, exploring such landscape oddities as the San Rafael Swell or Big Bend National Park -- to passionate polemics against national park infrastructure development or Bureau of Land Management (BLM) policies on leasing grazing land to ranchers. The latter type showed that Abbey would have done well as an 18th-century pamphleteer. In an essay entitled "Eco-Defense," he writes: "Eco-defense is risky but sporting; unauthorized but fun; illegal but ethically imperative…Spike those trees; you won't hurt them; they'll be grateful for the protection; and you may save the forest. Loggers hate nails."
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Abbey's most controversial role was only obliquely related to his work. In 1975 he published his novel The Monkey Wrench Gang, a book that alongside Desert Solitaire enhanced his reputation as an environmentalist, but unlike the latter tome it has prose as purple as an Arizona sunset. The plot involves four anarchic enviros who conspire to blow up Glen Canyon Dam. In a case of life imitates art, the book inspired the establishment of a notorious radical green group in 1980 known as Earth First!, with Abbey as a charter member. Other noteworthy members were activist/writer Doug Peacock, and Dave Foreman, an ex-Goldwater Republican. Earth First! "membership" was and remains (to the extent that it even exists today) anonymous and shadowy, as it's known for acts of "monkey wrenching" of earthmoving and logging equipment, spiking trees, stealing survey stakes, cutting wire fences, and so on. "Earth First!" has spawned ancillary groups such as the Earth Liberation Front (ELF), which before its downfall at the hands of the FBI in 2006 burned down a Colorado ski lodge, and destroyed a number of vehicles at an SUV dealership in Eugene, Oregon, among other acts of domestic terrorism.

Cactus Ed was a prickly sort; a conservative anarchist, if you will, who on one hand could support eco-terrorism (a favorite motto was: "Keep America Beautiful -- Burn a Billboard!"), and on the other supported the National Rifle Association (NRA), and restrictions on immigration. When he died of natural causes, some of his Earth First! compatriots famously and illegally absconded with his body, and buried it in a secret place in remote desert outside of Tucson. And there he lies to this day, pushing up cactus.

samedi, 28 novembre 2009

Lévy-Strauss fut-il un progressiste?

claudelevystrauss.jpgLévi-Strauss fut-il un progressiste ?

À entendre les éloges funèbres, Claude Lévi-Strauss, aujourd’hui unanimement encensé, aurait été le plus politiquement correct des philosophes : antiraciste avant l’heure, anticolonialiste, promoteur des civilisations « premières », quelle meilleure référence ?

Il est certes incontestable qu’il défendit l’idée, fondamentale dans son œuvre, que les cultures dites primitives sont aussi complexes que les cultures modernes.

À cette figure d’hagiographie, les fines bouches objectent cependant tel ou tel propos de jeunesse sur l’inégalité des races ou paraissant hostile à l’islam. Mais avant 1945 — cela est complètement oublié aujourd’hui —, dans presque toutes les familles politiques et pas seulement les pro-nazis, il était naturel de parler de race et de s’interroger sur leur éventuelle inégalité. C’est à partir de la catastrophe hitlérienne que les mentalités changèrent et encore très progressivement. Lévi-Strauss était d’ailleurs resté plutôt discret sur ces questions.

Ce n’est en tous les cas pas pour cela mais pour une toute autre raison qu’il fut considéré dans les années soixante comme un fieffé réactionnaire.

La mode du « structuralisme »

Connu seulement des spécialistes, Claude Lévi-Strauss a passé la rampe de la célébrité, au moins dans le grand public cultivé, quand fut lancée, vers 1966, la mode du « structuralisme ». Il s’agissait au départ d’une expression journalistique, comme plus tard les « nouveaux philosophes » regroupant de manière approximative des penseurs qui ne se connaissaient pratiquement pas et dont les préoccupations étaient en réalité fort différentes.

Lévi-Strauss avait tiré de la linguistique de Ferdinand de Saussure (Cours de linguistique générale, 1916) l’idée que les phénomènes humains sont organisés comme des systèmes (structures), de telle manière que si on bouge tel élément — d’une langue pour Saussure, d’un système de parenté ou de représentations mythologiques pour Lévi-Strauss (les Structures élémentaires de la parenté, 1949) —, c’est tout le système qui est affecté et pas seulement la pièce que l’on a bougée. Cela parce que les différents aspects de telle ou telle réalité humaine sont reliés par des logiques invisibles qui expliquent ce genre d’effets, dits « effets de structure » : un peu comme quand on modifie l’un des quatre angles d’un parallélépipède, les trois autres en sont automatiquement affectés.

À Saussure et Lévi-Strauss, furent rattachés le psychanalyste Jacques Lacan, qui lui aussi travaillait depuis longtemps mais n’était pas encore très connu, lequel allait répétant que « l’inconscient est structuré comme un langage », et Michel Foucault qui montra dans les Mots et les Choses (1966) comment des éléments apparemment étrangers d’une même période de la culture (son analyse du XVIIe siècle français fut exemplaire) étaient reliés par des analogies secrètes qu’on pouvait aussi qualifier de structures. Théorisant le structuralisme, Foucault dit également que l’étude de l’homme passe désormais par différents sciences humaines dont chacune construit son objet à sa manière, produisant un éclatement de la notion d’ « homme », désormais dépourvue de sens.

Il n’y eut pas d’économiste structuraliste, mais l’économie de marché fonctionne de manière si évidente selon une logique structurale que personne ne ressentit alors le besoin de le relever.

La critique marxiste

Tout cela était-il de nature à provoquer la controverse, voire la haine ? Oui, parce que les marxistes — dont on a oublié l’hégémonie idéologique au cours des années soixante, mai 68 compris, supérieure peut-être à ce qu’elle avait été au sortir de la guerre — virent dans le lancement du structuralisme un nouvel artifice inventé par la bourgeoisie pour contrer le marxisme. Pourquoi ?

Parce que le marxisme-léninisme standard reposait sur l’idée d’une infinie plasticité de la nature humaine : sinon comment prétendre sculpter l’homme nouveau du communisme ? Ce dogme avait conduit Staline à soutenir, contre toute raison, les biologistes anti-mendéliens et anti-darwiniens Mitchourine et Lyssenko. Lié à cette plasticité, le primat de l’histoire sur la structure : c’est dans un processus historique concret que l’homme se produit lui-même sans être entravé par des structures prédéterminées. Or, personne n’avait osé le dire explicitement, tant cela eut paru une grossièreté (seul, un peu plus tard, Edgar Morin s’y risqua dans le Paradigme perdu, 1973) : le structuralisme ressuscitait l’idée de quelque chose comme une nature humaine.

levysrtaussoeuvres.jpgPour Lévi-Strauss, il n’y avait certes pas un seul système de parenté, de type monogamique occidental (c’est en cela qu’il était « tiers mondiste ») mais tous les systèmes de parenté n’étaient pas pour autant possibles. L’humanité a dressé de manière inconsciente une sorte de tableau de Mendeleieff des systèmes de parenté et il est condamné à aller de l’un à l’autre, sans échappatoire. Même chose pour Lacan : la castration du désir œdipien primitif est une constante de l’homme, un destin originel auquel nul n’échappe. Le pessimisme de Lacan — prolongement de celui de Freud — était exprimé en termes suffisamment cryptés pour qu’un public soixante-huitard avide de nouveautés mais ne comprenant pas bien ce qu’il disait lui fasse une ovation.

Seul Gilles Deleuze (l’Anti-Œdipe, 1972) saisit combien cette pensée pouvait être « réactionnaire » car désespérante pour toute idée de progrès. Les linguistes découvrent eux aussi des règles permanentes qui régissent l’évolution des langues. La pensée de Foucault est en revanche moins nette sur ce sujet : on n’a jamais su le statut épistémologique des concordances qu’il mettait au jour à telle ou telle époque.

Tentatives de synthèse

Tandis que les intellectuels communistes officiels se déchaînaient conte la vague structuraliste, il y eut des tentatives de synthèse entre le marxisme et le structuralisme. Un anthropologue aujourd’hui oublié, disciple de Lévi-Strauss et soigné par Lacan, Lucien Sebag, s’y essaya dans un brillant essai justement appelé Marxisme et Structuralisme (1964). Peut-être conscient d’une impasse, il se suicida l’année suivante.

Mais l’homme qui se trouva, bien malgré lui, au carrefour des deux courants de pensée fut Louis Althusser. Il était à la vérité plus marxiste que structuraliste et surtout influencé par Bachelard, mais en considérant qu’une configuration économique et sociale donnée était une réalité globale dont toutes les parties étaient solidaires, il a paru faire une lecture structuraliste du marxisme. Cela lui valut une solide méfiance du Parti communiste. Il fut en revanche le maître à penser des premiers maoïstes mais pour une tout autre raison : Althusser considérait que le mode de pensée idéologique (par opposition au mode de pensée scientifique) ne s’arrêtait pas avec la révolution mais que dans une première phase, le pouvoir « prolétarien » avait besoin d’une idéologie pour se consolider , une théorie qui justifiait à bon compte tous les délires, tant staliniens que maoïstes, à un moment où le parti communiste dénonçait au contraire le « culte de la personnalité ».

Claude Lévi-Strauss, dont le nom fut utilisé bien malgré lui dans ces querelles germanopratines, se tint largement sur la réserve. D’abord parce qu’il était souvent sur le terrain, ensuite parce que son tempérament distant et le souci de la rigueur scientifique le tenaient naturellement éloigné des tumultes de l’agora.

Source : Liberté Politique [1]


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Hommage à Panajotis Kondylis

Panajotis_Kondylis2222.gifArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Hommage à Panajotis Kondylis

(1943-1998)

 

Toute fama passe. C’est un adage que Panjotis Kondylis, philosophe grec né en 1943, a médité calmement. Il savait que si son œuvre était publiée d’abord en langue grecque, elle n’aurait guère d’impact. Kondylis s’est demandé s’il devait publier en anglais, en allemand ou en français. Finalement, il s’est décidé pour l’allemand. Aussi, dès cette décision prise, il a passé chaque année de sa vie six mois dans les bibliothèques de Heidelberg, six mois dans sa patrie hellénique.

 

La vie de Kondylis était celle d’un savant isolé, espèce en voie de totale disparition aujourd’hui. Kondylis était indépendant sur le plan matériel car il était issu d’une famille fortunée. Cette indépendance matérielle garantissait son indépendance d’esprit.

 

Son premier ouvrage, publié en 1979 et épais de 700 pages était la continuation d’études entamées à Heidelberg (Die Entstehung der Dialektik  - Eine Analyse der geistigen Entwicklung von Hölderlin, Schelling und Hegel bis 1802;  = La naissance de la dialectique. Analyse d’une évolution intellectuelle de Hölderlin, Schelling et Hegel jusqu’en 1802). Ensuite, il a publié Die Aufklärung im Rahmen des neuzeitlichen Rationalismus  en 1981 (= L’idéologie des Lumières dans le cadre du rationalisme moderne). Kondylis n’interprétait pas les Lumières comme une idéologie découlant des principes de la rationalité (sapere aude)  mais comme une réhabilitation de la sensualité. Le livre témoigne d’une immense culture livresque, même s’il apparaît un peu sec dans sa volonté opiniâtre de démontrer une thèse unique. Kondylis n’aimait pas les gris. Son ouvrage le plus connu, édité en 1991, Der Niedergang der bürgerlichen Denk- und Lebensform  - Die liberale Moderne und die massendemokratische Postmoderne (Le déclin de la forme de pensée et de vie bourgeoise - La modernité libérale et la postmodernité démocratique de masse), était en fait une analyse du phénomène de la masse, de la société et de la démocratie des masses.

 

En 1992, parait Planetarische Politik nach dem Kalten Krieg  (= Politique planétaire après la Guerre Froide). En 1996, Montesquieu und der Geist der Gesetze (= Montesquieu et l’esprit des lois). Mais dans les rangs des divers conservatismes, deux livres ont surtout mobilisé les attentions: Macht und Entscheidung  (1984; = Pouvoir et Décision) et Konservativismus  - Geschichtlicher Gehalt und Untergang  (1986; = La conservatisme: contenu historique et déclin). Effectivement, sur le conservatisme, peu de livres ont donné une description aussi fouillée du phénomène. La conclusion de Kondylis, contenue déjà tout entière dans le sous-titre de l’ouvrage, a suscité pas mal de critiques. Kondylis affirmait effectivement: «Le conservatisme est mort. Il est historiquement lié à une époque, celle de la noblesse. Tout ce qui, ultérieurement, s’est donné le nom de “conservatisme”, devrait plus être qualifié de “vieux-libéralisme”, car une telle appelation serait plus exacte. Car ces conservatismes sont dorénavant soumis aux conditionnements de la modernité...». Mais c’est surtout sa thèse principale qui a été rejetée comme trop “mécanique”, malgré l’admiration de toute sa corporation pour une certaine pertinence de sa démonstration et pour son enquête à travers toutes les sphères culturelles de l’Europe: Kondylis affirmait qu’avec la dissolution des restes de la société civile médiévale, c’est-à-dire avec l’abandon de la féodalité et l’élimination des avantages juridiques et publiques de la noblesse, le conservatisme politique avait factuellement cessé d’exister.

 

Enfin, au moment de sa mort, Kondylis, le réaliste qui méprisait la “lourdeur moralisante”, travaillait à un ouvrage en trois volumes sur la “socio-ontologie”. Hélas, la Grande Faucheuse l’a emporté le 10 juillet, quelques heures avant qu’il ne quitte Athènes pour se rendre à Heidelberg.

 

Hans B. von SOTHEN.

(hommage paru dans Junge Freiheit, n°30/1998).      

 

 

vendredi, 27 novembre 2009

Panajotis Kondylis: Pouvoir et décision

kondy13k.jpgArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998

Panajotis Kondylis: Pouvoir et décision

 

Les livres les plus intéressants de Panajotis Kondylis, décédé en juillet dernier, sont: Geschichte des Konservativismus, Theorie des Krieges, Der Niedergang der bürgerlichen Lebensform  et Macht und Entscheidung  (= Histoire du conservatisme, Théorie de la guerre, Le déclin de la forme vitale bourgeoise  et Pouvoir et décision). Dans Pouvoir et décision,  Kondylis plaide pour une forme de la pensée qui a été copieusement décriée au cours des dernières décennies, et qui est le fondement de la démarche philosophique de Carl Schmitt. Kondylis justifie l’option de Schmitt en défendant le décisionnisme, tombé dans le discrédit depuis que les penseurs “héroïques” de la “révolution conservatrice” s’en sont emparé. Dans son ouvrage sur la décision, Kondylis démontre, appuyé sur ses innombrables connaissances, que toutes nos identités collectives et individuelles, y compris leurs expressions philosophiques ou rationnelles les plus élevées, reposent sur un fondement inaliénable qui est toujours une décision initiale, irrationnelle en dernière instance, révélant un rapport ami/ennemi.

 

Les idées sont dès lors des armes, qui servent l’objectif biologique de la lutte pour la survie ou pour l’accroissement de ses propres forces. La croissance et l’augmentation volontaire de ses potentialités dépendent étroitement, en fin de compte, de l’impératif de survie, auquel on ne peut se soustraire. Justement, c’est dans les périodes de crise que les individualités et les collectivités reviennent aux racines de leur propre identité, pour se renforcer et maintenir leurs forces. De ce fait, dans la formation des systèmes de pensée identitaires, la logique est un moyen parmi d’autres moyens, mais auquel on peut finalement renoncer.

 

Dans les systèmes théologiques, les principes de l’homme-créé-àl’image-de-Dieu et la faillibilité humaine constituent des contradictions sur le plan logique; de même, dans l’anthropologie de l’émancipation (Aufklärung), on trouve une contradiction: l’homme est une fraction de la nature, et, en même temps, les normes culturelles conditionnent le libre exercice de la volonté. Mais ces contradictions s’évanouissent dès qu’on les considèrent comme l’expression d’une volonté de pouvoir légitime. Les idées et les formes du savoir ne cherchent pas à “reflèter” la réalité: elles sont bien plutôt des constructions et des interprétations qui servent d’armes dans la confrontation ami/ennemi.

 

Comme Odo Marquard l’a remarqué: vouloir exprimer des vérités éternelles soustraites au temps est l’illusion majeure de la classe bourgeoise, qui pense qu’elle est au-dessus de toutes les autres classes. Les mythes, les religions et les idéologies sont donc des décisions au niveau de la Weltanschauung, qui assurent la permanence et la stabilité des identités. Souvent, la situation historique fait qu’il devient nécessaire de faire subir aux identités des mutations complètes, parce que la communauté politique ou nationale doit survivre. Le maintien de l’identité est un impératif existentiel que l’on ne peut toutefois pas détacher des circonstances spatio-temporelles. Même si l’identité est une fiction, elle demeure un impératif inaliénable. Si une individualité se rencontrait elle-même en temps que personne, mais dans un état antérieur à celui qu’elle revêt aujourd’hui, elle ne s’identifierait pas nécessairement à elle.

 

Holger von DOBENECK.

(article paru dans Junge Freiheit,  n°34/1998; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

dimanche, 22 novembre 2009

Imaginaire et réinformation

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Imaginaire et réinformation

Deuxième journée d'études sur la réinformation, organisée le 24 octobre 2009 par la Fondation Polémia

Communication de Grégoire Gambier / Ex: http://polemia.com/

L’imaginaire recèle de nombreuses définitions, renvoyant pour l’essentiel à ce qui est irréel, fictif, fabuleux ou encore, de façon plus majorative, au monde des légendes et du mythe. Sans renier cette dernière approche, nous retiendrons dans le cadre du présent exposé la définition du substantif proposée par Le Petit Robert (1987) : « Produit, domaine de l’imagination ». Etant entendu et espéré avec Gide, aussi singulièrement que brusquement remis dans l’actualité à propos de « l’affaire Mitterrand »  par Gérard Longuet (décidément très pince-sans-rire)», que « quantité de gens sont plus sensibles à l’imaginaire qu’au réel »…

Livrer une définition de la « réinformation » est plus complexe encore, s’agissant autant d’un état d’esprit que d’une panoplie de modes opératoires. Retenons l’essentiel, à savoir son objectif, tel que défini dans la présentation de ce séminaire : « Contribuer à réveiller le sens critique : rappeler en permanence qu’une "monstration n’est pas une démonstration" ; que tout ce qui nous est montré n’est pas vrai ; et que bien des faits, bien des évènements, restent cachés surtout lorsqu’ils sont essentiels ».

« De quoi s’agit-il ? »1

Face au règne de Big Mother, qui nous surveille moins qu’elle ne nous aveugle et prétend nous nourrir, et qui peut constituer un assez juste représentation du système actuel d’« information », la problématique posée tient dans cette relation toute dialectique entre « imaginaire » et « réinformation ».

Il y a a priori opposition entre les deux termes : l’imaginaire renvoie au domaine de l’imagination, quand la réinformation entend opérer un retour au réel, au principe de réalité, derrière l’écume des faits, l’illusion informationnelle, les dits et surtout les non dits de la médiasphère.

Cette opposition n’est qu’apparente.

Notre thèse est qu’au contraire l’imaginaire, du fait même de sa relation aux mythes, au monde sensible, est une voie d’accès et d’écriture de la réalité. Mieux : que le recours à l’imaginaire est un moyen de « subversion métaphysique » contre l’emprise du système informationnel. Comme l’affirme le romancier francophone d’origine haïtienne Dany Lafferrière : « La réalité imaginaire est aussi vraie, aussi réelle, que celle du quotidien », ajoutant : « Ce que je rêve est encore plus nécessaire pour ma vie que ce que je vis ».2

Il s’agira ici de privilégier l’illustration, la suggestion, plutôt que la démonstration.

Proposer des pistes comme autant de chemins de traverse contournant les « autoroutes de l’information », renouant les fils nous reliant à notre « plus longue mémoire » (Nietzsche), disant la continuité sans laquelle la solidarité n’est qu’un mot, à rebours des « déliaisons de la société de la concurrence » justement décriées par Régis Debray, à savoir : « tout-à-l’égo ; sacre de l’instant ; idolâtrie de la compétitivité ; nihilisme institutionnel ; dévoration par l’info ; (…) amnésie satisfaite et congélation des héritages ».3

Car c’est bien dans la geste médiologique chère à Debray qu’il s’agit d’inscrire ce propos, cette geste qui abat « la cloison entre l’examen du monde des choses et celui des âmes, entre la technosphère d’un côté et la "noosphère" de l’autre », celle qui entend, « contre la dégradation symbolique, sauvegarder la saveur et l’irréductibilité des cultures, toutes ces continuités cumulatives, ces singularités têtues qui rendent humaine notre espèce ».4

Mais contrairement à Régis Debray, nous estimons certes qu’il y a urgence, mais pas détresse. Car subsistent précisément des voies de passage, des points d’appui et des leviers d’action face au diktat de la Communication, « qui a dompté l’espace », pour un retour à la Transmission, donc à l’imagination, « qui lutte avec et contre le temps ».5

Temps biologique, temps culturel : l’imagination transpire d’abord par tous les sens primaires (vue, odorat, toucher…) avant d’utiliser tous les vecteurs de l’intelligence (lecture, musique, image – celle véhiculée par le cinéma comme par Internet).

L’imagination par les sens : « le recours aux forêts »

Héraclite, qui justifie et inspire les travaux de POLEMIA, le notait déjà : « La nature aime les contraires : c’est avec elle qu’elle produit l’harmonie ».

La première voie nous permettant de renouer avec l’imaginaire et toutes ses potentialités nous est fournie par notre environnement primal, de mammifère mal dégrossi : à savoir la nature.

Et en son sein, c’est sans conteste la forêt qui parle le mieux à nos âmes de Vieux Européens. Profondément enracinée, tendant vers les étoiles, ambivalente et mystérieuse, passage obligé de tous les contes et récits initiatiques de notre culture populaire, elle est l’une des plus puissantes manifestations de la vie, autant que la plus évidente représentation de notre inconscient.

Pas en tant que représentation de nos terreurs et paniques enfouies, comme le pensait Jung et avec lui l’école psychanalyste, mais comme le sanctuaire par excellence de nos valeurs les plus intimes et les plus sacrées.

Dans son « Traité du Rebelle », Ernst Jünger a réaffirmé la possibilité - et même la nécessité - du recours aux forêts. Non comme une fuite, mais comme un ressourcement. Un retour à l’essentiel.

Comme de juste, Dominique Venner lui emboîte le pas, estimant que la promenade familiale et dominicale en forêt est à même de constituer, face à la grisaille utilitariste du quotidien, un véritable acte de foi.6

Ainsi, jusque dans son sacrifice symbolique lors des solstices d’été, la forêt, et au-delà la nature dans son ensemble, attestent de la possibilité d’une réalité toute autre que celle décrite dans les éditoriaux du « Figaro madame » ou les chroniques hebdomadaires de BHL.

L’imagination par le texte : les valeurs subversives du roman

Nous disposons dans ce domaine de nombreux exemples particulièrement propices à l’évocation de notre monde « en dormition », qui nous susurrent qu’il existe d’autres religions que celles des droits-de-l’homme, d’autres valeurs que celles qui s’échangent « à la Corbeille », d’autres passions que celles de l’égalité, du confort et de la marchandise.

Comme l’affirme l’universitaire et journaliste Jean-Paul Picaper : « Cela passe par des mots. Qui crée le langage, dicte des idées ».7

Et pour les besoins du raisonnement, autant citer des auteurs à succès, voire pour certains institutionnellement établis.

C’est le cas de Michel Déon, sans doute le plus grand romancier français de l’Après-Guerre. Dans une œuvre prolifique, toujours marquée par la recherche du Beau, et donc empreinte d’une légitime mélancolie, retenons « Les Poneys sauvages » (Prix Interallié en 1970), une ode déjà crépusculaire, mais encore pleine de bruit et de fureur, en hommage à un monde dominé par les « mâles blancs » aujourd’hui si décriés : leurs rêves, leurs volontés, leur éthique de l’amour et du combat - bref leurs valeurs.

Une autre grande figure du roman français est Pierre Schoendoerffer. L'auteur et cinéaste rescapé des camps de redressement du Viet-minh a été primé à de multiples reprises, notamment pour « La 317e Section » (1963, prix de l'Académie de Bretagne), « L'Adieu au Roi » (1969, prix Interallié), « Le Crabe Tambour » (1976, grand prix du roman de l'Académie française) ou encore « Là-Haut » (1981). Ses auto-adaptations cinématographiques ont pour l’essentiel connu le même succès, alors que Schoendoerffer aborde dans son œuvre des thèmes aussi proprement réactionnaires que le sens de l’honneur, l’amitié et la fidélité viriles, le goût du risque et de l’engagement, la soif de sacré… Citons simplement « L’aile du papillon » (Grasset, 2003), dans la mesure où Polemia en a fait une critique raisonnée en y voyant, à l’image de l’œuvre de Schoendoerffer dans son entier, « une allégorie brutale et poétique du devenir d'une humanité en déshérence, mais dont une minorité peut encore retrouver un sens à son destin, en puisant au fond d'elle-même les raisons et les ressorts de sa sur-vie ».9

Plus récent et dans un style de fait un peu plus débraillé, voire quasi-« houellebecquien », Olivier Maulin est une valeur sûre, qui a obtenu le prix Ouest France / Etonnants voyageurs en 2006 pour son premier roman, « En attendant le roi du monde », truffé de citations de Nietzsche et de José Antonio. Il a depuis publié « Les Evangiles du Lac » et « Petit monarque et catacombes », confirmant un talent indéniable de conteur pour mieux dynamiter le nihilisme d’une société, la nôtre, désertée par le sacré. Dans ce dernier ouvrage, paru en octobre 2009 dans la collection L’Esprit des péninsules des éditions Balland, il fait déclamer à l’un de ses personnages : « Le monde est un grand symbole parce qu’il présente sous une forme sensible des réalités invisibles. C’est la clé de tout. Mais le problème, c’est précisément que ces formes sensibles ont dégénéré et cessé de représenter les réalités invisibles. Bilan : le grand symbole s’est fané ».10

Ce choix trinitaire d’auteurs certes connus est par nature excessivement sélectif, et beaucoup de romanciers mériteraient d’être ici signalés. En particulier Jean Raspail bien sûr, dont les « mondes imaginaires », éternellement gardés par la dynastie des Pikkendorf, constituent autant de digues face à « la montée du soir » - pour paraphraser Déon.

Il convient cependant de signaler dans un registre différent, toujours à titre d’illustration, « Le Cercle de la Croix ». Ce succès mondial de l’Anglais Iain Pears constitue, sur la base d’un roman à clé construit autour d’une enquête de nature policière dans l’Angleterre du XVIIe siècle, l’une des charges les plus totales, brutales et définitives, contre le puritanisme protestant, et fait écho à la dénonciation tout aussi virulente de la Révolution par les Français HubertMonteilhet, sous un mode des plus caustiques avec « Les Bouffons » (Le Livre de Poche 2006), et Pierre Bordage, dans le domaine de la littérature fantastique, avec la trilogie de « L’Ejomineur » (L’Atalante, 2004-2006).

Dans le registre fantastique se développe d’ailleurs toute une littérature dont le style, les valeurs et le propos sont autant d’actes de défiance à l’égard de la « société officielle ». Dans une production bouillonnante, et pour tout dire de qualité inégale, il convient de signaler le cycle du « Trône de Fer » de l’Américain Georges R. R. Martin, où transparaît l’âpre mélancolie d’un monde de feu et de fer - justement.

Et dans le domaine de la littérature pour enfants et adolescents enfin, où le meilleur côtoie là aussi le pire, surnagent les livres déjà nombreux d’Erik L’Homme, dont le succès commercial s’accompagne d’une vision du monde sans concession vis-à-vis des ravages de la modernité triomphante.

L’imagination par la musique, âme d’un peuple

Ce seul thème justifierait une étude en soi : « Sans musique, la vie serait une erreur » (Nietzsche).

A des fins d’illustration toujours, signalons seulement deux exemples significatifs, dans la mesure où il s’agit d’artistes extrêmement populaires dans leur pays, réunissant des dizaines de milliers de spectateurs à chaque concert, et qu’ils sont connus en France essentiellement par le buzz internet assuré par les militants identitaires.

A savoir :

  • Le groupe « néo-trad » québecois Mes Aïeux, dont le nom constitue déjà tout un programme, et sa chanson phare « Dégénérations » (www.youtube.com/watch?v=Z1eUMVjwuAE), qui dénonce de façon festive et éloquente l’avènement de la société de facilité, moderne, urbaine, jouisseuse - mais finalement désenchantée. Ce morceau a été désigné « Chanson francophone de l'année 2006 » par les auditeurs de Radio Energie lors du plus important vote radiophonique annuel au Canada, et l’album « En famille », dont il est extrait, a été  certifié double platine en décembre 2006 (soit 200.000 exemplaires vendus). Et ce, alors que le groupe était ignoré depuis 10 ans, bien sûr, par les radiodiffuseurs institutionnels. Tandis que plus de 100.000 internautes ont déjà visionné, sur YouTube, le clip de cette chanson « en live » lors de la Fête nationale du Québec de  2006.
  1. Le chanteur pop afrikaner Bok van Blerk, dont l’un des titres les plus connus dans le monde (et lui aussi disque de platine en 2007) est tout bonnement dédié au général boer Koos De La Rey, et se veut une ode à la fierté et à la résistance de la nation afrikaner (www.youtube.com/watch?v=nlHqKJyo3GQ). Lors d’un concert donné par Bok van Blerk au stade de Pretoria en 2006, plus de 22.000 spectateurs en ont entonné le refrain avec le chanteur. Ce chant est désormais régulièrement repris par les jeunes Afrikaners lors des concerts et des rencontres sportives, et joue quasiment le rôle d’un nouvel hymne national afrikaner. Une nation devenue souterraine, mais qui continue de vivre à travers son peuple.

L’imagination par l’image : le cinéma

Restons dans l’art populaire pour signaler encore une fois quelques exemples parmi les plus significatifs :

  1. « Excalibur » de John Boorman (1981), directement et pour ainsi dire religieusement inspiré de « La morte d'Arthur » de Thomas Malory, qui reste à ce jour la vision la plus pénétrante et la mieux aboutie du mythe arthurien jamais portée à l’écran.
  2. La trilogie du « Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson (2001-2003), qui constitue également un summum dans l’adaptation au cinéma d’un monument de la littérature européenne, et qui a captivé des millions de spectateurs dans le monde.
  1. « Gladiator », de Ridley Scott (2000), porté par l’acteur Russel Crowe : c’est une évocation historique, dure et flamboyante, de la grandeur de Rome, et des hommes qui en ont fait, par la force et l’honneur, la capitale du premier empire européen.

Et dans le domaine de l’anticipation, propice par objet à l’extension du domaine de l’imaginaire : « Blade Runner », encore de Ridley Scott (1982), qui se déroule en 2019, dans une Los Angeles des plus cosmopolites, et où Rutger Hauer incarne de façon tout à fait convaincante un androïde (ou « réplicant ») nietzschéen, découvrant la dimension tragique de la vie, à savoir sa propre finitude, alors qu’il en avait fait « un poème » (Mishima). Son monologue à cet instant précis est en soi un manifeste :
« J’ai vu tant de choses, que vous, humains, ne pourriez pas croire...
De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion…
J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C, briller dans l’ombre de la Porte de Tannhaüser.
Tous ces moments se perdront dans l’oubli,
comme les larmes dans la pluie…
Il est temps de mourir. »

Evidemment, il est préférable de visualiser la scène, sous la pluie, accompagnée par la musique de Vangelis, mais cela donne une idée du ton – et des boulevards métaphysiques ainsi ouverts à des millions d’adolescents pré-pubères qui ont fait, à l’époque, de ce film une œuvre culte.

« Les Fils de l’homme » enfin, film britannique réalisé par le mexicain Alfonso Cuarón (2006), reste dans le domaine de l’anticipation, décrivant un monde, là encore, étonnamment, submergé de flux migratoires incontrôlés – et nous sommes loin des publicités Benneton des années 80 ! Adapté du roman homonyme à succès de P.D. James (1992), ce petit chef d’œuvre dépeint une humanité agonisante à force d’individualisme, devenue littéralement stérile : condamnée à vivre dans des lieux où ne résonnent plus de rires d’enfants. Un véritable choc, notamment visuel avec l’usage de longs plans-séquence, dont une scène de guérilla urbaine particulièrement spectaculaire.
Nous sommes ici dans un cas assez typique de « réinformation par l’imaginaire » : le film développe un propos, certes ambigu, mais vaguement de gauche, tandis que ce qu’il donne à voir dénonce cruellement les impasses à venir, si loin de la démocratie de marché, des progrès technologiques et de la mondialisation heureuse…

Quand la « blogosphère » contribue au réenchantement du monde

Avec la diffusion d’Internet, et même sa tendance croissante à supplanter les mass médias en termes d’usage, et de temps d’usage, toutes ces visions alternatives aux discours et aux images autorisés dans les émissions télévisées, par exemple, ont trouvé de nouveaux espaces d’expression.

Le recours à Internet ne permet pas seulement d’acquérir, et bientôt de lire intégralement, des ouvrages devenus introuvables, voire sulfureux. Ou d’écouter des rythmes et des chansons également « maudites » - et en tout cas interdites des « bacs de la Fnac ». Il permet également, cette fois au plus grand nombre, de découvrir ou plus exactement re-découvrir une iconographie que l’on croyait disparue, remisée dans les combles des musées ou réservées à quelques cercles militants initiés.

La blogosphère est particulièrement féconde en la matière.
Signalons simplement l’un des blogs les plus visités de la Toile, François de souche (
www.fdesouche.com), dont le bandeau en page d’accueil constitue en soi un manifeste nationaliste. Et pour les sites classiques, celui de Dominique Venner (www.dominiquevenner.fr) constitue un modèle, par sa sobriété même, d’esthétique « vieille européenne », où se dégage, là aussi en bandeau, le grand cerf de nos forêts sauvages, symbole de la fécondité, des rythmes cosmiques et donc de toutes les renaissances.

L’esthétique est sans conteste porteuse d’éthique.

En guise de conclusion…

Le recours à l’imaginaire, au domaine du sensible, de l’évasion, n’est pas un moyen d’échapper au monde, de fuir le réel : c’est une autre façon de l’ensemencer, de s’en affranchir pour mieux le dominer, bref de « chevaucher le Tigre » (Julius Evola).

L’imagination ne nous porte pas à travailler contre le monde moderne, mais dans ses interstices : « Etre dans ce monde sans être de ce monde », comme l’a théorisé Guillaume Faye.

Et, dans sa virtualité même, par ses mensonges les plus grossiers, par les tabous dont il s’entoure et entend corseter la pensée, rien n’indique que le système informationnel, en tant que représentation du monde actuel, soit, en soi, porteur de réalité - ou soit tout simplement réel.
Ce n’est qu’un système de représentation parmi d’autres.

Certes, il dispose de l’apparence et des attributs du pouvoir.
Et nos valeurs, notre propre vision du monde, sont aujourd’hui sans conteste « en dormition ».

Mais rien ne nous empêche d’estimer et mieux encore de croire :

qu’Yggdrasil est bien l’axe du monde ; qu’Excalibur incarne la quintessence de l’esprit européen ; que le réveil de l’Europe, l’affranchissement de nos peuples et le retour du Roi sont davantage que des hypothèses portées par l’urgence ou la nécessité, voire des espérances trop facilement désolées, mais bel et bien des possibilités.

Il ne s’agit plus que de contribuer, à notre niveau mais à chaque instant, à rendre évidents, et accessibles, tous les possibles.

Rester prêts pour l’aventure.

© POLEMIA
24.10.2009

Notes :
1 Précision utile aux amateurs d’exactitude et de vérité qui se reconnaissent dans Polemia : attribuée à Foch, cette célèbre formule a en fait été empruntée par le maréchal français au général von Verdy du Vernois, l’un des principaux conseillers du stratège prussien von Moltke (source : Pascal VALENTIN, in « La pensée stratégique : une vocation pour l’Ecole militaire », n° hors-série de Défense nationale et sécurité collective, juillet 2009, p. 191,

2 Cité par Le Monde des Livres du 6 octobre 2009, p. 25.

3 « Relier ». Editorial de la revue Médium n°1, Automne 2004, Editions Babylone, Paris, p.3. www.mediologie.org/medium/medium.html et www.regisdebray.com/content.php?pgid=medium

4 Ibid., pp. 5-6.

5 Ibid., p. 6.

6 Cf. notamment Dominique VENNER, « Dictionnaire amoureux de la chasse », Plon, octobre 2000, http://www.amazon.fr/Dictionnaire-amoureux-chasse-Dominique-Venner/dp/2259191983/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1257008264&sr=1-1-spell

7 Jean-Paul PICAPER, « Crise du langage : la guerre des mots – Quelques procédés de la propagande », Eurbag n°19, janvier 2009, www.eurbag.eu/archives.htm

10 Olivier MAULIN, « Petit monarque et catacombes », L’esprit des péninsules, 2009, p. 189., http://www.amazon.fr/Petit-monarque-catacombes-Olivier-Maulin/dp/2353150667/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1257008485&sr=1-1-fkmr0. Pour être exhaustif, il convient de signaler du même auteur « Derrière l’horizon » (mars 2009), mais où l’imaginaire tient une place nettement plus secondaie, tant dans l’intrigue que dans le cractère des personnages.

Grégoire Gambier

lundi, 16 novembre 2009

Apoliteia

apo16220666.jpgApoliteia

Ex: http://ernst-juenger.blogspot.com/

Through much of my last rereading of Julius Evola’s “Ride the Tiger” I have not been able to overlook spiritual and practical parallels of Evola’s ‘differentiated’ type of man to Jünger’s anarch. These become so obvious in the chapter “States and Parties: Apoliteia”, that I must comment.

Both Evola’s differentiated man and the anarch have recognised the unworthiness of the ideas, motives and goals given by life and politics today. This makes them apoliteia....

From Evola:

“After taking stock of the situation, this type can only feel disinterested and detached from everything that is “politics” today. His principle will become apoliteia, as it was in ancient times”.
“Apoliteia” refers essentially to the inner attitude…. The man in question recognizes, as I have said before, that ideas, motives, and goals worthy of the pledge of one’s true being do not exist today….”

And from Jünger:
"As a historian, I am convinced of the imperfection – nay, the vanity – of any effort. I admit that the surfeit of a late era is involved here. The catalogue of possibilities seems exhausted. The great ideas have been eroded by repetition; you won’t catch any fish with that bait.”

Inner detachment, apoliteia, brings freedom to their life-involvements, such as employment or even politics itself. They are equally free to be, as not to be, involved with any particular activity or role....

From Evola:
“As conceived here, apoliteia creates no special presuppositions in the exterior field, not necessarily having a corollary in practical abstention. The truly detached man is not a professional and polemic outsider, nor conscientious objector, nor anarchist. Once it is established that life with its interactions does not constrain his being, he could even show the qualities of a soldier who, in order to act and accomplish a task, does not request in advance a transcendent justification and and a quasi-theological assurance of the goodness of the cause. We can speak in these cases of a voluntary obligation that concerns the “persona”, not the being, by which – even while one is involved – one remains isolated”.
“Apoliteia” is the inner distance unassailable by society and its “values”; it does not accept being bound by anything spiritual or moral. Once this is firm, the activities that in others would presuppose such bounds can be exercised in a different spirit.”
“Apoliteia, detachment does not necessarily involve specific consequences in the field of pure and simple activity. I have already discussed the capacity to apply oneself to a given task for love of the action in itself and in terms of an impersonal perfection.”

And from Jünger:
“I have to succeed in treating my work as a game that I both watch and play…. It presumes that one can scrutinize oneself as from a certain distance like a chess figure – in a word, that one sees historical classification as more important than personal classification. This may sound exacting; but it used to be required of any soldier. The special trait making me an anarch is that I live in a world which I ‘ultimately’ do not take seriously. This increases my freedom; I serve as a temporary volunteer.”
“I serve the Condor, who is a tyrant – that is his function, just as mine is to be his steward; both of us can retreat to substance: to human nature in its nameless condition.”
“Working somewhere is unavoidable; in this respect, I behave like a condottiere, who makes his energy available at a given moment, but, in his heart of hearts, remains uncommitted. Furthermore, as here in the night bar, work is a part of my studies – the practical part."

Liberated from aspirations or beliefs in no-longer existent higher causes within life, both Evola’s type and Jünger’s anarch are free to take on life involvements, such as employment or even political associations - either because they simply appeal to them or because they are useful to their practical self-perfection. Any such commitment is temporary, conditional and ultimately superficial, that is, it remains outside their true inner being.

Psychologically speaking, neither figure identifies themselves with their life-roles and associations; these have useful functions, but are not substantial, do not regard their true inner being. The resulting detachment allows them life involvements which for others would require or presume inner identification with the external cause, be it the tyrant’s, the democracy’s or the religion’s. Neither driven nor limited by such moral or spiritual beliefs, their involvement in life is of a freer, less compulsive nature.

A job is a function of life, which engages only the persona, to use Evola’s term, the historical classification in Jünger’s. The soldier or the condottiere also sees their involvement with the cause in this context, as the involvement of the external persona with the external historical situation. But beyond or above the persona, inner substance or being protects the anarch as it does Evola’s differentiated man, provides them with an inviolable inner fortress - as a base for excursions into life and as a sanctuary to retreat to from life.

 

samedi, 14 novembre 2009

Cioran: un hurlement lucide

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1993

41667.jpgCioran: un hurlement lucide

 

par Luis FRAGA

 

S'il s'avère difficile d'écrire un article pour défendre Cioran (Cioran a-t-il besoin d'être défendu?), les problèmes s'accroissent encore si l'on tente le contraire, si l'on veut l'attaquer, soumettre sa pensée aux feux de la critique: il faut s'armer de courage pour s'en prendre à celui qui, sans nul doute, est à la mode depuis plus de dix ans. Lui présenter des «objections», c'est aller à contre-courant. Mais les reproches qu'on lui a adressés, reproches qui ont servi à mythifier à outrance cet «hétérodoxe de l'hétérodoxie» n'allaient-ils pas, eux, à contre-courant.

 

Un brillant anti-système

 

Toute personne qui éprouve de la difficulté à se prononcer en toute sincérité contre Cioran n'a qu'une solution: tenter d'imiter ces hérétiques qui, soumis à la torture, ne persistaient dans leur hérésie que par bon goût. Et se répandre en louanges à l'endroit de Cioran pourrait sembler d'un mauvais goût comparable à celui qui tenterait d'ordonner en un système cohérent les écrits et les interjections mentales de celui qui a affirmé que «la pire forme de despotisme est le système, en philosophie et en tout».

 

L'avantage de l'anti-système est sa maigre vulnérabilité à toute attaque consistant en objections organisées systématiquement. On ne pourrait réfuter Cioran que de manière a-systématique et toujours dans l'hypothèse douteuse que cette réfutation dépasse le discours du Roumain sur le point précis grâce auquel il arrive justement à séduire: «l'éclat».

 

On peut être brillant  au départ de la «lucidité» et également au départ de la «foi», et même des deux à la fois (à la condition que cette cohabitation soit possible), du moment que l'on soit suffisamment subjectif. L'objectivité est rarement brillante et ne parvient jamais à être géniale. Installé dans la lucidité, Cioran a le privilège de devoir être subjectif par la force.

 

La lucidité et la subjectivité déployées par Cioran lui donnent la force suffisante pour faire face à ce qui se trouve devant lui, sans aucune aide ou échappatoire possible. Avec une sincérité qui épouvante, Cioran paraît même jouir de cette manière tourmentée par laquelle il s'inflige l'atroce nécessité de remâcher sans cesse ses interrogations —et même ses obsessions—  essentielles: l'histoire, Dieu, la barbarie, le suicide, le scepticisme et autres labyrinthes. Ceux-ci sont brillamment exposés comme les dépouilles tirées d'un immense dépeçage où l'on aurait séparé les ordures philosophiques pour laisser, dénudé, ce que personne n'aurait imaginé être essentiel.

 

Volonté de style

 

«Mystère. Parole que nous utilisons pour tromper les autres, pour leur faire croire que nous sommes plus profonds qu'eux» (Syllogismes de l'amertume, 1952).

 

Les grands négociateurs professionnels se distinguent avant tout par leur immense clarté dans la façon d'exposer leurs hypothèses, à l'écart de la complexité de ce qu'ils pensent ou de ce qu'ils prétendent. Idem avec le style concis et simple de Cioran. Il ne perd pas son temps dans les arcanes du langage et dans un discours prétendument «profond», et il va droit au but avec une précision de scalpel, dont on ne peut que faire l'éloge.

 

Ayant perdu la foi dans la grammaire («Nous continuons à croire en Dieu parce que nous croyons encore en la Grammaire»), le Roumain connait bien les limites du langage auquel il doit forcément recourir. Aussi le domine-t-il. Le français n'est pas sa langue maternelle et cependant peu d'écrivains vivants le manient avec tant d'efficacité. La proposition de Wittgenstein  —«tout ce que l'on peut exprimer, il est possible de l'exprimer clairement»—  voilà ce qu'auraient dû méditer avec une plus grande attention ceux qui prétendent snober le style «superficiel» de Cioran.

 

Indépendance

 

Avec une sincérité totale, Cioran accepte le défi d'être inclassable. Un poids plus lourd qu'on pourrait l'imaginer: il n'est pas facile d'être apatride et, à la longue, rares sont ceux qui survivent «sans profession ou métier connu».

 

«Lunatique», «hétérodoxe»: voilà, entre autres, les qualificatifs qui ont été appliqués à Cioran. Par ceux qui sont parvenus, tant bien que mal, à le «classifier». Ce sont également les étiquettes qu'acceptent bon gré mal gré ces rares personnages de la vie réelle qui, tirant orgueil de leur extrême lucidité, doivent maintenir coûte que coûte leur acharnement, rester digne d'éloges précisément parce qu'ils sont acharnés plus que de raison, demeurer indépendants, ne pas s'imposer ou ne pas accepter de se voir imposer une limite quelle qu'elle soit. Pendant la Renaissance, on appelait «humaniste» l'homme non unidirectionnel. Cioran rejeterait sans aucun doute cette désignation avec véhémence; de la même façon, il se moquerait très probablement de tout qui tenterait de le classer comme «réactionnaire», ou comme «sceptique»,  comme «païen» ou lui attribuerait d'autres étiquettes simplificatrices du même genre.

 

L'indépendance, comprise comme élimination progressive de tous points de référence, est un exercice douloureux, dont les douleurs ne disparaissent jamais. Difficile, par ailleurs, d'évaluer jusqu'à quel point le résultat obtenu compense le prix payé. De tous les génies du XIXième siècle, seul Wagner et Goethe se sont «bien débrouillés». Nietzsche, Hölderlin, Rilke et d'autres, nombreux, ont produit des écrits que l'on peut qualifier d'enviables. Et bien qu'ils puissent tous affirmer, avec Cioran, que «naître, vivre et mourir trompés, c'est ce que font les hommes», aucun d'entre eux, à l'évidence, n'a atteint l'indépendance à laquelle ils prétendaient parvenir; peut-être s'en sont-ils approchés, certains plus que d'autres, mais il ne s'y sont jamais installés, n'ont pas eu les pleins pouvoirs de l'homme réellement indépendant.

 

Par rapport au XIXième siècle, le XXième siècle offre peut-être l'avantage d'être réellement plus indépendant (bien que cela soit également difficile). Mais les hommes moyens continuent encore à exiger de tout un chacun des «étiquettes», des «professions» ou des «métiers». Ces hommes moyens font montre d'une attitude proche de celle de ces Etats qui aspirent à tout contrôler dans la société. Ils ne se sentent à l'aise face à une personne ou à un phénomène que s'ils peuvent le classer, lui donner un titre ou une étiquette, le conceptualiser. Titre, étiquette ou concept qui déterminera, par déduction, le type de relation qu'il faut avoir, au nom des conventions, avec l'étiquetté, le titré, le conceptualisé. «Les hommes ont besoin de points d'appui, ils veulent la certitude, quoi qu'il en coûte, même aux dépens de la vérité».

 

Le médiocre de notre temps tente d'ôter de sa vue, de ses pensées, tout ce qu'il ne comprend pas. Tout ce qu'il est incapable de comprendre. «Je suis comptable», «je suis avocat», «je suis vendeur» (parfois, plus souvent que nous ne l'imaginons, on recourt à l'euphémisme pour rendre digne un métier dont on perçoit bien les misères). Voilà donc les déclarations officielles à faire obligatoirement de nos jours en société.

 

Que des hérétiques comme Cioran ne confient pas au Saint Office Collectif leur titre de dépendance ou leurs numéros d'identification sociale, voilà qui les soumettra irrémédiablement à la réprobation générale et même à l'isolement. Ils ne réveilleront que la curiosité du petit nombre, ou la sympathie de personnalités plus rares encore, mais ils devront constater et accepter d'être toujours observés (et même jugés) avec la même colère critique que l'on appliquait jadis aux pires des hérétiques. L'indépendance coûte cher.

 

Cioran, l'Anti-Faust

 

On a parlé de Cioran comme du porte-drapeau de la philosophie du renoncement, de la «non-action» et du désistement. Ceux qui décrivent Cioran de la sorte prétendent rapprocher notre exilé roumain de son maître Bouddha et n'oublient généralement pas de mentionner son célèbre adage: «Plus on est, moins on veut». Ou de nous rappeler, en guise de plaisanterie, sa description fort crue de l'acte d'amour: il s'agirait «d'un échange entre deux êtres de ce qui n'est rien d'autre qu'une variété de morve». Le rapport qui existe entre Cioran et l'idée d'action (ou si l'on préfère, le désir) est un rapport de conflit.

 

Personne ne niera que le principe faustien de la souveraineté de l'action soit radicalement opposé au scepticisme féroce de celui qui élève l'inaction au rang de catégorie divine. Et même si l'action et le goût pour l'action sont compatibles avec la lecture de Cioran, nous nous trouvons néanmoins en présence de deux extrêmes irréconciliables. Un livre de Cioran est inimaginable sur la table d'un broker  de New York. Et personne n'aura l'idée saugrenue d'emmener des livres de Cioran lors d'une régate de voiliers, d'une expédition dans l'Himalaya ou d'une escapade avec une belle femme dont on vient de faire la connaissance. Cependant, les fanatiques de l'action les plus intransigeants pourront se lancer dans une activité exceptionnelle, où ne détonneraient absolument pas certaines pages de Cioran: traverser un désert.

 

mardi, 10 novembre 2009

La mort de Claude Lévy-Strauss

afp2005_1209828660.jpgLa mort de Claude Lévi-Strauss

Trouvé sur: http://rodionraskolnikov.hautetfort.com/

L'ethnologue Claude Lévi-Strauss est décédé en fin de semaine dernière à l'âge de 100 ans, a t-on appris mardi. Ses obsèques ont eu lieu lundi en toute intimité, à Lignerolles en Côte-d'Or. Né le 28 novembre 1908, Claude Lévi-Strauss a exercé une influence considérable sur les sciences humaines du XXè siècle. Il est notamment l'auteur de Tristes Tropiques (1955). Philosophe de formation, ce pionnier du structuralisme qui arpentait le monde pour en étudier les mythes, ce précurseur dans le domaine de l'écologie a notamment oeuvré à la réhabilitation de la pensée primitive. Voici le portrait que Pierre-Henri Tavoillot dressait du grand homme dans Le Point du 24 avril 2008 :

Jusqu'au mois d'octobre 2007, Claude Lévi-Strauss continuait à se rendre deux fois par semaine à son bureau du laboratoire d'anthropologie sociale au Collège de France. L'accès n'est pas facile ; il faut prendre un petit escalier en colimaçon. La pièce domine la bibliothèque de recherche et une large fenêtre s'ouvre sur les jeunes chercheurs qui y travaillent. Le maître les contemple et ils contemplent le maître. C'est ce "regard éloigné" et surplombant qui semble le mieux définir le grand ethnologue. L'âge n'est pas en cause, même s'il reconnaît appartenir à un autre temps : "Mon oeuvre termine une époque ; elle est encore ancrée dans le XIXe siècle". C'est surtout l'absence de toute complaisance envers son époque comme envers lui-même qui frappe chez lui : "J'ai le sentiment de n'avoir pas fait ce que j'aurais dû", avoue-t-il. Son rêve pour une vie réussie : "L'art, et surtout la musique", parce qu'"elle se suffit à elle-même" et n'a pas besoin de discours d'accompagnement. On dit que sa tétralogie sur les mythes sauvages (les quatre volumes des "Mythologiques") est composée comme un opéra ; mais "ce n'est qu'un ersatz", regrette-t-il.

Est-ce cette distance critique qui lui a permis de traverser aussi bien les époques et les modes ? Celui qui reste aujourd'hui comme le dernier monstre sacré de la grande époque structuraliste voit les hommages et les études biographiques se multiplier. La pensée de Lévi-Strauss est-elle passée dans le domaine public, s'est-elle diluée dans l'air du temps ou conserve-t-elle intacte sa puissance de séduction ?

La cause des "primitifs"

Le premier apport incontestable de Lévi-Strauss aura été de contribuer à tordre le cou à la vision ethnocentrique des civilisations telle qu'elle était encore véhiculée par la philosophie marxiste de l'histoire : les "primitifs" seraient une étape "culturellement sous-développée" de l'humanité. Aujourd'hui que la valorisation des identités et des différences culturelles est devenue un dogme, on a du mal à mesurer l'importance de cette critique. Et pourtant, sans que nous y prenions garde, le fond de cette conception n'a pas disparu, ne serait-ce que dans l'idée, spontanée, que les sociétés sauvages seraient "plus proches de la nature" que les sociétés civilisées. Que l'on perçoive l'absence de civilisation comme un défaut (idéologie du progrès) ou comme une vertu (critique de la modernité), la même idée sous-jacente est présente : les primitifs relèvent plus de la nature que de la culture. C'est contre cela que Lévi-Strauss concentre sa critique : ces sociétés ne représentent pas un stade infantile et inférieur de l'humanité-Lévy-Bruhl parlait en 1910 d'une "mentalité prélogique" -, mais des organisations complexes qui n'ont rien à envier aux nôtres en termes d'élaboration intellectuelle et culturelle. Ce sont les formes de cette culture sauvage que Lévi-Strauss va mettre au jour dans deux directions principales : l'analyse anthropologique des structures de parenté et l'analyse idéologique du récit mythologique, c'est-à-dire les faits sociaux fondamentaux et les discours collectifs qui les accompagnent.

Sociologie et idéologie des sociétés sauvages

La première entrée dans la culture sauvage s'opère par l'étude des systèmes de parenté comme base première de la reproduction sociale. Au départ de toute société et de toute culture, il y a une nomenclature des êtres sociaux classés en deux groupes : les conjoints possibles et les conjoints prohibés. L'emblème fondamental de cet ordre est la prohibition de l'inceste, comportement immuable par-delà la diversité des sociétés humaines. Lévi-Strauss y perçoit le plus petit élément culturel dans le fond naturel : "La prohibition de l'inceste, écrit-il, exprime le passage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l'alliance... [...] elle est, à la fois, au seuil de la culture, dans la culture et en un sens la culture elle-même." C'est à partir de cette analyse que Lévi-Strauss construit le schéma de son maître livre : "Les structures élémentaires de la parenté" (1949).
A cette première approche de la culture sauvage viendra s'ajouter l'étude des discours mythologiques qui lui donnent sens : tel est l'objet de "La pensée sauvage" (1962), puis, à partir de 1964, des quatre volumes des "Mythologiques", pour lesquels il recueille un matériau ethnographique considérable de récits amérindiens. Là encore, Lévi-Strauss va s'attacher à mettre au jour des structures fondamentales, les "mythèmes", éléments d'une grammaire des mythes qui lui permettront d'envisager une interprétation d'ensemble. Leur fonction principale, montre-t-il, est de raconter et de mettre en scène la différence entre la nature et la culture. Ainsi va-t-il repérer comment les récits mythiques apportent l'explication de l'origine de la cuisson des aliments, opération culturelle par excellence puisqu'il s'agit de faire passer les aliments du cru au cuit (culture) en évitant la dégradation du cru au pourri (nature). Le message mythologique n'est plus du tout anecdotique ou seulement pittoresque ; il est essentiel, voire vital : la vie humaine et sociale doit se préserver de deux dangers également menaçants, celui d'une nature sans culture (où tout serait voué au pourrissement) et celui d'une culture sans nature (où les ressources se tariraient ou brûleraient du feu de la technique). Les deux excès conduiraient inexorablement à la famine et à la disparition. Le mythe raconte à la fois cette fragilité et la nécessité de maintenir cet équilibre instable : bref, une forme de vision du monde et... de sagesse.

Critiques et controverses

On comprend que cette oeuvre vaste, située au carrefour des sciences de la nature et des sciences humaines, repoussant la version sclérosée de la philosophie pour mieux en assumer les interrogations fondamentales, ait autant fasciné. On comprend aussi qu'elle ait suscité tant de contestations, qui aujourd'hui s'effacent dans l'unanimité de l'hommage. Rappelons-en pourtant les quatre principales.

Il y aurait d'abord chez lui une certaine forme de scientisme. Et, en effet, la volonté de mettre de l'exactitude dans les sciences, dites "molles", de l'homme et de la société rattache Lévi-Strauss à la tradition sociologique française qui, d'Auguste Comte à Emile Durkheim, a caressé le projet de traiter "les faits sociaux comme des choses" . Le danger pourtant est clair : à vouloir fonder l'objectivité des sciences de l'homme sur le modèle des sciences de la nature, ne court-on le risque de perdre ce qui fait la spécificité du monde humain, fait d'intentions, de choix, bref, de liberté ? Pourtant, avec le recul, Lévi-Strauss se défend de cette prétention : sans illusion sur la possibilité de parvenir à une "physique sociale", il souhaitait à l'époque "contribuer plus modestement à mettre un peu d'ordre" dans les sciences humaines et surtout à les rendre autonomes d'une philosophie idéaliste et abstraite, qu'il a toujours détestée : "La philosophie , écrivait-il dans "L'homme nu" [1971], a trop longtemps réussi à tenir les sciences humaines emprisonnées dans un cercle, en ne leur permettant d'apercevoir pour la conscience d'autre objet d'étude que la conscience elle-même [...] Ce qu'après Rousseau, Marx, Durkheim, Saussure et Freud cherche à accomplir le structuralisme, c'est dévoiler à la conscience un objet autre : donc la mettre, vis-à-vis des phénomènes humains, dans une position comparable à celle dont les sciences physiques et naturelles ont fait preuve qu'elle seule pouvait permettre à la connaissance de s'exercer."

Deuxième reproche fait à son oeuvre : l'oubli de l'Histoire. En insistant sur les structures éternelles, le structuralisme aurait contribué à dénier toute espèce d'importance à la succession des événements : "La mythologie comme la musique sont des machines à supprimer le temps" , écrivait-il dans "Le cru et le cuit" (1964). Lévi-Strauss refuse pourtant cette objection : "Rien ne me passionne davantage que l'histoire ; c'est même l'objet principal de mon activité de lecteur." En fait, ce qu'il visait alors, c'était moins l'histoire comme récit de la contingence des faits passés que la philosophie idéaliste de l'Histoire qui régnait alors, c'est-à-dire cette espèce de prophétisation de l'advenu, fondée sur ce raisonnement spécieux : il était nécessaire que cela arrivât, la preuve, c'est arrivé !

L'accusation de relativisme lui a été faite à la suite de sa conférence sur " Race et Histoire " prononcée en 1951 à la tribune de l'Unesco. On lui reprochait alors de confondre dans une même dénonciation impérialisme et universalisme et d'interdire ainsi la constitution d'un cadre juridique commun à l'humanité. Voici comment il évaluait quelques années plus tard cette prise de position : "J'ai commencé à réfléchir à un moment où notre culture agressait d'autres cultures dont je me suis alors fait le défenseur et le témoin. Maintenant, j'ai l'impression que le mouvement s'est inversé et que notre culture est sur la défensive vis-à-vis des menaces extérieures, parmi lesquelles figure probablement l'explosion islamique. Du coup je me sens fermement et ethnologiquement défenseur de ma culture" (propos recueillis par Dominique-Antoine Grisoni, "Un dictionnaire intime", in Magazine littéraire , hors-série, 2003).

Il admet en revanche la dernière critique, celle qui relève son puissant pessimisme. A ses yeux, rien n'invite à se réjouir : le spectacle de la disparition corps et biens du continent mythologique, des sociétés sauvages et de pans entiers de la culture humaine n'est guère propice à une vision euphorique du devenir humain. Pas plus que la frénésie civilisationnelle de l'homme contemporain à augmenter sa propre puissance et sa propre maîtrise. Après le crépuscule des dieux, celui des hommes serait-il venu ?

On le perçoit, à travers ces polémiques, l'oeuvre de Lévi-Strauss est riche, ample et protéiforme. Si elle a tracé son sillon sans tenir compte de l'air du temps et parfois à contre-courant, elle l'a aussi profondément influencé. Sans doute est-il encore trop tôt pour mesurer sa postérité, mais l'on peut être, à cet égard tout au moins, raisonnablement plus optimiste que son auteur.

lepoint.fr

http://www.lepoint.fr/culture/2009-11-03/la-mort-de-claud...

16:12 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : philosophie, anthropologie, lévy-strauss, ethnologie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

diogenes.pngArchives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1999

Introduction au thème de l'ironie:

L'ironie de Diogène à Michel Onfray

 

Dans la philosophie grecque et européenne, toute démarche ironique trouve son point de départ dans l'ironie socratique. Celle-ci vise à aller au fond des choses, au-delà des habitudes, des conventions, des hypocrisies ou des vérités officielles. Les conventions et les vérités officielles sont bourrées de contradictions. L'ironie consiste d'abord à laisser discourir le défenseur des vérités officielles, un sourire aux lèvres. Ensuite, lui poser des questions gênantes là où il se contredit; faire voler en éclats son système de dogmes et d'idées fixes. Amener cet interlocuteur officiel à avouer la vanité et la vacuité de son discours. Telle est l'induction socratique. Son objectif: aller à l'essentiel, montrer que le sérieux affiché par les officiels est pure illusion. Nietzsche, pourtant, autre pourfendeur de conventions et d'habitudes, a raillé quelques illusions socratiques. Ce sont les suivantes: croire qu'une vertu est cachée au fond de chaque homme, ce qui conduit à la naïveté intellectuelle (a priori: nul n'est méchant); imaginer que la maïeutique et l'induction peuvent tout résoudre (=> intellectualisme); opter pour un cosmopolitisme de principe (Antisthène, qui était mi-Grec, mi-Thrace, donc non citoyen de la ville, disait, moqueur, que les seuls Athéniens purs, non mélangés, étaient les escargots et les sauterelles). Il n'empêche que ce qui est vérité ici, ne l'est pas nécessairement là-bas.

 

Pour nous, le recours à l'ironie socratique n'a pas pour objet d'opposer une doctrine intellectuelle à une autre, qui serait dominante mais sclérosée, ou de faire advenir une vertu qui se généraliserait ou s'universaliserait MAIS, premièrement, de dénoncer, démonter et déconstruire un système politique et un système de références politiques qui sont sclérosés et répétitifs; deuxièmement, d'échapper collectivement à toutes les entreprises de classification et, partant, d'homologation et de sérialisation; troisièmement, d'obliger les hommes et les femmes qui composent notre société à retrouver ce qu'ils sont au fond d'eux-mêmes.

 

Nietzsche critique Socrate

 

Mais comme Nietzsche l'avait vu, la pensée de Socrate peut subir un processus de fixation, à cause même des éléments d'eudémonisme qu'elle recèle et à cause des risques d'intellectualisation. Après Socrate viennent justement les Cyniques, qui échappent à ces écueils. Le terme de “Cyniques” vient de kuôn (= chien). Le chien est simple, ne s'encombre d'aucune convenance, aboie contre l'hypocrisie, mord à pleines dents dans les baudruches de la superstition et du conformisme.

 

Première élément intéressant dans la démarche des Cyniques: leur apologie de la frugalité. Pour eux, le luxe est un “bagage inutile”, tout comme les richesses, les honneurs, le plaisir et la science (le savoir inutile). La satisfaction, pour les Cyniques, c'est l'immédiateté et non un monde “meilleur” qui adviendra plus tard. Le Cynique refuse dès lors de “mettre sa sagesse au service des sots qui font de la politique”, car ces sots sont 1) esclaves de leurs passions, de leurs appétits; 2) esclaves des fadaises (idéologiques, morales, sociales, etc.) qui farcissent leurs âmes. Les Cyniques visent une vie authentiquement naturelle, libre, individualiste, frugale, ascétique.

 

La figure de proue des Cyniques grecs à été Diogène, surnommé quelquefois “le Chien”. On retient de sa personnalité quelques anecdotes, comme sa vie dans un tonneau et sa réplique lors du passage d'Alexandre, qui lui demandait ce qu'il pouvait faire pour lui: «Ote-toi de mon soleil!». Le Maître de Diogène a été Antisthène (445-365). Antisthène rejetait la vie mondaine, c'est-à-dire les artifices conventionnels et figés qui empêchent l'homme d'exprimer ce qu'il est vraiment. Le danger pour l'intégrité intellectuelle de l'homme, du point de vue d'Antisthène, c'est de suivre aveuglément et servilement les artifices, c'est de perdre son autonomie, donc le contrôle de son action. Si l'on vit en accord avec soi-même, on contrôle mieux son action. Le modèle mythologique d'Antisthène est Héraklès, qui mène son action en se dépouillant de toutes les résistances artificielles intérieures comme extérieures. L'eucratia, c'est l'autarkhia. Donc, avec Antisthène et Diogène, on passe d'une volonté (socratique) de gouverner les hommes en les améliorant par le discours maïeutique, à l'autarcie des personnes (à être soi-même sans contrainte). L'objectif d'Antisthène et de Diogène, c'est d'exercer totalement un empire sur soi-même.

 

Contre les imbéciles politisés, l'autarcie du sage

 

Diogène va toutefois relativiser les enseignements d'Antisthène. Il va prôner:

- le dénuement total;

- l'agressivité débridée;

- les inconvenances systématiques.

Le Prof. Lucien Jerphagnon nous livre un regard sur les Cyniques qui nous conduit à un philosophe français contemporains, Michel Onfray.

Première remarque: le terme “cynique” est péjoratif aujourd'hui. On ne dit pas, explique Jerphagnon: «Il a dit cyniquement qu'il consacrait le quart de ses revenus à une institution de charité»; en revanche, on dit: «Il a dit cyniquement qu'il détournait l'argent de son patron». Dans son ouvrage d'introduction à la philosophie, Jerphagnon nous restitue le sens réel du mot:

- être spontané et sans ambigüité comme un chien (pour le meilleur et pour le pire).

- voir l'objet tel qu'il est et ne pas le comparer ou le ramener à une idée (étrangère au monde).

Soit: voir un cheval et non la cabbalité; voir un homme et non l'humanité. Quand Diogène se promène en plein jour à Athènes, une lanterne à la main et dit aux passants: «Je cherche un homme», il ne dit pas, pour “homme”, anèr (c'est-à-dire un bonhomme concret, précis), mais anthropos, c'est-à-dire l'idée d'homme dans le discours platonicien. Diogène pourfend ainsi anticipativement tous les platonismes, toutes les fausses idées sublimes sur lesquelles vaniteux, solennels imbéciles, escrocs et criminels fondent leur pouvoir. Ainsi en va-t-il de l'idéal “démocratique” proclamé par la démocratie russe actuelle, qui n'est qu'un paravent de la mafia, ou des idéaux de démocratie ou d'Etat de droit, couvertures des mafiacraties belge, française et italienne. Dans les démocraties modernes, les avatars contemporains de Diogène peuvent se promener dans les rues et dire: «Je cherche un démocrate».

 

Jerphagnon: «La leçon de bonheur que délivrait Diogène (...): avoir un esprit sain, une raison droite, et plutôt que de se laisser aller aux mômeries des religions, plutôt que d'être confit en dévotion, mieux vaut assurément imiter les dieux, qui n'ont besoin de rien. Le Sage est autarkès, il vit en autarcie» (p. 192).

 

Panorama des impertinences d'Onfray

 

Cette référence au Cyniques nous conduit donc à rencontrer un philosophe irrévérencieux d'aujourd'hui, Michel Onfray. Dans Cynismes. Portrait d'un philosophe en chien (1990), celui-ci nous dévoile les bases de sa philosophie, qui repose sur:

- un souci hédoniste (en dépit de la frugalité prônée par Antisthène, car, à ses yeux, la frugalité procure le plaisir parce qu'elle dégage des conventions, procure la liberté et l'autarcie).

- un accès aristocratique à la jouissance;

- un athéisme radical que nous pourrions traduire aujourd'hui par un rejet de tous les poncifs idéologiques;

- une impiété subversive;

- une pratique politique libertaire.

 

Dans La sculpture de soi. La morale esthétique (1993), Onfray parie pour:

- la vitalité débordante (on peut tracer un parallèle avec le vitalisme!);

- la restauration de la “virtù” de la Renaissance contre la vertu chrétienne;

- l'ouverture à l'individualité forte, à l'héroïsme;

- une morale jubilatoire.

 

Dans L'Art de jouir. Pour un matérialisme hédoniste (1991), Onfray s'insurge, avec humour et sans véhémence, bien sûr, contre:

- la méfiance à l'égard du corps;

- l'invention par l'Occident des corps purs et séraphiques, mis en forme par des machines à faire des anges (=> techniques de l'idéal ascétique). Le parallèle est aisé à tracer avec le puritanisme ou avec l'idolâtrie du sujet ou avec la volonté de créer un homme nouveau qui ne correspond plus à aucune variété de l'homme réel.

Il démontre ensuite que ce fatras ne pourra durer en dépit de ses 2000 ans d'existence. Onfray veut dépasser la “lignée morale” qui va de Platon à nos modernes contempteurs des corps. Onfray entend également réhabiliter les traditions philosophiques refoulées: a) les Cyrénaïques; b) les frères du Libre-Esprit; c) les gnostiques licencieux; d) les libertins érudits; etc.

 

Dans La raison gourmande (1995), Onfray montre l'incomplétude des idéaux platoniciens et post-platoniciens de l'homme. Cet homme des platonismes n'a ni goût ni olfaction (cf. également L'Art de jouir, op. cit.). L'homme pense, certes, mais il renifle et goûte aussi (et surtout!). Onfray entend, au-delà des platonismes, réconcilier l'ensemble des sens et la totalité de la chair.

 

Conclusion: nous percevons bel et bien un filon qui part de Diogène à Onfray. Un étude voire une immersion dans ce filon nous permet à terme de détruire toutes les “corrections” imposées par des pouvoirs rigides, conventionnels ou criminels. Donc, il faut se frotter aux thématiques de ce filon pour apprendre des techniques de pensée qui permettent de dissoudre les idoles conceptuelles d'aujourd'hui. Et pour organiser un “pôle de rétivité”.

 

Robert STEUCKERS.

 

Bibliographie:

Sur Socrate et les Cyniques en général:

- Lucien JERPHAGNON, Histoire de la pensée. Antiquité et Moyen Age, Tallandier, 1989.

- Yvon BELAVAL, «Socrate», in: Brice PARAIN (éd.), Histoire de la philosophie 1. Orient - Antiquité - Moyen âge, Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1969.

- Jean BRUN, Socrate, PUF, 1960-1988.

- Jean BRUN, «Les Socratiques», in: Brice PARAIN (éd.), Histoire de la philosophie 1. Orient - Antiquité - Moyen âge, Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1969.

- Lambros COULOUBARITSIS, Aux origines de la philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, De Boeck-Université, Bruxelles, 1994.

- Vladimir GRIGORIEFF, Philo de base. Le miracle grec. Les défis religieux. Réforme et révolution. Le 20° siècle, Marabout, Verviers, 1983.

 

Ouvrages de Michel Onfray:

- Michel ONFRAY, Cynismes. Portrait du philosophe en chien, Grasset, 1990.

- Michel ONFRAY, La sculpture de soi. La morale esthétique, Grasset, 1993.

 

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lundi, 09 novembre 2009

Promotie over Heidegger en Jünger

Promotie over Heidegger en Jünger  bereidt nieuw soort denken voor

Voorsprong na techniek

Thomas Blondeau / http://www.vincentblok.nl/


Afgelopen week promoveerden twee filosofen aan wat gekscherend wel eens de ‘Leidse Heideggerschool’ genoemd wordt.  Mare sprak met één van hen. Dr. Vincent Blok over zijn proefschrift dat in een confrontatie tussen schrijver Ernst Jünger en filosoof Martin Heidegger een omwenteling van de menselijke bestaanswijze voorbereidt.

martin-heidegger_1207721773.pngDe Duitse filosoof Martin Heidegger (1889 – 1976) zag zich vanaf het allereerste begin van zijn denken, geconfronteerd met de alomtegenwoordigheid van de techniek. Zijn inzet is geweest om een antwoord op het wezen ervan te formuleren.

De Duitse schrijver Ernst Jünger (1895 – 1998) formuleerde in zijn boek Der Arbeiter hoe het mensenslag van de arbeider in een technische wereld nihilisme kan overwinnen en de ontdekker kan zijn van nieuwe filosofische horizonten.

In zijn proefschrift Rondom de vloedlijn. Filosofie en kunst in het machinale tijdperk, een confrontatie tussen Heidegger en Jünger dat verleden week verdedigd werd, betoogt dr. Vincent Blok in navolging van Heidegger dat techniek alomtegenwoordig is en geen uitzondering toelaat. Ook protest tegen deze heerschappij is doortrokken van techniciteit. Wil de mens kunnen nadenken over techniek zonder ermee samen te vallen, dan moet worden gevraagd naar onze methode van spreken. Hier komt de filosofie van Heidegger en het dichten van Jünger om de hoek kijken. Hoewel het stellen van vragen in techniek gemarineerd is, toch een paar vragen aan Blok.

Wat heeft u bewogen tot het schrijven van dit proefschrift?

‘Vroeger begreep ik mijn eigen doen en laten in termen van het anti-imperialisme. Ik zat in de kraakbeweging en hielp mee met acties tegen de Zuid-Afrikaanse apartheid. Aan mijn anti-imperialistische houding lag de ervaring van de principiële “onwaarheid” van het imperialisme ten grondslag, en het ideaal van een alternatieve bestaanswijze die niet aan machtsuitoefening gebonden was. Als je op een gegeven moment bemerkt dat het imperialisme van bedrijven en staten een politiek-economische vertaling is van de struggle for existence als aard van het leven, dan is het anti-imperialisme geen reële optie meer. Ook het anti-imperialistisch verzet is dan doortrokken van de struggle for existence, dus van imperialisme. De ‘onwaarheid’ van het imperialisme kan dan alleen nog worden getoetst door de filosofische vraag naar het wezen van de macht. Zo ben ik tot mijn bezinning op het wezen van het imperialisme in het proefschrift gekomen.’

Martin Heidegger
Kun je de vraag van het proefschrift samenvatten in hoe men in het tijdperk van de techniek nog kan denken en dichten?

‘Als je vraagt naar het wezen van de macht, dan is niet duidelijk hoe je spreekt. Een uitspraak over het wezen van de macht die zelf van machtswellust doortrokken is, heeft haar onderwerp al in de rug. Ik kan dit misschien illustreren aan de hand van een voorbeeld.

‘Als ik zeg: “de huidige tijd is van een diepe slaap doortrokken”, dan heb ik twee mogelijkheden. Ofwel mijn uitspraak behoort tot de slaperige tijd, waarmee ze het risico loopt zelf slaperig en daarmee onwaar te zijn. Ofwel mijn uitspraak behoort niet tot de slaperige tijd, wat de uitspraak daarover ondermijnt. Klaarblijkelijk is de tijd niet zo slaperig, want deze uitspraak erover staat er buiten.

‘Hier ligt dan ook de grond om aan te sluiten bij het denken van Heidegger. Hij pretendeert een methode van denken te hebben gevonden die kan nadenken bij de techniek zonder ermee samen te vallen en zonder een alternatief of uitweg te zoeken. Het zijn de Leidse filosofen van Dijk en Oudemans geweest, die dit methodische karakter van het denken van Heidegger hebben opgenomen en tot zwaartepunt van het hedendaagse filosofisch nadenken hebben verklaard. Dat wordt dan wel eens gekscherend de Leidse Heideggerschool genoemd.’

Rondom de vloedlijn is de titel van het proefschrift. Waarom? Vanwege de ambiguïteit die het uitdrukt?

‘Het vervelende van een methodisch denken is dat het ook direct voor dit interview opgaat. Ik bemerk bij mijzelf de tendens om verhaaltjes op te hangen. Daar kan de filosofie natuurlijk niet in bestaan. Ik zal toch iets proberen te zeggen.

‘Uw vraag is welke ambiguïteit het woord ‘vloedlijn’ uitdrukt. Een antwoord op die vraag stelt die ambiguïteit voor, dat wil zeggen dat ze present wordt gesteld voor de lezer. Daarmee is de ambiguïteit zelf bij voorbaat al vernietigd en opgeheven. Wat is dat voor tendens in al onze vraag- en probleemstellingen, dat ze erop zijn aangelegd de zaken te verhelderen en beschikbaar te stellen? In die zucht tot presentie – en dat is wat techniek is - onttrekt zich de ambiguïteit, zo zou je kunnen zeggen.

‘Precies die verhouding tussen presentie en onttrekking speelt bij een vloedlijn. Een vloedlijn markeert niet de hoogste lijn van het water op het strand. In de vloedlijn onttrekt de vloed zich door achterlating van een lijn van schelpen en strandresten. Aan de vloedlijn kun je het afscheid van de vloed bemerken, zonder dat je daarover uitspraken kunt doen. Vandaar dat je alleen kunt verkeren in de nabijheid, rondom de vloedlijn. Daarmee is de aard van het methodische denken bij de techniek aangeduid.’

In uw proefschrift noemt u het werk van Jünger ‘dichten’? Zijn werk bestaat toch niet uit gedichten?

‘Jünger noemt zijn eigen manier van spreken Dichtung in zijn hoofdwerk Der Arbeiter. Ik benadruk dit omdat in zijn spreken een ambiguïteit schuilgaat. Heidegger zegt dat Jünger van voor tot achter schatplichtig is aan de metafysica van de wil tot macht bij Nietzsche.

‘Hoewel hij gelijk heeft in zijn plaatsbepaling van Jünger, ziet hij daarmee de andere zijde van Der Arbeiter over het hoofd, namelijk het dichterlijke van de gestalte van de arbeider. Waarom zou dit dichten niet thuishoren in het voor- en daarmee presentstellen?

j%C3%BCnger+heidegger.JPG‘Jünger zegt bijvoorbeeld dat de gestalte van de arbeider zoals die in het boek naar voren komt, niet is en ook niet van deze wereld is. Daarmee wordt duidelijk dat Jünger in Der Arbeiter de gestalte niet voorstelt. Hoe spreekt Jünger dan wel? Op een gegeven moment zegt Jünger dat “de heerschappij van de gestalte in wezen al is gerealiseerd maar nog uit haar anonimiteit te voorschijn moet worden gehaald”.

‘Daarmee wordt duidelijk waar het in Der Arbeiter om draait, namelijk het dichten als naamgeving. Dat is een mogelijke weg van de kunst in ons technisch tijdperk.’

U zegt dat het dichten en denken van Jünger en Heidegger in het teken van een overgang van de menselijke bestaanswijze bestaat. Waarin bestaat die overgang? En zag Heidegger die niet op een gegeven moment in het nationaal-socialisme?

‘Heidegger zegt dat wij de vanzelfsprekende bepaling van de mens als het denkende subject moeten verlaten, willen wij oog krijgen voor ‘onze verhouding tot het wedervarende’, de betrekking die altijd al bij voorbaat onze omgang met de dingen structureert. Voor het subject is elke bepaling subjectief of objectief, terwijl hij geen oog heeft voor de subject-objectverhouding die zijn bestaanswijze bij voorbaat altijd al heeft getekend.

‘Deze omwenteling van de menselijke bestaanswijze is niet zondermeer door te voeren. Ze is niet een beslissing van de mens als het denkende subject, maar vergt volgens Heidegger een ‘Anspruch’ (=appel, TB) die door het denken alleen kan worden voorbereid.’

In de jaren dertig dacht hij dat het moment van de omwenteling aangebroken was. Nadat hij rond 1938 inzag dat de nationaal-socialistische revolutie van Hitler niets te maken had met de door hemzelf beoogde omwenteling, verschoof hij haar naar een übernächste Generation. In dat opzicht is ook mijn eigen denken in het proefschrift voorbereidend van aard.’

Gaat u ervan uit dat in deze ‘tijd van onbehagen’ een absoluut nihilisme heerst? Probeert u op deze toestand een antwoord te formuleren?

‘U wijst met deze zinsnede op de titel van het boek van Ad Verbrugge. Wat hij cultuurverlies noemt en de heerschappij van het consumentisme, wijst op de ervaring van het nihilisme als onze ‘Normalzustand’. Ik deel zijn intuïtie van de ‘onwaarheid’ van de mens als consument van harte. Voor mij is evenwel de vraag waar in de wereld je bevestiging voor deze intuïtie kunt vinden. Ik ervaar geen tijd van onbehagen, want het nihilisme reikt zo ver dat het de cultuurkritiek evoceert en ook de oplossing voor elk onbehagen aanreikt. Voor mij speelt hier primair het methodische vraagstuk hoe ik kan nadenken bij het nihilisme.

‘Ik mag dat misschien illustreren aan de hand van het boek van Verbrugge. Hij wijst op onze wereld van de consumentistische behoeftebevrediging en zegt tezelfdertijd dat ‘in de mens de behoefte leeft aan een ‘zin’ die groter is dan hijzelf. Mijn vraag is dan of deze behoefte aan zin nu weer onderdeel uitmaakt van de behoeftebevrediging? ‘Is die gemeenschapszin als gedeelde dimensie er, of is het een bevredigde consumentistische behoefte? Volgens mij zou het verschil tussen zijn authentieke vraagstelling en de consumentistische behoeftebevrediging daarin moeten bestaan, dat hij uitziet naar een zin die als zodanig verre is, om zo de nabijheid ervan te ontberen. ‘Dit ontberen kent de consumentistische behoeftebevrediging niet. Die blijft nimmer onbevredigd achter en slokt alles op in een alomtegenwoordige beschikbaarheid.

Ik hoop dat hiermee duidelijk wordt waar voor mij het zwaartepunt ligt. Het is jammer dat die titel op de achterflap van mijn boek is gekomen, want ik wil mijn eigen denken helemaal niet in oppositie met Verbrugge gedefinieerd zien.’

Dit boek is een must voor kunstenaars, filosofen en anderen die vragen wat de mens vermag in ons machinale tijdperk.’ Dat staat te lezen in de perstekst die uw promotie begeleidt. Waarom is het boek een must?

‘Ik verwees net naar het nihilisme als onze ‘Normalzustand’. Ik geloof niet dat de vraag daarnaar minder speelt in de kunsten dan in de filosofie. Mijn boek onderscheidt zich doordat het geen alternatieven zoekt maar een nuchtere confrontatie zoekt met de techniek. Het laat zien wat filosofie en kunst vermag in ons technisch tijdperk en schetst daartoe een weg van het denken en een weg van de kunst en confronteert die met elkaar.’

In uw nawoord schrijft u dat de Amerikaanse bombardementen op Irak en de Al-Qaida aanslagen secundair zijn ten opzichte van de vraag naar het filosofische principiële, de semantische grond ervan. Is het niet schizofreen om dat te moeten zeggen, terwijl u tegelijkertijd in uzelf de neiging bespeurt om zich af te vragen of dergelijke aanslagen niet het teken zijn van ‘een breuk tussen de Westerse beschaving en een nieuw barbarendom’?

‘Een schizofrenie duidt op een gespletenheid, waarbij de remedie gevonden wordt in de opheffing ervan. Daardoor ontstaat eenheid en helderheid. In de filosofie gaat het erom empirisch te blijven, dat wil zeggen dat ik bij die gespletenheid zelf blijf zonder hem op te willen heffen. Nu is de vraag of ik niet evengoed de gespletenheid ophef door de aanslagen van Al-Qaida tot een secundair verschijnsel te reduceren. Voor mij is volstrekt duidelijk dat de heftigheid van de aanslagen van 11 september slechts aangeven hoezeer de islamitische samenleving wordt bedreigd – uiteindelijk wil ook elke Afghaan een televisie en een koelkast. Maar afgezien van dit voorbeeld heeft u wel een punt. Het is de vraag of het filosofisch principiële noodzakelijkerwijze de reductie van de ‘zijnden’ tot secundaire verschijnselen impliceert. Ik herinner mij dat Heidegger ergens spreekt van een aanval op het wezen van de mens door de middelen van de techniek, dat wil zeggen technische instrumenten. Daar zouden we ons verder op moeten bezinnen.’

Van dit stuk verscheen een kortere versie in de papieren versie van Mare 29.

Vincent Blok
Rondom de vloedlijn, Uitgeverij Aspekt. € 22,95
Te bestellen via
www.vincentblok.nl
Promotie was 20 april

lundi, 19 octobre 2009

Ernst Krieck (1882-1947)

Ernst_Krieck.jpgKRIECK  Ernst, 1882-1947

 

Né à Vögisheim en pays de Bade le 6 juillet 1882, ce pédagogue entame une carrière d'instituteur en 1900, puis de directeur d'école primaire, pour devenir, après s'être formé en autodidacte, docteur honoris causa  de l'Université de Heidelberg en 1923. En 1928, Krieck est nommé à l'«Académie pédagogique» de Francfort s.M. Ses convictions nationales-socialistes lui valent plusieurs mesures disciplinaires. Après la prise du pouvoir par Hitler, il est nommé professeur ordinaire à Francfort. De 1934 à 1945, il enseigne à Heidelberg. Avec ses amis M.R. Gerstenhauer et Werner Kulz, il édite de 1932 à 1934 la revue Die Sonne,  fondée en 1924. A partir de 1933, il publie seul la revue Volk im Werden.  Il collabore dans le même temps à plusieurs publications consacrées à la pédagogie. L'objectif de ses études historiques sur la pédagogie était d'ordre philosophique, écrit-il, car elles visaient à cerner le noyau commun de tous les modes d'éducation, juif, grec, romain, médiéval, allemand (de l'humanisme de la Renaissance au rationalisme du XVIIIième et de celui-ci au romantisme national(iste)). A partir de 1935, Krieck abandonne la pédagogie stricto sensu pour vouer tous ses efforts à l'élaboration d'une anthropologie «völkisch» au service du nouveau régime.

  

 

Krieck est surtout devenu célèbre pour sa polémique contre Heidegger, amorcée dans les colonnes de Volk im Werden  et dans son discours de Rectorat à l'Université de Francfort prononcé le 23 mai 1933. Outre sa polémique agressive et sévère contre le langage abstrait, calqué sur les traditions grecques et juives, de l'auteur de Sein und Zeit, Krieck reprochait à Heidegger de vouloir sauver la philosophie, la «plus longue erreur de l'humanité hespériale», une erreur qui consiste à vouloir «refouler et remplacer le réel par le concept». Refoulement et oblitération du réel qui conduisent au nihilisme. Partisan inconditionnel de l'hitlérisme, Krieck affirme que la révolution nationale-socialiste dépassera ce nihilisme engendré par la dictature des concepts. Reviendra alors le temps des poètes homériques, inspirés par le «mythe», et des «historiens» en prise directe sur les événements politiques, dont l'ancêtre génial fut Hérodote, l'ami du tragédien Sophocle. Figure emblématique de la Terre-mère, idée mobilisatrice de la Vie, puissance du destin, sentiment tragique de l'existence, cosmos, sont les mots-clefs de cette pensée du pédagogue Krieck, en guerre contre la philosophie du concept. Le règne du logos, inauguré par Héraclite d'abord, puis surtout par Platon, l'ennemi des poètes, conduit les hommes à vivre dans un monde aseptisé, inerte, dépourvu de tragédie: le «monde des idées» ou de l'Etre. La pensée doit donc faire retour au charnel grouillant et bouillonant, aux matrices (Mutterschoß  et Mutterboden),  aux «lois incontournables du sang et de la race», dans un maëlstrom de faits et de défis sans cesse effervescent, ne laissant jamais aucun repos à la volonté, cette force intérieure qui arraisonne ce réel inépuisablement fécond.

Interné dans le camp de concentration de Moosberg en 1945, pour son appartenance aux cadres de la NSDAP, Krieck y meurt le 19 mars 1947.

 

L'idée de l'Etat allemand (Die deutsche Staatsidee), 1934

 

L'intérêt de cet ouvrage est de nous livrer une histoire de la pensée politique allemande, telle que peut la concevoir un vitaliste absolu qui adhère au mouvement hitlérien. Pour Krieck, les sources de l'Etat moderne résident dans l'absolutisme, instauré graduellement à partir de la fin du XVième siècle. Avant l'absolutisme règnait en Allemagne le droit communautaire germanique. L'irruption dans le discours politique de l'idée et de l'idéologie du droit naturel est le fruit du rationalisme et du mathématisme du XVIIième siècle, renforcé au cours du XVIIIième et trouvant son apothéose chez Kant. Dans l'optique du droit naturel et du rationalisme, le droit et l'Etat sont des formes aprioristiques de l'esprit et ne sont pas le résultat d'un travail, d'une action, d'une aventure historique tragique. En ce sens, le droit naturel est abstrait, explique Krieck. C'est une pensée politique idéaliste et non organique. Krieck définit ce qu'est pour lui l'organique: c'est l'unité vivante qu'il y a dans un être à composantes multiples. C'est la constance que l'on peut observer malgré les mutations successives de forme et de matière. C'est, enfin, l'immuabilité idéelle de certains traits essentiels ou de caractère. Le libéralisme s'est opposé au constructivisme absolutiste; en Angleterre, il vise à limiter l'emprise de l'Etat et à multiplier les droits politiques pour la classe possédante. En France, depuis la révolution jacobine, tout le poids décisionnaire de l'appareil étatique bascule entre les mains de la majorité électorale sans tenir compte des intérêts des oppositions. En Allemagne, le libéralisme anti-absolutiste est d'une autre nature: il est essentiellement culturel. Ses protagonistes entendent sans cesse se former et se cultiver car le droit à l'épanouissement culturel est le premier des droits de l'homme. L'Etat libéral allemand doit par conséquent devenir une sorte d'institut d'éducation éthique permanente. Dans cette optique, sont condamnables toutes les forces qui contrarient le développement de l'éducation. Humboldt est la figure emblématique de ce libéralisme. Krieck entend mettre les «illusions» de Humboldt en exergue: la figure de proue du libéralisme culturaliste allemand croit que l'homme, dès qu'il est libéré du joug de l'absolutisme, va spontanément adhérer à l'idéal de la culture. Cette vision idéalisée de l'homme est désincarnée et l'Etat se trouve réduit à un rôle minimal, même s'il est sublime. Humboldt a raison de dire que l'énergie est la première des vertus de l'homme mais l'idéal qu'il propose est, lui, dépourvu d'énergie, de socle dynamisant. L'humanité, contrairement à ce que croit Humboldt, ne se déploie pas dans l'espace en harmonie mais à partir d'une lutte constante entre entités vitales supra-personnelles. Il y a émergence d'une Bildung  originale là où s'affirme une force dans une lutte qui l'oppose à des résistances. Mais quand on parle de force, on doit toujours parler en terme d'holicité et non d'individu. Une force est toujours collective/communautaire et révèle dans le combat son idée motrice, créatrice d'histoire. Humboldt, dit Krieck, est prisonnier d'une méthodologie individualiste, héritée de l'Aufklärung. Or la Bildung  n'est pas le produit d'une individualité mais le reflet du meilleur du peuple, sinon elle ne serait qu'originalité inféconde. L'Etat doit organiser la Bildung  et l'imposer à tout le corps social/populaire. Affirmer ce rôle de l'Etat: voilà le pas que n'a pas franchi Humboldt. Il rejette l'absolutisme et la bureaucratie, qui en découle, comme des freins à l'épanouissement de la Bildung  sans conjuguer l'idée d'un Etat éthique avec l'idéal de cette Bildung. 

L'Etat doit être la puissance éducatrice et «éthicisante» du peuple. Krieck reprend à son compte, dans sa synthèse, l'héritage de l'Aufklärung  selon l'agitateur et pédagogue rousseauiste Basedow. Au XVIIIième siècle, celui-ci militait pour que l'Etat  —et non plus l'Eglise—  organise un système d'enseignement cohérent et fondateur d'une élite politique. Après l'échec de la vieille Prusse devant les canons napoléoniens, la pensée allemande prend conscience de la nécessité de structurer le peuple par l'éducation. Krieck rappelle une parole de Fichte qui disait que l'Etat allemand qui aurait pour programme de faire renaître la nation par l'éducation, tout en promouvant l'idée de l'Etat éducateur, en tirerait le maximum de gloire. Dans cette perspective pédagogisante fichtéenne/krieckienne, l'Etat, c'est l'organisation des moyens éducatifs au bénéfice de ses objectifs propres. Krieck se réfère ensuite au Baron von Stein qui avait la volonté de fusionner trois grands courants d'idées en Allemagne: le prussianisme (avec son sens du devoir et du service), l'idée de Reich et l'idée culturelle/spirituelle de Nation. De cette volonté de fusion découlait une vision originale de ce que doit être l'éducation: faire disparaître les disharmonies existant au sein du peuple et provoquées par les querelles entre états (Stände), de façon à ce que «chaque ressortissant du Volk puisse déployer ses forces dans un sens moral». Stein ne se contente donc pas de vouloir éliminer des barrières mais veut très explicitement diriger et encadrer le peuple façonné par la Bildung. L'éducation fait de l'Etat un organisme animé (beseelter Organismus)  qui transmet sa force aux générations futures. Pour Fichte —et en écho, pour Krieck—  l'éducation doit susciter une Tatbereitschaft, c'est-à-dire une promptitude à l'action, un ensemble de sentiments puissants qui, ajoutera ultérieurement Schleiermacher, donne une âme à l'Etat et cesse d'en faire un simple jeu de mécanismes et d'engrenages. Hardenberg est une autre figure de la Prusse post-napoléonienne qu'analyse Krieck. Souvent cité en même temps que Stein, Hardenberg est toutefois moins radical, parce que plus lié aux anciennes structures absolutistes: il prône un laissez-faire d'inspiration anglaise (Adam Smith) et ne conçoit l'Etat que comme police. Pour Krieck, c'est là une porte ouverte au primat de l'économie sur l'éducation, à l'emprise du manchesterisme et du monopolisme ploutocratique à l'américaine sur le devenir de la nation.

Krieck critique Schelling, personnage jugé par lui trop aristocratique, trop isolé du peuple, et qui, par conséquent, a été incapable de formuler une philosophie satisfaisante de l'Etat et de l'histoire. En revanche, certaines de ses intuitions ont été géniales, affirme Krieck. L'Etat, pour Schelling, n'est plus une «œuvre d'art», le produit d'une technique, mais le reflet de la vie absolue. Droit et Etat, chez Schelling, n'existent pas a priori pour qu'il y ait équilibre dans la vie mais l'équilibre existe parce que la vie existe, ce qui corrobore l'idée krieckienne qu'il n'y a que la vie, sans le moindre arrière-monde. Krieck regrette que Schelling ait enfermé cette puissante intuition dans une démarche trop esthétisante. Adam Müller complète Schelling en politisant, historicisant et économicisant les thèses de son maître à penser. Krieck énumère ensuite les mérites de Hegel. L'idée de l'Etat éducateur connaît par la suite des variantes conservatrices, réformistes et économistes. Les conservateurs cultivent l'idéal médiévisant d'un Etat corporatiste (Ständestaat)  mais centralisé: ils retiennent ainsi les leçons de l'Aufklärung  et de la révolution. Paul de Lagarde est un précurseur plus direct de l'Etat éducateur national-socialiste, qui ramasse toutes les traditions politiques allemandes, les fusionne et les ancre dans la réalité. Lagarde affirmait, lui aussi, que le premier but de la politique, c'était l'éducation: «la politique est à mon avis rien d'autre que pédagogie, tant vis-à-vis du peuple que vis-à-vis des princes et des hommes d'Etat». Dans cet ouvrage datant des premiers mois de la prise du pouvoir par Hitler, Krieck propose pour la première fois de transposer ses théories pédagogiques dans le cadre du nouveau régime qui, croit-il, les appliquera. 

  

 

Anthropologie politique völkisch (Völkisch-politische Anthropologie), 1936

 

Les fondements du réel politique sont biologiques: ils relèvent de la biologie universelle. Tel est la thèse de départ de l'anthropologie völkisch de Krieck. La biologie pose problème depuis le XVIIIième siècle, où elle est entrée en opposition au «mécanicisme copernicien». La «Vie» est alors un concept offensif dirigé contre les philosophies mécanicistes de type cartésien ou newtonien; ce concept réclame l'autonomie de la sphère vitale par rapport aux lois de la physique mécanique. L'épistémologie biologique, depuis ses premiers balbutiements jusqu'aux découvertes de Mendel, a combattu sur deux fronts: contre celui tenu par les théologiens et contre celui tenu par les adeptes des philosophies mécanicistes. Leibniz avait évoqué la téléologie comme s'opposant au mécanicisme universel en vogue à son époque. Les théologiens, pressentant l'offensive de la biologie, ont mis tout en œuvre pour que la téléologie retourne à la théologie et ne se «matérialise» pas en biologie. Le débat entre théologiens et «réalitaires biologisants» a tourné, affirme, Krieck, autour du concept aristotélicien d'entéléchie, revu par Leibniz, pour qui l'entéléchie est non plus l'état de l'être en acte, pleinement réalisé, mais l'état des choses qui, en elles, disposent d'une suffisance qui les rend sources de leurs actions internes. La biologie est donc la science qui étudie tout ce qui détient en soi ses propres sources vitales, soit les êtres vivants, parmi lesquels les peuples et les corps politiques.

Pour Krieck, la Vie est la réalité totale: il n'y a rien ni derrière ni avant ni après la Vie; elle est un donné originel (urgegeben), elle est l'Urphänomen  par excellence dans lequel se nichent tous les autres phénomènes du monde et de l'histoire. La conscience est l'expression de la Vie, du principe vital omni-englobant. Les peuples, expressions diverses de cette Vie, tant sur le plan phénoménal que sur le plan psychique, sont englobés dans cette totalité vitale. Le problème philosophique que Krieck cherche à affronter, c'est de fonder une anthropologie politique où le peuple est totalité, c'est-à-dire base de Vie, source vitale, où puisent les membres de la communauté populaire (les Volksgenoßen)  pour déployer leurs énergies dans le cosmos. Tout peuple est ainsi une niche installée dans le cosmos, où ses ressortissants naissent et meurent sans cesser d'être reliés à la totalité cosmique. L'idée de Vie dépasse et englobe l'idée évangélique de l'incarnation car elle pose l'homme comme enraciné dans son peuple de la même façon que le Christ est incarné en Dieu, son Père, sans que l'homme ne soit détaché de ses prochains appartenant à la même communauté de sang. Le cycle vital transparaît dans la religiosité incarnante (incarnation catholique mais surtout mystique médiévale allemande), qui est une religion de valorisation du réel qui, pour l'homme, apparaît sous des facettes diverses: humanité, Heimat,  race, peuple, communauté politique, communauté d'éducation, etc. Dans la sphère de l'Etat, se trouvent de multiples Volksordnungen,  d'ordres dans le peuple, soit autant de niches où les individus sont imbriqués, organisés, éduqués (Zucht)  et policés. Krieck oppose ensuite l'homme sain à l'homme malade; la santé, c'est de vivre intensément dans le réel, y compris dans ses aspects désagréables, en acceptant la mort (sa mort) et les morts. Cette santé est le propre des races héroïques dont les personnalités se perçoivent comme les maillons dans la chaîne des générations, maillons éduqués, marqués par l'éthique de la responsabilité et par le sens du devoir. Les hommes malades  —c'est-à-dire les esclaves et les bourgeois—  fuient la mort et la nient, éloignent les tombes extra muros,  indice que l'idée d'une chaîne des générations a disparu.

 

Caractère du peuple et conscience de sa mission. L'éthique politique du Reich (Volkscharakter und Sendungsbewußtsein. Politische Ethik des Reiches), 1940

 

Cet ouvrage de Krieck comprend deux volets: 1) une définition du caractère national allemand; 2) une définition de la «mission» qu'implique l'idée de Reich. Le caractère national allemand a été oblitéré par la christianisation, même si les Papes évangélisateurs des régions germaniques ont été conscients du fait que l'esprit chrétien constituait une sorte d'Übernatur, d'adstrat artificiel imposé à l'aide de la langue latine, qui recouvrait tant bien que mal une naturalité foncièrement différente. Le Moyen Age a été marqué par un christianisme véhiculant les formes mortes de l'Antiquité. Seuls les Franciscains ont laissé plus ou moins libre cours à la religiosité populaire et permis au Lied  allemand de prendre son envol. La Renaissance, l'humanisme et le rationalisme n'ont fait que séculariser une culture détachée du terreau populaire. Le national-socialisme est la révolution définitive qui permettra le retour à ce terreau populaire refoulé. Il sera la pleine renaissance de la Weltanschauung  germanique, qui relaie et achève les tentatives avortées d'Albert le Grand, d'Eike von Repgow, de Walther von der Vogelweide, de Maître Eckehart, de Nicolas de Cues, de Luther, de Paracelse, etc. Sans cesse, l'Allemagne a affirmé son identité nationale grâce à un flux continu venu du Nord. S'appuyant sur les thèses du scandinaviste Grönbech, Krieck parle du sentiment nordique de la communauté, du service dû à cette communauté et à la volonté de préserver son ancrage spirituel contre les influences étrangères. Pour Grönbech et Krieck, l'individu ne s'évanouit pas dans la communauté mais résume en lui cette communauté dont les ressortissants partagent les mêmes sentiments, les mêmes projets, le même passé, le même présent et, res sic stantibus,  le même avenir. Ce destin commun s'exprime dans l'honneur, la Ehre.

Krieck insiste sur la notion de Mittgart (ou Midgard) qui, dans la mythologie germanique/scandinave, désigne le monde intermédiaire entre l'Asgard (le monde des Ases, le monde de lumière) et l'Utgard (le monde de l'obscurité). Ce Mittgart est soumis au devenir (urd)  et aux caprices des Nornes. C'est un monde de tensions perpétuelles, de luttes, de dynamique incessante. Les périodes de paix qui ensoleillent le Mittgart sont de brefs répits succédant à des victoires jamais définitives sur les forces du chaos, émanant de l'Utgard. Le mental nordique retient aussi la notion de Heil,  une force agissante et fécondante, à connotations sotériologiques, qui anime une communauté. Cette force induit un flux ininterrompu de force qui avive la flamme vitale d'une communauté ou d'une personne et accroît ses prestations. Le substrat racial nordique irradie une force de ce type et génère un ordre axiologique particulier qu'il s'agit de défendre et d'illustrer. La foi nouvelle qui doit animer les hommes nouveaux, c'est de croire à leur action pour fonder et organiser un Reich, un Etat, un espace politique, pour accoucher de l'histoire.

Le droit doit devenir le droit des hommes libres à la façon de l'ancien droit communautaire germanique, où le Schöffe (le juge) crée sans cesse le droit, forge son jugement et instaure de la sorte un droit vivant, diamétralement différent du droit abstrait, dans la mesure où il est porté par la «subjectivité saine d'un homme d'honneur». Le droit ancestral spontané a été oblitéré depuis la fin du XVième siècle par le droit pré-mécaniciste de l'absolutisme, issu du droit romain décadent du Bas-Empire orientalisé. L'avénement de ce droit absolutiste ruine l'organisation sociale germanique de type communautaire. Néanmoins, au départ, l'absolutisme répond aux nécessités de la nouvelle époque; le Prince demeure encore un primus inter pares, responsable devant ses conseils. Le césaro-papisme, impulsé par l'Eglise, introduit graduellement le «despostisme asiatique», en ne responsabilisant le Prince que devant Dieu seul. Les pares  se muent alors en sujets. L'arbitraire du Prince fait désormais la loi (Hobbes: auctoritas non veritas facit legem;  Louis XIV: L'Etat, c'est moi!). Dans ces monarchies ouest-européennes, il n'y a plus de Reich au sens germanique, ni d'états mais un Etat. Le droit est concentré en haut et chichement dispersé en bas. Les devoirs, en revanche, pèsent lourdement sur les épaules de ceux qui végètent en bas et ne s'adressent guère à ceux qui gouvernent en haut. La révolution bourgeoise transforme les sujets en citoyens mais dépersonnalise en même temps le pouvoir de l'Etat et du souverain tout en absolutisant la structure dans laquelle sont enfermés les citoyens. Dans cette fiction règne le droit du plus puissant, c'est-à-dire, à l'âge économiste, des plus riches. L'essence de la justice se réfugie dans l'abstraction du «pur esprit», propre de l'humanisme kantien ou hégelien, une pensée sans socle ni racines. Cette idéologie est incapable de forger un droit véritablement vivant, comme le montre la faillite du système bismarckien, forgé par les baïonnettes prussiennes et la poigne du Chancelier de fer, mais rapidement submergé par l'éclectisme libéral et le marxisme, deux courants politiques se réclamant de ce droit universaliste-jusnaturaliste sans racines.

 

Krieck définit ensuite la Vie, vocable utilisé à profusion par toutes les écoles vitalistes, comme un «cosmos vivant», un All-Leben.  Ce dynamisme de l'All-Leben,  nous le trouvons également chez les Grecs d'avant Socrate et Platon. Mais les Grecs ont très tôt voulu freiner le mouvement, bloquer le dynamisme cosmique au profit d'un statisme et de formes (en autres, de formes politiques) fermées: la Polis, l'art classique, expressions du repos, de quiétisme. Les Germains n'ont pas connu ce basculement involutif du devenir à l'Etre. L'aristotélisme médiéval n'a pas oblitéré le sens germanique du devenir: le monachisme occidental et la scolastique n'ont jamais été pleinement quiétistes. Cluny et les bénédictins ont incarné un monachisme combattant donc dynamique, même si ce dynamisme a été, en fin de compte, dirigé par Rome contre la germanité. Après cette phase combattante seulement, la scolastique s'est détachée du dynamisme naturel des peuples germaniques, a provoqué une césure par rapport à la vie, césure qui a trouvé ultérieurement ses formes sécularisées dans le rationalisme et l'idéalisme, contesté par le romantisme puis par la révolution nationale-socialiste.

En proposant une «caractérologie comparée» des peuples, Krieck part d'une théorie racisante: les peuples produisent des valeurs qui sont les émanations de leur caractère biologiquement déterminé. Derrière toutes les écoles philosophiques, qu'elles soient matérialistes, idéalistes, logiques, sceptiques  —orientations que l'on retrouve chez tous les peuples de la Terre—  se profile toujours un caractère racialement défini. Les Allemands, tant dans leurs périodes de force (comme au Haut Moyen Age ottonien) que dans leurs périodes de faiblesse (le Reich éclaté et morcelé d'après 1648), se tournent spontanément vers le principe d'All-Leben,  de cosmicité vitale, contrairement aux peuples de l'Ouest, produits d'une autre alchimie raciale, qui suivent les principes cartésiens et hobbesiens du pan-mécanicisme (All-Mechanistik). La pensée chinoise part toujours d'une reconnaissance du Tao universel et vise à y adapter la vie et ses particularités. L'ethos  chinois exprime dès lors repos, durée, équilibre, régularité, déroulement uniforme de tout événement, agir et comportement. La pensée indienne résulte du mélange racial sans doute le plus complexe de la Terre. Contrairement à la Chine homogène, l'Inde exclut la réminiscence historique, la conscience historique et est, d'une certaine façon, impolitique. Autre caractéristique majeure de l'âme indienne, selon Krieck: l'ungeheure Triebhaftigkeit,  la foisonnante fécondité des pulsions et la prolifération des expressions de la vie: fantaisie et spéculation, désir (Begier)  et contemplation, sexualité et ascèse, systématique philosophique et méthodique psycho-technique, etc. Cette insatiabilité des pulsions fait de l'Inde le pôle opposé de la Grèce (mises à part certaines manifestations de l'hellénisme): l'âme indienne submerge toujours la forme dans l'informel, le démesuré, les figures grimaçantes et grotesques. L'hybris, faute cardinale chez les Grecs, est principe de vie en Inde: le roi n'y a jamais assez de puissance, l'ascète n'y est jamais assez ascétique, etc. Le génie grec, quant à lui, est génie de la mesure, de l'équilibre intérieur de la forme.

Le mécanicisme newtonien est l'expression du caractère anglais, surtout quand il met en exergue l'antagonisme des forces. Cet antagonisme s'exprime par ailleurs dans le bipartisme de la vie politique anglaise, dans la concurrence fairplay  de la sphère économique, dans le sport. Le génie français (Descartes, Pascal, d'Alembert, H. Poincaré) procède d'une méthode analytique et géométrique. Ce géométrisme se perçoit dans l'architecture des jardins, de la poésie, de l'art dramatique du XVIIième siècle et du rationalisme politique centralisateur de la révolution de 1789.

 

Conclusion de Krieck: le peuple allemand est le seul peuple suffisamment homogène pour adhérer directement à la Vie sans le détour mutilant des schémas mécanicistes, du logos ou de la «philosophie de l'Etre». Adhésion à la vie qui s'accompagne toujours d'une discipline intérieure et d'un dressage.

L'idée de Reich, à rebours de toute soumission ou oppression, vise la communauté des Stämme  (des tribus, des régions). Centre de l'Europe, enjeu de l'histoire européenne, le Reich offre, dit Krieck, une forme politique acceptable pour tous les Européens et pour tous les peuples extra-européens. Dans cette perspective, le monde doit être organisé et structuré d'après les communautés qui le composent, afin d'aboutir à la communauté des peuples. Tous, sur la Terre, doivent bénéficier d'espace et de droit: tel est la réponse de l'Allemagne au «moloch» qu'est l'impérialisme britannique. La mission universelle du Reich est d'assurer un droit à toutes les particularités ethniques/nationales nées de la vie et de l'histoire.

Enfin, il convient de former une élite disciplinée, qui dresse les caractères par la Zucht  et la Selbstzucht (maîtrise de soi). La poésie et l'art ont un rôle particulier à jouer dans ce processus de dressage permanent, de lutte contre l'Utgard,  l'Unheil.

 

Education nationale-politique (Nationalpolitische Erziehung), 1941

 

Ouvrage qui définit tout un ensemble de concepts pédagogiques et qui reprend les théories de Krieck pour les replacer dans le cadre du nouvel Etat national-socialiste. Les définitions proposées par l'auteur sont soumises à une déclaration de principe préalable: l'ère de la raison pure est désormais révolue, de même que celle de la science dépourvue de préjugés et de la neutralité axiologique (Wertfreiheit). La règle du subjectivisme absolu triomphe car la science prend conscience que des préjugés de tous ordres précèdent son action. L'acceptation de ces préjugés imbrique la science dans le réel. Son rôle n'est pas de produire quelques chose d'essentiel car le monde n'est jamais le produit des idées. La science doit au contraire se poser comme la conscience du devenir et, ainsi, pouvoir pré-voir, pressentir ses évolutions ultérieures, puis planifier en conséquence et se muer de la sorte en «technique», en force méthodique de façonnage, de mise en forme du réel. Grâce à la science/technique ainsi conçue, la pulsion (Trieb) devient acte (Tat),  le grouillement de la croissance vitale (Wachsen)  se transforme en volonté, l'événémentiel est dompté et permet un agir cohérent. Krieck annonce la fin de la science désincarnée; le sujet connaissant fait partie de ce monde sensoriel, historique, ethnique, racial, temporel. Il exprime de ce fait un ensemble de circonstances particulières, localisées et mouvantes. Reconnaître ces circonstances et les maîtriser sans vouloir les biffer, les figer ou les oblitérer: telle est la tâche d'une science réelle, incarnée, racisée. L'homme est à la fois sujet connaissant et objet de connaissance: il est certes le réceptacle de forces universelles, communes à toutes les variantes de l'espèce homo sapiens, mais aussi de forces particulières, raciales, ethniques, temporelles/circonstancielles qui font différence. Une différence que la science ne peut mettre entre parenthèses car ses multiples aspects modifient l'impact des forces universelles. Il y a donc autant de sciences qu'il y a de perspectives nationales (science française, allemande, anglaise, chinoise, juive, etc.). Krieck insiste sur un adage de Fichte: Was fruchtbar ist, allein ist wahr  (Ce qui est fécond seul est vrai). Mais Krieck demeure conscient du danger de pan-subjectivisme que peuvent induire ses affirmations. Il pose la question: la science ne risque-t-elle pas, en perdant son autonomie et sa liberté par rapport au «désordre» des circonstances particulières, de n'être plus qu'une servante, une «prostituée» (Dirne)  au service d'intérêts ou de stratégies partisanes? La réponse de Krieck tombe aussitôt, assez lapidaire: cela dépend du caractère de ceux qui instrumentalisent la science. Celle-ci a toujours été déterminée et instrumentalisée par le pouvoir. Le pouvoir indécis du libéralisme, démontre Krieck, a affaibli et la science et le peuple. Un pouvoir mené par des personnalités au caractère fort enrichit la science et le peuple.

Parmi les définitions proposées par Krieck, il y a celle de «révolution allemande», en d'autres termes, la révolution nationale-socialiste. La «révolution allemande» devra créer la «forteresse Allemagne», soit forger un Etat capable de façonner et de dresser (zuchten)  les énergies du Volk, d'organiser l'espace vital de ce peuple. L'Etat doit éduquer les Allemands sur bases de leurs caractéristiques raciales et organiser la santé collective et la sécurité sociale. Cette révolution est organique et dépasse les insuffisances délétères des mécanicismes libéral et marxiste.

Krieck nous présente une définition du terme «race». La race consiste en l'ensemble transmissible par hérédité des caractéristiques déterminées des corps et des prédispositions spirituelles. Ces caractéristiques corporelles et ces prédispositions spirituelles dépassent l'individu; elles se situent au-delà de lui, dans sa famille, son clan, sa tribu, son peuple, sa race. La Zucht,  le dressage, vise la rentabilisation maximale de cet héritage. L'absence de dressage conduit au mixage indifférencié et à la dégénérescence des instincts et des formes. La politique raciale, qui doit logiquement découler de cette définition, n'a pas que des facettes biologiques: elle a surtout une dimension psychique et spirituelle, greffée par l'éducation et le dressage. L'homme est néanmoins un tout indissociable qui doit être étudié sous tous ses aspects. Les interventions éducatives de l'Etat doivent progresser simultanément dans les domaines corporel, psychique et spirituel. En Allemagne, l'idéaltype racial qui doit prévaloir est le modèle nordique. La race nordique doit demeurer le pilier, l'assise de tout Etat allemand viable. La saignée de 1914-1918 a affaibli le corps de la nation allemande-nordique. Les idéologies universalistes étrangères ont eu le dessus pendant la période de Weimar, avant que le substrat racial-psychique-spirituel ne revienne à la surface par l'action des Nationaux-Socialistes. Ce mouvement politique, selon Krieck, constate la faillite du libéralisme diviseur et rassemble toutes les composantes régionales, confessionnelles, sociales du peuple allemand dans une action révolutionnaire instinctuelle et non intellectuelle.

Les diverses phases de l'éducation se déroulent dans la famille, les ligues de jeunesse et la formation professionnelle. L'ère bourgeoise a été l'ère de l'économie, affirme Krieck, et l'ère nationale (völkische)  sera l'ère des métiers, de la créativité personnelle et de l'éducation professionnelle.

L'Etat doit être une instance portée par une strate sélectionnée, politisée et organisée en milice de défense, homogène et cohérente, recrutée dans tout le peuple et répartie à travers lui. C'est elle qui formera la volonté politique de la collectivité. Au XIXième siècle, cette «strate sélectionnée» était l'élite intellectuelle bourgeoise (bürgerliche Bildungselite),  universitaire et savante. Mais cette bourgeoisie, en dépit de la qualité remarquable de ses productions intellectuelles, n'avait pas d'organisation qui traversait tout le corps social. Sa capillarisation dans le corps social était insuffisante: ce qui la condamnait à disparaître et à ne jamais revenir.

 

Krieck définit aussi ce qu'est la Weltanschauung,  mot-clef des démarches organicistes de la première moitié du siècle. La Weltanschauung, pour Krieck, est la façon de voir le monde propre à un peuple et au mieux incarnée dans la strate sélectionnée. L'homme primitif élaborait une Weltbild,  une image du monde magique-mythique. L'homme de la civilisation rationaliste est désorienté, sans image-guide, ne perçoit plus aucun sens. Sa pensée est dissociée de la vie. L'homme qui a dépassé la phase rationaliste/bourgeoise maîtrise et la vie et la technique, a le sens de la totalité/holicité (Ganzheit)  de la vie, allie le magique et le rationnel, le naturel et l'historique. Trois types d'hommes se côtoient: ceux qui sont animés par la foi et ses certitudes, ceux qui imaginent tout résoudre par la raison et ses schémas et, enfin, ceux qui veulent plonger entièrement dans le réel et acceptent joyeusement les aléas du destin et du tragique qu'il suscite. Ces derniers sont les héros, porteurs de la révolution que Krieck appelle de ses vœux.

Dans la dernière partie de son ouvrage, l'auteur récapitule ses théories sur l'éducation et les replace dans le contexte national-socialiste.

(Robert Steuckers).

   

 

 - Bibliographie: pour un recencement complet des écrits de Krieck, cf. Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989 (3ième éd.). Nous recensons ci-dessous les principaux livres de l'auteur: Persönlichkeit und Kultur. Kritische Grundlegung der Kulturphilosophie, Heidelberg, 1910; Lessing und die Erziehung des Menschengeschlechtes, Heidelberg, 1913; Philosophie der Erziehung, Iéna, 1922; Menschenformung. Grundzüge der vergleichenden Erziehungswissenschaft, Leipzig, 1925; Bildungssysteme der Kulturvölker, Leipzig, 1927; Deutsche Kulturpolitik?, Francfort s.M., 1928 (2ième éd., Leipzig, 1936); Staat und Kultur, Francfort s.M., 1929; Nationalpolitische Erziehung, Leipzig, 1932; Völkisch-politische Anthropologie  (3 vol., 1936, 1937, 1938; vol. I, Die Wirklichkeit;  vol. II, Das Handeln und die Ordnungen;  vol. III, Das Erkennen und die Wissenschaft); Leben als Prinzip der Weltanschauung und Problem der Wissenschaft,  Leipzig, 1938; Mythologie des bürgerlichen Zeitalters, Leipzig, 1939; Volkscharakter und Sendungsbewußtsein. Politische Ethik des Reichs, Leipzig, 1940; Der Mensch in der Geschichte. Geschichtsdeutung aus Zeit und Schicksal, Leipzig, 1940; Natur und Wissenschaft, Leipzig, 1942; Heil und Kraft. Ein Buch germanischer Weltweisheit, Leipzig, 1943.

 

- Sur Krieck: W. Kunz, Ernst Krieck. Leben und Werk, 1942; Georg Lukacs, Die Zerstörung der Vernunft, 1962 (l'éd. originale hongroise est parue en 1954); E. Thomale, Bibliographie v. Ernst Krieck. Schriftum, Sekundärliteratur, Kurzbiographie, 1970; K. Ch. Lingelbach, Erziehung und Erziehungstheorien in national-sozialistischen Deutschland, 1970; Gerhard Müller, Ernst Krieck und die nationalsozialistische Wissenschaftsreform, 1978; Jürgen Schriewer, «Ernst Krieck», in Neue Deutsche Biographie, 13. Band, Duncker & Humblot, 1982; Giorgio Penzo, Il superamento di Zarathustra. Nietzsche e il nazionalsocialismo, 1987, pp. 312-318; Léon Poliakov & Josef Wulf, Das Dritte Reich und seine Denker, 1989 (2ième éd.).

vendredi, 16 octobre 2009

"Potlatch": succès posthume d'une revue

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

«POTLATCH»: SUCCES POSTHUME D'UNE REVUE

 

Ceux qui n'entendent pas se noyer dans la littérature “pataphysique” et veulent garder un regard serein et lucide sur le jeu social de notre belle société fin de siècle liront avec profit la reproduction d' une revue dont Guy Debord était l'un des principaux rédacteurs Potlatch. Cet auteur était encore bien jeune mais cela ne l'empêchait pas d'afficher un style déjà très particulier.9782070401345.jpg

 

Ce livre qui en résulte est d'abord un témoignage sur une époque: celle de la reconstruction de l'après-guerre qui marque aussi le départ de ce que l'économiste Jean Fourastié a nommé d'une expression depuis passé à la postérité  —“Les trente glorieuses”—  époque pendant laquelle l'économie occidentale a connu une croissance jusqu'alors inédite dans l'histoire de l'humanité.

 

Mais cet ouvrage est également l'aventure d'un groupe contestataire qui allait beaucoup faire parler de lui: c'est “la bande à Guy Debord”, nommée d'abord “Internationale lettriste”, scission de la gauche lettriste intervenue en 1952 et qui ensuite allait devenir la fameuse “Internationale Situationniste”.

 

Potlatch était envoyé gratuitement à des adresses choisies par sa rédaction, et à quelques-unes des personnes qui sollicitaient de le recevoir. Il n'a jamais été vendu. Potlatch fut à son premier numéro tiré à cinquante exemplaires. Son tirage, en augmentation constante, atteignait vers la fin environ 500 exemplaires. Ce bulletin paru 27 fois, entre le 27 juin 1954 et le 5 novembre 1957. Debord et ses amis allaient ensuite s'exprimer dans d'autres revues de l'Intemationale Situationniste (1).

 

Au premier abord, cela parait proprement incroyable qu'un bulletin gratuit et au tirage aussi modeste connaisse une pareille notoriété posthume, grâce à de gros tirages d'abord en 1985 par Gérard Lebovici puis maintenant par des éditions de poche (10 à 15.000 exemplaires au minimum). Oserions-nous imaginer pareil sort pour la collection de “Nouvelles de Synergies Européennes”!

 

A sa première lecture, on est d'abord surpris par l'originalité de ses prises de position et on s'interroge pour savoir comment dans les années cinquante, dans le petit monde parisien, on pouvait ne pas s'extasier devant la politique américaine, la construction des grands ensembles et des grands magasins, l'avènement de la consommation, des médias et des sports de masse et les élucubrations d'Elvis Presley. Une croissance économique exponentielle, des loisirs en pleine explosion et des syndicats assez consensuels pour obtenir un bout de gras de la bête qui grandit... bref le bonheur pour tous dans cette machine à faire l'Occident qui tourne à plein régime... Il leur en fallait donc du courage ou bien alors de l'inconscience pour défier dès 1954 ce qu'ils appellaient déjà notre “sinistre civilisation occidentale”. Et surtout une incroyable dose de lucidité et une méfiance instinctive face à l'idéologie du progrès véhiculée par le capitalisme libre-échangiste mettant en place l'univers, le nôtre maintenant, qui se profilait alors à l'horizon à grands pas.

 

Raymond Aron, Henri Michaux, Camus, Sartre, Simone de Beauvoir, Mauriac, Malraux, Le Corbusier, Quéneau mais aussi le Parti Communiste, la bourgeoisie ou l'art abstrait, aucune des vedettes de la société du spectacle qui se met en place ne sont épargnées par le démasquage judicieux des situationnistes si prompts à dénoncer la chape de plomb faite de bêtise et de conformisme qui commence à s'abattre sur la société et dont bien peu arrivent à percevoir les mécanismes par lesquels les impostures finissent par occuper le devant de la scène. Leurs adversaires les accusent d'être purement nihilistes. Je pense qu'il ne faut pas être aussi catégorique et que derrière cette apparence, on peut deviner un solide bon sens qui lutte avec les moyens du bord sans avoir aucune possibilité concrète de résister autrement.

 

C'est ainsi qu'en dehors de toutes leurs exécrations, nous retrouvons tous ces florilèges judicieux qui ne peuvent que nous réjouir: «Même les plus imbéciles meneurs des bourgeoisies européennes comprendront plus tard à quel point les succès de leur “indéfectibles alliés” les menacent, les enferment dans leur contrat irrévocable de gladiateurs mal payés de l'“American Way of Life”, les condamnent à marcher et à crever patriotiquement dans les prochains assommoirs de l'Histoire, pour leurs quarante-huit étoiles légèrement tricolores». Nous voyons en 1997, où nous en sommes dans le cadre de la politique mondiale imposée par les Etats-Unis.

 

Ensuite leur lucidité n'est pas moindre dans le domaine de l'urbanisme qui bouleverse la société: «Nos ministres et architectes urbanistes ont mis au point quelques taudis-types, dont les plans servent aux quatre coins de la France [...] .Dans leurs œuvres un style se développe, qui fixe les normes de la pensée et de la civilisation occidentale du vingtième siècle et demi. C' est le style “caserne” et la maison 1950 est une boîte.[...] Les casernes civiles qui s'élèvent à leur place ont une laideur gratuite qui appelle les dynamiteurs».  C'est exactement ce que le système lui-même est arrivé à faire avec certaines grandes tours (tours des Minguettes à Vénissieux et aussi en banlieue parisienne par exemple). Avec leur regard d'une acuité étonnante, ils devinaient déjà le futur problème des banlieues lorsqu'ils notaient: «L'aspect morne et stérile de la plupart des quartiers nouveaux»  pouvant produire des effets psychologiques sur les populations amenées à y habiter. Ils ne pouvaient donc mieux dire. En dehors de la rationalité marchande à l'œuvre, ils nommaient responsables les architectes, larbins des ministres qui acceptaient de faire ces basses œuvres à cause de: «leur pauvreté spirituelle et créatrice, leur manque total de simple humanité».

 

Enfin pour “enrober” ce beau monde, l'alliance de l'humanitarisme et du show-business parachève l'édifice pour endormir le bon peuple. Le commentaire sur Chaplin dans le rôle du Bernard Koutchner de l'époque et de l'abbé Pierre (déjà) intitulé “Flic et curé sans rideau de fer” mérite d'être cité dans son intégralité: «Chaplin en qui nous dénoncions dès la sortie tapageuse de Limelight [comme] “l'escroc aux sentiments, le maître chanteur de la souffrance” continue ses bonnes œuvres. On ne s'étonne pas de le voir tomber dans les bras du répugnant abbé Pierre pour lui transmettre l'argent “progressiste” du Prix de la Paix. Pour tout ce monde, le travail est le même: détourner et endormir les plus pressantes revendications des masses. La misère entretenue assure ainsi la publicité de toutes les marques: la Chaplin's Metro Paramounty gagne, et les Bons du Vatican». Par la suite cette pensée alors assez réactive allait donner naissance aux chefs d'œuvre de la pensée situationniste.

 

L' univers décrit par Potlatch  est exactement le même que celui qu'en 1981 le cinéaste libertaire Rainer Werner Fassbinder racontait dans son sublime film Lola, histoire d'une femme allemande  où justement en 1957, à Cobourg, petite ville du nord de la Bavière, se déroulait sous le regard acerbe du réalisateur le spectacle cruel d'une société qui déjà subissait les dégâts causés par le libéralisme américain en train de s'imposer dans cette Allemagne de la reconstruction: arasement des valeurs traditionnelles, prostitution généralisée et corruption des élites politiques, administratives et économiques. Les situationnistes n'employaient pas le mot de “corruption” sans doute pas encore passé dans le vocabulaire courant comme c'est la cas actuellement et sans doute parce qu'ils estimaient aussi que, dans son essence, même le système porte les germes de ce phénomène.

 

Bien entendu dans sa préface de 1985, Guy Debord ne cachait pas sa délectation d'assister au triomphe de ses thèses: «On sait aussi que personne, en dehors de l'Internationale situationniste, n'a plus jamais voulu formuler une critique centrale de cette société, qui pourtant tombe autour de nous; déversant en avalanche ses désastreux échecs, et toujours plus pressées d'en accumuler d'autres».  Nous voyons où nous en sommes aujourd' hui... Pour les raisons contenues dans cette phrase, il n'est pas inutile de lire ce livre et par là même d'un peu mieux comprendre le monde d'aujourd'hui.

 

Pascal GARNIER.

 

(l) Dans une prochaine livraison nous rendrons compte du volume paru chez Fayard, qui reproduit en fac-similé la revue de l'Internationale Situationniste.

 

Guy DEBORD présente Potlatch 1954-1957. Edition augmentée. Paris, Gallimard/Folio, n°2906, Octobre 1996, 291 p., 32 FF.

 

lundi, 12 octobre 2009

Vicomte Louis de Bonald

 

Louis_de_Bonald.jpgLOUIS-GABRIEL-AMBROISE,

VICOMTE DE BONALD

Biography


The French statesman, writer, and philosopher, Louis Vicomte de Bonald belongs to the theologist school of the Traditionalists. Bonald was born on October 2nd, 1754 at Monna, near Millau a town in the Rouergue region (Aveyron) of southern France, into an aristocratic family. He studied at the Oratorian Collège de Juilly. As an aristocrat, military service was expected, so in 1773 he joined the king's musketeers. The musketeers were dissolved in 1776 by Louis XVI, thus freeing Bonald of his military duties. So he returned to his own province, where he became involved in public affairs. He was elected mayor of Millau in 1785, and in 1790 chosen member of the departmental Assembly for Aveyron.


During the early phases of the French Revolution he directed his efforts at the local and regional level to maintain order. Even after the National Assembly abolished the aristocracy, Bonald was reelected as mayor and then elected to the departmental assembly. The turning point in Bonald's relation to the Revolution came with the Civil Constitution of the Clergy, which subordinated the Catholic Church to the new national government. Bonald believed it wrongly stripped the Church of its position in society. By refusing to force the clergy to take the oath of allegiance, Bonald disqualified himself from holding public office, though he was still largely supportive of the Revolution. By October 1791, however, Bonald had joined the counterrevolution and had emigrated from France. Hoping to overthrow the Revolution from without, he became a soldier in the army of Condé, and, when the army was disbanded, retired to Heidelberg, where he took charge of the education of his two elder sons.


Bonald published at Constance, in 1797, his first work: "Théorie du pouvoir politique et religieux", which was suppressed in France by order of the Directory. In 1797 Bonald returned to France under the name of Saint-Séverin, and published "Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre social" (1800); "Du divorce" (1801); and "La législation primitive" (1802). He also collaborated with Chateaubriand and others in the "Mercure de France", contributing several articles which were published in book form with other studies in 1819 under the title "Mélanges littéraires, politiques, et philosophiques".


His hiding continued until 1802, when he received a pardon from Napoleon. Later, Bonald entered the Napoleonic government, serving on the Great Council of the Imperial University. In 1808 he declined to be a member of the Council of the University, but finally accepted in 1810. He refused to take charge of the education of the son of Louis Bonaparte, King of Holland, and of the King of Rome, the son of Napoleon I.


After Napoleon's abdication in 1814, Bonald quickly joined the restoration monarchy of Louis XVIII. A monarchist and royalist by nature and by principles, Bonald welcomed the restoration of the Bourbons. He was appointed a member of the Academy by royal decree in 1816. He was elected to the Chamber of Deputies, the lower house of the national legislative body. From 1815 to 1822 he served as deputy from Aveyron, and in 1823 became a peer of France. He then directed his efforts against all attempts at liberalism in religion and politics. The law against divorce was proposed by him in 1815 and passed in 1816. He took a prominent part in the law of 1822 which did away with the liberty of the press and established a committee of censure of which he was the president. In 1815 he published his "Réflexions sur l'intérêt général de l'Europe"; in 1817, "Pensées sur divers sujets" in 2 vols. 8 vo. (2d., Paris, 1887); in 1818 "Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaisances morales"; in 1827, "Démonstration philosophique du principe constitutif des sociétés". Meanwhile he collaborated with Chateaubriand, Lamennais, and Berryer, in the "Conservateur", and later in the "Défenseur" founded by Lamennais. Bonald continued to serve under the next monarch, Charles X.


Bonald refused to serve under Louis Philippe, who had come to power in the Revolution of 1830. In 1830 he gave up his peerage and withdrew to his country home to lead a life of retirement in his native city. — "There is not to be found in the long career", says Jules Simon, "one action which is not consistent with his principles, one expression which belies them." He died in Paris, 23 November, 1840.

Introduction

A number of thinkers have endeavored to comprehend the nature of modernity. Their analyses differ, but many thinkers agree about key points on the road to modernity: the Renaissance, the Reformation, the Scientific Revolution, to name a few. To understand the modern world one has to exmine one of those periods: the French Revolution. To some, the Revolution heralded political liberalism with cries of "liberté, egalité, and fraternité." To others, the Revolution signified the rejection of the West's heritage of the past two millennia. As the Revolution was occurring, a number of thinkers sensed its challenge to the old order (not only politically, but more importantly, philosophically). Louis De Bonald described the political problems of the Revolution. In doing so, however, he also developed a theory of language, interrelating with his theory of government. According to de Bonald, man is essentially a social being or, as Aristotle said, a zoon politicon. His development comes through society; and the continuity and progress of society have their principle in tradition. Since language is the instrument of sociability, speech is as natural to man as is his social nature itself. Language to Bonald meant the entire system of communication, not only words but syntax and relation of words. Man cannot think without language. Hence, language could not have been discovered by man, for "man needs signs or words in order to think as well as in order to speak"; that is "man thinks his verbal expression before he verbally expresses his thought"; but originally language, in its fundamental elements together with the thoughts which it expresses, was given him by God His Creator (cf. Législation primitive, I, ii). This thought is the basis for Bonald's claim that language ultimately had a divine source. This claim rests upon his argument that if thought and language are co-dependent, one cannot begin without the other. Then to start the language process, some outside idea is necessary. If this is the case, language serves as a type of apologetic for the existence of God as the originator of language. Such an apologetic would not be airtight, and it might only demand a deistic first cause. Still, it is a large and important claim. The evolutionist claim is that through chance developments over time, the appearance of design can develop. To evolutionists, the evolution of language fits nicely into their account of the evolution of life and perception.


The above mentioned fundamental truths, absolutely necessary to the intellectual, moral, and religious life of man, must be first accepted by faith. They are communicated through society and education, and warranted by tradition or universal reason of mankind. Society, state and law are of divine origin and therefore subject to religion and the church. There is no other basis for certitude and there remains nothing, besides tradition, but human opinions, contradiction, and uncertainty (cf. Recherches philosophiques, i, ix).

vendredi, 09 octobre 2009

G. Gentile: un filosofo en el combate

gentile.jpgGiovanni Gentile: un filósofo en el combate

por Primo Siena ( http://www.arbil.org )

Asesinado en abril de 1944, en el clima de odio que envenenaba entonces a una Italia percutida por una trágica guerra civil, Giovanni Gentile, filosofo del "idealismo actual", ha recobrado un insospechado interés intelectual después de haber padecido de un largo olvido motivado por sectarias exclusiones.

Una muerte anunciada

En el verano bochornoso del 1943, Giovanni Gentile - encerrado en el pueblo campesino de Troghi, en los alrededores de Florencia, escribe en pocos meses Génesis y estructura de la sociedad, obra que lleva como subtítulo Ensayo de filosofía y que termina con un XIII° capítulo titulado La Sociedad trascendental, la muerte y la inmortalidad.

 

Se trata de una conclusión impresionante, después de profundas reflexiones desarrolladas en los capítulos anteriores sobre el Estado, la Historia y la Política.

 

En el último párrafo, hablando de la muerte el filósofo escribe: "La muerte es un hecho social. Quien muere, muere con respeto a alguien. Una absoluta soledad - que es algo imposible - non conoce la muerte, porque no realiza aquella sociedad de la que la muerte representa la disolución".

 

Terminado el libro, Gentile regresa a Florencia en los primeros días de setiembre; y mostrando el manuscrito a un amigo antifascista (Mario Manlio Rossi, también filósofo) exclama: "Vuestros amigos ahora pueden matarme. Mi tarea en esta vida ha terminado". Palabras que suenan como un siniestro presagio de una muerte presentida y anunciada, que se cumplirá trágicamente pocos meses después.

 

Un clima político sombrío, cargado de dramática incertidumbre, abrumaba la Italia de entonces, involucrada desde el año 1940 en la segunda guerra mundial.

 

Mussolini, relevado del poder por un golpe palaciego autorizado por el rey Victor Emmanuel III° el 26 de julio, había sido reemplazado por el mariscal Pietro Badoglio, quien estaba solicitando un armisticio a los angloamericanos, anunciado públicamente el 8 de setiembre de 1943. Aquel armisticio, pedido sin previo aviso a la aliada Alemania - y definido sucesivamente por el propio general H.D.Eisenhower "un negocio sucio" - causó la partición de Italia en dos bandos: uno monárquico, encabezado por Badoglio con una coalición de seis partidos antifascistas en el sur de Italia bajo dominación militar angloamericana; el otro de signo republicano-fascista, denominado República Social Italiana (RSI) y liderado por Mussolini recién rescatado de prisión, bajo el alero militar alemán, en el resto de Italia.

 

Todos estos acaecimientos impactan profundamente a Giovanni Gentile. Especialmente el armisticio, que él consideró más bien una rendición incondicional como era en verdad, lo inducía a preguntarse: "¿Por cual Italia podemos vivir, pensar, enseñar, escribir? ¡Cuando la patria desaparece, nos falta el aire, el aliento!"

 

Después de un encuentro con Mussolini - en noviembre de 1943 - Giovanni Gentile asume la presidencia de la Academia de Italia en representación del gobierno de la RSI, mientras el territorio italiano es campo de batallas entre ejércitos extranjeros. En una carta a la hija Teresita, motiva su grave decisión escribiendo: "Hay que marchar como dicta la conciencia. Esto es lo que he predicado toda mi vida. No puedo desmentirme ahora, cuando estoy para terminar mi camino; rehusarse habría sido suprema cobardía y demolición de toda una vida".

 

Coherente con esta postura, el 19 de marzo de 1944 - impulsado por el mismo sentimiento de piedad patriótica que lo había llevado a pronunciar un fuerte discurso en el Campidoglio de Roma el 24 de junio de 1943 - Gentile habla nuevamente a la nación italiana para celebrar el bicentenario del filósofo Juan Bautista Vico. Dejando de lado todo sofisma prudencial, él denuncia una vez más el peligro de una disolución espiritual que acabaría con pulverizar la unidad moral del pueblo logrando así un desastre social mucho más grave que las destrucciones materiales producidas por la guerra total que azota a la Italia entera.

 

Concluye su magistral oración sobre el pensamiento de Vico con palabras que encierran un trágico sabor profético: "¡Oh, para esta Italia nosotros, ya ancianos hemos vivido…Por ella, si fuera necesario, queremos morir porque sin ella no sabríamos sobrevivir entre los escombros de su miserable naufragio!".

 

Veintiséis días después (el 15 de abril), un grupo comunista de guerrilla urbana ultimaba a tiros el senador Giovanni Gentile al interior de su auto, frente a Villa Montaldo, su morada en las afueras de Florencia.

 

Hora antes de caer asesinado, Gentile había abogado por la vida de algunos jóvenes antifascistas detenidos por los responsables de la seguridad interior del Estado.

 

Recibiendo su "hermana muerte" en el remolino de la guerra civil, no en la quietud del hogar rodeado de afectos familiares, el filósofo del idealismo actual sellaba socráticamente su milicia cultural sustentada por la identificación entre el pensar y el obrar, el pensamiento y la acción como el modo más coherente de practicar la identidad entre filosofía y vida.

 

Años después, el filósofo católico italiano Gustavo Bontadini, reflexionando sobre la trayectoria filosófica y existencial de Gentile, en el marco de actuación de sus últimas horas de vida, reconocerá en su muerte el cumplimiento perfecto del compromiso cultural y político de un filósofo quien había hecho de su vida una reductio artium ad tehologiam.

 

La filosofía del "Idealismo actualista"

 

La investigación filosófica de Giovanni Gentile reactualiza el idealismo de Hegel pero reformándolo según el siguiente principio básico: nada es ajeno al pensamiento.

 

No existe una dialéctica de lo pensado, sino de lo pensante; por lo tanto es una grave equivocación hacer distinciones entre pensamiento práctico y pensamiento teorético, siendo el pensamiento la actividad creadora por excelencia, actividad que coincide con el acto de pensar en cuanto acto del espíritu. El autor de este acto del pensamiento es el sujeto siempre idéntico a sí mismo, mientras que el objeto existe sólo en tanto que es pensado: momento dialéctico necesario por el cual la multiciplicidad del pensamiento pensado se resuelve en la simultánea unidad del pensamiento pensante por medio del acto creador del Espíritu. De aquí arranca la filosofía del actualismo gentiliano que es también un espiritualismo.

 

Gentile concibe el espíritu no como ser sino como actividad en la cual es inmanente toda realidad; por lo tanto nada existe que no pertenezca a la actividad del Espíritu como acto del puro pensar en su permanente y simultánea actividad. Este acto puro nunca es hecho porque siempre es acto que supera las barreras del tiempo y del espacio, creaciones del mismo Espíritu que no es estático sino dinámico en su permanente actuar.

 

Dios, la naturaleza, el bien y el mal, el error y la verdad, el pasado y el futuro no subsisten fuera del acto de pensar en el que se identifican. Para Gentile entonces ser significa conocer y conocer es identificar.

 

El Espíritu Absoluto, acto puro creador, se hace a sí mismo (autoctisi) en el proceso continuo del "acto de pensar en su actualidad", concepto expresado en italiano sintéticamente como "pensiero pensante"; y coincide con el proceso autocreativo del Yo Absoluto que se pone a sí mismo come objeto del pensamiento:"categoría única, lógica, y metafísica" a la vez; lo que no es un espejo de la realidad, son más bien el principio vivo, siempre actual del cual brota toda realidad.

 

La experiencia de los cuerpos - escribió Giovanni Gentile en el Sumario de Pedagogía como ciencia filosófica (1913-14) - no es más que una modalidad de la experiencia del pensamiento. Algunos objetos del pensamientos son cuerpos, otros son ideas, otros más son números, pero todos pertenecen al acto del pensar, son ellos mismos pensamientos".

 

En la filosofía gentiliana, los seres individuales caben como realizaciones empíricas y transitorias del Espíritu Absoluto donde el pasado siempre revive como presente y la historia misma, coincidiendo con el acto del puro pensar se identifica con la filosofía.

 

La filosofía es, por lo tanto, la más alta y completa manifestación del Espíritu: auto síntesis cumbre del pensamiento que en Gentile como en Hegel es un proceso dialéctico de tres momentos, pero en la especulación filosófica gentiliana este proceso se realiza al interior del Espíritu mismo y no en la Idea que precede al Espíritu, como acaecía en Hegel. Se trata, según Gentile, de tres momentos de una única categoría y que constituyen un único proceso espiritual.

 

El momento estético del Arte (tesis) es la expresión subjetiva que se manifiesta como "actividad pensante" en su esencia; el artista, libre y autónomo, crea un mundo que se identifica consigo mismo. El arte es moralidad que aporta serenidad quietud, catarsis purificadora de las pasiones.

 

El momento de la Religión (antítesis) constituye la expresión objetiva del proceso dialéctico del Espíritu que, alejado de sí mismo, contempla a Dios como Objeto Absoluto.

 

Finalmente la Filosofía constituye la síntesis del momento del Arte y del momento de la Religión: momento culminante del Espíritu que se realiza a sí mismo por el pensamiento y de tal modo afirma su identidad y unidad, sin pasado o futuro porque en sí mismo contiene todo el pasado y todo el futuro. La filosofía constituye entonces la conceptualización de la realidad, siendo que toda la realidad es pensamiento en acto. En ese sentido la historia es concebida siempre como historia contemporánea porque los hechos trascurridos están presentes en nosotros como hechos actuales; de aquí la definición de la filosofía de Giovanni Gentile como actualismo o idealismo actualista".

 

La catolicidad controvertida del filósofo Gentile

 

La reflexión filosófica de Giovanni Gentile - según comenta José Ferrater Mora - "es un pensar que trasciende toda mera subjetividad: es pensar trascendental y no sujeto que conoce, y meno aún sujeto psicológico". De este modo el actualismo gentiliano mediante el predominio del acto puro y absolutamente actual busca de resolver las contradicciones que plantea el pensamiento mismo (1).

 

Pero una contradicción, por lo meno, permanece por cuanto concierne la cuestión religiosa, como bien observó en su tiempo el filósofo italiano Giuseppe Maggiore; quien, con respeto del filósofo Gentile, escribió: "El Cristianismo, refutado en las primeras rígidas posiciones del inmanentismo absoluto, penetró gradualmente en su pensamiento con una ansiedad insaciable, como una necesitad de liberación. Él pensó y vivió como hombre justo - vir iustus - en el sentido veraz del Cristianismo, lo cual enseña que para vivir dignamente hay que saber morir"(2).

 

Con respeto del problema religioso, las polémicas hacia Gentile y su idealismo actualista no fueron pocas. A pesar de haber confesado públicamente su adhesión a la religión católica, su posición religiosa fue considerada cuanto menos heterodoxa.

 

Un año antes de su trágica muerte, dictando en Florencia una conferencia titulada "Mi religión" Gentile proclamó: "Repito mi profesión de fe, guste o no guste a quien me está escuchando: yo soy cristiano porque creo en la religión del espíritu. Pero, para fugar todas dudas, quiero agregar: yo soy católico".

 

Después de haber negado que la religión pueda ser un asunto privado, como sostienen los reformadores luteranos, Gentile destacaba el carácter jerárquico y social del catolicismo del cual aceptaba hasta las formulaciones dogmáticas: "Lo que la Iglesia Católica quiere enseñar es digno de ser recogido en todos sus dogmas por parte de cada espíritu cristiano, consciente de que la revolución obrada en el pensamiento y en la vida del hombre por el Evangelio, es un descubrimiento de la vida del Espíritu".

 

Ahondando en su concepto de la religión afirmaba, mas adelante: "El acto del espíritu nunca será puro arte, ni pura religión, porque la sola religión que se da es aquella que se celebra en la efectiva vida del espíritu, donde todo su vigor se manifiesta en la síntesis del pensamiento. Por lo tanto la religión se alimenta y cultiva en la inteligencia, fuera de la cual se disuelve y desvanece (…). La religión crece, se expande, se consolida y vive en la filosofía que elabora sin cesar el contenido inmediato de la religión y lo introduce en la vida de la historia (…). Se quiera o no, la religión tiene que atravesar el fuego del pensamiento para no quemarse las alas que la sustentan en su vuelo hacia Dios".

 

Esta confesión pública, más que una profesión incondicional de fe católica, en palabras de Gentile resultaba la confesión de fe en un catolicismo personal, propio en la medida en la que el filósofo lograba repensar por su cuenta los conceptos de la doctrina católica; lo que constituye la modalidad propia de la filosofía actualista de vivir una doctrina: esto es, pensarla para vivirla.

 

Comentando el asesinato del filósofo, Armando Carlini, anotó: "Gentile, el gran defensor de la inmanencia y de la historicidad del espíritu, ha vivido toda su vida en una esfera de valores trascendentales, más allá del mundo pequeño, donde los hombres hacen la historia".

 

Por otra parte, un antiguo alumno de Gentile, Mario Casotti, después de haber superado los limites del pensamiento actualista alcanzando las riberas de la filosofía aristotélico-tomista, había destacado como el idealismo moderno, a pesar de sus errores particulares, hubiera logrado asimilarse con el realismo ideal de la filosofía clásica por medio de la concepción gentiliana del Espíritu como Acto Puro, porque - había observado oportunamente Casotti - "el Acto sin mixtura de potencialidad" (esto es: Acto Puro), desde Aristóteles en adelante es el Ser Absoluto: es decir Dios".

 

Giovanni Gentile representa la paradoja de una sincera fe católica conviviente con una filosofía poco compatible con la ortodoxia del catolicismo; pero compatible con el catolicismo (y con el espíritu italianísimo de Pio XII°, como bien anota Piero Vassallo, filosofo italiano de corte tomista) era la idea de pacificación política y civil profesada casi proféticamente en los tiempos últimos de su existencia: El hecho que muchos entre los más destacados discípulos de Gentile (pienso sobretodo en Armando Carlini y en Michele Federico Sciacca) hayan recorrido un itinerario filosófico que alcanzó un éxito católico, hace pensar en la existencia de un filón místico en Giovanni Gentile; lo que inducía al franciscano Padre Agostino Gemelli, rector de la Universidad católica de Milán, a escribir en la Rivista di Filosofia Neoscolastica (Junio de 1944), lo siguiente: "La barbara muerte ha truncado una posible evolución ulterior del pensamiento gentiliano, que en sus últimos años se había abierto más hacia una visión del Cristianismo auténtico"

 

El controvertido catolicismo de Giovanni Gentile fue considerado, además, por el filosofo católico Gustavo Bontadini un testimonio de aquella reductio artium ad theologíam postulada por San Buenaventura y que aflora también en la dialéctica del idealismo actualista cuando postula el pasaje desde el filosofar hacia el vivir concebido como una plena participación a la vida del Espíritu que busca Dios - el Dios Uno y Trino - y se deleita en Él.

 

Se trata de un ansia especulativa en la que se asoma el alma del creyente atraído por su voz interior y que anhela el privilegio de la sublime fulguración divina, perseguida durante toda una vida a lo largo de un interminable camino hacia Damasco, para alcanzar la luz de la revelación cristiana. Y por esa ansia fervorosa que acompañó a Giovanni Gentile en toda su vida, me atrevo a pensar que el bautismo cristiano en las aguas, recibido por él al nacer por elección de sus padres católicos, tuvo su misteriosa y providencial confirmación en el bautismo de la sangre al morir.

 

El humanismo para los nuevos tiempos

 

En su obra Reforma della scuola in Italia (1932), Giovannji Gentile afirma:

 

"El cuerpo humano es a base de toda nuestra actividad espiritual porque el hombre es el único ser viviente capaz de desarrollar el acto puro de pensar".

 

En el pensamiento reside entonces la misma realidad existencial del hombre, según la filosofía gentiliana interpretada sucesivamente como una expresión de un existencialismo positivo por Vito A.Bellezza y como un peculiar espiritualismo personalista por Francesco La Scala.

 

Coherente con esta arquitectura especulativa, en su último ensayo de filosofía practica escribió: "La política es una actividad inmanente el espíritu human. Por lo tanto quien, sinceramente y conociendo el significado de la palabra, se propusiera de apartarse de toda política, debería renunciar a vivir".

 

Pero la política debe nutrirse de una profunda moralidad, porque Gentile concibe la actividad política como expresión de una voluntad moral que obra en el hombre concebido como "Unidad dinámica de esencia y existencia, de cuerpo y alma, de sentimientos y pensamientos"; individuo que por ser personalidad humana dotada de experiencia concreta y de existencia histórica y social, es además voluntad universal que sustenta el reino del espíritu. Por consiguiente, la Sociedad y el Estado, según Gentile, no se manifiestan Inter homines sino In interiore homine. Para el filósofo del actualismo, en el individuo concreto se manifiesta la autoconciencia que resume en sí misma el espacio, el tiempo y la naturaleza. Por consiguiente en el individuo coincide la comunidad universal al interior de la cual el yo convive siempre con un alter, un socius que hace del yo un nosotros: términos inseparables y que borran todas diferencias entre ellos, porque yo y nosotros - afirma Gentile - somos unos mismos dentro del Sujeto Único y Absoluto que forma la sociedad ideal definida como Sociedad trascendental: síntesis espiritual de todos los moldes particulares y históricos de la vida asociada.

 

El soporte socio-político de esta sociedad trascendental - dibujada en Génesis y estructura de la Sociedad - es el humanismo del trabajo definido como el humanismo de los nuevos tiempos que, después del humanismo literario y filosófico, se abre para abarcar toda forma de actividad del hombre, permitiendo que se le reconozca al trabajador la misma alta dignidad reconocida que el hombre intelectual había descubierto en el pensamiento: cumbre de su voluntad y libertad.

 

"El ciudadano - escribió Gentile con un cautivante lirismo - no es el hombre abstracto de la clase dominante, porque más culta o más adinerada, ni es el hombre que para saber leer o escribir domina el instrumento de una ilimitada comunicación espiritual. El hombre real es el hombre que trabaja, porque en verdad el valor está en el trabajo; y por su trabajo, diferenciado según su calidad y cantidad, el hombre vale lo que vale".

 

Aquí radica la diferencia abismal entre el humanismo gentiliano y el utopismo marxista, que siempre ha repudiado la división del trabajo social.

 

Gentile, además, nunca ha admitido la escisión entre el interés particular y el interés común, siendo el hombre, según él, un ser entero y concreto, éticamente concebido.

 

Con el humanismo del trabajo, Gentile perfecciona y sella su polémica juvenil con el marxismo abierta en su años mozos (1897) con un ensayo crítico sobre el materialismo histórico donde había destacado el error central de Karl Marx: haber postulado una revisión morfológica del hecho, donde sólo el hecho relativo sería cierto de forma absoluta.

 

De este modo -observó Gentile - Marx había expulsado el absoluto de Hegel por carecer de la relatividad, olvidando que no es posible concebir un absoluto que carezca de algo. Además - comentaba aún Gentile - el hecho no puede ser objeto de especulación filosófica, come Marx pretendía, siendo el hecho algo pertinente solo a la experiencia, y por lo tanto pertinente a la historia pura que -como muchos saben - se ocupa sólo de lo que ha acaecido y que, por consiguiente, no cabe en la filosofía de la historia.

 

Aquí - anotaba Gentile - Marx confundió la forma con el contenido, atribuyendo al segundo las características de la primera. En esta confusión reside el gravísimo error especulativo del pensamiento marxista.

 

En la sociedad configurada por el humanismo del trabajo, Gentile ha dibujado un proyecto socio-político, donde la libertad no debe negar la autoridad, ni la autoridad desconocer a la libertad, siendo vital la síntesis de ambos valores para que el trabajador pueda elevarse a la dignidad ética del artífice; quien - con el propósito de desmaterializar a la materia - se hace, además de faber fortunae suae, también faber sui ipsius: fautor - esto es - no solamente de su suerte sino de sí mismo, según una lección de transparente raíces agustinianas.

 

El filósofo destacaba así la exigencia de dignificar éticamente toda actividad humana para resolver, de una vez, las seculares divergencias entre teoría (cultura) y praxis (producción), capita y trabajo, capitalistas y proletarios, sociedad y Estado versus individuo.

 

Aquí la filosofía de Gentile que, en sus inicio, se desarrolló centrándose principalmente entorno a la noción del acto puro, se concluye haciendo del hombre - protagonista del pensamiento pensante - el eje central de su arquitectura especulativa ; y desde esa audaz postura, él había osado declarar en el discurso del Campidoglio (junio de 1943) - anticipando su teoría sobre el humanismo del trabajo - que los comunistas de entonces no se daban cuentas de ser simplemente unos "corporativistas impacientes".

 

¡Ahora bien! Aquella atrevida afirmación - a la luz de los acontecimientos del último decenio del siglo veinte - resulta una profecía igualmente audaz y acertadamente inactual porque proyectada hacia un futuro cercano, en tiempos en los cuales una fiebre libremercadista, después del derrumbe catastrófico del marxismo leninismo está reemplazando a la utopía comunista en un mundo inquieto que anhela aún a una mayor justicia moral y social, en una sociedad del mañana sustentada en valores espirituales y afirmada en principios trascendentes y no en un pragmatismo socioeconómico satisfecho sólo por éxitos materiales.

 

Vigencia y sentido del pensamiento gentiliano

 

A pesar de haber redactado la parte filosófica del capítulo dedicado a la voz fascismo en la Enciclopedia Italiana, en conjunto con Mussolini autor de la parte histórico-programática, Giovanni Gentile no alcanzó la ambición de ser el filósofo oficial del régimen fascista italiano porque su poder se fue políticamente debilitando desde los años treinta hasta el dramático 1943. Sin embargo, el hecho de que fuese el filósofo más destacado de la Italia fascista de entonces y su gran organizador cultural, que hubiera permanecido al lado de Mussolini por toda la vida, constituyó siempre un problema inquietante para la cultura italiana antifascista y post-fascista: por esa misma razón el recuerdo de Gentile padeció por largo tiempo injustas y sectarias exclusiones.

 

Preguntándose porque Giovanni Gentile fue fascista, Piero Melograni ya en el lejano 1984 observaba que la opción política del filósofo era implicita en todo su itinerario intelectual.

 

A su vez, Aldo Lo Schiavo destacaba que postulando la identidad entre ley y libertad, individuo y Estado, Gentile encontró en el fascismo mussoliniano la última forma de un nulo concepto de libertad, hija del siglo diecinueve: Esta sería la razón por la cual el mismo Gentile consideraba la necesitad de la crítica y de la oposición como una necesitad dialéctica imprescindible también en el fascismo, que por lo tanto aparecía al filósofo no una ideología o un sistema cerrado, sino más bien un proceso histórico y un proyecto ideal en perpetuo desarrollo (3).

 

Aquí cabría - más allá de la misma generosidad, que fue un dato peculiar de su persona - también la explicación intelectual de la actitud comprensiva y tolerante hacia sus adversarios políticos; sobre todo hacia destacados intelectuales israelitas víctimas - como él mismo confesó - de "una infeliz fatalidad política".

 

Estas generosas actitudes personales todavía no absolvieron a Gentile del delito de haber sido un fascista; delito considerado imperdonable por parte de un sectarismo prepotente que arrinconó en poco reductos académicos la obra filosófica de Gentile, a lo largo de más de medio siglo, llegando al extremo de negar en la Escuela Normal Superior de Pisa el recuerdo de veinte años de intenso y proficuo magisterio gentiliano.

 

Pero la paciencia de la historia ha ido despejando, de a poco, las nieblas envenenadas por las sectas ideológicas, permitiendo que se asomara paulatinamente la deuda conceptual que la cultura italiana y europea tiene con Giovanni Gentile.

 

Desde 1994, cuando bajo el alero de una administración municipal de centro-izquierda, se celebró en el Campidoglio de Roma un congreso sobre el pensamiento del filósofo asesinado, la herencia de Gentile afloró como un patrimonio conceptual nada fácil, pero todavía vigoroso y merecedor por lo tanto de ser revisado por el sentido de conciencia crítica que empuja al hombre intelectual hacia la búsqueda de la verdad sub specie aeternitatis.

 

Ilustres filósofos, incluidos varios de ellos discrepantes con las posturas del idealismo actualista, reconocieron en aquel congreso la vigencia de distintos aspectos del pensamiento gentiliano, destacando entre otros el concepto de organicidad: condición implícita en el pluralismo de las instituciones y en las articulaciones de los cuerpos intermedios, porque Gentile ha enseñado que en el pluralismo se hace efectiva la interrelación de los elementos heterogéneos con los elementos homogéneos, todos ellos asumidos en el acto del pensar.

 

Se consideró vigente además el concepto de identidad como propuesta de conciliación dialéctica entre revolución y conservación, autoridad y libertad, libertad y deber, individuo y comunidad, Sociedad y Estado; y vigente resultó sobre todo la concepción moral de la sociedad política nutrida de valores ético-religiosos y que otorgan a la política el carácter peculiar de teología civil. Finalmente se destacó la permanente vigencia de la humanidad del hombre generoso que fue Giovanni Gentile, humanidad manifestada concretamente hacia los adversarios, y que a un paso de la muerte enfrentada socráticamente grabó el epitafio de su vida con esta palabras de bronce:"La fuerza del espíritu que está en todos nosotros, paulatinamente supera las divergencias, transforma las luchas en sendero de paz; y desde el odio - antes o después - brota el Amor".

 

Recordando este impresionante testimonio, el gentiliano Fortunato Aloi ha justamente definido a Giovanni Gentile un "filósofo sin barreras (4); quien al franquear las barreras de la vida terrenal, victimado como Sócrates por cobarde furor humano, nos dejó in extremis la más honda lección moral.

 

Una lección, frente a cual se inclina reverente también quien - como el suscrito - no asume la especulación filosófica del idealismo actualista pero reconoce en ella un profundo magisterio postfilosófico que concibe la vida como combate incesante, vocación de una milicia permanente que evoca aquella del legionario romano inmortalado por Spengler: estoicamente inmóvil, en la puerta de Pompeya, bajo la lluvia volcánica del Vesubio para no faltar a su consigna.

 

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Primo Siena

 

Notas

 

1..J.FERRATER MORA, Diccionario de F filosofía. Tomo II° (E-J)"Gentile, Giovanni". Ed.Arial, Barcelona 1994, pp. 1453-55.

 

2..G. MAGGIORE, La filosofia del Diritto in G.Gentile (en G. Gentile, la vita e il pensiero) Ed. Sansoni, Firenze 1948, p. 244.

 

3..A. LO SCHIAVO, Introduzione a Gentile. Ed. Laterza, Bari 1974.

 

4..F.ALOI, Attualitá di Gentile. Ed Diaco, Bovalino 1992.

 

lundi, 05 octobre 2009

Homo Economicus

Homo Economicus

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“The nearest buildings were almost two miles away, and formed a low belt completely surrounding the Park. Beyond them, rank after rank in ascending height, were the towers and terraces that made up the main bulk of the city. They stretched for mile upon mile, slowly climbing up the sky, becoming ever more complex and monumentally impressive. Diaspar had been planned as an entity; it was a single mighty machine. Yet though its outward appearance was almost overwhelming in its complexity, it merely hinted at the hidden marvels of technology without which all these great buildings would be lifeless sepulchres.” - THE CITY AND THE STARS. Arthur C. Clarke (1956)

Wealth has concentrated in the hands of the very few, but I reckon that Marx's explanation is only a part of the story, and I don't believe in the inevitability of class war; there are other forces at work in addition:

Wealth trajectory westward

“Brooks Adams also noted that centralized capital (the accumulation of wealth in the hands of a few inter-related families) seems to have been moving steadily West throughout recorded history. The first major accumulations are to be found in Sumer; the center of money-power then shifted to Egypt, to Greece, to the Italian peninsula, to various parts of Germany, and then to London. At the time Brooks Adams was writing (c.1900) he saw the balance teetering between London and New York, and he predicted that the decline of the English Empire would shift the balance to New York within the first half of the 20th Century. Brooks Adams had no theory as to why this Westward movement of wealth had been going on for 6000 years. He merely observed the pattern.
“The shift is still continuing, in the opinion of many. For instance, Carl Oglesby in The Cowboy vs. Yankee War, sees American politics since 1950 dominated by a struggle between 'old Yankee wealth' (the New York-Boston axis, which replaced London after 1900) and 'new cowboy wealth' (Texas-California oil-and-aerospace billionaires).” - PROMETHEUS RISING. Robert Anton Wilson (1983).

Since the 80s, Wilson and others have argued that the concentration of wealth has continued it's westward journey, crossing the Pacific to Japan and China but at the same time apparently vanishing into cyberspace.

Corporatism and Distributism

Both these theories emerged in the late Nineteenth Century as the Catholic Church's response to socialism, and I agree that both are superior (fairer and more efficient) than liberal capitalism.

Corporatism can vary from the very mild, e.g. Britain's Labour government in the late 1970s, to the idealistic full-blooded variety espoused by Alexander Raven Thomson.

“No greater mistake can be made than to regard the Corporate State as a mere mechanism of administration.
“On the contrary, it is the organic form through which the nation can find expression. Fascism is no material creed like Communism, which sets up, as its only purpose, the material benefit of the masses. Fascism is essentially idealistic, and refuses any such limitation. Fascism recognises the nation as an organism with a purpose, a life and means of action transcending those of the individuals of which it is composed.
“...it is only through co-operation with others in the organic purpose of the State that the individual can attain his highest potentiality. There is no need for any conflict between the individual and the State as neither can exist without the other. An individual exiled from the civilised communion must inevitably relapse into savagery: a State deprived of loyal co-operation with its citizens must inevitably collapse into barbarism.” - THE COMING CORPORATE STATE. Alexander Raven Thomson (1936)

Raven Thomson is describing a State with a Will. I believe that Will must be directed toward the conquest of space. All other considerations are secondary.

Automation

Growing up as a small boy in the Sixties, I vividly remember the excitement of the space race. I also remember the promise of greater automation, which would free our people from a life of drudgery and instead allow us to pursue our dreams. Like many other ideas from that scintillating decade the vision faded. It's true that less people now are involved in manufacturing – actually producing things – and the greater part of the workforce are employed in “services”, overwhelmingly financial services. We have swapped the workbench for the hot desk and office cubicle.

To my mind this is not an improvement, and I wondered who was to blame. I came to the conclusion that capitalism is essentially a control mechanism of the crudest kind; it pits each of us against all others (“the war of all against all”) in an apparent battle for survival that guarantees the preservation of an unchanging parasitical elite.

I am not an economist, which I reckon is a positive advantage because I don't accept the rules (e.g. supply and demand) upon which modern economics is based. Human behaviour is in the final analysis beyond reason and trying to make a science out of it is futile.

Also, the New Right encompasses a wide variety of economic models, from Norman Lowell's Might is Right Social Darwinism to Troy Southgate's devolved National Anarchism, so my views are not representative although they are close to Mosley's BUF policies in the 1930s. The reason why the New Right is able to hold such contradictory economic policies is because ideologically economics occupies a rather lowly rung. In Georges Dumezil's tri-partite theory of Aryan civilization, economics is “third function” (almost a natural process); whereas real politics is confined to first and second functions only.

My own economic ideas are driven by three major concerns: the necessity to maintain a technological civilization and expand into space, environmental pollution, and the general welfare of all our people in order that they can contribute fully to the Imperium. In all this it differs drastically with Marxism.

In regard to pollution/ climate change etc. I believe the best solution is along the lines of Paolo Soleri's Arcologies, where our industrial/ technological activity is effectively sealed off from the rest of the planet. These Arcologies would be very high density and imply the possibility of communal living; barracks, canteens – a bit like WW2 underground military bases – but not so gloomy. We would make huge economies of scale, and at the same time cut transport costs to virtually nil. For the few that want to try communal, organic communities, there's the land around the Arcologies to use, otherwise it will be allowed to revert to wilderness. All food for the Arcology would be produced in factories in the Arcology, and as a technological civilization (in contrast to that envisaged by Blood & Soil/ back-to-the-land enthusiasts) we would be able to defend ourselves against invasion.

It's bonkers to assume that all this can come about through the free market, let alone space exploration which has always demanded massive state funding, so I concluded that a self-sufficient planned economy is best. This command economy would have to embrace to whole of Europe, Russia and Siberia (at least) above all for racial/cultural reasons, but also because it is of sufficient extent, and with sufficient resources, to guarantee autarky.

“Men had built cities before, but never a city such as this. Some had lasted for centuries, some for millennia, before Time had swept away even their names. Diaspar alone had challenged Eternity, defending itself and all it sheltered against the slow attrition of the ages, the ravages of decay, and the corruption of rust.”

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L'essence métaphysique du paganisme

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L'essence métaphysique du paganisme

(analyse de la véritable spécificité de la pensée païenne)

 

* * *

 

Jean-Marc Vivenza

 

On le sait, mais on l'oublie trop souvent, ce sont les principes situés à la racine même des choses, qui fondent véritablement les idées génériques placées à l'origine des différentes conceptions du monde. Or ce qui distingue radicalement le paganisme du christianisme (termes qui, rappelons-le, concrètement, aujourd'hui, ne qualifient plus en Europe aucune réalité religieuse distincte puisque, que cela plaise ou non, l'histoire a conjugué non sans quelques difficultés il est vrai, ces deux dénominations en un seul destin), est une divergence majeure qui ne porte pas entre polythéisme et monothéisme (1), mais de façon irréconciliable porte sur la notion de création.

 

Ce qui spécifie, et sépare de manière catégorique le paganisme de la pensée biblique c'est leur analyse divergente au sujet de l'origine du monde, de l'origine de l'être. Si, pour les païens, le monde est de toute éternité incréé et suffisant ontologiquement, par contre, la pensée hébraique considère le monde comme résultant d'une création "à partir de rien", doctrine que la Bible place en tête de son introduction puisque le premier de ses versets nous dit, "Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre", (2). Les points de vue, les concepts païens et hébreux sont irréductibles, radicalement hétérogènes, il y a une incompatibilité foncière entre les deux approches de la question de l'existence du monde; c'est sur ce point que se trouve la véritable ligne de partage des eaux, la césure entre pensée hébraïque et pensée païenne. C'est sur ce point, et non pas sur l'allégeance exprimée à telle ou telle figure divine, à telle ou telle divinité tutélaire, dans l'attachement à Zeus l'olympien ou au Yawhé du Sinai, que se situe la divergence foncière.

 

I. Problème de la pensée religieuse.

 

On ne saurait trop insister sur ce que pourrait avoir d'illusoire l'idée, pour fonder une alternative nouvelle, qui consisterait à se rattacher à un paganisme affectif et dévotionnel, dans lequel seraient mis en concurrence et en opposition les dieux qualifiés "d'historiques", et le Dieu dit "unique" de la révélation biblique. C'est, hélas, sur cette fausse opposition, que se développa (et se développe encore...) une sorte de vague reliogisité païenne, dans laquelle est caressé l'espoir hypothétique d'un retour des dieux. Or jamais, sur ces questions, le vouloir ne peut avoir de prise, "il n'est pas possible de faire être par la volonté ou la parole les choses elles-mêmes" (3). Bien souvent, le désir d'un redéploiement d'un paganisme réel, tend à laisser penser, qu'il serait nécessaire de refaire surgir de nouveau les anciens mythes. Or, ou bien ce qui est mort est mort, et de la mort rien ne peut renaître, ou bien en réalité rien n'est jamais mort (les dieux en principe ne meurent pas...) et donc rien n'a jamais disparu, mais se trouve dissimulé sous d'autres appellations.

 

Le plus étrange dans l’examen de cette question religieuse, c'est que le paganisme finissant, nous montre une religiosité que l'on peut qualifier sans peine de préparatoire à l'avènement du christianisme, ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes. En effet, si nous regardons l'histoire avec attention, nous voyons que lorsque l'empereur Julien (361-363) tenta d'instaurer contre le christianisme triomphant, une religion à ses yeux plus conforme aux traditions gréco-romaines, il exprima sa doctrine en des termes, qui concilièrent le Sol Invictus et Attis: " Un Etre suprême, unique, éternel anime et régit l'organisme universel, mais notre intellect seul en conçoit l'existence. Il a engendré de toute éternité le Soleil, dont le trône rayonne au milieu du ciel. C'est ce second démiurge qui, de sa substance éminemment intelligente, procrée les autres dieux" (4). Ne serait-il donc pas permis de se demander sérieusement, dans quelle mesure, l'évolution des religions grecque et romaine n'a pas favorisé le triomphe du christianisme ?

 

Allons-même plus loin : si l'on étudie les choses avec réalisme, ne constate-t-on pas que dès Hésiode, qu'on le veuille ou non, la réflexion strictement religieuse des Grecs commence à ouvrir un chemin vers le monothéisme, et tente de fonder la morale sur la religion ? A Rome, la conception du Jupiter archaïque, arbitre souverain et garant de la bonne foi, attestera une orientation dans le même sens, plus instinctive certes, mais non moins évidente. Sans doute, l'entrée massive des éléments néo-platoniciens et orientaux dans la religion et la pensée hellénico-romaine rapprochera encore Athènes et Rome du christianisme futur, en fournissant un aliment mystique au désaroi du peuple, en répandant la notion de salut, en imposant, confusément encore, la conception d'un hénothéisme qui n'est pas éloigné, dans le stoïcisme, du monothéisme. Mais il est intéressant de voir que le mouvement religieux qui portait les esprits à l'époque impériale fut, dans son ensemble, plus que favorable à la pénétration du christianisme dans l'Empire. Et ce constat, doit nous porter à entreprendre une réflexion plus précise au sujet de la facilité avec laquelle le christianisme prit greffe sur le paganisme. Ceci n'est pas anodin et, disons-le clairement, jamais une religion étrangère n'aurait pu triompher si ne s'étaient pas trouvés des éléments communs à l'intérieur même du système religieux antérieur. Il n'existe absolument aucun exemple historique d'une religion s'imposant sans violence à un système étranger à elle-même, ou plutôt disons, qu'il n'existe qu'un seul exemple historique: le triomphe du christianisme à Rome sous Constantin ; voyons pourquoi.

 

Les causes de ce triomphe peuvent se résumer en quelques lignes significatives. Les cultes avaient en réalité, avec la nouvelle religion de nombreux traits identiques: la monolâtrie de fait qu'ils proclamaient, le souci de l'ascèse morale et spirituelle; autant l'admettre, quel que soit le degré d'élévation de tous ces cultes, ils répondaient tous aux mêmes besoins par les mêmes moyens. Fondés sur les notions de mort et de résurrection, de naissance nouvelle et de filiation divine, d'illumination et de rédemption, de divinisation et d'immortalité personnelles, ils prétendaient assurer aux fidèles le contact direct avec la divinité, et l'espoir d'une survie bienheureuse. Ils témoignaient en outre, par le biais d'une dévotion dirigée sur un seul dieu, d'une aspiration au monothéisme très prononcée. A l'intérieur de chaque "secte", le dieu sauveur était conçu comme supérieur à toutes les autres divinités et tendait à les éclipser. Mais il y a plus, les analogies de fond et de forme qui existaient entre tous les cultes conduisirent à penser que sous les noms d'Attis, de Mithra, etc... le même Dieu se manifestait, qu'on le considère comme le Dieu "véritable", ou comme un simple intermédiaire importait peu. Ceci explique pourquoi les tentatives prématurées d'Elagabal recevront de fait, leur consécration officielle grâce à Aurélien (270-275), qui sut habilement réaliser le syncrétisme devenu inévitable. On sait qu'il choisit pour divinité suprême Sol Invictus, dans lequel les fidèles des diverses sectes pouvaient reconnaître aussi bien Baal, qu'Attis, Osiris, Bacchus ou Mithra. Sol Invictus présentait d'autre part, l'avantage d'être assimilable à Apollon, et également à une vieille divinité romaine, Sol Indiges, dont l'origine remontait au temps mythique de la fondation de la cité. Sur cette lancée, Aurélien compléta son entreprise en faisant admettre définitivement la divinité de l'empereur vivant, considéré comme incarnation de Dieu sur la terre. En réalité la seule doctrine qui se heurta à l'antipathie du pouvoir, fut le stoïcisme qui, jusqu'à l'avènement de Marc-Aurèle, servit de refuge hautain à l'opposition.

 

Le christianisme, de son côté, héritant du judaïsme l'intransigeance des Macchabées, mit en pratique la parole du Christ: "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu" (5). Sujets loyaux de l'Empire, les chrétiens refusèrent d'encenser les dieux, et de reconnaître la divinité d'un homme, fût-il l'empereur. Leur crime aux yeux de l'Etat, fut politique et non religieux; ou plutôt, il ne fut religieux que parce que leur attitude manifestait fermement leur volonté de conserver leur foi à l'abri des contaminations du syncrétisme. En fait, l'Empire eût été prêt à accueillir le christianisme comme les autres religions, cela est si vrai, que c'est au nom même du syncrétisme et de l'intérêt de l'Etat que fut proclamée, en 313, l'égalité de la religion chrétienne avec la religion officielle par le rescrit de Licinius: "Nous avons cru, est-il dit, devoir donner le premier rang en ce qui concerne le culte de la divinité, en acordant aux chrétiens comme à tous, la libre faculté de suivre la religion qu'ils voudraient, afin que tout ce qu'il y a de divinité au ciel pût nous être favorable et propice, à nous et à tous ceux qui sont sous notre autorité" (6). Le testament religieux du paganisme gréco-romain finissant, n'était donc pas étranger au christianisme naissant, et les Pères de l'Eglise ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, qui ont vu en lui l'une des voies préparatoires que Dieu proposa aux hommes pour découvrir son visage.

 

Que l'on n'imagine pas, toutefois, en désespoir de cause, trouver dans le paganisme celto-germanique un "recours", qui représenterait un meilleur garant comparativement à l'héritage greco-latin, car la tradition nordique présente les mêmes dangers que sa soeur du sud. Les incessantes luttes fratricides entre les chefs tribaux dépourvus de toute conscience historique, la lente mais réelle disparition progressive de la classe sacerdotale (Godis), le venin intellectuel que représente l'idée d'une procession du divin d'un centre pur et inaltérable vers le dehors par une série d'hypostases et de démiurges, le sens du péché consistant dans l'éloignement du monde de son sens divin, on retrouve ici les mêmes et identiques facteurs d'une lente progression vers le Dieu unique.

 

Que nous enseignent ces faits ? Tout simplement que pour pouvoir échapper au monothéisme il convient, non pas de savoir "comment être païen" au sens religieux du terme, comme beaucoup l'ont cru et, l'imaginent malheureusement encore, mais de comprendre en quoi consiste véritablement l'essence du paganisme, non pas du point de vue religieux, mais du point de vue métaphysique, là où se situe l'authentique et irréductible divergence d'avec la pensée biblique, là où les thèses présentent une fracture, une incompatibilité foncière. Redisons-le, la religiosité n'est qu'une forme culturelle affective non autonome. Liée à un substrat collectif traditionnel, le sens religieux, par sa plasticité, peut se voir dépouillé de ses bases métaphysiques et s'adapter sans difficultés à d'autres conceptions. L'avènement du christianisme en est le plus bel exemple. Ce n'est donc pas au niveau du religieux qu'il nous faut découvrir l'essence du paganisme, mais au niveau de son essence profonde, au niveau de sa métaphysique propre, là où se déploie sa véritable nature. C'est pourquoi, il est vital d'atteindre l'essence de son ontologie, là où la question de l'être se révèle comme centrale, car c'est de ce point seulement que pourra surgir l'aurore d'un nouveau Sacré.

 

II. Le fondement de la métaphysique païenne.

 

L'originalité de la pensée païenne se situe sur un point fondamental, point qui ordonne tout l'édifice de son essence intime: le problème de l'éternité du monde, de son autosuffisance ontologique. Pour les païens, l'idée que le monde puisse avoir été créé, est une proposition absurde, incongrue, alors qu'elle est la base de la foi chrétienne, qui hérite en cela du créationisme biblique :"Credo in Deum Patrem omnipotentem creator coeli et terrae" (7). C'est là le centre, le coeur, de toutes les divergences.

 

La création, en climat théologique biblique, est une opération qui s'effectue "ex nihilo" (8), c'est-à-dire que rien ne lui préexiste, sauf Dieu bien évidemment (ce qui n'est d'ailleurs pas la moindre des incohérences de vouloir faire que la cause de l'existence des choses manque au principe même qu'elle prétend expliquer, échappant elle-même à la loi de la causalité dont on nous dit qu'elle préside à l'existence de toute chose!). Chez les païens au contraire, les dieux sont considérés comme les représentants suprêmes d'un Tout divin. Ils sont les premiers dans l'être, mais non point les premiers par rapport à l'être. Leur transcendance n'est pas reconnue, il n'existe pas de Grand Séparé; dans ces conditions, c'est au Grand Tout qu'est attribué la nécessité éternelle. Le problème pour le paganisme ne se pose qu'à partir d'une matière commune, nul ne s'avise de rechercher la cause de l'être ou du monde. Ce monde, cet être, n'a pas besoin d'autre explication que lui-même; il est nécessaire, et de cette nécessité, chez Aristote, le "Premier moteur" n'en est que le premier bénéficiaire, il n'en est pas la cause. Il meut, il actionne la machine universelle, il ne la crée pas. Son action présuppose quelque chose d'aussi nécessaire que lui, et qui représente une passivité éternelle sous son activité ou son influence.

 

Il importe cependant de réfléchir sur la validité et la crédibilité des thèses en présence ; pour ce faire, la philosophie n'a aucunement besoin des sciences physiques ou mathématiques, qui ont d'ailleurs plutôt tendance, depuis quelques années, à flirter étrangement avec la mythologie ou l'imaginaire, et à ne plus être en mesure d'élaborer un discours véritablement sérieux. D'autant que sur la question de savoir si le monde a été créé du néant ou pas, les sciences avouent humblement leur incapacité à pouvoir fournir une réponse, tant leur méthode les rend muettes sur ce sujet. La philosophie par contre, lorsqu'elle exerce son authentique faculté de jugement, dépasse en qualité, profondeur et certitude, toutes les hypothèses des disciplines fragmentaires; elle n'est pas mère de toutes les sciences pour rien!

 

La philosophie, effectivement, est capable (lorsqu'elle ne part pas de l'ego, mais du réel expérimenté en tant qu'il est, lorsqu'elle sait que le seul et véritable maître, c'est le réel), de par son jugement propre, de saisir et d'affirmer la vérité touchant l'Univers et les choses, et cette vérité est l'oeuvre de son intelligence analytique, car le réel est structuré selon un ordre et une logique qui relèvent de l'ontologie, c'est-à-dire de la science de l'être. C'est ainsi qu'avant même Nils Bohr ou Costa de Beauregard, et sans l'aide du lourd appareillage des laboratoires de physique nucléaire, on savait déjà au IVème siècle avant notre ère en Grèce, que l'espace et le temps ne sont pas des idées pures ou des catégories a priori, ni un réel consistant, antérieur aux objets qui le remplissent, mais précisément les accidents propres aux substances matérielles, dimensives et permensives.

 

III. L'être et le temps.

 

Examinons donc à l'aide de la logique analytique la thèse biblique d'une création "ex nihilo", et voyons si ce dont on nous parle, c'est-à-dire d'un état censé avoir précédé le monde, d'un état "d'avant le commencement", est une hypothèse crédible. Cet "avant le commencement" désigne un temps nous dit-on, mais de quel temps parle-t-on ? Y avait-il un temps avant le temps ? Cela n'a, pour dire les choses clairement, aucun sens, cela ne désigne rien; car il n'y a pas, et ne peut y avoir, deux temps, l'un avant où le monde n'existerait pas encore, l'autre après, le temps du monde, venant se superposer au premier comme un rail sur une voie préparée à le recevoir.

 

Si le monde est fini en arrière, il n'y a rien avant, ni temps ni autre chose. Il n'y a donc pas d'avant, il n'y a pas, et ne peut y avoir "d'avant le commencement". Pour qu'il y ait eu un moment, fut-il un moment du rien, il faut qu'il y ait quelque chose, or un moment est une position du temps, est le temps, est une mesure des choses existantes. La durée est un attribut, et la durée d'une chose ne pouvant précéder cette chose, il est clair que si cette chose est le Tout, il ne peut y avoir de durée en dehors d'elle. Un jour, nous dit-on dans la Genèse, Dieu se décida à donner l'existence au monde. Un jour! Quel jour ? Ce jour n'existe pas plus que cet "avant le commencement", il n'y a pas de durée où le loger. Le premier jour qui ait existé, c'est le premier jour du monde lui-même. Nous sommes, de ce fait, obligés d'admettre que le monde a toujours existé puisqu'il n'y a pas de jour où il n'ait pas existé !

 

La vérité, est que le temps commence avec le monde lui-même: il n'y a pas de temps en arrière; le tout du monde comprend aussi le tout de la durée. Le monde existe et a existé depuis tout le temps qui existe, il n'y a aucun temps possible où il n'ait pas existé, il n'y a pas, en toute logique, "d'avant le commencement" - le monde ne peut pas ne pas avoir toujours existé puisqu'il est. Quant à parler d'un temps "avant la création", d'un temps précédant le temps qu'inaugurerait la création, cela est une pure et chimérique imagination, une vision, un rêve enfantin. En effet, il ne peut y avoir continuité entre ce temps imaginaire et le temps réel, on ne met pas bout à bout un rêve et le réel. On ne peut faire commencer le monde qu'au début de la durée où il existe, car on ne compte les jours que de ce qui existe, ce qui n'existe pas ne peut pas se compter; il n'y a pas de premier jour pour ce qui n'a pas vu le jour: tout commencement est donc forcément une suite.

 

IV. L'être et le néant.

 

Mais poursuivons, plus avant encore, notre raisonnement, et voyons les conséquences qu'impliquent la croyance en l'hypothèse d'un temps fini en arrière, c'est-à-dire d'un temps ayant commencé après n'avoir pas été. On n'y pense peut-être pas assez, mais si le temps est fini en arrière, on est obligé de se heurter au vide et ainsi de s'imposer à un contact entre le tout et le rien. Or entre l'être et le néant, entre le tout et le rien, il ne peut y avoir contact, "du rien, rien ne vient" (9). C'est d'ailleurs l'opinion de Mélissos de Samos lorsqu'il écrit :"Ce qui était a toujours été et sera toujours (...) car rien n'aurait pu, de quelque manière que ce soit, sortir de rien" (frag., B 8), (10). Surgir du néant c'est ne pas surgir du tout puisque le néant est une pure négation; et voici cependant que l'on fait du néant un point de départ positif.

 

Le néant, "est" une pure négation d'existence, le néant "n'est" pas un état, le néant "n'est" que néant, (si toutefois nous pouvons employer le verbe "être" à propos du néant). Pour venir à l'être, ce que l'on implique en parlant d'une création, il faudrait qu'il y ait déjà de l'être, or "de ce qui n'est pas, rien ne peut surgir (...), rien ne peut être créé de rien" (11). Si l'on dit que Dieu a tiré le monde du néant, on sous-entend que du néant puisse apparaître quelque chose, mais le néant n'est pas et ne peut être un réceptacle dont quelque chose puisse être tiré. On l'a pourtant cru et enseigné! Il s'est même trouvé des théologiens chrétiens pour écrire: "le néant est une réalité, puisque Dieu en a tiré le monde" (12). Malheureusement on ne peut du néant faire succéder le monde, une succession dont un des termes est le néant est une absurdité manifeste! Du non-être à l'être, il n'y a ni proportion - ni relation possible - du néant, rien ne peut suivre. Il ne peut y avoir aucune possibilité concrète d'une création, aucun moment pour une initiative créatrice, il n'y a aucun fait nouveau qui aurait du néant avant lui. Dans le néant (si l'on peut ainsi s'exprimer), il n'y a point d'application pour une force, il n'y a ni situation ni modalité quelconque puisque le néant n'est pas, puisque le néant est la négation, l'absence totale d'être.

 

Tout phénomène, quel qu'il soit, s'explique par un antécédent d'où il procède, c'est une loi universelle intangible; donc ou bien il n'y a pas de création au sens où l'entendent les théologiens juifs, chrétiens et musulmans, et par déduction le monde ne peut pas avoir été créé, ou alors quelque chose qui n'est pas Dieu échappe à la causalité de Dieu. A cette question il n'existe qu'un remède, puisque nous ne pouvons trouver de sens acceptable au mot création, il nous faut dire (comme l'affirement toutes les traditions extérieures à la révélation biblique): l'univers n'est pas créé, il ne peut être ou avoir été créé de rien, et s'il n'a pas été créé de rien, c'est qu'il est, fut et demeurera. Il est l'être qui en tant que tel ne peut "provenir", puisque pour qu'il y ait de l'être maintenant, il faut obligatoirement qu'il y en ait eu toujours, car la vie vient du vivant, l'être vient de l'être.

 

Après avoir très rapidement souligé les difficultés relatives à la thèse créationiste, l'hypothèse d'un premier jour nous devient impensable, la précession du temps et de l'être par le néant aboutit au vide. Or le vide, dans ce cas, serait au minimum un espace ou une durée où l'on pourrait loger quelque chose; ce serait une capacité définie, avec des dimensions. Ce serait donc de l'être, car on ne peut pas dire que ce qui a des dimensions ne soit rien, il en est de même du temps.

 

Dire qu'à un moment donné le temps n'existait pas, c'est dire encore qu'il existait. Il ne peut donc pas y avoir de vide temporel à l'extrême bord de l'être, l'être ne peut être bordé par rien, ne peut se voir précéder par rien. On est toujours dans l'être, on ne peut rien supposer d'antérieur à l'être d'autre que de l'être. Dire qu'il puisse exister un état de non existence, serait jouer avec les mots: une négation n'est pas un état. Le rien n'étant rien, en affirmant que le monde fut créé du néant, on ne dit en réalité que du vent. Affirmer que le monde, le cosmos, sont créés du néant, c'est faire préexister le néant, or le néant, nous l'avons vu, ne peut en aucune façon exister ou même préexister, sous peine de cesser d'être du néant. Si le néant était, ce ne serait plus du néant. En conséquence le néant n'étant ni existant, ni préexistant, on peut en conclure que rien ne se crée ni ne se fait à partir de rien. L'être est premier, inévitablement. "L'être est, le néant n'est pas" (13), avait déjà énoncé Parménide, dans son poème qui est comme la parole aurorale de la philosophie; oui l'être est, car la création du monde à partir de rien est un mythe théologique biblique, une expression impropre à laquelle il est impossible de trouver un sens acceptable. "Ce monde, le même pour tous, ni dieu ni homme ne l'a fait, disait déjà Héraclite, mais il était toujours, il est et il sera, feu toujours vivant, s'allumant en mesure et s'éteignant en mesure" (14).

 

V. Conclusion.

 

En définitive, nous espérons être parvenu à montrer en quoi, aucun espoir sérieux d'une restauration de la pensée païenne n'est envisageable sans une interrogation fondamentale sur l'être.

 

Les éléments qui peuplent et enchantent le monde dans les religiosités païennes, ne peuvent trouver à affirmer leur vie sans une profonde compréhension des bases métaphysiques qui les sous-tendent. C'est d'ailleurs faute de cette compréhension que le christianisme a pu se développer, avec une telle facilité, parmi les populations antiques. S'il est donc nécessaire de rallumer certains feux, c'est celui de l'intelligence de l'être qui prime en premier lieu, c'est le seul qui ne soit pas symbolique et donc inutile. Si c'est à partir de l'être que pourra se déployer une nouvelle aurore du sacré, c'est que, "ce n'est qu'à partir de la Vérité de l'être que se laisse penser l'essence du Sacré" (15). La région de l'être est identique à la région du sacré, "le Sacré, seul espace essentiel de la divinité qui, à son tour, accorde seule la dimension pour les dieux, ne vient à l'éclat du paraître que lorsque, au préalable et dans une longue préparation, l'être s'est éclairci et a été expérimenté dans sa vérité" (16).

 

La question de l'être est l'unique question de la pensée, et ceci n'est pas une simple formule, car c'est elle qui commande l'ensemble de toutes les régions de l'étant, dont en premier lieu celle du sacré et donc du religieux dans lequel il s'exprime. Aborder la question du paganisme uniquement au niveau de son folklore, c'est confondre le fond et la forme. Seule l'expérience de l'être est une expérience fondatrice, qui nous permettra: " de refluer en nous-mêmes dans notre propre vérité" (17). La pensée doit rassembler notre "habiter", récapituler le pli de l'être et de l'étant, découvrir l'être comme ‘’fond de l'étant" (18), c'est-à-dire effectuer un saut dans l'être en tant que tel. Toutes les tentatives de restauration d'une religiosité païenne, sont de naïves plaisanteries si elles ne sont pas fondées sur une authentique démarche philosophique. La philosophie fut et reste, l'expression la plus achevée de la pensée digne de ce nom. Elle seule représenta un véritable obstacle aux affirmations chrétiennes, et ce n'est pas pour rien qu'il lui fallût de si longs siècles avant de pouvoir resurgir dans son autonomie, alors que dieux, déesses, elfes et fées, parvinrent rapidement à se déguiser sous les masques des saints et des apparitions, et continuent d'ailleurs toujours à y vivre fort bien.

 

L' histoire n'est rien d'autre que l'histoire de la vérité de l'être, elle est assignée à un destin en forme d'appel par delà le retrait du Sein. Si, selon la fort belle expression de Hegel, « l’'esprit du monde utilise les peuples et les idées pour sa propre réalisation » (19), l'histoire du monde est donc bien le jugement du monde. Le chemin du savoir répondant à l'essence du dire silencieux, s'accomplira comme mise en lumière de la substance invisible qui séjourne dans le temps, et ceci par delà mythes, symboles et fables de la piété affective. La pensée des choses présentes est le lieu où s'entrecroiseront occultation et dévoilement, le lieu qui livrera la mêmeté de l'être et de la pensée, selon l'intuition lumineuse de Parménide; "comme l'Etre absorbe l'essence de l'homme par la fondation de sa vérité dans l'étant, l'homme fait partie de l'histoire de l'Etre, mais seulement en tant qu'il se charge, qu'il perd, qu'il omet, qu'il libère, qu'il sonde ou qu'il dissipe son essence par rapport à l'Etre" (20).

 

Ce n'est donc, si nous l'avons bien compris, que par l'exercice d'une extrême tension de nature ontologique, que nous pourrons revenir à notre source originelle... si tant est que nous l'ayons un jour quittée!

 

* * * *

 

Notes.

 

(1) On est surpris aujourd'hui, grâce aux recherches récentes, de voir à quel point cette distinction, qui semblait fondatrice il y a peu de temps encore, n'obéit en réalité qu'à une convention de langage, tant il apparaît, en effet, que les tendances monothéistes ou hénothéistes ont travaillé en profondeur la pensée païenne (Mésopotamie, Egypte, Iran, Grèce, Rome), et influencèrent très fortement le polythéisme originaire des Hébreux en l'orientant vers une monolâtrie jalousement exclusive, tant est si bien que Misson écrit: "le monothéisme païen a bien préparé le terrain du christianisme". (cf. Lumière sur le paganisme Antique, A. Neyton, Ed. Letourney, 1995).

 

(2) ( Gen., 1, 1), Bible de Jérusalem, DDB, 1990.

 

(3) Aristote, Organon, V, Les Topiques, Vrin, 1987.

 

(4) P. de La Briolle, La Réaction païenne, vol II, 1934.

 

(5) Nouveau Testament, T. B. S., 1988.

 

(6) P. Grimal, La civilisation romaine, Arthaud, 1960.

 

(7) Ier Concile de Constantinople, (IIème oecuménique, 381).

 

(8) (11 Mac., Vll, 8), Bible de Jérusalem, DDB, 1990.

 

(9) Proclus, Commentaires sur le Timée, t. I, Belles Lettres, 1968.

 

(10) J-P Dumont, Les écoles présocratiques, Folio, 1990.

 

(11) Lucrèce, De Natura Rerum, I, 56, Flammarion, 1986.

 

(12) Fridugise de Tours, De Nihili et Tenebris, Patrol. Iat., 1526.

 

(13) Parménide, Le Poème, PUF, 1987.

 

(14) Héraclite, Fragments, PUF, 1983.

 

(15) M. Heidegger, Lettre sur l'humanisme, Aubier, 1980. (16) Ibidem.

 

(17) M. Heidegger, Essais et Conférences, Gallimard, 1990.

 

(18) M. Heidegger, Questions IV, Gallimard, 1990.

 

(19) G-H F. Hegel, Leçons sur l'histoire de la philosophie, t. III, Vrin, 1978.

 

(20) M. Heidegger, Nietzsche, t. II, Gallimard, 1991.

dimanche, 04 octobre 2009

L'univers des totalitarismes

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

 

 

L'univers des totalitarismes

 

Robert Jaulin est ethnologue et directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l'ethnocide, phénomène caractéristique de notre modernité finissante, où les peuples meurent des zones arctiques à l'Amazonie parce que la consommation facile les conduit à oublier leurs modes de vie ancestraux. Son dernier livre porte sur les origines du mode de pensée totalitaire, aujourd'hui triomphant dans notre magnifique société occidentale, aboutissement fantastique de tous les messianismes. Jaulin décrit l'esprit totalitaire comme caractéristique du monde proche- et moyen-oriental, en un mot de la culture sémitique. Le dieu jaloux d'Israël, calque métaphysique des monarques absolus mésopotamiens, assyriens et autres est bien à la base des totalitarismes, politiques, religieux ou économiques, démontre Jaulin. Le livre est diffficile mais constitue une excellente ethnologie de ce qui apparaît aux Européens comme le “non-être”. Jaulin cite des textes d'Ibn Khaldoun (1322-1406) sur les Arabes, démontrant par là même que l'irruption des cavaliers du désert arabique en zone méditerrannéenne et “romaine” a été perçue comme un choc: “En raison de leur nature sauvage, les Arabes sont des pillards et des destructeurs. Ils pillent tout ce qu'ils trouvent sans combattre ou sans s'exposer... ils sont une nation sauvage aux habitudes de sauvagerie invétérée... Mais cette attitude naturelle est incompatible et en contradiction avec la civilisation”. Ou encore: “On remarquera que la civilisation s'est toujours effondrée avec la poussée de la conquête arabe”. Ces citations, qui pourraient être mésinterprétées, montrent très bien l'incompatibilité de la fougue et de la mobilité nomades avec les civilisations sédentaires, dont Ibn Khaldoûn, originaire de l'actuelle Tunisie, était un ressortissant, disons un Romain islamisé. Cet ouvrage de Jaulin devrait être lu en même temps que les réflexions du géopolitologue allemand du XIXième siècle, Friedrich Ratzel, sur les peuples nomades (qu'il jugeait “destructeurs” mais “moraux” et plus “solidaires” que les sédentaires), ou de Nicolas Danilevski qui constatait l'ambiguïté de ces peuples nomades. Ibn Khaldoûn a été un précurseur de la sociologie et bon nombre de ses remarques peuvent être considérées comme les bases de la géopolitique.

 

Le livre de Jaulin est un bon livre, au jargon parfois ésotérique, sur les origines assyriennes, mésopotamiennes et judéo-chrétiennes du totalitarisme. En cela, Jaulin s'oppose aux défenseurs du caractère judaïque de l'humanisme, qui reste toutefois une invention grecque.

 

Patrick CANAVAN.

 

Robert JAULIN, L'univers des totalitarismes, L. Talmart, 140 FF.

 

jeudi, 01 octobre 2009

La riposte de la géophilosophie

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

 

 

La riposte de la géophilosophie

 

«Restez fidèles à la Terre»: cette invitation, cette prière quasi désespérée, a traversé tout notre siècle depuis le Zarathoustra de Nietzsche. De Rilke à Heidegger, de Spengler à Jünger et à Carl Schmitt, sous des modes certes toujours différents, cet impératif résonne avec la force d'une même urgence. C'est la voix de tous ceux qui crient dans le désert du nihilisme, au milieu des dévastations quasi irrémédiables infligées à la Terre, quand ils ont perdu leur Heimat et leur enracinement. Cet arrachement peut se lire de multiples façons, se penser d'innombrables manières, mais un point nous apparaît décisif: la philosophie, si elle veut être à la hauteur des demandes que lui adresse notre époque, ne peut plus être que “géo-phi­losophie”, c'est-à-dire, être en premier lieu, une interrogation radicale sur le lieu de notre “habiter”. Cela in­terpelle non seulement les aspects les plus évidents des problèmes soulevés dans tous les domaines de la pensée, qu'elle soit scientifique ou éthique, qu'elle se penche sur l'horizon entre-ouvert de la technique moderne ou non, cela n'interpelle pas seulement les rapports à la nature, mais, plus généralement et plus fondamentalement, cette interrogation radicale sur le lieu de notre “habiter” remet en question le modèle occidental de rationalité et son mode d'amorcer et d'entendre la pensée. En ce sens, la “géo-philosophie” implique une revalorisation de l'élément spatial, au-delà de cette hyper-valorisation occidentale de l'histoire et de l'historicisme, qui a régné en maître au siècle passé. La géophilosophie implique une affirmation de la spatialité et de la localité de toute pensée, une insistance ré­vo­lutionnaire sur ses aspects topologiques. Cela veut dire que nous devrons dans l'avenir prê­ter une bien plus grande attention à cette geographia imaginalis  que nous exposait Henri Corbin dans ses études sur la mystique islamique, afin de dévoiler (mais pieusement) les correspondances secrètes entre physique et métaphysique, entre naturalité et spiritualité.

 

Si l'on s'oriente dans cette direction et en progressant sur cette longue voie, il sera forcément possible, à terme, de se rappeler et de ré-inventer cette imago terrae, sans laquelle nous ne pourrions dire que notre existence a eu lieu, et ouvrir un nouvel espace à la pensée et  organiser une “nouvelle Terre” sur laquelle habiter. Qui, quel philosophe ou quelle instance, pourra dès lors nous trouver non pas tant des solutions mais au moins nous indiquer des pistes praticables, tout en répondant aux questions pressantes de cette fin de millénaire? Notamment à la question de l'appartenance que tous se posent au beau milieu de cette confrontation planétaire entre les revendications particularistes et les aspirations à l'universel, où les dif­férences disparaissent ou se défendent violemment. Au sein de cette pan-conflictualité, on peut déceler une demande générale de religion et de spiritualité, contrastant fortement avec le matérialisme et l'économisme dominants. C'est donc dans cet espace varié et déchiré de la pensée qu'il faudra intervenir pour déboucher sur la grande décision historique qui structurera le XXIième siècle, qui optera pour un ordre mondial différent de celui voulu par Fukuyama et Bush et qui, dans cet ordre mondial différent, mo­dèlera une unité européenne.

 

La géophilosophie nous apporte encore autre chose: la conscience qu'il n'y aura à l'avenir plus de place pour la sectorialisation des problèmes mais que l'ère planétaire a d'ores et déjà commencé, parce qu'il faudra de plus en plus souvent poser des choix qui concerneront le destin de la Terre toute entière, dans toute sa complexité et pour tous ses habitants. Au cours de ces dernières décennies, on a annoncé régu­lièrement la “fin de la philosophie”, ce qui devrait tout logiquement annoncer l'émergence d'une pensée nouvelle qui aura saisi et capté la puissance de la grande mutation épocale. Cette pen­sée nouvelle est bien entendu celle qui correspondra aux paramètres de cette grande mutation épocale. Estimer qu'il est superflu de poser une réflexion de ce type signifie en fait que l'on a capitulé, que l'on pense une fois pour toute que la Terre est d'ores et déjà condamnée à la disparition. Dans ce cas, pas la peine d'imaginer, de chercher et de construire un ordre plus fondamental et plus fonctionnel. La géophilo­sophie signifie et im­plique que, dans le cadre de l'universalisation des problèmes, on conserve un regard, une attention, pour la singularité de chaque événement, que l'on prête l'oreille à l'avenir de chacun de ces événements singu­liers, que l'on résiste à toutes les séductions que pourraient offrir les ordres politiques et juridiques pure­ment formels, imposés d'en haut au départ d'une raison abstraite. La géophilosophie si­gnifie alors que l'on obéisse aux injonctions difficiles, bourrées de paradoxes, d'une logique double, d'un jeu de lois double: aux injonctions du chassé-croisé d'une logique qui veut que l'on cherche l'universel dans le particulier et d'une logique qui perçoit les différences comme des séparations qui deviendront au­tant de rapports. En bout de course, on pourra dessiner la physionomie d'un visage de la Terre, composé des singularités “irrépétables” de chacun d'entre nous.

 

C'est sur base des expériences et des réflexions entamées depuis 1990 par la revue de géophilosophie Tellus, que la rédaction de cette publication, de concert avec l'équipe italienne de «Synergies Européen­nes», a organisé à Milan un cycle de conférences qui propose à son public de prendre acte con­crètement et volontairement d'une pensée qui se forge dans l'Europe entière, qui est véhiculée en Italie par Tellus, et qui explore toutes les méandres de la philosophie de Pöggeler, Derrida, Nancy, Makowski, Cervallati, Scaramellini, Vitiello, Marcenaro, sous la rigoureuse houlette de deux philosophes de choc, à la pensée claire, limpide et tranchée, Catarina Resta et Luisa Bonesio. Ce groupe vient de sortir auprès des éditions Lyasis un ouvrage collectif, qui fait office de manifeste, et qui s'intitulé précisément Geofilosofia.

 

Marco BATTARRA.

(article tiré du quotidien L'umanità, 16 février 1996; trad. franç.: Robert Steuckers).

mercredi, 30 septembre 2009

Hommage à Guy Debord: à propos d'une réédition

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996

Hommage à Guy Debord: à propos d'une réédition

 

Le fondateur de l'Internationale Situationiste qui se donnait pour but rien de moins que de “renverser le monde” s'est donné la mort à l'automne dernier. Nous, qui partageons avec lui cette même haine du système, devons accorder notre attention à Guy Debord qui a su bâtir une œuvre délibérément en dehors des sentiers battus. Fait paradoxal, alors qu'il a passé son temps à dénoncer le système, on n'a jamais autant parlé de lui que maintenant: réédition de ses livres, articles de presse, émissions de télévision et de radio... Il n'aurait sans doute jamais imaginé un pareil posthume tapage médiatique autour de sa personne. Bref Guy Debord intrigue. Justement au moment même ou le système médiatique semble donner quelques signes d'essoufflement (baisse de l'audience de la télévision) et ou celui-ci semble s'entrouvrir bien malgré lui aux idées politiquement incorrectes (voir l'affaire Garaudy et ses rebondissements avec l'Abbé Pierre), les éditions Folio ont eu l'idée opportune de rééditer son œuvre la plus connue qui a précédé les évènements de mai 1968: La société du spectacle. Ce livre d'une densité extrême a eu le mérite de faire figure d'anticipateur.

 

Dans un premier temps, il s'ouvre sur une critique du système médiatique dont, pour nous, il est primordial de dénoncer la perversité puisqu'il est: “la justification totale du systême existant” que nous combattons, “devenu en soit conception du monde”. L'émergence de ce type de société a été permise par la première phase de l'économisme qui a favorisé la dégradation de l'être en avoir, la deuxième phase étant l'aboutissement de celle-ci par le glissement généralisé de l'avoir en paraître. Cet ordre s'est établi et perdure grâce à “une reconstruction matérielle de l'illusion religieuse” ou le peuple se complet dans un désir de dormir, “le spectacle étant le gardien de ce sommeil”, “monologue élogieux de l'ordre présent”, univers doux et aseptisé du grand hospice occidental où l'histoire se retire comme d'une marée dont on a peur. D'ailleurs, les développements sur les rapports entre religion et conception de l'histoire rejoignent les analyses d'un Cioran, celui d'Histoire et utopie, laissant entrevoir un capitalisme unifié mondialement, régulé par les média, le village global de MacLuhan en quelque sorte.

 

Cette fin de l'histoire annoncé par Fukuyama permettrait à ces foules solitaires de se contenter de suivre éternellement sur leurs écrans: “les fausses luttes des formes spectaculaires du pouvoir”, l'alternance programmée entre la gauche et la droite pour ne citer qu'un seul exemple ainsi que d'avoir “le faux choix de l'abondance par la juxtaposition de spectacles concurrentiels et solidaires”: Arthur, Dechavanne et Delarue pour aller au plus simple.

 

Les autres formes d'évolution sociales n'ont été selon Debord permises que par l'émergence de cette société du spectacle. Celles-ci encouragent au sein de nos sociétés la primauté de l'économique sur le politique, la supériorité du quantitatif sur le qualitatif, le fétichisme de la marchandise, l'atomisation de la société, notamment grâce à une technologie omniprésente isolant le sujet sur sa machine (thème repris par la suite par des gens comme Baudrillard ou Faye), l'existence, à côté d'un capitalisme sauvage, d'un socialisme bureaucratique et policier qui aboutit à une prolétarisation du monde. De la sorte, nous aboutissons à une nouvelle forme d'organisation sociale, la nôtre, individualiste et égalitariste, où le boom du tertiaire et de la communication mène à “la logique du travail en usine qui s'applique à une grande partie des services et des professions intellectuelles”. Cet univers concentrationnaire de la tertiarisation, version moderne de la mine (mais une mine propre) permet un renforcement de la société capitaliste. Et ceci en acceptant qu'une part croissante de la population soit sous-employée et en tolérant ce que Guy Debord nomme “une nouvelle forme de lutte spontanée: la criminalité”. Tous ces processus depuis 30 ans se sont largement amplifiés.

 

Aussi, cette critique de notre société qui se veut de gauche, par bien des aspects, fait penser aux conclusions d'un Guénon ou d'un Evola. Notons cependant parfois une phraséologie marxiste qui semble céder à la mode de son époque (nous sommes dans les années 60) et qui paraît désuète aujourd'hui. Sachons également qu'il existe dans ce texte un oubli de taille: la dénonciation de la destruction de l'environnement qui elle, interviendra un peu plus tard dans Commentaires de la société du spectacle. Insistons également sur un fait où l'auteur se trompe (et c'est sans doute ce qui rend un caractère si pessimiste à son œuvre), c'est sa vision fausse de la paysannerie, qui est pour lui l'“inébranlable base du despotisme oriental”. Ce n'est sans doute pas une quelconque révolution prolétarienne (à laquelle Debord ne croit d'ailleurs justement pas) mais au contraire un réenracinement dans les valeurs immémoriales et universelles du sang et du sol que les hommes trouveront leur salut et leur épanouissement. Sans doute le fils nanti d'industriels cannois n'a-t-il pas eu l'occasion de découvrir les milieux simples des gens enracinés. Nous comprenons son mépris pour son milieu d'origine et pour la vaste poubelle parisienne où il a passé le plus clair de son existence. Sa critique du système est très lucide mais nous, nous proposons une vraie alternative aux échappatoires alcooliques des bistrots parisiens où il s'est abîmé. C'est celle du réenracinement du Maître des abeilles de Henri Vincenot, de L'Eveil de la glèbe  de Knut Hamsun ou du monde artisanal de La gerbe d'or  d'Henri Béraud.

 

Mais cela n'enlève rien à la pertinence de Debord dans les 221 paragraphes biens distincts de son texte: dans sa préface, datant de juin 1992, il parle ainsi des déçus de mai 1968: «Les pires dupes de cette époque ont pu apprendre depuis, par les déconvenues de toute leur existence ce que signifiait la "négation de la vie qui est devenue visible", "la perte de la qualité" liée à la forme-marchandise et la prolétarisation du monde». Sûr de lui jusqu'au bout, il écrit: «Une telle théorie n'a pas à être changée, aussi longtemps que n'auront pas été délimitées les conditions générales de la longue période de l'histoire que cette théorie a été la première à definir avec exactitude». Il n'y a rien à ajouter.

 

Pascal GARNIER.

 

Guy DEBORD, La société du spectacle, Folio n° 2788, mars 1996., 27 FF.

 

 

mardi, 29 septembre 2009

Le libéralisme entre aliénation et répression

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Le libéralisme : entre aliénation et répression

Ex: http://unitepopulaire.org/

« Le paradoxe constitutif des politiques libérales c’est qu’elles sont constamment amenées à intervenir sur la société civile, ne serait-ce que pour y enraciner les principes du libre-échange et de l’individualisme politique. Pour commencer, cela implique en général une politique de soutien permanent au marché dit "autorégulé", politique qui peut aller, comme on le sait, jusqu’à la fameuse "socialisation des pertes" (les classes populaires étant régulièrement invitées à éponger les dettes des banquiers imprévoyants ou des spéculateurs malchanceux). Mais un pouvoir libéral est également tenu de développer sans cesse les conditions d’une "concurrence libre et non faussée". Cela implique toute une politique particulièrement active de démantèlement des services publics et des différentes formes de protection sociale, officiellement destinée à aligner la réalité empirique sur les dogmes de la théorie universitaire. Enfin, et c’est l’essentiel, l’État libéral est logiquement contraint d’impulser une révolution culturelle permanente dont le but est d’éradiquer tous les obstacles historiques et culturels à l’accumulation du capital, et avant tout à ce qui en constitue aujourd’hui la condition de possibilité la plus décisive : la mobilité des individus, dont la forme ultime est la liberté intégrale de circuler sur le marché mondial. Marx avait remarquablement compris ce point lorsqu’il écrivait que la bourgeoisie, à la différence de toutes les classes dominantes antérieures, ne pouvait pas exister sans révolutionner constamment l’ensemble des rapports sociaux. C’est ainsi qu’Hubert Védrine rappelait récemment, dans un rapport officiel destiné au président Sarkozy, qu’un des principaux freins à la croissance était la "répugnance morale persistante" des gens ordinaires envers "l’économie de marché et son moteur, le profit". De telles déclarations sont naturellement monnaie courante chez les politiciens libéraux.

Il y a peu, je lisais, par exemple, un rapport sur la situation en Birmanie, rédigé par des experts d’une des grandes institutions capitalistes internationales, et qui expliquait qu’une partie des difficultés rencontrées par les entreprises occidentales pour s’implanter en profondeur dans ce pays, tenaient au fait que la recherche du profit individuel et le désir de s’enrichir avaient encore trop peu de prise sur la paysannerie traditionnelle birmane. Ces missionnaires libéraux en concluaient tranquillement qu’il fallait contraindre ces populations à entrer dans la modernité en les amenant à rompre avec leur mentalité archaïque et "conservatrice". Toutes ces contraintes pratiques conduisent donc un pouvoir libéral à mettre en place des politiques extrêmement interventionnistes (au premier rang desquelles une "modernisation" permanente de l’école destinée à l’ouvrir au «monde extérieur» et à l’adapter aux nouvelles réalités de l’économie mondiale). On sait du reste que, sans le concours déterminant des gouvernements de l’époque (gouvernements dont il n’est pas inutile de rappeler que, dans le cas européen, ils étaient majoritairement de gauche), les conditions techniques et politiques de la globalisation capitaliste n’auraient jamais pu être réunies. Il est donc clair que la logique réelle de l’État libéral le conduit toujours à se faire beaucoup plus interventionniste que ses dogmes officiels ne le prétendent. […]

De nos jours, il devrait être évident aux yeux de tous que la production massive de l’aliénation trouve désormais sa source et ses points d’appui principaux dans la guerre totale que les industries combinées du divertissement, de la publicité et du mensonge médiatique livrent quotidiennement à l’intelligence humaine. Et les capacités de ces industries à contrôler le "temps de cerveau humain disponible" sont, à l’évidence, autrement plus redoutables que celles du policier, du prêtre ou de l’adjudant qui semblent tellement impressionner la nouvelle extrême gauche. Critiquer le rôle de l’État libéral contemporain sans mesurer à quel point le centre de gravité du système capitaliste s’est déplacé depuis longtemps vers les dynamiques du marché lui-même, représente par conséquent une erreur de diagnostic capitale. Erreur dont je ne suis malheureusement pas sûr qu’elle soit seulement d’origine intellectuelle. Focaliser ainsi son attention sur les seuls méfaits de l’«État policier» (comme si nous vivions au Tibet ou en Corée du Nord et que le gouvernement de M. Sarkozy était une simple réplique de l’ordre vichyssois) procure des bénéfices psychologiques secondaires trop importants pour ne pas être suspects. Cette admirable vigilance ne présente pas seulement l’avantage, en effet, de transformer instantanément ses pratiquants en maquisards héroïques, seraient-ils par ailleurs sociologues appointés par l’État, stars du showbiz, maîtres de conférences à la Sorbonne ou pensionnaires attitrés du cirque médiatique. Elle leur permet surtout de ne pas trop avoir à s’interroger, pendant ce temps, sur leur degré d’implication personnelle dans la reproduction du mode de vie capitaliste, autrement dit sur leur propre rapport réel et quotidien au monde de la consommation et à son imaginaire. Il serait temps, en somme, de reconnaître que de nos jours, et pour paraphraser Nietzsche, c’est le spectacle lui-même qui est devenu la meilleure des polices. […]

On sait par exemple que, dans les pays occidentaux, près de 70% des achats opérés par les parents le sont désormais sous la pression morale et psychologique de leurs propres enfants. Cela signifie que le dressage marchand de la jeunesse s’est révélé si efficace qu’une grande partie de cette dernière a déjà tranquillement accepté d’être l’œil du système à l’intérieur de la sphère familiale. Et un nombre non négligeable de parents (généralement de gauche) a visiblement appris à vivre sans sourciller sous la surveillance impitoyable de ces nouveaux gardes rouges. Quand le pouvoir des images a acquis une telle efficacité, il devrait donc être universellement admis que l’assujettissement des individus au système libéral doit, à présent, beaucoup moins à l’ardeur répressive du policier ou du contremaître qu’à la dynamique autonome du spectacle lui-même. Or le moins que l’on puisse dire, c’est que nous sommes encore très loin d’une telle prise de conscience collective comme en témoigne, entre mille autres exemples, le fait que toute interrogation critique sur les dogmes de l’éducation libérale (à l’école comme dans la famille) est devenue depuis longtemps une question taboue chez la plupart des militants de gauche.

Parvenus à ce point, il est donc inévitable d’affronter enfin la question des questions : comment un tel retournement politique et culturel a-t-il pu avoir lieu ? Ou, si l’on préfère : par quelle dialectique mystérieuse la gauche et l’extrême gauche contemporaines en sont-elles venues à reprendre aussi facilement à leur compte les exigences les plus fondamentales de la logique libérale, depuis la liberté intégrale de circuler sur le marché mondial jusqu’à l’apologie de principe de toutes les transgressions concevables ? Il est certain que la clé de cette énigme doit d’abord être recherchée dans les mutations économiques, culturelles et psychologiques du capitalisme lui-même. »

 

Jean-Claude Michéa, interviewé par A Contretemps n°31, mai 2009

vendredi, 25 septembre 2009

Face à l'horreur moderne

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Face à l’horreur moderne…

FACE A L’HORREUR MODERNE DE LA CIVILISATION DU POUVOIR DE L’AVOIR…RAPPELONS-NOUS TOUJOURS L’EMOTION SPONTANEE DE LA COMMUNAUTE DE l’ÊTRE ARCHAÏQUE…
N’en déplaise à  toutes les idéologies de justification des mensonges économiques et politiques de la société de l’avoir, le communisme primitif le plus primitif exprimait bien et d’abord l’immanence naturelle du souci de l’être, en la vérité qualitative de l’essence émotionnelle du jouir et du ré-jouir humains… C’est en tout cas et une fois de plus, la conclusion pratique évidente à laquelle on aboutit face à une découverte remarquable effectuée dernièrement par une équipe de paléoanthropologues lors de fouilles effectuées sur le gisement de la Sima de los Huesos ( la Cime des Os) dans la Sierra de Atapuerca, dans la province de Burgos en Espagne…
L’espace ici étudié est celui des territoires traditionnels de l’Homo Heidelbergensis qui a vécu en Europe au Pléistocène. Cet ancêtre commun de l’Homme de Néanderthal et de l’Homo Sapiens qui occupait ces lieux, il y a environ 530 000 ans, vivait et se nourrissait communautairement par la cueillette et surtout par la chasse. Il était expérimenté pour venir à bout du gros gibier, par exemple les chevaux et les rhinocéros laineux. Il fabriquait avec soin des armes diversifiés et notamment des épieux à lancer qui pouvaient atteindre jusqu’à 2,50 m de long ainsi que de multiples outils en silex. Les marques de découpage sur les os retrouvés indiquent que ces derniers étaient raclés méticuleusement pour que l’on en retire la viande. Les os étaient aussi utilisés comme instruments pour la fabrication d’outils en silex. Avec habileté,  le bois et les os étaient taillés et l’on confectionnait aussi, à partir d’eux, des aiguilles pendant que les tendons, eux, servaient de fils. Et ainsi, avec la peau, les aiguilles et les tendons, il était possible d’élaborer des vêtements particulièrement chauds et résistants. Le développement de ses capacités sociales et culturelles tel que les restes de campements communautaires méthodiquement ordonnés en témoignent laisse très clairement supposer  que l’ Homo heidelbergensis qui vivait centralement autour de feux communs possédait déjà les fondements d’une langue simple mais efficacement fonctionnelle. La culture matérielle d’ Homo heidelbergensis correspond en fait au Paléolithique inférieur et le plus souvent il s’agit d’Acheuléen.
Les archéologues ont aussi découvert des traces nombreuses d’os calcinés, ce qui  indique indéniablement la pratique élaborée de rites funéraires avérés. Sur la trentaine d’individus identifiés et examinés dans la Sierra de Atapuerca, un crâne a très particulièrement retenu l’attention du Centro de Evolucion y Comportamiento Humanos de Madrid. Ce crâne est très probablement  celui d’une jeune fille d’une dizaine d’années et les fragments que l’on en a retrouvé permettent de diagnostiquer les traces certaines d’une craniosynostose, une maladie génétique rare débutant au cours de la vie fœtale et qui provoque une soudure prématurée des os crâniens susceptible d’entraîner de sévères et irréversibles déficiences psychomotrices.
D’où, la conclusion d’évidence qui s’impose immédiatement et logiquement… Atteinte par cette grave et invalidante malformation congénitale, la jeune fille en question n’aurait jamais pu atteindre l’âge relativement avancé qui fut le sien sans la sollicitude, l’attention et  l’égard permanents des siens au sein du groupe dans lequel elle est née et a justement pu vivre dans une bien-veillance obligée de chaque instant. Si cette dernière a donc pu exister, grandir, résister et subsister malgré son lourd handicap, cela procède de l’accompagnement attentif et systématique du groupe de chasseurs-cueilleurs qui était le sien. Cette découverte confirme que l’accueil, la compréhension, la douceur, l’ouverture d’âme et la sollicitude que l’on peut porter aux personnes souffrantes, malades ou infirmes n’est pas un comportement récent dans l’histoire de l’humanité… Bien loin de là, du reste, puisqu’aujourdhui, si l’on retire les avantages financiers des impostures économiques générales en jeu et les pathologies spectaculaires compensatoires de fallacieuse bonne conscience mises en scène, les fraîches et franches relations directes à l’autre sont dorénavant ici extrêmement  rares…
Il y a un bon demi-million d’années, nos ancêtres lointains qui vivaient en groupes communautaires ignorant le pouvoir, l’argent et la servitude étaient donc d’instinct capables de ce sentiment, de cette inclination et de cette sensibilité pratique qui regarde l’autre avec émoi, bouleversement et com-préhension. Voilà qui vient nous rappeler les très pertinentes analyses de Marx et d’Engels dans les Grundrisse et dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat tels qu’ils avaient su démontrer que les communautés  primitives sont des espaces où l’être ensemble  indivisé (et pour cela,  se voulant totalité une de sa propre immanence de besoins et de désirs) est une dynamique de vie sans scission entre dominants et dominés qui ignore tout organe séparé de pouvoir et qui d’emblée s’émeut de tous en chacun et de chacun en tous.
Dans la tribu primitive, il n’y a pas d’organe séparé du pouvoir parce que le pouvoir n’est pas sépare de la communauté parce que c’est elle – en l’essence de son être – qui le détient comme son être en tant que totalité unitairement homogène de son auto-mouvement de vie, d’affection, de délicatesse, de sentir, de re-ssentir et de fidélité.
Quel est le lieu réel du pouvoir dans la communauté primitive? C’est la totalité du  vivre ensemble lui-même qui le détient et l’exerce comme unité totale de son indivision globale de corps et d’âme. Ce pouvoir non séparé de la communauté s’exerce en un seul sens et  il anime tous les sens en un seul projet: maintenir dans l’indivision l’être de la communauté, empêcher que la non-réciprocité entre les hommes installe la division dans le groupe. Il s’ensuit que ce pouvoir s’exerce sur tout ce qui est susceptible d’aliéner la société, d’y introduire la désagrégation, le morcellement et le parcellement. Il s’exerce, entre autres, sur l’institution d’où pourrait surgir la captation du pouvoir, la chefferie. Le chef est, dans la tribu, sous surveillance d’intelligence critique constante. La communauté veille à ne jamais laisser le goût du prestige passager se trans-former en désir de pouvoir permanent.
Si l’appétit de pouvoir du chef devient trop évident, la procédure mise en jeu est simple et c’est toujours la même: on le réprimande puis on l’abandonne, voire même on le tue. La crainte clairvoyante de la séparation  habite très certainement la communauté primitive, mais elle possède fondamentalement les moyens de la conjurer par l’ardeur passionnelle à exister et à aimer qualitativement les joies de l’être.
L’exemple des communautés préhistoriques nous enseigne là que la division n’est pas inhérente à l’être de l’être ensemble et qu’en d’autres termes, l’Etat n’est pas éternel, qu’il a, ici et là, une date de naissance et qu’il aura d’ailleurs et bien évidemment une date de mort.
Pourquoi la pathologie de la domestication étatique a-t-elle émergé ? La question de l’origine de l’Etat doit se préciser ainsi : à quelles conditions une communauté cesse-t-elle d’être primitive et accepte-elle que les satisfactions de l’être se trouvent subjuguées par les inversions mortifères de la dialectique de l’avoir?
Pourquoi les expériences, les normes et les savoirs qui empêchent le surgissement de l’Etat défaillent-ils, à tel ou tel moment de l’histoire ?
Il est hors de doute que seule l’interrogation attentive et critique du fonctionnement affectif profond des communautés primitives permet efficacement d’éclairer le problème des origines du déchoir dans l’errance étatique des asservissements de l’acquérir. Et ainsi, la lumière jetée sur le moment de la genèse de l’Etat éclaire-t-elle également les conditions de possible réalisation de sa liquidation historique quand demain, fatigués de subir la tyrannie du spectacle du quantitatif, les êtres humains décideront de re-trouver l’humanité des véritables tréfonds de leur être.
L’homme du communisme primitif  était naturellement en relation naturelle à l’humain et tout en même temps en rapport d’humanité à la nature. Cette découverte à la fois remarquable et touchante en vieille terre d’Espagne vient exhumer cette réalité des profondeurs ignorée depuis des lustres d’insipidité universitaire et étatique et suivant laquelle il est manifeste que la préhistoire fut aussi préhistoire d’une passion et d’une  compassion non encore abruties par la temporalité du commerce et du pouvoir.
Qu’en est-il du produire dans la communauté pré-historique ? A cette question fondamentale, la réponse classique de la vérité officielle de la crasse imbécillité médiatico-universitaire dominante est la suivante : la vie archaïque pré-historique est un vagabondage  de subsistance et de pauvreté, elle parvient au mieux à assurer la survie du groupe incapable de sortir du sous-développement technique. Le sauvage écrasé par son environnement écologique et sans cesse guetté par la famine et l’angoisse, telle est l’image d’idiotie ignare habituellement répandue.
Manipulation idéologique des faits, a déjà répliqué depuis longtemps l’anthropologue de vrai terrain Marshall Sahlins. Passant des chasseurs australiens et Bochimans aux communautés néolithiques d’agriculteurs primitifs telles que l’on pouvait encore au siècle dernier, les observer en Afrique ou en Mélanésie, au Viêt-Nam ou en Amérique du Sud, relisant sans parti pris les archives  connues et y ajoutant des données chiffrées argumentés, celui-ci affirme, avec méthode et recherche que  non seulement la communauté primitive n’est pas une dynamique de misère mais qu’elle est la première et jusqu’à présent la seule vie commune d’abondance.
Comme le disait Marx dans sa radicale critique absolue et universelle de tous les capitalismes tant de sauce bolchévique que de soupe libérale ou de brouet social-démocrate:  Si l’homme primitif ne rentabilise pas son activité, c’est non pas par ce qu’il ne sait pas le faire, mais parce qu’il n’en a ni l’envie ni le besoin puisqu’il se trouve en une autre dimension que celle de l’entassement, de l’accumulation et de l’addition.
Evidemment, en ces temps là, la relation d’être à la vie qui considérait qu’il n’est de richesse que d’être, n’empêchait pas nos très lointains ancêtres de se tuer en des guerres d’ailleurs limitées et éphémères qui avaient d’abord pour objet d’empêcher les dérives du commerce pacifique qui transforme toujours et aliénatoirement le produire pour l’homme en travailler pour l’échange. Mais, il est tout de même réconfortant d’apprendre sur le terrain concret de la vie réelle vérifiée que le comportement humain vrai a bien entendu  préexisté à l’invention des impostures de la morale lorsque le temps civilisationnel du politique et de l’économique a généralisé la paix des éthiques commerçantes et la guerre interminable des religions de l’expansion pour que la dictature démocratique  du calcul cosmopolitique finisse par s’emparer du monde.
La guerre localisée et circonscrite entre tribus est une façon pré-historique de repousser l’émergence économique du rencontrer avec  la politique de l’avoir et donc d’endiguer la menace d’une délégation de pouvoir menant aux dérives intrinsèquement liées à la naissance des sociétés de la médiation, de la possession et de la rentabilisation.
Les communautés primitives refusent la différenciation économique et politique en s’interdisant le surplus matériel du spectacle social des prétentions et des représentations qui génèrent inévitablement les démesures infinies du marché narcissique du fétichisme des impuissances de l’ego qui réifie les êtres et qui divinise les choses.
Aujourd’hui, dans la société du triomphe de l’équivalent général-argent près de 30.000 personnes meurent de faim chaque jour dans le monde, soit une toutes  les quatre secondes, ceci dans l’indifférenciation démocratique la plus absolue puisque désormais tout a un prix et que cette mort est la première facture normalement due au système de l’échange qui veut que dans le circuit des transactions, chaque marchandise humaine soit indifféremment équivalente à n’importe quelle autre humaine marchandise consommée par la vie ou par la mort mais toujours digérée par les impératifs de la distribution financière de la quantité nécessaire.
A la différence de ces milliers d’errants isolés et solitaires qui décèdent, chaque année, dans le sans-abrisme froid, insensible et triste du despotisme de la valeur qui précisément les trouve sans valeur, cette jeune fille pré-historique dans le monde de l’anti-valeur, a eu le contentement de trouver des êtres d’être avec qui une relation d’essence, de sensation et de sentiment a pu jaillir en pur dé-sintéressement d’avoir et en strict attachement d’être…
De la sorte, nous sommes avertis que dans l’embarras momentané que pouvait occasionnellement rencontrer la communauté de l’être archaïque, jamais personne ne restait à l’écart de son groupe dans le délaissement et l’esseulement car l’abondance dans le satisfaire communautaire des chasseurs-cueilleurs était avant tout un accomplir de chacun en l’être et de l’être en chacun. A l’opposé, dans la société de l’avoir qui a aujourd’hui fini par définitivement voiler l’être à lui-même, l’abondance paranoïaque du système solipsiste des objets s’en va tellement loin dans l’abomination de l’in-sensible que le dés-intéressement pour l’être humain qui ne serait pas produit rentable de marchandisation estampillé, peut tout à fait tolérer la mort industrielle de millions d’hommes qui n’ont pas le bon ticket pour entrer dans les grandes surfaces où s’obtiennent les accréditations certifiés pour la sur-vie organisée.
Au moment où la crise radicale du monde du produire de l’intérêt est en train d’atteindre le point crisique majeur où le produire de l’intérêt mondial ne peut plus supporter les mensonges du crédit par lesquels il a longuement fait semblant de croire que la vérité de sa finitude spatiale pourrait être compensée par une fausse infinitude temporelle, il est plus que jamais temps de se remémorer les inspirations et les enthousiasmes d’avant l’argent…Ce vieux monde pourri de temporalité marchande va crever et c’est tant mieux, regardons donc un tout petit peu vers l’Homo Heidelbergensis, non pas évidemment pour fuir déraisonnablement dans un retrouver nostalgique impossible qui n’aurait pas de sens mais pour penser subversivement la rationalité du sens de la communauté humaine, cette fois non plus locale, restreinte et étriquée mais universelle, cosmique, révolutionnaire et consciente du Tout historique de son histoire…
Contre la pourriture marchande qui sacralise les errances de l’oubli de l’être…
A bas l’échange, le salariat et l’Etat…
Vive la communauté ontologique et universelle de l’être de l’homme…

… De la civilisation du pouvoir… Rappelons-nous toujours l’émotion spontanée de la communauté de l’être archaïque…

N’en déplaise à  toutes les idéologies de justification des mensonges économiques et politiques de la société de l’avoir, le communisme primitif le plus primitif exprimait bien et d’abord l’immanence naturelle du souci de l’être, en la vérité qualitative de l’essence émotionnelle du jouir et du ré-jouir humains… C’est en tout cas et une fois de plus, la conclusion pratique évidente à laquelle on aboutit face à une découverte remarquable effectuée dernièrement par une équipe de paléoanthropologues lors de fouilles effectuées sur le gisement de la Sima de los Huesos (la Cime des Os) dans la Sierra de Atapuerca, dans la province de Burgos en Espagne…

L’espace ici étudié est celui des territoires traditionnels de l’Homo heidelbergensis qui a vécu en Europe au Pléistocène. Cet ancêtre commun de l’Homme de Néanderthal et de l’Homo Sapiens qui occupait ces lieux, il y a environ 530 000 ans, vivait et se nourrissait communautairement par la cueillette et surtout par la chasse. Il était expérimenté pour venir à bout du gros gibier, par exemple les chevaux et les rhinocéros laineux. Il fabriquait avec soin des armes diversifiés et notamment des épieux à lancer qui pouvaient atteindre jusqu’à 2,50 m de long ainsi que de multiples outils en silex. Les marques de découpage sur les os retrouvés indiquent que ces derniers étaient raclés méticuleusement pour que l’on en retire la viande. Les os étaient aussi utilisés comme instruments pour la fabrication d’outils en silex. Avec habileté,  le bois et les os étaient taillés et l’on confectionnait aussi, à partir d’eux, des aiguilles pendant que les tendons, eux, servaient de fils. Et ainsi, avec la peau, les aiguilles et les tendons, il était possible d’élaborer des vêtements particulièrement chauds et résistants. Le développement de ses capacités sociales et culturelles tel que les restes de campements communautaires méthodiquement ordonnés en témoignent laisse très clairement supposer  que l’Homo heidelbergensis qui vivait centralement autour de feux communs possédait déjà les fondements d’une langue simple mais efficacement fonctionnelle. La culture matérielle d’Homo heidelbergensis correspond en fait au Paléolithique inférieur et le plus souvent il s’agit d’Acheuléen.

Les archéologues ont aussi découvert des traces nombreuses d’os calcinés, ce qui  indique indéniablement la pratique élaborée de rites funéraires avérés. Sur la trentaine d’individus identifiés et examinés dans la Sierra de Atapuerca, un crâne a très particulièrement retenu l’attention du Centro de Evolucion y Comportamiento Humanos de Madrid. Ce crâne est très probablement  celui d’une jeune fille d’une dizaine d’années et les fragments que l’on en a retrouvé permettent de diagnostiquer les traces certaines d’une craniosynostose, une maladie génétique rare débutant au cours de la vie fœtale et qui provoque une soudure prématurée des os crâniens susceptible d’entraîner de sévères et irréversibles déficiences psychomotrices.

D’où, la conclusion d’évidence qui s’impose immédiatement et logiquement… Atteinte par cette grave et invalidante malformation congénitale, la jeune fille en question n’aurait jamais pu atteindre l’âge relativement avancé qui fut le sien sans la sollicitude, l’attention et  l’égard permanents des siens au sein du groupe dans lequel elle est née et a justement pu vivre dans une bien-veillance obligée de chaque instant. Si cette dernière a donc pu exister, grandir, résister et subsister malgré son lourd handicap, cela procède de l’accompagnement attentif et systématique du groupe de chasseurs-cueilleurs qui était le sien. Cette découverte confirme que l’accueil, la compréhension, la douceur, l’ouverture d’âme et la sollicitude que l’on peut porter aux personnes souffrantes, malades ou infirmes n’est pas un comportement récent dans l’histoire de l’humanité… Bien loin de là, du reste, puisqu’aujourdhui, si l’on retire les avantages financiers des impostures économiques générales en jeu et les pathologies spectaculaires compensatoires de fallacieuse bonne conscience mises en scène, les fraîches et franches relations directes à l’autre sont dorénavant ici extrêmement  rares…

Il y a un bon demi-million d’années, nos ancêtres lointains qui vivaient en groupes communautaires ignorant le pouvoir, l’argent et la servitude étaient donc d’instinct capables de ce sentiment, de cette inclination et de cette sensibilité pratique qui regarde l’autre avec émoi, bouleversement et com-préhension. Voilà qui vient nous rappeler les très pertinentes analyses de Marx et d’Engels dans les Grundrisse et dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État tels qu’ils avaient su démontrer que les communautés  primitives sont des espaces où l’être ensemble  indivisé (et pour cela,  se voulant totalité une de sa propre immanence de besoins et de désirs) est une dynamique de vie sans scission entre dominants et dominés qui ignore tout organe séparé de pouvoir et qui d’emblée s’émeut de tous en chacun et de chacun en tous.

Dans la tribu primitive, il n’y a pas d’organe séparé du pouvoir parce que le pouvoir n’est pas sépare de la communauté parce que c’est elle – en l’essence de son être – qui le détient comme son être en tant que totalité unitairement homogène de son auto-mouvement de vie, d’affection, de délicatesse, de sentir, de re-sentir et de fidélité.

Quel est le lieu réel du pouvoir dans la communauté primitive? C’est la totalité du  vivre ensemble lui-même qui le détient et l’exerce comme unité totale de son indivision globale de corps et d’âme. Ce pouvoir non séparé de la communauté s’exerce en un seul sens et  il anime tous les sens en un seul projet : maintenir dans l’indivision l’être de la communauté, empêcher que la non-réciprocité entre les hommes installe la division dans le groupe. Il s’ensuit que ce pouvoir s’exerce sur tout ce qui est susceptible d’aliéner la société, d’y introduire la désagrégation, le morcellement et le parcellement. Il s’exerce, entre autres, sur l’institution d’où pourrait surgir la captation du pouvoir, la chefferie. Le chef est, dans la tribu, sous surveillance d’intelligence critique constante. La communauté veille à ne jamais laisser le goût du prestige passager se trans-former en désir de pouvoir permanent.

Si l’appétit de pouvoir du chef devient trop évident, la procédure mise en jeu est simple et c’est toujours la même: on le réprimande puis on l’abandonne, voire même on le tue. La crainte clairvoyante de la séparation  habite très certainement la communauté primitive, mais elle possède fondamentalement les moyens de la conjurer par l’ardeur passionnelle à exister et à aimer qualitativement les joies de l’être.

L’exemple des communautés préhistoriques nous enseigne là que la division n’est pas inhérente à l’être de l’être ensemble et qu’en d’autres termes, l’État n’est pas éternel, qu’il a, ici et là, une date de naissance et qu’il aura d’ailleurs et bien évidemment une date de mort.

Pourquoi la pathologie de la domestication étatique a-t-elle émergé ? La question de l’origine de l’État doit se préciser ainsi : à quelles conditions une communauté cesse-t-elle d’être primitive et accepte-elle que les satisfactions de l’être se trouvent subjuguées par les inversions mortifères de la dialectique de l’avoir ?

Pourquoi les expériences, les normes et les savoirs qui empêchent le surgissement de l’État défaillent-ils, à tel ou tel moment de l’histoire ?

Il est hors de doute que seule l’interrogation attentive et critique du fonctionnement affectif profond des communautés primitives permet efficacement d’éclairer le problème des origines du déchoir dans l’errance étatique des asservissements de l’acquérir. Et ainsi, la lumière jetée sur le moment de la genèse de l’État éclaire-t-elle également les conditions de possible réalisation de sa liquidation historique quand demain, fatigués de subir la tyrannie du spectacle du quantitatif, les êtres humains décideront de re-trouver l’humanité des véritables tréfonds de leur être.

L’homme du communisme primitif  était naturellement en relation naturelle à l’humain et tout en même temps en rapport d’humanité à la nature. Cette découverte à la fois remarquable et touchante en vieille terre d’Espagne vient exhumer cette réalité des profondeurs ignorée depuis des lustres d’insipidité universitaire et étatique et suivant laquelle il est manifeste que la préhistoire fut aussi préhistoire d’une passion et d’une compassion non encore abruties par la temporalité du commerce et du pouvoir.

Qu’en est-il du produire dans la communauté pré-historique ? À cette question fondamentale, la réponse classique de la vérité officielle de la crasse imbécillité médiatico-universitaire dominante est la suivante : la vie archaïque pré-historique est un vagabondage  de subsistance et de pauvreté, elle parvient au mieux à assurer la survie du groupe incapable de sortir du sous-développement technique. Le sauvage écrasé par son environnement écologique et sans cesse guetté par la famine et l’angoisse, telle est l’image d’idiotie ignare habituellement répandue.

Manipulation idéologique des faits, a déjà répliqué depuis longtemps l’anthropologue de vrai terrain Marshall Sahlins. Passant des chasseurs australiens et Bochimans aux communautés néolithiques d’agriculteurs primitifs telles que l’on pouvait encore au siècle dernier, les observer en Afrique ou en Mélanésie, au Viêt-Nam ou en Amérique du Sud, relisant sans parti pris les archives  connues et y ajoutant des données chiffrées argumentés, celui-ci affirme, avec méthode et recherche que  non seulement la communauté primitive n’est pas une dynamique de misère mais qu’elle est la première et jusqu’à présent la seule vie commune d’abondance.

Comme le disait Marx dans sa radicale critique absolue et universelle de tous les capitalismes tant de sauce bolchévique que de soupe libérale ou de brouet social-démocrate :  « Si l’homme primitif ne rentabilise pas son activité, c’est non pas par ce qu’il ne sait pas le faire, mais parce qu’il n’en a ni l’envie ni le besoin puisqu’il se trouve en une autre dimension que celle de l’entassement, de l’accumulation et de l’addition. »

Evidemment, en ces temps là, la relation d’être à la vie qui considérait qu’il n’est de richesse que d’être, n’empêchait pas nos très lointains ancêtres de se tuer en des guerres d’ailleurs limitées et éphémères qui avaient d’abord pour objet d’empêcher les dérives du commerce pacifique qui transforme toujours et aliénatoirement le produire pour l’homme en travailler pour l’échange. Mais, il est tout de même réconfortant d’apprendre sur le terrain concret de la vie réelle vérifiée que le comportement humain vrai a bien entendu  préexisté à l’invention des impostures de la morale lorsque le temps civilisationnel du politique et de l’économique a généralisé la paix des éthiques commerçantes et la guerre interminable des religions de l’expansion pour que la dictature démocratique  du calcul cosmopolitique finisse par s’emparer du monde.

La guerre localisée et circonscrite entre tribus est une façon pré-historique de repousser l’émergence économique du rencontrer avec  la politique de l’avoir et donc d’endiguer la menace d’une délégation de pouvoir menant aux dérives intrinsèquement liées à la naissance des sociétés de la médiation, de la possession et de la rentabilisation.

Les communautés primitives refusent la différenciation économique et politique en s’interdisant le surplus matériel du spectacle social des prétentions et des représentations qui génèrent inévitablement les démesures infinies du marché narcissique du fétichisme des impuissances de l’ego qui réifie les êtres et qui divinise les choses.

Aujourd’hui, dans la société du triomphe de l’équivalent général-argent près de 30 000 personnes meurent de faim chaque jour dans le monde, soit une toutes  les quatre secondes, ceci dans l’indifférenciation démocratique la plus absolue puisque désormais tout a un prix et que cette mort est la première facture normalement due au système de l’échange qui veut que dans le circuit des transactions, chaque marchandise humaine soit indifféremment équivalente à n’importe quelle autre humaine marchandise consommée par la vie ou par la mort mais toujours digérée par les impératifs de la distribution financière de la quantité nécessaire.

À la différence de ces milliers d’errants isolés et solitaires qui décèdent, chaque année, dans le sans-abrisme froid, insensible et triste du despotisme de la valeur qui précisément les trouve sans valeur, cette jeune fille pré-historique dans le monde de l’anti-valeur, a eu le contentement de trouver des êtres d’être avec qui une relation d’essence, de sensation et de sentiment a pu jaillir en pur dé-sintéressement d’avoir et en strict attachement d’être…

De la sorte, nous sommes avertis que dans l’embarras momentané que pouvait occasionnellement rencontrer la communauté de l’être archaïque, jamais personne ne restait à l’écart de son groupe dans le délaissement et l’esseulement car l’abondance dans le satisfaire communautaire des chasseurs-cueilleurs était avant tout un accomplir de chacun en l’être et de l’être en chacun. À l’opposé, dans la société de l’avoir qui a aujourd’hui fini par définitivement voiler l’être à lui-même, l’abondance paranoïaque du système solipsiste des objets s’en va tellement loin dans l’abomination de l’in-sensible que le dés-intéressement pour l’être humain qui ne serait pas produit rentable de marchandisation estampillé, peut tout à fait tolérer la mort industrielle de millions d’hommes qui n’ont pas le bon ticket pour entrer dans les grandes surfaces où s’obtiennent les accréditations certifiés pour la sur-vie organisée.

Au moment où la crise radicale du monde du produire de l’intérêt est en train d’atteindre le point crisique majeur où le produire de l’intérêt mondial ne peut plus supporter les mensonges du crédit par lesquels il a longuement fait semblant de croire que la vérité de sa finitude spatiale pourrait être compensée par une fausse infinitude temporelle, il est plus que jamais temps de se remémorer les inspirations et les enthousiasmes d’avant l’argent…Ce vieux monde pourri de temporalité marchande va crever et c’est tant mieux, regardons donc un tout petit peu vers l’Homo heidelbergensis, non pas évidemment pour fuir déraisonnablement dans un retrouver nostalgique impossible qui n’aurait pas de sens mais pour penser subversivement la rationalité du sens de la communauté humaine, cette fois non plus locale, restreinte et étriquée mais universelle, cosmique, révolutionnaire et consciente du Tout historique de son histoire…

Contre la pourriture marchande qui sacralise les errances de l’oubli de l’être…

À bas l’échange, le salariat et l’État…

Vive la communauté ontologique et universelle de l’être de l’homme…

Gustave Lefrançais

mardi, 22 septembre 2009

Retour au réel

Retour au réel

compuburn

Nous vivons aujourd’hui dans un monde essentiellement virtuel. La distance matérielle entre les êtres demeure la même, mais la distance existentielle qui les sépare se creuse. Plus encore, c’est notre rapport lui-même au réel qui s’est fragilisé. Nous nous inquiétons de la montée des « simulacres », et nous nous prenons même parfois à douter du monde qui nous entoure. Ce que nous voyons à l’image, que ce soit sur les écrans de télévision, de cinéma ou d’ordinateur, a-t-il la même réalité à nos yeux que ce que nous voyons directement devant nous ? Rien n’est moins sûr. L’image distancie, et vide les choses de leur substance. Un homme qui meurt à l’écran ne nous touche pas de la même façon qu’un homme qui meurt dans nos bras.

Il ne tient qu’à nous, pourtant, d’utiliser les outils qui nous sont offerts à notre meilleur avantage. On ne se prive pas des bienfaits d’une invention sous prétexte qu’elle comporte aussi des méfaits. Si les fusils n’existaient pas, les morts seraient moins nombreux au cours des guerres ; mais dès lors que les fusils existent, pourquoi se battre avec de simples épées ?

Le mal causé par la virtualisation du monde peut être ainsi partiellement enrayé par le monde virtuel lui-même. Il n’est pas facile de penser seul ; alors pensons tous ensemble ! Mettons en commun nos idées, échangeons, instruisons-nous réciproquement. Utilisons l’Internet pour communiquer, et suscitons un partage d’idées qui redonnera du sens à nos tentatives isolées de réflexion. Ne soyons plus solitaires…

Les ventes de livres savants chutent depuis la fin des années 1970, même chez les enseignants du secondaire ou du supérieur, et malgré l’explosion du nombre d’étudiants à l’université. Les éditeurs indépendants voient leur audience limitée à des cercles de plus en plus restreints. Certains facteurs peuvent en partie expliquer ce phénomène, comme l’essor des nouvelles technologies, qui absorbent une grande partie du temps consacré par chaque citoyen à lire et s’informer. Mais le Web ne propose en général guère plus que des fragments de pensée, sur le mode du zapping. Nous voulons contribuer quant à nous, à notre niveau, à la restauration d’une pensée de fond, qui prenne le temps d’établir ses marques. Nous voulons lutter contre la superficialité d’une ère médiatique et numérique qui nous voue le plus souvent à la fragmentation cérébrale ou à la hâte et l’emportement militants…

Intellectuels de tous les pays, unissez-vous ! Ne laissez pas mourir l’esprit ! Rejoignez-nous ! Créons ensemble une nouvelle dynamique culturelle, un nouveau parti de l’intelligence, qui nous donne enfin les moyens de penser notre époque.

Source : Retour au réel [1]


Article printed from :: Novopress Québec: http://qc.novopress.info

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[1] Retour au réel: http://www.retouraureel.fr