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mardi, 25 mai 2010

Die Abschaffung des Todes durch Einfrieren

Die Abschaffung des Todes durch Einfrieren

Baal Müller

Ex: http://www.jungefreiheit.de/

hibernatus-affiche_158334_13426.jpgDie Vorstellung eines ewigen Lebens ist in den „klassischen Religionen“ bekanntlich mit der einer ewigen Glückseligkeit verknüpft. Wer möchte schon ewig leben, wenn er dann ewig zu leiden hätte? In der endlosen höllischen Peinigung – und nicht im ewigen Tod – sah man früher die eigentlich teuflische Strafe.

Der moderne Mensch hingegen fürchtet (heideggerisch gesprochen) eher die „Nichtung“, das Verlöschen aller Gedanken und Gefühle im Nichts; ein immerwährendes Glück erscheint seinem hedonistisch geprägten Sensualismus geradezu undenkbar, denn jedes Bewußtseinsereignis hat eine bestimmte Intensität, und auch das Glück ist folglich stärker oder schwächer, ein ewiges, höchstes Glück mithin nicht vorstellbar. (Ähnlich ist auch der Begriff der Allmacht widersprüchlich, denn jeder Begriff von Macht setzt einen, sie zugleich beschränkenden, Widerstand voraus.)

„Paradiese sind langweilig“, sagt Torsten Nahm daher im Interview mit der Zeitschrift Geo. Nahm ist Anfang dreißig, Mathematiker, Manager bei der Commerzbank – und Kryoniker. Als solcher möchte er zwar noch nicht gleich ewig leben, aber nach seinem Tod immerhin solange eingefroren werden – kryos (griechisch) bedeutet „Frost“ –, bis er in einer medizinisch fortgeschritteneren Zukunft aufgetaut und wiederbelebt werden kann. Wie diese Reanimierung ablaufen soll, ist derzeit nicht absehbar; sie muß aber, angesichts der schon lange bestehenden Möglichkeit, Samen- oder Organbanken anzulegen, nicht mehr als völlig utopische science fiction betrachtet werden.

Zumindest technisch ist immerhin die nahezu verfallsfreie Konservierung des Leichnams in flüssigem Stickstoff  bei minus 196 Grad, sofern das Einfrieren schnell und gewebeschonend erfolgt und das Blut durch Frostschutzmittel ersetzt wird, kein Problem, wohl aber – jedenfalls in Deutschland – juristisch, weshalb Nahm und andere Mitglieder der „Deutschen Gesellschaft für Angewandte Biostase e.V.“ darauf angewiesen sind, sich nach dem vorläufigen Ende ihrer Lebensfunktionen – von „Tod“ sollte nicht mehr gesprochen werden – schnell vereisen und in die Vereinigten Staaten überführen zu lassen, wo die Alcor Life Extension Foundation in Scottsville die professionelle Lagerung übernimmt. Die Vereinigten Staaten sind also nicht nur für lebende Gegner des staatlichen deutschen Schulzwanges, sondern auch für tote Kryoniker ein politisches Asyl; und tatsächlich sind ja nicht nur die Bestattungsvorschriften in Deutschland reaktionär und freiheitsfeindlich.

Die Kryonik wirft philosophische Fragen auf

Ungeachtet des optimistischen Glaubens an die Möglichkeiten künftiger Wissenschaft und Technik wirft die Kryonik mancherlei philosophische Fragen auf: Als erstes denkt man vielleicht an das ethische Problem, welche Instanz eines Tages darüber befindet, wer eingefroren wird und wer zu vermodern hat, wer des Auftauens würdig ist und wer nicht, und ob man den „Überschuß“, wie der experimentelle Gerontologe Klaus Sames ein wenig provokant formuliert, eines Tages auf den Mars „hochschießen“ darf.

Wahrscheinlich gibt es aber grundsätzliche Schwierigkeiten, die mit der Struktur des Bewußtseins zusammenhängen: Aus Kostengründen wird zumeist nur das Gehirn „kryonisiert“; der Rest gilt als prinzipiell ersetzbar. Muß ein so verderbliches Material aber überhaupt weiterhin als Gedächtnisspeicher und Bewußtseinsträger dienen? Könnte man nicht alle „Daten“ auf einen haltbareren Speicher „kopieren“? Setzt die Kryonik mit ihrer Hoffnung auf die „Auferstehung des Fleisches“ nicht auf das falsche Pferd? Ist das Gehirn überhaupt eine Art Computer, in dem geistige Regungen durch neuronale Funktionen hervorgebracht werden und sich lokalisieren lassen, oder gibt es doch eine primäre geistige Entität, die sich des Gehirns lediglich bedient?

Und selbst wenn man die Auffassung vom Gehirn als Speicher zugesteht: Wie könnte ein endliches Medium der unendlichen Datenmenge eines sich ewig fortsetzenden Bewußtseinsstromes zur Verfügung stehen? Von Zeit zu Zeit müßte die neuronale Festplatte wohl gelöscht und gereinigt werden, so daß die Kontinuität des erwünschten ewigen Lebens auch auf der Bewußtseinsebene unterbrochen wäre, was einem leiblichen Tod, den man durch geeignete „Reparaturmaßnahmen“ abzuschaffen hofft, gleichkommen würde.

Ein personales ewiges Leben ist wohl ebensowenig vorstellbar wie ewige Glückseligkeit oder unbeschränkte Macht.

 

Baal Müller, freier Autor und Publizist, geboren 1969 in Frankfurt/Main, studierte Germanistik und Philosophie in Heidelberg und Tübingen; 2004 Promotion zum Dr. phil. Für die JF schreibt er seit 1998. 2005 legte er eine belletristische Neubearbeitung des Nibelungenliedes vor. Jüngste Buchveröffentlichung: Der Vorsprung der Besiegten – Identität nach der Niederlage, Schnellroda 2009. Er ist Inhaber des Telesma-Verlags


lundi, 24 mai 2010

Politique et tyrannie de la transparence

Politique et tyrannie de la transparence

par Pierre LE VIGAN

Transparenz-142834.jpgOn vit une époque étonnante. Tout le monde s’épanche. Tout le monde y va de sa petite larme, de Jospin à Hillary Clinton. Il ne manque plus qu’Obama. Nous nageons dans l’épanchement intime. « J’ai bien connu votre “ papa ” (ou votre “ maman ”) » dit à l’un Michel Drucker dans son émission Vivement Dimanche –  il n’y a plus de père et de mère, plus que des papa et des maman. Ségolène Royal l’avait compris, elle qui se présentait en disant : « Je suis une maman ». Chacun juge utile de se « livrer », de se dévoiler, de faire si besoin son coming out. Les politiques comme les people. « J’ai souffert », affirme l’un. « J’ai changé », dit l’autre (ou le même). « Je me reconstruis », susurre une troisième. D’où la pipolisation de la politique. À tel point que cela finit par agacer d’autres politiques. « Ségolène [Royal] va trop loin dans la description de sa vie privée », disait récemment le socialiste Jean-Marie Le Guen.

La question est : faut-il « tout dire » ? Pour nous dire quoi ? Des choses que nous n’avons pas demandé à savoir ? Tel concurrent U.M.P. de Mme Pecresse en Île-de-France nous dit qu’il préfère les garçons. Et alors ? Cela n’a pas plus d’intérêt politique que de savoir s’il aime ou non les œufs au plat. Nous sommes dans l’expression brute des subjectivités, et non des idées. C’est le grand déballage des narcissismes. Exhibition et voyeurisme obligatoires : on parle à ce sujet de l’idéologie de transparence, et même à juste titre de la tyrannie de la transparence. C’est l’idée que tout doit être dit. Pour montrer qu’on est sincère et authentique. Et pour « trouver une solution » à tout.

Car si on dit tout, si on est transparent à soi et aux autres, « ça » devrait mieux « communiquer ». Donc, les conflits devraient disparaître. Exemple : la réponse au stress, ce sont les outils de gestion du stress, la réponse à l’angoisse c’est « trouver quelqu’un à qui parler » (un psy). La société de la transparence est aussi la société du « tout est psy ». Sortir du mal-être et des conflits c’est au fond une question… d’organisation et de communication.

La transparence, ce sont aussi les émissions de « sexo-réalité » dans lesquelles chacun vit en direct des expériences intimes. Ainsi, l’homme devient un objet manipulable. Il devient l’enjeu des dispositifs et des outils de gestion de la « ressource humaine ». C’est L’extension du domaine de la manipulation dont parle très bien Michela Marzano (Grasset, 2008). Car vouloir apparaître sincère et ouvert, c’est d’abord une stratégie de communication et donc une stratégie de pouvoir. La transparence repose sur la négation de la séparation entre ce qui est public et ce qui relève du privé. Les Grecs ne connaissaient pas cette séparation sous cette forme. Pour eux, il y avait ce qui est « naturel », zoologique, et n’avait en fait aucune importance, et ce qui est politique et public, et est seul important. C’est pourquoi les critiques de l’exposition de l’intime ne sont pas forcément des puritains. Ce sont des gens qui estiment que ce n’est pas important. Ou encore, ce sont des gens qui estiment qu’en ne parlant pas de tout, on préserve justement la possibilité des échanges. En effet, comme l’écrit Yves Jeanneret, la transparence est une illusion car « le langage ne donne directement accès, ni à l’être, ni à la vérité de celui qui parle ».

Les conséquences de l’exposition publique de qui était auparavant privé ne sont pas minces. C’est la réduction de l’espace public et de la politique au traitement d’affaires privées, en tout cas singulières et particulières. L’horizon du bien commun disparaît, les manifestations des ego de chacun prennent le pas sur lui. La politique se dilue dans l’expression d’intérêts particuliers, généralement humanitaires, qui appellent des réponses elles-mêmes segmentées : faire « quelque chose » pour les femmes battues, pour les handicapés, pour les supposés descendants d’esclaves, etc. Des objectifs parfois estimables mais parcellaires. Il y a là les ferments d’une privatisation du politique. « Le programme politique, l’expérience, la vision d’ensemble comptent moins que l’image personnelle, les anecdotes privées, les mésaventures mêmes qui pourront alimenter une chronique médiatique », écrivait la revue Esprit en janvier 2007 au seuil de la dernière campagne présidentielle.

Depuis Sarkozy et Royal, la médiatisation de la vie privée a pris des proportions inédites. Le privé est devenu la norme du politique. « La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi  le travail échapperait-il à cette loi ? », disait récemment Laurence Parisot, patronne du MEDEF. C’est une façon de faire des incertitudes de la vie personnelle de chacun la norme du social et du politique. Sophisme et cynisme du grand patronat.

En conséquence, le statut de l’intime, le plus privé du privé, est chamboulé. Exposé et surexposé, l’intime devient trivial. Quand il faut « tout dire », l’homme est privé de l’intime comme l’explique Michael Foessel dans La privation de l’intime (Seuil, 2008). L’intime s’évanouit : il ne supporte pas la lumière. Pas plus qu’il ne supporte l’excès de manipulation. La privatisation du politique a ainsi pour corollaire la privation de l’intime.

Mais l’instrumentalisation de l’intime a peut-être atteint ses limites.  Le culte de la transparence aussi. Loin d’être dupe, le public est devenu méchant. Il ricane plus qu’il ne sourit. Et surtout il ne respecte plus les politiques et se détourne de la politique. Il faudra pourtant bien y revenir. Sous des formes nouvelles peut-être.

Pierre Le Vigan

dimanche, 23 mai 2010

Alessandro Herzen alla scoperta dell' "Ultima Thule"

Alessandro Herzen alla scoperta dell' "Ultima Thule"

di Francesco Lamendola

Ex:
http://www.juliusevola.it/

Herzen.gifIl nome di Aleksandr Herzen (1812-1870) è familiare a quanti conoscono, anche superficialmente, la storia della Russia moderna: è quello del massimo esponente del populismo russo, amico di Michaìl Bakunin e fondatore del leggendario giornale La Campana. (1) Qui però non vogliamo parlare di lui, ma del maggiore dei figli che ha avuto da Natalia Ogareva (1817-1852), lui pure di nome Aleksandr, nato in Russia, a Vladimir, il 13 giugno 1839 e morto in Svizzera, a Losanna, il 24 agosto 1906, dopo una vita errabonda e irrequieta. Dopo di lui nascono Natalia, nel 1844 (morta nel 1936) e Olga, nel 1850 (morta nel 1853, come pure due fratelli maschi che muoiono prima di diventare adulti).

Dopo una giovinezza trascorsa in Gran Bretagna, Alessandro Herzen junior si trasferisce in Svizzera, a Berna, come tanti altri esuli russi di idee liberali o democratiche, cui non sorride l'idea di vivere in Russia sotto l'autocrazia zarista. Nella capitale della Confederazione Elvetica egli segue i corsi del fisiologo tedesco Maurizio Schiff, laureandosi in medicina nel 1861. Quando, due anni dopo - nel 1863 - Schiff si trasferisce in Italia come professore di anatomia e fisiologia a Firenze e fonda, in via Gino Capponi, il Laboratorio di fisiologia umana, Herzen lo segue e lavora nella capitale provvisoria del Regno d'Italia come suo assistente. L'attività dei due studiosi, però, dà esca a una violenta polemica sulla vivisezione. Nel 1873 si giunge addirittura a un processo, poiché alcuni nobili fiorentini accusano lo Schiff di turbare la quiete a causa di certi "ululati strazianti e grida di dolore [...degli] animali viventi come cani, gatti, ed ogni altra specie di animali". Herzen partecipa alla polemica con uno scritto vivace e battagliero intitolato Gli animali martiri, i loro protettori e la fisiologia. (2) In esso, fra l'altro, sostiene che "Gli animali martiri degli esperimenti fisiologici sono poca cosa rispetto agli animali martiri delle altre attività dell'uomo (sostentamento, comodo, lusso, "ghiottoneria", ignoranza, capriccio, ferocia e vanagloria, divertimento)". Da Firenze e dall'Italia, la polemica si amplifica e rimbalza in tutta Europa, coinvolgendo importanti giornali stranieri, tra i quali il Times di Londra e il Daily News; né accenna a placarsi se non dopo la partenza di Schiff dalla città in riva all'Arno. Il suo giovane assistente, comunque, ha potuto farvisi numerose amicizie, tanto che quando - nel 1876 - Schiff lascia Firenze, egli viene chiamato a ricoprire la cattedra del maestro. Herzen rimane all'Istituto di Studi superiori per altri cinque anni, fino al 1881, quando il suo temperamento inquieto lo spinge a lasciare l'Italia, per andare ad insegnare all'Accademia di Losanna. Egli si muove nel contesto del positivismo di fine Ottocento e, come epistemologo, elabora una forma di materialismo dinamico, analogo a quello professato, allora, dal fisiologo olandese Jakob Moleschott (1822-1893), autore di importanti studi sulla respirazione dei tessuti e sulla fisiologia dei nervi cardiaci, e dal geologo e chimico norvegese Johan Herman Lie Vogt (1858-1932), autore di studi fondamentali sui processi di cristallizzazione nelle scorie dei forni. Tra le sue opere scientifiche ricordiamo almeno Analisi fisiologica del pensiero umano, pubblicata a Firenze nel 1879, e - in francese - Le cerveau et l'activité cérebrale, edita a Parigi nel 1889. (3)

A noi, della sua esistenza cosmopolita dei suoi molteplici interessi culturali, importa qui il periodo fiorentino, perché nel corso di esso egli decide di partecipare ad una spedizione scientifica verso l'Artide e precisamente all'isola di Jan Mayen, nel 1861. Sperduta fra la Norvegia e l'Islanda, l'isola (372,5 kmq.) è leggermente più grande di Maiorca, la maggiore delle Baleari e, benché geograficamente appartenga all'Europa, trovandosi a 71° di latitudine Nord e a 8°30' di longitudine Ovest rientra nella zona polare, in pieno Mare di Groenlandia. (550 km. a Nord-est dell'Islanda).. Ha pressappoco la forma di un femore lungo 53,7 km. ed è allineata da Nord-est a Sud-ovest, con le due parti montuose collegate da un istmo di soli 2,5 km. che ospita due lagune d'acqua dolce. La sommità meridionale, chiamata Sörlandet, tocca gli 843 m. con la Elisabethtoppen (che però, a quella latitudine, corrispondono a un'alta montagna delle Alpi), mentre la parte settentrionale o Norlandet, assai più vasta, culmina nel massiccio vulcanico del Beerenberg, a 2.277 metri s. l. m., ricoperto da una calotta glaciale, con una decina di lingue che scendono fino al mare. Il cratere, largo più di 1 km., ha una cavità profonda 200 m. e interamente riempita di ghiaccio; dai 300 m. di quota le sue pendici sono coperte di neve e ghiaccio. L'ultima eruzione del vulcano risale al 1732; poi, nel 1818, è stata osservata una notevole fuoriuscuta di vapori, che in piccola parte sono ancora visibili. Le coste dell'isola sono alte e precipiti, innalzandosi da fondali profondi tra i 2 e i 3.000 m.; le ripe presentano in più punti un'altezza di 300 metri e sono a strapiombo, specialmente sul versante settentrionale e orientale del Beerenberg.(4) Scoperta da Henry Hudson nel 1608, che la chiamò con il suo nome, Jan Mayen fu riscoperta e ribattezzata più volte negli anni successivi, ha ricevuto il suo nome definitivo da un capitano olandese nel 1614. Il clima è il bizarro risultato dell'incrociarsi di due correnti marine, una calda e una fredda: la Corrente del Golfo e la Corrente della Groenlandia orientale. Le temperature medie invernali registrano una media di - 6°, quelle estive fra 5° e 6°. D'inverno l'isola è interdetta alle navi a causa del pack, e questa è una delle ragioni per cui, benché sia stata più volte raggiunta da cacciatori e coloni, non è mai stata abitata permanentemente fino al 19121, quando i Norvegesi vi hanno installato una stazione radio e meteorologica. Tra il 1958 e il 1963 vi è stato costruito un campo di atterraggio per gli aerei destinati a rifornire i meteorologi che lavorano nella stazione, situata presso la costa occidentale; ma, quando la vista la spedizione scientifica italiana del 1861, questa terra isolata e sperduta, una delle più solitarie del mondo, non è popolata che da una fauna ricchissima di uccelli marini e migratori e di mammiferi (5) Tra questi ultimi, la volpe artica sulla terra e le foche nel mare erano quelli maggiormente cacciati dall'uomo. La flora vanta la presenza di 51 specie complessive.

Questa, dunque, l'isola che Aleksandr Herzen visita nel 1861, quando ha soli 22 anni ma un forte spirito d'osservazione e una marcata curiosità scientifica. Parla e scrive l'italiano piuttosto bene; ma la sua relazione di viaggio non viene pubblicata che nove anni dopo, sul Bollettino della Società Geografica Italiana, col titolo assai modesto di Una gita a Jan Mayen. (6) Ma è tempo di cedere la parola al giovane Herzen, nel cui racconto sentiamo lo stupore e al tempo stesso l'acutezza dello sguardo di una mente pervasa di spirito scientifico.

"Da quando abbiamo lasciato la Norvegia, noi non abbiamo letteralmente veduto che il cielo e l'acqua; il 10 e l'11 [agosto 1861] abbiamo ancora trovato dei porci marini (Phocaena) e qualche balena; i primi venivano a centinaia a giuocare, a far capitomboli ed a nuotare cercando chi primo passasse la prora dello schooner; le balene al contrario, non si facevano vedere che da lontano; era al disotto della loro volontà occuparsi di noi; esse si divertivano a lanciare maestosamente un potente getto d'acqua colle loro nari, ed a percuotere le onde colla loro immensa coda, producendo un suono similea lontanissimo cannoneggiamento. Rari uccelli avevano ancora attraversata l'aria, tutti palmipedi, soprattutto dei gabbiani di differenti specie. Qualche Cyanaea ed Aurelia, le meduse più comuni di queste regioni furono gli ultimi animali invertebrati che noi potemmo scoprire nell'acqua ed anche questi finalmente sparirono…

"A misura che avanzavamo, la Procellaria glacialis diveniva di più in più frequente; noi non l'avevamo scorta che rarissimamente lungo la costa norvegiana, e sempre da lontano. Qui potevamo studiarne a piacere il volo e le abitudini. È un uccello grande come un gabbiano ordinario, d'un bianco giallognolo con mantello grigio. Il suo volo è pesante ed imbarazzato, allorché vuole elevarsi, ma graziosissimo, elegante e rapido allorché sdrucciola sulla superficie dei cavalloni, inclinando le sue ali immobili secondo l'ondulazione loro e sfiorando qualche volta colla punta di una di esse la cresta aguzza d'un'onda più alta… Non potevamo a meno di meravigliarci del loro numero, e soprattutto della facilità colla quale essi trovavano di che nutrirsi, mentre, colla più grande attenzione, ci era impossibile scoprire nell'acqua la più piccola traccia di esseri viventi…

"
[Il giorno 19, a tavola]
il capitano ci dichiarò con sicurezza ch'egli aveva verificato il suo calcolo, e che noi dovevamo in questo stesso giorno, verso le 4 dopo mezzogiorno, o battere le rocce di Jan Mayen colla prua della nave od oltrepassare l'isola senza vederla a causa della nebbia. Vi fu un momento di silenzio, non sapevamo che dire, tutti desideravamo girar di bordo, ma nessuno aveva il coraggio d'essere il primo a proporlo francamente. Il capitano si alza da tavola e va sul ponte, per vedere se tutto è in ordine; noi restiamo un poco pensierosi, e continuiamo a masticare in silenzio. Ad un tratto il capitano apre con fracasso l'invetriata della nostra cabina e grida con tutta la forza dei suoi polmoni: - Venite, salite, presto, si vede Jan Mayen! -. Ci alziamo subito, con un sol movimento, i piatti rotolano, i bicchieri si rompono, il cane si getta sopra la salsa rovesciata e noi ci precipitiamo sul ponte.

"- Dove, dove?-. - Là, là…nella nebbia. - - Ma non vedo nulla!-. È troppo tardi, tutto è sparito, si è scoperta un momento la cima del vulcano, ma la cortina nebbiosa si è subito rinchiusa…un momento dopo la nebbia si dirada in un punto che il vento scaccia dinanzi a sé, si apre, si chiude, si riapre di nuovo, e sparisce. Di nuovo una lacuna nelle nubi, si avvicina alla montagna, ma tornerà a chiudersi come le altre prima di lasciar intravedere… Ah! Eccola! Una maestosa vetta, coperta di neve e di ghiaccio, apparisce nell'azzurro del cielo, brillante, diafana; ma la nebbia l'inviluppa nuovamente, e noi attendiamo invano la grazia d'un secondo colpo d'occhio. In quel momento il cielo si oscura, la nebbia diviene d'uno spessore impenetrabile. Al livello del mare si stendeva una zona d'un violetto carico, quasi nero; vi si distingueva di tanto in tanto la schiuma delle onde lanciata ad un'altezza prodigiosa; le onde non battevano evidentemente su d'una riva unita, ma venivano a rompersi con violenza contro rupi scoscese o contro i bordi taglienti d'una cintura di ghiaccio…

"
[L'indomani] il mare rassomigliava meno che nei giorni antecedenti al piombo liquido, la nebbia lasciava distinguere i contorni delle nubi, ornati delle tinte calde e vive dell'aurora, di quando in quando ci sembrava scoprire, dietro le masse di nebbia che scorrevano silenziosamente lungo le onde, qualche cosa d'immobile, un'indicazione di ghiaccio, un'ombra di rocce; l'orizzonte si rischiara al Nord-est; le colonne di nebbia spariscono una dietro l'altra, diventano diafane, passano più rapidamente davanti i contorni ancora incerti, ma sempre più determinati, e qualche momento più tardi abbiamo davanti a noi il Baerenberg in tutta la splendidezza della sua nudità, arrossendo ai primi raggi del sole. La sua enorme sommità, a 7.000 piedi al disopra il livello del mare, coperta di neve, brillava gaiamente al sole e rifletteva delle tinte ardenti d'oro, e di rosa delicato; nove ghiacciaie [ la forma maschile "ghiaccio" non aveva ancora, alla metà dell'Ottocento, soppiantato quella femminile in uso già dal settecento, "ghiacciaia": nota di F. Rodolico]
increspate e fesse serpeggiavano sui fianchi della montagna, trasparenti come smeraldo fin nel mare; le ondate schiumanti venivano a rompersi qua, contro i ghiacci ridenti e diafani, là contro le rocce nere e lugubri. Il mare era d'un celeste carico, il cielo ancora pallido, un silenzio assoluto regnava intorno a noi, non vi era traccia alcuna d'essere umano, era un momento veramente grandioso e noi restammo molto tempo senza parlare…

"
[Nella]
mattinata… la costa diviene più distinta; incontriamo più frequentemente dei pezzi di ghiaccio strappati ai piedi delle ghiacciaie; gli uccelli marini di tutte le specie diventano più numerosi ed in mezzo ad essi l'antica nostra conoscenza, la Procellaria glacialis; dei piccoli uccelli neri nuotano, s'immergono e spariscono; dei grandi uccelli bianchi volano pesantemente; la nostra venuta mette tutta questa popolazione dalle piume, in un'agitazione straordinaria; è un andare e venire, correre, tuffarsi, nuotare senza posa, e tutto questo con un'aria profondamente seria, come se adempissero ad un loro sacro dovere. Le loro opinioni a nostro riguardo, circa alle nostre intenzioni pacifiche o bellicose non si accordavano niente affatto, almeno a giudicarne dai suoni stridenti de abbominevolmente falsi che uscivano dai loro becchi largamente aperti, la produzione dei quali sembrava sovente costasse loro uno sforzo considerevole. Speravo ancora, ed il mio cuore si contraeva a questa folle speranza, incontrare in qualche lontano ridotto l'ultimo rappresentante della nobile razza degli Alca impennis!

"A misura che noi ci avvicinavamo, l'aspetto della montagna diveniva sempre più fantastico e variato. Le rocce mostravano, su di un fondo uniformemente opaco, delle tracce ora rosse, ora gialle, indicanti i diversi strati della lava; vi erano dei punti d'un verde bellissimo, ma non potevamo distinguere se era erba, muschio, o qualche massa minerale. Le superfici liscie che le ghiacciaie presentavano al mare, si elevavano perpendicolarmente, come mura di smeraldo, si sentiva di quando in quando affondarsi qualche massa di ghiaccio, diveniva evidente che noi non potevamo abbordare, le onde urtavano le rocce con tal violenza, , che non osavamo nemmeno tentare la prova; esse ammucchiavansi di più come per prendere uno slancio e gittarsi quindi confusamente da una roccia all'altra, per coprire colla loro schiuma le più ardite aguglie…

"
[Solo dopo qualche giorno fu possibile lo sbarco] sopra una lunga diga posta fra il mare ed un piccolo lago d'acqua dolce, che ha forse trenta metri di larghezza per due chilometri di lunghezza. Si può traversare a guado in quasi tutti i punti… I grandi uccelli bianchi, i soli che io desideravo possedere, non si lasciarono avvicinare; corsi invano un'intiera ora, il fucile sempre armato, senza arrivare a tirare un colpo solo; mi misi allora a cercare delle piante e delle pietre. Non si vedeva che di quando in quando qualche piccola pianta mal cresciuta, che uscivano appena dalle screpolature della lava; le loro foglie erano quasi secche e pallide; sembravano avessero paura di mostrarsi al giorno e cercassero qualche briciola d'un nutrimento parco in quei fessi oscuri, dove il vento dimentica per caso un po' di polvere. Sulla lava stessa non vi era che qualche traccia di vegetazione crittogama, un muschio giallognolo copriva il lembo umido delle colline: ma il nero ed il grigio predominavano dappertutto. Regnava un silenzio perfetto: niente si muoveva; soli, gli ammassi di lava mi circondavano sparpagliati nel modo più strano, essi stessi di forme fantastiche e stravaganti, rassomiglianti alle ruine di una città abbandonata, costrutta da esseri favolosi, estranei a noi; quelle punte, quegli angoli taglienti mi facevano l'effetto d'edifizi, di torri, di chiese, resti affondati d'un mondo del tutto diverso. Dimenticai me stesso per qualche tempo in mezzo a quelle forme misteriose e m'immaginai che davanti a me passasse la processione magica che Heine vide, dalla capanna d'Uraka, allorché andò ad uccidere Atta Troll, il terribile orso di Ronceval [episodio del poemetto satirico Atta Troll del grande poeta tedesco Enrico Heine, 1799-1856; n. di F. Rodolico]
… Un grido sperduto mi richiamò da tali fantasticherie: uno dei grandi uccelli bianchi, oggetto dei miei desideri, circolava al disopra della mia testa; impugnare il fucile e sparare fu affare d'un istante; l'uccello cadde ai miei piedi; lo credetti morto, ma quando andai a prenderlo, ebbe ancora la forza di mordermi fortemente il dito; era una specie di gabbiano piuttosto raro…

"Dopo il pasto, decidemmo di traversare l'isola al punto più stretto e meno elevato, onde vedere la costa del Nord. Prendemmo i nostri fucili nella vaga speranza d'incontrare delle volpi, le cui tracce erano così numerose intorno a noi. Marciando, trovammo rimasugli d'uccelli evidentemente divorati dalle volpi, ma non potemmo trovare una sola di queste… Mi contentai di avanzarmi fino al punto culminante del colle, ove ebbi sull'Oceano glaciale, la vista la più estesa. Con mia grande sorpresa vidi svolgersi a me davante, verso il Nord-ovest, un mare perfettamente chiaro, un orizzonte lontano che non presentava alcun indizio di ghiaccio. La linea tremante dell'orizzonte non era interrotta che in due punti: all'est della corona colossale del Baerenberg ed all'Ovest da una collina, un cratere secondario, la cui tinta nera contrastava colla bianchezza di quella faccia…

"Infrattanto il sole si avvicinava all'orizzonte, le lave prendevano una tinta d'un rosso carico, come se esse si riscaldassero nuovamente e volessero muoversi, ardenti, distruggendo spietatamente tutto quanto esse incontrassero sul loro cammino."
(7)

Da queste pagine si ricava l'impressione di uno scrittore che sa equilibrare l'aspetto scientifico della relazione di viaggio, prendendo nota degli strati geologici e delle specie di uccelli, con quello propriamente letterario, mostrando capacità di tratteggiare scene umoristiche, come quella del cane che si getta sopra la salva rovesciata; poetiche, come quella della prima luce dell'alba che si fa strda tra la nebbia, animando il grandioso paesaggio dell'isola; e quasi di evocazione surreale, come quello scenario di rocce che, nel gran silenzio, pare animarsi dei profili d'una ciclopica città perduta. Ricaviamo inoltre l'impressione che Herzen abbia intrapreso la lunga e rischiosa crociera nei mari nebbiosi a nord della Scandinavia inseguendo un suo sogno segreto e quasi inconfessabile: la riscoperta dell'alca gigante, speranza rivelatasi purtroppo illusoria. Infatti, come scrive il naturalista svizzero Vinzenz Ziswiler, "L'irresponsabile razzia [delle uova] fu fatale già nel secolo scorso all'alca gigante (Alca impennis). Questa - la più grande della famiglia degli Alcidi, le cui ali, come nel pinguino, non erano più atte al volo, era già sterminata intorno al 1850. Solamente pochi e preziosi esemplari conservati nei musei permettono oggi di farci un'idea di questo uccello." (8) Dispiace invero quel colpo di fucile nel magico, arcano silenzio di Jan Mayen, e quel grande uccello colpito a morte, senza un'ombra di rincrescimento, per amore della scienza; così come, anni dopo, in nome della scienza sosterrà il buon diritto di vivisezionare le cavie nel Museo di Storia naturale di Firenze… Ma tant'è,: nonostante qualche venatura romantica (si noti, ad esempio, quel riferimento ad Heinrich Heine), Herzen è pur sempre uno scienziato positivista, che avrebbe considerato una forma di sentimentalismo quella di impietosirsi per il destino di qualche uccello artico. In ciò sta il limite della sua impostazione culturale, almeno dal nostro punto di vista di uomini del XXI secolo: ora che i ghiacci dell'Artico si stanno sciogliendo, ora che tante e tante altre specie animali e vegetali sono andate estinte a causa della "civiltà"; ora che gli sconvolgimenti climatici e ambientali rischiano di privarci, per sempre, di un pianeta ospitale e accogliente in cui vivere.

Note

(1) HERZEN, Aleksandr (senior), Passato e pensieri, Milano, Mondadori, 1970

(2) HERZEN, Alessandro, Gli animali martiri, i loro protettori e la fisiologia, introd. A cura di Giovanni Landucci, Firenze, Giunti, 1997 (in Appendice: Sopra il metodo seguito negli esperimenti sugli animali viventi nel Museo di Storia Naturale di Firenze, cenni del prof. Maurizio Schiff).

(3) PALMERINI, Agostino, voce H. della Enciclopedia Italiana, ed. 1949, vol. XVIII

(4) AHLMANN, Hans von, voce J. M. della Enc. Ital., vol. XVIII

(5) Cfr. il Milione. Enciclopedia di tutti i paesi del mondo, Novara, Istituto Geografico De Agostini, 1968, vol. 4, p. 141

(6) HERZEN, Alessandro, Una gita a Jan Mayen, in Boll. Della Reale Soc. Geogr. Ital., fasc. 5 (parte 3 a) del 15 novembre 1870

(7) RODOLICO, Francesco (a cura di), Meraviglie della natura negli avventurosi viaggi degli esploratori italiani dell'Ottocento, Firenze, Le Monnier, 1968, pp. 1-5.

(8) ZISWILER, Vinzenz, Animali estinti e in via di estinzione, Milano, Mondadori, 1975, p. 27.

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samedi, 22 mai 2010

Carlo Michelstaedter: il coraggio dell'impossibile

Carlo Michelstaedter: il coraggio dell'impossibile

di Miro Renzaglia

Fonte: secolo d'italia


«So che faccio cose inopportune e a me non convenienti». Avrebbero potuto essere le parole iniziali del recente intervento di Gianfranco Fini alla direzione nazionale del Pdl e, invece, sono quelle di Sofocle che troverete in epigrafe alla prefazione della tesi di laurea di un giovane studente di Gorizia, Michelstaedter, di cui quest'anno ricorre il centenario della morte, avvenuta per suicidio il 17 ottobre 1910, proprio alla vigilia della discussione accademica.
E quella tesi, mai discussa appunto, è diventata negli anni una delle opere di filosofia più enigmatiche e affascinanti del nostro panorama sapienziale novecentesco, portandone lo stesso titolo voluto dall'autore: La persuasione e la retorica. È il testo unico che ci ha lasciato. Oddio, proprio unico non è: fra poesie ed epistolario non c'è praticamente riga vergata dal goriziano che non abbia visto luce editoriale. Compreso quel Dialogo della salute e altri scritti sull'esistenza che viene riproposto da Mimesis (pp.210, € 16,00), a cura e con l'approfondito saggio introduttivo di Giorgio Brianese, docente di Ontologia dell'esistenza e Propedeutica filosofica all'Università Ca' Foscari di Venezia.
«Carlo Michelstaedter - afferma Brianese - scrisse il Dialogo della salute nel 1910, mentre lavorava alla stesura della tesi di laurea, e lo concluse il 7 ottobre. Dieci giorni dopo si sarebbe tolta la vita. Cosa può significare riflettere, dialogando socraticamente, sulla salute trovandosi nel contempo in prossimità di una morte volontaria? Non si creda che Michelstaedter, nelle sue pagine, irrida il nostro "stato mortale", come sembra fare il custode del cimitero nella pagina che apre il Dialogo. Piuttosto egli c'invita a essere pienamente
noi stessi ritrovando la verità profonda della nostra esistenza: chi ha la "salute" può guardare in faccia persino la morte, la quale "di fronte a lui è senz'armi". Perché l'oscurità, per lui, "si fende in una scia luminosa", ed egli "sa godere la luce del sole"». La persuasione e la retorica, la salute e la morte, l'essere e il divenire, l'esistenza e il nulla, sono queste le dicotomie intorno alle quali il pensiero di Carlo Michelstaedter si arrovella, concentrandosi sull'unico fattore che le risolva tutte in un colpo solo e alla radice: la libertà. La libertà di essere autentici in sé senza lasciarsi ingabbiare in uno qualsiasi dei ruoli che «la comunella dei malvagi», o della società che tutto omologa, pretende di assegnarci. Come per Nietzsche, anche per lui il campione della mistificazione della libertà resta Platone (e Aristotele), con la sua repubblica perfetta e ideale dove a ognuno è affidato una funzione e, soprattutto, una finzione: quella di essere «liberi di essere schiavi». Schiavi delle convenzioni, del possesso di cose e virtù omologate, della carriera, del successo, del denaro e, soprattutto, schiavi del futuro. Quel futuro che rinviandoci continuamente ad un sole dell'avvenire sempre prossimo e successivo ci espropria dell'unica vera libertà che abbiamo: quella di essere qui e di esserlo adesso. È la «via della salute»: «Ci son cose che distruggono la salute stessa e del corpo e dell'anima, contro le quali né forza fisica vale né animo libero, cose che ti tolgono appunto questa libertà e questa forza e ti tengono debole e miserabile in lor balìa […]. Quale forza fisica o quale virtù ti potrà mai salvare dalla morte? No: val meglio coglier l'attimo che fugge, sani o malati, e fuggire con lui, quando che voglia il caso» (dialogo 2). L'oraziano carpe diem, quindi: cogli il giorno, prendi l'attimo, vivi il presente e quam minimum credula postero, confida il meno possibile nel domani, sembra essere la ricetta dell'uomo in salute, del persuaso. Sennonché a dettare l'ode di Orazio è quel «dio del piacere», quella «philopsichia», che Michelstaedter aborrisce reputandola responsabile di creare l'illusione che una sopravvivenza qualsiasi sia la vita stessa nella pienezza del suo significato. Così non è e, infatti: «Quando si parla comunemente dei "piaceri" come di posizioni determinate che danno il piacere, siamo ormai nella posizione ammalata: e andiamo a cercare il piacere per sé, a sfruttare la nostra posizione verso una cosa per avere un sapore che in quanto lo andiamo a cercare non lo abbiamo più. Vogliamo godere due volte di noi: non più "godo - perché sono" - ma "son io che godo", e in realtà non godiamo più» (dialogo 8).
Carlo Michelstaedter vede con chiarezza dov'è il trucco e lo svela: tutto ciò che crediamo vita non è altro che una serie infinita di espedienti per sfuggire al dolore. E il principio del piacere è il primo fra tutti gli inganni. Ma il dolore è vita e la fuga dal dolore
non è altro che fuga dalla vita, rinviando all'infinito del verbo divenire, l'essere vivo. Ha ragione Brianese quando osserva che sussiste in Michelstaedter un principio di contraddizione, o di non risoluzione, quando pretende attingere per il suo apologo sulla "salute" e sulla "persuasione", sia da Eraclito, profeta del panta rei, tutto scorre, e quindi del "divenire" che da Parmenide maestro dell'immobilità dell'"essere in quanto è". Ciononostante, non fu il primo a tentare una sintesi avendo come predecessore Empedocle e contemporaneo quel Nietzsche che vaticinava nell'eterno ritorno il punto di massima approssimazione del divenire all'essere. La massima nicciana: «Si diviene ciò che si è», avrebbe potuto essere sottoscritta, l'avesse conosciuta, anche dal goriziano. Ed entrambi, riconoscenti intellettualmente a Schopenhauer, partivano dal suo assunto secondo il quale: «Reale è solo il dolore», perché noi: «Sentiamo il dolore, non l'assenza di dolore». Ed è la lotta contro il dolore, non la fuga in derivati anestetizzanti, che insegna a vivere. È, come appare elementare, una lotta di liberazione e non di supina accettazione della sofferenza, magari come via salvifica all'ultraterreno: «Davanti al tiranno (dolore) io sono senza colpa», dirà Nietzsche. Con Michelstaedter che invoca: «Il coraggio di sopportare / tutto il peso del dolore».
Che uno (l'ex professore basilese) sia morto pazzo, e l'altro (lo studente goriziano) suicida, nonostante fossero due menti votate entrambe alla "salute", forse non depone molto in favore del fatto che le loro teorie fossero facilmente e
felicemente praticabili. E Giorgio Brianese, almeno nel caso di Michelstaedter, non manca di rilevarlo con un certo grado di pessimismo realista: «La persuasione è dunque l'ideale limite al quale l'uomo non potrà mai giungere, ma al quale non per questo deve rinunciare a tendere. La rettorica è ciò che si sa che va negato, la persuasione è ciò che si sa che va attuato; e tuttavia la persuasione è impossibile e la rettorica risulta vincente». Ma di nuovo e tuttavia, quando il palio della partita che si gioca «a ferri corti con la vita», è la libertà stessa di autodeterminarsi uomini, anziché ciechi e assuefatti ingranaggi di un sistema che ce ne espropria, varranno per sempre i versi del sommo Dante: «Libertà vo cercando, ch'è si cara, / come sa chi per lei vita rifiuta...». O, se si preferisce e come sembra più appropriato in questa conclusione, con le parole di Carlo Michelstadter stesso: «Il coraggio dell'impossibile è la luce che rompe la nebbia, davanti a cui cadono i terrori e il presente divien vita».

Tante altre notizie su www.ariannaeditrice.it

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lundi, 17 mai 2010

De crisis van het humanisme

De crisis van het humanisme

Ex: http://yvespernet.wordpress.com/

Onlangs ben ik een paar interessante boeken tegengekomen die een gezonde kritiek geven op het (atheïstische) humanisme. Een kritiek die geen reactionaire bedenkingen bevat en durft stellen dat het humanisme ook goede dingen heeft voortgebracht. Denken we maar aan het vallen van de absolute vorsten, de vooruitgang in de geneeskunde en het algemeen onderwijs. Maar we moeten eerlijk zijn, tegenover die verwezenlijkingen staat een grote “MAAR”.

In één van die boeken “Onbehagen met het modernisme”, later meer over deze boeken, staat een mooie anekdote over Georges Sorel. De man zelf was een orthodoxe marxist en trok dan ook ten strijde tegen de gevestigde orde, inclusief tegen God. Rebelleren tegen de Almachtige is immers simpel en atheïsten gedragen zich dan ook vaak als de ongelovige versie van de Taliban. Tegenover God plaatsen zij daarboven ook nog eens de verheerlijking van de wetenschap. Een menselijk gegeven dus dat faalbaar is. Het perfecte en het Allerhoogste wordt dus niet langer als streefdoel, met het volle besef dat het onbereikbaar is, gezien, maar wel het feilbare en het middelmatige. Generaties humanisten en atheïsten hebben dan ook geprobeerd om hun visie te funderen op sterke menselijke voorbeelden, maar mensen als George Sorel (maar ook Nietzsche) beseften dat ze daarin jammerlijk begonnen te falen:

Sorel [bestudeert] in ‘Le système historique de Renan’ de deelname van het christendom aan het ontstaan van een nieuwe cultuur: martelaars en monniken hebben door hun geloof en hun voorbeeld een nieuwe wereld helpen scheppen. Sorel, die een aandachtige lezer van Ernest Renan is geweest [...] was geobsedeerd door een vraag van de auteur ‘Vie de Jésus’ over het postchristendom: ‘De religieuze mensen leven van een schaduw. Wij leven van de schaduw van een schaduw. Waarvan zal men na ons leven?’ Die vraag drukte inderdaad op zeer acute en paradigmatische wijze de vrees van Sorel uit: welk geloof (welke mythe) zal de nodige morele en sublieme inspiratie geven na het verdwijnen van het christendom?

Onbehagen met de moderniteit“, Uitgeverij Pelckmans, Kapellen, 2001, p. 48

Ondertussen kunnen we wel zeggen welke mythe dat is geworden. De mythe van het materialisme, de massaconsumptie en de gecommercialiseerde maatschappij. Geen God, geen moraal. Atheïsme is een moordende wereldvisie. Niet zozeer omdat het streeft om God te doden, maar omdat het de moraal van de mens (al dan niet onbewust) doodt. Uiteindelijk zullen wij zonder God niet meer worden dan consumerende dieren. En als dat het kroonstuk moet zijn op duizenden jaren beschaving, dan kan ik enkel met een grote droefheid naar de geschiedenis kijken.

12 mei 2010 Geplaatst door Yves Pernet

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samedi, 01 mai 2010

Edmund Burke et la Révolution française

edmund-burke.jpgArchives de SYNERGIES EUROPÉENNES - 1988

 

Edmond Burke et la Révolution Française

 

par Jacques d'ARRIBEHAUDE

 

Les Réflexions sur la Révolution en France,  publiées à Londres le 1er novembre 1790 par Edmund Burke, célèbre parlementaire irlandais, n'ont cessé depuis lors d'irriter la longue suite de nos dirigeants politiques épris de niaiseries démagogiques et accoutumés à endormir l'opinion de mascarades égalitaires dans l'imposture généralisée des "Droits de l'homme et du citoyen".

 

A la veille du Bicentenaire dont les fastes dispendieux et grotesques vont encore ajouter au trou sans fond de la Sécurité Sociale et crever un peu plus la misérable vache à lait électorale saignée à blanc par les criminels irresponsables qui, au nom de l'Etat et pour le bonheur du peuple, osent encore exhiber le bonnet phrygien et se réclamer de la "Carmagnole", la lecture de Burke, telle une cure d'altitude, est un merveilleux contrepoison.

 

Félicitons comme ils le méritent le jeune historien Yves Chiron (auquel l'Académie vient de décerner le Prix d'Histoire Eugène Colas) et son éditeur qui ren-dent enfin accessible au public un ouvrage depuis long-temps introuvable, un auteur dont la liberté d'ex-pression, la vigueur de pensée, la puissance évocatrice et prophétique toujours intacte, réduisent à son abjection et à son néant  l'"Evénement" dont on nous somme sans répit de célébrer la générosité sublime, la gloire sans pareille, et une grandeur que le monde entier, jusqu'au dernier Botocudo, jusqu'à l'ultime survivant de la terre de Feu et de Rarotonga, ne cesse de nous envier frénétiquement.

 

Cependant, Yves Chiron note à juste titre dans son étude que "ce qui se passe en 1789-1790 n'est pas un évènement localisé et spécifiquement français: c'est le premier pas vers un désordre généralisé où se profilent la vacance du pouvoir, la disparition des hiérarchies sociales, la remise en question de la propriété – la fin de toute société.

 

Plus précisément, c'est la date du 6 octobre 1789 que Burke, contemporain, retient comme signe fatal et révélateur, marqué par le glissement irréversible dans la boue et le sang. "Dans une nation de ga-lan-terie, dans une nation com-posée d'hommes d'honneur et de chevalerie, je crois que dix mille épées seraient sorties de leurs fourreaux pour la venger (la Rei-ne) même d'un regard qui l'aurait menacée d'une insulte! Mais le siècle de la chevalerie est passé. Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé: et la gloire de l'Europe est à jamais éteinte".

 

Burke fut le premier à dénoncer l'imposture des "droits de l'homme"

 

Or, par une sinistre ironie de l'Histoire, il se trouve que la France s'est précipitée dans cet interminable bourbier au moment précis où son prestige était le plus éclatant, son économie en pleine ascension, la qualité de sa civilisation reconnue partout sans con-teste. Ainsi que le souligne Yves Chiron, Burke note que les "droits de l'homme" flattent l'égoïsme de l'individu et sont ainsi négateurs, à terme, de la vie sociale. Dans un discours au Parlement (britannique), en février 1790, il s'élève avec violence contre ces droits de l'homme tout juste bons, dit-il, "à inculquer dans l'esprit du peuple un système de destruction en mettant sous sa hache toutes les autorités et en lui remettant le sceptre de l'opinion". L'abstraction et la prétention à l'universalisme de ces droits, poursuit Chiron, contredisent trop en Burke l'historien qui n'apprécie rien tant que le respect du particulier, la différence ordonnée et le rela-ti-visme qu'enseigne l'Histoire. Il n'aura pas de mots assez durs pour stigmatiser Jean-Jacques Rousseau, "ami du genre humain" dans ses écrits, "théoricien" de la bonne nature de l'homme et qui abandonne les enfants qu'il a eu de sa concubine: "la bienveillance envers l'espèce entière d'une part, et de l'autre le manque absolu d'entrailles pour ceux qui les touchent de près, voilà le caractère des modernes philosophes… ami du genre humain, ennemi de ses propres enfants".

 

Un autre paradoxe, et non des moindres, a voulu que les sociétés de pensée, l'anglomanie aveugle et ridicule qui sévissait partout en France alors même que la plupart de nos distingués bonimenteurs de salon ne comprenait un traître mot d'anglais, aient pu répandre l'idée que les changements qui se préparaient seraient à l'image de cette liberté magnifique qui s'offrait Outre-Manche à la vue courte, superficielle et enivrée, d'un peuple d'aristocrates honteux, de sophistes à prétention philosophiques, de concierges donneurs de leçons et de canailles arrogantes.

 

Logorrhée révolutionnaire et pragmatisme britannique

 

Nul ne s'avisait dans le tumulte emphatique qui rem-plissait ces pauvres cervelles de débiles et de gre-dins, de ces "liaisons secrètes" que Chateaubriand a si bien perçu par la suite entre égalité et dictature, et qui la rendent parfaitement incompatible avec la liberté. L'Angleterre, pays de gens pratiques, ne pouvait qu'être aux antipodes de l'imitation "améliorée" que l'on croyait en faire, et ses grands seigneurs, accourus pour acheter à vil prix le mobilier et les trésors de la Nation vendus à l'encan, n'en revenaient pas de ce vertige de crétinisme et de l'hystérie collective et criminelle emportant follement le malheureux peuple de France vers l'esclavage, la ruine et l'effacement de la scène du monde, au nom de fumées et d'abstractions extravagantes, mensongères et pitoyables". Quant à la masse du peuple, dit Burke, quand une fois ce malheureux troupeau s'est dispersé, quand ces pauvres brebis se sont soustraites, ne di-sons pas à la contrainte mais à la protection de l'autorité naturelle et de la subordination légitime, leur sort inévitable est de devenir la proie des impos-teurs. Je ne peux concevoir, dit-il encore, comment aucun homme peut parvenir à un degré si élevé de présomption que son pays ne lui semble plus qu'une carte blanche sur laquelle il peut griffonner à plai-sir… Un vrai politique considérera toujours quel est le meilleur parti que l'on puisse tirer des matériaux existants dans sa patrie. Penchant à conserver, talent d'améliorer, voilà les deux qualités qui me feraient ju-ger de la qualité d'un homme d'Etat.

 

Burke, écrit Chiron, "ne conteste pas que la France d'avant 1789 n'ait eu besoin de réformes, mais était-il d'une nécessité absolue de renverser de fond en comble tout l'édifice et d'en balayer tous les décombres, pour exécuter sur le même sol les plans théo-riques d'un édifice expérimental? Toute la France était d'une opinion différente au commencement de l'année 1789". En effet. Et, comme l'exprime si jus-tement la sagesse populaire anglaise, "l'enfant est parti avec l'eau du bain". L'énigmatique "kunsan-kimpur" que nos marmots ont obligation d'ânonner dans nos écoles avec les couplets de l'amphigourique et grotesque "Marseillaise" n'abreuve depuis lurette le plus petit sillon de notre exsangue et ratatiné pré carré. Seuls des politicens que le sens du ridicule n'étouffe pas vibrent encore de la paupière et des cor-des vocales tandis que de leur groin frémissant s'échappe indéfiniment, telle une bave infecte, la creu-se et mensongère devise de notre constitution criblée d'emplâtres: "Liberté, égalité, fraternité".

 

Céline décrit le résultat...

 

Céline, si lucide et si imperméable à la rémoulade d'abstractions humanitaires dont résonnent sans trève nos grands tamtams médiatiques, et qui savait son Histoire comme on ne l'enseigne nulle part, a dé-crit la situation une fois pour toutes dans une des pages les plus saisissantes du Voyage.  "Ecoutez-moi bien, camarade, et ne le laissez plus passer sans bien vous pénétrer de son importance, ce signe ca-pi-tal dont resplendissent toutes les hypocrisies meurtrières de notre société; "L'attendrissement sur le sort du miteux…! C'est le signe… Il est infaillible. C'est par l'affection que ça commence… Autrefois, la mode fanatique, c'était "Vive Jésus! Au bûcher les hérétiques!" mais rares et volontaires, après tout, les hérétiques. Tandis que désormais… les hommes qui ne veulent ni découdre, ni assassiner personne, les Pacifiques puants, qu'on s'en empare et qu'on les écartèle afin que la Patrie en devienne plus aimée, plus joyeuse et plus douce! Et s'il y en a là dedans des immondes qui se refusent à comprendre ces choses sublimes, ils n'ont qu'à aller s'enterrer tout de suite avec les autres, pas tout à fait cependant, mais au fin bout du cimetière sous l'épithète infâmante des lâches sans idéal, car ils auront perdu, ces ignobles, le droit magnifique à un petit bout d'ombre du monument adjudicataire et communal élevé pour les morts convenables dans l'allée du centre, et puis aussi perdu le droit de recueillir un peu de l'écho du Ministre qui viendra ce dimanche encore uriner chez le Préfet et frémir de la gueule au-dessus des tombes après le déjeuner".

 

Que l'on me pardonne cette citation un peu longue et d'ailleurs incomplète, mais elle m'a paru comme un prolongement naturel des Réflexions  de Burke, tout en évoquant irrésistiblement l'Auguste Président, grand amateur de cimetières, panthéons et nécropoles, qui s'apprête à commémorer en grande pompe et dans l'extase universelle le Bicentenaire de l'incomparable Révolution Française.

 

Jacques d'ARRIBEHAUDE.

 

Yves CHIRON, Edmond Burke et la Révolution Française,  Editions Téqui, Paris, 1988, 185 pages (54 FF).

 

 

mercredi, 28 avril 2010

L'Homme, entre chien et loup...

L'Homme, entre chien et loup...

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com/

Nous reproduisons ici un texte de réflexion de Jean-Michel Truong, spécialiste de l'intelligence artificelle et écrivain, auteur de Totalement inhumaine, un essai stimulant, publié chez Les empêcheurs de penser en rond en 2001 et consacré à l'avénement des consciences artificielles qui succéderont à l'homme. Intitulé L'Homme, entre chien et loup, ce texte est mis en ligne sur le site personnel de l'auteur. 

Truong.jpg

 

L'Homme, entre chien et loup

Un verre de vin mouillé d'un soupçon d'eau, est-ce toujours du vin ? Certes non, s'indigneront les puristes, quand d'autres, moins sourcilleux, concéderont que, peut-être... Mais à partir de quelle proportion d'eau n'est-ce vraiment plus du vin ? La moitié ? La moitié plus une molécule ?

Et un homme coupé de rat ou de brocolis, est-ce encore un homme ? A partir de quelle proportion de gènes animaux ou végétaux n'est-ce plus un humain ? D'un cerveau branché, après un accident, sur un robot de survie, dira-t-on que c'est une machine ou une personne ? Les progrès de la technologie - transgenèse et hémi-synthèse humaines, prosthétique et biotronique - peupleront la conscience moderne de créatures mi-chèvre mi-chou, mi-figue mi-raisin, mi-carpe mi-lapin, mi-or mi-plomb, qui n'en finiront pas de l'interpeller, voire de la déchirer : ces alliages innommables, ni tout-à-fait humains ni totalement animaux, ni franchement naturels ni vraiment artificiels, qui devra en prendre soin ? Les médecins, les vétérinaires ou les électromécaniciens ? La sécurité sociale remboursera-t-elle leur maintenance ? Si elle refuse, auront-ils la faculté de demander réparation en justice ? Au fait, jouiront-ils des droits de l'homme ? De certains d'entre eux, peut-être ? Dans ce cas, de quelle portion des-dits droits devra bénéficier le chimpanzé, sachant que son génome diffère du nôtre de 1,2% seulement ?

Partout l'actualité suscite de semblables questionnements, de portée moindre, parfois, mais engendrant toujours un même désarroi. Dans l'ordre politique, par exemple : La France, à partir de quelle concentration d'Africains, Maghrébins et Chinois n'est-elle plus la France ? Un gouvernement, à partir de combien de ministres de gauche n'est-il plus de droite ? Que faire de la Turquie, ni tout à fait européenne, ni totalement asiatique ? La Chine est-elle le dernier bastion du communisme ou l'avant-garde du capitalisme ? Quand deux avions de ligne détruisent les Twin Towers, est-ce un crime de droit commun ou un acte de guerre ? Et à propos, à partir de combien de victimes peut-on parler de guerre ? A deux, on reste dans l'ordre de grandeur de la nuisance individuelle ; à dix, on entre probablement dans la zone du crime organisé ; à cent mille, on est clairement dans l'apanage des Etats. Mais à 2973, nombre de celles qui furent relevées des décombres du 11 Septembre ?

Ou dans l'ordre économique : quand la dette d'un ménage américain se retrouve, après une longue et opaque série de transactions, dans le bilan d'une banque européenne, quid de la relation créancier-débiteur ? L'emprunteur américain fait défaut, mais c'est le client de la banque européenne qui se voit refuser un crédit. Quant au prêteur initial, il y a longtemps qu'il a tiré ses marrons du feu, rémunéré pour un risque qu'il n'a pas pris, quand le précédent est pénalisé pour une dette qu'il n'a pas souscrite.

Ou encore, dans la sphère éthique : la vie, à partir de quel stade devient-elle humaine ? Dès la fécondation ? A la naissance ? Plus tard encore ? Le débat passionna la fin du 20ème siècle. Quant au nôtre, il se déchirera autour de la question symétrique : à quel moment cesse-t-elle, cette vie, d'être pleinement humaine ? A la mort clinique ? Cérébrale ? Ou sitôt que, pour une raison ou une autre, elle « ne vaudra plus la peine d'être vécue » ? Quel traitement réserverons-nous dès lors à ces êtres « plus tout-à-fait humains » ? Le débat sur les êtres « pas encore humains » fonda notre droit à l'interruption volontaire de grossesse. Celui qui se développe actuellement préparerait-il un droit à l'interruption volontaire de vieillesse ?

Animal/homme, synthétique/naturel, autochtone/étranger, droite/gauche, Europe/Asie, communisme/capitalisme, paix/guerre, créancier/débiteur, vie/mort, humain/non-humain... c'est à une véritable crise de la disjonction que nous nous trouvons confrontés. La modernité se brouille avec des ontologies établies, pour certaines, dès la Préhistoire. Partout où prévalaient des oppositions tranchées entre catégories disjointes, le développement des sciences, des moeurs, des idéologies et des sociétés insinue de l'entrelacé, du dégradé et de l'indémêlable. Là où nous peinâmes, des millénaires durant, à creuser des discontinuités, notre siècle brutalement réinstaure du continu. Le monde était tout en contrastes, le voici tout estompé.

Mauvais coup pour nos neurones. Depuis l'aube de la pensée, ils étaient accoutumés à percevoir et manipuler des entités discrètes - les Nombres, Formes et Idées de Platon, les idées « claires et distinctes » chères à Descartes. Dans l'ordre spatial ils avaient pris l'habitude de discerner des essences pures au sein de champs hétérogènes, dans le temporel des états stables au fil de fluctuations continues. Au terme de ce processus d'échantillonnage du réel, de réduction des dispersions à des valeurs centrales, de la variété à des types, tout ce que l'univers contenait de matière à penser s'était trouvé comme condensé en quelques astres massifs - les concepts qui jusqu'à ce jour structuraient nos perceptions et précontraignaient nos actions. L'espace intersidéral était réputé vide, et les rares résidus y dérivant encore destinés à tomber, tôt ou tard, dans l'orbite de l'étoile la plus proche.

Pour prix du renoncement de notre intelligence à saisir le réel en sa totalité, nous gagnâmes la science. Or voici qu'elle nous apprend que la masse totale de matière à penser excède de beaucoup la somme de celles des astres qui hantaient notre univers mental. Ironie de l'histoire : c'est la science elle-même qui, en découvrant un nombre toujours croissant d'entités atypiques - voire en leur donnant le jour - attire aujourd'hui notre attention sur cette matière noire à l'ignorance méthodique de laquelle elle doit l'existence.

Voilà donc ce qui se joue en ce début de millénaire : une révolution cognitive et épistémologique, un point d'inflexion historique où l'esprit - après un long détour par la pureté des concepts, la clarté des disjonctions, l'exclusive des logiques, et grâce précisément aux outils forgés au cours de ce détour - découvre et fabrique partout de la transition, du continu, du gradient, de la fusion, du flou. Notre style de représentation préféré - cette « ligne claire » délimitant de grands aplats homogènes qui prévalut, des grottes de Lascaux aux bandes dessinées de Hergé, en passant par les cartes géographiques et les fresques de la haute Egypte - s'avère inadéquat, et nos outils de prédilection - logique du tiers exclu, calcul des prédicats, ordinateurs digitaux - irrelevants.

L'émergence de modes de représentation et d'instruments de pensée adaptés sera la grande affaire de l'esprit dans les âges à venir. Plusieurs siècles s'écouleront sans doute avant que nos pupilles, accoutumées à la lumière crue des soleils artificiels, accommodent aux lueurs incertaines du crépuscule : songeons aux vingt-cinq qui furent nécessaires, depuis Antigone, aux concepts d'individu et de droits attachés à la personne, pour s'imposer - encore qu'imparfaitement - à la conscience universelle. A plus courte échéance - les deux ou trois décennies dont les lecteurs de ce texte ont une chance raisonnable d'être les acteurs - trois ordres de pathologies peuvent être redoutés :

- Les paniques cognitives en réponse à des situations inédites que nos vieilles catégories ne savent pas prendre en charge. La guerre d'Irak nous en offre une illustration spectaculaire. Dans l'urgence d'un événement proprement impensable, les décideurs américains opérèrent une série de replis successifs sur des positions cognitives préparées à l'avance. Le 11 Septembre fut ainsi, faute de modèle plus pertinent, assimilé à un acte de guerre, Al Qaeda à un Etat agresseur et l'Afghanistan d'abord, l'Irak ensuite, substitués à ce dernier lorsqu'il s'avéra ne pas présenter les caractéristiques - notamment géographiques, démographiques et patrimoniales - désirables d'un point de vue militaire conventionnel : car où faire la démonstration de l'efficacité vengeresse de ses missiles quand l'adversaire n'a pas de territoire, épancher son courroux quand il n'a pas de populations civiles, prélever un butin quand il n'a aucun actif ?

- La glaciation doctrinale autour des identités menacées, le raidissement des nostalgiques de la clarté-distinction, l'insurrection des adeptes d'ontologies obsolescentes, la réaffirmation violente des particularismes, le culte frénétique des exceptions, les exclusions et excommunications réciproques, la balkanisation, enfin, des grands ensembles géopolitiques et idéologiques dont la formation, surmontant les clivages historiques, avait jusqu'ici semblé jalonner la marche de la civilisation. Plus significative à cet égard que les haines immémoriales des fanatiques - telle celle qui depuis l'origine de l'Islam ensanglante shiites et sunnites - qui finissent, tant elles sont récurrentes, par faire partie du décor, est la récente revendication de l'Eglise catholique romaine de Benoît XVI à détenir seule « l'intégrale vérité du christianisme », par laquelle cette institution, jusqu'ici plus portée au dialogue, porte un coup peut-être fatal à un effort lent mais continu de réunification des églises néotestamentaires.

- Le Kriegsweh, enfin, ce désir, cette terrifiante nostalgie de guerre, qui s'empare des désemparés quand, à bout de désarroi, ils se laissent fasciner par la clarté qu'elle instaure, les distinctions qu'elle impose - entre amis et ennemis, ceux qui sont avec nous et ceux qui sont contre nous, ceux qui partagent nos valeurs et ceux qui s'y opposent, les alliés et les traîtres, les combattants et les lâches -, et les jugements expéditifs qu'elle autorise. L'homme du crépuscule chérira la guerre, non pour l'hégémonie, le pétrole ou même les idées, mais pour sauvegarder, aussi longtemps que possible, son esthétique de la ligne claire.

 

Jean-Michel Truong

Texte publié pour la première fois in De qui demain sera-t-il fait ? Institut Aspen France, Editions Autrement, Paris 2008

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mardi, 27 avril 2010

Arnold Gehlen et l'anthropologie philosophique

Gehlen.jpgArnold Gehlen et l'anthropologie philosophique

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com/

Les éditions de la Maison des sciences de l'homme viennent de publier Essais d'anthropologie philosophique,un recueil de texte du philosophe allemand Arnold Gehlen. Fondateur de l'anthropologie philosophique, sa réflexion porte sur l'homme en tant qu'"animal inachevé" (Nietzsche) mais "ouvert au monde". Considéré comme un des intellectuels conservateurs les plus importants  de XXème siècle, son oeuvre a été, jusqu'à présent, très peu traduite en français et donc largement ignorée de ce côté-ci du Rhin. Seules les éditions PUF ont publié, il y a tout juste vingt ans, un de ses ouvrages, un recueil de textes intitulé Anthropologie et psychologie sociale. Il convient aussi de noter que la revue Krisis d'Alain de Benoist a traduit un texte de Gehlen, Problèmes psychosociologiques de la société industrielle, dans son numéro consacré à la technique (n°24, novembre 2000).

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"Le premier article de ce recueil définit l'anthropologie philosophique comme la science de l'être humain, de concert avec la morphologie, la physiologie, la psychologie, la linguistique, la sociologie, etc. Science philosophique systématique et interdisciplinaire, elle est fondée sur des hypothèses exemptes de toute « métaphysique ». L’homme. Sa nature et sa position dans le monde (1940) présente les plus fondamentales. Deux articles publiés en 1951 et en 1968 leur ajoutent des éléments du pragmatisme anglo-américain et des éléments de la psychanalyse freudienne. L’idée essentielle de Gehlen est que « l’action et les transformations prévues du monde, dont la quintessence porte le nom de "culture", font partie de l’"essence" de l’être humain, et [que], à partir du point d’approche que constitue l’action, on peut en construire une science globale ».

Influencé par Kant, Herder et Fichte, mettant ses pas dans ceux de Jakob von Uexküll et de Konrad Lorenz, l’homme est selon lui une créature qui se maintient en vie par la transformation et l’amélioration permanente des données de la nature. Sa défectuosité biologique est compensée par l’invention technique. Dépourvu de « niche écologique », il s’adapte à tous les milieux, il est capable en dépit d’une pression intérieure immédiate d’ajourner son action ; cette espèce d’hiatus lui permet de la planifier, d’anticiper l’avenir.
Ces thèses ont nourri la réflexion de Jürgen Habermas, Hans Blumenberg, Ernst Tugendhat, Theodor Adorno.

Quand les pollutions, le dérèglement climatique, etc., menacent l’avenir de l’humanité, mais quand aussi s’expriment partout le souci de sa préservation, alors il est temps de découvrir l’anthropologie d’Arnold Gehlen."

lundi, 26 avril 2010

Jakob Wilhelm Hauer (1881-1962)

Hauer.jpgJakob Wilhelm Hauer (1881-1962): le philosophe de la rénovation religieuse

 

La trajectoire de Jakob Wilhelm Hauer est peut-être la plus étonnante en ce siècle de bouleversements et d'horreurs guerrières, de bagarres idéologiques et d'aplatissement culturel. Né dans un milieu pié­tiste à Ditzingen-Bompelhof en Souabe, dans une famille de paysans et d'artisans jadis émigrés d'Autriche vers la Forêt Noire, au temps où la monarchie des Habsbourg tolérait mal les protestants dans ses états. La famille Hauer est très pauvre, la vie est dure et tragique à Ditzingen: deux jeunes sœurs meurent le même jour lors d'une épidémie de scarlatine; Jakob Wilhelm, fort affaibli, survit. Dès son jeune âge, il doit aider son père à gagner maigrement sa vie. Mais cette rude expérience, cette jeu­nesse triste, lui livre un trésor incomparable: il expérimente et intériorise la solidarité entre les membres d'une communauté de sang. Jamais ce sens de la solidarité n'a fléchi chez lui. Cet exemple familial est à la base du principal concept que Hauer théorisera, avec son ami Martin Buber:  Das Gemeinsame, la communauté. Devant les cadavres de leurs deux petites fillettes, les parents de Hauer avaient formulé un vœu: si le garçon survit, il devra être au service de Dieu. Dieu a exaucé le malheu­reux couple: Hauer, en dépit de toutes les difficultés matérielles, deviendra pasteur et missionnaire; il fréquentera le lointain Gymnasium  et il étudiera la théologie, avec l'aide du pasteur de Ditzingen, qui lui donne des cours particuliers d'une telle qualité qu'en entrant à l'école des missionnaires à dix-huit ans, le jeune Hauer est plus calé que ses condisciples. En 1900, il part à pied à Bâle pour entrer au sé­minaire des missionnaires. Il y est un élève modèle, un “bûcheur” hors ligne, mais qui lit, à l'insu de ses supérieurs, des livres prohibés, “païens”: l'Edda, Goethe, Schiller, Nietzsche, la Divine Comédie  de Dante, et surtout Das Wesen des Christentums  de Harnack. Sa foi chrétienne est fort ébranlée, mais il le cache, car il a vraiment envie d'être missionnaire, de quitter l'Europe et de partir à l'aventure dans un pays lointain, exotique. On lui réserve un poste en Inde, sur la côte de Malabar. Mais auparavant, il doit connaître l'anglais. La mission lui paie un stage à Edimbourg en Ecosse.

 

Il effectuera sa première mission en Inde à Palghat, où il entre en contact avec la civilisation et la cul­ture indiennes. C'est là, au fond, que tout va basculer: Hauer ne convertira aucun Indien. C'est l'Inde qui va le convertir, qui va lui faire découvrir sa propre “indo-européanité”. Après un premier séjour là-bas, de 1908 à 1909, il étudie à Oxford de 1910 à 1915, avec juste une interruption: un séjour dans un camp de concentration anglais, réservé aux “alien ennemies”. Mais il peut retourner à l'université, avec la promesse de ne pas s'évader. C'est à Oxford que Hauer approfondit ses connaissances de l'Inde et surtout des techniques du Yoga. Ses travaux le rendent éminemment suspect aux yeux des supérieurs du séminaire des missionnaires de Bâle. La rupture avec le christianisme est irrémédiable. Elle est con­sommée en 1920, où Hauer devient Privatdozent  en histoire des religions, attaché à l'Université de Tübingen. Mais la routine de l'université l'ennuie. Il cherche à poursuivre sa vocation de missionnaire, non plus au service d'un protestantisme fortement teinté de piétisme, non plus sous des cieux exo­tiques, mais au profit d'une vision religieuse ancrée dans la nature, dans les paysages, axée sur la cha­rité communautaire, sur l'esprit de solidarité avec les siens, sur l'ascèse et la discipline intérieure qu'enseigne le Yoga indien, et, enfin, sur ce sentiment, encore diffus chez lui, d'une fibre religieuse commune à tous les Indo-Européens, de l'Islande au Gange. Pour enseigner cette vision religieuse sur­plombant tout ce qui est établi, bousculant toutes les conventions universitaires, il faut un terrain vierge. Et qu'offre l'Allemagne d'après 1918 comme “terrain vierge”, sinon les mouvements de jeu­nesse alternatifs, issus du Wandervogel d'avant 1914? Il fréquentera d'abord le groupe Die Neuen, animé par un pasteur, Rudolf Daur, qui commence, lui aussi, à s'émanciper des dogmes chrétiens, puis fonde une véritable école alternative, organisée sur le modèle des ligues de jeunesse: le Bund der Köngener,  dont il devient automatiquement le premier “chancelier”.

 

Ce Bund der Köngener  est trop peu connu; pourtant, il fut le théâtre de débats inimaginables au­jourd'hui, où tout est contingenté, politisé, dogmatisé, hyper-simplifié et médiatisé. Les tenants des idéologies ou des confessions les plus diverses et, apparemment, les plus contradictoires, ont pris la pa­role à cette tribune alternative, y ont confronté leurs points de vue et ceux qui avaient vraiment abjuré toute forme de dogmatisme stérilisant y ont enrichi leur bagage religieux, théologique ou philoso­phique. Le Bund der Köngener  est sans nul doute le meilleur exemple d'anti-dogmatisme en ce siècle où des millions d'hommes se sont écharpés pour ne pas s'être écoutés. Martin Buber y a présenté son humanisme et son “enracinement” juifs, de même qu'une vision du Reich (allemand) reposant sur les traditions juives, où le peuple serait éduqué et discipliné dans son intériorité et non pas par le truche­ment d'un appareil d'Etat coercitif; Karl Otto Paetel, rédacteur du Manifeste national-bolchevique, qui partira s'engager dans les Brigades Internationales et connaîtra l'exil à New York après la défaite de l'Espagne républicaine, y a défendu son idéal du paysan-soldat; Ernst Krieck, le pédagogue allemand, membre de la NSDAP et grand pourfendeur de Heidegger, y a pris la parole; des communistes, des protestants, des catholiques y ont dialogué. Mais les passions politiques faisaient rage dans cette Allemagne au bord de la guerre civile, où SA et SS étaient prêts fondre sur leurs homologues des ligues communistes et du Reichsbanner social-démocrate. Des propagandistes nazis obtus décrètent que le Bund der Köngener est “enjuivé” par la présence de Buber; les chrétiens déplorent la présence de non-chrétiens; les “rouges” refusent de dialoguer avec Krieck et Bäumler (spécialiste du matriarcat de Bachofen, de Nietzsche et du “romantisme tellurique”; membre de la NSDAP); etc. Hauer et Buber ten­tent de maintenir la sérénité du débat, y parviennent, mais réduisent automatiquement le nombre de participants et ne bénéficient plus d'aucune publicité.

 

L'idéal des Köngener était de créer une sorte de solidarité interconfessionnelle entre tous ceux qui, sur la Terre, souhaitaient sauver l'essentiel des messages religieux, le sens des communautés, devant le raz-de-marée de la modernité désaxante, déracinante, individualisante. Leurs adversaires disaient d'eux qu'ils voulaient créer une “religion-esperanto”... Reproche infondé dans le sens où la qualité des interventions et des intervenants éloignait leurs démarches de tout affadissement ou aplatissement de style “espérantiste”. A partir de 1933, quand le pouvoir change de mains à Berlin, le Bund der Köngener, dont le statut est celui d'un mouvement de jeunesse, change de nom et d'objectifs pour ne pas devoir se dissoudre dans les jeunesses hitlériennes. Finalement, Hauer fonde la Deutsche Glaubensbewegung, à laquelle se joint toute une série d'autres associations de recherches religieuses (qui mériteraient aussi d'être analysées plus en profondeur). L'association doit faire les concessions d'usage au nouveau parti totalitaire pour pouvoir continuer à exister en toute indépendance. Hauer et ses amis souhaitent surtout que les recherches religieuses demeurent indépendantes, n'aient pas à s'aligner sur les diktats d'un parti ou à s'inféoder à une église ou à un “christianisme germanique”. En 1935, Hauer et le Comte Ernst zu Reventlow remplissent le Palais des Sports de Berlin, pour parler de religion et de métaphysique! La puissance de ce mouvement patriotique mais alternatif, de ces tenants d'une révolution intérieure (Buber!), devient suspecte. Les attaques ne cessent plus: c'est dans le parti et non pas dans une “association extérieure” qu'on réalisera la révolution (même la révolution intérieure); on interdit aux membres de la jeunesse hitlérienne de faire partie de la DGB; finalement, Heydrich en devient membre pour mieux la contrôler. La présence du chef de la police fait perdre au mouvement tout son aura. Hauer est contraint d'adhérer aux différentes instances du parti, afin de conserver ses chaires. Buber se réfugie en Palestine. Mais les modestes nominations de Hauer le compromettront après 1945. L'indéfectible amitié de Martin Buber, émigré en Palestine en 1938 après la “Nuit de Cristal”, le tirera d'affaire. Et la grande aventure de ces deux formidables complices pourra continuer jusqu'à la mort de Hauer en 1962. Les associations qu'ils ont fondées ou patronnées dans les années 50 continuent de travailler aujourd'hui.

 

Les années 30 sont aussi l'occasion pour Hauer d'approfondir ses connaissances de la religiosité in­dienne, de développer sa critique des dogmatismes, de réfléchir sur la métaphysique indo-aryenne du combat et de l'action, de poursuivire une quête mystique germanique en tentant, à la suite de Maître Eckart, de dégager une vision thioise du divin et de la foi (dont un texte paraîtra en français en 1935: «Le mouvement de la foi germanique», in Revue des vivants. Organe de la génération de la Guerre, IX, 1935, pp. 1491-1504). Parallèlement à cette triple recherche, Hauer tente une réflexion en profondeur sur les assises physiques et somatiques des religiosités enracinées et sur les questions impassables de la mort et de l'immortalité. En 1937, paraît un livre qui reprend l'essentiel de ses recherches en indologie, Glaubensgeschichte der Indogermanen. Dans la préface à cette anthologie, Hauer insiste sur le carac­tère nécessairement “proche de la vie” et “ancré dans un peuple précis” de toute religiosité vraie, du­rable et authentique. Il y livre aussi, de façon très concise, ses méthodes de recherche et ses conclu­sions. Notamment la différence entre foi (Glaube)  et religion (Religion).  «Par “religion”, j'entends le monde des formes religieuses, qui, en tant que partie de la culture globale d'un peuple, est soumis aux lois du devenir et de la disparition. La foi, en revanche, est l'expérience originelle de la réalité ultime et le domaine des forces intérieures, vivantes dans les tréfonds de l'âme des peuples et des races. C'est de l'interaction de ces forces que nait le monde des formes religieuses. Celles-ci sont symboles, indices, de ce domaine de l'intériorité. Voilà pourquoi on ne peut pas écrire d'histoire de la foi sans d'abord écrire une histoire de la religion. Les faits relevant de l'histoire de la religion doivent nous guider, de façon à ce que nous puissions aller à la rencontre de cette vie intérieure et que nous puissions en saisir le sens, créativement. Ainsi jaillira la connaissance sur base de laquelle nous pourrons oser une histoire de la foi. Mais nous ne serons saisis par ce sens que si ce sens est apparenté à notre propre essence».

 

La religiosité indo-européenne est une religiosité de l'action, notamment de l'action guerrière. Pendant toute sa vie, Hauer s'est insurgé contre un a priori sur le Yoga, considéré comme un exercice purement contemplatif. A priori évidemment faux, car, écrit-il dans la préface de Glaubensgeschichte der Indogermanen, une forme particulière du Yoga, dans la tradition zen du bouddhisme japonais, est le pilier porteur d'une noblesse guerrière, les Samouraïs, qui ont fait l'Empire nippon. «Ma conviction est qu'il est impossible de comprendre la civilisation indo-aryenne sans comprendre le Yoga, tout comme il est impossible de comprendre l'hellenité en excluant l'orphisme ou le platonisme, ou de comprendre la germanité, si on ôte la mystique de son patrimoine (ici, j'entends “mystique” au sens totalement posi­tif de “voie vers l'intériorité”. Sans cette voie vers l'intériorité, dans quelque forme que ce soit, il n'y a pas d'indo-européanité, ni même de germanité). L'homme indo-européen déploie certes une puissance d'action hors mesure et fait montre d'une volonté indomptée d'agir sur le monde; mais il sent instincti­vement qu'il court un grand danger, si cet agir sur le monde extérieur n'est pas compensé par un re­tour aux tréfonds de l'âme et un rassemblement des forces qui y résident, pour les opposer ensuite au monde extérieur. La religiosité indo-européenne tourne donc autour de deux pôles: d'une part, une pulsion qui la conduit à plonger dans les tréfonds de l'âme pour y découvrir ses lois et, d'autre part, une foi active en Dieu et dans le destin, impliquant un sens très austère et très sérieux de sa responsabilité dans le monde. Dans la tension qui résulte de cette opposition, jaillit la formidable dynamique de l'histoire de la foi indo-européenne, cette dynamique qui lui donne son élan constant».

 

En conséquence, la tradition indienne et le yoga ne peuvent pas être considérés comme des fuites hors du monde: «... Au contraire, c'est ici une joie d'être dans le monde qui est à l'œuvre, un sens d'être abrité dans le monde (Weltgeborgenheit) qui donne le ton». Le monde n'est donc pas dépourvu d'essence (divine), il n'est pas opposé à Dieu ou aux dieux (gottwidrig). Il n'est pas nié au profit d'un espoir de voir advenir un monde “tout-autre”, parfait, où le tragique n'aurait plus sa place. Au contraire, le monde et ses conditions, ses tragédies et ses deuils, est accepté comme tel et opposé à une intériorité inconditionnée, qui est présente dans le monde, qui peut arraisonner ce monde, que les esprits les plus lucides et les plus clairvoyants ont la faculté de saisir.

 

Revenons aux événements du XXième siècle. La tension qui a existé entre les autorités du Troisième Reich et la Deutsche Glaubensbewegung  est indéniable. Mais en 1945, qu'est-ce qui a incité les autori­tés anglo-saxonnes à ostraciser Hauer, à le suspecter de collaboration avec le régime, au-delà des titres honorifiques ou autres que lui avaient octroyés des fonctionnaires zélés et propagandistes? La dernière activité de Hauer pendant la guerre a été de mettre sur pied un “Institut Indien” à l'Université de Tübingen. Pour mener cette tâche à bien, il collabore avec le leader des indépendantistes indiens, Subha Chandra Bose, allié de l'Axe et des Japonais, pour qui il recrute des troupes. Ni les Américains ni les Anglais ne peuvent avaliser cette politique, qui aurait pu sérieusement ébranler la puissance des Anglo-Saxons pendant le conflit et qui a jeté les premières bases de l'indépendance indienne de 1947. Hauer paiera cher cette collaboration somme toute bien innocente avec Subha Chandra Bose. Il est ar­rêté le 3 mai 1945 et interné dans un camp de concentration allié. En 1947, il est relâché. Très vite, il remonte son institut indépendant d'études religieuses, qui devient l'Arbeitsgemeinschaft für freie Religionsforschungen und Philosophie. Plus tard, en 1957, avec les Prof. Heller, Brachmann et Berger, Hauer participe à la création de la Freie Akademie. Il en restera le président jusqu'à sa mort. La Freie Akademie poursuit toujours ses travaux aujourd'hui.

 

A partir de 1950, dans une ambiance plus sereine, sans arrière-fond de guerre civile, Hauer poursuit ses travaux et élargit l'éventail de ses préoccupations: réflexions sur la crise religieuse contemporaine, notion de destin, mythes et cultes des peuples primitifs, religiosité de l'“homme occidental”, réflexions sur la tolérance, étude sur le matriarcat, etc. Il meurt le 18 février 1962.

 

Trois grandes leçons doivent être tirées de l'œuvre de Hauer. D'abord, c'est toujours ce fameux “facteur X”, soit la “réalité intérieure”, qui détermine la vie religieuse et l'histoire de chaque peuple. Ce “facteur X” peut se retirer du monde, replonger dans les tréfonds de l'âme, pour revenir fortifié et agir sur la trame des événements. L'Europe finira donc par retrouver sa vision tragique du monde, cette tension fructueuse entre intériorité et arraisonnement du monde. Ensuite, la notion, partagée avec Martin Buber, de “communauté”, plus exactement, Das Gemeinsame. Tous les représentants d'un même peuple partagent une variante bien précise de l'idée (platonicienne) de “communauté”. C'est leur épine dorsale religieuse et historique. Sans cette notion, un peuple dépérit. Mais comment empê­cher ce sentiment de la communauté d'être étouffé par l'idéologie dominante, rationaliste, matérialiste et individualiste? Par la tolérance. Et la tolérance selon Hauer et Buber est la troisième grande leçon que nous devons retenir. La tolérance, ce n'est pas tout accepter indistinctement, c'est au contraire se hisser largement au-dessus des opinions idéologiques conventionnelles, pharisiennes et mesquines. De ce fait, la tolérance selon Hauer n'est pas un facteur de dissolution, mais un principe qui permet de dé­gager l'essentiel et d'unir les hommes sur la base de cet essentiel et, ainsi, de mettre un terme à des que­relles stériles, comme celles qui ont ensanglanté ce XXième siècle. Cette tolérance-là il faut la graver dans son cœur et dans son cerveau. Pour rester fidèle aux deux seuls hommes qui ont su rester haut au-dessus de la mêlée: Hauer et Buber.

 

Detlev BAUMANN.

SOURCE: Margarete DIERKS, Jakob Wilhelm Hauer (1881-1962). Leben. Werk. Wirkung, Verlag Lambert Schneider, Heidelberg, 1986, 607 p., DM 88, ISBN 3-7953-0510-1 (Bibliographie très complète, livres, articles et recensions). Précisons que les éditions Lambert Schneider sont celles qui éditent les œuvres complètes de Martin Buber. Dans la politique éditoriale de la maison, les deux amis restent donc unis, par-delà la mort.

 

Sur la Deutsche Glaubensbewegung: Ulrich NANKO, Die Deutsche Glaubensbewegung. Eine historische und soziologische Untersuchung, Diagonal-Verlag, Marburg, 1993, 372 p., DM 39,80, ISBN 3-927165-16-6.

vendredi, 23 avril 2010

Cioran: martyr ou bourreau?

Cioran : martyr ou bourreau ?

Réflexions sur le renversant faux-pas d'un politicien libéral

 

par José Javier ESPARZA

 

Cioran. Que n'aura-t-on pas dit de Cioran ? Pour certains commentateurs, ce n'est qu'un écrivain qui publie des aphorismes médiocres, ce n'est que l'auteur d'une « philosophie pour concierges » ; pour d'autres, il est le meilleur écrivain vivant de langue française. Entre ces deux extrêmes, on trouve un immense éventail d'opinions de valeurs diverses. Ce que l'on n'avait jamais dit de Cioran, c'est qu'il était fasciste. Mais aujourd'hui, c'est fait ; on ne voit pas bien pourquoi, mais un politicien libéral espagnol lui a attribué la paternité idéologique du phénomène Le Pen !

 

Le renversant faux-pas du politicien libéral

 

cioran.jpgCe n'est pas une blague. Cette opinion a bien été émise : par Lorenzo Bernaldo de Quirós, membre de la Junta Directiva del Club Liberal de Madrid qui fait bruyamment état de ses opinions philo­sophiques très particulières dans le supplément « Papeles para la Libertad » publié chaque semai­ne par le quotidien Ya (1). Dans l'un de ses ar­ticles, intitulé « Plus jamais Auschwitz », paru le 12 janvier 1988, Bernaldo de Quirós lançait un avertissement au monde libre, menacé par un danger imminent : Le Pen, locomotive d'un fas­cisme populiste, inspiré à son tour par un autre fascisme, plus dangereux, le fascisme intellectuel dont Bernardo de Quirós attribuait la responsa­bilité à une constellation étrange d'auteurs très différents les uns des autres : « Montherland » (il veut sans doute dire Montherlant), Fernando Sa­vater (2), Alain de Benoist et le penseur roumain Emil Cioran. Et de citer en note l'œuvre de ce dernier « El aciago domingo » (il se réfère peut-ê­tre à « El aciago Demiurgo », Le mauvais démiur­ge en trad. esp.). Par le biais d'une opération grossière d'amalgame des concepts, Bemaldo de Quirós les rend tous responsables (de façon plus ou moins importante) de la paternité des idées anti-chrétiennes, tragiques et anti-libérales qui menacent le bon ordre régnant en Occident : l'or­dre libéral.

 

Le raisonnement de Bemaldo de Quirós n'est pas habituel. Peut-être plus accoutumé au tissu gros­sier des discours économistes qu'aux subtilités et aux clairs-obscurs de la pensée philosophique, le madrilène libéral confond tout avec tout pour éla­borer vaille que vaille la réflexion suivante (qui n'est pas toujours explicite) dans son article : 1) le phénomène du populisme xénophobe devient à la mode (?) en France ; 2) en réalité, il y a plus important que cette vague politique immédiate­ment perceptible : l'existence en coulisse de pen­seurs comme Montherlant ou Alain de Benotst qui défendent des idées anti-chrétiennes et « aristocratisantes » ; 3) or, de Benoist « copie Cioran » ; et Savater aurait sa part de responsabilités dans la popularisation de Cioran en Espagne ; 4) ces au­teurs s'appuient sur les thèses des historiens révisionnistes (?) qui nient l'holocauste juif (des références, svp...) ; 5) comme on ne peut plus défendre aujourd'hui une xénophobie antijuive, on prêche pour une xénophobie anti-africaine, et nous voici revenus à Le Pen, la boucle est bou­clée. Naturellement, Bemaldo de Quirós n'écrit pas « Cioran est fasciste » mais son discours im­plicite est transparent lorsqu'il dit que de Benoist (qui, par conséquent, serait aussi « fasciste ») co­pie Cioran.

 

Si nous devions juger la pensée libérale en nous basant sur des opinions comme celle-là, nous de­vrions conclure que le libéralisme espagnol ne peut générer qu'une pensée malade, peureuse et hystérique devant tout ce qui s'oppose à l'empire du burger et de Superman. En effet, ni de Be­noist ni Savater ni probablement Cioran, ne sont d'accord avec l'empire du dollar. Mais ce n'est pas une raison pour les prendre pour des con­frères en conspiration et, moins encore, d'en fai­re les maîtres occultes de Le Pen qui, lui, par contre, ne manifeste guère son désaccord à l'égard de la domination du dollar, du nationalisme jacobin, du christianisme à la française et de Su­perman.

 

Le bourreau

Mais la question que pose directement l'article de notre libéral madrilène n'est pas aussi intéressante que la question de fond de tout ce problème : qu'est-ce qui les irrite ? Qu'est ce qui les rend nerveux ? Qu'est ce qui les dérange tant dans le discours de Cioran, eux, les défenseurs du statu quo ?

Il ne s'agit pas ici de défendre Cioran. Dans un article consacré au philosophe roumain, Savater écrivait : « Comment défendre les idées d'une per­sonne qui soutient que s'accrocher à une idée, c'est se construire un échafaud dans le cœur, de celui qui défend les droits de la divagation contre les certitudes du système et propose comme uni­que fondement de ses opinions, l'humour mo­mentané et spontané qui les suscite ? » (3). Non, Cioran est drôlement indéfendable. Et c'est sa première grande vertu, sa première grande oppo­sition à l'ordre qui juge tout selon que c'est bon ou mauvais pour le futur historique (et hypothé­qué) de l'ordre libéral.

C'est probablement bien malgré lui qu'Emil Cio­ran se mue en bourreau cruel du système qui l'entoure. Il ne pouvait en être autrement. Le courageux apatride roumain vit dans une civilisa­tion qui adore l'homme, qui idôlatre le sens de l'histoire, qui s'enfonce confortablement dans le coussin de l'Occident.

Cioran méprise l'homme, l'histoire et l'Occident. Voilà ses trois péchés capitaux.

L’avenir du cyanure

« L'homme sécrète du désastre » écrit Cioran, et il affirme « Je crois au salut de l'humanité, à l'avenir du cyanure… » (4). Le mépris de l'humain, la conviction que l'homme, cette « unité de désas­tre » (5), a déjà donné le « meilleur » de lui-même, voilà une constante qui se répète de manière in­sistante dans l'œuvre de Cioran. « Engagé hors de ses voies, hors de ses instincts – é­crit-il dans le Précis de décomposition –, l'hom­me a fini dans une impasse. Il a brûlé les étapes... pour rattraper sa fin ; animal sans avenir, il s'est enlisé dans son idéal, il s'est perdu à son propre jeu. Pour avoir vou­lu se dépasser sans cesse, il s’est figé ; et il ne lui reste comme resource que de récapituler ses folies, de les expier et d'en faire encore quelques autres » (6). Dans Valéry face à ses idoles (1970), il insiste : « Quand l'homme aura atteint le but qu'il s'est assigné : asservir la Création – il sera com­plètement vide : dieu et fantôme » (7). « Il n'est absolument pas nécessaire d'être prophète – écrit-il ailleurs – pour discerner clairement que l'homme a déjà épuisé le meilleur de lui-même, qu'il est en train de perdre sa contenance, s'il ne l'a déjà pas perdue » (8). L'huma­nité, par ses propres mérites, est « éjectée enfin de l'histoire » (9).

 

Histoire : banalité et apocalypse

La passion moderne pour l'histoire est précisé­ment une autre des cibles préférées de Cioran. Pour lui, l'histoire est un « mélange indécent de banalité et d'apocalypse » (10). Le progrès et la modernité, formes de civilisation construites sur le culte de l'histoire et de sa contemplation uto­pique dans l'attente d'une fin heureuse, sont au­tant de bourbiers où naufrage la consternante es­pérance humaine. « Tout pas en avant – écrit Cioran –, toute forme de dynamisme comporte quelque chose de satanique : le "progrès" est l'é­quivalent moderne de la Chute, la version profa­ne de la condamnation » (11). La même logique de la chute obscurcit le fantôme de la modernité : « être moderne, c'est bricoler dans l'Incurable » (12). Inéluctabilité de la marche de l'histoire ?

« Quiconque, par distraction ou incompétence, arrê­te tant soit peu l'humanité dans sa marche, en est le bienfaiteur » (13), affirme Cioran, en lançant un voile de terreur sur les consciences de ceux qui croyaient avoir construit la meilleure civilisa­tion qui ait jamais existé sur terre.

Le spectre de l'Occident

Cette civilisation, c'est l'Occident, « un possible sans lendemain » (14), une civilisation née sur les dogmes de l'humanisme et de l'historicisme. Tous deux nous apparaissent aujourd'hui comme de vieux squelettes décharnés. « Les vérités de l'humanisme – dit Cioran –, la confiance en l'homme et le reste, n'ont encore qu'une vigueur de fictions, qu'une prospérité d'ombres. L'Occi­dent était ces vérités : il n'est plus que ces fic­tions, que ces ombres. Aussi démuni qu'elles, il ne lui est pas donné de les vérifier. Il les traîne, les expose mais ne les impose plus ; elles ont ces­sé d'être menaçantes. Aussi, ceux qui s'accro­chent à l'humanisme se servent-ils d'un vocable exténué, sans support affectif, d'un vocable spectral » (15). Image de ce spectre : l'homme oc­cidental, un homme tourmenté, qui « fait penser à un héros dostoïevskien qui aurait un compte en banque » (16). De la même façon, tous les philo­sophes utopiques qui prétendirent trouver dans l'histoire un sens positif, une direction linéaire vers le meilleur, périssent : « Il y a plus d'honnê­teté et de rigueur dans les sciences occultes que dans les philosophies qui assignent un "sens" à l'histoire » (17) ; le matérialisme historique ne suppose pas en réalité un changement qualitatif quant à la providence divine : « c'est changer simplement de providentialisme » (18).

L'Occident meurt, installée à cheval sur ces deux spectres. « C'est en vain que l'Occident se cher­che une forme d'agonie digne de son passé » (19) ; mais personne n'a intérêt à s'éveiller : « l'Eu­rope, indifférente à ceux qui vaticinent, persévè­re allègrement dans son agonie ; agonie si obsti­née et durable qu'elle équivaut peut-être à une nouvelle vie » (20).

Cette féroce réalité que Cioran nous dévoile dans l'Occident contemporain, éclaire d'une nouvelle lumière des aspects plus quotidiens comme celui du colonialisme occidental dans ce qu'on appelle le Tiers Monde : « L'intérêt que le civilisé porte aux peuples dits arriérés est des plus suspects. Inapte à se supporter davantage, il s'emploie à se décharger sur eux du surplus des maux qui l'accablent, il les engage à goûter à ses misè­res, il les conjure d'affronter un destin qu'il ne peut plus braver seul » (21).

On comprend que, considérée de manière super­ficielle, cette thèse de Cioran puisse rappeler des filons bien précis de la pensée « réactionnaire » ou « traditionnelle ». En effet, il connaît les mysti­ques et se méfie des utopies ; il pense que l'hom­me est plus un animal qu'un saint, mais il croit que le théologien nous comprend mieux que le zoologiste ; on pourrait donc le considérer comme un de Maistre tourmenté et faible (au sens post­moderne de l'expression). Il contribue également à la confusion quand il écrit : « Tout semble admi­rable et tout est faux dans la vision utopique ; tout est exécrable, et tout a l’air vrai, dans les consta­tations des réactionnaires » (Essai sur la pensée réactionnaire) ; et quand il voit dans la politique « la malédiction par excellence d'un singe méga­lomane » (Ibid.).

Mais il faut laisser cette impression immédiate­ment de côté si nous voulons comprendre le reste de la férocité cioranesque. Cioran est, en effet, un bourreau aux yeux du troupeau occidental, et d'une certaine façon, un « réactionnaire » au sens pur du terme, cependant toute sa violence ne pro­vient pas d'une foi, elle est le résultat d'une im­mense déception, d'une condition angoissante, celle de l'« arrêté » à perpétuité au-dessus de l'abî­me du monde. Dans cette perspective, Cioran n'est plus un bourreau, mais un martyr ; dans ce cas, il faut écarter de ce terme tout ce qui pourrait nous suggérer héroïsme, ascèse et salut. Lui-mê­me se définit comme « un parvenu de la névrose, un Job à la recherche d'une lèpre, un Bouddha de pa­cotille, un Scythe flemmard et fourvoyé ».

Entre le dilettantisme et la dynamite

Élément déterminant dans l'angoisse de Cioran : sa condition d'apatride. « Un penseur – écrit-il­ – s'enrichit de tout ce qui lui échappe, de tout ce qu'on lui dérobe : s’il vient à perdre sa patrie, quel aubaine ! » (22). Orphelin de son appartenance et d'un enracinement, Cioran ne doit défendre au­cune vision du monde, aucun préjugé, aucune certitude. Savater a tort d'y voir une libération ; pour Cioran, oui, ça l'est, mais à un prix très élevé : le droit au Temps et à l'histoire : « Les autres tombent dans le temps ; je suis, moi, tombé du temps » (23).

Léger, détaché du temps et de l'espace, Cioran ne trouve pas d'appui non plus dans les idéolo­gies. Ici aussi, après avoir connu la fascination des extrêmes, il s'est « arrêté quelque part en­tre le dilettantisme et la dynamite » (24). Ni Dieu ni vie n'existent dans cet endroit. La vie est une « combinaison de chimie et de stupeur » (25), qui fait de la leucémie « le jardin où fleurit Dieu ». (26). Quant à Dieu lui-même...

Face à l'orgueil divin

« L'odeur de la créature nous met sur la piste d'u­ne divinité fétide » (27). Ce cruel aphorisme de Cioran peut résumer toute l'amertume de celui qui estime inconcevable une divinité seulement intelligible au départ de l'humain. Cioran se re­belle contre la bonté du créateur du mal : « L'idée de la culpabilité de Dieu n'est pas une idée gra­tuite, mais nécessaire et parfaitement compatible avec celle de sa toute-puissance : elle seule confère quelque intelligibilité au déve­loppement historique, à tout ce qu'il contient de monstrueux, d'insensé et de dérisoire. Attribuer à l'auteur du devenir la pureté et la bon­té, c'est renoncer à com­prendre la majorité des événements, et singulièrement le plus important : la Création » (28). Face à l'orgueil divin, Cioran n'hésite pas à s'inscrire sur les listes du diable : « J'ai eu beau fréquenter les mystiques, dans mon for intérieur j'ai toujours été du côté du Démon : ne pouvant pas l'égaler par la puissance, j'ai essayé de le valoir du moins par l’insolence, l’aigreur, l’arbitraire et le caprice » (29).

Et cependant celui qui croit voir en Cioran une nostalgie du sacré ne se trompe pas : « Quel dom­mage que, pour aller à Dieu, il faille passer par la foi ! » (30) ; il écrit et ajoute : « Si je croyais en Dieu, ma fatuité n'aurait pas de bornes : je me promènerais tout nu dans les rues... » (31). Nostalgie ou furie – chez Cioran, c'est la même chose – l'écueil divin est probablement la raison ultime de sa pensée, de son attitude devant la vie et de son attitude face à sa propre œuvre. Une œuvre à laquelle Cioran accorde une importance énorme, non à cause de son contenu mais à cau­se de son effet cathartique, de sa fonction matéria­lisatrice de la rébellion intime. Et c'est ici, dans cette révolte, que l'on doit s'installer pour com­prendre Cioran, pour situer sa férocité et son dé­sir délibéré du scandale.

Vengeance en paroles

Mais avant tout : devons-nous comprendre Cio­ran ? Il est difficile d'aborder avec bonne cons­cience l'épineux Roumain. Dans Syllogismes de l'amertume, il prévient les audacieux : « Tout commentaire d'une œuvre est mauvais ou inutile, car tout ce qui n'est pas direct est nul » (32). Et dans une lettre à Savater, il affirme à propos de Borgès une chose qui pourrait bien s'appliquer à lui-même : « À partir du moment où tout le monde le cite, on ne peut plus le citer, ou, si on le fait, on a l'impression de venir grossir la masse de ses "admirateurs", de ses ennemis » (33).

Faisons donc abstraction de la vantardise bien compréhensible de l'analyste, car nous ne pouvons éviter de commenter l'auteur. Et signalons, qu'en écrivant, Cioran se libère, se rebelle, se venge, se drogue ; c'est là la raison de son œu­vre : « J'écris pour ne pas passer à l'acte, pour é­viter une crise. L'expression est soulagement, revanche indirecte de celui qui ne peut di­gérer une honte et qui se rebelle en paroles contre ses semblables et contre soi. (…) Je n'ai pas écrit une seule ligne à ma température nor­male. (…) Écrire est une provocation, une vue heureusement fausse de la réalité qui nous place au-dessus de ce qui existe et de ce qui nous semble être. Concurrencer Dieu, le dé­passer même par la seule vertu du langage, tel est l'exploit de l'écrivain, spécimen ambigu, déchiré et infatué qui, sorti de sa con­dition naturelle, s'est livré à un vertige superbe, déconcertant toujours, quelquefois odieux » (34).

En dernière extrémité, nous pourrions dire que Cioran écrit selon sa mauvaise humeur : « Je n'ai rien inventé – écrit-il –, j’ai été seulement le secré­taire de mes sensations » (Écartèlement). Et il ne s'agit pas d'un faux jugement mais d'un jugement insuffisant. Les grogneries littéraires de Cioran ont porté une certaine critique, globale et aimable, si bien qu'en réalité, toute sa férocité n'est qu'un simple exercice de style ; il refuse ainsi toute espèce de vraisemblance avec la passion de l'apatride rou­main, il réduit tout son discours à une simple pratique ludique ; il insulte par conséquent le fus­tigateur de la condition humaine et il méprise le contenu de l'hérésie pour faire l'éloge de son expression propre. Banal. La littérature carnivore de Cioran est volontairement hérétique ; mais mê­me si elle ne l'était pas, toute sa capacité subver­sive s'y trouve, c'est indéniable, elle fait son ef­fet et parvient à convaincre ceux qui ne sont pas d'accord car, comme l'écrit Cioran, « l'hérésie représente la seule possibilité de revigorer les consciences, […] en les secouant, elle les préser­ve de l'engourdissement où les plonge le confor­misme » (35).

En tout cas, ce ne sera pas l'auteur qui nous en­lèvera ce doute. Cioran juge délibérément avec cette ambivalence, avec cette ambiguïté. Il sait que c'est la seule façon de durer. Dans son essai sur Joseph de Maistre, il écrit quelque chose qu'il semble dire à propos de lui-même : « sans ses contradictions, sans les malentendus qu’il a, par instinct ou calcul, créés à son propre sujet, son cas serait liquidé depuis longtemps, sa carrière close, et il connaîtrait la malchance d'être compris, la pire qui puisse s'abattre sur un auteur » (36).

Qu'ils s'alarment...

 

C'est évident : face à une réalité aussi complexe que celle de l'écrivain Cioran, les propos de tous les Bernaldos de Quirós circulant dans ce vaste monde ne sont que des mesquineries pour feuilletons américains. Autre évidence : impliquer l'a­patride tourmenté dans ce genre de questions po­liticiennes soulevées par exemple par un Le Pen relève de la plus solennelle des bêtises. Les raci­nes de la philosophie de Cioran, cette philoso­phie tragique et anti-humaniste, qui semble telle­ment effrayer nos bons libéraux espagnols, véhi­cule une culture qui est européenne jusque dans la moëlle, depuis cinq mille ans au moins ! Et confondre cette philosophie plurimillénaire avec un politicien français de cette fin de siècle, peu porté par ailleurs sur les excès intellectuels, est une exagération un peu alarmante.

Mais c'est peut-être de cela qu'il s'agit : alarmer les gens. Non pas d'alarmer les gens parce que telle ou telle philosophie existe envers et contre la volonté des conformistes, mais d'alarmer les bonnes consciences, couleur de rose, parce qu'un Cioran, génial et cruel, récupère, illustre, diffuse et affirme la seule chose qui, aujour­d'hui, peut conjurer le fantasme de l'Occident : la tragédie, l'anti-humanisme, l'éloge de la Chute, toutes sorties valables pour une civilisation qui, en effet – bien qu'elle ne veuille pas s'en rendre  compte – est déjà tombée.

Qu'ils s'alarment. Peu importe. Plus personne n'écoute. Pendant ce temps, la pensée de Cioran, une pensée barbare, éloignée des chaires et des conférences mondaines, devenue paradoxale­ment dangereuse parce qu'elle est désormais commercialisable (et peut-être commercialisable aujourd'hui précisément parce qu'elle est bar­bare), mine convictions et bétonnages. Cette « herméneutique des larmes » (ainsi Cioran défi­nit-il son style dans Des larmes et des saints) paraît s'emboîter à la perfection dans les angoisses contemporaines.

En 1934, dans une œuvre encore écrite en rou­main, Pe culmile disperarii (« Sur les cimes du désespoir »), Cioran écrivait : « Est-ce que l'exis­tence sera pour nous un exil et le néant une pa­trie ? ». Aujourd'hui, nous avons tous déserté l'existence ; aujourd'hui nous habitons tous le néant. Devons-nous nous étonner que l'angoisse de Cioran nous apparaisse comme sœur jumelle de notre propre angoisse ?

Les réactionnaires du XIXème siècle ont réagi contre le XVIIIème siècle en proposant un retour au XVIème siècle. Si aujourd'hui, en fin de modernité, il faut être réactionnaire (et soyons provocant : il n'est jamais mauvais d'être « réac­tionnaire », de réagir face aux phénomènes de dé­clin), seul peut l'être – et l'être dignement – le style de Cioran : sans propositions, sans alterna­tives. Le néant contre le vide ; l'angoisse doublée du râle face à la mort de toute illusion. C'est ce­la, finalement, la véritable dimension de Cioran : l'esthétique –puisqu'il n'y a plus d'éthique – menaçante d'une barbarie, en apparence fondée sur les Lumières, qui, seule, peut mettre un point final tragique à plus (ou beaucoup plus) de deux cents ans de civilisation à l'enseigne de l'Aufklärung.

José Javier ESPARZA

 

 

 

(1) Malgré son caractère superficiel fréquent, la lecture de ce supplément est à recommander. On y découvre tous les préjugés classiques de la droite libérale espagnole qui, au­jourd'hui, affectée par la « vague Reagan », tente de remplir sa malle doctrinale de thèses réductionnistes et économi­cistes, propres à l'anti-pensée libérale. Antérieurement, ce même supplément avait consacré à la post-modernité, nouveau monstre à trois têtes, une série d'opinions vrai­ment délirantes.

(2) La persécution de Femando Savater parait s'être trans­formée en nouveau sport national. L'année passée et au cours d'un hommage rendu à Ché Guevara, Savater fut du­rement apostrophé et qualifié de « fasciste » par une partie du public présent, tout cela pour avoir dit que le Ché était « comme un bon Rambo ». Peu après, le politicien démo­crate-chrétien et historien pro-américain Javier Tussell s'en prenait à l’auteur de La Tarea del héroe (« La Tâche du héros ») en l'accusant d'« irresponsabilité intellectuelle » à cause de ses déclarations critiques envers la fièvre mo­narchique espagnole. Aujourd'hui, Bemaldo de Quirós le rend en partie responsable du parrainage de Le Pen parce qu'« il copie Cioran » (?), Sans doute, la pensée de Savater est très critiquable mais, à notre avis, pas à cause de ces trois « crimes de pensée » qu'on lui impute à droite comme à gauche et qui constituent, justement, autant d'élans de lucidité chez ce philosophe qui suscite la polémique.

(3) F. Savater, « El indefendibile e indefenso Cioran », in Quimera, 4, febrero 1981.

(4) Syllogismes de l'amertume.

(5) Précis de décomposition. (6) op. cit.

(7) « Valéry face à ses idoles », texte repris dans le volume intitulé Exercices d'admiration : Essais et portraits (Galli­mard).

(8) « L'enfer du corps », essai paru dans Le Monde, 3 fé­vrier 1984.

(9) La chute dans le temps.

(10) Précis de décomposition.

(11) La chute dans le temps.

(12) Syllogismes de l'amertume. (13) ibid. (14) ibid. (15) ibid. (16) ibid. (17) ibid.

(18) Essai sur la pensée réactionnaire.

(19) Syllogismes de l'amertume.

(20) Essai sur la pensée réactionnaire.

(21) La chute dans le temps.

(22) Essai sur la pensée réactionnaire.

(23) La chute dans le temps.

 (24) Syllogismes de l'amertume. (25) ibid. (26) ibid. (27) ibid.

(28) Essai sur la pensée réactionnaire. (29) ibid.

(30) Syllogismes de l'amertume. (31) op. cit. (32) ibid.

(33) Exercices d’admiration. (34) ibid. (35)ibid. (36)ibid.

 

Cioran à Paris en 1949, au moment où venait de pa­raître son premier ouvrage en français, le Précis de décomposition. Cioran a appris le français grâce à un invalide de la Grande Guerre, virtuose de la lan­gue basque et de la langue française, érotomane délicat qui arpentait les boulevards de Montparnasse. Cet homme l'a exhorté à relire !es auteurs du XVIIlème siècle, à imiter leur perfection. Dans un interview accordé au philosophe allemand Gerd Bergfleth, Cioran rend hommage à cet inva­lide du Pays Basque, ce puriste de la langue et de la grammaire (Emil M. Cioran, Ein Gespräch, ge­führt von Gerd Bergfleth, Rive Gauche/Konkurs­buchverlag, Tübingen, 1985; Cioran a donné cette entrevue en langue alle­mande ; le texte original en est donc le texte alle­mand).

Cioran: une pensée contre soi héroïquement positive

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Liliana Nicorescu

Cioran : une pensée contre soi héroïquement positive

Ex: http://www.revue-analyses.org/

Être le « héros négatif » de son temps, c’est, selon Cioran, trahir celui-ci : participer ou non aux tourments de son époque, c’est toujours faire le mauvais choix, se leurrer. Comme Cioran lui-même fut le « héros négatif » d’un « Âge trop mûr », l’étude que lui consacre Sylvain David se veut une « approche “sociale” » d’une œuvre qui fait l’apologie de la marginalité et du désistement. L’enjeu est d’explorer les ressources esthétiques et sociales de l’écriture d’un misanthrope plus ou moins sociable, qui s’est déclaré « métaphysiquement étranger » et dont l’ambition fut de s’adresser à « la communauté des exclus, des unhappy few » (p.  11) — les faibles, les ratés, son segment favori de lecteurs — vivant, tout en en étant conscients, dans une modernité aux accents spengleriens ou nietzschéens, nommée tantôt « décadence », tantôt « déclin », tantôt « crépuscule », tantôt « monde finissant ». Vivre et écrire en marginal participe d’un « héroïsme négatif », c’est-à-dire « de la chute », « de la décomposition », de la pensée « contre soi » (« le seul geste héroïque possible encore à l’homme moderne »), au fondement duquel l’auteur place la quête d’« une posture digne à opposer à l’inconvénient ou à l’inconvenance de la condition de l’homme moderne  » (p. 17), d’une réponse lucide, parfois fataliste, aux questions incontournables de la modernité. C’est, selon Sylvain David, la source même de l’écriture cioranienne et de la posture négativement héroïque d’une œuvre qui s’articule autour de la dualité entre le sujet et la collectivité, d’une identité sapée par le doute, et d’un « penser contre soi-même » assidûment professé par l’auteur des Cimes du désespoir.

L’analyse de l’œuvre cioranienne passe — plus que jamais, après la mort de l’essayiste — par l’étape roumaine de sa création littéraire. Depuis onze ans, la question fondamentale est, selon certains critiques, de concilier « l’aristocrate du doute » et l’« antisémite de conviction ». Le « dévoilement du voile » annoncé par Alexandra Laignel-Lavastine en 2002 ne tente pas Sylvain David, qui, tout en reconnaissant une « historicisation » de la pensée cioranienne dans la deuxième étape de création de l’auteur de La Transfiguration de la Roumanie, refuse de l’historiciser in corpore ou à rebours et, par conséquent, de juger l’œuvre française en fonction de l’œuvre roumaine. La « seconde naissance » de Cioran passe, certes, par l’historicisation de sa pensée : celui qui prônait dans son premier livre roumain l’« héroïsme de la résistance et non de la conquête » allait admirer quelques années plus tard Corneliu Zelea-Codreanu et Hitler, pour s’attaquer ensuite à toute forme de fanatisme, d’engagement politique. Par conséquent, la tension fondamentale de l’œuvre cioranienne sera « la relation conflictuelle d’un homme avec son époque, son milieu, si ce n’est avec lui-même » (p.  23).

Les rapports entre l’écriture et le désengagement constituent la première partie du livre, intitulée Un discours (a)social. Les trois premiers livres français de Cioran (Précis de décomposition, 1949; Syllogismes de l’amertume, 1952; La Tentation d’exister, 1956) sont empreints de la certitude du déclin, de la décadence, de l’éternelle erreur. Si l’esprit moderne est marqué par « la négativité et le relativisme » (p. 24), l’œuvre de Cioran se distinguera non seulement en tant que « dénonciation du caractère insidieux de l’esprit moderne », mais aussi en tant que « discours (a)social » (p. 29). Dans cette période de passage, le segment français de l’œuvre cioranienne dénonce, juge et accuse systématiquement l’aspect politique, engagé, des écrits roumains. À cette époque, Cioran essaie de « se distancier d’une certaine incarnation de lui-même, de ce qu’il a déjà été » (p. 30). L’affirmation ne laissera aucun cioranien (ou cioranomane!) indifférent et place l’auteur de cet essai dans le camp modéré des lecteurs/exégètes de celui qui est accusé de « fuite lâche », de mémoire sélective, de mensonge et, surtout, de conservation du credo antisémite. Lire l’œuvre française de Cioran n’est pas, pour Sylvain David, « tenter de déterminer ce qu’a pu dire, ou faire, exactement l’essayiste, au cours des années 1930, mais plutôt de voir ce qu’il en pense, avec le recul, au moment où il entame sa nouvelle carrière » (p. 30). À l’encontre de ceux qui parlent de l’« insincérité permanente » de Cioran ou de son antisémitisme foncier et permanent, Sylvain David croit que « [p]lutôt que de commodément vouer son égarement de jeunesse à l’oubli », il convient de considérer que Cioran « revient inlassablement sur son expérience afin de comprendre et, éventuellement, dépasser les motivations qui ont pu le pousser à agir de la sorte » (p. 30).

En s’attaquant à la racine du Mal, de l’Intolérance, du Fanatisme, Cioran poursuit et accomplit un besoin d’expiation, de purification de ses jeunes égarements. La « rage tournée contre soi », la « négativité » se trouvent au cœur de cette écriture centrée sur la condition de l’homme moderne et qui réfléchit sur celle de l’écrivain dans une société de plus en plus politisée, de plus en plus divisée, de plus en plus radicalisée. La « poétique du détachement » qui illustre cette première étape de création française prend déjà contour dans le Précis de décomposition (Exercices négatifs à l’origine) que Cioran publiera en 1947 et s’articule non seulement autour de la « dénonciation de toute forme de dogmatisme ou d’intransigeance » (p. 36), mais aussi autour de l’écriture éclatée, fragmentaire, opposée, dira Cioran, à « la tentation de conclure ». Cette écriture fragmentée, fracturée est une expression de la modernité dans la mesure où la philosophie, le premier amour de l’essayiste, est, estime-t-il, incapable d’expliquer le monde ou le temps, qui mesure plutôt l’irrationalité contemporaine, le volet culturel de la durée, la fracture de la connaissance, du moi, la décomposition de la pensée et la décadence du Verbe.   

Cette étape créatrice du métèque correspond à un métissage esthétique, autrement dit à l’éclatement de la forme littéraire, dont le principal matériau, la langue, se dissout et s’incarne sous diverses formes : le doute se radicalise et se détache du discours philosophique impersonnel et systémique. Aux idées abstraites, Cioran, devenu « penseur d’occasion », préfère la connaissance empirique; l’écrivain est un sceptique déçu par la philosophie (universitaire ou non), un moraliste qui, avant d’observer les gens, doit « dépoétiser sa prose ». L’idée que « toute démiurgie verbale se développe aux dépens de la lucidité » conduit à l’esthétisation de la négation, à la « négativité esthétique » (p. 95), à travers laquelle l’écriture mesure et dénonce le déclin inéluctable d’un monde, d’un système de valeurs partagées.

La deuxième partie de l’étude de Sylvain David — intitulée De l’histoire de la fin à la fin de l’histoire — a pour fondement « le grand récit de la Chute ». Le corpus (Histoire et utopie, 1960; La Chute dans le temps, 1964 ; Le mauvais démiurge, 1969) propose une relecture de la Genèse, dont le centre nerveux est le panorama de la vanité que déplore l’Ecclésiaste. Au centre de la deuxième étape de l’œuvre française de Cioran, on trouve le « Cioran de la maturité ». Placé également sous le signe de la négation, ce deuxième segment français de l’œuvre cioranienne met en scène un moi lui-même fragmenté, décomposé, qui ne met plus en question ses égarements de jeunesse, mais ses accès de pessimisme, de scepticisme. Sur le plan de l’écriture, l’aphorisme est supplanté par l’essai, dont les thèmes centraux sont l’homme, le péché originel, la chute, le temps historique et l’Occident moribond. Dans l’herméneutique cioranienne, le péché originel s’appelle la « douleur originelle » et la Chute vient couronner « l’inaptitude au bonheur » des descendants d’Adam et Ève; leur « don d’ignorance » est le seul à les rendre heureux. Lucifer, quant à lui, n’eut qu’à saper « l’inconscience originelle » du couple primordial et de sa progéniture — dont l’« inconvénient » d’exister fut la seule fortune —, ce qui laissa cet univers à la discrétion d’un « mauvais démiurge ». Conséquence directe du péché originel, la chute dans le temps est en même temps une chute vers la mort : « avancer » et « progresser » sont des concepts distincts chez Cioran, car aller vers la mort est un progrès vers l’involution, vers la disparition non seulement des hommes (ou des peuples), mais aussi des cultures, des civilisations sujettes au temps historique. Fatalement, l’« abominable Clio » enchaîne l’homme et le laisse « en proie au temps, portant les stigmates qui définissent à la fois le temps et l’homme ». Séduite par l’élan vers le pire, l’humanité court vers sa perte, autrement dit, vers l’avenir : c’est plus fort qu’elle, car, écrit Cioran dans ses Écartèlements, « [l]a fin de l’histoire est inscrite dans ses commencements ».

La troisième partie — Une autobiographie sans événements (incluant De l’inconvénient d’être né, 1973; Aveux et anathèmes, 1987; Écartèlement, 1979 : Exercices d’admiration, 1986) — correspond à un réinvestissement du temps présent complètement dépolitisé. La réflexion qui accompagne cet héroïsme négatif se fait en trois volets : le malheur (plus ou moins inventé) de l’homme moderne, l’écriture fragmentaire en tant que miroir d’un univers atomisé, désagrégé, inachevé, et le défi stoïque, positivement connoté, de l’héroïsme négatif de Cioran, autrement dit, « le courage de continuer à vivre et à écrire à l’encontre de ses propres conclusions, de son propre savoir » (p. 26). Les piliers de cette « autobiographie sans événements » sont le suicide et la « (re)naissance ». La biographie de Cioran fut marquée par un suicide jamais commis, puisqu’on ne peut pas tuer une idée. Ce que Cioran retient du suicide, c’est l’idée de se donner la mort, pas l’acte en soi : « sans l’idée du suicide — estimait-il — on se tuerait sur-le-champ! » D’ailleurs, si celui qui se vantait d’avoir « tout sacrifié à l’idée du suicide, même la mort », ne s’est pas suicidé, c’est parce que, disait-il plus ou moins amèrement, de toute façon, « on se tue toujours trop tard ». La même biographie fut également marquée par « l’inconvénient d’être né », voire d’être né Roumain, par les « affres de la lucidité », par les tortures du paradoxe, par l’effort de reconstruction intérieure et de mise en scène d’un moi aliéné. Dans le Paris aggloméré et automatisé, le regard du métèque s’arrête sur des gens que personne ne voit, venus, eux aussi, d’ailleurs, ou bien sur des clochards-philosophes. Sa lucidité — autrement dit, son « inaptitude à l’illusion » — fut celle d’une tribu sceptique, fataliste, anhistorique, celle de ces analphabètes brillants qui savent depuis toujours que l’homme est perdu et qui lui ont inculqué cette lucidité en même temps que « l’envergure pour gâcher sa vie ».

Étant lui-même un paradoxe vivant, Cioran ne put mettre en scène qu’une paradoxale série de représentations de soi : le moraliste qui, avant d’observer les hommes, se donne comme devoir primordial de « dépoétiser sa prose » tend la main à un être lucide pris pour un sceptique; le « parvenu de la névrose » est le frère du « Job à la recherche d’une lèpre » ; le « Bouddha de pacotille » cherche la compagnie tourmentée d’un « Scythe flemmard et fourvoyé », « idolâtre et victime du pour et du contre », d’un « emballé divisé d’avec ses emballements », d’un « délirant soucieux d’objectivité », d’un « douteur en transe » ou d’un « fanatique sans credo ». Cette rhétorique du paradoxe et de l’opposition projette, selon Sylvain David, non seulement l’image d’un marginal, d’un étranger, d’un exclu, d’un apatride métaphysique, mais également et surtout un jeu de contraires qui trouve son plaisir esthétique dans les contorsions, dans les volutes élégamment orchestrées par une pensée organiquement écartelée « entre scepticisme et besoin de croire, entre lucidité et illusion vitale » (p. 273). Cette mise en scène du moi artistique participe d’un « métacommentaire » qui prolonge non seulement « une détestation de soi primaire » (en tout cas, moins importante, semble-t-il), mais surtout d’« une forme d’amour trahi ou d’orgueil blessé » (p. 275). La visée de celui qui se voulait « le secrétaire de [s]es sensations » n’est pourtant aucunement narcissique, mais plutôt viscérale, car, disait-il, ce ne sont pas nos idées, mais nos sensations et nos visions — parce qu’elles « n’émanent pas de nos entrailles » et sont « véritablement nôtres » — qui peuvent, qui doivent nous définir. Cet attachement au sensoriel est, observe Sylvain David, l’apogée de l’héroïsme négatif de Cioran : en parlant de sensations et de visions qui sont les siennes, pas les nôtres — c’est-à-dire « non partagées avec le commun » —, le dernier Cioran défend son héroïsme négatif en explorant ce que son passé, son identité, ses souvenirs ont de négatif. Cet effort expiatoire est plus qu’une catégorie esthétique : il s’impose en tant que garantie morale de l’œuvre de maturité d’un homme « désintégré ».

Sur les ruines d’un univers déserté par les dieux, un penseur inclassable vint installer son Verbe ahurissant, héritier de la sobriété et de l’élégance des moralistes dont il se réclamait comme descendant légitime, aussi bien que de la saveur amère et de la souplesse de sa langue maternelle. Seuls l’aphorisme ou le fragment pouvaient représenter cet univers morcelé, éclaté. À l’encontre de Ionesco ou de Beckett, qui ont exploré l’absurde du langage, Cioran resta plutôt un classique, car, bien que conscient des mots, il a cherché, au-delà de la fonction poétique de la langue, à faire passer ses négations au niveau de la rhétorique; son univers n’est pas l’absurde, mais le paradoxe qui repose sur toute une série de malgré : poursuivre sa réflexion, malgré la déception que provoque chez lui la philosophie, malgré le mal que provoque sa propre conscience (ou sa propre lucidité); écrire, malgré les doutes quant à la capacité de son écriture à définir sa conception du monde; publier, malgré un nombre restreint de lecteurs et le dégoût que provoque en lui le flux éditorial parisien.

Certes, Cioran a écrit parce que, disait-il, chaque livre est « un suicide différé ». Paradoxalement ou non, son héroïsme négatif n’est ni agressif ni virulent, mais plutôt la représentation concrète de son aptitude — qui l’aurait cru? — « au compromis stoïque », de sa « capacité de se mouler aux circonstances de la modernité sans jamais pour autant s’y diluer ou s’y travestir » (p. 326). Il ne lui restait qu’à devenir « le sceptique de service » d’un monde en agonie ou « le secrétaire de [s]es sensations », puisque « être le secrétaire d’une sainte » n’a pas été la chance de sa vie.

Le Cioran français est, selon certains exégètes du moraliste, le masque du Cioran roumain séduit, dans les années 1930, par le mouvement nationaliste roumain et qui, une fois établi en France, n’a fait que réécrire ses livres roumains, afin de cacher ses jeunes égarements tout en restant fidèle à ses anciens credo. À l’encontre de certains de ses prédécesseurs, Sylvain David met au cœur de sa lecture de l’œuvre française de Cioran le fondement esthétique et social de l’art du fragment, dont l’auteur du Mauvais démiurge fut le maître incontesté. Complètement dépolitisés, les paradoxes cioraniens retrouvent toute leur beauté et leur profondeur et construisent, par le biais d’une analyse aussi subtile qu’objective, le parcours sinueux, mais combien passionnant, d’un « héroïsme à rebours ».

 

Compte rendu par : Liliana Nicorescu

Référence : Sylvain David, Cioran. Un héroïsme à rebours, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 2006, 338 p.

Pour citer cet article : Liliana Nicorescu, «Cioran : une pensée contre soi héroïquement positive», @nalyses [En ligne], Comptes rendus, XXe siècle, mis à jour le : 27/01/2010, URL : http://www.revue-analyses.org/index.php?id=623.

jeudi, 22 avril 2010

Liberté française, liberté allemande

Liberté française,liberté allemande

à propos de « L'idéologie allemande » de Louis Dumont

 

par Guillaume HIEMET

 

ideologieallemddumont.jpgEn 1967, Louis Dumont publiait un ouvrage, de­venu un classique aujourd'hui, consacré à l'étude du système des castes en Inde. Cette vaste enquê­te, fort novatrice à l'époque, était le point de départ d'une comparaison méthodique entre les cul­tures traditionnelles et cette spécificité dans l'his­toire des cultures que représente l'idéologie mo­derne occidentale. Pour aider à mieux compren­dre le cheminement particulier qui a abouti au monde moderne, Dumont était enclin à souligner l'importance de la conception que les sociétés ont de la place de l'individu à l'intérieur d'elles-mê­mes. Pour cela, il créait une distinction majeure entre les sociétés de type holiste et les sociétés de type individualiste. Par holiste, il entendait les re­présentations qui privilégient la totalité, le corps social avant de mettre en avant le rôle des indivi­dus, et, par le second terme, les idées qui posent l'individu comme premier par rapport au tout so­cial. La comparaison entre le jeu des castes, la hiérarchie qu'il suppose et l'univers de l'indivi­du, les notions de liberté, d'égalité présentait un éclairage nouveau de la situation moderne. Il poursuivait son enquête avec la publication, en 1977, d'Homo aequalis, une étude des fonde­ments de la pensée économique, puis avec les Es­sais sur l'individualisme (1983) qui retraçaient la genèse de l'idéologie moderne à partir de la cé­sure de l'ère chrétienne.

 

Deux conceptions de l'individu

 

Dans son dernier ouvrage, L'idéologie alleman­de,la méthode comparative ne s'attache plus tellement aux différences entre sociétés traditionnel­les et monde moderne, mais davantage mainte­nant, aux deux formes différentes qu'a pu revêtir l'individualisme en France et en Allemagne. Le propos n'est pas nouveau chez Dumont, c'est dé­jà celui des Essais sur l'individualisme. Les cul­tures, contrairement à toute attente, ne sont pas transparentes, la notion d'individu ne se décline pas de la même manière des deux côtés du Rhin, le terme n'a pas la même histoire et il renvoie à des idées qui sont loin d'être identiques dans les deux pays. D'où le germe d'un malentendu, en­core renforcé, lorsque celui-ci se conjugue à la difficulté, comme chez les Français, de concevoir les cultures comme ne répondant pas aux mêmes présupposés que les leurs.

L'universalisme français a du mal à discerner le fait que les autres cultures ne se laissent pas juger à l'aune de la sienne, suivant la tranquille certi­tude selon laquelle, pour reprendre l'expression d'Ernest Lavisse, la France est « la plus humaine des patries ». La distinction holisme-individualis­me et la relation hiérarchique n'est pas la même selon les cultures et tend aisément à emprunter des vêtements très divers. Cela est, sans nul dou­te, la conséquence de notre héritage historique et du contexte dans lequel sont apparues les idées d'individu, car, comme le souligne Dumont, l'in­dividualisme n'a jamais été capable de fonction­ner dans une société sans que le holisme contri­bue d'une façon ou d'une autre à la bonne marche de celle-ci. Il n'est d'exemple plus pro­bant que celui des Lumières où les nouvelles idées ont pu se développer prodigieusement dans un terreau politique traditionnel ne souffrant ja­mais ainsi, d'être mises à l'épreuve des faits.

 

Le rôle-clef de la Bildung

 

Pour Dumont, la spécificité de l'idéologie alle­mande se laisse ramener à trois idées majeures : la permanence du holisme, le rôle à long terme du luthérianisme dans la vision de l'individu et l'idée de souveraineté universelle, héritage du Saint Empire Romain de la Nation germanique (derniè­re réflexion qui aurait mérité d'être approfondie). Nantis de ces notions, Dumont est successive­ment conduit à se pencher sur les figures décisi­ves d'Ernst Troeltsch et de Thomas Mann. Tous deux mis, en quelque sorte, en demeure par la violence du conflit franco-allemand d'éclairer la particularité allemande, avaient cherché à rendre intelligible ce que signifiaient liberté et individu outre Rhin. L'historien des religions tout comme l'auteur des Considérations d'un apolitique (1918) voyaient dans l'idée de Bildung,qui est formation, éducation personnelle de l'individu, le nœud géorgien donnant la clé du sentiment alle­mand.

Pour être bref, nous pourrions dire que la Bil­dung est l'espace de liberté à l'intérieur duquel se développe la pensée d'un individu, espace qui existe en dehors et qui laisse intact l'ensemble des liens qui rattachent cet individu à la commu­nauté dans laquelle il vit. À la différence de la li­berté anglaise ou française, la liberté allemande ne réside pas en première instance dans l'hémicycle des revendications politiques, elle est davantage liberté de s'épanouir, de se former, et ne considère que dans un second temps les conditions politiques. Ce que résume parfaitement Troeltsch dans un article publié en 1916, où la liberté allemande est définie comme : « Unité organisée du peuple sur la base du dévouement â la fois rigoureux et critique de l'individu au tout, complété et légitimé par l'indépendance et l'individualité de la libre culture (Bildung)spirituelle ».

Les sphères où évolue l'idée d'individu française et allemande ne sont pas superposables. L'indivi­du des Droits de l'homme français ne rencontre pas la formulation luthérienne puis piétiste de l'individualité au sens où Thomas Mann avait pu dire, que la Réforme avait immunisé l'Allemagne de la Révolution. Si le propos de Dumont va à l'essentiel, le lecteur informé reste cependant sur sa faim. Les études trop courtes consacrées à Troeltsch ou à Mann permettent difficilement de sortir des grandes lignes alors que les études pré­existantes consacrées notamment au second sont foison. On a l'impression en outre – est-ce sno­bisme de chercheur ? – que Dumont maîtrise mieux la bibliographie américaine que les études publiées en allemand ou en français sur le même sujet !

 

Crise française de la pensée allemande, crise allemande de la pensée française

 

La partie centrale consacrée à la genèse de la no­tion de Bildung en suivant respectivement Karl Philipp Moritz, Wilhelm von Humboldt (1767­1835) et « les années d'apprentissage de Wilhelm Meister » de Gœthe est incontestablement la partie la plus riche et la plus intéressante du livre. Œuvres littéraires, correspondances, réflexions poli­tiques, cette fin de dix-huitième et début de dix-­neuvième siècle sont perçus sous le signe d'une crise française de la pensée allemande, de même que les années qui suivirent 1871 en France, les années de la « Réforme intellectuelle et morale » peuvent être considérées comme une crise alle­mande de la pensée française. Dumont est clair : « Je me suis proposé ici de présenter l'histoire de la pensée et de la littérature allemande de 1770 à 1830 comme une réponse au défi des Lumières et de la Révolution » (1).

Dumont laisse entrevoir que l'idée de Bildung se forme peu à peu, est contrainte de se préciser en opposition à l'idée française d'individu. Mais a­vant d'aller plus en avant, il est nécessaire d'avoir à l'esprit les origines religieuses, protes­tantes, de cette idée de formation personnelle. La Bildung est, dès la fin du Moyen-Âge chez les mystiques, une éducation de soi qui se comprend comme ouverture à la grâce divine, le modèle (Vorbild)de cette attention constante à soi étant la figure de Jésus-Christ. Ce fondement religieux reste déterminant, rajeuni et ancré qu'il est par le piétisme, et ce, malgré l'élargissement et l'approfondissement que connaît l'idée de Bildung en cette fin de dix-huitième siècle.

Intégration et revendication d'autonomie

 

Dans un premier temps, l'analogie de la Bildung et des Lumières ne manque pas de se faire, parti­c ulièrement dans les manifestations les plus exa­cerbées des héros de roman : exaltation de l'hom­me en son individualité unique, égocentrisme, raison et liberté vagabonde. À partir de là, les rapprochements deviennent plus délicats. En ef­fet, l'éducation de la Bildung consiste en grande part à faire sienne les valeurs intangibles de la communauté, de les intégrer au mieux, suivant les traits de sa complexion. Un peu de la façon dont Gœthe pourra dire : « Ce dont tu as hérité, acquiers-le afin de le posséder ». Le nouveau Bil­dungsroman, roman de formation, décrit les iti­néraires de ces jeunes gens, où la revendication d'autonomie de la pensée se conjugue avec la né­cessité du voyage, qui est reprise en charge, re­connaissance par soi-même, assimilation de ce qui a déjà été créé, vécu. Ainsi, comme le montre bien Dumont, la Bildung, loin de créer un indi­vidu désolidarisé, en retrait du monde, n'incite au retour sur soi que pour mieux s'enrichir des res­sources du monde qui l'entoure. L’idéal de déve­loppement du sujet de la Bildung en vient à transformer l'homme abstrait des Lumières en lui taisant intégrer la dimension holiste, en l'inté­grant dans un tout plus vaste.

C'est sur cette base que s'établit le dialogue avec la culture grecque et son souci pédagogique. L'homme qui naît au monde est un être mal dé­grossi qui se doit de se développer, d'épanouir sa propre personne. Le perfectionnement de soi est le premier but auquel l'homme se doit de répon­dre. Cette réflexion de longue haleine centrée sur la formation et l'éducation de soi permettra ainsi à Wilhelm von Humboldt de dire : « C'est la contribution incontestable des Allemands d'avoir les premiers vraiment saisi ce qu'est la Bildung grecque ». Le parcours personnel d'un homme, l'approfondissement de sa pensée croissent à me­sure que le monde proche a été reconnu et fait sien. À l'inverse, un monde mis en coupe réglée, géométrisé, cher à Descartes et à ses héritiers est un monde hors de toute présence humaine et dont l’exemplaire d'humanité, si ce mot a encore un sens ici, ressemblerait fort au téléspectateur mo­deme, martien héberlué.

Le zèle révolutionnaire, produit d'un individualisme à la française

Le personnage de Wilhelm von Humboldt, l'évo­lution de ses idées permettent assez bien de saisir la particularité de l'idéologie allemande, l'adapta­tion aux Lumières qui s'est opérée, la prudence puis le rejet de plus en plus ferme à l'égard de la Révolution française. La Révolution qui heurte les Allemands de plein fouet, qui entraîne l'Euro­pe dans la guerre, qui suscite violences et spolia­tions lui ôte rapidement les rares partisans qu'elle pouvait trouver hors de France. Pour Humboldt, ces tares ont leur source dans cette volonté de transformation politique abrupte qui caractérise la Révolution, cette volonté de mettre en œuvre le contrat social rousseauiste en oubliant, un instant, que l'auteur de l'Émile ne pose celui-ci que comme hypothèse de réflexion.

individualismedumont.jpgHumboldt, dans ses écrits, met en forme la ré­ponse allemande aux idées révolutionnaires : l'individu de la Bildung forme un cercle indé­pendant de l'État et le laisse se réformer tout seul. Le pendant de cette conception est développé dans une importante étude théorique, l'Essai sur les limites de l'État. Si la première préoccupation de l'homme politique concerne la libre formation des sujets, les fonctions de l'État doivent être ré­duites au minimum et la première des tâches de celui-ci est d'assurer la sécurité des sujets.

Cette subordination de la politique à la formation singulière de l'individu n'a pu se faire que dans la mesure où la Bildung était perçue comme une ouverture à la totalité. Les conséquences de ces points de vue se laissent assez rapidement saisir. Le conservatisme de l'État allemand retient les pleurs et les soupirs des historiens, qui regardent d'un même coup avec perplexité la conjugaison de méfiance envers l'État et d'obéissance qui ca­ractérisent ses sujets. Ainsi, l'individualisme qui surgit dans la notion de Bildung est loin de se re­trouver dans l'individu des Droits de l'homme.

 

Les lacunes de l'université française

 

Si l'individualisme français de l'identité renvoie à une égalité première de tous les hommes, pour le lecteur allemand, la même notion renvoie à la sin­gularité, à la spécificité de tout être, et cette diffé­rence implique une inégalité de fait. C'est finale­ment lors de la création de l'université (1809­-1810) de Berlin que Wilhelm von Humboldt aura la possibilité de mettre en œuvre ses vues réfor­matrices. Après la défaite devant les années napoléoniennes, la restauration de l'État passait en premier lieu par la relève spirituelle, préoccupation des meilleurs esprits de l'époque. L'université de Berlin, symbole du renouveau prussien, deviendra bientôt le foyer européen des sciences historiques et philologiques, modèle d'innovation dans les sciences humaines.

L'idée de Bildung renforce encore la tradition d'indépendance des universités allemandes. En comparaison, le régime des universités françai­ses, sous les régimes les plus différents du dix­neuvième siècle, Empire, Restauration, Républi­ques, reste une université sous tutelle. Autrement dit, l'université allemande n'a de comptes à ren­dre qu'à la culture allemande ; en France, elle est un moyen de diffuser l'idéologie du régime. L'insuffisance de l'université française, ses tares, ont été remarquablement décrites par Georges Gusdorf dans son ouvrage sur l'herméneutique (Les origines de l'herméneutique), il est plaisant de constater que sa dépendance envers le pouvoir politique n'a aujourd'hui que peu changé, signe de la permanence des idées politiques.

L'idée de Bildung, de formation personnelle, a conservé un très fort pouvoir d'attraction dans les pays de langue allemande jusqu'à nos jours. Il nous semble que la littérature allemande a tou­jours été particulièrement sensible de préciser d'une part, la place de la personne dans la collec­tivité, de l'autre, son cheminement propre. Ainsi dans la confrontation franco-allemande qui est celle de la première guerre mondiale, l'indivi­du apparaît en Allemagne sous trois couleurs dis­semblables : « das Individuum », l'individu fran­çais détaché de toute appartenance à son peuple, « der Einzelne », l'individu dénombrable, et enfin « die Persönlichkeit », la personne en tant qu'elle a été formée par la Bildung, consciente de son ap­partenance. Les réponses pressenties par le Bil­dungsroman ne sont jamais univoques. Ainsi de l'itinéraire de Joseph Knecht, héros du Jeu de perles de verre de Hermann Hesse qui, au terme de son parcours initiatique, parvenu à la tête de son ordre éprouve une nostalgie inextinguible vers le monde et la nécessité d'y retourner. Initia­tion, enseignement forment un cercle où se dé­ploie la liberté de l'homme ; la compréhension de la culture dessine, tout à la fois, son individualité et son attachement à la communauté.

 

Guillaume HIEMET.

• Louis Dumont, L'idéologie allemande : France-Allemagne et retour, Gallimard, 1991, 316 p., 145 FF, ISBN 2-07072426-3.

Esthétique du nihilisme

Du romantisme au modernisme

Bruno HILLEBRAND, Ästhetik des Nihilismus : Von der Romantik zum Modernismus, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, Stuttgart, 1991, VI + 237 S., DM 48; ISBN 3-476-00781-2.

Un professeur allemand. Bruno Hillebrand (°1935), spécialiste de Gottfried Benn, s'interroge, avec perti­nence et acuité, sur le rapport entre esthétique et nihi­lisme. Depuis que le romantisme a découvert le nihilisme vers la fin du XVIIIème siècle, cet « isme », qui est un mystérieux et inquiétant convive, comme l'a dit Nietzsche, frappe à toutes les portes : celle de la litté­rature comme celle de la philosophie ; plus tard, en no­tre siècle il est venu tambouriner à la porte du monde des arts. Dans le champ de la littérature, c'est Tieck qui l'a découvert ; Jean Paul a introduit, en toute con­naissance de cause, le concept de nihilisme dans sa Vorschule der Ästhetik ; dès 1804, les Nachtwachen de Bonaventura constituent l'un des points culminants de l'expérience nihiliste. À l'évidence, Kleist souffrait du syndrome nihiliste, de l'absence de sens. Plus que tout autre poète, Büchner a thématisé dans sa poésie le sentiment de l'inutilité, de la vacuité, de l'absurdité du cosmos, de la religion et de l'existence. La pensée nietzschéenne, elle, englobe, arraisonne, place au cen­tre de ses préoccupations, la nouvelle philosophie du nihilisme. Elle lui donne une profondeur inégalée et la transmet à d'autres poètes, écrivains et philosophes d'Allemagne et de France, Heidegger, Benn, Sartre, Camus et bien d'autres encore. Dans les arts plasti­ques et les styles de notre siècle, on ne cesse de percevoir les symptômes issus de l'expérience nihiliste : les réductions, les provocations, les positions anti-idéelles, les volontés anti-harmoniques ; bref, l'anti-art en général, avec son refus de toute conciliation tant au niveau du contenu qu'au niveau de l'objet.

Sans une saisie suffisante de ce que signifie le nihilis­me, on ne peut comprendre l'évolution des arts au XXème siècle. Globalement, le modernisme dans les arts se place sous l'enseigne de « ce convive le plus mystérieux et le plus inquiétant ». En effet, s'il n'y a pas de sens, si tout est inutile ou vain, les futuristes peuvent briser les œuvres du passé, pour tenter (désespérément ?) de construire du neuf. Les gestes ou­trés, matamoresques de DADA, sont signes de déses­poir ou acceptation joyeuse, narquoise, du chaos fon­damental du monde. Et puisqu'il n'y a pas de valeurs éternelles, puisqu'aucune métaphysique ne peut être sérieusement revendiquée ou propagée, DADA estime que l'existence sur terre est insaisissable. Pour DADA, ce n'est pas le principe espérance qui est la constante fondamentale du modernisme, mais le principe hasard, ce qui appelle une question, qui est capitale : l'homme est-il un hasard ?

 

mardi, 13 avril 2010

Contro lo spirito di gravità

Contro lo spirito di gravità

di Adriano Scianca

   

“Colui che un giorno insegnerà il volo agli uomini avrà spostato tutte le pietre di confine”

Friedrich Nietzsche

Così parlò Zarathustra, III, “Dello spirito di gravità”

 

frohliche_wissenschaft.jpgVivere è sempre scegliersi dei modelli: esempi che incarnino ciò che vogliamo essere e che ci indichino la rotta. Il nostro modello è da sempre l’ardito. In questa scelta c’è certamente la gratitudine e l’ammirazione verso persone in carne ed ossa che, nella Grande Guerra e nel periodo immediatamente successivo, hanno dato anima e corpo alla Nazione. Ma c’è anche e soprattutto la percezione nitida che c’è qualcosa, nella mentalità ardita, che ancora oggi ci parla, che si innalza sopra le contingenze, che illustra un metodo e uno stile ancora oggi attualissimo.

 

L’ardito, infatti, è un volontario, uno che combatte per fede e non per costrizione. E’ l’uomo che avanza, che si stacca dal gregge e fa un passo avanti donando se stesso. Egli fa della creatività in battaglia e del coraggio le sue armi predilette. Il suo compito è essere avanguardia, entrare lì dove nessuno è mai entrato, inoltrarsi nel territorio nemico. Creare vie, tracciare percorsi, sfondare le linee nemiche. Andare avanti nella boscaglia e creare un passaggio laddove altre truppe successive creeranno strade e accampamenti. Per fare questo, l’ardito deve muoversi con libertà. Per questo gli si concede l’armamento leggero, privo dei fardelli che ostacolano l’avanzata. L’ardito non ha zavorre, per questo può inerpicarsi verso territori sconosciuti.

 

Il messaggio è chiaro: per creare, avanzare, conquistare occorre liberarsi dei fardelli. Fardelli che oggi sono innanzitutto zavorre mentali che inibiscono il corretto procedere. Vediamone alcune.

 

Zavorra numero uno: l’agorafobia. Ovvero la paura della piazza, del “fuori”. E’ il ghetto interiorizzato, l’idea che alla fine il nostro posto nel mondo siano veramente, se non le fogne, per lo meno gli scantinati, i sottoscala, gli sgabuzzini. Posti bui e umidi, dove tuttavia è rassicurante dimorare perché in essi si evita il confronto con la realtà, lo scontro con i fatti. Ci si parla addosso e per questo ci si convince di avere argomenti invincibili senza darsi la pena di mettersi veramente alla prova. Se non che la storia si fa lì fuori. l’unico campo di battaglia che conta è il mondo.

 

Zavorra numero due: l’antagonismo. L’idea, direttamente discendente dall’agorafobia di cui sopra, per cui esistiamo noi ed esiste il mondo e fra i due schieramenti si immagina una lotta senza quartiere. In questa visione noi siamo i puri e il mondo è l’impuro. O si è “servi del sistema” o si è “contro il sistema”. Logiche vecchie, estremismo inacidito. Rileggere Foucault: il sistema è un gioco di flussi (di persone, materiali, informazioni, denaro) che va, a sua volta, giocato. Bisogna essere dentro e cavalcare l’onda. E per quanto sia importante avere propri spazi – veri o metaforici – ciò che conta è essere al centro dello spazio comune. Dominare, ad esempio, l’informazione mainstream, non fare sterile e mal verificata “controinformazione” stile anni ’90.

 

Zavorra numero tre: l’ideologia. Con questo termine designiamo ogni schema teorico che tenda a imbrigliare la realtà in gabbie rigide che ne umilino la complessità e la varietà. Di tipica filiazione monoteista, le ideologie mancano di elasticità e sono le nemiche giurate di ogni pragmatismo. Si oppone alle ideologie la “visione del mondo”, che già nella definizione conserva un qualcosa di intuitivo, di non logicizzato. La visione del mondo è il grimaldello che apre le porte del presente esattamente come l’ideologia è lo schema che le chiude. Il fascismo ebbe una visione del mondo e nessuna ideologia. Il neofascismo – costretto dalle contingenze a pensare il fascismo molto più che a viverlo – ha più spesso fatto il contrario. Magari in buona fede. Ma un’ideologia in buona fede non diventa per questo più utile. Es. urlare a ogni piè sospinto “socializzazione!” è ideologico, è una soluzione pronta buona per ragionamenti sloganistici; inverare lo spirito del Manifesto di Verona nel presente alla luce delle mutate condizioni socioeconomiche è rivoluzionario.

 

Zavorra numero quattro: il viaggio mentale. Molte deviazioni, rispetto a quello che è il nostro percorso genuino, avvengono per meccanismi mentali più o meno inconsapevoli basati su processi di rimozione o transfert. In questo modo si possono spiegare alcuni dei più frequenti sbandamenti neofascisti, dall’infatuazione per la sinistra (per cui da fascisti si diventa “fascisti di sinistra” per approdare infine alla sinistra tout court e talvolta persino all’antifascismo) fino al complesso del “beduino liberatore” (quello per cui si cerca spasmodicamente un “bastione rivoluzionario” esotico destinato a propagare la rivolta per tutto il globo, anche per conto di chi è troppo impegnato a farsi i suoi viaggi mentali per pensare da sé al suo destino).

 

Zavorra numero cinque: il monologhismo. Il monologo, si sa, è il contrario del dialogo. Chi concepisce il relazionarsi agli altri nei soli termini del monologo è entrato in un circolo vizioso completamente autoreferenziale. E lo fa perché sente come irrimediabilmente debole la sua identità. Entrando in contatto con l’altro da sé potrebbe cedere, quindi si chiude a riccio. Chi è saldo nelle proprie convinzioni e nel proprio sentimento del mondo è invece consapevole di poter discutere anche con il diavolo. Perché anche il dialogo,in realtà, è una prova di forza: chi è debole viene soggiogato, chi è forte rimane se stesso.

 

Zavorra numero sei: le idee che immobilizzano. Al di là degli atteggiamenti ci sono in effetti contenuti specifici che fungono da fardello incapacitante. Tutti i moralismi, tutti i passatismi, tutti i clericalismi, ogni idea di matrice reattiva, ogni proposta formulata in termini di “valori”, qualsiasi giudizio bacchettone privo di prospettive in positivo: tutto ciò paralizza il pensiero e l’azione. Per sconfiggere lo spirito di gravità occorre riconquistare una visione chiara, lineare di ciò che siamo. Bisogna ripulire tutte le incrostazioni, raddrizzare tutte le deviazioni, potare tutti i parassiti. Per procedere con sicurezza bisogna prima ritrovare il nord.

 

Essere di Estremocentroalto, nonostante i fraintendimenti in buona o cattiva fede, non significa semplicemente sposare una formula accattivante e ingenuamente “futurista”. Significa, invece, cominciare a ragionare in controtendenza rispetto a quanto descritto sopra. Significa allenare se stessi ad un pensiero – e ad un’azione – che non dia nulla per scontato, che rimetta in discussione i pregiudizi. Esistono meccanismi mentali che vanno spezzati. Estremocentroalto è la riconquista di uno sguardo sulla realtà sgombro da nubi. E’ come se il mondo ci apparisse per la prima volta davanti agli occhi, in una visione scintillante di potenzialità da cogliere, in estrema libertà.

 

L’ottocento è sempre più morto.

Il novecento pure.

Noi continuiamo a sentirci benissimo.

dimanche, 11 avril 2010

El liberalismo y la semilla de la destruccion

libmort.jpg

 

EL LIBERALISMO Y LA SEMILLA DE LA DESTRUCCIÓN

Ex: http://lamaldiciondespengler.blogspot.com/

"En vano proclamaréis la idea de la igualdad; esa idea no tomará cuerpo mientras la familia esté en pie. La familia es un árbol de este nombre, que en su fecundidad prodigiosa produce perpetuamente la idea nobiliaria."


JUAN DONOSO CORTÉS


"Cuando la idea de la propiedad descaece, el sentido de la familia se disuelve en nada. Quienquiera impugna la primera, ataca también a la segunda. La idea de herencia, adherida a la existencia de todo cortijo, todo taller y toda antigua firma comercial, así como a las profesiones continuadas de padres a hijos, y que ha encontrado su más alta expresión simbólica en la monarquía hereditaria, garantiza la fortaleza del instinto de raza."

OSWALD SPENGLER




Pocos intelectuales han sido tan certeros como nuestro Donoso Cortés ante la cuestión de diagnosticar -y en ocasiones profetizar- la naturaleza del tumor maligno que, ya a mediados del siglo XIX, carcomía el alma de nuestra civilización mediante la propagación de las ideas racionalistas.


Y es que Donoso, en un alarde de preclara objetividad, mostró hasta qué punto el utillaje ideológico de la escuela socialista fue extraído de la escuela liberal; la única diferencia estriba en que aquélla se atrevió a hacer explícitas las últimas consecuencias que ya anidaban, bien que de forma implícita, en los dogmas de ésta. Podríamos decir, pues, que el gran mérito del socialismo fue que llegó a ser más consecuente que su progenitor ideológico: simplemente, dio una vuelta de tuerca más a un programa liberal que, por mucho que sus acérrimos defensores lo nieguen, llevaba en su seno la semilla de la destrucción.


Conviene repasar, sin embargo, algunos de los textos que nos legó este genial escritor. En especial, ciertos capítulos publicados en su obra "Ensayo sobre el Catolicismo, el Liberalismo y el Socialismo", donde expresa con argumentos inatacables cómo la "igualdad" que preconizaban las corrientes liberales, en la que se incluía una concepción materialista e insolidaria de la sociedad, desembocaban irremediablemente en la disolución de la familia y la consiguiente expropiación económica por parte del Estado (que es, precisamente, la piedra angular de todo el andamiaje socialista). Escuchemos a Donoso:


"De aquí se deducen las siguientes consecuencias : Siendo los hombres perfectamente iguales entre sí, es una cosa absurda repartirlos en grupos, como quiera que esa manera de repartición no tiene otro fundamento sino la solidaridad de esos mismos grupos, solidaridad que viene negada por las escuelas liberales como origen perpetuo de la desigualdad entre los hombres. Siendo esto así, lo que en buena lógica procede es la disolución de la familia : de tal manera procede esta disolución del conjunto de los principios y de las teorías liberales, que sin ella aquellos principios no pueden realizarse en las asociaciones políticas."


Otros de los aspectos en los que incide Donoso es en el "giro copernicano" que el liberalismo otorgó al significado de la propiedad. Antes de la irrupción del racionalismo, el sentido de la propiedad se hallaba indisolublemente unido al símbolo familiar; de esta suerte, era la propiedad hereditaria y lo que ésta representaba quien "poseía" al titular de la misma. En cambio, con la aparición de las ideas liberales esta relación se invierte: ahora es el "individuo"- esa abstracción que tanto daño ha causado a nuestra perspectiva histórica- el que posee una propiedad que, desligada del elemento hereditario y familiar, se transforma en mera cosa. El tránsito del patrimonio raigal al dinero queda así abierto. De nuevo Donoso nos alerta de la enorme trascendencia de este cambio de mentalidad:


"Pero la supresión de la familia lleva consigo la supresión de la propiedad como consecuencia forzosa. El hombre, considerado en sí, no puede ser propietario de la tierra, y no puede serlo por una razón muy sencilla : la propiedad de una cosa no se concibe sin que haya cierta manera de proporción entre el propietario y su cosa, y entre la tierra y el hombre no hay proporción de ninguna especie. Para demostrarlo cumplidamente bastará observar que el hombre es un ser transitorio, y la tierra una cosa que nunca muere y nunca pasa. Siendo esto así, es una cosa contraria á la razón que la tierra caiga en la propiedad de los hombres, considerados individualmente. La institución de la propiedad es absurda sin la institucion de la familia (...) La tierra, cosa que nunca muere , no puede caer sino en la propiedad de una asociación religiosa ó familiar que nunca pasa. (...) La escuela liberal, que de todo tiene menos de docta, no ha comprendido jamas que siendo necesario para que la tierra sea susceptible de apropiación, que caiga en manos de quien pueda conservar su propiedad perpetuamente, la supresión de los mayorazgos y la expropiación de la Iglesia con la cláusula de que no pueda adquirir es lo mismo que condenar la propiedad con una condenación irrevocable. (...) La desamortizacion eclesiástica y' civil, proclamada por el liberalismo en tumulto, traerá consigo (...) la expropiación universal. Entonces sabrá lo que ahora ignora : que la propiedad no tiene razón de existir sino estando en manos muertas, como quiera que la tierra, perpetua de suyo, no puede ser materia de apropiación para los vivos que pasan, sino para esos muertos que siempre viven."


Ahora bien, tras conseguir el objetivo de desarraigar a los hombres, la "sociedad"-o lo que queda de ella- se convierte en un despojo compuesto por "individuos" aislados y anónimos. Así es como el siglo XX conoció la disputa, puramente económica, entre el "liberalismo" y el "socialismo", esto es, entre los "individuos" y el Estado. Y si hoy en día se sigue hablando de la victoria del liberalismo frente al estatalismo soviético tras la caída del muro de Berlín, es porque se ignora la deriva estatalista que las democracias "liberales" impulsaron, sobre todo a mediados de siglo, merced a las modernas teorías del Estado Social. De ahí la sorprendente actualidad de las proféticas conclusiones de Donoso:


"Cuando los socialistas, despues de haber negado la familia como consecuencia implícita de los principios de la escuela liberal ,- y la- facultad de adquirir en la Iglesia, principio reconocido así por los liberales como por los socialistas, niegan la propiedad como consecuencia última de todos estos principios, no hacen otra cosa sino poner término dichoso a la obra comenzada cándidamente por los doctores liberales. Por último, cuando despues de haber suprimido la propiedad individual el comunismo proclama al Estado propietario universal y absoluto de todas las tierras, aunque es evidentemente absurdo por otros conceptos , no lo es si se le considera bajo nuestro actual punto de vista. Para convencerse de ello basta considerar que, una vez consumada la disolucion de la familia en nombre de los principios de la escuela liberal , la cuestion de la propiedad viene agitándose entre los individuos y el Estado únicamente. Ahora bien: planteada la cuestion en estos términos, es una cosa puesta fuera de toda duda que los títulos del Estado son superiores á los de los individuos, como quiera que el primero es por su naturaleza perpetuo, y que los segundos no pueden perpetuarse fuera de la familia."

vendredi, 02 avril 2010

"Acéphale": The Headless Monster of "Modern" Masculinity

Jack DONOVAN:
Acéphale
The Headless Monster of "Modern" Masculinity

acephale_gf.jpgIn 1936, while staying at the coastal village of Tossa de Mar with artist
André Masson, George Bataille envisioned the Acéphale, pictured above. The Acéphale was a headless monster who symbolized man's rejection of hierarchy and God and his escape from the boredom of civilization into a life lost to the pursuit of fascination. Bataille was determined to bring about his leaderless, communal, ecstatic age of chaos through a sacred conjuration, and to this end he formed a secret society. As the tale goes, members of the Acéphale Society performed clandestine rituals -- one notably celebrating the decapitation of Louis XVI. However, the true conjuration sacrée required a human sacrifice. To bring about a new age of the crowd, of survivors held "in the grip of a corpse," someone needed to become the Acéphale. Someone needed to lose his head.

It never happened.

But it may as well have, because modern man has truly lost his head.

Modern man has the body of a Man. He has manly strength, sinew, reflexes and appetites. But he lacks direction, purpose, an ideal. He lacks virtus -- manly virtue. Modern man, like any freshly beheaded corpse, twitches and thrashes about destructively without his head to guide him. I cannot help but see this, and in observing this gruesome, sloppy spectacle I stand aghast alongside feminists and other "modernizers" of masculinity. However, I know that while headless, modern man is a monster -- a beast -- it is idealized, fully embodied and focused that Man is most fearsome and awe inspiring. Modern man flails about because he is ultimately impotent. Traditional Man is terrifyingly potent.

Masculinity has always changed. Men have been writing and speaking and arguing about what makes a man throughout history. As the particulars of a society change, the prevailing model of masculinity becomes more nuanced or more brutal according to need.

When men helmed Western civilization, they maintained a smooth continuity through changing times because they knew themselves. They knew what men were, they knew what men could -- and could not -- become. They knew what stirred their own souls, they knew how to speak to each other and reach common ground. They knew the kinds of ideas that would take their own hearts and move them into battle with swords or muskets, in animal skins or sharp uniforms. They knew that in peacetime men could not be ruled by fear alone, that masculine ideals and codes of honor would reveal both the stronger and the nobler aspects of a man even when he was not being watched. Men were able to carve a hard jaw, a stern brow and a proud, noble chin for mankind because they knew themselves. They knew how to shape a head that fit the body of a Man. Embodied Man had a rich and sustaining bloodline; he lived and thrived in the context of history and Tradition.

"Modern," headless man has no life-sustaining bloodline. Women and men with counter-masculine, alien, anti-Western agendas have successfully severed him from his history of heroes, ideals and the world of masculine Tradition. Traditional Man is their fearsome enemy, the agent of their supposed oppression and the Man to blame for all violence and what they call injustice. Their project is one of ressentiment --to cast the heroic Traditional man as the ultimate villain, and to ennoble their own set of "virtues" as the ideal.

(T)he problem with the other origin of the "good," of the good man, as the person of ressentiment has thought it out for himself, demands some conclusion. It is not surprising that the lambs should bear a grudge against the great birds of prey, but that is no reason for blaming the great birds of prey for taking the little lambs. And when the lambs say among themselves, "These birds of prey are evil, and he who least resembles a bird of prey, who is rather its opposite, a lamb,-should he not be good?" then there is nothing to carp with in this ideal's establishment, though the birds of prey may regard it a little mockingly, and maybe say to themselves, "We bear no grudge against them, these good lambs, we even love them: nothing is tastier than a tender lamb."

-- Friedrich Nietzsche, On the Genealogy of Morality


The wealth and luxury of the modern world have made possible an age of the lamb, and oh how the eagle is cursed!

Women, the
weakest men, men with an exploited sense of chivalry and misguided advocates for men are struggling to fashion a sheep's head for the eagle. But that project, too, is an unnatural, bloodless monstrosity. Frankenstein's work. The head doesn't fit. The body of Man rejects it, shrugs it off and remains headless. The enemies of Men toil under the assumption that the age of the sheep will last forever, and that the eagle must don a sheep's head if he is to survive at all.

Forever is a very long time.

The project for Traditional Man is first an archeological one. He venture out onto the lake of ice and recovers the frozen remains of Man's severed head. What follows is an anthropological project. He must study
paleo-masculinity; he must reverse engineer the head and understand the mechanics of masculinity as it functioned before Man's beheading. He must understand what came before, and repair his connection with his bloodline.

The sheep are crafting a world and a "modern" masculinity meant only for sheep. Eagles have no place in it.

But the age of sheep can't last forever. It is artificially ordered, unbalanced, unsustainable. The meek have inherited the earth, but by the very nature of their meekness they will be unable to keep it.

Traditional Man must find and keep his head, his manhood's redoubt. It is difficult to find and walk a path of honor in a world that is hateful to honor. It's a lonely path. But ultimately, every man is alone with his Honor.


Ennio Morricone is playing.


Eventually, an Interphase will come.

And another Age of Eagles.
Jack Donovan

Jack Donovan

Jack Donovan is a poor, blue-collar man made out of muscle and blood who moonlights as an advocate for the resurgence of patriarchal, paleo-masculine values among the Men of the West. He is a contributor to The Spearhead, as well as the author of Androphilia and co-author of Blood Brotherhood and Other Rites of Male Alliance. Mr. Donovan lives and works in Portland, Oregon.

lundi, 29 mars 2010

Warum Carl Schmitt lesen?

Götz KUBITSCHEK:

Warum Carl Schmitt lesen?

Ex: http://www.sezession.de/

schmitt_carl.jpgSeit der Frühjahrsprospekt meines Verlags versandt ist, hat ein rundes Dutzend Leser angerufen, um zu erfragen, wieso ich gerade die Bücher Carl Schmitts in den Versand aufgenommen habe und warum ich ihn derzeit wieder intensiv lese. Meine Antwort:

+ Schmitt zu lesen ist wie Bach zu hören: Beiläufig, schlagartig, nachhaltig stellt sich Klarheit in der eigenen Gedankenführung ein. Ich nahm mir vorgestern Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus vor und las vor allem die Vorbemerkung zur 2. Auflage von 1926 sehr langsam und genau: Schmitts Unterscheidung von „Demokratie“ und „Parlamentarismus“, seine Herleitung der für eine Demokratie zwingend notwendigen Homogenität der Stimmberechtigten, seine Dekonstruktion Rousseaus – das alles löst den Nebel auf, durch den wir auf unsere heutige Situation blicken.
Dabei ist es von Vorteil, daß Schmitt kein reiner Staatsrechtler war, sondern ebenso Kulturkritiker wie Geschichtsphilosoph. Helmut Quaritsch schreibt in seiner Studie über die
Positionen und Begriffe Carl Schmitts: „Die heutige Politikwissenschaft würde diese Schrift wohl gern für sich reklamieren, wenn ihr der Inhalt mehr behagte.“

+ Man muß Schmitt aus der geistigen Situation seiner Zeit verstehen und man versteht seine Zeit, wenn man ihn liest: Ohne die Erfahrung der Auflösung staatlicher Ordnung und des Zustands des Souveränitätsverlustes nach dem Ersten Weltkrieg kann man Schmitts Ordnungsdenken und seine Verteidigung einer starken staatlichen Führung nicht würdigen. Die Lektüre seiner frühen Texte etwa über „Wesen und Werden des faschistischen Staates“ oder „Staatsethik und pluralistischer Staat“ sind lehrreich und wiederum klärend. Bestens geeignet dafür ist der Sammelband Positionen und Begriffe, in dem 36 Aufsätze aus den Jahren 1923-1939 versammelt sind, unter anderem auch der schwerwiegende „Der Führer schützt das Recht“ oder „Großraum gegen Universalismus“.

+ Vielleicht greift man jetzt, da die katholische Kirche wieder einmal in aller Munde ist, auch einmal zu Schmitts kleiner und feiner Studie Römischer Katholizismus und politische Form. Daraus ein Wort?

Die fundamentale These, auf welche sich alle Lehren einer konsequent anarchistischen Staats- und Gesellschaftsphilosophie zurückführen lassen, nämlich der Gegensatz des „von Natur bösen“ und des „von Natur guten“ Menschen, diese für die politische Theorie entscheidende Frage, ist im Tridentinischen Dogma keineswegs mit einem einfachen Ja oder Nein beantwortet; vielmehr spricht das Dogma zum Unterschied von der protestantischen Lehre einer völligen Korruption des natürlichen Menschen nur von einer Verwundung, Schwächung oder Trübung der menschlichen Natur und läßt dadurch in der Anwendung manche Abstufung und Anpassung zu.

Ich stimme dem Leser zu, der mir gestern schrieb: „Schmitt lesen, das ist in hohem Maße elektrisierend, selbst oder gerade dann, wenn man nicht alles versteht.“ So ist es.

Oder irren wir uns?

mercredi, 24 mars 2010

Muray est grand et Luchini est son prophète

Muray est grand et Luchini est son prophète

Philippe-Muray_2334.jpgSamedi, 15 h, théâtre de l’Atelier. Fabrice Luchini vient tranquillement s’assoir près d’une table couverte de livres. La salle est comble. Il avait déjà enchanté les fans de grands textes avec ses lectures de Nietzsche, de La Fontaine et d’autres auteurs de calibre. Il s’attèle cette fois-ci à l’œuvre de Philippe Muray, l’écrivain contempteur de la société hyperfestive et des rebellocrates, polémiste de haut vol disparu en 2006.

Dès la première phrase, le public est conquis. La lecture de Luchini est, pour Muray, plus qu’un hommage, une seconde vie. L’évidence s’impose. Une alchimie s’est produite entre l’impertinence géniale de l’écrivain et l’insolence talentueuse du comédien. Le phrasé unique de ce dernier, sa force d’évocation sans égale donnent toute sa plénitude au texte assassin. Face au règne du Grotesque, usurpateur, c’est un tyrannicide littéraire de la bêtise contemporaine.

Ce qui fait de cette dernière un sujet inédit, selon Muray, c’est le triste mérite d’ajouter, aux formes éternelles du ridicule, l’esprit de sérieux qui suinte aujourd’hui en permanence du nihilisme content de soi.

C’est l’étalage surréaliste, la mise en scène autocentrée de l’Homo Festivus, si fier de succéder à l’homme de l’Histoire et de la différenciation. Aussi, à travers la parole jubilatoire de Luchini, l’auteur de L’Empire du Bien a-t-il à cœur de ne rater aucune de ses cibles. Sa verve énergique volatilise ainsi le culte infantéiste, la peur de la maturité et les fantasmes régressifs qui les traduisent. Son brio décapant pulvérise l’émergence des « agents d’ambiance » et autres « accompagnateurs petite enfance », ces nouveaux emplois créés par Martine Aubry en curieuse amatrice de sots métiers. 

En fin analyste des ressorts profonds du romantisme, il met à jour la démission du bobo ordinaire devant le tragique de la vie, refusant par là-même la frontière pourtant féconde entre beauté et laideur, dignité et petitesse. Les modulations de la voix de Luchini donnent alors tout l’écho mérité au propos lucide de Muray, quand il arrache souverainement le masque du Bien à la banalité du mal, aux petits intérêts sordides qui ne s’avouent plus à eux-mêmes, faute de référent.

Sous les tirs ajustés de cet auteur de grande race, l’époque nous apparaît bel et bien sans l’emballage habituel. On patauge dans le pathos, le moralisme de terreur, le théâtre de rue, le « sourire de salut public », la manie du débat à tout propos, où l’on disserte démocratiquement, avec un minimum d’encadrement médiatique tout de même, d’objets sans consistance définie : un peu de tout et beaucoup de rien.

Si cette liberté de ton vous enthousiasme, n’hésitez pas, le 22 ou le 29 mars, à vous rendre au théâtre de l’Atelier. Un artisan du verbe y célèbre un maître du pamphlet. Muray est grand, et le temps d’une lecture inspirée, Luchini est son prophète.

Philippe Gallion

Texte paru sur le blog du Choc du mois [1] sous le titre « Muray par Lucchini ».


Article printed from :: Novopress.info France: http://fr.novopress.info

URL to article: http://fr.novopress.info/53263/muray-est-grand-et-luchini-est-son-prophete/

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[1] Choc du mois: http://blogchocdumois.hautetfort.com/archive/2010/03/16/muray-par-luchini.html

dimanche, 21 mars 2010

La justice, force motrice de la société

La justice, force motrice de la société

"La condition sociale ne peut pas être pour l'individu une diminution de sa dignité, elle ne peut en être qu'une augmentation. Il faut donc que la Justice, nom par lequel nous désignons surtout cette partie de la morale qui caractérise le sujet en société, pour devenir efficace, soit plus qu'une idée, il faut qu'elle soit en même temps une Réalité. Il faut, disons-nous, qu'elle agisse non-seulement comme notion de l'entendement, rapport économique, formule d'ordre, mais encore comme puissance de l'âme, forme de la volonté, énergie intérieure, instinct social, analogue, chez l'homme, à cet instinct communiste que nous avons remarqué chez l'abeille. Car il y a lieu de penser que, si la Justice est demeurée jusqu'à ce jour impuissante, c'est que, comme faculté, force motrice, nous l'avons entièrement méconnue, que sa culture a été négligée, qu'elle n'a pas marché dans son développement du même pas que l'intelligence, enfin que nous l'avons prise pour une fantaisie de notre imagination, ou l'impression mystérieuse d'une volonté étrangère. Il faut donc, encore une fois, que cette Justice, nous la sentions en nous, par la conscience, comme un amour, une volupté, une joie, une colère; que nous soyons assurés de son excellence autant au point de vue de notre félicité personnelle qu'à celui de la conservation sociale; que, par ce zèle sacré de la Justice, et par ses défaillances, s'expliquent tous les faits de notre vie collective, ses établissements, ses utopies, ses perturbations, ses corruptions; qu'elle nous apparaisse, enfin, comme le principe, le moyen et la fin, l'explication et la sanction de notre destinée.

En deux mots une Force de Justice, et non pas simplement une notion de Justice ; force qui, en augmentant pour l'individu la dignité, la sécurité et la félicité, assure en même temps l'ordre social contre les incursions de l'égoïsme : voilà ce que cherche la philosophie, et hors de quoi point de société."

Pierre-Joseph Proudhon

(ex: http://zentropa.splinder.com/)

lundi, 15 mars 2010

Platon et les trois fonctions indo-européennes

Platon et les trois fonctions indo-européennes

platon.jpgEx: http://tpprovence.wordpress.com/ 

On trouve de tout chez Platon, comme au rayon bricolage du BHV (à ne pas confondre avec le BHL, où l’on ne trouve rien d’autre que le vide abyssal de la non-pensée nombriliste) : le mythe de la caverne, l’Atlantide et même … les trois fonctions indo-européennes.

LES TROIS FONCTIONS CHEZ LES INDO-EUROPÉENS

C’est Georges Dumézil qui a découvert, en 1938, l’existence d’une véritable « idéologie » indo-européenne, d’une structure mentale spécifique se manifestant par une même conception du monde. « Suivant cette conception, que la comparaison de documents pris dans la plupart des vieilles sociétés indo-européennes permet de reconstituer, écrira-t-il, tout organisme, du cosmos à n’importe quel groupe humain, a besoin pour subsister de trois types hiérarchisés d’action, que j’ai proposé d’appeler les trois fonctions fondamentales : la maîtrise du sacré et du savoir avec la forme du pouvoir temporel qu’elle fonde, la force physique et la valeur guerrière, la fécondité et l’abondance avec leurs conditions et leurs conséquences » (1).

Sur le plan social, l’on retrouve cette tripartition dans tout l’espace indo-européen, de l’Inde à l’Irlande, les trois fonctions correspondant schématiquement aux prêtres-rois, aux guerriers ainsi qu’aux producteurs, paysans et artisans. C’est ainsi que dans l’Inde traditionnelle les Brahmânes correspondent à la 1ère fonction, les Kshatriyâs à la 2 ème et les Vaishyâs à la 3 ème. A l’extrême ouest de l’aire couverte par les indo-européennes, chez les Celtes, César nous apprend que la société gauloise se composait des Druides, des Equites ou Chevaliers, et de la Plebs, le Peuple…

Reste le cas de la Grèce antique, qui a tendu très tôt à éliminer toute trace de l’idéologie trifonctionnelle. Si l’on en croit Dumézil, « la Grèce n’est pas généreuse envers nos dossiers. M. Bernard Sergent a fait un bilan critique des expressions de la structure des trois fonctions, la plupart du temps isolées, en voie de fossilisation, qu’on a proposé d’y reconnaître : c’est peu de chose, comparé aux richesses qu’offrent l’Inde et l’Italie » (2). Toutefois, un lecteur attentif de l’œuvre de Platon peut y découvrir la preuve d’une survivance de la tripartition fonctionnelle dans la Grèce classique.

LA CITÉ IDÉALE PLATONICIENNE

Dans La République, Platon, s’interrogeant sur la cité idéale, affirme que « les classes qui existent dans la Cité sont bien les mêmes que celles qui existent dans l’âme de chacun pris individuellement » (3). Au terme d’une analyse psychologique de la nature humaine, le philosophe grec reconnaît dans l’homme trois sortes d’âmes ou de dispositions à agir : la raison, située dans la tête, qui lui permet de penser ; le sentiment, situé dans le cœur, qui conduit à aimer ; et le désir, situé dans le ventre, qui le pousse à se reproduire. Elles impliquent trois vertus qui représentent l’excellence de chacune des âmes : la sagesse, le courage et la tempérance. Selon lui, la constitution de la cité n’est que la projection de la constitution de l’âme soumise à son exigence de justice, cette dernière étant à son tour, l’articulation harmonieuse des trois vertus.

Concrètement, le philosophe distingue au sein de la cité trois fonctions. D’abord, « ceux qui gardent entièrement la Cité, aussi bien des ennemis de l’extérieur que des amis de l’intérieur » (4), les Gardiens, qui correspondent à la tête, siège de l’intelligence et de la raison, le Logos. Ensuite,  « les auxiliaires et assistants des décisions des gouvernants » (5), qui correspondent au cœur, siège du courage, le Thymos. Enfin les Producteurs, artisans et paysans, qui correspondent au ventre, siège des appétits. « Vous qui faites partie de la Cité, précise Platon,vous êtes tous frères, mais le dieu, en modelant ceux d’entre vous qui sont aptes à gouverner, a mêlé de l’or à leur genèse ; c’est la raison pour laquelle ils sont les plus précieux. Pour ceux qui sont aptes à devenir auxiliaires, il a mêlé de l’argent, et pour ceux qui seront le reste des cultivateurs et des artisans, il a mêlé du fer et du bronze » (6).

« Une cité semble précisément être juste, souligne Platon, quand les trois groupes naturels présents en elle » exercent « chacun sa tâche propre » (7). Effectivement, de même que l’homme doit soumettre le ventre au cœur, puis le cœur à la raison, les arts qui sont au service du ventre doivent être soumis à l’art des guerriers, qui lui-même doit obéir à celui des magistrats, c’est à dire à la Politique – cette dernière étant inséparable de la philosophie, car les magistrats doivent être philosophes. Il distingue également trois sortes de régimes politiques, dont chacun est lié à l’une des fonctions de la cité et, par conséquent, à l’une des parties et des facultés de l’organisme humain : la monarchie, ou gouvernement d’un seul, et l’aristocratie, gouvernement des meilleurs, régimes commandés par la raison ; la timocratie, ou gouvernement des guerriers, est quant à elle commandée par les passions nobles, celles du cœur ; enfin la démocratie, ou gouvernement du plus grand nombre, régime caractérisé par les passions les plus basses de l’âme humaine et les appétits matériels…

Pas de doute : cette cité idéale platonicienne reposant sur trois classes strictement hiérarchisées, reproduit l’organisation traditionnelle de la société en trois fonctions propre aux indo-européens. En effet, dans une Grèce qui semble avoir totalement oublié la tripartition, Platon confie la vie politique de la cité à des philosophes-rois ,les Gardiens, assistés d’une caste militaire, les Auxiliaires, qui règnent sur les basses classes productives.

Platon est convaincu que seuls les Gardiens, c’est-à-dire les sages, ont la capacité d’user équitablement de la raison pour le bien commun, alors que les hommes ordinaires ne peuvent s’élever au-dessus de leurs passions et de leurs buts personnels. En contrepartie, les membres de ce qu’il faut bien appeler la caste dirigeante doivent mener une vie entièrement commune, sans propriété privée ni famille, autant d’éléments de tentation égoïste, de division et, au final, de corruption. « Nul bien ne sera la possession privée d’aucun d’entre eux, sauf ce qui est de première nécessité » décrète le philosophe, qui préconise en outre « qu’ils vivent en communauté, comme ceux qui sont en expédition militaire » , et que parmi les habitants de la cité « ils soient les seuls à n’avoir pas le droit de prendre une part, ou de toucher l’or et l’argent, les seuls à ne pouvoir entrer sous un toit qui en abrite, en porter sur eux comme ornement, ou boire dans un récipient d’or ou d’argent » (8).

« Car, ajoute-t-il, dès qu’ils possèderont privément de la terre, une habitation et de l’argent, ils deviendront administrateurs de leurs biens, cultivateurs au lieu d’être les gardiens de la cité, et au lieu d’être les compagnons défenseurs des autres citoyens,  ils en deviendront les tyrans et les ennemis, remplis de haine et eux-mêmes haïs, ils passeront leur vie conspirant contre les autres et deviendront objets de conspiration, et ils redouteront bien davantage et plus souvent les ennemis de l’intérieur que ceux de l’extérieur, se précipitant vers la ruine eux-mêmes et l’ensemble de la cité » (9). En outre, leurs enfants seront enlevés dès la naissance afin de recevoir une éducation collective de type militaire.

Ce « communisme platonicien », un communisme viril et ascétique sans rapport avec les cauchemars messianiques à la Marx et Trotsky, n’est pas sans rapport avec le national-communautarisme spartiate. D’ailleurs, Montesquieu ne soulignera-t-il pas avec justesse que « la politique de Platon n’est pas plus idéale que celle de Sparte ».

Edouard Rix, Réfléchir & Agir, hiver 2009, n°31.

NOTES

(1) G. Dumézil, L’oubli de l’homme et l’honneur des dieux et autres essais. Vingt-cinq esquisses de mythologies, Gallimard (Coll. « Bulletin des sciences humaines »), 1985, p.94.

(2) Ibid, p.13.

(3) Platon, La République, Flammarion (Coll. « Le monde de la philosophie »), 2008 p. 262.

(4) Ibid, p. 199.

(5) Ibid, p. 200.

(6) Ibid, p. 201.

(7) Ibid ,p. 245.

(8) Ibid,p. 205.

(9) Ibid, pp. 205-206.

mardi, 09 mars 2010

Sigrid Hunke et le sens de la mort

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986

Sigrid Hunke et le sens de la mort

Sigrid Hunke est très connue Outre-Rhin. Le public francophone, lui, ne connaît que son livre sur l'Islam et les rapports intellectuels euro-arabes au Moyen Age (Le Soleil d'Allah brille sur l'Occident, Albin Michel, 1984, 2ème éd.) et sa remarquable fresque philosophico-religieuse "L'autre religion de l'Europe" (Le Labyrinthe, 1985). En 1986, Sigrid Hunke a publié un petit ouvrage fascinant sur le thème de la mort, tel qu'il est entrevu par huit grands systèmes religieux dans le monde, le christianisme, le judaïsme, l'Islam, le classicisme hellénique, la mythologie de l'Egypte antique, le bouddhisme, l'Edda germano-scandinave, les grandes idéologies modernes.

 

Duerer_-_Ritter,_Tod_und_Teufel_(Der_Reuther).jpgPour le christianisme, écrit Sigrid Hunke, le Dieu tout-puissant, depuis sa sphère marmoréenne d'éternité, depuis son au-delà inaccessible, impose la mort à ses créatures en guise de punition pour leur désobéissance et pour leur prétention à devenir égales à lui. Le Christ, fils de ce Dieu omnipotent fait chair et "descendu" parmi les hommes, obéit à son Père, meurt crucifié, descend dans le royaume des morts et revient à la vie. Pour les premiers croyants, le règne paradisiaque, annoncé par ce Messie et par la tradition hébraïque, devait commencer dès la réapparition du Christ. Il n'en fut rien et ce fut le tour de force opéré par Paul de Tarse: cet apôtre tardif annonce que la mort est une parenthèse, qu'il faut attendre un "jugement dernier", où le Christ sépararera les pies des impies et jugera bons et méchants à la place de son "Père". Ce n'est qu'alors que commencera le règne définitif de Dieu, où injustice, misères, maladies auront à jamais disparues.

 

Quant au Dieu juif de l'Ancien Testament, il est, écrit Sigrid Hunke, un dieu des vivants et non des morts, lesquels sont à jamais séparés de lui. Ce Dieu n'entretient aucune relation avec le phénomène de la mort, avec les morts, avec le règne de la mort. Sa toute-puissance s'arrête là. La mort, dans le monde hébraïque, est fin absolue, négation, non-être définitif. Iavhé n'a aucun pouvoir sur Shéol, l'univers des défunts dans l'imaginaire hébraïque. Le corps du défunt rejoint la terre, la Terre-mère, que vénéraient les tribus sémitiques du Proche-Orient. Le Iahvisme, inauguré par Moïse, rompt les ponts avec cette religiosité tellurique des Sémites, entraînant un effondrement et une disparition des cultes voués aux défunts. Plus tard, après l'exil babylonien, les prophètes Ezra, Daniel et Enoch, renforcent cette radicale altérité entre l'au-delà iavhique et l'en-deça terrestre, par une instrumentalisation des dualismes issus de Perse. Dès lors, la césure entre l'esprit et la chair, entre Iavhé et l'homo peccator (l'homme pécheur), entre la Vie et la Mort, se fait encore plus absolue, plus brutale, plus définitive. Mais cette césure terrible, angoissante, se voit corrigée, par certaines influences iraniennes: désormais, à ce monde de larmes et de sang s'oppose l'espoir de voir un jour advenir un monde meilleur, rempli de cette "lumière" dont les Iraniens avaient le culte.  Mais seul le peuple élu, obéissant à Iavhé en toutes circonstances, pourra bénéficier de cette grâce.

 

Le Dieu de l'Islam est l'ami des croyants, de ceux qui lui sont dévoués. Il leur accorde son amour et sa miséricorde. La Terre n'est pas réceptacle de péché: le péché découle du choix de chaque créature, libre de faire le bien ou le mal. L'Islam ne connaît pas de catastrophe dans la dimension historique, comme le iahvisme vétéro-testamentaire et le christianisme, mais bien plutôt une catastrophe globale, cosmique, après laquelle Allah recréera le monde, car telle est sa volonté et parce qu'il aime sa création et refuse qu'on la dévalorise.

 

Les dieux de la Grèce antique sont des immortels qui font face aux mortels. Pour Sigrid Hunke, contrairement à l'avis de beaucoup d'hellénisants, la Grèce affirme la radicale altérité entre la sphère du divin et la sphère de l'humain. Le destin mortel des hommes ne préoccupe pas les dieux, écrit-elle, et les âmes, libérées de leurs prisons corporelles, errent, pendant des siècles et des siècles, souillées par leur contact avec une chair mortelle pour éventuellement ensuite retourner dans l'empyrée d'où elles proviennent.

 

Les dieux de l'Egypte antique et des Germains sont eux-mêmes mortels. Pour les Egyptiens, les dieux ont tous une relation directe avec la mort. Chaque soir, le dieu solaire connaît la mort et, chaque matin, il revient, ressuscite rajeuni par ce voyage dans l'univers de la mort. Le défunt rejoint le dieu des morts Osiris et accède à un statut supérieur, dans le royaume de ce dieu. Dieux et hommes sont partenaires et responsables pour le maintien de l'ordre cosmique. Dans la mythologie germanique, les dieux sont des compagnons de combat des hommes. Lorsque ceux-ci meurent, les dieux les accueillent parmi eux, puisque, durant leurs vies, les hommes ont aidé les dieux à combattre les forces de dissolution.

 

Au XXème siècle, cette idée d'amitié entre dieux et hommes, est revenue spontanément, dit Sigrid Hunke, dans la pensée d'un Teilhard de Chardin, qui demandait à ses contemporains de lutter de toutes leurs forces aux côtés de la puissance du créateur pour repousser le mal". Idée que l'on retrouve aussi dans la mystique médiévale d'un Maître Eckhart qui voulait que les hommes deviennent des "Mitwirker Gottes", c'est-à-dire qu'ils collaborent efficacement à l'oeuvre créatrice de Dieu. Quant au Russe Nikolaï Berdiaev (1874-1948), il écrivait, en exil à Berlin dans les années 20: "Dieu attend la collaboration des hommes dans son travail de création; il attend leur collaboration dans le déroulement incessant de cette création". Cet appel à s'engager activement pour le divin implique une responsabilité de l'homme vis-à-vis du monde vivant, de la nature, de l'écologie terrestre, de la justice sociale, des enfants qui naissent et qui croissent,...

 

Pour Max Scheler, dont Sigrid Hunke admire la philosophie, l'homme doit se débarasser de son attitude infantile à l'égard de la divinité, oublier cette position de faiblesse quémandante et implorante que les religions bibliques lui ont inculquée et accéder à une religiosité adulte, c'est-à-dire participative. L'homme, à côté du divin, doit participer à la création, doit s'engager personnellement, s'identifier à l'oeuvre de Dieu.

 

La conclusion de la belle enquête de Sigrid Hunke est double: 1) il ne faut plus voir la mort sous l'angle sinistre de la négation; 2) le principe "confiance" est supérieur au principe "espérance". Avec les grands penseurs de ce que Sigrid Hunke a appelé "l'autre religion de l'Europe", Héraclite, Hölderlin, Hebbel, Rilke, etc., nous ne saurions regarder la mort comme la négation absolue, ni la craindre comme point final, comme point de non retour définitif mais, ainsi que l'avaient bien perçu Schelling et Tolstoï, comme une "reductio ad essentiam". La mort, dans cette perspective immémoriale, qui remonte aux premiers bâtisseurs de tumuli de notre continent, aux autochtones absolus dont nous descendons, est un retour à la plénitude de l'Etre; elle est un "retour à ce foyer qui est si proche des origines" (Heidegger). Et Sigrid Hunke de rapeller ces paroles de Bernhard Welte, prononcées au bord de la tombe de Heidegger: "... La mort met quelque chose en sûreté, elle dérobe quelque chose à nos regards. Son néant n'est pas néant. Elle cache et dissimule le but de tout un cheminement" (Der Tod birgt und verbirgt also etwas. Sein Nichts ist nicht Nichts. Er birgt und verbirgt das Ziel des ganzen Weges).

 

Ces paroles, si proches de la pensée heideggerienne, si ancrées dans la campagne Souabe et dans l'humus de la Forêt Noire, nous révèlent, indirectement, le principe "confiance". Une confiance dans le grand mouvement de l'Etre qui nous a jeté dans le monde et nous reprendra en son sein (Teilhard de Chardin). Le principe "confiance" est supérieur au principe "espérance" (Ernst Bloch), affirme Sigrid Hunke, car il ne laisse aucune place au souci spéculateur, au calcul utopique au doute délétère: il nous apprend la sérénité, la Gelassenheit.

 

En résumé, un livre d'une grande sagesse, servi par une connaissance encyclopédique des auteurs de cette "autre religion de l'Europe", pré-chrétienne, qui n'a cessé de corriger la folie anti-immanentiste judéo-chrétienne.

 

Bertrand EECKHOUT.

 

Sigrid Hunke, Tod was ist dein Sinn?, Neske-Verlag, Pfullingen, 1986, 164 S., DM 28.    

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lundi, 08 mars 2010

Amor, milagro, excepcion: la Rosa mistica en Dante y Schmitt

Amor, milagro, excepción: La Rosa mística en Dante y Schmitt

Giovanni B. Krähe - Ex: http://geviert.wordpress.com/

Advenimiento como ordo ordinans: Amor como accidente in sustanzia

rose-hiver.jpgLa Vita nuova (1292-1293) de Dante  es el canto que prepara a la  recta lectura de la Divina commedia. El lector atento sabe que el ejercicio necesario para la compresión del Amor dantesco en términos impersonales y político-religiosos, depende del soneto de la Vita nuova. Se trata, en este breve libro, de la compresión del dogma del Milagro como evento del Automaton (la casualidad), como la realización del evento excepcional  en el accidente. En Dante el Automaton es la inmediatez ineluctable y subitánea del advenimiento en su Ahora perpetuo bajo la forma del saluto. Il saluto (saludo) irrumpe en el tiempo (lo crea más precisamente) para imponer su Salud: Beatrice (1). Se trata, en otras palabras, del advenimiento de un nuevo orden bajo la forma del acontecimiento fortuito: se trata del orden necesario de lo excepcional (genitivo subjetivo). El advenimiento necesario de lo excepcional como (nuevo) orden es  un problema que Carl Schmitt en su politische Theologie resuelve invirtiendo radicalmente el principio de lo accidental en Aristóteles (Schmitt, PT: 21). En efecto, Schmitt y Dante saben que el Automaton era considerado por los antiguos como un principio extrínseco que afecta a los entes. La causa era un principio necesario, por lo tanto, intrínseco. En vez de observar una regularidad procesual aparente en los acontecimientos y luego una irregularidad en tal proceso como eventual excepción, Dante y Schmitt observan más bien la realización en el evento de la analogía entre necesidad y casualidad. Se podría hablar de un isomorfismo, de un único principio en acto que irrumpe en la Physis y que se refleja tanto en la forma de los entes (la belleza por ejemplo), como en todo lo que le toca y le tocará vivir al ente como posibilidad. Frente a tal irrupción indeterminada, el ser humano tiene únicamente dos posibilidades, dos polos donde puede expresar su capacidad de deliberación y vivirla como libertad prescrita: imitar la irrupción paraclética del Automaton en la Physis como rito (mímesis religiosa) o enfrentarse a ella con su Techne. Se reflexione cómo los antiguos y la sociedades tradicionales logran colectivamente un equilibrio entre estos dos polos. En efecto, las virtudes antiguas – con excepción de las teologales, es decir, la caridad, la esperanza, la fe – son principios de equilibrio entre Automaton y Techne, o modernamente expresado, entre contingencia y técnica. Para Dante y Schmitt toda la teleología aristótelica, como la finalidad del ente, se realiza completamente en el momento constitutivo e inicial de su orden como advenimiento: un orden que se reproduce  una y otra vez en su Ahora (Jeweiligkeit) como acontecimiento, determinando una identidad que se realiza intrínsecamente una y otra vez (jeweils) entre la esencia del ente y lo que esta manifiesta  como tiempo y forma. Dicha relación intrínseca es (west) la identidad del ente (2).

En Dante, más evidente que en Schmitt sin duda, toda la finalidad del acontecer del ente se realiza completamente en un advenimiento sutil, al parecer inocuo: il saluto, el saludo de Beatrice. Se podría afirmar que en Dante lo excepcional muestra además un aspecto de carácter salvífico completamente indeterminado, no por esto menos ineluctable: es, en efecto, el encuentro completamente fortuito con Beatrice lo que permite la visión de la Salud (Dante, Vita nuova: 3). Si consideramos, entonces, esta inversión de Aristóteles a partir de ambos autores, debemos concluir rectamente que cualquier acontecimiento exterior, no sólo aquello que no se da como regular-procesual, debe ser considerado como excepcional. No se trata de una inversión meramente lógica. No todo acontecimiento adviene (!) en su finalidad última completamente, como no todo acontecer es salvífico o logramos notar la Salud que nos muestra y ofrece (3). Es precisamente esta (aparente) “latencia” en el telos del ente como tiempo lo que determina toda su posibilidad y toda su necesidad ya escrita. Para poder comprender esto, necesitamos introducir, además del Automaton, un ulterior principio extrínseco al ente, que define precisamente la irrupción de lo excepcional como posible momento salvífico o como completo fracaso: la Tyche (fortuna). Con estos dos principios podemos notar que el tiempo del ente (genitivo subjetivo) es tiempo dramático, es drama permanente. En Dante y Schmitt, la excepción, lo excepcional, se convierten en la regla porque “lo excepcional se explica a sí mismo y explica lo general… lo excepcional piensa lo general con enérgica pasión” (Schmitt citando a Kierkegaard, PT: 21).

Del advenimiento al acontecimiento: el acontecimiento como ordo ordinatur

A diferencia de Dante, Schmitt concentra su interés en la compresión de un aspecto específico del advenimiento, es decir, el acontecimiento en su irrupción dada en el tiempo. Es la comprensión de la mencionada latencia télica como ordo ordinatur, como orden constituido que crea el tiempo de los hombres (el Estado por ejemplo). Se trata de la compresión del orden constituido que (se) realiza kathechontisch (“kathechonticamente”) una y otra vez, (en) su finalidad. Este orden constituido se realiza en el ámbito (Be-Reich) completamente contingente y paraclético de lo excepcional: se trata de la permanencia, conservación y realización del destino del ente en el ámbito (Reich) del mencionado Automaton. Es el mismo ámbito contingente desde donde surge, victorioso o derrotado, el enemigo, “nuestra única forma” dirá Schmitt. Para Schmitt (y los Románticos), aquello que denominamos corrientemente “naturaleza” o ambiente “externo” (Um-welt) es comprendido en los términos de abismo (Ab-grund), o más modernamente como contingencia. El término Um-Welt, (ambiente), es todo aquello indeterminado que rodea (um) el mundo (Welt) (4). La metafísica dantesca nos muestra, en cambio, el otro lado especular del mismo evento: nos enseña el acontecimiento como advenimiento, es decir nos muestra la inversión schmittiana de Aristóteles sin ninguna mediación temporal, ni procesual, ni final en su sentido moderno: nos muestra todo el acahecer de un único evento puntualmente como accidente amoroso in sustanzia (Dante, Vita Nuova, XXV). El soneto dantesco nos permite, entonces, comprender el mismo evento que Schmitt estudia, pero como el advenimiento que crea el tiempo, que crea su tiempo: como ordo ordinans, como orden constituyente. Es pues legítimo indagar próximamente el nexo entre Dante y Schmitt como el nexo analógico entre Amor (evento), milagro (advenimiento) y excepción (acontecimiento). En este Orden, el Amor es la gnosis (política y religiosa) que le es propia a la relación entre milagro y excepción: la Rosa mística.

Notas

(1) En la simbología dantesca il saluto, (el saludo) mantiene la misma raíz etimológica con el saludo beato o bienaventurado, la Salute (Salud).

(2) No es casual que Heidegger use el sustantivo alemán Wesen (esencia) como verbo: es decir, wesen. Tal vez “existente” sea su traducción más apropiada en castellano, es decir, como participio presente, no como su sustantivación: lo existente. Se haga el ejercicio de declinar el verbo heideggeriano wesen rectamente  y se comprenderá inmediatamente a Heidegger, sin necesidad de mucho manierismo hermenéutico postmoderno á la Gianni Vattimo.

(3) Algo que impone necesariamente una gnoseología (barroca) que remplace completamente el mirar por el admirar (El reflejo).

(4) se haga el ejercicio de redefinir completamente ( o interpretar rectamente), bajo esta definición de Umwelt, el término Lebenswelt.

dimanche, 07 mars 2010

Führung als politisches Prinzip: verschmäht, vergessen und trotzdem praktiziert

Führung als politisches Prinzip: verschmäht, vergessen und trotzdem praktiziert

Geschrieben von: Larsen Kempf   

Ex: http://www.blauenarzisse.de/

max_weber.jpgDie „Frage nach der Führung“ ist nach wie vor aktuell. Das zeigt die im Januar erschienene Wochenbeilage „Aus Politik und Zeitgeschichte“ der Zeitung „Das Parlament“. Die Themenstellungen der von der Bundeszentrale für politische Bildung herausgegebenen Zeitschrift sind dabei oft kontroverser als die braven Beiträge der deutschen Intelligenz. Schon im Editorial wird im Tenor des bundesdeutschen Schuldvorwurfs auf die nationalistische Hybris und den Dilettantismus des Kaiserreiches verwiesen und politische Führung derart im politisch korrekten Kontext verortet, dass Beiträge zur Führung „als Demokratiewissenschaft“ (Ludger Helms) oder abgrenzend: „in der Diktatur“ (Jan C. Behrends) nur folgerrichtig scheinen.

Auch die Neue Linke braucht ihre Führer

Dass Führung notwendig zur politischen Praxis gehört, wird auch heute von niemandem ernsthaften Sinnes bestritten. Mit dem Ableben „des Führers“ und seines katastrophalen Erbes allerdings geriet der Begriff derart in Verruf, dass seither selbst das deutsche Militär nur noch sehr vage von „Innerer Führung“ spricht. Ohne die kommt es aber nicht aus. Schnell aber wurde auch die Pflicht, die Kant so hoch schätzte, zum Kadavergehorsam diffamiert.

Hierarchische Über- und Unterordnung betrachtete die Neue Linke nach 1945 häufig gar als Grundübel und als Ausdruck struktureller Gewalt. Jedoch auch sie kam ohne Führung nicht aus. Allein durch wortgewandte Autoritäten wie etwa Rudi Dutschke oder später Joschka Fischer konnte sie ihren Idealen im politischen Diskurs Ausdruck verleihen. Ob heilige Hierarchie der Kirche, wissenschaftliche Hierarchie der Universität, wirtschaftliche Hierarchie des Unternehmens oder legale Hierarchie des politischen Apparats: in allen die Demokratie stützenden Subsystemen bleibt religiöse, wissenschaftliche, unternehmerische oder politische Führung unverzichtbar.

Sehnsucht nach authentischer Führung: eine potentielle Gefahr für die Demokratie?

Alle linke Kritik am Führungsprinzip ist jedoch in dem Punkt berechtigt, wo sie auf eine Sehnsucht nach authentischer Führung hindeutet. Denn tatsächlich kann diese auch in der inszenierten Massenhypnose einer Diktatur ihren Ausdruck finden. Bürger sollten aber Führung vor allem in ihrer politischen Funktionalität verstehen. Denn ohne ein Minimum an Autorität ist auch Demokratie letztendlich undenkbar.

Zum Verständnis hilft Max Webers Herrschaftssoziologie, die Charisma, Tradition oder das rational entstandene Gesetz zur Grundlage legitimer Herrschaft macht. Obwohl die charismatische und traditionale Herrschaft im vorrationalen Raum angesiedelt sind, verlieren sie nicht einfach ihre Legitimität. Es zeigt sich, dass Führung verschiedene Facetten annehmen und nicht allein auf den legal-demokratischen Prozess reduziert werden kann.

Im Beitrag „Max Weber heute“ von Mateusz Stachura findet sich von dieser zurückhaltend normativen Wertung sämtlicher Führungskonzepte bedauerlicherweise kaum ein Wort. Er zeichnet nur die charismatische Führungspersönlichkeit in ihrer Bedrohung nach. In der Tat erwiesen sich herausragende Charismatiker nicht selten als Despoten. Als Beispiele dienen nicht zuletzt neben dem schon benannten deutschen Diktator auch Gaius Julius Caesar oder Revolutionsführer Oliver Cromwell. Bei aller historischer Umstrittenheit führen aber Persönlichkeiten wie der englische Staatsmann Thomas Morus oder die französische Nationalheldin Jeanne d'Arc die schlichte Formel vom „bösen Charisma“ ad absurdum.

Gute Führung braucht Demut

Der Unterschied zwischen Diktatoren und Heiligen besteht in ihrem Selbstverständnis. Beide haben subjektiv als gerecht bewertete Motive zur Grundlage. Hitler glaubte an die moralische Notwendigkeit seiner Vernichtungsmaschine und rechtfertigte sich damit vor dem eigenen Gewissen. Die gerne herbeizitierte Gewissenhaftigkeit scheidet als Differenzmerkmal folglich aus. Das Selbstverständnis der Heiligen prägt jedoch vor allem das Moment der Demut, die eine Verantwortlichkeit gegenüber dem eigenen Gewissen besitzt. Demut befreit von Fanatismus, indem sie die eigene Fehlerhaftigkeit vor Augen führt und persönliche Wertvorstellungen aus innerer Haltung heraus relativiert. Die christliche Empfehlung zur Demut ist demnach auch für den säkularen politischen – und militärischen – Führer sinnvoll. Sie stellt das alte Ideal des Charismas unter den besonderen moralischen Anspruch, sich immer wieder neu zu rechtfertigen und im Zweifel zu korrigieren.

Im modernen demokratischen Rechtsstaat übernimmt, so könnte man meinen, die regelmäßige Wahl die Funktion der Demut. Sie erinnert den Politiker an seine Pflicht zum treuen Dienst, indem sie ihn an den Volkswillen bindet. Diese Interpretation erweist sich allerdings als defizitär. Denn der Volkswille kann nicht nur durch schlechte Führung manipuliert werden, auch der zeitliche Abstand von Wahlen ist gefährlich groß. Die Wahl kann innere Integrität demnach nie ersetzen, sondern bloß ergänzen.

Das Kanzlerwort ist unverzichtbar

Dieses Spektrum normativer Leitlinien demonstriert die Berechtigung charismatischer Führung, auf die eine machtstrategisch verpflichtete Politik nicht verzichten kann. Machterwägungen und die auf Carl Schmitt zurückgehende Unterscheidung von Freund und Feind verweisen auf die Dezision als originäres politisches Handlungsmotiv. Der politische Führer entscheidet im repräsentativen Raum. Dies wird vielfach vergessen und aus dem öffentlichen Bewusstsein verbannt, intuitiv aber bis auf den heutigen Tag praktiziert. Denn ohne das viel beschworene Kanzlerwort funktioniert der politische Alltag nicht. Politische Entscheidungen der Führung schaffen Ordnung, und die schlechteste ist stets noch besser als die Tyrannei des Chaos.

mercredi, 24 février 2010

Postmortem Report: Cultural Examinations from Postmodernity

Dr. Sunic' Newest Book !

Paperback: 224 pages
Publisher: Iron Sky Publishing; 1ST edition (February 11, 2010)
ISBN-10: 0956183522
ISBN-13: 978-0956183521
 
 
 
Postmortem Report: Cultural Examinations from Postmodernity (collected Essays)
 
 
 
 

Postmortem Report: Cultural Examinations from Postmodernity

(collected Essays) (Paperback)

Tomislav Sunic (Author), MacDonald Kevin (Foreword)

Editorial Reviews

Product Description

Tomislav Sunic is one of the leading scholars and exponents of the European New Right. A prolific writer and accomplished linguist in Croatian, English, French, and German, his thought synthesizes the ideas of Oswald Spengler, Carl Schmitt, Vilfredo Pareto, and Alain de Benoist, among others, exhibiting an elitist, neo-pagan, traditionalist sensibility. A number of themes have emerged in his cultural criticism: religion, cultural pessimism, race and the Third Reich, liberalism and democracy, and multiculturalism and communism. This book collects Dr. Sunic’s best essays of the past decade, treating topics that relate to these themes. From the vantage point of a European observer who has experienced the pathology of liberalism and communism on both sides of the Iron Curtain, Dr. Sunic offers incisive insights into Western and post-communist societies and culture. Always erudite and at times humorous, this highly readable postmortem report on the death of the West offers a refreshing, alternative perspective to what is usually found in the cadaverous Freudo-Marxian scholasticism that rots in the dank catacombs of postmodern academia.

 

T. Sunic: Amérique réelle, Amérique hyperréelle

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Synergies Européennes – Bruxelles / Zagreb – février 2009

 

Tomislav SUNIC :

Amérique réelle, Amérique hyperréelle

 

Un phénomène important est survenu dans les relations entre les élites américaines détentrices du pouvoir et les élites médiatiques. Au début du 21ème siècle, l’Amérique, contrairement aux autres pays européens, se vante ouvertement qu’elle garantit une liberté d’expression totale. Pourtant, les médias américains osent rarement soulever des thématiques considérées comme contraires à l’esprit postmoderne de l’américanisme. De fait, la « médiacratie » américaine postmoderne opère de plus en plus en liaison avec le pouvoir exécutif de la classe dominante. Cette cohabitation se déroule sur un mode mutuellement correcteur, où les uns posent des critères éthiques pour les autres et vice-versa. Les principales chaînes de télévision et les principaux journaux d’Amérique, comme CNN, The New York Times ou The Washington Post suggèrent aux hommes politiques la ligne à suivre et vice-versa ou, pour un autre sujet, les deux fixent de concert les critères du comportement politique général qu’il faudra adopter. Parmi les citoyens américains, l’idée est largement répandue que les médias représentent un contre-pouvoir face au système et que, de par leur vocation, ils doivent être par définition hostiles aux décisions prises par les élites au pouvoir. Mais en réalité, les médias américains ont toujours été les porte-paroles et les inspirateurs du pouvoir exécutif, bien que d’une manière anonyme, sans jamais citer les noms de ceux qui, au départ de la sphère gouvernementale, leur filaient des tuyaux. Depuis la première guerre mondiale, les médias américains ont eu une influence décisive, dans la mesure où ils ont créé l’ambiance psychologique qui a précédé et soutenu la politique étrangère américaine, en particulier en poussant les politiques américains à bombarder au phosphore les villes européennes pendant la seconde guerre mondiale. La même stratégie, mais avec une ampleur réduite, a été suivie, partiellement, par les médias américains lors de l’engagement US en Irak en 2003.

 

Médias et classe dominante : opérations conjointes

 

Dans le choix des mots, la classe dominante américaine et ses courroies de transmission dans les médias et l’industrie de l’opinion ne fonctionnent plus d’une manière disjointe et exclusive l’une de l’autre ; elles opèrent conjointement dans le même effort pédagogique de « répandre la démocratie et la tolérance » dans le monde entier. « Qu’il y ait ou non un soutien administratif au bénéfice des médias », écrit Régis Debray, « ce sont les médias qui sont les maîtres de l’Etat ; l’Etat doit négocier sa survie avec les faiseurs d’opinion » (1). Debray, figure de proue parmi les théoriciens de la postmodernité, ne révèle au fond rien de neuf, sauf que dans la « vidéo-politique » postmoderne, comme il l’appelle, et qui est distillée par les médias électroniques modernes, les mensonges des politiciens semblent plus digérables qu’auparavant. En d’autres mots, le palais présidentiel n’a plus d’importance politique décisive ; c’est la tour de la télévision qui est désormais en charge de la « haute politique ». L’ensemble des discours et récits politiques majeurs ne relève plus de la « graphosphère » ; il entre dans le domaine de la « vidéosphère » émergente. En pratique, cela signifie que toutes les absurdités que pense ou raconte le politicien n’ont plus aucune importance de fond : quel que soit leur degré de sottise, il faut qu’elles soient bien présentées, qu’elles suscitent l’adhésion, comme sa propre personne, sur les écrans de la télévision. Il peut certes exister des différences mineures entre la manière dont les médias, d’une part, et la classe dominante américaine, d’autre part, formulent leur message, ou entre la façon dont leur efforts correcteurs réciproques se soutiennent mutuellement, il n’en demeure pas moins vrai que la substance de leurs messages doit toujours avoir le même ton.

 

La télévision et les médias visuels ont-ils changé l’image que nous avons du monde objectif ? Ou la réalité du monde objectif peut-elle être saisie, si elle a été explicitée autrement qu’elle ne l’est par les médias ? Les remarques que les universitaires ou d’autres hommes politiques formulent et qui sont contraires aux canons et aux vérités forgées par les médias se heurtent immédiatement à un mur de silence. Les sources et informations rebelles, qui critiquent les dogmes de la démocratie et des droits de l’homme, sont généralement écartées des feux de la rampe. C’est vrai surtout pour les écrivains ou journalistes qui remettent en question l’essence de la démocratie américaine et qui défient la légitimité du libre marché.

 

Significations à facettes multiples

 

Les hommes politiques américains contemporains ont de plus en plus souvent recours à des références voilées derrière un méta-langage hermétique, censé donner à ses locuteurs une aura de respectabilité. Les hommes politiques postmodernes, y compris les professeurs d’université, ont recours, de plus en plus, à une terminologie pompeuse d’origine exotique, et leur jargon se profile souvent derrière une phraséologie qu’ils comprennent rarement eux-mêmes. Avec la propagation rapide du méta-discours postmoderne au début du 21ème siècle, la règle, non écrite, est devenue la suivante : le lecteur ou le spectateur, et non plus l’auteur, devraient devenir les seuls interprètes de la vérité politique. A partir de maintenant, le lexique politique est autorisé à avoir des significations à facettes multiples. Mais, bien sûr, cela ne s’applique pas au dogme du libre marché ou à l’historiographie moderne, qui doit rester à tout jamais en un état statique. Le discours postmoderne permet à un homme politique ou à un faiseur d’opinion de feindre l’innocence politique. De cette manière, il est libre de plaider l’ignorance si ses décisions politiques débouchent sur l’échec. Ce plaidoyer d’ignorance, toutefois, ne s’applique pas s’il osait tenter ou s’il désirait déconstruire le proverbial signifiant « fascisme » qui doit rester le référent inamovible du mal suprême.

 

Dans un essai de 1946, un an après la défaite totale du national-socialisme, Orwell notait combien le mot « fascisme » avait perdu sa signification originelle : « il n’a maintenant plus aucune signification sauf dans la mesure où il désigne quelque chose qui n’est pas désirable » (…). On peut dire la même chose d’un vaste éventail de référents postmodernes, y compris du terme devenu polymorphe de « totalitarisme », qui date du début des années 20 du siècle passé, quand il est apparu pour la première fois et n’avait pas encore de connotation négative. Et qui sait s’il aura toujours cette connotation négative si on part du principe que le système américain, monté en épingle, pourrait, en cas d’urgence, utiliser des instruments totalitaires pour garantir sa survie ? Si l’Amérique devait faire face à des affrontements interraciaux de grande ampleur (on songe aux clivages raciaux de grande envergure après les dévastations causées par l’ouragan Katrina à la Nouvelle Orléans en 2005, qui pourrait être le prélude de plus graves confrontations ultérieures), elle devra fort probablement adopter des mesures disciplinaires classiques, telles la répression policière et la loi martiale. On peut imaginer que la plupart des théoriciens postmodernes n’émettraient aucune objection à l’application de telles mesures, bien qu’ils esquiveront probablement le vocable « totalitaire ».

 

Incantations abstraites

 

Il y a longtemps, Carl Schmitt théorisa et explicita une vérité vieille comme le monde. Notamment, que les concepts politiques acquièrent leur véritable signification si et seulement si l’acteur politique principal, c’est-à-dire l’Etat et sa classe dominante, se retrouvent dans une situation d’urgence soudaine et imprévue. Dans ce cas, toutes les interprétations usuelles des vérités posées jusqu’alors comme « allant de soi » deviennent obsolètes. On a pu observer un tel glissement après l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 à New York (un événement qui n’a pas encore été pleinement élucidé) ; la classe dirigeante américaine a profité de cette occasion pour redéfinir la signification légale d’expressions comme les « droits de l’homme » et la « liberté de parole ». Après tout, la meilleure façon de limiter les droits civiques concrets n’est-elle pas d’abuser d’incantations abstraites sur les « droits de l’homme » et sur la « démocratie » ? Avec la déclaration possible d’un état d’urgence à grande échelle dans l’avenir, il semble tout à fait probable que l’Amérique finira par donner de véritables significations à son vocabulaire politique actuel. Pour les temps présents, toutefois, la postmodernité américaine peut se décrire comme une sémantique transitoire et un engouement esthétique parfaitement idoine pour assumer une surveillance dans les sphères académiques et politiques, sous le masque d’un seul terme : celui de « démocratie ».

 

Contrairement au mot, le concept de postmodernité désigne un fait politique ou social qui, selon diverses circonstances, signifie tout et le contraire de tout, c’est-à-dire, finalement, rien du tout. La postmodernité est tout à la fois une rupture avec la modernité et sa continuation logique sous une forme hypertrophiée. Mais, comme nous avons déjà eu l’occasion de le noter, en termes de dogme égalitaire, de multiculturalisme et de religion du progrès, le discours postmoderne est resté le même que le discours de la modernité. Le théoricien français de la postmodernité, Gilles Lipovetsky, utilise le terme d’hypermodernité lorsqu’il parle de la postmodernité. La postmodernité est hypermodernité dans la mesure où les moyens de communication défigurent et distordent tous les signes politiques, leur font perdre toutes proportions. De ce fait, quelque chose que nous allons considérer comme hypermoderne doit simultanément être considéré comme ‘hyperréel’ ou ‘surréel’ ; c’est donc un fait gonflé par une prolifération indéfinie de mini-discours ; des mémoires historiques et tribales travesties en panégyriques aux commémorations de masses honorant les morts de la guerre. De nouveaux signes et logos émergent, représentant la nature diversifiée du système mondial américanisé. Lipovetsky note que « très bientôt, il n’y aura plus aucune activité particulière, plus aucun objet, plus aucun lieu qui n’aura pas l’honneur d’un musée institué. Depuis le musée de la crêpe jusqu’à celui des sardines, depuis le musée d’Elvis Presley jusqu’à celui des Beatles » (2). Dans la postmodernité multiculturelle, tout est objet de souvenir surréel et aucune tribu, aucun style de vie ne doit se voir exclu du circuit. Les Juifs se sont déjà taillé une position privilégiée dans le jeu global des cultes de la mémoire ; maintenant, c’est au tour d’une myriade d’autres tribus, de styles de vie ou de divers groupes marginaux cherchant à recevoir leur part du gâteau de la mémoire globale.

 

Obsession de la « race »

 

Officiellement, dans l’Amérique multiculturelle, il n’y a ni races ni différences raciales. Mais les quotas de discrimination positive (« affirmative action ») et l’épouvantail du racisme ramènent sans cesse le terme ‘race’ à l’avant-plan. Cette attitude qui se voit rejetée, de manière récurrente, par l’établissement postmoderne américain, est, de fait, une obsession ressassée à l’infini. Les minorités raciales réclament plus de droits égaux et se font les avocates de la diversité sociale ; mais dans les termes mêmes de leurs requêtes, elles n’hésitent jamais à mettre en exergue leur propre ‘altérité’ et le caractère unique de leur propre race. Si leurs requêtes ne sont suivies d’aucun effet, les autorités courent le risque de se faire accuser d’ ‘insensibilité’. De ce fait, pourquoi n’utiliserait-on pas, dès maintenant, les termes d’Hyper-Amérique hyperraciale ? Ce qui importe, ici, c’est que le lecteur saisisse ces termes dans leur sens aléatoire car la postmodernité, selon les circonstances, peut se donner des significations contradictoires.

 

L’Amérique est un pays aussi moderne qu’il a voulu l’être. La modernité et la religion du progrès font partie du processus historique qui l’a créé. En même temps, toutefois, les éléments méta-statiques de la postmodernité, en particulier l’ ‘overkill’, les tueries excessives, que l’on voit à satiété dans les médias, sont désormais visibles partout. La postmodernité a ses pièges. Afin de les éviter, ses porte-paroles font usage d’approches particulières du discours moderne en recourant à des qualifiants apolitiques et moins connotés. Dans le monde postmoderne, écrit Lipovetsky, « on note la prédominance de la sphère individuelle sur la sphère universelle, du psychologique sur l’idéologique, de la communication sur la politisation, de la diversité sur l’homogénéité, de la permissivité sur la coercition » (3). De même, certaines questions sociales et politiques apparaissent désormais sous les feux de rampe alors qu’elles étaient totalement ignorées et inédites au cours des dernières décennies du 20ème siècle.  L’éventuelle impuissance sexuelle d’un candidat à la présidence  est désormais considérée comme une événement politique de premier plan —souvent plus que sa manière de traiter un thème important de la criminalité publique. La mort d’un enfant en bas âge dans une Afrique ravagée par les guerres en vient à être considérée comme une affaire nationale urgente. Même le supporter le plus ardent du multiculturalisme aurait eu grand peine à imaginer, jadis, les changements phénoménaux qui se sont opérés dans le discours pan-racialiste des élites américaines. Même le progressiste américain le plus optimiste de jadis, avocat de la consommation à outrance, n’aurait jamais imaginé une telle exhibition colossale de permissivité langagière ni l’explosion de millions de signes de séduction sexuelle. Tout chose se mue en sa forme plus « soft » que suggère la nouvelle idéologie ; depuis l’idéologie du sexe jusqu’à la nouvelle religion du football en passant par la croisade idéologique contre le terrorisme réel ou imaginaire.

 

Transformations sémantiques

 

La culture de masse à l’âge de la néo-postmodernité, comme l’écrit Ruby, facilite le développement d’un individualisme extrême, au point où la plus petite parcelle d’une existence humaine doit dorénavant être perçue comme une commodité périssable ou hygiénique. « La personnalité de quelqu’un est jugée d’après la blancheur de ses incisives, d’après l’absence de la moindre gouttelette de sueur aux aisselles, de même d’après l’absence totale d’émotion » (4). La culture des mots en langue anglaise a, elle aussi, été sujette à des transformations sémantiques. Actuellement, ces mots transformés existent pour désigner des styles de vie différents et n’ont plus rien en commun avec leur signification d’origine. C’est pourquoi on pourrait tout aussi bien appeler l’Amérique postmoderne « Amérique hypermoderne », désignation qui suggère que, dans les années à venir, il y aura encore plus d’hyper-narrations tournant autour de l’hyper-Amérique et du monde « hyper-américanisé ».

 

Et qu’est-ce qui viendra après la postmodernité ? « Tout apparaît », écrit Lipovetsky, « comme si nous étions passés d’un âge ‘post’ à un âge ‘hyper’ ; une nouvelle société faite de modernité refait surface. On ne cherche plus à quitter le monde de la tradition pour accéder à la modernité rationnelle mais à moderniser la modernité, à rationaliser la rationalisation » (5). Nous avons donc affaire à la tentative d’ajouter toujours du progrès, toujours de la croissance économique, toujours des effets télévisés spéciaux pour, imagine-t-on, nourrir l’existence de l’Amérique hyperréelle. Le surplus de symbolisme américain doit continuer à attirer les désillusionnés de toutes races et de tous styles de vie, venus de tous les coins du monde. N’importe quelle image télévisée ou n’importe quelle historiette de théâtre sert désormais de valeur normative pour une émulation quelconque à l’échelle du globe  —ce n’est plus le contraire. D’abord, on voit émerger une icône virtuelle américaine, généralement par le truchement d’un film, d’un show télévisé ou d’un jeu électronique ; ensuite, les masses commencent à utiliser ces images pour conforter leur propre réalité locale. C’est la projection médiatique de l’Amérique hyperréelle qui sert dorénavant de meilleure arme propagandiste pour promouvoir le rêve américain. Nous voyons se manifester un exemple typique de l’hyperréalité américaine lorsque la classe politique américaine prétend que toute erreur générée par son univers multiculturel ou tout flop dans son système judiciaire tentaculaire pourrait se réparer en amenant dans le pays encore plus d’immigrants, en cumulant encore davantage de quotas raciaux ou en gauchisant encore plus ses lois déjà gauchistes. En d’autres termes, la hantise d’une balkanisation du pays, qu’elle ressent, elle croit pouvoir s’en guérir en introduisant encore plus de diversité raciale et en amenant encore plus d’immigrants de souche non européenne. De même, les flops du libre marché, de plus en plus visibles partout en Amérique, elle imagine qu’elle leur apportera une solution, non pas en jugulant la concurrence sur le marché, mais en acceptant encore davantage de concurrence grâce à plus de privatisations, en encourageant plus encore la dérégulation économique, etc. Cette caractéristique de l’ ‘overkill’, de la surenchère postmoderne est l’ingrédient constitutif principal de l’idéologie américaine, qui semble avoir trouvé son rythme accéléré au début de l’âge postmoderne. Jamais il ne vient à l’esprit de l’élite américaine que le consensus social dans une Amérique multiraciale ne pourra s’obtenir par décret. Pourtant, si l’on recourrait à des politiques contraires à tous ces efforts hyperréels en lice, cela pourrait  signifier la fin de l’Amérique postmoderne.

 

Tout doit pouvoir s’expliquer selon des formules toute faites

 

Déjà à la fin du 20ème siècle, l’Amérique a commencé à montrer des signes d’obésité sociale. C’est la nature irrationnelle de la croyance au progrès qui a crû démesurément à la manière des métastases et qui, de ce fait, annonce, le cas échéant, la fin de l’Amérique. Lash notait, il y a déjà pas mal d’années, que tout à la fin du 20ème siècle, les narcisses américains savoureraient les plaisirs sensuels et se vautreraient dans toutes les formes d’auto-gratification. ‘Prendre du plaisir’ est une option qui a toujours fait partie des prescrits de l’idéologie américaine. Cependant le narcisse américain postmoderne à la recherche du plaisir, comme le nomme Lipovetsky, a d’autres soucis actuellement. Son culte du corps et l’amour qu’il porte à lui-même ont conduit à des crises de panique et des anxiétés de masse : « L’obsession à l’égard de soi se manifeste moins dans la joie fébrile que dans la crainte, la maladie, la vieillesse, la ‘médicalisation’ de la vie » (6). Dans l’Amérique hyperrationnelle, tout doit absolument s’expliquer et s’évacuer à l’aide de formules rationnelles, peut importe qu’il s’agisse de l’impuissance sexuelle d’une personne particulière ou de l’impuissance politique du président des Etats-Unis. La nature imprévisible de la vie représente le plus gros danger pour l’homo americanus parce qu’elle ne lui offre pas sur plateau une formule rationnelle pour lui dire comment éviter la mort ; l’imprévisibilité de la vie défie par conséquent la nature intrinsèque de l’américanisme. Tout effraye l’homme américain aujourd’hui : du terrorisme au rabougrissement de son plan retraite ; de l’immigration de masse incontrôlée à la perte probable de son emploi. Ce serait gaspiller du temps de dénombrer et de chiffrer les maux sociaux américains en ce début de troisième millénaire : songeons à la pédophilie, à la toxicomanie, à la criminalité violente, etc. Le nombre de ces anomalies croîtra de manière exponentielle si la marche en avant du progressisme postmoderne américain se poursuit.

 

Tout est copie grotesque de la réalité

 

Chaque postmoderne utilise un méta-langage qui lui est propre et donne sa propre interprétation aux significations de l’histoire. Si nous acceptons la définition de la postmodernité que nous livre le théoricien français Jean Baudrillard, alors tout dans l’Amérique postmoderne est une copie grotesque de la réalité. L’Amérique aurait donc fonctionné depuis 1945 comme un gigantesque photocopieur xérographique, produisant une méta-réalité, qui correspond non pas à l’Amérique telle qu’elle est mais à l’Amérique telle qu’elle devrait être pour le bénéfice du globe tout entier. La seule différence est la suivante : à l’aube du 21ème siècle, le rythme doux et allègre de l’histoire de jadis s’est modifié continuellement, s’est mis à s’accélérer pour passer à la cinquième vitesse. Les événements se déroulent à la vitesse d’une bobine de film, comme détachés de toute séquence historique réelle, et s’accumulent inlassablement jusqu’à provoquer un véritable chaos. Selon Baudrillard, qui est à coup sûr l’un des meilleurs observateurs européens de l’américanisme, l’hyperréalité de l’Amérique a dévoré la réalité de l’Amérique. C’est pourquoi une question doit être posée : pour parachever le rêve américain, les Américains du présent et de l’avenir ne sont-ils pas sensés vivre dans un monde de rêve projeté ? L’Amérique ne se mue-t-elle pas dans ce cas en une sorte de « temps anticipatif » (« a pretense »), en une sorte de fiction, de métaréalité ? L’Amérique a-t-elle dès lors une substance, étant donné que l’américanisme, du moins aux yeux de ses imitateurs non américains, fonctionne seulement comme un système à faire croire, c’est-à-dire comme une « hypercopie » de son soi propre, toujours projeté et embelli ? Dans le monde virtuel et postmoderne d’internet et de l’informatique, toute mise en scène d’événements réels en Amérique procède toujours déjà d’un modèle de remise en scène antérieur et prêt à l’emploi, sensé servir d’instrument pédagogique pour différents projets contingents. Par exemple, les élites militaires américaines disposent de toutes sortes de formules possibles pour tous cas d’urgence qui surviendrait, en n’importe quel endroit du monde. On peut dès lors parier en toute quiétude qu’un scénario, selon l’une ou l’autre de ces nombreuses formules, pourra aisément correspondre à un événement réel sur le terrain. En bref, raisonne Baudrillard, dans un pays constitué de millions d’événements « fractaux », bien que surreprésentés et rejoués à satiété comme ils le sont, tout se mue en un non événement. La postmodernité rend triviales toutes les valeurs, même celles qu’elle devrait honorer pour sa propre survie politique !

 

De nouvelles demandes sociales émergent sans fin

 

L’Amérique et sa classe dirigeante pourraient peut-être un jour disparaître, ou, même, l’Amérique pourrait se fractionner en entités étatiques américaines de plus petites dimensions ; dans l’un ou l’autre de ces cas, l’hyperréalité américaine, cependant, continuera à séduire les masses partout dans le monde. L’Amérique postmoderne doit demeurer le pays de la séduction, même si cette séduction fonctionne davantage auprès des masses non européennes et moins auprès des Américains de souche européenne qui, en privé, rêvent de se porter vers d’autres Amériques, non encore découvertes. Dans un pays comme l’Amérique, écrit Baudrillard, « où l’énergie de la scène publique, c’est-à-dire l’énergie qui crée les mythes sociaux et les dogmes, est en train de disparaître graduellement, l’arène sociale devient obèse et monstrueuse ; elle se dilate comme un corps mammaire ou glandulaire. Jadis, cette scène publique s’illustrait par ses héros, aujourd’hui elle s’indexe sur ses handicapés, ses tarés, ses dégénérés, ses asociaux —tout cela dans un gigantesque effort de maternage thérapeutique » (7). Les marginalisés de la société et les marginaux tout court sont devenus des modèles, qui ont un rôle à jouer dans la postmodernité américaine. La « vérité politique » est d’ores et déjà devenue une thématique de la scène privée et émotionnelle, dans le sens où le membre d’une secte religieuse ou le porte-paroles d’un quelconque « lifestyle » (mode de vie) peut émettre sans frein ses jugements politiques nébuleux. Un toqué bénéficie d’autant de liberté de beugler publiquement ses opinions politiques que le professeur d’université. Il arrive qu’un serial killer devienne une superstar de la télévision, aussi bien avant qu’après ses bacchanales criminelles. En fait, comme la quête de diversité ne cesse de s’élargir, de nouveaux groupes sociaux, et, avec eux, de nouvelles demandes sociales émergent sans fin. Le stade thérapeutique de la post-Amérique, comme l’appelle Gottfried, est le système idéal pour étudier tous les comportements pathologiques.

 

En ces débuts du 21ème siècle, les postmodernistes aiment exhorter tout un chacun à remettre en question tous les paradigmes et tous les mythes politiques, mais, en même temps, ils adorent chérir leurs propres petites vérités étriquées ; notamment celles qui concerne l’une ou l’autre « vérité » de nature ethnique ou relevant des fameux « genders ». Ils continuent à se faire les avocats des programmes d’ « affirmative action » (= de « discrimination positive »), destinés à « visibiliser » les modes de vie non européens et à valoriser les narrations autres, généralement hostiles aux Blancs. Le terme « diversité » est devenu le mot magique des postmodernistes : c’est une diversité basée sur une légitimation négative, dans le sens où elle rejette toute diversité d’origine européenne en mettant l’accent sur la nature soi-disant mauvaise de l’interprétation que donne l’homme blanc de l’histoire.

 

Les narrations postmodernes ne peuvent être soumises à critique

 

Bien que la plupart des postmodernistes tentent de déconstruire la modernité en utilisant l’œuvre de Frédéric Nietzsche et en s’en servant de fil d’Ariane, ils persistent à soutenir leurs propres ordres du jour, micro-idéologiques et infra-politiques, basés sur la valorisation d’autres races et de modes de vie différents. Ce faisant, ils rejettent toute autre interprétation de la réalité, surtout les interprétations qui heurtent de front le mythe omniprésent de l’américanisme. L’approche intellectuelle sous-tendant leurs micro-vérités ou leurs micro-mythes ne peut être soumise à critique, en aucun circonstance. Leurs narrations demeurent les fondements sacro-saints de leur postmodernité. Pour l’essentiel, la narration de chaque tribu ou de chaque groupe apparaît comme un gros mensonge commis sur le mode horizontal, ce qui a pour effet que chacun de ces mensonges élimine la virulence d’un autre mensonge concurrent. Le protagoniste d’un mode de vie quelconque et bizarre, présent sur la scène américaine, sait pertinemment bien que sa narration relève de la fausse monnaie ; mais il doit faire semblant de raconter la vérité. Finalement, et dans le fond, le discours de la postmodernité est un grand discours de méta-mensonge, de méta-tromperie.

 

Si vous adoptez la logique de la postmodernité permissive et la micro-narration hyperréelle d’un zélote religieux ou d’un quelconque tribal de la planète postmoderne, indépendamment du fait qu’il souhaite ou non devenir l’hôte d’un talk show télévisé, ou devenir une star du porno, ou le porte-paroles imaginaire d’une guérilla, alors vous devez implicitement accepter également l’idée d’un « post-démocratie », d’un « post-libéralisme », d’une ère « post-holocaustique » et d’une « post-humanité » dans une post-Amérique. Comme toutes les grandes narrations de la modernité mourante peuvent être remises en question en toute liberté, on peut trouver plein de bonnes raisons pour remettre en question et pour envoyer aux orties la grande narration qui se trouve à la base de la démocratie américaine. En utilisant le même tour de passe-passe, on pourrait remettre au goût du jour en Amérique des penseurs, des auteurs et des hommes de science qui, depuis la fin de ce Sud antérieur à la guerre civile ou, plus nettement encore, depuis la fin de la seconde guerre mondiale en Europe, ont été houspillés dans l’oubli ou ont été dénoncés comme « racistes », bigots ou « fascistes » ou ont reçu l’un ou l’autre nom d’oiseau issu de la faune innombrable de tous ceux que l’on a campés comme exclus. Les auteurs postmodernes évitent toutefois avec prudence les thèmes qui ont été dûment tabouisés. Ils se rendent compte que dans la « société la plus libre qui soit », les mythes antifascistes et anti-antisémites doivent continuer à prospérer.

 

Tomislav SUNIC.

(extrait du livre « Homo Americanus – Child of the Postmodern Age », publié à compte d’auteur, 2007, ISBN 1-4196-5984-7, pp. 146 à 156 ; trad. franc. : Robert Steuckers). 

 

Notes :

(1)    Régis DEBRAY, Cours de médiologie générale, Gallimard, 1991, p. 303.

(2)    Gilles LIPOVETSKY/Sébastien CHARLES, Les temps hypermodernes, Grasset, 2004, p. 124.

(3)    Gilles LIPOVETSKY, L’ère du vide, Gallimard, 1983.

(4)    Christian RUBY, Le champ de bataille postmoderne, néo-moderne, L’Harmattan, 1990.

(5)    Gilles LIPOVETSKY/Sébastien CHARLES, Les temps hypermodernes, Grasset, 2004, p. 78.

(6)    Ibidem, p. 37.

(7)    Jean BAUDRILLARD, Les stratégies fatales, Grasset, 1983, p. 79. 

mardi, 23 février 2010

Soyons différentialistes!

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1995

 

Soyons différentialistes!

 

Un professionnel du marketing me disait, il y a quelques semaines, la nécessité, dans notre monde mo­derne régi par la publicité, d'être identifié rapidement. Ainsi, on a accès aux médias parce que l'on est ca­talogué socialiste, gaulliste, nationaliste, écologiste, etc. Ce sont là des étiquettes commodes mais somme toute très réductrices. Cette règle actuelle, qui consiste à passer sous les fourches caudines de la “réduction”, nous sera appliquée que nous le voulions ou non. Dès lors, ce professionnel du marketing m'a demandé: vous, les synergétistes, comment vous définiriez-vous en un seul mot? C'est le terme “différentialiste” qui n'est apparu comme le plus proche de notre démarche.

 

Etre différentialiste, en effet, c'est être pour le respect des différences, des variétés, des couleurs, des traditions et donc hostile à toutes les tentatives d'uniformiser le globe, de peindre le monde en gris, de sérialiser outrancièrement les gestes de la vie quotidienne et les réflexes de la pensée.

 

Etre différentialiste, c'est être fondamentalement tolérant et non pas superficiellement tolérant comme se piquent de l'être beaucoup de vedettes du prêt-à-penser. Etre différentialiste, c'est respecter les forces numinales qui vivent en l'autre, de respecter les valeurs qui l'animent et s'incarnent en lui selon des mo­dalités différentes des nôtres.

 

Etre différentialiste, c'est donc être hostile à cette sérialisation planétaire à l'œuvre depuis plus d'un siècle, c'est refuser que tous les peuples soient soumis indistinctement aux mêmes règles dites univer­selles. C'est reconnaître à chaque communauté le droit de se développer selon ses rythmes propres. C'est être du côté de la loi de la différAnce, du processus de différAnce générateur de différEnces provi­soires, pour reprendre le vocabulaire de Derrida, c'est-à-dire du côté de la créativité, des mutations per­manentes et constructives, qui suscitent à chaque seconde des formes durables mais mortelles, mar­quées de cette finitude qui oblige à l'action et sans laquelle nos nerfs et nos neurones s'étioleraient, se laisseraient sans cesse aller aux délices de la mythique Capoue.

 

Le différentialisme est en fait une rébellion constante pour préserver ce travail permanent de différAnce à l'œuvre dans le monde, pour empêcher que de terribles simplificateurs ne le bétonnent, ne l'oblitèrent. Mais pour que différAnce il y ait, il faut que soient préservées les différEnces car c'est sur le socle de dif­férEnces en expansion ou en déclin que les hommes dynamiques ou réactifs créeront par différAnce les formes nouvelles, qui dureront le temps d'une splendide ou d'une discrète différEnce. Le différentialisme est donc une rébellion pour garder la liberté de se plonger dans le processus universel de différAnce, armé des vitalités ou des résidus d'une différEnce particulière, qui est nôtre, à laquelle le destin nous a liés.

 

Pour nous l'Europe sera différentialiste ou ne sera plus! Une Europe soustraite par les terribles simplifica­teurs au processus universel de différAnce, privée de ses différEnces vivaces ou abîmées, ne sera plus qu'une Europe étouffée par l'asphalte des idéologies-toutes-faites, une Europe qui n'aura plus la sou­plesse intellectuelle pour faire face adéquatement aux défis planétaires qui nous attendent. Nous ne voulons pas d'un modèle américain, de plaisirs sérialisés, nous voulons sans cesse de l'originalité, nos critères nous portent à aimer le cinéma ou la littérature d'un Chinois inconnu des pontifes médiatiques, d'un Latino-Américain brimé par sa bourgeoisie ou ses militaires aux ordres de Washington, d'un Africain qui n'a pas accès aux pla­teaux de Paris ou de New York, d'un Indien qui refuse les modes pour faire re­vi­vre en lui, à chaque ins­tant, la gloire de l'univers védique! Notre différentialisme est donc ouverture per­ma­nente au monde, com­bat inlassable contre les fermetures que veulent nous imposer la “political correc­tness” et le “nouvel ordre mondial”.

 

Mais cette propension à tout bétonner est aujourd'hui au pouvoir. Comme l'écrivait Pierre Drieu la Rochelle dans son Journal:  «J'ai mesuré l'effroyable décadence des esprits et des cœurs en Europe». Or depuis la rédaction de ce texte, la chute n'a fait que s'accélérer. C'est contre elle que nous avons voulu réagir en nous implantant partout en Europe: pour dialoguer, comparer nos héritages à ceux des autres, pour op­poser nos différEnces et participer ainsi au processus de différAnce, pour épauler ceux qui agissent en dehors des grands circuits commerciaux d'une culture homogénéisée, mise au pas, stérilisée.

 

Notre mouvement s'accroît, bon nombre d'initiatives s'adressent à nous pour œuvrer en commun: j'en veux pour preuve les associations allemandes ou italiennes qui vont participer conjointement à nos uni­versités d'été, qui nous fournissent des orateurs, qui travaillent chacune sur leur créneau, j'en veux pour preuve les journaux, grands et petits, qui s'adressent à nos cadres pour remplir leurs colonnes, j'en veux pour preuve ce théâtre de rue lombard qui pratique, de concert avec “Synergies”, le gramscisme dans sa version la plus pure. En effet, Antonio Gramsci pariait justement sur ce théâtre spontané des rues et des masses, animé par des “intellectuels organiques”, pour jeter bas le cléricalisme dominant à son époque. Berthold Brecht ne disait pas autre chose. La contestation radicale de cette fin de siècle est notre camp, notre seul camp. Nous ne luttons pas pour faire advenir en Europe une grande idéologie verrouillée, un iron heel  de nouvelle mouture, mais justement pour préserver ces spontanéités culturelles qui corrodent les raides certitudes des bigots de toutes espèces.

 

Gilbert SINCYR.