mardi, 26 juin 2007
G. Faye et la convergence des catastrophes
Guillaume Faye et la “Convergence des catastrophes”
Introduction par Robert Steuckers à la présentation par Guillaume Faye du livre “La convergence des catastrophes”, signé Guillaume Corvus, Bruxelles, Ravensteinhof, 21 janvier 2006
Dans l’introduction à l’une des versions italiennes du premier livre de Guillaume Faye, “Le système à tuer les peuples”, j’avais tenté de brosser succinctement son itinéraire politique, depuis ses années d’étudiant à l’IEP et à la Sorbonne. J’avais rappelé l’influence d’un Julien Freund, des thèses de Pareto, de Bertrand de Jouvenel sur ce jeune étudiant dont la vocation allait être de mener un combat métapolitique, via le “Cercle Spengler” d’abord, via le GRECE (Groupe de Recherche et d’Etudes sur la Civilisation Européenne) ensuite. J’avais insisté aussi sur son interprétation de Nietzsche, où, comme Alexis Philonenko, il pariait sur un rire sonore et somme toute rabelaisien, un rire déconstructeur et reconstructeur tout à la fois, sur la moquerie qui dissout les certitudes des médiocres et des conformistes. Je ne vais pas répéter aujourd’hui tout cet exposé, qu’on peut lire sur internet, mais je me concentrerai surtout sur une notion omniprésente dans les travaux de Faye, la notion cardinale de “politique”, oui, sur cette “notion du politique”, si chère au Professeur Julien Freund. L’espace du politique, et non pas de la politique (politicienne), est l’espace des enjeux réels, ceux qui décident de la vie ou de la survie d’une entité politique. Cette vie et cette survie postulent en permanence une bonne gestion, un bon “nomos de l’oikos” —pour reprendre la terminologie grecque de Carl Schmitt— une pensée permanente du long terme et non pas une focalisation sur le seul court terme, l’immédiat sans profondeur temporelle et le présentisme répétitif dépourvu de toute prospective.
Le bon “nomos” est celui qui assure donc la survie d’une communauté politique, d’un Etat ou d’un empire, qui, par la clairvoyance et la prévoyance quotidiennes qu’il implique, génère une large plus-value, en tous domaines, qui conduit à la puissance, au bon sens du terme. La puissance n’est rien d’autre qu’un solide capital de ressources matérielles et immatérielles, accumulées en prévision de coups durs, de ressacs ou de catastrophes. C’est le projet essentiel de Clausewitz, dont on fait un peu trop rapidement un belliciste à tous crins. Clausewitz insiste surtout sur l’accumulation de ressources qui rendront la guerre inutile, parce que l’ennemi n’osera pas affronter une politie bien charpentée, ou qui, si elle se déclenche quand même, fera de mon entité politique un morceau dur ou impossible à avaler, à mettre hors jeu. Ce n’est rien d’autre qu’une application du vieil adage romain: “Si vis pacem, para bellum”.
L’oeuvre immortelle de Carl Schmitt et de Julien Freund
D’où nous vient cette notion du “politique”?
Elle nous vient d’abord de Carl Schmitt. Pour qui elle s’articule autour de deux vérités observés au fil de l’histoire :
1) Le politique est porté par une personne de chair et de sang, qui décide en toute responsabilité (Weber). Le modèle de Schmitt, catholique rhénan, est l’institution papale, qui décide souverainement et en ultime instance, sans avoir de comptes à rendre à des organismes partiels et partisans, séditieux et centrifuges, mus par des affects et des intérêts particuliers et non généraux.
2) La sphère du politique est solide si le principe énoncé au 17ième siècle par Thomas Hobbes est honoré : “Auctoritas non veritas facit legem” (C’est l’autorité et non la vérité qui fait la loi/la norme). Nous pourrions, au seuil de ce 21ième siècle, qui s’annonce comme un siècle de catastrophes, tout comme le 20ième, étendre cette réflexion de Hobbes et dire : “Auctoritas non lex facit imperium”, soit “C’est l’autorité et non la loi/la norme qui fait l’empire”. Schmitt voulait dénoncer, en rappelant la science politique de Hobbes, le danger qu’il y a à gouverner les états selon des normes abstraites, des principes irréels et paralysants, parfois vecteurs de dissensions calamiteuses pouvant conduire à la guerre civile. Quelques décennies d’une telle gouvernance et les “noeuds gordiens” s’accumulent et figent dangereusement les polities qui s’en sont délectée. Il faut donc des autorités (personnelles ou collégiales) qui parviennent à dénouer ou à trancher ces “noeuds gordiens”.
Cette notion du politique nous vient ensuite du professeur strasbourgeois Julien Freund, qui était, il est vrai, l’un des meilleurs disciples de Carl Schmitt. Il a repris à son compte cette notion, l’a appliquée dans un contexte fort différent de celui de l’Allemagne de Weimar ou du nazisme, soit celui de la France gaullienne et post-gaullienne, également produit de la pensée de Carl Schmitt. En effet, il convient de rappeler ici que René Capitant, auteur de la constitution présidentialiste de la 5ième République, est le premier et fidèle disciple français de Schmitt. Le Président de la 5ième République est effectivement une “auctoritas”, au sens de Hobbes et de Schmitt, qui tire sa légitimité du suffrage direct de l’ensemble de la population. Il doit être un homme charismatique de chair et de sang, que tous estiment apte à prendre les bonnes décisions au bon moment. Julien Freund, disciple de Schmitt et de Capitant, a coulé ses réflexions sur cette notion cardinale du politique dans un petit ouvrage qu’on nous faisait encore lire aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles il y a une trentaine d’années: “Qu’est-ce que le politique?” (Ed. du Seuil). Cet ouvrage n’a pas pris une ride. Il reste une lecture obligatoire pour qui veut encore, dans l’espace politique, penser clair et droit en notre période de turbulences, de déliquescences et de déclin.
René Thom et la théorie des catastrophes
Comment cette notion du politique s’articule-t-elle autour de la thématique qui nous préoccupe aujourd’hui, soit la “convergences des catstrophes”? Faye est le benjamin d’une chaine qui relie Clausewitz à Schmitt, Schmitt à Capitant, Capitant à Freund et Freund à lui-même et ses amis. Ses aînés nous ont quittés : ils ne vivent donc pas l’ère que nous vivons aujourd’hui. D’autres questions cruciales se posent, notamment celle-ci, à laquelle répond l’ouvrage de Guillaume Corvus: “Le système (à tuer les peuples) est-il capable de faire face à une catastrophe de grande ampleur, à plusieurs catastrophes simultanées ou consécutives dans un laps de temps bref, ou, pire à une convergences de plusieurs catastrophes simultanées?”. Au corpus doctrinal de Schmitt et Freund, Corvus ajoute celui du mathématicien et philosophe français René Thom, qui constate que tout système complexe est par essence fragile et même d’autant plus fragile que sa complexité est grande. Corvus exploite l’oeuvre de Thom, dans la mesure où il rappelle qu’un événement anodin peut créer, le cas échéant, des réactions en chaîne qui conduisent à la catastrophe par implosion ou par explosion. On connait ce modèle posé maintes fois par certains climatologues, observateurs de catastrophes naturelles: le battement d’aile d’un papillon à Hawai peut provoquer un tsunami au Japon ou aux Philippines. Les théories de Thom trouvent surtout une application pratique pour observer et prévenir les effondrements boursiers : en effet, de petites variations peuvent déboucher sur une crise ou un krach de grande ampleur.
Corvus soulève donc la question sur le plan de la gestion des Etats voire du village-monde à l’heure de la globalisation: l’exemple de l’ouragan qui a provoqué fin août les inondations de la Nouvelle-Orléans prouve d’ores et déjà que le système américain ne peut gérer, de manière optimale, deux situations d’urgence à la fois : la guerre en Irak, qui mobilise fonds et énergies, et les inondations à l’embouchure du Mississippi (dont la domestication du bassin a été le projet premier de Franklin Delano Roosevelt, pour lequel il a mobilisé toutes les énergies de l’Amérique à l’ “ère des directeurs” —ces termes sont de James Burnham— et pour lequel il a déclenché les deux guerres mondiales afin de glaner les fonds suffisants, après élimination de ses concurrents commerciaux allemands et japonais, et de réaliser son objectif: celui d’organiser d’Est en Ouest le territoire encore hétéroclite des Etats-Unis). La catastrophe naturelle qui a frappé la Nouvelle-Orléans est, en ce sens, l’indice d’un ressac américain en Amérique du Nord même et, plus encore, la preuve d’une fragilité extrême des systèmes hyper-complexes quand ils sont soumis à des sollicitations multiples et simultanées. Nous allons voir que ce débat est bien présent aujourd’hui aux Etats-Unis.
Qu’adviendrait-il d’une France frappée au même moment par quatre ou cinq catastrophes ?
En France, en novembre 2005, les émeutes des banlieues ont démontré que le système-France pouvait gérer dans des délais convenables des émeutes dans une seule ville, mais non dans plusieurs villes à la fois. La France est donc fragile sur ce plan. Il suffit, pour lui faire une guerre indirecte, selon les nouvelles stratégies élaborées dans les états-majors américains, de provoquer des troubles dans quelques villes simultanément. L’objectif d’une telle opération pourrait être de paralyser le pays pendant un certain temps, de lui faire perdre quelques milliards d’euros dans la gestion de ces émeutes, milliards qui ne pourront plus être utilisés pour les projets spatiaux concurrents et européens, pour la modernisation de son armée et de son industrie militaire (la construction d’un porte-avions par exemple). Imaginons alors une France frappée simultanément par une épidémie de grippe (aviaire ou non) qui mobiliserait outrancièrement ses infrastructures hospitalières, par quelques explosions de banlieues comme en novembre 2005 qui mobiliserait toutes ses forces de police, par des tornades sur sa côte atlantique comme il y a quelques années et par une crise politique soudaine due au décès inopiné d’un grand personnage politique. Inutile d’épiloguer davantage : la France, dans sa configuration actuelle, est incapable de faire face, de manière cohérente et efficace, à une telle convergence de catastrophes.
L’histoire prouve également que l’Europe du 14ième siècle a subi justement une convergence de catastrophes semblable. La peste l’a ravagée et fait perdre un tiers de ses habitants de l’époque. Cette épidémie a été suivie d’une crise socio-religieuse endémique, avec révoltes et jacqueries successives en plusieurs points du continent. A cet effondrement démographique et social, s’est ajoutée l’invasion ottomane, partie du petit territoire contrôlé par le chef turc Othman, en face de Byzance, sur la rive orientale de la Mer de Marmara. Il a fallu un siècle —et peut-être davantage— pour que l’Europe s’en remette (et mal). Plus d’un siècle après la grande peste de 1348, l’Europe perd encore Constantinople en 1453, après avoir perdu la bataille de Varna en 1444. En 1477, les hordes ottomanes ravagent l’arrière-pays de Venise. Il faudra encore deux siècles pour arrêter la progression ottomane, après le siège raté de Vienne en 1683, et presque deux siècles supplémentaires pour voir le dernier soldat turc quitter l’Europe. L’Europe risque bel et bien de connaître une “période de troubles”, comme la Russie après Ivan le Terrible, de longueur imprévisible, aux effets dévastateurs tout aussi imprévisibles, avant l’arrivée d’un nouvel “empereur”, avant le retour du politique.
“Guerre longue” et “longue catastrophe”: le débat anglo-saxon
Replaçons maintenant la parution de “La convergence des catastrophes” de Guillaume Corvus dans le contexte général de la pensée stratégique actuelle, surtout celle qui anime les débats dans le monde anglo-saxon. Premier ouvrage intéressant à mentionner dans cette introduction est celui de Philip Bobbitt, “The Shield of Achilles. War, Peace and the Course of History” (Penguin, Harmondsworth, 2002-2003) où l’auteur explicite surtout la notion de “guerre longue”. Pour lui, elle s’étend de 1914 à la première offensive américaine contre l’Irak en 1990-91. L’actualité nous montre qu’il a trop limité son champ d’observation et d’investigation : la seconde attaque américaine contre l’Irak en 2003 montre que la première offensive n’était qu’une étape; ensuite, l’invasion de l’Afghanistan avait démontré, deux ans auparavant, que la “guerre longue” n’était pas limitée aux deux guerres mondiales et à la guerre froide, mais englobait aussi des conflits antérieurs comme les guerres anglo-russes par tribus afghanes interposées de 1839-1842, la guerre de Crimée, etc. Finalement, la notion de “guerre longue” finit par nous faire découvrir qu’aucune guerre ne se termine définitivement et que tous les conflits actuels sont in fine tributaires de guerres anciennes, remontant même à la protohistoire (Jared Diamonds, aux Etats-Unis, l’évoque dans ses travaux, citant notamment que la colonisation indonésienne des la Papouasie occidentale et la continuation d’une invasion austronésienne proto-historique; ce type de continuité ne s’observa pas seulement dans l’espace austral-asiatique).
Si l’on limite le champ d’observation aux guerres pour le pétrole, qui font rage plus que jamais aujourd’hui, la période étudiée par Bobbitt ne l’englobe pas tout à fait: en effet, les premières troupes britanniques débarquent à Koweit dès 1910; il conviendrait donc d’explorer plus attentivement le contexte international, immédiatement avant la première guerre mondiale. Comme l’actualité de ce mois de janvier 2006 le prouve : ce conflit pour le pétrole du Croissant Fertile n’est pas terminé. Anton Zischka, qui vivra centenaire, sera actif jusqu’au bout et fut l’une des sources d’inspiration majeures de Jean Thiriart, avait commencé sa très longue carrière d’écrivain journaliste en 1925, quand il avait 25 ans, en publiant un ouvrage, traduit en français chez Payot, sur “La guerre du pétrole”, une guerre qui se déroule sur plusieurs continents, car Zischka n’oubliait pas la Guerre du Chaco en Amérique du Sud (les tintinophiles se rappelleront de “L’oreille cassée”, où la guerre entre le San Theodoros fictif et son voisin, tout aussi fictif, est provoquée par le désir de pétroliers américains de s’emparer des nappes pétrolifières).
Aujourd’hui, à la suite du constat d’une “longue guerre”, posé par Bobbitt et, avant lui, par Zischka, l’auteur américain James Howard Kunstler, dans “La fin du pétrole. Le vrai défi du XXI° siècle” (Plon, 2005) reprend et réactualise une autre thématique, qui avait été chère à Zischka, celle du défi scientifique et énergétique que lancera immanquablement la raréfaction du pétrole dans les toutes prochaines décennies. Pour Zischka, les appareils scientifiques privés et étatiques auraient dû depuis longtemps se mobiliser pour répondre aux monopoles de tous ordres. Les savants, pour Zischka, devaient se mobiliser pour donner à leurs patries, à leurs aires civilisationnelles (Zischka est un européiste et non un nationaliste étroit), les outils nécessaires à assurer leurs autonomies technologique, alimentaire, énergétique, etc. C’est là une autre réponse à la question de Clausewitz et à la nécessité d’une bonne gestion du patrimoine naturel et culturel des peuples. Faye n’a jamais hésité à plaider pour la diversification énergétique ou pour une réhabilitation du nucléaire. Pour lui comme pour d’autres, bon nombre d’écologistes sont des agents des pétroliers US, qui entendent garder les états inclus dans l’américanosphère sous leur coupe exclusive. L’argument ne manque nullement de pertinence, d’autant plus que le pétrole est souvent plus polluant que le nucléaire. Pour Corvus, l’une des catastrophes majeures qui risque bel et bien de nous frapper bientôt, est une crise pétrolière d’une envergure inédite.
La fin du modèle urbanistique américain
Les arguments de Corvus, nous les retrouvons chez Kunstler, preuve une nouvelle fois que ce livre sur la convergence des catstrophes n’a rien de marginal comme tentent de le faire accroire certains “aggiornamentés” du canal historique de la vieille “nouvelle droite” (un petit coup de patte en passant, pour tenter de remettre les pendules à l’heure, même chez certains cas désespérés… ou pour réveiller les naïfs qui croient encore —ou seraient tentés de croire— à ces stratégies louvoyantes et infructueuses…). Kunstler prévoit après la “longue guerre”, théorisée par Bobbitt, ou après la longue guerre du pétrole, décrite dans ses premiers balbutiements par Zischka, une “longue catastrophe”. Notamment, il décrit, de manière fort imagée, en prévoyant des situations concrètes possibles, l’effondrement de l’urbanisme à l’américaine. Ces villes trop étendues ne survivraient pas en cas de disparition des approvisionnements de pétrole et, partant, de l’automobile individuelle. 80% des bâtiments modernes, explique Kunstler, ne peuvent survivre plus de vingt ans en bon état de fonctionnement. Les toitures planes sont recouvertes de revêtements éphémères à base de pétrole, qu’il faut sans cesse renouveler. Il est en outre impossible de chauffer et d’entretenir des super-marchés sans une abondance de pétrole. La disparition rapide ou graduelle du pétrole postule un réaménagement complet des villes, pour lequel rien n’a jamais été prévu, vu le mythe dominant du progrès éternel qui interdit de penser un ressac, un recul ou un effondrement. Les villes ne pourront plus être horizontales comme le veut l’urbanisme américain actuel. Elle devront à nouveau se verticaliser, mais avec des immeubles qui ne dépasseront jamais sept étages. Il faudra revenir à la maçonnerie traditionnelle et au bois de charpente. On imagine quels bouleversements cruels ce réaménagement apportera à des millions d’individus, qui risquent même de ne pas survivre à cette rude épreuve, comme le craint Corvus. Kunstler, comme Corvus, prévoit également l’effondrement de l’école obligatoire pour tous : l’école ne sera plus “pléthorique” comme elle l’est aujourd’hui, mais s’adressera à un nombre limité de jeunes, ce qui conduira à une amélioration de sa qualité, seul point positif dans la catastrophe imminente qui va nous frapper.
La “quatrième guerre mondiale” de Thierry Wolton
Pour ce qui concerne le défi islamique, que Faye a commenté dans le sens que vous savez, ce qui lui a valu quelques ennuis, un autre auteur, Thierry Wolton, bcbg, considéré comme “politiquement correct”, tire à son tour la sonnette d’alarme, mais en prenant des options pro-américaines à nos yeux inutiles et, pire, dépourvues de pertinence. Dans l’ouvrage de Wolton, intitulé “La quatrième guerre mondiale” (Grasset, 2005), l’auteur évoque l’atout premier du monde islamique, son “youth bulge”, sa “réserve démographique”. Ce trop-plein d’hommes jeunes et désoeuvrés, mal formés, prompts à adopter les pires poncifs religieux, est une réserve de soldats ou de kamikazes. Mais qui profiteront à qui? Aucune puissance islamique autonome n’existe vraiment. Les inimitiés traversent le monde musulman. Aucun Etat musulman ne peut à terme servir de fédérateur à une umma offensive, malgré les rodomontades et les vociférations. Seuls les Etats-Unis sont en mesure de se servir de cette masse démographique disponible pour avancer leurs pions dans cet espace qui va de l’Egypte à l’Inde et de l’Océan Indien à la limite de la taïga sibérienne. Certes, l’opération de fédérer cette masse territoriale et démographique sera ardue, connaîtra des ressacs, mais les Etats-Unis auront toujours, quelque part, dans ce vaste “Grand Moyen Orient”, les dizaines de milliers de soldats disponibles à armer pour des opérations dans le sens de leurs intérêts, au détriment de la Russie, de l’Europe, de la Chine ou de l’Inde. Avec la Turquie, jadis fournisseur principal de piétaille potentielle pour l’OTAN ou l’éphémère Pacte de Bagdad du temps de la Guerre froide dans les années 50, branle dans le manche actuellement. Les romans d’un jeune écrivain, Burak Turna, fascinent le public turc. Ils évoquent une guerre turque contre les Etats-Unis et contre l’UE (la pauvre….), suivie d’une alliance russo-turque qui écrasera les armées de l’UE et plantera le drapeau de cette alliance sur les grands édifices de Vienne, Berlin et Bruxelles. Ce remaniement est intéressant à observer : le puissant mouvement des loups gris, hostiles à l’adhésion turque à l’UE et en ce sens intéressant à suivre, semble opter pour les visions de Turna.
Dans ce contexte, mais sans mentionner Turna, Wolton montre que la présence factuelle du “youth bulge” conduit à la possibilité d’une “guerre perpétuelle”, donc “longue”, conforme à la notion de “jihad”. Nouvelle indice, après Bobbitt et Kunstler, que le pessimisme est tendance aujourd’hui, chez qui veut encore penser. La “guerre perpétuelle” n’est pas un problème en soi, nous l’affrontons depuis que les successeurs du Prophète Mohamet sont sortis de la péninsule arabique pour affronter les armées moribondes des empires byzantins et perses. Mais pour y faire face, il faut une autre idéologie, un autre mode de pensée, celui que l’essayiste et historien américain Robert Kaplan suggère à Washington de nos jours : une éthique païenne de la guerre, qu’il ne tire pas d’une sorte de new age à la sauce Tolkien, mais notamment d’une lecture attentive de l’historien grec antique Thucydide, premier observateur d’une “guerre longue” dans l’archipel hellénique et ses alentours. Kaplan nous exhorte également à relire Machiavel et Churchill. Pour Schmitt hier, comme pour Kaplan aujourd’hui, les discours normatifs et moralisants, figés et soustraits aux effervescences du réel, camouflent des intérêts bornés ou des affaiblissements qu’il faut soigner, guérir, de toute urgence.
L’infanticide différé
Revenons à la notion de “youth bulge”, condition démographique pour mener des guerres longues. Utiliser le sang des jeunes hommes apparait abominable, les sacrifier sur l’autel du dieu Mars semble une horreur sans nom à nos contemporains bercés par les illusions irénistes qu’on leur a serinées depuis deux ou trois décennies. En Europe, le sacrifice des jeunes générations masculines a été une pratique courante jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Ne nous voilons pas la face. Nous n’avons pas été plus “moraux” que les excités islamiques d’aujourd’hui et que ceux qui veulent profiter de leur fougue. La bataille de Waterloo, à quinze kilomètres d’ici, est une bataille d’adolescents fort jeunes, où l’on avait notamment fourré dans les uniformes d’une “Landwehr du Lünebourg” tous les pensionnaires des orphelinats du Hanovre, à partir de douze ans. La lecture des ouvrages remarquables du démographe français Gaston Bouthoul, autre maître à penser de Faye, nous renseigne sur la pratique romaine de l’”infanticide différé”. Rome, en armant ces légions, supprimait son excédent de garçons, non pas en les exposant sur les marges d’un temple ou en les abandonnant sur une colline, mais en différant dans le temps cette pratique courante dans les sociétés proto-historiques et antiques. Le jeune homme avait le droit à une enfance, à être nourri avant l’âge adulte, à condition de devenir plus tard soldat de dix-sept à trente-sept ans. Les survivants se mariaient et s’installaient sur les terres conquises par leurs camarades morts. L’empire ottoman reprendra cette pratique en armant le trop-plein démographique des peuples turcs d’Asie centrale et les garçons des territoires conquis dans les Balkans (les janissaires). La raison économique de cette pratique est la conquête de terres, l’élargissement de l’ager romanus et l’élimination des bouches inutiles. Le ressac démographique de l’Europe, où l’avortement remboursé a remplacé l’infanticide différé de Bouthoul, rend cette pratique impossible, mais au détriment de l’expansion territoriale. Le “youth bulge” islamique servira un nouveau janissariat turc, si les voeux de Turna s’exaucent, la jihad saoudienne ou un janissariat inversé au service de l’Amérique.
Que faire ?
L’énoncé de tous ces faits effrayants qui sont ante portas ne doit nullement conduire au pessimisme de l’action. Les réponses que peut encore apporter l’Europe dans un sursaut in extremis (dont elle a souvent été capable : les quelques escouades de paysans visigothiques des Cantabriques qui battent les Maures vainqueurs et arrêtent définitivement leur progression, amorçant par là la reconquista; les Spartiates des Thermopyles; les défenseurs de Vienne autour du Comte Starhemberg; les cent trente-cinq soldats anglais et gallois de Rorke’s Drift; etc.) sont les suivantes :
- Face au “youth bulge”, se doter une supériorité technologique comme aux temps de la proto-histoire avec la domestication du cheval et l’invention du char tracté; mais pour renouer avec cette tradition des “maîtres des chevaux”, il faut réhabiliter la discipline scolaire, surtout aux niveaux scientifiques et techniques.
- Se remémorer l’audace stratégique des Européens, mise en exergue par l’historien militaire américain Hanson dans “Why the West always won”. Cela implique la connaissance des modèles anciens et modernes de cette audace impavide et la création d’une mythologie guerrière, “quiritaire”, basée sur des faits réels comme l’Illiade en était une.
- Rejeter l’idéologie dominante actuelle, créer un “soft power” européen voire euro-sibérien (Nye), brocarder l’ “émotionalisme” médiatique, combattre l’amnésie historique, mettre un terme à ce qu’a dénoncé Philippe Muray dans “Festivus festivus” (Fayard, 2005), et, antérieurement, dans “Désaccord parfait” (coll. “Tel”, Gallimard), soit l’idéologie festive, sous toutes ses formes, dans toute sa nocivité, cette idéologie festive qui domine nos médias, se campe comme l’idéal définitif de l’humanité, se crispe sur ses positions et déchaîne une nouvelle inquisition (dont Faye et Brigitte Bardot ont été les victimes).
C’est un travail énorme. C’est le travail métapolitique. C’est le travail que nous avons choisi de faire. C’est le travail pour lequel Guillaume Faye, qui va maintenant prendre la parole, a consacré toute sa vie. A vous de reprendre le flambeau. Nous ne serons écrasés par les catastrophes et par nos ennemis que si nous laissons tomber les bras, si nous laissons s’assoupir nos cerveaux.
Robert STEUCKERS.
06:10 Publié dans Nouvelle Droite, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 21 juin 2007
Pensamiento de Spengler en la historiografia de América Latina
El pensamiento de Spengler en la Historiografía de América Latina
M. Cristina Carnevale - UBA
Para Santiago
La memoria es algo más que la cárcel de un pasado infeliz.
Andreas Huyssen
Presentación
En este trabajo vamos a indagar sobre uno de los temas que aparecen en la historiografía latinoamericana en el período de entreguerra. En el marco de un pensamiento sobre la crisis de la sociedad, se desarrolla un respuesta a la crisis que proviene del campo del antipositivismo y que promueve el desarrollo de un pensamiento de neoconservadurismo. Dentro de éste escriben historia, con notable suceso editorial, varios autores que encontrarán en la morfología spengleriana explicaciones ante las crisis -de todo tipo- que se suceden en América Latina.
En este caso consideramos tres países: Chile, Argentina y Uruguay, en los cuales hemos encontrado historiadores que armándose con el modelo propuesto por Spengler elaboran obras de historia entre 1920-1950.
(mas: http://www.accionchilena.cl/Filosofia/pensamiento_de_spengler.htm )
06:10 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 19 juin 2007
Filosofia y Politica de Spengler
Filosofía y Política de Spengler
Por Augusto Iglesias (1) - http://www.accionchilena.cl/Filosofia/Filosofiaypolitica-1.htm
Pese a su posición "políticamente correcta", esta crítica del libro de Armando González Rodríguez "Filosofía y Política de Spengler" resulta aleccionadora respecto a la importancia del texto comentado, y permite aclarar ciertos aspectos del pensamiento del maestro de modo general.
Uno de los grandes errores de los que no han leído a Spengler y gustan, sin embargo, citarlo, es el de atribuir a este pensador un cariz pesimista. Para tales escoliastas, la Decadencia de Occidente es libro amasado para nutrir de pronta desilusión a todos los derrotados de nuestra Era. Sin embargo, nada de eso podría comprobarse. Dentro de la teoría spengleriana la Historia se divide en ciclos culturales con el mismo recorrido del fenómeno de la Vida considerado éste en su trayectoria Cósmica. Como la vida orgánica las culturas nacen, se desarrollan, alcanzan la plenitud, maduran y decaen. Esta caída dura hasta finar en su desaparición, como cuerpo individualizado, dentro de la marcha de la humanidad.
Terminado el ciclo —vale decir, sobrevenida la muerte de una Cultura— el tipo de civilización que la había sustentado, desaparece. Esto, no es óbice para que los rastros de su paso por la Historia se aprovechen en cierta medida por otros ciclos culturales; o bien se desechen por éstos, caso de no convenir a la distinta morfología que el siguiente ciclo histórico vaya adoptando en sus nuevas experiencias.
Dedúcese de lo antedicho, que dentro del razonamiento spengleriano no cabe la idea del progreso indefinido. Por otra parte, el término “progreso”, en sí mismo difícil de explicar, sólo puede satisfacer a los ilusos. El valor de palabra clave que le asignan los sociólogos del siglo XIX, metiendo a la fuerza en las acepciones de este vocablo, un sentido de finalidad masiva perseguida por los pueblos en su viejo intento de planificar la marcha de la Humanidad, es, en efecto, de desconcertante improcedencia. Y Spengler, espíritu demasiado analítico para aceptar esa clase de asertos, lo deja pasar sin preocuparse mayor mente de él. Pero aún, dentro de una teoría así de falsa, como la del “progreso indefinido”, un astrónomo, v. gr., también estaría obligado a considerar su inutilidad en el Tiempo si la ajusta a las “líneas largas” de la Historia, pues resulta de evidencia estatuir que un día, en el Futuro, nuestro Planeta, irremisiblemente, deberá también morir...
Spengler es el primer pensador filósofo de la Historia de la Humanidad que considera a ésta con criterio morfológico de creación natural. Si se le tuviera que comparar con algún otro hombre magnífico de la Civilización europea, se nos ocurre que le vendría bien un paralelo con Linneo. Es así como para el tudesco que nos preocupa, las divisiones de la Historia en Antigua, Moderna, Media y Contemporánea, de uso obligado para los estudiantes de ayer y hoy en la mencionada materia, no entra en la síntesis que baraja cuando expone sus puntos de vista.
En la Historia no hay líneas rectas ni círculos concéntricos, sino ciclos culturales de agrupaciones humanas que actúan de acuerdo con sus leyes propias; lo que en última instancia significa que la fenomenología social no obedece a principios absolutos, es decir, universales e invariables, sino todo lo contrario, son de por sí independientes, pues cada ciclo cultural debe enfrentar por sí mismo sus problemas diversos y darle a éstos la solución circunstancial que les corresponde.
En un mundo así de diversificado no puede haber entonces principios invariables ni de valencia general; al contrario, para existir ellos deberán circunscribirse a las culturas respectivas de las cuales proceden. En otras palabras, estos valores no pueden ser sino relativos. Y no es asunto que pueda mirarse con desapego el hecho de que la exposición de la teoría de Spengler efectuada hacia el año 1918, coincida con la época en que Einstein moviliza la preocupación de los más altos pensadores de Europa en torno a las perspectivas generales de su teoría de la relatividad (1).
Nos apresuramos a advertir, sin embargo, que el relativismo de Spengler nada tiene que hacer con el relativismo matemático de Einstein.
Al juntar sus nombres sólo hemos querido señalar su coincidencia en el Tiempo, en el sentido de que ambos leccionan una nueva manera de interpretar fenómenos correlativos dentro del ciclo cultural en que ellos vivían, pero, no obstante, de ámbito filosófico diverso...
Hasta el momento en que Spengler funda su teoría, cuenta ocho culturas; esto es: egipcia, babilónica, china, india, greco- romana, mágica, occidental o fáustica y mexicana. Pero este existir de las culturas antedichas no implica, según él, la supeditación de unas a las otras; inclusive pueden coexistir sin penetrarse, pues cada ciclo cultural tiene características propias, encerradas como quien dice dentro de sus propias murallas y, por lo tanto, impermeables ya sea a las culturas antecedentes ya a las contemporáneas a su particular existencia histórica.
Dedúcese de lo anterior, por lógicas inferencias, que ninguno de los principios rectores de la vida moral del hombre o de los ordenamientos políticos que éste ha construido, pueden considerarse etapas de un proceso evolutivo; sino, al contrario, deben juzgarse como vivencias de carácter aislado e intrascendente que morirán después de cumplido su plazo del mismo modo que muere cuanto vive; porque ese es, fatal e irremisible, el sino de todo...
Ahora bien, de esta sucesión indefinida de “chispazos” —que eso es para nosotros la marcha de la Humanidad— ¿nada trasciende, nada aumenta el acervo hereditario de las generaciones que se suceden?, ¿todo es sólo una cadena de eslabones rotos entre cuya herrumbre la Historia vislumbra pequeñas luces, hijas de una razón cuya sinrazón nos envuelve de amargas conjeturas frente a su vacía realidad?
No; para Spengler hay entre ciclo y ciclo una hendidura o falla que permite cierta fluencia animadora entre el Pasado y el Presente.
Por esta hendidura es por donde se filtra la tónica; vale decir, las “recetas” para hacer o completar un cometido. Pero el Genio, el espíritu de un pueblo, con sus características creadoras en el plano alto de las ideas, permanece incomunicable inclusive en la morfología de su expresión artificiosa.
No hay poeta en el mundo que hoy fuera capaz de construir la Ilíada o la Odisea; y si hubiera alguno que lo intentara, su obra sería un “pastiche”, una imitación o plagio, sin alma, sin palpitaciones de vida, sin realidad cultural presente.
Esta afirmación envuelve, a su vez, otra de mayor calibre de ser, como afirma Spengler, tampoco la obra de arte magna —es decir “inmortal” de acuerdo con nuestra medida del tiempo— podría existir si no es como objeto arqueológico, esto es, como exponente de Museo; pero jamás, en ningún modo, tomando parte en nuestros sentires vitales, en los que mantienen la circulación del común entusiasmo dándole tibieza a las “opiniones” y ‘creencias”, es decir, a las ideas del proceso cultural propio.
Igual cosa podría decirse de la Moral, y, por ende, de todo principio religioso. Cierta inhabilidad congénita haría impracticable un acomodo de los ciclos culturales en un orden de correlaciones recíprocas. Si consideramos este asunto con extrema amplitud, es muy posible que el pensamiento de un islámico presionado por la moral colectiva de su pueblo, se ajuste y coincida en muchos puntos con lo que pueda opinar un puritano escocés sobre una determinada materia; el hecho de que ambos sean humanos los inducirá a pensar en ciertos casos en fórmulas similares y, a veces o muchas veces, en una medida común a toda la especie. Pero en los detalles, en las características que distinguen a un hombre de otro, en la médula misma de esos principios, en cuanto ella se refiere a la conducta individual en sus manifestaciones particulares, la moral del puritano escocés y del musulmán se mantendrán siempre separadas por un abismo, e indiferentes, por lo tanto, a sus mutuas reacciones, porque bien poco los une y mucho los separa, siendo sus idiosincrasias diversas.
Todo esto —opinarán muchos— entra en el terreno de las especulaciones filosóficas, pues nada de lo comentado hasta aquí podría considerarse como afirmación teóricamente irreductible. Al contrario, los asertos spenglerianos hasta aquí citados son, en su esencia, de repetida controversión en la realidad fluyente de los hechos.
Sería ese un razonamiento justo, me parece. No es inseguro que en los extractos vitales aducidos hasta aquí, la posición de Spengler no sea otra, que la de un filósofo en busca de ajustar sus principios al heterogéneo fenómeno de la Historia de la Humanidad. Mas, habría que agregar, en defensa del pensador tudesco, que junto a ese cuerpo de doctrinas, vaticinó él, ateniéndose a su enseñanza, una serie de hechos. Ahora bien, dentro del breve tiempo de su generación no sólo pudieron ver el cumplimiento de éstos sus lectores entusiastas, sino también, quienes habiéndolo leído le negaron por razones particulares —o “partidistas”, en el mejor de los casos— el pan, el agua y la sal...
Vamos a referirnos a esos hechos.
* *
Ha merecido particular hincapié que algunos aspectos de la doctrina spengleriana puedan considerarse como dictatoriales, o más precisamente aún, de filiación nazi.
Burdo error, explotado en forma extensa por demagogos o políticos que no han leído a este Maestro. El juicio de Spengler en este sentido es otro: cree él que los pilares de la democracia no son suficientemente firmes para soportar las sacudidas de lo que Ortega y Gasset, más tarde, llamara la “rebelión de las masas”, sacudimiento concentrado como su mayor fuerza en el ángulo económico, y que mueve en ondas amenazantes a la clase más numerosa del mundo actual, vale decir al proletariado.
La gran bandera de la democracia, la insignia por la cual todos los que creemos en ella moriríamos en su defensa, es la libertad civil. Pero eso no es todo; entre los ideales de la clase formada por los que no pertenecen a ninguna clase —opina Spengler— hállase, asimismo, no sólo el respeto al gran número —respeto que se expresa en los conceptos de igualdad, de derecho innato, y en el principio del sufragio universal— sino, también, la libertad de la opinión pública, sobre todo la de prensa... “Estos son ideales —continúa Spengler. Pero, en realidad, la libertad de la opinión pública requiere la elaboración de dicha opinión, y esto cuesta dinero; la libertad de la prensa requiere la posesión de la prensa, que es cuestión de dinero, y el sufragio universal requiere la propaganda electoral, que permanece en la dependencia de los deseos de quien la costea. Los representantes de las ideas no ven más que un aspecto; los representantes del dinero trabajan con el otro aspecto”.
Las anteriores no son palabras y sólo palabras; son hechos. Eso no quiere decir que otro sistema político pueda eludir estos graves compromisos con los hijos de Mercurio. Cualquier sistema que actualmente los pongo en práctica, forzosamente, por un proceso de evolución regresiva, habrá de virar en redondo a fin de completar el ciclo cultural de su posible desarrollo; y, completado el círculo, llegar, por ende, a la crisis, es decir, al colapso mortal.
En la teoría de estas consideraciones, mirando el panorama de su patria germana, Spengler anuncia, es cierto, el advenimiento de las puntas de lanza nacionalistas, pero no las propugna. La prueba más concluyente de este aserto es que no adhiere al nacismo cuando la crisis se produce, y, por tanto, se cumple su profecía. El no llega a ese anuncio como corifeo, sino a través de un puro trabajo intelectivo, relacionando causas y efectos después de estudiar períodos cíclicos de la Historia Universal en distintos momentos de su desarrollo morfológico. Hecho este ensayo, el filósofo que hay en él proyecta, intuitivamente, en el futuro, el encadenamiento de las series lógicas establecidas en anteriores procesos culturales.
Y aquí necesitamos hacer, de paso, una advertencia. Base de sustentación de las pocas democracias modernas son los Parlamentos, institución que para los pueblos occidentales de la llamada “Civilización Europea”, tuvo su origen en Inglaterra. Sin embargo, los primeros en dudar de la eficacia del sistema parlamentario como mercadería de exportación, fueron los ingleses, y entre ellos un pensador número uno, Edmundo Burke (1728- 1797) con más de un siglo de anterioridad a la Decadencia de Occidente del filósofo de nuestro comento. Enfrentándose a Mirabeau, Burke declara, no sin cierto cinismo: “Nosotros no pedimos nuestras libertades como derechos del hombre sino como derechos de los ingleses”.
Los tiempos han cambiado, es cierto, pero no tanto. Todavía sería el caso de preguntar: ¿Pueden los Parlamentos de hoy soportar hasta el final con victoriosas consecuencias los cambiantes de la obra comunizante?
¡Ojalá que sí! Es duro pensar lo contrario.
Aquí es donde Spengler intuye el advenimiento de los gobiernos fuertes, es decir, de acción enérgica inmediata, en reemplazo de la tramitación o lento desarrollo del proceso legal de uso corriente en los gobiernos parlamentarios.
No nos olvidemos que Spengler se halla observando las peripecias del siglo XIX, en esa etapa de transición de la política europea que desemboca en el siglo que corremos y en el cual hace crisis.
Es, por otra parte, la hora de la bancarrota o más bien dicho de la putrefacción de los partidos políticos en el Viejo Mundo. Marx también la había anunciado al producirse la insurrección proletaria de 1848; y Lenín, en 1917, la comprueba al cercenar sin dificultad la Duma, incapaz, por anquilosis, de mantener su propia dictadura; y menos para metamorfosearse en un sistema democrático. Por eso, de acuerdo con la trayectoria secular de los boyardos, dio paso a una oligarquía si no peor, más exigente o dogmática que la originada en los días tenebrosos de la Horda de Oro.
El hecho —agrade o disguste— es que el mundo en su plenitud esférica se llena, en el primer cuarto de la centuria que vivimos, de una serie, casi uniforme, de autocracias sin freno. Spengler anticipa el aparecimiento del fenómeno; no lo inventa. Los negadores de la realidad no son, por lo general, hombres de ciencia, ni filósofos; esta manera de pensar, es más bien cosa de fanáticos u obsecados. Pero Spengler asegura, además, otro hecho que aún está en camino: niega el tudesco la eficacia gubernamental de las masas; y como esta clase de dictaduras son ejercidas por oligarquías demagógicas que buscan en las mayorías económicamente inferiorizadas, su apoyo y sustento integral, Spengler anuncia, asimismo, el fracaso de esa clase de gobierno.
Los enemigos de este hombre superior, dirán ahora que su posición es anticomunista... Pero tampoco lo es; decir que Spengler fue anticomunista, vale tanto como asegurar su anti democracia. Ni lo uno ni lo otro. El es un observador y nada más que un observador. Frente al fenómeno histórico, estudia, analiza, compara. Luego, con una base cultural inmensa, como pocos hombres de su época lograron tener, intuye vivamente lo que —según sus operaciones mentales— va a ocurrir o está ocurriendo, sin que los estudiosos, sedicentemente llamados así, hubieran previsto o comprobado antes de él.
Todo esto, de acuerdo con la teoría spengleriana, involucra a la vez, como no podría ser de otro modo, un terrible desorden económico; acaso una vorágine mundial, en que el desequilibrio entre la producción y el consumo terminen por aniquilar las fuerzas sustentadoras del convivir jurídico en las naciones civilizadas. En esta pulverización de las unidades estaduales, lo único que podría cohesionar momentáneamente el viejo sentido nacionalista de los hombres, es la guerra. Y por lo tanto, el filósofo anuncia no uno sino varios de estos encuentros dramáticos, que ahora, por tener una concurrencia mundial, podrían considerarse, en cierto modo, cósmicos. Y es así como apenas terminada la Primera Gran Guerra de 1914 - 1918 el filósofo “profetisa” una Segunda, que él no alcanza a ver pues muere el 8 de mayo de 1936, tranquilamente, en su cama de hombre solitario, pero a cuyo alrededor bullían multitudinarias las ideas de miles de hombres de superior categoría que admiraban y comprendían, al mismo tiempo, la profunda veracidad de su genio.
¿Pesimismo? preguntamos de nuevo.
De buena fe habría que escribir una respuesta negativa. Anticipar la visión de hechos para el futuro, y que luego esos hechos ocurran, es cualidad que no puede ser calificada de modo tan somero y vacuo.
* *
Mi intento de dar actualidad a estas notas fue motivado por el libro de Armando González, recién sacado a luz por la Editorial Andrés Bello. Se trata de una obra maciza, quizá uno de los aportes de mayor interés escritos en Hispanoamérica, para dar a conocer con método, claridad y en síntesis de adecuada elocuencia, la Historia de las doctrinas de Oswald Spengler. El recio germano, que hacia el año 1918 moviliza la preocupación de los más altos pensadores de Europa en torno a las perspectivas del porvenir de Occidente, no es de ideas fáciles de digerir. En cuanto empieza a razonar a fin de dar solución a los problemas históricos que él mismo plantea y ambiciosamente cree resolver, comienza a barajar entre secuencias de filósofo y artista tal masa de antecedentes y conocimientos previos, que resulta casi imposible para un lector corriente o buen universitario, seguirlo con provecho y orden. En otras palabras, para leer a Spengler, en su texto original, se precisa de una erudición sólida, que, por su propia extensividad reduce el porcentaje de lectores a una fracción insignificante a mucha distancia del entero.
Sin embargo, las ideas spenglerianas son comprensivas para cualquiera persona de cultura media si el que hace la exposición emplea para ello, un método didáctico concorde con el auditorio.
En Hispanoamérica, esos intentos han sido numerosos. Inclusive, aquí mismo en Chile, Alberto Edwards, cuando comenzó a discutirse entre la gente culta la nueva teoría de la Historia que propugnaba implantar el genial tudesco, dio algunas conferencias tratando de vulgarizar esa teoría. No sé si esas lecciones de Edwards fueron recogidas en volumen, pero sí es seguro que tuvieron éxito, pues recuerdo haber asistido a una de ellas, y su público era numeroso y con una preocupación increíble para aquel tiempo, pues el nombre de Spengler era entonces casi desconocido en nuestro país.
El libro que ahora nos da Armando González, es la excepción en esa lista ya no pequeña de expositores spenglerianos. Para buscarle paralelo habría que hacerlo en nuestro Continente, en la gran República de los Estados de la Unión. Existe en esa literatura, un ensayo muy aplaudido de Edwin Franden Dankin “To Day and Destiny”. No obstante, sin pasión ni parcialidad de ninguna especie, creemos que el libro de González es más didáctico y de mucho más fácil lectura que el de Mr. Dankin.
No solamente en los puntos que hemos esbozado, sino en todos y cada uno de los que enfoca la teoría spengleriana expuesta a lo largo de sus libros básicos y particularmente de los cuatro volúmenes de la Decadencia de Occidente (N.d.E.: se refiere a la edición de ed. Osiris), Armando González lleva al lector como de la mano, aclarándole dudas y formulando las conclusiones a que el texto obliga. Y esto, con extrema acuciosidad, con limpia exposición, y valiéndose de un método didáctico que a cada instante nos revela al intelectual acostumbrado a ejercitar funciones de mentor o guía en los campos de la alta especulación filosófica.
A este propósito, antes de cerrar estas líneas quisiéramos hacer un alcance pertinente. En días pasados un publicista de conocida firma refiriéndose a la sensible ausencia de Ricardo Dávila Silva (Leo Par), echaba en cara a los manes del distinguido humanista su interés por los temas no estrictamente nacionales, englobando en su juicio a todos los que padecen del mismo mal...
“En esta inclinación —decía— de los escritores a los temas de fuera, yo no puedo dejar de ver una especie de alegre suicidio de las horas. ¿Se imagina alguien que en las bibliografías que alguna vez hayan de compaginarse sobre la literatura persa se van a considerar los estudios producidos en la costa del Océano Pacífico por un autor que escribe en español?”
Tal vez el publicista en cuestión al escribir esas palabras no se daba cuenta que con ellas intentaba aniquilar de una sola plumada el glorioso pretérito y, esperamos en Dios, también el futuro glorioso del Humanismo. Porque éste al fin de cuentas, no es otra cosa que eso: interesarse por todo lo que al hombre se refiere, como exigía Terencio.
Por lo tanto, agradecernos, asimismo, al señor González éste su aporte al comento de un libro “extranjero” hecho en el ensayo que acaba de regalarnos. Y por si alguna vez el desaliento llega a entumirle un poco las alas, deseamos traer a su memoria cierta sentencia de Samuel Johnson, inserta en uno de sus ensayos dedicados al hombre de la calle:
“Nothing has more retarded the advancement of learning than the disposition of vulgar minds to ridicule and wilify what they cannot comprehend”
“Nada ha retardo más el desarrollo del saber, que la disposición de las mentes vulgares para ridiculizar y envilecer lo que ellos no pueden comprender”.
Augusto Iglesias
06:10 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 18 juin 2007
Spengler's cultural pessimism today
History And Decadence: Spengler's Cultural Pessimism Today
Tomislav Sunic
http://home.alphalink.com.au/~radnat/tomsunic/sunic4.html...
06:15 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Sur l'égalitarisme moderne...
Sur l'égalitarisme moderne
Réponse de Robert Steuckers à un étudiant dans le cadre d’un mémoire de fin d’étude
Quelle différence entre Nietzsche et Marx quand on se place du point de vue de l’égalitarisme moderne? Pour Marx, l’injustice provoque l’inégalité, pour Alain de Benoist, en ce sens post-nietzschéen, l’injustice s’instaure justement parce que nous vivons dans une ère égalitaire…
(Robert Steuckers, mai 1998) - Votre question s’inscrit dans une problématique d’ordre sémantique. Vous cherchez à y voir clair dans la manipulation tous azimuts de “grands mots” du débat politico-social: justice, liberté, égalité, etc., toutes dévalorisées par les “discours-bâteaux” de la politique politicienne. Essayons ici de clarifier ce débat.
1. Pour Marx, effectivement, l’injustice sociale, la non redistribution harmonieuse des revenus sociaux, la concentration de capitaux en très peu de mains provoquent une inégalité entre les hommes. Il faut donc redistribuer justement, pour que les hommes soient égaux. Ou ils seront égaux quand ils ne seront plus victimes d’aucune injustice d’ordre matériel (bas salaires, exploitation du travail humain, enfants compris, etc.).
2. Pour la tradition dite “inégalitaire” dont s’est réclamé de Benoist au début de sa carrière “métapolitique”, l’injustice, c’est que les individus d’exception ou surdoués ne reçoivent pas tout leur dû dans une société qui vise l’égalité. En ce sens, “égalité” signifie “indifférenciation”. Cette équation est sans doute plausible dans la plupart des cas, mais ne l’est pas toujours. Alain de Benoist craint surtout le nivellement (par le bas).
Ces opinions se développent au niveau de la vulgate, de la doxographie militante.
Pour approfondir le débat, il faut récapituler toute la pensée de Rousseau, son impact sur le socialisme naissant, sur le marxisme et sur les multiples avatars de la gauche contestatrice. Néanmoins, dans le débat actuel, il convient de souligner ce qui suit:
a) Une société équilibrée, consensuelle, harmonieuse, conforme à une tradition crée d’elle-même la justice sociale, elle la génère spontanément, elle est travaillé par une logique du partage (des risques et des biens) et, partiellement, du don. Elle évite les clivages générateurs de guerres civiles, dont les inégalités trop flagrantes en matières économiques. La Rome antique nous donne de bons exemples en la matière, et pas seulement dans les réformes des Gracches (auxquelles se réfèrent les marxistes). Les excès de richesses, les accumulations trop flagrantes, les spéculations les plus scandaleuses, l’usure étaient réprimés par des amendes considérables, réinvesties dans les festivités de la ville. On s’amusait a posteriori avec l’argent injustement ou exagérément accumulé. Les amendes levées par les édiles couroules et plébéiennes taxaient ceux qui contrevenaient à la frugalité paradigmatique des Romains et le peuple en tirait profit. L’accumulation exagérée de terres arables ou de terres à pâturages étaient également punie d’amende (multo ou mulcto).
b) La pratique de la justice est donc liée à la structure gentilice et/ou communautaire d’une société.
c) Une structure communautaire admet les différences entre ses citoyens mais condamne les excès (hybris, arrogance, avarice). Cette condamnation est surtout morale mais peut revêtir un caractère répressif et coercitif dans le chef des autorités publiques (le multo réclamé par les édiles de la Rome antique).
d) Dans une structure communautaire, il y a une sorte d’égalité entre les pairs. Même si certains pairs ont des droits particuliers ou complémentaires liés à la fonction qu’ils occupent momentanément. C’est la fonction qui donne des droits complémentaires. Il n’y a nulle trace d’inégalité ontologique. En revanche, il y a inégalité des fonctions sociales.
e) Une structure communautaire développe simultanément une égalité et des inégalités naturelles (spontanées) mais ne cherche pas à créer une égalité artificielle.
f) La question de la justice est revenue sur le tapis dans la pensée politique américaine et occidentale avec le livre de John Rawls (A Theory of Justice, 1979). Le libéralisme idéologique et économique a généré dans la pensée et la pratique sociales occidentales un relativisme culturel et une anomie. Avec ce relativisme et cette anomie, les valeurs cimentantes des sociétés disparaissent. Sans ces valeurs, il n’y a plus de justice sociale, puisque l’autre n’est plus censé incarner des valeurs que je partage aussi ou d’autres valeurs que je trouve éminemment respectables ou qu’il n’y a plus de valeurs crédibles qui me contraignent à respecter la dignité d’autrui. Mais, dans le contexte d’une telle déperdition des valeurs, il n’y a plus de communauté cohérente non plus. La gauche américaine, qui s’est enthousiasmée pour le livre de Rawls, a voulu, dans une deuxième vague, restaurer la justice en reconstituant les valeurs cimentantes des communautés naturelles qui composent les Etats et les sociétés politiques. Reconstituer ces valeurs implique forcément un glissement à “droite”, non pas une droite militaire ou autoritaire, mais une droite conservatrice des modèles traditionnels, organiques et symbiotiques du vivre-en-commun (merry old England, la gaieté française, la liberté germanique dans les cantons suisses, etc.).
g) La contradiction majeure de la “nouvelle droite” française est la suivante: avoir survalorisé les inégalités sans songer à analyser sérieusement le modèle romain (matrice de beaucoup de linéaments de notre pensée politique), avoir survalorisé les différences jusqu’à accepter quelques fois l’hybris, avoir simultanément chanté les vertus de la communauté (au sens de la définition de Tönnies) tout en continuant à développer un discours inégalitaire et faussement élitiste, ne pas avoir vu que ces communautés postulaient une égalité des pairs, avoir confondu l’égalité des pairs et l’égalité-nivellement ou ne pas avoir fait clairement la différence, avoir produit des raisonnements critiques sur l’égalité sans prendre en compte la valeur “fraternité”, etc. D’où l’oscillation de de Benoist face à la pensée de Rousseau: rejet complet au début de sa carrière, adhésion enthousiaste à partir de la fin des années 80 (cf. intervention au colloque du GRECE de 1988). Avec la percée de la pensée communautarienne américaine (cf. Vouloir n°7/NS et Krisis n°16), qui se réfère à la notion de justice théorisée par Rawls, la première théorie néo-droitiste sur l’égalité vole en éclat et n’est plus reprise telle quelle par la nouvelle génération du GRECE.
h) L’égalité militante, leitmotiv qui a structuré les démarches de toutes les pensées politiques dominantes en France, est une égalité qui vise l’arasement, la mise au pas des mentalités et des corps (Foucault: “surveiller et punir”), le quadrillage du territoire, qui agit par le déploiement d’une méthode systématique pour transformer la diversité grouillante de la societas civilis en une “Cité géométrique” (Gusdorf). Dans une telle démarche les communautés et les personnalités sont disciplinées, se voient imposer l’interdiction d’exprimer et leur spontanéité et leur spécificité et leur génie créatif. La volonté de restaurer cette spontanéité, cette spécificité et ce génie créatif passe par un refus des méthodes d’arasement “égalitaires”, mais n’interdisent pas de penser l’égalité en termes d’égalité des pairs et en termes de “phratries” communautaires et de fraternité au sens général (troisième terme de la triade révolutionnaire française, mais laissée pour compte dans quasi toutes les pratiques politiques post-révolutionnaires). La ND française (contrairement à ses pendants allemand et italien) a mal géré cette contradiction entre la première phase de son message (anti-égalitariste obsessionnel) et la seconde phase (néo-rousseauiste, démocratiste organique, communautarienne et citoyenne, intérêt pour la théorie de la justice chez Rawls). Elle est toujours perçue comme anti-égalitariste obsessionnelle dans les sources historiographiques les plus courantes, alors qu’elle développe un discours assez différent depuis environ une douzaine d’années, discours dont les principaux porte-voix sont de Benoist lui-même et Charles Champetier.
06:15 Publié dans Définitions, Nouvelle Droite, Philosophie, Politique | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 15 juin 2007
Regard sur le scepticisme
Regard sur le scepticisme: des Grecs au Grand siècle
Communication de Robert Steuckers au Colloque de SYNERGIES EUROPÉENNES-France, Metz, 26 juin 1999
Le scepticisme est un courant philosophique qui se manifeste toujours postérieurement à la domination de grands systèmes conceptuels, tout comme il pourrait s’opposer aujourd’hui à une idéologie dominante, à des constellations politiques répétées à la suite d’élections-spectacle, à une vulgate imposée et martelée à satiété par les médias.
Refuser la logique de l’oeil unique
L’étymologie du terme “scepticisme” est intéressante, selon Lambros Couloubaritsis. En grec, nous explique-t-il, skeptomai désigne le regard attentif —appréhendeur et curieux— qui porte vers deux ou plusieurs directions possibles et non pas un regard fixe —fixé une fois pour toutes— ne portant que dans une et une seule direction. Nietzsche a retenu cette leçon: la pluralité des regards est nécessaire; il l’exprime notamment dans Généalogie de la morale. Sarah Kofman nous le rappelle et l’explique clairement: Nietzsche refuse la logique de l’oeil unique (cyclopéen), il veut toujours voir autrement. Celui qui dit “raison pure”, “spiritualité absolue”, “connaissance en soi”, n’a qu’un seul oeil, ne jette qu’un seul regard qui ne doit pas avoir de directions (au pluriel!), ne doit pas pivoter sur lui-même, scruter, fouiller l’horizon, changer de perspective. Pour appréhender le monde dans toutes ses facettes, il faut avoir plus d’yeux, autant d’yeux que d’affects, sinon, dit Nietzsche, on châtre l’intelligence (des sceptiques grecs à Nietzsche, la pensée européenne opte pour une approche plurilogique).
Dans l’histoire de la philosophie grecque, le scepticisme arrive après trois étapes majeures:
1. Celle de Socrate, qui évoque deux possibilités: l’homme raisonne et choisit la meilleure option de l’alternative.
2. Celle de Platon qui opte pour la dialectique qui débouche sur un seul choix possible.
3. Celle d’Aristote, qui hérite de la dialectique de Platon, évoque une multiplicité de choix, mais où, finalement, un seul choix est le bon.
Pyrrhon d’Elis (365-275), premier exposant du scepticisme grec, estime que cette obligation philosophique de déboucher sur un seul choix constitue une fausse route pour la pensée (“A” ou “Non-A”). Pour Pyrrhon, aucun choix tranché n’est finalement pertinent, car, ainsi, on exclut toujours de sa démarche ou de sa spéculation une multitude de pans du réel. On les ignore. On refuse les potentialités qu’ils recèlent en jachère. Un choix tranché est toujours mutilation du réel pour le père de l’école sceptique. Le risque d’une telle position est l’indécision. L’avantage qu’elle offre, en revanche, est de pouvoir tenir compte d’un maximum de paramètres, et, partant, de ne pas se laisser surprendre par des paquets d’imprévus, de faits de monde que le dogmatique aurait banni de son horizon. Puis de décider en meilleure connaissance de cause.
Pyrrhon d’Elis en Inde
Pyrrhon d’Elis est en quelque sorte l’héritier des sophistes, qui furent les premiers sceptiques, car ils n’accordaient aucune valeur privilégiée à leur choix, mais optaient pour le choix qui les arrangeaient hic et nunc, sans que ce choix ne revête un statut de vérité. Pyrrhon d’Elis a accompagné Alexandre le Grand jusqu’en Inde. Il a vraisemblablement eu des contacts avec la pensée indienne, plus plastique, plus moulée sur la pluralité intrinsèque du monde. Sa position de base est une méfiance à l’endroit de toute domination de la rhétorique, tout comme notre scepticisme contemporain devrait être une méfiance à l’endroit de tout discours et de toute image médiatique.
Ensuite, Pyrrhon se méfie des jugements de valeur, car, en les énonçant, le penseur, le locuteur, le médiateur ajoute(nt) derechef un prédicat à la chose, qui ne lui appartient pas en propre. La chose est décrétée belle ou laide, juste ou injuste, bonne ou mauvaise, sans que l’on ne puisse fondamentalement prouver qu’elle l’est. La Serbie de Milosevic ou l’Irak de Saddam sont décrétés laid(e), injuste et mauvais(e), sans que ce jugement de valeur, asséné sans interruption, ne puisse être corroboré (dans les médias américains, on parle de “Rogue states”, en allemand de “Schurkenstaten”). Pour Pyrrhon, le sage doit suspendre ce type de jugement, pratiquer l’epochè. Un prédicat, aux yeux de Pyrrhon, est toujours subjectif, toujours dérivé de conventions qui me sont propres, qui sont le propre de mon environnement culturel, de mes circonstances, mais qui ne peuvent se greffer sans dégâts sur une réalité autre. L’adjonction de prédicats à la chose constitue donc toujours une oblitération. Par le collage de prédicats, le dogmatique affirme qu’une chose possède des attributs, alors qu’elle ne les possède pas en propre. Il nie également, en survalorisant tel ou tel prédicat, la valeur intrinsèque de toutes les autres qualités de la chose (dans les cas aujourd’hui médiatisés de la Serbie et de l’Irak, on focalise l’attention des masses de téléspectateurs ou d’auditeurs sur une définition plaquée, subjective, arbitraire, fabriquée, et non pas sur l’histoire plurimillénaire ou pluriséculaire du pays, sur sa configuration géographique ou hydrographique, etc., c’est-à-dire sur les phénomènes réels et concrets qui le constituent). Conclusion: les jugements de valeur ne rendent pas objectivement compte du réel. Le sage doit donc être indifférent à ces jugements de valeur (adiaphoria) et partir du principe de l’équipotence des phénomènes, où les phénomènes sont jaugés avec équité.
Regard aigu, vitalisme implicite
Pour l’optique pyrrhonienne, seule la Vie dans son ensemble a du sens. Diogène Laërce dit de Pyrrhon: “Il a pris la vie pour guide”. Le scepticisme est ainsi, non seulement un regard plus aigu porté sur les choses du monde, mais un vitalisme implicite (que nous revendiquons par ailleurs). Le vitalisme pyrrhonien s’oppose à tout dogmatisme car les dogmatiques ne cessent de disserter sur ce que devraient être les choses en soi, sans jamais percevoir tangiblement cet en soi et en oubliant ce qu’est phénoménalement la chose dans ces multiples facettes. Pyrrhon réclame dès lors un retour délibéré à l’expérience et à la vie (ce qui nous rappelle la Leiblichkeit de Nietzsche, la corporéité).
Le pari sur la Vie va de paire avec un pari pour le plaisir. Mais celui-ci ne s’obtient que si l’on s’abstrait de tout trouble, de tout tracas inutile, de toute fausse question. L’epochè sert à se débarrasser de ces troubles et tracas; il faut suspendre l’impact qu’ils ont sur nous, car sinon nous nous cassons la tête pour résoudre ou concrétiser des chimères intellectuelles. L’absence de trouble se dit en grec: ataraxia, état d’âme optimal, où l’on se détache des fausses querelles, des problèmes sans objet, etc. Face aux variantes politiciennes de l’idéologie dominante contemporaine, nous proposerions également une ataraxia, tout comme Evola, dans le monde en ruines de notre après-guerre, avait proposé une apolitéia, attitude de l’”homme différencié”. Les querelles au sein de la gauche ou de la droite ne résolvent nullement les problèmes de fond de notre société. Ces disputes entre deuxième gauche et troisième gauche, réalos et fundis chez les Verts allemands, belges ou français, etc. trahissent plutôt des problèmes de personnes et non des problèmes concrets.
Seul un esprit libre sait rire
Alexis Philonenko nous rappelle la leçon qu’a tirée Nietzsche de sa lecture de Pyrrhon et de Sextus Empiricus: “Se taire et rire”. Le philosophos, cuistre à la pensée rigide et démontrée une fois pour toutes, nous dit, en fronçant les sourcils, que l’on ne peut rire des valeurs intangibles, irréductibles, non renversables (des droits de l’homme, de la République, de la communauté occidentale des valeurs ou de l’OTAN, son bras armé, etc.). Pyrrhon et Nietzsche, au contraire, nous enseignent et nous enjoignent à en rire à gorge déployée, car, à travers le rire, souffle le vent de la liberté. Voilà pourquoi seul un esprit libre sait rire.
Pyrrhon était originaire d’Elis, d’où était également venu Hippias, illustre sophiste. Hippias était un empiriste absolu: pour lui, il n’y avait pas d’êtres intelligibles en dehors des manifestations sensibles des objets. Pyrrhon avait rencontré Anaxarque, disciple de l’atomiste Démocrite et de Protagoras, pour qui toute théorie de la perception borne toute réalité à la réalité sensible et à la relation phénoménale; pour Protagoras, il était illusoire de prétendre voir ou saisir la “vraie nature” des choses.
Pyrrhon nous a donc enseigné
- à discerner le noyau d’une chose (sa phénoménalité au-delà de tous les discours construits);
- à admettre qu’on ne peut l’appréhender in extenso, dans toutes ses facettes, et surtout, dans toutes les potentialités qu’elle recèle. La chose reste toujours obscure (adhla). Je ne peux donc jamais affirmer qu’une chose est telle ou telle, mais nous est seulement connue par le truchement de représentations relatives à la situation, aux circonstances (tropos). Le scepticisme conduit à percevoir la relativité de toute chose.
- à rechercher quel bénéfice, quel avantage, stratégique ou autre, je puis tirer de ce regard que je pose sur la chose qui m’apparaît sans jamais se révéler entièrement? Le scepticisme déploie là une stratégie vitale concrète, sereine, libre d’affects incapacitants (apathie).
Créons une ataraxie a-médiatique
Les autres figures du scepticisme antique sont
- Timon de Phlionte (320-230), dont le penchant pour la dive amphore était légendaire, provoquant une verve endiablée contre les dogmatiques,
- Aenésidème le Crétois et
- Sextus Empiricus.
Aenésidème énonce une théorie de la diversité irréductible du monde et de la relativité de toutes nos perceptions et sensations, vu que les circonstances et les lieux modifient sans cesse les perspectives. Sextus Empiricus (IIième et IIIième siècles ap. J.C.) a vécu en plein effervescence religieuse du Bas-Empire. Il se proclame disciple de Pyrrhon d’Elis et rédige des “esquisses pyrrhoniennes” ou Hypotyposes pyrrhoniennes. Sextus Empiricus, médecin de son état, explique qu’aucun argument des zélotes religieux n’est valable en soi. Le risque d’une telle position est le conformisme, mais aujourd’hui un rejet de toutes les lunes médiatiques ne saurait déboucher sur le conformisme. Sans cesse, les médias sollicitent artificiellement nos émotions; un scepticisme actualisé doit opposer à ces sollicitations une epochè contemporaine, se fermer à ces discours ineptes, créer une ataraxie a-médiatique.
Les avatars du scepticisme antique nous lèguent une anecdote significative: en 155 av. J. C., Athènes est condamnée à payer une amende à Rome pour avoir pillé la Cité d’Oropos. Les Athéniens envoient une ambassade à Rome pour plaider leur cause; elle est composée de Carnéade, Critolaos et Diogène de Babylone. Carnéade, philosophe sceptique, montre que la notion de justice est relative, que les arguments des uns et des autres peuvent être valables, sont équipotents, qu’en l’occurrence tant les Athéniens que les Romains ont raison. Carnéade applique la règle du doute universel, démontre que les lois sont des conventions entre les hommes qui peuvent être reconduites, discutées, modifiées, etc. Les trois ambassadeurs athéniens tiennent ensuite salon dans Rome, introduisent le scepticisme dans les esprits. Caton l’Ancien, très puissant et influent à cette époque, leur donne raison, fait que l’amende est suspendue mais ordonne que les trois philosophes soient expulsés de Rome. Le scepticisme permet une diplomatie sereine, casse la raison du plus fort (qui n’est pas plus valable que celle du plus faible). Un modèle de négociation, dont auraient pu s’inspirer les Albright et autre Solana, avant de déclencher la dernière guerre du Kossovo.
La postérité du scepticisme est vaste: elle pourrait englober Descartes, Hume, Kant et l’empirisme logique, Popper, etc. Bornons-nous à citer deux figures du XVIième siècle, Erasme et Montaigne, et une du XVIIième, Gassendi.
L’éloge de la folie d’Erasme
La notoriété d’Erasme a franchi les siècles surtout par L’éloge de la folie (Laus Stultitiae) de 1511. La “folie” chez Erasme revêt un double sens:
1) se dégager des tics et manies des philosophes; la “folie” est chez lui la gaité, la joie, l’innocence, l’absence de prétention; elle critique les illusions de la vertu, des cuistres et de la société. Erasme décrit les divers ridicules dans lesquels sombrent les hommes. Erasme prend l’homme tel qu’il est et non pas tel qu’il se prononce dans sa “dignité”, dans les poses et les grimaces sociales qu’il adopte pour se faire valoir. Pour l’auteur de l’Eloge de la folie, l’homme se définit par ce qu’il vit, par les événements qu’il crée ou qu’il subit. Dans les statuts de l’association “Europa”, que nous avons fondée en 1993 à Bruxelles, nous avons introduit le principe de la défense des droits de l’homme, tel qu’il est, dans sa “carnalité” et dans son cadre culturel, dans sa situation spatio-temporelle, et non pas tel que l’ont imaginé de pseudo-philosophes en chambre ou des idéologues fumeux ou des politiciens sans foi ni loi qui manipulent les esprits simples et tirent de ces vilenies toutes sortes de profits sonnants et trébuchants.
2) Mais il y a une deuxième dimension à la “folie” selon Erasme. Pour lui, la “folie du chrétien” consiste à croire sans spéculation, à ne pas vouloir créer une nouvelle religion. Dans Enchiridion militis chrisitani (= Le manuel du militant chrétien; 1504), Erasme accepte le cadre civilisationnel catholique sans chercher à le justifier, car le justifier conduirait à énoncer des théories ou des doctrines réfutables, à engager des discussions sans fin, foncièrement stériles (nous retrouvons là l’horreur de la discussion pour la discussion qu’éprouveront plus tard Donoso Cortès et Carl Schmitt). Erasme nous enseigne à accepter le cadre spatio-temporel, tel qu’il est, sans pour autant sombrer dans le conformisme, car le conformisme, c’est se fabriquer une “dignité”, se composer un personnage, prendre des poses, se donner un “look”, et s’y accrocher ridiculement.
Montaigne, sceptique dans les tourbillons de la vie
En 1576, Montaigne termine la rédaction de son Apologie de Raimond Sebond. Dans quel contexte a-t-il rédigé ce maître-ouvrage des lettres françaises du XVIième siècle? Son père, âgé, mal-voyant, lui avait demandé de traduire les écrits d’un philosophe catalan du XVIième siècle, auteur de la Theologia naturalis sive liber creaturarum. Montaigne, par piété filiale, s’est exécuté, mais a ajouté au texte traduit une foule de commentaires, notamment issus de sa lecture très attentive du De rerum naturae de Lucrèce et des Hypotyposes pyrrhoniennes de Sextus Empiricus. Montaigne, contrairement à un préjugé malheureusement assez courant, était un homme actif, en prise directe sur les problèmes de son temps, et non pas un oisif enfermé dans sa tour-bibliothèque. Montaigne était plongé dans les courants tourbillonnants de la vie de son époque mouvementée.
Ses commentaires, en marge de la traduction du livre de Raimond Sebond, nous enseignent:
- que la raison ne peut rien établir de définitif; elle reflète toujours une étape temporaire de la caducité des choses; les raisonneurs sont malhonnêtes, ils nuisent au bonheur de nos vies; ils sont vaniteux et ridicules. «L’homme qui n’est rien, s’il pense être quelque chose se séduit soi-même et se trompe».
- que les jugements sont toujours marqués d’incertitude, d’où l’inanité des assertions/affirmations qui se veulent éternelles et universelles.
Du point de vue politique, Montaigne nous dit que les lois sont la mer flottante des opinions d’un peuple et d’un prince, qui l’un comme l’autre, changeront un jour d’opinion et d’avis. Montaigne dit ainsi clairement qu’il n’y a pas de lois humaines universelles. Ses réflexions nous aident à mieux comprendre l’opposition entre légalité et légitimité (Carl Schmitt) ou entre “pays légal” et “pays réel” (Maurras).
Gassendi: dégager l’homme de ses liens de mille nœuds
Pierre Gassendi (1592-1655), autre philosophe intéressant pour notre propos sur les sceptiques, était chanoine à Digne et professeur à Aix. Il fut le correspondant de Galilée et un critique de l’aristotélisme (qu’il considérait comme un “système”), proche des libertins érudits (mais sans oublier ses devoirs d’ecclésiastiques). Gassendi fut un critique de Descartes. Il publia des travaux sur Epicure et se situa entre le libertinisme et l’orthodoxie religieuse. Pour Gassendi, on ne peut enfermer la liberté de l’esprit dans aucune doctrine. Quatre points majeurs de son œuvre doivent retenir notre attention dans le cadre du présent exposé:
◊ Très vite dans la vie de l’homme, l’esprit est ligoté de mille nœuds, les conventions le retiennent dans ses liens.
◊ La philosophie a pour tâche de nous faire retrouver notre liberté.
◊ Bon nombre de philosophes font fausse route en imposant à l’entendement chaînes et entraves. Ces philosophes sont attachés au râtelier comme du vil bétail (Gassendi anticipe ici les travaux de Simmel, Heidegger, Lukacs et Sartre, tous critiques des conventions et des pesanteurs institutionnelles).
◊ Le spectacle de la nature peut mener à Dieu. L’harmonie de la nature est la simple preuve de l’existence de Dieu. Le regard qui appréhende ce spectacle est un regard pluriel, un regard jeté par mille yeux (et nous revenons à Nietzsche!).
Conclusion
Notre propos était de montrer la trajectoire du scepticisme des Grecs au Grand Siècle. Cependant il serait injuste de terminer abruptement sans au moins citer David Hume, rénovateur de la veine sceptique, en réhabilitant le rôle des sens dans l’appréhension du monde extérieur. Le recours aux sens corrige ou annule dogmes et abstractions. Mais, l’œuvre de Hume recèle un risque: devenir un positivisme trop étriqué. Ou bien, nouvelle lecture, avec sa volonté de faire confiance aux sens, Hume cherche-t-il à pénétrer les mystères du réel? Le débat est ouvert. Il est une interpellation de la modernité. Sûrement l’objet d’un prochain débat de notre atelier philosophique.
Robert STEUCKERS.
Bibliographie :
Frédéric BRAHAMI, Le scepticisme de Montaigne, PUF, 1997.
Lambros COULOUBARITSIS, Aux origines de la philosophie européenne. De la pensée archaïque au néoplatonisme, De Boeck/Université, Bruxelles, 1994.
Manuel de DIÉGUEZ, Rabelais, Seuil, 1960.
ERASME, Eloge de la folie, Garnier-Flammarion, 1964.
Hugo FRIEDRICH, Montaigne, Gallimard, 1968 (coll. « Tel », n°87).
Bernard GROETHUYSEN, Anthropologie philosophique, Gallimard, 1953-80.
Klaus-Jürgen GRUNDNER, «Michel de Montaigne 1533-1592», in Criticón, Nr. 66, Juli/August 1981.
Lucien JERPHAGNON, Histoire de la pensée. Antiquité et Moyen Age, Tallandier, 1989.
Sarah KOFMAN, Nietzsche et la scène philosophique, UGE 10-18, 1979.
Silvano LONGO, Die Aufdeckung der leiblichen Vernunft bei Friedrich Nietzsche, Königshausen & Naumann, Würzburg, 1987.
LUCIEN de SAMOSATE, Sectes à vendre, Ed. Mille et Une nuits, 1997. Présentation par Joël GAYRAUD.
Ian MACLEAN, Montaigne philosophe, PUF, 1996.
Simone MAZAURIC, Gassendi, Pascal et la querelle du vide, PUF, 1998.
Daniel MÉNAGER, Présentation des Essais de Montaigne, Larousse, 1965.
Michel de MONTAIGNE, Apologie de Raimond Sebond, Gallimard, 1962-67. Introduction de Samuel Sylvestre de SACY.
Bernard MORICHÈRE (sous la direction de), Philosophes et philosophie. Des origines à Leibniz, tome 1, Nathan, 1992.
Emmanuel NAYA, Rabelais. Une anthropologie humaniste des passions, PUF, 1998.
Raphaël PANGAUD, Présentation des Essais de Montaigne, Larousse, s.d.
Brice PARAIN (sous la direction de), Histoire de la philosophie, 1, Orient, Antiquité, Moyen Age, La Pléiade/Gallimard, 1969.
Alexis PHILONENKO, Nietzsche. Le rire et le tragique, Livre de Poche, coll. Biblio-Essais, 1995.
Andreas PLATTHAUS, « Prinz Güldenkiel. Montaigne erhält den Ritterschlag », Frankfurter Allgemeine Zeitung, Literaturbeilage, 3. November 1998 (recension de la traduction allemande de Michel de Montaigne de Jean Lacouture, Campus, Frankfurt am Main, 1998).
Jean-François REVEL, Histoire de la philosophie occidentale. Penseurs grecs et latins, Livre de Poche/Stock, 1968.
Hélène VÉDRINE, Les philosophies de la renaissance, PUF, 1971.
Hélène VÉDRINE, Philosophie et magie à la Renaissance, Livre de poche, coll. Biblio-Essais, 1996.
The Internet Encyclopedia of Philosophy, «Erasmus (1466-1536)», http://www.utm.edu/research/iep/e/erasmus.htm...
The Internet Encyclopedia of Philosophy, «Ancient Greek Skepticism», http://www.utm.edu/research/iep/s/skepanci.htm...
The Internet Encyclopedia of Philosophy, «Pyrrho (c. 360 - c. 270 BCE.)», http://www.utm/edu/research/iep/p/pyrrho.htm...
The Internet Encyclopedia of Philosophy, «Carneades (213-129 BCE.)», http://www.utm.edu/research/iep/c/carneades.htm...
06:10 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 06 juin 2007
Mouvement métapolitique à Vienne (19ième) (I)
Le mouvement métapolitique d'Engelbert Pernerstorfer à Vienne à la fin du 19ième siècle, précurseur de la "révolution conservatrice" (PREMIERE PARTIE)
Intervention de Robert Steuckers lors de la 9ième Université d'été de l'association «Synergies Européennes», Région de Hanovre, août 2001
Analyse :
William J. McGRATH, Arte dionisiaca e politica nell'Austria di fine Ottocento, Einaudi Editore, Torino, 1986 (Original anglais : Yale University Press, 1974), ISBN 88-06-59147-9.
Bret BATTEY, The “Pernerstorfer Circle”, http://faculty.washington.edu/vienna/projects/pern/
Sur Siegfried Lipiner : http://www.bautz.de/bbkl/l/lipiner.shtml
Sur Richard von Kralik : http://www.bautz.de/bbkl/k/Kralik.shtml
Pourquoi avoir choisi cette thématique? Pourquoi avoir ressorti un auteur quasiment oublié? La première raison qui m'a poussé à opérer ce choix et à vous présenter les initiatives d'Engelbert Pernerstorfer c'est justement que le concept de "révolution conservatrice" m'apparaît désormais trop restreint, trop limité, surtout dans le temps. Cinq faisceaux de motivations m'ont amené à réétudier, à partir des recherches de deux Américains, William McGrath et Bret Battey, les activités métapolitiques de la Vienne des trois dernières décennies du 19ième siècle et d'en dégager des idées que l'on peut considérer comme les prémisses —ou comme certaines prémisses— de la future "révolution conservatrice".
◊ La période choisie par Armin Mohler est limitée: elle va de 1918 à 1932, soit une période de quatorze années, qui est trop particulière, trop marquée par la défaite de 1918, par les clauses du Traité de Versailles de 1919, par les débordements proches de la guerre civile (Putsch de Kapp, intervention des Corps francs à Munich, dans la Ruhr et en Silésie), pour offrir une alternative complète au système pour une période non effervescente. Qui plus est, les racines des idées développées par les principaux protagonistes de la "révolution conservatrice" de 1918 à 1932, plongent dans une antériorité qu'il convient également d'explorer. Cette remarque n'enlève rien au mérite de Mohler et à l'excellence de son travail encyclopédique. Mon objectif est de donner une dimension temporelle plus profonde à son concept de "révolution conservatrice", ce qu'il entendait amorcer lui-même, notamment en accueillant favorablement les travaux de Zeev Sternhell.
Réflexions sur les vertus soldatiques
◊ L'accent de la "révolution conservatrice" après 1918 est tout naturellement mis sur les vertus "soldatiques" qui ont été cultivées pendant la première guerre mondiale et se sont avérées nécessaires pour éloigner le danger bolchevique des frontières de l'Allemagne en Silésie et dans l'espace des Pays Baltes et pour le conjurer à l'intérieur même du Reich, notamment dans la Ruhr, à Berlin et à Munich. La figure du combattant de la Grande Guerre est évoquée, de manière sublime, dans l'œuvre d'Ernst Jünger et dans celle de Schauwecker; la figure du combattant des Corps Francs dans les ouvrages d'Ernst von Salomon. Dans l'espace idéologique de la "nouvelle droite" française, avant que celle-ci ne titube d'une démission et d'un aggiornamento à l'autre, Dominique Venner a introduit cette thématique dans un livre à grand tirage : Baltikum. Dans le Reich de la défaite, le combat des Corps-francs. 1918-1923, Robert Laffont, Paris, 1974. Ultérieurement, une version de ce titre est parue dans “Le Livre de Poche”. Sur le même thème, D. Venner a fait paraître plus récemment : Histoire d'un fascisme allemand. Les Corps-francs du Baltikum. Du Reich de la défaite (1918) à la Nuit des Longs Couteaux (1934), Pygmalion/Gérard Watelet, Paris, 1996.
Déjà lors mon intervention dans un colloque d'orientation idéologique, tenu dans une auberge de la Lande de Lüneburg, au début de l'aventure de «Synergies Européennes» en Allemagne, j'avais souligné l'intérêt politique qu'il y avait de suggérer à nos contemporains un projet révolutionnaire-conservateur, qui soit général et civil et non plus seulement soldatique, vu que cet idéal soldatique ne permet plus aujourd'hui de pénétrer les mentalités des masses, celles-ci n'étant plus du tout pétries de cet idéal, du fait de l'éloignement temporel qui nous sépare désormais, de plus en plus, de cette "période axiale" du 20ième siècle (pour reprendre une expression chère à Karl Jaspers, à Armin Mohler et à Raymond Ruyer). Ce qui n'ôte évidemment rien à l'importance intrinsèque et primordiale que revêt une lecture, dans l'adolescence et au début de l'âge adulte, de cette geste héroïque contemporaine, notamment via les livres d'Ernst von Salomon et l'étude de Dominique Venner.
◊ Du fait des impératifs qu'impose la rédaction d'une thèse, comme celle de Mohler, à cause aussi d'un excès d'attention accordé dans certains milieux —cherchant à continuer la "révolution conservatrice"— à l'aspect héroïque de la seule geste soldatique de 1918-1919, la révolution conservatrice historique, réduite à la période étudiée par Mohler, semble une sorte de météorite qui traverse trop rapidement le ciel, un phénomène sans antériorité ni profondeur temporelle. En rester à un tel jugement conduit à une insuffisance doctrinale, à une mutilation idéologique, à une coupure incapacitante. En guise de palliatif, le présent exposé a pour objectif premier de conseiller la lecture de travaux universitaires, généralement anglo-saxons, comme ceux de William McGrath (réf. infra) sur Vienne, que je vais aborder ici, et de David Clay Large sur Munich, que j'aborderai ultérieurement. William McGrath explore l'époque qui va de 1865 à 1914 à Vienne. David Clay Large analyse les vicissitudes culturelles et politiques qui secouent la vie publique à Munich entre 1890 et 1945 (nous nous bornerons à présenter la période qui va de 1890 à 1920, car c'est elle qui nous instruit clairement sur les évolutions idéologiques à l'œuvre dans la capitale bavaroise).
La nostalgie d'une unité idéologique perdue
◊ Après la lecture de ces ouvrages anglo-saxons, nous sommes amenés à constater qu'il n'y avait pas de clivage gauche/droite bien tranché avant la prise de Munich par les Corps Francs en 1919. Ce clivage, aujourd'hui réel, est né du choc frontal entre ces volontaires nationalistes et les gardes rouges de la République des Conseils; une césure binaire, parfaitement tranchée, n'existait pas auparavant. Avant les événements tragiques de Munich (et de Berlin) en 1918 et 1919, les composantes idéologiques, devenues antagonistes, ont connu un stade de “fusion” où elles se mêlaient dans des synthèses civiles, non idéologisées comme dans les années 20, 30 et 40 du 20ième siècle. Cette fusion, perceptible dans les débats de Vienne à la fin du 19ième, à Munich de 1890 à 1914 ou à Bruxelles avec des figures comme Victor Horta ou Charles Buls à la même époque, a suscité des nostalgies —nostalgies d'une unité perdue— que l'on repère dans certains linéaments du complexe “national-bolchevique” (autour d'Ernst Niekisch et de ses revues), dans les tentatives de restaurer un esprit communautaire contre la pesanteur des masses dans le socialisme marxiste ou contre l'individualisme forcené des libéralismes, dans les rangs du Wandervogel ou des mouvements de jeunesse qui ont pris sa succession après 1918, dans le socialisme libertaire préconisé par Gustav Landauer ou, en filigrane, dans l'œuvre de Walter Benjamin, qui a mûri, elle aussi, dans le Schwabing de la Bohème littéraire munichoise.
◊ La saisie en profondeur des racines de notre temps, du contexte idéologique très dense de cette époque qui s'étiolera après la révolution bolchevique, la prise du pouvoir par Hitler et la fin de la seconde guerre mondiale, passe par la nécessité de s'adonner —et de manière intense— à des lectures parallèles, ce qui, hélas, n'a jamais été fait dans notre courant de pensée, où trop souvent, les jugements à l'emporte-pièce ou le culte des chromos figés n'ont cessé de tenir le haut du pavé. Ces lectures parallèles, indispensables à la bonne compréhension des racines de notre temps, impliquent de lire conjointement
◊ 1. les travaux de Zeev Sternhell et de Steve Ashheim, tous deux chercheurs de l'école californienne et israélienne,
◊ 2. l'histoire des mouvements artistiques à Bruxelles et à Vienne (avec l'accent sur le Jugendstil et la Wiener Sezession),
◊ 3. l'histoire du mouvement pré-raphaëlite en Angleterre, avec étude de l'œuvre de Ruskin, du “Fabian Socialism”, des ouvrages de Matthew Arnold et de Thomas Carlyle et surtout impliquent
◊ 4. d'acquérir une bonne connaissance des productions de la maison d'édition d'Eugen Diederichs à Leipzig et Iéna, où l'on a traduit et commenté ces œuvres et où l'on a approfondi ces thématiques.
Méconnaissance des corpus philosophiques qui sous-tendent la “révolution conservatrice”
La première étape dans cette enquête, dans cette historia au sens grec du terme comme nous le rappelle Michel Foucault et son exégète française, Angèle Kremer-Marietti, va nous conduire à Vienne, puis, seconde étape, à Bruxelles, et, troisième et quatrième étapes, à Munich et à Berlin. Car la notion d'enquête, d'historia, est à la base de la méthode archéologique et généalogique que nous ont léguée Wilhelm Dilthey et Friedrich Nietzsche, méthode archéologique/généalogique qui est la marque de l'épistémologie révolutionnaire-conservatrice. La méconnaissance de ce corpus, chez la plupart des exposants naïfs ou prétentieux d'une nouvelle “révolution conservatrice”, conduit à des apories, des quiproquos ou des “maculatures” sans nom. La “nouvelle droite”, et certains personnages qui l'ont animée, en ont donné le triste exemple pendant plus de trente ans. Personnages qui persistent dans leurs insuffisances. Et qui nous traitent d'“anarchistes”, à l'idéologie “peu claire” ou “peu sûre”, parce que nous remontons véritablement aux sources, des sources que, curieusement, ils ne veulent pas connaître, sans doute parce qu'elles les obligeraient à sortir de leurs chromos simplistes ou à relativiser leurs positions trop schématiques. Pire : citer Landauer, Benjamin et Foucault (même par le biais d'Angèle Kremer-Marietti) constitue un crime de “judéophilie” ou de “gauchisme” pour ces esprits bornés, qui osent ériger leurs tristes limites voire leurs obsessions ridicules au rang de paradigmes. Reproche d'autant plus infondé que des exposants non juifs, parfaitement “aryens”, ont défendu exactement les mêmes thèses ou positions. Ces paradigmes figés sont érigés en dogmes fixes, alors que l'objet même de nos préoccupations, la révolution conservatrice et ses antécédents, sont des phénomènes dynamiques, des dynamiques effervescentes, qui ont leur trajectoire; même si les limites de l'idéologie dominante actuelle et des sycophantes qui l'instrumentalisent bloquent ces dynamiques, elles ont encore des impacts, même si ces impacts ne sont plus des flots fougueux d'innovations, mais de minces filets qui ne cessent de filtrer, en dépit de tout : il suffit d'observer les succès de certaines expositions d'Europalia, sur Vienne ou sur d'autres villes, pour le constater. Une nostalgie indéracinable, bien qu'inconsciente ou fragmentaire, continue à attirer les foules vers les productions artistiques ou littéraires de cette époque, productions qui forment aussi l'arrière-plan politique des grands mouvements populaires de la fin du 19ième siècle.
La revue “Die Telyn” au Schottengymnasium de Vienne
Sortir des impasses de la clique parisienne qui prétend réincarner la “révolution conservatrice”, implique justement de poser une démarche archéologique/généalogique. Et cette démarche, pour le volet viennois de notre enquête, aboutit à étudier la trajectoire d'un personnage des plus intéressants : Engelbert Pernerstorfer. Il débute sa longue carrière politique et métapolitique en mars 1867, alors qu'il n'est encore qu'un modeste lycéen, inscrit dans une célèbre école de Vienne, le Schottengymnasium, tenu par des pères bénédictins. A l'origine, cette institution d'enseignement catholique avait été fondée par des religieux issus d'Irlande, qui avaient immigré en Europe centrale, sans doute en même temps que les “Oiseaux Migrateurs”, ces mercenaires irlandais mettant leur épée au service du Saint-Empire contre les ennemis de l'Europe. Engelbert Pernerstorfer et ses amis du Schottengymnasium fondent une revue pour exprimer leurs idées; elle porte le titre de Die Telyn, soit “La Harpe celtique”, clin d'œil, sans doute, à ces bénédictins d'Irlande venus jadis à Vienne, pour accompagner leurs compatriotes soldats. Mais une autre référence celtique anime les jeunes collégiens : la fête de l'Eisteddfodd gallois, remise à l'honneur au Pays de Galles à la fin du 18ième siècle, dans le cadre de ce que l'on a communément appelé le “Celtic Revival”. L'Eisteddfodd consistait en un festival de musique traditionnelle, avec récitations de poésie, avec chants puisant dans le patrimoine mythologique et national irlandais ou gallois. Le choix de l'instrument de musique symbolique de la Verte Eirinn et la référence à l'Eisteddfodd gallois indique clairement que nos collégiens du Schottengymnasium avaient un projet précis : revitaliser la culture populaire, remettre les racines à l'honneur à l'instar des celtisants gallois, afin d'amener, à terme, une révolution politique.
Nature, patrie, art
Dans ce premier groupe autour d'Engelbert Pernerstorfer, nous trouvons Victor Adler (d'ascendance israélite), Max Gruber et Heinrich Friedjung (également d'ascendance israélite). Pourquoi Pernerstorfer a-t-il immédiatement barre sur ses condisciples? Parce que son père a fait la révolution de 1848. Il est d'ascendance modeste. Il est un homme du peuple, alors que les familles des Adler, Gruber et Friedjung appartiennent à une bourgeoisie aigrie, mécontente du rythme trop trépident que prennent la révolution industrielle et la modernité. Pour nos quatre collégiens, trois valeurs doivent être sauvées, restaurées et portées au pinacle de la Cité : la nature, la patrie et l'art. Dans le concret, cela signifie quatre orientations politiques précises : 1) On s'oppose aux Habsbourgs, car on est pangermanique, on veut l'unification générale des Allemands ethniques, unification perçue comme un impératif de la nature; 2) On est socialiste, au sens où la révolution de 1848 a anticipé le mouvement socialiste et où la crise de l'ordre économique existant postule un changement allant dans le sens d'une redistribution plus juste et d'un dépassement du primat accordé par le libéralisme à l'économie et aux accumulations quantitatives de tous ordres. Le socialisme de ces lycéens est proche de celui de Ferdinand Lassalle, qui s'entendra avec Bismarck. Lassalle veut un socialisme étatique, c'est-à-dire un socialisme acceptant les correctifs de l'Etat; 3) On veut se dégager des conventions sociales, qui sont autant d'étouffoirs à la créativité; cette volonté de dégagement vaut autant pour les Catholiques, majoritaires en Autriche, que pour les Juifs ou les Protestants; 4) On veut instaurer une pédagogie, un système d'éducation, permettant à tous d'accéder aux hautes valeurs de la culture, car la culture, les arts et la littérature seront le ciment de la communauté nationale allemande, comme ils ont été le ciment de la conscience nationale et ethnique des Gallois.
Panthéisme irlandais et Nibelungen
Cette quadruple option, prise par notre quatuor de lycéens viennois, s'explique par la psychologie et par une idiosyncrasie particulière. Sur le plan psychologique, leur réaction est, dit McGrath, une réaction de fils contre le monde de leurs pères, en d'autres termes, une révolte juvénile qui anticipe celle du Wandervogel berlinois, né en 1896. McGrath ne formule au fond rien de bien original, sacrifie peut-être un peu trop aisément aux manies freudistes américaines; pour lui, les pères veulent un monde stable, figé, tandis que les fils, par définition —ce qui nous laisse sceptiques— un monde mouvant, effervescent. Sur le plan idiosyncratique, le Schottengymnasium, par le truchement de ses traditions pédagogiques, a provoqué tous les déclics idéologiques chez notre quatuor de lycéens. Ce refuge de bénédictins irlandais en Autriche véhiculait, volens nolens, une tradition irlando-écossaise, plus panthéiste que ne l'étaient les scolastiques de l'enseignement catholique habituel ailleurs en Europe. Ce panthéisme irlandais au sein d'un catholicisme continental, plus rationaliste, explique la double référence celtique : à la harpe (la telyn) et aux fêtes de l'Eisteddfodd gallois. Deux professeurs ont laissé une empreinte philosophique indélébile sur Pernerstorfer et ses jeunes amis, leur ont communiqué les linéaments d'une idéologie alternative : Hugo Mareta et Sigismund Gschwander. Le niveau de leur enseignement est très élevé, dans toutes les branches, mais le dénominateur commun du message que communiquent les pères, dénommés “Schotten”, est un ancrage dans le paysage, dans la terre des forêts entourant Vienne et dans le peuple qui véhicule des traditions authentiques, bien plus anciennes que les poncifs du libéralisme du 19ième. Hugo Mareta, germaniste, initie ses élèves à tous les arcanes des Nibelungen et les plonge dans un univers wagnérien.
Cette référence constante aux racines et à la nature amène les élèves du Schottengymnasium à percevoir le libéralisme ambiant comme une crise de civilisation passagère, comme une ère qu'il convient de dépasser. Pour effectuer la transition, il faut préparer une élite qui sache renouer avec la tradition antérieure. Mais cette élite ne devra pas se contenter de réminiscences stériles du passé, de répétitions interminables de ce qui a été (et ne sera plus) : elle est appelée, au contraire, à l'action politique concrète, qui consistera, dans un premier temps, à rechercher systématiquement des alternatives idéologiques à la fausse culture libérale.
Du lycée à l'université
Le temps du lycée est bref, pour tous les adolescents. La deuxième étape dans la trajectoire du groupe de Pernerstorfer se déroule à l'Université, où ils fondent, le 2 décembre 1871, le “Leseverein der deutschen Studenten Wiens” (= Cercle de lecture des étudiants allemands de Vienne), puis, dans la foulée, la “Burschenschaft Arminia” (la Corporation Arminia). Dans leur formulation, les écrits laissés par le Leseverein sont moins radicaux que ceux de Die Telyn. Mais leur niveau est forcément plus élevé, les rédacteurs acquérant sans cesse savoir et maturité.
Le Prof. McGrath, dans son enquête minutieuse, a retracé l'historique des conférences prononcées à la tribune du Leseverein, ce qui nous permet de mettre en exergue ses idées motrices, telles qu'elles sont apparues au fil du temps. McGrath nous rappelle un débat récurrent sur l'œuvre de Lorenz von Stein, professeur à Vienne jusqu'en 1885. Lorenz von Stein est considéré comme un “conservateur social”, cherchant à réduire la dépendance des ouvriers, en leur donnant un accès à la propriété et à l'instruction. La dépendance ouvrière s'est accrue après les révolutions bourgeoises, française et industrielle : elle est un fruit de la modernité et non pas un héritage de l'Ancien Régime, qui prévoyait des protections diverses pour les pauvres, souvent en nature (vivres, jouissance de logements individuels ou collectifs, terres de pâturages sur les communs, revenus allodiaux, droits de récoltes ou de ramassage divers, etc.). Lorenz von Stein critiquait les théories pré-communistes des théoriciens français (notamment Blanqui). Ce communisme, outrancier, ne peut déboucher que sur l'oppression généralisée et abstraite de tout le peuple et ne permet pas de construire un ordre économique capable de fonctionner sur le long terme. L'alternative, proposée par Lorenz von Stein, est une société organique axée sur le Bien Commun (concept hérité d'Aristote), qui combat l'égoïsme et l'individualisme.
Sur le plan pratique, la société organique et la notion aristotélicienne de Bien Commun induisent la nécessité d'améliorer les conditions de vie des ouvriers et de leur accorder une plus grande mobilité sociale, de permettre une circulation des élites plus fluide. Le socialisme ultérieur de Pernerstorfer et d'Adler découle davantage des idées conservatrices et aristotéliciennes de Lorenz von Stein que de Karl Marx. Et, in fine, tout socialisme efficace, tout socialisme réellement populaire ne fonctionne que sur base d'un héritage organique perceptible, ancien, ancré dans un tissu social, et non pas sur des innovations et des bricolages boiteux, nés de l'esprit de fabrication (Joseph de Maistre).
La référence schopenhauerienne de Karl Rokitansky
Le premier maître à penser philosophique du groupe est Arthur Schopenhauer. Dans le curriculum du Leseverein, ce sera un docteur en médecine, Karl Rokitansky, qui, par le biais de ses conférences, injectera les bases d'un schopenhauerisme pratique dans le corpus doctrinal du groupe. Rokitansky part de l'idée de la solidarité générale unissant toute la vie animale. Il énonce, à partir de cette idée tirée d'une lecture de Schopenhauer, une théorie biosociale, certes darwinienne en même temps que schopenhauerienne, mais solidariste et non pas compétitive. La solidarité, réclamée par Rokitansky, dérive de la notion (bouddhiste) de compassion, énoncée dans l'œuvre de Schopenhauer. L'homme doit dépasser les pulsions négatives qui le poussent à agresser ses concitoyens, à l'égard desquels il doit se montrer solidaire, afin de consolider le Bien Commun. Le schopenhauero-darwinisme de Rokitansky conduit à affirmer un altruisme solidaire, dont le ciment est la culture, qu'il s'agit de défendre et de développer, surtout au sein des masses déshéritées par les pratiques du libéralisme.
Le conférencier Theodor Meynert, psychiatre, va communiquer aux étudiants du Leseverein un corpus reposant à la fois sur Kant et sur Schopenhauer (un corpus qui sera repris plus tard par Konrad Lorenz). Pour Kant, expliquait Meynert, il existe un moi primaire et égoïste et un moi secondaire et abstrait, capable de recul. Ce recul permet la civilisation, induit la solidarité réclamée par son collègue Rokitansky, mais que Meynert appelle le “mutualisme”, idéologie dont la vocation est de réaliser la fraternité. Nous constatons donc que l'époque connaît deux variantes de darwinisme, le darwinisme libéral axé sur la concurrence et le darwinisme solidariste et mutualiste, axé sur la coopération et l'altruisme, deux vertus politiques qui consolident le Bien Commun et rendent les sociétés, qui les pratiquent, plus fortes.
Le scandale von Ofenheim
Ex cursus : Au moment où les étudiants du Leseverein planchaient sur les idées de Lorenz von Stein et écoutaient les conférences de Rokitansky et Meynert, éclate en Autriche, en 1875, un scandale emblématique, celui provoqué par les manigances du financier véreux Victor von Ofenheim. Ce noble dévoyé avait spéculé sur les chemins de fer en Galicie, vendu des actions gonflées démesurément, promis des dividendes pharamineux, attiré par ses leurres des milliers de gogos qui ont évidemment été ruinés. Cité en justice par les actionnaires floués, von Ofenheim entend le Comte Lamezan, véritable aristocrate de robe, prononcer contre lui un réquisitoire sévère. Le Comte Lamezan, proche à certains égards des étudiants du Leseverein, estime que le procès qui se déroule est emblématique : il met en exergue la contradiction —apparemment insoluble— qui existe entre l'éthique et l'économie. Mais en dépit du brillant réquisitoire de Lamezan, von Ofenheim gagne le procès; il déclare, via son avocat, qu'“avec la morale, on ne construit pas de chemins de fer”. Les étudiants, mutualistes, constatent avec énormément d'amertume : «Le système libéral est mauvais, puisqu'il s'avère incapable de sanctionner des activités aussi immorales». L'avocat de von Ofenheim s'en était tiré par une pirouette, en disant qu'il existait certes des tribunaux terrestres pour sanctionner des délits, mais que seul le tribunal céleste pouvait sanctionner l'immoralité.
Troisième orateur de marque dans le Leseverein, le philosophe Johannes Volkelt qui proposera aux étudiants viennois une synthèse entre Kant, Hegel, Schopenhauer et von Hartmann. Le titre de sa première conférence indique qu'il part résolument de Kant : “Kants kategorischer Imperativ und die Gegenwart” (= L'impératif catégorique de Kant et les temps présents). Volkelt avait commencé sa conférence en rappelant que le sujet connaissant (tel que défini par Kant) est instable, vu les limites de ses capacités cognitives. L'homme, sujet connaissant, est jeté dans un monde instable (en ce sens, il préfigure Heidegger). Pour pallier cette instabilité, l'homme doit respecter un code moral extrêmement rigoureux, qui lui donne les recettes de la survie et de la navigation sur la mer, souvent déchaînée, des circonstances existentielles (plus tard Arnold Gehlen parlera de "culture", comme système de palliatifs pour consolider la position de l'homme, être fragile quant à ses dons et capacités naturels). L'exigence morale de Kant est terrible. Elle postule de dépouiller systématiquement l'agir éthique de tout désir, de toute aversion, de tout affect. L'éthique qui en résulte est certes tranquille, mais elle est le résultat d'une lutte perpétuelle que l'homme a à mener contre lui-même. Finalement, ce n'est qu'au terme de cette âpre lutte qu'il est capable d'affirmer pour lui-même et pour les autres, une véritable autonomie. L'autonomie est atteinte seulement quand tous les affects incapacitants, distrayants, dissipants, sont éliminés (cette position de Volkelt est à mettre en parallèle avec la théorie de l'“individu absolu” de Julius Evola).
Volkelt contre l'amollissement généralisé
Au nom de la morale kantienne, Volkelt condamne, devant ses auditeurs du Leseverein, la société contemporaine, parce qu'elle est axée sur la commodité (la Bequemlichkeit), qui, elle, abandonne par principe toute lutte. Volkelt condamne aussi l'orientation des sciences et des techniques de l'époque, dans le sens où elles conduisent à la facilité, qui ruine et fait disparaître la vigueur et l'indépendance de l'homme, par ailleurs garantes dans la durée de son autonomie. Quand il chavire dans la facilité, l'homme abandonne son trésor le plus sacré : l'autonomie. Le jugement de Volkelt est sans appel : “Wir leben in einer Zeit allgemeiner Auspolsterung” (= Nous vivons une époque d'amollissement généralisé) (à lire en parallèle avec Die Perfektion der Technik de Friedrich Georg Jünger). La civilisation moderne, pour Volkelt, conduit donc à la superficialité spirituelle, à la légèreté et à la futilité, où les idéaux sont bannis, où la moralité n'est plus qu'une simple convention, où l'opportuniste est roi. L'affaire von Ofenheim l'a clairement démontré.
L'objet de la métapolitique (et le terme n'est pas anachronique comme nous allons le voir) est de forger une nouvelle éthique, contraire diamétral du libéralisme, de jeter les bases d'un nouvel ordre social et de restaurer le Bien Commun. Par conséquent, il faut remplacer l'individualisme matérialiste des libéraux classiques par une sorte de collectivisme idéaliste, où les salaires et les profits sont proportionnels au travail réellement presté, où les hommes sont animés par la conscience de faire quelque chose d'utile au Bien Commun, et ne poursuivent pas le but pervers de l'enrichissement personnel.
De Kant au binôme Wagner / Nietzsche
Par la suite, le Leseverein abandonne progressivement le kantisme pour adopter les idées de Wagner et de Nietzsche, surtout celles qui évoquent une “métaphysique de l'artiste” (dans le cadre de la “nouvelle droite”, qui n'a jamais évoqué l'œuvre de Pernerstorfer, seul Giorgio Locchi a abordé la relation complexe entre Nietzsche et Wagner).
C'est Victor Adler qui, le premier, a introduit Nietzsche dans le groupe qui participait à la rédaction de Die Telyn. Mais, il s'agissait du premier Nietzsche, pour qui l'art joue un rôle central, constitue la véritable activité métaphysique. La musique, pour ce premier Nietzsche, exprime une volonté collective non individualiste, elle est l'expression d'une sapience, d'une sagesse dionysiaque, présente dans le théâtre d'Eschyle et de Sophocle. Pour rappel, chez ce premier Nietzsche, le théâtre grec constitue une communion de l'homme avec sa propre communauté et avec la nature. Dans la dialectique Apollon / Dionysos, que ses livres sur la tragédie grecque explicitent, un surplus d'apollinisme conduit à la sclérose (comme à Rome), tandis que l'irruption permanente et ininterrompue du dionysiaque donne force et vitalité à la Cité. La Polis grecque, pour Nietzsche, fusionne ses éléments épars, ses différences de classe ou d'origine, dans la communauté mystique du rite dionysiaque. Si le flot dionysiaque vient à s'amenuiser, la Cité entre en déclin, comme ce fut effectivement le cas à partir d'Euripide. Nous assistons alors à l'assèchement des sources organiques, tant et si bien que l'homme de la période hellénistique est devenu trop “théorique”. Le bon fonctionnement de la Cité, hier en Grèce, à l'époque d'Adler et Pernerstorfer dans le monde germanique, implique de limiter l'extension des formes découlant du logos. L'Allemagne a pour mission de corriger par la musique une civilisation qui sombre dans un excès de logos. La musique allemande est l'élément dionysiaque, donc la source vitale, de la culture germanique d'Europe centrale. La fusion communautaire dans la Cité s'opère donc par la voie artistique et non pas par la raison économique.
La métaphysique des artistes et des long-voyants
Adler, comme Nietzsche, appelle l'avènement d'une “métaphysique de l'artiste” (Artistenmetaphysik). Le surhomme de la métaphysique de l'artiste est celui qui s'est auto-transcendé par la création artistique (lato sensu). Il a généré des formes éternelles, a ainsi dépassé la finitude du physique. Nietzsche évoque la nécessité de créer des institutions ou des agences capables de promouvoir les activités de ces créateurs de formes. Ces institutions doivent permettre de voir plus loin et plus clair, les deux valeurs cardinales d'une réforme profonde de l'enseignement et de la société en général sont la clairvoyance et le sens du long terme. Ceux qui participent à des cercles “long-voyants”, comme ceux d'Adler et de Pernerstorfer, doivent se former eux-mêmes et préparer l'avènement d'êtres géniaux, les aider à faire mûrir leurs œuvres. Cette optique vaut sur le plan artistique et littéraire, mais aussi sur le plan politique : il faut faire émerger une capacité de décision, étrangère et différente de l'esprit dominant de l'époque (matérialiste, positiviste, économiciste). L'optique nietzschéenne de Victor Adler entend maintenir intacte la force, la puissance des passions, génératrices de formes esthétiques ou de volontés politiques au service du Bien Commun (cette intuition du jeune Victor Adler est à mettre en parallèle avec l'œuvre de ce dissident russe, décédé trop tôt en 1992, Lev Goumilev, théoricien de la “passionalité” des peuples jeunes et dynamiques; l'estompement des passions conduisant au déclin irrémédiable).
La troisième étape du groupe “Telyn”, dans sa forme initiale, commence le 18 décembre 1878 quand est prononcée la dissolution du Leseverein. Nos jeunes hommes quittent l'Université et se réunissent dans les cafés viennois. Une partie du groupe devient activiste politique avec Adler, Pernerstorfer et Friedjung. Une autre partie décide de s'adonner à l'esthétique, avec Lipiner, von Kralik, Wolf et celui qui deviendra le grand compositeur autrichien Gustav Mahler (auquel le père de Victor Adler avait acheté son premier piano). Les esthètes se réunissent au sein du Gralbund (La Ligue du Graal), fondé en 1905, principalement sous l'impulsion de Richard von Kralik. Cette “Ligue du Graal” est in fine d'inspiration catholique, même si elle mêle à son catholicisme des éléments traditionnels non spécifiquement chrétiens.
Ainsi, les activistes s'entendent autour du “Programme de Linz”, à la fois socialiste et nationaliste, et dont les éléments “nationalistes” sont surtout portés par Friedjung, d'origine israélite. Friedjung entend défendre la langue allemande et milite pour une diminution, sinon une disparition, des taxes levées dans les classes pauvres. Parallèlement aux efforts d'Adler, Pernerstorfer et Friedjung, Georg von Schönerer, socialiste, pangermaniste et antisémite, développera une synthèse plus âpre, plus populiste. Les esthètes se veulent tout à la fois prêtres et poètes, entendent gérer la “passionalité”, la conduire sur des chemins positifs, en faire un ciment de cohésion pour le Bien Commun. Dans ce contexte, Richard von Kralik, dans le cadre du Gralbund, vise à rénover la culture européenne par un recours permanent aux idées-forces de l'antiquité, de la germanité, du christianisme médiéval et de la tradition des mystères, le tout s'inscrivant naturellement dans le cadre du national-catholicisme autrichien.
Richard von Kralik et les “esthètes pythagoriciens"
L'itinéraire de Richard von Kralik est intéressant pour saisir l'évolution des esprits et la synthèse que ceux-ci finissent par proposer dans le cadre de la culture germanique du 19ième siècle. En 1876, deux ans avant d'entrer dans le groupe de Pernerstorfer, von Kralik étudiait à Berlin chez Theodor Mommsen, le spécialiste de la Rome antique à l'époque, et assistait aux leçons de Treitschke et de Hermann Grimm. Il est socialiste, milite au parti, dévore l'œuvre complète de Ferdinand Lassalle, se frotte à l'idéologie marxiste en pleine maturation. En 1878, quand Siegfried Lipiner, ami de Wagner et futur rédacteur des Bayreuther Blätter, l'introduit dans le cercle de Pernerstorfer, il commence à lire Nietzsche, s'enthousiasme pour Wagner, de concert avec Gustav Mahler. Mais la rupture entre Nietzsche et Wagner créera une importante polarisation dans le groupe : les uns acceptent le wagnérisme mystique de la fin, curieux mixte de Schopenhauer, de théorie musicale et de mystique chrétienne, dont Kralik et Mahler. D'autres suivent les critiques de Nietzsche, estimant que Wagner avait subi une “involution”, et que le complexe idéologique de socialisme chrétien et mystique, assorti d'une option végétarienne (que Wagner déclarait “pythagoricienne”), n'avait aucun avenir, n'était qu'une illusion pseudo-religieuse parmi bien d'autres.
« L'homme fort est en mesure de créer pour lui-même une réalité idéale »
Un clivage net commence à séparer les esthètes (pythagoriciens) des activistes. Les wagnéristes végétariens, autour de Kralik, Mahler et Lipiner, considèrent comme totalement futiles les questions d'ordre politique. Richard von Kralik justifie ses positions anti-politiques par une révélation, qu'il aurait eue à la suite d'une dépression : il nie désormais l'existence d'une réalité plus parfaite au-delà du monde sensible des phénomènes. Face à la crise de son ami, Lipiner écrit à Nietzsche, au philosophe naturaliste, tellurique et mystique Gustav Theodor Fechner et à Paul de Lagarde, pour qu'ils fassent en sorte que Kralik change d'avis. Seul Lagarde répondra. Et obtiendra des résultats : Kralik admet à nouveau l'existence d'une sphère idéale transcendant la réalité quotidienne, mais le lien que cette sphère transcendante peut entretenir avec notre monde, passe par la médiation de la mythologie et de la symbolique germaniques, seules capables de faire miroiter l'idéal caché dans le réel. Mais Kralik refuse toujours la politique : «L'homme d'Etat doit savoir que toutes ses luttes ne lui apporteront aucun résultat». Finalement Kralik et Lipiner conviennent qu'aucune alternative valable ne s'offre à l'imperfection du réel; l'homme fort est en mesure de créer pour lui-même une réalité idéale. Ces positions, partagées par nos deux hommes, conduisent à la création en 1881 de la Sagengesellschaft (La Société de la Saga). Elle accueillera ceux qui, par esthétisme, refusent l'engagement politique, fuient la réalité et la sphère publique pour se consacrer à l'art. Lipiner : «Pour nous, le royaume des formes n'est pas un monde merveilleux qui existe pour que l'on s'évade de la vie; pour nous, ce monde est la vraie vie, ou, alors, rien n'est rien».
Pour un art authentique et unitaire
Richard von Kralik décrit l'objectif de la “Société de la Saga”: «L'objectif le plus important me semble le suivant : assurer à notre nation un substrat culturel épique comparable à celui qu'avaient les Grecs, les Indiens et les Perses; par ce projet, nous devons donner une unité à notre héritage de sagas sur les dieux et les héros, comme l'avaient fait Homère, Hésiode et Ferdawsi» (nous reprenons la transcription de ce nom persan, telle que nous l'a léguée Henry Corbin). Cette volonté de retrouver le noyau commun des mythologies indiennes, persanes, grecques et germaniques dérivent d'une lecture de Religion und Kunst de Wagner. La référence à la Perse vient très certainement de Gobineau. La mise en exergue du noyau commun à ces mythologies indo-européennes permettra, pensent les membres de la “Société de la Saga”, de créer un “art authentique et unitaire”. Telle est la mission qu'ils se donnent, à la suite des recommandations de leur maître Richard Wagner. Tâche évidemment titanesque. Mais Richard von Kralik ne baissera pas les bras. Successivement, il s'intéressera aux mystères médiévaux, à la constitution d'un corpus aussi complet que possible des sagas et mythes germaniques, à la quête du mythe faustien dans ses formes originelles, à la poésie de Dante, etc.
L'idéal de Kralik est de faire ré-émerger une culture régénérée, inspirée des mythes, capable de comprendre et de faire comprendre, par ses symboles, ce qui transcende les simples phénomènes. Son intérêt pour le mythe de Faust le conduit, paradoxalement, à prendre des positions anti-faustiennes et à vouloir substituer à la culture faustienne, qu'il qualifie d'aveugle et d'insatiable, une “culture du Graal”, dont Parsifal, héros wagnérien et pur idéaliste (reiner Tor), est le symbole. Cette culture du Graal correspond évidemment aux derniers idéaux de Wagner: mélange de schopenhauerisme, de mystique néo-chrétienne et de compassion bouddhiste.
(A SUIVRE DANS NOS EDITIONS QUOTIDIENNES ULTERIEURES).
06:05 Publié dans Histoire, Philosophie, Politique, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 03 juin 2007
La contribution de S. Latouche
Comprendre les temps présents: la contribution de Serge Latouche
La nostalgie fait partie intégrante de la psychologie humaine: on la retrouve partout, dans tous les milieux politiques ou intellectuels, à droite comme à gauche, où se bousculent les nostalgies de l'antiquité, du moyen-âge, de l'époque napoléonienne, de la seconde guerre mondiale, de l'URSS, etc.. A chaque fois, on regrette un monde définitivement révolu: celui de la marine à voile et de la lampe à pétrole dont parlait déjà dans une tirade devenue célèbre le Général De Gaulle qui pouvait, lui aussi, parfois avoir de sarcastiques réactions face aux pesanteurs de son époque. Ainsi certains se réfugient dans l'univers des Celtes, des Germains, dans le temps de Charles Martel ou de Jeanne d'Arc, dans les fastes du règne de Louis XIV ou dans l'épopée napoléonienne, quand ce ne sont pas les durs combats du Front de l'Est..., tous ces univers à jamais engloutis. Il faut le dire: les nostalgies de tous ordres induisent des comportements qui révèlent une difficulté à affronter ce que nous nommerons par facilité les “temps présents”. Cette attitude qui n'est pas condamnable en soi, l'appel à l'histoire, aux racines en général, me semble même être indispensable, mais seulement s'ils ne sont pas exclusifs, mais, dans le dur combat politique quotidien, se réfugier dans le passé peut très vite s'avérer fatal. Il ne faut pas non plus sombrer dans un excès de pessimisme: au moment où tout se décompose mais aussi se recompose sans cesse différemment dans le grand mouvement de la vie, tout est remis en question, les valeurs, les hommes, les institutions, les Nations même, ce qui signifie également que, pour des jeunes gens enthousiastes, des cartes intéressantes seront forcément à jouer à condition toutefois d'“être dans le coup”...
Cependant pour être, en un mot éclairant, un “intellectuel organique” (Gramsci) ou un vrai “soldat politique” efficace, il faut d'abord bien comprendre son époque, cela justement pour avoir une prise directe sur le système que nous combattons. Et certains savants, futurologues patentés œuvrant dans des instituts de prospective, tentent de faire ce travail: essayer de percevoir ce que sera demain. Il suffit d'évoquer les noms de Toffler ou de Naisbitt, pour ne citer que deux Américains, dont les travaux sont amplifiés tous azimuts par les mass-médias du globe. On peut dire, vu l'époque mouvante dans laquelle nous nous débattons que tenter d'accomplir ce travail de prospective n'est pas une tâche aisée: les paramètres se bousculent et se contredisent, se confortent et s'annulent.
Pourtant certains sociologues dressent un constat intéressant, passionnant par sa pertinence et surtout dénué de passion partisane; ils nous aident à y voir un peu plus clair dans “tout ça”... Malheureusement ils sont quasiment ignorés de les mouvances politiques non conformistes, toutes occupées à perpétuer des formes mortes, alors que leur lecture me semble bien plus importante que celle d'auteurs de chapelle disparues depuis des lustres et dont l'analyse (lorqu'elle existe) porte sur un monde qui n'est plus le nôtre. Il faut fuir les nostalgies passéistes et retrouver les temps présents. Serge Latouche peut vous y aider: la lecture de ses ouvrages est dès lors impérative! En plus, ses ouvrages sont courts et leur lecture assez facile, excepté quelques “tics” d'écriture propres au jargon de la sociologie que sécrète inévitablement toute discipline. Il est certes parfois un peu pénible de constater qu'“efficient” apparaît quatre ou cinq fois dans la même page mais c'est un inconvénient somme toute mineur si l'on tient compte du fait qu'en contrepartie il nous apporte une somme de réflexions pertinentes que l'on ne trouvera nulle part ailleurs.
Latouche et la mégamachine occidentale
Dans L'Occidentalisation du monde et La planète des naufragés, l'idée d'une mégamachine scientifique, le rouleau compresseur occidental, qui écraserait les cultures, laminerait les différences et homogénéiserait le monde au nom de la raison, un peu comme l'avait fait, voici déjà une quinzaine d'année, Guillaume Faye dans Le système à tuer les peuples, Serge Latouche nous apportant en plus une caution universitaire puisqu'il est professeur à l'Université de Paris XI (Sceaux) et à l'IEDES (Institut du développement économique et social, Paris). Ses références intellectuelles sont aussi plus profondes que celles de Faye, tant dans les disciplines scientifique, économique que philosophique, anthropologique ou historique. Contrepartie quasiment inéluctable, le style de Faye est plus vivant, plus alerte, plus métaphorique. Serge Latouche traite du monde entier dans un style certes supérieur à celui que possède en général un simple bachelier, mais sa façon de procéder (assez souvent le montage de citations) fait plus penser à Europe Tiers Monde même combat d'Alain de Benoist.
Etrange évolution que celle de cet universitaire qui à la grande honnêteté d'avouer qu'il a été “technolâtre” et qui redoute de tomber dans un autre travers: devenir “technophobe” (ces allées et venues de la technolâtrie à la technophobie sont aussi typiques de la “nouvelle droite”, où l'on a vu un de Benoist publier des couvertures ornées de fusées prométhéennes puis basculer dans une curieuse et stérile phobie de la technique, vilipender méchamment les écologistes puis les courtiser dans l'espoir de devenir un de leurs “penseurs”, pour enfin affirmer une technophobie extrême en refusant successivement l'ordinateur personnel puis les autoroutes de l'information; quant à Faye, sa vision de la technique peut être comparée sans sollicitation outrancière à celle que développait un Henri Lefèbvre). En effet, Latouche, n'affirme-t-il pas: «Nourri de l'humanisme des Lumières, sevré ensuite par le marxisme, je dois confesser avoir été un véritable adorateur du Progrès, un croyant de la Science, un adepte de la Technique. Et puis l'âge des désillusions est venu. Nous combattions pour un monde meilleur sans nous rendre compte qu'à notre insu nous contribuions à construire le “meilleur des mondes”» (allusion à la fameuse contre-utopie d'Aldous Huxley).
L'œuvre
Les chapitres de ce livre sont d'une valeur intellectuelle et d'un intérêt très inégaux: par exemple cela va d'une originalité et d'une pertinence indéniable avec le chapitre 1 intitulé «La mégamachine et la destruction du lien social», à une banalité presque de circonstance avec le chapitre 4 traitant du développement économique, mais, au total, l'ensemble demeure captivant. Il est difficile de donner un compte-rendu de cet ouvrage d'autant qu'il s'agit là de reprise de conférences données sur des thèmes variés. Cependant il s'articule autour d'un thème fédérateur et constaté par beaucoup, la dissolution du lien social à l'oeuvre dans nos sociétés avec tout ce que cela implique dans leur fonctionnement: hyperindividualisme, réification des rapports sociaux, culte de la marchandise et de l'objet, promotion de la médiocrité et de l'insignifiance, règne de la fébrilité consumériste pour combler le vide existentiel.
Le mythe du progrès
La croyance en l'idée de progrès a permis l'existence de ce système technoscientifique que l'auteur nomme “mégamachine” et qu'il définit de la sorte: «Une société ou un tel système existe, ne peut que se "détechniciser", le phénomène est irréversible du fait de l'auto-accroissement de la technique. Le système technicien ne consiste pas seulement dans le fait que la technique forme un système, mais encore que la technique englobe la totalité de l'espace de vie, il est une Mégamachine».
Comment en sommes-nous arrivé à ce stade? Où allons-nous? C'est à ces questions que tente de répondre Serge Latouche. Ainsi, comme le développement et le socialisme, qui en seront des sous-produits, le progrès, pour ses adeptes, est non seulement une réalité et un mouvement inéluctable et irréversible, mais il est souhaitable et il est bon. Cette manière de penser s'est opérée très progressivement, il s'agit du “progrès du progrès” dans sa marche irrésistible pour la conquête des mentalités, des croyances et des représentations, et dans l'“information” subséquente des comportements de l'homme moderne.
Ce progrès, tout naturel qu'il soit pour ses croyants, ne s'est imposé avec la force d'une évidence qu'après un travail de plusieurs siècles, des luttes parfois sans merci, dans la pensée et dans la vie sociale. Sans doute n'était-il pas aussi irrésistible qu'il n'y paraît. Son histoire se présente avant tout comme celle de la lente disparition des multiples “obstacles” qui encombraient sa voie.
Ces obstacles peuvent se répertorier ainsi: le mythe de l'âge d'or, la croyance en l'immuabilité des hommes et des choses (rien de nouveau sous le soleil ou “le monde va comme il va” comme disait Voltaire), la fatalité (croire au progrès et améliorer la condition humaine paraissaient impies et sacrilèges; c'était violer les “décrets de la providence”, les lois de la nature et de Dieu, un peu comme le fait d'aller contre le karma pour les hindouistes), la coutume et la routine (la satisfaction ou l'auto-satisfaction qu'une société éprouve pour l'état d'organisation et de civilisation empêche de chercher mieux), le trop grand respect de l'autorité des anciens, les préjugés, l'obscurantisme.
Le système technoscientifique
Après avoir levé tous ces obstacles, ces idéaux du progrès vont donc trouver un terrain d'application idéal dans la révolution industrielle et son système d'organisation économique, le capitalisme libre-échangiste. Latouche, qui dénonce ce système, avoue en être une “victime” obligée, tant sa perfection est grande, puisqu'il dit: «Après avoir applaudi à la mise en scène de l'accusation du progrès, chacun retourne chez soi en voiture et non à pied, tourne le commutateur plutôt que d'allumer la chandelle, prend une bière au réfrigérateur plutot que d'aller tirer de l'eau au puits, et regarde la télévision en continuant de pester contre l'abêtissement de la société du spectacle. Le culte du progrès ne passe plus par des prières ronflantes adressées à la divinité, mais par des pratiques familières entrées dans les mœurs et la revendication de nouvelles innovations pour résoudre les problèmes de dysfonctionnement engendrés par la dynamique même du progrès. Seule une catastrophe “pratique” peut dessiller les yeux des adeptes fascinés: le progrès n'est plus un choix de la conscience, mais une drogue à laquelle on s'est tous accoutumés et à laquelle il est impossible de renoncer volontairement. Cela risque même d'être dangereux si l'on accepte la leçon de Jacques Ellul. Le progrès est très exactement au-delà du bien et du mal. Seul un échec historique de la civilisation fondée sur l'utilité et le progrès peut faire redécouvrir que le bonheur de l'homme n'est peut-être pas de vivre beaucoup mais de vivre bien».
Risques majeurs et prise de conscience
Alors y a t-il encore un espoir d'échapper à cette mégamachine qui fait courir deux dangers principaux à l'humanité: le risque technologique majeur (par exemple un accident nucléaire ou une manipulation génétique mal maîtrisée toujours envisageable qui romprait définitivement l'équilibre biologique de la planète jusqu'à éliminer toute forme de vie) et la destruction de l'environnement (épuisement de la biosphère: nous ne nous étendrons pas sur ce sujet, les auteurs écologistes les ayant déjà largement diffusés)?
Sur une prise de conscience hypothétique des méfaits causés par la mégamachine dans le fonctionnement social, en dehors du désormais classique Ivan Illitch sur le faux progrès (l'exemple du “système automobile” lorsque l'on calcule les heures passées à la construction, à la conduite, aux réparations matérielles et humaines... donnait la vitesse réelle de 6 kilomètres à l'heure, soit celle des croisades), Serge Latouche résume les thèses mises en avant par Philippe de Saint-Marc. Celui-ci étaye sa démonstration en évaluant le degré de bonheur à partir de divers indices (suicide, drogue, etc...) et qui démontreront que les Français sont moins heureux aujourd'hui qu'il y a quelques décennies. Ainsi écrit-il en 1994: «Imaginons demain une France où il n'y ait plus que deux cent mille chômeurs, où la criminalité soit réduite des quatre cinquièmes, les hospitalisations pour troubles psychiatriques des deux tiers, les suicides des jeunes diminuent de moitié, la drogue disparaisse: n'aurions-nous pas l'impression d'une merveilleuse embellie humaine?».
Tous ces indices qui commencent à être connus d'une fraction croissante de la population et qui ne cessent de s'aggraver dans tous les domaines dressent un portrait terrifiant de notre actuelle civilisation. Mais le mythe du progrès comme son corollaire la technique sont mal déterminés et cette indétermination est la source même de sa puissance et de sa prégnance dans l'imaginaire. Ainsi, les trois inconvénients principaux causés par la mégamachine (risques technologiques majeurs, problèmes d'environnement, dissolution du lien social débouchant sur les pathologies de la civilisation) justifient amplement notre objection de conscience systématique face au système, ses institutions, ses rouages économiques et politiques.
Devons-nous pour autant partager les conclusions désabusées d'Ellul lorsque celui-ci citait le romain Tacite: «La faiblesse de la nature humaine fait que les remèdes viennent toujours plus tard que les maux»? Et n'y a-t-il pas des maux qui sont déjà irréversibles, des pentes glissantes qui peuvent nous mener dans un gouffre dont on ne sortira plus?
Aussi, dans la situation actuelle, il est difficile d'imaginer une alternative. Cependant un effondrement est toujours possible (voir récemment celui du mur de Berlin et de l'Union Soviétique qui, avec sa machine techno-bureaucratique, s'est révélée tout-à-fait contre-performante et finalement très fragile en dépit des apparences). Serge Latouche croit en une telle issue lorsqu'il écrit: «La fin de la civilisation occidentale parait inévitable non seulement parce notre civilisation est mortelle, mais également parce qu'elle peut se lire dans les limites et les échecs de l'occidentalisation. La civilisation du progrès porte en elle-même les germes de sa propre destruction. Certes, à moins d'être prophète, il n'est possible de prévoir ni le jour, ni l'heure, ni même la forme. Il n'est nulle nécessité que cette chute soit fracassante ou apocalyptique. La décomposition peut se faire en douceur. Peut-être a-t-elle déjà commencé à notre insu. Crépuscule des Dieux ou paisible coucher du soleil, il est imprudent de dire comment adviendra cette décadence qu'il nous est à la fois impossible de souhaiter et immoral d'empêcher. On pourrait provisoirement conclure comme Jean-Jacques Rousseau dans sa lettre au roi de Pologne: “il n'y a plus de remède, à moins de quelque grande révolution presque aussi à craindre que le mal qu'elle pourrait guérir, et qu'il est blamable de désirer et impossible de prévoir”».
Dans la galaxie intellectuelle, quelque part entre Spengler, Lorenz, Heidegger et Huxley, Serge Latouche s'inquiète des perspectives sombres qui s'offrent à l'humanité. Parues voici deux ans, les conclusions de son livre semblent se confirmer sur le terrain: les indicateurs du système sont partout dans le rouge, la mégamachine tourne dans le vide, en France, un nouveau gouvernement socialiste se retrouve dans l'incapacité totale de mettre en application son programme, les dirigeants, réduits à l'impuissance, multiplient alors les initiatives stupides... Comme Guy Debord, Latouche semble croire “à la chute inéluctable de cette cité d'illusion”... Alors c'est pour quand les derniers jours?
Pascal GARNIER.
Serge LATOUCHE, La Mégamachine. Raison techno-scientifique, raison économique et mythe du progrès. Essais à la mémoire de Jacques Ellul, Editions la Découverte/MAUSS, Paris, 1995, 243 p. 139 FF.
06:10 Publié dans Philosophie, Sociologie | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
L'emblème démocratique
François de BERNARD : L'emblème démocratique
Editions Mille et Une Nuits, ISBN 2-84205-321-4, 1998, 2 Euro.
Nous n'avons pas affaire à une démocratie, nous dit François de Bernard, mais à un "gouvernement du petit nombre", dissimulé sous le masque de la démocratie. Le discours "démocratique" serait donc pur décorum, destiné à masquer une pratique oligarchique (Roberto Michels!), qui correspond à la domination de l'économie, qui atteint son apogée à l'ère de la globalisation voulue et forcée. Mais cette oligarchie à masque "démocratique" ne fonctionne que si elle garantit à tous un niveau de vie convenable et offre des perspectives d'avenir meilleur. A partir de 1975 environ, on a expliqué les ressacs visibles de l'économie par des "facteurs extérieurs", dont l'oligarchie ne pouvait être tenue pour responsable: le choc pétrolier (la faute aux Arabes!), les sacrifices exigés pour une unification européenne censée apportée ultérieurement tous les bienfaits, ensuite, même sacrifices exigés pour réussir la panacée des panacées : la globalisation. Or la globalisation doit abattre les barrières politiques (étatiques, protectionnistes, etc.) qui s'opposent à elle; par conséquent, elle doit rendre caduques bon nombre de lois, si bien qu'elle se rapproche insidieusement de la tyrannie, que Léo Strauss qualifiait à juste titre de "gouvernement sans lois", parce que non basé sur le consentement des peuples (et, ajouterions-nous, en conflit permanent avec les héritages historiques, quels qu'ils soient). Donc le fondement de la tyrannie en marche aujourd'hui n'est pas une forme ou une autre de dictature (personnelle ou commissariale, pour reprendre la terminologie de Carl Schmitt), mais un drôle de mixtum compositum de libéralisme sans frein (donc sans lois, donc tyrannique en bout de course) et de bureaucratisme dirigiste. En apparence, ces deux piliers affichent des idéologies contradictoires, mais ont un point commun, nous explique François de Bernard, celui de briser sans scrupule aucun les résistances populaires pour atteindre les objectifs fixés. Il observe également que les concepts clefs de ces deux idéologies sont instrumentalisés tour à tour au gré des opportunités et de l'intérêt immédiat des oligarchies: tantôt on vante —et on vend!— la flexibilité, tantôt une dose supplémentaire d'Etat dans un domaine bien circonscrit, tantôt une "troisième voie" à la Blair, etc. Les oligarchies dominantes détruisent, créent et recréent des lois, qu'elles défont ensuite, diffusant de la sorte un flou juridique constant qui laisse les citoyens, sujets théoriques du politique, complètement perplexes et désorientés. Le principe "nul n'est censé ignorer la loi" est désormais nul et non avenu : les lois existent parce qu'elles sont connues de tous, à partir du moment où il y a trop de lois, où il y a inflation de règlements, nous débouchons dans une situation de tyrannie, car cela équivaut à une absence de lois et celles-ci sont effectivement absentes si elles ne sont pas d'emblée dans la tête des citoyens. Xénophon : «La conséquence pratique de l'absence de lois, c'est l'absence de liberté». Un petit livre à lire, à méditer, pour ne pas être dupe, pour apprendre à nos interlocuteurs qu'il ne faut pas l'être.
06:05 Publié dans Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 31 mai 2007
Pour la Vie, contre les structures abstraites!
Intervention lors de la 8ième Université d'été de "Synergies européennes", Trente, juillet 1998
Pour la Vie, contre les structures abstraites !
Par Maître Jure VUJIC
Que signifie au juste la revendication de la vie face aux structures abstraites? Dans le cadre d'une approche philosophique, cela conduit vers une intention de réduire la portée des démarches de la pensée consciente et de ses médiations, et de potentialiser celle de l'inconscient ou de la vie immédiate par une saisie de la réalité humaine en deça des formes et des constructions sociales et politiques artificielles et abstraites par essence, des traditions historiques désuètes et des cristallisations culturelles stériles.
Cette démarche philosophique que l'on pourrait qualifier soit d'“irrationaliste” soit de “vitaliste” sous-entend même l'importance de la philosophie de Kant constatant les limites de la raison théorique et dont les prolongements critiques engendrent un double courant: l'un axé sur la volonté morale et sur une dialectisation de la raison (Fichte et Hegel) qui débouche par réaction dans le marxisme et le “matérialisme dialectique”; l'autre, qui revendique l'immédiateté de la vie, l'intuitionisme et le primat de l'instinct, procède du courant de pensée engendré par Schopenhauer, véritable père de l'irrationalisme contemporain, et trouve ses ramifications philosophiques chez Nietzsche, Jung, Adler et même Freud, l'existentialisme français de Sartre et la philosophie existentielle de la vie que l'on retrouve chez Bergson, Schelling, Kierkegaard, Maurice Blondel. L'école allemande, avec Wilhelm Dilthey, G. Misch, B. Groethuysen, Ed. Spranger, Hans Leisegang, A. Dempf, R. Eucken, E. Troeltsch, G. Simmel, ainsi que la philosophie naturaliste de la vie d'Oswald Spengler et Ludwig Klages.
Le dénominateur commun que l’on retrouve dans chacun de ces courants de pensée hétéroclites et qui réside dans la revendication du principe de vie face au constructivisme abstrait, étant donné la diversité des perspectives qui l’expriment, ne se laisse pas enfermer dans un schéma d’interprétation global à la manière dont procède Georges Lukacs, le célèbre marxiste hongrois, qui considère la pensée irrationaliste allemande comme typiquement bourgeoise et « réactionnaire », en tenant pour définitivement acquis que l’histoire des idées est subordonnée à des forces primaires agissantes : situation et développement des forces de production, évolution de la société, caractère de la lutte des classes, etc…
Ce qui est certain, c’est que ce courant de pensée vitaliste ou « irrationaliste » remet en question l’idée de progrès historique, la linéarité et le mythe progressiste, et qu’il représente ainsi la contrepartie du courant de pensée qui, du XVIIIième siècle français à travers Kant et la révolution française, débouche dans la dialectique hégélienne et marxiste ; contrepartie dans la mesure où il déprécie le pouvoir de la raison, que ce soit en contestant l’objectivité du réel, que ce soit en réduisant la connaissance intellectuelle à son efficacité technique, que ce soit en se réclamant d’une saisie mystique de la réalité « absolue », décrétée irrationnelle dans son essence. La lutte contre l’abstraction et la raison a des formes aussi variées que les motivations qui l’engendrent. Elle peut notamment aboutir à faire un principe de la notion d’absurde qui a surgi chez Schopenhauer et plus tard chez Cioran.
De Leibniz à Kant et Schopenhauer
A l’opposé du rationalisme de la pensée occidentale, du principe de raison suffisante énoncé par Leibniz, du cartésianisme, la revendication de la vie dont Schopenhauer se fera le principal promoteur, sous-entend que l’intelligence ou la raison n’est pas à la racine de toute chose, qu’elle a surgi d’un monde opaque, et que les principes qu’elle introduit demeurent irrémédiablement à la surface de la réalité, puisqu’ils lui sont, comme l’intelligence elle-même, surajoutés. Le corollaire d’une telle conception est que la réalité qui fonde toutes les existences particulières est elle-même sans fondement, sans raison, sans cause (générale), que notre manière de raisonner, dès lors, est valable seulement pour ce qui est des rapports que les êtres et les choses entretiennent dans l’espace et dans le temps.
Au-delà d’un impératif absolu de la loi morale de type kantien, qui fonde le constructivisme de type ontologique et abstrait, Schopenhauer se fait le chantre d’une sourde impulsion à vivre, antérieure à toute activité logique, que l’on peut saisir au plus profond de soi-même pour une appréhension directe avant sa déformation abstraite dans les cadres de l’espace et du temps, et qui se révèle comme une tendance impulsive et inconsciente. Schopenhauer, dans sa réflexion, reprend des motifs hérités du « divin Platon » dans l’allégorie de la caverne qui nous révèle que le monde que nous percevons est un monde d’images mouvantes.
Schopenhauer et le « Voile de Maya »
D’autre part, il empruntera à la tradition de l’Inde l’idée que les êtres humains sont enveloppés dans le « voile de Maya », c’est-à-dire plongés dans un monde illusoire. Schopenhauer restera persuadé que les fonctions psychiques ne représentent, par rapport à la réalité primaire et absolue du vouloir-vivre (Wille zum Leben) qu’un aspect secondaire, une adjonction, une superstructure abstraite. A la tentation de l’illusoire, de l’abstrait et de l’absurde, que l’on menait vers un pessimisme radicale, Schopenhauer proposait le remède de la négation du vouloir-vivre, une forme supérieure d’ascétisme.
A l’idée d’humanité, qui lui paraît absurde, il oppose des « modèles » éternels qu’il empruntera au platonisme. Cet emprunt lui sert à expliquer les types de phénomènes du vouloir dans l’espace et dans le temps, phénomènes reproduisant incessamment des modèles, des formes, des idées éternelles et immuables. Il y a des idées inférieures, ou des degrés élémentaires, de la manifestation du vouloir : pesanteur, impénétrabilité, solidité, fluidité, élasticité, magnétisme, chimisme ; et les idées supérieures qui apparaissent dans le monde organique et dont la série s’achève dans l’homme concret.
Transformant la primauté du vouloir-vivre schopenhauerien en primauté de la volonté de puissance, opposant au renoncement préconisé par Schopenhauer une affirmation-glorification de la volonté, Nietzsche se fait l’annonciateur de l’homme vital, de l’homme créateur de valeurs, de l’homme-instance-suprême, en même temps que de grands bouleversements qui préfigurèrent le nihilisme européen du XXième siècle. Et cela, au temps du positivisme abstrait et du constructivisme, c’est-à-dire à un moment où la prudence l’emporte et où la vie humaine paraît confortablement ancrée dans des institutions sécurisantes. Sur le chemin où l’homme européen s’est trouvé engagé jusqu’à présent, déterminé par l’héritage de l’Antiquité et par l’avènement du christianisme, la revendication de la vie chez Friedrich Nietzsche qui, par sa critique radicale et impitoyable de la religion, de la philosophie de la science, de la morale s’exprime à travers sa phrase lancinante : « Je ne suis pas un homme, je suis de la dynamite ».
Nietzsche : vitalisme et tragique
Le vitalisme de Nietzsche se révélera tout d’abord dans son œuvre La naissance de la tragédie, puis à travers la dichotomie qu’il institue entre l’esprit apollinien, créateur d’images de beauté et d’harmonie, et l’état dionysiaque, sorte d’ivresse où l’homme brise et dépasse les limites de son individualité. Apollon, symbole de l’instinct plastique, dieu du jour, de la clarté, de la mesure, force plastique du rêve créateur ; Dionysos, dieu de la nuit, du chaos démesuré, de l’informe, est pour Nietzsche le grand élan de la vie qui répugne à tous les calculs et à tous les décrets de la raison. Les deux figures archétypales sont pour Nietzsche la révélation de la nature véritable de la réalité suprême, l’antidote contre les structures existentielles et psychologiques abstraites et sclérosées. C’est dans cette optique que Nietzsche condamnera la révolution rationnelle de Socrate, dont il pense qu’elle a tué l’esprit tragique au profit de la raison, de l’homme abstrait et théorique.
Pour Nietzsche, être forcé de lutter contre les instincts, c’est la formule de la décadence : tant que la vie est ascendante, bonheur et instinct sont identiques. Avec Socrate et, après lui, le christianisme venant aggraver le processus, l’existence s’est, selon Nietzsche, banalisée sur la base d’un immense malentendu qui réside dans la morale chrétienne de perfectionnement, ce que Deleuze nommera plus tard la morale des dettes et des récompenses.
Ce que Nietzsche veut dévoiler, c’est la toute-puissance de l’instinct, qu’il tient pour fondamental : celui qui tend à élargir la vie, instinct plus fort que l’instinct de conservation tendant au repos, que la crainte alimente et qui dirige les facultés intellectuelles abstraites. La volonté créatrice chez l’individu est ce par quoi il se dépasse et va au-delà de lui-même ; il s’agit de se transcender et de s’éprouver comme un passage ou comme un pont. Le vitalisme de type héroïque conduira Nietzsche à dénoncer le nihilisme européen en y contribuant par sa philosophie « à coups de marteau » à se faire, à coups d’extases, l’annonciateur du surhomme et de l’Eternel retour face à l’homme abstrait et théorique et au mythe progressiste de l’humanité.
C’est ce qui fera dire à l’écrivain grec Nikos Kazantzaki qui appellera Nietzsche le « grand martyr », parce que Nietzsche lui a appris à se défier de toute théorie optimiste et abstraite.
Freud, apologiste des instincts vitaux
Avec Freud, nous pouvons quitter le domaine de la philosophie puisqu’il s’agit d’un médecin spécialisé en neuro-psychiatrie, dont toutes les théories en appellent à son expérience clinique. Mais il convient d’observer que les deux plans, celui de la réflexion philosophique et celui des sciences humaines ne peuvent être séparée abstraitement. Freud forgera, pour qualifier l’élargissement de ses théories, le terme de métapsychologie, en estimant que la réalité qu’il désigne est celle des processus inconscients de la vie psychique, qui permet de dévoiler ceux qui déterminent, par projection, les constructions métaphysiques. Freud, irrationaliste au sens ontologique du terme et apologiste des instincts vitaux du subconscient humain restera néanmoins un pessimiste biologique.
C’est ainsi qu’au regard des deux grands dissidents de la psychanalyse qu’il a créée, son pessimisme diffèrera de la confiance d’Adler dans la force ascensionnelle de la vie, comme de la vague nostalgie d’un paradis perdu qui imprègnera la pensée de Jung. Pour Adler, le besoin de s’affirmer chez l’être humain reste prédéterminant dans sa pensée, la vie est une lutte dans laquelle il faut nécessairement triompher ou succomber. Face aux abstractions de la raison qui nous menacent, la poussée vitale, ne peut être valablement appréhendée que d’une manière dynamique sous la forme de tendances, d’impulsions, de développement. L’essentiel pour comprendre l’être humain, ce n’est pas la libido et ses transformations, c’est la volonté de puissance sous ses formes diverses : auto-affirmation, amour-propre, besoin d’affirmer son moi, besoin de se mettre en valeur.
L’idée de communauté chez Adler
Adler identifie au sentiment social la force originelle qui a présidé à la formation de buts religieux régulateurs, en parvenant à lier d’une certaine manière entre eux les êtres humains. Le sentiment représente avant tout pour lui une tendance vers une forme de collectivité qu’il convient d’imaginer éternelle. Quand Adler parle de la communauté, il ne s’agit jamais pour lui d’une collectivité abstraite de type sociétaire actuel, ni d’une forme politique ou religieuse déterminée. Il faut entendre le terme au sens d’une communauté organique idéale qui serait comme l’ultime réalisation de l’évolution chez Carl Gustav Jung ; le pouvoir des archétypes n’est que la projection de l’affirmation de la vie face à la superstructure psychologique conditionnée par les contingences externes et abstraites.
Jung : l’inconscient originaire, source de vie
Jung dispose d’une véritable « vision du monde » à partir de données intrapsychiques et qui sont à la base de sa métapsychologie, ainsi que de sa psychologie analytique. Jung insiste sur l’origine même de la conscience, émergence dont il pense qu’elle s’est lentement développée par retrait des projections, ainsi que sur l’autonomie créatrice d’un inconscient impénétrable par un outillage biologique. Toutes ses élucidations sont inscrites dans la perspective d’un inconscient originaire, source de « vie », d’une ampleur incommensurable, et d’où surgit quelque chose de vrai. Pour lui, aucune théorie ne peut vraiment expliquer les rêves, dont certains plongent dans les profondeurs de l’inconscient. Il faut les prendre tels qu’ils sont : produits spontanés, naturels et objectifs de la psyché qui est elle-même la mère et la condition du conscient.
La doctrine de Jung postule l’existence de l’inconscient collectif, source des archétypes qui manifestent des images et des symboles indépendants du temps et de l’espace. Pour Jung, le psychisme individuel baigne dans l’inconscient collectif, source primaire de l’énergie psychique à l’instar de l’élan vital de Bergson. Selon Jung, l’homme moderne qui se trouve plongé dans des virtualités abstraites, a eu le tort de se couper de l’inconscient collectif, réalité vitale et objective, ce qui aurait creusé un hiatus entre savoir et croire.
Animisme, instinctivisme, symbolique ontologique
La sagesse jungienne débouche sur un anti-modernisme dont la condition de validité est que le monde eût été meilleur dans les époques à mentalité magique, qui privilégiait l’animisme, l’instinctivisme et le symbolisme ontologique par rapport au rationalisme abstrait et empirique des temps modernes. Avant d’aborder une succincte présentation de la philosophie à proprement parler existentielle, il convient de faire un détour sur une certaine forme d’irrationalisme philosophique que l’on peut qualifier d’existentialisme ou d’humanisme crispé et dont la figure de proue reste Jean-Paul Sartre.
La raison dialectique, issue de la révolution française, de Hegel à Marx, implique une critique de la raison classique, plus spécifiquement de la manière dont celle-ci concevait les principes d’identité et de non-contradiction ; et sa visée n’est plus de se détacher de la réalité historique et sociale pour la penser en dehors du temps, mais, au contraire, d’exprimer l’orientation même de cette réalité. C’est ainsi que Karl Marx décrétait, dans ses fameuses thèses sur Feuerbach, qu’il ne s’agit plus d’interpréter le monde, mais de le transformer.
Sartre et la totale liberté de l’homme
Ces remarques visent à situer l’attitude de Jean-Paul Sartre, philosophe existentialiste de l’engagement et de la liberté, hostile à tout retrait hors de la réalité historique et sociale. Promoteur au départ d’une conception irrationaliste de la liberté, il a voulu, à partir d’elle, exercer une action politique et sociale révolutionnaire, ce qui l’a forcément conduit à se rapprocher du courant de pensée communiste. Dans L’Etre et le Néant, Sartre entreprend de démonter la totale liberté de l’homme. Il veut prouver que la liberté humaine surgit dans un monde « d’existants bruts » et « absurdes ». La liberté, c’est l’homme lui-même et les choses au milieu desquelles elle apparaît : lieu, époque, etc., constituant la situation. Lorsque Sartre nous dit que l’homme est condamné à la vie et à la liberté, il faut entendre que celle-ci n’est pas facultative, qu’il faut choisir incessamment, que la liberté est la réalité même de l’existence humaine.
Quant aux choses abstraites dans lesquelles cette liberté se manifeste, elles sont contingentes au sens d’être là, tout simplement, sans raison, sans nécessité. Il y a donc pour Sartre, sur le plan ontologique, une dualité radicale entre la liberté (le pour-soi) et le monde (l’en-soi). Il n’en demeure pas moins que l’engagement marxiste-léniniste de Sartre dénote chez lui une certaine intégration dans les circuits abstraits d’une idéologie contestatrice pour ses débuts ; et réactionnaire dans l’après-68.
Chez Sartre, l’existentialisme consistait à intégrer dans le souci d’exercer une action politique et sociale et de la justifier, l’apport du courant hégélo-marxiste à une théorie ayant d’abord consacré le primat de la vie immédiate comme liberté absolue au sein d’une réalité parfaitement opaque ; effort qui confère à son humanisme une singulière crispation et le conduit irrémédiablement dans les méandres de l’abstraction idéologique.
A l’instar de cet existentialisme de type sartrien, la « philosophie de la vie » qui se développera du 19ième au 20ième siècle en Allemagne et en France privilégie les notions de vitalisme, de personnalisme, d’irréversibilité, d’irrationnel par rapport au statisme, à la logique, à l’abstrait, à la généralité et au schématisme. C’est dans ce courant de pensée que s’inscrit Henri Bergson, promoteur de l’idée « d’élan vital », qui s’oppose au mécanicisme, au matérialisme et au déterminisme.
L’Etre est conçu comme une force vitale qui s’inscrit dans son propre rythme, dans une donnée ontologique spécifique. L’intuition reste l’impératif pour tout être humain pour appréhender l’intériorité et la totalité. La vie reste et transcende la matière, la conscience et la mémoire et appelle l’élan d’amour qui seul est à même de valoriser l’intériorité, la liberté et la volonté créatrice.
Le vitalisme de Maurice Blondel
Le vitalisme de Maurice Blondel réside dans l’affirmation et la suprématie de l’action qui est la véritable force motrice de toute pensée. On peut déceler dans les conditions existentielles de l’action l’interaction d’une pensée cosmique, et Blondel proclamera que la vie « est encore plus que la vie ». Parallèlement à ce courant de pensée français s’insérant dans la philosophie de la vie, se développera une philosophie de la vie purement allemande, de type scientifico-spirituel, qui appréhendera le phénomène de la vie dans ses formes historiques, spirituelles et constituant une véritable école d’interprétation des phénomènes spirituels dans le cadre de la philosophie, de la pédagogie, de l’histoire et de la littérature.
Wilhelm Dilthey assimilera le phénomène de la vie sans a priori métaphysique au concept de la « compréhension » (Verstehen), avec des prolongements structuralistes et typologiques. Dans le sillage de son école se distingueront des penseurs tels que G. Mische, B. Groethuysen, Ed. Spranger, Hans Leisegang, A. Dempf. Dans cette continuité, Georg Simmel concluera que la vie, qui est par essence informe, ne peut devenir un phénomène que lorsqu’elle adopte une forme, ce qui suppose qu’elle doit elle-même se transcender pour être au-dessus de la vie. Dans le cadre de l’école structuraliste de la philosophie de la vie allemande, s’illustreront Oswald Spengler, qui décrivit le déclin de l’Occident comme une morphologie de l’histoire de l’humanité, et surtout Ludwig Klages, qui prophétisera la ruine du monde au nom de la suprématie de l’esprit, car l’esprit étant l’ennemi de la vie anéantit la croissance et l’épanouissement de la nature innocente et originelle.
De Chateaubriand à Berdiaeff
Chateaubriand disait, dans Les Mémoires d’Outre-tombe : « La mode est aujourd’hui d’accueillir la liberté d’un rire sardonique, de la regarder comme une vieillerie tombée en désuétude avec l’honneur. Je ne suis point à la mode, je pense que, sans la liberté, il n’y a rien dans le monde ; elle donne du prix à la vie ; dussé-je rester le dernier à la défendre, je ne cesserai de proclamer ses droits ». Nul autre penseur et écrivain que Nicolas Berdiaeff, le mystique aristocrate russe du 20ième siècle ne donnera autant de résonance à ces paroles en insistant constamment sur l’étroite correspondance entre la liberté et l’impératif de la vie face aux diverses séductions des strucures abstraites de la pensée, de la psychologie, de l’idéologie qui engendrent diverses formes d’esclavagisme. L’homme est tour à tour esclave de l’être, de Dieu, de la nature, de la société, de la civilisation, de l’individualisme, de la guerre, du nationalisme, de la propriété et de l’argent, de la révolution, du collectivisme, du sexe, de l’esthétique, etc.
Les mobiles internes de la philosophie de Berdiaeff restent constants depuis le début : primauté de la liberté sur l’être, de l’esprit sur la nature, du sujet sur l’objet, de la personne sur le général et l’universel, de la création sur l’évolution, du dualisme sur le monisme, de l’amour sur la loi. La principale source de l’esclavage de l’homme et du processus engendré par l’abstraction et l’illusion constructiviste réside dans l’objectivation et la socialisation à outrance de l’Etre, dans l’atomisation sociétaire et indivi-dualiste qui détruit les formes organiques de la communauté ; cette dernière est fondée sur l’affirmation de l’idée personnaliste et authentiquement aristocratique, donc différencialiste ; l’affirmation de la qualité en opposition avec la quantité, la reconnaissance de la primauté de la personne impliquant bien celle d’une inégalité métaphysique, d’une diversité, celle des distinctions, la désapprobation de tout mélange.
Berdiaeff, en dénonçant toute forme de statolâtrie, a considéré que la plus grande séduction de l’histoire humaine est celle de l’Etat dont la force assimilante est telle qu’on lui résiste malaisément. L’Etat n’est pas une personne, ni un être, ni un organisme, ni une essentia ; il n’a pas son existence propre, car il n’existe que dans et par les hommes dont il se compose et qui représentent, eux, de vrais centres existentiels. L’Etat n’est qu’une projection, une extériorisation, une objectivation des états propres aux hommes eux-mêmes. L’Etat qui fait reposer sa grandeur et sa puissance sur les instincts les plus bas peut être considéré comme le produit d’une objectivation comportant une perte complète de la personnalité, de la liberté et de la ressemblance humaine. C’est l’expression extrême de la chute. La base métaphysique de l’anti-étatisme chez Berdiaeff est constituée par le primat de la vie et de la liberté de l’être, de la personne, sur la société.
Miguel de Unamuno et l’homme concret
Dans le prolongement de Berdiaeff, et pour conclure, Miguel de Unamuno, dans son œuvre Le sentiment tragique de la vie, proclamera la suprématie de la concrétude de la personne face à l’humanité abstraite par cette phrase : « Nullum hominem a me alienum puto ». Pour lui, rien ne vaut, ni l’humain ni l’humanité, ni l’adjectif simple ni le substantif abstrait, mais le substantif concret : l’homme. L’homme concret, en chair et en os, qui doit être à la base de toute philosophie vraie, qui se préoccupe du sentimental, du volitionnel, de la projection dans l’infini intérieur de l’homme donc de la vie et d’un certain sentiment tragique de la vie qui sous-entend le problème de notre destinée individuelle et personnelle et de l’immortalité de l’âme.
Maître Jure VUJIC.
06:05 Publié dans Définitions, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 30 mai 2007
De Feuerbach à Nietzsche
De Feuerbach à Nietzsche : réhabilitation des sens et des corps
Analyse : Wolfgang WAHL, Feuerbach und Nietzsche. Die Rehabilitierung der Sinnlichkeit und des Leibes in der deutschen Philosophie des 19. Jahrhunderts, Ergon Verlag, Würzburg, 1998, DM 84, ISBN 3-932004-93-0.
La pensée occidentale conventionnelle est nettement marquée par un rejet des corps et des sens. Wolfgang Wahl constate pourtant que cette tradition (sinistre) a été rejetée, tacitement ou implicitement, par toute la pensée européenne, tout au long de sa trajectoire, car elle a sans cesse exprimé le souci de replacer l’homme dans la vie et de le soustraire aux chimères intellectualistes. Wahl ne pense pas que le rejet de l’intellectualisme débouche automatiquement sur un refus de l’esprit et de la raison. Mais, a contrario, débouche sur l’affirmation d’un autre type de raison, plus en prise avec les variations du monde vivant, les hautes et les basses intensités de la vie, les perspectives chaque fois différentes que nous imposent toute pérégrination et toute quête dans le monde réel. Pour Wahl, de Montaigne au XVIIIième siècle, la France et l’Angleterre ont aligné des philosophes sensualistes et vitalistes, bien avant l’Allemagne, pays plus longtemps soumis à la censure et à la répression. Néanmoins, le détour par la mystique chrétienne (Jacob Böhme, Christoph Oetinger), permet à la culture germanique au début du XIXième de déployer une réhabilitation plus profonde et plus achevée du corps et des sens. Alexander Gottlieb Baumgarten, philosophe des Lumières, développe dans Aesthetica (1750-58, deux vol.), non pas une simple théorie de l’art, mais une scientia cognitionis sensitivae, où les sens ne sont plus posés d’office comme des affects à la source de l’erreur, mais comme constitutifs du processus de cognition, comme analogon de la raison intellectuelle. Même si Kant apparaît souvent comme l’exemple par excellence du « refoulement du corps » et attribue aux sens un rôle purement passif et réceptif dans le processus de la connaissance, une analyse précise de son œuvre nous permet d’entrevoir chez lui déjà, avant l’éclosion de tout le vitalisme affiché du XIXième siècle philosophique allemand, une réhabilitation timide des sens, car Kant, en effet, leur accorde une place précise et incontournable dans le travail de consolidation de la pensée. Kant ira plus loin, nous rappelle Wahl : dans sa théorie dynamique de la matière (in : Allgemeine Naturgeschichte und Theorie des Himmels, 1755), il amorce une théorie de la connaissance reposant sur la sensibilité propre du corps. Dans son Opus postumum, le corps est défini comme condition a priori de l’expérience ; cette définition, posée par un philosophe rigoureux, rationnel jusqu’à la caricature et dualiste, ouvre la porte à toutes les futures affirmations vitalistes. C’est donc dans le corpus et dans l’œuvre posthume du rationaliste le plus emblématique que s’enracine la contestation la plus évidente de ce rationalisme et de ses enfermements. La conception dynamique de la matière chez Kant suscitera l’intérêt croissant des philosophes de l’ère romantique, dont le plus précis et le plus systématique sera Schelling, par ailleurs lecteur attentif de Böhme et Oetinger. Schelling inclut l’homme dans la théorie kantienne de la matière dynamique, alors que le philosophe solitaire de Königsberg gardait l’homme en dehors de cette dynamique. Avec Schelling et ses disciples, le monde devient un organisme : la nature n’est plus une masse de choses mortes, pur objet et pur produit, natura naturata, mais un Tout systémique et unitaire, une force vitale primordiale en devenir constant, une natura naturans, matrice d’une activité absolue et infinie. Le moi reconnaît ce Tout, cette force primordiale et cette activité incessante avec émerveillement et se languit d’y participer. Son corps et ses sens ont participé à cet élan de reconnaissance et ont poussé le moi à se plonger dans ce réel effervescent. La Nature, le Moi, le réel et la raison ne font qu’un. La liberté consiste à accepter cette unité et à y participer joyeusement. Pour Feuerbach et pour Nietzsche, la raison autonomisée, détachée de la Nature et des pulsions du Moi, est un leurre, une négation du témoignage des sens. Le Moi est d’abord un corps qui ressent, voit, sent, entend, palpe et goûte (pluralité que défend aujourd’hui Michel Onfray en France). Toute une métaphysique et toute une ontologie ont nié cette présence aprioristique et incontournable du corps et des sens. La philosophie doit donc retrouver la pan-imbrication de tout dans tout et de tout dans le Tout, c’est-à-dire retrouver le tantra (car tantra signifie « tissage »), que constatent les sens du corps et que nie l’intellect désincarné. Le retour à la pan-imbrication permet de saisir et d’appréhender la pluralité du réel, d’accepter joyeusement (le « gai savoir ») sa constitution faite de couches multiples qui se chevauchent et/ou se superposent et/ou se compénètrent. Ce « gai savoir » induit l’application de pratiques plus souples et mieux modulées en tous domaines de l’activité humaine. Comme l’écrit Merleau-Ponty, héritier de ce recours aux corps et aux sens : « Le monde n’est pas ce que je pense, mais ce que je vis ; je suis ouvert au monde, indubitablement je communique avec lui, mais il n’est pas ma propriété, il est inépuisable (…). La philosophie, c’est en vérité apprendre à voir le monde sous un angle toujours nouveau et, de ce fait, une simple narration —une histoire narrée— peut révéler le sens du monde aussi “profondément” qu’un traité de philosophie » (Robert Steuckers).
06:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Merleau-Ponty: la chair du politique
Myriam REVAULT D'ALLONNES : Merleau-Ponty - La chair du politique
Michalon, Coll. "Le Bien Commun", ISBN 2-84186-150-3, 2001, 8,99 Euro.
Approche captivante de l'œuvre de Merleau-Ponty, l'homme qui a voulu donner substance à la pensée et à la politique. Les questionnements des années 50 sont bien oubliés de nos jours, tant on les trouve désormais lassants et sans objet. Cependant, la volonté de Jacques Merleau-Ponty "d'inscrire la politique et l'histoire dans la 'chair du monde'", afin de s'interdire "toute clôture doctrinale" où le politique est conçu d'emblée et sans appel comme "entièrement maîtrisable". On le voit, un retour rétrospectif aux questionnements de Merleau-Ponty permettrait, à ceux qui ne sont pas paresseux et ne reculent pas devant la tâche ardue de travailler une philosophie au langage difficile, de fustiger les clôtures de la "pensée unique", dont Sartre fut en quelque sorte un pionnier, après avoir abandonné son existentialisme libertaire, sa critique des masques hypocrites, etc. (c'est dans ce sens que le pitre Bernard-Henry Lévy réhabilite Sartre et lui consacre un gros ouvrage : Lévy se place délibérément dans le sillage du Sartre figé et donneur de leçon, contre Merleau-Ponty, professeur de réalisme). Dans un langage chaleureux, mais clair, limpide et rigoureux, Myriam Revault d'Allonnes, va droit au but, presque à chaque page : ""Revenir aux choses mêmes" [comme le préconisait Merleau-Ponty], c'est retrouver le premier contact avec le monde, le contact "naïf" auquel on redonnera un statut philosophique" (p.19). Ou encore : ""Comprendre" n'est pas de l'ordre de la pure intellection : le monde est d'abord ce que je vis et non ce que je pense. Je "communique" avec lui, mais je ne le possède pas car il est "inépuisable"" (p. 20). Mieux : "La philosophie n'est pas au-dessus de la vie, elle ne se tient pas en surplomb [...]. Pas plus qu'il n'y a de "parole philosophique absolument pure", pas plus on ne peut concevoir "une politique purement philosophique"" (p. 30). Et encore : "Tout recours à l'histoire universelle coupe le sens de l'événement, rend insignifiante l'histoire effective et est un masque du nihilisme" (p. 57). "L'homme politique qui a, une bonne fois, accepté de prendre en charge "l'irrationalité du monde" ne cédera pas plus aux vertiges des bons sentiments et de la morale du cœur qu'il n'éludera ses responsabilités devant les conséquences de ses actes" (pp. 66-67).
06:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 29 mai 2007
Le dépérissement de la politique
Myriam REVAULT D'ALLONNES : Le dépérissement de la politique - Généalogie d'un lieu commun
Flammarion, coll. "Champs", n°493, ISBN 2-0808-0032-9, 2001.
Comme nous allons le voir en lisant sa monographie très pertinente sur Jacques Merleau-Ponty, Myriam Revault d'Allonnes veut une politique et une pensée incarnées dans le flux de l'histoire réelle. Dans la querelle qui a opposé Sartre à Merleau-Ponty, elle voit l'opposition, dans les années 50 à 70, entre un idéalisme figé, sans ancrage dans le réel mouvant, et une volonté de retourner à ce réel et d'y œuvrer, parfois humblement. Dans Le dépérissement du politique, livre dense, que nous lirons conjointement aux travaux plus anciens et plus classiques de Julien Freund, Myriam Revault d'Allonnes entend souligner que le politique, s'il dépérit et semble accuser un ressac problématique, ne peut pas pour autant disparaître : elle conclut "à sa fragilité essentielle qui résiste à la sempiternelle prophétie de la fin". L'homme politique doit avoir le souci du monde, et de la transmission des valeurs, même fragiles, que génère ce monde, bref d'assurer des continuités contre ceux qui rêvent d'un paradis terminal et parfait, trop parfait pour être humain, ou qui veulent déclencher un enfer, trop effrayant et surtout trop fondamentalement chaotique pour être à son tour véritablement humain. Mieux : à la suite de Machiavel, qui savait toujours ramener les choses à leurs proportions exactes, Myriam Revault d'Allonnes croit à la "virtù" des Romains, ou à celle que Tacite prêtait aux Germains, "c'est-à-dire", dit-elle, "au courage, vertu philosophique et politique par excellence".
06:05 Publié dans Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 26 mai 2007
Note sur le Prince Karl Anton Rohan
Note sur le Prince Karl Anton Rohan, catholique, fédéraliste, européiste et national-socialisteµ
Né le 9 septembre 1898 à Albrechtsberg et décédé le 17 mars 1975 à Salzbourg, le Prince Karl Anton Rohan fut un écrivain et un propagandiste de l'idée européenne. Jeune aristocrate, ce sont les traditions "noires et jaunes" (c'est-à-dire impériales) de la vieille Autriche des familles de la toute haute noblesse qui le fascinent, lui, issu, côté paternel, d'une famille illustre originaire de Bretagne et, côté maternel, de la Maison des Auersperg. Il a grandi à Sichrow dans le Nord-est de la Bohème. Marqué par la guerre de 1914, par les expériences de la révolution bolchevique à l'Est et de l'effondrement de la monarchie pluriethnique, Rohan décide d'œuvrer pour que se comprennent les différentes élites nationales d'Europe, pour qu'elles puissent se rapprocher et faire front commun contre le bolchevisme et le libéralisme.
Après la fondation d'un "Kulturbund" à Vienne en 1922, Rohan s'efforcera, en suivant un conseil de J. Redlich, de prendre des contacts avec la France victorieuse. Après la fondation d'un "comité français" au début de l'année 1923, se constitue à Paris en 1924 une "Fédération des Unions Intellectuelles". Son objectif était de favoriser un rassemblement européen, Grande-Bretagne et Russie comprises sur le plan culturel. Dans chaque pays, la société et les forces de l'esprit devaient se rassembler au-delà des clivages usuels entre nations, classes, races, appartenances politiques et confessionnelles. Sur base de l'autonomie des nations, lesquelles constituaient les piliers porteurs, et sur base des structures étatiques, devant constituer les chapiteaux, des "Etats-Unis d'Europe" devaient émerger, comme grande coupole surplombant la diversité européenne.
Rohan considérait que le catholicisme sous-tendait le grand œcoumène spirituel de l'Europe. Il défendait l'idée d'un "Abendland", d'un "Ponant", qu'il opposait à l'idée de "Paneurope" de son compatriote Richard Coudenhove-Kalergi. Jusqu'en 1934, le Kulturbund de Rohan est resté intact et des filiales ont émergé dans presque toutes les capitales européennes.
Aux colloques annuels impulsés par Rohan (Paris en 1924, Milan en 1925, Vienne en 1926, Heidelberg et Francfort en 1927, Prague en 1928, Barcelone en 1929, Cracovie en 1930, Zurich en 1932 et Budapest en 1934), de 25 à 300 personnes ont pris part. Les nombreuses conférences et allocutions de ces colloques, fournies par les groupes de chaque pays, duraient parfois pendant toute une semaine. Elles ont été organisées en Autriche jusqu'en 1938. Dans ce pays, ces initiatives du Kulturbund recevaient surtout le soutien du Comte P. von Thun-Hohenstein, d'Ignaz Seipel et de Hugo von Hofmannsthal, qui a inauguré le colloque de Vienne en 1926 et l'a présidé. Les principaux représentants français de ce courant étaient Ch. Hayet, Paul Valéry, P. Langevin et Paul Painlevé. En Italie, c'était surtout des représentants universitaires et intellectuels du courant fasciste qui participaient à ces initiatives. Côté allemand, on a surtout remarqué la présence d'Alfred Weber, A. Bergsträsser, L. Curtius, Lilly von Schnitzler, le Comte Hermann von Keyserling, R. von Kühlmann et d'importants industriels comme G. von Schnitzler, R. Bosch, O. Wolff, R. Merton, E. Mayrisch et F. von Mendelssohn.
Rohan peut être considéré comme l'un des principaux représentants catholiques et centre-européens de la "Révolution conservatrice"; il jette les bases de ses idées sur le papier dans une brochure programmatique intitulée Europa et publiée en 1923/24. C'est lui également qui lance la publication Europäische Revue, qu'il a ensuite éditée de 1925 à 1936. Depuis 1923, Rohan était véritablement fasciné par le fascisme italien. A partir de 1933, il va sympathiser avec les nationaux-socialistes allemands, mais sans abandonner l'idée d'une autonomie de l'Autriche et en soulignant la nécessité du rôle dirigeant de cette Autriche dans le Sud-est de l'Europe. A partir de 1935, il deviendra membre de la NSDAP et des SA. En 1938, après l' Anschluß, Rohan prend en charge le département des affaires extérieures dans le gouvernement local national-socialiste autrichien, dirigé par J. Leopold. En 1937, il s'était fait le propagandiste d'une alliance entre un catholicisme rénové et le national-socialisme contre le bolchevisme et le libéralisme, alliance qui devait consacrer ses efforts à éviter une nouvelle guerre mondiale. Beau-fils d'un homme politique hongrois, le Comte A. Apponyi, il travaille intensément à partir de 1934 à organiser une coopération entre l'Autriche, l'Allemagne et la Hongrie.
Après avoir dû fuir devant l'avance de l'armée rouge en 1945, Rohan est emprisonné pendant deux ans par les Américains. Après sa libération, Rohan ne pourra plus jamais participer à des activités publiques, sauf à quelques activités occasionnelles des associations de réfugiés du Pays des Sudètes, qui lui accorderont un prix de littérature en 1974.
L'importance de Rohan réside dans ses efforts, commencés immédiatement avant la première guerre mondiale, pour unir l'Europe sur base de ses Etats nationaux. Très consciemment, Rohan a placé au centre de son idée européenne l'unité des expériences historiques et culturelles de l'Est, du Centre et de l'Ouest de l'Europe. Cette unité se retrouvait également dans l'idée de "Reich", dans la monarchie pluriethnique des Habsbourgs et dans l'universalisme catholique de l'idée d'Occident ("Abendland", que nous traduirions plus volontiers par "Ponant", ndt). Les besoins d'ordre culturel, spirituel, religieux et éthique devaient être respectés et valorisés au-delà de l'économie et de la politique (politicienne). Cet aristocrate, solitaire et original, que fut Rohan, était ancré dans les obligations de son environnement social élitiste et exclusif tout en demeurant parfaitement ouvert aux courants modernes de son époque. En sa personne, Rohan incarnait tout à la fois la vieille Autriche, l'Allemand et l'Européen de souche française.
Dr. Guido MÜLLER.
(entrée parue dans: Caspar von SCHRENCK-NOTZING (Hrsg.), Lexikon des Konservatismus, L. Stocker, Graz, 1996, ISBN 3-7020-0760-1).
06:00 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 24 mai 2007
M. Weber et le polythéisme des valeurs
Max Weber: polythéisme des valeurs et éthique de la responsabilité
L'homme moderne paie un prix non dérisoire à la modernité: l'impossibilité d'ignorer que lui-même est l'artifice des valeurs en lesquelles il croit.
Au fur et à mesure que décroît la transcendance, le monde moderne apparaît nietzschéennement «humain, trop humain».
«Qu'arrivera-t-il donc à l'homme, sur le plan spirituel, dans un contexte où la conduite de la vie sera toujours plus rationalisée?». C'est par cette question que W. Hennis synthétise tout le sens de la recherche de Max Weber, souligne la nécessité actuelle d'une lecture attentive, ouverte sur le présent, de son œuvre.
L'essence, les orientations et l'avenir du "monde moderne" sont les thèmes qui accompagnent la condamnation d'une société dans laquelle le progrès technique et l'opulence des moyens mis à disposition pour gérer la vie des individus ne correspondent nullement ni à un niveau éthique élevé et convenable ni à une conscience civique et démocratique plus mûre. Mais, pour Max Weber, qu'est-ce que le "monde moderne"? C'est le monde de la calculabilité totale, l'émergence d'une réalité rationnellement "calculée" et "calculable".
La prémisse du rationalisme occidental moderne se retrouve toute entière dans ce processus d'épuration des Weltanschauungen, où celles-ci sont dépouillées graduellement de tous leurs éléments magiques, anthropomorphiques ou simplement grevés d'un sens. Ce processus est celui du "désenchantement" et il nous vient de loin. Il a commencé par la sortie hors du jardin d'Eden, après laquelle les premières formes de dépassement volontaire des éthiques magiques ont commencé à se manifester. «Plus le rationalisme refoule la croyance à la magie du monde, plus les processus à l'œuvre dans le monde deviennent "désenchantants" et perdent leur sens magique, se limitent à "être" et à "survenir" au lieu de "signifier"».
Dans un monde dominé et défini par le "calcul rationnel", il n'y a plus rien à "désenchanter": la réalité n'est plus qu'un amas de purs mécanismes causaux où rien n'a plus le moindre sens propre; quant à la position de l'homme, elle devient toute entière "mondaine", par la laïcisation et la routine des rôles sociaux, où on ne juge plus qu'à l'aune de la compétence bureaucratique et méthodique. Au fur et à mesure où la transcendance décroît, où les principes se réduisent à des habitudes et des méthodes quotidiennes, le monde moderne devient ce que Nietzsche appelait "humain, trop humain". Le contraste avec les sociétés précédentes, traditionnelles, vient de ce que ces dernières étaient entièrement liées par un puissant symbolisme magique et religieux. Le monde moderne se présente, face à ces sociétés traditionnelles, comme une "rupture qualitative".
Mis à part la nostalgie des certitudes perdues, caractéristiques d'une vision du monde non encore frappée par le désenchantement, cet état de choses montre que nos contemporains sont convaincus de l'impossibilité de récupérer le passé et de la nécessité de réaliser pleinement les valeurs que l'époque moderne a affirmées: «La liberté et l'autonomie de la personne. L'individu est responsable de la constitution des valeurs et de leurs significations à travers la rationalisation de son action, c'est-à-dire de sa capacité à se donner une règle et de la suivre, plutôt que d'agir sur base de ses impulsions».
Le primat de la rationalité a permis à l'homme moderne d'atteindre un degré de liberté jamais connu au préalable, auquel il est évidemment possible de renoncer, mais seulement, dit-on, en accomplissant un "sacrifice de l'intellect", comme le font "ceux qui ne sont pas en mesure d'affronter virilement le destin de notre époque" et préfèrent retourner "dans les bras des vieilles églises".
Weber n'a pas manqué de souligner combien "le monothéisme traditionnel, introduit dans notre civilisation par le judaïsme et le christianisme, après une préparation au niveau éthique et métaphysique par le platonisme, est entré en crise". La conception rationalisée de la divinité ferme à l'homme tout accès à la transcendance. Le déclin de la "belle et pleine humanité", induit par l'éthique protestante avec son idée de dévouement professionnel, finit par nous projeter exclusivement en direction de la sphère mondaine, conférant aux puissances matérielles et contingentes de l'économie la prééminence coercitive que nous connaissons. Dans les pages de conclusion de L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, l'idée maîtresse de Weber revient à dire que le "manteau subtile" de cette préoccupation pour les biens extérieurs est devenue une "cage d'acier", dont on ne peut plus échapper. Dans ces pages fondamentales, la modernité finit par apparaître comme une convergence de forces vers un effet unique: la prédominance de la rationalité formelle et désenchantée de l'économie sur tout l'agir humain.
La rationalité propre de l'ère moderne et la rationalisation religieuse sont étroitement liées.
Se libérer de la magie, donc amorcer le processus de désenchantement, sanctionne la disparition de toute signification transcendante dans le monde, et, pour cela, ouvre toutes grandes les portes aux forces séculières.
En outre, si nous prenons acte de cette caractéristique majeure de la modernité, qui est de ne pas pouvoir être reconduit à un principe unificateur, nous voyons que notre vie est en réalité une multiplicité de principes, chacun étant incorporé dans une sphère de valeurs autonomes dotées chacune d'une dynamique propre; chaque sphère est irréductible à toute autre. Il s'ensuit que la modernité est une cage de cages, où aucune ne peut plus dominer l'autre en lui imposant ses propres principes.
Si nous examinons ces images dans l'optique de l'individu qui s'y trouve immergé, nous ne pouvons pas ne pas noter comment, à la fin du long cheminement historique et évolutif du "désenchantement" et de la rationalisation, l'individu de la modernité tardive se trouve paradoxalement confronté à un polythéisme renouvelé. «Les dieux antiques, dépouillés de leur fascination et, par suite, réduits au niveau de puissances impersonnelles, se dressent hors de leurs tombeaux, aspirent à dominer nos vies et reprennent leur lutte éternelle. Ils ont simplement changé d'aspect, ils arrivent comme dans le monde antique, encore sous l'enchantement de ses dieux et de ses démons; comme les Grecs qui sacrifiaient tantôt à Aphrodite tantôt à Apollon, et chacun d'entre eux en particulier aux dieux de leur propre cité, les choses sont encore telles aujourd'hui, mais sans l'enchantement et sans le charme de cette transfiguration plastique, mythique mais intimement vraie».
Le problème soulevé par Max Weber et par son analyse du processus de rationalisation demeure absolument actuel. Parler d'un conflit des valeurs signifie nécessairement revenir à une discussion sur les critères régulateurs de l'action dans une société qui ne reconnaît aucune norme ou aucune valeur universelles.
La rationalisation procède au "désenchantement" de la réalité, mais ne peut annuler le besoin de l'homme de donner une signification au monde lui-même et de faire en sorte que du chaos "de l'infinité privée de sens du devenir" naisse en fin de compte un cosmos caractérisé par l'ordre et la signification. A ce propos, Max Weber nous rappelle l'enseignement de Platon: «Le fruit de l'arbre de la connaissance, fruit inévitable même s'il est insupportable pour la commodité des hommes, ne consiste en rien d'autre que dans le devoir de considérer que toute action singulière importante et, de ce fait, la vie prise comme un tout, est un enchaînement de décisions ultimes, par l'intermédiaire desquelles l'âme choisit son propre destin —et, en conséquence, le sens de son agir et de son être». Le conflit entre les valeurs se révèle ainsi une lutte pour le sens.
Une fois que tombe la possibilité de se référer à des modèles universellement valables, il reste à l'homme moderne la possibilité de donner une signification à sa propre existence en modulant son action sur des valeurs qu'il a choisies consciemment et qu'il a suivies dans la cohérence.
Un modèle éthique de ce type pose évidemment des problèmes dont la résolution n'est pas facile. Mais le remède, dit Weber, doit être recherché dans l'acceptation consciente du défi lancé par la modernité: on s'inspire des principes d'une éthique, à travers laquelle l'individu reconnaît et affirme, face à lui-même, sa propre responsabilité.
C'est dans le même esprit que Nietzsche avait écrit: «Personne ne peut te construire les ponts sur lesquels tu devras traverser le fleuve de la vie, personne en dehors de toi-même».
Luigi BECHERUCCI.
(article paru dans Area, juillet-août 2000, pp. 70-71).
06:05 Publié dans Définitions, Philosophie, Sociologie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 22 mai 2007
Note sur Wilhelm Stapel
Note sur Wilhelm Stapel
Né le 27 octobre 1882 à Calbe dans l'Altmark et décédé le 1 juin 1954 à Hambourg, Wilhelm Stapel était un écrivain politique, issu d'une famille de la petite classe moyenne. Après avoir achevé des études de bibliothécaire et avoir passé son "Abitur" (équivalent allemand du "bac"), il fréquente les universités de Göttingen, Munich et Berlin et obtient ses titres grâce à un travail en histoire de l'art. Au départ, vu ses orientations politiques, il semble être attiré par le libéralisme, mais un libéralisme de facture spécifique: celui que défendait en Allemagne Friedrich Naumann. Son idée du nécessaire équilibre entre "nation" et "société" le conduit à rencontrer Ferdinand Avenarius et son "Dürer-Bund" (sa "Fédération Dürer") en 1911. Un an plus tard, Stapel devient rédacteur de la revue de cette fédération, Der Kunstwart. Il a conservé cette fonction jusqu'en 1917. A la suite d'une querelle avec Avenarius, Stapel réalise un vœu ancien, celui de passer à une activité pratique; c'est ainsi qu'il prend la direction du "Hamburger Volksheim" (le "Foyer du Peuple de Hambourg"), qui se consacrait à l'éducation de jeunes issus de milieux ouvriers.
A ce moment-là de son existence, Stapel avait déjà entretenu de longs contacts avec le "Deutschnationaler Handlungsgehilfenverband" ("L'Association Nationale Allemande des Employés de Commerce"), et plus particulièrement avec sa direction, regroupée autour de M. Habermann et de Ch. Krauss, qui cherchaient un rédacteur en chef pour la nouvelle revue de leur association, Deutsches Volkstum. A l'automne 1919, Stapel quitte son emploi auprès du Volksheim et prend en mains l'édition de Deutsches Volkstum (à partir d'avril 1926, il partagera cette fonction avec A. E. Günther). Stapel transforme cette revue en un des organes de pointe de la tendance révolutionnaire-conservatrice. Il s'était détaché de ses anciennes conceptions libérales sous la pression des faits: la guerre d'abord, les événements de l'après-guerre ensuite. Comme la plupart des Jungkonservativen (Jeunes-Conservateurs), son attitude face à la nouvelle république a d'abord été assez élastique. Il était fort éloigné de l'idée de restauration, car il espérait, au début, que la révolution aurait un effet cathartique sur la nation. La révolution devait aider à organiser le futur "Etat du peuple" (Volksstaat) dans le sens d'un "socialisme allemand". Dans un premier temps, Stapel sera déçu par la rudesse des clauses du Traité de Versailles, puis par la nature incolore de la nouvelle classe politique. Cette déception le conduit à une opposition fondamentale.
Bon nombre de ses démarches conceptuelles visent, dans les années 20, à développer une critique de la démocratie "occidentale" et "formelle", qui devait être remplacée par une démocratie "nationale" et "organique". D'une manière différente des autres Jungkonservativen, Stapel a tenté, à plusieurs reprises, de proposer des esquisses systématiques appelées à fonder une telle démocratie. Au centre de ses démarches, se plaçaient l'idée d'une constitution présidentialiste, le projet d'un droit de vote différencié et hiérarchisé et d'une représentation corporative. Pendant la crise de la République de Weimar, Stapel a cru, un moment, que les "Volkskonservativen" (les "conservateurs populaires") allaient se montrer capables, notamment avec l'aide de Brüning (qui soutenait la revue Deutsches Volkstum), de réaliser ce programme. Mais, rapidement, il s'est aperçu que les Volkskonservativen n'avaient pas un ancrage suffisant dans les masses. Ce constat a ensuite amené Stapel à se rapprocher prudemment des nationaux-socialistes. Comme beaucoup de Jungkonservativen, il croyait aussi pouvoir utiliser la base du mouvement de Hitler pour concrétiser ses propres projets; même dans les premiers temps de la domination nationale-socialiste, il ne cessait d'interpréter le régime dans le sens de ses propres idées.
On trouve une explication aux illusions de Stapel surtout dans son ouvrage principal, paru en 1932 et intitulé Der christliche Staatsmann ("De l'homme d'Etat chrétien"), avec, pour sous-titre "Eine Theologie des Nationalismus" ("Une théologie du nationalisme"). Tout ce texte est marqué par une tonalité apocalyptique et est entièrement porté par un espoir de rédemption intérieure. Stapel, dans ce livre, développe la vision d'un futur "Imperium Teutonicum", appelé à remodeler le continent européen, tout en faisant valoir ses propres principes spirituels. Il y affirme que les Allemands ont une mission particulière, découlant de leur "Nomos", qui les contraint à apporter au monde un ordre nouveau. Cette conception, qui permet à l'évidence une analogie avec la revendication d'élection d'Israël, explique aussi pourquoi Stapel s'est montré hostile au judaïsme. Dans les Juifs et leur "Nomos", il percevait un adversaire métaphysique de la germanité, et, au fond, le seul adversaire digne d'être pris au sérieux. Mais Stapel n'était pas "biologisant": pendant longtemps, il n'a pas mis en doute qu'un Juif pouvait passer au "Nomos" germanique, mais, malgré cela, il a défendu dès les années 20 la ségrégation entre les deux peuples.
Le nationalisme de Stapel, et son anti-judaïsme, ont fait qu'il a cru, encore dans les années 30, que l'Etat national-socialiste allait se transformer dans le sens qu'il préconisait, celui de l'idéologie "volkskonservativ". C'est ainsi qu'il a défendu l'intégrité de Hitler et manifesté sa sympathie pour les "Chrétiens allemands". Cela lui a valu de rompre non seulement avec une bomme partie du lectorat de Deutsches Volkstum, mais aussi avec des amis de combat de longue date comme H. Asmussen, K. B. Ritter et W. Stählin. Ce n'est qu'après les pressions d'Alfred Rosenberg et du journal Das Schwarze Korps que Stapel a compris, progressivement, qu'il avait succombé à une erreur. La tentative de son ancien protégé, W. Frank, de lui procurer un poste, où il aurait pu exercer une influence, auprès de l'"Institut pour l'Histoire de la Nouvelle Allemagne" (Reichsinstitut für die Geschichte des neuen Deutschlands), a échoué, après que Stapel ait certes insisté pour que les Juifs soient séparés des Allemands, mais sans accepter pour autant qu'ils perdent leurs droits de citoyens ni qu'ils soient placés sous un statut de minorisation matérielle. Le pogrom du 9 novembre 1938 lui a appris définitivement qu'une telle option s'avérait désormais impossible. A cette époque-là, il s'était déjà retiré de toute vie publique, en partie volontairement, en partie sous la contrainte. A la fin de l'année 1938, il abandonne la publication de Deutsches Volkstum (la revue paraîtra par la suite mais sans mention d'éditeur et sous le titre de Monatsschrift für das deutsche Geistesleben, soit "Mensuel pour la vie intellectuelle allemande").
Sa position est devenue plus critique encore lors de la crise des Sudètes et au moment où s'est déclenchée la seconde guerre mondiale: il s'aperçoit, non seulement qu'il s'est trompé personnellement, mais que le système politique dans son ensemble vient d'emprunter une voie fatale, qui, dans tous les cas de figure, conduira au déclin de l'Allemagne. Par l'intermédiaire de Habermann, qui avait des relations étroites avec C. F. Goerdeler, il entre en contact en 1943 avec certains cercles de la résistance anti-hitlérienne. Beck aurait estimé que le livre de Stapel, paru en 1941 et intitulé Drei Stände ("Trois états"), était capital pour la reconstruction de l'Allemagne. Mais ce lien avec la résistance allemande n'a pas servi Stapel après la guerre, même si J. Kaiser et Th. Heuss avaient tous deux signé pour lui des attestations garantissant sa parfaite honorabilité. On a limité de manière drastique après la guerre ses possibilités de publier. Pour s'adresser à un public relativement large, il n'a pu, après 1945, qu'utiliser le "Deutsches Pfarrerblatt" ("Journal des pasteurs allemands"), qu'éditait son ami K. B. Ritter.
Son dernier livre Über das Christentum ("Sur le christianisme"), paru en 1951, constitue un bilan somme toute résigné, montrant, une fois de plus, que la pensée de Stapel était profondément marquée par la théologie et le luthérianisme.
Dr. Karlheinz WEISSMANN.
(entrée parue dans: Caspar von SCHRENCK-NOTZING (Hrsg.), Lexikon des Konservatismus, L. Stocker, Graz, 1996, ISBN 3-7020-0760-1).
06:10 Publié dans Histoire, Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 21 mai 2007
Causalidade, Necessidade e Cultura
"Tudo o que existe no Universo é fruto do "acaso" e da "necessidade"
Demócrito de Abdera (460-370 EP)
O desenvolvimento cultural das comunidades humanas é consequência da capacidade intelectual do Homem, da manifestação livre do seu saber e do seu conhecimento, desenvolvimento esse permanentemente contrariado por principios dogmáticos estruturados como doutrinas, religiosas ou políticas, por teorias fundamentalistas de grupos laicos e sacerdotais interessados na manutenção de um "status-quo" capaz de manter os privilégios de que disfrutam, encerrando o desenvolvimento cultural e pretendendo transforma-lo em pseudo-dialécticas que, no abandono consciente das suas estruturas tradicionais e fundacionais, conduz inapelavelmente à sua regressão.
A falácia do igualitarismo, da divindade soterológica ou da finalidade hedonista da existência, conduz ao bloqueamento cultural e, consequentemente, ao desmoronar dos valores éticos que alicerçam a comunidade afectada que, gradualmente, vai inflectindo no sentido da superstição e da existência segundo um modelo acultural que lhe garante a sobrevivência.
Pela sua própria idiossincracia, o efeito dogmático bloqueia todo e qualquer diálogo com a expressão cultural vivente no seio das comunidades, e que formata o seu processo intelectual de compreender os laços que a constituem e o meio em que evolui.
A esse bloqueio, os gregos denominavam "aporia" (1), ou seja, o que consideravam não ter solução, ou o que criava "perplexidade", "embaraço" ou "incerteza", e quando aplicado a um debate, traduzia o reconhecimento por parte de todos os interlocutores da impossibilidade de definir uma noção, a "inexistencia de ligação entre argumentos", um "impasse de raciocinio".
Mais particularmente, Aristóteles designava como "aporia" um conjunto de afirmações separadamente plausíveis, mas falsas se consideradas em conjunto, considerando que a reconciliação de tais proposições, perante soluções alternativas, eram um trabalho de máxima importância para os filósofos.
Perante semelhante enfrentamento entre o dogma paralisante, e portanto culturalmente regressivo, e a estrutura cultural "tradicional" (2), surge a questão sobre se existe um objectivo na existência do ser-humano, algum processo "teleológico" (3) da vida, e se quando consideramos estar, "a priori", perante uma "aporia", na realidade estamos na presença de um embaraço, de um desafio à nossa capacidade de "animal racional" ("zoon logikon") que nos impõe atravessar o "Rubicão", e instalalarmo-nos num processo de desenvolvimento intelectual, ou ficar passivos na crença em mistificações simplistas de divindades etéreas criadas à imagem da nossa ignorância e da nossa curiosidade.
A "teleologia" pressupõe uma espontaneidade no ser vivo, uma energia vital que poderiamos aproximar da "entelequia" (4), termo com que Aristóteles pretendeu designar a "energia da vida", "algo que tende por si mesmo a atingir o seu próprio fim".
Com efeito, a evolução biológica aparece como uma fase de um processo evolutivo composto de três fases diferenciadas, embora interligadas num mesmo processo geral, que para uns se subdivide em "fase inorgânica ou pré-biológica", "orgânica ou biológica" e "humana ou pós-biológica", e para outros, em "protoplasma", "célula" e "animal", como niveis em que se manifestam os graus de integração e organisação dos seres vivos.
Se há ou não um "propósito" nesta evolução, é assunto discutível, embora presentemente não se admita uma teleología no conjunto do processo evolutivo, mas sim processos parciais teleonómicos, isto é, processos que possuem uma "direcção própria".
Os "epistemólogos" (5) ocuparam-se da explicação dos processos evolutivos, concretamente na evolução biológica e concluiram que a explicação evolutiva não é, nem pode ser, uma explicação de natureza dedutiva, mas que pode haver explicações dos processos evolutivos através de leis demonstrativas de como, de um grupo de condições iniciais, se desenvolve (ou "se desenvolveu") um determinado processo, que produz certas outras condições, regidas por leis próprias.
Os sistemas vivos seriam teleológicos, relacionando-se com o "cenário" em que vivem, através de um sistema de informação que o naturalista alemão Jakob von Uexkull denominou de "Umwelt", que significa algo como "o-mundo-que-nos-rodeia".
A teleologia seria pois, uma perfeita afirmação da entropia, ou seja, um encaminhamento permanente da ordem à desordem para construir outra ordem.
Nas transformações de energia, "entropia" é a tendência para um estado de desordem molecular no qual a energia deixa de ser utilizável como trabalho.
O segundo principio da termodinâmica, estabelecido por Carnot e Clausius, enuncia esta tendência à degradação da energia, enquanto o primeiro principio afirma a conservação da quantidade, mas através da transformação da qualidade, que se degrada dispersando-se em calor não utilizável.
Este conceito estendido da física, à biologia, à economia e à sociología, tomou nesta última o sentido geral de tendência à desorganisação e à desestruturação.
Aristóteles, na "Ética a Nicómaco", desenvolve o principio da causalidade para evidenciar uma finalidade subjacente à finalidade das coisas.
Esta finalidade contida no "Ser" e que o leva a "devir o que ele é", é denominada "telos" por Aristóteles, e daí provém a "teleologia", um conceito filosófico que diz haver um principio director, uma finalidade que actua na natureza e que a faz realizar o que ela é.
Aristóteles faz notar a extraordinária universalidade deste principio, do qual nada parece afastar-se, como se uma "mão invisível" orientasse o processo. Tenhamos presente que jamais o "Estagirita" atribuiu a essa "mão" uma qualquer noção de divindade !
Na actualidade, uma aproximação sistémica da teleologia e da teleonomia apresenta-as como noções que se relacionam com o objectivo a atingir, com a finalidade, que pode ser declarada (como intenção expressa) ou interpretada a partir da observação dos comportamentos que parece tenderem para um objectivo atribuido pelo observador.
Compreendamos que se algum processo teleonómico nos coloca perante a decisão de sermos servos hedonistas existindo em sociedades controladas por oligarquias anónimas, ou homens livres vivendo em comunidades por nós dirigidas, a opção é nossa, reside na nossa capacidade de ser rebelde, de construir a alternativa cultural que nos permita continuar a viver como rebeldes, e não como servos de oligarquias ou de divindades.
Biologicamente, o "acaso", o fortuito, cria situações que podem ser inócuas e desprezadas, ou aproveitáveis e que a "necessidade" impõe ; sociologicamente, compete-nos a nós determinar a "necessidade".
---------------------
(1) Do gr. "a", que priva ou nega, e "poros", passagem, solução.
Certos diálogos de Platon chocam com a "aporia", como no "Eutifron" ("Euthyphron") quando procura uma definição para o que é piedade.
O termo surge mais tarde na Europa, e.g., na "Grammaire genérale" de N. Beauzée, em 1767, para descrever uma figura de retórica relacionada com a "dúvida intransponível" e, no século XIX, continua a ser definido como processo de retórica pelo dicionário Littré, e no século XX, o termo "aporia" é bastante utilizado no discurso filosófico para significar os problemas insolúveis a que conduzem os raciocinios de certos filósofos.
O denominado "teatro do absurdo" coloca em cena situações que poderiam ser consideradas de "aporia", como no caso de Samuel Beckett (1906-1989) cujo personagem, no seu isolamento, acaba por se isolar de si mesmo e dos outros e não vê o seu destino que no silêncio ou na morte (in "En attendant Godot" - 1953), enquanto o dicionário Robert, a partir de 1970, regista o vocábulo como : "(…) dificuldade de ordem racional aparentemente sem solução".
(2) Tradição não é sinónimo de estagnação ou de saudosismo, mas sim de evolução de estruturas fundacionais.
Entendemos por "saudosismo" um patológico desejo do passado, diferentemente do sentimento de "saudade", absolutamente respeitável, pois só sente "saudade" quem tem memória.
(3) Mencionamos "processo teleológico da vida" referenciando "teleológico" como adjectivo que provém de "teleologia" (do gr. "télos", finalidade + "logos", conhecimento), vocábulo proposto por Ernest Mayr (1905-2005) em 1974, significando "doutrina que considera terem todos os seres uma finalidade" e concebendo o mundo como um sistema de relações entre meios e fins, opondo-se a uma visão mecanicista.
(4) Vocábulo criado por Aristóteles para designar a tendência natural de qualquer "sistema" a procurar realizar-se plenamente, a atingir o limite das suas potencialidades.
"Entelequia", do antigo lat. "entelechia", proveniente do gr. "entelecheia" ("en", em + "telos" finalidade e "echein", ter), "ter ou ser uma finalidade". Para alguns, está próximo do termo gr. "energeia" ("energia"). "Força vital". "Vitalismo" (Ortega y Gasset).
(5) Do gr. "épistémê", conhecimento, e "logos", razão, discurso.
06:10 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 17 mai 2007
O. Spengler's Uneven Legacy
Oswald Spengler's Uneven Legacy
by Donald L. Stockton
http://home.alphalink.com.au/~radnat/spengler/biographica...
06:05 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 14 mai 2007
A. Camus, philosophe pour classes terminales
Jean-Jacques BROCHIER : Albert Camus, philosophe pour classes terminales,
La Différence, ISBN 2-7291-1329-0, 2001, 10,52 Euro.
L'auteur avait rédigé ce pamphlet il y a plus de trente ans, pour stigmatiser un auteur qui se piquait, selon lui, de philosophie, sans atteindre son modèle, Nietzsche, à la cheville. L'ennui, c'est que Camus a été hissé par des tartuffes sur le piédestal du moraliste incontournable, dont on est désormais obligé d'écouter la leçon, sous peine d'être traité de sans-cœur ou de fasciste ou d'un autre nom d'oiseau du même tonneau. Brochier stigmatise justement ce moralisme de pion, qui n'apporte rien à la pensée, si ce n'est à la pensée unique d'aujourd'hui qui fonde son arbitraire et son totalitarisme sur un discours qui se prétendait justement anti-totalitaire et révolutionnaire-libertaire (l'homme révolté!). Mais ce bricolage idéologique, typique de la France d'après-guerre, qui sied aux rombières du "politiquement correct", est d'une indescriptible fadeur face à Nietzsche lui-même, dont Camus voulait être un épigone. L'ouverture au paganisme méditerranéen, au tellurisme à la Giono, que Camus a tenté à la fin de son existence, avant d'être fauché dans sa Dauphine en lisière du Lubéron provençal, n'a malheureusement pas pu avoir de suite. A coup sûr, l'auteur de "La Peste" aurait dépassé le stade que Brochier lui reproche: celle d'être un philosophe pour classes terminales. Autre raison de lire ce livre : apprendre à démonter les poncifs moralistes que tentent d'inculquer à leurs élèves les profs conformistes, véhicules bien-pensants de l'arbitraire et du totalitarisme orwellien de la pensée unique.
[Pour saisir les dimensions enracinées, et donc "identitaires", de Camus, on se référera au livre de Maurice Wayembergh, professeur à la VUB —Vrije Universiteit Brussel— intitulé Albert Camus ou la mémoire des origines, De Boeck Université, coll. "Le point philosophique", Paris/Bruxelles, 1998, ISBN 2-8041-2680-3; lire notamment les chapitres suivants : "L'unité, la totalité et l'énigme ontologique", "Camus et Nietzsche. Evolution d'une affinité", "Une lecture nietzschéenne de La mort heureuse ", "La femme adultère et The Woman Who Rode Away - A. Camus et D. H. Lawrence" et, enfin, "La mémoire du retour et le retour de la mémoire". La lecture de cet ouvrage permet d'ouvrir des perspectives "païennes" autrement plus fondées philosophiquement que celles, niaises et bouffonnes, des "nouvelles droites/canaux historiques"].
06:15 Publié dans Littérature, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 13 mai 2007
M. Onfray : achever mai 1968?
Michel ONFRAY:
Achevons mai 1968!
http://michelonfray.blogs.nouvelobs.com/archive/2007/05/0...
On peut trouver certaines poses d'Onfray dans les médias superbement agaçantes. Il n'empêche que cet article mérite méditation. Bonne lecture !
06:10 Publié dans Philosophie, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 12 mai 2007
Un guide pour les philosophies de la Vie
Un guide pour les philosophies de la Vie
Analyse : Karl ALBERT, Lebensphilosophie. Von den Anfängen bei Nietzsche bis zu ihrer Kritik bei Lukács, Alber Verlag/Reihe Kolleg Philosophie, Freiburg/München, 208 S., DM 24, 1995, ISBN 3-495-47826-4.
Karl Albert, professeur de philosophie à Wuppertal dans la région de la Ruhr, nous offre un excellent petit ouvrage sur la « Lebensphilosophie » allemande, très didactique et qui convient parfaitement pour les étudiants de première année. Il passe en revue les œuvres de Schlegel, Schopenhauer, Guyau, Nietzsche, Ditlhey (cf. l’article de ce numéro sur Simmel), Bergson, Simmel, Lessing, Klages, Messer, Spengler, Keyserling, Ortega y Gasset, Scheler, Misch, Lersch et Bollnow. Dans son introduction, il explique clairement sa démarche : « Toutes les créations originales de la philosophie et de la littérature, qui ont émergé dans la première décennie du 20ième siècle, portaient l’accent de la “Vie”. C’était comme une ivresse, une ivresse juvénile, que nous avons tous partagée ». Les thématiques de la jeunesse, du printemps éternel, des paysages régénérants, de la danse, de la nudité, indique une voix qui n’est plus celle de la froide logique mais de la bio-logique, appelée à remplacer les sécheresses et les hypocrisies des “Lumières”, du positivisme et de l’académisme. Pour Karl Albert, les prémisses de la “Lebensphilosophie” se situent déjà tout entiers dans les œuvres de l’Allemand Friedrich Schlegel et du Français Jean-Marie Guyau.
Didactique, soucieux de transmettre à ses étudiants, Albert esquisse les étapes successives de la démarche de Schlegel, adversaire du système de Hegel, vecteur de “négativité”, induisant le philosophe dans l’erreur car il remplace la réalité divine et vivante par un mensonge métaphysique. En trois étapes, Schlegel va tenter de sortir la pensée allemande et européenne de cette impasse et de ce labyrinthe : 1. Opposer au “Geist” hégélien la Vie proprement dite. 2. Montrer que la philosophie traditionnelle indienne est une apologie et une acceptation sereines voire joyeuses de la Vie. 3. Hisser au niveau de la réflexion philosophique les rapports entre l’homme et la femme, dans la sexualité et dans le mariage. La base du travail philosophique ne saurait être une spéculation infinie sur un concept éthéré mais, au contraire, la vie spirituelle intérieure de l’homme, voyageant entre le ciel du sublime et la pesanteur de la matérialité. Dès lors, le philosophe peut commencer sa démarche à partir du moindre fait de vie et non pas au départ des seules spéculations académiques, imposées a priori au cherchant. Sanskritologue patenté, de même que son frère, Schlegel lisait la philosophie et la mythologie indiennes dans le texte. Il y retrouve un panthéisme, chassé d’Occident depuis l’avènement du christianisme. Ses réflexions sur les rapports entre sexes —sans nul doute inspirées par la tradition tantrique— contribue à forger en Occident une nouvelle vision de la femme, émancipatrice et équitable, revalorisant le rôle de la sensualité dans l’élaboration d’une philosophie équilibrée entre raison, sens, cordialité, matérialité, etc.
Jean-Marie Guyau (1854-1888), natif de Laval dans le Maine, auteur notamment d’ Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction (1885), aura un impact certain sur Nietzsche. Pour Guyau, la Vie a vocation à l’expansion, non au sur-place, et cette expansion n’a pas à être régulée —et contrariée— par un “impératif catégorique“ de kantienne mémoire, démarche non naturelle. L’aire infinie du déploiement merveilleux du cosmos est le site où vit et agit l’homme : le lieu de la “sympathie universelle”, où convergent et fusionnent esthétique, morale et religion. L’art, selon Guyau, est le véhicule que l’homme accompli utilise pour naviguer dans l’océan infini de cette “sympathie universelle”, sans contrarier les forces à l’œuvre dans l’univers. Sous les contradictions apparentes du monde des hommes, se profile une harmonie fondamentale, l’Etre. Guyau, comme plus tard Deleuze —que l’on prend, nous dit Badiou, à tort pour un penseur d’une pluralité absolue et désordonnée— développe une ontologie vitaliste, qui ne nie nullement l’unité fondamentale de l’univers.
La philosophie de la Vie n’est donc pas le socle des particularismes maniaques, repliés sur eux-mêmes, mais l’écho en Europe, d’une vision tantrique, où tout est entremêlé, où tout est relié à tout, sans segmentations et catégorisations inutiles et aberrantes. Avec Schlegel et Guyau, les bases d’une formidable alternative ont été jetées, mais elle n’a pas encore réussi à percer, à développer des modèles sociaux et politiques solides et viables.
Robert STEUCKERS.
06:05 Publié dans Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 09 mai 2007
T. Sunic: le langage politiquement correct
Le langage « politiquement correct » ou genèse d'un emprisonnement
par Tomislav Sunic
([1] tomislav.sunic@zg.htnet.hr)
Par «politiquement correct » on entend l’euphémisme actuellement le plus passe-partout derrière lequel se cache la censure et l’autocensure intellectuelle. Si le vocable lui-même n’émerge que dans l’Amérique des années 1980, les racines moralisatrices de ce phénomène à la fois linguistique et politique sont à situer dans la Nouvelle Angleterre puritaine du XVIIe siècle. Cette expression polysémique constitue donc la version moderne du langage puritain, avec son enrobage vétérotestamentaire. Bien qu’elle ne figure pas dans le langage juridique des pays occidentaux, sa portée réelle dans le monde politique et médiatique actuel est considérable. De prime abord, l’étymologie des termes qui la forment ne suggère nullement la menace d’une répression judicaire oud les ennuis académiques. L’expression est plutôt censée porter sur le respect de certains lieux communs postmodernes tels que le multiculturalisme ou une certaine historiographie, considérés comme impératifs dans la communication intellectuelle d’aujourd’hui. En règle générale, et dans la langue française, prononcer l’expression “politiquement correct” déclenche souvent le processus d’association cognitive et fait penser aux expressions tels que “la police de la pensée,” “la langue de bois” et “la pensée unique”. Or si ces dernières notions ont ailleurs qu’en France, en Europe comme en Amérique, des équivalents, ceux- ci n’y possèdent pas sur le plan lexical la même porte émotive. Ainsi par exemple, lorsque les Allemands veulent designer le langage communiste, ils parlent de “Betonsprache” (”langue de béton”), mais la connotation censoriale de la locution française “langue de bois” n’y est pas rendue. Quant à la “pensée unique,” elle reste sans équivalant hors du français, étant intraduisible en anglais ou en allemand ; seule le vocable slave “jednoumlje” - terme en vogue chez les journalistes et écrivains russes, croates ou chèques - possède la même signification(1).
En comparaison de l’Europe, les Etats-Unis, bien qu’étant un pays fort sécularisé, restent néanmoins très marqués par de « grands récits » moralistes issus de la Bible ; aucun autre pays sur terre n’a connu un tel degré d’hypermoralisme parabiblique, dans lequel Arnold Gehlen voit « une nouvelle religion humanitaire »(2). Cependant après la deuxième guerre mondiale, le langage puritain a subi une mutation profonde au contact du langage marxiste en usage en Europe, véhiculé par les intellectuels de l’Ecole de Francfort, ou inspirés par eux, réfugiés aux Etats-Unis et plus tard installés dans les grandes écoles et universités occidentales. Ce sont eux qui après la guerre ont commencé à agir dans les médias et dans l’éducation en Europe, et qui ont joué un rôle décisif dans l’établissement de la pensée unique. C’est donc de la conjonction entre l’hypermoralisme américain et les idées freudo-marxistes issues de ce milieu qu’est né le phénomène actuel du politiquement correct.
On sait que les Etats-Unis n’ont jamais eu comme seule raison la conquête militaire, mais ont cultivé le désir d’apporter aux mal-pensants, qu’ils fussent indiens, nazis, communistes, et aujourd’hui islamistes, l’heureux message du démocratisme à la mode américaine, même avec l’accompagnement du bombardement massif des populations civiles. Cet objectif s’est largement réalisé vers la fin de la deuxième guerre mondiale, quand l’Amérique, comme principale grande puissance, s’installa dans son rôle de rééducatrice de la vieille Europe. Et dans les années ultérieures, le lexique américain, dans sa version soft et libéralo-puritaine, jouera même un rôle beaucoup plus fort par le biais des médias occidentaux que la langue de bois utilisée par les communistes esteuropéens et leurs sympathisants. Au vingtième siècle cependant, l’héritage calviniste a perdu son contenu théologique pour se transformer en un moralisme pur et dur prônant l’évangile libéral des droits de l’homme et le multiculturalisme universel.
Dès la fin des hostilités, un grand nombre d’agents engagés par le gouvernement du président Harry Truman furent donc envoyés en Europe afin de rectifier les esprits, et notamment les tendances autoritaires supposées inhérentes au modèle familial européen. Parmi ces pédagogues figuraient un certain nombre d’intellectuels américains issus de la WASP et imprégnés d’esprit prédicateur, mais aussi des éléments de tendance marxiste dont les activités s’inscrivaient dans le sillage de l’Ecole de Francfort. Pour les uns et les autres, guérir les Allemands, et par extension tous les Européens, de leurs maux totalitaires fut le but principal(3). Tous se croyaient choisis par la providence divine - ou le déterminisme historique marxiste - pour apporter la bonne nouvelle démocratique à une Europe considérée comme une région à demi-sauvage semblable au Wilderness de l’Ouest américain du passé. Le rôle le plus important fut néanmoins joué par l’Ecole de Francfort, dont les deux chefs de file, Theodor Adorno et Max Horkheimer, avaient déjà jeté les bases d’une nouvelle notion de la décence politique. Dans un ouvrage important qu’il dirigea(4), Adorno donnait la typologie des différents caractères autoritaires, et introduisait les nouveaux concepts du langage politique. Il s’attaquait surtout aux faux démocrates et « pseudo conservateurs » et dénonçait leur tendance à cacher leur antisémitisme derrière les paroles démocratiques(5). D’après les rééducateurs américains, « la petite bourgeoisie allemande avait toujours montré son caractère sadomasochiste, marqué par la vénération de l’homme fort, la haine contre le faible, l’étroitesse de coeur, la mesquinerie, une parcimonie frisant l’avarice (dans les sentiments aussi bien que dans les affaires d’argent) »(6).
Dans les décennies qui suivirent, le seul fait d’exprimer un certain scepticisme envers la démocratie parlementaire pourra être assimilé au néonazisme et faire perdre ainsi le droit à la liberté de parole.
Lorsque le gouvernement militaire américain mit en oeuvre la dénazification(7), il employa une méthode policière de ce genre dans le domaine des lettres et de l’éducation allemande. Mais cette démarche de la part de ses nouveaux pédagogues n’a fait que contribuer à la montée rapide de l’hégémonie culturelle de la gauche marxiste en Europe. Des milliers de livres furent écartés des bibliothèques allemandes ; des milliers d’objets d’art jugés dangereux, s’ils n’avaient pas été détruits au préalable au cours des bombardements alliés, furent envoyés aux Etats-Unis et en Union soviétique. Les principes démocratiques de la liberté de parole ne furent guère appliqués aux Allemands puisqu’ils étaient en somme stigmatisés comme ennemis de classe de la démocratie. Particulièrement dur fut le traitement réservé aux professeurs et aux académiciens. Puisque l’Allemagne national-socialiste avait joui du soutien (bien que souvent momentané) de ces derniers, les autorités américaines de rééducation à peine installées se mirent à sonder les auteurs, les enseignants, les journalistes et les cinéastes afin de connaître leurs orientations politiques. Elles étaient persuadées que les universités et autres lieux de hautes études pourraient toujours se transformer en centres de révoltes. Pour elles, la principale tare des universités pendant le IIIe Reich avait été une spécialisation excessive, creusant un gouffre entre les étudiants comme élite, et le reste de la société allemande. L’éducation universitaire aurait donc transmis la compétence technique tout en négligeant la responsabilité sociale de l’élite vis-à-vis de la société(8). Les autorités américaines firent alors remplir aux intellectuels allemands des questionnaires restés fameux, qui consistaient en des feuilles de papiers contenant plus de cent demandes visant tous les aspects de la vie privée et sondant les tendances autoritaires des suspects. Les questions contenaient souvent des erreurs et leur message ultramoraliste était souvent difficile à comprendre pour des Allemands(9). Peu à peu les mots « nazisme » et « fascisme », subissant un glissement sémantique, se sont métamorphosés en simples synonymes du mal et ont été utilisés à tort et à travers. La « reductio ad hitlerum » est alors devenue un paradigme des sciences sociales et de l’éducation des masses. Tout intellectuel osant s’écarter du conformisme en quelque domaine que ce fût risquait de voir ses chances de promotion étouffées.
C’est donc dans ces conditions que les procédures de l’engineering social et l’apprentissage de l’autocensure sont peu à peu devenues la règle générale dans l’intelligentsia européenne. Bien que le fascisme, au début du troisième millénaire, ne représente plus aucune menace pour les démocraties occidentales, tout examen critique, aussi modeste soit-il, de la vulgate égalitaire, du multiculturalisme et de l’historiographie dominante risque d’être pointé comme « fasciste » ou « xénophobe ». Plus que jamais la diabolisation de l’adversaire intellectuel est la pratique courante du monde des lettres et des médias.
L’Allemagne forme certes un cas à part, dans la mesure où sa perception des Etats-Unis dépend toujours de celle que les Allemands sont obligés d’avoir d’eux-mêmes, comme des enfants auto-flagellants toujours à l’écoute de leurs maîtres d’outre-Atlantique. Jour après jour l’Allemagne doit faire la preuve au monde entier qu’elle accomplit sa tâche démocratique mieux que son précepteur américain. Elle est tenue d’être le disciple servile du maître, étant donné que la « transformation de l’esprit allemand (fut) la tâche principale du régime militaire »(10). Voilà pourquoi, si l’on veut étudier la généalogie du politiquement correct tel que nous le connaissons, on ne peut pas éviter d’étudier le cas de l’Allemagne traumatisée. Et cela d’autant plus qu’en raison de son passé qui ne passe pas, l’Allemagne applique rigoureusement ses lois contre les intellectuels mal-pensants. En outre, l’Allemagne exige de ses fonctionnaires, conformément à l’article 33, paragraphe 5 de sa Loi fondamentale, l’obéissance à la constitution, et non leur loyauté envers le peuple dont ils sont issus(11). Quant aux services de défense de la Constitution (Verfassungschutz), dont la tâche est la surveillance du respect de la Loi fondamentale, ils incluent dans leur mission de veiller à la pureté du langage politiquement correct : « Les agences pour la protection de la constitution sont au fond des services secrets internes dont le nombre s’élève à dix-sept (une au niveau de la fédération et seize autres pour chaque Land fédéral constitutif) et qui sont qualifiées pour détecter l’ennemi intérieur de l’Etat »(12).
Puisque toutes les formes d’attachement à la nation sont mal vues en Allemagne en raison de leur caractère jugé potentiellement non-démocratique et néonazi, le seul patriotisme permis aux Allemands est le « patriotisme constitutionnel ».
La nouvelle religion du politiquement correct est peu à peu devenue obligatoire dans toute l’Union européenne, et elle sous-entend la croyance dans l’Etat de droit et dans la « société ouverte ». Sous couvert de tolérance et de respect de la société civile, on pourrait imaginer qu’un jour un individu soit déclaré hérétique du fait, par exemple, d’exprimer des doutes sur la démocratie parlementaire. De plus, en raison de l’afflux des masses d’immigrés noneuropéens, la loi constitutionnelle est également sujette à des changements sémantiques. Le constitutionnalisme allemand est devenu « une religion civile » dans laquelle « le multiculturalisme est en train de remplacer le peuple allemand par le pays imaginaire de la Loi fondamentale »(13). Par le biais de cette nouvelle religion civique l’Allemagne, comme d’autres pays européens, s’est maintenant transformée en une théocratie séculière.
Sans cette brève excursion dans le climat du combat intellectuel d’après-guerre il est impossible de comprendre la signification actuelle du politiquement correct. La récente promulgation de la nouvelle législation européenne instituant un « crime de haine » est ainsi appelée à se substituer aux législations nationales pour devenir automatiquement la loi unique de tous les Etats de l’Union européenne. Rétrospectivement, cette loi supranationale pourrait être inspirée du code criminel de la défunte Union soviétique ou de celui l’ex-Yougoslavie communiste. Ainsi, le Code criminel yougoslave de 1974 comportait une disposition, dans son article 133, portant sur « la propagande hostile ». Exprimée en typique langue de bois, une telle abstraction sémantique pouvait s’appliquer à tout dissident - qu’il se soit livré à des actes de violence physique contre l’Etat communiste ou qu’il ait simplement proféré une plaisanterie contre le système.
D’après le même code, un citoyen croate, par exemple, se déclarant tel en public au lieu de se dire yougoslave pouvait se voir inculper d’« incitation à la haine interethnique », ou bien comme « personne tenant des propos oustachis », ce qui était passible de quatre ans de prison(14). Il faudra attendre 1990 pour que cette loi soit abrogée en Croatie.
A l’heure actuelle le Royaume-Uni témoigne du degré le plus élevé de liberté d’expression en Europe, l’Allemagne du plus bas. Le Parlement britannique a rejeté à plusieurs reprises la proposition de loi sur « le crime de haine », suggérée par divers groupes de pression - ce qui n’empêche pas les juges britanniques d’hésiter à prononcer de lourdes peines contre les résidents d’origine non-européenne par crainte d’être accusés eux-mêmes de cultiver un « préjugé racial ». Ainsi, indépendamment de l’absence de censure légale en Grande-Bretagne, un certain degré d’autocensure existe déjà. Depuis 1994, l’Allemagne, le Canada et l’Australie ont renforcé leur législation contre les malpensants.
En Allemagne, un néologisme bizarre (Volkshetze : « incitation aux ressentiments populaires »), relevant de l’article 130 du Code pénal, permet d’incriminer tout intellectuel ou journaliste s’écartant de la vulgate officielle. Vu le caractère général de ces dispositions, il devient facile de mettre n’importe quel journaliste ou écrivain en mauvaise posture, d’autant plus qu’en Allemagne il existe une longue tradition légale tendanciellement liberticide d’après laquelle tout ce qui n’est pas explicitement permis est interdit. Quant à la France, elle comporte un arsenal légal analogue, notamment depuis l’entrée en vigueur de la loi Fabius-Gayssot adoptée le 14 juillet 1990 - sur proposition d’un député communiste, mais renforcée à l’initiative du député de droite Pierre Lellouche en décembre 2002. Cette situation se généralise dans l’Union européenne(15), en comparaison de quoi, paradoxalement, les pays postcommunistes connaissent encore un plus grand degré de liberté d’expression, même si en raison de la pression croissante de Bruxelles et de Washington cela est en train de changer.
En Europe communiste, la censure de la pensée avait un gros avantage. La répression intellectuelle y était tellement vulgaire que sa violente transparence donnait à ses victimes l’aura des martyrs. La fameuse langue de bois utilisée par les communiste débordait d’adjectifs haineux au point que tout citoyen pouvait vite se rendre compte da la nature mensongère du communisme. En outre, comme la Guerre froide, vers la fin des années 1940, avait commencé à envenimer les rapports entre l’Est communiste et l’Ouest capitaliste, les élites occidentales se crurent moralement obligées de venir en aide aux dissidents esteuropéens, et cela moins en raison de leurs vues anticommunistes que pour prouver que le système libéral était plus tolérant que le communisme. Nul n’en sut profiter mieux que les architectes libéraux du langage politiquement correct.
En cachant leurs paroles démagogiques derrière les vocables de « démocratie », « tolérance » et « droits de l’homme » ils ont réussi à neutraliser sans aucune trace de sang tout opposant sérieux. Le langage médiatique a été également sujet à des règles hygiéniques imposées par les nouveaux princes de vertus. L’emploi châtré des structures verbales qui se sont propagés à travers toute l’Europe reflète des avatars puritains sécularisés si typiques autrefois des autorités militaires américaines dans l’Allemagne d’après-guerre. De nouveaux signifiants se font incessamment jour pour permettre à la classe dirigeante, ayant peur pour ses sinécures, de cacher ainsi ses propres signifiés privés. A-t-on jamais tant parlé en Amérique et en Europe de tolérance, a-t-on jamais tant prêché la convivialité raciale et l’égalitarisme de tous bords alors que le système entier déborde de toutes formes de violences souterraines et de haines mutuelles?
L’idéologie antifasciste doit rester un argument de légitimité pour tout l’Occident. Elle présuppose que même s’il n’y a plus aucun danger fasciste, son simulacre doit toujours être maintenu et brandi devant les masses.
Partout en Europe, depuis la fin de la Guerre froide, l’arène sociale doit fonctionner comme un prolongement du marché libre. L’efficacité économique est vue comme critère unique d’interaction sociale. Par conséquent, les individus qui se montrent critiques au sujet des mythes fondateurs du marché libre ou de l’historiographie officielle sont automatiquement perçus comme ennemis du système. Et à l’instar du communisme, la vérité politique en Occident risque d’être davantage établie par le code pénal que par la discussion académique. De plus, aux yeux de nouveaux inquisiteurs, l’hérétique intellectuel doit être surveillé - non seulement sur la base de ce qu’il dit ou écrit, mais sur celle des personnes qu’il rencontre. La « culpabilité par association » entrave gravement toute carrière, et ruine souvent la vie du diplomate ou du politicien. N’importe quelle idée qui vise à examiner d’une manière critique les bases de l’égalitarisme, de la démocratie et du multiculturalisme, devient suspecte. Même les formes les plus douces de conservatisme sont graduellement poussées dans la catégorie « de l’extrémisme de droite ». Et ce qualificatif est assez fort pour fermer la bouche même aux intellectuels qui font partie du système et qui ont eux-mêmes participé dans la passé à la police de la pensée. « Il y a une forme de political correctness typiquement européenne qui consiste à voir des fascistes partout » écrit ainsi Alain Finkielkraut(16). Le spectre d’un scénario catastrophique doit faire taire toutes les voix divergentes. Si le « fascisme » est décrété légalement comme le mal absolu, toutes les aberrations du libéralisme sont automatiquement regardées comme un moindre mal. Le système libéral moderne de provenance américaine est censé fonctionner à perpétuité, comme une perpetuum mobile(17).
L’Occident dans son ensemble, et paradoxalement l’Amérique elle-même, sont devenus des victimes de leur culpabilité collective, qui a comme origine non tant le terrorisme intellectuel que l’autocensure individuelle. Les anciens sympathisants communistes et les intellectuels marxistes continuent à exercer l’hégémonie culturelle dans les réseaux de fabrication de l’opinion publique.
Certes, ils ont abandonné l’essentiel de la scolastique freudo–marxiste, mais le multiculturalisme et le globalisme servent maintenant d’ersatz à leurs idées d’antan. La seule différence avec la veille est que le système libéralo-américain est beaucoup plus opérationnel puisqu’il ne détruit pas le corps, mais capture l’âme et cela d’une façon beaucoup plus efficace que le communisme. Tandis que le citoyen américain ou européen moyen doit supporter quotidiennement un déluge de slogans sur l’antiracisme et le multiculturalisme, qui ont acquis des proportions quasi-religieuses en Europe, les anciens intellectuels de tendance philo-communiste jadis adonnés au maoïsme, trotskisme, titisme, restent toujours bien ancrés dans les médias, l’éducation et la politique. L’Amérique et l’Europe s’y distinguent à peine. Elles fonctionnent d’une manière symbiotique et mimétique, chacune essayant de montrer à l’autre qu’elle n’accuse aucun retard dans la mise en place de la rhétorique et de la praxis politiquement correctes.
Autre ironie de l’histoire : pendant que l’Europe et l’Amérique s’éloignent chronologiquement de l’époque du fascisme et du national-socialisme, leur discours public évolue de plus en plus vers une thématique antifasciste.
Contrairement à la croyance répandue, le politiquement correct, en tant que base idéologique d’une terreur d’Etat, n’est pas seulement une arme aux mains d’une poignée de gangsters, comme nous l’avons vu en ex-Union Soviétique. La peur civile, la paresse intellectuelle créent un climat idéal pour la perte de liberté. Sous l’influence conjuguée du puritanisme américain et du multiculturalisme de tendance postmarxiste européen, le politiquement correct est devenu une croyance universelle. L’apathie sociale croissante et l’autocensure galopante ne nous annoncent pas de nouveaux lendemains qui chantent.
1. Force est de constater que les Européens de l’Est semblent avoir fort bien appris à désigner les pièges de l’homo sovieticus. Voir James Gregor, Metascience and Politics: An Inquiry into the Conceptual Language of Political Science (New Brunswick: Transaction Publishers, 2004), pp. 282- 292, où se trouvent décrites les “locutions normatives” du langage protototalitaire.
2. Arnold Gehlen, Moral und Hypermoral (Vittorio Klostermann GmbH, Francfort 2004, p.78).
3. Cf. Paul Gottfried, The Strange Death of Marxism, University of Missouri Press, Columbia-Londres, 2005, p. 108. Voir également Frances Stonor Saunders, Qui mène la danse? La CIA et la guerre froide culturelle, Denoël 2003.
4. Theodor Adorno (with Else Frenkel-Brunswick, Daniel J. Levinson, R. N. Sanford), The Authoritarian Personality (Harper and Brothers, New York 1950, pp. 780-820).
5. Le langage déconstructiviste promu par l’École de Francfort a récemment été critiqué par Kevin McDonald qui observe dans les analyses d’Adorno une diffamation de la culture européenne, tout « ethnocentrisme européen étant interprété comme un signe de pathologie ». Kevin MacDonald, The Culture of Critique: An Evolutionary Analysis of Jewish Involvement in Twentieth Century Intellectual and Political Movement (Praeger Publications, Westport CT, 1998, repris par Authorhouse, Bloomington 2002, p. 193).
6. Caspar Schrenck-Notzing, Characterwäsche (Seewald Verlag, Stuttgart 1965, p. 120).
7. La dénazification (Entnazifizierung) avait été expressément décidée lors de la conférence de Yalta (février 1945). Elle fut menée selon un critère de classe en zone soviétique, rapidement confiée aux soins de juges allemands en zones française et britannique, mais directement exercée par des agents américains dans la zone relevant de leur responsabilité, de manière tellement étendue qu’elle finit par s’étouffer elle-même.
8. Manfred Heinemann, Ulrich Schneider, Hochschuloffiziere und Wiederaufbau des Hochschulwesens in Westdeutschland,1945 – 1952 (Bildung und Wissenschaft, Bonn 1990), pp. 2-3 and passim. Voir Die Entnazifizierung in Baden 1945-1949 (W. Kohlhammer Verlag, Stuttgart 1991) concernant les épurations des enseignants allemands par les autorités françaises dans la région allemande de Baden. Entre 35 % et 50 % des enseignants dans la partie de l’Allemagne contrôlée par les Américains ont été suspendus d’enseignement. Le pourcentage des enseignants épurés par les autorités françaises s’élevait à 12-15 %. Voir Hermann–Josef Rupieper, Die Wurzeln der westdeutschen Nachkriegesdemokratie (Westdeutscher Verlag, 1992), p. 137.
9. Le romancier et ancien militant national-révolutionnaire Ernst von Salomon décrit cela dans son roman satirique Der Fragebogen, et montre comment les « nouveaux pédagogues » américains arrachaient parfois des confessions à leurs prisonniers avant de les bannir ou même de les expédier à l’échafaud.
10 . Caspar Schrenck-Notzing, op. cit., p 140.
11 . Cf. Josef Schüsslburner, Demokratie-Sonderweg Bundesrepublik, Lindenblatt Media Verlag, Künzell, 2004, p.631.
12 . Ibid., p. 233.
13 . Ibid., p. 591.
14 . Tomislav Sunic, Titoism and Dissidence, Peter Lang, Francfort, New York, 1995.
15. Ainsi, sur proposition initiale du conseiller spécial du gouvernement britannique Omar Faruk, l’Union européenne s’apprête-t-elle à éditer un lexique politiquement correct destiné aux dirigeants officiels européens impliquant de distinguer soigneusement entre islam et islamisme, et de ne jamais parler, par exemple, de « terrorisme islamique » (source : www.islamonline.net/English/News/2006-04/11/article02.shtml).
16. Alain Finkielkraut, « Résister au discours de la dénonciation » dans Journal du Sida, avril 1995. Voir « What sort of Frenchmen are they? », entrevue avec Alain Finkielkraut in Haaretz, le 18 novembre 2005. A. Finkielkraut fut interpellé suite à cet entretien par le MRAP, le 24 novembre, pour ses propos prétendument anti-arabes. Le 25 dans Le Monde, il présente ses excuses pour les propos en question.
17. Alain de Benoist, Schöne vernetzte Welt, « Die Methoden der Neuen Inquisition » (Hohenrain Verlag, Tübingen 2001, pp. 190-205).
06:10 Publié dans Définitions, Manipulations médiatiques, Philosophie, Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 07 mai 2007
Deux textes de P. Legendre
Pierre LEGENDRE : Miroir d'une Nation - L'Ecole Nationale d'Administration
suivi de
Les collages qui font un Etat
Ed. Mille et Une Nuits, ISBN 2-84205-422-9, 1999, 1,50 Euro.
Pierre Legendre est l'historien qui a inauguré en France l'histoire de l'Administration comme discipline. Il analyse ici le fonctionnement de la principale haute école qui forme depuis longtemps le cadre de la France unitaire, centralisée et pyramidale. Ce système a des côtés efficaces, dans un monde fait d'Etats-Nations juxtaposés les uns aux autres, mais il arase trop les multiples réalités organiques qui composent la nation ou les nations incluses dans l'hexagone énarquisé. Legendre constate que ce système est figé, ne peut résister à la globalisation, interdit tout questionnement quant à son utilité ou à son avenir. Cela conduit à la catastrophe anthropologique : le modèle centralisé/énarquisé s'effiloche mais ne cède nullement la place à un modèle valable; l'obsession contemporaine de vouloir créer indéfiniment des espaces de liberté "a tourné à la prison mentale", à l'"enfer du subjectif". Une étude qui doit nous interpeller pour suggérer de nouvelles formes d'administration, non figeantes, capables de gérer efficacement l'Europe dans le processus de globalisation, sans se faire avaler par cet anaconda global et sans sombrer dans l'enfer des subjectivités devenues démentes. A lire à la suite de nos réflexions sur l'œuvre sociologique de Simmel (Université d'été 1998; le texte de l'intervention de Robert Steuckers paraîtra sur ce blog "euro-synegies").
06:10 Publié dans Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 06 mai 2007
Un livre sur Dilthey
Un livre sur Dilthey
Leszek BROGOWSKI, Dilthey, conscience et histoire, PUF, Paris, 1997, ISBN-2-13-048876-5.
Etude serrée sur l'œuvre de Dilthey, théoricien de la philosophie de la vie. Pour ce philosophe qui jette les bases d'un filon philosophique fécond, «la vie est originairement un dynamisme irrationnel dont le rationnel se dégage progressivement à travers l'histoire. Dès lors, toute norme et tout a priori de la pensée, marques de la rationalité, se constituent historiquement et doivent être explicités à partir de l'histoire. Le monde est donc réel pour celui qui agit, parce qu'il en est le créateur. Ceux qui se contentent de théoriser dans l'abstrait sont déclaré insuffisants par Dilthey: «Dans les veines du sujet connaissant tel que Locke, Hume et Kant le construisirent, ce n'est pas du sang véritable qui coule, mais une sève délayée de raison, conçue comme unique activité de penser».
06:15 Publié dans Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
E. Cioran and the Culture of Death
Emile Cioran and the Culture of Death
by Dr. Tomislav Sunic
Speech held at Synergon's Summer University, Low Saxony, 2002
06:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook