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mardi, 21 avril 2015

A quoi sert la liberté d’expression?

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A quoi sert la liberté d’expression?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Dans les commentaires sur l'un de mes derniers articles, "SilvanaC" rappelait cette déclaration : "La liberté consiste à choisir soi-même ses chaînes." Elle est du moraliste belge Romain Guilleaumes et s'inscrit dans une "logique" nietzschéenne. Que sont-elles ces chaînes?

Ce sont essentiellement celles du langage. Nous ne choisissons pas notre langage, car nous sommes immergés en lui dès notre naissance. Comme le dit Noam Chomsky, un enfant n'apprend pas sa langue, comme s'il existait indépendamment d'elle et, ensuite, consciemment, rationnellement, décidait de l'adopter. Même pour l'adulte,  il n'y a pas d'abord une pensée individuelle et, ensuite, la décision d'utiliser tels ou tels mots pour exprimer cette pensée. Nous n'avons jamais vu une pensée personnelle se promener toute nue qu' habillerions de mots pour la faire circuler parmi nos semblables. Nous n'avons pas une pensée qui serait la nôtre, puis une traduction de cette pensée dans un langage. S'il n'y a guère de pensée personnelle dans les mots que j'entends, qui me parle ? Où est-il, celui qui use de la liberté d'expression ? Et moi, quand JE parle, en usai-je de cette liberté ? La liberté d'expression est censée ouvrir la porte à une position personnelle,  mais s'il n'y a personne derrière les mots,  elle ne sert peut-être pas à grand-chose.

Devant un enfant qui a commencé à parler, nous voyons un être qui joue avec les mots et non un JE qui s'exprime. Derrière ses mots, il n'est pas vraiment là. En jargon psychanalytique, l'enfant n'est pas encore un sujet. Ah oui, diront certains, mais devant un adulte qui parle, il y a LUI,  derrière ses mots ! Rien n'est moins sûr. Alors, demandera-t-on, qui réprime-t-on, lorsque la liberté d'expression est réprimée ? Ou encore, si nous sommes prisonniers du langage, que signifie la liberté d'expression?

Sommes-nous vraiment prisonniers du langage comme le pensait ce philosophe désespéré qu'était Ludwig Wittgenstein ? Pas tout à fait, car au-delà des mots, il y a toujours du réel. Insaisissable, certes,  mais pas complètement insaisissable. Seulement, pour saisir quelque chose, il faut un effort et non un brassage de mots. Dès que cet effort est accompli, nous sentons une présence dans le discours, en même temps que nous est dévoilé un peu du réel. Il n’y a pas de réalité sans un sujet qui la désigne.

Dans les nombreux cafés philosophiques où je suis intervenu,  j'aimais demander à mes auditeurs s'ils étaient certains que c'était moi qui parlais. N'était-ce pas plutôt tout ce que j'avais reçu depuis l'enfance,  les écoles que j'avais fréquentées, les livres que j'avais lus ? Ces questions suscitaient un malaise bien compréhensible. Si celui qui parle n'est pas celui qui parle, que se passe-t-il ? Moi, qui parle, où suis-je quand je parle ?

Derrière cette question s'en profile une autre, encore plus grave. Si ce n'est pas moi qui parle quand je parle, ai-je encore une place ici-bas ? Parler me donnait l'espoir d'être entendu, d'être accueilli par les autres. Mais si je ne suis pas dans ce que je dis, si mon moi reste évanescent, comment les autres pourraient-ils m'accueillir ? Comment pourraient-ils me faire une place parmi eux ? Ne pas avoir de place parmi ses semblables est terrible. On se sent alors rejeté, marginal, exclu, parce que nous ne sommes pas parvenus à nous rendre présents dans nos propos.

Il est d'autant plus difficile de répondre à ces questions que nous vivons dans une culture scientifique. Un homme de science qui dirait, "la loi de la chute des corps est vraie parce que JE vous le dis" serait immédiatement rejeté dans les ténèbres extérieures. Dans les congrès scientifiques, un homme n'est reconnu que s'il n'est pas dans ce qu'il dit, que s’il n’est pas là. Étrange culture scientifique où je ne suis "reconnu" que si je ne dis plus JE. C'est très curieux. En tant qu'homme de science, je dois renoncer à être un sujet existant parmi d'autres sujets. Bref, dans une culture scientifique, il faut tuer le moi. Cela ferait plaisir à Blaise Pascal pour qui le moi était haïssable. L’ennui est que s’il n’y a plus de sujet pour dire le réel, celui-ci s’évanouit.

Qu'il faille renoncer à son narcissisme pour être entendu, on l'admettra volontiers. Rien n'est plus insupportable qu'une subjectivité qui s'étale dans ses boursouflures. Mais comment admettre qu'il faille tuer le moi pour être entendu ? Cela ôterait tout sens à la liberté d'expression. Dans une culture où il s'agirait de tuer son moi, dans une culture où il faudrait être systématiquement objectif, systématiquement du côté de l'objet, jamais celui du sujet, la liberté d'expression n'aurait aucun sens. On peut se réjouir de l'avènement d'une culture scientifique, mais il faut savoir que si elle devenait absolument prédominante, il ne viendrait à personne l'idée de défendre la liberté d'expression.

Même sans culture scientifique, la présence du JE dans ce qui est dit  reste très problématique. Il y aura toujours des paroles qui sembleront ne venir de personne,  des paroles spectrales, pourrait-on dire. Qui d'entre nous n'a jamais entendu un perroquet répétant mécaniquement des propos sur la croissance, la paix, l'ouverture ou le repli ? On pourrait même dire que la liberté d'expression fait proliférer les perroquets qui disent tout et son contraire, par exemple le directeur romand d'Avenir suisse, Tibère Adler, qui parle d'étendre les droits populaires tout en en les limitant.

La liberté d'expression n'a de sens qu'articulée sur la pensée d'un sujet et non d'un perroquet. Malheureusement, on ne peut pas demander à ceux qui prennent la parole de souffler dans un ballon pour savoir s'ils sont des perroquets. Et l'on ne ferait pas diminuer leur nombre en supprimant la liberté d'expression. Tout ce qu'on peut souhaiter est que cette liberté soit moins comprise comme un droit que comme une invitation à penser par soi-même.

Jan Marejko, 9 avril 2015

lundi, 20 avril 2015

Michéa: «On ne peut être politiquement orthodoxe»...

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Jean-Claude Michéa: «On ne peut être politiquement orthodoxe»...

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-Claude Michéa à la revue anarcho-libertaire Ballast. Il revient, notamment, sur la « nouvelle stratégie Godwin (ou de reductio ad hitlerum) » de la gauche libérale qui vise à faire taire toute pensée critique...

Jean-Claude Michéa, dont l'essentiel de l’œuvre est désormais disponible dans la collection de poche Champs, des éditions Flammarion, a récemment publié chez cet éditeur La gauche et le peuple, un livre de débat avec Jacques Julliard

Vous venez du PCF et possédez, à la base, une formation marxiste. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ces « frères ennemis », pour reprendre la formule de Guérin, que sont Bakounine, Proudhon, Rocker, Camus, Durruti, Voline, Goodman, Louise Michel, Albert Thierry, Chomsky, Landauer, James C. Scott ou Graeber, que vous ne cessez de citer au fil de vos textes ?

Bien des problèmes rencontrés par le mouvement anticapitaliste moderne tiennent au fait que le terme de « socialisme » recouvre, depuis l’origine, deux choses qu’il serait temps de réapprendre à distinguer. Il s’applique aussi bien, en effet, à la critique radicale du nouvel ordre capitaliste issu des effets croisés de la révolution industrielle et du libéralisme des Lumières qu’aux innombrables descriptions positives de la société sans classe qui était censée succéder à cet ordre, qu’il s’agisse du Voyage en Icarie de Cabet, du nouveau monde sociétaire de Charles Fourier ou de la Critique du programme de Gotha de Karl Marx. Or il s’agit là de deux moments philosophiquement distincts. On peut très bien, par exemple, accepter l’essentiel de la critique marxiste de la dynamique du capital (la loi de la valeur, le fétichisme de la marchandise, la baisse tendancielle du taux de profit, le développement du capital fictif etc.) sans pour autant souscrire – à l’instar d’un Lénine ou d’un Kautsky – à l’idéal d’une société reposant sur le seul principe de la grande industrie « socialisée » et, par conséquent, sur l’appel au développement illimité des « forces productives » et à la gestion centralisée de la vie collective (pour ne rien dire des différentes mythologies de l’« homme nouveau » – ou artificiellement reconstruit – qu’appelle logiquement cette vision « progressiste »). C’est donc l’échec, rétrospectivement inévitable, du modèle « soviétique » (modèle qui supposait de surcroît – comme l’école de la Wertkritik l’a bien montré – l’occultation systématique de certains des aspects les plus radicaux de la critique de Marx) qui m’a graduellement conduit à redécouvrir les textes de l’autre tradition du mouvement socialiste originel, disons celle du socialisme coopératif et antiautoritaire, tradition que l’hégémonie intellectuelle du léninisme avait longtemps contribué à discréditer comme « petite-bourgeoise » et « réactionnaire ».

J’ajoute que dans mon cas personnel, c’est avant tout la lecture - au début des années 1970 - des écrits de Guy Debord et de l’Internationale situationniste (suivie, un peu plus tard, de celle de George Orwell, de Christopher Lasch et d’Ivan Illich) qui m’a progressivement rendue possible cette sortie philosophique du modèle léniniste. Les analyses de l’I.S. permettaient à la fois, en effet, de penser le capitalisme moderne comme un « fait social total » (tel est bien le sens du concept de « société du Spectacle » comme forme accomplie de la logique marchande) et d’en fonder la critique sur ce principe d’autonomie individuelle et collective qui était au cœur du socialisme coopératif et de l’« anarcho-syndicalisme ». Et cela, au moment même où la plupart des intellectuels déçus par le stalinisme et le maoïsme amorçaient leur repli stratégique sur cet individualisme libéral du XVIIIe siècle – la synthèse de l’économie de marché et des « droits de l’homme » – dont le socialisme originel s’était précisément donné pour but de dénoncer l’abstraction constitutive et les implications désocialisantes.

Mais, au fond, on sent que la tradition libertaire est chez vous une profonde assise morale et philosophique bien plus qu’un programme politique (pourtant présent, aujourd’hui encore, dans tous les mouvements anarchistes constitués de par le monde). Quelles sont les limites théoriques et pratiques que vous lui trouvez et qui vous empêchent de vous en revendiquer pleinement ?

C’est une question assurément très complexe. Il est clair, en effet, que la plupart des anarchistes du XIXe siècle se considéraient comme une partie intégrante du mouvement socialiste originel (il suffit de se référer aux débats de la première internationale). Mais alors qu’il n’y aurait guère de sens à parler de « socialisme » avant la révolution industrielle (selon la formule d’un historien des années cinquante, le « pauvre » de Babeuf n’était pas encore le « prolétaire » de Sismondi), il y en a clairement un, en revanche, à poser l’existence d’une sensibilité « anarchiste » dès la plus haute Antiquité (et peut-être même, si l’on suit Pierre Clastres, dans le cas de certaines sociétés dites « primitives »). C’est ce qui avait, par exemple, conduit Jaime Semprun et l’Encyclopédie des nuisances à voir dans l’œuvre de Pao King-yen et de Hsi K’ang - deux penseurs chinois du troisième siècle – un véritable « éloge de l’anarchie » (Éloge de l’anarchie par deux excentriques chinois, paru en 2004).

Cela s’explique avant tout par le fait que la question du pouvoir est aussi ancienne que l’humanité – contrairement aux formes de domination capitalistes qui ne devraient constituer, du moins faut-il l’espérer, qu’une simple parenthèse dans l’histoire de cette dernière. Il s’est toujours trouvé, en effet, des peuples, ou des individus, si farouchement attachés à leur autonomie qu’ils mettaient systématiquement leur point d’honneur à refuser toute forme de servitude, que celle-ci leur soit imposée du dehors ou, ce qui est évidemment encore plus aliénant, qu’elle finisse, comme dans le capitalisme de consommation moderne, par devenir « volontaire ». En ce sens, il existe incontestablement une tradition « anarchiste » (ou « libertaire ») dont les principes débordent largement les conditions spécifiques de la modernité libérale (songeons, par exemple, à l’œuvre de La Boétie ou à celle des cyniques grecs) et dont l’assise principale – je reprends votre formule – est effectivement beaucoup plus « morale et philosophique » (j’ajouterais même « psychologique ») que politique, au sens étroit du terme.

C’est évidemment la persistance historique de cette sensibilité morale et philosophique (l’idée, en somme, que toute acceptation de la servitude est forcément déshonorante pour un être humain digne de ce nom) qui explique le développement, au sein du mouvement socialiste originel - et notamment parmi ces artisans et ces ouvriers de métier que leur savoir-faire protégeait encore d’une dépendance totale envers la logique du salariat - d’un puissant courant  libertaire, allergique, par nature, à tout « socialisme d’Etat », à tout « gouvernement des savants » (Bakounine) et à toute discipline de parti calquée, en dernière instance, sur les seules formes hiérarchiques de l’usine bourgeoise. Le problème c’est qu’au fur et à mesure que la dynamique de l’accumulation du capital conduisait inexorablement à remplacer la logique du métier par celle de l’emploi (dans une société fondée sur le primat de la valeur d’usage et du travail concret, une telle logique devra forcément être inversée), le socialisme libertaire allait progressivement voir une grande partie de sa base populaire initiale fondre comme neige au soleil. Avec le risque, devenu patent aujourd’hui, que la critique anarchiste originelle – celle qui se fondait d’abord sur une « assise morale et philosophique » – laisse peu à peu la place à un simple mouvement d’extrême gauche parmi d’autres, ou même, dans les cas les plus extrêmes, à une posture purement œdipienne (c’est ainsi que dans un entretien récent avec Raoul Vaneigem, Mustapha Khayati rappelait qu’une partie des querelles internes de l’I.S. pouvaient s’expliquer par le fait qu’« un certain nombre d’entre nous, autour de Debord, avait un problème à régler, un problème avec le père »).

La multiplication des conflits de pouvoir au sein de nombreuses organisations dites « libertaires » – conflits dont les scissions répétitives et la violence des polémiques ou des excommunications sont un symptôme particulièrement navrant – illustre malheureusement de façon très claire cette lente dégradation idéologique d’une partie du mouvement anarchiste moderne : celle dont les capacités de résistance morale et intellectuelle au maelstrom libéral sont, par définition, les plus faibles – comme c’est très souvent le cas, par exemple, chez les enfants perdus des nouvelles classes moyennes métropolitaines (le microcosme parisien constituant, de ce point de vue, un véritable cas d’école ). De là, effectivement, mes réticences à me situer aujourd’hui par rapport au seul mouvement anarchiste orthodoxe et, surtout, mon insistance continuelle (dans le sillage, entre autres, d’Albert Camus et d’André Prudhommeaux) à défendre cette idée de « décence commune » dont l’oubli, ou le refus de principe, conduit presque toujours un mouvement révolutionnaire à céder, tôt ou tard, à la fascination du pouvoir et à se couper ainsi des classes populaires réellement existantes.

On a du mal à savoir ce que vous pensez précisément de l'État – une problématique pourtant chère aux marxistes comme aux anarchistes...

Je n’ai effectivement pas écrit grand-chose sur cette question (sauf, un peu, dans la Double pensée et dans mon entretien avec le Mauss), tant elle me semble polluée par les querelles terminologiques. Ce que marxistes et anarchistes, en effet, critiquaient sous le nom d’État au XIXe siècle ne correspond plus entièrement à ce qu’on range aujourd’hui sous ce nom (pour ne rien dire de la critique libérale de l’État qui relève d’une autre logique, malheureusement trop facilement acceptée par certains « anarchistes » parisiens tendance Largo Winch). Le mieux est donc de rappeler ici quelques principes de bon sens élémentaire. Ce qui commande une critique socialiste/anarchiste de l’État, c’est avant tout la défense de l’autonomie populaire sous toutes ses formes (cela suppose naturellement une confiance de principe dans la capacité des gens ordinaires à s’autogouverner dans toute une série de domaines essentiels de leur vie).

Autonomie dont le point d’ancrage premier est forcément toujours local (la « commune » pris au sens large du mot – cf. Marx –, c’est-à-dire là où un certain degré de face-à-face, donc de démocratie directe – est en droit encore possible). Cela implique donc :
a) la critique de tout pouvoir bureaucratique séparé et qui entendrait organiser d’en haut la totalité de la vie commune.
b) la critique de la mythologie républicaine de « l’Universel » dont l’État serait le fonctionnaire, du moins si par « universel » on entend l’universel abstrait, pensé comme séparé du particulier et opposé à lui. L’idée en somme que les communautés de base devraient renoncer à tout ce qui les particularise pour pouvoir entrer dans la grande famille uniformisée de la Nation ou du genre humain. En bon hégélien, je pense au contraire que l’universel concret est toujours un résultat – par définition provisoire – et qu’il intègre la particularité à titre de moment essentiel (c’est-à-dire non pas comme « moindre mal », mais comme condition sine qua non de son effectivité réelle). C’est pourquoi – mais on l’a déjà dit mille fois – l’État et l’Individu modernes (autrement dit, l’État « universaliste » et l’individu « séparé de l’homme et de la communauté », Marx) définissent depuis le début une opposition en trompe l’œil (c’est Hobbes qui a génialement démontré, le premier, que l’individu absolu – celui que vante le « rebelle » libertarien – ne pouvait trouver sa vérité que dans l’État absolu [et réciproquement]).

L’individu hors-sol et intégralement déraciné (le « self made man » des libéraux) n’est, en réalité, que le complément logique du Marché uniformisateur et de l’État « citoyen » et abstrait (tout cela était déjà admirablement décrit par Marx dans la question juive). La base de toute société socialiste sera donc, à l’inverse, l’homme comme « animal social » (Marx) et capable, à ce titre, de convivialité (le contraire, en somme de l’individu stirnero-hobbesien). Le dernier livre de David Graeber sur la dette (qui prolonge les travaux du Mauss), contient, du reste, des passages remarquables sur ce point (c’est même la réfutation la plus cruelle qui soit du néo-utilitarisme de Lordon et des bourdivins). C’est pourquoi une critique socialiste/anarchiste de l’État n’a de sens que si elle inclut une critique parallèle de l’individualisme absolu. On ne peut pas dire que ce lien soit toujours bien compris de nos jours !

Pour autant, et à moins de rêver d’une fédération mondiale de communes autarciques dont le mode de vie serait nécessairement paléolithique, il est clair qu’une société socialiste développée et étendue à l’ensemble de la planète suppose une organisation beaucoup plus complexe à la fois pour rendre possible la coopération amicale entre les communautés et les peuples à tous les niveaux et pour donner tout son sens au principe de subsidiarité (on ne délègue au niveau supérieur que les tâches qui ne peuvent pas être réalisé au niveau inférieur [ce qui est exactement le contraire de la façon de procéder liée à l’Europe libérale]). C’est évidemment ici que doit se situer la réflexion – compliquée – sur le statut, le rôle et les limites des services publics, de la monnaie, du crédit public, de la planification, de l’enseignement, des biens communs etc.

Tout comme Chomsky, je ne suis donc pas trop gêné – surtout en ces temps libéraux – par l’emploi du mot « étatique » s’il ne s’agit que de désigner par là ces structures de coordination de l’action commune (avec, bien entendu, les effets d’autorité et de discipline qu’elles incluent) qu’une société complexe appelle nécessairement (que ce soit au niveau régional, national ou mondial). L’important devient alors de s’assurer du plus grand contrôle démocratique possible de ces structures par les collectivités de base (principe de rotation des fonctions, tirages au sort, interdiction d’exercer plus d’un mandat, contrôle des experts, référendums d’initiatives populaires, reddition des comptes, etc., etc.). Dans l’idéal, la contradiction dialectique entre la base et le « sommet » (et le mouvement perpétuel de va-et-vient entre les deux) pourrait alors cesser d’être « antagoniste ». Mais, vous le voyez, je n’ai improvisé là que quelques banalités de base.

Comme vous le savez, le terme « libertaire » a été inventé par Déjacque en opposition au terme « libéral », lors d’une querelle avec Proudhon. Vous n’avez pas de mots assez durs contre les « libéraux-libertaires » chers, si l’on peut dire, à Clouscard. Comment expliquez-vous cette alliance a priori incongrue ?

On aura une idée supplémentaire de toutes ces difficultés sémantiques si l’on ajoute que la traduction américaine du mot « libertaire » (le journal de Joseph Déjacque était certes publié à New-York, mais uniquement en français) est libertarian. Or ce dernier terme (qu’on a curieusement retraduit par « libertarien ») en est peu à peu venu à désigner, aux États-Unis, la forme la plus radicale du libéralisme économique, politique et culturel – celle qu’incarnent notamment Murray Rothbard et David Friedman – au point d’être parfois considéré aujourd’hui comme un simple équivalent de celui d’« anarcho-capitaliste » ! Pour dissiper ce nuage d’encre, il est donc temps d’en revenir aux fondements mêmes de la critique socialiste originelle de l’anthropologie libérale. On sait, en effet, que pour les libéraux – il suffit de lire John Rawls – l’homme doit toujours être considéré comme un être « indépendant par nature » et qui ne peut donc chercher à nouer des liens avec ses semblables (ne serait-ce – écrit ironiquement David Graeber – que pour pouvoir « échanger des peaux de castor ») que dans la stricte mesure où ce type d’engagement contractuel lui paraît « juste », c’est-à-dire, en dernière instance, conforme à son « intérêt bien compris ».

Dans cette perspective à la Robinson Crusoé (Marx voyait significativement dans le cash nexus des économistes libéraux – terme qu’il avait emprunté au « réactionnaire » Carlyle – une pure et simple « robinsonnade »), il va de soi qu’aucune norme morale, philosophique ou religieuse ne saurait venir limiter du dehors le droit « naturel » de tout individu à vivre en fonction de son seul intérêt égoïste (y compris dans sa vie familiale et affective), si ce n’est, bien entendu, la liberté équivalente dont sont supposés disposer symétriquement les autres membres d’une société libérale (les interventions de l'État « minimal » n’ayant alors plus d’autre prétexte officiel que la nécessité permanente de protéger ces libertés individuelles, que ce soit sur le plan politique et culturel – la défense des « droits de l’homme », y compris en Irak, au Mali ou en Afghanistan – ou économique – la défense de la libre concurrence et de la liberté intégrale d’entreprendre, de vendre et d’acheter). Or si la plupart des fondateurs du socialisme partageaient effectivement l’idéal émancipateur des Lumières et leur défense de l’esprit critique (ils étaient évidemment tout aussi hostiles que les libéraux aux sociétés oppressives et inégalitaires d’ancien régime), ils n’en dénonçaient pas moins l’anthropologie individualiste et abstraite sur laquelle cet idéal était structurellement fondé. À leurs yeux il allait de soi, en effet, que l’homme était d’abord un être social, dont la prétendue « indépendance naturelle » (déjà contredite par la moindre observation ethnologique) impliquait – comme Marx l’écrivait en 1857 – une « chose aussi absurde que le serait le développement du langage sans la présence d’individus vivant et parlant ensemble ».

 

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De là, naturellement, le rôle philosophique absolument central que ces premiers socialistes accordaient aux concepts d’entraide et de « communauté » (on a presque fini par oublier que le terme de « socialisme » s’opposait, à l’origine, à celui d’« individualisme ») et leur critique corrélative du dogme libéral selon lequel l’émancipation intégrale des individus ne pourrait trouver ses ultimes conditions que dans la transformation correspondante de la société – pour reprendre une formule de l’école saint-simonienne – en une simple « agrégation d’individus sans liens, sans relations, et n’ayant pour mobile que l’impulsion de l’égoïsme » (la coexistence « pacifique » des individus ainsi atomisés devant alors être assurée par les seuls mécanismes anonymes et impersonnels du Droit et du Marché, eux-mêmes placés sous l’égide métaphysique du Progrès continuel de la Science et des « nouvelles technologies »). Il suffit, dès lors, de réactiver ce clivage originel (ce qui suppose, vous vous en doutez bien, une rupture radicale avec tous les postulats idéologiques de la gauche et de l’extrême gauche contemporaines) pour redécouvrir aussitôt ce qui sépare fondamentalement un authentique libertaire – celui dont la volonté d’émancipation personnelle, à l’image de celle d’un Kropotkine, d’un Gustav Landauer, ou d’un Nestor Makhno, s’inscrit nécessairement dans un horizon collectif et prend toujours appui sur les « liens qui libèrent » (comme, par exemple, l’amour, l’amitié ou l’esprit d’entraide) – d’un « libertaire » libéral (ou « anarcho-capitaliste ») aux yeux duquel un tel travail d’émancipation personnelle ne saurait être l'œuvre que d’un sujet « séparé de l’homme et de la communauté » (Marx), c’est-à-dire, en définitive, essentiellement narcissique (Lasch) et replié sur ses caprices individuels et son « intérêt bien compris » (quand ce n’est pas sur sa seule volonté de puissance, comme c’était par exemple le cas chez le Marquis de Sade).

C’est d’ailleurs cette triste perversion libérale de l’esprit « libertaire » que Proudhon avait su décrire, dès 1858, comme le règne de « l’absolutisme individuel multiplié par le nombre de coquilles d’huîtres qui l’expriment ». Description, hélas, rétrospectivement bien prophétique et qui explique, pour une grande part, le désastreux naufrage intellectuel de la gauche occidentale moderne et, notamment, son incapacité croissante à admettre que la liberté d’expression c’est d’abord et toujours, selon la formule de Rosa Luxemburg, la liberté de celui qui pense autrement.

L'an passé, Le Monde libertaire vous a consacré quelques pages. S’il louait un certain nombre de vos analyses, il vous reprochait votre usage du terme « matriarcat », votre conception de l’internationalisme et de l'immigration, et, surtout, ce qu’il percevait comme une complaisance à l’endroit des penseurs et des formations nationalistes ou néofascistes – au prétexte qu’ils seraient antilibéraux et que cela constituerait votre clivage essentiel, quitte à fouler aux pieds tout ce qui, dans ces traditions, s’oppose brutalement à l’émancipation de chacune des composantes du corps social. Comprenez-vous que vous puissiez créer ce « malaise », pour reprendre leur terme, au sein de tendances (socialistes, libertaires, communistes, révolutionnaires, etc.) dont vous vous revendiquez pourtant ?

Proudhon.jpgPassons d’abord sur l’idée grotesque – et visiblement inspirée par le courant féministe dit « matérialiste » – selon laquelle l’accumulation mondialisée du capital (dont David Harvey rappelait encore récemment qu’elle constituait la dynamique de base à partir de laquelle notre vie était quotidiennement façonnée) trouverait sa condition anthropologique première dans le développement du « patriarcat » – lui-même allègrement confondu avec cette domination masculine qui peut très bien prospérer, à l’occasion, à l’abri du matriarcat psychologique. Une telle idée incite évidemment à oublier – comme le soulignait déjà Marx – que le processus d’atomisation marchande de la vie collective conduit, au contraire, « à fouler aux pieds toutes les relations patriarcales » et, d’une manière générale, à noyer toutes les relations humaines « dans les eaux glacées du calcul égoïste ».

Passons également sur cette assimilation pour le moins hâtive (et que l’extrême gauche post-mitterrandienne ne songe même plus à interroger) de l’internationalisme du mouvement ouvrier originel à cette nouvelle idéologie « mobilitaire » (dont la libre circulation mondiale de la force de travail et le tourisme de masse ne représentent, du reste, qu’un aspect secondaire) qui constitue désormais – comme le rappelait Kristin Ross – « le premier impératif catégorique de l’ordre économique » libéral. Mes critiques semblent avoir oublié, là encore, que l’une des raisons d’être premières de l’association internationale des travailleurs, au XIXe siècle, était précisément la nécessité de coordonner le combat des différentes classes ouvrières nationales contre ce recours massif à la main d’œuvre étrangère qui apparaissait déjà, à l’époque, comme l’une des armes économiques les plus efficaces de la grande bourgeoisie industrielle. Comme le soulignaient, par exemple, les représentants du mouvement ouvrier anglais (dans un célèbre appel de novembre 1863 adressé au prolétariat français), « la fraternité des peuples est extrêmement nécessaire dans l’intérêt des ouvriers. Car chaque fois que nous essayons d’améliorer notre condition sociale au moyen de la réduction de la journée de travail ou de l’augmentation des salaires, on nous menace toujours de faire venir des Français, des Allemands, des Belges qui travaillent à meilleur compte ».

Naturellement, les syndicalistes anglais – étrangers, par principe, à toute xénophobie – s’empressaient aussitôt d’ajouter que la « faute n’en est certes pas aux frères du continent, mais exclusivement à l’absence de liaison systématique entre les classes industrielles des différents pays. Nous espérons que de tels rapports s’établiront bientôt [de fait, l’association internationale des travailleurs sera fondée l’année suivante] et auront pour résultat d’élever les gages trop bas au niveau de ceux qui sont mieux partagés, d’empêcher les maîtres de nous mettre dans une concurrence qui nous rabaisse à l’état le plus déplorable qui convient à leur misérable avarice » (notons qu’on trouvait déjà une analyse semblable des effets négatifs de la politique libérale d’immigration dans l’ouvrage d’Engels sur la situation de la classe laborieuse en Angleterre). Comme on le voit, la conception de la solidarité internationale défendue par les fondateurs du mouvement ouvrier était donc un peu plus complexe (et surtout impossible à confondre avec ce culte de la « mobilité » et de la « flexibilité » qui est au cœur de l’idéologie capitaliste moderne) que celle du brave Olivier Besancenot ou de n’importe quel autre représentant de cette nouvelle extrême gauche qui apparaît désormais – pour reprendre une expression de Marx – « au-dessous de toute critique ».

Quant à l’idée selon laquelle ma critique du capitalisme entretiendrait un rapport ambigu, certains disent même structurel, avec le « néofascisme » – idée notamment propagée par Philippe Corcuff, Luc Boltanski et Jean-Loup Amselle –, elle me semble pour le moins difficile à concilier avec cet autre reproche (que m’adressent paradoxalement les mêmes auteurs) selon lequel j’accorderais trop d’importance à cette notion de common decency qui constituait aux yeux d’Orwell le seul fondement moral possible de tout antifascisme véritable. Il est vrai que les incohérences inhérentes à ce type de croisade (dont le signal de départ avait été donné, en 2002, par la très libérale Fondation Saint-Simon, avec la publication du pamphlet de Daniel Lindenberg sur les « nouveaux réactionnaires ») perdent une grande partie de leur mystère une fois que l’on a compris que l’objectif premier des nouveaux évangélistes libéraux était de rendre progressivement impossible toute analyse sérieuse (ou même tout souvenir concret) de l’histoire véritable des « années trente » et du fascisme réellement existant.

Et cela, bien sûr, afin de faire place nette – ce qui n’offre plus aucune difficulté majeure dans le monde de Youtube et des « réseaux sociaux » – à cet « antifascisme » abstrait et purement instrumental sous lequel, depuis 1984, la gauche moderne ne cesse de dissimuler sa conversion définitive au libéralisme. Bernard-Henri Lévy l’avait d’ailleurs reconnu lui-même lorsqu’il écrivait, à l’époque, que « le seul débat de notre temps [autrement dit, le seul qui puisse être encore médiatiquement autorisé] doit être celui du fascisme et l’antifascisme ». Or on ne peut rien comprendre à l’écho que le fascisme a pu rencontrer, tout au long du XXe siècle, dans de vastes secteurs des classes populaires, et des classes moyennes, si l’on ne commence pas – à la suite d’Orwell – par prendre acte du fait qu’il constituait d’abord, du moins dans sa rhétorique officielle, une forme pervertie, dégradée, voire parodique du projet socialiste originel (« tout ce qu’il y a de bon dans le fascisme – n’hésitait pas à écrire Orwell – est aussi implicitement contenu dans le socialisme »). Ce qui veut tout simplement dire que cette idéologie ontologiquement criminelle (analyse qui vaudrait également pour les autres formes de totalitarisme, y compris celles qui s’abritent aujourd’hui sous l’étendard de la religion) trouvait, au même titre que le socialisme, son point de départ moral et psychologique privilégié dans le désespoir et l’exaspération croissante d’une partie des classes populaires devant cette progressive « dissolution de tous les liens sociaux » (Debord) que le principe de neutralité axiologique libéral engendre inexorablement (processus qu’Engels décrivait, pour sa part, comme la « désagrégation de l’humanité en monades dont chacune à un principe de vie particulier et une fin particulière »).

Naturellement, la fétichisation du concept d’unité nationale (qui ne peut qu’entretenir l’illusion d’une collaboration « équitable » entre le travail et le capital) et sa nostalgie romantique des anciennes aristocraties guerrières (avec son culte du paganisme, de la hiérarchie et de la force brutale) interdisaient par définition au fascisme de désigner de façon cohérente les causes réelles du désarroi ressenti par les classes populaires, tout comme la véritable logique de l’exploitation à laquelle elles se trouvaient quotidiennement soumises. De là, entre autres, cet « antisémitisme structurel » (Robert Kurz) qui « ne fait que renforcer le préjugé populaire du "capital accapareur" rendu responsable de tous les maux de la société et qui, depuis deux cents ans, est associé aux juifs » (Robert Kurz ne manquait d’ailleurs pas de souligner, après Moishe Postone, que cet antisémitisme continuait d’irriguer, « de façon consciente ou inconsciente » – et, le plus souvent, sous le masque d’une prétendue solidarité avec le peuple palestinien – une grande partie des discours de l’extrême gauche contemporaine). Il n’en reste pas moins que l’idéologie fasciste – comme c’était d’ailleurs déjà le cas, au XIXe siècle, de celle d’une partie de la droite monarchiste et catholique (on se souvient, par exemple, du tollé provoqué sur les bancs de la gauche par Paul Lafargue – en décembre 1891 – lorsqu’il avait osé saluer dans une intervention du député catholique Albert de Mun « l’un des meilleurs discours socialistes qui aient été prononcés ici ») – incorpore, tout en les dénaturant, un certain nombre d’éléments qui appartiennent de plein droit à la tradition socialiste originelle.

Tel est bien le cas, entre autres, de la critique de l’atomisation marchande du monde, de l’idée que l’égalité essentiellement abstraite des « citoyens » masque toujours le pouvoir réel de minorités qui contrôlent la richesse et l’information, ou encore de la thèse selon laquelle aucun monde véritablement commun ne saurait s’édifier sur l’exigence libérale de « neutralité axiologique » (d’ailleurs généralement confondue, de nos jours, avec le principe de « laïcité ») ni, par conséquent, sur ce relativisme moral et culturel « postmoderne » qui en est l’expression philosophique achevée (à l’inverse, on aurait effectivement le plus grand mal à trouver, dans toute l’œuvre d’Eric Fassin, une seule page qui puisse réellement inciter les gens ordinaires à remettre en question la dynamique aveugle du capital ou l’imaginaire de la croissance et de la consommation). C’est naturellement l’existence de ces points d’intersection entre la critique fasciste de la modernité libérale (ou, d’une manière générale, sa critique « réactionnaire ») et celle qui était originellement portée par le mouvement ouvrier socialiste, qui allait donc permettre aux think tanks libéraux (Fondation Saint-Simon, Institut Montaigne, Terra Nova, etc.) de mettre très vite au point – au lendemain de la chute de l’empire soviétique – cette nouvelle stratégie Godwin (ou de reductio ad hitlerum) qui en est progressivement venue à prendre la place de l’ancienne rhétorique maccarthyste. Stratégie particulièrement économe en matière grise – d’où le succès qu’elle rencontre chez beaucoup d’intellectuels de gauche – puisqu’il suffira désormais aux innombrables spin doctors du libéralisme de dénoncer rituellement comme « fasciste » (ou, à tout le moins, de nature à engendrer un regrettable « brouillage idéologique ») toute cette partie de l’héritage socialiste dont une droite antilibérale se montre toujours capable, par définition, de revendiquer certains aspects – moyennant, bien sûr, les inévitables ajustements que son logiciel inégalitaire et nationaliste lui impose par ailleurs.

 

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À tel point que les représentants les plus intelligents de cette droite antilibérale ont eux-mêmes fini par comprendre, en bons lecteurs de Gramsci, tout le bénéfice qu’il leur était à présent possible de tirer de leurs hommages sans cesse plus appuyés – et sans doute parfois sincères – à l’œuvre de Marx, de Debord ou de Castoriadis. Un tel type de récupération est, du reste, d’autant plus inévitable que le disque dur métaphysique de la gauche moderne – à présent « prisonnière de l’ontologie capitaliste » (Kurz) – ne lui permet plus, désormais, de regarder en face la moindre réalité sociologique concrète (comme dans le célèbre conte d’Andersen sur les Habits neufs de l’Empereur) et, par conséquent, de percevoir dans la détresse et l’exaspération grandissantes des classes populaires (qu’elle interprète nécessairement comme un signe de leur incapacité frileuse à s’adapter « aux exigences du monde moderne ») tout ce qui relève, au contraire, d’une protestation légitime (je renvoie ici au remarquable essai de Stephen Marglin sur The Dismal science) contre le démantèlement continuel de leurs identités et de leurs conditions matérielles de vie par la dynamique transgressive du marché mondialisé et de sa culture « postmoderne » (« cette agitation et cette insécurité perpétuelles » – écrivait déjà Marx – « qui distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes »).

De là, bien entendu, l’étonnante facilité avec laquelle il est devenu aujourd’hui possible de discréditer a priori toutes ces mises en question de la logique marchande et de la société du Spectacle qui, il y a quelques décennies encore, étaient clairement le signe d’une pensée radicale – qu’il s’agisse de l’École de Francfort, de l’Internationale situationniste ou des écrits d’Ivan Illich. Si, par exemple, le Front National – tournant le dos à la rhétorique reaganienne de son fondateur – en vient, de nos jours, à soutenir l’idée que les politiques libérales mises en œuvre par la Commission européenne, et le déchaînement correspondant de la spéculation financière internationale, sont l’une des causes majeures du chômage de masse (tout en prenant évidemment bien soin de dissocier ce processus de financiarisation « néolibéral » des contradictions systémiques que la mise en valeur du capital productif rencontre depuis le début des années soixante-dix), on devra donc désormais y voir la preuve irréfutable que toute critique de l’euro et des politiques menées depuis trente ans par l’oligarchie bruxelloise ne peut être que le fait d’un esprit « populiste », « europhobe » ou même « rouge-brun » (et peu importe, au passage, que le terme d’« europhobie » ait lui-même été forgé par la propagande hitlérienne, au cours de la Seconde Guerre mondiale, dans le but de stigmatiser la résistance héroïque des peuples anglais et serbe à l’avènement d’une Europe nouvelle !).

En ce sens, la nouvelle stratégie Godwin apparaît bien comme l’héritière directe de la « Nouvelle Philosophie » de la fin des années soixante-dix. À ceci près, que là où un Glucksmann ou un BHL se contentaient d’affirmer que toute contestation radicale du capitalisme conduisait nécessairement au Goulag, la grande innovation théorique des Godwiniens aura été de remplacer la Kolyma et les îles Solovski par Auschwitz, Sobibor et Treblinka. De ce point de vue, Jean-Loup Amselle – avec son récent pamphlet sur les « nouveaux Rouges-Bruns » et le « racisme qui vient » – est incontestablement celui qui a su conférer à ces nouveaux « éléments de langage » libéraux une sorte de perfection platonicienne. Au terme d’une analyse fondée sur le postulat selon lequel « la culture n’existe pas, il n’y a que des individus » (hommage à peine voilé à la célèbre formule de Margaret Thatcher), il réussit, en effet, le tour de force de dénoncer dans le projet d’une « organisation sociale et économique reposant sur les principes d’échange non marchand, de don, de réciprocité et de redistribution » – autrement dit dans le projet socialiste traditionnel – l’une des incarnations les plus insidieuses, du fait de son supposé « primitivisme », de cette « posture rouge-brune qui fait le lit du Front national et de Riposte laïque » (il est vrai qu’aux yeux de cet étrange anthropologue de gauche, les partisans de la décroissance, les écologistes et les « anarchistes de tout poil » avaient déjà, depuis longtemps, largement contribué à cette lente fascisation des esprits). Le fait qu’une pensée aussi délirante ait pu rencontrer un écho favorable auprès de tant d’« antifascistes » auto-proclamés (pour ne rien dire des éloges dithyrambiques d’un Laurent Joffrin) nous en apprend donc énormément sur l’ampleur du confusionnisme qui règne aujourd’hui dans les rangs de la gauche et de l’extrême gauche post-mitterrandiennes – mouvement anarchiste compris.

Et, comme par hasard, c’est précisément dans un tel contexte idéologique – contexte dans lequel tous les dés ont ainsi été pipés d’avance – que tous ceux qui tiennent la critique socialiste de Marx, d’Orwell ou de Guy Debord pour plus actuelle que jamais et contestent donc encore, avec un minimum de cohérence, le « monde unifié du capital » (Robert Kurz), se retrouvent désormais sommés par les plus enragés des « moutons de l’intelligentsia » (Debord) de s’expliquer en permanence sur la « complaisance » que cette critique entretiendrait nécessairement avec les idéologies les plus noires du XXe siècle. Avec à la clé – j’imagine – l’espoir des évangélistes libéraux d’amener ainsi tous ces mauvais esprits à mettre, à la longue, un peu d’eau dans leur vin, de peur de passer pour « passéistes » ou « réactionnaires ». Tout comme, sous le précédent règne du maccarthysme, c’était, à l’opposé, la peur d’être assimilés à des « agents de Moscou » qui était censée paralyser les esprits les plus critiques. Il se trouve hélas (et j’en suis sincèrement désolé pour tous ces braves policiers de la pensée qui ne font, après tout, que le travail pour lequel l’Université les paye) qu’il y a déjà bien longtemps que j’ai perdu l’habitude de me découvrir – dans la crainte et le tremblement – devant chaque nouvelle procession du clergé « progressiste » (ou, si l’on préfère, devant chaque nouvelle étape du développement capitaliste). Mais n’est-ce pas George Orwell lui-même qui nous rappelait qu’« il faut penser sans peur » et que « si l’on pense sans peur, on ne peut être politiquement orthodoxe » ?

Jean-Claude Michéa (Ballast, 9 février 2015)

Debord, réac ou révolutionnaire?...

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Debord, réac ou révolutionnaire?...

par Galaad Wilgos

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Galaad Wilgos, cueilli sur le site Le Comptoir et consacré à la position de Guy Debord par rapport à la question du progrès...

« Quand être “absolument moderne” est devenu une loi spéciale proclamée par le tyran, ce que l’honnête esclave craint plus que tout, c’est que l’on puisse le soupçonner d’être passéiste. » — Guy Debord.

Le titre peut paraître improbable aux yeux des pythies progressistes. Debord, dont on honorait le vingtenaire de la mort il y a peu, idole devenue consensuelle, dont l’ouvrage – ou devrait-on dire le titre – a enfanté quantité de lieux communs, semble faire partie du milieu. À l’instar d’un Camus, devenu social-démocrate progressiste, Debord l’irréductible s’est transformé, avec l’âge et la mort, en gentil critique des médias. On a détourné Debord.

Pourtant, un certain Debord demeure ignoré du grand public. Et pour cause, l’homme qui refusait d’apparaître dans les médias, le contempteur du travail, le premier critique de son public, a développé une œuvre dotée en germes de fortes doses d’explosif. Debord, dynamite conceptuelle. Si on le connaît plus pour sa pulvérisation de la « société du spectacle » ainsi que ses remarques sur l’urbanisme, peu de gens connaissent l’auteur de ces lignes : « La décadence générale est un moyen au service de l’empire de la servitude ; et c’est seulement en tant qu’elle est ce moyen qu’il lui est permis de se faire appeler progrès. » (Panégyrique, in Œuvres, p.1684)

Car en effet, Debord n’était pas un anticapitaliste typique. Malgré une conversion pleine et entière au marxisme, sa radicalité ainsi que son adhésion au conseillisme l’avaient amené à mener de front un combat radical contre la société moderne. Faisant constamment référence au passé afin d’y tirer des exemples, il détestait de nombreux phénomènes liés à la société moderne, fustigeait les travers moraux de ses contemporains [i] et émettait des critiques qui pourraient le faire passer aux yeux de certains de nos contemporains pour un « réac’ ». Ainsi, à propos des problèmes de banlieue, Debord disait :

« Je pense que tu as noté un fait qui a été cité très vite, peu de jours après l’affrontement du pont de l’Alma. Les pompiers appelés à Montfermeil sous le prétexte d’un faux incendie sont en fait tombés dans un guet-apens, où on les attendait avec des pavés et des barres de fer. Nos vieilles chansons témoignent qu’il est après tout normal, quand on est trop dans le besoin, de “crever la panse et la sacoche” d’un contrôleur des omnibus. Mais attaquer des pompiers, cela ne s’est jamais fait quand Paris existait ; et je ne sais même pas si cela se fait à Washington ou à Moscou. C’est l’expression achevée, et pratique, de la dissolution de tous les liens sociaux. » (Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord, 1998, p.137).

Debord romantique révolutionnaire

Pour comprendre cela, il faut revenir sur un concept analysé par Michael Löwy et Robert Sayre : le romantisme révolutionnaire. On ne peut pas comprendre ses critiques acerbes de la modernité sans voir qu’elles s’enracinent dans toute une tradition de pensée critique, élaborée en réaction à l’avènement du capitalisme industriel. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de faire de Debord un disciple de Hugo ou de Nerval – bien qu’il aimait tout particulièrement des gens comme Novalis, Coleridge ou Musset [ii]. Il s’agit en revanche de l’attacher à ce  « grand courant de protestation contre la civilisation capitaliste/industrielle moderne, au nom de valeurs du passé, qui commence au milieu du XVIIIe siècle, avec Jean-Jacques Rousseau et qui persiste, en passant par la Frühromantik allemande, le symbolisme et le surréalisme, jusqu’à nos jours ». Il se caractérise ainsi par plusieurs traits spécifiques, qui le distinguent d’une critique rationnelle et « froide » du capitalisme : « Déchiré entre nostalgie du passé et rêve d’avenir, il dénonce les désolations de la modernité bourgeoise : désenchantement du monde, mécanisation, réification, quantification, dissolution de la communauté humaine. Malgré la référence permanente à un âge d’or perdu, le romantisme n’est pas nécessairement rétrograde : au cours de sa longue histoire, il a connu aussi bien des formes réactionnaires que révolutionnaires. » [iii]

debord_oeuvres.jpgLe concept de romantisme révolutionnaire avait déjà été mis en débat dans les années 1950, lorsqu’Henri Lefebvre se rapprocha de l’Internationale situationniste. C’était notamment autour de ce concept que les deux entamèrent un dialogue plus ou moins fécond. Et de prime abord, Debord n’y semblait pas favorable. Les situationnistes refusaient en effet la conception de l’art de Lefebvre, qui distinguait encore les genres et parlait d’« œuvre » (en opposition, du reste, avec la conception de l’ancien romantisme, qui mettait du flou dans ces délimitations), alors que les situs, changeant ainsi le terrain même de la discussion, ne considéraient plus que l’existence même comme œuvre véritable, désirant ainsi dépasser l’art et sa conception moderne en faisant de la vie elle-même une œuvre d’art. Par ailleurs, leur refus du monde ne pouvait être à leurs yeux romantique que dans la mesure où l’entreprise situationniste demeurait finalement un échec – incapable de porter un coup radical à la société capitaliste –, quand bien même ce refus était inconsciemment romantique. Les situationnistes semblent cependant admettre la qualification de romantique vers le début des années 1960, au moment même où Debord et Lefebvre rompirent leur relation amicale. [iv]

La relation au passé de Debord est ainsi de tout intérêt. Comme Lefebvre, il n’acceptait pas l’idée d’un retour vers le passé comme solution au capitalisme. Romantique et antimoderne, oui, mais certainement pas réactionnaire. Alors que le situationnisme, avant-garde artistique, ne devait pas a priori s’opposer à une vision focalisée sur l’avenir, l’histoire et l’évolution de Debord ont été de magnifiques contradictions par rapport à ces visions avant-gardistes des origines. Passionné d’histoire, il puisait de nombreuses références dans le passé, afin d’en tirer des germes de négation de l’ordre capitaliste. Grand admirateur des époques et des auteurs anciens, il pouvait mentionner en des termes élogieux l’Athènes antique, la Florence de la Renaissance [v], mais aussi l’époque médiévale, avec ses récits du Saint-Graal et sa chevalerie, voire les communautés étrangères au capitalisme :

« Ce qui intéressait les situationnistes dans ces communautés était leur existence indépendante de l’État et de l’accumulation capitaliste, soit parce qu’elles leur étaient antérieures, comme les sociétés archaïques ou la chevalerie médiévale, soit parce qu’elles échappaient à leur emprise, comme les Gitans. Il ne s’agissait pas, bien sûr, de reproduire tel quel, dans une société communiste, le mode de vie des chevaliers, des nomades ou des Amérindiens, mais de s’appuyer sur leur exemple pour concevoir de nouvelles formes de vie désaliénée. » [vi]

Les situationnistes et le progrès

Peu de place pour un progrès dogmatique, donc. Cette chimère sortie toute ailée des cerveaux aériens de l’aristocratie décadente et de la bourgeoisie montante postulait l’amélioration continue de la civilisation avec le temps. L’accumulation des enseignements, les découvertes scientifiques, la pensée rationnelle seraient autant de preuves de la supériorité des Modernes sur les Anciens. Le XVIIIe siècle et ses Lumières – Rousseau excepté – en furent les parangons, le XIXe siècle et sa révolution industrielle lui donnèrent une assise matérielle, sociale. La bourgeoisie, auréolée de ses victoires révolutionnaires et en bonne place sur le trône du monde, pouvait désormais rebaptiser l’optimisme qui en découlait du doux nom de Progrès, devenant ainsi un qualificatif mélioratif, là où il désignait autrefois un simple mouvement. L’idéologie du Progrès, avec son eschatologie, son sens de l’Histoire dirigé inéluctablement vers l’Éden – des droits de l’homme et du marché pour les libéraux, de la Révolution et de la fin du capitalisme pour les marxistes – put régner en maître par l’intermédiaire des maîtres du monde – et de nombre de leurs adversaires. Face à ce nouveau dogme moderne, le romantisme s’érigea aussi en réaction aux « illusions du progrès » (Sorel), à commencer par Rousseau, critique interne aux Lumières.

Les situationnistes étaient ambigus par rapport à la question du progrès, plus particulièrement du progrès technique. L’urbanisme en est une preuve flagrante : la New Babylon élaborée par Constant Anton Nieuwenhuys était un bijou de technophilie. Reposant sur une automatisation totale du travail – abolissant dès lors, selon Constant, le travail – elle fonctionnait à l’aide des technologies les plus avancées et des matériaux les plus « modernes » pour son temps (aluminium, nylon,…). Tout y était artificiel, des bruits d’ambiance aux changements météorologiques programmés. C’était une « expression typique de la phase de modernisation que traversent les sociétés occidentales dans l’après-guerre » [vii], avec son cortège joyeux et extatique d’enthousiastes du progrès techno-scientifique. Ouvrage de science-fiction qui allait engendrer de nombreux monstres – émules d’un Constant, lui-même déconcerté (tant il n’adhérait pas non plus à une négation totale du passé) –, New Babylon assortie des productions artistiques du « peintre industriel » situationniste Giuseppe Pinot Gallizio et des affinités futuristes du mouvement, étaient de grandiloquentes proclamations technophiles.

Cependant, ce serait oublier que le mouvement s’était aussi érigé contre une certaine modernisation devenue folle. À l’instar de Rousseau, les situs critiquaient la modernité au sein de la modernité. Les rêves de récupération des développements techniques créés par le capitalisme à des fins socialistes étaient toujours présents, marxisme et imaginaire moderniste obligent, mais en dépit de cela, le projet radical de critique s’insurgeait contre les dégâts provenant de cette société. La « dérive » [viii] est un exemple notable : il s’agit d’une nouvelle forme d’activité, une forme de vie novatrice à la fois poétique et subversive, qui se construit en partie par opposition à la ville moderne. Alors que celle-ci dispose des destinations comme autant de points abstraits, séparés les uns des autres et reliés par des trajectoires généralement rectilignes – en raison d’une rationalisation instrumentale et d’un utilitarisme capitaliste – la dérive ne suit aucun schéma et préfère les chemins spontanés, les ambiances.

Celui qui dérive s’oppose à la vision purement utilitaire du déplacement urbain, avec son cortège de « non-lieux » (ces lieux de passage qui relient les points de départ et d’arrivée d’un même ensemble géographique), de sas, d’écrans, d’accélérateurs de déplacements (ascenseurs, routes, etc.) et de contraintes policières (le situ Abdelhafid Khatib ayant été incarcéré à deux reprises en cherchant à définir l’ambiance des Halles la nuit, en raison de son origine nord-africaine). La dérive était généralement effectuée ivre. « Le sens de la dérive réside bien dans son opposition à ce conditionnement, au cloisonnement de la ville, à la canalisation des trajets, à la déqualification des lieux. Il est dans la guérilla que mènent les marcheurs libres contre le quadrillage et la gestion de l’espace rendus nécessaires par une société fondée sur la division du travail et la lutte des classes. “On nous impose où il faut aller, par où il faut marcher. Et la dérive, c’est le contraire. […] On découvre des parcours inapparents dans les villes, dans les cités, dans les rues” déclarera le situationniste Ralph Rumney. » [ix] Anecdote intéressante et témoignage dramatique des ravages de la modernisation, quand Raoul Vaneigem et Debord cherchèrent à faire une dérive dans les Sarcelles, ils durent renoncer bien vite et retourner à leurs lieux habituels… Le lieu ne se prêtait en rien à la recherche d’une atmosphère et aux déplacements incongrus des situs. Il faut bien le dire, les endroits préférés des situs demeuraient les endroits historiques et préservés, des villes telles que Venise ou Amsterdam, où toute une ambiance et une géographie persistaient dans leur être, contre la modernisation galopante des villes. Ces nomades n’avaient, en réalité, jamais assez de railleries et de vitupérations contre les immondes amas de béton que sont les HLM, ou contre les buildings titanesques des grandes métropoles.

Debord écolo, anti-industriel et anti-moderne

Mais au-delà de ses ambigüités, c’est la trajectoire particulière de Guy Debord qui est la plus intéressante. Ce dernier n’a pas été épargné par les paradoxes du mouvement auquel il a appartenu, mais à l’inverse de plusieurs de ses membres, ainsi que de nombreux héritiers proclamés du situationnisme, Debord a effectué une mue en vieillissant – et notamment au contact d’intellectuels comme Jacques Ellul et Cornélius Castoriadis – vers un positionnement franchement anti-industriel, anti-moderne et écologiste. Au cours des années 1950, déjà, il commençait à lancer quelques foudres affirmées contre le modernisme échevelé. En 1957, contre l’appréciation du futurisme de certains de ses camarades, Debord dénonçait « la puérilité de [son] optimisme technique » (Rapport sur la construction des situations). Des années plus tard, son célèbre ouvrage La société du spectacle fustigera le « système économique fondé sur l’isolement [qui] est une production circulaire de l’isolement. L’isolement fonde la technique, et le processus technique isole en retour. De l’automobile à la télévision, tous les biens sélectionnés par le système spectaculaire sont aussi ses armes pour le renforcement constant des conditions d’isolement des “foules solitaires”. » (§28). La note 45 démolit le secteur tertiaire des services, qu’il décrit comme étant l’ « immense étirement des lignes d’étapes de l’armée de la distribution et de l’éloge des marchandises actuelles », dont le développement rencontrait à ce moment-là la demande d’emploi liée à l’automatisation du travail – anticipant par là les « jobs à la con » de David Graeber. Dans la note 192, Debord déplore la dissolution de la communication, du langage, et donc de la communauté, et il n’hésite pas, dans la note 115, à se revendiquer du « général Ludd », figure mythique du mouvement de bris des machines anglais !

En 1971, après de nombreuses évolutions personnelles, il rédigea un texte alors inédit, au titre qui donnait d’emblée le ton : « La planète malade ». Singulière proclamation techno-critique et écologiste (bien qu’ambiguë par moments), il y aborde la question de la pollution. L’article fait office de critique exhaustive des dégâts industriels, et notamment de la production de pollution : « augmentation rapide de la pollution chimique de l’atmosphère respirable ; de l’eau des rivières, des lacs, des lacs et déjà des océans, et l’augmentation irréversible de la radioactivité accumulée par le développement pacifique de l’énergie nucléaire ; des effets du bruit ; de l’envahissement de l’espace par des produits en matières plastiques qui peuvent prétendre à une éternité de dépotoir universel ; de la natalité folle ; de la falsification insensée des aliments ; de la lèpre urbanistique qui s’étale toujours plus à la place de ce que furent la ville et la campagne ; ainsi que des maladies mentales […] ».

Avec prescience, il y détecte déjà les récupérations de l’écologie par la société du spectacle : « la soi-disant “lutte contre la pollution”, par son côté étatique et réglementaire, va d’abord créer de nouvelles spécialisations, des services ministériels, des jobs, de l’avancement bureaucratique ». Et il conclut par un vibrant plaidoyer pour la démocratie des soviets, dite « démocratie totale », ainsi que pour la révolution : « Ce printemps [de mai 68] obtint aussi, sans précisément y monter à l’assaut, un beau ciel, parce que quelques voitures avaient brûlé et que toutes les autres manquaient d’essence pour polluer. Quand il pleut, quand il y a de faux nuages sur Paris, n’oubliez jamais que c’est la faute du gouvernement. La production industrielle aliénée fait la pluie. La révolution fait le beau temps. »

Sans concession avec une société moderne produisant tant de nuisances, il approfondit certaines critiques émises à l’encontre de la nourriture moderne dans un autre texte, peu connu, nommé « Abat-faim » et publié en 1985 dans la fameuse Encyclopédie des Nuisances (tome I, fascicule 5). On sait que Debord et ses amis situs adoraient la bonne gastronomie, mais aussi les bons breuvages. Le palais est un palais, le bon goût ne touche pas uniquement l’art mais aussi la victuaille et la boisson. Si dans le texte précédent, Debord affirmait que « pour la pensée bourgeoise, méthodologiquement, seul le quantitatif est le sérieux, le mesurable, l’effectif ; et le qualitatif n’est que l’incertaine décoration subjective ou artistique du vrai réel estimé à son vrai poids », ce texte sera pour lui l’occasion d’approfondir ceci en décortiquant les dégâts industriels sur l’évolution du goût des aliments… et donc des hommes. Pour Debord en effet, avec le progrès de la technique, nous ne mangerions plus que des abats-faims, soit « une pièce de résistance qu’on sert d’abord pour apaiser, abattre la première faim des convives » (Larousse).

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Bien avant les scandales de Findus, il y dénonce déjà les colossales malversations liées à l’industrie agro-alimentaire et à ses aliments « dont l’apparence colorée n’y garantit pas la saveur, ni la fadeur l’innocuité ». La chimie fait des ravages, couplée avec la mondialisation et la logique marchande elle permet des horreurs : viandes composées à plus de 30% de matières végétales fabriquées en laboratoire, bières infectes, voire bières concentrées (permettant le remplacement des brasseurs par de vulgaires embouteilleurs chargés de réunir les éléments séparés – le tout au profit des grandes industries brassicoles, détruisant les brasseries locales et donc du même coup tout un savoir-faire ancestral), pains composé d’ingrédients imbitables (farines non-panifiables, levures chimiques, fours électriques), fruits gardés au froid afin de résister à toutes les saisons (perdant au passage, selon un journaliste enthousiaste du Cosmopolitan, beaucoup de leur saveur naturelle), etc. Constat presque prophétique : aujourd’hui, on sait désormais scientifiquement que les fruits ne sont plus que des succédanés des fruits d’antan, une pomme des années 1950 en valant 100 des années 2000…

La nourriture est un sujet peu abordé par les révolutionnaires – si ce n’est par l’angle quantitatif. Or, c’est un enjeu tout aussi important, sinon majeur, et Debord l’avait bien compris. La logique du capitalisme tend à tout réduire à des abstractions et à nuire à l’authenticité des productions humaines. Elle crée des ersatz, et ce au profit des personnes qui possèdent le capital, seules aptes à payer des laboratoires pour toujours progresser dans la réduction des coûts, et les machines permettant de recomposer les aliments séparés. Cette réduction des coûts (et du temps), on le sait désormais, passera bientôt par la disparition des animaux, bien trop coûteux pour ceux qui ne veulent plus avoir à faire à de la chair vivante. Au nom du quantitatif, on détruit le qualitatif. Raisonnements d’esthètes ? Les premiers perdants de ces avancées sont en réalité les classes populaires. Des petites entreprises familiales en Occident transmettant un legs gastronomique séculier jusqu’aux agriculteurs vivriers qui en Afrique sont incapables de rivaliser avec la production à bas coûts (et à bas goûts) des grandes fermes industrielles occidentales, tous y perdent, et tout s’y perd : les traditions alimentaires, l’autonomie alimentaire, tout ce qui a pu se faire grâce à une production spontanée du peuple et une longue formation historique.

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Mais comment a-t-on pu en arriver là ? Debord, en antimoderne, ne peut que constater la lente déliquescence des mœurs. Il fut un temps où l’on pouvait « pendre à la lanterne » les falsificateurs de nourriture, alors que la falsification demeurait artisanale ; elle est aujourd’hui d’autant plus endémique qu’elle est acceptée passivement. « Autre temps, autres mœurs ». Le goût des hommes s’est perdu avec l’homogénéisation capitaliste. « Toute tradition historique doit disparaître, et l’abstraction devra régner dans l’absence générale de la qualité (voir l’article Abstraction). Tous les pays n’avaient évidemment pas les mêmes caractéristiques (géographiques et culturelles) dans l’alimentation. Pour s’en tenir à l’Europe, la France avait de la mauvaise bière (sauf en Alsace), du très mauvais café, etc. Mais l’Allemagne buvait de la bonne bière, l’Espagne buvait du bon chocolat et du bon vin, l’Italie du bon café et du bon vin. La France avait du bon pain, de bons vins, de nombreux fromages, beaucoup de volaille et de bœuf. Tout doit se réduire, dans le cadre du Marché Commun, à une égalité de la marchandise polluée. »

Une mise en garde d’autant plus salutaire que la question du goût n’est pas anodine. Au contraire, elle est le corollaire de celle de l’intelligence, dans tout ce que ce concept embrasse. Une vision bien trop cartésienne de l’être humain a tendu à séparer le corps et l’esprit, dans une dichotomie qui oppose finalement un matérialisme vulgaire à un idéalisme désincarné. Caricature radicale, car comme le rappelait Charles Péguy, « le spirituel couche dans le lit de camp du temporel ». L’éveil à la curiosité sous toutes ses formes est toujours passé par une forme quelconque de passion et de sensualité. Goût des mathématiques, goût de la politique, tout passe par un enracinement des activités dans les désirs et plaisirs charnels des uns et des autres – le corps, réceptacle et formateur des idées. Et les Athéniens de l’Antiquité le savaient, eux qui voyaient notamment dans la tragédie une fonction éminemment critique et démocratique : la leçon de la tragédie passait par les passions qu’elle véhiculait, transmises à l’audience. Plus on ressentait les choses, mieux c’était ; l’apathie – étymologiquement « absence de passion » – était radicalement méprisée chez les Grecs, particulièrement en politique. Plus tard, de nombreuses formes de socialisme tenteront de revaloriser le désir et la libido (parfois jusqu’à l’outrance, ce que récupèrera le capitalisme consumériste), car l’accomplissement de soi passe aussi par une adéquation entre travail, désir et plaisir.

Si Castoriadis pouvait affirmer qu’il fallait remplacer « la passion pour les objets de consommation » par « la passion pour les affaires communes » (Une société à la dérive), c’est bien parce qu’il savait qu’on ne pratiquait pas quelque chose sans que cette chose soit valorisée socialement et apprécié individuellement. La fadeur morne de la politique et des luttes sociales contemporaines est ainsi, désormais, compensée par le Spectacle et ses nuisances. Les valeurs se perdent dès lors par recul de la sensualité, qui est tout à la fois moteur d’ouverture spirituelle et médiatrice des passions.

La perte de sensualité, le mépris des sens, est finalement l’ami pervers d’un capitalisme voué à tout rationaliser, à assécher un monde où l’austérité forcée traverse le monde de la production – et la désinhibition par l’overdose de stimuli celui de la consommation. « La répétitivité et l’affadissement des discours sur la sensualité ont également à voir avec une prise de distance généralisée vis-à-vis du monde sensuel. La pacification politique, le primat de la sécurité, la défiance à l’égard des passions ont des effets anesthésiants. Sans cesse stimulées par des signaux audio et vidéo, la vue et l’ouïe – les deux sens les moins charnels – ont pris l’ascendant sur le goût, et surtout sur l’odorat et le toucher. Les corps, soumis à une infinité de stimulations externes (consommer, embellir, faire du sport, etc.) sont dépossédés d’eux-mêmes. Car l’injonction contemporaine à jouir de la vie selon des principes bien davantage hédonistes et consuméristes que sensuels est le plus souvent un moyen de canaliser les désirs et les énergies, avec une visée normalisatrice. Chacun doit être capable de rendre compte de ses manières d’accéder à des plaisirs qui ne dépassent pas les limites de ce qui est décrété acceptable ; l’éthique de la transparence, aujourd’hui triomphante, repose sur une limitation des libertés communes et sur un autocontrôle des individus. » (Thomas Bouchet, Les fruits défendus. Socialisme et sensualité du XIXe siècle à nos jours.)

Réac ou révolutionnaire ?

Alors, Guy Debord était-il réactionnaire ? Ou révolutionnaire ? La question est importante, car elle dépasse la personne, elle-même significative, de Guy Debord pour toucher les mouvements radicaux et révolutionnaires en général. L’on sait trop bien désormais le lien néfaste entre tout un pan de la tradition révolutionnaire et les idéologies du Progrès. La « table rase » du passé a justifié la diabolisation de ce dernier, et il est, encore aujourd’hui, difficile de tenir une position de valorisation du passé sans passer pour un odieux nostalgique des vieilles dominations. L’eschatologie révolutionnaire n’a pourtant pas toujours été accolée à la Révolution, qui elle-même, étymologiquement, signifie un retour au point originel.

Régis Debray le rappelle régulièrement : « C’est le présentisme qui est effrayant. La perte des anachronismes. L’instant qui scintille, sans recul pour s’en démarquer, sans l’aune pour le juger. Si maintenant tout est maintenant, disons adieu aux rébellions de demain, que le jeunisme tuera dans l’œuf. Pas de révolution sans l’insistance, l’assistance du révolu. […] Tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés avaient un temps de retard sur le leur : le Che voulait refaire San Martín, Marcos, Zapata, Chávez, Bolívar. Comme nos jacobins en 1789, lecteurs de Plutarque et de Tite-Live, les Gracques ; et Lénine, la Commune de Paris. Les réfractaires ont la manie d’antidater, en faisant d’un anachronisme leur agenda » (Dégagements). Et comme une preuve par l’histoire, la défunte revue libertaire Offensive avait publié un dossier entier sur ces révolutions ayant précédé la Révolution française. Ces dernières se caractérisaient par un conservatisme populaire qui visait à garder ce qu’il y avait de mieux dans la société tout en restaurant les dégâts commis par les dominants. « Que la révolution soit aussi une restauration, cela devait donc être entendu au sens le plus exact de ce terme : restaurer, c’est bien remettre à neuf une bâtisse, une statue ou un meuble anciens qui ont été abîmés, pour leur permettre de se conserver dans le temps. Révolutionner, ce n’était pas “faire table rase”, cela signifiait au contraire conserver autant que possible un certain état de la société, qui n’avait pu être troublé que par la soif de richesse et de puissance des gouvernants. Par conséquent, loin de se concevoir comme des “bousculeurs”, les révolutionnaires de jadis se voulaient des mainteneurs. » (Patrick Marcolini, « Révolte et conservatisme », Offensive).

debord1.jpgL’un des apports intéressants de Guy Debord réside dans son évolution, qui a été aussi une évolution contre cette conception progressiste, modernisatrice de la Révolution. Comme la majeure partie des authentiques radicaux du XXe siècle, sa volonté d’aller à la racine du capitalisme le conduisit à prendre des positions de plus en plus opposées à la vision linaire, déterministe de l’Histoire. Il adhérait ainsi au célèbre passage du Manifeste du Parti communiste disant que « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux. […] Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés ». Cela s’accompagnait d’une remise en cause toute aussi radicale des normes véhiculées par le clivage gauche-droite. Considéré comme un auteur de gauche, certaines de ses positions semblaient pourtant déroutantes, désignant le problème de l’immigration comme significatif de l’évolution du monde occidental américanisé, les délinquants de banlieue comme les symptômes d’une dissolution radicale des liens sociaux, et les thèmes sociétaux comme les nouveaux cadres de la pensée bourgeoise. Cela le conduisait même à dire que « les catholiques extrémistes sont les seuls qui me paraissent sympathiques, Léon Bloy notamment. ».

Alors, Debord, réac’ ou révolutionnaire ? Gageons qu’il aurait réfuté cette opposition stupide, en montrant que la Révolution a besoin de conservation et donc du passé. Le capitalisme n’ayant plus besoin de la bourgeoisie conservatrice, il a continué sa mutation, chamboulant jusqu’aux mœurs sexuelles afin de conserver sa domination. Désormais, toute opposition authentique ne pourra se revendiquer du Progrès ou de la modernité, moteurs des changements perpétuels nécessaires au renouvellement du capitalisme. Il s’agit dès lors de puiser consciemment dans la mémoire collective pour trouver matière à créer un avenir. Des germes afin que poussent de nouvelles fleurs révolutionnaires. Guy Debord n’était pas réactionnaire, c’était un révolutionnaire sans le Progrès.

Galaad Wilgos (Le Comptoir, 23 mars 2015)

Notes :

[i] « Le fait de n’avoir jamais accordé que très peu d’attention aux questions d’argent, et absolument aucune place à l’ambition d’occuper quelque brillante fonction dans la société, est un trait si rare parmi contemporains qu’il sera sans doute parfois considéré comme incroyable, même dans mon cas. » (Panégyrique, p.1662).

[ii] « Géographie littéraire », in Œuvres, Paris, Gallimard, 2006, pp.1290-1291.

[iii] « Consumé par le feu de la nuit – le romantisme noir de Guy Debord »

[iv] http://noesis.revues.org/723#tocto1n2

[v] « Il est juste de reconnaître la difficulté et l’immensité des tâches de la révolution qui veut établir et maintenir une société sans classes. Elle peut assez aisément commencer partout où des assemblées prolétariennes autonomes, ne reconnaissant en dehors d’elles aucune autorité ou propriété de quiconque, plaçant leur volonté au-dessus de toutes les lois et de toutes les spécialisations, aboliront la séparation des individus, l’économie marchande, l’État. Mais elle ne triomphera qu’en s’imposant universellement, sans laisser une parcelle de territoire à aucune forme subsistante de société aliénée. Là, on reverra une Athènes ou une Florence dont personne ne sera rejeté, étendue jusqu’aux extrémités du monde ; et qui, ayant abattu tous ses ennemis, pourra enfin se livrer joyeusement aux véritables divisions et aux affrontements sans fin de la vie historique. » (Guy Debord, Préface à la quatrième édition italienne de La Société du spectacle)

[vi] http://noesis.revues.org/723#tocto1n2

[vii] Le mouvement situationniste. Une histoire intellectuelle, p.173

[viii] « Mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine : technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Se dit aussi, plus particulièrement, pour désigner la durée d’un exercice continu de cette expérience. », « Définitions », IS, n°1, juin 1958, p.13.

[ix] Le mouvement situationniste, p.93

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dimanche, 12 avril 2015

El infierno de lo igual: La sociedad de la transparencia

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El infierno de lo igual: La sociedad de la transparencia

Byung-Chul Han
Ex: http://blogs.culturamas.es

Un exceso de positividad está cambiando el paradigma de occidente, sentencia Byung-Chul Han, filósofo alemán de origen coreano en su libro ‘La sociedad del Cansancio’, un interesante ensayo que hace unos días reseñaba en este blog. Hoy quiero acercaros ‘La sociedad de la transparencia’ (editado también por Herder Editorial, en el año 2013), de este mismo autor, en el cual el filósofo profundiza sobre las consecuencias que el abandono de la negatividad y de toda resistencia a la alteridad está operando en la sociedad actual, totalizado el concepto de la transparencia hasta convertirlo en un fetiche.

“Ningún otro lema domina hoy tanto el discurso público como la transparencia”, explica Byung-Chul Han. La omnipresencia de lo transparente no puede reducirse a un cambio en el ámbito de lo político o lo económico, sino que encuentra su explicación dentro de un cambio de paradigma social, en lo que el autor denomina la nueva ‘sociedad positiva’. La abolición de lo negativo ha inundado el torrente del capital, la comunicación y la información; el cálculo, la dirección y el control someten hoy nuestras acciones volviéndolas transparentes.

“La transparencia es una coacción sistémica que se apodera de todos los sucesos sociales y los somete a un profundo cambio”. Desmontando toda su negatividad, eliminando lo extraño, la imposición de la transparencia busca volver nuestras acciones operacionales y acelerarlas. “Las cosas se tornan transparentes cuando se despojan de su singularidad y se expresan completamente en la dimensión del precio. El dinero, que todo lo hace comparable con todo, suprime cualquier rasgo de lo inconmensurable, cualquier singularidad de las cosas. La sociedad de la transparencia es un infierno de lo igual.”

“Una nueva palabra para uniformación: transparencia”

Carente de destino el tiempo ha perdido su carácter fluido para nivelarse a un presente siempre disponible, se ha vuelto transparente. El futuro se visualiza como un presente optimizado, se ha vuelto transparente. Las imágenes se han liberado de toda dramaturgia, de toda su profundidad hermética, se han vuelto pornográficas, se han vuelto transparentes. “La coacción de la transparencia nivela al hombre mismo hasta convertirlo en un elemento funcional del sistema. Ahí está la violencia de la trasparencia”, sentencia el autor.

Catalogando de ingenua la ideología del Post-Privacy, que busca el abandono de la esfera privada en pos de conducir a una comunicación transparente, Byung-Chul Han reflexiona sobre la imposibilidad de que opere una transparencia efectiva en los hombres consigo mismos o con sus semejantes, dado que el inconsciente permanece oculto para el Yo, lo cual vuelve también imposible una transparencia interpersonal, que por otra parte no es deseable. “Precisamente la falta de transparencia del otro es lo que mantiene viva la relación”, protegiendo la atracción y la vitalidad. “Una relación transparente es una relación muerta (…) sólo lo muerto puede ser transparente”.

El mundo se ha vuelto más desvergonzado y desnudo. Hoy, ejercitarse en la actitud de la distancia es una forma de resistencia ante el totalitarismo de la trasparencia. “La distancia y la vergüenza no pueden insertarse en el ritmo acelerado del capital, de la información y de la comunicación”. La negatividad de dejar que las cosas caigan en el olvido, o de no saber, muchas veces obra en beneficio, pero la sociedad de la transparencia no permite que nada escape a la visibilidad, ni da oportunidad a espacios vacíos, por lo que la inspiración y el pensamiento, ambos necesitados de esa laguna, se ven perjudicados. “Una sociedad que no admitiera ya ninguna negatividad de un vacío sería una sociedad sin dicha. Amor sin ninguna laguna de visión es pornografía. Y sin laguna de saber el pensamiento degenera para convertirse en cálculo.”

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La sociedad positiva, escribe el autor, despojándose de toda negatividad se olvida de enfrentarse al sufrimiento y al dolor, olvida darles forma. Para Nietzsche, el alma humana agradece su profundidad, grandeza y fuerza, precisamente, a la demora en lo negativo. La infelicidad inculca fortaleza. “La sociedad positiva está en vías de organizar el alma humana totalmente de nuevo. En el curso de su positivación también el amor se aplana para convertirse en un arreglo de sentimientos agradables y de excitaciones sin complejidad ni consecuencias.”

El amor, despojado de sufrimiento y pasión, de sus figuras negativas, se ha domesticado, expresa Byung-Chul Han, volviéndose una fórmula de consumo y confort. En la sociedad positiva “Hay que evitar cualquier lesión. Cede el disfrute sin negatividad, aunque por otra parte, en su lugar devengan perturbaciones psíquicas como agotamiento, cansancio, depresión, atribuible a un exceso de positividad.”

En cuanto a la política, el autor escribe “La política es una acción estratégica. Y, por esta razón, es propia de ella una esfera secreta. Una transparencia total la paralizaría (…) Sólo la política como teocracia se las arregla sin secretos. Aquí, la acción política cede a la mera escenificación”. Por lo que sentencia que la sociedad positiva va camino a la pospolitización, a una política exenta de colores e ideologías, trasparente. La opinión reemplaza a la figura negativa de la ideología, siendo menos radicales y penetrantes, se libran de tener consecuencias. “Así, la actual sociedad de la opinión deja intacto lo ya existente”. Por lo que el totalitarismo de la transparencia  actúa como un efectivo estabilizador del sistema.

“El veredicto general de la sociedad positiva se llama <me gusta>”

“Sin la negatividad de la distinción se llega irremisiblemente a una excrecencia general y a una promiscuidad de las cosas”. La simple acumulación de información, explica Byung-Chul, no implica verdad, ya que le falta un sentido, una dirección. Transparencia y verdad no son equiparables, pues la verdad se ubica dentro del rango de lo negativo al declarar todo lo otro como falso. La falta de esa negatividad de lo verdadero implica una imprecisión que se ve agravada por la hipercomunicación y la hiperinformación.

La negatividad de la separación, del secreto, de la delimitación, el encierro, se ve abolida en la nueva sociedad de la exposición. Las cosas se han vuelto mercancías y han de ser expuestas, todo su valor reside en la exposición y en el capital de atención que genere, desintegrando el <valor cualtual> del que hablaba Walter Benjamín, el valor de culto de lo misterioso y lo inaccesible. “El imperativo de exposición conduce a una absolutización de lo visible y lo exterior. Lo invisible no existe, porque no engendra ningún valor de exposición, ninguna atención.” La hipervisibilidad afecta incluso al cuerpo, que vuelto hacia afuera, despojado de toda negatividad, desvestido y expuesto, se ha cosificado como un objeto de exposición al que hay que optimizar, exponer y explotar.

Sobre expuesto a la mirada y al consumo inmediato, el cuerpo se ha vuelto pornográfico, obsceno, aniquilando el eros, el sexo. “La exposición pornográfica produce una alienación del placer sexual. Hace imposible experimentar placer (…) La sociedad de la trasparencia es enemiga del placer.” El placer necesita del encubrimiento, la negatividad del secreto, el velo. La seducción de la máscara, la ilusión y la sugerencia estimulan el placer, la tensión erótica. “No es casual que la actual sociedad de la trasparencia sea a la vez una sociedad de la pornografía.” La fantasía y el encanto ya no traman sus posibilidades en el placer de lo ambiguo, en la fascinación del misterio, la hipernitidez no deja lugar a ningún rodeo imaginativo, algo que no restituye ningún recibir y disfrutar. Despojada de la intensidad del misterio, la imagen pornográfica, sin nada que permita el lento goce contemplativo, nada por vulnerarse, no impresiona, a lo sumo es el objeto de un <me gusta>.

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““La violencia de lo transparente vuelve sospechoso todo lo que no se somete a visibilidad (…) La comunicación visual se realiza hoy como contagio, desahogo o reflejo. Le falta toda reflexión estética. Su estetización es, en definitiva, anestésica”. El “me gusta” como juicio no requiere ninguna contemplación que se demore. La complejidad vuelve más lenta la comunicación, así, la hipercomunicación anestésica minimiza la complejidad  en pos de acelerarse. “Es esencialmente más rápida que la comunicación del sentido”. La transparencia va unida a un vacío de sentido. “La masa de la información y comunicación brota de un horror vacui”.

La dialéctica de la libertad como nuevo modo de control

 La mirada absoluta de la era digital ha destituido la imagen de control del panóptico diseñado por Jeremy Bentham, reemplazándolo por un panóptico no perspectivista, es decir, sin que la despótica  vigilancia omnipresente provenga de una figura en el centro. La distinción entre centro y periferia se ha diluido, el panóptico digital funciona sin ninguna óptica de perspectiva, su eficacia está en que se produce desde todos los ángulos, desde todas partes.

La soledad, el aislamiento y la incomunicación propia del modelo panóptico que se aplica en el panóptico de Bentham, no es aplicable al modelo digital. Los moradores del panóptico digital se conectan y comunican entre sí. “Lo que garantiza la transparencia no es la soledad mediante el aislamiento, sino la hipercomunicación.” Además, los moradores del panóptico digital colaboran activamente en la construcción del mismo, y en su conservación, ellos se exhiben y se desnudan. “El exhibicionismo y el voyeurismo alimentan las redes del panóptico (…) La exhibición pornográfica y el control panóptico se compenetran.”

El desarrollo actual del mundo apunta en pos de un gran panóptico digital. Un panóptico total, sin separaciones de adentro u afuera, sin muros. “Google y las redes sociales, que se presentan como espacio de libertad, adoptan formas panópticas. Hoy, contra todo lo que se supone normalmente, la vigilancia no se realiza como ataque a la libertad. Más bien cada uno se entrega voluntariamente a la mirada panóptica digital. El morador del panóptico digital es víctima y actor a la vez. Ahí está la dialéctica de la libertad, que se hace patente como control.”

Sobre el autor: Byung-Chul Han, de origen coreano, estudió filosofía en la Universidad de Friburgo y Literatura Alemana y Teología en la Universidad de Múnich. En 1994 se doctoró por la primera de dichas universidades con una tesis sobre Martin Heidegger. En la actualidad es profesor de Filosofía y Teoría de los medios en la Escuela Superior de Diseño de Karlsruhe. Autor de más de una decena de títulos, ‘La sociedad del cansancio’ es su primera traducción al castellano.

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samedi, 11 avril 2015

Philosoph Byung-Chul Han: „Alles wird schamloser und nackter“

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Philosoph Byung-Chul Han: „Alles wird schamloser und nackter“

Es grassiert eine Transparenz-Hysterie, sagt der Philosoph Byung-Chul Han. Weil das Vertrauen futsch ist, greifen wir zu Kontrolle.

Photo: © Michael Hudler 
 
„Vertrauen heißt, trotz Nichtwissen gegenüber dem anderen eine positive Beziehung zu ihm aufzubauen“:
Byung-Chul Han

Professor Han, nach jedem Skandal - ob Korruption bei Siemens, Vetternwirtschaft bei Wulff oder Abzockerei der Banken - ertönt der Ruf nach mehr Transparenz. Ist Transparenz das Allheilmittel für eine verunsicherte Gesellschaft?

Die Opfer der Transparenz-Hysterie - Wulff und andere - sind Erscheinungen, die nur verständlich würden, wenn man die Bedingungen der Transparenzgesellschaft begreift. Das ist eine Gesellschaft, die gleichsam mit einer riesigen, kollektiven Netzhaut überzogen ist. Hier ist alles der Sichtbarkeit ausgeliefert. Unter diesen medialen Bedingungen gleicht unsere Gesellschaft einer Stammesgesellschaft, in der es sehr schwierig ist, etwas zu verbergen. In der Stammesgesellschaft weiß jeder über jeden Bescheid. Dort spielt das Vertrauen keine Rolle für die soziale Interaktion. Das Vertrauen wird nur in einer Gesellschaft relevant, wo das Wissen über andere nur beschränkt möglich ist. Vertrauen ist nur möglich in einem Zustand zwischen Wissen und Nichtwissen. Vertrauen heißt, trotz Nichtwissen gegenüber dem anderen eine positive Beziehung zu ihm aufzubauen.

Was unterscheidet die Transparenzgesellschaft von der Vertrauensgesellschaft?

Die Transparenzgesellschaft setzt auf Information und Kontrolle. Auf diese Weise entsteht eine Kultur des Verdachts. Die Transparenzgesellschaft ist gleichzeitig eine Gesellschaft des Spektakels. Offenbarung und Geständnis, Enthüllung und Entblößung werden als Spektakel erlebt. Sie unterhalten die mediale Netzhaut im doppelten Sinne des Unterhaltens. Die mit riesiger, kollektiver Netzhaut überspannte Transparenzgesellschaft bringt es mit sich, dass ein Ereignis sich blitzschnell ausbreitet. So kann sie jemanden im Nu ins Verderben stürzen.

 

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Geht es Ihnen um Provokation, um Analyse oder um beides?

Ich finde es problematisch, dass man die Transparenz fetischisiert oder verabsolutiert, ohne dass man die ihr zugrundeliegenden gesellschaftlichen Prozesse analysiert. Wir liefern alles dem Imperativ der Sichtbarkeit aus. Und wir stellen alles aus, um Aufmerksamkeit zu erzeugen. Die Transparenzgesellschaft ist in dem Sinne eine Pornogesellschaft. In der Transparenzgesellschaft werden wir schamloser. Distanz und Scham lassen sich offenbar nicht in die beschleunigten Kreisläufe der Information, der Kommunikation und letzten Endes des Kapitals integrieren. So werden alle diskreten Rückzugsräume im Namen der Transparenz beseitigt. Wir werden ausgeleuchtet und ausgebeutet. Die Welt wird dadurch schamloser und nackter. Angesichts des Pathos der Transparenz wäre es daher notwendig, sich im Pathos der Distanz zu üben.

Könnte nicht durch mehr Transparenz auch wieder mehr Vertrauen in Wirtschaft und Gesellschaft kommen?

Mehr Transparenz allein lässt keine Kultur des Vertrauens entstehen. Mehr Transparenz macht vielmehr noch mehr Transparenz notwendig. Das ist die Logik der Transparenz. Das Vertrauen folgt einer ganz anderen Logik.

„Transparency International“ zählt zu den beliebtesten NGOs.

Ich habe nichts einzuwenden gegen die Bekämpfung der Korruption als solche. Aber die Bekämpfung der Korruption allein setzt kein kritisches Potential frei, das eingesetzt werden könnte gegen die gesellschaftlichen Verwerfungen, die der Kapitalismus hervorgebracht hat. Der Kapitalismus fühlt sich sehr wohl in der Transparenzgesellschaft. Die Transparenz ist letzten Endes ja ein Imperativ des Neoliberalismus. Die Transparenz kann daher jene Zwänge nicht beseitigen, die heute in der vom Neoliberalismus geprägten Leistungsgesellschaft sehr viel Leiden hervorbringen. Ja, sie verschärft sie vielmehr.

Wie kommen Sie darauf, dass der Liberalismus den Transparenzterror begünstigt?

Ich wollte nur sagen, dass der Transparenzwang womöglich den Leistungs- und Konkurrenzdruck noch erhöht.

Auf Märkten stellen Preise Transparenz her. Preise (das Geld) sind das universale Medium, mit dem wir das Inkommensurable vergleichbar machen. Das ist nicht nur eine besonders effiziente, sondern auch eine ungemein humane Funktion des Marktes.

Ja, das Geld macht alles vergleichbar. Dabei vergessen wir aber, dass es Dinge gibt, die sich dem Vergleich entziehen. Das Problem ist, dass wir jene Dinge diskriminieren und aus dem Blick verlieren, die sich nicht in Preisen ausdrücken.

„Die im Dunklen, die sieht man nicht“? Dort machen Hedgefonds und andere ihre düsteren Spekulationsgeschäfte.

Der heutige Finanzmarkt weist sehr viele Verwerfungen auf, die auch bedrohliche Formen annehmen. Aber der Imperativ der Transparenz allein verscheucht das „Gespenst des Kapitals“ nicht. Gespenster von heute scheuen die Transparenz nicht. Ja, die Transparenz erzeugt eigene Gespenster.

 

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„Ich habe nichts zu verbergen“, sagen viele Menschen achselzuckend, wenn es um Internetüberwachung oder Kontenkontrolle durch den Fiskus geht. Haben die Leute nicht recht?

Selbst wenn ich nichts zu verbergen hätte, wäre der panoptische Blick als solcher ein Problem. Dass wir unsere Gehälter und unsere Steuererklärung veröffentlichen, würde die Gesellschaft nicht gerechter machen. Die Transparenzforderung beschränkt sich außerdem nicht auf Steuererklärung oder Bankkonten. Sie betrifft auch unser Verhältnis zueinander und unser Selbstverhältnis. Die sogenannte Post-Privacy-Bewegung fordert im Namen der Transparenz eine totale Preisgabe der Privatsphäre, die zu einer durchsichtigen Kommunikation führen soll. Der Mensch ist aber nicht einmal sich selbst transparent. Transparent ist nur das Tote.

Transparenz hat viele lebende Freunde, zum Beispiel die Piratenpartei.

Die Piratenpartei als Partei der Transparenz setzt die Entwicklung zur Post-Politik fort, die einer Entpolitisierung gleichkommt. Sie ist die erste Partei ohne Farbe. Die Transparenz hat keine Farbe. Farben sind dort nicht als Ideologien, sondern nur als ideologiefreie Meinungen zugelassen. Als farblose Meinungspartei lässt sie das bereits Existierende unangetastet. Positiv ausgedrückt, ist die Piratenpartei in gewisser Hinsicht die zeitgemäße Partei, weil die Transparenzgesellschaft auch eine Meinungsgesellschaft ist. Hier weicht die Politik der Verwaltung gesellschaftlicher Bedürfnisse, die den Rahmen bereits vorhandener sozioökonomischer Verhältnisse unverändert lässt und darin verharrt. Die Piratenpartei ist nicht in der Lage, einen politischen Willen zu artikulieren und neue gesellschaftliche Koordinaten herzustellen. Die Liquid Democracy verkommt letzten Endes zu einer Demokratie des „Gefällt mir“-Buttons. Der Transparenz fehlt die Negativität, die das vorhandene politisch-ökonomische System in Frage stellen würde. Vielmehr stabilisiert sie das System.

Die Fragen stellte Rainer Hank.

Byung-Chul Han, geboren in Seoul, ist Professor für Philosophie in Karlsruhe. Sein Buch „Die Transparenzgesellschaft“ ist vor kurzem im Verlag Matthes & Seitz, Berlin, erschienen.

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vendredi, 10 avril 2015

Jan Stachniuk and the Spirit of the World

Jan Stachniuk and the Spirit of the World

zadr.jpgJan Stachniuk was born in 1905 in Kowel, Wołyń (in what is today Ukraine). In 1927, he began his public activity in Poznań, where he studied economics. There, he became active in the Union of Polish Democratic Youth and published his first books: Kolektywizm a naród (1933) and Heroiczna wspólnota narodu (1935). Beginning in 1937, Stachniuk published the monthly magazine Zadruga, which gave birth to a new idea current of the same name. In 1939, two additional books were published: Państwo a gospodarstwo and Dzieje bez dziejów (“History of unhistory”). During the Second World War, he inspired the ideology of the Faction of the National Rise (Stronnictwo Zrywu Narodowego) and the Cadre of Independent Poland (Kadra Polski Niepodległej). In 1943, Stachniuk published Zagadnienie totalizmu (with the help of the Faction). He fought in the Warsaw Uprising and was wounded. After the war, he failed to resume publishing Zadruga, but before the Stalinists attained power in the country, he managed to publish three more books: Walka o zasady, Człowieczeństwo i kultura, and Wspakultura. In 1949, Stachniuk was arrested and sentenced to death in a political show trial. The sentence was not carried out, and he got out of prison in 1955, but he was no longer able to perform any kind work. He died in 1963 and was buried in the Powązki Cemetery.

Stachniuk is the creator of the philosophical system known as “Culturalism” or “Evolutionary Pantheism,” which in its axiological plane is based on the spirituality of the ancient Slavs. The influence of Frederick Nietzsche, Max Weber, Georges Sorel, and Stanisław Brzozowski are also evident, but nevertheless Culturalism, when compared to other currents of European philosophy and humanities, is one of a kind. If we had to compare it to something, then, in my opinion, the closest analogue would the philosophy of Vedanta.

Cosmology and philosophical anthropology

Man is the vanguard of the creative world evolution, the most perfect expression and tool of the Creative Will, active in the world; he struggles to be something greater than he is. This process of exponentiation of the human power over nature and the elements of his own nature is culture. The cessation of this process, for whatever reason, passively submitting to the laws of bare biology and the charms of pure vegetation—this is the opposition of culture; this is backulture (“wspakultura”).[1]

The world is a will. It strives for more and more complex and higher forms.”[2] “The world is a living organic unity, developing towards perfectness. […] The vanguard of the world-in-creation is man. […] The development ability of man relies on his capability of creatively re-creating the existing natural order into a new form of power, which is the objective world of accomplishments of culture. On a biological level, man is part of the natural world order. We are born; we multiply; we feed like all mammals; but we are distinct from this level by an enigmatic capability of binding nature’s energy into a new form of cultural power.[3]

Every species of animals that exists on this world struggles to survive. In opposition to dead matter, animals try, by different means, to “manage” the environment in which they live—they hunt, defend their turf, create a herd with its own hierarchy, and so on. In a way, animals fill the world with themselves, by managing the environment—they struggle to fulfill their needs; they struggle for an existential optimum (“biovegetation” in Stachniuk’s terminology). This “optimum of biovegetational existence” Stachniuk calls “physiological happiness.” Everything that lives, including humans (as biological entities), struggles for “physiological happiness.” The essence of biovegetation is the “eternal turn”[4]—during millions of years of evolution, the lives of mammals and insects does not change significantly; they all live more or less the same way. They are constantly in the confines of “biovegetation.”

The factor that distinguishes man from other living species is his capability of creation, the enigmatic creative element. Only man is capable of progress, of development, of creating ever more perfect and better forms, to material, social and spiritual life.[5]

As we all know, man is the only specie that managed to lift itself above and beyond pure biology. He created cities, states, law, culture, art, science, technology, civilization. Man forced himself out of the eternal turn of biovegetation. How? According to Stachniuk, man remains an animal and part of the world of biology, “but in his essence there was a breach. This breach is the ability of creation, the creative genius. It is an over-biologic plane. From its nozzles, the humanistic world open up.”[6]

The creative evolution is perpetrated by another bearing, on another level. The cosmic will has forgone its prime intent and instead strives towards recycling the world into a pulsating organism of concentrated cultural power, of which man is the core. […] [E]very one of us is a very tragic being, because we belong simultaneously to two levels of existence: biovegetational and creative-humanist.[7]

The nature of man is then dualist. On the one hand, man is an animal and a part of biovegetation. On the other hand, he is something over-biological, something beyond an animal; he has a spiritual element and the capability to create. He’s the creator of “culture.” Man, as a type of being “flounces” between two levels of existence.

The moment when the emotional element was able to vanquish its internal inertia and induced man do the first cultural action is the birth of the creative will.[8]

According to Stachniuk, the fullness of humanity—panhumanism—is reached when man, with all of himself, submits to the creative will and embraces his mission, i.e., when he creates “culture.” Panhumanism can be defined as man’s will and capability to mold being according to his ever more magnificent visions, as well as the awareness and readiness of man to fulfill his leading role in the creative world evolution. Man has the capability to process the energy of the world into objective works of culture, which, in turn, serve to intensify the process of culture itself. This is his mission—it manifests itself in action and is the process of building the process of culture.

All of this is possible thanks to the “organ of man’s genius.”

It is not a bio-morpholigical organ, but has consisted of our whole physiological apparatus. […] The intangible organ in our bio-physical organism transmutes the normal course of physiological processes into dispositions of creation. This is why we speak of the organ of man’s genius.[9]

The primal biological energy, which in the animal-plant world is directed towards unlimited biological expansion is transmuted, in man, into man’s genius, that is the creative will. It, in turn, leads to an unlimited development of the instrumentarium as a tool of its mission.

The creative will is what enables man to pull himself out of the vicious circle of the “eternal turn,” thereby attaining a higher mode of existence, which enables the fulfillment of man’s mission, by building culture—which manifests itself by creating ever new “culture-creations” or the “instrumentarium of culture.”

The full and proper life of a human depends on overcoming the inertia of the biological level of existence and transforming the elemental life energy of our bodies into the creative will, which, in turn, should most fruitfully manifest itself in the development of an “instrumental will.”[10]

The organ of man’s genius enables him to experience being and life in a specific way, namely in feeling the organic unity of the world, ever evolving into ever higher forms. This way of sensing the world is (evolutionary) pantheism. It is the creative will that is the factor that distinguishes man from the rest of the animals. “Our contingent biological shell is a bearing, by which the creative will flows by divine stream; our psycho-physical personality is a contingent tool; by humbly submitting to this will, we can perform the most profound, the most burdened transmogrifications in the world.”[11]

Humanity, in Stachniuk’s eyes, is a process of creation that consists of three elements: a) human biology, b) creative will and c) instrumental will. These are the three elements of “panhumanist man.”[12] Human biology—that’s our organisms, our physical potential, our muscles, and the work of our hands. Creative will is our “inborn direction of emotion and drives in man”; it’s the subject of the humanist world.[13] The third element is the instrumental will, in other words the ability of binding the energy of the natural world into a form of cultural power.

Man is seen as a being eternally developing himself by his creations, and this work is a process that is constant throughout generations. In the light of the philosophy of Culturalism, man is not an individual, a monad existing in a void or a set of individuals, but a string of generations. Humanity is perceived by Stachniuk as the process of creating and re-creating the world, constantly perfecting it, while dismissing it means—ultimately—the rejection of humanity itself.

The philosophical anthropology of Culturalism is very much interconnected and interwined with its. . .

Theory of Culture as Meta-narration

Stachniuk’s theory of culture makes up the core of his philosophy. It is really the backbone of Culturalism. Every current in Stachniuk’s thought springs from it.

stachniuk3.jpgThe sensation of the creative pressure, the feeling of the cosmic mission of creation, the desire to contribute to the creative world evolution by man is, in the lens of Culturalism, a sign of health and moral youth. According to Stachniuk, this is normal, the way it should be. Human history is the eternal antagonism of two, contradictory, directions—“the first one is the blind pressure of man towards panhumanism, the second is the escape into a solidified system.”[14]

The axis of human history on the globe is not the struggle between Spirit and Matter, egoism and altruism, God and Satan; it’s also not the class struggle or race struggle, but the struggle of culture and backulture [wspakultura] for the power over humanity […] Each of us is a warzone between the culture current and the backulture current. […] The current of culture is the process of becoming of the force and power, the richness and dynamism of life.[15]

What is “culture”? It is the “process of binding the energy of the field of the elements.”[16] For Stachniuk, culture is not something meant to tackle or inhibit nature, it is a process of reforming it. Culture is something that emerges from nature and is its higher level. A human of “panhumanism” acts as a transformer of energy—the energy of the elements—that produces “culture-creations.” What are culture-creations? Examples are law, the state, poetry, technology, music, philosophy, a factory, and the Internet. Humanity is thus (in its ideal state) an interconnected web of energy transformers, constantly updating and perfecting the world and humanity, producing culture-creations that are, in turn, used as fuel for even more powerful culture-creations. Culture—the process of reorganizing the field of the (natural) elements—is the ultimate mission of humanity.

It is, of course, clear as day that we don’t live in a world full of conscious “panhumanists.” Why is that? As I mentioned earlier, the nature of human is dualistic—there is the bio-vegetational level and the creative-humanist level. A human being is a warzone of the battle between culture and backulture. What is backulture? It is the cessation of the process of culture; the passive yielding to the laws of bare biology and appeal of pure vegetation. It's passiveness, inertia, standstill. It is the "cosmic illness.”

The effects of backulture in the world of man can be seen as the “unhistoric” attitude and the desire to free oneself from the requirement of creation. It is the degrading of oneself to the primitive, primordial, animal level by directing oneself towards passive consumption of culture-creations. The defective human, who is under the influence of backulture, sees culture only as something to be consumed. He does not see culture as a fertile field than can be farmed in order to raise crops of culture-creations. Culture is seen purely as a thing for pleasure, for individual gratification, something that helps the individual attain “physiological happiness,” not as a mine of mighty energy capable of recreating the world as we know it.

Prime examples of backulture are, according to Stachniuk, universalist world religions like Islam, Christianity, and Buddhism, which show “contempt for creativeness.” They reduce human life to a place to score points for the “other life” or the “other world.” They show an anti-humanist and anti-creative attitude. This is why the creator of Zadruga dismisses them and looks to Paganism instead.

The wave of total backultures (…) in the last three thousand years has extinguished the dawn of the creative actions of man. The first sparks of the fire have been covered with darkness. The just barely ignited fire of India has been quickly extinguished under the shroud of Brahmanism, and then different types of Buddhism. The procession of the cross extinguished the march of Hellenic culture. In other places, Buddhism and Islam have acted similarly. On the once fertile fields poisonous weeds have spread. We know them: Brahmanism, Jainism, Buddhism, Confucianism, Christianity, Islam, and countless other forms of elements of backulture. They captured enormous pieces of humanity. All bigger human congeries were its victims. India, China, almost all of Asia is to this day paralyzed. After a magnificent blooming of the Greco-Roman culture, lasting only a few centuries, it seemed that it has fallen into the eternal darkness of unhistory [bezdzieje]. They’ve lasted one and a half thousand years. After this period, an unbelievably lively mixture of European peoples freed themselves partially, creating modern culture. It would be disingenuous to think that all of Europe took part in its creation. All the Slavic east and almost all Romantic nations have been deeply paralyzed by Christian backulture. The world in its overwhelming mass is immersed in the darkness of this or another total backulture. Generally speaking, it rules over 90% of humanity.[17]

One may ask, of course: “How can you say that medieval Europe was decadent if it was then united and powerful? How can you call Christianity a destructive force considering the whole of European Christian culture?”

Stachniuk provided an answer for that. In a situation where backulture cannot totally break down the fire of culture, it starts acting like a parasite. It uses the lively energy of the process of culture to preserve itself and not let culture free itself completely. This is what happened in the case of Europe.

Kindly, sweet, and humble Christ, who ordered us not to resist evil, made some exceptions, major ones. Where the matters of faith were involved, he used “vane” and “fading” means and used them with feelings that can’t be described as “love.” When he saw tradesmen trading in the house of prayer, he burst with feelings not at all “sweet.” […] We have here a flash of a principle, which can be described like this: Everything is vanity, everything should be forsaken and disdained, except the situation in which this vanity can be used to strengthen the “truth.” Anger is evil, the sword and the whip are tools of evil, but if through anger, the sword, or the whip we clear the path for the Church, then anger, the sword, and the whip and all that is vane becomes worthy. This is the principle that we call the perverse instrumentalism of backulture[18]

This mechanism is actually the creator of the medieval order of Europe. Rome, undermined and its true essence destroyed by Christianity, was gradually overwhelmed by lively Germanic warrior tribes, ready to fight, conquer, and plunder. Of course, the primitive Germanic tribes were impressed by the refined and sophisticated traditions of Rome. What they didn’t recognize was that this was not the true Rome but a fleeting shadow of what it once was. Nonetheless, the Germanic people were presented with an opportunity: “Do you want to take over the Roman legacy? If you so desire, just let us baptize you.”

That said, not all went as planned. The Germanic people were, in fact, conquerors. Christianity couldn’t just do whatever it wanted with them; it had to make a compromise.

The youthful dynamism of fresh peoples was harnessed to realize the grand project of making all European peoples sick, subjecting them to the domination of the backulture of the cross. All Europe was becoming a field to broaden “the vineyards of the Lord.” The Germanic peoples, adapting to their new role, spread the sickness of the cross on the whole continent. They were appointed to that task because, thanks to their position of conquerors, they didn’t submit to the appeal of Christian mysticism, while simultaneously taking the political goals of Christianity—the creation of a universal empire—as their own. […] This is how the concept of the Holy Roman Empire of the German nation was born.[19]

This is how the “perverse instrumentalism of backulture” works in practice. It harnesses the youthful energy of culture (which could be much more powerful on its own) to further spread its disease. After this single “compromise,” the next one was not necessary. Christian backulture could now, with the might of the German sword, attempt to fully Christianize the Slavs—no punches pulled, no compromises. The cross, along with the German sword, could now completely destroy the original, Pagan, Slavic culture. Slavdom became a Christian colony in the full sense of the word. Everything that was not subject to the believers of the cross was destroyed. The original tradition was severed.

Although Stachniuk was and still is considered very much anti-clerical and anti-Christian, it would be a misinterpretation to reduce him to such. He knew full well that simple “secularization” is not the answer. The reason for this is that backulture does not come only in the form of religion; there is also “secular backulture”—simplistic rationalism, “free-thought,” pacifism, “human rights” ideology, or crude hedonism. Secular backulture (also called “unhistoric rationalism”), just like Christianity, forsakes the building of culture, the great mission of empowering man, and the creative world evolution. It also fails to recognize the difference between Christian spiritualism and the creative world evolution. Anything that goes beyond pacifism, hedonism, and physiological happiness seems suspect and often outright “fascist.” But in reality, it is yet just another form of backulture.

Conclusion

Jan Stachniuk was a man ahead of his time. His concepts were often either harshly criticized or ignored during his life. He was a man that advocated embracing dynamic progress, science, and technology, whereas mainstream “national radicals” were thrilled by Nikolai Berdyaev’s static “New Middle Ages.” You could even say that his combination of embracing advanced technology and simultaneously appealing to the values of the ancient world anticipated Guillaume Faye’s concept of “Archeofuturism.”

The author of “History of unhistory” was also instrumental in reviving the pre-Christian religion of the Slavs in Poland. He is a cult figure among many contemporary Polish Rodnovers. His memory not only lives on, but proves to be an inspiration nowadays for religious organizations, (meta-)political organizations, and music bands alike.

Jan Stachniuk is an ethical maximalist and a firm believer in human potential. It’s worth to note that, unlike Nietzsche, he didn’t advocate attaining power for its own sake. A man of panhumanism should not see other people as tools for his own advancement. His goal should be becoming a hero to his community. Stachniuk’s ideal is not a single Übermensch, but a great and heroic community. His goal was creating a myth; a myth of the “national creative community.”

I am human; therefore I am fulfilling the goal of the world. […] It is through the human, through his cultural work, that the creative world evolution takes place. […] The human is not a boring creature looking for satisfaction, peace, lyrics of digestion, and caramel sensation of the mind on the basis of physiological happiness, like the secular unhistory or “eternal virtues” and communing with the “truth” revealed by various “redeemers.” The human is a boiling cosmic energy, looking for ever greater ways of expression in culture creations charged with tragic creativeness. […] The desire to live a valuable life today means to push forward the birth of the myth of the creative community, to boldly head into the fire of the coming change.[20]


  1. J. Stachniuk, Droga rewolucji kulturowej w Polsce, Toporzeł, Wrocław 2006, 5
  2. J. Stachniuk, Człowieczeństwo i kultura, Toporzeł, Wrocław 1996, 18
  3. J. Stachniuk, Droga, op. cit., 8
  4. This term should not to be confused with Nietzsche’s “eternal recurrence of the same,” which is a different concept altogether.
  5. J. Stachniuk, Człowieczeństwo, op. cit., p. 10
  6. Ibid., p. 21
  7. Ibid., p. 22
  8. Ibid, p. 24
  9. J. Stachniuk, Chrześcijaństwo a ludzkość, Toporzeł, Wrocław 1997, 11
  10. J. Stachniuk, Droga, op. cit., 9
  11. J. Stachniuk, Człowieczeństwo, op. cit., 24
  12. J. Stachniuk, Droga, op. cit., 9
  13. Ibid., 23-24.
  14. J. Stachniuk, Chrześcijaństwo, op. cit., 15
  15. J. Stachniuk, Człowieczeństwo, op. cit., 117
  16. Ibid., 27
  17. Ibid., 119.
  18. J. Stachniuk, Chrześcijaństwo, op. cit., 137.
  19. Ibid., 179.
  20. J. Stachniuk, Człowieczeństwo, op. cit., 254.

 

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mardi, 07 avril 2015

Est-ce la servitude qui nous attend ?

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Est-ce la servitude qui nous attend ?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Soumission de Michel Houellebecq n'est pas un bon livre. D'abord il contient des scènes de sexe dégoûtantes et déprimantes. Ensuite, dans de longs passages ennuyeux, il expose une philosophie de bazar. Et pourtant ce livre a eu un effet sur moi à nul autre pareil. Il a cassé le dogme de la modernité qui, tel un parasite, rongeait encore ma moelle.

Malgré tous mes livres et études sur le totalitarisme, sur Rousseau et sa dérive totalitaire, sur la Révolution scientifique du 17ème siècle, sur l'imposture révolutionnaire née en 1789, je portais encore en moi ce dogme que le progrès est irrésistible, que l'avenir appartient à un individu libre de se fixer des buts en toute autonomie dans le cadre des droits de l'homme. L'extraordinaire est que je n'ai jamais vraiment cru à ce dogme. Je n'ai jamais cru qu'on pût prendre une distance telle envers sa vie qu'il fût possible de la choisir ou de la construire pour devenir soi, comme le dit l'inénarrable Attali. Je n'ai jamais cru qu'on pût disposer de sa vie comme on dispose d'un compte en banque.

Nonobstant, je pensais qu'il n'y avait rien à faire contre le magnétisme du dogme moderniste, qu'il n'y avait rien à faire  contre l'image abrutissante d'un invidu parfaitement libre dans ses choix, qu'il n'y avait rien à faire contre l'élimination de toute tradition devant le raz-de-marée du progrès. La puissance de la publicité me paraissait symboliser ce miroir aux alouettes qu'est la foi en un individu libéré et mondialisé. Pour moi, jamais nous ne pourrions goûter à la liberté dans un  marché universel, tout simplement parce que les masses en viennent toujours à opter pour les mêmes marques, voitures ou chaussettes. La liberté moderne, à mes yeux, était une liberté de consommateur "pavlovisé" ou conditionné. Elle n'avait donc rien à voir avec la liberté. Mais, encore une fois, je croyais que contre cet abrutissement dans le consumérisme, il n'y avait rien à faire. Pourquoi croyais-je qu'il n'y avait rien à faire ? Je l'ignore, mais quoi qu'il en soit, Soumission est arrivé.

La puissance d'un roman, contrairement à un essai philosophique,  est qu'il s'adresse à des sentiments si profonds que nous n'en avons généralement pas conscience. Il peut nous donner de l'espoir ou du désespoir. Un romancier peut changer notre rapport au monde dans ce qu'il a de plus intime. Avec Soumission, j'ai définitivement cessé de croire que l'histoire va nécessairement dans un seul sens. Certes, je le savais intellectuellement, mais pas charnellement. Dans ma chair je me sentais emporté par l'irrésistible flux de la modernité,  comme Tocqueville il y a déjà 200 ans. (1) Pour le meilleur ou pour le pire, le roman de Houellebecq m'a ôté ce sentiment.

J'entends déjà des cris d'orfraie. Houllebecq esquisse un avenir où l'islam règne en maître absolu. Je sais, mais c'est beaucoup plus subtil que cela. Les Modernes, se prétendant libres ou insoumis grâce aux acquis sociaux, risquent de se retrouver esclaves de ceux qui se disent soumis à Dieu, les musulmans. Les insoumis pourraient se retrouver soumis aux soumis  C'est là qu'est la clé du livre. A force de nous vouloir parfaitement libérés de tout et de tous, nous risquons de nous retrouver dans des conditions d'existence parfaitement inverses à celles dans lesquelles nous nous préparions à vivre. Comme le pensait déjà George Orwell, la liberté pourrait bien nous conduire à la servitude.(2) Les victimes du stalinisme en savent quelque chose : sur le chemin d'un avenir radieux, elles se sont retrouvées nez à nez avec Staline, exterminateur incomparable. Il n'est pas inconcevable que les Occidentaux, convaincus de marcher sur le radieux chemin d'une universelle émancipation, se retrouvent nez à nez avec une théocratie sanglante. Je ne le souhaite pas, mais ce n'est pas impossible.

Houllebecq suggère que l'athéisme ne résistera pas au retour du religieux.  Le pouvoir peut multiplier les procédures démocratiques, organiser des sondages, se soucier de l'égalité, s'il ne se réfère pas à ce qui dépasse nos besoins terrestres, il s'effrite en raison de son incapacité congénitale à être un arbitre dans l'infini fouillis des revendications. Comme le dit Régis Debray,  "le religieux est un point de fuite qui, en nous élevant, nous permet de nous coordonner" (3). Sans ce point de fuite, l'horizontalité de nos revendications démocratiques ne peut pas être coordonnée. Comment nous entendre dans le brouhaha de revendications aussi diverses que celles des immigrés, des indigènes, des femmes, des hommes, des animaux, des abeilles en péril, des climatologues effrayés,  des homosexuels,  des hétérosexuels, des transsexuels, des bisexuels ? Cela ne signifie pas que les procédures démocratiques doivent disparaître devant quelque grand califat, mais que ce n'est pas à partir d'elles qu'on peut avoir un gouvernement, qu'il soit démocratique ou monarchiste.

Comme le dit Lucien Jerphagnon, "on ne commande jamais mieux qu'au nom du ciel, quel qu'en soit le propriétaire présumé".(4) Le pouvoir à besoin de s'appuyer sur un arrière-fond transcendant. C'est cet arrière-fond que la modernité rejette avec fureur pour créer une cité séculière, une cité ne dépendant plus de quelque transcendance que ce soit. A s'appuyer seulement sur le cours des affaires humaines et seulement là-dessus, le pouvoir programme sa propre mort, comme on peut la voir sur les visages ectoplasmiques des gouvernants européens et de leurs sycophantes.

S'il est un auteur qui s'est efforcé de comprendre comment un peuple pourrait se gouverner lui-même, sans plus se rapporter à un au-delà, c'est bien Rousseau. A lire son Contrat social et sa correspondance, on voit qu'il a eu le sentiment d'avoir échoué dans cette entreprise. Cet échec est comme un présage annonçant l'effritement des constitutions politiques élaborées dans la rage de détruire tout ce qui dépasse l'homme, la Constitution française constituant un modèle du genre. En revanche, la Constitution suisse commence avec un préambule faisant explicitement référence à "Dieu tout-puissant". On imagine sans peine quels rires ou sourires peut provoquer cette formule. Mais qui a dit que la raillerie est signe de vérité ?

Aujourd'hui,  nous dénonçons, les larmes aux yeux, l'iconoclasme  des islamistes qui détruisent quelque patrimoine de l'humanité. Mais nous sommes parfaitement aveugles à une destruction autrement plus grave, celle de tous les ponts qui pourraient nous conduire au-delà de nos courtes vues. Nous avons cru, avec arrogance, que nous pourrions nous passer de ces ponts. Aujourd'hui, bloqués sur les rives de la modernité, nous appelons au secours. C'est cet appel désespéré que Soumission fait résonner.

Jan Marejko, 1er avril 2015

(1) Alexis de Tocqueville,  De la démocratie en Amérique,vol II

(Quatrième Partie : Chapitre VI), 1840.

(2) "Freedom is Slavery" est l'une des plus célèbres formules du livre de George Orwelll, 1984, publié en 1949.

(3) Valeurs actuelles, "Régression de progressisme" Régis Débray interviewé par Basile de Koch. Lundi 23 février 2015.

(4). Lucien Jerphagnon, Julien L'Apostat, Seuil, Paris, 1986, p. 16.

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vendredi, 03 avril 2015

Michel Onfray semble avoir de plus en plus de mal à supporter un certain prêt-à-penser!

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Michel Onfray, docteur en philosophie, semble avoir de plus en plus de mal à supporter un certain prêt-à-penser!

Ex: http://medias-press.info

Ce week-end, le quotidien belge Le Soir lui offrait deux pleines pages d’entretien.

Morceau choisi :

« (…) il fallait être Charlie, sous peine d’être Dieudonné; il fallait être tolérant, sauf pour ceux qui ne pensent pas comme Valls; il fallait éviter les amalgames et n’avoir pas entendu que les criminels avaient mis leur crime sous le signe de la vengeance du Prophète; il fallait affirmer que l’équipe de Charlie était morte pour la liberté d’expression, mais comprendre que la liberté d’expression s’arrêtait juste après l’ânonnement du catéchisme médiatique; il fallait défiler en masse et applaudir on ne sait quoi sous peine d’être complice des tueurs; il fallait dire de l’islam, tout l’islam, qu’il était une religion de paix, de tolérance, et d’amour – en un mot, il fallait ne plus penser et obéir, obéir à la doxa imposée par les médias qui n’ont jamais vendu autant de papier ni obtenu pareils records d’audience. C’était le but. Il faut lire ou relire Propaganda. Sous-titré : Comment manipuler l’opinion en démocratie, d’Edward Bernays, le neveu de Sigmund Freud, qui a publié ce texte en 1928 pour expliquer comment une poignée de gens invisibles fabrique le consentement en démocratie. Un livre qui se trouvait dans la bibliothèque de Goebbels.«

mardi, 31 mars 2015

La crise du symbolique et la nouvelle économie psychique

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La crise du symbolique et la nouvelle économie psychique

par Anne Bussière

Ex: http://fortune.fdesouche.com

En passant de l’économie industrielle du XIXè siècle à l’économie financière du néolibéralisme, nous sommes passés d’une économie de la névrose, bâtie sur le refoulement, à une économie de la perversion fondée sur la jouissance.

L’économie industrielle s’achève en août 1971 avec la fin de l’étalon or et l’auto-régulation du Marché. Simultanément, on constate au niveau sociétal un effacement de l’étalon phallus – cette instance symbolique qui régule le manque et permet la subjectivation de l’individu – dont le déclin, il convient de le dire, s’est amorcé au siècle des Lumières ; l’individu doit désormais s’auto-réguler en dehors de toute référence symbolique, ce qui génère une nouvelles économie psychique donnant libre cours à la jouissance aux dépens du désir. On constate que les mêmes mécanismes sont à l’œuvre dans l’économie financière et dans la nouvelle économie psychique, soit le déni du réel au profit du virtuel et de l’imaginaire.

Cependant, cette thèse concernant la nouvelle économie psychique, partagée par la majorité des freudo-lacaniens, est remise en question par un certain nombre de psychanalystes. Ces derniers contestent la prééminence de l’étalon phallus dans la construction de la subjectivité et pointent l’instrumentalisation de ce concept en vue de préserver la domination masculine. Dans cette perspective, les détracteurs de l’étalon phallus dénoncent une stratégie qui consiste à transformer un fait historique et culturel en donnée anthropologique universelle ; ils annoncent la fin du dogme paternel et plaident pour de nouvelles formes de paternalité.

On remarquera la contradiction dans laquelle se trouvent les détracteurs du néolibéralisme économique qui, par ailleurs, plaident pour la suppression de l’étalon phallus et pour une économie psychique émancipée de toute référence symbolique au manque. Soutenir une telle posture c’est ignorer le rapport entre l’infra structure et la super structure

La question du patrimoine et de la transmission qui nous occupe aujourd’hui engage celle du père. Chacun sait que dans la société traditionnelle patriarcale le patrimoine est transmis par le Père. Or, il se trouve que la figure paternelle est sérieusement mise à mal dans notre société dite postmoderne. Il est donc légitime de se poser les deux questions suivantes : le père est-il encore en capacité de remplir sa fonction de transmission ? Dans le cas contraire, quelles sont les conséquences de ce déficit sur l’économie psychique du sujet ?

Le discours sur le déclin du Père, ses causes et ses conséquences, fait l’objet depuis un certain nombre d’années d’un débat animé opposant les psychanalystes freudo-lacaniens de stricte obédience et les psychanalystes dissidents, les philosophes, historiens, sociologues et bien évidemment les mouvements féministes ; pour les uns : « il y aurait péril en la demeure », car ce déclin signerait la fin du monde, pour les autres, ce discours ne serait en fait qu’une stratégie de défense destinée à voler au secours d’un patriarcat chancelant sur le point de perdre le trône qu’il occupe depuis plusieurs siècles.

Avant d’aborder ces deux thèses adverses, je voudrais mettre l’accent sur le lien de cause à effet existant entre la dérégulation financière qui caractérise l’économie de ces cinquante dernières années et la dérégulation de l’économie psychique. On observera en effet que le néolibéralisme économique, dans sa phase ultime d’économie financière, comme le montre Edmond Cros (Voir, dans les mêmes Actes : « Du capitalisme financier aux structures symboliques – Á propos de deux idéologèles [ Temps réel, Réalité virtuelle] ») se fonde sur la disparition de l’étalon-or ; cette dernière entraîne la dérégulation des monnaies, la soi-disant auto-régulation des marchés et la mutation profonde de l’économie que l’on peut désormais qualifier de financière et virtuelle.

Simultanément, on constate les effets produits sur la super-structure et notamment sur l’économie psychique de l’individu par cette mutation de l’infra-structure. De fait, la disparition de l’étalon-or entraîne celle de son équivalent psychique que je nommerai « l’étalon-phallus », soit l’instance phallique ou encore la fonction paternelle ; on observe, en l’absence de ces repères, une dérégulation des normes sociales et culturelles et, à la suite, ce que les uns qualifieront de dysfonctionnement de l’économie psychique du sujet, tandis que d’autres n’y verront que de simples mutations historiques.

On observe que les deux thèses s’accordent quant au constat sur le déclin du Père, mais qu’elles en tirent des conclusions opposées. Je m’attacherai donc à développer successivement les deux argumentaires en mettant l’accent sur l’essentiel du débat, à savoir : quelle part, dans ces bouleversements ou simples évolutions, selon le point de vue, revient à la dimension anthropologique de l’être humain ou à sa dimension historique et culturelle ? Quel est l’objet de la transmission dans la société patriarcale ? Le Père assure-t-il cette fonction dans la société actuelle dite post-moderne et si non, quelles sont les conséquences et les effets produits sur l’économie psychique de l’individu ?

Le_cigare_de_Lacan.gifRappelons que pour les psychanalystes freudo-lacaniens l’instance phallique ou encore le langage instituent, régulent et transmettent le manque. En effet, la théorie de Jacques Lacan, et c’est là l’essentiel de son apport à la théorie freudienne, développe la thèse du rôle fondateur du langage dans la subjectivation du sujet. Dans cette perspective, le langage médiatise le rapport du sujet au monde et à soi-même ; il est mis en place non par l’objet mais par le manque de l’objet, le premier objet qui vient à manquer étant la mère. Le renoncement à l’objet aimé est donc la condition pour que l’être parlant puisse s’accomplir, il institue une limite qui entretient le désir. Il s’en suit que tout être humain doit s’accomoder d’une soustraction de jouissance, ce renoncement servant de fondement au désir et à la Loi. Dans l’expérience de la castration, en effet, l’enfant doit renoncer à la « Toute- jouissance » de la mère et donc à sa propre « Toute –puissance ».

Dans ces conditions, ce qui assure la transmission chez l’être humain c’est non seulement les gènes mais les signifiants dont le réseau instaure une distance irréductible par rapport à l’objet, un vide qui constitue le sujet (Lebrun :2007 p.55). Pour Lacan, le langage n’est pas un simple outil, il est ce qui subvertit la nature biologique de l’humain et fait dépendre notre désir de la langue. L’aptitude à la parole se paye d’un prix : parce qu’il doit passer par le défilé des signifiants, le désir humain est condamné à la seule représentation. Le langage donc inscrit la perte, il met fin au rapport fusionnel avec la mère et au régime de la jouissance ; il fonde l’économie du désir et ouvre à l’altérité. « L’étalon phallus », soit encore le langage, ou la métaphore paternelle, a pour mission de transmettre du manque, d’imposer une soustraction de jouissance.

La postmodernité et l’absence de transmission :

Or, les freudo-lacaniens observent un décrochage entre ce statut anthropologique du langage et les pratiques et discours de notre société postmoderne ; selon eux, ce décrochage affecte l’équilibre psychique de l’individu. Tout se passe comme si notre société ne transmettait plus la nécessité du vide, de sorte que l’objet se substitue à sa représentation et la jouissance au désir.

En effet, nous avons intériorisé le modèle du Marché qui ne connaît pas de limites à l’expansion exponentielle et globalisée du cumul des richesses. De nos jours, pas plus l’économie financière que l’économie psychique collective et individuelle ne font sa place au vide. La société de consommation issue du néo-libéralisme économique cherche avant tout à créer des consommateurs et, dans ce but, elle reproduit le lien fusionnel à la mère en situant le sujet, si tant est que l’on puisse parler de sujet, sous le régime de la dévoration dont le tableau de Goya : « Saturne dévorant ses enfants » est la métaphore parfaite.

L’urgence consommatrice nourrit et remplit sans sevrage, générant le processus de l’addiction, c’est-à-dire la jouissance indéfinie et absolue de l’objet sans médiatisation symbolique. L’objet est possédé et détruit dans l’instant, sans aucun différé, la jouissance s’est substituée au désir et c’est toute la dimension temporelle qui s’en trouve bouleversée. De fait, ce régime suppose l’effacement du futur mais aussi du passé, de l’historicité et donc de la transmission symbolique d’une génération à l’autre : « L’oralité dévorante qui s’est emparée de notre société évoque la rage de se remplir, la crainte du vide. » (Barbier : 2013 p. 169).

Charles Melman à son tour souligne le lien entre l’économie néo-libérale et la nouvelle économie psychique en ces termes : « l’expansion économique a besoin de lever les interdits pour créer des populations de consommateurs avides de jouissance parfaite. On est désormais en état d’addiction par rapport aux objets » (Melman, 2005 p. 71).

Dominique Barbier souligne que le lien social se délite ; ce n’est pas pour autant le triomphe de l’individualisme qui marque notre époque, mais bien plutôt celui de l’égoïsme grégaire. L’égoïste ne cherche que la satisfaction de ses pulsions, alors que l’individu doit être capable de les assumer et de les réfréner en les convertissant en une forme symbolique viable. De nos jours, au sein de la famille, la métaphore paternelle ne fonctionne plus, de sorte que le passage à l’âge adulte est repoussé indéfiniment et la subjectivation compromise ; l’enfant, plus tard l’adolescent, est incapable de renoncer à la Toute-jouissance et à la Toute-puissance. Dominique Barbier parle à ce propos d’une attitude familiale fusionnelle où les places ne sont pas définies par la triangulation oedipienne.

mendelgéreard.jpgGérard Mendel, promoteur de la sociopsychanalyse, observe dans la famille postmoderne le même type de dysfontionnement concernant la traditionnelle triangulation oedipienne. Il analyse le déclin de l’image du père mise en évidence par le mouvement de mai 68 et l’attribue au développement incontrôlé de la technologie dans notre société néo-libérale.

Selon lui, la puissance technologique est ressentie par l’adolescent comme Toute-puissance, ce qui le renvoie aux expériences vécues avec la mère dans la première phase archaïque ; il se trouve que l’image paternelle, traditionnellement associée aux institutions qui fondent la société, est elle aussi indissociable de la puissance technologique ; or, de nos jours, cette dernière est plus forte que les institutions, lesquelles ne défendent plus les valeurs traditionnelles (droit, justice,vérité, liberté). L’adolescent ne dispose donc pas de deux images parentales bien différenciées, l’image du père étant infiltrée par les éléments archaïques de la mère (le chaos, l’inconnu, l’arbitraire) ; en l’absence d’une médiation paternelle, l’adolescent se retrouve dans l’impossibilité d’affronter le conflit oedipien et de renoncer à la Toute-jouissance (Mendel : 1974).

Dans cette perspective, la société de consommation, issue de l’économie néo-libérale et de la dérégulation produit des effets désastreux sur l’équilibre mental des individus. Selon Charles Melman : « nous passons d’une culture fondée sur le refoulement des désirs, et donc de la névrose, à une autre qui recommande leur libre expression et promeut la perversion » (Melman, 2003, p.17).

On a pu constater que le discours sur la perversion fait désormais florès dans les medias : en témoignent les titres de la littérature psychanalytique, psychologique et sociologique : La perversion ordinaire, La fabrique de l’homme pervers et les articles consacrés au pervers narcissique qui envahissent les pages des revues. C’est pourquoi il convient de définir le concept de perversion qui tend à se diluer dans un usage indiscriminé et de revenir à Freud. Ce dernier, en ce qui concerne la perversion fétichiste, arrime le concept au déni de la réalité de la différence des sexes et donc de la castration.

Alors qu’elle perçoit la réalité, la personne qui la dénie se comporte comme si la réalité n’existait pas. A partir de là, on voit bien comment s’articule la perversion sur la non- transmission du manque. Lebrun observe que les nouveaux sujets postmodernes et le pervers stricto sensu ont en commun le même fonctionnement, à savoir le déni du manque : « Ils veulent récuser la modalité de jouissance prescrite par le langage pour pouvoir en prôner une autre non soumise à tous ces avatars qui limitent ladite jouissance […] un mode de jouir où le lien à l’objet n’est plus médiatisé par le signifiant » (Lebrun : 2007, 339). Il souligne encore au sein de la famille une forme de complicité entre les parents et les enfants dans le but de dénier le manque, de l’éviter. Les parents cherchent à éviter le conflit et les enfants en profitent, ils refusent la soustraction de jouissance, revendiquent la Toute-puissance et transgressent la Loi.

mel41JOeYYpanL.jpgSelon Charles Melman, la nouvelle économie psychique consiste dans un rapport spécifique du sujet à l’objet : chez le névrosé, tous les objets se détachent sur fond d’absence, le pervers, quant à lui, se trouve pris dans un mécanisme où ce qui organise la jouissance est la saisie de ce qui normalement échappe. Le comportement addictif en est un symptôme : pousser le plaisir tiré de la possession de l’objet jusqu’à l’extrême de la jouissance (Melman, 2003, 64). En outre, le pervers est intolérant à la frustration, d’où une attitude agressive et des passages à l’acte impulsifs, il ne reconnaît pas l’autre, le manipule ou le détruit comme s’il s’agissait d’un objet ; on constate chez lui des éléments de la structure paranoïaque : la haine de la différence et du sexe opposé qui entraîne fréquemment des passages à l’acte. Rien d’étonnant donc à ce que pervers narcissiques et psychopathes alimentent la chronique noire des tabloïdes.

De nos jours, les progrès de la science et de la technoscience, en matière notamment de procréation, ne connaissent pas de limites, pas plus que l’économie financière, ils repoussent indéfiniment les limites de la morale, bouleversent le statut de la famille triangulaire et, en matière de sexualité, font triompher le fantasme sur le réel. C’est ainsi que dans la nouvelle économie psychique, chacun est invité à inventer son propre sexe. Le concept de genre s’est substitué à la réalité de la biologie, et la sexualité nourrit le sentiment de Toute-puissance.

A partir de ce tableau de la psychopathologie de notre société, (déni de la réalité et fuite dans l’imaginaire), on voit apparaître les effets produits conjointement par la perte de l’étalon-or et de ce que j’ai dénommé l’étalon-phallus : l’économie néo-libérale, qui vise l’accroissement indéfini des richesses, nourrit la jouissance sans fin, elle est en rapport avec un objet qui vient combler et apporte une satiété en tuant le désir. Pour J.P. Lebrun, le mensonge consumériste nous fait croire que nous pouvons être remplis. Il ne nous aide pas à élaborer le vide qui est en nous.

Le règne du virtuel  :

La fin de l’économie réelle signe le règne de l’économie virtuelle. De la même façon, dans la sphère socio-culturelle de famille, la T.V., ce troisième parent, ne transmet pas le manque mais le plein et le néo-libéralisme utilise ce media comme vecteur de conditionnement. C’est ainsi que Patrick Le Lay, haut responsable de programmes T.V. déclare cyniquement : « le but est de rendre le cerveau des téléspectateurs ‘disponible’, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages » (in Barbier : 2013, 176).

Discurso-televisivo-1ª-A.jpgDans cette perspective, J.G. Requena a exploré le discours de la T.V. comme discours de la postmodernité (G. Requena : 1988). Il y voit une structure en miroir qui s’organise autour de la relation imaginaire et de la séduction, c’est-à-dire autour de la plénitude de la Toute-jouissance qui caractérise la relation duelle avec la mère.

Il dénonce dans le spectacle télévisé le déficit de symbolique dû au fait que le signe iconique, contrairement au signe linguistique, présente une forte résistance à la représentation et par conséquent suppose un fort indice de Réel, c’est-à-dire de hasard, de singulier. Ce Réel non symbolisé, il le désigne sous le terme de : « lo radical fotográfico », en rappelant que les images télévisuelles sont issues de la photographie qui a révolutionné la représentation au XIXe siècle ; en effet la photographie, en montrant l’objet, en l’exhibant, substitue la présentation à la représentation. C’est pourquoi l’image télévisuelle, telle qu’elle se donne à voir dans le « reality show » et le film pornographique, constitue le degré zéro de la représentation, sans travail de mise en scène, sans essais, sans direction d’acteurs : « se ofrece la pura huella salvaje de lo real en primer grado ».

On remarquera que G. Requena prend soin de distinguer le Réel de la réalité. Le Réel, en référence aux trois ordres lacaniens (Réel, Imaginaire, Symbolique), se distingue de la réalité. En effet, la réalité c’est la part du monde que nous manipulons, qui nous est intelligible, dans la mesure où elle est médiatisée par le Symbolique, alors que le Réel, c’est l’Autre, ce qui résiste, l’hétérogène, la pulsion. Ces images-là relèvent d’une économie psychique clairement psychotique, elles témoignent de ce que González Requena nomme « lo siniestro », c‘est-à-dire : « la cualidad psíquica de la psicosis », ou encore comme l’irruption du Réel dans la réalité en l’absence de fondation symbolique .

Selon lui, ces images sont issues de la perte de l’étalon phallus et du déficit de la fonction paternelle. En l’absence de tiers terme, rien ne met fin à la relation duelle, la subjectivation n’a pas lieu et l’individu est livré à son délire, c’est-à-dire à l’expansion illimitée de l’imaginaire qui anéantit la réalité. C’est le cas du psychotique sans cesse menacé par le réel de la pulsion.

Cependant, on constatera que les analyses de González Requena concernant la nouvelle économie psychique sont sensiblement différentes des précédentes ; en effet, le dérèglement mental induit par la société postmoderne relève, selon lui, non pas de la perversion mais de la psychose dans la mesure où il implique le concept de forclusion élaboré par Lacan. C’est ainsi qu’il procède à une analyse approfondie des structures communes aux discours télévisuel et psychotique. Dans cette perspective, il observe une prédominance de la structure en miroir dans laquelle le présentateur regarde dans le champ off hétérogène où se situe le téléspectateur. La fonction référentielle susceptible de rendre compte de la réalité se trouve alors éliminée au profit des fonctions conative et expressive grâce auxquelles l’énonciateur établit une relation exclusive avec l’énonciataire, de sorte que la paire JE/TU élimine le troisième terme IL/ELLE bouclant hermétiquement le circuit de la communication.

A cela s’ajoute l’effet produit par une fonction phatique dominante assurant un contact permanent entre énonciateur et énonciataire au détriment du sens ; ce type de communication ne manque pas de rappeler le bavardage vide, la logorrhée sans fin du psychotique. Il faut parler à tout prix, remplir toutes les plages de silence, ce qui, une fois de plus, relève de l’économie du plein.

On aura compris que cette pseudo-communication reproduit la relation imaginaire duelle en jouant le rôle d’un cordon ombilical : “Este mundo a la vez fragmentado y totalizador ofrecido a la mirada voraz del espectador en una relación dual, imaginaria, escópica, se parece inquietantemente a ese otro mundo a la vez fragmentado, seductor y absoluto que lo construyera todo para el individuo en el comienzo de su existencia. El psicoanálisis lo llama la madre primordial.” ( Requena :1988,113) Cette forte dominante d’une économie psychotique González Requena la retrouve dans le corpus filmique de la postmodernité, notamment dans El Club de la lucha qu’il qualifie de Apoteosis del psicópata (Requena : 2008). Il analyse l’évolution du processus psychotique chez le personnage en le mettant en rapport avec le déclin de la fonction paternelle associé au retour de l’imago maternelle archaïque. Le personnage de ce film n’accède pas au statut de sujet et vit dans l’univers spéculaire de la relation duelle. Il n’a pas d’identité, pas de nom, puisqu’il ne peut se différencier de l’autre, de sorte que dans le miroir il ne rencontre que son double. G.R. insiste sur l’univers dé-réalisé dans lequel baigne le personnage ; ce sentiment de perte de la réalité et de l’identité est alimenté par le contexte dans lequel il vit où règne la production en série. En l’absence de langage c’est la pulsion qui parle et provoque finalement la conduite suicidaire du héros/psychopathe. Ce dernier est totalement soumis au discours du Marché : on le voit feuilleter un catalogue d’IKEA et commander la totalité des meubles et objets qui y figurent. On retrouve la même standardisation dans les espaces qu’il traverse au cours de ses voyages : avions, aéroports, hôtels – durant lesquels il se nourrit de portions individuelles uniformement calibrées – forment une série indistincte.

requenaoto2.jpg

Pour reprendre les propres termes de G.Requena, la société postmoderne a engendré « un ser seriado, intercambiable, abstracto » au lieu de « un individuo real, irrepetible, singular ». Ce vécu de dé-réalisation généralisé débouche sur la question de la jouissance. Dans l’incapacité de vivre une expérience « réelle » en l’absence d’une médiation symbolique, le personnage, rivé au registre imaginaire, n’a d’autre solution que le passage à l’acte qualifié par l’auteur de « violencia máxima como única vía de acceso a la experiencia de lo real ». Il bascule ainsi de l’aliénation à la jouissance illimitée caractéristique d’une société de consommation qui dénie le manque, à la décharge pulsionnelle qui fait voler le moi en éclats.

A propos de la dénomination psychopathe attribuée au personnage, on est en droit de se demander quelle est la différence entre le psychopathe, le psychotique et le pervers. Amaya Ortiz de Zárate (1996, pp.123-126) précise la distinction entre les deux premiers : si les trois présentent un dysfonctionnement au niveau de la gestion du manque, le psychopathe et le pervers quant à eux souffrent d’un trouble de la personnalité qui n’affecte pas leur lucidité au moment où ils passent à l’acte, contrairement au psychotique qui, d’ailleurs, est jugé irresponsable par les juges. Comme nous pouvons le constater, les structures mentales du psychopathe sont sensiblement les mêmes que celles du pervers : dans les deux cas, il y a déni de la réalité, alors que le psychotique est affecté par le processus de forclusion, privé donc de la dimension symbolique du langage. En ce qui concerne le protagoniste de EL club de la lucha , l’un des traits distinctifs qu’il partage avec le pervers est l’absence totale d’empathie, le mépris devant la souffrance de l’autre et la jouissance qu’il tire de ce spectacle : « esa ausencia de empatía constituye sin duda el rasgo más evidente del psicópata » (G. R. :2008, 69). González Requena fait encore remarquer que ce type d’économie psychique est une constante du cinéma post-classique hollywoodien dans lequel les figures du psychopathe et du psychotique se substituent de façon récurrente au héros mythique ; c’est le cas du film El de Buñuel dont le protagoniste est un paranoïaque délirant, aliéné à la Diosa Madre, substitut de l’imago maternelle.

tort782081207080.jpgLe psychanalyste Michel Tort, pour sa part, s’élève contre le discours freudo-lacanien que je viens de développer, ce discours qui, selon ses propres termes, condamne la faillite des pères incapables de dire non, prescrit la nécessité absolue de renoncer à la jouissance sous peine d’abandonner le pouvoir aux mères et à leurs fils non castrés. Il dénonce une régression de la psychanalyse lacanienne par rapport à ses fondements freudiens, dans la mesure où la fonction du père, selon Freud, n’est pas de séparer l’enfant de la mère mais de construire le sur-moi du sujet. Il rappelle les thèses de Lacan pour les combattre, notamment celle sur le déclin de l’image social du père qui entraînerait des effets dévastateurs sur le psychisme de l’individu, à savoir la forclusion chez le psychotique, soit l’impossibilité d’accéder à la subjectivité. Il cite les propos de Lacan sur le nouveau pouvoir des mères : « La mère est une femme que nous supposons arrivée à la plénitude de ses capacités de voracité féminine » ou : « cette mère inassouvie, insatisfaite, autour de laquelle se construit toute la montée de l’enfant dans le chemin du narcissisme » ou encore : « la femme accède difficilement au symbole et donc à la famille humaine, mais par contre, elle accède facilement au primitif et à l’instinctuel, ce qui l’établit dans un rapport direct à l’objet non plus de son désir mais de son besoin » (in Tort, M : 2005, 126 ). Il ne fait aucun doute que les sentences lacaniennes concernant la femme et la mère ont de quoi faire frémir les oreilles d’un auditoire féministe. Michel Tort reprend le schéma de l’Œdipe selon Freud et Lacan en observant qu’il ne relève pas d’une donnée anthropologique mais d’une construction idéologique et non anthropologique. Ce schéma, je le rappelle, établit la prévalence initiale de la mère comme objet dans une relation fusionnelle, puis le passage à la prévalence du père qui intervient comme tiers pour séparer la mère de l’enfant. Cet ordre chronologique supposé universel : « la mère puis le père » correspond à la division traditionnelle des sexes et à leur rôle dans l’éducation. A la mère les premiers soins, au père la relation « à la réalité ». Or ce système, soutient M.T., n’est pas fondé en nature, c’est une donnée historique. Si le père, jusqu’à nos jours intervenait peu dans l’éducation des tout petits, cela relève d’un phénomène culturel ; si à l’origine entraient en jeu des facteurs biologiques, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

En effet, à l’orée du XXI° siècle, observe Michel Tort, les progrès des techno-sciences, les revendications et les luttes féministes, la nouvelle place des femmes dans la société, rendent caduques ces arrangements historiques. De fait, il est devenu fréquent de faire grandir un fœtus en milieu artificiel ; dans ces conditions, pourquoi la personne chargée des premiers soins serait-elle nécessairement une femme ? La réalité prouve qu’un homme fait aussi bien l’affaire et que cette dernière solution écarte le danger d’une supposée omnipotence maternelle et par conséquent la nécessité d’un père séparateur. Donc, Michel Tort soutient que le schéma traditionnel du patriarcat associe de façon arbitraire l’aliénation à la mère et la subjectivation par le père. Il poursuit son entreprise de démolition de la thèse freudo-lacanienne en proposant d’inverser les termes : « Pourquoi la mère, la femme ne serait-elle pas sujet à part entière, capable de donner son autonomie à son enfant ? Pourquoi la fonction paternelle défaillante serait-elle à l’origine des violences des jeunes, des toxicomanies, des conduites à risque, des violences sexuelles ? » (Tort, M. : 2005, 200). Le psychanalyste fait encore remarquer qu’au lieu de déplorer les effets catastrophiques du déclin sur la nouvelle économie psychique, que ce soit le déni ou la forclusion, il vaudrait mieux constater l’émergence d’une nouvelle figure, celle du père de l’enfant, au lieu du père de famille.

En conclusion de ce bref exposé du débat qui oppose ceux qui déplorent la crise du symbolique et ceux qui célèbrent la fin du dogme paternel, et pour revenir au lien de cause à effet entre la disparition concomitante de l’étalon- or et de l’étalon- phallus, il me semble intéressant d’évoquer les commentaires de Jean -Claude Michéa concernant la double pensée, terme qu’il emprunte à Georges Orwell. Le philosophe met en lumière la contradiction dans laquelle s’enferment de nos jours les intellectuels de gauche qui prennent pour cible le libéralisme économique effréné alors qu’ils prennent la défense d’un libéralisme culturel émancipé de toute référence symbolique au manque et qu’ils œuvrent pour le triomphe des droits illimités de l’individu ; cette gauche moderne s’oppose farouchement au capitalisme financier et simultanément en appelle à transgresser toutes les frontières et toutes les limites culturelles ou morales établies, ce qui revient à soutenir simultanément deux thèses incompatibles. (Michéa : 2008).

vendredi, 27 mars 2015

The Visionary Theories of Pitirim Sorokin

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Culture in Crisis: The Visionary Theories of Pitirim Sorokin

By John S. Uebersax

Ex: http://neweuropeanconservative.wordpress.com

Introduction

Pitirim Sorokin, a leading 20th century sociologist, is someone you should know about. Consider this quote of his:

The organism of the Western society and culture seems to be undergoing one of the deepest and most significant crises of its life. The crisis is far greater than the ordinary; its depth is unfathomable, its end not yet in sight, and the whole of the Western society is involved in it. It is the crisis of a Sensate culture, now in its overripe stage, the culture that has dominated the Western World during the last five centuries….

Shall we wonder, therefore, that if many do not apprehend clearly what is happening, they have at least a vague feeling that the issue is not merely that of “prosperity,” or “democracy,” or “capitalism,” or the like, but involves the whole contemporary culture, society, and man? …

Shall we wonder, also, at the endless multitude of incessant major and minor crises that have been rolling over us, like ocean waves, during recent decades? Today in one form, tomorrow in another. Now here, now there. Crises political, agricultural, commercial, and industrial! Crises of production and distribution. Crises moral, juridical, religious, scientific, and artistic. Crises of property, of the State, of the family, of industrial enterprise… Each of the crises has battered our nerves and minds, each has shaken the very foundations of our culture and society, and each has left behind a legion of derelicts and victims. And alas! The end is not in view. Each of these crises has been, as it were, a movement in a great terrifying symphony, and each has been remarkable for its magnitude and intensity. (P. Sorokin, SCD, pp. 622-623)

Background

sorokin1.JPGPitirim Alexandrovich Sorokin (1889–1968) was born in Russia to a Russian father and an indigenous (Komi, an ethnic group related to Finns) mother. Like other intellectuals of his age, he was swept up in the revolt against the tsarist government. He held a cabinet post in the short-lived Russian Provisional Government (1917), and had the distinction of being imprisoned successively by both tsarist and Bolshevist factions. Eventually sentenced to death, he was pardoned by Lenin, emigrated, and came to the US. There he enjoyed a long and distinguished academic career, much of it at Harvard University, where he served as head of the sociology department.

His experience and acute observations of Russian politics left him uniquely suited for understanding the transformational forces of the 20th century. By 1937 he published the first three volumes of his masterpiece, Social and Cultural Dynamics, but he continued to refine his theories for nearly three more decades.

Based on a careful study of world history – including detailed statistical analysis of phases in art, architecture, literature, economics, philosophy, science, and warfare – he identified three strikingly consistent phenomena:

There are two opposed elementary cultural patterns, the materialistic (Sensate) and spiritual (Ideational), along with certain intermediate or mixed patterns. One mixed pattern, called Idealistic, which integrates the Sensate and Ideational orientations, is extremely important.

Every society tends to alternate between materialistic and spiritual periods, sometimes with transitional, mixed periods, in a regular and predictable way.

Times of transition from one orientation to another are characterized by a markedly increased prevalence of wars and other crises.

Main characteristics of the Sensate, Ideational, and Idealistic cultural patterns are listed below. (A more detailed explanation of alternative cultural orientations, excerpted from Sorokin’s writings, can be found here. [Alternative Download: Pitirim Sorokin – Sensate, Ideational, and Idealistic Cultures])

Sensate (Materialistic) Culture

The first pattern, which Sorokin called Sensate culture, has these features:

  • The defining cultural principle is that true reality is sensory – only the material world is real. There is no other reality or source of values.
  • This becomes the organizing principle of society. It permeates every aspect of culture and defines the basic mentality. People are unable to think in any other terms.
  • Sensate culture pursues science and technology, but dedicates little creative thought to spirituality or religion.
  • Dominant values are wealth, health, bodily comfort, sensual pleasures, power and fame.
  • Ethics, politics, and economics are utilitarian and hedonistic. All ethical and legal precepts are considered mere man-made conventions, relative and changeable.
  • Art and entertainment emphasize sensory stimulation. In the decadent stages of Sensate culture there is a frenzied emphasis on the new and the shocking (literally, sensationalism).
  • Religious institutions are mere relics of previous epochs, stripped of their original substance, and tending to fundamentalism and exaggerated fideism (the view that faith is not compatible with reason).

Ideational (Spiritual) Culture

The second pattern, which Sorokin called Ideational culture, has these characteristics:

  • The defining principle is that true reality is supersensory, transcendent, spiritual.
  • The material world is variously: an illusion (maya), temporary, passing away (“stranger in a strange land”), sinful, or a mere shadow of an eternal transcendent reality.
  • Religion often tends to asceticism and moralism.
  • Mysticism and revelation are considered valid sources of truth and morality.
  • Science and technology are comparatively de-emphasized.
  • Economics is conditioned by religious and moral commandments (e.g., laws against usury).
  • Innovation in theology, metaphysics, and supersensory philosophies.
  • Flourishing of religious and spiritual art (e.g., Gothic cathedrals).

Integral (Idealistic) Culture

Most cultures correspond to one of the two basic patterns above. Sometimes, however, a mixed cultural pattern occurs. The most important mixed culture Sorokin termed an Integral culture (also sometimes called an idealistic culture – not to be confused with an Ideational culture.) An Integral culture harmoniously balances sensate and ideational tendencies. Characteristics of an Integral culture include the following:

  • Its ultimate principle is that the true reality is richly manifold, a tapestry in which sensory, rational, and supersensory threads are interwoven.
  • All compartments of society and the person express this principle.
  • Science, philosophy, and theology blossom together.
  • Fine arts treat both supersensory reality and the noblest aspects of sensory reality.

Update: A more recent article that concisely describes the features of Materialism, Ideationalism, and Idealism is ‘What is Materialism? What is Idealism?‘ (Uebersax, 2013b) [Alternative Download]

Western Cultural History

Sorokin examined a wide range of world societies. In each he believed he found evidence of the regular alternation between Sensate and Ideational orientations, sometimes with an Integral culture intervening. According to Sorokin, Western culture is now in the third Sensate epoch of its recorded history. Table 1 summarizes his view of this history.

Table 1
Cultural Periods of Western Civilization According to Sorokin

Period Cultural Type Begin End
Greek Dark Age Sensate 1200 BC 900 BC
Archaic Greece Ideational 900 BC 550 BC
Classical Greece Integral 550 BC 320 BC
Hellenistic – Roman Sensate 320 BC 400
Transitional Mixed 400 600
Middle Ages Ideational 600 1200
High Middle Ages, Renaissance Integral 1200 1500
Rationalism, Age of Science Sensate 1500 present

 

Based on a detailed analysis of art, literature, economics, and other cultural indicators, Sorokin concluded that ancient Greece changed from a Sensate to an Ideational culture around the 9th century BC; during this Ideational phase, religious themes dominated society (Hesiod, Homer, etc.).

Following this, in the Greek Classical period (roughly 600 BC to 300 BC), an Integral culture reigned: the Parthenon was built; art (the sculptures of Phidias, the plays of Aeschylus and Sophocles) flourished, as did philosophy (Plato, Aristotle). This was followed by a new Sensate age, associated first with Hellenistic (the empire founded by Alexander the Great) culture, and then the Roman Empire.

As Rome’s Sensate culture decayed, it was eventually replaced by the Christian Ideational culture of the Middle Ages. The High Middle Ages and Renaissance brought a new Integral culture, again associated with many artistic and cultural innovations. After this Western society entered its present Sensate era, now in its twilight. We are due, according to Sorokin, to soon make a transition to a new Ideational, or, preferably, an Integral cultural era.

Cultural Dynamics

sorokin2.jpgSorokin was especially interested in the process by which societies change cultural orientations. He opposed the view, held by communists, that social change must be imposed externally, such as by a revolution. His principle of imminent change states that external forces are not necessary: societies change because it is in their nature to change. Although sensate or ideational tendencies may dominate at any given time, every culture contains both mentalities in a tension of opposites. When one mentality becomes stretched too far, it sets in motion compensatory transformative forces.

Helping drive transformation is the fact that human beings are themselves partly sensate, partly rational, and partly intuitive. Whenever a culture becomes too exaggerated in one of these directions, forces within the human psyche will, individually and collectively – work correctively.

Crises of Transition

As a Sensate or Ideational culture reaches a certain point of decline, social and economic crises mark the beginning of transition to a new mentality. These crises occur partly because, as the dominant paradigm reaches its late decadent stages, its institutions try unsuccessfully to adapt, taking ever more drastic measures. However, responses to crises tend to make things worse, leading to new crises. Expansion of government control is an inevitable by-product:

The main uniform effect of calamities upon the political and social structure of society is an expansion of governmental regulation, regimentation, and control of social relationships and a decrease in the regulation and management of social relationships by individuals and private groups. The expansion of governmental control and regulation assumes a variety of forms, embracing socialistic or communistic totalitarianism, fascist totalitarianism, monarchial autocracy, and theocracy. Now it is effected by a revolutionary regime, now by a counterrevolutionary regime; now by a military dictatorship, now by a dictatorship, now by a dictatorial bureaucracy. From both the quantitative and the qualitative point of view, such an expansion of governmental control means a decrease of freedom, a curtailment of the autonomy of individuals and private groups in the regulation and management of their individual behavior and their social relationships, the decline of constitutional and democratic institutions. (MSC p. 122)

But, as we shall consider below, at the same time as these crises occur, other constructive forces are at work.

Trends of our Times

Sorokin identified what he considered three pivotal trends of modern times. The first trend is the disintegration of the current Sensate order:

In the twentieth century the magnificent sensate house of Western man began to deteriorate rapidly and then to crumble. There was, among other things, a disintegration of its moral, legal, and other values which, from within, control and guide the behavior of individuals and groups. When human beings cease to be controlled by deeply interiorized religious, ethical, aesthetic and other values, individuals and groups become the victims of crude power and fraud as the supreme controlling forces of their behavior, relationship, and destiny. In such circumstances, man turns into a human animal driven mainly by his biological urges, passions, and lust. Individual and collective unrestricted egotism flares up; a struggle for existence intensifies; might becomes right; and wars, bloody revolutions, crime, and other forms of interhuman strife and bestiality explode on an unprecedented scale. So it was in all great transitory periods. (BT, 1964, p. 24)

The second trend concerns the positive transformational processes which are already at work:

Fortunately for all the societies which do not perish in this sort of transition from one basic order to another, the disintegration process often generates the emergence of mobilization of forces opposed to it. Weak and insignificant at the beginning, these forces slowly grow and then start not only to fight the disintegration but also to plan and then to build a new sociocultural order which can meet more adequately the gigantic challenge of the critical transition and of the post-transitory future. This process of emergence and growth of the forces planning and building the new order has also appeared and is slowly developing now….

The epochal struggle between the increasingly sterile and destructive forces of the dying sensate order and the creative forces of the emerging, integral, sociocultural order marks all areas of today’s culture and social life, and deeply affects the way of life of every one of us. (BT, 1964, pp. 15-16)

The third trend is the growing importance of developing nations:

The stars of the next acts of the great historical drama are going to be – besides Europe, the Americas, and Russia – the renascent great cultures of India, China, Japan, Indonesia, and the Islamic world. This epochal shift has already started…. Its effects upon the future history of mankind are going to be incomparably greater than those of the alliances and disalliances of the Western governments and ruling groups. (BT, 1964, pp. 15-16)

Social Transformation and Love

sorokin3.jpgWhile the preceding might suggest that Sorokin was a cheerless prophet of doom, that is not so, and his later work decidedly emphasized the positive. He founded the Harvard Research Center for Creative Altruism, which sought to understand the role of love and altruism in producing a better society. Much of the Center’s research was summarized in Sorokin’s second masterpiece, The Ways and the Power of Love.

This book offered a comprehensive view on the role of love in positively transforming society. It surveyed the ideals and tactics of the great spiritual reformers of the past – Jesus Christ, the Buddha, St. Francis of Assisi, Gandhi, etc. – looking for common themes and principles.

We need, according to Sorokin, not only great figures like these, but also ‘ordinary’ individuals who seek to exemplify the same principles within their personal spheres of influence. Personal change must precede collective change, and nothing transforms a culture more effectively than positive examples. What is essential today, according to Sorokin, is that individuals reorient their thinking and values to a universal perspective – to seek to benefit all human beings, not just oneself or ones own country.

A significant portion of the book is devoted to the subject of yoga (remarkable for a book written in 1954), which Sorokin saw as an effective means of integrating the intellectual and sensate dimensions of the human being. At the same time he affirmed the value of traditional Western religions and religious practices.

The Road Ahead

Sorokin’s theories supply hope, motivation, and vision. They bolster hope that there is a light at the end of the tunnel, and that it may not be too far distant. The knowledge that change is coming, along with an understanding of his theories generally, enables us to try to steer change in a positive direction. Sorokin left no doubt but that we are at the end of a Sensate epoch. Whether we are headed for an Ideational or an Integral culture remains to be seen. It is clearly consistent with his theories that an Integral culture – a new Renaissance – is attainable and something to actively seek.

One reason that change may happen quickly is because people already know that the present culture is oppressive. Expressed public opinion, which tends to conformity, lags behind private opinion. Once it is sufficiently clear that the tide is changing, people will quickly join the revolution. The process is non-linear.

The West and Islam

Viewed in terms of Sorokin’s theories, the current tensions between the West and Islam suggest a conflict between an overripe ultra-materialistic Western culture, detached from its religious heritage and without appreciation of transcendent values, against a medieval Ideational culture that has lost much of its earlier spiritual creativity. As Nieli (2006) put it:

With regard to the current clash between Islam and the West, Sorokin would no doubt point out that both cultures currently find themselves at end stages of their respective ideational and sensate developments and are long overdue for a shift in direction. The Wahabist-Taliban style of Islamic fundamentalism strays as far from the goal of integral balance in Sorokin’s sense as the one-sidedly sensate, post-Christian societies of Northern and Western Europe. Both are ripe for a correction, according to Sorokin’s theory of cultural change, the Islamic societies in the direction of sensate development (particularly in the areas of science, technology, economic productivity, and democratic governance), the Western sensate cultures in the direction of ideational change (including the development of more stable families, greater temperance and self-control, and the reorientation of their cultural values in a more God-centered direction). Were he alive today, Sorokin would no doubt hold out hope for a political and cultural rapprochement between Islam and the West. (Nieli, p. 373)

The current state of affairs between the West and Islam, then, is better characterized as that of mutual opportunity rather than unavoidable conflict. The West can share its technological advances, and Islam may again – as it did around the 12th century – help reinvigorate the spirit of theological and metaphysical investigation in the West.

Individual and Institutional Changes

Institutions must adapt to the coming changes or be left behind. Today’s universities are leading transmitters of a sensate mentality. It is neither a secret nor a coincidence that Sorokin’s ideas found little favor in academia. A new model of higher education, perhaps based on the model of small liberal arts colleges, is required.

Politics, national and international, must move from having conflict as an organizing principle, replacing it with principles of unity and the recognition of a joint destiny of humankind.

A renewal in religious institutions is called for. Christianity, for example, despite its protestations otherwise, still tends decidedly towards an ascetic dualism – the view that the body is little more than a hindrance to the spirit, and that the created world is merely a “vale of tears.” Increased understanding and appreciation of the spiritual traditions of indigenous cultures, which have not severed the connection between man and Nature, may assist in this change.

Sorokin emphasized, however, that the primary agent of social transformation is the individual. Many simple steps are available to the ordinary person. Examples include the following:

  • Commit yourself to ethical and intellectual improvement. In the ethical sphere, focus first on self-mastery. Be eager to discover and correct your faults, and to acquire virtue. Think first of others. See yourself as a citizen of the world. Urgently needed are individuals who can see and seek the objective, transcendent basis of ethical values.
  • Cultivate the Intellect: study philosophy; read books and poetry; listen to classical music; visit an art museum.
  • Practice yoga.
  • Be in harmony with Nature: plant a garden; go camping; protect the environment.
  • Reduce the importance of money and materialism generally in your life.
  • Turn off the television and spend more time in personal interaction with others.

A little reflection will doubtless suggest many other similar steps. Recognize that in changing, you are not only helping yourself, but also setting a powerfully transformative positive example for others.

The Supraconscious

Sorokin’s later work emphasized the role of the supraconscious — a Higher Self or consciousness that inspires and guides our rational mind. Religions and philosophical systems universally recognize such a higher human consciousness, naming it variously: Conscience, Atman, Self, Nous, etc. Yet this concept is completely ignored or even denied by modern science. Clearly this is something that must change. As Sorokin put it:

By becoming conscious of the paramount importance of the supraconscious and by earnest striving for its grace, we can activate its creative potential and its control over our conscious and unconscious forces. By all these means we can break the thick prison walls erected by prevalent pseudo-science around the supraconscious. (WPL, p. 487)

The reality of the supraconscious is a cause for hope and humility: hope, because we are confident that the transpersonal source of human supraconsciousness is providential, guiding culture through history with a definite plan; and humility, because it reminds us that our role in the grand plan is achieved by striving to rid ourselves of preconceived ideas and selfishly motivated schemes, and by increasing our capacity to receive and follow inspiration. It is through inspiration and humility that we achieve a “realization of man’s unique creative mission on this planet.” (CA, p. 326).

References and Reading

Uebersax, John S. “Culture in Crisis: The Visionary Theories of Pitirim Sorokin.” Satyagraha, 19 August 2010, updated 25 August 2013. <https://satyagraha.wordpress.com/2010/08/19/pitirim-sorkin-crisis-of-modernity/ >.

mercredi, 25 mars 2015

Heidegger on Nietzsche, Metaphysics, & Nihilism

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Heidegger on Nietzsche, Metaphysics, & Nihilism

By Greg Johnson 

Ex: http://www.counter-currents.com

Heidegger’s central philosophical topic has a number of names: the sense (Sinn) or meaning of Being, the truth (Wahrheit) of Being, the clearing (Lichtung) of Being, the “It” that “gives” Being, and the “Ereignis” (“event” or “appropriation”) of Being, referring to the mutual belonging of man and Being.[1] All of these words refer to that-which-gives and that-which-takes-away different “epochs” in the history of Being, which are comprehensive, pervasive, and fundamental ways of interpreting the world and our place in it. 

Heidegger’s topic is shrouded in mystery, for that-which-gives each epoch in the history of Being is hidden by the very epoch that it makes possible. This mystery is built right into the dual meanings of Heidegger’s names for his topic.

The word “Lichtung” refers both to Being (that which lights up beings) and also to the clearing that makes it possible for the light to illuminate beings—and the light attracts our attention to itself while leaving the clearing that makes it possible in darkness. The “it” that gives Being is hidden behind Being, its gift. Ereignis is the mutual belonging of man and Being, in which man in enthralled by the world opened up by the event and thus oblivious to the event itself. Heidegger even hears the mystery of Being in the word “epoch,” which refers both to the historical spans of particular dominant ways of interpreting the world, and, when heard in the Greek as “epoche,” refers to the withholding of that which grants the epochs, the giver that hides behind its gift.

Now we are in the position to begin to think through the connection that Heidegger draws between metaphysics and nihilism. Heidegger’s thesis is that nihilism is the consummation of Western metaphysics. To this end, I wish to comment on one of my favorite texts by Heidegger, the two lectures entitled “The Eternal Recurrence of the Same and the Will to Power.” These lectures beautifully epitomize Heidegger’s vast two-volume work on Nietzsche, and they gather together and display the unity of themes discussed by Heidegger over a period of more than 50 years.

Heidegger’s thesis is that “Nietzsche’s philosophy is the consummation of Western metaphysics.”[1] For Heidegger, Nietzsche’s philosophy represents the epitome of modern nihilism, the ultimate manifestation of the nihilistic impulse built into Western metaphysics from the very beginning. Heidegger’s thesis that Nietzsche is the last metaphysician of the West is a stunning thesis, a thesis very difficult to defend, for Nietzsche is widely regarded as the first post-metaphysical thinker, not the last and ultimate metaphysical thinker.

Traditional metaphysics is constructed around the dualisms of permanence and change and of appearance and reality. The permanent is identified with Being, which is said to be a reality that lies beyond the world of appearances, the world of change, the realm of becoming. Nietzsche seems to overcome these dualisms by collapsing the distinctions between permanence and change, appearance and reality, Being and becoming. Therefore, Nietzsche seems to go beyond metaphysics.

How, then, does Heidegger establish Nietzsche as the last metaphysician of the West? Another way of putting this question is: How does Heidegger establish that Nietzsche’s attempt to overcome metaphysics is a failure? What does Heidegger think that a genuine overcoming of metaphysics requires?

Nietzsche’s Metaphysics

When Heidegger uses the word “metaphysics” pejoratively, he refers to the metaphysics of presence: “These positions take the Being of beings as having been determined in the sense of permanence of presence” (p. 162). Another word for the metaphysics of presence in the Heidegger lexicon is “Platonism.” Platonism is a view that cannot necessarily be identified with Plato’s own views. Platonism, rather, is the pervasive interpretation of Plato’s views in the tradition. Platonism identifies Being with permanence as opposed to change, presence as opposed to absence, identity as opposed to difference.

The latter terms of these pairs—change, absence, difference—are identified with non-being. In the world around us, rest and motion, presence and absence, identity and difference are all mixed together.

Thus the Platonist concludes that this world is not the true world; it is not the realm of Being, but the realm of becoming, which is a mere blurred image or decayed manifestation of Being. Becoming is merely a veil of appearances which cloaks and hides that which is real, namely Being.

The Platonic realm of Being is identified as the place of forms or essences. The world of becoming is the world in which we find individual men, individual dogs, individual chairs, individual tables. All of these individuals come into being, change, and pass out of existence. The world of Being contains not individual men, but the essence of man, or “manhood.” It does not contain individual dogs, but the essence of dog, “doghood.”

Forms or essences, unlike individuals, do not come into being; they do not change; and they do not pass away. While particulars that become exist in time, forms of essences exist outside of time in eternity. Because particulars in time are infected with change, absence and difference, we cannot have certain knowledge of them; at best, we can have only tentative opinions about things in the world around us. We can have certain knowledge only of the forms or essences that make up the realm of Being.

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Heidegger holds that the metaphysics of presence—the interpretation of Being as presence—and also the Platonic distinction between the world of Being and the world of becoming is retained in Nietzsche’s allegedly post-metaphysical doctrines of the Will to Power and the Eternal Recurrence of the Same. What is the Will to Power? And what is the Eternal Recurrence of the Same?

Nietzsche called the ultimate constituent of the world Will to Power. This is a highly anthropomorphized name for something that is neither a will (for there is no agent behind it that wills); nor is it “to power” (for it is not directed toward the goal of power, or any other goal). Will to Power is Nietzsche’s name for chaos, which he conceived of as a virtual infinity of points of force charging and discharging entirely without pattern or purpose. Heidegger defines the “Will to Power” as “the essence of power itself. It consists in power’s overpowering, that is, its self-enhancement to the highest possible degree” (p. 163).

The Will to Power is the constant exercise of power as an end in itself.

The Will to Power makes possible the constant exercise of power by positing limits for itself and then exceeding them; Will to Power first freezes itself into particular forms and then overcomes and dissolves them.

The Will to Power is Nietzsche’s account of what the world is.

The Eternal Recurrence of the Same is a concept derived from the ancient Epicureans and Stoics. Both the Stoics and Epicureans believed that the cosmos is finite. The cosmos consists of matter and void, and there is only so much matter and so much void. Matter, however, is not fully inert. Matter has both inert and animate dimensions. Matter has the tendency to remain at rest or in motion, which the Epicureans represented by matter falling through the void. But matter also has a non-inert aspect that causes it to swerve from its fall or to move from rest to motion by its own power. The Epicureans represented this aspect of matter as the famous “clinamen” or “swerve” of the atoms. The Stoics represented this as divine logos, which following Heraclitus, they represented as fire. Matter, in short, is in some sense vital and animate; it is alive and ensouled. Matter’s vital principle allows order to form out of chaos. Matter’s inert dimension allows order to dissolve back into chaos.

Given a finite amount of matter and a finite void, given that matter has both a tendency to give rise to order and dissolve order, and given that time is infinite, the Epicureans and Stoics argued that the random play of chaos within a finite cosmos over an infinite amount of time not only gives rise to order, but gives rise to the same order an infinite number of times. Everything that is happening now has already happened an infinite number of times before and will happen an infinite number of times in the future. The Same events will Recur Eternally, hence the Eternal Recurrence of the Same. As Woody Allen once put it, “Eternal Recurrence of the Same. Does that mean I’ll have to sit through the Ice Capades again?” And the answer is: “Yes.” Not only will he have to sit through it again an infinite number of times, he already has sat through it an infinite number of times. It’s deja-vu all over again.

Nietzsche takes this argument over completely. The Will to Power corresponds precisely to the two aspects of matter discussed by the Epicureans and Stoics.

The animate aspect of matter that gives rise to form and organization corresponds to the Will to Power’s tendency to posit order.

The inert aspect of matter that causes form and organization to dissolve back into chaos corresponds to the Will to Power’s tendency to overpower and dissolve the very order that it posits.

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Nietzsche holds that the Will to Power is finite and that time is infinite. Given the possibility of endlessly rearranging a finite Will to Power over an infinite amount of time, the same kinds of order will inevitably repeat themselves, and they will repeat themselves and infinite number of times: Eternal Recurrence of the Same.

Just as Will to Power is Nietzsche’s account of what the world is, The Eternal Recurrence of the Same is Nietzsche’s account of how the world is.

Nietzsche claims to have abolished metaphysics because he abolishes the dualism between appearance and reality, Being and becoming, presence and absence, identity and difference, etc. All of these pairs of opposites are found blended together in the Will to Power and the Eternal Recurrence of the Same. There is no realm of pure presence, pristine identity, total rest, and separate essences, lying behind the world that appears to us.

Heidegger’s critique of this claim is twofold. First, he argues that the basic elements of Platonism are still at work in Nietzsche. Second, he argues that Nietzsche really does not understand what it would take to overcome metaphysics.

How is Nietzsche a Metaphysician?

Heidegger argues that Nietzsche’s doctrines of Eternal Recurrence and Will to Power are metaphysical in two ways. First, the accounts of Eternal Recurrence and Will to Power still buy into the metaphysics of presence. As Heidegger puts it:

“Recurrence” thinks the permanentizing of what becomes, thinks it to the point where the becoming of what becomes is secured in the duration of its becoming. The “eternal” links the permanentizing of such constancy in the direction of its circling back into itself and forward toward itself. What becomes is not the unceasing otherness of an endlessly changing manifold. What becomes is the same itself, and that means the one and selfsame (the identical) that in each case is within the difference of the other. . . . Nietzsche’s thought thinks the constant permanentizing of the becoming of whatever becomes into the only kind of presence there is–the self-recapitulation of the identical. (pp. 164–65)

Elsewhere, Heidegger writes:

Will to Power may now be conceived of as the permanentizing of surpassment, that is of becoming; hence as a transformed determination of the guiding metaphysical projection. The Eternal Recurrence of the Same unfurls and displays its essence, so to speak, as the most constant permanentizing of the becoming of what is constant. (p. 167)

Will to Power and the Eternal Recurrence of the Same, in short, think Being in terms of presence too, by making becoming itself permanent, by making becoming recapitulate the identical, by making the motion of becoming circular, thus bringing a kind of eternity into time itself.

The second way in which Heidegger argues that Nietzsche is a metaphysician is somewhat more elusive and difficult. Heidegger writes on page 168:

From the outset, the Eternal Recurrence of the Same and Will to Power are grasped as fundamental determinations of beings as such and as a whole—Will to Power as the peculiar coinage of “what-being” . . . and Eternal Recurrence of the Same as the coinage of “that-being.”

Heidegger claims that this distinction is “co-extensive” with the basic distinction that defines and sustains metaphysics. “What-being” or “whatness” refers to the identity of beings. “What-being” or “thatness” refers to the existence of beings. To talk about the identity of a thing is to talk about what it is in contrast to the identity of different things, the things that it is not. When we talk about the existence of something, we are talking about the fact that it is, as opposed to the idea of its non-existence.

Now, in Platonism, the identity of a particular being is endowed by its form. A particular dog has its identity as a dog because it is related to the Form of dog, or “dogness.” A particular man has his identity as a man because he is related somehow to the essence of man, or “manhood.” A particular dog has his existence as a concrete individual dog because a bit of the material world has been informed by the essence of dog. So, for Platonism, the identity or whatness of a particular being is explained by its essence and its individual existence or thatness is explained by its materiality.

Heidegger holds that this Platonic distinction is present in the distinction between the Will to Power and the Eternal Recurrence of the Same. Will to Power names the whatness or identity of all beings. Therefore, it corresponds to the Platonic form. Eternal Recurrence names the thatness or existence of beings. Therefore, it corresponds to the instantiation of the Platonic Form in a bit of the spatio-temporal world. Will to Power is the principle of identity. Eternal Recurrence is the principle of existence. This dualism, Heidegger claims, is not overcome by Nietzsche, so Nietzsche does not overcome metaphysics.

Indeed, Heidegger claims that Nietzsche represents the culmination of metaphysics. To understand this, we must understand how, precisely, Nietzsche fails to overcome metaphysics. And to understand this, we need to know what Heidegger thinks a genuine overcoming of metaphysics would require.

What Constitutes a True Overcoming of Metaphysics?

Heidegger thinks that a genuine overcoming of metaphysics requires that we think his distinctive topic, the distinctive matter of his thinking: that which gives and that which takes away the different epochs of the history of Being. It requires that we think the Truth of being, the Meaning of Being, the Clearing of Being, the Event of Being, etc. Heidegger mentions his distinctive topic in a number of places in these lectures:

It first appears on page 164 (second paragraph):

What this unleashing of power to its essence is [i.e., that which grants the interpretation of Being as Will to Power], Nietzsche is unable to think. Nor can any metaphysics think it, inasmuch as metaphysics cannot put the matter [die Sache, the topic] into question.

It also appears on page 165 (second paragraph):

This “selfsame” [Being interpreted as Eternal Recurrence] is separated as by an abyss from the singularity of the unrepeatable enjoining of all that coheres. Out of that enjoining alone does the difference commence.

Here Heidegger contrasts Nietzsche’s metaphysics of history (which encloses becoming in the circle of Being through the idea of the eternal recurrence of the same) with his own view of the history of Being as a sequence of unrepeatable contingent singularities in which new epochs in the history of Being displace one another.

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One can ask, however, if Heidegger himself does not ultimately subscribe to a kind of cyclical history, since he seems to believe that (1) the pre-Socratic Greek sense of Being as the dynamic interplay of presence and absence is correct, even though it overlooked the conditions of its own emergence, and (2) that it is possible to return to this correct interpretation of Being, either (a) reflectively, with an appreciation of its importance in the light of the subsequent tradition, or (b) naively, though the liquidation of the present civilization and a return to barbarism, which may be the meaning of Heidegger’s famous claim that “only a god can save us now,” meaning a return to naive belief.

Heidegger’s topic shows up again in the very next paragraph:

Thought concerning truth, in the sense of the essence of aletheia, whose essential advent sustains Being and allows it to be sheltered in its belonging to the commencement, is more remote than ever in this last projection of beingness.

Here aletheia refers to that which both grants a new epoch in the history of Being and shelters its advent in mystery.

There is also an extensive discussion of the topic from the bottom of page 166 throughout the entirety of page 167.

Heidegger claims that Nietzsche does not overcome metaphysics because the overcoming of metaphysics requires that one think that which grants different epochs in the history of Being and Nietzsche does not think this topic. Heidegger adds, furthermore, that Nietzsche not only fails to overcome metaphysics, he actually make this overcoming more difficult because he fosters the illusion that metaphysics is already overcome, thereby enforcing our oblivion to that which grants metaphysics, thereby making us less likely to think this topic and thus to effect a genuine overcoming of metaphysics. As Heidegger writes on 166:

Inadequate interrogation of the meaning of Nietzsche’s doctrine of Return, when viewed in terms of the history of metaphysics, shunts aside the most intrinsic need that is exhibited in the history of Western thought [i.e., the need to think that which grant metaphysics]. It thus confirms, by assisting those machinations that are oblivious to Being, the utter abandonment of Being.

It is at this point that we can understand why Heidegger thinks that Nietzsche is not only a metaphysician, but the culmination of metaphysics. Metaphysics thinks the Being of beings, but does not think the meaning of Being, the clearing of Being, etc. Nietzsche is the culmination of metaphysics because Nietzsche’s metaphysics not only fails to think that which grants Being, but actually makes this altogether impossible because it fosters the illusion that metaphysics has been finally overcome.

A further reason for regarding Nietzsche as the culmination of metaphysics can be appreciated by examining Heidegger’s definition of nihilism. Heidegger defines the modern technological age, the age of nihilism as “the age of consummate meaninglessness” (p. 174). Consummate meaninglessness is equivalent to the interpretation of Being in terms of man’s own subjective needs: Being as certainty; Being as intelligibility; Being as availability and deployability for human purposes. The world is meaningless because wherever we look, we only encounter projections of our own overweening subjectivity and will to power. The essence of modernity is the idea that everything can be understood and controlled.

This view of the world is made possible by our failure to think about what grants it, what makes it possible, the source of this epoch in the history of Being. Heidegger claims that we cannot understand the origin of the idea that we can understand everything. We cannot control the emergence of the idea that we can control everything. Trying to understand the origins of nihilism forces us to recognize that there is a mystery that cannot be explained or controlled. And this encounter with mystery is alone sufficient to break the spell that everything can be understood and controlled. It is thus a real overcoming of metaphysics and of its culmination in the nihilism of technological modernity.

Notes

1. See my essay “Heidegger’s Question Beyond Being,” http://www.counter-currents.com/2014/10/heideggers-question-beyond-being/ [4]

2. Martin Heidegger, Nietzsche, vol. III: The Will to Power as Knowledge and as Metaphysics, ed. David Farrell Krell, trans. Joan Stambaugh, David Farrell Krell, and Frank A. Capuzzi (New York: Harper and Row, 1987), p. 161.


Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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[3] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2014/09/heidegger-crop.jpg

[4] http://www.counter-currents.com/2014/10/heideggers-question-beyond-being/ : http://www.counter-currents.com/2014/10/heideggers-question-beyond-being/

mardi, 24 mars 2015

The Well-Bred Zombies

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The Well-Bred Zombies

By

Ex: http://www.lewrockwell.com

Art is individualism, and individualism is a disturbing
and disintegrating force. Therein lies its immense value
For what it seeks to disturb is monotony of type, slavery
of custom, tyranny of habit, and the reduction of man to
the level of a machine.
 

- Oscar Wilde

For untold centuries, mankind has experimented with plant and animal life in an effort to produce organisms that might prove beneficial not only for human survival, but just for living well.  Playing around with various grasses, our ancient ancestors produced grains that provided alternative forms of food. The grafting of tissues from one plant to another has helped to create and/or alter trees that produce varieties of fruits that would likely not have come into existence without such human midwifing.

Through trial and error, testing, and other creative processes, hybrid plant and animal forms have been generated to serve our diverse tastes. Cattle, chickens, sheep – along with cats and dogs – have been bred for numerous desired qualities. The quality of wool or mutton drive the breeding of sheep, as the breeding of dogs has for qualities that allow them to protect sheep from their natural predators. Variations in the shapes and colors of roses and tulips have served primarily aesthetic preferences while, in doing so, provided Holland with a robust economic base. That this interplay between humans and other life-forms has created symbiotic relationships beneficial to both, has been well-developed in Michael Pollan’s delightful book, The Botany of Desire.

It is when human beings seek to promote their purposes by forcibly transforming other humans, that mankind heads down the path to its own extinction. Such is the role played by institutions – abstract systems that insinuate themselves into our species, generating conflicts between and among various categories of people. Having learned how to manipulate other life forms to serve the interests of humans, institutions have substituted themselves for people as ends in themselves, thus making individuals subservient to the organizational collective.

Until recently, the established order has had to rely on formalized practices to condition minds into accepting their submissive role in the institutional hierarchy. The forced-feeding of geese and ducks in order to produce the elite’s luxury food, foie gras, has long been recapitulated in most schools and the mainstream media. But now taking a lesson from the history of the breeding of plants and animals, the state has undertaken the Human Genome Project, in order to identify and locate the myriad genes – be they beneficial or detrimental – that make up individual human beings.  

Eugenics has long been popular among men and women who see in such practices the means for forcibly improving the production of people whose skills and other attributes would be most serviceable to their collectivist dispositions. At least as early as Plato, the idea has persisted that the state should decide, on the basis of the opinions of government officials, who should and should not have children. The evils of the Third Reich went beyond Hitler’s atrocities against Jews, but embraced the notion that genetic research should be encouraged, and its results implemented by the state, to improve the quality of human society. In America, Margaret Sanger became the most vocal advocate of sterilization, giving the state the power to decide who was “fit” or “unfit” to reproduce children.

More recently, the Human Genome Project has undertaken the task of identifying the genetic makeup of the human species. While, on the surface, such research is sold to the public as a tool for helping to select blue-eyed versus brown-eyed children; or – as an end that would serve the interests of Big-Pharma – discovering genetic dispositions for various diseases, its attraction for the institutional order is more akin to the cattle rancher’s preferences for modifying his product for the market. But it is the hidden agendas – and the unforeseen implications – of such applied research that should trouble us.

The institutional order has always benefitted from the presence of men and women whose range of thought and behavior can be restrained within boundaries that serve systemic interests. Might corporate-state interests find it useful to their purposes to discourage such traits as independence and resistance to authority in much the same way that modern schools war against students with “attention-deficit disorder”? Could “genetic engineering” become accepted as an alternative to such drugs as Ritalin?

There are other eugenicist-inspired attacks upon human characteristics that are inconvenient to some.  The U.S. Supreme Court, for instance, long ago upheld state laws for the forced sterilization of the “feeble-minded,” persons “unfit for continuing their kind”, a practice also followed by Nazi Germany. Those who might support government campaigns against genetic predispositions for cancer, might pause to consider that the Third Reich looked upon Jews as a “cancer” upon Germany, a fact documented in Robert Proctor’s book, The Nazi War on Cancer.

Genuine diversity, spontaneity, variation, and individual autonomy, upset the formal organization’s desire for uniformity and standardization. But, as historians have told us, it is the structuring and restraining of the systems of creativity and production – in the name of the stabilization and equilibrium conditions desired by institutional interests – that contributes most to the collapse of civilizations. Life and growth are characterized by change, not by enforcing uniform and standardized practices upon the living. When students of evolution tell us to “cherish your mutations,” they are reminding us of how the creative process depends more upon inconstancy than regularity. If, in 1900, Congress had enacted legislation to standardize the nature and design of systems used for human transportation, such regulations may have served the short-term interests of carriage manufacturers who might have been looked upon as “too big to fail.” This action, however,  would likely have hindered the development of the automobile and airplane.

To bring the point back to the irregularities and unpredictabilities associated with the development of individual human beings, how might the advocates of eugenics responded to a fifteen-year old boy who clashed with school officials when he opposed such teaching styles as rote learning? Ought he to have been forcibly treated for “attention deficit disorder” or, worse, been sterilized as “unfit for continuing his kind?” And what of another boy who, in later reflection on his experiences with schools, commented that their efforts to impose their authority upon him “came close to really beating any curiosity out of me.” Would some form of genetic engineering have been appropriate to instill institutionalized discipline upon his descendants? Would your initial response as to these two individuals change if I were to inform you that the first boy was Albert Einstein, while the second was Steve Jobs?  Whether we are considering those who wish to remake individuals in order to benefit society, or to direct society itself, might we reflect on Leo Tolstoy’s admonition: “What an immense mass of evil must result . . . from allowing men to assume the right of anticipating what may happen.”

Institutions thrive on the conflicts they induce us to believe we have with one another. Such contrived squabbles generate fears among people who might otherwise have no reason to distrust their neighbors. They demand security, which turns out to consist of little more than preserving the conditions that are most conducive to the interests of the ruling institutions. Those who equate security with permanency would do well to remember that life thrives on adaptability and change; that the only genuine security is to be a changing person in a changing world.

The institutional order sees most human beings as little more than resources to be exploited on its behalf. If people can be trained – or bred – to perform tasks useful to organizational purposes while, at the same time, avoiding traits that might be disruptive of such ends, the appropriate techniques will be developed. The corporate-state establishment will need men and women who can think analytically, as long as they are dissuaded from thinking outside the circle of permitted inquiry. As we are witnessing with the current campaign against the Internet, the established order will insist upon being “gatekeepers” regarding what individuals may communicate to one another; of being the keepers of the questions humans may ask. Those who regard others as serviceable resources whose physical and mental energies are to be constrained on behalf of exalted structures, may recall the brutal methods used to prevent slaves from leaving the plantation, as well as the crime of teaching slaves to read.

That such an assessment is more than just exaggerated hyperbole is found in the U.S. Army’s slogan to “Be All You Can Be” to young men and women being asked to join military forces to kill and be killed in foreign lands. Having unquestioning obedience and loyalty to the authority of a system to which one has accepted a subservient role is essential to the health of the state. It is in this sense that the corporate-state requires, and feeds upon, what can best be referred to as “zombies.” This is the “Brave New World” envisioned by the institutionalists; to create a mass of animated – but otherwise lifeless – brain-dead humanoids to be mobilized for purposes that do not benefit the conscripts.

Until the eugenicists can provide the science and genetic engineering to fulfill the institutional longing for a permanent class of zombies, such efforts will continue to be made by the government schools and the mainstream media. Whatever successes they achieve can be seen in flags flying on homes; bumper-stickers on cars that read “my child is an honor student” at a given school, or “proud parent of a Marine”; or the election-day wearing of a sticker that reads “I voted.” Those who cling to the illusion that their servitude is designed to benefit humanity should recall The Twilight Zone episode in which the promise “to serve mankind” was finally interpreted as “a cook book.”

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lundi, 23 mars 2015

Correction et incorrection: ces modèles qui nous tuent

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Correction et incorrection: ces modèles qui nous tuent

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Ex: http://www.lesobservateurs.ch 

Une affiche à Genève, ces jours-ci, dénonce le racisme en grosses lettres. Même moi qui n'ai jamais été raciste, je courbe un peu la tête en passant devant elle. Suis-je bien sûr de ne pas être raciste ? Ne faudrait-il pas que je m'examine ou me fasse examiner ? Peut-être subsiste-t-il, au fond de mon âme un racisme dont je n'ai pas encore conscience. Et alors, je devrais me faire purifier par des antiracistes patentés.

Encore moins suis-je antisémite, mon meilleur ami d'adolescence ayant été un Juif qui m'a permis de sortir des tristes tunnels d'une culture déconstruite. Mais allez savoir...

Même chose avec le féminisme. Jamais il ne m'est venu à l'esprit que les femmes sont inférieures. Mais n'y aurait-il pas, dans mes entrailles ou dans ma tête, un mépris latent pour les femmes ? Un mépris dont les commissaires politiques du féminisme pourraient me faire prendre conscience avec des batteries de tests ou l'imagerie médicale de mon cerveau ![1]

Même chose enfin avec les homosexuels. A quinze ans,  en Afrique, j'ai fait un long voyage avec un homme dont on m'avait dit qu'il aimait les hommes. Cela ne m'intéressait pas et nous avons passé ensemble d'excellentes vacances durant lesquelles il s'est montré d'une parfaite correction. Pourtant, à quinze ans, je n'avais pas triste mine.

On s'exclamera que je suis un type bien, inconscient des masses de mauvais bougres qui circulent parmi nous. Je ne suis pas du tout certain d'être un type bien, mais passons. Qu'il y ait des salauds ou des machos parmi nous, comment le nier ? L'essentiel est ailleurs. Il est dans tous les modèles de comportement qui se déversent sur nous jour après jour par la publicité, de pieux discours, parfois de graves remontrances. Il n'y a pas que le racisme, l'homophobie ou le machisme, car ces modèles sont légion. Modèles de comportement comme je viens de dire, mais aussi modèles de santé, modèles de renommée, d'efficacité, de beauté, et j'en passe. A partir du moment où j’adopte un modèle, comme celui qui nous engageait, il y a quelques années, de dire bonjour avant de s’adresser à quelqu’un, ce n’est plus moi qui dis bonjour, mais une chose formatée, non plus un être de chair, non plus un être mortel et donc, pourquoi pas, … un être immortel.

Loin de m'être tenu à l'écart de tous ces modèles, j'en ai absorbé plusieurs. Je faisais du jogging, de la natation, du vélo. Chaque jour je me félicitais d'être un type sportif. Ou bien je portais un beau costume-cravate, me félicitant d'être un homme distingué. Parfois je ne me gargarisais à l'idée que j'étais un type important, interviewé par les médias, écrivant de brillants articles dans journaux et revues. Je n'étais pas raciste, machiste ou homophobe, mais, dans le fond, réalisai-je un jour, je me comportais exactement comme ceux qui adoptent tel ou tel modèle. Certains se gargarisent à l'idée qu'ils sont antiracistes, donc des types bien. Pour d'autres, le bon comportement c'est de faire du jogging, de connaître par cœur les Évangiles ou d'arrêter de fumer.

L'essentiel, c'est que ces modèles de comportement entrent en nous pour nous dépouiller de nous-mêmes. Nous en venons à nous considérer comme perpétuellement inadéquats au modèle que nous avons avalé sans même nous en rendre compte. Chaque jour nous nous nous voyons incorrects et, chaque jour,  nous nous efforçons de devenir corrects. Nous ne sommes pas encore des hommes, mais nous allons le devenir. Pour employer une formulation du psychanalyste argentin Miguel Benasayag, les modèles qui s'accumulent dans nos âmes, nous font sentir que nous ne sommes pas "viables".[2]  Nous sommes à peine humains et nous avons un long travail à faire pour le devenir,  pour devenir des hommes nouveaux.

Par définition,  l'homme n'est pas viable. Il est fantasque, déloyal, méchant, inattendu, bref, incorrect. Être humain, ce n'est pas travailler à le devenir, mais accepter l'infini d'incohérences qui nous habite, sans toutefois se complaire dans ces incohérences. C'est viser le bien, sans se blâmer d'être mauvais. Personne n'est pur mais en suivant un modèle, nous croyons le devenir d’un coup. Comme nous n'y arrivons pas, nous nous blâmons, nous-mêmes et les autres, de ne pas l'être. Mais il y a des purs, ceux qui suivent les modèles des droits de l'homme, de la tolérance universelle, de la santé parfaite.[3]  Où sont-ils ? Difficile à dire. Et il y a les impurs, plus faciles à repérer et qu'on peut dénoncer, voire éliminer comme au bon vieux temps des purges communistes. Comme personne ne peut parfaitement suivre un modèle, nous en venons à suspecter nos proches et nous-mêmes d'être impurs, de ne pas être viables, à la limite de ne pas être humains. Sommes-nous tous des monstres?

Pas difficile de voir ce qui pourrait se passer. Harcelés par des modèles de comportement, suspectant que finalement personne ne peut suivre ces modèles, nous sommes tentés de basculer de l'autre côté. Par exemple de recommencer à fumer. A quoi bon tenter de suivre un modèle de santé parfaite puisqu'on ne peut pas y arriver ? Mais ça, ce n'est pas grave, sinon pour les primes d'assurance. Il y a beaucoup plus grave, à savoir qu’effondrés de culpabilité par la récitation ininterrompue des catéchismes du bien, la tentation de basculer dans le mal devient forte.

On peut souhaiter que ce basculement ne se produise pas. On peut même souhaiter voir disparaître les catéchismes du bien. Mais ce sont des vœux pieux. Il suffit, pour s'en rendre compte, de lire un passage des Évangiles où il est question d'un pharisien qui se rengorge d'être un bon croyant avec prières et jeûne.[4] Il est très satisfait de suivre parfaitement une loi qui lui donne, justement, un beau modèle de comportement religieux. Dans ce modèle, il s'est dissous, il a cessé d'être une personne unique, mortelle et responsable. Nous aussi,  modernes, risquons de nous dissoudre dans divers modèles de comportement. Ce n'est pas seulement une menace extérieure. Chacun d'entre nous est habité par une étrange aspiration à ne plus exister pour échapper à la mort, et les modèles sont là, souriants, comme le vieux serpent, qui nous proposait de satisfaire cette aspiration.

Jan Marejko, 16 mars 2015

[1] Le 21 janvier 2013, nous avons dû nous frotter les yeux en apprenant, par la presse locale genevoise, que « les racistes peuvent être démasqués par un simple scanner cérébral ». Canular ? Pas du tout, c’était un neuropsychologue de l’Université de Genève, Tobias Brosch.

[2] « Les sociétés modernes imposent leur modèle d'homme acceptable et sur lequel la réalité, toujours débordante, doit se régler. ... L'homme tel qu'il est n'intéresse personne.... Or, nous devrions accepter notre être non viable... ». Miguel  Benasayag et  Angélique del Rey, Éloge du conflit, Editions la découverte, Paris 2007.

[3] Santé parfaite ou totalitaire, comme disent Roland Gori et Marie-José del Volgo dans La santé totalitaire, Essai sur la médicalisation de l’existence, Paris, Denoël, 2005.

[4] Évangile selon Luc, chapitre 18, versets 9 à 14

Mircea Eliade et la Redécouverte du Sacré (1987)

 

Mircea Eliade et la Redécouverte du Sacré (1987)

Évocation de la pensée de Mircea ELIADE (1905-1986) à travers son œuvre, avec des textes sur ses conceptions, dits par Pierre VANECK.


- Interview de Mircea ELIADE sur le sens du sacré chez l'homme, sa découverte des cultures primitives, sa passion pour les religions, la valeur sacramentaire dans tout acte chez l'être humain, le sacré qui se trouve dans le rite, la pensée symbolique, la mythologie de l'homme. Il aborde ensuite la crise de l'homme moderne avec la désacralisation du cosmos, la pensée théologique occidentale dérivée, il dit son optimisme malgré tout car il croit en une nouvelle génération de créativité culturelle.

vendredi, 20 mars 2015

L’UTOPIA GEOPOLITICA DELL’ “IMPERO LATINO”

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L’UTOPIA GEOPOLITICA DELL’ “IMPERO LATINO”

Davide Ragnolini

Ex: http://www.eurasia-rivista.org

Il Mar Mediterraneo, come topos del rapporto tra Europa e Vicino Oriente e con una naturale vocazione geopolitica di crocevia tra Nord e Sud del mondo, si presenta oggi al centro di un processo storico che vede un’ingerenza di attori atlantici, di natura “oceanica”.

Seguendo lo storico Mollat du Jourdin possiamo distinguere «due Mediterranei europei»,[i] cioè “due mari tra le terre” nel continente europeo. Di quello a nord aperto all’Oceano e «totalmente europeo»[ii] lo storico francese scrive: «i mari del Nord-ovest e del Nord europeo ritrovarono la loro vocazione ad essere il dominio del profitto e del potere, vocazione per altro mai dimenticata»;[iii] del Mediterraneo a sud, con il suo appellativo di mare nostrum, egli scrive che la sua natura sta nell’essere «un mare se non chiuso ad ogni modo incluso in un universo politico, dapprima unico, e centrato sull’Europa, e in seguito esteso all’Africa».[iv] Questo secondo Mediterraneo collocato nel Mezzogiorno dell’Europa si trova in una posizione geografica euro-afroasiatica che lo distingue da quello settentrionale sotto l’aspetto culturale ed antropologico conferendogli un carattere di unicità: «un mare su cui si affacciano tre continenti e tre religioni monoteistiche che non sono mai riuscite a prevalere l’una sull’altra».[v] Danilo Zolo osserva infatti che questo luogo sincretico di culture, popoli ed etnie differenti «come tale non è mai stato monoteista» e si presenta anzi come un «pluriverso irriducibile di popoli e di lingue che nessun impero mondiale oceanico può riuscire a ridurre ad unum».[vi] Nella misura in cui tale pluriverso ha un’unità storico-geografica ma non politica, economica e militare, la “deriva oceanica” del Mediterraneo si verifica attraverso un processo di erosione della sua unità, e sottrazione della suo spazio di autonomia geopolitica a favore di attori diversi da quelli dell’Europa mediterranea e del mondo arabo-musulmano.[vii] Questa considerazione geopolitica sull’unità del pluriverso mediterraneo deve essere congiunta con un’altra più specificamente storico-politica relativa alla crisi dello Stato-nazione, che Habermas, nel 1996, svolgeva nel seguente modo: «la sovranità degli stati nazionali si ridurrà progressivamente a guscio vuoto e noi saremo costretti a realizzare e perfezionare quelle capacità d’intervento sul piano sopranazionale di cui già si vedono le prime strutture. In Europa, Nordamerica e  Asia stanno infatti nascendo organizzazioni soprastatali per regimi continentali che potrebbero offrire l’infrastruttura necessaria alla tuttora scarsa efficienza delle Nazioni Unite».[viii] Le entità sovrastatali a cui fa riferimento il liberale Habermas, apologeta dell’operato dell’Onu e dell’Ue, non sono le stesse delineate dal filosofo hegeliano Alexandre Kojève. Tuttavia la diagnosi dell’idea di Stato-nazione, assieme alla prima considerazione sull’unità del pluriverso mediterraneo, costituisce il punto di avvio dell’intuizione geopolitica del filosofo russo-francese nel suo L’impero latino. Progetto di una dottrina della politica francese (27 agosto 1945). Questo Esquisse d’une doctrine de la politique française fu pubblicato in versione dimidiata solo nel 1990 sulla rivista diretta da Bernard-Henry Lévy («La Regle du Jeu», I, 1990, 1). Su questo testo, pubblicato integralmente in italiano nel 2004 all’interno di una raccolta di scritti di Kojève intitolata Il silenzio della tirannide, anche il filosofo italiano Giorgio Agamben ha recentemente richiamato l’attenzione[ix]; tuttavia esso è passato pressoché inosservato all’interno dell’ideologia europeista dominante.

La stesura di questo abbozzo di dottrina geopolitica francese avvenne nell’agosto 1945, e trasse occasione dalla cooptazione di Kojève da parte di un suo ex-allievo nei negoziati dell’Avana per la creazione del GATT.[x] Due sono le preoccupazioni che Kojève espone all’inizio del suo scritto, e sono strettamente legate alle immediate circostanze storiche francesi: una, più remota, era quella relativa allo scoppio di una terza guerra mondiale in cui il suolo francese sarebbe potuto diventare campo di battaglia tra russi e anglosassoni; l’altra, più concreta, era costituita dalla crescita del «potenziale economico della Germania», per cui l’«l’inevitabile integrazione di questo paese – che si tenterà di rendere “democratico” e “pacifico” – all’interno del sistema europeo comporterà fatalmente la riduzione della Francia al rango di potenza secondaria».[xi] Il quadro giuridico-politico internazionale sul quale si delinea l’analisi di Kojève è quello della progressiva crisi dello Stato-nazione, prodotto dalla modernità politica a vantaggio di «formazioni politiche che fuoriescono dai limiti nazionali».[xii] Lo Stato moderno per poter essere politicamente efficace deve, in questo mutato quadro geopolitico, poter poggiare su una «vasta unione “imperiale” di nazioni imparentate».[xiii] A provare tale tendenza secondo Kojève sarebbe anche l’insufficienza dello sviluppo militare, sempre più determinata dai limiti economici e demografici su scala nazionale che rendono impossibile la gestione di eserciti in una fase post-nazionale. Ma il limite è evidentemente nell’idea stessa di Stato-nazione.

Nella lettura storica che egli diede della sconfitta del Reich tedesco viene messa in rilievo l’impossibilità da parte di uno Stato di preservare un’esistenza politica sulla limitata base di uno Stato-nazione e con la sua connessa «ideologia nazionalista».[xiv] Da questo punto di vista nella sua analisi, similmente a quella svolta dal secondo Carl Schmitt, interessato all’idea di Grossraum sul piano internazionale, vi è «la consapevolezza del deperimento della sovranità statuale».[xv] La stessa diagnosi dell’idea e della realtà storica dello Stato-nazione è data oggi da Alain de Benoist, per il quale l’unità artificiale dello Stato-nazione è diventata ormai un’istanza di mediazione inefficace tra le tendenze centrifughe di regionalismi e irredentismi etnolinguistici dal basso e la pressione dei mercati mondiali dall’alto.[xvi]

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Secondo Kojève l’erosione dell’efficacia politica dello Stato-nazione si poté già scorgere da un lato nel liberalismo borghese, che affermava il primato della società di individui sull’autonomia politica dello Stato, dall’altro nell’internazionalismo socialista, che pensava di realizzare il trasferimento della sovranità delle nazioni all’umanità.[xvii] Secondo il filosofo francese, se la prima teoria si caratterizzò per miopia nel non vedere un’entità politica sovranazionale, la seconda fu ipermetrope nel non scorgere entità politiche al di qua dell’umanità. Kojève intuì che la nuova struttura politica statale che si stava configurando sarebbe costituita da imperi intesi come «fusioni internazionali di nazioni imparentate».[xviii] Da un punto di vista storico-filosofico il Weltgeist hegeliano, prima di poter incarnarsi nell’umanità, sembra dover assumere la forma dell’Impero,[xix] senza con ciò rinunciare alla propria teleologia di una metempsicosi cosmostorica tesa ad una comunità mondiale. Una concreta realizzazione storica di un’entità politica sorretta dalla mediazione tra universalismo e particolarismo geopolitico sarebbe stata rappresentata dall’«imperial-socialismo» di Stalin, che si contrappose sia all’astratto Stato-umanità di Trotzki, sia al particolarismo del nazional-socialismo tedesco.

All’imperial-socialismo sovietico, o impero slavo-sovietico, si contrappose un’altra efficace entità politica che Kojève qualifica come imperiale: l’«impero anglo-americano».[xx] Nell’acuta analisi precorritrice del filosofo francese, la «Germania del futuro», estinguendosi come Stato-nazione caratterizzato da esclusivismo geopolitico ed autonomia politica in base al principio postvestfaliano dello Stato come superiorem non reconoscens,[xxi] «dovrà aderire politicamente all’uno o all’altro di questi imperi».[xxii] Da un punto di vista culturale-religioso, la parentela che egli individua tra anglosassoni e tedeschi si fonderebbe sull’ispirazione protestante comune. Il problema che si pose Kojève fu dunque specificamente geopolitico e tuttora assolutamente attuale: scongiurare la riduzione della Francia a «hinterland militare ed economico, e quindi politico, della Germania, divenuta avamposto militare dell’impero anglosassone».[xxiii] L’orientamento della Germania verso l’impero anglo-americano si sarebbe potuto osservare negli sviluppi storici e geopolitici successivi.

Ma nell’analisi dell’hegeliano francese, il problema della riduzione della sovranità coinvolgerebbe conseguentemente le altre nazioni dell’Europa occidentale «se si ostineranno a mantenersi nel loro isolamento politico “nazionale”».[xxiv] Il progetto politico proposto da Kojève è teso quindi alla creazione di una terza potenza tra quella ortodossa slavo-sovietica e quella protestante germano-anglo-sassone: un impero latino alla cui testa possa porsi la Francia al fine di salvaguardare la propria specificità geopolitica assieme a quella di altre nazioni latine, minacciate da un bipolarismo mondiale che preme su uno spazio mediterraneo da oriente e da occidente.

La vocazione di tale progetto imperiale non potrebbe però avere un carattere imperialistico, perché non sarebbe capace di un sufficiente potere offensivo verso gli altri due imperi, ma avrebbe piuttosto la funzione di preservare la pace e l’autonomia geopolitica di un’area che si sottrae al pericolo di egemonie imperialistiche esterne impedendo che il proprio spazio diventi campo di battaglia di Asia e Pacifico.[xxv] L’analisi della situazione della Francia svolta da Kojève rivela però alcune precise difficoltà di realizzazione di questo progetto politico. Secondo il filosofo francese alla «fine del periodo nazionale della storia»[xxvi], che peraltro la Francia faticherebbe a riconoscere, si aggiunge un processo di «spoliticizzazione» del Paese, cioè di perdita della volontà politica ed una conseguente decadenza sotto il piano sociale, economico e culturale. Un progetto sovranazionale implica un dinamismo diplomatico e uno sforzo di mediazione culturale di cui i paesi latini si devono assumere l’impegno. La parentela che Kojève scorge tra le nazioni latine come Francia, Italia e Spagna, e che costituisce l’elemento coesivo di un progetto di entità politica postnazionale, è caratterizzato da un punto di vista culturale da «quell’arte del tempo libero che è l’origine dell’arte in generale».[xxvii] Tale peculiarità dell’«Occidente latino unificato»[xxviii] sarebbe un aspetto identitario omogeneo ai Paesi latini e rimarrebbe ineguagliato dagli altri due imperi. Per questa ragione antropologico-culturale Danilo Zolo può affermare che «l’area mediterranea vanta la più grande concentrazione artistica del mondo».[xxix]

Più in generale, secondo Kojève la formazione di entità politiche imperiali dopo lo Stato-nazione è rafforzata dalla coesione di queste nazioni imparentate con le Chiese più o meno ufficiali ad esse corrispondenti.[xxx] Questa parentela o unione latina può diventare un’entità politica reale solo formando un’autentica unità economica, condizione materiale di esistenza di tale progetto sovranazionale. Ben lungi dall’essere un vettore di conflitto, tale impero latino potrebbe garantire un’intesa politicamente efficace tra culture diverse ma unite nello stesso spazio di appartenenza e comunità di destino. È su questa identità geopolitica comune che è possibile pensare ad un efficace antidoto contro l’idea di clash of civilizations, costitutivamente estranea all’area mediterranea: «un’intesa tra la latinità e l’islam – scrisse Kojève – renderebbe singolarmente precaria la presenza di altre forze imperiali nel bacino mediterraneo».[xxxi]

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Da questo punto di vista identitario-culturale, la considerazione sull’esigenza di unità economica nell’area latina delineata dal filosofo francese è ben lontana dal liberalistico primato dell’economico sul politico che si è affermato ed istituzionalizzato successivamente nell’Unione europea. L’unione economica dei Paesi latini è infatti pensata solo come condizione, mezzo dell’unità imperiale latina, non come una sua ragion d’essere, perché il fine ultimo di questa è essenzialmente politico ed è sorretto da un’ideologia specifica. Categoria fondamentale dell’ideologia dell’unità imperiale latina è l’indipendenza e l’autonomia, alla quale si rivelano subordinati altri aspetti come quelli di potenza e di grandezza. Una politica militarista secondo Kojève tradisce una insicurezza e minaccia di instabilità che la formazione di un progetto sovrastatale mediterraneo dovrebbe allontanare: «il militarismo nasce dal pericolo e soprattutto dalla sconfitta, cioè da una debolezza solo probabile o già verificatasi».[xxxii] Per questa ragione il fenomeno di militarismo ed imperialismo viene da Kojève rigettato come «meschino», e spiegato come il riflesso di uno Stato-nazione fragile e non di una struttura politica imperiale.

A tale impero latino dovrà corrispondere un esercito sovranazionale «sufficientemente potente da assicurargli un’autonomia nella pace e una pace nell’autonomia» e non nella dipendenza di uno dei due imperi rivali.[xxxiii] Come già rilevato sopra, la potenza militare dell’impero latino né potrebbe, né dovrebbe avere carattere offensivo, ma piuttosto un carattere difensivo riferito ad una concreta localizzazione nello spazio: «l’idea di un Mediterraneo “mare nostrum” potrebbe e dovrebbe essere il fine concreto principale, se non unico, della politica estera dei latini unificati […] si tratta di detenere il diritto e i mezzi di chiedere una contropartita a coloro che vorranno circolare liberamente in questo mare o di escluderne altri. L’accesso o l’esclusione dovranno dipendere unicamente dall’assenso dell’impero latino grazie ai mezzi di cui esso solo può disporre».[xxxiv] L’isolamento dei singoli paesi latini non li farebbe altro che naufragare sul blocco imperiale anglo-sassone, trasformandoli in «satelliti nazionali»[xxxv] di una delle due formazioni imperiali straniere. Interessante è l’osservazione di Kojève sul pericoloso potenziale di squilibrio geopolitico ed economico che la Germania può costituire rispetto ai Paesi latini e all’Europa intera: «se il pericolo di una Germania nemica sembra essere scongiurato per sempre, il pericolo economico rappresentato da una Germania “alleata” affrontato all’interno di un blocco occidentale che sia un’emanazione dell’impero anglosassone non è affatto chimerico, mentre rimane, anche sul piano politico, incontestabilmente mortale per la Francia»[xxxvi] e per gli altri Paesi latini. L’impero latino come entità politica autonoma potrebbe essere in grado di «opporsi in maniera costante ad un’egemonia continentale tedesca» o anglo-americana.

L’idea di impero latino non deve cioè essere connessa ai limiti di un anacronistico Stato-nazione, ma riferito a «fusioni internazionali di nazioni imparentate»[xxxvii] o «unione internazionale di nazioni imparentate».[xxxviii).

I problemi politici interni che ostacolerebbero il progetto di impero latino in Francia sarebbero secondo Kojève costituiti sia dal «quietismo economico e politico» che paralizza l’intraprendenza politica del Paese, cioè ostacolano «l’attività negatrice del dato, quindi creatrice e rinnovatrice», sia da formazioni partitiche che si rivelano essere «tanto più intransigenti nel loro atteggiamento quanto meno questo è dottrinale».[xxxix] La compresenza di questi due aspetti agirebbe in modo ostativo rispetto al progetto di impero latino, e non possiamo certo dire che oggi, sotto l’esperienza del commissariamento tecnico-economico dei governi e nella caotica frammentarietà di partiti deideologizzati la situazione possa definirsi più idonea sul piano fattuale per la costruzione di un progetto geopolitico sovranazionale alternativo.

Nell’analisi che Kojève svolge sulla possibile collaborazione ed idoneità dei vari partiti politici esistenti in Francia rispetto al progetto di impero latino, di grande rilievo è il rapporto che viene delineato tra formazione imperiale e Chiesa. Nella nascente fase storica di formazione di imperi post-nazionali le Chiese cristiane tra loro separate sembrano abbisognare dell’esistenza di compagini intermedie tra l’umanità e le nazioni.[xl] Si potrebbe quindi osservare un isomorfismo strutturale dal punto di vista geopolitico tra le Chiese separate e le formazioni imperiali: né universalistici, né limitati in un’anacronistica idea di Stato-nazione. La Chiesa cattolica, in questo quadro geopolitico in cui i movimenti imperiali rappresentano l’attualità, acquisirebbe «il patrocinio spirituale dell’impero latino»[xli] e, tenendosi salda alla propria natura di Chiesa potenzialmente universale, ricorderebbe all’impero latino il suo carattere storicamente transitorio all’interno dello sviluppo storico. Il progetto di impero latino nella sua configurazione storica e geopolitica si differenzia dal Grossraum schmittiano per il fatto che esso non esercita, o almeno non primariamente, la funzione di katechon[xlii] perché da un punto di vista geopolitico rappresenta «la forma intermedia tra Vestfalia e Cosmopolis»,[xliii] e sul piano storico «prepara e anticipa lo stato mondiale».[xliv]

Questo progetto per una dottrina geopolitica francese e mediterranea seppur si inquadri in un rapporto di opposizione all’unipolarismo anglo-americano e sia schiettamente orientato in una prospettiva multipolare, dal punto di vista storico-escatologico diventa vettore di realizzazione dell’idea di Stato-umanità secondo l’umanismo filosofico di Kojève.

L’8 maggio di quest’anno, a proposito del progetto geopolitico di questo singolare «marxiste de droite»[xlv], è apparso sulla rivista tedesca Die Welt un articolo che, al contrario di quello di Agamben, non è affatto passato inosservato. Il sociologo tedesco Wolf Lepenies,[xlvi] nella sua risposta al duro documento del Partito socialista francese contro il dogma economico dell’austerità tedesca, chiama in causa la dottrina geopolitica di Kojève di un’unione contro la Germania, che sembrerebbe acquisire fama e simpatie presso la sinistra francese e troverebbe risonanza presso il filosofo italiano Agamben. L’articolo di Lepenies è critico anche verso l’intuizione kojèviana di una Germania che persegue i propri vantaggi economici all’ombra di un blocco euro-atlantista. Tale episodio è significativo sul piano negativo: un articolo di un quotidiano tedesco conservatore di oggi, fondato dalle forze inglesi vincitrici nel 1946, rivolto contro il progetto geopolitico alternativo da un filosofo francese pensato nel dopoguerra non può che assumere rilievo sotto il profilo della teoria geopolitica contemporanea. Il binomio Germania-Eurolandia, col suo potenziale destabilizzante per il continente europeo e in particolare per i paesi mediterranei europei, può essere ridiscusso solo a partire dalla critica al suo fondamento geopolitico euro-atlantista, come intuì Kojève all’indomani della Seconda Guerra Mondiale.



[i] MOLLAT DU JOURDIN M., L’Europa e il mare dall’antichità ad oggi, Laterza, Roma-Bari, 2004, p. 14.

[ii] Ivi, p. 29.

[iii] Ivi, p. 66.

[iv] Ivi, p. 29.

[v] ZOLO D., Per un dialogo fra le culture del Mediterraneo in AA. VV., Mediterraneo. Un dialogo tra le sponde, a cura di F. Horchani e D. Zolo, Jouvence, Roma, 2005, p. 18.

[vi] Ibidem.

[vii] Cfr. ZOLO D., La questione mediterranea, in AA. VV., L’alternativa mediterranea, a cura di F. Cassano e D. Zolo, Feltrinelli, Milano, 2007, pp. 18-21. Cfr. anche l’interessante intervista di Alain de Benoist rivolta a Danilo Zolo su questo tema reperibile nel seguente sito: http://www.juragentium.org/topics/med/it/benoist.htm.

[viii] HABERMAS J., Lo stato-nazione europeo. Passato e futuro della sovranità e della cittadinanza in ID., L’inclusione dell’altro. Studi di teoria politica, Feltrinelli, Milano, 1998, pp. 120-121.

[ix] Il titolo dell’articolo di Giorgio Agamben apparso su Repubblica il 15 marzo di quest’anno si intitola “Se un impero latino prendesse forma nel cuore dell’Europa”, ed è reperibile nel seguente sito:  http://ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2013/03/15/se-un-impero-latino-prendesse-forma-nel.html.

[x] TEDESCO F., L’impero latino e l’idea di Europa. Riflessioni a partire da un testo (parzialmente) inedito di Alexandre Kojève, in AA. VV., Quaderni fiorentini per la storia del pensiero moderno, vol. XXXV, Giuffrè Editore, Milano, 2006, p. 379.

[xi] KOJÈVE A., L’impero latino. Progetto di una dottrina della politica francese, in ID., Il silenzio della tirannide, Adelphi, Milano, 2004, p. 163.

[xii] Ivi, p. 164.

[xiii] Ivi, p. 165.

[xiv] Ivi, pp. 167-168.

[xv] TEDESCO F., L’impero latino e l’idea di Europa. Riflessioni a partire da un testo (parzialmente) inedito di Alexandre Kojève, in op. cit., p. 393.

[xvi] Cfr. DE BENOIST A., L’idea di Impero, in AA. VV., Eurasia. Rivista di studi geopolitici, n.° 1/2013.

[xvii] KOJÈVE A., L’impero latino. Progetto di una dottrina della politica francese, in op. cit., pp. 168-169.

[xviii] Ivi, p. 169.

[xix] Ivi, p. 170.

[xx] Ivi, p. 171.

[xxi] ZOLO D., Globalizzazione. Una mappa dei problemi, Laterza, Roma-Bari, 2009, p. 68.

[xxii] KOJÈVE A., L’impero latino. Progetto di una dottrina della politica francese, in op. cit., p. 172.

[xxiii] Ivi, p. 173.

[xxiv] Ivi, p. 174.

[xxv] Ivi, p. 175.

[xxvi] Ivi, p. 179.

[xxvii] Ivi, p. 183.

[xxviii] Ivi, p. 184.

[xxix] ZOLO D., La questione mediterranea, in AA. VV., L’alternativa mediterranea, op. cit., p. 17.

[xxx] KOJÈVE A., L’impero latino. Progetto di una dottrina della politica francese, in op. cit., p. 185.

[xxxi] Ivi, p. 188.

[xxxii] Ivi, p. 193.

[xxxiii] Ibidem.

[xxxiv] Ivi, p. 195.

[xxxv] Ivi, p. 196.

[xxxvi] Ivi, p. 197.

[xxxvii] Ivi, p. 169.

[xxxviii] Ivi, p. 181.

[xxxix] Ivi, p. 198.

[xl] Ivi, p. 208.

[xli] Ivi, p. 209.

[xlii] SCHMITT C., Il nomos della terra nel diritto internazionale dello “jus publicum europaeum”, a cura di Franco Volpi, Adelphi, 2003, p. 42 e sgg.

[xliii] TEDESCO F., L’impero latino e l’idea di Europa. Riflessioni a partire da un testo (parzialmente) inedito di Alexandre Kojève, in op. cit., p. 394.

[xliv] Ivi, p. 398.

[xlv] AUFFRET D., Alexandre Kojève, La philosophie, l’État, la fin de l’Histoire, Paris, Grasset, 1990, p. 423, cit. in TEDESCO F., L’impero latino e l’idea di Europa. Riflessioni a partire da un testo (parzialmente) inedito di Alexandre Kojève, in op. cit., p. 401.

 

jeudi, 19 mars 2015

La bufala Marcuse

La bufala Marcuse

marcuse1.pngBuona parte degli intellettuali sessantottini, abbandonando al suo destino il proletariato, si sono resi alla teoria della società dei consumi. A ben vedere, se questa condizione rappresentasse la realtà, se si potesse consumare ciò che si produce, il sogno marxiano sarebbe avverato. Ma lungi dall'essere un modello socialista il nostro capitalismo agonistico è strutturato secondo una precisa gerarchia di accesso al consumo. Il fenomeno dei Rich Kids e l'ostentazione della ricchezza, con il recesso del pudore e della riservatezza nell'era della mediatizzazione totale, fanno cadere l'utopico e accomodante ugualitarismo della società dei consumi.
Ex: http://www.lintellettualedissidente.it

La grande truffa che Marcuse e la sua progenie intellettuale hanno smerciato in forma “ribelle” al pensiero Occidentale è un semplicismo accomodante. La scuola di Francoforte, con lo slogan “il proletariato si è svenduto per un piatto di lenticchie”, ha abbandonato la causa operaia. Troppo borghese per un certo intellettualismo, la classe diseredata, piuttosto che perseguire la lotta ha preferito emanciparsi compromettendosi col padronato. Anni di rivendicazioni salariali e lotte sindacali per entrare nella società dei consumi senza ribaltare l’ordine costituito. Così Marcuse ha liquidato il proletariato traditore. Ma, se così fosse, chi potrebbe essere più felice di quel borghese di Marx? Non era proprio il filosofo di Treviri a sognare l’abolizione delle classi all’interno di una società garante indistintamente dell’accesso al consumo? Eppure la nostra è una società capitalistica. Come giustifica, Marcuse, questa contraddizione? Il fatto che tutti possano acquistare un Iphone o un’automobile non è sufficiente ad abolire le disuguaglianze.

mcl1.gifFu Michel Clouscard, negli anni Settanta, a sanare l’errore del francofortese, mettendo sugli attenti, tra le pagine dell’Humanité – quando ancora quel giornale valeva qualcosa – i militanti del PCF: vige una gerarchia di accesso al consumo, perché i beni non si equivalgono. La lavatrice, il frigorifero, l’automobile sono beni di equipaggiamento, dediti a riprodurre la forza lavoro dell’operaio. Così come oggi lo sono l’Iphone, il computer, il nuovo tablet, strumenti che da un lato rinnovano e dall’altro si rendono funzionali al lavoro dell’impiegato. Ma né l’operaio né l’impiegato hanno intenzione di consumare, o almeno non consumano gli oggetti in modo libidinale o ludico. Con ciò, il nostro presente ci obbliga a scrostare questi sedimenti marcusiani per farci confrontare con la realtà: il diverso grado che la società riserva agli individui di consumare senza produrre. Questa scala è recentemente resa pubblica sui social network. Tramite il mondo dei social la struttura verticale e gerarchica di accesso al consumo sembra ristabilirsi svelando l’ipocrita velo di maya che per un trentennio ha illuso chi sperava nella società dell’uguaglianza. Il definitivo collasso della riservatezza puritana, dell’influenza cattolica sulle giovani generazioni, mostrano che la civiltà dei consumi (esente dalla produzione) è una verità per una percentuale bassissima della popolazione, cui è permesso il rito che Clouscard chiama “potlach del plus valore”: lo spreco di valore aggiunto prodotto da altri. Il fenomeno dei Rich Kids su Instagram non è che uno svelamento. Da Beverly Hills fino a Mosca l’ostentazione è una moda anche per le élites dell’ex nomenklatura sovietica che dopo 70 anni di Unione hanno liberalizzato lo champagne e le prostitute oltre le quattro mura domestiche e fuori dai vetri oscurati delle Zil. Ovunque – persino a Teheran, prima che, in nome della decenza comune, il link fu bloccato – i figli delle élites promuovono sfacciatamente la vita lussuosa e lo sperpero di denaro.

C’è chi si scandalizza ed “è sempre banale” (direbbe Pasolini), e chi brama una simile ricchezza, ma il risultato dei social come mediatori tra lo stile di vita dei vertici e le ambizioni della base popolare è il nuovo motore della Storia. Insegna a chi non può praticare il potlach incessantemente che la sottomissione in luogo di produzione permette uno spazio temporale limitato di libertà in luogo di consumo. C’è chi lavora ininterrottamente un anno per fare il miliardario cinque giorni ad agosto in un isola dello sballo. La temporalità della vita viene scandita secondo un ritmo preciso che ad oggi è un brano musicale e uno slogan stampato sulle t-shirt all’ultimo grido: “work hard, party harder”. Più ti sottometti, più sei libero.

Entretien avec David Cumin sur Carl Schmitt

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Entretien avec David Cumin: «Carl Schmitt est un catholique prussien, un Prussien catholique»

Maître de conférences (HDR) à l’Université Jean Moulin-Lyon III, Faculté de Droit, et membre du CLESID, David Cumin est un spécialiste reconnu de l’œuvre de Carl Schmitt dont il a publié une Biographie politique et intellectuelle en 2005Nous revenons ici sur l’actualité et la réalité d’une pensée controversée.

cscu51095HRWDSL._UY250_.jpgPHILITT : Dans votre biographie politique et intellectuelle de Carl Schmitt, vous relativisez sans occulter le rôle qu’il a joué dans l’administration du IIIe Reich. Pourquoi réduit-on l’œuvre de Schmitt à cet épisode, et pourquoi est-ce, selon vous, une erreur ?

David Cumin : J’ai été le premier en France, dans ma thèse soutenue en 1996 à démontrer l’engagement de Carl Schmitt dans le IIIe Reich. Autrefois, cet engagement était plus ou moins occulté, négligé voire oublié. Et c’est en 1994 à la bibliothèque universitaire de Strasbourg que j’ai exhumé tous les textes de Carl Schmitt juriste et politiste de la période qui s’étend de 1933 à 1945. Personne ne l’avait fait depuis la Libération, et c’est en lisant, traduisant, analysant ces textes que j’ai pu avérer ce fait là.

Son engagement a été très fort, mais on ne peut pas réduire la production intellectuelle de Schmitt aux années 1939-1945. Il a écrit avant et après cette période, et il y a des points de ruptures certes, mais aussi une vraie continuité sur certains sujets. Par exemple après 1933, par opportunisme, il intègre la doctrine raciale dans sa conception du droit et de la politique, mais de façon superficielle et controversée. Controversée par les nationaux-socialistes eux-mêmes ! On lui reprochera, à la suite d’une enquête de la SS en 1936, d’être un vrai catholique et un faux antisémite. Dès lors, sa carrière est bloquée. Il aurait peut-être apprécié d’être le juriste du IIIe Reich, mais il n’y est pas parvenu, parce que sa conception raciale était superficielle. Le véritable juriste du IIIe Reich était un rival de Schmitt : Reinhard Höhn.

Si on réduit le personnage et son œuvre à cette période c’est évidemment pour des raisons polémiques, pour les discréditer. Et pourtant, nombreux sont les critiques de Schmitt qui ne connaissent pas ses écrits de la période 1939-1945, qui n’ont toujours pas été traduits pour nombre d’entre eux. Il y a d’ailleurs des textes de cette période qui n’ont rien d’antisémites ou de raciaux, notamment sur le concept discriminatoire de guerre qui reste un texte majeur de droit international.

PHILITT : Voyez-vous une contradiction entre l’héritage intellectuel des grands penseurs politiques classiques (Hobbes, Thucydide, Machiavel, Bodin) porté par Carl Schmitt d’une part, sa catholicité d’autre part, et son adhésion au NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) ?

David Cumin : Effectivement, Schmitt est un classique, imprégné de culture française, latine, catholique. Il a pour références Bonald, Maistre, Cortès… C’est un Européen catholique ! Mais en même temps il est un nationaliste allemand. Et il se trouve qu’il a, en 1933, les mêmes ennemis qu’Hitler. Il est contre Weimar, contre Versailles et contre le communisme. Or, c’est à ce moment qu’il arrive au sommet de sa carrière, mais il doit concilier sa culture classique et sa catholicité avec son adhésion au NSDAP. Même si ce dernier n’est pas anticatholique dès 1933 puisqu’un Concordat relativement favorable à l’Église catholique est signé, le problème se pose plus tard, et se cristallise autour du problème de l’embrigadement de la jeunesse. Cette lutte contre l’Église met Schmitt dans une situation inconfortable, mais il la surmonte : depuis toujours il a connu la difficulté d’être à la fois catholique et prussien de naissance. En 1938 dans un livre sur Hobbes il formule une critique de l’Église qu’il accuse d’avoir une influence indirecte ou cachée, lui qui faisait l’éloge d’une autorité visible. Mais définitivement, Schmitt est un paradoxe ! Tout en étant catholique, il a divorcé. Ses deux épouses étaient des orthodoxes serbes, autre paradoxe… Mais ce qui est absolument essentiel chez Schmitt, c’est l’ennemi. Pour lui l’ennemi primait sur tout, il disait :  « l’ennemi est la figure de notre propre question ».

PHILITT : Faut-il donc considérer la pensée de Schmitt, et celle de la Révolution conservatrice allemande de manière globale, comme un réel moteur du NSDAP ou comme une simple caution intellectuelle ? 

David Cumin : Ce n’est pas un moteur, ce n’est pas non plus une caution. C’est davantage une connivence. Le NSDAP est un parti de masse, un parti de combat, mais qui n’a pas de réelles idées neuves. Toute la production intellectuelle est due à la Révolution conservatrice allemande, pour autant beaucoup d’auteurs sont distants : Ernst Jünger se distingue immédiatement, Martin Heidegger s’engage mais sera vite déçu. Carl Schmitt est peut-être celui qui s’est le plus engagé, mais comme nous l’avons dit dès 1936 sa carrière est bloquée. Et n’oublions pas que le NSDAP est composé, tout comme la Révolution conservatrice allemande, de différents courants. Par exemple certains sont catholiques, d’autres se réclament du paganisme etc…

Mais il y a tout au plus des passerelles, des connivences, le principal point commun étant le nationalisme et l’ennemi : Weimar, Versailles, le libéralisme et le communisme. D’ailleurs, le NSDAP méprisait les intellectuels, et plus particulièrement les juristes. Encore un problème pour Schmitt, donc.

PHILITT : Une erreur du NSDAP n’est-elle pas d’avoir voulu bâtir une notion d’État stable et pérenne sur des idées (celles de la Révolution Conservatrice Allemande) nées d’une situation d’urgence et d’instabilité, celle de l’entre-deux guerres ?

David Cumin : Effectivement, des deux côtés il y a une pensée de l’urgence, de l’exception, de la crise, de la guerre civile. Les partis communistes, socialistes, le NSDAP, ont tous à l’époque leurs formations de combats. Mais attention sur la question de l’État. Si la plupart des conservateurs, comme Schmitt, mettent au départ l’accent sur l’État, le NSDAP lui met le Volk, le Peuple, la race, au centre. Et après 1933, Schmitt va désétatiser sa pensée : il théorise la constitution hitlérienne selon le triptyque État – Mouvement – Peuple. L’État n’est plus qu’un appareil administratif, judiciaire et militaire. C’est donc le parti qui assume la direction politique, et la légitimité est tirée de la race, du peuple. L’État est en quelque sorte déchu, et le Peuple est réellement au centre. Schmitt pense alors le grand espace, qui reste une pensée valable au lendemain de la guerre ! Dans le contexte du conflit Est-Ouest, ce n’est pas l’État qui est au centre mais c’est bien cette logique des grands espaces qui domine.

PHILITT : Toujours s’agissant du contexte historique, l’appellation de Révolution conservatrice allemande est-elle justifiée ? Les penseurs de ce mouvement intellectuel peuvent-ils réellement être rangés dans le triptyque réaction/conservatisme/progressisme ou faut-il considérer ce mouvement comme spécifique à une époque donnée et ancrée dans celle-ci ?

David Cumin : C’est un moment spécifique à une époque, en effet, et l’expression me semble très judicieuse. Armin Mohler, qui fut secrétaire d’Ernst Jünger, a écrit La Révolution conservatrice allemande en 1950, traduit en France une quarantaine d’années plus tard. C’est donc lui qui a forgé l’étiquette, qui me semble très appropriée. Ce sont des conservateurs, qui défendent les valeurs traditionnelles, mais ils sont révolutionnaires dans la mesure où ils luttent contre la modernité imposée à l’Allemagne (le libéralisme, le communisme). Ils sont révolutionnaires à des fins conservatrices. Ils admettent la modernité technique, qui les fascine, mais veulent la subordonner aux valeurs éternelles. Leurs valeurs ne sont pas modernes. Et ce qui est intéressant, c’est qu’ils s’approprient les concepts modernes de socialisme, de démocratie, de progrès notamment, pour les retourner contre leurs ennemis idéologiques. Par exemple la démocratie pour Schmitt n’est pas définie comme le régime des partis, la séparation des pouvoirs, mais un Peuple cohérent qui désigne son chef.

PHILITT : Vous êtes professeur et auteur d’ouvrages sur l’Histoire de la guerre et le droit de la guerre et de la paix. Avec le recul, pensez-vous que les travaux de Schmitt (sur la figure du partisan, sur le nomos de la terre, par exemple) restent des clés de lectures valides et pertinentes après les bouleversements récents de ces deux domaines ?

hg2677565573.jpgDavid Cumin : Absolument, Le Nomos de la terre et L’Évolution vers un concept discriminatoire de guerre restent deux ouvrages tout à fait incontournables. Le Nomos de la terre est absolument fondamental en droit international, en droit de la guerre. De même que la théorie du partisan, qui pourrait être améliorée, amendée, actualisée, mais demeure incontournable. On peut d’ailleurs regretter que ce ne soit que très récemment que les spécialistes français en droit international se soient intéressés à Schmitt. Pourtant il y a toujours eu chez lui ces deux piliers : droit constitutionnel et droit international. Par exemple, ses écrits sur la Société des Nations sont tout à fait transposables à l’ONU et donc tout à fait d’actualité.

PHILITT : Peut-on considérer qu’il y a aujourd’hui des continuateurs de la pensée de Carl Schmitt ? 

David Cumin : Schmitt a inspiré beaucoup d’auteurs, dans toute l’Europe. Il a été beaucoup cité mais aussi beaucoup pillé… Très critiqué également notamment par l’École de Francfort et Habermas qui a développé son œuvre avec et contre Schmitt. Un ouvrage britannique, Schmitt, un esprit dangereux, montrait bien toute l’influence de Schmitt dans le monde occidental et dans tous les domaines. Le GRECE et la Nouvelle Droite se sont réclamés de Schmitt, mais dans une perspective plus idéologique.

Dans un registre plus scientifique, en science politique, Julien Freund a revendiqué deux maîtres : Raymond Aron et Carl Schmitt. Il en a été un continuateur. Pierre-André Taguieff a été inspiré par Schmitt également, et plus récemment Tristan Storme. Schmitt a influencé énormément d’auteurs à droite comme à gauche. Giorgio Agamben, Toni Negri, la revue Telos aux États-Unis située à gauche sont fortement imprégnés de l’œuvre de Carl Schmitt. On peut difficilement imaginer travailler sur le droit international sans prendre en considération l’œuvre de Carl Schmitt.

PHILITT : Finalement, comment résumeriez-vous la pensée de Carl Schmitt ? 

David Cumin : Tout le paradoxe de l’existence et de l’œuvre publiée de Schmitt se résume ainsi : Carl Schmitt est un catholique prussien, un Prussien catholique. Sa catholicité expliquant son rapport à l’Église qui est pour lui le modèle de l’institution. Son origine prussienne expliquant son rapport à l’État, et surtout à l’armée. Il avait donc ces deux institutions, masculines, pour références, qui fondent le parallèle entre la transcendance et l’exception. Les polémistes disent « Schmitt le nazi », ce qui correspond à une période de sa vie, où il n’était pas forcément triomphant. Je préfère parler du « Prussien catholique », qui met en exergue le paradoxe de son existence et de son œuvre toutes entières.

mercredi, 18 mars 2015

Le Jour de la Colère en Occident

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DIES IRAE
Le Jour de la Colère en Occident
 
Fabrice Fassio*
Ex: http://metamag.fr
 
Les termes liés aux phénomènes sociaux (démocratie, capitalisme, communisme, volonté populaire, etc.) ont un caractère polysémique.  La plupart des locuteurs ne mettant pas la même chose sous les mêmes mots, il s'ensuit des malentendus, voire une incompréhension totale. Cette dernière est d'ailleurs largement alimentée par les médias et les politiciens qui, utilisant le mot "démocratie" à tout propos et de façon intempestive, ont transformé ce terme en véritable "tarte à la crème". Afin d'éviter les confusions, nous nommerons dans cet article : démocratie parlementaire ou démocratie tout court, le système politique d'un pays occidental souverain : la France, l'Allemagne, les Etats-Unis, etc. L'existence de partis politiques, de représentants élus par les citoyens, d'une constitution ou d'une assemblée nationale sont des exemples d'éléments constitutifs du système politique en question. Je souhaite enfin préciser que je considère, dans cet article, la démocratie comme un objet d'étude et que nous ne voulons porter sur elle aucun jugement de valeur. 

Démocratie réelle et démocratie mythique
 
zinoview1-2008-cover.jpgDans les médias, dans les discours des hommes d'Etat occidentaux ou bien dans de nombreux ouvrages spécialisés, le terme de "démocratie" revêt toujours une connotation positive. Ce simple fait est, à lui seul, hautement significatif d'une utilisation idéologique de ce terme. En effet, peut-on imaginer un quelconque système politique ne comportant que des qualités ? La démocratie parlementaire réelle et non point mythique ne fait pas exception à la règle. Elle recèle certes des qualités (autrement dit, des phénomènes qu'une majorité de citoyens perçoivent comme positifs) mais aussi des éléments qui jettent le désarroi dans l'esprit de nos contemporains.  Ces éléments constituent en quelque sorte le « revers de la médaille » de notre système politique. 

En effet, beaucoup d'entre nous s'inquiètent de l'importance de phénomènes tels que les groupes de pression (lobbysme), le train de vie des élus, les liens entre le monde de la politique et celui des affaires, le financement occulte des partis, les scandales dans lesquels trempent des politiciens, etc. Ces quelques exemples suffisent à faire comprendre ce que nous voulons dire. A notre sens, ces phénomènes sont les éléments constitutifs d'une démocratie parfaitement réelle et non point mythique (idéalisée). Comme l'affirme le proverbe : il n'existe pas de bien sans mal.  Ces défauts de la démocratie parlementaire ne sont pas l'effet du hasard mais découlent du fonctionnement du système au quotidien ; les éradiquer totalement ne dépend point des discours des journalistes ou des décisions des hommes d'Etat, aussi bien intentionnés soient-ils. Ces défauts font bon ménage avec d'autres phénomènes qui sont en revanche perçus comme des qualités par les citoyens. Tel est le cas de l'élection des représentants du peuple aux plus hauts niveaux de l'Etat (députés, sénateurs, présidents, etc.) Ce choix des élus est une spécificité de notre système politique.

Une crise de confiance

Le droit de choisir ses représentants constitue un élément important de la démocratie parlementaire. Cependant, nombre d'électeurs pensent que leur vote n'améliorera en rien leur quotidien et s'interrogent sur l'utilité réelle des élections. S'estimant victimes d'un jeu de dupes, certains s'abstiennent de voter alors que d'autres accomplissent sans aucune conviction leur devoir de citoyen. Selon le mot célèbre de Jacques Duclos, ces électeurs désenchantés ont conscience de choisir entre " bonnet blanc et blanc bonnet". Selon nous, ce désarroi et cette désaffection sont les conséquences de plusieurs facteurs.
 
Élections et "hollywoodisation" : le système politique ne constitue qu'une partie de la structure étatique d'un pays occidental. Composé d'élus du peuple, ce système cohabite avec un appareil bureaucratique dans lequel travaillent des dizaines de milliers de fonctionnaires. Cependant, les médias ne manifestent de l'intérêt que pour les élus, dont le nombre est pourtant bien inférieur à celui des fonctionnaires d'Etat. Lors des campagnes électorales, l'attention portée par les médias aux politiciens de haut vol est décuplée et atteint son paroxysme. Durant ces périodes, les principaux moyens de communication créent de véritables cultes des hommes politiques les plus en vue, comme si le destin du pays dépendait du discours prononcé par Monsieur X ou bien de la prestation télévisée effectuée par Monsieur Y. La Une des journaux se remplit de faits mineurs de cette nature et les médias organisent toutes sortes de mises en scène tapageuses. Cette "hollywoodisation" de la vie publique a le double mérite de distraire les citoyens et de masquer l'absence totale ou quasi totale d'idées et de programmes. Voter consiste alors à légitimer l'octroi de fonctions publiques à tel ou tel personnage que les médias et les agences de publicité ont mis en valeur de façon à faciliter son élection. Le candidat devient un « produit artificiel » fabriqué de toutes pièces pour le jour du scrutin.

Elections et bipartisme: depuis la fin de la guerre froide, la tendance au bipartisme s'est renforcée en Europe : à une droite libérale s'oppose une gauche socialisante. Il s'agit, selon les pays, de copies plus ou moins conformes du modèle américain : démocrates et républicains. Depuis l'effondrement du bloc de l'Est, l'idéologie occidentale s'est lancée dans une opération de grande envergure. Journalistes, sociologues, politiciens et experts de tout poil ont redoublé d'efforts pour convaincre les électeurs d'élire des candidats se réclamant de partis "ayant vocation à gouverner" (selon l'expression consacrée). Débarrassée de sa gangue idéologique, cette expression bien connue signifie : partis ne représentant aucun risque pour l'ordre social existant. Même si elles proposent des programmes légèrement différents, les formations politiques participant au bipartisme ont en commun le fait de soutenir notre mode de vie. Convaincre l'électeur d'adhérer au bipartisme revient à cantonner le pouvoir des urnes dans des limites que les forces influentes de la société jugent acceptables. Il s'agit bel et bien de restreindre ce pouvoir afin qu'il ne représente aucun danger pour l'ordre social.

Elections et classe politicienne : beaucoup de citoyens ont clairement conscience qu'existe une classe (une catégorie) de professionnels de la politique. Dans son étude fondamentale consacrée à la société occidentale, le philosophe russe Alexandre Zinoviev note que, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, cette classe a non seulement augmenté d'un point de vue numérique mais qu'elle a accru son rôle dans la société. Ces professionnels de la politique ne font pas carrière d'une manière solitaire mais au sein de partis, de mouvements et d'organisations ; ils jouissent d'un niveau de vie élevé : salaires enviables et avantages en nature, relations avec le monde des affaires, honoraires d'appoint, etc. Même s'ils ignorent les "dessous" de la vie politique, la majorité des citoyens savent cependant qu'ils sont fort peu reluisants. Les scandales qui éclatent de temps à autre permettent d'ailleurs au commun des mortels d'entrevoir les coulisses du monde de la politique. S'ensuivent l'indignation, la désillusion et l'amertume. 

Décrivant dans son opuscule "le Prince" le comportement des puissants de son temps, Nicolas Machiavel notait que la ruse, le cynisme, la trahison et le mensonge sont des traits psychologiques que les hommes d'Etat doivent développer s'ils veulent garder le pouvoir. L'analyse du Florentin reste et restera d'actualité. Les politiciens les plus en vue appartiennent à "l'élite" de la société, c'est-à-dire aux couches supérieures du monde occidental. Obsédés par leur carrière, ces professionnels de la politique ne se soucient de leurs électeurs que dans la mesure où ils ont besoin d'eux le jour du scrutin. Sans en être pleinement conscient, le citoyen contribue à perpétuer, par le simple fait de voter, l'existence de cette classe politicienne intimement liée au monde idéologico-médiatique et à celui des affaires.


Sur la base des quelques considérations qui précèdent, il serait faux de conclure que le pouvoir des urnes est aujourd'hui réduit à l'état de pure fiction. En choisissant de voter, par exemple, pour tel candidat plutôt que pour tel autre, nombre d'électeurs expriment une réelle préférence. Cependant, il est clair que la fonction essentielle du vote revient à accorder une légitimité à des individus désireux d'acquérir une parcelle de pouvoir. Quant au libre arbitre de l'électeur, il subit de fortes manipulations destinées à l'orienter dans une direction bien précise. 

L'idéologie occidentale a indéniablement obtenu des succès en matière de conditionnement des esprits (c'est "le lavage de cerveaux en liberté", selon l'expression de Noam Chomsky). Cependant, l'idéologie ne peut pas tout. La situation actuelle des pays occidentaux montre que la confiance en la force des urnes ainsi que l'attrait pour le bipartisme sont à la baisse, alors que grandit le mécontentement social. Dans les années à venir, pourraient accéder au pouvoir des partis étrangers au bipartisme, qui auront réussi à focaliser les états d'âme oppositionnels des électeurs. Il n'est pas exclu non plus que le mécontentement populaire s'accumule et finisse par éclater avec violence. 

Ce jour-là, la voix du peuple ne s'exprimera pas par le biais des urnes mais par la révolte. C'est alors que le monde occidental connaîtra  lui aussi son jour de la colère.


* spécialiste de l'oeuvre du logicien et sociologue russe : Alexandre Zinoviev
 

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vendredi, 13 mars 2015

Unité spirituelle et multipolarité planétaire

Unité spirituelle et multipolarité planétaire

par Georges FELTIN-TRACOL

rg1.jpgLe penseur français René Guénon (1886 – 1957) ne suscite que très rarement l’intérêt de l’université hexagonale. On doit par conséquent se réjouir de la sortie de René Guénon. Une politique de l’esprit par David Bisson. À l’origine travail universitaire, cet ouvrage a été entièrement retravaillé par l’auteur pour des raisons d’attraction éditoriale évidente. C’est une belle réussite aidée par une prose limpide et captivante.

 

René Guénon est le théoricien de la Tradition primordiale. de santé fragile et élevé dans un milieu catholique bourgeois de province à Blois, il fréquente tôt les milieux férus d’ésotérisme et y acquiert une somme de savoirs plus ou moins hétéroclites tout en développant une méfiance tenace à l’égard de certains courants occultistes tels le théosophisme et le spiritisme. Côtoyant tour à tour catholiques, gnostiques et francs-maçons, René Guénon édifie une œuvre qui couvre aussi bien la franc-maçonnerie que le catholicisme traditionnel et l’islam.

 

En effet, dès 1911, René Guénon passe à cette dernière religion et prend le nom arabe d’Abdul Waha-Yaha, « le Serviteur de l’Unique ». Puis, en 1931, il s’installe définitivement au Caire d’où il deviendra, outre une référence spirituelle pour des Européens, un cheikh réputé. David Bisson explique les motifs de cette implication orientale. Guénon est réputé pour sa fine connaissance des doctrines hindoues. La logique aurait voulu qu’il s’installât en Inde et/ou qu’il acceptât l’hindouisme. En quête d’une initiation valide et après avoir frayé avec le gnosticisme et la franc-maçonnerie, l’islam lui paraît la solution la plus sérieuse. Même s’il demande aux Européens de retrouver la voie de la Tradition via l’Église catholique, ses propos en privé incitent au contraire à embrasser la foi musulmane.

 

Réception de la pensée de Guénon

 

Les écrits de René Guénon attirent les Occidentaux qui apprécient leur enseignement clair, rigoureux et méthodique. David Bisson n’a pas que rédigé la biographie intellectuelle de l’auteur de La Crise du monde moderne. Il mentionne aussi son influence auprès de ses contemporains ainsi que son abondante postérité métaphysique. La revue Le Voile d’Isis – qui prendra ensuite pour titre Études Traditionnelles – publie avec régularité les articles du « Maître » qui « constituent […] une sorte de guide grâce auquel les lecteurs peuvent s’orienter dans le foisonnement des traditions ésotériques en évitant les contrefaçons spirituelles (théosophisme, occultisme, etc.) (p. 146) ». Guénon se montre attentif à examiner à l’aune de la Tradition le soufisme, l’hindouisme, le taoïsme, le confucianisme, etc., « ce qui permet […] d’évaluer le caractère régulier de telle ou telle branche religieuse. Ainsi, la doctrine tantrique est-elle déclarée conforme et, donc, “ orthodoxe ” au regard des principes posés par la Tradition. De même, la kabbale est considérée comme le véritable ésotérisme de la religion juive et remonte, à travers les signes et symboles de la langue hébraïque, jusqu’à la source de la tradition primordiale (p. 147) ». Il élabore ainsi une véritable « contre-Encyclopédie » spiritualiste et prévient des risques permanentes de cette « contrefaçon traditionnelle » qu’est la contre-initiation.

 

C’est dans ce corpus métaphysique que puisent les nombreux héritiers, directs ou putatifs, de René Guénon. David Bisson les évoque sans en omettre les divergences avec le maître ou entre eux. Il consacre ainsi de plusieurs pages à l’influence guénonienne sur l’islamologue du chiisme iranien et traducteur de Heidegger, Henry Corbin, sur le sociologue des imaginaires, Gilbert Durand, sur le rénovateur néo-gnostique Raymond Abellio et sur les ébauches maladroites – souvent tendancieuses – de vulgarisation conduites par le duo Louis Pauwels – Jacques Bergier. David Bisson s’attache aussi à quelques cas particuliers comme le Roumain Mircea Eliade.

 

rg2.jpgAu cours de l’Entre-deux-guerres, le futur historien des religions affine sa propre vision du monde. Alimentant sa réflexion d’une immense curiosité pluridisciplinaire, il a lu – impressionné – les écrits de Guénon. D’abord rétif à tout militantisme politique, Eliade se résout sous la pression de ses amis et de son épouse à participer au mouvement politico-mystique de Corneliu Codreanu. Il y devient alors une des principales figures intellectuelles et y rencontre un nommé Cioran. Au sein de cet ordre politico-mystique, Eliade propose un « nationalisme archaïque (p. 252) » qui assigne à la Roumanie une vocation exceptionnelle. Son engagement dans la Garde de Fer ne l’empêche pas de mener une carrière de diplomate qui se déroule en Grande-Bretagne, au Portugal et en Allemagne. Son attrait pour les « mentalités primitives » et les sociétés traditionnelles pendant la Seconde Guerre mondiale s’accroît si bien qu’exilé en France après 1945, il jette les premières bases de l’histoire des religions qui le feront bientôt devenir l’universitaire célèbre de Chicago. Si Eliade s’éloigne de Guénon et ne le cite jamais, David Bisson signale cependant qu’il lui expédie ses premiers ouvrages. En retour, ils font l’objet de comptes-rendus précis. Bisson peint finalement le portrait d’un Mircea Eliade louvoyant, désireux de faire connaître et de pérenniser son œuvre.

 

Le syncrétisme ésotérique de Schuon

 

Contrairement à Eliade, la référence à Guénon est ouvertement revendiquée par Frithjof Schuon. Ce Français né en Suisse d’un père allemand et d’une mère alsacienne se convertit à l’islam et adopte le nom d’Aïssa Nour ed-Din. En Algérie, il intègre la tarîqa (confrérie initiatique) du cheikh al-Alawî. Instruit dans le soufisme, Schuon devient vite le cheikh d’une nouvelle confrérie. Dans sa formation intellectuelle, Guénon « apparaît comme un “ maître de doctrine ” (p. 160) ». On a très tôt l’impression que « ce que Guénon a exposé de façon théorique, Schuon le décline de façon pratique (p. 162) ».

 

PFS_couleur.jpgEn étroite correspondance épistolaire avec Guénon, Schuon devient son « fils spirituel ». cela lui permet de recruter de nouveaux membres pour sa confrérie soufie qu’il développe en Europe. D’abord favorable à son islamisation, Schuon devient ensuite plus nuancé, « la forme islamique ne contrevenant, en aucune manière, à la dimension chrétienne de l’Europe. Il essaiera même de fondre les deux perspectives dans une approche universaliste dont l’ésotérisme sera le vecteur (p. 172) ». Cette démarche syncrétiste s’appuie dès l’origine sur son nom musulman signifiant « Jésus, Lumière de la Tradition».

 

Frithjof Schuon défend une sorte d’« islamo-christianisme ». Cette évolution se fait avec prudence, ce qui n’empêche pas parfois des tensions avec l’homme du Caire. Construite sur des « révélations » personnelles a priori mystiques, la méthode de Schuon emprunte « à plusieurs sources. Principalement fondée sur la pratique soufie, elle est irriguée de références à d’autres religions (christianisme, hindouisme, bouddhisme, etc.) et donne ainsi l’impression d’une mise en abîme de l’ésotérisme compris dans son universalité constitutive (p. 203) ». En 1948, dans un texte paru dans Études Traditionnelles, Schuon, désormais fin ecclésiologue, explique que le baptême et les autres sacrements chrétiens sont des initiations valables sans que les chrétiens soient conscients de cette potentialité. Cette thèse qui contredit le discours guénonien, provoque sa mise à l’écart. Dans les décennies suivants, il confirmera son tournant universaliste en faisant adopter par sa tarîqa la figure de la Vierge Marie, en s’expatriant aux États-Unis et en intégrant dans les rites islamo-chrétiens des apports chamaniques amérindiens.

 

Avec René Guénon, Frithjof Schuon et leurs disciples respectifs, on peut estimer que « la pensée de la Tradition semble de façon irrémédiable se conjuguer avec la pratique soufie (p. 175) ». Or, à l’opposé de la voie schuonienne et un temps assez proche de la conception de Mircea Eliade existe en parallèle la vision traditionnelle de l’Italien Julius Evola, présenté comme « le “ fils illégitime ” de la Tradition (p. 220) » tant il est vrai que sa personnalité détonne dans les milieux traditionalistes.

 

Ayant influencé le jeune Eliade polyglotte et en correspondance fréquente avec Guénon, Evola concilie à travers son équation personnelle la connaissance ésotérique de la Tradition et la pensée nietzschéenne. De sensibilité notoirement guerrière (ou activiste), Julius Evola se méfie toutefois des références spirituelles orientales, ne souhaite pas se convertir à l’islam et, contempteur féroce des monothéismes, préfère redécouvrir la tradition spécifique européenne qu’il nomme « aryo-romaine ». Tant Eliade qu’Evola reprennent dans leurs travaux « la définition que Guénon donne du folklore : ce n’est pas seulement une création populaire, mais aussi un réservoir d’anciennes connaissances ésotériques, le creuset d’une mémoire collective bien vivante (p. 269) ». Mais, à la différence du jeune Roumain ou du Cairote, Evola n’hésite pas à s’occuper de politique et d’événements du quotidien (musiques pop-rock, ski…). Quelque peu réticent envers le fascisme officiel, il en souhaite un autre plus aristocratique, espère dans une rectification du national-socialisme allemand, considère les S.S. comme l’esquisse d’un Ordre mystico-politique et collabore parfois aux titres officiels du régime italien en signant des articles polémiques.

 

Tradition et géopolitique

 

Tout au cours de sa vie, Julius Evola verse dans la politique alors que « Guénon n’a cessé de mettre en garde ses lecteurs contre les “ tentations ” de l’engagement politique (p. 219) ». Les prises de position évoliennes disqualifient leur auteur auprès des fidèles guénoniens qui y voient une tentative de subversion moderne de la Tradition… De ce fait, « la plupart des disciples de Guénon ne connaissent pas les ouvrages du penseur italien et, lorsqu’ils les connaissent, cherchent à en minorer la portée (p. 220) ». Néanmoins, entre la réponse musulmane soufie défendue par Guénon et la démarche universaliste de Schuon, la voie évolienne devient pour des Européens soucieux de préserver leur propre identité spirituelle propre l’unique solution digne d’être appliquée. Ce constat ne dénie en rien les mérites de René Guénon dont la réception est parfois inattendue. Ainsi retrouve-t-on sa riche pensée en Russie en la personne du penseur néo-eurasiste russe Alexandre Douguine.

 

Grande figure intellectuelle en Russie, Alexandre Douguine écrit beaucoup, manifestant par là un activisme métapolitique débordant et prolifique. Depuis quelques années, les Éditions Ars Magna offrent au public francophone des traductions du néo-eurasiste russe. Dans l’un de ses derniers titres traduits, Pour une théorie du monde multipolaire, Alexandre Douguine mentionne Orient et Occident et La Grande Triade de Guénon. Il y voit un « élément, propre à organiser la diplomatie inter-civilisationnel dans des circonstances de ce monde multipolaire, [qui] réside dans la philosophie traditionaliste (p. 183) ».

 

Pour une théorie du monde multipolaire est un livre didactique qui expose la vision douguinienne de la multipolarité. Il débute par l’énoncé de la multipolarité avant de passer en revue les principales théories des relations internationales (les écoles réalistes, le libéralisme, les marxismes, les post-positivismes avec des courants originaux tels que la « théorie critique », le post-modernisme, le constructivisme, le féminisme, la « sociologie historique » et le normativisme). Il conclut qu’aucun de ces courants ne défend un système international multipolaire qui prend acte de la fin de l’État-nation.

 

4ptport.jpgMais qu’est-ce que la multipolarité ? Pour Alexandre Douguine, ce phénomène « procède d’un constat : l’inégalité fondamentale entre les États-nations dans le monde moderne, que chacun peut observer empiriquement. En outre, structurellement, cette inégalité est telle que les puissances de deuxième ou de troisième rang ne sont pas en mesure de défendre leur souveraineté face à un défi de la puissance hégémonique, quelle que soit l’alliance de circonstance que l’on envisage. Ce qui signifie que cette souveraineté est aujourd’hui une fiction juridique (pp. 8 – 9) ».  « La multipolarité sous-tend seulement l’affirmation que, dans le processus actuel de mondialisation, le centre incontesté, le noyau du monde moderne (les États-Unis, l’Europe et plus largement le monde occidental) est confronté à de nouveaux concurrents, certains pouvant être prospères voire émerger comme puissances régionales et blocs de pouvoir. On pourrait définir ces derniers comme des “ puissances de second rang ”. En comparant les potentiels respectifs des États-Unis et de l’Europe, d’une part, et ceux des nouvelles puissances montantes (la Chine, l’Inde, la Russie, l’Amérique latine, etc.), d’autre part, de plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus que la supériorité traditionnelle de l’Occident est toute relative, et qu’il y a lieu de s’interroger sur la logique des processus qui déterminent l’architecture globale des forces à l’échelle planétaire – politique, économie, énergie, démographie, culture, etc. (p. 5) ». Elle « implique l’existence de centres de prise de décision à un niveau relativement élevé (sans toutefois en arriver au cas extrême d’un centre unique, comme c’est aujourd’hui le cas dans les conditions du monde unipolaire). Le système multipolaire postule également la préservation et le renforcement des particularités culturelles de chaque civilisation, ces dernières ne devant pas se dissoudre dans une multiplicité cosmopolite unique (p. 17) ». Le philosophe russe s’inspire de certaines thèses de l’universitaire réaliste étatsunien, Samuel Huntington. Tout en déplorant les visées atlantistes et occidentalistes, l’eurasiste russe salue l’« intuition de Huntington qui, en passant des États-nations aux civilisations, induit un changement qualitatif dans la définition de l’identité des acteurs du nouvel ordre mondial (p. 96) ».

 

Au-delà des États, les civilisations !

 

Alexandre Douguine conçoit les relations internationales sur la notion de civilisation mise en évidence dans un vrai sens identitaire. « L’approche civilisationnelle multipolaire, écrit-il, suppose qu’il existe une unicité absolue de chaque civilisation, et qu’il est impossible de trouver un dénominateur commun entre elles. C’est l’essence même de la multipolarité comme pluriversum (p. 124). » L’influence guénonienne – entre autre – y est notable, tout particulièrement dans cet essai. En effet, Alexandre Douguine dessine « le cadre d’une théorie multipolaire de la paix, qui découpe le monde en plusieurs zones de paix, toujours fondées sur un principe particulier civilisationnel. Ainsi, nous obtenons : Pax Atlantide (composée de la Pax Americana et la Pax Europea), Pax Eurasiatica, Pax Islamica, Pax Sinica, Pax Hindica, Pax Nipponica, Pax Latina, et de façon plus abstraite : Pax Buddhistica et Pax Africana. Ces zones de paix civilisationnelle (caractérisées par une absence de guerre) ainsi qu’une sécurité globale, peuvent être considérées comme les concepts de base du pacifisme multipolaire (p. 130) ».

 

Les civilisations deviennent dès lors les nouveaux acteurs de la scène diplomatique mondiale au-dessus des États nationaux. Cette évolution renforce leur caractère culturel, car, « selon la théorie du monde multipolaire, la communauté de culture est une condition nécessaire pour une intégration réussie dans le “ grand espace ” et, par conséquent, pour la création de pôles au sein du monde multipolaire (p. 127) ». Mais il ne faut pas assimiler les « pôles continentaux » à des super-États naissants. « Dans la civilisation, l’interdépendance des groupes et des couches sociales constituent un jeu complexe d’identités multiples, qui se chevauchent, divergent ou convergent selon les articulations nouvelles. Le code général des civilisations (par exemple, la religion) fixe les conditions – cadres, mais à l’intérieur de ces limites, il peut exister un certain degré de variabilité. Une partie de l’identité peut être fondée sur la tradition, mais une autre peut représenter des constructions innovantes parce que dans la théorie du monde multipolaire, les civilisations sont considérées comme des organismes historiques vivants, immergés dans un processus de transformation constante (p. 131). » Par conséquent, « dans le cadre multipolaire, […] l’humanité est recombinée et regroupée sur une base holistique, que l’on peut désigner sous le vocable d’identité collective (p. 159) ». Ces propos sont véritablement révolutionnaires parce que fondateurs.

 

QhKS4LB+L._SY344_BO1,204,203,200_.jpgPiochant dans toutes les écoles théoriques existantes, le choix multipolaire de Douguine n’est au fond que l’application à un domaine particulier – la géopolitique – de ce qu’il nomme la « Quatrième théorie politique ». Titre d’un ouvrage essentiel, cette nouvelle pensée politique prend acte de la victoire de la première théorie politique, le libéralisme, sur la deuxième, le communisme, et la troisième, le fascisme au sens très large, y compris le national-socialisme.

 

Cette quatrième théorie politique s’appuie sur le fait russe, sur sa spécificité historique et spirituelle, et s’oppose à la marche du monde vers un libéralisme mondialisé dominateur. Elle est « une alternative au post-libéralisme, non pas comme une position par rapport à une autre, mais comme idée opposée à la matière; comme un possible entrant en conflit avec le réel; comme un réel n’existant pas mais attaquant déjà le réel (p. 22) ». Elle provient d’une part d’un prélèvement des principales théories en place et d’autre part de leur dépassement.

 

Une théorie pour l’ère postmoderniste

 

Dans ce cadre conceptuel, le néo-eurasisme se présente comme la manifestation tangible de la quatrième théorie. Discutant là encore des thèses culturalistes du « choc des civilisations » de Samuel Huntington, il dénie à la Russie tout caractère européen. Par sa situation géographique, son histoire et sa spiritualité, « la Russie constitue une civilisation à part entière (p. 167) ». Déjà dans son histoire, « la Russie – Eurasie (civilisation particulière) possédait tant ses propres valeurs distinctes que ses propres intérêts. Ces valeurs se rapportaient à la société traditionnelle avec une importance particulière de la foi orthodoxe et un messianisme russe spécifique (p. 146) ». Et quand il aborde la question des Russes issus du phylum slave – oriental, Alexandre Douguine définit son peuple comme le « peuple du vent et du feu, de l’odeur du foin et des nuits bleu sombre transpercées par les gouffres des étoiles, un peuple portant Dieu dans ses entrailles, tendre comme le pain et le lait, souple comme un magique et musculeux poisson de rivière lavé par les vagues (p. 302) ». C’est un peuple chtonien qui arpente le monde solide comme d’autres naviguent sur toutes les mers du globe. Son essence politique correspond donc à un idéal impérial, héritage cumulatif de Byzance, de l’Empire mongol des steppes et de l’internationalisme prolétarien.

 

Alexandre Douguine fait par conséquent un pari risqué et audacieux : il table sur de gigantesques bouleversements géopolitiques et/ou cataclysmiques qui effaceront les clivages d’hier et d’aujourd’hui pour de nouveaux, intenses et pertinents. Dès à présent, « la lutte contre la métamorphose postmoderniste du libéralisme en postmoderne et un globalisme doit être qualitativement autre, se fonder sur des principes nouveaux et proposer de nouvelles stratégies (p. 22) ».

 

Dans l’évolution politico-intellectuelle en cours, Douguine expose son inévitable conséquence géopolitique déjà évoquée dans Pour une théorie du monde multipolaire : l’idée d’empire ou de « grand espace ». Cette notion est désormais la seule capable de s’opposer à la mondialisation encouragée par le libéralisme et sa dernière manifestation en date, le mondialisme, et à son antithèse, l’éclatement nationalitaire ethno-régionaliste néo-libéral ou post-mondialiste. Dans cette optique, « l’eurasisme se positionne fermement non pas en faveur de l’universalisme, mais en faveur des “ grands espaces ”, non pas en faveur de l’impérialisme, mais pour les “ empires ”, non pas en faveur des intérêts d’un seul pays, mais en faveur des “ droits des peuples ” (p. 207) ».

 

L’auteur ne cache pas toute la sympathie qu’il éprouve pour l’empire au sens évolien/traditionnel du terme. « L’Empire est la société maximale, l’échelle maximale possible de l’Empire. L’Empire incarne la fusion entre le ciel et la terre, la combinaison des différences en une unité, différences qui s’intègrent dans une matrice stratégique commune. L’Empire est la plus haute forme de l’humanité, sa plus haute manifestation. Il n’est rien de plus humain que l’Empire (p. 111). » Il rappelle ensuite que « l’empire constitue une organisation politique territoriale qui combine à la fois une très forte centralisation stratégique (une verticale du pouvoir unique, un modèle centralisé de commandement des forces armées, la présence d’un code juridique civil commun à tous, un système unique de collecte des impôts, un système unique de communication, etc.) avec une large autonomie des formations sociopolitiques régionales, entrant dans la composition de l’empire (la présence d’éléments de droit ethno-confessionnel au niveau local, une composition plurinationale, un système largement développé d’auto-administration locale, la possibilité de cœxistence de différents modèles de pouvoir locaux, de la démocratie tribale aux principautés centralisées, voire aux royaumes) (pp. 210 – 211) ».

 

La démarche douguinienne tend à dépasser de manière anagogique le mondialisme, la Modernité et l’Occident afin de retrouver une pluralité civilisationnelle dynamique à rebours de l’image véhiculée par les relais du Système de l’homme sans racines, uniformisé et « globalitaire ». L’unité spirituelle des peuples envisagée par René Guénon et repris par ses disciples les plus zélés exige dans les faits une multipolarité d’acteurs politiques puissants.

 

Georges Feltin-Tracol

 

• Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique. La Russie et les idées politiques du XXIe siècle, avant-propos d’Alain Soral, Ars Magna, Nantes, 2012, 336, 30 €.

 

• Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, Ars Magna, Nantes, 2013, 196 p., 20 €.

 

• David Bisson, René Guénon. Une politique de l’esprit, Pierre-Guillaume de Roux, Paris, 2013, 527 p., 29,90 €.

 

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

 

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jeudi, 12 mars 2015

Qu’aurait pensé Barthes de la communication et de la pub actuelles?

roland-barthes.jpgQu’aurait pensé Barthes de la communication et de la pub actuelles?

 
Ex: http://www.agoravox.fr

En ce centenaire de la naissance de l’écrivain Roland Barthes il est légitime de poser la question : qu’aurait pensé Roland Barthes de notre univers culturel, celui qui s‘est développé à partir des années 80 ?

Dans un article d’introduction à la sémiologie publié dans la revue Communications en 1964, Roland Barthes illustrait le mécanisme de la connotation à partir d’une affiche publicitaire des pâtes Panzani : « son signifiant est la réunion de la tomate, du poivron et de la teinte tricolore (jaune, vert, rouge) de l'affiche ; son signifié est l'Italie, ou plutôt l’italianité ; ce signe est dans un rapport de redondance avec le signe connoté du message linguistique (l'assonance italienne du nom Panzani) »*.

Cette affiche est aussi le symbole de la complétude du signe, l’union d’un signifié - l’italianité - et d’un signifiant- les couleurs de l’affiche. Dans sa simplicité elle était pourtant parente des productions ambitieuses de la littérature et de l’art, où Roland Barthes a désigné le sens « déceptif », « pluriel », ou « indécidable ». 

rec9782501085090-G.jpgA partir de l’affiche Panzani, à travers sa simplicité, Roland Barthes découvrait la richesse d’une sémiologie. Que déchiffrerait-il dans la « communication » publicitaire tellement plus envahissante et prétentieuse d’aujourd’hui ?

La « communication » des années 80 et d’aujourd’hui se caractérise par l’appauvrissement du signe et du sens : omniprésence du désir sexuel, prolifération des jeux de mots, des mots anglais… Exemple de jeux de mots : cette publicité d’une chaîne de magasins pour ses livraisons promotionnelles : nous vous délivrons de vos soucis.
 
Autre exemple : la généralisation du « concept » dans le monde du commerce : avec les concepts de boutiques, les concepts d’hôtels, comme l’hôtel Costes. Le « concept » consiste à inventer un design, un décor puis à exploiter le nom en créant des produits dérivés ; le concept se réduit au signifiant… Appauvrissement du sens qui rime avec la prétention des mots empruntés au langage des intellectuels : concept, éphémère, vintage… ou encore ce promoteur qui donne à son hôtel le nom « adagio ».

Appauvrissement du signe encore dans ce centre commercial qui inscrit sur ses escaliers seulement des verbes à l’infinitif, « rêver », « imaginer », « se détendre »… on dirait un écolier qui aurait des difficultés avec les conjugaisons ! 

Le signe, le mot n’ont plus une fonction de signification mais de marchandise. Ils font vendre. La « communication » n’est plus qu’un bruit : celui du tiroir-caisse…

* http://www.persee.fr/web/revues/hom...



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En souvenirs de Roland Barthes

mardi, 10 mars 2015

From Romanticism to Traditionalism

courant-romantisme.jpg

From Romanticism to Traditionalism

Thomas F. Bertonneau

Ex: http://peopleofshambhala.com

The movement called Romanticism belongs chronologically to the last two decades of the Eighteenth and the first five decades of the Nineteenth Centuries although it has antecedents going back to the late-medieval period and sequels that bring it, or its influence, right down to the present day.  Historically, and in simple, Romanticism is the view-of-things that succeeds and corrects its precursor among the serial views-of-things that have shaped the general outlook of the Western European mentality – what historians of ideas call Classicism, and which they identify as the worldview of the Enlightenment.  A good definition of Classicism is: The devotion to prescriptive orderliness for its own sake in all departments of life; the submission of all things to measure, decorum, and, using the word metaphorically, the geometric ideal.  Classicism implies the conviction that reason, narrowly delimited, is the highest faculty, and indeed almost the sole faculty worth developing.  The Classicist believes that life can be perfected by rationalization.  Certainly this is how the Romantics saw Classicism, but it is also in broad terms how the Classicists saw themselves.  According to its own dichotomy, Romanticism would be a view of existence consisting of tenets diametrically opposed to those of Classicism.

"The Course of Empire: Desolation," 1836, oil on canvas, by Thomas Cole (1801-1848), founder of the Hudson River School.

Detail of “The Course of Empire: Desolation,” 1836, oil on canvas, by Thomas Cole (1801-1848), founder of the Hudson River School.

And so largely it was or is, as Romanticism is by no means a dead issue.  As the Romantic sees it, imposed or conventional order tends to distort or obliterate the natural order; and by “natural order” the Romantics would have understood not only the order of nature, considered as Creation, but the order present in social adaptation to the natural order, as when agriculturalists follow the cycle of the seasons and attune their lives with the life of the soil or when builders of monuments and temples go to great effort to align them astronomically.  In addition, the Romantic believes that a bit of disorder might stimulate and enliven life, preventing it from becoming stiff and ossified; that the quirky and unexpected can exert a benevolent influence.  The Romantic also values emotion and intuition as much as he values reason, which he by no means disdains although he defines it more broadly than the Classicist.  The Romantics explicitly rejected the utilitarian arguments of the Classicists.  Romanticism prefigures and is the likely source of what in the second half of the Twentieth Century came to be known as Traditionalism.

I. Characteristics of Romanticism.  Where the geometrically patterned gardens of the French kings, like those designed by Claude Millet in 1632 for Louis XIV at Versailles, might stand for the Classical Spirit, the “English Garden,” with its meandering paths, sprawling bushes, and indifference to the weeds might stand for the Romantic Spirit.  Where Classicism took as its model Greece or Rome, Romanticism looked to the Middle-Ages.  Where Classicism venerated the purest, most elevated Attic style of speech, Romanticism cultivated the Gothic, the Celtic, and the regional dialect; it was not averse to rude or rustic idiom.  Classical playwrights like Pierre Corneille (1606 – 1684) and Jean Racine (1639 – 1699) imitated Euripides and Seneca; Romantic playwrights like Friedrich Schiller (1788 – 1805) and Victor Hugo (1802 – 1885) imitated Shakespeare, whom Voltaire had dismissed as a barbarian and his work as a formless affront to the unities.  Classicism concerns itself with form, which prescribes content, Romanticism with content, which then suggests the form.

What have the scholars written about Romanticism?  None exceeds the scholarly stature of Jacques Barzun (1907 – 2012), whose study From Dawn to Decadence: 500 Years of Western Cultural Life (2000) devotes three chapters to Romanticism.  Remarking that Romanticism had, in the broadest sense, something of the quality of a religious or spiritual awakening, and that, unlike Classicism, it extended its horizon of curiosity very far indeed – as for example into myth and folklore considered as other than mere superstition – Barzun writes:

With their searching imagination in literature and art, it could be expected that the Romanticists’ intellectual tastes would be anything but exclusive.  They found the Middle Ages a civilization worthy of respect; they relished folk art, music, and literature; they studied Oriental philosophy; they welcomed the diversity of national customs and character, even those outside the [Eighteenth Century] cosmopolitan circuit; they surveyed dialects and languages with enthusiasm.  This was a genuine multiculturalism, the wholehearted acceptance of the remote, the exotic, the folkish, [and] the forgotten.

Barzun adds that, “in Romanticism, thought and feeling are fused; [Romanticism’s] bent is toward exploration and discovery at whatever risk of error or failure; the religious emotion is innate and demands expression… the divine may be reached through nature or art.”  Under Barzun’s description, Romanticism would be humanly more whole than Classicism, with the latter excluding rather than incorporating the emotional impulse while granting to intuition a key role in the exploration of existence.

The Norwegian scholar, F. J. Billeskov Jansen (1907 – 2002), writing in the compendium Romantikken: 1800 – 1830 (Verdens Litteratur Historie, V. III, 1972), asserts that:

Opplysningstidens mennesker hade fryktet lidenskapene, som kunne true den sunne fornuft.  Alt hos Klopstock ble likevel den religiøse lidenskap frigjort, og hos Rousseau elskovspasjonen og natursvermeriet.  I romantikkens tidsalder blir diktere drømmere, Sjelen utvides I lengsel mot uendligheten, gjennom innføling forener poeten med nature, hans fantasi fører ham langt bort på eventyrets vinger eller langt tilbake i historien; hans håp får form av religiøse visjoner.

[The men of the Enlightenment had feared the passions, which could threaten right reason.  Simultaneously in [the work of Friedrich Gottlieb] Klopstock religious enthusiasm gained liberation, (just) as in the work of (Jean-Jacques) Rousseau did amorous passion and ecstasy in nature.  In the age of romanticism, poets became dreamers.  The soul expands in longing for infinity, the poet attaining oneness with nature through his inward feeling, while his imagination leads him far afield on the wings of adventure or far back into history; his hope takes the form religious visions.]

Elsewhere in the same volume, another scholar characterizes Romanticism as a return of Platonic theology.  Certainly Plato’s myths of the “Ladder of Philosophy,” “The Winged Horses and their Charioteer,” and “The Cave” find their later reflection in the imagery of the Romantic poets.  For Plato, importantly, the phenomena of this world point to a purely spiritual world – the realm of God and the Ideas.  We find a similar attitude in the poetry William Blake (1757 – 1827) and in that of William Wordsworth (1770 – 1850).  The main point to be stressed, however, is Jansen’s description of Romanticism as the labor of the soul to break free from the trammels of degraded matter and to rejoin a vital spirit that suffuses the universe and renders it intelligible.  The Romantics concluded that the assumptions of rationalism were parochial and constricting; that they did not give a true account of humanity or the universe.

In his study of Poetic Diction (1928), philologist and literary critic Owen Barfield (1898 – 1997) attempts to identify and prescind the fundamental Romantic ideas, one of which has to do with the role of “the rational principle”:

Now although, without the rational principle, neither truth nor knowledge could have been, but only life itself, yet that principle cannot add one iota to knowledge.  It can clear up obscurities, it can measure and enumerate with greater and ever greater precision, [and] it can preserve us in the dignity and responsibility of our individual existences.  But in no sense can it be said… to expand consciousness.  Only the poetic can do this: only poesy, pouring into language its creative intuitions, can preserve its living meaning and prevent it from crystallizing into a kind of algebra.  “If it were not for the Poetic or Prophetic character,” wrote William Blake, “the philosophic and experimental would soon be at the ratio of things, and stand still, unable to do other than repeat the same dull round.”

For Barfield, Romanticism qualifies not only as a revolt against the strictures of the Enlightenment; it is not only the accession of a new type of taste or sensibility that supersedes an earlier one: It is a change – and, for Barfield, a positive development – in human consciousness.  Understood in the way that Barfield, Jansen, and Barzun see it, Romanticism resembles – or, rather it anticipates –Traditionalism.  In The Crisis of the Modern World (1927), for example, René Guénon (1886 – 1951) describes the modern person as averse to referring “beyond the terrestrial horizon” and as crediting “no knowledge beyond what proceeds from the sense.”  For Guénon, the modern world “is anti-Christian because it is essentially anti-religious; and it is anti-religious because, in a still wider sense, it is anti-traditional.”  Writing in Harry Oldmeadow’s anthology The Betrayal of Tradition (2005) and invoking the spirit of T. S. Eliot, Brian Keeble asserts that fullness of humanity requires contact with “the transcendent dimension”; and, calling on Blake, he invokes the “sacred reality of the spirit.”

II. The Romantic Subject.  Romanticism saw a great flowering of lyric poetry, and this was no coincidence.  Lyric poetry is personal, even egocentric, poetry; or it is poetry personal in character even in the case where the putative “I” who speaks in the poem is purely fictional and is not to be identified with the author.  The name lyric suggests the solo singer accompanying himself on the lyre, bursting out in song, as the spirit takes him.  Lyric poetry is expressive: It represents in externalized imagery the internal state, intellectual or emotional, of the poet.  Of course, inner states usually correlate themselves with external circumstances and conditions.  Anyone who comments on the soul also necessarily comments on the world.  The Romantics seized on the lyric as their primary mode of poetizing because the conventions of lyric so perfectly suited that part of the Romantic program that concerned the exploration of the subject’s inner life.  Of course, the Romantic poet interests himself in much more than in pouring out the contents of his overflowing heart.  That would be a sophomoric misapprehension.  On the contrary, for the talented poet, well-schooled, mentally acute, moved by inveterate curiosity about the world, even a brief lyric poem can be the vehicle of a subtle critique or argument.  If the Romantic poet were a prophet then he would also be a philosopher.

What does it mean to be a subject, an ego, an “I”?  Subjectivity is self-consciousness, an abiding awareness that one is this person, with this biography (always thus far), and with these relations to and with and in the world – and not some other person with other relations.  But every subject, every self-conscious person, is aware that the world is full of other self-conscious persons whose subjectivity, as he infers, is generically like his own right down to the detail that each has (or ought to have) a similar sense of his own particularity and difference from the others.  Beyond persons, places, and things, the subject senses – although he can never empirically grasp – a totality of things, a cosmos, and an authorial or organizing principle, for which the common name is God.  Wisdom consists in knowing that there was a world indefinitely before his own subjectivity began and there will be a world indefinitely after his own subjectivity ceases; he is a part of something larger than himself, which lies beyond the limits of his will.

Mood conditions subjectivity.  The typical self-consciousness addressed in the previous paragraph should be qualified as the healthy self-consciousness.  Because, however, no one can keep the world absolutely at bay, he must suffer the impingements of the world, whether happily or sadly.  Forces beyond a subject’s control can alienate him from himself and through ignorance or perversity he can exacerbate his alienation.  The Romantics believed that the worldview of Classicism, or the Enlightenment, described life and the world falsely, and that those who embraced its falsehoods must in some way become alienated.  The Romantics regarded with acute skepticism the modern claims concerning material progress.  “The world is too much with us, late and soon, / Getting and spending, we lay waste our powers,” wrote Wordsworth.  In the labyrinth of the new metropolis, the soul might once again lose its way and suffer, as men once did in the Cities of the Plain, and experience pure indifference with respect to its own sickness.  What kind of civic environment would arise from the presence together in large urban agglomerations of millions of such afflicted people?  The psychic problem must inevitably become a social and a cultural problem.

It is worth quoting Wordsworth’s sonnet in full:
The world is too much with us; late and soon,
Getting and spending, we lay waste our powers;—
Little we see in Nature that is ours;
We have given our hearts away, a sordid boon!
This Sea that bares her bosom to the moon;
The winds that will be howling at all hours,
And are up-gathered now like sleeping flowers;
For this, for everything, we are out of tune;
It moves us not. Great God! I’d rather be
A Pagan suckled in a creed outworn;
So might I, standing on this pleasant lea,
Have glimpses that would make me less forlorn;
Have sight of Proteus rising from the sea;
Or hear old Triton blow his wreathèd horn.

The Romantics understood that consciousness rises to acuity in events and crises, like that experienced by Wordsworth’s monologist in the stale abjection of his despair.  The growth of consciousness proceeds punctually rather than gradually, and it entails the tribulations of a solemn pilgrimage.  Lyric poetry, being the poetry of the subject’s self-consciousness, therefore also tends to be the poetry of sudden events – discrete moments in which the subject suddenly discovers something about himself, the world, or himself in relation to the world, that hitherto he did not know and knowledge of which alters him.  It might be, as in the case of “The world is too much with us,” the discovery of one’s own spiritual poverty; it might be an access of grace.  Such moments sometimes bear the name of epiphany; they are in any case always revelatory – and they cannot be solicited.  They impose themselves, as if by external guidance, as gifts, upon the percipient.

The epiphanic or revelatory quality of lyric poetry has to do with its effort to appear spontaneous.  Every work of art requires arduous labor, even a fourteen-line sonnet, but Wordsworth, for example, insisted that he drew inspiration from abrupt visionary experiences and that articulating the vision although onerous entailed given textual form to a unitary idea.  Discussing the origin of his major poems – The Prelude, The Excursion, and the unfinished Recluse – in letters to his friends, Wordsworth situated himself as the channel for impulses that had befallen him, as revelation befalls the prophet, whether he seeks his election or not.

The Romantic subject resembles – or, rather, it anticipates – the Traditionalist subject, as Guénon, Nicolas Berdyaev (1874 – 1948), and others have defined it.  Guénon himself in The Reign of Quantity and the Signs of the Times (1945) characterizes modern man as having “lost the use of the faculties which in normal times allowed him to pass beyond the bounds of the sensible world.”  This loss leaves modern man alienated from “the cosmic manifestation of which he a part”; in Guénon’s analysis modern man assumes “the passive role of a mere spectator” and consumer, which is exactly how Wordsworth saw it.  Of course, Guénon does not write of loss as an accident, but as the logical consequence of choices and schemes traceable to the Enlightenment.  As Wordsworth put it, “We have given our hearts away – a sordid boon.”

According to Berdyaev, writing in The Destiny of Man (1931), “Man is not a fragmentary part of the world but contains the whole riddle of the universe and the solution of it.”  Berdyaev asserts that, contrary to modernity, “man is neither the epistemological subject [of Kant], nor the ‘soul’ of psychology, nor a spirit, nor an ideal value of ethics, logics, or aesthetics”; but, abolishing and overstepping all those reductions, “all spheres of being intersect in man.”  Berdyaev argues that, “Man is a being created by God, fallen away from God and receiving grace from God.”  The prevailing modern view, that of naturalism, “regards man as a product of evolution in the animal world,” but “man’s dynamism springs from freedom and not from necessity”; it follows therefore that “evolution” cannot explain the mystery and centrality of man’s freedom.  When Berdyaev brings “grace” into his discussion, he echoes the original Romantics, whose version of grace was the epiphanic vision, the event answering to a crisis that brings about the conversion of the fallen subject and sets him on the road to true personhood.

III. Romantic Nature.  The Romantic redefinition of nature, which the Romantics invariably capitalize as Nature, runs in parallel with the Romantic redefinition of selfhood.  Where the Enlightenment had reduced nature to material processes – geological, chemical, physiological, mechanical, and optical – with no reference to anything outside themselves, Romanticism in reaction posited Nature not only as vital throughout but also as meaningful, and natural phenomena as pointing beyond themselves to things supernatural.  This redefinition of nature was perhaps less a total innovation than it was the re-appropriation of an old idea going back to late-medieval thinkers like Jakob Boehme (1575 – 1624), Paracelsus (1493 – 1541), and even Johannes Kepler (1571 – 1630), who saw in nature a decipherable living message that implies a message-maker whose motivation must be that he wishes to establish contact with human beings.  Behind those figures lies Christian Platonism.  Under this late-medieval idea, the sensitive soul can not only come into communication through nature with what lies beyond nature; but he can also, through nature, come into communion with what is beyond nature.  In Christian, rather than pagan, terms, the Romantic rediscovers Nature as “The Book of Nature,” a kind of supplement to the two Testaments, whose author is God, as normally or eccentrically conceived by the individual writer-thinker.

A longstanding and not altogether inaccurate thumbnail categorization of Romantic poetry is that it is nature poetry.  The Romantic penchant for verbal picturesque redoubles the plausibility of the claim.  Here, for example, is Samuel Taylor Coleridge (1772 – 1834) conjuring forth the abyss that lies beneath “The Pleasure Dome of Kubla Khan” in the fragmentary poem (1798) of that name.

But oh! that deep romantic chasm which slanted
Down the green hill athwart a cedarn cover!
A savage place! as holy and enchanted
As e’er beneath a waning moon was haunted
By woman wailing for her demon-lover!
And from this chasm, with ceaseless turmoil seething,
As if this earth in fast thick pants were breathing,
A mighty fountain momently was forced:
Amid whose swift half-intermitted burst
Huge fragments vaulted like rebounding hail,
Or chaffy grain beneath the thresher’s flail:
And mid these dancing rocks at once and ever
It flung up momently the sacred river.
Five miles meandering with a mazy motion
Through wood and dale the sacred river ran,
Then reached the caverns measureless to man,
And sank in tumult to a lifeless ocean;
And ’mid this tumult Kubla heard from far
Ancestral voices prophesying war!

In Coleridge’s poem, which he subtitles “a vision in a dream,” Nature is all depth, but better to say that for Coleridge in “Kubla Khan” Nature is vital depth; Nature is a wellspring of robust and creative urgencies that is almost everywhere and almost at every moment alive.  The exception would be the “lifeless ocean,” a symbol perhaps of what we now call entropy, but in a world of perpetual emergence even a “lifeless ocean” might be redeemed and revivified.  Indeed, Coleridge in the quoted verses seems to be rescuing the etymon of the word nature, which is the same etymon that gave rise to the French verb naître, “to be born” or “to give birth.”  The “chasm” gives birth to “a mighty fountain,” which in turn transforms itself into “a sacred river.”  Coleridge’s endowment on the scenario of the term “sacred” reminds us that his Nature is not only vital, but hallowed or divine.  The creative processes in nature point to a divine creative power beyond nature that reveals itself in phenomena and solicits from the sensitive soul the idea of something that requires a formal acknowledgment of its generative awesomeness.

Coleridge’s “caverns measureless to man” stand for the unplumbed depths not only of Nature but of the soul.  To explore the hidden depths of Nature means also to explore the soul and vice versa.  Coleridge draws on ancient conceptions that the Enlightenment claimed to have debunked, such as the conception of the psyche or soul, as articulated by the archaic philosopher-seer Heraclitus of Ephesus in one of his surviving aphorisms (No. 45): “You will not find out the limits of the soul when you go, travelling on every road, so deep a logos does it have.”  Where the Enlightenment assumed that everything might be measured – that is to say, brought within the horizon of finite knowledge – Coleridge insists that the world possesses a “measureless” dimension that resists logical summary or reduction to purely quantitative or propositional terms. The only way to discuss such things is in symbol, imagery, and figure-of-speech.

The Catskills by Thomas Cole, founder of the Hudson River School

Thomas Cole (1801-1848) The Catskills and Lake George, Catskill Creek, N.Y., 1845, oil on canvas.

A similar view of Nature as the source of vital energy necessary to the soul informs the final scene of Johann Wolfgang von Goethe’s Faust Part II (1831), where the errant sinner, Doctor Johann Faust, at last finds redemption from his graceless and degraded state.  Goethe (1749 – 1832) sets his scene in primeval nature:

Waldung, sie schwankt heran,
Felsen, sie lasten dran,
Wurzeln, sie klammern an,
Stamm dicht an Stamm hinan,
Woge nach Woge spritzt,
Höhle, die tiefste, schützt.
Löwen, sie schleichen stumm-–
freundlich/ um uns herum,
Ehren geweihten Ort,
Heiligen Liebeshort.

[Forests, they wave around,
Over them, cliffs bear down,
Roots cling to rocky ground,
Trunk upon trunk is bound,
Wave after wave sprays up,
Deep caves protecting us.
Lions prowl silently,
Round us, still friendly,
Honouring sacred space,
Love’s holy hiding place.]

A few verses later, the character called Pater Profundis, who will play a mediating role in Faust’s redemption, utters these lines:

Wie Felsenabgrund mir zu Füßen
Auf tiefem Abgrund lastend ruht,
Wie tausend Bäche strahlend fließen
Zum grausen Sturz des Schaums der Flut,
Wie strack mit eignem kräftigen Triebe
Der Stamm sich in die Lüfte trägt:
So ist es die allmächtige Liebe,
Die alles bildet, alles hegt.
Ist um mich her ein wildes Brausen,
Als wogte Wald und Felsengrund,
Und doch stürzt, liebevoll im Sausen,
Die Wasserfülle sich zum Schlund,
Berufen, gleich das Tal zu wässern;
Der Blitz, der flammend niederschlug,
Die Atmosphäre zu verbessern,
Die Gift und Dunst im Busen trug –
Sind Liebesboten, sie verkünden,
Was ewig schaffend uns umwallt.
Mein Innres mög‘ es auch entzünden,
Wo sich der Geist, verworren, kalt,
Verquält in stumpfer Sinne Schranken,
Scharfangeschloßnem Kettenschmerz.
O Gott! beschwichtige die Gedanken,
Erleuchte mein bedürftig Herz!

[As this rocky abyss at my feet,
Rests on a deeper abyss,
As a thousand glittering streams meet
In the foaming flood’s downward hiss,
As with its own strong impulse, above,
The tree lifts skywards in the air:
Even so all-powerful love,
Creates all things, in its care.
Around me there’s a savage roar,
As if the rocks and forests sway,
Yet full of love the waters pour,
Rushing bountifully away,
Sent to irrigate the valley here:
The lightning that flashed down,
Must purify the atmosphere,
With poisonous vapours bound –
They are love’s messengers, they tell
Of what creates eternally around us.
May it inflame me inwardly, as well,
Since my spirit, cold and confounded,
Torments itself, bound in the dull senses,
As sharp-toothed fetters’ agonising art.
Oh, God! Calm my thoughts, pacify us,
And bring light to my needy heart!]

For Goethe as for Coleridge, Nature is the bourn of life, to which the afflicted soul might return to be nursed back to health.  We recall that in Wordsworth’s sonnet “The world is too much with us,” the lyric subject feels exiled from nature and, in his attempt to rejoin with nature, catastrophically rebuffed.  The world seems to him lifeless and still, and he also with it; he wants revivification.  Faust seeks the same.  Goethe’s “forests” answer him not in stillness, but make constantly a motion as they “wave around.”  Just so, the “cliffs” actively “bear down” and “roots cling.”  The dimension of depth goes not missing, for in Goethe’s scene “deep caves protect us” in a landscape thickly tangled (“trunk upon trunk”) that is “sacred” and, like some lonely place where a ritual purification might occur, hidden (“Love’s holy hiding place”) from profane eyes.  When Pater Profundis (“The Father of the Depth”) begins to speak, he credits the landscape with “its own strong impulse.”  The tree, straining its branches skyward, responds to the attractive principle of “Love” that serves Goethe for the equivalent of the non-anthropomorphic energy suffusing the caverns beneath Coleridge’s “stately pleasure dome” in “Kubla Khan.”

A poignant recurrence of this Coleridgean-Goethean constellation of ideas about Nature may be found in the work of the late John Michell (1933 – 2009), who referred to himself as a “Radical Traditionalist.”  Readers know Michell best for his persistent work on the megalithic monuments of the European Neolithic Period, especially in Britain, which he demonstrated to have constituted a continental, and perhaps even a global, network whose builders intended them to help in keeping the dominion of man in contact with the dominion of the stars and of the deities that the stars betokened.  Like Coleridge and Goethe, Michell posited a vital energy inherent in the earth, which the old stone circles and the long straight lines connecting them channeled and tapped.  Michell possessed that conviction of a deep past antecedent to himself that distinguishes both Romanticism and Traditionalism from the modern default-state of “historylessness” and dogmatic materialism.

In The View over Atlantis (1969; revised as The New View over Atlantis, 1985), Michell writes how “of the various human and superhuman races that have occupied the earth in the past we have only the dreamlike accounts of the earliest myths, which tell of the magical powers of the ancients.”  In his bold assertion, Michell echoes the prophecies of Blake, who revived the Old Plato’s “true myth” from the Timaeus in his epic poem America (1793).  As in the Genesis-story of the Deluge or in Plato’s “Atlantis” story, Michell pieces together a narrative about “an overwhelming disaster of human or natural origin which destroyed a system whose maintenance depended upon its control of natural forces across the entire earth.”  In one sense, Michell has simply reiterated that the Enlightenment happened, cutting across the lines of Tradition and depriving humanity of its proper heritage.  For Michell, as for Blake or Wordsworth or Goethe, history is not the “account… of a recent ascent from bestiality and barbarism to the triumphs of modern civilization, but of a gradual, barely interrupted decline from the universal high culture of [Neolithic] antiquity to the present state of fragmentation and impending dissolution.”

IV. Romantic Nature Continued.  Often for the Romantic poet, nature gives cover to secret activities that betoken an older world that in modern civic domains has given way to the despiritualizing forces of measure and logic – in the sociological process that some historians refer to as de-mystification.  Nature is mysterious; she is the “magic forest” of the fairy-tales and legends, to enter which is perforce to run the risk of impish enthrallment or initiatory imperilment.  In the pathways of the forest, man, in his ancient role as hunter, pursues wild game and, taking the prey, becomes one with it.  The opening stanzas of “le Cor” (1826) by the French poet Alfred de Vigny (1797 – 1863) instantiate this variant of the Romantic Nature:

J’aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

Que de fois, seul, dans l’ombre à minuit demeuré, 
J’ai souri de l’entendre, et plus souvent pleuré!
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques
Qui précédaient la mort des Paladins antiques.

[I love the sounding horn, of an eve, deep within the woods,
Whether it sings the plaints of the threatened doe
Or the hunter’s retreat but faintly echoed
That the north wind carries from leaf to leaf.

[How often alone, in midnight shadows concealed,
I have smiled to hear it, even shedding a tear!
I thought to hear sounding prophetic plaints,
Declaring the death-knell for knights of old.]

As in Coleridge and Goethe, Nature in Vigny’s poetry offers herself as depth; she furnishes the paradoxically unapprehended scene of a ritual performance, which, however, the lyric subject can reconstitute in his imagination, provoked to the activity by the very sound.  The horn-call reaches the lyric subject of Vigny’s poem from far away in the concealment of the woods, a place of half-light and shadows.  The horn-call incites the lyric subject, as he says, to love: “I love the sounding of the horn, of an eve, deep within the woods.”  But what is this “love”?  It is precisely the awakened desire for the transcendent and unseen, for depth and distance; and it is a response to the sacred, mirrored in the desire of man for woman, and of the soul for beauty.

Note how in the first stanza of Vigny’s poem the sound of the horn mingles with the rustling of the north wind, as though the two timbres had become one and therefore indistinguishable.  In the second stanza, the horn-call comes to resemble “prophetic plaints, / declaring the death-knell for knights of old.”  Not only the reunion of culture and nature, which have become alienated from one another, but also whole extinct worlds of medieval pageantry and hieratic drama, lie concealed in oaken and beechy precincts.  Let it be noted finally, in passing, how Vigny’s “Cor” with its “prophetic plaints” makes a parallelism with Coleridge’s “Kubla Khan,” where “ancestral voices” are “prophesying war.”

Portrait of Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) by Johann Heinrich Wilhelm Tischbein.

“Goethe in the Roman Campagna,” 1786, by Johann Heinrich Wilhelm Tischbein, oil on canvas.

What do the scholars say about the Romantic view of landscape and nature?  François-René Chateaubriand (1768 – 1848), a second-generation French Romantic who was also one of the early scholars of Romanticism, writes in his great study of The Genius of Christianity (1802) concerning the distinction between ancient and modern poetry that “mythology… circumscribed the limits of nature and banished truth from her domain.”  In modern poetry, by which Chateaubriand means Christian poetry: “The deserts have assumed a character more pensive, more vague, and more sublime; the forests have attained a loftier pitch; the rivers have broken their pretty urns, that in future they may only pour the waters of the abyss from the summit of the mountains; and the true God, in returning to his works, has imparted his immensity to nature.”  Chateaubriand associates paganism with naturalism – that is to say, with the taxonomic or classifying study of natural phenomena, as exemplified in the work of Pliny the Younger.  Chateaubriand thus opposes the Romantic or Christian view of Nature against the Classical or Pagan view of nature, which had been taken up again by the Enlightenment, favoring the former over the latter.

If, as Chateaubriand writes, “the prospect of the universe [excited not] in the bosoms of the Greeks and Romans those emotions which it produces in our souls,” then it follows that the Enlightenment mentality, surveying the same “prospect,” would come away from the encounter as affectively blank as did the Epicurean precursor whose view Eighteenth-Century Classicism has reinvented.  The modern poet in confronting the universe, according to Chateaubriand, enjoys the differentiating privilege to “taste the fullness of joy in the presence of its Author.”  It is true that there is no Pagan equivalent of the Fall-from-Grace.  Because consciousness is equivalent to recollection, and because paganism never experienced Nature as lost, the Christian sense of Nature must exceed the Pagan sense in both quality and intensity.  Christianity is a return to nature or a recovery of it, a homecoming, as it were, with all the poignancy thereof.

In Natural Supernaturalism (1973), one of the great studies of the Romantic Movement, and with specific reference to Wordsworth, M. H. Abrams (born 1912 – still living) writes that for the Grasmere poet “Scriptural Apocalypse is assimilated to an apocalypse of nature [whose] written characters are natural objects, which [the poet reads] as types and symbols of permanence in change.”  Abrams shows in his study how Wordsworth in particular and the Romantics in general inherited from Edmund Burke and German idealism the aesthetic dichotomy of The Beautiful and the Sublime.  The Beautiful is whatever is picturesque, pleasing, and amiable in Nature.  The Sublime is whatever is awesome, threatening, and grandiose in Nature.  In communing with Nature, the sensitive soul finds in Beauty the stepping-stone to the Sublime, and it is in the Sublime that he reads – or has read to him – the real lesson of Nature.  Abrams writes that the “antithetic qualities of sublimity and beauty are seen [by the poet] as simultaneous expressions on the face of heaven and earth, declaring an unrealized truth which the chiaroscuro of the scene articulates for the [properly] prepared mind – a truth about the darkness and the light, the terror and the peace, the ineluctable contraries that make up our human existence.”

In American Sublime: Landscape Painting in the United States, 1820 – 1880 (2002), Andrew Wilton and Tim Barringer comment on the centrality of the Sublime in the Romantic conception of landscape.  “The Sublime,” they write, “incorporated a further dimension [namely that] the imagination has an important part to play in our perception of what is immense, nebulous, beyond exact description.”  When the percipient discovers “spiritual significance in nature,” he is not making a passive observation; on the contrary, he is participating in the constitution of such significance.  Writing of Frederic Church’s panorama in oils of Niagara (1857), Wilton and Barringer remark that, “it is not a meditation on light, but on the power of nature manifested in the grandest geographical phenomena.”  They go on to remark that “Church conceived [Niagara] as a show-piece, a masterpiece in the original sense: a specimen of his own powers at their most impressive – a match, perhaps, in a consciously humble way, to God’s own.”  Church’s canvass also communicates with the “abyss” of Coleridge’s “Kubla Khan,” a metaphor of the soul and of the psychic component of the universe as “measureless to man.”

V. Traditionalism as the New Phase of Romanticism.  Abrams’ attribution to Wordsworth of a sense of Nature as “apocalyptic” applies equally well to Church (1826 – 1900), for whom the great cataract, directly on the brink of which his painting positions the viewer, is also “apocalyptic” – God revealing His greatness through the sublimity of the falling waters, the magnificent roar, and the rearing luminous mists.  Church painted a number of scenes that would have pleased Michell, such as his “Aegean Sea” (1877), with its ancient ruins, including the half-hidden entrance to a cave-shrine, against a brilliantly light island-harbor with mists and rainbows.  Church’s “Cross in the Wilderness” (1857), with its rugged mountains and faraway, luminous horizon, implies a Chateaubriand-like grasp of the religious struggle, with its concluding vision, as the essentially human struggle.  It probably implies Michell’s ley-lines and megalithic power-foci.  The Hudson River School of painting, to which Church belonged, was a thoroughly Romantic phenomenon, motivated by an awareness of the disappearing wilderness, which it sought to record, and dedicated to the ideal that civilization must never violate the natural order; that humbleness before the sublimity of the natural world is the proper attitude for civilized people to assume.

The Lake Poets in England and the Hudson River painters in North America feared the tendencies of their era – the spread of callous industrialism, the aggrandizement of cities, the blighting of the countryside, and the coarsening of the soul.  They warned against these trends even as it became evident that the trends would overwhelm any critique.  The Lake Poets eventually came to grasp that their philosophical and aesthetic convictions implied a politics.  Wordsworth and Coleridge became Tories, or as Americans would say, conservatives.  Vigny and Chateaubriand were also on the right, the former describing himself as the sole male survivor of a parental generation that the Revolution had eaten alive.  These men would better be described, however, as reactionaries – against the encroachments of the Reign of Quantity and the pseudo-ethos of “getting and spending” – and as Traditionalists: Defenders and conservators of the local against the metropolitan, of dialect against rhetoric, and of the spirit against a prescriptively and intolerantly materialist view of life and the world.  Their opposite numbers were the propagandists for the insidious synergy of the laborites and socialists with the bankers and industrialists.

In The Communist Manifesto (1848), Karl Marx (1818 – 1883) and Frederick Engels (1820 – 1895) condemn the bourgeoisie, whom they propose to abolish, but they extol the “subjection of Nature’s forces to man, machinery, application of chemistry to industry and agriculture, steam-navigation, railways, electric telegraphs, clearing of whole continents for cultivation, canalisation of rivers, whole populations conjured out of the ground” that “Capitalism,” the project of the bourgeoisie, had created.  Marx, as much as the industrialists, looked forward to the “extension of factories and instruments of production owned by the State; the bringing into cultivation of waste-lands, and the improvement of the soil generally in accordance with a common plan” and to the “establishment of industrial armies, especially for agriculture.”  Scots poet Robert Burns (1759 – 1796) had already indicted the right riposte in his “Impromptu on the Carron iron Works” (1787):

We cam na here to view your warks, 
In hopes to be mair wise, 
But only, lest we gang to hell, 
It may be nae surprise: 
But when we tirl’d at your door 
Your porter dought na hear us; 
Sae may, shou’d we to Hell’s yetts come, 
Your billy Satan sair us!

In the prevailing situation in the second decade of the Twenty-First Century, the literature professors prefer denouncing the Romantic poets to understanding them, and the art-history professors regard the Hudson River painters as “illustrators” who could not possibly have believed in the Transcendentalist or spiritualist doctrines that they expounded.  Prophets of modern thought like Theodore Wiesengrund Adorno (1903 – 1969) and Jacques Derrida (1930 – 2004) have, of course, conclusively demonstrated that all Lake Poets and all Hudson River painters, even the ones who were Unitarians hence half-way to being modern liberals, were and remain servitors of false consciousness and an oppressive “logocentrism,” from which everyone should be compulsorily liberated.  In the colleges and universities, the Cultural-Marxist hatred for anything not Cultural-Marxist grows red-hot, white-hot, and ultraviolet-hot by swift stages.  That is a metonymy of exactly what the early twentieth-Century Traditionalists predicted.

In The End of Our Time (1933), Berdyaev argues that, “The Renaissance began with the affirmation of man’s creative individuality; it has ended with its denial.”  Creativity, which Michelangelo and J. S, Bach ascribed to God, produces unequal results that inspire “envy,” which in turn solicits a demand for “equality.”  For Berdyaev, the principle of modernity is “envy of the being of another and bitterness at the inability to affirm one’s own.”  Thus, according to Berdyaev’s analysis, “Our age is like to that which saw the passing of the ancient world” although “that was the passing of a culture incomparably finer than the culture of today.”  It is possible, writes Berdyaev, to “trace the ruin of the Renaissance in modernist art, in Futurism, in philosophy, in Critical Gnoseology… and finally in socialism and anarchism,” all of which begin with a rejection of Romantic, and therefore of religious, values.

In The Meaning of the Creative Act (1916), Berdyaev, contrasting “Canonic” or “pagan” art with “Christian art, or, better, the art of the Christian epoch,” arrives at the dichotomy that “pagan art is classic and immanent” where “Christian art is romantic… and transcendent.”  The parallelism between Berdyaev and Chateaubriand will be abundantly self-evident.  As Berdyaev sees it, “In [the] classically beautiful perfection of form [in] the pagan world there is no upsurge towards another world… no abyss… above or below”; that is, no “caverns measureless to man.”  The Romantic, knowing that he can never achieve perfection in this world, shies from utopian projects that inevitably become coercive and universal.  Thus “a romantic incompleteness… characterizes Christian art,” which takes as a premise, among others, the conviction “that final, perfect, eternal beauty is possible only in another world.”  That the Romantic often succumbs to the frustration inherent in eternal longing, Berdyaev notes; but the Romantics themselves knew their vulnerability in this regard well and were wont candidly to diagnose it, as Wordsworth does in “The world is too much with us,” candidly.  Berdyaev saw in Nineteenth-Century Romanticism the last pause in the steady descent of the Western world into materialism, utilitarianism, and nihilism, the equivalent of Guénon’s Kali Yuga or Dark Age.

Contemporary Traditionalism picks up where Berdyaev, Guénon, and the mid-Twentieth Century anti-modernists, and again where the Romantics, in their century, left off.  Traditionalists recognize that the critical situation of their time is deeper, more degraded, more irremediably catastrophic than the of one hundred or one hundred-and-fifty years ago, but they also see that it is the same crisis and that if the Endarkenment of their day were more acute by a magnitude at least than it was in 1820 or 1920 it would also be closer to its irrevocable finale.  The problem for Traditionalists is how severe that finale will be.  Will it conform itself to the Foundering of Atlantis or the Fall of Rome?  The former constituted a choke-point after which civilized life had to begin again from the degree zero.  The latter sacrificed the Imperial infrastructure, both physical and bureaucratic, for the reorientation of Western European humanity from the Mediterranean to the Atlantic.  The Greeks and Romans feared to sail beyond the Pillars of Hercules.  Significantly, the conquest of the Atlantic and the opening up of North America fell to those Northwestern Goths, the Vikings, at the very moment when Iceland was embracing Christianity.  Leif Erikson was an early convert, as was Thorfinn Karlsefni.

Modernity is a Polyphemus, an angry unison-chorus, shouting like thunder that man is the measure and that there is nothing, not measurable by man.  Traditionalism is the quiet voice, seeking parlay with other hushed voices, so that together they might enter conversation with the Forest Murmurs and even the distant Music of the Spheres and come to know better what they already suspect, that man must begin by measuring himself against the measureless.

[This essay is dedicated to Professors Cocks and Presley and to “The Two Scholars.”]

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Thomas F. Bertonneau earned a Ph.D. in Comparative Literature from the University of Califonia at Los Angeles in 1990. He has taught at a variety of institutions, and has been a member of the English Faculty at SUNY Oswego since 2001. He is the author of three books and numerous articles on literature, art, music, religion, anthropology, film, and politics. He is a frequent contributor to Anthropoetics, the ISI quarterlies, and others.

vendredi, 06 mars 2015

Ernst Jünger, il soldato che discuteva di mitragliatrici con Heidegger

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Ernst Jünger, il soldato che discuteva di mitragliatrici con Heidegger

Dalla sua avventurosa vita – quasi come ricordi del ragazzino di famiglia scappato di casa per arruolarsi nella Legione Straniera – da lì, sono riemerse le tracce di ferite. Nelle screpolature della sua pelle di vecchissimo, come tracciati di radici profonde, per la marchiatura del tempo, sono sbucati dal buio dei ricordi i segni cavallereschi, le tacche sulla carne. Nessuno per esempio aveva notato sull’avambraccio un segno secco. Forse occultato dalla rigenerazione della vita quotidiana, ieri, la morte glielo ha ripescato: disteso lungo il suo percorso raggrinzito di corpo morto. Dei suoi capelli bagnati nell’acqua gelida del fiume, bianchissimi fili, la rigidità cadaverica ha catturato l’impercettibile alito, un elmo che è quasi un’aureola. Una foto in bianco e nero restituisce il taglio all’altezza delle orecchie, a nuca nuda, in parallelo con gli alettoni aerodinamici del cappottone d’ordinanza. Le linee telefoniche raccontano già della “mobilitazione totale“ del governo, dei potentissimi professori, degli “amici francesi“, che sul grande morto – innamorato come tutti i morti del ricordo di tutto ciò che è vita – stanno “approntando il memoriale“. Tedesco e “parigino“ a un tempo, della sua avventurosa vita, per tutti i centodue anni portati in faccia al mondo per lui sempre più estraneo, Ernst Jünger porterà sulla bara il fasto di un’esistenza eccezionale, dentro la bara invece, trascinerà “l’addio al mondo“. Era anche un dandy: “La volontà regna sul mondo diventato materiale dell’oggettivazione incondizionata”. È stato “sublime” (glielo diceva un altro dandy). Disse, un giorno, a fondamento del suo destino: “Meglio un delinquente che un borghese”. Sublime bacchettatore di Hitler, che pure era stato suo sodale segreto nella “società di Thule”, schizzinoso rispetto alla pietas del demos, al fondatore del Terzo Reich, rinfacciava sempre l’eccessivo democraticismo, l’insopportabile volgarità plebea delle “camicie brune”. Qualcuno commissionò l’eliminazione di Jünger, Hitler che candidamente lo riconosceva “come un superiore in gradi”, un “vero capo”, lo salvò dai sicari.
Nella sua essenza di testimone, nel suo essere stato passeggero dei battelli a vapore e del Concorde, nel suo essere stato tutto quel che Ernst Jünger è stato, hippy e notabile prussiano, entomologo e romanziere, arrivando adesso all’Oriente Eterno, chiuderà la sua estrema scommessa. Al cospetto dell’Onnipotente, certamente, da algido chirurgo del Nulla qual è, l’orologiaio del Nichilismo sta portando sulle sue spalle di grande morto, l’immagine a lui più profondamente vera, la sua forma, e dunque la divisa. Dell’habitus militare, Jünger ha offerto l’esempio assoluto. Scrittore, infaticabile diarista, interlocutore e protagonista in quell’officina di vampe che fu la Rivoluzione Conservatrice, Jünger non chiude solo un capitolo nella storia della letteratura, ma brucia con la sua morte l’ultimo modo possibile di essere “uo­mo d’arme”. Arrivando davanti a Dio, infatti, davanti al Dio lungamente cercato nelle sua passeggiate quotidiane nel piccolo cimitero del suo villaggio, la sua anima si specchia levigata nella ruvida stoffa grigioverde del soldato. È morto il soldato dunque, l’ultimo vero soldato planetario, erede di Ludovico Ariosto e di Ercole Saviniano Cirano de Bergerac. Innamorato del sogno cavalleresco, ad Alberto Moravia, in un’intervista-dialogo confidò: “Nella guerra nucleare i due giocatori faranno saltare in aria la scacchiera”, e non si capì bene se il cruccio nucleare fosse, per il vecchio Jünger, più un fastidioso ostacolo per la guerra o per la pace. Ritenuto a torto purificato nel dopoguerra, ma forse fortunatamente non troppo purificato, nelle lunghe passeggiate con Martin Heidegger e Carl Schmitt, dopo i primi quindici minuti di conversazione metafisica, arrivati a un altopiano, si lasciavano prendere la mano da altre curiosità, tipo: “Secondo voi, una mitragliatrice collocata qui, quale inclinazione di tiro potrebbe avere?”. Combattente volontario delle due guerre mondiali, di due sconfitte, della prima ne ricordava “di Londra, Parigi e Mosca, lo straordinario entusiasmo della gioventù, l’ebbrezza”, della seconda intuì da subito l’ambiguità: “O ci sarà una rivoluzione, o sarà una lunghissima guerra di trincea, come nel 1914-1918”. Nato a Heidelberg nel 1895, Ernst Jünger è stato decorato due volte con la Croce di Ferro, la più alta onorificenza a cui ogni galantuomo belligerante avrebbe potuto aspirare. La prima l’ebbe dalle mani dell’Imperatore, la seconda, invece, l’ha ricevuta dal suo maldestro allievo, per aver salvato dei dissennati che si erano spinti troppo avanti nella trincea nemica per scattare delle fotografie. Disse: “Fui comunque divertito dall’idea di ricevere la Croce di Ferro per la seconda volta”. Era anche un dandy.

Pietrangelo Buttafuoco

Il 17 febbraio di 17 anni fa moriva Ernst Jünger.

jeudi, 05 mars 2015

Rien n’est jamais joué d’avance

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Rien n’est jamais joué d’avance (Weltgeschichtliche Betrachtungen)

Jan Marejko

Philosophe, écrivain, journaliste

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Il suffit de s'intéresser ne serait-ce qu'un peu à l'histoire militaire pour comprendre que nos facultés d'analyse et de prédiction sont très limitées. Lors de la première et la plus glorieuse des batailles, Marathon au cinquième siècle avant J.-C., la victoire de la petite Athènes contre l'énorme armée perse à beaucoup surpris. Précisons : celle d'Athènes non celle de la Grèce ! Les Spartiates n'avaient pas pu se joindre aux Athéniens. Quant aux Perses, conduits par Xerxès, ils avaient pratiquement tout conquis autour de l'Attique, terrifiant les villes puisque, selon Hérodote, les habitants de l'une d'entre elles, située en Asie mineure, déterminés à résister, furent exterminés jusqu'au dernier. Devant les Perses, c'était soit le paiement d'un impôt, soit la mort.

mwwbk.jpgUn simple coup d'œil sur les forces en présence sur la plage de Marathon donne les Perses très largement gagnants. Comme on sait, ce fut le contraire. Mais un siècle plus tard, la Grèce, puissante et relativement démocratique sur de nombreux points, s'effondre presque dans les guerres civiles du Péloponnèse, avant d'être soumise par un petit royaume grec du Nord qui, avec Alexandre le grand à sa tête, conquerra l'immense territoire s'étendant de l'Europe à l'Inde. Personne n'aurait pu prédire que ce petit royaume deviendrait maître de la terre au point que les Juifs, des irréductibles s'il en est, traduisirent leurs textes sacrés en grec, la Septante. On mesure encore aujourd'hui toute l'ampleur de cette conquête en Égypte entre autres, où une ville s'appelle Alexandrie. Même chose en Afghanistan où la nouvelle de Rudyard Kipling, L'homme qui voulait être roi et le beau film qu'on en a tiré, évoquent Iskander, c'est-à-dire Alexandre le grand.

Même surprise avec l'expansion musulmane à partir de Mahomet. Qui aurait pu croire qu'une toute petite tribu d'Arabie finirait par devenir l'un des plus grands empires du monde ? L'historien militaire David Hanson parle des "miraculeuses" victoires de l'islam dues, selon lui, à une foi qui ne connaissait plus de frontière et qui faisait de l'ennemi à abattre, un infidèle.[i] Symbole de cette victoire : la tête de la reine de Carthage conquise par les musulmans fut envoyée à Damas. Rien de nouveau sous le soleil. Puis, à son tour, l'empire arabe a été stoppé dans son expansion par Charles Martel à Poitiers, (732) avant de presque s'effondrer devant l'empire mongol (1258).

L'empire romain semble faire exception puisqu'il n'a pas chuté sous la pression d'un autre empire mais en raison d'une désintégration interne. Edward Gibbon, historien de la décadence et chute de Rome, estimait que la perte du civisme fut la cause principale de cette chute, perte concomitante à la montée du christianisme qui faisait paraître le paradis plus désirable que la sauvegarde de la cité. Jean-Jacques Rousseau avait déjà déploré le manque de vigueur des soldats chrétiens comparés aux "païens". A-t-il été influencé par Gibbon ou l'a-t-il influencé ? Je dois avouer que je n'en sais rien.

L'histoire militaire de l'humanité nous montre que rien n'est joué d'avance. Des empires apparaissent à partir d'une toute petite cité, d'un royaume presque insignifiant, de quelques tribus perdues dans le désert. Ensuite ils disparaissent sous la pression d'un autre empire ou de quelque vice interne. Valery disait que les civilisations sont mortelles. Pouvons-nous tout de même dégager quelque loi qui expliquerait l'émergence d'un empire ou sa disparition ?

A ce point,  il faut se tourner à la fois vers le monothéisme et le patriotisme, deux facteurs dont la présence ou l'absence semblent être d'une grande importance dans les victoires et les défaites. Certes, des défaites, comme disait Raymond Aron, peuvent être des victoires, ou l'inverse. De la bataille de Cannes, Hannibal sortit vainqueur et l'on ne donnait pas cher de Rome juste après. Mais finalement,  c'est Rome qui a gagné. Les soldats d'Hannibal étaient des mercenaires,  ceux de Rome des patriotes. De même avec le monothéisme. Regardons Juifs et Chrétiens et laissons de côté les musulmans. Après le terrible sac de Jérusalem par les Romains en 70, le nom de cette ville disparaît des documents de l'époque. On ne donnait pas non plus cher des Juifs alors. Malgré ce sac, malgré la diaspora, ils sont toujours bien vivants au 21eme siècle. De même, qui aurait parié un sou sur le christianisme au moment de sa naissance ? Les disciples ou du moins une partie d'entre eux semblent s'être enfui lorsque le Christ fut crucifié. Pierre avait tellement peur d'être arrêté qu'il nia connaître Jésus. Saint Paul n'était même pas présent. Bref, on ne peut imaginer de pires conditions de départ pour une religion qui allait s'étendre sur la terre entière.

Que conclure ? Une chose est évidente. Ce n'est qu'en comptant, parmi eux, des individus vivant pour "quelque chose" de plus grand qu'eux-mêmes que les hommes parviennent à faire grandir puis à défendre leur patrie ou une religion, étant entendu que celle-ci, le plus souvent, soutient celle-là. Aujourd'hui, dans la modernité occidentale,  surtout en Europe avec son culte du moi, tout semble perdu. Mais comme rien n'est joué d'avance...

Jan Marejko, 28 février 2015

[i] Victor David Hanson, Carnage and Culture : Landmark Battles in the Rise of Western Power, Doubleday, New York, 2001, p.147.

00:10 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, philosophie de l'histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 03 mars 2015

Carl Schmitt aveva ragione

Carl Schmitt aveva ragione

2775670,1518510,highRes,Carl+Schmitt+%28media_126098%29.jpgDopo la chia­mata alle armi con­tro lo Stato isla­mico e la con­se­guente defi­ni­zione di «guer­riero cro­ciato» rife­rita al nostro mini­stro degli Affari Esteri (e della coo­pe­ra­zione), e con­se­guen­te­mente di nazione nemica rife­rita all’Italia, gli ana­li­sti nazio­nali por­ta­voce degli inte­ressi supe­riori dell’economia si sono sca­te­nati in una ridda di arti­coli che ten­dono a ricon­fi­gu­rare le prio­rità della poli­tica estera euro­pea, e nazio­nale, nei ter­mini di una rin­no­vata «guerra glo­bale con­tro il terrorismo».

L’idea di fondo, comune alla grande stampa main­stream, è quella che l’Europa deve «ripen­sare la guerra»; dopo più di set­tanta anni di pace, infatti, que­sta pro­se­cu­zione della poli­tica con altri mezzi, come diceva Clau­sewitz, si pre­senta ora­mai come una alter­na­tiva con­creta alle incon­si­stenti mano­vre diplo­ma­ti­che fina­liz­zate a cir­co­scri­vere le varie crisi in atto, in par­ti­co­lare quelle ine­renti il fon­da­men­ta­li­smo isla­mico. E allora sarebbe utile, per que­sti appren­di­sti stre­goni, ricor­dare loro le rifles­sioni di Carl Sch­mitt con­te­nute nel suo Nomos della terra, un testo fon­da­men­tale per chi voglia capire, dalla parte di un pen­siero con­ser­va­tore, se non fran­ca­mente rea­zio­na­rio, e dun­que in linea con quello attuale e pre­va­lente, l’evoluzione, o meglio l’involuzione, di que­sto stru­mento geopolitico.

La rifles­sione si apre con il 2 aprile 1917, l’entrata in degli Usa nella Prima Guerra Mon­diale. Sono le moti­va­zioni «uma­ni­ta­rie» quelle che col­pi­scono di più l’autore tede­sco; infatti, Wil­son impe­gna gli Stati uniti con­tro «la guerra navale tede­sca, con­dotta con­tro tutte le nazioni del mondo, ovvero con­tro l’umanità». Que­sta è la moti­va­zione morale che spinge il Pre­si­dente ame­ri­cano ad impe­gnare la sua nazione per «garan­tire atti­va­mente la libertà dei popoli e la pace mondiale».

A par­tire da que­sta ana­lisi, dove sono già con­te­nuti tutti gli ele­menti por­tanti della fase geo­po­li­tica che stiamo vivendo – denun­cia di una guerra di una parte con­tro tutta l’umanità, il rela­tivo giu­di­zio morale, la volontà di por­tare libertà e pace a tutti i popoli della terra — la Ger­ma­nia veniva dichia­rata hostis gene­ris humani – espres­sione sino ad allora nor­mal­mente usata per la cri­mi­na­lità orga­niz­zata inter­na­zio­nale come la pira­te­ria – e dun­que con­si­de­rata un nemico nei con­fronti del quale «la neu­tra­lità non è né moral­mente legit­tima né pra­ti­ca­bile». Oltre­tutto, con quelle moti­va­zioni, gli Stati uniti si erano attri­buito il potere di deci­dere su scala inter­na­zio­nale quale parte bel­li­ge­rante avesse ragione e quale torto.

La con­clu­sione di Sch­mitt è che la Prima Guerra mon­diale, dopo l’entrata in gioco degli Usa sulla base di que­ste moti­va­zioni, aveva ces­sato di essere una clas­sica guerra inter­sta­tale, e si era tra­sfor­mata in una «guerra civile mon­diale» (Welt­bür­ger­krieg), secondo un modello desti­nato ad affer­marsi e a coin­vol­gere l’intera uma­nità. Le rifles­sioni di Sch­mitt si com­pon­gono in una finale, abis­sale, pro­fe­zia: l’avvento di una «guerra totale asim­me­trica e di annien­ta­mento», con­dotta da grandi potenze dotate di mezzi di distru­zione di massa, in pri­mis dalle potenze capi­ta­li­sti­che e libe­rali anglosassoni.

Que­ste rifles­sioni deli­neano già la realtà odierna che è pro­prio quella della guerra negata dal punto di vista giu­ri­dico, se non come forma di poli­zia inter­na­zio­nale in capo alle Nazioni Unite, e della sua sim­me­trica tra­sfor­ma­zione e «glo­ba­liz­za­zione» in forme irri­du­ci­bili a qua­lun­que defi­ni­zione coerente.

Venendo più in spe­ci­fico alle «guerre uma­ni­ta­rie»: «Wer Men­sch­heit sagt, will betrü­gen»: chi dice uma­nità cerca di ingan­narti. Que­sta è la mas­sima che Sch­mitt pro­pone già nel 1927 in Begriff des Poli­ti­schen per espri­mere la sua dif­fi­denza nei con­fronti dell’idea di uno Stato mon­diale che com­prenda tutta l’umanità, annulli il plu­ri­verso (Plu­ri­ver­sum) dei popoli e degli Stati e sop­prima la dimen­sione stessa del loro poli­tico. E a mag­gior ragione Sch­mitt si oppone al ten­ta­tivo di una grande potenza – l’ovvio rife­ri­mento è agli Stati uniti – di pre­sen­tare le pro­prie guerre come guerre con­dotte in nome e a van­tag­gio dell’intera umanità.

Se uno Stato com­batte il suo nemico in nome dell’umanità, la guerra che con­duce non è neces­sa­ria­mente una guerra dell’umanità. Quello Stato cerca sem­pli­ce­mente di impa­dro­nirsi di un con­cetto uni­ver­sale per potersi iden­ti­fi­care con esso a spese del nemico. Se ana­liz­ziamo con lo sguardo anti­ci­pa­tore di Sch­mitt la guerra all’Iraq, quella all’Afghanistan dopo l’11 set­tem­bre, la con­se­guente dichia­ra­zione della «guerra per­ma­nente glo­bale con­tro il ter­ro­ri­smo» e la clas­si­fi­ca­zione uni­la­te­rale degli Stati cana­glia, vediamo come tutte que­ste forme della guerra asim­me­trica con­tem­po­ra­nea, com­presi gli atti di ter­ro­ri­smo a fini poli­tici, siano stati ampia­mente pre­vi­sti e pre­ve­di­bili sin dal secolo scorso.

In pro­spet­tiva dun­que, pro­se­gue Sch­mitt, l’asimmetria del con­flitto avrebbe esa­spe­rato e dif­fuso le osti­lità: il più forte avrebbe trat­tato il nemico come un cri­mi­nale, men­tre chi si fosse tro­vato in con­di­zioni di irri­me­dia­bile infe­rio­rità sarebbe stato di fatto costretto ad usare i mezzi della guerra civile, al di fuori di ogni limi­ta­zione e di ogni regola, in una situa­zione di gene­rale anar­chia. E l’anarchia della «guerra civile mon­diale», se con­fron­tata con il nichi­li­smo di un potere impe­riale cen­tra­liz­zato, impe­gnato a domi­nare il mondo con l’uso dei mezzi di distru­zione di massa, avrebbe potuto alla fine «appa­rire all’umanità dispe­rata non solo come il male minore, ma anzi come il solo rime­dio efficace».

In una delle ultime pagine di Der Nomos der Erde Sch­mitt scrive: «Se le armi sono in modo evi­dente impari, allora decade il con­cetto di guerra sim­me­trica, nella quale i com­bat­tenti si col­lo­cano sullo stesso piano. È infatti pre­ro­ga­tiva della guerra sim­me­trica che entrambi i con­ten­denti abbiano una qual­che pos­si­bi­lità di vit­to­ria. Se que­sta pos­si­bi­lità viene meno, l’avversario più debole diventa sem­plice oggetto di coa­zione. Si acui­sce allora in misura cor­ri­spon­dente l’ostilità fra le parti in guerra. Chi si trova in stato di infe­rio­rità spo­sta la distin­zione fra potere e diritto nell’ambito del bel­lum inte­sti­num. Il più forte vede invece nella pro­pria supe­rio­rità mili­tare una prova della sua justa causa e tratta il nemico come un criminale.

La discri­mi­na­zione del nemico e la con­tem­po­ra­nea assun­zione a pro­prio favore della justa causa vanno di pari passo con il poten­zia­mento dei mezzi di annien­ta­mento e con lo sra­di­ca­mento spa­ziale del tea­tro di guerra. Si spa­lanca così l’abisso di una discri­mi­na­zione giu­ri­dica e morale altret­tanto distrut­tiva». La descri­zione della realtà attuale, dall’Iraq all’Afghanistan, dalla Siria al Libano, sem­bra essere rita­gliata esat­ta­mente su que­ste «pro­fe­zie» di Carl Sch­mitt che altro non dicono se non che il futuro deriva dal pas­sato. E dun­que, se così è, dob­biamo anche pen­sare che il nostro pre­sente di «guerre uma­ni­ta­rie» di inde­fi­nite «mis­sioni mili­tari di pace» di emer­genze uma­ni­ta­rie che altro non sono che situa­zioni di man­cato svi­luppo deli­be­ra­ta­mente lasciate incan­cre­nire al fine di farne, appunto, un casus belli uma­ni­ta­rio, vanno riflet­tute e ripen­sate all’interno di cor­nici radi­cal­mente diverse dalle attuali, pena la geo­me­trica ascesa della bar­ba­rie. Eppure, forse guar­dando ancora più avanti, con­sa­pe­vole delle sfide future e degli orrori pas­sati e pre­senti che, nell’estate del 1950, chiu­dendo la pre­fa­zione a Der Nomos der Erde, Sch­mitt scrive: «È ai costrut­tori di pace che è pro­messo il regno della terra. Anche l’idea di un nuovo Nomos della Terra si dischiu­derà solo a loro».

samedi, 28 février 2015

MYTHS AND MENDACITIES: THE ANCIENTS AND THE MODERNS

MYTHS AND MENDACITIES:  THE ANCIENTS AND THE MODERNS

Tomislav Sunic
(The Occidental Quarterly, vol. 14, no. 4, Winter 2014–2015)


querelle-anciens-modernes.jpgWhen discussing the myths of ancient Greece one must first define their meaning and locate their historical settings. The word “myth” has a specific meaning when one reads the ancient Greek tragedies or when one studies the theogony or cosmogony of the early Greeks. By contrast, the fashionable expression today such as “political mythology” is often laden with value judgments and derisory interpretations. Thus, a verbal construct such as “the myth of modernity” may be interpreted as an insult by proponents of modern liberalism. To a modern, self-proclaimed supporter of liberal democracy, enamored with his own system-supporting myths of permanent economic progress and the like, phrases, such as “the myth of economic progress” or “the myth of democracy,” may appear as egregious political insults.


For many contemporaries, democracy is not just a doctrine that could be discussed; it is not a “fact” that experience could contradict; it is the truth of faith beyond any dispute. (1)


Criticizing, therefore, the myth of modern democracy may be often interpreted as a sign of pathological behavior. Given this modern liberal dispensation, how does one dare use such locutions as “the myth of modern democracy,” or “the myth of contemporary historiography,” or “the myth of progress” without being punished?


Ancient European myths, legends and folk tales are viewed by some scholars, including some Christian theologians, as gross re-enactments of European barbarism, superstition, and sexual promiscuity. (2)  However, if a reader or a researcher immerses himself in the symbolism of the European myths, let alone attempts to decipher the allegorical meaning of the diverse creatures in those myths, such as, for instance, the scenes from the Orphic rituals, the hellhole of Tartarus, the carnage in the Iliad or in the Nibelungenlied, or the final divine battle in Ragnarök, then those mythical scenes take on a different, albeit often a self-serving meaning. (3) After all, in our modern so-called enlightened and freedom-loving liberal societies, citizens are also entangled in a profusion of bizarre infra-political myths, in a myriad of hagiographic tales, especially those dealing with World War II victimhoods, as well as countless trans-political legends which are often enforced under penalty of law. There-fore, understanding ancient and modern European myths and myth-makers, means, first and foremost, reading between the lines and strengthening one’s sense of the metaphor.


In hindsight when one studies the ancient Greek myths with their surreal settings and hyperreal creatures, few will accord them historical veracity or any empirical or scientific value. However, few will reject them as outright fabrications. Why is that? In fact, citizens in Europe and America, both young and old, still enjoy reading the ancient Greek myths because most of them are aware not only of their strong symbolic nature, but also of their didactic message. This is the main reason why those ancient European myths and sagas are still popular. Ancient European myths and legends thrive in timelessness; they are meant to go beyond any historical time frame; they defy any historicity. They are open to anybody’s “historical revisionism” or interpretation. This is why ancient European myths or sagas can never be dogmatic; they never re-quire the intervention of the thought police or a politically correct enforcer in order to make themselves readable or credible.


hés782869306080.jpgThe prose of Homer or Hesiod is not just a part of the European cultural heritage, but could be interpreted also as a mirror of the pre-Christian European subconscious. In fact, one could describe ancient European myths as primal allegories where every stone, every creature, every god or demigod, let alone each monster, acts as a role model representing a symbol of good or evil. (4) Whether Hercules historically existed or not is beside the point. He still lives in our memory. When we were young and when we were reading Homer, who among us did not dream about making love to the goddess Aphrodite? Or at least make some furtive passes at Daphne? Apollo, a god with a sense of moderation and beauty was our hero, as was the pesky Titan Prometheus, al-ways trying to surpass himself with his boundless intellectual curiosity. Prometheus unbound is the prime symbol of White man’s irresistible drive toward the unknown and toward the truth irrespective of the name he carries in ancient sagas, modern novels, or political treatises. The English and the German poets of the early nineteenth century, the so -called Romanticists, frequently invoked the Greek gods and especially the Titan Prometheus. The expression “Romanticism” is probably not adequate for that literary time period in Europe because there was nothing romantic about that epoch or for that matter about the prose of authors such as Coleridge, Byron, or Schiller, who often referred to the ancient Greek deities:

Whilst the smiling earth ye governed still,
And with rapture’s soft and guiding hand
Led the happy nations at your will,
Beauteous beings from the fable-land!
Whilst your blissful worship smiled around,
Ah! how different was it in that day!
When the people still thy temples crowned,
Venus Amathusia!  (5)

Many English and German Romanticists were political realists and not daydreamers, as modern textbooks are trying to depict them. All of them had a fine foreboding of the coming dark ages. Most of them can be described as thinkers of the tragic, all the more as many of them end-ed their lives tragically. Many, who wanted to arrest the merciless flow of time, ended up using drugs. A poetic drug of choice among those “pagan” Romanticists in the early nineteenth-century Europe was opi-um and its derivative, the sleeping beauty laudanum. (6)


Myth and religion are not synonymous, although they are often used synonymously—depending again on the mood and political beliefs of the storyteller, the interpreter, or the word abuser. There is a difference between religion and myth—a difference, as stated above, depending more on the interpreter and less on the etymological differences between these two words. Some will persuasively argue that the miracles per-formed by Jesus Christ were a series of Levantine myths, a kind of Oriental hocus-pocus designed by an obscure Galilean drifter in order to fool the rootless, homeless, raceless, and multicultural masses in the dying days of Rome.(7)


Some of our Christian contemporaries will, of course, reject such statements. If such anti-Christian remarks were uttered loudly today in front of a large church congregation, or in front of devout Christians, it may lead to public rebuke.


In the modern liberal system, the expression “the religion of liberalism” can have a derisory effect, even if not intended. The word “religion” derives from the Latin word religare, which means to bind together or to tie together. In the same vein some modern writers and historians use the expression “the religion of the Holocaust” without necessarily assigning to the noun “religion” a pejorative or abusive meaning and without wishing to denigrate Jews. (8)


However, the expression “the religion of the Holocaust” definitely raises eyebrows among the scribes of the modern liberal system given that the memory of the Holocaust is not meant to enter the realm of religious or mythical transcendence, but instead remain in the realm of secular, rational belief. It must be viewed as an undisputed historical fact. The memory of the Holocaust, however, has ironically acquired quasi-transcendental features going well beyond a simple historical narrative. It has become a didactic message stretching well beyond a given historical time period or a given people or civilization, thus escaping any time frame and any scientific measurement. The notion of its “uniqueness” seems to be the trait of all monotheistic religions which are hardly in need of historical proof, let alone of forensic or material documentation in order to assert themselves as universally credible.


The ancestors of modern Europeans, the ancient polytheist Greeks, were never tempted to export their gods or myths to distant foreign peoples. By contrast, Judeo -Christianity and Islam have a universal message, just like their secular modalities, liberalism and communism. Failure to accept these Islamic or Christian beliefs or, for that matter, deriding the modern secular myths embedded today in the liberal system, may result in the persecution or banishment of modern heretics, often under the legal verbiage of protecting “human rights” or “protecting the memory of the dead,” or “fighting against intolerance.” (9).


There is, however, a difference between “myth” and “religion,” although these words are often used synonymously. Each religion is history-bound; it has a historical beginning and it contains the projection of its goals into a distant future. After all, we all measure the flow of time from the real or the alleged birth of Jesus Christ. We no longer measure the flow of time from the fall of Troy, ab urbem condita, as our Roman ancestors did. The same Christian frame of time measurement is true not just for the Catholic Vatican today, or the Christian-inspired, yet very secular European Union, but also for an overtly atheist state such as North Korea. So do Muslims count their time differently—since the Hegira (i.e., the flight of Muhammad from Mecca), and they still spiritually dwell in the fifth century, despite the fact that most states where Muslims form a majority use modern Western calendars. We can observe that all religions, including the secular ones, unlike myths, are located in a historical time frame, with well-marked beginnings and with clear projections of historical end-times.

On a secular level, for contemporary dedicated liberals, the true un-disputed “religion” (which they, of course, never call “religion”) started in 1776, with the day of the American Declaration of Independence, whereas the Bolsheviks began enforcing their “religion” in 1917. For all of them, all historical events prior to those fateful years are considered symbols of “the dark ages.”


What myth and religion do have in common, however, is that they both rest on powerful symbolism, on allegories, on proverbs, on rituals, on initiating labors, such as the ones the mythical Hercules endured, or the riddles Jason had to solve with his Argonauts in his search for the Golden Fleece. (10) In a similar manner, the modern ideology of liberalism, having become a quasi-secular religion, consists also of a whole set and subsets of myths where modern heroes and anti-heroes appear to be quite active. Undoubtedly, modern liberals sternly reject expressions such as “the liberal religion,” “the liberal myth,” or “the liberal cult.” By contrast, they readily resort to the expressions such as “the fascist myth” or “the communist myth,” or “the Islamo-fascist myth” whenever they wish to denigrate or criminalize their political opponents. The modern liberal system possesses also its own canons and its own sets of rituals and incantations that need to be observed by contemporary believers— particularly when it comes to the removal of political heretics.


Myths are generally held to be able to thrive in primitive societies only. Yet based on the above descriptions, this is not always the case. Ancient Greece had a fully developed language of mythology, yet on the spiritual and scientific level it was a rather advanced society. Ancient Greek mythology had little in common with the mythology of today’s Polynesia whose inhabitants also cherish their own myths, but whose level of philosophical or scientific inquiry is not on a par with that of the ancient Greeks.


Aphrodite_Venus_Greek_Goddess_Art_08.jpgDid Socrates or Plato or Aristotle believe in the existence of harpies, Cyclops, Giants, or Titans? Did they believe in their gods or were their gods only the personified projects of their rituals? Very likely they did believe in their gods, but not in the way we think they did. Some modern scholars of the ancient Greek mythology support this thesis: “The dominant modern view is the exact opposite. For modern ritualists and indeed for most students of Greek religion in the late nineteenth and throughout the twentieth century, rituals are social agendas that are in conception and origin prior to the gods, who are regarded as mere human constructs that have no reality outside the religious belief system that created them.” (11).


One can argue that the symbolism in the myths of ancient Greece had an entirely different significance for the ancient Greeks than it does for our contemporaries. The main reason lies in the desperate effort of the moderns to rationally explain away the mythical world of their ancestors by using rationalist concepts and symbols. Such an ultrarational drive for the comprehension of the distant and the unknown is largely due to the unilinear, monotheist mindset inherited from Judaism and from its offshoot Christianity and later on from the Enlightenment. In the same vein, the widespread modern political belief in progress, as Georges Sorel wrote a century ago, can also be observed as a secularization of the biblical paradise myth. “The theory of progress was adopted as a dogma at the time when the bourgeoisie was the conquering class; thus one must see it as a bourgeois doctrine.” (12)

The Western liberal system sincerely believes in the myth of perpetual progress. Or to put it somewhat crudely, its disciples argue that the purchasing power of citizens must grow indefinitely. Such a linear and optimistic mindset, directly inherited from the Enlightenment, prevents modern citizens in the European Union and America from gaining a full insight into the mental world of their ancestors, thereby depriving them of the ability to conceive of other social and political realities. Undoubtedly, White Americans and Europeans have been considerably affected by the monotheistic mindset of Judaism and its less dogmatic offshoot, Christianity, to the extent that they have now considerable difficulties in conceptualizing other truths and other levels of knowledge.


It needs to be stressed, though, that ancient European myths have a strong component of the tragic bordering on outright nihilism. Due to the onslaught of the modern myth of progress, the quasi-inborn sense of the tragic, which was until recently a unique character trait of the White European heritage, has fallen into oblivion. In the modern liberal system the notion of the tragic is often viewed as a social aberration among individuals professing skepticism or voicing pessimism about the future of the modern liberal system. Nothing remains static in the notion of the tragic. The sheer exuberance of a hero can lead a moment later to his catastrophe. The tragic trait is most visible in the legendary Sophocles’ tragedy Oedipus at Colonus when Oedipus realizes that he is doomed forever for having unknowingly killed his father and for having un-knowingly had an incestuous relationship with his mother. Yet he struggles in vain to the very end in order to escape his destiny. Here is the often quoted line Nr. 1225, i.e., the refrain of the Chorus:


Not to be born is past all prizing best; but when a man has seen the light this is next best by far, that with all speed he should go thither whence he has come. (13)
The tragic consists in the fact that insofar as one strives to avoid a catastrophe, one actually brings a catastrophe upon himself. Such a tragic state of mind is largely rejected by the proponents of the liberal myth of progress.

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MYTHS AND THE TRAGIC: THE COMING OF THE TITANIC AGE


Without myths there is no tragic, just like without the Titans there can be no Gods. It was the twelve Titans who gave birth to the Gods and not the other way around. It was the titanesque Kronos who gave birth to Zeus, and then, after being dethroned by his son Zeus, forced to dwell with his fellow Titans in the underworld. But one cannot rule out that the resurrection of the head Titan Kronos, along with the other Titans, may reoccur again, perhaps tomorrow, or perhaps in an upcoming eon, thus enabling the recommencement of the new titanic age. After all Prometheus was himself a Titan, although, as a dissident Titan, he had decided to be on the side of the Gods and combat his own fellow Titans. Here is how Friedrich Georg Jünger, an avid student of the ancient Greek myths and the younger brother of the famous contemporary essayist Ernst Jünger, sees it:


Neither are the Titans unrestrained power-hungry beings, nor do they scorn the law; rather, they are the rulers over a legal system whose necessity must never be put into doubt. In an awe -inspiring fashion, it is the flux of primordial elements over which they rule, holding bridle and reins in their hands, as seen in Helios. They are the guardians, custodians, supervisors, and the guides of order. They are the founders unfolding beyond chaos, as pointed out by Homer in his remarks about Atlas who shoulders the long columns holding the heavens and the Earth. Their rule rules out any confusion, any disorderly power performance. Rather, they constitute a powerful deterrent against chaos. (14)

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Nothing remains new for the locked-up Titans: they know every-thing. They are the central feature in the cosmic eternal return. The Titans are not the creators of chaos, although they reside closer to chaos and are, therefore, better than the Gods—more aware of possible chaotic times. They can be called telluric deities, and it remains to be seen whether in the near future they may side up with some chthonic monsters, such as those described by the novelist H. P. Lovecraft.


It seems that the Titans are the necessary element in the cosmic balance, although they have not received due acknowledgment by contemporary students of ancient and modern mythologies. The Titans are the central feature in the study of the will to power and each White man who demonstrates this will has a good ingredient of the Titanic spirit:


What is Titanic about man? The Titanic trait occurs everywhere and it can be described in many ways. Titanic is a man who completely relies only upon himself and has boundless confidence in his own powers. This confidence absolves him, but at the same time it isolates him in a Promethean mode. It gives him a feeling of independence, albeit not devoid of arrogance, violence, and defiance. (15)


Today, in our disenchanted world, from which all gods have departed, the resurgence of the Titans may be an option for a dying Western civilization. The Titans and the titanic humans are known to be out-spoken about their supreme independence, their aversion to cutting deals, and their uncompromising, impenitent attitude. What they need in addition is a good portion of luck, or fortuna.
 
Notes:


1. Louis Rougier, La mystique démocratique (Paris: Albatros, 1983), p. 13.
2. Nicole Belmont, Paroles païennes: mythe et folklore (Paris: Imago, 1986) quotes on page 106 the German-born English Orientalist and philologist Max Müller who sees in ancient myths “a disease of language,” an approach criticized by the anthropological school of thought. His critic Andrew Lang writes: “The general problem is this: Has language—especially language in a state of ‘disease,’ been the great source of the mythology of the world? Or does mythology, on the whole, represent the survival of an old stage of thought—not caused by language—from which civilised men have slowly emancipated themselves? Mr. Max Müller is of the former, anthropologists are of the latter, opinion.” Cf. Andrew Lang, Modern Mythology (New York: Longmans, Green, and Co., 1897), p.x.
3. Thomas Bullfinch, The Golden Age of Myth and Legend (London: Wordsworth Editions, 1993).
4.See the German classicist, Walter F. Otto, The Homeric Gods: The Spiritual Significance of Greek Religion, trans. Moses Hadas (North Stratford, NH: Ayer Company Publishers, 2001). Otto is quite critical of Christian epistemology. Some excerpts from this work appeared in French translation also in his article, “Les Grecs et leurs dieux,” in the quarterly Krisis (Paris), no. 23 (January 2000).
5. Friedrich Schiller, The Gods of Greece, trans. E. A. Bowring.  ttp://www.bartleby.com/270/9/2.html
6. Tomislav Sunic, “The Right Stuff,” Chronicles (October 1996), 21–22; Tomislav Sunic, “The Party Is Over,” The Occidental Observer (November 5, 2009).  http://www.theoccidentalobserver.net/authors/Sunic-Drugs.html
7.Tomislav Sunic, “Marx, Moses, and the Pagans in the Secular City,” CLIO: A Journal of Literature, History, and the Philosophy of History 24, no. 2 (Winter 1995).
8.Gilad Atzmon, The Wandering Who? A Study of Jewish Identity Politics (Winchester, UK: Zero Books, 2011), 148–49.
9. Alain de Benoist, “Die Methoden der Neuen Inquisition,” in Schöne vernetzte Welt (Tübingen: Hohenrain Verlag, 2001), p. 190–205.
10. Michael Grant, Myths of the Greeks and Romans (London: Phoenix, 1989), p. 289–303.
11. Albert Henrichs, “What Is a Greek God?,” in The Gods of Ancient Greece, ed. Jan Bremmer and Andrew Erskine (Edinburgh: Edinburgh University Press, 2010), p- 26.
12. Georges Sorel, Les Illusions du progrès (Paris: Marcel Rivière, 1911), p. 5–6.
13. Sophocles, Oedipus at Colonus, in The Complete Plays of Sophocles, ed. and trans. R. C. Jebb (New York: Bantam Books, 1979), p. 250.
14. Friedrich Georg Jünger, Die Titanen (Frankfurt: Klostermann, 1944), p. 89–90.
15. Ibid., 105.