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mardi, 08 décembre 2015

Une barbarie peut en cacher une autre

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Une barbarie peut en cacher une autre

par Jure Georges VUJIC

Jure Georges Vujic est un écrivain franco-croate, avocat et géopoliticien, diplômé de la Haute-École de guerre des forces armées croates. Directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, il contribue aux revues de l’Académie de géopolitique de Paris, à Krisis et à Polémia. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine de la géopolitique et de la politologie.

 

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Les derniers attentats parisiens constituent une étape supérieure dans la surenchère de la terreur et révèlent l’impact psychologique de cette nouvelle stratégie de la tension employée par l’État islamique en France et en Europe.

 

En effet, alors que les attentats contre Charlie Hebdo étaient ciblés contre la rédaction du journal, les attentats de ce week-end touchent au cœur de la population, avec plusieurs frappes simultanées et essentiellement dirigées contre la population civile. La spirale attentat – répression et les bombardements aériens en Syrie n’empêcheront pas, hélas, la prolifération du terrorisme islamiste en Europe qui manipule et infiltre les vagues migratoires, alors que les technocrates bruxellois s’offusquent à la vue du moindre barbelé aux frontières européennes. On s’achemine tout droit vers le scénario d’une transposition pure et simple sur le sol européen d’une guerre civilisationnelle et ethno-confessionnelle longtemps programmée dans les laboratoires de l’oligarchie mondialiste.

 

En écoutant les réactions des officiels de l’Establishment qui fustigent la « barbarie » de l’État islamique, comment ne pas constater l’impuissance politique et morale de l’Occident à se confronter aux véritables causes de cette « barbarie » au lieu de persister dans l’erreur et d’assainir les symptômes ? En effet, persister dans l’alignement sur une politique belliciste atlantiste néo-coloniale au Moyen-Orient en s’appuyant sur l’Arabie Saoudite wahhabite, principale exportatrice du fondamentalisme islamiste, est bel et bien une posture schizophrène et suicidaire. En effet, une barbarie peut en cacher une autre, et la « barbarie » bestiale et meurtrière de l’État islamique sert trop souvent de repoussoir compassionnel à une autre « barbarie civilisationnelle », celle d’un Occident matérialiste et mondialisé, qui souffre d’une perte de sens identitaire, historique et ontologique.

 

Cette barbarie intérieure, intime, indolore et sournoise qui, derrière le drapeau de la civilisation matérielle, marchande et libérale et les tintamarres républicains et les mélopées pleurnichardes de La Marseillaise, semble encore une fois prêcher par déraison. C’est pourquoi il faudra traquer et châtier sans scrupules les auteurs de ces abominables massacres. Mais il faudra aussi garder à l’esprit la responsabilité des chiens de garde et des porte-paroles de cette barbarie civilisationnelle et mondialiste qui depuis des décennies plonge les peuples européens dans l’irénisme pacifiste et humanitariste, ceux qui depuis   apprennent à nos jeunes générations à baisser sa garde, à avoir honte de soi, de sa propre culture, de sa nation, ceux qu’on assomme depuis la décolonisation à coups de marteau culpabilisateur. Il faut se souvenir de cette phrase de Lacordaire : « Les peuples s’éteignent et disparaissent dans l’agonie insensible d’un repos confortable. D’autres disparaissent dans l’ivresse des fêtes en chantant des hymnes à la victoire et l’éternité. » C’est pourquoi l’hyperfestif et la liberté illimitée de jouir comme mode de vie occidental est soluble dans l’humanitarisme compassionnel qui n’a jamais rien résolu.

 

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Rendons-nous une fois à l’évidence, au nom de la civilisation occidentale, rationaliste et marchande, au nom de la sacro-sainte démocratie de marché, une nouvelle barbarie indolore et insidieuse s’est installée chez nous, dans nos têtes, notre habitus mental. C’est pourquoi il ne suffit pas de s’en référer pathétiquement à la défense de « notre façon de vivre » comme si notre culture européenne millénaire était réductible aux images d’Épinal, d’un parisianisme bobo de pacotille, à l’hystérie ostensible de la consommation, la permissivité et l’hédonisme généralisés, le cynisme moqueur qui se rit de tout, tout ce qui fait les matrices sociétales et idéologiques de l’occidentisme post-moderne. Le politologue américain Benjamin Barber décrit ce « village mondial » anglo-saxon et occidental comme une civilisation McWorld, une sorte d’Oumma anglo-saxonne en tant que contre-monde en opposition au « califat de l’Âge d’Or », une sorte d’Oumma originelle et fantasmagorique. J’écoutais le témoignage d’un passant à proximité des lieux d’attentats dire que « c’est la faute au communautarisme » et que « la France était avant tout une nation à laquelle il faudrait croire et adhérer ». Oui, mais avant d’adhérer à la nation, il faudrait préalablement qu’il existe un sentiment partagé d’appartenance à une communauté nationale, une volonté de vivre ensemble un certain « projet commun » dans les sens renanien du terme. Or, c’est cela qui fait défaut : le marché, la consommation, la laïcité, l’égalitarisme républicain, le multiculturalisme ne constituent plus les vecteurs de référence des deuxièmes, voire des troisièmes générations d’immigrés le plus souvent plongées dans le désarroi social dans les banlieues et cités-dortoirs des grandes villes françaises. Le mode intégrationniste français ou communautariste anglais ont failli partout en Europe et il va falloir reconstruire sur de nouvelles bases culturelles et sociales le lien d’appartenance nationale.

 

La civilisation occidentale n’est pas synonyme de la culture européenne. L’Occident matérialiste et marchand ayant proclamé le nouveau règne de l’Individu-roi, du fondamentalisme séculier, a chassé et banni le culturel européen, l’organique, l’enraciné et le différencié, le point de référence et de liaison social, politique et identitaire. De l’autre côté en évacuant le fondement culturel la référence historique et le principe territorial, un autre islam hybride a-culturel a-historique et globalisé s’est autogénéré tel un rejeton du globalisme, dans la fantasmagorie d’un retour á l’âge d’or du Califat. Entre ces deux hydres globalistes, il sera extrêmement difficile de réinstaller en Europe des valeurs stabilisatrices fondées sur le civisme, la loyauté, le respect de la souveraineté mais il faut pourtant s’y attacher. Les institutions qui permettent de vivre dans la paix, la liberté et la sécurité exigent la loyauté (pas nécessairement aveugle), et la loyauté exige en retour un sens de l’identité. D’autre part, comment ne pas s’interroger sur les appels pathétiques à la guerre totale contre le terrorisme de l’État islamique, comme si l’on faisait la guerre aux menaces terroristes asymétriques et à un ennemi invisible et intérieur, de front avec des moyens de guerre conventionnels. Le démantèlement des réseaux islamistes, des centres logistiques et des réseaux financiers supposera l’engagement de forces et d’actions spéciales en profondeur dont l’envergure et la nature dépassent les législations européennes pointilleuses quant à la défense des droits de l’homme et des immigrés sans oublier les relais médiatiques « antiracistes ».

 

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La « culture globale » dominante est une mono-culture capitaliste marchande qui broie les identités et les cultures enracinées, y compris musulmanes. Le fondamentalisme islamiste sectaire et violent se présente alors en tant que réponse-réaction à cette culture dominante unique. La mondialisation facilite la diffusion de modes de représentation adaptés à la logique du marché et non à la dynamique des peuples. De la transmission générationnelle nous sommes passés à une transaction commerciale de la culture, du moins dans la culture dominatrice, la culture dite « occidentale ». Cette incidence est à l’origine de la crise de sens que nous connaissons et subissons. C’est pourquoi il est vain et illusoire d’en appeler au rassemblement fraternel sous l’égide de la liberté, l’égalité et la fraternité, car l’espace public n’est plus le fruit d’une transmission et d’une représentation générationnelles communes mais est déterminé par la capacité discriminatoire d’un compte en banque et de l’appartenance à une des tribus privilégiées de l’Establishment dominant. D’autre part, parallèlement à cette perte de repères d’identité et d’anomie sociale, le continent européen est voué au constat d’une population autochtone en cours de remplacement accéléré. Et c’est la raison pour laquelle le combat contre l’hydre islamiste et l’occidentisme marchand supposera indéniablement une réappropriation de la souveraineté sur le sol et les frontières européennes.

 

Jure Georges Vujic

 

• D’abord mis en ligne sur Polémia, le 23 novembre 2015.


Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

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dimanche, 06 décembre 2015

Les divines surprises de François Hollande

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Les divines surprises de François Hollande

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

A l’exception de la Suisse et quelques autres pays, les démocraties modernes sont des machines à diluer le pouvoir. Ce n’est plus d’une communauté que s’occupent les gouvernants, mais de la promotion d’un individu affranchi de toutes les limites imposées par la nature ou la tradition. Pour stimuler cette promotion, il faut transformer les hommes politiques en gestionnaires d’individus autosuffisants. Plus question de les déranger, ces individus, parce que chacun d’eux est tout absorbé par son désir de s’épanouir sans ne rien devoir à personne. Ce ne sont plus les nations qui sont souveraines mais des petits « moi » arc-boutés sur les droits de l’homme. Les voûtes de nos cathédrales consuméristes n’abritent plus une collectivité parce que, désormais, chacun a sa petite voûte sous laquelle il cultive le petit jardin de ses petits caprices.

Dès lors, un gouvernant qui dirigerait un pays au nom du bien commun serait très malvenu. Il pourrait ignorer, voire mépriser ces petits jardins. Non, vraiment, ce n’est pas un gouvernant que veulent les démocraties modernes, mais un jardinier général attentif à la santé de toutes les petites plantes infiniment diverses qui poussent dans des âmes avides de jouissances anodines qui ne dérangeront jamais l’ordre des choses.

François Hollande remplit cette condition. Cet individu sans substance est à la tête d’un des plus grands pays occidentaux. La Suisse n’est pas épargnée par ce phénomène qui consiste en la production d’une classe politique terne, comme on vient de le voir avec la mise à l’écart d’Oskar Freysinger par son propre parti. Parviennent à obtenir des sièges dans des exécutifs ou des législatifs des individus lisses et lissés. Pour notre pays ce n’est pas trop grave, puisque nous sommes toujours neutres et que nous n’avons pas besoin d’un de Gaulle pour conduire notre politique étrangère en attendant d’elle qu’elle nous fasse exister. Autrement dit, nous pouvons faire l’économie du charisme mais la France, elle, ne le peut pas. Sa cohérence nationale a toujours dépendu de sa posture face à l’étranger. Il lui faut un leader et François Hollande n’en n’est pas un, raison pour laquelle les attentats de Paris et la COP21 ont été une divine surprise pour lui. Ces deux événements lui ont en effet permis de se poser d’une part en grand défenseur de la France et d’autre part en sauveur de la planète. Ce n’est pas rien et ça aide à mettre de la substance dans un gouvernement qui n’en a pas. Mais va-t-il pouvoir se maintenir à cette hauteur ?

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Non, pour deux raisons. La première est qu’il ne peut continuer indéfiniment à orchestrer des lamentations avec manifestations et défilés soutenus par la communauté internationale. Il ne peut pas non plus continuer pour longtemps à fayoter les chefs d’État de cette communauté qui n’est d’ailleurs pas une. La deuxième raison est qu’il ne va pas pouvoir rester sauveur de la planète. Un sauveur ne mégote pas sur quelques degrés de plus ou de moins dans 50 ou 100 ans.

La légitimité de François Hollande est donc fragile comme l’est la légitimité démocratique un peu partout. Cette fragilité n’est pas grave dans le train-train des votes et élections, mais en temps de crise, elle éclate au grand jour. C’est ce qui va se passer en France une fois calmés les chœurs de pleureuses et les dénonciations outragées d’affreux barbares. Les dénoncer avec des trémolos dans la voix, ça ne mange pas de pain, mais à la longue, ça fait sourire les barbares et ça décourage les troupes censées les combattre.

Que se passera-t-il lorsque les cavalcades hollandaises s’essouffleront ? Certains parlent de guerre civile. Une chose est sûre : si une telle guerre devait advenir, ce ne sont pas de telles cavalcades qui pourraient l’empêcher. En fait, elles pourraient même provoquer une telle guerre.

Jan Marejko, 4 décembre 2015

samedi, 05 décembre 2015

Marcel Gauchet : « Le monde moderne est sous le signe de l’ignorance »

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Marcel Gauchet : « Le monde moderne est sous le signe de l’ignorance »

Marcel Gauchet est philosophe. Il enseigne à l’EHESS (Écoles des hautes études en sciences sociales) et au Centre de recherches politiques Raymond Aron. Il dirige également la revue Le Débat. Nous avons interrogé avec lui la notion de modernité qu’il a tenté de cerner dans de nombreux ouvrages tel Le Désenchantement du monde, La Révolution des droits de l’homme ou, plus récemment, les trois tomes de L’Avènement de la démocratie.

PHILITT : Certains considèrent que la modernité commence avec la subjectivité et le cogito cartésien, d’autres comme Péguy situent sa naissance vers 1880, d’autres encore comme Alain de Benoist font coïncider christianisme et modernité. Quand débute-t-elle à vos yeux ?

Marcel Gauchet : C’est un problème canonique sur lequel beaucoup d’esprits se sont échinés. Il y a beaucoup de propositions. Vous en évoquez quelques unes, il y en a bien d’autres. Il y a une origine chrétienne de la modernité, je le crois tout à fait, mais une origine n’est pas une entrée dans l’explicite des propositions de la modernité. Il y a un commencement de la modernité qui a été repéré intuitivement il y a assez longtemps. Quand on parle des « Temps modernes » quelle est la date exacte qui permet de les caractériser ? La proposition la plus absurde à mes yeux est la chute de Constantinople. Une coupure importante mais qui ne dit rien de substantiel sur ce qui se passe après. Dans les bons manuels que j’ai utilisés quand j’étais petit, on évoquait les Grandes découvertes : Christophe Colomb, Gutenberg, Copernic… Il s’agit de comprendre ce phénomène afin d’y intégrer tous les critères distinctifs. C’est ce à quoi je me suis efforcé en proposant une perspective permettant de fédérer ces différents critères, à la fois philosophiques mais aussi bien événementiels ou matériels, dans une totalisation qui fait du sens. C’est à ça que répond la proposition selon laquelle la modernité est le mouvement de sortie de la religion. C’est une définition maximale, englobante puisqu’à partir de là, on peut lier des phénomènes a priori sans rapport.

PHILITT : Qu’appelez-vous exactement « sortie de la religion » ?

Marcel Gauchet : La sortie de la religion, ce n’est pas le fait que les gens ne croient plus en Dieu. Ils n’y croyaient pas tellement plus avant ! L’un des premiers signes flagrant de l’entrée en modernité comme sortie de la religion, c’est la Réforme protestante qui va, par contre-coup, susciter la réforme catholique, lesquelles se traduisent par un renforcement de la foi, au sens du vécu personnel, de l’adhésion religieuse des personnes. Mais ce n’est pas parce qu’il y a plus d’adhésion personnelle des individus qu’il y a plus de religion au sens où je veux l’entendre, c’est-à-dire comme mode d’organisation collective. La sortie de la religion, c’est la sortie de l’organisation religieuse du monde. C’est pour ça que nous ne comprenons pas les sociétés anciennes : elles étaient structurées religieusement et définissaient à la fois le type de pouvoir qui y régnait, le type de rapport entre les personnes, la forme des collectivités… C’est l’ensemble de cette structuration qui peu à peu se défait dans un travail qui va occuper cinq siècles jusqu’à nous. Parallèlement à la Réforme religieuse, vous avez un événement qui se signale comme absolument contemporain. C’est le surgissement du politique moderne qui va donner sur un siècle l’émergence de la notion d’État qui est une notion tout à fait moderne. Vous voyez comment un processus politique et un processus religieux changent complètement les données de la foi…

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PHILITT : Cela rejoint ce que dit Péguy, sur la chute de la mystique dans la politique…

Marcel Gauchet : Oui. Mais c’est la moitié de la vérité. Il y a une chute de la mystique dans la politique mais il y a un investissement mystique sur la politique. Péguy en a d’ailleurs été un excellent témoin… Il a oublié ce mouvement premier au profit du second. En mystique, il a cru dans la politique ! Il en est revenu. Mais cela va se poursuivre tout au long du XXe siècle. On y est encore.

PHILITT : Processus religieux, processus politique et donc ?

Marcel Gauchet : Processus scientifique. À partir de là, vous avez un procédé qui va révolutionner toute la pensée moderne : la science. Copernic, Kepler, Galilée… Cela va nous mener à ce que nous connaissons comme l’institution de la science, laquelle en retour change complètement l’idée de la connaissance. Et c’est là qu’on retrouve le cogito cartésien. Qui est Descartes ? Celui qui tire les conséquences philosophiques de la science moderne. En fonction du fait que nous avons cette nouvelle voie de la connaissance qui s’appelle la science. C’est ça le cogito. Ça ne tombe pas du ciel. C’est une idée inspirée par la pratique scientifique. Il ne faut pas oublier l’émergence, à travers la Révolution anglaise, d’un type de pensée complètement nouveau : l’idée du contrat social qui va engendrer l’individualisme moderne. Vous voyez donc comment, à partir d’une perspective unique, on peut décrire dans leur cohérence une série d’événements théoriques et pratiques. Il faut échapper aux querelles stériles qui cherchent à donner un point de départ unique (Descartes, Luther…).

PHILITT : Péguy dit 1880…

Marcel Gauchet : Il n’a pas tort. Il a détecté quelque chose de très vrai, une nouvelle étape très forte de ce processus général. Cette nouvelle étape qui va donner le XXe siècle, environ jusqu’à 1980. Et aujourd’hui, nous sommes repartis. Il y a peut-être, en ce moment, un petit Péguy qui nous écrit que le monde moderne commence en 1980 (rire)… Il faut raisonner en terme d’étapes d’un processus largement cumulatif, contradictoire et hétérogène. Je me méfie des gens qui font des scansions. Il faut éviter la naïveté qui consiste à en faire un point de départ absolu. L’étape de Péguy est tout à fait significative. Le monde change en 1880, c’est sûr ! Nous avons mis un siècle à comprendre ce qu’il nous arrivait et c’est reparti aujourd’hui. Nous ne comprenons à nouveau rien à ce qui nous arrive. Nous avons toujours un temps de retard. Il faut en tirer les conclusions et se mettre au boulot.

PHILITT : S’il faut parler d’étapes et qu’on considère qu’il est valide de voir dans le christianisme une forme de modernité, quelles sont les étapes qui vont de la naissance de Jésus Christ aux Grandes découvertes ?

Marcel Gauchet : Il y en a beaucoup ! La première étape a un nom propre, c’est Saint Paul. Sans Saint Paul, il n’y a pas de christianisme, au sens où nous le connaissons. Deuxième étape : Saint Augustin, c’est-à-dire le christianisme occidental qui va être très différent de celui qui se développe et s’installe à Byzance. Saint Augustin est le créateur d’un certain type de sensibilité moderne, à bien des égards. Notre monde est augustinien. Le christianisme oriental ne va pas être du tout augustinien. Autre étape déterminante, ce qui se passe au XIe siècle avec la Réforme grégorienne, la création d’une nouvelle Église, très différente de tout ce qu’on avait connu jusqu’à présent : la révolution pontificale, comme disent certains historiens. Étape accompagnée d’un argument théologique très puissant, celui de la toute-puissance divine auquel les philosophes vont réfléchir pendant des siècles et des siècles.

deposit-for-the-control-of-ignorance-fear-alienation-and-slavery.jpgPHILITT : Pour le christianisme originel, Dieu n’est pas tout-puissant ?

Marcel Gauchet : Si, mais c’est un problème de spéculation. Quelles sont les implications rationnelles ? Quel est le sens de cette proposition ? À la fin du siècle, vous avez le théologien qui crée la théologie catholique telle que nous la connaissons : Saint Anselme, esprit absolument extraordinaire. Le XIe siècle que je me propose d’appeler « la grande bifurcation occidentale » engage le christianisme intellectuellement autant que pratiquement dans une voie complètement différente. À partir de là vous avez cinq siècles d’incubation très agités qui vont produire la rupture du début du XVIe siècle. Je pense qu’on peut écrire une histoire tout à fait censée de ce parcours.

PHILITT : Quelle est la différence entre un antimoderne et un réactionnaire ? Aujourd’hui on traite tout le monde de réactionnaire.

Marcel Gauchet : Oui ! Moi y compris (rire)… L’écrivain (Édouard Louis, NDLR) dont il s’agit n’est qu’un pantin entre les mains d’un manipulateur qui, lui, sait où il va. Le vrai péché mortel que j’ai commis, c’est de porter une main sacrilège sur les maîtres de la subversion que sont Michel Foucault et Pierre Bourdieu. À partir du moment où vous osez dire qu’il n’y a pas, peut-être pas, le meilleur ordre logique dans ce genre de pensées, vous êtes forcément un ultra-réactionnaire.

PHILITT : Il faudrait demander à ces personnes ce qu’elles entendent par réactionnaire…

Marcel Gauchet : Ils n’y ont jamais réfléchi. Ils sont incapables de produire une définition de quoi que ce soit (rire)… Mais pour revenir à la différence entre réactionnaire et antimoderne… Je pense qu’il y a une vraie différence et qu’elle est tout à fait intéressante. Un réactionnaire, dans la rigueur du terme, est quelqu’un qui est attaché à une forme de société ancienne et qui croit possible d’y revenir : une monarchie, des hiérarchies sociales, des corporations, un ordre familial construit autour de la figure paternelle… Il y aurait donc une forme parfaite, éternelle  des sociétés aux yeux des réactionnaires. C’est un mode de pensée très noble qui a donné des expressions tout à fait remarquables. Il faut être très naïf et inculte pour l’ignorer. L’argument le plus fort est que toutes les sociétés  humaines jusqu’à une date récente ont été organisées comme ça. Il faut donc se justifier fortement si on pense que cet ordre peut être changé. Pour les réactionnaires, les modernes sont des égarés complets qui tentent une expérience suicidaire.

Les antimodernes sont beaucoup plus sceptiques que les réactionnaires, d’abord sur les vertus de ce modèle ancien des sociétés. En fait, les antimodernes sont assez modernes dans le sens où ils trouvent que c’est plutôt mieux maintenant (rire)… Ils ne croient pas qu’on puisse revenir à la société patriarcale, nobiliaire, cléricale, monarchique… Mais ça ne les empêche pas de détester le monde qui remplace celui-là. Ils lui sont hostiles esthétiquement. L’homme de la rue n’est pas antimoderne, il est plutôt moderne, plutôt pour le progrès, plutôt pour gagner plus à la fin du mois. Pour les antimodernes, la valeur des valeurs, c’est la beauté, c’est l’art, c’est l’esthétique de l’existence au sens large, ce qui inclut la manière de se conduire.

PHILITT : Le dandysme…

Marcel Gauchet : Le dandysme bien entendu. Les dandys sont antimodernes. Ils peuvent être avant-gardistes sur certains plans d’où l’ambiguïté mais ils pensent que l’homme moyen tourne le dos au véritable code de l’esthétique existentielle. Il y aurait donc une aristocratie particulière à reconstituer. Pour les antimodernes, le monde moderne est le monde de la laideur, de la médiocrité, de la banalité et, contre cela, ils dressent toutes les valeurs de l’exception. D’où le caractère très littéraire de l’attitude antimoderne. Littéraire mais pas seulement : artistique, artisanal. Une commode Boulle, ce n’est pas une commode Ikea ! La valeur du travail est dans le chef d’œuvre. L’importance du travail bien fait, dans le monde d’aujourd’hui, est évacuée.

PHILITT : Y-a-t-il une différence de degré ou de nature entre modernité, post-modernité et hyper-modernité ?

Marcel Gauchet : À mon avis, ce sont des mots dépourvus de sens. Distinguons les raisons légitimes pour lesquelles les gens cherchent à faire des scansions dans les séquences temporelles et la valeur de fond de ces catégories. Elles n’ont aucune valeur conceptuelle mais signalent des sensibilités à des moments de rupture réels. Oui il y a eu une rupture vers 1980 lorsqu’on commence à parler de post-modernisme en art, en architecture, en politique, dans les croyances collectives… Appeler ça post-modernité est complètement superficiel. Ce n’est pas faux, mais c’est totalement superficiel. La bonne attitude intellectuelle, c’est d’accueillir avec tranquillité ce genre de choses en se demandant les raisons qui les accréditent. Ce ne sont pas des imbécillités, ce sont des naïvetés. Ce sont des notions journalistiques, épidermiques. Dès qu’on creuse, on découvre que c’est toujours la même modernité qui s’aggrave.

PHILITT : Pour Péguy, le monde moderne est le monde qui fait le « malin », un monde à la fois arrogant et mauvais. Rejoignez-vous son point de vue ?

Marcel Gauchet : Je crois que cette formule touche à quelque chose d’extrêmement important qu’il faut prolonger. Le monde moderne est en effet arrogant : « Nous, modernes, nous sommes différents des peigne-cul d’avant qui ne savaient pas qu’ils étaient modernes » (rire). Après Péguy, ça ne va pas s’arranger, cela va devenir dramatique. La modernité, c’est l’histoire humaine qui se comprend et qui de ce fait arrive en possession des moyens de se faire complètement. Cela va donner l’idée de révolution telle qu’elle va entrer en pratique au XXe siècle. Grâce à la science, ils pensent pouvoir finir l’histoire. C’est l’idée majeure du XXe siècle, celle qui a fait le plus de dégâts. Le monde moderne ne fait donc pas seulement le « malin », il est aussi victime d’une démesure dans la prétention qui est terrible. Depuis, nous avons fait une petite découverte, très modeste mais qui est en partie responsable du marasme psychologique dans lequel nous sommes plongés. Nous savons maintenant qu’avec le recul chaque époque comprend mieux celle qui l’a précédée. Cela veut dire que nos descendants comprendront mieux que nous ce que nous étions, ce que nous pensions, ce que nous faisions. Nous sommes dépossédés par l’avenir du sens de nos actions et de la compréhension exacte de la situation qui est la nôtre. Voilà en quoi réside à mes yeux le secret de de la dépression de nos sociétés. C’est une perspective très décourageante. Il y a un anéantissement de la confiance collective dans l’action qui me semble un des éléments clés du trouble contemporain.

PHILITT : Alain Finkielkraut, dans L’identité malheureuse écrit « Le changement n’est plus ce que nous faisions mais ce qui nous arrive. » Cela rejoint ce que vous dites.

Marcel Gauchet : Il s’est en effet produit une inflexion de la marge de nos sociétés qui nous a totalement surpris, que personne n’avait anticipé et dont nous avons été activement acteurs sans nous rendre compte de ce que nous faisions. Nous modernes, comprenons mieux le passé mais est-ce que cela nous donne des éléments pour comprendre notre présent ? La réponse est non. Le monde moderne est sous le signe de l’ignorance. Il ne se comprend pas. Il y a un découragement de l’action qui est terrible. Nous sommes pessimistes mais sans nous l’avouer, ce qui est pire. Nous avons comme une espèce de surmoi qui nous dit « vous n’êtes rien du tout ». Nous sommes angoissés par l’œil du futur posé sur nous.

PHILITT : Vous définissez le monde moderne comme le monde de « sortie de la religion », pourtant on semble vivre aujourd’hui un retour à l’intégrisme religieux. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Marcel Gauchet : Ce n’est pas un paradoxe. Le mouvement de sortie de la religion qui concernait jusque là l’Occident devient planétaire. Il arrive de l’extérieur sous un jour peu sympathique (colonial, impérialiste, capitaliste) à des populations qui ne connaissaient comme mode d’organisation collective que cette structuration religieuse qui était le lot de l’humanité depuis qu’on la connaît.

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PHILITT : C’est une réaction…

Marcel Gauchet : C’est une réaction. Tout simplement. C’est en ça que réside la différence entre les nouveaux intégrismes et les religions traditionnelles. Pour lutter contre le monde moderne, les intégristes utilisent les armes du monde moderne. En s’emparant des armes, on s’empare aussi des modes de pensée. Dès lors, il y a une surenchère. Les confessions des anciens otages sur leurs ravisseurs sont très intéressantes. On est loin de la piété. Les intégristes détruisent la religiosité traditionnelle qu’ils prétendent restaurer. Ils sont d’ailleurs perçus comme ça. Les gens qui ont une vraie foi traditionnelle détestent les intégristes. À leurs yeux, ce sont des fous nihilistes.

PHILITT : Le corps politique a été supplanté, selon vous, par l’idée de société, au sein de laquelle le politique n’est plus qu’un sujet parmi d’autres, un élément secondaire. Peut-on renverser ce mouvement ?

Marcel Gauchet : C’est un des grands changements du monde contemporain. Je ne vais pas refaire l’histoire complète des formes qu’ont pu revêtir les sociétés religieuses du passé mais un de leurs traits les plus frappants, c’est d’être en général dominées par un pouvoir politique qui tombe d’en haut (le divin, les ancêtres…). Un pouvoir vertical qui met le monde en ordre parce qu’il est lui-même en communication avec l’ordre de l’au-delà. Cette structure va survivre à la religion pendant très longtemps dans le monde occidental sous le nom d’État qui est un appareil de domination et de coercition. Il n’est plus autorisé par les dieux mais il domine la société au nom d’une science supérieure de l’ordre qui la conditionne. À partir de la Révolution française,  le pouvoir devient petit à petit une représentation de la société. On élit les gens. Cette société se sépare du pouvoir et devient indépendante. C’est l’essor de l’économie. Désormais, ce qui compte ce n’est plus l’ordre insufflé par le politique, mais la dynamique sociale de l’initiative individuelle. On passe de la domination du politique à la domination de l’économie qui est l’emblème de l’indépendance de la société, laquelle acquiert son nom de société qu’elle n’avait pas. La société, telle que la sociologie basique nous l’enseigne, c’est une notion qui ne s’impose vraiment qu’à la fin du XIXe siècle. Cette société, qui vit sous le signe de l’économie, devient de plus en plus indépendante mais elle subordonne de plus en plus l’appareil politique. Aujourd’hui, les politiques sont les larbins de la société.

PHILITT : On rejoint ici la critique de Péguy…

Marcel Gauchet : Oui, il a saisi le début de ce phénomène. L’inversion devient absolument manifeste. Peut-on renverser ce mouvement ? Je ne pense pas qu’il faille raisonner ainsi. Le politique n’est plus organisateur par en haut, c’est un fait. Il est maintenant organisateur par en bas. L’infrastructure de nos sociétés, c’est le politique. Pas la politique des politiciens et des marchands de cravates mais le politique, c’est-à-dire un appareil qui fait tenir la société non pas par en haut, par la contrainte, mais par une immense infrastructure. Il y a une mise en ordre fondamentale de la société qui est cachée. Le problème politique de nos sociétés, à mes yeux, est très simple : les gouvernants qui manient cet appareil par en haut ne savent pas ce qu’ils font et les gens le perçoivent. L’enjeu n’est donc pas de renverser le mouvement et de remettre le politique au dessus, c’est de trouver des personnes pertinentes pour gouverner, des personnes qui comprennent le rôle du politique dans nos sociétés.

194396_johannek_ignorance.jpgPHILITT : Vous pensez que les politiques méprisent la structure politique que vous décrivez ?

Marcel Gauchet : Ils ne la voient même pas. Ils sont irresponsables. Je pense que si François Hollande, qui est par ailleurs un homme fort intelligent, m’entendait, il ne comprendrait même pas de quoi je suis en train de parler. Pour lui, la politique c’est s’arranger avec Cécile Duflot, magouiller avec Martine Aubry (rire)… Du coup, les gens ont l’impression d’avoir élu des individus qui ne comprennent pas quelle est leur fonction. Il ne s’agit pas seulement d’appliquer un programme politique mais de travailler à la coexistence des individus dans la société.

PHILITT : C’est ce qu’on appelle naïvement le vivre-ensemble…

Marcel Gauchet : Oui, naïvement. Mais c’est beaucoup plus profond que ça. Vivre ensemble, ça ne va pas du tout de soi. C’est une œuvre énorme, complètement artificielle qui coûte dans nos sociétés modernes entre le tiers et la moitié des ressources nationales. Il faut se demander pourquoi c’est si cher. Au Japon et aux États-Unis c’est un tiers, en France c’est la moitié. Il n’y a donc pas de différence d’essence, mais des différences d’appréciation. Ce qui varie, c’est le niveau de gaspillage. Il y a des gens économes et des gens prodigues. Nous faisons partie des plus prodigues. C’est un titre de fierté nationale comme un autre (rire)…

PHILITT : Une crise existentielle ne serait-elle pas le fruit, en dernière analyse, d’une liberté morale anémiée ?

Marcel Gauchet : Nous ne sommes pas dans un monde euphorique. Nous sommes de plus en plus riches. Techniquement, de plus en plus puissants. Mais l’avenir de l’humanité ne se résoudra pas par la généralisation de la possession d’un Iphone 8 ! Et pourtant j’ai un Iphone… mais je m’en passerais très bien. L’étrange de notre monde, c’est qu’il est habité par un malaise profond que l’on ne sait pas nommer. À la fin du XIXe siècle, période très troublée, les réponses sont claires. Pour les réactionnaires comme Maurras, c’est parce que l’on vit dans une forme politique aberrante. Pour les marxistes, c’est l’exploitation capitaliste qui appelle la révolution. Pour quelqu’un comme Péguy, c’est la corruption morale de la République. Quelle est la réponse pour notre époque ? Nous avons tous conscience que nous sommes gangrenés par ce que nous dénonçons. Nous n’avons plus la naïveté et la vigueur des hommes du siècle dernier qui pensaient qu’ils pouvaient être radicalement contre. Nous sommes tous complices. Nous n’arrivons pas à nommer ce qui est déréglé dans le monde.

PHILITT : Le républicanisme est-il possible dans un monde sans transcendance ?

Marcel Gauchet : Ce n’est plus un républicanisme. Il y a plein de gens qui se proposent de redéfinir cette République. Si République veut dire régime sans pouvoir autoritaire alors nous sommes tous républicains. Mais ce n’est pas ça le républicanisme auquel vous pensez, c’est-à-dire un régime guidé par la conscience morale des acteurs. Le républicanisme, ainsi compris, n’est plus possible dans notre monde . Mais cela va au delà de la disparition de la transcendance. Le problème vient de l’effondrement de la dimension morale des relations entre les citoyens au profit de la dimension juridique. Nous sommes dans un monde juridiquement plus exigeant. La République c’est le régime de la morale publique. Si la distinction République / démocratie a un sens, cela revient au déplacement de la morale à la loi. Je pense que c’est un énorme changement dans la manière de concevoir les relations entre les êtres.

PHILITT : Comment vous situez-vous sur la question anthropologique ? Êtes-vous pessimiste ou optimiste ?

Marcel Gauchet : L’homme est l’espèce contradictoire par excellence. Une chose et son contraire sont vrais. Le premier à l’avoir pointé dans une formule géniale est le vieux Kant : « insociable sociabilité ». Je pense que c’est très vrai. L’homme est l’espèce la plus insociable et la plus sociable. Il est capable du pire comme du meilleur. Il faut comprendre cette contradiction qui nous habite tous et à tout moment. Pourquoi sommes-nous comme ça ? Cela va au delà de la question classique du bien et du mal. Nous sommes travaillés de part en part par des pulsions complètement contradictoires. Le même homme est jouisseur et ascétique.

PHILITT : Comment votre pensée s’articule-t-elle avec celle de René Girard ? D’un côté, le christianisme compris comme la religion qui sort de la sacralité archaïque, fondée sur la violence (la désignation du bouc-émissaire fonde un ordre sacré) et, de l’autre, le christianisme compris comme la religion de la sortie de la religion, qui ouvre la voie au désenchantement.

Marcel Gauchet : Je pense que nous ne nous articulons pas. Il y a des choses qui se recoupent, il y a  des tas d’analyses intéressantes chez Girard. Mais sa vision du mécanisme universel et du désir mimétique  me laissent perplexe. Elles n’éclairent rien des choses que je cherche à comprendre et m’apparaissent assez triviales. Cette idée du bouc émissaire qu’on nous ressert quotidiennement me convainc très peu. Je rejoins néanmoins son diagnostic sur le fait que le christianisme représente une rupture par rapport à la sacralité archaïque mais j’en fais une lecture complètement différente dans le détail.

PHILITT : Nous arrivons aujourd’hui au bout de la logique du désenchantement. Peut-on espérer un retournement, un ré-enchantement ?

Marcel Gauchet : S’il faut être optimiste, je ne pense pas qu’il faille aller chercher cet optimisme du côté d’un ré-enchantement. Allons au bout du désenchantement et de l’espèce de liberté qu’il nous donne. Cet exercice de notre liberté sans pareil dans l’histoire est une des choses les plus extraordinaires que l’on puisse souhaiter.

jeudi, 03 décembre 2015

Žižek: Fortress Europe’s staunch defender on the left

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Žižek: Fortress Europe’s staunch defender on the left

by Esben Bogh Sorensen

Ex: http://www.roarmag.org and http://www.attackthesystem.com

(Redaction: This piece here is very critical and refuses to accept Zizek's new arguments for a renewed Left movement that would have abandoned the crazy utopian bias of the dominant establishment, partially belonging to the historical Left in Europe, that has been unable to smash the neoliberal leprosy. Therefore a careful reading of this piece can be interesting to help transform the Left into a new active solidarist movement, saving the socialist/social-democratic/chrsitian democratic or Third Way Welfare State and trade union movements from the final decay toward which the established are rushing to. In a nutshell: Zizek is right, Poor Sorensen is wrong but by being wrong he demonstrates that Zizek is right!) 

Žižek’s thoughts on the refugee crisis are useless, even harmful, for creating a pan-European leftist movement capable of challenging the far-right.

In a recent article Žižek replied to the critique of a previous text he wrote on the so-called ‘refugee crisis.’ The exchange between Žižek and his critics essentially revolved around whether the left should support the refugees and migrants’ demands for open borders and the right to live where they choose, or not.

Žižek claimed that the refugees’ dream, represented by “Norway,” doesn’t exist, whereas one critic points out that it is our duty to create it. Particularly problematic is his use of phrases like “our way of life,” “Western values” and figures like “the typical left-liberal.” The most important thing that is missing in Žižek’s text is an analysis of the potentiality of the refugees and migrants’ struggles.

In his response to the criticism, Žižek begins by complaining about the shift from what he calls “radical emancipatory movements” like Syriza and Podemos to “the ‘humanitarian’ topic of the refugees.” This, we are informed, is not a good thing because the refugee and migrant struggles are actually nothing but “the liberal-cultural topic of tolerance” replacing the more genuine “class struggle.”

Why this is the case is left unclear. Rather, we are told that:

[t]he more Western Europe will be open to [immigrants], the more it will be made to feel guilty that it did not accept even more of them. There will never be enough of them. And with those who are here, the more tolerance one displays towards their way of life, the more one will be made guilty for not practicing enough tolerance.

There are several problems in this statement, especially the idea of a “we” of “Western Europe” contrasted against an image of a “way of life” somehow shared by all refugees and migrants. Before turning to that problem, however, it is useful to examine one of Žižek’s favorite tropes — the “typical left-liberal” — which sits at the heart of his critique.

Žižek’s “typical left-liberal” — a figure that is reiterated and criticized throughout much of his writing — is a figure who holds tolerant and multicultural views, but whose antiracism is actually a kind of subtle racism. In the piece in question the “left-liberal” humanist figure is a person who is afraid of criticizing Islam and who (according to Žižek) unjustly accuses those who do so of being Islamophobic.

But who is this “left-liberal” Žižek has spent so much time criticizing? On closer inspection this figure does not actually represent any position on the left. The left does not face a problem of too much tolerance, this is a straw man. If anything, it faces the twin problems of nationalism (or a national imaginary) and an inability to adequately critique Western values — problems which Žižek’s text demonstrate.

Žižek’s critique therefore completely misses the heart of the discussion: how to thoughtfully criticize fundamentalist religious views as well as “the West” and “Western values.” Žižek does neither of these.

Žižek places this misrepresented figure of the “left-liberal” on the one side, while countering in with an even more problematic and essentially racist stereotyped figure of the refugee/migrant:

Many of the refugees want to have a cake and eat it: They basically expect the best of the Western welfare-state while retaining their specific way of life, though in some of its key features their way of life is incompatible with the ideological foundations of the Western welfare-state.

Now, compare this to a recent statement made by Marine Le Pen, the leader of the French Front National:

“Without a policy restricting immigration, it becomes difficult, if not impossible, to fight against communalism and the rise of ways of life at odds with … values of the French Republic.”

Žižek’s sentiments are remarkably similar to the rhetoric of the European far-right. Representatives of Front National, the Danish Peoples Party or UKIP couldn’t have been more precise on the fundamental views of nationalism within Europe today. Žižek completely capitulates to this nationalism, showing the dangers of utilizing the language of your enemy.

Essentially, Žižek accepts the dominant idea — shared by institutional Europe and the extreme right — that refugees and migrants pose a problem, threat, or some kind of crisis for “us” and “our egalitarianism and personal freedoms.” In doing so he reiterates a common nationalist argument, which can be found both in an institutional form promoted by national governments and in a radical right form: they and their way of life are incompatible with “us” and “our way of life.”

The problem here is not the degree of tolerance or exclusion as Žižek suggests, but rather the opposition itself, which is intrinsically false. In his critique of the (mis)figure of the humanist “left-liberal,” Žižek falls back on the illusion of a totalizing European or Western “we.” A “we” that is superior to the “way of life” of refugees and migrants, because “our” values are universal.

Naturally, this poses a problem, or rather a “refugee crisis” that “we” need to solve. Instead of criticizing this “we,” Žižek reproduces the mainstream media’s image of refugees as a kind of impersonal stream of humans posing nothing but a problem or even a crisis. This, Žižek says, calls for “militarization,” a topic he (fortunately?) doesn’t elaborate on any further.

In the text, all refugees and migrants are defined by the same way of life. However — in risk of stating the obvious — the refugees and migrants come from very different geographical areas and very different cultures. The homogeneity suggested by Žižek clearly draws on an old orientalist trope, where different non-homogenous cultures are categorized within the one culture with opposite and conflicting values to Europe and the West. Gone are not only different cultures, traditions etc., but also variations within these, as well as the myriad forms of secular, liberal, and socialist traditions that have also existed in parts of the vast geographical area that Žižek simply subsumes under a single way of life, sure to create a “crisis” when coming to Europe.

The European figure of the “we” that must solve the “crisis” created by the refugees is of course problematic, but even more problematic is Žižek’s proposed solution to this supposed crisis.

His proposed starting point of action is not, for example, a movement that brings together both migrants and different sectors of European proletarians like precarious workers, the unemployed, students etc., but rather the European nation-states and their political elites.

Rather than fighting together for freedom of movement for all, Žižek thinks the national and supranational elites should curb this right. Rather than fighting for open borders and against the nation-states and their political elites, he supports a centralized distribution of refugees by the nation-states. Rather than analyzing the current conjuncture and the possibilities for contesting the institutions of European political and economic elites — Fortress Europe — Žižek falls back on the same institutional solutions and becomes the “left defender” of Fortress Europe.

Moreover, instead of situating the struggles of refugees and migrants within an analysis of capitalism, Žižek refers abstractly to the problems caused by “the integration of local agriculture into global economy.” Žižek’s avoidance of political economy is not new, but it becomes particularly problematic in this case because it’s not coupled with an analysis of the current social struggles throughout Europe and beyond, resulting in a strange opposition between abstract “class struggle” and the struggles of refugees and migrants.

There is no serious attempt to analyze the potentialities of these struggles and how their articulation to other social struggles could potentially challenge the extreme right.

Rather than try to answer such questions, Žižek suggests that the “left must embrace its radical Western roots.” Unfortunately, Žižek uncritically adopts the concept of “Western values” which seem to imply “universal values.”

But what are “western values” and the European cultural heritage if not a deeply bourgeois heritage? A heritage with a history full of mass killings, mass extermination, war, colonialism, and imperialism etc.? This history of western values is not just the past but also the present. The so-called war on terror has cost 1.3 million civilian lives.

It is not refugees and migrants who have created any crisis. Instead, it is Europe, the West and global capital with its self-claimed universal values that pose a fundamental threat to humanity in general. What are western values if not “freedom, equality, property, and Bentham,” as Marx once said?

Žižek criticizes the left for wanting to “fill in the gap of the missing radical proletarians by importing them from abroad, so that we will get the revolution by means of an imported revolutionary agent.” Like the figure of the “left-liberal,” this notion seems to be pulled out of thin air.

It would be far more interesting if Žižek actually participated in the discussion on how to connect migrant and refugee struggles with other kinds of struggles. Instead we get a critique of these unsubstantiated figures of positions on the left. Who is Žižek actually criticizing?

In the last couple of months, we have witnessed how migrant and refugee struggles in Calais, Greece, Hungary, Slovenia, Germany, and even Denmark have sparked a new antiracist movement that could potentially challenge the growing extreme right. This is a movement that overcomes the national “we” and contains networks of solidarity between different sectors of migrants, refugees, and the European population.

How these struggles can be combined with other kinds of struggles is of crucial importance. Yet Žižek manages to reduce this potentiality to “the liberal-cultural topic of tolerance.” Žižek’s last two texts are completely useless for creating an anti-capitalist and anti-national movement across Europe capable of challenging the radical right and European elites; indeed, they have been harmful for such a project.

Esben Bøgh Sørensen is an intellectual historian from Denmark with a Master’s degree in History of Ideas. He has been engaged in various social movements, most recently the student movement and the refugee solidarity movement. You can find his writings on academia.edu.

mardi, 01 décembre 2015

Ironie en ambiguïteit, een Europese uitvinding

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Door: Johan Sanctorum

Ex: http://www.doorbraak.be

Ironie en ambiguïteit, een Europese uitvinding

philosophie,ironieMisschien zijn 'tricheurs' als de Franse komiek Dieudonné wel een sterker wapen tegen IS, dan alle Westerse bommenwerpers samen

Zopas slaagde het hackerscollectief Ghost Sec, gelinkt aan Anonymous, erin om een van de talrijke IS-webstekken in het Dark Web over te nemen en daar boodschappen op te plaatsen zoals ‘IS, neem een pauze, neem een Prozac’. Ook Viagra-reclame is prominent aanwezig op de gehackte site.
Een stunt waar een boeiende doordenker aan vast hangt: als zij terreur zaaien, dan wij ook. Maar niet met bommengordels, en eigenlijk ook niet met tapijtbombardementen. En nog veel minder met morele herbewapening of grote zingevingsprojecten, zoals sommige christelijke fundamentalisten nu hun kans ruiken.

Neen, er is een stukje gen van onze westerse cultuur dat tot dusver ongrijpbaar is voor Mohammed en zijn acolieten: de ironie. Een vreselijk wapen, mits oordeelkundig gebruikt.

In dat opzicht wil ik de verdediging opnemen van de Franse komiek Dieudonné M'Bala M'Bala, door de correctionele rechtbank van Luik veroordeeld tot een effectieve celstraf van twee maanden en een boete van 9.000 euro. De man is bekend voor zijn racistische uitlatingen waarbij vooral joden het moeten ontgelden. Een alliantie van moslims en christenen ziet hij als een uitstekende strategie om de joden uit de wereld te helpen. Humor ver erover, zult u zeggen. Dat klopt. Tegelijk is het een nieuwe uitdaging voor het door ons zo gecultiveerde principe van vrijemeningsuiting, en het recht op smakeloosheid, zoals we ook K3 en Thuis tolereren. Maar er is meer.

De oorlog tegen IS kan niet alleen met bommen of schiettuig gewonnen worden, daar is zo langzamerhand iedereen het over eens. Als het terrorisme gezien kan worden als het drastisch veranderen van spelregels die wij als ‘normaal’ beschouwden, dan is het antwoord niet de morele verontwaardiging maar opnieuw het veranderen van de spelregels in ons voordeel. Elementaire logica, maar vooralsnog schijnen maar weinigen dat te snappen. Dieudonné is in het actuele, gepolariseerde verhaal een moeilijk te plaatsen element, dat maakt juist zijn kracht uit: hij is voor de moslims, zogezegd, maar ook aanhanger van het Front National. Bij wijze van karikatuur worden moslims én christenen verleid tot een oecumenische überkruisvaart tegen de joden, het idee alleen al. Anders gezegd: Diedonné is een terrorist, maar dan een van het woord. Hij doorkruist alle vormen van normaal discours en zou moeiteloos op de thee kunnen uitgenodigd worden in Raqqa, hoofdstad van het kalifaat.

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En hier misrekent de goegemeente zich fameus. Met het optreden van Dieudonné M'Bala M'Bala is een filosofie van het spel gemoeid, waarin het vals spelen een deel van het spel zelf wordt, en de winnaar diegene is die erin slaagt onderweg de regels te wijzigen. Dat vinden wij doorgaans vies, maar vandaag is het dat strategisch vernuft, essentieel verbonden aan de leugen en het sofisme, wat zich tegen het fundamentalisme moet stellen. Allah kan je niet verslaan, tenzij met drogredenen, stoorzenders en Trojaanse paarden. Misschien moeten er ook wat meer nep-radicalen naar Syrië vertrekken. Een uitwisseling als het ware met de nep-vluchtelingen.

En zo vormen zowel het hacken van de IS-webstek als de verbale terreur van Diedonné twee aspecten van een strategie die de jihadisten weglokt van hun uitverkoren terrein: het slagveld en de waarheid. Zowel de cyberoorlog van Anonymous als de meta-humor van de Franse Kameroenees doen me denken aan het sublieme werk van de Franse barokschilder George de la Tour ‘De Valsspeler met de ruitenaas’ (1635). Deze meester had twee gezichten: hij schilderde vrome taferelen, maar tussendoor dus ook een reeks rond leugen en bedrog. Cineast Peter Greenaway liet er zich door inspireren voor zijn ‘The Draughtsman’s Contract’.

De clou is, dat De la Tour de ‘tricheur’ recht in de ogen van de toeschouwer doet kijken, en ons zo mee in het kaarterscomplot betrekt. In de periode dat het Franse rationalisme zich met René Descartes en Blaise Pascal volop ontwikkelt, is dat een kapitale hint: men moet zich in een spel altijd afvragen wat het belangrijkste is, verliezen volgens de regels of winnen tegen de regels. Of: ‘wie niet sterk is, moet slim zijn’.

Mag in het voetbal, het schaken en zelfs in de politiek de Olympische gedachte zegevieren, dan lijkt me vandaag, in de huidige confrontatie, een verschuiving van de spelregels essentieel. En daar hebben wij perfide narren als Dieudonné voor nodig.

Of zoals het Franse spreekwoord zegt: ‘A la guerre comme à la guerre’.

Johan Sanctorum is filosoof, publicist, blogger en Doorbraak-columnist.

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lundi, 30 novembre 2015

Antoine de Crémiers: La post-modernité ou le triomphe du libéralisme

Antoine de Crémiers:

La post-modernité ou le triomphe du libéralisme

Vendredi 26 novembre, M. Antoine De Crémiers intervenait sur le thème de la postmodernité pour le cercle Jean-Baptiste-Lynch. Au cours de cette conférence, qui fut un franc succès, il fut démontré que la postmodérnité -moment où la modernité se "libère" d'elle-même- n'était que le stade final du libéralisme (déconstruction, déracinement, mondialisation, déni du passé...).


Bien loin de traverser une simple "crise" économique, le monde occidental doit affronter une situation inédite : une remise en cause des fondements même de la civilisation. La catastrophe ne serait pas, dès lors, devant nous, mais déjà en cours. Cette situation impose , à ceux qui luttent pour le bien commun, de repenser leurs modes d'action politique.

L'intervention stimulante de M. de Crémiers permit en outre de poser un certain nombre de questions sur les remèdes à apporter à cette crise de la civilisation.

mercredi, 25 novembre 2015

Daech, c’est très simple

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Daech, c’est très simple

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Comprendre le comportement des terroristes islamistes n’est pas compliqué. A condition d’éliminer une tache aveugle qui, pour l’instant, … aveugle presque tout le monde. Qu’on ne parvienne pas à éliminer cette tache est, pour moi, un mystère ou, pour parler comme Karl Marx, un hiéroglyphe indéchiffrable. En quoi consiste-t-elle ?

Les hommes peuvent aimer la mort, la guerre. Freud a parlé d’instinct de mort, mais c’est beaucoup trop vague. On ne peut pas comprendre ce qui se passe dans les conflits à partir de la psychologie seulement. Pourquoi ?

S’emparer d’une Kalachnikov, ce n’est pas s’emparer de boîtes de conserves et de belles salades. Dans un supermarché, ce qui me meut, ce sont mes besoins terrestres. Pas lorsque j’avance avec une Kalachnikov, car alors, ce qui me meut, ce ne sont pas des besoins, mais quelque chose qui me dépasse et pour quoi je suis prêt à mourir. On ne peut pas mourir lorsqu’on veut acheter des salades. Les clients qui errent dans les beaux rayonnages de nos produits de grande qualité n’ont pas pris un risque de mort.

Cela fait au moins trente ans que j’essaie d’attirer l’attention sur cette élémentaire distinction et que  je passe pour un pestiféré dans les milieux qui veulent promouvoir une paix perpétuelle. Or, en disant cela, je ne fais pas de réclame pour la Kalachnikov ou l’engagement dans Daech. Lorsque je dis cela, je fais une constatation banale. Les hommes aiment prendre des risques de mort comme Charles Péguy lorsqu’il est monté à l’assaut d’une tranchée allemande. Les hommes croient pouvoir rencontrer Dieu ou la patrie en marchant à la mort. Les hommes mais aussi les femmes, parfois avec plus de fureur encore que les hommes, comme Svetlana Alexievitch l’a admirablement montré.

Ceux qui aiment les risques de mort pour se sentir mus par quelque chose de plus grand que d’alléchantes et débiles publicités, voient dans la paix perpétuelle une consommation perpétuelle, une condamnation à errer dans le labyrinthe de supermarchés proposant de quoi subvenir à nos besoins terrestres et rien qu’à cela. Lorsqu’on est  bloqué dans le chômage et une société qui ne propose plus d’autre perspective que la croissance et l’élévation du niveau de vie, on est beaucoup plus alléché par un risque de mort que par une publicité pour nespresso avec ou sans George Clooney. Une vie dans la guerre ou le terrorisme  est plus excitante qu’une vie dans McDonald. J’ai pu le sentir en regardant un film sur la guerre d’Espagne. J’étais ému par la ferveur des Brigades rouges et, paf !, interruption par une publicité  pour engager le spectateur à soigner ses hémorroïdes avec un onguent. Brusque passage d’un l’élan mystique des révolutionnaires espagnols à l’univers des besoins quotidiens, en l’occurrence le besoin de soulager son derrière. Il y avait d’un côté l’émotion provoquée par des hommes prêts à se sacrifier pour un idéal, de l’autre un consumérisme éhonté. Avec une publicité qui, jour après jour, nous traite comme de misérables rats cherchant leur satisfaction au terme d’un parcours dans les dédales de la consommation, pas étonnant que des jeunes veuillent rejoindre Daech.

Ne pourrons-nous résister aux terroristes islamistes qu’avec des hommes prêts à prendre un risque de mort ? Certainement. Mais il y a risque de mort et risque de mort. Les islamistes fanatiques prennent ce risque pour ressentir le frisson du sacré. Ce n’est pas nouveau. Les guerriers d’Israël le connaissaient, raison pour laquelle ils appelaient Dieu l’Eternel des armées. Achille aussi a connu ce frisson. Rien de tel qu’un champ de bataille pour savoir si nous sommes soulevés par un souffle qui dépasse nos élans vers des salades. Ernst Jünger, soldat allemand dans la Première guerre mondiale, disait qu’à chaque explosion d’un obus, il sentait s’ouvrir le portail de l’éternité. Mais il faut distinguer, comme dit Alain René  Arbez, entre le martyre qui s’expose (à la mort) et le djihadiste qui s’explose avec sa ceinture de dynamite. Au-delà du martyre, il y a aussi le soldat qui fait face à la mort pour défendre son pays, sa famille, ses biens. Il n’avance pas sous les balles pour éprouver un frisson sacré. Il n’est pas un nihiliste désespéré qui s’attend à tomber en extase apocalyptique dans la destruction de soi et du monde. Il veut au contraire conserver ce qui peut l’être dans sa lutte contre ses ennemis.

Notre culture ne nous parle, depuis des décennies, que de croissance et de droits de l’homme. Ainsi réduits au rang de choses destinées à fonctionner dans de grands machins, les Européens ne sont guère prêts à devenir des soldats risquant leur vie pour défendre des patries par ailleurs en voie de dissolution dans l’Europe unie.

Mais on aurait tort de perdre courage. Tandis que des fissures apparaissent dans le monde arabe, des fissures apparaissent aussi dans ce discours occidental qui tend à faire de nous des rats.

Notes : le rat dont je parle ici est tout proche de l’homme sans qualité de Robert Musil. Personne n’est allé aussi loin dans la réduction de l’homme au rat que Richard Dawkins lorsqu’il écrit ceci (que je suis tenté de considérer comme un blasphème) : « Quand une mère voit son enfant sourire, elle se sent récompensée de la même manière que la nourriture dans l'estomac est la récompense d'un rat dans un labyrinthe ». Le premier philosophe à parler de la prise d’un risque de mort est Hegel  dans sa célèbre lutte du maître et de l’esclave, lutte très bien décrite par Francis Fukuyama dans La fin de l’histoire. Une citation d’Ernst Jünger en dit long sur l’attraction que la guerre exerce sur l’âme « La guerre était notre rêve de puissance, de grandeur et de gloire ». Svetlana Alexievitch décrivant la passion des jeunes femmes russes à défendre leur patrie écrit : « Elles étaient animées d’une telle foi que, de la mort, elles attendaient la vie ».

Jan Marejko, 22 novembre 2015

lundi, 23 novembre 2015

Le viol de la cité

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Le viol de la cité

par Patrice-Hans Perrier

Ex: http://www.dedefensa.org

Nous avons pris le parti de relire un classique de la philosophie politique afin d’y puiser quelques victuailles conceptuelles en cette période tumultueuse entre toutes. Les derniers attentats de Paris ont été exécutés à une époque charnière, dans un contexte où l’Imperium semble vouloir reprendre la main au Moyen-Orient. Les commanditaires qui téléguident la nébuleuse dite de l’État islamique (EI) sont les mêmes qui profitent de l’ouverture des frontières afin de pulvériser la souveraineté des états au moment de composer notre analyse. Et, si le procès politique devenait caduc au moment même où nos représentants s’apprêtent à décréter l’état d’urgence généralisé ?

La politique n’est plus un art : elle dérive de plus en plus vers la sphère de la gestion des activités humaines liées à la survie de l’espèce. C’est en partie ce que soutient la philosophe Hannah Arendt dans la première partie de son opus intitulé « Condition de l’homme moderne ». (*) Reprenant l’observation de Martin Heidegger à propos de la dérive techniciste du monde moderne, Arendt nous met en garde contre l’anéantissement de la volonté politique qui menace nos cités. Le citoyen, devenu consommateur, ne possède plus rien en propre et son aliénation croissante est tributaire du rôle qui lui est assigné au cœur de la société postmoderne. Le consommateur s’exécute, sans discuter, alors qu’une caste de professionnels de la politique fait semblant de gouverner. Le procès politique n’est plus qu’un leurre dans un contexte où nos gouvernants ont remis les clefs de la cité à de puissants conglomérats apatrides.

Il est difficile, dans un tel contexte, d’analyser les actualités afin d’en extraire un sens, une direction qui puisse nous aider à identifier les jalons du procès politique en cours de déroulement. Certaines puissances anonymes (l’état profond) ont subventionné la nébuleuse de l’État islamique et de ses affidés afin de pulvériser l’ordre géopolitique au Moyen-Orient, de faire main-basse sur de nouveaux gisements énergétiques et de remodeler cette région du monde au profit du projet d’un « Grand Moyen-Orient » susceptible de conforter leur domination.

Les vases communicants

Pendant ce temps, les mêmes commanditaires faisaient pression sur la classe politique pour que l’ouverture des frontières soit maintenue in extenso, histoire d’accueillir les flots de réfugiés et de « migrants » en provenance de ce Moyen-Orient plongé dans les grands remous de cette réingénierie forcée. Il devenait patent qu’un projet de « Grande Europe » s’actualisait alors que les effets délétères de la recomposition d’une partie du monde risquaient de faire exploser le cœur de l’Europe pro-atlantiste. Les vases communicants de la géopolitique fonctionnent à plein rendement à l’heure où nos dirigeants politiques sont incapables de prendre des décisions susceptibles d’avoir un impact en temps réel sur la gouvernance de nos cités.

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Action – réaction

Les récents attentats terroristes qui ont frappé Paris de plein fouet permettront à ceux qui sont véritablement aux manettes d’actionner une nouvelle séquence de décisions arbitraires. De nouvelles forces d’intervention se préparent d’ores et déjà au combat afin d’aller frapper quelques cibles affiliées à la nébuleuse de l’EI, des mesures de musellement de la liberté d’expression seront adoptées sous peu, la tension montera encore d’un cran et le chaos s’étendra de plus belle. Les résultats seront à la hauteur des attentes des commanditaires de toute cette agitation sans queue ni tête. La Russie risque d’élargir son périmètre d’intervention dans l’espace aérien syrien, ce qui pourrait entraîner, par voie de conséquence, le déclenchement d’un véritable conflit régional. Les alliés de l’état syrien voudront intervenir et châtier une partie des pays commanditaires de cette fumeuse nébuleuse islamiste. D’autres populations seront déplacées, avec pour conséquence une augmentation des flux de réfugiés prenant d’assaut les métropoles européennes. La boucle sera bouclée, alors que la reconfiguration de l’ensemble européen pourra démarrer.

Une politique de destruction contrôlée

Le domaine public a été supprimé au profit d’une « politique sociétale » qui permet à d’astucieux intérêts privés d’empiéter sur le bien commun. À l’heure où l’ubiquité de la communication court-circuite la chronologie des événements réels, on peut raisonnablement affirmer que les grands régisseurs de la machination politique sont capables de fabriquer de toutes pièces une partie de l’histoire officielle. Le consentement sera manufacturé en fonction de la grille de lecture commandée pour la circonstance.

Hannah Arendt nous prévient que, dans un contexte où l’impérialisme techniciste triomphe, « la propriété a perdu sa valeur d’usage privé, qui était déterminée par son emplacement, pour prendre une valeur exclusivement sociale déterminée par sa perpétuelle mutabilité, la fluctuation des échanges ne pouvant être fixée temporairement que par rapport à un dénominateur commun, l’argent ». Cette assertion est capitale en cela qu’elle illustre avec concision le phénomène de dérive progressive qui gangrène l’habitus de l’ancien citoyen.

Ainsi, pour préciser notre propos, qu’il nous soit permis de rappeler à nos lecteurs que plusieurs instances municipales ont déjà procédé à la confiscation d’un grand nombre de résidences secondaires ou inhabitées afin de les mettre à la disposition des nouveaux « migrants » qui essaiment aux quatre coins de l’Europe de l’Ouest. Les autorités publiques, sous couvert de mesures extraordinaires d’aide aux réfugiés, procèdent à la liquidation d’une part croissante de la propriété privée des petits rentiers, des personnes à la retraite ou des exploitants agricoles.

Une citoyenneté dissoute

Ce bouquet d’actions illégales (couvertes par des décrets d’exception) permettra de mettre en place de véritables « zones franches » au cœur de nos cités, alors que la destruction du tissu social prendra des proportions nouvelles. Les habitants de ces « zones franches » seront subventionnés, dispensés de payer des taxes et feront l’objet de mesures de surveillance onéreuses. Cette situation fera en sorte d’obliger les pouvoirs municipaux à augmenter le fardeau fiscal imposé aux petits exploitants et autres infortunés propriétaires implantés dans le paysage des nations touchées par ce fléau. Les pouvoirs publics, obligés d’obéir aux desiderata de l’hyper-classe mondialiste, deviendront, conséquemment, les complices d’un phénomène de spéculation qui permettra à des holdings immobiliers ou à des trusts de faire main basse sur une partie du patrimoine des « nationaux » devenus de véritables indésirables chez eux. 

Le nouveau consommateur, qui ne produit pratiquement plus rien, est en voie de devenir un ilote, privé de son habitus naturel. Arendt fait le lien avec la politique de l’ancienne Grèce, dans un contexte où le foyer (oikia) et la famille représentaient les lieux de la reproduction générique de l’espèce. La vie en dehors du foyer familial, permettant de participer à l’organisation future de la cité, les hommes d’action pouvaient s’adonner à l’art de la politique. Une borne salutaire séparait la sphère privée de l’espace publique.

De nos jours, la techni-cité fait en sorte de brouiller les pistes, dans un contexte où la politique ne sert plus qu’à régenter les rapports de forces qui mettent en scènes des intérêts privés qui finissent par phagocyter l’espace public, l’AGORA. C’est ainsi que la sphère privée et l’espace publique finissent par être anéantis au profit d’un nouvel espace social, mu par une « politique sociétale ». Et, Arendt de préciser que « l’avènement des « sciences du comportement » signale clairement le dernier stade de cette évolution, quand la société de masse a dévoré toutes les couches de la nation et que le « comportement social » est devenu la norme de tous les domaines de l’existence ».

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La nouvelle ingénierie sociale

Nous avons eu l’occasion, à plusieurs reprises, de nous pencher sur le phénomène de la « postmodernité à géométrie variable », ce contexte anxiogène qui permet aux « ingénieurs sociaux » de littéralement démolir la conscience de l’individu lambda. Les médias sociaux tiennent le rôle de caisse de résonnance au service de la mise en place de cette ingénierie destinée à remodeler nos habitudes de vie. Les Anonymus, collectif de pirates informatiques travestis en justiciers virtuels, viennent de déclarer la guerre à DAESH, une autre excroissance de la nébuleuse « islamiste ». Plusieurs médias – dominants ou résistants – ont salué avec empressement la décision des Anonymus de pirater les comptes des médias sociaux de plusieurs milliers d’affidés de DAESH. À y regarder de plus près, Anonymus représente le bras « armé » d’une opinion publique qui est muselée et prise en otage par le monde médiatique.

Les trublions de l’information jouent aux défenseurs de la veuve et l’orphelin, prenant pour cible certaines composantes de la nébuleuse « terroriste ». « Les gouvernements sont incapables de nous protéger », semble dire les Anonymus, alors pourquoi ne pas nous défendre par nos propres moyens ? Peu nous importe si l’action entreprise par Anonymus est justifiable ou non, ce qui nous intéresse c’est le rôle joué par cette « nébuleuse de la contre-information » dans le cadre de la vaste entreprise d’ingénierie sociale qui se met en place présentement. Dans un contexte où le gouvernement français parle d’adopter des mesures extraordinaires – temporairement – on peut s’en inquiéter à juste titre. Malgré les vœux pieux de la classe politicienne, les flux de réfugiés prendront encore plus d’ampleur, alors que la circulation des simples citoyens fera l’objet de mesures de contrôle systématiques.

La nouvelle cible à l’ordre du jour c’est DAESH et les autres émanations de la constellation « islamiste ». Qu’il nous soit permis de mettre un bémol face aux assertions d’un Jacques Sapir qui affirmait, récemment, « qu’en décidant de décréter l’état d’urgence, le Président de la République a fait un acte de souverain. Il l’a fait en notre nom à tous, au nom du peuple français ». Nous croyons que le gouvernement Hollande profitera de l’état d’urgence pour faire régner une politique de la terreur et ainsi mettre au pas la grogne populaire et les mouvements de résistance qui menacent  l’« ordre républicain ». Les flux de migrants vont, peut-être, se tarir momentanément et les forces de l’ordre seront en mesure de sécuriser une partie du territoire français. Toutefois, cet état d’urgence permettra de museler toutes les voies qui s’opposaient, d’ordinaire, à la politique extérieur menée par la France depuis Sarkozy. La France n’aura d’autre choix que de se joindre aux forces coalisées derrière l’OTAN et la politique impérialiste pourra se poursuivre vaille que vaille.

Anonymus conforte la position d’impuissance du citoyen lambda en proposant d’agir à la place d’une classe politique qui est discréditée et qui n’a plus les moyens de ses ambitions. Chemin faisant, les mécanismes de l’ingénierie sociale en phase opératoire agissent comme de puissants adjuvants, alors que la joute politique ressemble à une pièce de théâtre. Nous assistons, impuissants et prostrés, à la destruction de nos habitus pérennes et à l’abolition définitive d’une part importante de cette liberté qui est l’apanage de notre civilisation moribonde. C’est le procès médiatique qui a pris le relais, alors que certains intérêts privés se sont appropriés l’entièreté du domaine public. Il ne nous reste plus que les rogatons de la politique sociétale pour nous divertir. En espérant pouvoir chasser cette angoisse qui paralyse notre conscience de citoyens dépossédés.

Patrice-Hans Perrier

Note

(*) Hannah Arenddt, in « Condition de l’homme moderne – THE HUMAN CONDITION. Éditeur Calmann-Lévy, Collection AGORA, Paris, 1961. ISBN : 2-86917-029-7.

vendredi, 20 novembre 2015

Lire (ou relire) Otto Weininger

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LIRE (OU RELIRE) OTTO WEININGER

par Francis Venant *

Ex: http://www.actionfrancaise.net

Parmi les grands Viennois que nous avons évoqués, nul sans doute ne fut plus original qu’Otto Weininger. Né en 1880 dans une famille juive, converti au protestantisme – d’une conversion sincère dans laquelle il entraîna les siens –, il se suicida à l’âge de 23 ans, dans la maison où Beethoven était mort, après une dépression dont le caractère fut sans doute plus métaphysique que psychique ou pathologique.

Un an auparavant, il avait publié un livre étonnant et fascinant, Sexe et caractère, que l’on peut juger aussi profond que contestable, « scientifiquement parlant » – ce qui ne le discrédite pas forcément ! –, lequel livre rencontra un succès considérable dans les pays germaniques et au-delà. (Mais pas en France, où il ne fut traduit qu’en 1975.) Otto Weininger devint, plusieurs décennies durant, une figure mythique, qu’auréolait bien sûr sa fin tragique – non exceptionnelle à Vienne en ces temps-là cependant… Pour autant, ce succès ne fut pas que de mode. A preuve : Karl Kraus, Ludwig Wittgenstein et Stefan Zweig f assistèrent à son enterrement, et l’on trouve une trace prolongée de la pensée de Weininger chez le second. Freud affirma également la profondeur de sa pensée. De nos jours, l’œuvre est devenue « infréquentable » en raison de l’hostilité qu’elle manifestait à l’encontre des femmes et des Juifs, et seuls quelques initiés (en général germanistes) ou esprits libres s’y intéressent encore. Il reste que nombre de ses formules demeurent extrêmes. Mais comment les entendre ? – là est toute la question.

La recherche de l’absolu

Deux traits caractérisent la philosophie de l’existence de Weininger. D’une part, une exigence absolue de « génialité », c’est-à-dire d’originalité dans la recherche et l’accomplissement de soi. D’autre part, la conviction que l’individu doit sacrifier résolument sa part sensuelle faisant obstacle à la prépondérance désirable de l’esprit. Ce schéma, moral, est à l’évidence sinon d’inspiration kantienne du moins conforme au modèle anthropologique de la Critique de la raison pratique. « Vérité, pureté, fidélité, sincérité à l’égard de soi-même : c’est là la seule éthique pensable » écrivait en outre Weininger. Au-delà de la dépression signalée, le suicide apparaît alors comme une conséquence nécessaire, ou plutôt comme un devoir pour un individu qui, pénétré de telles idées, parviendrait à la conviction qu’il ne saurait s’élever au génie ou réaliser la moralité en se débarrassant, notamment, de la sexualité. Le caractère « romantique » d’une telle suppression de soi, faute de parvenir à une vie digne et supérieure, ne manque évidemment pas de frapper. On peut être tenté de l’admirer… On s’étonne cependant qu’un chrétien ait pu concevoir une telle pensée ; et l’on se dit que l’atmosphère « décadente » qui présidait au vieil Empire devait y être pour quelque chose…

  Faits ou « types » ?

Otto-Weininger.jpgLa pensée de Weininger apparaît moins « problématique » si on ne l’appréhende pas comme une description tronquée ou déformée de la réalité, perçue à travers des préjugés « sexistes », mais comme constitutive de modèles ou de types « platoniciens » que cette réalité n’incarne que partiellement. Et c’est d’ailleurs ce qu’il déclare formellement : « La seule voie qui conduise à pouvoir étudier, dans sa réalité, toute opposition de sexe est la reconnaissance du fait que l’homme et la femme ne sont concevables que comme types, et que les hommes et les femmes réels, considérés dans tout ce que leur réalité a de déroutant et qui ne cessera de réalimenter toujours les mêmes controverses, ne sont qu’une composition de ces deux types. » Et pour ce qui est des Juifs, il écrivait : « Lorsque je parle du Juif, je ne veux pas parler d’un type d’homme particulier, mais de l’homme en général en tant qu’il participe de l’idée platonicienne de la judéité. » Ayons donc garde de voir dans la définition des principes masculin et du féminin une annonce de la « théorie du genre » visant à effacer leurs frontières… Loin d’être pour Weininger des créations de la seule culture, la « masculin » et le « féminin », même s’ils ne sont pas exclusifs dans un individu, se donnent bien pour des facteurs agissants et non dérivés ou illusoires. Et, sous ce premier rapport, la théorie weiningerienne se donnerait plutôt comme une antidote à ladite théorie… Il reste que la femme « empirique » étant toujours pour l’homme une tentation, sa rédemption – ou « émancipation » véritable – consisterait pour elle à renoncer à séduire… Et il y a là, sous ce second rapport, un vrai problème d’éducation, affirme Weininger : « Il faut enlever à la femme l’éducation de la femme et ENLEVER À LA MÈRE L’ÉDUCATION DE L’HUMANITÉ. Ce serait la première chose à faire pour mettre la femme au service de l’idée d’humanité, qu’elle a jusqu’ici plus que personne empêchée de se réaliser. » En effet, « le dernier moyen de toute pédagogie maternelle est de menacer la fille rebelle de ne pas trouver de mari. » Un programme dont Weininger note cependant qu’il n’a à peu près aucune chance de se réaliser, ce dont tout mâle non kantien aura tout lieu de se féliciter…

Francis Venant - L’Action Française 2867

* Francis Venant est rédacteur à L’Action Française.

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jeudi, 19 novembre 2015

Botsing der beschavingen, of doorgeslagen macho-universum?

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Door: Johan Sanctorum

Ex: http://www.doorbraak.be

Botsing der beschavingen, of doorgeslagen macho-universum?

Parijs, 13 november: mannen spelen hier de hoofdrol, aan beide kanten. - Proberen te denken voorbij de grenzen van het grote gelijk.

Parijs, lichtstad, bakermat van de Verlichtingsfilosofie en historisch centrum van de moderniteit: zin voor symboliek kan de terroristen van 13/11 niet ontzegd worden. Afgezien van de Franse betrokkenheid in Syrië en het feit dat hier een internationale voetbalmatch aan de gang was, staat Parijs voor alles waar het anti-Westerse ressentiment van walgt: vrijheid, openheid, leut, het ‘waw!’-gevoel, triomf van de verbeelding en de intellectuele durf. Door en door goddeloos-verdorven dus, het hedendaagse Gomorrha, samen met New-York, het decor van die andere legendarische slachtpartij op 11/9/2001.

Mondiale beweging tegen de moderniteit

Want laten we wel wezen: ‘ze’ haten ons, en ‘ze’, dat is ondertussen zowat heel het Zuidelijk halfrond. Waarom ze ons haten,- en ik volg hier de stelling van de Nederlandse antiterreurexpert Peter Knoope, is complex, maar het heeft te maken met ons tomeloze geloof in onze eigen culturele superioriteit, het Verlichtingsidealisme, het vooruitgangsdenken, en de ijdelheid waarmee we waarden als democratie, vrijemeningsuiting, rechtstaat en tutti quanti wereldwijd willen exporteren. Manu militari als het moet, zie de Golfoorlogen en al de rest.

Dat op zich is uiteraard dan weer verbonden met het aloude kolonialisme, de missionarishouding, en nadien de postkoloniale steun aan Westers-gezinde (en veelal tot in het merg corrupte) regimes genre Mobutu-Kabila. De overgang van oude tribale structuren naar staatsnationalisme is desastreus geweest voor heel het Afrikaans continent, en is tot op vandaag de oorzaak van spanningen en instabiliteit. We willen democratieën vestigen waar dictators regeren, mensenrechten afdwingen waar ze mankeren, maar we vergeten dat parlementaire democratie en mensenrechten Europese uitvindingen zijn, die meer bepaald rond 1800 het licht zagen in Parijs, of all places.

Men wil ginder gewoon niets meer weten van de principes die we zelf als universeel verklaarden. Het gaat dus om een planetaire cultuurstrijd, waarbij het terrorisme strategisch het meest aangewezen is voor een beweging die de Europese waarden van vrijheid en tolerantie in de kern wil treffen. Dat vaststellen is iets ingewikkelder dan roepen ‘Weg met de islam!’, maar met achterlijke strijdkreten komen we geen stap vooruit.

In die optiek is de islam maar een vehikel van het anti-modernistische en anti-Westerse ressentiment, dat in het Zuiden opgang maakt. Mag ik er overigens op wijzen dat wij die argwaan tegen de vooruitgang en heimwee naar de traditie ook kennen binnen onze cultuur: als ik sommige rechts-conservatieve denkers bezig hoor, lijken ze wel imams in maatpak.  In de limiet zou een consequente Vlaams-Belanger of een rechtsdraaiende NVA-er best kunnen leven met een soort sharia, zijnde een rigide rechtspraak gefundeerd op een traditionele maatschappijvisie waarin waarden als democratie, non-discriminatie van vrouwen en homo’s, scheiding van kerk en staat, en vrijemeningsuiting niét centraal staan. Vervang gewoon Allah door God en Mohammed door Jezus, en men komt al een heel eind in een synopsis tussen Islamfundamentalisme en Christelijk conservatisme.

Het is trouwens nog maar vrij recent dat extreem-rechts in Vlaanderen de Verlichting, de democratie, mensenrechten en de non-discriminatie inroept als argument tegen de Islam. Voorheen (ik spreek over het pre-9/11 tijdperk) waren ze tegen die ‘decadente’ Verlichtingsmoraal, hoorden vrouwen hun plaats te kennen en moesten homo’s zich niet teveel aanstellen.

Een voorliefde voor het katholiek onderwijs, tegen de seculariteit, tegen de culturele ontaarding, zelfs tegen de openbare omroep, ‘geïnfiltreerd door links-progressieve betweters’, hoorde daarbij. Denken we ook aan de standpunten tegen abortus, en zelfs het aanhangen van het creationisme bij bepaalde conservatief-Christelijke groepen.  En last but not least: Edmund Burke, de filosofische peetvader van N-VA-voorzitter Bart de Wever, was een fervente anti-Verlichtingsdenker en beschouwde de parlementaire deomocratie zowat als een duivelse uitvinding. Bien etonnés de se trouver ensemble…

Patriarchale jagerscultuur

Allemaal goed en wel, maar hoe moet het nu verder? Gaan we naar een grootscheepse escalatie, die onvermijdelijk zal kantelen in een mondiale Noord-Zuid-confrontatie? En zal de klimaatverandering, die Europa (o ironie, bakermat van de industriële revolutie die de CO2-uitstoot in gang zette) relatief ontziet en vooral Afrika zal teisteren, geen enorme volksverhuizing naar het Noordelijk halfrond op gang brengen die finaal zal overgaan in een gewelddadige overrompeling?

Hier moeten we, denk ik, nog iets meer achteruit gaan staan en het antropologische spiegeltje-aan-de-wand aanspreken: welke toekomst is er voor de mensheid nog weggelegd op deze aardkluit?

Herbekijk eens de TV-beelden van gisteren, vrijdag in Parijs: de terroristen, de politie, het leger, president Hollande, zelfs de voetballers en de supporters,- men zag vrijwel alleen maar mannen. Penissen, knuppels en schiettuigen, enkel de slachtoffers waren (ook) vrouwelijk. Dat is misschien geen toeval.

Het is voor elke antropoloog evident dat de traditionele mannelijke waarden, waar de anti-Westerse zeloten tussen Kaboel en Damascus zo aan hechten, eigenlijk de voortzetting vormen van een patriarchale jagerscultuur, gericht op het (gewelddadig) verspreiden van genen via oorlog, stammentwisten, roof. Dat is niet anders bij de stadsbendes in onze grootsteden en heel de allochtone subcultuur. Vrouwen zijn hier per definitie ‘object’, buit, trofee, zelfs betaalmiddel.

choc des civilisations, islam, occident, ocidentalisme, djihad, virilité, actualité, réflexions personnelles, De islam is daar een extreme exponent van, zie Boko Haram, maar ook het ‘blanke’, Europese vooruitgangsdenken van de pionier-ontdekkingsreiziger is mannelijk-imperialistisch. Neen, we huwen geen kindbruidjes (meer) uit, maar de onderliggende macho-cultuur is ook de onze. Poetin, Assad, maar ook Juncker of Verhofstadt of Michel, kampioenen van de democratie, zijn in hetzelfde bedje ziek: voluntaristische ego’s die’ willen ‘scoren’ en van erectie tot erectie evolueren. Altijd is er een doel, een schietschijf, een trofee.

Het is dus niet omdat wij vrouwenrechten en homorechten kennen, dat onze patriarchale cultuurwortels zijn verdwenen. Heel onze maatschappij, het wetenschappelijke denken, de politieke ratio, is doordrenkt van mannelijke beheersings- en controlelogica die altijd met geweld gepaard gaat. Hetzij structureel geweld, hetzij echt wapengekletter. Daarin verschillen we in niets van de IS-ideologie, we doen het alleen wat subtieler. Agenten schieten met rubberkogels op onhandelbare 14-jarige meisjes en voor de rest moet iedereen zich schikken naar de onleesbare 20.000 pagina’s van het Wetboek waar alleen nog de grootste juridische haarklievers hun weg in vinden.

Dus ja, onder het fatale Noord-Zuid-treffen dat zich vandaag ontrolt, flakkert een miniem vlammetje hoop van een zich herstellend matriarchaat, vrouwen die wereldwijd in opstand komen tegen de terreur van het patriarchale denken. Van links of rechts, Noord of Zuid, Oost of West. Fuck the fucking macho’s.

Sowieso heb ik moslima’s altijd al veel slimmer gevonden dan moslims, en wie weet ontstaat er, over alle religieus en ideologisch gekrakeel heen, een feministisch front waar geen enkele kalashnikov nog doorheen kan. Lysistrata, het fameuze toneelstuk van de Griekse kluchtschrijver Aristophanes, schemert hier uiteraard door: vrouwen van beide oorlogskampen organiseren gemeenschappelijk een seksstaking en krijgen de dappere ijzervreters op de knieën.

Dat is maar een metafoor voor een meer omvattende culturele revolutie die een nieuw mensbeeld oplevert, een nieuwe wereldorde, een andere verhouding met de natuur, en het besef dat we niet persé vooruit moeten hollen noch achteruit keren, maar gewoon in het hier en nu moeten leven. En met het inzicht dat alles terugkeert zoals de seizoenen en de maandstonden. Vrouwelijk-cyclische tijdrekening, niet gericht op het hiernamaals.

Een oorlog dus, jawel, maar niet helemaal zoals IS en het Westen het zich voorstellen. En wat is een martelaar-terrorist zonder zijn 77 maagden in het paradijs? Inderdaad…

Johan Sanctorum is filosoof, publicist, blogger en Doorbraak-columnist.

dimanche, 15 novembre 2015

André Glucksman: du maoïsme à l’humanitaire

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André Glucksman: du maoïsme à l’humanitaire

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Les hommages à cet ex-nouveau philosophe mort mercredi affluent de toutes parts. Comme presque tous les hommages, ils sont vides et creux avec cette différence qu’ils ont une étrange résonance lorsqu’on connaît l’histoire des intellectuels parisiens issus de mai 68. Étrange, en effet, parce que l’itinéraire d’André Glucksman interpelle et que, dans les commentaires que j’ai lus ou entendus, je n’ai constaté aucune interrogation, aucun étonnement.

Il est vrai que la mort, aujourd’hui est devenue une grande blanchisseuse qui lisse tout ce qui a été dit et fait par un homme. Il suffit de mourir pour être sanctifié. On en vient à regretter les procès en canonisation avec longue récolte d’informations puis analyses et débats. Au moins, dans l’Église catholique, ce n’est pas parce que quelqu’un meurt qu’il est un saint. Aujourd’hui, dans notre bienheureuse laïcité avec Vincent Peillon comme saint patron, il suffit de mourir pour connaître une assomption jusqu’au plus haut des cieux et recevoir post-mortem les hommages de François Hollande ou d’Angela Merkel.

J’ai une fois demandé à des admirateurs d’un écrivain mort s’ils avaient quelque critique à lui adresser. On m’a jeté un regard noir. Pour eux je crachais dans la soupe ou tirais sur l’ambulance. Soit on porte un homme aux nues soit on le pousse dans les enfers. Quand un homme meurt, comme Glucksman, il est tout de suite béatifié sans procès, à moins que, comme cela est arrivé à tant d’intellectuels de valeur, il ne soit rejeté dans des ténèbres extérieures, sans procès non plus.

Un être qui a vécu, pris position, s’est défendu dans livres et article, comme l’a fait André Glucksman, mérite mieux que cela. Il mérite qu’on s’interroge sur son parcours, et qu’on tente de répondre aux questions qu’il soulève. C’est la meilleure manière de lui rendre hommage. Or le parcours de Glucksman soulève une grave question : du maoïsme, il a passé à l’humanitaire, mais pas seulement. Il est devenu atlantiste, a soutenu l’intervention américaine en Irak et même Nicolas Sarkozy en 2007. Cela aurait dû faire obstacle à sa béatification par les intellectuels parisiens, mais non ! Il est mort, on le lisse !

gluck1,204,203,200_.jpgGlucksman a été l’assistant de Raymond Aron et après est devenu maoïste. Pour moi qui ai été élève d’Aron, il y a là quelque chose d’incompréhensible, parce que j’appelle Aron  aujourd’hui, avec tendresse et admiration, mon caisson de décontamination. Il m’a permis de sortir des délires révolutionnaires ou messianiques dans lesquels je m’étais égaré. Eh bien, il semble que sur Glucksman, Aron a eu l’effet inverse puisque c’est après avoir été son assistant qu’il est entré dans le plus fanatique des mouvements du vingtième siècle, le maoïsme. Il n’est pas possible qu’Aron, modèle de douceur et d’intelligence critique, ait fait de lui le « disciple » d’un monstre comme Mao devant qui Gengis Khan et Attila sont des enfants de cœur. Comment Glucksman (si sensible à la misère humaine après sa période maoïste) a-t-il pu s’associer à un mouvement qui glorifiait l’un des plus grands tueurs de l’histoire ? Il ne s’agit pas de l’accabler mais de s’interroger sur cette métamorphose. Ce qui me frappe est que ni lui, ni ses amis, dont plusieurs ont été  impliqués dans le maoïsme, ne s’interrogent là-dessus. Ils se contentent de dire que Soljenitsyne leur a ouvert les yeux sur le totalitarisme. Tant mieux, mais c’est court.

Comment passe-t-on, comme Glucksman, de l’adoration d’un régime totalitaire, comme l’a été le maoïsme, à l’humanitaire ? Cette question reste sans réponse chez les intellectuels parisiens qui tournent en rond dans leurs concepts. Pour comprendre le totalitarisme, il faut sortir des concepts et voir que le totalitarisme n’est pas une dictature. Il ne tombe pas du ciel comme un météore. L’oppression totalitaire ne vient pas de l’extérieur mais sait rendre les hommes complices ou collabos de ce qui les opprime.

De ce régime abominable, Alain Besançon dit qu’il est une « bête nouvelle ». Pour lui, l’Église n’a pas su voir cette bête. Les intellectuels parisiens non plus. Pourquoi cette bête est-elle nouvelle ?

Au corps politique, elle inocule un virus aussi inattendu que le sida. Les lignes entre bourreaux et victimes deviennent floues, les premiers se retrouvant à la place des seconds ou inversement, comme sur une bande de Moebius où le recto devient verso sans qu’on s’en rende compte. Quel est le ressort secret de ce mécanisme satanique ?

Il est que le totalitarisme sait tourner à son profit  notre plus profonde aspiration, celle qui nous fait nous élancer vers ce que les chrétiens appellent le « royaume ». Il explique aux futurs bourreaux et victimes qu’il va, avec leur concours, les amener au paradis. Tous les hommes aspirent au paradis (rebaptisé société sans classe sur les fonts baptismaux de la révolution). Cette aspiration est si forte qu’elle peut conduire au sacrifice, à l’immolation de soi. Pour comprendre ces choses, il faut quitter le paradigme libéral dans lequel on ne peut pas imaginer d’autre moteur aux actions humaines que le désir d’améliorer son bien-être,  sa qualité de vie. Le totalitarisme ne s’appuie pas là-dessus mais sur l’aspiration à un autre monde. En d’autres termes, il s’appuie sur ce qu’il y a de plus sacré en l’homme pour progresser. Par-là, il est infiniment pervers.

Voilà ce que Glucksman n’a pas compris et que n’a pas non plus compris la grande majorité des intellectuels aujourd’hui. Pas étonnant puisque, pour comprendre, il faut entrer dans le domaine du religieux ou du sacré, domaine dans lequel les esprits éclairés, laïques, émancipés, ne veulent pas entrer ou ont peur d’entrer.

Dans ce domaine, André Glucksman n’est pas non plus entré. Significativement il a glissé brutalement du rêve d’une révolution mondiale à l’humanitaire. C’est par là qu’il est retombé dans le paradigme de la modernité pour lequel seuls comptent les besoins, terrestres. Peut-être pas, pour lui, la qualité de la vie, mais en tout cas la survie à tout prix. Quand on a perdu ses rêves révolutionnaires, seule reste la misère du monde et l’engagement pour la faire diminuer. On passe du rêve d’un homme nouveau à la guérison du malheur des hommes par le biais des droits de l’homme ou l’aide au développement. Rony Braumann, ancien maoïste et ancien président de Médecins sans frontières a  connu le même parcours. Ce désir de sauver les hommes paraît noble, mais on peut se demander, avec Benoît XVI, s’il n’a pas des effets désastreux. Pour ce pape, en effet, les droits de l’homme et l’aide au développement, en voulant changer en pain les pierres de la misère ou de l’injustice, ont finalement donné des pierres à la place du pain.

Il doit y avoir un lien entre le maoïsme (le fanatisme révolutionnaire) et l’humanitaire, mais lequel ?  Tout ce que je trouve est que l’un et l’autre proviennent du désir de changer ou sauver le monde. C’est peut-être à ce désir qu’il faut renoncer pour faire un peu de bien, comme Mère Theresa. André Glucksman, lui, n’y a pas renoncé.

Jan Marejko, 12 novembre 2015

samedi, 14 novembre 2015

Dorian Astor: «Du point de vue de Nietzsche, nous n’en avons pas fini d’être modernes»

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Dorian Astor: «Du point de vue de Nietzsche, nous n’en avons pas fini d’être modernes»

Dorian Astor est philosophe, ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé d’allemand, il a publié chez Gallimard une biographie sur Nietzsche (2011). Dans Nietzsche, la détresse du présent (2014), il interroge le rapport qu’entretient l’auteur de Par-delà bien et mal avec la modernité politique et philosophique.

PHILITT : Vous considérez que la philosophie naît en temps de détresse. Quelle est cette détresse qui a fait naître la philosophie (si l’on date son apparition au Ve av. J.-C. avec Socrate) ?

Dorian Astor : Je ne dis pas exactement que la philosophie naît en temps de détresse, dans le sens où une époque historique particulièrement dramatique expliquerait son apparition. Je dis qu’il y a toujours, à l’origine d’une philosophie ou d’un problème philosophique, un motif qui peut être reconnu comme un motif de détresse. Deleuze disait qu’un concept est de l’ordre du cri, qu’il y a toujours un cri fondamental au fond d’un concept (Aristote : « Il faut bien s’arrêter ! » ; Leibniz : « Il faut bien que tout ait une raison ! », etc.). Dans le cas de Socrate, on sent bien que son motif de détresse, c’est une sorte de propension de ses concitoyens à dire tout et son contraire et à vouloir toujours avoir raison. Son cri serait quelque chose comme : « On ne peut pas dire n’importe quoi ! » C’est alors le règne des sophistes, mais aussi du caractère procédurier des Athéniens. C’est ce qui explique que Platon articule si fondamentalement la justice à la vérité. Or l’absence de justice et la toute-puissance de la seule persuasion ou de la simple image dans l’établissement de la vérité, voilà un vrai motif de détresse, que l’on retrouvera par exemple dans le jugement sévère que porte Platon sur la démocratie.

Je crois que chaque philosophe est mû par une détresse propre, qu’il s’agit de déceler pour comprendre le problème qu’il pose. Il est vrai que dans de nombreux cas, en effet, la détresse d’un philosophe rejoint celle d’une époque, c’est souvent une détresse de nature politique : Leibniz, par exemple, est obsédé par l’ordre : les luttes confessionnelles et le manque d’unité politique le rendent fou, c’est pourquoi il passe son temps à chercher des solutions à tout ce désordre, à réintroduire de l’harmonie. Pour Sartre, ce sera la question, à cause de la guerre et de la collaboration, de l’engagement et de la trahison. Il y aurait mille autres exemples.

Dans mon livre sur Nietzsche, j’essaie de montrer que l’un de ses motifs fondamentaux de détresse est le présent (un autre motif serait le non-sens de la souffrance, cri par excellence, mais c’est une autre affaire). Le présent, non seulement au sens de l’époque qui lui est contemporaine, mais en un sens absolu : le pur présent, coincé entre le poids du passé et l’incertitude de l’avenir, jusqu’à l’asphyxie. Des notions comme celles d’ « inactualité », de « philosophie de l’avenir » ou même d’« éternel retour » et de « grande politique », etc., sont autant de tentatives pour répondre à et de cette détresse du présent. L’un des grands cris de Nietzsche sera héraclitéen : « Il n’y a que du devenir ! » Heidegger a parfaitement senti cette dimension du cri dans la philosophie de Nietzsche. Or, c’est un cri parce que cette « vérité » est mortelle, on peut périr de cette « vérité ». Nietzsche s’efforce d’inventer des conditions nouvelles de pensée qui permettraient au contraire de vivre de cette « vérité » : ce sont les figures de l’« esprit libre », du « philosophe-médecin » et même du « surhumain ». Tous ces guillemets appartiennent de plein droit aux concepts de Nietzsche : c’est le moyen le plus simple qu’il ait trouvé pour continuer à écrire alors qu’il se méfiait radicalement du langage, de son irréductible tendance à l’hypostase, c’est-à-dire de son incapacité à saisir le devenir.

Selon vous, Nietzsche a quelque chose à nous dire aujourd’hui. Est-ce parce que nous traversons une crise généralisée ou bien parce que nous sommes les lecteurs de l’an 2000 qu’il espérait tant ?

Il y a eu un léger malentendu sur la démarche que j’adopte dans mon livre — et que l’on retrouve jusque sur sa quatrième de couverture, dans une petite phrase que je n’ai pu faire supprimer : « ses vrais lecteurs, c’est nous désormais ». Non, nous ne sommes pas aujourd’hui les lecteurs privilégiés de Nietzsche. Si c’était le cas, il n’y aurait d’ailleurs pas besoin de continuer à publier des livres sur lui pour essayer d’« encaisser » ce qu’il nous lance à la face. Lorsqu’on voit le portrait que dresse Nietzsche de son lecteur parfait, par exemple dans Ecce Homo[1], on se dit qu’on est vraiment loin du compte… Je fais simplement l’hypothèse que, sous certaines conditions, le diagnostic qu’établit Nietzsche à propos de la modernité, de l’homme moderne et des « idées modernes », comme il dit, nous concerne encore directement : je crois, pour paraphraser Habermas dans un autre contexte, que la modernité est un projet inachevé[2]. Nous sommes très loin d’en avoir fini avec les sollicitations de Nietzsche à exercer une critique profonde de nos manières de vivre et de penser. En ce sens, nous sommes toujours des « modernes » et la notion fourre-tout de « postmodernité » ne règle pas le problème. Sans doute est-on d’ailleurs autorisé à formuler cette hypothèse par la temporalité propre à la critique généalogique nietzschéenne, qui est celle du temps long. « Que sont donc quelques milliers d’années[3] ! » s’exclamait-il. Que sont 150 ans, après tout ? Bien évidemment, il ne s’agit pas de dire que rien n’a changé depuis l’époque de Nietzsche, ou même que rien ne change jamais, ce qui serait parfaitement ridicule ; mais de sentir que, du point de vue de Nietzsche, nous n’en avons pas fini d’être modernes : dans notre rapport à la science, à la morale, à la politique, etc. De toute façon, Nietzsche a un usage très extensif de la notion de moderne : on le voit, dans sa critique, remonter l’air de rien de siècles en siècles jusqu’à Socrate, voire jusqu’à l’apparition du langage ! — comme si le problème était en fait l’« homme » en tant que tel, ce qu’il répète d’ailleurs souvent.

Mais revenons à cette notion de « crise généralisée » de l’époque actuelle. Que la situation ne soit pas bonne, c’est évident. Mais je crois avec Nietzsche que nous n’avons pas non plus le privilège de la détresse. Permettez-moi de citer un peu longuement un fragment de 1880 : « Une époque de transition c’est ainsi que tout le monde appelle notre époque, et tout le monde a raison. Mais non dans le sens où ce terme conviendrait mieux à notre époque qu’à n’importe quelle autre. Où que nous prenions pied dans l’histoire, partout nous rencontrons la fermentation, les concepts anciens en lutte avec les nouveaux, et des hommes doués d’une intuition subtile que l’on appelait autrefois prophètes mais qui se contentaient de ressentir et de voir ce qui se passait en eux, le savaient et s’en effrayaient d’ordinaire beaucoup. Si cela continue ainsi, tout va tomber en morceaux, et le monde devra périr. Mais il n’a pas péri, dans la forêt les vieux fûts se sont brisés mais une nouvelle forêt a toujours repoussé : à chaque époque il y eut un monde en décomposition et un monde en devenir.[4] »

Ce seul texte, parmi beaucoup d’autres, permet d’affirmer que Nietzsche n’est pas un décadentiste, alors même qu’à partir de 1883, il fait un usage abondant du terme de « décadence » (en français, de surcroît). Par le simple fait que sa pensée est étrangère à toute téléologie historique, il ne peut souscrire au décadentisme ou à ce qu’on appelle plus volontiers aujourd’hui le « déclinisme ». C’est qu’en réalité, on voit ressurgir de manière récurrente les mêmes dangers à diverses époques : la « décadence » est avant tout, pour Nietzsche, un phénomène d’affaiblissement psychophysiologique, dont la détresse est l’un des signes ou symptômes. Or cela peut arriver n’importe quand et arrive à toutes les époques. Les variations de puissance, les alternances de santé et de morbidité, suivent des cycles, ou plus précisément des « mouvements inverses simultanés », plutôt qu’un vecteur unidirectionnel.

Alors on peut critiquer ou rejeter chez Nietzsche les couples de notions tels que santé et maladie, force et faiblesse, vie ascendante et vie déclinante ; mais si l’on décide par méthode de les appliquer à la situation actuelle, nous risquons d’en arriver à un diagnostic aussi édifiant qu’effrayant… En tout cas, il est fort probable que nous soyons en pleine détresse ou, pour le dire en termes nietzschéens, victimes de chaos pulsionnels que nous sommes incapables de hiérarchiser — autre définition de la « maladie ».

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Pour Antoine Compagnon, les antimodernes sont les plus modernes des modernes. Nietzsche est-il, en ce sens, un antimoderne ?

Nietzsche écrit souvent « Nous autres, modernes », il sait parfaitement qu’il est un moderne, fût-ce sous la forme de l’antimodernisme, qui, en effet, comme dit Compagnon, a quelque chose de plus-que-moderne ; on pourrait jouer à dire « moderne, trop moderne », sur le modèle d’Humain, trop humain. Nietzsche est moderne en ce sens qu’il a le sentiment d’arriver à un moment décisif où il faudra préparer un autre avenir que celui auquel semblent nous condamner le poids du passé et la détresse du présent. Comme je le soulignais à l’instant, le présent est pour Nietzsche un problème très inquiétant, et chaque fois que cette inquiétude s’exprime, c’est une inquiétude de moderne. Je pense à la définition minimale que Martuccelli donne de la modernité : « L’interrogation sur le temps actuel et la société contemporaine est le plus petit dénominateur commun de la modernité. Elle est toujours un mode de relation, empli d’inquiétude, face à l’actualité ; c’est dire à quel point elle est indissociable d’un questionnement de nature historique[5] ». Ce qui est antimoderne, dans l’inquiétude moderne de Nietzsche, c’est sa lutte acharnée contre l’optimisme, le progressisme, l’eudémonisme, la Révolution, la démocratie, etc. Mais attention : sa position « anti-Lumières » – pour reprendre le titre de l’ouvrage de Sternhell[6], à mon sens plus important que celui de Compagnon – est très ambiguë. On ne comprend pas, par exemple, sa haine de Rousseau si on ne l’articule pas à sa critique impitoyable du romantisme, qui fut précisément un vaste mouvement anti-Lumières. Sa proximité avec les Lumières, certes très conflictuelle, quasiment sous la forme d’un double bind, ne se limite pas, comme on le répète souvent, à la période dite intermédiaire, celle d’Humain, trop humain. L’anti-romantisme de Nietzsche est un élément essentiel si l’on veut discuter équitablement de la dimension « réactionnaire » de son œuvre.

Vous consacrez de nombreuses pages au rapport que les antimodernes entretiennent avec la modernité. Cependant, vous ne faites pas la distinction entre antimoderne et inactuel. Doit-on faire la différence ?

Si je ne la fais pas dans mon livre, alors c’est qu’elle y manque ! Parce que ce n’est effectivement pas la même chose. En réalité, je crois avoir essayé de faire cette distinction, sans doute pas assez explicitement. Mais je ne peux y avoir échappé pour la simple raison que Nietzsche est tiraillé entre ces deux positions, c’est ce que j’appelle la « bâtardise de l’inactuel ». D’un côté, la lutte (anti)moderne contre le temps présent : « agir contre le temps, donc sur le temps, et, espérons-le, au bénéfice d’un temps à venir[7] », écrit Nietzsche ; de l’autre une lutte contre le temps au sens absolu, c’est-à-dire au bénéfice d’une certaine forme d’éternité. Bien avant l’hypothèse de l’Éternel Retour, Nietzsche cherche à inscrire ou réinscrire de l’éternité dans le temps qui passe. En d’autres termes : s’arracher à l’Histoire pour s’élever au Devenir, ou y plonger. Parce que c’est le Devenir qui est éternel. L’Histoire ressortit au régime de la production et du développement, le Devenir à celui de la création et du hasard. C’est sans doute la part deleuzienne de ma lecture de Nietzsche : la distinction profonde entre l’Histoire et le Devenir, entre le fait et l’événement, entre le progrès et le nouveau…  Je crois que c’est l’antimodernité qui le fait polémiquer avec son époque, mais que c’est son inactualité qui l’élève à une intuition de l’éternité. Toutefois, ces deux démarches sont coextensives, c’est pourquoi il n’emploie qu’un seul terme : « unzeitgemäss » signifiant « qui n’est pas conforme à l’époque », mais aussi, en quelque sorte, « qui est incommensurable avec le temps ».

Peut-on dire, à l’inverse de l’impératif rimbaldien qui invite à être « résolument moderne », que la pensée de Nietzsche coïncide plutôt avec la phrase de Roland Barthes : « Tout d’un coup, il m’est devenu indifférent de ne pas être moderne » ?

L’alternative que vous formulez est une autre manière d’exprimer la différence entre l’antimodernité et l’inactualité dont nous venons de parler, et donc d’exprimer la tension prodigieuse, chez Nietzsche, entre la « résolution » et l’« indifférence ». On pourrait la formuler encore autrement : c’est la tension qu’il y a entre la vita activa et la vita contemplativa, entre la préparation de l’avenir et le désir d’éternité. Puisqu’on parlait d’inactualité, il faut dire que, si Nietzsche a beaucoup changé entre les Considérations inactuelles (1873-1876) et la partie de Crépuscule des idoles intitulée « Incursions d’un inactuel » (1888), la tension demeure toutefois entre la descente du lutteur dans l’arène de l’époque et le retrait du contemplatif dans la montagne. Zarathoustra lui aussi monte et descend plusieurs fois. Il y a un fragment posthume fascinant de l’époque du Gai Savoir où Nietzsche se propose de pratiquer, à titre expérimental, une « philosophie de l’indifférence[8] » (qui d’ailleurs doit préparer psychologiquement à la contemplation de l’Éternel Retour). Cette indifférence du sage, c’est ce qu’il admire chez les stoïciens et les épicuriens ; et lorsqu’il les accable au contraire, c’est en vertu de la nécessité de l’action et de la responsabilité du philosophe de l’avenir. Alors oui, il y a quelque chose de rimbaldien chez Nietzsche, surtout dans sa volonté de « se rendre voyant », d’« arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens » : c’est au fond un peu ce que prescrit le § 48 du Gai Savoir qui a inspiré le titre de mon ouvrage : le remède contre la détresse, c’est la détresse. Et sans doute y a-t-il aussi chez lui quelque chose de… barthésien : une aversion pour ce qui vous récupère et vous englue, pour le définitif et l’excès de sérieux ; un plaisir du provisoire, de l’aléatoire, de la nuance. En ce sens, Nietzsche comme Barthes sont baudelairiens — et modernes : ils ont bel et bien l’intuition qu’il y a de l’éternel dans l’éphémère.

astorhhhh.jpgEnfin, qu’est-ce qui différencie un « nietzschéen de gauche » et un « nietzschéen de droite » dans leur vision du monde moderne ?

Ah ! La question est un piège, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, permettez-moi de m’arrêter un instant sur le terme de « nietzschéen », qui est en lui-même problématique. Si l’on veut seulement dire : spécialiste de Nietzsche, ça a le mérite du raccourci, mais ça ne va pas très loin, et on sent bien que l’adjectif est toujours surdéterminé. Être adepte, disciple, héritier de Nietzsche ? Vivre selon une éthique nietzschéenne ? Bien malin qui peut y prétendre – mais ceux qui font les malins ne manquent pas… Ce qui peut être nietzschéen, c’est, dans nos meilleurs moments, une certaine manière de poser certaines questions, une certaine affinité avec certains types de problèmes ; c’est emprunter une voie sur laquelle on pourra peut-être dire beaucoup de choses nouvelles, mais une voie qui reste ouverte par Nietzsche. C’est évidemment la même chose pour les platoniciens, les spinozistes, les hégéliens, etc. Je crois par ailleurs que le plus intéressant, c’est de savoir avec quelle famille de philosophes on a senti une parenté ou conclu des alliances. Mais ce sont certains aspects, certains réflexes ou instincts qui peuvent être nietzschéens en nous, non pas l’individu tout entier — et heureusement !  Pour mon propre compte, j’ai été assez clair sur ce que j’entends par mon affinité nietzschéenne : c’est simplement le fait que, malgré tout ce qui reste difficile, opaque, voire inaudible ou inacceptable à la lecture de Nietzsche, je continue inlassablement à le lire et à travailler patiemment, parce que j’en ai besoin — en deux sens : je m’en sers et j’aurais du mal à vivre sans. Ce besoin, qui est au fond une affaire strictement personnelle ou, disons, idiosyncrasique, n’est pas une conclusion de mon travail, c’est une prémisse que vient confirmer ou relancer chaque acquis de ce travail. Mais le but de mon travail en revanche, c’est de franchir (et de faire franchir) des seuils ; d’essayer de montrer qu’en un certain point de blocage ou d’intolérabilité, on peut trouver dans l’œuvre même de Nietzsche de quoi débloquer le passage et augmenter le seuil de tolérance ; expliquer et comprendre, pour le dire vite.

Une fois dit ce que j’entends par nietzschéen, il faudrait définir ce qu’on entend en général par la gauche ou la droite, dont les définitions elles-mêmes sont « en crise » aujourd’hui : vous imaginez bien que je ne me lancerai pas dans cet exercice redoutable ! Mais là encore, je ne crois pas qu’un individu tout entier soit de gauche ou de droite, mais que certains aspects, certains réflexes ou instincts peuvent l’être, et qu’ils s’expriment alternativement ou simultanément. Ce serait trop simple ! En tout cas, je crois que, plus on travaille sur Nietzsche, moins les expressions « nietzschéen de droite » et « nietzschéen de gauche » ont de sens. Toutefois, il y a une histoire de la réception de Nietzsche où elles deviennent historiquement pertinentes, bien qu’ambiguës. Je ne peux pas développer ici cette vaste question, qui obligerait à balayer trop grossièrement un siècle et demi de réception. Je n’indiquerai brièvement que deux pôles extrêmes : d’un côté la récupération bien connue et très rapide de Nietzsche par l’extrême-droite puis le fascisme ; de l’autre, l’émergence d’un Nietzsche « post-structuraliste », dans les années soixante-dix, marqué par ce qu’on appelle aujourd’hui, souvent avec un mépris odieux, la « pensée 68 ». Ce nietzschéisme « de gauche » est lui-même ambigu, lorsqu’on voit les critiques adressées à de prodigieux penseurs profondément influencés par Nietzsche, comme Deleuze et Foucault dont certains se demandent s’ils n’ont pas finalement ouvert la voie à un relativisme néo-conservateur – c’est par exemple la position d’Habermas –, à un ultralibéralisme débridé ou tout simplement à une dangereuse dépolitisation de la philosophie — et si vous me demandiez à présent de parler d’Onfray, je ne vous répondrais pas, cela me fatigue d’avance.

Mais revenons à mon idée que droite et gauche ne permettent pas d’aborder Nietzsche avec pertinence. Avant toute chose, il faut être honnête : il y a évidemment un noyau dur qui interdira toujours de rallier Nietzsche à une pensée de gauche — c’est son inégalitarisme profond et son concept fondamental de « hiérarchie ». Le problème n’en demeure pas moins que, si l’on décide de rallier Nietzsche à la droite ou à la gauche, on trouvera toujours de quoi prélever dans ses textes ce dont on a besoin, mais on sera tout aussi sûrement confronté à des éléments absolument inconciliables avec nos convictions ou inappropriables par elles. Ou, à un plus haut niveau d’exigence, on trouvera chez Nietzsche des éléments fondamentaux propres à critiquer très sérieusement certains présupposés idéologiques de la droite comme de la gauche.

Pourquoi nous heurtons-nous toujours à l’impossibilité de fixer Nietzsche d’un côté ou de l’autre ? Ce constat dépasse largement le seul domaine des idéologies politiques. J’essaie de montrer dans mon livre la manière dont Nietzsche ne cesse de renvoyer dos-à-dos, ou de faire jouer l’un contre l’autre, les pôles de systèmes binaires ou les termes de relations biunivoques — pratique très consciente et très maîtrisée que l’on appelle communément les « contradictions » de Nietzsche, et que je nommerais plutôt l’usage du paradoxe, en référence à la définition qu’en donne Deleuze[9]: un ébranlement multidirectionnel initié par un élément rebelle dans un ensemble pré-stabilisé d’identifications univoques — en d’autres termes, des attaques de l’intérieur contre l’alliance du bon sens et du sens commun. Ce caractère multidirectionnel signifie notamment la mobilité des points de vue, leur multiplication autour du phénomène considéré, la nécessité de saisir la multiplicité de ses faces et volte-face pour déjouer le « bon sens » à sens unique du jugement commun (doxa) et l’hypostasie congénitale du langage — C’est ce qu’on entend généralement par le perspectivisme de Nietzsche.

Prenons l’exemple de son rapport très complexe au libéralisme, en son sens classique, qui fait l’objet d’une assez longue analyse dans mon livre. Nietzsche écrit, que « les institutions libérales cessent d’être libérales dès qu’elles sont acquises […] Ces mêmes institutions produisent de tout autres effets aussi longtemps que l’on se bat pour les imposer; alors, elles font puissamment progresser la liberté[10]. » Vous avez là une proposition qui, à la limite, pourrait inspirer aussi bien la gauche révolutionnaire que la droite ultralibérale ! C’est que tout se joue dans la reconfiguration profonde des concepts de puissance et de liberté, de leur exercice et de leur articulation alors même qu’ils sont des processus en devenir et jamais une quantité stable ou une qualité inconditionnée. Alors, pour répondre à votre question : peut-être un « nietzschéen de gauche » insistera-t-il sur les puissances d’émancipation, c’est-à-dire sur la résistance ; et un « nietzschéen de droite », sur l’émancipation des puissances, c’est-à-dire sur l’affirmation. Cela sous-entendrait que l’affect fondamental de la gauche soit un refus des situations intolérables, et l’affect fondamental de la droite, un acquiescement aux choses comme elles vont. Je n’en sais rien, ce que je dis est peut-être idiot. De toute façon, cela ne nous mène pas très loin, car résistance et affirmation sont chez Nietzsche des processus indissociables, comme le sont la destruction des idoles et l’amor fati, ou même le surhumain comme idéal d’affranchissement et l’éternel retour comme loi d’airain. Voilà des injonctions paradoxales ! Mais les meilleurs lecteurs ne séparent jamais les deux, et travaillent au cœur du paradoxe. On parle beaucoup du grand acquiescement nietzschéen à l’existence, et avec raison. Mais il ne faut jamais oublier que le oui n’a aucun sens sans le non, toute une économie des oui et des non, des tenir-à-distance et des laisser-venir-à-soi, comme dit Nietzsche. Toute une micropolitique qui déjoue nos grandes convictions et oblige à des pratiques expérimentales de l’existence, y compris politiques. C’est que Nietzsche, comme tout grand philosophe, se méfie des opinions, et encore davantage des convictions, dans lesquelles il reconnaît toujours un fond de fanatisme. Lui-même rappelle quelque part qu’il n’est pas assez borné pour un système — pas même pour le sien.

[1]  « Pourquoi j’écris de si bons livres », § 3
[2]  Cf. Jürgen Habermas, « La Modernité : un projet inachevé », in Critique, 1981, t. XXXVII, n° 413, p. 958

[3]  Deuxième Considération inactuelle, § 8
[4]  FP 4 [212], été 1880
[5]  Sociologies de la modernité, Gallimard, 1999, p.9-10
[6] Zeev Sternhell, Les Anti-Lumières : Une tradition du XVIIIe siècle à la Guerre froide, Fayard, 2006 ; Gallimard (édition revue et augmentée), 2010.
[7] Deuxième Considération inactuelle, Préface
[8] FP 11 [141], printemps-automne 1881
[9] Différence et répétition, PUF, 1968, p.289 sq., et Logique du sens, Éditions de Minuit, 1969, p.92 sq.
[10] Crépuscule des idoles, « Incursions d’un inactuel », § 38

vendredi, 13 novembre 2015

Chantal Delsol: l'âge du renoncement

L’âge du renoncement

Chantal Delsol aux éditions du Cerf

Ex: http://metamag.fr
Lage-du-renoncement.gifLe renoncement, on le comprend vite, concerne en fait un ensemble de paradigmes, dont l’auteur constate que, dans nos sociétés, ils ne sont plus opérants (constate, et non souhaite) et ont fait place à d’autres. A l’âge de la foi succéderait ainsi celui de la sagesse, mais il s’agit en fait d’un retour à ce qui a précédé l’ère judéo chrétienne.

Cette sagesse est portée par une conception du temps circulaire, et non plus fléchée, et par un ensemble de mythes aux contours flous, qui ont la force opérante de la vérité qu’ils ont remplacée. La quête de la vérité, constate l’auteur, n’est d’ailleurs absolument plus l’affaire de nos contemporains, dont le moteur du bien-vivre est l’utile.
 
Le temps de la chrétienté n’est plus, nous dit Chantal Delsol d’entrée de jeu et «quand un monde culturel se dérobe, toujours ses fils et ses adeptes ont l’impression qu’il ne pourra être remplacé que par le chaos» (p. 7). A ceux de ses lecteurs qui se sentent ainsi cernés par des menaces nihilistes et relativistes, l’auteur explique que le nihilisme n’aura été qu’une brève adolescence, entre l’âge de la vérité et celui de la sagesse.
 
Elle nous montre que la recherche de la vérité qui caractérise la civilisation chrétienne, et même, sous une forme différente, les Lumières, et les totalitarismes du XXe siècle, n’est en réalité qu’une parenthèse dans l’histoire des civilisations. « Le fanatisme de la raison a profané non pas seulement la Raison comme vérité mais l’idée même de vérité » (p. 70), et les Occidentaux d’aujourd’hui, comme les sages des civilisations antiques préchrétiennes ou comme ceux des cultures asiatiques de tout temps, n’aspireraient plus qu’à vivre en fonction de quelques mythes jugés fondateurs.

Ces mythes sont intouchables, mais néanmoins variables, et l’on ne cherche pas à savoir s’ils sont vrais mais s’ils permettent de vivre bien. De nombreux exemples viennent étayer cette thèse et l’on est saisi par la pertinence de l’analyse que nous offre l’auteur et par l’extrême rigueur de sa démonstration.

Tant de choses qui nous révoltent par leur incohérence acquièrent soudain une logique et l’on comprend pourquoi l’enseignement de l’histoire est aujourd’hui scandaleusement partisan et sélectif, pourquoi l’on condamne les massacres du nazisme en refusant résolument d’évoquer ceux du communisme, pourquoi les droits de l’homme sont et restent sacrés alors qu’ils ont radicalement changé en cinquante ans.

On prend définitivement la mesure du fait que  «la pensée post métaphysique, dotée d’une morale flottante, conserve peu ou prou les formes fanatiques de l’ancienne pensée, sans en avancer pour autant les atouts de certitude» (p. 97).

Le chapitre intitulé  «Consensus, l’autre de la démocratie », est tout bonnement éblouissant, notamment du fait de la description de la «gouvernance» de la communauté européenne, qui sous le «manteau débonnaire et consensuel» de l’analyse technique agit en véritable «despote éclairé» (p. 215) imposant à tous son idéologie dissimulée.

L’immense qualité de cet essai est de mettre de mettre des mots sur ce que l’on ressent confusément, et de nous offrir à la fois une description limpide de ce que vit aujourd’hui notre société mais aussi la vision lucide de ce vers quoi elle tend. Le ton de l’ouvrage semble étrangement serein mais il vrai qu’il n’est pas besoin de pousser des cris hystériques pour prendre la mesure des bouleversements radicaux que connaissent nos modes de vie et de pensée.

chantal_delsol_petite_s_d_seances21.03.11_01.jpgChantal Delsol ne cherche pas à nous indiquer quel est son positionnement sur l’échelle qui va du pessimisme à l’optimisme ; son propos est de décrire et constater, et non de se réjouir ou de déplorer. Et l’on sait combien cette lucidité est importante pour ne pas s’indigner stérilement, ni se lancer dans des combats désordonnés.

De son catholicisme l’auteur n’a jamais fait mystère, mais il n’en est pas question dans cet ouvrage. Elle précise bien d’ailleurs que, dans son livre, elle ne s’interroge pas sur le devenir des chrétiens, mais sur celui des sociétés. Il est important de bien garder à l’esprit que l’auteur ici ne se veut pas théologienne, notamment lorsque l’on s’interroge sur la vision de la nature humaine qu’elle nous offre, qui apparaît parfois bien loin de l’homme image de Dieu créé pour chercher la vérité.

On peut bien sûr se demander si Chantal Delsol a «renoncé», si elle se résigne sereinement à vivre dans l’âge de la sagesse. Il nous semble plus important de chercher à connaître quels sont nos propres renoncements et de nous demander ce que nous pouvons faire des lumières qu’elle nous offre, en commençant par laisser longtemps résonner en nous les dernières phrases de son ouvrage. «On a envie de comprendre avec indulgence les sociétés fatiguées par les excès de la vérité. Pourtant, les fous de la vérité sont peut-être les dépositaires d’une autre âme du monde, dont ils veillent la lueur captive» (p. 295).

Chantal Delsol, L'Âge du renoncement, Ed. du Cerf, Collection La Nuit surveillée, 304 pages, 22€

 

Basculement à droite ou changement de paradigme?

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Basculement à droite ou changement de paradigme?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Les récentes votations qui ont vu l’UDC remporter une victoire ont conduit pratiquement tous les journalistes à parler d’un basculement à droite. Il s’agit de bien plus que cela.

En 1572 Tycho Brahé était le meilleur astronome de son temps. Il connaissait parfaitement la position des étoiles et planètes. Sortant dans la rue après un dîner bien arrosé, il lève le nez vers le ciel étoilé et voit un point lumineux là où il ne devrait pas y en avoir. Il se dit qu’il est saoul. Il demande à des passants si, eux aussi, voient ce point lumineux. Ils répondent oui. Il se dit qu’eux aussi sont saouls. Pour lui, Aristote avait dit une fois pour toutes qu’il ne pouvait y avoir mort ou naissance dans les cieux. Il ne pouvait donc y avoir une nouvelle planète ou étoile. Tycho Brahé comprendra plus tard qu’il a effectivement vu un nouveau corps céleste (une nova) mais des dizaines d’années s’écouleront avant que l’Europe savante accepte que quelque chose puisse naître et mourir dans le ciel  (la nova s’éteindra après 18 mois). L’image aristotélicienne du cosmos fera place à une nouvelle image dans laquelle naissance et mort des corps célestes étaient concevables. Un nouveau paradigme était né.

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Cette histoire nous enseigne qu’il est très difficile de voir ce que nous voyons. Tycho Brahé a failli ne pas voir la nova qu’il avait vue. De même en politique, il est très difficile de voir du nouveau. Nous sommes habités par un paradigme qui nous empêche de voir ce que nous voyons et de ce paradigme, nous n’avons guère conscience. Nous croyons voir ce qui est, mais en réalité notre perception du monde naturel ou politique est déterminée par le paradigme qui nous habite.

Je soutiens que la victoire de l’UDC n’est pas un basculement de gauche à droite, tout comme la montée de partis de droite, populistes, ou conservateurs partout en Europe. La « victoire » de la « droite » annonce un changement de paradigme qui est en train de rendre obsolète la distinction entre gauche et droite.

Mon sentiment que la distinction entre gauche et droite est obsolète me semble assez largement partagé. Je constate aussi une lassitude croissante devant le discours de la presse et des médias, entièrement fondé sur cette distinction. Il y a plus encore : le paradigme désuet qui gouverne les esprits  n’est pas seulement la division droite/gauche mais aussi et plus profondément celui de l’émancipation. Selon ce paradigme, tout mouvement visant à nous « libérer » des liens qui nous rattachent à la terre ou à une communauté est quelque chose de positif. On veut entrer dans un nuage situé au-dessus de la terre et de l’histoire.

Eh bien ce dogme est aujourd’hui mis en question ! Les gens ne veulent plus vivre dans un nuage, hors sol. Ils sentent que la communauté qui les entoure, ça compte ! L’arrivée en masse de migrants met cela en évidence. Hier encore, l’ouverture tous azimuts était une norme contraignante. Aujourd’hui, les hommes regardent leurs voisins, leur ville ou leur village. Pour eux, il ne s’agit plus de s’élancer vers l’avenir radieux d’une communauté universelle,  mais de prendre soin de leur lopin de terre et de leur culture propre. Ce n’est pas une fermeture, comme la gauche nous le répète chaque jour, mais juste le contraire, une attention à ce qui nous entoure. Pendant des décennies, cette attention a été considérée comme un péché par les très hautes instances politico-médiatiques qui nous gouvernent avec leur discours sirupeux sur l’ouverture à l’autre et, cerise sur le gâteau, la libération du désir. C’est à ce point que nous avons quelque chance de découvrir du nouveau.

Les psychanalystes ont toujours souligné, à raison de mon point de vue, que notre désir ne peut être satisfait comme nos besoins. Un steak apaise ma faim, mais le corps d’un amant ou d’une amante  ne peut me satisfaire comme un steak. Pour parler comme Buñuel, l’objet du désir reste obscur. Il nous pousse sans cesse vers de nouveaux horizons. Souvent les amants s’utilisent l’un l’autre pour toucher à l’infini que leur amour leur a fait goûter. Comme disait Lacan, le désir court après un objet qu’il n’atteindra jamais. Pour faire simple, disons que je vise l’infini lorsque je désire. Par conséquent, dans un monde fini, mon désir est frustré. Mais comme je reste un être désirant, je ne peux renoncer à cet obscur infini qui me hante. Que faire ?

Cette question est terrible dans un monde complètement laïcisé. L’athéisme me dit que le monde est fini – mon désir veut l’infini, quelque chose qui n’est pas ici-bas. Encore une fois, que faire ? La réponse de la modernité a été de construire un avenir où quelque chose arrivera qui satisfera mon désir. On l’aura deviné, ce quelque chose, c’est la Révolution, c’est-à-dire un événement qui me libérera de toutes mes attaches terrestres et permettra à mon désir de ne plus se sentir étranger sur la terre. Le paradigme de la modernité,  c’est ça, une culture faisant croire que l’infini du désir sera satisfait dans un avenir radieux, dans le temps de l’histoire. La modernité a construit un futur qui nous fait croire qu’un jour nous découvrirons, sous les pavés d’un quotidien qui étouffe notre désir, une plage. La puissance de cette construction idéologique est énorme car pour elle il n’y a pas que la Révolution. Pour mesurer cette puissance, il suffit de regarder ces plages du Sud où barbotent des millions de touristes. On dira qu’entre une plage et la Révolution, il n’y a pas photo ! Si ! Courir ou marcher sur la plage est un rituel qui permet de goûter par anticipation aux futurs délices de la Révolution. L’infini de l’horizon et le bercement rythmé des vagues nous font croire qu’un jour le cosmos nous bercera. Et c’est le progrès, ce miroir aux alouettes, qui nous fait croire que ce jour est proche.

L’attente de lendemains qui chante est au fondement du paradigme de la modernité. Cette attente est partout, à gauche, à droite. Elle est nourrie par une énorme infrastructure idéologique et économique : industrie du tourisme, industrie pharmaceutique et médicale qui corrige les défaillances dans cette attente, matraquage publicitaire qui fait quotidiennement miroiter des barbotages sur les plages qui n’ont duré que quelques jours.

L’énergie des êtres humains, dans le paradigme de la modernité, est tout entière tendue vers un futur où nous serons « libérés ». Cette tension a pour effet de nous faire négliger la chair de notre quotidien et de notre environnement. La montée de la droite, en Europe et aux États-Unis, signale que cette tension vers une assomption du désir dans l’espace fantasmé d’une grande libération est en train de se relâcher. Au lieu de regarder hystériquement vers l’avenir nous commençons à accueillir notre passé, nos traditions. Nous prêtons davantage d’attention à ce qui nous entoure, à la beauté du monde telle qu’elle se donne à nous et non comme le résultat de divers processus, darwiniens ou non.

Le paradigme de la modernité est donc en train de se fissurer. Pour le meilleur ou pour le pire ! Pour le meilleur si la sortie de ce paradigme se fait en douceur, démocratiquement. Pour le pire si se dégager de toutes les infrastructures qui nous enserrent pour nous conduire à un avenir radieux provoque la violence de guerres civiles ou internationales. Prier pour que ce ne soit pas cette dernière alternative qui se réalise n’est pas interdit.

Jan Marejko, 10 novembre 2015

jeudi, 12 novembre 2015

Ludwig Klages and the Biocentric View of Life

Ludwig Klages and the Biocentric View of Life

Joakim Andersen

Ex: http://www.righton.net

Klages2.jpgKlages puts Life in the centre, but he also identifies an anti-Life force that gradually infiltrated the world and took it over.

Ludwig Klages (1872–1956) was one of the most interesting thinkers of the twentieth century. He was also one of the most complex. Klages was a philosopher, a psychologist, and a leading graphologist. Together with Alfred Schuler and Karl Wolfskehl, he formed the ‘Cosmic Circle’ in Munich. The Circle consisted of the milieu around the poet Stefan George, but it did not fully adhere to George’s patriarchal worldview.

Klages was a productive and original thinker. Among other things, he was the father of the term ‘id’ which was later to be picked up by Sigmund Freud. Klages also coined the term logocentrist, which today is a term used in certain types of feminist theories. He gave his psychological school the name characterology, and wrote several classics on graphology.

Klages was a man of paradox. In his writings he was an anti-Semite, yet he spent several years editing the works of his Jewish-Hungarian colleague, the natural philosopher Melchior Palagyi, after he had passed away. Klages was not very popular in the Third Reich, but neither did he renounce his theories about Judaism even after the Second World War, either. Recently, Jürgen Habermas stated that there is much of value in Klages, given that he was such an original and interesting thinker. But his unique perspective is now largely forgotten. It is therefore of great value that Arktos Media has published two books consisting of excerpts from his writings, translated by Joseph D Pryce (Pryce has also written a valuable introduction to both collections). This present review focuses on the first of them, The Biocentric Worldview.

The Biocentric Worldview

‘Wild boar, ibex, fox, pine marten, weasel, duck and otter — all animals with which the legends dear to our memory are intimately intertwined — are shrinking in numbers, where, that is, they have not already become extinct…’
— Klages, 1913

What I appreciate the most in Klages’ thought is his so-called biocentric worldview. Klages claims that the distinction between ‘idealism’ and ‘materialism’ is rather irrelevant. In its place he describes a deeper, less well-known historical conflict. Klages puts Life in the centre, but he also identifies an anti-Life force that gradually infiltrated the world and took it over. Klages uses the German terms Seele and Geist, usually translated as Spirit and Mind. There is an intimate connection between Life and Spirit, but Mind is connected to abstractions, like ‘sin’, ‘will to power’, and similar concepts. Klages illuminates the difference:

‘Just as the philosopher of spirit considers everything that denies spirit to be a “sin”, the philosopher of life regards that which denies life to be an offense… no one speaks of a sin against a tree, but men have certainly spoken in the past — and even today many still speak — of an offense against a tree.’

Among these expressions of anti-Life he mentions moralism, Judaism, and Christianity, as well as capitalism and militarism. Nietzsche’s ‘will to power’ also risks becoming a part of the anti-Life forces and an unhealthy obsession. Klages develops a useful deep ecological perspective, related to and complementing Naess, Abbey, and Linkola. He also describes how ‘progress’ has hurt the world. In the essay ‘Man and Earth’, Klages describes how animals and plants became extinct, but also how folk cultures and authentic human emotions are pushed aside. Klages was an anti-colonialist, and discusses how both species of animals and human cultures are extinguished. In their place everything, is homogenised, and the vampire that is Geist spreads over the world. Thus Klages connects the threat against biological diversity with the threat against cultural.

‘Modern man´s conscious striving for power far surpasses that of any previous epoch… in the service of human needs, the ever-increasing mechanization has brought about the desecration of the natural world.’
— Klages

These essays are also interesting from the perspective of the history and philosophy of science. Klages analyses both psychoanalysis and Socrates, among many other things. He criticises concepts like ‘progress’ and utopianism as being hostile to Life. His perspective places primary value on Spirit and Life, and on the non-conscious and the qualitative. One does well to compare Klages with Guénon’s The Reign of Quantity and the Signs of the Times, along with Heidegger and Alexander Jacob’s De Naturae Natura.

klagesSX336_BO1,204,203,200_.jpgKlages and Romanticism

‘Man should look upon the harvested fruits of the unconscious as an unexpected windfall bestowed by Heaven above.’
— Goethe

Among Klages’ own sources we find Nietzsche and the pre-Socratic philosophers. We also find the German Romantics and Goethe. Among the Romantics, Klages focuses on the now largely forgotten Carl Gustav Carus. He demonstrates that German Romanticism has permanent value.

In one’s own life, Klages is of value in showing that too much Geist leads to a worse and less authentic life. When the process has gone too far, one loses the ability to perceive the beauty of a forest, and instead only sees it as something merely quantifiable: as a bunch of timber. Likewise, the Romantics and Klages are also of use in politics. They show that the tendency towards hyper-politicisation and ideological thinking are among the enemies of Life. Family, nature, emotions, beauty, folk culture — they are all threatened by too much Geist. When Karlheinz Weissmann identifies the living as the leitmotiv of conservatism, or when Heinrich von Leo described his mission as protecting the ‘God-given, real life, in its development following its inner forces’, they are clearly related to Klages. Conservatism, defined as taking care of the living, not only animals and plants but also such ‘organisms’ as cultures, can also be biocentric.

When it comes to the philosophy of science, Carus, Goethe, and Klages are also of great use, given their focus on the whole rather than on the parts of things, on the sub- or non-conscious, and on reality and life above the prevailing focus on the mechanical and quantifiable. Klages quotes Carus:

‘…the key to an understanding of conscious thought resides in the realm of the unconscious.’

The Biocentric Worldview is thus of great value due to its deep ecological qualities as well as Klages’ original conception of history. Klages’ description of the rise and vampire-like spread of Geist has much in common with Nietzsche’s description of how ressentiment and slave morality takes over the world. (However, some aspects of Nietzsche are also dangerously close to the vampire.)

Klages is not a determinist. He does not rule out that Spirit and Life may be defended against Mind. He also reminds us that the goal of a Spirit-oriented science is to understand, rather than to reduce and manipulate. His role models are thus heroes, poets, and gods. The anthology is highly recommended.

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About The Author

Joakim Andersen is regarded as 'the grand old man' of the Swedish New Right, and was one of the founders of the famous Scandinavian think-tank Motpol. His ideological background is Marxist, but he has since moved on to what he regards as more interesting sources of inspiration such as Julius Evola, Alain de Benoist, and Georges Dumézil. His writing focuses primarily on issues pertaining to intellectual history.

mercredi, 11 novembre 2015

Chantal Delsol: Autour de "Populisme"

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Entretien avec Chantal Delsol:

Autour de "Populisme"

par Samuel Auzanneau

Ex: http://www.actu-philosophia.com

Actu Philosophia : Dans votre ouvrage Le Souci contemporain [1], vous montrez que la leçon d’Aristote, qui voyait l’homme comme un animal politique et la politique elle-même comme une figure de l’existence, n’a pas été retenue, car une des tendances de la modernité est, selon vous, de souhaiter supprimer la politique. Bien plus, les deux siècles précédents ont vu se développer une volonté de supprimer la morale, l’antinomie du bien et du mal. Quelles furent les conséquences de ces choix, et sont-elles encore visibles aujourd’hui ?

Chantal Delsol : Il s’est produit ce qu’on appelle le paradoxe des conséquences. Essayez de supprimer la politique, elle revient sous une forme terrifiante, et de même pour la morale. Dites (chez les Soviets) que vous vous passez de l’État, et vous terminez avec l’État le plus oppressif qu’on n’ait jamais vu. C’est que les expressions de notre condition (ce que Freund appelait les essences) ont besoin d’être reconnues pour pouvoir être circonscrites, surveillées, cantonnées, et éviter les perversions. Si on fait comme si elles n’existaient pas, elles ne cessent pas d’exister, mais au contraire elles s’exacerbent et deviennent odieuses. Aujourd’hui il n’est plus question de supprimer la morale, elle constitue plutôt la seule catégorie indiscutable. On pourrait plutôt dire que tout est moral, y compris la politique. Le manichéisme qui règne sur le plan international en est un exemple frappant : le fait que les politiques prétendent combattre le Mal, alors que la politique ne doit rigoureusement combattre que l’adversité, si en tout cas elle veut demeurer dans son ordre. La justice internationale exprime de façon caractéristique cet appel d’un ordre moral mondial remplaçant la politique.

AP : Quand les Grecs parlaient de vie bonne, l’homme contemporain semble obsédé par le bien-être, et la recherche d’un bonheur immédiat et somme toute éphémère. La pensée des Grecs, et particulièrement d’Aristote, est à ce titre sans doute un recours. Quelle place tient celle-ci, dans votre œuvre ?

CD : Une place essentielle. La pensée grecque représente la véritable armature de notre culture, qui sera reprise, approfondie et sublimée par le christianisme. Il est très troublant de voir tous les aspects anthropologiques ou moraux du christianisme qui ont été pensés en avant-première par la pensée grecque, sans qu’on puisse repérer le lieu d’influence. Pour prendre un seul exemple, l’idée spécifiquement judéo-chrétienne de dignité de la personne se trouve déjà dans l’Oedipe à Colone de Sophocle.

AP : Dans L’Age du renoncement [2] , vous écrivez que la culture chrétienne fait l’objet d’un rejet en Europe, après 2000 ans d’histoire ; et qu’en la rejetant, nous en repoussons aussi tous ses fruits séculiers. Quels sont ces fruits selon vous, et ce rejet est-il inéluctable ? N’y a-t-il pas un grand danger à refuser l’irrationalité du monde ? Pourquoi est-elle aujourd’hui si vilipendée, au profit d’une raison toute-puissante ?

CD. : Ce n’est pas l’irrationalité du monde que nous refusons aujourd’hui, c’est au contraire la rationalité… La raison toute-puissante domine la modernité, c’est à dire la période qui s’étend jusqu’à la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui nous sommes dans la post-modernité, qui d’une certaine façon poursuit la modernité et d’une autre façon la contredit – et c’est le cas en ce qui concerne la raison. En rejetant la chrétienté nous délégitimons ses fruits qui sont : la conscience et la liberté personnelles, donc la démocratie et généralement l’État de droit ; l’idée de vérité donc d’universalité ; la vision fléchée du temps donc l’espérance et le progrès. J’ai essayé de montrer dans ce livre que ces trois caractéristiques sont en train de tomber en désuétude.

AP. : La désaffection de l’homme contemporain pour la religion vient-elle seulement de sa peur du fanatisme ou peut-elle aussi s’expliquer par une organisation interne de l’Église, un peu obsolète ?

CD. : Certainement les deux. Il faut remarquer que certaines religions, comme l’évangélisme, sont en pleine progression. L’évangélisme est une religion déstructurée, ce qui peut expliquer qu’elle réponde aux deux inquiétudes légitimes de l’homme contemporain : la crainte du fanatisme et la volonté de répondre aux exigences modernes. En ce qui concerne le catholicisme, je ne me battrai pas là-dessus parce que je trouve qu’il y a des choses plus importantes, mais je pense que l’exclusion des femmes de tout ce qui est essentiel (les sacrements), représente un handicap de plus en plus important, qui pourrait assurer dans les siècles à venir la victoire complète du protestantisme.

AP. : Vous expliquez que la promotion de l’individu déraciné, hors de son espace et de son temps est un trait caractéristique de la modernité. L’homme peut-il se libérer de toute appartenance, de toute croyance, de toute coutume ?

CD. : Il ne peut pas, ces appartenances sont son tissu même, la fibre dont il est fait, il n’est rien sans elles, c’est à travers elles qu’il se façonne comme sujet. C’est la grande illusion de l’époque présente, de croire que nous pourrions devenir seulement des citoyens du monde, seulement des hybrides asexués, et, comme le disent quelques philosophes égarés, seulement des habitants des lagers, c’est à dire des nomades absolus… Privés d’appartenances, nous ne deviendrions pas plus libres, mais si vides et si assoiffés de connivence que nous serions désormais ouverts à n’importe quelle criminelle appartenance (on sait que les adhésions totalitaires naissent sur le terreau du nihilisme).

AP. : L’un des traits les plus évidents de la modernité est cette propension à nier le tragique de l’existence humaine, et à oublier ce fait qu’il est de toute façon impossible d’anéantir le Mal dans le monde. Quelles sont, à votre sens, les raisons de ces dénis aux lourdes conséquences anthropologiques ?

CD. : Cette propension à vouloir carrément sortir de notre condition, est l’aspect faustien de la culture occidentale. Il faut noter que cela n’arrive qu’ici. Pourquoi ? Parce que nous sommes structurés dans ce que j’ai appelé l’irrévérence, en raison du temps fléché (toutes les autres civilisations ont un temps circulaire) : il nous faut sans cesse nous dépasser. D’où la science, la technique etc. Mais la volonté de se dépasser doit être limitée par une réflexion anthropologique. Quand la culture religieuse qui inspirait cette réflexion n’existe plus, alors tout devient possible. C’est le totalitarisme communiste au XX° siècle, c’est le discours post-humaniste d’aujourd’hui.

AP. : Nous assistons à une technicisation de la politique, conséquence de la fin des grands récits et de la crainte ressentie par l’homme contemporain à l’endroit des conceptions du monde. Cette aseptisation de la politique, ce contrôle politiquement correct des opinions et des certitudes explique-t-elle l’émergence actuelle d’une forme d’ « américanisation » des débats, et de l’usage du droit ?

CD. : Oui l’usage du droit peut ressortir à une technicisation excessive. On peut dire qu’aujourd’hui Kelsen l’emporte sur Schmitt. Nous voudrions que tout soit encadré et nous avons peur de la décision personnelle, en raison de la responsabilité inhérente et de l’arbitraire possible. Nous cherchons à réduire la politique au droit. D’où la justice internationale, qui en vient à décréter le droit ou le non-droit de la guerre (en réalité la guerre ne peut provenir que d’une décision, parce qu’elle relève de la situation exceptionnelle – et heureusement). D’où la technocratie européenne, système de gouvernement sans décision (non pas « un tel décide » mais « ça décide »). D’où les lois dites sociétales, qui érigent les limites à partir desquelles on peut tuer ou laisser mourir, déchargeant ainsi la conscience de son poids.

AP. : Quel est selon vous le rôle des partis politiques, aujourd’hui ? Faut-il, au regard de la crise institutionnelle qui semble être la nôtre, et comme le préconisait Simone Weil dans un petit opuscule de 1940 intitulé Note sur la suppression générale des partis politiques, se débarrasser de ceux-ci, ou faut-il simplement y voir un simple élucubration, comme le pensait Raymond

CD. : Oui, il faut y voir selon moi l’élucubration d’un esprit très doué et très jeune, mais cette fois-ci incohérent. La démocratie moderne ne peut pas se passer de partis politiques, lesquels sont sa condition d’existence puisqu’ils garantissent l’expression de la diversité des opinions. En réalité je pense que Simone Weil, qui était tout à fait platonicienne, n’aimait pas la démocratie. Si elle avait vécu plus longtemps, il aurait été intéressant de voir comment elle allait résoudre ce conflit entre l’amour pour la liberté et la méfiance envers la démocratie.

AP. : Dans un monde qui sacralise les droits : droits-libertés ou droits de... ; droits-créances ou droit à... ; y a-t-il encore une place pour l’action, la grandeur, le héros ?

CD. : Beaucoup moins, et c’est logique, de toutes façons la grandeur est devenue détestable parce que nous avons souffert toutes ses perversions. Nous souhaitons nous en débarrasser. « Malheur au pays qui a besoin de héros » (Brecht).

AP. : Y a-t-il, pour vous, des limites à poser à la tolérance ?

CD. : Une société qui tolérerait tout, permettrait tous les crimes. C’est impossible. Mais je suppose que vous parlez de la liberté d’expression. Je pense que les démocraties doivent tolérer légalement la plus complète liberté d’expression, mais que celle-ci a des limites morales – les dessinateurs de Charlie qui caricaturent Mahomet sont des ordures, non pas parce qu’ils provoquent les partisans du Djihad, mais parce que c’est honteux de se moquer de ce qui est sacré pour tant de gens. Cela dit, il est tout à fait hypocrite de prétendre que chez nous la liberté d’expression est totale. On a le droit de caricaturer Mahomet mais pas le mariage gay. On encense Sade parce qu’il fait l’éloge du crime sans le mettre à exécution, mais en même temps on diabolise Céline en disant que faire l’éloge du crime c’est déjà le mettre à exécution. Autrement dit, nous prétendons tout accepter, mais nous avons nos têtes de turc comme ailleurs.

AP. : Dans l’un de vos tous derniers ouvrages, Les pierres d’angle. A quoi tenons-nous ? [3] qui constitue un prolongement des réflexions entamées dans L’Age du renoncement, vous regrettez les conséquences déshumanisantes de ce que vous appelez « la saison des Lumières ». C’est une critique que l’on retrouve à de nombreuses reprises dans toute votre œuvre. Est-ce à dire que vous vous situez dans le sillage de certains auteurs contre-révolutionnaires, tel Edmund Burke ? Penseur libéral, mais aussi traditionnel, ne réduisant pas son libéralisme à l’idéologie moderne de l’individu tout-puissant, Burke est aussi, comme vous, un aristotélicien. A-t-il fait partie de vos influences ?

CD. : Oui, je suis disciple de cette pensée libérale du XIX° qui reconnaît les bienfaits des Lumières tout en critiquant les excès révolutionnaires ou les perversions des Lumières : Tocqueville, Burke, Stuart Mill, Taine etc. Mais je ne me sens aucune affinité avec les penseurs contre-révolutionnaires traditionalistes et anti-démocrates comme de Maistre ou Bonald. Je déteste le despotisme éclairé ou soi-disant éclairé.

AP. : L’homme contemporain, expliquez-vous, dans Le Souci contemporain, est « prisonnier de sa finitude », dont il s’échappe en « parcellisant la durée de son existence ». Il vit donc de « morts successives ; car il a intégré la précarité de chaque projet ». Il s’ensuit qu’il méprise la mort, et que toute irruption de la catastrophe le laisse pétrifié. N’avons-nous pas eu la preuve, avec les attentats contre Charlie Hebdo en janvier dernier et la grande manifestation populaire qui en découla, qu’a surgi la violence dans un monde qui tant absolument à la nier ?

CD. : [Nous avons vu la brusque irruption du tragique dans une société qui croit facilement en la disparition définitive des guerres, des épidémies et de la misère en général. La réaction du Je suis Charlie a eu pour une part cette signification : on a manifesté contre l’orage, c’est à dire contre des phénomènes naturels qu’on croyait dans notre démiurgie avoir évincés pour toujours. Je connais une famille où les jeunes on pleuré pendant des jours après cet attentat, exprimant la véritable disparition d’un monde : le monde sans tragique…

AP. : Vous écrivez que nous avons renoncé à toute forme de vérité, que nous ne sommes plus capables de nous battre pour elle. Obsédé par la paix et le consensus, nous sommes pourtant dans cette culture du politiquement correct en face d’interlocuteurs qui refusent la contradiction. A votre sens cette culture du consensus mou prend sa forme la plus éclatante dans la gouvernance européenne, que vous n’hésitez pas à qualifier de « gouvernement technocratique. » Or, vous êtes fédéraliste. Quel est donc ce fédéralisme que l’UE a à ce point manqué dans sa construction pour le moins ratée, et qu’en est-il de la place des États-nations ? N’est-il pas vrai, comme l’explique Pierre Manent dans La Raison des nations [4] , que l’État-nation souverain est la version européenne de l’ « empire démocratique », qu’il est le lieu nécessaire de l’unité d’un peuple ?

CD. : Les Français ont tendance à comprendre le fédéralisme à l’envers, parce qu’ils ignorent tout à fait ce que c’est – ils sont centralisateurs et jacobins de façon génétique. Pensez que le grand auteur du fédéralisme, Althusius, auteur allemand du XVII° siècle, n’a pas encore été traduit en français… Je crois pour ma part que l’Europe n’aurait pu vivre de façon harmonieuse que par le fédéralisme, qui aurait consisté à appliquer réellement le principe de subsidiarité : ne laisser à Bruxelles que le strict régalien. Or nous avons fait tout le contraire. Pour prendre des exemples, l’Europe ne pourrait vivre que si les gouvernants européens ont les moyens de lever une armée commune pour aller au Kosovo, et si les gouvernements nationaux s’occupent de la culture et de la taille des cages à poules – tandis que Bruxelles s’occupe des cages à poules et ne peut lever une armée commune, ce qui fait qu’on doit dans les cas graves appeler les Américains. Le fédéralisme (dans son acception normale et non dans l’acception fantasmée et fausse que s’en font les Français) signifie qu’il y a plusieurs centres de souveraineté. Les Français comprennent la souveraineté à la façon de Bodin : une et absolue ; tandis que pour le fédéralisme, elle est plusieurs, partagée et morcelée.

AP. : Vous êtes une philosophe libérale. Or, en France, le libéralisme subit, à notre sens, une telle caricature, qu’il est presque impossible de trouver un homme politique s’en réclamant. Ce courant de pensée est constamment assimilé à l’hubris de grandes firmes, et l’on voit constamment fleurir, même chez les philosophes les plus intéressants à gauche (Michéa, Dufour, etc.), le qualificatif « ultra-libéral », non pour désigner cet hubris, mais pour signifier que dans la philosophie libérale elle-même est contenu le germe de la société de consommation dans laquelle nous sommes. Pour eux, sortir du « libéralisme » est un devoir, une nécessité, afin de ne pas transformer le citoyen en simple consommateur. Est-ce à dire que le prisme avec lequel la plupart des philosophes français voient le monde est encore presque exclusivement marxiste, étatiste et jacobin ?

CD. : Oui on a eu raison de dire que le dernier léniniste sera un Français… Ce qui explique qu’ici le libéralisme soit constamment compris dans son extrême, afin d’être décrédibilisé. Je crois qu’il faut limiter et contrôler le libéralisme afin que ce ne soit pas la jungle. Mais être anti-libéral c’est appeler de ses vœux quelque chose comme une soviétisation. Et je crois que beaucoup de Français en sont là. Ce qu’ils aimeraient, c’est vivre dans un pays comme l’Union Soviétique (où tous ont un travail minable et peu payé avec très peu de contraintes, où tous sont logés/eau/gaz/électricité aux frais de l’Etat). Un de mes amis dit que beaucoup de Français ne se sont jamais remis d’avoir raté la prise de pouvoir par le Parti Communiste en 47, et je crois qu’il a raison…

AP. : Dans votre récent ouvrage consacré à une analyse du populisme [5], vous expliquez que l’idéologie de l’émancipation qui est née des Lumières refuse à toute velléité de défense de l’enracinement la qualité d’opinion. Précisons qu’il ne s’agit en rien pour vous de défendre les idées populistes à tout prix et dans leur totalité, mais de souligner que la post-modernité appelle à un arasement définitif des particularismes, au mépris de ce qu’est, dans ses fondements, la condition humaine... Comment analyser le populisme ? Est-il un brusque retour, violent mais prévisible, d’une fuite générale du sens ?

CD. : Il traduit un emballement de l’idéologie émancipatrice qui, parce qu’elle n’a pas pu se mettre en place par le moyen du totalitarisme léniniste, tente à présent de se réaliser par le consensus mou et la pression ironique (c’est le thème de mon prochain livre). Pour mettre en place une idéologie, il faut évincer la démocratie, et ici c’est ce que l’on fait de façon douce, non pas en interdisant les élections, mais en excluant par l’injure les partis qui ne vont pas dans le bon sens.

AP. : Peur du peuple, peur de la réaction, peur de la remise en cause des rentes (au sens où l’entendait Pareto), peur de l’élitisme, peur de la souveraineté, peur de l’autorité, peur de l’avis des autres que l’on transforme en maladie psychiatrique (la chasse aux -phobes, disait Philippe Muray) : comment peut-on définir cette morale-là ? D’abord, peut-on baser une réflexion d’ordre moral sur des peurs et une défiance à l’endroit de tout ce qui n’est pas calibré par ce qu’il est convenu d’appeler une forme « totalitaire » de rejet de l’opinion des autres ?

CD. : Je n’emploierais pas le mot totalitaire, même entre guillemets, parce que le malheur des sujets des totalitarismes était trop grand pour être comparé (nous n’avons pas de terreur ici). Il y a néanmoins aujourd’hui une tentative d’exclure les courants de pensée qui ne vont pas dans le sens de l’idéologie émancipatrice – prenez les réformes dites sociétales et regardez comment on traite ceux qui les récusent : d’attardés, de pauvres types, de salauds, bref de gens qui n’ont pas une opinion différente mais une maladie mentale ou des pensées criminelles. Les totalitarismes envoyaient les opposants au lager ou à l’hôpital psychiatrique. Nous empêchons que quiconque leur parle (il suffit de voir, exemple récent, les hurlements des journalistes quand ils ont subodoré qu’un élu de l’UMP avait déjeuné avec un élu du FN…) Tocqueville avait prédit cela.

AP. : Vous avez écrit quatre romans. Quelle est l’importance de la littérature dans votre œuvre ? Quel lien, s’il y en a un, faite-vous entre votre œuvre philosophique et vos œuvres littéraires ?

CD. : Il est difficile de vous répondre. J’aime écrire et les romans sont pour moi une sorte de récréation, l’expression du monde imaginaire. Si je n’avais pas pu être enseignante, j’aurais aimé être écrivain public. Le monde des romans est artistique et quête le beau, tandis que le monde de la philosophie quête le vrai. Ce sont deux parts de ma vie. Bien sûr il y a des ponts.

AP. : Vous écrivez avec un style clair, même si vos ouvrages sont denses et exigeants. Beaucoup de philosophes, issus de certains courants de pensée, se plaisent à jargonner, comme si densité et technicité ne suffisaient pas. Comme s’il y avait une forme de snobisme à mépriser la langue claire et distincte. Il est particulièrement frappant de voir à quel point Descartes par exemple, est un grand écrivain. On peut aussi citer Bergson ou les philosophes spiritualistes (Lavelle, Marcel, Blondel,...). Leurs styles sont clairs et ne sombrent pas dans un chaos conceptuel permanent. D’où vous vient le style de votre écriture philosophique ?

CD. : Cela vient de ce que je suis d’abord une mère de famille, quelqu’un qui a toujours passé une grande partie de son temps à s’occuper des lessives, des courses, de la couture, des menus, et à éduquer des enfants puisque j’en ai eu six avec un mari tout à fait absent, et ces occupations sont simples, concrètes, directes et sans snobisme. On ne triche pas avec les enfants, on ne jargonne pas, on ne complique pas la vie. Mon travail philosophique, pour lequel j’ai eu beaucoup moins de temps que mes collègues, est un miroir de ma vie.

AP. : Quelle influence a eue sur vous celui qui fut votre directeur de thèse, Julien Freund ?

CD. : Une influence énorme. Ses livres et sa pensée ont été un fil rouge. L’époque était peu ouverte à ce genre de pensée. J’étais seule en préparant ma thèse pendant dix ans, dans un petit pays où pas une personne ne connaissait les auteurs sur lesquels je travaillais. Aussi Freund et moi nous nous écrivions beaucoup. Il m’a énormément appris.

Notes

[1Chantal Delsol, Le Souci contemporain, Bruxelles, Complexe, 1996. Traduit en anglais, l’ouvrage a reçu le Prix Mousquetaire.

[2Chantal Delsol, L’Age du renoncement, Paris, Le Cerf, 2011.

[3Chantal Delsol, Les pierres d’angle. A quoi tenons-nous ?, Le Cerf, 2014.

[4Pierre Manent, La Raison des nations, Gallimard, collection "L’esprit de la cité", 2006.

[5Chantal Delsol, Populisme. Les demeurés de l’Histoire, éditions du Rocher, 2015

lundi, 09 novembre 2015

Une spiritualité de la Forme

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Une spiritualité de la Forme

Pourquoi l’Antiquité gréco-romaine a-t-elle toujours exercé une attraction si forte sur l’homme européen ? L’attribuer tout entière à la fascination que procure l’art antique serait superficiel, car l’art grec tire précisément son prestige du fait qu’il rend visible la nostalgie métaphysique pour un modèle tout à la fois corporel et spirituel. L’art grec, en somme, est lui-même une partie de la religiosité grecque, comme le comprirent déjà Goethe et Winckelmann, puis, à notre époque, un Schefold [archéologue allemand] et un Walter F. Otto. Mais même quand on met l’accent sur la “rationalité” de la Grèce antique — en l’opposant, le cas échéant, à “l’irrationalité” du Moyen Âge —, on ne fait qu’interpréter banalement cette rationalité, on perd de vue sa dimension la plus profonde, où la clarté devient symbole, dans le credo apollinien et olympien, d’une très haute forme de maîtrise de soi.

Dans le monde grec, c’est la préhistoire indo-européenne qui se met à parler. Le premier “verbe” articulé de la civilisation grecque est la religion olympienne. Toutes les obscures luttes préhistoriques du principe diurne contre le principe nocturne, du principe paternel contre le principe maternel, s’y donnent à voir, mais sous une forme qui atteste la victoire de la claire lumière du jour. Apollon a déjà tué Python, Thésée est déjà venu à bout du Minotaure et, sur la colline sacrée d’Arès, Oreste a été acquitté de la faute d’avoir tué “la mère”. Il s’agit là d’une “sagesse poétique”, pour reprendre l’expression de Vico, où s’exprime une conscience nouvelle, une conscience qui fit dire à Plutarque : « Rien sans Thésée. »

Les Olympiens

Un jour nouveau se lève sur les cimes boisées du plus ancien paysage européen, répandant une clarté aurorale identique à la lumière de l’Olympe chantée par Homère :

« À ces mots, l’Athéna aux yeux pers disparut, regardant cet Olympe où l’on dit que les dieux, loin de toute secousse, ont leur siège éternel : ni les vents ne le battent, ni les pluies ne l’inondent ; là-haut, jamais de neige ; mais en tout temps l’éther, déployé sans nuages, couronne le sommet d’une blanche clarté […] ». [Odyssée, chant VI, trad. V. Bérard].

Le jour olympien est le jour de l’Ordre. Zeus incarne avec la spontanéité la plus puissante et la plus digne qui soit l’idée de l’ordre comme autorité. C’est une idée qui, à travers le Deus-pater (Iuppiter) romain, répand sa lumière bien au-delà des débuts du monde antique. Il suffit pour s’en convaincre de comparer la figure de Dieu le Père dans sa version la plus humble et patriarcale du paysan chrétien avec la notion, autrement abstraite et tyrannique, de Yahvé.

Apollon, lui, incarne un autre aspect de l’Ordre : l’Ordre comme lumière intellectuelle et formation artistique, mais aussi comme transparence solaire qui est santé et purification. Il se peut que le nom d’Apollon ne soit pas d’origine indo-européenne, même si la chose n’est pas établie, car l’illyrien Aplo, Aplus (cf. le vieil islandais afl, “force”), va à l’encontre de cette hypothèse, d’autant plus qu’Apollon est le dieu dorien par excellence et que la migration dorienne et la migration illyrienne ne font qu’un. Mais surtout, quand on traite d’histoire des religions, il ne faut jamais oublier que c’est le contenu qui importe, non le contenant.

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L’Artémis dorienne, représentée comme une jeune fille dure, sportive et nordique, n’est pas l’Artémis d’Éphèse aux cent mamelles. Sous un nom préexistant prend forme une figure religieuse profondément nordique et indo-européenne, qui exprime sa nature farouche, athlétique et septentrionale. Une même désignation recouvre donc deux “expériences” religieuses bien différentes. De même, Marie — entendue comme la “Grande Mère”, par ex. dans le cas de la Madone de Pompéi — est différente de la Vierge Marie de Bernard de Clairvaux et du catholicisme gothique. Ce n’est pas seulement la différence existant entre la jeune fille blonde des miniatures gothiques et la “Mère de Dieu” des terres du Sud. C’est la même diversité de vision que celle qui sépare l’Artémis d’Éphèse de l’Artémis Orthia spartiate apparue avec la migration dorienne.

Comme toujours, l’essence de la conception religieuse réside dans la spécificité de sa vision du divin. Une vision non pas subjective ou, mieux, une vision subjective en tant que l’absolu, en se manifestant, se particularise et se fait image pour le sujet. Apollon et Artémis, le Christ et la Vierge sont avant tout des “visions”, des présences saisies par l’intuition intellectuelle, là où “les dieux”, degrés se manifestant à partir de l’Être, sont vraiment. Goethe écrivait à Jacobi : « Tu parles de foi, moi, j’attache beaucoup d’importance à la contemplation » (Du sprichst von Glaube, ich halte viel auf Schauen).

Dans les divinités olympiennes, l’âme nordique de la race blanche a contemplé sa plus pure profondeur métaphysique. L’eusébeia, la vénération éclairée par la sagesse du jugement ; l’aidos, la retenue pudique face au divin ; la sophrosyné, la vertu faite d’équilibre et d’intrépidité : telles sont les attitudes à travers lesquelles la religion olympienne s’exprime comme un phénomène typiquement européen. Et le panthéon olympien est le miroir de cette mesure. De manière significative, même ses composantes féminines tendent à participer des valeurs viriles : comme Héra, en tant que symbole du coniugium, comme Artémis, en raison de sa juvénilité réservée et sportive, comme Athéna, la déesse de l’intelligence aguerrie et de la réflexion audacieuse, sortie tout armée de la tête de Zeus. C’est pourquoi Walter F. Otto a pu parler de la religion grecque comme de l’« idée religieuse de l’esprit européen » :

« Dans le culte des anciens Grecs se manifeste l’une des plus hautes idées religieuses de l’humanité. Disons-le : l’idée religieuse de l’esprit européen. Elle est très différente des idées religieuses des autres cultures, surtout de celles qui, pour notre histoire et notre philosophie des religions, passent pour fournir le modèle de toute religion. Mais elle est essentiellement apparentée à toutes les formes de la pensée et des créations authentiquement grecques, et recueillie dans le même esprit qu’elles. Parmi les autres œuvres éternelles des Grecs, elle se dresse, majeure et impérissable, devant l’humanité. […] Les figures dans lesquelles ce monde s’est divinement ouvert aux Grecs n’attestent-elles pas leur vérité par la vie qui est encore la leur aujourd’hui, par la permanence où nous pouvons encore les rencontrer, pourvu que nous nous arrachions aux emprises de la mesquinerie et que nous recouvrions un regard libre ? Zeus, Apollon, Athéna, Artémis, Dionysos, Aphrodite… là où l’on rend hommage aux idées de l’esprit grec, il n’est jamais permis d’oublier que c’en est le sommet et, d’une certaine manière, la substance même. Ces figures demeureront tant que l’esprit européen, qui a trouvé en elles son objectivation la plus riche, ne succombera pas totalement à l’esprit de l’Orient ou à celui du calcul pragmatique » [Les Dieux de la Grèce, Payot, 1981, p. 31]

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Le monde grec

De même que le monde olympien est toujours resté vivant pour l’Européen cultivé, ainsi la civilisation grecque est demeurée exemplaire pour la civilisation européenne. Il importe cependant de comprendre correctement le sens de cette exemplarité. Si celle-ci devait valoir comme synonyme de scientificité, au sens banalement laïque du terme, alors il faudrait rappeler que l’attitude éminemment rationnelle de l’esprit hellénique n’a jamais été séparée de la foi dans le mythe comme archétype d’une raison plus haute. La rationalité de ce qui est naturel est étudiée et admirée précisément parce qu’elle renvoie à un équilibre supérieur. Chez Aristote, on trouve encore, au début de son traité de zoologie, cette citation d’Héraclite : « Entrez, ici aussi habitent les dieux » Quant à Goethe, il dira que « le beau est un phénomène originel » (Das Schöne ist ein Urphanomen). Mais c’est surtout Platon qui nous communique le sens le plus authentique de la “scientificité” de la pensée grecque, lorsqu’il compare la rationalité d’ici-bas (la “chose”) à la rationalité de là-haut (“l’idée”) et mesure la réalité empirique avec le mètre d’une réalité éternelle. Il est celui qui dans le mythe de la caverne (République, VII, 514-517) illustre la logique ultime de la connaissance : par-delà les ombres projetées par le feu, il y a la réalité supérieure de la lumière solaire. En effet, l’Être, qui est le fond obligatoire de la spéculation hellénique, est aussi ce qui l’empêche de tomber dans l’intellectualisme.

Cette myopie caractéristique qui a confondu le rationalisme des Grecs avec le rationalisme des modernes a également créé l’équivoque d’un hellénisme “adorateur du corps”. Ici aussi, la gymnastique et l’athlétisme grecs ont été saisis avec superficialité. En fait, les Grecs ont exalté l’éducation du corps comme une partie de l’éducation de l’esprit. C’est le sens hellénique de la forme qui exige que le corps également reçoive une discipline formatrice. Le kosmos est l’infiniment grand et l’infiniment petit, l’ordre de l’univers et celui du corps humain. L’instance ultime du monde des corps et de la société est l’Ordre, tout comme l’instance ultime de la connaissance est l’Être.

Mais il va de soi que l’aveuglement principal est celui qui concerne le caractère prétendument “démocratique” de l’esprit grec. Si l’on excepte une brève période de l’histoire d’Athènes, la liberté des cités grecques a toujours été la liberté pour les meilleurs. Les partis aristocratiques et les partis démocratiques ne se séparaient que sur le nombre, plus ou moins grand, de ces “meilleurs”. Mais la masse et les esclaves restèrent toujours en dehors de l’organisation politique de la cité. C’est pourquoi toute la civilisation grecque resplendit encore de cet idéal de la sélection — l’ekloghé — qui a exercé une si grande fascination sur les élites de l’Occident. Julius Evola a résumé comme suit les valeurs exprimées par la Grèce antique à son apogée :

« […] le culte apollinien, la conception de l’univers comme kosmos, c’est-à-dire comme une unité, comme un tout harmonieusement ordonné […] l’importance conférée à tout ce qui est limite, nombre, proportion et forme, l’éthique de l’unification harmonieuse des différentes puissances de l’âme, un style empreint d’une dignité calme et mesurée, le principe de l’eurythmie, l’appréciation du corps et la culture du corps […] la méthode expérimentale dans les applications scientifiques en tant qu’amour de la clarté par opposition aux nébulosités pseudo-métaphysiques et mystiques, la valeur accordée aussi à la beauté plastique, la conception aristocratique et dorienne du gouvernement politique et l’idée hiérarchique affirmée dans la conception de la vraie connaissance » [I Versi d’oro pitagorei, Atanor, Rome, 1959, p. 30].

Ce sont des valeurs qui suffisent à attribuer à l’expérience grecque une place de premier plan dans le cadre d’une tradition européenne.

* * *

La Question d’une tradition européenne, Akribeia, 2014. Tr. fr.: Philippe Baillet.

L’homo reactus, le progressiste et le conservateur

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L’homo reactus, le progressiste et le conservateur

Confondus à tort et à dessein dans le langage médiatique, le réactionnaire et le conservateur ont pourtant de quoi nourrir une querelle d’importance. Leur rapport au temps et à l’Histoire les distingue en même temps qu’il structure leur comportement politique et esthétique.

Rien n’est moins évident que de définir le réactionnaire, et nombreux sont ceux qui continuent d’entretenir le flou. Si Joseph de Maistre et Louis de Bonald sont parfois présentés comme les réactionnaires archétypaux, ils ne répondent pourtant pas à cette définition communément admise, qui est aussi la nôtre, selon laquelle le réactionnaire souhaite un retour en arrière. Ces penseurs dont la téléologie était avant tout chrétienne, ont laissé la place à un vague héritier que nous appellerons homo reactus. Réactionnaire contemporain manifestement plus influencé par la pensée moderne, idéaliste et républicaine héritée des Lumières, que par la tradition eschatologique catholique, à l’image de messieurs Onfray et Zemmour. Ceux-là n’en ont guère après la Révolution française, mais bien plus après la très bourgeoise et parodique révolte de mai 68. Et pendant que l’homo reactus s’écharpe avec son pendant progressiste, le conservateur s’impose, avec une vision nouvelle de l’Histoire, comme une alternative salutaire.

L’Homo reactus au pays du progrès

En réalité, la petite armée des réactionnaires médiatisés valide à son insu les postulats de ses adversaires. La modernité, dans laquelle la Révolution française nous a jetés en donnant corps aux idées des Lumières, repose sur une téléologie moralisée, héritée de la pensée d’Hegel. La pensée moderne conçoit l’Histoire de façon linéaire : des âges sombres de la nuit des temps, l’humanité progresserait sans cesse vers la « fin de l’Histoire », soit vers le triomphe des Lumières libérales et rationalistes. Le temps qui passe serait synonyme de croissance irrépressible, inévitable et nécessaire du Dieu Progrès. Le sort de l’humanité serait la convergence de tous les êtres qui, unis dans le même Esprit – au sens hégélien du terme, et selon cette idée que la raison de l’homme est semblable à celle de Dieu – peuplent la Terre. Ainsi pour Hegel, l’absolu progrès est incarné par Napoléon Ier, porteur de la lumière révolutionnaire universaliste et républicaine, entrant majestueux dans Iéna en 1806 : là est la fin de l’Histoire, le progrès absolu qui gagnera le monde entier à force de conquêtes. À l’horizon se dessine l’avènement de l’État universel et homogène rêvé par le commentateur et continuateur d’Hegel Alexandre Kojève.

Joseph de Maistre réactionnaire ?

Si Joseph de Maistre est considéré comme un réactionnaire emblématique, il faut préciser qu’il est également un réactionnaire problématique. En effet, le Savoyard ne défend pas l’idée d’un retour en arrière, c’est-à-dire la restauration d’un « temps » politique antérieur à la Révolution française. Sa phrase célèbre formulée dans Les considérations sur la France – « le rétablissement de la Monarchie qu’on appelle contre-révolution, ne sera pas une révolution contraire, mais le contraire de la révolution » – résume bien la complexité de sa position. Maistre est plus antirévolutionnaire que contre-révolutionnaire. La perspective de Maistre étant providentialiste, il ne s’agit pas de se positionner pour ou contre la Révolution mais bien plutôt de comprendre sa nature et le dessein divin. Dieu utilise le mal incarné par la Révolution pour châtier le royaume de France compromis par la Réforme et les Lumières. Maistre exprimera d’ailleurs son scepticisme lorsque Louis XVIII accédera au trône. Pour lui, la Restauration entérine définitivement la Révolution.

Matthieu Giroux

Telle est l’idée qui continue d’alimenter la logique des progressistes de tout crin. La téléologie, d’imprégnation chrétienne, a paradoxalement gagné le camp de l’athéisme en contaminant, des Lumières jusqu’au marxisme, des philosophies anti-chrétiennes. Mais telle est aussi la conception que les réactionnaires contemporains valident, en s’affirmant en hommes du passé portant des idées du passé. Des idées révolues en somme, dépassées par la marche du prétendu progrès, confondue avec celle du temps, à laquelle ils assistent hagards et néanmoins contents de leur impuissance qui pare leurs propos d’un tragique dont ils goûtent l’amertume.

Le rapport dialectique qui oppose le progressiste à l’homo reactus ne joue résolument pas en faveur de ce dernier, à moins que sa quête ne soit qu’esthétique. Lui qui valide la téléologie dominante et se place du côté des destitués, des perdants, de l’obsolescence, ne peut rien attendre du présent. Son discours est comme inopérant, inapte à influencer le cours des choses. Tout juste pourra-t-il convaincre quelques-uns de ses auditeurs les moins rongés par la morale médiatique du caractère aussi dramatique qu’inévitable de la marche du temps. Mais n’a-t-il pas tort sur ce point ?

De Burke à Mohler : une philosophie alternative de l’Histoire

Si le triomphe de la philosophie linéaire déchristianisée de l’Histoire est à dater de la Révolution française et de la controverse qu’elle a suscité dans toute l’Europe, on ne peut pas faire l’impasse sur l’intuition d’Edmund Burke, contemporain de ce grand chambardement, qui structure la pensée conservatrice. Contre l’obsession révolutionnaire de la mise à mort de l’ordre ancien au profit d’un progrès compris comme une sorte de deus ex machina, Burke croit à l’évolution. Pierre Glaudes parle de « sédimentation » : le présent se nourrit du passé et l’Histoire apparaît donc comme un mouvement de réforme ou de restauration permanente. C’est l’exact inverse de l’idéologie révolutionnaire et néo-idéaliste qui consiste en une dialectique de la destruction et de la reconstruction, le présent se construisant contre le passé.

Plus radicaux, les auteurs de la Révolution conservatrice allemande prolongent l’intuition de Burke en rupture totale avec cette conception résolument moderne de l’Histoire. Armin Mohler, disciple d’Ernst Jünger et historien de la Révolution conservatrice, nous invite à considérer l’Histoire non pas de façon linéaire, ni même purement cyclique, mais sphérique, à la suite de Friedrich Nietzsche. Si l’idée hégélienne que nous avons définie autant que la conception cyclique de l’histoire sont frappées d’un certain fatalisme, concevoir le temps comme une sphère revient à considérer que toutes les bifurcations sont toujours possibles. Il n’y a plus de sens inévitable, de début ni de fin, de progrès ou de déclin contre lesquels toute tentative humaine serait vaine ! Le cycle n’a pas non plus totalement disparu, mais c’est une infinité de cycles différents que la sphère représente.

Il y a donc une place pour l’inattendu, autant dire pour la volonté, chère aux nietzschéens. Ainsi Robert Steuckers, disciple d’Armin Mohler, écrit : « Cela signifie que l’histoire n’est ni la simple répétition des mêmes linéaments à intervalles réguliers ni une voie linéaire conduisant au bonheur, à la fin de l’histoire, au Paradis sur la Terre, à la félicité, mais est une sphère qui peut évoluer (ou être poussée) dans n’importe quelle direction selon l’impulsion qu’elle reçoit de fortes personnalités charismatiques. » L‘hypothèse de la résignation s’abolit totalement dans cette philosophie de l’Histoire, et il revient aux hommes de bonne volonté de donner forme au lendemain. Car la Révolution conservatrice allemande ne s’en remet guère à Dieu, à la Providence, ni à une vague idée de l’évolution de la société. Mais elle croit à l’incarnation et aux figures, au héros et aux chefs charismatiques.  

D’un côté, l‘enthousiasme béat et autodestructeur des progressistes dont « les conceptions linéaires dévalorisent le passé, ne respectent aucune des formes forgées dans le passé, et visent un télos, qui sera nécessairement meilleur et indépassable » (Steuckers). De l’autre, la passivité mortifère des réactionnaires qui peut conduire au nihilisme. Par contraste, on comprend que le conservatisme est un art de l’action et de l’appréhension du réel, et non pas seulement de la réflexion philosophique. Le conservatisme est une attitude qui convient à la réalité du temps présent et à la nécessité du choix, et non pas une posture contemplative.

L’attitude conservatrice ou l’agir dans l’Histoire

Le conservateur n’est pas figé dans le passé (ou dans le futur, dans la fuite en avant incarnée par le progressisme), mais bien ancré dans le présent. Non pas qu’il se contente bêtement d’approuver toute nouveauté, au contraire, son attitude consiste à préférer le familier à l’inconnu, la réalité du présent au futur incertain. Mais lorsque l’inévitable se produit, le conservateur refuse la résignation. Ainsi Michaël Oakeshott, dans Du Conservatisme, tente de décrire l’attitude conservatrice : « En outre, être conservateur ne signifie pas simplement être hostile au changement (comportement qui peut être idiosyncrasique) ; c’est également une manière de s’accommoder aux changements, activité imposée à tous. »

L’exemple de la technique dans les années 1930, après le traumatisme causé par la Première Guerre mondiale, est frappant. Le réactionnaire s’insurge, vocifère contre cette technique aliénatrice et destructrice, prométhéenne et dégénérée… À croire qu’il envisagerait qu’on puisse la dés-inventer ! Face à cette réaction sans doute légitime mais néanmoins absurde, le conservateur avise : Ernst Jünger qui, mieux que quiconque, a vu la technique destructrice en action, fait naître quelques années plus tard l’idée d’une technique dite mobilisatrice. De même que Carl Schmitt s’appropriera l’idée de démocratie. Au régime parlementaire bourgeois, il oppose sa vision d’un lien fort entre la race et les chefs qu’elle se choisit. Du socialisme au bolchévisme, des sciences à la technique, la Révolution conservatrice allemande reprend toutes les innovations de son époque à son compte. 

Le conservateur ne rejette pas par principe toute nouveauté. Il ne pourrait d’ailleurs la rejeter qu’intellectuellement, mais en aucun cas effectivement. Il l’admet, et se l’approprie. Il ne considère pas d’abord le changement comme foncièrement bon ou, à l’inverse, comme profondément mauvais, mais il entend le subordonner à des valeurs qu’il croit éternelles. Là est l’objet de sa démarche : conserver l’ordre élémentaire des choses dans l’Histoire en soumettant les réalités de son époque à quelque chose qui les transcende. Le conservateur ne s’oppose pas au temps qui passe, il s’oppose à la dégénérescence, au péril et à l’incertitude. Il n’entend pas conserver le temps passé, les idées du passé, les réalités du passé, mais simplement ce qui constitue le centre de gravité de cette sphère qu’est l’Histoire. C’est l’idée qu’un certain nombre de choses ne doit pas disparaître, à cause de la négligence, du mépris et du détachement et surtout pas de la destruction volontaire. Les progressistes l’ont dans le dos, les réactionnaires en pleine face, mais tous deux sont dans le vent. Paisible, le conservateur rit des agités des deux camps : lui, bâtit l’avenir les deux pieds dans le présent.

dimanche, 08 novembre 2015

Oswald Spengler and the Soul of Russia

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Oswald Spengler and the Soul of Russia

By Kerry Bolton
Ex: http://katehon.com

It would be easy to regard Oswald Spengler, author of the epochal Decline of The West in the aftermath of World War I, as a Russophobe.

In so doing the role of Russia in the unfolding of history from this era onward could be easily dismissed, opposed or ridiculed by proponents of Spengler, while in Russia his insights into culture-morphology would be understandably unwelcome as being from an Slavophobic German nationalist. However, while Spengler, like many others of the time in the aftermath of the Bolshevik Revolution, regarded – partially - Russia as the Asianised leader of a ‘coloured revolution’ against the white world, he also considered other possibilities. This paper examines Spengler’s views on Russia as a distinct culture that had not yet fulfilled her destiny, while Western civilisation is about to take a final bow on the world historical stage. His views on Russia as an outsider are considered in relation to the depiction of the Russian soul by seminal Russians such as Gogol.

Russia’s ‘Soul’

Spengler regarded Russians as formed by the vastness of the land-plain, as innately antagonistic to the Machine, as rooted in the soil, irrepressibly peasant, religious, and ‘primitive’. Without a wider understanding of Spengler’s philosophy it appears that he was – like Hitler – a Slavophobe. However, when Spengler wrote of these Russian characteristics he was referencing the Russians as a still youthful people in contrats to the senile West. Hence the ‘primitive’ Russian is not synonymous with ‘primitivity’ as popularly understood at that time in regard to ‘primitive’ tribal peoples. Nor was it to be confounded with the Hitlerite perception of the ‘primitive Slav’ incapable of building his own State.

To Spengler, the ‘primitive peasant’ is the well-spring from which a race draws its healthiest elements during its epochs of cultural vigour.

Agriculture is the foundation of a High Culture, enabling stable communities to diversify labour into specialisation from which Civilisation proceeds.

However, according to Spengler, each people has its own soul, a German conception derived from the German Idealism of Herder, Fichte et al. A High culture reflects that soul, whether in its mathematics, music, architecture; both in the arts and the physical sciences. The Russian soul is not the same as the Western Faustian, as Spengler called it, the ‘ Magian’ of the Arabian civilisation, or the Classical of the Hellenes and Romans. The Western Culture that was imposed on Russia by Peter the Great, what Spengler called Petrinism, is a veneer.

The basis of the Russian soul is not infinite space – as in the West’s Faustian (Spengler, 1971, I, 183) imperative, but is ‘the plain without limit’ (Spengler, 1971, I, 201). The Russian soul expresses its own type of infinity, albeit not that of the Western which becomes even enslaved by its own technics at the end of its life-cycle. (Spengler, 1971, II, 502). (Although it could be argued that Sovietism enslaved man to machine, a Spenglerian would cite this as an example of Petrinism). However, Civilisations cannot do anything but follow their life’s course, and one cannot see Spengler’s descriptions as moral judgements but as observations. The finale for Western Civilisation according to Spengler cannot be to create further great forms of art and music, which belong to the youthful or ‘ spring’ epoch of a civilisation, but to dominate the world under a technocratic-military dispensation, before declining into oblivion that all prior world civilisations. It is after this Western decline that Spengler alluded to the next word civilisation being that of Russia. At that stage Spengler could only hint at the possibilities.

Hence, according to Spengler, Russian Orthodox architecture does not represent the infinity towards space that is symbolised by the Western high culture’s Gothic Cathedral spire, nor the enclosed space of the Mosque of the Magian Culture, (Spengler, 1971, I, 183-216) but the impression of sitting upon a horizon. Spengler considered that this Russian architecture is ‘not yet a style, only the promise of a style that will awaken when the real Russian religion awakens’ (Spengler, 1971, I, p. 201. Spengler was writing of the Russian culture as an outsider, and by his own reckoning must have realised the limitations of that. It is therefore useful to compare his thoughts on Russia with those of Russians of note.

Nikolai Berdyaev in The Russian Idea affirms what Spengler describes:

There is that in the Russian soul which corresponds to the immensity, the vagueness, the infinitude of the Russian land, spiritual geography corresponds with physical. In the Russian soul there is a sort of immensity, a vagueness, a predilection for the infinite, such as is suggested by the great plain of Russia. (Berdyaev, 1).

‘Prussian Socialism’, ‘Russian Socialism’


Of the Russian soul, the ego/vanity of the Western culture-man is missing; the persona seeks impersonal growth in service, ‘in the brother-world of the plain’. Orthodox Christianity condemns the ‘I’ as ‘sin’ (Spengler, 1971, I, 309). Spengler wrote of ‘Prussian Socialism’, based on the Prussian ethos of duty to the state, as the foundation of a new Western ethos under the return to Faith and Authority during the final epoch of Western civilisation. He contrasted this with the ‘socialism’ of Karl Marx, which he regarded as a product of English economics, (Spengler, 1919) as distinct from the German economics of Friedrich List for example, described as the ‘ national system of political economy’, where nation is the raison d’etre of the economy and not class or individual.

The Russian concept of ‘we’ rather than ‘I’, and of impersonal service to the expanse of one’s land implies another form socialism. It is perhaps in this sense that Stalinism proceeded along lines different and often antithetical to the Bolshevism envisaged by Trotsky et al. (Trotsky, 1936), and established an enduring legacy on Russia.

A recent comment by an American visitor to Russia, Barbara J. Brothers, as part of a scientific delegation, states something akin to Spengler’s observation:

The Russians have a sense of connectedness to themselves and to other human beings that is just not a part of American reality. It isn’t that competitiveness does not exist; it is just that there always seems to be more consideration and respect for others in any given situation.

Of the Russian concept of property and of capitalism, Berdyaev wrote:

The social theme occupied a predominant place in Russian nineteenth century thought. It might even be said that Russian thought in that century was to a remarkable extent coloured by socialistic ideas. If the word socialism is not taken in its doctrinaire sense, one might say that socialism is deeply rooted in the Russian nature. There is already an expression of this truth in the fact that the Russian people did not recognize the Roman conception of property. It has been said of Muscovite Russia that it was innocent of the sin of ownership in land, the one and only landed proprietor being the Tsar: there was no freedom, but there was a greater sense of what was right. This is of interest in the light that it throws upon the rise of communism. The Slavophils also repudiated the Western bourgeois interpretation of private property equally with the socialists of a revolutionary way of thinking. Almost all of them thought that the Russian people was called upon to give actual effect to social troth and righteousness and to the brotherhood of man. One and all they hoped that Russia would escape the wrongness and evil of capitalism, that it would be able to pass over to a better social order while avoiding the capitalist stage of economic development. And they all considered the backwardness of Russia as conferring upon her a great advantage. It was the wisdom of the Russians to be socialists during the period of serfdom and autocracy. Of all peoples in the world the Russians have the community spirit; in the highest degree the Russian way of life and Russian manners, are of that kind. Russian hospitality is an indication of this sense of community. (Berdyaev, 97-98).

Here again, we see with Berdyaev, as with Spengler, that there is a ‘Russian Socialism’ based on what Spengler referred to as the Russian ‘we’ in contrast to the Late Western ‘I’, and of the sense of brotherhood dramatised by Gogol in Taras Bulba, shaped not by factories and money-thinking, but by the kinship that arises from a people formed from the vastness of the plains, and forged through the adversity of centuries of Muslim and Mongol invasions.

The Russian Soul - Русская душа

The connections between family, nation, birth, unity and motherland are reflected in the Russian language.

род [rod]: family, kind, sort, genus
родина [ródina]: homeland, motherland
родители [rodíteli]: parents
родить [rodít']: to give birth
роднить [rodnít']: to unite, bring together
родовой [rodovói]: ancestral, tribal
родство [rodstvó]: kinship

Russian National Literature starting from the 1840s began to consciously express the Russian soul. Firstly Nikolai Vasilievich Gogol’s Taras Bulba, which along with the poetry of Pushkin, founded a Russian literary tradition; that is to say, truly Russian, and distinct from the previous literature based on German, French and English. John Cournos states of this in his introduction to Taras Bulba:

The spoken word, born of the people, gave soul and wing to literature; only by coming to earth, the native earth, was it enabled to soar. Coming up from Little Russia, the Ukraine, with Cossack blood in his veins, Gogol injected his own healthy virus into an effete body, blew his own virile spirit, the spirit of his race, into its nostrils, and gave the Russian novel its direction to this very day.

Taras Bulba is a tale on the formation of the Cossack folk. In this folk-formation the outer enemy plays a crucial role. The Russian has been formed largely as the result of battling over centuries with Tartars, Muslims and Mongols. Cournos writes of the Gogol myths in reference to the shaping of the Russian character through adversity and landscape:

This same Prince Guedimin freed Kieff from the Tatar yoke. This city had been laid waste by the golden hordes of Ghengis Khan and hidden for a very long time from the Slavonic chronicler as behind an impenetrable curtain. A shrewd man, Guedimin appointed a Slavonic prince to rule over the city and permitted the inhabitants to practise their own faith, Greek Christianity. Prior to the Mongol invasion, which brought conflagration and ruin, and subjected Russia to a two-century bondage, cutting her off from Europe, a state of chaos existed and the separate tribes fought with one another constantly and for the most petty reasons. Mutual depredations were possible owing to the absence of mountain ranges; there were no natural barriers against sudden attack. The openness of the steppe made the people war-like. But this very openness made it possible later for Guedimin’s pagan hosts, fresh from the fir forests of what is now White Russia, to make a clean sweep of the whole country between Lithuania and Poland, and thus give the scattered princedoms a much-needed cohesion. In this way Ukrainia was formed. (Cournos, ‘Introduction’, ibid).

Their society and nationality were defined by religiosity, as was the West’s by Gothic Christianity during its ‘Spring’ epoch. The newcomer to a Setch or permanent village was greeted by the Chief as a Christian and as a warrior: ‘Welcome! Do you believe in Christ?’ —‘I do’, replied the new-comer. ‘And do you believe in the Holy Trinity?’— ‘I do’.—‘And do you go to church?’—‘I do.’ ‘Now cross yourself’. (Gogol, III).

Gogol depicts the scorn in which trade is held, and when commerce has entered among Russians, rather than being confined to non-Russians associated with trade, it is regarded as a symptom of decadence:

I know that baseness has now made its way into our land. Men care only to have their ricks of grain and hay, and their droves of horses, and that their mead may be safe in their cellars; they adopt, the devil only knows what Mussulman customs. They speak scornfully with their tongues. They care not to speak their real thoughts with their own countrymen. They sell their own things to their own comrades, like soulless creatures in the market-place. The favour of a foreign king, and not even a king, but the poor favour of a Polish magnate, who beats them on the mouth with his yellow shoe, is dearer to them than all brotherhood. But the very meanest of these vile men, whoever he may be, given over though he be to vileness and slavishness, even he, brothers, has some grains of Russian feeling; and they will assert themselves some day. And then the wretched man will beat his breast with his hands; and will tear his hair, cursing his vile life loudly, and ready to expiate his disgraceful deeds with torture. Let them know what brotherhood means on Russian soil! (Spengler, 1971, II, 113).

Here we might see a Russian socialism that is, so far form being the dialectical materialism offered by Marx, the mystic we-feeling forged by the vastness of the plains and the imperative for brotherhood above economics, imposed by that landscape. Russia’s feeling of world-mission has its own form of messianism whether expressed through Christian Orthodoxy or the non-Marxian form of ‘world revolution’ under Stalin, or both in combination, as suggested by the later rapport between Stalinism and the Church from 1943 with the creation of the Council for Russian Orthodox Church Affairs (Chumachenko, 2002). In both senses, and even in the embryonic forms taking place under Putin, Russia is conscious of a world-mission, expressed today as Russia’s role in forging a multipolar world, with Russia as being pivotal in resisting unipolarism.
 

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Commerce is the concern of foreigners, and the intrusions bring with them the corruption of the Russian soul and culture in general: in speech, social interaction, servility, undermining Russian ‘brotherhood’, the Russian ‘we’ feeling that Spengler described. (Spengler 1971, I, 309). However, Gogol also states that this materialistic decay will eventually be purged even from the soul of the most craven Russian.

And all the Setch prayed in one church, and were willing to defend it to their last drop of blood, although they would not hearken to aught about fasting or abstinence. Jews, Armenians, and Tatars, inspired by strong avarice, took the liberty of living and trading in the suburbs; for the Zaporozhtzi never cared for bargaining, and paid whatever money their hand chanced to grasp in their pocket. Moreover, the lot of these gain-loving traders was pitiable in the extreme. They resembled people settled at the foot of Vesuvius; for when the Zaporozhtzi lacked money, these bold adventurers broke down their booths and took everything gratis. (Gogol, III).

The description of these people shows that they would not stoop to haggling; they decided what a merchant should receive. Money-talk is repugnant to them.

The Cossack brotherhood is portrayed by Gogol as the formative process in the building up of the Russian people. This process is, significantly, not one of biology but of spirit, even transcending the family bond. Spengler treated the matter of race as that of soul rather than of zoology. (Spengler, 1971, II, 113-155). To Spengler landscape was crucial in determining what becomes ‘race’, and the duration of families grouped in a particular landscape – including nomads who have a defined range of wandering – form ‘a character of duration’, which was Spengler’s definition of ‘race’. (Spengler, Vol. II, 113). Gogol describes this ‘ race’ forming process among the Russians. So far from being an aggressive race nationalism it is an expanding mystic brotherhood under God:

The father loves his children, the mother loves her children, the children love their father and mother; but this is not like that, brothers. The wild beast also loves its young. But a man can be related only by similarity of mind and not of blood. There have been brotherhoods in other lands, but never any such brotherhoods as on our Russian soil. It has happened to many of you to be in foreign lands. … No, brothers, to love as the Russian soul loves, is to love not with the mind or anything else, but with all that God has given, all that is within you. Ah! (Golgol, IX).

The Russian soul is born in suffering. The Russian accepts the fate of life in service to God and to his Motherland. Russia and Faith are inseparable. When the elderly warrior Bovdug is mortally struck by a Turkish bullet his final words are exhortations on the nobility of suffering, after which his spirit soars to join his ancestors:

‘I sorrow not to part from the world. God grant every man such an end! May the Russian land be forever glorious!’ And Bovdug’s spirit flew above, to tell the old men who had gone on long before that men still knew how to fight on Russian soil, and better still, that they knew how to die for it and the holy faith. (Gogol, IX).

The depth and duration of this cult of the martyrs attached to Holy Mother Russia was revived under Stalin during the Great Patriotic War. This is today as vigorous as ever, as indicated by the celebration of Victory Day on 7 May 2015, and the absence of Western representatives indicating the diverging course Russia is again taking from the West.

The mystique of death and suffering for the Motherland is described in the death of Tarus Bulba when he is captured and executed, his final words being ones of resurrection:

‘Wait, the time will come when ye shall learn what the orthodox Russian faith is! Already the people scent it far and near. A czar shall arise from Russian soil, and there shall not be a power in the world which shall not submit to him!’ But fire had already risen from the fagots; it lapped his feet, and the flame spread to the tree.... But can any fire, flames, or power be found on earth which are capable of overpowering Russian strength? (Gogol, XII).

The characteristics of the Russian soul that run through Tarus Bulba are those of faith, fate, struggle, suffering, strength, brotherhood and resurrection. Tarus Bulba established the Russian national literature that articulated the Russian soul.

Pseudomorphosis

A significant element of Spengler’s culture morphology is ‘Historic Pseudomorphosis’. Spengler drew an analogy from geology, when crystals of a mineral are embedded in a rock-stratum: where ‘clefts and cracks occur, water filters in, and the crystals are gradually washed out so that in due course only their hollow mould remains’. (Spengler, II, 89).

Then comes volcanic outbursts which explode the mountain; molten masses pour in, stiffen and crystallize out in their turn. But these are not free to do so in their own special forms. They must fill out the spaces that they find available. Thus there arise distorted forms, crystals whose inner structure contradicts their external shape, stones of one kind presenting the appearance of stones of another kind. The mineralogists call this phenomenon Pseudomorphosis. (Ibid.).

Spengler explained:

By the term ‘historical pseudomorphosis’ I propose to designate those cases in which an older alien Culture lies so massively over the land that a young Culture, born in this land, cannot get its breath and fails not only to achieve pure and specific expression-forms, but even to develop its own fully self-consciousness. All that wells up from the depths of the young soul is cast in the old moulds, young feelings stiffen in senile works, and instead of rearing itself up in its own creative power, it can only hate the distant power with a hate that grows to be monstrous. (Ibid.).

Russia is the example of ‘Historic Pseudomorphosis’ given by Spengler as being ‘presented to our eyes to-day’. A dichotomy has existed for centuries, starting with Peter the Great, of attempts to impose a Western veneer over Russia. This is called Petrinism. The resistance of those attempts is what Spengler called ‘Old Russia’. Spengler, 1971, II, 192). Spengler described this dichotomy:

…This Muscovite period of the great Boyar families and Patriarchs, in which a constant element is the resistance of an Old Russia party to the friends of Western Culture, is followed, from the founding of Petersburg in 1703, by the pseudomorphosis which forced the primitive Russian soul into an alien mould, first of full Baroque, then of the Enlightenment, and then of the nineteenth century. (Ibid., II, p. 192).

Spengler’s view is again in accord with what is spoken of Russia by Russians. Nikolai Berdyaev wrote in terms similar to Spengler’s:

The inconsistency and complexity of the Russian soul may be due to the fact that in Russia two streams of world history East and West jostle and influence one another. The Russian people is not purely European and it is not purely Asiatic. Russia is a complete section of the world a colossal East-West. It unites two worlds, and within the Russian soul two principles are always engaged in strife - the Eastern and the Western. (Berdyaev, 1).

With the orientation of Russian policy towards the West, ‘Old Russia’ was ‘forced into a false and artificial history’. (Spengler, II, 193). Spengler wrote that Russia had become dominated by Western culture from its ‘Late’ epoch:

Late-period arts and sciences, enlightenment, social ethics, the materialism of world-cities, were introduced, although in this pre-cultural time religion was the only language in which man understood himself and the world. In the townless land with its primitive peasantry, cities of alien type fixed themselves like ulcers – false, unnatural, unconvincing. ‘Petersburg’, says Dostoyevski, ‘it is the most abstract and artificial city in the world’.
After this everything that arose around it was felt by the true Russdom as lies and poison. A truly apocalyptic hatred was directed on Europe, and ‘Europe’ was all that was not Russia… ‘The first condition of emancipation for the Russian soul’, wrote Aksakov [1] in 1863 to Dostoyevski, ‘is that it should hate Petersburg with all this might and all its soul’. Moscow is holy, Petersburg Satanic. A widespread popular legend presents Peter the Great as Antichrist.
(Spengler, 1971, II, 193).


Berdyaev also discusses the introduction of Enlightenment doctrines from France into Russia:

The Western culture of Russia in the eighteenth century was a superficial aristocratic borrowing and imitation. Independent thought had not yet awakened. At first it was French influences which prevailed among us and a superficial philosophy of enlightenment was assimilated. The Russian aristocrats of the eighteenth century absorbed Western culture in the form of a miserable rehash of Voltaire.
(Berdyaev, 16).


domes-ancient-russian-church-11780967.jpgThe hatred of the ‘West’ and of ‘Europe’ is the hatred for a Civilisation that had already reached an advanced state of decay into materialism and sought to impose its primacy by cultural subversion rather than by combat, with its City-based and money-based outlook, ‘poisoning the unborn culture in the womb of the land’. (Spengler, 1971, II, 194). Russia was still a land where there were no bourgeoisie and no true class system but only lord and peasant, a view confirmed by Berdyaev, writing:

The various lines of social demarcation did not exist in Russia; there were no pronounced classes. Russia was never an aristocratic country in the Western sense, and equally there was no bourgeoisie. (Berdyaev, 1).

The cities that emerged threw up an intelligentsia, copying the intelligentsia of Late Westerndom, ‘bent on discovering problems and conflicts, and below, an uprooted peasantry, with all the metaphysical gloom, anxiety, and misery of their own Dostoyevski, perpetually homesick for the open land and bitterly hating the stony grey world into which the Antichrist had tempted them. Moscow had no proper soul’. (Spengler, 1971, II, 194).

The spirit of the upper classes was Western, and the lower had brought in with them the soul of the countryside. Between the two worlds there was no reciprocal comprehension, no communication, no charity. To understand the two spokesmen and victims of the pseudomorphosis, it is enough that Dostoyevski is the peasant, and Tolstoi the man of Western society. The one could never in his soul get away from the land; the other, in spite of his desperate efforts, could never get near it. (Ibid.).

Berdyaev likewise states of the Petrinism of the upper class:

Peter secularized the Russian Tsardoni and brought it into touch with Western absolutism of the more enlightened kind. The Tsardom of Moscow had not given actual effect to the messianic idea of Moscow as the Third Rome, but the efforts of Peter created a gulf between a police absolutism and the sacred Tsardom. A breach took place between the upper governing classes of Russian society and the masses of the people among whom the old religious beliefs and hopes were still preserved. The Western influences which led on to the remarkable Russian culture of the nineteenth century found no welcome among the bulk of the people. The power of the nobility increased and it became entirely alien from the people. The very manner of life of the landowning nobility was a thing incomprehensible to the people. It was precisely in the Petrine epoch during the reign of Katherine II that the Russian people finally fell under the sway of the system of serfdom. The whole Petrine period of Russian history was a struggle between East and West within the Russian soul. (Berdyaev, 15).

Russian Messianism

Berdyaev states that while Petrinism introduced an epoch of cultural dynamism, it also placed a heavy burden upon Russia, and a disunity of spirit. (Ibid.). However, Russia has her own religious sense of Mission, which is as universal as the Vatican’s. Spengler quotes Dostoyevski as writing in 1878: ‘all men must become Russian, first and foremost Russian. If general humanity is the Russian ideal, then everyone must first of all become a Russian’. (Spengler, 1963, 63n). The Russian Messianic idea found a forceful expression in Dostoyevski’s The Possessed, where, in a conversation with Stavrogin, Shatov states:

Reduce God to the attribute of nationality?...On the contrary, I elevate the nation to God...The people is the body of God. Every nation is a nation only so long as it has its own particular God, excluding all other gods on earth without any possible reconciliation, so long as it believes that by its own God it will conquer and drive all other gods off the face of the earth. At least that’s what all great nations have believed since the beginning of time, all those remarkable in any way, those standing in the vanguard of humanity...The Jews lived solely in expectation of the true God, and they left this true God to the world...A nation which loses faith is no longer a nation. But there is only one truth; consequently, only one nation can posses the true God...The sole ‘God bearing’ nation is the Russian nation... (Dostoevsky, 1992, Part II: I: 7, 265-266).

Spengler saw Russia as outside of Europe, and even as ‘Asian’. He even saw a Western rebirth vis-à-vis opposition to Russia, which he regarded as leading the ‘coloured world’ against the white, under the mantle of Bolshevism. Yet there were also other destinies that Spengler saw over the horizon, which had been predicted by Dostoyevski.

Once Russia had overthrown its alien intrusions, it could look with another perspective upon the world, and reconsider Europe not with hatred and vengeance but in kinship. Spengler wrote that while Tolstoi, the Petrinist, whose doctrine was the precursor of Bolshevism, was ‘the former Russia’, Dostoyevski was ‘the coming Russia’. Dostoyevski as the representative of the ‘coming Russia’ ‘does not know’ the hatred of Russia for the West. Dostoyevski and the old Russia are transcendent. ‘His passionate power of living is comprehensive enough to embrace all things Western as well’. Spengler quotes Dostoyevski: ‘I have two fatherlands, Russia and Europe’. Dostoyevski as the harbinger of a Russian high culture ‘has passed beyond both Petrinism and revolution, and from his future he looks back over them as from afar. His soul is apocalyptic, yearning, desperate, but of this future he is certain’. [65] (Spengler, 1971, II, 194). Spengler cites Dostoyevski’s The Brothers Karamazov, where Ivan Karamazov (Dostoyevski, 1880, 34: II: V: 3) says to his mother:

I want to travel in Europe… I know well enough that I shall be going only to a churchyard, but I know too that that churchyard is dear, very dear to me. Beloved dead lie buried there, every stone over them tell of a life so ardently lived, so passionately a belief in its own achievements, its own truth, its own battle, its own knowledge, that I know – even now I know – I shall fall down and kiss these stones and weep over them’. (Spengler, 1971, II, 195).

To the ‘Slavophil’, of which Dostoyevski was one, Europe is precious. The Slavophil appreciates the richness of European high culture while realising that Europe is in a state of decay. Berdyaev discussed what he regarded as an inconsistency in Dostoyevski and the Slavophils towards Europe, yet one that is comprehensible when we consider Spengler’s crucial differentiation between Culture and Civilisation:

Dostoyevsky calls himself a Slavophil. He thought, as did also a large number of thinkers on the theme of Russia and Europe, that he knew decay was setting in, but that a great past exists in her, and that she has made contributions of great value to the history of mankind. (Berdyaev, 70).

It is notable that while this differentiation between Kultur and Zivilisation is ascribed to a particularly German philosophical tradition, Berdyaev comments that it was present among the Russians ‘long before Spengler’, although deriving from German sources:

It is to be noted that long before Spengler, the Russians drew the distinction between ‘culture’ and ‘civilization’, that they attacked ‘civilization’ even when they remained supporters of ‘culture’. This distinction in actual fact, although expressed in a different phraseology, was to be found among the Slavophils. (Ibid.).

Tolstoi, who sought to overcome the problems of Civilisation by a ‘return-to-Nature’ in the manner of the Western Enlightenment philosopher J J Rousseau, on the other hand, is the product of the Late West, ‘enlightened and socially minded’, and sees only a problem, ‘whereas Dostoyevski ‘does not even know what a problem is’. (Spengler, 1971, II, 195). Spengler states that the problematic nature of life is a question that arises in Late Civilisations, and is a symptom of an epoch where life itself has become questionable. It is a symptom of the Late West transplanted as a weed onto the soil of Russia, represented by Tolstoi who, stands midway between Peter and Bolshevism, and neither he nor they managed to get within sight of Russian earth…. Their kind of opposition is not apocalyptic but intellectual. Tolstoi’s hatred of property is an economist’s, his hatred of society a social reformer’s, his hatred of the State a political theorist’s. Hence his immense effect upon the West – he belongs, in one respect as in another, to the band of Marx, Ibsen, and Zola. (Ibid.).

Dostoyevski, on the contrary, was indifferent to the Late West, looking beyond the physical, beyond questions of social reform and economics, and to the metaphysical: ‘Dostoyevski, like every primitive Russian, is fundamentally unaware’ of the physical world and ‘lives in a second, metaphysical world beyond’. The living reality is a religious one, which Spengler compares most closely with ‘primitive Christianity’. Dostoyevski is a ‘saint’, Tolstoi, ‘only a revolutionary’, the representative of Petrinism, as the forerunner of Bolshevism, ‘the last dishonouring of the metaphysical by the social’, and a new form of pseudomorphosis. The Bolshevists and other such revolutionaries were ‘the lowest stratum of … Petrine society’. (Ibid., II, 196). Imbued with ideas from the Late West, the Marxists sought to replace one Petrine ruling class with another. Neither represented the soul of Russia. Spengler states: ‘The real Russian is the disciple of Dostoyevski, even though he might not have read Dostoyevski, or anyone else, nay, perhaps because he cannot read, he is himself Dostoyevski in substance’. The intelligentsia hates, the peasant does not. (Ibid.). He would eventually overthrow Bolshevism and any other form of Petrinism. Here we see Spengler unequivocally stating that the post-Western civilisation will be Russian.

For what this townless people yearns for is its own life-form, its own religion, its own history. Tolstoi’s Christianity was a misunderstanding. He spoke of Christ and he meant Marx. But to Dostoyevski’s Christianity, the next thousand years will belong. (Ibid.).

To the true Russia, as Dostoyevski stated it, ‘not a single nation has ever been founded on principles of science or reason’. Dostoyevski continues, with the character Shatov explaining:

[N]ot a single nation has ever been founded on principles of science or reason. There has never been an example of it, except for a brief moment, through folly. Socialism is from its very nature bound to be atheism, seeing that it has from the very first proclaimed that it is an atheistic organisation of society, and that it intends to establish itself exclusively on the elements of science and reason. Science and reason have, from the beginning of time, played a secondary and subordinate part in the life of nations; so it will be till the end of time. Nations are built up and moved by another force which sways and dominates them, the origin of which is unknown and inexplicable: that force is the force of an insatiable desire to go on to the end, though at the same time it denies that end. It is the force of the persistent assertion of one's own existence, and a denial of death. It’s the spirit of life, as the Scriptures call it, ‘the river of living water’, the drying up of which is threatened in the Apocalypse. It’s the æsthetic principle, as the philosophers call it, the ethical principle with which they identify it, ‘the seeking for God’, as I call it more simply. The object of every national movement, in every people and at every period of its existence is only the seeking for its god, who must be its own god, and the faith in Him as the only true one. God is the synthetic personality of the whole people, taken from its beginning to its end. It has never happened that all, or even many, peoples have had one common god, but each has always had its own. It’s a sign of the decay of nations when they begin to have gods in common. When gods begin to be common to several nations the gods are dying and the faith in them, together with the nations themselves. The stronger a people the more individual their God. There never has been a nation without a religion, that is, without an idea of good and evil. Every people has its own conception of good and evil, and its own good and evil. When the same conceptions of good and evil become prevalent in several nations, then these nations are dying, and then the very distinction between good and evil is beginning to disappear. Reason has never had the power to define good and evil, or even to distinguish between good and evil, even approximately; on the contrary, it has always mixed them up in a disgraceful and pitiful way; science has even given the solution by the fist. This is particularly characteristic of the half-truths of science, the most terrible scourge of humanity, unknown till this century, and worse than plague, famine, or war. (Dostoyevski, 1872, II: I: VII).

Here we have the expression of the Russian soul, its repudiation of Petrinism, and in a manner similar to Spengler’s, the identification of faith, not darwinian zoology or economics, as the premise of culture-nation-race-formation, and the primacy of rationalistic doctrines as a symptom of decay.

‘Conflict Between Money & Blood’

Spengler states that at the Late – ‘Winter’ - epoch of a Civilisation where money-thinking dominates, a point is reached where there is a reaction: a ‘Second Religiousness’ which returns a decaying Civilisation to its spiritual foundations. There proceeds a revolt against oligarchy and a return to authority, or what Spengler called ‘Cæsarism’, and from there the fulfilment of a destiny before being eclipsed by a new high culture.

The Second Religiousness is the necessary counterpart of Cæsarism, which is the final political constitution of a Late Civilisation… In both phenomena the creative young strength of the Early Culture is lacking. But both have their greatness nevertheless. That of the Second Religiousness consists of a deep piety that fills the waking-consciousness… (Spengler, 1971, II, 310).

Spengler states that the ‘profoundly mystical inner life feels “thinking in money” as a sin’. The money-thinking imposed on Russia as Communism was ‘Western’ insofar as Marxism reflects the economic thinking of Western civilisation in its Late epoch, (Ibid., II, 402):

[A]n upper, alien and civilised world intruded from the West (the Bolshevism of the first years, totally Western and un-Russian, is the lees of this importation), and a townless barter-life that goes on deep below, uncalculating and exchanging only for immediate needs. We have to think of the catchwords of the surface as a voice, in which the Russian, simple and busied wholly with his soul bears resignedly the will of God. Marxism amongst Russians is based on an inward misunderstanding. They bore with the higher economic life of Petrinism, but they neither created it nor recognised it. The Russian does not fight Capital, but he does not comprehend it. Anyone who understands Dostoyevski will sense in these people a young humanity for which as yet no money exists, but only goods in relation to a life whose centre of gravity does not lie on the economical side. (Ibid., II, 495n)

dome.jpgSpengler states above that the Russians do not ‘fight’ capital. (Ibid., 495). Yet their young soul brings them into conflict with money, as both oligarchy from inside and plutocracy from outside contend with the Russian soul for supremacy. It was something observed by both Gogol and Dostoyevski. The anti-capitalism and ‘world revolution’ of Stalinism took on features that were drawn more from Russian messianism than from Marxism, reflected in the struggle between Trotsky and Stalin. The revival of the Czarist and Orthodox icons, martyrs and heroes and of Russian folk-culture in conjunction with a campaign against ‘ rootless cosmopolitanism’, reflected the emergence of primal Russian soul amidst Petrine Marxism. (Brandenberger, 2002). Today the conflict between two world-views can be seen in the conflicts between Putin and certain ‘oligarchs’ and the uneasiness Putin causes among the West.

The conflict that arises is metaphysical, but oligarchy and plutocracy can only understand the physical. Hence, ‘money-getting by means of money is an impiety, and (from the viewpoint of the coming Russian religion) a sin’. (Ibid.). ‘Money-getting by means of money’ manifests in speculation and usury. It is the basis upon which the economics of the Late West is founded, and from which it is now tottering. That this was not the case in the Gothic era of the West’s ‘high culture’ is indicated by the Church’s strident condemnation of usury as ‘ sin’.

Spengler predicted that in answer to the money-ethos a ‘third kind of Christianity’, based on the ‘John Gospel’, would arise, ‘looking towards Jerusalem with premonitions of coming crusades’. (Ibid.). The Russian also eschews the machine, to which Faustian man is enslaved, and if today he adopts Western technics, he does so ‘with fear and hatred of wheels, cables, and rails’, and will ‘blot the whole thing from his memory and his environment, and create about himself a wholly new world, in which nothing of this Devil’s technique is left’. (Ibid., II, 504).

Has time proved Spengler wrong in his observation that the Russian soul is repelled by the materialism, rationalism, technics and scientism of the Late West, given that the USSR went full throttle to industrialise? Spengler also said that Russia would adapt Western technics for her own use, as a weapon. Anecdotally, in our time, Barbara Brothers, a psycho-therapist, while part of a scientific delegation to Russia in 1993, observed that even among Russian scientists the focus is on the metaphysical:

The Russians seem not to make the divorce between ‘hard’ science and heart and soul that we do in the United States. Elena is probably a classic example. In her position as a part of the Academy of National Economy, a division of the Academy of Science, she works in facts and statistics all day long; when you ask her how (how in the world!) she thinks they will make it, she gives you a metaphysical answer. The scientist part of her gave a presentation that showed us how it was absolutely impossible for the economy to begin to work. Yet, she says, ‘I am not pessimistic’.

Again, Spengler’s observations of the Russian soul are confirmed by this anecdote: the true Russian – even the scientist and mathematician - does not comprehend everything as a ‘problem’ in the Late Western sense. His decisions are not made by Western rationalism, but by metaphysics and instinct. It is an interesting aside to recall that under the USSR, supposedly predicated on dialectical materialism, the metaphysical and the psychic were subjects of serious investigation to an extent that would be scoffed at by Western scientists.
(Kernbach, 2013).


By the time Spengler had published The Hour of Decision in 1934 he was stating that Russia had overthrown Petrinism and the trappings of the late West, and while he called the new orientation of Russia ‘Asian’, he said that it was ‘a new Idea, and an idea with a future too’. (Spengler, 1963, 60). To clarify, Russia looks towards the ‘East’, but while the Westerner assumes that ‘Asia’ and East are synonymous with Mongol, the etymology of the word ‘Asia’ comes from Greek Aσία, ca. 440 BC, referring to all regions east of Greece. (Ibid., 61). As an ethnic, historical, cultural or religious designation it means as little as as the World War I propaganda reference to Germans as ‘Huns’. During his time Spengler saw in Russia that,

Race, language, popular customs, religion, in their present form… all or any of them can and will be fundamentally transformed. What we see today then is simply the new kind of life which a vast land has conceived and will presently bring forth. It is not definable in words, nor is its bearer aware of it. Those who attempt to define, establish, lay down a program, are confusing life with a phrase, as does the ruling Bolshevism, which is not sufficiently conscious of its own West-European, Rationalistic and cosmopolitan origin. (Ibid.).

Of Russia in 1934 Spengler already saw that ‘of genuine Marxism there is very little except in names and programs’. He doubted that the Communist programme is ‘really still taken seriously’. He saw the possibility of the vestiges of Petrine Bolshevism being overthrown, to be replaced by a ‘nationalistic’ Eastern type which would reach ‘gigantic proportions unchecked’. (Spengler, 1963, 63).Spengler also referred to Russia as the country ‘least troubled by Bolshevism’, (Ibid.,182) and the ‘Marxian face [was] only worn for the benefit of the outside world’. (Ibid., 212). A decade after Spengler’s death the direction of Russia under Stalin had pursued clearer definitions, and Petrine Bolshevism had been transformed in the way Spengler foresaw. (Brandenberger, 2002).

Conclusion

As in Spengler’s time, and centuries before, there continues to exist two tendencies in Russia : the Old Russian and the Petrine. Neither one nor the other spirit is presently dominant, although under Putin Old Russia struggles for resurgence. Spengler in a published lecture to the Rheinish-Westphalian Business Convention in 1922 referred to the ‘ancient, instinctive, unclear, unconscious, and subliminal drive that is present in every Russian, no matter how thoroughly westernised his conscious life may be – a mystical yearning for the South, for Constantinople and Jerusalem, a genuine crusading spirit similar to the spirit our Gothic forebears had in their blood but which we can hardly appreciated today’. (Spengler, 1922).

Bolshevism destroyed one form of Petrinism with another form, clearing the way ‘for a new culture that will some day arise between “Europe” and East Asia. It is more a beginning than an end’. The peasantry ‘will some day become conscious of its own will, which points in a wholly different direction’. ‘The peasantry is the true Russian people of the future. It will not allow itself to be perverted or suffocated’. (Ibid.).

The ‘Great Patriotic War’ gave Stalin the opportunity to return Russia to its roots. Russia’s Orthodox foundations were returned on the basis of a myth, an archetypically Russian mysticism. The myth goes that in 1941:

The Virgin appeared to Metropolitan Ilya of the Antiochian Church, who prayed wholeheartedly for Russia. She instructed him to tell the Russians that they should carry the Kazan Icon in a religious procession around the besieged city of Leningrad (St Petersburg). Then, the Virgin said, they should serve a molieben [2] before the icon in Moscow. The Virgin said that the icon should stay with the Russian troops in Stalingrad, and later move with them to the Russian border. Leningrad didn’t surrender. Miraculously, Moscow was also saved. During the Battle of Stalingrad, the icon was with the Russian army on the right bank of the Volga, and the Nazi troops couldn’t cross the river. The Battle of Stalingrad began with a molieben before the Kazan Icon. Only when it was finished, did the troops receive the order to attack. The Kazan Icon was at the most important sectors of the front, and in the places where the troops were preparing for an offensive. It was like in the old times, when in response to earnest prayers, the Virgin instilled fear in enemies and drove them away. Even atheists told stories of the Virgin’s help to the Russian troops. During the assault on Königsberg in 1945, the Soviet troops were in a critical situation. Suddenly, the soldiers saw their commander arrive with priests and an icon. Many made jokes, ‘Just wait, that’ll help us!’ The commander silenced the jokers. He ordered everybody to line up and to take off their caps. When the priests finished the molieben, they moved to the frontline carrying the icon. The amazed soldiers watched them going straight forward, under intense Nazi fire. Suddenly, the Nazis stopped shooting. Then, the Russian troops received orders to attack on the ground and from the sea. Nazis died in the thousands. Nazi prisoners told the Russians that they saw the Virgin in the sky before the Russians began to attack, the whole of the Nazi army saw Her, and their weapons wouldn’t fire. (Voices from Russia).

The message to Metropolitan Ilya from The Theotokos [3] for Russia was that:

‘The cathedrals, monasteries, theological seminaries and academies have to be opened in the whole country. The priests have to be sent back from the front and released from incarceration. They must begin serving again…. When the war will be over, Metropolitan Elijah has to come to Russia and witness how she was saved’. The metropolitan contacted both Russian church representatives and Soviet government officials. Stalin then promised to do everything God indicated. (Russia before the Second Coming).

During ‘The Great Patriotic War’ 20,000 churches were opened. In 1942 the Soviet Government allowed Easter celebrations. On 4 September 1943 Stalin invited the hierarchs of the Russian Orthodox Church to the Kremlin to discuss the need for reviving religious life in the USSR and the prompt election of a Patriarch.

This is the type of Myth that is nation-forming. It exists as a constant possibility within Russia. Spengler stated in his lecture to the German businessmen in 1922 that,

There can be no doubt: a new Russian people is in the process of becoming. Shaken and threatened to the very soul by a frightful destiny, forced to an inner distance, it will in time become firm and come to bloom. It is passionately religious in a way that we Western Europeans have not been, indeed could not have been, for centuries. As soon as this religious drive is directed towards a goal, it possesses an immense expansive potential. Unlike us, such a people does not count the victims who die for an idea, for it is a young, vigorous, and fertile people. (Spengler, 1922).

The arch-Conservative anti-Marxist, Spengler, in keeping with the German tradition of realpolitik, considered the possibility of a Russo-German alliance in his 1922 speech, the Treaty of Rapallo being a reflection of that tradition. ‘A new type of leader’ would be awakened in adversity, to ‘new crusades and legendary conquests’. The rest of the world, filled with religious yearning but falling on infertile ground, is ‘torn and tired enough to allow it suddenly to take on a new character under the proper circumstances’. Spengler suggested that ‘perhaps Bolshevism itself will change in this way under new leaders’. ‘But the silent, deeper Russia,’ would turn its attention towards the Near and East Asia, as a people of ‘great inland expanses’. (Ibid.). Berdyaev, discussing the Slavophil outlook, wrote:

Russian reflections upon the subject of the philosophy of history led to the consciousness that the path of Russia was a special one. Russia is the great East-West; it is a whole immense world and in its people vast powers are confined. The Russian people are a people of the future; they will decide questions which the West has not yet the strength to decide, which it does not even pose in their full depth. (Berdyaev, 70).

There are no certainties. While Spengler postulated the organic cycles of a High Culture going through the life-phases of birth, youthful vigour, maturity, old age and death, it should be kept in mind that a life-cycle can be disrupted, aborted, murdered or struck by disease, at any time, and end without fulfilling itself. Each has its analogy in politics, and there are plenty of Russophobes eager to stunt Russia’s destiny with political, economic and cultural contagion. The Soviet bloc fell through inner and outer contagion.

What Spengler foresaw for the possibilities of Russia, yet to fulfil its historic mission, messianic and of world-scope, might now be unfolding if Russia eschews pressures from within and without. The invigoration of Orthodoxy is part of this process, as is the leadership style of Putin, as distinct from a Yeltsin for example. Whatever Russia is called outwardly, whether, monarchical, Bolshevik or democratic, there is an inner – eternal – Russia that endures and awaits its time on the world historical stage. We see it now with the re-emergence of Eurasianism, for example; not of the ‘East’ nor the ‘West’, but of Russia.

Notes

1. Ivan Sergyeyevich Aksakov (1823-1886) a Pan-Slavic leader, established the ‘Slavophil’ group at Moscow to restore Russia to its pre-Petrine culture.
2. Orthodox service for the sick.
3. Mary.

References

Berdyaev, Nikolai. The Russian Idea, MacMillan Co., New York, 1948
Brandenberger, D. National Bolshevism: Stalinist culture and the Formation of Modern Russian National Identity 1931-1956. Harvard University Press, Massachusetts, 2002.
Brothers, Barbara J. Psychiatry Today, 1 January 1993, http://www.psychologytoday.com/articles/199301/russia-soul
Chumachenko, T.A. Church and State in Soviet Russia, M. E. Sharpe Inc., New York, 2002.
Cournos, H. ‘Introduction’, N V Gogol, Taras Bulba & Other Tales, 1842, http://www.gutenberg.org/files/1197/1197-h/1197-h.htm
Dostoevsky, Fyodor. The Brothers Karamazov, 1880
Dostoevsky, Fyodor. The Possessed, Oxford University Press, 1992.
Kernback, S. ‘Unconventional research in USSR and Russia: short overview, 2013, http://arxiv.org/pdf/1312.1148.pdf
Russia before the Second Coming, Svyato-Troitskaya Sergiyeva Lavra Monastery, p. 239; Archbishop Alypy, ‘My thoughts about the Declaration of 1927’, 2 February 2005, http://www.stjamesok.org/ArbpAlypyBIO.htm
Spengler, Oswald. Prussian and Socialism, 1919.
Spengler, Oswald ‘The Two Faces of Russia and Germany’s Eastern Problems’, Politische Schriften, Munich, 14 February, 1922.
Spengler, Oswald. The Hour of Decision, Alfred A Knopf, New York, 1963.
Spengler, Oswald. The Decline of The West, George Allen & Unwin, London, 1971.
Trotsky, Leon. The Revolution Betrayed: what is the Soviet Union and where is it going?, 1936.
Voices from Russia, 15 January 2008, http://02varvara.wordpress.com/2008/01/15/the-wonderworking-icon-of-kazan-of-the-most-holy-mother-of-god/

Stoic indifference is a personal power

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Stoic indifference is a personal power

Ashley Bailey

© Raymond Depardon/Magnum

Ex: http://www.therussophile.org   

As legions of warriors and prisoners can attest, Stoicism is not grim resolve but a way to wrest happiness from adversity

We do this to our philosophies. We redraft their contours based on projected shadows, or give them a cartoonish shape like a caricaturist emphasising all the wrong features. This is how Buddhism becomes, in the popular imagination, a doctrine of passivity and even laziness, while Existentialism becomes synonymous with apathy and futile despair. Something similar has happened to Stoicism, which is considered – when considered at all – a philosophy of grim endurance, of carrying on rather than getting over, of tolerating rather than transcending life’s agonies and adversities.

No wonder it’s not more popular. No wonder the Stoic sage, in Western culture, has never obtained the popularity of the Zen master. Even though Stoicism is far more accessible, not only does it lack the exotic mystique of Eastern practice; it’s also regarded as a philosophy of merely breaking even while remaining determinedly impassive. What this attitude ignores is the promise proffered by Stoicism of lasting transcendence and imperturbable tranquility.

It ignores gratitude, too. This is part of the tranquility, because it’s what makes the tranquility possible. Stoicism is, as much as anything, a philosophy of gratitude – and a gratitude, moreover, rugged enough to endure anything. Philosophers who pine for supreme psychological liberation have often failed to realise that they belong to a confederacy that includes the Stoics. ‘According to nature you want to live?’ Friedrich Nietzsche taunts the Stoics in Beyond Good and Evil (1886):

O you noble Stoics, what deceptive words these are! Imagine a being like nature, wasteful beyond measure, indifferent beyond measure, without purposes and consideration, without mercy and justice, fertile and desolate and uncertain at the same time; imagine indifference itself as a power – how could you live according to this indifference? Living – is that not precisely wanting to be other than this nature? Is not living – estimating, preferring, being unjust, being limited, wanting to be different? And supposing your imperative ‘live according to nature’ meant at bottom as much as ‘live according to life’ – how could you not do that? Why make a principle of what you yourself are and must be?

senecaFUJR6XH4W_1.jpgThis is pretty good, as denunciations of Stoicism go, seductive in its articulateness and energy, and therefore effective, however uninformed.

Which is why it’s so disheartening to see Nietzsche fly off the rails of sanity in the next two paragraphs, accusing the Stoics of trying to ‘impose’ their ‘morality… on nature’, of being ‘no longer able to see [nature] differently’ because of an ‘arrogant’ determination to ‘tyrannise’ nature as the Stoic has tyrannised himself. Then (in some of the least subtle psychological projection you’re ever likely to see, given what we know of Nietzsche’s mad drive for psychological supremacy), he accuses all of philosophy as being a ‘tyrannical drive’, ‘the most spiritual will to power’, to the ‘creation of the world’.

The truth is, indifference really is a power, selectively applied, and living in such a way is not only eminently possible, with a conscious adoption of certain attitudes, but facilitates a freer, more expansive, more adventurous mode of living. Joy and grief are still there, along with all the other emotions, but they are tempered – and, in their temperance, they are less tyrannical.

If we can’t always go to our philosophers for an understanding of Stoicism, then where can we go? One place to start is the Urban Dictionary. Check out what this crowd-sourced online reference to slang gives as the definition of a ‘stoic’:

stoic
Someone who does not give a shit about the stupid things in this world that most people care so much about. Stoics do have emotions, but only for the things in this world that really matter. They are the most real people alive.
Group of kids are sitting on a porch. Stoic walks by.
Kid – ‘Hey man, yur a f**kin f****t an you s**k c**k!’
Stoic – ‘Good for you.’
Keeps going.

You’ve gotta love the way the author manages to make mention of a porch in there, because Stoicism has its root in the word stoa, which is the Greek name for what today we would call a porch. Actually, we’re more likely to call it a portico, but the ancient Stoics used it as a kind of porch, where they would hang out and talk about enlightenment and stuff. The Greek scholar Zeno is the founder, and the Roman emperor Marcus Aurelius the most famous practitioner, while the Roman statesman Seneca is probably the most eloquent and entertaining. But the real hero of Stoicism, most Stoics agree, is the Greek philosopher Epictetus.

He’d been a slave, which gives his words a credibility that the other Stoics, for all the hardships they endured, can’t quite match. He spoke to his pupils, who later wrote down his words. These are the only words we know today as Epictetus’, consisting of two short works, the Enchiridion and the Discourses, along with some fragments. Among those whom Epictetus taught directly is Marcus Aurelius (another Stoic philosopher who did not necessarily expect to be read; his Meditations were written expressly for private benefit, as a kind of self-instruction).

Among those Epictetus has taught indirectly is a whole cast of the distinguished, in all fields of endeavour. One of these is the late US Navy Admiral James Stockdale. A prisoner of war in Vietnam for seven years during that conflict, he endured broken bones, starvation, solitary confinement, and all other manner of torture. His psychological companion through it all were the teachings of Epictetus, with which he had familiarised himself after graduating from college and joining the Navy, studying philosophy at Stanford University on the side. He kept those teachings close by in Vietnam, never letting them leave his mind even when things were at their most dire. Especially then. He knew what they were about, those lessons, and he came to know their application much better than anyone should have to.

Stockdale wrote a lot about Epictetus, in speeches and memoirs and essays, but if you want to travel light (and, really, what Stoic doesn’t?), the best thing you could take with you is a speech he gave at King’s College London in 1993, published as Courage Under Fire: Testing Epictetus’s Doctrines in a Laboratory of Human Behavior (1993). That subtitle is important. Epictetus once compared the philosopher’s lecture room to a hospital, from which the student should walk out in a little bit of pain. ‘If Epictetus’s lecture room was a hospital,’ Stockdale writes, ‘my prison was a laboratory – a laboratory of human behaviour. I chose to test his postulates against the demanding real-life challenges of my laboratory. And as you can tell, I think he passed with flying colours.

Stockdale rejected the false optimism proffered by Christianity, because he knew, from direct observation, that false hope is how you went insane in that prison. The Stoics themselves believed in gods, but ultimately those resistant to religious belief can take their Stoicism the way they take their Buddhism, even if they can’t buy into such concepts as karma or reincarnation. What the whole thing comes down to, distilled to its briefest essence, is making the choice that choice is really all we have, and that all else is not worth considering.Who […] is the invincible human being?’ Epictetus once asked, before answering the question himself: ‘One who can be disconcerted by nothing that lies outside the sphere of choice.’

Any misfortune ‘that lies outside the sphere of choice’ should be considered an opportunity to strengthen our resolve, not an excuse to weaken it. This is one of the truly great mind-hacks ever devised, this willingness to convert adversity to opportunity, and it’s part of what Seneca was extolling when he wrote what he would say to one whose spirit has never been tempered or tested by hardship: ‘You are unfortunate in my judgment, for you have never been unfortunate. You have passed through life with no antagonist to face you; no one will know what you were capable of, not even you yourself.’ We do ourselves an immense favour when we consider adversity an opportunity to make this discovery – and, in the discovery, to enhance what we find there.

How did we let something so eminently understandable become so grotesquely misunderstood? How did we forget that that dark passage is really the portal to transcendence?

Many will recognise in these principles the general shape and texture of cognitive-behavioral therapy (CBT). Indeed, Stoicism has been identified as a kind of proto-CBT. Albert Ellis, the US psychologist who founded an early form of CBT known as Rational Emotive Behaviour Therapy (REBT) in 1955, had read the Stoics in his youth and used to prescribe to his patients Epictetus’s maxim that ‘People are disturbed not by things but by their view of things.’ ‘That’s actually the “cognitive model of emotion” in a nutshell,’ Donald Robertson tells me, and he should certainly know, as a therapist who in 2010 wrote a book on CBT with the subtitle ‘Stoic Philosophy as Rational and Cognitive Psychotherapy’.

This simplicity and accessibility ensure that Stoicism will never be properly embraced by those who prefer the abstracted and esoteric in their philosophies. In the novel A Man in Full (1998), Tom Wolfe gives Stoicism, with perfect plausibility, to a semi-literate prison inmate. This monologue of Conrad Hensley’s may be stilted, but there’s nothing at all suspect about the sentiment behind it. When asked if he is a Stoic, Conrad replies: ‘I’m just reading about it, but I wish there was somebody around today, somebody you could go to, the way students went to Epictetus. Today people think of Stoics – like, you know, like they’re people who grit their teeth and tolerate pain and suffering. What they are is, they’re serene and confident in the face of anything you can throw at them.’

Which leads us naturally to ask just what it was that was thrown at them. We’ve already noted that Epictetus had the whole slavery thing going on, so he checks out. So does Seneca, in spite of what many have asserted – most recently the UK classicist Mary Beard in an essay for the New York Review of Books that asks: ‘How Stoical Was Seneca?’ before providing a none-too-approving answer. What Beard’s well-informed and otherwise cogent essay fails to allow for is just how tough it must have been for Seneca – tubercular, exiled, and under the control of a sadistically murderous dictator – no matter what access he sometimes had to life’s luxuries. It was Seneca himself who said that ‘no one has condemned wisdom to poverty’, and only an Ancient Greek Cynic would try to deny this. Besides, Seneca would have been the first to tell you, as he told a correspondent in one of his letters: ‘I am not so shameless as to undertake to cure my fellow-men when I am ill myself. I am, however, discussing with you troubles which concern us both, and sharing the remedy with you, just as if we were lying ill in the same hospital.’

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Marcus Aurelius lay ill in that hospital, too. As beneficiary of the privileges of emperor, he also endured the struggles and stresses of that very same position, plus a few more besides. I know better than to try to improve on the following accounting, provided in Irvine’s A Guide to the Good Life:
He was sick, possibly with an ulcer. His family life was a source of distress: his wife appears to have been unfaithful to him, and of the at least 14 children she bore him, only six survived. Added to this were the stresses that came with ruling an empire. During his reign, there were numerous frontier uprisings, and Marcus often went personally to oversee campaigns against upstart tribes. His own officials – most notably, Avidius Cassius, the governor of Syria – rebelled against him. His subordinates were insolent to him, which insolence he bore with ‘an unruffled temper’. Citizens told jokes at his expense and were not punished for doing so. During his reign, the empire also experienced plague, famine, and natural disasters such as the earthquake at Smyrna.

Ever the strategist, Marcus employed a trusty technique in confronting the days that comprised such a life, making a point to tell himself at the start of each one of them: ‘I shall meet with meddling, ungrateful, violent, treacherous, envious, and unsociable people.’ He could have been different about it – he could have pretended things were just hunky-dory, especially on those days when they really were, or seemed to be. But how, then, would he have been prepared to angle both into the wind and away from it – adapting, always, to fate’s violently vexing vicissitudes? Where would that have left him when the weather changed?

Lary Wallace is features editor of Bangkok Post: The Magazine. He has written for the Los Angeles Review of Books, The Paris Review Daily, The Library of America Reader’s Almanac, and others.

jeudi, 05 novembre 2015

Libérer la parole par la liberté d’expression?

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Libérer la parole par la liberté d’expression?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Prendre la parole était l’un des slogans de 68 et il m’est resté cher. A cette époque, il fallait prendre la parole comme sujet libre, autonome, indépendant. Ça me fascinait, j’allais me libérer et j’applaudissais la liberté d’expression. Je ne savais pas que le désir de liberté peut conduire dans le néant, le terrorisme, le désespoir. Je n’avais pas lu Dostoïevski, celui qui a inspiré Svetlana Alexievitch, cette année prix Nobel de la paix.

Ce désir de libérer la parole, comme on dit encore aujourd’hui, n’était pas vraiment  nouveau : c’était déjà celui de la psychanalyse avec un patient qui, au début, balbutie mais en vient progressivement à s’exprimer comme sujet et non comme le réceptacle des discours qui l’entourent, celui du père surtout. C’était si peu nouveau que déjà les prophètes de l’Ancien Testament s’efforçaient de prendre la parole indépendamment de tout ce qui enchainait Israël. La différence était que les prophètes s’appuyaient sur la parole d’un Autre, l’Eternel, et qu’eux, contrairement aux soixante-huitards, ne visaient pas à se poser comme sujets émancipés. Au contraire ! L’Eternel était tout-puissant et eux ne l’étaient pas. En outre, ils avouaient qu’ils comprenaient mal ce que le tout-puissant leur disait, « ses pensées n’étant pas leurs pensées » (Esaïe,  55 : 8).

Sommes-nous aujourd’hui, suite à mai 68, dans un monde où chacun prend la parole en son nom propre ? Poser la question, c’est y répondre. Les êtres que nous côtoyons sont souvent des perroquets, et nous aussi le sommes parfois. Ne répétons-nous pas quotidiennement un discours sur les droits de l’homme, la nécessaire émancipation de tel ou tel groupe opprimé, les processus de paix. Ce n’est pas nous qui parlons alors, mais ce qu’on appelait en Grèce antique la « doxa », et que nous appelons aujourd’hui le politiquement correct.

Se demander si c’est vraiment un individu libre qui parle est une question importante. On se l’est posée à Jérusalem. La parole des prophètes était-elle libre ? La réponse fut parfois négative, comme aujourd’hui elle l’est pour la plupart de nos contemporains. Pour eux, ce n’est d’ailleurs même pas une réponse, parce qu’ils sont en pilotage automatique contre toute religion. A Athènes, les choses se sont passées différemment. On a cherché une parole libre en songeant à Socrate. Mais il ne « prenait » pas la parole, il dialoguait.

Je ne crois pas que nous pourrons jamais développer une parole libre. En même temps, je suis convaincu qu’il faut s’efforcer de le faire. Position inconfortable mais dont je ne vois pas qu’on puisse lui échapper.

Ce qui me frappe beaucoup aujourd’hui est que ceux qui parlent dans l’espace public prétendent  toujours parler librement grâce à la liberté d’expression, mais qu’en réalité ils parlent au nom de quelqu’un ou quelque chose d’autre : la science, le progrès et surtout les faits, dont on nous dit qu’ils parlent d’eux-mêmes. Devant des faits, pas question de prendre la parole. On oublie qu’un fait doit être dit, doit passer par la parole, pour parvenir à la conscience. Il n’y a pas d’individus libres et autonomes devant des faits qui parlent d’eux-mêmes.

Tout se passe comme si nous n’arrivions pas à parler par nous-mêmes et que nous devions placer nos propos sous l’autorité de quelque « père », (pour parler en termes psychanalytiques ou théologiques). Parfois, pour nous faire entendre, nous nous réclamons d’une entité toute-puissante dans une vaine tentative d’imposer ces propos d’en-haut. C’est surtout une rationalité étroite qui, aujourd’hui, est devenue notre « père tout-puissant ». La soi-disant extrême droite et aussi la gauche extrême sont sévèrement tancés pour ne pas respecter les chiffres, les statistiques et donner dans des émotions, respectivement la peur et un enthousiasme délirant. Les gardiens de la rationalité n’ouvrent les portes du temple qu’à des individus lisses et corrects, les pharisiens de la modernité. Au côté des politiciens locaux qui aiment s’appuyer sur l’autorité indiscutable des chiffres, comme le parti libéral-radical en Suisse, il y a encore des pouvoirs supranationaux, des pères presque célestes. La cour européenne des droits de l’homme ou, tout récemment, l’OMS qui, sur la base d’impitoyables calculs nous a dit comment nous devons nous comporter devant notre assiette. Les risques de cancer sont plus élevés chez ceux qui mangent de la viande rouge d’où un commandement : « tu ne mangeras pas ou peu de viande rouge ». Le « père » a parlé. Des experts ou chercheurs de L’OMS récitent ce  commandement, mais sans prendre du tout la parole. Plus les propos s’adossent à un « père » terrestre et tout-puissant, moins ils proviennent d’un individu libre et autonome. Le père tout-puissant de la Bible fait horreur, mais pas l’OMS.

En nous débarrassant du père tout-puissant de la Bible, nous ne nous sommes pas libérés. Nous en avons seulement choisi un autre ou plusieurs autres. Saint Paul l’a senti qui restait perplexe devant la loi, allant même jusqu’à dire qu’elle conduisait à la mort. Effectivement, un individu dont le comportement et les propos sont calqués sur une loi devant laquelle il n’a rien à dire, ne peut exister, est mort, comme le savent bien les psychanalystes.

Seul le Christ me semble avoir parlé pleinement à partir de lui, de sa chair. Mais ce que je viens de dire est faux, puisqu’il déclare : « les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même » (Jean : 14).

Ce passage de Jean signale une voie de salut hors du dilemme stérile entre parler comme sujet libre ou « être parlé », conditionné, par divers « pères » terrestres qui courent les rues comme autant de petits diables vendant leur marchandise médiatique à la criée. De quoi s’agit-il ?

Dans nos misérables existences, n’avons-nous pas senti, parfois, que nous ne parlions pas à partir de nous-mêmes et que pourtant, nous étions miraculeusement libres ? Que nos paroles étaient transportées par un souffle venu d’ailleurs ? La manière dont nous nous sommes alors exprimés, ne révélait-elle pas que nos paroles ne provenaient pas de nous et que pourtant nous n’étions pas asservis à une parole morte comme l’est la parole médiatique aujourd’hui ? Conclusion : parler à partir de soi-même est peut-être un principe régulateur au sens de Kant (un objectif inatteignable), mais au fond, nous cherchons surtout à être portés par l’esprit plutôt que par les tristes ruminations de notre petit moi ou les glaciales déductions de notre intellect.

Depuis la « belle époque » (mai 68) des aspirations à une parole libre et autonome, la situation a basculé. A force de vouloir parler comme sujet libre, on en vient à se faire le porte-parole de préjugés ou d’idées toute faites. Pas seulement un porte-parole mais un esclave pavlovien. A force de se vouloir libre, on est tombé dans la servitude. Normal ! Le moi souverain à partir duquel on veut prendre la parole est une chimère, une coquille vide. Dès lors, pour continuer à dire quelque chose, il faut meubler ce vide avec des chiffres ou quelque autre entité toute-puissante et intimer à tout le monde de suivre sans broncher.

Des discours politiques nous sont ainsi assénés comme s’ils provenaient d’un Autre irréfutable, des commandements d’un « père » qu’on ne discute pas. Tandis que la notion de père céleste dans la Bible provoque aujourd’hui des ricanements, les esprits sont asservis à une toute-puissance de la science ou des faits, autrement plus tyrannique que le discours d’un leader charismatique.

A chacun de choisir son asservissement. Comme me l’a dit une fois un commentateur sur ce site, notre seule liberté est de choisir nos chaînes. Il y a des chaînes qui asservissent au point d’abrutir, d’autres non. A chacun de choisir.

Jan Marejko, 3 novembre 2015

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mercredi, 04 novembre 2015

Entrevista al autor de "Ayn Rand y Leo Strauss" y "Crónicas del austericidio"

Entrevista al autor de "Ayn Rand y Leo Strauss" y "Crónicas del austericidio"

Entrevista a Francisco José Fernández-Cruz Sequera realizada en el programa "Una hora en libertad" de Radio Inter el 10-10-2015, con motivo de la publicación de los libros "Ayn Rand y Leo Strauss. El capitalismo, sus tiranos y sus dioses" y "Crónicas del austericidio"

Pour commander le livre/To order the book: http://editorialeas.com/shop/

mardi, 03 novembre 2015

La servitude est volontaire

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La servitude est volontaire

Vivien Hoch
Doctorant en philosophe, consultant en communication

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

La « pensée correcte » ou le conformisme, autrement dit « bienpensance », est l’un des fruits de la normalisation, c’est-à-dire du pouvoir des normes invisibles et non juridiques. Nul ne rédige une norme : elle s’impose à travers un réseau de pouvoirs et d’oppressions psychologiques où s’exerce moins le pouvoir d’un seul que la servitude de tous. La norme asservit les intelligences, et leur est tellement présente qu’elle est les bornes immanentes de la créativité, de la raison et de la lucidité. Toute cette oppression ne sert qu’à une chose : rendre volontaire la servitude.

Boetie_1.jpgComment cette tyrannie diffuse opère-t-elle, et nous coupe de toute possibilité d’exercer une quelconque liberté ? Etienne de la Boétie, dans De la servitude volontaire, montre que la liberté est très simple à obtenir : le tyran et ses amis ne pèsent rien face au peuple tout entier. Seulement, pour désirer quelque chose, il faut l’avoir connu. C’est pourquoi le tyran et ses amis tentent par-dessus tout de supprimer la mémoire de la liberté pour asseoir sa tyrannie. Pour cela, pas besoin de prendre la peine de supprimer la mémoire de la masse : l’abrutir suffit largement. Du pain et des jeux, disaient déjà les romains : nous avons les séries télévisuelles de masse, qui servent à saturer l’intelligence avec le non sens et l’affect primaire. Ce qui permet, par exemple, de faire passer tranquillement l'acceptation d'une arithmétique électorale étrange, comme en Suisse récemment.   Une tyrannie bien entretenue s’enracine dans l’ignorance et se perpétue par l’oubli de la liberté.

Un autre thème obsédant du discours sur la servitude d’Étienne de la Boétie, c’est celui des masques derrière lesquels se cachent le tyran et ses amis afin de tromper le peuple. Quel est le masque de nos tyrans ? C’est celui de la révolte. Nos tyrans mettent en exergue les cas-limites (insistance sur les différentes indignations dialectiques, mise en avant du monde LGBT, accueil de la « différence » étrangère et le financement des officines d’extrême-gauche mobilisées contre les « oppressions » « patriarcales », « colonialistes », « raciales », ect.), pour asseoir leur domination idéologique. La normalisation de la « révolte » ne cache en fait qu’un horrible conformisme à une pensée unique, qui vise à rendre invisibles les libertés. « L’époque qui ose se dire la plus révoltée n’offre à choisir que des conformismes. », écrivait Albert Camus.

Peu de périodes ont eu aussi peur de la liberté. Tâchons de ne pas l’oublier.

Vivien Hoch, 23 octobre 2015

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F.T. Marinetti - Caffeina d'Europa

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F.T. Marinetti

Caffeina d'Europa

Tentare di definire Filippo Tommaso Marinetti a più di 70 anni dalla morte è un esperimento difficile. Possiamo definirlo un “rivoluzionario”, un “cortocircuito” della storia culturale europea, ma soprattutto, un profetico anticipatore, ai limiti dell'incredibile. Dalla propaganda allo scandalo all'editoria, Marinetti è stato il protoideatore dei fenomeni di comunicazione di massa che oggi caratterizzano le nostre vite; nei suoi scritti compaiono descrizioni fantascientifiche di nuove tecnologie e abitudini, pienamente rintracciabili oggi in computer e social networks.
 
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Scuotere l’Italia “a suon di schiaffi e dinamite”, scrive Giordano Bruno Guerri nella biografia dedicata a Marinetti, era la missione del padre del Futurismo e di tutte le sue declinazioni. Lo schiaffo, la dinamite: la rinascita artistica che comincia da una particella elementare, il suono, una rifondazione che parte dal segno, dalla radice, per sconvolgere le fondamenta di un’intera cultura.

«Col preannunzio sciroccale del Hamsin e dei suoi 50 giorni taglienti di sanguigne scottature desertiche nacqui il 22 dicembre 1876 in una casa sul mare ad Alessandria d’Egitto». Secondogenito di una giovane coppia milanese, F.T. nasce in terra africana per volere del padre Enrico, avvocato, convinto al trasferimento dalle buone prospettive di lavoro offerte dall’apertura del Canale di Suez. Insieme al fratello Leone viene educato al Collegio Internazionale San Francesco Saverio, un istituto gesuitico dove incontrerà un altro illustre innovatore della poesia italiana del Novecento, Giuseppe Ungaretti. Grazie alle ingenti somme guadagnate dagli affari del padre, perfeziona gli studi con un baccalaureato a Parigi nel 1894. Dopo il soggiorno parigino, eccolo in territorio italiano, a Pavia, dove raggiunge il fratello per studiare legge, facoltà che abbandonerà presto a causa della morte di Leone. Conclude gli studi universitari a Genova e vince nel frattempo il concorso parigino Samedis populaires con il poemetto Les vieux marins. Il componimento è il taglio del nastro agli ambienti intellettuali francesi: in breve tempo viene pubblicata la sua prima raccolta di poesie, La Conquete des Étoiles, la carriera giuridica definitivamente accantonata. Continua a comporre versi in stile liberty e simbolista, guardando a Mallarmé e D’Annunzio – stimato rivale quest’ultimo, amato e odiato, lui stesso si definì “figlio di una turbina e di D’Annunzio, da cui sarà definito “cretino fosforescente”. Nel 1905 fonda la rivista Poesia, la nuova palestra del verso parolibero firmato F.T. Nel 1908 eccolo tirato fuori da un fossato a Milano, nella sua automobile, uscito fuori strada per evitare due ciclisti; l’episodio si farà aneddoto – come poi molti altri – e diventerà per Marinetti la chiave di lettura della rivoluzione culturale programmata per il prossimo anno: l’uomo estratto dall’automobile è l’uomo nuovo futurista che dopo aver vinto l’inferno della tradizione ed aver accantonato lo stile liberty e decadentista rappresentato dai due «noiosi» ciclisti, può volgersi all’istituzione di un’arte nuova, rivoluzionaria.

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Il febbraio 1909 è arrivato. Tutto è pronto per il lancio della bomba. F.T. ha sedotto Rose Fatine, 20 anni, figlia di Mohamed el Rachi Pascià, un vecchio egiziano, ricco azionista de LeFigaro. Grazie alla buona intesa dei giovani amanti, l’uomo asseconda la bizzarra richiesta dell’italiano, ignaro del privilegio di partecipare ad un evento storico mondiale: pubblicare sul giornale il suo Manifesto. Il 20 febbraio 1909 sul quotidiano nazionale francese viene lanciata la bomba: esce il Manifesto del Futurismo, undici punti, con appendice. Il Futurismo è fondato. Sintetizzerà Marinetti: «E’ un movimento anticulturale, antifilosofico, di idee, di intuiti, di istinti, di schiaffi, pugni purificatori e velocizzatori. I futuristi combattono la prudenza diplomatica, il tradizionalismo, il neutralismo, i musei, il culto del libro.» La parola d’ordine è “Velocità”. Come dinamismo, come simultaneità, come meccanicismo e libertà. Marinetti stravolge ogni dogma della poesia e delle arti e ne ritaglia un vestito nuovo, “moderno”, diremmo oggi, come il secolo XX. Protagonista di quest’ultimo, annuncia F.T., sarà la Macchina, metafora dell’impeto prometeico dell’uomo nuovo. Per evitare una volta per tutte l’associazioni del poeta Marinetti e del futurismo all’idea infantile e brutale dell’adorazione della macchina e della modernolatria, ecco un passo del discorso che F.T. stesso tenne nel 1924 alla Sorbona:« Io intendo per macchina tutto ciò ch’essa significa come ritmo e come avvenire; la macchina dà lezioni di ordine, disciplina, di forza, di precisione, d’ottimismo e di continuità. […] Per macchina, io intendo uscire da tutto ciò che è languore, chiaroscuro, fumoso, indeciso, mal riuscito, trascuratezza, triste, malinconico per rientrare nell’ordine, nella precisione, la volontà, lo stretto necessario, l’essenziale, la sintesi». Il Manifesto è discusso in tutta Europa, i giornali lo chiamano “Caffeina d’Europa”. Intanto Marinetti continua a scrivere poesie, romanzi e testi teatrali, tra cui si ricordano “ Gl’Indomabili”, il censuratissimo “Mafarka il futurista” e la sceneggiatura “ Re Baldoria”. La fama di Marinetti si diffonde per tutto il Vecchio Continente, legata soprattutto alle esuberanze e ai modi “futuristi” di F.T. & Co. In particolar modo diventano celebri le serate-futuriste: spettacoli teatrali in cui vengono fuse performance di vario genere, dalla declamazione alla piéce teatrale, durante cui il futurismo fa da protagonista e le bagarre e gli scontri con il pubblico sono la norma, e ne alimentano la curiosità. Il 1911 inaugura la stagione dei viaggi del poeta e della maggiore sperimentazioni linguista e letteraria. Scoppiata la guerra con la Libia, parte al fronte come reporter per un quotidiano d’oltralpe. Poi è a Mosca e San Pietroburgo, invitato dai futuristi russi a fare propaganda. Nel frattempo in Lacerba, la rivista fiorentina diretta da Papini e Soffici, il futurismo trova il miglior canale di diffusione in Italia parallelamente alla pubblicazione di Zang Tumb Tumb, un reportage bellico scritto in parole in libertà. La prima guerra mondiale fa esplodere il cuore di Marinetti, che, in seguito all’attentato di Sarajevo, si arruola volontario: è a Caporetto ma anche a Vittorio Veneto. Tornato dal conflitto si interessa alla politica cui lo spirito rivoluzionario affascina Mussolini che si avvarrà di molti futuristi nel giorno della proclamazione dei fasci di combattimento, nel 1919 al San Sepolcro. Giudicate passatiste e reazionarie le idee di Mussolini, se ne allontanerà, pur sempre rimanendo rispettato e considerato dal Duce. Si lega nel frattempo a Benedetta Cappa, pittrice e poetessa che accompagnerà Marinetti fino alla fine dei suoi giorni, sua «eguale, non discepola». Nel ’35 parte volontario in Africa Orientale, nel ’42 si arruola per la campagna di Russia. Marinetti viene rimpatriato con l’arrivo dell’autunno, spossato e in precario stato fisico. La morte lo coglie il 2 dicembre 1944, a Bellagio sul Lago di Como, all’alba dopo una notte di lavoro poetico consacrato al Quarto d’ora di poesia della X mas, complice il cuore.

Tentare di definire Filippo Tommaso Marinetti a più di 70 anni dalla morte è un esperimento difficile, che richiede capacità di sintesi ben collaudate; sicuramente possiamo definirlo un “rivoluzionario”, nonostante le ideologie e i numerosi detrattori che F.T. ha avuto. Sicuramente possiamo definirlo un “cortocircuito” della storia culturale europea, ma fu soprattutto un profetico anticipatore, ai limiti dell’incredibile. Dalla propaganda allo scandalo all’editoria, Marinetti è stato il protoideatore dei fenomeni di comunicazione di massa che oggi caratterizzano le nostre vite; nei suoi scritti compaiono descrizioni fantascientifiche di nuove tecnologie e abitudini, pienamente rintracciabili oggi in computer e social networks. Nonostante le ortodosse e insipide categorizzazioni a cui è stato sottoposto, Marinetti resta nella sua natura contraddittoria un personaggio tanto affascinante quanto enigmatico. Intellettuale rivoluzionario, dissidente, fervente agitatore aderì al fascismo cui si allontanò disprezzando leggi marziali e reazionarismo; libertino, don Giovanni, promotore del libero amore e del tradimento e fautore dell’emancipazione totale e disinibita delle donne, fu padre modello di tre figlie e marito presente; anticlericale al fulmicotone, accesissimo nemico della Chiesa, si sposò cristianamente, fece battezzare e cresimare le figlie, e non si privò né dell’estrema unzione né dei funerali religiosi.

Se è vero che ognuno è figlio del suo secolo, sarà vero in questo caso anche il contrario. Il secolo delle contraddizioni e dello stravolgimento totale che il Novecento rappresenta ha un padre illustre. Permettendoci di citare Bontempelli diremmo: le parole gridate da Marinetti sono quelle che partoriscono un nuovo secolo.

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Oskar Freysinger: Contre l'Homme nouveau

Vidéo-entretien: Oskar Freysinger Contre l'Homme nouveau

Source: http://www.bvoltaire.fr