mercredi, 08 juin 2016
Idéologie : l'idée comme force
L'idée comme force !...
Nous reproduisons ci-dessous un texte de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site et consacré à l'idéologie. Spécialiste de la communication et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais et a publié dernièrement La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2016).
Idéologie : l'idée comme force
par François-Bernard Huyghe
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com
Comment parler de façon non idéologique de l'idéologie (dont on sait bien que c'est l'idée de l'Autre) ? La définir, c'est se poser en maître de vérité, dévoilant aux égarés les leurres dont ils sont dupe : ceci est la vérité (ou de la science, ou la réponse technique, ou voici une vision pragmatique du monde tel qu'il est) cela est l'idéologie !
La plupart des définitions de l'idéologie insistent sur son côté :
- irréel (irréfutables, parce qu'insensibles au démenti). L'idéologie (souvent assimilée à une maladie de l'idéalisme qui prendrait ses rêves pour des réalités) est alors une machine à décoller du concret et du vérifiable, à imaginer de fausses espérances, des explications fallacieuses, une pseudo logique dans les événements, à balayer toutes les critiques ou les objections de la raison, à réinterpréter les faits dans le sens qui arrange « Une idéologie est précisément ce que son nom indique : elle est la logique d’une idée….L’émancipation de la pensée à l’égard de l’expérience. » disait Hananh Arendt. L'idéologie est donc surtout non-vraie dans cette perspective.
- "bricolé" : l'idéologie n'est pas totalement délirante. Simplement mêlant des discours pseudo-rationnels, présentant une cohérence et une logique relative, elle trouve des explications et forge une apparente cohérence explicative ou prospective. Elle imite la science mais n'est qu'un système de représentations qui donne réponse à tout, et qui est symptomatique des préconceptions de celui qui le formule et qui s'auto-illusionne plutôt qu'une démarche pour approcher de la réalité. L'idéologie, c'est du vrai, plus du faux, plus du spéculatif, plus de l'indécidable, plus du douteux formant un tout. L'idéologie est inconsistante.
- son caractère de "fausse conscience", ou vision "inversée" de la réalité. Cest ici la définition marxiste classique. Les hommes qui ont des positions de classe formulent des systèmes intellectuels pour s'expliquer le monde tel qu'il leur apparaît (donc avec toute la subjectivité due à leur position historique). Ces systèmes, qui reflètent en réalité leurs intérêts, ils les prennent pour des vérités universelles et souvent même les dominés, à rebours de leurs intérêts réels adoptent l'idéologie que leur imposent les dominants. C'est par exemple une idéologie qui décrit comme naturel, juste et conforme à la raison un monde où les dominants dominent et où les dominés ne se révoltent pas. Mais les marxistes ajoutent que l'on peut échapper à la malédiction de la fausse conscience et produire de la science. Certes, par un effort intellectuel (la production théorique) mais aussi et surtout en adoptant le point de vue de la classe "universelle", le prolétariat, appelé à réaliser les potentialités universelles de l'homme et de la raison humaine. Bien sûr, les malins remarquent que les raisonnement est un peu circulaire : tandis que vous, vous faites de l'idéologie (ce qui démontre combien vous êtes égaré par vos intérêts de classe, comme je peux le montrer scientifiquement) ; moi, je dis la vérité parce que le marxisme est scientifique, il est scientifique parce qu'il correspond au mouvement historique de la réalité, il y correspond parce que je dis la vérité. Vous ignorez cette vérité parce que vous êtes dans l'idéologie. Dans cette optique, l'idéologie est un aveuglement symptomatique.
- "légitimant". L'idéologie n'est pas une méthode pour résoudre des questions et pour juger, par exemple, si quelque chose est souhaitable (ainsi : un certain type de régime politique), elle le présuppose au départ. Elle est une réponse déguisée en question ou une valeur qui cherche réalisation mais se prend pour une rationalité. Elle part de ce qu'elle devrait prouver à la fin (ce qui est juste, ce qu'il faut faire ou au contraire, ce qu'il faut supprimer, la cause des malheurs du monde) et conclut forcément là où elle voulait mener. L'idéologie est un moyen au service d'une fin.
Les quatre visions ne sont, du reste, pas incompatibles (l'on peut, par exemple, penser que les hommes bricolent des pseudo-explications avec des faits pour légitimer des valeurs, parce qu'ils sont victimes d'une fausse conscience...). Il est permis de penser qu'elles ont toutes leur part de vérité, dans la mesure où elles décrivent le rôle des idéologies. Une idéologie, ce n'est pas seulement une idée à laquelle on peut adhérer ou pas, ce n'est même pas un corpus, un ensemble de notions et affirmations ayant une relation de cohérence entre elles, c'est un code : une machine à produire de nouvelles interprétations conformes aux finalités du modèle. Une idéologie permet tout à la fois de rêver, de croire que l'on possède une explication du monde, de s'imaginer que l'on échappe à l'idéologie (c'est une différence avec la foi : chacun dit "je le crois parce que c'est ma religion", personne ne dit "je le crois parce que c'est mon idéologie"). Enfin l'idéologie sert à rentrer dans une communauté (avec tous ceux qui partagent la même vérité que vous) et, ce n'est peut-être pas le moins important, à se faire des ennemis. Où au moins à désigner le mal : l'idéologie adverse. Toute idéologie est en effet une "pensée contre" qui s'oppose aux idées mauvaises ou fausses (ce qu'elle nomme justement "idéologies"), ne vit que dans le conflit avec elle et avec une autre communauté de croyants et se condamne par là même à convaincre sans cesse, à augmenter les nombre de ses adhérents (au détriment de l'erreur et du mal). Du reste on reconnaît assez bien un discours idéologique à ceci qu'il explique qu'il faut se battre pour libérer l'humanité du poison des idéologies perverses : néolibéralisme, nationalisme archaïque, islamisme, tiers-mondisme anti-américain, utopisme altermondialisme, populisme sécuritaire fascisant suivant le cas..
En fait l'idéologie pose une question
- philosophique : qu'est-ce que la vérité ? la doxa (l'opinion communément admise) ? l'erreur ?
- épistémologique : comment se fait-il que l'on arrive à des conclusions ou bien vraies ou bien fausses ou bien fallacieuses (parfois à partir des mêmes éléments d'information) ? comment accéder à la connaissance vraie en évitant le piège de l'idéologie ?
- historique et politique : est-ce l'idéologie qui gouverne l'action des hommes ? n'y a-t-il rien à faire pour leur faire adopter une conduite raisonnable ? l'idéologie est-elle secondaire par rapport à d'autres facteurs déterminants comme les intérêts géopolitiques ou l'économie ?
- psychologique ou sociologique : comment se fait-il que tel individu ou tel groupe se rattache à telle idéologie ? et qu'il puisse en changer ?
L'auteur de ces lignes n'a aucune prétention à les résoudre. En revanche, il serait se permet de préconiser une approche médiologique.
En l'occurrence, il ne s'agirait plus de poser la question de l'idéologie dans son rapport à la connaissance vraie, ni aux valeurs justes, mais dans sa relation avec l'action. L'idéologie n'est pas faite (uniquement) pour expliquer le monde, mais pour le changer : son adoption, le nombre et la qualité de ses adeptes est censé produire un changement politique, à se traduire en un nouveau rapport de pouvoir ici et maintenant.
C'est une idée qui veut devenir une force. On nous objectera qu'il existe des idéologies conservatrices, dont la fonction est précisément de nous convaincre qu'il ne faut rien changer d'essentiel dans le réel tel qu'il est, et que nous devons continuer à croire et à faire ce que nous avons toujours cru et fait.
Mais, si ce sont vraiment des idéologies qui se défendent et se propagent (et non des cultures dans lesquelles on baigne et qui se transmettent), elles sont obligées d'appeler à un combat contre la subversion, l'erreur, la menace... Elle créent par là même un certain dynamisme : il leur faut sans cesse produire des contre-arguments, des projets, des enjeux..
Une idéologie, c’est une force en marche, une idée de tête en tête. Elle a besoin de vecteurs et relais. Toute idéologie veut changer le monde sous couleur de l’interpréter. Son succès dépend de configurations stratégiques et techniques qui lui confèrent plus ou moins d’impact. On l'adapte et on l'adopte : elle s'intériorise.
Pour cela, il faut des médias pour transmettre le message (et, si possible, étouffer le message contraire), Il faut s'adapter à un milieu à conquérir et il faut enfin et surtout une stratégie et des gens. Une stratégie pour propager l'idéologie, par exemple une technique de prosélytisme ou de propagande. Il faut des gens pour commenter, illustrer et faire passer l'idéologie. Selon les lieux et les époques, ces gens là se nomment des missionnaires, des militants, des journalistes, des intellectuels, des minorités actives...
La propagation d'une idéologie requiert donc :
- le bon message. Le bon message est certes "persuasif" donc capable d'entraîner la conviction de celui qui le reçoit par une démonstration (administration de preuves dont éventuellement des preuves par l'image, mais aussi raisonnement amenant le destinataire aux mêmes conclusions que vous), mais il est aussi émotif. Au-delà de la question de la démonstration rationnelle ou pseudo-rationnelle, il s'agit aussi de toucher la corde affective, de provoquer des sentiments d'admiration, de répulsion, d'indignation, d'enthousiasme, etc.
Mais aussi d'amener le destinataire à croire que les conclusions qu'il retire coïncident avec des valeurs fondamentales de liberté, de justice, etc.
Nous retrouvons là une vieille recette de la rhétorique antique : logos plus pathos plus ethos. Avec cette différence que l'idéologie ne doit pas seulement persuader d'un fait passé ou futur (Untel est innocent, telle loi contribuera à la prospérité du pays), elle ne doit pas seulement amener à certaines généralisations intellectuelles (le capitalisme a provoqué la crise, donc il faut imaginer un autre système,ce régime islamiste viole les droits de l'homme donc il faut établir une démocratie laïque partout dans le monde), elle doit inciter à s'engager ou à agir (au minimum : voter, soutenir), du moins à adopter un ensemble de cadres de pensée. Ils permettent à l'idéologie de s'auto-reproduire. Nous entendons qu'elle amènera le néophyte à choisir à l'avenir la réponse conforme à l'idéologie (la crise semble s'atténuer, donc les rares mécanismes étatiques subsistant pour contrôler l'économie sont indispensables face au excès de l'ultra-libéralisme, ce régime islamiste organise des élections, donc elles sont truquées). Précisons que le fait que le message se révèle ou bien faux ou bien vrai (au sens de : confirmé par les faits) ne change rien à son efficacité.
- le bon média. Pour remplir les cerveaux, il faut pouvoir les atteindre. Ne serait-ce que pour les immuniser contre les messages adverses. D'où la nécessité suivant les époques d'avoir une collection chez un grand éditeur toute dévouée à votre chapelle intellectuelle, de lancer un journal militant reflétant les thèses de votre parti, de financer une télévision internationale d'information favorisant l'influence de votre pays ou d'établir un réseau de vos partisans présents sur les forums et les sites.
- le bon milieu. Ce qui s'entend dans les deux sens : il faut envoyer le message par des vecteurs et avec le soutien de relais efficaces dans des termes qui correspondent à la culture au sens large de leurs destinataires. Il faut que l'interprétation qu'il fera de l'idéologie coïncide avec ce qu'il sait, ce qu'il croit, ce qu'il respecte et ce qu'il refuse. Mais la règle du milieu vaut dans l'autre sens : l'idéologie ne prospère qu'autant que ses partisans peuvent se rencontrer, se renforcer mutuellement, que si elle est cohérente avec leurs valeurs ou leur expérience quotidienne. Nous serions tentés d'ajouter cyniquement : que s'ils ont intérêt à la produire ou à la diffuser (par exemple pour leur carrière, pour être bien vus dans leur milieu social...). Le problème commence quand deux milieux se rencontrent, par exemple quand le milieu des think tanks, de la haute administration ou de l'armée US veulent convertir à leur idéologie un montagnard parlant pachtou et membre d'une tribu aux traditions guerrières et patriarcales. "Les filles doivent voter et aller à l'école car cela renforce le sentiment d'égalité autant que les libertés démocratiques et leur contribution à l'économie augment la prospérité, surtout dans le cadre du développement durable." est un exemple de contenu idéologique à réadapter dans le cas évoqué.
- les bonnes médiations. Nous entendons par là les groupes et institutions qui formeront le biotope intellectuel de l'idéologie et lui permettront de croître et de prospérer. et de trouver de nouveaux repreneurs.
Dans toute société, on peut considérer que toute institution - comme une église, une école, l'armée - remplit, comme de surcroît, une fonction idéologique qui consiste à inculquer des valeurs et des croyances. Elles le font de haut en bas, de l'aîné ou du supérieur vers le plus jeune et l'inférieur et ceci sans aucune hypocrisie : il s'agit d'inculquer, de former...
Mais d'autres organisations répandent l'idéologie de manière plus horizontale ou plus indirecte. Celles que nous avons nommé Organisations Matérialisées d'Influence. Une société de pensée, une ONG, un think tank, ou à plus forte raison un parti (qui en fait une de ses ambitions avouées) répandent une idéologie : ces groupes passent leur temps à faire entrer "des idées dans la tête des gens", car leur existence dépend du nombre et de l'importance de ceux qui partagent leurs visions ou leurs valeurs. Un médecin qui soigne des enfants à l'autre bout du monde répondra peut-être que son dévouement au service d'une ONG n'a rien à voir avec l'idéologie : il répond à une urgence humanitaire. Il suit une morale naturelle de la compassion qui pousse un être humain à aider un être humain. Du point de vue moral, notre médecin a parfaitement raison et il n'y a aucune raison de le soupçonner d'avoir des desseins politiques cachés (répandre la civilisation occidentale auprès de peuples "inférieurs", ou compenser par un peu de charité ce que le capitalisme a de sauvage aux yeux des gens du Sud, par exemple). En revanche, en amont, si nous regardons toute la machinerie qui a permis audit docteur d'arriver sur place, nous rencontrons une association qui a pignon sur rue, reçoit des fonds du public, fait parfois de la publicité à la télévision et dont le succès dépend largement d'une image de marque. Or, pour bien faire tout cela, l'ONG doit s'appuyer sur une idéologie, noble et juste peut-être, mais idéologie quand même, qui est celle des droits de l'homme, des "french doctors" et de l'urgence humanitaire dans un monde sans frontière.
D'une certaine manière, même un lobby est "idéologique". Non pas que ses membres aient des convictions sincères : le plus souvent ils agissent parce qu'ils sont payés par un client. Par ailleurs, ils sont censés défendre des intérêts et absolument pas des idéaux ou des idées. Mais dans leur "plaidoirie", car leur rôle est, après tout, de plaider pour une cause comme des avocats, ils doivent s'adapter à l'idéologie dominante. Ils doivent, par exemple (voir la rubrique "milieu" plus haut) convaincre leur interlocuteur membre d'une Organisation Internationale Gouvernementale que la proposition qu'ils avancent va parfaitement dans le sens du développement durable, de la bonne gouvernance, de la société de l'information... et autres notions qui sont inculquées à tout fonctionnaire international (y compris l'auteur de ces lignes qui l'a été en son jeune temps).En ce sens, même si nous croyons baigner dans les évidences morales (l'urgence, les droits de l'homme, la démocratie, la société civile) ou dans les évidences scientifiques et techniques (le réchauffement planétaire, la croissance verte, le rôle indispensable du marché), nous vivons dans un monde où croît le rôle de l'idéologie (dont on a trop tôt claironné la mort dans les années 90, comme on l'avait déjà fait dans les années 60 avec l'avènement de la "société post-industrielle").
Comme le dit Régis Debray « L’idéologie n’est pas l’antithèse d’un savoir ou d’une réalité, comme illusion, méconnaissance ou fausse conscience, mais la forme et le moyen d’une organisation collective. Ce n’est pas une modalité du voir, mais une contrainte du faire.»
François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 4 juin 2016)
00:05 Publié dans Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : idée, idéologie, définition, philosophie, philosophie politique, théorie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 07 juin 2016
Montesquieu van twaalf kanten belicht
Boekrecensie
Door Paul Muys
Ex: http://www.doorbraak.be
Montesquieu van twaalf kanten belicht
Andreas Kinneging, Paul De Hert, Maarten Colette (red.)
Een vaak geciteerde denker waar toch veel misverstanden over bestaan
De wakkerste geesten onder u kennen baron de Montesquieu wel een beetje: de scheiding der machten, indertijd op school het obligate fragment uit de Lettres Persanes (Comment peut-on être Persan?) maar daar houdt het meestal bij op. Nu is er dit stevig gedocumenteerde werk waarin deze filosoof, voorloper van de Verlichting en grondlegger van de sociologie, vanuit diverse invalshoeken wordt bekeken.
Het onderwerp scheiding der machten is actueler dan ooit, nu dat kostbare beginsel weer moet worden verdedigd tegen de her en der dreigende sharia. In zijn hoofdwerk, De l’Esprit des Lois (Over de geest van de wetten) staat het bewuste principe centraal, net zoals dat van de checks and balances (zoiets als controles en waarborgen). Veelal getypeerd als een liberaal geeft Montesquieu in De l’Esprit aan dat hij na rijp beraad kiest voor een gematigde regering, gematigd door middel van de scheiding van de wetgevende, uitvoerende en rechterlijke macht. Liefst dan nog een regering waarin de adel een belangrijke rol vervult. Die machtenscheiding en de checks and balances liggen aan de basis van de Amerikaanse constitutie en die van een pak andere democratische landen, zonder die adel dan.
Ook al is Montesquieu zelf edelman, dat hij zo’n belangrijke rol toekent aan deze stand kan verbazen. Nog verbazender is het voor de leek dat hij een bewonderaar is van de staatsvorm zoals het middeleeuwse Frankrijk die kende. Dat heeft alles te maken met de evolutie die de monarchie onder de Franse koningen doormaakt: van een gematigd koningschap, getemperd door de tussenmacht van de adel, evolueert zij naar absolutisme en zelfs despotisme. Het is een impliciete kritiek op Lodewijk XIV (L’état, c’est moi).
Macht en tegenmacht. Machtsdeling voorkomt machtsmisbruik. Montesquieu is geen Verlichtingsdenker, hij is niet per se tegen de monarchie, noch tegen de republiek overigens, al vreest hij dat die laatste minder doelmatig zal zijn dan in de Romeinse oudheid. Evenmin heeft hij bezwaar tegen de standen, op voorwaarde dat ook zij gecontroleerd worden door een tegenmacht. Precies omdat het Engeland van na de Glorious Revolution dit in de praktijk brengt, geeft Montesquieu het als voorbeeld. Het tweekamerstelsel (Hoger en Lagerhuis), waarbij elke kamer een sociaal verschillende samenstelling heeft, verhindert dat de adel zich kan bevoordelen. ‘Essentieel is’, zo betoogt co-auteur Lukas van den Berge, ‘dat de dragers van de drie machten geen van alle een primaat opeisen. In plaats daarvan dienen zij zich elk afzonderlijk te voegen naar een onderling evenwicht waaraan zij zich niet kunnen onttrekken zonder de politieke vrijheid om zeep te helpen.’
Vrijheid is voor Montesquieu niet zozeer de mogelijkheid tot politieke participatie of zelfbestuur – wat wij in de 21ste eeuw voetstoots aannemen – ze zit veeleer in de bescherming van de privésfeer. Annelien de Dijn betoogt: ‘Vrijheid is niet de macht van het volk, maar de innerlijke vrede die ontstaat uit het besef dat men veiligheid geniet.’ Dit kan onder vele verschillende regeringsvormen, op voorwaarde dat machtsmisbruik geen kans krijgt. Overheden hebben zich niet te bemoeien met zaken die mensen als persoon treffen, en niet als burger. Wanneer zij de dominante gewoonten en overtuigingen krenken, voelen mensen zich aangetast in hun vrijheid en ervaren dit als tirannie, zo schrijft Montesquieu in zijn commentaar op de mislukte poging van tsaar Peter de Grote om mannen bij wet te verbieden hun baard te laten groeien. Hij beveelt de tsaar andere methoden aan om zijn doel te bereiken. Paul De Hert: ‘Montesquieu pleit niet voor het recht om een baard te dragen. Zijn sociologische methode leert ons niet wat vrijheid zou moeten zijn, wel hoe vrijheid in een gegeven context ervaren wordt, of juist niet.’ Wat zou de observateur Montesquieu trouwens van het dragen van hoofddoeken in scholen en openbare diensten gedacht hebben?
Montesquieu zet zijn lezers vaak op het verkeerde been. Allicht verwijst de kwalificatie ‘enigmatisch’ in de titel hiernaar. Zo lezen we in de bijdrage van Jean-Marc Piret dat Montesquieu best kan leven met cliëntelisme, het uitdelen van postjes, waarbij de uitvoerende macht steun zoekt tegen de wetgevende kamers in. Wie geen voordelen uit die hoek hoeft te verwachten, zal dan weer zijn hoop op één van beide kamers stellen. Risico is daarbij dat teleurstelling mensen kan doen overlopen naar de tegenpartij. Schaamteloos opportunisme ? Volgens Montesquieu, die zich geen illusies maakt over hoe het er in de politiek toegaat, is dit juist een teken van de ‘pluralistische vitaliteit van de maatschappij’.
Op zijn reizen stelt Montesquieu de achteruitgang vast van de Zeven Provinciën en van de republieken Venetië en Genua. Valt in Italië vooral corruptie op, in het achttiende-eeuwse Holland ziet hij alleen verval en kille zakelijkheid, sinds het land zich moest verweren tegen de invasie van Lodewijk XIV in 1672. De ooit zo bloeiende, creatieve koopmansstaat ziet zich verplicht een ruïneuze oorlog te voeren, die van de Hollanders een kil, berekenend, gesloten volk maakt, niet langer in staat tot grootse, creatieve daden. Het geweld is bovendien de grootste vijand van de eros, de humaniserende liefde zoals die groeide en bloeide ‘in het mediterrane land van wijn en olijven’, in Knidos in de Griekse oudheid (Le Temple de Gnide is een erotisch gedicht van Montesquieu naamloos uitgegeven in Amsterdam). Van de eros gesproken: Montesquieu is volgens een van de auteurs van dit boek, Ringo Ossewaarde, een liberaal ‘in de zin dat hij voor politieke en burgerlijke vrijheid staat, voor constitutionalisme, humanisme, tolerantie, matiging, internationalisme en machtsdeling en hij een afkeer heeft van absolutisme. Al deze aspecten zijn echter voor hem slechts voorwaarden voor een erotisch bestaan, voor humanisering, verfijning en verheffing.’
Als kind van zijn tijd kan Montesquieu bezwaarlijk een Europees federalist zijn, maar hij bepleit de humanisering van de verhouding tussen staten en bevolkingen en hecht daarbij veel belang aan vrijhandel en het machtsevenwicht tussen onderling afhankelijke staten. Dit kan een einde maken aan de permanente confrontatie, en de burger beschermen tegen misbruik van gezag, betoogt Frederik Dhondt in zijn bijdrage.
Zo biedt dit boek menig verrassend inzicht, waarop ik hier niet kan ingaan. Ook kan de lezer nader kennismaken met de fameuze Perzische Brieven, anoniem verschenen roman in briefvorm, een puntige satire op het absolutistische Frankrijk, die ook voor de hedendaagse lezer een eyeopener kan zijn. Montesquieu toont zich hier en elders een helder waarnemer, niet beïnvloed door modedenken, niet geneigd mee te huilen met de goegemeente, kritisch over de katholieke clerus, fel tegen de inquisitie en verwoed tegenstander van de slavernij.
Ten slotte: De l’Esprit kan niet begrepen worden zonder er de klimaattheorie van de auteur bij te betrekken. Het klimaat is voor Montesquieu en veel van zijn tijdgenoten namelijk de belangrijkste van alle invloeden op het leven van de mens. Maar diezelfde mens kan naar de overtuiging van de Franse denker door oordeelkundig handelen de invloed van het klimaat bijsturen, zo troost Patrick Stouthuysen de mogelijk verontruste lezer.
00:05 Publié dans Livre, Livre, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : montesquieu, 18ème siècle, lumières, philosophie des lumières, esprit des lois, livre, philosophie, philosophie politique, théorie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 03 juin 2016
Les droits de l'homme contre le peuple (de Jean-Louis Harouel)
Les droits de l'homme contre le peuple (de Jean-Louis Harouel)
Ex: http://fboizard.blogspot.com
00:15 Publié dans Actualité, Droit / Constitutions, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-louis harouel, droits de l'homme, droits, actualité, livre, philosophie, philosophie politique, théorie politique, politologie, scienes politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Jean-Yves Pranchère: «La critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque»
Jean-Yves Pranchère: «La critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque»
Diplômé de l’École normale supérieure, Jean-Yves Pranchère est par ailleurs professeur à l’Université libre de Bruxelles et membre du comité de rédaction de la Revue européenne des sciences sociales (Droz, Genève). Son domaine d’étude est la théorie politique, avec un attrait tout particulier pour les auteurs réactionnaires sur lesquels il a notamment travaillé pour sa thèse. Il a récemment publié chez Seuil une somme avec Justine Lacroix (professeure de théorie politique à l’ULB) sur les critiques des droits de l’homme, des contre-révolutionnaires à Hannah Arendt en passant par Marx ou Carl Schmitt : « Le Procès des droits de l’homme. Généalogie du scepticisme démocratique ». Nous avons voulu nous entretenir avec lui car, antilibéraux, nous nous interrogeons nous-mêmes sur le rapport entre droits de l’homme et politique révolutionnaire.
Le Comptoir : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser spécifiquement à la thématique de la critique des droits de l’homme ?
Jean-Yves Pranchère : L’initiative est venue de Justine Lacroix, qui s’est engagée il y a six ans dans le projet d’une étude des résistances contemporaines aux droits de l’homme ; elle en a exposé les attendus dans deux articles programmatiques, « Des droits de l’homme aux droits humains ? » et « Droits de l’homme et politique ». Elle a organisé sur ce sujet, dans le cadre du Centre de Théorie politique qu’elle dirige, un intense travail collectif ; le récent dossier publié par le site Raison publique en est une des traces. Ce travail entrait en résonance avec mes propres recherches sur la tradition contre-révolutionnaire, que je me suis efforcé d’étudier comme une des coordonnées décisives de ce qu’Adorno et Horkheimer ont nommé la « dialectique des Lumières » – qu’il ne faut justement pas concevoir, à la façon des contre-révolutionnaires eux-mêmes, comme la logique nécessaire d’un déclin ou d’une autodestruction de la raison, mais comme le processus pluriel au cours duquel se révèlent, entrent en crise ou s’élucident les ambiguïtés du projet d’autonomie.
Parmi les motifs du livre, que nous avons écrit à deux dans une interaction permanente, je soulignerai la perplexité éprouvée devant le succès d’une critique des droits de l’homme menée au nom de la démocratie.
Le paradoxe est déjà ancien : il surgit dès le retour des droits de l’homme sur l’avant de la scène politique dans les années 1970, à la suite du coup d’État de Pinochet au Chili et des luttes des dissidents des pays de l’Est[i]. Ceux-ci induisirent une large conversion de la gauche, y compris de la gauche dite alors “eurocommuniste”, à un refus définitif de l’idée que la violation des droits fondamentaux pouvait être une étape de la construction du socialisme. Or, cette reconquête du langage des droits de l’homme, accomplie à la fois contre l’effondrement totalitaire du “socialisme réel” et contre le soutien des USA aux régimes tortionnaires d’Amérique latine, s’est presque aussitôt accompagnée d’un discours de méfiance à l’égard desdits “droits de l’homme” ; discours qui n’a cessé de s’amplifier depuis, alors même que ceux qui l’adoptent disent explicitement ne rien opposer aux droits de l’homme. Marcel Gauchet, par exemple, assume en termes très clairs l’impossibilité d’une opposition de principe au droits de l’homme : « Les droits de l’homme sont cette chose rare entre toutes qu’est un principe de légitimité. Ils sont le principe de légitimité qui succède au principe de légitimité religieux. Il n’y en aura eu que deux dans l’histoire, et il y a toutes les raisons de penser qu’il n’y en a que deux possibles, logiquement parlant. À quelle source rapporter ce qui fait norme parmi les êtres, quant à ce qui organise leurs communautés, quant à ce qui les lie, quant à ce qui permet d’établir le juste entre eux, quant à l’origine des pouvoirs chargés de régler l’existence en commun ? À ce problème fondamental, il y a deux façons de répondre et deux seulement. Ou bien cette source est au-delà du domaine des hommes, ou bien elle est en lui — ou bien elle est transcendante, ou bien elle est immanente. »[ii]
On croit comprendre alors que la réserve exprimée envers les droits de l’homme vise uniquement une interprétation illusoire de ceux-ci, selon laquelle ils seraient susceptibles de fournir, non seulement le cadre juridique, mais la substance même de la vie sociale. Comme l’explique encore Marcel Gauchet, dans son tout dernier livre : « Ce n’est pas le principe qu’il y a lieu de condamner : nous sommes bien évidemment tous pour les droits de l’homme. C’est l’usage qu’on en fait qui doit être incriminé ; l’impossibilité pour une société de se réduire à ce principe, qui est par ailleurs vrai. Nous sommes tous pour les droits de l’homme, mais… Tout est dans ce “mais” qu’il est très difficile de faire entendre aux procureurs qui pensent être dans le vrai […]. »[iii]
Cette distinction entre le “principe” et “l’usage” n’est pourtant pas suffisante pour supprimer toute perplexité. Dans la phrase : « les droits de l’homme, mais… », le « mais » porte bel et bien sur le principe qu’on s’efforce de relativiser au moment même où on admet qu’il n’a pas de rival. S’il ne s’agissait que de critiquer un « usage », il n’y aurait aucune nécessité à soumettre le principe à un « mais » ; il suffirait de lui ajouter un “et”, un “avec”, un “de telle manière que…” – bref, de lui ajouter un mode d’emploi. Imagine-t-on un chrétien qui dirait “Aimez-vous les uns les autres, mais…” ou “Soyez justes, mais…” ? Son message en serait immédiatement brouillé.
Force est donc de constater que la critique des droits de l’homme conserve quelque chose de paradoxal et d’équivoque. À preuve le fait que le « mais », dans le propos cité de Marcel Gauchet, n’introduit pas à une spécification de l’idée, mais à l’indétermination de trois points de suspension, suivis de l’esquive facile que constitue la polémique rebattue contre le “politiquement correct” qui, paraît-il, empêche Zemmour, Onfray et Finkielkraut de faire la une des magazines.
“Les droits de l’homme, mais…” Cette rumeur qu’on entend partout, et qui inspire l’accusation vide de “droit-de-l’hommisme”, appelle une question simple : “… mais quoi ?” C’est là l’objet de notre livre.
La critique des droits de l’homme a pu connaître diverses formes. Contrairement à ce que l’on pense généralement, elle n’a pas été l’apanage des réactionnaires. Pourriez-vous nous dresser un bref panorama de ces critiques ?
Je crains de ne pas pouvoir résumer en quelques lignes ce qui nous a demandé un livre entier ! Je serai donc elliptique plutôt que bref. Notre livre part d’un essai de classification des critiques contemporaines des droits de l’homme et dresse l’arrière-plan généalogique de celles-ci. La typologie contemporaine distingue trois grands courants :
- un courant “antimoderne”, qui conteste le principe même des droits de l’homme ; il se divise en deux branches, une branche néo-thomiste axée sur l’idée d’un ordre juste qui ne connaît de droits que relatifs, et une branche qu’on pourrait dire néo-schmittienne qui dénonce les droits de l’homme comme un moralisme antipolitique ;
- un courant “communautaire”, qui reconnaît la valeur normative des droits de l’homme mais en limite la portée en soulignant que ces droits ne peuvent produire ni communauté politique ni lien social ; cette thématique a été développée, de manière parallèle, par les communautariens américains et par les souverainistes français qui entendent par “république” le régime de l’incarnation de la nation en une volonté générale ;
- un courant “radical”, d’ascendance marxienne, qui voit dans les droits de l’homme l’indice d’un abandon du projet de l’auto-organisation démocratique de la société au profit de l’éternisation de la séparation entre “société civile” et État.
Ces différents courants reprennent, sur un mode souvent diffus, des argumentaires qui ont été mis au point, sous des formes extrêmement conséquentes, par de grands théoriciens politiques dont les pensées nous ont paru constituer, pour ainsi dire, des “idéaux-types” réalisés des critiques possibles des droits de l’homme. Il nous a donc semblé nécessaire de confronter les critiques contemporaines à ces modèles antérieurs qui définissent les enjeux dans toute leur acuité.
« La similarité des arguments utilisés par les différents auteurs n’empêche pas la profonde hétérogénéité des dispositifs théoriques. »
Nous avons distingué ainsi une critique réactionnaire, théologico-politique, axée sur les devoirs envers Dieu, dont la version “sociologique” est fournie par Bonald et la version “historiciste” par Maistre ; une critique conservatrice, à la fois libérale et jurisprudentialiste, axée sur les droits de la propriété et de l’héritage, représentée par Burke ; une critique progressiste, utilitariste, axée sur le primat des besoins sur les droits, dont la version individualiste, libérale-démocratique, est donnée par Bentham, et dont la version organiciste, qu’on peut dire en un sens “socialiste”[iv], est donnée par Comte ; une critique révolutionnaire, axée sur le refus de discipliner par le droit l’auto-émancipation sociale, dont la figure éminente est bien entendu le communisme de Marx.
L’étude de ces quatre modèles fait d’abord apparaître que la similarité des arguments utilisés par les différents auteurs n’empêche pas la profonde hétérogénéité des dispositifs théoriques : quoi de commun entre un Burke, qui entend subordonner les droits de l’homme au droit de propriété qui les annule socialement, et un Marx qui entend pousser les droits de l’homme au-delà d’eux-mêmes en tournant leur revendication d’égalité contre le droit de propriété ?
De là une deuxième leçon : les critiques des droits de l’homme sont instables, traversées par des dialectiques qui les conduisent, quand elles ne veulent pas déboucher sur des positions contradictoires ou régressives, à fournir malgré elles les moyens d’un enrichissement ou d’un approfondissement des droits de l’homme.
Cette leçon est illustrée par deux grandes figures antithétiques du XXe siècle : la figure “régressive” de Carl Schmitt, qui dans les années 1920, avant son passage au nazisme, a développé de manière systématique – et, il faut bien le dire, fallacieuse – le thème d’une opposition entre démocratie et État de droit, conduisant à une dénonciation virulente de la fonction “dépolitisante” des droits de l’homme ; et la figure dialectiquement instruite de Hannah Arendt, qui, aux antipodes de la régression nationaliste proposée par Schmitt, a réarticulé l’idée des droits de l’homme sous la forme du “droit à avoir des droits”. Hannah Arendt, nous semble-t-il, indique les voies d’une conception politique des droits de l’homme, qui les lie indissolublement à la citoyenneté sans confondre celle-ci avec la forme de l’État-nation ni céder au mirage d’un État mondial qui en finirait avec la condition politique de la pluralité.
On parle beaucoup aujourd’hui des droits de l’homme, mais on oublie l’autre versant de la Déclaration de 1789, qui était là pour satisfaire la frange républicaine des révolutionnaires : les droits du citoyen. N’est-ce pas là une preuve du triomphe de la vision libérale de ces droits ?
Je vous répondrais volontiers en pastichant le célèbre paragraphe des Considérations sur la France de Maistre contre l’idée de “l’homme” : j’ai vu des partisans et des ennemis des droits de l’homme, mais quant à “on”, je ne l’ai jamais rencontré de ma vie !
Plus sérieusement, les droits de l’homme ne sont ni une idéologie unifiée ni une doxa anonyme sous laquelle on pourrait ranger pêle-mêle des phénomènes aussi différents que les militantismes nationaux et transnationaux en faveur de l’égalité des droits et des solidarités sociales, le rôle de la Cour européenne des droits de l’homme ou du Tribunal pénal international de La Haye (dont l’autorité reste refusée par nombre de grands États), l’architecture démocratique de l’État de droit social, l’influence médiatique de rhétoriques moralisantes dont l’effet est d’émousser la pointe critique des droits de l’homme, ou encore l’existence de falsifications impérialistes éhontées qui font servir le langage des droits de l’homme à la mise en œuvre de leur violation, comme ce fut le cas avec Georges W. Bush.
Cette hétérogénéité est irréductible. Dans la mesure où les droits de l’homme sont « un principe de légitimité », pour reprendre l’expression de Marcel Gauchet, ils ne sont pas tant un “discours” que l’ouverture d’un champ discursif et d’un espace d’action politique. À ce titre, ils tolèrent une multiplicité d’investissements : ils s’exposent aux ruses des faussaires ; ils peuvent subir les distorsions que leur imposent des stratégies intéressées ; mais ils peuvent aussi – et surtout – nourrir des revendications fortes qui réclament que la réalité soit mise en conformité avec l’idéal et que les droits soient établis dans toute leur extension et leur plénitude. Il faut donc renoncer à faire la psychologie imaginaire d’un sujet imaginaire qui serait “l’époque” – le “on”, qui serait en attente de nos leçons de morale –, et se tourner vers l’analyse politique des lignes de force du champ de bataille des “droits de l’homme”.
« La réticence néo-libérale à l’égard des droits de l’homme est cohérente. »
Pour ce qui est de cette “vision” qui oublie les droits du citoyen dans les droits de l’homme, je serais d’accord avec vous pour dire qu’elle est libérale, mais au sens d’un libéralisme très étroit et très appauvri : un libéralisme hayékien, mais pas rawlsien.
En revanche, je suis assez dubitatif devant l’idée que ce libéralisme hayékien détiendrait la clef de la vision dominante des droits de l’homme. Je crois au contraire qu’il ne parle le langage des droits de l’homme qu’à contrecœur, et pour le subvertir. Rappelons-nous que l’offensive ultralibérale a trouvé son premier terrain d’application dans le Chili de la fin des années 1970 et que Hayek, par son soutien à Pinochet, a montré que les droits individuels requis par la liberté du marché n’étaient pas les “droits de l’homme”.
Et, j’ajouterais que la réticence néo-libérale à l’égard des droits de l’homme est cohérente. Elle vient d’une conscience lucide de ce que les “droits du citoyen” n’ont jamais été et ne peuvent jamais être un ”autre versant” des droits de l’homme, à la façon d’un “volet facultatif” : ils sont leur cœur même depuis le début, depuis ce mois d’août 1789 où personne n’était encore “républicain” et ne pouvait imaginer jusqu’où conduirait la radicalité du processus révolutionnaire qui venait de se donner sa justification théorique dans la Déclaration.
Il ne faut pas oublier, en effet, que la Déclaration inscrit en elle l’acte insurrectionnel dont elle procède : elle est le texte par lequel une insurrection politique énonce et réfléchit son droit. Par là s’explique que les énoncés de la Déclaration aient pu constituer une sorte d’événement originaire, en rupture avec ses propres antécédents jusnaturalistes, et initier un développement voué à dépasser les intentions conscientes des rédacteurs. Relisez donc les trois premiers articles : l’affirmation que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (article 1) débouche presque immédiatement sur la proclamation de la souveraineté de la nation, comprise comme la communauté politique des individus égaux en droits (article 3). L’égalité des droits induit directement la souveraineté du peuple qui en est la seule forme possible.
Il n’y a pas là deux “versants” ou deux idées, celles de l’homme et du citoyen (auxquels on aurait accordé des droits distincts pour faire plaisir aux uns et aux autres), mais bien une seule et même proposition, qu’Etienne Balibar nomme « la proposition de l’égaliberté »[v] afin de souligner l’identité qu’elle affirme entre égalité et liberté, une identité plus étroite que celle que suggère l’expression “égalité des libertés”. Cette identité entre égalité et liberté implique que l’homme et le citoyen soient indissociables, puisque l’égalité est à la fois la condition et l’objet de la pratique des citoyens en tant qu’ils sont des hommes libres.
Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère
Les droits de l’homme sacralisent d’une certaine manière les droits qu’ils proclament, en les absolutisant. L’idée est bien souvent de les préserver de l’intervention du pouvoir, des délibérations humaines. Par ailleurs, l’idée d’une charte de droits sacralisés pourrait être perçue comme une limite à la décision humaine, donc un facteur d’hétéronomie. Les droits de l’homme ne sont-ils pas aujourd’hui devenus l’un des principaux vecteurs de destruction de la politique, comme l’affirme Marcel Gauchet ?
Le refus de la sacralisation des droits, au nom du droit (sacré, donc ?) qu’ont les hommes de se donner les lois qu’ils veulent, est le thème central de la critique utilitariste et libérale des Déclarations faite par Bentham. À cette critique, on peut objecter qu’elle repose sur un contresens – qui, il est vrai, a été commis par certains (certains seulement) des révolutionnaires eux-mêmes[vi].
Car, la Déclaration de 1789 n’est pas une “charte de droits sacralisés” ou une énumération de droits absolus : elle est l’effort pour tirer les conséquences de la proclamation de l’égalité des hommes en droit. Elle n’absolutise pas les droits qu’elle énonce : elle décrit la manière dont ils s’équilibrent entre eux sous le principe de l’égalité et de la réciprocité des libertés. Elle est un développement, une explicitation, de la proposition de l’égaliberté – proposition dont les Déclarations ultérieures proposeront des explications qui se voudront, sans toujours l’être, plus complètes et mieux instruites.
Vous m’objecterez que le dernier article de la Déclaration de 1789 insiste bel et bien sur la sacralité du droit de propriété. Assurément ! Il ne s’agit pas de nier que le texte porte en lui, sous l’unité de son geste insurrectionnel si bien analysé par Claude Lefort[vii], les tensions théoriques induites par les désaccords des rédacteurs – tensions superbement étudiées par Marcel Gauchet dans La Révolution des droits de l’homme[viii].
Mais je n’en répondrai pas moins en rappelant que Bentham n’avait peut-être pas tort de voir, dans l’étrange insistance du dernier article à déclarer la propriété sacrée, le signe de ce que nous appelons depuis Freud une dénégation. Bentham pensait que l’égalitarisme professé par la Déclaration de 1789 avait, dans les faits, tellement désacralisé la propriété que les rédacteurs, saisis de peur devant le sens général de leur propre texte, s’étaient crus obligés de nier par un article final les conséquences évidentes des articles précédents. La Déclaration, disait Bentham, « a sacralisé la propriété à la façon dont Jephté s’est senti obligé de sacraliser sa sœur en lui coupant la gorge ». Jaurès ne dira en un sens pas autre chose lorsqu’il expliquera longuement, dans ses Études socialistes de 1901 (publiées par les Cahiers de la quinzaine de Péguy) que la Déclaration allait d’emblée très au-delà des intentions bourgeoises des révolutionnaires et portait en elle le socialisme.
Quoi qu’il en soit, accuser l’idée des droits de l’homme d’être un facteur d’hétéronomie revient à se méprendre sur leur sens, qui est précisément d’énoncer les conditions de l’autonomie individuelle et collective. La seule limite qu’ils imposent à l’autonomie est de ne pas détruire les conditions même qui la rendent possible. Habermas a parfaitement vu ce point quand il a soutenu la thèse de la « co-originarité » des droits de l’homme et de la souveraineté populaire.
Autonomie individuelle et autonomie collective s’impliquent l’une l’autre sous le régime de l’égalité des droits : telle est l’idée des droits de l’homme, le principe de leur énonciation.
Les énoncés de ces droits sont quant à eux les résultats, toujours révisables, de la façon dont la collectivité politique réfléchit les conditions de sa propre autonomie. Ils sont la forme sous laquelle les citoyens se reconnaissent réciproquement comme libres et égaux en se déclarant les uns aux autres leurs droits tels qu’ils les concluent de leur « égaliberté ».
On peut dès lors rester sceptique devant le reproche adressé aux droits de l’homme de “détruire” la politique. Ce thème avait un sens précis chez Carl Schmitt, qui identifiait l’égalité démocratique à l’homogénéité nationale et la politique à la capacité de distinguer ses ennemis, à commencer par ses ennemis intérieurs (que Schmitt désignera clairement en 1933 : les juifs et les communistes). Si la politique consiste, pour un peuple, à être capable d’assumer l’hostilité requise envers l’ennemi extérieur et intérieur, il va de soi que le respect des droits de l’homme désarme la politique. Mais une telle position est inconcevable dans le cadre d’une pensée qui ne confond pas l’autonomie démocratique avec une théologie nationaliste.
Comment comprendre alors le sens de cette critique chez des républicains d’aujourd’hui, en particulier chez Marcel Gauchet ?
Avant de nous pencher sur cette critique, commençons par rappeler qu’aux États-Unis, dans la deuxième moitié des années 1970, les idéologues républicains qui allaient inspirer la “révolution conservatrice” reaganienne, tel Irving Kristol[ix], ont mis en garde contre le danger qu’il y avait à élever des droits de l’homme à la hauteur d’un principe politique (et non d’une simple limite morale). Vouloir modeler la politique sur les droits de l’homme conduisait selon eux à s’enfoncer dans la “crise de gouvernabilité” qui inquiétait alors les économistes libéraux ; cela revenait à encourager un programme de démocratie sociale incompatible avec le bon fonctionnement d’un ordre de marché appuyé sur les vertus du respect de l’autorité et de la fierté patriotique liée au culte de la réussite et de la compétitivité. Notons au passage qu’Irving Kristol, en des termes pas si éloignés de ceux utilisés dix ans plus tard par Régis Debray, définissait la république comme la démocratie corrigée par l’éducation et le savoir (y compris le savoir de la science économique).
À la différence de ces critiques néoconservatrices et néolibérales, le retentissant article de Marcel Gauchet publié en 1980 dans Le Débat sous le titre-slogan « les droits de l’homme ne sont pas une politique » rendait un son nettement social-démocrate[x]. Marcel Gauchet soulignait que le repli sur les droits de l’homme traduisait une « impuissance à concevoir un avenir différent pour cette société », un abandon du « problème social » et du projet « d’une société juste, égale, libre ». En retombant dans « l’ornière et l’impasse d’une pensée de l’individu contre la société », les militants des droits de l’homme se faisaient les promoteurs d’une « aliénation collective », marquée par « le renforcement du rôle de l’État » et « l’aggravation du désintérêt pour la chose publique ». Contre quoi Gauchet soulignait qu’il n’était pas possible de « disjoindre la recherche d’une autonomie individuelle de l’effort vers une autonomie sociale ». Cette expression d’autonomie sociale suggérait qu’il s’agissait de maintenir les idéaux d’un socialisme anti-totalitaire, qu’on pouvait supposer autogestionnaire, contre la renonciation à la transformation sociale qu’impliquait un militantisme confiné à la protection des droits individuels.
Le propos n’allait pourtant pas sans une certaine ambiguïté. D’une part, il était étrange de voir Marcel Gauchet passer sous silence les thèses de celui qui était alors le principal représentant d’une philosophie politique des droits de l’homme, à savoir Claude Lefort. Car Claude Lefort, qui semblait être la cible non nommée de la polémique, ne pouvait certainement pas être tenu pour un penseur de “l’individu contre la société” : sa réhabilitation des droits de l’homme insistait au contraire sur le fait que ces droits n’étaient pas des droits de l’individu, mais bien des droits de la liberté des rapports sociaux. Ce qui était selon lui en jeu dans les droits de l’homme, par opposition au totalitarisme, n’était pas la sécession de l’individu à l’égard du social et du politique, mais la nécessité de ne pas penser la citoyenneté sous le fantasme du Peuple-Un et de la volonté homogène.
D’autre part, Marcel Gauchet décrivait les effets délétères des droits de l’homme sur la démocratie à travers des formules qui ne permettaient pas de décider de la nature exacte du lien qu’il faisait entre droits et désocialisation. Il parlait ainsi de « la dynamique aliénante de l’individualisme qu’ils [les droits de l’homme] véhiculent comme leur contre-partie naturelle », tournure qui suggérait à la fois que « l’aliénation individualiste » surgissait de la nature même des droits de l’homme et qu’elle leur restait extérieure puisqu’ils n’en étaient qu’un véhicule. Marcel Gauchet donnait à penser que l’effet aliénant des droits n’avait rien de nécessaire quand il écrivait que les droits de l’homme pourraient « devenir une politique » à la condition « qu’on sache reconnaître et qu’on se donne les moyens de surmonter » leur individualisme adjacent.
L’œuvre ultérieure de Marcel Gauchet réduisit l’équivoque en interprétant, de façon plus unilatérale, la menace que faisaient peser les droits de l’homme sur la démocratie comme une menace purement endogène – ce qu’exprime le titre de son recueil de 2002, La démocratie contre elle-même. L’inflexion conservatrice était sensible dans l’article de 2000, « Quand les droits de l’homme deviennent une politique » : « La démocratie n’est plus contestée : elle est juste menacée de devenir fantomatique en perdant sa substance du dedans, sous l’effet de ses propres idéaux [Jean-Yves Pranchère souligne ici]. En s’assurant de ses bases de droit, elle perd de vue la puissance de se gouverner. Le sacre des droits de l’homme marque, en fait, une nouvelle entrée en crise des démocraties en même temps que leur triomphe. »
Selon cette analyse, la crise venait, non pas d’un manque de démocratie, mais de l’excès produit par la pleine réalisation des idéaux démocratiques. L’inquiétude portait donc désormais, comme chez les néolibéraux, sur l’ingouvernabilité induite par la dynamique des droits et aggravée par le contexte de la société française – que la revue Le Débat avait souvent décrite, notamment en 1995, comme trop incapable de réforme en raison de son attachement irrationnel aux archaïsmes de son État social[xi]. L’interprétation de la crise de la démocratie comme une crise imputable à la seule logique de l’extension des droits avait pour effet de détourner l’attention de ce sur quoi, au même moment, un auteur conspué par Marcel Gauchet, à savoir Pierre Bourdieu, centrait quant à lui ses interventions politiques : la montée des inégalités, la généralisation de la précarité, la destruction des solidarités sociales induite par les politiques de dérégulation, bref le recul factuel de la démocratie et des droits sous l’effet d’une offensive néo-libérale qu’un auteur comme Pierre Rosanvallon n’hésite plus aujourd’hui à décrire comme une « véritable contre-révolution ».
Marcel Gauchet a depuis lors réaffirmé, dans son dialogue avec Alain Badiou[xii] ou dans tel article récent, l’orientation sociale-démocrate de sa pensée. Cette orientation est cependant peu visible dans son dernier livre Comprendre le malheur français. Marcel Gauchet y polémique contre le “néolibéralisme”, mais il définit celui-ci comme « un discours de contestation de la possibilité, pour le politique, d’imposer quelque limite que ce soit aux initiatives économiques des acteurs et plus généralement à l’expression de leurs droits », ce qui revient à faire du néolibéralisme un simple cas de la politique des droits. L’argument oublie que les versions les plus fortes du néolibéralisme, comme celle de Friedrich Hayek, ont pour cœur l’efficience du marché et pensent les droits comme les « règles de juste conduite » qui assurent la possibilité de cette efficience[xiii]. Le néolibéralisme ainsi compris est farouchement hostile à tout projet de contrôle démocratique de l’économie et à toute “expression” des droits individuels au-delà de l’objectif abstrait de l’existence d’un ordre légal assurant l’honnêteté des échanges. C’est pourquoi Hayek a toujours salué en Burke un des meilleurs représentants du libéralisme tel qu’il l’entendait – Burke qui, en disciple d’Adam Smith, dénonçait les droits de l’homme au nom des lois de la propriété, de l’héritage et du marché qui font la « richesse des nations« , en même temps qu’au nom du droit particulier de ces nations dont chacune a une identité propre.
Une même thèse court de Burke à Hayek : parce que le marché ne peut constituer un ordre qu’à la condition que ceux qui agissent en lui possèdent les vertus nécessaires à cet ordre, et que la première de ces vertus est la méfiance envers les projets de planification rationnelle, autrement dit le respect de la sagesse inconsciente des développements spontanés qui constituent la tradition, le néo-libéralisme appelle comme son complément naturel un traditionalisme. En règle générale, soutient Hayek, « les règles hérités de la tradition sont ce qui sert le mieux le fonctionnement de la société, plutôt que ce qui est instinctivement reconnu comme bon, et plutôt que ce qui est reconnu comme utile à des fins spécifiques »[xiv].
Ce traditionalisme implique un nationalisme dans la mesure où la “nation” est la forme par excellence de la tradition. L’alliance qu’on observe partout entre néolibéralisme et nationalisme néoconservateur semble d’abord un paradoxe, tant le principe du marché ouvert paraît incapable de justifier l’existence des communautés nationales. L’éloge de Burke par Hayek permet de comprendre que le paradoxe n’en est pas un : le nationalisme est le supplément d’âme dont le “patriotisme du marché” néolibéral a besoin pour se réaliser. Les inégalités sociales, si elles sont un moyen de la grandeur du pays et de la promotion de son identité, ne trouvent-elles pas leur meilleure justification dans l’imaginaire de l’unité nationale ?
Or, les critiques qu’adresse Marcel Gauchet au “néolibéralisme” – confondu avec une sorte de paradoxale anomie des droits – recoupent sur bien des points la critique des droits de l’homme par Burke, c’est-à-dire par un penseur qui est un des grands ancêtres du néolibéralisme contemporain dans sa version conservatrice. Après tout, Burke déclarait déjà ne pas attaquer l’idée des droits de l’homme, mais seulement leur interprétation révolutionnaire : « je suis aussi loin de dénier en théorie les véritables droits des hommes que de les refuser en pratique », disait-il en soulignant que les besoins de la société imposaient à ces droits toutes sortes de « réfractions ».
La critique des effets “dépolitisants” des droits de l’homme est donc, comme telle, très ambiguë : entend-on dire par là que l’idée des droits de l’homme entrave les luttes pour l’égalité ? L’argument est peu crédible. Veut-on dire que cette idée nuit à l’identification des citoyens à leur nation, identification qui seule les rendrait capables d’altruisme et de sacrifice ? Il reste alors à faire la différence entre l’amour de l’ordre établi et l’esprit de solidarité, qui lie autonomie individuelle et autonomie collective sans supprimer la première dans la seconde. À moins qu’on ne veuille, sous le poids de la toute-puissance des marchés financiers, renoncer à la politique de l’égalité et lui substituer une politique de l’identité nationale qui nommerait “république”, non plus le régime de l’égalité des droits et de l’élaboration d’une rationalité partagée, mais le narcissisme collectif d’un sentiment communautaire.
Ne faudrait-il pas, plutôt qu’un « pompeux catalogue des droits de l’homme » (Marx) – dont on ne sait trop sur quels critères ils ont été choisis –, « une modeste “Magna Carta” susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales » (Michéa) ?
Cette formule sonne comme une proposition ultra-libérale qui demanderait qu’on s’en tienne aux seules libertés négatives ou défensives, “modestes” en ce sens qu’elles ne doivent surtout pas se prolonger dans des droits sociaux ou un projet de démocratie radicale !
Les droits de l’homme ne sont « pompeux » que si on les comprend comme un « catalogue » – ce qu’était la « Magna Carta », catalogue de libertés assurant surtout les privilèges de l’aristocratie anglaise. Mais, encore une fois, cette réduction des droits de l’homme à un catalogue en manque la logique propre. Saisis comme le développement de la « proposition de l’égaliberté », ils constituent une idée somme toute moins « pompeuse », et certainement moins exposée à la tentation totalitaire, que l’idée vague du communisme qui irriguait la critique de Marx.
Il ne faudrait d’ailleurs pas mécomprendre le sens de la déclaration de Marx que détourne Michéa. On lit dans Le Capital que la lutte de la classe ouvrière, lorsqu’elle obtient des mesures imposant des limites à l’exploitation, « remplace le pompeux catalogue des “inaliénables droits de l’homme” par la modeste Magna Carta d’une journée de travail limitée par la loi ». Marx n’entendait certainement pas par là qu’il fallait se contenter de tempérer l’exploitation sans y mettre fin, et renoncer au projet d’une auto-organisation démocratique de la société pour s’en tenir à de “modestes” corrections apportées à la violence des rapports de propriété et de production ! Ce qu’il dénonçait, c’était une interprétation des droits de l’homme qui réduisait ceux-ci à une égalité formelle entre des libertés inégalement réelles. Mais cette dénonciation même reconnaissait paradoxalement la force émancipatrice de la loi et du droit, conformément à la pratique du mouvement ouvrier qui a toujours formulé ses revendications en termes de “droits”[xv].
« Il se trouve que la critique marxienne des droits de l’homme est beaucoup plus complexe et contradictoire que ce qu’en a retenu la catastrophique vulgate léniniste. »
Il se trouve que la critique marxienne des droits de l’homme est beaucoup plus complexe et contradictoire que ce qu’en a retenu la catastrophique vulgate léniniste. La phrase “réformiste” de Marx que vous avez citée suffirait d’ailleurs à montrer que nous n’avons aucune raison de tenir le révolutionnarisme autoritaire de Lénine pour plus “légitime” ou plus “marxiste” que la social-démocratie de Kautsky ou de Jaurès. Mais cet entretien est déjà bien trop long pour que nous entrions dans ces méandres. Sans innocenter Marx ni lui imputer directement les ravages totalitaires causés par la simplification léniniste de sa critique des droits de l’homme, je me contenterai de dire qu’entre la modestie de l’action syndicale et la démesure d’une idée aussi indéterminée que celle d’une “démocratie totale” qui aurait magiquement aboli l’État et le marché, la référence maintenue aux droits de l’homme rappelle la nécessité de penser ensemble l’horizon de l’universel, la condition de la pluralité et les médiations de l’institution – sur le triple plan de l’international, du national et du transnational.
Les droits de l’homme sont-ils dépassés ?
C’est le vieux rêve contre-révolutionnaire : en finir avec les droits de l’homme et avec l’exorbitant processus révolutionnaire qu’ils ont déclenché par leur promesse d’égalité impossible à satisfaire. Bonald disait qu’il fallait « se pénétrer de cette vérité philosophique et la plus philosophique des vérités : que la révolution a commencé par la Déclaration des droits de l’homme, et qu’elle ne finira que par la déclaration des droits de Dieu« . Mais cette position avait son propre horizon “révolutionnaire”, proprement apocalyptique, avoué par Maistre dans le dernier entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg qui annonce la fusion des nations dans l’imminence d’une Troisième Révélation divine…
La contre-révolution d’aujourd’hui n’a pas la radicalité d’un Bonald ou d’un Maistre. Elle espère plutôt, comme Barnave en 1791 ou François Furet dans les années 1980, « terminer la révolution » en contenant l’essor des droits de l’homme, en les faisant rentrer dans le rang de ces “libertés négatives” qu’ils ont toujours excédées, à tous les sens de ce mot. Et, à voir la popularité de personnages politiques tels que Trump, Abe, Poutine, Erdogan ou Orban, on peut se demander si le futur ne pourrait pas avoir la forme d’une « (mal)sainte alliance entre Schmitt et Hayek », qui compenserait les duretés de l’inégalité par les satisfactions fantasmatiques de la communion nationale. Mais cela même ne prouverait rien contre les droits de l’homme : nous n’en sentirions que plus vivement la force de leur exigence.
Quant à un “dépassement” des droits de l’homme qui viendrait de la parfaite réalisation de leurs demandes, faut-il vraiment expliquer en détail pourquoi nous en sommes très loin ?
Nos Desserts :
- Il y a quelques temps, nous nous entretenions avec Marcel Gauchet avec qui nous évoquions sa conception des droits de l’homme
- Justine Lacroix, co-auteur de Le Procès des droits de l’homme avec Jean-Yves Pranchère, a été inverviewée par Le Monde
- Jean-Yves Pranchère a aussi donné un entretien chez Philitt
- Jean-Yves Pranchère parlait également sur France Culture récemment
- Régis Debray sur Mediapart, « Êtes-vous démocrate ou républicain ? »
Notes :
[i] Dans son compte rendu de l’ouvrage de Jean-Yves Pranchère et Justine Lacroix, Mark Hunyadi a noté à juste titre que le rôle joué par la mouvement praguois de la “Charte 77” aurait dû être évoqué.
[ii] Marcel Gauchet, « Du bon usage des droits de l’homme », Le Débat, 2009/1, n° 153.
[iii] Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Paris, Stock, 2016, p. 358.
[iv] Comte ne fut assurément pas “socialiste” au sens propre : il ne demandait pas l’égalité et sa conception de la “propriété sociale” laissait aux capitalistes la propriété privée des moyens de production. Mais il partageait avec le socialisme le souci d’une solidarité sociale débordant les mécanismes du marché et de l’État. Il faut renvoyer ici aux impeccables analyses de Frédéric Brahami, « L’affect socialiste du positivisme. Auguste Comte, le socialisme “politique” et le prolétariat », dans Incidence 11, 2015 qui portait sur « Le sens du socialisme ». Ce numéro entier d’Incidence, pourvu d’une remarquable introduction de Bruno Karsenti, devrait être désormais une référence incontournable de toute discussion sérieuse sur la signification du socialisme.
[v] Etienne Balibar, « Droits de l’homme et droits du citoyen : la dialectique moderne de l’égalité et de la liberté », dans Les Frontières de la démocratie, Paris, La Découverte, 1992 ; La Proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, 2010.
[vi] Mais pas par tous. Condorcet disait que les droits de l’homme ne devaient surtout pas être adorés comme des « Tables descendues du ciel ».
[vii] Claude Lefort, L’Invention démocratique, Paris, Fayard, 1981 ; Essais sur le politique, Paris, Seuil, 1986.
[viii] Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989.
[ix] Voir Irving Kristol, Réflexions d’un néo-conservateur, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1987.
[x] Ce ton social-démocrate caractérise de même le livre de Samuel Moyn paru en 2010, The Last Utopia. Human Rights in History, qui a suscité un vif débat dans le monde anglophone et recoupe largement les analyses de Marcel Gauchet.
[xi] Jacques Rancière, dans son livre de 2005 La Haine de la démocratie, a soumis ce discours à une critique acérée : la dénonciation indéterminée de “l’individualisme” conduit à imputer à la démocratie ce qui relève de logiques qui lui sont exogènes, notamment celle du Capital, et à stigmatiser au titre du “consumérisme” la masse des individus dépossédés – tout en passant sous silence le séparatisme des élites et la captation oligarchique du pouvoir. La psychologie moralisatrice sert à empêcher l’analyse des rapports de force qui configurent l’état de la société.
[xii] Alain Badiou et Marcel Gauchet, Que faire ? Dialogues sur le communisme, le capitalisme et l’avenir de la démocratie, Paris, Philo éditions, 2014.
[xiii] On peut renvoyer, en dépit des corrections de détail qu’il faudrait leur apporter, aux analyses de Michel Foucault dans son cours de 1979 « Naissance de la biopolitique » (Paris, EHESS/Seuil/Gallimard, 2004, p. 40-45), qui montrent de manière lumineuse l’hétérogénéité profonde entre la logique de la gouvernementalité libérale, fondée sur l’ordre spontané du marché et la destitution du pouvoir souverain par le principe d’utilité, et la logique révolutionnaire de la réquisition des droits de l’homme, qui conduit d’elle-même à l’affirmation de la souveraineté de la communauté des citoyens.
[xiv] F. A. Hayek, Droit, législation et liberté 3, trad. R. Audouin, Puf, Paris, 1983, p. 193-199.
[xv] Comme le note Pierre Zaoui dans le numéro 47 de Vacarme : « La lutte de classes est d’abord et essentiellement une lutte pour le droit et par le droit, ce dont témoigneront, en un sens contre leur propre théorie du droit, Marx et Engels, notamment dans les appendices du livre I du Capital, en montrant que la lutte de classe n’a connu de succès que dans et par le droit et les institutions : réduction progressive de la journée légale de travail, interdiction progressive du travail des enfants, institution de sociétés d’assistance mutuelle, etc. »
00:05 Publié dans Droit / Constitutions, Entretiens, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : entretiens, jean-yves pranchère, droits, droits de l'homme, livre, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques, théorie politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 01 juin 2016
Oswald Spengler & the Controversy of Caesarism
Oswald Spengler & the Controversy of Caesarism
By Margot MetrolandThere has long been a commonplace notion in journalism (now often repeated in blogs and social media), that Oswald Spengler declared us to be at the end of Civilization. After all, he did write The Decline of the West, didn’t he? Furthermore, Spengler’s end-phase of Civilization is Caesarism, and we passed that many decades ago—so the story goes—during the age of Musso & Dolf.
This is all nonsense, of course. It comes as no surprise that this misrepresentation took hold during the 1930s and early 1940s, when Spengler came to be recast as a kind of prophet for National Socialist Germany. But before getting to that, let me just point out that the “Caesarism” bit is easily disproven. You need only consult the fold-out endpaper charts of “Historical Morphology” in The Decline of the West to set the facts straight.
I reproduce a portion of the relevant ‘Contemporary “Political” Epochs’ table at the bottom of this essay for reference, but the essential takeaway is this: Spengler’s “Winter” epoch, when Civilization finally supplants Culture, begins with the age of Napoleon around 1800 and moves on through two centuries of Imperialism and Wars of Annihilation. After 2000 comes the period of Caesarism, which reaches final maturity, and decay, after 2200.[1]
According to this matrix, our Caesarism period of 2000-2200 corresponds to 100 BC – 100 AD in Classical civilization. The post-2200 era corresponds to the Roman Empire from Trajan onwards. Here civilization has attained its peak, while cultural forms are completed, calcified, past evolution. This, you might say, is the true End of History—for our Western, Faustian civilization at least. But we have a way to go.
Now, one can dismiss Spengler’s schema as hogwash, the way one might reject astrology or Kondratieff waves; but one should at least know Spengler’s timeline before declaring an opinion on it. Just as one should bear in mind that in presenting his theory of the morphology of history, Spengler uses convenient analogies, e.g., the cultural epochs of Spring, Summer, Autumn, Winter. When he says the great cultures are organic—they mature, bloom, and decay—he does not literally mean they are flowers. Yet these metaphors have always been a sore point with his critics. [2]
Getting back to Caesarism, let’s accept Spengler’s thesis arguendo and look at its significance. Caesarism marks the end of “Democracy,” brings “Victory of force politics over money” (chart at bottom). Economic powers give way to an authoritarian model that promotes collective values of health and social justice—or to use Spengler’s own description, “Ethical socialism after 2000” (Table I, Contemporary “Spiritual” Epochs—not reproduced here).
Breaking the money-power and promoting the national welfare was of course what the European nationalist governments of the 1920s and 1930s imagined they were doing, or intended to do. Spengler himself rejected the association of ‘Caesarism’ with National Socialism (The Hour of Decision). But it is easy to see how journalists—or Nazis—might confuse the two.
To Spengler, Caesarism isn’t a good thing or a bad thing, it just is. But his description of the epoch in Roman times is bleak. This truly was the end of that culture’s growth-and-struggle:
There are no more of those great decisions which concentrate the inner meaning of the whole culture . . . All great political questions are solved, as they are solved sooner or later in every civilization, inasmuch as questions are no longer felt as questions and are not asked . . .
. . . The struggle for the Caesar-title became steadily more and more negroid, and might have gone on century after century in increasingly primitive and, therefore, eternal” forms.
These populations no longer possessed a soul. Consequently they could no longer have a history proper to themselves. At best they might acquire some significance as an object in the history of an alien Culture and whatever deeper meaning this relation possessed would be derived entirely from the will of the alien Life. (Vol .2, pp. 50-51)
The “alien Life” Spengler has in mind here is of course our own culture and civilization, what he called Western or Faustian-Gothic. The solons of the Renaissance and Enlightenment might have liked to imagine otherwise, but there is no real continuity between the civilization of Greece and Rome and our own; we merely treasure their artifacts as museum-pieces.
Confusion about Caesarism, and Spengler’s schema in general, has been around a long while. But it was apparently not there in the 1920s when thoughtful people read Decline for the first time. That cynosure of high-middlebrow discernment, Time magazine, treated it appreciatively, almost worshipfully, when it reviewed Vols 1 and 2 in 1926 and 1928.
Hard to improve upon is Time’s deft précis of the complete work, noting that Spengler
. . . analyzes history by huge analogies. Civilizations he sees as emerging & disappearing in cycles, each one, like a flower, experiencing birth, growth, decay, death. Our own Western civilization he declares to be in the phase of decay, characterized by material expansion, effete spirituality. Collapse is imminent in perhaps 300 years. But by that time another human group will be unwittingly generating a new civilization to flourish and sink in its own long turn. Herein lies the refutation of the charge of pessimism applied to Spengler by lesser minds. Regarding civilizations as organisms, he is no more the pessimist than any man who recognizes the transient nature of all organic life.[3]
This would be the high point of Spengler’s international reputation. A polymath and popular philosopher with a special appeal to autodidacts, Spengler was inevitably ground down by other, more specialized critics. Scholars in every field nit-picked his assertions and called him an amateur, a dilettante, a shoddy researcher. (A mere Gymnasium teacher, moreover.) Writing in The Spectator in 1929, an English reviewer lambasted Spengler’s whole conception of history as a “top-heavy tower,” a house of cards built upon factual inaccuracies and murky reasoning. Spengler’s description of the coming Caesarism came in for particular criticism as obscurantist wish-fulfillment.[4]
Anyway, when Time reviewed Man and Technics a few years later, the bloom was off the rose. In an about-face from 1926, Time now declared Spengler a pessimist, one who thinks Civilization is done for. This time around, the reviewer dismissed his work with lip-smacking sarcasm:
To ward off suicidal despair Spengler recommends the psychological attitude of the Roman soldier who died at his post in Pompeii. When the volcano under civilization explodes, and the burning dust begins to descend, the more honorable Spenglerian carnivores will take it standing, polish up their buttons as the lava rises. [5]
The height of anti-Spenglerism came about ten years later. At the height of World War II, Foreign Affairs ran a 25-year retrospective of Decline of the West and found it all nail-bitingly depraved. 1942 was of course the height of the Second World War, thus this essay by Georgetown diplomatic historian Hans W. Wiegert can be regarded as a sort of stuffy, highbrow equivalent of Der Fuehrer’s Face.
Since Spenglerism is a flame which burns and can cripple souls, we are justified in reexamining it twenty-five years later. Indeed, we have a duty to do so. [6]
Wiegert demonizes Spengler’s masterwork as pure proto-Nazi propaganda on a par with Karl Haushofer. Decline is so tendentious that although Spengler pretends to be writing about the West (Abendland), he’s really describing an aggressive, expansive Germany:
The realm which he calls the West is not the West as we understand it. It is limited distinctly to Germany, and not even the whole of Germany, but only those parts of it which can be labeled (spiritually rather than geographically) the Germanic North. England and America, even France and Italy, are not within the boundaries of the West which he covers in his factual materials and comparisons.
* * *
The present writer believes that the human area which Spengler calls the Faustian-Nordic-German sphere, and whence he drew the factual foundations of his doctrine, is the only one where a Spenglerian conception of a human type fits—the type, that is, which gave up its freedom to become an earth-bound slave of Hitlerism.[7]
Wiegert spends several pages musing over the interplay of Spengler’s Caesarism forecasts and the rise of Hitler. At no point does he ever admit that Hitler just doesn’t fit into Spengler’s Caesar-time-scheme. He doesn’t care. Spengler sounded the drumbeat for Caesarism, incited the crowds. Thus he bears the weight of guilt for Nazism.
Spengler’s conception of Caesarism foreshadowed the growth of the totalitarian religions of our time. He translated Plato’s ideas on the relationship of tyranny and democracy into the language of the twentieth century. The dictatorship of money had used democracy as its political weapon. At the end of the First World War Spengler saw the doom of this money-power age. New forces, the forces of Caesarism, of which the multitude becomes willingly the passive object, were arising from the soil of democracy. The scene was set for the final battle between the forces of financial plutocracy and the purely political will-to-order of the Caesars.
* * *
Those Caesars who would rule the world when all the creative forces of culture had disappeared would be war-keen men. The appearance of one, Spengler wrote in 1917, would suddenly raise a powerless nation to the very peak, and his death would plunge a mighty nation into chaos. “They are for war, and they want war,” he added. “Within two generations it will be they whose will prevails.”[8]
For Wiegert, Hitler is plain-and-simple part of the Caesarian drama. He tops off his analysis with the suggestion that Hitler himself will succumb a military coup. (“The great drama of German Caesarism: the fall of the tyrant and the rise of army rule.”[9])
Wiegert seems to be suggesting an officers’ revolt along the lines of what became the failed coup of July 1944. But that’s really beside the point here, because he is trying to shoehorn the Hitler situation into Spenglerian Caesarism, and it just doesn’t fit.
Notes
1. This is taken from the combined one-volume 1928 edition of The Decline of the West, published by Alfred Knopf, translated by C. F. Atkinson. In the original two-volume format published in 1926 and 27, the tables appear at the end of Volume One, subtitled “Form and Actuality.”
2. See for example the C.E.M. Joad review in The Spectator, quoted below. (And not to belabor the point, but I have found that Spengler’s metaphors are very hard for some people to wrap their heads around. Decades ago I gave Yockey’s Imperium to a co-worker, thinking he’d enjoy it. And he did, but found the Spenglerian conceits ridiculous because “Culture isn’t really a living organism.” It is as though I showed him a chair for the first time and referred to its legs, and he said: “But those aren’t really legs! Those are just pieces of wood!” Maybe we’re all autistes when encountering the unfamiliar.)
3. Time, June 28, 1926.
4. “A Top-heavy Tower”, C.E.M. Joad, The Spectator, 12 January 1929.
5. Time, Feb. 29, 1932
6. Hans W. Wiegert, “Spengler Twenty-Five Years After,” Foreign Affairs, Oct. 1942.
7, 8, 9. Ibid.
00:05 Publié dans Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : oswald spengler, césarisme, philosophie, philosophie politique, révolution conservatrice, allemagne | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 31 mai 2016
Karl Marx en José Antonio
Karl Marx en José Antonio
Cualquiera que se acerque con un mínimo de interés a la atractiva figura de José Antonio Primo de Rivera como hombre de política, habrá podido observar la radical evolución ideológica que sufrió, en tan solo 3 años, desde la fundación de Falange Española en 1933 hasta su muerte en la cárcel de Alicante en 1936, el Marqués de Estella. Una evolución ideológica que fue propiciada, según algunos, por la escisión de Ramiro Ledesma Ramos de Falange Española de las JONS en 1935 y las lecturas de distintos sindicalistas revolucionarios y la de algunos de los "no conformistas" franceses de la época.
Y si en esta evolución en el pensamiento de José Antonio hubo un filósofo, político o ideólogo que lo influenció marcadamente, ese fue, sin ningún género de dudas, Karl Marx -o Carlos Marx como él prefería llamarlo-. En sus dos últimos años de vida, de 1935 a 1936, se pudo ver reflejado de forma más clara, en sus diversos discursos, las influencias, a parte del ya mencionado Marx, de Ramiro Ledesma Ramos, Ortega y Gasset y los sindicalistas George Sorel y Hubert Lagardelle. Conocida es ya la relación de gran amistad que mantenía José Antonio con el líder sindicalista Ángel Pestaña o sus palabras en 1936 en las que decía que "Donde Falange logrará más pronto avivar las corrientes de simpatía es en las filas del viejo sindicalismo revolucionario español". (1)
Si bien es verdad que en la Falange más embrionaria y en los primeros pasos de José Antonio en ésta se puede observar un marcado antimarxismo considerado por algunos como un "residuo" de su pasado monárquico y reaccionario, esta característica fue progresivamente desapareciendo y llegó a declarar en el diario La Voz de Madrid el 14 de febrero de 1936: "Los antialgo, sea lo que sea este algo, se me presentan imbuidos de reminiscencia del señoritismo español, que se opone irreflexiva, pero activamente, a lo que él no comparte. No soy ni antimarxista siquiera, ni anticomunista, ni... antinada. Los anti están desterrados de mi léxico como si fueran tapones para las ideas".
Pese a lo que generalmente se cree, Primo de Rivera no citaba a Marx exlucivamente para descalificarlo a él, a su pensamiento y a sus camaradas sino que reconoció en él, al hombre que supo preveer con una cierta exactitud las consecuencias de un sistema, el capitalismo, y criticarlo. Un sistema que ambos -tanto Jośe Antonio como Marx- consideraban injusto e inhumano y al que ambos criticaron con dureza. Tanto es así que en 1935 José Antonio diría, "Desde el punto de vista social va a resultar que, sin querer, voy a estar de acuerdo en más de un punto con la crítica que hizo Carlos Marx. Como ahora, en realidad desde que todos nos hemos lanzado a la política, tenemos que hablar de él constantemente; como hemos tenido todos que declararnos marxistas o antimarxistas, se presenta a Carlos Marx, por algunos –desde luego, por ninguno de vosotros–, como una especie de urdidor de sociedades utópicas. Incluso en letras de molde hemos visto aquello de "Los sueños utópicos de Carlos Marx". Sabéis de sobra que si alguien ha habido en el mundo poco soñador, éste ha sido Carlos Marx: implacable, lo único que hizo fue colocarse ante la realidad viva de una organización económica, de la organización económica inglesa de las manufacturas de Manchester, y deducir que dentro de aquella estructura económica estaban operando unas constantes que acabarían por destruirla. Esto dijo Carlos Marx en un libro formidablemente grueso; tanto, que no lo pudo acabar en vida; pero tan grueso como interesante, esta es la verdad; libro de una dialéctica apretadísima y de un ingenio extraordinario; un libro, como os digo, de pura crítica, en el que, después de profetizar que la sociedad montada sobre este sistema acabaría destruyéndose, no se molestó ni siquiera en decir cuándo iba a destruirse ni en qué forma iba a sobrevenir la destrucción. No hizo más que decir: dadas tales y cuales premisas, deduzco que esto va a acabar mal; y después de eso se murió, incluso antes de haber publicado los tomos segundo y tercero de su obra; y se fue al otro mundo (no me atrevo a aventurar que al infierno, porque sería un juicio temerario) ajeno por completo a la sospecha de que algún día iba a salir algún antimarxista español que le encajara en la línea de los poetas. Este Carlos Marx ya vaticinó el fracaso social del capitalismo sobre el cual estoy departiendo ahora con vosotros. Vio que iban a pasar, por lo menos, estas cosas: primeramente, la aglomeración de capital. Tiene que producirla la gran industria. La pequeña industria apenas operaba más que con dos ingredientes: la mano de obra y la primera materia. En las épocas de crisis, cuando el mercado disminuía, estas dos cosas eran fáciles de reducir: se compraba menos primera materia, se disminuía la mano de obra y se equilibraba, aproximadamente, la producción con la exigencia del mercado; pero llega la gran industria; y la gran industria, aparte de ese elemento que se va a llamar por el propio Marx capital variable, emplea una enorme parte de sus reservas en capital constante; una enorme parte que sobrepuja, en mucho, el valor de las primeras materias y de la mano de obra; reúne grandes instalaciones de maquinaria, que no es posible en un momento reducir. De manera que para que la producción compense esta aglomeración de capital muerto, de capital irreducible, no tiene más remedio la gran industria que producir a un ritmo enorme, como produce; y como a fuerza de aumentar la cantidad llega a producir más barato, invade el terreno de las pequeñas producciones, va arruinándolas una detrás de otra y acaba por absorberlas. Esta ley de la aglomeración del capital la predijo Marx, y aunque algunos afirmen que no se ha cumplido, estamos viendo que sí, porque Europa y el mundo están llenos de trusts, de Sindicatos de producción enorme y de otras cosas que vosotros conocéis mejor que yo, como son esos magníficos almacenes de precio único, que pueden darse el lujo de vender a tipos de dumpimg, sabiendo que vosotros no podéis resistir la competencia de unos meses y que ellos en cambio, compensando unos establecimientos con otros, unas sucursales con otras, pueden esperar cruzados de brazos nuestro total aniquilamiento. Segundo fenómeno social que sobreviene: la proletarización. Los artesanos desplazados de sus oficios, los artesanos que eran dueños de su instrumento de producción y que, naturalmente, tienen que vender su instrumento de producción porque ya no les sirve para nada; los pequeños productores, los pequeños comerciantes, van siendo aniquilados económicamente por este avance ingente, inmenso, incontenible, del gran capital y acaba incorporándose al proletariado, se proletarizan. Marx lo describe con un extraordinario acento dramático cuando dice que estos hombres, después de haber vendido sus productos, después de haber vendido el instrumento con que elaboran sus productos, después de haber vendido sus casas, ya no tienen nada que vender, y entonces se dan cuenta de que ellos mismos pueden una mercancía, de que su propio trabajo puede ser una mercancía, y se lanzan al mercado a alquilarse por una temporal esclavitud. Pues bien: este fenómeno de la proletarización de masas enormes y de su aglomeración en las urbes alrededor de las fábricas es otro de los síntomas de quiebra social del capitalismo. Y todavía se produce otro, que es la desocupación[...]". (2)
Para meses más tarde, añadir, "Pero hay otra cosa: como la cantidad de productos que pueden obtenerse, dadas ciertas medidas de primera materia y trabajo, no es susceptible de ampliación; como no es posible para alcanzar aquella cantidad de productos disminuir la primera materia, ¿qué es lo que hace el capitalismo para cobrarse el alquiler de los signos de crédito? Esto: disminuir la retribución, cobrarse a cuenta de la parte que le corresponde a la retribución del trabajo en el valor del producto. Y como en cada vuelta de la corriente económica el capitalismo quita un bocado, la corriente económica va estando cada vez más anémica y los retribuidos por bajo de lo justo van descendiendo de la burguesía acomodada a la burguesía baja, y de la burguesía baja al proletariado, y, por otra parte, se acumula el capital en manos de los capitalistas; y tenemos el fenómeno previsto por Carlos Marx, que desemboca en la Revolución rusa. Así, el sistema capitalista ha hecho que cada hombre vea en los demás hombres un posible rival en las disputas furiosas por el trozo de pan que el capitalismo deja a los obreros, a los empresarios, a los agricultores, a los comerciantes, a todos los que, aunque no lo creáis a primera vista, estáis unidos en el mismo bando de esa terrible lucha económica; a todos los que estáis unidos en el mismo bando, aunque a veces andéis a tiros entre vosotros. El capitalismo hace que cada hombre sea un rival por el trozo de pan. Y el liberalismo, que es el sistema capitalista en su forma política, conduce a este otro resultado: que la colectividad, perdida la fe en un principio superior, en un destino común, se divida enconadamente en explicaciones particulares. Cada uno quiere que la suya valga como explicación absoluta, y los unos se enzarzan con los otros y andan a tiros por lo que llaman ideas políticas. Y así como llegamos a ver en lo económico, en cada mortal, a quien nos disputa el mendrugo, llegamos a ver en lo político, en cada mortal, a quien nos disputa el trozo de poder, la parte de poder que nos asignan las constituciones liberales. He aquí por qué, en lo económico y en lo político, se ha roto la armonía del individuo con la colectividad de que forma parte, se ha roto la armonía del hombre con su contorno, con su patria, para dar al contorno una expresión que ni se estreche hasta el asiento físico ni se pierda en vaguedades inaprehensibles. Perdida la armonía del hombre y la patria, del hombre y su contorno, ya está herido de muerte el sistema". (3)
Además de aceptar, como era de esperar, las teorías marxistas sobre el devenir del capitalismo -¿Acaso no se han cumplido la gran mayoría, si no todas, las "profecías" marxistas sobre el capitalismo?- José Antonio recogió de Marx, también, la crítica a la propiedad capitalista. Prueda de ello fueron aquellas palabas de Primo de Rivera en 1935,"Pensad a lo que ha venido a quedar reducido el hombre europeo por obra del capitalismo. Ya no tiene casa, ya no tiene patrimonio, ya no tiene individualidad, ya no tiene habilidad artesana, ya es un simple número de aglomeraciones. [...] La propiedad capitalista es fría e implacable: en el mejor de los casos, no cobra la renta, pero se desentiende del destino de los sometidos. [...]mientras que ahora se muere un obrero y saben los grandes señores de la industria capitalista que tienen cientos de miles de famélicos esperando a la puerta para sustituirle. Una figura, en parte torva y en parte atrayente, la figura de Carlos Marx, vaticinó todo este espectáculo a que estamos asistiendo, de la crisis del capitalismo. Ahora todos nos hablan por ahí de si son marxistas o si son antimarxistas. Yo os pregunto, con ese rigor de examen de conciencia que estoy comunicando a mis palabras: ¿Qué quiere decir el ser antimarxista? ¿Quiere decir que no apetece el cumplimiento de las previsiones de Marx? Entonces estamos todos de acuerdo. ¿Quiere decir que se equivocó Marx en sus previsiones? Entonces los que se equivocan son los que le achacan ese error. Las previsiones de Marx se vienen cumpliendo más o menos de prisa, pero implacablemente. Se va a la concentración de capitales; se va a la proletarización de las masas, y se va, como final de todo, a la revolución social, que tendrá un durísimo período de dictadura comunista. [...]también el capitalismo es internacional y materialista. Por eso no queremos ni lo uno ni lo otro; por eso queremos evitar –porque creemos en su aserto– el cumplimiento de las profecías de Carlos Marx. Pero lo queremos resueltamente; no lo queremos como esos partidos antimarxistas que andan por ahí y creen que el cumplimiento inexorable de unas leyes económicas e históricas se atenúa diciendo a los obreros unas buenas palabras y mandándoles unos abriguitos de punto para sus niños. Si se tiene la seria voluntad de impedir que lleguen los resultados previstos en el vaticinio marxista, no hay más remedio que desmontar el armatoste cuyo funcionamiento lleva implacablemente a esas consecuencias: desmontar el armatoste capitalista que conduce a la revolución social, a la dictadura rusa. Desmontarlo, pero ¿para sustituirlo con qué?[...]". (4)
Porque como decía Adriano Gómez Molina, en el pensamiento de José Antonio, "La plusvalía es una columna vertebral del análisis marxista del capitalismo. La inclusión de la plusvalía en el programa de la Falange se sitúa junto a otras propuestas de porte izquierdista, pero entraña una importancia suprema. A pesar de su gran calado ha quedado desvaída. Cuando se habla de la radicalización de José Antonio, que ciertamente se produjo, no se suele enfatizar la asignación de la plusvalía al trabajo. Pero es ahí en donde está la radicalización decisiva, muy por encima de la nacionalización de la banca, de la sindicalización de la economía o de la «reinstalación revolucionaria del pueblo campesino»". (5)
No he creído necesario profundizar en la aclaración de que, pese a la fuerte influencia de Karl Marx en José Antonio, éste no fue nunca marxista ni aceptó nunca las soluciones propuestas por los marxistas ante el capitalismo.
Por otra parte, sí veo necesario aclarar, que pese a ver en el marxismo un enemigo, José Antonio -prueba de ello es lo anteriormente expuesto- no combatió dialécticamente al marxismo desde una óptica conservadora y reaccionaria sino revolucionariamente, desde una óptica nacionalista alejada, claro está, de toda rémora zarzuelera y reaccionaria.
Para terminar, citar de nuevo a José Antonio Primo de Rivera, "Pero hay algo más que hacer que oponerse al marxismo. Hay que hacer a España. Menos "abajo esto", "contra lo otro", y más "arriba España", "por España, una, grande y libre", "por la Patria, el pan y la justicia". (6)
Por Mario Montero
Notas:
(1) Contestaciones que José Antonio dio a las preguntas que le remitió el periodista Ramón Blardony, por intermedio del enlace Agustín Pelaéz, en Alicante, el 16 de Junio de 1936.
(2) Conferencia pronunciada en el Círculo Mercantil de Madrid, el 9 de Abril de 1935.
(3) Discurso de clausura del II Consejo Nacional de la Falange, pronunciado en el Cine de Madrid el 17 de Noviembre de 1935.
(4) Discurso pronunciado en el Cine de Madrid, el 19 de Mayo de 1935.
(5) Adriano Gómez Molina, El Catoblepas, número 101.
(6) Discurso pronunciado en el Teatro Norba de Cáceres, el 19 de Enero de 1936.
00:05 Publié dans Histoire, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, théorie politique, politologie, sciences politiques, philosophie politique, phalange, phalange espagnole, phalangisme, phalange authentique, solidarisme, espagne, marxisme, josé antonio primo de rivera, années 30 | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le corporatisme: genèse et perspectives
Le corporatisme:
genèse et perspectives
(entretien avec Jean-Philippe Chauvin)
Entretien du Cercle Henri Lagrange avec Jean-Philippe Chauvin
(professeur d'Histoire, animateur du blog nouvelle-chouannerie.com)
00:05 Publié dans Histoire, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : corporatisme, histoire, théorie politique, politologie, philosophie politique, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 30 mai 2016
Trois conférences de Lucien Cerise dans le Grand Est
Trois conférences de Lucien Cerise dans le Grand Est
E&R Franche-Comté et E&R Alsace recevront Lucien Cerise à Vesoul, Mulhouse et Strasbourg respectivement les 10, 11 et 12 juin 2016 pour trois conférences distinctes.
Réservations
Les réservations sont obligatoires. Merci de communiquer votre nom ainsi que le nombre de personnes aux adresses mail ci-dessous.
Conférence à Vesoul le 10 juin 2016 à 20h
Thème : Prendre le pouvoir
Adresse de réservation : conference.er.vesoul@gmail.com
Conférence à Mulhouse le 11 juin 2016 à 20h
Thème : Le fil conducteur de la géopolitique depuis le XIXe siècle
Adresse de réservation : conference.er.mulhouse@gmail.com
Conférence à Strasbourg le 12 juin 2016 à 16h
Thème : Opérations psychologiques et reality-building
Adresse de réservation : conference.er.strasbourg@gmail.com
Entrée : 5 euros.
Le lieu exact vous sera envoyé par courriel le jour de la conférence.
La bande-annonce :
00:05 Publié dans Evénement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : événement, lucien cerise, france, alsace, franche-comté, vesoul, strasbourg, mulhouse, philosophie politique, théorie politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
El principio solidarista de José Antonio Primo de Rivera y de Leon Duguit
El principio solidarista de José Antonio Primo de Rivera y de Leon Duguit
No se ha destacado suficientemente la enorme influencia de la nueva Sociología del Derecho, especialmente la del Sindicalismo solidarista de Durkheim y, sobre todo, de Léon Duguit, en la formación del pensamiento del fundador de la Falange. Salvando la pretensión antimetafísica del pensador francés, que pone en riesgo de ser malinterpretada su negación de los derechos subjetivos, y en contraste con la fundamentación teológica que el líder falangista hace de la libertad y la dignidad de la persona humana, el paralelismo entre las propuestas de uno y otro son evidentes, tal y como pretendo exponer a continuación.
Derecho y Política
Hay que insistir, para entender en profundidad a José Antonio Primo de Rivera y a su pensamiento, que la vocación primigenia del jefe falangista no fue la política, sino el Derecho. Es por medio del estudio de juristas y filósofos, que inicia en su etapa de estudiante y continúa posteriormente, como llega el fundador de la Falange a construir el andamiaje de estructura firme y constante desde el que realizará su construcción política. José Antonio estudia las reflexiones de juristas como Stammler, Ihering, Kelsen, Jellinek, Hauriou, Durkheim o Duguit acerca de la regulación de los derechos reales como objeto de la ciencia jurídica, y se plantea, siguiendo a filósofos y teólogos como S. Agustín, Santo Tomás, Platón, Kant, Hegel o el positivista Comte, si existe alguna relación de éstos derechos con aquellos otros principios meta-jurídicos que encarnan un ideal de Justicia y que, por ello, no son objeto del Derecho, sino de la Política. José Antonio se aparta del positivismo cuando nos advierte en su conferencia sobre Derecho y Política, pronunciada en la inauguración de curso del Sindicato Español Universitario de 1935, que todo jurista tiene la necesidad de ser político, pues no es honesto, nos dice, incitar al fraude diciendo profesar, como único criterio organizador de la sociedad, la juridicidad. Pero, al mismo tiempo, una vez abrazado un ideal (político) de Justicia, habrá que cuidar de procurarse una “técnica limpia y exacta, pues en el Derecho toda construcción confusa lleva agazapada una injusticia”. Se puede afirmar que la aproximación a la política del falangista fue, ante todo, una exigencia de enfoque jurídico. José Antonio admitió, siguiendo a Stammler, que los fenómenos jurídicos se habían de referir a la ordenación de ciertos medios para conseguir unos fines pretendidos – la vieja ordinatio rationis de Santo Tomás, añadiendo la distinción kantiana entre contenido y forma– y defendió, meta-jurídicamente, la capacidad de los hechos revolucionarios para producir una legitimidad jurídica de origen; principio que aplicaría a la defensa de la Dictadura de su padre, así como a la aceptación del hecho revolucionario del 14 de Abril como legitimador de la II República española, que nació rompiendo el ordenamiento constitucional anterior.
¿Fascismo o solidarismo?
Cuando, más tarde, José Antonio publica en El Fascio su artículo “Orientaciones hacia un nuevo Estado”, no nos habla un seguidor de aquellos que, desde coordenadas hegelianas, propugnaban un Estado totalitario de soberanía plena. Su planteamiento tiene un enfoque, jurídico y político, que en nada recuerda a la posición mussoliniana que identificaba al pueblo con el cuerpo del Estado y al Estado con el espíritu del pueblo, y que reservaba todo el poder, sin divisiones ni restricciones, para el Estado – actitud próxima, por paradójico que pueda parecer, a la de los defensores del mito de la soberanía popular–. La crítica de Primo de Rivera a esta idea de soberanía, que luego repetirá en el mitin de La Comedia y en numerosos escritos posteriores, es la misma que expone Léon Duguit en sus lecciones acerca de Soberanía y Libertad. En José Antonio no existe esa sumisión de la razón a la voluntad tan característica del fascismo y de los adictos a la soberanía nacional. El discurso de José Antonio no es fascista. ¿Es solidarista?
La soberanía y el principio de solidaridad
El principio sobre el que habrán de vertebrarse los sistemas jurídicos de los Estados futuros, según la nueva sociología francesa del Derecho, habrá de ser un principio de solidaridad. Duguit proclamaba que estaba en camino de alumbrarse una nueva sociedad basada en el rechazo del derecho subjetivo como noción básica del sistema político. Sería el derecho objetivo la regla fundamental de la sociedad nueva. Para Duguit el fundamento de la norma permanente del Estado se encontraba en el concepto solidario de libertad y en la división del trabajo; es decir, en las distintas funciones a realizar en una sociedad unida por lazos de solidaridad y cooperación. La libertad es concebida como un deber, no como una especie de soberanía individual, sino, más bien, como una función. Para Duguit, la doctrina de la soberanía es, en la teoría y en la práctica, una doctrina absolutista. Rousseau sacralizaba el sofisma de la dictadura de la mayoría, de un sufragio universal que imponía tiranías en nombre de la democracia parlamentaria. El sistema jurídico-político al que Duguit aspiraba no podía fundarse sobre el concepto de soberanía, sino sobre la dependencia recíproca que une a los individuos; es decir sobre la solidaridad y la interdependencia.
Libertad y servicio
La autonomía individual es un servicio; la actividad de los gobernantes es el servicio público, afirma Duguit. José Antonio, en la conferencia que pronuncia en 1935 sobre Estado, individuo y libertad, avisa que si el Estado se encastilla en su soberanía y el individuo en la suya, el pleito no tiene solución. La única salida, justa y fecunda, para el líder falangista, es que no se plantee el problema de la relación entre el individuo y el Estado como una competencia de poderes y derechos, sino como un cumplimiento de fines y de destinos:”Aceptada esta definición del ser-portador de una misión…florece la noble, grande y robusta concepción del servicio…Se alcanza la personalidad, la unidad y la libertad propias sirviendo en la armonía total. Primo de Rivera está formulando los mismos principios solidaristas de Léon Dugit enlazándolos con la doctrina de Santo Tomás y de la escuela de Salamanca.
El Estado descentralizado sindicalista
En el terreno político, el Estado no justifica su conducta, como no la justifica un individuo, ni una clase, sino en tanto no se amolda en cada instante a una norma permanente, explica el falangista a quienes lo acusan de divinizar al Estado. Así es como el hombre puede fundar todo el sistema político-social sobre el postulado de una regla de conducta que se impone a todos. Existe una “ley orgánica de la sociedad”, objetiva y positiva, por encima de la voluntad de los individuos y de la colectividad, nos dice Duguit. Sobre esta regla se realiza la transformación del Estado, a través de una organización social que debe basarse en la descentralización o federalismo sindical. El sindicato se convierte, pues, en la corporación elemental de la estructura jurídica ideada por el jurista francés, y pasa de ser un “movimiento clasista” a desempeñar funciones concretas capaces de limitar la acción del gobierno central.
Léon Duguit en La représentation sindicale au Parlement (1911) concretó, finalmente, esta idea de un nuevo régimen político erigido sobre la representación funcional del sindicalismo que, tras la Revolución rusa, se convertía en el único medio de asegurar las libertades propias de la civilización occidental (Souveraineté et liberté, 1922). José Antonio es ya un sindicalista, en este mismo sentido, antes de conocer a Ledesma, y es ésta la idea de sindicalismo que permanece en su pensamiento, también tras haberse fusionado con el grupo de las JONS, aunque profundice más en ella y la radicalice tras leer a Sorel.
Economía solidaria
Algo similar a la transmutación solidarista del contrato social, ocurre con la propiedad privada. En el terreno de la economía, Duguit rechazaba tanto la lucha de clases como el derecho absoluto a la propiedad: nadie tiene “derechos subjetivos” para imponer su voluntad de manera absoluta. La propiedad es el producto del trabajo y nadie tiene derecho a dejarla improductiva. La propiedad sobre el capital no es un derecho, sino una función, dirá el francés, para el que la propiedad privada adquiere una función social al transmutarse de propiedad-derecho a propiedad-función. Para José Antonio, la propiedad es un atributo humano distinto al capital, que es un mero instrumento.
El Estado de Bienestar
Bajo la inspiración del principio solidarista, se pasa de una concepción negativa del orden público, como la que se tenía en el Estado liberal-individualista, a la necesidad de ajustar la idea del contrato social al postulado del bien común (ad bonum commune), y a entender que las libertades individuales vienen limitadas por el principio solidario de la función social. Cuando Duguit anuncia la superación del Estado liberal, que desaparecería aquel día en que la evolución social llevase a los gobernados a pedir a sus gobernantes algo más que los servicios de defensa, policía y administración de justicia, está sentando los fundamentos del Estado del Bienestar, que vendría tras la II Guerra Mundial y que hoy encontramos casi en trance de desaparecer. José Antonio va más allá, pues la finalidad del Estado que él defiende no se limita a procurar un bienestar puramente materialista, sino que tiene como objetivo supremo asegurar unas condiciones que permitan a los pueblos volver a la supremacía de lo espiritual.
Hacia un nuevo Estado
Duguit fue acusado de antiestatismo y de anarquizante. Desde el realismo político, Carl Schmitt lo situó entre los precursores del “pluralismo disgregador”. José Antonio, defendiendo ideas parecidas, ha sido calificado de fascista, de totalitario y de defensor del panestatismo.
Pero asistimos hoy a la crisis de los Estados nacionales y de las organizaciones internacionales, cada vez con menor margen de maniobra para garantizar el bienestar de los ciudadanos; presenciamos el auge de un neoliberalismo (sobre todo en Economía), que extiende su oscura sombra de desconfianza hacia la capacidad del Estado para ordenar la sociedad, y que pretende recortar cada vez más las funciones de éste; intentan inculcarnos una renovada fe en la quimérica y fracasada mano invisible de Adam Smith, que se nos vuelve a proponer como mágica panacea para alcanzar el bien de todos mediante el equilibrio mecánico de egoísmos contrapuestos; comprobamos el poder enorme de los grandes trust multinacionales y transnacionales, y de los grupos de presión, con una libertad de acción cada vez menos limitada en los mercados globalizados.
La ausencia de un armazón verdaderamente fraterno y humano en la vertebración de las sociedades nos invitan también a considerar que el principio solidarista de Duguit y, sobre todo, el de José Antonio Primo de Rivera necesitan, con prontitud, ser repensados y vueltos a calibrar, para que esa solidaridad orgánica que ellos consideraban como la regla fundamental, sea emplazada como piedra angular en un nuevo concepto de Estado y como pilar de una nueva sociedad.
José Ignacio Moreno Gómez.
00:05 Publié dans Histoire, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léon duguit, solidarisme, phalange, phalange espagnole, espagne, histoire, josé antonio primo de rivera, théorie politique, philosophie politique, droit, politologie, sciences politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 29 mai 2016
La géopolitique: doctrines et praxis
La géopolitique: doctrines et praxis
Entretien avec Pascal Gauchon
Thèmes abordés :
0:32 - définition de la géopolitique
3:31 - géopolitique et géostratégie
5:03 - Machiavel et Clausewitz, deux pères de la géopolitique
9:47 - les écoles de géopolitique anglo-saxonne et allemande
12:38 - l'école française de géopolitique
16:23 - les géopoliticiens qui ont influencé Pascal Gauchon
20:54 - les notions clés de la géopolitique
25:32 - chaque nation est-elle porteuse d'une vision géopolitique propre et permanente?
30:55 - les critères déterminants de la construction d'une unité géopolitique
33:31 - les limites du matérialisme économique en analyse géopolitique
40:26 - les principales forces à l’œuvre dans la géopolitique mondiale contemporaine
47:26 - développement des entités déterritorialisées et obsolescence des États
50:03 - raisons de l'improbabilité de cette obsolescence
53:05 - les États-Unis pourraient-ils renouer avec leur tradition isolationniste?
58:35 - la pérennité de l'hégémonie américaine face à la montée en puissance des BRICS
1:03:01 - la Russie : une nation oscillant entre occidentalisme et panslavisme
1:06:19 - la reconfiguration de la carte moyen-orientale
1:10:16 - la construction européenne est-elle fondamentalement anti-géopolitique?
1:15:46 - avantages et inconvénients d'un monde multipolaire
00:05 Publié dans Définitions, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal gauchon, géopolitique, définition, théorie politique, philosophie politique, sciences politiques, politologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 28 mai 2016
"Eloge du populisme" de Vincent Coussedière
Dr Bernard Plouvier,
Auteur, essayiste
Ex: http://metamag.fr
L’auteur est un philosophe qui vient de passer le cap de la cinquantaine et récidive en 2016 avec un second livre sur le sujet (Le retour du peuple. An 1, paru au Cerf).
Deux remarques préliminaires paraissent nécessaires au lecteur qui veut aborder la prose, de style parfait, dégagé de toute fioriture académique, de l’auteur… qui est l’un des rares penseurs politiques français du moment à être intéressant et original.
Qu’est-ce que l’élite d’un peuple ? Si l’on préfère formuler autrement la question : un élu, fût-il appelé à de très hautes fonctions, est-il obligatoirement doté du courage et du caractère, voire simplement de l’intelligence indispensables au gouvernant ? La notion « d’élite politique » est, en soi, risible. Jamais la politique ne devrait être une profession, mais une fonction temporairement exercée par un individu ayant fait preuve d’une remarquable efficacité dans son activité professionnelle. La politique n’est pas un métier : ce devrait être l’un des fondements de la mentalité populiste.
Qui gouverne en Occident depuis le début des années 1980 ? Et de façon opposée, quel type d’homme gouverne en Russie et en Chine débarrassées de l’immondice communiste (ou marxiste, au gré de chacun… encore qu’il existe des clowns pour prétendre que la pure doctrine de Karl Marx n’ait jamais été appliquée, ce qui est entièrement faux : elle l’a été en Russie, de 1919 à 1921, et ‘’Lénine’’ a eu recours à la Nouvelle Économie Politique pour éviter l’implosion de l’URSS) ?
Après avoir répondu à ces deux questions, le lecteur peut aborder le premier livre de l’auteur qui s’intéresse au vide politique (et à celui non moins profond du discours politique) dans la France, des années Mitterrand à nos tristes jours. M. Coussedière a parfaitement compris que c’est Mitterrand qui a sciemment lancé la Nation française dans l’économie globale et la mondialisation politique, raciale et pseudo-culturelle (alors qu’à l’époque, Helmut Schmidt hésitait à y lancer l’Allemagne de l’Ouest, comme le prouve la prose de Jacques Attali, cf. Verbatim-I).
Le monde occidental actuel est celui du consumérisme, de l’hédonisme, de la niaiserie : le triomphe de l’individualisme et du très court terme. Ce n’est nullement de façon innocente que les maîtres encouragent la multiplication des langues exotiques dans les pays où ils contraignent les autochtones à se laisser envahir, ainsi que la déstructuration des langues à diffusion quasi-universelle : l’anglais devient le basic english, voire l’immonde bafouillage des blogs débiles du Net.
La définition du populisme par l’auteur est parfaitement exacte : c’est la réaction d’un peuple qui se sent trahi ou abandonné par la caste dirigeante, inepte, inapte et/ou corrompue. C’est une aspiration à renouveler le fonctionnement du couple Nation-État… « une errance », tant que le peuple n’a pas trouvé son chef ou lorsqu’il se laisse prendre aux rets d’un oiseleur, tel le démagogue Sarkozy – exemple pris par l’auteur.
La démagogie n’a jamais été que l’art de faire croire à un peuple qu’il pouvait obtenir (presque) tout, sans effort notable. Seuls les plus modernes des populistes ont soutenu le contraire, exigeant énormément d’efforts pour surmonter une énorme détresse morale, ce qui est bien plus grave qu’une crise économique : tels Mustafa Kemal ‘’Atatürk’’, le Mussolini des années 1920, ou Raoul Perón. De nos jours, partout en Occident, les autochtones ressentent une angoisse de ce type, associant désillusions et déréliction, sensation de péril imminent et surtout la tristesse spécifique de la fin d’une ère historique.
À dire vrai, Sarkozy avait de bonnes idées, mais il n’a jamais osé les appliquer, pour l’excellente raison que, parvenu à l’Élysée, il a dû jouer son rôle de pion, de sous-ordre des titulaires actuels du Pouvoir dans les États de style de vie occidental : les maîtres du jeu économique. Les « gouvernants sont devenus des administrateurs » (les guillemets indiquent des citations de l’œuvre)… plus exactement des gérants de la globalo-mondialisation, pratiquant, à l’instar de leurs spéculateurs de maîtres, la technique du pilotage sans visibilité.
Une critique que l’on pourrait faire à l’auteur est de n’avoir pas donné sa définition personnelle du mot Nation et de s’être contenté de celles d’autrui. Or, le problème sémantique devient un choix crucial de nos jours, aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe occidentale et danubienne : faut-il ou non faire intervenir la notion d’origine raciale dans l’acception du mot Nation… pour certains, l’étymologie le commande, comme le simple bon sens.
Si un peuple – soit un groupe de citoyens enregistrés par l’état-civil – n’a pas d’identité propre et s’avère composite par les religions (suprême facteur de désunion), les usages (par exemple culinaires), voire la langue (combien d’immigrés ne font pas l’effort d’apprendre la langue du pays où ils viennent résider ?), la Nation est définie par des origines continentales et une histoire communes, des lois et des usages communs, soit des valeurs identitaires. L’auteur a raison : le populisme n’est pas obligatoirement corrélé au nationalisme.
Le populisme est la volonté d’un peuple d’être « gouverné selon son intérêt ». C’est le besoin de voir correctement géré le Bien commun (cher à Platon, Aristote, Hobbes etc.), c’est la nécessité de créer les meilleures conditions pour la génération à venir, en se souvenant que les prévisions d’expert à long terme s’avèrent constamment fausses.
Le populisme, c’est l’espoir pour un peuple de renaître, de recommencer une vie commune sur de nouvelles fondations. Le populisme, ce n’est nullement l’utopie égalitaire (c’est, au contraire, le Leitmotiv des propagandes démagogiques). Le populisme, c’est se vouer à une grande aventure collective, à la fois politique, économique, sociale et culturelle… soit l’inverse de l’actuel individualisme stéréotypé, de l’individu standardisé.
Car le grand art de nos maîtres est de faire réagir de façon similaire l’Européen et le Nord-Américain, l’Africain ou l’Asiatique évolués. Léon XIII l’avait prévu, dès la fin des années 1890, comme divers sociologues, tels Gabriel Tarde cher à l’auteur ou l’inusable Gustave Le Bon.
C’est en cela que la mondialisation sous-culturelle et politique réalise le pire des totalitarismes : on impose une pensée unique, sans violence excessive, par le seul effet de la répétition ad nauseam d’une propagande niaise et optimiste, chez des êtres gavés de jouissances matérielles et de petits bonheurs. Hannah Arendt n’a donné qu’une définition très partielle du phénomène totalitaire, pour s’être limitée aux seuls cas marxiste et nazi. Le totalitarisme est le fait de prendre l’être humain dans sa globalité : travail, vie de relation et surtout croyances et pensée, le tout pour uniformiser l’expression de l’opinion publique. La violence n’est nullement nécessaire : au Moyen Âge, l’espoir du paradis et la peur des infernales souffrances éternelles suffisaient à imposer une croyance commune aux Européens.
On peut ne pas être d’accord avec l’auteur dans sa longue digression sur le gauchisme des années 1968 sq. – l’auteur était trop jeune pour avoir vécu cette époque de profonde hypocrisie et d’énorme malhonnêteté intellectuelle. Les ex-gauchistes de 1968 sq. se sont parfaitement intégrés au consumérisme mondialiste (l’exemple de Cohn-Bendit est particulièrement démonstratif). Le populisme n’a rien à voir avec ces fumistes.
De même, il est faux de considérer que la vichyssoise « révolution nationale livrait le pays à l’occupation allemande » : c’était un essai de technocratie, elle-même réactionnelle aux excès opposés d’une finance trop attirée par la spéculation boursière et monétaire et de la surenchère démagogique du Front populaire (dont les réformes furent à la fois très incomplètes et abominablement coûteuses). La société des années 1950 sq. – qui a fait le lit de la Ve République gaullienne, morte en 1969 – est directement issue des réformes proposées par le brain-trust qui entourait le maréchal Pétain puis l’amiral Darlan.
Mais on ne peut qu’abonder dans le sens de l’ultime comparaison de l’auteur : être populiste en nos jours de toute puissance de la globalo-mondialisation, c’est faire acte de Résistance, comme certains l’ont fait, avec panache, dès 1940. Finalement, ne pourrait-on pas imaginer que toute la question se résume à une simple équation : Populisme = Démocratie véritable… soit le gouvernement POUR le peuple et non plus le gouvernement pour défendre les privilèges de la caste politicienne ?
Ce très bon ouvrage n’est pas un livre d’historien : il ne faut pas y chercher une référence aux populismes antiques (Pisistrate, les Gracques ou Jules César), médiévaux, modernes ou contemporains. C’est l’œuvre d’un penseur, à la fois philosophe et sociologue, qui – heureuse surprise – n’est ni un raseur, ni un fumiste. C’est une œuvre utile, car – chose exceptionnelle – elle fait réfléchir le lecteur, qu’il soit ou non en phase avec telle ou telle option de l’auteur. La clarté d’expression sert une pensée originale et honnête sur un sujet brûlant d’actualité, non seulement européenne, mais aussi dans toutes les parties du monde où la globalo-mondialisation exerce ses charmes vénéneux.
Vincent Coussedière, Éloge du populisme, Élya Éditions, collection Voies Nouvelles, 168 pages, 16€. (2012).
Du même auteur, Le retour du peuple, an 1, Éditions du Cerf, 272 pages, 19 € ( mars 2016).
00:05 Publié dans Livre, Livre, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie politique, livre, théorie politique, politologie, sciences politiques, vincent coussedière | | del.icio.us | | Digg | Facebook
vendredi, 27 mai 2016
Métaphysique et politique, en France au XXIème siècle
Métaphysique et politique, en France au XXIème siècle
Ce texte a d’abord été conçu comme une réponse à une attaque un peu basse d’un éditeur parisien. Il est maintenant publié pour lui-même.
Le monde contemporain, un ensemble d’A-Patries
Une courte ontologie du devenir de l’Europe
La patrie
Sommes nous tous devenus des apatrides ? La question, formulée ainsi, semble à première vue provocatrice, en effet, une large majorité d’individus se revendique toujours d’une patrie, qu’elle soit charnelle, spirituelle ou incarnée par une nation. Pourtant la question de l’appartenance à une patrie n’a jamais été autant d’actualité, notamment en France et en Europe. Homère, déjà, se préoccupait de la question, « il n’est point de terre plus douce que sa propre patrie ». Etymologiquement la patrie est « le pays des pères », non du père, mais des pères. Donc d’une lignée. Ce que confirment les traductions de « patrie », en anglais avec « Father-Land », ou bien en allemand avec « Vater-Land ». La patrie est un territoire auquel on attache une notion de tradition et d’héritage, une filiation multi-générationnelle. On peut donner plusieurs significations au mot « père ». Selon la définition courante c’est un substantif qui fait référence à la notion de « paternité », il s’agit soit du parent biologique, soit du parent social, de sexe masculin. Ce peut être aussi une image à caractère symbolique : « dieu le père », « petit père des peuples », qui caractérise néanmoins toujours le lien d’ascendance filiale. Homère, en indiquant que notre propre patrie est toujours la plus douce, transmettait l’idée que c’est en se plaçant dans le sillage de ses pères, qu’on se tient dans la conformité de son « être », qu’on est à sa « place ». Un proverbe arabe dit sensiblement la même chose, en attachant à la « patrie » une notion d’exclusivité : « Mieux vaut une maison en ruines qu’un Palais en commun ».
Ce que dit Homère peut s’envisager très directement ; cultiver la terre qui a appartenu à ses pères est la continuation du travail de l’enracinement, de la poursuite d’une œuvre qui se conjugue au singulier de l’être et au pluriel de la patrie. On peut aussi l’étendre ; cette patrie prend la forme d’un legs spirituel, une terre imagée, racine de l’arbre de la pensée, féconde pour l’esprit, c’est l’endroit duquel peut s’opérer la création, comme la graine de blé en germant produira un épi. Etre, c’est à dire se comprendre en tant qu’homme parmi les hommes, c’est retourner à la patrie, accéder à son essence propre, ainsi que le chantait le poète allemand Hölderlin. Cette patrie matérielle et spirituelle, n’est pas une négation de l’ensemble des hommes, mais bien au contraire la compréhension que c’est en admettant son altérité propre que l’on est un homme au milieu des autres ; donc à même de nouer des liens avec ce qui nous est étranger et de participer au destin historique du monde. En sortant de sa patrie, un homme est exclu de sa condition propre et de l’histoire. L’apatride est exilé de son être, orphelin de sa réalité. Martin Heidegger parlait de l’absence de patrie comme d’ « un signe de l’oubli de l’être ».
Pendant des millénaires, la patrie a été l’élément constitutif de toutes les identités et des institutions qui les ont incarnées : Etats-nations, empires et autres territoires libres. Nous naissons, et nous ne sommes pas seuls, nous ne sommes pas lancés nus dans le monde, nous nous inscrivons dans une tradition. C’est ce lien qui fait les hommes, il n’y a pas un homme mais des hommes, dont les êtres vivent dans des maisons différentes, constitutives des besoins que leur imposent leurs conditions d’existence ; voilà ce que sont les patries, les foyers des êtres. Sur tous les continents se sont créés, par un long processus historique, des modalités d’existences conformes aux hommes qui les ont habités ; en retour des civilisations consubstantiellement connectées à ces habitats sont apparues avec les cultures, les religions et les mythes liés. Des pensées spécifiques ont émergé et chaque fils a hérité de son père, les habitudes de sa patrie. La patrie étant en un sens la famille élargie.
La patrie unique marxiste
Antonio Gramsci l’avait tout à fait entendu : « ce n’est pas dans la lutte des classes que la gauche révolutionnaire arrivera au pouvoir mais par le biais d’une activité culturelle et en éradiquant par tous les moyens appropriés les notions de patrie, de famille et de religion, piliers de la civilisation occidentale. L’immigration sans limites est aujourd’hui le moyen le plus sûr, le plus puissant et le plus efficace de parvenir à nos fins ». Il démontre que la réponse conceptuelle, posée par le problème marxiste d’atteindre la « fin de l’histoire », consiste en l’éradication de tous les fondements essentiels et instinctifs de ce qui fonde nos êtres, soit les données de base de tous les groupes et civilisations humains depuis l’aube de l’humanité. Un tel degré de sophistication intellectuelle (qui est, ironiquement, la conséquence de l’évolution de la pensée occidentale, patrie spirituelle d’Antonio Gramsci) implique la destruction des assises de la civilisation, afin de créer un humanisme qui ne soit pensé que par l’homme et non pour les hommes. Ce qu’on appelle humanisme de nos jours, n’est en réalité qu’un anthropocentrisme dévoyé qui exclut l’homme de la nature et en retour l’exile de lui-même. N’oublions pas le rapport immanent des hommes à la nature, ce qui implique de protéger notre environnement culturel. L’ordre de la raison ne doit pas exclure la pensée imagée et méditative de notre civilisation, le mythe participant pleinement à notre aventure historique, culturelle et sociale.
Nous sommes en vérité produits de notre devenir collectif mémoriel, et non de pures constructions intellectuelles pouvant à loisir devenir homme quand on nait femme, ou bien Egyptien quand on nait Mexicain. Antonio Gramsci dans la logique propre à son idéologie, ne peut finalement pas imaginer qu’il existe une pluralité d’hommes, chacun inscrits dans des « patries ». Ou s’il le conçoit, cela lui apparaît comme un élément à déconstruire, le dernier et le premier ferment de l’historicité du monde.
Il envisage pour cela une double manœuvre stratégique : d’abord provoquer le déracinement d’individus vers d’autres terres (ceux qui émigrent ne sont plus apparentés à la terre de leurs pères, ils sont orphelins de leurs patries), puis par un effet mécanique déstabiliser la patrie d’accueil, qui ne se reconnaît plus d’une origine commune, d’un seul tenant.
Aujourd’hui une partie des stratégies de guerre asymétrique théorisées par le penseur italien ont matérialisé leurs effets, elles l’ont cependant été partiellement en dépit de ses idéaux. En effet, le marxisme a échoué dans sa tentative de sortir les hommes de l’histoire pour créer un homme nouveau, l’objectivisme rationnel libéral a eu le plus de résultats en la matière. Ce système est l’homme debout portant le monde sur les larges épaules de la raison, représenté par la statue d’Atlas qui fait face au « Rockfeller Center » dans la ville de New-York aux Etats-Unis. Un positivisme chasse l’autre. L’un est beaucoup plus hypocrite et pernicieux que l’autre. Alors qu’Antonio Gramsci souhaitait la destruction des patries pour instaurer un être collectif qui soit en partage à tous – dans une optique égalitariste forcenée -, l’autre n’envisage l’être que dans ses manifestations individuelles, déconnecté de toute ascendance ou descendance.
L’objectivisation de l’homme
La philosophe russo-américaine Ayn Rand a fui le communisme soviétique pendant sa jeunesse, elle fut une apatride. Son sort l’a logiquement amenée à développer une vision du monde rejetant toutes les idées d’identification collectives, c’est à dire le communisme qui est une identification collective universelle réfutant le fait qu’il y ait pluralité d’hommes – au profit d’un homme unique- ; mais aussi les notions de filiation et de tradition qui ouvrent les hommes à leur altérité et donc à l’allégeance familiale puis patriotique. Bien que sa pensée n’ait eu qu’une maigre portée intellectuelle – car frappée du sceau de son ressentiment subjectif, et soit en outre peu étudiée dans les sphères universitaires-, elle est devenue une source majeure d’influence pour les penseurs « libéraux » de toutes obédiences (Ronald Reagan ou Hilary Clinton figurent au rang de ses admirateurs).
Son constat est le suivant : « ma philosophie conçoit essentiellement l’Homme comme un être héroïque dont l’éthique de vie est la poursuite de son propre bonheur, la réalisation de soi son activité la plus noble, et la Raison son seul absolu. ». En soi cette citation ne paraît pas malfaisante, tout homme aspire au bonheur et à sa réalisation personnelle. C’est ce qui n’est pas explicitement dit, qui a, comme toujours, de l’intérêt. Ayn Rand ne reconnaît à l’homme que des droits, il n’a aucun devoir. Souverain, son être ne se dévoile pas à l’aune de particularités héréditaires mais uniquement selon la raison, il est par nature orphelin de père et de mère. C’est un homme indifférencié, sans aucune attache, jouissant, consommant. Il n’y a plus d’hommes qui agissent dans un devenir commun à partir d’éléments qu’ils ont en partage, chaque homme est absolument sa propre patrie. Au projet marxiste de la suppression des patries pour une patrie unique, universelle, et collective, l’objectivisme rationnel répond par la suppression de toutes les patries collectives en atomisant celles-ci en chaque individu. Les hommes dans leurs singularités propres – c’est à dire en ce que leurs individualités procèdent d’un fonds historique concordant à leurs parentèles -, sont niés au profit d’hommes nouveaux jetés sans généalogies historiques tels les Adam et Eve d’un humanisme dévoyé. Pas mieux que des golems qui n’auraient pas la conscience de leurs êtres. Donc si l’homme n’a pas d’origine, pourquoi conserver les patries, les institutions, la culture ? L’homme hors-sol – qu’il soit une fiction marxiste, libérale ou même ultra-nationaliste – est un pur nihilisme. Ce n’est pas une vie héroïque, le héros se glorifie d’accomplissements personnels en lien avec la transmission, et s’il n’agit que pour lui, il transgresse. La transgression n’existe que par les normes, supprimez-les et la civilisation est privée de sa capacité régénératrice. Cette logique développée à l’extrême conduit donc à un totalitarisme ; les hommes sont privés d’origines, de transmission et même de la capacité à transgresser l’ordre moral, car celui-ci n’existe plus.
Jean Baudrillard trouva dans « La Société de Consommation », une exacte définition pour l’horizon de l’homme contemporain : « homo oeconomicus ». Il précise cette notion comme « fossile humain de l’âge d’or, né à l’ère moderne de l’heureuse conjonction de la Nature Humaine et des Droits de l’Homme, est doué d’un intense principe de rationalité formelle qui le porte : 1- A rechercher sans l’ombre d’une hésitation son propre bonheur ; 2- A donner sa préférence aux objets qui lui donneront le maximum de satisfactions. Tout le discours, profane ou savant, sur la consommation, est articulé sur cette séquence qui est celle, mythologique, d’un conte : un Homme, « doué » de besoins qui le « portent » vers des objets qui lui « donnent » satisfaction. Comme l’homme n’est jamais satisfait (on le lui reproche d’ailleurs), la même histoire recommence indéfiniment, avec l’évidence défunte des vieilles fables ».
Le sociologue français conceptualise un homme de besoins, un homme qui a le « droit » de « satisfaire » à ses besoins. Les « besoins » dont il s’agit, ne sont pas d’ordre naturel comme manger ou dormir à l’abri, mais bien des « besoins » d’ordre symbolique et répondant à des critères de confort annexe ou à l’hédonisme ludique. Le besoin de confort ne s’arrête jamais, pourquoi faire la vaisselle à la main quand on peut avoir un lave-vaisselle, pourquoi utiliser un paquebot quand on peut se déplacer en avion, c’est parfaitement normal et un cycle qu’il ne convient pas d’arrêter. Le besoin de confort découle du besoin naturel, le confort matériel ne doit cependant pas occulter que les hommes ont besoin du confort mental. Le bien être émotionnel est d’une importance équivalente au bien-être matériel.
La volonté ludique est elle aussi infinie, l’homme est un animal joueur tout autant que rationnel, il voudra sans cesse s’amuser et découvrir. C’est dans sa nature, ce qui est plus problématique c’est qu’on en arrive à fabriquer des pseudos-besoins fictionnels, qui s’accompagnent de l’obsolescence programmée des objets de consommation. Il est normal que nous satisfassions nos besoins ludiques, que nous nous dotions d’objets modernes pour communiquer, les téléphones mobiles multi-tâches sont de formidables inventions du génie humain, est-il néanmoins nécessaire pour Apple d’en sortir un nouveau tous les 6 mois qui n’apporte quasiment rien au précèdent ? Non. Ainsi nous devenons pulsionnels, nous entretenons une addiction au fait de posséder de nouveaux objets. Et tout participe à oublier nos semblables, car nous sommes plongés dans la recherche du bonheur individuel, sans frontières, instantané. Donc allergiques à la frustration, au long cours. Pourquoi déconseiller à un migrant de se déraciner, de s’éloigner de sa patrie, quand il est à la recherche de son bonheur personnel ? Après tout il ne cherche qu’à satisfaire son bien-être .
Les dangers que cet homme objectivement rationalisé pose sont clairement identifiables. La « gauche révolutionnaire » fabrique une fourmi rouge sans capacité à l’examen critique, frère ou sœur de tous, et fils ou fille de personne (très éloigné néanmoins du romantique anarchiste évoqué dans la chanson du Creedence Clearwater Revival appelée Fortunate Son puis reprise sous le titre Fils de Personne par Johnny Halliday). Les néo-libéraux ont, quant à eux, pour idée de l’homme, un être sans attache, mu par son seul plaisir, il n’est l’obligé de quiconque si ce n’est son bon vouloir, s’il doit tout détruire sur son passage, pourquoi s’en priverait-il ? Après tout, seule la satisfaction immédiate de ses désirs est objectivement valable. Il en est ainsi du personnage Gordon Gecko dans le film Wall Street d’Oliver Stone ou de n’importe quel rappeur « girls, guns and money ». Tant qu’il a matériellement « réussi », il a accompli sa destinée. Un mafieux qui ne se fait pas attraper par la patrouille pourrait être un modèle d’accomplissement personnel, surtout s’il a migré et renié son père. Et puis tant qu’à raisonner par l’absurde, tout devrait être permis, surtout le suicide – uniquement motivé par des considérations individuelles, opposé au suicide altruiste et protestataire –, quel plus bel exemple d’égoïsme rationnel que celui-ci.
Le monde de la technique, une critique qui ne saurait être totale
Les nouvelles doctrines « techno-culturelles » peuvent être qualifiées de mythes modernes : promesse du bonheur matériel et terrestre par l’avènement d’un homme universel dont la seule allégeance soit le marché. Ces doctrines sont occidentales et européennes, elles ont enfanté par dérivation la plupart des systèmes politiques dits modernes. Les deux guerres mondiales ont frappé l’Europe de plein fouet, elles sont le résultat d’une accélération paroxystique de la volonté d’efficience scientifique ; l’homme purement prométhéen a voulu tout contrôler ce qui l’a mené aux catastrophes du stalinisme ou de l’hitlérisme. De nos jours, ces volontés de contrôle n’ont pas été abandonnées, elles ont muté sous une forme en apparence plus aimable. La notion de « dignité humaine » et des droits universels et arbitraires, n’engage aucun devoir en retour. Notre utopie contemporaine s’articule autour d’une foi totale dans le progrès qui permettrait l’accomplissement social de l’homme libre de tout et sans entraves, pour tous et par tous. Cela est bien entendu une foi athée et non démontrable in fine, Michel Houellebecq le décrit de façon tragi-comique dans son roman « L’extension du Domaine de la Lutte », en effet la compétition amoureuse est plus terrible qu’elle ne l’a jamais été, certains n’ont pas leur lot et les tensions augmentent dans une société libérale, en outre il est impossible de collectiviser l’amour, la lutte des classes amoureuses est donc perdue d’avance pour les timides et les sous-doués du contact humain.
Entendons bien que cette critique de la modernité ne peut ni ne doit être totale. Les profits objectifs de l’horizon prométhéen de la pensée européenne sont bien réels, que ce soit dans les domaines de la santé, de la haute-technologie ou de la conquête spatiale. Personne ne veut retourner à la marine à voile et aux lampes à huile pour reprendre le mot du général de Gaulle durant les événements de mai 1968. Cependant tous ces profits techniques ne doivent pas nous faire oublier notre âme, et le progrès pour les hommes doit s’accompagner d’une réflexion sur la place qu’ils occupent. Notre imaginaire historique et pragmatique ne doit pas nous occulter le rapport à la nature, aux vivants et aux morts, c’est à dire à notre filiation, aux raisons qui font que nous sommes ici sur cette terre. Nous serions de biens mauvais enfants, si nous dilapidions le patrimoine familial.
Ce n’est pas un retour de l’archaïque par réaction aux excès technocratiques que nous devons souhaiter, pas plus une réémergence de l’irrationalité pure qui ne serait qu’une faillite intellectuelle et spirituelle. S’opposer à l’arraisonnement de la nature et des hommes par l’homme, ne signifie pas vouloir liquider la rationalité mais plutôt rééquilibrer notre savoir-être collectif vers plus d’éléments d’identification commune, vers plus de poésie aussi, l’état dionysiaque précédant toujours l’état apollinien. De la même façon, l’Europe ne doit pas se confondre avec son cousin étatsunien, mais retrouver sa nature propre qui n’est pas la même, en refusant son eschatologie messianique qui signerait son arrêt de mort. L’objectif est de perpétuer le progrès, de ne pas le mettre en danger par la démesure philosophique qui l’accompagne. Il faut penser au pourquoi de l’énergie nucléaire tout autant qu’au comment.
Il ne s’agit pas d’un pur conservatisme, rétif à tout changement, ou à toute évolution vers la « modernité », mais d’une réflexion qui tend à tempérer le progrès par un peu plus de conservation. A se transformer sans forcer, sans exagérer, sans tomber dans une fuite en avant vers le post-humain, à ne pas oublier les hommes qui sommeillent en nous. L’homme contemporain est pour utiliser une expression triviale « la tête dans le guidon », il travaille, il n’a pas le temps de réfléchir à ce qu’il « est », on ne le lui demande pas. Il ne convient donc pas de regarder dans le rétroviseur, ou de fantasmer une époque révolue, mais plutôt de se soucier de l’avenir en s’appuyant sur la mémoire de la civilisation qui est née sur les sols européens, et notamment en France.
La définition américaine de la patrie, création ex nihilo
Les Etats-Unis se sont bâtis avec l’apport de migrants déracinés, par choix pour la plupart, religieux ou matériel, par désespoir économique ou politique pour d’autres, et enfin par force pour ce qui concerne les esclaves et leurs descendants. Ces exilés ont quitté leur terre pour s’accomplir matériellement et atteindre au bonheur individuel (exception faite des esclaves africains), quand souvent ils ne le pouvaient pas dans leurs patries originelles, à l’instar d’Ayn Rand. Voici ce qu’en dit Alexis de Tocqueville dans « De la Démocratie en Amérique » : « Des hommes sacrifient à une opinion religieuse leurs amis, leur famille et leur patrie : on peut les croire absorbés dans la poursuite de ce bien intellectuel qu’ils sont venus acheter à si haut prix. On les voit cependant rechercher d’une ardeur presque égale les richesses matérielles et les jouissances morales, le ciel dans l’autre monde, et le bien être et la liberté dans celui-ci. ». Le fait est qu’on ne construit pas une nation sans avoir au préalable établi un mythe commun, une identité partagée. Afin de fédérer ces migrants devenus apatrides par choix ou par force, il a fallu construire des valeurs nouvelles qui seraient le ciment de l’identité étasunienne. Est venue au monde la première patrie constituée uniquement de déracinés, une fédération d’apatrides, fait inédit dans l’histoire des hommes. A lire ce qui précède, on s’imaginerait volontiers que l’Amérique était un continent inoccupé par l’homme. Tel n’était pourtant pas le cas. Des autochtones habitaient ces terres depuis fort longtemps, une multitude de patries nourries d’un imaginaire collectif principalement animiste. Ils ont été détruits, leurs cultures sont aujourd’hui quasiment disparues. Il s’agissait des indiens, Comanches, Iroquois et autres Sioux, auxquels on a nié une nature humaine puis on leur a interdit (ou presque) de se nommer, d’exister en leur être. Ca ne vous rappelle rien ?
La civilisation américaine est aujourd’hui la principale puissance mondiale (certes, le monde assiste à un retour de l’histoire et à une nouvelle multi-polarisation des puissances, mais qui exporte ainsi partout sa culture par le soft power en dehors des Etats-Unis ? Personne.), leur modèle est la référence, y compris et surtout chez nous, en Europe. Les deux mamelles mythiques de sa conception sont : les sectes protestantes et la liberté d’entreprendre. Le Nouveau Monde, un monde d’aventuriers à l’ambition démesurée animés par une foi absolue dans le progrès. Imaginer la création d’une patrie ex nihilo est tout de même un rêve extraordinaire, Prométhée lui-même n’y eut songé. Les pilgrims du Mayflower n’aimaient pas leur patrie européenne, ils voulaient une nouvelle patrie tirant sa source de la nôtre mais foncièrement différente et qui corresponde à leur idéologie. C’est à dire la foi en un homme nouveau, biblique mais rationnel, cherchant le salut sur terre et dans les cieux avant tout par la réussite financière. Non l’Europe n’est pas l’Amérique, ce n’est pas un continent dont la culture est la résultante d’une volonté, mais tout au contraire d’un enracinement de populations de très longue mémoire, qui remonte au fond des âges préhistoriques, aux luttes entre les nomades issus de l’âge paléolithique et les premiers sédentaires de l’âge néolithique. Nos mythes se confondent et s’entremêlent, sont des permanences entre les différentes périodes de notre histoire. Importer le modèle de l’homme nouveau en Europe, c’est faire des Européens, les indiens de demain.
La France et l’Europe contemporaines : des « a-patries »
Ce qui nous intéresse au premier chef est la situation contemporaine de la France et de sa civilisation commune aux autres européens, soit notre patrie. Menacée, sous respiration artificielle, elle ne survit que dans les restes épars de mémoire de ses habitants qui ont fait l’effort d’étudier cet héritage historique et spirituel, qui leur est refusé. Alain Finkielkraut parle d’ « identité malheureuse », dans son récent et lucide ouvrage ; il faudrait plutôt parler de multiples identités perdues. La génération Y – les petits enfants de la moitié hédoniste de mai 1968, virtuellement interconnectés H 24 et premiers jalons concrets de la reconfiguration du monde – est la première génération entièrement constituée d’apatrides ; ses membres n’ont rien ou presque en commun à partager, ni culturellement, ni ethniquement, ni idéologiquement, ils ne sont pas en mesure de fournir les mythes communs propres à faire jaillir une identité nouvelle sur laquelle bâtir une patrie ex nihilo. Rien ne se créé sur une terre infertile, une civilisation ne se bâtit pas avec Walt Disney et Mac Donald pour seuls absolus collectifs.
Une historicité ne se décrète pas, elle est le fruit d’une lente progression de la pensée. On peut parfois et sous certaines conditions « adopter » l’ami, le faire rentrer dans la patrie, pour cela il doit inconditionnellement s’inscrire dans la filiation collective. C’est un déchirement, une souffrance qui exige beaucoup, quitter sa famille pour en intégrer une nouvelle n’est jamais un acte banal. Voilà ce que provoque l’immigration massive à l’échelle historique du devenir des hommes, ce n’est pas un phénomène banal. Le déracinement est pénible à supporter pour le migrant, qui doit s’exiler de lui même et de sa terre, mais peut-on exiger de lui qu’il se dépouille totalement de ce qui constitue son être ? En retour, la patrie accueillante ne sait comment assimiler à son devenir collectif, celui à qui a été léguée une autre histoire. Rendre possible cet homme nouveau implique de désintégrer nos esprits, de déstructurer tous les héritages, toutes les patries.
S’interroger sur son histoire, par l’introspection, peut paraître aux yeux des esprits chagrins, comme un signe de décadence d’une société moribonde. C’est peu ou prou l’idée qu’a développé Emil Cioran dans son œuvre. Il n’a pas tort, mais tout espoir n’est pas perdu. Une société moribonde n’est pas morte, elle est malade, toujours en état de se rétablir. L’Europe a subi un extraordinaire changement de population en un peu plus de 50 ans, et particulièrement la France consécutivement au démantèlement de son empire colonial. Elle compte aujourd’hui des millions d’hommes issus de cultures extra-européennes. Cette immigration massive ne va pas sans conséquences douloureuses, notamment sur le plan identitaire, tant pour les arrivants et leurs descendants, que pour les autochtones. Il ne faut pas hésiter à formuler les problèmes brutalement et sans précautions oratoires, sous peine de déformer le réel par la pression des diktats sémantiques de l’Empire du Bien et de la « moraline » ambiante. Antonio Gramsci, communiste internationaliste, aurait argumenté simplement ; il aurait pu dire que ce projet le satisfaisait car il avait en horreur les patries, la civilisation occidentale n’ayant toujours été qu’un système de domination d’une classe sur les autres. Lui, aurait avoué très directement ne pas se satisfaire du legs laissé par nos pères. Son projet n’eut pas laissé d’ambiguïté, il eut été limpide, facile à décrypter. Nous aurions pu y répondre favorablement, ou non. Notre état de fait est plus hypocrite, car il assimile notre pays la France, à une nation universelle, de même que l’Europe dans son incarnation de l’Union Européenne n’admet pas d’identité collective historique, pour mieux – mal – inclure le migrant. Le migrant ne s’intègre donc pas dans une patrie, il s’inclut par addition à un ensemble d’individualités, car il n’y a plus vraiment de patrie en Europe. Il reforme alors sa patrie ici sans avoir le souci de s’assimiler à notre culture, dont personne ne fait la promotion.
Nul n’a été consulté, appelé à voter dans l’optique de cette reconstruction radicale des cultures et des histoires, jamais il n’y eu de référendum sur la question. Personne n’a même pris la peine d’essayer de rendre intelligibles ces visées, voire même de nous en informer. Pourtant nous savons d’instinct et très distinctement ce que nous sommes, seul le droit de nous nommer nous est ôté. Les mots manquent à nos maux. La transformation des hommes en l’homme universel, animal rationnel, n’a jamais été spontanée, produit d’un consensus populaire ; mais bien au contraire une action mécanique de longue haleine, notamment par l’éducation des enfants. L’ancien ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, en convenait récemment dans son ouvrage, « La révolution Française n’est pas terminée », en affirmant qu’il fallait que l’école arrache les enfants à tous les déterminismes sociaux, culturels, ethniques et religieux pour en faire des individus hors sol.
Le moraliste colombien Nicolas Gomez-Davila indiquait fort justement que « L’ennemi d’une civilisation n’est pas tant son adversaire externe, que son étiolement interne ». On entend parler ici ou là, d’ennemis de l’intérieur, de « nouvel ordre mondial », quand assurément la situation présente n’est que l’écoulement final de la pensée propre à la métaphysique christiano-européenne laïcisée, poussée dans ses retranchements. Selon le sophiste Gorgias, on peut dire que « rien n’existe », aujourd’hui nous nous auto-persuadons que nous n’avons jamais existé, que nous venons au monde ex nihilo, sans parents, sans patries. Les raisonnements et les compromissions nous font justifier ce qui est pourtant une évidence : l’instinct collectif. Nous sommes invités à oublier nos êtres pour devenir un tout, mais comment faire un tout d’individus qui ne partagent rien ?
Cet oubli de nous-mêmes permettrait d’inclure ces flux de peuples venus du sud et de l’est. La solution d’inviter l’ « autre » à rentrer dans le devenir historique que la France et l’Europe ont en partage, est effectivement l’une des possibilités offertes par les traditions historiques sur lesquelles se base notre civilisation. Le philosophe Isocrate le disait explicitement : « Qu’on appelle Grecs plutôt les gens qui participent de notre éducation que ceux qui ont la même origine que nous ». Les grecs se voyaient, comme toutes les autres civilisations, intrinsèquement supérieurs, mais estimaient que certains pouvaient assimiler leur culture, par la maîtrise de leur langue, de leur philosophie, de leurs sciences. La France a aujourd’hui une ambition similaire. Mais ne nous y trompons pas, l’exigence des grecs était grande, l’on ne pouvait pas facilement être adopté par cette patrie, un tel cas restait une exception (en outre cette conception de la citoyenneté prônée par Isocrate n’était nullement majoritaire parmi tous les grecs, comme la plupart des peuples du monde ils pratiquaient très largement le droit du sang). Et surtout, les grecs n’ont jamais remis en question la notion de patrie telle que la décrivait Homère. La France, et l’Union Européenne, ont désormais une estime de leur civilisation supérieure encore à celle que les grecs ne s’en faisaient de la leur. Une telle arrogance est proche de l’inconscience : hybris du moderne ! En effet, nous pensons aujourd’hui, que sans examen spécifique préalable, nous pouvons faire de l’étranger un membre permanent de la Cité sans requérir de devoirs de sa part, cela étant aussi valable pour tous ses enfants à naître, et la descendance de sa descendance… Alors qu’au départ ce néo « enfant de la patrie » qui aura légué cet héritage à tous les autres, ne satisfaisait pas forcément aux conditions d’intégration propres à en faire un membre à part entièrement de nos patries européennes. Sûrs que nous sommes de la force de nos lois, sûrs que nous sommes que tout homme est semblable à un autre et qu’il ne sera nullement différent des natifs ; qui finalement n’existent pas, car tout homme est une patrie en propre et n’a à se reconnaître d’aucune filiation ou tradition spécifique. « Rien n’existe », tout est identique, par-delà le bien et le mal ils ne resteront que l’homo oeconomicus universel et son éthique de l’égoïsme (ou de l’autisme, c’est selon). Un homme qui se consumera à force de consommer et de se consommer.
L’Occident se sent prêt à dominer intégralement le monde, il ne lui reste qu’à gommer ces étrangetés, ces altérités qui pourraient venir contredire la pax economica. Alors il s’attache à faire de l’homme une variable d’ajustement ; à lui de se transformer, d’oublier ses pères pour pleinement entrer dans l’âge cybernétique, ce Prométhée, ce voleur de feu oubliera la poésie, le langage premier, il oubliera ce qu’il est. Le progrès a permis pour la première fois dans l’histoire, la domination quasi complète des hommes sur la nature, voici le règne de l’utile, de l’exploitable, y compris et surtout de l’homme par lui même. L’être s’efface et devient machine ; l’objectivisme, le moment où l’homme n’est plus rien d’autre qu’une pensée efficiente, oublieuse de son essence. Alors pourquoi se rappeler qu’il existe une patrie spirituelle et physique, elle n’est plus utile, elle est même un fardeau pour la croissance qui ne doit jamais s’interrompre. Un homme doit pouvoir être mobile, à lui il n’y a pas de terre plus douce qu’une autre, le monde est son terrain de jeu. C’est l’hyper-nomade que décrit Jacques Attali. Le petit migrant africain, le riche financier de la City, ne sont rien de plus que des lignes statistiques, des voyageurs qui s’installent dans des hôtels pour les plus riches et des campings bidonvilles pour les plus miséreux.
En opposition logique à ces phénomènes de déracinement et de suppression des imaginaires collectifs ethno-culturels, on assiste à ce que le sociologue Michel Maffesoli appelle « le réenchantement du monde », notion qu’il explicite dans l’ouvrage éponyme. Partant de la pensée de Martin Heidegger du « souci de l’être », l’universitaire précise la notion comme « non pas la recherche d’une substance précise : Dieu, l’Etat, l’institution, mais quelque chose de bien plus indéfini, à savoir une adhésion, quelque peu animale, à la vie dans toute son ambivalence, bon-heurs et mal-heurs mêlés », et conclut que le phénomène des bandes de jeunes et de l’atomisation du corps social en diverses tribus réunies par centre d’intérêts ethniques, culturels ou religieux est une réponse à la morale universellement applicable à tous, au calcul raisonné de la société technique et utilitaire. S’installent une pluralité d’esthétiques allant de concert avec une multitude d’éthiques tribales, conformément à l’adage qui veut que le beau détermine le bien, et non l’inverse. Ces micros tribus post modernes s’inscrivent pour partie en faux de l’éthique de l’égoïsme libéral-libertaire car elles s’appliquent à des collectifs, les hommes étant grégaires par nature. Elles contredisent pareillement les idéaux collectivistes en raison de leur caractère multiple.
Michel Maffesoli voit dans la réapparition de groupes fermés et indifférents à la morale dominante l’émergence d’une société de frères androgynes, un monde indifférencié où l’homme souffre d’une crise d’identité. Disons-le tout net, il a raison. Mais doit-on s’en réjouir ? Est-ce ainsi que les hommes pourront retrouver leur être et l’équilibre nécessaire entre leur part prométhéenne d’accomplissement matériel et leur impératif spirituel ? Non et non. Ce ne saurait être que temporaire, oui, les réseaux sociaux permettent par exemple la réapparition des « affinités électives », et l’éveil de consciences assoupies par le retour du groupe, et donc de « génies collectifs » dispersés ; mais, cela n’est qu’une réaction factice qui maintient en état de léthargie la possibilité d’une réappropriation des histoires permanentes par l’intermédiaire d’histoires évanescentes fonction des modes. Ces états de nos êtres, ces espaces d’autonomie, répondent à la logique marchande, ils sont une soupape de sécurité. Rien de plus.
La conjonction de l’universalisme du bien basé sur une morale immanente et rationnelle et de la souveraineté en propre de chaque homme sur lui-même, sans devoirs collectifs vis à vis de notre civilisation historique, a créé une Europe faite de tribus animées par des intérêts hédonistes et égoïstes. L’immigration massive complexifie grandement ce problème, voici la tribu de l’islam, la tribu des sub-Sahariens, la tribu des Chinois. Chacun soucieux de leurs êtres en propres et de leurs patries charnelles. S’ajoutent les tribus particulières fondées sur des affinités, certaines prêtent à sourire, tribu des pratiquants du sado-masochisme, tribu des sportifs extrêmes, d’autres réclament des droits spécifiques à leur minorité, tribu des homosexuels ou tribu des intersexuels. Ce que le père de la psychanalyse, Sigmund Freud, appelait « le narcissisme des petites différences ». La seule « tribu » qui n’a pas droit de Cité est celle des autochtones, de ceux qui ont reçu le legs spirituel de leur terre, pour ce qui concerne la France ils s’appellent « français de souche », « français d’ascendance européenne »… Ils n’ont pas le droit de se nommer ou d’obtenir des droits spécifiques, ils ne sont rien, ils ne se représentent pas, et tout est fait pour qu’ils oublient leur histoire. Tout est fait pour les désarmer de tous leurs instincts, jusqu’au plus élémentaires d’entre eux : l’instinct de survie. Les français d’Europe n’appartenant pas à une micro tribu sont toujours majoritaires, mais pour combien de temps encore ?
En effet, leurs gouvernants suppriment méthodiquement la notion de patrie, on tente d’intégrer, d’assimiler, d’inclure des hommes venus d’autres patries, lesquels s’organisent en lobbies communautaires. Triple schizophrénie de notre état contemporain. Pour ce faire la pensée au pouvoir a décidé de dénier à notre être son existence, et explique dans un même mouvement aux nouvellement admis dans la citoyenneté qu’ils sont identiques dans leur différence. Prenons un exemple concret, un algérien qui se marie à une française deviendra légalement français par acquisition de la nationalité, il sera considéré comme un « enfant de la patrie ». Cette même patrie, cet attachement filial que partout on s’entête à vider de sa substance. Mais lui, saura très bien d’où il vient, qu’elles sont sa culture, sa patrie, ses origines. Il arrive avec la maison de son être, son bagage d’appartenance identitaire, et il y a fort à parier qu’il la transmettra à ses enfants. Tant sa religion que ses mythes fondateurs deviendront par la suite la propriété de sa parentèle, écartelée entre plusieurs identités, deux patries difficilement conciliables et l’absence de patrie qui filtre à travers la narration de la pensée unique. Ils n’auront pas pour eux une douce terre, un sillon à creuser lentement.
Le discours dominant contradictoire sur la fin des patries
Afin de remédier à cette situation délicate – pour ne pas dire explosive – les gouvernants de tous les pays d’Europe (et en particulier ceux de la France) ont décidé unilatéralement de séparer notre civilisation de sa substance, d’en faire une coquille vide à même d’assimiler en son sein tous les contraires. Le tout en préservant des patries fictives, qui ne transmettent plus rien hormis un ensemble de « valeurs humanistes » vide de sens – qui ne suscitent aucune adhésion sincère -, le tout chapeauté par l’Organisation des Nations Unies, oups pardon, l’Union Européenne. Fini le sacral pour l’Europe. Kaput, sacrifié sur l’autel de la raison.
La vie ne se résume pas à l’économie, un homme venu d’une culture fort différente de la nôtre ne peut pas s’agréger ainsi par le simple fait qu’il est un travailleur. Les maîtres du calcul objectif, qu’ils soient hauts fonctionnaires ou doctes professeurs d’économie, viennent avec leurs savants schémas nous expliquer qu’il faut une force de travail nouvelle, que ces arrivants consomment, « font marcher les affaires ». A leur suite, tel démographe nous explique que les flux migratoires sont irréversibles, que le continent européen ne fait plus d’enfants, que pour compenser cette baisse nous devons faire appel au surplus de naissances du tiers monde. Et puis nous aurions tout à nous faire pardonner, nous serions le mal ontologique en l’homme, nous devrions nous oublier. Tirer notre révérence, en silence et fléchissant la nuque faire place aux damnés de la terre éternels, les descendants de colonisés, pour reprendre le philosophe maoïste Alain Badiou. Problème, ceux-ci n’ont que faire de nos calculs, ils viennent ici mais n’ont pas oublié leurs patries, et après tout quel droit moral avons-nous de leur imposer d’oublier leurs ethnies, leurs cultures ?
Chacun a droit à sa patrie mentale, à croire en sa chair. Ils se doivent bien entendu de respecter nos us et coutumes, mais je comprends leurs sentiments contrastés. Il est difficile pour un Algérien, un Congolais ou un Chinois de s’identifier à l’Iliade et l’Odyssée, à la Chanson de Roland, ou à Jeanne d’Arc. Le roman de notre civilisation échappe à la plus grande part d’entre eux. Leurs relations à l’espace, au temps, aux femmes sont différentes des nôtres. Un principe souffrant toujours exception, l’on pourra toujours trouver un africain pleinement assimilé, amateur de philosophie grecque et à l’âme purement européenne. Une nationalité s’hérite par le sang, elle peut aussi se mériter par le sang versé au combat ou des faits exceptionnels, le simple fait de maîtriser une langue et d’avoir un emploi dans un pays ne pourra jamais faire d’une personne un citoyen à part entière, un national. La loi vient acter une fiction mentale. Si j’émigre au Japon, que j’y travaille et que je parle la langue, ça ne fera pas de moi un Japonais, aucunement, il me faudrait faire beaucoup plus, et au bout du compte peut être que mes enfants deviendraient pleinement Japonais au terme d’un long et difficile chemin. Il faut une communauté d’esprit pour unifier les éléments d’une patrie, ce n’est aucunement une doctrine « ethniciste ». C’est supposer que quand des différences existent, culturelles, ethniques ou religieuses, il faut pouvoir les surpasser et ceci est très complexe, n’est pas donné à tout le monde et nécessite un véritable effort à consentir par l’arrivant, de celui qui voudrait être intégré et pleinement assimilé à la patrie. D’autant plus que la structure de valeurs symboliques n’existe plus et qu’il y a une arrivée constante et importante de nouveaux migrants.
L’immigration intra-européenne, d’Italiens ou de Polonais, est incomparable à l’immigration extra-continentale. D’autres européens partagent l’essentiel avec les français, le fait religieux, l’ethnie, les mythes partagés, une conception de la vie cyclique basée sur le rythme des saisons, le grand corpus de la philosophie. Cet ensemble d’éléments d’identification a grandement facilité leur intégration, à tel point qu’aujourd’hui on ne peut les distinguer des autres français, et c’est bien normal car tout concourait – en dépit de particularités mineures – à leur pleine incorporation. Une foule d’italiens devant la Basilique Saint-Denis ne donnerait pas la même impression que le voisinage immédiat composé en grande majorité d’immigrés ou de leurs descendants non européens que l’on trouve à proximité de ce monument majeur de l’histoire de France, comme on peut le constater quotidiennement. Nos dirigeants devraient d’ailleurs s’astreindre à s’y rendre, le réel pourrait les frapper de plein fouet. La réalité de l’immigration n’est pas le fait d’avoir un japonais bien élevé et un riche marchand d’art allemand dans son quartier, ce que certains parmi nous, vivant dans une tour d’ivoire ne saisissent pas, ils nous dirigent bien souvent. Il faut comprendre, que certains pans entiers du territoire national, – lequel territoire est normalement l’héritage des enfants de la patrie, donc d’une filiation au long cours -, sont entièrement « dés-européanisés » ou pour parler plus simplement « défrancisés », c’est à dire sans plus un seul « français de souche », hors quelques pauvres hères qui n’ont pas les moyens de partir et sont livrés à l’abandon, devant s’assimiler sur leur propre sol à des cultures foncièrement différentes de la leur. Chaque année le seul territoire français connaît la pénétration de 200 à 250 000 extra européens, quand déjà des enfants d’immigrés de 4ème génération ne se sont absolument pas assimilés. Personne ne veut voir l’ampleur du phénomène qui est tout autant destructeur pour la France et les européens de France que pour ces arrivants déracinés. Le peuple ne peut pas lutter, il est tenu par toutes les raisons objectives évoquées plus haut, lesquelles raisons le tiennent prisonnier en dehors de son être.
Conclusion et prospective
La France et l’Europe sont au bord du précipice, prêtes à être enterrés dans le caveau des civilisations disparues. Afin d’imaginer un devenir qui ne soit pas synonyme de la fin de la transmission de notre histoire multimillénaire, nous devons faire le bilan critique des universalismes qui ont fait la preuve de leur échec à intégrer des populations antagonistes dans un même ensemble, et imaginer les conditions d’un ré-enracinement de tous dans la patrie qui convient. Ce ré-enracinement ne doit pas résulter de micros tribus concurrentielles, mais être le fait du peuple qui a reçu en héritage de ses pères la terre où est née notre civilisation.
Une personne humaine ne doit pas être prise isolément comme un tout séparé de toutes racines, mais au contraire doit s’envisager dans ses particularismes pour être intégrée à l’aventure collective des hommes. Notre civilisation n’a que peu de choix avant de sombrer dans les conflits ethniques et religieux ou le total oubli d’elle-même qui entrainerait sa mort.
En effet, le réel chaque jour nous rappelle les profondes divisions au sein des populations qui habitent les territoires français et européens. Des jeunes originaires de pays extra-européens ne se sentant pas français et encore moins européens, soucieux de retrouver leurs patries charnelles, s’engagent au djihad armé en Syrie, accompagnés d’européens autochtones perdus et convertis à l’Islam. Ils nous frappent sur notre propre sol, qui est aussi en partie le leur. Cette jeunesse en perte de repères nourrit le besoin impérieux de retrouver une partie de son être, elle le fait mal, de façon désordonnée et nihiliste. Les nations européennes ne sont plus que des fictions juridiques, elles n’incarnent plus des patries, elles n’ont plus à cœur la conservation et la transmission de leurs histoires. Pourquoi un descendant d’immigré d’une autre origine ethnique qu’européenne s’assimilerait à une nation qui n’a plus de patrie, qui est oublieuse de sa civilisation, qui ne représente rien si ce n’est le « bonheur matériel » et la « dignité humaine » ?
Avant tout, il faut arrêter l’hypocrisie et comprendre que nous sommes face à l’urgence, le plus grand trouble qu’ait connu notre continent dans son histoire et au moins désigner le problème identitaire comme il se doit : franchement. Les possibilités de sortie de l’impasse identitaire contemporaine ne sont pas nombreuses. Dans un monde en constante transformation, nous devons aussi proposer d’autres possibilités de transformation ou de re-transformation, en assumant le progrès mais en méditant le devenir de nos êtres à l’aune de la mémoire historique.
Gabriel Robin – Secrétaire général
Merci à un lecteur intelligent, habitant en Belgique, que je ne suis pas en droit de citer nommément. Je n’ai pas pu reprendre ses réflexions, mais elles contribueront à nourrir de futures publications.
00:06 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : métaphysique, politique, philosophie, philosophie politique, gabriel robin | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 25 mai 2016
DIEGO FUSARO: Dis-godding (Heidegger). The Holy under Assault from Economy
DIEGO FUSARO:
Dis-godding (Heidegger)
The Holy under Assault from Economy
2016. DIEGO FUSARO: www.filosofico.net –www.diegofusaro.com
www.facebook.com/fusaro.diego?fref=ts
inserting sub-titles Luciana Zanchini – Firenze
00:05 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : diego fusaro, martin heidegger, heidegger, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques, théorie politique, italie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mardi, 24 mai 2016
"Het geheim van de laatste staat" van Paul Frissen
"Het geheim van de laatste staat" van Paul Frissen
door Dirk Verhofstadt
Ex: http://www.liberales.be
Heel wat politici, filosofen en gewone burgers eisen van de overheid meer transparantie in het politiek bedrijf. Het lijkt wel het tovermiddel om onze democratie sterker en efficiënter te maken. En de politiek speelt daar ook op in. Nieuwe parlementsgebouwen worden gebouwd met grote glaspartijen als figuurlijk, maar ook letterlijk symbool van de gezamenlijke wil om te komen tot transparantie. Burgers krijgen zo bijna letterlijk inzage in de parlementaire werking en de verkozenen van het volk zien als het ware hoe de burgers op hen toekijken. Dus geen beslissingen meer in duistere achterkamertjes maar openbare debatten die dan via televisie en het internet gevolgd kunnen worden door al wie interesse heeft. Transparantie wordt ook geëist van zowat alle burgers om aan te tonen dat ze ‘niets te verbergen hebben’ en daarom figuurlijk doorzichtig moeten zijn. Leve de transparantie dus. Maar tegen die trend in schreef de Nederlandse hoogleraar Bestuurskunde Paul Frissen het boek Het geheim van de laatste staat waarin hij kritiek geeft op de transparantie en pleit voor het fundamentele recht van de burger op geheimen als één van de waarborgen van zijn vrijheid.
Frissen beseft dat het begrip ‘transparantie’ een buzzwoord van onze tijd is dat voortdurend wordt aangehaald ter bevordering van de democratie en om ‘de waarheid’ te kennen. Maar hij is overtuigd dat zowel de burgers als de staat geheimen nodig hebben om de vrijheid van de burgers te beschermen. Hij wijst daarbij op de paradox dat we met zijn allen wel belang hechten aan onze privacy maar via de sociale media overal sporen nalaten. En dat we wel alles willen weten over onze machthebbers maar schrikken als de staat in onze geheimen komt snuffelen. De auteur bespreekt eerst de historische oorzaken naar die drang naar transparantie. Sinds de Verlichting willen we zoveel mogelijk weten. ‘De sluiers van onwetendheid waarin geloof en magie de mensheid millennia lang hebben gehuld, moesten worden afgeworpen,’ schrijft Frissen. En met de opkomst van de democratie hebben burgers recht op informatie, moet openheid bijdragen in het geheel van check and balances, en willen we weten wat we van de overheid en onze bestuurders mogen verwachten. Transparantie draagt trouwens ook bij tot een betere marktwerking en het voorkomen van corruptie en belangenvermenging.
Je zou dus kunnen stellen dat transparantie in de democratie ‘zowel een voorwaarde als een doel is’, aldus Frissen. Maar toch kunnen er redenen zijn om niet alles te onthullen. Als dit nodig is voor de veiligheid van de staat, als belangrijke staatsbelangen op het spel staan, of bij de opsporing en vervolging van strafbare feiten. En, nog belangrijker, om onze privacy te beschermen. De auteur komt dan tot het besluit dat de ‘verbintenis tussen transparantie en democratie om verschillende redenen echter minder vanzelfsprekend (is)’. Sterker nog: totale zichtbaarheid van mensen spoort met totalitarisme. Frissen beklemtoont dat democratieën maar kunnen functioneren door representatie en dat politiek een vorm van ‘creatie’ is. Denk hierbij aan het sluiten van een compromis dat tot stand komt in beslotenheid. De auteur stelt dat de transparantiedwang veel van doen heeft met wantrouwen. Zijn voornaamste bezwaar is dat een transparante samenleving overeenkomt met een volmaakte controlesamenleving.
Dat laatste vormt het thema van diverse dystopische romans zoals Wij van Jevgeni Zamjatin, 1984 van George Orwell en De Cirkel van Dave Eggers. Vooral die laatste roman geeft een hallucinant beeld van wat er zou kunnen gebeuren mochten de sociale mediasystemen die we vandaag kennen, gebundeld worden in één groot bedrijf dat zo een quasi monopolie zou hebben over het doen en laten van bijna de gehele wereldbevolking. Politiek wordt overbodig omdat iedereen, in een vorm van directe democratie, op elk moment een voorstel kan goed- of afkeuren. ‘Privacy is diefstal’ en ‘Geheimen zijn leugens’ zo luiden de slogans van het bedrijf. Want waarom zou je eigen ervaringen niet willen delen met anderen, tenzij je slechte bedoelingen hebt? En zo volgen meer stappen naar volledige transparantie die bijna steeds voortvloeien uit goede bedoelingen, maar een gitzwarte keerzijde kennen. Namelijk een onthutsende ontmanteling van onze privacy met levens die permanent onder toezicht staan en gecontroleerd worden op afwijkend of ongezond gedrag. Het leidt alvast tot een totalitair systeem zonder enige vrijheid om zich eraan te onttrekken. ‘Niet gezond maar ongezond willen leven, dat alles is ook vrijheid’, aldus Frissen.
Gelukkig leven we niet in De Cirkel. We hebben nog steeds het recht om niet alles te onthullen en sommige vormen van geheimhouding zijn zelfs wettelijk voorzien zoals het beroepsgeheim van dokters, advocaten, journalisten, enz. Ook op de vrije markt mogen bedrijven geheimen hebben (denk aan het recept van Coca Cola), maar ook in de diplomatie, inlichtingendiensten, de politie en bij politiek overleg. De overheid heeft zelfs de taak om persoonsgegevens van burgers te beschermen. ‘Geheimhouding is noodzakelijk en functioneel voor de moderne staat, maar stuit op het ideaal van transparantie’, schrijft Frissen. Toch is de lijn soms flinterdun. Neem de bestrijding van criminaliteit en terreur waarvoor de staat moet kunnen beschikken over bijzondere bevoegdheden. Maar anderzijds mogen die bevoegdheden de rechten en vrijheden van de burgers niet aantasten. Frissen citeert dan ook de liberale denker Michael Ignatieff die pleit voor ‘het minste kwaad’ als een soort middenweg. In elk geval is geheimhouding soms noodzakelijk om de open samenleving in stand te houden.
‘Vrijheid is het recht in verborgenheid te leven’, aldus Frissen. Dit is een belangrijke uitspraak, zeker in het licht van de toenemende aantasting van onze privacy door de grote internetbedrijven. Vandaar de noodzaak van een kritische tegenbeweging van burgers en politici die opkomen voor onze privacy. Vandaar het belang van de rechtelijke uitspraak met betrekking tot Google over het ‘recht om vergeten te worden’. Vandaar de reden om elke wijziging in de bedrijfspolitiek in de nieuwe mediabedrijven met argwaan te onderzoeken. De leiders van Google, Facebook, Twitter en andere succesbedrijven zullen in alle toonaarden ontkennen dat ze onze privacy willen aantasten. De realiteit is dat onze private voorkeuren in de loop van geschiedenis nog nooit zo erg werden uitgebuit ten bate van de beurskoersen van de betrokken bedrijven. Geheimhouding is ook nodig om de veiligheid van de staat en haar burgers zo goed als mogelijk te beschermen tegen interne en externe vijanden. Om die reden is de auteur ook geen sympathisant van Julian Assange en Edward Snowden, al lijkt hun onthulling over de bedrijvigheden van geheime inlichtingendiensten nu net wel een positieve zaak in het zoeken naar het precaire evenwicht tussen geheimhouding en transparantie.
‘Geheimhouding en transparantie zijn beide ten diepste verbonden in een dynamisch evenwicht dat voortdurend kan ontsporen’, schrijft Frissen. Vandaar het belang van de democratie en democratische processen om voortdurend afwegingen te maken. Dit boek vormt alvast een belangrijke bijdrage in het debat hierover en moet dan ook breed gelezen worden door beleidsmakers en gewone burgers om met de nodige nuance te kunnen oordelen.
Recensie door Dirk Verhofstadt
Paul Frissen, Het geheim van de laatste staat. Kritiek van de transparantie, Boom, 2016
Links
mailto:verhofstadt.dirk@telenet.be00:05 Publié dans Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : transparence, philosophie, paul frissen, philosophie politique, théorie politique, sciences politiques, politologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Behind the New German Right
Behind the New German Right
Throughout its postwar history, Germany somehow managed to resist the temptations of right-wing populism. Not any longer. On March 13, the “Alternative for Germany” (AfD)—a party that has said it may be necessary to shoot at migrants trying to enter the country illegally and that has mooted the idea of banning mosques—scored double-digit results in elections in three German states; in one, Saxony-Anhalt, the party took almost a quarter of the vote. For some observers, the success of the AfD is just evidence of Germany’s further “normalization”: other major countries, such as France, have long had parties that oppose European integration and condemn the existing political establishment for failing properly to represent the people—why should Germany be an exception?
Such complacency is unjustified, for at least two reasons: the AfD has fed off and in turn encouraged a radical street movement, the “Patriotic Europeans Against the Islamization of the West,” or Pegida, that has no equivalent elsewhere in Europe. And perhaps most important, the AfD’s warnings about the “slow cultural extinction” of Germany that supposedly will result from Chancellor Angela Merkel’s welcoming of more than a million refugees have been echoed by a number of prominent intellectuals. In fact, the conceptual underpinnings for what one AfD ideologue has called “avant-garde conservatism” can be found in the recent work of several mainstream German writers and philosophers. Never since the end of the Nazi era has a right-wing party enjoyed such broad cultural support. How did this happen?
The AfD was founded in 2013 by a group of perfectly respectable, deeply uncharismatic economics professors. Its very name, Alternative for Germany, was chosen to contest Angela Merkel’s claim that there was no alternative to her policies to address the eurocrisis.The professors opposed the euro, since, in their eyes, it placed excessive financial burdens on the German taxpayer and sowed discord among European states. But they did not demand the dissolution of the European Union itself in the way right-wing populists elsewhere in Europe have done. Still, Germany’s mainstream parties sought to tar them as “anti-European,” which reinforced among many voters the sense that the country’s political establishment made discussion of certain policy choices effectively taboo. Like other new parties, the AfD attracted all kinds of political adventurers. But it also provided a home for conservatives who thought that many of Merkel’s policies—ending nuclear energy and the military draft, endorsing same-sex unions, and raising the minimum wage—had moved her Christian Democratic Union (CDU) too far to the left. Since there was a mainstream conservative view opposing many of these decisions, the AfD could now occupy space to the right of the CDU without suspicion of being undemocratic or of harking back to the Nazi past.
The AfD narrowly failed to enter the German parliament in 2013, but managed to send seven deputies to Brussels after the 2014 elections to the European Parliament, where they joined an alliance of Euroskeptic parties led by Britain’s conservatives. With outward success came internal strife. Young right-wingers challenged the AfD’s professors with initiatives such as the “Patriotic Platform,” which appeared closer to the nationalist far right than an authentically conservative CDU. In summer 2015, most of the founders of the AfD walked away; one expressed his regret about having created a “monster.” The AfD seemed destined to follow the path of so many protest parties, brought down by infighting, a lack of professionalism, and the failure to nurture enough qualified personnel to do the day-to-day parliamentary politics it would have to engage in to become more than a flash in the pan.
And then the party was saved by Angela Merkel. Or so the AfD’s new, far more radical leaders have been saying ever since the chancellor announced her hugely controversial refugee policy last summer. At the time, her decision was widely endorsed, but in the months since, her support has declined precipitously—while the AfD’s has surged. Many fear that the German state is losing control of the situation, and blame Merkel for failing to negotiate a genuinely pan-European approach to the crisis. Alexander Gauland, a senior former CDU politician and now one of the most recognizable AfD leaders—he cultivates the appearance of a traditional British Tory, including tweed jackets and frequent references to Edmund Burke—has called the refugee crisis a “gift” for the AfD.
Others have gone further. Consider the statements of Beatrix von Storch, a countess from Lower Saxony who is one of the AfD’s deputies to the European Parliament, where she just joined the group that includes UKIP and the far right Sweden Democrats. A promoter of both free-market ideas and Christian fundamentalism she has gone on record as saying that border guards might have to use firearms against refugees trying illegally to cross the border—including women and children. After much criticism, she conceded that children might be exempted, but not women.
Such statements are meant to exploit what the AfD sees as a broadening fear among voters that the new arrivals pose a deep threat to German culture. The AfD will present a full-fledged political program after a conference at the very end of April, but early indications are that there will be a heavy emphasis on preventing what the party views as the Islamization of Germany. A draft version of the program contains phrases such as “We are and want to remain Germans”—and the real meaning of such platitudes is then made concrete with the call to prohibit the construction of minarets. It is here that the orientation of AfD and the far more strident, anti-Islam Pegida movement most clearly overlap.
Pegida was started by right-wing activists in the fall of 2014 who invited citizens to join them for what they called “evening strolls” through Dresden and other cities to oppose “Islamization.” The movement’s leaders have also advocated better relations with Russia (posters have said “Putin help us!”), a call strongly echoed by AfD politicians such as Gauland. The demonstrators appropriated the slogan “We are the people,” which East German citizens had famously chanted in 1989 to protest against the state socialist regime. Pegida not only lives off diffuse fears (there are hardly any Muslims in Dresden), but also questions the democratic system as such. Elected representatives in parliament—Volksvertreter—are denounced as traitors—Volksverräter. Pegida members have decried Merkel’s policies of maintaining open borders as violating her oath of office to keep the German people safe.
Supporters of the movement have demanded “resistance,” or at least “civil disobedience,” for instance by blocking access to refugee centers. Demonstrators sometimes hold up the “Wirmer flag,” which the anti-Hitler resistance around Claus von Stauffenberg had intended as the symbol of a post-Nazi Germany. In fact, many far-right groups in Germany have appropriated this symbol to signal that they consider the current state illegitimate (even though Josef Wirmer, the designer of the flag, was a Catholic democrat who was executed by the Nazis; his son has said the Wirmer family might sue Pegida demonstrators for using the banner). Pegida events have been attended by right-wing leaders from outside Germany, most prominently the Dutch right-wing anti-Islam politician Geert Wilders (who calls the Tweede Kammer, the Dutch House of Representatives in The Hague, a “fake parliament”).
Here is where German intellectuals come into the story. Journalists and academics have had a hard time understanding why the Pegida movement emerged when it did and why it has attracted so many people in Germany; there are branches of the Pegida movement in other parts of Europe, but they have gathered only marginal support thus far. Those who suggest it is driven by “anger” and “resentment” are being descriptive at best. What is remarkable, though, is that “rage” as a political stance has received the philosophical blessing of the leading AfD intellectual, Marc Jongen, who is a former assistant of the well-known philosopher Peter Sloterdijk. Jongen has not only warned about the danger of Germany’s “cultural self-annihilation”; he has also argued that, because of the cold war and the security umbrella provided by the US, Germans have been forgetful about the importance of the military, the police, warrior virtues—and, more generally, what the ancient Greeks called thymos (variously translated as spiritedness, pride, righteous indignation, a sense of what is one’s own, or rage), in contrast to eros and logos, love and reason. Germany, Jongen says, is currently “undersupplied” with thymos. Only the Japanese have even less of it—presumably because they also lived through postwar pacifism. According to Jongen, Japan can afford such a shortage, because its inhabitants are not confronted with the “strong natures” of immigrants. It follows that the angry demonstrators are doing a damn good thing by helping to fire up thymos in German society.
Jongen, who is now deputy leader of the AfD in Baden-Württemberg, was virtually unknown until this spring. Not so Sloterdijk, one of Germany’s most prominent philosophers (and undoubtedly the most prolific) whose work has also become well-known in the US. Sloterdijk regularly takes on controversial subjects such as genetic engineering and delights in provoking what he sees as an intellectual left lacking in humor and esprit. His books, which sell extremely well, are not so much driven by clear-cut arguments as suggestively offering philosophical, and often poetic, re-descriptions of recent history, or even the history of the West as a whole.
Like in Nietzsche’s On the Genealogy of Morality—a continuous inspiration for Sloterdijk—these re-descriptions are supposed to jolt readers out of conventional understandings of the present. However, not much of his work lives up to Nietzsche’s image of the philosopher as a “doctor of culture” who might end up giving the patient an unpleasant or outright shocking diagnosis: Sloterdijk often simply reads back to the German mainstream what it is already thinking, just sounding much deeper because of the ingenuous metaphors and analogies, cute anachronisms, and cascading neologisms that are typical of his highly mannered style.
Sloterdijk has distanced himself from Jongen’s self-declared “avant-garde conservatism.” But the “psycho-political” perspective Jongen adopts is one of Sloterdijk’s philosophical trademarks. In his 2006 volume Rage and Time, in which he also takes his cues from Nietzsche, Sloterdijk argued that in the West thymos had been largely forgotten because of the dominance of eros in consumer capitalism, with the result that envy and resentment dominate the inner lives of citizens. He echoed Francis Fukuyama’s argument in his The End of History and the Last Man that pacified liberal democracies generally fail to find a proper place for “thymotic energies,” and Sloterdijk has said explicitly that, in confrontations with Islam, the West needs to rediscover the role of thymos. Just like Jongen, who criticizes the EU for being “post-thymotic,” Sloterdijk longs for Europe to assert itself more forcefully on the global stage and fears that the refugee crisis will weaken the continent—to the delight, he says, of the US (“that’s why Obama praises Merkel,” as Sloterdijk put it in an interview published at the beginning of 2016).
Sloterdijk has also invoked the concept of “the state of exception” developed by the right-wing jurist Carl Schmitt in the Twenties. As Schmitt saw it, the sovereign could, in order to save the polity in a situation of crisis, suspend the constitution by declaring a state of exception. He added that whoever decides whether there really is an existential threat to a state is revealed as the supreme power. Today, Sloterdijk holds, it is not the state, the nominal sovereign, but the refugee who decides on the state of exception. As a result of Merkel’s policy to allow the unrestricted entry of Syrians, Sloterdijk charges, Germany has waived its own sovereignty, and this “abdication” supposedly “continues day and night.”
No doubt refugees themselves have faced a state of emergency and no doubt their arrival has created an exceptional challenge for Germany—but Sloterdijk’s observation makes at best for a momentarily arresting aphorism, as opposed to providing any real analysis of the situation: Merkel and her parliamentary majority in fact retain decision-making power, and there is no reason to believe that Europe’s most powerful state has become a plaything of dangerous foreigners. But Sloterdijk has charged that his critics are superficial intellectuals who surround his ideas as if the latter were “women at New Year’s Eve”—a tasteless allusion to the attacks on females in Cologne this winter.
Sloterdijk is not the only prominent cultural figure who willfully reinforces a sense of Germans as helpless victims who are being “overrun” and who might eventually face “extinction.” The writer Botho Strauβ recently published an essay titled “The Last German,” in which he declared that he would rather be part of a dying people than one that for “predominantly economic-demographic reasons is mixed with alien peoples, and thereby rejuvenated.” He feels that the national heritage “from Herder to Musil” has already been lost, and yet hopes that Muslims might teach Germans a lesson about what it means to follow a tradition—because Muslims know how to submit properly to their heritage. In fact, Strauβ, who cultivates the image of a recluse in rural East Germany, goes so far as to speculate that only if the German Volk become a minority in their own country will they be able to rediscover and assert their identity.
Such rhetoric indicates a potentially profound shift in German political culture: it is now possible to be an outspoken nationalist without being associated with—or, for that matter, without having to say anything about—the Nazi past. And it is possible to argue that Germany needs to experience a kind of 1968 in reverse: whereas back then, a grand coalition of Social and Christian Democrats meant that there was no real representation of the left in parliament, or so student activists thought, there are now a growing number of established intellectuals who are prepared to argue that there is no effective way to counter Merkel’s refugee policies in the Bundestag—with the consequence that the right needs to engage in “extra-parliamentary opposition.” It is one thing to oppose a government’s particular policies; it is another to claim, as the AfD explicitly does in its draft program, that a self-serving political class consisting of all parties has hijacked the democratic system as a whole: an “illegitimate situation,” the party says, which the Volk needs to correct.
Like at least some radicals in the late Sixties, the new right-wing “avant-garde” finds the present moment not just one of apocalyptic danger, but also of exhilaration. There is for instance Götz Kubitschek, a publisher specializing in conservative nationalist or even outright reactionary authors, such as Jean Raspail and Renaud Camus, who keep warning of an “invasion” or a “great population replacement” in Europe. Kubitschek tells Pegida demonstrators that it is a pleasure (lust) to be angry. He is also known for organizing conferences at his manor in Saxony-Anhalt, including for the “Patriotic Platform.” His application to join the AfD was rejected during the party’s earlier, more moderate phase, but he has hosted the chairman of the AfD, Björn Höcke, in Thuringia. Höcke, a secondary school teacher by training, offered a lecture last fall about the differences in “reproduction strategies” of “the life-affirming, expansionary African type” and the place-holding European type. Invoking half-understood bits and pieces from the ecological theories of E. O. Wilson, Höcke used such seemingly scientific evidence to chastise Germans for their “decadence.”
These ideas have been met with significant resistance. Some intellectuals have criticized Sloterdijk for being an armchair philosopher who offers Volk-psychology with little awareness of the reality of refugees’ lives or, for that matter, of the complex political imperatives Merkel is trying to juggle. (Sloterdijk in turn has said that he is simply on the side of populism, which he understands as the “realpolitik of the less and less silent majority.”) The social theorist Armin Nassehi has shrewdly pointed out that the seemingly avant-garde conservatives offer not much more than the sociologically naive view that more national homogeneity will solve all problems; and the novelist and essayist Navid Kermani, who with his much-praised reporting from the “Balkans route,” has reminded Germans of the actual plight of refugees. Nassehi and Kermani are among the most thoughtful intellectual voices in Germany today. Both also happen to be second-generation immigrants whose parents came to Germany from Iran in the 1950s.
The AfD might yet fail to establish itself in the political system. Infighting continues, not least because there are deep disagreements about whether the party should enter coalition governments or remain in “fundamental opposition.” It’s not clear that the AfD can successfully evoke the heroism of resistance and be a home for moderate Bürger all at the same time. As the number of refugees reaching Germany has dwindled with the effective closing of the “Balkans route,” the pressure on Merkel is easing. But neither conservatives nor nationalists are likely to forgive her for her stance during the refugee crisis. Three-quarters of Germans now expect the AfD to enter parliament in the national elections in 2017. And even if the party doesn’t reach the required threshold, it, and its intellectual supporters, will have brought about the most dramatic change in mainstream German political discourse since the country’s unification in 1990.
00:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Nouvelle Droite, Philosophie, Politique, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique internationale, europe, affaires européennes, allemagne, nouvelle droite, nouvelle droite allemande, conservatisme, marc jongen, pegida, afd, politique, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
lundi, 23 mai 2016
Het politieke denken van Chantal Mouffe
Het politieke denken van Chantal Mouffe
Patrick De Vos
Ex: http://www.dewitteraaf.be
Het cordon sanitaire mag het VB (Vlaams Blok/Vlaams Belang) dan al verhinderen om aan het bestuur deel te nemen, de probleemstellingen, thema's en ideeën van het VB zijn uitgegroeid tot de common sense van het politieke denken in Vlaanderen en België. [1] In België is het VB daarmee het meest succesvolle politieke project van de voorbije 15 jaar; in heel Europa is het inmiddels de sterkste partij in haar soort geworden. Het oogst daarvoor aanzien in rechtse kringen over het hele continent.
Zoveel electorale voorspoed en ideologische impact stemt tot nadenken over de manier waarop we nu al jaren met die partij omgaan. In dat verband is het vreemd dat een Belgische politieke theoretica die ons daarbij kan helpen, de in Londen docerende Chantal Mouffe, in haar geboorteland, waar de problematiek wellicht het acuutst is, nagenoeg onbekend blijft. Als coauteur (met Ernesto Laclau) van het in 1985 verschenenHegemony and Socialist Strategy, en als auteur van The Return of the Political (1993), The Democratic Paradox(2000) en On the Political (2005), geniet zij bij een Anglo-Amerikaans, Latijns-Amerikaans, Frans en Duits lectoraat bekendheid om haar radicale en vernieuwende kijk op democratie.
Het werk van Laclau en Mouffe vind je binnen de politieke en sociale wetenschappen onder de noemer postmarxisme: de recentste telg van de marxistische stamboom, waarvan ook de sociaal-democratie, althans in principe, nog altijd een tak is. Laclau en Mouffe zijn kinderen van hun tijd: ‘68-ers die met het links-radicale denken zijn opgegroeid. Mouffe ging meteen na haar studies in Leuven naar Parijs om er bij de structuralist-marxist Louis Althusser te studeren. Daarna trok ze, als velen van haar generatie, naar de derde wereld. In Columbia werd haar al snel duidelijk dat althusseriaanse concepten, om het minste te zeggen, maar beperkt bruikbaar waren.
Rond 1970 radicaliseerde ook de Latijns-Amerikaanse studentenbeweging, aangemoedigd door de Cubaanse revolutie. Aan de Universiteit van Buenos Aires is de jonge marxist Ernesto Laclau politiek erg actief. Maar met de dogma’s van het marxisme worstelde hij toen al. Onder invloed van het Peronisme wou hij het marxisme met iets anders vermengen. Met hun lezing van de Italiaanse marxist Antonio Gramsci zullen Laclau en Mouffe uiteindelijk breken met het essentialisme en economisme van marxisten als Althusser en Poulanzas. In hun postmarxisme integreren zij de liberale notie van individuele rechten. De sociale horizon van hun politieke project is een radicale en pluralistische democratie. Het moet de doelstelling van Links zijn om de Democratische Revolutie, die tweehonderd jaar geleden geïnitieerd werd, te verdiepen en uit te breiden naar steeds meer gebieden van het sociale leven, steeds meer maatschappelijke sferen. Dat is wat ze bedoelen met “de radicalisering van de democratie”.
Daarnaast verwijderen Laclau en Mouffe het klassebegrip en de klassestrijd uit het marxisme. [2] De arbeidersklasse is niet langer de geprivilegieerde agent van de geschiedenis, en de strijd tegen het kapitalisme is niet noodzakelijk acuter dan die tegen racisme, seksisme of andere vormen van onderdrukking. Als we morgen alle kapitalistische productieverhoudingen afschaffen – voor zover dat al mogelijk is – dan zijn alle vormen van ongelijkheid en onderdrukking nog niet de wereld uit. [3] Wie de arbeider als geprivilegieerde politieke actor van de geschiedenis blijft zien, zal onder feministen of ecologisten weinig bondgenoten vinden. Hun politieke strijd is vanuit zo’n optiek immers van ondergeschikt belang. Laclau en Mouffe ontdoen het socialisme van deze essentialismen en effenen zodoende het pad om het, samen met feminisme, ecologisme, antiracisme, andersglobalisme enzovoort, tot een nieuw links project te articuleren. We spreken midden jaren ‘80 toen in de Britse context, waar ze inmiddels werkten, het thatcherisme pas goed op dreef kwam.
De liberale democratietheorie
Historisch gezien is onze democratie gegroeid uit de combinatie van twee vormgevende principes. Ten eerste de zogenaamde rule-of-law, die geassocieerd wordt met liberalisme, scheiding der machten, individuele vrijheden en mensenrechten. Elke burger komen onvervreemdbare, fundamentele rechten toe, die grondwettelijk verankerd zijn, en die de bescherming garanderen van de integriteit en de vrijheid van het individu. Deze ideeën passen in een liberale denktraditie die teruggaat tot de 17de-eeuwse Engelse filosoof John Locke. “All men are born free and equally alike”, zei Locke: dat is hun natuurlijke staat.
Ten tweede is er de notie van de volkssoevereiniteit, die geassocieerd wordt met democratische participatie, formele gelijkheid tussen burgers en het beslissen bij meerderheid. Hier staat de gedachte centraal dat het volk zichzelf bestuurt; een gedachte die teruggaat tot de Griekse stadstaat en die in de moderne tijd terugkeert bij de 18de-eeuwse Franse filosoof Jean-Jacques Rousseau.
Deze twee principes vormen geen eeneiige tweeling. Tussen beide heerst een onherleidbare spanning, die Mouffe “de democratische paradox” noemt. Er is bijvoorbeeld een spanning tussen het liberale principe van individuele rechten en de nood van elke democratische samenleving aan sociale en politieke eenheid. Niet-negotieerbare mensenrechten (liberalisme) beperken onvermijdelijk de volkssoevereiniteit (democratie), terwijl de in- en uitsluiting aan de hand waarvan bepaald wordt wie er wel en niet tot de demos behoort (democratie) aan de universele mensenrechten (liberalisme) noodzakelijk beperkingen oplegt. Er is immers geen garantie dat een democratische beslissing de individuele rechten en vrijheden niet op het spel zet.
Hoewel we vandaag onder democratie, als vanzelfsprekend, liberale democratie verstaan, gaat het dus om een articulatie van twee verschillende tradities: de liberale traditie van individuele vrijheid en pluralisme, en de democratische traditie van volkssoevereiniteit en gelijkheid. Liberalisme is geen homogene doctrine, maar een amalgaam van principes: de rechtsstaat, individuele vrijheden en rechten, de erkenning van sociaal-politiek pluralisme, representatief bestuur, de scheiding der machten, limitatie van de staatsmacht, de kapitalistische markteconomie. Democratie, van haar kant, ontstond als een vertoog over volkssoevereiniteit, universeel stemrecht en gelijkheid.
In oorsprong waren liberalisme en democratie oppositioneel, en had de term democratie zelfs een pejoratieve betekenis: de heerschappij van het gepeupel, en dus chaos. Beide beginselen werden voor het eerst samen gearticuleerd in de 19de eeuw, wat er op den duur voor gezorgd heeft dat het liberalisme gedemocratiseerd en de democratie geliberaliseerd werd. Dit gebeurde door een opeenvolging van politieke conflicten, waarbij de ene traditie telkens weer haar suprematie over de andere wil doen gelden. Lange tijd werd dat conflict als legitiem beschouwd; pas in de voorbije decennia werd het als achterhaald van de hand gewezen. Maar volgens Mouffe bestaat er tussen de liberale principes van pluralisme, individualisme en vrijheid, en de democratische principes van eenheid, gemeenschap en gelijkheid, nog altijd een aanhoudende spanning, die in de huidige democratische theorie en praktijk verwaarloosd wordt. Het is deze onoplosbare spanning die de democratie levendig houdt en het primaat van de politiek garandeert, zegt Mouffe.
Traditioneel wordt democratie door de liberale theorie opgevat als een aggregatie van belangen. Dit model werd in de voorbije decennia wat verdrongen door het model van de deliberatieve democratie, dat politiek ziet in ethische en doorgaans universele termen, en dat verdedigd wordt door onder anderen Jürgen Habermas, John Rawls en Ronald Dworkin. Volgens hen is de democratische samenleving gericht op de creatie van een rationele consensus, die bereikt wordt aan de hand van deliberatieve processen die tegemoetkomen aan de belangen vaniedereen. Een beslissing is democratisch wanneer, na het voeren van een redelijke deliberatie, tussen álle betrokkenen een overeenstemming wordt bereikt. In dit denken domineren consensus en compromis, verkregen door rationele argumentatie en overtuiging.
Kenmerkend voor het individualistisch rationalisme van deze liberale democratieopvatting is het onvermogen om de specifieke aard van het politieke, en de formatie van politieke identiteiten die daarmee gepaard gaat, ten gronde te begrijpen. De idee van een perfecte consensus – of een harmonieuze collectieve wil, zoals bij Rousseau – wijst Mouffe als gevaarlijk van de hand. [4] Het liberale pluralisme wordt gekenmerkt door eindeloze conflicten tussen verschillende opinies en opvattingen inzake de ‘correcte’ interpretatie van vrijheid en gelijkheid. Het is deze aanhoudende onenigheid die mensen opdeelt in vrienden en vijanden. Als liberale denkers het collectieve karakter van de politieke strijd, die door het pluralisme bevorderd wordt, niet zien, dan komt dat door hun individualistische opvatting van politiek, als het rationeel nastreven en onderhandelen van individueel eigenbelang.
Net als Carl Schmitt (1888-1985) voert Chantal Mouffe de differentia specifica van het politieke terug op het onderscheid tussen vriend en vijand; oftewel tot de altijd aanwezige mogelijkheid van vijandelijkheid in intermenselijke relaties. Mouffe zegt niet dat alle sociale relaties noodzakelijk antagonistisch zijn, maar dat de mogelijkheid van conflict en vijandigheid in elke relatie op elk moment aanwezig is. Het politieke heeft altijd te maken met conflict en antagonisme, het gaat altijd gepaard met de formatie van een ‘wij’ versus een ‘zij’. In de discourstheorie van Laclau en Mouffe heet dit equivalentielogica: het opdelen van de sociale ruimte door betekenissen en identiteiten te comprimeren tot twee antagonistische polen.
Antagonisme is het sleutelwoord om de vorming van politieke identiteit te begrijpen. Anders dan de traditionele notie van sociaal antagonisme – dit is een confrontatie tussen sociale agenten die reeds beschikken over een volledig ontwikkelde identiteit – beweren Laclau en Mouffe dat antagonismen juist voorkomen omdat wij, als sociale agenten, niet bij machte zijn onze identiteit volledig te ontwikkelen. Zij steunen daarvoor in hoofdzaak op de lacaniaanse psychoanalyse en de derridiaanse notie van een constitutieve buitenkant, als voorwaarde voor de constructie van elke identiteit. Eenvoudig gesteld: een antagonisme ontstaat wanneer de aanwezigheid van ‘de Andere’ mij verhindert om volledig mezelf te zijn. [5] Deze blokkade is een wederzijdse ervaring. [6] Antagonismen onthullen niet alleen het tekort aan identiteit van sociale agenten, zij geven vorm aan de sociale werkelijkheid als zodanig. Sociale formaties worden gevormd aan de hand van antagonistische relaties, waardoor zich tussen sociale agenten politieke breuklijnen vestigen en verschillende identificaties vorm aannemen. [7]
Een democratie behoort pluraal te zijn. Op dat punt is Mouffe het eens met de liberale theorie. Zij betwist evenmin dat een plurale democratie een minimale consensus vereist over gemeenschappelijke ethisch-politieke principes. Maar consensus alleen volstaat niet. Zij is slechts het resultaat van een onderhandeling die telkens weer gevoerd moet worden. In de liberale democratieopvatting ligt de focus op het resultaat van consensus, die bereikt wordt door rationele compromisvorming tussen subjecten met een stabiele en gepreconfigureerde identiteit. Politiek wordt als een neutraal terrein gezien waarop verschillende groepen strijden om politieke macht. De politiek is als een schaakspel waarvan de spelregels en limieten vastliggen. Voor Mouffe daarentegen, gaat het er juist om de regels van de politiek te herschrijven. Het politieke terrein is niet neutraal. Het is in zekere zin de inzet van politieke strijd; in die strijd zelf wordt het terrein gevormd of hervormd.
Liberalism forever!
Sinds de val van de Berlijnse Muur domineert het in oorsprong thatcheriaanse denkbeeld dat er voor de huidige liberaal-kapitalistische wereldorde geen alternatief bestaat. Het failliet van het reëel bestaande socialisme betekende de definitieve overwinning van het kapitalisme en de liberale democratie: dat was de these van Francis Fukuyama, de Amerikaanse politicoloog en adviseur van Ronald Reagan. [8] Het liberalisme had die overwinning volgens hem te danken aan het feit dat het zowel op het materiële vlak (kapitalistisch marktmechanisme) als op het niet-materiële vlak (individuele erkenning) een maximale bevrediging biedt. Uit een hegeliaanse analyse van de geschiedenis haalt Fukuyama het ‘bewijs’ voor de afwezigheid van samenhangende alternatieven voor het liberalisme. De geschiedenis, als voortdurende strijd tussen politieke ideologieën en statenstelsels, heeft haar eindtermen bereikt: “liberalism forever!”
Het einde van de geschiedenis is een wat filosofische uitdrukking die staat voor het einde van de politiek, en Fukuyama was niet de eerste die deze stelling verdedigde. Om te beginnen was er Hegel zelf die in 1806, na de overwinning van Napoleon in de slag bij Jena, verklaarde dat de geschiedenis aan haar einde was gekomen. Begin jaren ‘60 initieerde de Harvardsocioloog Daniel Bell het debat over het einde van de grote ideologische conflicten. In de welvarende samenlevingen van het westen, aldus Bell, is de voorraad aan politieke ideeën uitgeput en zijn ideologische vraagstukken irrelevant geworden. Er is een brede ideologische consensus ontstaan, met als gevolg dat politieke partijen enkel nog om de macht strijden door hun electoraat meer welvaart te beloven. Volgens Bell zegevierde het economische dus ook over het politieke. Maar de heropleving van politiek-ideologische tegenstellingen en de politieke radicalisering van mei ‘68 haalden zijn these onderuit.
De clou bij dit soort politieke eschatologie is de volgende. Politieke ideologieën zijn supra-individuele denkvormen waardoor sociale actoren en groupe zin en richting geven aan hun maatschappelijk bestaan. Ze zijn naast descriptief altijd ook normatief. Ze willen vormgeven aan (toekomstige) sociale verhoudingen en bijgevolg zijn ze op handelen gericht. Elke politieke ideologie heeft de ambitie sociaal te interveniëren (decision making) of zo’n interventie te verhinderen (non-decision making). Deze toekomstgerichtheid vereist een sociale horizon (of sociale utopie) die het resultaat belooft te zijn van dat politieke project.
Elke politieke ideologie houdt dus de belofte in dat ze, met de realisatie van haar project, een eind zal maken aan de politiek. Het was Friedrich Engels die de stelling van Claude Henri de Saint-Simon overnam dat het heersen over mensen in de klassenloze maatschappij – de sociale horizon van het socialistische project – plaats zal maken voor het beheer van zaken. “Goed bestuur”, zeggen we vandaag. En het was de Italiaanse nationalist Giuseppe Mazzini (1805-1872) die stelde dat, als elke natie, separaat en distinct, een volwaardige organische eenheid zal zijn, er geen reden meer is voor onderling conflict. Macht en geweld zijn nodig om de oude orde aan de kant te zetten, maar eens de wereld volgens de nationalistische doctrine van één taal, één volk en één natie geordend zal zijn, wordt oorlog overbodig. [9]
Elk politiek project belooft dat, met de volledige realisatie van haar utopie, politiek overbodig wordt. Het is in die geest van het einde der tijden en het laatste oordeel dat Fukuyama de superioriteit van de liberaal-democratische staatsordening en van het kapitalistisch economisch systeem als bewezen proclameert. Nochtans was zijn these onder meer op feitelijke onjuistheden gebaseerd. Niet het liberalisme ‘pur sang’ had de Koude Oorlog overleefd, maar een gemengd model dat het laisser-fairebeginsel van de vrije markt compenseert door staatstussenkomst, regulatie en herverdeling. In de moderne geschiedenis heeft er nooit een volledig vrije markt bestaan, en dit geldt zelfs voor die landen waar het politieke liberalisme op dat moment hoogtij vierde: het Amerika van Reagan en Bush Senior en het Engeland van Thatcher en Major. Alle sterke, geïndustrialiseerde landen zijn sterk geworden door een mix van laisser faire en staatsinterventie. Ook hier zien we dat het principe van de vrije markt op gespannen voet staat met de democratie: de markt genereert ongelijkheid, die vervolgens door staatsinterventie gecompenseerd wordt. Op dat punt is er geen finale, rationele consensus mogelijk. Het economisch liberalisme is een moderne theorie van de ongelijkheid, zoals de vertegenwoordigende democratie een moderne theorie van de gelijkheid is. Het dispuut over de juiste verhouding tussen markt en staat is inherent aan de liberaal-democratische samenleving. [10]
Wat een radicale democratie à la Laclau en Mouffe onderscheidt van de moderne politieke projecten, is dat ze niet van een realiseerbare telos uitgaat, maar van het besef dat elk sociaal project onvolmaakt en conflictueel zal blijven. Het streven naar een volledig democratische maatschappij, waarin alle mensen volledig vrij zijn omdat ze volledig gelijk zijn, en vice versa, veronderstelt een volledige transparantie. Het veronderstelt een samenleving zonder spanningen en repressie, die dus alle conflicten onderdrukt. [11] Zo’n harmonieuze democratie zou een totalitaire nachtmerrie zijn. Bij Laclau en Mouffe wordt de mogelijkheid om het finale doel te realiseren verlaten, zelfs als louter regulatief idee. Er is trouwens geen reden om dat te betreuren. Integendeel, het is de garantie dat het democratisch-pluralistisch proces aan de gang blijft. Het is door de liberale rechten samen met volkssoevereiniteit te articuleren, dat we vermijden dat de democratie tiranniek wordt. Een ideale, vrije en gelijke democratische samenleving is er noodzakelijk een zonder pluralisme, want pluralisme veronderstelt dat de sociale orde en haar machtsrelaties kunnen worden gecontesteerd. Een samenleving zonder machtsrelaties (het einde van de politiek) is evenmin mogelijk, want het zijn precies de machtsrelaties die de sociale orde constitueren. Laclau en Mouffe vertrekken dus van een niet-reduceerbare, pluralistische sociale orde; en dit betekent dat de finale sociale orde nooit bereikt wordt. Niet alleen de individuen verkeren in de onmogelijkheid om hun identiteiten te finaliseren; ook de samenleving als zodanig is nooit af.
Politiek zonder ware tegenstanders
Dit plurale en onvoltooibare van elke samenleving wordt door de consensuspolitiek van het centrum verdoezeld; en het is tegen die achtergrond dat we volgens Chantal Mouffe het succes van rechts-populistische partijen kunnen begrijpen. In nagenoeg dezelfde periode waarin het VB in Vlaanderen opgang maakt, bewegen de traditionele partijen naar het centrum, en claimen daar de zogenaamde Derde Weg. Toen New Labour op 1 mei 1997 de Britse verkiezingen won, nam het toenmalige BRTN-journaal de proef op de som. Het vroeg de partijvoorzitters van de drie grootste Vlaamse partijen, onafhankelijk van elkaar, om commentaar te geven bij deze gebeurtenis. Eén voor één verklaarden ze op dezelfde lijn te zitten als Tony Blair: de christen-democraten vonden dat ze altijd al de gulden middenweg van Blair hadden bewandeld; de liberalen zegden dat zij, net als Blair, de grote politieke vernieuwers van hun generatie waren; en de sociaal-democraten zagen in de verkiezingsoverwinning van Blair een bevestiging van de vernieuwingsbeweging in heel de Europese sociaal-democratie.
De ideologische tegenstellingen tussen de gevestigde partijen is in de loop van het laatste decennium alsmaar kleiner geworden, waardoor het steeds moeilijker is om partijen en politici in hun optreden en standpunten te onderscheiden. Ideologische beginselen boeten aan belang in, terwijl politiek pragmatisme en consensuspolitiek op de voorgrond treden. In de consensuspolitiek van het centrum, zegt ook de Sloveense filosoof Slavoj Zizek, moet elke fundamentele belangentegenstelling plaats ruimen voor een vrijmoedig geloof in een politiek zonder ware tegenstanders, en zonder enige subversiviteit. [12] Eens beyond left and right lossen sociale tegenstellingen vanzelf op en bieden er zich politieke oplossingen aan die kennelijk voor iedereen goed zijn. Bij gebrek aan een reële politieke strijd, onderscheiden politieke partijen zich enkel nog door culturele attitudes. De politieke strijd wordt herleid tot een belangencompetitie op neutraal terrein, met als enige doel het bereiken van compromissen en het aggregeren van voorkeuren. Om fundamentele belangenconflicten te omzeilen, weigert men om duidelijke politieke grenzen te trekken. Daarmee wordt de integratieve rol van conflict in de moderne democratie genegeerd. [13]
Want het specifieke van een democratie schuilt niet zozeer in haar formele procedures – zoals verkiezingen of de parlementaire stemrondes – maar in haar erkenning van de legitimiteit van sociaal conflict, en haar afwijzing van de autoritaire onderdrukking ervan. [14] Democratie is meer dan een populariteitspoll. Wat een samenleving werkelijk democratisch maakt, is dat ze plaats ruimt voor de expressie van conflicterende belangen en waarden; of anders gezegd, dat zij de voorwaarden schept die antagonistische confrontatie mogelijk maken. Alleen dan leeft die democratie. Het onvermogen om dat in te zien, zegt Mouffe, is zonder meer de belangrijkste tekortkoming van de consensuspolitiek. De reële keuzemogelijkheid die een democratie haar burgers behoort te bieden, is als gevolg van het sacraliseren van de consensus in feite verdwenen. Daardoor kunnen belangrijke politieke sentimenten niet meer worden uitgedrukt binnen het democratische systeem. Naast de nieuwe liberale orde is er geen plaats voor een debat over mogelijke alternatieven; er is geen ruimte voor andere identificatiemodellen waarrond mensen kunnen worden gemobiliseerd. En daardoor winnen andere vormen van politieke identificatie terrein: vormen die met de democratie nauwelijks verzoenbaar zijn – zoals rechts-extremisme en religieus fundamentalisme. [15] Het succes van populistisch rechts, zegt Zizek, is de prijs die de linkerzijde betaalt voor het verloochenen van elk radicaal politiek project en voor het aanvaarden van het kapitalisme als een fait accompli. [16]
Dienen we de kritiek van Chantal Mouffe op te vatten als een ultieme oproep om het cordon sanitaire in Vlaanderen dan toch maar op te doeken? Dat valt te betwijfelen. Waar het Mouffe om te doen is, is laten zien wat het ons heeft opgeleverd, om daaruit conclusies te trekken. Het probleem is overigens niet dat mensen uit zijn op conflict omwille van het conflict. Het probleem is dat, door het gebrek aan een sociale horizon, bepaalde sentimenten geen uitdrukking vinden binnen het democratisch spectrum. Deze sentimenten moeten democratisch gemobiliseerd worden; en daarvoor moeten de democratische partijen een sociale horizon projecteren die mensen uitzicht biedt op een andere en betere toekomst.
De opkomst van extreem-rechts heeft voor Mouffe dus in eerste instantie te maken met het gebrek aan hoop dat het democratisch systeem ons vandaag biedt. Als mensen niet langer geïnteresseerd zijn in politiek, of hun toevlucht nemen tot intolerante en fundamentalistische groeperingen, dan komt dat in hoofdzaak omdat de democratische partijen hen te weinig solide alternatieven bieden. Het liberale consensusdenken verhindert dat we de rol van non-rationele factoren – zoals sentimenten, dromen, passie, fantasie, verlangen, ontgoocheling en hoop – goed begrijpen. Mouffe beschouwt deze individueel verankerde motivaties als een drijvende politieke kracht. “I had a dream”, zei Martin Luther King. Hij zei niet dat hij een oplossing had bedacht, een rationele consensus die het conflict van de baan zou helpen. Rationalisme is altijd ook een obstakel om de conflictuele aard van de politiek te begrijpen.
De Amerikaanse socioloog Immanuel Wallerstein vroeg zich ooit af waarom de armen het tolereren dat de rijken rijker worden, terwijl zijzelf armer worden. [17] Volgens hem hebben zij dat de voorbije twee eeuwen voornamelijk getolereerd omdat zij geloofden dat er hoop was, en omdat zij verwachtten dat hun situatie zou verbeteren, dankzij politieke mechanismen zoals de sociaal-democratie en de welvaartsstaat. Maar hoop is niet alleen wat de armen nodig hebben. Hoop is altijd verbonden met iets wat afwezig is, en die absentie is iets wat we allemaal, in een of andere vorm, ervaren.
De notie van hoop is bij Chantal Mouffe verbonden met die van menselijke emancipatie. Als we ons als mens beknot voelen in onze potentiële ontwikkeling, creëren we een soort toekomstbeeld waarin we die limitaties overstijgen. In een situatie van radicale wanorde en machtswillekeur, bijvoorbeeld, wordt de voorstelling van een ordelijke maatschappij een sociale utopie. Zo’n denkbeeld, waaruit we hoop putten, geeft richting aan ons streven. Hoop is wat onze sociale horizon voedt. Die hoop is onuitroeibaar; maar zij kan op verschillende manieren en in verschillende richtingen gemobiliseerd worden. Wanneer de democratie er zelf geen ruimte voor schept, door fundamentele dissensus toe te laten, dan zal zij zich uiten op een negatieve manier: als een proteststem bijvoorbeeld, een stem tégen de afwezigheid van hoop.
Het verwaarlozen van de antagonistische dimensie in de politiek, zorgt ervoor dat die hoop zich naar de rand van het politieke spectrum verplaatst. Dat is de belangrijkste oorzaak van de opkomst van extremistische groeperingen. En dit lijkt meteen ook de kern van Mouffes boodschap. De aantrekkingkracht van extreem-rechts is dat het wél een sociale horizon biedt, terwijl de gevestigde partijen doen alsof er geen fundamenteel alternatief mogelijk is. Maar omdat de sociale horizon van extreem-rechts geen plaats voor pluralisme biedt, bedreigt zij de liberale democratie en biedt zij ook geen ‘hoop’ in de ware zin van het woord – de zin die Mouffe eraan geeft. Mouffe ziet in de huidige politieke situatie een democratisch deficit: een samenleving die verstoken blijft van een dynamisch democratisch leven, met reële confrontaties rond een diversiteit van effectieve alternatieven, legt het terrein voor andere vormen van identificatie rond etnische, religieuze, nationalistische en soortgelijke problematische claims; claims waarmee het democratisch systeem uiteindelijk slecht gediend is. [18]
Noten
1 Zie Jan Blommaert, Blokspraak, in: De Witte Raaf nr. 114, maart-april 2005, pp. 1-3.
2 Ellen M. Wood, The Retreat from Class: the New ‘True Socialism’, London, Verso, 1986, p. 4.
3 Ernesto Laclau & Chantal Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics, London, Verso, 1985, p. 192.
4 Chantal Mouffe, Radical Democracy or Liberal Democracy, in: Socialist Review, vol. 20 (2), 1990, pp. 58-59.
5 Laclau & Mouffe, op. cit. (noot 3), p. 125.
6 David Howarth & Yannis Stavrakakis, Discourse Theory and Political Analysis, in: David Howarth, Aletta J. Noval & Yannis Stavrakakis (red.), Discourse Theory and Political Analysis: Identities, Hegemonies and Social Change, Manchester, Manchester University Press, 2000, p. 10.
7 David Howarth, Discourse Theory and Political Analysis, in: Elinor Scarbrough & Eric Tanenbaum (red.),Research Strategies in the Social Sciences: a Guide to New Approaches, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 276; Howarth & Stavrakakis, op. cit. (noot 6), p. 11.
8 Francis Fukuyama, Het einde van de geschiedenis en de laatste mens, Amsterdam, Contact, 1992.
9 Peter J. Taylor, Political Geography: World-Economy, Nation-State and Locality, Harlow, Longman Scientific & Technical, 1993, p. 206.
10 Siep Stuurman, Het begin van de toekomst, in: Vrij Nederland, 9 oktober 1999.
11 Jacob Torfing, New Theories of Discourse: Laclau, Mouffe and Zizek, Oxford, Blackwell, 1999, p. 258.
12 Slavoj Zizek, Wat is het fijn om tegen Haider te zijn, in: Nieuw Wereldtijdschrift, vol. 17 (3), april 2000, pp. 43-45.
13 Chantal Mouffe, The Democratic Paradox, London, Verso, 2000, pp. 113-116.
14 Chantal Mouffe, The Radical Centre: a Politics Without Adversary, in: Soundings, nr. 9, zomer 1998, p. 13.
15 Chantal Mouffe, 10 Years of False Starts, in: New Times, 9 november 1999.
16 Zizek, op. cit. (noot 12), pp. 43-45.
17 Immanuel Wallerstein, geciteerd in: Bart Tromp, Het systeem kraakt, in: De Groene Amsterdammer, 3 december 1997.
18 Chantal Mouffe, op. cit. (noot 14), p. 13.
00:05 Publié dans Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chantal mouffe, philosophie politique, théorie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Contes de la folie dystopique
Contes de la folie dystopique
Après avoir navigué dans les eaux claires et bienveillantes des fictions utopiques, il est temps d’accoster son envers ténébreux, le sinistre continent carcéral des dystopies. Inspirées des satires du XVIIe siècle, les dystopies (ou contre-utopies) naissent à une période critique et anti-totalitaire survenant au lendemain de l’âge d’or du scientisme, du positivisme social et de la croyance dans le progrès élaborés durant le XIXe siècle.
Les progrès de la technique et de la science n’ont pas seulement permis l’industrialisation de l’Occident mais ont profondément transformé les rapports de l’homme à l’univers et à sa propre nature biologique. La Première Guerre mondiale et son cortège d’armes chimiques, l’échec des grandes idéologies, la montée du fascisme en Europe de l’Ouest et l’expérience des camps de la mort durant la Seconde Guerre mondiale sont les principales causes de la dégénérescence de l’utopie. Les nombreuses désillusions qui traversent le XXe siècle vont progressivement pousser les utopistes à changer leur conception de l’avenir de l’humanité. Ils imaginent un monde dans lequel l’homme, constitué entièrement par la science, verrait ses actes et ses pensées déterminés génétiquement. Pourtant, les prémisses de la critique du “totalitarisme utopique” avaient déjà vu le jour trois siècles auparavant.
Généalogie du genre dystopique
Le préfixe dys de dystopie renvoie au grec dun qui est l’antithèse de la deuxième acception étymologique d’utopie (non pas u mais eu, “lieu du bien”). On fait remonter l’origine du mot “dystopie” tantôt au livre du philosophe tchèque Comenius intitulé Le labyrinthe du monde et le paradis du cœur (1623-1631), tantôt au livre Mundus Alter et Idem (Another world and yet the same, 1605) de l’évêque Joseph Hall, considéré comme l’inventeur de la subdivision du genre littéraire de l’utopie : la satire dystopique. Hall tourne en ridicule les récits de voyages populaires et s’emploie à fustiger les vices, notamment en inventant une carte de pays imaginaires dont chacun est régi par un vice dominant : par exemple, la Pamphagonia est le pays de la gloutonnerie, ou l’Yvronia, la région de l’ébriété.
Mais les signes avant-coureurs de la dystopie sont encore plus prégnants au XVIIIe siècle. Selon Raymond Trousson, les « quatre forces destructrices de l’utopie » que sont « le réalisme, le pessimisme, l’individualisme et le scepticisme » se déploient dans certains ouvrages, mettant sérieusement en cause l’optimisme des Lumières : La Fable des abeilles de Bernard Mandeville (1714), dénonçant l’ascétisme utopique et la suppression des pulsions individuelles ; Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift (1726), qui dévoile la mesquinerie ambiante de Lilliput, la décadence de Laputa et la méchanceté naturelle des Yahoos ; Le Philosophe anglais ou Histoire de Cleveland de l’abbé Prévost (1731), qui refuse l’entente parfaite entre la Raison et la Nature et considère l’utopie comme un faux paradis ; L’Histoire des Galligènes ou Mémoires de Duncan de Tiphaigne de la Roche (1765) enfin, rétablissant le sens d’une marche fatale de l’histoire liée à la nature des choses humaines. On compte aussi quelques précurseurs durant la seconde moitié du XIXe siècle : Le monde tel qu’il sera d’Emile Souvestre en 1846 et L’an 330 de la République de Maurice Spronck en 1895.
On peut en outre ajouter, pêle-mêle, selon l’écrivain Fernando Ainsa dans La reconstruction de l’utopie, tout un ensemble de catastrophes de politique-fiction : « les chocs futuristes d’Adolph Toffler, les catastrophes démographiques de Paul Ehnrlich, les grandes technocraties de Herman Kahn, les projets mécanistes de Buckminster Fuller, […] la révolution prônée par Marshall Mac Luhan » dans le domaine des communications. Y compris le terme de kakotopies (utopie de l’enfer) s’inspirant de Cackatopia de John Stuart Mill…
« La dystopie est un Enfer terrestre, mis à jour, créé par l’homme, sans intervention divine. »
Éric Faye
Le renversement radical du système utopique
Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, une dystopie n’est pas le contraire d’une utopie mais, comme le dit l’historien Frédéric Rouvillois, « une utopie en sens contraire », de sorte qu’en poussant les logiques totales qui président toute utopie traditionnelle, on débouche sur le pire des mondes possibles. Les mondes définis par les œuvres dystopiques sont l’inverse des utopies, dans le sens où elles exposent les mauvais lieux alternatifs, la face sombre de l’utopie. Comme l’exprime l’essayiste Georges Jean dans Voyages en Utopie, la dystopie dénonce le mécanisme atroce et paradoxal de l’utopie qui aboutit « à l’inverse de ce à quoi elle prétend ». Il faut cependant se garder de confondre ces “utopies à l’envers” (en 1981 le chercheur Kingsley Widmer parle d’« utopisme inversé ») avec les « mondes à l’envers » et autres carnavals littéraires.
Ainsi, nous pouvons affirmer avec Gérard Klein que la contre-utopie met « en scène une eunomie pour établir son inhumanité du fait de son incomplétude. En effet, l’eunomie repose sur le concept d’une nature humaine, servant de socle absolu à la définition de la bonne loi. Les anti-utopistes apportent la preuve par la fiction qu’un tel socle n’existe pas et qu’il se trouvera toujours au moins une modalité de l’humain à échapper au bénéfice présumé de la perfection utopique. » (Dictionnaire des utopies) Cette échappatoire se réalise, le plus souvent, par un retour à la nature et une libération absolue de l’individu.
« La dystopie n’est pas le contraire d’une utopie mais une utopie en sens contraire. »
Et d’un point de vue strictement littéraire, Raymond Trousson note que l’utopie « moderne » (entendre “contemporaine”), c’est-à-dire la dystopie, remet en cause le côté normatif et figé de l’utopie « traditionnelle ». Elle inverse l’utopie, en redonnant au héros une consistance qu’il n’avait plus ou pas dans l’utopie. Avec le héros revient également le sens de l’intrigue, le goût des choix, des pensées et des libertés individuelles. L’anti-utopie redevient romanesque, un vrai roman en somme, avec des péripéties et un dynamisme qui n’existent pratiquement pas dans le genre littéraire utopique.
La critique romanesque des maux modernes
« La dystopie peut être interprétée comme une utopie du désenchantement qui prospère sur les décombres des utopies. »
C’est en 1920 avec la parution de Nous autres que la fiction dystopique naît véritablement. Cette œuvre phare de l’ingénieur russe Evguéni Ivanovitch Zamiatine donne ainsi ses “lettres de noblesses” au genre. Son ouvrage influença considérablement bon nombre de récits analogues tels que Le Meilleur des mondes d’Huxley et 1984 d’Orwell, publiés respectivement douze et vingt-huit ans plus tard.
Les contre-utopistes renouent avec la veine des utopies satiriques mais de façon beaucoup plus corrosive et en ciblant spécifiquement l’uniformisation de la vie, les manipulations idéologiques auxquelles sont soumis les individus dans les mondes utopiques, et, par corollaire, leur réduction à des pièces interchangeables de la machine sociale.
Les dystopies sont donc des œuvres politiques au sens fort, puisqu’elles se veulent aussi des critiques cinglantes, ironiques, caricaturales ou désespérées selon les cas, de sociétés réellement existantes, par exemple le monde plus spécifiquement pré-soviétique pour Zamiatine ou tous les totalitarismes de son époque pour Orwell. Comme le dit l’historien Bronislaw Backzo, dans Lumières de l’utopie (1978), « l’anti-utopie est une expression parfois plus corrosive et puissante que l’utopie… » pour dénoncer le monde présent. Elle témoigne d’un violent pessimisme en l’homme et en la nature, ce qui la démarque de presque toutes les utopies classiques largement optimistes qui popularisent le mythe du bon sauvage. La dystopie peut donc à juste titre être interprétée comme une utopie du désenchantement qui prospère sur les décombres des utopies, sur ce monde réel dont les caractéristiques ont parfois largement dépassées dans l’horreur les plus systématiques propositions utopiques.
Ces œuvres voient donc dans l’utopie non pas une chance pour l’humanité, mais un risque de dégénérescence terriblement inhumaine qu’il faut empêcher à tout prix. Le but n’est pas de réaliser des utopies, mais au contraire d’empêcher qu’elles se réalisent. C’est l’avertissement du philosophe existentialiste Nicolas Berdiaeff en exergue du Meilleur des mondes : « Les utopies apparaissent comme bien plus réalisables qu’on ne le croyait autrefois. Et nous nous trouvons actuellement devant une question bien autrement angoissante : comment éviter leur réalisation définitive ?… Les utopies sont réalisables. La vie marche vers les utopies. Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société moins utopique moins “parfaite“ et plus libre. »
Le refus viscéral du bonheur obligatoire
« Et peut-être un siècle nouveau commence-t-il, un siècle où les intellectuels et la classe cultivée rêveront aux moyens d’éviter les utopies et de retourner à une société moins utopique moins “parfaite“ et plus libre. »
Nicolas Berdiaeff
Les régimes liberticides sont ainsi combattus par l’ironie, la parodie, la caricature, la parabole, l’allégorie, la fable, le pamphlet, etc. Les ouvrages sont souvent désespérés, mais lucides : le totalitarisme, l’étatisme omniprésent, l’infantilisation généralisée, le bonheur grégaire, l’asservissement des individus et l’absence de liberté sont l’antithèse absolue d’une société ouverte. Dénoncer, s’opposer, décrire l’horreur… c’est donc aussi en arrière plan, proposer et susciter l’inverse : une société libre.
La vision dystopique est strictement individualiste, excentrique, donc contestataire. Les groupes réfractaires redeviennent des garants d’une ouverture possible, d’un avenir moins sombre, qu’ils soient « Méphis » dans Nous autres, « sauvages » dans Le Meilleur des mondes, membres de la « Fraternité » dans 1984, « hommes-livres » chez Ray Bradbury (Fahrenheit 451) ou « incurables » chez Ira Levin (Un bonheur insoutenable). Dans la plupart des ouvrages dystopiques, le seul recours face au monde inhumain est effectivement contenu dans la figure du rebelle, de l’opposant, du dissident, du fugitif, du réfractaire. L’écrivain Gilles Lapouge, dans Utopie et civilisations, affirme que le contre-utopiste est « un libertaire libertin individualiste […] qui se moque de la société et ne veut connaître que l’individu. » Il s’oppose à l’idéologie du bonheur universel : « Il a choisi le vital contre l’artifice, la nature contre l’institution. »
Il est tout de même important de rappeler, encore une fois, la relative porosité des frontières entre les genres utopiques : certaines utopies peuvent sombrer dans le désespoir (Quand le dormeur s’éveillera de H. G. Wells, 1899) quand quelques dystopies se laissent tenter par des rêves de réconciliation (Île d’Huxley, 1962).
« Le contre-utopiste a choisi le vital contre l’artifice, la nature contre l’institution »
Gilles Lapouge
Finalement, en dévoilant les logiques profondes de l’utopie – instaurer une perfection définitive ici-bas entièrement conçue comme totalité –, les dystopies donnent ainsi à voir, dans le détail le plus infime, les horreurs des totalitarismes à venir au XXe siècle. C’est cette corrélation entre totalitarisme et les trois grands romans dystopiques (Nous autres, Le Meilleur des mondes et 1984), qui sera l’objet d’une troisième et dernière partie.
Nos Desserts :
- Lire Le labyrinthe du monde et le paradis du cœur de Comenius sur Gallica
- Lire La Fable des abeilles de Bernard Mandeville en PDF
- Lire Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift sur Wikisource
- Lire Le Philosophe anglais ou Histoire de Cleveland de l’abbé Prévost sur Gallica
- Lire L’Histoire des Galligènes ou Mémoires de Duncan de Tiphaigne de la Roche
- Lire Le monde tel qu’il sera d’Emile Souvestre
- Lire Quand le dormeur s’éveillera de H. G. Wells
- Première partie de ce voyage en -ique : « L’Archipel des fictions utopiques » sur Le Comptoir
00:05 Publié dans Littérature, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, philosophie politique, dystopie, contre-utopie, lettres, littérature | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Basteln an der neuen rechten Weltanschauung
Basteln an der neuen rechten Weltanschauung
Die Partei «Alternative für Deutschland» ist auf dem Vormarsch. Fortschritte macht auch der weltanschauliche Überbau.
«Klassiker der Ästhetik»: So lautet die Lehrveranstaltung des Philosophiedozenten Marc Jongen (Foto) an der Staatlichen Hochschule für Gestaltung (HfG) Karlsruhe im Wintersemester 2015/16. «Im Seminar werden klassische philosophische Texte, die für das Verständnis der Ästhetik wesentlich sind, gelesen und diskutiert», steht in der Ankündigung. Ein akademischer Feingeist? Nicht nur; er kann auch anders. Flüchtlinge sieht er als eine Art Naturkatastrophe, als «schrankenlose Überschwemmung mit Menschen, die auf die lange Dauer nicht integrierbar sind, weil sie einfach zu viele sind und zu fremd». Wer das anders sieht, den bezichtigt er wahlweise einer «überzogen humanitaristischen Moral» oder einer «Hypermoral».
Nachzulesen ist dies in einem Interview mit Marc Jongen in der «NZZ am Sonntag». Dort ruft er auch zu Wehrhaftigkeit auf: «Wir müssen, um als europäische Staaten und Völker zu überleben, deutlich nüchterner, realistischer und auch wehrhafter werden». Denn: «Wenn unsere Vorväter dieses Territorium nicht leidenschaftlich und wenn nötig auch mit Gewalt verteidigt hätten, würden wir jetzt nicht hier sitzen und uns in unserer Sprache unterhalten». So kann man deutsche Geschichte auch interpretieren, wenn man der Wahrheit nur genügend Gewalt antut.
«Thymotische Unterversorgung»
Gewalt, Wut und Zorn sind ohnehin Schlüsselbegriffe in der Welt des Marc Jongen. «Wir pflegen kaum noch die thymotischen Tugenden, die einst als die männlichen bezeichnet wurden», doziert der Philosoph, weil «unsere konsumistische Gesellschaft erotozentrisch ausgerichtet» sei. Für die in klassischer griechischer Philosophie weniger bewanderten Leserinnen und Leser: Platon unterscheidet zwischen den drei «Seelenfakultäten» Eros (Begehren), Logos (Verstand) und Thymos (Lebenskraft, Mut, mit den Affekten Wut und Zorn). Jongen spricht gelegentlich auch von einer «thymotischen Unterversorgung» in Deutschland. Es fehle dem Land an Zorn und Wut, und deshalb mangle es unserer Kultur auch an Wehrhaftigkeit gegenüber anderen Kulturen und Ideologien.
Der in der Schweiz noch wenig bekannte Marc Jongen gehört zur intellektuellen Abteilung der Rechtspartei «Alternative für Deutschland». Die AfD galt ja in ihrer Gründungszeit bis zur Parteispaltung Mitte 2015 als «Professorenpartei» und geizte auch im jüngsten Wahlkampf nicht mit akademischen Titeln auf Plakaten. Als akademischer Mitarbeiter an der Hochschule für Gestaltung Karlsruhe diente Jongen lange Jahre als Assistent des bekannten Philosophen und früheren Rektors Peter Sloterdijk, der sich allerdings mittlerweile deutlich von den politischen Ansichten seines Mitarbeiters distanziert (mehr zum Verhältnis Jongens zu Sloterdijk findet sich in einem Beitrag der Online-Plattform «Telepolis»). In der AfD ist Jongen Vize-Landesvorsitzender in Baden-Württemberg und Mitglied der AfD-Bundesprogrammkommission. Er schreibt an einem Papier, das die weltanschauliche Marschrichtung der Partei skizzieren soll.
«Gefilde abseits der Vernunft»
Der Mann hat also das Potenzial, innerhalb der seit den März-Wahlen in drei deutschen Bundesländern sehr erfolgreichen Partei eine zentrale Rolle zu spielen. Da muss es interessieren, wes Geistes Kind er ist. Jongen gehört nicht zu den Lauten in der Partei, er argumentiert lieber mit Platon und anderen philosophischen Grössen; da kennt er sich aus. Aber er war eben im vergangenen Jahr auch am Sturz von Bernd Lucke beteiligt, des verhältnismässig liberalen Parteivorsitzenden. Damit hat er den populistischen, nationalromantischen bis rechtsradikal-völkischen Kräften innerhalb der AfD zum Durchbruch verholfen.
Auffallend ist, wie stark sich Jongen mit reaktionären philosophischen Konzepten beschäftigt. Die «Frankfurter Allgemeine Zeitung» findet in einer lesenswerten Analyse, bei ihm schimmere eine Fundamentalkritik der Moderne durch: «Der Philosoph bezieht sich jedenfalls vorwiegend auf Denker, die in diesem Ruf stehen: Friedrich Nietzsche, Oswald Spengler, Martin Heidegger und einen Vordenker der ‘konservativen Revolution’ wie Carl Schmitt, der zunächst von seinem Schreibtisch aus die Weimarer Republik zu sabotieren suchte und dann nach der Machtergreifung ebenso wie Heidegger dienstfertig dem Nationalsozialismus zuarbeitete. Gemeinsam ist diesen Denkern, dass sie von der Vernunft und republikanischer Mässigung wenig hielten, sondern mehr von scharfen historischen Brüchen. Sie operierten vorwiegend in geistigen Gefilden abseits der Vernunft, in Ausnahmezuständen und Seinsordnungen, Freund-Feind-Schemata und dionysischen Rauschzuständen.»
Gegen Gleichstellung der Geschlechter
«Die Zeit» macht darauf aufmerksam, dass der AfD-Landesparteitag Baden-Württemberg unter der Federführung Jongens die Gleichstellung der Geschlechter mit der Begründung abgelehnt habe, man wisse sich dabei «mit den ethischen Grundsätzen der grossen Weltreligionen einig». Die dürften nicht «auf dem Altar der pseudowissenschaftlichen Gender-Ideologie» geopfert werden. Dies ist eine für einen philosophisch Gebildeten recht abenteuerliche Argumentation. Denn damit wird den Weltreligionen im Umkehrschluss eine wissenschaftliche Grundlage zugebilligt.
Die Mitgliedschaft Marc Jongens in der AfD hat, wenig erstaunlich, auch zu einigen Turbulenzen an der Hochschule für Gestaltung geführt. Der neue Rektor, Siegfried Zielinski, hat Jongen alle Leitungsfunktionen entzogen und ihn auch als Herausgeber der Schriftenreihe «HfG-Forschung» abgesetzt. Das ist demokratiepolitisch heikel und kann als Beschneidung der Meinungsäusserungsfreiheit interpretiert werden. Rektor Zielinski hat jedoch in einer bemerkenswerten Medieninformation vom 24. Februar 2016 seinen Schritt sauber begründet. Solange «die Partei, in der Jongen politisch engagiert ist, zu den legalen politischen Formationen gehört, geniesst er denselben Schutz wie alle anderen Hochschulangehörigen». Das Rektorat sei «indessen nicht für die personellen Konstellationen der Vergangenheit verantwortlich» und müsse sie deshalb nicht so belassen wie bisher.
«Wer denkt, ist nicht wütend»
Die Medieninformation wurde unter dem Titel «Wer denkt, ist nicht wütend» veröffentlicht, ein Zitat von Theodor W. Adorno. Es spielt an auf den von Jongen so oft bemühten und oben erwähnten Thymos (Wut, Zorn). Das Dokument ist auch deshalb eindrücklich, weil es präzis die Aufgabe einer Kunsthochschule beschreibt:
«Kunsthochschulen haben die Aufgabe, werdenden Intellektuellen, Künstlerinnen und Künstlern sowie Gestalterinnen und Gestaltern einen optimalen, anregenden, ihr Wissen und ihre Begabungen fördernden Freiraum zu organisieren. Das ist eine von Grund auf positive Herausforderung und Bestimmung. Eine Ideologie, die prinzipiell in der Verneinung eine Alternative sieht und aus der Perspektive der Verachtung handelt, bildet einen maximalen Gegensatz zu dieser Aufgabe.
(…)
Hass, Verbitterung, radikale Enttäuschung oder Unlust am Heterogenen vertragen sich nicht mit dem positiven Überraschungsgenerator, den eine gute Kunsthochschule der Möglichkeit nach darstellt.
(…)
Der neue Rektor folge «in seiner Arbeit einer Logik der Mannigfaltigkeit, der unbegrenzten Vielheit. (…) Als wichtigsten Impuls enthält eine Logik der Mannigfaltigkeit die uneingeschränkte Achtung vor dem Anderen, vor dem, was nicht mit uns identisch ist.»
(…)
«Die veröffentlichte Debatte um die Mitgliedschaft eines akademischen Mitarbeiters einer universitären Einrichtung des Landes Baden-Württemberg in der durch den Staat zugelassenen politischen Partei AfD schadet der HfG Karlsruhe als einer Einrichtung, die von kritischem Engagement, Gastfreundschaft, Erfindungsreichtum, Neugier und Toleranz getragen ist.»
00:05 Publié dans Actualité, Affaires européennes, Nouvelle Droite, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, politique, politique internationale, europe, allemagne, affaires européennes, afd, alternative für deutschland, nouvelle droite, nouvelle droite allemande, théorie politique, politologie, philosophie, philosophie politique, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
dimanche, 22 mai 2016
'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'
'A vibrant democracy needs agonistic confrontation'
An interview with Chantal Mouffe
Chantal Mouffe is a Belgian political theorist well known for her conception of radical and agonistic democracy. She is currently Professor of Political Theory at Westminster University where she also directs the Centre for the Study of Democracy. Her books include On the Political (2005), Democratic Paradox (2000) the Return of the Political (1993), Agonistics (2013) and Hegemony and Socialist Strategy co-authored with Ernesto Laclau (1985). She spoke to Biljana Đorđević and Julija Sardelić in May 2013 whilst at the Subversive Forum in Zagreb.
Đorđević: So maybe it's best to start with a preview before the talk you will give tomorrow. As far as I understand you'll be challenging the interpretation of protest movements - Occupy movement - as horizontal practices of democracy and you will be offering that it should be read as agonistic practising democracy. What is the key difference between these horizontal conceptualizations of democracy and agonistic democracy?
Mouffe: Well, you can’t really make that level. What I am going to discuss is those protests as seen from different points of view as expression either of rejection of representative democracy or the beginning of or a call for non-representative form of democracy, basically called sometimes presentist or horizonal form of democracy. That's for instance the common interpretation, which we find in the work of people who are influenced by Hardt and Negri’s strategy of what I call ‘withdrawal from’ or strategy that they themselves call ‘exodus’ which is their main view of envisaging radical politics. This is the strategy of the Indignados in Spain or Occupy Movement, as the protesters say, "we don't want anything to do with parties, with trade unions, with existing institutions because they can't be transformed. We need to assemble and organise new forms of life. We should try democracy in presence, in act." The strategy that I oppose to that of ‘withdrawal from’ is a strategy that I call ‘engagement with’ – it engages with the existing institutions in order to transform them. The strategy of exodus declares: “ We don't want anything to do with the system, we are going to construct a completely different form of democracy outside the parties, outside the representation." I am going to read those protests from the point of view of the conception of agonism, which I presented in my book On the Political. So my line is the following. Of course those movements are an expression of crisis of representative democracy but the question we need to ask is: Is it a crisis of representative democracy that means that representative democracy in whatever form cannot work or is it a crisis of the way representative democracy exists at the moment? In my view the problem is not representative democracy per se but the way it exists at the moment, and the problem is that it is not agonistic enough. Because my view is that a vibrant democracy needs to have the possibility for an agonistic confrontation between different points of view and in On the Political what I argue is that the problem with our post-political societies is that there is no difference basically between the centre-right and the centre-left. So there is nobody offering an alternative to neo-liberal globalisation. So it's the lack of agonism, which is the origin of the crisis of representative democracy today. And the solution is not simply to abandon representative democracy but to transform it and to make it really agonistic. And I think these movements are a symptom of this lack of an agonistic debate and this is why one of the mottos of these movements is “we have a vote but we don't have a voice.” And to give a voice is to allow for an agonistic debate.
Sardelić: We have been witnessing new protest movements in the post-Yugoslav region, you’re probably familiar with the recent protests in Slovenia and also on-going protest movements for free education in many other post-Yugoslav states. Can these protests be understood under your notion of agonistic democracy and are they substantially different from movements such as Occupy?
Mouffe: Well I think that what is common across all the differences is that they point to the lack of an agonistic democracy. The problem here is the hegemony of neoliberalism. It is so total that it has imposed the view that there is no alternative. Mrs Thatcher used to be called TINA because she kept repeating, “There is no alternative” and of course this is why some social democratic and labour parties have accepted neoliberal hegemony. For instance, the imposition of the neoliberal model is particularly important in the field of education because, instead of accepting before that the state has the obligation to provide free education, students are now seen as consumers. Education is not a public service, it is a product, you sell that to the students. The relation between the teacher and the students is completely transformed. One of the speakers here was saying that in the United States 60% of the students are already in debt when they enter their studies. This is why they have these movements for free and better education but that is a consequence of the fact that neoliberalism challenges the view that education is a public service that the state needs to provide. And again the problem is that this view has been accepted also by social democratic parties. There is a consensus between centre-right and centre-left parties whose consequence is a lack of possibility for people to choose between alternatives. So the only way they can manifest their voice is through these protest movements because there are no real political channels other than protests.
Sardelić: So you see the protests in Slovenia in this line as well?
Mouffe: Yes. I think it's definitely an expression of a lack of an agonistic democracy that will offer alternatives to neoliberal globalisation.
Đorđević: How do we evade turning agonism into antagonism, which is something of a burden for this region? Because if there is something we had here and we still have are these deep disagreements but at the same time we lack political openness (of the political field) that agonism entails.
Mouffe: In this region there are still forms of antagonism but these are more to do with the question of nationalities, ethnicities. In Bosnia or Kosovo there is no agreement among the different ethnic communities on how to live together but that is a problem, which is completely different from the problem that we were mentioning before about movement for free education and things like that. So I think I will ask the reverse: those antagonisms exist, how can they be transformed into agonism, so that people will accept to live together and be citizens of the political community? So it's not a move from agonism to antagonism because I don't think that at the moment we really have agonism at that level. Where do you see that there is agonism today?
Đorđević: I had in mind those theorists that used the concept of agonism in transitional justice, talking about agonistic reconciliation for divided societes. What you think about these attempts to appropriate agonism for reconciliation?
Mouffe: My view is that what democracy should try to do is to create the institutions which allows for conflict - when it emerges - to take an agonistic form, a form of adversarial confrontation instead of antagonism between enemies. But when antagonisms already exist to transform them is of course is much more difficult but it's not impossible and I think one of the good examples is Northern Ireland. Because in Northern Ireland we had for a long time an antagonistic conflict between Protestants and Catholics. They were treating each other as enemies. Now since the Good Friday Agreement and with the institutions that have been created there is no more antagonism, there is an agonism. It doesn't mean that these people agree, they do disagree but they disagree in a way that they no longer see the other community as an enemy to be destroyed. They say, “We need to find a way to live together” so I think this is where this idea of agonism is important for these kind of situations. I can think of another case where the same thing should happen - but we are very far from the solution there - Palestine and Israel. Obviously we can never imagine that the Palestinians and Israelis are going to agree but it will be a very important step that instead of having this antagonistic relationship there will be an agonistic one in that they will accept each other, and of course this is mainly on the part of the Israelis. Of course we also need the Palestinians to recognise the right of Israel to exist but it should also be on the part of Israel to create a condition for the Palestinians to have a real state. So this is where the idea of the agonistic perspective is important because it allows us to imagine how can we in a situation of antagonism create some form of life in common. The question is what is the aim in the resolution of such conflicts. Some people will say that the aim is to create a consensus but this is not possible because the demands are incompatible. What is possible is for that confrontation to take a form that is agonistic which would mean that there is a possibility of life in common. Total rational reconciliation is not possible but that is the agonistic perspective - there are antagonistic conflicts that can't be solved rationally but those conflicts could take an agonistic form. The problem of Northern Ireland is not completely solved but things have changed a lot between ten years ago and now and I think this should be the aim of such processes.
Sardelić: In your work you contemplate about the rise of the right-wing populist parties where you claim - and I’m quoting you here “this is a consequence of a post-political consensus and a lack of an effective democratic debate.” We can see this rising populism here in the post-Yugoslav space, but also in the wider Europe right-wing populist parties and protest movements on the right are expanding. They also claim that they speak in the name of the people. You say we should avoid the moralistic approach in theorizing these right wing movements, but since many in these movements say that some groups should be extinguished and so on, can these movements really contribute to agonism? How can we include them into agonism?
Mouffe: Well you can address this question at two levels. One, and that needs to be posed, what are the limits of the agonistic debate? Because I'm not saying that all the demands should be part of the agonistic debate. My argument is that we need a conflictual consensus for democracy to exist. There needs to be some form of consensus but the consensus is on what I call ‘the ethical-political principles’, the values that we are going to accept in order to organise our coexistence: liberty and equality for all. But those values are going to be interpreted differently according to different perspectives. Another thing that is particularly important is who is part of this. Are the immigrants part of this? This is the main problem in deciding whether to accept right-wing populism or not. Some people argue that those parties cannot be part of the democratic politics, they should not have the right to contest in elections, they should not have the right to have people elected because as they say in France they are not ‘Republican’ parties. Some people, a few years ago viewed the Front National of Jean-Marie Le Pen as a party that should be outlawed. I personally believe that it’s really a question of borderline because in general these right-wing populist parties do not contest that liberty and equality should be the main values, the main problem is the way they understand "for all" from which the immigrants are not part. Such parties should be accepted into the agonistic debate because you can't really say that they are totally outside. They've got an interpretation of the common ethico-political values that we don't like and of course we want to fight that interpretation but we are going to fight it within the agonistic debate. But there are other parties such as Golden Dawn in Greece that I think should not be able to contest in elections because this is clearly a neo-Nazi party. There is a difference between neo-Nazi parties and right-wing populist ones and I think that those parties should not be part of agonistic debate. They are enemies, not adversaries. That does not mean of course that we should eliminate them. It means that they don't have the right to present candidates and be elected in Parliament. In my view the best way to fight against right-wing populism is to deliver what I call left-wing populism. To create another form of the idea of the people, a people constructed in a different way. A good example of that is the party of Jean-Luc Mélenchon in France - le Parti de Gauche that is part of the Front de gauche. It is a populist movement because they also want to create people. I think that there is a necessary populist dimension in democracy and we should not use populism only in a negative sense because in democracy there is always the aim of constructing a people, a collective will. But of course this collective will, this people, can be constructed in different ways according to how you define the adversary. For instance, Marine Le Pen defines the adversary in terms of the immigrants and mainly the Muslims; they are the people to be excluded. Jean-Luc Mélenchon, on the contrary, is also constructing a people but a people, which includes the Muslims and immigrants and for him the adversary of these people is the big transnational corporations, the financial system and all the things that are the pillars of a neoliberalism. This is the only way to really fight the right-wing populism by constructing a different people.
Đorđević: There are some voices that are criticizing the agonistic approach as too soft on capitalism, and that in its emphasising the autonomy of the political it neglects a bit this economic dimension. What would actually be this agonistic take on wealth and inequalities and power relations that these wealth and inequalities produce? Or to rephrase: is 1% an enemy or an adversary?
Mouffe: I think that criticizing an agonistic perspective for not being critical enough of capitalism is basically a difference of strategy and again this is where the strategy of ‘engagement with’ or, using a term of Gramsci - ‘a war of position’ - is what is the one I propose. I imagine that the person that you have in mind is Slavoj Žižek because he's the one who is criticising the agonistic approach for being a liberal one. But his position is a rhetorical revolutionary one which does not propose any strategy. We want the end of capitalism, sure, but how are we going to do it, with whom? It's very rhetorical to say: the end of capitalism. I think the question is to engage with existing institutions, and this requires a long process. Some people still would say we need a revolution like the Soviet revolution. If we are to learn something from the experience, the tragic experience of really existing socialism, is precisely that this strategy of making a complete new start doesn’t work. You can't just end a society in one move and start from scratch - it’s not possible. It’s only possible by using terror. ‘A war of position’ is better strategy; we need to target specific institutions in order to transform them. For me at the moment the most important task is to end the hegemony of neoliberalism and of financial capitalism. Of course that's not going to be the end of capitalism. The aim is to create a society that will not be submitted to the logic of the market. They might still remain some sectors which are going to be organised by capitalists but the main society will not be one in which the market controls everything. But that cannot be done one day. There are of course proposals in the line of Hardt and Negri who believe that the development of the self-organisation of the multitude is going to make capitalism completely irrelevant. They accept that it is going to be a process and they do not advocate any kind of Jacobin form of revolution but they believe that the state will disappear and I don't believe that. Some of those experiences of new forms of living are important but they are not enough. The power of capitalism is not going to disappear because we have a multitude of self-organizing outside the existing institutions. We need to engage with those institutions in order to transform them profoundly. I saw a few years ago a film called Was tun? (What is to be done). It was about the anti-globalization movement and the role of Hardt and Negri’s strategy. At the end of the film they asked them “what should we do?” And Negri answered “wait and be patient” and Hart answered “follow your desire.” That’s their strategy. They believe that there is some kind of law of history that is necessarily going to lead to ‘absolute democracy’. It's very similar to the traditional Marxist view that capitalism is its own gravedigger but I don't think that's the case. Capitalism is not going to disappear simply by us being patient and waiting, we need to engage with it, and that is the strategy of agonistic engagement. It's not a total revolution, that’s not possible, it's ‘a war of position’ in order to transform the existing institutions.
00:08 Publié dans Entretiens, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chantal mouffe, entretien, philosophie, philosophie politique, démocratie, démocratie agonale, agonalité, théorie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
NATION? – Un retour du «romantisme politique»?
Le livre récent de Christian E. Roques , (Re)construire la communauté, a pour projet de présenter la réception du romantisme politique sous la République de Weimar par des philosophes et des penseurs politiques critiques de la modernité. Son but n'était pas de faire un travail sur la vérité des interprétations multiples qui en ont été faites, mais plutôt de voir ce que ces diverses lectures ont pu ouvrir comme perspectives politiques. L’enjeu est qu’au départ, le romantisme politique consiste en un discours en opposition à la philosophie des Lumières, qui met en question le pouvoir de la raison, et donc le pouvoir politique fondé sur l’exercice de la raison.
Genèse du romantisme politique
Le premier romantisme allemand s’organisme autour du Cercle d’Iéna, qui rassemble le théoricien de la littérature, Friedrich Schlegel, le philosophe Johann Gottlieb Fichte et des écrivains comme Ludwig Tieck, Wilhelm Heinrich Wackenroder et Novalis. Reprenant la thématique de Max Weber à propos du désenchantement du monde, le philosophe allemand Rüdiger Safranski identifie le projet romantique, dans sa globalité, comme une tentative pour ré-enchanter le monde et redécouvrir le magique, en repoussant la raison dans ses confins. Autour de 1800, le motif romantique s’inscrit dans plusieurs champs : la théologie protestante de Friedrich Schleiermacher définit ainsi la religion comme « le sens et le goût pour l’infini », et les études philologiques d’un Görres ou d’un Schlegel cherchent les racines de la langue et la vérité de l’origine dans l’Orient et l’Inde antiques. Ce désir des origines perdues s’exprime non seulement à travers des voyages spirituels dans le lointain, mais aussi dans la reconstitution d’un passé imaginaire. La Grèce de Friedrich Hölderlin illustre cette relation au passé, poétiquement condensée, et qui confronte une Antiquité mythologiquement sublimée à la réalité profane de sa propre époque :
«La vie cherches-tu, cherche-la, et jaillit et brille
Pour toi un feu divin du tréfonds de la terre,
Et frissonnant de désir te
Jettes-tu en bas dans les flammes de l’Etna.
Ainsi dissolvait dans le vin les perles l’effronterie
De la Reine ; et qu’importe ! si seulement
Tu ne l’avais pas, ta richesse, ô poète,
Sacrifiée dans la coupe écumante !
Pourtant es-tu sacré pour moi, comme la puissance de la terre,
Celle qui t’enleva, mis à mort audacieux !
Et voudrais-je suivre dans le tréfonds,
Si l’amour ne me retenait, ce héros.»
Dans un second temps, émerge le romantisme politique. Il prend racine à partir du concept de nation chez Fichte, de l’idée d’un « Etat organique » développée par Adam Müller, ainsi que dans le populisme artificiel de Ernst Moritz Arndt et de Friedrich Jahn. Il se nourrit également de la haine à l'encontre de Napoléon et des Français, transfigurée par la littérature de Heinrich von Kleist. Aussi le romantisme s’est-il éloigné de ses prémisses philosophiques. Cette prise de distance caractérisera également la littérature du romantisme tardif d’un Josef von Eichendorff et d’un E.T.A. Hoffmann.
Réceptions du romantisme : un concept polémique
Qui sont les philosophes ou les théoriciens qui, sous la République de Weimar, opposent le romantisme à ce qu’ils perçoivent comme des errements de la modernité? . Christian E. Roques distingue trois principales lectures du « romantisme politique ».
La première, de 1918 à 1925, fait immédiatement suite à l’instauration de la République weimarienne : elle met en place un discours à la recherche d’une communauté nouvelle ainsi qu’une critique de l’individualisme libéral. Le romantisme, traditionnellement identifié à un discours conservateur, a inspiré des projets communautaires d’inspiration à la fois socialistes et romantiques, cherchant à donner sens au politique après la conflagration guerrière de 1914-1918. A droite, au contraire, certaines voix comme celle du philosophe Carl Schmitt s’élèvent contre le romantisme.
La seconde lecture du « romantisme politique », de 1925 à1929, est plus apaisée : elle tente d’établir le romantisme comme fondement de la « pensée allemande ». C’est ce qui structure la pensée du philosophe et sociologue autrichien Othmar Spann tout au long des années 1920-1930. Le romantisme politique devient chez lui un discours droitier. Il met en place tout un travail philologique sur les auteurs romantiques. Quant au sociologue allemand Karl Manheim, il démontre dans sa thèse de 1925, comment le conservatisme est inhérent au romantisme. Il révèle ainsi à partir de ses travaux un nouveau rapport entre politique et savoir, ouvert sur la dimension irrationnelle de l’existence humaine.
Puis de la crise de 29 jusqu’à la veille de l’avènement du parti nazi, l’ampleur des troubles socio-économiques rend caduque le questionnement théorique sur la question de la modernité et de son dépassement, face à l’imminence de la crise politique et l’urgence de la question du « que faire ? » - qualifiée de léniniste par Christian Roques. Ainsi, si l'ancien officier de la Wehrmacht Wilhem von Schramm affirme encore l’actualité du projet romantique, c’est en proposant d’adopter la démarche de « l’ennemi bolchévique », à savoir sa méthode révolutionnaire d’enthousiasme pseudo-religieux, afin de retrouver l’esprit communautaire vécu dans les tranchées. Le théologien protestant allemand Paul Tillich ouvre dans un même temps un dialogue avec les forces « socialistes » de tout bord.
Réactiver la polémique du romantisme au XXIe siècle ?
Mais l’essentiel se situe peut-être après le moment de Weimar : en effet, ce sont les discours et les actions politiques produites pendant la République à partir de ces lectures des romantiques, qui donneront sens aux réflexions et décisions politiques après Weimar. A ce titre, l’ouvrage de Christian E. Roques s’apparente au laboratoire d’une modernité en crise. Il y expérimente, par des lectures croisées du « romantisme politique », des rencontres imprévues entre des penseurs au positionnement politique opposé. De fait, dès Weimar, le « romantisme politique » est d’abord un concept polémique pour comprendre le réel présent : c’est une sorte d’instrument de mesure des idéologies politiques actuelles, à la lumière des idéologies passées d’Etats en crise.
Dans le monde moderne, le romantisme se présente comme le correctif salutaire aux discours politiques « rationnels », dans la mesure où ses aspirations transgressives font apparaître les limites de la rationalité. C’est en cela qu’on a pu y lire une opposition aux Lumières ou du moins une réflexion sur les limites du pouvoir de la raison. Le philosophe brésilien Michael Lôwy, déclarait, en faisant référence à Marx que le romantisme était d’abord une « vision du monde » en opposition à la bourgeoisie au nom d’un passé antérieur à la civilisation bourgeoise, et qu’il perdurerait tant que cette bourgeoisie sera là, comme son contre-modèle indissociable : « On pourrait considérer le célèbre vers de Ludwig Tieck, Die mondbeglanzte Zaubernacht, « La nuit aux enchantements éclairée par la lune », comme une sorte de résumé du programme romantique » .
Finalement, le travail de Christian Roques se justifie par sa conviction que le concept romantique n’aurait rien perdu de sa force polémique dans notre propre présent : « Au regard notamment du retour en force du discours écologique (voir éco-socialiste) qui repose fondamentalement sur un appel à une approche universaliste, dépassant les égoïsmes individuels pour adopter une conception globale, il semble légitime de se demander si nous ne sommes pas à l’aube d’une nouvelle "situation romantique". » . Présenté comme alternative au discours libéral en temps de crise, le romantisme politique réapparaît aujourd’hui avec des références politiques et philosophiques qui dépassent le cadre binaire des partis politiques.
Christian E. Roques, (Re)construire la communauté : La réception du romantisme politique sous la République de Weimar, MSH, 2015, 364 p., 19 euros
À retrouver sur nonfiction.fr :
Tous les articles de la chronique Nation ?
Présentation de l'éditeur:
(sur: http://www.fabula.org )
"Le "romantisme politique" connaît un regain d'intérêt important en Allemagne sous la République de Weimar (1918-1933), au point de devenir un élément essentiel du discours politique de l'époque. Avec la "communauté", la "nation" ou le "peuple", le "romantisme" va constituer un des mots magiques autour desquels se cristallisent les débats de la vie intellectuelle weimarienne. Le présent ouvrage entreprend donc d'analyser les stratégies de discours politiques qui se structurent autour du paradigme romantique entre 1918 et 1933. À partir d'un corpus d'auteurs variés, pour certains célèbres et pour d'autres tombés dans l'oubli (Arthur Rubinstein, Carl Schmitt, Othmar Spann, Karl Mannheim, Wilhelm von Schramm, Paul Tillich), il est possible de montrer l'existence non d'une idéologie politique clairement définie, mais d'une sensibilité "romantique" qui transcende les oppositions politiques traditionnellement conçues comme imperméables (gauche/droite, conservateur/progressiste, nationaliste/universaliste, etc.) et qui se construit dans l'opposition fondamentale à l'individualisme matérialiste du "libéralisme" capitaliste."
Sommaire:
- Introduction : La république de Weimar, laboratoire d'une modernité en crise -- Romantisme, romantisme politique : l'impossible définition ? -- La généalogie du romantisme : un paradigme fantôme -- Le romantisme politique : de gauche, de droite, au-delà ? -- Pour une archéologie de la réception -- La rupture méthodologique -- Le problème de la téléologie : savoir historique et condamnation morale des engagements en faveur du nazisme -- Le champ discursif du "romantisme politique" : les marqueurs d'une renaissance -- Des "néoromantiques" sous la République de Weimar ? -- La redécouverte d'Adam Müller -- Le socialisme romantique : un projet démocratique post-marxiste -- Socialisme, marxisme, romantisme : affinités électives ? -- Landauer, penseur socialiste vakisch -- Les jeunesses socialistes entre romantisme et marxisme -- Une révolution sous le signe des conseils -- Faire sens du moment révolutionnaire -- Crise de la théorie marxiste -- Une nouvelle idée émerge : des soviets allemands ? -- Le conseil au coeur de la nouvelle démocratie -- Du paradis médiéval aux abysses absolutistes -- Le Moyen Âge communautaire et démocratique -- La barbarie de l'absolutisme : contrat social et souveraineté -- Crise de l'absolutisme -- Romantisme et absolutisme -- Le romantisme comme projet d'avenir -- Le romantisme, une hérédité occultée -- Une critique radicale du libéralisme -- La radiographie de l'ennemi : Carl Schmitt contre le romantisme politique -- Un livre sous influences : les racines françaises de la critique schmittienne -- Le jeune Schmitt : une position atypique entre isolement et influence étrangère -- Les inspirateurs allemands -- Les parrains français -- Le romantisme politique : l'idéologie de l'ennemi -- Romantisme : l'impossible définition ? -- Aux sources intellectuelles du romantisme -- L'essence du romantisme : l'occasionnalisme subjectivisé -- Le romantisme comme impuissance politique -- Qui est l'ennemi ? Schmitt et la crise de l'idéologie allemande -- Schmitt l'inquisiteur de Carl ? -- Continuités d'une pensée en guerre -- La mort de l'intellectuel apolitique -- L'universalisme romantique d'Othmar Spann : la réponse allemande à l'individualisme moderne -- Spann et la galaxie universaliste -- Othmar Spann, père de l'Église néoromantique -- L'école néoromantique -- "L'État véritable" et l'actualité du romantisme politique -- De l'histoire économique au projet politique -- Les éléments de la contre-offensive romantique -- Rejet nazi de l'universalisme spannien : l'enjeu romantique -- Penser l'envers de la modernité : romantisme et conservatisme chez Karl Mannheim -- Penser à la marge -- L'émigré hongrois -- Un travail scientifique entre décentrement et écriture essayistique -- Trouver sa place à l'université : la thèse de 1925 -- La naissance romantique du conservatisme -- Conservatisme et traditionalisme : de l'anthropologie à l'idéologie -- Morphologie du conservatisme allemand : à contre-courant de la modernité -- Le locus antimoderne : le romantisme aux sources du conservatisme -- Une nouvelle synthèse ? -- S'ouvrir à l'irrationnel : penser comme conservateur -- La synthèse et ses "vecteurs" : une conceptualité romantique ?
- La politique radicale de Wilhelm von Schramm : victoire du christianisme romantique -- Wilhelm von Schramm : officier, écrivain et théoricien politique -- Au coeur des réseaux du nouveau conservatisme weimarien -- La fascination du modèle russe : le bolchevisme entre émulation et terreur -- Ernst Jünger : nationalisme militaire et théorie de la guerre -- Les jeunes-conservateurs et la tradition du romantisme politique -- Le modèle soviétique -- Le projet intellectuel : aller à l'essentiel -- Théorie générale du bolchevisme -- Bolchevisme et romantisme allemand : généalogie du nouvel universalisme -- Revenir aux racines allemandes : le romantisme comme solution -- Le XIXe siècle allemand : entre mission romantique et schizophrénie nationale -- Le projet romantique et chrétien de Wilhelm von Schramm -- Mythe romantique et décision socialiste : Paul Tillich à la recherche de l'unité du politique -- La "jeune droite" et la rénovation de la social-démocratie -- Des "jeunes-socialistes" à la "jeune droite" -- La plateforme du renouveau : les Neue Blatter flir den religilisen Sozialismus -- Le projet socialiste contre le mythe romantique -- Crise et division : penser le monde moderne à l'aune du jeune Hegel -- Ontologie politique : l'homme entre origine et devenir -- Le mythe de l'origine : retour critique sur le romantisme politique -- Antinazisme ou réconciliation ? -- Le projet politique de Tillich en 1933.
00:05 Publié dans Définitions, Livre, Livre, Révolution conservatrice, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, définition, romantisme, communauté, théorie politique, politologie, révolution conservatrice, carl schmitt, othmar spann, ernst jünger, allemagne, philosophie politique, paul tillich | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Agonistic Democracy and Radical Politics
Chantal Mouffe:
Agonistic Democracy and Radical Politics
Ex: http://www.pavilionmagazine.org
The political between antagonism and agonism
What is the best way to envisage democratic politics? Until a few years ago, the most fashionable model in political theory was that of ‘deliberative democracy’ defended, in different forms, by John Rawls and Jürgen Habermas. But another model, which proposes an ‘agonistic’ way of conceiving democracy, is steadily gaining influence, and I believe it is useful to examine what its representatives have in common. As I myself belong to the ‘agonistic camp’, I have chosen to highlight the differences that exist between my conception of agonism and that of a certain number of theorists who have other sources of inspiration.
I will begin by presenting the main principles of the theoretical framework that informs my reflection. I have suggested distinguishing between the political, which is linked to the dimension of antagonism present in human relations an antagonism that manifests itself politically in the construction of the friend/enemy relation and that can emerge from a large variety of social relations -, and politics, which aims to establish an order and to organise human coexistence under conditions that are marked by ‘the political’ and thus always conflictual. We find this distinction between the political and politics in the other agonistic theories, though not always with the same signification. We can in fact distinguish two opposing conceptions of what characterises ‘the political’. There are those for whom the political refers to a space of liberty and common action, while others view it as a site of conflict and antagonism. It is from this second perspective that my work proceeds, and I will demonstrate how it is on this point that the fundamental divergence between the different agonistic theories rests.
Politics and antagonism
One of the principal theses that I have defended in my work is that properly political questions always involve decisions which require a choice between alternatives that are undecidable from a strictly rational point of view. This is something the liberal theory cannot admit due to the inadequate way it envisages pluralism. The liberal theory recognises that we live in a world where a multiplicity of perspectives and values coexist and, for reasons it believes to be empirical, accepts that it is impossible for each of us to adopt them all. But it imagines that these perspectives and values, brought together, constitute a harmonious and non-conflictual ensemble. This type of thought is therefore incapable of accounting for the necessarily conflictual nature of pluralism, which stems from the impossibility of reconciling all points of view, and it is what leads it to negate the political in its antagonistic dimension.
I myself argue that only by taking account of the political in its dimension of antagonism can one grasp the challenge democratic politics must face. Public life will never be able to dispense with antagonism for it concerns public action and the formation of collective identities. It attempts to constitute a ‘we’ in a context of diversity and conflict. Yet, in order to constitute a ‘we’, one must distinguish it from a ‘they’. Consequently, the crucial question of democratic politics is not to reach a consensus without exclusion which would amount to creating a ‘we’ without a corollary ‘they’ but to manage to establish the we/they discrimination in a manner compatible with pluralism.
According to the ‘agonistic pluralism’ model that I developed in The Democratic Paradox (London: Verso, 2000) and On the Political (London: Routledge, 2005), pluralist democracy is characterised by the introduction of a distinction between the categories of enemy and adversary. This means that within the ‘we’ that constitutes the political community, the opponent is not considered an enemy to be destroyed but an adversary whose existence is legitimate. His ideas will be fought with vigour but his right to defend them will never be questioned. The category of enemy does not disappear, however, for it remains pertinent with regard to those who, by questioning the very principles of pluralist democracy, cannot form part of the agonistic space. With the distinction between antagonism (friend/enemy relation) and agonism (relation between adversaries) in place, we are better able to understand why the agonistic confrontation, far from representing a danger for democracy, is in reality the very condition of its existence. Of course, democracy cannot survive without certain forms of consensus, relating to adherence to the ethico-political values that constitute its principles of legitimacy, and to the institutions in which these are inscribed. But it must also enable the expression of conflict, which requires that citizens genuinely have the possibility of choosing between real alternatives.
Politics and hegemony
It is necessary at this point to introduce the category of hegemony, which will enable us to identify the nature of the agonistic struggle. To understand the political as the ever present possibility of antagonism, the absence of a final foundation and the undecidability that pervades every order must be acknowledged. It is precisely to this that the category of hegemony refers, and it indicates that every society is the product of practices that seek to institute an order in a context of contingency. Every social order is therefore hegemonic in nature, and its origin political. The social is thus constituted by sedimented hegemonic practices, that is, practices that conceal the originary acts of their contingent political institution and that appear to proceed from a natural order. This perspective reveals that every order results from the temporary and precarious articulation of contingent practices. Things could always have been different and every order is established through the exclusion of other possibilities. It is always the expression of a particular structure of power relations, and it is from here that its political character stems. Every social order that at a given moment is perceived as natural, together with the ‘common sense’ that accompanies it, is in fact the result of sedimented hegemonic practices and never the manifestation of an objectivity that one could consider external to the practices through which it was established.
What is at stake in the agonistic struggle is the very configuration of the power relations that structure a social order and the type of hegemony they construct. It is a confrontation between opposing hegemonic projects that can never be reconciled rationally. The antagonistic dimension is therefore always present but it is enacted by means of a confrontation, the procedures for which are accepted by the adversaries. The agonistic model that I propose acknowledges the contingent character of the hegemonic articulations that determine the specific configuration of a society at a given moment; as pragmatic and contingent constructions, they can always be disarticulated and transformed by the agonistic struggle. Unlike the liberal models, such an agonistic perspective takes account of the fact that every social order is politically instituted and that the ground on which hegemonic interventions occur is never neutral for always the product of previous hegemonic practices. Far from envisaging the public sphere, as for example Habermas does, as fertile ground in the search for consensus, my agonistic approach conceives it as the battlefield on which hegemonic projects confront one another, with no possibility whatsoever of a final reconciliation.
Which agonism?
My disagreement with Habermas is not surprising given that it is partly in opposition to his ‘deliberative democracy’ model that I developed my agonistic conception. But I would now like to examine the differences that exist between my approach and the one found within a certain number of conceptions that also adopt an agonistic perspective. Beyond the ‘family resemblance’ linking these conceptions, there are important points of divergence, which similar vocabulary tends to conceal.
I will begin with the case of Hannah Arendt. Arendt is often considered a representative of agonism, and her references to the Greek Agon can justify such a reading. But the conception of agonism that can be derived from her work is very different to the one I defend. Indeed, we discover in Arendt what I would call an ‘agonism without antagonism’. By this I mean that, although she insists a good deal on human plurality and conceives politics as dealing with the community and with reciprocity between different beings, she never recognises that this plurality is at the origin of antagonistic conflicts. According to Arendt, to think politically consists in developing the ability to see things from a multiplicity of perspectives. As indicated by her reference to Kant and his notion of enlarged mentality, the pluralism she advocates is finally not so different to Habermas’s, also resting as it does on the horizon of intersubjective agreement. It is clear that what she seeks in the Kantian critique of aesthetic judgement is a procedure to obtain intersubjective agreement in the public sphere. Despite the differences in their respective approaches, I therefore believe that Arendt, like Habermas, envisages the public sphere as a place where consensus can be established. Obviously, in her case, this consensus will be the result of an exchange of voices and opinions (in the Greek sense of doxa), rather than the rational Diskurs found in Habermas. As noted by Linda Zerilli in Feminism and the Abyss of Freedom (Chicago: The University of Chicago Press, 2005), while for Habermas consensus emerges through what Kant calls disputieren, an exchange of arguments bound by logical rules, for Arendt it is a matter of streiten, where agreement is produced by persuasion and not based on irrefutable proofs. But neither of the two manages to acknowledge the hegemonic nature of every form of consensus in politics or the ineradicable character of antagonism, the moment of Widerstreit, that which Lyotard calls the différend.
My conception of agonism must also be distinguished from Bonnie Honig’s, which is clearly influenced by Arendt. In her book Political Theory and the Displacement of Politics (Ithaca: Cornell University Press, 1993), Honig criticises liberal conceptions for being too consensual and she advances the emancipatory potential of political contestation, which enables established practices to be questioned. She defends a conception of politics centred on virtú, and places agonistic contestation at its heart, thanks to which citizens are able to keep open a space of debate and prevent the confrontation of positions from drawing to a close. The permanent questioning of dominant identities and ideas is central to the agonistic struggle as conceived by Honig. Thus, in an article titled “Towards an Agonistic Feminism: Hannah Arendt and the Politics of Identity” (Feminist Interpretations of Hannah Arendt, edited by Bonnie Honig, The Pennsylvania State University Press, 1995), she declares that the importance of Hannah Arendt’s work for feminists is to provide them with an agonistic politics of performativity. While acknowledging that Arendt never identified with feminism, Honig asserts that her agonistic politics of performativity is crucial for a feminist politics because it enables feminism to be envisaged as a site of contestation over the meaning, practice and politics of gender and sexuality. The appropriation of Arendt’s ideas should, according to Honig, enable feminists to understand that identities are always performative productions and to thereby question the existing positions of subject and liberate the identity of ‘woman’ from the restrictive categories in which we try to enclose it. The idea of an identity suitable for women and that would serve as a starting point for a feminist politics is replaced by a multiplicity of identities constantly produced in an agonistic space, opening the way for feminist emancipation.
We can observe that the agonistic struggle is, according to Honig, reduced to the moment of contestation. It is important for her to guarantee the expression of plurality and to prevent the closure of the questioning process. However, I myself consider that this is but one of the dimensions of the agonistic struggle, which cannot be limited to contestation. The second moment, involving the construction of new hegemonic articulations, is fundamental in politics. It is for this reason that I regard Honig’s conception of agonism as inadequate for envisaging democratic politics.
I have a similar problem with the conception of William Connolly, another theorist of agonism. Connolly is influenced by Nietzsche rather than Arendt, and he has endeavoured to render his Nietzschian conception of the Agon compatible with democratic politics. In his book Pluralism (Durham: Duke University Press, 2005) he argues for a radicalisation of democracy through the development of a new democratic ethos among citizens. He conceives this ethos as one of permanent engagement in agonistic contestation that would make all attempts to bring closure to debate impossible. The central notion of Connolly’s work is that of ‘agonistic respect’, which he presents as originating in our common existential condition, itself linked to our struggle for identity and the recognition of our finitude. Agonistic respect constitutes for him the cardinal virtue of the type of pluralism he advocates and he considers it the most important political virtue in the pluralist world we live in today. Of course, I agree with Connolly when he insists on the role respect must play between adversaries engaged in an agonistic struggle. But I believe it is necessary to question the limits of this agonistic respect. Can all antagonisms be transformed into agonism? In other words, must all positions be considered legitimate and must they be granted a place inside the agonistic public sphere? Or must certain claims be excluded because they undermine the conflictual consensus that constitutes the symbolic framework in which opponents recognise themselves as legitimate adversaries? To put it another way, can one envisage pluralism without antagonism?
This is in my opinion the properly political question that Connolly’s approach is not able to ask. It is for this reason that I do not consider his conception of agonism any better placed than Honig’s to serve as a framework for democratic politics. In order to think and act politically, we cannot escape the moment of decision and this requires establishing a frontier and determining a space of inclusion/exclusion. Any perspective that evades this moment renders itself incapable of transforming the structure of power relations and of instituting a new hegemony. I certainly do not intend to deny the importance of a democratic ethos but I think it would be a mistake to reduce democratic politics to the promotion of an ethics of agonistic respect. Yet this appears to be what Connolly proposes and, rather than a new conception of democratic politics, what we find in his work is a new form of pluralist ethics. It undoubtedly has its merits but is not sufficient to envisage the nature of a hegemonic democratic politics and the limits the latter must impose on pluralism.
The fundamental difference between my conception of agonism and those that I have just examined resides in the absence in the cases of Arendt, Honig and Connolly of the two dimensions central to my approach and which I believe are indispensable to think the political: antagonism and hegemony. The principal objective of these authors is to prevent the closure of debate and to give free rein to the expression of plurality. Their celebration of a politics of destabilisation ignores the phase of hegemonic struggle, which consists in the establishment of a chain of equivalence between democratic struggles in order to construct another hegemony. However, it is not enough to disturb the dominant procedures and disrupt existing arrangements to radicalise democracy. Once we accept that antagonism can never be definitively eliminated and that every order is hegemonic in nature, we cannot avoid the central question in politics: what are the limits of agonism, and which institutions and configurations of power must be transformed to radicalise democracy? This requires the moment of decision to be confronted and necessarily implies a form of closure. It is the price to pay for acting politically.
To finish, I would like to suggest that this inability to account for the nature of the political decision in the authors I have just examined is linked to the way they conceive the political as common action and envisage pluralism on the mode of the valorisation of multiplicity. This is what leads them to elude the constitutive role of conflict and antagonism. On the contrary, the other vision of the political, the one from which my work proceeds, recognises the constitutive character of social division and the impossibility of a final reconciliation. The two conceptions affirm that in modern democracy ‘the people’ can no longer be considered as ‘one’; but whereas in the first perspective it is seen as ‘multiple’, in the second it is understood as ‘divided’. The thesis I defend is that only once the ineradicable character of division and antagonism is recognised does it become possible to think in a properly political manner.
—
Chantal Mouffe (b. 1943) is a political theorist educated at the universities of Louvain, Paris, and Essex and a Professor of Political Theory at the University of Westminster. She has taught at many universities in Europe, North America and Latin America, and has held research positions at Harvard, Cornell, the University of California, the Institute for Advanced Study in Princeton, and the Centre National de la Recherche Scientifique in Paris. Between 1989 and 1995 she was Directrice de Programme at the College International de Philosophie in Paris. Professor Mouffe is the editor of Gramsci and Marxist Theory, Dimensions of Radical Democracy, Deconstruction and Pragmatism, and The Challenge of Carl Schmitt; co-author (with Ernesto Laclau) of Hegemony and Socialist Strategy: Towards a Radical Democratic Politics (1985); and author of The Return of the Political (1993), and The Democratic Paradox (2000). Her latest work is On the Political published by Routledge in 2005. She is currently elaborating a non-rationalist approach to political theory; formulating an ‘agonistic’ model of democracy; and engaged in research projects on the rise of right-wing populism in Europe and the place of Europe in a multi- polar world order.
00:05 Publié dans Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philosophie, agonalité, théorie politique, chantal mouffe, politologie, philosophie politique, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Le totalitarisme inversé
Source : Sheldon Wolin, The Nation
Ex: http://www.les-crises.fr
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Imaginez comme cela paraîtrait étrange de devoir parler de “la Constitution de l’Empire américain” ou de “démocratie de superpuissance”. Des termes qui sonnent faux parce que “Constitution” signifie limitations imposées au pouvoir, tandis que “démocratie” s’applique à la participation active des citoyens à leur gouvernement et à l’attention que le gouvernement porte à ses citoyens. Les mots “empire” et “superpuissance” quant à eux sont synonymes de dépassement des limites et de réduction de la citoyenneté à une importance minuscule.
Le pouvoir croissant de l’état et celui, déclinant, des institutions censées le contrôler était en gestation depuis quelque temps. Le système des partis en donne un exemple notoire. Les Républicains se sont imposés comme le phénomène unique dans l’Histoire des États-Unis d’un parti ardemment dogmatique, fanatique, impitoyable, antidémocratique et se targuant d’incarner la quasi-majorité. A mesure que les Républicains se sont faits de plus en plus intolérants idéologiquement parlant, les Démocrates ont abandonné le terrain de la gauche et leur base électorale réformiste pour se jeter dans le centrisme et faire discrètement connaître la fin de l’idéologie par une note en bas de page. En cessant de constituer un véritable parti d’opposition, les Démocrates ont aplani le terrain pour l’accès au pouvoir d’un parti plus qu’impatient de l’utiliser pour promouvoir l’empire à l’étranger et le pouvoir du milieu des affaires chez nous. Gardons à l’esprit qu’un parti impitoyable, guidé par une idéologie et possédant une base électorale massive fut un élément-clé dans tout ce que le vingtième siècle a pu connaître de partis aspirant au pouvoir absolu.
Les institutions représentatives ne représentent plus les électeurs. Au contraire, elles ont été court-circuitées, progressivement perverties par un système institutionnalisé de corruption qui les rend réceptives aux exigences de groupes d’intérêt puissants composés de sociétés multinationales et des Américains les plus riches. Les institutions judiciaires, quant à elles, lorsqu’elles ne fonctionnent pas encore totalement comme le bras armé des puissances privées, sont en permanence à genoux devant les exigences de la sécurité nationale. Les élections sont devenues des non-évènements largement subventionnés, attirant au mieux une petite moitié du corps électoral, dont l’information sur les affaires nationales et mondiales est soigneusement filtrée par les médias appartenant aux firmes privées. Les citoyens sont plongés dans un état de nervosité permanente par le discours médiatique sur la criminalité galopante et les réseaux terroristes, par les menaces à peine voilées du ministre de la justice, et par leur propre peur du chômage. Le point essentiel n’est pas seulement l’expansion du pouvoir du gouvernement, mais également l’inévitable discrédit jeté sur les limitations constitutionnelles et les processus institutionnels, discrédit qui décourage le corps des citoyens et les laisse dans un état d’apathie politique.
Il ne fait aucun doute que d’aucuns rejetteront ces commentaires, les qualifiant d’alarmistes, mais je voudrais pousser plus loin et nommer le système politique qui émerge sous nos yeux de “totalitarisme inversé”. Par “inversé”, j’entends que si le système actuel et ses exécutants partagent avec le nazisme la même aspiration au pouvoir illimité et à l’expansionnisme agressif, leurs méthodes et leurs actes sont en miroir les uns des autres. Ainsi, dans la République de Weimar, avant que les nazis ne parviennent au pouvoir, les rues étaient sous la domination de bandes de voyous aux orientations politiques totalitaires, et ce qui pouvait subsister de démocratie était cantonné au gouvernement. Aux États-Unis, c’est dans les rues que la démocratie est la plus vivace – tandis que le véritable danger réside dans un gouvernement de moins en moins bridé.
Autre exemple de l’inversion : sous le régime nazi, il ne faisait aucun doute que le monde des affaires était sous la coupe du régime. Aux États-Unis, au contraire, il est devenu évident au fil des dernières décennies que le pouvoir des grandes firmes est devenu si dominant dans la classe politique, et plus particulièrement au sein du parti Républicain, et si dominant dans l’influence qu’il exerce sur le politique, que l’on peut évoquer une inversion des rôles, un contraire exact de ce qu’ils étaient chez les nazis. Dans le même temps, c’est le pouvoir des entreprises, en tant que représentatif du capitalisme et de son pouvoir sans cesse en expansion grâce à l’intégration de la science et de la technologie dans sa structure même, qui produit cette poussée totalitaire qui, sous les nazis, était alimentée par des notions idéologiques telles que le Lebensraum.
On rétorquera qu’il n’y a pas d’équivalent chez nous de ce que le régime nazi a pu instaurer en termes de torture, de camps de concentration et autres outils de terreur. Il nous faudrait toutefois nous rappeler que, pour l’essentiel, la terreur nazie ne s’appliquait pas à la population de façon générale ; il s’agissait plutôt d’instaurer un climat de terreur sourde – des rumeurs de torture – propre à faciliter la gestion et la manipulation des masses. Pour le dire carrément, il s’agissait pour les nazis d’avoir une société mobilisée, enthousiaste dans son soutien à un état sans fin de guerre, d’expansion et de sacrifices pour la nation.
Tandis que le totalitarisme nazi travaillait à doter les masses d’un sens du pouvoir et d’une force collectifs, Kraft durch Freude (“la Force par la Joie”), le totalitarisme inversé met en avant un sentiment de faiblesse, d’une inutilité collective. Alors que les nazis désiraient une société mobilisée en permanence, qui ne se contenterait pas de s’abstenir de toute plainte, mais voterait “oui” avec enthousiasme lors des plébiscites récurrents, le totalitarisme inversé veut une société politiquement démobilisée, qui ne voterait quasiment plus du tout. Rappelez-vous les mots du président juste après les horribles évènements du 11 septembre : “unissez-vous, consommez, et prenez l’avion”, dit-il aux citoyens angoissés. Ayant assimilé le terrorisme à une “guerre”, il s’est dispensé de faire ce que des chefs d’États démocratiques ont coutume de faire en temps de guerre : mobiliser la population, la prévenir des sacrifices qui l’attendent, et appeler tous les citoyens à se joindre à “l’effort de guerre”.
Au contraire, le totalitarisme inversé a ses propres moyens d’instaurer un climat de peur générale ; non seulement par des “alertes” soudaines, et des annonces récurrentes à propos de cellules terroristes découvertes, de l’arrestation de personnages de l’ombre, ou bien par le traitement extrêmement musclé, et largement diffusé, des étrangers, ou de l’île du Diable que constitue la base de Guantanamo Bay, ou bien encore de la fascination vis-à-vis des méthodes d’interrogatoire qui emploient la torture ou s’en approchent, mais également et surtout par une atmosphère de peur, encouragée par une économie corporative faite de nivelage, de retrait ou de réduction sans pitié des prestations sociales ou médicales ; un système corporatif qui, sans relâche, menace de privatiser la Sécurité Sociale et les modestes aides médicales existantes, plus particulièrement pour les pauvres. Avec de tels moyens pour instaurer l’incertitude et la dépendance, il en devient presque superflu pour le totalitarisme inversé d’user d’un système judiciaire hyper-punitif, s’appuyant sur la peine de mort et constamment en défaveur des plus pauvres.
Ainsi les éléments se mettent en place : un corps législatif affaibli, un système judiciaire à la fois docile et répressif, un système de partis dans lequel l’un d’eux, qu’il soit majoritaire ou dans l’opposition, se met en quatre pour reconduire le système existant de façon à favoriser perpétuellement la classe dirigeante des riches, des hommes de réseaux et des corporations, et à laisser les plus pauvres des citoyens dans un sentiment d’impuissance et de désespérance politique, et, dans le même temps, de laisser les classes moyennes osciller entre la peur du chômage et le miroitement de revenus fantastiques une fois que l’économie se sera rétablie. Ce schéma directeur est appuyé par des médias toujours plus flagorneurs et toujours plus concentrés ; par l’imbrication des universités avec leurs partenaires privés ; par une machine de propagande institutionnalisée dans des think tanks subventionnés en abondance et par des fondations conservatrices ; par la collaboration toujours plus étroite entre la police locale et les agences de renseignement destinées à identifier les terroristes, les étrangers suspects et les dissidents internes.
Ce qui est en jeu, alors, n’est rien de moins que la transformation d’une société raisonnablement libre en une variante des régimes extrémistes du siècle dernier. Dans de telles circonstances, les élections nationales de 2004 constituent une crise au sens premier du terme, un tournant. La question est : dans quel sens ?
Source : Sheldon Wolin, The Nation, le 26/02/2012
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
00:05 Publié dans Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : totalitarisme inversé, totalitarisme, contre-utopie, dystopie, sheldon wolin, théorie politique, sciences politiques, politologie, philosophie, philosophie politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 18 mai 2016
L’ère de la pyropolitique a commencé…
Robert Steuckers :
L’ère de la pyropolitique a commencé…
Qu’entendent les quelques politologues contemporains par « pyropolitique », concept qui vient d’être formé, notamment par le Professeur Michael Marder (cf. infra) ? Pour comprendre le contexte dans lequel ce vocable nouveau a émergé, il convient d’explorer deux domaines particuliers, exploration qui nous permettra de cerner le contenu même de la pyropolitique : le premier de ces domaines est celui de la théologie politique, avec, notamment, les réflexions de Juan Donoso Cortès sur le libéralisme, le socialisme et le catholicisme (posé, dans son œuvre, comme la « Tradition » à l’état pur) ; il faudra aussi, en explorant ce domaine de la théologie politique, relire les textes où Carl Schmitt affirme que tout concept politique moderne recèle en lui-même, quelque part, une racine théologique ; deuxième domaine à explorer dans l’œuvre politologique de Carl Schmitt : le corpus dans lequel le juriste de Plettenberg pose les confrontations du monde contemporain comme un choc permanent entre forces élémentaires brutes, de pré-socratique mémoire, en l’occurrence l’affrontement entre l’élément Terre et l’élément Eau. Toute expression réelle du politique (« das Politische ») étant, dans cette optique, une expression du facteur élémentaire « Terre », le politique en soi ne pouvant avoir qu’un ancrage tellurique, continental. Le véritable homme politique est alors une sorte de géomètre romain, explique Carl Schmitt dans son Glossarium publié après sa mort. Un géomètre qui mesure et organise le territoire qui tombe sous sa juridiction.
Suite aux deux défaites allemandes de 1918 et de 1945, la Terre n’a plus été l’élément dominant de la politique mondiale : elle a été remplacée par l’Eau, élément du Léviathan thalassocratique. D’où Carl Schmitt démontre quelle dialectique subversive et mortifère se profile derrière la lutte de la Terre (« Land ») contre la Mer (« Meer »). L’Eau/la mer arrache finalement la victoire au détriment des forces telluriques et des puissances continentales. Dans son Glossarium, Carl Schmitt insiste lourdement sur les effets désastreux, pour toute civilisation, de l’écrasante victoire de l’hydropolitique américaine.
« Pyros » signifie « feu » en grec ancien et représente un autre élément fondamental selon Michael Marder, qui combine en son sein plusieurs aspects : celui d’un feu omni-dévorant, aux flammes destructrices, mais aussi des corollaires comme la lumière et la chaleur, aspects autres, et tout aussi fondamentaux, de l’élément « feu ». Si Schmitt avait campé le choc animant la scène internationale comme le choc entre les deux éléments « Eau » et « Terre », cela ne signifie pas que les éléments « air » et « feu » n’existaient pas, ne jouaient aucun rôle dans le politique, même si cela ne transparaissait pas aussi clairement aux époques vécues par Schmitt.
L’élément « Feu » recouvre dès lors plusieurs significations : il est la force brûlante/dévorante de la destruction (que l’on retrouve dans les révolutions anti-traditionnelles) ; il est aussi la « lumière-sans-chaleur » de l’idéologie des Lumières ou encore la chaleur couvant sous la cendre, celle de la révolte silencieuse contre les institutions abstraites et anti-traditionnelles issues des divers corpus modernistes du 18ème siècle des Lumières.
Dès le moment historique où il n’y a plus aucun territoire vierge à conquérir et à organiser sur la planète (voir les thèses de Toynbee à ce sujet), à la mode tellurique/continentale des géomètres romains, la « Terre », en tant qu’élément structurant du véritable politique, cède graduellement sa place prépondérante, non seulement à l’Eau mais aussi au Feu. L’Eau est l’élément qui symbolise par excellence le libéralisme marchand des thalassocraties, des sociétés manchestériennes, des ploutocraties : voilà pourquoi un monde dominé par l’élément Eau refuse de reconnaître limites et frontières, les harmonies paisiblement soustraites à toute fébrilité permanente (Carl Schmitt rappelle dans son Glossarium que qui cherche le repos, immobile, en mer coule et se noie). Il n’y a plus d’ « otium » (de repos fructueux, d’introspection, de méditation, de transmission sereine) possible, il n’y a plus que du « neg-otium » (de la nervosité fébrile, des activités matérielles, acquisitives et cumulantes, sans repos). Seul ce « neg-otium » permanent et ubiquitaire survit et se développe de manière anarchique et exponentielle, submergeant tout sous son flux. Nous vivons alors dans des sociétés ou une accélération sans arrêt (Beschleunigung) domine et annule toutes les tentatives raisonnables de procéder à une « décélération » (Entschleunigung). Dans cette perspective, toute véritable pensée écologique, et donc non politicienne, vise à ramener l’élément Terre à l’avant-plan de la scène où se joue le politique (même si la plupart de ces menées écologiques sont maladroites et empêtrées dans des fatras de vœux pieux impolitiques).
La domination de l’hydropolitique, par l’intermédiaire des superpuissances maritimes, conduit donc à la dissolution des frontières, comme nous pouvons très clairement le percevoir aujourd’hui, à la suprématie mondiale de l’économique et aux règles hypermoralistes du nouveau droit international, inauguré par le wilsonisme dès la première guerre mondiale. L’économique et l’hypermoralisme juridique étant diamétralement contraires aux fondements du politique vrai, c’est-à-dire du politique tellurique et romain.
Cependant, même si la Terre est aujourd’hui un élément dominé, houspillé, cela ne veut pas dire qu’elle cesse d’exister, de constituer un facteur toujours potentiellement virulent : elle est simplement profondément blessée, elle gémit dans une hibernation forcée. Les forces hydropolitiques cherchent à détruire par tous moyens possibles cette terre qui ne cesse de résister. Pour parvenir à cette fin, l’hydropolitique cherchera à provoquer des explosions sur les lambeaux de continent toujours résistants ou même simplement survivants. L’hydropolitique thalassocratique va alors chercher à mobiliser à son profit l’élément Feu comme allié, un Feu qu’elle ne va pas manier directement mais confier à des forces mercenaires, recrutées secrètement dans des pays ou des zones urbaines en déréliction, disposant d’une jeunesse masculine surabondante et sans emplois utiles. Ces forces mercenaires seront en charge des sales boulots de destruction pure, de destruction de tout se qui ne s’était pas encore laissé submerger.
L’apogée des forces thalassocratiques, flanquées de leurs forces aériennes, a pu s’observer lors de la destruction de l’Irak de Saddam Hussein en 2003, sans que ne jouent ni l’adversaire continental russe ni les forces alliées demeurées continentales (l’Axe Paris-Berlin-Moscou). Il y avait donc de la résistance tellurique en Europe et en Russie.
Mais la guerre contre l’Irak baathiste n’a pas conduit à une victoire totale pour l’agresseur néoconservateur américain. Les puissances thalassocratiques n’étant pas des puissances telluriques/continentales, elles éprouvent toujours des difficultés à organiser des territoires non littoraux comme le faisaient les géomètres romains. Les terres de l’intérieur de l’Irak arabe et post-baathiste résistaient par inertie plus que par volonté de libération, ne passaient pas immédiatement au diapason moderniste voulu par les puissances maritimes qui avaient détruit le pays. Cette résistance, même ténue, recelait sans doute un maigre espoir de renaissance. Or cet intérieur irakien, mésopotamien, doit être maintenu dans un état de déréliction totale : la thalassocratie dominante a eu recours à l’élément Feu pour parfaire cette politique négative. Le Feu est ici l’incendie destructeur allumé par le terrorisme qui fait sauter immeubles et populations au nom d’un fanatisme religieux ardent (« ardent » dérivant du latin « ardere » qui signifie « brûler »). Les attentats terroristes récurrents contre les marchés chiites à Bagdad (et plus tard au Yémen) constituent ici les actions les plus horribles et les plus spectaculaires dans le retour de cette violente pyropolitique. Le même modèle de mobilisation pyropolitique sera appliqué en Libye à partir de 2011.
Lorsque l’on refuse les compétences du géomètre, ou qu’aucune compétence de géomètre n’est disponible, et lorsque l’on ne désire pas créer un nouvel Etat sur les ruines de celui que l’on a délibérément détruit, nous observons alors une transition vers une pyropolitique terroriste et destructrice. L’ex-élite militaire baathiste, dont les objectifs politiques étaient telluriques, ont été mises hors jeu, ont cherché emploi et vengeance : elles ont alors opté pour la pyropolitique en créant partiellement l’EIIL, l’Etat islamique, qui s’est rapidement propagé dans le voisinage immédiat de l’Irak meurtri, aidé par d’autres facteurs et d’autres soutiens, aux intentions divergentes. Aux sources de l’Etat islamique, nous trouvons donc des facteurs divergents : une révolte (assez légitime) contre le chaos généré par l’agression néoconservatrice menée par les présidents Bush (père et fils) et une manipulation secrète et illégitime perpétrée par les puissances hydro- et thalassopolitiques et leurs alliés saoudiens. L’objectif est de mettre littéralement le feu aux pays indésirables, c’est-à-dire aux pays qui, malgré tout, conservent une dimension politique tellurique. L’objectif suivant, après la destruction de l’Irak et de la Syrie, sera d’amener le Feu terroriste chez les concurrents les plus directs du monde surdéveloppé : en Europe d’abord, aujourd’hui havre de réfugiés proche- et moyen-orientaux parmi lesquels se cachent des terroristes infiltrés, puis en Russie où les terroristes tchétchènes ou daghestanais sont d’ores et déjà liés aux réseaux wahhabites.
Conclusion : la stratégie thalassocratique de mettre le Feu à des régions entières du globe en incitant à des révoltes, en ranimant des haines religieuses ou des conflits tribaux n’est certes pas nouvelle mais vient de prendre récemment des proportions plus gigantesques qu’auparavant dans l’histoire. C’est là le défi majeur lancé à l’Europe en cette deuxième décennie du 21ème siècle.
La pyropolitique de l’Etat islamique a un effet collatéral : celui de ridiculiser –définitivement, espérons-le- les idéologies de « lumière-sans-chaleur », dérivées des Lumières et professées par les élites eurocratiques. La lumière seule, la trop forte luminosité sans chaleur, aveugle les peuples et ne génère aucune solution aux problèmes nouveaux qui ont été fabriqués délibérément par l’ennemi hydro- et pyropolitique, qui a l’habitude de se déguiser en « allié » indispensable. Toute idéologie politique déterminée uniquement par l’élément « lumière » est aveuglante, dans la perspective qu’inaugure Michael Marder en sciences politiques ; elle est aussi dépourvue de tous sentiments chaleureux, déterminés par l’aspect « chaleur » de l’élément Feu. Cette absence de « chaleur » empêche tout élan correcteur, venu du peuple (du pays réel), et ôte tout sentiment de sécurité. Toute idéologie de « lumière sans chaleur » est, par voie de conséquence, condamnée à échouer dans ses programmes d’organisation des sociétés et des Etats. Les Etats européens sont devenus des Etats faillis (« failed States ») justement parce que leurs élites dévoyées n’adhèrent qu’à des idéologies de « lumière-sans-chaleur ». Dans les circonstances actuelles, ces élites ne sont faiblement défiées que par des mouvements plus ou moins populistes, exigeant le facteur « chaleur » (la Pologne fait exception).
L’Europe d’aujourd’hui subit une double agression, procédant de deux menaces distinctes, de nature différente : la première de ces menaces provient des systèmes idéologico-politiques relevant de la « lumière seule » parce qu’ils nous conduisent tout droit à cet effondrement planétaire dans la trivialité qu’Ernst Jünger avait appelé la « post-histoire ». L’autre menace est plus visible et plus spectaculaire : c’est celle que représente la pyropolitique importée depuis le monde islamisé, littéralement incendié depuis deux ou trois décennies par divers facteurs, dont le plus déterminant a été la destruction de l’Irak baathiste de Saddam Hussein. La pyropolitique de l’Etat islamique vise désormais à bouter le feu aux pays de l’Europe occidentale, tenus erronément pour responsables de l’effondrement total du Proche- et du Moyen-Orient. La pyropolitique de l’Etat islamique est un phénomène complexe : la dimension religieuse, qu’elle recèle, se révolte avec sauvagerie contre l’idéologie dominante de l’Occident et de la globalisation, qui est, répétons-le, une idéologie de lumière froide, de lumière sans chaleur. Exactement comme pourrait aussi se révolter un pendant européen de ce déchaînement féroce de feu et de chaleur, qui agite le monde islamisé. Ce pendant européen viserait alors le remplacement définitif des nuisances idéologiques aujourd’hui vermoulues, qualifiables de « lumière seule ». Le piètre fatras libéralo-eurocratique, condamnant les peuples au dessèchement et au piétinement mortifères et post-historiques, cèderait le terrain à de nouveaux systèmes politiques de cœur et de chaleur. L’avatar néolibéral des idéologies de « lumière seule » cèderait ainsi devant un solidarisme générateur de chaleur sociale, c’est-à-dire devant un socialisme dépouillé de toute cette froideur qu’avait attribué aux communismes soviétique et français Kostas Papaioannou, une voix critique du camp marxiste dans les années 60 et 70 en France.
La pyropolitique salafiste/wahhabite n’est pas seulement une critique, compréhensible, de la froideur des idéologies de la globalisation ; elle recèle aussi un aspect « dévorateur » et extrêmement destructeur, celui qu’ont cruellement démontré les explosions et les mitraillades de Paris et de Bruxelles ou que mettent en exergue certaines exécutions publiques par le feu dans les zones syriennes conquises par l’Etat islamique. Ces attentats et ces exécutions visent à insuffler de la terreur en Europe par le truchement des effets médiatiques qu’ils provoquent.
L’utilisation de ces dimensions-là de la pyropolitique, et le fait qu’elles soient dirigées contre nous, en Europe, constituent une déclaration de guerre à toutes les parties du monde où la religiosité absolue (sans syncrétisme aucun) des wahhabites et des salafistes n’a jamais eu sa place. Le monde, dans leur perspective, est un monde constitué d’ennemis absolus (Dar-el-Harb). Nous faisons partie, avec les orthodoxes russes, les Chinois ou les bouddhistes thaïlandais, de cet univers d’ennemis absolus. Position qu’il nous est impossible d’accepter car, qu’on le veuille ou non, on est toujours inévitablement l’ennemi de celui qui nous désigne comme tel. Carl Schmitt et Julien Freund insistaient tous deux dans leurs œuvres sur l’inévitabilité de l’inimitié politique.
Personne ne peut accepter d’être rejeté, d’être la cible d’un tel projet de destruction, sans automatiquement se renier, sans aussitôt renoncer à son droit de vivre. C’est là que le bât blesse dans l’Europe anémiée, marinant dans les trivialités de la post-histoire : le système politique qui la régit (mal) relève, comme nous venons de le dire, d’une idéologie de lumière sans chaleur, mise au point au cours des cinq dernières décennies par Jürgen Habermas. Cette idéologie et sa praxis proposée par Habermas n’acceptent pas l’idée agonale (polémique) de l’ennemi. Dans son optique, aucun ennemi n’existe : évoquer son éventuelle existence relève d’une mentalité paranoïaque ou obsidionale (assimilée à un « fascisme » irréel et fantasmagorique). Aux yeux d’Habermas et de ses nombreux disciples (souvent peu originaux), l’ennemi n’existe pas : il n’y a que des partenaires de discussion. Avec qui on organisera des débats, suite auxquels on trouvera immanquablement une solution. Mais si ce partenaire, toujours idéal, venait un jour à refuser tout débat, cessant du même coup d’être idéal ? Le choc est alors inévitable. L’élite dominante, constitué de disciples conscients ou inconscients de l’idéologie naïve et puérile des habermassiens, se retrouve sans réponse au défi, comme l’eurocratisme néolibéral ou social-libéral aujourd’hui face à l’Etat islamique et ses avatars (en amont et en aval de la chaîne de la radicalisation). De telles élites n’ont plus leur place au devant de la scène. Elles doivent être remplacées. Ce sera le travail ardu de ceux qui se sont toujours souvenu des enseignements de Carl Schmitt et de Julien Freund.
Robert Steuckers,
Forest-Flotzenberg, mai 2016.
Source: Michael Marder, Pyropolitics: When the World is Ablaze (London: Rowman and Littlefield, 2015).
Lectures complémentaires (articles du Prof. Michael Marder):
"The Enlightenment, Pyropolitics, and the Problem of Evil," Political Theology, 16(2), 2015, pp. 146-158.
"La Política del Fuego: El Desplazamiento Contemporáneo del Paradigma Geopolítico," Isegoría, 49, July-December 2013, pp. 599-613.
"After the Fire: The Politics of Ashes," Telos, 161, Winter 2012, pp. 163-180. (special issue on Politics after Metaphysics)
"The Elemental Regimes of Carl Schmitt, or the ABC of Pyropolitics," Revista de Ciencias Sociales / Journal of Social Sciences, 60, Summer 2012, pp. 253-277. (special issue on Carl Schmitt)
Note à l'attention des lecteurs:
La version originale de ce texte est anglaise et a paru pour la première fois le 6 mai 2016 sur le site américain (Californie): http://www.counter-currents.com dont le webmaster est Greg Johnson qui a eu l'amabilité de relire ce texte et de le corriger. Merci!
La version espagnole est parue sur le site http://www.katehon.com/es , lié aux activités d'Alexandre Douguine et de Leonid Savin. Merci au traducteur!
La version tchèque est parue sur le site http://deliandiver.org . Merci au traducteur!
00:05 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice, Synergies européennes, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michael marder, carl schmitt, robert steuckers, thalassocratie, thalassopolitique, pyropolitique, révolution conservatrice, théorie politique, sciences politiques, politologie, philosophie, philosophie politique, synergies européennes | | del.icio.us | | Digg | Facebook
samedi, 14 mai 2016
Llega la era de la piropolítica
Llega la era de la piropolítica
¿Qué significa cuando los politólogos hablan de "piropolítica"? Hay dos fuentes que explorar con el fin de entender de qué hablan. En primer lugar, uno tiene que investigar todo el ámbito de la teología política, incluyendo el pensamiento de Juan Donoso Cortés sobre el liberalismo, el socialismo, y el catolicismo (el último en ser percibido como Tradición como tal) y, por supuesto, uno debe luego estudiar a fondo la tesis central de Carl Schmitt, que demuestra que todas las ideas políticas tienen un transfondo teológico; en segundo lugar, usted tiene que tomar en consideración la percepción de Schmitt de la política mundial como un choque entre elementos primarios tales como la tierra y el agua. La política real, llamada en genuino alemán como “das Politische”, está necesariamente ligada a la tierra, es continental, y el hombre político verdaderamente eficaz es una especie de geómetra romano que organiza el territorio objeto de su jurisdicción mediante la simple medición del mismo.
Tras las dos derrotas alemanas en 1918 y 1945, la Tierra ya no fue el elemento central de la política mundial y fue reemplazado por el Agua. De ahí la nueva dialéctica subversiva y destructiva del “Land und Meer”, o la Tierra y el Mar, en virtud de la cual el Agua alcanza la victoria al final. El diario de Schmitt editado póstumamente, Glossarium, insiste en gran medida en los efectos destructivos de los victoriosos "hidropolíticos" estadounidenses que todo lo abarcan. "Piros" significa "fuego" en griego, y representa, según Michael Marder (véase más abajo), otro elemento primario que combina no sólo la idea de una llama devoradora/ardiente, sino también los corolarios de "luz" y "calor". Incluso si Schmitt reduce las posibilidades de la política a dos elementos principales (tierra y agua), esto no significa que el fuego o el aire no existan y no jueguen un papel, incluso aun cuando los mismos son menos perceptibles.
Por lo tanto, el "Fuego" significa varios fenómenos: la fuerza ardiente de destrucción (que se encuentra en las revoluciones anti-tradicionales), la "luz-sin-calor" de la Ilustración, o el calor de la revuelta silenciosa contra las instituciones no tradicionales (en abstracto) derivado de varios corpus ideológicos de la ilustración del siglo XVIII.
Una vez que ya no hay territorios vírgenes que conquistar (ver el pensamiento de Toynbee) y subsiguientemente organizada de acuerdo a los mismos principios ligados a la tierra de los geómetras romanos, la Tierra, como elemento estructurante de la verdadera política, es reemplazada gradualmente, no sólo por el Agua, sino también por el Fuego. El Agua, como elemento emblemático del liberalismo, especialmente del tipo manchesteriano, el poder marítimo o plutocracia, no conoce fronteras claras o en reposo positivo (aquellos que descansan hundiéndose en el mar y se ahogan, dijo Schmitt en su Glossarium). Ningún "otium" (el descanso fructífero, la introspección, la meditación) es posible ya, sólo el "neg-otium" (la nerviosidad febril de las actividades materialistas sin descanso) sobrevive y prospera. Vivimos entonces en sociedades donde domina sólo la aceleración incesante ("Beschleunigung") y cancela todos los intentos razonables para desacelerar las cosas (el hermano de Ernst Jünger, Friedrich-Georg, fue el principal teórico de la "desaceleración" o "Entschleunigung", verdadero pensamiento ecológico que es un complicado intento para traer de vuelta el elemento primario Tierra a la escena política mundial).
La dominación de la hidropolítica (el poder marítimo) conduce a la disolución de las fronteras, como se puede observar claramente en la actualidad, y a la supremacía mundial de la economía y de las reglas anti-tradicionales/anti-telúricas/antipolíticas de la ley moral (por ejemplo, el wilsonismo).
No obstante, incluso como un elemento ahora sometido a la dominación, la Tierra no puede ser simplemente eliminada, pero permanece en silencio como si estuviera profundamente herida y en estado de hibernación. Por lo tanto, las fuerzas hidropolíticas se esfuerzan por todos los medios posibles para destruir definitivamente el elemento Tierra tácitamente resistente y, con posterioridad, provocar explosiones en el continente, es decir, movilizar al fuego como un coadyuvante, un fuego que no manipulan ellos mismos, sino que dejan a las fuerzas mercenarias contratadas en secreto para hacer los trabajos sucios en países con una gran cantidad de jóvenes sin trabajo. El vértice del Mar y el poder aéreo pudo observarse después de la destrucción del Irak de Saddam Hussein en 2003, sin la complicidad de aliados y extranjeros (el eje París-Berlín-Moscú). La guerra contra el Irak baasista no resultó una victoria completa para los agresores neocon. Los poderes del Mar, como no son poderes ligados a la Tierra, son renuentes a organizar áreas ocupadas como hicieron los geómetras romanos. Por lo tanto, para mantener a los países vencidos y destruidos en un estado de abandono total, los poderes hidropolíticos movilizaron el elemento fuego, es decir, el terrorismo (con su estrategia de volar a la gente y los edificios, y su ardiente fanatismo religioso - "ardiente" se deriva del latín "Ardere", que significa "quemar"). Los recurrentes ataques terroristas contra mercados del Bagdad chií son las acciones más atroces en este retorno de la violenta piropolítica. El mismo patrón de violencia destructiva total se utilizará más adelante en Libia.
Cuando ninguna de las habilidades del geómetra están disponibles y cuando no hay deseo de crear una nueva categoría de estado para reemplazar el que se ha roto, se observa una transición a la piropolítica. La élite militar baazista ligada a la Tierra del antiguo Iraq también se dirigió a la piropolítica, en parte mediante la creación del ISIS, que se extendió en la zona, siendo al mismo tiempo una revuelta contra el caos generado por la guerra del neoconservador Bush y una manipulación de las fuerzas secretas hidro/ talaso/políticas para dejar en llamas a los países indeseables y, finalmente, difundir el devorador Fuego fanático/terrorista a los territorios de los principales competidores (a Europa como un puerto para los refugiados, entre los cuales se esconden los terroristas, y a Rusia, donde los terroristas chechenos y dagestaníes están directamente vinculados a las redes wahabíes).
La estrategia hidro/talaso/política para establecer zonas enteras en llamas incitando revueltas, el odio religioso, y las enemistades tribales seguramente no es nueva, pero recientemente ha tomado nuevas dimensiones más gigantescas.
La piropolítica del ISIS tiene como efecto colateral la ridícula "luz-sin-calor" característica de las ideologías de la ilustración de las élites eurocráticas. Una luz ciega que no produce verdaderas soluciones para los nuevos problemas que fueron inducidos por la hidro y la piro política del enemigo disfrazado. Una luz cegadora de determinada ideología política que también está desprovista de cualquier "dar calidez", de sentimientos de seguridad, y está obviamente destinada al fracaso. Los estados europeos se vuelven gradualmente Estados fallidos porque se adhieren a la "ideología-sólo-luz", siendo solo débilmente desafiados por los llamados movimientos populistas "exigiendo-calor". Europa está siendo sometida a una doble agresión por parte de dos amenazas: una, de los sistemas ideológicos de "luz-sin-calor" - que conducen a lo que Ernst Jünger define como "post-historia" -, y la otra, de los piropolíticos importados del mundo musulmán anteriormente incendiado por varios factores, entre los cuales la destrucción total del Irak de Saddam es el más determinante. La piropolítica del ISIS tiene por objeto dejar en llamas los países de Europa occidental que se mantienen erróneamente responsables del colapso completo de los países del Cercano y Medio Oriente. La piropolítica del ISIS es, sin embargo, un problema bastante complejo: el elemento religioso en eso se rebela salvajemente contra toda "sólo-luz", determinando la ideología dominante occidental y global y promoviendo una piropolítica alternativa "basada en el calor", exactamente como una contraparte europea que también tendría como objetivo sustituir las anticuadas y sombrías molestias ideológicas "sólo-luz", por sistemas políticos más cálidos y abiertos de corazón. El avatar neoliberal de la ideología "sólo-luz" debe ser por lo tanto sustituido por un solidarismo "que-da-calor", es decir, el socialismo que debe perder todo el "frío" que fue atribuido al comunismo soviético o francés por Kostas Papaioannou, una voz crítica interna del comunismo en los años 60 y 70 en Francia.
Pero también hay un salvaje y destructivo aspecto "como-en-llamas" en la piropolítica: el ardiente fuego de las explosiones y el traqueteo de las ametralladoras (como en París y Bruselas) y de algunas ejecuciones públicas por el fuego en la Siria ocupada por el ISIS, con el objetivo de encender el miedo en Europa a través del efecto mediático que inevitablemente tenían.
El uso de tales dimensiones de la piropolítica es una declaración de guerra contra el resto del mundo, que se configura como un reino mundial de enemigos totales (Dar-el-Harb), que no puede ser aceptado (como usted es, inevitablemente, el enemigo de todos aquellos que le declaran enemigo - Carl Schmitt y Julien Freund subrayan esto muy claramente en sus obras).
Nadie puede aceptar un rechazo tan radical y feroz sin negarse automáticamente a ellos mismos y su propio derecho a vivir. El problema se hace aún más agudo, ya que todo el sistema establecido por la ideología de "luz-sin-calor" (Habermas) no acepta la idea polémica del "enemigo". A los ojos de los seguidores de Habermas, nunca hay un enemigo; sólo hay interlocutores. Pero si los interlocutores se niegan a discutir, ¿qué ocurre? Los enfrentamientos son entonces inevitables. La elite dominante, como los seguidores del pobre e infantil Habermas, se quedan sin ninguna respuesta al desafío. Tendrán que ser reemplazados. Será la pesada tarea de aquellos que siempre han recordado las enseñanzas de Schmitt y Freund.
Robert Steuckers
Forest-Flotzenberg, May 2016
Fuente: Michael Marder, Pyropolitics: When the World is Ablaze (London: Rowman and Littlefield, 2015).
Further readings (articles of Prof. Michael Marder):
"The Enlightenment, Pyropolitics, and the Problem of Evil," Political Theology, 16(2), 2015, pp. 146-158.
"La Política del Fuego: El Desplazamiento Contemporáneo del Paradigma Geopolítico," Isegoría, 49, July-December 2013, pp. 599-613.
"After the Fire: The Politics of Ashes," Telos, 161, Winter 2012, pp. 163-180. (special issue on Politics after Metaphysics)
"The Elemental Regimes of Carl Schmitt, or the ABC of Pyropolitics," Revista de Ciencias Sociales / Journal of Social Sciences, 60, Summer 2012, pp. 253-277. (special issue on Carl Schmitt)
Note à l'attention des lecteurs:
La version originale de ce texte est anglaise et a paru pour la première fois le 6 mai 2016 sur le site américain (Californie): http://www.counter-currents.com dont le webmaster est Greg Johnson qui a eu l'amabilité de relire ce texte et de le corriger. Merci!
La version espagnole est parue sur le site http://www.katehon.com/es , lié aux activités d'Alexandre Douguine et de Leonid Savin. Merci au traducteur!
00:05 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice, Synergies européennes, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pyropolitique, synergies européennes, robert steuckers, théorie politique, philosophie, philosophie politique, politologie, sciences politiques, révolution conservatrice, carl schmitt, feu | | del.icio.us | | Digg | Facebook
jeudi, 12 mai 2016
Res Publica Europensis
Res Publica Europensis
par Yohann Sparfell
Ex: http://www.in-limine.eu
« L'esclavage prend de graves proportions lorsqu'on lui accorde de ressembler à la liberté »
Ernst Jünger
La modernité a eu pour principe de nous asséner une « vérité » qui aurait été l'ultime vérité: l'humanité aurait atteint ses propres profondeurs en accomplissant son destin. L'histoire serait parvenue à sa fin et nous aurions eu la pleine maîtrise du monde en acquérant la possibilité de le façonner sans limite pour notre usage. Il s'est agit d'une révélation, d'une forme de « religion », dévoyée, dans le sens où au travers elle nous imaginons un monde issu d'une création ; mais d'une création de notre fait, d'une Raison imaginative qui outrepasse le sens de la liberté.
Le Progrès nous a emmené là où nous en sommes actuellement: l'accomplissement de l'humanité, donc en quelque sorte, sa fin, son obsolescence par conséquent. Car en effet, c'est une conséquence dont nous ne pourrions en contester le terme. Le temps fut venu de faire table rase, et d'opposer une prétendue supériorité du post-humain à l'antiquité crasse d'un vieux monde enraciné et... trop humain. La prétendue spiritualité derrière laquelle se cache cet élan maudit de création puis de destruction nihiliste est bien dans l'air du moment, mais plutôt au sens où elle n'est plus attachée à rien, où elle se prend d'une irrésistible envie de voler entre les nuages des rêves de puissances et des désirs de se prendre pour Dieu. Mais alors, est-ce encore une spiritualité ? Cela en tient lieu à partir du moment où elle tâche de nous « élever » vers une croyance envers un monde où l'homme, sans limite, aurait la maîtrise de tout ce qui l'entoure, de lui-même, de sa propre vie comme de sa mort. Mais il faut bien distinguer la croyance du mirage. Et la spiritualité des temps postmodernes, aboutissement de la modernité « libérée » des croyances et des dogmes surannées, n'existe qu'en rapport au mirage, parce qu'elle ne pose d'emblée aucune limite à son champs d'action, à sa tendance à fonder un monde-exutoire pour l'individu « libéré ». Une spiritualité qui rend honneur aux instincts insatiables de l'homme, qui tend à l'abaisser et non à l'élever, bref, une spiritualité à l'envers. Nous pourrions dire à son propos qu'elle n'est donc pas liée à une espérance céleste de l'homme, qu'elle ne se situe pas sur les sommets, mais a contrario au sein des profondeurs liquides où tout se mêle, se confond, et où rien d'autre ne compte que l'illusion d'une indépendance conquise au prix du sang des peuples de l'Europe qui a porté pourtant en son sein, originellement, un tout autre humanisme.
En sacrifiant à une « spiritualité » dévoyée, à un « humanisme dévergondé », l'on pèche effectivement par excès, et l'on met en péril l'âme et l'équilibre de notre civilisation et, aussi, la terre qui la porte depuis des millénaires : l'Europe. Comment pourrions-nous sauver, en la réaffirmant, cette civilisation qui porte en elle l'espoir sans fin d'un humanisme garant de la personne et de sa singularité ? En nous y inspirant de nouveau – une fois évacuée le pseudo-humanisme des Lumières et des droits-de-l-homme – afin de prendre goût et passion, de nouveau, pour le soin et le progrès de notre Europe et de ceux qui la font depuis des générations. Mais quelle est cette Europe que nous pourrions fonder si tant est que nous en ayons encore la force ?
La singularité
À partir du moment où il nous fallut engendrer un monde pour l'homme « libéré » de ses attaches et de ses appartenances, il fallut bien dans le même temps engendrer cet homme lui-même. Si l'homme n'est plus cette créature qui se doit de rendre grâce à son Créateur, en poursuivant sans fin sa quête de vérité, alors il tend à devenir le créateur lui-même, celui d'un monde fait à son image, ou du moins à celle qu'il imagine être la sienne.
Notre monde, celui de la modernité, a ceci d'étrange qu'il est bel et bien le nôtre, celui issu des délires de nos imaginations idéologiques depuis près de trois cent ans. Mais comme tout ce qui est conçu, il se devait d'être achevé, de tendre vers une sorte de perfection. Ainsi le monde est devenu une certitude, rassurante. Il est devenu possible tout à coup de pouvoir le concevoir, c'est-à-dire de se donner la possibilité d'en extraire toutes les fonctions sous des formes mathématiques – les mathématiques ne sont pas l'expression tout entière de la vérité mais seulement un langage permettant de modéliser la réalité telle que l'on est supposément capable de le faire à un moment donné. Ainsi, le monde est explicable, commensurable, limité. Il devient par conséquent possible d'atteindre la « vérité », et enfin pense-t-on de pouvoir se reposer, s'endormir sous les fatras de nos rêves utopiques.
Dans un monde ainsi imaginé, il n'y a plus de place pour l'incertitude, l'intranquilité, la quête de sens. Il n'y a plus qu'une immanence froide au sein de laquelle se doit de se loger l'humain, d'y demeurer. Et c'est ainsi que les demeurés tendent à se ressembler en se rassemblant dans un esprit grégaire. L'individu est né par le fait qu'il fallait qu'il s'adapte, non pas tant à ses conditions réelles, biologiques, sociales, politiques, mais à des préjugés pour lesquels il tendit à s'uniformiser. Le « tous pareil » fut le nouveau credo d'une modernité qui, de par sa nécessité de rationaliser son espace, et son temps, engagea la création d'un homme-individu d'une espèce bien déterminée. Au nom d'un tel monde, de telles certitudes « scientifiques », que n'avons-nous pas brisé comme espérances ? Combien d'étoiles n'avons-nous pas éteintes, étouffées par une « vérité » suffocante ?
Bien entendu, tout monde humain appelle une certaine normativité des comportements, une certaine homogénéité des mœurs, au nom de principes communs. Mais ceci ne fonde en aucune manière une uniformité du cœur des hommes. Chacun de ceux-ci en effet est invité par notre tradition gréco-chrétienne européenne à une recherche personnelle de la vérité, tout en maintenant le soucis constant d'adhérer à des valeurs civilisationnelles. Le principe de cette adhésion est donc d'assurer et d'accroître idéalement la pluralité des formes personnelles et collectives de quêtes pour la vérité. La vérité n'étant pas définissable en dernier lieu - par conséquent elle se dérobe perpétuellement lorsque l'on tente de la figer - l'identité ne peut se définir que conditionnellement. Cette dernière n'est qu'une forme que prend une résolution face à la responsabilité qu'a une communauté humaine, dans le temps et en un lieu, d'absorber la diversité sous une nécessité ontologique : celle de la quête de vérité et du maintien de l'espérance dans la vie de cette communauté. L'identité en ce cas est liée à l'émergence et la diffusion de l'énergie émanant de la diversité humaine au sein de l'interrelation formée par la communauté. Tout le contraire d'une identité conçue comme imposition d'une forme d'espérance qui s'apparente bien plus à un destin commun soumettant chaque homme à un but. Dans le premier cas, la dynamique vitale émerge du moyen qu'à l'homme de progresser, dans le second, cette dynamique s'essouffle dans le but imposé.
Ce but nous ramène à l'individu et à ce qui l'identifie à un autre individu : la défense de son intérêt. Au nom de ce préjugé, car c'en est un, nul nécessité ne peut apparaître quant au maintien de la diversité culturelle et personnelle au sein de l'humanité, sinon de façon exutoire – le ressentiment dû à la vue provocante de ce qui paraît différent. L'utilitarisme effrénée pour lequel on a fondé un monde uniforme et figé, et le doute insupportable dans lequel s'enfonce la civilisation postmoderne vis-à-vis de la croyance en la toute-puissance de l'intérêt individuel comme moteur de ce monde, pousse désormais l'individu européen à ne plus croire en lui-même. Il ne peut plus se situer dans une civilisation singulière et devient par là-même flottant, « liquide » comme disait ZigmuntBauman.
Il ne peut en être de même de la personne, enracinée dans une réalité, une civilisation, une certaine forme d'espérance. Il ne peut en être de même de celui pour qui le chemin mérite plus nos attentions que le but à atteindre qui toujours véritablement se dissipera à mesure que l'on s'imaginera l'approcher. Le monde ne se construit qu'illusoirement d'après nos mythes. S'il était particulièrement courant de le faire en des temps très anciens, aujourd'hui nous le faisons en nous appuyons sur une « raison » disproportionnée, en rejetant toute limite pourtant inhérente à notre réalité. Nous avons mis sur pied un système de pensée inventant un monde à notre usage. Ce monde n'est plus celui de la personne, d'un homme conscient de ses propres limites, mais de l'individu mu par ses seules envies d'avoir la pleine maîtrise sur son destin.
Chaque personne est pour elle-même une parcelle d'absolu, et pour le monde une parcelle de relativité. C'est la raison pour laquelle son accomplissement représente à l'égard de la « personnalité » de Dieu une nécessité, une sorte d'obligation vis-à-vis du reste de la Création – et par conséquent du reste de la communauté dont est membre la personne. Entraver cette liberté, car il s'agit là de la seule et véritable liberté, revient à nier la présence de Dieu dans l'Univers, le monde en Dieu et Dieu en chaque partie du monde. L'accomplissement est la dynamique qui porte le « monde » - l'univers comme les mondes humains – et la personne possède en elle-même cette capacité « naturelle » à pouvoir se déployer, à l'image, inversée, de Dieu par l'Univers ; c'est en cela que l'éducation a un rôle si fondamental et profond au sein d'une civilisation comme la nôtre en Europe et qu'il est nécessaire d'élever au rang de priorité pour sa nouvelle renaissance.
Si l'homme ne prend pas acte de cette nécessité, il n'octroie au monde, par répercussion, qu'une « valeur » insignifiante, et surtout insensée – d'où alors la possibilité d'en exploiter les ressorts. Le sens que collectivement, en tant que civilisation, nous donnons au monde, à notre monde, est lié au sort que nous réservons à la personne, au respect, ou non, de sa singularité. De la pluralité des aventures personnelles naît un monde dont les principes, les valeurs, reposent sur la liberté et l'intensité par lesquelles ont pu, et peuvent, s'accomplir ces aventures en harmonie avec toutes les autres.
Des singularités qui ont la faculté de pouvoir s'affirmer, s'épanouir autant que faire ce peut, portées par l'espérance en l'avenir, cela procède d'une singularité générale de cette civilisation qui donne à l'humain une place plus haute, et différenciée par rapport au reste de la Création, que n'apporte aucune autre civilisation. Ainsi en est-t-il de notre civilisation européenne. Au regard de ce principe au moins deux fois millénaire, l'Europe est digne de se donner par elle-même en ce troisième millénaire naissant une organisation sociale, politique et « religieuse » qui la pousse en avant sur la voie de l'espérance et de la puissance.
L'autonomie personnelle et communautaire
L'homme n'est une personne qu'à partir du moment où il s'intègre, consciemment ou pas - et consciemment est pour le mieux - aux communautés qui lui apportent les soutiens nécessaires à sa propre réalisation. Ces soutiens, quels sont-ils ? L'ensemble de ce qui peut lui permettre de s'affirmer parmi les siens (éducation, savoirs, etc) et par la suite, de lui donner l'occasion de saisir ces opportunités de la vie par lesquelles il aura la chance de s'élever par-delà lui-même et ainsi dépasser ses appartenances. Ce dépassement n'est pas une négation. Élever un être humain, ce n'est pas le jeter dans les airs. C'est tout au contraire l'accompagner vers son accomplissement et l'affirmation de sa propre personnalité, irréductible à tout autre. C'est en cela que la personne « dépasse » ses appartenances : par l'assomption de l'ensemble de ses identités, telles que définies prioritairement plus haut.
Mais un tel paradigme ne peut se concevoir que si l'on se réfère à un certain progrès accompli au sein des communautés humaines. Faire mention à ce moment d'un progrès humain lié à la faculté pour les singularités d'accéder à leur auto-réalisation, c'est de notre part s'attacher à des valeurs qui sont celles de la civilisation européenne : l'homme doit trouver en lui-même les ressources qui lui permettront de se dépasser et de trouver son Salut. Cela implique de ne plus seulement se référer aux mythes fondateurs de notre civilisation, incontournables d'une certaine façon, mais à ce qui fonde l'âme de cette civilisation : la quête pour la vérité. Le monde, tout comme l'homme, comme chaque personne, reste toujours à découvrir, par nous-même, par lui-même, par elle-même. Mais il ne s'avère possible de le faire que si l'on a les pieds bien ancrés sur notre sol, dans la réalité qui nous fonde et peut être à même de nous élever par la suite. La vie est une recherche, de soi-même et de la vérité sur le monde, et il n'est possible de la mener qu'en accédant à une plus ou moins grande part d'autonomie. Et l'autonomie n'est pas l'indépendance, ni l'autarcie. Elle peut se concevoir comme une dialectique.
L'auto-réalisation implique une connaissance préalable de soi, une recherche de la vérité qui n'est pas dirigée uniquement vers l'extérieur de soi, mais aussi vers l'intérieur. Connaissance et vérité, renaître au travers de l'assomption de ce que l'on est véritablement, c'est ce qui stimule l'espérance. C'est aussi ce qui nous porte vers l'autonomie, vers une maturation et l'élévation de l'esprit, vers la possibilité de se désenclaver de sa « gangue » tout en restant soi-même, en bref, d'exister – ex, hors, du stare, immobilité. C'est proprement affirmer son identité personnelle, tout en donnant aux identités collectives qui ont nourri les prémisses de notre humanité la valeur de repères dans le cheminement de la vie - nous ne saurions partir de rien mais toujours d'un « là ». « Connais-toi toi-même ! », à condition de pouvoir en permanence se ressourcer à ce qui alimente notre besoin de nous enraciner dans une réalité rassurante : nos communautés d'origine.
La vérité est unique, mais diverse la façon de l'aborder. Et tant que cette diversité existe, existera aussi l'espérance d'approcher toujours plus de la vérité, pas à pas, munis de notre propre vision du monde. Ainsi armés, nous pouvons avancer sur le chemin de nos accomplissement personnelles, de notre autonomie, tout en enrichissant nos communautés de nos expériences et de nos diversités. En se découvrant soi-même, l'on découvre l'autre, le prochain, ceux de sa race, de son métier, de sa patrie, puis l'on peut alors partir à la découverte du lointain, l'aborder en toute confiance, de soi-même et de ses propres capacités.
Comme nous l'avons dit plus haut, la quête d'autonomie est une dialectique : nos communautés sont les soutiens nécessaires, les sources de nos espérances, les causes immobiles de nos engagements, tandis que ces derniers représentent des sauts dans l'inconnu qui sont autant d'espoirs vers une élévation de nos âmes. La liberté, lorsqu'elle n'est pas dévoyée, s'alimente de ce besoin irrésistible de dépasser les immobilismes inhérents à ce qui existe depuis fort longtemps, à ce que les hommes ont fondée depuis les temps immémoriaux. Mais elle ne peut le faire qu'en sachant très bien qu'il lui faut pourtant s'y appuyer, s'y inspirer afin de, non pas engendrer le même, mais quelque chose de toujours supérieur, quand bien même cela ne serait que faux-pas.
Les communautés ont besoin de vivre par elle-même, en toute autonomie. Et elles ne peuvent construire cette autonomie que si elles permettent à leurs membres d'accéder eux-mêmes à une part la plus large d'autonomie. Ce qui implique une responsabilité de leur part, et de la part des communautés à leur égard. Tout ceci va évidemment à l'encontre, radicalement, des tendances actuelles au sein de notre monde individualiste. C'est que les hommes y sont sensés être hommes par eux-mêmes, en ne considérant que leur nature organique, et en niant les attaches qui pourtant les a fait être tels. Nul n'est vierge de dettes envers ses prédécesseurs !
L'autonomie, comme beaucoup de concepts de nos jours, est bien mal comprise par nos contemporains. On la confond avec l'indépendance. Or, l'autonomie est cette aptitude à trouver à partir de soi dans son environnement propre les conditions de sa perpétuation et de sa croissance. Elle requiert par conséquent une inter-dépendance entre les divers éléments « habitant » un espace donné. Ce qu'il est important d'admettre, c'est surtout qu'elle implique deux attitudes qui semblent non sans raison antinomiques, mais qui peuvent aussi paraître par certains égards complémentaires : d'une part le besoin de maintenir l'acquis, c'est-à-dire l'instinct féminin de conservation, de compassion, de soin, de statisme, et d'autre part le désir viril de conquête, de victoires, d'extension, d'adaptation aux défis lancés par de nouvelles conditions de vie.
En réalité, l'autonomie est un idéal reposant sur le principe de liberté. La personne qui se construit, qui s'émancipe par la même occasion des lourdeurs de la tradition, trouve en elle-même - à condition d'avoir reçu une éducation le lui permettant – des ressorts singuliers, des aptitudes particulières, qui lui fournissent maintes opportunités de pouvoir s'affirmer et se détacher de la collectivité. En cela, elle se libère. Mais, en se libérant, elle s'attache simultanément d'une autre manière à sa, ou ses communautés, par le biais de la place qu'elle y trouve, et qui lui correspond. Il s'agit là d'une reconnaissance de ses pairs qui lui est à un moment indispensable afin de se voir garantir son statut et sa liberté conquise. L'autonomie est une quête de liberté et de vérité, elle invite à constamment s'engager sur la voie solaire de l'élévation de soi et de l'affirmation de son être, de la conquête tant spirituelle que matérielle, tout en défendant ce qui fonde et perpétue par son pouvoir générateur cette quête : la tradition, la Culture communautaire.
Si l'autonomie est un détachement, celui-ci ne peut être qu'apparent car elle ne trouve de dynamique que dans les communautés qui l'incitent au niveau personnel pour elle-même, pour leur propre autonomie. Une séparation telle qu'on l'entend dans notre époque individualiste et décadente n'est qu'illusion dans la mesure où l'homme séparé, aérien, identique, est une foutaise inventée par des idéologies qui ont pensé que celui-ci n'était avide que de ses intérêts. Or, c'est bien à toute autre chose à laquelle songe l'homme en marche vers son avenir – et non son futur, tout tracé -, quelque chose pour laquelle il serait prêt à donner sa vie en dernier ressort : son honneur, qui soumet sa vertu à l'épreuve.
La tendance naturelle des communautés vers l'autonomie, lorsque bien sûr celle-ci n'est pas contrariée par des assauts extérieurs, se conjugue donc nécessairement avec un ordonnancement des facultés qui la composent. La culture dite « populaire » est un vaste tableau représentant au moyen d'une palette d'expressions diverses et variées la façon traditionnelle de répartir les rôles et compétences, un ordre nécessaire dans une société humaine.
Diversité et inégalité : les deux mamelles de la justice
La diversité humaine, tant eu égard à la personne qu'à ses communautés, est un facteur qui, contrairement à l'approche néo-libérale mercantiliste, doit être vu comme une véritable chance. En effet, dans nos sociétés actuelles consuméristes, la nette tendance est de niveler toutes différences afin d'accroître la possibilité pour les marchés mondialisés de pénétrer l'ensemble des territoires – au sens large – renfermant des consommateurs potentiels (ceux qui ne sont pas solvables n'étant alors soumis qu'au pillage de leurs ressources). Or, dans une toute autre optique, qui est celle d'une élévation du potentiel humain dans un but de véritable progrès, tant spirituel que matériel, le fait même de la diversité humaine avec toutes ses conséquences fournit une base sur laquelle fonder une civilisation plus haute, plus humaine. Nous nous devons d'insister ici sur le fait que cette notion de « progrès » dépend du caractère singulier de la civilisation au sein de laquelle elle fut culturellement - la Kultur - élaborée ; en ce qui nous concerne, il s'agit bien d'une vision européenne qui est la nôtre.
Le déploiement d'énergie qui est à même de pouvoir jaillir de la « base », de l'entrelacement des diverses singularités composant le monde humain, et intégrant la faculté de donner à la notion de progrès un sens aléatoire, non prédestiné, résulte directement d'un ordre fédérateur organisant les forces sociales horizontalement et verticalement. Nous pouvons alors parler d'une certaine vision de la justice, dont le sens aujourd'hui est lié à la soumission aux préjugés sur l'homme, établis depuis près de trois cent ans par des idéologies déconnectées de toute réalité, désincarnées. A contrario du sens moderne qui lui est donné, la justice se rapporte bien plutôt au bon ordre, à la possibilité donnée à chacun de trouver sa place au sein de communautés humaines interdépendantes. De cette condition découle une plus forte probabilité de définir le Bien commun : la dialectique entre le particulier et le collectif dans le sens d'un progrès désiré, et non envié. Tant la diversité des personnes au sein des métiers, des associations professionnelles ou autres, que la diversité des régions et des nations au sein de l'Europe, œuvrent à une plus forte possibilité d'intégration des différences, dans la mesure des règles communes, et à une plus grande puissance d'adaptation et d'efficience de la base vers le haut de toute l'organisation sociale.
Une telle vision des choses ne fait pas abstraction de l'inégalité fondamentale entre les êtres humains. C'est d'ailleurs sur elle que repose une autre conception de la justice, une conception qui fait référence à la réalité, et qui s'efforce de donner à chaque personne la place et le rang qui lui est dû pour une harmonie de l'ensemble. Cette justice croit au respect, et n'ambitionne pas de faire de chacun plus ou autre qu'il ne pourrait être. Une telle démarche va dans le sens d'un accroissement de l'efficacité et de la motivation, tant dans le domaine économique que politique. Du moins pour ce dernier à la condition que l'on en donne une toute autre définition que celle qu'il a pris de nos jours : politique politicienne des partis et d'une pseudo-démocratie. Il y a des personnes dont les aptitudes ne permettent pas de grandes élaborations théoriques ni ne comportent de fortes possibilités d'intégration des données d'une réalité plus ou moins vaste et complexe. Ceux-là n'en sont pas pour autant à mépriser comme a tendance à le faire l'esprit bourgeois. En redonnant toute sa place, son honneur, au travail manuel, et en organisant une saine hiérarchie en son sein et en fonction de chaque métier, il devient alors possible d'éprouver pour la personne un sentiment de satisfaction dans la mesure où elle entrevoit une perspective de reconnaissance.
Nous pouvons en outre ajouter qu'une telle conception peut s'appliquer entre les métiers eux-mêmes dont les différents rôles pourraient alors bénéficier d'une reconnaissance plus globale au sein des communes et des régions. L'œuvre de tel ou tel au sein de l'entité communautaire supérieure aurait alors tout son sens du point de vue du Bien commun. Ce qui s'applique aux corps de métiers peut s'appliquer aussi par exemple aux quartiers au sein des communes, permettant par là-même d'évacuer la vindicte de la « bien-pensance » au sujet d'un « populisme » forcément irrationnel et intolérant. Le principe qui préside à une telle organisation est que chaque singularité puisse s'exprimer et se confronter aux autres dans une recherche perpétuelle d'équilibre et de définition du sens commun à donner à ce que l'on fonde ensemble. Le lien que l'on peut en faire avec la recherche permanente de la vérité n'en devient que plus évident. Il n'y a aucune certitudes sur la nature humaine, seulement des principes à faire évoluer en fonction des situations rencontrées par les différentes communautés et leur interrelation.
L'inégalité n'est donc pas un facteur de ségrégation, d'irrespect ou de mépris, de discrimination, dans une société dont les principes reposent sur l'harmonie entre les différentes singularités humaines. La séparation ne se situe pas entre certains membres de la communauté et les autres, ou entre certaines communautés, telle une indépendance imposée de facto, et d'après une évaluation discriminatoire. Certaines expériences passées ont failli et il ne serait utile de s'en référer que pour en tirer les conclusions qui s'imposent : au-delà de la nécessité de hiérarchiser selon la diversité humaine, il apparaît comme d'une toute autre obligation, d'un autre niveau mais supérieur, d'intégrer cette diversité dans la bonne marche de l'ensemble, dans une vision du Bien commun. C'est cette « obligation » qui émane de nos valeurs en Europe depuis la Grèce antique, qui dirige nos âmes vers toujours plus d'humanité.
Mais il faut bien se garder de considérer toute « obligation » principielle de ce type comme émanant, ici en Europe, d'un quelconque utilitarisme vouant l'humanité à un strict productivisme de « bien-être ». Ce qui serait manquer toute transcendance et n'évoquer que la matérialité immanente en laquelle s'enfermerait toute vie. Nous ne nous intéresserions qu'au chaudron divin Undry et non au dieu Dagda qui donne une toute autre nature à sa divine cuisson que la production indéfini d'être qui peupleront les mondes d'en-bas. Pour grand pourvoyeur de vie qu'il est au travers de ses dons de résurrection et de maître de la Roue cosmique, il est aussi le possesseur de la harpe magique Uaithne, Harmonie ! Cette harmonie, que l'on ne sait possible en ce bas-monde, est en réalité une quête incessante tendue vers la vérité et la perfection. C'est une conscience envers l'Être qui pour être dans le monde dans sa plus infime parcelle, et le monde lui-même dans son entièreté, n'en est pas moins différent du monde car Supérieur à lui.
Par conséquent, après avoir déniché les conditions d'une véritable justice, serait-il souhaitable de préciser d'où elle devrait émaner au sein de la société humaine. Eh bien ce lieu est l'ensemble de la société elle-même, l'interdépendance horizontale et verticale qui structure la diversité des personnes et communautés. Elle ne se déverse pas d'une hauteur imaginaire, d'utopies désincarnées, sur le monde comme un flot de « vérités » par rapport auxquelles il nous faudrait régler autoritairement le monde humain. Les utopies « libérales » des Lumières portaient en elles cet autoritarisme, contrairement à ce qui est admis en leur nom, car elles se sont efforcées d'imposer une vision sur l'homme et une organisation correspondante, au nom de la « liberté », uniquement utilitaristes et contractuelles, donc individualistes. La justice doit être la dynamique du monde, diffusée dans toutes les strates de la société, et mue par l'idée universelle du Bien commun qui s'est inscrite dans nos valeur européennes depuis plus de deux milles ans.
Les lieux et enjeux de l'autorité
S'il peut paraître indispensable au sein d'une société dite « organique » qu'elle soit innervée de l'esprit de justice afin d'en tirer la force nécessaire à sa propre perpétuation, cela ne se peut que dans la mesure où l'autorité est présente à chacune de ses strates et organes. Il est en effet puérile de penser que la justice pourrait comme par enchantement apparaître de l'auto-organisation d'hommes « libres » et égaux. Ceci est un rêve révolutionnaire d'un autre âge désormais. Pour toute justice il faut un garant. L'autorité est justement ce qui apporte la garantie aux hommes et à leurs communautés qu'il leur sera toujours possible d'atteindre à leur accomplissement, à la réalisation d'eux-mêmes eu égard la nécessité et leurs désirs de vie. L'homme ne se suffit pas à lui-même, les communautés de base non plus. Il leur est donc indispensable de partager, d'échanger, de coopérer, de s'entre-aider, de s'affronter dans le but de maintenir et d'approfondir. Mais l'ensemble de ces actions ne peuvent parfois non plus suffire pour mener à bien les buts assignés. Et cela est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit par exemple de jeunes personnes n'ayant en eux ni le savoir et les connaissances requises, ni même une vision claire sur les objectifs qui seraient les leurs en fonction de leur personnalité et aptitudes. Il existe pratiquement et quasi nécessairement pour tout acteur de la société un point d'achoppement en un temps donné de sa vie en lequel il se mettrait volontiers sous les auspices d'une plus haute instance. Nous avons tous besoin à un moment ou à un autre de soutiens et d'encadrement qui nous permettent de palier à ce que nos propres forces ne sauraient fournir. Et nous nous référons en cela à la simple constatation depuis l'origine de l'humanité que l'homme, outre le fait qu'il est limité physiquement et psychiquement, a toutes les peines du monde à s'imposer par lui-même des limites à son action sans qu'il ne soit nécessaire d'en appeler à une entité supérieure, et ce bien souvent vis-à-vis des autres.
L'autorité est cette entité supérieure qui à tous les niveaux de la société devrait garantir et organiser la justice. De la famille à l'État, l'autorité a pour fonction de commander, de dicter la conduite de l'ensemble lorsqu'il s'avère indispensable de faire appel à elle, c'est-à-dire lorsque les membres de la communauté en question ne peuvent plus trouver en eux-mêmes ni les moyens ni la volonté nécessaire afin de parer aux infortunes. L'autorité se doit par conséquent de pouvoir fournir une force supérieure à la somme de celles composant la communauté, en combinant deux éléments : d'une part, l'apport de l'expérience acquise par les générations passées maintenue vivante et concentrée par les élites en chacune des cellules communautaires et, d'autre part, l'irradiation dont peut faire preuve un centre en lequel est contenu comme dans un écrin la conviction, l'espérance, d'hommes assemblées depuis l'origine pour leur propre élévation d'esprit. L'autorité n'est pas effectivement à confondre avec l'autoritarisme, chose somme toute fort courante de nos jours, parallèlement et paradoxalement, du moins en apparence, avec le laxisme. Là où ne se rencontre plus aucune autorité, ne peut alors fleurir comme du pissenlit que son travestissement tout comme le contraire de celui-ci, tous deux issus d'une notion dévoyée de la liberté.
Le manque, inhérent aux hommes et à leur condition, ainsi qu'à ses communautés de bases constituées afin d'y palier jusqu'à un certain degré, est en vérité non aléatoire. C'est un fait constant dont ne saurions que tenir compte dans le but de fonder une société humaine assise sur le réel et non une quelconque utopie. La réalisation totale de l'être implique, par conséquent, de s'insérer, tant pour les hommes que pour ses communautés, dans un ensemble plus vaste de compétences et de rayonnement. Dans ce schéma, l'autorité apparaît pour ce qu'elle est : la médiation entre l'entité sociale et sa possibilité plus haute de réalisation. L'autorité est indispensable au sein d'une société, et d'autant plus que celle-ci est la société européenne que nous voudrions refonder eu égard à notre histoire et notre singularité civilisationnelle, ou en un autre terme : notre « tradition ».
L'autorité est un axe qui relie les hommes entre eux, et ceux-ci à la source de leur tradition. Elle est ce lieu quasi sacré d'où émane l'espérance en la perfection et l'élévation des hommes. Elle est à même de produire envers l'expectative qu'ont les hommes pour leur propre accomplissement - dans un monde sain, cela s'entend – un ordre, une voie de réalisation maintes fois pratiquée et enrichit par la vie et l'œuvre des générations passées. Elle ne saurait donc être confiée aux premiers venus. Chaque communauté aura à reconnaître parmi elle ses meilleurs et plus expérimentés éléments afin d'assurer cette mission. Leur présence suffira alors à donner à l'ensemble de la cohésion et de l'assurance pour l'affirmation possible de chacun. Tout comme les vins, c'est ainsi que l'on se doit de pratiquer l'élevage des hommes : en cultivant silencieusement le terrain de la vie personnelle et commune afin d'en tirer les plus grandes qualités par l'âge et la raison.
L'autorité est donc à la tête de chacune des communautés sociales ce par quoi celles-ci trouvent une cohésion et une protection assez efficace afin de faire perdurer en son sein une synergies entre ses membres. Elle représente pour ceux-ci un moyen et une nécessité du fait de leur insuffisance ontologique. Son rôle n'est donc pas d'être omniprésente, se mêlant de ce que chacun peut accomplir seul ou en coopération sur le même plan, mais de palier à cette insuffisance en organisant l'espace et le temps en lesquels se jouent toutes les actions quotidiennes. L'autorité a un rôle « secondaire » vis-à-vis des membres de la communauté, un secours vers lequel l'on peut tendre à tout moment ou faire appel, tout en étant pourtant l'axe autour duquel tourne toute vie sociale dans un ensemble donné, plus ou moins restreint.
L'enjeu en réalité pour l'autorité au sein d'une communauté est, en complément de ce qui a pu être dit plus haut, d'insuffler la vie politique en celle-ci. Lorsque nous parlons ici de politique, nous ne faisons évidemment pas mention à la tartuferie actuelle qui passe pour en honorer le nom : la vie politicienne concernant surtout ceux qui ont osé réaliser un véritable hold-up sur nos vies au bénéfice d'un ultra-libéralisme des monopoles et autres oligarques. La politique est un art, celui qui sait mettre en œuvre et ordonner les expressions des diverses volontés des personnes prenant part à la vie de l'Agora dans chacune des communautés. La politique est l'autorisation en même temps que la limite : chaque avis, chaque intention se doit de pouvoir s'exprimer, mais à un certain moment il s'avère nécessaire de trancher. C'est à ce moment que l'autorité affirme le plus clairement sa présence, une présence indispensable à l'harmonie de l'ensemble ; ce qui témoigne d'autant plus du rôle incontournable qu'elle a en permanence vis-à-vis de toute construction sociale communautaire quant à la faculté de lui donner une certaine pérennité. Il faut du temps pour construire une autorité, et ceux qui auront la charge d'en assumer le rôle, de la base au sommet de la pyramide hiérarchique, devront être reconnus les premiers.
Les poupées russes de la subsidiarité
La politique, au vrai sens du terme, peut être perçue avec raison comme une forme de consécration de l'autonomie, l'expression d'un vitalisme qui trouve ainsi à apparaître et s'affirmer dans un contexte permettant à chaque participant de se dépasser par la confrontation, la concurrence, la coopération et l'échange. Le sens même de la politique dépasse allègrement les questions liées aux nécessités vitales, mêmes si celles-ci en forment en quelque sorte la trame de départ. L'autorité, outre le fait qu'elle doive maintenir la condition de possibilité d'une vie politique riche dans la communauté, a aussi pour charge d'insuffler sans cesse en son sein l'exigence envers soi-même de dépassement et de réussite. Cela implique, au vue d'une autorité telle que nous l'avons décrite plus haut, que cette « réussite sociale », loin de ressembler au spectacle d'une cupidité arborée ostensiblement, engage moralement ceux qui en bénéficient vis-à-vis de l'ensemble de la communauté. C'est par rapport à cette vision, incluant l'influence quasi spirituelle de l'autorité, que l'on peut dire de la communauté qu'elle est un corps vivant, un organe complet, fonctionnant pour le bien commun de chacune des cellules le constituant. C'est une organisation de type moral, non point utilitaire. Son âme est une parcelle de l'effort incessant de l'humanité vers son auto-dépassement : un type bien concret d'humanisme.
Mais dans un groupe humain circonscrit à une certaine tâche pour laquelle il s'est institutionnalisé au plan local en tant qu'élément organique stable, la politique trouve à un moment donné ses limites que seule une coopération à un degré plus élevé peut franchir. Toute construction humaine a ses propres limites et, à moins d'en attendre à l'intervention d'une force extérieure providentielle, tel un État, avec le danger par là-même d'en banaliser sa tendance au despotisme, il faut donc créer une strate organique supérieure avec à sa tête une autorité elle-même supérieure. C'est là tout le principe de la subsidiarité : fonder un niveau supérieur de coopération et d'organisation, d'ordre, afin de palier aux manques des niveaux inférieurs. Il en va pour ces niveaux, à commencer la personne elle-même tout en bas de la pyramide, pas tant de leur survie que de leur autonomie, et donc leur véritable raison de vivre. L'intérêt lié à la simple survie n'est que la partie émergée de l'iceberg d'une volonté qui va bien au-delà vers un sens à donner à la vie ; une raison qui ne saurait se limiter à une Raison abstraite et désincarnée tel un oubli de l'Être. Il devient donc nécessaire d'en-bas de prolonger l'ascension le long de l'axe de vie, la matière et ses nécessités passant pour être des prétextes, mêmes incontournables.
Le manque lié à la condition humaine, tant personnelle que communautaire pour les groupes restreints, n'explique donc pas tout lorsqu'il est question d'y faire face en adjoignant d'autres forces à celle qui en appelle à une forme ou une autre de solidarité. À moins de ne réduire l'homme qu'à sa dimension purement biologique, ou, ce qui revient pratiquement au même, à sa dimension d'entité en quête de ses intérêts individuels, il faut bien admettre que nous sommes « fait » d'autre chose, une grandeur bien plus haute qui nous motive par à-coup à nous élever au-delà de nous-mêmes. Cette grandeur mesurable par la capacité que nous enfermons les uns ou les autres à s'adapter, à analyser, à créer et à s'affirmer, en appelle à l'autorité afin de conforter l'effort par la reconnaissance des pairs ou de la communauté. La subsidiarité se situe aussi à ce point, qu'elle ouvre la possibilité pour les niveaux inférieurs d'un accomplissement qui n'est réel que dans la mesure où il peut se partager entre tous. Sinon il ne serait que néant, ne servant alors qu'à nourrir l'envie perverse et le ressentiment de ceux – les « égaux » - qui n'auraient eu la chance d'y accéder : « accomplissement » en ce cas le plus souvent matériel.
La subsidiarité, en ce qu'elle définit le rôle « secondaire » de l'autorité tout en, paradoxalement, lui assurant son statut primordial, peut ainsi participer dans une Europe à reconstruire à un véritable renouveau spirituel qui ne saurait se confondre avec les malheureuses tentatives menées dans un monde postmoderne en proie aux délires spiritualistes de substitution. La quête de vérité est un acte qui libère et élève si elle s'accomplit dans le respect de l'ordre et de la réalité du monde humain au sein et en appuie duquel l'on cherche à être soi-même parmi les autres. Subsidiarité et spiritualité sont donc les aspects par lesquels peut s'affirmer la puissance d'un peuple au travers de ceux qui le composent, et de tout un continent, le nôtre eu égard à ses valeurs ancestrales.
Le fait que chaque entité sociale communautaire ou collective se doive d'assumer à un certain niveau l'horizon de son incompétence, et par conséquent l'inefficience de l'autorité qui la chapeaute, nécessite une coopération à des niveaux croissant de responsabilité collective. Il s'en suit une structure sociale qui s'étage telle une pyramide en partant de la base jusqu'au sommet, représenté par l'État ; où l'on peut alors y voir une sorte d'empilement, un peu comme les poupées russes. Tout l'enjeu d'une telle structure sociale est d'assurer aux niveaux inférieurs les conditions optimales de la perpétuation et de l'accroissement de leur autonomie. Nous évoluons donc dans un tel schéma d'organisation selon un principe qui fait de cette autonomie le pilier de tout progrès humain. L'excellence, le mérite, l'élévation des valeurs portées par une civilisation ne peuvent véritablement exister qu'à la condition où il est donné à chacun et chaque groupe humain l'opportunité de pouvoir se réaliser en toute autonomie, et avec l'assurance d'une possible solidarité et reconnaissance assumées par l'ensemble de la société.
En outre, il faut bien concevoir qu'il ne peut être envisageable d'instituer différents niveaux d'autorité à partir des réels besoins des unités composant chaque fédération, professionnelle, religieuse ou territoriale, qu'à partir du moment où il devient possible de reconnaître pleinement les capacités de celles et ceux qui auront la charge d'en assumer le rôle. Il y a là le déploiement à tous niveaux, et de façon généralisée, d'une sélection et l'organisation d'une juste hiérarchie telles que nous l'avons entendu plus haut. Il ne peut nous être possible de déposer les symboles de l'autorité entre les mains de ses détenteurs qu'à la condition qu'ils puissent en être reconnus pleinement capable - et à la hauteur - par l'ensemble de ceux qui placent en eux leurs espérances. Nous voici d'un coup transposés à l'opposé de ce que l'on ne connaît que trop bien dans nos sociétés postmodernes !
La subsidiarité : ce que l'on tient en réserve. C'est au premier abord l'assurance d'un soutien octroyé aux membres qui, du fait de leur manque et de leurs désirs inhérents à leur condition humaine, en ressentent le besoin sur le chemin de leur auto-réalisation. C'est en outre, de façon plus énigmatique, un désir tout aussi inhérent à l'homme de se référer à « quelque chose » dans les hauteurs de l'âme, de l'appel d'une lumière spirituelle qui nous rend irréductibles à des êtres mus par leurs seuls intérêts. Un appel qui nous lie à une cause commune, à une illumination, une perspective façonnée par notre Tradition, notre histoire et notre mémoire. Une force virile nous y tend tel un arc bandé vers les hauteurs d'un Soleil qui éclaire nos pas. Au plus haut de l'encastrement subsidiaire des pouvoirs se situe l'autorité suprême, l'État.
La hauteur de vue de l'État
Pour toute grande construction il faut des fondations, de solides et indestructibles fondations. Pour un monde humain, ces fondations sont la mémoire, celle qui permet de lier les hommes entre eux, de fonder leur Culture. Elle est aussi ce qui se doit d'être interrogé par chaque génération. L'interprétation est en effet plus qu'une possibilité : un devoir pour les temps à venir. L'entité ultime qui se portera garant de cette tâche, du maintien d'une dynamique de progrès et d'Ordre, ce devra être l'État européen, l'autorité suprême qui en Europe, par sa présence même, devra ré-allumer la flamme de la passion de soi en nos cœurs.
Après les errements des temps modernes et postmodernes, il nous faudra en effet repositionner l'État au centre de ses prérogatives, ce qui signifie d'une part rehausser l'État, et d'autre part faire en sorte que de son point de vue tout tentative de dirigisme de sa part lui paraisse comme un constat d'échec. L'État, s'il doit répondre adéquatement aux besoins des strates inférieures de la société eu égard à la formulation de leurs demandes – principe de subsidiarité oblige – il se doit également de garder distance et de ne paraître abordable qu'en rapport à son rôle de garant de l'Ordre. D'en-bas, l'État est un secours lorsque les forces présentes au sein de la société déclinent et peuvent laisser apparaître le chaos. De sa hauteur, l'État doit voir plus loin que l'éternel présent, et préparer l'avenir de l'Europe. Il ne peut être question d'assistance de sa part lorsque vient à manquer la possibilité d'assurer la justice – car ceci reste à la charge de la structure « symbiotique » dont le fondement est de faire vivre réellement cette justice -, mais de suppléance quand survient un risque que cette dernière ne s'essouffle par manque de force ou de volonté. La mission de l'État est d'avoir une vue d'ensemble et de pouvoir ainsi parcourir les besoins qui ne pourraient être comblés par les niveaux inférieurs de la société. Ces besoins existeront tant à l'intérieur du territoire européen que vis-à-vis de l'extérieur.
Reconnaître une haute dignité à l'État, c'est lui redonner une place dans la société que celle-ci lui aura échu au sommet de son organisation, partant initialement des désirs irrépressibles, et dont il faut reconnaître la portée vers un véritable progrès, d'accomplissement des personnes. Mais c'est aussi, et même bien plus, voir en lui le point d'aboutissement d'une volonté commune au niveau continental de prolonger notre civilisation européenne au-delà d'elle-même. Or, où l'on aboutit est aussi d'où l'on s'engage. Par conséquent, l'État redevient par ce fait le siège d'un état d'esprit, qui est celui par lequel se transmet à l'infini la Tradition, et d'où s'inspire chaque volonté à la source de nos valeurs. L'État doit en effet être le gardien des valeurs ayant données toute sa singularité à l'Europe. Nos principes par lesquels nous envisageons le monde et l'homme, sa dignité, doivent être protégés, de même que la possibilité de pouvoir en modifier la portée selon nos propres besoins.
L'État européen devra être le protecteur, le garant de nos principes, au-delà de toutes les valeurs particulières qui sont celles qui caractérisent nos différentes communautés composant l' « organisme » générateur de vigueur et de créativité en nos terres. La liberté et l'autonomie sont encloses dans ce principe supérieur qu'est la dignité, mais celle-ci est elle-même sous l'empire de l'attachement. Qu'est-ce que s'attacher sinon se consacrer : consacrer son cœur et son esprit à ce qui nous guide et nous nourrit, spirituellement bien sûr. L'attachement est un enracinement spirituel orienté vers deux directions : d'une part, vers la personne chez qui l'on reconnaît son prochain et envers lequel l'on pressent l'obligation de lui assurer son soutien et la reconnaissance de sa juste valeur, et d'autre part, vers la haute sphère de l'État chez lequel l'on voit un lien direct et sûr avec les principes qui nous guident et qui donnent un sens à la civilisation toute entière, et que l'on reconnaît comme notre obligé. L'attachement est obligation, générateur de droits parce que l'abstraction n'en génère aucun, et dans son sillage se manifestent la dignité, la liberté et l'autonomie.
L'État se devra donc d'être le siège d'un double pouvoir : temporel et spirituel. Une spiritualité nouvelle s'annonce déjà en Europe au milieu des incertitudes, des angoisses, des apostasies de déception, des errements spiritualistes de toutes natures. Elle sera un retour vers l'Être, vers une seine conscience de la présence de Dieu dans le monde et du monde en Dieu, vers un amour de la réalité et une re-connaissance au travers de la perpétuelle quête de vérité. Nul n'est destiné à détenir la « vérité ». Pas plus l'État qu'aucun autre. C'est bien pourquoi, si l'État doit être l'ordonnateur, il ne doit pas pour autant vouloir diriger la vie vers un but qu'il ne saurait définir lui-même sans mentir et outrepasser ses prérogatives. La spiritualité portée par l'État européen devra assumer ce « rôle » le plus grand qu'il soit de donner à l'espérance la capacité de fonder en permanence un avenir. C'est ce que l'on appelle fonder une civilisation, une Culture.
Un État qui s'abaisse au niveau de la « plèbe », c'est un État qui devient despote. C'est un État qui s'immisce au sein de toutes les vies afin d'en gérer le cours, d'y perpétuer la mise en application d'abstractions sur l'homme nées de l'excitation des Lumières. Le despotisme n'est pas pour l'État un accroissement d'autorité mais une licence donnée à sa tendance naturelle à se pourvoir en maître de nos âmes. C'est une mise en concurrence déloyale de son trop-plein de pouvoir illégitime et anthropophage vis-à-vis du pouvoir, lui, entièrement légitime, de création et de protection, personnel et communautaire. C'est bel et bien là l'image projetée aujourd'hui par les États postmodernes occidentaux qui positionnent les individus face à lui, dépourvus de leurs autonomies, déracinés, afin de diriger tous les aspects de leur vie.
Le pouvoir temporel de l'Europe nouvelle, indissociablement lié à son autorité spirituel, s'appuie sur la Justice. Les peuples qui le soutiennent et le glorifient s'appuient quant à eux sur leur sentiment de justice émanant de l'Ordre que l'État maintient vivant par son action distincte. Sa « Grande Politique » repose sur des principes intangibles que nul ne saurait contester sans vouloir basculer tout l'édifice dans l'insensé et le chaos : Protection, Respect des lois, Limitation des abus, Préférence européenne, Maintien de l'Ordre, Égards envers les autorités inférieures, Soin apporté à la faculté d'auto-accomplissement des personnes au travers de la médiation des communautés.
L'élaboration hiérarchique future d'une Europe fédérale - selon une acception de cette expression qui en fait une construction respectueuse du caractère particulier de chaque niveau d'autorité, à commencer par l'autorité que la personne se construit parmi les siens – tourne autour d'un principe supérieur, hautain, qui est celui par lequel se redéfinit la justice à sa source : l'égalité en dignité. En sa qualité suprême de garant et gardien de la justice, du devoir d'assurer la possibilité à chacun dans la société de trouver la place qui lui est la plus honorable, l'État est ordonnateur, ainsi que protecteur. En garantissant le respect des lois décidées et dictées par l'ensemble des communautés jusqu'au plus haut niveau, l'État témoigne de sa propre capacité à confirmer le sens du Bien commun issu de la dynamique politique qui doit renaître d'une véritable volonté populaire vers l'autonomie et la concorde, action d'acquiescement et de subsomption des conflits. Le Bien commun n'a pas à être défini par l'État, mais lorsque ce premier prend son envol en tant que lumière spirituel pour tout un peuple, un continent, il doit être tenu en réserve par la puissance de l'État, reflet revivifié du pouvoir renaissant des peuples européens, dans l'éternel probabilité des corrections pouvant en être apportées par ceux-ci dans leur histoire.
Ordonner, c'est aussi limiter, car il ne saurait y avoir de justice lorsque les excès de certains empêchent le plein accomplissement de tant d'autres. L'esprit délétère de l'ultra-libéralisme ne saurait s'accommoder d'un besoin et d'une nécessité d'harmonie. Dans une Europe plus humaine, une oligarchie n'aurait aucune place à trouver, et encore moins à imposer pour elle-même. Et parce que l'oligarchie est d'esprit mondialiste, une préférence européenne devra se faire jour en tout domaine dans le but de maintenir une cohérence visant à sauvegarder les singularités qui font notre force et modèlent notre avenir. Cette cohérence est simplement celle qui assure un certain niveau d'évolution sociale qui fait de chaque nation en Europe, et de l'Europe toute entière, un modèle d'humanité pour le monde.
Enfin, ordonner c'est maintenir vivante et enrichir l'ensemble « symbiotique » qui structure toute la vie sociale de la personne à l'État européen en passant par la famille, l'entreprise, les corps professionnelles, les communes, les pays, les régions, les nations. Chaque autorité en charge de chacune de ces cellules à tous les niveaux se doit de trouver en l'État européen un protecteur et un garant de ses prérogatives spécifiques, et uniquement cela. Jamais l'État ne devra outrepasser ni ses droits d'ingérence - limiter des abus de pouvoir – en s'octroyant de façon illégitime et permanente le rôle des autorités inférieures, ni ses obligations de secours - suppléer aux carences accidentelles – en assurant un assistanat visant à remplacer l'ordre social organisé par ces mêmes autorités et empêcher ainsi le retour des conditions de l'autonomie.
L'État, la politique et le social
Nous ouvrons maintenant la réflexion sur un aspect crucial de l'organisation de l'Europe Nouvelle que nous nous efforcerons de bâtir. Il y a en effet un paradoxe entre d'une part l'idée qu'un État ait pour mission de stimuler les corps intermédiaires et de faire en sorte de préserver l'Ordre au sein duquel ceux-ci peuvent trouver protection et assurance quant aux carences qui pourraient freiner le déploiement de leur puissance, par conséquent intervenir en tant qu'organe suprême dans la société et, d'autre part, limiter cette puissance d'intervention de telle manière que les autonomies puissent également être préservées, voire accrues. Dans ce double mouvement contradictoire, l'État, dans le meilleur des cas, disons-le quelque peu utopique, limite lui-même son action afin de ne pas accroître sa tendance au despotisme et au diktat généralisé. L'État se doit d'être subsidiaire au plus haut point, c'est-à-dire que cette Plus Grande Puissance qu'il a pour fonction d'assumer et de maintenir au sommet de la hiérarchie a pour obligation vis-à-vis de la société d'être le recours ultime et le garant de la pérennité de l'ensemble. Ce n'est pas un rôle « secondaire » selon l'acception vulgaire actuelle, mais un Ordre principal incarné par l'État lui-même qui pourtant doit limiter sa puissance d'intervention en interne autant que faire se peut. Sinon, c'est toute la construction subsidiaire qui peut en pâtir.
Cette construction est donc un équilibre qu'il est nécessaire de maintenir par des actions adéquates. En cela, il ne saurait être suffisant de compter uniquement sur la clairvoyance des hommes supérieurs en charge de l'État européen, d'ailleurs ainsi que des États nationaux. Il ne faut jamais confondre les hommes avec leurs limites inhérentes d'avec la fonction qu'ils sont sensés assumer, aussi haute puisse-t-elle être et quoique puisse être en outre leur hauteur d'esprit. Par conséquent, les corps intermédiaires ont aussi pour tâche, outre celles se rapportant à ce qui a présidé à leur création selon le principe de subsidiarité, de conserver leur autonomie face à l'État ou aux autorités supérieures. En d'autres termes, le principe, disons-le vital, que ces corps et communautés ont pour obligation de respecter est celui de maintenir vivant la confrontation et la complémentarité en leur sein. C'est la politique selon le sens vrai de ce terme qu'il est nécessaire de faire vivre dans la société à tous les niveaux. Une politique que l'on peut aussi qualifier de démocratie directe, ou participative, selon la classification actuelle.
Mais pour que cette politique ne soit pas un vain mot, pour qu'elle ne subisse pas l'effet de la lassitude, de la paresse, ni de la démotivation, il est nécessaire d'en avoir une vision aussi réaliste que possible en fonction de la nature des relations humaines dans la société. Et pour ce faire, il est indispensable de bien concevoir que les corps intermédiaires sont de deux natures : l'une privée, l'autre publique. La cellule privée de base de la société, celle qui ne peut qu'échapper à tout choix d'appartenance, celle dont la santé morale conditionne immanquablement la possibilité de l'accomplissement des personnes, est la famille. C'est en son sein que s'opèrent les premières orientations vers la vie sociale de la part de ses membres ; vers la vie économique, professionnelle, culturelle, etc. Par la suite, se constituent donc les corps sociaux liés aux besoins des hommes, à leurs besoins privés mais aussi relationnels. Ces corps se forment autour des métiers, et peuvent être appelés corporations, à conditions de ne pas en faire les organisations obligatoires de base structurant l'ensemble de la société : la personne doit être libre d'en faire partie ou non afin d'y trouver un support à son accomplissement au travers de sa profession. Leur existence doit accroître les possibilités des personnes en leur apportant le soutien de l'expérience, des formations, des relations nouées avec les entreprises, et la défense des intérêts professionnels par secteurs. Ces organismes demeurent privés dans le sens où les intérêts défendus le sont, ici les métiers. Enfin, les entreprises ont également leurs intérêts à défendre, et leur vitalité à valoriser afin de se voir assurer de la part du domaine public un soutien adéquat et une politique régulatrice allant dans le sens d'une affirmation collective de volonté de réussite.
Les hommes sont loin de n'être mus que par leurs propres intérêts. Bien d'autres choses, des valeurs, nous motivent, et nous poussent à lier des relations avec nos proches et d'autres, plus lointains. Ces relations sont faites de concorde, de complémentarité, d'entre-aide et de solidarité, mais aussi de confrontations, de conflits, qui indéniablement font partie intégrante de la vie humaine, de la vie sociale. Le but même de ces relations est de trouver une certaine harmonie entre des intérêts parfois divergents et, en outre, d'apporter une vigueur supplémentaire au sentiment qui unit les hommes les uns aux autres en un lieux et en une époque : le sentiment identitaire qui crée un stimulant à la rencontre de l'autre et du même, simultanément, incite à chercher un équilibre pour la pérennité du corps social territorialisé. La commune, le pays, la région, la nation, sont ces entités situées au sein desquelles peut se déployer la politique, et l'entente humaine entre les différences circonscrites. Ce sont les corps publics où doit s'effectuer une jonction entre les motivations privées et la protection et l'assistance publique. C'est en ces lieux que doivent s'inscrire les accords participant de l'harmonie du tout, en chacune des strates de l'organisation fédérative, et plus particulièrement à la première d'entre-elles, la commune, au plus près de la vie réelle.
La politique, en s'articulant aussi près que possible de la vie sociale, permet, outre que vive la socialité, d'élaborer un Bien commun particulier comme le Principe fondateur transposable en la garantie de l'échelon supérieur de l'ordre fédéral. Ainsi, d'échelon en échelon, de la commune à l'État européen, s'élabore perpétuellement à partir de la base le Bien commun suprême de l'Europe qui repose en tout premier lieu sur le respect de la dignité de la personne et sur l'attachement sans lequel elle ne saurait même exister.
Cette dynamique va à l'encontre de l'idée d'un bien commun qui découlerait de la conception d'une « vérité » unique jetée à la face du monde par les instances dirigeantes. C'est ainsi que fonder une société sur des abstractions, des préjugés sur l'homme, ne peut qu'aboutir qu'au fait d'une prétendue « politique » dont le résultat est d'éloigner la « vision du monde » commune de la réalité. On crée alors un monde désincarné. Et c'est bien ce qui se passe de nos jours.
La supériorité des hommes d'autorité ne doit pas reposer en premier lieu sur une sorte de « science » émanant d'idéologies anciennes jamais remises en question. En d'autres termes, « ceux qui savent » doivent être ceux qui vivent et ont vécu, plus intensément que les autres sans doute, les réalités qui les concernent. Les « spécialistes » sont les despotes des temps postmodernes. En catégorisant la réalité en fonction de leurs concepts bien appris, ils tuent la politique. Car la politique n'est pas la mise en œuvre d'un savoir extérieur, d'une science à propos d'un homme abstrait et « liquide », mais un art ! Elle est l'art de quêter une harmonie entre les différentes finalités que se donnent les personnes et les groupes de personnes au sein d'un espace public donné. Au travers de cette œuvre proprement humaine et symboliquement élévatrice, c'est une finalité commune, ou un Bien commun, qui est recherché, souhaitée par l'ensemble de la communauté comme quelque chose allant au-delà des intérêts de chacun. Ce qui lie cette finalité avec la politique, c'est la nécessité qu'elle puisse être dépassable en tout temps eu égard la situation par rapport à laquelle une redéfinition de celle-ci apparaît inéluctable. À figer la finalité d'une communauté, comme celle d'une communauté « nationale » par exemple en France aujourd'hui, c'est l'homme réel que l'on tue, et l'art qui le porte naturellement à croire et à espérer.
La politique, qui est une quête de consensus, de sens commun, de Bien commun, à partir du moment où elle ne devient pas principalement une simple confrontation partidaire, permet d'envisager une réelle limitation et un encadrement de buts personnels et collectifs axés sur une recherche pure d'intérêts. Elle ouvre surtout un horizon à l'accomplissement humain au travers de la confrontation et de l'échange publics. Elle permet par conséquent de lever le regard vers des hauteurs dont ne font que rêver ceux qui vivent dans des temps trop sûr d'eux-mêmes : la démocratie dite « libérale » tue en réalité la politique en s'efforçant de sacraliser la « démocratie ». Ce qu'elle tue encore plus sûrement, c'est ce désir humain de rencontres, d'inclusion dans une dynamique conflictuelle d'où chaque personnalité, individuelle comme collective, peut trouver à s'affirmer ou se remettre en cause. La politique, entendue effectivement selon son acception originelle, héritée notamment d'une tradition pluri-millénaire en Europe, implique inévitablement une acceptation pleine et entière – sinon le « jeu » politique n'en pourrait être que faussé – de la conflictualité et de la nécessité d'une recherche commune de finalité. Par les lieux d'où elle se déploie, la politique tend donc à dépasser les finalités particulières et privées en concourant à l'élaboration collective d'une harmonie publique. En articulant ces deux aspects du désir humain au sein de l'Agora - désirs par lesquels l'homme se réalise socialement – il devient alors tout à fait possible de développer l'autonomie de chacune des entités privées et publiques tout en arguant par le biais de l'art politique dans celles-ci de l'impératif d'une limitation des attributions des unes et des autres vis-à-vis du Bien commun.
L'enjeu est de limiter au possible, et selon le principe de subsidiarité bien compris – c'est-à-dire non pas de suppléance vis-à-vis de l'individu comme dans une société libérale classique, ni d'assistanat comme dans une société d'État-Providence – la nécessité de l'intervention des instances publiques supérieures, État suprême inclus, afin non seulement de garantir, mais aussi de stimuler les autonomies et libertés locales et nationales, particulièrement privées. L'emboîtement fédérale des diverses structures, des familles à l'État européen, doit avoir pour finalité d'encourager ces premières à remplir leur mission visant à garantir les conditions optimales de l'auto-réalisation personnelle et collective – secours perpétuel - ainsi qu'à assurer une aide lorsque cela est nécessaire en cas de déficience – secours temporaire.
Selon ce principe et cette organisation subsidiaires, il devient particulièrement évident que le rôle de l'État est de garantir en haut lieux l'inaltérabilité de valeurs par lesquelles doit s'affirmer l'Europe à venir, ainsi que la possibilité toujours ouverte d'en faire évoluer l'interprétation au fil du temps et des générations. C'est pourquoi l'État européen, pour limité que soit son domaine d'intervention en interne au regard des devoirs attribués aux strates inférieures, n'en a pas pour autant un domaine d'influence extrêmement élevé du fait de sa mission fédératrice. Il se doit d'exercer une fascination dont l'objet ne pourrait être de provoquer une attente de la part d'une masse d'individus, mais un fort sentiment d'appartenance chez des hommes libres désireux de lier leur force à la puissance commune. De destin, funeste s'il en est actuellement sous le règne cupide de l'oligarchie mondialiste, l'Europe se reconstruira ainsi plutôt un avenir !
Conclusion
Chaque corps intermédiaire d'une organisation subsidiaire se doit de définir par lui-même la nature de ses actions, mais aussi celle de sa propre finalité dans la mesure où elle peut trouver à s'exprimer dans l'harmonie du Tout. Une véritable fédération ne peut s'élaborer qu'à partir du moment où existe la possibilité que s'articulent ces finalités en vue d'un Bien commun qui dépasse chaque entité de l'ensemble de l'organisation. L'appartenance, tout comme les compétences, ne sauraient être figées, et par-delà rendues en quelque sorte « obligatoires », mais les principes qui ne pourraient être reconsidérés sans danger sont la liberté et l'autonomie, la dignité, et l'attachement qui rend possible les précédents. Celui-ci ne pourrait être nié parce que par lui est rendue envisageable une véritable vie politique sans laquelle tout le reste n'est qu'utopie. La vie politique est une vie de la communauté dont les membres partagent ensemble les mêmes valeurs et les mêmes finalités. Une « politique » au sein d'un groupe trop hétérogène ne peut qu'être bavardages et manipulation d'une clique au dépend des autres : le règne des politiciens !
Nous constatons aujourd'hui ce destin dont est frappée la République en France, mais pas seulement, d'ailleurs en suivant son exemple. Depuis l'Ancien Régime, sous l'influence des Lumières, tout pouvoir, toute force a peu à peu été subtilisée par l'État républicain français au détriment du, ou des, peuples qui composent l'Hexagone. Il s'en est suivie une asphyxie de la vie politique. Ce faisant, c'est une dynamique créatrice qui s'est épuisée, ce qui a entraîné, par l'influence néfaste de l'exemple français dans toute l'Europe, le déclin de la puissance de tout un continent.
Il ne saurait exister d'organisation sociale idéale, parce que l' « homme » ne saurait être lui-même fondé d'après un idéal. Il est indispensable - et ne serait-ce d'ailleurs pas là que se situe le véritable progrès humain ? - de faire l'assomption des insuffisances et des imperfections de l'homme véritable, de sa vraie nature. Une organisation fédérale telle que nous la prônons ici pour l'Europe à venir ne serait de toute façon qu'un sempiternel équilibre précaire reposant tout entier sur l'édifice d'une cohérence à démontrer sans cesse. Elle ne pourrait se fonder que sur une foi réelle en nos valeurs multi-millénaires qu'il nous faudra redécouvrir et faire revivre.
Cette quête qui réclame force et courage, mais aussi lucidité, de la part de ses protagonistes est spirituelle autant que politique, et pour ainsi dire, philosophique. Elle dépend après tout de ce quasi instinct de ressentir en toute chose l'existence de Dieu, et du devoir inhérent de réaliser son propre être en proportion de l'honneur que l'on doit à la manifestation de l'Être. Un ciment lie déjà les peuples de l'Europe, il leur faut désormais trouver un nouveau Soleil!
Yohann Sparfell (mars 2016)
00:05 Publié dans Nouvelle Droite, Philosophie, Réflexions personnelles, Révolution conservatrice, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, racines d'europe, réflexions personnelles, nouvelle droite, philosophie, théorie politique, politologie, sciences politiques, philosophie politique | | del.icio.us | | Digg | Facebook