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mercredi, 18 février 2015

La cité perverse : libéralisme et pornographie

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La cité perverse : libéralisme et pornographie

Entretien avec Dany-Robert Dufour : Autour de la Cité perverse
Ex: http://fortune.fdesouche.com
A : Généalogie d’un libéralisme « ultra »Actu-Philosophia :
Tout d’abord, je vous remercie de me recevoir, pour cet entretien autour de votre ouvrage La Cité Perverse. Libéralisme et pornographie [1], ce qui nous donnera l’occasion d’aborder le reste de votre œuvre, qui se compose à ce jour de plus d’une dizaine d’ouvrages, de très nombreuses collaborations à des revues et journaux (Le Débat, Le Monde Diplomatique, Le Monde, l’Humanité, etc.), et de vos enseignements en tant que professeur en philosophie de l’éducation à l’université Paris-VIII, ainsi qu’au sein d’universités sud-américaines (Colombie, Mexique, Brésil).
 
Dans La Cité Perverse, livre publié aux éditions Gallimard en 2011, vous expliquez que, sans vouloir faire œuvre de moraliste, vous souhaitez mesurer les effets de la perversion, de l’obscénité que nos sociétés postmodernes poussent à leur paroxysme.
Dès le prologue, vous expliquez vouloir créer une science, la « pornologie générale », consacrée « à l’étude des phénomènes obscènes, extrêmes, outrepassant les limites, portés à l’hybris […], survenant dans tous les domaines relatifs au sexuel, à la domination ou à la possession et au savoir, qui caractérisent le monde post-pornographique dans lequel nous vivons désormais. »
 
La crise financière qui a touché le monde en 2008 semble avoir été révélatrice d’une crise bien plus profonde et bien plus large que celle de l’économie financière, et de ce qu’il n’y a, d’ailleurs, pas qu’une seule crise, mais plusieurs, de la même manière qu’il existe un grand nombre d’économies humaines. Quelles sont, selon vous, les causes de que vous décrivez comme un véritable changement de paradigme civilisationnel ?

 

Dany-Robert Dufour : Quand j’ai commencé à travailler sur cette question, je me suis interrogé sur le tournant qui a été pris il y a maintenant une trentaine d’années, qui est le tournant dit « ultra-libéral » ou « néo-libéral », pour m’interroger sur sa nature. Souvent, on analyse l’ultra-libéralisme ou le néo-libéralisme (ce qui n’est pas tout à fait la même chose), dans le seul champ de l’économie marchande. Or, essayant de faire une généalogie du libéralisme, j’ai trouvé que dès le début celui-ci était une pensée totale. Et cela m’a fait remonter bien avant 1980 et la prise du pouvoir par Reagan aux Etats-Unis et Thatcher en Angleterre, à ce moment de naissance de la pensée libérale comme pensée complète, pas seulement économique.

 

Ce fut tout l’enjeu de mon travail dans La Cité Perverse : montrer comment notre métaphysique occidentale subissait une espèce de renversement majeur, puisque l’on passait globalement, entre 1650 et la fin du XVIIIe siècle, du principe qui avait toujours été avancé depuis l’augustinisme, l’amour de l’autre, à l’amour de soi. Il y avait véritablement là, dans la métaphysique occidentale un tournant, qui est bien illustré par Bernard de Mandeville, cet auteur que j’ai contribué, avec d’autres, à sortir de l’oubli et qui a écrit La Fable des Abeilles (1705). Ce texte a récemment reparu en deux volumes puisque outre la fable, on y trouve tous les commentaires de celle-ci faits par Bernard de Mandeville.

 

La fable avance une maxime nouvelle, au double sens de raison pratique et de morale d’une fable. Il est significatif que Mandeville donne en guise de nouvelle morale que l’ensemble des vices privés peut se transformer en vertus publiques. C’est cette équation – puisque c’est véritablement une équation – qui m’a donné beaucoup à penser, puisque cela revient sur ce que les Grecs nommaient l’epithumia (l’âme d’en bas), les « esprits animaux » chez Mandeville, qui devaient être, non plus réprimés, mais libérés.

 

Bernard de Mandeville analysait en quelque sorte l’histoire humaine comme une longue erreur, celle de la répression des vices privés. Il disait qu’en libérant les vices privés, l’on résoudrait tous les problèmes en devenant riches. Car la richesse permet le développement des arts, des sciences, de toute une série d’artifices que nous n’avions pas avant. Et c’est donc ce qui m’a intéressé : ce moment où la métaphysique occidentale est passée d’un principe à un autre.

 

Dans les vices privés, il y a le goût de l’avidité (greed en anglais) ; le fait d’avoir toujours plus (ce que les Grecs appelaient la pléonexie). Bernard de Mandeville dit que c’est une bonne chose, puisqu’en voulant toujours plus, on produit toujours plus de richesses, et cela est bon pour tout le monde. Ce qui s’entend parfaitement dans le second sous-titre de la fable : “Soyez aussi avide, égoïste, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens“. Ce qui peut se condenser en “il faut laisser faire les égoïsmes”.

 

En outre, il ne faut pas oublier que Bernard de Mandeville a aussi écrit un petit livre amusant qui s’appelle Vénus la Populaire, qui est rien de moins qu’une défense et illustration des maisons de joie, des maisons publiques. Tout cela en étant calviniste ! Pourquoi souhaitait-t-il les défendre ? Parce que c’est une promesse de richesse, car, si la prostitution est peut-être une faute morale pour ceux qui s’y adonnent, c’est aussi une richesse potentielle, car la prostituée, pour plaire à ses clients, va solliciter le couturier, qui devra lui faire de beaux atours, et ce couturier de pauvre qu’il était pourra devenir riche et grâce à cela pourra envoyer ses enfants à l’école. Grâce à qui ? A la prostituée. Et, en faisant le raisonnement de proche en proche, le couturier lui-même va devoir demander de beaux draps au drapier, qui lui aussi pourra devenir riche et envoyer ses enfants à l’école et ainsi faire progresser le niveau de culture et d’éducation du peuple. Donc, tous les vices sont utiles, même le vol. Le voleur est celui grâce auquel l’on pourra développer le droit –ce qui implique de construire des universités, de former des professeurs, des juristes, etc. Tout cela grâce au voleur, sans lequel il n’y aurait nul besoin d’avocats, de professeurs de droit, de prisons et d’architectes pour les construire. C’est donc grâce au vice privé qu’une société s’enrichit et fabrique, sans qu’elle le veuille absolument, la vertu publique.

 

J’ai considéré que, dans cette proposition absolument fondamentale bien que paradoxale, résidait le cœur de la pensée libérale. Elle est résumable ainsi : le vice privé fait la vertu publique, et ce dans tous les domaines. Le premier sous-titre de la fable, qui vaut comme morale de la fable, dit d’ailleurs : « Les vices privés font le bien public, contenant plusieurs discours qui montrent que les défauts des hommes, dans l’humanité dépravée, peuvent être utilisés à l’avantage de la société civile, et qu’on peut leur faire tenir la place des vertus morales. »

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On peut lire dans ces propositions, le fondement anthropologique du libéralisme qui fut un des deux courants essentiels des Lumières. Car, contre le libéralisme anglais, s’est développé l’autre courant, le transcendantalisme allemand, notamment avec Kant, qui apporte l’idée de loi morale, selon laquelle je ne peux pas faire n’importe quoi pour mon propre plaisir ou mon propre intérêt, puisque je dois m’interroger sur la possibilité d’ériger mes actions en loi générale. J’ai analysé la modernité comme l’opposition des deux Lumières, anglaises et allemandes, opposition qui fut très féconde et que je considère comme les deux « chiens de faïence » posés sur la cheminée de la modernité, l’un tirant dans le sens de la loi morale, l’autre dans celui de la libéralisation des vices privés. Cette modernité a duré jusque vers les années 1980, à partir desquelles nous avons vu l’apparition de l’ultra-libéralisme, qui s’est libéré de sa contrepartie allemande, et qui a donc entraîné cette promotion de l’avidité, de l’ « avoir-toujours-plus » qui s’est manifesté dans tous les domaines : la finance certes, mais aussi l’obscénité, avec, par exemple, aujourd’hui, l’emprise sans cesse plus grand de la pornographie.

 

Nous sommes alors entrés dans une autre culture, post-moderne, celle du capitalisme tardif. Et c’est ce moment que j’ai essayé d’analyser, comme temps d’une société qui consent, alors qu’elle ne l’avait jamais fait, ni dans les sociétés traditionnelles ni dans les sociétés occidentales, à la promotion du vice privé.

 

Pour bien comprendre ce tournant, il faut remonter à la crise de 1929. Avant 1929, le capitalisme était essentiellement un capitalisme de production. Or 1929 a été une crise de sur-production où plus rien ne se vendait, de sorte que tout s’est effondré, le système bancaire, le système économique – ce qui a entrainé des faillites et des problèmes sociaux en série, comme le chômage de masse. Mais, au lieu de mourir de sa belle mort, comme Marx l’avait prophétisé, le capitalisme a su profiter de cette crise majeure pour de se reconfigurer, en mobilisant les quelques réserves d’achat subsistantes, et devenir peu à peu un capitalisme de consommation, dirigé vers la satisfaction des appétences pulsionnelles du plus grand nombre avec la fourniture d’objets manufacturés, de services marchands, de fantasmes sur mesure proposés par les industries culturelles qui naissent à ce moment-là, offerts au plus grand nombre.

 

Cette société de consommation s’est véritablement mise en place aux États-Unis à partir de 1945 et est progressivement devenue un modèle pour le monde entier. Il se caractérise de flatter toutes les formes d’appétences relevant de ce que l’on appelait autrefois la concupiscence. Le puritanisme a alors été progressivement marginalisé comme quelque chose de rétro, de vieux, de ringard, au profit de cette révolution dans les mœurs, qui correspond au passage d’un capitalisme patriarcal, puritain, à un capitalisme libidinal, libéré, qui propose la plus grande gamme d’objets de satisfaction des appétences.

 

B : Port-Royal, la concupiscence et la fin des « grands récits »

 

AP : Vous donnez un rôle important à Pascal dans le tournant qui voit, au XVIIe siècle, la naissance de la pensée libérale. C’est selon vous chez lui que ce grand renversement s’opère, et vous rappelez en cela la distinction qu’il effectue au Fragment 458 des Pensées entre les trois concupiscences : la libido sentiendi, qui découle de la passion des sens et de la chair ; la libido dominandi, qui est la passion de posséder toujours plus et de dominer ; et la libido sciendi, qui concerne la passion du savoir. Cette distinction célèbre est une reprise du livre X des Confessions de Saint Augustin, s’étant lui-même inspiré de l’Épître de Jean. Or, vous montrez, par l’intermédiaire d’éléments biographiques, que Pascal a lui-même cédé à la libido dominandi. A partir de 1648, il fait des affaires avec le Duc de Roannez…

 

DRD : Oui, et c’est presque à son corps défendant, puisque le malheureux Pascal était très rigoriste. Mais c’était un immense penseur et il se reprochait – après tout ce qu’il a inventé dans le domaine du calcul, de la géométrie, de l’arithmétique, de la physique – d’être sujet à la libido sciendi. Il se punissait donc par toute une série de maladies, en tant que possédé par cette libido sciendi qui avait déjà été repérée dans l’Evangile de Jean, mise en exergue par Saint Augustin et qu’il a ensuite reprise dans le fragment que vous évoquez. Il se reprochait une tendance à la facilité libidinale qui méritaient des punitions corporelles. Pascal est presque un cas clinique : plus il pense, plus il va loin dans le domaine du renouvellement de la science – à l’époque encore prise dans la scolastique du Moyen Age -, plus il invente (calcul sur les coniques, la pression, le vide, sans oublier l’invention de la « pascaline », considérée aujourd’hui comme l’ancêtre de l’ordinateur…, le bilan scientifique est immense !), plus il devient moderne, et plus il se reproche de céder à la libido sciendi. J’ai repéré aussi un épisode, celui dits des « carrosses à cinq sols » où il cède à la libido dominandi. Pascal est quasiment mourant et, étrangement, il se lance dans une affaire extrêmement intéressante avec le soutien du Duc de Roannez, puisqu’il réussit à installer un système de transport en commun dans Paris en anticipant les points nécessaires de jonction et de changements. Il fabrique donc une sorte de métro de surface, avec toute l’intelligence nécessaire à sa conception. Il réussit fort bien dans cette entreprise, et plus il réussit, plus il va se le reprocher en accueillant des gens qu’on dirait aujourd’hui « marginaux », éventuellement porteurs de maladies contagieuses au point qu’il va se retrouver finalement contaminé, et finir par mourir alors qu’il n’a pas atteint sa quarantième année. Ce fut donc pour moi un cas clinique et philosophique très important, puisqu’il a ouvert quelque chose de neuf tout en pensant qu’il transgressait.

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C’est probablement ce qui lui a fait dire (dans le fragment 106) que “La grandeur de l’homme, [c’est] d’avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre”. Il aura là ouvert une voie ensuite reprise par Pierre Nicole, un des Messieurs de Port-Royal, qui, entre autres grandes questions philosophiques, s’est interrogé d’une façon complètement nouvelle sur l’idée de vertu. Qu’est-ce qui fait tenir un grand peuple dans la vertu ? Nicole s’aperçoit, à l’époque des grandes découvertes où d’autres formes civilisationnelles apparaissent, que la vertu des chrétiens n’est pas nécessairement indispensable au fonctionnement vertueux d’une Cité. Il reprend là une idée en vogue à l’époque et avance que ce qui pourrait remplacer cette vertu est un « amour-propre éclairé ».

 

Revient donc une nouvelle fois cette idée d’amour-propre, qui avait été complètement interdite depuis Augustin et les augustiniens. Il était pour eux la source de tous les maux. Et l’on aboutit chez Nicole, fils spirituel de Pascal, à la remise à l’honneur de cet amour de soi. Pascal aura donc, à son corps défendant, ouvert la voie pour que cette notion d’amour propre passe, de proche en proche, des jansénistes aux calvinistes, via Nicole, De Boisguilbert, puis Pierre Bayle.

 

Bayle, converti et reconverti plusieurs fois, va être un lecteur infatigable (en témoigne son fameux grand dictionnaire), notamment de Pierre Nicole qu’il qualifie de « plus grande plume d’Europe ». Et c’est là, arrivée chez les calvinistes, que cette notion d’amour de soi, avec les formes qu’elle pendra chez Mandeville, permettra de lancer, non seulement un laboratoire philosophique, mais aussi et surtout un laboratoire économique et social. C’est en effet cette autorisation donnée à l’amour de soi qui va mener à la première révolution industrielle en Angleterre et va, finalement, transformer le monde.

 

AP : Vous montrez que Pascal n’est pas sorti de cette douleur, de ce tiraillement, comme si la foi le quittait, comme s’il n’était pas capable de se « reprendre », en quelque sorte. Il demeure néanmoins toujours une place pour que le cœur de l’homme change, pour autant qu’il puisse se montrer capable de surmonter la délectation de la concupiscence par la charité. Mais plus généralement ce qui est intéressant dans votre livre, c’est que si vous constatez la fin des grands récits, en reprenant le terme de Jean-François Lyotard, vous ne les rejetez pas pour autant.

 

DRD : Absolument. Cela a été la suite de mon travail.

 

AP : Vous pensez même qu’il existe à notre époque ce que vous appelez une « inversion de la dette », qui touche l’éducation, le rapport à autrui, le rapport au sexe. Pouvez-vous préciser cette idée, cette constatation, qui semble transcender jusqu’aux clivages politiques, puisque tout se passe comme si aujourd’hui s’était substituée au clivage classique gauche-droite une opposition plus large entre libéraux et anti-libéraux, postmodernes et anti-modernes ?

 

DRD : Après la Cité Perverse, j’ai été amené à réfléchir sur cette sortie progressive des grands récits, même s’ils restent en quelque sorte en toile de fond, ainsi que sur ce libéralisme culturel tel qu’il a aussi été mis en place par la gauche, au sens d’une possibilité apparue à certains de se libérer de tout, de toute limite. Cela correspondait pour moi à une possibilité de revisiter les philosophies postmodernes promettant une libération totale, et qui, pour moi, sont apparues, trente ans après avoir été exprimées notamment par Deleuze, Foucault et quelques autres, comme une impasse peu viable car nous entraînant dans l’excès, la démesure, le dépassement permanent, la transgression permanente.

 

Cela m’a amené à m’interroger sur les philosophies postmodernes. J’ai traduit cela dans mon travail comme suit : les grands récits sont en passe d’être bousculés par la prolifération des petits récits de satisfaction pulsionnelle – car le capitalisme libidinal c’est cela, des petits récits de satisfaction, le modèle étant le récit publicitaire – et, paradoxalement, les philosophies postmodernes de gauche ont beaucoup contribué à la mise en place de cet ultra-libéralisme transgressif, selon lequel on peut se libérer de tout.

 

Or, étant freudien, je me souviens du Malaise dans la civilisation, selon lequel la civilisation n’est possible qu’à la condition de certaines répressions pulsionnelles. Si l’on permet tout, on va vers le délitement civilisationnel. Donc, certaines répressions sont nécessaires. Par exemple, dans le freudisme, c’est la limite qui est posée à la pulsion, notamment à la pulsion incestueuse de l’enfant, qui, finalement, permet l’accès au désir. En d’autres termes, il faut sortir du rapport fusionnel avec la mère, pour que l’accès à d’autres soit possible. Cela procède d’une répression pulsionnelle.

 

Et il y a bien d’autres répressions pulsionnelles : devoir en passer par le discours, le langage, ne pas prendre directement les objets dans les endroits où l’on se trouve, entretenir des formes civilisées passant par le discours pour demander si l’on peut faire ceci ou cela. Même dans les démarches amoureuses, on fait des manœuvres d’approche, on parle. Dans les communautés humaines, nous sommes tenus à une certaine dignité par l’habit, on ne montre pas son fonctionnement pulsionnel de manière évidente. Nous sommes donc retenus pulsionnellement. Et tout cela fait partie de la civilisation. Nous mangeons avec des fourchettes, nous ne saisissons pas les aliments avec les mains. Il y a donc toute une série de règles civilisationnelles qui imposent une répression pulsionnelle.

 

Cela m’a amené à m’interroger sur les commandements contenus dans les grands récits : « Tu ne dois pas » faire ceci ou cela. Il y a même un Décalogue qui dit clairement ce que l’on ne doit pas faire. Cela m’a donc amené à m’interroger sur ce dont on pouvait se débarrasser, comme répressions supplémentaires, additionnelles, impropres en quelque sorte, imposant une répression surnuméraire, et sur ce qu’il fallait conserver comme étant nécessaire au fonctionnement civilisationnel. J’ai donc écrit ce livre, L’Individu qui vient… après le libéralisme dans lequel j’examine ce dont il faut se débarrasser et ce qu’il faut conserver dans les deux grands récits fondateurs de l’Occident. Le premier étant celui du Logos des Grecs, le second étant celui du monothéisme venu de Jérusalem et refondé à Rome. J’ai donc été amené à examiner de façon précise ce que ces grands récits posaient comme répressions nécessaires au fonctionnement du lien social, et ce dans quoi ils allaient trop loin, en instituant des répressions additionnelles, ce que Marcuse appelait des sur-répressions. Je pense, par exemple, que dans le récit monothéiste, nous pouvons nous débarrasser du patriarcat. On peut et même on doit se débarrasser de l’oppression qu’il contient à l’encontre des femmes, sans remettre en question la primauté du rapport à l’autre sur le rapport à soi.

 

Dany Robert Dufour invité de l’émission “Question de sens” sur France Culture

 

C : Adam Smith et Sade : puritanisme et perversion

 

A.P : Pour en revenir à Adam Smith le puritain, vous écrivez que s’il fait reposer en une instance extérieure à la conscience (le fameux « spectateur impartial ») la loi fondamentale de l’économie, c’est pour permettre au capitaliste de se soumettre à cette voix et accroître sa libido dominandi. D’où la fascination de générations entières de penseurs libéraux pour la main invisible. Or, vous expliquez que la voix du spectateur impartial s’adresse en réalité… aux pauvres ! Et vous citez un passage peu commenté de la Théorie des Sentiments Moraux où il écrit : « Le pauvre ne doit jamais ni voler, ni tromper le riche […] La conscience du pauvre lui rappelle dans cette circonstance qu’il ne vaut pas mieux qu’un autre et que, par l’injuste préférence qu’il donne, il se rend l’objet du mépris et du ressentiment de ses semblables comme aussi des châtiments qui le suivent puisqu’il a violé ces lois sacrées d’où dépendent la tranquillité et la paix en société. » Le pauvre porte ainsi sur ses frêles épaules une énorme responsabilité : celle de devoir modérer ses appétits, pour le bien de tous. N’est-on pas, de nos jours, parvenus à un paroxysme de cette idée, lorsque le « pauvre » est affublé de tous les maux, comme celui de creuser les dettes par ses dépenses inconsidérées en matière de santé publique, de trop réclamer d’aides sociales au moment où près de dix millions de personnes, rien qu’en France, vivent en-dessous du seuil de pauvreté, et qu’apparaissent des travailleurs pauvres ? L’association bien connue ATQ-Quart Monde a publié en 2013 un petit opuscule intitulé En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, lequel dresse une large liste des idées reçues sur la pauvreté, avec force chiffres issus de sources officielles. Le résultat est simple : on se demande ce que l’on cherche à cacher, ce que l’on parvient à cacher derrière ces accusations. Selon vous, une prise de conscience collective est-elle possible ou sommes-nous condamnés à demeurer dans une société qui véhicule ce type de préjugés ?

 

DRD : J’espère que l’on pourra s’en libérer. Mais pour ce faire, il faut qu’il existe des instances de délibération, de discussion, or, est-ce que nos sociétés fonctionnent avec ces instances ? ce n’est pas sûr. Même si l’information est large, elle relaie souvent des idées toutes faites. Le problème est celui du discours démocratique, qui me semble menacé par la puissance des industries culturelles, médiatiques, qui modèlent l’opinion publique dans le sens de la production de ses idées fausses, qui font toujours recette. Ce qui peut avoir des conséquences dramatiques, avec l’apparition d’un certain nombre de phénomènes politiques dangereux. Je ne sais pas ce que l’avenir politique nous réserve, nous avons vécu des heures sombres, personne ne peut dire qu’il est impossible de les revivre.

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AP : Vous accordez, dans votre réflexion, une place très importante à Sade. Ses écrits ont pour vous une portée hautement philosophique, vous écrivez même que Si Marx avait lu Sade, « Nous n’aurions pas eu cette division hautement dommageable entre Marx d’un côté pour l’économie des biens et Freud de l’autre pour l’économie libidinale […] nous aurions pu disposer d’une économie générale des passions […] Nous aurions évité la captation et le fourvoiement des esprits rétifs à la théodicée smithienne dans ces fausses alternatives au capitalisme que furent les économies socialistes, qui ne pouvaient conduire qu’au plus lamentable des fiascos. » D’abord, vous ne ménagez personne, et ensuite, peut-on dire que l’on trouve exprimée là le cœur même de votre pensée politique, qui se situerait à la confluence d’un marxisme et d’un freudisme attentifs aux conséquences d’un monde pulsionnel profondément désymbolisé, dont Sade aurait en quelque sorte eu la prescience ?

 

DRD : Oui, Sade est véritablement l’ange noir du libéralisme. C’est celui qui dit en quelque sorte : « Vous voulez mettre au premier plan l’amour de soi ? Vous voulez mettre au premier plan l’égoïsme ? Et bien allons-y. » Et il construit donc toute une série d’utopies, ou plutôt de dys-topies, dans lesquelles il montre un monde qui serait entièrement régi par l’égoïsme, c’est-à-dire par un fonctionnement purement pulsionnel. Et dans cette mesure, oui, je fais grand cas de Sade. Ce n’est pas que j’aime lire Sade, car – tous les grands lecteurs de Sade, de Bataille à Annie Lebrun, l’ont signalé – sa lecture rend malade, mais il a mis le doigt sur quelque chose d’important : si vous mettez l’égoïsme au premier plan, voilà ce que cela donne. Et c’est insupportable – relisez pour vous en convaincre Les Cent Vingt Journées de Sodome ou revoyez le film qu’en a tiré Pasolini. On ne peut donc pas fonctionner que sur le plan pulsionnel.

 

C’est pour cela que je trouve important de voir le capitalisme comme quelque chose qui, à partir d’un certain moment, en 1929 – ce que j’appelle le « retour de Sade » – s’est de plus en plus mis à fonctionner sur un plan purement pulsionnel. C’est ainsi qu’il faut faire une analyse de la manière dont les pulsions fonctionnent, car elles reconfigurent le monde lorsqu’on les laisse aller à leurs fins : la mise au premier plan de l’avidité, notamment dans le monde de la finance, ou de l’obscénité dans la culture post-moderne, etc. Il faut, je crois, s’interroger sur le devenir de notre monde s’il devient entièrement pulsionnel. En ce sens, je prends Sade comme celui qui permet de construire une mise en garde, plutôt que comme quelqu’un qui exalte ce fonctionnement pulsionnel.

 

D : Les manifestations modernes de la servitude volontaire dans la Cité perverse

 

AP. : Vous rappeliez tout à l’heure l’importance du « moment » Reagan-Thatcher dans les années 80. Dans le deuxième chapitre de votre Cité Perverse, vous écrivez : « La révolution passive du capitalisme accoucha [...] de ces jeunes ambitieux cyniques, obsédés par l’argent et la réussite. Soit ceux-là mêmes qui ont pris, à partir des années 1980, la direction du monde. » Vous décrivez là les jeunes générations qui usèrent comme d’un leitmotiv du « greed is good » de la longue tirade prononcée par Gordon Gecko alias Michael Douglas, dans le film « Wall Street » d’Oliver Stone sorti en 1987 qui devint, à son corps défendant, un film culte pour toute cette génération avide d’argent facilement et rapidement gagné. Vous dites par ailleurs qu’aux Etats-Unis, quelqu’un a joué un rôle très important : Edward Bernays, le neveu de Freud…

 

DRD : Bernays est un personnage très important, il a été reconnu par le magazine Times comme une des cent personnalités les plus importantes du XXème siècle, et il a contribué à créer ce que l’on appelle aux Etats-Unis les public relations. Cela a à voir avec le marketing : il ne faut pas oublier que son premier livre s’appelle Propagande, au sens littéral du terme, soit comment manipuler l’opinion des gens. Il a eu pour lecteur et admirateur Joseph Goebbels…

 

Il a expliqué comment manipuler les désirs des individus, afin de leur donner, par le marché, un certain nombre de satisfactions en rapport à des désirs cachés. Il a permis de mettre en adéquation les désirs supposés des individus et des produits correspondants.

 

Je raconte, par exemple, l’épisode qui me semble inaugural et qui se passe en 1929 : la façon dont les femmes ont cru, à la suite de certaines mises en scène de Bernays, pouvoir se libérer… en fumant. Comment ? Tout simplement en prenant le petit objet phallique qui était à disposition des hommes seulement – les femmes qui fumaient étant alors considérées comme dévergondées-, elles ont été amenées à penser se libérer de l’oppression masculine en se mettant à fumer à leur tour. C’est ainsi qu’une opinion peut être manipulée, pour mettre en face d’un supposé désir, l’objet manufacturé, qui peut prétendument le satisfaire. Nous avons affaire aujourd’hui à un marketing généralisé, qui utilise la psychologie profonde, la psychanalyse comme le neveu de Freud savait le faire, mais qui utilise aussi la philosophie.

 

Par exemple, la philosophie deleuzienne a été exploitée d’une façon incroyable avec la reprise par la publicité de l’idée de nomadisme. Soyez nomades, ne dépendez plus de personne, déplacez-vous quand vous le voulez, ayez votre téléphone et vos produits nomades et vous serez complètement libres. Achetez les produits nomades pour ne plus dépendre de personne. Moyennant quoi les gens sont aujourd’hui accrochés à leur portable, doivent travailler en dehors de leurs heures de travail, car ils sont continuellement branchés. C’est aussi une des formes de la manipulation, où, en face d’un supposé désir de nomadisme, c’est-à-dire de sortie des groupes, des clans, de la famille, des communautés, l’on m’offre à acheter des produits qui permettent de faire de moi un vrai nomade, c’est-à-dire quelqu’un qui est continuellement branché. Drôle de nomade, en fait.

 

On met aussi aujourd’hui à profit la neuro-économie, dans la prise de décision d’achat, avec dans l’entourage de tout ce que l’on veut vendre, toute une série de sons, de couleurs, de musiques, supposés euphorisants, suggérant le bonheur, la liberté, et qui ainsi associés au produit, ont pour effet de précipiter la décision d’achat. Ainsi pour être libres, on s’aliène avec le produit. Tous ces mécanismes mettent en lumière un psycho-pouvoir. Nous pensons être libres mais c’est uniquement à la condition de s’aliéner immédiatement à la cigarette, aux produits qui nous poursuivent jour et nuit, comme le portable qui permet aux autres de suivre nos mouvements, nous déranger pendant les heures de repos.

 

AP : Ce qui est très étonnant c’est que, tout à coup, l’homme consent à son propre esclavage…

 

DRD : Exactement, c’est une nouvelle forme de servitude volontaire. C’était le sous-titre d’un de mes livres : la servitude volontaire à l’époque du capitalisme total [2].

 

AP  : D’où vient cette fragilité de l’homme ? Est-ce que cela vient de ce que vous appelez dans un autre ouvrage sa néoténie ?

 

DRD : Oui je pense qu’il faut évoquer ici la néoténie qui permet de comprendre que nous ne sommes pas finalisés pour occuper une place définie dans la hiérarchie des espèces, puisque nous naissons inachevés à la naissance. À la différence des animaux, nous n’avons pas d’instinct nous amenant à occuper une place particulière ; nous avons des pulsions, qui veulent tout et n’importe quoi. Cela crée une très grande débilité, au sens fort du terme, celui de faiblesse, de fragilité. Nous ne sommes pas fixés dans un monde qui est naturel, nous participons à un autre monde qui est celui du langage, de la culture, dans lequel les significations sont extrêmement mouvantes, sujettes à fluctuations et manipulations. C’est notre fragilité fondamentale. Mais cette fragilité est aussi la beauté de l’homme, cela le sort du règne animal, et lui permet de chercher sa voie, sa route.

 

C’est au fond par là qu’a commencé la Renaissance, avec le fameux « discours de la dignité humaine » de Pic de la Mirandole : vous n’êtes pas finalisés pour être ici plutôt qu’ailleurs, c’est donc que vous devez vous achever vous-mêmes. C’est une très belle mission, car c’est la part de liberté que Dieu, s’il existe, nous laisse. Pour une part, vous êtes formatés, mais pour une autre, c’est à vous de vous créer, pour le meilleur et pour le pire.

 

AP : La tentation de la sortie de la réflexion personnelle et du silence n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. L’homme est fondamentalement fragile mais il l’est rendu encore plus par une société pulsionnelle tentatrice…

 

DRD : Oui, elle pourvoit à tout, à toute pulsion, à toute passion. Ce que vous voulez, on vous le donne. Il n’y a plus de place pour ce que l’on appelait auparavant le retrait, toutes les expériences philosophiques de réforme de l’entendement par le retrait, se retirer du monde, penser par soi-même, etc. Nous sommes aujourd’hui constamment sollicités. Je milite beaucoup pour la reconstitution de cette capacité de retrait par rapport au monde : avoir un temps de pensée personnelle. Je rejoins, par exemple, des auteurs comme Pascal Quignard qui lui aussi recommande certaines formes de retrait. Ne pas être le battant performant que l’on exige que je sois. Ce temps hors monde me semble un temps important pour l’édification de soi.

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AP : Il est donc pour vous encore temps de faire primer le fonctionnement symbolique sur le fonctionnement pulsionnel ?

 

DRD : Je l’espère bien ! Même si cela devient difficile. Nous sommes tout le temps immédiatement embarqués dans un fonctionnement pulsionnel marchand. Le retrait pour un fonctionnement symbolique n’est donc pas gagné d’avance.

 

E : Le programme du Conseil National de la Résistance

 

AP : En 1943, la philosophe Simone Weil a rejoint la France Libre, sur recommandation de son ami Maurice Schumann, où elle est devenue rédactrice. Elle y rédigea un rapport plus tard publié par Albert Camus chez Gallimard qui s’appelle L’Enracinement. Ses propositions ont été, pour certaines, reprises dans le programme du Conseil National de la résistance (CNR), et vous en parlez dans votre dernier ouvrage, L’individu qui vient. Pouvez-vous nous parler de ces propositions et recommandations et nous dire pourquoi elles retiennent tant votre attention. N’est-ce pas dommage qu’elles n’aient jamais été suivies ?

 

DRD : De celles qui ont été mises en place hier, on essaie de sortir à toute force aujourd’hui. La décision de la publication de ce programme, Les Jours Heureux, se prend dans la clandestinité, en 1944. La question qui se pose est : comment refonder un monde sur le principe de dignité ? C’est un programme qui fut fondé non sur l’égoïsme de l’ultra-libéralisme des années vingt aux Etats-Unis qui à mené à la crise de 1929, laquelle a entrainé l’émergence du nazisme en Allemagne, où les foules se sont mises en recherche de l’homme providentiel désignant des boucs émissaires. La question qui se pose à ceux qui sont engagés dans la Résistance est donc celle de la reconstruction d’un monde sur le principe de dignité, et ils vont prendre toute une série de mesures politiques, par exemple le droit de vote accordé aux femmes. Il a fallu attendre 1945 en France pour s’aviser que les femmes étaient aussi capables de pouvoir penser par elles-mêmes et donc bénéficier du droit de vote. Ce sont aussi des principes économiques, l’intérêt collectif primant sur les intérêts individuels dans la grande industrie, dans la banque, la finance. C’est la liberté de conscience, la liberté de presse, le droit à l’éducation, la santé, au travail, à une protection sociale. Or, ces grandes mesures sont, depuis quelques années, remises en question, accusées d’empêcher la compétitivité de la France. Il faudrait détruire tout cela pour en revenir à un ultra-libéralisme équivalent à celui des années vingt, qui fait la toile de fond du grand roman de Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le Magnifique, lequel a récemment fait l’objet d’une belle adaptation cinématographique par Baz Luhrmann. Ce n’est un hasard si l’histoire est racontée par un employé de Wall Street, qui constate la folie, la démesure propres à l’ultra-libéralisme, qui renvoient au film dont vous parliez, Wall Street d’Oliver Stone.

 

L’ultra-libéralisme qui triomphe à partir de 1980 reprend en quelque sorte les idées des années vingt et ne peut que s’en prendre à ce qui a été mis en place après 1945. Désormais, le programme du CNR est désigné comme étant ce dont il faut se débarrasser, dans le but de détruire tout ce qui a été édifié à cette époque-là par cette alliance entre les résistants de tous bords que le gaullisme a su fédérer.

 

AP  : Et celle alliance se fait, par nécessité, au-delà des antagonismes idéologiques, en dehors des partis. Et Simone Weil a écrit un petit opuscule, à ce sujet, intitulé Sur l’interdiction des partis politiques. N’est-on pas aujourd’hui confrontés, plus qu’à la crise d’une idéologie, à une crise de la démocratie elle-même ?

 

DRD  : Une crise politique, bien sûr. L’opposition gauche-droite ne signifie plus grand-chose. Nous avons besoin d’autres expressions politiques.

 

AP : On constate d’ailleurs l’apparition d’une gauche que ses contempteurs nomment « réactionnaire », repérable dans les travaux, notamment, de Jean-Claude Michéa.

 

DRD : Je connais Jean-Claude Michéa et je crois pouvoir dire que nous nous apprécions mutuellement, et je suis considéré comme lui comme un néo-réactionnaire. J’analyse le capitalisme ultra-libéral dans son fonctionnement actuel et on me dit néo-réactionnaire, ce qui est tout de même un comble.

 

F : Sur la négation de la « sexuation » : un effet de la pensée permissive

 

AP : Pour ne rien arranger, vous abordez notamment la question de la négation de la sexuation dans nos sociétés postmodernes, qui vous amène à faire une critique de fond du transsexualisme. On vous reproche en conséquence d’être contre les transsexuels, ce qui est évidemment pas le cas, mais vous expliquez que c’est un exemple – et vous faites grand cas des exemples, des faits, puisque vous distinguez entre le fait divers et le fait de structure – ce qui rend votre lecture intéressante, vivifiante et passionnante, car le lecteur voyage dans la philosophie ainsi que, au travers des faits de structure, dans le monde tel qu’il se présente à nous.

 

DRD : Les concepts philosophiques sont pour moi des moyens d’appréhender des éléments et évènements du monde dans lequel nous vivons. Je ne me situe pas dans le monde pur des idées, les concepts sont pour moi des moyens de comprendre et d’entrer dans le monde. Le transsexualisme est à ce titre un symptôme de notre monde. Il doit être analysé avec des concepts philosophiques et psychanalytiques mettant en jeu de grandes questions telles que la constitution et la survie de notre espèce en tant que sexuée. Cette différence sexuelle partie du réel avec lequel nous devons nous accommoder. Nous sommes vivants et donc homme ou femme. Mais nous sommes aussi parlants et il se peut que quelque chose en nous objecte à ce que nous soyons tombés de tel ou tel côté de la sexuation. Je veux dire qu’une femme peut se sentir plus homme que femme ou l’inverse, et je n’ai rien à redire à cela. Rien n’interdit de fantasmer, de se fantasmer autre que ce que nous sommes. Mais à partir du moment où l’on veut devenir vraiment une femme alors que l’on est un homme, ou l’inverse, je pense qu’il y a là une limite à signifier au fantasme. En effet, ce n’est pas parce que je me pense femme si je suis homme, ou l’inverse, que je peux vraiment le devenir. Je peux me travestir et cela fait partie des droits de l’homme. Ainsi porter des vêtements de femme si je suis un homme est une chose, mais passer d’un corps d’homme à un corps de femme en est une autre, car c’est de toute façon impossible. Je pourrais bien faire couper ou ajouter ce que je veux, j’aurai toujours en moi le gêne SRY de la détermination sexuelle qui me désignera à jamais comme mâle ou femelle.

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Or, il y a aujourd’hui toute une industrie médicale et chirurgicale qui promet le changement de sexe, ce qui est un mensonge. On peut changer d’apparence, de look, mais pas de sexe.

 

Du coup, cela m’oblige à prendre position dans le débat sur la PMA et la GPA. Je ne suis pas opposé à ce que des homosexuels adoptent des enfants, car de nombreux enfants ont été recueillis et élevés par des voisins, des oncles ou (sans mauvais jeu de mots) des tantes, et rien ne permet de penser que les homosexuels seraient de plus mauvais parents que bon nombre d’hétérosexuels. Mais on doit veiller à ce que l’enfant ne puisse pas se penser comme fils ou fille de parents adoptifs homosexuels. Ce serait, à ce moment-là, introduire en lui l’idée qu’il aurait échappé à la division sexuelle. C’est pour cela que dans un article du Monde j’ai milité pour qu’on distingue, dans l’identité, deux niveaux juridiques : celui de la procréation (qui sont les parents réels, les géniteurs), et celui de la filiation (qui sont les parents subrogés, ceux qui éduquent l’enfant).

 

Un enfant doit en effet toujours savoir qu’il est né d’un homme et d’une femme, même s’il est élevé par des homosexuels. Sans cette obligation, il ne peut y avoir que des catastrophes provoquées par un déni de réel, comme penser qu’on est l’enfant de deux hommes ou de deux femmes.

 

AP : Il y a un certain nombre de dérives, notamment aux Etats-Unis, où l’on féconde in vitro des enfants pour des couples, et où des sociétés proposent presque de choisir son enfant, comme on choisit une voiture, sur catalogue. Le processus de procréation est ainsi nié, et l’enfant n’est que le fruit d’une manipulation biologique.

 

DRD : La technique doit être ici interrogée. Certaines techniques permettent aujourd’hui la réalisation, le passage au réel du fantasme. Elles mettent en question le réel sur lequel nous sommes anthropologiquement fondés.

 

G : Le dépassement de la structure binaire du structuralisme (de Lévi-Strauss à Blanchot)

 

AP : J’aimerais revenir sur l’importance que vous donnez à la littérature, et notamment à Blanchot, que vous appelez comme « Le grand lecteur du XXème siècle », et ce dès Faux pas et La Part du Feu. Il a inspiré des philosophes-écrivains comme Barthes, Derrida, Foucault, qui font se rencontrer littérature et philosophie. Il fut l’inventeur de « formes rhétoriques saisissantes », écrivez-vous, résultat du maniement très adroit de la figure unaire, « qui permet l’échange de tout en rien, de rien en tout, de l’absence en présence… ». Blanchot demeure selon vous une figure tutélaire invisible. Cette forme unaire fait l’objet de votre premier ouvrage Le Bégaiement des maîtres : Lacan, Émile Benveniste, Lévi-Strauss [3] publié en 1988, dans lequel vous reveniez sur l’enseignement des maîtres du structuralisme. Pouvez-vous préciser ce que vous entendiez par la « structure unaire » de l’énonciation et à quoi celle-ci s’oppose ?

 

DRD : J’ai commencé mon travail de philosophe en essayant de sortir de la logique binaire du structuralisme, qui était contemporain, par Lévi-Strauss par exemple, de la naissance de la cybernétique. Ce n’est pas un hasard s’il a écrit Le cru et le cuit qui est devenu le premier tome des Mythologiques : ce titre évoque une opposition binaire. Et, de fait, Lévi-Strauss analyse les structures de parenté ou le fonctionnement du mythe à l’aide de ces structures binaires. Cela m’est apparu et m’apparaît toujours comme extrêmement important, mais très réducteur, car c’est oublier qu’il y a d’autres types de structures, comme la structure trinitaire (c’est pour cela que mon deuxième livre s’appelait Les Mystères de la Trinité, dans lequel j’ai travaillé sur les formes trinitaires dans l’inconscient, le récit et l’énonciation), et la forme unaire. Un exemple fameux de forme unaire est la parole biblique : « je suis celui qui suis ». Ehièh Ascher Ehièh. Ce qui permet l’auto-fondation de Dieu. A partir d’un moment, cela n’a plus été réservé à Dieu, si je puis dire. Ce n’est pas un hasard si, à partir de 1946, après guerre donc, Benveniste et Jakobson ont affecté cette formule désignant le Grand Sujet aux petits sujets. Comme si Dieu, du fait des exactions des hommes, était mort et que les petits sujets ne pouvaient plus désormais compter que sur eux-mêmes pour se fonder. Cela a donc mis à l’ordre du jour une autre structure, qui est la structure unaire, le « Je qui dis Je » dans laquelle le prédicat et le sujet sont le même. C’est ma lecture de Blanchot qui m’a guidé sur ces structures unaires, il m’a fait sortir de l’emprise binaire totale qu’avait à un moment donné le structuralisme. Même si je ne récuse pas l’idée qu’il existe des structures binaires, je persiste à croire qu’il existe aussi des structures trinitaires et unaires qui sont particulièrement en jeu dans les domaines révélés par les écrits bibliques, la grande littérature. On doit pouvoir les remettre à l’ordre du jour pour penser des phénomènes importants dans le champ de la subjectivation et dans le champ du rapport à l’autre, c’est-à-dire dans les domaines de l’être-soi et de l’être-ensemble. Par exemple : nous ne sommes jamais deux lorsque nous parlons, mais toujours trois. Car quand je parle, « je » parle à un « tu » à propos de « il », lequel renvoie à ce dont nous parlons. Dès que nous ouvrons la bouche pour dire « je », nous sommes donc spontanément trois. Dans le dialogue, nous sommes trois. Mes travaux s’initient à partir de cette sortie du structuralisme pur et dur, qui m’avait beaucoup influencé quand j’étais jeune, et cela m’a contraint à aller rechercher ces autres structures ailleurs : dans le récit biblique et dans la grande littérature, notamment celle de Blanchot ou de Beckett.

 

H : Le libéralisme anti-utilitariste (Constant, Tocqueville) et le kantisme

 

AP. : On aura compris que vous critiquez le libéralisme (en réalité plutôt l’ultra-libéralisme) et en particulier la pensée d’Adam Smith et l’influence très forte qu’il a eu sur l’émergence d’une société fondamentalement perverse. Mais il existe un libéralisme français et anti-utilitariste chez Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville. Pourquoi ne pas en parler, puisqu’il permettrait peut-être de montrer que plus qu’une crise du libéralisme, il s’agit d’une déviance d’un certain libéralisme, au sein de ce qui serait en réalité une crise de la démocratie ?

 

DRD : Je ne critique pas le libéralisme politique qui est selon moi une nécessité et une évidence, ce qui m’inquiète c’est le libéralisme économique, ultra, qui étouffe même le libéralisme politique. Il est vrai que je parle peu du libéralisme de Constant et Tocqueville, cela reste quelque part dans ma tête, car je me sens en accord avec ce libéralisme politique, et je le sens même menacé par le libéralisme économique qui prévaut à l’heure actuelle. J’espère avoir le temps d’en repasser par ces auteurs.

 

AP. : Vous opposez Sade à Kant, pour des raisons qui sembleront évidentes. Vous écrivez même dans le deuxième chapitre de la Cité Perverse que La Religion dans les limites de la simple raison a paru la même année que La philosophie dans le boudoir, en 1795. Nous notez que dans son livre Kant semble parler du cas Sade, lorsqu’il évoque « celui qui a choisi l’égoïsme, l’amour inconditionnel de soi », rappelant ainsi la figure du « scélérat » chez Sade. Or il apparaît toujours compliqué de savoir ce que Kant entend par « raison pratique ». Constant fait apparaître, dans la querelle qui les oppose à propos du mensonge, quelque chose d’assez effrayant chez Kant, et qui est en quelque sorte l’anti-humanisme de sa morale. On se souvient de la phrase de la Doctrine du Droit : « La politique doit plier le genou devant la morale. » Cela mènera plus tard, peut-être, à une raison fondamentalement technocratique que l’on retrouve chez Habermas dans sa théorie de l’agir communicationnel. Habermas grand défenseur de l’Europe, elle-même monstre technocratique par excellence…

 

DRD : J’ai été amené à travailler sur la querelle entre Benjamin Constant et Kant par Jean-Claude Michéa qui me faisait la même objection : en suivant sa loi morale, Kant aurait pu dénoncer des résistants à la police vichyste. En fait, je pense que c’est plus compliqué que cela. Vous savez que Kant a écrit un essai sur le mal absolu, et je crois qu’il n’a pas eu le temps d’en écrire un autre sur le mal relatif. C’est donc à nous de l’écrire. S’il l’avait écrit, il aurait résolu autrement sa querelle avec Constant (d’ailleurs au moment de celle-ci, il ne se souvenait plus très bien de quoi Constant parlait). Il aurait convenu qu’il faut parfois mentir pour sauvegarder une forme de loi puisque celle-ci n’est pas nécessairement incarnée dans un pouvoir politique. Il faut ici, je crois, distinguer entre pouvoir et autorité. Celui qui a le pouvoir ne dispose pas nécessairement de l’autorité qui, seule, est conférée par la loi. Or, la loi renvoie à ce qui est supérieur à toute forme de représentation par des individus qui occupent des fonctions de pouvoir. Kant aurait donc pu écrire un essai sur le mal relatif, dans lequel il aurait fini par dire qu’il ne faut absolument pas dénoncer ses voisins à un pouvoir venant frapper à la porte, parce que ceux qui s’en réclament ont peut-être, plus que d’autres, désobéi, pour conquérir le pouvoir, à cette loi supérieure. On ne peut donc pas régler le sort de Kant en affirmant qu’il fait allégeance au pouvoir, sauf à aller dans le sens d’un formalisme comme celui d’Habermas, ou pire, dans le sens de ceux qui disent que Kant a anticipé le nazisme, ce qui est un contresens philosophique total, malheureusement commis par quelques philosophes, comme Onfray.

 

I : Philippe Muray. L’Europe

 

AP : Une dernière question. Que représente pour vous la transformation de la contestation du monde marchand ? N’a-t-elle pas fini par devenir acceptation, pire, participation à celui-ci, qui semblait pourtant être une des raisons de la colère de la jeunesse bourgeoise de mai 68 ? Le cas Cohn-Bendit semble à cet égard tout à fait significatif : membre du Parlement européen pendant plus de vingt ans, partisan d’une Europe fédérale, donc destructrice des Etats-Nations pourtant fondements de la citoyenneté européenne, il a toujours soutenu une organisation politique dont la structure est fondamentalement technocratique. Au fond, tout se passe comme si les libertaires de Mai 68 s’étaient formidablement retrouvés dans le libéralisme libertaire permissif, qui semble vouloir en finir avec l’homme, passer à une civilisation post-humaine dans une Europe branchée, férue d’art contemporain insignifiant ou de fêtes incessantes, que fustigeait un écrivain que vous citez beaucoup et dont vous saluez le talent : Philippe Muray. « L’Occident s’achève en bermuda », écrivait-il. Pour lui, la postmodernité montre une réelle « régression anthropologique », du point de vue de l’art, de l’éducation, des loisirs, du rapport à l’histoire, aux différentes pratiques humaines…

 

DRD : Tout d’abord, un mot sur Philippe Muray. Il est évident que c’est une délectation de le lire, tant c’est un homme libre, qui n’appartient pas au carcan de la gauche hédoniste transgressive dont nous parlions, et qui analyse tous les effets réactionnaires de la transgression, justement. Il pense le monde vers lequel cela peut nous amener. On l’a classé à droite, mais il peut à mon avis aussi bien être classé à gauche, voire à l’extrême-gauche. D’ailleurs il vient de ce monde, il a été soixante-huitard sans le renier. C’est un analyste merveilleux, un homme qui n’est pas embarrassé par toutes les formes prégnantes du libéralisme de gauche, de son politiquement correct, il y va donc de bon cœur, et le lire est tout à fait revigorant.

 

Ensuite, sur la forme que pourrait avoir une Europe. Il est évident le capitalisme marchand et financier ne peut pas souffrir la conservation des Etats, puisqu’ils sont ce qui ne peut que freiner la circulation toujours élargie de la marchandise, en imposant des règlements sanitaires, le droit du travail, ou des formes de régulations économiques et financières.

 

Donc, la visée de ce capitalisme marchand et financier est clairement la destruction des Etats. Maintenant, faut-il se diriger vers des formes de souverainisme à l’ancienne ? Je ne crois pas. Car les États n’ont plus la force de s’opposer aux flux marchands, et peuvent être contournés très facilement. La solution serait peut-être de mettre en sourdine leurs différences, qui ont amené à tant de guerres en Europe, et de mettre ensemble ce que les Etats-Nations européens ont en commun, sous la forme, par exemple, d’une fédération qui pourrait alors avoir la force suffisante pour réguler les flux marchands et financiers.

 

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La Cité perverse

. Libéralisme et pornographie

 

 

Notes :

 

[1] Dany-Robert Dufour, La Cité perverse. Libéralisme et pornographie, Gallimard, coll. Folio, 2012

 

[2] cf. Dany-Robert Dufour, L’art de réduire les têtes. Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Denoël, 2003

 

[3] Dany-Robert Dufour : Le bégaiement des maîtres : Lacan, Emile Benvéniste, Lévi-Strauss, 1988, Bourin, 1994

DIEGO FUSARO: La globalizzazione come falsa multiculturalità

DIEGO FUSARO: La globalizzazione come falsa multiculturalità

 

mardi, 17 février 2015

DIEGO FUSARO: Bernard-Henri Lévy e i "Nouveaux Philosophes"

DIEGO FUSARO: Bernard-Henri Lévy e i "Nouveaux Philosophes"

 

samedi, 14 février 2015

The New Market Ideology

 

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Jure Vujic:

The New Market Ideology

Conference about ideological tendencies in contemporary society, Zagreb, Croatia, december 2014.

"Ideological Tendencies” Gathered A Few Hundred Inquiries

The big hall of ‘Matica Hrvatska’ (MH) was packed on a Thursday 11th december with those whose attention had been drawn by the topic of a round table which had been organized by World Youth Alliance Croatia in cooperation with Politology Department of MH .

Ideological tendencies in contemporary society do not only relate to totalitarian regimes which naturally spring up when we talk about ideology as a commonly accepted term, said the head of Politology Department of MH, political scientist Jure Vujić who started the polemic. Market ideologists, thinks Vujić, brace the myth of continuous progress which as a goal has a fulfillment of some kind of lost paradise for which every man is yearning. They succeed in their means following a distorted human consciousness which holds that the progress is exclusively maintained by market development.

A viewpoint that science is the only means to the genuine knowledge about the world is what differs science from scientism, said prof. Stipe Kutleša, physicist and a philosopher, pointing to the snare to which modern science falls in. In the same manner as every ideology does not permit the existence of truth claims outside of her own system, some scientist do not think there is genuine knowledge apart of empirically verifiable one.

Professor Tomislav Kovač from the Faculty of Catholic Theology in Zagreb spoke about religious fundamentalism in the context of ideologies, which attracts the most attention in the public square. Albeit public recognition is generally restricted to fundamentalist acts of some Islamic fractions, the notion as it is has its roots in American Protestantism, which had, two centuries ago, brought forth few groups which were against the modernization and secularization of society. In that sense, Kovač holds, we shall rather speak in plural – religious fundamentalisms. They start off from principally positive things, stoping the overwhelming secularization of society, but the way they act takes the ideological forms.

When it comes to neo-liberalism, dr. sc. Neven Šimac again reflected upon market component and warned, whilst presenting a survey of modern economical crisis, that in mentality which justifies indebtedness as an effect of stance that we ought to be greedy, crisis is being understood as “normal”.

Young doctoral student , Marina Katinić, appeared with the feminism topic, citing the works of 16-th century male Croatian novelists. Katinić tried to define, using the historical review, settings in modern feminism movements which have ideological tendencies. She emphasized cyber-feminism as a means to the end in redefining gender using cyber space.

After lectures, discussion emerged. Judging by the questions posed, we can conclude that the topic audience was the most interested in was neo-liberalism. Lecturers agreed that “mercantile logic unifies all critically analyzed ideologies”.

 

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Hrvoje Vargić, World Youth Alliance Croatia’s Vice President, M.A. in Economics and philosophy student moderated the event. The entire event was of humanitarian character, hence participants, whilst the admission was free, could contribute to youngsters living in Home for orphans at Vrhovac, Zagreb.

World Youth Alliance Croatia is a branch of the global organization World Youth Alliance which is dedicated to promoting and defending human dignity and solidarity among youth, by means of educational and cultural content and youth impact on public policies. WYA has been in Croatia for little over a year. In that time, several cultural and educational events have been carried out.

Jure Vujic :

The new market ideology

(memory-speech)

The market is everyday life became unquestionable paradigm and part of our mental habit. As a term that represents the place where the supply and demand, the market has also become part of our social imaginary that runs through advertisements, phones, internet, and the ubiquity of talking about the status of socio-political dogma which imperatively associated democracy with a market system. But despite being a market mechanism to regulate relations between buyer and seller (and there is nothing objectionable), it is highly questionable paradigm when it became the dominant model of social, political and cultural organization. We should not forget that the market always involves the quantification of value, services and goods, and that, as such, impose ideological terms criterion and inevitably reduces all human dimension to the utilitarian equation. In fact the market, as pointed out by economist Roger Guesnerie, "great abstraction", which colonized all other cultural and philosophical dimensions of life. The Hungarian-American economist Karl Polanyi rightly distinguishes between the "market society" from "market economy". The market economy is formed when strategic public wealth, and there is talk about the work, land and natural resources, are destined for sale. The market economy in turn becomes a market society when the market dictates its legality social and political institutions. Polanyi in this case speaks of a society that is built into the economy, although the economy should be integrated into society. In this way, under the pressure of conceptual confusion democracy itself became a "market" and thus should replace all other forms of social democracy.

It is true that the market has never been independent of society. Smith's laissez-faire dogma fact is fiction and not a natural category. The market never establishes itself, because free markets never have existed if left to market anarchy and spontaneous course of things. The Company provides and restricts his place, and when the market disappeared, will not be forgotten and society, which means that market disappeared just as the organ of economic autoregulation. Another prejudice widespread belief that the market determines and understood democracy as though the market really comes to the pluralism of social life, it should be noted that it is very well adapted to each other form of political regime and order. It is now scientifically accepted that the market is not the only pattern of democracy, and Polanyi believes that fascism is a direct result of dysfunction of market societies. The greatest weakness of the market is that it is not tied to any parent ethical norm, and sociologist Jean Gadrey points out that what actually impoverishes social relations based on reciprocity and solidarity. Moreover, Polanyi points out, under the trade policy of the poor can "starve".

The Enlightenment's sources of market ideology

To better understand this paradigm change (transition from a market economy to a market society) should first determine which are the philosophical roots of the market and point to his close connection with the liberal philosophy of the Enlightenment. It could be said that the paradigm of economic growth from the eighties replaced paradigm of sustainable growth, while the advent of neo-liberalism ideology of the market is becoming a new global paradigm that humanity should usher in a new golden age, the lost paradise "welfare society". This is a new secular religion that through competition and material success actually offers a new salvation and redemption. The market is as a social model has undergone fate similar to that of reason and rationality, which are mutated during the Enlightenment of human cognitive powers of the instrument calculated utilitarianism which calculate the most economical application of resources for a particular purpose. Instrumental market as an interchange framework and its idolatry turned into a kind of epistemological goal (not as a framework trade) that the law of supply and demand applies to all social, cultural and political segments of human society. Market neoliberal global uniformisa- and fetishization of the free market (free market) on a planetary scale is actually an offshoot of a postmodern utopia unified humanity which is found in Tomasso Campanella, Thomas Moore, Kant, Fourier and Saint-Simon, and later in the Wilsonian ideals of world rule. In this sense, the global unified market should unite mankind in planetary consumer society in which should disappear ethnic and religious conflicts. The ideology of the market, therefore, is the main engine of spreading the ideology of sameness.

Liberal economic and political ideology was created with the philosophy of the Enlightenment, and the economic, monetary and political dimension of the market can not be reviewed or evaluated outside the framework of understanding the world and society based on the Enlightenment, ie the piLiberalosophy of John Locke, David Hume, Mandeville ("private vices are the source of virtues "), Voltaire, Adam Smith and others. It is no coincidence that identities are formed as part of the Enlightenment and become problematic in the modern era. And that in turn means that the holder of a modern changes that directly damage identities. This change is primarily related to the growth of individualism, whose origins go back to the philosopher Descartes. For Descartes, there are "sublimation of man", as the author states in advocating a kind of "ontological loneliness", where a man now do not need any more communities. One of the consequences of political atomism which appears in the 17th century, especially in the theories of the social contract, as well as reducing the individual to socially isolated and replaceable atom.

A society without institutions

The ideology of the market belongs to constructivist conceptual matrix that does not recognize the reality of the natural and organic base of society and as such stems from the mechanical conception of society that are opposed to the idea of the community. The ideology of liberalism, which touched economy somewhat during the 19th century and the advent of modern spread its epistemological impact on the field of social sciences and humanities. The radicalization of the new liberal political philosophy after the First and Second World War led to the legacy of economic and social democracy (Catholic social teaching). There is the vision of a world reduced to a market that promotes a new cultural model. This new liberal "vision of the world" is gradually incline the Social Democrats, the right and left liberals, Democrats and part of the labor unions. In parallel with the rise of monetarism seventies created a new tendency in the form of the liberal faction, which is based on microeconomic principles of synthesis that wants to integrate "the overall social and human behavior". Representative current and Gary Becker, who in economic theory introduces traditional sociological elements: racial and sexual discrimination, education, consumption and distribution of time and family. Its synthesis is based on two pillars: market equilibrium hypothesis and maximize profits.

Becker's approach radicalizes liberal thesis in relation to the neoclassical school, which accepts the possibility of dysfunction of the market because the market at Becker ubiquitous phenomenon. This understanding of the market advocates the application of instrumental rationality. According to him all the individual and social behavior deductively derived from the same rationality and the individual is abstract being no liability in relation to community and others. Therefore, every social interaction determines the economic interest. Such flow products postulate that paved the way neoliberal era: it is possible to establish a society without institutions. Family, businesses, interest groups, states and schools are just derivatives of interest games of different actors, and every form of historical genesis and sedimentation, which explains the development is considered from this perspective useless. The symbolic narrative repertoire of world views, perceptions, traditions and culture thrown in favor of maximizing profits, and microeconomics becomes a social link and the main principle. These are difficult and led to further economization of all the other dimensions of human existence. The neoliberal school even criticized Milton Freedman or Friedrich Hayek that are not radical enough on the criticism of state interventionism as to her state should completely disappear and give way to the market. Michel Foucault is so lucid that neoliberalism is gradually becoming a "technique of government economic and social policy that expands the market mechanisms and laws to all other segments".

Market and culture

The new libertarian vision of society promotes the idea of the market as an ideal model of social relations, and the ubiquity of market logic is colonized and the sphere of culture. Indeed, his commercialization and industrialization of culture, but do need to point out that the man as a social being in its entirety has become a mechanism to renew logic instrumentalized reason, the logic of profit and interest. Market promotes ideology through visual culture while trying to win over society and individuals because it denies other forms of symbolic exchange and social relations based on ritual dimensions and other cultural codes. The concept of network markets was coined by Robert Leroy to describe the market in the form of a network that connects the whole society in which it is difficult to identify what the Economic and what the cultural sphere. Capitalism has gradually adapted to such cultural dimension of the market and in its contemporary ludic and cognitive form of manipulating consumption. Modern form of capitalism is no longer, as in the 19th century, subject only to market forces in the sphere of production, but now is a part  of private life in the sphere of consumption, ideas, art, education and private life. Created by a new form of fatalistic resignation that assumes that the capitalist system is invariable and that encourages a kind of escapism in the form of the pleasures of sex, drugs and can be derived from this model of one-dimensional man. What is visible in the political arena is that the ideology of the market and neoliberalism shook the entire ideological tradition and structure of the Left and the Right, social democracy, Christian democracy and communist tradition and that prevented the emergence of alternative non-market social and economic model. It could, finally, to say that the historical irony that Marxist materialist homo economicus project actually leads to the end and improved roller economization of neoliberal ideology of the market.

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jeudi, 12 février 2015

Selfie Culture at the Intersection of the Corporate and the Surveillance States

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Terrorizing the Self

Selfie Culture at the Intersection of the Corporate and the Surveillance States

by HENRY GIROUX
Ex: http://www.counterpunch.org

Surveillance has become a growing feature of daily life wielded by both the state and the larger corporate sphere. This merger registers both the transformation of the political state into the corporate state as well as the transformation of a market economy into a criminal economy. One growing attribute of the merging of state and corporate surveillance apparatuses is the increasing view of privacy on the part of the American public as something to escape from rather than preserve as a precious political right. The surveillance and security-corporate state is one that not only listens, watches, and gathers massive amounts of information through data mining necessary for monitoring the American public—now considered as both potential terrorists and a vast consumer market- but also acculturates the public into accepting the intrusion of surveillance technologies and privatized commodified values into all aspects of their lives. Personal information is willingly given over to social media and other corporate based websites such as Instagram, Facebook, MySpace, and other media platforms and harvested daily as people move from one targeted website to the next across multiple screens and digital apparatuses. As Ariel Dorfman points out, “social media users gladly give up their liberty and privacy, invariably for the most benevolent of platitudes and reasons,” all the while endlessly shopping online and texting.[1] While selfies may not lend themselves directly to giving up important private information online, they do speak to the necessity to make the self into an object of public concern, if not a manifestation of how an infatuation with selfie culture now replaces any notion of the social as the only form of agency available to many people. Under such circumstances, it becomes much easier to put privacy rights at risk as they are viewed less as something to protect than to escape from in order to put the self on public display.

When the issue of surveillance takes place outside of the illegal practices performed by government intelligence agencies, critics most often point to the growing culture of inspection and monitoring that occurs in a variety of public spheres through ever present digital technologies used in the collecting of a mass of diverse information, most evident in the use video cameras that inhabit every public space from the streets, commercial establishments, and workplaces to the schools our children attend as well as in the myriad scanners placed at the entry points of airports, stores, sporting events, and the like. Rarely do critics point to the emergence of the selfie as another index of the public’s need to escape from the domain of what was once considered to be the cherished and protected realm of the private and personal. Privacy rights in this instance that were once viewed as a crucial safeguard in preventing personal and important information from being inserted into the larger public domain. In the present oversaturated information age, the right to privacy has gone the way of an historical relic and for too many Americans privacy is no longer a freedom to be cherished and by necessity to be protected. In fact, young people, in particular, cannot escape from the realm of the private fast enough. The rise of the selfie offers one index of this retreat from privacy rights and thus another form of legitimation for devaluing these once guarded rights altogether. One place to begin is with the increasing presence of the selfie, that is, the ubiquity of self-portraits being endlessly posted on various social media. One recent commentary on the selfie reports that:

A search on photo sharing app Instagram retrieves over 23 million photos uploaded with the hashtag #selfie, and a whopping 51 million with the hashtag #me. Rihanna, Justin Bieber, Lady Gaga and Madonna are all serial uploaders of selfies. Model Kelly Brook took so many she ended up “banning” herself. The Obama children were spotted posing into their mobile phones at their father’s second inauguration. Even astronaut Steve Robinson took a photo of himself during his repair of the Space Shuttle Discovery. Selfie-ism is everywhere. The word “selfie” has been bandied about so much in the past six months it’s currently being monitored for inclusion in the Oxford Dictionary Online.[2]

What this new politics of digital self-representation suggests is that the most important transgression against privacy may not only be happening through the unwarranted watching, listening, and collecting of information by the state. What is also taking place through the interface of state and corporate modes of the mass collecting of personal information is the practice of normalizing surveillance by upping the pleasure quotient and enticements for young people and older consumers. These groups are now constantly urged to use the new digital technologies and social networks as a mode of entertainment and communication. Yet, they function largely to simulate false notions of community and to socialize young people into a regime of security and commodification in which their identities, values, and desires are inextricably tied to a culture of private addictions, self-help, and consuming.

Selfie-Per-Hour.jpgThe more general critique of selfies points to their affirmation as an out of control form of vanity and narcissism in a society in which an unchecked capitalism promotes forms of rampant self-interests that both legitimize selfishness and corrode individual and moral character.[3] In this view, a market driven moral economy of increased individualism and selfishness has supplanted any larger notion of caring, social responsibility, and the public good. For example, one indication that Foucault’s notion of self-care has now moved into the realm of self-obsession can be seen in the “growing number of people who are waiting in line to see plastic surgeons to enhance images they post of themselves on smartphones and other social media sites. Patricia Reaney points out that “Plastic surgeons in the United States have seen a surge in demand for procedures ranging from eye-lid lifts to rhinoplasty, popularly known as nose job, from patients seeking to improve their image in selfies and on social media.”[4] It appears that selfies are not only an indication of the public’s descent into the narrow orbits of self-obsession and individual posturing but also good for the economy, especially plastic surgeons who generally occupy the one percent of the upper class of rich elites. The unchecked rise of selfishness is now partly driven by the search for new forms of capital, which recognize no boundaries and appear to have no ethical limitations.

In a society in which the personal is the only politics there is, there is more at stake in selfie culture than rampant narcissism or the swindle of fulfillment offered to teenagers and others whose self-obsession and insecurity takes an extreme, if not sometimes dangerous, turn. What is being sacrificed is not just the right to privacy, the willingness to give up the self to commercial interests, but the very notion of individual and political freedom. The atomization that in part promotes the popularity of selfie culture is not only nourished by neoliberal fervor for unbridled individualism, but also by the weakening of public values and the emptying out of collective and engaged politics. The political and corporate surveillance state is not just concerned about promoting the flight from privacy rights but also attempts to use that power to canvass every aspect of one’s life in order to suppress dissent, instill fear in the populace, and repress the possibilities of mass resistance against unchecked power.[5] Selfie culture is also fed by a spiritually empty consumer culture driven by a never-ending “conditions of visibility…in which a state of permanent illumination (and performance) is inseparable from the non-stop operation of global exchange and circulation.”[6] Jonathan Crary’s insistence that entrepreneurial excess now drives a 24/7 culture points rightly to a society driven by a constant state of “producing, consuming, and discarding”—a central feature of selfie culture.[7]

Once again, too many young people today seem to run from privacy by making every aspect of their lives public. Or they limit their presence in the public sphere to posting endless images of themselves. In this instance, community becomes reduced to the sharing of a nonstop production of images in which the self becomes the only source of agency worth validating. At the same time, the popularity of selfies points beyond an over indulgent narcissism, or a desire to collapse the public spheres into endless and shameless representations of the self. Selfies and the culture they produce cannot be entirely collapsed into the logic of domination. Hence, I don’t want to suggest that selfie culture is only a medium for various forms of narcissistic performance. Some commentators have suggested that selfies enable people to reach out to each other, present themselves in positive ways, and use selfies to drive social change. And there are many instances of this type of behavior.

Many young people claim that selfies offer the opportunity to invite comments by friends, raise their self-esteem, and offer a chance for those who are powerless and voiceless to represent themselves in a more favorable and instructive light.[8] For instance, Rachel Simmons makes a valiant attempt to argue that selfies are especially good for girls.[9] While this is partly true, I think Erin Gloria Ryan is right in responding to Simmons claim about selfies as a “positive-self-esteem builder” when she states: “Stop this. Selfies aren’t empowering; they’re a high tech reflection of the fucked up way society teaches women that their most important quality is their physical attractiveness.”[10] It is difficult to believe that mainstream, corporate saturated selfie culture functions to mostly build self-esteem among young girls who are a target for being reduced to salacious sexual commodities and a never-ending market that defines them largely as tidbits of a sensationalized celebrity culture. What is often missing in the marginalized use of selfies is that for the most part the practice is driven by a powerful and pervasive set of poisonous market driven values that frame this practice in ways that are often not talked about. Selfie culture is now a part of a market driven economy that encourages selfies as an act of privatization and consumption not as a practice that might support the public good.

What is missing from this often romanticized and depoliticized view of the popularity of selfies is that the mass acceptance, proliferation, and commercial appropriation of selfies suggests that the growing practice of producing representations that once filled the public space that focussed on important social problems and a sense of social responsibility are in decline among the American public, especially many young people whose identities and sense of agency is now shaped largely through the lens of a highly commodified and celebrity culture. We now live in a market-driven age defined as heroic by the conservative Ayn Rand, who argued in her book, The Virtue of Selfishness, that self-interest was the highest virtue and that altruism deserved nothing more than contempt. This retreat from the public good, compassion, care for the other, and the legitimation of a culture of cruelty and moral indifference is often registered in strange signposts and popularized in the larger culture. For instance, one expression of this new celebrity fed stupidity can be seen less in the endless prattle about the importance of selfies than in the rampant posturing inherent in selfie culture most evident in the widely marketed fanfare over Kim Kardashian’s appropriately named book, Selfish, which contains, of course, hundreds of her selfies. As Mark Fisher points out, this suggests a growing testimony to a commodified society in which “in a world of individualism everyone is trapped within their own feelings, trapped within their own imaginations…and unable to escape the tortured conditions of solipsism.”[11]

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Under the surveillance state, the greatest threat one faces is not simply the violation of one’s right to privacy, but the fact that the public is subject to the dictates of arbitrary power it no longer seems interested in contesting. And it is precisely this existence of unchecked power and the wider culture of political indifference that puts at risk the broader principles of liberty and freedom, which are fundamental to democracy itself. According to Skinner:

The response of those who are worried about surveillance has so far been too much couched, it seems to me, in terms of the violation of the right to privacy. Of course it’s true that my privacy has been violated if someone is reading my emails without my knowledge. But my point is that my liberty is also being violated, and not merely by the fact that someone is reading my emails but also by the fact that someone has the power to do so should they choose. We have to insist that this in itself takes away liberty because it leaves us at the mercy of arbitrary power. It’s no use those who have possession of this power promising that they won’t necessarily use it, or will use it only for the common good. What is offensive to liberty is the very existence of such arbitrary power.[12]

The rise of selfies under the surveillance state is only one register of neoliberal inspired flight from privacy. As I have argued elsewhere, the dangers of the surveillance state far exceed the attack on privacy or warrant simply a discussion about balancing security against civil liberties.[13] The critique of the flight from privacy fails to address how the growth of the surveillance state and its appropriation of all spheres of private life are connected to the rise of the punishing state, the militarization of American society, secret prisons, state-sanctioned torture, a growing culture of violence, the criminalization of social problems, the depoliticization of public memory, and one of the largest prison systems in the world, all of which “are only the most concrete, condensed manifestations of a diffuse security regime in which we are all interned and enlisted.”[14] The authoritarian nature of the corporate-state surveillance apparatus and security system with its “urge to surveill, eavesdrop on, spy on, monitor, record, and save every communication of any sort on the planet” [15] can only be fully understood when its ubiquitous tentacles are connected to wider cultures of control and punishment, including security-patrolled corridors of public schools, the rise in super-max prisons, the hyper-militarization of local police forces, the rise of the military-industrial-academic complex, and the increasing labeling of dissent as an act of terrorism in the U.S.[16] Selfies may be more than an expression of narcissism gone wild, the promotion of privatization over preserving public and civic culture with their attendant practice of social responsibility. They may also represent the degree to which the ideological and affective spaces of neoliberalism have turned privacy into a mimicry of celebrity culture that both abets and is indifferent to the growing surveillance state and its totalitarian revolution, one that will definitely be televised in an endlessly repeating selfie that owes homage to George Orwell.

Henry A. Giroux currently holds the McMaster University Chair for Scholarship in the Public Interest in the English and Cultural Studies Department and a Distinguished Visiting Professorship at Ryerson University. His most recent books are America’s Education Deficit and the War on Youth (Monthly Review Press, 2013) and Neoliberalism’s War on Higher Education (Haymarket Press, 2014). His web site is www.henryagiroux.com.

Notes.

[1] Ariel Dorfman, “Repression by Any Other Name,” Guernica (February 3, 2014). Online: http://www.guernicamag.com/features/repression-by-any-other-name/

[2] “Self-portraits and social media: The rise of the ‘Selfie’,” BBC News Magazine(June 6, 2013)

http://www.bbc.com/news/magazine-22511650

[3] Anita Biressi and Heather Nunn, “Selfishness in austerity times,” Soundings , Issue 56, (Spring 2014), pp. 54-66

http://muse.jhu.edu/journals/soundings_a_journal_of_politics_and_culture/v056/56.biressi.pdf

[4] Patricia Reaney, “Nip, tuck, Click: Demand for U.S. plastic surgery rises in selfie era,” Reuters (November 29, 2014). Online: http://www.reuters.com/article/2014/11/29/life-selfies-surgery-idUSL1N0SW1FI20141129

[5] Brad Evans and Henry A. Giroux, Disposable Futures (San Francisco: City Lights Books, 2015).

[6] Jonathan Crary, 24/7: Late Capitalism and the Ends of Sleep, (Verso, 2013) (Brooklyn, NY: Verso Press, 2013), p. 5.

[7] Ibid., p. 17.

[8] The kind of babble defending selfies without any critical commentary can be found in Jenna Wortham, “Self-portraits and social media: The rise of the ‘selfie’,”BBC News Magazine (June 6, 2013). Online:

Http://www.nytimes.com/2013/10/20/sunday-review/my-selfie-myself.html

[9] Rachel Simmons, “Selfies Are Good for Girls,” Slate (November 20, 2013). Online: http://www.slate.com/articles/double_x/doublex/2013/11/selfies_on_instagram_and_facebook_are_tiny_bursts_of_girl_pride.html

[10] Erin Gloria Ryan, “Selfies Aren’t Empowering. They’re a Cry for Help,” Jezebel (November 21, 2013). Online: http://jezebel.com/selfies-arent-empowering-theyre-a-cry-for-help-1468965365

[11] Mark Fisher, Capitalist Realism: Is There No Alternative? (Winchester, UK: Zero Books, 2009), p. 74.

[12] Quentin Skinner and Richard Marshall “Liberty, Liberalism and Surveillance: a historic overview” Open Democracy (July 26, 2013). Online: http://www.opendemocracy.net/ourkingdom/quentin-skinner-richard-marshall/liberty-liberalism-and-surveillance-historic-overview

[13] Henry A. Giroux, “Totalitarian Paranoia in the Post-Orwellian Surveillance State,” Truthout (February 10, 2015). Online: http://truth-out.org/opinion/item/21656-totalitarian-paranoia-in-the-post-orwellian-surveillance-state

[14] Michael Hardt and Antonio Negri, Declaration (Argo Navis Author Services, 2012), p. 23.

[15] Tom Engelhardt, “Tomgram: Engelhardt, A Surveillance State Scorecard,” Tom Dispath.com (November 12, 2013). Online: http://www.tomdispatch.com/blog/175771/

[16] I take up many of these issues in Henry A. Giroux, The Violence of Organized Forgetting (San Francisco: City Lights Publishing, 2014), Henry A. Giroux, The Twilight of the Social (Boulder: Paradigm Press, 2012), and Henry A. Giroux, Zombie Politics and Culture in the Age of Casino Capitalism (New York: Peter Lang, 2011).

mercredi, 11 février 2015

Elementos nos 85, 86, 87 & 88

ELEMENTOS Nº 88. LA NUEVA DERECHA Y LA CUESTIÓN DEL FASCISMO

 


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SUMARIO.


Nueva Derecha, ¿extrema derecha o derecha extravagante?, por José Andrés Fernández Leost

La Nueva Derecha y la cuestión del Fascismo, por Diego Luis Sanromán

La Nueva Derecha. ¿«Software» neofascista?, por Rodrigo Agulló

Plus Ça Change!  El pedigrí fascista de la Nueva Derecha, por Roger Griffin

¿Discusión o inquisición? La Nueva Derecha y el "caso De Benoist", por Pierre-André Taguieff

El Eterno Retorno. ¿Son fascistas las ideas-fuerza de la Nueva Derecha Europea?, por Joan Antón-Mellón

¿Viejos prejuicios o nuevo paradigma político? La Nueva Derecha francesa vista por la Nueva Izquierda norteamericana, por Paul Piccone

La Nueva Derecha y la reformulación «metapolítica» de la extrema derecha, por Miguel Ángel Simón

El Frente Nacional y la Nueva Derecha, por Charles Champetier

La Nueva Derecha y el Fascismo, por Marcos Roitman Rosenmann

ELEMENTOS Nº 87. LEO STRAUSS: ¿PADRE DE LOS NEOCONS?

 
 

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Sumario.-


Leo Strauss: filosofía, política y valores, por Alain de Benoist


Leo Strauss, el padre secreto de los “neocon”, por Esteban Hernández


Leo Strauss y la esencia de la filosofía política, por Eduardo Hernando Nieto


Leo Strauss, los straussianos y los antistraussianos, por Demetrio Castro


Leo Strauss, ideas sin contexto, por Benigno Pendás


Leo Strauss: los abismos del pensamiento conservador, por Ernesto Milá


Leo Strauss y la política como (in)acción, por Jorge San Miguel


Leo Strauss y la recuperación de la racionalidad política clásica, por Iván Garzón-Vallejo


¿Qué es filosofía política? de Leo Strauss. Apuntes para una reflexión sobre el conocimiento político, por Jorge Orellano


Leo Strauss y su crítica al liberalismo, por Alberto Buela


Leo Strauss y la redención clásica del mundo moderno, por Sergio Danil Morresi


Leo Strauss: lenguaje, tradición e historia, por Jesús Blanco Echauri


Mentiras piadosas y guerra perpetua: Leo Strauss y el neoconservadurismo, por Danny Postel


La mano diestra del capitalismo: de Leo Strauss al movimiento neoconservador, por Francisco José Fernández-Cruz Sequera

 

ELEMENTOS Nº 86. UN DIÁLOGO CONSERVADOR: SCHMITT-STRAUSS

 





Sumario.-

¿Teología Política o Filosofía Política? La amistosa conversación entre Carl Schmitt y Leo Strauss, por Eduardo Hernando Nieto

Entre Carl Schmitt y Thomas Hobbes. Un estudio del liberalismo moderno a partir del pensamiento de Leo Strauss, por José Daniel Parra

Schmitt, Strauss y lo político. Sobre un diálogo entre ausentes, por Martín González

La afirmación de lo político. Carl Schmitt, Leo Strauss y la cuestión del fundamento, por Luciano Nosetto

Modernidad y liberalismo. Hobbes entre Schmitt y Strauss, por Andrés Di Leo Razuk

Leo Strauss y los autores modernos, por Matías Sirczuk

Leo Strauss y la redención clásica del mundo moderno, por Sergio Danil Morresi

Sobre el concepto de filosofía política en Leo Strauss, por Carlos Diego Martínez Cinca

Secularización y crítica del liberalismo moderno en Leo Strauss, por Antonio Rivera García

La obra de Leo Strauss y su crítica de la Modernidad, por María Paula Londoño Sánchez

Carl Schmitt: las “malas compañías” de Leo Strauss, por Francisco José Fernández-Cruz Sequera

Carl Schmitt, Leo Strauss y Hans Blumenberg. La legitimidad de la modernidad, por Antonio Lastra
 

ELEMENTOS Nº 85 EL DINERO: DEIFICACIÓN CAPITALISTA

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La religión del dinero, por Ernesto Milá
 
Dinero, dinerización y destino, por Germán Spano

 

El dinero como síntoma, por Alain de Benoist

 

El poder del ídolo-dinero, por Benjamín Forcano

 

El poder del dinero: la autodestrucción del ser humano, por Antonio Morales Berruecos y Edmundo Galindo González

 

El dinero como ideología, por Guillaume Faye

 

La ideología del dinero en la época actual, por Juan Castaingts Teillery
 
Georg Simmel: el dinero y la libertad moderna, por Andrés Bilbao
 
¿El dinero da la felicidad?, por Pedro A. Honrubia Hurtado

 

Los fundamentos onto-teológico-políticos de la mercancía y del dinero, por Fabián Ludueña Romandini
 
Mundo sin dinero: una visión más allá del capitalismo, por Juan E. Drault
 
La época de los iconoclastas, por Alain de Benoist
 
Las identidades del dinero, por Celso Sánchez Capdequí
 
La ganga y la fecundidad del dinero, por Emmanuel Mounier
 
El dinero-financiero y el poder de la globalización, por Iván Murras Mas y Maciá Blázquez Salom

lundi, 09 février 2015

Sloterdijk lesen – Der Philosoph als Paradoxienberater

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Sloterdijk lesen – Der Philosoph als Paradoxienberater
 
von Alexander Schleyer
Ex: http://www.identitaere-generation.info

„Aufklärung ist kein Erwerb von Schätzen, sondern eine Verschwendung von Dummheit, bis sie nicht mehr für den eigenen Bedarf reicht.“ 

In der Tat ist es nicht einfach, in der Gegenwart Denker zu finden, die diesen Namen auch verdienen. In der Mehrheit erschöpft sich ihre Aufgabe darin, den theoretischen Überbau der New World Order zu liefern und aggressiver Massenmenschhaltung mit dekonstruktivistischen Geschwurbel den akademischen Anstrich zu verleihen.

Die offenbar seit längerem ausgebliebene morgendliche Masturbation einer Judith Butler oder der adonishafte Drang zur selbstherrlichen Ich-Performance eines schier allwissenden Richard David Precht prägen den philosophischen Pseudodiskurs unserer Tage; jedoch sollte schnell klar werden, daß die verbalen Ausdünstungen, die solcherlei fürstlich alimentierte Schwätzer regelmäßig auf das rotweinbesoffene Bildungsbürgertum ablassen dürfen, nur wenig mehr sind als die legitimierenden Theoreme zu psychosozialen Erkrankungen. Vielmehr lassen sich die Denkfabriken der Gegenwart mit einem Labor vergleichen, in dem aus einem Periodensystem der Elemente die Erreger stinkender Geschwüre entwickelt und von anzugtragenden Assistenten in die Versuchsmenschenmasse eingeimpft werden.

Der Mangel an überhaupt diskursfähigen Positionen erklärt sich also daraus, daß die geisteswissenschaftlichen Thinktanks eigentlich nichts weiter sollen (!) als Erklärungen für gesellschaftlich gewollte Prozesse unter dem Deckmäntelchen wissenschaftlicher Philosophie zu produzieren (!), ihre Gleichschaltung also das exakte Gegenteil des von ihnen so gern postulierten herrschaftsfreien Dialogs ist. Daraus folgt vor allem für diejenigen, die eine Gegenposition zur vorherrschenden einzunehmen versuchen, sich zumeist auf Theoretiker vergangener Zeiten berufen und oftmals Schriften aus einer Zeit bemühen, deren Inhalt noch womöglich nachvollziehbar und bloß aufgrund seiner chronologischen Distanz zum Jetzt nicht minder falsch sein muß, in den wenigsten Fällen aber konkret auf die Herausforderungen der Gegenwart anwendbar ist.

Moderne Modernismuskritik

Zweifelsohne haben die Vordenker der Konservativen Revolution einen unersetzbaren Beitrag zur später auch von der marxistisch inspirierten wie faschistischen oder anarchistisch motivierten Modernismuskritik geliefert; schwer aber nur lassen sich ihre Positionen überhaupt noch aufgreifen, ohne nur für eine spezielle kleine Gruppe ihrer Anhänger faßbar zu sein. Zweifelsohne haben auch Intellektuelle wie der Spanier Ortega y Gasset oder der kolumbianische Philosoph Nicolås Gomez Davila einen wertvollen Beitrag zur Wiedereinbringung nicht-weltlicher Ebenen geleistet, ebenso der britische Sozialwissenschaftler Anthony Giddens, der in „Konsequenzen der Moderne“ stocknüchterndie Auswirkungen des Fortschritts seziert. Nicht weniger nennenswert sollen auch Martin Heidegger und Ernst Jünger sein, letzterer insbesondere mit seinem „Waldgang“ auch in ganz praktischer Natur, aber es bleibt bei gegenwärtiger Anwendung notwendigerweise bei allen immer noch der Hauch eines rückwärtsgewandten Apologeten des konkreten Fortschrittsverlierers.

Positiv aus dem Stall der Gegenwartstheoretiker sticht der deutsche Philosoph Peter Sloterdijk hervor. Der eigenwillige Vielschreiber hat mit Arbeiten wie „Weltfremdheit“, „Zorn und Zeit“ oder auch seinem schmalen aber fulminanten Essay „Die Verachtung der Massen“ wichtige Beiträge über, gegen oder aus dem Zeitgeist gebracht. zuletzt mit „Die schrecklichen Kinder der Neuzeit“ eine Breitseite gegen Liberalismus, traditionslose Amerikanisierung und förmliche Verhausschweinung des modernen Menschen geschossen.

Kritiker sehen in Sloterdijk einen Schwätzer, der vor allem sich selbst gern reden hört; zugegebenermaßen ist er kein Autor, der „easy reading“ verspricht, er fordert eine gewisse Aufmerksamkeit des Lesers. Er kann geradezu prosaisch fabulieren, seine Leidenschaft zum Erzählen drückt sich in jeder Zeile aus, der Klang der Worte ist ihm genauso wichtig wie ihre Botschaft. Sloterdijk hat den Anspruch, möglichst genau zu arbeiten und beleuchtet wirklich jedes kleinste Detail in verschachtelten Abschweifungen, dazu neigt er zu Latinisierungen und Fremdwörtern, die seine Lektüre nicht immer einfach und den Vorwurf der Selbstinszenierung des arroganten Elfenbeintürmers durchaus verständlich machen. Andererseits aber macht gerade seine Lust am Detail und seine spürbare Freude am Schreiben seine Texte zu einer eben nicht nur hochintellektuellen, sondern auch in höchsten Maße vergnüglichen Lektüre.

Selber durch eine schwierige Kindheit gegangen, zwischen den Zwängen der „Gluckenmutti“ und dem „lieben fernen Papa mit den Seemannstätowierungen auf den ungeheuer starken Armen“ brach der Philosoph bereits in frühen Jahren mit seiner Vergangenheit und machte sich auf die Suche nach dem eigenen, aber auch dem kollektiven Wesen der abendländischen Identität. Von Linken stets durch seine messerscharfen Traktate gegen Habermas, die Frankfurter Schule und die Vermassung des „Menschenstalls“ verhaßt, bekam er auch bei Konservativen durch arrogante Pöbeleien und öffentliche Brüskierungen keinen Fuß auf den Boden. Gerade aufgrund des politischen und gesellschaftlichen Schwebezustands lohnt es sich besonders sein Frühwerk unter ideengeschichtlichen Aspekten der Gegenwart kritisch zu studieren.

Abwendung von der Gegenwart zur Abwendung des Scheußlichen

Entgegen der Vermutung soll nicht etwa „Die Verachtung der Massen“ als wichtigste Grundlage zur Stütze gegenwärtiger Metapolitik näher betrachtet sein, sondern sein weniger beachteter Band „Weltfremdheit“. Weniger als konkrete Anleitung wie Jüngers „Waldgang“ konzipiert, legt Sloterdijk in „Weltfremdheit“ von frühester Kulturgeschichte an, wenngleich nicht so ausufernd wie in „Sphären“, die Motivationen zur Abkehr von der Welt dar.

Wenn wir uns die Welt, in der wir sind, unseren Idealen folgend als die scheußlichste aller denkbaren Scheußlichkeiten vorstellen, dann fassen wir uns ein Herz und das Kultbuch rechtsintellektueller Pfadsucher, Ernst Jüngers „Waldgang“. Dessen Überlegungen zur Systemflucht sind zunächst praktischer Natur und gewinnen, unter dieser Prämisse gelesen, mit Sloterdijks „Weltfremdheit“ ein metapolitisches Fundament zeitgenössischer Philosophie. Fremd ist uns die Welt, weil wir ihren Anforderungen nicht entsprechen wollen oder können. Vice versa gilt dasselbe; als Fremdkörper werden wir von der Welt wahrgenommen und abgestoßen, als Störenfriede, die unterworfen gehören oder bestenfalls (schlimmstenfalls?) ignoriert. Am Scheideweg nach der Selbsterkenntnis der Scheußlichkeit stehen wir zwischen „futuristischem Utopismus“ und den „depressiven Formen des Lebens in der Zeit“. Auf dem wenngleich überholten politischen Spektrum beobachten wir auf der Linken den euphorischen Sturz in traumtänzerischen Utopismus, zur Rechten dagegen die zumeist weinerliche Beschreitung des zweiten Weges ins Jammertal konservativer Unzufriedenheit. Die Auswege nach innen oder in die Zeit vorwärts hinein sind jedoch nur die Horizontalen menschlicher Weltflucht.

„Der Mensch in der Revolte bleibt die Ausnahme“ stellt Sloterdijk folgerichtig fest und skizziert die Majorität als Patienten, als Kranke, die gelernt haben mit der Krankheit Scheußlichkeit zu leben. Sloterdijk entwickelt eine Ontologie der Selbsterhärtung des Seins in widrigen Welten, dessen Konsequenz sich bei Mißerfolg in Depressionen äußert: „Depressiv wird, wer Gewichte trägt, ohne zu wissen wozu.“ Nicht ohne Grund steigt die Zahl der psychischen Erkrankungen mit zunehmender Belastung durch den Zwang der alltäglichen Selbsterhaltung und zeitgleich äquivalent sinkender Sinnerkenntnis des routinierten Tuns. Genau dieses sich darin bergende Potenzial des Depressiven aber bildet die Grundlage zum Waldgang; die Unzufriedenheit mit dem Dasein als seinsbestimmendes Element des Wesens setzt entweder die Erkenntnis der Scheußlichkeit voraus oder zieht sie nach sich. Der postmoderne homo patiens als mit der Welt Überforderter ist also nichts mehr als ein mißlungener Revolutionär.

Gegen die Welt, gegen ihren Totalitarismus

Revolte soll im Zusammenhang des In-der-Welt-Seins aber keinesfalls nur als Aufbegehren gegen die Welt verstanden werden, sondern vollzieht sich zumeist vor allem aufgrund des zu erwartenden Mißerfolgs gegen die Welt als stille Revolte aus der Welt. Besonders spannend und zum weiteren Verständnis unabdingbar ist dabei der kulturhistorische Abriß der Weltabgewandheit der frühen Mönche und die daraus folgende ideengeschichtliche Herleitung der Sucht als Krankheit. Zunächst unzusammenhängende Probleme werden spätestens nach dem Kapitel „Das Prinzip Wüste“ zu einem klaren Kreis. Sloterdijk sieht im spätantiken Aufkeimen des Mönchtums die „rationale Organisierung der Probleme“, die aus dem recht schnell hereinbrechenden Gesellschaftswandel resultieren, und adaptiert diese in die Gegenwart, wo der Workaholic genauso wie der Karrierist und der Suchtkranke zu einem weltflüchtigen Einsiedler abzüglich religiöser Motivation wird. Das Problem Gegenwart wird statt transzendental weltimmanent zu lösen versucht; diejenigen Probleme, die das Individuum mit seinem In-der-Welt-Sein erfährt, sucht es durch Alternativprobleme aus der selben Welt zu lindern, nachdem ihm die Moderne alternative Ebenen der Weltabgewandtheit genommen hat. 
Die stetige Suche nach einer möglichst individualisiert erfahrbaren als auch möglichst weit im schwammigen Kosmos des sogenannten Jenseits beziehungsweise vielmehr einer individuell erdachten Form eines Jenseits schließt den Kreis zwischen den zunächst widersprüchlichen aber doch kohärenten Vorgängen der Säkularisierung, Spiritualisierung und Suchterkrankungen.

Revolte gegen die Zumutung

„In der Sucht begegnet uns eine individualisierte, das heißt vom Mitwissen der Kulturmitglieder abgespaltene Revolte gegen die Zumutung des Daseins“, woraus Sloterdijk die Konsequenz zieht, daß die Süchtigen „zu souverän sind, um sich die Plumpheit des Daseins zumuten zu lassen“. Nach Sloterdijk ist also der entspiritualisierte Mensch eine notwendige Folge aus dem regelrechten Totalitarismus Freiheit, der dem geistig-seelisch vollkommen unterforderten Individuum keinen anderen Weg zur Inexistenz läßt als der Weltflucht im Inneren durch das Äußere. Die unbefriedigte Sehnsucht nach Welten jenseits der alltäglichen Wahrnehmung des Immergleichen, die Suche nach einem unökonomischen Erleben des Ichs gestatten ihm das Entrinnen aus der Sklaverei des Selbsterhaltungstriebes. Die vom Ritual losgelöste Sucht bedeutet ein pseudometaphysisches Experiment unter dem Wunsch, das Zwangskontinuum einer schlechten Realität unterbrechen zu können und projiziert gleichzeitig den Wunsch nach zumindest zeitweiser Erlösung daraus.

Die kulturelle Verwurzelung der Erlösungsreligionen verankerte schon früh den Gedanken der Weltabgewandtheit in manifestierter Form; einer „heiligen Verneinung, die sich vom Trug des profanen Daseins abzustoßen versucht.“ Erst durch diesen metaphysischen Bezug zu einer Welt jenseits der als real erlebten macht sich der Suchende daran, diese Welt als eine in ihren Grundfesten schon als falsch erlebte zu entkräften: „Wer mit dem Erlösungsfeuer spielt, steht immer in der Versuchung dem Weltgebäude den Rücken zu kehren und es seinem Ruin zu überlassen – die Apokalyptik geht sogar so weit, seine Zerstörung herbeizupredigen und es, wenn es möglich wäre, von eigener Hand in Brand zu setzen.“

Die Herausarbeitung der Sucht als weltimmanentes Mittel zur Weltflucht nimmt im anthropologischen Exkurs zur Dialektik von Weltflucht und –sucht den Löwenanteil ein. War der Gebrauch von dem, was man heute Drogen nennt, in vormoderner Zeit einer Klerikerkaste vorbehalten oder war es ein gemeinsames Ritual religiöser Bewandtnis, so transformierte die Säkularisierung den Gebrauch in einen Mißbrauch und projizierte die jeweiligen kulturellen Sakrilege als Wesensumkehr des Konsumenten in die Droge. Interessant ist dabei die Feststellung, daß im Islam Alkohol verboten, der Haschischkonsum dagegen erlaubt ist, was in christlich-heidnisch geprägten Kulturen genau anders herum ist. Die Wirkung der Droge spült also das jeweils durch die jeweilige Kultur verschmäht-unterdrückte Wesenselement an die Oberfläche, ohne aber dabei das konkrete Ziel spiritueller Bewußtseinserweiterung zu haben. 
Sloterdijk spannt einen leicht nachvollziehbaren und vor allem im alltäglichen Erleben allseits bekannten Bogen vom Gebrauch über den Mißbrauch bis hin zur Sucht, die alles zur Droge werden lassen kann.

Gefängnis Gegenwart

Die Droge als Weltflucht – unter der in moderner Interpretation zugleich Daseinsflucht verstanden werden kann – analysiert er treffend als wechselseitigen Entzug aus dem Alltag durch die Flucht in diesen hinein wie nicht minder exzessiv aus ihm hinaus. Nur allzu bekannt ist die förmliche Sucht nach Fleiß, nach Arbeit und Studium mit ihrem Derivat der wochenendlichen Sauf- und Sex-Orgien. Wozu also soll man sein Dasein als da sein, als In- der-Welt-Sein begreifen, wenn man die Welt als Mittel gegen sie selbst und das In-ihr-Sein einsetzen kann?

Die Herleitung vom einst rituell-religiösen pharmazeutischen Eskapismus in den Wechsel zwischen zwei nicht am Wesen, sondern am bloßen Sein orientierten Süchten ist nur die Ablösung des religiösen Erlösungsgedankens an einen weltlichen, in dem die Erlösung nicht mehr im Wesen des Suchenden, nicht mehr im Kosmos außerweltlicher Kräfte und Energien, sondern in der Welt selbst, der man mit ihr grundimmanent innewohnenden Optionen wiederum zu entfliehen versucht. Richtig erkannt und so klar in ihrer Kritik an der pseudospirituellen und wesenlosen Seinsform der Moderne ist der Fluchtversuch mit Hilfsmitteln aus dem Gefängnis Gegenwart der „Ernstfall der Privatreligion“.

Die Leere der Freiheit

In seinem opus magnum „Sphären“ knüpft Sloterdijk an diesen philosophischen Topos an, nach dem der Mensch immer auf der Suche nach seiner verlorenen Hälfte sei, auf dieser er sich stets in unterentwickelten, weil zumeist weltlichen, sprich aus seiner ihm vertrauten Hälfte stammenden Ergänzungserfahrungen übt. Drogen, genauso aber wie Arbeit, Sekten oder deren Derivate auf der leeren Innenseite bürgerlicher Selbstrepräsentation entsprechen solchen Ergänzungsversuchen, die Sloterdijk als „Schäume“ bezeichnet, die aber zugleich das Einheitsdenken überwinden, indem sie die Vielheit der Eigenwelten eines jeden Einzelnen ausdrücken. Im Medium der modernen Sozialarchitektur werde nämlich explizit, wie der Mensch heute in der Welt ist: nicht mehr in einer metaphysischen Einheitssphäre, nicht mehr in eine Kollektivunternehmung eingespannt, sondern als “koisolierte Existenz”. Einzelne zelluläre Weltblasen sozusagen, die sich über unterschiedliche Medien wie Massenmedien und Marktbeziehungen integrieren und strukturell zu Schaum verdichten. Zugleich aber ist nur wenig einheitlicher und über einen Kamm scherbarer, als der zusammenhanglose kollektive Zwang zum Individualismus, was als Phänomen die Überwindung des Einheitsdenkens wiederum ad absurdum führt. Die Wahrnehmung des Einzelnen als Subjekt führte zum Umbau der Gemeinschaft in die Gesellschaft, die wiederum durch die fortgeschrittene Subjektivierung ihrer Individuen die Objektivierung des Ganzen zur Folge hatte: Die Masse einzelner frei entscheidender Ichs wird also zu einem kollektiv funktionierenden Menschenschaum aus den Simulacren subjektiver Freiheit. Moderne Gesellschaften funktionieren als jeweils individuelle Reproduktion von Vielheiten, deren Resultat eine pluralistische Ontologie von Einzelumwelten ist – Schaum eben.

Sloterdijks Sphärologie mündet in einem gepfefferten Traktat gegen das „Verwöhnungstreibhaus“, das die Wohlstandsgesellschaft sich als „riesigen Brutkasten für die allumfassend abgesicherte Existenz“ errichtet hat. Mit dabei ist eine unterschwellige aber nicht minder eindeutige Kritik an der Denkweise der Frankfurter Schule: Seitdem wirkliche Armut und Not in unserer Kultur eher die Ausnahme geworden sind, täten sich Gesellschaftskritiker zunehmend schwer als „Anwalt des Realen“ aufzutreten, sondern ordnen die Realität vielmehr ihrer Theorie unter. Wenn nicht sein kann, was nicht sein darf, rückt die – eine der berühmten Sloterdijk’schen Wortneuschöpfungen – „Luxusviktimologie“ in den Mittelpunkt, gipfelnd in Toleranzexzesse, Kampf gegen Rechts und den saturierten Wutbürger und deren kuriose Formen der „Absicherung des Wohlbefindens“ auf Kosten direkter menschlicher Solidarität; ein Anspruchsdenken, das aus dem Verschwinden realer und organischer Sozialumgebungen resultiert. Kurz gesagt: Solange er noch zu fressen und zu ficken hat, wird der konsumverwahrloste Gegenwartsmensch aus seiner Schaumblase nur selten hervorlugen, ohne Sloterdijk Marinettis utopische Dystopie vom reinigenden Krieg unterstellen zu wollen.

Gleichheit als Herrschaftsinstrument

Diesen Gedanken unterzieht Sloterdijk in „Die Verachtung der Massen“ seiner anthropophilosophischen Untersuchung, wenn er die Prämisse moderner Staatsführungen beschreibt, sowohl in der nationalistischen als auch der „alternativlosen sozialdemokratischen“ Ausprägung, daß alle Macht nicht mehr von den durch Geburt oder Befähigung Qualifizierten sondern von den Vielen ausgehe. Mit Elias Canetti steht gleich zu Anfang sein weiterer Kurs fest: Wohin der Weg führt, weiß die Masse nicht, es ist ihr auch egal. Ziel ist, möglichst schnell dorthin zu gelangen, wo die meisten bereits schon sind. In diesem Ausdruck kollabiert die demokratieromantische Vision beziehungsweise das demokratische Ideal vom kollektiven Subjekt, das weiß, was es will.

Bezugnehmend auf Canetti verleiht die distanzlose Nähe der Einzelnen in der Masse, in der alle Unterschiede schwinden – „alle Trennungen abgeworfen sind“ – Sloterdijks Schaummetaphorik ganz besonderen Nachdruck. So denkt die Massensoziologie den Gedanken der Gleichheit Aller eben nicht von der Voraussetzung der Gleichberechtigung her, sondern vom „gleichzeitigen Sichgehenlassen“. Selten nur hat ein populärtauglicher Intellektueller die Falschheit, die Verlogenheit und die Perfidität der ständigen Gleichheitsmantras präziser unter Feuer genommen! Nun stammt Canettis Untersuchung der Massen aus einer Zeit, als diese sich noch wirklich physisch versammelten; der Sog, die „Menschenschwärze“ ist haptisch erlebbar gewesen. Der „Massenindividualismus“ der Postmoderne dagegen fußt auf der „lonely crowd“, der individuellen Masse ohne sie als Einzelner als solche erfahren zu müssen, sondern als jeweils Einzelner wie Millionen jeweils andere Einzelne auch durch Medien, Diskurse oder Popkulturphänomene eine Masse zu bilden, die dadurch als Ansammlung vieler Subjekte zum Objekt selbst wird – zum „Rohstoff totalitärer und medialer Herrschaft“. Die simple Steuerbarkeit der sich als frei fühlenden Massen setzt Sloterdijk im seinem winzigen Essay „Letzte Ausfahrt Empörung“ mit dem römischen Brot-und-Spiele-System gleich; noch unverhohlener hat durch „eine Junta von imperialen Berufspolitikern“ das Feld übernommen.

Ekel vor der Vernunft

Die „unversammelbare und unversammelte Masse“ der Postmoderne hat also keinen gemeinsamen Aufschrei mehr, keine Marschrichtung, sondern versammelt sich im Virtuellen oder im wiedergekäuten Konsum, dessen Offerten bereits durch den Pansen der steuernden Eliten vorverdaut worden sind, und macht sich somit nicht nur anfällig für Manipulation, sondern regelrecht führbar wie eine abgerichtete Herde, eine „Masse ohne Potenzial“.

In seinem jüngsten Opus „Die schrecklichen Kinder der Neuzeit“ analysiert der Philosoph diese planmäßige Entwicklung weiter und kreiert einen westlichen Universalismus des Nichts-Seins. Europa als jahrhundertelang tonangebender Kontinent ist überflügelt worden von einer „amerikanischen Filial-Kultur“, die sich unter den ökonomischen Tarnkappen blutleerer Mantras, wie Freiheit und Demokratie, wie ein giftiger Oktopus über den Planeten spinnt und außer wirtschaftlicher Urbarkeit verschiedener Böden lediglich das Erbe weitergibt, das Sloterdijk aus „multikulturellem Kapitalismus oder gemeinschaftlichem Individualismus“, aus „globalem Nationalismus und globalem Nomadentum“ erwachsen gesehen hat, die schlußendlich zum „Scheitern Europas“ geführt und dieses in einen amerikanischen Satelliten transformiert haben. Das daraus wuchernde Erbe sei das Paradoxon kein Erbe zu haben; verspritzt in alle Welt werden marionettenhafte Menschlinge gezüchtet, gleichgeschaltet im „Bastardentum ihrer Hybrid-Identität.“

Wären nur alle an ihrer Stelle geblieben, so Sloterdijk, den der SPIEGEL „einen Freiheitsfeind in deutscher Tradition“ nennt, hätten sich nur alle an den – im Zweifelsfall göttlichen – Plan gehalten, wäre nur, das ist das ultimative Klischee jedes ernsthaften Reaktionärs, die verdammte französische Revolution nicht gewesen, die alles durcheinanderbrachte, weil sie dem Menschen den Kopf verdrehte und ihm suggerierte, er habe bestimmte Rechte, die ihm niemand verweigern dürfe – dann wäre die Welt heute nicht so knietief im Desaster. “Wir sind Vertriebene, fast von Anfang an”, schreibt Sloterdijk. “Wir alle haben eine Heimat gegen ein Exil getauscht. Sind wir hier, in der Welt, so weil wir nicht würdig waren, an einem besseren Ort zu bleiben.” Die Freiheit also – oder: “Freiheit”, wie er es nennt – ist das Problem; sie ist das Exil, in die Freiheit sind wir “Geworfene”, wie Sloterdijk es mit Heidegger hält, schuldig sind “die Modernen”, unwürdig und illegitim: Niemand hat es je gewagt mit solch radikaler antiuniversalistischer Radikalität gegen die geifernde Götzin „Demokratie“ und ihre pervertierten Scheußlichkeiten anzugehen, niemand je gewagt, ihr schlichtweg jedwede Legitimität abzusprechen oder wie er bereits in „Sphären“ schreibt: “Im Weltprozeß nach dem Hiatus werden ständig mehr Energien freigesetzt als unter Formen überlieferungsfähiger Zivilisierung gebunden werden können.”

Obgleich sich der „philosophierende Schriftsteller“, wie sich Sloterdijk selbst gern nennt, politisch nicht positioniert und erst recht nicht vor den Karren spannen lassen will, so wächst gerade deshalb aus der Lektüre seiner Texte ein hochspannender Unterbau metapolitischer Feldforschung und Theoriebildung. Seine Kritik der Masse, ihrer Phänomenologie, ja der gesamten so verhaßten Gegenwart läßt sich genauso reaktionär wie progressiv lesen, wie Granaten schlagen sie bei Linken ein wie bei Bürgerlichen, die Glockenschläge eines hochnäsigen Elfenbeintürmers.

Über Alexander Schleyer

Alexander Schleyer
Ex-Soldat, Ex-Seemann, Ex-Freund, Flaneur, lebt als freier Autor in Wien.

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mercredi, 04 février 2015

Trotskisme yankee et invention du néo-conservatisme

Trotskisme yankee et invention du néo-conservatisme

Auteur : Denis Boneau
Ex: http://zejournal.mobi

Qui sont les « néoconservateurs » américains et occidentaux ? Historique du mouvement issu du trotskisme en gardant présent à l’esprit que Trotski, tout comme Lénine, était un agent de Wall Street et de la City de Londres. Voir à ce sujet notre dossier sur « Wall Street et la révolution bolchévique » de l’historien Antony Sutton. Ceci nous éclaire sur le pourquoi capitalisme et capitalisme d’état (marxisme et ses variantes léniniste, trotskiste, staliniste, puis plus tard maoïste…) sont les deux côtés de la même pièce capitaliste, pilotés par les mêmes intérêts convergents de la haute finance et de l’industrie transnationale. Le mouvement trotskiste néoconservateur n’en est qu’un des avatars supplémentaire…

En France, Jospin et Cambadélis (entre autres) issus du mouvement « lambertiste », en sont les représentants de longue date…

hook1.jpgÀ partir de 1945, les services de propagande états-uniens et britanniques recrutent des intellectuels souvent issus des milieux trotskistes afin d’inventer et promouvoir une « idéologie rivalisant avec le communisme ». Les New York Intellectuals, Sidney Hook (photo) en tête, accomplissent différentes missions confiées par la CIA avec zèle et efficacité, devenant rapidement des agents de premier plan de la Guerre froide culturelle. Des théoriciens majeurs de ce mouvement, comme James Burnham et Irving Kristol, ont élaboré la rhétorique néo-conservatrice sur laquelle s’appuient aujourd’hui les faucons de Washington.

En 1945, les stratèges soviétiques veulent obtenir la reconnaissance des démocraties populaires de l’Europe de l’Est. Ils lancent, en s’appuyant sur les services secrets, une campagne internationale pour la paix. Leur objectif est de conserver le contrôle du « glacis défensif » en évitant une série de conflits armés avec la coalition anglo-saxonne. En Grande-Bretagne, les gouvernements, notamment celui de Clement Attlee, cherchent à rompre avec la propagande de guerre qui a justifié de 1942 à 1945 l’alliance avec Moscou. Dans ce contexte, en février 1948, Attlee crée, au sein du Foreign Office, le Département de recherche de renseignements (IRD), véritable « ministère de la Guerre froide » alimenté par les fonds secrets et chargé de produire de fausses informations pour discréditer les communistes. Aux États-Unis, la situation est plus favorable. Les procès de Moscou, l’exil de Trotski, ancien bras droit de Lénine, et le pacte germano-soviétique ont considérablement nui au Parti communiste. Dans ce contexte, les marxistes rejoignent massivement l’aile trotskiste de la gauche radicale dont une fraction pactisera avec la CIA, trahissant la IVe Internationale. Après une série d’échecs désastreux, les services soviétiques renoncent à toute influence idéologique aux États-Unis et privilégient les pays d’Europe de l’Ouest, spécialement la France et l’Italie.

Les services secrets britanniques et états-uniens cherchent à fabriquer une pensée assez crédible et universelle pour rivaliser avec le marxisme-léninisme. Dans ce contexte, les New York Intellectuals – Sidney Hook, James Burnham, Irving Kristol, Daniel Bell…- vont constituer des combattants culturels particulièrement efficaces.

Les premiers « coups tordus »

Les New York Intellectuals n’ont pas besoin d’infliltrer les milieux communistes : ils s’y trouvent déjà et s’y définissent comme militants trotskistes. La CIA, en recrutant des hommes comme le philosophe marxiste Sidney Hook, collecte des renseignements utiles sur la gauche radicale états-unienne et tente de saboter les réunions internationales parrainées par Moscou.

towund.jpgEn mars 1949, à New York, se tient une « conférence scientifique et culturelle pour la paix mondiale », à l’hôtel Waldorf Astoria. Des délégations de militants communistes s’y pressent ; la réunion est secrètement supervisée par le Kominform. Mais l’hôtel est sous contrôle de la CIA, qui y a installé un quartier général secret au dixième étage. Sidney Hook, qui joue le communiste repenti, reçoit à part des journalistes auxquels il explique « sa » stratégie contre « les staliniens » : intercepter le courrier du Waldorf et diffuser de faux communiqués. Profitant de la « position de cheval de Troie » de Sidney Hook, la CIA mène une campagne d’intoxication médiatique allant jusqu’à divulguer publiquement l’appartenance politique de certains participants préfigurant ainsi la « chasse aux sorcière » du sénateur McCarthy. Avec zèle et brio, Hook mène son équipe d’agitateurs, de délateurs et de manipulateurs, rédigeant des tracts et semant le désordre lors des tables rondes… Simultanément, à l’extérieur de l’hôtel Waldorf, des dizaines de militants d’extrême-droite défilent pancarte à la main pour dénoncer l’ingérence du Kominform. L’opération est un succès total, la conférence tourne au fiasco. ?Tirant les leçons du « coup du Waldorf », la CIA états-unienne et l’IRD britannique systématisent l’enrôlement de trotskistes dans la lutte secrète contre Moscou, au point d’en faire une constante de la « guerre psychologique » qu’ils livrent à l’URSS.

Sidney Hook, chef de file des New York Intellectuals

Né dans un quartier pauvre de Brooklyn en 1902, Sidney Hook entre en 1923 à l’université de Colombia où il rencontre John Dewey, son premier maître à penser. Après son doctorat, il obtient une bourse de la fondation Guggenheim qui lui permet d’étudier en Allemagne et de visiter Moscou. Comme tant d’autres intellectuels de l’époque, il est fasciné par Staline et le régime soviétique. À son retour aux États-Unis, il débute sa carrière à l’université de New York au département de Philosophie. Il ne quittera son poste qu’en 1972 pour s’installer à Stanford au terme d’une évolution intellectuelle qui l’aura conduit du communisme au néoconservatisme. À la fin de la Première Guerre mondiale, après s’être marié avec une militante communiste, Hook s’inscrit dans un syndicat d’enseignants proche du Parti. Il travaille à une traduction de Lénine et publie un livre remarqué, Towards the understanding of Karl Marx. Intellectuel typique de la gauche radicale, il participe aux manifestations contre l’exécution des anarchistes Sacco et Vanzetti.

Au début des années 30, Hook rompt avec les communistes et se rallie au clan des trotskistes réunis au sein de l’American Workers Party, fondé en 1938. Il organise la « Commission d’enquête sur la vérité dans les procès de Moscou » qui a pour but d’innocenter Trotski écarté du pouvoir par Staline.

À partir de 1938, il abandonne définitivement l’idéal révolutionnaire. En 1939, il fonde le Committee for cultural freedom, une organisation antistalinienne qui constituera, après la guerre, l’une des bases du Congress for cultural freedom. Plus qu’une rupture, cette « trahison » – Hook surveille ses anciens amis pour le compte de la CIA – constitue pour lui une opportunité politique et financière attractive. Lorsque Hook évoque les raisons de sa conversion, il désigne des « staliniens » comme Brecht qui, au cours d’une discussion à New York en 1935 aurait plaisanté à propos de l’arrestation de Zinoviev et Kamenev : « Ceux-là, plus ils sont innocents, plus ils méritent d’être fusillés ». Une dénonciation qui en dit long sur les méthodes de Hook qui n’hésitait pas à citer des propos critiques en les retirant de leur contexte pour les rendre odieux.

Dans cette logique de délation, l’initiative du sénateur du Wisconsin, McCarthy, est soutenue discrètement par Hook qui publie deux articles, « Heresy, yes ! Conspiracy, no ! » (Hérésie, oui ! Conspiration, non !) et « The dangers of cultural vigilantism » (Les dangers de la vigilance culturelle) dans lesquels, prétendant critiquer McCarthy, il encourage à espionner et dénoncer les fonctionnaires, intellectuels et politiques proches des communistes. Hook a toujours prétendu par la suite qu’il n’avait jamais soutenu le sénateur du Wisconsin, ce que récuse la philosophe Hannah Arendt, pourtant alliée naturelle de Hook. Dans « Heresy, yes ! », il décrit la postures idéologique des « libéraux réalistes » et la notion de « culpabilité par fréquentation ». Il en déduit que l’État doit mener la « chasse aux sorcières » en gardant l’apparence d’un régime libéral. Pour cela, l’administration, plutôt que de criminaliser les fonctionnaires communistes, doit pouvoir amener les individus suspects à démissionner. Concernant les enseignants, Hook note qu’un professeur communiste « pratique une véritable fraude professionnelle ». Au finale, Hook considère que la « chasse aux sorcières » constitue une erreur politique, non pas en raison de la nature fasciste de cette campagne de délation, mais plutôt parce que l’initiative de McCarthy, trop peu discrète, contribue à mettre en équivalence la violence soviétique et états-unienne. Dans « The dangers of vigilantism », il préconise d’autres moyens, plus secrets, afin de chasser les communistes : il s’agit par exemple de confier la charge des enquêtes de loyauté aux instances professionnelles.

Effectivement Sidney Hook préfère les actions discrètes. Son implication dans plusieurs opérations de la Guerre froide culturelle, dont le Congrès pour la liberté de la culture, met en évidence sa conception de la démocratie, conçue comme une façade nécessaire du bloc atlantiste mené par les États-Unis. En 1972, il quitte New York et devient jusqu’à sa mort l’un des principaux théoriciens conservateurs rassemblés au sein de la Hoover Institution. En fréquentant les cercles de la diplomatie secrète, Sidney Hook devient un conservateur respecté par les gouvernants. En 1985, Ronald Reagan lui remet la plus haute distinction civile états-unienne, la Medal of Freedom après avoir décoré, le même jour Frank Sinatra et Jimmy Stewart. Il meurt en 1989. Sa femme reçoit les condoléances du Président Bush : « Pendant toute sa vie, il fut un défenseur sans peur de la Liberté (…) Alors qu’il affirmait souvent qu’il n’existe rien d’absolu dans la vie, l’ironie voulut qu’il prouve lui-même le contraire car s’il y eut un absolu, ce fut Sidney Hook toujours prêt à combattre courageusement pour l’honnêteté intellectuelle et la vérité ».

Convertir les trotskistes

La « trahison » de Sidney Hook qui a rendu possible la réussite de la campagne d’intoxication du Waldorf est le point de départ d’un mouvement de conversion d’une fraction de l’aile trotsksite. La CIA et l’IRD font confiance aux marxistes repentis pour mener à bien une opération de grande envergure : la fabrication d’une « idéologie rivalisant avec le communisme », selon l’expression de Ralph Murray, premier chef de l’IRD, dont le Congrès pour la liberté de la culture sera le principal instrument de promotion.

PartisanRev-1991q4.jpgLa tactique de la CIA et l’IRD consiste donc, dans un premier temps, à « retourner » des militants trotskistes et à s’assurer de leur obéissance. Pour cela, les services investissent une partie des fonds secrets dont ils disposent afin de « sauver » des revues radicales de la faillite totale. Ainsi la Partisan Review, fief des New York Intellectuals, ancienne tribune communiste orthodoxe, puis trotskiste, reçoit plusieurs dons. En 1952, le chef de l’Empire Time-Life, Henry Luce, verse grâce à Daniel Bell 10 000 dollars pour que la revue ne disparaisse pas. La même année, Partisan Review organise un symposium dont le thème général peut être résumé ainsi : « l’Amérique est maintenant devenue la protectrice de la civilisation occidentale ». Dès 1953, alors que les New York Intellectuals dominent le Congrès pour la liberté de la culture, Partisan Review reçoit une subvention issue du « compte du festival » du Comité américain pour la liberté de la culture, alimenté par la fondation Farfield… avec des fonds de la CIA. De la même manière, New leader animé par Sol Levitas est « sauvé » après l’intervention financière de Thomas Braden… avec l’argent de la CIA. On comprend mieux comment l’agence est parvenue à fidéliser certains groupes de la gauche radicale.

En plus du « sauvetage » de Partisan Review, la CIA collabore avec les services britanniques afin de créer une revue anticommuniste. Il recrute ainsi Irving Kristol, le directeur exécutif du Comité américain pour la liberté de la culture. Kristol est entré en 1936 à City College où il rencontre deux futurs camarades de la guerre froide, Daniel Bell et Melvin Lasky. Trotskiste antistalinien, il travaille pour la revue Enquiry. Après la guerre, recruté par les services états-uniens il retourne à New York pour diriger la revue juive Commentary. Directement financé par les crédits Farfield (CIA), il est chargé d’inventer Encounter sous la surveillance de Josselson. Le « magazine X », qu’il dirige avec le naïf Stephen Spender sera le fer de lance de l’idéologie néoconservatrice états-unienne.

La lutte contre le communisme au Congrès pour la liberté de la culture

Les New York Intellectuals et autres communistes repentis sont logiquement contactés par Josselson (placé sous les ordres de Lawrence de Neufville) qui, pour le compte de la CIA, est chargé de créer le Congrès pour la liberté de la culture. L’objectif est alors d’organiser en Europe de l’Ouest la « guerre psychologique », selon l’expression d’Arthur Koestler, contre Moscou.

Arthur Koestler, né en 1905 à Budapest, a été un militant communiste actif pendant plusieurs années. En 1932, il visite l’Union soviétique. L’Internationale finance l’un de ses livres. Après avoir dénoncé à la police secrète sa petite amie russe, il quitte Moscou et rejoint Paris. Pendant la guerre, il est arrêté et déporté en tant que prisonnier politique. La guerre terminée, Koestler écrit Le Zéro et l’infini, un livre dans lequel il retrace son parcours et dénonce les crimes du stalinisme. La rencontre des New York Intellectuals, par l’intermédiaire de James Burnham, lui permet de fréquenter les milieux où se décident les opérations culturelles secrètes. À la suite de nombreux entretiens avec des agents de la CIA, il supervise l’écriture d’un ouvrage collectif, une commande directe des services. Le Dieu des ténèbres (André Gide, Stephen Spender…) constitue une sévère condamnation du régime soviétique. Arthur Koestler est ensuite employé dans le cadre de la mise en place du Congrès pour la liberté de la culture.

Koestler écrit le Manifeste des hommes libres à la suite de la réunion du Kongress für Kulturelle freiheit de Berlin organisé en 1950 par son ami Melvin Lasky. Pour lui, « la liberté a pris l’offensive ». James Burnham est largement responsable du recrutement de Koestler qui va vite devenir, en raison de son enthousiasme, trop gênant aux yeux des conspirateurs du Congrès.

Le parrain de Koestler, James Burnham, est né en 1905 à Chicago. Professeur à l’université de New York, il collabore à diverses revues radicales et participe à la construction du Socialist Workers Party. Quelques années plus tard, il organisera la scission du groupe trotskiste. En 1941, il publie The Managerial Revolution, futur manifeste du Congrès pour la liberté de la culture, traduit en France en 1947 sous le titre de L’Ère des organisateurs. La conversion de Burnham est particulièrement spectaculaire. En quelques années, après avoir rencontré le chef des réseaux stay-behind, Franck Wisner et son assistant Carmel Offie, il devient un ardent défenseur des États-Unis, selon lui unique rempart face à la barbarie communiste. Il déclare : « Je suis contre les bombes actuellement entreposées en Sibérie ou au Caucase et qui sont destinées à la destruction de Paris, Londres, Rome, (…) et de la civilisation occidentale en général (…) mais je suis pour les bombes entreposées à Los Alamos (…) et qui depuis cinq ans sont la défense – l’unique défense – des libertés de l’Europe occidentale ». Parfaitement conscient de la fonction du réseau stay-behind, Burnham, ami intime de Raymond Aron, passe du trotskisme à la droite conservatrice devenant l’un des intermédiaire principaux entre les intellectuels du Congrès et la CIA. En 1950, lorsque le turbulent Melvin Lasky reçoit des fonds détournés du Plan Marshall, Burnham, Hook et Koestler sont vraisemblablement mis dans la confidence. Burnham va pouvoir, grâce au Congrès pour la liberté de la culture diffuser dans toute l’Europe de l’Ouest son livre The Managerial Revolution.

« Une idéologie rivalisant avec le communisme »

Raymond Aron est le principal artisan de l’importation en France des thèses des New York Intellectuals. En 1947, il sollicite les éditions Calmann-Lévy afin de afin de faire publier la traduction de The Managerial Revolution. Au même moment, Burnham défend aux États-Unis son nouveau livre Struggle for the World (Pour une domination mondiale). L’Ère des organisateurs est immédiatement interprété (à juste titre), notamment par le professeur Georges Gurvitch, comme une apologie de la « technocratie ».

Cherchant à disqualifier l’analyse en termes de luttes de classe, Burnham déclare que les directeurs sont les nouveaux maîtres de l’économie mondiale. Selon l’auteur, l’Union soviétique, loin d’avoir réalisé le socialisme, est un régime dominé par une nouvelle classe constituée de « techniciens » (dictature bureaucratique). En Europe de l’Ouest et aux États-Unis, les directeurs ont pris le pouvoir au détriment des parlements et du patronat traditionnel. Ainsi, l’ère directoriale signifie un double échec, celui du communisme et du capitalisme. La principale cible de Burnham est évidemment l’analyse marxiste-léniniste dont le principe, la dialectique historique, annonce l’avènement d’une société communiste mondiale. En fait, « le socialisme ne succédera pas au capitalisme » ; les moyens de production, partiellement étatisés, seront confiés à une classe de directeurs, seul groupe capable de diriger, en raison de leur compétence technique, l’État contemporain.

Léon Blum a bien compris la dimension fondamentalement anti-marxiste des thèses technocratiques de James Burnham. Après la guerre, en tant qu’allié de Washington, l’ancien homme fort du Front populaire doit pourtant préfacer la traduction française, non sans une certaine gêne : « Si je n’étais sûr de la sympathie des uns et de l’amitié des autres, j’aurais vu dans cette demande comme une trace de malice (…) on imagine guère d’ouvrage qui, sur la pensée d’un lecteur socialiste, puisse exercer un choc plus inattendu et plus troublant ». Avec un parrain comme Raymond Aron et un préfacier comme Léon Blum, L’Ère des organisateurs connaît un succès considérable.

Proche de Sidney Hook avec qui il soutient la « chasse aux sorcières », Daniel Bell publie en 1960 La Fin des idéologies, un recueil d’articles publiés dans Commentary, Partisan Review, New Leader et de communications du Congrès pour la liberté de la culture. La traduction française est préfacée par Raymond Boudon, qui durant toute sa vie a combattu les théories de l’école française de sociologie incarnée par Émile Durkheim et Pierre Bourdieu dans le but d’imposer une conception américanisée des sciences sociales. La Fin des idéologies, comme son nom l’indique, reprend la thèse favorite des New York Intellectuals, à savoir l’extinction du communisme comme idéal. Daniel Bell, membre actif du Congrès pour la liberté de la culture qui contribue à diffuser son livre, annonce aussi l’émergence de nouveaux conflits idéologiques : « La Fin des idéologies fait le pronostic de la désintégration du marxisme comme foi, mais ne dit pas que toute idéologie va vers sa fin. J’y remarque plutôt que les intellectuels sont souvent avides d’idéologies et que de nouveaux mouvements sociaux ne manqueront pas d’en engendrer de nouvelles, qu’il s’agisse du panarabisme, de l’affirmation d’une couleur ou du nationalisme »

De l’anticommunisme au néo-conservatisme

Les New York Intellectuals, engagés dans de multiples opérations d’infiltration, ne revèlent leur véritable appartenance idéologique que tardivement rejoignant massivement les rangs des néoconservateurs dont les principaux bastions sont déjà tenus par des marxistes repentis. Irving Kristol, qui entretient des rapports conflictuels avec Josselson, dirige de 1947 à 1952 Commentary. Une autre figure majeure du néoconservatisme, Norman Podhoretz, sera ensuite placée à la tête de la revue quasi-officielle du Congrès pour la liberté de la culture de 1960 à 1995. En France, Raymond Aron crée Commentaire en 1978. Le fils d’Irving Kristol, William, est le directeur du très néoconservateur Weekly Standard.

William Kristol

Contrairement à une thése répandue, il n’y a pas eu d’infiltration trotskiste dans la droite états-unienne, mais une récupération par celle-ci d’éléments trotskistes, d’abord dans une alliance objective contre le stalinisme, puis pour employer leurs capacités dialectiques au service de l’impérialisme pseudo-libéral. Burnham et Shatchman quittent le Socialist Workers Party et la IVe Internationale en 1940 pour fonder un parti scisionniste. Max Shatchman prône bientôt l’entrisme dans le Parti démocrate. Il rejoint le faucon démocrate Henry « Scoop » Jackson, surnommé le « sénateur Boeing » en raison de son soutien acharné au complexe militaro-industriel. Il réorganise son parti comme une tendance au sein du Parti démocrate sous l’appellation Parti des sociaux démocrates états-uniens (SD/USA). Au cours des années 70, le sénateur Jackson s’entoure de brillants assistants tels que Paul Wolfowitz, Doug Feith, Richard Perle, Elliot Abrams. En conservant le plus longtemps possible son discours d’extrême gauche, Max Shatchman fait de SD/USA une officine de la CIA apte à discréditer les formations d’extrême gauche, tandis qu’il devient l’un des principaux conseillers de l’organisation syndicale anticommuniste AFL-CIO. On trouve au bureau politique de SD/USA des personnalités comme Jeanne Kirkpatrick qui deviendront des icônes de l’ère Reagan. Dans une complète confusion des genres, le théoricien d’extrême droite Paul Wolfowitz intervient comme orateur aux congrès du parti d’extrême gauche. Carl Gershamn devient président de SD/USA, il est aujourd’hui directeur exécutif de la National Endowment for Democracy. D’une manière générale les membres de ce parti, dont les principaux relais sont la revue Commentary et le Committee for the Free World, sont récompensés pour leurs manipulations dès l’élection de Ronald Reagan.

Les New York Intellectuals n’ont pas seulement développé une critique de gauche du communisme, ils ont aussi inventé un habillage « de gauche » aux idées d’extrême droite dont la maturation finale est le néoconservatisme. Ainsi, les Kristol et leurs amis peuvent-ils présenter avec aplomb George W. Bush comme un « idéaliste » qui s’emploie à « démocratiser » le monde.


- Source : Denis Boneau

dimanche, 01 février 2015

Qu’est-ce qu’un événement ?

Qu’est-ce qu’un événement ?

Qu’est-ce qu’un événement?

par Grégoire Gambier

Ex: http://institut-iliade.com

Les attaques islamistes de ce début janvier 2015 à Paris constituent à l’évidence un événement. Tant au sens historique que politique et métapolitique – c’est-à-dire total, culturel, civilisationnel. Il provoque une césure, un basculement vers un monde nouveau, pour partie inconnu : il y aura un « avant » et un « après » les 7-9 janvier 2015. Au-delà des faits eux-mêmes, de leur « écume », ce sont leurs conséquences, leur « effet de souffle », qui importent. Pour la France et avec elle l’Europe, les semaines et mois à venir seront décisifs : ce sera la Soumission ou le Sursaut.

Dans la masse grouillante des « informations » actuelles et surtout à venir, la sidération politico-médiatique et les manipulations de toute sorte, être capable de déceler les « faits porteurs d’avenir » va devenir crucial. Une approche par l’Histoire s’impose. La critique historique, la philosophie de l’histoire et la philosophie tout court permettent en effet chacune à leur niveau de mieux reconnaître ou qualifier un événement. « Pour ce que, brusquement, il éclaire » (George Duby).

C’est donc en essayant de croiser ces différents apports qu’il devient possible de mesurer et « pré-voir » les moments potentiels de bifurcation, l’avènement de l’imprévu qui toujours bouscule l’ordre – ou en l’espèce le désordre – établi. Et c’est dans notre plus longue mémoire, les plis les plus enfouis de notre civilisation – de notre « manière d’être au monde » – que se trouvent plus que jamais les sources et ressorts de notre capacité à discerner et affronter le Retour du Tragique.

Tout commence avec les Grecs…

Ce sont les Grecs qui, les premiers, vont « penser l’histoire » – y compris la plus immédiate.

Thucydide ouvre ainsi son Histoire de la guerre du Péloponnèse : « Thucydide d’Athènes a raconté comment se déroula la guerre entre les Péloponnésiens et les Athéniens. Il s’était mis au travail dès les premiers symptômes de cette guerre, car il avait prévu qu’elle prendrait de grandes proportions et une portée dépassant celle des précédentes. (…) Ce fut bien la plus grande crise qui émut la Grèce et une fraction du monde barbare : elle gagna pour ainsi dire la majeure partie de l’humanité. » (1)

Tout est dit.

Et il n’est pas anodin que, engagé dans le premier conflit mondial, Albert Thibaudet ait fait « campagne avec Thucydide » (2)

Le Centre d’Etude en Rhétorique, Philosophie et Histoire des Idées (www.cerphi.net) analyse comme suit ce court mais très éclairant extrait :

1) Thucydide s’est mis à l’œuvre dès le début de la guerre : c’est la guerre qui fait événement, mais la guerre serait tombée dans l’oubli sans la chronique de Thucydide. La notion d’événement est donc duale : s’il provient de l’action (accident de l’histoire), il doit être rapporté, faire mémoire, pour devenir proprement « historique » (c’est-à-dire mémorable pour les hommes). C’est-à-dire qu’un événement peut-être méconnu, mais en aucun cas inconnu.

2) Il n’y a pas d’événement en général, ni d’événement tout seul : il n’y a d’événement que par le croisement entre un fait et un observateur qui lui prête une signification ou qui répond à l’appel de l’événement. Ainsi, il y avait déjà eu des guerres entre Sparte et Athènes. Mais celle-ci se détache des autres guerres – de même que la guerre se détache du cours ordinaire des choses.

3) Etant mémorable, l’événement fait date. Il inaugure une série temporelle, il ouvre une époque, il se fait destin. Irréversible, « l’événement porte à son point culminant le caractère transitoire du temporel ». L’événement, s’il est fugace, n’est pas transitoire : c’est comme une rupture qui ouvre un nouvel âge, qui inaugure une nouvelle durée.

4) L’événement ouvre une époque en ébranlant le passé – d’où son caractère de catastrophe, de crise qu’il faudra commenter (et accessoirement surmonter). Ce qu’est un événement, ce dont l’histoire conserve l’écho et reflète les occurrences, ce sont donc des crises, des ruptures de continuité, des remises en cause du sens au moment où il se produit. L’événement est, fondamentalement, altérité.

5) Thucydide, enfin, qui est à la fois l’acteur, le témoin et le chroniqueur de la guerre entre Sparte et Athènes, se sent convoqué par l’importance de l’événement lui-même. Celui-ci ne concerne absolument pas les seuls Athéniens ou Spartiates, ni même le peuple grec, mais se propage progressivement aux Barbares et de là pour ainsi dire à presque tout le genre humain : l’événement est singulier mais a une vocation universalisante. Ses effets dépassent de beaucoup le cadre initial de sa production – de son « avènement ».

Repérer l’événement nécessite donc d’évacuer immédiatement l’anecdote (le quelconque remarqué) comme l’actualité (le quelconque hic et nunc). Le « fait divers » n’est pas un événement. Un discours de François Hollande non plus…

Il s’agit plus fondamentalement de se demander « ce que l’on appelle événement » au sens propre, c’est-à-dire à quelles conditions se produit un changement remarquable, dont la singularité atteste qu’il est irréductible à la série causale – ou au contexte – des événements précédents.

Histoire des différentes approches historiques de « l’événement »

La recherche historique a contribué à défricher utilement les contours de cette problématique.

L’histoire « positiviste », exclusive jusqu’à la fin du XIXe siècle, a fait de l’événement un jalon, au moins symbolique, dans le récit du passé. Pendant longtemps, les naissances, les mariages et les morts illustres, mais aussi les règnes, les batailles, les journées mémorables et autres « jours qui ont ébranlé le monde » ont dominé la mémoire historique. Chronos s’imposait naturellement en majesté.

Cette histoire « événementielle », qui a fait un retour en force académique à partir des années 1980 (3), conserve des vertus indéniables. Par sa recherche du fait historique concret, « objectif » parce qu’avéré, elle rejette toute généralisation, toute explication théorique et donc tout jugement de valeur. A l’image de la vie humaine (naissance, mariage, mort…), elle est un récit : celui du temps qui s’écoule, dont l’issue est certes connue, mais qui laisse place à l’imprévu. L’événement n’est pas seulement une « butte témoin » de la profondeur historique : il est un révélateur et un catalyseur des forces qui font l’histoire.

Mais, reflet sans doute de notre volonté normative, cartésienne et quelque peu « ethno-centrée », elle a tendu à scander les périodes historiques autour de ruptures nettes, et donc artificielles : le transfert de l’Empire de Rome à Constantinople marquant la fin de l’Antiquité et les débuts du Moyen Age, l’expédition américaine de Christophe Colomb inaugurant l’époque moderne, la Révolution de 1789 ouvrant l’époque dite « contemporaine »… C’est l’âge d’or des « 40 rois qui ont fait la France » et de l’espèce de continuum historique qui aurait relié Vercingétorix à Gambetta.

Cette vision purement narrative est sévèrement remise en cause au sortir du XIXe siècle par une série d’historiens, parmi lesquels Paul Lacombe (De l’histoire considérée comme une science, Paris, 1894), François Simiand (« Méthode historique et science sociale », Revue de Synthèse historique, 1903) et Henri Berr (L’Histoire traditionnelle et la Synthèse historique, Paris, 1921).

Ces nouveaux historiens contribuent à trois avancées majeures dans notre approche de l’événement (4) :

1) Pour eux, le fait n’est pas un atome irréductible de réalité, mais un « objet construit » dont il importe de connaître les règles de production. Ils ouvrent ainsi la voie à la critique des sources qui va permettre une révision permanente de notre rapport au passé, et partant de là aux faits eux-mêmes.

2) Autre avancée : l’unique, l’individuel, l’exceptionnel ne détient pas en soi un privilège de réalité. Au contraire, seul le fait qui se répète, qui peut être mis en série et comparé peut faire l’objet d’une analyse scientifique. Même si ce n’est pas le but de cette première « histoire sérielle », c’est la porte ouverte à une vision « cyclique » de l’histoire dont vont notamment s’emparer Spengler et Toynbee.

3) Enfin, ces historiens dénoncent l’emprise de la chronologie dans la mesure où elle conduit à juxtaposer sans les expliquer, sans les hiérarchiser vraiment, les éléments d’un récit déroulé de façon linéaire, causale, « biblique » – bref, sans épaisseur ni rythme propre. D’où le rejet de l’histoire événementielle, c’est-à-dire fondamentalement de l’histoire politique (Simiand dénonçant dès son article de 1903 « l’idole politique » aux côtés des idoles individuelle et chronologique), qui ouvre la voie à une « nouvelle histoire » incarnée par l’Ecole des Annales.

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Les Annales, donc, du nom de la célèbre revue fondée en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch, vont contribuer à renouveler en profondeur notre vision de l’histoire, notre rapport au temps, et donc à l’événement.

Fondée sur le rejet parfois agressif de l’histoire politique, et promouvant une approche de nature interdisciplinaire, cette école va mettre en valeur les autres événements qui sont autant de clés de compréhension du passé. Elle s’attache autant à l’événementiel social, l’événementiel économique et l’événementiel culturel. C’est une histoire à la fois « totale », parce que la totalité des faits constitutifs d’une civilisation doivent être abordés, et anthropologique. Elle stipule que « le pouvoir n’est jamais tout à fait là où il s’annonce » (c’est-à-dire exclusivement dans la sphère politique) et s’intéresse aux groupes et rapports sociaux, aux structures économiques, aux gestes et aux mentalités. L’analyse de l’événement (sa structure, ses mécanismes, ce qu’il intègre de signification sociale et symbolique) n’aurait donc d’intérêt qu’en permettant d’approcher le fonctionnement d’une société au travers des représentations partielles et déformées qu’elle produit d’elle-même.

Par croisement de l’histoire avec les autres sciences sociales (la sociologie, l’ethnographie, l’anthropologie en particulier), qui privilégient généralement le quotidien et la répétition rituelle plutôt que les fêlures ou les ruptures, l’événement se définit ainsi, aussi, par les séries au sein desquelles il s’inscrit. Le constat de l’irruption spectaculaire de l’événement ne suffit pas: il faut en construire le sens, lui apporter une « valeur ajoutée » d’intelligibilité (5).

L’influence marxiste est évidemment dominante dans cette mouvance, surtout à partir de 1946 : c’est la seconde génération des Annales, avec Fernand Braudel comme figure de proue, auteur en 1967 du très révélateur Vie matérielle et capitalisme.

braudel.jpgDéjà, la thèse de Braudel publiée en 1949 (La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II) introduisait la notion des « trois temps de l’histoire », à savoir :

1) Un temps quasi structural, c’est-à-dire presque « hors du temps », qui est celui où s’organisent les rapports de l’homme et du milieu ;

2) Un temps animé de longs mouvements rythmés, qui est celui des économies et des sociétés ;

3) Le temps de l’événement enfin, ce temps court qui ne constituerait qu’« une agitation de surface » dans la mesure où il ne fait sens que par rapport à la dialectique des temps profonds.

Dans son article fondateur sur la « longue durée », publié en 1958, Braudel explique le double avantage de raisonner à l’aune du temps long :

  • l’avantage du point de vue, de l’analyse (il permet une meilleure observation des phénomènes massifs, donc significatifs) ;
  • l’avantage de la méthode (il permet le nécessaire dialogue – la « fertilisation croisée » – entre les différentes sciences humaines).

Malgré ses avancées fécondes, ce qui deviendra la « nouvelle histoire » (l’histoire des mentalités et donc des représentations collectives, avec une troisième génération animée par Jacques Le Goff et Pierre Nora en particulier) a finalement achoppé :

  • par sa rigidité idéologique (la construction de modèles, l’identification de continuités prévalant sur l’analyse du changement – y compris social) ;
  • et sur la pensée du contemporain, de l’histoire contemporaine (par rejet initial, dogmatique, de l’histoire politique).

Pierre Nora est pourtant obligé de reconnaître, au milieu des années 1970, « le retour de l’événement », qu’il analyse de façon défensive comme suit : « L’histoire contemporaine a vu mourir l’événement ‘naturel’ où l’on pouvait idéalement troquer une information contre un fait de réalité ; nous sommes entrés dans le règne de l’inflation événementielle et il nous faut, tant bien que mal, intégrer cette inflation dans le tissu de nos existences quotidiennes. » (« Faire de l’histoire », 1974).

Nous y sommes.

L’approche morphologique : Spengler et Toynbee

Parallèlement à la « nouvelle histoire », une autre approche a tendu à réhabiliter, au XXe siècle, la valeur « articulatoire » de l’événement – et donc les hommes qui le font. Ce sont les auteurs de ce qu’il est convenu d’appeler les « morphologies historiques » : Toynbee et bien sûr Spengler.

L’idée générale est de déduire les lois historiques de la comparaison de phénomènes d’apparence similaire, même s’ils se sont produits à des époques et dans des sociétés très différentes. Les auteurs des morphologies cherchent ainsi dans l’histoire à repérer de « grandes lois » qui se répètent, dont la connaissance permettrait non seulement de comprendre le passé mais aussi, en quelque sorte, de « prophétiser l’avenir ».

Avec Le déclin de l’Occident, publié en 1922, Oswald Spengler frappe les esprits – et il frappe fort. Influencé par les néokantiens, il propose une modélisation de l’histoire inspirée des sciences naturelles, mais en s’en remettant à l’intuition plutôt qu’à des méthodes proprement scientifiques. Sa méthode : « La contemplation, la comparaison, la certitude intérieure immédiate, la juste appréciation des sentiments » (7). Comme les présupposés idéologiques pourraient induire en erreur, la contemplation doit porter sur des millénaires, pour mettre entre l’observateur et ce qu’il observe une distance – une hauteur de vue – qui garantisse son impartialité.

De loin, on peut ainsi contempler la coexistence et la continuité des cultures dans leur « longue durée », chacune étant un phénomène singulier, et qui ne se répète pas, mais qui montre une évolution par phases, qu’il est possible de comparer avec celles d’autres cultures (comme le naturaliste, avec d’autres méthodes, compare les organes de plantes ou d’animaux distincts).

Ces phases sont connues : toute culture, toute civilisation, naît, croît et se développe avant de tomber en décadence, sur des cycles millénaires. Etant entendu qu’« il n’existe pas d’homme en soi, comme le prétendent les bavardages des philosophes, mais rien que des hommes d’un certain temps, en un certain lieu, d’une certaine race, pourvus d’une nature personnelle qui s’impose ou bien succombe dans son combat contre un monde donné, tandis que l’univers, dans sa divine insouciance, subsiste immuable à l’entour. Cette lutte, c’est la vie » (8).

Certes, le terme de « décadence » est discutable, en raison de sa charge émotive : Spengler précisera d’ailleurs ultérieurement qu’il faut l’entendre comme « achèvement » au sens de Goethe (9). Certes, la méthode conduit à des raccourcis hasardeux et des comparaisons parfois malheureuses. Mais la grille d’analyse proposée par Spengler reste tout à fait pertinente. Elle réintroduit le tragique dans l’histoire. Elle rappelle que ce sont les individus, et non les « masses », qui font l’histoire. Elle stimule enfin la nécessité de déceler, « reconnaître » (au sens militaire du terme) les éléments constitutifs de ces ruptures de cycles.

Study_of_History.jpgL’historien britannique Arnold Toynbee va prolonger en quelque sorte cette intuition avec sa monumentale Etude de l’histoire (A Study of History) en 12 volumes, publiée entre 1934 et 1961 (10). Toynbee s’attache également à une « histoire comparée » des grandes civilisations et en déduit, notamment, que les cycles de vie des sociétés ne sont pas écrits à l’avance dans la mesure où ils restent déterminés par deux fondamentaux :

1) Le jeu de la volonté de puissance et des multiples obstacles qui lui sont opposés, mettant en présence et développant les forces internes de chaque société ;

2) Le rôle moteur des individus, des petites minorités créatrices qui trouvent les voies que les autres suivent par mimétisme. Les processus historiques sont ainsi affranchis des processus de nature sociale, ou collective, propres à l’analyse marxiste – malgré la théorie des « minorités agissantes » du modèle léniniste.

En dépit de ses limites méthodologiques, et bien que sévèrement remise en cause par la plupart des historiens « professionnels », cette approche morphologique est particulièrement stimulante parce qu’elle intègre à la fois la volonté des hommes et le « temps long » dans une vision cyclique, et non pas linéaire, de l’histoire. Mais elle tend à en conserver et parfois même renforcer le caractère prophétique, « hégélien », mécanique. Surtout, elle semble faire de l’histoire une matière universelle et invariante en soi, dominée par des lois intangibles. Pourtant, Héraclite déjà, philosophe du devenir et du flux, affirmait que « Tout s’écoule ; on ne se baigne jamais dans le même fleuve » (Fragment 91).

Le questionnement philosophique

La philosophie, par son approche conceptuelle, permet justement de prolonger cette première approche, historique, de l’événement.

Il n’est pas question ici d’évoquer l’ensemble des problématiques soulevées par la notion d’événement, qui a bien évidemment interrogé dès l’origine la réflexion philosophique par les prolongements évidents que celui-ci introduit au Temps, à l’Espace, et à l’Etre.

L’approche philosophique exige assez simplement de réfléchir aux conditions de discrimination par lesquelles nous nommons l’événement : à quelles conditions un événement se produit-il ? Et se signale-t-il comme événement pour nous ? D’un point de vue philosophique, déceler l’événement revient donc à interroger fondamentalement l’articulation entre la continuité successive des « ici et maintenant » (les événements quelconques) avec la discontinuité de l’événement remarquable (celui qui fait l’histoire) (11).

Dès lors, quelques grandes caractéristiques s’esquissent pour qualifier l’événement :

1) Il est toujours relatif (ce qui ne veut pas dire qu’il soit intrinsèquement subjectif).

2) Il est toujours double : à la fois « discontinu sur fond de continuité », et « remarquable en tant que banal ».

3) Il se produit pour la pensée comme ce qui lui arrive (ce n’est pas la pensée qui le produit), et de surcroît ce qui lui arrive du dehors (il faudra d’ailleurs déterminer d’où il vient, qui le produit). Ce qui n’empêche pas l’engagement, comme l’a souligné – et illustré –Thucydide.

Le plus important est que l’événement « fait sens » : il se détache des événements quelconques, de la série causale précédente pour produire un point singulier remarquable – c’est-à-dire un devenir.

L’événement projette de façon prospective, mais aussi rétroactive, une possibilité nouvelle pour les hommes. Il n’appartient pas à l’espace temps strictement corporel, mais à cette brèche entre le passé et le futur que Nietzsche nomme « l’intempestif » et qu’il oppose à l’historique (dans sa Seconde Considération intempestive, justement). Concept que Hannah Arendt, dans la préface à La Crise de la culture, appelle « un petit non espace-temps au cœur même du temps » (12).

C’est un « petit non espace-temps », en effet, car l’événement est une crise irréductible aux conditions antécédentes – sans quoi il serait noyé dans la masse des faits. Le temps n’est donc plus causal, il ne se développe pas tout seul selon la finalité interne d’une histoire progressive : il est brisé. Et l’homme (celui qui nomme l’événement) vit dans l’intervalle entre passé et futur, non dans le mouvement qui conduirait, naïvement, vers le progrès.

ha.jpgPour autant, Arendt conserve la leçon de Marx : ce petit non-espace-temps est bien historiquement situé, il ne provient pas de l’idéalité abstraite. Mais elle corrige l’eschatologie du progrès historique par l’ontologie du devenir initiée par Nietzsche : le devenir, ce petit non espace-temps au cœur même du temps, corrige, bouleverse et modifie l’histoire mais n’en provient pas – « contrairement au monde et à la culture où nous naissons, [il] peut seulement être indiqué, mais ne peut être transmis ou hérité du passé. » (13) Alors que « la roue du temps, en tous sens, tourne éternellement » (Alain de Benoist), l’événement est une faille, un moment où tout semble s’accélérer et se suspendre en même temps. Où tout (re)devient possible. Ou bien, pour reprendre la vision « sphérique » propre à l’Eternel Retour (14) : toutes les combinaisons possibles peuvent revenir un nombre infini de fois, mais les conditions de ce qui est advenu doivent, toujours, ouvrir de nouveaux possibles. Car c’est dans la nature même de l’homme, ainsi que l’a souligné Heidegger : « La possibilité appartient à l’être, au même titre que la réalité et la nécessité. » (15)

Prédire ? Non : pré-voir !

Pour conclure, il convient donc de croiser les apports des recherches historiques et des réflexions philosophiques – et en l’espèce métaphysiques – pour tenter de déceler, dans le bruit, le chaos et l’écume des temps, ce qui fait événement.

On aura compris qu’il n’y a pas de recette miracle. Mais que s’approcher de cette (re)connaissance nécessite de décrypter systématiquement un fait dans ses trois dimensions :

1) Une première dimension, horizontale sans être linéaire, plutôt « sphérique » mais inscrite dans une certaine chronologie : il faut interroger les causes et les remises en causes (les prolongements et les conséquences) possibles, ainsi que le contexte et les acteurs : qui sont-ils et surtout « d’où parlent-ils » ? Pourquoi ?

2) Une deuxième dimension est de nature verticale, d’ordre culturel, social, ou pour mieux dire, civilisationnel : il faut s’attacher à inscrire l’événement dans la hiérarchie des normes et des valeurs, le discriminer pour en déceler la nécessaire altérité, l’« effet rupture », le potentiel révolutionnaire qu’il recèle et révèle à la fois.

3) Une troisième dimension, plus personnelle, à la fois ontologique et axiologique, est enfin nécessaire pour que se croisent les deux dimensions précédentes : c’est l’individu qui vit, et qui pense cette vie, qui est à même de (re)sentir l’événement. C’est son histoire, biologique et culturelle, qui le met en résonance avec son milieu au sens large.

C’est donc fondamentalement dans ses tripes que l’on ressent que « plus rien ne sera comme avant ». L’observateur est un acteur « en dormition ». Dominique Venner a parfaitement illustré cette indispensable tension.

Il convient cependant de rester humbles sur nos capacités réelles.

Et pour ce faire, au risque de l’apparente contradiction, relire Nietzsche. Et plus précisément Par-delà le bien et le mal : « Les plus grands événements et les plus grandes pensées – mais les plus grandes pensées sont les plus grands événements – sont compris le plus tard : les générations qui leur sont contemporaines ne vivent pas ces événements, elles vivent à côté. Il arrive ici quelque chose d’analogue à ce que l’on observe dans le domaine des astres. La lumière des étoiles les plus éloignées parvient en dernier lieu aux hommes ; et avant son arrivée, les hommes nient qu’il y ait là … des étoiles. »

Grégoire Gambier

Ce texte est une reprise actualisée et légèrement remaniée d’une intervention prononcée à l’occasion des IIe Journées de réinformation de la Fondation Polemia, organisées à Paris le 25 octobre 2008.

Notes

(1) Histoire de la guerre du Péloponnèse de Thucydide, traduction, introduction et notes de Jacqueline De Romilly, précédée de La campagne avec Thucydide d’Albert Thibaudet, Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris, 1990.

(2) Ibid. Dans ce texte pénétrant, Thibaudet rappelle notamment l’histoire des livres sibyllins : en n’achetant que trois des neuf ouvrages proposés par la Sybille et où était contenu l’avenir de Rome, Tarquin condamna les Romains à ne connaître qu’une fraction de vérité – et d’avenir. « […] peut-être, en pensant aux six livres perdus, dut-on songer que cette proportion d’un tiers de notre connaissance possible de l’avenir était à peu près normale et proportionnée à l’intelligence humaine. L’étude de l’histoire peut nous amener à conclure qu’en matière historique il y a des lois et que ce qui a été sera. Elle peut aussi nous conduire à penser que la durée historique comporte autant d’imprévisible que la durée psychologique, et que l’histoire figure un apport incessant d’irréductible et de nouveau. Les deux raisonnements sont également vrais et se mettraient face à face comme les preuves des antinomies kantiennes. Mais à la longue l’impression nous vient que les deux ordres auxquels ils correspondent sont mêlés indiscernablement, que ce qui est raisonnablement prévisible existe, débordé de toutes parts par ce qui l’est point, par ce qui a pour essence de ne point l’être, que l’intelligence humaine, appliquée à la pratique, doit sans cesse faire une moyenne entre les deux tableaux ».

(3) Après bien des tâtonnements malheureux, les manuels scolaires ont fini par réhabiliter l’intérêt pédagogique principal de la chronologie. Au niveau académique, on doit beaucoup notamment à Georges Duby (1919-1996). Médiéviste qui s’est intéressé tour à tour, comme la plupart de ses confrères de l’époque, aux réalités économiques, aux structures sociales et aux systèmes de représentations, il accepte en 1968 de rédiger, dans la collection fondée par Gérald Walter, « Trente journées qui ont fait la France », un ouvrage consacré à l’un de ces jours mémorables, le 27 juillet 1214. Ce sera Le dimanche de Bouvines, publié pour la première fois en 1973. Une bombe intellectuelle qui redécouvre et exploite l’événement sans tourner le dos aux intuitions braudeliennes. Cf. son avant-propos à l’édition en poche (Folio Histoire, 1985) de cet ouvrage (re)fondateur : « C’est parce qu’il fait du bruit, parce qu’il est ‘grossi par les impressions des témoins, par les illusions des historiens’, parce qu’on en parle longtemps, parce que son irruption suscite un torrent de discours, que l’événement sensationnel prend son inestimable valeur. Pour ce que, brusquement, il éclaire. »

(4) Cette analyse, ainsi que celle qui suit concernant l’Ecole des Annales, est directement inspirée de La nouvelle histoire, sous la direction de Jacques Le Goff, Roger Chartier et Jacques Revel, CEPL, coll. « Les encyclopédies du savoir moderne », Paris, 1978, pp. 166-167.

(5) Cf. la revue de sociologie appliquée « Terrain », n°38, mars 2002.

(6) Cf. L’histoire, Editions Grammont, Lausanne, 1975, dont s’inspire également l’analyse proposée des auteurs « morphologistes » – Article « Les morphologies : les exemples de Spengler et Toynbee », pp. 66-73.

(7) Ibid.

(8) Ecrits historiques et philosophiques – Pensées, préface d’Alain de Benoist, Editions Copernic, Paris, 1979, p. 135.

(9) Ibid., article « Pessimisme ? » (1921), p. 30.

(10) Une traduction française et condensée est disponible, publiée par Elsevier Séquoia (Bruxelles, 1978). Dans sa préface, Raymond Aron rappelle que, « lecteur de Thucydide, Toynbee discerne dans le cœur humain, dans l’orgueil de vaincre, dans l’ivresse de la puissance le secret du destin », ajoutant : « Le stratège grec qui ne connaissait, lui non plus, ni loi du devenir ni décret d’en haut, inclinait à une vue pessimiste que Toynbee récuse tout en la confirmant » (p. 7).

(11) L’analyse qui suit est directement inspirée des travaux du Centre d’Etudes en Rhétorique, Philosophie et Histoire des Idées (Cerphi), et plus particulièrement de la leçon d’agrégation de philosophie « Qu’appelle-t-on un événement ? », www.cerphi.net.

(12) Préface justement intitulée « La brèche entre le passé et le futur », Folio essais Gallimard, Paris, 1989 : « L’homme dans la pleine réalité de son être concret vit dans cette brèche du temps entre le passé et le futur. Cette brèche, je présume, n’est pas un phénomène moderne, elle n’est peut-être même pas une donné historique mais va de pair avec l’existence de l’homme sur terre. Il se peut bien qu’elle soit la région de l’esprit ou, plutôt, le chemin frayé par la pensée, ce petit tracé de non-temps que l’activité de la pensée inscrit à l’intérieur de l’espace-temps des mortels et dans lequel le cours des pensées, du souvenir et de l’attente sauve tout ce qu’il touche de la ruine du temps historique et biographique (…) Chaque génération nouvelle et même tout être humain nouveau en tant qu’il s’insère lui-même entre un passé infini et un futur infini, doit le découvrir et le frayer laborieusement à nouveau » (p. 24). Etant entendu que cette vision ne vaut pas négation des vertus fondatrices de l’événement en soi : « Ma conviction est que la pensée elle-même naît d’événements de l’expérience vécue et doit leur demeurer liés comme aux seuls guides propres à l’orienter » – Citée par Anne Amiel, Hannah Arendt – Politique et événement, Puf, Paris, 1996, p. 7.

(13) Ibid. Ce que le poète René Char traduira, au sortir de quatre années dans la Résistance, par l’aphorisme suivant : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » (Feuillets d’Hypnos, Paris, 1946).

(14) Etant entendu que le concept n’a pas valeur historique, ni même temporelle, car il se situe pour Nietzsche en dehors de l’homme et du temps pour concerner l’Etre lui-même : c’est « la formule suprême de l’affirmation, la plus haute qui se puisse concevoir » (Ecce Homo). L’Eternel retour découle ainsi de la Volonté de puissance pour constituer l’ossature dialectique du Zarathoustra comme « vision » et comme « énigme » pour le Surhomme, dont le destin reste d’être suspendu au-dessus du vide. Pour Heidegger, les notions de Surhomme et d’Eternel retour sont indissociables et forment un cercle qui « constitue l’être de l’étant, c’est-à-dire ce qui dans le devenir est permanent » (« Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ? », in Essais et conférences, Tel Gallimard, 1958, p. 139).

(15) « Post-scriptum – Lettre à un jeune étudiant », in Essais et conférences, ibid., p. 219. En conclusion à la conférence sur « La chose », Heidegger rappelle utilement que « ce sont les hommes comme mortels qui tout d’abord obtiennent le monde comme monde en y habitant. Ce qui petitement naît du monde et par lui, cela seul devient un jour une chose »…

vendredi, 30 janvier 2015

La tradición creadora

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La tradición creadora

por Dalmacio Negro

Ex: http://culturatransversal.wordpress.com

El progreso de una civilización depende de la tradición. Al margen de la tradición no hay verdadero progreso; ni a la especie humana ni al hombre particular le es posible progresar a saltos, ocasionalmente. El progreso moral sólo raramente se puede deber a una «conversión» o el progreso material a la fortuna. Sólo se progresa partiendo de una tradición, como ocurre en el ámbito en el que se suele creer que, aparentemente, se progresa de esa manera, en el de la ciencia. Mas, paradójicamente, apenas sólo en este campo de la actividad humana se considera hoy la tradición – en este caso la específica tradición científica, aunque ésta se extiende más allá de lo estrictamente cientí- fico – como una condición para el progreso del conocimiento. A la verdad, el hecho de la existencia continuada de la ciencia demuestra que los científicos están de acuerdo en aceptar una tradición; y no sólo esto sino que, añadía M. Polanyi, «toda la confianza de los científicos entre sí ha de estar informada por esta tradición».

La auténtica tradición, que no es la «tradición» anquilosada, romántica, que se vive como tradicionalismo sin fe viva, es siempre creadora, como indica la misma etimología de la palabra (tradere en latín, entregar). La tradición no es conservadora: al entregar la realidad da la posibilidad de cambiar sin perder el contacto con ella. Pues la realidad es lo que el hombre cree que es real, cuyo sentido y significación se debe a la tradición. Y lo que hace la ciencia es repensar la tradición a fin de conocer mejor la realidad, de por sí inagotable.

Fuera de ahí, está de moda ser antitradicional en todo. Un ejemplo obvio es el de la literatura y el arte, en los que la tradición debiera ser por puro sentido común ineludible. Sin embargo, se prescinde de ella buscando la originalidad – «pour épater le bourgeois» (para asombrar al burgués) – como si ser original equivaliese a creador; original es a su manera un orate. Los griegos llamaban idiota (idiotés) al que se comportaba de una manera muy particular, tan individual que parece privada de sentido común. Este último es como un sexto sentido – lo que también Polanyi llamaba «la dimensión tácita» del conocer – que da, entrega, al ser humano la tradición. Es evidente, con palabras del filósofo alemán N. Hartmann, que nadie empieza con sus propias ideas.

Sin embargo, se ha extendido la idea romántica de que la única forma tolerable de «tradición» consiste en adoptar posturas antitradicionales aprovechando cualquier ocasión (la acción por «ocasión» es una acción sin causa) para apartarse de la norma. Es hoy la actitud que describía el humanista suizo H. Zbinden como el inconformismo de los conformistas. Actitud que ha convertido en un lugar común, en una pose dogmática, desprestigiar o atacar lo que de cualquier forma pueda parecer tradicional en la religión, en el arte, en la literatura, en la política, en la moral, en el derecho, en la pedagogía, en las formas de vida, hasta en la moda; es reaccionario simplemente lo que es tradicional. En el fondo, se trata, en cuanto hábito social, es decir, si no hay una causa psicológica o francamente psiquiátrica, de una manifestación del ocasionalismo romántico reforzado por lo que se ha llamado el «titanismo técnico» aunque también pretenda presentarse como una suerte de juvenilismo. Todo ello va unido a la pérdida del sentido de la realidad, lo que además facilita un público no menos perdido que opina sin causa, para asombrarse a sí mismo, sobre lo divino y lo humano.

Y es que, justamente, lo que aproxima al hombre a la realidad y lo inserta en ella alejándole del ocasionalismo es la tradición, cuyo rechazo le aleja en cambio de lo real. Y sin sentido de la realidad no hay libertad porque en el atenerse a la realidad estriba la responsabilidad del hombre libre. El argumento más contundente y eficaz de la demagogia totalitaria es el de que la libertad consiste en la evasión de la realidad hacia lo abstracto, en la transgresión del ethos y las formas de tradición. Lo decía Rousseau: «No hay sujeción más perfecta que la que conserva la apariencia de libertad».

Fuente: Conoze.com

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Le cosmos englouti de l'Occident

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Le cosmos englouti de L’Occident

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Nous sommes la seule civilisation à avoir déconstruit le cosmos. En forçant le trait, on pourrait dire que l'apocalypse n'est pas devant nous mais derrière nous. L'univers des sociétés traditionnelles avait un ordre permettant de s'orienter vers le haut ou le bas. Cet univers, tel l'Atlantide, a été englouti dans l'espace infini, homogène et isotrope de la Révolution scientifique. L'Occident est la seule civilisation à avoir provoqué un tel engloutissement. Cela ne signifie pas qu'il est supérieur aux autres civilisations, ni qu'il leur est inférieur, mais qu'il a une spécificité qu'on ne retrouve nulle part ailleurs. Cela signifie-t-il que nous allons avoir un clash de civilisations ? Je n'en sais rien.

L'engloutissement du cosmos peut être daté du procès de Galilée en 1633, mais il faut relativiser. On parle volontiers de révolution copernicienne mais c'est étrange car cet astronome n'a joué presque aucun rôle dans la naissance de la nouvelle science. Giordano Bruno, l'un des seuls à se réjouir de l'avènement d'un cosmos infini, meurt sur le bûcher en 1600. En 1611, le poète anglais John Donne publie son Anatomy of the World avec ce vers resté célèbre, « Tis all in pieces, all coherence gone » (Tout s'est effondré en mille miettes, toute cohérence est perdue). On ne saurait mieux dire qu'il n'y a plus d'ordre cosmique. Lorsque Blaise Pascal le redira un demi-siècle plus tard avec sa célèbre formule sur le silence des espaces infinis, toute l'Europe savante avait pris acte de la disparition non seulement d'un cosmos traditionnel, mais des conditions qui rendent un cosmos possible. Par exemple, reconnaître une différence qualitative entre le ciel et la terre.  Cette différence avait déjà été rendue problématique par l'astronome Tycho Brahé avec sa découverte d'une nova en 1572. Avec Newton (1687), cette différence disparaît complètement et, pour autant que nous puissions en juger, définitivement. Quelques années avant la Révolution française a lieu une éclipse de soleil. Le peuple de Paris danse dans les rues. Cette éclipse l'amuse car il n'y voit plus un signe divin comme un prêtre inca dans une aventure de Tintin. Les cieux sont devenus une grande mécanique céleste.

Donne avait posé un diagnostic. Descartes, lui, décida d'aller plus loin. Dès 1637, date de la publication de son Discours de la méthode, il mesure l'énorme impact culturel de la révolution scientifique, à savoir l'impossibilité pour l'homme de trouver sa place, voire une place dans l'univers. Pour paraphraser Pascal, quoi de plus effrayant que de se voir ici plutôt que là sans qu'il y ait une raison à cette différence topologique ? Où suis-je et qui suis-je, si je n'arrive plus à dire pourquoi j'occupe tel lieu plutôt que tel autre, si je n'arrive plus à m'assigner une place dans la création ? Suis-je un crapaud ou un ange ? Un prince ou un manant ? Ne sommes-nous pas tous égaux du vermisseau à Mozart ? Comment savoir ? A quelle certitude puis-je encore accéder ?

La réponse de Descartes est restée célèbre : « je pense donc je suis ». Autrement dit, le monde, l'univers, le cosmos pourraient être une illusion, pourraient même ne pas être, mais il est impossible que moi je ne sois point. Et si c'est impossible, c'est parce que je pense ou, comme dira Descartes, parce que je suis une chose pensante. Même si je pensais mal ou faux, il n'en resterait pas moins que je penserais.

Jusque-là, on croit comprendre et le raisonnement de Descartes, finalement, est simple. Mais cette simplicité n'est qu'apparente. Car cette « chose pensante », ce moi qui voulait retrouver de quoi se situer dans le temps et dans l'espace, n'est pas lui-même dans le temps et dans l'espace. Il n'est justement pas une chose repérable. Le moi, même s'il est certain d'être, n'a pas pour autant retrouvé un monde.

La question qui se posera à Descartes et à tous ses successeurs sera de savoir comment cette irrepérable « chose » pensante pourrait retrouver un cosmos et, surtout, s'y situer. En fait, nous n'avons jamais pu répondre à cette question et le silence des espaces infinis est toujours aussi angoissant qu'à l'époque de Pascal. Nous n'avons pas retrouvé le cosmos perdu de la Révolution scientifique.

Cet échec explique beaucoup de choses. Deux philosophes contemporains, Rémi Brague et Olivier Rey viennent chacun de publier un ouvrage sur la démesure. Interviewés par Alain Finkielkraut dans sa célèbre émission Réplique,  ils ont fait allusion à l'éclatement du cosmos provoqué par la Révolution scientifique, observant que si notre univers est un espace infini, la porte est grande ouverte pour toutes les démesures. Mais ils se sont contentés d'une allusion et c'est bien dommage. Car dans la modernité nous n'avons pas du tout affaire à un grand élan prométhéen visant à dépasser toute limite, pour la simple raison que la notion de dépassement n'a aucun sens dans un espace infini. A moins qu'avec un certain Stephen Hawking on fasse l'hypothèse que l’espace-temps est fini mais sans bord. Toutefois, à s'engager dans d'aussi subtiles distinctions, on prend un risque, celui de dire tout et son contraire. Pourquoi ne pas proposer l'hypothèse inverse, à savoir que l'espace-temps est infini mais qu'il a des bords ? De telles propositions n'ont aucun sens, mais elles impressionnent dans les salons où l'on cause et parfois même dans des centres de recherche.

Jan Marejko, 26 janvier 2015

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jeudi, 29 janvier 2015

Métaphysique du sexe

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Métaphysique du sexe

Ex: http://lagrandetouriste.blogspot.com
 
Né en 1898, mort en 1974, le baron Julius Evola était un penseur traditionnaliste. Qu'est-ce que la Tradition? Dans le monde indo-européen, c'est, entre autres héritages, une organisation sociale selon trois fonctions  ̶  religieuse, guerrière et économique. Mise en évidence par le philologue Georges Dumézil, ce sont, par exemple, les tripartitions Brahmanes/Kshatriyas/Vaisyas en Inde, Clergé/Noblesse/Tiers-État dans la France pré-révolutionnaire. De par sa naissance et sa conformation intérieure, Julius Evola se rattachait à l'ordre des guerriers. En ces temps troublés qui sont les nôtres, ses ouvrages sont donc à ranger dans toute bibliothèque dissidente qui se respecte.

Celui qui nous intéresse aujourd'hui s'intitule "Métaphysique du Sexe". Qu'est-ce que la métaphysique? Evola donne deux acceptions. La première est la définition philosophique courante: on appelle métaphysique la « recherche des principes et des significations ultimes ». La deuxième est étymologique: du grec μετά ("après", "au-delà de"), c'est la « science de ce qui est au-delà du physique ». Au sujet des sexes et des relations entre les sexes, Evola affirme que seule la métaphysique a quelque chose de valable à dire: « Que dans toute expérience intense de l'eros un rythme différent s'établisse, qu'un courant différent investisse et transporte, ou bien suspende, les facultés ordinaires de l'individu humain, que se produisent des ouvertures sur un monde autre   ̶  c'est ce qu'on a su ou pressenti depuis toujours. »
 
« Lorsque nous indiquerons les significations les plus profondes qui se cachent dans l'amour en général et même dans l'acte brutal qui l'exprime et l'accomplit  ̶  cet acte où « se forme un être multiple et monstrueux », où l'on dirait qu'homme et femme « cherchent à humilier, à sacrifier tout ce qu'il y a de beau en eux » (Barbusse), la plupart des lecteurs, peut-être, ne se reconnaîtra pas dans tout cela et pensera qu'il ne s'agit là que d'interprétations toutes personnelles, imaginaires et arbitraires, abstruses et "hermétiques". »

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De même que la manipulation des formes géométriques pures permet l'édification d'architectures solides, il ne peut y avoir de science de l'homme sans idée de l'homme: une sexologie fondée sur le darwinisme est donc nulle et non avenue. « A une époque où il parait approprié (…) d'écrire Sélection Naturelle avec la majuscule, comme on le faisait pour le nom de Dieu », Evola affirme au contraire que le supérieur ne peut naître de l'inférieur. L'homme ne dérive pas du singe par évolution; c'est le singe qui dérive de l'homme, par involution. Evola tient pour exact ce qui fut pressenti par certains scientifiques non-alignés (Kohlbrugge, Marconi, Dacqué, etc.), à savoir que les espèces animales seraient des « spécialisations dégénératives de possibilités comprises dans l'homme ». L'ontogénèse ne répète pas la phylogénèse: l'embryon humain passe outre là où plantes et animaux s'arrêtent, parce qu'il est appelé à un développement supérieur. Par conséquent, rien ne saurait être dit sur la sexualité de l'homme qui ne tienne compte de sa destinée particulière: « Nous n'envisagerons pas la sexualité humaine comme un prolongement de la sexualité animale ; nous envisagerons au contraire  ̶  et nous dirons pourquoi  ̶  la sexualité animale  ̶  en elle-même, chez les bêtes et telle qu'elle se présente aussi, éventuellement, chez l'homme  ̶  comme la chute et la régression d'une impulsion qui n'appartient pas à la sphère biologique. »

De sorte que la reproduction, si elle est une conséquence de la sexualité couramment observée, n'en constitue pas pour autant le but. A la suite du poète russe Vladimir Soloviev, Evola remarque que de nombreux organismes se multiplient de manière asexuelle, et que le fait sexuel n'intervient que dans la reproduction des organismes complexes. En outre, « plus nous montons haut dans l'échelle des organismes, plus la puissance de multiplication s'amoindrit, tandis qu'au contraire augmente la force de l'inclination sexuelle… Enfin, chez l'être humain, la multiplication se fait beaucoup moins que dans tout le règne animal, alors que l'amour sexuel atteint l'importance et l'intensité les plus grandes. » (Soloviev) Evola mentionne aussi le baiser, que l'espèce n'exige en rien pour se multiplier, et qui est pourtant érotiquement nécessaire. (Les amants des peuples qui ne connaissent pas le baiser ont d'autres pratiques, comme le fait de se toucher les fronts, qui permettent pareillement le "mélange des souffles".)

ms84b3fdad.jpgLe "principe de plaisir" énoncé par Sigmund Freud, père de la psychanalyse, ne convient pas mieux à une métaphysique du sexe. Misérablement compensé par le "principe de réalité", il est pour Evola symptomatique d'une époque où la sexualité est ravalée au rang d'opium des masses, et où ses potentialités subtiles sont presque systématiquement avortées, faute d'avoir conservé les connaissances traditionnelles qui s'y rapportaient. De quel plaisir est-il question, quand le simple contact mutuel des mains suffit à électriser les amants? "Dans la "normalité" de l'eros, il n'y a pas l'"idée" du plaisir en tant que motivation déterminante ", écrit Evola. "Il y a la pulsion qui, éveillée dans certaines circonstances par la polarité sexuelle en tant que telle, provoque à elle seule un état d'ivresse jusqu'à la crise du "plaisir" ».

Le terme de "polarité sexuelle" est central: il signifie que le masculin et le féminin sont à l'eros ce que le Nord et le Sud sont au champ magnétique terrestre. Selon la philosophie chinoise, il suffit même que deux individus de sexe opposé soit placés l'un à côté de l'autre, sans contact corporel, pour que s'éveille cette énergie spéciale appelée "tsing", dont l'intensité varie en fonction des degrés de "yin" et de "yang" présents en chacun d'eux. En Islam, la très stricte séparation des sexes est réputée porter cette tension à son maximum. De manière générale, pour l'ensemble des tenants de la Tradition, la différence des sexes n'est pas un constat mais un axiome. Une anthropologie fondée sur l'observation est sans valeur, puisque rien d'absolu n'est observable. A celle-ci, Evola oppose non pas la "déconstruction de genre" chère aux progressistes, mais un savoir primordial, fondé sur les principes.

 
Le caractère "fluidique", "magique" de l'attraction des sexes est comme la lettre volée d'Edgar Poe: invisible parce qu'évident. Les écrivains en témoignent mieux que les psychiatres. Evola reprend l'image de la "cristallisation" formulée par Stendhal: comme les branches des arbres se couvrent de cristaux dans les régions salines de Salzbourg, le désir de l'amant cristallise autour de l'aimée comme un halo d'extraordinaireté, propre à induire cet état de fascination qui est le pré-requis du « traumatisme de l'étreinte ». C'est ainsi qu'en toute inconscience, les amants mettent en œuvre des techniques spirituelles. Dans son Liber de arte amandi, daté du XIIème siècle, le clerc André Le Châpelain a défini l'amour comme une « agonie due à une méditation extrême sur une personne de sexe opposé ».

ms-lglg3e3.jpgPour Evola, comme pour Aristophane dans Le Banquet de Platon, l'eros est une vocation divine inscrite à même le corps, qui n'est d'abord sensible que comme dépossession de soi. De cette vocation, le sexe anatomique constitue le signe. A ce titre, l'Androgyne figure à la fois le but et l'obstacle: coïncidence miraculeuse des opposés, point de jonction des parallèles à l'horizon, il est la solution de l'énigme des tristesses post-coïtales. Abaissé au rang d'idéal consumériste, l'Androgyne perd sa signification, mais non pas son pouvoir. Ce n'est certes pas un hasard s'il figurait en bonne place dans la symbolique alchimiste, et sur le sceau du théologien Pierre Abélard, dont la liaison passionnée avec l'abbesse Héloïse d'Argenteuil, au XII siècle également, compte parmi les grandes amours de l'Histoire.

"Métaphysique du sexe" est un ouvrage extrêmement dense, qui éclaire quantité de mythes, de hiérogamies, et de rituels archaïques tels que la prostitution sacrée, les orgies saisonnières, le mariage hétérosexuel. Julius Evola y fait l'exégèse des plus rebattus des lieux communs de l'amour ("Je t'ai dans la peau", etc.) et de ses métaphores les plus persistantes: le cœur, la foudre, la mort. En passant, il évoque une tradition issue de la chevalerie médiévale nommée Amour Courtois, dont la branche ésotérique, qui n'est pas sans lien avec les Templiers, a fourni à la littérature européenne quelques-uns de ses plus magistraux chefs-d'œuvre. Plus près de nous, il n'est pas anodin que l'artiste catholique Jean-Louis Costes, qui se qualifie lui-même de « Christophe Colomb du cul », ait été rattaché à cette tradition par certains commentateurs.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce livre, et sur ses limites. Nous nous en tiendrons à cette brève introduction, et souhaitons qu'elle contribue à l'effort de guerre...

mercredi, 28 janvier 2015

Le laïcisme contre la personne

Le laïcisme contre la personne
 
La conception anthropologique du laïcisme, c'est l'homme considéré non comme une personne, mais comme un jeu de Lego.
 
Professeur de Lettres
 
 

miege-laicite.pngLa loi de 1905, en « séparant » l’Église de l’État, n’a fait qu’enterrer un cadavre. Depuis longtemps, quand bien même quelque prélat eût eu une quelconque influence sur certaines décisions du pouvoir, et justement parce que le catholicisme était devenu un enrobage idéologique pour la bourgeoisie, l’État contemporain (à partir de 1789) ne relevait pas, dans ses principes, d’une réalité supra-humaine. Le christianisme, depuis longtemps, était dans une position défensive, et il n’avait fait que perdre ses places fortes.

L’État laïque ne serait donc qu’un constat : celui du reflux de la religion. L’espace qu’il semble libérer est un ensemble vide où s’impose soit la totalité, c’est-à-dire la puissance bienfaisante de l’État, qui veille sur le bien-être des « citoyens », soit le singleton qu’est devenu l’individu, mû par des besoins et des ressentiments. Autant dire que le projet de Jean Bodin (1529-1596) de promouvoir un État « absolu », c’est-à-dire apte à décider et à réaliser, sans limite, ses projets politiques, a enfin éprouvé la pleine puissance de ses potentialités dans l’État laïque contemporain.

Lorsqu’on envisage ces questions de relations entre le politique et le religieux, il faut se garder de comparaisons biaisées. Chez les Anciens, l’évocation d’Antigone, mais aussi l’exemple de toutes les cités et empires de cette période, suffisent à montrer qu’on ne pouvait concevoir le politique, auquel on concédait, bien sûr, une autonomie de fait, sinon de droit, séparé du principe supra-humain.

L’État moderne prétend se suffire à lui-même. Il est un Créon qui, régulièrement, met à la porte une Antigone qui s’obstine à rentrer par la fenêtre. Pourquoi ? Parce que l’homme, évidemment, ne vit pas que de pain. Il a bien tenté de redonner un idéal à sa volonté toute-puissante de biberonner le « peuple ». Mais, entre un messianisme prométhéen exorbitant, qui promet la lune et la poussière d’étoiles, et des civilités néo-kantiennes dont l’inefficacité n’a même pas l’excuse de la bêtise (car les techniciens de l’État sont des spécialistes brillants de la manipulation pédagogique), il n’a fait que mimer le prophétisme et la fraternité chrétienne, tragiquement ou de façon grotesque, sans en atteindre la grandeur. Il s’est souvent révélé à lui-même ce qu’il était : un boucher ou un histrion.

Aussi bien le laïcisme n’est-il qu’une déclinaison, sans doute la plus hypocrite, la plus perverse. Sous le couvert d’éviter la violence, la guerre civile – et il faut lire Michéa pour comprendre que tel est le projet sociétal du libéralisme, depuis les guerres de religions du XVIe siècle –, on vide la société de tout sens, le citoyen n’étant plus, finalement, qu’un numéro, comme l’homme et la femme, selon la théorie du genre, ne seraient, finalement, que des « êtres humains » dont l’identité serait dépendante de choix optionnels. La conception anthropologique du laïcisme, c’est l’homme considéré non comme une personne, mais comme un jeu de Lego.

samedi, 24 janvier 2015

L’affaire Charlie, ou l’essor d’une novlangue médiatico-politique

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L’affaire Charlie, ou l’essor d’une novlangue médiatico-politique
 
C’est fatigant de réfléchir. Il vaut mieux abdiquer ; rejeter l’horreur du côté de l’irrationnel, et donc de l’inintelligible ; enfin s’avouer incompétent.
 
Étudiant en droit
Ex: http://www.bvoltaire.fr
 

C’est l’histoire d’une valse à trois temps. Trois stratégies langagières qu’on aura dû subir ad nauseam sur tous les grands médias, et par lesquelles la caste s’efforce encore, jusqu’au-boutiste, de garder bonne contenance dans l’assurance inexpugnable de son infaillibilité pontificale. Les exécutants étaient, il est vrai, surentraînés et le spectacle, millimétré, eut été presque convaincant, si tout ne s’écroulait autour d’eux. Mais pas question pour eux de s’abandonner à une quelconque palinodie ! Eux aussi mourront en loyaux martyrs de leurs idées, dans l’espoir sans doute d’enfouir leur sottise sous les oripeaux d’une abnégation zélée.

Premier temps : hermétiser. La vieille antienne « padamalgam » nous a été servie sous ses formes les plus subtiles. On notera en particulier l’emploi florissant d’une formule éloquente : « islamisme radical ». Non, non, ce n’est plus guère « islam radical » ni « islamisme » qu’il faut dire : les Français pourraient encore s’y tromper… Au diable le pléonasme ! Qu’importe ! Pas d’ambiguïté, pas d’amalgame ! De l’étanchéité, vous dis-je ! Dut-on pour cela leur agresser l’esprit !

Poussant cette logique jusqu’au ridicule, l’imam de Drancy (chouchou des médias s’il en est) a osé lâcher que les trois criminels n’ont « rien à voir avec l’islam ». Voire ! Si cette extranéité est à ce point complète et indubitable, pourquoi donc croit-il bon de nous le rappeler ? Plus que jamais, nous nageons en pleine négation du réel. Est-ce qu’il suffit, pour clore le débat, d’assener cette évidence, que tous les musulmans de France ne sont pas des terroristes ? Quand cessera-t-on de récuser cette autre évidence, que oui, l’islamisme a davantage à voir avec l’islam qu’avec le christianisme ? Que si l’islam n’est certes pas le problème en soi, il en est tout aussi indiscutablement la source ?

Deuxième temps : déconsidérer. Ils auraient pu se borner à dire ce que nous pensons tous : combien cet attentat est odieux. Mais non. Il leur fallait aller plus loin, pour déplorer des hommes « lâchement » assassinés dans un « lâche » attentat. Cette épithète insupportable a été sur toutes les lèvres. Voilà une collocation devenue presque naturelle et dont on n’interroge plus la pertinence : il semble qu’un attentat soit forcément « lâche ».

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À première vue, certes, massacrer des journalistes sans défense ou un policier tombé à terre n’indique pas un grand courage. Mais concevons-nous seulement que ces terroristes, par leurs actes, se condamnaient sciemment à une traque acharnée, puis, in fine, à une alternative peu enviable et absolument inévitable – au pire perpét’, au mieux une mort imminente et certaine ? On peut dire qu’ils sont inhumains ; pas qu’ils sont lâches. Les taxer de lâcheté, c’est encore méjuger du danger en refusant de voir ce qui fait toute la force des islamistes : leur désintéressement absolu, leur piété fanatique en considération de laquelle toute contingence terrestre apparaît dérisoire et insusceptible de les faire aucunement reculer.

Troisième temps : dérationaliser. Ils ne sont pas seulement lâches. Ils sont « fous ». Patrick Pelloux l’a dit – dans l’état où il se trouvait, on eut préféré qu’il s’abstînt de toute analyse. Variante : « leur place est dans un asile », a martelé Amaury de Hauteclocque, ex-patron du RAID. N’a-t-on pas fait le même coup à Breivik, qui a bien failli être déclaré dément et irresponsable ?

On les comprend : c’est fatigant de réfléchir. Il vaut mieux abdiquer ; rejeter l’horreur du côté de l’irrationnel, et donc de l’inintelligible ; enfin s’avouer incompétent. Affaire réglée ; l’on peut de nouveau s’adonner à une pleurniche ostentatoire mais à peu près consensuelle. Le panurgisme populaire prendra le relais : Je suis Charlie… du verbe « suivre » ?

 

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vendredi, 23 janvier 2015

De l’homme-masse à Festivus festivus: deux visages de la médiocrité

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De l’homme-masse à Festivus festivus: deux visages de la médiocrité

« Les hommes du XVIIIe siècle ne connaissaient guère cette espèce de passion du bien-être qui est comme la mère de la servitude, passion molle, et pourtant tenace et inaltérable (…) Dans les hautes classes, on s’occupait bien plus à orner sa vie qu’à la rendre commode, à s’illustrer qu’à s’enrichir. Dans les moyennes mêmes, on ne se laissait jamais absorber tout entier dans la recherche du bien-être ; souvent on en abandonnait la poursuite pour courir après des jouissances plus délicates et plus hautes ; partout on plaçait, en dehors de l’argent, quelque autre bien ». Un doux relent de nostalgie parsème les élégantes pages de L’Ancien Régime et la Révolution. Tocqueville révèle bien plus qu’une simple mutation institutionnelle ou idéologique ; sa plume égraine, ici et là, les contours d’une nouvelle sensibilité. L’identité malheureuse guette souvent l’intellectuel rompu à une lecture affûtée du réel – tout effort critique consistant à s’extraire du ici et maintenant pour lui donner forme, le livrer à une interprétation et ainsi, en quelque sorte, se l’approprier en le sublimant -, d’autant plus lorsque celui-ci sent amèrement la fin d’un monde que le renouveau n’égalera jamais. N’y a-t-il pas mouvement plus salvateur, plus libérateur, que la peinture du hic et nunc sous les couleurs de la médiocrité ? N’y a-t-il pas plus beau geste qu’une plume s’appliquant, à l’instar d’un pinceau, à flétrir l’innocente putréfaction des âmes ? Et d’aucuns seraient peut-être surpris d’apprendre que les couleurs de la médiocrité ne sont pas ternes. Au contraire, il faut bien d’avantage rendre un triste hommage au jaune poussin de mines boursouflées par la suffisance d’une réjouissance joviale et primesautière ; au rouge d’une vie foisonnante mais sans formes portée par un hédonisme de circonstance. Force jaune et force rouge rayonnent d’un enthousiasme cadavérique. Il est vrai qu’ils seront sauvés par l’amour mais, en attendant, décortiquons deux manifestations ou deux figures de notre moderne médiocrité dans laquelle force jaune et force rouge se diluent : l’homme-masse et Festivus festivus.

mur9782213621296.jpgL’homme médiocre, écrivait Ernest Hello, incarne l’entre-deux, le milieu (entre l’imbécile et le génie) sans le savoir et sans le vouloir : « Il l’est (médiocre) par nature, et non par opinion ; par caractère, et non par accident. Qu’il soit violent, emporté, extrême ; qu’il s’éloigne autant que possible des opinions du juste-milieu, il sera médiocre ». Il s’agit bien d’un état d’esprit. Un médiocre peut tout à fait, par exemple, posséder certaines vertus mais il ne verra pas avec acuité en quoi ces vertus pourraient faire de lui un homme de bien. Une fois niché dans une vie confortable plus rien ne l’ébranle ; peu exigeant avec lui même, il ne désire que son bien-être et se repaît d’un contentement paresseux. L’homme-masse que décrit brillamment Ortega Y Gasset s’inscrit dans cette tendance et roule sur le sombre triomphe des masses ou de l’hyper-démocratie. L’homme-masse est celui qui, comme son nom l’indique, appartient à la masse, c’est-à-dire à l’homme moyen, par opposition à l’élite toujours minoritaire. Deux critères permettent de définir un individu solidaire de la masse : il faut non seulement que « la valeur qu’il s’attribue – bonne ou mauvaise – ne repose pas sur une estimation justifiée de qualités spéciales » mais encore qu’il n’éprouve aucune angoisse à se sentir profondément identique aux autres. L’homme qui s’interroge et se demande « si il ne possède pas quelque talent dans tel ou tel domaine et constate, en fin de compte, qu’il ne possède aucune qualité saillante » se sentira peut-être médiocre « mais il ne se sentira pas « Masse » ». L’homme d’élite, quant à lui, n’a rien du misérable prétentieux mais, au contraire, tout d’une nature éminente ; il se veut généralement « plus exigeant pour lui que pour les autres, même lorsqu’il ne parvient pas à réaliser ses aspirations supérieures ». Nous avons donc deux classes d’individus : « ceux qui exigent beaucoup d’eux-même et accumulent volontairement devoirs sur difficultés, et ceux qui, non seulement n’exigent rien de spécial d’eux-même, mais pour lesquels la vie n’étant à chaque instant que ce qu’elle est déjà, ne s’efforcent à aucune perfection et se laissent entraîner comme des bouées à la dérive ».

L’homme-masse ne possède aucun goût pour la culture. En effet, cette noble tâche demande un effort constant, le sens du sacerdoce : la culture dissimule toujours un éloge de la formation. Comment notre homme pourrait-il sérieusement s’élever – autrement dit se rendre inégal à lui-même – alors que résonne de sa bouche complaisante les mots suivants : « tout est bon ce qui est en moi : opinions, appétits, préférences ou goût ». Que peut bien signifier une culture sans recherche de vérité, sans normes de référence, sans autorité ? A dire vrai, elle est tout simplement inconcevable « là où n’existe pas le respect de certaines bases intellectuelles auxquelles on se réfère dans la dispute » ; ou encore « là où les polémiques sur l’esthétique ne reconnaissent pas la nécessité de justifier l’œuvre d’art ». Est-ce que l’homme-masse entend qu’une culture sans dispute fonderait comme neige au soleil ? Assurément non, et il le fait savoir lorsqu’il s’époumone à rappeler benoîtement que de toute façon, eh bien, chacun ses goûts ! Chacun ses opinions ! Mais que recherche-t-il mise à part la légèreté de l’agrément et les fausses joies du plaisir ? Quel cas fait-il de la magnanimité ? A-t-il perdu tout rapport avec cette noblesse d’âme esthétisante promue par un double attachement à la distinction et au devoir – à savoir le sens des honneurs et l’obligation d’une vie vouée à l’effort, « toujours préoccupée à se dépasser elle-même, à hausser ce qu’elle est déjà vers ce qu’elle se propose comme devoir et comme exigence » ? Il est vrai que l’homme d’élite n’a pas oublié l’héritage légué par ses pairs : la vénération constitue peut-être le plus beau témoignage d’une âme fièrement soumise.

A ces questions nous devons répondre par l’affirmative mais sous un angle spécifique. Il est évident que la distinction entre esprit vulgaire et esprit noble n’appartient nullement de manière exclusive à notre époque et qu’il serait idiot de reprocher à l’individu moyen de ne pas intégrer les rangs de la classe supérieure. Précisément, on ne lui reproche pas son caractère médian mais un certain type de médiocrité qui en découle. La particularité de l’homme-masse – et ce qui constitue le grief moteur – réside dans son émancipation. Nous avons, en effet, « une masse plus forte que celle d’aucune autre époque » (la quantité de connaissance dont elle jouit est inédite dans l’histoire) et pourtant, contrairement à une masse traditionnelle, elle semble « hermétiquement fermée sur elle-même, incapable de prendre garde à rien ni à personne, et croyant se suffire à elle-même – en un mot indocile ». Cette indocilité marque une funeste rupture avec l’ordre ancien : la masse actuelle s’évertue à élaguer tout ce qui dépasse sa pauvre tête ; en somme, il n’y a plus d’élite, plus d’aristocratie – en ce sens, notre homme-masse marche sur les décombres des minorités supérieures – puisqu’une « aristocratie dans sa vigueur ne mène pas seulement les affaires ; elle dirige encore les opinions, donne le ton aux écrivains et l’autorité aux idées » (Tocqueville). La vigueur d’une élite aristocratique comme balayée par la révolte intempestive d’une classe moyenne sans pudeur, complaisamment satisfaite d’elle-même et résolue à gouverner. La gloire du vulgaire se conjugue avec la crise ou la reddition des élites et, par ailleurs, ce que Christopher Lasch nomme la révolte des élites n’est pas autre chose que la corruption des anciennes minorités d’exception par l’esprit médiocre des masses mais dans un rapport inversé : la corruption des masses – celles-ci conservant encore une certaine sagesse  par la médiocrité d’une élite décadente (en ce sens Christopher Lasch prend le contre-pied du philosophe espagnol tout en conservant, sur le fond, le même diagnostic). Et comment pourrait gouverner décemment celui qui a fait table rase du passé ? Celui pour qui le mot décadence ne peut plus rien signifier de tangible ? « L’européen est seul, sans mort vivant à son côté ; comme Pierre Schlemihl, il a perdu son ombre. C’est ce qui arrive toujours à midi ». Midi, le temps d’un nouveau départ. Amnésique de sa matinée mais convaincu qu’il fera mieux dans l’après-midi : voici l’édifiante confusion de l’homme-masse indexée sur la mamelle juteuse du progressisme. Ortega y Gasset résume, encore une fois avec brio, la situation : « on peut, nous dit-il, facilement formuler ce que notre époque pense d’elle-même : elle croit valoir plus que toutes les autres tout en se croyant un début et sans être sûre de ne pas être une agonie ».

Ortega_y_Gasset_Jose_La_revolte_des_masses.jpgPhilippe Muray ne s’y est pas trompé dans le portrait qu’il consacre à l’Homo festivus festivus. Vecteur de médiocrité festive ou figure allégorique de la post-histoire, Festivus festivus transfigure l’homme moyen en égérie du ridicule. Festivus festivus incarne le digne descendant de son prédécesseur Festivus ; on le rencontre au détour d’une rue comme dans les locaux de la mairie de Paris. De la même façon que l’Homo sapiens sapiens sait qu’il sait, Festivus festivus « festive qu’il festive ». Certes, Festivus festoyait déjà dans sa lutte contre l’ordre établi – et contre le Mal tout entier – qu’il devait définitivement écarter pour promouvoir son droit à la fête. Le soixante-huitard a accouché de Festivus festivus et lui a légué en héritage les clefs de l’après-histoire (de l’île aux enfants), et les vêtements bigarrés de l’ « après-dernier homme ». Après la fin de l’homme historique il n’y a plus que célébration : célébration de la célébration.

Qu’est-ce exactement que cette (dé)culture-festive ? Ses manifestations sont nombreuses et Muray s’amuse en les épinglant. Disons simplement qu’il s’agit, bien sûr, d’un produit de substitution à la Culture : une culture-festive traduit avant tout un renouvellement de la Culture par la festivité ; un développement de la fête et des spectacles (par exemple la déclaration d’un nommé Christophe Girard, responsable de la Culture (sic) à Paris : « Je me suis donné pour objectif de redonner un caractère festif à la capital » – bravo Christophe !). Comment ne pas en restituer la profonde misère artistique ? Ce que fait notre auteur lorsqu’il relève avec ironie « les plus belles énormités » d’un programme festif organisé par la mairie de Paris : « l’ « irrévérencieuse » Sophie Calle qui reçoit des visiteurs au sommet de la tour Eiffel et leur demande de lui raconter une histoire, est présentée ainsi : « Elle déjoue les interdits, accomplit des fantasmes. Scandaleuse et engagée, elle se perd et s’abîme, prend tous les risques pendant que son défi résonne en sourdine » ». Et Muray d’ajouter entre parenthèses à la fin de sa citation : « qu’est-ce que ça veut dire ? ». Mais que fait cette Sophie Calle ? Quel réel représente-t-elle avec son « art insolent » ? Eh bien, précisément, toute la vacuité de la post-histoire  lieu où les mots flottent dans l’alter-monde d’une subjectivité envahissante ; où le Moi narcissique devient la référence ultime de toute création. L’art n’a de sens chez Muray qu’en réponse à la question « que se passe-t-il ? » d’où son attrait pour la forme littéraire  seule capable d’y répondre consciencieusement – et son mépris affiché pour la néo-littérature contemporaine sujette à la diversion, c’est-à-dire à une manière de raconter des histoires ne contenant plus « une étude critique, ou plus exactement une psychologie de la nouvelle vie quotidienne ». Il est assez clair sur ce point : « j’appelle étrangère à la littérature toute personne qui ne sait pas que l’homme, dans les nouvelles conditions d’existences, est un plagiat pour l’homme ». Festivus festivus ou l’après-dernier homme n’est rien d’autre qu’un vulgaire plagiat. Autrement dit, et c’est un élément crucial, il ne peut plus y avoir d’art sans une réaction radicale, sans un rejet de l’homme sous sa physionomie actuelle. Pourquoi ? Parce que l’art évoque l’homme et non pas son plagiat et qu’il lui faut donc, pour sauver sa peau, désigner l’imposteur, le démasquer et le liquider comme il a liquidé le réel en liquidant l’histoire.

Que veut dire liquider l’histoire ? Que signifie au juste cette « fin de l’histoire » Murayienne ? Elle est une manifestation de l’hyper-démocratie comme, pourrait-on dire, l’hyper-démocratie et une manifestation de la fin de l’histoire ou post-histoire. Son essence réside étrangement dans un fétichisme du Bien, un remplacement du « Bien-et-Mal » par le Bien seul, l’arrêt de la dialectique, l’extermination désespérante du conflit. D’abord Festivus festivus sort de l’histoire par le peu d’intérêt qu’il semble accorder au savoir historique, à l’autorité du passé (on retrouve ici un trait saillant de l’homme-masse). Il a oublié ses racines judéo-chrétiennes et à consommé joyeusement son divorce avec le péché originel (il renonce ainsi à toute compromission avec le mal) et le salut (ce qui signifie la fin du mouvement dialectique ou encore le salut transposé ici bas, ici et maintenant). Dans ce monde sans histoire la figure de l’enfant ressurgit et produit ces « faces hilares, ces regards inhabités, ces cerveaux en forme de tous noirs, ces propos dévastés d’où tout soupçon de pensée critique s’est en allé, cette flexibilité à toute épreuve, et cette odieuse nouvelle innocence qui les entoure comme une aura » : une nouvelle innocence est née, non pas celle de la douce naïveté, « mais bien cette infernale illusion infantile de toute puissance ». Ainsi, « à partir de ce moment, ce qu’il y a encore de plus réel c’est le présent, l’éternel présent, et cet éternel présent, personne ne l’incarnera jamais mieux que l’enfant » ; si il y a encore du conflit ce n’est plus que pour imposer « la fin de tous les conflits ». Les soubresauts de l’égalitarisme forcené  cette recherche maniaque des discriminations à éradiquer  alimentent « un feuilleton à rebondissements infini que les imbéciles prendront pour la preuve que l’Histoire continue alors qu’il ne s’agit jamais que d’un énième épisode de notre grand film transhistorique sur écran mondial : La mort vit une vie humaine ! ». Voilà la raison pour laquelle Philippe Muray attachait autant d’importance à la véritable littérature : « si les livres, et de manière plus particulière les romans, servent à quelque chose, c’est à rendre la possibilité du Mal envisageable ».

« Faire de l’art avec le Mal, c’est le grand art, le seul. »

jeudi, 22 janvier 2015

Spengler, Lasch, Bourget: culture et décadence

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Spengler, Lasch, Bourget: culture et décadence

Avant de se demander trivialement qu’est-ce qu’une culture ou société décadente il faudrait peut-être réfléchir – et notre époque nous y oblige – à la possibilité même d’une telle interrogation. En effet, peut-on encore, sans provoquer l’incompréhension générale, associer culture et décadence ? Notre culture n’aurait-elle tout simplement pas anémié les préjugés intellectuels ou les outils conceptuels requis pour détecter un éventuel état de décadence ? Nous ne prétendons pas répondre sérieusement à ces questions dans ce court article mais simplement jeter, ci et là, quelques pistes de réflexion dont l’articulation devrait permettre d’esquisser les présupposés théoriques d’une rhétorique de la décadence. 

spengler.jpgNous avons déjà vu qu’un des traits de la médiocrité s’exprime dans une rupture du sens historique parfaitement illustrée par l’homme-masse et Festivus festivus. Un rapport à l’histoire décadent n’est pas autre chose qu’une culture de l’oubli, du pur présent. D’aucuns s’enivrent de ce présent jusqu’à la pâmoison, d’autres lui font révérence et le presse jusqu’à en extraire le jus aigre du progrès perpétuel. Il s’agit d’un progrès amnésique ayant pour seul critérium une propension à dynamiter les cadres institutionnels, à émanciper, à promouvoir le relativisme culturel. Différent à la fois de l’idéalisme politique des Lumières et des doctrines du salut par l’histoire (matérialisme historique et idéalisme absolu) dont pourtant il procède, l’idée actuelle de progrès tend à l’inauguration d’un état au sein duquel la notion même de décadence perd son sens, à savoir un état de déconstruction maximale et d’identité commune minimale. Notre vision du progrès (celle, du moins, des « élites » en place) repose sur une architecture conceptuelle peu propice à développer une sensibilité conservatrice ou réactionnaire et donc une lecture de notre civilisation en terme de déchéance.

La décadence suppose toujours la trace d’une chute (le péché originel, l‘hybris, ou le mythe de l’âge d’or), une dégénérescence (Chez Morel par exemple, qui définit la dégénérescence comme une déviation du « type primitif » lui-même produit de la création divine et « créé pour atteindre le but assigné par la sagesse éternelle ». Il y a dégénérescence « si les conditions qui assurent la durée et le progrès de l’espèce humaine, ne sont pas plus puissante encore que celles qui concourent à la détruire et à la faire dégénérer », autrement dit lorsque nous constatons une « déviation maladive d’un type primitif ».) ou un déclin (voir Oswald Spengler). L’idée de décadence se réalise pleinement lorsque le temps des horloges ne conserve plus mais dégrade et qu’une harmonie ou un ordre naturel se défait. A l’inverse, il devient impossible d’asseoir une critique basée sur une rhétorique de la décadence à l’heure où l’exaltation chimérique d’un progrès sans fin et d’une culture déconnectée de la nature alimentent les esprits. N’importe quelle matrice culturelle offre la possibilité de penser les changements en terme de progression ou de régression, de mieux ou de moins (l’imagination humaine est sans limite pour inventer des étalons de mesure autorisant de tels jugements), mais il n’est peut-être pas vrai que toutes les cultures ou civilisations (sous-entendu les individus allant dans le sens de cette culture et non pas, bien sûr, les figures de la réaction) puissent penser la décadence, c’est-à-dire appréhender la déliquescence dans son aspect le plus absolu, le plus fondamental, à l’échelle, précisément, d’une civilisation.

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Culture de l’oubli où gît pourtant encore la certitude d’un progrès ; où l’histoire ressemble à une fonction exponentielle traduisant l’ascension infinie dans laquelle l’homme du présent entretient l’illusion d’un devoir de prolongement. Quoi prolonger exactement ? Ce qui a le goût et l’odeur du présent. Or, la possibilité d’une décadence est toujours ouverte lorsque nous entretenons une vue cyclique ou providentielle de l’histoire. Par exemple, « La conception biblique de l’histoire avait, nous dit Christopher Lasch, après tout, plus de points communs (…) avec la conception classique, telle qu’elle fut reformulée au cours de la Renaissance, qu’avec la louange moderne du progrès. Ce qu’elles partageait était une conscience du « sort des sociétés menacées » – une intelligence du fait que la qualité contingente, provisoire et finie des choses temporelles trouve sa démonstration la plus vivace non seulement dans la mort des individus, mais dans la grandeur et la décadence des nations ». L’histoire chrétienne, sous sa forme providentielle, demeure impénétrable et se rapproche sans doute davantage de la conception cyclique de l’antiquité ou de la fortune machiavélienne que de la conception linéaire ou rectiligne que nous connaissons. L’espérance chrétienne évolue très loin d’une interprétation progressiste de l’histoire ; son essence ne réside « ni dans le paradis sur terre de la fin de l’histoire, ni dans la christianisation de la société et les perfectionnements moraux qu’elle impliquerait », mais « dans « la conviction que la vie est une affaire délicate », « que rien n’y est jamais tenu pour acquis, que rien de temporel n’est capable de porter le fardeau de la foi humaine »» (Richard Niebuhr cité par Christopher Lasch).

lash15dfQC0YAL.jpgSimilairement, la théorie d’Oswald Spengler, annonçant le déclin inévitable de l’Occident, se raccroche à une détermination cyclique d’un sens de l’histoire qu’il estime être en mesure de saisir. Selon lui, le déclin de la culture occidentale s’amorce dans les civilisations qui elles-mêmes représentent le dernier souffle d’une culture, « son achèvement et sa fin » ou encore « un pas de géant vers l’anorganique ». « Un siècle d’activité extensive pure, excluant la haute production artistique et métaphysique – disons franchement une époque irreligieuse, ce qui traduit tout à fait le concept de ville mondiale – est une époque de décadence ». Cette anthropologie pessimiste du déclin indexée sur un mouvement historique erratique se retrouve dans l‘Homme et la technique. Pour Spengler l’homme se distingue de l’animal par sa supériorité technique qui lui confère une force de domination inédite. Technique de forme « générique », c’est-à-dire « invariable » et « impersonnelle » – « la caractéristique exclusive de la technique humaine (…) est qu’elle est indépendante de la vie de l’espèce humaine » – au contraire, bien entendu, des animaux pour qui la « cogitation » se veut « strictement tributaire du « ici et maintenant » immédiat, et ne tenant compte ni du passé ni de l’avenir, elle ne connaît pas non plus l’expérience ou l’angoisse ». Ainsi, « l’homme est devenu créateur de sa tactique vitale (…) et la forme intime de sa créativité est appelée culture ». L’histoire de la technique n’est rien d’autre que l’histoire de la culture et de la civilisation, c’est-à-dire l’histoire d’une activité créatrice décorrélée de la « tactique de la vie ». Considérant la nature « comme du matériau et des moyens à son service », l’homme prométhéen s’éloigne toujours plus de celle-ci en y substituant, de son emprunte drue, l’artifice (l’art au sens de technique) afin de se « construire sois-même un monde, être soi-même Dieu (…) » : « c’est bien cela le rêve du chercheur Faustien ». Cette prétention génère un déphasage tragique entre l’homme et la nature puisque, en dernière analyse, « l’homme ne cesse pas d’en dépendre (…) elle continue à l’englober elle-même, lui comme tout le reste, en dépit de tout ce qu’il peut faire ». « Toute haute culture est une tragédie ». La notion de chute est ici toujours présente ainsi que l’idée d’une nature humaine désorganisée par la technique.

Dans une même perspective, mais sous un mode d’avantage psychologique qu’historique, Paul Bourget dépeint la décadence des âmes au prisme d’une riche étude littéraire ( de Baudelaire à Tourgueniev en passant par Flaubet, Taine, Stendhal et bien d’autres) dans son Essais de psychologie contemporaine. En étudiant Baudelaire il relève d’emblée le climat suffocant d’une civilisation emportant un « désaccord entre l’homme et le milieu ». A ceux qui ont cru que l’assombrissement de la littérature à cette époque n’était qu’un simple passage, « Baudelaire n’y voyait-il pas plus juste, souligne Bourget, en regardant une certaine sorte de mélancolie comme l’inévitable produit d’un désaccord entre nos besoins de civilisés et la réalité des causes extérieure ? La preuve en est que, d’un bout à l’autre de l’Europe, la société contemporaine présente les mêmes symptômes, nuancés suivant les races, de cette mélancolie et de ce désaccord. Une nausée universelle devant les insuffisances de ce monde soulève le cœur des Slaves, des Germains et des Latins. Elle se manifeste chez les premiers par le nihilisme, chez les seconds par le pessimisme, chez nous-mêmes par de solitaires et bizarres névroses ». Ensuite l’auteur précise le sens du terme décadence dans un long commentaire : « par le mot décadence, on désigne volontiers l’état d’une société qui produit un trop petit nombre d’individus propres aux travaux de la vie commune. Une société doit être assimilé à un organisme (…) l’individu est la cellule sociale. Pour que l’organisme total fonctionne avec énergie, il est nécessaire que les organismes moindres fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée, et, pour que ces organisme moindres fonctionnent eux même avec énergie, il est nécessaire que leurs cellules composantes fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée.» En effet, « si l’énergie des cellules devient indépendante, les organismes qui composent l’organisme total cessent pareillement de subordonner leur énergie à l’énergie totale, et l’anarchie qui s’établit constitue la décadence de l’ensemble ». Encore une fois, on retrouve dans les analyses de Paul Bourget une remise en cause d’un progrès perpétuel (« ceux qui croient au progrès n’ont pas voulu apercevoir cette terrible rançon de notre sécurité mieux assise et de notre éducation plus complète ») et une croyance en un ordre social immanent qu’il faut préserver et non pas engendrer.

nisard41T0nlJaBUL.jpgAutre variation sous la plume de Désiré Nisard puisée dans son Études de mœurs et de critique sur les poètes latins de la décadence. Nisard fustige sous le nom de littérature décadente deux traits principaux : l’engouement pervers de la description ainsi qu’une érudition déplacée. Deux symboles d’un manque d’imagination sur le plan artistique. Cependant, il n’y pas de littérature décadente sans une décadence générale des mœurs. Alors que la description homérique se fixe sur l’humanité dans ce qu’elle possède de générique – la description brosse alors un monde commun, un homme commun, une spiritualité commune sous une multitudes de visages -, à l’inverse, la littérature décadente (notamment celle de Lucain) s’appesantit sur l’homme du divers : on passe d’une description de l’humanité à celle de l’individu. L’érudition irrigue la description et lui donne une coloration passéiste : il s’agit d’un « besoin de chercher dans les souvenirs du passé des détails que l’inspiration ne fournit pas » et non de cette érudition critique, parfaitement louable, qui consiste à amasser des faits sur une époque pour ensuite les comparer et les juger. Une fois de plus l’auteur mélange les deux fondamentaux inhérents aux discours de la décadence : la déchéance d’un passé en décomposition exprimée dans un ordre moral dévoyé. Ceux qu’il nomme « les versificateurs érudits » se rattachent à une littérature de seconde classe, une littérature dans laquelle s’épuise la grandeur des époques primitives. Alors que l’érudition de type décadente se perd dans les détails et dans la répétition d’un passé ou d’une nature révolue (on pourrait ici relever l’analogie avec le décadentisme ; notamment chez Huysmans pour qui le goût de l’érudition confine à l’exaltation de l’artifice, à l’art pour l’art – c’est-à-dire précisément ce que Nisard reproche aux versificateurs érudits – : « à coup sûr, on peut le dire : l’homme a fait dans son genre, aussi bien que le Dieu auquel il croit » nous dit des Esseintes) en s’attachant de trop près aux beautés purement descriptives (contingentes, relatives, casuels), les chef-d’œuvres primitifs (La Bible, les épopées d’Homère et de Dante, etc…) cultivent les beautés d’un ordre moral (soit des vérités éternelles valables pour toutes les époques et toutes les nations, soit ces vérités nécessaires qui fleurissent aux époques de grandeurs mais demeurent liées à une certaine culture). Chez les versificateurs érudits nous avons une simple « sensation de curiosité passagère qui résulte d’une heureuse combinaison de mots, d’une chute, d’une pointe » ; la littérature de l’âge d’or s’applique, quant à elle, à « conserver dans les formes pures et sacrées la somme des vérités pratiques nécessaires à la conservation et à l’amélioration de l’homme, dans quelque temps qu’il vive, et malgré toute ces variétés de mœurs, de société, de coutume, qui modifient son état, mais ne changent pas sa nature ».

La décadence n’a plus de sens pour une époque qui a fait table rase du passé, qui ne se situe plus vraiment par rapport au passé, et qui n’a plus une haute estime de sa propre culture : nous nous réjouissons de cet « horizon toujours ouvert à toutes les possibilité ». Ortega Y Gasset estime que dans une telle configuration, quand bien même il y aurait une décadence objectivement perceptible de notre culture, il n’est pas raisonnable de prononcer la déchéance d’une époque sentant bien que « sa vie est plus intense que toutes les vies antérieures »  ; et « une vie qui ne préfère à elle-même (et peu importe les raisons) aucune autre vie d’autrefois ou de quelque temps que ce soit, et qui, par cela même, se préfère à toute autre » ne peut décemment éprouver sa propre décadence. Le paradoxe réside en ceci que ce « désir de vivre » n’est plus lié à un sentiment de grandeur, d’appartenance à une culture supérieure – toujours accompagné d’une inquiétude quant à une éventuelle chute -, mais au monde de l’enfance. La cécité nous préserverait de l’expérience intime, profonde et douloureuse d’un monde qui s’écroule. Combien de temps encore ? Les écrits dénonçant un déclin rampant de notre civilisation se multiplient (Renaud Camus, Alain Finkielkraut, Bernard Lugan, Dominique Venner par exemple) et pourraient bien traduire un désir de vivre moins intense.

mercredi, 21 janvier 2015

Le choc des non-civilisations

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Le choc des non-civilisations

par Fares Gillon

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Choc des civilisations vraiment ? De part et d’autre, l’entretien de cette fiction permet surtout d’oublier l’état réel de la civilisation que l’on prétend défendre, et de se lancer en toute bonne conscience dans de lyriques et exaltantes considérations identitaires. Dans ce ridicule concours des fiertés (civilisation pride ?), les divers gardiens de néant oublient l’essentiel : ils veillent sur un champ de ruines.

Dans Respectez la joie, chronique publiée il y a déjà douze ans, Philippe Muray posait la question suivante : « Comment spéculer sur la défense d’une civilisation que nous ne faisons même pas l’effort de voir telle qu’elle est, dans toutes ses extraordinaires et souvent monstrueuses transformations ? » Face à l’ennemi islamiste, à sa haine de « l’Occident », qu’avons-nous à faire valoir pour notre défense, hormis « la liberté d’expression », « les jupes courtes », « le multipartisme », « le sexe » ou « les sandwichs au bacon » ? Pas grand-chose. Et ces éléments sont eux-mêmes illusoires : « Le seul ennui, écrit Muray, c’est que ces mots recouvrent des choses qui ont tant changé, depuis quelques décennies, qu’ils ne désignent plus rien. » Ainsi de la liberté sexuelle, brandie comme un progrès civilisationnel (ce qui en soi peut se contester), alors même qu’elle est de moins en moins effective : « On doit immédiatement reconnaître que c’est la civilisation occidentale elle-même qui a entrepris de détruire, en le criminalisant, le commerce entre les sexes ; et de faire peser sur toute entreprise séductrice ou galante le soupçon du viol ; sans d’ailleurs jamais cesser de se réclamer de la plus grande liberté. »

L’Occident s’est tiré deux balles dans le pied

L’Occident post-moderne a achevé l’Occident moderne, celui de la liberté individuelle et de la pensée critique. Et l’Occident moderne était né lui-même de la destruction de l’Occident traditionnel, de sa civilisation, de son histoire et du christianisme. L’Occident post-moderne est le fruit d’un double meurtre : d’abord celui de la royauté de droit divin, avec tout ce qu’elle comporte de représentations symboliques traditionnelles, avec toute la conception hiérarchique de l’ontologie qu’elle suppose. Puis, celui de l’individu. Muray, en vieux libéral qu’il est, est évidemment plus touché par ce dernier meurtre : l’individu réellement libre – c’est-à-dire : ayant les moyens intellectuels de l’être – n’est plus. Cela n’empêche pas toute l’école néo-kantienne de la Sorbonne – entre autres – de répéter à l’envi que le respect de l’individu caractérise notre civilisation, par opposition à la « barbarie » médiévale d’une part, et au « retard » des autres civilisations d’autre part, encore prisonnières d’un monde où le groupe, la Cité, importent davantage que l’individu. La réalité est pourtant plus amère, et il n’y a pas de quoi fanfaronner : notre civilisation a fini par tuer l’individu réellement libre, si durement arraché à l’Ancien Monde.

Par un étrange paradoxe, c’est précisément en voulant émanciper l’individu que nous l’avons asservi. En effet, nous avons souscrit à la thèse progressiste selon laquelle la liberté politique et intellectuelle de l’individu suppose son arrachement à tous les déterminismes sociaux, à tous les enracinements familiaux, culturels, religieux, intellectuels. Seuls les déracinés pourraient accéder à la liberté dont l’effectivité « exigerait au préalable un programme éducatif ou un processus social (ou les deux) capable d’arracher les enfants à leur contexte familier, et d’affaiblir les liens de parenté, les traditions locales et régionales, et toutes les formes d’enracinement dans un lieu ». Cette vieille thèse, résumée ici par Christopher Lasch (Culture de masse ou culture populaire ?), est toujours d’actualité : Vincent Peillon, ex-ministre de l’Éducation nationale, a ainsi déclaré vouloir « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel ».

Elle est pourtant contredite par la réalité de la société de marché que nous avons bâtie. Ainsi que le remarque Lasch, « le développement d’un marché de masse qui détruit l’intimité, décourage l’esprit critique et rend les individus dépendants de la consommation, qui est supposée satisfaire leurs besoins, anéantit les possibilités d’émancipation que la suppression des anciennes contraintes pesant sur l’imagination et l’intelligence avait laissé entrevoir ».

Le cas de l’islam en France

Comment alors s’étonner des phénomènes que l’on constate dans les « quartiers difficiles », de l’illettrisme généralisé et de la violence banalisée qui s’y côtoient ? Comment s’étonner des effets du double déracinement des immigrés ? Voilà des gens que l’on a arraché à leur terre (ou qui s’en sont arrachés), qui ont abandonné leur culture, ont oublié leur langue, et qui n’ont dès lors plus rien à transmettre à leurs enfants. Ces enfants, parfaits cobayes de l’expérimentation de la liberté par le déracinement, sujets idéals de l’idéologie délirante d’un Peillon, sont les premiers post-humains. Sans racines, et bientôt, après un passage par l’école républicaine, sans savoir et sans attachement à leur nouvelle terre. Coupés de leurs origines sans qu’on leur donne la possibilité de s’enraciner dans une civilisation qui se sabote elle-même, ils incarnent au plus haut degré le néo-humain sans attaches, sans références, celui que rêvent les idéologues de la post-modernité. Ce n’est donc pas en tant qu’étrangers à la France que les déracinés de banlieue posent problème, mais en tant qu’ils sont les parfaits produits de la nouvelle France, celle qui se renie elle-même.

Ce règne, chaotique dans ses effets, de la table rase n’est pas sans provoquer un certain malaise chez les individus les plus conscients. On a beau déraciner, la réalité demeure : l’enracinement est un besoin essentiel à l’humanité. On y revient toujours, d’une manière ou d’une autre. « Le déracinement détruit tout, sauf le besoin de racines », écrit Lasch. D’où le phénomène de réislamisation, processus de ré-enracinement parmi d’autres (car il en est d’autres), qui s’explique par la recherche d’une alternative à ce que l’on nomme le « mode de vie occidental » (en réalité le mode de vie mondialisé de la consommation soumise).

Il est d’ailleurs amusant de constater que le plus grand grief que la koinè médiatique fait aux beurs réislamisés ou salafisés, plus grave encore que les attentats qu’ils projettent ou commettent, c’est « le rejet du mode de vie occidental ». Horreur ! Peut-on imaginer plus atroce blasphème ? « Comment peut-on être pensant ? » comme dit Muray. Faut-il donc être un odieux islamiste tueur d’enfants (juifs de préférence) pour trouver à redire à ce merveilleux monde démocratico-festif, qui n’est pourtant plus que l’ombre d’une ombre ?

Face à la chute des anciens modèles occidentaux, les jeunes déracinés que nous avons produits cherchent à reprendre racine. Que certains se tournent vers l’Islam, comme vers un modèle qui leur semble traditionnel et producteur de sens, doit être compris comme une réaction au modernisme du déracinement culturel. Dans la mesure où toute alternative au « mode de vie occidental » est présentée comme une régression barbare, la radicalité de la réislamisation, le fait qu’elle se fasse notamment – mais pas uniquement – dans les termes du salafisme, paraît inéluctable : le néo-Occident permet qu’on le fuie, à condition que l’on se jette dans les impasses qu’il ménage à ses opposants.

La déchéance civilisationnelle de l’islam

Il est une autre raison à la radicalité de la réislamisation. Elle tient à la chute de l’islam comme civilisation. À l’instar de l’Occident, à sa suite et sous son influence, l’Orient en général et l’islam en particulier subissent les effets de la modernité et des bouleversements politiques, sociaux, intellectuels, théologiques qu’elle entraîne.

Historiquement et politiquement, cela s’est fait d’abord par la pression occidentale sur le califat ottoman, qui ployait déjà sous son propre poids. N’oublions pas que le monde arabo-musulman est mis au contact de la pensée des Lumières dès 1798, avec l’expédition d’Égypte de Napoléon. À peine la France avait-elle accompli sa Révolution qu’elle tentait déjà d’en exporter les principes, appuyés par une subjuguante supériorité technique. Les Britanniques, mais aussi, dans une moindre mesure, les Français, n’eurent ensuite de cesse d’encourager l’émergence des nationalismes, insufflant chez les peuples arabes le désir de révolte contre la domination turque : ils posèrent en termes modernes, ceux des nationalismes, un problème qui ne se posait pas ainsi. Plus tard, ce fut l’islamisme dont se servirent cette fois les Américains. À ces facteurs, il faut ajouter l’apparition de la manne pétrolière, mise au service du wahhabisme (lui-même soutenu originellement par les Britanniques) et la révolution islamique iranienne. Tout concourrait à la destruction des structures politiques et sociales traditionnelles de la civilisation islamique : les interventions étrangères certes, mais également un certain essoufflement de l’Empire ottoman, qui avait manqué le train de la révolution industrielle et se trouva dépassé par les puissances occidentales.

En l’absence de structures sociales fortes, ce fut bientôt la pensée islamique traditionnelle elle-même qui succomba. Face aux puissances occidentales, les musulmans réagirent de deux façons antagonistes, que l’excellent historien Arnold Toynbee a qualifiées de « zélotisme » et d’ « hérodianisme ». Voyant une analogie entre la réaction des musulmans à la domination occidentale, et celle des Juifs à la domination de l’Empire romain, Toynbee explique que tout bouleversement venu de l’étranger entraîne historiquement une réaction de repli sur soi, d’une part, et une réaction d’adhésion et de soumission totales aux nouveaux maîtres, d’autre part. Mais dans les deux cas, on sort de la sphère traditionnelle : ni les zélotes ni les hérodiens ne peuvent prétendre représenter la pensée islamique traditionnelle. Leurs conceptions respectives de l’islam obéissent à des circonstances historiques déterminées, et ne sont plus le résultat de la réflexion sereine d’une civilisation sûre d’elle-même.

Les nombreuses manifestations de l’islamisme contemporain sont autant de variétés d’un islam de réaction. Couplée à la mondialisation, qui est en réalité occidentalisation – au sens post-moderne – du monde, et à ses conséquences, cette réaction a fini par produire un islam de masse, adapté aux néo-sociétés, et qu’Olivier Roy a admirablement analysé dans ses travaux. Dans L’Islam mondialisé, il montre ainsi en quoi le nouvel islam est un islam déraciné pour déracinés, et en quoi la réislamisation est « partie prenante d’un processus d’acculturation, c’est-à-dire d’effacement des cultures d’origines au profit d’une forme d’occidentalisation ».

Dès lors, il apparaît clairement que le prétendu « choc des civilisations » procède d’une analyse incorrecte de la situation. Il n’y a pas de choc des civilisations, car il n’est plus de civilisations qui pourraient s’entrechoquer ; toutes les civilisations ont disparu au profit d’une « culture » mondialisée et uniformisée, dont les divers éléments ne se distinguent guère plus que par de légères et inoffensives différences de colorations. Ce à quoi on assiste est donc plutôt un choc des non-civilisations, un choc de déracinés.

Auteur: Fares Gillon (Philosophe et islamologue de formation)

Source: Philitt

La légitimité politique post-hitlérienne

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La légitimité politique post-hitlérienne

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
Ex: http://www.lesobservateurs.ch 

On parle facilement d'un traumatisme sans toujours mesurer tout ce que cela implique, notamment une incapacité à intégrer aussi bien ce qui s'est passé que ce qui se passe. Pour s’amuser à sautiller dans le fouillis de la terminologie psychanalytique, on dira qu'un traumatisme rend un peu autiste. En tout cas, un traumatisé se coupe du monde pour se fixer obsessionnellement sur un ailleurs, un fantasme dirait Freud, en tout cas un autre monde, soit celui d'avant, soit celui d'après. La réalité a fait tellement mal qu'il n’est plus possible de la regarder en face. Il faut la remplacer par une réalité imaginaire. Il est vrai qu'on ne peut jamais regarder la réalité en face, ne serait-ce que parce qu'à chaque seconde, elle nous échappe. Mais oublions cette objection. Intuitivement nous sentons qu'il y a une énorme différence entre fuir la réalité pour se réfugier dans un monde de fantasmes et l'affronter.

Parler de traumatisme, aujourd'hui, c'est toujours parler d'un individu, jamais d'une ou plusieurs communautés, à une exception près. La Shoah a été traumatisante pour tous les Juifs. Or, c'est toute l'Europe qui a été traumatisée par les guerres et les camps.* Pas seulement avant et pendant le conflit 39-45, mais aussi après. On imagine les gens sautant de joie à l'arrivée des troupes américaines et recevant du chewing-gum comme du pain bénit. C'est plus ou moins vrai pour l'Europe occidentale. Mais à l'Est du Rhin, le cauchemar à encore duré des années : deux millions d'Allemands sont morts sur les routes des déplacements de population, tandis que Polonais et Ukrainiens se massacraient et que les camions de l'armée rouges déversaient soldats et commissaires politiques sur Budapest, Prague et des centaines de villages comme Nemmersdorf. Ces soldats et commissaires ne distribuaient pas du chewing-gum, mais la mort, précédée par la torture et, pour les femmes, le viol.

Mais même en Europe occidentale, le traumatisme d'une guerre qui a tourné au massacre a été si violent, profond, intolérable, qu'on peut le voir à l'œuvre partout encore aujourd'hui sous la forme d'une nouvelle légitimité politique que je propose donc d'appeler post-hitlérienne. Pourquoi ?

D'abord parce que la « réductio ad Hitlerum » est plus présente que jamais, soit par le biais de la « quenelle », soit par le biais d'accusations de fascisme qui renvoient au nazisme. Comme si la menace du nazisme était plus dangereuse que jamais ! Ensuite parce que, pour se reconstruire après le traumatisme d'une guerre totale, l'Europe a mis en place des politiques qui ont été et sont encore aux antipodes de ce que Hitler avait prôné. Au lieu d'une race supérieure, une vision qui met tous les peuples et toutes les civilisations sur le même plan. Au lieu d'une nation, de grandes unions qui, comme l'Union Européenne, coïncident potentiellement avec l'humanité. Au lieu d'hommes et de femmes prêts à se sacrifier pour leur pays ou, tout au moins, à œuvrer pour le bien commun, des individus qui, comme dit Tocqueville, tournent sans cesse autour d'eux-mêmes pour assurer leur sécurité et augmenter leur niveau de vie. Une croissance économique non pas pour la grandeur du pays mais pour que des millions puissent jouir de mieux en mieux, bref, le consumérisme.

A parler sans cesse de croissance, de niveau de vie, de bien-être,  l'Europe a été et est encore en déni. Autrement dit, nous apaisons encore aujourd'hui nos angoisses après ce qui s'est passé et nous nous persuadons que nous sommes engagés sur le chemin du "plus jamais ça". Exorcisme original puisqu'il s'effectue grâce aux encensoirs des économistes qui n'ont à la bouche que les mots de croissance, de PIB et qu’ils promettent de nouvelles jouissances. On n'exorcise plus avec encensoirs et prières, mais avec pourcentages et statistiques et parfois une affiche vantant les mérites des préservatifs pour se protéger du sida.

marej9782825129449FS.gifC'est surtout la croissance pour le bien-être de chacun et sur toute la planète qui retient l'attention. Les Trente glorieuses ont constitué l'un des piliers de la légitimité post-hitlérienne. Un gouvernement n'était et n'est encore légitime que s'il garantit à chacun une augmentation de son niveau de vie dans l'égalité. Même les Français qui, plus que d'autres, savent encore un tout petit peu ce que le mot de nation veut dire, ne jugent leur gouvernement que sur la base du PIB. S’il le fait croître il est jugé favorablement, s'il le fait diminuer, défavorablement. Le célèbre économiste Patrick Artus vient de publier un ouvrage au titre à la fois pathétique et révélateur, Pourquoi il faut partager les revenus. Pathétique, parce qu'on ne va pas faire ce partage à partir de telles injonctions.  Révélateur,  parce que les économistes sont devenus nos nouveaux prophètes. Sans partage des revenus, sans croissance,  sans diminution du chômage,  nous allons revenir aux années trente avec avènement d'un nouvel Hitler. Ce n'est plus le spectre du communisme qui hante l'Europe, mais celui du fascisme.

Par conséquent,  il s'agit de promouvoir un vivre-ensemble planétaire qui verra tous les peuples danser une grande sarabande démocratique. Tout se mélangera dans un pur bonheur d'exister, le rap avec Mozart, l'Afrique avec l'Europe, Conchita Wurst avec de vieux machos reconvertis ou pénitents.

En d'autres termes, le projet politique des gouvernants post-hitlériens se fonde sur l'élimination de toute discrimination entre peuples, entre hommes et femmes, entre parents et enfants, voire entre nous et les animaux. C'est compréhensible après les horreurs provoquées par les discriminations hystériques du IIIe Reich. Mais une telle politique n'est pas tenable, parce qu'elle contient en germe l'élimination de toute politique. A quoi bon des gouvernants si nous nous tenons tous par la main dans une grande sarabande planétaire ? Cette politique est d'ailleurs en train de s'effriter, ce qui provoque, comme il se doit, les cris d'orfraie ou des mises en garde. Attention, nous allons retomber dans des horreurs, nous disent les bien-pensants !

La politique de la grande farandole démocratique n'est pas non plus tenable pour une autre raison. Elle relève en effet davantage de l'incantation que du réalisme. Encore habités, sans très bien le savoir, par nos traumatismes, nous nous accrochons désespérément au projet d'une démocratie universelle pour nous convaincre que nous sommes en route pour un nouveau monde où, nourrie par le progrès économique, cette démocratie permettra à tout le monde de sourire à tout le monde. Tel est notre messianisme. Pas étonnant que les économistes soient devenus nos prophètes. C'est d'eux que nous attendons le salut pour entrer au paradis, sauf que la croissance, même démocratique, n'amène nulle part. Elle ne donne pas aux peuples un destin, mais un avenir programmé d'avance.

Vient alors la question rituelle : que proposez-vous ? Certainement pas un retour à une légitimité "fasciste". Il faudrait être fou, pervers ou malade pour souhaiter un retour au racisme, à l'antisémitisme, à l'homophobie. Mais cela ne signifie pas qu'il faille abolir toute discrimination. Si, par exemple, on supprime toute distinction entre l'excellence et la médiocrité, on détruit l'école. De même supprimer toute préférence nationale revient à détruire la nation. Les peuples n'aiment pas ça. Parfois, cela les fait même enrager et c'est alors qu'on peut craindre le pire.

S'acharner à promouvoir systématiquement ce que j'ai appelé une légitimité post-hitlérienne, fait donc courir le risque d'un retour du balancier. Ce seraient alors les plus acharnés ennemis du fascisme qui auraient préparé son retour.

Jan Marejko, 8 octobre 2014

* A ceux qui douteraient de la violence de ce traumatisme, je recommande la lecture de l'ouvrage de Keith Lowe, L’Europe Barbare 1945-1950, Paris : Perrin, 2013. Edition originale, 2012, Savage Continent, Europe in the Aftermath of World War II

lundi, 19 janvier 2015

Destruktivismus und Pathokratie

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Destruktivismus und Pathokratie

von Roland Woldag

Ex: http://www.blauenarzisse.de

Was hat das Abendland in die aktuelle stille Katastrophe geführt? Grundsätzliche Gedanken macht sich der Journalist und eigentümlich frei–Autor Roland Woldag in diesem Essay.

Schon als Kind im Sandkasten erlebt man den Unterschied zwischen schöpferischen, konstruktiven und heimtückischen, destruktiven Menschen. Es gibt immer Kinder, die Sandburgen bauen und jene, die in diese hineinspringen, sobald der Erbauer sich abwendet.

Die Sandburgen-​Bauer gehen später in konstruktive Berufe, in denen mit Bedacht Strukturen errichtet werden. Die ehrgeizigsten der Sandburgen-​Zertreter hingegen werden Politiker. Sie sind besessen davon, alle Strukturen, die auch nur im Ansatz funktionieren, radikal zu zertrampeln und umzukrempeln. Das nennen jene dann „Politik gestalten“.

Zerstörung als „Querschnittsaufgabe der Gesellschaft“

Für den Destruktiven ist Aufbauen und Einreißen das Gleiche. Nur das Einreißen ist spektakulärer und führt in kürzerer Zeit zum „Erfolg“. Alle „Jahrhundertreformen“ der letzten Jahrzehnte haben funktionierende Ordnungen zerstört und durch unterdrückende Macht– und Bürokratiestrukturen ersetzt. Nichts haben sie nachhaltig verbessert: Geldsystem, Bildungssystem und Sozialsystem wurden kaputt reformiert. Ehe, Familie, Nation, Religion, Heimat, Kultur und nicht zuletzt das Selbstbild als Mann und Frau wurden demontiert. Jemanden so zu vermöbeln, dass er anschließend nicht mehr wisse, ob er Männlein oder Weiblein sei, galt in meiner Jugend als Androhung einer präfinalen Traumatisierung.

Die Verwüstung dieses grundlegendsten biologischen Selbstverständnisses soll heute als „Querschnittsaufgabe der Gesellschaft“ in Gestalt des Gender Mainstreaming die Völker nach den pathologischen Wahnbildern der herrschenden EUdSSR-​Eliten abrichten. Die Geschlechtlichkeit des Menschen in Frage zu stellen, fiel noch nicht einmal den mörderischen rot-​braunen Kulturvernichtern des 20.Jahrhunderts ein.

Vom „Todestrieb der Geschichte“

Der Protest gegen diese systematische, politische Notzucht kommt nun in den mitgeführten Plakaten auf den Montagsdemonstrationen von Pegida zum Ausdruck. Die schweigenden Montagsspaziergänger wehren sich heute gegen die mutwillige Zersetzung all dessen, was dem Menschen Ehre, Halt und Stand verleiht. Die lenkbaren, weil erpressbaren und gekauften Destruktiven in den Schaltstellen der Macht spielen dabei die Rolle des Zerberus. Es ist dieser „Dämon der Grube“ aus der griechischen Mythologie, der Höllenhund, der den Eingang zur Unterwelt bewacht, damit kein Toter herauskommt und auch kein Lebender eindringt.

Der „Todestrieb der Geschichte” hat in linken Parteien und Organisationen seine Heimat. Ihn begleitet der totalitäre Drang, alles Erhabene einzureißen und jeden umzuerziehen, der nicht Folge leistet. Kommunismus und Falschgeldimperialismus sind Seiten derselben Medaille. Der erste verstaatlicht die Marktwirtschaft, um sie zu zerstören. Der zweite zerstört die Marktwirtschaft um sie zu verstaatlichen, was nur länger dauert und den Destruktiven somit mehr Zeit für ihre sadistischen Gesellschaftsquälereien lässt. Der Destruktivismus hat kein Ziel außer Zerstörung, Macht und Selbstbefriedigung. Deshalb ist der Versuch, diese Leute auf die Folgen ihres Tuns hinzuweisen nicht nur vergeblich, sondern bringt sie nur auf neue entsetzliche Ideen.

Die Rache der Psychopathen

Dieser Seelendefekt ist das angeborene Charaktermerkmal des Psychopathen. Auch das kann man schon auf Kinderspielplätzen beobachten. Deshalb sind diese Leute die ideale Besetzung für Machtpositionen, in die sie selbst wieder von Psychopathen gehievt werden. Psychopathen erkennen sich untereinander, denn sie sind immer in der Minderheit gegenüber den Normalen und Anständigen. Von denen werden sie gemieden. Diese instinktiv richtige Diskriminierung durch die seelisch Gesunden lässt die Psychopathen von Kindesbeinen an auf Rache an der Gesellschaft und am eigenen Volk sinnen, durch die Zerstörung von dessen Lebensgrundlagen und der sie ausgrenzenden Strukturen. Deshalb gehen sie in die Politik. Das fällt ihnen leicht, denn Psychopathen fehlen die Empathie und das Gewissen. Denn genau diese halten den Gesunden von der Heimtücke und der Rücksichtslosigkeit zur Durchsetzung seiner Pläne ab.

Pathokratie: Konstruktive Menschen und Vernunft scheitern

Als Politiker zu Pathokraten geworden, überraschen sie dann durch ihre nur durchschnittliche Intelligenz. Viele anständige Menschen interpretieren es falsch, wenn sie meinen, die Machtposition dieser Leute würde auf einem besonderen Scharfsinn oder auf Herrschaftswissen beruhen. Dabei ist es nur ihre Skrupellosigkeit und die Fähigkeit zu lügen, ohne rot zu werden. Denn auch die Reue ist ihnen fremd. Wenn der Anteil der Konstruktiven in den Entscheidungsebenen eines Staates auf das gegenwärtige Niveau gesunken ist, die Psychopathen den Ton angeben und die Vernunft nicht mehr durchzudringen vermag, dann sind wir in einer Pathokratie angekommen.

In der sich seit Angela Merkel voll ausprägenden Pathokratie Deutschlands wenden sich die rachsüchtigen Psychopathen, getrieben von ihrem autorassistischen Affekt, gegen das deutsche Volk. Politiker schwören Schaden vom deutschen Volk abzuwenden, um es unmittelbar danach zu seinem Schaden zu zwingen. Dazu versuchen sie mit allen Mitteln der Propaganda und der Rechtsbeugung einer Gruppe in Deutschland zur Macht zu verhelfen. Doch die liegt mit der Sicherheit der Erfahrung von anderthalb Jahrtausenden dauerhaft quer zur Kultur, nicht nur der des deutschen Volkes. Es geht hier nicht um nichtmuslimische Ausländer – die sind spätestens in der zweiten Generation ununterscheidbar Deutsche. Es geht um die Anhänger und Freunde des mohammedanischen Unterwerfungs– und Machtdurchsetzungsprojekts.

Kein Pauschalurteil gegen Muslime

Sie werden jetzt und in Zukunft zwischen „Wir“ und „Ihr“ unterscheiden. Ihre Abgrenzungsbestrebungen nehmen erfahrungsgemäß mit zunehmendem Populationsanteil in den Folgegenerationen zu. Ziel ist es, irgendwann eine kritische Masse an Muslimen im Land zu haben. Sie lässt sich dann durch gezielte Agitation und das Schüren von Hass gegen uns in Stellung bringen. So kann das deutsche Volk erpressbar gehalten werden.

Ich bin viel durch muslimische Länder gereist und habe mit meinen muslimischen Kollegen nur gute Erfahrungen gemacht. Ihre Herzlichkeit weiß ich zu schätzen. Deshalb bin ich weit von einem Pauschalurteil entfernt. Ich weiß jedoch auch, was instrumentalisierte Gruppendynamik anrichtet. Erlebt habe ich es gerade erst wieder im Verhältnis zwischen meinen ukrainischen und russischen Kollegen. Leute, die vorher befreundet waren, geben plötzlich eifernd an, sich zu hassen.

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Psychopathen hetzen Völker gegeneinander auf

In Gang gesetzt wird dieser Prozess immer von mächtigen, die Politik und Massenmedien beherrschenden Psychopathen und berechnenden Verbrechern. Der Prozess geht nie von den kleinen Leuten aus, die sich miteinander arrangiert hatten. Deshalb hat der Kulturkampf gegen die Mainstream-​Medien und den Staatsfunk die oberste Priorität. Wenn diese beginnen, uns aufeinander zu hetzen, um einen Bürgerkrieg zu provozieren, sollten wir soweit sein, das Spiel zu durchschauen und deren Pläne zu vereiteln.

Das Ziel der Implementierung kulturfremder Gruppen in homogene Völker, durch wirtschaftlich und politisch mächtige Akteure, ist die Zerstörung der Kultur und die Marginalisierung des jeweiligen Volkes im eigenen Land. Andere europäische Völker sind in gleicher Weise wie das deutsche Volk von dieser Ponerogenese, also der Erhebung des Bösen, befallen. Sie beginnen sich wie wir gegen die abweichende falschen Realität der alles beherrschenden Pathokraten zu wehren. Dass diese sich damit am Ende selbst austilgen, ist den vor Rachsucht blinden Sadisten egal. Es geht ihnen nur um Destruktion, diabolische Macht und Hassabfuhr.

Damit sind sie die idealen Werkzeuge in den Händen eines Imperiums, dessen Weltherrschaftsplänen nichts mehr im Wege steht als das unkontrollierbare Selbstbewusstsein homogener Kulturvölker. Sie hetzen Moslems auf Moslems, Moslems auf Christen, Atheisten auf Christen, Albaner auf Serben, Ukrainer auf Russen – und jeweils umgekehrt. Jede Gruppe, die sich zum Kriege instrumentalisieren lässt, ist ihnen willkommen. Nach Jahren der geistigen Impotenz und der mentalen Paralyse wächst jedoch weltweit die Sehnsucht der Menschen, sich mit den Zerstörern und Kriegstreibern zu messen. Wir müssen uns endlich von diesen Psychopathen befreien.

Literatur dazu:

Andrzej M. Lobaczewski: Politische Ponerologie. (1984) Eine spätere Auflage kann hier online gelesen werden.

Anm. d. Red.: Blaue​Narzisse​.de hat hier ein ausführliches, zweiteiliges Interview mit Roland Woldag geführt.

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mercredi, 14 janvier 2015

Oswald Spengler & the Faustian Soul of the West

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Oswald Spengler & the Faustian Soul of the West,

Part 1

By Ricardo Duchesne

Ex: http://www.counter-currents.com 

If I had to choose one word to identify the uniqueness of the West it would be “Faustian.” This is the word Oswald Spengler used to designate the “soul” of the West. He believed that Western civilization was driven by an unusually dynamic and expansive psyche. The “prime-symbol” of this Faustian soul was “pure and limitless space.” This soul had a “tendency towards the infinite,” a tendency most acutely expressed in modern mathematics. 

The “infinite continuum,” the exponential logarithm and “its dissociation from all connexion with magnitude” and transference to a “transcendent relational world” were some of the words Spengler used to describe Western mathematics. But he also wrote of the “bodiless music” of the Western composer, “in which harmony and polyphony bring him to images of utter ‘beyondness’ that transcend all possibilities of visual definition,” and, before the modern era, of the Gothic “form-feeling” of “pure, imperceptible, unlimited space” (Decline of the West, Vol.1, Form and Actuality [Alfred Knopf, 1923] 1988: 53-90).

This soul type was first visible, according to Spengler, in medieval Europe, starting with Romanesque art, but particularly in the “spaciousness of Gothic cathedrals,” “the heroes of the Grail and Arthurian and Siegfried sagas, ever roaming in the infinite, and the Crusades,” including “the Hohenstaufen in Sicily, the Hansa in the Baltic, the Teutonic Knights in the Slavonic East, [and later] the Spaniards in America, [and] the Portuguese in the East Indies.” Spengler thus viewed the West as a strikingly vibrant culture driven by a type of personality overflowing with expansive impulses, “intellectual will to power.” “Fighting,” “progressing,” “overcoming of resistances,” battling “against what is near, tangible and easy” – these were some of the terms Spengler used to describe this soul (Decline of the West: 183-216).

A variety of words have been used to describe or identify the peculiar history of the West: “individualist,” “rationalist,” “imperialist,” “secularist,” “restless,” and “racist.” Spengler’s term “Faustian,” it seems to me, best captures the persistent, and far greater, originality of the West since ancient times in all the intellectual, artistic, and heroic spheres of life. But many today don’t read Spengler; there are no indications, in fact, that the foremost experts on the so-called “rise of the West” have even read any of his works.

The current academic consensus has reduced the uniqueness of the West to when this civilization “first” became industrial. This consensus believes that the West “diverged” from other agrarian civilizations only when it developed steam engines capable of using inorganic sources of energy. Prior to the industrial revolution, we are made to believe, there were “surprising similarities” between Europe and Asia. Both multiculturalist and Eurocentric historians tend to frame the “the rise of the West” or the “great divergence” in these economic/technological terms. David Landes, Kenneth Pomeranz, Bin Wong, Joel Mokyr, Jack Goldstone, E. L. Jones, and Peer Vries all single out the Industrial Revolution of 1750/1830 as the transformation which signaled a whole new pattern of evolution for the West (or England in the first instance). It matters little how far back in time these academics trace this Revolution, or how much weight they assign to preceding developments such as the Scientific Revolution or the slave trade, their emphasis is on the “divergence” generated by the arrival of mechanized industry and self-sustained increases in productivity sometime after 1750.

spenglervbbnjh.jpgBut I believe that the Industrial Revolution, including developments leading to this Revolution, barely capture what was unique about Western culture. I am obviously aware that other cultures were unique in having their own customs, languages, beliefs and historical experiences. My claim is that the West was uniquely exceptional in exhibiting in a continuous way the greatest degree of creativity, novelties, and expansionary dynamic. I trace the uniqueness of the West back to the aristocratic warlike culture of Indo-European speakers [2] as early as the fourth millennium. The aristocratic libertarian culture of Indo-European speakers was already unique and quite innovative in initiating the most mobile way of life in prehistoric times [3] starting with the domestication and riding of horses and the invention of chariot warfare. So were the ancient Greeks in their discovery of logos and its link with the order of the world, dialectical reason, the invention of prose, tragedy, citizen politics, and face-to-face infantry battle.

The Roman creation of a secular system of republican governance anchored on autonomous principles of judicial reasoning was in and of itself unique. The incessant wars and conquests of the Roman legions, together with their many war-making novelties and engineering skills, were one of the most vital illustrations of spatial expansionism [4] in history. The fusion of Christianity and the Greco-Roman intellectual and administrative heritage, coupled with the cultivation of the first rational theology in history [5], Catholicism, were a unique phenomenon. The medieval invention of universities [6] — in which a secular education could flourish and even articles of faith were open to criticism and rational analysis in an effort to arrive at the truth — was exceptional. The list of epoch making transformation in Europe is endless, the Renaissance, the Age of Discovery, the Scientific Revolution(s), the Military Revolution(s), the Cartographic Revolution, the Spanish Golden Age, the Printing Revolution, the Enlightenment, the Romantic Era, the German Philosophical Revolutions from Kant to Hegel to Nietzsche to Heidegger.

Limitations in Charles Murray’s Measurement of the Accomplishments of Western civilization

Some may wonder how can one make a comparative judgment about the accomplishments of civilizations without some objective criteria or standard of measurement. There is a book by Charles Murray published in 2003, Human Accomplishment: The Pursuit of Excellence in the Arts and Sciences, 800 B.C. to 1950 [7], which systematically arranges “data that meet scientific standards of reliability and validity” for the purpose of evaluating the story of human accomplishments across cultures. It is the first effort to quantify “as facts” the accomplishments of individuals and countries across the world in the arts and sciences by calculating the amount of space allocated to these individuals in reference works, encyclopedias, and dictionaries. Charles Murray informs us that ninety-seven percent of accomplishment in the sciences occurred in Europe and North America from 800 BC to 1950. It also informs us that, in the Arts, Europe alone produced a far higher number of “significant figures” than the rest of the world combined. In music, “the lack of a tradition of named composers in non-Western civilization means that the Western total of 522 significant figures has no real competition at all” (p. 252-259).

Murray avoids a Eurocentric bias by creating separate compilations for each of “the giants” in the arts of the Arab world, China, India, and Japan, as well as of the “giants” of Europe. In this respect, Murray recognizes that one cannot apply one uniform standard of excellence for the diverse artistic traditions of the world. But he produces combined (worldwide) inventories of “the giants” for each of the natural sciences. Combined lists for the natural sciences are possible since world scientists themselves have come to accept the same methods and categories. The most striking feature of his list of “the giants” in the sciences (the top 20 in Astronomy, Physics, Biology, Medicine, Chemistry, Earth Sciences, and Mathematics) is that they are all (excepting one Japanese) Western (p. 84, 122-29).

What explanation does Murray offer for this remarkable “divergence” in human accomplishments? He argues that human accomplishment is determined by the degree to which cultures promote or discourage individual autonomy and purpose. Accomplishments have been “more common and more extensive in cultures where doing new things and acting autonomously [were] encouraged than in cultures [where they were] disapprove[d].” Human beings have also been “most magnificently productive and reached their highest cultural peaks in the times and places where humans have thought most deeply about their place in the universe and been most convinced they have one” (p. 394-99). The West was different in affording individuals greater autonomy and purpose.

One major limitation in Murray is that he attributes to Christianity this sense of purpose and place in the universe, unable to account for the incredible accomplishment of the pagan Greeks and Romans. It is also the case that Murray’s Human Accomplishment is a statistical assessment, an inventory of names, not an attempt to capture the historically dynamic character of Western individualism. His book leaves out all the dramatic transformations historians have identified with the West: Why did the voyages of global discovery “take place” in early modern Europe and not in China? Why did Newtonian mechanics elude other civilizations? Actually, no current historical work addresses all these transformations together. Countless books have been published on one or two major European transformations, but no scholar has tried to explain, or pose as a general question, the persistent creativity of Europeans from ancient to modern times across all the fields of human endeavor. The norm has been for specialists in one period or transformation to write about (or insist upon) the “radical” or “revolutionary” significance of the period or theme they happen to be experts on.

Missing is an understanding of the unparalleled degree to which the entire history of the West was filled with individuals persistently seeking “to transcend every optical limitation” (Decline of the West: 198). In comparative contrast to the history of India, China, Japan, Egypt, and the Americas, where artistic styles, political institutions and philosophical outlooks lasted for centuries, stands the “dynamic fertility of the Faustian with its ceaseless creation of new types and domains of form” (Decline of the West: 205). I can think of only three individuals, two philosophers of history and one historical sociologist, who have written in a wide-ranging way of:

  1. the “infinite drive,” “the irresistible trust” of the Occident,
  2. the “energetic, imperativistic, and dynamic” soul of the West, and
  3. the “rational restlessness” of the West

— Hegel, Spengler, and Weber.

Spengler is the one who overcomes in a keener way another flaw in Murray: his account of European distinctiveness is limited to the intellectual and artistic spheres. He pays no attention to accomplishments in warfare, exploration, and heroic leadership. His definition of accomplishment includes only peaceful individuals carrying scientific experiments and creating artistic works. Achievements come only in the form of “great books” and “great ideas.” In this respect, Human Accomplishment is akin to certain older-style Western Civ textbooks where the production of “Great Works” by “Great Men” in conditions of “Liberty” were the central themes. David Gress dubbed this type of historiography the “Grand Narrative [8]” (1998). By teaching Western history in terms of the realization of great ideas and works in the arts and sciences these texts “placed a burden of justification on the West” to explain how the reality of Western colonialism across the world, the higher degree of warfare among Europeans, the invention of far more destructive military weapons, the slave trade, and the unprecedented destruction of the civilizations of the Americas, should be left out of the account of Western accomplishments. Gress called upon historians to move away from an idealized image of Western uniqueness. Norman Davies, too, has criticized the way early Western civilization courses tended to “filter out anything that might appear mundane or repulsive” (A History of Europe, 1997: 28).

The Faustian Personality

I believe that Oswald Spengler’s identification of the West as “Faustian” provides us with the best word to overcome the current naïve separation between a cultured/peaceable West and an uncivilized/antagonistic West with his image of a strikingly vibrant culture driven by a type of Faustian personality overflowing with expansive, disruptive, and imaginative impulses manifested in all the spheres of life. For Spengler, the Faustian spirit was not restricted to the arts and sciences, but was present in the culture of the West at large. Spengler thus spoke of the “morphological relationship that inwardly binds together the expression-forms of all branches of Culture.” Rococo art, differential calculus, the Crusades, the Spanish conquest of the Americas were all expressions of the same restless soul. There is no incongruity between the “great ideas” of the West and the so-called “realities” of conquest and suffering. There is no need, from this standpoint, to concede to multicultural critics, as Norman Davies believes, “the sorry catalogue of wars, conflict, and persecutions that have dogged every stage of the [Western] tale” (p. 15-16). The expansionist dispositions of Europeans were not only indispensable but were themselves driven, as I argue in my book, The Uniqueness of Western Civilization, [9] and will briefly outline below, by an intensely felt desire to achieve great deeds and heroic immortality.

The great men of Europe were artists driven by an intensively felt desire for unmatched deeds. The “great ideas” – Archimedes’ “Give me a place to stand and with a lever I will move the whole world,” or Hume’s “love of literary fame, my ruling passion” – were associated with aristocratic traits, defiant dispositions – no less than Cortez’s immense ambition for honour and glory, “to die worthily than to live dishonoured.”

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In contrast to Weber, for whom the West “exhibited an unrivaled aptitude for rationalization,” Spengler saw in this Faustian soul a primeval-irrational will to power. It was not a calmed, disinterested, rationalistic ethos that was at the heart of Western particularity; it was a highly energetic, goal-oriented desire to break through the unknown, supersede the norm, and achieve mastery. The West was governed by an intense urge to transcend the limits of existence, by a highly energetic, restless, fateful being, an “adamantine will to overcome and break all resistances of the visible” (Decline: pp. 185-86).

There was something Faustian about all the great men of Europe, both in reality and in fiction: in Hamlet, Richard III, Gauss, Newton, Nicolas Cusanus, Don Quixote, Goethe’s Werther, Gregory VII, Michelangelo, Paracelsus, Dante, Descartes, Don Juan, Bach, Wagner’s Parsifal, Haydn, Leibniz’s Monads, Giordano Bruno, Frederick the Great, Rembrandt, Ibsen’s Hedda Gabler.

The Faustian soul — whose being consists in the overcoming of presence, whose feeling is loneliness and whose yearning is infinity — puts its need of solitude, distance, and abstraction into all its actualities, into its public life, its spiritual and its artistic form-worlds alike (Decline: 386).

For Spengler, Christianity, too, became a thoroughly Faustian moral ethic. “It was not Christianity that transformed Faustian man, but Faustian man who transformed Christianity — and he not only made it a new religion but also gave it a new moral direction”: will-to-power in ethics (344). This “Faustian-Christian morale” produced

Christians of the great style — Innocent III, Loyola and Savonarola, Pascal and St. Theresa [ . . . ] the great Saxon, Franconia and Hohenstaufen emperors . . . giant-men like Henry the Lion and Gregory VII . . . the men of the Renaissance, of the struggle of the two Roses, of the Huguenot Wars, the Spanish Conquistadores, the Prussian electors and kings, Napoleon, Bismarck, Rhodes (348-49).

But what exactly is a Faustian soul? How do we connect it in a concrete way to Europe’s creativity? To what original source or starting place did Spengler attribute this yearning for infinity? To start answering this question we should first remind ourselves of Spengler’s other central idea, his cyclical view of history, according to which

  1. each culture contains a unique spirit of its own, and
  2. all cultures undergo an organic process of birth, growth, and decay.

In other words, for Spengler, all cultures exhibit a period of dynamic, youthful creativity; each culture experiences “its childhood, youth, manhood, and old age.” “Each culture has its own new possibilities of self-expression, which arise, ripen, decay and never return” (18-24, 106-07). Spengler thus drew a distinction between the earlier vital stages of a culture (Kultur) and the later stages when the life forces were on their last legs until all that remained was a superficial Zivilisation populated by individuals preoccupied with preserving the memories of past glories while drudging through the unexciting affairs of their everyday lives.

However, notwithstanding this emphasis on the youthful energies of all cultures, Spengler viewed the West as the most strikingly dynamic culture driven by a soul overflowing with expansive energies and “intellectual will to power.” By “youthful” he meant the actualization of the specific soul of each culture, “the full sum of its possibilities in the shape of peoples, languages, dogmas, arts, states, sciences.” Only in Europe he saw “directional energy,” march music, painters relishing in the use of blue and green, “transcendent, spiritual, non-sensuous colors,” “colours of the heavens, the seas, the fruitful plain, the shadow of the Southern noon, the evening, the remote mountains” (245-46). I think John Farrenkopf [10] has it right when he argues that Spengler’s appreciation for non-Western cultures as worthy subjects of comparative inquiry came together with an “exaltation” of the greater creative energy of the West (2001: 35).

But what about Spengler’s repetitive insistence that ancient Greece and Rome were not Faustian? Although I agree with Spengler that in certain respects the Greek-Roman “soul” was oriented toward the present rather than the future, and that its architecture, geometry, and finite mathematics were bounded spatially, restrained, and perceptible, he overstates his argument about the lack of an expansionist spirit, downplaying the incredible creative energies of Greeks and Romans, their individual heroism and urge for the unknown. Farrenkopf thinks that the later Spengler came to view the Greeks and Romans as more individualistic and dynamic. I agree with Burckhardt that the Classical Greeks were singularly agonal and individualistic, and with Nietzsche’s insight that all that was civilized and rational among the Greeks would have been impossible without this agonal culture. The ancient Greeks who established colonies throughout the Mediterranean, the Macedonians who marched to “the ends of the world,” and the Romans who created the greatest empire in history, were similarly driven, to use Spengler’s term, by an “irrepressible urge to distance” as the Germanic peoples who brought Rome down, the Vikings who crossed the Atlantic, the Crusaders who wrecked havoc on the Near East, and the Portuguese who pushed themselves with their gunned ships upon the previously tranquil world of the Indian Ocean. Spengler does not persuade in his efforts to downplay this Faustian side of the Greeks and Romans.

fausto.jpgWhat was the ultimate original ground of the West’s Faustian soul? There are statements in Spengler which make references to “a Nordic world stretching from England to Japan” and a “harder-struggling” people, and a more individualistic and heroic spirit “in the old, genuine parts of the Mahabharata . . .  in Homer, Pindar, and Aeschylus, in the Germanic epic poetry and in Shakespeare, in many songs of the Chinese Shuking, and in circles of the Japanese samurai” (as cited in Farrenkopf: 227). Spengler makes reference to the common location of these peoples in the “Nordic” steppes. He does not make any specific reference to the Caucasian steppes but he clearly has in mind the “Aryan Indian” peoples who came out of the steppes and conquered India and wrote the Mahabharata. He calls “half Nordic” the Graeco-Roman, Aryan Indian, and Chinese high cultures. In Man and Technics, he writes of how the Nordic climate forged a man filled with vitality

through the hardness of the conditions of life, the cold, the constant adversity, into a tough race, with an intellect sharpened to the most extreme degree, with the cold fervor of an irrepressible passion for struggling, daring, driving forward.

Principally, he mentions the barbarian peoples of northern Europe, whose world he contrasts to “the languid world-feeling of the South” (Farrenkopf: 222). Spengler does not deny the environment, but rather than focusing on economic resources and their “critical” role in the industrialization process, he draws attention to the profound impact environments had in the formation of distinctive psychological orientations amongst the cultures of the world. He thinks that the Faustian form of spirituality came out of the “harder struggling” climes of the North. The Nordic character was less passive, less languorous, more energetic, individualistic, and more preoccupied with status and heroic deeds than the characters of other climes. He was a human biological being to be sure, but one animated with the spirit of a “proud beast of prey [11],” like that of an “eagle, lion, [or] tiger.” Much like Hegel’s master who engages in a fight to the death for pure prestige, for this “Nordic” individual “the concerns of life, the deed, became more important than mere physical existence” (Man and Technics: A Contribution to a Philosophy of Life, Greenwood Press, 1976: 19-41).

This deed-oriented man is not satisfied with a Darwinian struggle for existence or a Marxist struggle for economic equality. He wants to climb high, soar upward and reach ever higher levels of existential intensity. He is not preoccupied with mere adaptation, reproduction, and conservation. He wants to storm into the heavens and shape the world. But who exactly is this character? Is he the Hegelian master who fights to the death for the sake of prestige? Spengler paraphrases Nietzsche when he writes that the primordial forces of Western culture reflect the “primary emotions of an energetic human existence, the cruelty, the joy in excitement, danger, the violent act, victory, crime, the thrill of a conqueror and destroyer.” Nietzsche too wrote of the “aristocratic” warrior who longed for the “proud, exalted states of the soul,” as experienced intimately through “combat, adventure, the chase, the dance, war games” (The Genealogy of Morals, 1956: 167). Who are these characters? Are their “primary emotions” any different from humans in other cultures?

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

URL to article: http://www.counter-currents.com/2015/01/oswald-spengler-and-the-faustian-soul-of-the-west-part-1/

URLs in this post:

[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2013/06/Faust-im-Studierzimmer-Georg-Friedrich-Kersting.jpg

[2] Indo-European speakers: https://www.youtube.com/watch?v=DpbjquTQT98

[3] most mobile way of life in prehistoric times: http://press.princeton.edu/titles/8488.html

[4] vital illustrations of spatial expansionism: https://www.youtube.com/watch?v=SiIXC1U8HNo

[5] first rational theology in history: http://www.cambridge.org/us/academic/subjects/history/history-science-and-technology/god-and-reason-middle-ages

[6] invention of universities: http://www.cambridge.org/ca/academic/subjects/history/european-history-1000-1450/first-universities-studium-generale-and-origins-university-education-europe

[7] Human Accomplishment: The Pursuit of Excellence in the Arts and Sciences, 800 B.C. to 1950: http://www.amazon.com/gp/product/0060929642/ref=as_li_tl?ie=UTF8&camp=1789&creative=390957&creativeASIN=0060929642&linkCode=as2&tag=countecurrenp-20&linkId=RSAI5XD63BIRHVZ5

[8] Grand Narrative: http://www.nytimes.com/books/first/g/gress-plato.html

[9] The Uniqueness of Western Civilization,: http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/.UdQ80Ds6Oxo#.VAhMZPldVOw

[10] John Farrenkopf: http://www.arktos.com/john-farrenkopf-prophet-of-decline.html

[11] beast of prey: https://www.youtube.com/watch?v=DLkeIACfi4Y&list=UUIfnKm98q78j2ZNcfSQhhCQ&index=3

 

Oswald Spengler & the Faustian Soul of the West,

Part 2

By Ricardo Duchesne 

Kant and the “Unsocial Sociability” of Humans

I ended Part 1 [2] asking who are these characters with proud aristocratic souls so different from the rather submissive, slavish souls of the Asiatic races. A good way to start answering this question is to compare Spengler’s Faustian man with what Immanuel Kant says about the “unsocial sociability” of humans generally. In his essay, “Idea for a Universal History from a Cosmopolitan Point of View,” Kant seemed somewhat puzzled but nevertheless attuned to the way progress in history had been driven by the fiercer, self-centered side of human nature. Looking at the wide span of history, he concluded that without the vain desire for honor, property, and status humans would have never developed beyond a primitive Arcadian existence of self-sufficiency and mutual love:

all human talents would remain hidden forever in a dormant state, and men, as good-natured as the sheep they tended, would scarcely render their existence more valuable than that of their animals . . . [T]he end for which they were created, their rational nature, would be an unfulfilled void.

Faust1r7yrluo1_400.gifThere can no development of the human faculties, no high culture, without conflict, aggression, and pride. It is these asocial traits, “vainglory,” “lust for power,” “avarice,” which awaken the otherwise dormant talents of humans and “drive them to new exertions of their forces and thus to the manifold development of their capacities.” Nature in her wisdom, “not the hand of an evil spirit,” created “the unsocial sociability of humans.”

But Kant never asked, in this context, why Europeans were responsible, in his own estimation, for most of the moral and rational progression in history. Separately, in another publication, Anthropology from a Pragmatic Point of View [3] (1798), Kant did observe major differences in the psychological and moral character of humans as exhibited in different places on earth, ranking human races accordingly, with Europeans at the top in “natural traits”. Still, Kant never connected his anthropology with his principle of asocial qualities.

Did “Nature” foster these asocial qualities evenly among the cultures of the world? While these “vices” — as we have learned today from evolutionary psychology — are genetically-based traits that evolved in response to long periods of adaptive selective pressures associated with the maximization of human survival, there is no reason to assume that the form and degree of these traits evolved evenly or equally among all the human races and cultures. It is my view that the asocial qualities of Europeans were different, more intense, strident, individuated.

Indo-European Aristocratic Lifestyle

I believe that this variation should be traced back to the aristocratic lifestyle of Indo-Europeans. Indo-Europeans were a pastoral people from the Pontic-Caspian steppes who initiated the most mobile way of life in prehistoric times starting with the riding of horses and the invention of wheeled vehicles in the fourth millennium BC, together with the efficient exploitation of the “secondary products” of domestic animals (dairy products, textiles, harnessing of animals), large-scale herding, and the invention of chariots in the second millennium. By the end of the second millennium, even though Indo-Europeans invaded both Eastern and Western lands, only the Occident had been “Indo-Europeanized [4].”

Indo-Europeans were also uniquely ruled by a class of free aristocrats. In very broad terms, I define as “aristocratic” a state in which the ruler, the king, or the commander-in-chief is not an autocrat who treats the upper classes as unequal servants but is a “peer” who exists in a spirit of equality as one more warrior of noble birth, primus inter pares [5]. This is not to say that leaders did not enjoy extra powers and advantages, or that leaders were not tempted to act in tyrannical ways. It is to say that in aristocratic cultures, for all the intense rivalries between families and individuals seeking their own renown, there was a strong ethos of aristocratic egalitarianism against despotic rule. A true aristocratic deserving respect from his peers could not be submissive; his dignity and honor as a man were intimately linked to his capacity for self-determination.

Different levels of social organization characterized Indo-European society. The lowest level, and the smallest unit of society, consisted of families residing in farmsteads and small hamlets, practicing mixed farming with livestock representing the predominant form of wealth. The next tier consisted of a clan of about five families with a common ancestor. The third level consisted of several clans — or a tribe — sharing the same. Those members of the tribe who owned livestock were considered to be free in the eyes of the tribe, with the right to bear arms and participate in the tribal assembly.

Although the scale of complexity of Indo-European societies changed considerably with the passage of time, and the Celtic tribal confederations that were in close contact with Caesar’s Rome during the 1st century BC, for example, were characterized by a high concentration of economic and political power, these confederations were still ruled by a class of free aristocrats. In classic Celtic society, real power within and outside the tribal assembly was wielded by the most powerful members of the nobility, as measured by the size of their clientage and their ability to bestow patronage. Patronage could be extended to members of other tribes and to free individuals who were lower in status and were thus tempted to surrender some of their independence in favor of protection and patronage.

Indo-European nobles were also grouped into war-bands. These bands were freely constituted associations of men operating independently from tribal or kinship ties. They could be initiated by any powerful individual on the merits of his martial abilities. The relation between the chief and his followers was personal and contractual: the followers would volunteer to be bound to the leader by oaths of loyalty wherein they would promise to assist him while the leader would promise to reward them from successful raids. The sovereignty of each member was thus recognized even though there was a recognized leader. These “groups of comrades,” to use Indo-European vocabulary, were singularly dedicated to predatory behavior and to “wolf-like” living by hunting and raiding, and to the performance of superior, even superhuman deeds. The members were generally young, unmarried men, thirsting for adventure. The followers were sworn not to survive a war-leader who was slain in battle, just as the leader was expected to show in all circumstances a personal example of courage and war-skills.

Young men born into noble families were not only driven by economic needs and the spirit of adventure, but also by a deep-seated psychological need for honor and recognition — a need nurtured not by nature as such but by a cultural setting in which one’s noble status was maintained in and through the risking of one’s life in a battle to the death for pure prestige. This competition for fame among war-band members (partially outside the ties of kinship) could not but have had an individualizing effect upon the warriors. Hence, although band members (“friend-companions” or “partners”) belonged to a cohesive and loyal group of like-minded individuals, they were not swallowed up anonymously within the group.

The Indo-European lifestyle included fierce competition for grazing rights, constant alertness in the defense of one’s portable wealth, and an expansionist disposition in a world in which competing herdsmen were motivated to seek new pastures as well as tempted to take the movable wealth (cattle) of their neighbors. This life required not just the skills of a butcher but a life span of horsemanship and arms (conflict, raids, violence) which brought to the fore certain mental dispositions including aggressiveness and individualism, in the sense that each individual, in this male-oriented atmosphere, needed to become as much a warrior as a herds-man.

The most important value of Indo-European aristocrats was the pursuit of individual glory as members of their warbands and as judged by their peers. The Iliad, Beowulf, Song of Roland, including such Irish, Icelandic and Germanic Sagas as Lebor na hUidre, Njals Saga, Gisla Saga Sursonnar, The Nibelungenlied recount the heroic deeds and fame of aristocrats — these are the earliest voices from the dawn of Western civilization. Within this heroic ‘life-world’ the unsocial traits of humans took on a sharper, keener, individuated expression.

What about other central Asian peoples from the steppes such as the Mongols and Turks who produced a similar heroic literature? There are a number of substantial differences. First, the Indo-European epic and heroic tradition precedes any other tradition by some thousands of years, not just the Homeric and the Sanskrit epics but, as we now know with some certainty from such major books as M. L. West’s Indo-European Poetry and Myth, and Calvert Watkins’s How to Kill a Dragon: Aspects of IE Poetics (1995), going back to a prehistoric oral tradition. Second, IE poetry exhibits a keener grasp and rendition of the fundamentally tragic character of life, an aristocratic confidence in the face of destiny, the inevitability of human hardship and hubris, without bitterness, but with a deep joy.

Third, IE epics show both collective and individual inspiration, unlike non-IE epics which show characters functioning only as collective representations of their communities. This is why in some IE sagas there is a clear author’s stance, unlike the anonymous non-IE sages; the individuality, the rights of authorship, the poet’s awareness of himself as creator, is acknowledged in many ancient and medieval European sagas (see Hans Gunther, Religious Attitudes of the Indo-Europeans [1963] 2001, and Aaron Gurevich, The Origins of European Individualism [6], 1995).

Nietzsche and Sublimation of the Agonistic Ethos of Indo-European Barbarians

nietzschefffggg.jpgBut how do we connect the barbaric asocial traits of prehistoric Indo-European warriors to the superlative cultural achievements of Greeks and later civilized Europeans? Nietzsche provides us some keen insights as to how the untamed agonistic ethos of Indo-Europeans was translated into civilized creativity. In his fascinating early essay, “Homer on Competition” (1872), Nietzsche observes that civilized culture or convention (nomos) was not imposed on nature but was a sublimated continuation of the strife that was already inherent to nature (physis). The nature of existence is based on conflict and this conflict unfolded itself in human institutions and governments. Humans are not naturally harmonious and rational as Socrates had insisted; the nature of humanity is strife. Without strife there is no cultural development. Nietzsche argued against the separation of man/culture from nature: the cultural creations of humanity are expressions or aspects of nature itself.

But nature and culture are not identical; the artistic creations of humans, their norms and institutions, constitute a re-channeling of the destructive striving of nature into creative acts, which give form and aesthetic beauty to the otherwise barbaric character of natural strife. While culture is an extension of nature, it is also a form by which human beings conceal their cruel reality, and the absurdity and the destructiveness of their nature. This is what Nietzsche meant by the “dual character” of nature; humans restrain or sublimate their drives to create cultural artifacts as a way of coping with the meaningless destruction associated with striving.

Nietzsche, in another early publication, The Birth of Tragedy (1872), referred to this duality of human existence, nomos and physis, as the “Apollonian and Dionysian duality.” The Dionysian symbolized the excessive and intoxicating strife which characterized human life in early tribal societies, whereas the Apollonian symbolized the restraint and re-channeling of conflict possible in state-organized societies. In the case of Greek society, during pre-Homeric times, Nietzsche envisioned a world in which there were no or few limits to the Dionysian impulses, a time of “lust, deception, age, and death.” The Homeric and classical (Apollonian) inhabitants of city-states brought these primordial drives under “measure” and self-control. The emblematic meaning of the god Apollo was “nothing in excess.” Apollo was a provider of soundness of mind, a guardian against a complete descent into a state of chaos and wantonness. He was a redirector of the willful and hubristic yearnings of individuals into organized forms of warfare and higher levels of art and philosophy.

For Nietzsche, Greek civilization was not produced by a naturally harmonious character, or a fully moderated and pacified city-state. One of the major mix-ups all interpreters of the rise of the West fall into is to assume that Western achievements were about the overcoming and suppression of our Dionysian impulses. But Nietzsche is right: Greeks achieved their “civility” by attuning, not denying or emasculating, the destructive feuding and blood lust of their Dionysian past and placing their strife under certain rules, norms and laws. The limitless and chaotic character of strife as it existed in the state of nature was made “civilized” when Greeks came together within a larger political horizon, but it was not repressed. Their warfare took on the character of an organized contest within certain limits and conventions. The civilized aristocrat was the one who, in exercising sovereignty over his powerful longings (for sex, booze, revenge, and any other kind of intoxicant) learned self-command and, thereby, the capacity to use his reason to build up his political power and rule those “barbarians” who lacked this self-discipline. The Greeks created their admirable culture while remaining at ease with their superlative will to strife.

The problem with Nietzsche is lack of historical substantiation. The research now exists to add to Nietzsche the historically based argument that the Greeks viewed the nature of existence as strife because of their background in an Indo-European state of nature where strife was the overriding ethos. There are strong reasons to believe that Nietzsche’s concept of strife is an expression of his own Western background and his study of the Western agonistic mode of thinking that began with the Greeks. One may agree that strife is in the “nature of being” as such, but it is worth noting that, for Nietzsche, not all cultures have handled nature’s strife in the same way and not all cultures have been equally proficient in the sublimated production of creative individuals or geniuses. Nietzsche thus wrote of two basic human responses to the horror of endless strife: the un-Hellenic tendency to renounce life in this world as “not worth living,” leading to a religious call to seek a life in the beyond or the after-world, or the Greek tragic tendency, which acknowledged this strife, “terrible as it was, and regarded it as justified.” The cultures that came to terms with this strife, he believed, were more proficient in the completion of nature’s ends and in the production of creative individuals willing to act in this world. He saw Heraclitus’ celebration of war as the father and king of the whole universe as a uniquely Greek affirmation of nature as strife. It was this affirmation which led him to say that “only a Greek was capable of finding such an idea to be the fundament of a cosmology.”

The Greek speaking aristocrats had to learn to come together within a political community that would allow them to find some common ground and thus move away from the “state of nature” with its endless feuding and battling for individual glory. There would emerge in the 8th century BC a new type of political organization, the city-state. The greatness of Homeric and Classical Greece involved putting Apollonian limits around the indispensable but excessive Dionysian impulses of barbaric pre-Homeric Greeks. Ionian literature was far from the berserkers of the pre-Homeric world, but it was just as intensively competitive. The search for the truth was a free-for-all with each philosopher competing for intellectual prestige in a polemical tone that sought to discredit the theories of others while promoting one’s own. There were no Possessors of the Way in aristocratic Greece; no Chinese Sages decorously deferential to their superiors and expecting appropriate deference from their inferiors.

Friedrich_Nietzsche_by_lieandletdie.jpgThis agonistic ethos was ingrained in the Olympic Games, in the perpetual warring of the city-states, in the pursuit of a political career and in the competition among orators for the admiration of the citizens, and in the Athenian theater festivals where a great many poets would take part in Dionysian competitions. It was evident in the sophistic-Socratic ethos of dialogic argument and the pursuit of knowledge by comparing and criticizing individual speeches, evaluating contradictory claims, collecting out evidence, competitive persuasion and refutation. And in the Catholic scholastic method, according to which critics would engage major works, read them thoroughly, compare the book’s theories to other authorities, and through a series of dialogical exercises ascertain the respective merits and demerits.

In Spengler’s language, this Faustian soul was present in “the Viking infinity wistfulness,” and their colonizing activities through the North Sea, the Atlantic, and the Black Sea. In the Portuguese and Spaniards who “were possessed by the adventured-craving for uncharted distances and for everything unknown and dangerous.” In “the emigration to America,” “the Californian gold-rush,” “the passion of our Civilization for swift transit, the conquest of the air, the exploration of the Polar regions and the climbing of almost impossible mountain peaks” — “dramas of uncontrollable longings for freedom, solitude, immense independence, and of giant-like contempt for all limitations.” “These dramas are Faustian and only Faustian. No other culture, not even the Chinese, knows them” (335-37).

The West has clearly been facing a spiritual decline for many years now as Spengler observed despite its immense technological innovations, which Spengler acknowledged, observing how Europe, after 1800, came to be thoroughly dominated by a purely “mechanical” expression of this Faustian tendency in its remorseless expansion outward through industrial capitalism with its ever-growing markets and scientific breakthroughs. Spengler did not associate this mechanical (“Anglo-Saxon”) expansion with cultural creativity per se. Before 1800, the energy of Europe’s Faustian culture was still expressed in “organic” terms; that is, it was directed toward pushing the frontiers of inner knowledge through art, literature, and the development of the nation state. It was during the 1800s that the West, according to him, entered “the early Winter of full civilization” as its culture took on a purely capitalistic and mechanical character, extending itself across the globe, with no more “organic” ties to community or soil. It was at this point that this rootless rationalistic Zivilisation had come to exhaust its creative possibilities, and would have to confront “the cold, hard facts of a late life. . . . Of great paintings or great music there can no longer be, for Western people, any question” (Decline of the West, Vol. I: 20-21; Vol II: 46, 44, 40).

The decline of the organic Faustian soul is irreversible but there is reason to believe that decline is cyclical and not always permanent — as we have seen most significantly in the case of China many times throughout her history. European peoples need not lose their superlative drive for technological supremacy. The West can re-assert itself, unless the cultural Marxists are successful in their efforts to destroy this Faustian spirit permanently through mass immigration and miscegenation.

Source: http://www.eurocanadian.ca/2014/09/oswald-spengler-and-faustian-soul-of_8.html [7]

Article printed from Counter-Currents Publishing: http://www.counter-currents.com

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[1] Image: http://www.counter-currents.com/wp-content/uploads/2015/01/Apollos.jpg

[2] Part 1: http://www.counter-currents.com/2015/01/oswald-spengler-and-the-faustian-soul-of-the-west-part-1/

[3] Anthropology from a Pragmatic Point of View: http://www.cambridge.org/us/academic/subjects/philosophy/philosophy-texts/kant-anthropology-pragmatic-point-view

[4] Indo-Europeanized: http://books.google.ca/books/about/The_Kurgan_Culture_and_the_Indo_European.html?id=hCZmAAAAMAAJ&redir_esc=y

[5] primus inter pares: http://en.wikipedia.org/wiki/Primus_inter_pares

[6] The Origins of European Individualism: http://books.google.ca/books/about/The_Origins_of_European_Individualism.html?id=QrksZOjpURYC&redir_esc=y

[7] http://www.eurocanadian.ca/2014/09/oswald-spengler-and-faustian-soul-of_8.html: http://www.eurocanadian.ca/2014/09/oswald-spengler-and-faustian-soul-of_8.html

 

mardi, 13 janvier 2015

Du bioconservatisme

 

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Du bioconservatisme

par Georges FELTIN-TRACOL

 

 

L’histoire des idées politiques contemporaines en Europe et en Amérique du Nord insiste sur la très grande plasticité sémantique du « conservatisme ». Si, pour François Huguenin, le conservatisme est impossible en France (1), celui-ci diffère tant aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Espagne ou en Italie (2). Chaque conservatisme suit la spécificité de son esprit national et de son époque. Par exemple, le conservatisme de l’Anglais Disraeli, tenant d’une alliance entre le peuple et la Couronne, n’est pas celui, oligarchique et sociétaliste, du fade et incapable David Cameron qui légalise le mariage pour tous, promeut l’atlantisme et encourage le multiculturalisme de marché. En Allemagne, le conservatisme organique de Bismarck ne correspond ni au « jeune-conservatisme » inclus dans la Révolution conservatrice du temps de Weimar, ni au pseudo-conservatisme chrétien d’une Angela Merkel, véritable tenancière pour le parrain yankee de l’ergastule soi-disant européen.

 

Il est donc très difficile de définir le conservatisme hors de tout contexte socio-historique précis. Et voilà que dans le cahier scientifique du Monde, un chirurgien urologue belge, Laurent Alexandre, range le député Vert français au Parlement européen José Bové parmi les « ultra-bioconservateurs (3) » ! Laurent Alexandre est très certainement un médecin émérite, expert dans son domaine. En revanche, dès qu’il quitte son champ de compétence professionnelle pour s’aventurer dans le monde des idées, son avis n’est que celui d’un citoyen lambda. S’il catalogue ainsi l’action de l’ancien éleveur du Larzac, c’est parce que son propos se veut assez favorable au transhumanisme. « Plutôt transhumains que morts devient notre devise, s’exclame-t-il (4) ! » Parce que « la manipulation technologique de l’homme a déjà bien commencé, […] des rapprochements inattendus apparaissent. Ainsi, José Bové était jusqu’à présent un militant d’extrême gauche. Dans le nouvel ordre biopolitique, il se retrouve, avec les catholiques intégristes, parmi les ultra-bioconservateurs. Il est résolument contre la fécondation in vitro (F.I.V.) pour les couples hétérosexuels stériles ou homosexuels et il s’oppose aux thérapies géniques pour le traitement des maladies génétiques. Il a déclaré, le 1er mai 2014, sur la chaîne catholique KTO : “ Je crois que tout ce qui est manipulation sur le vivant, qu’il soit végétal, animal et encore plus humain, doit être combattu ” (5) ».

 

Cette prise de position a surpris le petit milieu des Verts. Elle est pourtant conforme au personnage, méfiant envers toute technique. Rares sont ceux qui savent que José Bové a écouté au sein d’un cénacle libertaire informel bordelais entre 1971 et 1973 le philosophe, théologien protestant et professeur d’histoire du droit Jacques Ellul (1912 – 1994). Le journaliste Jean-Luc Porquet qualifie d’ailleurs le syndicaliste paysan d’« Ellul mis en pratique (6) ». À travers une remarquable trilogie philosophique, Ellul avertit ses contemporains de la nature profonde de la tekné (7).

 

En 2003, alors secrétaire exécutive du conseil du développement durable de l’U.M.P., le député de l’Essonne, Nathalie Kosciusko – Morizet qui prétend admirer l’œuvre de la philosophe Simone Weil dont son essai magistral L’Enracinement, osait déclarer que « parler de la France réelle, comme le fait Bové, a des relents d’idéologie maurrassienne (8) ». Avant Patrick Buisson et peut-être bientôt l’arriviste ponot droitard Laurent Wauquiez, Bové se voyait assimilé à un disciple du penseur de Martigues… Gageons que l’ineffable N.K.M. n’a jamais pris la peine d’ouvrir le moindre livre de Maurras, pas même L’Avenir de l’intelligence. Peut-être par crainte de se retrouver dépassée, submergée, engloutie par les analyses remarquables de cet essai majeur écrit en 1905 ?

 

José Bové aurait pu se voir reproché bien plus. En effet, au printemps 2002, il a estimé que « la résistance menée par les chouans était légitime et juste. Si j’avais été à ce moment-là en Vendée, j’aurais été chouan (9) ». C’est au fond somme toute logique puisqu’il veut d’abord et avant tout « se battre contre la mondialisation et faire avancer le droit pour les paysans et pour les peuples de se nourrir comme ils l’entendent (10) ». Cette affirmation d’attachement au sol, à la terre, aux terroirs est gaussée et minorée par un Britannique, un certain Robert Acroyd qui avance « que vous, les Français, vous êtes pour nous des paysans. Pour les Anglais, les Français sont des bouseux accrochés à leur lopin de terre, anxieux de l’agrandir par tous les moyens. Prêts à tuer frère, oncle, neveu, nièce pour quelques arpents. […] Les Anglais, eux, se voient avant tout comme des marins. Ils ont sillonné les mers, grimpé dans les cordages par gros temps, pris les vaisseaux ennemis à l’abordage. Les Anglais ont d’eux-mêmes l’image d’un peuple viril. Un peuple de guerriers qui se moque de vous parce que vos ancêtres étaient des serfs attachés à la plèbe (11). » Les Rosbifs, un peuple de guerriers ? Surtout des couards, inventeurs de l’embargo économique, du droit comme arme de guerre totale et du bombardement aérien de terreur…

 

Certaines causes défendues par José Bové sont de facto des combats conservateurs en faveur de la préservation de toutes les formes naturelles du vivant. « Depuis la création des O.G.M. et des animaux transgéniques à la fin du XXe siècle, écrit Yves Eudes, on sait que l’unité fondamentale du vivant permet des mélanges entre toutes les créatures, même les plus éloignées sur la chaîne de l’évolution. En théorie, un humain pourrait donc être doté d’une vue aussi perçante qu’un aigle, de l’odorat d’un chien de chasse, de l’ouïe d’un lièvre, de la force d’un orang-outang ou de la faculté de navigation d’un oiseau migrateur (12). » Il faut rapprocher le fantasme transhumaniste à une réflexion de Trotsky qui vécut aux États-Unis, d’où le tropisme américanocentré inhérent aux trotskistes. Dans une société future surgie de la « Révolution communiste mondiale », le fondateur de la IVe Internationale se félicitait par avance que « l’homme sera plus fort, beaucoup plus perspicace, beaucoup plus fin. Son corps sera plus harmonieux, ses mouvements plus rythmiques, sa voix plus musicale. La moyenne humaine s’élèvera au niveau d’Aristote, de Gœthe, de Marx. Et au-dessus de cette crête de montagne s’élèveront de nouveaux sommets (13) ».

 

Certes, « il n’y a plus de conservateurs, objecte Pierre Drieu la Rochelle, parce qu’il n’y a plus rien à conserver. Religion, famille, aristocratie, toutes les anciennes incarnations du principe d’autorité, ce n’est que ruine et poudre (14) ». Et pourtant ! Il y a encore à conserver la vie, les milieux naturels, les paysages sans lesquels toute communauté humaine s’étiolerait définitivement. Si le conservatisme politique a failli, a trahi et rallié le Progrès mortifère, une nouvelle réponse adaptée émerge : le bioconservatisme, ultra ou non. Sous ce nouveau vocable devraient se rejoindre l’identitaire et l’écologiste. « L’écologiste comme l’identitaire ont des approches en “ contexte ”. Une volonté d’assurer, de respecter ou de s’inspirer des permanences (traditions, coutumes, équilibres naturels, etc.). L’inverse exact de l’utopie (u-topos : sans le lieu). L’un et l’autre sont des conservateurs face à un monde qui se détruit, perd de sa grâce, de sa beauté, de sa mémoire chaque jour. La synthèse de ces deux sensibilités semble évidente (15). »

 

Ce rapprochement, plus que souhaitable, est proprement révolutionnaire et donc réfractaire aux hochets et autres sinécures brandis par le Système qui a su si bien apprivoiser l’extrême gauche du Capital. Une inclination conservatrice et/ou identitaire apparaît parfois au sein de certains courants écologistes. Les Français connaissent-ils Winfried Kretschmann ? Depuis mai 2011, grande première en Allemagne !, ce Vert est le ministre-président du Land du Bade-Wurtemberg. Catholique convaincu, professeur d’éthique en retraite et chef de file des « réalistes » au sein de son parti, il estimait que « les Verts n’ont pas besoin de devenir conservateurs pour remporter les élections du Bade-Wurtemberg. Nous sommes conservateurs. Notre ambition est de préserver la planète. Notre programme d’énergies renouvelables est une révolution industrielle. Nous voulons faire de notre pays le modèle d’une modernisation basée sur un développement durable. Cela ne concerne pas que l’écologie, mais également la finance, le système social et la démographie. Ce sont des concepts qui privilégient le long terme, constituent notre éthique et nous distinguent des autres partis. Nous sommes donc conservateurs mais pas dans le sens habituel du monde politique. […] Avec notre “ green new deal ”, nous sommes bien plus proches de ce tissu de P.M.E. qui constituent le Mittelstand allemand que les partis conservateurs (16) ». Le 30 novembre dernier, les électeurs suisses se prononçaient sur une votation intitulée « Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturelles » qui proposait une limitation de l’immigration nette en Suisse à un taux de 0,2 % par an en moyenne afin de protéger la nature et de limiter le besoin en constructions nouvelles. Cette initiative populaire revenait au groupe Écopop (Écologie et Population). La consultation ne reçut l’approbation d’aucun parti politique, pas même l’U.D.C., cette incarnation des nationaux-pétochards. Elle fut rejetée par 74 % des électeurs. Les médiats, bien sûr, désinformèrent énormément. Ainsi peut-on lire que  « les experts s’évertuent de démontrer qu’immigration et dégradation de l’environnement ne sont pas liés et que l’économie a besoin de main-d’œuvre étrangère (17) ». Un gigantesque mensonge soutenu et approuvé par les libéraux dont Nicolas Lecaussin de l’Institut de recherches économiques et fiscales (18).

 

La convergence de l’écologie, du « conservatisme » culturel, de la cause identitaire et de la réfutation du libéralisme constitue une magnifique occasion de renouvellement des idées à un moment où « certains mouvements révolutionnaires, remarque Christophe Bourseiller, semblent avoir fait le deuil de la révolution et se perçoivent davantage comme des forces réformatrices, ou des laboratoires d’idées. De même, l’altermondialisme, produit de l’extrême gauche, n’est en réalité qu’un courant réformateur, appelant de ses vœux ce que Raoul Vaneigem nomme un néo-capitalisme régulé par l’éthique (19) ». Le positionnement bioconservateur de José Bové n’est pas qu’écologique, il est aussi politique puisque, à l’instar des premiers conservateurs nourris aux penseurs de la Contre-Révolution, il estime que la logique interne de l’État est, aujourd’hui, « totalement dictée par l’économie. Ceux qui gèrent se voient imposer d’énormes contraintes. L’État n’est plus le lien des réponses aux questions que nous nous posons : les organismes génétiquement modifiés, la modification des règles de l’O.M.C. et leur réappropriation par les  citoyens. L’État-nation peut disparaître, cela ne changera pas grand-chose (20) ».

 

Plus que révolutionnaire, on perçoit vite que ce bioconservatisme se veut radical. Pour l’ancien situationniste exclu, ex-« Enragé de Nanterre », aujourd’hui proche de L’Encyclopédie des Nuisances, René Riesel, « radical » signifie « prendre les choses à la racine, c’est critiquer les bases techno-scientifiques de la société moderne, comprendre la parenté idéologique profonde entre le progressisme politique ou social (c’est-à-dire la “ mentalité de gauche ” telle que la définit Theodore Kaczynski) et le progressisme scientifique. L’industrialisation est depuis la “ révolution industrielle ” en Angleterre une rupture absolument fondamentale avec l’essentiel du processus d’humanisation. Sans civilisation paysanne, c’est la civilisation tout court qui se défait, on le constate aujourd’hui (21) ». Naguère responsable de la Confédération paysanne qu’il quitta dès 1999 en désaccord complet avec Bové qu’il qualifie de « clown à moustaches », Riesel considère dorénavant la lutte du Larzac comme « l’avant-garde de la domestication, une distribution de Prozac généralisée (22) ».

 

Toutefois, chantre des souverainetés alimentaire, agricole et énergétique, José Bové persiste paradoxalement à souhaiter une autre mondialisation et des sociétés ouvertes aux flux migratoires. Or, au soir de sa vie, Jacques Ellul lui-même s’interrogeait sur les étrangers immigrés qui « exécutent souvent un travail que les Français ne voudraient plus faire les besognes les plus pénibles ou les plus répugnantes, si bien qu’ils sont des “ pauvres ” (même s’ils ont assez d’argent pour en envoyer à leurs familles restées dans le pays d’origine, on le sait parfaitement). Ce sont les pauvres de notre société d’opulence (quoique, le fait est remarquable, on n’en trouve pas chez les “ clochards ”) (23) ». Par un parallélisme étonnant, des analyses de Jacques Ellul se recoupent avec certaines réflexions du sociologue Jules Monnerot. « On pouvait être tranquille tant que le tiers monde n’avait pas d’idéologie mobilisatrice. Une révolte anticoloniale de tel ou tel pays, ce n’était pas très grave. Mais maintenant, le tiers monde est muni d’une idéologie puissante mobilisatrice, l’islam. Celui-ci a toutes les chances de réussir contrairement au communisme qui était encore importé d’Occident. Et c’est pourquoi le communisme échoue peu à peu dans les pays d’Amérique latine qui l’avaient adopté […]. Au contraire, l’islam est du tiers monde. Il gagne à une vitesse extraordinaire toute l’Afrique noire, il mord de plus en plus largement en Asie. Or, c’est une idéologie à la fois unificatrice, mobilisatrice, et combattante. À partir de ce moment, nous allons être engagés dans une véritable guerre menée par le tiers monde contre les pays développés. Une guerre qui s’exprimera de plus en plus par le terrorisme, et aussi par “ l’invasion pacifique ”. […] Et en même temps se produira inévitablement l’infiltration croissante des immigrés, travailleurs et autres, qui par leur misère même attirent la sympathie et créent chez les Occidentaux des noyaux forts de militants tiers-mondistes. Les intellectuels, les Églises, le P.C., pour des raisons diverses, seront les alliés des immigrés et chercheront à leur ouvrir les portes plus largement. […] Cette présence des immigrés, avec la diffusion de l’islam en Europe, conduira sans aucun doute à l’effritement de la société occidentale entière. Par suite de la déraison manifestée depuis vingt ans par nous, l’Occident va se trouver, sur le plan mondial, d’ici vingt-cinq ans, dans l’exacte situation actuelle de la minorité blanche d’Afrique du Sud, face à la majorité noire (24). » Il est probable que les prochaines années voient la figure d’Ellul devenir une référence néo-conservatrice anti-musulmane appropriée au choc délétère des civilisations… Le penseur réformé atteint peut-être là ses limites d’autant qu’il a tenu des positions pro-sionistes.

 

N’en déplaise aux décroissants chrétiens, le christianisme ne peut pas répondre totalement au défi de la mondialisation. En revanche, « l’hindouisme, avec ses dieux faiseurs de miracles, est peut-être mieux armé que les monothéismes pour combattre la mondialisation, pense l’écrivain indien Tahir Shah (25) ». L’hindouisme, c’est-à-dire une forme particulière vivante de polythéisme que devraient retrouver les Européens.

 

Un processus est certainement en cours comme en témoigne l’inquiétude de Nicolas Truong. « Une autre force révolutionnaire se déploie en Occident, celle des néofascistes qui, à l’aide d’une critique anticapitaliste adossée à une pensée de l’identité, des affinités électives relayées par des mots d’ordre guerriers, prône une sorte de soulèvement conservateur et qui, eux aussi, se socialisent dans les luttes. De ce conflit des insurrections pourrait naître un monstre inquiétant (26). » Concevons donc ce monstre ! Le discours antilibéral, écologiste, identitaire et, en dernière analyse, anti-mondialiste est crucial, car « la mondialisation, explique Jean Malaurie, expression habile du libéralisme, favorise des régimes mafieux où l’information est normalisée (27) ». Dans ces conditions difficiles, « sont écologistes ceux qui savent que nous faisons partie d’une chaîne de vie complexe qu’il nous faut comprendre et respecter dans son organisation et sa diversité. Sont localistes ceux qui savent que le local est le niveau d’organisation où peuvent se réaliser le mieux et simultanément les aspirations à la liberté, à la responsabilité et donc à l’efficacité raisonnable. Sont identitaires ceux qui savent que nous sommes une substance de population plus ancienne que nos institutions, dérivées et secondaires (28) ». Valoriser le peuple est dorénavant essentiel, car « la pensée vient toujours de l’arrière : du peuple (29) ». Avis aux Z.A.D.istes de Roybon, Sivens et Notre-Dame-des-Landes, l’avenir du bioconservatisme ne peut être que populaire !

 

Georges Feltin-Tracol

 

Notes

 

1 : François Huguenin, Histoire intellectuelle des droites. Le conservatisme impossible, Perrin, 2013.

 

2 : Sur ce vaste sujet, lire Philippe Beneton, Le conservatisme, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », n° 2410, 1988; Luc Gaffié, Les idées du conservatisme américain, New Forums, 1990; Nicolas Kessler, Le conservatisme américain, P.U.F., coll. « Que sais-je ? », n° 3364, 1998.

 

3 : Laurent Alexandre, « José Bové, ultra-bioconservateur », dans Le Monde, le 15 octobre 2014.

 

4 : Idem.

 

5 : art. cit.

 

6 : Jean-Luc Porquet, Jacques Ellul, l’homme qui avait presque tout prévu, Le Cherche Midi, coll. « Documents », 2003, p. 232.

 

7 : Cette trilogie se compose de La technique. Ou l’enjeu du siècle (1954), Économica, coll. « Classiques des Sciences Sociales », 1990; Le système technicienne, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’Esprit », 1977; Le bluff technologique, Hachette, coll. « La Force des Idées », 1988. Une autre personnalité politique française qui aurait suivi l’enseignement ellulien serait le député – maire de Bègles, apparenté Vert et chantre du laïcisme et du gendérisme, Noël Mamère, que Bruno Gollnisch renomme avec facétie sur son site officiel de « Fête de fin d’année Parent 1 ».

 

8 : dans Le Figaro, le 11 août 2003.

 

9 : dans La Lozère nouvelle, le 8 mars 2002.

 

10 : dans Libération, le 20 août 1999.

 

11 : dans Le Nouvel Observateur, les 6 – 12 mars 2003.

 

12 : dans Le Monde, le 6 août 2005.

 

13 : Léon Trotsky, Littérature et Révolution, Vienne, 1924, édition allemande, p. 179, cité par Jules Monnerot, Sociologie de la Révolution, Fayard, coll. « Les grandes études contemporaines », 1969, p. 251.

 

14 : Pierre Drieu la Rochelle, Mesure de la France, Grasset, 1964, p. 93.

 

15 : Laurent Ozon, France, les années décisives. Entretiens 2013 – 2014, Éditions Bios, 2014, p. 25.

 

16 : dans Le Monde, les 21 et 22 novembre 2010, souligné par nous. Sur les Verts allemands et certaines de leurs tendances conservatrices, voir Thomas Keller, Les Verts allemands. Un conservatisme alternatif, L’Harmattan, coll. « Environnement », 2000.

 

17 : Christian Salvadi, « La Suisse vote de nouveau sur l’immigration », dans Le Monde, le 29 novembre 2014.

 

18 : Nicolas Lecaussin, « Oui à l’immigration… sans État-providence », dans Le Figaro, le 18 décembre 2014. Il est toujours grotesque d’observer que les chantres les plus exaltés du libéralisme sont des fonctionnaires d’université ou des membres d’instituts d’onanisme neuronal et non des patrons de petites ou moyennes entreprises, des artisans ou des membres de professions libérales…

 

19 : dans Le Point, le 19 octobre 2006. Ancien situationniste, Raoul Vaneigem est bien l’anti-Guy Debord puisqu’il a accepté d’être récupéré et intégré dans la Société du spectacle.

 

20 : dans Le Nouvel Observateur, les 17 – 23 février 2000.

 

21 : dans Libération, les 3 – 4 février 2001. Alias Unabomber, Theodore John Kaczynski est un terroriste néo-luddite emprisonné à vie dans les prisons fédérales de haute sécurité des États-Unis, cf. Theodore Kaczynski, L’effondrement du système technologique, Xenia, 2008, qui réunit l’ensemble de ses écrits.

 

22 : dans Marianne, les 18 – 24 août 2002.

 

23 : Jacques Ellul, Islam et judéo-christianisme, P.U.F., 2004, p. 43, souligné par l’auteur.

 

24 : Jacques Ellul, Le bluff technologique, op. cit., pp. 280 – 281. Dans une longue note de cet ouvrage, Ellul estime qu’« aujourd’hui, le grand thème d’une France multiraciale, avec l’invasion musulmane, achève cette destruction de la cohérence culturelle française (n. 26, p. 181) ».

 

25 : dans Le Figaro littéraire, le 24 mai 2001.

 

26 : Nicolas Truong, « Un désir de soulèvement », dans Le Monde, le 5 décembre 2014.

 

27 : Jean Malaurie, dans Le Nouvel Observateur, les 23 – 29 décembre 1999.

 

28 : Laurent Ozon, op. cit., pp. 26 – 27.

 

29 : Jean Malaurie, art. cit.

 


 

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lundi, 12 janvier 2015

De la politique considérée comme souci

De la politique considérée comme souci

boutangportrait.jpgC’est lorsque l’horreur atteint à sa plus grande amplitude, lorsque tout ce qui était sacré (tout ce que le patient tissage de l’histoire et de la tradition avait fait reconnaître comme sacré) s’évanouit, que la conscience religieuse ou son résidu laïcisé s’efforce de constituer une barrière contre l’horreur par la reconnaissance, au moins, des valeurs morales universelles ; on peut même dire que ceux qui, avant le déchaînement horrible, avant les camps de la mort méthodique ou le bombardement massif des populations civiles, prétendent faire de la conformité aux valeurs universelles le contenu de l’histoire, ceux-là ont déjà secrètement pris le parti de l’horreur ; ils ont renoncé à ces valeurs subtiles, à cette tendresse des coutumes et des rites, à ces amitiés par lesquelles un vieux peuple civilisé sait accueillir et dompter la brutalité de l’avenir ; ils sont les complices du désastre qu’ils redoutent et laissant l’imagination historique à l’horreur, ils laissent du même coup l’horreur forger le contenu de leur destin.

bout9782912833341.jpgPierre Boutang
LA POLITIQUE, LA POLITIQUE CONSIDÉRÉE COMME SOUCI

Robert Redeker, dans Valeurs Actuelles
Rémi Soulié, dans Le Figaro
Sébastien Lapaque, dans Marianne
Gabriel Matzneff, dans Le Point
Juan Asensio, dans Le Stalker
Olivier Véron, dans L'Avenir du printemps, etc.

Avec une postface de Michaël Bar-Zvi, qui pubie chez le même éditeur : Israël et la France, l'alliance égarée.

La Politique, la politique considérée comme souci, par Pierre Boutang.

 

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dimanche, 11 janvier 2015

Iván Ilyn y la misión histórica de Rusia

Iván Ilyn y la misión histórica de Rusia

IVAN ILYNpor Sergio Fernández Riquelme*

Ex: http://culturatransversal.wordpress.com

El filósofo Iván Alexandrovich Ilyin (Иван Александрович Ильин) [1883-1954] aparece, desde el punto historiográfico, como uno de los grandes referente doctrinales del nacionalismo contrarrevolucionario de Rusia en el siglo XX y en siglo XXI. En la centuria pasada se convirtió, con poco éxito político, en ideólogo destacado del movimiento monárquico del exilio (ROVS) frente a la Revolución comunista de los bolcheviques, perseguido por los totalitarismos ruso y alemán, y denostado por los liberales occidentales. Y en el siglo XXI es reivindicado como guía del moderno nacionalismo ruso frente a la Revolución liberal que el gobierno norteamericano pretende imponer a través de la cultura de masas, la dependencia económica y la homogenización identitaria, especialmente empezando por los considerados países occidentales colonizados [1].

En ambos periodos aparece, pues, como una pieza central para explicar la búsqueda pasada y presente de ese sistema político y social en Rusia capaz de cumplir, aunando tradición y modernidad, la misión histórica y espiritual de un Imperio eurasiático que, como reivindicaba Aleksander Projanov [2], miraba siempre “hacía el cielo“. Un Imperio no solo geopolítico; era algo más, sobreviviendo al infortunio y al error, a la soledad y a la invasión a lo largo de los siglos. Siempre una auténtica civilización propia y diferenciada, en búsqueda de su identidad en el mundo globalizado, permanentemente transformado, desde la inmensidad de su geografía y desde esa trágica y creativa “alma rusa” de la que hablaba Dostoyevski.

Un pensador tradicionalista recuperado, pues, en la primera plana del debate ideológico y político de la mano de la denominada “democracia soberana[3] (imbuida del “principio de autoridad soberana” de Ilyin) impulsada por el presidente de la Federación Rusa, Vladimir Putin; el cual personalmente participó en la vuelta de sus restos mortales al país en 2005 y en la ceremonia pública de la consagración de su tumba en el Monasterio Donskoy de Moscú. Hasta tal punto es central la influencia de Ilyin sobre la nueva doctrina nacionalista rusa que Putin le citó, únicamente a él, en el trascendental Mensaje anual del Estado de diciembre de 2014, momento de álgida presión económica y política occidental contra Rusia por el conflicto de Ucrania, nuevo episodio de la supuesta confrontación entre Eurasia y Occidente, y oportunidad histórica para reivindicar la supervivencia de la identidad espiritual de la Civilización rusa:

“Traigo a este respecto, una cita: el que ama a Rusia debe desear para ella la libertad; ante todo, la libertad para la propia Rusia, la independencia y la autonomía, la libertad para Rusia como unidad de los rusos y de todas las demás culturas nacionales; y, por último, – la libertad para el pueblo ruso, la libertad para todos nosotros; la libertad de fe, de búsqueda de la verdad, la creatividad, el trabajo y la propiedad (Iván Ilyin). Es este un gran significado y un buen mandato en el tiempo de hoy” [4].

  1. Su vida. Del Imperio a la emigración.

Iván Ilyin nació el 28 de marzo de 1883 en Moscú. De raigambre aristocrática, era heredero de la primigenia dinastía rurikida en la región de Riazán, a la que pertenecía su padre, Alexander Ivanovich Ilyin [1851-1921] (secretario y jurado imperial). Fue bautizado en la Iglesia de la Natividad de la Virgen de Moscú (área de Smolensk) siendo su padrino el mismo emperador Alejandro II. Educado en la más pura tradición aristocrática de la administración imperial, el joven Ilyin se graduó en 1901 en la Escuela secundaria del primer Gimnasio de Moscú, con medalla de oro en educación clásica (en especial por su conocimiento en griego, latín y eslavo eclesiástico).

Ese mismo año ingresó en la Facultad de Derecho de la Universidad Imperial de Moscú. Las algaradas estudiantiles de la Revolución de 1905, que rechazó, le hicieron profundizar en su vocación académica y escorarse hacia el conservadurismo, si bien liberal en este periodo. Así optó por la rama filosófica, de la mano de la línea cristiano-ortodoxa del profesor Pavel Ivanovitch Novgorodtsev [1866-1924]. En 1906 se graduó, y el 27 de agosto se casó en la iglesia de la Natividad de Cristo (aldea de Bykovo) con Natalia Bokac. Desde 1909 comenzó a trabajar en la Universidad como privat dozent, en la Cátedra de Historia y Enciclopedia del Derecho. Tras una estancia científica en Europa Occidental (Alemania y Francia), en 1911 Ilyin inició su tesis doctoral, centrada en el tema Crisis de la filosofía racionalista en Alemania en el siglo XIX a partir del impacto de las tesis de Hegel y el desarrollo de la fenomenología, las principales corrientes del momento. En 1914, con el apoyo del Príncipe Trubetskoy, colaboró en las conferencias públicas sobre la ideología presente en la recién comenzada Primera Guerra mundial, centrándose en el tema del Sentido Espiritual de La Guerra (en defensa de la justa misión de Rusia en la misma, pese a estar en contra de todo conflicto bélico).

 

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Deudor del pensamiento de Hegel y en plena construcción de su posición respecto a la filosofía jurídico-política, Ilyin comenzó a participar como conferenciante en el Instituto de Comercio de Moscú sobre el tema “Introducción a la Filosofía de la Ley”, bajo el amparo de Novgorodtsev. En dichas conferencias se ilustraba la base de su tesis, centrada en la dimensión espiritual del pensamiento hegeliano, que sería terminada en 1916 y defendida en 1918 como la Filosofía de Hegel en la doctrina de la especificidad de Dios y del hombre [5].

Inicialmente Ilyin, aún ligado a los principios monárquico-liberales de su primera formación, vio en la Revolución de febrero de 1917 la oportunidad de reformar el país siguiendo la senda de la modernización occidental (una monarquía socioliberal bajo Kerenski). Pero la segunda fase, la Revolución de Octubre, decepcionó totalmente sus primeras expectativas, hasta el punto de tener que tomar partido ideológico y político, dejando atrás especulaciones filosófico-jurídicas. Liberales y comunistas, quienes se disputaban el poder a mano armada, había comenzado la destrucción del país.

Pese al triunfo final de la facción bolchevique, decidió quedarse en Rusia, tras leer su Tesis doctoral y ser nombrado profesor de Filosofía Derecho en la Universidad imperial; aunque su pasado aristocrático y su posición crítica ante el “colapso del Estado” provocado por los nuevos Soviets le llevaron en varias ocasiones a la cárcel (junto a su maestro Novgorodtsev). Finalmente fue expulsado del país en 1922, por orden directa de Vladimir Ilych Ulianov, junto a los más de 160 intelectuales y profesores que formaban la llamada “Nave de los filósofos” (Abrikosov, Berdyaev, Brutskus, Frank, Kagan, Karsavin, Lossky, Sorokin o Stepun) [6].

Ilyin llegó en 1923 a Berlín. En la capital de la nueva República de Weimar trabajó (hasta 1934) como profesor de ruso en el Instituto científico de la ciudad. Allí se convirtió en el referente doctrinal de los contrarrevolucionarios rusos, tomando partido por los emigrantes del Movimiento blanco por toda Europa Occidental, siendo director del diario promonárquico Русский колокол. Pero en 1930 el Instituto dejó de recibir fondos públicos y Ilyin comenzó a colaborar con los círculos intelectuales anticomunistas para ganarse a vida (reunidos en la editorial Eckart), y en 1934 el nuevo gobierno nacionalsocialista alemán lo expulsó del Instituto y le sometió a vigilancia por la Gestapo. Gracias a la ayuda de Sergei Rachmaninoff logró emigró de nuevo, en esta ocasión a Suiza, llegando a Ginebra en 1938 y finalmente residiendo en la comarca de Zúrich, refugio donde escribió sus principales obras, dio entidad a su doctrina, y falleció finalmente [7].

  1. La doctrina. De la contrarrevolución a la misión.

La exilio hizo de Ilyin doctrinario de cabecera. Aterrado por las consecuencias de la Revolución, que destruyó la herencia nacional y arruinó toda posibilidad de transición política, Ilyin tomó partido por la causa monárquica y conservadora de la contrarrevolución blanca. Destruidos los ejércitos del general Kornilov solo quedaba el activismo político y la construcción ideológica. Y en ella se encontraba recuperar la verdadera “misión de Rusia[8].

  1. a) La contrarrevolución.

Su posición contrarrevolucionaria había ya quedado clara en 1923, recién llegado a las filas de la emigración blanca [9]. Frente a los representantes militares y políticos de la diáspora, Ilyin les habló del pronto renacer del poder y la gloria de Rusia gracias al movimiento blanco, desde la fidelidad y el sufrimiento, y como guía para otras naciones. El destino de la nación rusa partía del conocimiento de los hechos históricos y del realismo político inscritos en la existencia histórica, humana y divina, de su pueblo. Entender dicho destino significaba, por ello, comprender ese espíritu histórico, marcado por los designios divinos y los errores humanos en la gran época de la transformación revolucionaria [10]].

La Revolución había triunfado, y todos los pueblos de Rusia tuvieron que afrontar su infierno: “la blasfemia de los impíos, el asalto de los bandidos, la desvergüenza del loco, los intentos de asesinato”; y “todos tuvimos que mirar a los ojos de Satanás, tentándonos con sus últimas seducciones y atemorizándonos con sus más recientes terrores“. Todo parecía perdido, pero la Revolución era una señal, el signo espiritual de una época y de sus hombres. Ilyin descubría que “el secreto y más profundo significado de la Revolución se sostiene en el hecho de que es más que todo una gran seducción espiritual; una dura y cruel prueba que quema a través de las almas”. La conversión del mundo. “Con Dios o contra Dios“, siendo humillado y castigado o sirviendo al enemigo contra tus propios amigos [11].

Elegir y decidir..”. Nadie en Rusia había escapado a este juicio, recordaba Ilyin, “a esta prueba que superó a cada hombre: desde el Zar al soldado, desde el más Santo Patriarca al último de los ateos, de los ricos a los pobres“. Una prueba que puso a todos ante el rostro de Dios, testificando para la salvación o para la muerte; un juicio aparentemente laico pero verdaderamente religioso, que nos recordaba la eterna y trágica búsqueda humana del mundo espiritual. Y ante ese juicio, los blancos, los patriotas, aquellos que fueron fieles a su mandamiento no podían perder; habían sido vencidos en el campo de batalla, pero ganaron con su fidelidad, con su sacrificio, con su elección. “El vencedor -defendía Ilyin- es el que se alzaron contra el mal, se levantó en contra de la seducción, sin caer en ella, y se levantó contra el terrorismo, no teniendo miedo[12]. La Historia hablaría de ello.

La señal era evidente para Ilyin. Solo podría salir esta Rusia hacia adelante “a partir de su profundidad religiosa, vigorosa“. Frente a las dudas de la intelectualidad sobre su futuro, desde esta realidad ancestral Rusia podría renacer, fortalecerse y crecer. Y sobre ella debía fundarse la forma estatal y la autoridad soberana [13]. Para Ilyin la autoridad soberana, como fundamento contrarrevolucionario, se realizaba en la figura del más fuerte, del noble que acepta y ejerce el poder con la voluntad, que es el timón del pueblo, y de consecuente y formada fidelidad patriótica de la nación. Autoridad que unía a dirigentes y población más allá del territorio común o de la lógica subordinación; se unían en el esfuerzo y en la acción conjunta los nobles líderes y los leales guardianes, creando una unidad sagrada que merecía ser defendida con la propia vida, como gobernantes o como soldados al servicio de la Patria y Cristo [14].

El poder del Estado representaba, pues, esa autoridad soberana destinada a defender con la vida y la muerte “la existencia y la santidad de su pueblo”. Por ello, para Ilyin quien toma el poder, quien asume la autoridad tiene un deber fundamental, una responsabilidad ante el peligro, ante la muerte. Dicha autoridad era, obligadamente, una cuestión de voluntad, una vocación no sólo para ver y comprender (ya existen los expertos), sino para “seleccionar, decidir, dirigir, conservar y obligar”. Esta es su causa, su naturaleza, su propósito, sentenciaba Ilyin [15]; y continuaba señalando los rasgos de esa autoridad soberana, a modo de axiomas, sin los cuales llegaba al poder la mentira y el engaño, y con ello la “anarquía, la decadencia y el abismo[16]:

  • La débil voluntad de maestro era una interna contradicción, un absurdo de la vida, y la ruina de toda una causa espiritual.
  • Era vital la capacidad de decidir, de centrarse enel mejor resultado entre diferentes posibilidades.
  • Una inquebrantable autoridad, preparada para defender su posición y dispersar los impedimentos, necesitaba un profundo diseño, de energía fuerte y de gran tenacidad.
  • La irresolución de la autoridad que se producía en el republicas parlamentarias de los Estados democrático-formales ocultaba, dentro de sí misma, no sólo un peligro, sino la absoluta desesperanza y la fatalidad.
  • Elmejor los hombres debía ascender a la autoridad soberana, probando con sus palabras y sus hechos “que el poder del estado no debe pertenecer a los ladrones, traidores, mentirosos, sobornar a los audaces, a los violadores, y los oportunistas sin principios ni ideales“.
  • El saludable poder soberano significaba el énfasis en la voluntad de la nobleza (aristos): patriotismo, conciencia, honor, lealtad y servicio.
  • A la cabeza de la nación y como custodia de lo sagrado debía situarse el más fuerte y el más noble de los hombres, sometido en todo momento a una “inquebrantable regla de comportamiento” desde la ruta por la cual ha llegado al poder, ya sea desde arriba (con designación) o desde abajo (por las elecciones).
  • Estar cerca del poder significaba estar cerca de la muerte, como Pedro el Grande en Poltava; lalucha hasta la muerte estaba contenida, para Ilyin, en el principio de autoridad soberana.
  • Quién recibía la autoridad (sea cual fuese la cantidad) tiene a su disposición la oportunidad de crear y proteger, organizar y construir el país a través de los órdenes de autoridad. Posee en sus manos el tesoro de la nación entera, el fruto de muchos sufrimientos y de la herencia cultural. Este es un “bien público” que los fieles centinelas deben guardar incluso con el precio de su vida, manteniendo la autoridad soberana confiada, y evitando la corrupción y el despilfarro. Ilyin recordaba que “la historia hace cuentas de un descuido del centinela“.
  • Quien ejerce la autoridad, quien ha sido confiado el poder en una sección del Estado, no tiene derecho a extinguir esta obligación por la renuncia unilateral. “El centinela no puede sustituirse a sí mismo en su puesto; el gobernante no puede arbitrariamente dejar el campo de juego o preferir la inacción“.
  • La autoridad soberana poseía el significado dedestino para aquellos que la acepten.
  • La autoridad soberana era una auténticarepresentación en vivo, en la cual la decisión de líder y la acción del tutorizado definía el destino de todo un pueblo.
  • Estos axiomas eran, para Ilyin, el drama de la voluntad, de la nobleza, de la vida y la muerte, los cuales había que preservar para que las futuras generaciones de Rusia considerasen esta verdad en profundidad [17].

La contrarrevolución de Ilyin nacía de la trágica experiencia vivida de primera mano. En ella se interrelacionaban su visión hegeliana de la Historia [18] y la más pura tradición de la Eslavofilia ortodoxa. Pero la consolidación de la Revolución comunista y la creciente debilidad de la oposición monárquica hicieron a Ilyin concretar su filosofía histórica en una doctrina jurídico-política para el futuro de Rusia. Así fue rechazando la figura de Nicolás II, dubitativo Zar que tomó partido y permitió el fin de la Rusia imperial, y se alejó del Gran Duque Kiril Vladimirovich, autoproclamado nuevo Zar en el exilio sin el apoyo de toda la diáspora.

 

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Llegaba la hora de dejar atrás la mera contrarrevolución monárquica. La autoridad soberana tenía que fundamentarse en un proyecto de largo recorrido, más allá de los nombres y de las coyunturas, recuperando la esencia histórica y espiritual de la misión de Rusia. Por ello, la explicación del triunfo de la Revolución se focalizaba ahora en la pérdida de la verdadera identidad espiritual rusa y de su destino en el mundo [19]. La importación radical del Estado absolutista occidental y unas masas populares imbuidas por ideologías radicales foráneas habían socavado la unidad y convivencia nacional en 1917. Y ante la misma, la autoridad soberana debía separarse del destino de los Romanov, y alentar una monarquía nacional y espiritual, como ascendente patriótico y no como linaje dinástico, como unidad histórica [20].

La vieja Organización comunal del Principado de Novgorod había desaparecido del imaginario colectivo; los Zemski Sobor de la antigua Moscovia era un recuerdo lejano. En los estertores del Imperio la necesaria y justa desigualdad que cifraba toda sociedad se había convertido en animadversión; la labor espiritual y rectora de las elites hacia el pueblo había desparecido (por la corrupción y la ociosidad) y los derechos ciudadanos habían hecho desaparecer las obligaciones respecto a la patria y la fe. Y la propiedad se había convertido en caballo de batalla entre clases, leitmotiv del marxismo leninista triunfante en 1917, al verla los primeros como el medio para vivir de las rentas sin trabajo arduo, y los segundos como una forma de opresión de burócratas y terratenientes holgazanes.

El igualitarismo revolucionario había ganado en la nueva Petrogrado, y con ello se había desvanecido el orden tradicional. Frente al mismo, que dominaba conciencias y controlaba las almas, solo cabía desarrollar una nueva “conciencia de la ley” (правосознание) adaptada en cada momento al desafío histórico. Este concepto hacía referencia al fundamento de la auténtica y verdadera obediencia ciudadana, basada en la moralidad y la religiosidad, y centrada en la correcta comprensión individual de la ley y de su cumplimiento. Sin esa conciencia, construida y difundida nacionalmente, no había orden duradero y justo posible ni ley aceptada socialmente (idea publicada en su obra póstuma О сущности правосознания).

La Ley y el Poder, tradicionalmente fundados y jurídicamente legitimados, eran la base para el porvenir de esa autoridad soberana, base de la “misión histórica” de una Rusia eslava pero “madre” de diferentes etnias y culturas bajo su seno (lo que le hacía rechazar el fascismo y el antisemitismo). Por ello escribió en О главном (Sobre lo importante) y en Наши задачи (Nuestra tarea) sobre la necesidad de construir una gran y poderosa Rusia superando los odios de clase, de raza y de partido.

  1. b) El futuro de Rusia.

En 1949 describía su tercera vía tradicional y conservadora, auténticamente rusa. Una creación ajena a las exigencias extranjeras, aunando lo mejor del pasado y lo mejor del presente, y donde esa autoridad soberana diese explicación a cada acto del devenir. En uno de sus textos capitales, El futuro de Rusia, lo explicó meridianamente claro [21]. El camino de Rusia no podía ser la democracia liberal occidental, ni el totalitarismo de izquierda o derecha. “Nosotros insistimos en el tercer camino para Rusia y consideramos que es el único correcto” defendía Ilyin [22].

La democracia liberal situaba al Estado como una Corporación, voluntaria y liberal, que “se construye de abajo hacia arriba” a partir de interés del individuo y la votación puntual (“todo por el pueblo” era el ideal de la democracia formal). Todo era libre, nadie era responsable, desapareciendo “la medida de la libertad“. Por ello esta Corporación estaba pasando por “un gran y prolongado periodo de la crisis“, que “sólo podía tener dos resultados: o el triunfo de las dictaduras y la tiranía totalitaria de la dirección (lo que Dios no quiera!), o una actualización completa del principio democrático en el lado de la selección de los mejores y de la política de la educación“.

Mientras, para el totalitarismo la vida del Estado era una Institución (por ejemplo, hospitales, institutos de enseñanza secundaria) que se construía siempre de arriba hacia abajo (incluso cuando la propia institución era establecida por voto popular); en ella “las personas interesadas en la vida de la institución, recibirán de él el beneficio y el uso, pero no mostraban su interés ni participan en su objetivo general. Aceptaban pasivamente a una institución -cuidado, servicios, beneficios y orden- que decide que se toma y que no; y, si acepta, en qué condiciones y hasta cuándo“. La institución se basaba en el principio de la tutela de personas interesadas, y las autoridades no son elegidas sino designadas. “Y puesto que el Estado es una institución, en la medida de que el pueblo no la controla, no se decreta, sino que se educa y obedece” concluía Ilyin.

Frente a ambas posiciones dominantes, Ilyin hablaba de esta tercera vía, de un sistema jurídico-político ruso que recogía lo verdaderamente valioso de lo corporativo y de lo institucional. La Corporación permite a los ciudadanos participar del objetivo común y controlar a sus gobernantes, colaborando al Imperio de la ley. La Institución sostiene la vida en común, más allá de vaivenes partidistas y bajo la gestión de los mejores, asegurando un Estado fuerte y neutral. Lo corporativo permite fiscalizar como una empresa al Estado, impregnándose de la solidaridad del autogobierno; lo institucional consolida la permanencia de la nación (“el estado nunca dejará de basarse según un tipo de institución, especialmente en aquellos aspectos que requieren una única autoridad y disciplina: a saber, en los asuntos públicos de la educación, el orden, la corte, de control, de defensa, la diplomacia“). La solución rusa eliminaba de raíz los excesos de ambos sistemas: la tiranía de los de abajo (que llevaba a la incapacidad del gobierno) y de los de arriba (que llevaba al nepotismo y la parálisis del poder).

El Estado en su sano ejercicio siempre combina rasgos de la corporación con los rasgos de la institución: se basa -desde arriba y desde abajo- sobre el principio de la autoridad pública de la tutela, y según el principio de la autogestión. Hay asuntos estatales en las que es relevante y útil el autogobierno corporativo; y hay algunos casos en los cuales es decididamente inapropiado e inaceptable[23].

Pero el nuevo Estado ruso debía establecer la mejor y más adecuada combinación de instituciones y corporaciones “para las condiciones de vida” de la nación: en función del territorio y sus dimensiones (efectividad del poder), la densidad de población (tipo de organización), las tareas del Estado (Imperio de la ley), la economía nacional (grado de desarrollo), la composición étnica (gestión de masas), la religión del pueblo (fidelidad y unidad), la composición social (tipo de solidaridad), el nivel cultural del pueblo (participación ciudadana) y la vida popular (carácter nacional) [24].

Sobre el análisis de estas condiciones se podía comenzar a construir el sistema jurídico-político futuro de Rusia, que permitiese la creatividad de la libertad y consolidase la unidad de la autoridad; que uniese, en suma, a los de arriba con los de abajo en una empresa histórica común:

“La próxima Rusia tiene que encontrar para sí mismo -de forma especial, original y pública- esta combinación de la institución y la corporación, que sería el modelo ruso, el nacional de los registros históricos, desde el imperio de la ley ante el dominio territorial de la Rusia revolucionaria. Frente a semejante tarea creativa, los llamamientos de los partidos extranjeros a la democracia formal se quedan ingenuos, frívolos e irresponsables[25].

Pero las críticas no tardaron en llegar. Sus tesis fueron despreciadas por los liberales occidentales y los comunistas bolcheviques. E Ilyin llegó a la conclusión de que ambos bandos querían la destrucción de la nación rusa. En 1950 escribió en Lo que promete el mundo con la desmembración de Rusia, como ese “mundo moderno” buscaba acabar con la independiente y soberana identidad rusa (monárquica y ortodoxa) ridiculizándola públicamente, como paso previo para desmembrar el país, repartírselo comercialmente y culturizarlo a la manera occidental. Anunciaba, además, que la futura caída de la bolcheviques, si no se construía un poder autoritario fuerte y unido alternativo y soberano, daría paso al “separatismo, al caos en los desplazamientos, a la vuelta a las matanzas, al desempleo, al hambre, al frío, al desgobierno..”. Ante esta situación futura, Ilyin proclamaba que:

“Esto no es inteligente. No es una visión de futuro. Apresuradamente en el odio y desesperada en este siglo. Rusia- el polvo humano y el caos. Ella es ante todo una gran nación, sin desperdiciar sus fuerzas y sin desesperar en su vocación. Este pueblo necesita un orden libe, de paz, de trabajo, de la propiedad y de la cultura nacional. No lo entierren antes de tiempo!. Vendrá la hora de la historia dónde el pueblo ruso se levantará desde el imaginario del sepulcro y reclamará sus derechos!” [26].

  1. Su obra.

Buena parte de su obra se publicó tras su muerte. La censura soviética y el rechazo liberal lo hicieron casi invisible, como a la generación que buscó desde el exilio y la cárcel la liberación comunista desde ese “alma rusa” (desde Berdiayev hasta Denikin). En 2005 vieron la luz los 23 volúmenes de las obras completas de Iván Ilyin, y además se publicó el documental “El Testamento del filósofo Ilyin” (de Alexei Denisov). Tras el regreso de sus restos ese mismo año, fue objeto de una intensa recuperación de la mano del cineasta Nikita Mikhalkov, del jurista Vladimir Ustinov, del literato Alexander Solzhenitsyn, del erudito Nikolai Poltoratzky, y del Ministerio de cultura ruso, que acogió en el Fondo de cultura rusa sus manuscritos de Suiza (tras ser recopilados desde 1966 en la Universidad de Michigan por Poltoratzky); fondo que recoge su biblioteca personal con más de 630 títulos de libros, folletos o revistas, la mayoría escritos en su exilio helvético, siendo los más representativos:

  • La doctrina sobre el derecho y el Estado (Общее учение о праве и государстве, 1915) [27].
  • Filosofía de Hegel como la doctrina acerca de la especificidad de Dios y del hombre(Философия Гегеля как учение о конкретности Бога и человека, 1918).
  • Sobre la entidad del Imperio de la Ley (О сущности правосознания,1919).
  • Sobre la resistencia al Mal por la Fuerza(О сопротивлениии злу силою, 1925).
  • La base de la Cultura Cristiana(Основы христианской культуры, 1938).
  • Sobre el futuro de Rusia. ¿Qué es el Estado, una corporación o una institución?(О грядущей России. Что есть государство – корпорация или учреждение?, 1949).
  • Sobre el Fascismo (О фашизме, 1948).
  • El Camino hacia el conocimiento(Путь к очевидности, 1957).
  • Axiomas de la Experiencia Religiosa(Аксиомы религиозного опыта, 2 tomos, 1953).
  • Sobre la Monarquía y la República(О монархии и республики, 1978).

* Historiador, Doctor en Política social, director del IPS y Profesor de la Universidad de Murcia.

[1] Para Zgustova, Ilyin era el gurú ideológico del imperialismo nacionalista de Putin, al fundamentar una “mano de Hierro” que una a todos los sectores conservadores el país en defensa de sus intereses, dentro de un régimen autoritario pero formalmente democrático “donde la Iglesia, los medios de comunicación y los partidos políticos se pueden tolerar siempre y cuando demuestren lealtad”. Véase Monika Zgustova, Las rosas rojas de Putin. El País, 14/06/2014.

[2] “Это дивное слово — Россия”. Izvestia, 1/12/2014.

[3] Sergio Fernández Riquelme, “Rusia como imperio. Análisis histórico y doctrinal”. La razón histórica, nº 25, 2014, págs. 128-148.
[4] е Президента Федеральному Собранию. 4 декабря 2014 года.

[5] Евлампиев И. И., Феноменология божественного и человеческого в философии Ивана Ильина, 1998.

[6] Томсинов В. А., Тюренков М. А. Ильин Иван Александрович // Императорский Московский университет: 1755—1917: энциклопедический словарь. М., Российская политическая энциклопедия, 2010.

[7] N. O. Lossky, History of Russian Philosophy. Allen & Unwin Ed.,. Londres, International Universities Press, 1951.

[8] Киселев А. Ф, Иван Ильин и его поющее сердце. М., Университетская книга, 2006.

[9] Discurso pronunciado por Ivan Ilyin en Berlín, el 19 de noviembre de 1923, durante el VI Aniversario de la Federación de Voluntarios de Ejército Blanco.

[10] Томсинов В. А., Мыслитель с поющим сердцем. Иван Александрович Ильин: русский идеолог эпохи революций. М., Зерцало, 2012.

[11] Discurso, op.cit.

[12] Ídem.

[13] “Sobre el Poder y la Muerte” (1928).

[14] Христиане на службе // Возрождение. Париж, 1928.

[15] Ídem.

[16] Ídem.

[17] Ídem.

[18] Pierre Pascal y René Palacios More, Las grandes corrientes del pensamiento ruso contemporáneo. Madrid, Ediciones Encuentro, 1979.

[19] Зернов И. Иван Ильин. Монархия и будущее России. М., Алгоритм, 2007.

[20] Sobre la esencia espiritual de la Monarquía rusa y su posible organización corporativa véase a Георгий Титов, КОРПОРАТИВНЫЙ ПРИНЦИП И ПРАВОСЛАВНАЯ ГОСУДАРСТВЕННОСТЬ. La Razón histórica, nº27, 2014, pp. 250-258.

[21] “О грядущей России. Что есть государство – корпорация или учреждение?”. Hronos, 2009 (Viacheslav Rumiantsev ed.).

[22] En su texto Sobre el Fascismo (1948), Ilyin señalaba cómo este movimiento surgió como reacción directa al bolchevismo totalitario y a la democracia liberal “sin salida” en seno del pensamiento conservador; puedo ser una alternativa viable de organización nacional-patriótica en la Historia, pero fracasó como movimiento político-social al ligarse al mismo anticristianismo de sus supuestos enemigos ideológicos.

[23] Ídem.

[24] Ídem.

[25] Ídem.

[26] Ídem.

[27] Publicada en 1956.

Fuente: Revista Eslavia

mercredi, 31 décembre 2014

Study of Sombart – Varsanyi

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Study of Sombart – Varsanyi

A Study of Werner Sombart’s Writings by Nicholas A. Varsanyi (PDF – 8.4 MB):

A Study of Werner Sombart’s Writings

Varsanyi, Nicholas A. A Study of Werner Sombart’s Writings. Ph.D. Thesis, Montreal, McGill University, 1963. File originally retrieved from: <http://digitool.library.mcgill.ca/R/?func=dbin-jump-full&object_id=115298&local_base=GEN01-MCG02 >.

 

Ex: http://neweuropeanconservative.wordpress.com

mardi, 30 décembre 2014

Fabrice Hadjadj, que fue ateo y nihilista, defiende la familia

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Publica sus tesis «ultrasexistas» en «¿Qué es una familia?».

Fabrice Hadjadj, que fue ateo y nihilista, defiende la familia cristiana por «salvaje y anárquica»

Ex: http://culturatransversal.wordpress.com

por Rodolfo Casadei

Fabrice Hadjadj, que fue ateo y nihilista, defiende la familia cristiana por ser “salvaje, anárquica y prehistórica”. De familia judía de izquierda radical, él era ateo y nihilista… hasta que empezó a leer la Biblia para burlarse de ella… y encontró una gran sabiduría.

Hoy Fabrice Hadjadj expone sus tesis que llama “ultrasexistas” sobre la unión entre hombre y mujer, el sentido divino del nacimiento, el ser padres, madres e hijos, como en esta entrevista en Tempi.it.

El segundo tiempo del Sínodo extraordinario sobre la familia se jugará entre el 4 y el 25 de octubre del año que viene, cuando el argumento será retomado por el Sínodo ordinario con el título “La vocación y la misión de la familia en la Iglesia y en el mundo contemporáneo”.

Y visto como ha ido la primera parte del partido, será mejor entrenarse aún más y prepararse para que cada uno dé la propia contribución al juego de equipo.

Muy útil a este propósito puede revelarse la lectura seria de Qu’est-ce qu’une famille? (¿Qué es una familia?, ndt), el último libro escrito por Fabrice Hadjadj, pensador católico francés y director de la Fundación Anthropos en Lausanne (Suiza).

Autor siempre genial, sorprendente y provocador, como se deduce también esta vez por el subtítulo, que suena así: Suivi de la Transcendance en culottes et autres propos ultra-sexistes, es decir “resultado de la Trascendencia en las bragas y otras propuestas ultrasexistas”.

Para Hadjadj la familia es, a nivel humano, lo que a nivel cósmico es el agua para Tales de Mileto o el aire para Anaximandro: el principio anterior a todo el resto, el fundamento que no puede ser explicado precisamente porque es un fundamento.

Sólo se puede tomar constancia de él, comprobando que lo que le da forma es la diferencia sexual que se manifiesta como atracción entre el hombre y la mujer.

La familia es, ante todo, naturaleza, pero siempre ordenada y bajo la responsabilidad de la cultura.

Porque el nacer, propio de cada forma natural, en los humanos está siempre rodeado de un “hacer nacer”. Y del hacer nacer de la matrona a la mayéutica de Sócrates (no es casualidad que fuera hijo de una matrona), que ayuda a hacer nacer la verdad que está dentro de cada hombre, el paso es breve y necesario.

En el libro, del que se espera en breve una traducción en italiano, Hadjadj individua principalmente tres enemigos de la familia en las sociedades occidentales: las últimas tecnologías electrónicas, la transformación de la procreación en producción ingenieril de seres humanos y las derivas falocéntricas (justamente así) de la mayor parte de los feminismos de hoy.

Tempi lo ha entrevistado sobre estos temas (aquí en italiano).

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Rodolfo Casadei – Su libro ha salido en la vigilia del Sínodo de los obispos sobre la familia. ¿Le parece que los trabajos y el documento final del Sínodo reflejan algunas de sus preocupaciones?

Fabrice Hadjadj – El problema de un Sínodo es que tiene que hablar para la Iglesia universal, mientras las situaciones que la familia vive pueden ser muy distintas de un país al otro, incluso radicalmente opuestas.

En lo que a mí concierne, se trata de pensar lo que sucede a la familia en las sociedades post-industriales marcadas por la economía liberal. La Relatio Synodi, en su diagnóstico, se queda satisfecha con evocar una vez más el «individualismo» y el «hedonismo», mientras que los debates se han cristalizado alrededor de la cuestión de los «divorciados vueltos a casar» o sobre la bendición a las personas homosexuales.

De este modo me parece que falta totalmente lo que es, de manera absoluta, propio de nuestra época; es decir, la revolución antropológica que se está llevando a cabo con la transición de la familia a la empresa y del nacimiento a la fabricación – o si se prefiere, de la concepción oscura en el vientre de una madre a la concepción transparente en el espíritu del ingeniero…

La familia ha sido atacada en el plano ideológico desde los inicios del cristianismo. Por ejemplo, por los gnósticos. Pero hoy el ataque es más radical: éste no proviene tanto de la ideología como del dispositivo tecnológico. Ya no es una cuestión de teoría, sino de práctica, de medios eficaces para producir, fuera de las relaciones sexuales, individuos más adecuados, con mejores prestaciones.

RC - Usted opone la mesa de madera, alrededor de la que se reúne la familia, con la tableta electrónica, que separa y aísla a los miembros y su conclusión es que la tecnología ha colapsado la familia y estamos asistiendo a su «destrucción tecnológica». ¿Estamos ante el enemigo más grande de la familia?

FH - ¿Cuál es el lugar dónde se teje el tejido familiar? ¿Cuál es el lugar dónde las generaciones se encuentran, conversan, a veces pelean y, sin embargo, a través del acto muy primitivo de comer juntas, siguen compartiendo y estando en comunión? Tradicionalmente este lugar es la mesa. Sin embargo, hoy es cada vez más frecuente que cada uno de nosotros coma delante de la puerta de la nevera para poder volver lo más rápidamente posible a la propia pantalla individual.

Ya no se trata ni siquiera de individualismo, sino de «dividualismo», porque en esa pantalla uno abre más de una ventana y se divide, se fragmenta, se dispersa, pierde su rostro para convertirse en una multitud de «perfiles», pierde su filiación para tener un «prefijo».

La mesa implica reunirse dentro de una transmisión genealógica y carnal. La tableta implica la disgregación dentro de una diversión tecnológica y desencarnada. Por otra parte, la innovación tecnológica permite que lo que es más reciente sea mejor de lo que es más antiguo y, por lo tanto, destruye el carácter venerable de lo que es antiguo y de la experiencia.

Si la mesa desaparece es también porque el adolescente se convierte en el cabeza de familia: es él quien sabe manejar mejor los últimos artilugios electrónicos y ni el abuelo ni el padre tienen nada que enseñarle.

RC - Usted escribe, de una manera muy provocadora, que si de verdad pensamos que todo lo que necesitan nuestros hijos es amor y educación, entonces no sólo una pareja de personas del mismo sexo puede cubrir esta necesidad, también lo puede hacer un orfanato de calidad. Si lo esencial es el amor y la educación, no está dicho que una familia sea necesariamente el lugar mejor para un niño. Entonces, ¿por qué la familia padre-madre merece ser privilegiada?

fab9782706711169FS.gifFH – Es la cuestión planteada en Un Mundo Feliz de Aldous Huxley: si tenéis un hijo por la vía sexual es sencillamente porque os habéis ido a la cama con una mujer. Esto no ofrece garantías sobre vuestras cualidades reproductivas ni sobre vuestras competencias como educadores. He aquí por qué sería mejor, para el bienestar del nuevo ser creado, ser puesto a punto dentro de una incubadora y educado por especialistas. Esta argumentación es muy fuerte.

Mientras los cristianos sigan definiendo la familia como el lugar de la educación y del amor, ellos no la contradirán, sino que más bien darán armas a sus adversarios para que puedan concluir que dos hombres capaces de afecto y especializados en pedagogía son mucho más adecuados que un padre y una madre. Pero el problema es que sigue siendo el primado de lo tecnológico sobre lo genealógico lo que preside esta idea y nos empuja a sustituir a la madre con la matriz y al padre con el experto.

Detrás de todo esto está el error de buscar el bien del niño y de no considerar ya su ser. Ahora bien, el ser del niño es ser el hijo o la hija de un hombre y de una mujer, a través de la unión sexual. A través de esta unión, el niño llega como una sobreabundancia de amor: no es el producto de un fantasma ni el resultado de un proyecto, sino una persona que surge, singular, inalcanzable, que supera nuestros planes.

En lo que respecta al padre, del simple hecho que ha transmitido la vida recibe una autoridad sin competencia y esto es mucho mejor que cualquier competencia profesional. Porque el padre está allí, sobre todo, para manifestar al niño el hecho de que existir es bueno, mientras que los expertos sin competencia están allí para mostrar que lo bueno es llegar, tener éxito. Y además, su autoridad sin competencia lo empuja a reconocer delante del niño que él no es el Padre absoluto y, por lo tanto, a dirigirse junto a su hijo hacia ese Padre del cual cada paternidad toma su nombre.

RC - Usted cita como la otra causa de la destrucción de la familia el rechazo del nacimiento como nacimiento, es decir, como algo natural e imprevisto. Quien es favorable a la tecnologización del nacimiento dice que es necesario vigilar para que las biotecnologías se utilicen de una manera ventajosa para el niño que debe nacer, pero que a pesar de todo estas técnicas son buenas. ¿Qué les respondería?

FH – Si las biotecnologías se utilizan para acompañar o restaurar una fertilidad natural, soy favorable a las mismas: es el sentido mismo de la medicina. Pero si consisten en hacernos entrar en una producción artificial ya no se trata de medicina, sino de ingeniería. Lo que sucede entonces es que el niño se convierte en un derecho que es reivindicado, dejando de ser un don del cual uno se siente indigno. A partir de esto, ustedes pueden imaginar las influencias que sufrirá.

Pero lo más grave está en otro hecho, en lo que yo llamaría la confusión entre novedad e innovación. Si el nuevo nacido renueva el mundo, es porque él de alguna manera nace prehistórico: no hay diferencias fundamentales entre el bebé italiano de hoy y el del hombre de las cavernas. Sigue siendo un pequeño primitivo, un pequeño salvaje que desembarca en la familia y que trae consigo un inicio absoluto, la promesa renovada de la aurora.

Si en un futuro medimos el nacimiento con el metro de la innovación, si se fabrican principalmente bebés trashumanos, estos serán ancianos antes de nacer porque volverán a proponer la lógica del progreso y, por consiguiente, también de la fatal obsolescencia de los objetos técnicos. Corresponderán a los objetivos de quien los encarga, a las expectativas de su sociedad.

Nos encontramos frente a una inversión de las fórmulas del Credo: se quiere un ser que haya «nacido del siglo antes que todos los padres, creado y no engendrado».

RC - Usted escribe: «Gracias a la tecnología la dominación fálica está asegurada principalmente por mujeres histéricas producto de hombres castrados». ¿Qué quiere decir?

FH – Lo propio de lo femenino, en la maternidad, es acoger dentro de sí un proceso oscuro, el de la vida que se dona por sí misma. Crear úteros artificiales puede parecer una emancipación de la mujer, pero en realidad es una confiscación de los poderes que le son más propios.

Por una parte se consigue que la mujer, al no ser ya madre, se convierta en una empleada o una ama (como si fuera una liberación); por la otra, que el proceso oscuro se convierta en un procedimiento técnico transparente, el de un trabajo externo y controlado, que es a lo que se limita la operación del hombre, que no tiene un útero y fabrica con sus propias manos.

He aquí que nos encontramos frente a la paradoja de la mayor parte de los feminismos: no son más que un machismo de la mujer, una reivindicación de la igualdad pero sobre la escala de valores masculinos, un querer una promoción en pleno acuerdo con la visión fálica del mundo.

Porque la fecundación y la gestación in vitro son cuanto más próximo hay a un dominio fálico de la fecundidad: no necesitar de lo femenino y hacer entrar la procreación en el juego de la fabricación, de la transparencia y de la competición.

Ya he hablado de una inversión del Credo; en este caso podría hablar de una Contra-Anunciación. En la Anunciación evangélica, María acepta un embarazo que la supera dos veces, desde el punto de vista natural y desde el punto de vista sobrenatural. En la Contra-Anunciación tecnológica, la mujer rechaza cualquier embarazo y exige que la procreación sea una planificación integral, que ya no la supere, sino que se introduzca en su proyecto de carrera.

RC – Usted está de acuerdo con Chesterton en que la familia es la «institución anárquica por excelencia». ¿Qué significa? Actualmente, la familia sigue estando acusada de autoritarismo o de residuo de la época del poder patriarcal.

FH – La familia es una institución anárquica en el sentido que es anterior al Estado, al derecho y al mercado. Depende de la naturaleza antes de ser ordenada por la cultura, porque naturalmente el hombre nace de la unión de un hombre y de una mujer. En pocas palabras, tiene su fundamento en nuestra ropa interior. Es algo animal – el macho y la hembra – y al mismo tiempo nosotros creemos que esta animalidad es muy espiritual, de una espiritualidad divina, escrita en la carne: «Dios creó al hombre a su imagen, varón y mujer los creó».

Hay algo que es donado, y no construido. Tanto que también el patriarca, como se ve en la Biblia, está siempre sorprendido y asimismo exasperado por sus hijos. Piensen en la historia de Jacob. Piensen en José, el padre de Jesús. No se puede decir, ciertamente, que tienen la situación bajo control.

La autoridad del padre se transforma en autoritarismo cuando finge tener todo bajo control y ser perfectamente competente. Pero como he dicho antes, su verdadera y más profunda autoridad está en el reconocer que no está a la altura y que está obligado a dirigirse al Padre eterno.

(Traducción de Helena Faccia Serrano, Alcalá de Henares)

Fuente: Religión Digital