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dimanche, 28 mars 2021

Au-delà du conservatisme, une nouvelle figure de l'homme (Ernst Jünger)

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Au-delà du conservatisme, une nouvelle figure de l'homme (Ernst Jünger)

Dans cette vidéo, nous verrons comment Ernst Jünger propose de dépasser le conservatisme politique classique en traçant la figure de l’homme de l’avenir, unissant l’esprit héroïque et la domination technique. Son chef-d’œuvre politique, « le Travailleur », montre sa volonté de poser les bases d’un nouvel état d’esprit, révolutionnaire et actif, seul capable de dépasser le nihilisme passif de son époque.
 
 
Pour se procurer le livre de Julius Evola « La Figure du Travailleur chez Ernst Jünger »: https://nouvelle-librairie.com/boutiq...
 
41u6SIcCe9L._SX325_BO1,204,203,200_.jpgPour se procurer les livres de Robert Steuckers sur la Révolution Conservatrice : http://www.ladiffusiondulore.fr/552-l...
 

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Musiques utilisées dans la vidéo :
- Anton Bruckner, Symphonie n°7, III - sherzo (Karajan)
- Friedrich II "Der Grosse" - Symphony No.1: II (German Symphony)
- Anton Bruckner, Symphonie N°4 - I - Celibidache. Bewegt, nicht zu schnell
- Anton Bruckner, Symphonie N°3, III - Scherzo. Ziemlich schnell

Égalité - Inégalité. Les deux concepts-clés de l'univers politique

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Égalité - Inégalité. Les deux concepts-clés de l'univers politique

Le Soleil noir Du nihilisme marxiste à la musique sans nom

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Le Soleil noir

Du nihilisme marxiste à la musique sans nom

par Francis P. Ubertelli, D.M.A.

Dans les rues ronronnaient sans cesse des voitures en tout genre, des vélos qui filaient comme des gazelles, quelquefois des autobus perdus entre une avenue bloquée et une autre, défrichant à la dernière minute des contrées étriquées pleines d’une gente affairée, des tramways qui sillonnaient d’archaïsmes des chaussées trop étroites envahies d’un labyrinthe de piétons costumés de corps de doctrines et d’utopies, le chantier frénétique d’un essaim d’abeilles. Partout la ville, le tintamarre des avertisseurs et des trompes qui n’avertissent plus, la jungle des pneus, des rails, le rodage aigu des freins, le battement des bottillons et des écrase-merde.

Mais ce matin-là, c’était en mai 2011, tout était calme, il y avait le vrai silence, aucune fausse frayeur, aucun mouvement, aucune foule, personne. Le printemps s’épuisait, l’école, la sociologie du préfabriqué, allait bientôt dormir les vacances. C’était samedi matin et tout le monde dormait, sauf le petit Tony, le Calabrais qui préparait mon café allongé. J’étais à la table de la fenêtre, émerveillé des rues désertes bordées de voitures-synonymes.

Le café était une culture, une histoire de goût, une vision du monde. Ayant commencé sa vie en Éthiopie puis au Caffè Florian, c’est à mon palais qu’elle allait la consommer ce matin-là. Le silence des rues était le sujet d’une perpétuelle méditation que mes lèvres de citadin maintenant torréfiées voulaient absolument raconter.

Au coin, de l’autre côté de la rue somnolente, une grande figure apparut soudain. Le soleil naissant me laissait l’éplucher du regard. Râblé, l’homme semblait athlétique et plutôt jeune. Il avançait lentement, un pas bourru suivait l’autre avec maladresse, comme s’il retenait une féroce envie de faire ses besoins. Par étapes, à pas comptés, on devinait des cicatrices ou des brûlures au visage et le long des bras. Mais quelques pas de plus et des tatouages monstrueux ressortaient plutôt de la netteté grandissante de l’image, un marquage polychrome immanquable dont il s’était cousu les bras et le visage, des images de mort et d’obscénité qui inspiraient une certaine crainte, du moins une méfiance inconfortable. Il avait le physique imposant, une taille assez corpulente pour soutenir une frappe, l’air menaçant, la lourde démarche révoltée prête à attaquer n’importe qui sur son passage. Il était la loi dans la solitude du trottoir ce matin-là, sa propre beauté, son juge ad hoc et la terreur des autres — il n’y avait personne. Aurait-on pu définir son apparence, elle n’inspirait nullement confiance, surtout avec les anneaux noirs qui perçaient ses oreilles, son nez et sa lèvre inférieure. Fallait-il définir l’apparence de quelqu’un selon le bonheur qu’elle procure ? Ce serait aller au-delà des mots. Mais si la beauté existait en fonction du bonheur qu’elle suscite, on ouvrirait la porte à un universel esthétique.

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Il s’arrêta brusquement au feu. Pourquoi ? Intrigués, mes sourcils questionnèrent le geste. En y regardant de près, il y avait une main rouge qu’illuminait un panneau électrique et qui lui interdisait de traverser. Mais la rue était déserte. Soumission apparemment habituelle aussi étrange qu’inattendue. Il attendait. Voyait-il que les fruits de sa rébellion, tous ces tatouages insensés et cet air menaçant, n’étaient qu’une illusion à l’égard de lui-même ? Pourquoi se prêter à une telle obéissance civique ? Où donc était sa personne, sa véritable individualité, la figure de sa volonté et de son esprit (il n’y avait personne, les rues étaient désertes) ? Pourquoi cette obéissance servile ? Puis un signal vert apparut et il reprit aussitôt son théâtre révolté dans une ronde de pas tout aussi farouche et téméraire. Il ne s’était pas arrêté, on l’y avait conditionné, il n’en avait déjà plus aucun souvenir. La dichotomie entre l’apparence et la vérité touchait les nues.

Quel spectacle étonnant ! Je ne pouvais croire la scène dont je venais d’être témoin, sans nullement chercher pour autant à me hisser au-dessus de quiconque. Je demeurais ni plus ni moins pétrifié, imprégné d’un étrange malaise devant une conduite aussi lamentable, disons-le, par le comportement d’un homme sans doute vaincu, d’un personnage anéanti, un personnage que la propagande du préfabriqué avait brisé, un personnage incapable de penser. J’étais violemment interpellé, comme si on eut cherché par tous les moyens à me faire rire sur quelque chose qui n’avait absolument rien de réjouissant ; la colère diabolique des partisans d’une fausse gaieté qui s’abattrait sur moi à la vue de ma perplexité était pénible à imaginer. Les gens ont cette capacité de croire en n’importe quoi. Ce marcheur solitaire avait conduit mes pensées vers le monde grandiloquent de la médiocrité, une fausse lumière, un « Soleil noir ». Son imaginaire avait été peuplé des gardes du corps de l’obéissance aveugle où toute rébellion est interprétée comme une menace, un crime de la pensée, une opinion psychiatrisée expressément comme une maladie mentale. Comment en est-on arrivé là, à cette abrogation de la force d’âme, pour se conformer, zombifié, à un panneau de signalisation de l’autorité publique dans un tel contexte ? Avait-on anéanti l’humanité ce matin-là ?

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Le Son, le Silence et le demi-ton

Avec 4’33’’, œuvre en six pages pour « tout instrument ou toute forme d’instrumentation possible », l’expérimentateur John Cage avait détruit la musique d’expression traditionnelle, c’est-à-dire la musique écrite du « répertoire historique de l’Occident » (œuvres intentionnelles, de Pérotin, disons-nous, en passant par Beethoven, jusqu’à Strauss et feu Boulez), nourriture de tous les Conservatoires. En août 1952, un peu plus de dix ans après les massacres d’Auschwitz, point de repère morbide mais nécessaire, on disposa les pages de la partition sur le couvercle d’un piano, le pianiste le referma puis reposa ses mains. Chronomètre en main, il comptait les minutes réparties en trois mouvements sans rien jouer. Il rouvrit le couvercle à deux autres reprises durant les quatre minutes trente-trois secondes de « l’œuvre », un happening dirions-nous, alors que le public commençait à quitter la salle, « grommelant une exaspération de moins en moins silencieuse ».[1] Plus tard, Cage notera : « car [le silence] se dressait seul entre nous et l’expérience ».[2] Il avait questionné l’acte d’écrire, une lente psychanalyse de la conscience, puis l’ensevelit d’un coup, « fracassant l’atome musical ».[3] C’était la liberté dans l’acte d’écrire, de composer de la musique, la communication, ce qui caractérise l’être humain, qui avait été attaquée, comme celle du marcheur solitaire par la sociologie du préfabriqué. 4’33’’ fut l’abrogation de la force d’âme pour la conformité au vide où on ne peut plus rien dire, la fausse gaieté du « néant ». Qu’avait dit le marcheur autre que cela ? Avait-on anéanti la musique ce jour-là ?

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Arnold Schoenberg.

En 1908, à travers ses propres revers personnels, le compositeur Arnold Schoenberg avait cherché sans le vouloir à redéfinir le bonheur à travers un marxisme musical sans le nommer en vidant la cadence classique de sa substance grâce à la similitude du demi-ton et de la parfaite égalité des nouvelles forces en présence. La musique tonale n’avait plus le droit de citer, c’est-à-dire que, des formidables balbutiements harmoniques de l’École de Notre-Dame au XIIIe siècle jusqu’aux cris de douleurs d’un Strauss devant Berlin en ruines à l’été 1945, on était soudain passé de pratiques courantes à « répertoire du passé ». Pour communiquer quelque chose d’important, on ne pouvait plus écrire de la musique tonale sans essuyer la moquerie d’une nouvelle caste de compositeurs sérieux issus et promus par une fausse idéologie tirée de la doctrine Truman et du Plan Marshall.[4] Comme Cage, ne faut-il plus écrire, sinon des intentions, pour être entendu ?

En réponse à l’héritage russe de l’époque, vue comme une agression culturelle, le Bureau of Educational and Cultural Affairs (BECA) avait implanté une philosophie politique et inductive ad hominem destinée à contrer l’influence de la Russie soviétique en Europe et en Amérique, car Lasky voyait la substance de la Guerre froide naissante justement comme « étant d’essence culturelle ».[5] Il s’agissait d’une campagne anti-communiste basée sur les notions éthérées de paix et de liberté où la libre divergence d’opinion définissait le principe de tolérance selon la loi d’Habeas corpus.[6] La directive NSC-68 (NSC-20/4) de la Sécurité nationale, déclassifiée par Kissinger en 1975, devint un des documents de référence de la Guerre froide et stipulait, outre le refus du contrôle de l’énergie nucléaire d’un côté et de l’autre, la supériorité de l’idée de liberté par le truchement de son application pratique à travers la guerre psychologique.[7] Il fallait persuader les intellectuels occidentaux de se dissocier des fronts communistes par le développement d’arguments allant dans la ligne de mire de l’Oncle Sam et destinés à des groupes de pression sous faux drapeaux non-gouvernementaux.

41RW03xGjOL._SX298_BO1,204,203,200_.jpgD’ailleurs, les particularités de l’aile culturelle et du portefeuille de fonds de recherche de la Central Intelligence Agency (CIA) avaient profondément influencé les tenants et les aboutissants des idées qui avaient été mises de l’avant à l’époque par de si nombreux compositeurs sélectionnés — ceux de l’école de Darmstadt, entre autres — et révélait une certaine ignorance de la réalité communiste de l’autre côté de l’Atlantique : « Je ne pouvais accepter l’attitude philosophico-communiste de si nombreux intellectuels américains et européens de l’Ouest », se plaignait Nabokov. « Ils étaient étrangement ignorants des réalités du communisme russe et ne réagissaient qu’aux tendances fascistes qui balayaient l’Europe à la veille de la grande dépression ».[8] C’était la dégénérescence américaine, décadence qu’avait déjà observée Faulkner,[9] une dégénérescence déterminée par une certaine complaisance à saveur impérialiste alors que le « monde civilisé » de l’après-guerre était en ruines.

En réalité, Nabokov, la CIA et le BECA n’ont ni vu ni compris que les expériences de musique atonale et le radicalisme de Darmstadt qu’ils promouvaient sans le savoir n’étaient qu’un matérialisme dialectique dans la représentation théorique du marxisme à l’échelle technique, une musique purgée de toute croyance religieuse ou d’énoncé métaphysique, une musique dirigiste aux techniques d’écriture a-musicales parfaitement opposée aux objectifs américains de l’époque. C’est précisément dans la promotion du demi-ton, mais non au sein de la mélodie d’essence tonale et historiquement informée, que les idées communistes si vaillamment combattues à l’échelle militaire et politique s’y retrouvaient concentrées avec toute la force des arguments mécanistes, entre autres élaborés à Darmstadt, suite aux idées originelles de Schoenberg quarante ans plus tôt. La volonté nationaliste d’améliorer puis d’ennoblir l’idée d’une culture yankee privée d’histoire allait consolider une vision communiste de la musique[10] dans les institutions américaines et européennes.

La liberté et la captivité

Le communisme comprend la société humaine à travers une forme matérielle en évolution et promeut l’uniformité entre l’esprit et la matière ; le transhumanisme semble être maintenant son plus cher désir, d’où la redéfinition de la liberté au sein d’un nouvel homme, notre marcheur solitaire, et d’une nouvelle musique, la fausse gaieté d’un néant atonal grâce à la similitude du demi-ton. Cette musique est soit une perpétuelle angoisse, soit de la non-information grâce à la liquéfaction des conventions anthropologiques.[11]

Le communisme embrasse la musique issue de la tradition occidentale dans la similitude du demi-ton et non dans la mélodie mahlérienne ou ravélienne, une musique où toutes les forces naturelles de l’harmonie classique cessent d’exister dans une chasse aux systèmes hiérarchiques générés par les propositions dodécaphoniques de Schoenberg dès 1908.[12] Pour Schoenberg, les douze demi-tons de l’échelle chromatique tempérée (les demi-tons au sein de la gamme) deviendront un même équivalent sans aucune différence entre eux, sans aucune appartenance à quelque accord privé que ce soit, sans prévalence fonctionnelle harmonique. Quel est le bonheur que procure l’écoute d’un Boulez ou d’un Cage, l’un adorateur, l’autre élève de Schoenberg, à l’exception peut-être d’une fascination morbide pour le paramètre en tant que nouvelle idée mélodique ?

Le communisme amène le ghetto social de la Covid où les forces humaines sont isolées à l’image des demi-tons schönbergiens dans un silence cagéien celui-là, où le public est tenu de cesser d’exister et doit avoir peur. Il faut absolument que le public ait peur, cette peur qui engendre toute l’armée des marcheurs solitaires. La Fontaine avançait déjà cet étrange propos il y 343 ans : « On apprend la tempérance aux chiens, [mais] et l’on ne peut l’apprendre aux hommes ».[13] Du reste, un des points de détail les plus effrayants de ce machiavélisme pathogène actuel n’est-il pas l’octroi d’un pouvoir de décision à des forces de police parfaitement candides et antipathiques capables des pires agressions dans un obscurantisme surnaturel ?

L’Occident masqué est devenu le silence de Cage. Que se passe-t-il ?

La Caponiera, Février 2021

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Francis P. Ubertelli est compositeur, professeur et écrivain.

Il a étudié à Québec, Rome et Toronto.

La foi et la raison se serrent la main.

 « Le Soleil noir, du nihilisme marxiste à la musique sans nom » copyright © 2021

par Francis Patrick Ubertelli, tous droits réservés.

https://ubertelli.com

[1] John Cage, 4’33’’, John Cage centennial edition (Leipzig: Edition Peters № EP6777c, 1986), page titre.

[2] Robert Charles Clark, “Total Control and Chance in Musics: A Philosophical Analysis.” The Journal of Aesthetics and Art Criticism, Vol. 28, № 3 (1970): 355.

[3] David Schiff, “Unreconstructed Modernist,” The Atlantic (septembre 1995): 104.

[4] Doctrine définie de façon surprenante lors du 296e Harvard Commencement le 5 juin 1947 et moment critique pour le destin de l’Europe de l’après-guerre — Foreign Relations of the United States, Vol. 3, United States Government Printing Office, Washington, 1947 in Colleen Walsh, Birth of a peaceful Europe. Reproduit en partie dans le Harvard Gazette, 22 mai 2017. En France, René Leibowitz n’acceptait que la musique la plus radicale possible, i.e., celle qui rompait totalement avec le passé, alors que les cours d’été de l’académie de musique de Darmstadt, initiative du gouvernement militaire américain, étaient farcis de querelles et d’hostilité — National Archives and Records Administration, Records Relating to Monuments, Museums, Libraires, Archives, and Fine Arts of the Cultural Affairs Branch, OMGUS, 1946-49, M1921, Ardelia Hall Collection, dossier 62D-4, entrée 3104A.

[5] Giles Scott-Smith, A Radical Democratic Political Offensive: Melvin J. Lasky, Der Monat, and the Congress for Cultural Freedom. Journal of Contemporary History, Vol. 35 № 2 (2000): 263. La directive NSC-4 du Conseil de sécurité nationale de Truman contenait une annexe classée « top-secret » sur les opérations psychologiques secrètes en vue de la mise sur pied d’une politique américaine anti-communiste.

[6] Dans le droit anglais, l’Habeas corpus fut votée pour la première fois au XVIIe siècle par le Parlement anglais, garantissant la liberté individuelle et soustrayant l’individu à l’arbitraire de la détention par justification judiciaire.

[7] Déclassifié le 27 février 1975: A Report to the National Security Council – NSC 68. Truman Library Institute, National Archives.

[8] Nicolas Nabokov, Bagázh : Memoirs of a Russian Cosmopolitan. New York, Atheneum (1975): 233.

[9] William Faulkner, The Sound and the Fury. Cape & Smith, 1929 (Penguin Random House).

[10] Francis P. Ubertelli, La musique de la Bête. Strategika.fr, avril 2020 – en ligne sur https://strategika.fr/2020/06/03/la- musique-de-la-bete-deconstruction-artistique-a-travers-une-certaine-histoire.

[11] Lors du XIVe gala annuel des MTV Video Music Awards, en 1997, Marilyn Manson proclamait que « … nous ne serons plus opprimés par le fascisme de la chrétienté ni par le fascisme de la beauté » — Radio City Hall, New York, le 4 septembre. La véritable question qui saute alors à l’esprit est celle-ci : Y a-t-il une beauté autre que la beauté chrétienne qui soit possible sans avoir à sacrifier les conventions anthropologiques à l’origine de l’Occident ?

[12] Traité d’harmonie. Traduit et présenté par G. Gubisch. Paris, éditions Lattès, 1983.

[13] Jean de La Fontaine (1678), Le Chien qui porte à son cou le dîné de son Maître. Livre VIII. Les Fables de La Fontaine, Classiques France, Librairie Hachette (1940): 66.

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Comment la Russie est présentée comme un cyber-agresseur

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Comment la Russie est présentée comme un cyber-agresseur

Source Oriental Review

Les médias occidentaux ont longtemps fait les gros titres sur l’ingérence sans fin de la Russie en tout et partout, les politiciens et les experts de tous niveaux disant régulièrement la même chose. Autrefois peu critique, son public est aujourd’hui fermement convaincu que les « pirates informatiques russes » et les « trolls russes » constituent la plus grande menace pour la société occidentale et qu’ils cherchent constamment à saper « les fondements de la démocratie ». Heureusement, cependant, les « bons » aux États-Unis et au sein de l’OTAN – qui travaillent sans relâche pour protéger les peuples de l’Ouest, sans oublier de leur soutirer des opportunités supplémentaires et des fonds pour eux-mêmes – parviennent toujours à déjouer les attaques de ces « mauvais Russes ».

Comment se fait-il que ces mêmes médias, politiciens et experts occidentaux parlent ouvertement de la création de nouvelles unités de cyber-commandement, d’énormes centres de traitement des données, de programmes spéciaux de surveillance et d’échange d’informations entre les agences de renseignement, du développement de cyber-armes très efficaces, etc. en Europe et en Amérique, mais que ce soit la Russie que l’on qualifie volontiers de « cyber-agresseur » ? Comment se fait-il que la soi-disant « Big Tech » – qui se compose exclusivement de sociétés informatiques américaines (Google, Facebook, Twitter, Amazon, Apple, etc.) qui ont empêtré presque tout l’Internet dans leurs services et leurs médias sociaux – puisse recueillir des données personnelles et cibler les utilisateurs à des fins commerciales et politiques, notamment en recourant à la censure et à une répression ouverte de tout ce qui est répréhensible, mais que les accusations d’ingérence ne soient portées que contre la Russie ?

Voyons voir.

Il ne fait aucun doute que nous sommes face à une bataille dans le cyberespace, et une information peut en contredire une autre selon son objectif. Par conséquent, tout jugement doit être fondé uniquement sur des faits et non sur leur interprétation. Alors, quels sont ces faits ?

Toutes les accusations de cyberattaques contre la Russie se résument généralement à des déclarations audacieuses et non fondées et aux discussions approfondies qui en découlent. Les rapports sont remplis de descriptions sur ce que les présumés malfaiteurs faisaient, mais, curieusement, on ne dit pas grand-chose sur leurs objectifs, et ce qui est dit est extrêmement vague. Des preuves convaincantes ne sont jamais produites. Les responsables américains et leurs alliés expliquent ce manque de preuves par le fait qu’elles sont hautement confidentielles et qu’ils protègent les sources de leurs services de renseignement.

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Chacun comprend que le travail effectué par les agences de renseignement est extrêmement secret. Cependant, le fait est que ce ne sont pas les méthodes de travail des agences de renseignement ou leurs sources qui sont cachées aux lecteurs intéressés, mais les buts réels de ces prétendues cyberattaques et les dommages causés.

Essentiellement, ce sont les théories du complot dignes d’un film de science-fiction hollywoodien qui prévalent. Pour que l’intrigue semble plus convaincante, elle est en outre tapissée de personnes et de circonstances qui, selon la confiance des « réalisateurs », orienteront leur public vers l’implication russe. Il s’agit notamment de nombreuses références au président russe, qui aurait donné l’ordre ; de descriptions détaillées des agences de renseignement russes menant des activités secrètes dans l’intérêt de leur État ; et d’histoires concernant des messages en cyrillique sur Internet qui n’auraient pu être écrits que par des Russes.

Il est parfaitement clair que la forme l’emporte sur le contenu.

À maintes reprises, ces ingrédients sont soigneusement mélangés dans le cyberespace avec l’aide de ces mêmes politiciens, experts et médias, de sorte que le spectateur, l’auditeur ou le lecteur non averti commence rapidement à percevoir ce qui se passe comme si réel que la nécessité de toute confirmation supplémentaire devient sans objet. Après tout, si toutes les sources disent la même chose, comment peuvent-elles se tromper ? Le fait qu’elles se citent toutes les unes les autres échappe à toute remarque.

L’expérience montre qu’une fois que des « histoires à sensation » informatives comme celles-ci sont diffusées, elles prennent une vie propre. Même une réfutation complète des faits sur lesquels l’histoire est basée n’aura que peu ou pas d’effet sur sa diffusion continue dans le cyberespace. L’échec de l’enquête du procureur spécial Robert Mueller sur l’ingérence présumée de la Russie dans l’élection présidentielle américaine de 2016 n’a rien changé à la rhétorique trop familière sur la cyber-agression russe.

Mais pourquoi l’idée de la Russie en tant que cyber-agresseur est-elle poussée avec autant de force ?

Le fait que les États-Unis soient un leader mondial dans le domaine des technologies de l’information et des télécommunications n’est jamais évoqué. Ces dernières années, cependant, Washington a cherché de plus en plus à développer et à utiliser ces technologies à des fins militaires, pour militariser activement le cyberespace.

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En 2010, les États-Unis ont développé le virus Stuxnet et l’ont utilisé contre l’Iran. L’attaque était une sorte de « cyber-Hiroshima » et a servi d’avertissement à l’ensemble de la communauté mondiale, car de telles actions agressives auraient pu avoir des conséquences irréparables non seulement pour l’Iran, mais pour toute la région dans son ensemble. Ainsi, l’Amérique a été en fait le tout premier pays à utiliser une cyber-arme contre un État.

L’année précédente, en 2009, le Cyber Command avait été créé sous la direction du Pentagone. Ce nouveau commandement militaire combine des pouvoirs défensifs et offensifs qui sont exercés sur la base d’informations reçues de la principale agence de renseignement – l’Agence de sécurité nationale (NSA).

En août 2017, le Cyber Command est devenu une structure indépendante sur ordre du président américain et a été élevé au rang de commandement unifié. Ainsi, la nouvelle unité de commandement a été mise sur un pied d’égalité avec neuf autres commandements de combat américains. Le Cyber Command a été doté de 130 unités et de plus de 6 000 employés, dont des cyber-opérateurs qualifiés capables de participer à des opérations tant défensives qu’offensives.

Le chef de la NSA et du Cyber Command américain, le lieutenant général Paul Nakasone, estime que Washington doit adopter une approche plus agressive à l’égard de ses adversaires dans le cyberespace. C’est pourquoi le Cyber Commandement américain a élaboré une nouvelle feuille de route en mars 2018 intitulée « Atteindre et maintenir la supériorité dans le cyberespace ». Selon cette nouvelle stratégie, l’armée américaine devrait effectuer des raids sur les réseaux étrangers sur une base quasi quotidienne et désactiver les serveurs suspects avant qu’ils ne tentent de lancer des logiciels malveillants.

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Toutefois, comme le rapporte le New York Times, certains responsables américains craignent que l’action des États-Unis dans les réseaux étrangers n’entraîne des représailles sur les banques, les marchés financiers ou les réseaux de communication américains. Les auteurs de la cyber-stratégie n’excluent pas non plus certains risques diplomatiques, puisque le Cyber Command estime que les principaux opposants de l’Amérique ne sont pas tant des acteurs non étatiques comme les terroristes, les criminels et les militants, mais des pays comme la Chine, la Russie, l’Iran, etc.

Comme on peut le voir, les États-Unis développent leurs cyber-capacités pour mener des cyber-offensives agressives, allant jusqu’à des cyber-attaques préventives visant les structures d’information d’États souverains.

Outre le développement de cyberstructures, les États-Unis pratiquent l’espionnage mondial depuis 1947 dans le cadre du programme de surveillance électronique Échelon. Les technologies modernes de l’information et des télécommunications ont permis à Washington de renforcer considérablement les capacités de ses services de renseignement. Le programme PRISM (Program for Robotics, Intelligent Sensing, and Mechatronics) du gouvernement américain, en cours depuis 2007, en est une preuve frappante. Il permet de collecter secrètement des données en masse sans sanction judiciaire. Des preuves documentaires fournies par Edward Snowden, ancien employé de la CIA et de la NSA, en 2013, ont montré que les agences de renseignement américaines utilisent le programme PRISM pour accéder aux serveurs centraux des neuf principales sociétés Internet – Microsoft, Yahoo, Google, Facebook, Paltalk, YouTube, AOL, Skype et Apple.

Le personnel du 624e centre d’opérations mène des cyber-opérations en soutien au commandement et au contrôle des opérations en réseau de l’armée de l’air et aux besoins communs de la composante de l’armée de l’air du cyber-commandement

En fait, les agences de renseignement américaines sont en train de compiler une base de données globale des données personnelles des utilisateurs de médias sociaux, des fichiers audio et vidéo, des photographies, des courriels et des documents électroniques. Snowden a également révélé que la NSA avait utilisé le programme PRISM pour écouter les conversations téléphoniques de 35 chefs d’État et de certains diplomates étrangers. Les experts affirment que les agences de renseignement américaines, en collaboration avec le siège des communications du gouvernement britannique (GCHQ), ont illégalement craqué pratiquement toutes les normes de cryptographie sur Internet en utilisant des superordinateurs et les services de pirates informatiques de premier ordre.

Ainsi, l’accumulation d’armes cybernétiques et les activités de cyber-espionnage de Washington menacent la sécurité mondiale, et tous les faux discours sur l’« ingérence russe » et les « pirates russes » ne sont qu’une couverture destinée à écarter ce fait de l’agenda international.

Il s’avère que nous avons mal formulé la question. L’Occident ne défend pas l’idée que la Russie est un cyber-agresseur, mais l’idée que le cyber-agresseur est la Russie. Pourquoi ? Pour détourner l’attention.

Traduit par Hervé, relu par Wayan pour le Saker Francophone

samedi, 27 mars 2021

Le rôle de l’Empire britannique dans la création et la mort de George Orwell

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Le rôle de l’Empire britannique dans la création et la mort de George Orwell

par Martin Sieff

Ex: https://reseauinternational.net/

La British Broadcasting Corporation (BBC), heureusement amplifiée par le Public Broadcasting System (PBS) aux États-Unis qui diffuse ses World News, continue de déverser régulièrement ses larmes sur le prétendu chaos économique en Russie et sur l’état misérable imaginaire du peuple russe.

Ce ne sont que des mensonges, bien sûr. Les mises à jour régulières de Patrick Armstrong, qui font autorité, y compris ses rapports sur ce site web, sont un correctif nécessaire à une propagande aussi grossière.

Mais au milieu de tous leurs innombrables fiascos et échecs dans tous les autres domaines (y compris le taux de mortalité par habitant le plus élevé de COVID-19 en Europe, et l’un des plus élevés au monde), les Britanniques restent les leaders mondiaux dans la gestion des fake news. Tant que le ton reste modéré et digne, littéralement toute calomnie sera avalée par le crédule et chaque scandale et honte grossière pourra être dissimulée en toute confiance.

Rien de tout cela n’aurait surpris le grand George Orwell, aujourd’hui décédé. Il est à la mode ces jours-ci de le présenter sans cesse comme un zombie (mort mais prétendument vivant – de sorte qu’il ne peut pas remettre les pendules à l’heure lui-même) critique de la Russie et de tous les autres médias mondiaux échappant au contrôle des ploutocraties de New York et de Londres. Et il est certainement vrai que Orwell, dont la haine et la peur du communisme étaient très réelles, a servi avant sa mort comme informateur au MI-5, la sécurité intérieure britannique.

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Mais ce n’est pas l’Union soviétique, les simulacres de procès de Staline ou ses expériences avec le groupe trotskiste POUM à Barcelone et en Catalogne pendant la guerre civile espagnole qui ont « fait de Orwell Orwell », comme le dit le récit de sagesse conventionnelle anglo-américain. C’est sa haine viscérale de l’Empire britannique – aggravée pendant la Seconde Guerre Mondiale par son travail pour la BBC – qu’il a finalement abandonnée par dégoût.

Et ce sont ses expériences à la BBC qui ont donné à Orwell le modèle de son inoubliable Ministère de la Vérité dans son grand classique « 1984 ».

George Orwell avait travaillé dans l’un des plus grands centres mondiaux de Fake News. Et il le savait.

Plus profondément, le grand secret de la vie de George Orwell se cache à la vue de tous depuis sa mort, il y a 70 ans. Orwell est devenu un tortionnaire sadique au service de l’Empire britannique pendant ses années en Birmanie, le Myanmar moderne. Et en tant qu’homme fondamentalement décent, il était tellement dégoûté par ce qu’il avait fait qu’il a passé le reste de sa vie non seulement à expier, mais aussi à se suicider lentement et délibérément avant de mourir prématurément, le cœur brisé, alors qu’il avait encore la quarantaine.

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La première percée importante dans cette réévaluation fondamentale de Orwell provient de l’un des meilleurs livres sur lui. « Finding George Orwell in Burma » a été publié en 2005 et écrit par « Emma Larkin », pseudonyme d’une journaliste américaine exceptionnelle en Asie dont je soupçonne depuis longtemps l’identité d’être un vieil ami et un collègue profondément respecté, et dont je respecte l’anonymat.

« Larkin » a pris la peine de beaucoup voyager en Birmanie pendant la dictature militaire répressive et ses superbes recherches révèlent des vérités cruciales sur Orwell. D’après ses propres écrits et son roman profondément autobiographique « Burmese Days », Orwell détestait tout son temps en tant que policier colonial britannique en Birmanie, le Myanmar moderne. L’impression qu’il donne systématiquement dans ce roman et dans son essai classique « Shooting an Elephant » est celle d’un homme amèrement solitaire, aliéné, profondément malheureux, méprisé et même détesté par ses collègues colonialistes britanniques dans toute la société et d’un ridicule échec dans son travail.

Ce n’est cependant pas la réalité que « Larkin » a découverte. Tous les témoins survivants s’accordent à dire que Orwell – Eric Blair comme il était alors encore – est resté très estimé pendant ses années de service dans la police coloniale. C’était un officier supérieur et efficace. En effet, c’est précisément sa connaissance du crime, du vice, du meurtre et des dessous de la société humaine pendant son service de police colonial, alors qu’il avait encore la vingtaine, qui lui a donné l’intelligence de la rue, l’expérience et l’autorité morale pour voir à travers tous les innombrables mensonges de la droite et de la gauche, des capitalistes américains et des impérialistes britanniques ainsi que des totalitaires européens pour le reste de sa vie.

La deuxième révélation qui permet de comprendre ce que Orwell a dû faire au cours de ces années provient d’une des scènes les plus célèbres et les plus horribles de « 1984 ». En effet, presque rien, même dans les mémoires des survivants des camps de la mort nazis, ne ressemble à cette scène : C’est la scène où « O’Brien », l’officier de police secrète, torture le « héros » (si on peut l’appeler ainsi) Winston Smith en l’enfermant le visage dans une cage dans laquelle un rat affamé est prêt à bondir et à le dévorer si on l’ouvre.

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Je me souviens avoir pensé, lorsque j’ai été exposé pour la première fois au pouvoir de « 1984 » dans mon excellente école d’Irlande du Nord : « Quel genre d’esprit pourrait inventer quelque chose d’aussi horrible que cela ?) La réponse était si évidente que, comme tout le monde, je l’ai complètement ratée.

Orwell n’a pas « inventé » ou « proposé » cette idée comme un dispositif d’intrigue fictif : Il s’agissait simplement d’une technique d’interrogatoire de routine utilisée par la police coloniale britannique en Birmanie, le Myanmar moderne. Orwell n’a jamais « brillamment » inventé une technique de torture aussi diabolique qu’un dispositif littéraire. Il n’a pas eu besoin de l’imaginer. Il l’utilisait couramment pour lui-même et ses collègues. C’est ainsi et pour cette raison que l’Empire britannique a si bien fonctionné pendant si longtemps. Ils savaient ce qu’ils faisaient. Et ce qu’ils faisaient n’était pas du tout agréable.

Une dernière étape de mon illumination sur Orwell, dont j’ai vénéré les écrits toute ma vie – et je le fais encore – a été fournie par notre fille aînée, d’une brillance alarmante, il y a environ dix ans, lorsqu’elle a elle aussi reçu « 1984 » à lire dans le cadre de son programme scolaire. En discutant avec elle un jour, j’ai fait une remarque évidente et fortuite : Orwell était dans le roman sous le nom de Winston Smith.

Mon adolescente élevée aux États-Unis m’a alors naturellement corrigé. « Non, papa », dit-elle. « Orwell n’est pas Winston, ou il n’est pas seulement Winston. C’est aussi O’Brien. O’Brien aime bien Winston. Il ne veut pas le torturer. Il l’admire même. Mais il le fait parce que c’est son devoir. »

Elle avait raison, bien sûr.

Mais comment Orwell, le grand ennemi de la tyrannie, du mensonge et de la torture, a-t-il pu s’identifier et comprendre aussi bien le tortionnaire ? C’est parce qu’il en avait lui-même été un.

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Le grand livre de »Emma Larkin » fait ressortir que Orwell, en tant que haut fonctionnaire de la police coloniale dans les années 20, a été une figure de proue dans la guerre impitoyable menée par les autorités impériales britanniques contre les cartels criminels de la drogue et du trafic d’êtres humains, tout aussi vicieux et impitoyables que ceux de l’Ukraine, de la Colombie et du Mexique modernes d’aujourd’hui. C’était une « guerre contre le terrorisme » où tout et n’importe quoi était permis pour « faire le travail ».

Le jeune Eric Blair était tellement dégoûté par cette expérience qu’à son retour, il a abandonné le style de vie respectable de la classe moyenne qu’il avait toujours apprécié et est devenu, non seulement un socialiste idéaliste comme beaucoup le faisaient à l’époque, mais aussi un clochard sans le sou et affamé. Il a même abandonné son nom et son identité même. Il a subi un effondrement radical de sa personnalité : Il a tué Eric Blair. Il est devenu George Orwell.

Le célèbre livre de Orwell « Dans la dèche à Paris et à Londres » témoigne de la façon dont il s’est littéralement torturé et humilié au cours de ces premières années de son retour de Birmanie. Et pour le reste de sa vie.

Il mangeait misérablement mal, était maigre et ravagé par la tuberculose et d’autres problèmes de santé, fumait beaucoup et se privait de tout soin médical décent. Son apparence a toujours été abominable. Son ami, l’écrivain Malcolm Muggeridge, spéculait sur le fait que Orwell voulait devenir lui-même la caricature d’un clochard.

La vérité est clairement que Orwell ne s’est jamais pardonné ce qu’il a fait en tant que jeune agent de l’empire en Birmanie. Même sa décision littéralement suicidaire d’aller dans le coin le plus primitif, froid, humide et pauvre de la création dans une île isolée au large de l’Écosse pour finir « 1984 » en isolement avant de mourir était conforme aux punitions impitoyables qu’il s’était infligé toute sa vie depuis qu’il avait quitté la Birmanie.

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La conclusion est claire : malgré l’intensité des expériences de George Orwell en Espagne, sa passion pour la vérité et l’intégrité, sa haine de l’abus de pouvoir n’a pas trouvé son origine dans ses expériences de la guerre civile espagnole. Elles découlaient toutes directement de ses propres actions en tant qu’agent de l’Empire britannique en Birmanie dans les années 1920 : Tout comme sa création du ministère de la vérité découle directement de son expérience de travail dans le ventre de la bête de la BBC au début des années 1940.

George Orwell a passé plus de 20 ans à se suicider lentement à cause des terribles crimes qu’il a commis en tant que tortionnaire pour l’Empire britannique en Birmanie. Nous ne pouvons donc avoir aucun doute sur l’horreur et le dégoût qu’il éprouverait face à ce que la CIA a fait sous le président George W. Bush dans sa « guerre mondiale contre la terreur ». De plus, Orwell identifierait immédiatement et sans hésitation les vraies fausses nouvelles qui circulent aujourd’hui à New York, Atlanta, Washington et Londres, tout comme il l’a fait dans les années 1930 et 1940.

Récupérons donc et embrassons le vrai George Orwell : La cause des combats visant à empêcher une troisième guerre mondiale en dépend.

source : https://www.strategic-culture.org

traduction Aube Digitale

via https://www.aubedigitale.com

Iran contre Israël : une guerre secrète explose en mer

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Iran contre Israël : une guerre secrète explose en mer

Par Lorenzo Vita

Ex : https://it.insideover.com/

La base d'Aitlit, en Israël, est l'un des endroits les plus inaccessibles au monde. Des eaux cristallines, un maquis méditerranéen et un château des croisés font de cette portion du territoire israélien un véritable joyau de nature et d'histoire. Mais personne ne peut la visiter. A quelques mètres de la forteresse d'Aitlit se trouve en effet le quartier général de l'unité la plus redoutable de la marine israélienne: le Shayetet 13. Une unité qui a vu le jour aussi grâce à la contribution fondamentale de notre Dixième Flotille. Certains des meilleurs éléments de la marine italienne sont arrivés en Israël afin de former les hommes qui devront constituer les unités d'élite de la marine de l’Etat hébreu. Mais en plus des hommes, la marine israélienne a importé d'Italie des moyens et des techniques de combat: bateaux à moteur, esquifs explosifs et tactiques de sabotage - les mêmes qui avaient terrorisé la Royal Navy dans toute la Méditerranée - sont désormais entre les mains des commandants militaires de l'État juif. Un "savoir-faire" qui a servi à la flottille 13 d’Israël pour mener à bien la première véritable grande opération de son histoire: le naufrage du navire égyptien Emir Farouk. Pour former le groupe de saboteurs il y avait une vieille connaissance de la Décima: Fiorenzo Capriotti.

Cette prémisse historique nous permet de comprendre l'importance qu'a toujours eue la guerre menée par Israël à l’aide de ces moyens. Et elle nous relie directement à notre époque, avec l'escalade croissante qui  s’amorce entre l'État juif et l'Iran dans les eaux entourant le Moyen-Orient. Le golfe Persique, la mer d'Arabie, la mer Rouge et la Méditerranée orientale elle-même sont devenus ces dernières années de véritables théâtres de guerre de "basse intensité", où se déroule un conflit secret et d'une importance fondamentale impliquant les meilleurs services d'Israël et de la République islamique d'Iran.

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L'attaque rapportée hier par les médias israéliens - un missile aurait frappé un porte-conteneurs appartenant à une société de Haïfa alors qu'il naviguait de la Tanzanie vers l'Inde - n'est que le dernier épisode d'une longue série. Fin février déjà, le gouvernement israélien avait accusé l'Iran d'avoir frappé un autre navire, le Mv Helios Ray, l'obligeant à effectuer des réparations dans le port de Dubaï. Un épisode plutôt obscur, étant donné que les enquêtes se poursuivent et que Téhéran, évidemment, nie toute implication. Mais c'est un événement qui s'inscrit dans une dynamique de guerre qui n'est certainement pas nouvelle, ni pour Israël ni pour l'Iran. Tant en termes d'attaques de navires que de méthodes.

Ces dernières semaines, deux enquêtes, l'une du Wall Street Journal et l'autre du quotidien israélien Haaretz, ont établi que depuis au moins 2019, la marine israélienne a mené des attaques contre des cargos iraniens à destination de la Syrie. Selon l'enquête d'Amos Harel, il y aurait eu des dizaines d'attaques israéliennes contre les pétroliers et les cargos de Téhéran. "Les navires iraniens partent des ports du sud de l'Iran et traversent la mer Rouge, passant par le canal de Suez pour rejoindre la Méditerranée", explique-t-il à Haaretz, "leur port de destination est généralement Banias, dans le nord de la Syrie, qui est situé entre les deux plus grands ports de la côte syrienne, Tartous et Lattaquié". Beaucoup d’observateurs se sont demandés pourquoi ces attaques n'ont jamais été signalées par Damas, Téhéran ou les commandements israéliens eux-mêmes. La réponse pourrait être double. D'une part, Israël n'aurait jamais pu admettre de frapper des navires en Méditerranée, près de Suez et en mer Rouge, car cela aurait révélé un conflit dans une zone où des milliers de navires transitent chaque année. D'autre part, l'Iran et la Syrie ne pourraient pas avouer avoir contourné les sanctions en faisant circuler des navires chargés de pétrole, d'armes et d'autres produits de contrebande. Le seul aveu tacite, du moins du côté israélien, est représenté par l'augmentation exponentielle des honneurs et des médailles pour les hommes de la marine: en l'absence de campagnes évidentes, il est possible qu'il y ait eu des opérations secrètes derrière elles.

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Des opérations dans lesquelles, très probablement, est impliquée précisément la Flottille 13, le Shayetet. Comme l'écrit Gianluca Di Feo dans Repubblica, les commandos "n'auraient pas utilisé d'explosifs, se limitant à saboter les hélices, les gouvernails et autres équipements des pétroliers". Un choix qui génère ipso facto un conflit de basse intensité qui, pourtant, pourrait parfaitement s’inscrire dans les méthodes utilisées par l'élite israélienne. Et qui pourrait également remonter au même type d’escalade amorcée par l'Iran dans le golfe Persique au cours des années précédentes, lorsqu'une série d'enlèvements, de sabotages et de mystérieuses explosions avaient mis en péril le transit naval dans le détroit d'Ormuz. La différence, cependant, réside dans le secret. Cela est très probablement dû aussi au niveau technologique atteint par Israël qui, en ce qui concerne les opérations des forces spéciales, est certainement parmi les premières armées au monde à les mettre en oeuvre.

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Une source qualifiée a évoqué à InsideOver la possibilité que des véhicules pilotés à distance aient également été utilisés, sans qu'il soit nécessaire de saboter le navire en utilisant l'élément humain. Cela les différencierait des forces des Pasdarans, qui ont plutôt été repérées en train de placer des explosifs sur la ligne de flottaison d'une cible. Mais dans tous les cas, poursuit la source, il est important de prendre en considération le type de sabotage perpétré. Un drone, ou tout autre moyen, peut, le cas échéant, appliquer une charge explosive avec un système de fixation magnétique. Les cas de sabotage d’hélices et de gouvernails sont différents, car, au contraire, ils tendent à nécessiter l'action d’un être humain qui doit alors effectuer un travail complexe et, surtout, s’avérer capable de réagir aux facteurs inconnus de la mission. Évidemment, ce type d'attaque ne peut être réalisé qu'avec un navire stationnaire dans un port ou éloigné de la côte mais au mouillage. En revanche, pour les attaques à l’aide missiles, le navire peut aussi être en route. Le navire israélien Lori naviguait en mer d'Arabie, tandis que le Shahr e Kord naviguait au large des côtes israéliennes lorsqu'un incendie s'est déclaré dans les conteneurs.

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En tout cas, le conflit clandestin risque de se transformer de plus en plus en une dangereuse guerre froide impliquant l'une des régions les plus importantes du monde. L'administration de Joe Biden risque d'être entraînée dans un conflit de faible intensité qui rend néanmoins impossible la poursuite des négociations en vue de trouver un accord sur le programme nucléaire iranien et sur la question connexe des missiles de la République islamique. Les risques d'escalade affectent directement le commerce du pétrole, du gaz liquéfié et même de toutes les autres marchandises. Et ils se multiplient. On l'a vu avec Suez: il suffit de rien pour provoquer un effet domino très dangereux pour le monde entier. Et dans ce cas, ce ne sont pas seulement les compagnies marchandes qui seraient concernées, mais aussi les flottes militaires qui n'auraient besoin que d'une seule erreur pour déclencher un gigantesque incendie.

Dante, Duits, Tolkien: la vision de la Femme

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Dante, Duits, Tolkien: la vision de la Femme

par Rémi Mogenet

Ex: http://remimogenet.blog.24heures.ch/

Le voyage d'un homme au paradis et en enfer a souvent été regardé comme ayant pris son modèle dans l'antiquité grecque et latine, et que Dante, dans sa Divine Comédie, eût choisi pour guide Virgile, qui avait raconté la descente d'Énée aux enfers, semblait le confirmer. Mais il y a la référence officielle, qui s'accorde avec la bienséance, et il y a les influences plus souterraines, plus diffuses, et souvent plus importantes. Or, la visite systématique et, pour ainsi dire, scientifique de l'autre monde, sans autre but que de le découvrir, de le connaître et de l'explorer, ne correspond pas tant au récit de Virgile qu'à celui de Mahomet se rendant au pays des défunts, bons ou mauvais.

Au treizième siècle, en Espagne, avait été traduit de l'arabe en latin un tel récit de voyage, précurseur à la fois de celui de Marco Polo et de celui de Dante. On le trouve en français sous le titre Le Livre de l'échelle de Mahomet. Le prophète, en effet, a utilisé une échelle, peut-être celle de Jacob, pour se rendre dans le royaume divin.

9782253056447-G.JPGJ'avoue adorer ce petit livre, amplification de quelques lignes du Coran. Mahomet y parcourt sans passion particulière un monde fabuleux, rempli d'anges, de démons, de figures incroyables. Dante l'a, consciemment ou non, repris, en le personnalisant davantage - en créant, entre le tableau théologique des trois royaumes d'après la mort et sa propre personne, un lien intime, dramatique, individualisé. C'est ce qui, en plus d'une somme théorique sur le monde spirituel, fait de son poème un chef-d'œuvre.

Mais cette domestication du monde divin n'a pas laissé d'agacer certains catholiques rigoureux, tel J.R.R. Tolkien. On pouvait reprocher à Dante d'être subjectif dans ses choix de damnés et de bénis, et d'évoquer un peu trop la politique italienne de son temps. Comme très souvent la critique intellectuelle, méprisant les tableaux du monde spirituel, s'intéresse au contraire surtout aux soucis personnels de Dante, Tolkien a rué dans les brancards en disant que c'était justement cet aspect qui le rendait défectueux. Il est également possible que la façon dont une femme mortelle était divinisée parce qu'elle avait plu au poète durant sa vie, ne l'ait pas vraiment convaincu. Dans ses lettres, il s'en prend à la tendance à diviniser les femmes terrestres, propres à l'amour courtois, gaulois et italiote. La littérature médiévale méridionale l'agaçait, et cela d'autant plus, sans doute, que les philosophes et poètes agnostiques la glorifiaient, la tirant vers un profane libéré des religions. On peut songer à la manière dont, dans Le Fou d'Elsa, Louis Aragon fait de l'Espagne islamique un paradis terrestre dans lequel on ne s'occupait que d'amour sans réellement croire à l'autre monde. Cet arabisme déplaisait souverainement à Tolkien. Or, il est possible que Dante en ait gardé quelque chose.

duits.jpgSi Tolkien avait lu Charles Duits, il ne l'eût sans doute pas aimé. Car l'auteur de La Seule Femme vraiment noire ne dit pas seulement que la beauté des femmes de chair reflète le Ciel, mais aussi que le désir charnel émane de l'amour cosmique - en est l'écho dans le corps humain. Cela peut donner une logique à l'amour courtois, qui faisait d'une femme de chair l'inspiratrice du bien, pour les chevaliers. En elle se reflétait la beauté de Dieu, et l'amour du Bien en venait spontanément!

Mais Tolkien pensait que le désir terrestre est corrompu par essence, et là où on le comprend, c'est que le bien qu'on désire peut n'émaner que du caprice et n'avoir aucune valeur objective. On confond son plaisir personnel avec l'altruisme en général, on assimile ses lubies au bien idéal.

Que la femme soit une dame indique même une tendance au fixisme social, puisque le bien apparaît comme étant ce qui convient à la noblesse. Or, pour le chrétien, c'est dans la solitude de son âme, et dans l'intimité avec le Christ, que le bien suprême peut être trouvé. Pour le catholique, même, c'est dans l'enseignement des prêtres, et les commentaires de la Bible. Les évêques se sont donc souvent opposés aux seigneurs. Tolkien n'aimait pas la poésie qui flattait les princes; il était mystique, en son genre.

Si le bien se révèle dans la relation intime avec le Christ, dira néanmoins Duits, cela passe par la Femme cosmique, la beauté répandue dans le Ciel, et que reflète la beauté de la femme. Sans doute Tolkien ne laisse pas de rappeler une telle idée, lorsqu'il déploie la figure de Galadriel. Mais celle-ci est peu sexualisée, et Boromir est condamné d'avoir eu des pensées érotiques en ce qui la concerne. Pour Tolkien, la beauté était détachée de la sensualité, et l'amour charnel ne menait pas loin. Pour Duits, à cet égard plus oriental, il en allait autrement, et son Isis est nue: on pouvait en pensée s'unir à elle.

51qYRTV5qaL.jpgCela dit, dans la légende de Beren et Luthien, Tolkien s'est assimilé à un mortel, et a assimilé son épouse à une immortelle. Cela ne laisse pas de rappeler Dante et Béatrice. Toutefois Tolkien est plus romanesque et pour le coup moins religieux.

Tout de même le couple fait des enfants, et Duits aurait pu se poser la question légitimement: qu'a de spécifique la relation charnelle avec une fée? Peut-on en faire un simple acte mécanique destiné à la procréation, comme a tendu à le faire le catholicisme après le stoïcisme? Tolkien fait de Luthien, c'est à dire sa propre épouse, la fille d'une divinité qui a pris un corps et d'un roi elfe, et donc une puissante magicienne dans la lignée de Circé, quoique pleine de sentiments nobles. L'union charnelle se doublait donc forcément d'une union mystique. Mais, pudique et traditionaliste, Tolkien s'est bien gardé d'en parler. Il tendait du reste à dire que cela avait pour inconvénient de ramener la fée à terre, comme pour Arwen, femme immortelle d'Aragorn qui est contrainte, pour l'épouser, de devenir mortelle. Mais l'homme, lui, ne s'en trouvait pas grandi? Tolkien n'osait sans doute pas le formuler, même en pensée, bien que cela soit tout l'enjeu de Beren and Luthien.

Un auteur peut-être peut unir Dante, Duits et Tolkien: c'est Boèce, très aimé du premier et du troisième. La Philosophie, chez ce philosophe chrétien et platonicien à la fois, prenait les traits d'une dame radieuse et splendide, comme l'Isis parlante de Duits, et on pourrait faire d'elle l'origine du culte de la dame dans l'amour courtois.

De la philosophie comme allégorie, à la vénération des belles femmes comme foyers de sagesse, il n'y avait qu'un retournement à faire, une descente d'un degré dans le monde physique, que Tolkien déplorait, et que peut-être Dante et Cavalcanti ont effectuée, sous l'influence de la poésie galante en langue d'oc. Duits opposait comme Tolkien, cependant, la Femme comme manifestation de la divinité, et qui apparaît spirituellement, et l'esprit des jolies femmes tel qu'il s'incarne ordinairement, et dont il admettait qu'il pouvait être dénué de sagesse et de noblesse.

La beauté reflète le vrai, mais dans l'âme de celui qui l'admire. Les pensées des personnes, quant à elles, émanent souvent de l'environnement ordinaire. L'écart entre les deux est un problème pour l'homme, un souci constant, une forme de déception, une source d'amertume. Dante ne résolvait l'énigme de cette opposition entre l'essence et l'existence (pour ainsi dire) qu'au paradis.

00:34 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dante, tolkien, charles duits, femme, féminité | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les États-Unis et leurs partenaires des Five Eyes, utilisent la « persuasion », le sabotage et la désinformation pour obtenir la suprématie en matière de vaccins

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Les États-Unis et leurs partenaires des Five Eyes, utilisent la « persuasion », le sabotage et la désinformation pour obtenir la suprématie en matière de vaccins


Par Moon of Alabama

Ex: https://lesakerfrancophone.fr/

Les États-Unis et certains de leurs alliés s’efforcent de dénigrer le vaccin russe Sputnik V et de promouvoir les vaccins à ARNm, plus coûteux et produits par des sociétés « occidentales ».

En novembre dernier, nous avions prévenu que la concurrence entre les vaccins serait impitoyable :

Les vaccins à ARNm vantés par les médias américains sont tout simplement 
trop chers pour être utilisés dans le monde entier. Si nous voulons limiter
les effets mondiaux de la pandémie de SRAS-CoV-2, nous devrons utiliser les
vaccins à vecteur, moins chers. Le fait que le vaccin AstraZeneka ait été immédiatement attaqué dans les
médias américains par un auteur non qualifié citant une banque d'investissement
et Antony Fauci, le promoteur des industries pharmaceutiques américain (Remdesivir !),
est assez suspect. Pfizer et Moderna espèrent gagner des milliards de dollars
avec leurs vaccins. Ils utiliseront tous les moyens possibles pour vaincre
toute concurrence potentielle.

Vladimir Poutine, le président de la Russie, a récemment fait remarquer que des pratiques de concurrence déloyale sont utilisées pour empêcher certains vaccins de parvenir aux nations qui en ont un besoin urgent :

Les producteurs se disputent le marché mondial des vaccins, qui représente 
un marché de 100 milliards de dollars, a déclaré jeudi le président russe
Vladimir Poutine. Certains producteurs se livrent une concurrence déloyale, vendent un petit
lot de vaccins à un prix inférieur à condition d'être le fournisseur exclusif,
a déclaré M. Poutine, qui s'exprimait lors d'une réunion vidéo sur les mesures
visant à stimuler l'activité d'investissement à Moscou. "Nous voyons comment les concurrents se comportent sur le marché mondial des
vaccins, qui est évalué à 100 milliards de dollars. Ils viennent, vendent
un petit lot de leur vaccin à un prix réduit, à la condition que tout le
reste ne soit acheté qu'auprès de ce producteur"
, a-t-il déclaré.

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Sans que cela n’étonne personne, le gouvernement américain est directement impliqué dans ces manipulations. Comme l’a constaté Brazil Wire :

Le département américain de la santé et des services sociaux a récemment publié 
son rapport annuel pour 2020. "2020 a été l'une des années les plus difficiles de l'histoire de notre pays
et de l'histoire du département de la santé et des services sociaux"
, a déclaré

l'ancien secrétaire américain à la santé et aux services sociaux, Alex Azar,
en présentant le rapport. "La fin de la pandémie est en vue", poursuit-il, "avec la livraison de vaccins
sûrs et efficaces grâce à l'opération Warp Speed"
. En page 48, le rapport révèle la manière choquante dont les Etats-Unis ont
fait pression sur le Brésil pour qu'il rejette le vaccin russe Sputnik V.

Le rapport annuel du HHS est ici. À la page 5, il est écrit :

Développer une stratégie pour soutenir l'accès mondial aux vaccins : L'Office 
of Global Affairs (OGA) de HHS a dirigé le développement d'une stratégie
inter-agences, coordonnée par le Conseil de sécurité nationale, pour fournir
un accès international aux vaccins COVID-19 une fois les besoins nationaux satisfaits.

« Une fois les besoins nationaux satisfaits » n’est certainement pas une stratégie altruiste ni même une stratégie de priorisation raisonnable dont on peut être fier. Un effort raisonnable pour sauver des vies et mettre fin à la pandémie donnerait la priorité aux groupes à risque dans tous les pays de la planète avant d’inoculer des personnes chez elles qui présentent peu de risques de complications graves liées au Covid-19.

À la page 47, le rapport du HHS indique que les États-Unis coordonnent avec leurs partenaires en espionnage des Five Eyes la diffusion de messages sur les vaccins :

Combattre l'hésitation à l'égard des vaccins au niveau mondial : L'OGA dirige un groupe 
venant des pays dit des Five Eyes (Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande
et États-Unis) sur la confiance dans les vaccins, en alignant les efforts de nos
nations et en partageant les meilleures pratiques pour améliorer les messages de
confiance dans les vaccins au niveau mondial.

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Une page plus loin, nous apprenons ce qu’implique une telle communication :

Combattre [sic !] les influences malveillantes dans les Amériques : L'OGA a utilisé 
les relations diplomatiques dans la région des Amériques pour ralentir les efforts
de certains États, notamment Cuba, le Venezuela et la Russie, qui s'efforcent
d'accroître leur influence dans la région au détriment de la sûreté et de la
sécurité des États-Unis. L'OGA s’est coordonné avec d'autres agences du
gouvernement américain pour renforcer ses liens diplomatiques et offrir
une assistance technique et humanitaire afin de dissuader les pays de la
région d'accepter l'aide de ces États mal intentionnés. Les exemples incluent
l'utilisation du bureau de l'attaché sanitaire de l'OGA pour persuader le Brésil
de rejeter le vaccin russe COVID-19, et l'offre d'une assistance technique du
CDC pour éviter que le Panama accepte une offre faite par les médecins cubains
.

« Persuader le Brésil de rejeter le vaccin russe COVID-19 » est, pour faire simple, un comportement criminel qui a des conséquences quasi génocidaires. Le Brésil est actuellement submergé par une variante plus infectieuse du virus SRAS-CoV-2 et ses institutions médicales sont au bord de la rupture :

"On a l'impression de mettre un pansement sur une blessure par balle", a déclaré 
Eduarda Santa Rosa Barata, une infectiologue de 31 ans qui travaille dans trois
unités de soins intensifs dans la capitale du nord-est de l'État de Pernambuco,
qui sont toutes débordées. "Nous sommes engagés dans la réduction des dommages...
On installe de nouveaux lits et ils se remplissent immédiatement".
 

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Quelques jours plus tôt, Barata avait admis un homme de 37 ans qui ne présentait 
aucune pathologie sous-jacente mais dont les poumons étaient si endommagés qu'il
devait être intubé. "Cela semble tellement aléatoire", dit-elle. "C'est une
maladie bizarre. C'est effrayant."
... "Avant la fin 2020, vous aviez une famille dont un membre serait infecté
mais pas les trois ou quatre autres membres, même s'ils vivaient dans le
même environnement. On ne voit plus cela aujourd'hui. S'il y a un cas confirmé,
tout le monde finit par être infecté par le virus"
, a-t-il déclaré. "Il est
évident que cette nouvelle variante circule désormais parmi nous"
.

Le Panama qui, sous la pression des États-Unis, a rejeté l’offre d’aide médicale de Cuba, a l’un des taux de mortalité les plus élevés de Covid-19. C’est une des raisons pour lesquelles son économie a diminué de 18%.

Le rapport du HHS parle également de la Bolivie :

Ouvrir la Bolivie à la diplomatie de la santé : Après des décennies de silence 
entre les États-Unis et la Bolivie, l'OGA a rétabli des relations diplomatiques
en matière de santé avec le ministère de la Santé de Bolivie à la suite des
élections nationales. Ce réengagement permet aux États-Unis de renforcer leurs liens dans la région, ce qui est important pour leur influence dans les forums régionaux et multilatéraux, notamment l'Organisation panaméricaine de la santé.

Ce qui s’est passé « à la suite d’élections nationales » en Bolivie fut un coup d’État fasciste qui a engendré répression et tyrannie. Les États-Unis ont utilisé leur coopération avec les putschistes pour influencer d’autres organisations.

Pendant ce temps, les États-Unis affirment également, à tort, que la Russie diffuse de la désinformation sur les vaccins, suite à un article du Wall Street Journal écrit par des fonctionnaires américains dans lequel ils affirment, sans preuve, que la Russie sème la peur au sujet des vaccins à ARNm :

Dimanche, le Wall Street Journal rapportait que quatre publications, toutes 
servant de façade aux services de renseignement russes, ont pris pour cible
les vaccins COVID-19 produits par les pays occidentaux, avec une couverture
trompeuse qui exagère le risque d'effets secondaires et soulève des questions
quant à leur efficacité. Le département d'État a confirmé ce rapport lundi, en indiquant que les
responsables américains avaient identifié quatre plateformes en ligne russes
qui diffusaient des informations erronées sur les vaccins COVID-19.

Cependant, le paragraphe 21 de l’article original du WSJ, co-écrit par Michael Gordon, propagandiste des ADM en Irak, reconnait que :

Dans chaque cas, les médias russes répétaient des informations réelles…

Les « médias russes » n’ont fait que répéter les informations que les agences de presse « occidentales » diffusaient. Il est cependant agréable de voir que l’on reconnaît qu’il s’agit souvent de désinformation.

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Certains signes indiquent que les États-Unis se coordonnent avec leurs partenaires en espionnage pour dénigrer le très efficace vaccin Sputnik V. Le Royal United Services Institute (RUSI) britannique a récemment publié un commentaire qui met en garde contre le gain de puissance de la Russie grâce à la diplomatie du vaccin, notamment en Amérique du Sud :

L’intrusion rapide de Sputnik V sur de nouveaux marchés en Amérique latine pourrait 
en effet avoir des implications à plus long terme dans une région qui a
traditionnellement été l'arrière-cour des États-Unis. L'Argentine a reçu
avec gratitude plus d'un demi-million de doses en janvier. Elle a en quelque
sorte servi d'ambassade pour Sputnik V ; selon les informations disponibles,
les délégations argentines qui se sont rendues à Moscou fin 2020 ont traduit
des quantités de détails en espagnol et les ont communiqués à la Bolivie,
au Pérou, au Mexique, à l'Uruguay et au Chili pour accélérer leur prise de
décision. Le premier lot pour la Bolivie est arrivé à la fin du mois de janvier.
À la mi-février, le Mexique a reçu ses 200 000 premières doses. À la mi-mars,
le Brésil et le Pérou semblaient sur le point de conclure leurs accords respectifs.

S’ensuivent des réflexions sur les cibles potentielles de sabotage :

Plusieurs facteurs pourraient faire en sorte que le rebond actuel de Sputnik V 
soit de courte durée. L'incapacité à fournir des approvisionnements rapides
est un facteur immédiat. La Russie a reconnu sa pénurie de production, ce qui
soulève des doutes quant à sa capacité à honorer ses engagements en matière de
vaccins. Elle est tributaire du respect des bonnes pratiques de fabrication
par des usines comme celles du Brésil, de l'Inde et de la Corée du Sud, ainsi
que de la réalisation rapide et à grande échelle de la promesse de Moscou de
fournir rapidement des centaines de millions de flacons de qualité.

L’article se termine par un appel à l’action de mauvais augure :

La science biomédicale de Spoutnik V pourrait bien être véritablement la bienvenue 
dans le monde entier, une fois que toutes les données seront disponibles et auront
fait l'objet d'un examen approprié. Mais les ramifications politiques correspondantes
d'une influence russe plus profonde et plus large dans le monde pourraient ne pas
être aussi bénéfiques. Le Royaume-Uni et les États-Unis ne doivent pas être aveugles
face à l'ampleur de la diplomatie vaccinale russe déjà en cours.

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Les efforts déployés par les États-Unis pour empêcher la distribution du vaccin russe ont échoué en Argentine, où le président Alberto Fernández a mené une action précoce et fructueuse pour introduire le vaccin russe :

Face au scepticisme du public, Buenos Aires a envoyé des missions à Moscou en 
octobre et décembre 2020 pour examiner les données de l'essai de la phase 3
du vaccin. Un collaborateur du président argentin a déclaré que la délégation avait traduit
en espagnol des centaines de pages d'informations sur le vaccin - nécessaires à
l'approbation - qu'elle a ensuite partagées avec d'autres gouvernements de la
région, notamment la Bolivie, le Pérou, le Mexique, l'Uruguay et le Chili. C'est ainsi qu'un jour avant la publication des résultats de la phase 3, des
camions de vaccins Sputnik V circulaient déjà dans les campagnes boliviennes.
La photo d'une livraison dans un camion frigorifié drapé d'un drapeau bolivien -
une solution créative (et approuvée par le ministère de la santé) pour répondre
aux exigences en matière de stockage au froid - est devenue virale. L'Argentine
a commencé à vacciner avec Sputnik en décembre dernier, tandis que le Mexique
a annoncé l'achat de 24 millions de doses de Sputnik le 25 janvier.

Les efforts des États-Unis pour dissuader les pays d’acquérir Sputnik V n’ont pas été pleinement couronnés de succès. Cela nécessite à nouveau de lancer une campagne de propagande pour dénigrer Sputnik V partout où il est distribué :

Maxim A. Suchkov @m_suchkov - 15:35 UTC – 13 Mars 2021

1. #Poutine : "Le marché mondial des vaccins #COVID19 vaut 100 milliards de 
dollars. Nous voyons comment les concurrents de nos producteurs se comportent :
ils entrent dans un pays [qui a besoin de vaccins], vendent un petit lot de vaccins
à un prix réduit, mais conditionnent la vente à ce que...
2. " ...le pays n'achètera ce vaccin qu'auprès de ce producteur à l'avenir ".

Il y a donc bien une véritable lutte pour les marchés. 3. 100 milliards de dollars, c'est un gros marché. #La Russie réalise plus de
15 milliards de dollars sur les ventes d'armes (des statistiques non officielles
font état de 55 milliards de dollars), environ 25 milliards de dollars sur les
ventes de produits agricoles, environ le même montant sur les ventes de gaz
(mais cela dépend de l'approvisionnement), le pétrole et les produits pétroliers
représentent un peu plus de 100 milliards de dollars. 4. Tout d'un coup, il y a ce marché énorme et il y a une lutte acharnée pour
le conquérir. @dimsmirnov175 cite une "source anonyme au #Kremlin" qui a déclaré
que les services de renseignement russes sont conscients que leurs homologues
étrangers cherchent à lancer une guerre d'information massive contre
la #Russie/ses vaccins. 5.La source aurait déclaré que de nombreux rapports seront bientôt publiés

sur l'inefficacité des vaccins #Russes et qu'ils seraient même dangereux
pour la santé. Des "cas mis en scène de pertes massives de vies humaines
après l'utilisation de Sputnik V seront propagés via @USAID, @georgesoros
@thomsonreuters"
. 6. Le public cible de cette campagne sera celui des pays européens qui

ont enregistré #SputnikV pour leur utilisation d'urgence - #Hongrie, #Slovaquie,
#Monténégro, #SanMarino et N.#Macédoine. 7. Parallèlement, les États-Unis et leurs alliés, selon la "source du
Kremlin", publieraient des "enquêtes" sur "l'incompétence des spécialistes
russes et nationaux de la vaccination et de l'immunologie afin d'empêcher
leur certification par l'OMS et d'autres organismes compétents, ce qui
ferait baisser la demande de vaccins russes dans d'autres pays"
. 8. "La source #Kremlin" ajoute que les #US "promeuvent agressivement
@pfizer, s'assurent que les États-Unis soient dispensés non seulement du
paiement d’une potentielle compensation pour les citoyens en cas de
procès pour effets secondaires, mais aussi de la responsabilité en cas de
négligence de la part du fabricant"
9. #SputnikV est désormais le deuxième produit le plus demandé au monde,

plus de 50 pays ayant autorisé son utilisation. La lutte pour les marchés
en #Europe, #Amérique latine, #Afrique et #Asie s'intensifiera encore
lorsque nous apprendrons [très probablement] que la vaccination n'est
pas une opération ponctuelle mais une routine saisonnière/FIN PS. Ce tableau est révélateur des astuces que l'on peut utiliser : #La
chaîne russe #SputnikV a franchi toutes les étapes, mais les concepteurs
du graphique (1) l'ont placé en bas, (2) n'ont pas utilisé le nom de son
produit, (3) l'ont marqué d'un astérisque (*), mettant en doute son efficacité,
comme si ABC avait "vérifié les autres de manière indépendante".

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Source : ABCnewsAgrandir

Les graphiques ci-dessus ne sont qu’un exemple des manipulations médiatiques à l’appui de la « diplomatie » occidentale en matière de vaccins. Il ne s’agit pas seulement d’arrogance :

La réaction de l'Occident n'a pas été exactement objective en août 2020 lorsque 
la Russie a présenté le premier vaccin anti-corona au monde. Des mots comme
"merde vaccinale de Moscou", "méchante propagande pour le vaccin", et des
accusations de "manipulations maladroites" d'une "expérience à haut risque
sur les humains"
. La méfiance, la malveillance et la suspicion furent faciles.

Un journal a plaisanté en disant que Spoutnik V était efficace non seulement
contre le virus, mais aussi contre "l'homosexualité ainsi que l'épilepsie et
l'urticaire"
.

Les Five Eyes, leurs agences de renseignement et leurs amis, tirent sur toutes les ficelles possibles pour gagner les marchés pour leurs vaccins. Le report continu de l’autorisation officielle de l’UE à Sputnik V fait évidemment partie de ce plan de sabotage.

Le fait que ces efforts éloignent les gens d’autres bons vaccins disponibles et que cela coûtera inévitablement la vie à un certain nombre d’entre eux est considéré comme un prix raisonnable pour obtenir la suprématie dans le domaine des vaccins.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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vendredi, 26 mars 2021

Géopolitique et Empire britannique: l'impérialisme libéral de Halford Mackinder

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Géopolitique et Empire britannique: l'impérialisme libéral de Halford J. Mackinder

Ben Richardson

Source : https://katehon.com/en/

Les racines de la discipline que sont devenues les études sur les relations internationales font aujourd’hui l'objet d'une enquête ‘’postcoloniale’’. Une figure intellectuelle qui nécessite un tel examen est Halford John Mackinder, un des pères fondateurs de la géopolitique. Les idées de Mackinder, qui ont maintenant plus d'un siècle, conservent une réelle influence de nos jours. C'est notamment son bref essai de 1904 intitulé The Geographical Pivot of History, qui traite de l'importance stratégique de l'Eurasie, qui a été cité avec insistance par les faucons défendant l'invasion de l'Afghanistan et de l'Irak par les États-Unis. Comme eux, Mackinder avait aussi des ambitions impériales. L'œuvre de sa vie a été consacrée au renouveau de l'Empire britannique, dont il craignait qu'il ne soit dépassé par les puissances continentales rivales. Fidèle à sa foi dans la praxis de la connaissance géographique et dans la maîtrise des territoires par les États, Mackinder a également cherché à faire carrière en politique. Les premiers signes de cette transition apparaissent en 1900, lorsqu'il se présente aux élections générales, c’est en soutien à une faction largement oubliée du parti libéral, celle qui s’autoproclamait ‘’impérialiste libérale’’. L'histoire de ses mésaventures électorales permet d'éclairer le contexte idéologique dans lequel la géopolitique a émergé et les buts qu'elle a poursuivis.

Mackinder a commencé le nouveau siècle comme un homme en pleine ascension. Le 22 janvier 1900, il arrive triomphalement à la Royal Geographical Society pour donner une conférence sur son ascension du mont Kenya. Il fut non seulement le premier Européen à atteindre le sommet de cette montagne africaine, mais aussi le premier à présenter ses résultats à la Société en utilisant la photographie couleur. En combinant le prestige national et l'avancement scientifique, l'expédition a étoffé la réputation de Mackinder en tant que pionnier de la géographie. À ce moment-là, il était surtout connu pour ses contributions scientifiques en tant que directeur du Reading College et que lecteur à l'Oxford School of Geography, deux établissements récemment créés grâce à ses efforts. Au printemps de l’année 1900, il parcourut le pays pour donner des conférences sur le mont Kenya et le 3 octobre - jour du scrutin des élections générales - il devait s'adresser aux nouveaux étudiants à l'hôtel de ville de Reading et recevoir les demandes de bourses pour Oxford. Mais à deux semaines de l'échéance, il met ces projets de côté et décide de se présenter lui-même aux élections dans la circonscription de Warwick et Leamington, dans les Midlands.

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Cette décision soudaine est curieuse. Mackinder n'avait aucun sponsor politique à cette époque et aucun lien avec la circonscription où il se présentait, si ce n'est qu’il avait donné quelques cours complémentaires du programme de l'université à l'hôtel de ville de Leamington, une décennie auparavant. Il est possible qu'il ait été recommandé à l'association libérale locale par J. Saxon Mills, un ancien maître du Leamington College et devint ainsi le premier choix de ce caucus politique comme candidat. Mills aurait connu Mackinder par le biais du mouvement pour l’extension de l'université et aurait eu des opinions similaires aux siennes sur les questions relatives à l’Empire. Mais pourquoi entrer dans la course électorale si tard dans la campagne? Peut-être Mackinder cherchait-il à se distraire. Alors qu'il recevait l'adulation du public pour ses exploits en Afrique de l'Est, dans sa vie privée, il traversait une séparation douloureuse avec sa femme. Tout ce que nous savons avec certitude, c'est que le jour où il reçut l'offre de l'association libérale de Leamington, il a immédiatement télégraphié en retour et est parti les rencontrer le soir même.

L'élection générale de 1900 fut une élection ‘’kaki’’, ainsi nommée parce qu'elle fut dominée par des questions militaires relatives à l'annexion britannique des États indépendants des Boers. Mackinder est sans équivoque sur cette question. Il soutient la guerre des Boers et pense que tout sentiment pacifiste ou anti-impérial doit être mis de côté afin que la Grande-Bretagne puisse demeurer dans le monde ‘’une force pour la liberté’’. Désireux de faire comprendre sa position à l'Association libérale, Mackinder lui dit : « Si nous tenons à nos libertés britanniques, nous devons être prêts à défendre ces libertés lorsque l'occasion se présente, non seulement contre de petites puissances, mais contre de grandes puissances mondiales, presque aussi grandes que nous. Par conséquent... il est impossible à notre époque, quels que soient nos souhaits, de rester des ‘’petits Anglais’’ ». Mackinder était donc un impérialiste libéral, mais ne croyait pas pour autant que toutes les guerres étaient bonnes, car la guerre est toujours un désastre - (‘’écoutez, écoutez’’) – mais, ajoutait-il, ‘’il ne serait pas partie prenante pour omettre quoi que ce soit qui rendrait moins facile pour eux d'apprécier leurs libertés britanniques ou de conserver le pouvoir d'étendre ces libertés’’.

C'est un message qu'il répète tout au long de sa campagne, insistant sur la nécessité pour la Grande-Bretagne de se protéger contre les puissances en développement rapide qu’étaient à l’époque l'Allemagne et les États-Unis ; cette protection devrait s’articuler, pendait-il, par la mise en place d’une fédération impériale avec l'Australie (blanche), le Canada et l'Afrique du Sud: "une ligue de démocraties, défendue par une marine unie et une armée efficace". Sa position optimiste et son éloquence renommée inquiètent manifestement l'opposition, à tel point que le gros bonnet unioniste Joseph Chamberlain se rend à Warwick et Leamington à la veille des élections pour parler en faveur du candidat sortant. Après des remarques introductives dans lesquelles Mackinder était qualifié de "bâtard" en raison de son appartenance politique indéfinissable, Chamberlain ridiculisa ensuite son allégeance mal placée, déclarant : ‘’la seule faute que je trouve à M. Mackinder, c'est qu'il n'est pas membre de notre parti... J'espère qu'après cette élection, il jugera bon de rejoindre les Liberal Unionists’’.

En fait, les arguments de Mackinder en faveur de l'impérialisme libéral n'ont pas convaincu l'électorat. Bien qu'il ait manqué toute l'élection parce qu’il s’occupait d’affaires gouvernementales en Afrique du Sud, son adversaire Alfred Lyttelton a consolidé sa majorité et a gagné avec 59 % des voix. De manière quelque peu vaniteuse, Mackinder attribue cette défaite à la mauvaise organisation de l'association libérale locale, en leur rappelant que "les élections ne sont pas gagnées par des réunions publiques": « Les élections ne se sont pas jouées dans les réunions publiques, aussi enthousiastes aient-elles été, sinon nous les aurions gagnées ». Malgré cette défaite et ces reproches, l'association l’a dûment remercié et l'a acclamé avec le célèbre refrain de He's a jolly good fellow.

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Sir Alfred Lyttelton.

Mais Mackinder n'en avait pas encore fini avec la politique politicienne. Trois ans plus tard, une élection partielle fut convoquée, car Lyttelton avait été promu au poste de secrétaire aux Colonies et  un candidat devait se représenter dans sa circonscription. Cette promotion de Lyttelton fait suite à la démission de Joseph Chamberlain, qui dut quitter le cabinet suite à une controverse ; il se mit alors à faire campagne en faveur d'une réforme tarifaire. Mackinder est en plein accord avec le désir de Chamberlain de faire de l'Empire britannique un bloc commercial protégé. Il rejoint la Tariff Reform League et, répondant à l'espoir de Chamberlain, passe effectivement dans le camp des Unionistes. Il propose même de se rendre à Leamington pour parler en faveur de son ancien adversaire, ce qui est, selon ses propres termes, "le seul comportement viril que je puisse adopter". La réaction du Liberal Club de la ville a été de décrocher la photo de Mackinder du mur, de la lacérer et de brûler ce qui en restait. On a conseillé à Mackinder de ne pas se rendre dans la ville.

Au moins, Lyttelton a apprécié l'offre. L'année suivante, en tant que secrétaire aux Colonies, il a présidé à la conférence de Mackinder sur l'Empire britannique, soutenue par de nombreuses illustrations. La teneur de cette conférence  -et les illustrations qui l’accompagnaient-  devaient être utilisées dans les écoles pour édifier des émules patriotiques, prêtes à servir l’Empire. Le projet se concrétisera dans les manuels préparés pour le Visual Instruction Committee du Colonial Office, que Lyttelton encourage les gouverneurs coloniaux à adopter. La relation entre les deux hommes se cimenta lors des élections générales de 1906, lorsque Mackinder proposa à nouveau de parler pour Lyttelton, ainsi que pour Arthur Steel-Maitland, un autre réformateur du tarif douanier, qui faisait campagne dans la circonscription voisine de Rugby. Cette fois-ci, l'offre fut acceptée, mais une fois encore, elle tourna mal. Comme le rapporta le London Daily News, lorsque Mackinder se lèva pour prendre la parole lors d'une réunion publique dans une école de Leamington: ‘’ce fut le signal d'une scène de tumulte assourdissant, au-dessus duquel s'élevaient des cris de Mongrel. Il est resté debout pendant cinq minutes en souriant d'un air quelque peu sardonique, puis, demandant un tableau noir, il a écrit à la craie Be fair, as Englishman. De nouveau, prenant place sur l'estrade, M. Mackinder attend patiemment l'occasion, qui ne se présentera jamais, de s'adresser aux électeurs’’.

Sans se décourager, les deux hommes poursuivent leur programme commun et le lendemain, Mackinder prononça un long discours en faveur de la position unioniste sur la réforme tarifaire, qu'il décrivit comme "une question de vie ou de mort pour le pays". Il s'efforça en particulier de discréditer l'affirmation du Parti libéral selon laquelle les tarifs protectionnistes entraîneraient une hausse des prix des denrées alimentaires, ce que Mackinder pensait pouvoir éviter en exploitant "les vastes champs du Canada" comme fournisseur garanti de céréales bon marché. Les électeurs ne sont toujours pas d'accord et Lyttelton perd son siège lors du raz-de-marée libéral qui balaie l'alliance des conservateurs et des unionistes.

Mackinder entre finalement au Parlement en 1910 en tant que député conservateur et unioniste pour la circonscription de Camlachie à Glasgow, mais au début des années 1920, il abandonne complètement la politique partisane pour un rôle technocratique à la présidence de l'Imperial Shipping Committee. Il s'était méfié de la menace que représentait la démocratie représentative pour les experts et l'ordre social ; une réponse directe à ce qu'il considérait comme l'endoctrinement socialiste des travailleurs par le parti travailliste, mais peut-être aussi une amertume persistante à l'égard de ses premières expériences, qui avaient meurtri son ego à Warwick et Leamington. Il avait également le sentiment qu'au Parlement, il n'avait rendu justice ni à son talent ni à sa cause, n'ayant jamais été introduit dans le cercle restreint du gouvernement. À la fin de sa vie, il regrettera de "ne pas s'en être tenu à la géographie seule". Peut-être les choses se seraient-elles passées différemment s'il ne s'était pas précipité dans la politique, surtout pour un parti auquel il allait plus tard tourner le dos. Mais bon, qui a entendu parler d'un impérialiste prudent ?

La 6G, bataille technologique sino-américaine décisive pour la suprématie mondiale

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La 6G, bataille technologique sino-américaine décisive pour la suprématie mondiale

par Catherine Delahaye

Ex: https://www.ege.fr

La technologie 5G, dont les spécifications ont été publiées en juin 2020 par l’organisation internationale de normalisation 3GPP (3rd Generation Partnership Project)[1], et la future 6G, qui devrait être effective dans une petite dizaine d’années,[2] sont primordiales pour contrôler les communications tant civiles que militaires, récolter et exploiter une quantité de données toujours plus croissante ; elles sont également stratégiques dans la conquête de l’espace. Et selon une étude sud-coréenne, le marché économique de la 5G+ (la 5G et les futures générations de technologies mobiles) représentera mille milliards USD d’ici 2026.

La notion de route de la soie digitale a été présentée pour la première fois dans un livre blanc chinois en 2015. Partie intégrante de la Belt and Road Initiative (BRI), la technologie de télécommunication mobile n’est cependant pas représentée par une simple ligne tracée sur une carte du monde à l’instar des routes de la soie terrestres et maritimes. C’est surtout, aux yeux du gouvernement chinois, la promesse d’un véritable maillage d’un territoire sans frontières.

Aux Etats-Unis, la technologie est vue à la fois comme l’instrument de puissance par excellence, comme l’indice du niveau de puissance et comme la variable d’ajustement stratégique. De là naîtront des inventions déterminantes pour la géopolitique américaine : l’Arpanet (Internet), le GPS et les drones. Lancée durant le mandat de Donald Trump, la Diplomatie de la technologie et de la science décrit la vision politique américaine appliquée aux nouvelles technologies : faire progresser la liberté par la technologie ainsi que mettre la science et la technologie au premier plan dans la politique étrangère afin d’assurer la sécurité et la prospérité des États-Unis. Parmi les actions de cette diplomatie, figure le 5G Clean Networks : visant à créer un réseau 5G sécurisé et fiable et à protéger les frontières numériques, il s’impose désormais au monde puisqu’en octobre 2020, il fut adopté par 40 pays et 50 opérateurs de télécommunications, dont 25 des 30 alliés de l’OTAN.

La rivalité Chine / États-Unis a évolué depuis 2018[3] et ne s’est jamais autant exprimée ouvertement que ces dernières années. Cependant, les enjeux de télécommunications étaient sur la table dès le départ. Au travers de ce leadership technologique dont les télécommunications mobiles grand public ne sont qu’une des faces visibles, la Chine vise la suprématie mondiale en évinçant les États-Unis et, par-là, les valeurs qu’ils portent en matières politique, économique et sociétale.

La Chine aux commandes des normes mondiales

Dans le secteur des télécommunications co-existent plusieurs organismes internationaux de normalisation tels que le 3GPP, l’ITU (Union Internationale des télécommunications, membre onusien influent auprès du 3GPP) et l’ISO (Organisation Internationale de Normalisation).

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Il existe également des instances de normalisation régionales ou nationales ; ainsi par exemples, l’ANSI (Institut national de normalisation américain), la NTIA (Administration nationale des télécommunications et information) et la FCC (Commission fédérale des communications) aux États-Unis, la SAC (Administration de normalisation chinoise) et la CCSA (Agence chinoise de normalisation des télécommunications) en Chine. Il est intéressant de remarquer une brique américaine au sein de cette agence : Qualcomm, via sa filiale chinoise, en est l’un des membres. Ces organismes n’ont généralement que peu de liberté face aux standards internationaux : uniquement dans le cadre des parties manquantes/des options offertes par la norme, à moins de ne pas adopter la norme au niveau national.

Les représentants du secteur (instances nationales, fabricants de puces, autres industriels et équipementiers télécoms, opérateurs…) se réunissent au sein de ces organismes internationaux pour étudier, négocier et établir les normes qui seront ensuite appliquées dans tous les pays. Ainsi, les membres du 3GPP se réunissent trois fois par an pour définir les aspects techniques (features) et les dénominations correspondantes à utiliser, chacun disposant d’un droit de vote égal. Selon des acteurs interrogés,[4] il y a toujours des débats soutenus lors des réunions de standardisation au sein de ces instances internationales.

Dans les faits, les normes sont principalement écrites et promues par les grands équipementiers. Chacun pousse ses propres solutions, le but étant d’avoir un leadership technologique et économique. En effet, les détenteurs de brevets dits « essentiels »[5], utilisés dans une norme peuvent prétendre à des royalties et ont un meilleur accès au marché car ils peuvent fabriquer les équipements nécessaires avant même que leurs concurrents commencent à y réfléchir.

A ce jour, la Chine maîtrise parfaitement les organismes internationaux du secteur. Ainsi, le haut fonctionnaire et ingénieur chinois, Houlin Zhao, a entamé son deuxième mandat de quatre ans le 1er janvier 2019 à la direction de l’ITU. L’IEC (Commission électrotechnique internationale) comprend 188 membres chinois répartis au sein des différents comités techniques, soit le plus grand nombre de représentants à égalité avec la France, l’Italie, l’Allemagne, la Suède et le Japon, les Etats-Unis avec 171 membres étant au 19è rang.

Cette coopération internationale n’existait pas à l’époque de la 2G et de la 3G, d’où les problèmes d’interopérabilité des systèmes. Par exemple, à l’époque de la 3G, un appareil américain ne fonctionnait pas à l’étranger en raison de normes différentes, et vice versa.

Si la 4G et la 5G sont devenus des standards mondiaux par l’entremise de ces instances internationales de normalisation, rien ne permet, à ce jour, d’affirmer qu’il en sera de même pour la 6G. Alors que les instances de normalisation n’ont encore fixé aucune feature de la 6G, les centres de recherche, les universités et les acteurs industriels de la 5G travaillent déjà depuis plusieurs années sur des technologies et des applications qui pourraient un jour relever de cette 6G, renversant ainsi les rôles entre instances de normalisation et acteurs industriels. C’est d’ailleurs l’un des risques pour la 6G.

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Les enjeux technologiques de la 6G

Pourtant, la 6G n’en est encore à ses débuts. Selon un livre blanc publié par l’Université finlandaise d’Oulu, elle doit surmonter plusieurs obstacles techniques en matière de recherche fondamentale, de conception du matériel et d’impact environnemental avant d’être commercialisée.

Ce que les scenarii de films de science-fiction ont imaginé il y a des années, la 6G le permettra. Parmi les améliorations de la 6G est envisagée une latence extrêmement faible, notamment nécessaire aux performances des marchés financiers, des véhicules autonomes, de l’intelligence artificielle, de la médecine et de la défense... Si la 5G réduit aujourd’hui la latence à 5 millisecondes, la 6G pourrait la réduire à moins d’une milliseconde. C’est le pari qu’a fait Cisco en décembre 2019, en rachetant Exablaze, spécialiste de la faible latence. Le débit sera bien plus élevé que celui de la 5G (de 10 à 8000 fois selon les premières estimations). Ainsi, les applications que la 6G semble pouvoir rendre réelles sont nombreuses :

  • Les machines équipées de caméras alimentées par la 6G seraient capables de traiter des données avec des résolutions, des angles et des vitesses inimaginables ; et ainsi connaître la position exacte d'un objet terrestre, maritime ou aérien et le contrôler à distance deviendrait un jeu d’enfant.
  • Des puissances de calcul démultipliées en exploitant au mieux les ressources de l’intelligence artificielle ; et ainsi gérer en temps réel la multitude de données et d'informations exponentielles, nécessaires à une prise de décision.
  • La réalité virtuelle augmentée permettrait d’afficher des hologrammes volumétriques à taille réelle, en interaction possible avec l’original physique : tout pourrait être reproduit numériquement et à taille réelle ; un moyen aussi d’explorer et de surveiller la réalité dans un monde virtuel, sans aucune contrainte temporelle ou spatiale.
  • Utilisée dans l’espace, elle unifierait les modes de transmission entre satellites et réseaux terrestres et aussi couvrirait les océans.

« À l'ère 6G, nous verrons des applications qui non seulement connecteront les humains aux machines, mais également les humains au monde numérique, assure Peter Vetter, responsable de la technologie au sein du centre R&D Bell Labs. Une connexion aussi sécurisée et privée peut être utilisée pour des soins de santé préventifs ou même pour créer un réseau 6G avec un sixième sens qui comprendrait intuitivement nos intentions, rendant nos interactions avec le monde physique plus efficaces et anticipant nos besoins, améliorant ainsi notre productivité. »

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Plusieurs visions techniques s’affrontent, par exemples celles de Huawei et Google. L’enjeu de l’une comme l’autre de ces solutions reste un accès facile aux données stockées grâce à la 6G, afin qu’elles puissent être transformées en intelligence (sécurité, machine learning, transports -la Chine a pour objectif une complète automatisation des autoroutes pour 2028).

Ainsi, Huawei a une vision très centralisée de la gestion des données : construire des smart data centers utilisant l’intelligence artificielle, solution la plus simple et la moins chère, car déjà existante pour la 5G. Wang Ruidan, directeur adjoint du Centre national des infrastructures scientifiques et technologiques, a déclaré lors d’un forum à Pékin dédié à la recherche scientifique numérisée que « le partage, l’analyse et la gestion des données sont essentiels pour l’innovation scientifique et technologique à l’ère du big data. »

La vision de Google est totalement à l’opposée. Grâce au Google Mistral+, un data center miniaturisé sur quelques centimètres carrés, l’intelligence est distribuée entre plusieurs milliards de machines interconnectées.

L’Europe : terrain de confrontation sino-américaine ?

La confrontation sino-américaine sur le territoire européen est déjà présente au travers des nouvelles associations interprofessionnelles et projets en rapport avec la 6G qui se sont développés dans les milieux universitaires, industriels et publics.

Ainsi, l’Université d’Oulo en Finlande a mis en place le 6G Flagship, écosystème de recherche et de création conjointe pour l’adoption de la 5G et l’innovation 6G, programme nommé par l’Académie de Finlande, une agence gouvernementale de financement de la recherche scientifique de haute qualité. Le budget total du programme de huit ans est de 251 M EUR. En septembre 2019, le 6G Flagship a publié le premier livre blanc 6G au monde intitulé Key Drivers and Research Challenges for 6G Ubiquitous Wireless Intelligence. Mehdi Bennis, professeur agrégé à l’Université d’Oulu, déclare que « la normalisation ne commencera pas avant 2028, et [que] nous sommes donc en train de préparer le terrain pour les besoins de cette génération ».

Le 6G Flagship organise un sommet annuel international depuis 2019. Le 2è sommet s’est tenu virtuellement en mars 2020 autour d’experts du monde entier, y compris la Chine et les États-Unis. Côté chinois, industriels et universitaires se sont relayés dans les présentations : ZTE, Huawei, l’Institut de recherche de China Mobile, l’Université des sciences et technologies de Hong Kong et l’Université de Tsinghua. Côté américain, ce sont essentiellement des universitaires qui sont intervenus : Cornell University, Northeastern University, Columbia University, Rice University ainsi que deux acteurs industriels : RF Communications Consulting & Eridan Communications et Intel.[6]

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Les opérateurs s’emparent de la 6G et leurs jeux d’influence se déploient également au sein des associations professionnelles existantes. Basée en Allemagne, notamment membre du 3GPP et de la GSMA[7], l’alliance NGMN (Next Generation Mobile Network) est une initiative fondée en 2006 par les principaux opérateurs de réseaux mobiles mondiaux. Elle revendique plus de 80 membres, acteurs de l’industrie et de la recherche en télécommunications mobiles. Environ un tiers sont des opérateurs mobiles, ce qui totalise plus de la moitié des abonnés mobiles au niveau mondial. Les autres membres sont des fournisseurs et fabricants représentant plus de 90 % du marché mondial du développement de réseaux mobiles, ainsi que des universités ou des instituts de recherche privés. Parmi eux, peuvent être cités de nombreux acteurs chinois et américains tels que : China Mobile, Huawei, ZTE, T-Mobile, Intel, Mavenir, Qualcomm et Johns Hopkins University.

En octobre 2020, l’alliance a lancé un nouveau projet, Vision and Drivers for 6G, élaboré pour insuffler une orientation dans les recherches et applications 6G auprès de toutes les parties prenantes. Il facilitera également les échanges d’informations entre les membres et les parties prenantes concernées.

Au niveau de l’Union européenne, le consortium Hexa-X, dédié à la 6G et opérationnel depuis janvier 2021, entre également dans le terrain de confrontation entre Etats-Unis et Chine. Le projet s’inscrit dans Horizon 2020, le programme-cadre de recherche et d'innovation de l'Union européenne (80 milliards EUR d'investissement sur sept ans). Nokia en est à la tête aux côtés d’Ericsson et d’une vingtaine de laboratoires de recherches et d'entreprises, tous acteurs européens du secteur. L’influence américaine s’infiltre cependant dans le projet : les Etats-Unis y sont représentés via le fabricant de puces Intel.

Sur le front américain : la course à l’armement a commencé

Les Etats-Unis restent à la traîne dans la 5G. S’ils sont présents dans les routeurs avec Cisco, les transmissions optiques avec Ciena, les puces avec Qualcomm et les smartphones avec Apple, ils ne disposent plus d’équipementiers mobiles. Les trois grands acteurs dans ce domaine, Nortel, Motorola et Lucent Technologies, ont tous disparu lors des transitions vers la 3G puis la 4G.

Ainsi, malgré la multitude d’acteurs industriels et numériques américains, les États-Unis sont conscients d’avoir perdu la bataille de la 5G. Ils essaient de limiter les pertes en utilisant l’extra-territorialité de leur droit et leur longue pratique de la communication d’influence auprès de leurs alliés historiques, plus particulièrement pour promouvoir la défense de la démocratie, en soutenant le club des « techno-démocraties » en zone Indo-Pacifique, Taïwan, Japon et Corée du sud, et contrer la montée en puissance de la Chine, jugée « techno-autoritaire ».

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En février 2019, Trump indiquait dans un tweet vouloir développer la 6G dès que possible.[8] Néanmoins, l’Administration américaine n’en a fait un élément essentiel de souveraineté et de sécurité nationale que récemment et n’avait jusqu’alors pas débloqué de budget pour soutenir les actions R&D des acteurs du secteur.

En septembre 2020, le cabinet de conseil BCG publiait une étude à l’attention des décideurs politiques américains afin de les encourager à se concentrer sur cinq facteurs clés critiques (le réseau, le spectre, l’innovation R&D, le climat et les talents humains). Ils souhaitaient aussi s’assurer que les États-Unis aient un avenir minimum dans l’industrie des télécommunications, ces mêmes cinq thématiques étant elles aussi étudiées par les Chinois. « J’ai l’impression que nous nous sommes enthousiasmés sur d’autres choses comme l’intelligence artificielle et les progrès logiciels comme le cloud, déclarait le professeur Tommaso Melodia, directeur de l’Institut des objets sans fil de l’Université Northeastern, en novembre 2020. Nous avons pris le sans-fil comme un acquis et nous nous rendons maintenant compte, avec la pandémie, que toute notre économie dépend de la recherche sur les communications. Nous ne pouvons pas tenir cela pour acquis ; la Chine ne l’a pas fait. » Peter Vetter confirme que « cette technologie est si importante qu’elle est devenue dans une certaine mesure une course à l’armement. Il faudra une armée de chercheurs pour être compétitif. Contrairement à la 5G, l’Amérique du Nord ne laissera pas la Chine prendre le leadership. »

Dans les faits, il est vrai que seuls les universitaires américains travaillent sur la 6G depuis 2018. Par exemple, en 2019, NYU Wireless luminary Ted Rappaport, un des premiers partisans de la 5G dans le spectre d’ondes millimétriques, a publié un article sur la 6G dans les fréquences supérieures à 100GHz. Également en 2019, la FCC a approuvé des expériences dans le spectre au-dessus de 95GHz. Et en 2020, la Spectrum Innovation Initiative de la NSF (Agence nationale pour recherche scientifique fondamentale) a commencé à préconiser un nouveau Centre national de recherche sur le spectre sans fil (SII-Center) pour « aller au-delà de la 5G, de l’IoT et des autres systèmes et technologies existants ou à venir afin de tracer une trajectoire assurant le leadership des États-Unis dans les technologies, systèmes et applications sans fil à venir, en science et en ingénierie, grâce à l’utilisation et au partage efficaces du spectre radio. »

Aujourd’hui, les États-Unis ont commencé à dresser des lignes communes pour le combat 6G.

En février 2021, Apple annonce recruter des ingénieurs télécoms pour « faire partie d’une équipe définissant et effectuant des recherches sur les normes de prochaine génération comme la 6G ».

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L’ATIS (Alliance for Telecommunications Industry Solutions), a lancé la Next G Alliance en octobre 2020 pour « faire progresser le leadership nord-américain en matière de 6G ». Les membres de l’alliance comprennent des géants (Google, Apple, Facebook, Microsoft), des opérateurs mobiles (AT&T, Verizon, T-Mobile), des fournisseurs de technologies et de logiciels (Ciena, Qualcomm, VMware) ainsi que Nokia, Ericsson et Samsung considérés comme des alliés. Les sujets traités vont de la réalité augmentée, à la communication entre machines inférieure à la milliseconde, aux données toujours plus concentrées et accessibles, au développement des interfaces cerveau-machine comme celles de Neuralink, société fondée par Elon Musk. Cette initiative servira également à influencer les priorités de financement de l’Administration américaine et les mesures qui soutiendront l'industrie technologique. La Présidente d’ATIS, Susan Miller, souhaite que l’Administration, la communauté universitaire américaine et l’industrie américaine du secteur travaillent en partenariat public-privé pour accélérer le développement de la 6G. Plus précisément, l’ATIS demande un financement fédéral et des crédits d’impôt pour la R&D 6G, ainsi que plus de spectre et de zones de développement dans le pays.

En Chine : l’expansionnisme sur terre et dans l’espace

La Chine compte plus d’abonnés 5G que les États-Unis, non seulement au total mais par habitant. Plus de smartphones 5G y sont commercialisés, et à des prix plus bas. La couverture 5G est plus répandue et les connexions en Chine sont, en moyenne, plus rapides qu’aux États-Unis.

Alors qu’à l’heure actuelle la Chine compte près de 700 000 stations de base 5G à travers son territoire (les Etats-Unis ne disposant pas d’une centaine de milliers), elle compte en construire plus de 600 000 nouvelles au cours de l’année 2021 a annoncé le ministre chinois de l’Industrie et de l’Informatisation, Xiao Yaqing, en décembre 2020 lors d’une conférence. Selon les estimations de Wu Hequan, membre de l’Académie chinoise d’ingénierie, le nombre total de stations de base 5G en Chine pourrait même atteindre plus de 1,7 million d’ici la fin de l’année prochaine.

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Et la crise sanitaire de la COVID-19 ne va pas stopper cette expansion nationale et internationale. Bien au contraire, durant la session annuelle du Parlement en mai 2020, le Premier ministre a clairement indiqué que le plan de relance chinois passerait notamment par le développement de nouvelles infrastructures numériques et centres de données.

Malgré plusieurs embargos et moratoires commerciaux, les entreprises chinoises ont encore leur mot à dire dans le marché des équipements et technologies mobiles. Huawei apparaît clairement comme le chef de file de l’industrie 6G en Chine. Fin septembre 2019, Ren Zhengfei, PDG fondateur de Huawei, affirmait que cela faisait « entre trois et cinq ans que son groupe travaillait sur la 6G ». Il ajoutait que même si l’entreprise travaillait simultanément sur la 5G et la 6G, elle en était au début et avait encore beaucoup de chemin à parcourir avant que la commercialisation ne commence. Les recherches chinoises sur la 6G passent aussi par l’Europe et le continent américain. Selon les médias locaux, Huawei dispose d’un centre de recherches 6G au Canada et a lancé, à Sophia Antipolis en France, une chaire de recherche sur la 6G avec l'école d'ingénieurs Eurecom. « Les Etats-Unis placent leurs espoirs dans la 6G. Mais en matière de recherche 6G, Huawei mène le monde » avait affirmé Ren Zhengfei dans une interview au New York Times en 2019.

D’autres entreprises chinoises participent également à cette R&D 6G. China Unicom, l’un des trois plus grands opérateurs chinois, a mis en place dès 2019 un groupe de recherche axé sur les communications Térahertz, l’une des technologies de base pressenties pour la 6G.[9] En mai 2020, ZTE s’est associé à China Unicom pour développer la 6G et « promouvoir la fusion profonde entre le 6G et les réseaux satellites, l’IoT, l’IoV (Internet des véhicules) et l’Internet industriel ». En juin 2020, Huawei a annoncé avoir conclu un partenariat stratégique avec China Unicom et Galaxy Aerospace pour développer une solution d’intégration air-espace-sol pour la 6G. Par ailleurs, Huawei s’attaque à la région Indo-Pacifique en commençant par l’Australie, l’un des alliés historiques des Etats-Unis mais également signataire du RCEP. En effet, le Sydney Morning Herald a récemment indiqué que Huawei voulait entamer des discussions avec le gouvernement australien sur la meilleure façon de collaborer à la R&D 6G et d’éviter une répétition de l’interdiction de la 5G. « La discussion que nous voulons maintenant avoir avec le gouvernement australien est : Que faisons-nous lorsque la 6G sera là ? Parce que Huawei ou une autre entreprise chinoise sera définitivement leader dans ce domaine. » a précisé Jeremy Mitchell, directeur des affaires commerciales de Huawei en Australie.

La Chine semble véritablement en tête de cette course technologique à la 6G

Elle a commencé la recherche autour des technologies 6G dès 2018 avec l’ambition de déployer la 6G en 2029. Dès novembre 2019, le ministère des Sciences et des Technologies a créé deux groupes de travail pour mener des recherches sur la 6G et valoriser les travaux de Huawei déjà menés sur ce sujet. Le premier groupe est composé des ministères concernés chargés de promouvoir la R&D 6G dans le pays ; le deuxième groupe, Objectif 2030, rassemble trente-sept spécialistes issus d’universités, d’institutions et d’entreprises. Le Vice-Ministre Wang Xi des Sciences et des Technologies a déclaré que la voie technique pour la 6G reste floue et a souligné que les indicateurs clés et les scenarii d’application n’ont pas encore été standardisés.

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Le lancement d’un satellite 6G par l’agence spatiale chinoise le 6 novembre 2020 en est une première concrétisation. Connu sous le nom de Tianyan-5, le satellite de télédétection a été développé par l'Université des sciences et technologies électroniques de Chine qui a travaillé avec Chengdu Guoxing Aerospace Technology et Beijing MinoSpace Technology. Il va permettre de vérifier les performances de la technologie 6G dans l’espace car sa bande de fréquence s’étendra de la fréquence des ondes millimétriques 5G à la fréquence Térahertz. Ils espèrent ainsi pouvoir étudier le comportement de cette technologie depuis l’espace et tester la communication entre un satellite et le sol terrestre : un moyen d’améliorer la couverture Internet mais aussi d’unifier les modes de transmission entre les satellites, les réseaux terrestres et de couvrir toute la planète, océans inclus. Le satellite devrait également permettre de surveiller et de détecter les catastrophes naturelles comme les incendies de forêt mais sera aussi utile pour superviser les ressources forestières, surveiller la conservation de l’eau. On peut cependant aisément imaginer bien d’autres motifs de surveillance.

Les lignes de combat sont également alignées côté chinois. En mars 2021, comme chaque année, l’événement China’s Two Sessions permet aux dirigeants des plus grandes entreprises technologiques chinoises de rencontrer les membres du gouvernement pour définir une politique commune. Cette année, les propositions des géants du web, entre autres Tencent, Xiaomi, Baidu et Lenovo, font écho aux objectifs du gouvernement en matière de 6G, d’intelligence artificielle, de conduite autonome ou encore d’informatique quantique.

Conclusion

A l’instar du Royaume-Uni qui contrôlait la planète en tenant la mer au 19è siècle, la puissance qui dominera la 6G dirigera le monde du 21è siècle. Mais cette bataille sino-américaine de la 6G sera-t-elle la dernière pour la suprématie et un nouvel ordre mondial ? Il reste une dizaine d’années avant que la 6G ne se concrétise et obtienne un certain potentiel de profits pour les opérateurs et industriels télécoms, mais il est certain que le premier pays à détenir des brevets technologiques 6G gagnera. La 6G promet des applications stratégiques dans les domaines militaire et civil. De l’Internet of Things, elle va nous faire passer à :

  • l’Internet of Senses, des technologies qui permettent de « communiquer numériquement le toucher, le goût, l’odorat et la sensation de chaleur ou de froid » ;
  • et à I’Internet of Behaviors, des technologies qui analyseront, imiteront et géreront sans cesse nos modes de fonctionnement et de pensée.

Pour l’instant, les États-Unis et la Chine sont surtout impliqués dans une démonstration musclée, sur leurs territoires mais également dans le reste du monde, avec des batailles d’annonces médiatiques et des organisations structurées en parallèle pour obtenir le leadership dans ce qui sera le prochain système de communication sans fil au monde, ou la prochaine révolution industrielle.

Cependant, les observateurs du secteur craignent de plus en plus que la rupture géopolitique entre les États-Unis et la Chine ne finisse par casser le travail sur la norme 6G créant ainsi une version américaine et une version chinoise de la technologie qui ne seraient pas interopérables. Si, tel qu’il apparaît aujourd’hui, la Chine reste en avance dans la recherche 6G, Pano Yannakogeorgos, expert du New York University’s Center for Global Affairs, craint que les États-Unis ne repartent sur l’ancien système différencié en créant leurs propres normes.

Le monde pourrait alors se retrouver coupé en deux, avec deux standards de communication différents, l’un dominé par les Chinois, l’autre par les Américains.

Catherine Delahaye.

Le souverainisme gallois, pas plus identitaire que sa version écossaise

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Le souverainisme gallois, pas plus identitaire que sa version écossaise

Les récents sondages effectués dans le Pays de Galles, au nord-ouest de l’Angleterre, démontrent qu’il y aurait un engouement pour l’indépendance. Ils seraient aujourd’hui 40%, particulièrement les jeunes (https://www.theguardian.com/uk-news/2021/mar/04/westminster-warned-as-poll-shows-record-backing-for-welsh-independence), à s’affirmer en faveur d’un tel projet, alors que l’option souverainiste a longtemps stagné sous la barre du 10%. Le contexte y est pour beaucoup; nombreux sont les Gallois qui soulèvent de nombreux griefs face à la gestion pandémique de Boris Johnson et d’ailleurs les travaillistes gallois n’hésitent pas à utiliser cette vague séparatiste pour tenter de négocier un « fédéralisme renouvelé. »

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En tant que tel, le projet de souveraineté est officiellement porté par le Plaid Cymru d’Adam Price, parti dont le programme n’est pas sans rappeler celui des socio-démocrates du Scottish National Party (SNP) ou du Parti québécois (PQ). À l’origine ce parti fondé en 1925 faisait de la défense des traditions et de l’ethnie galloises le point central de son programme, une démarche “volkish” qui le rapprocha idéologiquement d’autres mouvements anticonformistes de l’avant-guerre. Toutefois, il s’est converti dans les années 60 dans la défense d’une souveraineté civique vidée de tout substance. Le parti annonce d’entrée de jeu son adhésion au multi-culturalisme en faisant une profession de foi, qui, bien qu’historiquement pas tout à fait vraie, est sans ambiguïté : « L’idée du Pays de Galles comme une communauté de communautés, unies dans sa diversité, a toujours été au cœur de la mission du Plaid Cymru. » (LIEN).

Exactement comme c’est le cas dans cette constellation séparatiste qui comprend les Écossais, les Catalans, les Basques, les Québécois, les Bretons et tant d’autres.

Ce n’est pas nécessairement que ces peuples ont renié leurs racines ou ne tiennent pas à leur identité, mais plutôt que les élites indépendantistes rejettent toute forme de nationalisme pour adopter une approche mièvre dictée par la rectitude politique. La souveraineté peut donc avancer sans risque de se faire diaboliser. Mais le remède est parfois pire que le mal qu’on veut curer : en renonçant à définir le peuple qu’ont dit représenté, en le limitant à une expression purement géographique, on porte un projet vide. L’indépendance est un projet visant à permettre à un peuple, doté de caractéristiques qui lui sont propres, et non à un territoire, qui n’est sans le peuple qui l’habite qu’une parcelle de terre, au rang de nation souveraine.

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Sans cette prise de conscience, tout rêve souverainiste reste un simple projet de bureaucrate qui espère éviter de dédoubler sa paperasse à deux administrations.

Mais il y aussi le terme souveraineté que ni le SNL, ni le PQ, ni même le Plaid ne définissent réellement. On fait l’impasse sur le « peuple » mais également sur la « souveraineté » comme telle. Car dans les faits, comme l’a fort bien souligné Pierre Hillard, ce que proposent souvent les souverainistes actuels c’est de simplement faire sauter l’administration nationale pour se placer directement sous tutelle des organismes internationaux. Sur ce point il n’a pas tout à fait tort : le SNL et le Plaid sont partisans d’une Union européenne forte et le Parti québécois n’envisage pas de se libérer de la tutelle mondialiste actuelle; il aimerait juste qu’un siège à l’OTAN, à l’ONU et au FMI soit marqué d’un fleurdelysée. La souveraineté en ce sens n’est qu’une déformation sémantique : on recherche dans les faits une gestion plus localisée du mondialisme.

Pour en revenir au Pays de Galles, il est peu probable qu’un référendum soit tenu sur la question à brève échéance. Lorsque la poussière retombera après la pandémie, la balloune indépendantiste risque de se dessouffler, à moins bien sûr que le Plaid ne redonne un moteur à sa cause en lui insufflant un sens profond.

A quoi servent les poètes? - Réflexions à l’heure du septième centenaire de Dante

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A quoi servent les poètes?

Réflexions à l’heure du septième centenaire de Dante

par Alessandro Sansoni

Source : Incursioni & https://www.ariannaeditrice.it/

"A quoi servent les poètes ?". Cette question, qui a aujourd'hui la saveur d'une question d'adolescent qu'un lycéen pourrait poser à son professeur de littérature ou lors d'une discussion entre amis, Martin Heidegger l'a jugée si essentielle qu'il en a fait le titre d'un de ses textes fondamentaux, écrit non par hasard en 1946, pour ensuite se fondre dans le recueil intitulé Sentieri interrotti (ou ‘’errant’’, selon le traducteur des Holzwege), celui du tournant (Kehre) avec lequel le philosophe allemand s'apprête à défier, accompagné des vers de Rainer Maria Rilke et surtout de Hölderlin, la crise de la métaphysique occidentale et la propagation du nihilisme.

Bien sûr, les "poètes" auxquels le grand penseur faisait référence ne sont pas ceux qui se délectent de vers, de rimes ou de liberté, mais ceux qui sont capables d'explorer, avec la force de leurs mots, les profondeurs du langage, entendu comme ‘’maison de l'Être’’, et de s'aventurer jusqu'à déchirer un instant le voile qui recouvre le monde, plaçant le lecteur (ou l'auditeur) sur les traces de ces dieux qui l'ont désormais abandonné.

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En bref, Heidegger entend cette catégorie particulière et très rare de poètes qu'il appelle des ‘’dictateurs’’ et qui, avec la force des images qu'ils représentent à travers les mots, ordonnent l'univers, parce qu'après tout ils le pensent.

Et en effet, ce sont eux qui donnent naissance aux civilisations: d'Homère naît la tradition européenne, Virgile formalise la latinitas, Goethe fonde la nation allemande moderne et la liste pourrait être longue, mais les ‘’dictateurs’’ n'exercent pas une simple fonction politique, agissant avec la force de leur ‘’dictée’’ sur les peuples qui utilisent leur propre langue, ils construisent même de véritables cosmogonies de valeur universelle: ils dévoilent la Lumière et la Vérité.

Et le questionnement heideggérien, avec les significations complexes qu'il dévoile, nous amène inévitablement à réfléchir sur Dante Alighieri, peut-être le plus conscient des ‘’dictateurs’’ de la puissance de son Art.

Dante codifie une langue, conçoit une nation, définit une axiologie, légitime une idéologie (l'impériale), cisèle un chef-d'œuvre artistique, mais surtout il se conduit, et nous avec lui, à la rencontre de ce qui est primordial. Ce n'est pas une coïncidence si tout le cadre théologique de l'Église catholique des sept cents dernières années, tant dans la comparaison entre les sages que dans la représentation populaire de l'au-delà, ne pouvait ignorer ce qui est contenu dans la Divine Comédie.

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Ce que Dante nous raconte, en milliers d'endécasyllabes en tercets enchaînés, c'est un véritable Pèlerinage, comme l'ont constaté tous ceux qui ont entrepris une telle démarche et qui ont en même temps réfléchi au fait que, à la fatigue et au renforcement physique et biologique progressif que produit un parcours effectué à pied au fil des jours et des semaines, correspond une lente mais inexorable transformation et progression spirituelle. Un parcours intérieur, qui de la recherche et de l'installation dans les souvenirs les plus lascifs et pécheurs visant à atténuer la souffrance des efforts des premiers jours de marche, conduit lentement, à mesure que le corps s'entraîne et gagne en force, d'abord à une réflexion intellectuelle plus méditée sur les choses du monde et ensuite à la recherche du sens authentique, transcendant, mystique, auquel l'itinéraire entrepris doit finalement conduire : l'ouverture du regard sur l'Ineffable.

Surtout, "on a besoin des poètes pour cela" et d'autant plus aujourd'hui, alors que, comme le dit Agamben, la maison brûle, que nos certitudes s'effondrent et que l'inquiétude face à la pandémie et les mesures prises pour la combattre semblent vouloir nous réduire à notre seule matrice biologique, où la protection médicale devrait être le seul but de nos actions. Comme si la Vie n'était pas beaucoup plus, n'était pas d'abord un Risque (plus ou moins grand) pour attraper ce qui est Beau dans le monde.

Un monde devenu indigent, pour le dire encore avec Heidegger, précisément parce que les dieux et Dieu l’ont fui, précisément parce que tout semble se réduire à la peur et à l'absurdité de vouloir éviter à tout prix la mort imminente: comme si la Mort ne nous emportait pas toujours, étant consubstantielle à la Vie, la complétant.

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En somme, en nous souvenant de Dante au cours des sept cents ans qui se sont écoulés depuis sa mort, nous ressentons l'absence des ‘’dictateurs’’ et nous comprenons que nous aurions besoin d'eux, sinon précisément parce que nous voudrions suivre leurs traces dans une époque si démunie que nous ne sommes même plus capables de remarquer l'absence de Dieu comme un manque, du moins de la rendre plus supportable et moins désorientante, esthétiquement parlant, avec un peu de vernis sur rien.

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jeudi, 25 mars 2021

Tomislav Sunic : « Il faudra un certain temps pour que nos idées progressent, mais nous sommes sur la bonne voie »

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Tomislav Sunic : « Il faudra un certain temps pour que nos idées progressent, mais nous sommes sur la bonne voie »

Propos recueillis par Andrej Sekulovic (Slovénie)

Source : https://tradicijaprotitiraniji.org/2021/03/11/

Le Dr Tomislav Sunić est un auteur et conférencier croate et l'un des plus éminents représentants de l'école de pensée qu’est la Nouvelle Droite. Il est né en 1953 à Zagreb, où il a obtenu un diplôme d'anglais et de français. De 1983 à 1992, il a vécu aux États-Unis en tant que réfugié politique, où il a obtenu un doctorat en sciences politiques. Il est l'auteur de plusieurs livres, essais et autres articles en anglais, français, allemand et croate. Nous lui avons parlé de la nouvelle droite, du grand bouleversement démographique, de l'hégémonie culturelle, etc.

Racontez-nous quand et dans quelles circonstances vous avez commencé à vous intéresser aux idées de la droite ?

Je suis né dans un certain ‘’climat’’. Plus précisément, dans l'ancienne Yougoslavie communiste et dans une famille catholique et anticommuniste. Mon père était avocat. En ce qui concerne mon intérêt pour les idées dites de droite, il ne s'agissait pas d'un simple hobby, mais je m'y intéressais principalement parce que je suis par nature une personne à la curiosité très développée. C'est pourquoi, dès mon plus jeune âge, alors que je n'avais que six ou sept ans, j'ai aimé poser des questions et m'interroger, y compris de manière critique, sur le milieu politique, sociologique et culturel dans lequel je vivais. Il s'agissait, bien sûr, de la Yougoslavie communiste au début des années 1960, lorsque j'étais élève de l'école primaire et plus tard de l'école secondaire dans le Zagreb communiste. J'ai toujours aimé découvrir les idées qui étaient différentes des idées généralement acceptées et standardisées. À cette époque, bien sûr, je ne savais pas comment l'exprimer de manière académique, car j'étais très jeune.

Plus tard, à la faculté de philosophie de Zagreb, au début des années 1970, j'ai commencé à exprimer un peu mieux ces idées, qui étaient très critiques à l'égard du système de l'époque. J'avais peut-être un avantage et un privilège. Je suis né dans une famille modeste. Mon père était avocat, mais il a eu beaucoup de problèmes avec les autorités communistes de l'époque et a même été emprisonné deux fois. J'ai néanmoins eu le privilège d'avoir des livres à la maison. Nous n'avions pas la télévision, mais nous avions beaucoup de livres. J'ai donc été exposé aux langues étrangères dans ma jeunesse et à la littérature allemande, anglaise, française, latine et un peu italienne. J'ai toujours été intéressé par l'autre côté de la médaille, pour ainsi dire. Comme je l'ai déjà dit, il y avait une atmosphère anticommuniste à la maison, mais plus tard, j'ai aussi fréquenté l'école religieuse et je suis allé à l'église, non pas tant par amour de Dieu ou de la théologie et du christianisme, mais pour la simple raison que dans la Yougoslavie communiste de l'époque, l'église en Croatie, et je crois aussi en Slovénie, représentait un contrepoids au système communiste, où certaines choses pouvaient être dites et exprimées de manière critique. C'est une autre raison pour laquelle j'ai commencé à formuler mes idées à cette époque.

Comment cette formulation d'idées a-t-elle évolué au cours de vos années d'études ?

Je dois admettre que lorsque j'étudiais le français et l'anglais à l'université, j'ai peut-être eu de la chance car j'étais en compagnie de professeurs qui faisaient bien sûr partie du régime, mais qui n'étaient pas communistes, ou qui n'étaient guère favorables à la Yougoslavie, même s'ils ne l'exprimaient pas publiquement. En particulier dans les départements d’études romanes des années 1970, on pouvait voir que ces universitaires étaient assez critiques à l'égard du communisme et du titisme, y compris le regretté professeur Matvejevic. Il se considérait sans doute comme un gauchiste et un Yougoslave, mais il était très correct avec moi et m'a même permis de lire de la littérature qui était alors interdite non seulement en Yougoslavie mais aussi en France. Notamment Louis Ferdinand Céline, un écrivain célèbre qui a écrit des pamphlets antisémites qui sont encore interdits en France aujourd'hui, et aussi Robert Brasilliach et la multitude d'écrivains et d'auteurs qui étaient très actifs en France pendant la période de l'occupation allemande, de 1940 à 1944. J'ai donc toujours voulu, non pas par sympathie pour une sorte de "fascisme", mais par curiosité intellectuelle, connaître l'autre côté de la médaille. Je crois que même si, disons, les fascistes, les nationaux-socialistes ou la NDH étaient au pouvoir aujourd'hui, j'aurais également certaines difficultés, car j'ai toujours été intéressé justement par cet ‘’autre côté de la médaille’’. Je pense que c'est un penchant positif chez moi, et je pense que c'est plus une question de caractère que d'idées politiques. Je pourrais continuer à raconter comment, lorsque j'ai émigré en Amérique, où j'ai obtenu l'asile politique, j'ai élargi mes horizons grâce aux livres, car à cette époque, j'ai découvert un grand arsenal d'écrivains, de philosophes et de sociologues de droite qui avaient été pratiquement oubliés et exclus des programmes d'études, même en Europe occidentale et aux États-Unis. J'ai donc lentement évolué sur le plan intellectuel et je peux dire que, avec le recul, je ne vois pas de grande différence, si ce n'est que je continue à élargir mes horizons. Je me relativise toujours, je me regarde d'un œil critique et je pense à la façon dont mes adversaires me voient.

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Vous êtes également l'auteur de Contre la démocratie et l'égalité, un livre dont le thème principal est l'école de pensée de la Nouvelle Droite. Pouvez-vous nous en dire plus sur le livre lui-même ?

Tout d'abord, je dois mentionner que l'ouvrage Contre la démocratie et l'égalité - La nouvelle droite européenne a été traduit en flamand, en espagnol et, il y a environ dix ans, également en croate sous le titre Europska nova desnica - korijeni, ideje i mislioci ("Nouvelle droite européenne - racines, idées et penseurs"). Par ailleurs, il s'agissait en fait de ma thèse de doctorat, car j'ai fait mon doctorat sur le sujet à l'université de Californie aux États-Unis, sauf qu'en tant que thèse, elle portait le titre plus acceptable, ou, si je puis dire, plus ‘’politiquement correct’’, de European New Right and the Crisis of Modern Politics, puis European New Right and the Crisis of Modern Political Society. Bien sûr, plus tard, j'ai fait un peu de marketing autour de ma thèse de doctorat, que j'ai soutenue en 1988, et j'en ai changé le nom un peu pour des raisons commerciale. J'ai opté pour un titre plus explosif pour la simple raison que je pensais, et je n'avais pas tort, que le livre se vendrait non seulement mieux en termes quantitatifs, mais c'était le cadet de mes soucis, mais qu'il bénéficierait également d'une plus grande publicité. Je peux dire que ma décision a été la bonne. Ce livre est encore relativement bien lu aujourd'hui, et il est également largement cité. Je n'entre pas dans une grande controverse dans ce livre ; il est écrit de manière sobre et académique. Je suggère également aux étudiants et à vos lecteurs de se familiariser avec le thème principal de ce livre.

Quelle a été la réaction des autres auteurs et des représentants de la Nouvelle Droite à votre livre ?

Quant au titre lui-même, mon bon collègue Alain de Benoist, qui connaît bien le livre, c'est-à-dire ma thèse de doctorat, qu'il a beaucoup aimée, m'a dit plus tard, bien sûr en toute bonne foi, "Tomislav, quant au titre lui-même, il risque de susciter quelques réactions négatives, car nous ne sommes pas des adversaires de la démocratie, nous sommes juste très critiques à l’endroit de la démocratie libérale". Je le cite ici, mais la même attitude s'applique à moi. Il a également approuvé le contenu du livre et a compris pourquoi j'avais choisi ce titre. Comme je l'ai déjà dit, la thèse de doctorat portait un titre politiquement correct qui était acceptable pour mes collègues avec lesquels j'ai soutenu ma thèse en 1988. J'ai ensuite publié le livre en trois éditions sous le titre Contre la démocratie et l'égalité. Alain de Benoist n'était pas tout à fait d'accord avec ce titre, mais il était d'accord sur le fond avec le livre, avec la table des matières et la bibliographie, pour laquelle il m'a également aidé en partie, étant donné que tout le livre lui est en quelque sorte dédié, puisque j'y traite d'un sujet sur lequel il avait écrit bien avant moi, dès la fin des années 1960.

Pourriez-vous donner à nos lecteurs une idée des grands principes et des idées de la Nouvelle Droite?

Je vais maintenant dire quelque chose à ce sujet. Qu'est-ce que la nouvelle droite ? Je l'explique également dans le premier chapitre du livre déjà mentionné. Il s'agit peut-être d'un pléonasme linguistique, car je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire de mentionner une "nouvelle" ou une "vieille" droite. En fait, je peux dire brièvement qu'il s'agit des idées qu'Alain de Benoist et moi-même, entre autres, représentons et que mon livre décrit également. Pour être clair, ce n'est pas un pamphlet, c'est un livre sérieux avec de nombreuses citations. Alain de Benoist et l’association qu’il patronne, le GRECE (Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne), ont voulu faire revivre, en quelque sorte, la tradition conservatrice en philosophie, en sociologie, en littérature et dans d'autres domaines de la connaissance humaine, qui était pratiquement tombée dans l'oubli après la Seconde Guerre mondiale, ou qui n'était plus accessible pour des raisons politiques, parce que, comme nous le savons, après la Seconde Guerre mondiale, une hégémonie culturelle complètement nouvelle a commencé à émerger.

9781912079391.jpgDites-nous en plus sur cette hégémonie culturelle et pourquoi elle est importante ?

J'ai également consacré un chapitre du livre à ce sujet, dans lequel j'explique pourquoi cette hégémonie culturelle est importante dans la lutte politique. Chaque parti ou mouvement politique, qu'il s'agisse de Trump aux États-Unis, de Janša en Slovénie ou de Plenković en Croatie, doit établir une certaine hégémonie culturelle avant de pouvoir accéder au pouvoir, ou même avant d'être capable d'accéder au pouvoir. En d'autres termes, toute force politique doit compter un certain nombre d'intellectuels dans ses rangs et avoir une emprise sur le discours dominant, ou bien elle doit maîtriser ses propres idées et être capable de les imposer, comme l'ont fait les libéraux en Europe occidentale et les communistes en Europe orientale en 1945. Un exemple typique, peu importent son œuvre et la qualité de ses travaux, de cette hégémonie culturelle établie en 1945 est Slavoj Žižek. Malheureusement, dans cette hégémonie culturelle, on ne pouvait entendre que le côté gauche, ou plutôt la scolastique freudo-marxiste, qui incluait la French theory, etc. Mais la philosophie politique qui était auparavant assez forte en France et en Allemagne, comme les filons de la célèbre révolution conservatrice allemande sous la République de Weimar, est complètement tombée dans l'oubli. Ainsi, aujourd'hui, les étudiants n'ont aucune idée de ce qui se passait sur la scène intellectuelle conservatrice et de qui en étaient les principaux leaders, ou, si je puis dire, de la grosse Bertha conservatrice, ou artillerie lourde, qui est très peu connue dans les universités aujourd'hui, qu'il s'agisse de la faculté des arts de Ljubljana, de Zagreb ou de Berkeley aux États-Unis. Ce que je veux faire avec mes livres, et je dois aussi faire l'éloge d'Alain de Benoist sur ce point, c'est de rééquilibrer d'une certaine manière ce déséquilibre et de montrer que la droite, qu'on appelle aujourd'hui la nouvelle droite, a aussi sa propre artillerie lourde intellectuelle, qui se répand lentement, comme on peut le voir aux États-Unis, mais aussi en France, en Allemagne et ailleurs. Il ne faut cependant pas oublier que l'hégémonie culturelle des anciens freudo-marxistes, qui ont bien sûr changé de nom et opèrent sous la forme de diverses associations indépendantes qui aiment parler de tolérance, ou de divers groupes homosexuels et alternatifs de gauche, est toujours forte. Il serait difficile de soutenir que ces groupes font aujourd'hui appel à Marx ou à Freud, car ils ne sont plus en vogue, mais d'autres auteurs le sont, mais néanmoins l'idée d'une nouvelle droite est encore loin d'être implantée dans le cœur et l'âme des gens et des jeunes étudiants d'Europe, précisément parce que cette hégémonie de l'ancienne gauche, ou des antifascistes, ou des anciens et nouveaux ‘’culturistes’’, comme nous les appelons en Croatie, est encore assez forte. Ils ont des sponsors et des financiers puissants, il faudra donc du temps pour que nos idées percent, mais nous sommes sur la bonne voie.

Dans vos essais, vous mentionnez plusieurs fois les titans de la Grèce antique et vous êtes également l'auteur de la nouvelle Les Titans sont en ville. Que représentent réellement les titans aujourd'hui ?

Je suis content que vous me demandiez ça. Lorsque les gens me demandent quelle est ma profession, je leur réponds généralement que j'ai étudié les sciences politiques et la littérature, mais je peux aussi me vanter de ne pas être ce que les Allemands appellent un "Fachidiot". Dans l'enseignement supérieur, notamment aux États-Unis, où l'on parle d'"expertise", ou de "compétence", cela m'a toujours dérangé qu'il y ait aussi, malheureusement, ce "Fachidiotismus", où de grands scientifiques et experts connus se concentrent exclusivement sur leur sujet. Aujourd'hui, malheureusement, il n'y a plus en Europe ou aux États-Unis de penseurs du type de ceux qui ont fait jadis la Renaissance : on voit grouiller des dizaines d’universitaires qui sont seulement forts dans leur "Fach", qui, dans mon cas est la sociologie politique ou la philosophie politique. Mais on ne rencontre plus qu’une misérable poignée d’intellectuels qui connaissent encore la littérature, ou du moins sont familiers avec la littérature classique, qu'il s'agisse d'Homère ou d'Hésiode, ou savent ce que signifient dans la mythologie les Titans, les figures représentées sur les gargouilles et les différents dieux. En parlant de titans, on peut dire que Prométhée est l'un des principaux héros "légitimes" de notre littérature. Nous le rencontrons dans le Faust de Goethe, mais bien sûr, nous le retrouvons surtout dans la mythologie grecque antique. Prométhée est aujourd'hui, même, je suppose, pour le citoyen ordinaire, qu'il soit slovène ou croate, ainsi que pour l'intellectuel, le symbole d'un homme libre-penseur capable de résister à toutes sortes de mythes modernes, même si ces mythes sont faux ou corrects, et capable de risquer sa vie, comme Prométhée, qui a passé 30.000 ans attaché à un roc dans le Caucase, où l'aigle légendaire lui tenaillait constamment le foie. Mais il ne pouvait pas mourir, car les titans, comme les dieux, sont immortels. 

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Dites-nous en plus sur la nouvelle Les Titans sont en ville?

Tout cela m'a un peu inspiré pour écrire une nouvelle, qui, je le souligne, n'est pas un essai politique. Les Titans sont dans la ville est exclusivement une nouvelle d'environ quatre-vingts pages, dans laquelle j'ai dépeint une sorte de ville mythique, et j'avais Vukovar dans mon subconscient, mais en même temps c'est une projection de villes européennes en général, que ce soit Ljubljana, Kranj, Klagenfurt ou Zagreb, montrant à quoi ressembleront ces villes dans environ vingt ou trente ans dans ce grand conflit entre les Saturniens négatifs et les Titans positifs. D'une certaine manière, c'est une allégorie, et j'ai été assez inspiré par le frère d'Ernst Jünger, Friedrich Georg Jünger. J'ai beaucoup lu Ernst Jünger, mais malheureusement je ne l'ai jamais rencontré. Mort en 1998, il est l'une des principales figures parmi les grands écrivains, romanciers et romancières de la littérature allemande. Ce que l'on sait moins, c'est que son frère était également un bon écrivain et qu'il a beaucoup écrit sur les titans. Il a publié un livre pendant la guerre, en 1944, intitulé Die Titanen (Les Titans), que je possède en allemand et aussi en traduction française et anglaise, dont je peux dire qu'elle est très bonne. Ce livre m'a donné un peu d'élan pour écrire ma nouvelle sur cette ville mythique, Titan Town. Je ne mentionne nulle part Vukovar en particulier, mais en général, il pourrait s'agir de n'importe quelle ville d'Europe occidentale, peut-être même des États-Unis, où les gens sont entourés de ces fameux Saturniens que l'on ne voit jamais et dont on ne sait même pas quelle est la forme de leur corps, de leur visage ou de leur morphologie, mais dont on peut dire qu'ils sont négatifs. Mais ici, nous avons aussi des titans positifs, dont l'un s'appelle Held, ce qui signifie héros en allemand, et sa femme s'appelle Heroine, qui patrouillent dans cette enclave isolée, qui est en fait au bord de la mort, entourée de Saturniens, avec des armes. Ils sont confrontés à la mort, et je dois dire à nouveau que la ville de Vukovar m'a aussi un peu inspiré, mais ils se battent, malgré les faibles chances, parce qu'ils savent qu'il vaut mieux se battre en sachant qu'on s'est battu que d'abandonner, de se rendre ou de se suicider collectivement. Bien sûr, je ne parle pas de Vukovar ou de la Croatie, mais je fais en tout cas allusion à des villes européennes qui sont en un sens également assiégées aujourd'hui, bien qu'indirectement, non pas par un ennemi direct ou armé, mais par ce que nous pourrions appeler une migration silencieuse, qui a une note humanitaire et un peu larmoyante. Cette note lui est donnée par le système, et je pense ici en particulier au système libéral de l'Union européenne et à l'État profond des États-Unis, qui contrôlent tout cela de manière pratiquement très fine en favorisant l'arrivée de non-Européens dans cette ville, défendue par les restes de ces titans déjà un peu dépassés.

Avez-vous été inspiré pour écrire cette nouvelle par d'autres livres que l'œuvre de Jünger mentionnée ci-dessus, que vous pourriez recommander à nos lecteurs ?

Je me suis également inspiré d'un livre de Jean Raspail que j'ai lu il y a longtemps, intitulé Le camp des saints. Je peux dire que la traduction anglaise de ce livre est également très bonne, je l'ai lu moi-même dans les années 1980 et je l'ai comparé avec l'original français. Je peux dire qu'il est en effet très bien traduit, et je vous recommande sans hésiter ce livre. Jean Raspail a écrit ce brillant roman en 1973 sur ce que nous voyons aujourd'hui dans l'Union européenne, ou plutôt en Méditerranée, sur l'arrivée constante de migrants non européens qui modifient la composition de la population. Cela part peut-être d'une bonne intention, mais je ne veux pas porter mes jugements moraux maintenant, de peur d'être accusé de racisme. Je pourrais parler de cela aussi, de cette inversion des mots, mais le fait est qu'il s'agit d'un remplacement de population. Je peux mentionner ici un autre auteur français proche de la nouvelle droite, Renaud Camus. J'ai son livre Le Grand Remplacement. Je ne sais pas s'il a été traduit en anglais, mais je le cite beaucoup, parce qu'il parle précisément des choses dont Alain de Benoist, la Nouvelle Droite et une foule d'auteurs de ces milieux ont déjà parlé de manière indirecte, c'est-à-dire de ce qu'ils prévoyaient il y a trente ans, ce remplacement de la population et la disparition progressive des Européens et du patrimoine culturel de l'Europe. Mon bref roman n'a peut-être rien d'exceptionnel, et je pourrais peut-être y ajouter quelques éléments, mais il me tient à cœur. Il est écrit de cette manière culturellement pessimiste, que je fais mienne, et fait référence à ce qu'ont écrit Camus et Raspail, aux thèses de Friedrich-Georg Jünger, mais aussi à Spengler. Tous, d'une certaine manière, peuvent être comptés parmi les précurseurs de la Nouvelle Droite.

81DPzzzqPYL.SR160,240_BG243,243,243.jpgAujourd'hui, nous, Européens, sommes tous confrontés à des problèmes similaires, tels que les migrations de masse, la mondialisation, etc. Néanmoins, il existe de vieilles rancœurs et des conflits entre certaines nations européennes qui sont le résultat de conflits du passé. C'est également le cas entre les Serbes et les Croates. Comment voyez-vous cela et avez-vous des contacts avec les groupes de droite et les identitaires serbes?

J'ai certains contacts avec l'organisation NAŠI de Serbie. J'ai également participé avec eux à un séminaire sur les thermes romains en Slovénie, organisé par l'association Svetilnik. Ivan Ivanović et son collègue au sein de cette organisation m'ont fait une très bonne impression. J'ai souvent des nouvelles d'eux et je corresponds avec eux, et j'ai été invité à Belgrade pour donner une conférence sur l'immigration de masse et le grand changement démographique, à laquelle auraient pu participer le professeur Kevin MacDonald des États-Unis, ainsi que moi-même, parce que nous voulions organiser quelque chose à une échelle un peu plus grande, mais malheureusement cela a été annulé à cause de la crise sanitaire actuelle. J'ai donc certains contacts, mais ils sont loin d'être ce qu'ils devraient être, pour la simple raison que c'est aussi un sujet clé dans cette thématique. Il existe encore une certaine méfiance, je ne dirai pas ‘’haine’’, car le mot est trop fort, mais une certaine incompréhension entre les conservateurs serbes et croates. Je les encourage, aux côtés de mes collègues slovènes, c'est-à-dire à vos côtés, à se joindre d'une manière ou d'une autre à cette lutte commune, et à voir tous ensemble quelles sont nos priorités, sans pour autant renier nos identités nationales et culturelles.

Quelle est votre vision globale des relations entre la Croatie et la Serbie aujourd'hui ?

Il est difficile d'en parler à l'heure actuelle car la Croatie est un pays spécifique et il existe de nombreux malentendus dans ses relations extérieures, qu'il s'agisse de la Republika Srpska, de la Bosnie-Herzégovine ou de la Serbie. J'aimerais donc beaucoup donner un jour une conférence spéciale sur ce sujet. Je dois dire que, bien que j'aie de bonnes relations avec des personnes issues de milieux nationalistes, voire même nationalistes et de droite dits ‘’extrêmes’’ (membres de l'idéologie dite de droite et du ‘’Parti croate du droit’’, op. cit.), je n'ai pas la même opinion qu'eux sur certaines approches, ou je ne suis pas d'accord avec leur méthodologie. Leur point de vue est correct sur de nombreux détails concernant le début de la guerre lors de l'éclatement de la Yougoslavie, mais je ne suis pas le genre de personne obsédée par sa conscience historique au point de couper complètement tout contact avec les Serbes, qu'ils vivent à Chicago, Banja Luka ou Belgrade. Je pense qu'il est très mauvais, nuisible et néfaste de construire son identité nationale sur l'exclusion, ou plutôt sur la diabolisation, la satanisation et l'insulte d'un autre peuple. J'appelle cela une identité négative. Je n'ai pas besoin des opposants serbes pour développer ma conscience nationale et être un bon Croate. Malheureusement, en Croatie, et je crois aussi en Slovénie et en Serbie, il y a un nombre important de personnes, dont beaucoup font partie du gouvernement, qui construisent leur identité serbe ou croate sur la haine, ou sur la diabolisation de toute la nation serbe ou de toute la question serbe, etc. Attention, ce n'est pas seulement le cas ici, mais malheureusement ce problème existe aussi ailleurs en Europe, mais peut-être pas dans la même mesure, par exemple avec les Catalans et les Castillans, ou avec les Hongrois et les Roumains.

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Dans quelle mesure pensez-vous qu'il est important que les peuples européens travaillent ensemble dans cette lutte pour la préservation et l'existence de l'Europe ?

Il ne s'agit pas de broutilles, mais de différences importantes et fatales. Que l'on lise Ante Starčević ou certains auteurs serbes qui glorifient la grande Serbie, il faut savoir tout cela et être capable de replacer ces personnes dans un contexte historique. Cependant, en ce moment de l'histoire, et je ne pense pas qu'il s'agisse d'une déclaration prétentieuse de ma part, nous sommes vraiment au dernier souffle de l'Europe. Le profil ethnique, ou plus exactement racial, de l'Europe a radicalement changé. Ce n'est plus l'Europe d'il y a trente ans ou celle d'il y a soixante-dix ans. Aujourd'hui, c'est un profil de personnes complètement différent. Nous parlons de soixante ou soixante-dix millions de personnes vivant dans l'Union européenne qui ne sont pas d'origine européenne. Par conséquent, une décision doit maintenant être prise, qu'il s'agisse de la baie de Piran ou de certaines parties de la Slovénie autour de Bregana ou peut-être autour de Medjimur, si, en tant que nationaliste croate, c'est mon objectif principal et mon centre d'intérêt, pour ne pas dire mon obsession, de discuter avec vous ou avec l'un de vos politiciens importants au sujet de morceaux de terre qui sont sous la juridiction slovène, ou notre objectif commun est de maintenir plus ou moins le statu quo et d'essayer de nous protéger de ce remplacement de population très subtil, qui ne se fait pas actuellement par un conflit armé, bien que nous ne puissions pas non plus l'exclure à l'avenir, et qui, en même temps, a le potentiel de détruire la nation serbe, ainsi que la nation croate, la nation slovène et toutes les autres nations d'Europe.

Ce dont je parle maintenant concerne notre micro-environnement en particulier, mais ce micro-environnement peut facilement être transféré en France ou en Allemagne. Il y a 20 millions d'étrangers en Allemagne, dont 10 millions, voire plus, sont d'origine non-européenne. Il s'agit de chiffres vraiment "conservateurs", qui sont en réalité beaucoup plus élevés, sans parler de la France, où les statistiques changent littéralement d'un jour à l'autre. En regardant la Suède, l'Allemagne, pratiquement toutes ces villes multiculturelles, on doit se demander si, aujourd'hui, on marche dans le centre de Paris ou de Francfort, ou si on vit à Tombouctou, en Algérie, dans une banlieue d'Istanbul, ou si on est encore dans une ville européenne. Je suis d'avis que, nonobstant nos politiques et nos haines mutuelles qui se sont avérées désastreuses, nous devons nous débarrasser complètement du nationalisme qui nous a fait tant de mal, ce nationalisme de la première moitié du XXe siècle, et nous n'avons tout simplement pas le choix en la matière. Ce nationalisme a causé d'énormes dommages aux Slovènes, aux Croates et aux Serbes, ainsi qu'aux Polonais et aux Allemands, sans parler d'une multitude d'autres nationalités. Nous avons un objectif commun, et je dirais franchement que notre problème fondamental et principal est le système du globalisme et du capitalisme.

Dites-nous en plus sur ce lien entre migration de masse et capitalisme ?

La chose la plus facile à faire est de dénigrer les migrants qui sont venus du Bangladesh et qui peuvent maintenant traverser le Gorski kotar, entrer dans Novo mesto ou errer autour de la frontière slovène de votre côté ou du nôtre. Il est trop facile d’attaquer ces migrants, trop facile de se moquer des Algériens et des Somaliens, en disant qu'ils ne se lavent pas, qu'ils sont laids ou qu'ils sont des terroristes potentiels. Tout cela est en partie vrai, mais nous devons nous demander quelles sont les causes de cette migration et quelles sont les possibilités d'y remédier, ou de revitaliser l'Europe. Alors, où se situent les causes ? Beaucoup de mes collègues qui sont des défenseurs du marché libre et, disons-le, du capitalisme, sont aussi de bons anticommunistes, comme moi, qui suis fier d'être anticommuniste, et nous pourrons en parler une autre fois. Toutefois, avant d'analyser certains problèmes, nous devons savoir où se trouvent les causes profondes. Je vais maintenant attirer votre attention sur un certain paradoxe. D'une part, vos collègues, comme vous-mêmes, sont opposés à la migration et au remplacement de la population, et ce à juste titre. Ils s'opposent au fait qu'un grand nombre de criminels, qu'il s'agisse des prisons viennoises et autrichiennes ou des prisons allemandes, voire plus de 60 %, sont composés de personnes d'origine africaine ou asiatique. Tout cela est vrai. Cependant, nous devons comprendre un fait : vous ne pouvez pas arrêter les migrations de masse si vous ne mettez pas d'abord fin au principe libéral du libre marché, ou à la libre circulation des personnes et des capitaux.

Alors, en fait, le capitalisme est-il en grande partie responsable des migrations de masse et du remplacement de la population ? Comment cela fonctionne-t-il en pratique ?

L'Union européenne et l'ensemble de la doctrine libérale, d'Adam Smith à Hayek et tous ces théoriciens libéraux d'aujourd'hui, sont fondés sur le principe que nous devons avoir la libre circulation des capitaux et des personnes. C'est, après tout, un des principes fondamentaux de l'Union européenne. Donc, pour revenir au paradoxe, et pour l'illustrer un peu de manière simple, j'ai un bon collègue, bon catholique et anticommuniste, grand analyste, qui s'exprime constamment contre les migrants, mais qui est aussi un grand défenseur du marché libre... Ce n'est tout simplement pas cohérent. Si je peux me permettre une petite allégorie, pour un commerçant, qu'il s'appelle Schmitt, Kovac, Maréchal ou Kovacevic, et où qu'il soit dans le monde, qu'il soit catholique ou juif, croate ou slovène, le plus important est qu'il vende ses marchandises. C'est pourquoi l'ouverture des frontières est dans son intérêt. Vous ne pouvez pas l'empêcher d'en profiter. Il y a des employeurs croates qui ont leurs magasins et leurs restaurants à Zadar, pour vous donner une illustration un peu plus poussée de tout cela, et ils ont de grandes croix accrochées dans ces restaurants. Ils sont ultra-catholiques et affichent parfois leur ‘’croatitude’’ de manière un peu grotesque, tout en embauchant une main-d'œuvre bon marché de Bosnie-Herzégovine et du Kosovo, pour la simple raison que pour eux, le profit passe avant l'idée nationale. Je ne veux pas perdre mon temps avec de telles personnes. Je ne veux pas perdre mon temps avec ces faux Croates, Serbes ou identitaires, dont beaucoup sont des gens honnêtes. Je le répète donc, nous ne pouvons pas arrêter la migration si nous n'analysons pas d'abord le capitalisme. Après tout, les principaux "employeurs" de ces migrants sont précisément les grandes entreprises capitalistes, qui ont tout intérêt à obtenir une main-d'œuvre bon marché aujourd'hui et demain, tout en réduisant les salaires et revenus mensuels de la population blanche autochtone.

Mais quels sont les intérêts des néo-marxistes d'aujourd'hui, qui soutiennent aussi avec passion ce changement de population ?

En ce qui concerne les marxistes, il faut comprendre qu'il a toujours été dans leur intérêt et celui des communistes de créer une société mixte, car pour eux tout nationalisme sent le fascisme. Pour être clair, je peux me moquer d'eux, ce sont mes adversaires, de classe ou de race, pourrait-on dire. Mais il faut admettre que si les nationalistes européens, comme je l'ai déjà dit, on peut aussi les appeler les ‘’identitaires’’, avec leurs éternelles guerres tribales qui remontent à cent cinquante ans, qu'ils soient français, allemands, croates, serbes, catalans, castillans, bretons, jacobins et j'en passe, ne vont pas s'arrêter un jour, alors bien sûr, ils donnent du pain et des jeux, ou des opportunités tant pour les capitalistes que pour ces néo-marxistes ou antifascistes modernes, comme ils s'appellent aujourd'hui, pour une légitimité et une alimentation supplémentaires, d'inviter, ou plutôt d'ouvrir la porte légalement à des millions de candidats à l'immigration qui attendent en Afrique du Nord, en Libye, sans parler des trois millions et demi qui attendent en Turquie et d'un peu plus d'un million en Jordanie et en Syrie. Donc, en théorie, il y a environ dix millions de personnes qui attendent en Afrique et en Asie de venir en Europe.

Vous avez vous-même vécu à la fois dans la Yougoslavie communiste et multiethnique et dans les États-Unis multiraciaux. Quelle est votre expérience de la "multiculture" ?

Je n'ai pas besoin d'expliquer ce que cette migration massive peut nous apporter. J'ai vécu assez longtemps dans la Yougoslavie multiculturelle pour voir la fin de cette fraternité et de cette unité dont on parle aujourd'hui aux États-Unis, où je vivais avec ma famille à Los Angeles. Là-bas, il fallait être armé, et il n'y avait pas de téléphones portables à l'époque, mais aujourd'hui il faut avoir deux téléphones portables et une bonne voiture performante. Lorsque je vivais là-bas, j'étais constamment dans une sorte de peur et sous tension, car le soir, on entend presque constamment des coups de feu dans le Los Angeles multiculturel. Je ne pense pas exagérer, car vous pouvez également voir à la télévision les preuves empiriques de ce qui se passe aujourd'hui, non seulement à Los Angeles, mais aussi à Seattle et dans toutes les grandes villes et maintenant dans les petites villes des États-Unis. Maintenant, je ne veux pas porter ici de mauvais jugements sur les Afro-Américains, les Asiatiques ou même les antifascistes blancs, quels qu'ils soient. Il faut toujours chercher d'abord les causes de tout cela, il faut comprendre leur façon de raisonner. En Europe aussi, il y a encore beaucoup à faire, notamment avec la crise actuelle du COVID et l'énorme changement démographique. Je ne peux pas prédire s'il y aura des guerres ou non, car un homme peut perdre une guerre sans tirer un seul coup de feu.

Comment voyez-vous la société de consommation moderne créée par l'idéologie libérale?

Ce qui me gêne personnellement, c'est cette note un peu décadente que je remarque même chez moi et chez mes collègues, qui sont habitués à une certaine dictature de la prospérité et à ce progrès constant, à vouloir toujours, comme disent les Américains, "plus, toujours plus". Nous sommes une société trop opulente et trop riche, nous ne sommes plus habitués à une certaine note prométhéenne, à savoir que chaque chose a son prix. Comme le disait Alain de Benoist, dans le libéralisme, ou plutôt dans le mondialisme auquel nous assistons aujourd'hui, plus rien n'a de valeur, mais chaque chose a un prix. Et nous allons devoir payer ce prix de manière assez sanglante dans les années à venir.

Merci pour cette interview ! Enfin, dites-nous quels sont vos projets pour l'avenir proche et y a-t-il autre chose que vous aimeriez dire à nos lecteurs ?

Je tiens à remercier vos lecteurs. J'aimerais que plus de gens lisent mes livres, donc toutes les personnes sérieuses et les étudiants qui aiment lire peuvent me contacter par e-mail. Je serais également heureux de donner une conférence chez vous, pas nécessairement sur des sujets politiques, mais peut-être sur le thème du prométhéisme dans la littérature européenne, où nous pourrions également aborder la politique du moment. Nous avons également pu aborder les sujets plus sensibles de la Seconde Guerre mondiale et de la catastrophe qui a eu lieu dans la Corne de Kočevje en 1945. Je suis ouvert à la conversation et j'aime entendre, non seulement des applaudissements, mais aussi des questions critiques plus complexes. Je serais heureux si quelque chose pouvait être organisé à l'avenir. J'apprécie les identitaires et je suis en contact avec eux dans une certaine mesure. Le problème de l'organisation de ces événements est généralement la logistique, mais ma vieille règle, je crois que c'est Nietzsche qui l'a dit, est que rien ne tombe du ciel. En fait, je vais très bientôt donner une conférence en anglais en Finlande sur Nietzsche, intitulée "Nietzsche et la signalisation de la vertu". Il s'agit du nouveau terme "virtue signalling", qui fait référence à la moralisation. Nous devons travailler sur notre hégémonie culturelle et faire preuve d'un peu plus de courage civique. Je tiens à vous remercier une fois de plus, ainsi que vos lecteurs. Si quelqu'un souhaite en savoir plus et aussi apprendre quelque chose, il peut me contacter à l'adresse tom.sunic@gmail.com  ou visiter mon site web www.tomsunic.com .

En français:

http://www.ladiffusiondulore.fr/home/792-la-croatie-un-pays-par-defaut-.html

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Tomislav Sunic décrit le phénomène de la « soudaineté » et des aléas dans la notion du politique chez les peuples dépourvus d’États stables. En s’appuyant sur de nombreux ouvrages d’écrivains allemands, français, croates et américains, il s’intéresse plus particulièrement au cas de la Croatie avant d’élargir sa réflexion et de passer en revue les « fausses identités » qui interviennent dans la construction des nationalismes européens. Ce livre incontournable présente les identités nationales par « défaut » ou par « procuration ».

Les victimologies et les hagiographies communistes, véhiculées par une certaine gauche occidentale et les médiats fantasmagoriques, ont été volens nolens à l’origine de l’exacerbation du conflit en ex-Yougoslavie — comme elles le seront peut être demain dans l’Union Européenne.

L’ouvrage traite également du glissement sémantique des vocables à la mode, tels que « fascisme », « antifascisme »,  « racisme », etc., et présente au lecteur la face cachée d’une forme de postmodernité mimée à outrance par les Européens de l’Est.

Cette nouvelle édition s’enrichit d’une introduction de Robert Steuckers nous éclairant sur le parcours de l’auteur et son œuvre.

Biden : exporter la démocratie par d'autres moyens

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Biden : exporter la démocratie par d'autres moyens

par Luigi Tedeschi

Source : Italicum & https://www.ariannaeditrice.it/

La guerre froide est-elle de retour? Non. Réponse de Biden lors de l'interview télévisée à la question sur Poutine. Vous connaissez Vladimir Poutine. Le fait de répondre "oui" n'aurait pas vraiment été une gaffe, mais plutôt l'expression claire des directives fondamentales de politique étrangère qui seront suivies par le nouveau président américain. En fait, la politique étrangère de Biden est en parfaite continuité et cohérence avec celle de ses prédécesseurs démocrates, Clinton et Obama. L'unilatéralisme américain, l'interventionnisme politique et militaire avec l'implication des pays alliés, la primauté de l'Amérique dans le monde, la défense des droits de l'homme et surtout du système économique et politique néolibéral au niveau mondial.

La guerre froide est née dans un contexte historique très différent. Celle de l'opposition politique, militaire et idéologique entre les deux puissances victorieuses de la Seconde Guerre mondiale: les États-Unis et l'URSS. Mais dans le contexte géopolitique actuel, issu de la fin de l'URSS, les Etats-Unis de Biden ne reconnaissent que la seule Chine comme puissance mondiale légitimement habilitée à dialoguer (même si c'est dans une position conflictuelle) avec les Etats-Unis. La Russie de Poutine n'est pas considérée comme une puissance mondiale par les États-Unis, au contraire de l'ex-Union soviétique. En effet, la Russie de Poutine a été définie par Obama comme une "puissance régionale". La politique de Poutine a toujours eu comme objectif stratégique le retour de la Russie au rôle de protagoniste sur la scène géopolitique mondiale et son interventionnisme politique et militaire au Moyen-Orient en défense de la Syrie, avec la défaite d'Isis, a produit des résultats importants. C'est pourquoi Poutine a toujours aspiré à établir avec les États-Unis une "relation d'égal à égal", prélude à un "retour à Yalta", ou à un tournant dans la géopolitique mondiale inspiré par un multilatéralisme entre puissances continentales capable de déterminer un nouvel équilibre des forces et d'assurer ensuite la sécurité dans les différentes régions du monde déchirées par des conflits récurrents. Les États-Unis de Biden, en revanche, ne font pas mystère de leur intention de préserver l'unilatéralisme et donc la primauté américaine dans le monde.

Traiter Poutine de "killer" est un acte d'hostilité ouverte de la part de Biden à l'égard de la Russie, qui rejoint, dans une continuité cohérente, la déclaration de Reagan dans les années 1980 à propos de l'URSS, alors définie comme un "empire du mal". La russophobie a toujours été inhérente à la politique américaine, et l'agressivité extrême de la déclaration de Biden est en parfaite conformité avec la conception propre à l'Ancien Testament, où un peuple élu est appelé à combattre le mal, incarné par l'ennemi absolu du jour. Cette inspiration biblique a présidé à la fondation des États-Unis et à leur expansion dans le monde. Giorgio Gaber a dit dans sa chanson America: "En dessous, il y a toujours un peu de western. Même dans les hôpitaux psychiatriques, ils arrivent à y mettre des Indiens".

En réalité, la déclaration de Biden envers Poutine trouve sa raison d'être dans l'ingérence mise en place par Poutine, en soutien à Trump, lors des récentes élections présidentielles. En particulier, Biden s'est senti offensé par la manœuvre de propagande perpétrée par Trump en collaboration avec Rudy Giuliani, qui impliquait le fils de Biden, Hunter, qui avait été nommé au conseil d'administration de Burisma Holding, une société ukrainienne d'extraction de gaz. L'ingérence des médias dans la politique intérieure des États, dans un monde interconnecté, est devenue la norme. Mais cette déclaration de Biden, d'une hostilité ouverte et agressive envers la Russie, dans un climat d'urgence pandémique mondiale, a une signification très spécifique. L'administration Biden, outre la crise de la pandémie, doit faire face à de très graves problèmes intérieurs. L'assaut contre le Congrès par les partisans de Trump est une expression claire des divisions internes du pays. De tels contrastes pourraient faire courir un risque de déstabilisation aux institutions démocratiques américaines elles-mêmes. En outre, n'oublions pas les fréquents et inquiétants épisodes de conflits raciaux qui affligent la société américaine. Reste le problème des flux migratoires, avec des milliers de mineurs retenus devant le mur le long de la frontière avec le Mexique, mur érigé par Trump, mais, on l’oublie, préalablement proposé par Clinton et Obama. Le problème du retrait des troupes américaines d'Afghanistan n'est toujours pas résolu. Aux problèmes de la crise économique déclenchée par la pandémie s'ajoutent ceux de l'agitation sociale croissante et des inégalités toujours plus grandes. Biden n'a même pas réussi à faire adopter par le Sénat le projet de loi visant à augmenter le salaire minimum.

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Par conséquent, la tirade agressive de Biden contre Poutine, doit être interprétée comme une action destinée à distraire les masses, mise en place afin de détourner l'attention de l'opinion publique américaine et des partenaires internationaux, vers le danger d'un ennemi extérieur à vaincre. En fait, la politique impérialiste américaine a toujours été légitimée par la préfiguration médiatique d'un ennemi contre lequel il faut se défendre, d'un "axe du mal" réel ou présumé, ou de la défense contre les "États voyous". Un ennemi absolu et irréductible, c'est-à-dire qui s'attaquerait à la démocratie, à la liberté, aux droits de l'homme, à la sécurité intérieure des USA. Des valeurs dont la défense justifierait la suprématie américaine dans le monde.

Dans cette perspective, tout en condamnant l'ingérence de la Russie dans la politique américaine, le discours médiatique dominant reste silencieux sur les interventions américaines directes ou indirectes visant à déstabiliser les États dirigés par des régimes jugés incompatibles avec les intérêts stratégiques américains. À cet égard, il faut mentionner l'assassinat du général iranien Soleiman en Irak, perpétré sous le présidence de Trump, le printemps arabe en Afrique du Nord et les révolutions colorées comme celle d'Ukraine, organisées, financées et soutenues militairement par les États-Unis afin de déstabiliser la Russie. Outre le soutien qui a déterminé jadis la montée d'Eltsine en Russie, le seul régime russe qui, subordonné à l'Occident et corrompu jusqu'à la moelle, jouissait de la faveur des États-Unis. Les États-Unis sont en effet le seul pays légitimement habilité à accorder des brevets de démocratie et de respect des droits de l'homme à tous les pays du monde.

La politique étrangère de Biden est interventionniste, et se distingue en cela de l'"America frist" de Trump. Nous assistons en fait à la recomposition de l'OTAN en Europe dans une fonction antirusse. Le multilatéralisme, ainsi que la vocation atlantiste énoncée par Biden, consiste précisément à impliquer les alliés, dans un cadre strict de subordination, dans les stratégies expansionnistes américaines. L'Europe est également déchirée par l'action désintégratrice menée au sein de l'UE par les pays du pacte de Visegrad, dont la souveraineté revendiquée ne représente rien d'autre qu'une politique pro-atlantiste en opposition ouverte à la Russie. De nouvelles sanctions sont brandies contre la Russie, dans lesquelles les pays de l'UE seront également impliqués et en subiront les conséquences économiques. En réalité, les États-Unis veulent empêcher la construction de Nord Stream 2, un gazoduc qui, via la Baltique, devrait approvisionner l'Europe en gaz russe. Il est clair que les États-Unis veulent isoler la Russie en coupant progressivement ses relations avec l'Europe. Les États-Unis veulent donc remplacer la Russie en tant qu'exportateur de gaz et de pétrole de schiste vers l'Europe. Ce projet signifierait également la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis des Américains. L'objectif de la politique américaine est d'isoler et de marginaliser la Russie. La politique de sanctions, le soutien à l'opposition interne, notamment la campagne médiatique menée pour le respect des droits de l'homme liée à l'affaire de la tentative d'assassinat du dissident Navalny, la condamnation du régime autoritaire russe, la campagne visant à criminaliser Poutine lui-même, sont des manœuvres qui ont un but bien précis : la déstabilisation interne de la Russie, en tant que puissance hostile à l'expansionnisme de l'OTAN à l'est. La politique étrangère de Biden est en parfaite continuité avec la stratégie d'expansion américaine vers l'Eurasie, autrefois théorisée par Brzezinski. Biden est donc le nouvel architecte de cette même politique d'exportation de la démocratie par d'autres moyens, comme la propagande et les sanctions.

Ce n'est pas par hasard que l'agressivité américaine renouvelée à l'égard de la Russie est reproposée justement au cours de la crise de la pandémie. Il existe en fait aussi une géopolitique des vaccins. Les Etats-Unis, à travers les sanctions et l'isolement de la Russie, veulent empêcher la diffusion du vaccin Spoutnik V, déjà adopté par 50 pays dans le monde et ainsi préserver le monopole et les méga-profits du Big Pharma anglo-saxon. Le rôle monopolistique assumé par les multinationales américaines et britanniques en Europe, d'ailleurs renforcé par le co-intérêt de l'Allemagne, est une preuve évidente de l'existence d'un vaccin atlantiste dont l'UE est l'esclave. Alberto Negri déclare à cet égard: "Poutine est un killer selon Biden. Que fera-t-il si l'UE devait acheter le vaccin russe ? Nous bombarder comme l'Irak? En 2003, Biden a voté pour l'attaque contre Saddam qui a ouvert la boîte de Pandore au Moyen-Orient. Ce vote a dévoilé ce qu'est Biden".

L'Europe, orpheline de l'atlantisme sous la présidence de Trump, a appelé de ses voeux un retour au multilatéralisme américain. Mais un tel multilatéralisme, posé comme idéal, se transforme inévitablement, pour l’Europe, en une participation au titre de vassaux subalternes, voire au titre d’appendice colonial, instruments commodes pour faire avancer la politique impérialiste américaine en Eurasie. Or, d'un point de vue géopolitique, l'isolement et la marginalisation de la Russie entraînent également l'isolement et la marginalisation de l'Europe dans le contexte mondial. Et seule une Europe non atlantique pourrait d'ailleurs désamorcer les objectifs stratégiques des Etats-Unis. En effet, l'Europe, par l'établissement d'accords de collaboration politique et économique avec la Russie, pourrait contribuer à la création de nouveaux équilibres géopolitiques, basés sur la sécurité de la zone eurasienne et moyen-orientale.

Sagesse chinoise et folie occidentale: Tucker Carlson et la notion de baizuo

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Sagesse chinoise et folie occidentale: Tucker Carlson et la notion de baizuo

par Nicolas Bonnal

Folie du monde et sagesse de Dieu, dit Saint Paul. Folie de l’occident, et sagesse de l’orient, commentera-t-on. Un mot existe en mandarin pour désigner nos élites tarées, criminelles et suicidaires. C’est celui de baizuo. On y revient tout de suite.

Le basculement totalitaire en occident est dû à l’osmose entre la gauche sociétale (héritage de Cromwell et de la Terreur française, du New Deal et du traditionnel anarcho-nihilisme Us décrié par Poe ou Baudelaire) et les milliers de faux milliards de la technologie boursière. Tout cela nous fait plonger dans la tyrannie et dans l’extase suicidaire. Les trois pays les plus avancés sont la France, la Grande-Bretagne et les USA sans oublier l’élève modèle israélien qui fait dire à Gilad Atzmon la phrase du siècle : avec des gouvernants comme ceux-là, les juifs n’ont pas besoin d’antisémites ou d’ennemis. Techno-nazisme et médico-fascisme se tiennent maintenant main dans la main avec Gates et un gauche progressiste/éveillée toujours plus vendue aux marchés financiers.

Mais on n’est plus seuls. Il se trouve qu’on a assisté à un basculement (Verwandlung comme dirent les philosophes allemands) la semaine dernière, quand la première puissance mondiale, sur un ton très guénonien (voyez mon texte sur notre civilisation hallucinatoire) s’est lâchée à Anchorage, sur un territoire qui appartenait jadis à la Russie et que le tzar d’alors avait vendu pour une poignée de figues. Les chinois en ont assez, et ils se sont défoulés. Cela a frappé le meilleur journaliste  MSM mondial Tucker Carlson. Tout cela est passé la télé sur Foxnews.com ; rappelons que Cnn and Co s’écroulent et que ces médias vivent comme chez nous de subventions de la part d’Etats totalitaires surendettés et enragés.

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Tucker Carlson laisse la parole aux chinois alors que patriote américain il ne doit pas être prochinois (on croyait qu’ils avaient fait élire Biden comme Trump fut élu par les russes…). Et cela donne :

« Voici, pour commencer, l'évaluation du gouvernement chinois sur notre démocratie :
» Yang Jiechi [traduction] : “De nombreuses personnes aux États-Unis ont en fait peu de confiance dans la démocratie des États-Unis, et elles ont des opinions diverses concernant le gouvernement des États-Unis.”

Et il commente Tucker (il nous rappelle le flamboyant film de Coppola sur l’ingénieur Tucker, un inventeur maudit et mort mystérieusement) sur la fraude électorale qui a fait élire un géronte gâteux :» Carlson : De nombreux Américains n'ont pas confiance dans leur propre démocratie, a-t-il dit. En d’autres termes, la dernière élection présidentielle a peut-être été frauduleuse. Soudain, le haut diplomate chinois ressemblerait beaucoup à l’un de ces insurgés suprématistes blancs d’extrême droite dont on entend toujours parler sur CNN, ceux que le département de la justice de Biden a mis en prison. »

Tucker continue à propos de cette diplomatie débile : parler à la Chine comme à la Tanzanie ? Et notre bon leader chinois voyage avec ses propres meubles, et comme on le comprend…) :

« Mais Yang n’avait pas fini. Ensuite, il a attaqué l’administration Biden pour sa politique étrangère néocon stupide :
» Yang Jiechi [traduction] : “Nous ne croyons pas à l'invasion par l'usage de la force, ni au renversement d’autres régimes par divers moyens, ni au massacre de la population d’autres pays, car tout cela ne ferait que provoquer des troubles et de l’instabilité dans le monde... Il est important que les États-Unis changent leur propre image et cessent de promouvoir leur propre démocratie dans le reste du monde.”

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Tucker commente cruellement : « le gouvernement chinois méprise totalement l’administration Biden et n'a plus envie de le cacher. » Le Donald énervait, Sleepy Joe fait pitié. Et Caligula Blinken se fait tailler un mérité short au passage :

» Carlson : Oups ! Il ne s’agit pas du langage traditionnel de la diplomatie, élaboré, poli, oblique et indirect. C’est du talk-show. Le gouvernement chinois méprise totalement l’administration Biden et n'a plus envie de le cacher. Tony Blinken, qui est censé être notre secrétaire d’État, n’a clairement aucune idée de ce qu’il faut dire en réponse. Blinken n’est pas un diplomate par nature. Ce que Tony Blinken voulait vraiment être, c’est une pop star[...] » 

Et Tucker Carlson de se moquer de la contradiction débile américaine : comment faire la morale aux autres alors qu’on ne cesse de dire qu’on est soi-même une nation immorale, fasciste, débile et raciste (merci au gros bouquin d’Howard Zinn, bible de l’antiaméricanisme cheap, qu’il faut détourner au passage) ?

Les chinois ne se sont pas fait faute de se moquer les impudents et sourcilleux envoyés de l’oncle Shmuel, comme dit notre ami Le Saker :» Yang Jiechi [traduction] : “Il existe de nombreux problèmes au sein des États-Unis en matière de droits de l'homme [...] et les défis auxquels les États-Unis sont confrontés en matière de droits de l'homme sont profondément implantés. Ils ne sont pas apparus seulement au cours des quatre dernières années, comme les Black Lives Matter. Ils se manifestent depuis longtemps.”

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On retourne la pénible question des droits de l’homme (comme disait déjà Raymond Aron en personne à l’époque de la fastidieuse diplomatie Mitterrand) contre son envoyeur. Effet boomerang garanti :

» Carlson : Le gouvernement chinois utilise donc Black Lives Matter comme une arme contre les Etats-Unis ! Vous avez les Chinois qui nous font la leçon sur les droits de l'homme ! Vous n’auriez jamais pensé voir le jour où cela se produirait. C’est incroyable mais en 2021 ça tient la route. C'est pourquoi ils le font. Les Chinois connaissent bien nos dirigeants. »

La diplomatie des droits de l’homme n’est pas seulement sotte, elle est aussi génocidaire. On ne reparlera pas du Vietnam, de Cuba, de la Syrie, de la Lybie, et de tous les pays martyrs du monde arabe, d’Asie ou bien d’Afrique. Ne faut-il pas exterminer les peuples qui n’ont pas votre profil pathologique et politique, à commencer par les siens propres quand ils deviennent trop populistes ? Ne faut-il pas tuer tout le monde – sauf une poignée de milliardaires, de robots et de technocrates -  pour sauver Gaia et notre mère la terre ?

On arrive au baizuo, notion délicieuse que je vous invite à retenir :

« En fait, ils ont un nom pour nos élites qui se détestent elles-mêmes.
» Ils les appellent “baizuo”. La traduction approximative du mandarin est “progressiste blanc”, et ce n’est certainement pas un compliment. Les médias d’État chinois décrivent les baizuo comme des personnes qui “ne s’intéressent qu’à des sujets tels que l’immigration, les minorités, les LGBTQ et l’environnement, qui n’ont aucun sens des problèmes réels du monde réel, qui ne prônent la paix et l’égalité que pour satisfaire leur propre sentiment de supériorité morale, et qui sont tellement obsédés par le politiquement correct qu’ils tolèrent des valeurs islamiques rétrogrades au nom du multiculturalisme”. »

C’est au nom d’ailleurs de ces valeurs islamiques rétrogrades (celles des wahhabites, qui sont à l’islam ce que Bergoglio est au catholicisme romain) que l’on détruit tous les pays arabes modernes et laïques depuis les années soixante. Je suis né en Tunisie au temps de Bourguiba et pourrais en parler pendant des heures.

Au-delà du baizuo on retiendra la stupidité folle, l’arrogance suicidaire et l’irresponsabilité eschatologique des élites façon Biden-Macron-Merkel et compagnie. Rien n’arrêtera ces fous ni le troupeau progressiste qu’ils ont conditionné. On verra ce que pourront faire la Chine et la Russie à cet égard, surtout à une époque où le Biden crache, insulte, menace au nucléaire, et ne sait pas grimper trois marches d’escaliers ou articuler trois phrases.

https://www.foxnews.com/opinion/tucker-china-america-white-liberalism-biden

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Biden, le tueur des accords gaziers entre la Russie et l'Europe

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Biden, le tueur des accords gaziers entre la Russie et l'Europe

par Alberto Negri

Source : Il Manifesto & https://www.ariannaeditrice.it/

Que cache les paroles de Biden qui ont provoqué un tel émoi ? La guerre des gazoducs. L'objectif est précis : faire sauter les accords énergétiques sur le gaz entre la Russie, l'Allemagne et l'Europe. Et comme corollaire évident, remplacer le gaz russe, si possible, par du gaz liquéfié américain, même si cela coûte plus cher en transport et en infrastructures. Alors Biden utilise les tons de la guerre froide et les pratiques de châtelain médiéval. En résumé, la guerre est la suivante: les États-Unis veulent frapper Poutine au niveau des revenus énergétiques et nous devons jouer leur jeu et payer de notre poche.

En attaquant Poutine et en le qualifiant d' « assassin », Biden a également lancé un avertissement aux Européens. Si vous prenez le gaz russe viendront les sanctions : la menace, déjà par Trump, n'est pas nouvelle mais cette fois plus explicite, mise noir sur blanc et avec un timing précis. Au moment même où le président américain donnait son interview, le département d'État publiait sur son site Internet une déclaration indiquant que le gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l'Allemagne "est une mauvaise affaire pour l'Allemagne, l'Ukraine et tous les Européens, car il divise le continent et affaiblit la sécurité énergétique européenne".

Et l'ultimatum s’y ajoute immédiatement: "Les entreprises travaillant sur Nord Stream 2 doivent immédiatement abandonner les travaux sur le gazoduc offshore ou elles s'exposeront à des sanctions américaines". Des sanctions qui se traduisent généralement par l'inscription sur une "liste noire", l'impossibilité de travailler et d'avoir des commandes aux États-Unis ou de faire des affaires avec des entreprises américaines, jusqu'à l'interdiction d'effectuer des transactions avec des banques américaines et en dollars. En bref, cela signifie être rayé de la légalité financière, comme cela se passe avec des pays comme l'Iran, Cuba, le Venezuela. Malgré qu’ils sont atlantistes et partenaires des Américains, l'Allemagne et d'autres pays européens - mais ce n'est pas nouveau - sont traités par Washington comme des serfs.

Il est bien entendu que l'insulte de Biden à Poutine est une continuation du conflit énergétique et du conflit d'intérêts qui oppose les États-Unis, la Russie et l'Europe.

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C'est une étrange coïncidence que les menaces américaines surviennent au moment où les raids français, américains et britanniques sur la Libye de Kadhafi remontent à dix ans : sans ces bombardements, le régime de la Jamahiriya ne serait probablement jamais tombé. Mais à l'époque les intérêts américains, français et britanniques coïncidaient: il s'agissait d'éliminer un Raìs qui détenait des milliards de mètres cubes de réserves de pétrole et de gaz, relié par un gazoduc, le Greenstream, à une moyenne puissance en déclin comme l'Italie, qui en fait, afin de préserver les intérêts de l'ENI, a rejoint les raids après un mois sous le parapluie de l'OTAN, abandonnant un allié qui, le 30 août 2010, avait été reçu à Rome en grande pompe.

La guerre des gazoducs vient de loin. Dans les années 2000, l’ENI et le russe Gazprom avaient construit le gazoduc Blue Stream qui transportait du gaz de la Russie vers la Turquie en passant par la mer Noire. Les Américains n'ont pas aimé ça. Puis, en 2007, l'Italie (au temps du gouvernement Prodi) avait signé un autre accord entre l’Eni et Gazprom pour construire le South Stream, un nouveau gazoduc destiné à relier directement la Russie à l'Union européenne, en éliminant tout pays non membre de l'UE du transit. Le projet a été suspendu en 2014 en raison des sanctions imposées à Moscou après l'annexion de la Crimée. Le South Stream a ensuite été remplacé par le Turkey Stream, un gazoduc construit suite à l'accord entre Poutine et Erdogan, par ailleurs opposés en Syrie, en Libye et dans le Caucase. Poutine a ensuite accordé à Erdogan une réduction de 6 % sur les livraisons de gaz, ce qui a encore moins plu aux Américains.

C'est pourquoi Poutine, selon les mots de Biden, est un "killer": il veut nous vendre du gaz au rabais et peut-être même des vaccins. C'est pourquoi Erdogan a également été attaqué par le président américain sur la question kurde. Ce qui serait bien si les Américains n’excitaient pas les Kurdes comme d'habitude pour ensuite les abandonner à leur sort comme Trump l'a fait en 2019 en laissant Ankara les massacrer.

Et pour tenir la Turquie à distance, les États-Unis encouragent, comme le rapportait Michele Giorgio il y a quelques jours dans Il Manifesto, l'alliance de plus en plus étroite entre Israël, la Grèce et Chypre pour la défense des champs gaziers de la Méditerranée orientale également revendiqués par la Turquie: des ressources énergétiques à acheminer vers les marchés continentaux grâce à un gazoduc offshore de deux mille kilomètres.

Comment les Européens réagissent-ils aux menaces américaines sur Nord Stream 2? Le projet - aujourd'hui achevé à 90% - disent les partenaires des Allemands sera conclu, même si la Pologne et l'Ukraine, pays de transit du gaz russe, sont furieux car ils craignent la réduction de leurs revenus. Mais la guerre des gazoducs n'est pas terminée : quelques nouveaux missiles nucléaires américains pourraient peut-être partir, en partant de la Pologne, un peu partout en Europe, juste pour faire comprendre à Poutine qu'il n'est pas obligé de vendre du gaz avec un rabais et des vaccins Sputnik V aux Européens. La nouvelle géopolitique en temps de pandémie teste la santé et sondent les poches.

mercredi, 24 mars 2021

Pierre Le Vigan : Nietzsche et l'Europe, une mise au point

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Pierre Le Vigan: Nietzsche et l'Europe, une mise au point

Pierre Le Vigan, urbaniste et essayiste, répond aux questions de Marianne Corvellec à l'occasion d'une mise au point sur Nietzsche et L'Europe. 
 
 
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L'eau est le composé chimique le plus abondant dans la nature, mais la guerre pour l'"or bleu" ne fait que commencer

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L'eau est le composé chimique le plus abondant dans la nature, mais la guerre pour l'"or bleu" ne fait que commencer

Pecus Ganèsh Tomasino

https://www.lintellettualedissidente.it/

Le composé chimique le plus abondant dans la nature est l'eau. Un être humain privé d'eau meurt au bout d'une poignée d'heures plus ou moins longues, et d'après ce que nous pouvons savoir, cette substance exerce naturellement sur tout et tous une force qui s'apparente d'une certaine manière à la gravité. Les premières grandes communautés humaines ont été fondées sur les rives de cours d'eau importants et constants (il va sans dire : le Tigre et l'Euphrate), et aujourd'hui encore, la disponibilité de l'eau par habitant est un indice de la richesse absolue du territoire analysé. Les communautés humaines gravitent autour de l'eau ou la font graviter autour d'elles. La question semble évidente, mais elle ne l'est peut-être pas tant que cela : à quoi sert l'eau dans l'Anthropocène? D'une manière générale, et en la réduisant à l'essentiel, elle est utilisée pour boire, nettoyer, irriguer, éclairer et fabriquer. Les entreprises qui se chargent généreusement de donner de l'eau aux assoiffés sont pléthore, et parmi elles, seules quinze se disputent un marché d'environ trois cents milliards d'euros par an. Les plus grands sont : français, américains, chinois ; et ils produisent de l'eau en bouteille, des boissons gazeuses et des produits assimilés. En revanche, en ce qui concerne les autres fonctions de l'eau, les questions se compliquent et prennent une forme qui vous fait prendre la tête. Les aspects technico-politico-économiques de la gestion des ressources en eau vont de la campagne aux universités, des plus hauts niveaux des géants financiers aux coulisses les plus secrètes.

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Michael Burry.

Michael Burry, qui n'a même pas quarante ans, qui a parié en 2007 sur l'échec du fameux "too big to fail" et a gagné haut la main (aujourd'hui, il dirige la société Scion Capital Investment), à la question de savoir sur quoi il avait décidé d'investir, a répondu laconiquement : "Je vais investir dans l'eau". De la disponibilité en or bleu dépend, de manière directe, la capacité à produire des aliments et du bétail et donc, en bonne logique déductrice, à constituer une part fondamentale des balances commerciales entre les différents pays, mais aussi, et ce n’est pas la moindre des choses, la quantité d'énergie électrique qui peut être produite de manière totalement propre, en faisant face uniquement aux coûts d'investissement initial et d'entretien. Les centrales hydroélectriques associées à des réservoirs plus ou moins artificiels constituent aujourd'hui le moyen le plus économique et le plus propre de produire de l'énergie à des coûts d'exploitation techniquement négligeables. Surtout, si les investissements initiaux sont très importants et considérés comme stratégiques, s’ils sont pris en charge par les différents circuits éparpillés dans le monde et si ensuite, en raison de vicissitudes habituelles, de crises économiques, de guerres ou d'accords multilatéraux, ces structures se retrouvent entre les mains de géants privés de l'énergie.

L'énergie produite est évidemment utilisée pour les processus industriels, mais attention, car l'eau est utilisée dans les processus industriels de tellement de façons (de la chimie fine à l'industrie lourde) qu'il est peut-être commode de la définir comme le composé le plus abondant dans la nature, mais aussi comme le plus important pour les communautés humaines. Dans un monde surpeuplé et harcelé par l'instabilité climatique, il devient évident que les technologies de découverte, de collecte, de distribution, d'utilisation et de récupération de l'eau sont stratégiques, et les nations souveraines, plus ou moins animées par des tendances hégémoniques ataviques, le savent; et donc, de manière plus ou moins légitime, tendent à s'accaparer le plus d'eau possible.

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Les pays les plus actifs dans ce secteur fondamental sont évidemment les États-Unis et le Royaume-Uni, les deux principales puissances anglo-saxonnes, la France et la Chine, la Russie étant apparemment à la traîne. Essentiellement donc les puissance qui occupent les sièges permanents des Nations Unies. Le Brésil, par exemple, qui est le pays disposant des ressources en eau les plus riches du monde et qui devrait donc être aussi l'un des plus riches, voit son indice de Gini - exprimé en pourcentage - égal à 51,3 (un coefficient qui, s'il est égal à zéro, indique que les revenus sont également et parfaitement répartis entre tous et égal à un indique, au contraire, qu'ils sont parfaitement centralisés entre les mains d'une seule personne). Le Brésil est l'un des pays les plus inégalitaires au monde, alors qu'il est l'un des plus riches en ressources, et pas seulement en ressources en eau. Mais c'est là une autre affaire. Au fil des ans, dans le plus grand pays d'Amérique latine, depuis la fin du siècle dernier, une riche série de privatisations a permis à des entreprises privées (dans le cas spécifique de Suez surtout) de s'emparer à des fins lucratives des structures de gestion et de distribution de l'eau brésilienne en échange de promesses contractuelles de nature souvent opaque.

Quelle est donc la géopolitique de l'eau ou des eaux ? Le fleuve Colorado est d'abord riche et florissant aux États-Unis, où il irrigue des millions d'hectares de terres et produit des quantités exorbitantes d'énergie, avant d'être réduit à un filet d'eau toxique à la frontière avec le Mexique. Le Danube traverse sur une longueur de 2800 km dix pays européens, jaillit en Allemagne et se jette dans la mer Noire sur les côtes roumaines. Depuis des siècles, il est le théâtre d'affrontements transfrontaliers. Son bassin hydrographique intéresse au total près d'une vingtaine de pays, dont l'Italie pour 0,15%. Le lac Aral, qui, à cause de ses dimensions est souvent appelé ‘’mer’’, n'existe presque plus aujourd’hui, tout simplement, à cause de l'utilisation forcenée et déséquilibrée des eaux de ses affluents et de son bassin. La mer Morte, l'un des bassins d'eau les plus fascinants et les plus salés au monde, est au centre d'un litige entre la Jordanie et Israël pour la construction d'un canal qui devrait amener les eaux de la mer Rouge à la mer Morte en produisant de l'énergie en exploitant la différence naturelle d’altitude de plus de 400 mètres qui existe entre les deux mers.

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Le réseau fluvial Yarlung-Tsangpo-Brahmapoutre est l'un des plus grands et des plus puissants réseaux hydrographiques de la planète. Il est au centre d'un conflit territorial très complexe concernant les droits d'utilisation des ressources entre deux des puissances les plus prometteuses de la planète (la Chine et l'Inde) qui veulent exploiter ce réseau fluvial, chacune pour sa part, au maximum. Et ce ne sont là que des exemples flagrants de conflits autour des eaux de surface. Il serait exagéré de dire qu'à la base de chaque conflit il y a une question d'approvisionnement en eau; mais il n'est certainement pas exagéré de dire que les ressources en eau d'un territoire poussent les pouvoirs politico-économiques à se déplacer jusqu'au point de confrontation afin de pouvoir en exploiter au moins une partie considérée comme équitable. La nappe aquifère dite des grès de Nubie est le plus grand bassin d'eau souterraine, considérée comme fossile, qui n’a jamais été découverte et peut-être même imaginée. Elle est située dans l'un des territoires les plus secs et les moins développés de la planète, qui se trouve également être, malheureusement depuis de nombreuses années, l'un des plus instables politiquement. Au-dessus de ce réservoir de vie aux dimensions bibliques se trouvent les déserts du Tchad, du Soudan, de la Libye et de l'Égypte. Khadafi avait commencé à réaliser un projet pharaonique d'exploitation des eaux de cette strate, plaçant, de ce fait et stratégiquement, la Libye dans une position enviable avec d’énormes avantages géopolitiques: est-ce un hasard si aujourd'hui ce même pays n'est plus qu'une sorte de vague souvenir ? Comme le disait Andreotti : "penser mal, c'est toujours avoir raison".

Et l'Italie ? Que fait l'Italie, que fait-elle avec l'eau ? En gros, il discute, de manière animée, et, comme d'habitude, conclut peu. Le numéro 3/2020 de la célèbre revue italienne de renseignement, Gnosis, est un volume très élégant, au ton presque poétique, entièrement consacré à l'eau, dans lequel l'état actuel et futur des arts et techniques concernant cette substance est exposé avec beaucoup de précision et d'acuité. Malheureusement, la position de l'Italie sur le plan géopolitique est vague et les choix effectués en matière de gestion de ses ressources en eau domestiques sont très rares, à l'exception de quelques bonnes pratiques mises en œuvre par Ferrero, l'une des plus grandes entreprises du secteur mondial de la distribution alimentaire et l'une des moins empêtrées dans le bourbier sociopolitique italien. En gros, l'Italie a fait la sourde oreille au merveilleux moment de civilisation exprimé par la population lors du référendum sur l'eau, rabaissant ce que le peuple a élevé au rang de bien commun universel à une simple affaire de parti ; l’Italie officielle ne comprend pas le potentiel éducatif consistant à optimiser et utiliser les ressources naturelles en général et de l'eau en particulier ; elle n'a aucun rôle au niveau local ou mondial dans l'exploitation durable des ressources en eau, sauf partiellement l’Eni ; elle n'a aucun rôle politique technologique et/ou industriel actif dans les secteurs les plus stratégiques de la gestion de l'eau, il suffit de dire que parmi les 25 personnalités les plus influentes dans le domaine de l'eau il n'y a même pas un Italien. Le nouveau ministre de la transition écologique Roberto Cingolani a non seulement compris l'état de dégradation et d'abandon dans lequel nous nous trouvons, mais il a prospecté l'avenir en avançant la un argument clé qui fera comprendre pourquoi l'eau est si importante maintenant. L'avenir proche, et selon toute vraisemblance le siècle entier qui nous attend, sera alimenté par des batteries, et aussi efficaces et écologiques qu'elles puissent être, elles doivent être et seront chargées et rechargées avec de l'électricité durable. Le ministre dit, et écoutons-le car il n'a pas tort, que oui, la fusion froide, comme on l'appelle improprement, sera le mécanisme de base de la production d'énergie pour l'avenir, nous ne savons pas encore à quelle distance temporelle, mais c'est à partir de l'eau que nous produirons la plus grande partie de l'énergie à court et moyen terme avec une technologie plus que centenaire : l'électrolyse. Voici le mystère. À partir de la molécule d'eau exposée à l'action magique de la cathode et de l'anode traversées par un courant électrique approprié, par oxydoréduction, la liaison entre l'hydrogène et l'oxygène est rompue, produisant les deux espèces chimiques distinctes. Isolé et correctement stocké, l'hydrogène est une source d'énergie propre et pratiquement inépuisable, car son utilisation génère à nouveau de l'eau.

Si le siècle dernier a été celui des combustibles fossiles et des plastiques hydrocarbonés, nous devons ramener notre mémoire à la splendeur imaginative de feu Enrico Mattei: l'homme dont la folie visionnaire l'a amené à exiger six pattes pour l’animal mythologique qui est devenu le symbole de l’Eni parce que quatre ne suffisaient pas, et dont la charité chrétienne l'a amené à penser naïvement qu'il était possible de créer un développement pour tous de manière équilibrée en suivant un partage équitable des biens que nous offre le Seigneur, bref un Icare moderne ; ou encore à nous rappeler les exploits scientifiques de l'éminent et brillant prof. Giulio Natta, qui a inventé la matière première, si plastique qu'elle est devenue précisément le Plastique, à la base de tout le design qu'aujourd'hui, si bien que nous en retrouvons bêtement un peu partout ne pouvant éviter d'en ingérer une certaine quantité chaque jour. Ce siècle sera le siècle de l'eau, et Michael Burry gagnera une fois de plus beaucoup d'argent. La vraie question est de savoir si l'Italie sera enfin capable de trouver sa place dans le monde, en commençant à penser et à formuler des demandes modérées et légitimes de développement qui soient cohérentes avec les niveaux et les capacités que nous sommes en mesure de mettre en œuvre dans ce pays. Il est clair que la position géographique n'aide pas, elle est trop stratégique ; à tel point que si nous devenions trop souverains en tant qu'Italiens, nous pourrions être trop influents. C'est à la classe dirigeante de comprendre comment s'y prendre. Le 22 mars, pour ce que cela vaut, est la Journée mondiale de l'eau et l'Italie n'a même pas été invitée.

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Les ultimes paroles de Mishima

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Les ultimes paroles de Mishima

par Bastien VALORGUES

Le 25 novembre 1970, le célèbre écrivain japonais Mishima Yukio se donnait la mort. Il protestait de la passivité de ses compatriotes. Il incitait par cet acte terrible à réveiller le vieil esprit nippon. Avant de commettre le seppuku rituel, il s’adressa aux unités d’auto-défense réunies à sa demande.

Les éditions Ars Magna viennent de traduire et de publier la dernière allocution du fondateur de la Société du Bouclier, l’organisation paramilitaire chargée de redresser l’Empire du Soleil Levant. Cet « appel aux armes » est précédé par une belle introduction de Georges Feltin-Tracol. C’est d’ailleurs la première fois que le public francophone dispose de cette intervention historique et tragique.

Mishima Yukio dénonce avec force « le Japon d’après-guerre [qui] s’est vautré dans la prospérité économique, il a oublié les fondamentaux d’une nation, perdu son esprit national, négligé ce qui est essentiel dans la poursuite de bagatelles, s’est engagé dans l’improvisé et l’hypocrisie et a perdu son âme. C’est ce que nous avons pu voir (p. 20) ». Il souhaite que la Jieitai (les forces d’auto-défense) « renoue avec l’origine des fondements de la force armée japonaise et devienne une authentique armée nationale grâce à une réforme constitutionnelle (p. 21) ». Il s’agit pour lui de réviser l’article 9 de la Constitution de 1946 qui interdit au Japon de déclarer la guerre. Mishima a raison d’avancer « que légalement et théoriquement, l’existence même du Jieitai est contraire à la Constitution d’après-guerre et que la défense nationale, comme composant fondamental d’une nation, est embrouillée par des interprétations juridiques pratiques afin d’assumer le rôle de la force armée sans employer le nom de force armée (p. 20) ».

image.htmlymaa.jpgPar-delà le rôle moteur de l’armée, Mishima Yukio défend le rétablissement de la pleine souveraineté de Tokyo. Or, il sait que son pays sorti des ruines de l’après-guerre est une colonie de l’Occident anglo-saxon. « Le soi-disant contrôle par le pouvoir civil des militaires anglais et américains est uniquement un contrôle financier (p. 25). » Il dénonce que l’île méridionale d’Okinawa soit encore sous la tutelle de Washington. Il ignore que les États-Unis la rétrocéderont au Japon en 1972. Il s’offusque que le Japon signe le traité de non-prolifération nucléaire et renonce ainsi à la détention d’une force de frappe atomique. Clairvoyant, il prévient que la soumission du Jieitai aux vainqueurs de 1945 en fera, « comme les gauchistes l’ont remarqué, une force mercenaire de l’Amérique pour toujours (p. 27) ».

Si, le 25 novembre 1970, Mishima Yukio demande en vain aux forces japonaises de renverser le régime parlementaire, il invite surtout les Japonais à retrouver le sens du sacrifice. Il désavoue tout « patriotisme constitutionnel ». Il se demande vraiment : « Y a-t-il quelqu‘un qui veut mourir en se sacrifiant pour la Constitution qui a privé le Japon de sa colonne vertébrale ? (p. 27) » Il lance un vrai défi à la société moderne japonaise : « Rendons au Japon son visage authentique et mourons pour lui (p. 27). » Plus que réussir un coup d’État, Mishima Yukio rappelle plutôt aux troupes que « la signification originale et fondatrice de l’armée du Japon ne consistait en rien d’autre que la “ protection de l’histoire, de la culture et des traditions du Japon centrées sur la monarchie ” (p. 22) ».

Rétif aux actes valeureux et pétri de préjugés démocratiques, l’auditoire militaire de Mishima Yukio s’irrite de l’action sublime de l’écrivain qui met alors fin à ses jours dans une mise en scène traditionnelle héroïque. Bien qu’encore aujourd’hui sous-estimée et mal jugée, la tentative de putsch de Mishima Yukio continue à secouer l’âme profonde des Japonais les plus patriotes. Son sacrifice sublime et celui des membres du Tatenokai n’ont pas été inutiles.

Bastien Valorgues

• Mishima Yukio, Un appel aux armes. Le discours final de Mishima Yukio, Ars Magna, coll. « Les Ultras », 2021, 32 p. 15 €.

L’Europe doit investir dans les technologies du futur

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L’Europe doit investir dans les technologies du futur

Par Jérémy Silvares Jeronimo
 
Ex: https://eurolibertes.com/

Comme des millions de personnes, j’étais vissé sur mon fauteuil devant mon écran de télévision le 18 février afin de voir le robot Persévérance se poser sur la planète Mars. Construit par la NASA (1), le robot Persévérance montre une fois de plus que les Occidentaux des deux côtés de l’Atlantique continuent d’être des explorateurs hors-normes.

En matière de spatial les Américains dominent, suivis des Européens. Les chinois ne sont pas encore à notre niveau mais cela ne saurait tarder. Et si les Américains dominent encore c’est aussi à cause du nombre de scientifiques qui sortent de leurs excellentes universités et qui peuvent, avant d’aller travailler pour la NASA, travailler dans des start-up sur tous types de projets innovateurs dans ce que l’on appelle la vallée du Silicone (Silicon Valley).

Pourtant je lis, ici et là, sur les sites dits de « réinfosphère », de violentes critiques sur ce que la Silicon Valley, les entreprises et les personnes qui y travaillent représentent, c’est-à-dire le camp progressiste, le politiquement correct et le danger pour la démocratie que sont les GAFA. Mais il importe de souligner que les GAFA sont réellement un danger pour la démocratie. Il suffit de se rappeler la manière dont Twitter et compagnie ont expulsé Donald Trump.

Que ces compagnies soient ou non d’accord avec le contenu des tweets on doit se poser la question cruciale : une entreprise privée peut-elle censurer le président des USA ? D’autant que l’importance que ces réseaux sociaux ont eue sur les élections est préoccupante. La pression que les GAFA exercent sur les petits réseaux sociaux libres surtout après que des millions d’utilisateurs ont quitté Facebook et Twitter pour aller vers Parler est scandaleuse (2).

Ceci est vrai, mais, il y a un mais… Car la Silicon Valley c’est bien plus que les GAFA ou le progressisme, c’est une des régions de l’Occident où l’on rêve encore du futur, et ça, ça n’a pas de prix. Et quand je dis rêver du futur, je parle des capacités que certaines personnes ont – Elon Musk n’en n’est qu’un exemple – à penser l’homme de demain, les technologies de demain, les conquêtes de demain.

Après avoir tout inventé ces derniers siècles (3), les nations d’Occident risquent de se faire dépasser par les nations d’Extrême-Orient, Japon, Corée, Taiwan, et surtout la Chine. Nos leaders politiques, à part quelques rares exceptions, ont depuis les années soixante-dix laissé partir nos brevets, nos inventions, notre technologie. En France, jusqu’aux années soixante-dix nous étions dans les premiers de cordées (pour citer un certain président).

Le TGV, le Minitel, le Concorde pour n’en citer que quelques-uns furent des fleurons à leur époque… Et c’était pareil dans tout l’Occident. Et maintenant ? Nous inventons toujours, mais les États donnent de moins en moins d’argent à la recherche scientifique. Et certains scientifiques n’hésitent pas à quitter la France afin de pouvoir poursuivre leurs travaux. Ce qui en dit long sur l’intérêt que ceux qui tiennent les cordons de la bourse leur vouent.

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Or aux USA, que l’on aime ou que l’on n’aime pas ce pays, on continue de rêver et d’inventer, dans les grandes universités, à la NASA, dans la Silicon Valley. Avec de l’argent privé et public. On y travaille sur la Deep Tech, ce qu’en français on nomme les « jeunes pousses disruptives », l’intelligence artificielle, la robotique, les énergies propres, la nanotechnologie, l’aérospatial ou l’informatique quantique…

En Europe aussi on travaille sur ces sujets, mais pas autant que nous devrions car l’argent manque pour ces projets… les gouvernements préfèrent financer des ONG et des associations qui déconstruisent nos Nations.

Et cependant… cependant même aux USA, de plus en plus de chercheurs, d’inventeurs et de scientifiques partent pour la Chine. Le nombre est encore très petit mais… C’est une catastrophe pour l’Europe et pour les USA. Si les nations d’Occident ne se maintiennent pas sur le podium de l’inventivité, nos pays n’auront plus aucune attractivité et deviendront des nations secondaires.

Nous continuons, nous Occidentaux, à avoir de très « grosses têtes ». Ne les laissons pas fuir vers la Chine. Que la prochaine Renaissance soit à nouveau en Occident et non pas en Chine. Comme le disait Philippe Coué sur CNews, lors de l’atterrissage de Persévérance, il n’y a pas de grandes nations sans grands projets. À nos leaders d’investir dans ces grands projets.

Notes

(1) En plus des Américains, principaux concepteurs du projet, il y avait aussi des pièces européennes, comme la camera SuperCam construite par des Français.

(2) Le fait qu’Amazon coupe l’accès à ses serveurs justement au réseau social Parler est tout aussi honteux… lien : 12/0172021, Amazon coupe l’accès du réseau social Parler à ses serveurs, Le Temps, France, lien : https://www.letemps.ch/monde/amazon-coupe-lacces-reseau-s...

(3) Je vous renvoie à mon dernier texte, Ce que le monde doit à l’Occident. Pour ceux qui l’auraient oublié, lien : https://eurolibertes.com/culture/ce-que-le-monde-doit-a-loccident-pour-ceux-qui-lauraient-oublie

00:10 Publié dans Actualité | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, futur, technologies, high tech, europe | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

mardi, 23 mars 2021

Racines historiques de la théorie des « deux nations » en Inde

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Racines historiques de la théorie des « deux nations » en Inde

Par Daniele Perra

Ex: https://www.eurasia-rivista.com/

"Nous ne sommes pas des Afghans ni des Tartares ou des Turcs,

nous sommes nés d'un seul jardin, d'une seule branche bourgeonnante.

Distinguer les couleurs et les odeurs est une faute grave pour nous,

car nous avons tous, un seul et unique, engendré le printemps".

(M. Iqbal, quatrain XX, Messages de l'Orient)

L'idée de deux nations distinctes dans le sous-continent indien n'a pas accompagné tout le parcours politique de Muhammad Ali Jinnah. Ce ne fut le cas qu'à partir du milieu des années 1930, face à la crainte que le nationalisme indien ne se transforme rapidement en nationalisme hindou (l'adoption du Vande Mataram comme hymne du Congrès inquiète Jinnah, qui y voit un chant "idolâtre" fondé sur la "haine des musulmans") [1]. C’est alors que cette idée prend une place prépondérante dans la pensée du père fondateur du Pakistan. Et Jinnah lui-même était fermement convaincu que cette idée n'était pas nouvelle du tout. En fait, elle n'est pas un produit de la modernité, mais est née au moment même où le premier hindou, également pour échapper au système rigide des castes, s'est converti à l'Islam.

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Ali Jinnah.

L'idée que la théorie des deux nations a une origine prémoderne, bien qu'elle ne soit pas articulée en référence au concept moderne d'État-nation, n'est pas sans fondement. À la veille de la deuxième bataille de Tarain, le sultan des Ghurides [2] Mu'izz al-Din suggère à son rival, le souverain hindou Prithiviraj du Chahamana, une sorte de partition ante litteram par une division de l'Hindoustan qui anticipe largement les idées proposées par Muhammad Iqbal dans son discours d'Allahabad en 1930. Selon l'historien persan Firishta (1560-1620), les musulmans avaient droit à la région de Sirhind, au Punjab et au Multan, tandis que les hindous avaient droit au reste de l'espace subcontinental.

L'idée que les hindous et les musulmans représentaient inévitablement deux communautés distinctes, difficiles à faire coexister l'une avec l'autre, était récurrente à l'époque moghole.

La dynastie d'origine turco-mongole, bien qu'adhérant formellement au courant sunnite de l’islam (de rite juridique hanafite), a eu un rapport assez complexe (et en phases alternées) avec la religion. La religion, en fait, a été conçue principalement comme un instrument du pouvoir politico-militaire. Babur (1483-1530), fondateur de la famille impériale, par exemple, n'a redécouvert la ferveur religieuse que lorsqu'il était sur le point de faire la guerre aux Rajputs belliqueux de Rana Sanga : des guerriers hindous connus pour la pratique consistant à tuer leurs propres femmes et enfants dans l'imminence d'une défaite pour éviter d'être réduits en esclavage par les vainqueurs. Ainsi, à l'approche de la bataille de Khanua (1527), Babur déclara solennellement à ses hommes :

"Nobles et soldats! Celui qui participe à la fête de la vie doit, avant la fin, boire à la coupe de la mort. Il vaut donc mieux mourir avec honneur que de vivre dans l'infamie. Le Très-Haut nous a fait grâce. Il nous a maintenant placés dans une situation où, si nous tombons au combat, nous mourrons en martyrs; si nous survivons, nous serons les vengeurs victorieux de Sa Sainte Cause. Nous jurons donc d'un commun accord sur la Sainte Parole de Dieu [le Coran] qu'aucun d'entre nous ne pensera même un seul instant à tourner le dos à cette guerre; ou à se retirer de la bataille et du massacre qui suivra jusqu'à ce que son âme soit séparée de son corps "[3].

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Akbar le Grand.

Toujours à l'époque moghole, bien que sous le règne d'Akbar (petit-fils de Babur), l'idée d'incompatibilité entre hindous et musulmans a trouvé une nouvelle fortune avec la prédication d'Ahmad al-Faruqi al-Sirhindi (1564-1624). Membre de la confrérie Naqshabandi, Sirhindi a non seulement théorisé l'interdépendance entre les pratiques soufies et la Shari'a, mais, malgré les critiques des milieux orthodoxes, a soutenu la supériorité de la Réalité du Coran (haqiqat-i quran) et de la Réalité de la Ka'ba sur la Réalité du Prophète (haqiqat-i Muhammadi); cette doctrine aura une influence décisive sur le développement des théories de l'exégèse coranique et de la méthodologie du philosophe pakistanais Fazlur Rahman Malik (1919-1988). Ravivant la tension constante dans l'histoire de l'Islam entre préservation et innovation, Sirhindi est devenu le porte-parole d'une bataille acharnée pour la redécouverte de la pureté originelle de l'Islam face à la tentative impériale de construire une forme religieuse syncrétique, tentative visant à aplanir les divergences au sein de l'Empire. Cet épisode mérite une brève enquête.

L'histoire de l'empereur moghol Akbar est assez complexe. Bien qu'il ait réussi à satisfaire ses ambitions de conquête en plaçant l'Hindoustan sous son pouvoir, Akbar a toujours montré une tendance à la mélancolie (peut-être causée par de fréquentes crises d'épilepsie) qui transparaît dans l'inscription qu'il a dictée pour le majestueux portail de la Jama Masjid (la mosquée du vendredi, qu'il avait fait construire à Fatehpur Sikri, après la conquête du Gujarat) : " Le monde est un pont: passez-le, mais ne construisez pas de maison dessus [...] Le monde ne dure qu'une heure : passez-la dans la prière "[4].

Toujours à Fatehpur Sikri, en 1575, l'empereur a voulu établir un centre d'investigation philosophico-religieux, connu sous le nom d'Ibadhat Khana, dont l'objectif initial était de surmonter les différences entre les divers courants de l'Islam pour redonner à la religion sa force et sa pureté originelles. Cependant, surtout après l'ouverture des portes du centre par Akbar et la participation subséquente au débat de représentants d'autres religions (juifs, chrétiens, zoroastriens, hindous, etc.), son sentiment d'appartenance à l'Islam (bien qu'il n'ait jamais été complètement répudié) s'est lentement estompé. En particulier, 1578 est l'année du tournant (peut-être dû à une crise d'épilepsie plus lourde que d'habitude au cours d'une expédition de chasse): il passe du statut de souverain musulman orthodoxe à celui de réformateur radical.

Comme on retrouve dans la pensée d'Akbar l'idée que le rituel exécuté mécaniquement et sans conscience intérieure rend le culte de Dieu inutile, le roi était extrêmement intéressé et fasciné par le soufisme. Cet intérêt l'a cependant amené à convoquer non seulement des maîtres du courant ésotérique de l'Islam comme Shaikh Tajuddin (qui a identifié la doctrine soufie de l'unité de l'être avec le monisme de la métaphysique hindoue), mais aussi des samanas (ascètes bouddhistes et jaïns), des yogis, des brahmanes et des savants zoroastriens. En effet, à partir de 1580, sous l'influence du zoroastrien Dastur Mahyragi Rana, Akbar adopte également en public les rites de l'ancienne religion iranienne. Mais le conflit avec les autorités orthodoxes de l'islam a commencé dès 1579, lorsque, à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du prophète Mahomet (qui tombait cette année-là le 26 juin), il a lu pour la première fois et conclu la khutba (le sermon du vendredi) dans le Jama Masjid en prononçant les mots "Allahu Akbar".

Cette expression est assez célèbre et courante en Islam. Elle suscita cependant l'ire des oulémas orthodoxes qui l'interprétèrent non pas avec le sens traditionnel "Dieu est plus grand", mais avec la volonté du souverain d'affirmer sa propre divinité, puisqu'elle pouvait aussi se prêter à un "Akbar est Dieu" plus que blasphématoire.

Quelques mois après l'événement, Akbar a obtenu de certains érudits religieux de la cour un document le déclarant Sultan-i adil (souverain vertueux). Ce document, fondé sur le dicton coranique "obéissez à Dieu, obéissez au Prophète et à ceux d'entre vous qui détiennent l'autorité", lui permettait, entre autres, d'agir en tant qu'arbitre dans les affaires religieuses et d'émettre un décret contraignant (pour autant qu'il soit conforme au Coran) pour le bien de l'empire en cas de conflit d'opinions entre les savants.

Akbar s'est servi de ce stratagème pour promulguer en 1582 sa propre religion syncrétique, le Din Ilahi, en opposition ouverte à l'orthodoxie islamique, qu'il considérait, comme le rapporte l'historien Firishta précité, comme un obstacle à ses idées. Cette nouvelle religion se présentait comme un credo syncrétique, dont le but était de trouver un point de convergence entre toutes les croyances, afin que tous puissent l'approuver tout en restant fidèles à leurs propres croyances. Il s'agissait d'une religion "régicentrique", qui, à certains égards, peut rappeler l'expérience monothéiste solaire du pharaon égyptien Akhénaton et dont les connotations étaient principalement socio-politiques. L'idée fondamentale défendue par Akbar était que la vénération du souverain faisait partie de la même vénération de Dieu ; et que la vénération de Dieu, pour le souverain, n'était rien d'autre que la pratique d'une administration conforme à la justice.

Outre le caractère assez confus de la doctrine, l'expérience d'Akbar échoua non seulement en raison du caractère élitiste (pseudo-initiatique) que le souverain voulait donner à sa "religion", mais aussi en raison de l'hostilité des érudits musulmans orthodoxes et de la réticence des communautés majoritaires respectives de l'Empire à s'amalgamer entre elles. En fait, malgré les efforts d'Akbar, les "deux nations" du sous-continent avaient déjà été largement consolidées.

Un autre précurseur de l'idée des "deux nations" est Sayyed Ahmad Barelvi (1786-1832), qui a tenté de convaincre les Pachtounes d'abandonner définitivement leur droit coutumier particulier et de construire un "État islamique" par le biais du djihad offensif contre le royaume sikh de Ranjit Singh. Avant lui, un autre représentant musulman qui mérite qu'on s'y attarde est sans doute Shah Waliullah (1703-1762), l'inspirateur du mouvement déobandi qui, au cours du XVIIIe siècle, a invité le fondateur de l'empire Durrani dans l'actuel Afghanistan, Ahmad Shah Abdali (1722-1772) [5], à intervenir dans le sous-continent pour défendre les musulmans contre les persécutions hindoues.

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Ahmad Shah Abdali.

Cependant, celui à qui l'on attribue généralement la première formulation de l'idée de deux nations distinctes dans le sous-continent indien est Sayyed Ahmad Khan : le fondateur de l'Anglo-Oriental Muhammadan College d'Aligarh, par lequel il proposait d'éduquer une nouvelle classe dirigeante musulmane "occidentalisée" (il n'est pas surprenant que sa pensée ait été prise comme référence idéologique sous le régime désastreux de Pervez Musharraf). Son nom mérite toutefois une attention particulière car c'est à partir de ses réflexions que la théorie des "deux nations" a pris un caractère proprement moderne et structuré, également en réponse anticipée au développement ultérieur des idées sur le "nationalisme composite", dont l'origine est principalement due à la pensée de Bipin Chandra Pal (1858-1932) [6] dans la première décennie du XXe siècle. Ainsi, Ahmad Khan a déclaré dans un discours prononcé en 1883 à Patna, dans l'Inde actuelle, "Mes amis, il existe en Inde deux nations importantes qui se distinguent par les noms d'hindous et de musulmans. Tout comme le corps humain possède certains organes principaux, de la même manière, ces deux nations représentent les deux principaux membres de l'Inde" [7].

En prenant note de la paternité de l'idée, il convient de noter que l'historiographie pakistanaise a mené une enquête approfondie pour savoir qui a été la première personne à formuler de manière accomplie au 20e siècle le projet de construire deux nations distinctes en Inde britannique. L'historien Sheikh Muhammad Ikram, par exemple, rapporte que la déclaration suivante du juge Abdur Rahim au congrès de la Ligue musulmane à Aligarh en 1925 a suscité une certaine consternation : "Les hindous et les musulmans ne sont pas deux sectes différentes comme les catholiques et les protestants en Angleterre, mais forment deux communautés distinctes de personnes, et se considèrent ainsi. Leurs attitudes respectives à l'égard de la vie, leurs cultures distinctes, leurs habitudes sociales et leurs civilisations, leur histoire et leurs traditions, non moins que la religion, les divisent si complètement que le fait d'avoir vécu pendant environ mille ans dans le même pays n'a rien fait pour les fusionner en une seule nation [...] Chacun d'entre nous, Indiens musulmans, voyageant par exemple en Afghanistan, en Perse ou en Asie centrale, chez les musulmans de Chine, chez les Arabes ou les Turcs, se sentiront toujours chez eux, retrouvant des coutumes auxquelles ils sont déjà habitués. Au contraire, en Inde, nous nous trouvons complètement étrangers à toutes les questions sociales dès que nous traversons la rue et entrons dans la partie de la ville où vivent nos compatriotes hindous."[8]

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Nehru et Jinnah.

Cependant, l'exposé philosophique et politique de la théorie des "deux nations" est généralement attribué à Muhammad Iqbal et à Muhammad Ali Jinnah. Le premier, en effet, dans le discours déjà cité d'Allahabad, a promu l'idée d'une forme d'"autonomie au sein de l'Empire britannique" (ou sans lui) pour les musulmans du sous-continent. Selon le poète et penseur (qui a également reconnu comment les Britanniques exploitaient les divisions entre hindous et musulmans pour des raisons géopolitiques) [9], la création d'un "État islamique" était dans le meilleur intérêt de l'Inde et de l'islam lui-même. En fait, elle aurait représenté une force fondamentale pour la sécurité, la paix et l'équilibre des pouvoirs au sein d'un sous-continent dont l'unité devait être reconstruite non pas dans la négation des différences, mais dans l'harmonie et la coopération mutuelles [10]. Cette position est également résumée dans la déclaration faite par Iqbal en réponse aux accusations de Jawaharlal Nehru après l'échec de la série de tables rondes organisées à Londres au début des années 1930 sur les réformes à adopter en Inde. En voici un extrait : "En conclusion, je veux poser une question directe au Pandit Jawaharlal : comment le problème indien peut-il être résolu si la communauté majoritaire ne veut ni accorder la protection minimale nécessaire à la protection d'une minorité de 80 millions de personnes, ni accepter l'existence d'un tiers, mais continuer à parler d'un nationalisme qui ne fonctionne qu'à son propre avantage ? Cette position ne peut admettre que deux alternatives. Soit la majorité indienne doit accepter pour elle-même le rôle d'agent pérenne de l'impérialisme britannique en Orient, soit le pays doit être redistribué sur la base des affinités historiques, religieuses et culturelles. "[11]

Une vague accusation d'être un agent de l'impérialisme britannique, pour être juste, a également été portée contre Muhammad Ali Jinnah, précisément en raison de son soutien à la cause de la partition. En 1943, cette accusation a conduit un activiste supposé être associé au mouvement Khaksar (à fort caractère social-révolutionnaire)[12] à attenter à la vie du leader politique musulman. Jinnah, cependant, continua sans se décourager à soutenir l'idée que, au contraire, c'était la fausse représentation d'une Inde unie qui maintenait les Britanniques sur le sol du sous-continent.

Comme nous l'avons déjà mentionné, le Qaid-e Azam a embrassé la cause des "deux nations" sur le tard. Brillant avocat passé à la politique, Jinnah termine ses études à Londres, où il devient membre de l'Honorable Society of Lincoln's Inn (l'une des plus prestigieuses guildes professionnelles de juges et d'avocats au monde) sur l'entrée principale de laquelle le prophète Mahomet figure parmi les grands hommes d'État et législateurs de l'humanité. À Londres, Jinnah devient l'assistant du politicien libéral (et franc-maçon) Dadabhai Naoroji [13], le premier Asiatique (de confession zoroastrienne) à devenir membre du Parlement britannique ; de lui, Jinnah hérite de la dévotion presque obstinée aux méthodes constitutionnelles et de l'idée d'émancipation (surtout des jeunes) par l'éducation. Cette insistance sur les méthodes constitutionnelles (même au moment où il s'est rendu compte qu'il n'y avait pas d'autre solution que la partition) était surtout liée au fait que, comme cela s'est effectivement produit, une fin abrupte de la domination britannique conduirait inévitablement à la violence sectaire.

Si, comme il a été dit plus haut, Jinnah a opté pour la théorie des "deux nations" dès 1937 et suite aux tensions croissantes entre le Congrès et la Ligue musulmane, il est tout aussi vrai que son idée n'a été ouvertement présentée que dans le discours qu'il a prononcé à Lahore le 22 mars 1940 :

"Il est extrêmement difficile d'apprécier le fait que nos amis hindous ne peuvent pas comprendre la nature même de l'islam et de l'hindouisme. Ce ne sont pas des religions au sens concret du terme, en fait, ce sont des ordres sociaux différents et distincts, et c'est un rêve de penser que les hindous et les musulmans peuvent développer un sens commun de la nationalité, et cette incompréhension de la nation indienne pose des problèmes et conduira l'Inde elle-même à la faillite si nous ne reconstruisons pas cette notion à temps. Les hindous et les musulmans appartiennent à deux philosophies religieuses différentes, à des littératures différentes et à des coutumes sociales différentes. Ils ne se marient pas entre eux et appartiennent à deux civilisations différentes qui reposent sur des concepts et des idées contradictoires. Leur idée de la vie et sur la vie est différente. Il est tout à fait clair que les hindous et les musulmans tirent leur inspiration de sources historiques différentes. Ils ont des épopées différentes, des héros différents et des événements différents. Souvent, le héros de l'un est l'ennemi de l'autre et leurs victoires et défaites se chevauchent. Réunir de force dans un même État ces deux nations, l'une majoritaire et l'autre minoritaire, alimentera le mécontentement et conduira à la destruction définitive de toute constitution gouvernementale conçue pour un tel État" [14]. Il s'agissait d'une déclaration similaire faite un an plus tôt.

Choudhry_Rahmat_Ali.jpgUne déclaration similaire a également été faite quelques années plus tôt par Choudhry Rahmat Ali (photo) (exactement en 1933 et à la fin des tables rondes de Londres) dans un pamphlet qui a acquis une certaine notoriété sous le titre de « Déclaration du Pakistan ». Rahmat Ali écrit : "Nos religions et nos cultures, nos histoires et nos traditions, nos codes sociaux et nos systèmes économiques, nos lois sur l'héritage, la succession et le mariage sont fondamentalement différents de ceux des personnes vivant dans le reste de l'Inde. Les idées qui poussent notre peuple à faire les plus grands sacrifices sont essentiellement différentes de celles qui inspirent les hindous à faire de même. Ces différences ne se limitent pas aux principes de base. Ils s'étendent jusqu'aux moindres détails de nos vies. Nous ne dînons pas ensemble. On ne se marie pas entre nous. Nos coutumes nationales et nos calendriers sont aussi différents que notre nourriture et nos vêtements"[15]. Nous ne sommes pas les mêmes.

Lors d'une rencontre en 1934 entre Jinnah et Rahmat Ali lui-même, le premier suggère au second de faire preuve d'une certaine prudence. Toutefois, le zèle missionnaire conduit le fondateur du Mouvement national pakistanais à se rapprocher des thèses du national-socialisme et à entrer en opposition avec Jinnah lui-même ; cela se produit lorsque ce dernier accepte une solution territoriale qui réduit l'espace géographique du futur Pakistan par rapport au projet idéal de Rahmat Ali, fondé sur l'idée de libérer les musulmans du sous-continent de la "barbarie de l'indianisme"[16].

La théorie des "deux nations" trouve également un soutien dans les milieux purement religieux. La vision de Jinnah, comme on le sait, était celle d'un État inspiré par les principes de l'Islam, bien que lui-même ait toujours refusé toute caractérisation religieuse de son rôle. À ceux qui voulaient lui donner le titre de "Maulana", par exemple, il s'est toujours fermement opposé, déclarant être un politicien et non un homme de religion [17]. En tout cas, c’est ce qu’il a déclaré lors d'une interview avec une radio nord-américaine :

"Le Pakistan est le premier État islamique [...] La Constitution du Pakistan n'a pas encore été discutée par l'Assemblée constituante. Je ne sais pas quelle sera la forme finale de cette Constitution, mais je suis sûr qu'il s'agira d'un modèle démocratique capable d'intégrer les principes essentiels de l'Islam. Celles-ci sont toujours aussi applicables aujourd'hui qu'elles l'étaient il y a 1300 ans. L'Islam et l'idéalisme nous ont appris la démocratie. L'Islam nous a enseigné l'égalité entre les hommes et la justice"[18]. L'appel à l'égalité et à la justice est important.

La référence à la justice et à l'égalité entre les hommes apparaît également dans certaines déclarations de nature plus purement économique. Par exemple :

"Le système économique de l'Occident a créé des problèmes insolubles pour l'humanité [...] Il n'a pas réussi à créer la justice entre les hommes et à éliminer les diatribes dans l'arène internationale [...] L'adoption d'une théorie économique occidentale ne nous aidera pas à atteindre l'objectif de créer un peuple autosuffisant et heureux [...] Nous devons construire notre propre destin à notre manière et présenter au monde un système économique basé sur le concept islamique d'égalité" [19].

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Maulana Abul A'la Maududi.

Sur la base de ces déclarations, de nombreux représentants du soufisme barelvi se sont prononcés en faveur de la partition. Au contraire, Maulana Abul A'la Maududi soutenait que l'idée de partition et de fermeture de l'islam au sein d'un État moderne était fondamentalement non islamique (contraire au concept traditionnel d'Umma). Cependant, sa Jama'at-e-Islami, malgré une relation difficile avec les institutions pakistanaises après la partition, a trouvé dans le militarisme islamiste de Zia ul-Haq, l'allié idéal pour développer un projet d'islamisation forcée par le haut, également contraire aux principes coraniques.

Parmi les groupes qui ont soutenu le plus activement le processus de séparation en deux États figure sans conteste la Ahmadiyya Muslim Jama'at. Il s'agissait d'un mouvement d'inspiration messianique, dont le premier leader (Mirza Ghulam Ahmad, 1835-1908) s'était déclaré le Mahdi attendu, invoquant le retour à la pureté originelle de l'Islam. Pendant la première guerre indo-pakistanaise de 1947-48, ce mouvement a créé l'organisation paramilitaire connue sous le nom de Furqan Forces, qui a combattu au Cachemire [20].

Bien sûr, même au sein de la sphère hindoue, certains penseurs et intellectuels ont adopté ou se sont opposés à la théorie des "deux nations". Il suffit de mentionner Indira Ghandi qui, lorsque le Pakistan oriental est devenu indépendant en tant que Bangladesh après la guerre de 1971 [21], a déclaré l'échec de la théorie des "deux nations". Toutefois, comme l'analyste pakistanais et ancien militaire Masud Ahmad Khan a eu l'occasion de le souligner, le Bangladesh n'est pas du tout un État laïque, c'est un État musulman. Et l'affirmation toute récente du nationalisme exclusiviste hindou du Bharatiya Janata Party, inspiré par la pensée de Vinayak Damodar Savarkar (1883-1966), est la démonstration la plus claire que la théorie de deux nations distinctes dans le sous-continent indien est plus vivante que jamais[22].

NOTES

[1]   Le Vande Mataram raconte l’histoire d’une société secrète hindoue qui, au 18ème siècle, a cherché à renverser le gouvernement islamique au Bengale.

[2]    Dynastie perse, auparavant de religion bouddhiste, qui s’est convertie à l’islam et qui a battu la dynastie turque persisée de Ghaznavides en 1186, tout en conquérant leur capitale Lahore, aujourd’hui sur territoire pakistanais.

[3]    A. Eraly, Il trono dei Moghul. La saga dei grandi imperatori dell’India, Il Saggiatore (2000), p. 43.

[4]    Il trono dei Moghul, ivi cit., p. 188.

[5]   Descendant des tribus pachtounes Sadozai et Alokozai, Ahmad Shah Abdali est le héros national de l’Afghanistan et est considéré comme le « Père moderne de la Nation ».  

[6]   Un des architectes majeurs du mouvement Swadeshi (en même temps que Sri Aurobindo) qui s’est opposé à la partition du Bengale décidée par le gouvernement britannique d’Inde en 1903. Chandra Pal était également membre du triumvirat nationaliste Lal-Bal-Pal (les deux autres membres étaient Lala Laipat Raj et Bal Ganghadar Tilak), triumvirat qui dirigea la lutte anticoloniale indienne dans les premières années du 20ème siècle.

[7]    R. Guha, Makers of modern India, Harvard University Press (2011), p. 65.

[8]    S. M. Khan, Indian muslims and partition of India, Atlantic Publisher & Dist (1995), p. 308.

[9]   L’historien David Hardiman partage également cette idée et cette théorie, selon lesquelles aucune hostilité particulière n’opposait les musulmans aux hindous au moment où les Britanniques sont arrivés dans le sous-continent indien. Ce sont donc, d’après cette théorie, les Britannques qui ont articulé la très célèbre pratique impérialiste du divide et impera afin de maintenir leur contrôle colonial sur cette région du monde. Voir  D. Hardiman, Gandhi in his time and ours: the global legacy of his idea, Columbia University Press (2003), p. 22.

[10]  Voir I. S. Sevea, The political philosophy of Muhammad Iqbal. Islam and nationalism in late colonial India, Cambridge University Press (2012), p. 14.

[11]  Dans Iqbal and the Pakistan Movement, www.allamaiqbal.com.

[12]  Ce mouvement, de caractère militariste rigide, a été fondé en 1931 par Allama Mashriqi (mathématicien et théoricien politique) qui se proposait de libérer l’Inde des Britanniques par le biais de la lutte armée et de la construction d’un Etat hindou/musulman.41DFPcBOIxL._SX327_BO1,204,203,200_.jpg 

[13]  Naoroji est aussi considéré comme le mentor de l’activiste politique et intellectuel Bal Ganghadar Tilak(déjà cité comme membre du triumvirat Lal-Bal-Pal et auteur d’un ouvrage célèbre La dimora artica nei Veda) et d’un homme politique indien très important, Gopal Krishna Gokhale, fondeteur de la « Société des Serviteurs de l’Inde ».  

[14]  Jinnah. Creator of Pakistan, Oxford University Press (1953), p. 140.

[15]  T. Kamran, Choudhry Rahmat Ali and his political imagination: Pak Plan and the continent of Dinia, contenuto in A. Usmani – M. Eaton Robb (a cura di), Muslims against the Muslim League, Cambridge University Press (2017), p. 92.

[16]  K. K. Aziz, Rahmat Ali: a biography, Steiner Verlag Wiesbaden (1987), p. 123. Rahmat Ali forgea le terme d’ « indianisme » pour définir une force qui avait dominé tout le sous-continent et s’était opposé aux efforts de ses peuples pour améliorer leur propre condition. Cette force était donc perçue comme « destructrice », comme quelque chose qui avait conduit à la servitude d’au moins la moitié de la population du sous-continent. Pour ce motif, Rahmat Ali s’opposait avec virulence à la création d’une « Fédération Indienne » sous l’égide du Congrès.

[17]  Hector Bolitho raconte, à ce propos, que Jinnah cultivait une admiration particulière pour l’expérience nationaliste, laïque et réformiste de Mustafa Kemal en Turquie, dont il critiquait toutefois les tendances libertines. Dans le même contexte, il est curieux de noter que  Muhammad Iqbal n’appréciait pas du tout le Père de la République turque.

[18]  Dans : M. A. Z. Qureshi, Decolonization and Nation-Building in Pakistan. Islam or Secularism?, IDSS Research Paper 2011.

[19]  Jinnah. Creator of Pakistan, ivi cit., p. 177.

[20]  S. Ross, Islam and the Ahmadiyya Jama’at. History, belief, practice, Columbia University Press (2003), p. 204.

[21]  L’un des préoccupations principales qui tourmentaient Jinnah au moment de la partition était l’absence d’une communication directe, soit d’un corridor terrestre, entre les deux parties du Pakistan.

[22]  Voir M. S. Khan, Jinnah’s two Nation theory, www.nation.com.pk.

Daniele Perra

Depuis 2017, Daniele Perra collabore activement avec "Eurasia. Journal of Geopolitical Studies" et le site informatique correspondant. Ses analyses portent principalement sur les relations entre la géopolitique, la philosophie et l'histoire des religions. Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, il a obtenu en 2015 un master en études moyen-orientales de l'ASERI - Alta Scuola di Economia e Relazioni Internazionali de l'Università Cattolica del Sacro Cuore de Milan. En 2018, son essai Sulla necessità dell'impero come entità geopolitica unitaria per l'Eurasia a été inclus dans le vol. VI des "Quaderni della Sapienza" publiés par Irfan Edizioni. Il collabore assidûment avec plusieurs sites Internet italiens et étrangers et a accordé plusieurs interviews à la radio iranienne Radio Irib. Il est l'auteur du livre Être et Révolution. Ontologie heideggérienne et politique de la libération, préface de C. Mutti (NovaEuropa 2019).

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Les variations de la Ligue

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Les variations de la Ligue

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Il faut revenir sur le soutien officiel qu’apporte la Lega de Matteo Salvini au gouvernement de Mario Draghi. On ne doit cependant pas oublier que la vie politique italienne riche en exemples transformistes (le passage d’élus d’un camp à un autre) s’apparente à une comedia dell’arte permanente.

Malgré l’impulsion dans un sens national-souverainiste donné par le secrétaire fédéral Salvini, la Lega demeure foncièrement un mouvement fédéraliste qui garde en son sein des tendances composites. Avant de devenir le chantre de la cause du Pô, Umberto Bossi était proche de l’extrême gauche. Sa rencontre avec les autonomistes francophones du Val d’Aoste, par ailleurs disciples du philosophe suisse Denis de Rougemont, l’ancien non-conformiste des années 30, est cruciale dans son itinéraire politique. Quant à Salvini, le journal Le Monde a naguère publié une photographie de lui, jeune élu au conseil municipal de Milan portant à la boutonnière une épinglette du drapeau basque et une autre à l’effigie du Che Guevara. Matteo Salvini animait alors une faction « Communistes pour la Padanie ». Ce groupe cohabitait à l’intérieur de la Ligue du Nord avec des tendances libertariennes ou néo-celtiques paganisantes.

En décembre 1989, la Ligue du Nord naît de l’accord conclu entre des formations autonomistes, régionalistes, voire indépendantistes : les puissantes Ligues lombarde et vénète s’allient à Piémont autonomiste, à l’Union ligure, à l’Alliance toscane et à la Ligue d’Émilie – Romagne. Le discours officiel de la Ligue va alors varier au gré des circonstances politico-électorales. Tantôt elle prône la sécession de la Padanie, tantôt elle envisage une république fédérale constituée d’une Italie méridionale ouverte à la Méditerranée, d’une Italie centrale orientée par Rome et d’une Haute-Italie plus tournée vers les mondes alpin et danubien (les Habsbourg ont régné de 1815 à 1859 sur la Lombardie et jusqu’en 1866 sur la Vénétie).

On retrouve ces fluctuations politiques au Parlement européen. De 1989 à 1994, les euro-députés liguistes siègent dans le groupe écologiste – fédéraliste « Arc-en-ciel » aux côtés de la Volksunie flamande et des nationalistes de gauche écossais. La Ligue soutient en 1994 l’euro et entre au groupe centriste des libéraux, démocrates et réformateurs en compagnie de l’UDF de Valéry Giscard d’Estaing. En 1999, la Ligue participe avec le FN, le Vlaams Blok et les libertaires italiens au Groupe technique des indépendants que la Cour de justice de l’Union européenne invalide en 2001. En 2004, les liguistes adhèrent à « Indépendance et Démocratie » avec Philippe De Villiers, l’UKIP et les calvinistes fondamentalistes néerlandais. Les élus de la Ligue rejoignent ensuite successivement l’« Union pour l’Europe des Nations » (avec le RPF de Charles Pasqua et le PiS polonais), puis « Europe de la Liberté et de la Démocratie » (avec le LAOS national-conservateur grec). En 2015, la Lega s’associe avec le FPÖ autrichien et le FN dans le cadre d’« Europe des Nations et des Libertés ». Enfin, en 2019, le RN, l’AfD, le FPÖ et la Ligue forment « Identité et Démocratie ». Certains spéculent déjà sur une adhésion prochaine au Parti populaire européen

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Par-delà l’activisme de Matteo Salvini, la Ligue du Nord n’est pas un mouvement centralisé et monolithique. Son principal dirigeant doit compter sur une opposition interne qui reprend les aspirations des PME et des entrepreneurs de Lombardie et de Vénétie. Candidat malheureux au secrétariat de la Ligue face à Salvini, Gianni Fava (20 % des votes militants) déplore dans l’hebdomadaire français L’Express du 15 août 2018 que « Salvini a volé notre rêve. Il s’est approprié notre mouvement d’inspiration libérale et pro-européenne, et il l’a transformé en parti souverainiste d’extrême droite, résolumment hostile à Bruxelles ».

L’inflexion prise par le « Capitaine » vers le national-souverainisme ne l’empêche pas de louvoyer. Ainsi renonce-t-il à sortir de l’euro après la défaite présidentielle de Marine Le Pen en 2017. Il donne aussi des gages à la bien pensance médiatique. Il refuse de reconduire aux européennes de 2019 le sortant Mario Borghezio. Cinq ans auparavant, la direction liguiste cherchait déjà à s’en débarrasser en l’envoyant dans la circonscription électorale de l’Italie centrale (Latium, Toscane, Ombrie, Marches) où l’ancien militant de la branche italienne de Jeune Europe de Jean Thiriart aurait perdu son mandat. Or, Mario Borghezio fut réélu (5837 voix au vote préférentiel) grâce à l’appui décisif de CasaPound. Rappelons que les ministres liguistes de l’Intérieur n’ont jamais cessé de persécuter le mouvement de Gianluca Ianonne et se sont montrés incompétents dans l’arrêt de l’immigration clandestine.

À la lumière de ce rappel historique, on ne doit donc pas être surpris par le parcours sinueux de la Ligue du Nord. Malgré une volonté séparatiste qui anime maints de ses militants et de ses cadres, la Lega appartient bien à l’esprit politique italien.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 206, mise en ligne sur TVLibertés, le 16 mars 2021.

L'art de trouver ses sentiers de légende ou comment suivre les "papillons-guides"

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L'art de trouver ses sentiers de légende ou comment suivre les "papillons-guides"
 
par Frédéric Andreu-Véricel

Il marchait au côté de son fils dans la vaste prairie, en direction de la forêt. Devant eux, la légende verte du près se terminait devant une rangée d'arbres. Au-delà de la forêt, se tenaient les contreforts de la montagne à peine visibles sous la brume mais trapue comme un animal à l'affut, puis, au-delà encore, les nuages qui semblaient un autre étagement, le dernier avant les insondables empyrées célestes. Tout en bas de la montagne, comme au pieds d'un mystère, la prairie s'ouvrait sous leurs pas sereins.

À les voir marcher de loin, on aurait dit que les deux hommes suivaient un chemin de fleurs mais, à y regarder de plus près, quelques passages d'animaux avaient laissé comme une écriture dans l'herbe. Là, des herbes foulées ; ici, des fleurs endormies et quelques pierres groupées qui semblaient posées là depuis le premier jour. Et c'est ce sillon qu'ils suivaient comme on suit un sentiment ou une rêverie de demi-sommeil.

Alors que le contours des arbres commençaient à faire silhouette, la rumeur du sous-bois, pareille à des bruits de pas dans une cathédrale, parvenaient jusqu'aux promeneurs. Mais ils étaient encore à bonne distance de l'aura sombre des arbres. Cependant, c'est un peu de la vie cachée de la forêt qui se donnait à entendre devant sa falaise d'elle-même, inaudible aux gens ordinaires et que ces hommes, pourtant ouverts à l'inconnu, écoutait sans l'entendre. On dit que cette forêt s'appelait Alcudia.

1e5yq727-front-shortedge-384.jpgLe couple inégal ralentit le pas. Il était seul devant la forêt aux portes fermées pour eux. Je dis "inégal" car l'un d'entre eux, le plus jeune, savait des choses que le plus vieux ignorait totalement. La preuve de cet aveuglement, de ce rejet obstiné de l'invisible, ce sont ces appareils de mesure qu'il portait en permanence sur lui et qui lui donnait une allure de scaphandrier. À la campagne, ces appareils miniaturisés, micro-ordinateur, caméra avec pluviomètre intégré, entre autres prothèses, étaient le pendant de ces panneaux de circulation et autres passages piétons du monde urbain sans lesquels il ne pouvait vivre.

Je ne sais devant quel bouquet de fleurs les deux hommes s'arrêtèrent soudain, subjugués devant tant de beauté, sans doute devant ces marguerites odorantes au cœur jaune que l'on découvre aux premières altitudes de la montagne. L'un d'eux sortit de son sac un appareil-photo avec un long objectif et prit les fleurs sous tous les angles.

Un échange s'en suivit, discret et presque religieux car, à leur approche, l'essaim de papillons qui sommeillait dans les fleurs se mit à virevolter tout autour. On aurait dit une farandole de flammes ! Quelle spectacle magique !
Mais alors pourquoi sortir cette "arme de guerre" en pleine nature au lieu de suivre les "papillons-guides" ?

"L'homme moderne est lourd, très lourd" disait Louis-Ferdinand Céline ; et lorsqu'il vit en ville, l'homme pèse encore plus lourd : il ne peut pas s'empêcher de prendre en photo la vie même pour aussitôt la rejeter de son cœur. Il ignore que les papillons sont ses éclaireurs de conscience, les animaux-guide des sentiers poétiques. À l'orée d'une forêt, vous en trouverez toujours un pour vous conduire jusqu'aux clairières enchantées où sont d'autres fleurs, d'autres mystères, ceux de la pénombre des sous-bois. Notre "mythologie personnelle" est construite de telles expériences et l'écrivain Robert Brasillach en a donné des exemples précis dans son roman "Comme le temps passe".

L'homme moderne ne connaît de la nature que le carré vert produit par sa tondeuse à gazon. Il ignore tout de la vie subtile parce qu'il ignore les voies de l'âme et par là, ne sait pas lire les traces dans la nature. L'écran a remplacé le symbole ; du coup, il passe à côté des guides comme à côté d'un trésor, sans les voir.

Les papillons lui font signe de s'approcher et de les suivre avec un langage qui parle directement à l'âme. Mais pour les suivre, encore faut-il avoir conscience que l'âme a ses propres principes qui ne sont pas ceux de l'esprit calculateur.

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L'homme moderne, incapable d'aucune réminiscence, répond à l'invite des papillons par la prise compulsive de photographies. La fascination du "double" l'emporte sur l'original d'autant plus que le "clic" sur l'appareil se fait sans effort ; celle de l'écran l'emporte sur l'appel intérieur.

Alors, chers lecteurs, en ce début de printemps, retrouvons notre magistère légendaire, suivons les papillons de nos jardins. Et si les épreuves de la vie nous conduit à l'hôpital, suivons ceux de nos cœurs !

Frédéric Andreu-Véricel.

Texte tiré de LA FORÊT D'ALCUDIA où le reboisement de l'imaginaire :
https://www.lulu.com/en/en/shop/fr%C3%A9d%C3%A9ric-andreu/la-foret-dalcudia-ou-le-reboisement-de-limaginaire/paperback/product-1e5yq727.html?page=1&pageSize=4

Quelques écrivains oubliés

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Quelques écrivains oubliés

par Daniel COLOGNE

Je remercie Bernard Baritaud et ses collaborateurs du CRAM (Centre de réflexion sur les auteurs méconnus) de m’avoir accueilli dans le numéro 16 de leur revue. Je leur dois bien une recension de La Corne de Brume (livraison d’avril 2020). On y trouve notamment des textes de Nino Frank (1904 – 1988) exaltant les beautés de Milan, Gênes et Venise, en une sorte de périple stendhalien d’où émane « une poésie délicate et plaisante ». Ce ne sont pas exclusivement des écrivains oubliés qu’évoque cette intéressante publication. On y parle aussi d’un fait d’armes que l’Histoire n’a pas retenu et qui a pour décor la Guyane en 1963. Le célèbre Max Jacob s’y invite à la faveur de la Sainte-Hermandade, « version théâtralisée d’un de ces poèmes en prose drolatiques du Carnet à dés (1917) ».

9782868690777-475x500-1.jpgAutant ce recueil de Max Jacob est « légitimement le plus connu », autant Jean Reverzy et son roman Le Passage sont imméritoirement écartés par la postérité littéraire. Il s’agit pourtant d’un auteur qui partage avec Céline son métier initial de médecin des pauvres et son évolution vers un pessimisme décrivant « le lent travail de la vie, cet effritement invisible et ininterrompu ». Un rapprochement est aussi esquissé entre Le Passage de Reverzy et L’Étranger de Camus : « la mer, les hommes simples, une réflexion sur la vie, cet étrange cadeau empoisonné par la mort » et un personnage final d’aumônier « dépeint comme un intrus ».

L’actualité éditoriale n’est pas absente et l’un des rédacteurs, Henri Cambon, souligne la récente parution des Lettres d’Indochine et de France de Georges Pancol (L’Harmattan, 2019). Avant de mourir au front en 1915 et de rejoindre les rangs de la « génération perdue », à laquelle appartiennent aussi Péguy et Alain-Fournier, Pancol fait un séjour dans le Tonkin qui lui inspire « certains jugements désobligeants » sur les Asiatiques. C’est le regard d’« un jeune Européen qui ne remet guère en cause le fait colonial ». C’est un « témoignage » dont la « valeur historique » est indéniable, même si « on se serait attendu » de la part de l’auteur « à une plus grande ouverture d’esprit devant les richesses humaines et culturelles de ces pays dans lesquels il a été plongé ».

Bernard Baritaud se souvient de sa jeunesse antillaise et son pittoresque récit autobiographique est couronné par un magnifique poème dont voici un extrait :

« Notre-Dame de la Guadeloupe

Tu portes un nom de vierge espagnole

Et de sierra

Notre-Dame de la Guadeloupe

Tu es un nom d’os et de sang.

Je ne t’ai pas vue mais je te connais et je sais

Que tu es noire, vierge d’ivoire

Drapée de pierre. »

rogissart_historique1-175a4.jpgC’est encore Henri Cambon qui ravive le souvenir de Jean Rogissart (1894 – 1961). Certes, l’auteur de la saga des Mamert a fait encore récemment l’objet d’une étude universitaire (à Dijon, en 2014). Mais cette fresque familiale reste relativement méconnue alors qu’elle s’inscrit dans un majestueux courant littéraire français dont Georges Duhamel et Roger Martin du Gard sont d’illustres représentants.

L’histoire de la famille Mamert commence, dans le premier des sept volumes, par l’installation des industriels, de leurs usines et de leurs machines dans cette Vallée de la Meuse « qui remonte en méandres serrés et encaissés vers Givet, et au-delà la Belgique ». Jean Rogissart est né dans cette région, non loin de Charleville. Mais la cité de Rimbaud, ainsi que sa voisine Sedan, élisent leurs premiers députés socialistes aux alentours de 1900, tandis que « des courants anarchistes et libertaires » dénoncent déjà « certaines manœuvres politiciennes » et des dérives « bourgeoisies survenant même parmi les forces de gauche ».

Les membres de la famille Mamert se divisent parfois sur la question du choix politique, mais tout au long des quatre générations dont Jean Rogissart déroule le parcours, revient le problème « de l’engagement face à ce qui pèse sur l’homme – injustices sociales, guerres », l’obsédante interrogation sur l’attitude qu’il faut opposer aux malheurs qui accablent l’humanité. Le sixième tome intitulé L’Orage de la Saint-Jean amène le lecteur au seuil de la Seconde Guerre mondiale et le déclenchement du conflit est évoqué dans un style à al fois sobre et puissant. « Vers minuit on frappe à notre porte; on frappait à toutes les portes. C’était lugubre ces chocs sourds dans le silence. Accompagné du secrétaire de mairie, le garde-champêtre avertissait les habitants. Par ordre supérieur nous devions quitter le village avant cinq heures du matin. Tous les ponts de la Meuse sauteraient alors et les retardataires seraient bloqués sur la rive droite. »

metadata-image-28611002.jpegOn attribue à Jean-Baptiste Clément la création du Temps des Cerises, célèbre chanson qui aurait été inspirée par la Commune de Paris. Ce titre est aussi celui du deuxième volume du cycle romanesque de Jean Rogissart. Jean-Baptiste Clément est de passage dans la contrée mosane et y répand sa conception d’un « socialisme pur » grâce auquel « l’homme rompt ses chaînes millénaires et peut enfin croire en Dieu ». remarquons ici l’intéressant renversement de l’idée marxiste de la religion comme « opium du peuple », dont il faut se débarrasser pour mener à son terme le processus d’émancipation économique et sociale. Pour Rogissart, au contraire, il faut d’abord vaincre l’esclavage ouvrier qui pèse sur l’humanité comme une sorte de fatalité originelle, un obscur destin dont la volonté militante doit s’affranchir pour pouvoir accéder à la lumière de la Providence divine. Destin – Volonté – Providence : c’est l’une des « grandes triades » analysées par René Guénon.

Tirer de l’oubli des écrivains talentueux alors que les jurys et les media glorifient beaucoup de plumitifs médiocres : tel est l’immense mérite du CRAM et de sa belle revue La Corne de Brume.

Daniel Cologne.

lundi, 22 mars 2021

Lecture de la lettre de Martin Heidegger sur l'humanisme

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Lecture de la lettre de Martin Heidegger sur l'humanisme

par Alberto Buela

Ex: https://legio-victrix.blogspot.com/2019/10/

(2019)

lettre_sur_l_humanisme-522735-264-432.jpgAvec Silvio Maresca nous réalisons tous deux, pour la télévision, un programme appelé "Disenso", qui porte sur la métapolitique et la philosophie, et cela depuis 2012 ; ce programme est accessible sur youtube. Et après avoir interviewé presque tous ceux qui essaient de faire de la philosophie en Argentine (s'il en reste, que nous aurions oubliés, nous les invitons à participer), nous avons commencé à traiter divers sujets philosophiques et ce commentaire en fait partie.

La Lettre, écrite en 1946 et publiée en 1947, est une réponse à trois questions posées par le professeur Jean Beaufret à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La première de ces questions est : comment redonner du sens au mot humanisme ? La réponse à cette question occupe la majeure partie de la Lettre, qui, dans mon édition, va jusqu'à la page 54. La deuxième est : la relation entre l'ontologie et l'éthique est-elle possible, ce qui nous amène à la page 66 et la troisième est : comment sauver l'élément d'"aventure" qui présuppose toute investigation sans faire de la philosophie un simple "aventurisme", ce qui occupe les deux dernières pages de ce petit livre.

Nous voyons comment les réponses aux questions ne sont pas proportionnelles les unes par rapport aux autres, et c'est la dimension de la première réponse qui donne son titre à la Lettre.

Heidegger commence la Lettre comme s'il était Aristote: l'essence du travail est de réaliser. Réaliser signifie: déployer quelque chose dans la plénitude de son essence, conduire cette chose à sa plénitude, producere.

Heidegger commence comme il finit, lorsqu'il parle de la pensée et affirme que sa trinité est: " la rigueur de la réflexion, la sollicitude attentive du dire et la sobriété de la parole". La clarté avec laquelle il commence et termine implique un texte libre où Heidegger "heideggerisera" d'une manière qui lui est tout à fait propre.

Le point central porte sur l'essence de la vérité, un thème qui avait fait l'objet d'une conférence du même nom en 1930. En ce moment, il y avait "le tournant de Heidegger", qui se produit dans L’Être et le Temps (1927), avec l'affirmation que "la vérité est pour le Dasein ce que le Dasein est pour la vérité", c'est-à-dire que la vérité est adéquation, avec l'affirmation que la vérité est aletheia, c'est-à-dire dévoilement. Ainsi, il affirme: "l'homme doit, avant de parler, laisser l'être lui parler à nouveau".

L'humanisme n'est rien d'autre que de penser et de se soucier que l'homme soit humain et non inhumain, c'est-à-dire en dehors de son essence. Et il donne trois versions de l'humanisme:

  1. a) Celle du marxisme, où l'être humain se trouve dans la société parce qu'elle garantit l'alimentation, l'habillement, la reproduction et la suffisance économique. L'erreur fondamentale du marxisme serait de réduire l'être au "matériel de travail". Et il affirme dans la ligne suivante: "L'essence du matérialisme est cachée dans l'essence de la technique".
  2. b) La seconde version est celle du christianisme, qui voit l'homme comme le fils de Dieu pour qui le monde n'est qu'un transit vers l'au-delà.
  3. c) La troisième est la vision du monde gréco-romaine, pour laquelle l'homme humain s'oppose à l'homo barbarus. Paideia a été traduit " À Rome, nous trouvons le premier humanisme et la Renaissance des XIVe et XVe siècles en Italie est une renaissance de la romanité. Et c'est la version et la vision qui atteint tout l'humanisme moderne à partir du XVIIIe siècle avec Goethe, Schiller et Kant qui remonte à l'antiquité, pour qui "l'inhumain est maintenant la prétendue barbarie de la scolastique gothique du Moyen Âge".

92b2b52905a7f222a6544c02ab38941c.jpgRien n'est plus éloigné de l'opinion de Heidegger, qui développe, à partir de là, la thèse centrale de la Lettre, selon laquelle la culture humaniste, en raison de sa rationalité moderne, celle de la raison calculatrice, ne pouvait nous apporter que la Seconde Guerre mondiale, avec sa civilisation de la technique à laquelle ont collaboré aussi bien le gigantisme nord-américain que le marxisme soviétique.

Il en est ainsi parce que la figure métaphysique qui potentialise l'humanisme est la subjectivité. Cette subjectivité est la figure qui donne son nom à l'homme des Lumières élevé au rang de sujet historique par la métaphysique moderne.

Ainsi, la seconde guerre mondiale n'a pas été, comme l'affirment les marxistes de l'école de Francfort, Adorno et Horkheimer, dans Dialectique des Lumières, une guerre inter-impérialiste, mais la raison qui a déclenché cette grande guerre aurait été l'erreur anthropologique à laquelle a conduit la métaphysique moderne de la subjectivité.

Pour échapper à ce piège, il faut se remettre à l'écoute de l'être. L'homme doit s'ouvrir à l'être par l'"ek-sistence", pour retrouver son caractère "ek-statique". Ce n'est pas en inversant la vieille phrase selon laquelle l'essence précède l'existence, comme le fit Sartre en affirmant que l'existence précède l'essence, que nous nous libérerons de la métaphysique de la modernité, mais en " ek-sistant " dans un état d'ouverture à l'être.

Puisque aucun des humanismes expérimentés n'a considéré la dignité particulière de l'homme, nous proposons l'état d'"ouverture" à l'être et à la vérité comme possibilité d'un nouvel humanisme.

Le déracinement est l'un des défauts les plus notables de l'humanisme moderne. "C'est la marque de l'oubli de l'être. L'homme n'est pas le seigneur de l'être, au sens où sa fin serait de dominer toutes choses, il est "le berger de l'être", où il acquiert la pauvreté essentielle du berger.

Arrivé à ce point (p. 44), Heidegger répète la première question: " Vous me demandez comment redonner un sens au terme humanisme? "Affirmer que l'essence de l'homme réside dans l'"ek-sistence". Que l'essence de l'homme est essentielle à la vérité de l'être. Que lorsqu'on parle contre l'humanisme actuel, cela ne signifie pas être inhumain, "parce qu'on parle contre l'humanisme, on craint que l’on défende la brutalité barbare", de même que penser contre la logique ne signifie pas défendre l'irrationalité ; que penser contre les valeurs est une défense de l'inutilité ; que postuler un "être-au-monde" nous conduit à la négation de la transcendance; ou que la mort de Dieu nous fait postuler l'athéisme, ou que lorsqu'on parle contre le politiquement correct, on dérive vers le nihilisme.

Et il termine cette partie par un jugement lapidaire sur l'idée de l'homme comme sujet: "Avant tout, l'homme n'est jamais l'homme en tant que "sujet" de ce côté-ci du monde, que ce "sujet" soit pris comme "je" ou comme "nous". Il n'est pas non plus un simple sujet qui se rapporte toujours en même temps à des objets, de sorte que son essence est toujours dans la relation sujet/objet. L'homme est, avant tout, ex-sistant dans son essence, dans son ouverture à l’être".

Vient ensuite la deuxième question: est-il possible de préciser la relation entre l'ontologie et l'éthique?

heidegger2.jpgA quoi Heidegger répond brièvement en disant que l'éthique prédominante de la modernité a été l'éthique des normes, du devoir-être, qui se fonde sur l'éthique kantienne et la projection politique pratique de la morale bourgeoise, mais que tant l'éthique que l'ontologie sont des disciplines philosophiques établies depuis Platon, que les penseurs avant lui ne connaissaient pas en tant que telles.

Et il présente le cas d'Héraclite, rapporté par Aristote, qui, lorsqu'il est interpellé par des touristes, se trouve en train de se réchauffer près d'un feu. Ils sont déçus par le philosophe et il leur répond: ici aussi, les dieux sont présents. Ceci est une traduction libre d'un fragment dont la traduction actuelle est: le personnage est le daimon de chaque homme.

De telle sorte qu'il faut remonter aux présocratiques pour trouver une réponse qui n'est autre que la réflexion sur la vérité de l'être, qui est, en même temps, le fondement de l'éthique et de l'ontologie, "et il est inutile de les appeler ainsi".

Troisième question: comment sauver l'élément d'"aventure" qui présuppose toute enquête sans faire de la philosophie un simple "aventurisme"? A cette question Heidegger accorde pieusement les deux dernières pages de la Lettre, pour ne pas dire à Beaufret, ‘’soyons sérieux’’. "Nécessaire est, dans la pénurie actuelle du monde, moins de philosophie, mais plus de sollicitude pour la pensée ; moins de littérature, mais plus de soin aux lettres". Pour une bonne compréhension, un demi-mot suffit, et il termine en disant: "La pensée recueille le langage dans le simple dicton. Le langage est le langage de l'être comme les nuages sont les nuages du ciel.

La Lettre sur l'humanisme (1947) n'est pas seulement une récapitulation de tout ce que Heidegger a pensé pendant les vingt ans qui séparent L’Être et le Temps (1927), vingt ans qui ont produit le "tournant" heideggérien, mais aussi et surtout tout un manifeste sur la manière dont la philosophie doit désormais être faite.