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samedi, 27 février 2016

Drieu la Rochelle d’un suicide à l’autre

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Drieu la Rochelle d’un suicide à l’autre

9782246855040-001-X_0.jpegDans Les derniers jours de Drieu la Rochelle, Aude Terray relate les ultimes mois de la vie de l’écrivain phare de la collaboration, de son suicide raté d’août 1944 à celui réussi de mars 1945. La dernière vie de Drieu pousse au paroxysme les mystères de sa personnalité, qui fascinent aujourd’hui plus que son œuvre. Car ces mois de planque et de dépression mettent en tension toute les ambiguïtés de ses rapports à l’engagement intellectuel, aux femmes et à la mort.

Rarement autant de tragique et de pathétique se sont retrouvés dans un même être à la fois. Il est vrai que Pierre Drieu la Rochelle a vécu à une époque où les événements ne permettaient pas aux médiocres de se cacher. Né en 1893 dans une famille dont il détestait le père et méprisait la mère, il a fait partie de la génération des « 20 ans en 14 ». L’expérience de la Grande Guerre, comme PHILITT l’avait écrit, sera destructrice pour le jeune homme ; il en reviendra avec une haine de son propre corps, souillé par la maladie et le manque d’hygiène, le rejet de son époque, où l’on s’envoie de la ferraille dans la tête pour se battre, et l’obsession de la décadence – sorte de synthèse entre son corps dégradé et l’aversion à son époque.

Trente ans plus tard, c’est cette obsession de la décadence qui l’a jeté dans une impasse : Drieu s’est fourvoyé dans tous ses engagements. Après avoir quitté les surréalistes dans les années 1920, il s’est converti au fascisme après les émeutes du 6 février 1934 et a adhéré un temps au parti du collaborationniste exalté Jacques Doriot, le Parti populaire français (PPF). Surtout, il est devenu la principale figure de la collaboration intellectuelle en tant que directeur de la Nouvelle revue française (NRF) de Gallimard – que son ami et ambassadeur nazi à Paris, Otto Abetz, considérait comme l’une des trois puissances du pays, avec le Parti communiste français (PCF) et la haute finance. À la fin de la guerre, il fait le constat amer de son manque de lucidité politique et, après Hitler, est un temps tenté par Staline.

Les Alliés reprennent du terrain et, à l’été 1944, leur victoire ne devient plus qu’une question de semaines. Chaque jour accable un peu plus Drieu, qui tente de se suicider le 11 août 1944 en ingérant du luminal. C’est en décrivant ce « suicide féminin, propre et lent », qu’Aude Terray commence sa biographie de l’ultime Drieu, dans un livre qui a la qualité de replonger avec fluidité dans sa vie antérieure et de dresser un tableau du Paris intellectuel de la période.

Rendez-vous ratés avec la mort

Une fois de plus, Drieu a pathétiquement raté un rendez-vous avec la mort. Il en a pourtant eu beaucoup. Notamment durant la Grande Guerre, comme il le racontera dans La comédie de Charleroi (1934), lorsque, enfermé dans un cabanon, harassé par des jours de marche sous un soleil de plomb, il ôte sa chaussure pour placer son orteil sur la gâchette de son fusil chargé et regarde le trou du canon. « Je tâtai ce fusil, cet étrange compagnon à l’œil crevé, dont l’amitié n’attendait qu’une caresse pour me brûler jusqu’à l’âme. » Quelques mois plus tôt, en 1913, il voulut se jeter dans la Seine après avoir raté l’examen final de Sciences Po – lui que ses camarades voyaient comme le major assuré. « Vaticinations autour du sujet qui n’est ni posé, ni traité. Style atroce » et 8,5/20 : voilà l’humiliante récompense de sa composition d’histoire sur les traités de 1815. C’est cet échec qui précipita son engagement dans l’armée, doublant la mobilisation de 1914.

Une histoire tirée de l’enfance de Drieu résume son rapport ambigu avec la mort. En vacances dans la maison de ses grands-parents, il s’attache à une poule qu’il appelle Bigarette. Un jour, pour la « nettoyer », il lui arrache les écailles des pattes et la tue. Il écrira plus tard qu’il a découvert ce jour-là sa capacité à faire le mal et les sentiments de honte et de culpabilité – son père le sommant de s’expliquer le soir même en lui exhibant le cadavre. L’obsession hygiéniste du corps et le sadisme de faire souffrir un être aimé, déjà ancrés dans son enfance, seront deux moteurs qui détermineront son rapport aux femmes.

Et il en eut beaucoup. Beloukia – comprendre Christine Renault, la femme du constructeur automobile –, les deux sœurs Ocampo, Kiszia la dernière maîtresse, Olesia Sienkiewicz, sa seconde épouse… En cet été 1944, un ballet d’anciennes – et actuelles – conquêtes s’occupent de « l’homme couvert de femmes ». Surtout une : Colette Jéramec. Sa première épouse, par ailleurs scientifique à l’Institut Pasteur, est d’un dévouement absolu. C’est elle qui s’occupe de lui pendant son séjour à l’hôpital américain de Neuilly-sur-Seine après son suicide manqué d’août, qui organise son exfiltration vers la demeure de campagne de Noel Haskins Murphy, une riche américaine que Drieu a sauvé des camps, dans la vallée de Chevreuse où il passera l’essentiel de ses derniers mois. Colette supporte ses sautes d’humeur, sa santé de plus en plus chancelante et, surtout, son mépris.

Aragon, adulé et détesté

Il faut dire qu’elle a un double défaut : elle est juive et bourgeoise. Soit le type de femme que Drieu a toujours recherché et qu’il a en même temps toujours abhorré. Le coup le plus dur qu’il lui portera est, à coup sûr, le personnage de Myriam dans Gilles (1937), dans les traits de laquelle elle se retrouve. Mais Colette sait aussi qu’elle a une dette inextinguible envers Drieu : il a joué de ses relations pour la faire sortir, avec ses deux enfants, du camp de Drancy d’où elle devait être déportée en Allemagne.

Durant ses derniers mois, Colette est omniprésente. L’écrivain, lui, broie du noir. Sa santé empire, il s’entend de moins en moins avec celle qui l’accueille et, surtout, il a peur. Les mois passent et l’épuration se met en place, notamment sous l’égide du Comité national des écrivains (CNE) qui publie des listes noires. Aragon en est le puissant secrétaire général. Avec Colette, Aragon est l’autre relation clef de la vie de Drieu. C’est d’ailleurs sa première femme qui lui présente le jeune étudiant en médecine, en 1916.

À travers son amitié avec Aragon, il se lie avec les surréalistes qu’il quittera au bout de quelques mois – sans doute était-il trop sérieux pour eux. Et rompra avec l’auteur communiste du même coup. Leur amitié fut ambiguë, et peut-être même homosexuelle, laissa entendre l’auteur d’Aurélien. Surtout, il jalouse le succès littéraire d’Aragon. L’aigreur s’est en particulier aiguisée en 1937, lorsque lui essuyait les critiques acerbes pour Rêveuse bourgeoisie tandis que son ancien ami cueillait le Renaudot pour Les beaux quartiers. « Je l’ai admiré, je l’admire encore, mais ce qu’il est à travers ce qu’il écrit me répugne profondément : cette chose femelle […] », écrivait Drieu dans son journal en 1944.

L’éternel Gille(s)

Malgré sa réclusion, il trouve encore la force de se lancer dans des projets littéraires : Les mémoires de Dirk Raspe, biographie inspirée de la vie de Van Gogh en qui il voyait un compagnon, et Récit secret, une énième introspection. Mais ses projets tâtonnent, l’ennuient et il les couche dans la douleur. À l’image de sa carrière, où Drieu a voulu toucher à tout mais ne s’est imposé en rien. Tiraillé entre la poésie, le roman, le théâtre et l’essai, « il s’en veut de s’être toujours dispersé en jonglant avec les genres », souligne la biographe.

Tragique et pathétique. Là se croisent les deux fils qui ont tissé la vie de Drieu, ce mégalomane qui a passé sa carrière littéraire à jalouser les grands et qui n’a jamais écrit le roman qu’il ambitionnait. Une question se pose, capitale : Drieu était-il un grand écrivain ? Ses œuvres et leur postérité en apportent la réponse : il n’est qu’un petit parmi les grands. Un jeune poète prometteur et remarqué avec son premier recueil, Interrogation (1917), qui ne fut jamais à la hauteur de son ambition – être de la trempe des Malraux, Aragon, Céline… En rappelant que Drieu était fasciné par le Gilles de Watteau dans lequel il s’est reconnu, Aude Terray évoque une clef de son œuvre. Devant ce tableau, écrit-elle, « il s’est contemplé des heures ». Comme dans ses livres, où il ne s’est en somme que regardé lui-même en inventant d’innombrables doubles – la plupart du temps nommés Gilles (ou Gille) – expérimentant sa propre relation à la mort, aux femmes ou à la guerre. Il n’est jamais parvenu à mettre son talent au service d’une ambition littéraire supérieure à sa personne.

Tragique et pathétique, Drieu l’est aussi face à son destin, dans ces derniers mois de guerre. Il a eu le courage de refuser une extradition, comme Céline et Chateaubriant. L’exil le dégoûte ; il a trop le sens de sa responsabilité intellectuelle. Mais il ne pousse pas la bravoure jusqu’à choisir l’une des deux solutions qui s’offrent à lui : se rendre et assumer lors d’un procès certainement joué d’avance, ou se suicider une fois pour de bon. Son procès, il en a pourtant rêvé dans L’Exorde, l’un de ses tout derniers textes. « Oui je suis un traître. […] Oui, j’ai été d’intelligence avec l’ennemi. […] Mais nous avons joué. J’ai perdu. Je réclame la mort. » Aurait-il eu le cran de tenir ces propos lors d’un procès ? En ne choisissant pas, Drieu agit une nouvelle fois à rebours de l’héroïsme qu’il fantasme.

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« Auto-épuration »

S’il devait advenir, il sait que son procès serait un symbole car il est la figure de la collaboration intellectuelle. Toutefois, la pression faiblit un peu, fin janvier 1945, lorsque Charles Maurras échappe à la mort. L’idéologue de l’Action française – qui avait piqué Drieu en le méprisant dans les années 20 – a seulement écopé d’une réclusion à perpétuité et d’une dégradation nationale. Mais la condamnation à mort de Robert Brasillach, exécuté le 6 février malgré l’intervention de plusieurs écrivains dont François Mauriac, plonge Drieu dans la détresse.

Désormais revenu à Paris, planqué une nouvelle fois par les soins de Colette, il se morfond seul dans son appartement du XVIIe arrondissement. Il vit désormais comme un reclus – les sorties dans la rue devenant trop risquées – et passe ses journées à noircir des pages blanches et fumer. La lecture du Figaro, le 15 mars, le sort de sa torpeur pour l’envoyer dans le néant. Il y apprend qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Le lendemain, sa domestique Gabrielle le retrouve gisant au milieu de trois tubes de gardénal, dans une odeur de gaz. Drieu est dans le coma ; il mourra une heure après.

Même pour sa mort, Drieu a oscillé entre le tragique de l’intellectuel tirant les leçons de ses fourvoiements et le pathétique du froussard effrayé par la prison. De tous les titres de journaux qui se réjouirent du décès – Le Populaire saluant une « auto-épuration » –, François Mauriac montra une nouvelle fois son sens de la mesure en signant dans Le Figaro un article évoquant « l’amère pitié » inspirée par cette « fin de bête traquée ». Une manière de montrer que, pour juger le cas Drieu, l’essentiel réside dans l’interprétation du niveau de l’eau dans le verre. À moitié vide, ou à moitié plein.

Youri Mamleev et le destin abyssal de l’être

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Youri Mamleev et le destin abyssal de l’être - Des énergies créatrices

par Thierry Jolif & Nicolas Roberti
Ex: http://www.unidivers.fr

Youri Mamleev est l’un des très exaltants écrivains russes contemporains, pourtant méconnu à l’Ouest. Pourquoi, sachant que Mamleev pourrait être comparé, dans son exigence métaphysique de romancier, à Edgar Allan Poe ou Villiers de L’Isle-Adam ? Sans doute les rares critiques ne l’abordent qu’en ayant recours à une hypnotique litanie : l’absurde, l’absurde, l’absurde ! Depuis Gogol, la même incompréhension perdure. L’absurde ? Oui, mais non l’absurde nihiliste d’un existentialisme dépité et écœuré. L’absurde comme fracture du « quotidien » rationné et rationalisé. Rupture du dasman heiddeggerien, du on berdaievien.

Mamleev_Destin_150-150x225.jpgBrèche bien plutôt qui permet un contact illuminant avec des énergies spirituelles invisibles et, parfois, inquiétantes. Mamleev prend à bras le corps l’énergie contenue dans le langage, avec l’énergie métaphysique que le langage contient, notamment dans sous sa forme de barrière protégeant d’un cataclysme ! D’un cataclysme d’autant plus terrible qu’il n’aurait rien de ces catastrophes naturelles car il est non rationalisable étant ancré dans une autre dimension !

Destin de l’être est donc, finalement, une sorte de guide pour les plus frileux. C’est une topologie de la pensée de Mamleev, cette pensée qui irrigue ces romans et qu’il formalise particulièrement dans l’intéressant chapitre Métaphysique et Art. Allant même jusqu’à concrétiser très sérieusement une nouvelle école (pas si nouvelle en fait) : le « réalisme métaphysique » :

Nous pouvons dire alors que, pour un écrivain métaphysique, la tâche consiste en la réorientation de sa vision spirituelle vers la face invisible de l’homme… (p. 147)

Ayant participé dans les années 1970 en Russie à de nombreux groupes ésotériques clandestins qui assuraient la réception russe des œuvres de René Guénon (il est fort dommage, d’ailleurs qu’il n’expose pas plus longuement l’historique de ces groupes), Mamleev s’est forgé un étonnant corpus de connaissances spirituelles et métaphysiques. Mais, comme il le précise lui-même, cette œuvre guénonienne fut, comme c’est souvent le cas en terre russe, reçue non en tant que monolithique, mais comme pensée singulière à adapter à la singularité de l’âme russe. Or, cette annexion/adaptation s’opéra par le biais d’écrivains et de poètes et non par des universitaires ou ésotérologues patentés comme en Occident.

Cette annexion, Mamleev l’a faite comme personne. Se donnant pour but d’aller là où, selon lui, s’arrêtent les métaphysiques orientales. Au-delà du Soi jusqu’à un Abîme qui ne peut plus même être qualifié de transcendant ; « fiançailles avec un fiancé qui n’est pas, relation avec celui qui n’existe pas. » (p.131). Le troisième chapitre expose les bases de cette « nouvelle » doctrine spirituelle personnelle que Mamleev souhaite voir distinguée d’une religion ou même d’une métaphysique puisqu’il la nomme Outrisme. La force de Mamleev tient dans sa position. Ce qui pourrait passer pour l’outrance dogmatique d’un illuminé est sans cesse réorienté par son créateur. Car il s’agit bien de cela, en définitive, la réalité et la vérité intangible et inaliénable de l’intériorité créatrice :

Dans ces conditions, l’art supérieur, s’approchant des sphères qui lui sont proches, porte en lui son propre but. L’écrivain pourrait alors, en principe, n’écrire que pour lui-même, car ce n’est pas uniquement pour soi-même qu’un yogi accomplit ses exercices spirituels, les Forces Supérieures étant ses seules témoins. Toutefois, l’acte de communication ne peut pas disparaître entièrement, n’étant plus désormais une action méritoire, mais plutôt une action sacrificielle de sa part. (p.151)

De ce fait, les chapitres inauguraux de Destin de l’être sont assez décevants. Ils pourront intriguer certains jeunes esprits épris de l’école traditionaliste ou pérénnialiste (Guénon, Coomaraswamy, Schuon, Abellio, Borella, Biès…). Nul doute, par contre, que par leur sauvage liberté à l’égard du maître Guénon, ils déclencheront les foudres si prévisibles des dogmatiques gardiens du temple. Voilà un mérite, finalement assez scolaire eu égard à la fougue insolente du romancier. Il en est de même, malheureusement, de l’addenda Au-delà de l’hindouisme et du bouddhisme. Au final, pour le lecteur déjà pourvu d’une connaissance solide de ces doctrines, deux chapitres resteront : La dernière doctrine et Métaphysique et Art. Deux chapitres exaltants par leurs perspectives hypothétiques et vertigineusement personnalistes. Ils valent à eux seuls l’achat de ce livre pas comme les autres.

Thierry Jolif et Nicolas Roberti

Youri Mamleev, Destin de l’être, suivi de Au-delà de l’hindouisme et du bouddhisme, L’Age d’Homme, 2012, p. 198 pages, 12€   

 

Mort d’un enfant terrible du siècle dernier: Youri Mamleev

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Mort d’un enfant terrible du siècle dernier: Youri Mamleev

par Thierry Jolif

Ex: http://www.unidivers.fr

Écrivain du dépassement et de l’absurde métaphysique, Youri Mamleev, auteur des jubilatoires Chatouny et Le Monde et le rire, s’en est allé le 25 octobre 2015. Il est parti se frotter pour de bon à cet au-delà que, dans ses livres comme dans sa vie, il avait si souvent convoqué. Sans jamais s’en effrayer…

41sn4emvdml-562e3a2318a5b.jpgNé en Russie en décembre 1931, Youri Mamleev aura eu le parcours, quasi anonyme et pourtant, intérieurement flamboyant, des ses héros.

Dès les années 1960, celui qui était alors jeune diplômé et enseignait les mathématiques va se retrouver au cœur des cercles d’une jeunesse soviétique en quête de renouveau spirituel. Rien d’étonnant à ce que dans un environnement religieux réduit à néant la soif a étancher ait été grande. Ces groupes vont dès lors chercher tous azimuts, d’une façon bien différente de leurs contemporains américains de la contre-culture, évidemment. Toutefois, en parallèle des intérêts et des personnalités singulières y trouveront des échos fort importants.

L’ésotériste René Guénon, bien sûr est de ceux-ci. Les groupes auxquels Youri Mamleev prit part sont souvent considérés comme les premiers propagateurs du corpus guénonien en Russie, mais également, pour certains, d’une version plus alarmante, sinistre et corrosive de la spiritualité. Dévoiement pervers selon les uns, voie de la main gauche, nécessaire folie en esprit selon les autres. Côtoyant les esprits et les traditions les plus diverses, Youri Mamleev avant de se jeter corps et âme dans l’écriture, se fait fort d’étudier et d’expérimenter les voies spirituelles les plus diverses. Dans un éden athée, il se forge une connaissance non seulement livresque mais également intérieure et physique des grands courants religieux du monde et de leur frange : occultisme, hermétisme, non-dualisme, trantrisme…

Sans doute n’est-ce pas un hasard si c’est au milieu de ce melting-pot religieux que Mamleev pourra s’exiler aux États-Unis à la faveur d’une loi autorisant les citoyens soviétiques de confession juive à émigrer, loi paradoxale et facilitatrice d’un pouvoir machiavélique qui favorisera le départ de nombreux dissidents et esprits forts qui, à l’image de Youri Mamleev, n’étaient absolument pas  et en aucune manière juifs. Là-bas il travaillera à l’Université Cornell avant de s’installer en France en 1983 et d’y enseigner la littérature russe à L’Institut national des langues et civilisations orientales. Dix ans plus tard, il retourne en Russie et se consacre principalement à l’écriture théâtrale, il enseignera également la philosophie hindoue à l’Université d’Etat Lomonossov.

51t259iNsUL._AC_UL320_SR200,320_.jpgPubliant dès 1956 Youri Mamleev ne tarde pas à heurter les autorités soviétiques par une prose qui, si elle se veut réaliste, propose toute autre chose que celle dite socialiste. Le réalisme littéraire de Mamleev se veut métaphysique. Son dernier ouvrage traduit et publié en France, Destin de l’être, est en définitive moins la base de sa fusée théorique que son lanceur. Ces pages renferment tout ce qui humainement et théoriquement anima toujours l’art littéraire de Mamleev :

Pour un écrivain métaphysicien, la tâche consiste en la réorientation de sa vision spirituelle vers la face invisible de l’homme. Par conséquent il ne doit s’intéresser à l’homme « visible » qu’à cause de sa capacité à refléter les réalités de l’homme secret, transcendant et insaisissable. (Destin de l’être, p. 147)

Selon le critique russe Volodymyr Bodarenko, la mort de Mamleev constitue une grande perte pour la littérature en Russie, mais sa mort va sans doute guider plus de personnes encore vers cette œuvre si étonnante, redoutable, véritable renouvellement des lettres russes à la fois profondément ancrée dans la tradition littéraire du pays et totalement novatrice.

Une œuvre qui aura su dans le même geste détruire et ressusciter la geste romanesque elle-même. D’abord et avant tout, par le rire… Un rire sacré et désacralisant. Bien que tout à fait moderne la prose de Mamleev est contemporaine du sens ancien de la comédie, celle de Dante, ou, à tout le moins, de Balzac. En France, et en Occident en général, il semble bien que l’on est pas pris la juste mesure de ce que l’on s’est empressé de définir comme comique, grotesque, absurde dans l’œuvre écrite de cet écrivain qui à la mesure d’un Gogol, d’un Poe, d’un Lovecraft ou plus proche de nous d’un Thomas Ligotti  a le plus sérieusement du monde mis sa peau au bout de sa plume pour révéler les failles métaphysiques abyssales qui se camouflent dans les réalités trop fictives, restreintes et restrictives pour être honnêtes, du monde moderne.

Rassasié d’au-delà, Izvitski se fixait à présent sur le rire de l’Absolu ; comme quoi ce rire, s’il existait, était une chose inouïe, sauvage, inconcevable, car rien ne pouvait lui être opposé ; et dont la cause n’était point un décalage avec la réalité, mais ce qu’il ne nous était pas donné de savoir. (Chatouny, p. 203)

Dans le second de ses textes publié en français (La Dernière comédie) le monde offert à nos regards, dans le chapitre « En bas c’est pareil qu’en haut » (version familière et dérisoire du fameux adage hermétique), l’auteur évoque une atmosphère dont le comique renvoie à l’état désaxé et bouffon qui s’empare de la société moscovite lors de la visite du professeur Woland (dans Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov) – un caractère « post-apocalyptique » et ordurier en plus ! L’inversion est poussée à son paroxysme et met en avant les tares spirituelles d’un monde pour lequel le salut ne saurait être pensé sans être violemment dégradé. Panarel (le personnage « central » de ce chapitre), nouvelle et déjà très singulière incarnation du Fils de Dieu, le constate et l’accepte lui-même amèrement. L’aspect platement anthropophage de sa fin (et de la fin du chapitre) suggère bien ce terrible abaissement négatif de toute soif spirituelle dans l’orientation ultra-matérialiste de notre époque.

capture-20d-e2-80-99ecran-202015-10-26-20a-2015-11-37-562e3a6e0cd32.pngQuant à l’ambiance générale qui se dégage de Le Monde et le rire, elle n’est pas moins fantasque et lugubre. C’est le monde surnaturel lui-même qui y perd la tête. Et au cours de l’enquête surréaliste que nous fait suivre l’auteur nous croisons différents personnages psychiquement perturbés, fort différents du psychisme lambda en tout cas. Les personnages de cette galerie de portraits sont d’ailleurs regroupés génériquement et significativement sous le terme de « chamboulés ». Ici, le parallèle le plus signifiant avec la littérature russe antérieure serait sûrement le groupe de personnages évoqué par Pilniak dans son récit L’Acajou. Pilniak avait nommé cette troupe hétéroclite de clochards volontaires, de quasi fols mystiques, « okhlomon » (« emburelucoqués » dans la belle traduction française de Jacques Catteau).

En outre, cette assemblée de marginaux volontairement déclassés n’est pas sans rappeler celle du souterrain qui occupe une place centrale dans Les Couloirs du temps de Mamleev. Scientifiques « originaux », intellectuels déclassés, penseurs « bizarres » tous ont en commun une forme, plus ou moins obscure, de… « refus ». Ayant tous perçu intuitivement un « inconcevable », un « mystère » dépassant la commune, admise et plate raison « réaliste » et raisonnable, ils forment, bon gré mal gré, une société recluse de refuzniks… Mais également, en raison de cet intuitionnisme mal venu, un groupement qui laisse pénétrer au cœur endurcis du monde les prémisses d’un « outre-entendement » trop longtemps mis sous le boisseau… Mais :

Le mystère est partout jusque dans le marasme. (Le Monde et le rire)

Vous parlez d’or Lena : que la vie ordinaire ne se distingue en rien de l’Abîme ! Que l’on meure et ressuscite aux yeux de tous ! Que les hommes tiennent conciliabule avec les dieux ! L’inconcevable doit faire irruption dans le monde ! L’inconcevable et, au milieu : une gaieté sans frein ! Marre de l’ordre en vigueur : ici le royaume des vivants, là celui des morts, on naît ici, on meurt là et pas ailleurs ! Que la ténèbre envahisse les cieux et que retentisse la Voix de Dieu : « Allez-y, les gars, bringuez ! Fais la noce Mère Russie, advienne ce que tu voudras ! Amuse-toi tout ton saoul, pays où l’impossible devient possible ! Je te donne toute liberté, mort aux démiurges et à tous les rêves dorés ! » (Le Monde et le rire)

Malheureusement, en France, sur la vingtaine d’ouvrages parus de Mamleev seule une poignée est traduite et éditée :

Chatouny, Robert Laffont, 1986, réédition Le Serpent à plumes, 1998
La Dernière comédie, Robert Laffont, 1988
Fleurs du mal, Albin Michel, 1997
Les Couloirs du temps, Le Serpent à plumes, 2004
Le Monde et le rire, Le Serpent à plumes, 2007

vendredi, 26 février 2016

L'Orange mécanique d'Anthony Burgess

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L'Orange mécanique d'Anthony Burgess

Ex: http://www.juanasensio.com

«Excusé comme une inévitable erreur d'un parcours dont la direction reste la bonne, déclenché pour hâter la venue d'un monde nouveau grâce à l'intensification implacable d'une sélection naturelle d'ordre racial ou économique, le Mal n'est plus l'enfant de la passion déchaînée, il est devenu l'instrument salvateur d'une raison calculatrice qui le sacralise en affirmant que seule une myopie intellectuelle peut qualifier de Mal ce grain et ivraie définis et distingués par les agronomes et les cultivateurs des champs de l'histoire où se construisent des univers concentrationnaires mais donnés pour radieux.»
Jean Brun, Le Mal suivi de Sombres Lumières (Artège, 2013), p. 26.


Bon, alors, ça sera quoi, hein ? Il n'y avait que moi, comme toujours, face au malinfrat qu'est l'écrivain chaque fois qu'il se bidonske de celles et ceux qui le lisent, et qu'il vous frappe le gulliver avec ses textes, à condition bien sûr qu'ils ne soient pas seulement des igras sortant de rotes pourries, tout juste bonnes à lâcher des golosses faiblardes, parce que leur yachzick sont zoum zoum avariées et qu'il n'y a aucune différence entre elles et des broukos ouverts sous le ciel, beurk.

Il n'y avait que moi puisque, chaque fois que je lis un malenky ou beaucoup (beaucoup, plutôt, m'est avis, je lis même trop), je suis seul, seul avec mon nodz, et je n'ai plus aucun droug, ô mes frères, exquis cucuses usées, c'est comme ça, comme est seul le viokcho qui écrit, et écrit, quand même, pour donner un sens à sa douleur, et pour chercher une lumière dans la notché où il ouvre grands ses glazes, histoire de nous fourguer son raskass, et il s'en balance de nous faire platcher, comme des molodoï ptitsas. Lui, ce qui l'intéresse, c'est d'avancer, qu'on suive ou pas, tant mieux si on suit, au lieu de zaznouter, tant pis si on ne le suit pas.

Il n'y avait que moi, donc, puisque je m'étais débarrassé des toutes mes dévotchkas qui platchaient, les pauvres petites souris blanches, parce qu'elles me disaient ou me croyaient ou feignaient de me croire bézoumni et que j'en avais franchement assez de nos petits dedans-dehors, préférant à leurs malenkis critches plonger dans la dratse avec le texte, et pas besoin d'itter à l'escoliose pour comprendre la grosse golosse du veck Burgess, dont la tchina a été baisée par un groupa de cinq déserteurs de l'armée américaine, une notché comme une autre, une notché où Alex et ses drougs varitent leurs petits plans, tout casser sur leur passage, vreder et oubivater sans débat, sans remords ni regrets, alors pas de doute comme qui dirait que les livres d'un tel veck, c'est une autre vesche que du vin sladky, du moloko pour ptitsa ou petit enfant gazouillant gou gou gou.

Il n'y avait que moi, sans shaïka ni shlaga, razedraze après une telle lecture, le rassoudok pouglé par tant de mots tout droits sortis des kishkas de Burgess l'écrivain, le vrai, pas celui qu'il met en scène, dirait-on pour s'en moquer (voir la description d'un livre intitulé... L'Orange mécanique), dans son propre livre, et qui s'appelle F. Alexander, ce qui n'est pas sans étonner Alex. Le mien, de gulliver, encore rempli par les mots pourris du gloupide Youssouf, des critches d'Halimi, l'innocent yahoudi et le bratchni mélangés dans une bitva d'où le krovvi, à gros bouillons rouges rouges rouges, dégoulinait du plott supplicié.

C'est qu'on s'ennuie sec, à drinker sans avenir, tous qu'ils sont à baisser le froc, genre embrasse-moi les charrières; aussi simple que ça. N'empêche, la nuit était encore jeune mais en fait elle ne l'est plus, la notché, jeune, si jeune que ça, et la musique, faut se dépêcher de l'écouter, sublime, qui vous met les larmes aux glazes, car, ô mes frères, c'est comme si un grand oiseau était entré à tire d'ailes dans le milkbar et j'ai senti chaque malenky petit poil de mon plott se hérisser tout debout et des frissons me courir dans le dos comme qui dirait des malenkys lézards et me redescendre dans les reins, car la la musique m'a comme qui dirait affûté, ô mes frères, nous dit encore Alex, et donné le sentiment de ressembler à ce vieux Gogre soi-même, prêt à y aller comme lui de son vieux Donner teutonnant et de ses vieux blitzen des familles et à tenir en mon hâ-hâ pouvoir des vecks et des ptitsas critchant à tout va.

Car la violence, comme la musique, pour Alex, confèrent un sentiment de plénitude, de radostie, l'une et l'autre, d'ailleurs, violence et musique, étant inexplicables : Ce veck instruit répétait les vesches habituelles sur le manque de discipline parentale, comme il appelait ça, et la pénurie d'enseignants du genre vraiment tzarrible, capables de dérouiller d'innocents chiards jusqu'au sang histoire de leur faire bramer misère et bouhouhou pitié. Tout ça c'était de la gloupitude et ça m'a fait bidonsker, mais c'était genre chouette de continuer à savoir qu'on était ceux qui faisaient tout le temps les gros titres de l'actualité, l'une et l'autre, musique et violence, indissociablement liées par une mystérieuse racine commune, Dieu, pardon, le vieux Gogre ou Dieu des familles qui a fabriqué le soi, l'un, le toi et le moi soli solo, et dans ce soi se niche la musique, mais aussi le mal, et c'est ce mal que ne peut justement admettre le non-soi, autrement dit les mecs du gouvernement et de la justice et de l'école, vu qu'ils ne permettent pas le soi, et ne permettent sans doute pas davantage la musique, et alors, oui, il n'est pas faux de prétendre que toute l'histoire de notre temps, mes frères, [est] le récit des vaillantes luttes de malenkys petits soi contre ces énormes machines, violence et mal étant en fin de compte, peut-être, les dernières traces de liberté permises, qui vous obligent à comprendre que vous vivez dans une prison gardée par des chassos, Et à écouter le J. S Bach j'ai commencé à mieux pommer le sens, et je me suis dit, tout en slouchant toutes ouïes les splendeurs brunes du viokcho maître allemand, que je regrettais de ne pas avoir toltchocké plus fort ces deux-là et de ne pas en avoir fait de la charpie sur leur foutu plancher.

Orange_1.jpgCes dvié-là ont leur importance, surtout le viokcho, qui n'est autre qu'un de ceusses qui sont capables d'écrire des livres, et ce livre porte un titre étrange, qui est L'Orange mécanique, et, oui, en fait de titre, c'est plutôt gloupp. Qui est-ce qui a jamais entendu parler d'une orange mécanique ?, le livre se mirant dans le livre, le livre ittant dans le livre, façon de skaziter, sans doute, que nul, pas même celui qui a écrit un livre sur la violence, n'est à l'abri de la violence, et qu'il est bien évidemment ridicule et faux par-dessus le marché, ô mes frères, l'espoir de mâter celle-ci sur une base purement thérapeutique ou béhavioriste (tiens, Laurent Obertone serait intéressé), par d'aussi pauvres moyens que ceux imaginés par Burgess à l'époque où il écrivit son roman pour vider un oum, le tout étant de tuer le réflexe criminel. Éradication totale en un an [puisqu'il] est clair que le châtiment n'a aucun sens pour cette sorte d'individus, cette sorte de vecks comme Alex le vicieux et ses drougs vonnant la méchanceté, bratchnis de peu de foi qui du reste le trahiront, avant qu'il ne soit enfermé dans une prison, puis quand, excédé par les avances d'un nouveau plenni, il tuera ce dernier, ce qui lui vaudra de goûter aux joies d'un traitement spécial, censé le dégoûter à tout jamais de la violence, fouailler jusqu'au plus profond de ses kishkas pour y ouster chercher les racines du mal.

Anthony Burgess est-il parvenu à les mettre à nu ? Non, car son livre interroge moins le mystère du Mal que celui de la liberté ou plutôt, il ne distingue pas l'un de l'autre : l'homme qui n'est pas libre ne commettra plus le Mal mais, en tant que prisonnier, il ne méritera pas d'être appelé homme. Si la liberté de faire ou de refuser de faire le Mal est ce qui distingue, plus que tout autre caractéristique, l'homme, dont l'entrée dans l'âge adulte consiste moins à refuser de faire le Mal que de comprendre quel formidable pouvoir le vieux malinfrat divin l'a fait le maître, alors la seule façon de l'empêcher de commettre l'irréparable est de lui rendre plus que pénible, dégoûtante et odieuse, la carrière du vice et de la violence..

Éradiquer le Mal nagoï, comme qui dirait mis à nu, est une impossibilité, une absurdité, un raskass popov et prétendre y parvenir constitue peut-être même un blasphème, comme n'est pas loin de le penser le charlot qui semble avoir pris en amitié le dobby Alex : Que veut Dieu ? Le Bien ? Ou que l'on choisisse le Bien ? L'homme qui choisit le Mal est-il peut-être, en un sens, meilleur que celui à qui on impose le Bien ? Questions ardues et qui vont loin, mon petit 6655321, le matricule d'Alex à la Prita ou Prison d'État, de laquelle il finira par sortir, après avoir été le premier cobaye de la méthode Ludovico qui le rendra malade à la vue de la violence et qui l'empêchera d'écouter sans vomir cette musique classique qu'il aime tant puisque les activités les plus exquises et les plus divines ressortissent pour une part à la violence, méthode révolutionnaire censée éradiquer la violence qui fera de lui un être incapable, comme par le passé, d'être violent mais qui le lessivera et le transformera en légume sans capacité de choisir, comme tout homme, le Bien ou le Mal : S'il cesse d'être malfaisant, il cesse également d'être une créature capable de choix moral, transformé qu'il a été en une orange mécanique, alors même que Burgess va beaucoup moins loin que Kierkegaard en matière de choix, qui se pose, selon le philosophe, non pas entre le Bien et le Mal, puisque choisir l'un revient zoum zoum à reconnaître l'autre, mais entre deux conceptions du monde : ou bien reconnaître que le Bien et le Mal existent et que l'un n'est pas identique à l'autre, ou bien admettre que ni le Bien ni le Mal n'existent et qu'alors, bien sûr, absolument tout est permis.

Pourtant, l'histoire d'Alex est bien celle comme qui dirait d'une rédemption, qui semble débuter à la sortie de prison du bratchni veck, après qu'il a expérimenté une sorte de vision, puis il y a eu un choum genre dégringolade et dégrabolade et Gogre et les Anges et les Saints ont plus ou moins secoué le gulliver en me regardant, comme pour govoriter que le temps manquait maintenant mais qu'il faudrait que j'essaie encore, les choses sont claires, même pour Alex : Le passé est mort et bien mort. On m'a puni pour ce que j'avais fait dans le passé. On m'a guéri, ce qui n'est pas tout à fait vrai mais qui permettra quand même à une poignée d'opposants au régime (dont l'auteur de L'Orange mécanique dont Alex a violé la femme qui en mourra, et que l'inconsolable veuf finira par reconnaître et vouloir tuer à son tour, pour se venger), de s'emparer du cas d'Alex pour dénoncer les odieuses méthodes du Ministère de l'Intérieur ou de l'Inférieur, comme il dit, lequel, en privant un homme de sa faculté de juger et de choisir, a exercé contre lui une violence infiniment plus dangereuse et intolérable que celle que les drougs sans foi ni loi faisaient régner dans la notché, à l'abri des milichiens : Bien sûr, vous avez fait le mal, mais le châtiment était démesuré. On vous a changé et vous n'êtes plus un être humain. Vous avez perdu la faculté de choisir. Vous êtes condamné à des actes admissibles aux yeux de la société, changé en petite machine uniquement capable de faire le bien puisqu'il est certain, selon l'auteur F. Alexander qui finira par se souvenir d'avoir déjà rencontré Alex qu'il a recueilli alors qu'il errait dans la nuit, que quiconque est incapable de choisir cesse d'être un homme.
 

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Le constat est donc implacable : Changer un bon jeune homme en petit morceau de mécanique, ce n'est pas un exploit dont un gouvernement, quel qu'il soit, ait de quoi se glorifier, sauf s'il met sa gloire dans la répression, sauf, et Burgess n'a pu qu'être, comme nous tous ô mes frères, influencé par ces innombrables théories de la mort du sujet, sauf si L'Orange mécanique est moins un livre sur la violence que sur la disparition, à notre époque, de la personne, du sujet, et sa reconquête fragile, la recherche d'une intériorité qui ne soit pas strictement le tas (bundle) de sensations dont parlait Hume, qui lui aussi se moqua des notions dépassées et granchement réactionnaires d'identité, d'intériorité, de sujet et, ô mes frères, l'horrible slovo, de personne. Les théories de la mort du sujet, partant de la relativisation de sa place au sein d'une Création comprise comme un théâtre de marionnettes folles, eurent pour corollaire immédiat la récusation de toute morale, remplacée selon Lévy-Bruhl ou Durkheim par une plate science des mœurs, les valeurs humaines étant elle-mêmes salement toltchockées et remplacées par des valeurs d'usage ou d'échange, Marx ayant déjà affirmé que les idéaux éthiques n'étaient que des superstructures d'infrastructures économico-sociales, hommes c'est-à-dire personne, valeurs, Bien et Mal étant devenus des variables d'ajustement au sein d'un matérialisme vulgaire, celui par lequel Claude Lévi-Strauss symbolisait ses croyances les plus profondes, les hommes n'étant après tout à ses yeux, comme ils l'étaient à ceux de Sartre, rien de plus que des fourmis qu'il faudrait donc étudier comme des fourmis, les hommes n'étant rien d'autre pour Lévi-Strauss que des êtres autonomes se déployant dans un temps vide d'une Histoire sans histoire.

158507-004-E5E2FD70.jpgAlex, rien de plus qu'un malenky animal vicieux amateur de langues anciennes, redeviendra-t-il un homme ? Alex, ses dix-huit ans juste passés, changera, oui, après avoir tenté de se suicider en se jetant du haut d'une fenêtre, après que l'État, qui a prétendu le rendre inoffensif en l'abreuvant d'horreurs filmées et de methcath, l'a soigné et lui a offert un emploi. Il recroisera certains de ses vieux amis, dont l'un est devenu flic, un autre encore de ses anciens drougs, Pierrot, accompagné de sa femme, et soli solo, avec son tché au lait presque froid maintenant, à réfléchir et à se poser comme qui dirait des questions, il se dira que, à son âge, décidément, ce vieux Wolfgang Amadeus avait composé des concertos, des symphonies, des opéras, des oratorios et tout le gouspin – non, pas gouspin mais toute une céleste musique, et il se dira que, à son âge encore, avant l'âge de ses quinze ans même, Arthur, de son petit nom avait écrit toute sa meilleure poésie, alors que lui n'a rien fait de sa jeunesse, sinon insulter, voler, violer et tuer, et se dire qu'il n'est rien de plus qu'une orange vonneuse et grassouse dans les énormes roukes du vieux Gogre, le roman de Burgess mimant ce perpétuel recommencement sans aucune direction (et ce n'est pas le dernier chapitre, classique à souhait, qui nous présente un Alex en mal de tchina, de domie, de famille et d'enfant, qui infléchira cette impression, puisqu'il est assez peu convaincant, comme avait raison de le penser Stanley Kubrick), la langue que parle Alex, le parler nadsat composé de bribes et bouts de vieilles rengaines argotiques ainsi que d'un rien de parler manouche aussi bien que toutes les racines soient slaves, cette langue étant peut-être, plus qu'une visible déformation due à la violence, la seule preuve qu'une création est encore possible dans un monde si visiblement pourri qu'il n'en finit pas de tourner en rond, répétant Bon alors, ce sera quoi ? dans la notché sans fin, cornant sans relâche, mais aucune réponse ne vient, même si ce n'est pas par la langue reconquise qu'Alex se sauvera, ce qui eût été une magnifique conclusion pour L'Orange mécanique, le parler nadsat étant peu à peu abandonné pour un langage d'homme qui eût enfin signifié que le bratchni crasteur fût devenu un homme capable de parler correctement, le langage qui n'est un critche que chez les animaux, devenu, lui aussi, adulte, mais cette fin-là n'est pas celle qu'a choisie Anthony Burgess, qui nous laisse confrontés à une violence sans origine, purement machinale et immotivée, seulement réduite (et encore, pour un temps) par les traitements appropriés, le Mal, lui, étant décidément sans litso, perdu dans la banda bolchoï, se contentant d'investir, pour un temps, tel ou tel veck qu'il empêchera de zaznouter trop longtemps, parce que, dans le roman de Burgess (tout comme dans le livre d'Obertone qui en singe le sujet), l'homme n'est plus un homme mais une fourmi sartrienne, une chose, un pantin réifié. Amen. Et tout le gouspin.

Les extraits en italiques proviennent du texte français remarquablement traduit par Hortense Chabrier et Georges Belmont pour l'édition Robert Laffont publiée en 1972 et reprise en collection de poche par Presses Pocket.

Quelques mots de nadsat.

Banda : bande de jeunes.
Bézoumni : fou.
Bidonske (v. bidonsker) : rigolade.
Bolchoï : énorme, grand gros.
Bratchni : fumier, salopard.
Brouko : ventre.
Charlot : chapelain, aumônier.
Charrières : fesses.
Chasso : gardien de prison, maton.
Choum : bruit.
Corner : appeler.
Craste (v. craster) : vol accompagné de violence.
Critche (v. critcher) : cri.
Dedans-dehors : copulation.
Dévotchka : jeune fille.
Dobby : bon.
Domie : maison.
Dratse, dratsarre : bagarre.
Drinker : boire.
Droug : ami.
Dvié : deux.
Escoliose : école.
Exquis cucuses usées : excuses.
Glaze : œil.
Gloupp, gloupide, gloupitude : idiot, stupide, stupidité.
Golosse : voix.
Goulatier : marcher.
Gouspin (adj. gouspineux) : merde.
Govoritt (v. govoriter) : parole, discours.
Grassou : sale.
Groupa : bande de jeunes.
Gulliver : crâne, gueule.
Igra : jeu.
Itter : aller.
Kishkas : tripes.
Kleb : pain.
Koupter : acheter.
Krovvi : sang.
Litso : visage.
Malenky : petit, peu.
Malinfrat : voyou.
Methcath : drogue.
Milichien : flic.
Molodoï : jeune.
Moloko : lait.
Nadsat : jeune de moins de vingt ans.
Nagoï : nu.
Nodz : couteau.
Notché : nuit.
Oubivater : tuer.
Oum : cerveau, cervelle.
Ouster : sortir, s'en aller.
Platcher : pleurer.
Plenni : prisonnier.
Plott : corps.
Pommer : comprendre.
Popov : idiot, clownesque.
Ptitsa : fille.
Radostie : joie.
Raskass : histoire, récit.
Rassoudok : crâne, esprit.
Razedraze : bouleversé, furieux.
Rote : bouche.
Rouke : main.
Shaïka : gang.
Skaziter : dire.
Sladky : doux, sucré.
Sloucher : écouter.
Slovo : mot, parole.
Tché : thé.
Tchina : femme.
Toltchocke (v. toltchocker) : gifle, coup.
Tzarrible : terrible.
Variter : mijoter.
Veck : mec.
Vesche : chose.
Viokcho/a : vieux, vieille.
Von (adj. vonneux) : odeur, mauvaise de préférence.
Vreder : faire du tort, du mal.
Yachzick : langue.
Yahoudi : juif.
Zaznouter : dormir.
Zoum : vite.

jeudi, 25 février 2016

Pasolini : comment la culture a tué l'art

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Pasolini : comment la culture a tué l'art

par Sylvain Métafiot

Ex: http://www.mapausecafe.net

Pour Pier Paolo Pasolini, l'art n'était pas un mot doux susurré aux oreilles des bourgeois et ouvrant miraculeusement les vannes des fontaines à subventions. C'était une matière vivante, radicale et désespérée. Une pâte à modeler les désirs et les rêves issues de la triste réalité. Une exception fragile face au règne de la culture. Ou tout du moins de la nouvelle culture moderne.

En effet, dans l'Italie d'après-guerre, la culture humaniste (l'art) – celle qui mettait à l'honneur Dante et Léopardi, Rossini et Puccini – a laissé place à une culture plus en phase avec les préoccupations matérielles du moment, une culture tournée vers l'avenir électroménager et le divertissement télévisuel : la culture hédoniste de consommation. Une culture qui impose un tel impératif de jouir des biens matériels que Pasolini parle de « fascisme de la société de consommation », le « désastre des désastres ». Un désastre car cette révolution capitaliste impose aux hommes, quelle que soit leur classe sociale, de se couper des valeurs et des passions de l'ancien monde, comme il l'explique dans ses Lettres Luthériennes (1975) : « Elle exige que ces hommes vivent, du point de vue de la qualité de la vie, du comportement et des valeurs, dans un état, pour ainsi dire, d’impondérabilité – ce qui leur permet de privilégier, comme le seul acte existentiel possible, la consommation et la satisfaction de ses exigences hédonistes. »


pasolini2020533041.jpgLe nouveau pouvoir consumériste impose ainsi un conformisme en accord avec l'air du temps utilitariste : la morale, la poésie, la religion, la contemplation, ne sont plus compatibles avec l'impératif catégorique de jouir du temps présent. L'art qui se nourrit des passions humaines les plus tragiques et les plus violentes n'a plus sa place dans un monde soumis aux stéréotypes médiatiques et aux discours officiels. À quoi servent encore des livres qui transmettent une représentation d'un monde passé dans une société exclusivement tournée sur elle-même ?

Ainsi, si le mot « culture » avait encore un sens à cette époque-là (un sens dépréciatif on l'aura compris : les artistes appartenant au « monde d'avant ») il est aisé de constater qu'il ne désigne désormais qu'un objet de consommation parmi tant d'autres et dont l'inoffensive transgression subventionné de l'art contemporain est en l'emblème souverain. Une transformation due, en partie, à la volonté de l'intelligentsia de gauche de « désacraliser et de désentimentaliser la vie », se croyant la porte-drapeaux d'un antifascisme fantasmé alors qu'elle contribue à développer, selon la nouvelle logique conformiste, le véritable fascisme moderne, celui de la consommation irrépressible : « Venant des intellectuels progressistes, qui continuent à rabâcher les vieilles conceptions des Lumières, comme si elles étaient passées automatiquement dans les sciences humaines, la polémique contre la sacralité et les sentiments est inutile. Ou alors, elle est utile au pouvoir. »


Poète irréductible, cinéaste enragé, Pasolini s'est toujours élevé contre les normes oppressantes du vieux régime cléricale-fasciste, bouleversant les codes et les styles. Mais tout à son irrespect aux désuètes hiérarchies imposées par le pouvoir il est un des rares à avoir compris que le sacré (l'art), débarrassé de sa léthargie bourgeoise, possédait une aura de subversion scandaleuse. Que dans un monde spirituellement desséché et ricanant, il ne faut « pas craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches. »

Dans la lutte cruelle, et pourtant vitale, de l'art contre la culture (le cinéma contre la télévision, le poète contre l'animateur, le théâtre contre les créatifs, l'érotisme contre la transparence, la transcendance contre le matérialisme) la voix de Pasolini, tranchant l'air vicié de la publicité et de la vulgarité, rejoint celle d'un autre grand cinéaste mécontemporain italien, Federico Fellini : « Je crois que l’art est la tentative la plus réussie d’inculquer à l’homme la nécessité d’avoir un sentiment religieux. »

Sylvain Métafiot

Article initialement publié sur le site Profession Spectacle

mardi, 23 février 2016

Sept films à voir ou à revoir sur la Littérature russe

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Sept films à voir ou à revoir sur la Littérature russe

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Il est un fait évident que la littérature russe compte parmi le fleuron des arts littéraires du Vieux continent, au sein duquel le 19ème siècle fait figure d'âge d'or. Jugeons-en plutôt à la lecture de l'école romantique d'Alexandre Pouchkine, Nicolas Gogol, Ivan Tourgueniev, Fiodor Dostoïevski, Léon Tolstoï ou Anton Tchekhov ! Avec moins de faste, le début du 20ème siècle poursuit un certain classicisme russe dont Maxime Gorki constitue la figure de proue. L'avènement du bolchévisme au pays du Grand Ours marque un coup d'arrêt dans la magnificence de la littérature russe, tant il est vrai que si le génie personnel de tout écrivain est la condition première à la réalisation d'un chef-d'œuvre, il est des climats politiques qui compliquent la tâche, voire la rendent impossible. Notons tout de même les œuvres de Boris Pasternak, Mikhaïl Boulgakov et Mikhaïl Cholokhov. Ces listes ne sont, bien entendu, pas exhaustives. Et comment pourrions-nous évoquer les lettres russes sans évoquer le caractère plus fiévreux des ouvrages d'Alexandre Soljenitsyne, bien sûr, dissident politiquement incorrect qui renvoie dos à dos le communisme et le capitalisme, mais également les théoriciens de l'anarchisme Mikhaïl Bakounine et Pierre Kropotkine ? Et plus proche de nous, l'inclassable écrivain franco-russe, fondateur du parti national-bolchévique, Edouard Limonov. Si comme toutes les littératures nationales, les lettres moscovite et saint-pétersbourgeoise furent très influencées par la littérature occidentale, plus particulièrement française, elles n'en conservent pas moins des aspects particuliers. Plus que tout autre, la littérature russe est certainement déterminée géographiquement et psychologiquement par l'âme de sa Nation, dont la construction identitaire est marquée par la violence des soubresauts de son Histoire récente. Le lecteur profane en Histoire russe pourrait rapidement se heurter à une littérature absconse qui lui ferait manquer la dimension charnelle de l'œuvre. Littérature pessimiste, voire nihiliste, dans laquelle les cicatrices et fractures morales de l'individu constituent des aliénations, littérature dense faisant figurer de nombreux protagonistes, acteurs d'une intrigue diffuse et compliquée, la littérature russe est très difficilement transposable sur une pellicule. Il est d'ailleurs à noter que ce ne sont pas des cinéastes russes qui s'attaquèrent aux monuments littéraires de leur patrie éternelle. Adapter, c'est trahir dit-on ! Cela vaut certainement encore plus pour Dostoïevski et Tolstoï ! Aussi, qui est exégète de ces œuvres littéraires, dont la force et la beauté demeurent un apport incommensurable à l'identité européenne, sera déçu des films présentés. Pour les autres, il s'agira d'une formidable découverte.

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Anna Karénine

Film américain de Clarence Brown (1935)

La Russie tsariste dans la seconde moitié du 19ème siècle. Anna Karénine est l'épouse d'un sombre et despotique noble, membre du gouvernement. Prisonnière d'un mariage de raison, l'épouse délaissée n'a jamais vraiment manifesté de sentiment amoureux pour son mari, à la différence de son jeune garçon Sergeï qui constitue son seul rayon de soleil. L'amour qu'elle porte à son enfant ne lui suffit néanmoins pas. Sa vie faite de convenances bourgeoises et de respectabilité sociale l'ennuie terriblement. Aussi, lors d'un voyage à Moscou, succombe-t-elle aux avances du colonel Comte Vronsky, jeune cavalier impétueux. Vronsky ne tarde pas à suivre Anna à Saint-Pétersbourg. L'idylle adultère est bientôt découverte et provoque un scandale. Anna est chassée de la maison sans possibilité de revoir son enfant. Elle va tout perdre, d'autant plus que si le Comte est un fougueux prétendant, sa véritable maîtresse est l'armée du Tsar...

Fait rare ! Greta Garbo interprètera à deux reprises l'héroïne du roman éponyme de Tolstoï, après une première adaptation muette d'Edmund Goulding sept années plus tôt. La présente adaptation de Brown est soignée mais la retranscription hollywoodienne de la Russie tsariste a un côté "image d'Epinal" très décevant. On n'y croit guère ! On ne peut que se rendre compte qu'adapter à l'écran la richesse d'une œuvre dense de plusieurs centaines de pages est une gageure. Egalement, peut-être la volonté du réalisateur était-elle justement de gommer le caractère russe de l'œuvre de Tolstoï afin de délivrer une vision plus universelle de cet amour interdit. A cet égard, la mise en scène est impeccable, de même que les décors et les costumes. Garbo et Fredric March ont un jeu impeccable.

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LE DOCTEUR JIVAGO

Titre original : Docteur Zhivago

Film américain de David Lean (1965)

Moscou en 1914, peu avant que la Première Guerre mondiale n'achemine la Russie tout droit vers la Révolution bolchévique. Le docteur Youri Jivago est un médecin idéaliste dont la véritable passion demeure la poésie. Jivago mène une vie paisible auprès de son épouse Tonya et leur fils Sacha, que vient bientôt bousculer Lara, fiancée à un activiste révolutionnaire, dont le médecin tombe immédiatement amoureux. Lorsqu'éclate la guerre, Jivago est enrôlé malgré lui dans l'armée russe et opère sans relâche les blessés sur le front. Sa route croise de nouveau celle de Lara devenue infirmière. D'un commun accord, ils se refusent mutuellement cette histoire sans lendemain. Après la Révolution d'octobre 1917, la vie devient précaire dans la capitale moscovite. Jivago se réfugie dans sa propriété de l'Oural avec sa famille afin d'échapper à la faim, au froid et à une terrible épidémie de typhus qui ravage le pays...

Film librement inspiré du roman éponyme de Pasternak et là aussi, un pavé de plusieurs centaines de pages à porter à l'écran. Lean s'en sort à merveille au cours de ces trois heures-et-demi, en retranscrivant magnifiquement l'épopée de ce jeune médecin en quête de vérité dans le tumulte de l'aube du vingtième siècle. Aussi, à la différence du livre, le film est-il recentré sur les protagonistes principaux. Pour que celui-ci soit à la hauteur, les producteurs y ont mis les moyens et ne se sont pas montrés avares en dépenses ! Le film, longtemps censuré au pays des Soviets, reprend bien évidemment avec la plus grande fidélité la critique du régime bolchévique par Pasternak. Ce qui n'est pas très surprenant non plus, concernant une production américaine en pleine période de guerre froide. Omar Sharif est convaincant. Une fresque grandiose qui a quand même un peu vieilli.

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LE JOUEUR

Film franco-italien de Claude Autant-Lara (1958)

En 1867, Le général Comte russe Alexandre Vladimir Zagorianski prend du bon temps avec sa famille à Baden-Baden en attendant le décès de sa riche tante Antonina dont il espère l'héritage prochain. Le général est accompagné d'Alexeï Ivanovich, précepteur des enfants. L'oisiveté à laquelle la vie du général est toute dévouée le pousse à s'abandonner dans les bras de Blanche, habile intrigante. Quant à sa fille Pauline, elle est la maîtresse du marquis des Grieux, un riche aristocrate français qui entretient toute la famille du général tant qu'Antonia n'a pas expiré. Et la tante ne semble guère pressée de trépasser. Certes en fauteuil roulant, elle rend visite à son général de neveu en Allemagne. Ivanovich, qui avait prévu de retourner à Moscou après qu'il se soit fait éconduire par Pauline, change ses plans à l'arrivée de la riche tante qui le prend à son service. Antonia épouse le démon du jeu et a tôt fait de dilapider la fortune qui faisait tant l'espoir de Zagorianski...

Autant-Lara ne tire pas son meilleur film de sa libre adaptation du roman éponyme de Dostoïevski. Loin de là... Et Liselotte Pulver, Gérard Philipe et Bernard Blier ne sont pas au mieux de leur forme. Certes, Dostoïevski n'est pas l'auteur dont les personnages sont les plus simples à camper... Le film d'Autant-Lara est plus proche du Vaudeville que de la restitution de l'hédonisme russe en Allemagne. Néanmoins, cette fantasque description de l'univers du jeu au 19ème siècle, parfois trop caricaturale et mièvre, revêt des caractères plaisants bien rendus par les décors et l'atmosphère des villes d'eaux du duché de Bade. A réserver aux inconditionnels du réalisateur de La Traversée de Paris.

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LOLITA

Film anglais de Stanley Kubrick (1962)

C'est l'été dans la petite ville de Ramslade dans le New Hampshire. Humbert Humbert est un séduisant professeur de littérature française récemment divorcé qui cherche une chambre à louer dans la ville. C'est dans la demeure de Charlotte Haze, veuve érudite en mal d'amour, qu'il trouvera son bonheur, surtout après avoir entraperçu Dolorès, quatorze ans, surnommée Lolita, la charmante fille de Charlotte. La propriétaire essaye par tous les moyens de s'attirer les faveurs du professeur bien plus tenté par le charme de la juvénile Lolita. Afin de pouvoir continuer à demeurer chez les Haze à l'issue de sa location, et ainsi à proximité de l'adolescente , Humbert n'hésite pas une seconde et épouse la mère. Le bonheur marial est de courte durée. Charlotte ne tarde pas à démasquer les véritables intentions de son nouveau mari...

Réalisation très librement inspirée du roman éponyme de Vladimir Nabokov qui ne fit pas l'unanimité. Certains allèrent jusqu'à hurler à la trahison de l'œuvre du moins russe des écrivains russes, dont la famille s'exila après la Révolution d'octobre 1917. Il est vrai que le film de Kubrick, qui n'a pourtant jamais craint d'érotiser son œuvre, contient une sensualité moindre que le roman. Il est vrai aussi que la censure exerçait encore de nombreuses contraintes à l'orée de la décennie 1960. Kubrick avait d'ailleurs déclaré, après avoir dû couper plusieurs scènes, qu'il aurait préféré ne pas tourner cette adaptation critique de la libéralisation sexuelle outre-Atlantique. La jeune Sue Lyon est merveilleuse, de même que James Manson. Il est difficile de juger si Lolita figure parmi les meilleurs Kubrick. Mais ça reste du grand Kubrick !

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LES POSSEDES

Film français d'Andrzej Wajda (1987)

Vers 1870, dans une ville de province de l'Empire russe, un group d'activistes révolutionnaires tente de déstabiliser la Sainte-Russie. Aux réunions, grèves et diffusions de tracts, succède bientôt l'action clandestine. Conduits par l'exalté fils d'un professeur humaniste, Pierre Verkhovenski, la cellule nihiliste confie la direction du mouvement à Nicolas Stavroguine, de condition aristocrate, mais cynique et désabusé. Fanatique et charismatique, Stavroguine exerce un pouvoir sans pitié sur le groupe. Aussi, ordonne-t-il l'exécution de Chatov, ouvrier honnête qui manifestait ses distances avec la bande au sein de laquelle les tensions s'exacerbent. Verkhovenski intrigue afin que Kirilov, un athée mystique, endosse le crime. Kirilov est contraint au suicide...

Au risque de se répéter, une nouvelle fois, le film est inférieur au roman, bien que la présente réalisation de Wajda conserve un intérêt majeur et de splendides images. Le fond de l'intrigue est survolé et perd, ainsi, en intensité, au regard des centaines de pages de l'œuvre de Dostoïevski, mais comment pourrait-il en être autrement ? Si Omar Sharif incarne, de nouveau et de manière satisfaisante, un héros de la littérature russe, les personnages du film pourront être perçus comme excessifs à l'exception de Sjatov, révolutionnaire qui garde raison plus que les autres. Wajda semble assez peu à l'aise dans sa représentation de l'esprit révolutionnaire qu'il apparente trop vulgairement à une soif de violence gratuite. A voir quand même !

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LE PREMIER CERCLE

Titre original : The First circle

Film américain d'Aleksander Ford (1972)

En 1949, un jeune diplomate découvre, à la lecture d'un dossier, l'arrestation imminente d'un grand médecin. Le diplomate prend la décision de prévenir anonymement le futur embastillé, ne se doutant que des oreilles mal intentionnées enregistrent la conversation téléphonique. La mise sur écoute n'est pas encore jugée suffisamment au point par les services secrets. Nombre de savants s'ingénient ainsi à perfectionner le système dans une charachka, laboratoire de travail forcé, de la banlieue moscovite. L'un des ingénieurs, conscient que l'écoute téléphonique est une arme coercitive précieuse pour les services secrets, entreprend de détruire sa création perfectionnée. Ce sabotage n'a d'autre issue que sa déportation en Sibérie. De même pour le diplomate bientôt identifié qui avait tenté de sauver la liberté du médecin. Parmi tout l'appareil répressif communiste, les laboratoires dans lesquels sont mis au point les armes de répression massive constituent le premier cercle de l'Enfer stalinien.

Il est surprenant que ce soit le cinéaste polonais rouge Ford qui se soit porté volontaire pour adapter à l'écran un roman de Soljenitsyne... Certainement revenu de ses illusions sur la nature du régime stalinien, Ford livre un plaidoyer en faveur de la liberté et de la dignité humaines. Soucieux d'une recherche esthétique, celle-ci n'est pourtant pas toujours réussie mais livre des passages intéressants que magnifie le noir et blanc. Le film est malheureusement tombé dans les oubliettes du Septième art. Quant au titre du récit éponyme et largement autobiographique de Soljenitsyne, il fait référence aux neufs cercles de l'Enfer de la Divine comédie de Dante Alighieri.

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UN DIEU REBELLE

Titre original : Es ist nicht leicht ein Gott zu sein

Film germano-franco-russe de Peter Fleischmann (1989)

La Terre dans un futur loin de plusieurs siècles. Les Terriens sont parvenus à une parfaite maîtrise de leurs émotions afin de vivre dans une paix perpétuelle. A des fins d'étude, une équipe de chercheurs est envoyée en observation d'une autre civilisation humaine sur une lointaine planète. Afin de ne pas dévoiler leur présence, seul Richard est choisi parmi les siens pour aller à la rencontre des habitants. Un seul impératif guide son action : la non-ingérence dans les affaires autochtones. Le temps passe et Richard ne donne plus aucun signe de vie au reste de l'équipage demeuré dans le vaisseau spatial. Inquiet, Alan fait à son tour le voyage vers la planète semblable à la Terre mais sur laquelle les mœurs des habitants, brutales et cruelles, et la technologie accusent plusieurs siècles de retard...

Délaissons quelque peu l'univers de la littérature classique russe pour nous intéresser à un chef-d'œuvre méconnu de la littérature de science-fiction. Le présent film est une adaptation du roman Il est difficile d'être un Dieu des frères Arcadi et Boris Strougatski et est supérieur à la seconde adaptation éponyme d'Alexeï Guerman. Le présent film ne manque pas d'être subversif et peut être considéré comme une vive critique du soviétisme et, dans une perspective plus large, de la barbarie de la soumission à autrui qu'exerce la violence. La mise en scène est néanmoins faible, les cadrages serrés curieux au regard de l'immensité du décor et les effets spéciaux peu travaillés. Et pourtant ! Voilà un petit bijou que les passionnés de science-fiction considéreront comme culte. Les plus rationnels des spectateurs pourraient, quant à eux, s'endormir longtemps avant la fin. Tourné au Tadjikistan pour les décors naturels, il offre, en outre, de splendides paysages.

Virgile / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

samedi, 20 février 2016

Jean Dutourd, l'anarcho-gaulliste

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Jean Dutourd, l'anarcho-gaulliste

Par

 Bruno de Cessole (archives: 2011)

 

 

 

 

Ex: http://www.valeursactuelles.com

 
Disparu le 17 janvier 2011 à l’âge de 91 ans, l'écrivain fut tout au long de sa vie un résistant au conformisme, à la bêtise et au progressisme.

Lorsqu’on l’allait visiter dans son sombre appartement proche de l’Académie, il fallait traverser un salon vaste comme un hall de gare (de province), longer un couloir interminable, avant de pénétrer dans le bureau bibliothèque où il vous recevait, en veste d’intérieur écossaise, la bouffarde au bec, dans la compagnie de quelques milliers de livres impeccablement alignés sur les rayonnages. Un décor très britannique, boiseries, fauteuils de cuir, odeur de cire et de tabac blond, nuancé d’ordre monacal ou militaire. Le maître des lieux, du reste, avait un côté très British, et pas seulement pour la moustache et la pipe dignes du Colonel Bramble ou du Major Thompson.

Jean Dutourd était un vieux Gaulois ronchonneur tempéré par l’humour anglais et le goût du paradoxe chers à Jonathan Swift et à Oscar Wilde. En dépit de son inaltérable attachement à la mère patrie, « la France ma mère, qui s’est, en quinze siècles, façonné une âme plus belle et plus grande que toute autre nation », Dutourd renchérissait volontiers sur Godefroy, le héros de Courteline, qui soupire : « J’aime bien maman, mais crénom, qu’elle est agaçante ! » Bon fils, l’auteur des Horreurs de l’amour pouvait râler, mais ne la reniait pas, même quand elle faisait des bêtises, comme de désavouer de Gaulle en 1968 ou de porter Mitterrand au pouvoir en 1981.

Dans ces années-là, je le voyais souvent, car il était, pour les journalistes, un “bon client”. Depuis son élection à l’Académie française en 1978, à la suite du plasticage de son appartement, qui contribua beaucoup, disait-il en riant, à son élection, il s’autorisait une liberté de parole qui ne s’encombrait pas des prudences habituelles chez les habits verts. Il avait l’esprit caustique, la parole drue, la formule assassine, et n’épargnait personne, à commencer par les hommes de pouvoir et les belles âmes progressistes. Jamais il ne fut plus en verve que durant les deux septennats mitterrandiens où il publia le Socialisme à tête de linotte, le Spectre de la rose, la Gauche la plus bête du monde, le Septennat des vaches maigres, Journal des années de peste 1986-1991, la France considérée comme une maladie mais aussi Henri ou l’Éducation nationale, le Séminaire de Bordeaux, Ça bouge dans le prêt-à-porter, désopilante anthologie des clichés et des expressions à la mode dans le journalisme.

2877062937.08.LZZZZZZZ.jpgDu temps que le Général régnait sur la France, le gaulliste Dutourd était abreuvé d’injures, dont les moindres étaient : « nouveau Déroulède », « grosse bête », « patriote ringard ». On le vilipendait pour son « gros bon sens », sa prétendue « vulgarité », sa propension à se faire « le porte-parole de la majorité silencieuse ». « Pour être admis chez les gens intelligents, me disait-il, il fallait m’avoir traité d’imbécile ! » Du jour où les socialistes parvinrent au pouvoir, on le découvrit soudain moins bête qu’on ne le disait, et jamais il ne fut davantage invité sur les plateaux de télévision, où son flegme narquois et ses bons mots faisaient florès.

La politique, en réalité, ne l’intéressait que comme prétexte à exhaler ses humeurs. Il avait, reconnaissait-il, des sentiments plutôt que des idées politiques. Depuis le discours du 18 juin 1940, il n’avait jamais varié de ligne : “anarcho-gaulliste”, et le moins mauvais régime aurait été à ses yeux « une monarchie absolue tempérée par l’assassinat », selon une formule qu’il attribuait à Stendhal, attribution dont je ne suis pas sûr qu’elle soit exacte. Cet individualiste, qui s’inscrivait dans la lignée de ses maîtres, Montaigne, Voltaire, Stendhal et Chesterton, se méfiait de l’État-providence et de l’angélisme, ce « crime politique » qui conduit l’État à vouloir faire le bien du citoyen malgré lui : «Tous les gouvernements sont comme les bonnes femmes qui disent à un type: “Tu verras, je vais faire ton bonheur !” Instantanément, le type est terrorisé et se dit : “Elle va m’emmerder toute ma vie !” C’est la même chose en politique. »

Jean Dutourd était de ces dinosaures en voie de disparition qui ne s’excusent pas d’être français, n’admettent guère que l’“insolente nation” trahisse sa vocation à la grandeur, et ont souvent mal à leur pays. Il avait intitulé l’un de ses livres De la France considérée comme une maladie. Une expression qu’il tenait de sa belle-mère, qui répétait sans cesse : «J’ai mal à la France. » « Je crois, me confiait-il, que les Français ont toujours eu mal à la France. Depuis qu’il existe une littérature française, les écrivains ont des bleus à leur patrie. Peut-être à cause de l’hypertrophie de notre sens critique qui nous fait nous gratter sans cesse. Cela dit, il y a eu des périodes où les Français n’avaient pas trop mal à la France. Comme sous Louis XIV et Napoléon. C’était l’Europe qui avait mal, à ce moment-là.»

L’un des drames de notre pays résidait, selon lui, dans la disparition progressive du bon sens au profit de la prétention des soi-disant élites qui ne s’expriment plus que dans un sabir incompréhensible par le peuple, véritable attentat contre la clarté de notre idiome national. « Intellectuel n’est pas synonyme d’intelligent. Je dirais même qu’on est plutôt intelligent quand on n’est pas intellectuel. Les intellos sont la lie de la terre. Ils incarnent l’éternelle trahison des clercs. On est un artiste, un écrivain, un philosophe, mais pas un intellectuel ! Un intellectuel, c’est un de ces mauvais curés qui font tout pour vous dégoûter du bon Dieu. Bref, c’est affreux ! »

Il prétendait n’être qu’un homme de la rue qui sait écrire

S’il était volontiers disert sur la vie publique, l’homme, en revanche, était d’une discrétion rare sur sa vie privée : « Mon rêve, c’est de ne pas avoir de biographie, car celle-ci se construit toujours au détriment de l’oeuvre. Alors, pas de biographie. Comme Homère et comme Shakespeare…» Dans Jeannot, Mémoires d’un enfant, il avait arrêté ses Mémoires à l’âge de 11 ans, estimant que les décennies suivantes n’offraient rien de singulier. « Je suis un homme de la rue qui sait écrire. C’est la seule chose que je sache faire », confessait-il avec une fausse modestie goguenarde. Depuis le Complexe de César, son premier livre, déjà provocateur, publié en 1946, il n’avait cessé de publier avec une régularité horlogère, et un talent hors du commun. Il était de ces rares écrivains, comme Marcel Aymé, pour qui le français était une langue naturelle. À la fois très simple, très pure, et savante, mêlant la familiarité et les tournures recherchées héritées de ces classiques qu’il fréquentait assidûment.

Parmi les soixante-dix titres que laisse ce grognard en demi-solde, vaste panorama satirique de son époque, certains furent des succès considérables comme Au bon beurre (prix Interallié) et les Taxis de la Marne ; les autres témoignent d’une remarquable capacité à varier de registre, de Doucin aux Mémoires de Mary Watson, tout en reflétant une vision du monde à la fois sans illusions, autrement dit réactionnaire, et cocasse. Car Jean Dutourd était un moraliste qui avait l’élégance de la gaîté.

Bruno de Cessole

vendredi, 19 février 2016

W. B. Yeats : un poète irlandais en politique

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W. B. Yeats : un poète irlandais en politique

Par

Bruno de Cessole

 

Ex: http://www.valeursactuelles.com (archives: 2011)

 
La poétique et le politique peuvent nouer une liaison, rarement conclure un mariage. Tôt ou tard cet engagement du poète dans les affaires de la Cité se délie, et l’« homme des Muses », comme aimait à dire Jünger, se retranche du temporel pour regagner sa solitude élective.

Chateaubriand, Lamartine, D’Annunzio, Thomas Mann, Tommaso Marinetti, Ezra Pound, Louis Aragon, André Malraux, Mario Varga Llosa et quelques autres en témoignent, dont l’engagement se solda par la désillusion. Du moins ont-ils, quelque temps, insufflé un peu de hauteur à la trivialité de la politique au jour le jour, et élargi l’horizon de la “gouvernance”.

Parmi ces artistes engagés ou fourvoyés, le cas de William Butler Yeats, étudié avec finesse et pénétration par cet éminent connaisseur de l’Irlande qu’est Pierre Joannon, se révèle exemplaire. Quand, en 1923, l’académie suédoise décerna à Yeats le prix Nobel de littérature, les jurés étaient conscients que leur choix était autant politique que littéraire. En couronnant le poète, ils entendaient célé­brer l’hom­me qui avait tenu la gageure de conserver son contact avec le peuple tout en pratiquant l’art le plus aristocratique qui soit, et d’avoir été l’interprète d’un pays qui « attendait, depuis longtemps en silence quelqu’un pour lui prêter une voix ». L’éveilleur d’une nation. Comme le reconnut un homme politique irlandais : « Sans Yeats, il n’y aurait pas eu d’État libre d’Irlande. »

Pourtant, W. B. Yeats ne fut ni un doctrinaire, ni un homme d’action – en dépit des huit années qu’il consacra aux affaires comme sénateur – mais avant tout un poète, et le fondateur de la renaissance littéraire irlandaise. Pierre Joannon le souligne avec force : il est impossible de figer en système de pensée cohérent les idées fluctuantes de l’écrivain, dont le principe de contradiction était au cœur de l’œuvre : « Je crois, écrivait-il, que tout bonheur dépend de l’énergie qu’il faut pour prendre le masque de quelque autre moi, que toute vie joyeuse et créatrice implique qu’on renaisse comme quelque chose qui n’est pas soi, quelque chose qui n’a pas de mémoire et qui est créé en un instant pour être perpétuellement renouvelé. » Au vrai, que de masques contradictoires il porta tour à tour ou simultanément : « Conservateur révolutionnaire, Anglo-Irlandais converti au celtisme, adorateur des dieux et des héros de l’antique Hibernie et sectateur de l’Irlande coloniale du XVIIIe siècle, anglophobe pétri d’influence anglaise, sénateur de l’État libre titulaire d’une pension du gouvernement britannique, libéral antidémocrate séduit par l’autoritarisme. Autant de professions de foi en forme d’oxymores. »

Avec pertinence, Pierre Joannon balaie l’accusation de fascisme au nom de laquelle quelques détracteurs tentèrent de le discréditer, en raison de la sympathie momentanée qu’il eut pour le mouvement des “chemises bleues” du général O’Duffy. Nourri de Berkeley, de Swift et de Burke autant que de Vico, de Nietzsche et de Spengler, Yeats, certes antidémocrate et antiégalitaire, était d’abord un individualiste irréductible, tenant d’un libéralisme aristocratique que professèrent également ses contemporains comme Paul Valéry et Fernando Pessoa. Et qui revendiqua haut et fort : « L’orgueil de ceux qui ne se lièrent/Jamais à nulle cause, à nul État/Ni aux esclaves méprisés,/Ni aux tyrans méprisants. »   Bruno de Cessole           

Un poète dans la tourmente, de Pierre Joannon, Terre de Brume, 134 pages, 14,50 euros.

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mercredi, 17 février 2016

Livr'arbitres: Soirée Vialatte

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mardi, 16 février 2016

De briefwisseling tussen Kunicki en Jünger

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‘Wat ons bindt ... Duitsland!’

Uit de oproep van de communist Johannes R. Becher aan de 'nationalist' Ernst Jünger

De briefwisseling tussen Kunicki en Jünger toont hoe Polen zich langzaam opende voor het werk van het 'icoon van het Duitse nationalisme'

door Dirk Rochtus

Ex: http://www.doorbraak.be

Een Poolse germanist die zich midden jaren '80 wendde tot de enigmatische Duitse 'Dichtersoldat' Ernst Jünger (1895-1998): dat was niet zo vanzelfsprekend in het politiek-culturele klimaat van die jaren. Hoe uit die briefwisseling tussen Wojciech Kunicki en Ernst Jünger een intellectuele vriendschapsband groeide, vormt het voorwerp van het door Natalia Zarska geredigeerde boek "Wir Slawen sind Genies des Leidens".

KP_01.jpgAristocratisch

Waarom was die toenadering tussen een Poolse academicus en een beroemde Duitse schrijver niet zo vanzelfsprekend? In het eigen land, dat zichzelf niet meer als natie verstaat, - en misschien ook daarom, - was Jünger omstreden. Na de Eerste Wereldoorlog, waaraan hij als vrijwilliger het Eisernes Kreuz 1. Klasse en de Orden Pour le Mérite overhield, schreef hij zijn frontervaringen in esthetiserende wijze neer in het in dagboekvorm weergegeven 'In Stahlgewittern' (zie ook het boek Een oorlog kan ook mooi zijn. Ernst Jünger aan het westelijk front van de hand van Hans Verboven en Joris Verbeurgt). Verdacht was het dat iemand in de oorlog nog schoonheid kon ontwaren, waar linkse en liberale schrijvers de gruwel ervan aanklaagden, bijvoorbeeld een Erich Maria Remarque met zijn 'Im Westen nichts Neues' (1929).

'Verdacht' maakte Jünger zich ook door zich in de jaren 20 van vorige eeuw als 'conservatieve revolutionair' te engageren in nationaal-revolutionaire kringen die de democratie van de Republiek van Weimar (1919-'33) met geestelijke wapens bestreden. Tijdens het Derde Rijk poogden de nationaalsocialisten, met propagandaminister Joseph Goebbels op kop, de charismatische 'Dichtersoldat' in hun kamp te lokken. Tevergeefs. Jünger hield afstand tot het naziregime dat hij vanuit zijn aristocratische geesteshouding als plebejisch-totalitair verafschuwde. Zijn in 1939 verschenen verhaal 'Auf den Marmorklippen' wordt vaak als symbolisch versluierde kritiek op de nationaalsocialistische dictatuur opgevat, iets wat Jünger zelf als eenzijdige interpretatie afwees. Jünger had als officier in het bezette Parijs ook contacten met de 'Männer des 20. Juli', de generaals en officieren die op die dag in 1944 een bomaanslag pleegden op Adolf Hitler in de Wolfsschanze in Oost-Pruisen. Na de Tweede Wereldoorlog trok hij zich terug in het Zuid-Duitse Wilflingen waar hij tot aan zijn dood op 17 februari 1998 ijverig bleef publiceren en zijn keververzameling verder uitbouwde. Legendarisch was ook het bezoek dat de Franse president François Mitterrand en de Duitse bondskanselier Helmut Kohl hem daar op 20 juli 1993 brachten.

juengerpolski.jpgIcoon

Jünger was omstreden omwille van zijn esthetiserende kijk op de oorlog, zijn geestelijke strijd tegen de parlementaire democratie van 'Weimar', zijn elitair-contemplatief afstand houden van 'Bonn' (de Bondsrepubliek Duitsland). Linkse kringen in Duitsland lustten hem rauw. Maar ook in het communistische Polen kon zijn werk tussen 1945 en 1989 niet verschijnen. Sowieso hadden de Polen het moeilijk met Duitsland en 'alles' wat uit dat land kwam, en dan zeker met iemand die Natalia Zarska in haar nawoord een 'icoon van het Duitse nationalisme' noemt. Het getuigde dan ook van intellectuele moed van de Poolse germanist Kunicki (°1955), die doceert aan de universiteit van Wroclaw (het vroegere Breslau), om op 31 oktober 1985 een brief te versturen aan Jünger, met de mededeling dat hij een wetenschappelijk werk aan 'die Symbolik Ihrer erzählenden Schriften' wilde wijden: 'Mich interessiert vor allem die ästhetische Seite des Problems und wenn die politische Komponente gestreift wird, soll sie gerecht und nach meiner Beurteilung positiv behandelt werden.' (Ik ben vooral geïnteresseerd in de esthetische kant van het probleem en wanneer de politieke component aangeraakt wordt, dient ze fair en volgens mijn beoordeling positief te worden behandeld).

'Medestrijder tegen de nazi's'

Het kwam de historicus Gerald Diesener van de universiteit van Leipzig (toen nog DDR) ter ore dat er in Polen een Jünger-expert was opgestaan. Diesener deed onderzoek naar het 'Nationalkomitee Freies Deutschland' (een verbond van Duitse officieren die tijdens de Tweede Wereldoorlog in Sovjet-Russische gevangenschap waren terechtgekomen en zich daar onder leiding van Duitse communisten aan propaganda tegen Nazi-Duitsland wijdden). Een van die communisten toentertijd was Johannes R. Becher (1891-1958), ooit een bekend expressionistisch dichter, en later minister van Cultuur van de DDR. Na de machtsovername door Hitler was Becher naar de Sovjet-Unie geëmigreerd. In oktober 1943 richtte hij zich in een uitzending van radio 'Freies Deutschland' rechtstreeks tot Ernst Jünger als coryfee van het Duitse nationalisme. Becher beklemtoonde zijn respect voor de figuur van Jünger die weliswaar aan de andere kant stond, maar dat was nooit 'die Seite der Naziclique' geweest: 'Sie standen immer abseits und standen einsam (....)' (U stond altijd opzij en u stond er eenzaam). Ook al waren zij, - Becher en Jünger - , ideologische tegenstanders, toch was er volgens Becher iets dat deze 'Gegnerschaft' een bijzondere 'Weihe' (heiliging) gaf: 'Das Gefühl, die Gewißheit, dass über alle trennenden Begriffe und Trennungszeichen hinweg es einen uns bindenden Inbegriff gab ... Deutschland!' (Het gevoel, de zekerheid dat er over alle scheidende begrippen en tekens heen er één begrip was dat ons bond .... Duitsland!)

EJpoladsfadf_598.jpgBecher mocht dan wel marxist-leninist zijn, maar aan zijn vaderlandsliefde, aan zijn gloeiende liefde voor Duitsland en zijn grootse cultuur heeft hij nooit enige twijfel laten bestaan (zoals blijkt uit vele redevoeringen en zijn 'Deutschland-Dichtung'). De historicus Diesener had ontdekt dat de linkse Becher de rechtse Jünger als medestrijder tegen de nazi's wilde winnen, vanuit het besef 'Es ist Zeit, dass wir Deutschlandstreiter von rechts bis links unsere Waffen zusammenfassen' (het is tijd dat wij, strijders voor Duitsland van rechts tot links, onze wapens samenbrengen). Maar tegelijk wist Diesener dat Becher in een vroegere voordracht over het thema 'Moralische und ideologische Überwindung des Faschismus' (Morele en ideologische overwinning op het fascisme) Jünger als 'fascistische schrijver' had bestempeld. Daarom stelde Diesener de Poolse germanist Kuniciki de vraag of het vroegere oordeel van Becher over Jünger misschien niet moest worden herzien (gezien de respectvolle aanspreking in de radio-uitzending van oktober 1943) en hoe hij dit als kenner van de Duitse literatuur zag?

'Jüngergemeinde'

Zo ontstond vanuit de wetenschappelijke belangstelling van Kunicki voor Jünger ook een levenslange vriendschap tussen Kunicki en Diesener, de latere zaakvoerder van de uitgeverij Leipziger Universitätsverlag. Die vriendschap heeft zich ook vertaald in het voorliggende boek dat uitgegeven is naar aanleiding van de 60ste verjaardag van Kunicki en de 120ste van Jünger. Het boek omvat de briefwisseling van Kunicki met Jünger tussen 1985 en 1997, met Frau Liselotte Jünger tot 1998, met Diesener en de dichter Rolf Schilling en die tussen beide laatsten en Jünger zelf, evenals 'Notizen einer Reise' die de Poolse germanist in Duitsland ondernam. We lezen hoe Kunicki zich aan het werk zet om verschillende boeken van Jünger in het Pools te vertalen. Die vertalingen lagen lang in de lade tot eindelijk de tijd rijp was in Polen om het werk van Jünger uit te geven. Vanuit zijn decennialange passie voor het werk van Jünger bouwde Kunicki ook zijn contacten met de wereldwijde 'Jüngergemeinde' uit. Zo organiseerde hij in juli 2009 een internationaal congres over Jünger aan de universiteit van Wroclaw. Ook de referaten van dit congres verschenen bij Leipziger Universitätsverlag onder de titel 'Ernst Jünger – eine Bilanz'.

Foto: (c) Reporters

salwenXfL._SX319_BO1,204,203,200_.jpgTitel boek : 'Wir Slawen sind Genies des Leidens' - Wojciech Kunicki und Ernst Jünger: Briefe und Tagebücher
Auteur : Natalia Zarska
Uitgever : Leipziger Universitätsverlag
Aantal pagina's : 199
Prijs : 29 €
ISBN nummer : 978-3-86583-991-6
Uitgavejaar : 2015

mardi, 02 février 2016

Maurice Genevoix, l'appel d'un homme

Maurice Genevoix, l'appel d'un homme

genenvoix258081222.GIFEn 1915, Maurice Genevoix, jeune lieutenant de l'armée française, échappe de justesse à la mort. On est à Verdun, sur le front des Eparges. Choqué, meurtri, révolté, mais nourri par la beauté de ses hommes, leur bravoure, leurs souffrances, leurs doutes, leurs peurs, il n'aura de cesse toute sa vie de chanter un hymne à la vie, jailli du fond des tranchées boueuses.

Il écrira. D'abord un immense recueil de six volumes «ceux de 14», puis des romans, des poèmes, des essais... Injustement méconnu des jeunes générations, cet écrivain d'une incroyable modernité, nous appelle à découvrir ce qu'il y a de plus précieux chez l'homme : sa capacité à contempler pour exister, libre.

Réalisation : Caroline Puig-Grenetier
Durée : 52mn
Année : 2012
Production : CLC Productions, Normandie TV, Mirabelle TV

Combats soldats Français 1915 - l'enfer des Eparges

Extrait de l'épisode 4 "Les Eparges" de la série "Ceux de 14" diffusée sur France 3 le 28/10/2014 et le 04/11/2014. De très loin l'épisode le plus 'intéressant' car s'occupant beaucoup plus des combats. La série vaut le coup d'œil, c'est un bel effort même si on n'est pas dans un grand film de guerre (c'est mon avis) ni dans une excellente adaptation de l'œuvre de Maurice Genevoix (d'après ceux qui l'ont lu).

 

vendredi, 22 janvier 2016

Les contes européens sont bien plus anciens qu'on ne le croit

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Les contes européens sont bien plus anciens qu'on ne le croit

Les contes des peuples européens, recueillis et mis sur papier au 18ème et 19ème siècles par des ethnographes et des folkloristes comme Charles Perrault et les frères Jacob et Wilhelm Grimm remontent à la haute antiquité.

contes08c9fc493fa2176ae24776.jpegLes scientifiques de la Nouvelle université de Lisbonne et de l'université de Durham (Royaume-Uni) sont arrivés à la conclusion qu'une partie de ces sujets avaient été créés il y a plusieurs milliers d'années, à l'époque préhistorique et se seraient transmis par le bouche à oreille entre les différents peuples indo-européens avant même l'apparition des langues contemporaines, rapporte The Independent. 

Dans leur étude, les scientifiques ont combiné les méthodes traditionnelles de la linguistique avec une approche basée sur les progrès de la génétique et la théorie de l'évolution. Ainsi, ils constatent que plusieurs sujets des contes européens qu'on pensait dater du 16ème et du 17ème siècle, remonteraient en fait à l'Age du bronze.

"Un bon nombre de ces sujets proviennent de l'époque précédant l'écriture et la mythologie hellénique et romaine. Plusieurs d'entre eux paraissent dans des manuscrits latins et grecs, mais ils sont en fait beaucoup plus anciens", constate l'anthropologue de l'université de Durham Jamshid Tehrani.

Les scientifiques ont ainsi découvert que les sujets qui sont à la base de contes tels que "La belle et la bête" et "Le Nain Tracassin" étaient apparus il y a près de 4.000 ans. Cependant le sujet du conte anglais "Jack et le Haricot magique", portant sur un garçon qui aurait vaincu un géant, a près de 5.000 ans. 

"Il est étonnant de voir que ces contes sont passés à la postérité par la voie orale. Ils existaient avant l'apparition de l'anglais, du français et de l'italien. Peut-être que les gens racontaient ces contes en proto-indo-européen", souligne Jamshid Tehrani.

Le conte le plus ancien est "Le Diable et le forgeron", qui est apparu il y a près de 6.000 ans.

jeudi, 14 janvier 2016

Bruno de Cessole : « Le déclin politique de la France est inséparable de son déclin littéraire »

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Bruno de Cessole: «Le déclin politique de la France est inséparable de son déclin littéraire»

Propos recueillis par Mathieu Giroux
Ex: http://philitt.fr

B. de Cessole.jpgCritique littéraire et écrivain, Bruno de Cessole a dirigé pendant vingt ans le service culturel de Valeurs Actuelles et, pendant 5 ans, La Revue des deux Mondes. Il a notamment publié L’Heure de la fermeture dans les jardins d’Occident (La Différence, prix des Deux Magots en 2009) et Ben Laden et le salut de l’Occident (La Différence, 2002). Nous l’avons interrogé sur sa conception de la littérature en nous appuyant sur deux de ses essais : Le Défilé des réfractaires (L’Éditeur, 2011) et L’Internationale des francs-tireurs (L’Éditeur, 2014).

Bruno de Cessole a obtenu le prix Henri Gal de l’Académie française en 2015 pour l’ensemble de son œuvre

PHILITT : Dans votre préface au Défilé des réfractaires, vous tordez le cou, en vous appuyant sur Oscar Wilde, à un lieu commun qui fait du critique d’art un homme incapable de création. Si donc création il y a chez le critique, en quoi consiste-t-elle ?

Bruno de Cessole : C’est en effet un lieu commun et qui a la vie dure que de prétendre que le critique, faute d’être un créateur, se contente de juger la création d’autrui. Ce truisme conserve « toute la vitalité de l’erreur, et le manque de nouveauté d’un vieil ami » pour  citer Wilde. L’assertion a été maintes fois répétée, notamment depuis Victor Hugo et Balzac dans le procès intenté par eux contre Sainte-Beuve. À les en croire, le critique serait à l’art ce que l’eunuque est à l’amour… À l’encontre, Oscar Wilde, dans La Critique et l’art et La Vérité des masques soutient, avec un goût de la provocation et du paradoxe qui n’est que le paravent de l’intelligence et de la raison, que l’antithèse entre faculté créatrice et faculté critique est purement arbitraire. À la source de toute création artistique se trouve l’esprit critique, sa faculté de compréhension et de discernement, son intuition de l’omission salvatrice. La création est le plus souvent répétitive ; d’où surgissent, depuis les Grecs, les formes nouvelles si ce n’est de l’esprit critique ? Avec une délicieuse mauvaise foi, Wilde va même jusqu’à assurer que la critique est supérieure à la création puisqu’elle exige infiniment plus de culture, qu’elle suppose la connaissance intime des grandes œuvres du passé. Et qu’il est beaucoup plus difficile de parler d’une chose que de la faire…

En quoi la haute critique – je ne parle pas de la critique journalistique et de la critique professorale, mais de la plus rare, la critique des artistes – est-elle créative ? En ce qu’elle ne se borne pas à analyser l’objet de son étude, à signaler ses défauts ou ses qualités, mais qu’elle cherche à percer le secret même de la création, à mettre en parallèle l’objet d’art et le concept universel de beauté. Le véritable critique comble les vides que l’artiste a laissé dans son œuvre, y perçoit ce dont celui-ci n’avait pas même conscience, et la refait ou la complète. Il doit être à la fois subjectif et partial, et d’un tempérament suffisamment plastique pour entrer en empathie avec les artistes sur lesquels il se penche.  Vous m’objecterez peut-être que je trace un portrait idéal du critique, tel qu’il s’est rarement incarné. À quoi je répondrai par des exemples : Diderot, Baudelaire, Sainte-Beuve, Charles du Bos, Rémy de Gourmont, Wilde, Ruskin, Walter Benjamin, Albert Thibaudet, Roger Nimier, Jean Starobinki, George Steiner, Philippe Sollers et, bien sûr, Julien Gracq, qui ont illustré la conception wildienne de la critique : « une création dans la création ». Si la littérature française actuelle se caractérise par un étiage faible, la faute en est au dépérissement de l’esprit critique, vertu autrefois éminemment française et tombée en quenouille.

Vous engagez également une réflexion – cette fois en vous basant sur une boutade d’Antoine Blondin – afin de savoir si la littérature est de droite. Lire l’art à travers le prisme du politique n’est-il pas un écueil très français ?

Antoine Blondin ironisait à propos des maitres censeurs des Temps Modernes qui stigmatisaient les écrivains – en l’occurrence le groupe des Hussards – qui ne croyaient pas au sens de l’Histoire et au devoir de l’engagement, en disant : « ils nous qualifient d’écrivains de droite pour faire croire qu’il existe des écrivains de gauche ! » C’était une boutade, mais elle n’était pas seulement impertinente… Durant l’entre-deux-guerres le critique Albert Thibaudet, qui  penchait du côté du radical-socialisme, écrivait dans sa très subjective et savoureuse Histoire de la littérature française que, depuis la Révolution, la pente politique de la France et de la province inclinait à gauche tandis que la littérature et Paris étaient à droite, presque le contraire de la situation actuelle… Thibaudet soutenait même que les plus grands écrivains français, à quelques exceptions près, comme Michelet, Hugo, Vallès et Zola, se situaient à droite voire à l’extrême droite. Sur le plan sociologique et économique, il est vrai que la littérature a longtemps été l’apanage des classes privilégiées, qui n’écrivaient pas pour vivre. Il n’est pas nécessaire, d’autre part, d’exprimer des idées ou un engagement déterminés pour être un écrivain de droite. C’est un tempérament, un style, une sensibilité, plus que des convictions, qui classent un écrivain à droite. Sans généraliser, les écrivains d’idées sont plutôt des écrivains de gauche et les écrivains à style plutôt à droite. À mes yeux, la littérature est le deuil des illusions politiques perdues, la revanche des vaincus de l’histoire, des perdants de la modernité. Elle représente le parti permanent de l’opposition. Le clivage gauche-droite structure la politique et la société françaises depuis la Révolution et c’est une illusion, entretenue par la mondialisation, que de croire qu’il est devenu caduc. Ce n’est pas un écueil mais une singularité française que d’interpréter la littérature à travers le prisme politique. Parce que la France est avant tout une nation littéraire, que son identité politique s’est forgée à travers sa langue et sa littérature, que ses grands écrivains ont exprimé, plus que les politiques, sa vocation et son destin. En ce sens, le déclin politique de la France est inséparable de son déclin littéraire.

41vz0JZBWHL._SX323_BO1,204,203,200_.jpgQu’est-ce qui caractérise les « réfractaires » et les « franc-tireurs » ? Qu’est-ce qui rapproche des écrivains aussi différents les uns des autres ?

Dans Le Défilé des réfractaires, portraits choisis d’écrivains français du XIXe et du XXe siècle, j’ai tâché d’appliquer la notion de réfractaire, substantif et adjectif qui s’entend à la fois au sens matériel (un matériau réfractaire est celui qui combine une haute dureté, une faible vitesse d’évaporation et une forte résistance à la corrosion) et au sens psychologique et moral (l’inclination à l’insoumission, la réticence à ployer l’échine ou le genou devant les puissances, la résilience aux consensus…) à une famille d’écrivains que réunissent l’indépendance de l’esprit, du jugement et du comportement. Ce sont des individualistes, plus soucieux de cultiver leur différence que d’approfondir leur communion, qui ont en partage des rejets, des refus et des dégoûts. Hétérodoxes ou hérétiques, ils suivent leur propre voie, quel que soit le prix à payer. Indifférents à l’esprit du temps ou en rébellion contre lui, ils ne cherchent pas à faire école, ne s’adonnent pas au prosélytisme, mais cultivent, à l’écart, une sagesse désabusée ou l’ivresse de la lucidité. Les réunit enfin et surtout le style, cette prérogative des perdants magnifiques. Les francs-tireurs rassemblés dans un second livre, L’Internationale des francs-tireurs, appartiennent à la même famille, mais ce sont des écrivains étrangers, et c’est pour ne pas faire doublon avec le précédent livre que j’ai utilisé le mot de franc-tireur au lieu de réfractaire.

La confusion actuelle entre ce qui relève véritablement de la littérature et le reste est-elle spécifique à notre époque ? Comment se fait-il que nombre de livres ne soient plus, à proprement parler, « écrits » ?

Non, cette confusion existait déjà au XIXe siècle, je vous renvoie aux attaques de Sainte-Beuve contre ce qu’il appelait « la littérature industrielle », une « infralittérature » commerciale, destinée au divertissement du grand public et soutenue par la publicité. Cette tendance s’est développée et accrue au XXe siècle et de nos jours au point que l’on ne sait plus vraiment ce qui relève de la littérature ou des produits du marketing éditorial. Pour ma part, je suis convaincu que le nombre de connaisseurs et d’amateurs de littérature est resté inchangé depuis le Second Empire : un noyau dur entre 3 000 et 8 000 personnes. Au-delà de ce nombre, nous avons affaire à un malentendu. Le problème est que la production littéraire actuelle est dix fois plus élevée qu’à cette époque, si bien que les véritables écrivains peinent à se faire reconnaître et que triomphent les « écrivants », producteurs de livres vite lus et vite oubliés. La pente la plus commode est la pente qui descend, c’est aussi la raison du succès des livres non « écrits ». De cet appauvrissement de la langue, de la réduction du français à un basic french exportable et traduisible partout, la dégradation de l’école et de l’enseignement, le déclassement des « humanités » classiques, sont évidemment les premiers responsables. Avec la volonté politique de tout réduire au plus petit dénominateur commun, d’éradiquer la notion d’héritage et de culture, ces obscènes survivances bourgeoises. Il suffit d’écouter parler nos hommes politiques pour constater le degré d’avilissement de la langue française, que reflète une bonne part de notre littérature.

Croyez-vous à la légende selon laquelle des auteurs à succès comme Guillaume Musso ou Marc Lévy amènent les lecteurs à découvrir de véritables écrivains ?

Il est facile de jeter la pierre aux écrivains qui ont la faveur du grand public, comme ceux que vous citez. La jalousie et le ressentiment sont les sentiments les plus répandus parmi les « mains à plume », et je m’efforce de m’en préserver… Il n’y a pas de succès sans raisons, ils répondent sans aucun doute à une attente des lecteurs. Après  avoir lu Musso et Lévy, ceux-ci iront-ils découvrir des écrivains plus exigeants ? Une minorité, peut-être… Mais enfin, toute lecture est encourageante et doit être encouragée. C’est en lisant toutes sortes de livres – y compris des médiocres et même des mauvais – qu’un lecteur forge son goût.

9782262041526.jpgPierre-Guillaume de Roux, que nous avions interviewé, évoquait une stratégie d’édition équilibrée. D’un côté, les auteurs à succès, qui permettent de faire tourner la machine et, de l’autre, les auteurs qu’on publie par conviction en sachant qu’ils ne feront pas gagner d’argent. Cette tradition éditoriale est-elle perdue ? Dans quelle mesure les éditeurs sont-ils responsables de l’état actuel de la littérature ?

Le modèle économique de l’édition française explique et justifie cette production double : d’un côté la publication de livres dont l’éditeur peut attendre des ventes significatives mais qui ne relèvent pas de la littérature, de l’autre, la publication d’auteurs qui, pour reprendre la distinction de Gracq, ont un public et peu d’audience, mais qui contribuent à l’image littéraire de la maison. La vocation d’un éditeur digne de ce nom est d’être un passeur, dont l’ambition est de participer à l’élaboration d’un patrimoine littéraire durable, de révéler des talents qui, sans lui, seraient restés inaperçus ou inaboutis. D’un autre côté, il lui faut assurer le rôti de veau mensuel, et donc faire preuve d’opportunisme voire de cynisme, s’il entend poursuivre son activité. En quelques décennies j’ai pu constater que le niveau d’exigence par rapport aux manuscrits avait sensiblement baissé. Il se publie aujourd’hui des livres qui n’auraient pas connu l’honneur d’une publication il y a trente ans, et qui, souvent, n’ont pas fait l’objet d’un véritable travail éditorial. Travail qui, paradoxe, se maintient chez de petits éditeurs qui publient peu et avec discernement.

Les mots « littérature » et « écrivain » sont dévoyés. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’ils signifient pour vous ? En somme, nous rappeler leur noblesse ?

L’imposture étant la reine de notre merveilleuse époque, et la confusion des valeurs étant générale, ces mots glorieux, à  force d’être employés à toutes les sauces, et de désigner l’inverse de ce qu’ils sont censés représenter, se sont dévalorisés. Cette dévalorisation est plus sensible en France, nation la plus littéraire de l’Europe, où le prestige de l’écrivain a longtemps été suréminent, et le reste encore un peu. Regardez l’appétence que suscite l’Académie française, chaque fois qu’un fauteuil se libère ; regardez l’envie que provoquent la collection de la Pléiade et la perspective, pour un écrivain, d’être « pléiadisé » de son vivant ; regardez l’importance qui s’attache aux prix littéraires, et notamment au prix Goncourt ; regardez même nos hommes politiques qui rêvent d’ajouter à la légitimité issue des urnes le sacre suprême de la littérature, soit qu’ils signent des livres écrits par des ghost-writers, soit qu’ils s’entourent d’écrivains susceptibles de faire passer leurs actions à la postérité ! Dans le reste de l’Europe et aux États-Unis un écrivain n’est pas davantage considéré qu’un bon plombier ou qu’un honnête employé de banque, sauf s’il gagne beaucoup d’argent, ce qui n’est pas le critère principal de la littérature ni la pierre de touche d’un bon écrivain…

Je vais essayer de résumer en une formule ce que signifie la littérature à mes yeux : la métamorphose d’une expérience individuelle en vérité universelle par le biais d’une écriture qui n’appartient qu’à son auteur. Quant à ce qu’est ou devrait être un écrivain, les noms de Balzac, de Flaubert, de Bloy, de Larbaud, de London, de Proust et de Céline, me viennent spontanément aux lèvres. En quelque sorte, des saints et martyrs de la littérature qui ont sacrifié la vie à l’impératif de l’œuvre.  L’écrivain autrichien Thomas Bernhard a magnifiquement dressé le portrait de l’écrivain absolu et dressé l’inventaire des exigences auxquelles il doit répondre : «  Ce dont vous avez besoin c’est tout simplement de la vie même, de la beauté et de la flétrissure du monde, du combat intérieur auquel doivent vous mener votre propre faim et votre propre flétrissure […] ce qu’il vous faut ce n’est pas des prix d’encouragement, des bourses ou des assurances sociales ; c’est le déracinement de votre âme et de votre chair, la désolation, la déréliction quotidienne, le gel quotidien, l’impasse quotidienne, le pain pas plus que quotidien, qui ont engendré autrefois des créatures aussi magnifiques et misérables que Thomas Wolfe, Dylan Thomas et Walt Whitman… » Tout est dit…

41lwMbNoGPL._AC_UL320_SR210,320_.jpgY-a-t-il une forme littéraire particulière qui vous touche plus que les autres (poésie, théâtre, roman, épopée) ?

Tout dépend du moment et, parfois, du lieu. Il est des heures où ma préférence va à la poésie, d’autres où le roman s’impose, certaines où j’ai envie de théâtre. La littérature est un banquet qui excède l’appétit du lecteur le plus vorace. Cela dit, j’aime particulièrement les livres inclassables, qui transgressent les genres et les catégories usuelles de la littérature, comme les Vies imaginaires de Marcel Schwob, les recueils d’aphorismes de Lichtenberg ou de Cioran, les Papiers collés de George Perros, les Petits traités de Pascal Quignard, les livres de W. Sebald, les journaux-essais de Jean Clair…

Y-a-t-il encore aujourd’hui des écrivains qui trouvent grâce à vos yeux ? Pouvez-vous en évoquer un ou deux et dire pourquoi ils retiennent votre attention ?

Prétendre que le paysage littéraire actuel est un désert relève d’une vision partiale ou fausse. Comme tout phénomène vivant, la littérature passe par des phases de vitalité et de stagnation. Nous ne sommes pas dans une période d’apogée, certes, comme durant l’entre-deux-guerres ; nous ne pouvons même pas nous flatter d’un renouvellement des formes littéraires, même s’il fut formaliste et finalement stérile, comme dans les années 1960 avec l’école du « Nouveau Roman ». Cela dit, les bons écrivains ne manquent pas, qui expriment dans une langue à nulle autre pareille un univers à eux. Je me contenterai de citer, Milan Kundera, Pascal Quignard et Richard Millet, au risque d’être injuste envers d’autres.

vendredi, 08 janvier 2016

Review: The Glass Bees by Ernst Jünger

Review: The Glass Bees by Ernst Jünger

Ex: http://the-electric-philosopher.blogspot.com

Thanks to Rowan Lock for the biographical details, and general assistance with writing.

You can get hold of the copy of The Glass Bees I read here.
 
glassbees.jpgErnst Jünger was one of the true luminaries of the intellectual Right in the 20th century. A popular hero of the First World War, famous for his memoir of the conflict entitled The Storm of Steel, he became aligned with the German conservative revolutionary movement in the interbellum years, and as such advocated a radical, authoritarian, militarist nationalism. This being said, he never made the fatal gesture Heidegger made, and was never associated with National Socialism; his relationship with Nazism began as coolly ambivalent, progressing into antipathy and finally open hostility (he was even peripherally involved with 20 July Plot to assassinate Hitler). This being said, his contribution to political theory outside his initial context was, essentially, minimal. However, he was regarded as a figure of great literary stature in post-war Europe. He was a prolific novelist, and his incredibly long lifespan (over a century) gave him an enviable vantage point to comment from: he was a grown man when the German Empire collapsed, he was present during the rise and fall of the Third Reich, and lived to see the reunification of Germany (comfortably outliving the German Democratic Republic). His fans included a variety of contradictory figures, including Hitler, Goebbels, Francois Mitterand, Thomas Mann and Bertolt Brecht. As well as writing, he was also a well-educated botanist and entomologist. He was even one of the very earliest experimenters with LSD. He was a man who embodied the very paradoxes and contradictions of recent European existence.
 
The Glass Bees is a novel about Captain Richard, a retired cavalryman-turned-tank-inspector. He's been offered an interview for a job working for Zapparoni, a technology magnate who embodies the Zeitgeist of modernity perfectly, and is depicted almost as a synthesis of Walt Disney and Steve Jobs, only infinitely cooler. Zapparoni's company makes the finest automata in the land, but these aren't the clunky mechanoids you might expect, they're rather more like the kind of tech that we have here-and-now. They are modest, ubiquitous, labour saving devices, tiny robots performing a host of domestic and industrial tasks. That isn't the limit to Zapparoni's vision though, he is also a purveyor of cinematic products, his automata bringing characters from myth and legend to all-too convincing life (in other words, animatronics). The vividness of the distractions he produces is, however, somewhat disquieting: 
 
Children, in particular, were held spellbound [by his films]. Zapparoni had dethroned the old stock figures of the fairy tales...Parents even complained that their children were too preoccupied with him.  
 
Richard is not a man of his time, arguably like Jünger himself. He harks back to the glory days of warfare and conflict that still felt human, battles fought with flesh and steel, and not simply with mechanisms and calculations. He feels a particular disgust at the kind of dismemberment produced by the technics of modern warfare, remarking that one doesn't find any stories of amputated limbs in the Iliad. That statement in particular becomes eerily prescient of the image of today's soldier wounded by an IED in one of our misadventures in the Middle East, missing an arm or a leg, but still alive: Richard mourns the loss of wars that killed you cleanly. Richard's world is one that has been plunging into chaos and uncertainty since his youth, when his country, Asturia, was plunged repeatedly into war, including civil war. He is a man whose principles were formed in a world now lost, and the one he finds himself in does not feel like an improvement.
 
[My father] had led a quiet life, but at the end he hadn't been too happy either. Lying sick in bed, he said to me: "My boy, I am dying at just the right moment." Saying this, he gave me a sad, worried look. He had certainly foreseen many things.
 
glassbees222.jpgThis is a deeply reactionary novel, and doesn't make for easy reading. Jünger's writing meanders, straying into lengthy digressions into his narrator's memory; his pace is languid, virtually glacial in fact. Although his prose is beautiful, even poetic, it feels incredibly indulgent and is often, frankly, dull. Very little happens as such in the novel, the bulk of it simply being Richard's recollections. And yet, what is curious is how this achingly slow piece of writing is able to convey the sheer speed with which modernity did away with the old world. The narrator, like Jünger, grew up in a world were the horse was still yet to be rendered obsolete by the automobile. 
 
Jünger's clear concern is that technological progress will injure humanity very, very deeply.
 
Human perfection and technical perfection are incompatible. If we strive for one, we must sacrifice the other...Technical perfection strives toward the calculable, human perfection toward the incalculable. Perfect mechanisms...evoke both fear and a titanic pride which will be humbled not by insight but only by catastrophe.

What is curious here is that before the Second World War, Jünger advocated Germany's complete embracing of the technological age as the only way it could find victory in the next war. He felt that it was Germany and Austria-Hungary's traditional, aristocratic hierarchy that prevented it from being able to properly mobilise itself in the total way the more levelled, egalitarian societies of the democracies were capable of doing (he discusses this in his work Total Mobilisation), and only by accepting the levelling effects of technological modernity could Germany once again find itself triumphant. Perhaps by the time of writing The Glass Bees Jünger had simply become disenchanted with the fury of warfare.

Elsewhere Richard, and maybe Jünger, speaks of the loss of the simple 'joy' of labour, of working the earth, of harvesting crops, of the well-deserved rest at the end of the long day, and how this has been traded in for labour that is certainly easier, and leisure time that is longer, but doesn't carry the same weight of satisfaction. The fear that we have lost much and gained little except damnation in return is the central theme of this book.

Zapparoni himself, in fact, has utilised his vast wealth and power to create a private world at first seemingly devoid of the artefacts that have made his name. He has a residence located within the grounds of his plant (which Bruce Sterling, in his introduction, remarks is not dissimilar to the campus feeling of Silicon Valley) in the form of a converted abbey. Richard explores its private library, finding books on Rosicrucianism and other occult sciences, and is later sent down the path to a cottage that comes close to the very Platonic Form of idyllic country residences. What is curious here is that this retreat from modernity has only been made possible by Zapparoni's very success at the practices and theories that Richard feels have destroyed the simple authenticity of the old world. How might this be read? Perhaps Jünger is suggesting that the only way back into the world that has been lost is to pass through the modern one, presuming we are capable of surviving it, and to use its mechanisms and ingenuity to recreate a new version of the old.

There's a feeling of resignation in this novel. Jünger isn't really calling on us to take up arms against the machines. His constant allusions to astrology suggest that he feels that what we now find ourselves in was, somehow, inevitable. It is our bad luck to find ourselves in the midst of it, but a way out might be found if we can weather the storm of the new. This being said, Richard repeatedly describes his attitude as 'defeatist'. Perhaps the more subtle suggestion Jünger is making here is that things only became inevitable when we decided we can't stop them.

I'm left feeling torn by this book. I share Jünger's concerns about the insidious nature of these devices we're now surrounded by, and yet the past he (or Richard) is seemingly appealing to is one that is forever out of reach, and if we were to find ourselves in it, it wouldn't be what we wanted. Consider the above statement about how now modern war doesn't kill one cleanly, that we now have the mutilated, dismembered wounded: we can equally well read this as 'Human technical ingenuity is now such that it can protect us, admittedly only limitedly, from the extremities of human malice.'

The question posed by modernity is one that has not yet had a satisfactory answer. Indeed, the question itself has yet to be fully formulated. Jünger's contribution to understanding the condition that we find ourselves in is an important one. If nothing else, he can remind us how incredibly recent all of this still is. Up until only very recently, there were people alive who'd fought in the war of Kings, Kaisers and Tsars, witnessed the rise of all the great and terrible varieties of attempted Utopia the last century produced, saw a human being walk upon the surface of the Moon (an image which disturbed Heidegger no end), and died in the age of Facebook.

It really is anyone's guess where this will all lead.

2016 Reading List Progress

List 1:
 
1. The Glass Bees by Ernst Jünger
2. Sacred Drift: Essays on the Margins of Islam by Peter Lamborn Wilson
3. Notes from the Underground by Fyodor Dostoyevsky
4. United States of Paranoia by Jesse Walker
5. Axiomatic by Greg Egan 

lundi, 21 décembre 2015

Le post-apocalyptique selon Barjavel

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Le post-apocalyptique selon Barjavel

René Barjavel s’est illustré comme l’un des premiers auteurs de science-fiction moderne, même si le terme n’existait pas encore en France à la sortie de Ravage en 1943. Les thématiques présentes dans ses deux œuvres principales tournent toujours autour de la destruction de l’Homme par l’Homme. Ravage et Le Diable l’Emporte, lequel est sorti en 1948 – et sera son dernier roman post-apocalyptique – permet d’appréhender toute la lucidité de l’auteur, aussi bien du rôle de la littérature de genre que son degré d’anticipation. Privilégiant le cadre « maximaliste », les romans de René Barjavel interrogent le réel. Servis par un humour noir, leur cynisme n’a d’égal que leur inquiétante pertinence. Anticipant des années à l’avance les OGM, l’organisation de la société au début des années 1960, le postulat de Barjavel est de considérer l’homme moderne comme un être impotent, incapable de vivre sans l’assistance du confort technologique des sociétés développées, contre lequel il oppose un mode de vie ancien, proche du romantisme barrésien.

LA DÉCADENCE DU PROGRÈS

René Barjavel, dans Ravage, décrit largement la décadence des sociétés dites de « progrès ». On n’y voit qu’une France peuplés de robots, pour reprendre le mot de Georges Bernanos, vivant par et pour l’hédonisme. Seuls comptent les plaisirs et les modèles imposés par le centralisme culturel de ce monde moderne, en négatif du monde paysan dont les citadins ignorent presque l’existence tant il incarne pour eux un vague vestige d’un monde à tout jamais révolu. On y retrouve pêle-mêle l’illustration de ce que dénonçaient déjà Bernanos, puis Malaparte, et plus largement ce que dénonceront Malraux et Pasolini moins d’une vingtaine d’années plus tard.

Cette décadence du progrès sert d’accroche pour le post-apocalyptique selon Barjavel, qui cherche à expérimenter le comportement de pareils individus dans une situation aussi désastreuse que la fin du monde, du moins tels que ses personnages le connaissent.

ravage.jpegL’intérêt de Ravage et de Le Diable l’Emporte est de constater qu’en à peu près cinq années d’écart, le propos de Barjavel ne change pas, mais s’aggrave. Dans les deux cas, il décrit l’assimilation du « progrès » au « développement » comme cause de l’acculturation, et de l’impotence des individus. La société d’après-guerre, en pleine reconstruction et porteuse des futures Trente Glorieuses mais aussi de l’hégémonie du Marché, ne fait que confirmer la vision que nourrissait Barjavel dans son premier roman. En effet, dans son dernier roman, Barjavel explore plus volontiers l’utilitarisme de la société de consommation, ou les choses de la nature sont transformées pour répondre aux exigences du Marché, sous couvert d’intentions humanitaires bien sûr.

Toute cette critique acerbe prend corps grâce au talent de Barjavel de façonner et inventer un support technologique qui, nous l’avons dit, affirme la lucidité de l’auteur. Ravage et Le Diable l’Emporte anticipent brillamment toutes les technologies qui aujourd’hui nous paraissent des plus banales ; qu’il s’agisse de la télévision que des logiciels permettant de basculer de la programmation à la téléconférence comme Skype nous le permet aujourd’hui, de l’invention du « plastec » comme matière hybride permettant tout et n’importe quoi, et bien sûr des avancées scientifiques qu’il imagine dans ses récits comme un Jules Verne en son temps lorsqu’il imagina l’utilisation de l’électricité pour faire fonctionner le Nautilus.

Mais alors que nous pensons toujours que l’accroissement technologique, et le confort qu’il apporte ne nous incite plus qu’à consommer pour être heureux, Barjavel prit le contrepied de ce paradigme pour avertir sur le caractère acculturant et assisté d’un tel système. Il y oppose alors une vision radicalement opposée, issue directement d’un romantisme banni dans les sociétés désenchantées par le modernisme.

LE PROGRÈS DE LA DÉCROISSANCE

Dire de Barjavel qu’il serait décroissant n’est pas chose audacieuse pour quiconque l’a lu. La Science-Fiction, et le post-apocalyptique en particulier, lui permettent d’interroger la pertinence des postulats de son époque, dont il soupçonnait le futur succès dans les esprits et les cœurs. Ravage et Le Diable l’Emporte se découpent en trois parties chacun, et reprennent du reste une structure très similaire. L’exposition d’un monde décadent de progrès, comme nous l’avons expliqué ci-dessus, puis l’apocalypse elle-même comme élément perturbateur qui entame la deuxième partie qu’est la fuite, et enfin une conclusion portant le message final de l’auteur, comme une morale dans une fable de La Fontaine.

barjaveldiable.jpgL’apocalypse en elle-même, ou son caractère imminent et inévitable, permet de contempler l’échec de l’homme moderne, et de la modernité telle que la conçoivent les grands objecteurs de conscience nous expliquant qu’on était forcément plus bête avant. Le Diable l’Emporte va plus loin que Ravage en cela, puisqu’il fait étalage de la course à l’armement dans toute sa dimension autiste et autodestructrice, outre les manipulations du vivant, mais c’est son premier roman où la conclusion est la plus acerbe. Barjavel joue de l’opposition Progrès/Décroissance (pour simplifier les choses) tout au long de Ravage, et clôt son roman sur l’épanouissement d’une société nouvelle revenue aux us et coutumes des anciens, proche en cela d’un romantisme barrésien, quoiqu’exacerbé, puisque la mécanique elle-même est rejetée par le protagoniste vieillissant et chef d’une lignée à la fin de l’histoire. Pareil romantisme est perceptible dans l’Enchanteur, où le style de Barjavel traduit une certaine exaltation a faire vivre sous sa plume l’imaginaire arthurien, comme un véritable hommage et non par atavisme.

Dans Le Diable l’Emporte, l’espoir suscité par la fin de Ravage disparaît presque. Barjavel infléchit son paradigme en évacuant l’opposition entre le monde de progrès et le monde paysan. Le modernisme envahit tout, abjure tout. Mais contrairement à Ravage aussi, Barjavel incorpore les sentiments humains dans Le Diable L’Emporte en opposition à ce modernisme dévoreur, et l’on pourrait rétroactivement lui attribuer la citation suivante de Pasolini : « Le fond de mon enseignement consistera à te convaincre de ne pas craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides adorateurs de fétiches »

Parce qu’effectivement, Le Diable L’Emporte, s’il considère que le nouveau modèle social émergent de l’après-guerre absorbera aussi cette ruralité à laquelle il tenait, René Barjavel lui oppose cette « sacralité des sentiments », et même au sens propre, puisqu’après tout, Le Diable l’Emporte commence par une question ; que se passerait-il si Dieu se lassait de sa création, ou le Diable de son passe-temps favoris ? La conclusion répond à cela (mais nous ne vous la révèlerons pas pour ne pas vous gâcher le plaisir de découvrir ce roman), avec plus de subtilité que Ravage, mais reste barjavélienne en ne laissant aucune issue claire sur le sort de l’humanité.

dimanche, 13 décembre 2015

A l’école de la nuit

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A l’école de la nuit

« Cette année-là, je cessai de dormir » : roman hommage à la faune nocturne du Paris des années 50, Les gens de la nuit, que Michel Déon publia une première fois en 1958 chez Plon, vient de reparaître à la Table Ronde.

Un ami avec lequel je m’entretenais des Gens de la nuit de Michel Déon que les éditions de la Table Ronde viennent de faire reparaître, m’éclaira par une heureuse formule sur le sentiment que j’éprouvai lors de sa lecture, et sur lequel je ne parvenais pas à mettre de mots : « c’est son livre le plus raté, mais c’est aussi celui que je préfère »

Il est en effet de ces livres – au rang desquels je placerai par exemple L’humeur vagabonde d’Antoine Blondin, ou dans une autre veine Ecrits sur de l’eau de Francis de Miomandre – dont on ne peut nier les lacunes de style, le déséquilibre de certaines phrases, ou encore le désordre de la trame narrative, et qui pourtant nous touchent au point de ne jamais les prêter, même à nos plus chers amis, sans une pointe d’inquiétude, et qui pourtant sont ceux dont on aime à relire les plus belles pages pour se consoler d’un chagrin ou d’une mélancolie, et dont pourtant nous savons par cœur des passages entiers ; et c’est parmi cette sorte de livres si rares et que leurs défauts rendent si précieux, que je rangerai, bien en évidence dans ma bibliothèque, Les gens de la nuit de Michel Déon.

Le monde appartient à ceux qui se couchent tard

Cela fait des semaines, des mois peut-être, que Jean Dumont, fils d’académicien et naufragé de l’amour, décida de troquer son sommeil contre le Paris de l’aube et des rencontres nocturnes, les bars de Corses de la place Pigalle et les boîtes de nuit « pour sexualité indéterminée », les pieds de cochons rue Montmartre à l’aurore, et les nuits d’amour avec Gisèle, une belle noctambule vaporeuse et toxicomane.

Ombre errante parmi les ombres de la nuit, Jean, cœur déchiré par un amour défunt (nous sommes dans un roman de Michel Déon), déambule dans le Paris des années 50, celui des « phonos et des disques, des séminaristes ‘’indochinois’’ et des voitures décapotables », en quête de ses semblables, qu’il reconnaîtra derrière les traits de Michel, ancien SS reconverti en peintre à succès puis en cracheur de feu, et en Lella, amante de Michel et militante communiste recherchée par la police.

A la dérive

micheldéongdln.jpg« Le difficile est de faire le gris » estimait Aragon à propos du travail du romancier : ne pas grossir les traits mais ramener les individus à des proportions qui sont celles de la vie du lecteur. Il semble bien que Michel Déon fasse sien dans Les gens de la nuit l’art poétique de l’auteur des Beaux quartiers, tant son narrateur, fantôme perdu dans les brumes mélancoliques du Paris de l’après-guerre, tient du personnage d’Aurelien, cet ancien combattant de la guerre de 14 écrasé par le « nouveau mal du siècle » que diagnostiqua Antoine Blondin dans son article « Cent ans de Mal du Siècle ».

Ainsi, si un même incurable mal de vivre relie nos deux personnages qu’une guerre sépare, le personnage de Jean Dumont nous remémore également le Michel de Clair de femme (Romain Gary), ou l’Olivier Malentraide des Enfants tristes (Roger Nimier), ces anti-héros boiteux et tendres, ravagés par une grande blessure d’amour ou par une grande blessure de l’Histoire, et que la nuit sauve et démolit.

Mais c’est surtout de salut dont il est question dans Les gens de la nuit : et c’est bien au fil des improbables rencontres qui rythment désormais son quotidien nocturne, et dans les regards cernés des noctambules fraternels et désemparés de Montparnasse et de Montmartre, que Jean, à l’instar du narrateur tâtonnant d’Un taxi mauve, parvient à peu-à-peu retrouver le chemin qui conduit à la lumière du jour, et à l’oubli définitif de celle qui le jeta dans les bras de l’obscurité.

« A ma fenêtre, comme la veille, je me suis attardé encore un moment à épier la nuit de Paris que j’allais bientôt quitter. Des vies ténébreuses et des vies claires s’y heurtaient. Si grande que fut, à cette heure, ma tristesse, rien ne pouvait m’empêcher de penser que nulle part ailleurs je ne trouverais cette minute de vérité, cette seconde d’exaltation qui vous empoignent quand la ville se secoue et rejette son manteau d’ombres : façades grises et boulevards jalonnés de poubelles, mais aussi Notre-Dame et la Sainte-Chapelle profilées sur un ciel cotonneux »

Ici c’est Paris

Roman de la mélancolie de vivre et roman de la guérison, Les gens de la nuit n’échappe pas, malgré quelques négligences d’écriture, au charme désuet et insistant du style et de l’univers du dernier des Hussards

Roman-hommage à la faune nocturne d’un Paris aujourd’hui disparu, roman de la mélancolie de vivre et roman de la guérison, Les gens de la nuit n’échappe pas, malgré quelques négligences d’écriture, au charme désuet et insistant du style et de l’univers du dernier des Hussards. On se souvient du mot d’Eric Neuhoff au sujet de l’académicien : « Les livres de Déon furent notre cour de récréation. Nous y avons appris à jouer, à vivre, à aimer. » Puisse donc cette formule s’appliquer aussi à notre génération, tant il est plaisant d’apprendre à vivre et d’apprendre à jouer au fil de la plume de l’auteur d’Un taxi mauve, dans les petits villages du Connemara hantés par des princesses allemandes et dans les bistrots auvergnats des Halles où l’on sert après minuit des saucisses chaudes et de la bière, à l’école de la mélancolie, de l’amour et de la nuit :

« Et c’est l’essentielle attirance de la vie nocturne que ces amitiés soudaines qui naissent, brûlent et se consument en quelques jours. Paris venait de s’en montrer merveilleusement prodigue pour moi. Ses ténèbres recelaient quantité de personnages blafards et farfelus, débordant de confidences. L’aube les effaçait à jamais, et plus d’une fois, j’avais cru atterrir dans une ville nouvelle, différente de celle qui servait de décor à des fantômes aux voix enrouées. Cette sensation était très lassante et très réconfortante, lassante parce que je ne savais déjà que trop combien étaient éphémères les magies du noctambulisme, réconfortante parce que retrouver le vrai Paris, c’est encore me reconnaître au nombre des vivants. »

  • Les gens de la nuit, Michel Déon, La Table Ronde, 186 pages, 17 euros, mai 2015
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samedi, 28 novembre 2015

Le crépuscule de la paysannerie dans Le Médecin de campagne de Balzac

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Le crépuscule de la paysannerie dans Le Médecin de campagne de Balzac

En 1833, Balzac publie Le Médecin de campagne, l’un des romans les plus singuliers de la Comédie Humaine dont l’intrigue laisse entrevoir la fin du monde paysan traditionnel.

Le décor est planté dans la première moitié du XIXe siècle, en 1829. Le colonel Pierre-Joseph Genestas, vétéran des armées napoléoniennes, rencontre un médecin de campagne du Dauphiné, à quelques lieues de Grenoble. Le premier contact entre ces deux bourgeois est amical et, rapidement, ils se confient l’un à l’autre. Le médecin, qui est aussi le maire de la ville, évoque ses victoires et ces dix ans qu’il a passés à développer le bourg pour que « la circulation de l’argent fasse naître le désir d’en gagner ». À son arrivée, le lopin de terre était misérable, la réputation de la province sans rayonnement, et les paysans, hermétiques au progrès. À force de pugnacité, ce bourg s’est transformé en une petite ville dynamique à l’économie florissante : explosion de la natalité (passant de 700 à 2 000 âmes), création de routes pour favoriser le commerce, développement de l’industrie…

Mais l’« ami des pauvres », comme l’appellent à tort les paysans, n’est pas qu’un tacticien pugnace. Celui-ci se montre aussi particulièrement dédaigneux à l’égard des hommes de la terre. Le docteur Benassis considère que ceux qui « croupissaient dans la fange et vivaient de pommes de terre et de laitage » doivent être éduqués. Homme providentiel auto-proclamé, il s’est donné pour mission d’imposer sa vision du monde. « Je résolus d’élever ce pays comme un précepteur élève un enfant », raconte-t-il. Évoquant l’« incapacité de penser » des paysans, il les infantilise pour imposer son propre modèle qu’il considère comme supérieur.

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Sa solution est toute trouvée : en faisant des agriculteurs des consommateurs comme les autres, Benassis espère voir éclore une économie de marché toute puissante, quitte à réduire la terre, fondement du monde paysan, à un simple moyen de production.

La terre, comme unique bien du paysan

En hébreu la racine du mot « Terre », Adama, est la même que celle du mot « Homme », Adam. Ce lien, révélé dans la Genèse, souligne le fait que l’homme naît de la terre et retourne à la poussière. Ces racines communes expriment combien ces deux entités sont indissociables symboliquement et combien elles se nourrissent mutuellement. Pareillement, l’identité paysanne naît de la relation fondamentale que l’homme entretient avec la terre. La terre est le seul seigneur du paysan et Benassis le saisit lorsqu’il déclare à Genestas : « Le travail, la terre à cultiver, voilà Le Grand-Livre des Pauvres. »

Incarnation de cette bourgeoisie hors-sol, le médecin de campagne ne comprend pas l’attachement du paysan aux lieux dans lesquels il s’enracine. « Quelque insalubre que puisse être sa chaumière, un paysan s’y attache beaucoup plus qu’un banquier ne tient à son hôtel », confie-t-il à Genestas. Cette incompréhension participe de son dédain du monde paysan.

Le nom que porte le premier chapitre du livre n’est pas anodin. Cette entrée en matière où l’on suit les pérégrinations du médecin accompagné par le militaire s’intitule « Le pays et l’homme ». Il exprime cette déliaison, ce projet en sous-bassement puisque Benassis impose une logique économique toute-puissante. La rupture entre le pays et l’homme correspond à ce à quoi le médecin de campagne fait référence lorsqu’il se dit prêt à « froisser pour accomplir le bien ». Il est impossible de propager des méthodes d’agriculture moderne, de faire du monde un grand marché, sans détériorer ce rapport entretenu avec la terre. Or, la terre, comme les frontières qui la délimitent, figure comme une façon d’enraciner l’homme dans un espace et dans un temps singulier, qui le définissent.

Pour transformer le paysan en consommateur et accomplir ses projets économiques, Benassis essentialise la terre en une matière première qu’il convient d’exploiter. Cela, selon la logique d’Adam Smith dans La Richesse des Nations qui considère la terre comme un simple facteur de production, au même titre que le travail ou le capital. C’est-à-dire seulement comme un moyen d’alimenter la machine économique : sa valeur est conditionnée par son prix de revient, et n’acquière de l’importance que lorsque le salaire qu’on obtient d’elle augmente. Seulement, lorsque la terre devient une valeur marchande comme une autre, elle perd son supplément d’âme.

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Perte de la terre, perte de spiritualité

Parce qu’il veut « élever » les paysans, Benassis va asseoir la domination du matériel sur le spirituel : « Le besoin engendrait l’industrie, l’industrie le commerce, le commerce un gain, le gain un bien-être, le bien-être des idées utiles. » Toute puissance supérieure est éradiquée au profit du visible, de la rentabilité et du commerce, dans une logique spéculative. Cette unique source d’« idées utiles » permet de faire naître de nouveaux besoins, à l’infini.

Il ne s’agit pas là d’un remède matériel à une condition spirituelle inaliénable, mais d’une matérialité stricte et assumée : Benassis s’engage à ce que « la circulation de l’argent fasse naître le désir d’en gagner » et fait ainsi de l’argent, non pas un moyen mais une fin en soi. C’est cette logique spéculative que dénoncera Charles Péguy au début du siècle suivant dans L’Argent : « Pour la première fois dans l’histoire du monde, les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l’argent. »

Cette perte de la dimension spirituelle de la terre, participe à l’avènement d’un nouveau dieu. En 1944, dans La Grande Transformation, l’économiste hongrois Karl Polanyi expliquera combien cette soumission de la terre aux lois du marché est l’une des grandes caractéristiques du capitalisme. Le Médecin de Campagne permet de percevoir les prémisses du capitalisme préindustriel dans la société du règne de Louis-Philippe.

jeudi, 26 novembre 2015

"1984" revisitado (otra vez y las que hagan falta)

 

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"1984" revisitado (otra vez y las que hagan falta)
 
 

Orwell no ideó un mundo terrorífico. Ya existía en la Unión Soviética, dirigida con puño de acero por Stalin, y se reproduciría como una pesadilla interminable en los países que cayeron bajo influencia de la URSS después de la Segunda Guerra Mundial. El valor de ´1984´ es haber penetrado en el fondo, la esencial naturaleza de dominación psicológica sobre la que fundamenta su poder el Gran Hermano.

JOSÉ VICENTE PASCUAL

Ex: http://www.elmanifiesto.com

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no ideó un mundo terrorífico. Ya existía en la Unión Soviética, dirigida con puño de acero por Stalin, y se reproduciría como una pesadilla interminable en los países que cayeron bajo influencia de la URSS después de la Segunda Guerra Mundial. El valor de ‘1984’ es haber penetrado en el fondo, la esencial naturaleza de dominación psicológica sobre la que fundamenta su poder el Gran Hermano. Lo horrendo de ‘1984’ no es el temor constante a la vigilancia y la delación, la represión, las torturas y la evaporación de los disidentes (aun cuando su descreencia del sistema fuese mínima, irrelevante e incluso ingenua). Lo espantoso de ese mundo descrito por Orwell es la claudicación del espíritu, la eutanasia mental que supone adherirse al sistema para librarse de sus horrores. El final de la novela es un puro escalofrío: “… él amaba al Gran Hermano”. Ese es el mal perfecto de todas las dictaduras perfectas: conseguir no sólo aplastar la disidencia sino concitar la complicidad del conjunto de la población, arrebatar el espíritu, el alma de los pueblos y los individuos, y convertirlos en míseros engranajes de un sistema que funciona porque todos sus componentes funcionan, desde el más insignificante al más poderoso.

Tanto el mundo orwelliano como su referente real stalinista, así como nuestra contemporaneidad, muestran elementos comunes de hostigamiento, dominación y sumisión de los individuos ante las estructuras incontestables del sistema, tanto las de carácter coercitivo como ideológico. El método para alcanzar ese consenso social acrítico, el acuerdo de las masas en ser expoliadas de su trascendencia espiritual a cambio de la frágil estabilidad cotidiana, se fundamenta siempre en los mismos resortes: creación de un ideario colectivo disparatado que responde a los intereses estratégicos del lo establecido; desautorización (cuando no criminalización) de quienes disienten de dicho ideario; manipulación de la conciencia de las masas mediante el control de los medios de comunicación, tanto en lo que concierne a la información como a la propaganda sobre el supuesto bien común; aniquilamiento de la capacidad individual de oposición al discurso dominante; reescritura de la Historia conforme a un relato que se acomode a la ideología oficial.

De todo lo anterior hemos tenido sobradas muestras e inquietantes ejemplos en España, durante los últimos años. Desde los poderes del Estado se ha alimentado la hegemonía, obligatoriedad del pensamiento único, el cual, en nuestro entorno, se sostiene sobre los postulados del denominado “buenismo”, la doctrina de la llamada “izquierda angélica” y lo “políticamente correcto”. Denunciar ahora la clamorosa entrega de los medios de comunicación a los intereses partidistas (cada cual en su trinchera), y al sistema en general (en el fondo y en la práctica no hay diferencias esenciales entre las sedicentes posiciones de “izquierda” y “derecha”), sería tan inútil como reiterativo. La prensa, TV y demás medios, incluido Internet, son herramientas incansables de adocenamiento y adoctrinamiento, el referente ideológico inmediato que necesitan las masas desprovistas de identidad y criterio para reconocerse “buenos ciudadanos”. Sobre la reescritura de la Historia, entre la absurdidad de la Ley de Memoria Histórica y las fechorías doctrinarias de los nacionalismos que se perpetran en las escuelas, tenemos bastante muestra.

Hay diferencias, sin embargo, entre el stalinismo, el horror aplastante que imaginó Orwell y nuestra inmediata fenomenología social. La Unión Soviética era un país dirigido por el PCUS, autoproclamado “vanguardia del proletariado”, en tanto las sociedades occidentales contemporáneas se encuentran gobernadas y moralmente dirigidas por la pequeña burguesía, quien cumple perfectamente su función de elemento amortiguador entre las contradicciones y conflictos inherentes al modo de producción capitalista. La burguesía financiera/especulativa ha suplantado el papel dirigente de la burguesía productiva, de tal manera que los intereses de aquella pueden ser fielmente representados por la pequeña burguesía (urbana sobre todo), bajo la pretensión candorosa y bastante mojigata de que es posible construir “un mundo mejor” sobre el acuerdo en principios democráticos, solidarios y bienintencionados. El sueño pequeño burgués de una sociedad cuasiperfecta se fundamenta en la caritativa presunción de que es posible una economía capitalista como motor económico, por tanto básico, de una sociedad que no padezca los inconvenientes del capitalismo (desempleo, precariedad laboral, pobreza, injusticia distributiva…); todo ello dirigido y gestionado por políticos “honestos” y bendecidos por una ejemplar sensibilidad social. En suma: una patraña agradable para mentes dóciles y conciencias aletargadas en el limbo progre-cristianoide donde habitan la mayoría de nuestros conciudadanos.

El proletariado es (más bien era) una clase social con unos intereses históricos objetivos y concretos, al igual que la burguesía. Por tanto, su compendio doctrinal se expresaba en “ideologías fuertes”, cosmovisiones totalizadoras que implicaban alternativas estratégicas y tácticas orientadas a la toma del poder y la transformación radical de la sociedad, lo que equivaldría a una inversión absoluta del sentido de la Historia. Por el contrario, la pequeña burguesía es una excrecencia social desubicada, sin un referente estable en los vaivenes coyunturales de la lucha de clases, sin “ideología propia” por así decirlo. De tal forma, el cuerpo teórico del pensamiento único (la forma de dominación más eficaz ideada por el sistema a lo largo de los siglos), es un largo, tedioso, a menudo aberrante inventario de buenas intenciones obligatorias, así como de comportamientos reprobables que están prohibidos o deberían estarlo. El ‘1984’ actual, paradójicamente, no hunde sus raíces teóricas en una visión del mundo “fuerte”, radical y asentada tanto en la hegemonía ideológica como en el poder que nace “de la boca del fusil”; el occidente contemporáneo se encuentra dominado y se muestra sumiso a una ficción lábil, esquematizante por lo pueril, a menudo ridícula y tenaz como suelen mostrarse obstinados los pazguatos de este mundo, empeñados en sostener ideas descabelladamente candorosas que consideran brillantes “valores propios”. No cabe discusión con este pensamiento único porque debatir con los necios es tarea vana. No cabe oposición eficiente porque los mismos necios y sus gestores estratégicos se muestran admirablemente hábiles para imponer la “muerte civil” a quien manifieste disidencia.

La simpleza y la fealdad, la histeria feminoide de los pequeño burgueses horrorizados por las fechorías del capitalismo, la ideología grosera de las masas embrutecidas y sus agentes propagandísticos, en alianza ultimista con un sistema que condena a la explotación y extinción de su conciencia a millones de ciudadanos, constituyen el moderno ‘1984’.

Contra ello, no cabe más posición crítica que la enunciada a mediados del siglo XX por un venerable teórico, pedagogo argentino: “Al viejo mundo no se le discute: se le combate”. Cómo hacerlo es parte de otra asignatura, por así decirlo, que va mucho más allá de las pretensiones de este breve artículo.

 

Editorial EAS

Orwell, viviendo el futuro y recordando el pasado

mercredi, 25 novembre 2015

"DOMINIQUE DE ROUX, APPROCHES D'UN AVENTURIER LITTERAIRE ET POLITIQUE"

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"DOMINIQUE DE ROUX, APPROCHES D'UN AVENTURIER LITTERAIRE ET POLITIQUE"

Ce vendredi, Méridien Zéro aborde la vie d'une figure contemporaine et trop méconnue de la littérature en la personne de Dominique de Roux, auteur mais aussi aventurier aux engagements politiques affirmés. Pour évoquer cette vie bien remplie, Olivier François reçoit Pierre-Guillaume de Roux, éditeur, qui est le fils de Dominique de Roux et Julien Meynaut.

Aux commandes du studio volant, Gérard Vaudan.

 

lundi, 23 novembre 2015

Filip De Pillecyn een linkse rechtse?

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Door: Dirk Rochtus

Ex: http://www.doorbraak.be

Filip De Pillecyn een linkse rechtse?

'De Prins der Nederlandse Letteren' was een cultureel collaborateur, maar hij had ook linkse trekjes. Een nieuwe kijk op Filip De Pillecyn.

De schrijver Filip De Pillecyn (1891-1962) mag dan wel in vergetelheid geraakt zijn, het naar hem genoemde comité onder het voorzitterschap van professor Emmanuel Waegemans probeert de belangstelling voor zijn werk aan te wakkeren, onder andere met de publicatie van een jaarboek. Toch draagt ook de politieke context waarin De Pillecyn zich bewoog, zeker niet bij tot een beter begrip van hem. De Pillecyn wordt afgerekend op datgene waarin zijn politieke en publicistische activiteiten in de jaren 40 waren geculmineerd, namelijk de collaboratie. Moet dan álles wat daaraan voorafging, – het denken, schrijven, organiseren van na de Eerste Wereldoorlog – in het licht van die collaboratie gezien worden?

filimensen04_x.jpgZelfbestuur

Bracht De Pillecyn niet een pacifistische overtuiging mee uit de loopgraven van de Eerste Wereldoorlog? Als medestichter van het Comité Heldenhulde, voorloper van het IJzerbedevaartcomité, bekommerde hij zich om een waardige herdenking van de gesneuvelde frontsoldaten. Op de IJzerbedevaarten in de jaren 20 en 30 vertolkte hij luid de verzuchting 'Nooit Meer Oorlog'. Ook andere gedachten van hem hebben aan actualiteit niets ingeboet. Als medeoprichter van de Frontbeweging bepleitte hij samen met Hendrik Borginon in het pamflet 'Vlaanderens dageraad aan den IJzer' zelfbestuur voor Vlaanderen binnen een federale structuur – toen nog een hemelsgroot taboe. Ook de 'godsvrede' die hij bepleitte, moet in het pluralistische Vlaanderen van vandaag nog altijd worden bevochten tegen onverdraagzame en extremistische krachten. Laten we even stilstaan bij wat we de 'internationale dimensie' zouden kunnen noemen in het werk van De Pillecyn, zijn polemiseren tegen het militarisme en tegen het opkomende fascisme, zijn geloof in democratie en wereldvrede.

'Anarchie der Wereldpolitiek'

In de Studies IX (2015) werpt Etienne Van Neygen licht op een minder bekende De Pillecyn, een zowaar als 'links' te bestempelen De Pillecyn. Van 1922 tot 1928 schreef Filip De Pillecyn het satirische weekblad Pallieter vol. Met zijn scherpe pen nam hij ondermeer generaals, Belgische nationalisten, en de Italiaanse fascistische dictator Mussolini en zijn aanhangers onder vuur. Van een antimilitaristische houding had hij trouwens al daarvoor als hoofdredacteur van De Standaard blijk gegeven. Ze kwam duidelijk naar voren in zijn verzet tegen het Frans-Belgisch Militair Akkoord. De generale staven van het Franse en het Belgische leger hadden op 7 september 1920 de clausules van een militair defensief akkoord uitgewerkt dat enkel in werking zou treden ingeval van een niet-uitgelokte aanval op een van de twee partners. Enkele dagen later hadden de Belgische en de Franse regering door de ministers van Buitenlandse Zaken ondertekende nota's uitgewisseld waarin zij het militair akkoord goedkeurden. Het parlement kwam er niet eens aan te pas. Alfons Van de Perre, een bekende naam in de Vlaamse beweging, had tijdens de lange onderhandelingen die aan het akkoord voorafgingen een zeventiental vrije tribunes gepubliceerd in De Standaard waarvan de teneur luidde: 'Een Belgisch-Militair Verbond sleurt België willens nillens in de anarchie der Wereldpolitiek.' Inderdaad richtte België zich in zijn buitenlandse politiek door het akkoord op Frankrijk. In 1923 zou het land zich zelfs op sleeptouw laten nemen door Parijs om mee het Duitse Ruhrgebied te bezetten. De Vlaamse beweging bestreed het akkoord omdat in de woorden van Van de Perre 'Ze (= de Vlamingen) zijn overtuigd dat het de Franse invloed in Vlaanderen zal versterken.' Ook De Pillecyn liet zich in die zin uit in De Standaard van 5 september 1920: 'Men hore het goed: Vlaanderen wil niet weten van het verbond. Men mene niet dat het voldoende is met een paar mensen een papiertje te ondertekenen om ons de korporaalsrol te laten spelen bij de eerstkomende internationale verwikkelingen. Zij (...) vergeten dat het Belgisch leger in hoofdzaak wordt gevoed door Vlaamse jongens; hun weze hier dan ook herinnerd dat het Vlaamse volk, afkerig van hun verbond ... weigert zijn jongens als pand te laten dienen voor de voorgenomen overeenkomst. Nooit meer dan bij deze gelegenheid heeft men uit het oog verloren dat Vlaanderen in België ligt ....' Maar toen het akkoord eenmaal gesloten was, schreef Alfons Van de Perre nog een laatste bijdrage waarin hij zijn moedeloosheid te kennen gaf. Volgens Theo Luyckx, historicus en biograaf van Alfons van de Perre, zou er druk van hogerhand uitgeoefend zijn op De Standaard om de positie van de Vlaming Prosper Poullet (behorende tot de Katholieke Partij) als minister van Spoorwegen in de regering niet in het gedrang te brengen.

Filip-De-Pillecyndddddf.jpgGeradicaliseerd

Hier kwam De Pillecyn weer op de proppen. De dag waarop Van de Perre zijn laatste bijdrage voor de krant had geschreven, kreeg hij een brief van de hoofdredacteur waarin deze betreurde dat De Standaard niet gedaan had wat de Vlamingen van haar hadden verwacht, namelijk 'een uitdrukkelijke verklaring dat Vlaanderen weigerde de handtekening der Regering als geldig te erkennen ...en onomwonden kritiek voor onze ministers die het verbond goedkeurden.' De Pillecyn besloot zijn brief met de woorden: 'Ik acht het dringend nodig dat "De Standaard" onmiddellijk zonder aanzien van personen de campagne van verzet opent die reeds door de Frontpartij werd ingezet.' Ook Ernest Claes sloot zich bij de kritiek van De Pillecyn aan in een vrije tribune die op 20 september 1920 verscheen: 'Ik zou wel eens willen zien wat 'n gezicht onze ministers zouden opzetten zo De Standaard van morgen af een campagne begon tegen die Frans-Belgische entente ...' We zien in de brief van De Pillecyn drie gedachten opduiken die zijn politieke opstelling in de jaren 20 karakteriseren: antimilitarisme, verzet tegen Frans imperialisme en kritiek op het establishment ('onze ministers'). De onderliggende toon vormde zijn geradicaliseerd Vlaams-nationalisme. Zo vond hij De Standaard te minimalistisch en te nauw aanleunend bij de Katholieke Vlaamse groep in de Kamer. Na een meningsverschil met directeur Frans Van Cauwelaert verliet hij in 1922 dan ook de krant.

Antimilitarisme

Filip De Pillecyn zou zijn journalistieke pen echter niet laten rusten en stichtte nog datzelfde jaar het satirische weekblad Pallieter. Hier kon hij zich als 'een echte satiricus en polemist' ontpoppen zoals Rik Van Cauwelaert in zijn bijdrage 'De journalist Filip De Pillecyn' schrijft. Nog volgens dezelfde auteur gaf De Pillecyn blijk van 'onbesuisdheid' en ging hij 'ook al eens uit de bocht'. De Pillecyn schuwde geen boude taal.

Toen de Duitse maarschalk Paul von Hindenburg in 1925 werd verkozen tot rijkspresident, bestempelde De Pillecyn hem als 'een professionele vechtersbaas'. Hindenburg droeg als opperste bevelhebber van het Duitse leger tijdens de Eerste Wereldoorlog inderdaad een grote verantwoordelijkheid voor de uitzichtloze slachtpartijen. Hij zou later ongewild ook een omineuze rol in de Duitse geschiedenis spelen door op 30 januari 1933 een zekere Adolf Hitler tot rijkskanselier te benoemen. Van generaals moest De Pillecyn niets hebben. Ze waren voor hem 'gesternde en gesabelde slagergasten'. Als hij de naam van maarschalk Pétain hoort, zegt hij, 'dan is er ergens een knal in de buurt en 't is mij alsof ik rondom mij moet kijken of er geen bloedplas ligt.' De verschrikkingen van de oorlog hadden van hem een pacifist gemaakt. Dat het Belgisch-Frans Militair Akkoord als 'defensief' werd gekarakteriseerd, maakte op hem geen indruk. Het verschil tussen een 'defensief' en een 'offensief' akkoord was louter theoretisch, elk militair akkoord droeg de kiemen van geweld en oorlog in zich. Zijn antimilitarisme was gekoppeld aan een geloof in de mensheid en aan kritiek op het kapitalisme. Dat was niet ontypisch voor de tijdsgeest, denken we maar het 'O-Mensch-Pathos' van de Duitse expressionisten, of aan de kritiek van revolutionairen van links en van rechts op wat ze respectievelijk kapitalisme en plutocratie noemden. Voor De Pillecyn kwam dit samen in de bevinding dat de Vlaamse strijd geen zin had als ze niet ook antimilitaristisch was: 'Vlaanderen ligt midden de mensheid; een Vlaanderen dat niet meetrilt met de mensheid, dat is het onze niet. Een Vlaanderen die (sic) zich afbeult voor een taalwet en met blij zweet de oorlog van morgen spijst met zijn legerbudget, dat is het onze niet'. Boven de hoofden van de regeerders en de militairen 'drijft de lucht van petrool, cokes, financie'. De Pillecyn zag in België een aanhangsel van Frankrijk, en het Belgische establishment rolde wat graag de rode loper uit voor een Franse president als Poincaré: 'Het was buiten de traditie een vreemd Staatshoofd in het Parlement te ontvangen. Maar voor Frankrijk is er in België steeds een uitzondering.' De Pillecyn onderscheidde wel tussen het Frankrijk van de politiek en het Frankrijk van de geest: Zijn Pallieter onderscheidt tussen de chauvinisten van de 'Action française' en de 'denkers vol fijne intellectualiteit'. Zo ontkracht De Pillecyn voor eens en altijd het vooroordeel als zouden Vlaams-nationalisten een natuurlijke afkeer van de Franse taal en cultuur hebben.

FilipBlauwbaard.gifIn Pallieter valt De Pillecyn ook het fascisme en het kolonialisme aan. Als pacifist verwerpt hij het wapengekletter van de fascistische leider Benito Mussolini en vanuit zijn democratische inborst fulmineert hij ook tegen het Belgische nationalisme met zijn fascistische sympathieën. Maar tegelijk had De Pillecyn een gebroken verhouding met de democratie als systeem. De totstandkoming van het Frans-Belgisch Militair Akkoord ontnam De Pillecyn het geloof in de eerlijke werking van de parlementaire democratie: 'De Regeringen, onze Theunis net zo goed als Poincaré, zorgen er eerst voor dat zij een meerderheid hebben die op voorhand ja heeft gezegd.' Rik Van Cauwelaert beschrijft in zijn bijdrage hoe De Pillecyns afkeer van het parlementarisme alleen maar toenam, en hoe de journalist en auteur daarin bevestigd werd door het gebrek aan ruggengraat bij vele Vlaamse volksvertegenwoordigers tegenover de opstoot in het Belgische nationalisme. Waar situeert De Pillecyn alias Pallieter zich nu ideologisch? Was hij een linkse jongen zoals Van Neygen in de titel van zijn bijdrage schrijft, en zoals zijn antimilitarisme, antifascisme en antikolonialisme doen vermoeden? Was hij een linkse die de 'afkeer voor het parlementarisme [...] naar de collaboratie leidde', zoals Rik Van Cauwelaert stelt? Of behoorde hij door dit amalgaam tot de mensen die de historicus Otto-Ernst Schüddekopf noemde: 'Linke Leute von rechts' (Linkse mensen van rechts)?

(Voordracht gehouden door Dirk Rochtus bij de voorstelling van het jaarboek Filip De Pillecyn Studies XI van het Filip De Pillecyncomité, in Beveren, 8 november 2015)

Foto: Filip De Pillecyn,  (c) collectie AMVC Letterenhuis

dimanche, 22 novembre 2015

Letteratura esoterica e Magia dell'Eros in Gustav Meyrink

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jeudi, 19 novembre 2015

Attentats: Houellebecq accuse Hollande

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Attentats: Houellebecq accuse Hollande

Ex: http://bibliobs.nouvelobs.fr

L'écrivain français a publié une tribune virulente dans le quotidien italien "Corriere Della Sera".

Michel Houellebecq est aujourd’hui à la Une du «Corriere Della Sera». Il n’est pas exactement un inconnu en Italie, son «Sottomissione», édité chez Bompiani, ayant dépassé les 200.000 exemplaires vendus.

Il n’y va pas de main morte dans ce texte, qui évoque les attentats du 13 novembre, avec ce titre accrocheur: «J’accuse Hollande et je défends les Français.» Il y déclare:

Au lendemain des attentats du 7 Janvier, j’ai passé deux jours collé aux journaux télévisés, sans réussir à détacher mon regard. Au lendemain des attentats du 13 novembre, je ne me souviens pas d’avoir allumé mon téléviseur.»

Il ajoute : «On s’habitue à tout, même aux attentats.» Puis l’écrivain égrène des souvenirs: les attentats de 1986 sont dus, dit-il, au «Hezbollah du Liban». Il se souvient de «l’atmosphère qu’on respirait dans le métro», le silence, les regards chargés de méfiance, «au moins la première semaine». Puis la normalité a repris le dessus, car «on s’habitue à tout», effectivement.

houellebecq-web-0204chcion.jpg« La France résistera, dit-il. Les Français sauront résister, sans devoir étaler un héroïsme exceptionnel, sans même avoir besoin d’un sursaut collectif d’orgueil national.» «Keep calm and carry on, sois calme et va de l’avant, poursuit Houellebecq. Oui, nous ferons ainsi (même si – hélas – nous n’avons pas un Churchill pour guider le pays).» L’écrivain juge que si les Français sont plutôt «dociles» et se laissent gouverner facilement, «cela ne veut pas dire que ce sont des imbéciles». Leur défaut est un défaut de mémoire, d’où la nécessité de la leur rafraîchir.

Alors commence la philippique houellebecquienne contre François Hollande, principal responsable de la situation actuelle à ses yeux :

Il est assez improbable que l’insignifiant opportuniste qui occupe le fauteuil de chef de l’Etat, de même que le débile mental qui accomplit les fonctions de Premier ministre, pour ne pas citer les ténors de l’opposition (LOL), se tirent honorablement de cette situation.»

En quoi consistent leurs responsabilités ? Ainsi que celles de leurs prédécesseurs, d’ailleurs ? Avant tout elles résident dans le fait d’«avoir fait des coupes sombres dans les forces de police, jusqu’à les réduire à l’exaspération, en les rendant presqu’incapables d’accomplir leur tâche». Et dans celui «d’avoir inculqué pendant des années l’idée que les frontières sont une absurdité dépassée, le symbole d’un nationalisme nauséabond», ainsi que d’avoir impliqué la France «dans des opérations absurdes et coûteuses, dont le principal résultat a été de plonger dans le chaos l’Irak puis la Libye», en attendant que la même chose se produise en Syrie.

Certes, ajoute-t-il, on ne peut oublier que la deuxième intervention en Irak, une opération militaire «criminelle et de plus idiote» a été évitée grâce à «l’intervention historique de Dominique de Villepin». Tout cela n’empêche pas une conclusion sévère: «Ces gouvernements ont échoué lamentablement, systématiquement, douloureusement dans leur mission fondamentale qui est de protéger la population française confiée à leur responsabilité.»

Mais c’est alors que le texte de Houellebecq devient élégiaque et élogieux pour cette même population française qui, elle, «n’a échoué en rien». Même s’il n’y a pas de référendum sur ce sujet, les sondages indiquent quelque chose de révélateur: 

La population française a toujours conservé sa confiance dans l’armée et dans les forces de l’ordre; elle a accueilli avec dédain les prédications de la ‘gauche morale’ (morale ?) sur l’accueil des réfugiés et des migrants et n’a jamais accepté qu’avec suspicion les aventures militaires étrangères dans lesquelles ses gouvernements l’ont entraînée.»

Conclusion  sulfureuse : «Le discrédit qui frappe aujourd’hui l’ensemble de la classe politique est non seulement généralisé mais légitime. Et il me semble que la seule solution qui nous reste serait de nous diriger lentement vers l’unique forme de démocratie réelle, je veux dire la démocratie directe.» 

Marcelle Padovani

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Une force illégitime...

Une force illégitime...

par Richard Millet

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous une chronique décapante de Richard Millet, cueillie sur son site officiel et consacré à l'invasion migratoire en cours. Ecrivain, Richard Millet vient de publier Tuer (Léo Scheer, 2015), ouvrage dans lequel il revient avec beaucoup de profondeur, après La confession négative (Gallimard, 2009), sur l'expérience fondatrice qu'il a connue au travers sa participation aux combats de la guerre du Liban...

Une force illégitime

mill331963498.jpgL’actualité, c’est-à-dire le Spectacle, abonde en déclarations et évènements dont l’accumulation suscite une zone d’incertitude entre le mensonge, l’oubli et l’indifférence, sur laquelle se fonde la politique, autre nom du Spectacle. Ainsi a-t-on peu commenté le chiffre donné par Bruxelles, la semaine dernière, à propos du nombre de migrants appelés, d’ici 2017, à aborder aux rives heureuses de l’Europe : 3 millions – le double, probablement, comme tout chiffre donné par les « instances officielles », et sans préciser s’il tient compte de ceux qu’on commence à appeler les « réfugiés climatiques », auquel  cas le chiffre devrait être multiplié par trois ou quatre, ce qui, une fois encore, me fait songer que les espaces déserts du Massif central ne resteraient plus dépeuplés.

Trois millions de migrants : trois millions de musulmans, majoritairement, qu’appelle la pompe aspirante de la grande culpabilisation occidentale, alliée aux « besoins » du capitalisme mondialisé, et qui s’ajouteront à leurs coreligionnaires déjà présents sur le théâtre des opérations, le nombre faisant déjà partie de la guerre (comme on le voit à Calais, ces jours-ci, où les « migrants » attaquent les forces de l’ordre) et celle-ci s’étendant à présent du Proche-Orient et de l’Afrique à l’Europe prétendue vieille, à propos de laquelle la Propagande préfère s’en prendre aux Européens de souche ou récemment assimilés qui n’« accueillent » pas assez volontiers les migrants et refusent de s’en laisser conter sur l’alliance objective entre l’Etat islamique, ses parrains (turcs, qataris, saoudiens) et les nations occidentales qui semblent avoir intérêt à ce que l’Etat islamique dure, lequel Etat avait, on l’oublie, récemment promis cette invasion aux « Croisés »…

millrton2435.jpgLes conséquences de ce peuplement forcé sont incalculables, l’immigration extra-européenne contribuant déjà, depuis quarante ans, à la destruction des nations qui ont donné le meilleur de la civilisation ; des nations qui ne sauraient être considérées du point de vue ethnique comme les Etats-Unis d’Amérique, quel que soit leur degré d’avilissement et de tiers-mondisation (comme on peut le constater avec le patron de Google venu faire l’aumône de 83 millions d’euros à des start-up françaises, générosité intéressée qu’on croyait réservée à l’Afrique). La question du nombre est ici démoniaque, car une force illégitime que le « sens de l’histoire » tente de faire passer pour irrésistible. J’élève là-contre une voix solitaire, refusant de voir la culture (et non « ma » culture) sacrifiée à ce nombre qui arrive avec ses lois, son code civil, son refus de s’assimiler. Je refuserais de voir, comme au Canada, pays insignifiant à tout point de vue, et non pas une nation mais un conglomérat multiculturel, un ministre de la défense sikh arborant barbe et turban. Pourquoi pas une ministre des affaires sociales en burqa ou un secrétaire d’Etat mélanésien avec un os dans le nez ! Rien de plus contraire à l’essence d’un pays comme la France et des nations européennes. Ce serait aussi illégitime que de voir James Bond (le personnage créé par Ian Fleming étant, comment le nier, un Blanc) incarné par un acteur noir, comme le bruit court à ce sujet. Non que j’attache de l’importance à James Bond ; mais il ne viendrait à l’idée de personne de faire incarner Porgy et Bess par des chanteurs blancs. James Bond est un des marqueurs du Spectacle comme il y en a du cancer. Le cancer du multiculturalisme est particulièrement à la hausse, tout comme celui de la confusion qui fait prendre Hollande pour exégète de Clausewitz, Jérôme Garcin pour un écrivain et André Glucksmann, qui vient de mourir et dont il ne restera rien, pour un penseur : le seule penseur considérable de notre temps, avec Emmanuel Levinas et Gilles Deleuze, c’est René Girard, mort la semaine dernière, et dont l’œuvre continue à agir…

Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 10 novembre 2015)

vendredi, 13 novembre 2015

Jonathan Bowden: Gabriele d'Annunzio

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Gabriele D’Annunzio

Editor’s Note:

The following text is the transcript by V. S. of Jonathan Bowden’s New Right lecture in London on January 21, 2012. I want to thank Michèle Renouf for making the recording available.   

Gabriele D’Annunzio had basically two careers, one of which was as a writer and literati and the other was as a politician and a national figure. If you look him up on Wikipedia there’s a strange incident which occurred in 1922 when D’Annunzio was pushed out of a window several floors up in a particular dwelling and was badly injured and semi-crippled for a while. Of course, this was during a crucial period in Italian politics because Mussolini emerged as leader of the country and was made prime minister after the March on Rome under a still monarchical system and absorbed and swallowed up all other Italian parties to form the Fascist state in Italy that lasted right until the end of the Second World War.

D’Annunzio as a figure was involved in the Romantic and Decadent movement in Italian literature. He wrote a large number of plays, quite a large number of operas, a large number of novels, and some short story collections. He was too controversial to ever be awarded something like the Nobel Prize, but at the beginning of Italy’s 20th century period he was one of the most popular people in Italy. Almost everyone had an opinion about him and almost everyone had heard of him.

His work combines various pagan, vitalist, and Nietzschean forces, and he was heavily influenced by Friedrich Nietzsche and his philosophy. Some of his works were banned on grounds of public morals both in translation abroad and in Italy per se. The Flame of Life was one of his more ecstatic and Byronic celebrations of life. The Triumph of Death was another of his works, and The Maidens of the Rocks was another one, and a poem called Halcyon which was part of an interconnected series of poems five in number. He was going to write a larger collection than this, but those were the ones that got done. Also, he celebrates the Renaissance period and the period of Italian greatness when Italian civilization became synonymous with Western civilization and indeed looked to put its stamp upon world civilization.

So, D’Annunzio brought together a wide number of strands which supervened in Italian politics and culture since the unification of Italy under Garibaldi in the 19th century. Like Germany, Italy was unified as a modern European nation-state quite late in the day, and a triumphant sense of national vanguardism, identity, and pressure and force was always part of D’Annunzio’s ideology.

Superficially, it seems strange that you have artists of extreme individuality like Maurice Barrès in France in the 1890s who wrote a book called The Cult of the Self (Le Culte du Moi) along Nietzschean and Stirnerite lines and professed a very extreme individuality who were also ardent nationalists. This is because this cult of the heroic individual and this cult of the masculinist and this cult of the superman and the cult of the pagan individual that D. H. Lawrence’s novels in English literature could be said to be part and parcel of at least at one degree went hand in glove with the belief in national renaissance and national glory. The great individual was seen as the prototype of the great man of the nation and was seen as a national leader in embryo whether or not the work took on any political coloration at all. So, what appears to be a collective doctrine and what appears to be an individualistic doctrine marry up and come together and cohere in various creative ways and this was part of the creative tension of the late 19th century.

D’Annunzio is a 19th-century figure who explodes into the 20th century by virtue of mechanized politics. Debts and the pursuit of various people to whom he owed money because of his extraordinarily lavish and aristocratic lifestyle led D’Annunzio to live in France at the time of the outbreak of the Great War, but he soon hurried back to Italy in order to demand his entry into the Great War on the Allied or Western or Tripartite side. Of course, in the Great War, Italy fought with the Western allies, with France, with Russia and Britain against Germany, the Austro-Hungarian Empire, and the Ottoman or Turkish Empire in the convulsive conflict which people who lived through it thought would be the war to end all wars.

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D’Annunzio had an extraordinary war. He joined up when he was around 50 years of age and gravitated towards the more aristocratic arm of the three that were then available. It’s noticeable that the war in the air attracted a debonair, an individualistic, and an aristocratic penchant. Figures as diverse as Goering in the German air force and Moseley in the British air force and D’Annunzio in the Italian air force all fought a war that in its way had little to do with the extraordinarily mechanized armies that were fighting on the ground.

You had this strange differentiation between massive armies and fortifications of steel with tunnels turning the surface of the Earth like the surface of the moon down on the ground until tanks were developed that could cut through the sterile nature of the attrition of the front – a very static form of warfare from 1915 until the war’s end in 1918 – and yet above it you had this freedom of combat, this freedom in the air with biplanes which were stretched together from canvas and wood and wire and were extraordinarily flimsy by modern standards, without parachutes for the most part, and where the men used to often fire guns and pistols at each other before machine guns were actually fixed to the wings so they can actually fly on each other in flight.

There was a cult of chivalry on all sides in the air which really didn’t superintend on the massive forces that were arrayed against each other on the ground, and this enabled a spiritual dimension to the war in the air that was commented upon by many of the men who fought at that level. This in turn reflected the sort of joie de vivre and the belief in danger and force that aligned D’Annunzio with the futurist movement of Marinetti and with many anti-bourgeois currents in cultural and aesthetic life at the time.

As the 19th century drew to a close there came a large range of thinkers and writers such as Maurice Barrès in France, such as D’Annunzio and Marinetti in Italy who were appalled by the sterility of late 19th-century life and yearned for the conflicts which would engulf Europe and the world in the next century. You have a situation where each era – such as the one we’re in in the moment – precedes what is coming with all sorts of conflicted and heterogeneous ideologies which only become clear once you’ve actually lived through the subsequent period. Between about 1880 and 1910 an enormous ferment of opinion with men as voluble as Stalin and Hitler being in café society parts of Europe planning what was to come or what they might be alleged to be part of at certain distant times. Men often dismissed as cranks and dreamers and wayfaring utopians on the margins of things who were destined later on to leap to the center of European culture and expectancy.

There’s a great story that the French writer Jean Cocteau says about Lenin. He met the man at a party in a house in France in 1910, and the man was sitting in the house. In other words, he was looking after it while someone was away. And Cocteau said to his friends, “And who are you?” and the man said, rather portentously, “Men call me Vladimir Ilyich Ulyanov. I am known as Lenin. I am plotting the destruction of the Russian Czarist regime, and I am going to wipe out the entire ruling class in Russia and install a proletarian dictatorship.” Straight out without any intermission! And they all said, “Well, that’s very interesting! One applauds you, monsieur!” He said, “What are you doing at the moment?” And he said, “I edit a small journal called Iskra, The Spark, which is the beginning of the ferment of the revolutionary energies which are coming to Russia and eventually the world!” And they thought, “Well, this is interesting!” You know. How many subscribers had Iskra had at that moment? 400? 40? 4? And yet, of course, Vladimir Ilyich Ulyanov would emerge from the chaos of post-revolutionary Russia, as Russia struggled from its defeat by the Germans in the First World War, to become the leader of the world’s first and most toxic revolutionary state. Nothing is predictable in this life.

When the German high command sealed the Bolshevik leadership, including Vladimir Ilyich, in a train and sent it through their occupied territories into Greater Russia in the hope that it would just create more chaos and foment more distress, they had no idea that this tiny, little faction would seize maybe 11-12% of parliamentary votes and would then take over a weakened state with a small paramilitary force. Because the Bolshevik Revolution was in no sense a social revolution as its proselytizers claimed for upwards of half a century afterwards. It was an armed coup by the armed wing of a tiny political party.

There’s a famous story that Lenin, Trotsky, and Stalin all slept in one room with newspaper on the floor the day after the revolution, and Lenin said, “Comrades! A very important thing has happened! We have been in power for one day!” And the amount of Russia that they controlled, of course, was extraordinarily small.

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So, one has to realize that this ferment of ideas, Right, Left, and center, religious, aesthetic, and otherwise, occurred between 1880 and the beginning of the period that led up to the Great War and out of which most of the modern ideologies of the first half to first three quarters of the 20th century emerged.

D’Annunzio largely created Italian Fascism. Nearly everything that came out of the movement led by Mussolini at a later date originated with him and his ideas. The idea of the man alone, set above the people who is yet one of them, the idea of a squad of Arditi, people who are passionate and fanatical and frenzied with a stiff-arm Roman salute who are dressed in black and who are an audience for the leader, as well as security for the leader, as well as a prop to make sure particularly the masses and crowd when they are listening to the leader go along with what the leader is saying, as well as a sort of nationalist chorus . . . All of these ideas come from D’Annunzio and his period of forced occupation and Italianization of the port of Fiume.

So, there’s a degree to which this possible assassination attempt against D’Annunzio in 1922 which puts him out of commission for a certain period was in its way emblematic of the fact that he was a key player in Italian politics. He was the only rival for the leadership of what became known as the extreme Right with Mussolini. Certain Fascists at times looked to D’Annunzio when the fortunes of their own movement dipped.

It’s noticeable that during the occupation of Fiume, which we’ll come onto a bit later in this talk, D’Annunzio thought that there should be a march on Rome and rushed to align himself with the Fascists and other forces of renewal and nationalistic frenzy in Italian life after Italy’s victory as part of the winning side during the Great War. That march never happened, but of course was to happen later when Mussolini and other leaders had engaged in deals with the existing Italian establishment. The Mussolinian march on power was a coup with the favor of the state it was taking over rather than a coup against the nature of the state which was hostile to what was coming. So, in a way, the Italian march was leaning on a door that was already open and only forces like Italian Communism and so on, which are outside the circle of the state and its reference to political resources, opposed what the Mussolinians then did.

There is this view that Mussolini and the Fascist movement regularized and slightly de-romanticized the heroic conspectus of what D’Annunzio stood for. D’Annunzio was an artist and when Fiume, which is part of Croatia, was taken over by his militia between 1,000 and 3,000 strong in the early 1920s, because it had an Italian majority and he wished to secure it for Italy in relation to the post-Great War dispensation, he made music the foundation-stone of the City-State of Fiume. There’s a degree to which this is part of the extreme rhetoricism and aestheticism that D’Annunzio was into. This is not practical politics to make music your cardinal state virtue and to create idealized state assemblies with a minimum of chatter, because D’Annunzio believed not in parliamentary democracy but in a form of civics whereby each participant of the nation was represented. That’s why in Fiume he begins the prospect of a corporate state, and he begins an assembly or a vouchsafe body for farmers, for workers, for employers, for the clergy, for industrialists, and so on in a manner that Mussolini would later take over because most of what the Mussolinians did was actually pre-ordained for them by D’Annunzio’s moral and aesthetic coup d’état.

D’Annunzio believed that life should be brief and hectic and as heroic as possible and that the Italians should be based upon the principles of the ancient Roman Empire and of the Renaissance. In other words, he quested through the Italian period of phases of thousands of years of culture for the highest possible spots upon which to base Italy in the 20th century. At his funeral which occurred in 1938, Mussolini declared that Italy will indeed rise to the heights of which he wished and D’Annunzio always wanted Italy to be on the winning side and to be a major player in international and European events.

The truth of the matter, of course, is that Italy for most of its 20th-century existence has not been a minor player, but has not been amongst the major players, has been amongst the second-tier powers of Europe in all reality, and there’s a degree to which many Italian military adventures which were initiated by Mussolini fell back on German tutelage and support when they run into difficulties, although those imperial adventures in Ethiopia and elsewhere were supported by D’Annunzio, who became very close to the regime when he realized that they wished to set up a neo-Italian empire along Romanist lines.

D’Annunzio also supported Mussolini leaving the League of Nations, and he believed oppressed Italians who lived outside of Italy proper should be included, in an irredentist way, in Italy proper. Irredentism is the idea that if you have people of your own nationality who live outside the area of the nation-state you should incorporate them in one way or another, by conquering intermediate territory or by agglomerating them back into a larger federation. This is the idea of having a greater country: Britain and the Greater Britain, Italy and the Greater Italy, Russia and the Greater Russia, and so forth.

There’s a degree to which D’Annunzio aligned himself with the forces of conceptual modernism without being a modernist himself. In a literary and linguist way, he was very much a Romantic of the 19th-century vogue, but his sensibility was extraordinarily modern.

In contemporary Italian literature, there is no easy and defined position about D’Annunzio. One would have thought that a man who died in 1938 and his political career was over by 1922 to all effects would be historical now. D’Annunzio is still a live topic in Italy and is still controversial not least because of the sort of Byronic “sexism” of his novels, poetry, and plays, a screen play in one case and librettos for various operas. Also the fact that he’s such a precursor of Italian Fascism to the degree that he is regarded as the first Duce, the first leader, the first fascistic leader of any prominence that Italy had before Mussolini that his reputation is still extremely divisive in Italian letters. Most of the center and Left when D’Annunzio’s name is mentioned in Italy today still go, “Ahhhh nooo!” If you can imagine a sort of fascistic D. H. Lawrence who later had Moseley’s career up to a point, that’s the nearest you get to a British example of a man like D’Annunzio. Lawrence, of course, would have a completely different reputation had he endorsed the politics of Nazi Germany in the way that he sort of endorsed, slightly, the politics of fascistic Italy. In some ways, Lawrence, who was sort of made into a cult by the Cambridge literary criticism of F. R. Leavis in Britain and I. A. Richards in the United States post-Second World War, would never have preceded to those heights had he endorsed certain political causes of the ’30s and ’40s. So, in a sense, his early death was fortuitous in terms of his post-war reputation.

Robinson Jeffers, the American poet and fellow pagan with whom Lawrence communicated during his life quite manfully, fell into desuetude after the Second World War for, not advocating pro-Axis sympathy as a neutralist America, but by advocating isolationism. Isolationism is, of course, an ultra-nationalist position in American life. The belief that America should not involve itself in the teeming wars of the 20th century, what Harry Elmer Barnes calls perpetual war for perpetual peace, but that America should retreat to its own borders and not concern itself with events outside America, occasionally looking outside to the Caribbean and Latin America. But Lawrence would have gone the same way as Jeffers had he had a career like D’Annunzio and had he endorsed some of the positions that D’Annunzio did.

D’Annunzio’s position on Fascism outside of Italy was more contradictory because he was a nationalist first and last and ultimately it was Italy’s destiny that concerned him not that of other countries. He was in favor of leaving the United Nations, but rather like Charles Maurras in France he was a nationalist in some ways more than a Fascist and his nationalism was proto-fascistic even though he provided much of the aesthetic coloring for what later came in the Italian political dictatorship.

dannarticle_inset_galassi-1.jpgD’Annunzio was a man of great individual courage — it has to be said — and combined the ferocity of the warrior and the sensibility of the artist. One of his most famous individual coups was this 700-mile round trip in an airplane to drop pamphlets of a sort of pro-Western/pro-Italian type on Vienna, which is still remembered to this day. Another of his feats was attacking various German boats with small little motor-powered launchers, something that prefigures a lot of modern warfare where great, large hulking liners and aircraft carriers can be disabled by small boats that speed around them. The principle of guerrilla type or asymmetric warfare whereby much larger entities can be hamstrung by their smaller, Lilliputian equivalents or rivals. Again, this sort of special forces warfare in a way, whether in the air or on the sea, was part and parcel of D’Annunzio’s aesthetic and ethic of life.

It’s noticeable that in modern warfare the notion of individualistic courage never goes away, but war is so much reduced to the big battalions, so much reduced to raw firepower, and so much reduced to the expenditure of force between massive units that are industrially arranged against each other that individual combat often becomes slightly meaningless. But it gravitates to certain areas: the sniper, the elite boatman or frogman, the elite warrior in the air becomes the equivalent of the lone warrior loyal to sort of ideologies of warriorship in previous civilizations and you can see this in the way that these men think about themselves and think about their own missions.

In a previous talk to a gathering such as this, I spoke about Yukio Mishima and the ideology of the samurai based upon the cult of bushidō in Japan. This is the idea of almost an aesthetic martial elitism who sees itself both in artistic and religious terms and yet is also a morality for killing. All of these things are provided for in one package. A man like D’Annunzio did incarnate many of these values in a purely Western and Southern European sense.

D’Annunzio’s war record was such that he won most of the medals, including the gold medal, the equivalent to the Victoria Cross, and he won silver crosses which are a slightly lesser medal and a bronze cross. He was also awarded other medals including a British military cross, because of course he was fighting on the British and Allied side in the First World War.

One of his points that was made by Mussolini and other Italian nationalists was that Italy did not get from the First World War the post-war dispensation which they expected. This is true of almost everybody essentially, but it’s certainly true that Italy was thrust back into the pack of secondary powers by the major victors in the First World War: Britain, the United States, and France. Their role in the post-war peace, which of course was a highly torturous and afflictive peace upon the defeated Germany, was to have major repercussions on the decades that followed. That peace had little to do with what Italy wanted. One of the reasons for the occupation of what later became part of Yugoslavia by paramilitary Italian arms led by D’Annunzio was his dissatisfaction with Italy’s role at the table after the Great War.

His belief in “One Italy” and “Italy Forever” and “where an Italian felt injustice, Italy must be there to protect them,” this belief that caused thousands of men to rise up and come to D’Annunzio’s banner . . . When he began this assault on Fiume he had about 300 men with him. By the time it was over he had about 3,000.

On the internet you can see in 1921 enormous crowds within the city, almost everyone in the city is there cheering on D’Annunzio, who engaged in this increasing rhetoric from the balcony. Indeed, the Mussolinian stage scene whereby the dictator figure, or dictator manqué in this case, addresses the masses who look up to a balcony is all constructed and lit up by stage lights and that sort of thing is all part and parcel of D’Annunzionian theater. D’Annunzio would always ask the crowd rhetorical questions: “Do you love Italy?” And there’s this response, “Yes!” And then there will be another response from D’Annunzio and then another response. If somebody gives a contrary sort of response in the crowd, because these are enormous mass meetings which are difficult to control, he has squads of men dressed in black positioned in the crowd who can sort various malefactors out. This combination of support with a degree of psychological bullying is all part of the festival of nationalistic spirit that somebody like D’Annunzio believes in building almost as a theatrical event where you let the crowd down over time by stoking them up into more and more responses and you allow moments where the crowd just bellows and howls in response until they are replete and exhausted and the man strides back to the edge of the balcony to begin a speech. All of these are things that Mussolini would later develop. So, D’Annunzio in a sense provides a theatrical package for what becomes Italian and Southern European radical nationalism at a later time.

He didn’t live to see the full extent of Italian Fascism, but he had to be kept sweet by the Mussolinian government. Mussolini was once asked by a fellow Fascist leader in Italy what he thought of D’Annunzio and why he behaved in relation to him in the way that he did and he said, “When you have a rotten tooth there are two solutions. You either pull it out violently or you pack it with gold, and I have decided on the secondary option with D’Annunzio.” So, D’Annunzio was given a large amount of money by the Italian state to swear off political involvement after 1922, something that makes the possible assassination of him, attempted assassination, in 1922 rather interesting and mysterious. No one knows whether that was an attempted assassination or not. It’s quite obscure in the historical literature, but it certainly put D’Annunzio back and it put him out of commission for the entire period that the Mussolinians marched to power quite literally.

Later on, he would awarded the leadership of the equivalent of the Society of Arts; he would be awarded a state bursary which paid for a collected edition of his works that was printed and published by the Italian state itself and was available in all libraries and schools and universities; he was awarded numerous medals and forms of honor; his house was turned into a museum which still exists and is one of the major tourist sites in contemporary Italy where planes that he flew in the Great War are restored and can be looked at, boats which he used in the Great War are restored and can be looked at, as well as a library, a military research institute, and all sorts of photographs from the period. There is a large mausoleum to him, which is a contemporary Italian monument of significance. He’s compared in some ways to Garibaldi, the figure in the 19th century with his Redshirt movement that helped unite Italy as a warring, patchwork quilt of a nationality into one overall nation-state along modern lines.

D’Annunzio is one of these synthetic and syncretic figures who combine in themselves several different lives: lover, soldier, aesthete, political warrior, writer, artist. He combined four or five lives in one particular lifespan and brought together all sorts of confluences in the Italian politics of his day.

When he was elected to the senate as an independently-minded conservative at the end of the 19th century, he had no real sectarian politics at all except a belief in conservatism and revolution as he described it. He later moved across the parliament floor to join the Left in a particular vote that broke a deadlock in Italian politics of the time and was regarded as the creation of a new synthesis where part of the Right joined the Left and then split off again to form a different part of the Right or could at least be said to be a precursor of those same developments.

Mussolini, of course, was sat with the socialists and was a socialist deputy and was part of the bloc that favored nationalists rather than international solutions as part of Italian socialism. This is why during the First World War or the run-up to it the Axis within Italy which favored Italy’s involvement in the war against strong pacifists and internationalist currents that wanted to keep Italy out of the European conflagration lost out and one of the key proponents were the Futurists, D’Annunzians, and proto-Fascists from the bosom of the Italian Socialist Party, who combined a degree of nationalism with quite straight-forward Italian social democracy of the period.

D’Annunzio married and had, I think, three children, but was well known for a very torrid love life consisting of a great string of mistresses. He had dalliances with two extraordinarily notorious Italian actresses, both of whom he wrote plays for and operettas. He was well regarded as a sort of bon viveur and a figure about whom myths constellate. Even to this day D’Annunzio is regarded as a cad and egotist and a scoundrel in many circles because that is how he presented himself and the male ego in his literary works.

How original D’Annunzio was is difficult to quantify. His philosophical debt is to Nietzsche, his literary debt is to the Italian literary tradition which essentially goes back to the Renaissance. His great use of style – he was one of the greatest stylists of the modern Italian language – has made sure that his books are in print to this day, but he still remains a controversial figure because of the politics with which he was associated.

How far and aesthetically motivated his desire for dictatorship could work in practice and would not implode because of impracticality is a moot point, but D’Annunzio certainly gave a brio to early Italian experimental and Right-wing politics. He gave a poetic license to authoritarianism which helped make Southern European Fascism extraordinarily culturally interesting long into the Mussolinian regime. It is interesting to notice how many intellectuals and artists aligned with the movement in Italy and made peace with its government.

Also, the use of oppression, which is very light-handed in Italy was part and parcel of this doctrine of brio and of ubiquitousness and the use of style. In some ways it was a very style-conscious regime, an exercise in theater. Many of the post-war historians of Fascist Italy talk about it as being a sort of theatrical society with Mussolini as almost a political actor in some respects. This is very much in the D’Annunzionian tradition which he laid down at Fiume.

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Fiume. They conquered this city which is part of Croatia but had an Italian majority at that time. The Italian governor refused to fire on D’Annunzio and his paramilitaries when they entered the city. They took it over and created a sort of corporate state within the state, heralding its creation as a city-state. They said it left the League of Nations, which they refused to recognize because Italians were being exploited by the remit of the League of Nations, the forerunner of the United Nations. They created this sort of aesthetic, fascistic junta that was part theater, part hyper-reality, and part just a governing civic administration with a military arm. Gradually, the forces of reaction, as D’Annunzio would have called them, attempted to call Fiume to account. The Allies chafed against its continued existence as an independent military satellite and city-state. Italian nationalists and others may have flocked to it, including Leftists like anarchists and syndicalists who admired D’Annunzio’s brio and sort of cult of machismo and Italian irregular adventurism which has a medieval tradition, certainly an antique Italian tradition with many admirers from across the spectrum. Yet in the end the Italian state was forced to take action and fired on Fiume, and Italian naval vessels shelled the city. There was a declaration of war, somewhat absurdly, against Italy by D’Annunzio where 3,000 men took on a nation-state that could put tens of thousands of men in boats and planes into play.

Eventually, of course, when the shelling became too bad he said that he could not allow the aesthetic construction of the city to be damaged and so he handed it over to prior Italian power and an international settlement, which involved Yugoslav control eventually coming in.

But Fiume represented a direct incursion of fantasy into political life because there is a degree to which D’Annunzio combined elements of performance art in his political vocabulary. There’s no doubt that he thought of politics as a form of theater, particularly for the masses, and this is because he was an elitist, because as an elitist he partly despised the masses except as the voluntarist agents of national consciousness. He theatricalized politics in order to give them entertainment without allowing them any particular say in what should be done. This idea of politics as performance art with the masses onstage but as an audience, an audience that responded and yet was not in charge, because there’s nothing democratic about D’Annunzio from his individualistic egotism as an artist all the way through to his sort of quasi-dictatorship of Fiume. He represented a particularly pure synthesis and the violence that was used and so on was largely rhetorical, largely staged, largely a performance, partly a sort of theater piece.

In post-modernism, there’s this idea that artists crash cars, burn buildings, and exhibit what they’ve done in gallery spaces and that sort of thing as an attempt at an incursion of reality into the artistic space. D’Annunzio did it the other way around. There was an incursion not of reality into the artistic space, but of artistry into the political space and he went seamlessly from writing these novels of male chauvinism and excess and erotic predatoriness and Italianate brio to running a city-state almost without running any sort of marked gap between the two moments. In the chaotic situation of post-Great War Italy and its environs, he found a template upon which his dreams – his critics would say his bombastic dreams – could be lived out and there is a sort of dreamer of the day to D’Annunzio, but he was also quite hard-headed and practical and most of his political exercises in chauvinism came off unlike many dreams that remain in the scrap-heap of political alternative.

So, in a sense, D’Annunzio’s greatest novel was the creation of what became the Italian Fascist state, which until it was defeated externally and internally was one of the most stable societies modern Europe has seen.

This belief in a nation’s ability to renew itself by bringing various tendencies that are abroad within it together and synthesizing them through the will of one man who must be a visionary of one sort or another is part and parcel of D’Annunzio’s legacy. It’s why he can’t just settle down and be an artist. It’s why, indeed, his post-war Italian reputation is so mixed, because he can’t be divorced from the politician and the statesman that he indeed was.

It’s interesting to think how the world would have developed if European nationalities would have increasingly fallen under the sway of these cross-bred artistic, hybridized figures. Nearly all far Right, and some far Left, leaders have these sorts of characteristics: extreme individuality, colorful backgrounds in the past, a sort of anti-bourgeois sentiment, a refusal to live a conventional life completely, the belief in new forms, and the construction of new forms of modernity almost in a haphazard and experimental way. These people only get their chance during war, economic breakdown, chaos, and revolutionary change when everything comes up for grabs and there is a new dispensation abroad. But it is noticeable that these people do get their chance when these events occur.

It’s also noticeable that the post-war period, very much in Western Europe at any rate, is dominated by two factors. One is the Cold War, which congeals the continent into two rival blocs under partial American domination in the Western sector and direct Soviet domination, of course, of the Eastern bloc, but the second is a fear of contamination through change which is underpinned by the desire to keep market economies functioning at a tolerable level of sufficiency. It’s quite obvious that there is a terror abroad in the Western liberal landscape about what would occur if there is an economic collapse. Not just a slow-down, not just a depression or recession or series of recessions that ends in a Japanese-like depression which can go on for 20 years where you don’t grow at all, zero growth, but something much more devastating than that. An actual crack and crash in the system itself. Because with mass democracy there is no knowing what sorts of demagogues and what sorts of visionaries people might start voting for in small or larger numbers when such a crash occurs and when they literally can’t pay their bills and so D’Annunzio came out of an era of chronic instability and fashioned that instability to his own liking and making, because Fiume was the prototype for a state.

Indeed, in ancient Southern Europe, the city-state was the forerunner of the nation-state. He was attempting to do with an Athens or a Sparta of his own imagination and will and intellect what later became Mussolinian Italy on a nation-wide scale and if Italy had succeeded in carving out an empire for itself in North Africa and further afield in modernity it would have been the basis for an Italian empire because the nature of these things is to expand. That kind of power always chafes against the possibility of restriction and unless it comes up against a greater external force it will always chafe against it in an attempt to push it back and gain greater suzerainty thereby. That’s inevitable. Even under mercantilist pressure, the British Empire adopted that sort of course for many centuries until, if you like, the stabilization of the 20th century and the loss of empire in mid-century.

So, what we’ll see if there are enormous economic crashes in the near to distant future the sort of politics that D’Annunzio represented come back. No one knows what form it will take because things never repeat themselves. They only seem to, because the syntheses that are created are always new and always original. But this crossover between theater, literature, lived demagoguery, the martial and martinet spirit and the spirit of the lone adventurer, the spirit of the marauder, the spirit of the armed troubadour is very much a part and parcel of what D’Annunzio stood for. His present notoriety in contemporary Italy is because he is a man of so many parts and such a threatening overall presence – threatening in the sense that Italian Fascism, although much more integrated into the historical story than fascisms elsewhere, is still very much a devilish shadow cast over the post-Italian polity that all are aware of and yet few dare to speak of with any courage or glory.

D’Annunzio believed that courage and glory and heroic belief in national affirmation were the very principles of life. His example, so out of kilter with contemporary reality, is interesting and refreshing. D’Annunzio is like a sort of Julius Caesar crossed with Jack London. There’s a strange amalgam of tendencies living out of one man and it is remarkable that he could bring that union or fusion with such panache and charisma. Probably it was the military career that he had during the Great War that enabled him to step out of the literary study and into the statesman’s counting house, onto the statesman’s balcony. Without that experience in the Great War I doubt he would have had the following to achieve that. But D’Annunzio represents this strange amalgam in European man of the restless adventurer and the poet, of the dreamer and the activist, of the stoic and the fanatic.

The city-state that he created at Fiume provided for religious toleration and atheism, because of course as a Nietzschean D’Annunzio was an atheist and was not religiously motivated even though the paganism of his literature harks back to the neo-pagans of the Renaissance and to the Roman Empire of antiquity.

The real source of origin for D’Annunzio’s moral equipment has to be ancient Rome and as I look about me in this society there are an enormous number of novels, aren’t there, devoted to ancient Rome? Quite populist, mainstream fare. And it’s quite clear that there is a fascination with Europe’s past and with its authoritarian, bellicose, adventurist, and escapist past and possibly through the mirror image of intermediaries like D’Annunzio there may be a link to a new and more invigorating Europe of adventure and of skill and of destiny and of the will of the desperado and of the man who will never take no for an answer and of the man who would chant these slogans that Achilles uses in Homeric epics to the crowd and hear the Arditi chant them back again and that these are echoes which you can still hear and are still not entirely dormant in Europe at the present time as the Balkan Wars of the 1990s proved in their bloody way. There’s a degree to which these prior giants of Europe are sleeping but are not at rest and there is always the fear in contemporary liberal establishments that these figures and the forces that they represented will be catalyzed yet again in the future by new visionaries and by new leaders and by new literati and by new sources of inspiration who combine the individual and the collective, combine the national and the quietude of the man alone and combine the Renaissance and the ancient world in a new pedigree of what it means to be a man, what it means to be an European and what it means to have a destiny in the modern world.

D’Annunzio preconfigured much of European history until at least the late 1940s, which bearing in mind that he was born towards the middle of the 19th century was quite an achievement. It is not to say that figures who are alive now are not in themselves creating the synthesis for forces that will emerge in the next 50 years.

Thank you very much!

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jeudi, 12 novembre 2015

Les raisons d'écrire de Jacques Perret

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1915-2015, LE CENTENAIRE DE 14-18

Les raisons d'écrire de Jacques Perret

Michel Lhomme
Ex: http://metamag.fr
raisons-de-famille-vr.jpgLes Editions Via Romana viennent de publier "Raisons de famille" , le deuxième livre de souvenirs de Jacques Perret tandis que l'excellente revue littéraire Livr'arbitres y consacre son numéro 18 de l'automne 2015. Le choix de Raisons de famille est judicieux car on y célèbre avec un an d'avance le centième anniversaire de la disparition en 1916 de Louis Perret, le grand frère du Caporal épinglé. Le récit raconte à la première personne le premier août 1914, veille de la mobilisation générale avec l'apposition des affiches dans tous les villages de France. Tout se passe dans la maison familiale des Perret, la maison de Galluis en Seine-et-Oise (aujourd'hui département des Yvelines) et l'on y décrit une famille unie que vient secouer le devoir patriotique et l'histoire mondiale. Jacques Perret qui a douze ans voit cette année-là partir son père mais aussi son grand frère à la guerre. Ce dernier ne reviendra jamais, tombant au champ d'honneur sur la Somme, à Bouchavesnes, le 25 septembre 1916. Le papa qui s'était engagé puisqu'ayant passé l'âge de la conscription, fut, lui, grièvement blessé dans les Flandres puis fait prisonnier mais il revint sauf de la première guerre mondiale.
 
Les souvenirs de Jacques Perret rappellent que les années 1912 et 1913 furent particulièrement heureuses, ce furent de beaux étés normands et de belles moissons gauloises comme le fut d'ailleurs l'été 14, du moins en province et à la campagne. Pourtant, comme aujourd'hui, la France ne sentait-elle pas déjà le rance ? Sans doute puisque la France était profondément marquée par la défaite de 1870, la guerre des Balkans, le scandale de Panama, les ralliements ratés au Général Boulanger, l'affaire Dreyfus, la corruption des politicards, le pacifisme démobilisateur de Jaurès, la germanophobie de Maurras, la trahison des socialistes. 14-18 sera la première guerre du mondialisme mais dans les tranchées, dans les discussions de bivouac, on ne le saura pas et on s'étripera pour en chercher des causes diverses dans le nationalisme revanchard ou dans une guerre du capitalisme et de la finance avec en toile de fond, la révolution bolchévique et ses trains suisses remplis de lingots d'or. Pourtant, c'est souvent en regardant passer les vaches comme aujourd'hui que les grandes catastrophes surgissent. La France de 2015 sait-elle vraiment ce qui lui arrive ? N'a-t-elle pas été aussi volontairement démilitarisée par des hommes politiques pleutres et lâches depuis plus de trois décennies pour les ''préparer'' à une autre boucherie, à les asservir à la finance et les adapter au grand remplacement, les monter contre l'eurasisme. 

L'intérêt du livre de Jacques Perret est là, nous narrer l'avant-guerre, « la paix des familles, l'état d'innocence, l'harmonie universelle » ou « la cueillette des prunes », les devoirs de classe, les jeux en plein air, au Jardin du Luxembourg des distractions enfantines, les cabanes et les courses à vélo, agrémentées de pénibles leçons de piano. Dès lors, en lisant le livre, on ne peut pas commémorer la grande guerre sans faire des parallèles avec le repli familial des années 90 qui anticipe ce que sera le choc historique des années 2015-2025. Certes en 1912 pas de grand remplacement ni de théorie du genre obligatoire, de totalitarisme de l'édredon, rien de tout cela dans le portrait d'une famille plutôt traditionnelle d'avant-guerre avec le camembert et le pinard à la sortie de la Messe, ou les enfants montés de force à l'étage quand les grands finissaient d'arroser la soirée au calvados dans le salon : « De fumants éclats montaient jusqu'aux chambres des enfants et nous comprenions alors vaguement dans le demi-sommeil, quelle institution difficile et miraculeuse était la famille où sans être d'accord sur tout on peut s'embrasser à propos de rien ». En réalité, aujourd'hui, les enfants ne dorment plus très tôt, ne montent dans leurs chambres que pour les jeux vidéos tandis que leurs parents pianotent sur leurs portables sans même se parler ou se poser des questions. Mais n'est-ce pas aussi un climat d'avant-guerre, le climat insouciant d'une guerre mondiale qui sera hybride et civile mais dont on veut dénie la probable réalité barbaresque ou nucléaire ? En fait, ce paradis familial que narre Jacques Perret avant la grande catastrophe de 14 existe encore même s'il n'y a plus d'éden républicain capable de fomenter la fierté grandiloquente de l'humble devoir patriotique. Il n'y a plus de nation mais des rapatriements d'exilés ou d'immigrés dans des drapeaux brûlés, déchirés ou remplacés sur les places publiques par les bannières ennemies de républiques islamiques.
 
La mort du grand frère Louis a de toute évidence marqué le petit Jacquot, le futur écrivain rebelle. Nous pensons que l'écrivain français ne s'est jamais remis de la mort de son grand frère et que c'est même pour cela qu'il écrira toute sa vie d'autant que Louis était un brillant élève de l'Ecole des Chartres appelé à une grande carrière. Nous soupçonnons que Jacques Perret après le décès de son aîné ne croira plus jamais à la carrière et aux grands discours des donneurs de leçon républicains. « Je suis pour le Trône et l'Autel » lâche-t-il âgé en une position suicidaire en 1975 sur le plateau d'Apostrophes devant un Bernard Pivot médusé.

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Comme le remarque Jean-Baptiste Chaumeil, le passeur moderne de Perret, dans un article du numéro de Livr'arbitres à propos de la réédition opportune des Raisons de famille : « C'est aussi le grand intérêt de ce livre : tout est là qui permet de comprendre Jacques Perret. Comprendre son engagement au Maroc en 1922, son incorporation dans les corps-francs en 1940, ses évasions, son départ au Maquis, sa détermination dans la défense de l'Algérie française, et tant d'autres combats. ». La mort d'un grand frère aux combats de 14-18, devoir de famille de toute une époque, obligations patriotiques, traumatisme crânien, douleur des gueules cassées et solitude pour ceux qui restent. Nous pensons instinctivement à ces femmes comme la mère du poète britannique Rupert Brooke qui perdit toute sa progéniture à la guerre , ou à ces pères de 14-18 comme celui de Jacques Perret qui survécurent malades aux combats des tranchées mais qui pleurèrent leurs fils qu'ils avaient abandonnés sur ces champs de bataille où ils avaient paternellement guerroyés à leurs côtés en connaissant toute la merde des tranchées. 

La guerre rend fou mais la guerre rend aussi irrécupérable. Jacques Perret est un irrécupérable. Cela nous change de la crasse des Modiano, Echenoz ou Enard qui nous font miroiter avec des guerres reconstruites des tableaux de douceur avant la tempête pour en réalité mieux nous anesthésier pour l'avenir troublé qui nous attend. 


Jacques Perret, "Raisons de famille" , Septembre 2015, 328 pages, Éditions Via Romana, 25€

Livr'Arbitres, n°18, automne 2015, 7€
 

00:05 Publié dans Littérature, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lettres, littérature, lettres françaises, litt | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook