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jeudi, 15 octobre 2020

»Antiordnung« – Dr. Bettina Gruber auf der 21. Sommerakademie des IfS in Schnellroda

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»Antiordnung« – Dr. Bettina Gruber auf der 21. Sommerakademie des IfS in Schnellroda

 
»Das Denken der Antiordnung [...] gibt nichts, aber nimmt alles.« Dr. Bettina Gruber sprach im Rahmen der 21. Sommerakademie (18.–20. September 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) coronabedingt vor 90 Schülern und Studenten in Schnellroda zur »Antiordnung«.
 
 
»Antiordung« als Kaplake bei Verlag Antaios bestellen: https://antaios.de/gesamtverzeichnis-...
Dr. Bettina Gruber auf twitter: https://twitter.com/BettinaGruber5
Hier die Sezession abonnieren: https://sezession.de/abo
Das Netztagebuch der Sezession: https://sezession.de
 

Bettina Gruber

Leben unterm Regenbogen

978-3-937801-21-7
Manuscriptum, 2020
Klappenbroschur, 216 Seiten
20,00 € *
 

Der Mythos von den „Befreiungsbewegungen“ hält sich hartnäckig: Gender-Doktrinen und der heutige Feminismus sind aber nicht bloß sexistisch gegenüber Männern, sondern auch zutiefst frauenfeindlich. Bedürfnisse, die von der magersüchtigen Doktrin der Gleichheit von Mann und Frau abweichen, werden nicht geduldet. Mit dem biologischen Geschlecht wird eine der elementarsten Tatsachen menschlicher Existenz geleugnet: die Bezogenheit der Geschlechter aufeinander, ohne die es uns alle nicht gäbe. In den sozialen Medien hat sich ein bunter Chauvinismus breitgemacht, der systematisch einen Keil zwischen die Geschlechter treibt – gefördert und vorangetrieben von der Politik. Auf der Homepage einer deutschen Stadtverwaltung „hebt“ man „gezielt den Geschlechterdualismus auf“ und ein britischer Richter erklärte die Überzeugung, dass es nur zwei Geschlechter gebe, für „in einer Demokratie nicht achtenswert“.

Pendant und Voraussetzung dieser Zerstörung der Zweigeschlechtlichkeit ist ein Kult sexueller Abweichung, der sich im Phänomen des „Drag Kids“ mittlerweile auch auf Kinder erstreckt. Die Lage ist historisch einzigartig: Eine Gesellschaft repräsentiert sich nicht in ihrer militärischen Macht, in ihren zivilisatorischen Errungenschaften und in ihren Gotteshäusern – stattdessen sucht sie ihren Ausdruck in der Zersetzung des natürlichen Geschlechts und in der Feier „interessanter“ Minderheitensexualitäten. Wie konnte es dahin kommen? Und: Gibt es Gegenkräfte?

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mercredi, 14 octobre 2020

Yan Giron : Précis de la puissance maritime

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Yan Giron : Précis de la puissance maritime

(conférence en ligne)

 
Le Cercle Aristote a l'honneur de recevoir Yan Giron, Ingénieur agronome spécialisé en gestion et aménagement des pêcheries maritimes, diplômé de l’Ecole Nationale d’Agronomie de Rennes pour une conférence en ligne sur son dernier ouvrage intitulé : "Précis de la puissance maritime, agir sur les océans" paru aux éditions Bernard Giovanangeli.
 
 
Pour aller plus loin :
➡️Retrouvez le dernier ouvrage de note invité : https://www.bgedition.com/detailbouti...
➡️Retrouvez ses articles et publications : https://www.diploweb.com/_Yan-GIRON_....
 
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Contre le nouvel ordre sanitaire

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Contre le nouvel ordre sanitaire

par Daniel COLOGNE

Dans l’ensemble, notre famille de pensée a bien réagi au « confinement » du printemps 2020, qui était une quarantaine n’osant pas dire son nom (voir Éléments, n° 184, encadré de la page 37). Dans le même numéro, Hervé Juvin se demande si tout principe poussé à son extrême ne finit pas par s’inverser. Cela expliquerait comment, après un demi-siècle entonnant l’hymne à la grande déesse Mobilité, on est passé du jour au lendemain à l’arrêt de la quasi-totalité de la planète.

Toujours dans la même livraison, ainsi que dans la suivante (Éléments, N° 185), je recommande la lecture des articles de Slobodan Despot, tout comme dans Synthèse nationale (n° 54), je conseille de lire les contributions de Pieter Kerstens, Bernard Plouvier et Charles-Henri d’Elloy. De tous ces très bons textes se dégage l’idée que les mesures de sécurité prônées par les conseillers scientifiques et relayées par les dirigeants politiques sont disproportionnées par rapport au risque sanitaire réel.

BHL-Virus.jpegJ’ai toutefois choisi de m’attarder sur le livre que Bernard-Henri Lévy a consacré à ce nouvel ordre sanitaire, alors que la France et la Belgique rivalisaient d’incohérence pour amorcer le « déconfinement ». D’aucuns vont s’étonner que je fasse une recension plutôt favorable de cet ouvrage. Elle ne change rien au fossé idéologique qui me sépare de cet auteur, mais je ne suis pas un lanceur de tartes à la crème et, lorsque paraît Ce virus qui rend fou, je ne me sens pas tenu d’ironiser : « le Lévy nouveau est arrivé ».

Bien sûr, si « le moi est haïssable » et si cette sentence pascalienne peut servir d’ingrédient à une critique de l’individualisme, les singularités collectives que sont les peuples ne doivent pas pour autant être absorbées par le grand mélange, surtout qu’en l’occurrence c’est l’homme albo-européen qu’on invite à devenir « l’otage » du Big Other. Pourquoi les peuples ne pourraient-ils pas vivre côte à côte, dans le respect réciproque de leur « étymon spirituel » (Léo Spitzer) ? Je suis pour une fédération de grands ensembles impériaux dont les relations pacifiques dépendent précisément, non d’une mixture mondiale selon la doxa dominante actuelle, mais de cette persévérance ontologique évoquée par Heidegger et reformulée par Alexandre Douguine.

C’est peut-être sur une idée de ce type que travaille René Guénon peu avant 1930 et son installation en terre musulmane d’Égypte. Une des rares fois où j’ai entendu prononcer le nom de Guénon à la télévision, c’est dans la bouche de BHL au cours de son émission « Les Aventures de la Liberté » (vers le milieu des années 1990, me semble-t-il). Guénon « tiers-mondiste » ? Oui, mais pas au sens de Franz Fanon et Jean Ziegler. « L’autre tiers-mondisme » de Guénon implique une critique impitoyable de l’égalitarisme moderne.

Il m’empêche que j’ai apprécié certaines pages du petit livre de BHL et que je partage quelques-unes de ses réactions face à la quarantaine du printemps 2020, qui est aussi une parodie de la fonction prophétique à travers les courbes exponentielles et anxiogènes des fameux modélisateurs. À propos de Roselyne Bachelot, dont il discerne la « feinte humilité », BHL écrit : « On la consulte comme un oracle (p. 20). » il compare à une « Pythie triste » le chef du conseil scientifique qui annonce chaque soir « le nombre des morts de la journée (p. 19) ».

En me remémorant les opinions contradictoires des « experts » conviés par les diverses chaînes de télévision, je crois aussi « qu’écouter ceux qui savent, si c’est bien des scientifiques que l’on parle, c’est écouter une pétarade perpétuelle et, quand on est un État, inviter la foire à la table du roi ! (p. 24, c’est BHL qui souligne) » Et si le virus était « un dérèglement dans la combinatoire d’organes et de pathologies qui fait un sujet singulier ? » Alors, « les metteurs en scène du grand spectacle de la guerre au virus (p. 51) » perdraient tout crédit et mériteraient le ton quelque peu moqueur des responsables suisses, bien meilleurs gestionnaires de la crise sanitaire que leurs homologues belges et français.

Je conçois le « malaise » que l’on peut éprouver devant « notre ahurissante docilité à l’ordre sanitaire en marche et à sa mise en demeure des corps (p. 73) ». Une sorte d’apartheid générationnel peut être décrypté dans les propos d’une « cheffe de service à l’hôpital Saint-Antoine » ou de « bio-éthiciens américains » exhortant « ceux du grand âge » à ne pas encombrer les salles de réanimation, « à céder leur place aux plus jeunes pour les tests et les vaccins », bref « à crever sans faire d’histoire (p. 77) ». Il est légitime de s’interroger sur « le peu de débats que suscitèrent, finalement, les projets de traçage numérique présentés, dans tout l’Occident, comme le moyen le plus sûr de vivre un déconfinement heureux (p. 78) ».

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Qu’un reportage au Bangladesh, réalisé avant la mise en quarantaine, mais paru après en raison des « délais d’écriture et d’impression », puisse être tenu pour un « exemple de relâchement » : voilà qui illustre bien « l’empire du procès » épinglé par Régis Debray parmi les « coûts de la sujétion numérique ». Voilà de quoi faire planer la plus grande méfiance « sur les réseaux dits sociaux, c’est-à-dire, de plus en plus souvent, asociaux (p. 88) ».

Pour se convaincre que la vie doit aspirer à une dimension qui la dépasse, on peut faire appel à « toutes les sagesses du monde, la juive mais pas seulement (p. 81, c’est moi qui souligne) ». Se référer à sa propre tradition ancestrale ne doit postuler aucun exclusivisme. BHL convoque aussi un dialogue platonicien pour conjurer le péril d’un nouvelle « montée du pouvoir médical (p. 17) », déjà incarné, dès l’Antiquité romaine, par Galien, « quasi-directeur de conscience » de trois empereurs, et à l’époque de la Révolution française, par le magistrat-médecin Cabanis qui échappe à la Terreur.

Enfin, est-on bien certain que la crise sanitaire du printemps 2020 n’a pas accentué « une tendance lourde de nos sociétés (p. 85) » qui existait déjà auparavant ? Certes, le « préfet » qui donne ses directives par microphone dans la dystopie d’Hermann Kasack (La Ville au-delà du fleuve) cède la place aux images de Jérôme Salomon et Emmanuel André, spécialiste du dénombrement quotidien et macabre des personnes infectées, hospitalisées, réanimées et décédées.

Mais prenons garde. Demain, c’est peut-être tout notre patrimoine civilisationnel (« opéras, philharmonies, les plus grands musées du monde ») qui nous sera « servi, en mode virtuel, sur le plateau d’un petit déjeuner au lit à perpétuité (p. 84) ». Un astrologue prédit que les années 2001 – 2100 seront « le siècle des virus ». Vers quel monde irions-nous au fil des pandémies futures ? « Un monde où règnent les techniciens de la ventilation, les surveillants généraux de l’état d’urgence, les délégués à l’agonie. Un monde où, à la place du monde qui fait trop mal, on a des gels hydro-alcooliques, des balcons où l’on s’auto-complimente, des chiens à promener deux fois par jour muni de son attestation covid et des villes expurgées de la foule humaine comme une salle d’opération de ces infections nosocomiales (p. 103). »

Allons-nous docilement accepter une société qui bannit la poignée de mains et où les masques-barrières ostracisent l’échange de sourires conviviaux ?Allons-nous tolérer que des « applications numériques » deviennent pourvoyeuses « de télétravail, télé-enseignement, téléconsultation, télétransport (p. 77) », sans oublier les jeux vidéos garantissant aux plus jeunes un apprentissage ludique dans la ligne des pédagogies progressistes ?

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Comme Pieter Kerstens, je précise que j’appartiens à la génération « à risques ». Mais il faut savoir vivre avec un virus comme avec le péril d’un déraillement de train, le danger quotidien d’une agression dans un monde qui s’ensauvage, la certitude, deux ou trois fois par été, de canicules et de vagues de chaleur appelées à s’intensifier dans un futur proche. En un mot, comme l’écrit le collaborateur de Synthèse nationale, il faut aborder le problème en adulte, alors que les conférences de presse de Sophie Wilmès cherchent à nous infantiliser et que les médias, la chaîne française LCI et sa pâle copie belge LN24, nous inoculent les poisons de l’incertitude et de la peur.

Je respecte le personnel hospitalier, qui a besoin d’un statut humain et financier revalorisé, et non de cette parodie de fonction guerrière offerte par Macron, Philippe et Véran, leur « front » de soignants, leur « première ligne » d’infirmières et leurs « brigades » de traceurs numériques. Je suis conscient de pouvoir être affecté ou emporté par le covid-19, comme le journaliste Mazerolles et l’ancien arbitre de football Javaux, comme le politicien Devekian et le chanteur Christophe.

J’apporte néanmoins mon soutien à des groupes comme « Folie virale » et à leurs manifestations dont j’espère qu’elles se multiplieront en réunissant des milliers de personnes, comme en Allemagne ou aux États-Unis, et non quelques centaines, comme le 16 août à Bruxelles, parmi des Belges bien timorés. C’est pourtant la Belgique qui a le triste record du plus mauvais ratio décès/nombre d’habitants, malgré des mesures tantôt drastiques, tantôt incohérentes, parfois ridicules (comme la « bulle » de cinq personnes), souvent injustes (je pense par exemple au sort réservé aux forains).

La « crise » du coronavirus est loin d’être close. La rentrée scolaire et estudiantine peut réserver une mauvaise surprise. Certaines populations européennes (Belgique, France, Italie, Espagne) semblent ne plus avoir la maturité de leurs aînés qui sont passés à travers les épidémies grippales de 1957 et 1969 sans céder à la panique. C’était aussi un temps où les gens n’étaient pas encore lobotomisés par les media et où les gouvernants ne s’aplatissaient pas devant « un savoir approximatif qui se donne pour une science ». Régis Debray parle ici de l’économie qui a dicté sa loi durant le cycle 1970 – 2020. Mais qu’en est-il de la virologie, parodie de fonction souveraine en ce pénible millésime qui touchera bientôt à sa fin ?

Daniel Cologne

• Bernard-Henri Lévy, Ce virus qui rend fou, Grasset, Paris, 2020, 112 p., 8 €.

Le mystère de la laideur contemporaine

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Le mystère de la laideur contemporaine

Ex: https://aristidebis.blogspot.com

Lorsque je me promène dans Paris, ou dans n’importe quelle grande ville de France, la laideur presque universelle des bâtiments contemporains est un phénomène qui ne lasse pas de me consterner, et de me fasciner.

Dans un article que j’avais traduit pour mon blog, Claire Berlinski, une Américaine vivant à Paris, écrivait : « Paris est toujours beau, mais Dieu sait que les architectes font de leur mieux pour ruiner cette beauté. La périphérie a été détruite et le centre a été abîmé. Aucun architecte ayant œuvré depuis la fin de la seconde guerre mondiale n’a ajouté à la beauté de la ville, et chacun d’entre eux en a soustrait quelque chose.

Les nouveaux bâtiments ont suscité une condamnation universelle dès leur conception, seule la familiarité les a rendus tolérables. Les fait que les architectes d’après-guerre soient incapables de faire quoi que ce soit de beau est une vérité si unanimement acceptée que personne ne se soucie de demander pourquoi. Il s’agit juste d’un aspect de la vie moderne, au même titre que les voyages en avion et internet. »

Je fais entièrement mien ce jugement esthétique concernant ce que l’auteur appelle « le saccage architectural de Paris ». En revanche, je récuse l’idée que personne ne se soucierait de demander pourquoi, étant donné que cette question me tarabuste depuis longtemps déjà.

Comment se fait-il qu’avec tant de richesse et de tels moyens techniques nous ne soyons pas capables de construire des bâtiments agréables à l’œil ? Pourquoi la beauté semble-t-elle avoir pratiquement déserté le monde de l’architecture ? Pourquoi, avec sous les yeux tant de merveilles issues des siècles passés, la création contemporaine est-elle aussi systématiquement hideuse ? Et pourquoi cette laideur est-elle devenue la norme en Occident ? Voilà ce que j’aimerais comprendre.

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Je cite sur ce point un excellent article, très bien informé, que j’avais déjà eu l’occasion de signaler, et dans lequel vous pourrez trouver toutes les illustrations nécessaires pour soutenir mon propos (Brianna Rennix & Nathan j. Robinson, «Why you hate contemporary architecture », Current Affairs, 31 octobre 2017) :

« Pendant environ 2 000 ans, tout ce que les êtres humains ont construit a été beau, ou du moins acceptable. Le XXe siècle a mis un terme à cette situation, comme en témoigne le fait que les gens font souvent des pieds et des mains pour passer leurs vacances dans des villes « historiques » (lire : « belles ») qui contiennent aussi peu d'architecture post seconde guerre mondiale que possible. Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui a réellement changé ? Pourquoi semble-t-il y avoir une rupture aussi évidente entre les milliers d'années qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale et l'après-guerre ? Et pourquoi cela semble-t-il vrai partout ? »

Avant d’aller plus loin, il me faut préciser que ce jugement ne s’applique évidemment pas à tous les bâtiments contemporains. La laideur qui me frappe, et qui est pour moi une énigme que j’aimerais résoudre, est celle des bâtiments que l’on peut dire « de prestige ». Les bâtiments publics ou ceux pour lesquels le ou les architectes ont manifestement reçu carte blanche pour faire « quelque chose de nouveau » et pour démontrer leur génie créatif. Dans certains cas le résultat est réellement intéressant et peut même être esthétiquement satisfaisant. La fondation Louis Vuitton, à Paris, œuvre de l’architecte Frank Gehry, me parait appartenir à la première catégorie et le Burj-al-arab, conçu par l’architecte Tom Wright, à la seconde. Mais pour quelques réussites, combien d’horreurs qui donnent le frisson et que l’on souhaiterait voir détruites séance tenante ? Les beaux bâtiments contemporains sont comme les poissons-volants : ils ne constituent pas, et de très loin, la majorité du genre.

Par ailleurs, pour caractériser les bâtiments que j’ai en vue, le terme laideur est peut-être insuffisamment précis. Sans doute faudrait-il ajouter les termes inhumain et angoissant.

Dans un petit texte dont le titre m’échappe, et que j’ai lu il y a fort longtemps, Michel Houellebecq évoque l’esplanade de La Défense et remarque que les passants semblent spontanément s’adapter à l’architecture proposée en adoptant une démarche robotique et en arborant un regard vide et un visage figé. L’effet produit par l’architecture contemporaine me semble en effet être de cet ordre-là.

Deux éléments me paraissent caractériser principalement les constructions contemporaines qui défigurent nos villes. D’une part le rejet pratiquement systématique de tout ce qui rend un bâtiment spontanément plaisant à l’œil : ornement, symétrie, proportion, harmonie, bref le rejet de tous les constituants objectifs de la beauté, ou du moins, s’il faut parler selon toutes les écoles philosophiques, de ce qui est à peu près universellement considéré comme agréable à regarder.

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« Le fait le plus extraordinaire concernant l'architecture du siècle dernier, cependant », écrivent Rennix et Robinson, « est à quel point certaines tendances sont devenues dominantes. L'uniformité esthétique entre les différents architectes est remarquablement rigide. L'architecture contemporaine fuit l'utilisation classique des symétries multiples, elle se refuse intentionnellement à aligner les fenêtres ou d'autres éléments de design, et préfère les formes géométriques inhabituelles aux formes satisfaisantes et ordonnées. Elle obéit à un certain nombre de tabous stricts : les dômes et arcs classiques sont interdits. Une colonne ne doit jamais être cannelée, les toits en pentes symétriques sont impossibles. Oubliez les coupoles, les clochers, les corniches, les arcades et tout ce qui rappelle la civilisation pré-moderne. » (« Why you hate contemporary architecture »)

Ou encore :

« La passion de l'architecte contemporain est de disposer des éléments d’une manière qui soit intentionnellement discordante, désordonnée et exaspérante. »
Autrement dit, les architectes contemporains semblent chercher avec obstination non pas à plaire mais à déplaire, à choquer et à désorienter.

D’autre part, ce qui me semble caractériser – sans exception que je connaisse – les bâtiments contemporains, c’est leur mépris total pour la notion d’unité architecturale. Un bâtiment contemporain se reconnait d’abord au fait qu’il refuse de manière éclatante de s’intégrer dans son environnement. Au contraire, son ambition première semble être de ruiner, de détruire l’harmonie du quartier dans lequel il s’inscrit, si cela est possible.

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Prenons l’exemple de la tour Montparnasse. Certes, son habillage, très années 1970, a plutôt mal vieilli. Mais sa forme n’est pas déplaisante en elle-même et, dans une ville comme Chicago, personne ne la remarquerait particulièrement, même si elle ne serait sûrement pas considérée comme un beau bâtiment. En revanche, dans une ville comme Paris, dont les bâtiments dépassent rarement une dizaine étages et sont de couleur plutôt claire, la gigantesque tour sombre écrase le paysage et ruine toutes les perspectives à des kilomètres à la ronde. Une des raisons pour lesquelles la Fondation Louis Vuitton peut être classée parmi les rares réussites parisiennes de l’architecture contemporaine, c’est précisément qu’elle est isolée, au milieu du bois de Boulogne. Mais située dans un quartier d’habitation, elle produirait à peu près le même effet discordant que la Tour Montparnasse, en moins catastrophique étant donnée sa plus faible hauteur.

Pour ne pas multiplier inutilement les exemples au sujet d’un phénomène qui ne me parait pas sérieusement contestable, prenons simplement le cas des bâtiments conçus par Le Corbusier. Celui-ci peut certainement être considéré comme le pape de l’architecture contemporaine et son œuvre est classée depuis 2016 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le Corbusier fut à l’architecture du 20ème siècle ce que Picasso fut à la peinture. Certains jugeront peut-être les œuvres de Le Corbusier intéressantes, novatrices, géniales même peut-être. Je les juge personnellement (toutes celles du moins que je connais) particulièrement repoussantes et littéralement inhumaines : impropres à être habitées par des êtres humains ordinaires. Mais je crois qu’il est un point sur lequel les admirateurs de Le Corbusier et ses contempteurs, comme moi, peuvent s’accorder : ses bâtiments sont absolument singuliers. Comme le dit Theodore Dalrymple : « un bâtiment de Le Corbusier est incompatible avec tout ce qui n’est pas lui-même. » En conséquence de quoi : « Un seul de ses bâtiments, ou un bâtiment inspiré par lui, est capable de ruiner l'harmonie de tout un paysage urbain. »

Les sentiments que m’inspire l’architecture contemporaine me paraissent d’autant moins subjectifs que ce que j’ai essayé de décrire se retrouve, mutatis mutandis, dans d’autres domaines de la création artistique.

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Il y a quelque temps de cela, au cours d’une émission de radio animée par l’amie Catherine Rouvier, j’ai eu la chance de rencontrer Alexandre Damnianovitch, chef d’orchestre et compositeur d’origine serbe qui exerce son art en France depuis le début des années 1980. Alexandre Damnianovitch nous racontait l’atmosphère bien particulière, et proprement idéologique, qui régnait au Conservatoire National de Paris à la fin des années 1970. Toute tentative de composer de la musique qui ressemble à ce que le grand public appelle de la musique, c’est-à-dire quelque chose de plaisant à l’oreille et qui contienne une mélodie reconnaissable, était alors traité avec dédain et fortement découragé. Le seul langage musical vraiment admis était celui de la musique sérielle, qui pousse au bout de sa logique la recherche de l’atonalité entamée avec le dodécaphonisme initié par Schönberg au début des années 1920. Le résultat est l’équivalent musical d’un bâtiment de Le Corbusier, lorsque Le Corbusier est à son meilleur, c’est-à-dire à son pire : étrange, inquiétant, désagréable, angoissant.

Lorsque j’étais enfant, mon père, grand mélomane à l’immense érudition musicale, était fréquemment branché sur France Musique, et se désolait tout aussi fréquemment de la présence de plus en plus envahissante, sur les ondes de sa radio favorite, de pièces musicales « d’avant-garde ». Le nom de Pierre Boulez, que j’entendais parfois prononcer sans savoir de qui il s’agissait, évoquait manifestement en lui des sentiments très négatifs, quelque part entre le mépris et la colère.

J’ai gardé le vif souvenir de ces sons discordants qui s’échappaient du poste et qui ne ressemblaient en rien à ce que j’appelais, moi, dans ma naïveté enfantine, de la musique et je n’ai compris que bien plus tard que Pierre Boulez avait été à la musique du 20ème siècle ce que Le Corbusier avait été à l’architecture. J’ai d’ailleurs éprouvé le même genre de sentiment horrifié lorsque j’ai vu pour la première fois la Cité Radieuse, à Marseille, que lorsque j’entendais Le marteau sans maitre, ou ses équivalents, à la radio : « Mais comment peut-on faire des choses pareilles ? »

De la même manière que l’architecture contemporaine d’avant-garde manifeste, en règle générale, une indifférence souveraine vis-à-vis de êtres humains qui sont censés vivre dans ses créations, la musique savante d’aujourd’hui, celle qui est enseignée dans les conservatoires, celle qui fait l’objet de commandes publiques et obtient les prix les plus prestigieux, manifeste en général une indifférence souveraine vis-à-vis de l’auditeur. Une pièce de musique sérielle ou inspirée par ce courant est aussi peu faite pour être écoutée par une oreille humaine qu’un bâtiment de Le Corbusier, ou inspiré par Le Corbusier, est fait pour être habité par des êtres humains réels, avec des besoins et des émotions qui sont ceux des êtres humains. Avec toutefois cette différence : nul n’est obligé d’écouter un morceau de musique et il est donc très facile d’échapper aux atrocités de la création musicale contemporaine. En revanche, il est beaucoup plus difficile, et même pour un certain nombre de gens pratiquement impossible, d’échapper à la vue d’un bâtiment de grande taille, et par conséquent d’échapper aux effets que sa vue produit sur vous. L’indifférence de l’architecte aux utilisateurs de son bâtiment a donc une toute autre portée que l’indifférence du compositeur à ses auditeurs, et se rapproche de la cruauté.

Le même phénomène peut, me semble-t-il, se constater sans trop de difficulté dans la peinture.

Pour ne pas nous égarer dans une forêt d’exemples et de cas particuliers qui risqueraient de nous faire perdre de vue la différence la plus saillante entre la peinture contemporaine et la peinture qui l’a précédée, procédons comme pour l’architecture et la musique, par la méthode des exemples éminents.

De l’aveu général, le plus grand peintre du 20ème siècle, ou du moins le plus important, celui qui a eu l’influence la plus vaste et la plus durable, est Picasso. Or ce qui caractérise la peinture de Picasso, ce qui la caractérise visiblement si l’on peut dire, c’est la déconstruction, l’abandon progressif de tout ce qui était auparavant censé constituer la beauté, et notamment la beauté du corps et de la figure humaine : la symétrie des traits, la proportion des formes, l’harmonie et la vérité des couleurs. Avec Picasso, tout cela disparait pour être remplacé par des êtres difformes, impossibles, qui semblent tout droit sortis d’un cauchemar ou d’un délire toxicomaniaque.

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Après Picasso, le peintre le plus célèbre de la seconde moitié du 20ème siècle – en tout cas celui dont les tableaux sont aujourd’hui encore parmi les plus côtés sur le marché mondial – est sans doute Francis Bacon. A titre personnel, l’œuvre de Bacon me semble beaucoup plus intéressante que celle de Picasso mais, tout comme celles du Picasso de la maturité, les toiles de Bacon me paraissent objectivement dépourvues d’agrément et de beauté. La peinture de Bacon est, si l’on veut, intrigante ou fascinante, mais elle n’est ni belle ni plaisante. En fait, la fascination que peut exercer une toile de Bacon vient précisément de son caractère choquant et, pour tout dire, malsain. Nombre de ses tableaux parmi les plus célèbres ressemblent à des scènes de torture ou des étals de boucherie et ses portraits semblent conçus pour susciter l’angoisse et le désespoir chez le spectateur. On sait que Bacon lui-même était adepte des pratiques sadomasochistes et il ne semble pas excessif de dire que nombre de ses toiles paraissent en cohérence avec ce goût particulier.

Venons-en enfin à la littérature. Que la littérature au 20ème siècle ait peu à peu, comme l’architecture, la musique et la peinture, délibérément délaissé, et même dédaigné, la notion d’agrément me parait peu contestable, de même d’ailleurs et pour les mêmes raisons que les notions de convenance et de moralité. Par agrément j’entends d’abord le plaisir qui nait pour le lecteur de l’intérêt de l’histoire qui lui est raconté et de la beauté du style dans laquelle cette histoire est contée. Je parle bien sûr de la littérature qui a des prétentions, des auteurs qui ambitionnent de « faire une œuvre » et pas simplement de vendre des livres. A titre d’anecdote, mon père – décidément aussi peu satisfait de l’évolution de la littérature que de celle la musique – s’était peu à peu, et à la même époque, tourné vers les « romans noirs » pour contenter sa soif de nouveautés, au point de ne pratiquement plus lire que cela. Il m’avait un jour expliqué ainsi ce goût devenu exclusif : « Eux au moins ils te racontent une histoire ». Mais allons directement au point qui me parait essentiel.

Pierre-Manent-285x345.jpgJe cite Pierre Manent, qui me parait particulièrement éclairant :

« Considérons alors le domaine dans lequel l’humanité moderne enregistre sa vie intime – où elle enregistre toujours plus complètement sa vie toujours plus intime : la littérature. Certes il serait vain d’en résumer le mouvement d’une formule, et je n’ai par devers moi aucune « théorie de la littérature ». Mais enfin il me semble que, de Proust et Céline au théâtre de l’absurde et au Nouveau roman, elle dévoile l’imposture des liens humains, le mensonge de l’amour, l’inanité ou la duperie du langage. Elle explore ce que c’est que ceci : devenir un individu. Elle poursuit cette entreprise avec une obstination et une ferveur qui nourrissent l’obsédant souci de l’avant-garde et de la nouveauté littéraire. Une volonté de connaissance est ici à l’œuvre, qui élabore une sorte d’anthropologie négative, portée non par la foi mais par la défiance – par l’absence de foi dans le lien humain. Par son intensité et sa radicalité, ce mouvement s’oppose et se substitue aux deux grandes autorités qui nourrissaient la littérature antérieure : celle des modèles grecs et romains d’un côté, celle des Ecritures chrétiennes de l’autre. Il n’y a plus de démarche héroïque, plus de chemin vers la sagesse, plus d’itinéraire de l’âme vers Dieu, mais très exactement un « voyage au bout de la nuit » où il s’agit de découvrir enfin ce que c’est que d’être un pur individu, en deçà du lien social, et en deçà même du langage. » (Enquête sur la démocratie, « Note sur l’individualisme moderne ». On trouve également dans ce volume une remarquable analyse du Voyage au bout de la nuit sous le titre « Les hommes séparés – sur la psychologie de Céline », que je ne saurais trop vous recommander.)

Pour confirmer la pertinence de cette observation de Pierre Manent, il suffit, me semble-t-il, de se tourner vers celui qui est sans doute l’écrivain français le plus important de ce début de vingt et unième siècle, Michel Houellebecq.

A la différence de ces écrivains formalistes dont se plaignait mon père, Michel Houellebecq raconte assurément des histoires. Il a quelque chose à dire, ou il estime avoir quelque chose à dire. Mais ce qu’il a à dire s’inscrit dans le droit fil de ce « dévoilement de l’imposture des liens humains » mis en exergue par Manent.

Voici par exemple ce qu’il écrit dans Extension du domaine de la lutte (son premier roman, qui est à bien des égards son livre-programme) : « Pour atteindre le but, autrement philosophique, que je me propose, il me faudra au contraire élaguer. Simplifier. Détruire un par un une foule de détails. J’y serai d’ailleurs aidé par le simple jeu du mouvement historique. Sous nos yeux le monde s’uniformise ; les moyens de télécommunication progressent ; l’intérieur des appartements s’enrichit de nouveaux équipements. Les relations humaines deviennent progressivement impossibles, ce qui réduit d’autant la quantité d’anecdotes dont se compose une vie. » Et encore :

 « Cet effacement progressif des relations humaines n’est pas sans poser certains problèmes au roman. Comment, en effet, entreprendrait-on la narration de ces passions fougueuses, s’étalant sur plusieurs années, faisant parfois sentir leurs effets sur plusieurs générations ? Nous sommes loin des Hauts de Hurlevent, c’est le moins que l’on puisse dire. La forme romanesque n’est pas conçue pour peindre l’indifférence, ni le néant ; il faudrait inventer une articulation plus plate, plus concise et plus morne. »

Les relations humaines sont ou deviennent impossibles. Nous sommes, ou nous tendons irrésistiblement vers l’état de monades. Nous sommes tous « des malins », comme dirait Ferdinand et de fait, de Céline à Houellebecq la ligne est assez droite malgré la différence de ton, hargne et amère sarcasme chez l’un, avachissement et tristesse sans fond chez l’autre.

Mais cette imposture des liens humains, n’est-ce pas aussi ce que nous disent, à leur manière, l’architecture, la peinture et la musique contemporaine ? 

 

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En ce qui concerne l’architecture, les auteurs de Why you hate contemporary architecture font cette remarque humoristique mais aussi, me semble-t-il, très pertinente : « Si cela ne vous fait pas vous sentir terriblement, désespérément seul, c’est que ce n’est probablement pas un bâtiment contemporain ayant remporté des prix. »

Ce sentiment de solitude écrasante que suscitent tant de bâtiments contemporains, en effet, est totalement volontaire, délibérément recherché. Il est à tout le moins la conséquence nécessaire du mépris ostensible des architectes pour les besoins des êtres humains, à commencer par leurs besoins émotionnels.

« Une autre chose que vous entendrez souvent dans les écoles de design », écrivent Rennix et Robinson, « c'est que l'architecture contemporaine est « honnête ». Elle ne s'appuie pas sur les formes et les usages du passé, et elle ne cherche pas à vous vous dorloter, vous et vos sentiments stupides. Réveillez-vous, les moutons ! Votre patron vous déteste, et votre propriétaire suceur de sang aussi, et votre gouvernement a bien l'intention de vous écraser entre ses engrenages. C'est le monde dans lequel nous vivons ! Faut vous y habituer ! Les amateurs du Brutalisme - l'école d'architecture qui se caractérise par l’usage immodéré des blocs de béton brut - s'empressent de souligner que ces bâtiments « disent les choses telles qu'elles sont », comme si cela pouvait excuser le fait qu’ils sont, au mieux, sinistres et, au pire, qu’ils ressemblent au quartier général d'une sorte de dictature totalitaire post-apocalyptique. »

« L’honnêteté » du brutalisme et des écoles qui lui ont succédé sans jamais remettre en cause ses dogmes fondamentaux, est la même honnêteté que celle de Ferdinand : l’honnêteté de reconnaitre que l’amour, l’amitié, la gentillesse, la sollicitude et tous les sentiments apparentés sont illusoires, que nous sommes tous seuls dans notre nuit, enfermés dans notre égoïsme, que par conséquent la réalité du monde humain c’est l’exploitation et l’écrasement de l’homme par l’homme. Le monde humain EST fondamentalement « une sorte de dictature totalitaire post-apocalyptique », même si habituellement nous dissimulons cette réalité sinistre sous toutes sortes d’artifices.

Vouloir plaire, c’est se soucier des autres. C’est croire que ce qui est plaisant pour moi doit également être plaisant pour les autres car les autres hommes me ressemblent, leur monde intérieur est semblable au mien. Pour plaire, il faut s’appuyer sur un répertoire d’émotions et d’idées commun au créateur et à son public. Par conséquent, chercher à plaire c’est postuler qu’une véritable communication est possible Et de fait, l’émerveillement devant la beauté est capable de réunir les hommes et fait signe vers le caractère objectif des distinctions morales, vers l’existence d’un ordre naturel qui n’est pas essentiellement hostile aux aspirations humaines à la beauté, à la justice, à la bonté, à la sagesse. A l’inverse, rechercher systématique ce qui est étrange, déplaisant, choquant, c’est rejeter la possibilité d’un monde commun dans lequel nous pourrions partager les raisons et les actions. C’est affirmer le primat de ce qui nous sépare, de ce qui nous constitue en entités séparés, sur tout ce qui pourrait nous réunir. C’est essayer de « découvrir enfin ce que c’est que d’être un pur individu », comme le dit Pierre Manent.

De cette manière, non seulement les bâtiments contemporains sont-ils le plus souvent conçus de manière à provoquer des sentiments d’aliénation, d’écrasement, d’angoisse et de solitude qui sont censés nous rappeler la vérité de notre condition, mais leur refus, si caractéristique, de s’intégrer harmonieusement dans leur environnement urbain, la recherche obsessionnelle du « geste architectural » qui introduira une rupture bien visible avec ce qui existe peut également être compris comme découlant du même postulat métaphysique de base : la primauté absolue de l’individualité. Les bâtiments contemporains sont par excellence des bâtiments « individuels », pour ne pas dire des bâtiments solipsistes.

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Je vous laisse faire l’application à la musique et à la peinture, mais celle-ci me semble relativement évidente.

Il y a plus : si le réel est l’individuel et si le but de l’existence est de devenir un pur individu, une œuvre d’art sera d’autant plus authentique qu’elle sera plus incompréhensible, plus inassimilable par le public. L’acte de création d’un moi véritable sera par définition sans équivalent. Il sera aussi individuel, unique, que son créateur. Il ne pourra donc, à strictement parler, être compris par personne d’autre que lui.

On le sait, la grande hantise de l’artiste contemporain qui a de l’ambition, c’est d’être « récupéré », c’est-à-dire de devenir populaire. Il y a plus d’une raison à cela, mais une raison décisive est qu’une œuvre populaire, une œuvre qui plait au grand public, ne peut pas être une œuvre « authentique » puisque le commun est une illusion. Bien évidemment ce refus de principe de la popularité s’accommode mal de désirs très communs et auxquels les artistes échappent rarement, comme le désir de l’argent et des honneurs, et on n’en finirait pas d’énumérer les subterfuges qui ont pu être inventés pour concilier ces aspirations inconciliables mais cette crainte comique de la « récupération » n’en est pas moins aisément repérable dans les cercles artistiques contemporains.

Pierre Manent analyse ainsi cette obsession du « devenir individu » qui traverse la littérature du 20ème siècle et qu’il nous a semblé retrouver, mutatis mutandis, dans les autres arts :

« Je vais faire ici ce que je m’étais interdit : je vais résumer d’un mot ce mouvement. Il s’agit, dans l’état de société, et par le moyen de la littérature – de l’investigation littéraire, de l’instrument littéraire – de revenir à ce que les philosophes appelaient jadis l’état de nature, cet état où il n’y a que des individus. Alors que la civilisation se perfectionne, que les nations démocratiques jettent sur le monde un réseau toujours plus ample et serré d’artifices techniques, juridiques et politiques pour faire vivre ensemble, ou plutôt pour faire « communiquer » des peuples que la géographie et l’histoire empêchent de vivre ensemble, l’esprit, dans ces mêmes sociétés, se donne pour tâche de défaire, dans l’élément de la littérature et peut-être, plus généralement, dans l’élément de l’art, de défaire, de déconstruire tous les liens. Ce double mouvement, de construction artificielle et de déconstruction, ne contient rien de contradictoire ; ses deux aspects obéissent au même principe : les hommes n’ont point entre eux de liens naturels ; ils sont donc les auteurs – les artistes – de tous leurs liens.
(…)
Cette situation de la démocratie, cette expérience de la dissolution libératrice des liens, contient pour chaque individu, une mission. Sa situation contient sa mission : il est « condamné à être libre ». Tel est, reconnaissable sous bien des rhétoriques différentes, le pathos spécifique de l’individualisme moderne. »

9782081270923.jpgManent trouve donc la racine de cet « esprit artistique du temps » dans la philosophie politique moderne, celle qui a « popularisé » cette notion d’état de nature et qui s’en est servi pour fonder des gouvernements d’un type nouveau.

Qu’il puisse exister un rapport entre, par exemple, Hobbes et Le Corbusier ou bien entre Rousseau et Céline, et même un rapport de causalité, que les premiers puissent être, en un certain sens, les maitres spirituels des seconds n’est pas si étrange qu’il peut le sembler, si nous voulons bien nous rappeler que la politique est « la science architectonique », comme le dit Aristote. Ce qui signifie à peu près – pour essayer de condenser en quelques mots une longue histoire – que la réponse à la question « qui doit gouverner ? » donne naissance à la fois à un ordre juridico-politique et à un mode de vie, des mœurs, une « culture » particulière : ce que la science politique appelait et appelle parfois encore un régime politique. Ainsi, par exemple, le régime américain est à la fois la Constitution des Etats-Unis et l’american way of life. Le principe de gouvernement propre à chaque régime, autrement dit, tend à pénétrer irrésistiblement dans tous les aspects de la vie humaine, le public contamine le privé.

La description que fait Tocqueville des Etats-Unis, dans De la démocratie en Amérique, est une illustration quasiment parfaite de la maxime précitée d’Aristote :

« Aux Etats-Unis, le dogme de la souveraineté du peuple n’est point une doctrine isolée qui ne tienne ni aux habitudes, ni à l’ensemble des idées dominantes ; on peut, au contraire, l’envisager comme le dernier anneau d’une chaine d’opinions qui enveloppe le monde anglo-américain tout entier. La Providence a donné à chaque individu, quel qu’il soit, le degré de raison nécessaire pour qu’il puisse se diriger lui-même dans les choses qui l’intéressent exclusivement. Telle est la grande maxime sur laquelle, aux Etats-Unis, repose la société civile et la politique : le père de famille en fait l’application à ses enfants, le maître à ses serviteurs, la commune à ses administrés, la province aux communes, l’Etat aux provinces, l’Union aux Etats. Etendue à l’ensemble de la nation, elle devient le dogme de la souveraineté du peuple. Ainsi, aux Etats-Unis, le principe générateur de la république est le même qui règle la plupart des actions humaines. La république pénètre donc, si je puis m’exprimer ainsi, dans les idées, dans les opinions, et dans toutes les habitudes des Américains en même temps qu’elle s’établit dans leurs lois. »

Et Tocqueville, dans le second tome de son ouvrage, n’hésite d’ailleurs pas à appliquer cette analyse à la production artistique américaine, en s’essayant à expliquer pourquoi, selon lui, « les Américains élèvent en même temps de si petits et de si grands monuments » ou quelles sont quelques-unes « des sources de poésie chez les nations démocratiques ».

manent.jpgIl serait possible de prolonger l’analyse de Manent (et de Tocqueville) en faisant remarquer que la science moderne n’est pas non plus sans rapport avec les caractéristiques de l’art contemporain que nous avons mis en évidence. On pourrait par exemple, sans grande difficultés, tracer des parallèles entre la théorie néo-darwinienne concernant l’origine de la vie et l’évolution des espèces, et la Weltanschauung propagée par « l’avant-garde » artistique au 20ème siècle. Enfin, il serait possible de relier tous les fils en analysant les rapports qui existent entre la science moderne et la philosophie politique moderne.

Mais une telle analyse nous entrainerait beaucoup trop loin sur des chemins beaucoup trop escarpés. Restons-en donc à cette constatation : il existe une affinité certaine entre notre philosophie politique et notre production artistique et notamment entre nos principes « individualistes » et les caractéristiques les plus contestables et les moins satisfaisantes de notre architecture, de notre littérature, de notre musique, de notre peinture, etc.

Gardons-nous, toutefois, d’en tirer des conclusions trop radicales au sujet de « la modernité » ou « la démocratie ».

D’une part, lorsque l’on découvre, ou que l’on croit découvrir une cause général commune à beaucoup de phénomènes, le danger est de croire que cette cause est irrésistible et de faire disparaitre la part irréductible du hasard et de la liberté dans les affaires humaines. Il existe bien, si l’on veut, un « esprit du temps », qui est plutôt un esprit du régime politique, un ensemble d’idées dominantes que, l’être humain étant ce qu’il est, la plupart des hommes accepteront sans réflexion. Mais il s’agit d’une tendance générale, pas d’une fatalité. Il est toujours possible de s’émanciper de « l’esprit de son temps » ou, plus modestement, des idées dominantes dans le milieu familial ou professionnel au sein duquel on évolue. Ainsi, dans le domaine de l’art, il existera toujours des artistes qui iront à contre-courant des conceptions en vogue, celles qui conduisent à l’argent, aux places et aux honneurs. Et, inversement, la domination d’un courant artistique ne se maintient pas durablement sans un effort constant de la part de ses membres pour accaparer les positions à partir desquelles se distribuent l’argent, les places et les honneurs.

J’ai parlé précédemment d’Alexandre Damnianovitch. Après avoir subi, dans sa jeunesse, l’influence et la domination intellectuel du courant sériel, il s’en est peu à peu émancipé pour revenir vers un langage musical classique et pour développer une œuvre véritablement personnelle, inspirée par le passé de la Serbie sans en être une simple répétition. Il existe beaucoup de musiciens comme lui, mais ils sont maintenus dans une semi-obscurité par la domination institutionnelle des disciples de Boulez (pour dire les choses rapidement). De la même manière, tous les architectes actuels ne sont pas des adeptes des principes de Le Corbusier, mais à ceux-là vont rarement les commandes prestigieuses. Et ainsi de suite.

Berlinski.jpgD’autre part, la modernité est déjà une histoire vieille de plusieurs siècles et le phénomène qui nous intéresse date du 20ème siècle tout au plus, il ne peut donc pas être imputé à « la modernité » ou à « l’individualisme démocratique » purement et simplement. Le Paris que nous admirons tant et dont nous regrettons qu’il soit de plus en plus défiguré par les créations des architectes contemporains, ce Paris est pour l’essentiel est une création de la modernité. Comme l’écrit Claire Berlinski :

« Au milieu du 19ème siècle, le centre de Paris était un dédale de rues enchevêtrées, un foyer d’émeutes et d’épidémies de choléra. L’empereur Napoléon III montra à son préfet de la Seine, Georges-Eugène Haussmann, un plan de Paris et lui donna pour instruction « d’aérer, d’unifier et d’embellir ». Haussmann transforma le Paris décrit par Balzac en la ville que nous connaissons de nos jours, une ville dans laquelle de larges boulevards bordés d’arbres mènent l’œil à des monuments néoclassiques, à des hôtels particuliers faits de marbre couleur crème et de calcaire, à des fontaines spectaculaires et à des jardins soigneusement entretenus. Les grandes cathédrales devinrent les joyaux d’un bracelet urbain fait de statues dorées, d’ornement précieux, de gargouilles grimaçantes, de nymphes lascives et de chérubins potelés. »

Haussmann a considérablement embelli Paris et il l’a fait en partie en détruisant le Paris plus ancien, apparemment sans aucun remords. Mais si Haussmann a fait de Paris une ville moderne, il l’a fait en respectant les principes classiques de l’architecture, ceux déjà employés et théorisés par les Romains, par exemple dans le fameux traité de Vitruve, De architectura, composé au premier siècle avant notre ère. Ces principes ont parcouru les siècles pratiquement sans altération et nous connaissons tous le célèbre « Homme de Vitruve », dessiné par Léonard de Vinci en appliquant les proportions du grand architecte romain. Léonard, et des générations d’artistes, d’architectes et d’urbanistes modernes après lui ont continué à déférer à la règle fondamentale énoncée par Vitruve : « Pour qu’un bâtiment soit beau, il doit posséder une symétrie et des proportions parfaites comme celles qu’on trouve dans la nature ». Haussmann était de ceux-là. Mais il y en a eu beaucoup d’autres et une simple promenade dans Paris permet de constater que, jusque dans les années 1920 au moins, les architectes en général respectaient les trois critères de Vitruve : firmitas, utilitas, venustas.

Dearchitectura02.jpgEn fait, nous ne devons pas oublier que la modernité, d’un point de vue politique, s’est d’emblée présentée sous un double aspect. Avec l’affirmation des droits de l’individu et en même temps qu’elle est venue l’affirmation d’un commun particulièrement vigoureux, sous la forme de la nation. La déclaration des Droits de l’Homme de 1789 est aussi la déclaration des droits du citoyen et elle est, pour ainsi dire, concomitante de la transformation des Etats Généraux en Assemblée Nationale. La déclaration d’indépendance des Etats-Unis, qui affirme que tous les hommes ont été créés égaux et sont dotés de certains droits inaliénables, commence en évoquant le droit à « une place séparée et égale » que « les Lois de la Nature et du Dieu de la Nature », donnent à chaque peuple. La modernité, c’est aussi la montée en puissance des nations et les deux guerres mondiales, par leur ampleur totalement inédite, ont à l’évidence quelque chose à voir avec cette formidable énergie collective générée par les principes modernes. La modernité politique, en d’autres termes, ne peut pas être résumée à « l’individualisme ». Il y a toujours eu un autre pôle : le pôle de la « nation sacrée ». Bien évidemment ces deux pôles sont en tension mais, pendant assez longtemps, cette tension a pu être considérée comme productive. Ce n’est que depuis le vingtième siècle, et même depuis le milieu de celui-ci, que la dialectique moderne entre l’individu et la communauté semble avoir été rompue, avec une victoire presque sans partage de l’individu et de ses « droits », « droits » qui eux-mêmes se sont étendus presque à l’infini. Par une coïncidence qui n’en est très vraisemblablement pas une, c’est à peu près au même moment que les artistes ont largué les amarres et ont fait voile sur l’océan du bizarre et du laid, que leur rapport au passé est devenu celui du mépris, du rejet ou de l’oubli.

Si comme je le crois, cette coïncidence n’en est pas une, cela signifie que le combat politique de notre temps, le combat très actuel qui oppose ceux qui savent qu’ils sont membres d’un corps politique singulier et qui veulent préserver ce corps politique et ceux qui se croient de purs individus et qui veulent détruire ce corps politique qui les gêne - ou, pour en rester à la France, entre ceux qui croient que la France est bonne et doit être préservée et ceux qui croient que la France est mauvaise et doit être détruite - ce combat-là est coextensif au combat qui se mène sur le terrain de l’art, entre les défenseurs de la beauté, de la nature et du sens, et les partisans de la laideur, de l’artificiel, de l’absurde.
La victoire ou la défaite des uns devrait suivre de près la victoire ou la défaite des autres. 

Source

»Rationaler Staat und Stahlhartes Gehäuse« - Dr. Erik Lehnert auf der 21. Sommerakademie des IfS

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»Rationaler Staat und Stahlhartes Gehäuse«

Dr. Erik Lehnert auf der 21. Sommerakademie des IfS

 
Dr. Erik Lehnert sprach im Rahmen der 21. Sommerakademie (18.–20. September 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) coronabedingt vor 90 Schülern und Studenten in Schnellroda über »Rationaler Staat und Stahlhartes Gehäuse«.
 
 
41O4B2XrQgL._SX342_BO1,204,203,200_.jpgWeitere Informationen zu Dr. Erik Lehnert, Berlin: https://sezession.de/author/erik-lehnert
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mardi, 13 octobre 2020

Soldiers, Anarchs, and Ideologues

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“Soldiers, Anarchs, and Ideologues” 

I have a contribution to this titled “Nietzsche vs. Hitler: Anti-Nazism on the German Revolutionary Right.”

Copies of SOLDIERS, ANARCHS & IDEOLOGUES: HEROES OF THE CONSERVATIVE REVOLUTION are 175 pages in length and cost just 20 EUROS with free postage to anywhere in the world. The PayPal address is blackfrontpress@yahoo.co.uk and you can find more details below.

AFTER the tremendous success of our two-volume series, Eye of the Storm, Black Front Press has decided to widen its scope a little and feature one or two examples of those who pursued similar ideas elsewhere. Rather than confine our study to Germany, therefore, this latest volume includes Conservative Revolutionary trends from countries as far afield as Portugal and China. We are certain that this book will provide you with both a sufficient grounding in the subject concerned and a springboard from which to inform and enhance your own thoughts and actions.

Chapters include

Unity in Diversity: Ernst Jünger and the Importance of Multiplicity;

Chiang Kai-Shek: Revolutionary Conservative;

The Marburg Speech;

A Critical Look at Jünger’s Workerism;

The Fortunes of War: A Curious Link Between Otto Strasser and Walter Benjamin;

Nietzsche vs. Hitler: Anti-Nazism on the German Revolutionary Right;

Oswald Spengler and History as Destiny;

Life as an Anarch;

Parallels in Mannheim, Jünger and Gramsci;

The 20th July Conspirators: ‘Traitors’ to Tyranny, Heroes of Geheimes Deutschland;

Life, Death and Will: Echoes of Jünger in Stefan Zweig;

Sardinha’s Path to Tradition: Counter-Revolution, Monarchy and a Republic of Free Men;

The Hand of Mystery: Spengler and Prophecy;

Ernst Jünger and the Myth of Cultural Marxism;

From Ernst Jünger to Armin Mohler: An Interview with Robert Steuckers;

Ode to Spengler;

Work and Power: Jünger’s Debt to Stirner;

Walter Benjamin: Unlikeliest of Revolutionary Conservatives.

The contributors are Troy Southgate, Robert Steuckers, Tomislav Sunic, K.R. Bolton, Keith Preston, Richard J. Levy, Manuel Rezende and Sean Jobst.

Un autre juin 1940

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Un autre juin 1940

par Georges FELTIN-TRACOL

Les éditeurs « installés » ne pourraient plus sortir des romans dont l’intrigue, y compris fictive, risquent de contredire la bienséance mémorielle et le dogmatisme historique officiel. C’est le cas pour L’appel du 17 juin d’André Costa paru à l’automne 1980.

AVT_Andre-Costa_5829.jpgNavigateur, pilote automobile et historien à ses heures perdues, André Costa (1926 – 2002) a dirigé L’Auto-Journal, le fleuron du groupe de presse de Robert Hersant entre 1950 et 1991. Sa passion pour les sports mécaniques en fait un journaliste féru d’essais des nouveaux modèles automobile. Souvent présent aux courses motorisées en circuit fermé ou en rallye, il écrit des ouvrages spécialisés (Les roues libres). Il se distingue aussi par L’appel du 17 juin, un brillant récit uchronique.

Le point de divergence se rapporte à la poursuite de la guerre du côté français malgré la « Débâcle » (1). À peine le cabinet du Maréchal Pétain constitué, « le général de Gaulle avait tout d’abord prévu de repartir vers la Grande-Bretagne à bord de l’appareil qui l’avait amené la veille. Le général Spears qui opérait la liaison entre Churchill et le gouvernement français l’encourageait vivement à ne pas demeurer plus longtemps en France […]. L’avion décolla vers 9 heures du matin mais de Gaulle demeura à terre, en dépit des supplications véritables de Spears (p. 31) ».

De Gaulle avec Pétain

Pendant sa courte période ministérielle, le sous-secrétaire d’État à la Guerre ne ménage pas ses efforts dans le transfert en Afrique française du Nord le maximum de matériel, de personnels et d’armement. En effet, « entre le 5 et le 25 juin, deux guerres allaient se livrer parallèlement, imbriquées l’une dans l’autre mais orientées chacune vers un but différent. La première bataille serait classique : il s’agirait de retarder la poussée des divisions allemandes vers le sud. La seconde bataille allait en revanche revêtir des aspects plus originaux. Elle résiderait en une lutte désespérée entre le temps et la distance, compliquée par une quête éperdue, à la recherche des bateaux capables de faire passer en Afrique du Nord troupes et matériel (p. 15) ». André Costa écarte toute idée de « réduit breton » comme point de résistance à l’avancée motorisée allemande.

Resté en France, Charles de Gaulle décide alors de convaincre Philippe Pétain. Vers 21 heures, le Maréchal le reçoit. La discussion est franche et directe :

« — Monsieur le Maréchal, il ne tient qu’à vous d’éviter la destruction et la plus détestable des divisions. Continuez la guerre et votre nom forcera le Destin. Depuis un mois, les Français ont été submergés d’appel. Appels à leur volonté de résistance, à leur énergie, que sais-je encore. Ce soir, monsieur le Maréchal, moi, Charles de Gaulle, que vous connaissez depuis longtemps, j’en appelle à votre sens de la France. Il faut que vous disiez à la France de continuer la bataille; sans quoi elle terminera ce siècle dans le rôle d’une nation secondaire… (p. 32) »

Les historiens nommeront cette discussion l’« appel du 17 juin ». Le vieil homme qui ne cache pas son scepticisme marqué par le sceau du réalisme, et exprime ses réticences :

« — Mais enfin, sacrebleu, vous rendez-vous compte de ce que vous demandez à un homme de mon âge ? À l’époque où je pouvais encore décemment rêver d’offensive, le sort m’a condamné à livrer la plus grande bataille défensive de l’histoire moderne. Et voici qu’aujourd’hui, vous demandez à un vieillard de quatre-vingt-quatre ans de se lancer dans une aventure de gamin; de quitter la France pour s’en aller chez les Arabes ? (p. 32) »

Le vainqueur de Verdun craint que la France occupée souffre de représailles terribles. De Gaulle, cynique, l’espère au contraire, car « en tuant des Français, les Allemands réveilleront la rage guerrière de la France. Elle saura à nouveau se battre et gagner une guerre… (p. 33) » Le maréchal Pétain cède finalement à ses arguments. Le gouvernement va se déplacer à Alger. En attendant, le nouveau président du Conseil place De Gaulle à la tête de la délégation française supposée négocier à Rethondes les conditions d’armistice. L’objectif réel est de gagner le plus de temps possible.

À Rethondes, le Führer accueille un général de Gaulle plus hautain que jamais. Les discussions se passent très mal. La France ne signera pas d’armistice. Le 22 juin 1940 à minuit, après le bombardement dévastateur de Bordeaux, le Maréchal annonce à la radio que la France continue la lutte. Il somme les Français à prendre les armes. À 8 heures du matin, le Général, promu vice-président du Conseil et ministre de la Guerre, intervient à son tour à la radio depuis « Alger, capitale provisoire de la France éternelle (p. 50) ».

Deux Frances en parallèle

Le Maroc, l’Algérie et la Tunisie accueillent en quelques semaines un grand nombre de militaires, d’ouvriers spécialisés, de techniciens et de civils transportés par une « Royale » habillement commandée par son amiral de la flotte, François Darlan. Les équipages français s’illustrent aussi en coulant divers navires italiens. Et l’Espagne franquiste ? « L’Espagne pense beaucoup plus à manger et à se reconstruire qu’à se battre. Hitler ne peut promettre à Franco que des territoires qu’il ne contrôle pas et qu’il lui faudrait conquérir l’arme à la main, cela sans parler de la concurrence italienne… Au contraire, les États-Unis sont en mesure de donner du blé, simplement en échange de sa neutralité. Franco saura choisir (p. 78). » Madrid devient dès lors un excellent interlocuteur entre les parties belligérantes.

ZV9W2JhdxT2Qc7p0S9e_BBC7hRE@247x336.jpgBerlin nomme comme Gauleiter de la France occupée Otto Abetz. Afin de contrer la légitimité du gouvernement français d’Alger, il incite Pierre Laval à devenir le chef d’un gouvernement embryonnaire avec pour seuls ministres Marcel Déat à l’Intérieur et Jacques Doriot à la Défense nationale. L’auteur s’inscrit ici dans la convenance historique. On peut très bien imaginer que les militants du « Grand Jacques » suivent l’appel du Maréchal et s’engagent dans une féroce guérilla. Celle-ci n’est pas le fait comme en 1870 de francs-tireurs, mais de soldats français restés en métropole et regroupés en « Unités spéciales ». La n° 1 est directement dirigée par un prisonnier de guerre évadé et ancien corps-franc en 1939 – 1940 : Joseph Darnand. Celui-ci monte de multiples actions meurtrières contre les occupants allemands. André Costa tient probablement à rappeler ce qu’écrivait Georges Bernanos : « S’il y avait eu plus de Darnand en 1940, il n’y aurait pas eu de miliciens en 1944. » Exempt donc de toute interprétation « paxtonite », L’appel du 17 juin décrit les premières persécutions de la population juive dans tout le pays dès l’été 1940.

L’Italie n’arrive pas à s’emparer de la Corse. André Costa paraît oublier la bataille des Alpes et la déroute italienne face aux Français. Il imagine en revanche que prise en tenaille entre la ligne Maginot, le Jura et les Vosges des centaines de milliers de soldats français forment une solide poche de résistance qui disparaît par des négociations et un vote des combattants, suite à la médiation diplomatique de l’Espagne. Si quelques combattants français préfèrent regagner leur foyer en France occupée, la majorité part pour l’Afrique du Nord. Entre-temps commence la bataille aérienne d’Angleterre au cours de laquelle la Luftwaffe est presque victorieuse jusqu’au moment où les Spitfire britanniques pilotés par des Français lui inflige de sévères pertes.

Installé au Palais d’Été d’Alger, le gouvernement français déplacé organise la mobilisation totale de son empire colonial au cours de fréquentes réunions politiques et militaires. « Outre le maréchal Pétain et le général de Gaulle, les généraux Weygand, Noguès, Georges et d’Harcourt étaient présents ainsi qu’un civil, Georges Mandel (p. 149). » C’est pendant l’une de ces réunions qu’il est décidé une double offensive, navale vers la Sicile et terrestre contre la Libye italienne, le 15 août 1940. Or Hitler a prévu ce jour-là de déclencher sur Bizerte une gigantesque opération aéroportée. La Tunisie se transforme en champ de bataille. L’ampleur et la violence de l’attaque germano-italienne obligent le Maréchal à prendre lui-même le commandement du nouveau front. Cependant, les forces de l’Axe perdent leur avantage initial après plusieurs semaines d’intenses combats. Les troupes alliées s’emparent de toute la Libye italienne.

Un regard impartial

Dans ce conflit s’illustrent Pierre Kœning, Jean de Lattre de Tassigny et Philippe de Hauteclocque. Engagé volontaire dans l’armée française en 1944 – 1945, André Costa admire ces trois généraux, en particulier « Leclerc ». Cela ne l’empêche pas de saluer aussi le courage des soldats allemands et italiens. Plus étonnant, il raconte la franche amitié entre le lieutenant français Robert Desnais et l’Obersturmführer Heinz Klausmann de la division SS Totenkopf. Pour cet officier allemand francophone, les SS sont « des soldats politiques, et cette notion est certainement nouvelle pour vous. Elle signifie que nous ne luttons pas seulement sur le front. Nous voulons remporter toutes les victoires, afin de gagner toutes les paix. Pour cela, nous devons être les meilleurs, dans tous les domaines. C’est ça, la SS ! (p. 57) ». Il expose à son futur ami ébahi sa vision du monde : « La guerre aura lieu entre le passé et l’avenir. Entre la jeunesse et la sénilité. Entre la haine et l’espoir… Nous n’aurons pas trop de toutes les bonnes volontés européennes pour triompher. […] France, Allemagne… Ce sont déjà des survivances d’un passé poussiéreux ! […] Notre force sera notre droit. Notre droit à ressusciter l’empire européen de Charlemagne où ni les Juifs, ni les Slaves, ni les Arabes, ni les Noirs n’auront droit de cité, non pas en raison d’une infériorité congénitale mais, beaucoup plus simplement, parce que notre culture et nos traditions ne sont pas les leurs ! (pp. 58 – 59) »

ob_c887df_hersant-robert03.jpgIl est probable qu’André Costa ait lu la trilogie des Waffen SS français de « Maît’Jean ». Rédacteur en chef de L’Auto-Journal, il devait de temps en temps rencontrer son grand patron, Robert Hersant, ancien du Jeune Front du Parti français national-collectiviste de Pierre Clémenti. Ce passionné de l’automobile côtoyait par ailleurs Jean-Marie Balestre, président de la Fédération internationale du sport automobile (FISA) entre 1978 et 1991, qui, dans sa jeunesse, avait été un volontaire français de la Waffen SS tout en restant proche des milieux de la Résistance intérieure. Affecté au journal SS français Devenir, il rédigeait sous l’autorité de… Saint-Loup. Il est envisageable qu’après avoir épuisé leur conversation favorite consacrée aux voitures, André Costa et Jean-Marie Balestre en viennent à parler de leur engagement militaire respectif passé.

Furieux de ne pas pouvoir envahir la Grande-Bretagne, Hitler ordonne un raid côtier. Débarquent à Brighton, « quatre cents hommes de la Leibstandarte ainsi que les dix chars Mk1, les side-cars et les sections du génie avec leur matériel de destruction (p. 212) ». C’est un beau coup d’éclat. Un ancien étudiant allemand qui séjournait avant-guerre non loin de là effectue en compagnie de son unité blindée légère et d’un correspondant de guerre une petite promenade dans la campagne anglaise. Il se permet même de s’arrêter dans un pub, y boire une bière, de s’y faire photographier et de payer le plein d’essence. Un autre groupe arrête le général Bernard Montgomery « dont la plus grande partie de l’armée connaissait au moins de réputation le caractère irascible et tatillon (p. 209) ». Pensant qu’il s’agit de l’avant-garde de l’invasion, Churchill lâche de l’ypérite, un terrible gaz de combat. André Costa pensait-il que le Premier ministre britannique fût un indéniable criminel de guerre ?

L’épée et le bouclier

La partie la moins « travaillée » de cette remarquable uchronie reste l’aspect politique. La IIIe République s’efface au profit d’une nouvelle république, la Quatrième, dont le premier président, le Maréchal Philippe Pétain, est élu au suffrage universel direct par 98,1 % des suffrages et une abstention d’environ 8 % (p. 297). Parmi les électeurs se trouvent les indigènes à qui le gouvernement vient d’accorder la pleine citoyenneté d’autant que « la France a besoin de 200 000 soldats algériens. Pour cela, l’Algérie doit devenir réellement française. De toute manière, avec ou sans cette guerre, l’heure du choix sonnera. Si l’Algérie ne devient pas française par inclination ou par fatalité historique, elle sera algérienne (p. 227) ». André Costa se plaît à imaginer un État français uni. « Au cours de ce conflit, la France connut une chance insigne. Ses dirigeants les plus représentatifs et les plus dynamiques parvinrent à réaliser entre eux un accord véritable, malgré les différends aisément susceptibles de les opposer. Pourtant, en dépit de la valeur de cette union sacrée réalisée entre un vieux maréchal de France désenchanté et un général ambitieux, le redressement de la France n’aurait pu avoir lieu sans l’action déterminante menée par Jean Monnet (p. 253). » Juste avant de rejoindre L’Auto-Journal, André Costa fit ses classes à L’Aube, le journal démocrate-chrétien du MRP (Mouvement républicain populaire), d’où cet éloge envers l’« Anglo-Saxon girondin ».

lpdp_81431-6.jpgÉlu chef de l’État, le Maréchal nomme le général de Gaulle Premier ministre. Ce prisme institutionnel « gaullien » dénote dans l’économie générale du récit. L’auteur ne se rapporte jamais à la loi Tréveneuc du 23 février 1872 qui, en cas d’empêchement du Parlement, permet à tous les conseils généraux disponibles de choisir en leur sein deux délégués qui forment alors une assemblée nationale provisoire. Cherche-t-il aussi à réconcilier à travers ce récit fictif gaullistes et pétainistes ? Lors d’une nouvelle discussion entre les deux plus grands personnages français du XXe siècle, il fait dire à Charles de Gaulle les conséquences qu’aurait eues un éventuel armistice :

« — Certes, monsieur le Maréchal, votre gouvernement eût été légitime de droit et, la lassitude aidant, la majorité vous eût sans doute été reconnaissante de trouver dans votre renoncement personnel une prestigieuse justification à son abandon. Pourtant, çà et là, des hommes se seraient levés, que j’aurais personnellement encouragés. Ils auraient continué la guerre à quelques-uns et votre immense prestige n’aurait fait que diviser la France, en la déchirant entre l’honneur d’un nom, le vôtre, et celui d’une attitude : la volonté de vaincre ! Et cela eût duré des générations, au sein d’une France diminuée inéluctablement, aussi bien dans l’esprit de ses fils que vis-à-vis de l’étranger (pp. 80 – 81). (2) »

En entendant ces propos, le Maréchal Philippe Pétain ne peut pas ne pas s’exclamer :

« — Décidément, de Gaulle, vous voulez à toute force être l’épée de la République. Vous auriez dû vous prénommer Michel…

— Monsieur le Maréchal, j’accepte l’image qui, si je ne m’abuse, est d’ailleurs de vous, vous le bouclier de la France d’après votre propre formule.

Le Maréchal haussa les épaules.

— Pas du tout. On m’a assuré au contraire que c’étaient là vos paroles (p. 81). »

indexcolR.jpgAndré Costa se plaît ici à reprendre la célèbre formule du Colonel Rémy (alias Gilbert Renault). Ce résistant royaliste de la première heure, plus tard Compagnon de la Libération, fondateur du réseau résistant « Confrérie Notre-Dame », principal orateur du mouvement gaulliste d’opposition RPF (Rassemblement du peuple français), soutient en 1950 dans l’hebdomadaire Carrefour la « théorie des deux cordes », soit un accord tacite entre l’« épée » de Gaulle et le « bouclier » Pétain. Une version aujourd’hui hérétique dans l’université putréfiée hexagonale, mais qui reste largement valable, n’en déplaise aux sycophantes en place.

Lucide, l’auteur montre l’ambiguïté profonde des communistes français à l’heure de l’alliance entre l’Allemagne et l’URSS. Ainsi raconte-t-il une réunion clandestine d’une cellule parisienne. Le premier militant, Bourgeot, en clandestinité depuis un an, critique le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939. La deuxième, Ginette, s’en félicite au contraire et conclut son intervention par un « faisons confiance au camarade Staline… (p. 122) ». Pour le troisième, son mari, « c’est peut-être Hitler et ses SS qui ont raison… Eux, ils annoncent la couleur. Ils savent se battre et, après avoir descendu tous les juifs de la Finance et les ploutocrates, ça ira peut-être vraiment mieux ! (p. 122) » Le dernier à intervenir est mandaté par le Parti. Refaisant tout l’historique politique de l’année écoulée, il insiste sur leur « but essentiel : le triomphe de la IIIe Internationale, animée et défendue par l’URSS ! (p. 124) » Il est si convaincant que dès le lendemain, tous distribuent dans les rues de la capitale L’Humanité autorisé à reparaître sous une censure allemande incroyablement indulgente pour la circonstance puisqu’elle laisse passer les critiques quotidiennes contre le proto-gouvernement de Pierre Laval. Très vite, la région parisienne voit se multiplier les rixes entre communistes et doriotistes.

André Costa n’aborde en revanche jamais l’attitude de Charles Maurras et de L’Action Française. Dans les circonstances qu’il décrit, la germanophobie de Maurras l’aurait sûrement incité à franchir la Méditerranée en compagnie de Thierry Maulnier, de Pierre Boutang, de Claude Roy et de Maurice Blanchot, à se rallier à une nouvelle « union sacrée » et à soutenir le maréchal Pétain et le général de Gaulle dont le quotidien défendait déjà avant 1939 les propositions tactiques. Toutefois, « dans une petite ville du Morvan (p. 195) », le commandant Joseph Darnand exécute l’éditorialiste d’un bi-hebdomadaire local favorable à Pierre Laval. L’auteur […] était un vieil avoué parfaitement honnête, fidèle de l’Action Française, officier de cavalerie de réserve et président régional d’une association d’anciens combattants (p. 195). »

Après la Pologne, la Scandinavie, l’Europe de l’Ouest, la Méditerranée occidentale et la Tunisie, les opérations se déplacent dans les Balkans. Le 22 octobre 1940, le Duce attaque à partir de sa colonie albanaise la Grèce. « Après ses échecs en Afrique du Nord et en mer Tyrrhénienne, Mussolini désirait absolument une revanche sur le plan militaire, qui lui apporterait également le réconfort politique dont il avait grand besoin (p. 279). » Cette offensive déstabilise toute la région puisque la Bulgarie intervient du côté de l’Axe. La Yougoslavie noue d’abord une alliance avec Berlin, avant de se rétracter après un coup d’État anti-allemand. Elle demande l’aide militaire à la France et à la Grande-Bretagne. Le corps expéditionnaire franco-britannique entraîne une sixième défaite militaire consécutive italienne depuis l’entrée en guerre de l’Italie en 1940. Le 24 janvier 1941, Mussolini perd le pouvoir et est arrêté. Le roi Victor-Emmanuel III d’Italie nomme le maréchal Badoglio nouveau chef du gouvernement. L’armée royale italienne commence à se retourner contre son ancien allié allemand.

Un dénouement inattendu

Début février 1941, les belligérants se neutralisent et les fronts se stabilisent peu à peu. Malgré ses récentes défaites, l’Allemagne continue à dominer une très grande partie du continent européen. L’appel du 17 juin se termine par un coup de théâtre qui mérite d’être commenté. Le 6 février 1941, en séance plénière de l’Assemblée nationale consultative, le Maréchal reçoit un message diplomatique allemand transmis par l’ambassadeur d’Espagne à Alger. Le papier provoque son évanouissement. Hitler demande l’ouverture immédiate de négociations avec la Grande-Bretagne et la France. Pourquoi ? « Ce matin, […], à 4 heures, les frontières du Reich, du Gouvernement général et de la Roumanie ont été violées par de très importantes forces soviétiques qui, attaquant en masse, ont d’ores et déjà réalisé en certains points d’importantes pénétrations (p. 333). »

André Costa laisse le lecteur imaginer la suite. Bien auparavant, il avait cependant averti que « le journaliste Jean Fontenoy […] devait plus tard mourir courageusement en se battant contre l’armée soviétique (p. 87) ». La France réfugiée en Algérie de Philippe Pétain et de Charles de Gaulle aurait-elle accepté l’offre allemande ? Vu la tonalité très anticommuniste de cette IVe République alternative, c’est une forte éventualité. Mais Alger devrait prendre en compte l’intransigeance maladive de Churchill pour qui l’Allemagne était plus dangereuse que l’URSS. De vives tensions seraient alors apparues entre les deux alliés. L’invasion soviétique aurait inévitablement obligé l’Espagne et le Portugal à participer d’une manière plus soutenue à la riposte anti-bolchevique tout en gardant leur neutralité par rapport au conflit germano-italo-franco-britannique.

Suworow_Wiktor.jpgSans le savoir, André Costa anticipe ici la thèse, contestée bien évidemment par les historiens de cour, de Victor Suvorov dans Le brise-glace (3). « Hitler croyait l’invasion inévitable, mais il ne pensait pas qu’elle serait imminente. Les troupes allemandes étant employées à des opérations secondaires, l’opération “ Barbarossa ” fut même reportée à plusieurs reprises. Elle commença enfin le 22 juin 1941. Hitler ne se rendit manifestement pas compte à quel point il avait eu de la chance. S’il avait repoussé son plan une nouvelle fois, par exemple au 22 juillet, il aurait très certainement fini la guerre bien avant 1945. Nombre d’indices tendent à prouver que la date fixée par Staline pour l’opération “ Orage ” était le 6 juillet 1941 (4). » Dans le contexte géopolitique propre à L’appel du 17 juin, à la vue des défaites successives de l’Axe, Staline peut fort bien avancer au mois de février son plan de conquête de l’Europe. L’auteur ne dit rien sur l’éventuel déclenchement parallèle, coordonné et simultané par les appareils clandestins communistes de grandes grèves générales et d’actes révolutionnaires subversifs dans l’Europe entière ainsi qu’en Afrique du Nord. Joachim F. Weber rappelle pour sa part dans la revue jeune-conservatrice Criticón (mai – juin 1991) qu’à cette époque, « pour les officiers de l’état-major allemand comme pour tous les observateurs spécialisés dans les questions militaires, c’est devenu un lieu commun, depuis 1941, de dire que l’avance allemande vers l’Est a précédé de peu une avance soviétique vers l’Ouest, qui aurait été menée avec beaucoup plus de moyens. La vérité, c’est que le déploiement soviétique, prélude à l’ébranlement des armées de Staline vers l’Ouest, n’a pas le temps de s’achever (5) ».

La nouvelle donne à l’Est bouleverse le déroulement de cette autre Seconde Guerre mondiale. Plutôt que bombarder Pearl Harbour, l’Empire du Japon révise ses objectifs et cherche à se venger de sa défaite récente à Khalkhyn-Gol (6). La faction militaire du Kodo-ha regagne sa suprématie face à sa concurrente Tosei-ha. L’armée japonaise envahit la partie septentrionale soviétique de l’île de Sakhaline, l’Extrême-Orient et la Sibérie. Privés d’attaque dans le Pacifique, les États-Unis restent-ils toujours neutres ? On comprend bien qu’André Costa ne souhaite pas s’aventurer sur tous les prolongements contrefactuels esquissés par la fin ouverte de son roman. Regrettons seulement que L’appel du 17 juin ne soit qu’une belle uchronie.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : L’économiste et stratège Jacques Sapir, aidé de Franck Stora et de Loïc Mahé, reprend cette trame uchronique dans un ouvrage Et si la France avait continué la guerre… en deux volumes (1940 et 1941 – 1942, Tallandier, 2012).

2 : Saluons la prescience d’André Costa des trente prochaines années !

3 : Victor Suvorov, Le brise-glace, Olivier Orban, 1989. Ancien officier du GRU (renseignement militaire) soviétique, Victor Suvorov est le pseudonyme de Vladimir Bogdanovitch Rezoun.

4 : Idem, p. 279.

5 : Joachim F. Weber, « Opération Barbarossa : les forces en présence et les conclusions qu’on peut en tirer », dans Vouloir, n° 83 – 84 – 85 – 86, novembre – décembre 1991, p. 43.

6 : cf. Jacques Sapir, La Mandchourie oubliée. Grandeur et démesure de l’art de la guerre soviétique, Éditions du Rocher, coll. « L’Art de la Guerre », 1996.

• André Costa, L’appel du 17 juin, JC Lattès, 1980, 333 p.

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Les Momies Blondes, les Tokhariens et les Indo-Européens de Chine

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Les Momies Blondes, les Tokhariens et les Indo-Européens de Chine

 
 
Les découvertes archéologiques de momies datant de 4 000 ans, dans le désert du Taklamakan en Chine occidentale, ont enflammé l'imagination des chercheurs, qui ont été surpris de découvrir qu'il s'agissait d'individus caucasiens venus d'Europe. Les réponses à ce mystère des momies blanches pourraient se trouver dans l'histoire plus récente de la province de Xinjiang ; des archives Chinoises mentionnent des marchands aux yeux bleus et à la barbe rousse, tels que les Yuezhi et les Sogdians venus de l'ouest, tout comme on retrouve des manuscrits rédigés dans une mystérieuse langue Indo-européenne connue sous le nom de Tokharien. Il existait donc clairement à la fois des peuplades Iraniques et Tokhariennes vivant en Chine occidentale à des époques plus tardives, dont les momies de Tarim doivent, tout du moins en partie, être les ancêtres. Le bassin désertique de Tarim était alors une route commerciale vitale, située au carrefour de l'est et de l'ouest, entouré d'oasis qui étaient autant de stations pour quiconque se déplaçait le long de la Route de la Soie. Les momies caucasiennes de type Europoïde et les antiques langages Indo-européens de la région vont à l'encontre des idées reçues sur les limites de la civilisation Européenne à l'Âge du Bronze. Les fouilles réalisées dans la région suggèrent une activité s'étalant sur plusieurs millénaires, qui regroupait divers langages, styles de vie, religions et cultures.
 
 
 
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Illustration des Tokhariens et des momies de Tarim par Andrew Whyte http://basileuscomic.com/
Illustration du char d'Andronovo par Christian Sloan Hall https://www.deathlord.co.uk
Musique : Bnde originale par Deor (site personnel en construction) Doug maxwell - Lau Tzu Ehru Doug Maxwell - Oud dance Quincas moreira - Dawn of Man Kevin McLeod - Dhaka Sources : Adams, D., (2019) ‘Tocharian C: its discovery and implications’ https://languagelog.ldc.upenn.edu/nll...
 
A dictionary of Tocharian B https://www.win.tue.nl/~aeb/natlang/i...
 
Gray, Russell & Atkinson, Quentin & Greenhill, Simon. (2011).
 
Language Evolution and Human History. Good, I., ‘A Social Archaeology of Cloth some preliminary remarks on prehistoric textiles of the Tarim Basin’ (Peabody Museum) http://www.safarmer.com/Indo-Eurasian...
 
Hollard, C. et al. (2018). New genetic evidence of affinities and discontinuities between bronze age Siberian populations. American Journal of Physical Anthropology 167 (1): 97–107.
 
Katariya, A., ‘Ancient History of Central Asia: Yuezhi-Gurjar History’, Article No 01 Mair, V., ‘Ancient Mummies of the Tarim Basin’ https://www.penn.museum/sites/expedit...
 
Ning, et al. (2019), ‘Ancient Genomes Reveal Yamnaya - Related Ancestry and a Potential Source of Indo-European Speakers in Iron Age Tianshan’ https://www.cell.com/current-biology/...
 
Wenkan, X. (1996) ‘The Tokharians and Buddhism’ Xie, M. et al, (2013) Interdisciplinary investigation on ancient Ephedra twigs from Gumugou Cemetery (3800 B.P.) in Xinjiang region, northwest China. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2...
 
Yang, Y. (2019), ‘Shifting Memories: Burial Practices and Cultural Interaction in Bronze Age China A study of the Xiaohe-Gumugou cemeteries in the Tarim Basin’ http://www.diva-portal.org/smash/get/...
 
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»Identität und Solidarität« - Benedikt Kaiser auf der 21. Sommerakademie des IfS in Schnellroda

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»Identität und Solidarität«

Benedikt Kaiser auf der 21. Sommerakademie des IfS in Schnellroda

 
 
 
Benedikt Kaiser sprach im Rahmen der 21. Sommerakademie (18.–20. September 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) coronabedingt vor 90 Schülern und Studenten in Schnellroda über die Kombination von »Identität« und »Solidarität«, also jenem Zement, der nach dem französischen Soziologen Émile Durkheim die Gesellschaft zusammenhält. Nur so lasse sich ein funktionierender Sozialstaat 2020 ff. realisieren.
 
 
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lundi, 12 octobre 2020

Freund, le conflit au coeur du politique

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Le Cercle Philosophique d'Ainay:

Freund, le conflit au coeur du politique

 
 
C'est avec Emma Limane, étudiante en droit et science politique, que nous reprendrons nos travaux en ce début d'année 2019. Ce travail portera sur la pensée de Julien Freund, théoricien de la science politique, disciple de Carl Schmitt, et plus précisément sur ce qu'il appelle "l'essence du politique". Au cours de cette première séance portant sur le thème des questions contemporaines, nous nous demanderons avec Emma Limane et Freund ce que signifie le troisième grand présupposé du politique, à savoir la distinction AMI/ENNEMI. Qu'est-ce qu'une communauté politique, sinon l'affirmation d'un "nous" face à des "autres"? Cette distinction, si elle est essentielle au politique, constitue-t-elle une dialectique inébranlable, nous condamnant à envisager la politique comme le lieu d'un conflit sempiternel entre les communautés ? Et que vaut cette distinction aujourd'hui dans un contexte international qui prétend unir les hommes au profit d'une paix universelle ?
 

»Ordnungsstaat, Rechtsstaat, Sozialstaat« Dimitrios Kisoudis auf der 21. Sommerakademie des IfS

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»Ordnungsstaat, Rechtsstaat, Sozialstaat«

Dimitrios Kisoudis auf der 21. Sommerakademie des IfS

 
 
Dimitrios Kisoudis sprach im Rahmen der 21. Sommerakademie (18.–20. September 2020) des Instituts für Staatspolitik (IfS) coronabedingt vor 90 Schülern und Studenten in Schnellroda über seine an Carl Schmitt und Ernst Forsthoff geschulte Konzeption des »Ordnungsstaates«.
 
 
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L’Europe décadente de Julien Freund

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L’Europe décadente de Julien Freund

 
Nouvelle émission de « Fenêtre sur le Monde » présentée par Jean-Baptiste Noé sur l’oeuvre du philosophe et ancien résistant Julien Freud.
A l’occasion de la réédition de l’ouvrage L’Europe décadente aux éditions Europolis,
la philosophe Chantal Delsol,
l’économiste Markus C Kerber et 
le sociologue Michel Maffesoli nous présentent l’œuvre de Julien Freund.
A une époque où nous assistons à la faillite des élites, au rejet de la politique par le peuple, l’ouvrage L’Essence du politique de Julien Freud est plus que jamais d’actualité.

Ouvrages de Julien Freund: [...]

  • L’Essence du politique (Sirey, 1965 ; Dalloz, 2003, 870 p.).
  • Sociologie de Max Weber (PUF, 1966 et 1983).
  • Europa ohne Schminke (Drückerei Winkelhagen, Goslar 1967).
  • Qu’est-ce que la politique ? (Seuil, 1968 et 1978).
  • Max Weber (Collection « Sup-Philosophie » PUF, 1969).
  • Le Nouvel âge. Éléments pour la théorie de la démocratie et de la paix (Marcel Rivière, 1970).
  • Le Droit d’aujourd’hui (PUF, 1972).
  • Les Théories des sciences humaines (PUF, 1973).
  • Pareto. La théorie de l’équilibre (Seghers, 1974).
  • Georges Sorel. Eine geistige Biographie (Siemens-Stiftung, Munich 1977).
  • Les Problèmes nouveaux posés à la politique de nos jours (Université européenne des affaires, 1977),
  • Utopie et violence (Marcel Rivière, 1978).
  • Il luogo della violenza (Cappelli, Bologna 1979).
  • La Fin de la Renaissance (PUF, 1980).
  • La crisis del Estado y otros estudios (Instituto de Ciencia política, Santiago de Chile 1982).
  • Idées et expériences. Les activités sociales : regards d’un sociologue (Institut des Sciences Politiques et Sociales de l’U.C.L., Louvain-la-Neuve 1983).
  • Sociologie du conflit (PUF, 1983).
  • Idées et expériences (Institut de sociologie de l’UCL, Louvain-la-Neuve 1983).
  • La Décadence. Histoire sociologique et philosophique d’une catégorie de l’expérience humaine (Sirey, 1984).
  • Philosophie et sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve 1984).
  • Politique et impolitique (Sirey, 1987).
  • Philosophie philosophique (Découverte, 1990).
  • Études sur Max Weber (Droz, Genève 1990).
  • Essais de sociologie économique et politique (Faculté catholique Saint-Louis, Bruxelles 1990).
  • L’Aventure du politique. Entretiens avec Charles Blanchet (Critérion, 1991).
  • D’Auguste Comte à Max Weber (Economica, 1992).
  • L’Essence de l’économique (Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg 1993).
  • Diritto e Politica. Saggi di filosofia giuridica (Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli 1994).
  • Il Terzo, il nemico, il conflitto. Materiali per una teoria del Politico (Giuffrè, Milano 1995).
  • Warfare in the modern world: a short but critical analysis (Plutarch Press, Washington D.C. 1996).
  • Voci di teoria politica (Antonio Pellicani Editore, Roma, 2001).
  • Vista de conjunto sobre la obra de Carl Schmitt (Struhart & Cía., Buenos Aires, 2002).
  • Les Lettres de la vallée (non paru).
  • Die Industrielle Konfliktgesellschaft (1977)
  • Der Unauffindbare Friede (1964 Berlin pour le 75e anniversaire de Carl Schmitt)
  • Die Politik als Heillehre (1974)
  • Die Demokratie und das Politische (Berlin 1967 288 pages)
  • Die neue Bewertung des Krieges als Mittel der auswärtigen Politik nach 1870 (1970)

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Traductions

Autres publications

Son œuvre comprend aussi un nombre très important d’articles, d’essais, de préfaces et de communications. On en trouvera la liste dans une bibliographie de Julien Freund établie par Piet Tommissen (de), qui va jusqu'en 1984 et qui figure en annexe de Philosophie et Sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve, 1984, p. 415-456 : « Julien Freund, une esquisse bio-bibliographique »).

large.jpgBibliographie

unnamedpatjf.jpgRevues

  • Revue européenne des sciences sociales, « Critique des théories du social et épistémologie des sciences humaines : études en l’honneur de Julien Freund », 19, no 54-55, Droz, Genève 1981.
  • Revue des sciences sociales de la France de l’Est, « Région et conflits. Hommage à Julien Freund » (Strasbourg), no 10.
  • (nl) Tijdschrift voor de studie van de verlichting en van het vrije denken, "Politiek en decadentie volgens Julien Freund", 11, no 4, 1983.
  • (it) Studi Perugini, Università degli Studi di Perugia, no 1, 1996.
  • (es) Empresas políticas, Sociedad de Estudios Políticos de la Región de Murcia, no 5, 2004.
  • Alain Bihr, "L’extrême droite à l’université : le cas Julien Freund", Revue Agone, no 54, 2014.
  • Charles Blanchet, "Julien Freund (1921-1993). Le maître de l’intelligence du politique et notre ami à l’« enfance éternelle »", Paysans (París), vol. 37, no 221, 1993, p. 7-20.
  • Thierry Paquot, "Julien Freund, l’intellectuel frontière qui n’a pas de frontière", Revue des sciences sociales, no 40, 2008, p. 154-161.

source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Julien_Freund

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voir aussi: Le Cercle Philosophique d'Ainay - Freund, le conflit au cœur du politique

Maurice Genevoix ou la Mémoire d'une guerre

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Maurice Genevoix ou la Mémoire d'une guerre

 
 
ceux_de_14_small.jpgStoriavoce vous a proposé toute une programmation consacrée à la Grande Guerre notamment à ses conséquences politiques et économiques, internationales et géopolitiques… Or, il est un domaine que nous avons oublié à tort, il s’agit de la littérature.
 
Nous vous proposons aujourd’hui d’évoquer une des plus grandes plumes de cette époque, l’histoire d’un homme qui a été marqué de plein fouet par cet orage d’acier. Un homme de lettre qui, après des études brillantes jusqu’à Normal sup, s’est retrouvé sur le champ de bataille : Maurice Genevoix, l'auteur de Ceux de 14.
 
Coauteure d'un livre qui lui est consacré, Aurélie Luneau répond aux questions de Christophe Dickès. L'invitée : Historienne de la radio, Aurélie Luneau est auteure et productrice de l'émission "De cause à effets, le magazine de l'environnement" sur France Culture.
 
Docteure en histoire et diplômée de l'Institut d'études politiques de Bordeaux, elle est la meilleure spécialiste française des médias pendant la Deuxième Guerre mondiale.
 
Elle a notamment publié avec Jacques Tassin, une biographie illustrée de Maurice Genevoix (Flammarion, 308 pages, 24.90€).
 

dimanche, 11 octobre 2020

La géoculture, empreinte des nations durables

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La géoculture, empreinte des nations durables

Article rédigé par Thomas Flichy de La Neuville et Olivier Hanne
 
Ex: http://www.libertepolitique.com

Confrontée aux secousses erratiques de la mondialisation, la France qui ne s'aime plus guère elle-même, est ébranlée. L’application mécanique des recettes produites par l’idéologie libérale et techniciste lui fait perdre pied. Pourtant le génie français a toujours su dans l’histoire conjuguer la perspicacité politique avec la finesse culturelle pour comprendre et maîtriser le monde. Pour retrouver cette intelligence, un livre nous aide à découvrir la « géoculture », et comment les civilisations durables s'appuient nécessairement sur une culture assumée.

Dans leur nouvel essai, Géoculture, plaidoyer pour des civilisations durables (Lavauzelle), les géopoliticiens Olivier Hanne et Thomas Flichy de La Neuville montrent qu’au rebours des approches superficielles, limitées au flux et au reflux passager de la puissance, notamment économique, l’approche géoculturelle sonde le principe vital des civilisations. Avec elle, nous pouvons ne pas nous condamner à des succès provisoires. En mesurant la capacité des nations à transmettre la vie sous toutes ses formes, l’analyse géoculturelle touche au coeur de l'âme des peuples et des civilisations.

Liberté politique est heureuse de publier les bonnes feuilles de cet essai, avec le texte de son introduction :

Au commencement était la culture 

TOUT EST ECONOMIQUE. Affirmé, images à l’appui, puis ébruité à l’infini au coeur des cascades de l’information, ce slogan, amplifié par son propre écho, a fini par prétendre incarner une réalité, tant il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de démontrer pour convaincre.

À première vue, les institutions supranationales, les regroupements d’États, les sommets internationaux, les nominations gouvernementales, tout ce qui faisait le cœur de l’action politique est aujourd’hui devenu un simple appendice de la décision économique. Quoique le mot « décision » semble lui-même trop fort : les raisons des crises économiques nous échappant la plupart du temps, nous nous sommes convaincus qu’une bonne décision aujourd’hui (une dévaluation, une baisse des taux d’intérêts) peut être catastrophique demain.

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Dans ces circonstances, à quoi bon décider ? La croyance en la primauté de l’économique rejoint finalement l’affirmation de Staline, selon laquelle, « la technique décide de tout ». Ce qui était vrai pour le socialisme l’est encore plus dans le libéralisme mondialisé. Certes, l’humain n’est pas négligé, mais il se présente comme la variable d’ajustement en attendant la stabilisation du système économique qui deviendra social tôt ou tard… ou jamais. 

Le primat de l’économie, une illusion d’optique

9782856524282-xs.jpgEn réalité, ce primat de l’économie se révèle une illusion d’optique. Il est d’ailleurs contesté par les mouvements altermondialistes et écologiques, les chiffres de l’abstention électorale et le retour de la rhétorique patriotique. Partout, des appels à une autre « gouvernance » se font entendre. Un nouvel avenir est annoncé, celui du renversement des échanges de marchandises au profit des solidarités sociales. Mais, paradoxalement, la contestation altermondialiste ne remet pas fondamentalement en cause le primat de l’économie : la décroissance, l’inversion des profits et la taxation des bénéfices financiers ne servent qu’à promouvoir une nouvelle révolution matérielle mondiale. Bref, même chez ceux qui souhaitent abolir le capitalisme marchand, tout ne reste qu’économique. Or les données chiffrées ne nous offrent qu’une idée imparfaite des risques à venir. De plus, ces indicateurs complexes se manipulent aisément. La réduction du monde au simple jeu des forces économiques fait finalement obstacle à l’intelligence car elle passe deux dimensions essentielles sous silence : l’affirmation des cultures et la volonté de puissance.

Le monde artificiel fabriqué par l’appareil médiatique a relégué la culture à un objet de musée : les hommes sont présentés comme interchangeables. Notre système économique, sentant bien que les cultures représentent un obstacle à l’échange des biens finit par nier l’altérité. Il cautionne ainsi l’idée selon laquelle le développement de l’islamisme reposerait exclusivement sur une frustration économique, en oubliant les causes religieuses de ce renouveau. Or l’enracinement dans une culture est loin d’être une illusion. Tout culture fixe en effet les normes d’intégration dans le groupe. Sans culture, l’être humain est un individu, avec elle il gagne le statut de personne. Elle lui fournit ses repères, ses modes d’action et sa pérennité. Disons-le : sa durabilité :

La culture est ce qui permet l’orientation dans le monde. L’orientation n’est pas un simple repérage, car si le repérage nous permet de savoir où nous sommes, l’orientation nous aide à décider où nous devons aller. Le culturel porte sur tout ce pour quoi il y a une bonne façon de procéder. Avec la culture, on introduit donc la notion de valeur [1].
 
Le facteur éthique

La culture implique la morale. C’est elle qui donne la notion du bien, du beau, du juste et du vrai, même si ces notions ne recouvrent pas le même sens sous toutes les latitudes. Aussi simplifions à l’extrême : la culture définit l’humain.

Aujourd’hui, la négation du facteur culturel a déjà débouché sur des échecs spectaculaires pour l’Occident.

Ceci est vrai pour les armées, qui s’exercent à faire la guerre sur des scenarii virtuels, comme si l’on pouvait conduire des combats indépendamment des civilisations dans lesquels ils s’inscrivent. Cette manie du jeu de rôle dans les grands états-majors débouche mécaniquement sur des désastres sur les théâtres d’opérations : de l’Afghanistan à la Libye en passant par la Syrie et l’Irak. Or, pour la plupart des pays non-occidentaux, la culture a une importance capitale. Il n’est que de regarder le taux de perte parmi les interprètes américains en Irak : les insurgés ont ciblé les passeurs de cultures autant que les chefs de section. C’était le meilleur moyen pour eux de réduire à néant leur adversaire.

Ces mêmes réflexions s’appliquent aux entreprises internationales où triomphent les procédures standardisées de négociation, utilisées de la même manière que l’on soit au Vénézuéla ou en Iran. Si on y ajoute la mobilité des cadres, qui restent deux ou trois ans en poste et leur confinement géographique dans des centres d’affaires où ils ne sont nullement en contact avec le pays réel, il s’en suit une perte nette d’influence. Qu’on le veuille ou non, la culture est une réalité. Elle n’est rien de moins que la sève des civilisations. Or, ces civilisations ont pour vocation de perpétuer la vie. C’est pour cette raison que la négation du facteur culturel se présente comme le premier pas vers la barbarie.

L’impact de l’« estime de soi »

D’autre part, la fascination pour l’économie nous fait oublier la volonté de puissance. Par exemple l’appropriation massive des terres ou Landgrabbing est analysée exclusivement en termes de placements économiques. Or la plupart des États, à moins qu’ils soient trop faibles pour exercer la puissance ou parce qu’il y ont renoncé, ont des stratégies politiques. Celles-ci peuvent être examinées au prisme de l’histoire. La stratégie chinoise actuelle fait étrangement penser à celle adoptée par la dynastie Tang dans les premiers siècles de notre ère lorsque la Chine centrale lança une formidable poussée vers la Caspienne et le Golfe persique.

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L’exercice de la puissance repose sur des critères objectifs qui ne sont nullement caducs. On peut en déterminer trois. En premier lieu, l’estime collective de soi, ou la force des valeurs culturelles et religieuses qui propulsent les collectivités émotives vers le martyre ou le djihâd. En second lieu, le dynamisme en matière d’innovation et de travail : la recherche et la créativité des minorités actives se présentent comme le fer de lance du développement économique. En troisième lieu, le dynamisme démographique prolongé sur des générations entières. Les Français actuels descendent génétiquement de 25 % des Français de 1789. Là encore, seule une minorité a la capacité de se projeter dans l’avenir par une démographie responsable, c'est-à-dire riche d’enfants. L’addition de l’estime de soi, des capacités d’innovation et de se projeter dans l’avenir a longtemps été le privilège de l’Europe. Mais les temps ont changé.

Les puissances durables sont d’abord culturelles

Chacune à leur manière, l’anthropologie et la géopolitique ont tenté de combattre une vision du monde réduite au choc des intérêts financiers. Toutefois, ces vues alternatives n’ont pas réussi à se conjuguer l’une à l’autre tout en intégrant le facteur économique afin de restaurer une véritable intelligence du monde auprès d’élites désorientées. La thèse que nous développerons dans cet ouvrage est la suivante : les civilisations durables s'appuient nécessairement sur une culture assumée. Il convient d’opposer aux nations géoculturelles qui puisent leur puissance et leur rayonnement dans leur identité profonde, des constructions techno-abstraites qui tâchent de compenser l’artificialité de leurs origines par le recours à la violence et à l’oubli. Les premières sont capables d’influence dans la longue durée et même au-delà de leur mort politique comme ce fut le cas pour l’empire romain.

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Même submergées par les invasions, les nations géoculturelles sont capables d’influence durable. Ainsi la Perse put irriguer le monde musulman pendant des siècles malgré son impuissance manifeste. Forte de sa démographie et de la préservation de ses élites, l’Inde contemporaine s’inscrit dans ce cadre. Elle s’oppose à ce titre aux constructions abstraites des clercs et des théoriciens, telles que les empires de Charles Quint, de Napoléon Ier, ou des Etats-Unis contemporains, dans lesquels l’absence d’unité culturelle se révèle le premier facteur de fragilité, et ce au-delà des tentatives factices d’homogénéisation.

9782940632367-200x303-1.jpgOr ce qui est vrai pour les empires ne l’est pas moins pour les entreprises, dont la durée de vie et la santé financière sont menacées par leur croyance au mythe techniciste. Ainsi en est-il au dernier stade pour les familles qui se perpétuent dans la longue durée lorsqu’elles adhèrent à des valeurs spirituelles forçant leurs membres à se dépasser ou à l’inverse s’atomisent en une multitude d’individus rivaux, attirés, tels des lucioles, vers le profit qui les calcinera. Les nations durables s’enracinent par conséquent dans des cultures qui peuvent être d’une variété inouïe, mais qui pour perpétuer la vie, doivent pouvoir se renouveler sans pour autant se renier.

La culture comme transmission de la vie

La stratégie géoculturelle consiste à puiser ses forces, y compris économiques, au sein de sa culture millénaire. La géoculture se révèle, par là-même plus qu’une nouvelle approche géopolitique ou historique, elle se présente comme la reconquête intellectuelle du vieux concept de civilisation, débarrassé de ses scories dominatrices, car seule la culture perdure lorsque les crises financières balaient les puissances économiques. Cette approche du monde dévoile des paradigmes que les économistes ne peuvent plus voir au travers des bilans chiffrés.

Avec ce prisme, les hiérarchies se recomposent, tant il est vrai que scruter les empires à l’aune de leur empreinte géoculturelle, c’est contempler l’âme du monde. Enfin, notre analyse veut contourner le matérialisme de Marx, figé dans son mécanisme brut[2], mais aussi le capitalisme mondialisé en bout de course, pour voir de nouvelles hiérarchies, plus discrètes, mais plus identitaires et donc pérennes. Fondement de la civilisation durable, l’approche géoculturelle fixe aux nations un objectif qui dépasse la domination économique, l’influence culturelle ou la puissance politique : il s’agit tout simplement de la transmission de la vie.

geoculture.jpgOlivier Hanne, Thomas Flichy de la Neuville

Géoculture, plaidoyer pour des civilisations durables
Lavauzelle, février 2015
116 pages, 17 €

_______________________________

[1] R. Brague, Modérément moderne, Flammarion, p. 201. En son temps, Abram Kardiner ne disait pas autre chose, The Individual and his Society, Columbia Univ. Press, 1939.
[2] « L’histoire n’est pas autre chose que la succession des différentes générations dont chacune exploite les matériaux, les capitaux, les forces productives qui lui sont transmises par toutes les générations précédentes », K. Marx, F. Engels, L’idéologie allemande, 1845. L’histoire ne serait donc que cela ?

 

Aux éditions Bios, le nouveau livre de Thomas Flichy de la Neuville:

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Pour toute commande: https://editionsbios.fr/

Une émission de Thomas Flichy de la Neuville

sur RT:

 

 

Hendrik de Man, The Right, & Ethical Socialism

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Hendrik de Man, The Right, & Ethical Socialism

“Socialism” is intrinsic to the “Right.” When journalists and academics refer in one breath to “liberalism, neoliberalism, and the Right-wing,” that attests to their ignorance, not to the accuracy of any such bastardization. Even at its most basic level of understanding, it seems to have been forgotten that in Britain there were Tories and Whigs in opposition. Now, Toryism has become so detached from its origins that there is indeed no distinction between British Conservativism, in the parliamentary sense at least, and Whig-liberalism. The same can be said for much of what is called often called “Right” across the world, but especially in the Anglophone states whose philosophy has been dominated by utilitarianism.

henrikdeman-233x300.jpgThe “Right” has a rich but obscured legacy that revolts against capitalism. The “Right” is restorative, and arises when a culture-organism begins to decay. The works of Thomas Carlyle, an essay, Chartism (1840), and the book Past & Present (1843) could be the ideological basis of a true British Right, in which Carlyle condemns free trade from a conservative position. In these, he considered the supposed panacea of universal franchise and decried the debased state of the Aristocracy, which should be replaced with an “aristocracy of merit.” Carlyle stated that free trade would be a harbinger of “social revolution.” (When Karl Marx later said the same, he meant it, contrary to Carlyle, in a positive sense.) Carlyle condemned “Mammon,” materialism, and the “money nexus” of the bourgeoisie, and stated that the problems of the British were fundamentally spiritual and moral, from whence a repudiation of the money-ethos that dominated Britain should proceed. Carlyle did not write in the same stream as the British utilitarian philosophers from whom liberalism arose. He wrote in a more Occidental sense in repudiating the trade and commercial mentality that had long pervaded British thinking, politics, and foreign policy; bourgeois and Whig, as Spengler and Werner Sombart pointed out. Yockey classified Carlyle among the few British philosophers writing from an “organic” perspective of history.

Marx, so far from repudiating that mentality, was intellectually in thrall to it, as Sombart and Spengler explained, and this identity of Marxism with British utilitarian and materialist philosophy resulted in a crisis of the Left during the close of the 19th century when socialist thinkers realized the inadequacy of Marx in truly rejecting capitalism and the bourgeois spirit.

Carlyle set the tone of his condemnation of capitalist Britain with the opening paragraph of Past & Present in a far more eloquent sense than that of Marx; although the Whigs masquerading as “conservatives” then and now regard such words as rabid socialism:

The condition of England, on which many pamphlets are now in the course of publication, and many thoughts unpublished are going on in every reflective head, is justly regarded as one of the most ominous, and withal one of the strangest, ever seen in this world. England is full of wealth, of multifarious produce, supply for human want in every kind; yet England is dying of inanition. With unabated bounty the land of England blooms and grows; waving with yellow harvests; thick-studded with workshops, industrial implements, with fifteen millions of workers, understood to be the strongest, the cunningest and the willingest our Earth ever had; these men are here; the work they have done, the fruit they have realized is here, abundant, exuberant on every hand of us: and behold, some baleful fiat as of Enchantment has gone forth, saying, “Touch it not, ye workers, ye master-workers, ye master-idlers; none of you can touch it, no man of you shall be the better for it; this is enchanted fruit!” On the poor workers such fiat falls first, in its rudest shape; but on the rich masterworkers too it falls; neither can the rich master-idlers, nor any richest or highest man escape, but all are like to be brought low with it, and made “poor” enough, in the money-sense or a far fataller one. [1] [1]

P1030768.jpgPreviously, in his essay Chartism, Carlyle had appealed not to class war but to class unity among fellow Britons, high-born and low, pointing out that the ruling classes did not even realize there was a problem to be solved, much to their own danger:

How an Aristocracy, in these present times and circumstances, could, if never so well disposed, set about governing the Under Class? What they should do; endeavor or attempt to do? That is even the question of questions: — the question which they have to solve; which it is our utmost function at present to tell them, lies there for solving, and must and will be solved.

Insoluble we cannot fancy it. One select class Society has furnished with wealth, intelligence, leisure, means outward and inward for governing; another huge class, furnished by Society with none of those things, declares that it must be governed: Negative stands fronting Positive; if Negative and Positive cannot unite, — it will be worse for both! Let the faculty and earnest constant effort of England combine round this matter; let it once be recognized as a vital matter. Innumerable things our Upper Classes and Lawgivers might ‘do;’ but the preliminary of all things, we must repeat, is to know that a thing must need be done.

Alas, in regard to so very many things. Laissez-faire ought partly to endeavor to cease! But in regard to poor Sanspotatoe [Irish] peasants, Trades-Union craftsmen. Chartist cotton-spinners, the time has come when it must either cease or a worse thing straightway begin, — a thing of tinder-boxes, vitriol-bottles, second-hand pistols, a visibly insupportable thing in the eyes of all. [2] [2]

In the early 20th century, Anthony Ludovici and others attempted to return the Tory Party to its origins, and his works, like those of Carlyle, remain as timeless foundations on which the Anglophone Right can return to its actual premises. The U.S. Right has its foundation in Federalism, the Hamiltonian concept of North American as a people-nation-state — as Yockey recognized — but often insists on looking to its opposite, the Jeffersonian-style Jacobinism that was enthralled by the French Revolution and would have thwarted the American states from ever becoming a nation.

Occidental Synthesis

The German economist Friedrich List, in contrast to the British philosophers, was condemning free trade from a conservative position at around the same time as Carlyle. He espoused autarchy, which he called the “national system.” This was anathema to Marx, who saw such ideologies as antithetical to the dialectical march toward communism.

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List critiqued free trade precisely on the grounds that Marx praised it; for its materialism, class divisiveness, and national dissolution. List wrote in his magnum opus:

The system of the school suffers, as we have already shown in the preceding chapters, from three main defects: firstly, from boundless cosmopolitanism, which neither recognizes the principle of nationality, nor takes into consideration the satisfaction of its interests; secondly, from a dead materialism, which everywhere regards chiefly the mere exchangeable value of things without taking into consideration the mental and political, the present and the future interests, and the productive powers of the nation; thirdly, from a disorganizing particularism and individualism, which, ignoring the nature and character of social labor and the operation of the union of powers in their higher consequences, considers private industry only as it would develop itself under a state of free interchange with society (i.e. with the whole human race) were that race not divided into separate national societies.

Between each individual and entire humanity, however, stands THE NATION, with its special language and literature, with its peculiar origin and history, with its special manners and customs, laws and institutions, with the claims of all these for existence, independence, perfection, and continuance for the future, and with its separate territory; a society which, united by a thousand ties of mind and of interests, combines itself into one independent whole, which recognizes the law of right for and within itself, and in its united character is still opposed to other societies of a similar kind in their national liberty, and consequently can only under the existing conditions of the world maintain self-existence and independence by its own power and resources. As the individual chiefly obtains by means of the nation and in the national mental culture, power of production, security, and prosperity, so is the civilization of the human race only conceivable and possible by means of the civilization and development of the individual nations. [3] [4]

This is the actual legacy of the Right. Not Locke, Mill, Spencer, Hobbes, van Mises, Hayek, or Rand.

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But such was the paradigm shift in politics during the Cold War, with disaffected Marxists entering en masse the ranks of the Cold Warriors against the USSR, that by the time the eminent American scholar Christopher Lasch had rejected neo-Marxism he could not find “genuine conservativism” in the USA. He could only find advocates of free trade, which he considered as destructive to tradition and the organic community as the Left. [4] [5]

What Lasch perceived in the early 1970s Oswald Spengler had seen in the aftermath of World War I: that the “scientific socialism” of Marx et al did not transcend capitalism, but reflected it, because both arose within the same Zeitgeist of British materialism and industrialism. [5] [6] As Lasch saw decades later, capitalism shares with the Left a common outlook against the traditional social order, which is the organic community. Carlyle had perceived this in 1840. After World War I, Spengler spoke of “Prussian Socialism,” and Otto Strasser of “German Socialism,” based on pre-capitalist German — and wider European — ethos. To Strasser, “socialism” is synonymous with “conservativism” because it harkens back to the pre-capitalist organic community. Marxism is within the same historical stream as liberalism, Marxism being “a doctrine whose liberal factors necessarily unfit it for the upbuilding of the socialist (i.e. conservative) future, and one whose program cannot but involve it in the decline of liberalism.” As Spengler had stated, Strasser reiterated that “this was simply due to the fact that the longing for socialism began to find expression at a time when the ego idea, liberalism, that is to say, was in the ascendant.” [6] [7]

The fundamental premise of the Right is the dichotomy described by German sociology, of Gemeinschaft versus Gesellschaft; the traditional organic community, or the “modern” doctrine of society as a contract between individuals for their material benefit. Sombart came to regard Marxism as rooted in the latter along with liberalism, as its only goal is to unite individuals for selfish material gain in the name of the proletariat, as liberalism does in the name of the bourgeoisie, which he regarded as the abysmal gulf between British bourgeois philosophy (including Marx) and that of the German (including Carlyle), which he delineated as a difference between the heroic spirit and the commercial or trader’s spirit. [7] [8]

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May 1940, de Man with Queen Elizabeth.

Corradini, head of the Italian Nationalist Association, stated at its first congress in 1910, nine years prior to the founding of Mussolini’s fascio, that Italy is a “proletarian nation,” and that “socialism” so far from serving the interests of the “proletarian nations” creates with its internationalism and class struggle a civil war within the social organism. [8] [9] Nine years later, at the Nationalist convention in Rome, Corradini described syndicalism as the means by which the organic social community (Gemeinschaft) can be established; creating “real collaboration, organic, unifying, and complete.” [9] [10]

When a synthesis began to arise from the late 19th century between the elements of the Right and Left, this was a process of the Left turning Right, while elements of the Right were returning to their actual — pre-capitalist — origins. The synthesis became the major “third force” in the world competing against communism and capitalism, and drawing many of the Left’s best thinkers who had already been realizing the limitations of “scientific socialism.”

Even if we consider the terms Left and Right at their most basic level — the seating arrangements of the French Assembly — it might seem odd today, when ideological terms have become obfuscated and origins forgotten, that those on the Right represented the maintenance of tradition, representing the monarchical and Catholic regime that retained a few vestiges of the traditional epoch; those on the Left stood for a bourgeois new order of laissez-faire trade. This bourgeois revolution is a primary part of the Left’s legacy, being considered as a necessary element of the dialectical process of what Marx called the “wheel of history.” [10] [11] It should be kept in mind that Marx, according to this dialectical outlook, stated that socialism could not proceed until capitalism and the bourgeoisie had replaced the vestiges of the traditional order, causing the ruination of peasants, artisans, burghers, and aristocrats. These ideas are expressed most clearly in The Communist Manifesto.

Advocacy of a return to the pre-capitalist order was vehemently denounced by Marx as “reactionism.” [11] [12] To the Rightist this is not regressive, but restorative, as the Right states that there are fundamentals that are timeless, and one might say emanating from an axis; while the “progress” of liberalism and “scientific socialism” is destructive fallacy. [12] [13] Hence, the Right is literally a conservative revolution insofar as “revolution” implies a return to origins. It also means that the liberal-capitalist order requires a complete overturn to restore those origins.

Role of the Bourgeoisie

The French Revolution of 1789 was pivotal and its impact has only increased over the world. From the French Revolution arose both liberal capitalism and the Left. The Revolution abolished the vestiges of the Medieval guilds in France under the Chapelier Law of 1791. These forefathers of “scientific socialism” enacted the free market, standards of production markedly declined, and there was widespread dissatisfaction with such “liberty.” Such was the concern at this destruction of the guilds that the National Assembly in 1795 reiterated they would not be revived, and the prohibition became Article 355 of the Constitution, which meant that a constitutional amendment would be required to reverse the law. In Revolutionary France, the guild era was recalled as one of happiness and plenty. No longer with stability, fraternity (despite the ironic slogan of the Revolution: “Liberty, Equality, Fraternity”), and a higher purpose that the guilds had offered, worker unrest was widespread. The supposed peoples’ representatives expressed concern at mounting worker “insubordination.” There was prolonged debate on the reconstitution of the guilds under Napoleon Bonaparte, but ultimately the laissez-faire radicals won. [13] [14] What replaced the organic community, however debased it had become by that time, was “civil society,” and the “social contract” between individuals, or what the Declaration on the Rights of Man & of the Citizen referred to as the “general will,” enforceable in the name of freedom by death. Joseph de Maistre criticized the Enlightenment notion that a nation could be built on such legalistic artifices that fail to reflect the spirit of a nationality. Of written constitutions as nation-building instruments, he wrote:

There never has existed a free nation which had not, in its natural constitution, germs of liberty as old as itself; and no nation has ever successfully attempted to develop, by its fundamental written laws, other rights than those which existed in its natural constitution. . . . No assembly of men can give existence to a nation. An attempt of this kind ought even to be ranked among the most memorable acts of folly exceeding in folly what all the Bedlams of the world might produce most absurd and extravagant. [14] [15]

Again, with de Maistre, the contrast is between the society that is organic and that which is contractual. Today, “civil society” is regarded as the desirable norm for the entire world.

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Crisis of the Left

There were Leftists who regarded the Marxist and other such forms of socialism as inadequate and historical analyses based on nothing more than economic relations as insufficient. Leftist thinkers, Sombart being notable among these, began to see “scientific socialism” — as Marx called it — as an appropriation of the bourgeois capitalist spirit for the proletariat rather than as a transcendence. World War I was the catalyst for the eruption of a discontent that had been growing within the Left. The war had proved that the patria readily transcended class conflict; that as Corradini had stated, the national struggle supplants sectionalism whether of the liberal-bourgeois or “socialist” varieties.

Professor Alfredo Rocco, Italian Minister of Justice (1925-1932), the primary architect of the future corporatist state, began politically as a socialist before joining Corradini’s Nationalist Association. He saw the strengthening of the proletariat as necessary for social cohesion. In his 1920 address to the University of Padua, inaugurating the academic year, he referred to history as one of organic social cycles of birth and decay. Within this, he develops the concept of “unceasing struggle” within every “social body” “between the principle of organization represented by the state and the principle of disintegration, represented by individuals and groups, which tend to disrupt it and lead to its decline and fall.” While the concept is Spenglerian, Rocco was drawing on the Italian philosopher Giovanni Battista Vico, who preempted Spengler by about 180 years — and here we have in Vico another forgotten philosopher of the Right.

211400.jpgRocco traced the disintegrative impact of liberalism and the role of the bourgeoisie in undermining the social organism — “an amorphous and disorganized mass” in an “individualistic reaction.” The doctrine was provided by the Salon intelligentsia espousing an imaginary “natural law” and by the Encyclopaedists, “and it came to a head politically in the explosion of the French Revolution.” Faced with the reality of governing and of foreign wars, the French revolutionary regime soon had to reimpose the authority of the state, culminating in the genius of Napoleon. Following this epoch there arose again bourgeois liberalism with its atomistic “liberty.” Rocco cogently defines the liberal regime in describing the situation that arose from the tumults of the 19th century:

[ind]From that time onwards, the claims of individualism knew no bounds. The masses of individuals wanted to govern the state and govern it in accordance with their own individual interests. The state, a living organism with a continuous existence over the centuries that extends beyond successive generations and as such the guardian of the imminent historical interests of the species, was turned into a monopoly to serve the individual interests of each separate generation. [15] [16]

To restore the social organism against the atomization of liberalism, Rocco urged the integration of the syndicates, or corporations as they were known in Italy since Classical Rome, as integral organs of the social body. Rocco pointed out that liberalism in the name of individual liberty had “destroyed those ancient and venerable organizations, the guilds and corporations of arts and crafts,” which were decreed as abolished on the night of August 4th, 1789 by the French National Assembly, and in the subsequent law of August 14th — 17th 1791. In Italy, the ban was soon lifted, but the corporations did not regain their standing. “Yet professional organization or syndicalism, as it is normally known, or corporatism, to use the more traditional Italian word, is a natural and irrepressible phenomenon to be found in every age. It existed in Greece as well as in Rome, and in the Middle Ages as in modern times.” The disjunction and indeed animosity that had emerged between artisan and owner under modern capitalism could be reconciled within corporatism.

Many Leftists, just as much within the victor states as the defeated, saw the war as a “defeat of socialism.” Lanzillo, a syndicalist on the staff of Mussolini’s socialist newspaper Popolo d’Italia from 1914, wrote in his book The Defeat of Socialism that contrary to socialist expectations, the proletariat of every nation eagerly fought for their national, not international, class interests. “Socialism based its arguments on the dialectical opposition of interests within individual countries, and war showed the possibility of reconciling those interests in the will to defend by force of arms a common heritage and common ideals.” [16] [17] This echoes Sombart’s 1915 work; although Sombart insisted that the “spirit” was uniquely “German,” after the war, it became universal among those who yearned for something more than a return to the decaying pre-war order.

Hendrik de Man and Socialism 

Hendrik de Man, leader of the Belgian Workers Party, went so far as to initially cooperate with the German occupation during World War II, seeing it as a blow at the bourgeois spirit of the prior century. Despite this, de Man is still regarded as an important theorist of socialism. His “neosocialism,” also known as “planism,” [17] [19] is a significant ideological development among the Francophone Left. De Man was among the leading Socialists of Europe, having worked with Rosa Luxemburg [20], Karl Liebnecht, Karl Kautsky, and Leon Trotsky [21]. After service in World War I he visited the Soviet Union, lived in Washington, and worked as a professor of economics at the University of Frankfurt.

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Marxism, de Man stated, reduces man “to the level of a mere object among the objects of his environment, and these external historical ‘relationships’ are held to determine his volitions and to decide his objectives.” Like many socialists who rejected Marx, World War I was a seminal event for de Man. He wrote in The Psychology of Marxian Socialism:

The war, in which I participated as a Belgian volunteer, shook my Marxist faith to its foundations. It is war-time experience which entitles me to say that my book has been written with blood, though I cannot myself be certain that I have been able to transform that blood into spirit. The conflict of motives whose upshot was that I, an ardent antimilitarist and internationalist, felt it my duty to take up arms against Germany; my disillusionment at the collapse of the International; the daily demonstration of the instinctive nature of mass impulses thanks to which even socialist members of the working class had their minds poisoned with the virus of nationalist hatred; my growing estrangement from most of my sometime Marxist associates, who went over to the bolshevik camp — thanks to all these influences conjoined, I was racked with doubts and scruples whose echoes will be heard in this book. [18] [22]

After the First World War, he withdrew from politics for several years to reflect on his thoughts and life. He conceded that what was required was not merely to “revise” or “adapt” Marxism, but to liquidate it. [19] [23]

In France, Socialist Party leader Marcel Déat, whose “neosocialism” was significantly influenced by de Man, anarcho-syndicalist Georges Valois, and Communist Party eminence Jacques Doriot came to such conclusions. The “British Fascism” of Sir Oswald Mosley had its programmatic origins in his days as a Labour Minister, and the fundamentals remained. Of this post-war situation for socialists, de Man stated:

It is not surprising that socialism is in the throes of a spiritual crisis. The world war has led to so many social and political transformations that all parties and all ideological movements have had to undergo modification in one direction or another, in order to adapt themselves to the new situation. Such changes cannot be effected without internal frictions; they are always attended by growing pains; they denote a doctrinal crisis. [20] [24]

cms_visual_1073992.jpg_1535106009000_293x450.jpgMarxism remained “rooted in the philosophical theories that were dominant during the middle decades of the nineteenth century, theories which may provisionally be summarised in the catchwords determinism, causal mechanism, historicism, rationalism, and economic hedonism.” [21] [25] So far from the bourgeoisie being increasingly proletarianized due to the crisis of capitalism, as Marx had predicted in The Communist Manifesto, de Man saw that “the working class is tending to accept bourgeois standards and to adopt a bourgeois culture.” [22] [26] “In the last analysis, the reason why the bourgeoisie is the upper class to-day, is that everyone would like to be a bourgeois.” [23] [27] Today more than ever it is apparent that the historical dialectic has not unfolded in the manner Marx predicted. The “cult of the masses” was an invention of bourgeois intellectuals including Marx, who were remote from the masses; [24] [28] a “relapse into the naivety of the outworn primitive democratic adoration of the crowd.” [25] [29]

In comparing the pre-capitalist guild era of the Medieval epoch with the capitalist era of production, de Man pointed out that

The essence of the charge brought by Marxism against capitalism is that the capitalist method of production has divorced the producers from the means of production. In actual fact, capitalism has done something much more serious; it has divorced the producer from production, the worker from the work. In this way, it has engendered a distaste for work which is often increased rather than diminished by an improvement in the material circumstances of life, and cannot be cured by any mere change in property relationships.

Especially conspicuous is the contrast between the industrial worker of to-day and the Medieval artisan as a guildsman. The handicraftsman of the Middle Ages might or might not be the owner of his house, his workshop, or his booth; his position might be a good one, financially speaking, or the reverse. But at least he was master of his own work. . .

The craftsman of the Middle Ages took delight in his work; he lived in his work; for him, his work was a means of self-expression. [26] [30]

De Man dealt directly with the workers, and often through his own lack of understanding was taught many lessons on the workers’ ethos that would be regarded as “reactionism” (as Marx puts it in The Communist Manifesto) by those on the Left too imbued with the bourgeois outlook to understand. At one such point, de Man alludes to the personal attachment tradesmen have to their own old toolboxes, an ethos that goes beyond the comprehension of Marxist doctrine (and an attitude that one can still observe among tradesmen and apprentices). [27] [31] He stated that Marxist theories about working-class solidarity lacked an ethos, and were mechanistic. They sought to build something merely on the basis of modes of production. This is the “economic man,” the “hedonist” and “egoist.” [28] [32] It is the same spirit of the merchant referred to by Sombart. The desire for solidarity was born not from this bourgeois outlook, but from the instinct that had existed during the Medieval era; of Christian ethos; that of “craft fraternity” defended by the guilds. [29] [33] Socialism, said de Man, should aim to revive a social ethos that was instinctive [organic], not mechanistic. [30] [34] He alluded to two postulants that serve as an ethical basis for this “new socialism”: “1. Vital values are higher than material values; and of vital values, spiritual values are the highest. 2. The motives of community sentiment are higher than the motives of personal power and personal acquisition.” [31] [35] Again, Sombart had said the same in his wartime appeal.

51zxhJ8I5JL._SX324_BO1,204,203,200_.jpgAn additional factor in the fallacy of Marxism was that especially since the First World War the proletariat had become more national and less international. [32] [36] Machinery and modes of production might indeed be international and what is today called globalization shows that capital is an internationalizing tendency, as Marx approvingly predicted. But people are more than their modes of production. [33] [37]

De Man saw the socialist movement as intrinsically national and the proletariat as more than a globule of putty to be molded for the purposes of production, whether by liberalism or Marxism:

The French revolution, which was the supreme struggle on the continent of Europe for the realization of the political demands of the bourgeoisie, was (so thought the revolutionists) to culminate in a universal rising of the peoples against the despots, and to make the Declaration of the Rights of Man the constitution of the whole human race. The Goddess of Reason, in whose honor the revolution set up its altars, was to become the deity of all mankind. [34] [38]

National sentiment is an integral part of the emotional content of the socialism of each country. It grows in strength in proportion as the lot of the working masses of any country is more closely connected with the lot of that country itself; in proportion too as the masses have won for themselves a larger place in the community of national civilization. At bottom, this partial absorption of socialist sentiment by national sentiment need not surprise us. We have merely to recognize that it is the return of a sentiment to its source. [Emphasis added]. Socialism itself is the product of the interaction between a given moral sentiment and a given social environment. It is not only the social environment which has a national character. The other factor, likewise, the moral sentiment, has primarily, in different peoples, a peculiar tinge, derived from a peculiar national past. [35] [39]

Hence, de Man recognized that socialism and tradition (that is “the Right”) are, so far from being antithetical, intrinsic each to the other.

Hendrik de Man was condemned as a “collaborator” after World War II and settled in exile in Switzerland. Like others condemned “traitors” and “collaborators,” he had remained in his country during the occupation to try and make something positive from the situation. When the German military occupied Belgium in June 1940, de Man issued a manifesto to the Belgian Workers Party stating that “For the working classes and for socialism, this collapse of a decrepit world, far from being a disaster, is a deliverance.” He had been Minister of Public Works (1934-1935) and of Finance (1936-1938). The failure to see his “Plan” implemented is reminiscent of a similar situation faced by Sir Oswald Mosley with his “Mosley Memorandum” to the Labour Government on the unemployment problem. Like Mosley, he saw that plutocracy could only be defeated by strong government action.

o4yw5i7LVt2nWwPOCyhdQLECBbk.jpgWhile other Belgian politicians fled the country and formed a government-in-exile, de Man served as de facto Prime Minister for over a year. In 1941, he co-founded with other trade union leaders the Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels, which was intended as the basis of a corporatist state above party politics. However, German occupation prevented this from becoming a truly effective organization.

De Man soon fell out with the occupation authorities. Although remaining the primary adviser to King Leopold III and the Queen Mother, he left Belgium in 1941 after talks with the Reich failed to reach a satisfactory conclusion for Belgian sovereignty and he was banned by the occupation authorities from public speaking. He first lived in France, then Switzerland until his death in 1953.

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Notes

[1] [43] Thomas Carlyle, Past & Present (1843), Book I: “Proem,” Chapter I: “Midas.”

[2] [44] Thomas Carlyle, Chartism (1840), Chapter VII: “Not Laissez-Faire.”

[3] [45] Friedrich List, The National System of Political Economy (1841), Chapter XV: “Nationality and the Economy of the Nation.”

[4] [46] Christopher Lasch, “What’s Wrong with the Right? [47]Tikkun, No. 1, 1987.

[5] [48] Spengler in The Decline of the West, The Hour of Decision, and Prussianism and Socialism. See for the latter Spengler: Prussianism Socialism and Other Essays (London: Black House Publishing, 2018).

[6] [49] Otto Strasser, Germany Tomorrow (London: Jonathan Cape, 1940), Part III: “The Structure of German Socialism” (4) Marxism, 126.

[7] [50] Werner Sombart, Händler und Helden (Merchants and Heroes, 1915). It seems likely that Spengler was influenced by this book, and Yockey, whether directly or via Spengler. But not all Germans have the “heroic spirit,” and not all British that of the “trader.” In this dichotomy, Marx reflected the “British,” Carlyle the “German”; insofar as each state represented a rival Zeitgeist which conflicted in two world wars. It seems reasonable to conclude that the “trader” spirit, in defeating the “heroic,” was taken over from Britain by the USA after World War II.

[8] [51] Enrico Corradini, The Principles of Nationalism, Report to the First Nationalist Congress, Florence, December 3, 1910.

[9] [52] Corradini, Nationalism and the Syndicates, Rome, March 16, 1919.

[10] [53] Marx’s “wheel of history,” so far from being in the traditional sense, where a culture revolves metaphorically on an axis, in the Evolian sense, proceeds in a straight line called “progress,” until falling into the abyss.

[11] [54] Karl Marx, The Communist Manifesto (1848), “Bourgeois and Proletarians.”

[12] [55] Evola referred to the axial basis of civilization in Revolt Against the Modern World; Yeats rendered the idea poetically in “The Second Coming” (1920).

[13] [56] See Michael P. Fitzsimmons, “The Debate on Guilds under Napoleon,” The Proceedings of the Western Society for French History, Vol. 36, 2008.

[14] [57] Joseph de Maistre, Essay on the Generative Principle of Constitutions (1847), Preface.

[15] [58] Alfredo Rocco, The Syndicates & the Crisis within the State, Padua, November 15, 1920.

[ [43]16] [59] Agostino Lanzillo, The Defeat of Socialism (Rome, 1918), Preface.

[17] [60] Named after H. de Man’s “Labor Plan” of 1933 to deal with unemployment.

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[18] [61] Hendrik de Man, The Psychology of Marxian Socialism (New Brunswick, New Jersey: Transaction Books, 1988 (1928)), 12.

[19] [62] Ibid., 14.

[20] [63] Ibid., 19.

[21] [64] Ibid., 23.

[22] [65] Ibid., 25.

[23] [66] Ibid., 103.

[24] [67] Ibid., 35.

[25] [68] Ibid., 36.

[26] [69] Ibid., 65-67.

[27] [70] Ibid., 75.

[28] [71] Ibid., 127.

[29] [72] Ibid.

[30] [73] Ibid., 131.

[31] [74] Ibid., 189.

[32] [75] Ibid., 303.

[33] [76] Ibid., 313.

[34] [77] Ibid., 321. This cult of the Goddess of Reason was intended as a literal civic religion in Jacobin France to replace Catholicism.

[35] [78] Ibid., 325-326.

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[20] Rosa Luxemburg: https://www.encyclopedia.com/people/history/german-history-biographies/rosa-luxemburg

[21] Leon Trotsky: https://www.encyclopedia.com/people/history/russian-soviet-and-cis-history-biographies/leon-trotsky

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[23] [19]: http://k

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[47] What’s Wrong with the Right?: https://web.archive.org/web/20040317084407/http://thor.clark.edu/sengland/previous%20features/a_dialogue_with_christopher_lasc.htm

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Le résultat des élections étasuniennes n’aura aucun impact sur la politique étrangère de ce pays

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Le résultat des élections étasuniennes n’aura aucun impact sur la politique étrangère de ce pays

Par Moon of Alabama

John Kiriakou, qui a dénoncé la torture pratiquée par la CIA sous le régime de Bush, met en garde contre la politique étrangère que l’administration de Joe Biden mènerait :

Littéralement, la dernière chose que je ferais serait d'exhorter quiconque à voter pour 
Donald Trump. Le président a été un désastre dans tous les sens du terme, en politique
étrangère comme en politique intérieure. Le pays ne peut pas supporter quatre années
supplémentaires de présidence Trump. Mais Biden n'est pas la panacée. C'est un
remplaçant de centre-droit. [..] Si vous pensez que les choses vont changer en politique étrangère sous la présidence
de Biden, détrompez-vous. Ce sera la même vieille politique expansionniste et
militariste que nous avions sous Bill Clinton et Barack Obama. Alors rentrez dans
l'isoloir avec les yeux ouverts.

À mon avis, Biden est plus à droite qu’au centre. Même son slogan de campagne est partagé avec les conservateurs britanniques.

Une administration Biden amplifierait les politiques hostiles envers la Russie et à la Chine et continuerait à faire pression pour un changement de régime au Venezuela, en Syrie, en Iran et au Belarus. Et ce, alors même que l’organe de l’orthodoxie de la politique étrangère américaine, le magazine Foreign Affairs, affirme que les changements de régime induits par les États-Unis n’atteignent jamais leurs objectifs :

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L'affirmation répétée de la secrétaire d'État américaine, Condoleezza Rice, à l'époque 
de la guerre en Irak, selon laquelle la poursuite par Washington de la "stabilité aux
dépens de la démocratie"
au Moyen-Orient n'avait produit aucun des deux était globalement

vraie. Mais il s'est avéré qu'elle avait un corollaire, à savoir que la poursuite de
la démocratie aux dépens de la stabilité pouvait également ne produire ni l'un ni l'autre,
mais que cela coûtait plus cher. ...
Les changements de régime tenteront toujours Washington. [...] La longue, diverse et

tragique histoire des changements de régime soutenus par les États-Unis au Moyen-Orient
suggère cependant qu'il faut résister à de telles tentations, comme à la plupart des
solutions rapides qui surgissent dans la vie et en politique. La prochaine fois que
les dirigeants américains proposeront d'intervenir dans la région pour renverser un
régime hostile, on peut supposer sans risque qu'une telle entreprise aura moins de
chance de réussite, sera plus coûteuse et plus lourde en conséquences involontaires
que ses partisans ne le réalisent ou ne veuillent bien l'admettre. Jusqu'à présent il
n’en a jamais été autrement.

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De présidence en présidence, la politique étrangère américaine ne change jamais. Dans une récente interview, le président syrien Bachar al-Assad expliquait pourquoi il en est ainsi :

Question 9 : Vous suivez sans aucun doute la campagne présidentielle aux États-Unis. 
Espérez-vous que le nouveau président américain, quel que soit le nom du vainqueur,
révisera sa politique de sanctions à l'égard de la Syrie ? Président Assad : Nous ne nous attendons généralement pas à des présidents lors des
élections américaines, nous nous attendons à des PDG ; parce que vous avez un conseil
d'administration, ce conseil est composé de lobbies et de grandes entreprises comme
les banques, les fabricants d’armes et les producteurs de pétrole, etc. Donc, vous
avez un PDG, et ce PDG n'a pas le droit ni l'autorité de faire des changements ;
il doit juste exécuter. C'est ce qui est arrivé à Trump lorsqu'il est devenu président
après les élections - Journaliste : Il a été PDG pendant de nombreuses années auparavant. Président Assad : Exactement ! Il reste un PDG de toute façon. Il voulait suivre ou
poursuivre sa propre politique, et il était sur le point d'en payer le prix - vous
vous souvenez du problème de sa mise en accusation. Il a dû ravaler chaque promesse
faite avant les élections. C'est pourquoi je dis qu’il ne faut pas s’attendre à un
président, mais seulement à un PDG. Si vous voulez parler de changer la politique,
vous avez un conseil d'administration - ce conseil ne changera pas sa politique.
Le PDG changera, mais le conseil d'administration reste le même, alors n'attendez rien. Question 10 : Qui est ce conseil d'administration ? Qui sont ces personnes ? Président Assad : Comme je l'ai dit, ce conseil est composé des lobbies, donc ils
mettent en œuvre ce qu'ils veulent, et ils contrôlent le Congrès et les autres, et
les médias, etc. Aux États-Unis, Il y a donc une alliance entre ces différentes sociétés
qui ne pensent qu’à leurs intérêts particuliers.

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Caitlin Johnstone serait probablement d’accord avec ce point de vue. Elle affirme que les deux camps politiques aux États-Unis ne diffèrent guère :

Lorsque vous regardez la politique américaine, il semble qu'il y ait deux factions 
politiques principales qui sont en très fort désaccord l'une avec l'autre. "Divisé"
est un mot qui revient souvent. "Polarisé" en est un autre. ... Mais au delà des insultes et des débats passionnés, ces deux factions sont en fait
furieusement en accord l'une avec l'autre. Elles sont d'accord tout le temps. Elles sont d'accord pour que le gouvernement américain reste le centre d'un empire
mondial ; elles se contentent d'ergoter avec colère sur quelques détails concernant
la manière dont cet empire devrait être dirigé [...]. ... Sur toutes les questions qui affectent le plus gravement les personnes réelles à
grande échelle, ces deux factions politiques sont en accord total. Elles ne font
que déverser beaucoup de bruit et de fureur sur le minuscule 1% du spectre sur
lequel elles sont en désaccord. Ils ne permettent aucune discussion générale sur la question de savoir si l'empire
oligarchique doit continuer à exister ; toutes leurs questions, arguments et histoires
tournent autour de la façon dont il devrait exister. C'est ce qu'ils sont conçus pour faire. ...
La politique n'est pas réelle en Amérique. C'est un spectacle. Un spectacle de
arionnettes à deux mains pour distraire le public pendant que des pickpockets
le volent totalement. Si vous voulez voir les choses clairement, ignorez complètement le faux drame

du spectacle de marionnettes et concentrez-vous sur l'avancement du vrai débat :
que l'empire oligarchique centralisé aux États-Unis est corrompu au-delà de toute
rédemption et devrait être complètement démantelé.

Comment ne pas être d’accord avec ces points de vue ?

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

Can and Should Russia Stop the War in the Caucasus?

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Can and Should Russia Stop the War in the Caucasus?

This war is officially a war between Azerbaijan and the (unrecognized) Republic of Nagorno Karabakh (RNK) aka “Republic of Artsakh” (ROA) which I shall refer to simply as Nagorno Karabakh or “NK”. As is often the case, the reality is much more complicated. For one thing, Erdogan’s Turkey has been deeply involved since Day 1 (and, really, even much before that) while Armenia has been backing NK to the hilt since the breakup of the Soviet Union. It is even worse: Turkey is a member of NATO while Armenia is a member of the CSTO. Thus a war started over a relatively small and remote area could, in theory, trigger an international nuclear war. The good news here is that nobody in NATO or the CSTO wants such a war, especially since technically speaking the NK is not part of Armenia (Armenia has not even recognized this republic so far!) and, therefore, not under the protection of the CSTO. And since there have been no attacks on Turkey proper, at least so far, NATO also has no reason to get involved.

I should mention here that in terms of international law, NK is an integral part of Azerbaijan. Still, almost everybody agrees that there is a difference between NK proper and the kind of security zone the army of NK created around NK (see map)

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(note: the Nakhichevan Autonomous Republic is part of Azerbaijan)

The reality on the ground, however, is very different, so let’s look at the position of each actor in turn, beginning with the party which started the war: Azerbaijan.

Azerbaijan has been reforming and rearming its military since the Azeri forces got comprehensively defeated in the 1988-1994 war. Furthermore, for President Aliev this war represents what might well be the best and last chance to defeat the NK and Armenian forces. Most observers agree that should Aliev fail to achieve at least an appearance of victory he will lose power.

Armenia would have been quite happy to keep the status quo and continue to form one country with the NK de facto while remaining two countries de jure. Still, living in the tough and even dangerous “neighborhood” of the Caucasus, the Armenians never forgot that they are surrounded by more or less hostile countries just like they also remained acutely aware of Erdogan’s neo-Ottoman ideology which, sooner or later, would make war inevitable.

Iran, which is often forgotten, is not directly involved in the conflict, at least so far, but has been generally sympathetic to Armenia, primarily because Erdogan’s neo-Ottoman ideology represents a danger for the entire region, including Iran.

Turkey has played a crucial behind the scenes role in the rearmament and reorganization of Azeri forces. Just as was the case in Libya, Turkish attack drones have been used with formidable effectiveness against NK forces, in spite of the fact that the Armenians have some very decent air defenses. As for Erdogan himself, this war is his latest attempt to paint himself as some kind of neo-Ottoman sultan which will reunite all the Turkic people under his rule.

One of the major misconceptions about this conflict is the assumption that Russia has always been, and will always be, on the side of Armenia and the NK, but while this was definitely true for pre-1917 Russia, this is not the case today at all. Why?

Let’s examine the Russian position in this conflict.

First, let’s get the obvious out of the way: Armenia (proper, as opposed to NK) is a member of the CSTO and should anybody (including Azerbaijan and/or Turkey) attack Armenia, Russia would most definitely intervene and stop the attack, either by political or even by military means. Considering what Turkey has done to the Armenian people during the infamous Armenian Genocide of 1914-1923 this makes perfectly good sense: at least now the Armenian people know that Russia will never allow another genocide to take place. And the Turks know that too.

And yet, things are not quite that simple either.

For example, Russia did sell a lot of advanced weapon systems to Azerbaijan (see here for one good example). In fact, relations between Vladimir Putin and Ilham Aliyev are famously very warm. And while it is true that Azerbaijan left the CSTO in 1999, Russia and Azerbaijan have retained a very good relationship which some even characterize as a partnership or even an alliance.

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Furthermore, Azerbaijan has been a much better partner to Russia than Armenia, especially since the Soros-financed “color revolution” of 2018 which put Nikol Pashinian in power. Ever since Pashinian got to power, Armenia has been following the same kind of “multi-vector” policy which saw Belarus’ Lukashenko try to ditch Russia and integrate into the EU/NATO/US area of dominance. The two biggest differences between Belarus and Armenia are a) Belarusians and Russians are the same people and b) Russia cannot afford to lose Belarus whereas Russia has really zero need for Armenia.

On the negative side, not only has Azerbaijan left the CSTO in 1999, but Azerbaijan has also joined the openly anti-Russian GUAM Organization (which is headquartered in Kiev).

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Next, there is the Turkey-Erdogan factor as seen from Russia. Simply put, the Russians will never trust any Turk who shares Erdogan’s neo-Ottoman worldview and ideology. Russia has already fought twelve full-scale wars against the Ottomans and she has no desire to let the Turks trigger another one (which they almost did when they shot down a Russian Su-24M over northern Syria). Of course, Russia is much more powerful than Turkey, at least in military terms, but in political terms an open war against Turkey could be disastrous for Russian foreign and internal policy objectives. And, of course, the best way for Russia to avoid such a war in the future is to make absolutely sure that the Turks realize that should they attack they will be suffering a crushing defeat in a very short time. So far, this has worked pretty well, especially after Russia saved Erdogan from the US-backed coup against him.

Some observers have suggested that Russia and Armenia being Christian, the former has some kind of moral obligation towards the latter. I categorically disagree. My main reason to disagree here is that Russians now are acutely aware of the disgusting lack of gratitude of our (supposed) “brothers” and (supposed) “fellow Christians” have shown as soon as Russia was in need.

Most Armenians are not Orthodox Christians, but members of the Armenian Apostolic Church, which are miaphysites/monophysites. They are also not Slavs.

The ONLY slavic or Orthodox people who did show real gratitude for Russia have been the Serbs. All the rest of them have immediately rushed to prostitute themselves before Uncle Shmuel and have competed with each other for the “honor” of deploying US weapons systems targeted at Russia. The truth is that like every superpower, Russia is too big and too powerful to have real “friends” (Serbia being a quite beautiful exception to this rule). The Russian Czar Alexander III famously said that “Russia only has two true allies: her army and her navy”. Well, today the list is longer (now we could add the Aerospace forces, the FSB, etc.), but in terms of external allies or friends, the Serbian people (as opposed to some of the Serbian leaders) are the only ones out there which are true friends of Russia (and that, in spite of the fact that under Elstin and his “democratic oligarchs” Russia shamefully betrayed a long list of countries and political leaders, including Serbia).

Then there is the religious factor which, while crucial in the past, really plays no role whatsoever in this conflict. Oh sure, political leaders on both sides like to portray themselves as religious, but this is just PR. The reality is that both the Azeris and the Armenians place ethnic considerations far above any religious ones, if only because, courtesy of the militant atheism of the former USSR, many, if not most, people in Armenia, Azerbaijan and even Russia nowadays are agnostic secularists with no more than a passing interest for the “spiritual values which shaped their national identity” (or something along these lines).

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One major concern for Russia is the movement of Turkish-run Takfiris from Syria to Azerbaijan. The Russians have already confirmed that this has taken place (the French also reported this) and, if true, that would give Russia the right to strike these Takfiris on Azeri soil. So far, this threat is minor, but if it becomes real, we can expect Russian cruise missiles to enter the scene.

Finally, there are major Azeri and Armenian communities in Russia, which means two things: first, Russia cannot allow this conflict to sneak across the borders and infect Russia and, second, there are millions of Russians who will have ties, often strong ones, to both of these countries.

Though they are not currently officially involved, we still need to look, at least superficially, at the Empire’s view of this conflict. To summarize it I would say that the Empire is absolutely delighted with this crisis which is the third one blowing up on Russia’s doorstep (the other two being the Ukraine and Belarus). There is really very little the Empire can do against Russia: the economic blockade and sanctions totally failed, and in purely military terms Russia is far more powerful than the Empire. Simply put: the Empire simply does not have what it takes to take on Russia directly, but setting off conflicts around the Russia periphery is really easy.

For one thing, the internal administrative borders of the USSR bear absolutely no resemblance to the places of residence of the various ethnicities of the former Soviet Union. Looking at them one would be excused for thinking that they were drawn precisely to generate the maximal amount of tension between the many ethnic groups that were cut into separate pieces. There is also no logic in accepting the right of the former Soviet Republics to secede from the Soviet Union, but then denying the same right to those local administrative entities which now would want to separate from a newly created republic which they don’t want to be part of.

Second, many, if not most, of the so-called “countries” and “nations” which suddenly appeared following the collapse of the Soviet Union have no historical reality whatsoever. As a direct result, these newborn “nations” had no historical basis to root themselves in, and no idea what independence really means. Some nations, like the Armenians, have deep roots as far back as antiquity, but their current borders are truly based on nothing at all. Whatever may be the case, it has been extremely easy for Uncle Shmuel to move into these newly independent states, especially since many (or even most) of these states saw Russia as the enemy (courtesy of the predominant ideology of the Empire which was imposed upon the mostly clueless people of the ex-Soviet periphery). The result? Violence, or even war, all around that periphery (which the Russians think of as their “near abroad”).

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I think that most Russian people are aware that while there has been a major price to pay for this, the cutting away of the ex-Soviet periphery from Russia has been a blessing in disguise. This is confirmed by innumerable polls which show that the Russian people are generally very suspicious of any plans involving the use of the Russian Armed Forces outside Russia (for example, it took all of Putin’s “street cred” to convince the Russian people that the Russian military intervention in Syria was a good idea).

There is also one more thing which we must always remember: for all the stupid US and western propaganda about Russia and, later, the USSR being the “prison of the people” (small nations survived way better in this “prison” than they did under the “democratic” rule of European colonists worldwide!), the truth is that because of the rabidly russophobic views of Soviet Communists (at least until Stalin – he reversed this trend) the Soviet “peripheral” Republics all lived much better than the “leftover Russia” which the Soviets called the RSFSR. In fact, the Soviet period was a blessing in many ways for all the non-Russian republics of the Soviet Union and only now, under Putin, has this trend finally been reversed. Today Russia is much richer than the countries around her periphery and she has no desire to squander that wealth on a hostile and always ungrateful periphery. The bottom line is this: Russia owes countries such as Armenia or Azerbaijan absolutely nothing and they have no right whatsoever to expect Russia to come to their aid: this won’t happen, at least not unless Russia achieves a measurable positive result from this intervention.

Still, let’s now look at the reasons why Russia might want to intervene.

First, this is, yet again, a case of Erdogan’s megalomania and malevolence resulting in a very dangerous situation for Russia. After all, all the Azeris need to do to secure an overt Turkish intervention is to either attack Armenia proper, which might force a Russian intervention or, alternatively, be so severely beaten by the Armenians that Turkey might have to intervene to avoid a historical loss of face for both Aliev and Erdogan.

Second, it is crucial for Russia to prove that the CSTO matters and is effective in protecting CSTO member states. In other words, if Russia lets Turkey attack Armenia directly the CSTO would lose all credibility, something which Russia cannot allow.

Third, it is crucial for Russia to prove to both Azerbaijan and Armenia that the US is long on hot air and empty promises, but can’t get anything done in the Caucasus. In other words, the solution to this war has to be a Russian one, not a US/NATO/EU one. Once it becomes clear in the Caucasus that, like in the Middle-East, Russia has now become the next “kingmaker” then the entire region will finally return to peace and a slow return to prosperity.

So far the Russians have been extremely careful in their statements. They mostly said that Russian peacekeepers could only be deployed after all the parties to this conflict agree to their deployment. Right now, we are still very far away from this.

Here is what happened so far: the Azeris clearly hoped for a short and triumphant war, but in spite of very real advances in training, equipment, etc the Azeri Blitzkrieg has clearly failed in spite of the fact that the Azeri military is more powerful than the NK+Armenian one. True, the Azeris did have some initial successes, but they all happened in small towns mostly located in the plain. But take a look at this topographic map of the area of operations and see for yourself what the biggest problem for the Azeris is:

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Almost all of NK is located in the mountains (hence the prefix “nagorno” which means “mountainous”) and offensive military operations in the mountains are truly a nightmare, even for very well prepared and equipped forces (especially in the winter season, which is fast approaching). There are very few countries out there who could successfully conduct offensive operations in mountains, Russia is one of them, and Azerbaijan clearly is not.

Right now both sides agree on one thing only: only total victory can stop this war. While politically that kind of language makes sense, everybody knows that this war will not end up in some kind of total victory for one side and total defeat of the other side. The simple fact is that the Azeris can’t overrun all of NK while the Armenians (in Armenia proper and in the NK) cannot counter-attack and defeat the Azeri military in the plains.

Right now, and for as long as the Azeris and the Armenians agree that they won’t stop at anything short of a total victory, Russia simply cannot intervene. While she has the military power to force both sides to a total standstill, she has no legal right to do so and please remember that, unlike the US, Russia does respect international law (if only because she has no plans to become the “next US” or some kind of world hegemon in charge of maintaining the peace worldwide). So there are only two possible options for a Russian military intervention:

  1. A direct (and confirmed by hard evidence) attack on the territory of Armenia
  2. Both the Azeris and the Armenians agree that Russia ought to intervene.

I strongly believe that Erdogan and Aliev will do whatever it takes to prevent option one from happening (while they will do everything in their power short of an overt attack on Armenia to prevail). Accidents, however, do happen, so the risk of a quick and dramatic escalation of the conflict will remain until both sides agree to stop.

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Right now, neither side has a clear victory and, as sad as I am to write these words, both sides have enough reserves (not only military, but also political and economic) to keep at it for a while longer. However, neither side has what it would take to wage a long and bloody positional war of attrition, especially in the mountain ranges. Thus both sides probably already realize that this one will have to stop, sooner rather than later (according to some Russian experts, we are only talking weeks here).

Furthermore, there are a lot of very dangerous escalations taking place, including artillery and missile strikes on cities and infrastructure objects. If the Armenians are really pushed against a wall, they could both recognize NK and hit the Azeri energy and oil/gas infrastructure with their formidable Iskander tactical ballistic missiles. Should that happen, then we can be almost certain that both the Azeris and the Turks will try to attack Armenia, with dramatic and most dangerous consequences.

This conflict can get much, much more bloody and much more dangerous. It is thus in the interests of the entire region (but not the US) to stop it. Will the Armenian lobby be powerful enough to pressure the US into a more helpful stance? So far, the US is, at least officially, calling all sides for a ceasefire (along with France and Russia), but we all know how much Uncle Shmuel’s word can be trusted. At least there is no public evidence that the US is pushing for war behind the scenes (the absence of such evidence does, of course, not imply the evidence of the absence of such actions!).

At the time of writing this (Oct. 9th) Russia has to wait for the parties to come back to reality and accept a negotiated solution. If and when that happens, there are options out there, including making NK a special region of Azerbaijan which would be placed under the direct protection of Russia and/or the CSTO with Russian forces deployed inside the NK region. It would even be possible to have a Turkish military presence all around the NK (and even some monitors inside!) to reassure the Azeris that Armenian forces have left the region and are staying out. The Azeris already know that they cannot defeat Armenia proper without risking a Russian response and they are probably going to realize that they cannot overrun NK. As for the Armenians, it is all nice and fun to play the “multi-vector” card, but Russia won’t play by these rules anymore. Her message here is simple: if you are Uncle Shmuels’s bitch, then let Uncle Shmuel save you; if you want us to help, then give us a really good reason why: we are listening”.

This seems to me an eminently reasonable position to take and I hope and believe that Russia will stick to it.

PS: the latest news is that Putin invited the Foreign Ministers of Azerbaijan and Armenia to Moscow for “consultations” (not “negotiations”, at least not yet) with Sergei Lavrov as a mediator. Good. Maybe this can save lives since a bad peace will always be better than a good war.

PPS: the latest news (Oct 9th 0110 UTC) is that the Russians have forced Armenia and Azerbaijan to negotiate for over thirteen hours, but at the end of the day, both sides agreed to an immediate ceasefire and for substantive negotiations to begin. Frankly, considering the extreme hostility of the parties towards each other, I consider this outcome almost miraculous. Lavrov truly earned his keep today! Still, we now have to see if Russia can convince both sides to actually abide by this agreement. Here is a machine translation of the first Russian report about this outcome:

Statement by the Ministers of Foreign Affairs of the Russian Federation, the Republic of Azerbaijan and the Republic of Armenia

In response to the appeal of the President of the Russian Federation V.V. Putin and in accordance with the agreements of the President of the Russian Federation V.V. Putin, President of the Republic of Azerbaijan I.G. Aliyev and Prime Minister of the Republic of Armenia N.V. Pashinyan, the parties agreed on the following steps :

1. A ceasefire is declared from 12:00 pm on October 10, 2020 for humanitarian purposes for the exchange of prisoners of war and other detained persons and bodies of the dead, mediated and in accordance with the criteria of the International Committee of the Red Cross.

2. The specific parameters of the ceasefire regime will be agreed upon additionally.

3. The Republic of Azerbaijan and the Republic of Armenia, with the mediation of the OSCE Minsk Group co-chairs, on the basis of the basic principles of the settlement, begin substantive negotiations with the aim of reaching a peaceful settlement as soon as possible.

4. The parties confirm the invariability of the format of the negotiation process.

samedi, 10 octobre 2020

L’Europe doit s’inscrire dans la défense de l’espace

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L’Europe doit s’inscrire dans la défense de l’espace

Par Euro Libertes

par Michel Grimard, Président du ROUE

Face à la militarisation accélérée de l’espace par les super puissances, ce qui ne peut manquer d’inquiéter par l’aspect négatif généré sur l’équilibre des forces en présence, l’Europe ne peut rester passive. La domination de l’espace intègre désormais le volet confrontation. De récentes initiatives illustrent cette volonté de conquête et de puissance. En juillet, la Chine a procédé au lancement d’une sonde vers mars, dont les performances n’ont rien à envier à celles qui l’ont précédée. Pékin marque ainsi le degré technologique atteint, qui le hisse quasiment au même niveau que les États-Unis.

En juillet également, par l’intermédiaire des Émirats-Arabe-Unis, le monde Arabe est entré dans la compétition en lançant une sonde d’exploration de Mars. Même si une aide américano-japonaise les a confortés, l’exploit demeure. L’appareil, appelé « Al-Amel » (l’espoir), est de création émiratie. Le départ de deux astronautes vers la Station Spatiale Internationale, réalisé en mai par SpaceX, est un nouveau défi à l’Europe, via Ariane. Parfaitement abouti, il porte une double réussite, en s’affirmant comme un sérieux concurrent d’Ariane et en libérant les États-Unis de leur dépendance à la Russie. L’aspect pacifique, trompeur, de ces initiatives abrite un germe belliqueux.

Scruter le cosmos n’est plus la seule préoccupation des terriens. Ils ont malgré le traité de 1967 sur l’espace, qui bannit le déploiement d’armes de destructions massives, notamment nucléaires, commencé à le militariser. Si Washington a marqué sa volonté d’occuper une place prééminente dans l’espace, la Chine a montré qu’elle n’entendait pas être absente. Déjà, en janvier 2007, en procédant à un tir antisatellite et actuellement, avec le décollage de sa sonde pour explorer Mars. Garder leur totale liberté d’action dans l’espace est conforme à la politique spatiale des États-Unis, définie le 31 août 2006.

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Aussi parler de simple surveillance de l’Univers, comme le font les Européens, est périmé. La course qui conduit à la militarisation de l’espace, y compris sous l’aspect d’armes antisatellites, semble désormais difficile à contenir, surtout si cette présence spatiale apparaît comme un élément de défense absolument vital. Dépasser l’exploration est devenu la règle. En mars 2019, par un tir de missiles capable d’abattre un satellite dans l’espace, l’Inde a pris sa place parmi les pays détenteurs de ce record.

Récemment, la Russie s’est vue accusée par le commandement spatial américain d’avoir « conduit un test non-destructeur d’une arme antisatellite depuis l’espace ». Moscou a aussitôt rétorqué que le test n’était ni menaçant, ni contraire au droit international. Au-delà des polémiques, la militarisation de l’espace ne fait aucun doute.

Actuellement, les yeux des Européens, plus particulièrement de la France, se sont dessillés. Des déclarations ainsi que des actes, montrent que le danger et la nécessité d’y parer sont devenus une évidence. Après une longue période d’observation, teintée de naïveté, notre pays prend la mesure de l’importance que revêt le sujet.

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La ministre des armées, Florence Parly, semble avoir saisi tout l’enjeu de cette présence dans l’espace où s’accélère la volonté de domination. Elle a livré son sentiment en déclarant « Les menaces sont tangibles. Face à ce nouvel ordre des choses, nous devons être prêts ». Même constat, un an plus tôt en 2019, du Général Michel Friedling, commandant interarmées de l’espace « L’espace étant à la fois, un enjeu économique majeur et un milieu essentiel à la supériorité militaire, la coopération sera demain un champ de confrontation ». L’état-major de l’armée de l’air, désormais état-major de l’armée de l’air et de l’espace, a fait de cette dernière attribution, un domaine stratégique. La ministre des Armées, qui entend mettre en place les moyens de le sécuriser, a énoncé plusieurs dispositions en matière de surveillance et de défense. Développement du grand commandement de l’espace, basé à Toulouse, augmentation des investissements du secteur, dotation de caméras à 360 degrés, de satellites patrouilleurs, de lasers de puissance, notamment.

Malgré ses louables efforts, les investissements de la France dans le spatial militaire et civil sont bien en deçà des principales puissances championnes de l’espace. Ils représentent 12 fois moins que les États-Unis, 3 fois moins que la Chine et moins que la Russie. Les Américains qui demeurent dominants, entendent bien conserver leur position. Ils disposent encore de tous les moyens qui assurent cette suprématie, l’écoute, l’observation, la détection, la communication, le positionnement et l’alerte.

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L’Europe peut relever le défi en adoptant, notamment, deux dispositions. Premièrement, en dotant le spatial militaire d’investissements conséquents, à l’image du civil qu’elle a pourvu d’un budget de 14,4 milliards d’euros. Bien sûr, l’Agence Spatiale Européenne peut indirectement servir le côté militaire, mais elle est avant tout civile. Deuxièmement, en intégrant les différents systèmes des pays européens, relatifs à l’espace. L’importance de la mise en place de cette défense spatiale, pour l’indépendance de l’Europe, appelle à œuvrer selon l’esprit qui a prévalu pour l’ESA, à travers Ariane et Galileo. Toutefois la cohérence voudrait qu’à la défense éclatée de l’Union, se substitue une défense européenne unie et indépendante.

Particulièrement cruciale pour l’équilibre de la paix, l’espace ne peut échapper à une vigilance accrue de l’Europe.

Tradition primordiale et préhistoire

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Thierry Mudry

Tradition primordiale et préhistoire

Ex: https://www.blog-glif.fr

René Guénon, Frithjof Schuon et Julius Evola situaient dans la Tradition primordiale l’origine (supra-humaine) de tous les courants ésotériques, tant « occidentaux » qu’« orientaux ». La conscience de l’existence de cette Tradition s’était fait jour en Europe dès avant la Renaissance, en particulier chez Nicolas de Cuse comme le relèvent par exemple Antoine Faivre (L’ésotérisme, PUF-Que Sais-je ?, Paris, 1992) et Wilhelm Schmidt-Biggemann (Philosophia Perennis. Historical Outlines of Western Spirituality in Ancient, Medieval and Early Modern Thought, Springer, Dordrecht, 2004).

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Mais c’est Saint-Augustin dans ses Retractationes (première partie, chapitre XIII, 3) qui souligna que le christianisme est lui-même l’héritier de cette Tradition : « Ce qui se nomme aujourd’hui religion chrétienne, existait dans l’antiquité et dès l’origine du genre humain jusqu’à ce que le Christ s’incarnât, et c’est de lui que la vraie religion qui existait déjà, commença à s’appeler chrétienne. En effet lorsque, après sa résurrection et son ascension, les Apôtres se mirent à le prêcher et que beaucoup croyaient déjà, ses disciples commencèrent à être appelés chrétiens à Antioche d’abord, comme il est écrit. C’est pourquoi j’ai dit : « C’est de notre temps la religion chrétienne, » non pas qu’elle n’ait point existé dans les temps antérieurs, mais parce qu’elle a reçu ce nom dans les temps postérieurs. »

indexmedf.jpgLe préhistorien Max Escalon de Fonton (1920-2013), dans son article sur « Le cheminement chrono-géographique du concept trinitaire », publié par Connaissance des religions (nouvelle série, volume VIII, n°1, 1992, pages 21 à 35), avançait que « la Tradition primordiale n’est primordiale que si elle commence avec les premiers hommes, c’est-à-dire aux temps préhistoriques. L’Homme, au sens où nous l’entendons, ou Homme anthropologique, apparaît vers le trente huitième millénaire, faisant suite à l’Homme paléontologique, qui, lui, nous est totalement étranger ». C’est donc, selon Max Escalon de Fonton, dans la préhistoire, plus précisément dans le paléolithique supérieur, que la Tradition primordiale a pris forme ou qu’elle a été reçue par les hommes.

Avant d’explorer plus avant les écrits de Max Escalon de Fonton, il n’est pas inutile de rappeler que l’intéressé, directeur de recherches au C.N.R.S., directeur des Antiquités préhistoriques de Languedoc-Roussillon puis de Provence-Côte d’Azur, a contribué de manière décisive à renouveler la connaissance de la préhistoire du Midi, en identifiant notamment, au cours de ses recherches et de ses fouilles, plusieurs faciès culturels locaux comme le Castelnovien ou le Couronnien en Provence, le Salpêtrien ou le Valorguien en Languedoc.

Escalon de Fonton s’attachait à reconstituer au cours de ses fouilles et des comptes-rendus qu’il en faisait, la culture matérielle des hommes de la préhistoire à travers l’étude de leurs artefacts, outils, objets de décoration quand il en retrouvait (la plupart étaient en effet en os et en bois, et donc résistaient rarement aux outrages du temps), vestiges alimentaires et autres. Il replaçait les éléments recueillis dans leur contexte environnemental et chronologique pour connaître les conditions de vie des populations concernées et les distinguer d’autres populations, souvent mais pas toujours apparentées, qui avaient peuplé le site à d’autres époques.

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Mais Escalon de Fonton s’intéressait tout autant à la culture symbolique des hommes de la préhistoire. Même si cet intérêt transparaissait dans ses publications scientifiques, c’est essentiellement dans des revues comme Etudes traditionnelles et Connaissance des religions qu’il livrait plus spécialement ses observations et ses réflexions dans ce domaine.

A cet égard, Escalon de Fonton partageait l’analyse de son collègue l’ethnologue et préhistorien André Leroi-Gourhan sur l’art paléolithique, en particulier sur celui de la grotte ornée de Lascaux. Leroi-Gourhan, après avoir soigneusement étudié l’association et la répartition des espèces animales figurées dans la grotte, ainsi que celles des autres signes gravés, en avait déduit que l’ensemble de ces signes devaient être interprétés comme des symboles masculins ou féminins. Pour lui, et ses successeurs, il fallait désormais « considérer comme un acquis notable la preuve de l’existence, au paléolithique supérieur, non pas d’une magie de chasse mais d’une métaphysique véritable ».

Il appartenait à Escalon de Fonton d’exposer de manière explicite le contenu de cette métaphysique des hommes de la préhistoire européenne. Dans l’article cité plus haut qui résume sa pensée, il écrivait : « Les grottes ornées du paléolithique supérieur d’Europe (environ 30.000 à 10.000 av. J.C.) sont des sanctuaires initiatiques (art sacré). Les idéogrammes (gravures, peintures, sculptures) expriment une métaphysique véritable dont la base est l’union des complémentaires. Dans cette démarche, il faut d’abord passer de la dualité des oppositions à l’unité du complémentarisme (retour au centre), puis, gravissant un degré dans l’ascension spirituelle, se hausser au niveau de la synthèse : la synthèse supérieure et les deux complémentaires expriment la dynamique trinitaire, laquelle symbolise la dynamique divine du Créateur ». On voit, précisait-il, au sein des grottes ornées constituées d’une suite de cavités, cette métaphysique se développer avec « une succession de panneaux, au cours d’un cheminement initiatique où croît la complexité, dans une dynamique de relation exprimée par la synthèse des deux complémentaires ».

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La grotte de Lascaux, avec sa succession de cavités figurant les divers degrés de l'initiation des hommes du paléolithique supérieur

La fin de l’ère glaciaire provoqua la disparition des animaux familiers aux hommes du paléolithique supérieur. D’autres symboles apparurent qui véhiculaient cependant toujours la même métaphysique (à travers l’opposition de la lune et du soleil par exemple, puis, au néolithique, à travers la symbolique du dépassement du cycle des quatre saisons et des quatre éléments).

Escalon de Fonton rapportait ainsi l’existence d’une Tradition primordiale formée dès le paléolithique supérieur et véhiculée sans interruption jusqu’à l’époque moderne sous des formes nécessairement changeantes.

Marseillais de naissance, il a su en discerner l’expression locale à travers un culte aux très anciennes racines, préceltiques et celtiques, le culte de la Vierge Noire , encore célébré chaque année à La Chandeleur (bien que son sens se soit progressivement perdu en même temps que le catholicisme oubliait ses aspects ésotériques) et à travers l’archi-confrérie réunissant les représentants des différents métiers et « ordres » de la ville qui participaient il y a quelques décennies encore à la procession solennelle de la Vierge Noire.

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« Cette archi-confrérie enseignait de façon simple, et pouvant être compris par tous, le symbolisme ainsi résumé : « Les personnes, les âmes, que nous sommes, avons un même principe – Dieu Créateur, l’Être. Or, Dieu, dans son absoluité, n’est contraint par aucune limite, aucune détermination. Il ne possède pas uniquement les possibilités d’Être ; il possède aussi toutes les possibilités de Non-Être. Manifestation et non-manifestation. Essence et Suressence. Cependant, ce qui pour l’humanité limitée à l’Être, semble une dualité, est, pour Dieu-Absolu, une Unité. Pour nous : cette unité est symbolisée par la Possibilité universelle qui comprend à la fois, et en synthèse, toutes les possibilités de manifestation et toutes celles de non-manifestation. La Possibilité Universelle est l’aspect passif de Dieu-Absolu ; son aspect actif n’étant conçu par nous que dans le silence internel.

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« On a donc : aspect passif = féminin. Au-delà de tout dualisme et de toute bipolarisation, donc de toute souillure = Vierge. Principe de tous les possibles, et, pour nous, du Principe créateur qui donne la vie = Mère. Principe de l’Incarnation du Verbe divin = Mère de Dieu. Principe célestiel, par conséquent, en amont du symbolisme des couleurs, mais devant rayonner comme la Nuit Mystique à son aboutissement, passage cyclique ascendant. La Nuit Supérieure, Le Noir de la non-distinction du Principe » » (« La Tradition des Vierges Noires », in Connaissance des religions, volume IV, n°1-2, 1988, pages 97 à 102).

Comme on peut le constater, à la lecture des articles d’Escalon de Fonton, la continuité entre ce culte, et d’autres similaires, et la démarche métaphysique des hommes du paléolithique supérieur est attestée à la fois par l’identité de leur contenu et par leur dimension initiatique.

Dans une telle continuité, la Franc-Maçonnerie vient bien évidemment prendre place pour peu qu’elle n’ait pas elle-même perdu le sens de l’Essentiel et, surtout, comme le rappelait Escalon de Fonton, celui du Suressentiel…

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Notre-Dame de la Consolation, Vierge Noire de Marseille, dans la crypte de l'Abbaye de saint Victor

(En haut: un cheval et un aurochs dessinés dans la grotte de Lascaux, symbolisant l'union des complémentaires)

L’escalade des tensions entre la France et la Turquie : entre guerre économique, jeux d’influence, désinformation et rivalités géopolitiques

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L’escalade des tensions entre la France et la Turquie : entre guerre économique, jeux d’influence, désinformation et rivalités géopolitiques

par Sophie Guldner

Ex: https://infoguerre.fr

A la suite d’un sommet réunissant les pays méditerranéens du sud, le Président Macron a tweeté le 10 septembre dernier « Pax Mediterranea ». Quelques jours plus tard, on apprenait que la France allait vendre des rafales à la Grèce. De ce fait, ce tweet a été accueilli avec scepticisme par de nombreux analystes d’autant plus que la France a répondu militairement par l’envoi de rafales et de navires de guerre à l’incursion dans les eaux territoriales grecques de navires turcs de prospection gazière, ce qui a suscité en outre l’inquiétude de ses alliés européens. En juillet dernier, Erdogan a signé un accord de coopération militaire avec le Niger, pays se situant dans la zone d’influence de la France, et a en outre intensifié sa présence économique dans ce pays dans le secteur minier et celui des infrastructures. L’affrontement actuel entre la France et la Turquie en méditerranée orientale est aussi le corolaire de rivalités géoéconomiques sur de multiples terrains.

Il revient d’analyser les causes de cette escalade qui combinent des intérêts économiques, des rivalités géopolitiques et des enjeux liés à l’agenda politique interne de ces deux dirigeants. Il revient également de mener une réflexion sur les stratégies déployées par ces deux Etats qui font appel à toute une gamme d’instruments :

  • Une démonstration classique de puissance fondée sur la capacité militaire ;
  • l’usage de la désinformation sur les réseaux sociaux émanant particulièrement de la Turquie et imitant le savoir-faire russe dans ce domaine ;
  • L’exercice d’une influence au sein de l’OTAN et de l’UE en vue de diviser ou de former un consensus.
  • La conquête de nouveaux marchés par la Turquie dans la sphère d’influence française en mobilisant des ressources idéologiques.

Cette analyse s’avère d’autant plus nécessaire que cet affrontement suscite de nombreux débats et polémiques sur les réseaux sociaux en particulier entre journalistes, chercheurs et diplomates que l’on peut qualifier de véritable guerre informationnelle tant les échanges sont vifs et les thèses contradictoires.

De manière schématique, deux camps se sont constitués autour de cette polémique :

  • D’une part, les partisans d’une politique de conciliation avec la Turquie. Ils s’opposent à l’escalade unilatérale de la France tant verbale que militaire avec un allié stratégique au sein de l’OTAN et louent la politique de médiation de la chancelière allemande ;
  • D’autre part, ceux qui sont favorables à la posture de fermeté à l’encontre de la Turquie tenue par la France du fait de la violation par cette dernière du droit international, de ses attaques répétées à l’encontre de la France et de sa « politique impérialiste » dans son environnement régional. Selon eux, la négociation avec la Turquie doit s’accompagner d’une politique dissuasive au plan militaire.

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L’affrontement entre la France et la Turquie en Méditerranée orientale s’inscrit plus largement dans un contexte régional tendu où s’affrontent des puissances régionales, ce qui se traduit par des conflits internationalisés en Syrie et en Libye. Et la guerre informationnelle susmentionnée porte plus globalement sur la stratégie française en Libye de soutien au générale Haftar contre le gouvernement d’union nationale (GNA) de tendance islamiste soutenue par la Turquie. De ce fait, il est nécessaire d’avoir en arrière-plan les rivalités de puissance dans la région pour comprendre les enjeux de cet affrontement en Méditerranée orientale.

Ces tensions ne sont pas nouvelles, l’offensive turque en Syrie avait déjà induit une montée des tensions entre les deux pays. Pour mémoire, Emmanuel Macron avait critiqué l’opération turque contre les kurdes du PYD dans le Nord de la Syrie, alliés de la France dans le cadre de la lutte contre Daesh et ayant joué un rôle de premier plan contre ce groupe terroriste. La Turquie considère que ce groupe kurde est terroriste du fait de son affiliation au parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). En réponse à la critique du Président français, le ministère turc des affaires étrangères Mevlut Cavusoglu avait qualifié Macron de « sponsor du terrorisme ».

Dans cette nouvelle escalade des tensions en Méditerranée orientale, la France et la Turquie font appel à leur capacité militaire, d’influence voire de nuisance. Cet épisode s’accompagne en outre d’une escalade verbale très virulente tant du côté de la Turquie que du côté de la France. Le Président Turc jugeant le président français « incompétent », « arrogant » et « développant une politique néo coloniale ». Le président français caractérisant la politique turque « d’inadmissible » et de « responsabilité criminelle » sans aller jusqu’à attaquer personnellement le président Erdogan. Néanmoins, la France, tout en se lançant dans une surenchère verbale et en menaçant la Turquie de sanctions, continue à rappeler dans ses communiqués la nécessité de dialoguer avec la Turquie.

La Mer Méditerranée orientale est le théâtre de confrontations autour d’enjeux géoéconomiques et géostratégiques : des tensions autour de la délimitation des frontières et du partage des réserves de gaz, la gestion des flux migratoires et la sécurité de l’Etat d’Israël. En outre, la Libye est confrontée à un conflit internationalisé opposant le camp de la contre-révolution autoritaire dans le monde arabe qui comprend les Emirats, l’Arabie-Saoudite, l’Egypte et la Russie au camp de soutien à l’islam politique et, dans le cas précis de la Libye, au gouvernement d’union nationale (GNA), dans lequel se trouve la Turquie et le Qatar. Comme susmentionné, la France y a joué un rôle ambigu en soutenant le général Haftar au motif qu’il serait plus à même de combattre le terrorisme que le GNA de tendance islamiste et reconnu par l’ONU et en vue d’empêcher une vague de réfugiés libyens de déferler en Europe. Cette stratégie se double d’un alignement de la diplomatie française sur l’agenda politique émirati et saoudien dans la région. Enfin, le partage du pétrole libyen est également un axe de ce conflit.

Quels sont alors les enjeux de cet affrontement ? Commet expliquer une telle escalade verbale et militaire entre deux alliés au sein de l’OTAN ? Quels sont les leviers mobilisés par ces deux pays ? Qui sort vainqueur de cet affrontement ?

  1. Les multiples grilles de lecture de l’affrontement franco-turc

Une lecture géoéconomique de cet affrontement

Tensions autour de l’émergence d’un nouveau pôle énergétique en Méditerranée

La dimension de « guerre économique » des tensions autour du gaz de la méditerranée orientale est évidente. De fait, la Méditerranée orientale est devenue un pôle énergétique majeur après la découverte en 2009-2010 de gisement gazier ravivant les nombreux conflits frontaliers dans cette mer étroite où les zones économiques exclusives (ZEE) se chevauchent.

Les enjeux de ces tensions portent tant sur l’exploitation du gaz que sur son transport. Concernant le volet transport, la Grèce, Chypre et Israël ont signé un accord gazier qui prévoit la construction d’un gazoduc « East Med » visant à transporter du gaz naturel entre 9 milliards et 11 milliards de mètre cube depuis les réserves off-shore de Chypre et d’Israël vers la Grèce. La Turquie a été mise à l’écart de ce projet alors que, de son point de vue, sa position géographique entre l’Orient et l’Occident la prédestine à devenir un hub gazier et qu’elle a développé des ambitions dans ce sens. C’est dans ce cadre que la Turquie et la Russie ont formé un projet concurrent le « Turkstream » visant à acheminer en Turquie et en Europe du gaz en Russie.

En outre, un Forum du gaz de la Méditerranée orientale (EMGF) réunissant l’Egypte, Chypre, la Grèce, l’Italie, Israël, la Jordanie a été créé en vue de former des projets communs et de développer des infrastructures. La Turquie n’a pas non plus été intégrée à ce forum.

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Sur le volet de l’exploitation du gaz naturel, le Turquie a signé accord fin 2019 afin de s’octroyer une large part du gaz en méditerranée orientale. Elle vise à réduire sa dépendance au gaz, en particulier vis-à-vis de la Russie. La Grèce a répliqué par la signature d’un accord similaire avec l’Egypte en aout 2020, ce qui a constitué l’élément déclencheur de l’envoi par la Turquie d’un navire de prospection dans les eaux territoriales grecques et qui a débouché sur l’escalade militaire actuelle que l’on connait. Cette découverte de gaz sert les intérêts européens en ce qu’elle leur offre l’opportunité de réduire leur dépendance énergétique  à la Russie.

En outre, à l’annonce de la vente de rafales par le France à la Grèce dans ce contexte inflammable, des analystes ont considéré que cette vente était la cause de l’appui au plan militaire apporté par la France à la Grèce. Or même si elle est bien consécutive de cet appui, cette lecture mettant en avant exclusivement la défense des intérêts économiques de la France est à relativiser au regard de la pluralité des enjeux que révèle cette crise.

Enfin, le conflit en Libye où la France et la Turquie soutiennent des parties différentes présente un volet énergétique concernant le partage des réserves pétrolières libyennes. En conséquence, l’enjeu énergétique est un axe majeur de l’affrontement franco-turc.

La Turquie à la conquête de marchés au Maghreb et en Afrique subsaharienne

Au-delà des enjeux énergétiques, l’intervention de la Turquie en Libye vise également à renforcer les liens commerciaux entre les deux pays ainsi que la présence des entreprises turques en Libye. Cette ambition a été formalisée par un accord commercial entre les deux pays. La Turquie est devenue le deuxième plus grand exportateur en Libye après la Chine.

Enfin, la Turquie est en discussion avec la GNA pour implanter une base turque à Misrata afin de devenir une grande puissance en Afrique du Nord.  Les enjeux sont donc aussi géopolitiques comme cela sera analysé plus bas. Mais ce statut de puissance poursuivi en Afrique du Nord vise également à lui ouvrir l’accès aux marchés de l’Afrique subsaharienne, en particulier au Sahel où elle avance ses pions. Elle pénètre aussi la Corne de l’Afrique, ce qui suscite des tensions avec l’Egypte, les Emirats et l’Arabie Saoudite, en particulier en Ethiopie qui a un différend majeur avec l’Egypte autour de la construction du barrage de la renaissance sur les eaux du Nil. Du point de vue de certains analystes, cette  guerre économique en Afrique entre ces puissances a contribué à consolider l’alignement de la, politique étrangère de la France, des Emirats et de l’Egypte.

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La conquête de nouveaux marchés par la Turquie dans son environnement régional, en particulier en Afrique (Maghreb et Afrique Subsaharienne) s’intensifie depuis plusieurs années. Son isolement, consécutif du gel des accords d’adhésion avec l’Union européenne, constitue à l’évidence le principal moteur de cette stratégie de conquête qui inclut dans son périmètre la sphère d’influence de la France, ce qui constitut un facteur de tension entre ces deux pays.

La Turquie remporte des succès au Maghreb, en particulier en Algérie, où le pouvoir politique aurait développé « un tropisme turc ».  La Turquie a depuis l’époque Bouteflika investit dans le marché des infrastructures en Algérie. Elle compte alors 800 entreprises dans divers secteurs (BTP, textile, sidérurgie, agroalimentaire, énergie) et elle est le premier investisseur du pays si l’on exclut le secteur des hydrocarbures. Néanmoins, le France reste le premier pays exportateur en Algérie et la Turquie se situe loin derrière. Si les relations entre les deux pays se sont distendues pendant la période de transition du général Gaid Sallah proche de l’axe autoritaire émirati et saoudien, celles-ci sont de nouveau au beau fixe depuis l’élection du Président Tebboune qui a fait un voyage officiel en Turquie et qui cherche à prendre ses distances avec l’axe emirati et saoudien en Libye. En outre, le président Tébboune a été ministre de l’habitat pendant cinq années où il a eu à négocier avec des sociétés turques, et a dû être impliqué dans le passage de marché douteux. Enfin, se rapprocher de la Turquie est un moyen de se légitimer en interne dans une société où le sentiment anti-français est encore vivace et où le pouvoir y est contesté par un mouvement populaire le « hirak ». Enfin, de la même manière qu’en Libye, l’Algérie comme l’a affirmé le président Erdogan est  « l’un des principaux points d’entrée vers le Maghreb et l’Afrique ». Les ambitions d’Erdogan ne se limitent donc pas à ce pays ami.

En Tunisie, la Turquie a une réelle influence sur le plan culturel où elle y exporte ses séries, et où des instituts dispensent des cours de langue turque et où l’on mange des Kebabs et où la Sublime Porte inspire chez certains de la nostalgie. Son modèle politique a aussi été attractif auprès d’un pan de la population et du pouvoir lui-même qu’ils s’agissent du Kémalisme dont Bourguiba s’inspirait ou de celui de l’AKP qui a permis une forte croissance économique dans les années 2000. Néanmoins, sur le plan économique, la Tunisie souffre d’un déficit d’attractivité .pour les investisseurs turcs. Enfin, avec le Maroc, les relations sont éminemment moins chaleureuses, et des frictions entre les deux pays, notamment dues à un accord de libre-échange liant ces deux pays et déséquilibré en faveur de la Turquie, nuisent à leurs relations.

Face à la montée de l’influence turque dans la sphère d’influence de la France au Maghreb, la diplomatie française du point de vue de certains experts [1]ne permet pas de répondre au défi actuel. L’Union pour la Méditerranée crée en 2008 à l’initiative du Président Sarkozy est une coquille vide. Selon, Beligh Nabli (IRIS), l’absence de concertation de la France avec les pays européens en amont de sa création est la principale cause de cet échec, l’Allemagne aurait en représailles imposé que cette union inclut tous les pays de l’UE et non les pays du pourtour méditerranéen. Dans la même veine, l’initiative du Président Emmanuel Macron intitulé « le sommet des deux rives » qui s’est tenu à Marseille les 23 et 24 juin 2019 réunissant les pays de la rive sud et de la rive nord de la Méditerranée n’a pas eu l’écho escompté et est passé presque inaperçu. De la même manière, le travail de mémoire de la guerre d’Algérie confié à Benjamin Stora, aussi louable soit-il, ne suffira probablement pas à refonder les relations entre la France et l’Algérie[2].

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La France dispose de forces opérationnelles au sud du Maghreb, en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, au Niger et au Tchad ainsi que des bases militaires au Sénégal, en Cote d’Ivoire et au Gabon. Cela n’a pas empêché la Turquie et le Niger de signer un accord de coopération portant sur l’économie et la défense en juillet dernier par lequel la Turquie prend part à l’industrie minière, secteur hautement stratégique pour la France. Erdogan a également réalisé une tournée au Sénégal et en Gambie en janvier 2020. En Afrique Subsaharienne, la Turquie mobilise dans sa stratégie des ressources idéologiques. Le thème d’un néocolonialisme est l’un des éléments de cette stratégie. De fait, à l’occasion d’un sommet d’affaires Turquie-Afrique en 2016, Erdogan a mis en avant la formation d’un nouveau modèle de colonisation mis en place par l’Occident et les institutions internationales et a déclaré « nous autres Africains et Turcs incarnons la résistance à ce modèle ». Ce discours révèle que la Turquie a parfaitement assimilé la thèse de Bertrand Badie [3] selon laquelle le système international est « oligarchique » et dominé par les vieilles puissances qui imposent leurs normes « aux faibles », et que « l’humiliation » du faible permet de mobiliser contre la domination. De fait, ce discours montre une instrumentalisation de « la dénonciation du fort » [4]par la Turquie en vue de conquérir de nouveaux marchés. C’est en particulier en exploitant le sentiment anti-français que la Turquie étend son influence en Afrique. C’est certainement dans ce cadre qu’il faut comprendre les attaques actuelles de la Turquie contre la France autour de son passé colonial, et sur l’exploitation financière de l’Afrique.

A l’heure où la France est confrontée à la montée d’un sentiment anti-français au Sahel où elle est embourbée dans une guerre ressemblant par bien des aspects à la guerre en Afghanistan face aux Talibans, et à l’heure où elle connait au Sénégal une opposition dirigée contre ses intérêts économiques et ciblant ses entreprises (Orange) et où elle fait face à des mobilisations contre la monnaie CFA dont la réforme à minima annoncée en décembre dernier par Emmanuel Macron et Alassane Ouattara ne suffira probablement  pas à éteindre le sentiment anti-CFA en Afrique, le thème d’une nouvelle forme de colonialisme est porteur. Et la France doit réagir et ne pas négliger ces attaques informationnelles.

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Enfin, la Turquie mobilise également l’islam dans sa stratégie de conquête. Tel est le cas au Sénégal. Elle est devenue un partenaire économique de premier plan du Sénégal en particulier dans le secteur des infrastructures (participation à la réalisation du TER, gestion de l’aéroport international Blaise Diagne pendant 25 ans, construction du centre international de conférence Abou Diouf…). En outre, les relations commerciales entre ces deux pays s’intensifient. Selon Oumar Ba, professeur au centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris, le fait que ces « deux pays partagent le même islam sunnite » a contribué à consolider les relations économiques et commerciales entre ces deux pays. Ils sont tous les deux membres de l’Organisation de la Conférence islamique qui constitue un cadre d’échange privilégié. Le financement en 2018 par la fondation turque Diyanet d’une des plus grandes mosquées d’Afrique de l’Ouest au Ghana est un autre exemple de cette diplomatie mobilisant l’islam. A côté de l’islam, la Turquie mobilise d’autres registres tels que le sport qui est très populaire en Afrique. C’est le groupe turc Yenigun qui a la charge de la construction du complexe sportif de Japoma au Cameroun qui accueillera la coupe d’Afrique des nations en 2021. La Turquie a aujourd’hui établi un réseau de 41 ambassades en Afrique et possède 20 agences de l’agence de coopération TIKA et a densifié ses liaisons aériennes via sa compagnie Turkish Airlines. [5]

La Turquie à travers la poursuite d’une influence dans son environnement régional cherche également un soutien ou du moins une neutralité dans le dossier Libyen où elle est isolée. Toutefois, cette stratégie a ses limites et la réflexion d’Erdogan sur les « crimes coloniaux » de la France n’a pas particulièrement plu au pouvoir à Alger qui s’efforce à « afficher une neutralité de façade » en dépit de son soutien au GNA. Il propose en outre de jouer un rôle de médiateur.

Ainsi ce volet d’influence économique de la Turquie de l’Afrique Subsaharienne, en passant par le Maghreb et la Méditerranée orientale – ou cet encerclement cognitif Turc – est un axe de cet affrontement entre la France et la Turquie.

Néanmoins, une lecture exclusivement géo économique ne suffit pas à cerner tous les enjeux de cet affrontement. Il est nécessaire d’y superposer une grille de lecture géopolitique.

Une lecture géopolitique : des rivalités de puissance au cœur de l’affrontement franco-turc

La confrontation symbolique entre deux puissances

La Turquie, au même titre que d’autres puissances au Moyen-Orient (Iran, Emirats, l’Arabie-Saoudite), déploie une politique nationaliste que d’aucuns qualifient même d’impérialiste ou de « néo-Ottomane » en ceci qu’elle s’accompagne d’un expansionnisme en Syrie et en Libye mais aussi sur d’autres terrains comme susmentionné. Ce nationalisme est probablement porté par l’humiliation du traité mort-né de Sèvre qui visait à démanteler la Turquie. Elle résulte de manière plus évidente des négociations d’adhésion avec l’UE qui sont actuellement gelées et du rôle ambivalent de l’Europe à l’égard de l’adhésion de la Turquie. Enfin, cette affirmation du nationalisme turc repose également sur des causes internes en lien avec l’alliance de l’AKP et d’un parti ultranationaliste désormais nécessaire au maintien au pouvoir de l’AKP qui a perdu sa majorité.

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La délimitation des frontières est au cœur des tensions en Méditerranée orientale. Et la découverte de gisement de gaz vient alors raviver ces tensions. La Convention de Montego Bay sur droit de la Mer est complexe concernant la délimitation de frontières autour des iles. Des lors, cette délimitation requiert une négociation bilatérale entre les Etats de la région, ce qui n’est pas acquis compte tenu des tensions entre ces Etats (Israël/Liban, Grèce/Turquie, division de Chypre). En outre, la Turquie n’a pas ratifié cette Convention.

Pour les tenants de la position de fermeté avec la Turquie[6], l’appui militaire à la Grèce est justifié en ceci que l’UE doit montrer qu’elle est capable de défendre ses frontières extérieures. En outre, la France est une puissance en Méditerranée où elle possède un sous-marin d’attaque. Enfin, l’effacement des Etats-Unis dans la région octroie à la France le rôle de puissance stabilisatrice.

Pour les tenants de la posture de conciliation, l’appui militaire unilatéral de la France à la Grèce s’inscrit dans le contexte régional de rivalités entre puissances, en particulier en Libye. De leur point de vue, l’échec de la stratégie de la France en Libye après la défaite du général Haftar face au GNA soutenu par la Turquie est l’un des moteurs de l’implication au plan militaire de la France en Méditerranée orientale. Plus globalement, c’est le paradigme de soutien de la France à des partenaires « appartenant à l’école autoritaire »  (Sissi, Haftar, MBZ) qui est remis en cause. Et selon eux, les déboires de la France en Libye attestent de l’inanité de cette stratégie.  L’alignement de la position française sur celle des Emirats est masqué par la France, du fait de la politique autoritaire et peu soucieuse des droits humains des Emirats dont l’intervention au Yémen révèle de manière éclatante. Et cet échec de la diplomatie française en Libye alimente la virulence de la France contre la Turquie qui est dans le camp opposé. C’est d’ailleurs dans ce cadre que se comprend l’appui à la Grèce des Emirats, pays non méditerranéen, à travers l’envoi de quatre F16.

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Enfin, l’Irak, où la Turquie a lancé une offensive dans le Nord de grande envergure dite « Griffes du Tigres » et où elle est présente dans 35 bases irakiennes, est un autre terrain de rivalités entre les deux pays. Cette offensive turque serait au cœur de la volonté française de s’impliquer dans le pays, comme en témoigne la visite éclaire de Macron le 2 septembre dernier et son insistance sur son appui à la « souveraineté de l’Irak ». La France a également des intérêts économiques dans ce pays, en particulier dans le secteur pétrolier, et y voit une manière de retrouver une influence au Moyen-Orient bénéficiant du retrait américain.

La dimension de politique interne de cet affrontement

La politique extérieure d’un pays s’articule très souvent avec sa politique intérieure. Cette dernière est à prendre en compte dans l’analyse de l’affrontement entre la France et la Turquie.

De fait, la France a, par le passé, instrumentalisé l’adhésion de la Turquie à l’UE à des fins électorales. On se souvient du Président Sarkozy qui avait fait du refus de cette adhésion un thème de sa campagne électorale en vue de rallier l’électorat de l’extrême droite. Il est possible que la virulence des propos du Président Macron vise également à mobiliser l’opinion publique.

En outre, Bertrand Badie y voir une volonté d’Emmanuel Macron de restaurer la souveraineté de l’Union européenne et de se présenter comme le leader. Il note néanmoins que cette stratégie a des limites, en ce que le conflit en méditerranée orientale ne peut que se terminer par une négociation entre les Turcs et les Grecs, ce qui est susceptible de conforter le bien-fondé de la posture de médiation de l’Allemagne et de préserver, voire de consolider les intérêts économiques de cette dernière.

Côté Turc, cette instrumentalisation apparait clairement. De fait, le pouvoir de l’AKP est en quête de légitimité alors que la Turquie connait une crise économique et qu’il a perdu la ville d’Istanbul lors des dernières élections. Le sentiment nationaliste turc particulièrement ancré dans la société fait que même l’opposition en Turquie soutient le pouvoir dans son escalade avec la France[7]. Sa stratégie se révèle ainsi gagnante à ce stade sur le plan de la politique interne turque.

  1. Analyse des stratégies turques et françaises

Le recours à une démonstration de force

La stratégie de ces deux pays repose sur le hard power. La France a envoyé des rafales et des navires militaires pour dissuader la Turquie en réponse à l’envoi par la Turquie de navires de prospection escortés par des navires militaires.

La Turquie est la deuxième armée de l’OTAN en effectifs et de ce fait, elle connait son importance dans le système de défense. En outre, les Etats-Unis, depuis l’administration Obama, cherchent à se retirer de la région dans une stratégie dite de « pivot vers l’Asie ». Ceci s’est accentué sous la présidence du Président Trump. De ce fait, les Etats-Unis considèrent que la Turquie pourrait jouer le rôle de puissance stabilisatrice dans la région[8]. A ce titre, la Turquie jouit d’une influence au sein de l’OTAN et de l’UE.

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Quant à la France, elle propose à la Grèce une alliance militaire qui inclut un volet industriel. L’acquisition de rafales par la Grèce va donner un avantage à l’armée grecque sur l’armée turque dans les airs.

Plus globalement, la région de la méditerranée orientale connait une véritable course aux armements incluant tous les pays à l’exception de Chypre et du Liban.

A côté de ce volet militaire, la stratégie de ces deux Etats repose sur l’exercice d’une influence et sur l’instrumentalisation des rapports de force au sein de l’OTAN et de l’UE.

L’exercice de leur influence au sein de l’OTAN et de l’UE

La Turquie joue sur les divisions au sein de l’OTAN et de l’UE. Ankara peut se permettre une surenchère en Méditerranée orientale en ceci qu’elle est un chainon central du système de défense otanien en Méditerranée. Certains considèrent qu’elle « jouit d’une forme d’impunité au sein de l’OTAN ».

De ce fait, La Turquie mène une « stratégie de mise en tension »[9]en sachant que les Etats-Unis, qui ne voient pas d’un bon œil la montée en puissance de la Russie en Méditerranées Orientale et qui ont basculé dans une forme d’isolationnisme, ne semblent pas enclins à intervenir. De fait, les Etats-Unis, à travers une déclaration de Mike Pompéo, appellent à une résolution pacifique du conflit. Néanmoins, l’accord de coopération en matière de défense signé entre les Etats-Unis et la Grèce en janvier dernier vient signifier à la Turquie une mise à distance avec son allié privilégié dans la région.

Les Européens eux-mêmes sont divisés. De fait, l’affaire de la frégate française « Courbet » visée par des radars d’une frégate turque soupçonnée de violer l’embargo sur les armes en Libye est révélateur du faible soutien apporté à la France par ses alliés dans le cadre de l’OTAN mais aussi par les Etats membres de l’Union européenne dont huit seulement l’ont soutenue. Selon Cyril Bret, la position de la France est loin d’être majoritaire tant sur les symptômes du « brain dead » de l’Otan pointés par celle-ci que sur le plan des remèdes proposés.

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Cette absence de soutien franc à la France, en particulier émanant de pays de l’Union européenne, a diverses causes.

La première cause est liée à son soutien au général Haftar en Libye contre le GNA reconnu par l’ONU. En outre, les pays du sud de la Méditerranée, en particulier l’Italie, considèrent la Turquie comme un partenaire important dans la gestion des flux migratoires. L’Italie se situe en outre en Libye dans le camp de soutien au GNA. Les pays de l’Europe de l’Est considèrent également que la Turquie est un partenaire central au sien de l’OTAN dont l’un des volets est la lutte contre la menace russe. L’Allemagne considère aussi la question migratoire comme majeure et a en outre une large diaspora turque favorable à l’AKP et des intérêts économiques en Turquie. Si elle est alignée sur la France concernant les inquiétudes soulevées par l’expansionnisme de la Turquie, elle diffère sur la méthode et elle privilégie la négociation et les sanctions[10]. Enfin, la virulence de la rhétorique de Macron a pu susciter la méfiance au sein de ses partenaires. [11]

La France et la formation d’un front uni contre la Turquie

Si la Turquie joue sur les divisions au sein de ses organisations, la France cherche à former un consensus en vue de l’imposition de sanctions additionnelles à l’encontre de la Turquie à l’occasion du sommet européen des 24 et 25 septembre. De fait Emmanuel Macron a réuni en Corse les dirigeants du sud de la Méditerranée en vue de définir une ligne commune. Il a eu des propos très durs déclarant que la Turquie n’était plus un partenaire en Méditerranée.

Une communication virulente émanant de l’exécutif de ces deux Etats

Les deux présidents appuient leur stratégie d’influence d’une communication virulente.

Il n’est pas certain que cette stratégie soit gagnante côte française en ceci qu’elle suscite la méfiance chez ses partenaires, en particulier l’Allemagne mais aussi parmi les pays d’Europe du Sud et de l’est, qui voient avec inquiétude l’escalade entre deux partenaires au sein de l’OTAN. En outre, cette communication sert les intérêts politiques d’Erdogan en interne, le peuple turc étant réputé très nationaliste.

Enfin, la Turquie va encore plus loin en ceci qu’elle développe des méthodes de désinformation en imitant le savoir-faire russe en diffusant de fausses informations dans des langues étrangères.

La négociation

L’Allemagne a tenté d’opérer une médiation entre la Grèce et la Turquie. Si la Turquie a accepté cette initiative, les Grecs se sont montrés plus réticents, considérant qu’ils étaient sous la pression militaire de la Turquie mais aussi parce qu’elle se sent en position de force en ce que l’UE va probablement infliger des sanctions à la Turquie qui se trouve dans un relatif isolement. L’OTAN qui ne dispose pourtant d’aucun mécanisme de règlement des différends a proposé d’arbitrer ce conflit ce qui a été accepté par les deux parties.

Le retrait du navire de prospection turc des eaux territoriales grecques est de nature à apaiser les tensions actuelles et faciliter des négociations.

La mobilisation de ressources idéologiques par la Turquie

La politique expansionniste de la Turquie s’appuie sur des ressources culturelles (séries TV, nostalgie de l’empire Ottoman…) et sur des ressources idéologiques, à savoir l’islam (Sénégal), le sentiment néocolonial (Afrique) et le panturquisme.

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Une illustration de cette dernière ressource a été éclatante à l’occasion de la célébration  de l’anniversaire de la victoire seldjoukide de Manzikert contre l’empire Byzantin en 1071 qui a été accompagnée de discours nationalistes aux accents pan-turcs, proche d’un ethno nationalisme. Cette stratégie entre dans la volonté de redorer l’image de l’AKP. Mais ce panturquisme s’adresse également aux turcs à l’extérieur de la Turquie. A ce titre, la diplomatie éthno-nationaliste remporte quelques succès au Liban qui octroie la citoyenneté aux quelques milliers de Turkmènes dans le pays.

Le Liban où la Turquie cherche à prendre pied, profitant de la marginalisation de la communauté sunnite depuis que l’Arabie Saoudite s’est désengagée du fait d’un premier ministre sunnite, Saad Hariri, jugé insuffisamment ferme face au Hezbollah, pourrait constituer un nouveau terrain de concurrence entre la France et la Turquie à l’heure où la France revient sur le devant de la scène dans ce pays. La France considère que du fait de ses liens particuliers avec ce pays (histoire, diaspora, langue française), elle est la mieux placée pour peser sur la politique de ce pays en encourageant une meilleure gouvernance. La possibilité d’une nouvelle vague migratoire liée à la crise économique et institutionnelle au Liban est également un facteur de ce réengagement français.

Enfin, la normalisation des relations entre les Emirats et le Bahreïn et Israël sert la politique d’influence de la Turquie qui se présente comme la protectrice de l’islam sunnite et garante de la cause palestinienne aux côtés de l’Iran.

La France a-t-elle les moyens de cette diplomatie active ?

Ainsi, cet affrontement complexe, en ce qu’il mêle des enjeux économiques et politiques et qu’il a pour décor de multiples terrains, révèle une diplomatie active de la France. Néanmoins, du point de vue de nombreux analystes, la France en Afrique et au Moyen-Orient manque d’une stratégie de long-terme et d’une ligne claire[12]. En outre, sur le plan de la « guerre économique » en Afrique, la Turquie n’est pas la seule puissance à conquérir des marchés et la Chine représente un concurrent de taille. Enfin, il convient de se demander si la France a les moyens de cette diplomatie offensive et unilatérale face à la Turquie. A ce titre, le vente de rafale a la Grèce pose des difficultés à l’armée de l’air française qui fait face à un manque d’appareils permettant d’assurer toutes les missions extérieures de la France. Quant à la Turquie, en dépit d’une diplomatie active mobilisant tous les registres lui permettant de recueillir une neutralité, voire un soutien, sur le dossier Libyen (Algérie, Tunisie), une popularité croissante au sein de communautés marginalisées (sunnites du Liban, palestiniens) et la conquête de nouveaux marchés (Sénégal), il n’est pas certain qu’elle en sorte gagnante tant elle est isolée dans son environnement régional.

 

Sophie Guldner

Notes

[1] Didier Billon dans IRIS conférence Quels enjeux stratégiques en 2021, 15 septembre 2020

[2] Didier Billon dans IRIS conférence Quels enjeux stratégiques en 2021, 15 septembre 2020

[3] Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde, Essai sur la puissance de la faiblesse, La Découverte, 2018

[4] Bertrand Badie, Quand le Sud réinvente le monde, Essai sur la puissance de la faiblesse, La Découverte, 2018

[5] Le monde, en visite au Sénégal, le président turc confirme ses ambitions africaines, 30 janvier 2020

[6] Bruno Tertrais dans Cuture Monde : rentrée diplomatique, la France à la manœuvre : Méditerranée, Paris joue les gendarmes, 27 aout 2020

[7] Propos tenus par Ahmed Insel à l’antenne de France culture dans Méditerranée : la bataille du gaz

[8] Propose tenu par Dorothée Schmidt dans Affaires étrangères, Méditerranée : la bataille du gaz, 12 septembre 2020

[9] Propos tenus par Cyril Bret dans Affaires étrangères, Méditerranée : la bataille du gaz, 12 septembre 2020

[10] Drothée Schmidt dans dans Affaires étrangères, Méditerranée : la bataille du gaz, 12 septembre 2020

[11] Bruno Tertrais dans Cuture Monde : rentrée diplomatique, la France à la manœuvre : Méditerranée, Paris joue les gendarmes, 27 aout 2020

[12] Richard Banégas, la politique d’intervention de la France en Afrique vue d’en bas, Réflexions à partir du cas de la Cote d’Ivoire, Gallimard, « les Temps modernes », 2017, page 288 à 310

Die Arktis wird umkämpft

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Die Arktis wird umkämpft

Niklas Kharidis
Frödert Ulfsbörn

Ex: https://www.world-economy.eu

In den letzten Jahren ist die Arktis zunehmend zum Ziel der Interessen angrenzender Mächte geworden, aber auch der Länder, die geografisch sehr weit vom Nordpol entfernt sind.


Immer häufiger erheben Länder wie Dänemark, Norwegen, die Vereinigten Staaten und Russland, aber auch beispielsweise China, Ansprüche auf natürliche Ressourcen, auf bestimmte Gebiete, auf eine privilegierte Position im Seegebiet um die Arktis herum. Wenn Russlands Behauptungen in vielerlei Hinsicht durch die Länge seiner an die Arktis angrenzenden Küste gerechtfertigt sind, dann sind die Interessen von Ländern wie China oder Indien in dieser Region wiederum sehr umstritten.

Auch die Zunahme der NATO-Aktivitäten und der Konfrontationen in der Arktis kann nicht das Ziel der deutschen Politik sein, dies widerspricht den Interessen Deutschlands. Es kann nicht ausgeschlossen werden, dass die Intensivierung der Versuche, die eigene Präsenz in der Arktis zu erhöhen, zum Anstieg der Verteidigungsausgaben der europäischen Länder führen wird. Dies gilt insbesondere für Deutschland, das bereits unter dem Druck der Vereinigten Staaten steht, den Anteil des Militärhaushalts und die Beiträge zum NATO-Haushalt zu erhöhen.


Es muss daran erinnert werden, dass das Pentagon bereits 2019 die sogenannte Arktis-Strategie veröffentlicht hat. Diese Strategie konzentriert sich auf China und Russland. Natürlich geht es dabei um militärische Faktoren im Zusammenhang mit der Arktis: „China und Russland als zentrale Her­ausforderung für langfristige Sicherheit und Wohlstand der USA.“


In dem Strategiepapier steht dazu:


„The Arctic as a potential corridor for strategic competition: The Arctic is a potential avenue for expanded great power competition and aggression spanning between two key regions of ongoing competition identified in the NDS — the Indo-Pacific and Europe — and the U.S. homeland. U.S. interests include maintaining flexibility for global power projection, including by ensuring freedom of navigation and overflight; and limiting the ability of China and Russia to leverage the region as a corridor for competition that advances their strategic objectives through malign or coercive behavior.“

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Bereits 2013 skizzierte Barack Obama, der damalige Präsident der Vereinigten Staaten, seine Ziele in der Arktis. Während seiner Präsidentschaft wurde dieses strategische Dokument entworfen, in dem der Ausbau und die Entwicklung der arktischen Infrastruktur und, gleichzeitig, die Verstärkung der internationalen Zusammenarbeit bei der Nutzung und dem Verbrauch natürlicher Ressourcen in der Arktis beschrieben werden.


Experten der Stiftung Wissenschaft und Politik e.V. (SWP e.V.) berichten darüber ausführlich in ihren analytischen Papieren (sieh. Quellenangabe).


Die Bundesregierung hat wiederholt ihr Interesse einer Beteiligung an der Entwicklung der Arktis bekundet, aber all diese Aussagen gingen nicht über schöne diplomatische Formulierungen hinaus. Gleichzeitig betont Deutschland in jeder Hinsicht seine mangelnde Bereitschaft, die Arktis zu militarisieren. Und dies ist ein völlig korrekter Ansatz, der es ermöglicht, die natürlichen Ressourcen der Arktis in einer ruhigen Atmosphäre zu erschließen, ohne die Angst vor militärischen Konflikten zu schüren. Diese Position Berlins scheint ausgewogen und richtig zu sein und spiegelt den Wunsch Deutschlands wider - unabhängig vom Druck seitens der USA und Kanada - einen eigenen Platz in der Arktisfrage einzunehmen.

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In der Beschreibung der Situation mit der Arktis, die auf den Seiten des Auswärtigen Amtes zu finden ist, wird das Verhältnis der Bundesregierung durch folgende Formel ausgedrückt: „Die Bundesregierung plädiert für die Beibehaltung eines eindeutig defensiven Charakters jedweder militärischer Maßnahmen, um einer verstärkten Militarisierung der Arktisregion entgegenzuwirken.“


Überraschenderweise unterscheidet sich die Position der deutschen Verteidigungsministerin Kramp-Karrenbauer jedoch deutlich von den strategischen Plänen ihrer Regierung. Während einer Videokonferenz mit dem NATO Joint Warfare Centre sprach sich die Ministerin beispielsweise dafür aus, dass sich die Westliche Militärallianz künftig „intensiver mit der Region befassen“ sollte.


Dies ist eine merkwürdige Position der Verteidigungsministerin, zumal es nach Angaben der Bundeswehr in der norwegischen Stadt Stavanger bereits mehr als 40 deutsche Soldaten gibt. Es versteht sich von selbst, dass sie an allen Manövern in der Region teilnehmen, beispielsweise an dem Manöver "Cold Response 2020" in Nordnorwegen, das bereits im März begonnen hat. Aufgrund der Pandemie verlief es nicht vollständig wie geplant, dennoch nahmen Schiffe der Bundeswehr an den Manövern vor der Küste Islands teil. Laut der Zeitung „Junge Welt“ findet die Militarisierung der Arktis unter aktiver Beteiligung Deutschlands statt.


Es ist bedauerlich, dass Berlin dem Druck anderer Länder erliegt die Arktis zu militarisieren und sich an diesen Plänen mit der Bundeswehr beteiligt. Die Bundeswehr und ihre Marine befinden sich in einem militärtechnischen Zustand, der vieles zu wünschen übrig lässt. Nach Einschätzungen von Marine-Experten erfordert die deutsche Militärtechnik, einschließlich der Militärschiffe, seit langem eine gründliche Modernisierung oder einen kompletten Ersatz durch neue Ausrüstungsgegenstände.

Der Einsatz der Bundeswehr in der gegenwärtigen Situation, zur Deckung der Bedürfnisse der NATO, versetzt die militärtechnische Basis Deutschlands in die Position eines Landes, das an militärischen Manövern beteiligt ist, die den eigenen nationalen Interessen diametral entgegen stehen. Richtig und ausgewogen wäre eine Politik, die auf eine friedliche Entwicklung der Arktis abzielt, ohne eine harte Konfrontation zu provozieren, die die Situation in dieser Region und in der ganzen Welt verschlechtern würde.

Quellen:

  1. https://www.swp-berlin.org/10.18449/2019A56/

  2. https://www.auswaertiges-amt.de/blob/2239806/0c93a2823fcf...

  3. https://www.jungewelt.de/artikel/384010.arktis-berlin-mis...

vendredi, 09 octobre 2020

Options russes dans le conflit du Karabakh

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Options russes dans le conflit du Karabakh

Par The Saker 

Source The Saker

Avec les yeux de la plupart des gens rivés sur le débat entre Trump et Biden, le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie au sujet du Haut-Karabakh (NK) a reçu relativement peu d’attention en Occident. Pourtant, c’est une situation potentiellement très dangereuse.

Pensez à ceci : les Arméniens accusent les Turcs d’avoir abattu un Su-25 arménien au-dessus de l’Arménie – pas au dessus du Nagorno-Karabakh ! Si cela est vrai, certains diront que c’est une énorme nouvelle car cela signifierait qu’un État membre de l’OTAN a commis un acte d’agression contre un membre de l’OTSC [Collective Security Treaty Organization]

Cela signifie-t-il que la guerre entre deux plus grandes alliances militaires de la planète est inévitable ?

À peine.

En fait, il me semble que ni l’OTSC, ni l’OTAN n’ont beaucoup d’enthousiasme pour s’impliquer.

Prenons un peu de recul et mentionnons quelques éléments de base.

  • L’Arménie a suivi une voie anti-russe depuis la révolution de couleur soutenue par Soros en 2018.
  • L’Azerbaïdjan est clairement allié avec, et soutenu par, la Turquie – un pays actuellement dans des crises politiques, ou autres, avec à peu près tout le monde. Erdogan est clairement une planche pourrie perdante et on ne peut lui faire confiance en aucune circonstance.
  • En vertu du droit international, le Haut-Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan. Pour cette raison, l’Arménie ne peut pas faire appel à l’OTSC – tout comme le plaidoyer d’Erdogan pour le soutien de l’OTAN contre la Russie lorsque les Turcs ont abattu un Su-24M russe au-dessus de la Syrie a été rejeté par l’alliance.
  • Militairement parlant, l’Azerbaïdjan a l’avantage quantitatif et même qualitatif sur l’Arménie, même si cette dernière dispose d’un équipement moderne. Pourtant, comme aucune des deux parties ne dispose d’une force aérienne moderne, il n’est pas impossible que la Turquie ait envoyé des F-16 pour aider l’armée de l’air azérie, pour l’essentiel obsolète, à s’occuper des Su-25 arméniens.

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Découvrez l’immense complexe de l’ambassade américaine à Erevan et demandez-vous ce que font tous ces gars toute la journée ?

On aurait pu imaginer que la Russie se rangerait immédiatement du côté de l’Arménie chrétienne contre les Azéris musulmans, mais cette fois-ci, il y a des preuves que les Russes ont – enfin ! – tiré des leçons douloureuses de l’histoire, en particulier sur les « frères putatifs orthodoxes » de la Russie. La triste vérité est que, tout comme la Biélorussie sous Loukachenko, l’Arménie suit, depuis au moins 2018, le même type de parcours politique «entre deux chaises» que la Biélorussie. Je résumerais cette politique comme ceci : «tenir un cap politique anti-russe tout en exigeant le soutien de la Russie». Les Russes n’aimaient pas plus cela en Arménie qu’en Biélorussie. Mais la grande différence est que si la Russie ne peut pas se permettre de «perdre» la Biélorussie, elle n’a pas du tout besoin de l’Arménie, en particulier d’une Arménie hostile.

Cela ne veut pas dire que la Russie devrait soutenir l’Azerbaïdjan. Pourquoi ? Eh bien, cela n’a rien à voir avec la langue ou la religion et tout à voir avec le fait que l’Azerbaïdjan moderne est un protégé politique de la Turquie d’Erdogan, ce protégé est vraiment l’un des pays et des régimes politiques les plus dangereux, que la Russie devrait approcher avec la prudence d’un charmeur de serpents face à une vipère particulièrement méchante et imprévisible. Oui, la Russie doit s’engager à la fois avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, ne serait-ce que parce que ces deux pays sont puissants, au moins dans un sens régional, et parce qu’ils sont presque toujours prêts à faire le pire, en particulier la Turquie.

Ensuite, il y a la question du rôle des États-Unis dans tout cela. Nous pouvons être à peu près sûrs que les États-Unis parlent aux deux parties en leur disant que tant qu’ils maintiennent un cap anti-russe, ils obtiendront le soutien de l’oncle Shmuel. Il y a deux problèmes avec cette attitude :

  • Les deux parties savent que les États-Unis parlent aux deux côtés
  • Quand les choses se gâtent, le soutien des États-Unis importe vraiment très peu

Je dirais même que toute escalade majeure du conflit prouvera aux deux parties que les États-Unis sont prolixes sur les promesses et avares de les tenir réellement. En revanche, la Turquie tient ses promesses. Oui, imprudemment et, oui aussi, en violation du droit international, mais quand même – la Turquie tient ses promesses et elle n’hésite pas à le confirmer.

Tout comme dans le cas de la Biélorussie ou de l’Ukraine, la Russie pourrait mettre fin à ce conflit, surtout si le Kremlin décide d’utiliser la force militaire, mais ce serait terrible en termes politiques, et je suis convaincu que la Russie n’interviendra pas ouvertement. D’une part, cette guerre est un cas clair de jeu à somme nulle dans lequel un compromis négocié est presque impossible à atteindre.

De plus, les deux parties semblent déterminées à aller jusqu’au bout, alors pourquoi la Russie devrait-elle intervenir ?

Il semble que rester un intermédiaire neutre est la meilleure et la seule chose que la Russie devrait faire pour le moment. Une fois la poussière retombée et une fois que chaque partie se rendra pleinement compte que l’oncle Shmuel est plus fort en paroles qu’en actes, alors peut-être que la Russie pourra, une fois de plus, essayer d’offrir une solution régionale, impliquant éventuellement l’Iran et excluant les États-Unis à coup sûr. Mais cela ne pourra se faire que plus tard.

À présent les deux côtés se sont bloqués chacun dans un coin du ring et semblent également engagés vers une victoire militaire totale.

Conclusion

Dans ce conflit, la Russie n’a ni alliés ni amis. À l’heure actuelle, les Azéris semblent gagner, mais si l’Arménie engage ses missiles Iskander ou reconnaît l’indépendance du Haut-Karabakh – ce que les Arméniens menacent maintenant de faire – cela tournera mal et une intervention turque deviendra possible.

Voyons comment – et même si – les États-Unis feront quelque chose pour aider Erevan. Sinon, il sera intéressant de voir ce qui se passera une fois que les Arméniens redécouvriront une vérité historique bien connue : l’Arménie ne peut pas survivre sans la Russie. Et même si les Arméniens arrivent aussi à cette conclusion, je recommanderais tout de même que la Russie fasse très attention en plaçant son poids derrière les deux camps du conflit, d’autant plus que les Azéris ont le droit international de leur côté.

En d’autres termes, je recommande à la Russie d’agir uniquement et exclusivement dans son propre intérêt géostratégique et de laisser toute la région découvrir à quel point l’oncle Shmuel peut vraiment apporter, ou pas, son aide. Plus précisément, j’affirme qu’il est dans l’intérêt de la sécurité nationale de la Russie de s’assurer que :

  • La Turquie reste aussi faible que possible le plus longtemps possible
  • Les USA restent aussi faibles que possible dans toute la région

À l’heure actuelle, la Pax Americana est aussi mauvaise dans le Caucase qu’elle l’est au Moyen-Orient. C’est bon pour la Russie et elle ne devrait rien faire qui puisse aider l’oncle Shmuel. Ce n’est qu’une fois que les États-Unis seront hors jeu, y compris en Arménie, que la Russie pourra offrir son aide et son soutien à un accord de paix entre les deux belligérants.

The Saker

Traduit par jj, relu par Hervé pour le Saker Francophone

Les marches des empires sous haute tension

Et de trois. Les drones turcs qui officiaient déjà en Syrie et en Libye survolent désormais le Haut-Karabakh, cette région montagneuse où les Arméniens affrontent les Azéris, soutenus par Ankara non seulement dans les airs, mais également au sol. Les supplétifs syriens à la solde de la Turquie, qui combattaient d’abord les Kurdes, ont migré vers la Tripolitaine libyenne puis aujourd’hui vers le Caucase, troisième front militaire pour le régime nationaliste de Recep Erdogan. 

Dans les mêmes contrées, Moscou pèse également de tout son poids, quoique moins offensivement qu’Ankara. En Syrie très officiellement pour soutenir coûte que coûte le gouvernement de Damas. En Libye, pour appuyer sans le dire ouvertement le régime du maréchal Haftar, sis en Cyrénaïque. La Russie est également une alliée historique de l’Arménie, quoi qu’elle maintienne aussi des relations de bon voisinage avec l’Azerbaïdjan, ancienne république d’URSS. Nous saurons certainement dans les prochains jours quelle attitude le grand pays orthodoxe adoptera dans le conflit du Haut-Karabakh. Une chose est sûre, la Russie et la Turquie ont montré en Syrie et en Libye qu’elles savaient s’entendre, nouant une étrange relation mêlant compétition et coopération, ce que le management nomme parfois “coopétition”. Pour la Syrie et peut-être plus discrètement pour l’Arménie, une autre grande puissance régionale est de la partie : l’Iran. La République islamique a su depuis longtemps maintenir des relations relativement cordiales avec la Turquie, tout en projetant ses ambitions géopolitiques le long de l’« arc chiite », avec, dans le cas syrien, l’appui russe, là aussi mêlé de rivalité.

Trois puissances régionales (dans le cas de Moscou également mondiale, vestige atomique de la Guerre froide) ; trois anciens empires. Ils se jaugent et rivalisent sans cesse, s’affrontent parfois, rarement directement, coopèrent souvent. Les points de friction qui deviennent objets de négociation se cristallisent naturellement dans leurs “marches”, le mot prenant ici un sens géopolitique. Les marches sont situées aux confins des empires et servent le plus souvent de zone tampon. Elles sont métissées et mélangées, ethniquement et religieusement. Leurs identités sont multiples, selon que l’on appartient à telle ou telle communauté, l’ensemble formant une mosaïque insaisissable. Pour un Européen de l’ouest, habitué à l’Etat-nation et à des frontières qui délimitent distinctement un dedans et un dehors, la notion de marche apparaît mystérieuse. Elles sont pourtant une réalité historique, souvent tragique. L’Arménie est un cas intéressant : elle est pour le coup un Etat-nation, mais est en même temps une marche aux confins des trois empires turc, russe et iranien. L’enclave arménienne du Haut-Karabakh en est la manifestation la plus criante.  

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Ces marches sont aujourd’hui sous haute tension au Levant. Les Etats-Unis se retirant progressivement du Moyen-Orient, les trois anciens empires se repositionnent derechef pour définir ensemble, mais au mieux de leurs intérêts, de nouveaux équilibres régionaux. Depuis 2015, la Russie tente de jouer les arbitres musclés, mais ouverts aux négociations. L’Iran, lui, joue un jeu plus solitaire pour consolider l’axe qui le mène à la Méditerranée. Quant à la Turquie, elle apparaît aujourd’hui comme l’acteur le plus véhément et le plus offensif de cette triade. 

Les actions géopolitiques de ces trois vieux empires sont le signe de la nouvelle multipolarité de notre monde. Des puissances moyennes déroulent leur propre agenda sur les ruines d’un monde bipolaire qui a vécu. L’Asie n’est pas en reste. Aux confins de la Chine, du Pakistan et de l’Inde, la tension militaire est à son comble dans la région disputée du Cachemire, autre mosaïque de populations au sang mêlé, où les armes résonnent de plus en plus, depuis des mois. Sans parler d’une autre marche chinoise, le Xinjiang, peuplé de Ouïghours contre lesquels Pékin exerce une emprise de plus en plus puissante.  

Etonnant paradoxe : en Europe, on ne cesse de vanter la diversité, les mosaïques, les mélanges, le métissage, mais le discours dominant ne sait comment penser ces “marches” géopolitiques, symboles d’une histoire longue et tragique qui n’entre pas dans les cases trop binaires du “droit-de-l’hommisme” ou du “néo-conservatisme”. Le vieux continent, du reste, n’échappe pas à ce phénomène des marches sous tension. Que l’on pense à l’Ukraine et, aujourd’hui, à la Biélorussie. Le schéma de pensée que l’on calque sur ces deux pays est souvent de deux ordres. D’un côté, le logiciel de la Guerre froide : il faudrait absolument que l’Ukraine devenue pro-européenne entrât dans l’OTAN pour endiguer la Russie. En 2014, certains intellectuels et politiques, qui, comme Cassandre n’ont pas été écoutés, ont senti le danger immense de jouer sur cette corde sensible qui n’allait qu’augmenter la douleur des Ukrainiens. “Ukraine”, en russe, signifie justement “marche”. Le nom même d’Ukraine aurait dû nous mettre en garde : jouer ce pays contre la Russie était incroyablement dangereux. L’histoire de ces cinq dernières années n’a fait qu’augmenter le syndrome d’encerclement russe. La seule solution sage aurait consisté à faire du rapprochement – heureux ! – de l’Ukraine avec l’Europe un pont vers la Russie. Encore aurait-il fallu, pour cela, que l’Europe eusse été indépendante des Etats-Unis, qui se refusent toujours d’en finir avec la Guerre froide. En l’occurrence, le maintien d’une logique bipolaire dans les relations Est/Ouest attise la tension qui existe dans les anciennes marches de l’empire russe. L’autre lecture trop courante est celle de la simple opposition entre démocratie et dictature. Car si la Biélorussie est bien une dictature et que l’on ne peut que souhaiter qu’elle ne le soit plus à l’avenir, elle n’est pas qu’un régime politique, mais aussi un pays, un peuple, une histoire, une culture composites, indissociablement liés à la Russie. Heureusement, jusqu’à présent, les Européens ont fait preuve de davantage de prudence qu’en Ukraine. L’avenir dira ce qu’il adviendra du régime dictatorial de Loukachenko. Mais une chose est sûre : la Biélorussie ne devra jamais servir de bouclier contre la Russie. Transformer une marche en un mur est un risque que l’on ne peut se permettre de prendre.

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Cette leçon devra aussi servir pour l’avenir, alors que le couple formé par les Etats-Unis et la Chine fait peser sur le monde le risque d’une nouvelle bipolarité à l’échelle internationale, laquelle ne sera pas forcément contradictoire avec le maintien d’une certaine multipolarité à l’échelle régionale. Samuel Huntington a trop souvent mal été lu : le père du “choc des civilisations” n’était pas partisan de l’ingérence militaire, mais bien au contraire d’une forme d’isolationnisme réfléchie. Selon lui, les Etats-Unis ne devaient pas intervenir partout dans le monde mais s’appuyer sur les grandes puissances régionales – chacune dominant une civilisation – pour déterminer un équilibre global qui soit le moins mauvais possible. Un projet qui, malheureusement, n’a pas été retenu. Il avait pourtant bien des qualités, à commencer par une forme de sage prudence. Aujourd’hui, pour le bien des Arméniens comme des Azéris, et plus globalement pour le bien de toutes les minorités du Moyen-Orient qui vivent dans les “marches” des vieux empires, l’Europe aurait peut-être tout intérêt à encourager, non sans fermeté, la formation d’un nouvel équilibre, le moins précaire possible, entre la Russie, la Turquie et l’Iran. Mais il nous faudrait pour cela abandonner notre vieille Guerre froide avec la Russie, en finir avec nos rêves d’une Turquie européenne qui existerait à notre image et arrêter de voir l’Iran comme un pays dont l’histoire aurait commencé en 1979. Bref, assumer un monde multiple, divers et fragile, à l’image de ses marches qui souffrent dans leur chair. 

*Alexis Feertchak, membre fondateur de Geopragma

John T. Koch: Thinking about Indo-European and Celtic Myths in the 2nd and 3rd Millenia

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John T. Koch:

Thinking about Indo-European and Celtic Myths in the 2nd and 3rd Millenia

 
 
The opening lecture from the 2016 Celtic Mythology Conference at the University of Edinburgh.
 

Louis-Ferdinand CÉLINE : Faut-il distinguer l'oeuvre de l'homme ?

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Louis-Ferdinand CÉLINE :

Faut-il distinguer l'oeuvre de l'homme ? (2020)