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mardi, 03 novembre 2020

Penser la géopolitique (par Yohann Sparfell)

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Penser la géopolitique

par Yohann Sparfell

Ex: http://www.in-limine.eu

Comme en ce qui concerne chaque objet de nos intérêts en ce monde néolibéral, nous avons fort souvent une vue superficielle de la géopolitique qui ne nous permet que de nous en faire une opinion, soit de ne l’aborder que superficiellement. À partir de ce moment, nous nous plaçons dans une posture intellectuelle visant soit à rationaliser les évènements liés aux rapports internationaux dans le but de tenter de suivre par là-même le mouvement général qu’ils engendrent (c’est-à-dire d’essayer d’en déduire une finalité et, conservant toujours un temps de retard, de tâcher d’en subir le moins possible d’inconvénients), soit d’en critiquer le bien-fondé afin de vouloir en nier la portée véritable et profonde par crainte de devoir réfléchir sur nous-même et nos prétentions idéalistes tout en immisçant le doute quant à nos nouvelles utopies globalistes (ce qui s’avère être en propre : nier la réalité). Dans le premier cas, nous avons tendance à faire de la géopolitique un simple instrument déductif de nos calculs stratégiques (restant à l’état de « mathématiques doctrinales » à l’écart du devenir du monde), dans l’autre cas, ou bien nous préférons nous désintéresser des orientations que prennent les rapports internationaux ou inter-civilisationnels et nous nous replions frileusement sur la prétendue supériorité de nos préjugés nationaux et doctrinaux mis au goût du jour de la postmodernité, ou bien nous nous contentons de dénoncer sa propension gênante à faire ressortir certains incontournables de l’homme en société qui entachent alors les lubies idéologiques prétendument progressistes.

Comme pour l’autorité, et bien d’autres concepts, tels que nous les entendons de nos jours, la superficialité de nos interprétations actuelles, parce que nous ne savons plus les confronter à l’expérience du fait que nous les maintenons à l’état d’abstractions, nous amènent à engendrer un dualisme qui n’aurait, pour une civilisation véritablement consciente de la complexité de la vie humaine, et enracinée entre le passé et le futur, pas lieu d’être. Comme pour le reste, notre propre interprétation de l’enracinement ne nous conduit pas à en faire un simple attachement à une terre mais l’expression même d’une proximité avec ces « choses » qui nous environnent et qui nous font autant qu’elles nous font. Le dualisme est bel et bien en notre époque le symptôme d’un éloignement consommé par rapport aux « choses » que nous pouvons alors décrire et éloigner de nous comme de simples objets. C’est-à-dire, en ce qui concerne la géopolitique, que nous pourrions faire comme si elle n’existait tout simplement pas, tout comme, à l’inverse, en faire un objet conceptuel outil de nos pulsions rationalisantes. Force est de constater aujourd’hui que nous ne sommes plus à même d’en comprendre les véritables enjeux, parce que nous ne savons plus la penser comme épreuve de la Réalité.

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Penser la géopolitique, c’est tout d’abord en venir à admettre qu’elle est en vérité incontournable car étant une des principales façons par lesquelles nous pouvons aborder ces comportements (manières de porter ensemble, de pro-duire en commun) face aux « choses » qui structurent profondément nos espaces de vie. La géopolitique n’est tout d’abord qu’un mot, mais pour autant et de la façon dont il est composé (géo-politique), ce mot inspire vers l’un de ces comportements particuliers qui nous relie aux choses de notre espace, et à aucun autre. Ce mot évoque une vérité enfouie au plus profond de nos êtres que nous ne savons plus considérer dans toute sa primordialité et sa force. Nous sommes devenus sourds aux évocations qui émanent de la racine de nos existences et nous relient aux Autres, choses comme êtres, et nous préférons porter nos attentions aux murmures envahissants des idées et abstractions, ainsi qu’aux croyances, du moment qu’aucunes incertitudes ne viennent en troubler la rassurante position dominante. Alors, plutôt que de voir dans le mot géopolitique que le simple assemblage des mots « géographie » et « politique », il serait plus exact d’y voir le rassemblement de l’espace et d’un certain ordre singulier, du moins en rapport à la signification spirituelle de ces deux mots : espace et ordre. Que signifie alors ce rassemblement ? Que dans un espace que nous créons nôtre, nous y fondons « poétiquement » notre monde par la pensée dans ce qu’elle est de plus essentielle (au-delà de toute rationalisation). La géopolitique est donc un penser-le-monde.

Or, penser le monde, c’est créer un espace en y intégrant les « lieux » singuliers à partir desquels nous pouvons y concevoir un ordre (en y intégrant les « choses » qui alors y acquièrent un sens et une existence propre en relation avec cet espace). Penser le monde, c’est créer donc spirituellement un espace où se rassemble le monde inférieur de la matière, le monde supérieur de l’harmonie cosmique, les hommes mortels et les dieux. C’est, en d’autres termes, donner du sens aux « choses » en fonction de notre sensibilité, en les intégrant à un espace au sein duquel elles acquièrent une « place » qui nous renvoie chacune à notre propre image, à notre être-au-monde. C’est-à-dire que les choses elles-mêmes pro-duisent (pro-duire - mettre en avant, faire voir) un espace délimitant ce rassemblement, celui du Quadriparti comme le disait Heidegger, dans l’horizon de l’entendement qu’elles font naître et dans l’étendue du symbolisme qu’elles inspirent aux créateurs/perpétuateurs d’un monde. Chaque « chose » répond alors à un besoin fondamental de sens et de délimitation, et l’ordre par lequel ce sens et cette délimitation se déploient dans l’espace ainsi créé est le but réel et fondamental du politique, comme expression en devenir perpétuelle d’une réelle démocratie, apparaissant de la recherche d’un équilibre entre les antagonismes qui s’y meuvent, et qui le meuvent. L’espace devient alors une géographie « spirituelle ». Et la géopolitique, la science sacrée de l’ordonnancement de l’espace.

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Plus fondamentalement encore que du rapport entre grands espaces continentaux ou civilisationnels, la géopolitique nous parle donc du rapport intime entre nous-mêmes et notre espace de vie, entre nous et ce qui nous est propre, notre propriété (du latin proprius, prope : ce qui approche, ce qui touche). Elle nous parle de ce que Heidegger appelait l’ « habiter » le monde, soit une relation intime au monde. Car cet « habiter » est forcément singulier quel que soit l’espace en question, région, nation ou civilisation, qui en sont les aboutissements politiques, culturels et spirituels s’élevant graduellement d’une sensibilité charnelle à une volonté conquérante. L’ensemble des étants vivants comme inertes qui participent à la singularité de chaque espace, l’appréhension particulière du temps et des cycles qui y ont cours, l’aperception singulière de la marque symbolique des « choses », ainsi que notre soucis de nous inscrire en tant que mortels dans cet espace, font que notre habitation du monde, de notre monde, est chaque fois une épreuve artistique que nous mettons en œuvre grâce au politique (le politique, du grec πόλος – pôle, est la mise en œuvre d’un équilibre au milieu du mouvement de la diversité contradictoire au sein de la multitude – du grec πόλις – ville, cité ; nous pouvons, à ce propos, faire remarquer que la civitas gallo-romaine englobait d’ailleurs toute une contrée, à l’échelle du territoire gaulois qui y résidait et en avait fait leur espace vital).

Le politique est donc aussi être vue comme une « chose » agissante qui, par son action, intègre toutes les autres dans son jeu. Il les domine d’une certaine façon comme, par exemple, il domine (ou du moins le devrait) l’économie (du grec οἶϰος et νόμος – administration du domaine). De l’interprétation que l’on se fait du politique, de la façon dont nous en percevons, ou non, toute la subtilité (la manière délicate de dépasser les contradictions sans néanmoins s’efforcer de les nier), nous pouvons, ou pas, façonner (pouvoir créer) un monde à notre convenance (à notre sens commun, à ce dont on aboutit par accord commun – ici, s’accorder par l’esprit). Ce jeu de l’esprit doit forcément se situer au dessus de l’espace, au faîte de la Dimension, liant le ciel (πόλος – le Politique) et la terre (γῆ – la Gé-o). La géopolitique décrit donc l’aspect essentiel du politique par lequel, dans un espace donné et un lieu donné (un lieu géo-graphique, c’est-à-dire une terre que nous « décrivons » spirituellement, que nous contons poétiquement à partir de notre héritage commun), nous nourrissons un sens commun et nous élevons le Bien commun (qui ne saurait par ailleurs, malgré ce qu’en pensent certains, s’abstraire de la multitude d’où il apparaît, toujours transitoire, toujours en devenir comme cette multitude même).

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La géopolitique est donc une dynamique portée vers la verticalité. Son être véritable ne saurait s’affirmer dans des prétentions à caractère universaliste qui toutes ont visé à épancher à l’échelle globale une civilisation, donc bien au-delà de son espace, ainsi que l’ont pratiqués les impérialismes occidentaux du XIXème et XXème siècle, ou comme le pratique encore l’hégémonisme étasunien. La géopolitique est l’ordonnancement d’un espace, celui d’un peuple, ou ensemble plus ou moins fédéralisé de peuples ayant su constituer au fil de l’histoire un Imperium civilisationnel, c’est-à-dire un espace mené par une Idée suprême. La géopolitique est, au fond, cette Idée qui cherche à s’enraciner dans la terre, elle est la concrétisation (le rassemblement avisé par lequel l’on croît ensemble), au sein d’un espace ainsi constitué, du lien entre le ciel et la terre, entre la pensée et l’humus. La géopolitique est une affirmation spirituelle enracinée dans les profondeurs de l’être, avant même que de représenter un type d’étude des rapports internationaux. Elle est une homologation de tout ce qui constitue un espace singulier, ce qui signifie qu’elle participe elle-même, en même temps qu’elle dit les choses qui rassemblent comme celles qui posent la distance, de la mise en œuvre des liens qui, en et hors la trame formant cet espace, lui donne sens et consistance, mais aussi cohérence.

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Si nous nous en tenons à la géopolitique en tant qu’étude des rapports internationaux, nous ne pourrions prétendre que les contradictions et les incertitudes qui l’entourent, tel un halo angoissant nous occultant l’avenir, seraient susceptibles d’être résolues en nous enfermant toujours plus dans nos idéaux, c’est-à-dire en nous éloignant toujours plus de la réalité. Des rapports internationaux exigent une part importante de confiance, et en tout premier lieu, de confiance en soi ! Qu’est-ce que la confiance ? C’est tout bonnement se fier, avoir foi à l’endroit de ce dont, en commun, l’on s’engage pour l’affirmation de sa Puissance, mais dont il n’est possible d’en mesurer réellement les effets qu’en étant capable de réfléchir sur soi-même (et donc d’élucider les idées qui nous meuvent, ou de s’efforcer d’en faire, en quelque sorte, la généalogie pour parvenir à en maîtriser le cours et en amoindrir l’emprise spirituelle). Il s’agit donc là d’une disposition (toute intérieure, affective) de la volonté par laquelle l’on se place à une hauteur convenable de laquelle il nous semble possible de pouvoir dépasser la contradiction entre la chaleur de la croyance et la froideur du réel, et ce au travers de la créativité, de la justification, de la recherche incessante d’équilibre dans nos relations, ainsi que d’une lecture fine des situations par lesquelles pourront s’affirmer nos propres intérêts, ainsi, pensons-nous, que ceux de nos partenaires. Un peuple ou une civilisation qui engage des relations internationales doit donc faire preuve de force morale et spirituelle au travers de laquelle ils acquièrent une verticalité apte à leur assurer du succès dans ces relations. La confiance qui lie un peuple ou une civilisation à sa terre et à son espace ne peut que nourrir cette force, mais seulement si ce peuple ou cette civilisation se donne véritablement les moyens de faire retour à soi, ou en d’autres termes s’ils s’interrogent sur la nature de cette confiance et de ce qu’elle implique pour eux-mêmes, pour leur environnement, comme pour les Autres. La géopolitique est une science qu’il ne serait donc pas inopportun par les temps qui courent d’inoculer à une Europe en proie aux doutes sur elle-même. Mais surtout, un savoir expérimental par lequel l’on prend conscience que l’Idée même, le Grand paradigme comme le nomme Edgar Morin, n’échappe nullement au devenir, qu’elle ne saurait tenter de se figer éternellement sinon à détruire la force même d’une civilisation, et sa Puissance.

 

Yohann Sparfell

 

Le Bulletin célinien, n°433

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Le Bulletin célinien - n°433

2020-10-BC-Cover.pngSommaire :

L’éternel retour des maudits

Céline (et quelques autres) dans les premiers numéros des Lettres françaises (1942-1949)

Actualité célinienne

Censure

La question de la réédition des pamphlets est (en partie) réglée puisqu’on dispose de l’édition critique sortie au Québec en 2012. Le paradoxe étant que, pour une question de copyright, cette édition est à la fois interdite à la vente en France et louée par l’exécuteur testamentaire qui était même disposé à la republier chez Gallimard. Différentes associations ont fait capoter le projet. Il est navrant qu’un céliniste de renom se soit associé à cette censure. Sa péroraison consista à affirmer qu’il est superflu que ce corpus soit accessible ¹. En d’autres termes, ce spécialiste trouve parfaitement normal qu’il soit commenté dans des ouvrages de toutes sortes et en même temps qu’il demeure inaccessible au plus grand nombre. Il n’est pas le seul à côtoyer l’absurde. Sur une radio communautaire, un chroniqueur a eu cette phrase mémorable : « Il ne faut pas interdire les pamphlets mais il ne faut pas les publier non plus. ² » Le cas Céline n’est pas isolé. D’une manière générale, la censure en France gagne du terrain. Au nom de la morale, du féminisme, de l’antiracisme ou d’une nouvelle lecture de l’Histoire, certains prétendent s’interposer entre le public et les œuvres, s’arroger le droit de juger, de contextualiser ou d’interdire, comme s’il fallait guider nos choix. On constate également ce phénomène aux États-Unis où des minorités agissantes veulent interdire des livres, des films ou des conférences. La différence étant que, dans ce pays, la liberté d’expression (free speech) est protégée par le premier amendement de la Constitution. Alors qu’en France plusieurs lois encadrent cette liberté. On en arrive à cet autre paradoxe : le président de la République française a récemment rappelé le droit au blasphème alors qu’au même moment l’auteur de La Mafia juive et autres brûlots du même genre se voyait condamné à plusieurs mois de prison ferme pour délit d’opinion ³. Condamnation inconcevable aux États-Unis où l’on ne peut incarcérer quiconque pour ses idées,  aussi scandaleuses soient-elles. C’est dire si en démocratie deux conceptions différentes de la liberté d’expression peuvent exister. Le céliniste opposé à la réédition des pamphlets a décrété que « l’actualité de Céline n’est plus aujourd’hui d’ordre littéraire (comme elle l’a été dans les années 1980, avec la publication des romans dans la Bibliothèque de la Pléiade, la multiplication des essais critiques et des thèses universitaires) mais d’ordre politique ». C’est feindre d’ignorer que depuis ces années 80, Céline a continué à être édité dans cette collection prestigieuse (Féerie dans la décennie suivante et la correspondance en 2009) et que les études universitaires le concernant n’ont pas cessé de proliférer – à commencer par la sienne 4.

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La preuve que le cas Céline n’est plus littéraire mais politique est attesté, selon lui, par l’émoi suscité lors de la commémoration (prévue puis annulée) du cinquantenaire de Céline en 2011. Encore aurait-il fallu rappeler que ce retrait fut provoqué par une campagne de presse bien orchestrée. La même que celle visant, il y a deux ans, à tuer dans l’œuf l’initiative de Gallimard et de l’ayant droit.
  1. 1) Philippe Roussin, « Du rire au politique : de la bagatelle au massacre » in Céline et le politique (Actes du XXIIe Colloque international Louis-Ferdinand Céline, SEC, 2018.
  2. 2) Dixit Shlomo Malka dans son émission « Pont Neuf » sur Radio J, le 7 février 2020, qui avait pour invité Guy Konopnicki, auteur de… Il est toujours interdit d’interdire (Éd. Impact, 2020).
  3. 3) Déclaration de l’avocat franco-israélien Gilles-William Goldnadel : « J’ai le plus grand mépris pour M. Ryssen qui me le rend bien. Mais en matière de délit d’expression, rien ne justifie que l’on se retrouve en prison [sic]. »  (Breizh-Info, 25 septembre 2020). D’aucuns y ont vu de la duplicité.
  4. 4) Philippe Roussin, Misère de la littérature, terreur de l’histoire (Céline et la littérature contemporaine), Gallimard, coll. « Nrf Essais », 2005, 768 pages.

lundi, 02 novembre 2020

Ce qui se joue le 3 novembre en terre américaine...

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Ce qui se joue le 3 novembre en terre américaine...

par Thibaud Cassel
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Thibaud Cassel, cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré aux élections présidentielles américaines et à leur enjeu du point de vue des Européens qui résistent au Nouvel Ordre mondial. Thibaud Cassel est l'auteur d'une anthologie poétique, Le Chant des Alouettes (Pierre-Guillaume de Roux, 2017).

Ce qui se joue le 3 novembre en terre américaine

Le 3 novembre 2020, le président sortant Donald Trump sollicite les suffrages d’environ 250 millions d’électeurs afin de reconduire la majorité républicaine de grands électeurs contre les démocrates menés par Joe Biden. L’Institut Iliade ne s’occupe guère de politique, encore moins de péripéties électorales. Mais quand la métropole du monde occidental entre en convulsion, c’est un évènement significatif pour l’Europe. Et quand les masses blanches aux États-Unis forment le socle de la résistance au projet mondialiste, c’est une leçon décisive que doivent méditer les peuples autochtones d’Europe.

« Silent majority ! », la longue descente aux enfers de la majorité silencieuse

Le président sortant tweete régulièrement « Silent Majority ! » sur son compte personnel suivi par plus de 87 millions d’abonnés. De quoi est-il question ?

Il est vrai que l’histoire s’écrit depuis 1945 d’une main américaine et sur le dos de l’Europe. Mais le tournant idéologique des années 1960 se fait, de part et d’autre de l’Atlantique, au détriment des peuples blancs. En Amérique sur fond de culpabilisation au regard de l’esclavage, en Europe sur fond de repentance liée à la Deuxième Guerre mondiale. Dans les années 1980, cette même majorité sidérée subit le tournant néo-libéral : l’aliénation économique prolonge logiquement la déchéance des peuples coupables.

Enfin en 1990, l’effondrement du bloc de l’Est permet l’avènement de l’unipolarité américaine. Mais c’est l’heure du dollar qui a sonné, pas celle du peuple américain. Le boy du Texas ou de Virginie est bon à mourir en Afghanistan, ou à révérer la « discrimination positive » pour végéter dans un emploi précaire. Du dénigrement au silence et à la mort : majorité abattue, majorité tue, majorité tuée – c’est-à-dire remplacée.

Car la majorité silencieuse – en plus largement : l’humanité pulvérisée en individus – n’est que le carburant du « nouvel ordre mondial » annoncé par George Bush au début des années 1990. Les désastreuses années Obama, dans le contexte de la crise systémique de 2008, ont ouvert les yeux à beaucoup outre-Atlantique et permis la victoire inattendue de Donald Trump en 2016.

« America First »

Désormais, un large pan du peuple américain donne le spectacle d’une foule affranchie des tabous du politiquement correct.

La question du comment est inconfortable pour les Européens. Car l’Amérique a puisé dans ses entrailles les capacités de riposte à un système doté de moyens financiers et médiatiques à peu près illimités. Ce que révèle Donald Trump, c’est que l’esprit national américain recélait assez de sève et d’esprit pour animer un oligarque contre sa caste et au service des « déplorables ». Aussi vulgaire que cela puisse paraître, l’homme choisi par les circonstances est un marchand de béton. Le roi Arthur est toujours un personnage inattendu. À lui « l’épée magique qui fait pâlir les monstres et les tyrans », – dont parlait Ernst Jünger.

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Bien sûr l’Europe suit un chemin moins dégagé que l’Amérique, tant elle demeure meurtrie par la guerre civile de 1914–1945. Raison de plus pour affronter le devenir sans s’embarrasser des formes et des fantômes du passé. La nécessité d’en finir avec les mensonges du progressisme et les subterfuges de l’universel, voilà les ressorts communs d’un Trump ou d’un Orban : « Notre pays d’abord ».

Nouveau monde et fractures raciales

Ce qui est en jeu, c’est l’affirmation d’une alternative au « nouvel ordre mondial ». Les empires ne s’effondrent jamais qu’en leur centre. Trump est le syndicat de faillite de l’Amérique globalisée comme Gorbatchev fut le liquidateur de l’URSS. Ou — qui sait ? — peut-être comme Staline qui mit un terme à la « révolution permanente » des trotskystes. La situation reste indécise, et il paraît que les États-Unis ne sortiront de l’ambiguïté qu’à leur dépens.

Donald Trump travaille à enrayer une involution américaine, mais ne peut rétablir la situation antérieure. D’évidence, le président américain ne lutte pas pour les Blancs. Pas outre-Atlantique et moins encore de l’autre côté de l’océan. Il met un coup d’arrêt à une politique agressive envers les Blancs en réaffirmant l’égalité des citoyens devant la loi, dans un même État multiracial. La tendance de droite alternative « alt-right » récuse cette promiscuité conflictuelle. Alors que les minorités raciales flattées depuis des décennies font l’objet d’une manipulation pernicieuse de la part des démocrates. L’Amérique se divise, et Donald Trump se trouve démuni face à cette fragmentation durable.

Les Blancs américains forment encore 60% de la population étatsunienne. Ils sont les immigrés les plus anciens et les plus nombreux. L’Europe n’est pas une colonie perpétuelle comme l’Amérique du Nord, mais le havre historique de peuples autochtones.

L’histoire a horreur du vide

Donald Trump nous rappelle seulement que l’histoire est ouverte ; il est un camouflet pour les pessimistes et un trompe l’œil pour les optimistes. Aux yeux des hommes de bonne volonté, il s’impose dans le pugilat actuel comme le point de ralliement de la majorité « décente » et le point de fuite hors de l’État profond délabré que Joe Biden incarne de manière caricaturale.

La victoire de Trump est moins improbable qu’en 2016 ; mais le vote par anticipation et d’énormes soupçons de fraude rendent impossibles les pronostics. Si des irrégularités massives sont démontrées, la majorité silencieuse et flouée n’en sera que plus tentée de tourner le dos aux institutions fédérales – comme autrefois les colons envers la couronne britannique.

75 ans de colonisation nord-américaine ne laissent pas l’Europe indemne. Au point que la tendance acquise aux Démocrates domine dans la quasi-totalité des pays de l’UE, dans les institutions européennes et à travers les médias. Le grand enjeu des élections américaines, du point de vue européen, consiste à briser la chape du plomb du fatalisme. Car rien ne sort de rien : si le bon sens le plus élémentaire est ruiné dans les masses, il n’y aura pas de renouveau.

En cas de victoire de Trump, une atmosphère moins lourde se répandrait aux deux bords de l’Atlantique. En nos pays, les voiles d’Arthur se gonfleraient d’un air plus vif. Pour balayer une oligarchie apatride et corrompue, grevée de toutes les tares du progressisme et entraînant notre continent dans l’abîme.

Thibaud Cassel (Institut Iliade, 28 novembre 2020)

Paul Valéry, Analyst of Western Decline

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Paul Valéry, Analyst of Western Decline

Ex: https://www.unz.com

Paul Valéry was a French poet and essayist, famous in the first half of the last century. Growing up in France, I knew Valéry chiefly because of a somewhat trite slogan attributed to him. He more recently came to my attention by the praise of the Romanian philosopher Emil Cioran.

41lEoolhHaL._SX310_BO1,204,203,200_.jpgValéry is one of the most eminent figures in the French tradition of the moralistes – who are generally not, as the name might suggest, moralistic – those philosophers, going back to Montaigne and La Rochefoucauld and continuing right up to Cioran, known for their observations, more or less detached, good-natured, or biting, on social life and conventions.

Valéry had the distinction of living in perhaps the most decisive and consequential time in Western history, a time of catastrophic wars and political revolutions, culminating in the world we know today. He wrote a number of political essays commenting, more or less obliquely, on these developments, living through them as uncertain of the outcome as we are today.

Valéry dedicates Perspectives on Today’s World, his book of (mostly) political essays, to “those who have neither system nor party; who are thereby still free to doubt of what is dubious and to not reject what is not.”[1]

The book includes Valéry’s deep and subtle meditations on a vast medley of topics: of European exceptionalism, disunity, and decline (the industrial rise of Asia and colonial blowback are already foreseen), the bankruptcy of history as a field (lack of method, an excessive focus on high politics rather than long-term trends, hindsight being 20/20), freedom of thought and the life of the mind, the miseries of politics (antithetical to the mind), modernity as a great technical and socio-cultural phenomenon, France and her culture, Paris (“which continuousy attracts the flower and the dregs of the race”[2]), and much else.

On all these and more, Valéry commits to nothing, observing and analyzing with the philosophical detachment declared in his opening salvo. He is famously indifferent to the day-to-day flurry of events, “the froth of things,” being only interested in the deeper currents underlying human existence. Using this method, Valéry provides his reader with a continuous flow of thought, with often great insights and surprising parallels.

005494986.jpgOne is struck at how many of the problems Valéry raises are still with us. He speaks of the globalization of politics (distant powers responding to every local conflict, a new universal interdependence), the excessive stimulation and fads of modern media and culture, and the sheer speed of technological and social change, making it extremely difficult to base politics on sound predictions. From the vantage point of today, this almost seems quaint, given how much these trends have intensified in the age of borderlessness and social media.

The common thread running through many of Valéry’s quite diverse texts is the decline of Europe. Already at the end of nineteenth century, the first glimmers of Valéry’s European consciousness appeared with Japan’s war on China and the United States of America’s seizure of Spain’s colonial possessions, Valéry was troubled by these first (re)assertions of . . . non-Europe.

Valéry’s most famous saying is from the opening line of a 1919 essay, reflecting on European’s intellectual confusion in the wake of the First World War: “We civilizations know that we are mortal.”[3] He was distinctly aware of living at the high-water mark of European power, that just as that extraordinary tide had risen over the past four centuries, so that tide had begun receding . . . far more quickly than Europeans realized.

Before going into the causes and reaction to Europe’s decline, it is worth reflecting on the nature of her rise and what I do not hesitate to call her exceptionalism. Valéry is ready to concede the achievements of Hindu spirituality and Chinese technology and civilization. However, in terms of speed and explosive power, there is nothing to rival the Greek miracle of antiquity, especially in the fifth century before Christ, and European modernity since the 1400s.

The small European region has been at the top of the leagues, for several centuries. Despite her small size, even though the her soil is not markedly rich, she dominates the field. By what miracle? Certainly this miracle must lie in the quality of her population. This quality must compensate for the smallness of the population, the lack of square meters, the lack of minerals, which are assigned to Europe. Put on one scale the Empire of India and on the other the United Kingdom: the balance tips in favor of the smaller![4]

 

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The Western and Japanese empires in 1914

Valéry identifies a number of factors behind the West’s rise. Concerning the ancient Mediterranean, he notes that this sea was small and clear enough to be navigable even with fairly primitive means, the climate was temperate and hospitable, and finally this body of water connected three continents with very diverse peoples and civilizations, thus enabling great exchange of wealth, ideas, technology and craft. Thus, the ancient Mediterranean was the perfect setting for civilizational achievement, especially when a gifted and spirited people like the Greeks burst upon the scene, rapidly taking on many Egyptian and Phoenician innovations, and then surpassing them entirely.

For modern times, Valéry is struck by the contrast in China between slow but steady technological innovation and social and scientific stagnation:

How can one invent the compass, asks the European, without pushing further one’s curiosity and attention up to the science of magnetism; and how, having invented it, could one not think of leading a fleet far away to discover and master the lands beyond the seas? The same who invented gunpowder do not advance in chemistry and do not make cannons: they dissipate it with fireworks and vain nighttime amusements.

The compass, gunpowder, and the printing press have changed the face of the world. The Chinese who discovered them did not realize that they had the means of forever disturbing the world’s peace.[5]

Chinese civilization is marked by accretions, Western civilization by explosions.

Valéry often identifies Western psychological traits as a critical factor:

I cannot analyze this [European] quality [enabling exceptionalism] in detail; but I find by a cursory examination that active greediness,[6] burning and disinterested curiosity, a fortuitous mix of imagination and logical rigor, a certain non-pessimistic skepticism, an unresigned mysticism . . . are the most specifically active traits of the European Psyche.[7]

He attributes a kind of restless nervousness and ambition to the White race, a great factor of instability and accomplishment:

For fear of nullity, contempt, or boredom, we compel ourselves to become always more advanced in the arts, in manners, in politics, and in ideas, and we have shaped ourselves so as to only value astonishment and the momentary effect of shock. Caesar who considered that nothing had been achieved, given how much remained to be done and Napoleon who wrote: “I live only for the next two years,”[8] seem to have communicated this anxiousness, this intolerance towards everything that is, to almost the entire White race.[9]

imagespvpoemes.jpgValéry seems to suggest European decline is an inevitable process, related to the spread of the scientific techniques she had innovated to the rest of the world and perhaps to the a very Tocquevillean decline in elevating cultural traditions. We, living a century later, of course can only be struck that only in East Asia have foreign nations been fully able to replicate Western technical, economic, and organizational prowess.

Europe’s decline was caused, or perhaps accelerated, by her division. Valéry has only the harshest words for the Petits-Européens who have constantly fought among themselves, our little nation-states engaging in recurring wars and having recourse to non-European powers and soldiers. Napoleon is cited as a rare example of a European statesman of genuinely continental vision.

One might dismiss Valéry as a décadent, and perhaps a slightly pretentious one at that. His writing style may seem a touch too refined and intricate, like women’s lace. His distaste for systems and his horrified aversion to politics, however justified, make him politically quite inert. This is a serious matter.

After all, there were politicians and poets who, in the 1920s and 30s, made vigorous assays against decadence. One wonders what Valéry made of D’Annunzio and Ezra Pound.

High-Europeans of Valéry’s ilk make me think of Tolkien’s Elves: beautiful, ethereal, not meant for the world, and doomed to fade away . . .

Still, one would be foolish to dismiss Valéry’s philosophical method. The practice of detached, clinical, and unprejudiced – because lacking an a priori ideological system – analysis is a potent one. Its use leads Valéry to make some very nuanced, indeed exquisite, reflections on the the appeal, virtues, and limits of dictatorship.[10] The technique also leads him to a very Buddhistic denial of even an essential and continuous self.

Valéry’s method also leads him to understand, very early on, that politicians and citizens were working with words, a view of the world, which however solid they appeared, no longer corresponded to the realities of the world:

The political phenomena of our time are accompanied and complicated by an unparalleled change in the order of magnitude, or rather a change in the scheme of things. The world which we are beginning to be a part of, men and nations, has only a similar appearance to the world which is familiar to us.[11]

When I think of Hitler, Churchill, or De Gaulle, I see three skillful politicians, none of whom could sense that the very earth beneath them was about to give way.

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World maps with territories proportional to population in 1900 and 2100 (forecast).

These trends have only radicalized and accelerated since the 1930s. We are living in an epoch of rapid socio-cultural transformation: the diversification of Western nations, the population collapse of much of the developed world, the breakdown of the traditional family, the feminization of corporate and government life, the disintegration of each nation into a thousand online (often borderless) subcultures, the destruction of biological sex itself with the transsexual movement . . .

When we use the terms “Europe,” “the West,” “civilization,” “nation,” “race,” “religion,” “men,” “women,” we evoke connotations and associated symbols carried by past history and the myths and impressions we were brought up with. But can we face the new realities beneath words?

005658564.jpgIf I seem obscure, I can only say that we live in obscure times. We are on the cusp of further technological changes – virtual reality, genetic modification, mass human and/or female obsolescence – which will enable yet more socio-cultural change and, indeed, open up unimagined, and often disturbing, possibilities to change what it means to be human.

Anyway, the European is by all accounts a brilliant and flawed breed. We have known a good century of decline. Yet our critical and idealistic spirit, which has in many ways led to our current sad state of decomposition, may yet enable another unsuspected great enterprise of renewal. Valéry wrote in 1919:

[The European] is torn between marvelous memories and immoderate hopes, and if he sometimes slips into pessimism, he thinks despite himself that pessimism has produced some works of the first order. Instead of sinking into mental nothingness, he draws from this a song of his despair. He sometimes draws from this a hard and formidable will, a motivation for paradoxical actions founded on contempt for men and for life.[12]

And a decade later:

The most pessimistic assessment of man, and things, of life and its value, accords itself wonderfully with action and the optimism it demands. – This is European.[13] (p. 54)

Notes

[1] Paul Valéry, “Avant-Propos” (1931), Regards sur le monde actuel et autres essais (Paris: Gallimard, 1945), p. 9.

[2] Valéry, “Fonction de Paris” (1927) in Regards, p. 124.

[3] Paul Valéry, “La crise de l’esprit” (1919) in Variété I et II (Paris: Gallimard, 1998), p. 13.

[4] Valéry, ibid., p. 25.

[5] Valéry, “Orient et Occident” (1928) in Regards, p. 148.

[6] Avidité active.

[7] Valéry, “La crise de l’esprit” in Variété I, pp. 25-26.

[8] Je ne vis jamais que dans deux ans.

[9] Valéry, “Orient et Occident” in Regards, p. 149.

[10] For what it is worth, Valéry has a high opinion of the “wise” sayings of Salazar and the “depth” of Cromwell.

[11] Valéry, “De l’Histoire” (1931) in Regards, p. 35.

[12] Valéry, “Crise” in Variété I, p. 41.

[13] Valéry, “Des partis” (1931) in Regards, p. 54.

Robert Steuckers: Importance géopolitique du Donbass

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Robert Steuckers:

Importance géopolitique du Donbass

(pour la représentation du RPD en Belgique)

 
 
A l'occasion du premier anniversaire de la représentation de la République populaire de Donetsk en Belgique, le spécialiste de la géopolitique et historien Robert Steuckers a été invité à expliquer les intérêts géopolitiques de la région du Donbass.
 
Organisation : Représentation du RPD en Belgique
 
 
Naar aanleiding van de eerste verjaardag van de vertegenwoordiging van de Volksrepubliek Donetsk in Belgie, werd geopolitiek specialist en historicus Robert Steuckers uitgenodigd de geopolitieke belangen van de Donbassregio te verklaren.
 
Organisatie : Vertegenwoordiging DNR in Belgie
 

Les leçons de « Baron noir »

Ancien de la Gauche socialiste, l’aile gauchiste du PS alors animée par Jean-Luc Mélenchon et Julien Dray, l’inspirateur putatif de la série, Éric Benzekri a travaillé entre 2000 et 2002 au cabinet du ministre délégué à l’Enseignement professionnelle Mélenchon. L’intrigue n’est pas neutre; elle est même lourdement connoté d’autant que les épisodes charrient tous les poncifs, clichés et obsessions politiques de la gauche sociétaliste.

Une histoire réaliste

Chaque saison de Baron noir compte huit épisodes d’une durée de cinquante-cinq minutes. La première saison sort en février 2016. Tournée en 2015, elle chronique de façon métaphorique la calamiteuse présidence de François « Flamby » Hollande et colle à l’actualité politicienne. La vedette éponyme de la série, Philippe Rickwaert (interprété par Kad Merad bien connu pour son rôle dans Bienvenue chez les Cht’is en 2008), est le député – maire PS de Dunkerque. il conseille le candidat socialiste à la présidentielle, Francis Laugier (Niels Arestrup), contre le président de droite sortant, Jean-Marc Auzanet (Michel Voïta). Rickwaert espère recevoir en guise de récompense le poste de Premier secrétaire du PS. Or, pour financer la campagne de Laugier aux primaires, il a dû puiser dans les caisses de l’office municipal des HLM de sa commune. La police judiciaire va perquisitionner les bureaux de cet office et interroger les responsables dont le trésorier, le jeune syndicaliste Joël Donfront (Oscar Copp) qui se suicide. Le téléspectateur apprend bientôt que l’argent détourné a en fait servi au dédommagement de l’ancienne épouse de Laugier dans le cadre d’une procédure de divorce houleuse.

Voulant donner un cadre réaliste à la série, les auteurs de la série ont invité divers journalistes politiques et présentateurs de journaux télévisés (Edwy Plenel, Laurent Delahousse, Léa Salamé, Anne-Sophie Lapix, Ruth Elkrief, etc.) à jouer leur propre rôle. Scénaristes et producteurs ont aussi choisi de nommer l’ensemble des partis politiques français. La série évoque le PS, Les Républicains (LR), le FN – RN, les Verts, le PCF. En revanche, pas de MoDem, seulement des « centristes ». Cependant, outre l’oubli (volontaire ?) de la formation de François Bayrou et d’autres groupuscules centristes (UDI, Agir, Mouvement radical libéral), les créateurs ont pris soin de remplacer La France insoumise par un Debout le peuple beaucoup plus emblématique. Faut-il y voir la crainte d’un éventuel procès ou bien de montrer en creux le caractère hétéroclite, hyper-politisé et chaotique des Insoumis ?

Élu président de la République, Francis Laugier dont la posture rappelle celle de François Mitterrand, refuse finalement de céder Solférino à Rickwaert qu’il estime incontrôlable. Il lui préfère sa conseillère spéciale Amélie Dorendeu (Anna Mouglalis). Jamais élue, énarque brillante et issue de la haute-bourgeoisie, Dorendeu a travaillé à la Commission dite européenne à Bruxelles. Laugier entend même éliminer Rickwaert dans sa circonscription dunkerquoise en lui opposant une candidature Verte appuyée par les communistes locaux. Comprenant la manœuvre, Rickwaert met alors toute son énergie à garder son siège à partir duquel il agit en « frondeur principal ». Il organise des tractages massifs et demande à ses militants dévoués de retirer des boîtes aux lettres les tracts du candidat officiel de la nouvelle majorité présidentielle. Craignant même la défaite, le « Baron noir » envisage de monter un raid contre un bureau de vote afin d’invalider une éventuelle défaite qu’il imputera à des nervis d’« extrême droite ».

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Sur la pression de son assistant parlementaire, un proto-Manuel Valls, Cyril Belsan (Hugo Becker), Rickwaert renonce à ce projet. Il se tourne néanmoins vers un malfrat de troisième zone, Gérard Balleroy (Michel Muller), avec lequel il commet quelques combines afin que ce dernier et ses hommes de main perturbent le vote. Baron noir confirme ainsi d’une manière implicite la diabolisation de l’Opposition nationale, populaire, sociale, identitaire et européenne. Certes, la série n’évoque pas les milices socialistes voulues par François Mitterrand et Gaston Defferre au lendemain du 10 mai 1981. Mais…

Dans les bas-fonds de Solférino

Souhaitant disposer de l’équivalent socialiste des barbouzes gaullistes du SAC gaulliste, François Mitterrand encourage le contact en 1981 avec certains cadres d’Action directe. Aurélien Dubuisson interroge entre février 2014 et octobre 2016 des proches du groupe terroriste sous couvert d’anonymat. Une militante rapporte que « Mitterrand nous envoie un mec pour nous proposer de tuer des nazis (1) ». Un autre explique que des conseillers ministériels les rencontrent. Ils leur « proposaient presque l’impunité, ils auraient aimé qu’on leur serve de porte-flingue pour certains trucs, pour certains sales boulots. Sur l’extrême droite, voire d’autres choses. […] Je sais qu’après d’autres groupes ont été contactés. Ça grenouillait pas mal chez les socialos ! (2) » Il résultera de ces approches la constitution de groupes violents qui se manifesteront plus tard contre Jacques Chirac, Édouard Balladur, Nicolas Sarközy et « La Manif pour Tous ». Pensons à la surveillance étroite des locaux de Valeurs actuelles et de son directeur d’alors, Yves de Kerdrel. Baron noir mentionne aussi les connivences entre le pouvoir socialiste et l’extrême gauche, en particulier les disciples de Léon Bronstein. Ayant besoin du vote des trotskystes dans une assemblée générale étudiante, le secrétaire général de l’Élysée de Francis Laugier, Martin Borde (Scali Delpeyrat), téléphone au responsable trotskyste et lui propose de régler les dettes liées à la location du siège national en échange d’une consigne de vote satisfaisante.

La série s’attarde sur la nocivité du cumul des mandats. Faisant souvent la navette en voiture entre Paris et sa circonscription nordiste, Philippe Rickwaert se concentre sur les affaires internes du PS et son action de député. Il délègue la gestion quotidienne de la commune à sa première adjointe, la fidèle Véronique Bosso (Astrid Whettnall) qui préside presque toutes les séances du conseil municipal.

La première saison montre enfin le déclassement politique de Philippe Rickwaert, incarnation du militant de terrain, face à Amélie Dorendeu, la « techno » progressiste éco-féministe sociale-libérale. Commence alors un subtil jeu du chat et de la souris entre eux. D’abord prêt à l’écraser, Rickwaert obtempère aux injonctions présidentielles, se ravise et ordonne à ses partisans de chauffer la salle en faveur de son ancienne concurrente. Il commence à conseiller la novice et devient son amant !

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Réélu député, Rickwaert s’oppose au Premier ministre issu de l’aile droite du PS, Laurent Mirmont (Éric Caruso). L’ancien métallurgiste du Nord arrive au Palais-Bourbon en bleu de travail. Fine allusion à 1997 où le député communiste et ancien ouvrier Patrice Carvalho était arrivé dans cette tenue dans l’hémicycle le premier jour de la nouvelle législature de cohabitation. Il profite de l’effervescence autour des lycées professionnels dans les banlieues de l’immigration pour susciter la démission du gouvernement et la nomination à Matignon de Daniel Kahlenberg (Philippe Résimont), l’éternel adversaire de Laugier. En remerciement, Kahlenberg l’impose au ministère du Travail. Contraint de quitter son poste de maire, il empêche toutefois sa première adjointe, Véronique Bosso, de lui succéder. Elle a en effet l’intention de se porter partie civile au nom de la municipalité dans le scandale de l’office HLM. Philippe Rickwaert incite un tiers du conseil municipal à démissionner, ce qui provoque une élection municipale partielle. Il demande dans la foulée à son propre frère, Bruno, de constituer une liste dissidente très populaire. Résultat : la droite ravit Dunkerque.

Habile maître en manipulations et exceptionnel menteur de profession, Philippe Rickwaert lance à sa fille adolescente, Salomé (Lubna Gourion), qui a fait avec ses cousins et des copines une grosse bêtise, qu’il ne supporte pas le mensonge ! Un bien bel exemple de mise à distance entre la personnalité privée et sa personnalité publique…

Scènes et illustrations de l’Hexagone macronien

Francis Laugier désire relancer le projet européen. Mais rattrapé par le scandale des HLM de Dunkerque, il n’y arrive pas. Menacé de destitution, il abandonne l’Élysée. Philippe Rickwaert invite Amélie Dorendeu à se présenter à l’élection présidentielle anticipée. Il s’engage en contrepartie à tout révéler au juge d’instruction. Placé en détention provisoire, le « Baron noir » conseille depuis sa cellule la nouvelle candidate socialiste. Il faut ici saluer le flair des scénaristes. Certes, Hollande n’a pas démissionné, mais il ne s’est pas représenté en 2017. Quant à Amélie Dorendeu, gagnant de justesse la présidence de la République au début de la saison 2, face à Lionel Chalon (Patrick Mille) du FN, elle anticipe l’arrivée au pouvoir d’un certain Emmanuel Macron, jamais élu, seulement ministre de l’Économie et ancien secrétaire général-adjoint de l’Élysée.

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Sortie en février 2018, la deuxième saison de Baron noir montre le quotidien d’une présidente, qui a fondé un nouveau parti, La France unie (clin d’œil à la campagne mitterrandienne de 1988 ?), et les affres, personnelles et politiques, de Philippe Rickwaert. Condamné à six mois de prison avec sursis et à dix-huit mois d’inéligibilité, lui qui a renoncé par avance à tout appel, il monte une société de conseil politique, se retrouve sur-endetté, ferraille dur avec son banquier et doit vendre sa maison. Il continue cependant à conseiller en secret son ancienne maîtresse tout en parasitant le PS. Dorendeu et Rickwaert se séparent pour des raisons politiques. Sur ses conseils, elle n’utilise plus le 49 – 3 et place à Matignon Alain Chistera (Patrick Rocca) un ancien cacique de Solférino. Le « Baron noir » cherche à rassembler la gauche. Or le non-usage du 49 – 3, amoindri sous la présidence nulle de Sarközy, pulvérise la majorité parlementaire. Fatiguée de ces divisions futiles et stériles, la présidente désigne un nouveau Premier ministre en la personne du centriste Stéphane Thorigny (Pascal Elbé). Celui-ci théorise une France divisée en trois blocs de force à peu près équivalente : deux flancs extrémistes à droite et à gauche et un bloc gouvernemental au centre.

Lasse des avis tordus de son ancien amant, Amélie Dorendeu dissout ensuite l’Assemblée nationale et obtient une majorité absolue grâce à la coalition des sociaux-démocrates, des sociaux-libéraux, des libéraux-sociaux et des libéraux – conservateurs. Elle s’accorde par ailleurs en secret avec le chancelier allemand sur un projet de fusion franco-allemande nommé la « Françallemagne ». Si Berlin cède son mark, Paris consent à partager avec l’Allemagne son siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Un vrai jeu de dupe quand on sait que la nomenklatura outre-Rhin reste aux ordres de Washington, de New-York et de Londres.

À la fin de cette deuxième saison, plus classique et moins « disruptive » que la première, Philippe Rickwaert reste politiquement fragilisé. Certes, il a renoué avec sa fille qui a pourtant renoncé au patronyme paternel. Au terme du dernier épisode, elle retrouve son père qui ne parvient pas à rédiger un livre de mémoire sur une plage de la mer du Nord. Elle lui dit que le chapitre le plus important de sa vie reste à écrire et lui montre un dessin représentant le visage de son père avec en dessous le slogan « Rickwaert président ». L’œil du « Baron noir » pétille de nouveau…

Entre populisme et gauche protestataire…

Diffusée en février 2020, la troisième et dernière saison de Baron noir verse dans la politique-fiction à moins que les scénaristes n’y voient l’avenir politique immédiat de l’Hexagone. Philippe Rickwaert ne cache plus à son entourage son intention de se présenter à la prochaine présidentielle. Son arrogance et sa suffisance agacent Daniel Kahlenberg, toujours patron du PS. Par ailleurs, les enquêtes qualitatives d’opinion lui indiquent une notoriété négative. Il se rend chez Naïma Meziani (Rachida Brakni), ancienne consultante politique brillante désormais reconvertie dans le conseil aux people. Ses conclusions le bouleversent. Contrairement à ce qu’imaginent Kahlenberg et les autres pontes du PS, ce n’est pas Philippe Rickwaert qui va détruire la « Vieille Maison », mais le PS qui risque de le tuer. L’ancien député de Dunkerque assiste par ailleurs à la montée en puissance du mouvement de Michel Vidal (la posture fictive de Jean-Luc Mélenchon jouée par un grandiose François Morel), Debout le peuple.

Ancien du PS, Michel Vidal a déjà accueilli Aurore Dupraz (Constance Dollé), député de Seine – Saint-Denis et meneuse de la gauche du PS. Refusant de travailler avec le centre, Véronique Bosso quitte son poste de conseillère à l’Élysée et rejoint elle aussi Debout le peuple. Tête de liste du mouvement aux régionales dans les Hauts-de-France, elle facilite une discussion entre Philippe Rickwaert qui cherche encore à s’emparer du PS, et Michel Vidal. Le « Baron noir » décide de rejoindre la gauche radicale malgré de notables désaccords avec son principal responsable qui ne croit plus à l’union de la gauche.

Fatiguée par la susceptibilité épidermique de son Premier ministre centriste, Amélie Dorendeu le remplace par son très fidèle secrétaire général à l’Élysée, Martin Borde. La situation politique se tend. Hostile à une loi qui légalise l’euthanasie, le député LR des Yvelines, Corinne Alba (Gaëlle Lebert), accepte la chouquette offerte par Lionel Chalon. Ce dernier, bien qu’en large avance au soir du premier tour des régionales, renonce à la tête de liste en PACA au profit du candidat LR à la condition expresse que fusionnent les deux listes.

118919088.jpgSoucieuse de redynamiser son quinquennat, le présidente, de plus en plus décriée et impopulaire, choisit de réviser la constitution en proposant par référendum la suppression de l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Une bévue gigantesque du nouveau Premier ministre entraîne Les Républicains à prôner le non à l’instar du RN. Les scénaristes n’apprécient pas le caractère présidentiel de la Ve République. À côté de cette réforme incroyable, ils proposent la suppression du 49–3 et de l’article 16, soit revenir aux délices mortifères des IIIe et IVe Républiques alors qu’il faudrait plutôt se diriger vers un État consulaire français.

L’initiative présidentielle fracture nettement Debout le peuple. Si Michel Vidal défend un non vibrant, Philippe Rickwaert et Aurore Dupraz se prononcent pour un oui « de gauche ». Une partie des camarades vidalistes accuse le « Baron noir » d’agir en accord avec la présidente. Le scénario lui donne bien sûr le beau rôle. Lors d’un débat public avec Michel Vidal arbitré par Véronique Bosso sur le référendum, l’ancien élu dunkerquois retourne un public à l’origine largement hostile.

Le non l’emporte de peu. Les études indiquent que le oui est majoritaire à gauche, ce qui rend Philippe Rickwaert incontournable. Sur le conseil de Naïma Meziani avec qui il se marie, il invite à leurs noces tous les responsables de la gauche et des Verts. On est surpris que toutes ces personnalités de gauche vivent dans de spacieux appartements ou dans de coquettes maisons pavillonnaires en banlieue résidentielle. Le plus rigolo reste la scène où, le jour de son mariage, Philippe Rickwaert présente à Michel Vidal son père, ancien syndicaliste révolutionnaire. Tous trois entonnent, le poing gauche levé, L’appel du Komintern, un vieux chant bolchevik (3), vite repris par une assistance endimanchée dans le jardin d’un luxueux manoir… La gauche semble ne pas connaître l’esprit de sacrifice matériel. Pour preuve tangible, le chef de Podemos, Pablo Iglesias, deuxième vice-président du gouvernement espagnol du très détestable Pedro Sanchez, et sa compagne, Irene Montero, actuel ministre espagnol de l’Égalité dans le même gouvernement (népotisme ?), n’ont-ils pas acquis une villa cossue dans une banlieue aisée de Madrid à Galapagar ? Même supposée révolutionnaire, la gauche raffole toujours du caviar et du champagne. Le réveil végan et prohibitionniste sera rude pour elle et sa délicate « Conscience »…

Une figure anti-Système

La victoire étriquée du non au référendum a pour cause l’émergence inattendue d’un troisième larron porté par les réseaux sociaux et Internet : Christophe Mercier. Via des interventions filmées et diffusées en ligne, ce professeur de SVT appelle les électeurs à refuser le choix binaire et à mettre au contraire un bulletin nul favorable au tirage au sort. Ce sont d’ailleurs les partisans du non qui se montrent les plus sensibles à ce discours dissident. Christophe Mercier dénonce tout le système politicien, critique les « irresponsables politiques », souhaite la disparition des partis et, en corollaire, la fin des élections remplacées par le tirage au sort. Joué par Frédéric Saurel, le tribun anti-Système présente un faux air de Beppe Grillo jeune, le fondateur du Mouvement Cinq Étoiles en Italie.

Critiquant des jugements iniques qui condamnent à de la prison ferme des citoyens au casier judiciaire vierge qui ont perturbé le dépouillement du référendum, Christophe Mercier annonce sa candidature à la présidence de la République. Assisté de Léandra Tellier (Sarah Stern) qui abandonne un RN maintenant opposé au « Frexit », il démarche les maires pour le parrainer à la présidentielle. Or ceux-ci refusent, car ils craignent des représailles financières de la part de l’intercommunalité, du département, de la région, voire de la préfecture. Christophe Mercier n’hésite pas à filmer à l’insu de son interlocuteur un échange, puis à le publier sur Internet. Amélie Dorendeu ordonne à son Premier ministre de faciliter les parrainages en faveur de ce candidat-surprise.

imagesbaronn.jpgLes scénaristes de Baron noir ont beau jeu de faire de Christophe Mercier un monomaniaque du tirage au sort. Or introduire cette méthode de sélection politique renouvellerait une vie politique exsangue. Roger de Sizif (4), François Amanrich (5) et Yves Sintomer (6) l’envisagent en complément d’une démocratie plus participative. Le politologue belge flamand David Van Reybrouck soutient pour sa part un renouveau de la démocratie avec des assemblées tirées au sort. Il plaide pour un système bi-représentatif, mélange de démocratie et de clérocratie (7). Le régime macronien a bien imaginé une « Convention citoyenne sur le climat » dont les cent cinquante membres avaient été tirés au sort selon des quotas précis de sexe, de région, d’âge et de profession. Pour sa part, le président du jeune Mouvement national-démocrate, Vincent Vauclin, suggère que le Sénat soit entièrement composé de maires volontaires tirés au sort (8).

Au soir du premier tour, bien qu’arrivée en tête, Amélie Dorendeu pâtit d’un contre-« 21 avril 2002 ». Christophe Mercier écarte un Lionel Chalon dépité, malgré ses 18 %. Le chantre du tirage au sort reçoit dans la foulée le désistement officiel de Chalon tandis que les jeunes de Debout le peuple s’apprêtent à rallier le nouveau trublion de la République. La révélation par des fuites surgies de la CDU de l’accord secret sur la Françallemagne plombe encore plus la campagne de la présidente sortante. Le « Baron noir » comprend que Christophe Mercier, qui bénéficie de l’aide intéressée d’Aurore Dupraz, risque de l’emporter. Or, il rêvait qu’Amélie Dorendeu réélue le choisisse pour Matignon afin d’y mener une politique sociale-écologique progressiste.

Coup d’État légal

Philippe Rickwaert invite son ancienne maîtresse à se retirer et à faire annuler toute l’élection présidentielle en faisant jouer la clause de l’empêchement d’un candidat. Afin d’inciter le Conseil constitutionnel à constater son empêchement, la présidente Dorendeu fait révéler par son secrétaire général et ancien coordonnateur des services de renseignement, Jacques Lambray (Frédéric Kneip), l’exécution au cours de la saison 2 de trois individus suspectés de terrorisme islamiste par le service Action de la DGSE dans les environs de Courcouronnes sur le sol français. À son corps défendant, Lambray doit décrire au journal de 20 heures une femme fragile, anxieuse, voire un instant légèrement troublée, quand elle donna cet ordre illégal. Après bien des heures de discussion et de tergiversations, les « Sages » prononcent l’empêchement, annule l’élection présidentielle et organisent une nouvelle élection présidentielle. Amélie Dorendeu met un terme immédiat à ses fonctions. Les auteurs de la série condamnent au nom du falot « État de droit » cette triple exécution sommaire décidée au nom de la raison d’État. Les Bisounours sont partout.

Pendant que le président du Sénat devient chef de l’État par intérim, Michel Vidal téléphone à Philippe Rickwaert qui prend ici des airs d’Arnaud Montebourg. Il l’invite à se présenter à la présidence de la République. Candidat unique de toute la gauche et des Verts, le « Baron noir » atteint le second tour avec environ 23 % des suffrages, loin derrière un Christophe Mercier à plus de 40 %… Le débat de l’entre-deux-tours met bien évidemment en valeur Philippe Rickwaert aux dépens d’un Christophe Mercier terne et incapable de répliquer aux réparties cinglantes de son contradicteur. Rickwaert remporte l’élection présidentielle. Il apprend dans la soirée le suicide d’Amélie Dorendeu. Dans la réalité, l’ancienne présidente serait partie à l’étranger.

Il faut ici s’intéresser à la manœuvre légale contre Mercier, soit l’invalidation de l’élection présidentielle pour des raisons soi-disant psychiatriques constatées chez la présidente sortante. Cette hypothèse s’envisage pour 2022 si Marine Le Pen l’emporte sur un Emmanuel Macron haï et démonétisé. Le Conseil constitutionnel pourrait prendre le premier prétexte venu afin de s’éviter cette déplaisante perspective. L’institution sait se montrer conciliante avec les puissants. En 1995, elle ignore les dépassements financiers de Jacques Chirac et d’Édouard Balladur. Elle se montre en revanche intraitable envers Jacques Cheminade qui n’est pas remboursé de ses frais de campagne. Bis repetita en 2002 en sanctionnant Bruno Mégret. Il est plus raisonnable toutefois de penser que le Système (ou l’« État profond » hexagonal) ne sape pas dès le départ l’élan populiste. Il privilégiera une résolution à l’égyptienne. Issu des Frères musulmans, le président égyptien Mohamed Morsi n’a tenu qu’une courte année (2012 – 2013) avant d’être chassé du pouvoir par l’armée, vrai État profond au bord du Nil. Déjà en 2017, Bernard Cazeneuve avait prévu de rester en fonction jusqu’aux élections législatives de juin 2017 en cas d’élection de Marine Le Pen et de faire de son gouvernement la principale force d’opposition à la nouvelle présidente.

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En 2022, tous les réseaux occultes administratifs, financiers, économiques, bancaires, médiatiques, culturels, diplomatiques, policiers et militaires de l’État profond se mobiliseront pour mieux nuire à la nouvelle présidente. Prévue par la révision constitutionnelle du 23 février 2007, la destitution du président de la République peut être votée par le Parlement si est constaté un manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat, soit le comportement politique et/ou privé du chef de l’État à condition que ses actes portent atteinte à la dignité de sa fonction. L’imprécision de la formulation constitue une véritable épée de Damoclès. Il est surtout patent que l’échec préparé de Marine Le Pen au gouvernement ruinerait pour de nombreuses décennies tout renouveau national, populaire, social, identitaire et européen sérieux.

L’espérance de renverser la table

Baron noir met en garde contre l’apparition soudaine d’une figure anti-Système qui perturbe la routine politicienne, accélère la décomposition des appareils politiques et amplifie la vague dégagiste. Outre Beppe Grillo, l’histoire récente a montré l’élection à la tête de l’Ukraine et du Guatemala de deux acteurs Volodymyr Zelenski et Jimmy Morales (2016 – 2020). L’humoriste Jean-Marie Bigard a renoncé, le 29 septembre dernier, à briguer l’Élysée en 2022. Les milieux politico-médiatiques bruissent toujours de rumeurs contradictoires autour d’une candidature hors-Système incarnée par Michel Onfray, Didier Raoult bientôt retraité (9), de l’homme d’affaires libéral-chrétien Charles Gave ou d’un Éric Zemmour. Verrons-nous finalement le retour en politique de Marion Maréchal ? Fort de sa bonne gestion municipale à Béziers, Robert Ménard s’y présentera-t-il en porte-parole auto-proclamé d’une « droite hors les murs » ? Le général de salon et très atlantiste Pierre de Villiers, prototype du soldat impolitique, espère-t-il être cette éventuelle surprise ?

Une véritable attente existe au sein des citoyens désabusés de voir un candidat (improbable ?) tout bazardé. L’« indicateur de la protestation électorale » établi par la Fondation pour l’innovation politique et réalisé par l’institut OpinionWay montre qu’en 2022, 79 % des électeurs envisagent de choisir l’abstention, le vote blanc ou un bulletin « anti-Système » (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan ou un candidat d’extrême gauche). La même étude précise que 49 % de ces électeurs en colère seraient tentés par le vote blanc et 45 % par l’abstention. 25 % se montrent favorables à la démocratie directe et 12 % (dont de nombreux macroniens !) privilégieraient un régime autoritaire (10). L’étude ne précise pas que plutôt se tourner vers un régime autoritaire, bien des électeurs approuveraient une politique sécuritaire dans le domaine régalien, progressiste en matière sociétale et libéral sur le plan économique.

La présence à cette échéance politique majeure de Vincent Vauclin serait un beau signal adressé aux « gens ordinaires » de la « France périphérique » en colère. Malgré les confinements printanier et automnal, en attendant ceux de l’hiver et de l’été, la persistance d’un mécontentement de moins en moins diffus au sein de la société française inquiète les politicards et leurs larbins journalistiques. Si cela arrivait, la série Baron noir entrerait dans l’histoire immédiate pour sa clairvoyance.

Georges Feltin-Traco.

Notes

1 : Aurélien Dubuisson, Action directe. Les premières années. Genèse d’un groupe armé 1977 – 1982, Libertalia, coll. « Édition poche », 2018, p. 149.

2 : Idem, p. 232.

3 : Écrit par Franz Jahnke et composé par Hanns Eisler, L’appel du Komintern date de 1926. Ses paroles viriles devraient de nos jours scandaliser les bien-pensants épris de paix, de tolérance et de « vivre ensemble ».

4 : Roger de Sizif, La stochocratie. Modeste proposition pour que le peuple de France soit heureusement gouverné grâce à l’instauration d’une sélection politique aléatoire, Les Belles Lettres, coll. « Iconoclastes » n° 28, 1998.

5 : François Amanrich, La démocratie est morte, vive la clérocratie ou La clérocratie comme alternative à la démocratie, Barre & Dayez, 1999; idem, Pour en finir avec la démocratie, Papyrus, 2006. Dirigeant fondateur du Mouvement clérocratique, François Amanrich chercha sans succès à se présenter à l’élection présidentielle en 2012.

6 : cf. par exemple Yves Sintomer, Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, La Découverte, coll. « Sur le vif », 2007.

7 : cf. David Van Reybrouck, Contre les élections, Actes Sud, coll. « Babel – Essai », 2014.

8 : cf. le programme du MND intitulé « Renaissance » consultable sur le site éponyme, www.natdem.fr

9 : cf. le portrait de Didier Raoult en trois parties dans les n° 482, 483 et 484 de Faits & Documents, septembre 2020.

10 : dans Le Figaro du 26 octobre 2020.

Pourquoi les récits anti-russes et anti-chinois sont-ils tellement similaires?

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Pourquoi les récits anti-russes et anti-chinois sont-ils tellement similaires?

Par Moon of Alabama

Après plus de quatre ans de Russiagate, nous apprenons enfin (original payant) d’où proviennent les allégations du dossier Steele sur les relations néfastes entre Trump et la Russie :

Une enquête du Wall Street Journal fournit une réponse : Olga Galkina, 
responsable des relations publiques russe âgée de 40 ans, a transmis des
notes à un ami et ancien camarade de classe qui travaillait pour M. Steele.
Le journal s'est appuyé sur des entretiens, des dossiers des forces de l'ordre,
documents déclassifiés et identification de Mme Galkina par un ancien haut
responsable de la sécurité nationale américaine. En 2016, Mme Galkina travaillait à Chypre dans une filiale de XBT Holding SA,
une société de services Web surtout connue pour son unité d'hébergement
Internet Webzilla. XBT appartient à l'entrepreneur Internet russe Aleksej Gubarev. Cet été-là, elle a reçu une demande d'un employé de M. Steele pour l'aider à
déterrer des informations potentiellement compromettantes sur les liens du
candidat à la présidence de l'époque, Donald Trump, avec la Russie, selon
des personnes proches du dossier. Mme Galkina était amie avec l'employé,
Igor Danchenko, depuis leurs jours d'école à Perm, une ville de province
russe près des montagnes de l'Oural.

Mme Galkina venait souvent ivre au travail et a finalement été renvoyée par son entreprise. Elle s’est vengée en alléguant que l’entreprise et son propriétaire Gubarev étaient impliqués dans le piratage présumé du Comité national Démocrate. Un tas d’autres fausses allégations dans le dossier étaient également fondées sur les fantasmes de Mme Galkina.

Mark Ames @MarkAmesExiled - 18:39 UTC · 28 octobre 2020

Ainsi, le dossier Steele qui a lancé 4 ans d'hystérie au Russiagate parmi la classe 
dirigeante américaine a été concocté par deux alcooliques russes de Perm. Le terme
«Gogolesque» ne suffit pas à décrire la crédulité et la stupidité grotesques des
élites américaines.

Les contes du dossier étaient une véritable désinformation de la part de Russes, mais pas de la «désinformation russe» du type variante américaine de Novlangue.

Le FBI et d’autres personnes impliquées ont su très tôt que le dossier Steele était un tas de mensonges. Mais le sujet a été maintenue aux yeux du public par des fuites continues d’absurdités supplémentaires. Tout cela pour pousser Trump à prendre de plus en plus de mesures anti-russes, ce qu’il a fait avec une générosité sans précédent. Les accusations concernant une connexion Trump-Russie étaient le récit de la « mauvaise Russie » qui poussait et permettait à Trump de poursuivre la politique anti-russe de l’administration Obama / Biden.

Une série similaire de politiques, lors du «Pivot vers l’Asie» de l’administration Obama / Biden et tout au long des quatre années de Trump est la campagne anti-Chine.

Nous entendons maintenant beaucoup parler des accords de corruption de Hunter et Joe Biden avec des entités chinoises. Ces accusations viennent avec toujours plus de preuves et sont beaucoup plus plausibles que ne le prétend le stupide dossier Steele. Leur importance est à nouveau double. Elles seront utilisés pour faire pression sur le président potentiel Joe Biden pour qu’il agisse contre la Chine, mais elles seront principalement utilisés pour intensifier un discours public anti-Chine qui crée un soutien public pour de telles politiques.

Comme le souligne Caitlin Johnstone :

Je ne sais pas comment ni à quel niveau, mais nous sommes couillonnés. Un récit est 
agressivement enfoncé dans nos gorges sur la Chine exactement de la même manière
qu'il nous a été agressivement enfoncé dans la gorge il y a quatre ans ; deux nations
indociles que le gouvernement américain envisage depuis longtemps d'attaquer et de saper. Le Russiagate n'a jamais vraiment concerné Trump. Il n'a jamais non plus été question
de la réunion de son personnel de campagne avec les Russes, ni d'une vidéo pipi, ni
d'une enquête sur une quelconque forme de loyauté cachée envers le Kremlin. Russiagate
était un récit conduisant les États-Unis vers une nouvelle guerre froide avec la Russie,
la cible ultime étant son allié bien plus puissant, la Chine, et assurant que Trump
suive cet agenda. ... Si Biden arrive, nous pouvons nous attendre à la même chose : un président qui fait
monter la tension contre la Russie et la Chine tout en étant accusé par les partisans
de Trump d'être trop indulgents envers la Chine. Les deux partis politiques auront le
pied sur l'accélérateur pour entrer en collision avec une nation dotée de l’arme
nucléaire, sans que personne ne se trouve à proximité des freins.

Il est ainsi assuré que les attaques verbales contre la Chine, la recherche de nouveaux alliés anti-chinois comme l’Inde hindou-fasciste et la dangereuse militarisation de Taïwan se poursuivront sous une administration Biden.

Moon of Alabama

Note du Saker Francophone
En écho à cet article, on peut mettre quelques pincettes à l'article de hier sur Biden 
et le "dossier" autour de son fils et de la Chine même s'il a été poussé par Dmitry Orlov.
Il est probable que les faits soient véridiques mais il manque sans doute la vision
d'ensemble d'une relation américano-chinoise tissée depuis 30 ans.

Traduit par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone

dimanche, 01 novembre 2020

Augustin Cournot, découvreur de la posthistoire

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Augustin Cournot, découvreur de la posthistoire

par Nicolas Bonnal

« …Il doit aussi venir un temps où les nations auront plutôt des gazettes que des histoires… »

Henri de Man a pertinemment souligné l’importance du mathématicien, épistémologue et philosophe français Augustin Cournot, un génie méconnu qui a inventé au milieu du XIXème siècle la notion de posthistoire. Je suis allé voir ses œuvres sur archive.org et y ai trouvé quelques remarques écrites vers 1850. Cournot a été un grand mathématicien, un historien des sciences, un économiste chevronné, un philosophe, mais un modeste inspecteur de l’instruction publique ! Il fait penser à Kojève qui a fini fonctionnaire européen à Bruxelles…

Cournot incarne parfaitement ce génie médiocre, petit-bourgeois à la française, qui depuis Descartes ou Pascal jusqu’aux intellectuels du siècle écoulé, rêve de sa petite place dans la fonction publique. On peut dire aussi qu’il liquide à la française toute notion d’héroïsme ou de grandeur ! Hypolite Taine a brillamment décrit l’avènement du bourgeois français. Ce bourgeois aura bien analysé un déclin dont il est la marque la plus pitoyable. Tiens, un peu de Taine :

« Le bourgeois est un être de formation récente, inconnu à l'antiquité, produit des grandes monarchies bien administrées, et, parmi toutes les espèces d'hommes que la société façonne, la moins capable d'exciter quelque intérêt. Car il est exclu de toutes les idées et de toutes les passions qui sont grandes, en France du moins où il a fleuri mieux qu'ailleurs. Le gouvernement l'a déchargé des affaires politiques, et le clergé des affaires religieuses. La ville capitale a pris pour elle la pensée, et les gens de cour l'élégance. L'administration, par sa régularité, lui épargne les aiguillons du danger et du besoin. Il vivote ainsi, rapetissé et tranquille. A côté de lui un cordonnier d'Athènes qui jugeait, votait, allait à la guerre, et pour tous meubles avait un lit et deux cruches de terre, était un noble. »

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Pour Athènes, cela dépend de l’époque. On recommandera au lecteur le texte de Démosthène sur la réforme des institutions publiques (Περὶ Συντάξεως). On y apprend qu’une loi punissait de mort ceux qui osaient proposer de rendre au service de la guerre les fonds usurpés par le théâtre…

La science française –penser surtout au grand et petit Poincaré – n’est pas seulement rationnelle : elle est raisonnable. Elle reflète d’ailleurs le déclin démographique et le vieillissement de notre population à cette époque, le dix-neuvième donc, qui contraste avec le dynamisme européen. Cela ne retire rien bien sûr à la puissance conceptuelle de nos savants et de nos mathématiciens, ni à leur lucidité.

Cournot s’intéresse à tous les sujets avec la méthode et l’étroitesse d’un penseur de son siècle. C’est qu’il évolue dans le monde petit-bourgeois de Madame Bovary. Il parle surtout de la révolution terminée, 120 ans avant François Furet dans un très bon livre inspiré par Tocqueville et Cochin :

« Alors l'histoire de la Révolution française sera close, son mouvement initial sera épuisé, aussi bien en ce qui concerne à l'intérieur la rénovation du régime civil, qu'en ce qui regarde les entreprises extérieures et l'action sur le système européen…. Dès les premières années du siècle on pouvait dire avec fondement que la révolution était finie, en ce sens que tout un ensemble d'institutions ecclésiastiques et civiles, que l'on appelle chez nous l'ancien régime, avait disparu pour ne plus reparaître… »

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Le renversement de la féodalité a été finalement la grande affaire de cette Fin de l’Histoire, ce que confirment aussi bien les autres grands esprits français. Après la Révolution apparaît le rond-de-cuir (Cochin) ou bien sûr le bureaucrate soviétique, qui ne demandent qu’à conserver les acquis de leur pitance révolutionnaire. Celle-ci devient d’ailleurs de plus en plus un spectacle : on s’habille à la romaine, comme disait Debord du temps de Robespierre, et on défile au pays de Staline.

Cournot voir poindre aussi une humanité plus tiède, une humanité ni, ni, comme diraient Barthes ou Mitterrand. Une humanité vaguement religieuse, tempérée par la médecine et les machines :

« Après toutes les explications dans lesquelles nous sommes entrés jusqu'ici, est-il besoin d'ajouter qu'autant nous croyons impossible d'extirper du cœur humain le sentiment religieux et le sentiment de la liberté, autant nous sommes peu disposés à admettre que les futures sociétés humaines reconnaîtront pour guides les prêtres d'une religion ou les apôtres de la liberté? »

Ni prêtres ni missionnaires libertaires… Notre matheux voit bien plus loin que tous les Vallès et Bakounine de son temps ultérieur (le seul que je vois se nicher à sa hauteur est cet australien nommé Pearson – un littéraire cette fois ! - qui décrira toute notre entropie dans son National life and character [sur archive.org])

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On devrait se rassurer, puisque Cournot voit arriver une modération universelle avec un échec des idéologies, comme on disait encore. Avant Nietzsche il voit la modération arriver, modération qui on le sait sera un temps rejetée par les Allemands, et avec quelle imprudence ; mais d’un point de vue historique, Cournot a plus d’avance que Nietzsche, et il fonde ses considérations sur son observation mathématique et quasi-astronomique de l’Histoire :

« Tous les systèmes se réprimeront ainsi à la longue, quoique non sans de déplorables dommages, dans ce qu'ils ont de faux ou d'excessif. »

Lisez ces lignes superbes de lucidité et de froideur :

« Si rien n'arrête la civilisation générale dans sa marche progressive, il doit aussi venir un temps où les nations auront plutôt des gazettes que des histoires ; où le monde civilisé sera pour ainsi dire sorti de la phase historique ; où, à moins de revenir sans cesse sur un passé lointain, il n'y aura plus de matière à mettre en œuvre par des Hume et des Macaulay, non plus que par des Tite-Live ou des Tacite. »

A la place de Tacite on a Françoise Giroud.

Cournot voit un avènement de la fin de l’histoire qui est plutôt une mise en marge de l’Histoire, comme une porte qui sort de ses gonds, une bicyclette qui sort de la piste et dont la roue semble tourner, mais pour rien. Debord souligne « l’incessant passage circulaire de l’information, revenant à tout instant sur une liste très succincte des mêmes vétilles, annoncées passionnément comme d’importantes nouvelles. »

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Henri de Man écrira :

« L'histoire est un produit de l'esprit humain élaboré pour que les événements puissent être mesurés à l'échelle des buts et des forces humaines. À des événements comme ceux que nous vivons aujourd'hui il semble que cela ne s'applique plus ; et ce sentiment est à la base de l'impression que nous avons que « les temps sont révolus », que nous sommes entrés dans une époque en marge de l'histoire. Ce monde en marge de l'histoire qu'un instant Hamlet a entrevu dans le miroir de son âme égarée : un monde disloqué. »

Debord a consacré deux excellentes pages au baroque post-ontologique.

En prétendant progresser alors qu’il ne fait que du surplace, le monde décrit par Tocqueville, Cournot, De Man, vingt autres, ne fait que nous tromper. Seul un pessimisme radical mais révolutionnaire pourrait nous en préserver. L’optimisme moderne reste celui de la dévastation par la stupidité décrite par Cipolla, la dette et les attentats.

Kojève disait que pour supporter la fin de l’histoire il fallait apprendre le grec (lisez donc la syntaxe de Démosthène…). Je dirais plus sobrement qu’il faut surtout y apprendre à supporter sa journée et à la réussir. L’homme-masse allume sa télé, va au concert, à Las Vegas, au stade parce qu’il ne veut que de mimétisme et d’aliénation ;  l’homme de bien au sens d’honnête homme ou d’homme de bien du Yi King, apprend à jardiner ou à jouer du violon ; le reste c’est de l’actualité.

Sources

Antoine-Augustin Cournot, considérations sur la marche des idées (archive.org)

Henri de Man : considérations sur le déclin…

Debord - Commentaires

Taine – La Fontaine

The Importance of Samhain in the Celtic Calendar

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The Importance of Samhain in the Celtic Calendar

By Charles Squire
From Celtic Myth and Legend [1905]

Whatever may have been the exact meaning of the Celtic state worship, there seems to be no doubt that it centred around the four great days in the year which chronicle the rise, progress, and decline of the sun, and, therefore, of the fruits of the earth. These were: Beltaine, which fell at the beginning of May; Midsummer Day, marking the triumph of sunshine and vegetation; the Feast of Lugh, when, in August, the turning-point of the sun’s course had been reached; and the sad Samhain, when he bade farewell to power, and fell again for half a year under the sway of the evil forces of winter and darkness.

Of these great solar periods, the first and the last were, naturally, the most important. The whole Celtic mythology seems to revolve upon them, as upon pivots. It was on the day of Beltaine that Partholon and his people, the discoverers, and, indeed, the makers of Ireland, arrived there from the other world, and it was on the same day, three hundred years later, that they returned whence they came. It was on Beltaine-day that the Gaelic gods, the Tuatha Dé Danann, and, after them, the Gaelic men, first set foot on Irish soil. It was on the day of Samhain that the Fomors oppressed the people of Nemed with their terrible tax; and it was again at Samhain that a later race of gods of light and life finally conquered those demons at the Battle of Moytura. Only one important mythological incident–and that was one added at a later time!–happened upon any other than one of those two days; it was upon Midsummer Day, one of the lesser solar points, that the people of the goddess Danu took Ireland from its inhabitants, the Fir Bolgs.

The mythology of Britain preserves the same root-idea as that of Ireland. If anything uncanny took place, it was sure to be on May-day. It was on “the night of the first of May” that Rhiannon lost, and Teirnyon Twryf Vliant found, the infant Pryderi, as told in the first of the Mabinogion. It was “on every May-eve” that the two dragons fought and shrieked in the reign of “King” Lludd. It is on “every first of May” till the day of doom that Gwyn son of Nudd, fights with Gwyrthur son of Greidawl, for Lludd’s fair daughter, Creudylad. And it was when she was “a-maying” in the woods and fields near Westminster that the same Gwyn, or Melwas, under his romance-name of Sir Meliagraunce, captured Arthur’s queen, Guinevere.

The nature of the rites performed upon these days can be surmised from their pale survivals. They are still celebrated by the descendants of the Celts, though it is probable that few of them know–or would even care to know–why May Day, St. John’s Day, Lammas, and Hallowe’en are times of ceremony. The first–called “Beltaine” in Ireland, “Bealtiunn” in Scotland, “Shenn da Boaldyn” in the Isle of Man, and “Galan-Mai” (the Calends of May) in Wales–celebrates the waking of the earth from her winter sleep, and the renewal of warmth, life, and vegetation. This is the meaning of the May-pole, now rarely seen in our streets, though Shakespeare tells us that in his time the festival was so eagerly anticipated that no one could sleep upon its eve. At midnight the people rose, and, going to the nearest woods, tore down branches of trees, with which the sun, when he rose, would find doors and windows decked for him. They spent the day in dancing round the May-pole, with rude, rustic mirth, man joining with nature to celebrate the coming of summer. The opposite to it was the day called “Samhain” in Ireland and Scotland, “Sauin” in Man, and “Nos Galan-gaeof” (the Night of the Winter Calends) in Wales. This festival was a sad one: summer was over, and winter, with its short, sunless days and long, dreary nights, was at hand. It was the beginning, too, of the ancient Celtic year, and omens for the future might be extorted from dark powers by uncanny rites. It was the holiday of the dead and of all the more evil supernatural beings. “On November-eve”, says a North Cardiganshire proverb, “there is a bogy on every stile.” The Scotch have even invented a special bogy–the Samhanach or goblin which comes out at Samhain.

The sun-god himself is said to have instituted the August festival called “Lugnassad” (Lugh’s commemoration) in Ireland, “Lla Lluanys” in Man, and “Gwyl Awst” (August Feast) in Wales; and it was once of hardly less importance than Beltaine or Samhain. It is noteworthy, too, that the first of August was a great day at Lyons–formerly called Lugudunum, the dún (town) of Lugus. The mid-summer festival, on the other hand, has largely merged its mythological significance in the Christian Feast of St. John.

The characteristic features of these festivals give certain proof of the original nature of the great pagan ceremonials of which they are the survivals and travesties. In all of them, bonfires are lighted on the highest hills, and the hearth fires solemnly rekindled. They form the excuse for much sport and jollity. But there is yet something sinister in the air; the “fairies” are active and abroad, and one must be careful to omit no prescribed rite, if one would avoid kindling their anger or falling into their power. To some of these still-half-believed-in nature-gods offerings were made down to a comparatively late period. When Pennant wrote, in the eighteenth century, it was the custom on Beltaine-day in many Highland villages to offer libations and cakes not only to the “spirits” who were believed to be beneficial to the flocks and herds, but also to creatures like the fox, the eagle, and the hoodie-crow which so often molested them. At Hallowe’en (the Celtic Samhain) the natives of the Hebrides used to pour libations of ale to a marine god called Shony, imploring him to send sea-weed to the shore. In honour, also, of such beings, curious rites were performed. Maidens washed their faces in morning dew, with prayers for beauty. They carried sprigs of the rowan, that mystic tree whose scarlet berries were the ambrosial food of the Tuatha Dé Danann.

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Paul Gottfried: «Trump n’est pas un accident de l’histoire américaine»

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Paul Gottfried: «Trump n’est pas un accident de l’histoire américaine»
 
Ex: https://frontpopulaire.fr

ENTRETIEN. Historien des idées et intellectuel américain influent, Paul Gottfried a notamment été conseiller de Richard Nixon. Grand penseur du conservatisme, il publie L’Amérique de Trump, entre nation et empire chez Jean-Cyrille Godefroy. A la veille des élections américaines, nous l’avons interrogé pour comprendre le phénomène Trump.

41Tm8r-HWdL._SX195_.jpgFront Populaire : Depuis la campagne électorale américaine de 2016, Donald Trump a été conspué par beaucoup et partiellement adulé par d’autres, mais sans doute jamais vraiment compris dans sa spécificité. De quoi Trump est-il le nom, et quelle serait une définition du « trumpisme » ?

Paul Gottfried : Pour autant que le terme « trumpisme » ait un sens, on pourrait le définir comme la jonction entre le talent manœuvrier, le pragmatisme d’un homme d’affaire démocrate de New York et des courants souterrains d’une partie de l’opinion américaine qui entend qu’on lui rende un pays dont elle s’estime dépossédée.

FP : Vous expliquez au début de votre ouvrage que Donald Trump a été l’alibi des médias libéraux dans leur volonté de détourner le mouvement conservateur de son sillon traditionnel. Qu’entendez-vous par là ?

PG : Plus largement, les médias libéraux (au sens américain du terme) se servent de Trump comme ils se sont servis des néoconservateurs mais dans un sens différent. Avec les néoconservateurs, les médias libéraux mettaient en avant les plus « progressistes » comme dirait votre président (en fait partisans du libre-échange, de la finance, du multiculturalisme et de l’option militaire tous azimuts). Pour Trump, il s’agit de faire de lui un épouvantail pour réunir une gauche émiettée entre ceux pour qui les droits des minorités et la lutte contre les mâles blancs pauvres priment toute considération et un renouveau socialiste qui se fait jour aux États-Unis. Alors que pour le conservatisme américain historique, Donald Trump est sinon un homme de gauche du moins de centre gauche.

FP : Vous vous revendiquez vous-même du « paléo-conservatisme ». A quoi correspond ce courant d’idées et comment s’insère-t-il dans le conservatisme américain ? Et par rapport aux néoconservateurs ?

PG : Ce qu’on appelle « paléoconservatisme » équivaut à la tentative américaine de constituer un courant conservateur sur le modèle européen avec un succès discutable. Les néoconservateurs sont un groupe de pression qui a pris le contrôle du parti républicain à partir des années 70, en a expulsé les conservateurs classiques et qui ont imposé leurs visions économiques (libérales), géopolitiques (militariste) et sociales (multiculturelles) alors que le conservatisme américain originel est avant tout un anti-étatisme avec toutes les conséquences que cela implique (refus des grands travaux fédéraux, refus du multiculturalisme imposé par Washington et refus des aventures militaires).

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Paul Gottfried.

FP : Les courants idéologiques américains sont à restituer dans leur propre horizon de cohérence. Par exemple, le qualificatif « libéral » n’a pas le même sens outre-Atlantique que chez nous. Pourriez-vous nous donner quelques exemples de ce type de pièges à éviter pour penser le champ des idées américaines ?

Libéral équivaut au français « gauchiste », conservateur ou paléoconservateur est un courant qui n’a plus de représentation politique américaine autre qu’intellectuelle (via American conservative). Néoconservateur est le visage le plus connu du wilsonnisme soit l’école de l’impérialisme américain bien-pensant. Les libéraux radicaux au sens économique et philosophique sont des libertariens dans le lignage de Murray Rothbard. Les populistes américains sont un courant spécifique que vous connaissez en France à travers l’œuvre de mon regretté ami Christopher Lasch.

FP : En France, nous sommes en train, depuis quelques années déjà, de questionner la pertinence du vieux clivage gauche-droite pour d’autres formes d’approches transversales des oppositions politiques. Pourriez-vous nous éclairer sur les grands clivages politique du monde américain ?

imatz-droite-gauche.jpgPG : De mon point de vue, la grille de lecture droite/gauche est encore plus problématique aux États-Unis qu’elle ne l’est en France comme l’a démontré mon ami Arnaud Imatz, notamment dans son ouvrage Droite-Gauche, pour sortir de l’équivoque. Je pense que le clivage le plus structurant de la vie politique américaine s’articule aujourd’hui dans l’opposition entre les partisans de l’« America First » (ndlr : littéralement, L’Amérique d’abord, soit une politique fondée sur la primauté des intérêts intérieurs américains) contre ceux qui entendent que l’Amérique domine le monde (y compris, selon eux, pour le bien de celui-ci) en s’engageant un peu partout sur la planète. Cela explique le regard noir porté sur la politique protectionniste du président sortant.

FP : Vu depuis l’Europe, Trump représente la figure par excellence d’un certain populisme vulgaire et droitier, comme une créature de l’ancien monde que personne n’avait vu venir. Comment analysez-vous ce populisme, et lui voyez-vous des équivalences à l’étranger ?

PG : Dès qu’un homme confesse aimer son pays, dès lors qu’il n’est pas convaincu que Justin Trudeau soit l’avenir de l’humanité et qu’il appelle un chat un chat, il devient pour la social-démocratie mourante un « populiste vulgaire et droitier ». Vous savez, vous Français, qu’ils ont fait la même chose avec de Gaulle en son temps. Ils ne voudront jamais comprendre cette leçon essentielle de l’histoire : ce sont les États faibles qui attirent la ruine, les guerres civiles et les régimes autoritaires. Trump ou d’autres dans le monde, comme Poutine en Russie par exemple, incarnent cette volonté de force et d’incarnation face à l’Histoire. Est-ce si répréhensible de vouloir vivre ?

FP : La société américaine a toujours semblé fracturée sur des thématiques de race, de genre, d’origine et d’identité. Les présidents américains sont-ils condamnés à ne pouvoir être les représentants que d’une certaine catégorie de la population contre les autres ?

PG : Au-delà de quelques extrémistes qui trouvent d’ailleurs des gens – pour ne pas dire des manipulateurs - pour les aider, les influencer, les utiliser et les jeter, les américains issus des minorités veulent être Américains avant tout parce que le patriotisme n’est pas une notion vaine ici, donc je suis plutôt confiant sur ce point. Le problème est bien plus large que cela. La question est davantage : est-ce que l’Amérique n’est qu’une sous-culture mondialisée ou est-elle une vraie nation consciente d’elle-même ? C’est cela l’enjeu.

FP : A la veille de l’élection américaine, pouvez-vous nous faire un court bilan de la présidence Trump ? Quelles sont selon vous ses chances de réélection ?

PG : Il n’a pas engagé les États-Unis dans de nouvelles guerres extérieures. En se concentrant sur la politique intérieure, il a géré ce qu’il a pu avec les moyens qui étaient les siens, le tout avec, dans son dos et sur ses côtes, une guérilla institutionnelle et médiatique de tous les instants qui a fragilisé nos institutions. Ensuite, le paléo-conservateur que je suis est obligé de remarquer qu’il n’a pas engagé une politique vraiment conservatrice. Pour ce qui est des élections, il est devenu très difficile, à l’heure actuelle et compte tenu des conditions exceptionnelles de vote (ndlr : le vote par correspondance pour cause de Covid-19), de faire une prédiction fiable. Je peux toutefois faire une remarque de fond : Trump en lui-même, en tant que personne, peut être vaincu mardi prochain, mais il n’est pas un accident de l’histoire américaine. A ce titre, les courants souterrains et la dynamique historique qui l’ont porté lui survivront.

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EL REY PERDIDO, UN MITO EUROPEO

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EL REY PERDIDO, UN MITO EUROPEO

Ernesto Mila

Ex: https://info-krisis.blogspot.com

Todos los países de Europa sin excepción, tienen un tema común relacionado con sus monarquías: el mito del Rey Perdido. Un rey justo, legítimo y amado por sus súbditos, desaparece misteriosamente; todos se niegan a creer que haya muerto, se ha retirado a un lugar oculto y volverá cuando la hora sea propicia para ponerse al frente de la legión de los elegidos en la batalla final contra las fuerzas del mal.

ORIGEN DE LA FUNCION REAL

La etimología de la palabra “rey” es importante a la hora de determinar el concepto que el mundo antiguo se hacía de la función y del símbolo real. Se admite unánimemente que se trata de un término indo–europeo cuya huella se encuentra desde el área extrema de expansión celta (Europa Occidental) hasta la india védica.

Tatius.jpgEn ese ámbito geo-étnico siempre se encuentra la raíz reg– que da lugar a las variaciones rex (latino), el raj (hindú) y el rix (galo), presentes en palabras y nombres como dirigere, Mahararajh, o Vercingetorix. En general, la raíz reg– indica a “aquel que traza el camino”, es decir, define la jefatura y el mando.

De esta misma raíz deriva la palabra y el concepto de derecho (trazar el camino implica, en definitiva, enunciar un derecho, promulgar una ley): right (en inglés), recht (irlandés antiguo), recht (alemán), y encontramos la misma simetría en la lengua latina entre rex y lex.

Al establecer que la función real era “trazar el camino”, los pueblos indo–europeos hacían algo más que calificar al jefe político–militar. De hecho, la historia nos enseña que no fue sino en un período tardío cuando los monarcas asumieron la conducción militar de su pueblo, mientras que la política estaba delegada a la nobleza. El “dux” –palabra próxima a rex– indicaba a los caudillos militares que asumían el mando en momentos de crisis y en los que el rex delegaba la función guerrera. Luego, cuando se superaba la crisis, desaparecía el cargo de “dux bellorum”, caudillo de las batallas, literalmente. “Trazar el camino”, guiar a su pueblo por las seis rutas del espacio definidas por la cruz tridimensional que marca las direcciones del espacio. El rex tenía el poder de guiar a su pueblo en todas estas direcciones.

La función real primitiva se justificaba en que reyes y dioses no eran sino una misma persona. En el Apocalipsis de Juan se encuentra un eco de este orden de ideas: “Aquel que se sienta sobre el trono” declara “Yo soy el Alfa y el Omega, el Principio y el Fin”.

El rey era concebido como un punto de irradiación, no humano, encarnación directa de poderes trascendentes y, en tanto que tal, digno de ser obedecido; el mando, no era obtenido ni mediante elección, ni por aclamación, sino que procedía de un contacto tangible con entidades superiores, condición imprescindible para que los súbditos aceptaran la sumisión a su voluntad.

LA IDEA DE ORDEN

La prosperidad del reino, la victoria en las batallas y la justeza de sus decisiones, es decir, el Orden, eran muestra del origen divino y legítimo del poder. Si se producía un descalabro militar, una mala cosecha, si la injusticia se enseñoreaba, todo ello mostraba el debilitamiento del vínculo que unía al rey con el supramundo y con los poderes trascendentes. Entonces, sus súbditos podían destronarlo.

La vieja leyenda itálica del Rey de los Bosques de Nemi, cuenta que el rey de aquellos dominios está siempre en guardia bajo un árbol sagrado, y seguirá siendo rey hasta que un esclavo fugitivo consiga sorprenderlo y arrancar una rama del árbol que custodia. Por “esclavo fugitivo” hay que entender un hombre emancipado de los lazos de la materia y que ha logrado establecer un vínculo con la trascendencia.

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El mismo símbolo del árbol es reiterativo, indica la fuente de un poder y se relaciona habitualmente en el universo simbólico indo–europeo con la montaña, el centro, la isla, el jardín bienaventurado, etc. Todos estos símbolos suponen lugares inaccesibles, en los que reina el Orden, mientras que, a su alrededor, todo fluye, es caos y dinamismo contingente. Residir o tener acceso a uno de estos símbolos supone conquistar la función real. La montaña del Grial, el castillo de Camelot, la isla de Avalon, el Roble del Destino, el Jardín de las Rosas, el Omphalos de Delfos, etc. pueden ser relacionados fácilmente con lo que decimos y constituyen el centro de un período dorado para la humanidad.

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Ahora bien, el hecho de que todo en el mundo tradicional indo–europeo esté sometido a ciclos –ciclo de las estaciones, ciclos lunares, rotación sideral, vida humana– hace que la Edad Dorada no se prolongue hasta el infinito. El tiempo la va desgastando hasta que se produce una caída de nivel que registran todas las tradiciones. Sin embargo, el centro, la montaña, el jardín, o la misma función real no desaparecen, sino que entran en un estado de latencia; se vuelven inalcanzables para los hombres comunes y dejan de influir en los destinos contingentes del mundo. El Jardín del Edén, no desaparece tras la caída de Adán, simplemente se hace inaccesible; otro tanto ocurre con el castillo del Grial, solo visible para las almas puras; en el caso del Jardín de las Rosas del Rey Laurin –que todavía puede visitarse en Bolzano– un hilo de seda lo convierte en impenetrable. La idea es siempre la misma: algo visible, pasa a otra dimensión, no muere, sin embargo, se oculta temporalmente, “hasta que los tiempos estén prestos”, es decir, hasta que una nueva renovación del cosmos, haga posible la manifestación del centro supremo. Y lo mismo ocurre con los monarcas.

EL REY PERDIDO, NO–MUERTO, AGUARDA SU HORA

En este contexto los pueblos indo–europeos han tenido siempre muy arraigado en su estructura mental, el mito del Rey Perdido: un rey querido por todos, justo, amado por su pueblo, deseado, en un momento dado, desaparece; su pueblo se niega a creer en su muerte; no es posible que los dioses hayan abandonado a un ser tan noble y justo, se dicen, “no ha muerto, está vivo en algún lugar, y un día regresará para ponerse al frente de sus fieles”. Esta estructura se repite una y otra vez en las viejas tradiciones de las distintas ramas del tronco común indo–europeo.

Podemos establecer que los últimos reflejos en estado puro de tal mito terminan con Federico I Barbarroja y, ya en una dimensión esotérica, con la marcha de los Rosacruces de Europa al inicio de la Guerra de los Treinta Años. Pero el mito, ha reaparecido insistentemente en la edad moderna e incluso contemporánea, mostrando la fuerza de su arraigo en la mentalidad indo–europea.

EL "GRAN MONARCA" Y "EL REY DEL MUNDO"

Dos autores de singular personalidad han recuperado tradiciones relativas a este mito. De una parte, Nostradamus en sus célebres “centurias” alude al “gran monarca”, mientras que René Guénon, consagra uno de sus ensayos más esmerados al tema del “rey del mundo”.

indexgrandmo.jpgNostradamus en una cuarteta de sus famosas Centurias se hace eco de tradiciones más antiguas sobre el “gran monarca” y las incorpora a sus profecías. Su advenimiento se producirá después de una guerra de 27 años, que empezará en 1999, único año que se menciona con todos sus números y de forma explícita en las profecías de Nostradamus.

Esta leyenda tiene su origen en las décadas inmediatamente anteriores al año 1000, se trata pues, de un mito milenarista, una promesa de renovación. Los primeros rastros de tal tema se encuentran en los escritos del abad Adson de Montier–en–Der (muerto en el 992). Pero Adson bebe de fuentes anteriores, una de ellas el testimonio de San Isidoro de Sevilla (siglo VII) y otra, incluso anterior, de Cesario de Arles (siglo VI).

Es evidente que profecías de este tipo ganan fuerza justo en momentos de crisis y devastación. En el período posterior a las invasiones bárbaras, cuando los movimientos migratorios remiten, cobra fuerza la añoranza y el recuerdo del Imperio Romano, incluso entre los mismos pueblos germánicos invasores, la idea de que Roma representaba el Orden gana fuerza y se produce un sincretismo entre los mitos nórdico–germánicos, con fuerza en esas razas, y los temas propios de la romanidad.

Esa añoranza de la grandeza de Roma se traduce en la aspiración a renovar el Imperio. Cuando Clovis (Clodoveo) es entronizado rey de los francos en el 496, recibe del Emperador de Oriente, la dignidad de Patricio y de César y, por este acto se considera renovado y regenerado el antiguo Imperio Romano. En siglos siguientes, a partir de Carlomagno y de los Hohenstaufen, la fórmula de consagración será calcada de la entronización de los Césares de Roma.

Pero la baja edad media supone una sucesión trepidante de convulsiones que crean en las poblaciones la sensación de que un ciclo está a punto de terminar. Los grandes príncipes son pocos y sus reinados breves, su recuerdo histórico se va diluyendo y entran vertiginosamente en el campo de la leyenda. En esa situación se suceden las profecías, todas interpretando el mismo deseo subconsciente: un gran príncipe –el gran monarca– reunirá a todos los pueblos de Occidente para librar la última batalla contra las fuerzas del anticristo. Aquí podemos ver cristianizado el tema de la “horda salvaje” de Odín y de sus guerreros que esperan en el Walhalla la hora de la batalla contra las fuerzas del mal.

Ahora bien, en el tema del “gran monarca” existe un ápice de nacionalismo galo. El “gran monarca” nace en Francia, en Blois concretamente, y queda ligado indisolublemente a la corona de ese país; contrariamente, el tema del “rey del mundo” tiene un carácter más universal.

LA UNIVERSALIDAD DEL MITO

En los siglos XIX y XX dos relatos traen a Occidente el recuerdo aún vivo del “rey del mundo”. Saint Yves d'Alveydre en su Misión de la India y Ferdinand Osendowsky en Bestias, Hombres y Dioses hablan, respectivamente de un reino subterráneo, Agartha o Agarthi, al que se refieren tradiciones vivas de Mongolia y la India, transmitidas por monjes budistas, en el que moraría el “rey del mundo”, el “chakravarti”.

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En la tradición budista el “chakravarti” es el “señor de la rueda”, o si se quiere “el que hace girar la rueda”. Guénon nos dice al respecto: “es quien, instalado en el centro de todas las cosas, dirige su movimiento sin él mismo participar, o sea quien es –según la expresión de Aristóteles– el ‘motor inmóvil’”. Esa rueda está habitualmente representada con la forma de una svástica, símbolo que, ante todo, indica movimiento en torno a un centro inmóvil.

El “rey del mundo” no es un tema exclusivamente budista. La Biblia registra la misteriosa figura de Melkisedec, rey y sacerdote de Salem, señor de Paz y Justicia. Salem, es equivalente al Agartha y Melkisedec el “chakravarti” judeo–cristiano.

2a19ff28896591071510b37becd52144.jpgEl lugar de acceso a ese centro del mundo aparece en distintas tradiciones: son muchas las leyendas de cavernas que dan acceso al centro del mundo, también montañas que tienen la misma función, islas, lugares marcados con monumentos megalíticos (menhires frecuentemente), lugares “Omphalos” (ombligos del mundo como el santuario de Delfos), todos estos puntos tienen como denominador común el constituir “centros espirituales”, es decir, lugares en los que se favorece el tránsito entre el mundo físico y el metafísico, entre lo contingente y lo trascendente. Todos estos símbolos facilitan la entrada a otro nivel de la realidad, aquel que se ha hecho invisible para los hombres dada su impiedad o simplemente a causa de la involución cíclica del mundo. Entrado éste en la Edad Oscura (Kali Yuga, Edad del Hierro o Edad del Lobo), lo que antes era visible y accesible se convierte en secreto y oculto. No puede llegarse hasta él sino a través de pruebas iniciáticas y de una ascesis interior: tal es la temática de la conquista del Grial, de las grandes rutas de peregrinación, de temas masónicos como el de la “búsqueda de la palabra perdida”, etc.

En esos lugares mora un rey supremo, indiscutible, acaparador del poder espiritual y del temporal, oculto e inaccesible, señor de paz y justicia: el rey del mundo, el rey perdido.

LA RENOVACION DEL MUNDO A TRAVES DEL REY PERDIDO

Existe una interferencia entre los temas del Rey del Mundo y el Gran Monarca de un lado y los del Rey Perdido de otro. Este último, es un gran monarca que ha desaparecido misteriosamente y cuyos súbditos se niegan a creer que haya muerto. Las tradiciones indo–europeas, hablan de reyes que se ocultan en cavernas, o simplemente que desaparecen pero que no han muerto. Pues bien, este es el punto de interferencia entre una y otra tradición.

El tema del “rey perdido” alude a reyes históricos que la crónica ha revestido de contenidos míticos; por el contrario, el tema del “rey del mundo” pertenece exclusivamente al universo mítico. Cuando un rey histórico no muere, sino que desaparece, oculto en una cueva, en una montaña o en una isla, es que ha pasado al dominio del Rey del Mundo, ha establecido contacto con él y ha tenido acceso a ese reino latente que está oculto por culpa de la degeneración del mundo. En todas las tradiciones el “rey perdido”, al desaparecer y entrar en contacto con el “rey del mundo”, legitima su poder y alcanza un rango divino.

Ahora bien, esa situación no durará siempre. Finalizado el ciclo, la espada vengadora del “rey perdido” se manifestará de nuevo y, gracias al poder de su brazo, el mundo quedará renovado, habitualmente tras una gran batalla.

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En el Tíbet solo los monjes budistas que han alcanzado un más alto grado de perfección, tienen acceso al reino oculto de Shambala, del cual el Dalai Lama es su delegado y embajador. Allí reside Gesar de Ling, rey histórico que vivió aproximadamente en el siglo XI y gobernó el Tíbet. Las leyendas locales afirman que Gesar no ha muerto, sino que retornará de Shambala al mando de un ejército, para someter a las fuerzas del mal y renovar el mundo agotado y caduco.

ARTURO Y FEDERICO BARBARROJA EN LAS LEYENDAS MEDIEVALES

En la Edad Media europea, mientras tanto, aparece una leyenda que fue considerada como verdad histórica, la del Preste Juan, el Rey Pescador. En Oriente, en un lugar impreciso entre Abisinia e India, existía un reino inmenso gobernado por un avatar de Malkisedec, el Rey Pescador. En su castillo se alojó Perceval en el curso de su conquista del Grial y fue allí donde vio la preciada copa y donde le fueron formuladas las preguntas fatídicas que Perceval en ese momento no supo contestar. Robert de Boron llega a calificar a Perceval de sobrino del Rey Pescador.

En el terreno de la historia se sabe que el Emperador Federico I recibió tres regalos del Preste Juan, (un abrigo de piel de salamandra, que le permitía atravesar las llamas, un anillo de oro y un frasco de agua viva) que suponían un reconocimiento de la dignidad imperial de Federico I por parte del “Rey del Mundo”. Así pues, el Rey del Mundo es aquel rey superior a los demás reyes y que los legitima para su misión.

En diversas ocasiones, monarcas europeos organizaron expediciones para establecer el contacto con el mítico reino del Preste Juan, que invariablemente se perdieron y jamás regresaron. Pero el tema subsistió en las leyendas del Grial.

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Arturo, después de la batalla contra las fuerzas del mal representadas por Mordred, se retira a la isla de Avalon. De Carlomagno se dirá lo mismo: que no está muerto, sino que, aguarda el tiempo en que sus súbditos vuelvan a necesitarlo. Federico I y su hijo Federico II, alcanzarán el mismo rasgo legendario, morando en el interior de montañas como el Odenberg o el Kyffhäuser, volverán cuando se produzca la irrupción de los pueblos de Gog y Magog, aquellos que Alejandro Magno –otro rey perdido– encerró con una muralla de hierro.

Es también en el período medieval en el que se establece la festividad de los Reyes Magos, personajes misteriosos que siguen a la estrella que marca el lugar de nacimiento de Cristo. Su triple imagen es un desdoblamiento de la figura de Melquisedec. Si en el rey de Salem está concentrado la triple función de “Señor de Justicia”, “Sacerdote de justicia” y “Rey de Justicia”, en los Reyes Magos, esta función está separada e individualizada en cada uno de ellos.

EL MITO DEL REY PERDIDO EN LA PENINSULA IBERICA

Sobre el suelo de la península ibérica florecieron también leyendas del mismo estilo. Jamás se encontró el cadáver de Roderic o Don Rodrigo, último rey godo; su recuerdo y el de la monarquía legítima animó a su portaespadas, Don Pelayo a iniciar la reconquista en su nombre.

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Más tarde, floreció el mito de Otger Khatalon, héroe epónimo de Cataluña; oriundo de Baviera, empuñaba como el Hércules mítico una pesada maza; liberó el valle de Arán y el valle de Aneu del dominio musulmán; una vez cumplida su obra desapareció, no está muerto, solo oculto, y solo volverá cuando se produzca una nueva crisis desintegradora.

Alfonso el Batallador y Don Sebastián de Portugal, desaparecido tras la batalla de Alcazarquivir, dejaron tras de sí un halito de misterio; años después todavía se creía que seguían vivos e incluso algunos impostores pretendieron usurpar su personalidad.

LAS ULTIMAS MANIFESTACIONES DEL MITO

A mediados del siglo XIX aun debía manifestarse el tema del rey perdido en Francia. La historiografía oficial no ha logrado desenmarañar el destino del Delfín de Francia, Luis XVII, desaparecido en la Torre del Temple de París tras el asesinato de sus padres por los revolucionarios. Algunos todavía hoy sostienen que el relojero holandés Naundorff, que llegó un día a París demostrando conocer con una precisión absoluta la infancia del Delfín, era el hijo de Luis XVI.

Setenta años después, algunos rusos blancos exiliados tras la Revolución Rusa, quisieron creer que la Gran Duquesa Anastasia jamás había muerto, sobrevivió a la masacre de Ekhaterinemburgo y daría continuidad a los Romanov.

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Finalmente hubo muchos que se negaron a creer en la muerte de Hitler y durante años estuvo extendida la idea que había logrado sobrevivir al cerco ruso de Berlín y huir al Polo en donde prepararía el retorno y la venganza.

La fuerza de la leyenda tuvo aun un postrero coletazo en el “affaire” de Rennes le Chateau, cuyo tema central era la supervivencia de la dinastía merovingia y el hallazgo del “rey perdido” en la figura de un astrólogo y documentalista que decía ser gran maestre de un “Priorato de Sión”. Se trata de un eco postrero en el que la credulidad de las masas arraiga en un sustrato de la psicología profunda de los europeos. Y es que, en el fondo, el “rey perdido” no es sino el arquetipo simbólico de una calidad espiritual próxima a la trascendencia, latente en todos los hombres, olvidada, más no perdida.

A MODO DE CONCLUSION

Caudillo derrotado en ocasiones (Dagoberto, Arturo), en otras muerto, pero cuyo cadáver jamás se encuentra (Barbarroja, Rodrigo), o simplemente líder victorioso de un período áureo (Guesar de Ling), consciente de que los ciclos históricos han decaído y que decide pasar a un estado de latencia hasta que se produzca la renovación del tiempo (de la que él mismo será vehículo), este mito es transversal en el espacio y en el tiempo, reiterándose en todo el ciclo indo–ario.

Siempre la morada de este rey perdido es un símbolo polar: una montaña inaccesible (Barbarroja), una isla dorada (el Avalon de Arturo), el “centro” de la tierra (Cheng Rezing, el “rey del mundo” extremo–oriental), un castillo dorado (Otger Khatalon). El presentimiento de su existencia anima a otros a emprender gestas y hazañas imposibles (la reconquista de Don Pelayo en relación a Rodrigo, los atentados del “Wehrwolf” en relación a Adolfo Hitler, la conquista del Grial por los caballeros del Arturo muerto en Avalon) o estar a la espera de la llamada del monarca para acudir a la última batalla (el tema del Räkna–rok y de la morada del Walhalla, el tema del último avatar de Buda y de Shambala).

Lo que se pretende en otros casos es tomar el mito del rey perdido de una forma utilitarista: sería él y sus presuntos descendientes los que garantizarían la legitimidad dinástica (los descendientes de Dagoberto II en el affaire de Rennes le Chateau, los partidarios de Naundorf en la cuestión del Delfín, los de Juan Orth en la dinastía austro–húngara, incluso los de la gran duquesa Anastasia en el caso de la herencia de los Romanov, etc.).

El mito del Rey del Mundo, las leyendas de los reyes perdidos y de los monarcas que aguardan la batalla final rodeados de sus fieles guerreros, pertenece a nuestro pasado ancestral. Es una parte de nosotros mismos, algo que debemos conocer y encuadrar en un universo simbólico y mítico, hoy perdido, pero del cual no podemos prescindir si queremos conocer nuestro origen y nuestro destino.

 

samedi, 31 octobre 2020

Macron veut confiner «l’ancien monde» … grâce à notre soumission

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Macron veut confiner «l’ancien monde» … grâce à notre soumission

 
 
Auteur : Karine Bechet-Golovko 
Ex: http://www.zejournal.mobi

Sans aucune surprise, Macron l’a annoncé : la France doit être confinée, pour cause d’énième vague d’un énième virus. Et partout de s’indigner de « l’incompétence » de ce Gouvernement, qui serait « dépassé » par la situation. Vous pensez vraiment qu’ils ne connaissent pas les saisons ? Qu’ils n’ont pas accès aux statistiques de l’INSEE ? Qu’ils n’ont pas noté la disparition de la grippe et autres maladies respiratoires virales ? Vous pensez qu’ils ont arrêté « l’optimisation » des hôpitaux ? Qu’ils soutiennent l’économie locale, ancré dans les territoires de notre pays, et l’industrie nationale ? Ce serait, en effet, plus confortable de penser ainsi, de se réfugier encore et toujours dans cette complaisance de la fausse indignation. Mais il est urgent de sortir de cette zone de confort qui nous conduit, avec notre pays, à l’abattoir. Après un premier choc de confinement inattendu au printemps, qui a mis la population en état de choc, avec une pression psychologique sans précédent depuis, les gens ont accepté le masque omniprésent – « c’est pas grave », puis le couvre-feu – « c’est toujours mieux que le confinement », enfin le confinement – c’est toujours mieux que la mort ? Macron impose ce nouveau monde d’une vie réduite au biologique et la société au service du transnational. Et pour l’instant, tout se passe à merveille.

À force de tout accepter, sur le mode du « ce n’est pas grave », « on n’a pas le choix », « on peut faire avec », les Français sont mis le dos au mur. Évidemment, un certain confinement est annoncé, mais un confinement différent du précédent, car il doit permettre la normalisation de l’anormal, la mise à mort de la société que nous connaissons, que nous aimons. Il doit permettre le « Nouveau monde » avec ses « nouveaux hommes ». Comme à chaque phase totalitaire de l’histoire de l’humanité. Nous avons eu avec l’homo oeconomicus, l’homo sovieticus, voici l’homo … covidicus ?

Cette fois-ci, les écoles sont ouvertes. Pas les universités, le nouveau monde n’a pas besoin de véritables cerveaux de ce côté du monde, et pour assurer la maintenance, l’enseignement à distance est suffisant. Mais l’école, elle, est un élément fondamental de la formation de l’être humain. Formation idéologique. Ainsi, dès le plus bas âge, il va pouvoir apprendre « les gestes barrières », il va pouvoir construire des barrières mentales, puisque le Covid a restauré le culte des murs. La barrière du masque va devenir naturelle, il ne fera plus de bisous (trop dangereux), il n’aura plus de contact physique (trop dangereux), il entrera naturellement dans le virtuel – l’isolement. Ainsi, le nouveau monde va former une génération faible, intellectuellement, psychiquement, émotionnellement. Donc, une masse qui sera facile à travailler, à manipuler, à gouverner.

Les commerces « non-essentiels » seront fermés. Ainsi, resteront ouverts :

« Concrètement, les commerces alimentaires, à savoir les supermarchés, les épiceries ou encore les boulangeries pourront rester ouverts, tout comme les banques et assurances, les bureaux de tabacs et distribution de la presse, les stations-services, les pharmacies, les hôtels, les établissements de santé, les pompes funèbres ou encore les garages et autres lieux de réparation et entretien automobile ».

Donc, adieu librairies (le livre est vraiment trop dangereux), vêtements, bijoux, etc. Mais, les grandes surfaces vendent des livres, des bijoux, des vêtements … Quelle chance, le Gouvernement va enfin pouvoir détruire le commerce local au profit des grandes surfaces, va enfin pouvoir achever l’économie nationale. Car tout le monde ne perd pas à ce jeu de suicide collectif. Par exemple, les bénéfices nets de Microsoft ont augmenté de 30% déjà cette année. Je ne vous parle même pas des fournisseurs de plateformes comme ZOOM, qui ont littéralement explosé. Celui qui perd, c’est le monde réel, celui qui nous permet de vivre. Les petits commerçants dénoncent cette concurrence déloyale. Et les entreprises qui fonctionnent doivent au maximum passer au télétravail … ou au chômage partiel. Et bien sûr pas de loisirs : vous n’êtes pas là pour ça. Restos, bars, cinémas, théâtres, fermés. Pour le reste, la soumission est la règle et le retour des autorisations de déplacement en est le signe visible.

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La question n’est pas simplement économique. Elle n’est pas économique. On ne résoudra pas le problème en devenant tous des IT manageurs, des livreurs à domicile, des « conseillers » sur plateformes électroniques. En s’enfermant chez soi, avant d’être enfermés dans un caveau. Sur le mode du « il faut s’adapter ». La question est de savoir dans quel monde nous voulons vivre ? La technologie fait partie de notre vie et c’est normal, mais elle ne peut ni remplacer, ni conditionner notre vie.

Le confinement a été possible, car nous avons finalement tout accepté jusque-là. Parce qu’aucune opposition politique n’existe réellement. Parce que les gens sont abandonnés à eux-mêmes, sans aucune structure pour les aider à garder la tête haute.

Parce que ce monde est vraiment global et qu’il a écrasé l’humain. Sa force est de n’avoir laissé aucun espace à la contestation politique, seule la contestation individuelle est possible, qui peut être écrasée (amendes et privation de liberté) et ne présente aucun danger quant à l’exercice du pouvoir. Sa force vient de ce qu’aucune force intellectuelle réelle n’ait pu émerger en tant que force, le conformisme est trop puissant. Et ce ne sont certainement pas des articles de blog ici ou là, quelques déclarations tonitruantes sur les réseaux sociaux, qui vont renverser la vapeur.

Et quelle sera la réaction cette fois ? Ce nouveau monde est dans le réel, seule une action dans le réel peut y mettre fin. Qui sera cet Homme qui osera vivre l’Ultima Verba :

… Quand même grandirait l’abjection publique
A ce point d’adorer l’exécrable trompeur ;
Quand même l’Angleterre et même l’Amérique
Diraient à l’exilé : – Va-t’en ! nous avons peur !

Quand même nous serions comme la feuille morte,
Quand, pour plaire à César, on nous renîrait tous ;
Quand le proscrit devrait s’enfuir de porte en porte,
Aux hommes déchiré comme un haillon aux clous ;

Quand le désert, où Dieu contre l’homme proteste,
Bannirait les bannis, chasserait les chassés ;
Quand même, infâme aussi, lâche comme le reste,
Le tombeau jetterait dehors les trépassés ;

Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche,
Calme, le deuil au cœur, dédaignant le troupeau,
Je vous embrasserai dans mon exil farouche,
Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau !


- Source : Russie politics

Le Songe impérial de Dominique de Roux

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Luc-Olivier d’Algange:

Le Songe impérial de Dominique de Roux

         «  L’existence, c’est quand l’être envoie en exil une expérience particulière de lui-même, qui devient alors souvenir, mémoire, volonté ou désir de retour, sinon revenir. Exister, c’est donc être en exil par rapport à l’être, s’en souvenir et tout sacrifier au retour, ressusciter les choses mortes. Reconquête de tout un art, d’un esprit de renaissance. »

Dominique de Roux

La portée poétique et métaphysique d’une œuvre tend à demeurer méconnue de ceux qui n’en retiennent que la figure humaine qu’elle dessine et le génie du style, en oubliant ce dont il est question, l’action que le Songe précipite comme une matière ardente dans ces conditions nécessaires que sont un destin d’homme et un art d’écrire. Il existerait ainsi, dans une zone antérieure à l’œuvre, comme le sceau d’une empreinte invisible. Qu’en est-il du sceau de l’œuvre de Dominique de Roux ? Quelle est sa mise-en-demeure ? De quelle nature, ouranienne, héliaque, impériale, est l’invisible dans ce que nous voyons d’elle, de ces images qu’elle fait apparaître ? Qu’en est-il des mythes et des Symboles ? Quelle attente ardente brûle dans ces phrases ? Et pour qui ? Une œuvre, et surtout une œuvre laissée en suspens, n’est-elle pas une courbe qui débute avant la page écrite et s’achève après elle ? Faute de se poser ces questions, la littérature des littérateurs, ou des idéologues, ce qui revient au même, nous rattrape, et nous en sommes réduits à juger et à jauger l’œuvre selon des normes sommaires, stéréotypées, grégaires.

le-cinquieme-empire-1239636-264-432.jpg        L’œuvre de Dominique de Roux témoigne d’une stratégie de rupture, mais rupture pour retrouver la plénitude de l’être, à laquelle, selon la théologie apophatique, « tout ce qui s’ajoute retranche ». Il faut donc rompre là, s’arracher avec une ruse animale non moins qu’avec l’art de la guerre (et l’on sait l’intérêt tout particulier que Dominique de Roux porta à Sun Tsu et à Clausewitz) pour échapper à ce qui caractérise abusivement, à ce qui détermine, et semble ajouter à ce que nous sommes, alors que la plénitude est déjà là, dans « l’être-là », dans l’existant pur, lorsque celui-ci, par une succession d’épreuves initiatiques, de ressouvenirs orphiques, de victoires sur les hypnoses léthéennes, devient le témoin de l’être et l’hôte du Sacré.

         La radicalité de Dominique de Roux, ses provocations de Moderne anti-moderne, ne s’expliquent pas autrement : il faut aller au cœur de l’être, résolument, encourir le blâme pour s’établir souverainement dans ce qui nous appartient de toute éternité, s’y établir pour en devenir l’hôte et ne point laisser prise à ce qui, par l’usage quotidien, nous dépossède de sa claire vérité. N’hésitons point alors à encourir le reproche que certains firent à Dominique de Roux : de parler de lui-même en parlant des autres, - reproche mal fondé au demeurant car à parler de ce qu’une œuvre met en mouvement, de ce qu’elle suscite, à s’éloigner du texte et de la biographie, de la linguistique et de la psychologie, ou encore de l’idéologie, qui furent longtemps les seules grilles d’interprétation des critiques ( mais que voir et que vivre derrière des grilles ?), à s’évader de la fausse objectivité où s’exacerbe jusqu’à l’hybris la vanité du savoir, c’est bien une humilité que nous retrouvons, celle de laisser l’œuvre agir sur nous, d’en recevoir, pour nous-mêmes, ce qu’elle veut nous donner, de la lire comme si elle n’avait été écrite que pour nous, de suivre les pistes qu’elle nous indique au lieu, du haut de notre science, de la vouloir démonter, déconstruire, expliquer, comme si nous savions mieux que l’auteur ce dont il s’agit !

Longtemps Dominique de Roux fut notre aîné ; et voici, depuis quelques années, qu'il est notre cadet, qu'il nous devance déjà et encore de sa juvénilité, nous rappelle aux audaces essentielles, nous invite à découvrir et à défendre d'autres oeuvres que la nôtre et nous délivre, par cela même, de la mécanique odieuse de la subjectivité, de cet enfermement dans le « moi », autrement dit, de la « psychologie des larves » dont parlait Novalis, pour solliciter en nous ce songe de grandeur, cette nostalgie impériale qui veut le monde plus grand que ce que nous en pouvons penser. Nous gardons le souvenir des découvertes, des « missions de reconnaissance », où il nous précéda,  de l’aventure prodigieuse des Cahiers de l’Herne, de son ultime revue Exil, où nous retrouvions tout ce qui, ces dernières années, nous avait requis, d'une requête tout autant métaphysique que littéraire, Pessoa, Julius Evola, Valery Larbaud, Knut Hamsun, Céline, Raymond Abellio, Gombrowicz, et parmi les contemporains, Jean Parvulesco, André Coyné, Matthieu Messagier, Patrice Covo…  Les poètes et leurs intercesseurs, les aventuriers du Logos, les « calenders », selon le mot de Gobineau, les Exilés, car depuis que le monde se montre tel que nous le connaissons, les Fils de Roi  sont toujours en exil. Qu’en est-il de l'exil, non point dans l'ailleurs mais dans l'ici-même ?  Qu'en est-il de l'exil ontologique, et non point circonstanciel ou historique ? (1)

71zEV3-Da9L.jpgL'exil, dans un monde déserté de l'être, dans un monde de vide et de vent, où toute présence réelle est démise par sa représentation dans une sorte de platonisme inversé, est notre plus profond enracinement. Et ce plus profond enracinement est ce qui nous projette, nous emporte au voisinage des prophéties. «  Etre aristocrate, que voulez-vous, c’est ne jamais avoir coupé les ponts avec ailleurs, avec autre chose ». Cette fidélité aristocratique, qui scelle le secret de l’exil ontologique, autrement dit, de l’exil de l’être en lui-même, dans le cœur et dans l’âme de quelques uns, est au plus loin de la seule révérence au passé, aux coutumes d’une identité vouée aux processions funéraires : «  Je ne me dédouble pas je cherche à multiplier l’existence, toujours dans le flot des fluctuations, vérités et mensonges qui existent, qui n’existent pas, au bord du langage. »

L’héritage, alors, n’est plus un poids, un carcan de convenances mais un recours, une puissance à celui qui sait de par ses choix « être toujours et partout en territoire ennemi ». Etre en exil, c’est-à-dire au plus proche de l’être, au bord du langage, c’est être offert, comme en sacrifice, à la possibilité d’inventer une écriture dont le tracé, de crêtes en crêtes, d’énigmes en clartés, ravive le pouvoir de « protéger le ciel le plus haut, autrement dit, sa tradition ». Rien de moins conservateur, toutefois, que cette sauvegarde de sa tradition ; nul repli, fût-il stratégique, sur des positions obsolètes. Aux guerres frontales, qui, de notre côté, ne peuvent qu’être perdues, Dominique de Roux préfère les guérillas nuancées de logique taoïste, d’un « ethos » à la Sun Tsu qui feront de cet « anti-moderne » une figure décisive de l’ultra modernité, -autrement dit de la modernité au sens rimbaldien : celle de « l’étincelle d’or », de la fulgurance imprévisible. D’où l’importance de se garder d’être « inébranlable dans ses concepts, catégorique dans ses déclarations, clair dans ses idéologies, féru dans ses goûts, responsable dans ses dires et dans ses actes, précis et cristallisé dans ses manières d’être.»

         Seuls pourront, en territoire ennemi, prolonger ce qui doit l’être, « le plus haut ciel », ceux qui refusent d’endosser un rôle, de se revêtir de la livrée ou de l’uniforme, de simplifier ou de schématiser leurs pensées ou leurs croyances à toutes fins utiles. Ce qui importe n’est point la doxa mais la gnosis, non point la représentation mais la présence réelle, non point l’eau croupie de la citerne mais l’eau vive, non point les mots mais la parole : «  Le présent, donc, le passé ainsi que l’avenir d’une littérature qui est celle dont nous assumons les destinées sont chacun pris à part et tous ensemble, le temps d’un seul et même combat. Le combat de la parole contre les mots, du pouvoir d’intégration contre les puissances de la désintégration, et c’est là le mystère ultime de la parole d’Orphée déchiré par les chiens d’Hécate que sont les mots laissés à eux-mêmes ».

Loin d’être soumission aux prestiges fallacieux de la lettre, à la fascination des « signifiants » et à leurs structures immanentes, l’écriture de Dominique de Roux, au sens où lui-même parlait de l’écriture du Général de Gaulle, ressaisit dans un même combat le passé, le présent et le futur, la nostalgie orphique et le pressentiment sébastianiste, ressaisit, ou plus exactement refonde, la fondation étant aussi fusion dans le creuset alchimique de l’existence voulue comme expression de l’être, le Sens lui-même, le fluidifiant, lui restituant ses impondérables, ses fugacités tremblantes, ses chromatismes insaisissables qui sont le propre de la parole, c’est-à-dire du Logos lorsque de celui-ci ne se sont pas encore emparés les idolâtres et les abstracteurs.

         9782268034195.jpgEcrire sera ainsi pour Dominique de Roux cette action subversive, « ultra-moderne » qui consiste à retourner à l’intérieur des mots la parole contre les mots, à subvertir, donc, l’exotérique par l’ésotérique et à ne plus s’en laisser conter par ceux-là qui oublient que la parole humaine voyage entre les lèvres et les oreilles, comme sur les lignes ou entre les lignes, qu’elle voyage entre celui qui la formule et celui qui la reçoit, comme entre la vie et la mort, le visible et l’invisible : ce profond mystère qui se laisse sinon éclaircir, du moins comprendre, par la Théologie.

         L’ardente polémique contre les diverses cuistreries plus ou moins universitaires qui prévalaient alors, loin de relever seulement d’une joyeuse humeur mousquetaire, se fondait, on ne le vit pas assez, sur une autre vision du langage et du monde, autrement dit de l’écriture comme « praxis » du haut et du profond, du lointain  et de l’immédiat, destinée à lutter contre l’obscurcissement de l’être, contre cette banalité et cet ennui, toujours aux aguets, qui nous envahissent à la moindre inadvertance.

Dominique de Roux fut ainsi bien davantage que « le plus grand éditeur de l’après-guerre » selon la formule perfide de Jean-Edern Hallier qui dut avoir quelque difficulté à comprendre que l’on pouvait être un écrivain de grande race sans être exclusivement tourné vers soi-même. « Editeur », au demeurant, fût-ce « le plus grand » suffit mal à définir l’action de Dominique de Roux dans ce domaine pour autant que sa méthode, si méthode il y eut, fut d’abord de prolonger, de prouver par des actes, ses admirations. Editeur, Dominique de Roux le fut non par défaut mais par surcroît.

Par surcroît aussi, la politique, sujet litigieux. Disons simplement, avant d’en revenir à l’écriture, qu’il n’y a plus à discutailler de son prétendu « fascisme » dès lors que l’on sait que tout ce qui s’est opposé, s’oppose ou s’opposera au monde comme il va globalement a été, est, ou sera traité de « fasciste » par les adeptes de la loi du plus fort et qu’il n’y a pas de rébellion, de « contre-monde », fussent-ils purement contemplatifs, qu’il n’y a pas de métaphysique ou d’esthétique rétives au règne de l’argent et de la technique qui ne seront traités de « fascistes » par les défenseurs, pathétiquement dépourvus d’imagination, de l’ordre établi, comme naguère on réputait hérésiarques Maître Eckhart ou Giordano Bruno. Comme si le fascisme réel, le nazisme opérationnel ne furent pas aussi et d’abord de lourdes collusions entre l’esprit grégaire et les puissances de l’argent et de la technique !

000978428.jpgDes temps où il fut notre aîné, Dominique de Roux nous incita à donner forme à notre dessein. Devenu notre cadet, lorsque nous eûmes dépassé la frontière des quarante-deux ans, son œuvre nous fut cette mise-en-demeure à ne point céder, à garder au cœur la juvénile curiosité, à déchiffrer, dans son écriture aux crêtes téméraires, le sens d’une jeunesse qui, suspendue trop tôt dans l’absence, ne peut finir.  Il y a une écriture de Dominique de Roux, un style, un usage de la langue française en révolte contre cette facilité à glisser, avec élégance, mais sans conséquence, sur la surface du monde. On s’exténue à condamner ou à défendre sa plume de « polémiste d’extrême-droite », alors que ce qui advient dans ces bouillonnements, ces ébréchures, ces anfractuosités n’est autre que la pure poésie.

Sauver la poésie de ce qu’en font les poètes de laboratoire ou les poètes minimalistes ou illettrés, redonner la poésie à la prose et la prose à la poésie ( et je ne vois nul texte dit de « poésie » plus digne du beau nom de poème que La Maison jaune, texte inclassable, lapidaire et mystérieux) ; retrouver de la poésie un à un les pouvoirs, tel fut, semble-t-il le dessein de Dominique de Roux, - d’où l’absurdité de vouloir juger de ses œuvres selon les normes du genre romanesque ou de la prose française néoclassique.

La poésie est aussi présente à chaque page des romans et des essais que du journal et de la correspondance ( dont l’excellente biographie de Jean-Luc Barré nous livre maints extraits inédits) qu’elle est absente de la plupart des recueils de poèmes des « poètes » patentés par  les satrapes du texte à lignes irrégulières qui officièrent alors dans la régulation des petits bouts de proses vantardes qui n’emportent rien sinon la pose de celui qui consent à ne rien dire, à ne rien évoquer, à s’en tenir rigoureusement en deçà du péril lyrique et liturgique du langage en cultivant de molles ambiguïtés par l’utilisation de métaphores discrètes, bien policées, insoupçonnables de moindres « accointances » avec le Sacré, avec le mythe ou avec le tragique, - autrement dit, avec la vérité orphique que l’enfer du décor où nous vivons nous dissimule alors qu’elle est, cette vérité, la seule à pouvoir dire en même temps notre destin et notre anti-destin, notre monde ( c’est-à-dire notre exil) et ce contre-monde qu’il nous faut ourdir en faveur de l’être et contre le néant.

C’est donc bien vers l’écriture de Dominique de Roux qu’il nous faudra nous tourner comme lui-même se tourna par un livre ardent vers l’écriture du Général de Gaulle : écriture des épicentres, non point cette écriture diurne, cette écriture de l’après-midi, coulée d’évidences en évidences au rythme du canotage mais bien une écriture nocturne, s’enroulant autour d’une métaphore solaire, mais d’un soleil en voie de création. D’abord l’Image, et ensuite les mots : «  Ne servir que sa vision ». La rencontre éblouie avec d’autres œuvres, venues là comme des « confirmations », selon le mot de Philippe Barthelet, lui permettra précisément d’échapper au déjà formulé, au banal, au stéréotype et d’aller chercher l’impondérable entre l’œuvre et celui qui la reçoit : ce passage où le Verbe devient silence. L’espace de la passation des pouvoirs, la zone philosophale et « diplomatique » n’est pas le moi fictif, la subjectivité dont le triomphe nous réduit à l’état de mécanique, mais l’expérience métaphysique du Verbe. Ainsi la confrontation explicite avec d’autres œuvres, avec l’encre de sang d’autres « horribles travailleurs » devient fondatrice d’une vérité et d’une liberté essentielle.

81CKBFJlZLL.jpgRien n’importe que « la saison mystérieuse de l’âme». Toutes nos luttes, nos impatiences, et notre solitude conquise et notre exil, nos œuvres, qui ne sont ni des victoires ni des défaites, tout cela, non seulement au bout du compte, mais dès le départ ne vaut que pour ces retrouvailles légères : « Je viendrai en janvier. Je viendrai longtemps. Vous me parlerez encore des jardins et des hommes… dans cette petite salle blanche du monastère qui sent la pomme et le grain, sur cette colline de silence et de beauté, parmi les pluies qui tressent tout autour une saison mystérieuse. Je vous écouterai. Vous calmerez ma foi clignotante comme une étoile. J’enserrerai votre trésor comme un écureuil entre mes mains. »

Dominique de Roux ne fut ni « fasciste » ni « réactionnaire » comme le disent les imbéciles mais anti-moderne (ce qui est tout autre chose et peut-être le contraire) ; et anti-moderne, il faut bien reconnaître qu’il y a de bonnes rasions de l’être pour peu que l’on soit sensible à l’âme des êtres et des choses, à leurs « saisons mystérieuses ». Substituant le confort à la beauté, la prédation à l’héroïsme, le pouvoir de l’argent (qui rend également esclaves les dominants et les dominés) aux jeux divers de la puissance et de la gloire, le monde moderne est cette lèpre, cet enlaidissement général de tout par tous les moyens, y compris ceux de la morale déchue en « moraline », pour reprendre le mot de Nietzsche.

Antimoderne en morale, c’est-à-dire ultra-moderne pour ce qui est de l’inventivité littéraire, penseur paradoxal, c’est-à-dire littéralement en marge de la doxa, de la croyance commune de son temps, aimant le heurt des contradictions, Dominique de Roux fut, à sa façon, le parfait représentant de sa lignée alors que d’autres, qui ne sont point idiots, le voient en rebelle à toute convenance héritée. Or, s’il fut l’un et l’autre, fidèle et rebelle, ce ne fut pas même alternativement mais en même temps, c’est-à-dire dans l’éternité qui, pour éternelle qu’elle soit, ne nous est donnée que par brusques échappées, semblables à ces rafales qui, dans leurs embruns, nous étourdissent.

Dominique de Roux fut cet aristocrate anti-moderne, ce fidèle, ce chevalier, dans le geste même qui affirme la liberté absolue : «  Un nouvel équilibre est à conquérir dans la fièvre » ou encore : «  Il faut rester des hommes libres… Jamais je ne me laisserai prendre dans ma vie à quelque parti que ce soit, droite gauche centre vert bleu hormis celui de l’amitié, de la violence de l’amitié, ses traits bien fermes, ses grandes passes d’ombre, ses vivacités nerveuses, ses inconnues, ses droits. »

283.2541567696_450_285.jpgA l’exigence morale qui consiste à ne pas être là où les autres vous attendent correspondra une écriture aux incidentes imprévisibles où les mots inattendus, dans leurs explosions fixes, captent les éclats du pur instant : «  Par rapport à l’écriture, ni loi, ni science, pas même une destinée ». L’héritage comme force motrice, élan donné, s’oppose à la destinée, forme consentie de la soumission. Du peu de liberté qui nous reste, l’anti-moderne ultra-moderne veut étendre le champ d’action et les prestiges secrets pour aller vers la réalité, tracé de lumière entre deux ténèbres : «  Retrouver la réalité, aller vers le réel, l’élémentaire, vers la mort prévue de l’homme et vers l’homme secret qui vit encore, vers sa réapparition dans la forme nouvelle, dans l’éternelle jeunesse de l’antiforme éternelle ».

S’il faut « jeter par-dessus bord les totems et les tabous de la tribu », c’est-à-dire devenir, selon la  formule d’Al-Hallâj  « un Unique pour un Unique », s’il faut, en même temps, accompagner « la longue marche de l’Occident à son propre être, au-delà du déclin », ce ne saurait être sans le dévoilement de l’écriture par elle-même, où plus exactement, sans le voilement de l’écriture par l’Ecriture qui accomplit à travers elle cette « intelligence prophétique de l’Histoire » cette « expérience du salut, secrète, existentielle » que Dominique de Roux évoquait à propos du Général de Gaulle.

Ecrire, alors, ce n’est plus s’évertuer, dans le néant du sens, à composer un « texte », lui-même destiné aux thanatopracteurs virtuels, universitaires ou journalistes, mais laisser œuvrer en soi la « vague d’assaut », l’action théurgique, d’un « certain retour à la vie ». Ces vagues, toutefois, ne sont pas un vain tumulte mais orbes venues d’une immobilité centrale, d’un cœur de calme infini, là où règnent « les Forts, les Sereins, les Légers » de L’Etoile de l’Alliance, évoquée par Stefan George. « Maintenant, les cercles sont plus lents et plus hauts, c’est le temps de l’exil, de l’écriture ».  Le sens de la tradition, de la fidélité à l’appartenance se révèlent dans la distance et dans la solitude. L’écrivain doit être séparé du monde « pour qu’il lui faille l’imaginer à nouveau et l’aimer autrement, l’unifier et en éclairer toutes les causes, le pénétrer, le vaincre intérieurement, le régénérer. »

Pour témoigner du monde, il faut le porter en soi, et pour le porter en soi, il faut s’en détacher. La politique et l’écriture dévoilante sont à équidistance de ce détachement qui permet de « transcender abruptement l’actualité immédiate, de nouer avec le passé le fil rompu, d’appliquer un De Monarchia. » Point de retour à Ithaque sans l’arrachement, le déracinement, sans l’exil dans le vent et la mer qui nous revêt de « la livrée majeure de l’Esprit ».

dominique_de_roux02_450.jpg« L’exil n’est pas une autre demeure. Il est séparation d’avec notre demeure. L’exil s’accompagne de la volonté de retour. C’est le visage dans les mains de l’homme séparé de lui-même (…) Et si la grande poésie arrache au monde, le développement de l’exil ne concerne pas seulement l’expérience de celui qui le vit, il abandonne les organisations têtes baissées vers la flamme et commence une vie nouvelle, cherchant la passe. »

Cette « passe », impériale et portugaise, passe vers l’écriture à travers la politique et non subordination de l’une à l’autre, comme il en advient aux écrivains dits « engagés ». Loin d’être ce retour contrit à l’Histoire et au collectif des clercs hantés par la conscience malheureuse ou mauvaise, l’engagement de Dominique de Roux se trouve être exactement contemporain de son plus radical désengagement, de sa perception d’un au-delà de l’Histoire, véritable et seul objet de l’enquête : « Le Portugal, parce qu’il croit aux réalités finales a compris, quand le reste de l’Afrique est livré au désordre, que dans le continent noir il ne fallait pas seulement avancer en espace mais aussi en esprit (…). Quand l’histoire européenne est pleine de peuples morts ou moralement détruits par le temps, le Portugal, refusant d’échapper au temps humain, qui est aussi une manière d’échapper aux exigences de la réalité, fait coexister dans son espace planétaire, une réalité humaine universellement pensée et prétendant agir sur l’Histoire ».

Ne pas échapper au temps mais le transmuter de l’intérieur, tel sera le propre du Cinquième Empire que Dominique de Roux entrevoit. C’est aussi toute la différence entre la Révolution et la contre-révolution qui veulent échapper au temps en le niant, en refusant le palimpseste du réel et ce « contraire de la révolution » qu’évoquait Joseph de Maistre qui vainc le temps en opérant à sa transmutation alchimique, providentielle. L’écriture de Dominique de Roux accompagne et souvent précède ces étapes successives, ou ces stations de la conscience où la conscience individuelle devient le miroir ardent de la conscience du monde. A la globalisation uniformisatrice, Dominique de Roux n’oppose pas ces vieilleries du modernisme que sont le nationalisme, le racisme, le pétainisme mais une autre universalité qui est celle du palimpseste, de la mémoire libérée de ses propres représentations, de la mémoire rendue à sa matière fusible, chatoyante et dispersée.

2068280-gf.jpgLe révolutionnaire comme le contre-révolutionnaire sont des nihilistes : ils nient la mémoire réelle, ils veulent, dans l’hybris de leur volonté, conformer le monde à leurs plans : hybris de ménagère et non de conquérant. Il faut défendre sa vision du monde ; mais telle est la limite du colonialisme, il convient que les mondes conquis, et même le monde natal, nous demeurent quelque peu étrangers. Cette étrangeté discrète et persistante est la condition universelle de l’homme que les planificateurs modernes ont en horreur et dont ils veulent à tout prix départir les êtres et les choses au nom d’un « universalisme » qui n’est rien d’autre que la plus odieuse des hégémonies, la soumission des temporalités subtiles de l’âme au temps utilitaire, au faux destin de l’Histoire idolâtrée, à l’optimisme stupide, au nihilisme béat.

Le « code secret du fado », la saudade qui « projette les êtres et les choses hors du temps », sera pour Dominique de Roux le signe du retour, l’aperception directe, en mode visionnaire, d’un horizon paraclétique où s’opèrent les noces de l’eau mercurielle et du feu apollinien, de la nostalgie et du pressentiment : «  Le Cinquième Empire ? L’Empire de la Fin d’après la fin, quand toutes les choses humaines auront été consommées (consumées) et ce qui apparaîtra de l’homme alors, ce sera ce que l’homme aura passé l’histoire entière à gommer, et qui lui reviendra : sa ressemblance. »

Que l’homme soit enfin, et au-delà de toute fin, à sa propre ressemblance comme à la ressemblance de son empire infime et infini sur les êtres et les choses, que notre solitude soit enfin signe et condition de cette amitié divine qu’évoquent Maître Eckhart et Rûmî, qu’une ombre jetée, qui est pure transparence, « antiforme éternelle », entre le monde et nous advienne pour nous réconcilier, l’écriture de Dominique de Roux nous en persuade d’autant mieux qu’elle devance, par un Songe (creuset de la réalité) toute démonstration et toutes arguties : ainsi à la pointe du Songe comme à la pointe du Calame, l’écriture de l’Empire « universel, missionné pour l’éternité » sera désormais  « comme fondu dans l’immensité océanique de son rêve, non point âge de conquérants ou de bâtisseurs, mais de découvreurs, de messagers, de navigateurs sans fin tenant leur raison d’être et leur force de cette absence de fin. »

Le Cinquième Empire appartient au passé autant qu’à l’avenir et quand bien même son attente semble déçue, il appartient encore au présent, à cette « lumière qui persiste identique à elle-même derrière le film » pour reprendre la formule de Nisargadata Maharaj. L’une des énigmes du Cinquième Empire se trouve  paradoxalement chez Gombrowicz dont le parti pris anti-idéologique, le mépris de toute forme collective, l’aristocratisme libertaire sont précisément les plus profondes raisons d’être. C’ est que l’Empire, pour Dominique de Roux, loin d’être un super-état (c’est-à-dire, pour paraphraser Nietzsche, le plus grand des plus froids des monstres froids) serait au contraire, s’il advenait, un espace géopolitique et spirituel d’une « rejuvénation » du monde, d’un retour à cette enfance, à cette adolescence, d’avant les systèmes, à cet Eros premier, cette humeur turquoise, qui précède les adultérations, le sérieux utilitaire, l’esprit « homaisien », le puritanisme, auquel les intellectuels échappent si rarement quand bien même ils se veulent parangons de la « transgression » et de la « dérision » .

51yfsJMYAZL._SX349_BO1,204,203,200_.jpgQue ce monde soit triste, torve, rancuneux et qu’il nous apparaisse tel sans que nous en eussions connu un autre suffit à convaincre qu’il n’est qu’un leurre, un mauvais rêve, un brouillard qui laisse deviner, derrière lui, une vérité éclatante mais encore plus ou moins informulée. Dominique de Roux fut exactement le contraire d’un nihiliste ; loin de nous ressasser que tout a déjà été dit, il nous donne à penser que presque tout reste à dire et même à créer : ainsi le Cinquième Empire dont la venue a pour condition le retour du Roi, un soir de brume sur le Tage ou le Nouveau Règne paraclétique de Stefan George ou encore l’Imam caché du prophétisme ismaélien.

L’attente paraclétique n’est pas le contraire de l’action, quand bien même elle subordonne l’action à la contemplation, l’action n’ayant pour raison d’être que de favoriser les conditions de la contemplation.  Cette attente est une « écriture du monde », et cette écriture est un renouvellement, une « rejuvénation poétique », celle là même que Dominique de Roux chercha chez les poètes de la Beat Génération ou chez les Electriques. De même que pour Sohravardî la prophétie n’était point scellée, que d’autres prophètes pouvaient survenir, croyance qui lui coûta la vie, Dominique de Roux crut en une poésie future, une poésie autre, non encore advenue, celle des « langues de feu » de la Pentecôte, du Paraclet annonçant l’Imperium Amoris, ou celle encore de la « foudre d’Apollon » qui frappa Hölderlin. D’où l’incertitude où nous sommes de savoir si sa vue-du-monde est païenne ou prophétique, inspirée par quelque gnose orphique ou empédocléenne ou inscrite dans l’œcuménisme des racines, des branches, des fleurs et des parfums de la tradition abrahamique.

md30242852158.jpgSi le Paraclet est avenir, s’il est l’eschaton de notre destin, la foudre d’Apollon, elle, est déjà tombée, mais elle est aussi mystérieusement en chemin vers nous, comme voilée, encore insue. De son ultime chantre, ou victime, Hölderlin, qui incarne pour Dominique de Roux « la poésie absolue », il nous reste encore à déchiffrer les traces, ces « jours de fêtes » dans l’éclaircie de l’être, ces silhouettes à la fois augurales et nostalgiques sur les bords précis de la Garonne, dans la lumière d’or de Bordeaux, cet exil en forme de talvera de la patrie perdue et infiniment retrouvée.

 «  Tout recommence » écrit Dominique de Roux et ce recommencement contient en lui l’admirable paradoxe de la coexistence du révolu et du prophétique, dépassant ainsi dans une torrentueuse assomption, l’opposition, somme toute subalterne, de l’anti-modernité et de l’ultra-modernité que nous évoquions plus haut. Le propre du Songe impérial est non seulement d’arracher le politique au despotisme de la société individualiste ou communautariste, de retrouver la dimension historiale et légendaire du destin commun des peuples, des races, des nations, mais aussi, et par cela même, de sauver, en même temps, la fidélité hölderlinienne aux dieux antérieurs et le frémissement annonciateur du Nouveau Règne. La société, dès lors qu’elle est livrée à la goujaterie, à la crétinisation de masse ne saurait en aucune façon trouver en elle-même les ressources du recommencement. Condamnée à l’infantilisme cacochyme, elle laisse jouer, en une apparence de liberté, une alternative emprisonnée dans la conjoncture profane, apoétique, soumise aux aléas des coutumes dévastées. Ces « communautés » que l’on veut opposer à l’individualisme, prises dans le plan général (et donc dépourvue de volume) sont à l’intérieur de la société, comme une âme qui serait emprisonnée dans un corps, comme dans un cachot dont, sauf un gardien muet, tout le monde a oublié l’existence. L’Empire que rêve Dominique de Roux suppose un radical renversement herméneutique : comprendre soudain que ce n’est point l’âme qui gît dans le corps mais le corps qui est dans l’âme, qui est environné d’âme, qui voyage dans l’âme.

A ce point de recouvrance, l’intériorité et l’extériorité ne se distinguent plus  et le temps n’est plus de distinguer l’individu du collectif, le subjectif de l’objectif, une autre logique apparaît  où nous nous apercevons soudain que la clef de notre destin est un « mantra » en accord avec la poésie du monde. Le Cinquième Empire, comme le nouveau règne de Stefan George, comme l’état confucéen rêvé par Ezra Pound, comme la « république » impériale de Valery Larbaud apparurent à Dominique de Roux comme autant de chances offertes à un contre-impérialisme – étant entendu que seule une idée d’Empire, idée au sens platonicien de « forme formatrice » suscitée par l’anamnésis (le ressouvenir d’Hésiode à Hölderlin, en vagues d’or…) disposera de la puissance en songe et en acte de frapper d’inconsistance l’impérialisme brutal, fiduciaire et puritain.

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Gagner la guerre économique - Entretien avec Olivier de Maison-Rouge

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Gagner la guerre économique

Entretien avec Olivier de Maison-Rouge

 
La guerre économique est désormais une réalité bien connue, comprise et anticipée par de nombreuses entreprises. Pour la gagner il faut certes en prendre conscience mais aussi développer un certain nombre d'outils et de stratégies. C'est ce que nous présente Olivier de Maison-Rouge, docteur en droit, avocat, professeur à l'Ecole de guerre économique.  Emission présentée par Jean-Baptiste Noé.
 
 
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Prometheus as a Specter with Jason Reza Jorjani

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Prometheus as a Specter with Jason Reza Jorjani

 
 
Jason Reza Jorjani, PhD, is a philosopher and author of Prometheus and Atlas, World State of Emergency, Lovers of Sophia, Novel Folklore: The Blind Owl of Sadegh Hedayat, Iranian Leviathan: A Monumental History of Mithra's Abode, and Prometheism. Here he describes many facets associated with the archetype of Prometheus: the creator of humanity, the rebel, the trickster, the martyr, the wise titan, the visionary, and the daemonic force behind science and technology. He argues that if humanity does not become conscious of Prometheus' mesmeric power, we will continue to blindly fall under the spell of our technological power – to our own detriment. He maintains that a deeper understanding of Prometheism is an antidote to the pitfalls of either fatalism or authoritarianism. Many viewers will know that Jason Reza Jorjani has suffered from libel and persecution as a result of his, generally misunderstood, political views. He is a brilliant scholar who has now been unfairly disgraced and is forced to fight a legal battle, while continuing his research and writing, without any regular employment. Therefore we have set up this "Go Fund Me" page in order to assist this worthy individual.
 
 
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vendredi, 30 octobre 2020

L’échec spectaculaire de la campagne anti chinoise occidentale

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L’échec spectaculaire de la campagne anti chinoise occidentale

Par Joseph Thomas

Source New Eastern Outlook

Alors même que l’AFP tente de dépeindre une récente réunion des Nations Unies comme une prise de position historique contre ce qu’elle prétend être des violations des droits de l’homme par la Chine dans sa région du Xinjiang, ce même article souligne l’ampleur de l’échec et la diminution de l’influence occidentale en général.

Le titre de l’AFP est le suivant : « Près de 40 nations exigent de la Chine qu’elle respecte les droits des Ouïgours », et note que parmi ces « presque 40 nations″ se trouvent les États-Unis, la plupart des États membres de l’UE, l’Australie ainsi que le Japon et une poignée d’autres États clients occidentaux.

Voila ce que dit l’AFP :

Les États-Unis, le Japon et de nombreux pays de l'UE se sont joints 
mardi à un appel exhortant la Chine à respecter les droits de l'homme
de la minorité ouïgour, exprimant également leur inquiétude quant
à la situation à Hong Kong. "Nous demandons à la Chine de respecter les droits de l'homme, en
particulier les droits des personnes appartenant à des minorités
religieuses et ethniques, notamment au Xinjiang et au Tibet"
, a

déclaré l'ambassadeur allemand auprès des Nations unies, Christoph
Heusgen, qui a dirigé l'initiative lors d'une réunion sur les droits
de l'homme.

L’initiative, signée par 39 nations, a été contrée par une autre présentée par le Pakistan et signée par 55 nations, ainsi que par une autre présentée par Cuba et signée par 45 nations. Ce nombre de signatures est très éloquents à l’égard de la puissance décroissante de Washington et de son ordre international.

Malgré la campagne de propagande anti-chinoise menée par l’Occident et axée sur les abus présumés de la minorité ouïgour du Xinjiang, région à prédominance musulmane, pas une seule nation à majorité musulmane n’a soutenu l’initiative occidentale à l’ONU. En fait, de nombreuses nations à majorité musulmane sont venues à l’aide de la Chine. Il s’agit du Pakistan lui-même, de l’Iran et de la Syrie, mais aussi de l’Irak occupé par les États-Unis et même du Koweït, du Qatar, des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite. Même les nations ayant des conflits territoriaux avec la Chine dans la mer de Chine méridionale et un passé de tensions, notamment le Vietnam et les Philippines, ont soutenu Pékin.

L’Inde, bien que membre du projet anti-chinois « Quad » de Washington, s’est abstenue de signer l’une ou l’autre déclaration, comme un grand nombre d’autres nations clés qui tentent doucement de se réorienter à mesure que le pouvoir mondial se déplace de l’Ouest vers l’Est. Cela inclut la Turquie, membre de l’OTAN, qui a été pendant de nombreuses décennies un fidèle serviteur de l’hégémonie occidentale.

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Pourquoi personne ne s’intéresse à la croisade anti-chinoise de l’Occident ?

Il y a trois raisons principales pour lesquelles la majorité du monde n’est pas intéressée par cette campagne de propagande anti-chinoise menée par les États-Unis.

Premièrement, et c’est le plus important, cette campagne de propagande américaine est basée sur des allégations fabriquées de toutes pièces.

Comme beaucoup d’autres l’ont fait remarquer depuis des années, y compris les médias occidentaux eux-mêmes à un moment donné, la Chine a été confrontée à un problème de terrorisme très réel au Xinjiang. L’actuelle campagne de propagande menée par les États-Unis contre la Chine dépeint les mesures de sécurité et les campagnes de déradicalisation comme des « violations des droits de l’homme », tout en omettant totalement la violence qui les a rendues nécessaires au départ.

Pire encore, des preuves documentées exposent le fait que les États-Unis et leurs alliés étaient à l’origine des efforts visant à radicaliser les extrémistes ouïgours.
Toutes choses étant égales par ailleurs, les nations qui n’ont pas investi dans l’obsession de Washington d’encercler et de contenir la Chine ou qui n’en bénéficient pas n’ont aucune raison d’approuver une campagne de propagande fondée sur des allégations fabriquées de toutes pièces et résultant du séparatisme parrainé par les États-Unis et du terrorisme qui en découle.

En fait, en soutenant la campagne américaine contre la Chine, ils soutiendraient une ingérence qui pourrait un jour se retourner contre eux. La liste des nations que les États-Unis et leurs partenaires ont déjà détruites [ou essayent de détruire, NdT] au cours du seul XXIe siècle est considérablement longue et ne cesse de s’allonger.

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Deuxièmement, les États-Unis et leurs alliés occidentaux n’ont manifestement pas la capacité de contraindre les nations désintéressées à soutenir leur campagne de propagande anti chinoise en cours. Le manque de motivation des nations du monde à y adhérer et le manque de moyens de pression des États-Unis pour les forcer à le faire ont conduit la plupart des nations à soutenir ouvertement la Chine ou à éviter de prendre position.

La troisième est due à l’essor de la Chine. Ses relations internationales sont fondées sur des liens économiques et commerciaux plutôt que sur la force militaire, l’ingérence politique ou d’autres stratégies de « soft power » de l’Occident.

L’essor de la Chine signifie également l’essor de nombreuses nations qui font des affaires avec Pékin. Les projets d’infrastructure, les investissements, le tourisme et le commerce menés par les Chinois dans le monde entier stimulent les économies des nations désireuses de travailler avec la Chine d’une manière que l’Occident ne peut tout simplement pas concurrencer.

Afin de travailler avec la Chine, ces nations doivent contourner l’hostilité croissante de Washington envers la Chine et toutes les façons dont elle se manifeste, comme cette initiative « allemande » qui vient d’être lancée à l’ONU.
L’échec de la propagande du Xinjiang signifie l’échec total de la propagande américaine

Cette dernière initiative de l’ONU marque peut-être l’apogée de la campagne de propagande anti chinoise menée par Washington.

Cette initiative montre à quel point le reste du monde s’intéresse peu à cette campagne et les nombreux mensonges qui ont été révélés au grand jour sont la base de la campagne elle-même. Alors que la Chine poursuit la réintégration de Hong Kong dans le continent après avoir mis fin aux troubles financés par les États-Unis et qu’elle remplace les agitateurs soutenus par les États-Unis dans des endroits comme le Tibet par des progrès économiques, les États-Unis doivent inventer de nouvelles histoires pour attaquer la Chine.

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Mais si le monde ne s’intéresse pas aux mensonges des États-Unis concernant les « millions » de Ouïghours détenus et maltraités dans la région du Xinjiang en Chine, sachant parfaitement ce que font les États-Unis et pourquoi, il y a peu de chances que de nouveaux mensonges aient plus d’attrait dans un avenir proche.

Tant que la Chine restera fidèle à sa stratégie actuelle, qui consiste à apporter la croissance économique et la stabilité politique au monde face à la belligérance et à la coercition des États-Unis, sans avantages perceptibles pour les partenaires potentiels, cette tendance de l’Occident à perdre sa crédibilité, parallèlement au déclin de sa puissance politique, économique et même militaire, se poursuivra.

Ce n’est que lorsque les États-Unis et leurs partenaires restants seront prêts à se réorienter vers ce que le monde est en train de devenir plutôt que vers ce qu’ils souhaiteraient qu’il soit, qu’ils commenceront (comme tout le monde) à profiter pleinement des avantages d’un nouveau monde multipolaire où la souveraineté nationale et le progrès économique, étayés par un équilibre des pouvoirs plus équitable, supplanteront la poursuite destructrice de l’hégémonie mondiale par l’Occident.

Joseph Thomas

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

 

»125 Jahre Ernst Jünger« Götz Kubitschek und Erik Lehnert würdigen Jüngers Geburtstag

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»125 Jahre Ernst Jünger«

Götz Kubitschek und Erik Lehnert würdigen Jüngers Geburtstag

 
 
Der Vortragsabend »125 Jahre Ernst Jünger« wird wegen der Corona-bedingten Verlegung im Live-Stream übertragen.
 
 
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»Das Buch im Haus nebenan« Götz Kubitschek über Ernst Jünger – Das abenteuerliche Herz

 
 
 
Das Abschlußkapitel aus dem "Buch im Haus nebenan" von Ellen Kositza und Götz Kubitschek. Am Buch beteiligt haben sich außerdem Martin Sellner und Caroline Sommerfeld, Erik Lehnert und Benedikt Kaiser, Heino Bosselmann, Thorsten Hinz und Martin Lichtmesz. Jeder von ihnen stellt fünf lebensverändernde Bücher vor.
 

Interview de Thomas Ferrier, leader du Parti des Européens

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« Une Europe qui ne serait pas européenne n’aurait aucun sens »

Interview de Thomas Ferrier, leader du Parti des Européens

Ex: https://barr-avel.blog

Nous proposons aujourd’hui à nos lecteurs une interview de Thomas Ferrier, leader du Parti des Européens et figure de l’européisme identitaire dans le monde francophone. Bien que nous ne partagions pas toutes ses options, il nous semblait intéressant de donner la parole à l’un de ceux qui luttent contre l’impasse souverainiste française.

  • Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et présenter votre parcours politique ?

Thomas FERRIER, 43 ans, dirigeant du Parti des Européens, seul mouvement européiste identitaire assumé. J’ai fait mes classes à proximité de la droite nationale sur un malentendu idéologique, avant de m’en détacher nettement. N’étant pas anti-européen mais au contraire intégralement pro-européen, n’étant pas spécialement catholique puisque païen revendiqué, ne pensant pas que Clovis a créé la France, condamnant l’utilisation de troupes coloniales par la France en 14/18 et 39/45 et la colonisation elle-même, qui a ruiné la France, ce qui m’a valu récemment de perdre ma place sur Radio Courtoisie, j’ai compris l’impasse politique représentée par la fameuse « mouvance » comme ses partisans ont tendance à l’appeler.

  • Vous animez le LPE (Le Parti des Européens), un parti politique (re)fondé en 2016 sur les cendres du PSUNE (Parti socialiste unitaire national-européen). Quels sont les propositions phares du parti et qu’en est-il aujourd’hui de l’implantation du parti à l’échelle européenne ?

La position du LPE est très originale et susceptible potentiellement d’unir l’électorat des deux droites et de mordre sur le centre. Nous défendons en effet une Europe politique bien plus ambitieuse que celle prônée par Emmanuel Macron, démentie chaque jour par ses actes. Nous prônons un Etat européen unitaire se substituant aux Etats existants afin de ne pas avoir à hériter juridiquement et politiquement de leurs trahisons vis-à-vis des peuples qu’ils auraient dû protéger et qu’ils ont livrés au péril migratoire et à la globalisation économique, et maintenant épidémique.

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Mais une Europe qui ne serait pas européenne n’aurait aucun sens. Si l’Europe ne pourrait être qu’une étape aux yeux des euro-mondialistes, pour nous elle est au contraire une finalité et un destin. Les « droites nationales » n’existent que par leur refus, de plus en plus tiède d’ailleurs, de l’immigration post-coloniale et extra-européenne, principalement musulmane mais surtout planétaire. Associer l’Europe politique et la mise en place de processus remigratoires destinés à restaurer l’européanité de l’Europe, c’est unir l’électorat de la droite pro-européenne (pro-€ et pro-intégration) et l’électorat de la droite nationale (anti-immigration).

Le LPE n’est pas connu en dehors de la France aujourd’hui ou à la marge, même si des sections en Albanie, en Suisse et en Russie notamment sont envisagées du fait de soutiens d’un certain nombre de gens de valeur sensibles à notre discours dans ces deux pays. Il est ironique d’ailleurs de souligner que ces pays sont hors de l’UE actuelle, car le LPE se veut un parti de tous les Européens, et pas seulement de ceux de l’UE. Mais nous avons besoin d’une réelle émergence médiatique en France pour pouvoir l’imaginer chez nos voisins. De fait, il faudra bien un Piémont pour démarrer.

  • Quel regard portez-vous sur le Rassemblement National ? Un parti d’opposition peut-il exister à l’heure où le RN s’impose comme leader dans le domaine en France ?

Je considère que le Rassemblement National (ex-Front National) a représenté une véritable duperie, un leurre pour les électeurs qui lui ont fait confiance. Sa mise en avant par Mitterrand était destinée à diviser la droite, et surtout Jean-Marie Le Pen a été son propre bourreau en cédant à la stratégie des bons mots et des provocations stériles sur des sujets mémoriels délicats n’intéressant personne, y compris ses propres électeurs.

Si Jean-Marie Le Pen représentait, malgré sa culture et son talent rhétorique, une impasse, que dire alors de Marine Le Pen qui est dans la même impasse stratégique, mais sans les deux talents susmentionnés. Elle navigue à vue, entouré de courtisans fielleux et de partisans aveugles, après un lamentable débat de second tour en 2017.

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Sa stratégie de dédiabolisation, qui est un échec total, l’amène à avoir aseptisé son discours au moins de le rendre indigeste. Mais elle est sauvée par Macron, qui voit en elle son meilleur adversaire pour sa réélection, et par des media qui continuent de la diaboliser, malgré toutes ses reptations idéologiques. Son soutien aux DOM, Mayotte en tête, comme caution anti-raciste, est pathétique. Elle a renoncé à envisager toute restauration du caractère européen de la France, reprenant les antiennes soraliennes, l’antisémitisme en moins certes. C’est la réconciliation de la carpe et du lapin autour de « l’amour de la France », slogan incantatoire vide de sens. Ainsi, en juillet 2020, explique-t-elle défendre les millions de français d’origine non-européenne contre une minorité nocive. C’est résumer la question au seul prisme sécuritaire et passer la question identitaire sous le boisseau.

Le RN ne s’impose pas. Il est imposé. La gauche est en lambeaux, la droite est en pièces. Par défaut, le RN est la seule opposition, opposition nominale car fondamentalement factice. Marine Le Pen n’a jamais cherché à gagner car elle se sait incapable de gouverner. Mais elle cherche en revanche à maintenir cette rente électorale, qui offre bien des avantages, sans avoir à en assumer les conséquences.

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Un homme nouveau peut-il émerger en vue des élections présidentielles ? Je reste sceptique. On aura toujours à peu près les mêmes. Seul Yannick Jadot (EELV), mais il en est loin, pourrait éventuellement représenter le troisième homme et griller de justesse Macron ou Marine Le Pen, mais j’en doute. Son parti est davantage un boulet à traîner qu’un renfort. Le jeu des élections nationales semble verrouillé mais est-il le véritable enjeu ?

  • Voyez-vous les signes d’un réveil identitaire en Europe aujourd’hui ?

Les populismes de droite progressent et régressent en sinusoïde et en décalé. La Lega en Italie a eu le vent en poupe mais régresse dans les sondages. Le DFP danois est moribond. L’AfD est en crise interne depuis des mois. La droite nationale a disparu en Grèce, en Bulgarie, en Roumanie et dans bien d’autres pays. Certes les Démocrates Suédois sont forts en ce moment, les Vrais Finlandais aussi. Au Royaume-Uni, le « fake nationalism » de UKIP a tout détruit avant de disparaître lui-même. S’il y a un réveil identitaire, c’est en dehors des partis populistes. Or en effet je pense que les Européens sont de plus en plus conscients du péril migratoire et démographique, mais ils ne veulent pas pour autant cautionner des idéologies réactionnaires et europhobes sous prétexte que le Système leur a laissé le monopole de la dénonciation de l’immigration. C’est l’europhobie (en France) ou le cléricalisme (en Pologne) qui décrédibilisent ce courant politique.

  • Envisagez-vous de présenter des candidats aux prochaines élections européennes ?

Si les moyens financiers et humains sont suffisants, et si nous avons pu émerger médiatiquement même à la marge, oui.

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  • Que vous évoque la récente décapitation de Samuel Paty ?

Que la civilisation européenne a été trop permissive depuis 1968 et découvre que l’homme n’est pas bon par nature. Le rêve rousseauiste tourne au cauchemar. Être enseignant en 2020 est un métier compliqué, avec le sentiment d’une hiérarchie pleutre qui cherche à éviter les « vagues ». Et peut mener à l’horreur dont cet enseignant courageux de 47 ans a été la victime, son seul tort aux yeux des fanatiques ayant été d’illustrer concrètement la nécessaire liberté d’opinion et d’expression, fondement de toute démocratie, deux libertés essentielles que même les gouvernements d’Europe occidentale ont tendance à trop souvent vouloir limiter.

  • Peut-on encore changer quelque chose à la situation en France ?

Oui mais pas en restant dans le cadre politique français. Pour guérir la France, il faut bâtir l’Europe unie.

  • Quel regard portez-vous sur la Bretagne et le monde celtique en général ?

Comme la plupart des Français, j’ai une grande part de Gaulois en moi. Mais le gaulois comme langue a disparu au cours du VIème siècle, sous le double coup de la romanisation et de la christianisation. On ne pourra pas le ranimer. Mais on peut en revanche chérir les langues celtiques qui nous rattachent à sa mémoire, et en premier lieu le breton (brezhoneg), qui est assez proche du gallois (cymraeg). Je trouve que la renaissance de la langue cornique en Cornouaille britannique (Kernow) est admirable.

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Je possède pour ma part le dictionnaire breton/français du grand Roparz Hemon. C’est une mine remarquable d’information et de termes, comme drouiz (« le druide »), parmi des milliers d’exemples. On découvre un breton riche et beau, qui donne envie de l’apprendre malgré sa relative complexité. J’avoue que les grammaires de gallois et de gaélique m’effraient parfois à cause de cela. Mais les langues celtiques sont admirables, magnifiques à l’écoute, et je soutiens l’extension maximale de l’apprentissage du breton en Bretagne.

Dans l’Europe Nation, la Bretagne aussi est une nation. Breizh Bro. Tous ceux qui comme vous œuvrent à la défense et à l’illustration des langues celtiques, de la culture celtique, voire de la tradition druidique authentique (je pense à l’éminente revue « Message du Groupe druidique des Gaules » ou à la vieille revue de jadis « Nemeton »), lorsqu’elle n’est pas polluée de délires New Age bien entendu.

  • Comment suivre ou soutenir le Parti des Européens ?

Le LPE utilise les moyens modernes de communication, à défaut de pouvoir accéder aux grands media télévisés qui restent essentiels pour se faire connaître. Il est donc présent par la chaîne youtube « Thomas Ferrier », par le canal telegram (http://t.me/LePartiDesEuropeens), par mon compte twitter (@ThFerrier) ou celui du parti (@PDesEuropeens), par mon blog (http://thomasferrier.hautetfort.com) et par le site du parti (http://psune.fr) où vous pourrez retrouver le programme du parti. Ce dernier est également traduit en anglais, espagnol et italien, et bientôt en russe.

Alexandre Del Valle : "La Turquie s'attaque à la France parce qu'elle est faible"

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Alexandre Del Valle : "La Turquie s'attaque à la France parce qu'elle est faible"

 
 
Avec Alexandre Del Valle, Géopolitologue, enseignant, directeur de recherche au Multipolar World Institute de Bruxelles et au CF2R. Actualité, politique, invités...
 
Du lundi au vendredi, de 12h à 13h20, retrouvez André Bercoff dans tous ses états.
 

jeudi, 29 octobre 2020

Bélarus. L’appel de l’opposition à une « grève générale pour paralyser le pays » ne parvient pas à convaincre les travailleurs

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Bélarus. L’appel de l’opposition à une « grève générale pour paralyser le pays » ne parvient pas à convaincre les travailleurs

Par Moon of Alabama

Le 30 avril 2019 au Venezuela, un certain Random Guyaidó était pris au piège d’une tentative de coup d’État qui s’était transformé en farce lorsque les troupes qu’il avait espéré voir le soutenir ne se sont pas présentées :

La tentative de coup d'État s'est déroulée dans un couloir de 500 x 200 mètres, 
sans que rien de significatif ne se produise en dehors de ce couloir. Un dangereuse
propagande, mais jusqu'à présent rien de plus que cela. Cette légère modification de l’image de Guaidó et López ci-dessous semble appropriée.
Ces mecs ne sont que des comiques, des héros de fantaisie à la noix.

On aurait pu penser que l’échec d’une telle farce aurait mis fin aux tentatives de changement de régime similaires soutenues par l’« Occident ».

Ce n’est malheureusement pas le cas.

En juin 2020, il est devenu évident qu’une révolution de couleur dirigée par les États-Unis était planifiée pour renverser le président biélorusse Loukachenko. Cela s’est produit comme d’habitude après que les résultats des élections ont été mis en doute. Mais quelques jours plus tard, il est devenu évident que la tentative avait échoué :

Alors que le président Alexandre Loukachenko affirmait avoir remporté 80% des voix 
lors de l'élection de dimanche dernier, la candidate "occidentale" Svetlana Tikhanovskaya
affirmait avoir gagné. (Si ces 80 % sont certainement trop élevés, il reste très probable
que Loukachenko ait été le véritable vainqueur). Des protestations et des émeutes ont suivi. Mardi, Mme Tikhanovskaya s'est vu dire en termes très clairs de quitter le pays.
Elle est allée en Lituanie.

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Loukachenko a alors conclu un accord avec la Russie qui lui a promis une protection en échange de progrès dans la création d’un État de l’Union Russie-Biélorussie.

Même l’Atlantic Council, organe proche de l’OTAN, admettait que la tentative de coup d’État avait échoué :

L'auteur conclut à juste titre :

"La résistance du régime de Loukachenko se renforce de jour en 
jour. La Russie semblant désormais soutenir fermement Loukachenko,
des rassemblements photogéniques et des grèves sporadiques ne
suffiront pas à provoquer un changement historique."
C'est fini. Les "grèves sporadiques" n'ont jamais été de véritables actions syndicales.

Quelques journalistes de la télévision d'État biélorusse se sont mis en grève. Ils
ont été licenciés sans cérémonie et remplacés par des journalistes russes. Quelques
centaines d'ouvriers de l'usine de tracteurs MTZ de Minsk ont tenté une grève. Mais
MTZ compte 17 000 employés et les 16 500 autres qui n'ont pas quitté leur poste savent
très bien pourquoi ils ont encore leur travail. Si Loukachenko venait à tomber, il est
très probable que leur entreprise d'État serait vendue pour quelques centimes et remis
immédiatement "à la bonne taille", ce qui signifie que la plupart d'entre eux seront
au chômage. Au cours des 30 dernières années, ils ont vu cela se produire dans tous
les pays autour du Bélarus. Ils n'ont pas envie d'en faire l'expérience eux-mêmes. Lundi, le leader du mouvement de grève à MTZ, un certain Sergei Dylevsky, a été arrêté
alors qu'il cherchait à provoquer d'autres grèves. Dylevsky est membre du Conseil de
coordination autoproclamé de l'opposition qui exige des négociations sur la présidence.
D'autres membres du conseil ont été convoqués pour être interrogés par les enquêteurs
de l’État dans le cadre d'une affaire pénale contre le conseil.

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Pendant ce temps, la malheureuse candidate de l'opposition, Svetlana Tsikhanouskaya, 
qui a faussement prétendu avoir gagné les élections, est toujours en Lituanie. Elle est
censée être professeur d'anglais, mais elle a des difficultés à lire les textes en anglais,
ce qui l'oblige à demander un soutien "occidental" (vidéo). Elle a déjà rencontré plusieurs
hommes politiques "occidentaux", dont Peter Zeimiag, le secrétaire général du parti de
l'Union chrétienne-démocrate allemande, parti de la chancelière Angela Merkel, et le
secrétaire d'État adjoint américain Stephen Biegun. Aucun des deux ne pourra l'aider.

Malgré son manque évident de soutien populaire, Svetlana Tikhanovskaya, comme Juan Guaidó au Venezuela, a été exhortée à faire une nouvelle tentative.

Il y a deux semaines, elle a eu le courage de lancer un ultimatum à Loukachenko pour qu’il démissionne :

Mardi, le leader de l'opposition biélorusse en exil a donné au président Alexandre 
Loukachenko un délai de deux semaines pour démissionner, mettre fin à la violence et
libérer les prisonniers politiques, avertissant qu'il serait sinon confronté à une
grève générale paralysant le pays. Svetlana Tikhanovskaya, qui affirme être la véritable gagnante des élections du 9 août,

a lancé un "ultimatum du peuple", exigeant que Loukachenko quitte le pouvoir avant le
25 octobre et mette fin à la "terreur d'État" déclenchée par les autorités contre les
manifestants pacifiques. "Si nos demandes ne sont pas satisfaites d'ici le 25 octobre, le pays tout entier
descendra pacifiquement dans la rue"
, a-t-elle déclaré dans une déclaration publiée

en Lituanie, où elle est actuellement en exil après avoir quitté le Belarus à la suite
des élections. "Et le 26 octobre, une grève nationale commencera dans toutes les entreprises, toutes
les routes seront bloquées et les ventes dans les magasins d'État s'effondreront"
, a-t-elle

déclaré. "Vous avez 13 jours."

Le 25 octobre, il y a effectivement eu une autre manifestation de taille moyenne à Minsk. Mais ceux qui y ont participé faisaient partie de la classe moyenne supérieure et les personnes les plus aisées, et non les travailleurs de l’industrie et les agriculteurs qui constituent la majorité du peuple biélorusse.

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Mais la grève générale annoncée pour hier n’a eu que peu ou pas de participants :

"Aujourd'hui, la grève du peuple commence - la prochaine étape pour les Biélorusses vers 
la liberté, la fin de la violence et de nouvelles élections"
, a déclaré Mme Tikhanovskaya

lundi. "Les Biélorusses savent que l’objectif principal du 26 octobre est de montrer que
personne ne travaillera pour le régime".
Cependant, malgré la vue de grandes colonnes de manifestants dans les rues - et le

sentiment que la protestation a retrouvé une partie de l'élan qu'elle avait perdu
ces dernières semaines - il n'y a eu aucun signe d'un nombre significatif de travailleurs
dans les usines contrôlées par l’État qui se soient joints à la grève pendant une période
prolongée. ... À l'usine de tracteurs de Minsk, l'une des grandes usines qui font la fierté de l'économie

néo-soviétique de Loukachenko, la plupart des travailleurs semblaient pointer normalement
pour l'équipe du lundi matin. Le leader d'une grève précédente à l'usine en août a été forcé de fuir le pays sous
la pression des autorités, et de nombreux travailleurs craignent des représailles pour
avoir fait grève. Tout au plus, certains travailleurs ont brièvement exprimé leur soutien
à la protestation avant ou après leur quart de travail, mais n'ont pas réellement refusé
de travailler.

Quelques centaines d’étudiants venant de certaines universités ont séché les cours et se sont promenés dans les rues. Mais les travailleurs ont continué à travailler. Aucune route n’a été bloquée. La circulation dans les magasins était normale.

Les travailleurs des industries d’État savent très bien que la plupart d’entre eux se retrouveront sans emploi et pauvres si l’opposition néolibérale, soutenue par l’« Occident », prend le pouvoir en Biélorussie. Tout serait privatisé pour quelques centimes et remis « à la bonne taille » par des licenciements massifs. Ils ont vu cela se produire encore et encore dans chacun de leurs pays voisins.

Juan Guaido a déclaré un coup d’État sans s’être assuré que les soldats qu’il attendait se présenteraient. Les soldats savaient qu’il n’était pas dans leur intérêt de le suivre.

Svetlana « Guaidoskaya » a déclaré une grève générale sans comprendre que les travailleurs auxquels elle faisait appel n’étaient pas intéressés par ses projets néo-libéraux. Le fait qu’elle, ou ses responsables, aient même tenté de provoquer une grève montre à quel point ils ne comprennent pas les véritables préoccupations des travailleurs.

La Biélorussie, comme le Venezuela, a un gouvernement et un système qui est soutenu par la majorité de sa population. Aucun des deux pays ne changera de régime sans une intervention militaire organisée par l’étranger. Ce n’est pas demain la veille.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone

Deux aspects non visibles de la géopolitique

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Deux aspects non visibles de la géopolitique

Par Alastair Crooke

Source Strategic Culture

Au niveau visible, la lutte géopolitique actuelle concerne le maintien de la primauté du pouvoir américain ; le pouvoir financier étant un sous-facteur de ce pouvoir politique. Carl Schmitt, dont les réflexions ont eu une telle influence sur Leo Strauss et sur la pensée américaine en général, préconisait que ceux qui ont le pouvoir doivent « l’utiliser ou le perdre ». L’objectif premier de la politique est donc de préserver son « existence sociale ».

Mais à un niveau moins visible, le découplage technologique vis-à-vis de la Chine est un aspect implicite d’une telle stratégie (camouflé sous le slogan de la récupération des emplois et de la propriété intellectuelle « volés » aux États-Unis) : L’objectif que l’Amérique cherche réellement à atteindre est de s’accaparer, au cours des prochaines décennies, toutes les normes mondiales en matière de technologie de pointe, et de les refuser à la Chine.

Ces histoires de normes peuvent sembler obscures, mais elles sont un élément crucial de la technologie moderne. Si la guerre froide était dominée par une course à la construction du plus grand nombre d’armes nucléaires, la lutte actuelle entre les États-Unis et la Chine, ainsi que vis-à-vis de l’UE, se jouera, au moins en partie, par une lutte pour contrôler l’établissement de normes bureaucratiques qui se cache derrière les industries les plus importantes de l’époque. Et ces normes sont encore à établir.

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La Chine s’est depuis longtemps positionnée stratégiquement pour lutter dans cette « guerre » des normes technologiques (voir « les normes chinoises 2035 », un plan directeur pour la gouvernance de la cybernétique et des datas).

Le même argument est valable pour les chaînes d’approvisionnement qui sont maintenant au centre d’une lutte acharnée qui a des implications majeures pour la géopolitique. Il est difficile et onéreux de démêler le rhizome des chaînes d’approvisionnement construites au cours de décennies de mondialisme : Les multinationales qui vendent sur le marché chinois n’ont pas d’autre choix que d’essayer de rester sur place. Toutefois, si le découplage, qui est un élément clé de la politique étrangère américaine, persiste, des produits allant des serveurs informatiques aux iPhones d’Apple pourraient se retrouver avec deux chaînes d’approvisionnement distinctes, l’une pour le marché chinois et l’autre pour une grande partie du reste du monde. Ce sera plus coûteux et moins efficace, mais c’est la voie que la politique prend (du moins pour l’instant).

Où en sommes-nous dans cette lutte pour le découplage ? Jusqu’à présent, c’est assez confus. Les États-Unis se sont concentrés sur le découplage de certaines technologies de pointe (qui ont également un double potentiel de défense civile). Mais Washington et Pékin sont restés à l’écart du découplage financier (jusqu’à présent), car Wall Street ne veut pas perdre un commerce financier bilatéral de 5 000 milliards de dollars.

Il y a quelques années, lors de leurs déplacements en Europe, les passagers devaient généralement sortir d’un train lorsqu’ils atteignaient la frontière, et passer à un autre train et à d’autres wagons, au-delà de la frontière. Cette pratique existe toujours. Les chemins de fer fonctionnaient sur des voies à écartement totalement différent. Nous n’avons pas encore atteint ce point là en technologie. Mais l’avenir risque de devenir plus complexe, et plus coûteux, si l’Europe, les États-Unis et la Chine adoptent des protocoles différents pour la 5G. Cette technologie, avec sa faible latence, permet d’extraire et de modéliser en temps quasi réel des données très diverses (un facteur qui change la donne pour les systèmes de ciblage de missiles et de défense aérienne, où chaque milliseconde compte).

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Il est donc possible que la 5G soit divisée en deux systèmes concurrents pour refléter les différentes normes américaines et chinoises ? Pour que des étrangers puissent entrer en concurrence, il pourrait être nécessaire de fabriquer des équipements distincts pour ces différents protocoles. Une certaine division est également possible dans le domaine des semi-conducteurs, de l’intelligence artificielle et dans d’autres domaines où la rivalité entre les États-Unis et la Chine est intense. Pour l’instant, les infrastructures russes et iraniennes sont pleinement compatibles avec la Chine. L’Occident n’est pas encore un « système séparé » ; il peut encore travailler avec l’Iran et la Russie, mais la double fonctionnalité dans la sphère technologique coûtera néanmoins, et nécessitera probablement, des aménagements juridiques minutieux, afin d’éviter toute sanction légale ou réglementaire.

Et pour être clair, la bataille pour l’influence sur les normes technologiques est distincte de la « guerre réglementaire » dans laquelle les données, l’IA et les éco-sphères réglementaires sont « balkanisées ». L’Europe est presque inexistante dans la sphère analytique du Cloud, mais elle essaie de rattraper rapidement son retard. Elle doit le faire. La Chine est tellement en avance que l’Europe n’a pas d’autre choix que de se frayer un chemin au bulldozer dans cet espace, c’est-à-dire en « réglementant » les activités américaines dans le Cloud (déjà sous la menace de lois anti-trust) vers l’Europe.

Les entreprises du cloud fournissent à leurs clients un espace de stockage de données, mais aussi des outils sophistiqués pour analyser, modéliser et comprendre les vastes ensembles de données qui se trouvent dans le Cloud. La taille même des ensembles de données modernes a déclenché une explosion de nouvelles techniques pour en extraire des informations. Ces nouvelles techniques sont rendues possibles par les progrès constants de la puissance et de la vitesse de traitement des ordinateurs, ainsi que par l’agrégation de la puissance informatique pour améliorer les performances (connue sous le nom de calcul haute performance, ou HPC).

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Nombre de ces techniques (« extraction de datas », « apprentissage machine », ou IA) font référence au processus d’extraction d’informations à partir de données brutes. L’apprentissage machine fait référence à l’utilisation d’algorithmes spécifiques pour identifier des modèles dans les données brutes et présenter ces données sous forme de modèle. Ces modèles peuvent ensuite être utilisés pour faire des déductions sur de nouveaux ensembles de données ou pour guider la prise de décision. Le terme « Internet des objets » (IoT) fait généralement référence à un réseau d’ordinateurs et de dispositifs physiques connectés qui peuvent générer et transmettre automatiquement des données sur des systèmes physiques. Le « système nerveux » qui sert à la « messagerie corporelle » sera de type 5G.

L’UE réglemente déjà les Big Data ; elle a l’intention de réglementer les plate-formes américaines de Cloud ; et elle cherche à établir des protocoles européens pour les algorithmes (afin de refléter les objectifs sociaux et les « valeurs libérales » de l’UE).

Toutes les entreprises qui dépendent de l’analyse et de l’apprentissage machine dans le Cloud seront donc touchées par cette fragmentation réglementaire en sphères distinctes. Bien entendu, les entreprises ont besoin de ces capacités pour faire fonctionner efficacement la robotique et les systèmes mécaniques complexes, et pour réduire les coûts. L’analytique a permis d’énormes gains de productivité. Accenture estime que l’analytique pourrait à elle seule générer jusqu’à 425 milliards de dollars de valeur ajoutée, d’ici 2025, rien que pour l’industrie du pétrole et du gaz.

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Ce sont les États-Unis qui ont déclenché ce cycle de découplage, mais la conséquence de cette décision initiale est qu’elle a incité la Chine à répondre par son propre découplage des États-Unis, dans le domaine des technologies de pointe. L’intention de la Chine n’est plus simplement de perfectionner et d’améliorer la technologie existante, mais de faire passer les connaissances existantes à un autre niveau technologique (par exemple en découvrant et en utilisant de nouveaux matériaux qui dépassent les limites actuelles de l’évolution des microprocesseurs). [Technologie quantique, NdSF]

Ils pourraient bien réussir, dans les trois prochaines années environ, étant donné les énormes ressources que la Chine consacre à cette tâche (c’est-à-dire aux microprocesseurs). Cela pourrait modifier l’ensemble du calcul technologique, et accorder à la Chine la primauté sur la plupart des domaines clés de technologie de pointe. Les États ne pourront pas facilement ignorer ce fait, qu’ils prétendent ou non « aimer » la Chine.

Ce qui nous amène au deuxième domaine non visible de cette lutte géopolitique. Jusqu’à présent, les États-Unis et la Chine ont largement séparé la finance du découplage principal. Mais un changement substantiel est peut-être en cours : Les États-Unis et plusieurs autres États expérimentent des monnaies numériques émises par leurs banques centrales, et les plateformes internet FinTech commencent à supplanter les institutions bancaires traditionnelles. Pepe Escobar remarque :

Donald Trump réfléchit à des restrictions sur Ant's, Alipay et d'autres plateformes 
de paiement numérique chinoises comme Tencent Holdings... et, comme pour
Huawei, l'équipe de Trump prétend que les plateformes de paiement numérique
de Ant's menacent la sécurité nationale des États-Unis. Il est plus probable que
Trump s'inquiète de ce que Ant menace l'avantage bancaire mondial que les
États-Unis considèrent depuis longtemps comme acquis.

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L'équipe Trump n'est pas la seule. Le gestionnaire de fonds spéculatifs 
américain Kyle Bass, de Hayman Capital, affirme que Ant et Tencent sont
"des dangers visibles et actuels qui menacent la sécurité nationale des
États-Unis plus que tout autre problème"
. Bass estime que le Parti communiste chinois pousse son système de
paiement numérique en yuan vers environ 62% de la population mondiale
d'une manière qui menace l'influence de Washington. Ce qui a commencé
comme un simple service de paiement en ligne s'est depuis fortement
transformé en une véritable jungle de services financiers. C’est en train
de devenir une véritable locomotive en matière de prêts, de polices
d'assurance, de fonds communs de placement, de réservation de voyages
et de toutes les synergies multi plate-formes permettant de réaliser des
ventes et des économies d'échelle. À l'heure actuelle, plus de 90 % des utilisateurs d'Alipay utilisent l'application
pour d'autres raisons que le simple paiement. Cela "crée effectivement un
écosystème en boucle fermée où il n'est pas nécessaire que l'argent quitte
l'écosystème du portefeuille"
, explique l'analyste Harshita Rawat de Bernstein
Research.

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Rawat note que Ant a "utilisé son service de paiement comme une source 
d'acquisition d'utilisateurs pour construire des fonctionnalités de services
financiers plus larges"
. Il s'agit notamment de trouver des moyens de croiser
l’ambition de Ant de devenir le centre de services financiers de la Chine avec
celle d'Alibaba de devenir le principal bazar en ligne... Étant donné que de nombreux Chinois ont déjà téléchargé l'application Alipay,
le PDG Eric Jing envisage d'exporter son modèle à l'étranger. Il collabore avec
neuf start-ups de la région, dont GCash aux Philippines et Paytm en Inde. Ant
prévoit d'utiliser le produit de sa cotation en bourse pour accélérer son pivot
vers l'étranger.

Le point ici est double : La Chine est en train de préparer le terrain pour défier un dollar papier, à un moment sensible de faiblesse du dollar. Et deuxièmement, la Chine met en place une politique de « fait accompli », en façonnant les normes de bas en haut, grâce à l’adoption généralisée de sa technologie à l’étranger.

Tout comme Alipay fait d’énormes percées en Asie, le projet chinois « Smart Cities » diffuse les normes chinoises, précisément parce qu’elles intègrent de nombreuses technologies : Systèmes de reconnaissance faciale, analyse de données volumineuses, télécommunications 5G et caméras IA. Toutes représentent des technologies pour lesquelles les normes restent à définir. Ainsi, les « villes intelligentes », qui automatisent de multiples fonctions municipales, contribuent également à l’évolution des normes chinoises.

Selon les recherches de RWR Advisory, un cabinet de conseil basé à Washington, les entreprises chinoises ont conclu 116 accords pour installer des systèmes de « ville intelligente » et de « ville sûre » dans le monde entier depuis 2013, dont 70 dans des pays qui participent également à l’initiative « Nouvelle Route de la soie ».

La principale différence entre les équipements pour villes « intelligentes » et « sûres » est que le second est principalement destiné à l’enquête et au suivi de la population, tandis que le premier vise principalement à automatiser les fonctions municipales tout en intégrant des fonctions de surveillance. Des villes d’Europe occidentale et méridionale ont signé au total 25 projets de ce type.

Mark Warner, vice-président Démocrate de la commission du renseignement du Sénat américain, voit la menace chinoise en termes très clairs : Pékin a l’intention de contrôler la prochaine génération d’infrastructures numériques, dit-il, et, ce faisant, d’imposer des principes « contraires aux valeurs américaines ». « Au cours des 10 à 15 dernières années, le rôle de leader [des États-Unis] s’est érodé et notre influence pour établir des normes et des protocoles reflétant nos valeurs a diminué », déplore Warner : « En conséquence, d’autres, mais surtout la Chine, ont comblé ce vide pour promouvoir des normes et des valeurs qui profitent au parti communiste chinois ».

Tout indique que l’influence de la Chine sur les normes technologiques mondiales augmente. Mais il est tout aussi certain que la réaction de Washington s’intensifie. Si les États-Unis devenaient plus conflictuels, cela pourrait conduire la Chine à accélérer son évolution vers des alternatives parallèles. Il pourrait en résulter, à terme, une arène où les normes industrielles feraient doublon.

Alastair Crooke

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

État de droit, état d’impuissance ?

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État de droit, état d’impuissance ?

 
 
Ex: https://www.bvoltaire.fr

Après chaque attentat commis en France, les coups de menton du gouvernement se répètent, sempiternels et quasi à l’identique : « Les auteurs de ces attentats seront châtiés, la Justice passera. » On se souvient des déclarations de Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur, à la suite des attentats de 1986 : «  Nous allons terroriser les terroristes… » Il me précisa, lors d’un entretien, que la formule n’était que de communication afin de rassurer l’opinion, le gouvernement n’ayant aucun indice pour frapper les terroristes. Par la suite, les mesures effectives de répression se sont souvent perdues dans les méandres des procédures, judiciaires ou autres.

Après l’odieux assassinat de , Gérald Darmanin annonce l’expulsion de 231 islamistes radicalisés : belle décision, mais sera-t-elle suivie d’effet ?

Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, analyse avec une grande lucidité, dans un article publié par Le Figaro du 22 octobre dernier, les raisons de l’incapacité d’agir des gouvernements. Les autorités françaises se sont laissées enfermer dans les carcans juridiques des multiples textes de défense des droits de l’homme, interprétés strictement par le Conseil d’État, la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel, la Cour européenne de Justice et la Cour européenne des droits de l’homme ().

Jean-Éric Schoettl appelle à modifier la et à renégocier les traités européens pour restaurer notre souveraineté et la primauté des lois françaises sur la jurisprudence des cours qui n’ont de cesse d’encadrer et de limiter l’action régalienne de l’État dont la mission essentielle, ne l’oublions pas, est d’assurer la sécurité des Français.

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Dans l’actuel État de droit, tous les domaines d’action régaliens sont strictement encadrés par la jurisprudence des cours susmentionnées : le regroupement familial, la liberté d’association, l’expulsion des étrangers, le droit d’asile.

Dans ces conditions, la loi nationale est suspendue aux décisions des juges et souvent invalidée. Le vrai législateur n’est plus le Parlement mais les juges. Le gouvernement est sous contrôle permanent, les ministres sont devenus du gibier de mise en examen devant la Cour de justice de la République ! La judiciarisation de notre société est une dérive inacceptable qui paralyse l’action gouvernementale de l’État.

Chaque action des pouvoirs publics doit être, au préalable, analysée au regard des risques juridiques, voire pénaux encourus. Cette situation n’est pas sans rappeler la scène de Louis Jouvet jouant le rôle d’un chef de bande qui préparait ses actions en étudiant scrupuleusement… le Code pénal !

La paralysie de l’action régalienne du gouvernement est incompréhensible pour nos concitoyens qui accueillent au premier degré les déclarations martiales… sans suite ! Cela ne peut perdurer au risque de ruiner, à jamais, toute confiance dans l’autorité.

Il est urgent de restaurer l’autorité de l’État en rétablissant l’ordonnancement juridique naturel fondé sur le suffrage universel national, seul juge dans une démocratie souveraine. Cela passe par une révision constitutionnelle qui rétablisse la supériorité des lois sur les traités et accords internationaux antérieurs (article 55) et précise que l’expulsion des étrangers relève uniquement de l’autorité administrative, en écartant le juge judiciaire (article 66).

Ces propositions vont faire pousser des cris d’orfraie à tous les tenants du « politiquement correct » et à tous les défenseurs qui ont investi en masse ces domaines, que ce soit à titre professionnel ou, pis encore, au nom de leur idéologie.

Mais il y a urgence à agir pour restaurer l’autorité de l’État, car la situation présente nourrit l’extrémisme et les solutions radicales. Il faut, dans le monde inextricable des procédures, trancher le nœud gordien, sans attendre.

Les Technocrates contre le pays réel

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Les Technocrates contre le pays réel

par Jean-Gilles Malliarakis

Ex: https://www.insolent.fr

mercredi, 28 octobre 2020

Valle des Los Caídos : pourquoi tant de polémiques autour d’un temple chrétien?

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Valle des Los Caídos : pourquoi tant de polémiques autour d’un temple chrétien?
 
par Arnaud Imatz
Ex: https://lanef.net

Inaugurée en 1959 par le général Franco et consacrée basilique pontificale en 1960 par le Cardinal Gaetano Cicognani au nom du pape Jean XXIII, la Santa Cruz del Valle de los Caídos (Sainte-Croix de la vallée des morts au combat), fait de plus en plus l’objet de critiques et de condamnations. Les polémiques sur sa signification et sa destination future ont même atteint un sommet, en 2019, à la suite de la décision du gouvernement espagnol de procéder à l’exhumation du corps de Franco. Mais pourquoi tant de controverses autour de ce temple chrétien ?

Il y a déjà des années, Maria Teresa Fernández de la Vega, vice-présidente du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011) souhaitait en faire « un musée de la dictature ». Le président du Forum pour la mémoire voulait qu’il soit converti en musée « des horreurs de la répression ». Plus radical encore, l’écrivain socialiste d’origine irlandaise, Ian Gibson, inconsciemment marqué par les islamistes démolisseurs des Bouddhas de Bamiyan, suggérait sa destruction par dynamitage.

La loi sur la mémoire historique, du 26 décembre 2007, avait provisoirement tranché : la basilique de la Vallée des morts au combat devait continuer d’être un lieu de culte catholique, mais les concentrations politiques y seraient interdites. Cette solution semblait somme toute raisonnable car le monument, alors le plus visité d’Espagne après le palais royal et l’Escurial, était considéré comme une partie intégrante du patrimoine historico-culturel espagnol. Mais la trêve a été de courte durée.

Au lendemain de son arrivée au palais de la Moncloa, en juin 2018, prenant exemple sur son prédécesseur socialiste José Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011), Pedro Sánchez a délibérément relancé la bataille idéologique et mis un terme définitif à l’esprit de la Transition démocratique (1976-1982) qui avait été unanimement loué par la presse internationale. Dès le 15 février 2019, le gouvernement de Sánchez s’est engagé à procéder au plus vite à l’exhumation de la dépouille du dictateur Francisco Franco enterré quarante-trois ans plus tôt dans le chœur de la basilique du Valle de los Caídos. Par la suite, moins d’un an après avoir réalisé le transfert des cendres, le 15 septembre 2020 la coalition gouvernementale socialo-communiste (PSOE-Podemos), a adopté un « Avant-projet de loi de mémoire démocratique » au nom de la « justice historique » et du combat contre « la haine », « le franquisme » et « le fascisme », afin de compléter et de parfaire la loi de mémoire historique de 2007. Le gouvernement socialo-communiste espagnol entend promouvoir la réparation morale des victimes de la guerre civile et du franquisme, « garantir aux citoyens la connaissance de l’histoire démocratique espagnole » et condamner à de lourdes amendes « l’apologie du franquisme et l’incitation à la haine ou à la violence contre les victimes du coup d’État et de la dictature franquiste ».

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Le terrible bilan de la guerre d’Espagne et de ses antécédents (avec notamment le coup d’État socialiste de 1934) et celui de la répression dans l’un et l’autre camp est à ce jour bien connu des historiens. Le coût humain se distribue de façon relativement équilibré bien qu’il ne puisse tenir compte de la diminution régulière du territoire du camp républicain au cours des trois années de conflit : 71 500 morts au combat pour les nationaux et 74 000 pour les républicains, 57 000 victimes d’assassinats et d’exécutions sommaires chez les « nationaux », dont 6964 religieux, et 51 000 chez les « républicains ». Cet équilibre n’est finalement rompu que par les 28 000 exécutions de républicains au lendemain du conflit.

En 1976, lors de l’instauration de la démocratie, la classe politique espagnole désirait avant tout surmonter le passé. Il ne s’agissait pas de l’oublier, comme on le dit trop souvent aujourd’hui, mais de regarder résolument vers l’avenir et de refuser de s’emparer du sujet pour attiser les rancœurs et les luttes partisanes. Cet esprit de la Transition démocratique – esprit de pardon réciproque et de concertation entre gouvernement et opposition –, a désormais vécu. Le pouvoir et les principaux médias ne veulent plus y voir qu’une manipulation éhontée de la justice et de l’histoire, une lâcheté inacceptable. La nation, la famille, la religion (le catholicisme bien sûr, mais aussi plus généralement le christianisme) sont redevenues des cibles privilégiées de la propagande. Le gouvernement de coalition du président Pedro Sánchez (socialiste en rupture avec le modérantisme idéologico-culturel du socialiste Felipe González) et du vice-président Pablo Iglesias (leader de Podemos, parti de marxistes-léninistes et de populistes d’extrême gauche admirateurs des modèles « bolivarien » ou « venezuelien ») n’a de cesse de ranimer la bataille idéologique et de fomenter l’agitation sociale.

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Au fil des ans, le Valle de los Caídos est devenu l’un des piliers de la mythologie « progressiste ». Il est aussi, pour d’autres, un symbole de la lutte pour la liberté d’expression et de culte. Situé à 58 kilomètres de Madrid, l’imposant mausolée de la Sierra de Guadarrama, où reposent à parts égales les restes de 33 847 nationaux et républicains (dont plus de 21 000 identifiés et plus de 12 000 inconnus), a été conçu à l’origine par Franco et les franquistes comme un monument devant perpétuer le souvenir de la « glorieuse Croisade ». C’était le point de vue de l’Église et en particulier celui du cardinal catalan, Primat d’Espagne, Plá y Deniel, en 1945. La composante religieuse avait été, rappelons-le, décisive lors du soulèvement de juillet 1936 et pendant toute la durée de la guerre civile (1936-1939). Près de 7000 prêtres, religieux et religieuses avaient été assassinés (sans compter les milliers de laïcs, éliminés en raison de leur foi), le culte religieux avait été interdit (sauf au Pays Basque) et la destruction des édifices religieux avait été systématique. Quinze ans plus tard, les esprits enfin un peu calmés, le monument avait été présenté officiellement comme un hommage aux combattants des deux camps « au nom de la réconciliation ». Le décret-loi du 23 août 1957 ordonnait d’ailleurs sans ambiguïtés : « En conséquence, ce sera le Monument à tous les morts au combat, sur le sacrifice desquels triompheront les bras pacifiques de la Croix ».

Abrité à l’intérieur de la montagne et couronné d’une Croix monumentale, le temple colossal a été construit entre 1940 et 1958. La direction de l’ouvrage a d’abord été confiée à l’architecte Basque Pedro Muguruza, puis au madrilène Diego Méndez. Ses dimensions pharaoniques permettent d’accueillir 24 000 personnes. La nef ne mesure pas moins de 262 mètres et le transept culmine à 41 mètres. Sur l’esplanade extérieure ce sont pas moins de 200 000 personnes qui peuvent se rassembler. La majestueuse Croix, œuvre de l’architecte Pedro de Muguruza, s’élève à 150 mètres, hauteur à laquelle il faut ajouter les 1400 mètres d’altitude du Risco de la Nava. Deux voitures pourraient se croiser dans les bras de la Croix, qui mesurent chacun 45 mètres de long.

f625ebedf4ebaef2aec8b10186c777e5.jpgJuan de Avalos est le créateur des sculptures, en particulier des gigantesques têtes d’évangélistes au pied de la Croix. Avant la guerre civile, il militait dans les rangs des jeunesses socialistes et détenait la carte d’adhérent nº 7 du parti socialiste de Mérida. Autre détail piquant, le Christ qui domine l’autel majeur et qui repose sur une croix dont le bois de genévrier a été coupé par Franco, est l’œuvre d’un nationaliste basque, le sculpteur Julio Beobide, disciple du célèbre peintre Ignacio Zuloaga. C’est enfin un artiste catalan, Santiago Padrós, qui a conçu et réalisé l’impressionnante mosaïque de la coupole de la basilique (40 mètres de diamètre).

L’édifice religieux comprend non seulement une église monumentale – qui a été visitée et admirée par les futurs papes Jean XXIII et Benoît XVI – mais aussi une abbaye bénédictine et une auberge pour les visiteurs. Jusqu’à la Transition démocratique, il y avait un Centre d’Études Sociales, dont l’objectif était d’étudier, de rassembler et de diffuser la doctrine sociale de l’Église, afin qu’elle inspire les lois, et l’action des hommes d’affaires et des syndicats. L’idéologie du régime de Franco était on le sait marquée par la volonté de reconstruire un État avant tout catholique. C’était pour cette raison que le pape Pie XII avait conféré au généralissime l’Ordre suprême de Notre Seigneur Jésus-Christ, plus haute distinction du Saint-Siège.

L’histoire de la construction de l’ouvrage est l’objet de tous les fantasmes. Les grands médias ont fait état des chiffres les plus extravagants. Le nombre des prisonniers politiques qui auraient travaillé sur le chantier se serait élevé à 14 000 ou 20 000 hommes (voire même selon certains à 200 000). C’est du moins ce qui a été répété à satiété à la suite des élucubrations du socialiste Léo Brincat, responsable du projet de recommandation du Conseil de l’Europe condamnant le régime franquiste (4 novembre 2005). Le chiffre exact des travailleurs-prisonniers n’a pourtant jamais excédé 800 à 1000 hommes, soit moins de la moitié de la totalité des travailleurs présents sur le chantier (prisonniers et salariés libres). À la fin de 1943, la presse espagnole faisait état d’un total de 600 ouvriers. L’architecte, Diego Méndez, affirme pour sa part, dans son livre Valle de los Caídos, Idea, proyecto y construcción, que 2000 hommes au total ont travaillé au Valle entre 1940 et 1958.

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L’un des rares chercheurs, sinon le seul, qui a pris la peine d’analyser méthodiquement le fonds documentaire Valle de los Caídos, aux Archives générales du Palais royal de Madrid (Section administrations générales) est le professeur d’histoire à l’Université CEU San Pablo de Madrid, Alberto Bárcena Pérez, auteur d’une thèse sur la « Redención de penas en el Valle de los Caídos » (La rédemption des peines à la Vallée des morts au combat), et d’un livre sur « Los presos del Valle de los Caídos (Les prisonniers du Valle de los Caídos). Il s’agit de 69 boîtes, dont les milliers de documents lui ont permis de démolir l’image caricaturale qui assimile sans nuances le chantier du Valle aux pires camps de concentration nazis voire, plus rarement, au Goulag soviétique. Les archives de l’ancien Centre d’études sociales du Valle font état d’un chiffre total précis : 2643 travailleurs dont une minorité de prisonniers politiques qui, en principe, « devaient être volontaires et avoir choisi librement le système de réduction de peine par le travail », soit, d’abord, 2 jours de réduction de peine pour un jour de travail, puis, 6 jours pour un jour.

Alberto Barcena précise que les détenus ont effectué les mêmes travaux que les travailleurs libres, dans des conditions identiques de salaires, d’horaires et de nourritures. Les détenus et les travailleurs libres étaient tous embauchés par les entreprises chargées des travaux. Ils devaient présenter leur demande par l’intermédiaire du Patronato de Nuestra Señora de la Merced ou Centre national pour la rédemption des peines, qui avait été crée à cet effet et qui avait son siège au Ministère de la justice. Le salaire des détenus (fixé en fonction de leurs charges familiales) était divisé en trois parties : la partie principale était envoyée directement aux familles par l’intermédiaire des « Comités locaux pro-prisonniers », qui couvraient la majeure partie du territoire national ; une deuxième partie était placée sur un livret dont le montant total était reversé au moment de la libération du détenu ; enfin, une troisième partie était remise en main propre. Les prisonniers politiques ne touchaient pas 0,5 ou 1 peseta par jour comme on l’a souvent écrit, mais 7, puis 10 pesetas, plus des primes pour les travaux dangereux. Leurs familles pouvaient résider dans les baraquements du Valle prévus à cet effet. Les conditions de travail étaient bien sûr extrêmement dures et les salaires plus que modestes, mais il faut rappeler que le niveau de vie en Espagne était alors très bas puisque le salaire moyen d’un assistant d’université s’élevait à peine à 300 pesetas par mois.

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En 1950, neuf ans avant la fin des travaux, en vertu du système de remise de peine, il n’y avait plus un seul prisonnier politique au Valle de los Caídos. Selon les témoignages du docteur, médecin-chef, Angel Lausin et de l’infirmier Luis Orejas (deux partisans du Front Populaire, qui arrivèrent dès le début du chantier comme prisonniers politiques, et qui y restèrent, après avoir exécuté leur peine), en dix neuf ans de travaux, il y eut entre quatorze et dix-huit morts (auxquels il faut ajouter plus de cinquante victimes décédées en raison de la silicose). Enfin, le monument ne fut pas financé par le contribuable espagnol, mais par des dons privés et par les bénéfices de loteries annuelles.

Ultime avatar de l’histoire : la dernière volonté du vieux dictateur Francisco Franco, décédé le 20 novembre 1975, ne fut pas respectée. Le Caudillo souhaitait être enterré au cimetière du Pardo comme d’autres personnalités du régime, mais le chef du premier gouvernement de la Transition, Arias Navarros (1973-1976) et le nouveau chef d’État Juan Carlos (proclamé roi le 22 novembre 1975) en décidèrent autrement. Le roi demanda à la communauté bénédictine, gardienne du Valle et du culte de la basilique, l’autorisation d’enterrer le corps de Francisco Franco au pied de l’autel en face de la sépulture de José Antonio Primo de Rivera, ce qui fut fait, en grande pompe, le 23 novembre 1975.

Quarante-trois ans plus tard, l’exhumation du cadavre de Franco ne pouvait manquer de raviver de vieilles blessures. L’ignorance et la méconnaissance insondables de la majorité des hommes politiques et des journalistes français en matière d’histoire d’Espagne, expliquent l’incompréhension et le parti pris avec lesquels la bataille juridico-politique qui l’a précédée a été accueillie par les grands médias de l’Hexagone. Les explications données par eux ayant été aussi rares que superficielles, il n’est pas inutile de rappeler ici quelques faits ignorés ou passés sous silence.

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La basilique est un lieu de culte dont l’inviolabilité est garantie par un traité international sur la liberté religieuse, signé par l’Espagne et le Saint-Siège en 1979 ; les bénédictins, responsables du monument, dépendent non pas du Vatican mais de l’autorité de leur abbé et de celle l’abbé de l’abbaye de Solesmes supérieur de leur ordre ; la famille Franco a demandé que la dépouille du Caudillo soit transférée dans le caveau familial de la Cathédrale de la Almudena (Madrid), solution jugée inacceptable par le gouvernement socialiste ; enfin, le décret-loi royal a été la source de complications en raison du caractère improvisé de sa rédaction. L’application stricte de ses clauses pouvait entrainer l’exhumation immédiate de 19 moines bénédictins et de 172 personnes, tous morts et enterrés dans le monument après la fin de la guerre civile. Finalement, après que le Tribunal Suprême a donné son aval, la volonté politique du gouvernement a pu s’imposer. Les forces de l’ordre ont procédé à l’exhumation le 24 octobre 2019.

Mais à peine quelques mois plus tard, en pleine pandémie de Covid-19, le gouvernement socialo-communiste a clairement manifesté sa volonté de ne pas en rester là. Il a adopté, le 15 septembre 2020, un « Avant-projet de loi de mémoire démocratique », prévoyant que les moines bénédictins seront expulsés et que José Antonio Primo de Rivera, pourtant lui-même une victime de la guerre civile, sera aussi exhumé. Pendant des mois, un bon nombre de voix officielles ou autorisées se sont jointes aux associations de familles de victimes républicaines pour exiger que des recherches ADN soient effectuées sur les cadavres enterrés dans l’ossuaire du Valle de los Caídos afin de pouvoir récupérer les dépouilles de leurs ancêtres.

Mais l’affaire n’est pas simple. Les restes des 33 847 nationaux et républicains (dont plus de 21 000 identifiés et plus de 12 000 inconnus) sont pour la plupart inextricablement mêlés, du fait des dégradations et des ravages du temps, et un grand nombre de familles refusent que l’on viole la sépulture de leurs aïeux. L’avant-projet de loi prévoit par ailleurs de donner une nouvelle « signification » au monument. La basilique sera-t-elle profanée et reconvertie en ossuaire laïc ou en musée de la guerre civile ? La Croix chrétienne monumentale sera-t-elle démolie ? Les 57 martyrs béatifiés par l’Église, actuellement enterrés dans la chapelle Virgen del Pilar, seront-ils aussi déterrés et déplacés ?

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Ces différentes options sont ouvertement envisagées par les autorités et régulièrement commentées dans les principaux médias. La vice-présidente socialiste, Carmen Calvo, a fait savoir qu’il n’y a pas de « symétrie » possible entre les actes imputables aux ennemis de la démocratie et ceux commis par ses défenseurs ; en d’autres termes, que le camp du « bien » et le camp du « mal » ne sauraient être comparés. Quant au vice-président communiste-léniniste, Pablo Iglesias, il ne cache pas son intention d’abolir la monarchie, déclarant sans détour que « la tâche politique fondamentale » est désormais d’avancer résolument « vers l’horizon républicain ».

Le gouvernement espagnol a l’intention de soumettre au parlement tout un ensemble de projets de lois (sur l’euthanasie, l’interruption de grossesses, l’éducation, le choix en matière de genre, etc.) qui heurte de front les conceptions chrétiennes de la vie et le magistère de l’Église. Lors de l’audience accordée à Pedro Sánchez et à la délégation gouvernementale espagnole, au Vatican, le 24 octobre dernier, le Pape François a rappelé significativement que « les idéologies rendent sectaires et déconstruisent », et qu’un homme politique doit « construire la patrie avec tous ». Mais il est à craindre qu’il n’ait pas été entendu.

Les chrétiens espagnols ont été victimes d’une terrible persécution religieuse pendant la guerre civile. L’Église a béatifié 1915 martyrs de la foi dont 11 ont été canonisés (471 par Jean-Paul II, 530 par Benoît XVI et 914 par François, auxquels une cinquantaine devrait bientôt venir s’ajouter). Doit-elle aujourd’hui rester silencieuse et muette devant l’insolite regain d’agressions et de provocations dont elle est à nouveau l’objet ?

Le gouvernement espagnol ne semble plus rechercher la paix qu’à travers la provocation et l’agitation ; la justice prend la forme de la rancœur ; la démocratie, née de l’esprit de la Transition, se voit bafouée de plus en plus ouvertement. Après plusieurs décennies de relative sérénité, l’Espagne affronte ses moments les plus difficiles depuis la Guerre civile. Rattrapée par ses vieux démons, elle s’enfonce inexorablement dans une crise morale, politique, sociale, sanitaire et économique d’une ampleur dramatique.

Arnaud Imatz

Arnaud Imatz, historien et politologue, né à Bayonne en 1948, est docteur d’Etat en sciences politiques. Fonctionnaire international à l’OCDE puis administrateur d’entreprise, il a notamment publié José Antonio et la Phalange Espagnole et La Guerre d’Espagne revisitée. Auteur de nombreux articles parus en Europe et en Amérique, il a contribué à faire redécouvrir en France l’œuvre de José Ortega y Gasset et de Juan Donoso Cortés. Dernier livre paru : Droite/gauche, pour sortir de l’équivoque (Pierre-Guillaume de Roux, 2016).

© LA NEF le 28 octobre 2020, exclusivité internet

Frithjof Schuon: The Contradiction Of Relativism

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Frithjof Schuon: The Contradiction Of Relativism

 
'The Contradiction Of Relativism' from Logic And Transcendence by Frithjof Schuon
 
To listen to: https://www.youtube.com/watch?v=3v5zNMtMtiM
 

00:52 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, traditionalisme, frithjof schuon | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook