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mardi, 07 janvier 2020

De Byzance à Poutine : la grande stratégie russe et son incompréhension en Occident...

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De Byzance à Poutine : la grande stratégie russe et son incompréhension en Occident...

par Stéphane Audrand

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un texte de Stéphane Audrand, cueilli sur Theatrum Belli et consacré à la grande stratégie russe. Stéphane Audrand est consultant indépendant spécialiste de la maîtrise des risques en secteurs sensibles.

De Byzance à Poutine – Éléments de réflexions sur la grande stratégie russe et son incompréhension en Occident

La Russie effraye, fascine parfois, suscite peurs et antagonismes, mais le plus souvent dans l’incompréhension la plus totale et les clichés les plus simplistes. Son utilisation des instruments de puissance nous échappe, nous déconcerte, voire nous révulse, tant la pratique russe s’éloigne des codes occidentaux et notamment de la dichotomie « soft » et « hard » power.

Ainsi, l’incident en Mer d’Azov en 2018 ou les déclarations de Vladimir Poutine concernant la promesse du « paradis pour les Russes » en cas de guerre nucléaire ont attiré les réflexions les plus baroques [1]. C’est en vain que les commentateurs et les analystes tentent d’appliquer les grilles d’analyse occidentales à la situation russe. Leur inadéquation ne semble avoir pour conséquence que de disqualifier la Russie : ni « occidentale » ni « asiatique », l’espace russe semble failli, voué à l’échec et par conséquent stigmatisé. Par un ethnocentrisme qui serait comique s’il n’était porteur de risques, les Européens comme leurs alliés d’outre-Atlantique multiplient les représentations caricaturales de la politique de Vladimir Poutine, sans en percevoir la logique ou en la dénonçant comme intrinsèquement « mauvaise ». Ainsi, on souligne souvent l’incapacité de Moscou à « terminer » une guerre, citant les situations bloquées de longue date, du Haut-Karabagh à l’Ossétie, du Donbass à la Transnistrie. De même, on s’offusque des menées propagandistes, de l’instrumentalisation du droit international, du double discours, de la prétention russe (censément hypocrite) à négocier tout en bombardant… Comprendre l’autre, principe de base des relations internationales, semble bien difficile s’agissant de la Russie.

Les déterminants de la stratégie russe nous échappent, en grande partie parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans notre héritage occidental de la guerre, dont le modèle mental est marqué par l’apport essentiel de deux auteurs : Saint Thomas d’Aquin et Carl von Clausewitz. Du premier nous avons hérité la propagation occidentale de la théorie de la guerre « juste », seule justification possible au déchaînement de la violence que la tradition romaine et chrétienne du droit ne peut considérer que comme une entorse au gouvernement des lois et à l’injonction de charité. D’où la limitation de la guerre à la puissance publique, au prix d’une cause juste et d’une intention bornée par l’intérêt général [2].

Au second nous devons la mystique de la guerre « totale », moment de la politique qui consiste en un acte de violence pour contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté [3]. Loin d’être antinomique, les deux approches se complètent et toute la théorie dominante moderne des conflits en Occident tourne autour de ces deux môles : il n’est de guerre possible que si elle est légitimée par le droit et la morale et il n’est de guerre envisageable que par la recherche de la victoire, moment politique par lequel le vaincu se soumet au vainqueur, à travers un ensemble de conditions – de capitulations – qui marquent la fin du « temps de guerre » et le retour au « temps de paix », au gouvernement par les lois. L’organisation même de la sécurité collective après 1945 autour de l’idée de l’Organisation des nations unies repose sur ces deux piliers de la guerre « juste » et de la guerre « politique » et marqua le triomphe mondial des conceptions occidentales : la Charte des Nations unies disqualifie la guerre comme « instrument » dans les mains du pouvoir, en dehors du rétablissement collectif de la sécurité ou de la légitime défense individuelle des Etats. Pour aller plus loin, on peut même penser que l’idée que le soft power puisse être décorrélé du hard power est une conséquence moderne de ce raisonnement : la puissance armée ne peut pas être « incluse » dans les autres pouvoirs, elle doit cohabiter « à côté » [4].

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À l’opposé, la pratique russe moderne s’inscrit dans une toute autre tradition épistémologique qui emprunte largement à un héritage byzantin dans lequel le strategikon de l’empereur Maurice remplacerait à la fois Thomas d’Aquin et Clausewitz et ferait figure de « code opérationnel », comme l’a remarqué Edward Luttwak [5]. L’héritage byzantin irrigue la tradition russe de l’usage de la force et de la puissance, et il a influencé à la fois la mystique du pouvoir (impérial ou étatique) et l’exercice de l’usage de la force, qu’elle soit armée ou non. D’une part, il n’y a pas forcément de recherche d’une « victoire » nette, car la perception de celle-ci est différente et car le continuum du pouvoir en action remplace la dichotomie « Guerre et Paix ». C’est l’ascendant qui compte. D’autre part, il n’y a pas la même obsession pour la justice de l’action car le gouvernement des lois n’est pas perçu comme prépondérant. C’est en Occident qu’a émergé l’idée que le princeps, le gouvernant, pourrait lui-même être soumis en temps ordinaire au droit, même lorsqu’il se trouve être le législateur unique [6].

L’Empire byzantin souffre d’une réputation peu flatteuse en Occident, entretenue par des siècles d’ignorance et d’approximations historiques dont la première est bien son qualificatif même. Jamais les habitants de cet empire ne se qualifièrent eux-mêmes de « Byzantins ». En leur temps, ils étaient appelés et se nommaient Romaioi, Romains, parce qu’ils furent d’abord et avant tout, non pas « les continuateurs » de l’Empire romain, mais bien l’empire romain lui-même. Il faut rappeler cette réalité : dans un environnement hostile, entouré d’ennemis, comptant bien peu d’alliés, faisant face aux Perses, aux Slaves, aux Arabes, Turcs et Latins, l’Empire romain d’Orient persista jusqu’en 1453 en tant qu’entité politique. Un empire de plus de mille ans ne peut être réduit à la vision qu’en colporte l’historiographie occidentale, mettant en avant « décadence », « querelles byzantines » et « duplicité » dans le sillage d’Edward Gibbon. Au contraire, il faut reconnaître sa capacité d’adaptation et de reconfiguration, pour tenir compte des affaiblissements qu’il dut affronter et admettre qu’il fut dirigé pendant longtemps par une élite éclairée et soucieuse du bien commun [7].

Le lien historique de Byzance avec la Russie s’est construit par la christianisation des Slaves, du IXe au XIe siècle. Alors que les principautés slaves demeurèrent morcelées jusqu’au XIIIe siècle, la foi orthodoxe fut un ciment certain d’unité sociale et culturelle, à l’image du catholicisme romain en Occident. Pour autant, ce n’est pas avant le XVIe siècle que le « messianisme russe » se développa, quelque soixante ans après la chute de Constantinople. L’idée centrale, mise à profit par l’État moscovite naissant, fait de Moscou la « troisième Rome », celle qui n’échouera pas, après que la première Rome soit tombée sous les coups barbares du fait de son hérésie et la deuxième, Constantinople, sous les coups des Turcs et par la trahison des Latins [8]. Ce messianisme moscovite servit tour à tour l’affirmation du pouvoir tsariste, l’idéologie panslaviste et même, plus tard, le marxisme soviétique. Il se cristallisait toujours autour de l’élection de Moscou comme axis mundi et de la responsabilité russe pour porter la seule civilisation de la « vraie foi » (qu’elle soit orthodoxe ou – momentanément – marxiste-léniniste) [9].

L’examen du « code opérationnel byzantin » et sa mise en regard avec les actions du Kremlin sur la scène mondiale montrent d’importantes corrélations qui s’expliquent par cette tradition de la littérature byzantine, comme si, après une parenthèse rationaliste et « occidentaliste » de quelques siècles ouverte par Pierre le Grand et refermée par Michael Gorbatchev, les Russes renouaient avec leur héritage épistémologique antique, héritage d’ailleurs revendiqué ouvertement par le Kremlin [10]. On voit s’inscrire dans cette tradition orientale une toute autre vision de l’exercice de la puissance, qui préside à la perpétuation d’un empire encerclé par des adversaires multiples et qui voit dans sa perpétuation même son ambition principale. Il faut durer en s’adaptant, malgré les faiblesses de l’Empire.

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Premières similitudes avec l’espace russe actuel, l’encerclement et la perception de menaces multiples, mais aussi l’idée que « vaincre est impossible ». L’Empire byzantin – conservons cette dénomination par commodité – ne pouvait pas compter sur un quelconque verrou territorial pour protéger une géographie exposée de toutes parts. Les Vandales, les Goths, Perses, Slaves, Arabes, Turcs, Latins… Les ennemis se succédèrent sans fin aux frontières de l’Empire et la disparition de l’un ne faisait que la place de l’autre, à l’image des barbares gothiques vaincus en Italie pendant la reconquête justinienne, et qui furent « remplacés » par les Lombards, ruinant les coûteux efforts de l’Empire [11].

Le fait que la Russie actuelle se perçoive comme menacée dans ses frontières continue d’échapper à la majorité des observateurs occidentaux, qui préfèrent mettre en avant l’expansionnisme russe et la menace qu’il représente pour ses anciens États « vassaux ». L’Europe a ainsi totalement épousé le point de vue des États de l’ancien Pacte de Varsovie, sans chercher à comprendre celui de Moscou. Envahie à trois reprises en moins de cinquante ans au début du XXe siècle [12], la Russie ne préserva son indépendance qu’au prix de millions de morts et de destructions d’une ampleur colossale. On peut comprendre que l’idée de l’invasion marqua les esprits et que le recul de la frontière « le plus loin à l’ouest possible » devint une obsession. Si le dénouement du second conflit mondial avait paru enfin donner à l’espace russe la profondeur stratégique nécessaire à sa protection, la liquidation à marche forcée de l’URSS fit reculer la frontière de positionnement des troupes de 1 300 km, de la frontière de l’ex « Allemagne de l’ouest » à celle de la Lettonie. La situation stratégique actuelle de la Russie est objectivement celle d’un empire certes encore puissant militairement, mais affaibli démographiquement, démembré et encerclé, et pas d’une puissance en expansion : les forces de l’OTAN sont à moins de 600 km de Moscou. Les trajectoires économiques et démographiques ont à ce point divergé depuis la chute du Mur de Berlin que la Russie, malgré son territoire et ses immenses ressources, ne dispose plus que de la population combinée de la France et de l’Allemagne et du PIB de l’Italie. Dans ces conditions, peut-on reprocher à Vladimir Poutine de se sentir « menacé » par l’OTAN qui agrège près d’un milliard d’habitants, avec un PIB vingt fois supérieur ? Bien entendu, cela ne doit pas conduire à négliger ou ignorer la menace qu’il peut représenter en retour, mais plutôt à la considérer comme une perception de sa propre faiblesse sur le long terme.

Le pouvoir moscovite est tout simplement conscient qu’il ne peut pas « gagner » face à l’Occident : son objectif de (re)sanctuariser la Russie tout en affaiblissant ses adversaires doit être compris dans ce contexte limité. Du reste, s’il est souhaitable que l’Europe soit faible militairement pour la Russie, elle demeure le client indispensable du gaz russe et se trouve ainsi liée dans une situation de dépendance. Encerclée, la Russie l’est aussi en Asie : le Japon et la Corée du Sud ne sont pas perçus autrement que comme des tremplins américains, tandis que la Chine, partenaire et allié de circonstance, constitue une menace de long terme perçue comme telle à Moscou. La relance favorable des négociations avec le Japon à propos des îles Kouriles est ainsi la concrétisation de cette crainte russe face à la Chine, qui justifie sur le moyen terme une tentative de rapprochement avec les adversaires potentiels de Pékin. Là encore on voit la marque byzantine d’une diplomatie à la fois opportuniste et dénuée d’aprioris moraux : seul compte l’intérêt de l’Empire et s’il est possible de diviser ses adversaires à peu de frais, c’est toujours souhaitable, même au prix de renversements apparents d’alliance. L’instrumentalisation des ventes d’armes à la Turquie est ainsi un bon exemple par lequel, à bon compte, Moscou accentue la division de l’OTAN [13].

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S’il y a utilisation récurrente de la force armée par Moscou depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, c’est d’une part car elle constitue pour l’instant une des dernières cartes maîtresses de la Russie, et d’autre part car la situation russe n’est perçue fort justement que comme ne pouvant qu’inexorablement se dégrader : l’économie de rente reste tributaire du pétrole et du gaz dont les cours sont corrélés, la démographie est sinistrée et les tensions sociales sont à la hausse, ce qui justifie d’agir au plus tôt, l’attente n’étant porteuse que d’une détérioration de la situation globale et d’une réduction des options stratégiques. On évoque souvent les « succès » de Vladimir Poutine, mais on oublie aussi les limites de son action. Ainsi, si la Russie a occupé une place laissée vide au Proche Orient par le recentrage stratégique vers l’Asie voulu par Barack Obama, elle a été incapable de conserver son ancienne influence dans les Balkans, réduite à la Serbie, et dont l’évolution actuelle est beaucoup moins marquée par l’empreinte de Moscou qu’en 1999 pendant la crise du Kosovo. En outre, l’intervention en Syrie ne passionne plus les foules et le pouvoir se fait discret sur le sujet. En Afrique, la Russie a pu avancer, notamment via ses mercenaires et quelques ventes d’armes, comme en Centrafrique, là encore à la faveur du recul des occidentaux, mais la position reste opportuniste et fragile [14].

Cet opportunisme typiquement byzantin s’explique en partie par le manque de moyens, mais aussi par la perception de l’impossibilité pratique de la « victoire », voire de son inutilité : mieux vaut agir quand c’est possible, mais sans se laisser entraîner dans des conflits trop coûteux. Les Byzantins comprirent en effet, tout comme les Russes actuellement, que l’idée de victoire « totale » contre un adversaire puissant était un leurre et que la rechercher faisait courir le risque de la sur-expansion et de l’épuisement : vaincre totalement un adversaire absorbait d’énormes ressources matérielles, humaines et fiscales, usait l’Empire et n’aboutissait, au final, qu’à faire « de la place » pour qu’un nouvel adversaire face auquel la situation impériale serait compromise par l’épuisement. Loin de sécuriser l’Empire, l’anéantissement d’un adversaire était donc perçu comme trop coûteuse et contre-productive, un « paradoxe de la stratégie », compris comme tel, notamment par l’Empereur Isaac Comnène qui théorisait qu’en temps de faiblesse, « l’augmentation est une diminution » [15].

À l’anéantissement, les Byzantins préféraient l’affaiblissement de l’adversaire, en usant d’abord d’influence politique et diplomatique. Le recours à la force était toujours possible, mais ne devait pas placer l’Empire en position de s’épuiser. Cette approche, née dans la douleur face aux Perses, aboutit à la création de « conflits larvés » entre tierces parties, insolubles mais qui divisaient les adversaires tout en les maintenant fixés sur des enjeux mineurs. C’est une approche qui choque en Occident : d’une part nous avons tendance à considérer qu’il doit y avoir « un » adversaire principal (celui contre lequel s’exerce la violence de la guerre juste) et d’autre part qu’il doit être vaincu, totalement, pour résorber la tension morale que crée le conflit. D’où cette impression, absurde à l’échelle historique, que l’Histoire prenait fin en 1989 [16] : l’adversaire principal, l’URSS, s’étant effondré, la victoire mondiale de l’Occident et de son système politico-économique semblait évidente et définitive. Toute conflictualité devenait parfaitement secondaire en l’absence d’adversaire légitime à la démocratie libérale. On sait ce qu’il advint des dividendes de la paix, acquis sous forme de « subprimes »

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Dans l’approche russe, la conflictualité, loin de fragiliser la situation sécuritaire, y contribue dans un paradoxe orwellien qu’on pourrait résumer par « la guerre (larvée) c’est la sécurité ». Ainsi, l’abcès de Transnistrie s’insère comme un « coin » entre Ukraine et Moldavie. De même, l’Ossétie du Sud « fixe » la Géorgie sur le plan territorial, tout comme le séparatisme du Donbass contribue à affaiblir l’Ukraine et sécurise l’annexion de la Crimée : aucun besoin de « résoudre » ces conflits. Dans un cas comme dans l’autre, l’intérêt de Moscou est que cela continue [17]. Même l’intervention dans le conflit syrien doit se comprendre, en partie, comme une action de protection par fixation de l’adversaire aux frontières. Loin d’être une extravagante aventure ultramarine, l’intervention en Syrie en 2015 était perçue à Moscou comme l’impérieuse nécessité de protéger les marches du Caucase. On oublie facilement que la même distance sépare la Russie de la Syrie et Paris de Marseille : environ 650 km. Le containment puis la réduction, en Syrie, de l’enclave djihadiste répond ainsi à un objectif immédiat de protection du Caucase, qui explique notamment la facilitation au départ des djihadistes organisée en sous-main par les services russes, mais aussi le « redéploiement » des survivants en Ukraine après la chute de Daech [18].

Cette compréhension de l’instrumentalisation des conflits non comme un moteur de l’expansion territoriale massive mais plutôt comme une avancée prudente du glacis stratégique par la création d’un « tampon instable » permet ainsi d’analyser le comportement russe actuel. Ayant perdu des provinces perçues comme « historiquement russes » (la Biélorussie, l’Ukraine) ou « indispensables » à la sécurité (Pays Baltes, Géorgie), la Russie cherche à reconstituer un espace stratégique suffisant qui mette Moscou à l’abri de toute tentative étrangère. Ainsi, il ne faut pas tant craindre par exemple une invasion en bonne et due forme de la Pologne ou des Pays Baltes que des tentatives de déstabilisation et de neutralisation, par agitation de minorités, armées à peu de frais avec des surplus d’armements et encadrées par des supplétifs. Or face à ce genre de conflit, l’OTAN, pensé pour les guerres de haute intensité, est démuni. Quelle serait la réaction de l’alliance si la Lituanie ou la Géorgie – si elle finit par rejoindre l’Alliance – invoquaient l’article V du Traité de l’Atlantique nord face à des « bandes armées » ?

Prolongeant l’idée que la conflictualité puisse être contributive à la sécurité dans la durée, la Russie de Vladimir Poutine ne distingue pas « temps de guerre » et « temps de paix » et a une approche globale (on pourrait dire « systémique ») de la diplomatie. Même si les Russes, dans le triomphe rationaliste du XVIIIe siècle, ont pu se rallier, pour un temps au moins et partiellement, à la vision occidentale de la guerre, ils s’en sont éloignés de nouveau, depuis la chute de l’URSS. Ainsi on comprend mieux la stupeur outrée des observateurs qui frappent de duplicité Vladimir Poutine lorsqu’il prétend négocier la paix pendant que l’aviation russe bombarde la Syrie. De même, la volonté de Moscou de discuter en même temps des quotas de gaz transitant par l’Ukraine et du conflit au Donbass, alors que ni les Européens ni Kiev ne voient (ou ne veulent voir) le rapport suscite crispations et incompréhensions. Il ne s’agit là encore que d’un avatar de conceptions occidentales ethno-centrées. Au demeurant, l’idée qu’il y a un « temps pour la négociation » et un « temps pour les armes » qui seraient mutuellement exclusifs est récente et, au final, on peut s’interroger sur sa pertinence. Elle ne se justifiait guère que pendant le second conflit mondial, en raison de la dimension idéologique irréconciliable des forces en présence. Mais une étude de la conflictualité sur le long terme montre que, en Occident comme en Orient, la règle est que les diplomates continuent de se parler pendant les combats. On peut même considérer, comme le suggère Luttwak à propos des Byzantins, que la diplomatie est encore plus importante pendant la guerre car elle permet de recruter de nouveaux alliés tout en divisant les coalitions adverses. En allant plus loin, on peut s’étonner que l’OTAN ait, dans sa doctrine opérationnelle, une vision tout à fait systémique des crises, marquant un continuum du politique à l’économique et au militaire et qui prend en compte les aspects diplomatiques du centre de gravité, mais que les dirigeants de l’Alliance atlantique, eux, soient souvent incapables de s’approprier la vision « technique » de leurs propres états-majors [19].

L’influence et la parole sont également des points de convergence entre la pratique byzantine et russe. Déjà au Moyen-âge, les Latins dénonçaient la « duplicité des Grecs » et se plaignaient de leur manque de parole. L’attachement occidental à la notion de « Vérité » n’a fait que croître avec le triomphe du rationalisme, de la méthode scientifique et du gouvernement par les lois. À l’opposé, Byzantins comme Russes percevaient et perçoivent encore la nécessité de raconter des « histoires » adaptées à chaque situation. Au temps pour les fake news, l’important est pour Moscou d’occuper le terrain de la communication, y compris par la désinformation. La démoralisation de l’adversaire par la mise en avant de ses faiblesses compte plus d’ailleurs que la propagande valorisante et c’est la méthode que pratiquent, au quotidien, Russia Today ou Sputnik. C’est une évolution marquée depuis la chute de l’URSS : Moscou ne cherche plus à proposer un système de valeurs opposé à celui de l’Occident, mais plutôt à le discréditer afin de démoraliser les populations, spécifiquement en Europe, en construisant la prophétie (hélas assez auto-réalisatrice) d’Européens « condamnés car moralement faibles ». L’approche du domaine « cyber » diffère ainsi radicalement de celle de l’Occident, en ce qu’elle s’inscrit dans la continuité avec les sujets informationnels et médiatiques [20].

maskirovka.jpgLe recours à la désinformation d’ailleurs est un des points fondateurs de la « déception » (ruse, diversion, feinte) ou, dans le jargon militaire russe moderne, de la maskirovka. Si des historiens militaires modernes au nombre desquels David Glantz ou Jean Lopez ont exposé l’importance de l’art opératique soviétique et son apport à la pensée militaire moderne, ils sont également mis en exergue le rôle crucial de la déception et de la désinformation pendant l’accomplissement de la manœuvre de haute intensité [21]. Ici se dessine encore la continuité entre opérations armées, diplomatie et influence. Il n’y a pas de soft ou hard power, mais une puissance, que l’on exerce en même temps « par les arts, les armes et les lois ». La déception byzantine ou russe est tout à la fois un outil d’affaiblissement de l’adversaire, le démultiplicateur des forces par la surprise opérationnelle qu’elle permet et le garde du corps mensonger d’une vérité qui doit être gardée secrète : conscients de l’impossibilité de préserver les secrets de manière absolue, les Byzantins le rendaient invisible au milieu du mensonge. Dans ce domaine spécifique du renseignement on voit encore des similitudes frappantes avec la doctrine russe de préservation du secret par le doute et le flou, aux antipodes d’une conception occidentale de préservation du secret par la protection, le silence et la sécurisation d’un fait rationnel unique et univoque.

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Ainsi, la déception offre le bénéfice de créer de la confusion et d’affaiblir l’adversaire sans combat ou en préalable à celui-ci. Un des avantages conférés par la déception est l’économie des forces. Il s’agit là d’un point commun notable entre l’Empire Byzantin et la Russie actuelle : dans les deux cas, on est face à un ensemble impérial disposant de forces de grande qualité, mais coûteuses à reconstituer en cas de pertes. Il faut donc les utiliser avec parcimonie et ne pas hésiter à avoir recours à des alliés, des mercenaires ou des « proxies » qu’on ira chercher avant ou pendant le conflit pour limiter l’engagement des forces impériales. Bien qu’ayant été couramment pratiquée en Occident, la déception semble à la fois passée de mode et emprunte d’inefficacité et de disqualification morale. Sans doute est-ce un avatar de l’obsession de la guerre « juste » : la ruse, le mensonge sont par essence des comportements négatifs qu’un État agissant au nom d’une juste cause devrait se restreindre d’employer. Ainsi se creuse le fossé entre le monde du renseignement et celui des opérations, pour des raisons souvent plus idéologiques qu’organisationnelles [22].

La Russie est sortie des conceptions soviétiques qui prévoyaient l’engagement massif de grands corps blindés pour disloquer en profondeur l’adversaire [23]. L’armée russe rénovée par Vladimir Poutine depuis 2008 s’est reconstituée autour de « pointes de diamant » : des unités de choc équipées en matériel modernisé qui sont, certes, supérieures en effectifs aux forces de haute intensité européennes, mais qui ne peuvent plus compter comme dans les années 1970 sur une écrasante supériorité numérique. Le gros des effectifs demeure équipé d’armes anciennes et n’a qu’une aptitude douteuse à la manœuvre interarmées, tout en pouvant fournir utilement des contingents de blocage, d’occupation ou de disruption. Ainsi, à la manière des Byzantins, les Russes sont intervenus en Syrie de manière limitée, pour « encadrer » leurs alliés. Si l’effort russe, considérable au regard des moyens économiques disponibles, a fourni au régime syrien conseillers, appui aérien et d’artillerie, moyens logistiques, antiaériens et de renseignement, le gros du travail d’infanterie a été fait sur le terrain par les supplétifs de la nébuleuse iranienne, complétés de quelques forces spéciales [24]. L’ère n’est plus à la manœuvre des grands corps blindés de l’Armée Rouge, mais plutôt aux « coups de main » opportunistes, comme dans le Strategikon. La situation dans le Donbass est partiellement similaire. Certes on voit le retour de la « haute intensité » en périphérie de l’Europe avec des engagements de centaines de chars lourds, mais là encore en usant d’unités de supplétifs, de « volontaires » qui permettent de ne pas engager les unités de pointe du dispositif de choc, dont la vocation est à la fois d’impressionner, d’aider à la régénération organique et de constituer une réserve de dernier recours : la Russie n’a pas envie d’affronter l’Occident sur le terrain militaire [25].

Cette mise en perspective de quelques éléments saillants des similitudes entre l’art stratégique et opérationnel byzantin et les manœuvres de la Russie de 2018 permet de mieux cerner à la fois les méthodes de Vladimir Poutine, mais aussi ses limites et les raisons de notre propre incompréhension.

On pourrait objecter que la présence des arsenaux nucléaires rend invalide cette approche, par la transformation profonde de l’art de la guerre. Il n’en est rien. De fait, le paradoxe moderne de la dissuasion serait plus compréhensible pour un penseur byzantin que pour son homologue occidental. L’idée que des armes puissent avoir leur meilleure efficacité par leur inutilisation, tout comme celle que la sécurité puisse être fille de la terreur, sont au cœur du paradoxe de la stratégie, de la résolution du dilemme de la convergence des contraires [26]. Mais le dernier point, peut-être le plus important, dans lequel s’inscrit l’arme nucléaire, est celui que nous avons évoqué en introduction : l’idée de durer. L’arme nucléaire offre un sanctuaire temporel à la Russie. Cette sanctuarisation apparaît particulièrement importante en Orient, face à la poussée chinoise en Sibérie et à la très forte disproportion des forces qui serait celle d’un conflit le long de l’Amour.

Même si elle pourrait apparaître à un penseur marqué par l’idée occidentale de progrès, la perpétuation de la civilisation – russe ou byzantine – comme objectif fondamental de la grande stratégie est certainement un pivot épistémologique important, qui donne une résilience particulière à la société russe en période de crise. Et, au fond, il vaut mieux sans doute avoir un objectif clair mais peu séduisant sur le plan idéologique (celui de durer) que de chercher en circonvolutions quel pourrait bien être l’objectif commun de progrès en Europe, en dehors de l’approfondissement de l’efficacité des marchés et de la concurrence libre et non faussée…

Stéphane AUDRAND (Theatrum Belli, 17 décembre 2019)

Notes :

(1) https://www.dailymail.co.uk/news/article-6292049/Putin-sa...

(2) En toute rigueur, c’est à Cicéron que revient d’avoir formalisé le premier l’idée de la guerre juste, dans La République (II, 31 et III, 37). Repris par Saint Augustin qui y adjoint l’idée chrétienne de contribution au Salut, elle est ensuite formalisée par Thomas d’Aquin. Voir LEVILLAYER A. « Guerre juste et défense de la patrie dans l’Antiquité tardive », in Revue de l’histoire des religions, tome 3, 2010,  p. 317-334.

(3) Définition au chapitre 1 de « De la Guerre », paragraphe 2.

(4) Ce qui n’est finalement que la traduction du fameux « Cedant arma togae, concedat laurea linguae » de Cicéron.

(5) Une grande partie de cet article repose sur les analyses développées par EDWARD LUTTWAK dans son excellent ouvrage La Grande Stratégie de l’Empire byzantin, Paris, Odile Jacob, 2010 (édition originale anglaise 2009).

(6) Sur l’émergence du gouvernement des Lois on pourra se rapporter aux travaux d’Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres, Cours au collège de France, 2012-2014, Paris, Fayard, 2015, 515 pages.

(7) NORWICH, J.J., A Short History of Byzantium, First Vintage Books, New York, 1982, 430 pages, pp. 382-383.

(8) Timothy Ware, L’orthodoxie, Bruges, 1968, DDB, 480 pages, p. 150-151.

(9) Spécifiquement sur le ce « messianisme » on pourra lire DUNCAN P.J.S., Russian Messianism, third Rome, revolution, communism and after, New York, Routledge, 2000.

(10) CHRISTOU T., The Byzantine history of Putin’s Russian empire, sur The Conversation – http://theconversation.com/the-byzantine-history-of-putin...

(11) DUCELLIER A., Byzance et le monde orthodoxe, Paris, Armand Colin, 1986, page 91. L’Empereur Maurice – l’auteur du Strategykon – tenta de se maintenir en Italie largement pour des questions de prestige, et on peut penser que les coûts de cette entreprise pesèrent dans sa réflexion stratégique.

(12) En 1914-17 et en 1941-45 par l’Allemagne et, on l’oublie souvent, en 1920 par la Pologne, dont les troupes s’emparèrent de Kiev et Minsk. L’intervention des puissances occidentales contre la Révolution marqua aussi les esprits car elle montra l’encerclement de l’espace russe, les alliés débarquant sur toutes les côtes de la future URSS.

(13) FACON. I., Export russe des systèmes anti-aériens S-400 : intentions stratégiques, atouts industriels et politiques, limites, Défense & Industrie n°13, juin 2019, 4 pages.

(14) « Russie Afrique : le retour » – Affaires Étrangères du 19 octobre 2019. https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangere...

(15) Cité par DUCELLIER A., op. cit, page 15.

(16) FUKUYAMA F., La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Paris, Flammarion, 1992. Faisons au moins justice à Francis Fukuyama en reconnaissant que son livre comporte bien plus de nuances et d’hésitations sur la validité de sa théorie que ne le suggèrent à la fois ses adversaires et ses thuriféraires.

(17) Autant de crises, dont les ferments étaient connus et documentés depuis la chute de l’URSS. Ainsi, pour le cas de l’Ukraine et de la Crimée, on pourra relire BREAULT Y., JOLICOEUR P. et LEVESQUE J., La Russie et son ex-empire, Paris, Presses de Science Po, 2003, pages 105-115.

(18) https://www.la-croix.com/Monde/Europe/djihadistes-Caucase...

(19) SHAPE, Allied Command Operations – Comprehensive Operations Planning Directive COPD, 2013, 444 pages, voir en particulier pages 21, 26, 63 et 88 à 91.

(20) CONNEL, M. et VOGLER, S., Russia’s Approach to Cyber Warfare, CAN, Washington, 2017, 38 pages, pp. 3-6.

(21) Voir GLANTZ D., Soviet Military Deception in the Second World War, New York, Routledge, 2006.

(22) KEEGAN J., dans son ouvrage Intelligence in War, Londres, Pimlico, 2004, réfléchit ainsi sur les limites du renseignement dans la conduite des opérations. Il s’inscrit plutôt dans le droit fil de Clausewitz pour lequel, face au brouillard de la guerre et aux forces de frictions, il est coûteux et peu efficace de rajouter de la confusion.

(23) Voir LOPEZ J., Berlin, Paris, Economica, 2010, pages 75-88 pour une brillante synthèse francophone de l’évolution doctrinale soviétique de la bataille en profondeur, manœuvre opérationnelle la plus aboutie sans doute de l’ère de la guerre mécanisée.

(24) KAINIKARU S., In the Bear’s Shadow: Russian Intervention in Syria, Air Power Development Centre, Canberra, 2018, 192 pages, pp. 81-96.

(25) Autour de 600 chars ukrainiens. Voir l’audition du général P. Facon par la commission de la défense nationale et des forces armées – CR74 du 25 septembre 2018. Le général Facon note d’ailleurs l’importance du déni d’accès dans l’approche russe, très byzantine : il ne s’agit pas tellement de rechercher la décision de manière immédiate par la manœuvre, le feu et le choc, mais d’entraver la capacité adverse à le faire par déni d’accès terrestre et/ou aérien.

(26) Sur le paradoxe de la stratégie et son prolongement nucléaire, voir LUTTWAK E. N., Le grand livre de la stratégie, Paris, Odile Jacob, 2001, pages 21-23 et 205-207.

lundi, 06 janvier 2020

Sur la Corée du Nord

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Sur la Corée du Nord

par Georges FELTIN-TRACOL

Quand paraît en février 2018 cet ouvrage, les auteurs, spécialistes réputés de la péninsule coréenne, de la Chine et des questions nucléaires, ne cachaient pas leurs inquiétudes à propos d’une éventuelle confrontation armée entre la Corée du Nord et les États-Unis. Ils ne pouvaient pas imaginer que cinq mois plus tard, Donald Trump rencontrerait Kim Jong Un à Singapour. Encouragée par la médiation du président sud-coréen Moon Jae-in, cette réunion exceptionnelle fit tomber la tension. Loin d’être fou ou d’agir d’une façon irrationnelle comme l’affirment à la longueur de journée des médiats stipendiés par les bellicistes yankees, le jeune dirigeant nord-coréen se révèle être un fin politique qui applique autant les conseils de Sun Tzu que les enseignements de Machiavel.

CN-livre.jpgCertes, depuis une seconde rencontre à Hanoï en février 2019 qui fut un échec et une brève entrevue sur la ligne de démarcation de Panmunjom en juin dernier qui fit néanmoins de Donald Trump le premier président des États-Unis à fouler un instant le sol de la République populaire et démocratique de Corée (RPDC), les tensions reprennent entre Washington et Pyongyang en raison de la suffisance des États-Unis incapables de conclure le moindre compromis.

Le traumatisme de la Guerre de Corée

Le monde selon Kim Jong-un est un ouvrage passionnant, fruit du travail des auteurs sur le terrain : Juliette Morillot parle le coréen, se rend régulièrement en Corée du Nord, munie d’un visa officiel de chercheur. En effet, « jouer la carte de la transparence avec Pyongyang est un préalable indispensable afin de comprendre la logique et la démarche du régime. Et non [le] défendre. Il ne sert à rien de jouer au plus malin avec les Nord-Coréens. Ils demandent avant tout du respect et de la reconnaissance (p. 15) ». Cette approche psychologique est capitale pour bien cerner les ressorts intimes d’un peuple qui se souvient, génération après génération, du rôle néfaste des puissances occidentales dans la division inacceptable de la péninsule, de la violente colonisation japonaise et des ravages de la Guerre de Corée (1950 – 1953). Fidèles à leur crapulerie congénitale et à leur couardise légendaire, les Yankees ont bombardé en masse au phosphore et au napalm tous les centres urbains coréens du Nord sans oublier les nombreux crimes de guerre et contre l’humanité perpétrés par les soudards de l’Oncle Sam.

L’accumulation de ces traumatismes successifs explique l’ardeur farouche des Coréens du Nord à conserver leur juche, la politique d’indépendance nationale et d’autosuffisance économique. Certes, « les contraintes géographiques et climatiques limitent naturellement le développement agricole, à moins de lancer un grand programme de mécanisation (p. 49) ». Les auteurs soulignent cependant la nette mutation économique de Pyongyang qui s’apparente maintenant aux villes du littoral chinois avec cette soif de consommation exprimée par « cette nouvelle classe embryonnaire mais puissante des donju (littéralement “ maîtres de l’argent ”, qui à l’origine changeaient des devises et prêtaient de l’argent), composée d’hommes et de femmes d’affaires, d’entrepreneurs, de commerçants (p. 24) ». Ils remarquent en outre la multiplication de « lampadaires à énergie solaire (p. 29) » ainsi que de nombreux panneaux photovoltaïques dans les entreprises et chez les particuliers.

Un État résilient

Que l’Occident l’accepte ou pas, la RPDC est dorénavant une indéniable puissance nucléaire. On oublie que c’est par ailleurs une redoutable puissance informatique avec des hackers bien formés et motivés. « Une cyber-guerre secrète et implacable se déroule entre les États-Unis et la Corée du Nord avec la Corée du Sud en tant que cible intermédiaire (p. 247). » Grâce à un solide maillage diplomatique en Asie et en Afrique, les Coréens du Nord parviennent enfin à contourner les sanctions imposées par le « Machin » onusien toujours incapable de sanctionner à l’identique un petit État proche-oriental qui viole depuis 70 ans le fumeux « droit international ».

Habituée à survivre dans un milieu international hostile, la Corée du Nord montre une belle résilience. Juliette Morillot et Dorian Malovic en profitent pour tacler experts auto-proclamés et journalistes occidentaux paresseux qui ne font que répercuter des mots d’ordre belliqueux lancés par différentes officines d’outre-Pacifique. Le monde selon Kim Jong-un est par conséquent une excellente enquête qui témoigne des changements profonds survenus en Corée du Nord, des transformations matérielles et techniques qui ne modifient en rien son incontestable caractère socialiste et national.

Georges Feltin-Tracol

• Juliette Morillo et Dorian Malovic, Le monde selon Kim Jong-un, Robert Laffont, 2018, 268 p., 18,50 €.

dimanche, 05 janvier 2020

Le point de vue du général Desportes sur l'Otan

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Le point de vue du général Desportes sur l'Otan
Ex: http://www.europesolidaire.eu
Le général français Vincent Desportes vient de donner pour RT France, son avis sur l'Otan  qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de poser la question d'une éventuelle Europe de la défense.

GVD-décider.jpgNous en retenons ici les principaux éléments ici,  car il coïncide parfaitement avec notre propre analyse, exposée dans de nombreux articles. Mais nous allons plus loin que le général Desportes. Si la France voulait récupérer un minimum d'indépendance à l'égard des Etats-Unis, elle devrait quitter l'Otan au plus vite. Charles de Gaulle l'avait compris, qui avait toujours refusé d'entrer dans l'Otan. Mais l'actuel Président de la république française est trop dépendant de Washington, quoiqu'il prétende, pour envisager cette mesure de salubrité. 

La pertinence de l'Otan pour l'Europe.

L'Otan est devenue un protectorat américain dirigé par un allié souvent brutal, parfois méprisant, qui va imposer un certain nombre de conditions commerciales, légales, à ses membres en échange de leur protection.

L''Europe est un continent mature, composé de nations anciennes, qui doit enfin trouver son autonomie stratégique, politique, opérationnelle et capacitaire (au plan des capacités militaires). L'Europe doit être capable d'engager les combats qu'elle a à mener et doit être capable de conduire une politique étrangère qui puisse être différente de celle des Etats-Unis.

L'avenir de l'Europe n'est pas transatlantique, il est eurasiatique

GVD-comprendre.jpgDepuis la chute du mur de Berlin et la dislocation de l'URSS en 1991, l'Otan a perdu sa raison d'être et ses objectifs. Toutefois, même si l'ennemi officiel, aujourd'hui, de l'Otan est le terrorisme, il semblerait qu'elle ait des ennemis officieux, autrement dit la Russie. L'Otan s'étant consolidée dans sa lutte contre l'URSS du pacte de Varsovie, elle revient sans cesse à cet objectif, en tendant à lutter contre la Russie. Il est probable que les tensions qui existent aujourd'hui entre la Russie et l'Otan sont pour une bonne part de la responsabilité de l'Otan et en son sein des Etats-Unis. 

Pourtant, l'avenir de l'Europe n'est pas transatlantique, il est eurasiatique. Il faut donc que l'Europe arrive à vivre dans des conditions raisonnables avec son grand allié, son grand voisin, qui est la Russie. La Russie fait partie de l'Europe, elle a toujours fait partie de l'Europe. Qui plus est la France, en particulier, a toujours eu une relation étroite voire une amitié avec la Russie, même du temps des guerres napoléonienne et de la campagne de Russie . La France et la Russie ont intérêt à bâtir ensemble leur avenir.

L'Europe doit être souveraine, donc elle doit se donner une puissance militaire souveraine.

GVD-tomorrow.jpgCeci signifie la mise en place d'une armée européenne, notamment pour ne plus subir l'extraterritorialité du droit américain et les règles commerciales qui lui sont imposées par Washington. Les pays européens, à cet égard, doivent se réveiller. L'Otan est un marchand de sable qui endort les pays européens en leur disant que les Etats-Unis les protégerons Or aujourd'hui, le parapluie américain n'est plus fiable. Malheureusement l'armée européenne est encore un mirage. L'Europe est encore très loin de créer une armée européenne. Pour que l'Europe soit souveraine et entendue lors de négociations internationales, elle doit posséder une puissance militaire. La France, aujourd'hui, pèse d'avantage que l'Europe parce qu'elle a une puissance militaire et qu'elle peut la déployer., il faut que l'Europe se donne une puissance militaire analogue de manière à pouvoir être entendue.

Référence

https://francais.rt.com/international/69181-vincent-despo...

Washington pourra-t-il obliger l'Ukraine et la Géorgie à entrer dans l'Otan ?

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Washington pourra-t-il obliger l'Ukraine et la Géorgie à entrer dans l'Otan ?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Lors d'une réunion de l'Otan à Washington en avril 2019, les membres de l'Organisation, à l'initiative des Etats-Unis, avaient convenu de renforcer leur soutien à l'Ukraine et la Géorgie face à la « menace russe », notamment dans le domaine de la défense maritime et côtière

Il faut rappeler que ces deux pays ne sont pas membres de l'Otan, mais que leur entrée est en discussion depuis l'année 2000.

Dans le même temps, des navires de guerre de l'Otan et de ces deux pays procédaient à des manœuvres communes en Mer Noire. Il suffit de regarder une carte pour se rendre compte que la Russie dont la Mer Noire est le seul débouché en eau tempérée vers le grand large ne pouvait pas être indifférente à ces perspectives.

La Turquie, la Roumanie et la Bulgarie, elles mêmes membres de l'Otan, ont également des frontières maritimes en Mer Noire. La Mer Noire allait-elle devenir une mer presque totalement aux mains des forces navales et aériennes de l'Otan ?

La Russie ne veut pas s'opposer militairement à une volonté de l'Ukraine et de la Géorgie d'entrer dans l'Otan. Cependant il lui reste des cartes à jouer du fait que l'Ukraine est en conflit intérieur avec les « Républiques » du Donbass et qu'il en est de même de la Géorgie laquelle refuse de reconnaître l'indépendance de ses anciens territoires de l'Abkhasie et de l'Ossétie du Sud. Tant que ces conflits ne seront pas résolus, il y a peu de chances que l'Ukraine et la Géorgie acceptent d'entrer dans l'Otan, sachant très bien que les membres européens de l'Otan n'ont aucun désir de provoquer des conflits avec la Russie au sujet de leurs problèmes de frontière.

De plus, il convient de se demander si le nouveau président de l'Ukraine Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky, soucieux de normaliser ses relations avec la Russie, accepte aujourd'hui de faire le jeu de Washington à propos de l'Otan.

Beaucoup d'hommes politiques européens, bien qu'atlantistes convaincus, commencent selon le mot de l'un d'eux à se demander si appartenir à l'Otan n'est pas devenu aujourd'hui une « insanity ». Ils voient de plus en plus l'Otan comme un dispositif permettant aux industriels américains de l'armement de continuer à leur vendre des équipements militaires de plus en plus coûteux.

Nicolas Sarkozy avait en le grand tort en 2009 d'organiser le retour de la France dans l'Otan, ce qu'avait toujours refusé en son temps Charles de Gaulle. Il est regrettable aujourd'hui qu'Emmanuel Macron ne remette pas en cause cette décision. Elle est totalement en contradiction avec sa volonté proclamée de mettre en place une armée européenne dotée de ses propres commandements et matériels.

Sur la Géorgie, voir wikipedia

Note au 01/01 20h

On lira ici un jugement du général français Dominique Delawarde sur l'Otan. Il ne le dit pas explicitement, réserve oblige, mais ses propos confirment la teneur de notre article. L'Otan est une nuisance que la France devrait quitter au plus tôt.
https://theduran.com/nato-general-delawarde-assesses-final-london-declaration/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=the_duran_daily&utm_term=2020-01-01

Tras el asesinato de Soleimani, ¿más cerca de la trampa de Tucídides?

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ANÁLISIS

Tras el asesinato de Soleimani, ¿más cerca de la trampa de Tucídides?

  • Que Irán responderá, no hay duda; el dónde y el cómo, determinará si se tratará de un episodio más en el conflicto o definirá una nueva fase
  • Israel y EEUU nos pueden estar conduciendo a una nueva guerra en una zona vital para los intereses europeos. Para España no se trata de algo ajeno

Tras el asesinato del jefe de la Fuerza Quds, nada será igual ya en Oriente Próximo. Soleimani era un dirigente fundamental del régimen iraní y estaba en el ojo de mira de la CIA y del Mossad desde hace tiempo. La administración norteamericana (Israel siempre estará al lado, cuando no delante), en momentos difíciles para Donald Trump, golpea durísimamente a Irán y agudiza todas las tensiones existentes en la zona. La respuesta de este país no se hará esperar. ¿Habrá escalada? No se puede descartar. Lo que está claro es que EEUU e Israel se arrogan el poder para intervenir en cualquier lugar del mundo para eliminar a sus supuestos enemigos aunque sea violando el derecho internacional y la Carta de las Naciones Unidas. En este caso, se ha asesinado a un destacado militar iraní en Bagdad.

Como es sabido, la invasión de Iraq cambió profundamente el mapa político en esa parte crucial del mundo. EEUU, no solo no sacó ventajas de esa guerra, sino que, en muchos sentidos, la perdió. El conflicto sirio aclaró aún más la correlación de fuerzas existente. Todo se ha movido. Rusia retorna como actor principal en la zona; Turquía gana autonomía y define con mucha claridad sus intereses estratégicos que, como estamos viendo, llegan al conjunto del Mediterráneo, empezando por Libia. Arabia Saudí se convierte progresivamente en una gran potencia militar e interviene en Yemen, en una guerra -hay que subrayarlo- que no está ganando, e Irán refuerza decisivamente su papel en los tres mundos en los que Soleimani se ha movido con pericia: Iraq, Siria y el Líbano.

EEUU e Israel viven una situación interna bastante parecida: bloqueo político y elecciones en el horizonte. Netanyahu, acorralado por la corrupción, se prepara para unas nuevas elecciones; Trump a la espera del impeachment y con unas elecciones menos inciertas que las de su aliado israelita. Ambos necesitados de dar sensación de poder, de fortaleza y de capacidad para matar a sus adversarios, lo que suele favorecer en campaña electoral. El tema, sin embargo, va más allá: el Estado de Israel no está dispuesto a consentir la existencia de una potencia que pueda poner en peligro sus intereses vitales que, como es sabido, son los de toda esa zona. Lleva años intentando intervenir en Irán. Una operación de este calibre difícilmente se podría hacer sin su colaboración y ayuda logística. Hay que insistir, como señalaron Mearsheimer y Walt, que Israel es un actor interno en EEUU, es decir, tiene tal influencia y poder en sus instituciones, que es capaz de determinar, en muchos sentidos, la política que hacen las distintas administraciones norteamericanas.

Que Irán responderá, no hay duda; el dónde y el cómo, determinará si se tratará de un episodio más en el conflicto o definirá una nueva fase donde la guerra de alta intensidad volverá a aparecer en la zona. La situación es propicia para los que quieren resolver, de una vez por todas, la cuestión iraní y terminar con el régimen de los ayatolás. Israel está en ello. La reacción de Rusia y Turquía tampoco se hará esperar mientras la guerra sigue tanto en Siria como en Yemen.

Hace unas semanas, el presidente Macron hablaba de que la OTAN estaba en muerte cerebral y planteaba pasar página, retomando una nueva política de defensa y de seguridad para una Europa más soberana. Merkel y Trump respondieron afirmando la necesidad de la OTAN en momentos de cambios geopolíticos profundos. Si alguna vez la UE fuese capaz de definir sus intereses estratégicos reales en el Mediterráneo y, específicamente, en el Oriente Próximo, tomaría nota de que Israel y EEUU nos pueden estar conduciendo a una nueva guerra en una zona vital para los intereses europeos. Para España no se trata de algo ajeno. Por lo pronto, la administración Trump plantea reforzar su presencia en Rota y no sabemos con precisión si también en Morón. El nuevo gobierno pronto deberá definir su posición.

vendredi, 27 décembre 2019

Nouvelle menace américaine sur la souveraineté européenne

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Nouvelle menace américaine sur la souveraineté européenne

Par Pascal Boniface (revue de presse : pascalboniface.com – 23/12/19)*

Ex: http://www.france-irak-actualite.com

Le président Donald Trump vient de prendre un décret présidentiel appelant à geler les avoirs des compagnies engagées dans la construction du pipeline Nord Stream 2 permettant d’exporter du gaz russe en Europe via la mer Baltique. Il s’agit donc, de la part des États-Unis, de menaces de sanctions lourdes à l’encontre de sociétés non américaines, pour des opérations menées en dehors du territoire américain. C’est tout le « charme » du caractère extraterritorial de la législation américaine : une loi décidée en fonction des intérêts américains peut avoir des effets à l’échelle mondiale.

Aussitôt, la compagnie suisse Allseas stoppait ses travaux et l’avenir du gazoduc semblait compromis. L’ensemble des sociétés de taille à être investies sur ce chantier ont des activités aux États-Unis et la crainte de sanctions les tétanise donc. Deux sénateurs américains, Ted Cruz et Ron Johnson, avaient averti le PDG d’Allseas d’arrêter immédiatement et de laisser le pipeline inachevé, l’alarmant que si l’entreprise essayait de façon insensée de le terminer, il prendrait le risque de mettre sa compagnie en faillite.

La dollarisation de l’économie internationale et l’affirmation de la législation extraterritoriale des États-Unis rendent crédible cette menace. Bien avant l’élection Donald Trump, de nombreuses compagnies européennes ont été condamnées à de lourdes amendes, avoisinant au bas mot, sur les 10 dernières années, 40 milliards de dollars. On se rappelle que la BNP (sous le mandat de Barack Obama) avait été condamnée à une amende de 9 milliards de dollars pour être intervenue au Soudan et en Iran.

Cette décision est motivée en apparence par la volonté de ne pas renforcer la Russie coupable d’avoir annexé la Crimée. La Russie, qui dépend toujours aux 2/3 de l’exportation de matières premières énergétiques pour se procurer des devises, en est en effet la première victime. Mais l’Allemagne, qui devait recevoir principalement ce gaz, est également impactée. La chancelière Merkel a dénoncé une interférence dans les affaires intérieures allemandes. Mais ira-t-elle au-delà de cette protestation verbale ?

Le pipeline Nord Stream 2 évite stratégiquement les pays baltes, la Pologne et l’Ukraine, pays très proaméricain. L’ambassadeur américain en Allemagne n’a pas hésité à présenter cette mesure comme pro-européenne, puisqu’il s’agit de refléter les inquiétudes de ces pays. Derrière cette décision se cache surtout une volonté américaine de pouvoir plus facilement exporter son pétrole et son gaz de schiste, pourtant plus cher que le gaz russe.

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Les États-Unis utilisent donc la menace de sanctions pour faire avancer leurs intérêts économiques. Et surtout pour imposer leurs décisions et priver les autres pays, aussi bien rivaux qu’alliés, de pouvoir prendre souverainement les leurs. Après l’interdiction d’acheter du pétrole à l’Iran, les menaces par rapport aux investissements à Cuba, c’est une nouvelle atteinte fondamentale à la souveraineté des pays européens. Il y a une très grande contradiction entre le fait d’appartenir à la même alliance et d’être aussi peu considérés par le leader du principal pays de l’alliance. Aucun pays ne porte plus atteinte à la souveraineté des pays européens que leur allié américain aujourd’hui. Combien de temps les pays européens vont-ils accepter cela ?

Les Américains reprennent en fait à leur compte le principe de « souveraineté limitée », forgé par Brejnev en 1968 à propos de la Tchécoslovaquie en particulier, et des pays du Pacte de Varsovie en général. Emmanuel Macron avait déclaré que l’OTAN était atteinte de « mort cérébrale ». C’était en fait une vision optimiste. L’OTAN est toujours bel et bien vivante, voire même très contraignante, mais elle ne joue plus le rôle de protecteur par les États-Unis des Européens. Elle joue le rôle de castrateur stratégique des ambitions européennes. Il est vraiment temps pour les Européens de sortir du somnambulisme stratégique qui les conduit à ne pas s’opposer aux Américains en échange d’une protection face à une menace hier soviétique réellement existante, aujourd’hui russe, gonflée artificiellement, pour maintenir leur imperium sur les Européens.

Pascal Boniface est politologue, fondateur et directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)

*Source : pascalboniface.com

mardi, 24 décembre 2019

La stratégie US et ce que nous coûte la guerre des gazoducs

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La stratégie US et ce que nous coûte la guerre des gazoducs

par Manlio Dinucci

Ex: http://www.zejournal.mobi

 
 

Après avoir interdit de laisser le Chinois Huawei concourir aux appels d’offres pour la 5G, les États-Unis interdisent aux Européens d’accroitre leur approvisionnement en gaz russe. Si la première décision visait à maintenir la cohérence de l’Otan, la seconde ressort non pas d’une russophobie, mais de la « doctrine Wolfowitz » de 1992 : ne pas laisser l’UE devenir un compétiteur de « l’Empire américain ». Dans les deux cas, il s’agit d’infantiliser l’UE et de maintenir en situation de dépendance.

Alors qu’ils se battent dans un dur affrontement pour destituer le président Trump, Républicains et Démocrates déposent les armes pour voter au Sénat presque à l’unanimité l’imposition de lourdes sanctions contre les sociétés participant à la réalisation du North Stream 2, le doublement du gazoduc qui à travers la Baltique apporte le gaz russe en Allemagne. Sont touchées les sociétés européennes qui participent au projet de 11 milliards de dollars, désormais réalisé presque à 80 %, avec la société russe Gazprom, l’Autrichienne Omy, la Britannico-hollandaise Royal Dutch Shell, la Française Engie, les Allemandes Uniper et Wintershall, l’Italienne Saipem et la Suisse Allseas qui prennent part à la pose des conduites.

Le doublement du North Stream augmente la dépendance de l’Europe au gaz russe, avertissent les États-Unis. Ils sont surtout préoccupés par le fait que le gazoduc —en traversant la mer Baltique dans des eaux russes, finlandaises, suédoises et allemandes— contourne les Pays de Visegard (République Tchèque, Slovaquie, Pologne et Hongrie), les États baltes et l’Ukraine, c’est-à-dire les pays européens les plus liés à Washington par l’OTan (auxquels s’ajoute l’Italie).

La mise pour les États-Unis, plus qu’économique, est stratégique. Ce que con-firme le fait que les sanctions sur le North Stream 2 font partie du National Defense Authorization Act, l’acte législatif qui pour l’année fiscale 2020 fournit au Pentagone, pour de nouvelles guerres et nouvelles armes (y compris spatiales), la colossale somme de 738 milliards de dollars, auquel s’ajoutent d’autres postes portant la dépense militaire états-unienne à environ 1 000 milliards de dollars. Les sanctions économiques sur le North Stream 2 s’insèrent dans l’escalade politico-militaire contre la Russie.

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Une confirmation ultérieure se trouve dans le fait que le Congrès US a établi des sanctions non seulement contre le North Stream 2 mais aussi contre le Turk-Stream qui, en phase finale de réalisation, va apporter du gaz russe à travers la mer Noire jusqu’en Thrace orientale, la petite partie européenne de la Turquie. De là, par un autre gazoduc, le gaz russe devrait arriver en Bulgarie, en Serbie et dans d’autres pays européens. C’est la riposte russe au coup porté par les États-Unis, qui en 2014 réussirent à bloquer le gazoduc South Stream. Celui-ci aurait dû relier la Russie à l’Italie à travers la mer Noire et par la terre jusqu’à Tarvisio (Udine). L’Italie serait ainsi devenue une plate-forme d’aiguillage du gaz dans l’UE, avec de notables avantages économiques. L’administration Obama réussit à faire échouer le projet, avec la collaboration de l’Union européenne même.

La société Saipem (Groupe italien Eni), touchée à nouveau par les sanctions états-uniennes sur le North Stream 2, fut déjà lourdement touchée par le blocage du South Stream : elle perdit en 2014 des contrats d’une valeur de 2,4 milliards d’euros, auxquels se seraient ajoutés d’autres contrats si le projet avait continué. Mais personne à l’époque, ni en Italie ni dans l’UE, ne protesta contre l’enterrement du projet opéré par les États-Unis. Maintenant que sont en jeu les intérêts allemands, s’élèvent en Allemagne et dans l’Ue des voix critiques sur les sanctions US contre le North Stream 2.

On ne dit rien par contre sur le fait que l’Union européenne s’est engagée à importer des USA du gaz naturel liquéfié (GNL), extrait de schistes bitumineux par la destructrice technique de fracturation hydraulique. Washington, pour frapper la Russie, essaie de réduire son exportation de gaz vers l’UE, faisant payer les coûts aux consommateurs européens. Depuis que le président Donald Trump et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker ont signé à Washington en juillet 2018 la Déclaration conjointe sur la coopération stratégique USA-UE y compris le secteur énergétique, l’UE a doublé l’importation de GNL des USA, co-finançant les infrastructures avec une dépense spéciale initiale de 656 millions d’euros. Cela n’a cependant pas sauvé les sociétés européennes des sanctions USA.

Photo d'illustration: La chancelière allemande Angela Merkel et son ministre de l’Économie, Olaf Scholz, ont immédiatement dénoncé l’ingérence états-unienne.

Traduction Marie-Ange Patrizio

lundi, 23 décembre 2019

Le sommet musulman de Kuala Lumpur (Malaisie)

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Le sommet musulman de Kuala Lumpur (Malaisie)

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Ce sommet, du 19 au 21 décembre, a réuni des représentants, non seulement de la Malaisie mais de la Turquie, de l'Iran et du Qatar. Supposé rechercher le rassemblement mondial du monde musulman, il a surtout montré que celui-ci se divise actuellement en deux blocs.
 
Ont participé personnellement au sommet le président iranien Hassan Rohani, l'émir du Qatar cheikh Tamim, le président turc Recep Tayyip Erdogan et bien entendu le premier ministre malaisien Mahathir Mohammad, tous à des titres divers opposés à l'Arabie saoudite. L'absence de celle-ci , bien que prévisible, a été très remarquée. Il faut rappeler que les alliés de l'Arabie saoudite regroupent la plupart des autres pays pays arabes, du Maghreb au Golfe Persique. La plupart d'entre eux, bien qu'invités n'étaient pas présents à Kuala Lumpur

L'Organisation de la Coopération Islamique (OCI), basée dans le port saoudien de Djeddah et généralement considérée comme la voix du monde islamique, a vivement critiqué la tenue de ce sommet. Elle a surtout exprimé en l'espèce la voix de l'Arabie saoudite. Le sommet de Kuala Lumpur a en effet été, que ce soit dans le monde arabe ou dans les pays occidentaux, considéré comme anti-saoudien.

Dans son discours d'ouverture, le premier ministre malaisien Mahathir Mohammad a annoncé que le sommet visait à comprendre pourquoi l'islam et les pays musulmans étaient «en crise, sans espoir et indigne de cette grande religion». Mais d'emblée il est apparu que les pays musulmans resteraient divisés entre ceux de plus en plus proches de la Russie, à commencer par la Turquie et l'Iran, et ceux qui comme l'Arabie saoudite, restent malgré quelques dissensions de bons allées des Etats-Unis.

Cette division marque aussi l'incapacité de l'islam sunnite de s'entendre avec l'islam chiite, non seulement sur le plan religieux, mais dans de domaine géopolitique. La encore, on retrouve le poids de l'Arabie saoudite dont l'influence dans le monde tient à l'importance de ses réserves en pétrole et en gaz, au contraire des autres pays musulmans, à l'exception de l'Iran. Mais l'Iran, soumise aux sanctions américaines, peine à exporter son pétrole dans les pays arabes qui en auraient le plus grand besoin.

Le premier ministre iranien Hassan Rohani a dénoncé «la domination du dollar américain et du système financier américain». Le premier ministre turc Erdogan a confirmé qu'au lieu de commercer avec des devises étrangères, les pays arabes souhaiteraient commercer commercer avec des devises nationales. Ni l'un ni l'autre ne l'ont dit explicitement, mais cela signifierait pour eux s'affranchir de la domination américaine. Ce que l'Arabie saoudite est encore incapable de faire. 

Note

Pour plus de détails, voir un article de Hasan Alhasan dans Asia Times
https://www.asiatimes.com/2019/12/opinion/kuala-lumpur-summit-points-to-split-in-muslim-world/

Voir également MK Bhadrakumar
https://www.asiatimes.com/2019/12/article/kl-summit-shaken-by-imrans-absence-saudi-ire/

 

 

dimanche, 22 décembre 2019

Nouvelles routes de la soie, « La ceinture et la route »

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Nouvelles routes de la soie, « La ceinture et la route »

Intervention  de François-Bernard Huyghe à la 3° session du forum sur les enjeux technologiques des nouvelles routes de la soie  (19 décembre 2019,  Unesco)
 
Ex: http://www.huyghe.fr
 
D’une route l’autre : un étonnement de vingt-deux siècles

Pour parler des relations « technologiques » entre la Chine et l’Europe, il faudrait sans doute remonter avant notre ère, à l’ouverture historique de la route de la soie. L’Occident découvre alors un produit à la fois
- - hautement désirable (la vogue de la soie perturbe l’économie romaine dès avant l’ère chrétienne),
- - lié au secret (dans la mesure où les acheteurs finaux ne savent ni comment elle est fabriquée, ni comment atteindre directement le pays d’origine)
- - et dont l’exportation a été décidée- par l’Empire dans une stratégie de souveraineté.

Dans l’imaginaire, la Chine devient le pays des Sères (de la soie), mais l’itinéraire (par des pistes caravanières avec de rares abris ou par mer, de port en port et de cale en cale) est long, fractionné et aléatoire et l’information authentique se perd souvent en chemin. Ou laisse place à des légendes.
 

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Ces relations sont marquées pendant des siècles par une quasi ignorance (les choses circulent mieux que les connaissances), mais aussi par un rapport culturel ambigu. Ainsi, au fil des siècles, l’Europe s’étonnera à la fois de l’inventivité technologique de l’Empire, du fait que la maîtrise de techniques (comme l’imprimerie, la poudre ou la boussole) ne produisent pas les mêmes effets et ne débouchent pas sur l’équivalent de la Renaissance ou des grandes explorations. Ou encore de la faculté que possède l’Empire de se fermer brusquement au monde en dépit de sa capacité de l’explorer (comme après l’expédition de Zeng-He en 1433).

Ces trois questions que les Européens se sont posées pendant des siècles - technicité, territorialité et autorité: Comment ? D’où ou par où ? Et selon quelle norme ? - reviennent sous des formes très contemporaines. Comme celle d’une «ceinture économique de la route de la soie» («Silk Road Economic Belt», devenue la «Belt and Road Initiative», BRI).

Le projet des nouvelles routes de la soie vise à développer les infrastructures physiques (des routes, des rails, des tuyaux, des ports, etc.), retraçant et prolongeant les routes maritimes et terrestres séculaires des marchandises. Il nous interroge à neuf sur le rapport entre circulation des choses et des informations, mais aussi sur la relation de l’État avec l’économie. Nous parlons ici de la capacité qu’a Pékin de conserver à la fois ses frontières et de se projeter dans un temps long.

Lancé à un rythme étonnant après un discours de Xi Jinping en 2013, mais se projetant sur plusieurs décennies, le projet bientôt inscrit dans la constitution du parti prend valeur de proclamation solenelle d’une ère d’ouverture et d’accélération. Les moyens suivent : l’adjectif qui revient le plus souvent est celui de « pharaonique » pour désigner des budgets de milliards par an.

Évidemment c’est le caractère unidirectionnel de cette circulation (produits manufacturés, capitaux, transferts monétaires, entreprises mobilisées) qui fait problème. Il suscite une crainte du déséquilibre en termes de puissance et d’influence. D’où des réticences, notamment d’E. Macron, face à une « nouvelle hégémonie ». L’Europe se partage plutôt sur un axe Nord/Sud face au projet des Nouvelles Routes, tandis que s’affirme une contre stratégie américaine, puissance maritime s’inquiétant d’une puissance continentale qui la concurrence au-delà de ce qui était imaginable.

On mesurera aussi en cette occasion comment le politique peut utiliser l’obstacle des normes, l’argument de sécurité et confidentialité, les impératifs écologiques, etc., pour contrôler une montée en puissance politique et économique à la fois.
Vue de l’ouest ou vues de l’est, ces routes témoignent que nous nous sommes trop vite crus libérés des contraintes de la matérialité (l’économie ce sont d’abord des choses qui circulent et qui demandent des voies et des vecteurs) mais nous avons aussi cru trop tôt qu’un modèle technoéconomique unique s’imposait sans que les Nations puissent faire autre chose qu’accélérer ou retarder l’inévitable.
 

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Parallèlement, la façon dont la Chine est devenue une cyberpuissance fut une autre surprise historique. La numérisation du pays montre aussi comment l’État peut
- favoriser l’émergence d’équivalents des GAFAM, mais sans leur accorder d’autonomie géopolitique,
- se protéger des influences extérieures, notamment derrière sa « grande muraille de feu » (un dispositif logiciel qui lui permet de s’isoler comme un Intranet mais à l’échelle de la première population du monde),
- redéfinir les règles de la cyberstratégie internationale, etc.

Le tout concrétise la maîtrise chinoise dans les trois couches du cyberespace, physique (serveurs, câbles, stockage), logique ou logicielle (non dépendance des algorithmes, normes et plateformes made in USA) et enfin sémantique (au sens du contenu des messages accessibles à sa population).

Sans compter le démenti apporté à la thèse qui prédisait que l’Internet menait irréversiblement, sinon vers un cyberespace émancipé du politique, du moins vers l’adoption d’un régime à l’occidentale ou de ses valeurs culturelles. La Chine n’a pas imité le modèle « californien» cher à la Silicon Valley, ni son type de start-up et son mode de conquête des marchés. En cherchant l’explication technique d’un rattrapage surprenant, mais avec d’autres codes, on constate une adaptation culturelle du capitalisme chinois high tech, des rapports étroits avec l’autorité politique, l’exploitation des effets d’échelle (notamment du plus grand gisement de données potentiel de la planète), l’évolution culturelle de la population, l’hyperréactivité au programme étatique d’innovation systématique, l’intégration des services numériques aux modes de vie...

Là aussi se pose la question des supports et infrastructures. Ainsi dans le domaine de la 5G où l’avance de Huawei suscite des réactions à l’énormité de ses investissements en recherche et à ses ambitions. Mais aussi à des soupçons de cyberespionnage. On voit ainsi la Chine protéger à la fois sa « muraille » (en conservant ses données, en se préservant du pouvoir des GAFAM, en contrôlant les contenus) et exporter ses matériels et réseaux. Toujours le va-et-vient entre la connaissance numérique (des données qui peuvent être dérobées ou protégées, des inventions qui peuvent être reproduites) et le support ou le dispositif physique.

D’où les tenttives d’exclusion de leurs marchés de pays se réclamant pourtant du libéralisme : le politique (USA, Australie, Allemagne) redevient interventionnistes lorsqu’il s’agit de protéger son économie d’une influence qui passerait aussi par les infrastructures numériques. Voir l’obligation faite aux appareils Huawei de se passer de la technologie Android Google. La perspective que les écosystèmes numériques puissent littéralement divorcer et se séparer, chose impensable il y a trois ans, s’impose.

Sans doute en réponse, en Chine, une directive gouvernementale dite « 3-5-2 » joue l’autarcie technologique à long terme : elle exige le remplacement des matériels et logiciels informatiques dans l’administration. Ce qui représente un marché gigantesque. Dans le contexte de ce que l’on a surnommé la balkanisation d’Internet, il faut renoncer à la notion que la technologie est sans frontières et le politique impuissant.

La Chine dans le cadre d’un plan « Made in China 2025 » prévoit de relancer largement l’industrie par des investissements publics dans la recherche et de s’émanciper de plus en plus de la technologie étrangère. Mais aussi d’être un grand pays maritime, en pointe dans l’espace, grand exportateur, etc. Cela fait le lien avec sa défense par une éventuelle « guerre des intelligences » qui exploiterait militairement les technologies sophistiquées émergentes (dans le prolongement de la « guerre hors limites » théorisée dès les années 90). Mais en même temps la coopération civilo-militaire, public-privé,central-régional contribue à l’objectif de faire de la Chine un pays qui investit énormément dans la recherche de pointe...

Enfin, l’Intelligence Artificielle (nous aurions aussi bien pu parler de l’espace, des drones, des robots, des objets connectés etc., tout étant lié) est un domaine où s’est engagée une autre course Chine / USA. Il révèle aussi le rapport entre ambition géopolitique et technologie. Suivant la version la plus souvent rapportée, après la défaire du plus grand maître de Go face à un algorithme en 2016, la Chine aurait décidé d’emporter la compétition plus générale pour l’IA.Et notamment dans le domaine de l’IA dite perceptive (qui reconnaît des visages, des mots, un environnement) ou de son intégration aux usages quotidiens.
Là encore il y a des explications à chercher dans le pragmatisme, dans l’échelle de la mutation, dans l’acceptation de la population, dans les interactions entre le pouvoir politique et l’économie...
Tout ceci confère un avantage, si l’on admet qu’à ce stade, les deux principales fonctions de l’IA sont d’imiter ou de remplacer le comportement humain (par un calcul plus complet et des instructions plus adaptées) mais aussi d’anticiper ledit comportement et les interactions avec l’environnement pour une meilleure gestion de notre activité. Éventuellement couplée à des objets connectés ou dispositifs, l’IA devient capable non seulement de présenter la meilleure solution en fonction des règles préétablies, mais aussi de s’adapter à chaque situation et de la modifier.

Là encore, l’IA chinoise est partie tard, mais aussi sans avoir connu les « hivers », les phases de blocage de la recherche (et son financement) depuis les années 50. Elle ambitionne de devenir la première au monde à l’horizon de quelques décennies.
Ce processus repose sur la synergie entre l’autorité politique et les milieux économiques et universitaires, sur l’échelle de la population qui permet l’exploitation de toute innovation mais aussi sur le contrôle de la population. Ainsi le système dit de crédit social, basé sur l’omniprésence des systèmes de surveillance. En attendant en 2020 le crédit social « corporate » pour les entreprises.

Le hardware et le soft, la route et la muraille, le numérique et le tangible, la souveraineté et le négoce, la copie et l’invention... tout nous semble reposer sur des équilibres et des contrôles, dont rien ne garantit d’ailleurs qu’ils dureront éternellement. Ni qu’ils soient adaptables chez nous ou que de soit souhaitable. Mais qui enseignent au moins aux Européens que l’absence de volontarisme politique et la confiance dans les mécanismes technoéconomiques étaient des erreurs.

Géopolitique européenne et accès aux métaux rares

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Géopolitique européenne et accès aux métaux rares 

par Jean-Paul Baquiast
Ex: http://www.europesolidaire.eu
 
Nous recevons cet article d'un correspondant qui préfère rester anonyme compte tenu de ses activités professionnelles.

L'Europe ne contrôle pas son approvisionnement en matières premières stratégiques, qui dépend d'un petit nombre d'acteurs étrangers

Prenons quelques exemples :

l'antimoine, 

l'application majeure de l'antimoine , c''est un retardateur de flamme, on va le retrouver dans des tissus , tissus d'ameublement, tissus dans les voitures, tissus dans les transports. La Chine a la plus grande réserve d'antimoine, donc contrôler les risque d'approvisionnement, en prix , en quantité et le recyclage est quasiment impossible. On n'a même pas le début d'une démarche de recherches sur les retardateurs de flamme  pour trouver un substitut à l'antimoine.

Le gallium et le germanium, 

Le gallium est utilisé en microélectronique, en télécommunication, et on l'utilise également pour faire les diodes électroluminescentes. Les ampoules à basse consommation du futur, sont à base de diodes électroluminesentes, donc à base de gallium. Il y en a beaucoup en Chine, 75 %,des réserves mondiales , un peu en Russie et en Afrique du Sud. Il n'est pas possible de le recycler.

Le germanium est utilisé dans les fibres optiques ,destinées aux signaux en télécommunications et en informations.. 71 % des réserves sont situées en Chine.

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L'indium. (sous produit de la production de plomb et de zinc.)

Tous les écrans plats ont une couche d'un oxyde mixte, d'indium et d'étain, qui s'appelle ITO, à la fois conducteur, et surtout, transparent.

 L'indium aujourd'hui est utilisé pour les écrans plats, les diodes électroluminescentes, les brasures , les pare-brise des voitures , certaines cellules photovoltaiques. Il y a beaucoup de recherches sur des substituts, pour trouver des oxydes conducteurs et transparents, mais ceci sans résultats notoires. On en trouve beaucoup en Chine , un peu en Belgique.

le selenium

Il est utilisé dans les diodes électroluminescentes, notamment pour du stockage de données dans des disques blu-ray, et du photovoltaïque. On en trouve en Europe , en Allemagne, en Italie et en Tchéquie;

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Les terres rares.

 Celles-ci sont fondamentales en terme de magnétisme, en terme d'interaction avec la lumière. Elles servent notamment dans le  secteur des aimants  permanents ayant comme but des économies d'énergie avec des diodes électroluminescentes, éoliennes, voitures électriques, piles à combustible et supraconducteurs.  la Chine détient 97 % de la production mondiale.

L'Europe est dépendante de la Chine pour tous ces domaines. Dans ces conditions comment se préparer au mieux aux défis de la prochaine révolution industrielle ?

 

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samedi, 21 décembre 2019

The Real Code of Putinism

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The Real Code of Putinism

Ex: https://www.americanthinker.com

Today's Russia is in the most critical stage of its ideological design.  Its beginning was laid in the article by Vladislav Surkov (aide to the Russian president) under the symbolic title "Long-lasting state of Putin."  The piece was widely discussed by the expert community in Russia and abroad.  Many took this article as a signal that Putin was not going to leave after his presidential term's expiration in 2024 and was preparing his domestic public and international community for this through his éminence grise (as Surkov is often called).  However, with a detailed analysis of the processes that occur in modern Russia, one can come to deeper conclusions.

Vladimir Putin has ruled the country since 2000, and over these 19 years, influence groups around him have been fighting each other for a special position and status.  Unlike most of his associates, Putin is indeed an ideologically motivated leader who perceives himself not just as a politician and an official, but as a sovereign, such as Peter the Great and Alexander III — the beloved emperors of the current Russian leader.

Being aware of the internal construction of Putin's philosophical vision, various people were trying to form an ideological concept that would reflect the mission and goals of modern Russia.  Some wrote about the idea of a "special civilizational path."  It suggested that Moscow would not copy the Western model of development and would not declare itself a part of the Asian world as well.  Others sought to revive the long-forgotten formula "Moscow as the Third Rome" that in fact declared Russia the heir to the fallen Byzantine Empire.  Some suggested a consensus option to combine Western and Eastern civilization codes.  Undoubtedly, there are also groups that do not consider having any ideology important; they offer to copy certain points of the most successful government projects around the world.  However, there is no question of whether Russia needs an ideology or not because Putin is absolutely convinced of the vital necessity of its existence.

There are several reasons for this approach.  Firstly, the president understands that this is about his legacy.  For a psychological type of leader like Putin, the way history remembers him is crucial.  And it is not about love and admiration of the generations to come.  It is difficult to find a politician in Russian and world historiography who could be given an unambiguous assessment.  Discussions continue about everyone without exception, from Alexander the Great to Ronald Reagan.  The key fact is the transformation when a mortal politician becomes an immortal image and an object of constant study for future generations.  Secondly, the Russian leader is convinced that people who were born and raised in independent Russia should have clear guidelines in order to at least preserve the integrity of the country.  So far, Vladislav Surkov was the one who truly managed to systemize the views and ideas of the president.  Putin's aide divided the history of Russian statehood into four parts: the Rus' of Ivan the Third, the Russian Empire of Peter the Great, the Soviet Union of Vladimir Lenin, and the Russia of Vladimir Putin.

The new ideology that is called Putinism is uniting principles and foundations that have remained unchanged throughout all the historical stages of the development of Russia.  Its foundation is the concept of National Democracy.  It implies that the process of democratization and the formation of an active civil society is inevitable but it should not be carried out according to any foreign model.  The Russian nation, like any other, has its civilizational, social, and cultural features.  Today, 190 peoples live in Russia, and most of them retain their language, traditions, and mentality.  From this point of view, Moscow is always under the permanent threat of external forces using any interethnic disagreements for their purposes.  If, for example, a political decision was made to allow same-sex "marriage" in the deeply conservative regions of the North Caucasus, Tatarstan, and Siberia, riots would begin.  And they would lead to the most unpredictable consequences.  For a large part of the progressive West, this may sound wild.  Yet for Russia, it is a matter of national security.

 

It is important to understand that Russia is not limited to Moscow or Saint Petersburg.  These cities, like any major megalopolises, are centers of the dominance of progressive and liberal ideas.  No one will argue with the fact that the United States does not begin and end in New York and California; there are also Texas, Tennessee, Utah, and other states.  The victory of Donald Trump vividly demonstrated that it was conditional Texas and Kentucky that were the heart of America, not Massachusetts and Rhode Island.  The situation is similar in Russia: Putin is guided by the mood of the regional majority, not the liberal minority of the capital.  There are a lot of sensitive problems, and any Russian ruler has to maintain internal balance in order to keep the country's physical integrity.  This is an extremely difficult task.  At certain periods of time, Emperor Nicholas II, and then the last general secretary of the Central Committee of the CPSU, Mikhail Gorbachev, did not cope with this task.  This resulted in the collapse of the Russian Empire and the USSR, respectively.  Thus, the essence of Sovereign or National Democracy is in a banal formula: everything has its time.  In other words, Putinism advocates an evolutionary rather than a revolutionary model of development.

The next crucial element is the inviolability of the mission to maintain territorial integrity.  Why is this so important to Putin?  The answer lies in the dynamics of extension and contraction of Russian territory.  The Russian Empire was the third-largest ever-existing country after the British and Mongol Empires.  It included the Baltic states, part of Poland, Bessarabia, Finland.  Replacing the Empire, the Soviet Union became smaller, losing control of many territorial units.  Then the collapse of the USSR led to the formation of 15 independent republics.  Moreover, centrifugal processes were observed inside independent Russia in the '90s: two Chechen wars, separatist sentiments in Tatarstan, Siberia, and the Far East.  Given this, Moscow has to be sensitive to any threats to territorial integrity because the next collapse will actually mean the end of Russian history.  Based on this, the policy of territorial expansion (or "gathering lands") has strategic importance for Russia.

Most of the countries that were part of the Russian Empire and the Soviet Union performed two significant functions.  The first is an external security function — pushing the borders of the Empire along the entire perimeter, which was of fundamental importance while conducting defensive wars.  It is difficult to imagine how the results of the military campaigns of Napoléon Bonaparte in 1812 and Hitler's Germany in 1941–1945 would have developed without the factor of "deep borders."  The second is the internal defense or controlled decay function.  With the collapse of the Empire, countries located on the periphery and semi-periphery leave, and the core is retained — Russia itself with its internal subjects.

From here follows the next point of the concept of Putinism — returning the post-Soviet space to the sphere of strategic dominance of Moscow.  To achieve this goal, it is important for President Putin to solve two tasks: to provide closer geopolitical integration of Belarus with Russia and to develop high-quality mechanisms of influence on Ukraine.  The Russian leader is deeply convinced that Russians, Ukrainians, and Belarusians comprise a unified nation that should be gathered under the leadership of the Kremlin sooner or later.  This is how it was in the imperial and Soviet periods.  The third task is to prevent the entry of traditional post-Soviet countries (the Baltic countries are not considered) into the North Atlantic Alliance.

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In global politics, Putin sees his mission in revising the results of the Cold War.  He is convinced that the collapse of the Soviet Union was due to the weakening of the center's influence, the indecisiveness of the authorities and the internal intrigues of hostile agents of influence.  Putinism rejects any idea that Russia lost to the United States and should now forget about its geopolitical ambitions.  At the same time, being a pragmatist, Putin realizes that today Moscow does not have sufficient resources to claim world domination.  It is important for the Russian leader that the most powerful actors in the international community develop clear rules for the game.  For Putin, the ideal model combines past systems.  The basis should be sovereignty and the principle of non-interference in each other's internal affairs (Westphalian system), the balance of power (Vienna system), and separation of responsibilities (Yalta and Potsdam system).  From the standpoint of Putinism concept, such an architecture will return Russia the status of great power and force the rest of the countries to reckon with its opinion and interests.

The fundamental feature of the new ideology is that Russia does not regard the West as its enemy.  Moscow sees a certain way of the civilizational and political future of Europe where neoliberal philosophy has set the tone for the past twenty years.  Today, other trends are visible.  One of them is the strengthening of the right-wing conservative powers: Boris Johnson in Britain, the regime of Viktor Orbán in Hungary, the party of Sebastian Kurz in Austria, Euroskepticism in Italy, France, Greece, and Germany.  The basic request of the new generation of European politicians can be described simply: more sovereignty, less dependence.  Even leaders such as Emmanuel Macron state the need for an independent European security system.  This is exactly what Russia wants to see in Europe.  It is important for Putin that Europeans rely solely on their pragmatic interests in building a political and economic dialogue with Moscow.  This narrative is becoming more and more popular in the Old World.

Areg Galstyan, Ph.D. is a regular contributor to The National Interest, Forbes, and The American Thinker.

John J. Mearsheimer, “The False Promise of Liberal Hegemony”

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John J. Mearsheimer, “The False Promise of Liberal Hegemony”

 
 
 
Henry L. Stimson Lectures on World Affairs. John J. Mearsheimer, R. Wendell Harrison Distinguished Service Professor of Political Science and the co-director of the Program on International Security Policy at the University of Chicago, gave a series of three lectures in November on “Liberal Ideals & International Realities” for the Henry L. Stimson Lectures on World Affairs at the Whitney and Betty MacMillan Center for International and Area Studies at Yale.  
 
“The Roots of Liberal Hegemony,” November 13, 2017  https://youtu.be/bSj__Vo1pOU
 
“The False Promise of Liberal Hegemony,” November 15, 2017  https://youtu.be/ESwIVY2oimI
 
“The Case for Restraint,” on November 16, 2017  https://youtu.be/TsonzzAW3Mk  
 
Sponsored by the Whitney and Betty MacMillan Center for International and Area Studies and the Yale University Press.
 

Review: “The Dawn of Eurasia: On the Trail of the New World Order” by Bruno Maçães

Review: “The Dawn of Eurasia: On the Trail of the New World Order” by Bruno Maçães

Ex: https://asianreviewofbooks.com

Some international relations scholars and commentators are rediscovering that Eurasia is a geopolitical unit, a “supercontinent”, in the words of Bruno Maçães in his interesting new book The Dawn of Eurasia. Maçães traces the origins of the term Eurasia to Austrian geologist Eduard Suess in 1885, but the idea that Eurasia should be viewed as a single geopolitical unit is traceable to the great British geopolitical theorist Sir Halford Mackinder in a little-remembered article in 1890 entitled “The Physical Basis of Political Geography”.

Mackinder in that article subdivided Eurasia into the “Gulf Stream Region” (Europe) and the “Indo-Chinese” or “Monsoon” region (East, Central and South Asia) where two-thirds of the world’s population lived, and noted both the Silk Road and seafaring trade routes that linked Europe and Asia. In the early 20th century, Mackinder further developed the notion of Eurasia as the world’s dominant landmass and as a potential seat of a world empire.

Maçães, who is currently a Senior Advisor at Flint Global in London, a Senior Fellow at Renmin University in Beijing and the Hudson Institute in Washington, and a former Portuguese Europe Minister, calls the political world of the 21st century the “new Eurasian world”, but, as noted above, there is really nothing “new” about it, at least in a geographical sense. Indeed, history’s greatest land empires—the Mongols, Napoleonic France, Nazi Germany, and the Soviet Union—were Eurasian. And, as Maçães notes, “[t]he border between Europe and Asia was always unstable, untenable and, for the most part, illusory.”

What then is “new” about the Eurasia of the 21st century that is resulting in a “new world order?”

What’s new is a shift in power from West to East.

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The Dawn of Eurasia: On the Trail of the New World Order, Bruno Macaes (Penguin, January 2019; Yale University Press, August 2018 )

What’s new, according to Maçães, is a shift in power—economic and political—from West to East. It is a shift in power from the western part of Eurasia to its eastern part. But it is also a shift in power from non-Eurasian powers—Britain and the United States—to Eurasian powers—especially China and India. This shift occurred, he believes, because Asia caught up with Europe and the West with respect to science, technology, and innovation; in a word, modernization. Maçães explains:

That the Europeans found themselves in a position to control practically the whole world was a direct result of a series of revolutions in science, economic production and political society whose underlying theme was the systematic exploration of alternative possibilities, different and until then unknown ways of doing things.

Asia embarked on a “fast embrace of modernity” such that modernization has become universal.

Maçães is quick to point out, however, that universal modernization is not equal in all societies and that there are “different models of modern society”. This is especially the case with respect to political models. Asian modernization does not mean that Asian nations will follow the liberal democratic path of Europe and the West. So while economic, scientific, and technological modernization is universal, political systems will remain different. Parag Khanna in his new book The Future is Asian urges Asian powers to reject Western liberal democracy in favor of what he calls “technocratic governance”, which he describes as a form of democratic-authoritarian government similar to Singapore’s.

The new world order flowing from universal modernization among rival nation-states will be characterized, writes Maçães, by “a struggle for mastery in Eurasia”. Again, there is nothing “new” about this, except some of the players. China and India are the most conspicuous rising powers, but Russia has staked its claim in the struggle, too.

The Belt and Road Initiative is “a race for power at the heart of the greatest landmass on earth.”

Maçães writes about his “six-month journey along the historical and cultural borders between Europe and Asia” to show that the borders are not real. He traveled to Azerbaijan, the Caucasus, and other places in the region between the Black and Caspian Seas. He highlights the growing importance of Caspian energy resources to Europe, China and Russia, and the growth of Central Asian cities that lie along the path of China’s new Silk Road. He describes China’s plan for a “new network of railways, roads, and energy and digital infrastructure linking Europe and China.” The Belt and Road Initiative, Maçães writes,has the ambition of creating the world’s longest economic corridor, linking the Asia-Pacific economic pole at the eastern end of Eurasia, and the European pole at its western end.

The land component of this initiative is complemented by the “Maritime Silk Road” that connects China to Europe via the South China Sea, the South Pacific and the Indian Ocean. “Together”, he writes, “the land and sea components will strive to connect about sixty-five countries.”

Maçães views China’s Belt and Road Initiative as more than an economic corridor. It risks, he writes, upsetting old geographical realities and evoking a nineteenth-century world of great-power rivalry, a race for power at the heart of the greatest landmass on earth.

Maçães believes that in the struggle for mastery of Eurasia, Russia is an important variable, and that the Trump administration recognizes this. While President Obama rhetorically pivoted to Asia, Maçães explains, President Trump is seeking to pivot to Eurasia. Trump, he writes, views Eurasia in Kissingerian terms—the United States should have better relations with China and Russia than they have with each other. Trump’s strategy, he believes, “would use closer relations with Russia to limit China’s growing power and influence.”

That is a very 19th-century view of the world, but it makes eminent geopolitical sense in the 21st century. Indeed, in Mackinder’s last article on the subject in 1943 in Foreign Affairs, he envisioned a global geopolitical balance between the North Atlantic nations (the US, Canada, and Western Europe), Russia, and the populous lands of South and East Asia. The result, he hoped, would be “[a] balanced globe of human beings.”


Francis P Sempa is the author of Geopolitics: From the Cold War to the 21st Century and America’s Global Role: Essays and Reviews on National Security, Geopolitics and War. His writings appear in The Diplomat, Joint Force Quarterly, the University Bookman and other publications. He is an attorney and an adjunct professor of political science at Wilkes University.

jeudi, 19 décembre 2019

Russie - La tentation néolibérale

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Russie - La tentation néolibérale

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.com

Cet ouvrage est de Karine Bechet Golovko. Il été publié par l'Harmattan le 31/01/2018. Il avait peu attiré l'attention à l'époque, mais il conserve une actualité suffisante pour que nous le présentions ici.

Karine Bechet Golovko se décrit elle-même ainsi 
Habitant à Moscou depuis une quinzaine d'années, j'observe avec une passion toujours renouvelée les élans de ce pays complexe. Par des articles dans la presse, des publications scientifiques et des ouvrages je tente de vous faire partager une certaine vision d'un monde qui se renouvelle en permanence sous nos yeux.
« L'autorité des décisions de la CEDH à l'égard des juges constitutionnels », Revue Est-Europa, 2016, N°1
« De l'instrumentalisation du droit et des Etats : constitutions et révolutions dans l'espace post-soviétique », in « Les Constitutions, des révolutions à l'épreuve du temps », sous la dir. M.-E/ Baudoin et M. Bothom, LGDJ Lextenso, 2016
« Russie : la complexification des rapports entre l'Etat et la société civile », Revue d'études Est-européennes, 2014, N°1 spécial
« La dyarchie de l'exécutif en Russie », RDP, 2013, N°2
« Les présidentielles russes : les acteurs face à un choix de société », revue Politeia, n° 22 (2012)
« Les élections parlementaires russes : la fin d'une époque ou juste un sursaut ? », Revue Politeia, n° 20 (2012)
« Que reste-t-il du concept de « souveraineté » ? A l'occasion de la décision du Conseil constitutionnel sur le Traité de Lisbonne », Revue Politeia n°13 (2008)

Présentation par l'éditeur

La vague néolibérale mondiale a-t-elle échoué à atteindre la Russie ? Le calme de façade de la politique intérieure du pays couvre des turbulences que nous ne soupçonnons pas. Derrière la personnalité de V. Poutine, ce sont des clans néolibéraux et conservateurs qui s'affrontent à travers les organes de pouvoir, font passer des réformes, lancent des contre-réformes. Cette gouvernance russe s'est ouverte aux modalités néolibérales et revendique sa place dans la mondialisation.

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Notre commentaire au 17/12/2019

Depuis que s'est constitué un bloc géopolitique qualifié de BRIC, unissant notamment la Russie et la Chine, la question souvent posée est de savoir jusqu'à quel point ce bloc s'opposera aux offensives permanentes menées par les Etats-Unis contre la Russie. Aux yeux du Pentagone, la Russie a le tort immense de disposer d'une puissance nucléaire et spatiale seule capable aujourd'hui de tenir tête à l'Empire américain. Même si cela n'est pas dit clairement, elle doit disparaître en tant que super-puissance.

Vladimir Poutine a depuis les origines compris qu'il devait motiver suffisamment la société russe pour qu'elle accepte les sacrifices économiques que suppose la résistance à cette entreprise. Ceux-ci supposent une opposition permanente au capitalisme financier américain, dit aussi néolibéral, au lieu de coopérer avec lui pour exploiter le reste du monde. La question est donc posée de savoir jusqu'à quand les détenteurs russes du pouvoir économique et financier accepteront-ils ces sacrifices. Les services de renseignements américains ont depuis longtemps identifiés des intérêts sociaux-politiques qui en Russie pourraient être suffisamment corrompus par l'attrait des dollars pour renverser Vladimir Poutine afin de coopérer avec Wall Street au lieu de s'en tenir à distance.

Or à cet égard les candidats potentiels ne manquent pas. Le dernier ouvrage de Karine Bechet Golovko essaye d'en faire l'inventaire. Ces intérêts russes sont soumis en permanence à ce que son livre appelle la tentation néolibérale. Sur le plan intérieur, selon elle, ceci se traduit par la formation de mouvements qui s'affrontent afin de mettre le pouvoir (celui de Poutine et des militaires) au service de leurs intérêts. Mais ceux-ci sont souvent contradictoires, ce qui explique selon nous qu'il n'aient pas pu jusque ici mettre le gouvernement central, souvent désigné du terme de Kremlin, à leur service. Cependant, si l'on en croit les analyses de l'auteure, ceci ne saurait durer. A ce titre, l'ouvrage, même si ce n'est pas son ambition première, peut avoir pour effet de donner de l'espoir à ceux qui, à l'intérieur comme à l'extérieur, veulent renverser Vladimir Poutine, afin de rentrer dans ce qu'elle nomme le jeu de la mondialisation.

Nous pensons cependant que dans cette description, elle n'a pas su observer les sentiments nationalistes dits-aussi pro-russes qui ont toujours permis à la Russie de se défendre dès les guerres napoléoniennes contre les offensives européennes. Ils lui ont en dernier lieu donné la possibilité de s'inscrire parmi les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, après avoir accepté des millions de morts parmi ses forces armées. Aujourd'hui, si les Etats-Unis ne peuvent être comparés à l'hitlérisme qui voulait conquérir et détruire Moscou, il est aisé de montrer qu'ils peuvent facilement lui être assimilés. Il s'agit une nouvelle fois se détruire la Russie en tant que puissance indépendante. Le nationalisme pro-russe saura l'emporter sur l'appât des profits immédiats quand il s'agira de faire des choix géostratégiques importants. Concrètement, ceci veut dire que Moscou, avec ou sans Poutine, ne refusera pas de continuer à jouer un rôle éminent au sein du BRIC. Autrement dit, la Fédération de Russie ne capitulera pas devant les intérêts dits néo-libéraux, même s'ils sont bien représentés en son sein.

La même observation pourrait être faite concernant la Chine. De nombreuses analyses montrent que les intérêts dits néolibéraux y sont très puissants et recherchent en permanence une ouverture à l'ouest. Mais l'expérience montre également que si cette dernière devait se payer par l'abandon de la résistance aux Etats-Unis, notamment dans le Pacifique sud , les intérêts néo-libéraux chinois sauraient s'effacer devant un sentiment national défendu aujourd'hui par le Parti Communiste Chinois et le président Xi Jinping.

 

mercredi, 18 décembre 2019

Pamir Highway: the Road on the Roof of the World

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Pamir Highway: the Road on the Roof of the World
Photo, above: Chinese container cargo trucks after crossing the Kulma pass at the Tajik-China border. Photo: Pepe Escobar / Asia Times

This is arguably the ultimate road trip on earth. Marco Polo did it. All the legendary Silk Road explorers did it. Traveling the Pamir Highway back to back, as a harsh winter approaches, able to appreciate it in full, in silence and solitude, offers not only a historical plunge into the intricacies of the ancient Silk Road but a glimpse of what the future may bring in the form of the New Silk Roads.

This is a trip steeped in magic ancient history. Tajiks trace their roots back to tribes of Sogdians, Bactrians and Parthians. Indo-Iranians lived in Bactria (“a country of a thousand towns”) and Sogdiana from the 6-7th centuries BC to the 8th century AD Tajiks make up 80% of the republic’s population, very proud of their Persian cultural heritage, and kin to Tajik-speaking peoples in northern Afghanistan and the region around Tashkurgan in Xinjiang.

Proto-Tajiks and beyond were always at the fringe of countless empires – from the Achaemenids, Kushan and Sogdians to the Greco-Bactrians, the Bukhara emirate and even the USSR. Today many Tajiks live in neighboring Uzbekistan – which is now experiencing an economic boom. Due to Stalin’s demented border designs, fabled Bukhara and Samarkand – quintessential Tajik cities – have become “Uzbek.”

Bactria’s territory included what are today northern Afghanistan, southern Tajikistan and southern Uzbekistan. The capital was fabled Balkh, as named by the Greeks, carrying the informal title of “mother of all cities.”

Sogdiana was named by the Greeks and Romans as Transoxiana: between the rivers, the Amu-Darya and the Syr-Darya. Sogdians practiced Zoroastrianism and lived by arable agriculture based on artificial irrigation.

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Western Pamirs: Road upgrade by China, Pyanj River, Tajikistan to the left, Afghanistan to the right, Hindu Kush in the background. Photo: Pepe Escobar

We all remember that Alexander the Great invaded Central Asia in 329 B.C. After he conquered Kabul, he marched north and crossed the Amu-Darya. Two years later he defeated the Sogdians. Among the captured prisoners was a Bactrian nobleman, Oxyartes, and his family.

Alexander married Oxyartes’s daughter, the ravishing Roxanne, the most beautiful woman in Central Asia. Then he founded the city of Alexandria Eskhata (“The Farthest”) which is today’s Kojand, in northern Tajikistan. In Sogdiana and Bactria, he built as many as 12 Alexandrias, including Aryan Alexandria (today’s Herat, in Afghanistan) and Marghian Alexandria (today’s Mary, formerly Merv, in Turkmenistan).

By the middle of the 6th century, all these lands had been divided among the Turkic Kaghans, the Sassanian Empire and a coalition of Indian kings. What always remained unchanged was the emphasis on agriculture, town planning, crafts, trade, blacksmithing, pottery, manufacture of copper and mining.

The caravan route across the Pamirs – from Badakshan to Tashkurgan – is the stuff of legend in the West. Marco Polo described it as “the highest place in the world.” Indeed: the Pamirs were known by the Persians as Bam-i-Dunya (translated, appropriately, as “roof of the world”).

The highest peaks in the world may be in the Himalayas. But the Pamirs are something unique: the top orographic crux in Asia from which all the highest mountain ranges in the world radiate: the Hindu Kush to the northwest, the Tian Shan to the northeast, and the Karakoram and the Himalayas to the southeast.

Ultimate imperial crossroads

The Pamirs are the southern boundary of Central Asia. And let’s cut to the chase, the most fascinating region in the whole of Eurasia: as wild as it gets, crammed with breathtaking peaks, snow-capped spires, rivers ragged with crevasses, huge glaciers – a larger-than-life spectacle of white and blue with overtones of stony gray.

This is also the quintessential crossroad of empires – including the fabled Russo-British 19th century Great Game. No wonder: picture a high crossroads between Xinjiang, the Wakhan Corridor in Afghanistan and Chitral in Pakistan. Pamir may mean a “high rolling valley.” But the bare Eastern Pamirs might as well be on the moon – traversed less by humans than curly-horned Marco Polo sheep, ibex and yaks.

Countless trade caravans, military units, missionaries and religious pilgrims also made the Pamir Silk Road known as “road of Ideologies.” British explorers like Francis Younghusband and George Curzon hit the upper Oxus and mapped high passes into British India. Russian explorers such as Kostenko and Fedchenko tracked the Alai and the great peaks of the northern Pamir. The first Russian expedition arrived in the Pamirs in 1866, led by Fedchenko, who discovered and lent his name to an immense glacier, one of the largest in the world. Trekking toward it is impossible as winter approaches.

And then there were the legendary Silk Road explorers Sven Hedin (in 1894-5) and Aurel Stein (1915), who explored its historical heritage.

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Chinese container cargo trucks negotiate the Western Pamirs. Photo: Pepe Escobar

The Pamir Highway version of the Silk Road was actually built by the Soviet Union between 1934 and 1940, predictably following ancient caravan tracks. The name of the region remains Soviet: the Gorno-Badakhshan Autonomous Oblast (GBAO). To travel the highway, one needs a GBAO permit.

For no less than 2,000 years – from 500 B.C. to the early 16th century – camel caravans carried not only silk from East to West, but goods made of bronze, porcelain, wool and cobalt, also from West to East. There are no fewer than four different branches of the Silk Road in Tajikistan. The ancient Silk Roads were an apotheosis of connectivity: ideas, technology, art, religion, mutual cultural enrichment. The Chinese, with a keen historical eye, not by accident identified “common legacy of mankind” as the conceptual/philosophical base for the Chinese-led New Silk Roads, or Belt and Road Initiative.

Have China upgrade, will travel

In villages in Gorno-Badakhshan, stretched out along stunning river valleys, life for centuries has been about irrigation farming and seasonal-pasture cattle farming. As we progress toward the barren Eastern Pamirs, the story mutates into an epic: how mountain people eventually adapted to living at altitudes as high as 4,500 meters.

In the Western Pamirs, the current road upgrade was by – who else? – China. The quality is equivalent to the northern Karakoram Highway. Chinese building companies are slowly working their way towards the Eastern Pamirs – but repaving the whole highway may take years.

The Pyanj river draws a sort of huge arc around the border of Badakhshan in Afghanistan. We see absolutely amazing villages perched on the hills across the river, including some nice houses and owners with an SUV instead of a donkey or a bike. Now there are quite a few bridges over the Pyanj, financed by the Aga Khan foundation, instead of previous planks jammed with stones suspended above vertiginous cliffs.

From Qalaykhumb to Khorog and then all the way to Ishkoshim, the Pyanj river establishes the Afghan border for hundreds of kilometers – traversing poplar trees and impeccably-tended fields. Then we enter the legendary Wakhan valley: a major – barren – branch of the Ancient Silk Road, with the spectacular snow-capped peaks of the Hindu Kush in the background. Farther south, a trek of only a few dozen kilometers of trekking, it’s Chitral and Gilgit-Baltistan in Pakistan.

The Wakhan could not be more strategic – contested, over time, by Pamiris, Afghans, Kyrgyz and Chinese, peppered with qalas (fortresses) that protected and taxed the Silk Road trade caravans.

The star of the qalas is the 3rd century B.C. Yamchun fortress – a textbook medieval castle, originally 900 meters long and 400 meters wide, set in a virtually inaccessible rocky slope, protected by two river canyons, with 40 towers and a citadel. Legendary Silk Road explorer Aurel Stein, who was here in 1906, on the way to China, was gobsmacked.The fortress is locally known as the “Castle of the Fire Worshippers”.

Pre-Islamic Badakhshan was Zoroastrian, worshipping fire, the sun and spirits of ancestors and at the same time practicing a distinct Badakhshani version of Buddhism. In fact, in Vrang, we find the remains of 7th-8th century Buddhist man-made caves that could have also been a Zoroastrian site in the past. The early Tang dynasty wandering monk Xuanzang was here, in the 7th century. He described the monasteries and, tellingly, took notice of a Buddhist inscription: “Narayana, win.”

Ishkoshim, which Marco Polo crossed in 1271 on the way to the upper Wakhan, is the only border crossing in the Pamirs into Afghanistan open to foreigners. To talk of “roads” on the Afghan side is audacious. But old Silk Road tracks remain, negotiable only with a study Russian jeep, delving into Faizabad and farther into Mazar-i-Sharif.

Here are the parts the 18-year-long, trillion-dollar, Hindu Kush-of-lies-told American war on Afghanistan never reaches. The only “America” available is Hollywood blockbusters on DVDs at 30 cents apiece.

I was very fortunate to spot the real deal: a camel caravan, straight from the ancient Silk Road, following a track on the Afghan side of the Wakhan. They were Kyrgyz nomads. There are roughly 3,000 Kyrgyz nomads in the Wakhan, who would like to resettle back in their homeland. But they are lost in a bureaucratic maze – even assuming they secure Afghan passports.

These are the ancient Silk Roads the Taliban will never be able to reach.

Traveling the Pamir Highway, we’re not only facing a geological marvel and a magic trip into ancient history and customs. It’s also a privileged window on a trade revival that will be at the heart of the expansion of the New Silk Roads.

Khorog is the only town in the Pamirs – its cultural, economic and educational center, the site of the multi-campus University of Central Asia, financed by the Agha Khan foundation. Ismailis place tremendous importance on education.

Badakhshan was always world-famous for lapis lazuli and rubies. The Kuh-i-Lal ruby mine, south of Khorog, was legendary. Marco Polo wrote that in “Syghinan” (he was referring to the historical district of Shughnan) “the stones are dug on the king’s account, and no one else dares dig in that mountain on pain of forfeiture of life”.

Shughnan worshipped the sun, building circular structures with the corresponding solar symbolism. This is what we see in Saka graves in the Eastern Pamir. As we keep moving east, the settled Pamiri culture, with its profusion of orchards of apricots, apples and mulberries, gives way to semi-nomadic Kyrgyz life and irrigated villages are replaced by seasonal yurt camps (not at this time of the year though, because of the bitter cold.)

At Langar, the last village of the Wakhan, rock paintings depict mountain goats, caravans, horse riders with banners, and the Ismaili symbol of a palm with five fingers. Archeologist A. Zelenski, in fascination, called the historical monuments of the Wakhan “the Great Pamir Route.” Aurel Stein stressed this was the main connection between Europe and Asia, thus between the whole classical world and East Asia, with Central Asia in between. We are at the heart of the Heartland.

Last stop before Xinjiang

Following the Wakhan all the way would lead us to Tashkurgan, in Xinjiang. The Pakistani border, close to the Karakoram Highway, is only 15 km to 65 km away, across forbidding Afghan territory.

It’s the Koyzetek pass (4,271 meters) that finally leads to the Eastern Pamir plateau, which the Chinese called Tsunlin and Ptolomy called Iamus, shaped like a giant shallow dish with mountain ranges at the edges and lakes at record altitudes. Marco Polo wrote, “The land is called Pamier, and you ride across it for twelve days together, finding nothing but a desert without habitations or any green thing, so that travelers are obliged to carry with them whatever they need. The region is so lofty and cold that you don’t even see any birds flying. And I must notice also that because of this great cold, fire does not burn so brightly and give out so much heat as usual, not does it cook effectually.”

Murghab, peopled by Kyrgyz – whose summers are spent in very remote herding camps – revolves around a mini-bazaar in containers. If we follow the Aksu river – once considered the source of both the water and the name of the Oxus – we reach the ultimate, remote corner of Central Asia: Shaymak – only 80 km from the tri-border of Afghanistan, Pakistan and China.

The Little Pamirs are to the south. As I reported for Asia Times way back in 2001, it was in this area, crammed with the most important Silk Roads passes of both China and Pakistan, that Osama bin Laden might have been hiding, before he moved to Tora Bora.

From Murghab, I had to inspect the Kulma pass (4,362 meters high), a New Silk Road border. The road – made by China – is impeccable. I found lonely Chinese container truck drivers and businessmen from Kashgar driving made-in-China minivans across the Pamirs to be sold in Dushanbe.

On the High Pamirs we find around 800 ancient lakes created by earthquakes, tectonic activity and glaciers. Yashilkul lake (“Blue Water”), at 3,734 meters frozen this time of the year, sits in a plateau scouted by Stone Age hunters. Tajik archeologist V. Ranov found rock paintings of horses and carts, attributes of Mitra, the Persian god of the Sun. During the 10th to 3rd centuries B.C, the plateau was inhabited by nomadic tribes of the Persian-speaking Sakas.

From Shughnan to Ishkoshim, here we are in what the ancients called “The country of the Sakas.”

From Scythians to containers

The vast Scythian steppes that range from the Danube all the way to China were inhabited by a vast confederation of tribes. Then, in the 2nd to 1st centuries B.C., the tribes started moving to the east of the Greco-Bactrian state. Some of them settled in the Pamirs and became the ethno-genetic component of the Pamiri ethnicity. Alex, my driver, is a true Pamiri from Khorog. He’s also the real Pamir Highway Star with his badass black Land Cruiser. (“It’s a killing machine/ it’s got everything,” as Deep Purple immortalized it.)

The highlight of the Eastern Pamirs is the spectacular blue inland, saltwater Karakul Lake, formed 10 million years ago by a meteor. Under the sun, it’s a radiant turquoise; this time of the year, I saw it deep, deep blue, not really the “Black Lake” that its name implies. Karakul because of its slight salinity was not frozen. This is chong (big) Karakul, the older brother of the kichi (small) Karakul across the border in Xinjiang, which I had the pleasure of visiting in my Karakoram Highway travels.

The High Pamirs are right behind Karakul, concealing the 77-km-long Fedchenko glacier. East of the lake, if you could survive a trek in Arctic conditions, is Xinjiang. The early Tang dynasty wandering monk Xuanzang was here in 642 (he thought the lake was people by dragons). Marco Polo was here in 1274.

Our base to explore Yashilkul and later Karakul was Bulungkul – this time of the year a sort of Arctic station, with only 40 houses served by solar panels in the middle of nowhere, and temperatures hovering around minus 22 Celsius. It’s the toughest of lives. They told me that in winter the temperature drops to -63C.

Farther down the road, I took a diversion east to observe the Kulma pass, at 4,363 meters the official Tajik border with China, reached by a – what else? – made-by-China road, opened in 2004 following the ancient Silk Road.

The Tajik-Kyrgyz border at the Kyzyl-Art pass looked like a scene from Tarkovsky’s Stalker, utterly Soviet-style desolate except for a shared taxi loaded with Kyrgyz going to Khorog. From there, it’s a spectacular drive all the way to the crossroads of Sary Tash, and through the head-spinning, 3,615 meter-high Taldyk pass, towards Osh, the gateway to the Ferghana valley.

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The Taldyk pass in southern Kyrgyzstan, all the way to Osh. Photo: Pepe Escobar / Asia Times

All across this mesmerizing Central Asia/Heartland journey, especially in the bazaars, we see in detail the crossroads of pastoral nomadism and irrigation culture, fertilized century after century by cross-cultural Silk Road trade involving herders, farmers, merchants, all of them part of commodity trading and provisioning for the caravans.

We delve into the vortex of immensely rich social, religious, scientific, aesthetic and ideological influences – especially from Persia, India, China and Iran. The shift from overland to sea trade in the 16th century – the start of European world domination – in fact never erased the traditional routes to India via Afghanistan, China via Xinjiang and Europe via Iran. Trade remains the top factor in Central Asian life.

Today the Pamir Highway is a privileged microcosm of what is slowly but surely evolving as the intersection between the New Silk Roads and Greater Eurasia – with its main hubs configured by Russia, China, Iran, Pakistan and – it may be hoped – India.

The ultimate crossroads of civilizations, the Heartland, is back – once again at the heart of history.

(Republished from Asia Times by permission of author or representative)

vendredi, 13 décembre 2019

Les Etats Unis semblent préparer une offensive militaire contre le Mexique ?

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Les Etats Unis semblent préparer une offensive militaire contre le Mexique ?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

Le Mexique est un Etat américain situé à la frontière sud ouest des Etats-Unis. Longtemps considéré comme une quasi-colonie des Etats-Unis , il a pris une relative indépendance avec les succès électoraux du Mouvement de régénération nationale (MORENA)

Celui-ci,  issu de divers mouvements sociaux protestant contre la main-mise sur le pays des multinationales nord-américaine est considéré comme social-démocrate. Depuis le 1er décembre 2018, le président de la République mexicaine provenant de MORENA est Andrés Manuel López Obrador (AMLO)

Ceci en fait pour Washington un ennemi à abattre. L'on y craint que son exemple ne pousse d'autres Etats d'Amérique Centrale et d'Amérique du Sud à revendiquer plus d'indépendance vis-à-vis des Etats-Unis. Aussi, dans les derniers mois, des pressions de plus en plus fortes provenant de l'appareil politico-militaire américain se sont fait sentir pour obtenir de la Maison Blanche une occupation militaire sinon du Mexique tout entier, du moins de ses centres stratégiques, y compris la capitale Mexico . Donald Trump avait jusqu'à présent refusé cette perspective, craignant l'effet défavorable qu'elle aurait eu sur l'opinion mondiale.

Il apparaît aujourd'hui qu'au prétexte de lutter contre les narco-trafiquants provenant du continent sud-américain et s'appuyant sur des gangs mexicains, se préparerait une intervention militaire nord-américaine au Mexique. Il ne s'agirait que d'un prétexte, car nul n'ignore que l'armée américaine, en y mettant les moyens, pourraient parfaitement éviter l'entrée de trafiquants en les empêchant de traverser la « grande barrière USA Mexique » qu'est en train de terminer Donald Trump à cette fin pour empêcher l'immigration illégale et les divers trafics, notamment de drogues.

C'est ainsi que Donald Trump vient d'envoyer à Mexico son Attorney General Bill Barr pour discuter avec AMLO de la façon dont les Etats-Unis pourraient l'aider à lutter contre les narco-trafiquants. L'Attorney général ou Procureur général est l'équivalent d'un ministre de la justice. AMLO aurait pu lui conseiller d'éliminer les narco-trafiquants américains qui prospèrent dans le sud des Etats-Unis, en bonne entente avec leurs homologues mexicains.

Selon un compte-rendu informel – il n'y a eu aucun compte-rendu officiel- le président mexicain a salué la réunion comme productive et a déclaré aux journalistes que son gouvernement n'était pas “en état de confrontation” avec l'administration Trump.
Le président Obrador s'est engagé à coopérer avec Washington sur les questions de drogue, d'armes et de migration, mais il a ajouté que la Constitution mexicaine stipule que “les étrangers ne peuvent pas s'immiscer en politique dans notre pays”. “Nous ne pouvons pas avoir de forces étrangères sur notre territoire à des fins militaires”, a-t-il précisé. 

Il n'est pas possible de dire plus clairement qu'AMLO avait été informé de projets de la Maison Blanche visant à mettre en place sur son territoire des forces armées américaines. Il pouvait craindre que si l'armée ou la police mexicaines s'y opposaient, elles fassent l'objet d'attaques provenant de l'US Army.

Cet avertissement d'AMLO à Bill Barr suffira-t-il, au moins pour le moment, à convaincre Donald Trump qu'il devrait renoncer à envoyer des troupes au Mexique afin qu'elles y demeurent. Ce n'est pas certain. Ce n'est pas la lutte contre les narco-trafiquants qui l'intéresse, mais la possibilité de renverser AMLO au profit d'un président « pupett » tout dévoué à Washington. Ainsi le Mexique redeviendrait ce qu'il a longtemps été, une colonie américaine. L'avertissement serai compris, espère-t-il, au Venezuela, au Guatemala et en Colombie

Mexique https://fr.wikipedia.org/wiki/Mexique

 

1848-redux : envahir le Mexique ?

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1848-redux : envahir le Mexique ?

Ex: http://www.dedefensa.org

Il est incontestable que Trump est sérieux dans ses diverses évocations d’une possible intervention des forces armées des USA au Mexique. Certains nomment cela “invasion” et ils n’ont pas tort, – Tulsi Gabbard la première, qui a dénoncé cette possibilité. La preuve que Trump est sérieux, c’est que son ministre de la Justice (Attorney General [AG]) William Barr se trouvait jeudi à Mexico où  il rencontrait le président mexicain Obrador (AMRO). Obrador s’est voulu très rassurant, très présidentiel et très souverainiste après la rencontre ; il n’a pas le choix à cet égard, malgré la situation terrible où se trouve son pays par rapport aux cartels qui réussissent désormaisde véritables opérations de guerre contre l’armée mexicaine...

« Dans ce contexte, M. Obrador a rencontré le procureur général américain William Barr à Mexico jeudi. Le président mexicain a salué la réunion comme productive et a déclaré vendredi aux journalistes que son gouvernement n’était pas “en état de confrontation” avec l'administration Trump.
» M. Obrador s'est engagé à coopérer avec Washington sur les questions de drogue, d’armes et de migration, mais il a ajouté que la Constitution mexicaine stipule que “les étrangers ne peuvent pas s'immiscer en politique dans notre pays”.
» “Nous ne pouvons pas avoir de forces étrangères sur notre territoire à des fins militaires”, a-t-il dit. »

A ce point et avant de poursuivre, on se permettra d’observer ces quelques faits que l’on peut juger comme sans beaucoup de signification, et que nous jugeons comme significatifs :

• il n’y a pas eu de conférence de presse commune, donc aucune déclaration officielle du ministre Barr corroborant les assurances d’Obrador concernant les articles de la Constitution mexicaine sur l’impossibilité d’une présence de forces militaires étrangères “à des fins militaires” sur le territoire mexicain ;


• il est à notre sens significatif que Trump ait envoyé son AG parler à Obrador, et pas un représentant d’une activité opérationnelle de son gouvernement, soit son secrétaire à la défense (DoD) ou son secrétaire à la sécurité du territoire (DHS), soit le directeur d’une des agences (CIA, FBI, DEA, douanes, etc.) concernées par la surveillance et le contrôle des frontières face à la criminalité (les cartels). Pour nous, cela signifie effectivement que, dans l’esprit de Trump, la situation des cartels en territoire mexicain est absolument et quasi-“légalement” liée à l’activité des cartels en territoire américaniste, toutes choses qui dépendent du point de vue légal par conséquent du puissant ministère de la justice (DoJ), dont dépendent toutes les agences citées plus haut. En d’autres mots, et pour interpréter la pensée volatile de Trump, tout se passe comme s’il considérait l’activité des cartels au Mexique, sur le territoire mexicain, comme une crise “intérieure” pressante qui concerne la justice intérieure aux USA, dont est comptable le département US de la justice pour déterminer des modes d’action si nécessaire, – y compris en territoire mexicain. Cela ouvre bien des perspectives intéressantes.


• Comme l’on sait, Trump a annoncé qu’il allait classer les cartels mexicains comme des “organisations terroristes”, ce qui implique que le gouvernement US se donne le droit à lui-même d’intervenir dans les pays, soit qui aident ces organisations, soit qui les abritent volontairement, soit que ces organisations “occupent” illégalement. Sans doute l’AG Barr, dont dépend en partie (avec le département d’État) cette classification, est venu représenter à Obrador ce que cela signifierait concrètement pour le Mexique.

Parallèlement, le commentateur Tom Kirby vient de publier sur le site Strategic-Culture.org, le  6 décembre 2019, un texte présenté par le titre : « Finalement, une guerre étrangère proche du territoire national » Kirby met en évidence un point effectivement fondamental, tournant autour de cette hypothèse lancée par Trump d’une possible intervention militaire au Mexique :

« Depuis la fin de la Guerre froide, il semblerait que les forces américaines et de l’OTAN passent leur temps à chercher le moindre casus belli de rencontre sinon fabriqué pour déclencher un conflit déstabilisateur dans un pays étranger. Mais ces actions militaires se sont exclusivement concentrées sur des cibles très éloignées de notre pays. Des régions éloignées comme l’ex-Yougoslavie, l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie se sont toutes trouvées au mauvais endroit, sur la route de notre “interventionnisme bien intentionné”, avec des résultats désastreux pour les populations locales. De ce point de vue, c’est un changement complet avec l’évocation par le président Trump d’une intervention au Mexique pour aider les autorités mexicaines à résoudre le problème des cartels de la drogue, qui est à bien des égards également le problème des cartel de la drogue des USA. Naturellement, la réponse des Mexicains a été négative, mais Washington n'est pas connu pour prendre un “non” pour une réponse acceptable, et si les États-Unis interviennent au Mexique ce sera un type de conflit très différent en raison de la contiguïté géographique des deux acteurs. »

Pour Kirby, et cela d’une façon assez logique, une telle intervention constituerait quelque chose de complètement inédit dans l’époque actuelle, un tournant géopolitique, politique et psychologique majeur, – rien de moins, selon lui, qu’un retour au XIXème siècle... A cet égard, il fait trois remarques essentielles à propos de la possibilité d’une intervention militaire au Mexique.

1). La confirmation de la politique “Fortress America”,qui est la tendance politique prêtée à Trump. Il s’agit de l’état d’esprit continental du président, hostile au globalisme comme un bon américaniste de souche nationaliste et Corporate, peu sensible aux courants extérieurs, bref hostile à tout ce qui n’est pas spécifiquement américain. Trump a déjà montré sa sensibilité aux questions de sécurité intérieure et de sécurité de “l’extérieur proche”, comme disent les Russes. Son obsession pour la frontière Sud est connue, notamment avec l’affaire du Mur sur la frontière, la question des migrants, etc. La question des cartels s’inscrit évidemment dans cette logique crisique et la seule chose qu’on puisse en dire est cette question : comment la question des cartels a-t-elle mis tant de temps à venir à l’esprit de Trump ?

Le non-interventionnisme (tout relatif) de Trump par rapport à ses prédécesseurs ne joue plus son rôle dans ce cas à cause de la proximité géographique et de la logique “Fortress America” : 

« ...Jusqu’à présent Trump s’est montré très réservé dans l'utilisation de la force directe par rapport à ses prédécesseurs. [Une intervention au Mexique] pourrait donner l'impression qu’il abandonne soudainement une de ses promesses de campagne[le non-interventionnisme]. Mais cela pourrait être largement justifié selon les conceptions de sa politique : Trump voit bien peu d’importance de la Syrie pour les USA, et probablement aucune de l’Ukraine pour les USA. Le Mexique est par contre une question complètement différente à cause de la proximité et de la sécurité directe des USA, et elle peut amener le Président à agir de manière plus agressive. »

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2). Une sorte de “doctrine Monroe 2.0”,  qui nous ramène aux USA du XIXème siècle, lorsque ce pays commença triomphalement son expansion vers l’affirmation mondiale, dans des conditions très favorables (Make America Great Again [MAGA] par un retour au bon vieux temps ?). Le non-interventionnisme de Trump est par ailleurs mis de côté lorsqu’il s’agit des Amériques : interventionnisme direct ou indirect, avec diverses formules, au Brésil, au Venezuela, en Bolivie, peut-être un soutien indirect aux troubles au Chili, etc., tout cela montre une réactivation d’une mise en bon ordre américaniste dans l’“arrière-cour” latino-américaine. La question mexicaine s’inscrit complètement dans ce schéma, néo-isolationnisme très américaniste et effectivement “doctrine Monroe 2.0” :

« Trump a déclaré à maintes reprises qu’il craint la Chine par-dessus tout, mais sa passion pour le Mur frontalier et le contrôle de l'immigration amène à faire l’hypothèse que le Mexique est probablement en deuxième place sur sa liste d’ennemis redoutables. Cette volonté d'intervenir pourrait masquer la nécessité (du point de vue du Président) de réaffirmer la domination américaine sur le continent et de répéter le triomphe de 1848 qui explique en partie pourquoi les États-Unis sont devenus une grande puissance. »

3). La réaction de l’opinion publique aux USA en cas d’invasion est le troisième point, et certainement le plus explosif, le plus énigmatique, le plus porteur de déstabilisation. La question n’a absolument rien à voir avec l’apathie du public devant la myriade d’intervention extérieures US après le sursaut des protestations de 2002-début 2003 contre la guerre en préparation contre l’Irak. Lorsqu’on parle d’“opinion publique”, on parle d’abord de la “minorité” que représentent les Hispaniques et les Latino-Américains : « En 2015, ils représent[ai]ent 17,6 % de la population totale des États-Unis et environ 23 % des naissances. Ils sont aujourd’hui la première minorité ethnique devant les Africains-Américains », – et sans doute, aujourd’hui encore, avec plus de 17%. Dans certains États comme la Californie, ils sont la première communauté tout court, devant les WASP.

Ils sont essentiellement d’origine mexicaine avec des liens de plus en plus forts maintenus avec leur pays d’origine, et souvent la double nationalité (lors de la campagne présidentielle qui vit la victoire d’Obrador, l’année dernière, les candidats sont venus faire campagne en Californie tant est grand le nombre de votants pour les élections au Mexique, du fait de cette double nationalité). Kirby ne cesse d’évoquer dans son texte 1848 et la guerre USA-Mexique, et l’on a à l’esprit le mouvement Reconquista qui, chez les Latinos-Américains, vise la reconquête des États d’Arizona, du Colorado, de la Californie, du Nevada, du Nouveau-Mexique et de l'Utah, tous annexés aux USA au terme du traité consacrant la défaite mexicaine. 

Presque comme un présage sinistre, on notera que cette guerre de 1846-1848 fut l’occasion de terribles dissensions internes aux USA entre partisans et adversaires de l’esclavage. C’en fut au point que Ulysses S. Grant, vainqueur de Lee en 1865 et président en 1868, écrivit dans ses mémoires, en 1885 : « La rébellion du Sud [de 1861] fut l’avatar de la guerre avec le Mexique. Nations et individus sont punis de leurs transgressions. Nous reçûmes notre châtiment sous la forme de la plus sanguinaire et coûteuse guerre des temps modernes. »

De ce point de vue, qui pèse d’un poids formidable dans les psychologies, ce troisième point constitue l’inconnue la plus énigmatique et la plus explosive, comme nous écrivions plus haut. Il n’est pas du tout certain que Trump, homme à la mémoire courte et à la culture peu attachée aux aspects les plus fautifs et les plus barbares de l’histoire de l’américanisme, y attache une importance très grande. Il aurait même tendance, d’une certaine façon, à en faire un objet de défi, si l’on se réfère à la façon brutale et antagoniste dont il traite la Californie, État gauchiste (démocrate extrémiste) et antitrumpiste affiché,  mais surtout avec une “minorité-majoritaire” de Latino-Américains, donc comme une sorte de “Mexique à l’intérieur des USA” d’une certaine façon.

Là aussi et là encore, on tient un point de rupture, une fragilité considérable dans l’édifice de bric et de broc que les USA américaniste, de plus en plus rongé par des  termites d’origines, de cultures et d’idéologies diverses. A côté et comme un contrepoint tragique d’une “doctrine de Monroe 2.0” qui se voudrait MAGA, se concentrent toutes les menaces qui planeraient sur les chocs en retour que produirait une éventuelle intervention militaire US au Mexique. Il n’y a rien de plus fascinant pour un esprit aussi étrangement provocateur que celui du président Trump, confronté aux hordes hystériques du progressisme-sociétal.

jeudi, 12 décembre 2019

« Propagande massive des médias en vue d’une confrontation occidentale avec la Chine »

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« Propagande massive des médias en vue d’une confrontation occidentale avec la Chine »

 
 
Auteur : Willy Wimmer
Ex: http://www.zejournal.mobi

« Les plans anglo-japonais visant à diviser la grande Chine unifiée en au moins huit nouveaux États sont connus depuis longtemps. Cela mettrait temporairement en suspens le facteur mondial croissant représenté par la Chine. Dans un avenir prévisible, nous verrons dans les fameux « hot spots » en Chine, où l’on joue encore avec le feu […] »

D’un point de vue global, un sentiment de déjà-vu émerge actuellement en observant la propagande massive des médias en vue d’une confrontation occidentale avec la Chine. On s’attaque délibérément aux anciennes lignes de conflits pour déstabiliser ce pays. Ce sont des signes inquiétants.

Dans le cadre de la guerre en Afghanistan et du déploiement de la Bundeswehr dans la région, un ancien ministre allemand de la Défense a péroré « qu’on défend l’Allemagne au Hindou Kouch » ; mais maintenant il s’agit de la Chine.

L’artillerie de la presse est disposée le long des lignes de conflit, selon la volonté du quartier général de Washington. La province chinoise du Xinjiang et les peuples turcs qui y vivent sont mis en position contre le gouvernement central de Pékin. La situation est parfaitement préparée pour un conflit majeur.

Un conflit d’ailleurs qui, dans sa structure de base, se développe depuis près de trente ans. Actuellement, on joue son rôle, car le mégaprojet chinois des « Nouvelles Routes de la soie » rapproche visiblement le continent euro-asiatique commun. Cela affaiblira de façon permanente la domination américaine des routes commerciales mondiales et des sanctions pour la destruction d’États en temps de paix. Les événements de Hong Kong montrent clairement qu’on s’attaque aux coins et aux aspérités de la Chine.

Les plans anglo-japonais visant à diviser la grande Chine unifiée en au moins huit nouveaux États sont connus depuis longtemps. Cela mettrait temporairement en suspens le facteur mondial croissant représenté par la Chine. Dans un avenir prévisible, nous verrons dans les fameux « hot spots » en Chine, où l’on joue encore avec le feu et où l’on organise la plus grande implication globale possible derrière des manœuvres transparentes de rivalité.

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Dans le Xinjiang, et en particulier en ce qui concerne les Ouïghours, le conflit mondial de base entre les États-Unis et le « reste du monde » se présente de manière exemplaire. Depuis les combats qui se sont déroulés il y a quelques décennies sur les rives du fleuve Ussuri entre les puissances communistes de l’époque, l’Union Soviétique et la République Populaire de Chine, le monde est conscient de la sensibilité de cette région. C’est pourquoi l’ancien président kazakh Noursoultan Nazarbaïev a fait un effort particulier pour développer un mécanisme de prévention des conflits entre les États concernés sur le modèle des Accords d’Helsinki (CSCE).

D’ailleurs, avec beaucoup de succès, comme le montre l’actuel « Organisation de coopération de Shanghai ». À l’est de Moscou, les États y participent parce qu’ils préfèrent le travail laborieux pour la paix au lieu de déclencher la guerre. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, ces concepts ont fait l’objet de travaux, comme j’ai pu le constater personnellement en participant aux conférences préparatoires à Almaty. Il fallait éviter à tout prix que le processus de désintégration de l’Union Soviétique sur le territoire chinois ne se transforme en une énorme guerre. Les questions frontalières furent réglées et on créa de nouvelles règles d’autonomie pour prévenir la guerre dans une situation dramatiquement compliquée.

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Dès le premier jour, les États-Unis se sont massivement opposés à l’élaboration d’un mécanisme de résolution pacifique des conflits. Le projet de conférence de « l’Organisation de coopération de Shanghai » fut subverti autant que possible. Lorsque les États de la région se sont tout de même mis d’accord, les États-Unis ont quitté le projet de conférence.

Depuis lors, tous ceux qui le souhaitent peuvent observer comment les deux concepts rivaux s’affrontent. Depuis la construction du « barrage des Trois Gorges » sur le Yang Tsé, le gouvernement central chinois tente de modifier la structure démographique de base du Xinjiang en faveur de la population chinoise de souche.

Au cours de la dernière décennie, les magazines allemands ont à maintes reprises et docilement décrit les soulèvements dirigés par la CIA dans cette province. La manière dont le conflit mondial américano-chinois influence l’actualité est illustrée par les attaques des États-Unis contre les investissements chinois au Pakistan en lien avec la Route de la Soie.

Et qu’allons-nous faire en Allemagne ? L’Allemagne impériale, grâce à ses scientifiques et ses expéditions dans cette région, savait ce qui s’y passait. Déjà à l’époque, cela se faisait en rivalité avec d’autres puissances. De nos jours, la décision stratégique prévisible des États-Unis d’installer le siège mondial des Ouïghours à Munich lors de la préparation de « l’Organisation de coopération de Shanghai » était une décision stratégique prévisible. Les mécanismes pouvant en découler sont bien connus dans d’autres conflits : ils ont abouti à la guerre.

L’Europe demeure mentalement sous tutelle américaine...

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L’Europe demeure mentalement sous tutelle américaine...
 
Entretien avec Caroline Galactéros
 
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Caroline Galactéros à l'hebdomadaire Marianne à l'occasion de la sortie de son recueil de chroniques Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

Macron et l’Otan : “ L’Europe demeure mentalement sous tutelle américaine ”

Marianne : La Chine et les Etats-Unis nous mènent-ils à une nouvelle Guerre froide ?

Caroline Galactéros : Il me semble que poser la question en ces termes nous fragilise et nous empêche – nous, Européens, mais aussi les autres parties du monde, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine -, de voir la réalité dans sa complexité et ses opportunités. Cela nous emprisonne dans une prétendue alternative où nous n’aurions le choix qu’entre un “maitre” et un autre. Certes, le nouveau duo-pôle stratégique de tête entre Washington et Pékin – qui est autant un duel qu’un duo -, surdéterminera de plus en plus la vie internationale comme les chaines d’influence, d’intérêts et de dépendances. Cependant, le nombre des acteurs, comme l’intrication des intérêts et des enjeux font que le paysage international a profondément changé par rapport à celui qui prévalait durant la Guerre froide jusqu’au tournant du XXIe siècle, avec les attentats du 11 septembre 2001.

D’un point de vue stratégique, cette tragédie fut un coup de semonce aux dimensions telluriques. L’étoile américaine a dès lors commencé à pâlir en termes de crédit moral (discrédit aggravé à partir de 2003 et de l’invasion de l’Irak), mais aussi en termes de suprématie militaire et de crédibilité perçue. On a assisté à l’émergence de nouveaux modèles de puissance et de nouvelles ambitions jusqu’alors bridées, qui se consolident depuis, à la faveur des calculs hasardeux de l’Occident en matière d’intervention (Libye, Syrie, Yémen), de fiascos sécuritaires (Afghanistan, Irak), de nos graves inconséquences ou complaisances catalysées en terreur islamiste menaçant la cohésion des sociétés européennes. Sans parler des ingérences vécues comme de moins en moins justifiables, quelles que soient les parties du monde ciblées comme devant bénéficier de notre martiale bienveillance démocratique.

Le Sahel est un autre de ces théâtres immenses où se répand le désordre du monde et révèle notre difficulté croissante à y faire converger développement et lutte contre le terrorisme. Dans cette immensité, la France porte quasi seule le fardeau d’une mission retardatrice de la déstabilisation djihadiste sur fond d’États faillis et de menace migratoire. Elle vit, dans la chair de ses enfants tombés au combat, une impuissance structurelle que masquent de moins en moins l’excellence et l’héroïsme de nos armées. Ce drame se noue tandis que l’Amérique, avec l’Otan, y est en embuscade, et lorgne ce considérable marché sécuritaire et d’armements, et tandis que la Chine et la Russie sont elles aussi en lice. Moscou notamment, forte de ses succès syriens dans la lutte anti-djihadiste, commence à trouver un écho à ses propositions d’appui auprès de populations qui se sentent abandonnées, quand ce n’est pas flouées, par leurs pouvoirs comme par l’approche militaire française qui leur semble insuffisante face à la recrudescence de la violence et des effectifs des groupes armés. Ici comme ailleurs, l’urgence s’impose d’une réflexion désinhibée et sans tabous sur la sécurité de la région, loin des pressions américaines pour y installer l’Alliance ou de celles de Pékin. Seul un tel effort nous permettra de défendre notre crédibilité militaire, mais aussi nos intérêts et nos principes démocratiques.

Quoi qu’il en soit, pour l’heure, mis à part en Europe, qui peine décidément à sortir de sa gangue et à grandir enfin, il n’existe plus de réflexe ni de volonté de s’aligner sur l’un ou l’autre “camp”, même si Washington comme Pékin essaient évidemment, chacun à leur manière, de rallier des clientèles anciennes ou nouvelles et de sécuriser leur contrôle politique, militaire ou économico-financier sur le maximum possible d’acteurs. Des puissances régionales telles que la Turquie, l’Iran, ou même l’Inde, poussent chacune leur agenda. C’est évidemment aussi le cas de l’ancien deuxième “Grand”, la Russie, qui est toujours demeurée une puissance globale, mais peut désormais le réaffirmer pleinement depuis ses succès militaires et diplomatiques en Syrie et dans tout le Moyen-Orient. Plus généralement, le caractère totalement décomplexé des actes comme des paroles de tous ces acteurs illustrent les effets délétères de la destruction méthodique des règles et structures du multilatéralisme et le boomerang de la promotion détabouisée de l’intérêt national, grand vainqueur de ce jeu de massacre. Les Etats-Unis eux, ne se résolvent pas à voir émerger un autre empire et menacer leur préséance. D’où les crispations au sein de l’ONU, de l’OMC, la remise en cause de presque tous les accords et traités multilatéraux (et bilatéraux comme avec la Russie en matière de désarmement), et naturellement la crise de l’Otan, qui n’est pas en état de mort cérébrale mais souffre de fortes migraines depuis que certains alliés ont réalisé, à la faveur des agissements turcs en Syrie avec aval américain, que leur avis comptait décidément pour du beurre. Ce n’est pourtant pas un scoop !

Avec la Russie, n’existe-t-il finalement pas une tripolarisation ?

La Russie est une puissance globale qui a subi depuis 30 ans des coups de boutoir incessants de la part de l’Occident. Mais elle en a vu d’autres… Moscou a parfaitement mesuré, au contraire de l’Europe qui veut ignorer qu’elle est un simple outil d’affaiblissement de l’Eurasie voire une proie industrielle et technologique pour son grand Allié, qu’elle devait consolider sa puissance et son influence sous peine d’écrasement progressif entre la vindicte américaine et le “baiser de la mort” chinois. Puissance eurasiatique par excellence elle est plus que jamais l’acteur pivot de cet immense espace. Elle y poursuit méthodiquement l’intégration économique culturelle et sécuritaire autour de l’Union économique eurasiatique (l’UEE) et de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) notamment. L’UE ignore superbement (comme elle le fit pour les Nouvelles routes de la Soie chinoises) cette dynamique florissante à ses portes. Pourtant, l’UEE est la matrice d’un pendant à l’UE.

C’est évident. C’est en cours. Moscou recherche “l’intégration des intégrations” et à terme, souhaite inscrire son rapprochement avec l’Europe communautaire dans un schéma très gaullien d’une Europe l’atlantique à Vladivostok voire au-delà. Au lieu de persister dans notre sidération et notre complexe de l’orphelin transatlantique, nous aurions tout intérêt à inscrire le futur de l’Europe dans cette nouvelle dimension eurasiatique. Les opportunités économiques industrielles de coopération mais aussi sécuritaires nous donneraient une masse critique incontournable entre Chine et Etats-Unis. L’Eurasie est pour moi la « Nouvelle frontière » de l’expansion vers l’Est de l’ensemble européen. Et la prise de conscience de cette évidence pourrait permettre à la France de jouer un rôle moteur dans cette projection d’influence et de puissance.

Ce n’est pas pour rien que Zbigniew Brezinski dans Le Grand échiquier, a ingénument rappelé l’obsession américaine d’une fragmentation de l’Eurasie et d’une division de l’Europe de l’Ouest avec l’instrumentation de la “menace russe” comme vecteur d’un affaiblissement durable de l’ensemble européen. Cette ligne stratégique américaine est toujours à l’œuvre et totalement transpartisane. La pression pour l’élargissement de l’UE et de l’Otan à tous les anciens satellites soviétiques, la guerre contre la Serbie, la déstabilisation de la Géorgie et de l’Ukraine, la diabolisation de plus en plus ridicule de la figure de Vladimir Poutine : tout cela vise à rendre impossible – car dangereux pour la domination américaine sur le Vieux Continent -, un rapprochement de l’Europe avec la Russie qui signifierait la fin de la vassalisation pour nous et l’émergence d’un ensemble centrasiatique intégré selon des cercles concentriques et des coopérations sectorielles multiples, à géométrie variable, plus à même de résister aux offensives commerciales ou normatives américaines et chinoises. Seul peut-être Donald Trump avait-il compris l’intérêt de se rapprocher de Moscou contre Pékin et contre l’Europe. On sait ce qu’il lui en a coûté politiquement avec un Russia gate interminable et désormais la curée pour l’impeachment

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Quel rôle peut jouer l’Union européenne dans tout cela ?

L’Europe demeure mentalement, plus encore qu’économiquement, sous tutelle américaine. Elle peine à sortir de son immaturité stratégique consentie. Elle a peur de devoir penser et plus encore se penser par elle-même. Trump ou pas Trump, les fondamentaux de la puissance et de l’impérialisme américain n’ont de fait pas bougé d’un iota. C’est la méthode qui a changé, et le gant de velours qui s’est simplement transformé en gant de crin…. Nous devons en tirer les conséquences et saisir cette opportunité pour nous penser en temps qu’ensemble de nations souveraines ayant des intérêts économiques, sécuritaires migratoires, stratégiques, technologiques, industriels et de défense propres. Il nous faut redéfinir l’intérêt national, ne plus opposer la souveraineté des nations européennes à la sauvegarde de l’ensemble européen, oser désobéir, refuser l’imposition destructive pour nos sociétés et nos économies d’une extraterritorialité injustifiable, et ne pas craindre de riposter. Le temps est venu d’une rébellion concrète non pour plastronner mais pour survivre. La France semble en passe de prendre, pour l’heure encore bien seule, la tête de cette croisade salutaire. Il faut juste du courage et tenir, car les représailles, pressions, chantages, intimidations vont pleuvoir pour tester notre détermination. Mais il en va de notre avenir commun.

L’OTAN nous range-t-elle forcément dans le camp des Etats-Unis ? 

Le sommet des soixante-dix ans de l’Alliance a mis en valeur l’ampleur de la discorde interne des visions, et surtout la prise de conscience française qu’il est temps de regarder la réalité en face. L’OTAN est en échec sur tous ses théâtres d’action. Nous ne contrôlons ni ne décidons rien en cette enceinte. Notre président a le courage de le dire et de briser une omerta embarrassée qui n’a que trop duré. L’OTAN, de fait, entretient les tensions et n’a à son bilan que des échecs à mille lieues de l’effet stabilisateur annoncé. Car son rôle est de persister dans l’être, de justifier un contrôle politique américain sur ses membres, de geler l’Europe au plan stratégique et de vendre des armes. Elle empêche structurellement l’Europe de s’émanciper alors que celle-ci en a les moyens, et que les “garanties otaniennes” -notamment le fameux « parapluie nucléaire américain »- ne sont plus crédibles à l’heure d’un pivot décisif et durable des préoccupations stratégiques américaines vers l’Asie et la Chine. Washington ne veut simplement plus payer pour la sécurité des Européens ni intervenir à leur profit, mais entend continuer à les diriger et à leur faire rendre gorge au nom du “partage du fardeau” … et au profit des marchands d’armes américains. Le reste est du decorum. Comment faire sans l’OTAN ? C’est assez simple en fait : commencer par renforcer considérablement notre “outil militaire” pour faire face au spectre élargi des menaces qui pèsent sur la sécurité de nos concitoyens et de nos intérêts, au loin comme sur le territoire national ; élargir notre vision à la dimension eurasiatique en termes sécuritaires et de défense ; initier des coopérations avec ceux qui le souhaitent sans exclusive ni naïveté ; enfin appuyer les efforts de ceux des États que l’unilatéralisme américain cible et affaiblit. Ils sont extrêmement nombreux. Alors le leadership français rêvé prendra corps et inspirera confiance et espoir.

Le Moyen-Orient est-il encore au centre de l’attention ? 

Il semble en effet sorti du scope en ce moment, mais c’est l’effet déformant du zapping médiatique et politique comme de la densité de l’actualité internationale. Je pense aussi que l’on se tait car on n’a plus grand-chose à dire ni de discours victorieux ou seulement martiaux à mettre en scène sans rougir. Les masques sont tombés. La France a été progressivement sortie du jeu moyen-oriental. Nos calculs politiques indéfendables moralement ont de plus échoué pratiquement. La Syrie a échappé au démembrement et est en passe de recouvrer son intégrité territoriale. Mais ce n’est pas fini pour autant. Les Etats-Unis nous ont laissé, avec la Turquie autorisée à agir à sa guise dans le Nord-Est syrien, une bombe à fragmentation redoutable. Grand allié du flanc sud de l’Alliance c’est-à-dire de Washington, Erdogan la représente de fait sur le théâtre syrien. Il sait à merveille jouer de son double positionnement stratégique pour Washington contre Moscou, et tout aussi important pour Moscou contre Washington…

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Les Kurdes ont parié et perdu, mais leur sens pratique et leur instinct de survie les rallient à la cause syro-russe qui seule peut leur épargner la fureur ottomane. L’Iran, essaie en dépit de toutes les pressions de consolider son arc d’influence régional. Quant à Israël, il vient, après Jérusalem, de récupérer le Golan avec la bénédiction américaine (ce qui, au passage, remet la question de la Crimée en perspective) : Une provocation considérable pour les Libanais comme pour les Jordaniens et un nouvel encouragement à la déstabilisation régionale.

Et puis il y a le Yémen. L’inhumanité de cette guerre ingagnable où nous avons si coupablement joué les utilités et la folie saoudienne sont en passe de lasser même le parrain américain. Les Emirats Arabes Unis adoptent une attitude prudente…. Peut-être une brèche vers la sortie d’un conflit désastreux pour l’image moderniste du royaume wahhabite ? Rien n’est réglé et il est à parier que des scénarii guerriers occupent des centaines de planificateurs militaires au Pentagone.

Le “processus de Genève”, dédié à la sortie politique du conflit syrien et vicié dans son essence, est un échec flagrant. Mais la Russie, pragmatique et habile, a admis son “couplage” symbolique avec le Processus d’Astana dirigé par Moscou et bien plus efficace. Peut-être l’embryon d’une solution politique acceptable pour ce pays martyr qui a échappé à l’emprise islamiste radicale ? Les anathèmes contre « Bachar bourreau de son peuple » et les accusations d’usage d’armes chimiques de moins en moins étayées contre le régime syrien, tout cela doit nous faire réaliser que nous l’avons échappé belle. Que serait aujourd’hui le Moyen-Orient s’il était passé sous la coupe des Frères musulmans en Égypte, en Syrie avec les parrains qataris et turcs et les innombrables surgeons terrifiants d’Al-Qaida ? La France doit sortir de cette compromission criminelle et si dangereuse pour son propre équilibre national.Notre président pourrait exprimer, au nom de la France, un mea culpa sincère pour nos errements passés. Ce serait un coup de tonnerre diplomatique. Une renaissance. Un geste d’honneur que seul un homme d’État ayant une hauteur de vue et de cœur suffisantes peut faire sans crainte.

Un geste qui change la donne, libère les consciences. Rien à voir avec la repentance ridicule, tout avec l’honneur d’un chef d’Etat capable de reconnaitre que son pays s’est trompé, qu’il l’a lui compris et que tout peut être différent à l’avenir. Nous ne sommes pas frappés à jamais d’une malédiction et il est grand temps pour notre pays de définir une nouvelle politique étrangère indépendante et libre, qui nous sorte des fourvoiements moraux, des complaisances électoralistes ou des préoccupations mercantiles si peu à la hauteur des enjeux du monde et de ce que nous voulons être. Nous vendons des armes certes, et elles sont excellentes. Parmi les meilleures au monde. Notre industrie de défense est un pan important de notre socle d’emploi et d’excellence technologique. Mais nous ne devons plus être des proxys américains ou saoudiens qui vendent leur âme pour quelques contrats. Nous pouvons vendre à des Etats qui se défendent, plus à ceux qui mettent la planète à feu et à sang.

Sur tous ces sujets, l’inflexion présidentielle sensible, observable depuis quelques mois doit être saluée, car elle rompt avec des années de servitude volontaire à contre-emploi de nos intérêts comme de nos principes. Il faut réinventer notre politique étrangère, introuvable depuis 15 ans au moins, et prendre nos distances à l’intérieur ou en dehors s’il le faut, d’une Alliance atlantique dont le bilan est catastrophique mis à part celui de sa persistance dans l’être et de l’entretien de menaces inexistantes.

Caroline Galactéros, propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire (Marianne, 5 décembre 2019)

vendredi, 06 décembre 2019

Faut-il quitter l'Otan ?

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Faut-il quitter l'Otan ?

par Jean-Paul Baquiast

Ex: http://www.europesolidaire.eu

On retrouve dans la déclaration des dirigeants de l'Otan publiée à la suite de leur réunion de Londres des 3 et 4 décembre 2019 le langage convenu qui est traditionnel dans les comptes-rendu des réunions de l'Otan.

On pourra l'examiner en détail pour voir en quoi elle diffère des dernières réunions plénières précédentes. Mais il ne faudrait pas oublier que l'Otan a été et reste mise en place par les Etats-Unis pour enrégimenter les pays européens dans la perspective d'un conflit militaire, avec l'URSS initialement, par la suite avec la Russie. 

Les Etats-Unis voulaient initialement empêcher que l'URSS, devenue aujourd'hui la Fédération de Russie ( Российская Федерация, Rossiïskaïa Federatsiïa) n'envahisse ce qu'ils considèrent encore comme leur arrière-cour, sinon leur colonie, l'Europe de l'Ouest d'abord, le continent européen tout entier aujourd'hui. Très vite, cependant, au fur et à mesure que l'Union européenne s'affirmait, ils ont voulu en faire une base avancée, diplomatique mais aussi militaire, leur permettant de provoquer sinon d'attaquer la Russie sur ses frontières occidentales.

Celle-ci s'était donné progressivement la maîtrise de l'arme nucléaire, initialement conçue par le Pentagone comme devant rester son monopole. Même si aujourd'hui d'autres Etats disposent d'armements atomiques dits à courte et moyenne portée, la Russie possède des ICBM ou missiles intercontinentaux dotés d'une tête nucléaire susceptibles de détruire les centres vitaux américains. Elle ne cesse de les perfectionner tout en se dotant de nouvelles armes aujourd'hui imparables telles que les missiles hypersoniques. 

Contre ce danger, d'ailleurs en grande partie exagéré par la propagande américaine, les Etats-Unis ont plus que jamais  besoin de l'Europe. Ils y ont établi des dizaines de bases militaires où ils abritent des contingents importants de l'US Army. Leurs navires de guerre circulent librement dans les eaux territoriales européennes. Ils comptent aussi sur l'appui que leurs donneraient contre la Russie des forces européennes aujourd'hui renforcées. 

Au delà de cet intérêt, ils ont besoin des importantes importations de matériels militaires américains auxquelles procèdent les Européens, même la France qui s'est pourtant dotée depuis les origines d'une force nucléaire indépendante. Ils tentent aujourd'hui d'utiliser l'Otan pour faciliter leurs efforts de pénétration au Sahel et plus généralement en Afrique francophone. Plus significativement et plus dangereusement pour la paix mondiale, ils s'efforcent d'obtenir de l'Otan un appui dans la crise ukrainienne, terrain où ils se trouvent loin de leurs bases.

Le vrai risque qui menace aujourd'hui les Etats Européens est la volonté de l'internationale islamique (Daesh) de mettre progressivement la main sur l'Europe. Mais les Européens ne peuvent pas compter à cet égard sur l'Otan américanisé. Ils ne devraient pas oublier que Daesh a été dès son origine financée et aidée militairement par la CIA américaine en vue d'empêcher la Russie d'augmenter son influence au Moyen Orient. Aujourd'hui encore, il est possible que les services secrets américains continuent à aider le terrorisme islamique.

La Russie aujourd'hui ne menace pas la sécurité et l'indépendance des Etats européens membres de l'Otan. Celle-ci à d'autres priorités que d' « envahir l'Europe ». Il est de plus en plus visible par contre, pour ceux qui veulent bien voir, que ce danger provient de la maîtrise quasi absolue que se sont données les entreprises numériques américaines, notamment les GAFAS, sur l'Internet occidental. Cette maîtrise se traduit par le poids écrasant pris en Europe non seulement par la  culture américaine de loisir, mais sur les réseaux numériques à haut débit et les services associés qui, dans une large mesure, tiennent les Européens en servitude.

Ceux-ci ont été empêchés par Washington de se doter de variantes de l'Internet, technologiques et culturelles, véritablement européennes de souche, si l'on peut dire. Elles leur auraient permis de figurer dans le monde numérique de demain autrement que comme des relais passifs des Etats-Unis face aux internet chinois et russes qui se mettent actuellement en place.

Si les Européens voulaient vraiment se protéger, ils conviendraient que c'est tout autant à l'égard des Etats-Unis que de la Russie qu'ils devraient le faire. Autrement dit, ils devraient se retirer de l'Otan et construire entre eux des alliances non seulement économiques mais militaires capables d'assurer leur défense contre les dangers extérieurs actuels et futurs. L'Europe, 2e puissance économique du monde, aurait largement les moyens de se doter en propre des effectifs et des matériels nécessaires. Mais les gouvernements européens, dans leur écrasante  majorité des "puppets" de Washington, ne le feront jamais.  

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Annexe

 

Déclaration de Londres publiée par les dirigeants des pays de l'OTAN à leur réunion tenue à Londres les 3 et 4 décembre 2019

  1. Aujourd'hui, nous sommes réunis à Londres, là où l'OTAN a établi son premier siège, pour célébrer le 70e anniversaire de l'alliance la plus solide et la plus réussie de l'histoire, ainsi que pour commémorer le 30e anniversaire de la chute du rideau de fer. L'OTAN garantit la sécurité du territoire de nos pays et celle de leurs citoyens, au nombre d'un milliard, ainsi que notre liberté et les valeurs que nous partageons, parmi lesquelles la démocratie, la liberté individuelle, les droits de la personne et l'état de droit. La solidarité, l'unité et la cohésion sont des principes fondamentaux de notre Alliance. Alors que nous œuvrons ensemble à prévenir les conflits et à préserver la paix, l'OTAN reste le fondement de notre défense collective et le forum essentiel pour les consultations et la prise de décision en matière de sécurité entre Alliés. Nous réaffirmons le lien transatlantique qui unit durablement l'Europe et l'Amérique du Nord, notre adhésion aux buts et principes de la Charte des Nations Unies, ainsi que notre engagement solennel, inscrit dans l'article 5 du traité de Washington, selon lequel une attaque contre un Allié est considérée comme une attaque contre nous tous.
     
  2. Nous sommes résolus à partager le coût et les responsabilités qu'implique notre sécurité, qui est indivisible. Grâce à notre engagement en matière d'investissements de défense, nous augmentons ces investissements pour nous conformer aux seuils de 2 % et de 20 % qui y sont définis, nous investissons dans de nouvelles capacités et nous fournissons plus de forces pour les missions et opérations. Les dépenses de défense hors États-Unis ont augmenté pendant cinq années consécutives ; un montant supplémentaire supérieur à 130 milliards de dollars des États-Unis est investi dans la défense. Conformément à notre engagement inscrit dans l'article 3 du traité de Washington, nous continuons de renforcer notre capacité individuelle et collective de résistance à toute forme d'attaque. Nous accomplissons des progrès appréciables. Nous devons et nous allons faire davantage.
     
  3. Nous sommes confrontés, en tant qu'Alliance, à des menaces et défis distincts, qui émanent de toutes les directions stratégiques. Les actions agressives de la Russie constituent une menace pour la sécurité euro-atlantique ; le terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations demeure une menace persistante pour nous tous. Des acteurs étatiques et non étatiques mettent à mal l'ordre international fondé sur des règles. L'instabilité observée au-delà de nos frontières favorise aussi la migration irrégulière. Nous sommes confrontés à des menaces cyber et hybrides.
     
  4. L'OTAN est une alliance défensive et ne représente une menace pour aucun pays. Nous adaptons nos capacités, notre stratégie et nos plans militaires dans l'ensemble de l'Alliance conformément à notre approche à 360 degrés en matière de sécurité. Nous avons pris des décisions afin d'améliorer la disponibilité opérationnelle de nos forces pour qu'elles puissent répondre à tout moment à n'importe quelle menace, d'où qu'elle vienne. Nous restons déterminés dans notre engagement à lutter contre le terrorisme et nous agissons ensemble avec une plus grande fermeté pour en venir à bout. Nous agissons et continuerons d'agir d'une manière mesurée et responsable face au déploiement par la Russie de nouveaux missiles de portée intermédiaire, qui sont à l'origine de l'extinction du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) et qui font peser des risques importants sur la sécurité euro-atlantique. Nous intensifions notre action pour protéger nos libertés, en mer et dans les airs. Nous renforçons encore notre aptitude à assurer la dissuasion et la défense par une combinaison appropriée de capacités nucléaires, conventionnelles et de défense antimissile, que nous continuons d'adapter. Aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires, l'OTAN restera une alliance nucléaire. Nous sommes pleinement attachés à la préservation et au renforcement d'un système efficace de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération, compte tenu de l'environnement de sécurité du moment. Les Alliés sont fermement attachés à la pleine mise en application du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) dans tous ses aspects, à savoir le désarmement nucléaire, la non-prolifération et les utilisations de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Nous restons ouverts au dialogue, et à la perspective d'établir une relation constructive avec la Russie lorsque les actions de cette dernière le permettront.
     
  5. Nous nous employons à accroître la sécurité pour tous. Nous avons renforcé les partenariats dans notre voisinage et au-delà, approfondissant le dialogue politique, le soutien et la collaboration qui s'exercent avec les pays partenaires et les organisations internationales. Nous réaffirmons notre engagement en faveur de la sécurité et de la stabilité à long terme en Afghanistan. Nous accroissons notre coopération avec l'Organisation des Nations Unies ; des progrès sans précédent sont enregistrés dans la coopération OTAN­UE. Nous sommes attachés à la politique de la porte ouverte de l'OTAN, qui renforce l'Alliance et a apporté la sécurité à des millions d'Européens. La Macédoine du Nord, présente à nos côtés en ce jour, deviendra bientôt le tout nouveau membre de notre Alliance. Nous sommes déterminés à assurer la réussite de toutes nos opérations et missions. Nous rendons hommage à tous les hommes et à toutes les femmes qui ont servi au nom de l'OTAN, et nous honorons la mémoire de tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour préserver notre sécurité.
     
  6. Pour maintenir notre sécurité, nous devons regarder ensemble vers l'avenir. Nous prenons en compte l'éventail et l'étendue des nouvelles technologies pour conserver notre avance technologique, tout en préservant nos valeurs et nos normes. Nous continuerons d'accroître la résilience de nos sociétés, ainsi que de nos infrastructures critiques et de notre sécurité énergétique. L'OTAN et les Alliés, dans les limites de leurs compétences respectives, sont déterminés à garantir la sécurité de leurs communications, y compris la 5G, conscients de la nécessité de recourir à des systèmes sécurisés et résilients. Nous avons déclaré l'espace en tant que milieu d'opérations de l'OTAN, reconnaissant ainsi son importance s'agissant de préserver notre sécurité et de relever les défis en la matière, dans le respect du droit international. Nous étoffons nos moyens d'action face aux cyberattaques, et nous renforçons notre aptitude à assurer la préparation, la dissuasion et la défense face aux tactiques hybrides visant à porter atteinte à notre sécurité et à nos sociétés. Nous développons le rôle de l'OTAN en matière de sécurité humaine. Nous sommes conscients que l'influence croissante et les politiques internationales de la Chine présentent à la fois des opportunités et des défis, auxquels nous devons répondre ensemble, en tant qu'Alliance.
     
  7. Compte tenu de l'évolution de l'environnement stratégique, nous invitons le secrétaire général à présenter aux ministres des Affaires étrangères une proposition approuvée par le Conseil pour que soit mené, sous les auspices du secrétaire général, avec le recours à l'expertise pertinente, un processus de réflexion prospective visant à renforcer encore la dimension politique de l'OTAN, y compris la consultation.
     
  8. Nous exprimons notre gratitude au Royaume-Uni pour l'accueil généreux qui nous a été réservé. Nous nous réunirons de nouveau en 2021.
     
  9. En des temps difficiles, nous sommes plus forts de par notre Alliance, et nos populations plus en sécurité. Le lien qui nous unit et notre engagement mutuel garantissent nos libertés, nos valeurs et notre sécurité depuis 70 ans. Nous agissons aujourd'hui afin de faire en sorte que l'OTAN soit la garante de ces libertés, de ces valeurs et de cette sécurité pour les générations à venir.
 

 

 

mercredi, 04 décembre 2019

The Three Seas Initiative - a real geopolitical project or just the American version of Mitteleuropa

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The Three Seas Initiative - a real geopolitical project or just the American version of Mitteleuropa

 
Ex: https://www.geopolitica.ru

In the Polish scientific and geopolitical discourse there is about 100-years old tradition of the concept of distinguishing countries located in the (quite generally described) area located between the Adriatic, Baltic and Black seas, which is based on at leasttwo falsehoods and one understatement.

First of all - especially Polish politicians like to add to this project (born on the wave of the collapse of the Russian Empire and the emergence of new nationalisms in its areas) whole Centuries of supposedly natural integration processes taking place from Scandinavia to the Balkans, of course, with particular regard to the aspirations of some Polish monarchs (especially from the Jagielloniandynasty), leaders (Adam Jerzy, Prince Czartoryskiand Józef Piłsudski) and writers (Jerzy Giedroyc, Rowmund Piłsudski, Juliusz Mieroszewski). Meanwhile, only these last ones, 20thCentury activists and thinkers were true supporters, and in fact also the creators and continuators of the Polish version of the known German theory and practice of domination and exploitation of the German-Russian borderlands in the first half of the 20th Century. Any prior genesis and justification given to this idea is pure historical anachronism.

Secondly - the authorship, and thus the "natural leadership" of the project, is eagerly attributed to Poles by… falsehood. Meanwhile, there is no doubt that despite the different names - the vision of Intermarium, the Three Seas or any other Central European Initiatives are just a repetition of the Friedrich Naumann’s (primarily economic) conception, being at most a recapitulation of the tendencies dominating in the war and industrial spheres of the German Empire. Similarly, today it is easier for Poles to refer to Marshal Piłsudski and Jerzy Giedroyc than to confirm for example, the inspirational and efficient role of such American politicians as Zbigniew Brzezinski.

However, the understatement mentioned above remains the most important weakness of all these ideas. More precisely, the fact that no common interest could ever be pointed out in the past, unconditionally and unquestionably connecting and uniting the Central and Eastern Europe states, not only those distant from each other such as Finland and Greece, but even as seemingly close and neighbourly as Poland and ... Lithuania.

Moreover, that the only common goals for this area have so far been formulated only from the outside, from the point of view of some global power for various reasons wanting to pursue its interests in Central Europe. This was the case with imperial Germany, the Soviet Union, and now with the United States. And in this last, most current sense (in connection with the Three Seas Initiative) it is most clearly seen that this is not an integration, but ... an alienation program, intended to exclude acquired countries from other initiatives (primarily the mainstream European Union), and replace their own sovereign geopolitical visions and interests. And this is also the similarity of the American vision of the organization of Central Europe with its German, Kaiser's original (not to mention the identical purpose of both: economic exploitation. 

And of course - these are not the only barriers and limitations for Central European cooperation. It should be emphasized that often the same forces that formally support unity and integration - in fact, stimulate instincts and polarization initiatives, led by escalated ethno-nationalism to the level of chauvinism. It is enough to mention that quite recently, just 105 years ago, Central and Eastern Europe was already subject to far-reaching integration - within the framework of multi-ethnic empires - Russian, Austro-Hungarian and Turkish. And as it turned out, globalization interest (then, of course, not so called) – caused not only  awaking the state-building aspirations of historical nations (such as Poles or Czechs), but simply creating new nations, what finally led to fragmentation and permanent conflict in this part of the World (this process was also continued and intensified only 30 years ago, during the collapse of Yugoslavia and the Soviet Union).

This is how a significant part of the political borders that divide our World has been established up to this day - and even more importantly, how arose barriers in national consciousness (or according to others - sometimes how they were revealed) in extreme, even pathological forms. And this is also worth remembering that those who today urge for accelerated, political and mostly artificial integration - are often the same who once divided us.

From a purely geopolitical point of view – such a role was played in the Central European area historically by British politics and German practice - and today the by hegemonic interests of the United States in their declining, somewhat self-limiting shape.

We can see the playing of the ethnonationalist factor especially in the Baltic States and recently in Ukraine, and even in Russia, where a few years ago attempts at the "Colour Revolution" from liberal slogans smoothly switched to elements of xenophobia. So, we are dealing with an interesting paradox (in fact, however, rather apparent one).

At the same time we are witnesses of:

- disintegration activities leading to the diversification of the formally functioning European Community (from two points: from Brussels, Paris and Berlin to a Europe of Two Speeds - most of Eurozone vs. the rest and from Washington to create "an even more American Europe", i.e. the Three-Seas Initiative;

- supporting chauvinistic ethno-nationalisms in these areas, which in principle are against any real regional cooperation.

All these tactics are intertwined and complementary, which makes us understand that their real goal is neither real integration, including creation of any separate value (no matter - true or imaginary) in the form of the organization of the Intermarium area; nor the actual restoration of the national principle in World relations. So regardless of whether we want to increase the factor of cooperation and integration, or whether we recognize the priority of the national factor - the vision of the Three-Seas / Intermarium is radically contradictory with them and should be rejected.

Lecture at the conference "Академия диалога: культурные разломы и границы между Балтийским и Черным морями", Kaliningrad, November 28-29.

mardi, 03 décembre 2019

Nackter Wirtschaftskrieg: USA nehmen Maßnahmen gegen Nord Stream 2 in Verteidigungshaushalt auf

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Nackter Wirtschaftskrieg: USA nehmen Maßnahmen gegen Nord Stream 2 in Verteidigungshaushalt auf

Ex: http://www.zuerst.de

Washington. Das amerikanische Vorgehen gegen die russisch-deutsche Ostsee-Pipeline Nord Stream 2 nimmt immer aggressivere Formen an. Jetzt wurden die amerikanischen Sanktionsmaßnahmen, die derzeit gegen Firmen in Stellung gebracht werden, die an Nord Stream 2 beteiligt sind, formell in den Verteidigungshaushalt aufgenommen. Die Strafmaßnahmen wurden vom Kongreß in den Entwurf des sogenannten National Defense Authorization Act (NDAA) aufgenommen, teilte Jim Risch, Vorsitzender des Auswärtigen Ausschusses im Senat, dem US-Magazin „Defense News” mit.

Die Zeit für den Vorstoß wird immer knapper: „Vieles von Nord Stream ist bereits getan“, sagte Risch am Rande eines Sicherheitsforums im kanadischen Halifax. Die Sanktionen würden die beteiligten Baufirmen aber davon „überzeugen“, ihre Arbeit einzustellen. Risch weiter: „Es wird sie sehr viel kosten. Ich denke, wenn diese Sanktionen verabschiedet werden, werden sie schließen, und ich denke, die Russen werden nach einem anderen Weg suchen müssen, um dies zu erreichen, wenn sie es können.

Nach russischer Einschätzung sollen die jüngsten US-Sanktionsmaßnahmen nicht nur Rußland, sondern auch die Europäer als wirtschaftliche Konkurrenz für die USA schwächen.

Der russische Senator Wladimir Dschabarow sieht die US-Pläne als Teil eines Wettbewerbsbetrugs: „Nord Stream 2 hat nichts mit den Sicherheitsfragen in den USA sowie ihrer Verteidigungskapazität zu tun. Man will US-amerikanisches Gas aufzwingen, das wesentlich teurer ist.” (mü)

mercredi, 27 novembre 2019

Aggravation de la situation militaire en Europe de l’Est

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Aggravation de la situation militaire en Europe de l’Est

Une politique de détente est de plus en plus urgente

Ex: https://www.zeit-fragen.ch

rt. Sans prêter attention à la rhétorique des médias, il est à l’heure actuelle avéré que depuis l’entrée en fonction de Donald Trump, les Etats-Unis n’ont déclenché aucune nouvelle guerre – contrairement à ses prédécesseurs (Barak Obama: Syrie, Libye, continuation en Irak et Afghanistan; Bush jr.: Irak, Afghanistan). Au contraire, les troupes américaines se retirent de la Syrie, en Afghanistan on tente de trouver une solution pour le retrait, et il semble qu’on assiste à un retour au calme dans la zone de conflit en Ukraine orientale (suite aux bonnes relations entre Trump et le nouveau président ukrainien Zelensky).

Déploiement progressif à l’Est

Ce qui inquiète cependant de plus en plus les citoyens de nombreux Etats européens est le réarmement et le déploiement systématique de forces militaires aux frontières de la Fédération de Russie depuis 2014. Ce sont notamment:

  • le réarmement de plusieurs Etats d’Europe orientale par les Etats-Unis (pays Baltes, Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Moldavie, Bulgarie);
  • l’extension de bases militaires américaines pour l’armée, la marine et les forces aériennes;
  • le réarmement des Etats membres de l’OTAN (2% du Produit intérieur brut1 pour l’armement);
  • la réinstallation tacite de formations de chars allemands (certes pas pour des promenades dans la lande de Lunebourg);
  • les manœuvres de l’OTAN et les exercices de déploiements alliés de plus en plus importants à la frontière de la Russie (Defender 2020 avec 34 000 soldats)
  • la diabolisation systématique de la «Russie» depuis 2014;
  • la rhétorique offensive dans le domaine politique, comme les discours de la ministre allemande de la Défense Kramp-Karrenbauer ou de la nouvelle présidente de la Commission européenne von der Leyen;
  • le manque de volonté pour pacifier la situation de la part des Etats membres de l’UE et de l’OTAN;
  • la suspension d’accords de désarmement existants avec la Russie;
  • la poursuite de sérieuses sanctions contre la Russie, etc.

Champ de bataille en Europe

Le fait que l’armée russe ait entre-temps modernisé ses armes et soit en mesure, en cas de conflit, de déplacer la zone de conflit militaire à 1500 kilomètres vers l’Ouest, c’est-à-dire au cœur de l’Europe occidentale, est devenu évident après son engagement en Syrie.
Alors qu’on peut s’attendre à ce que l’industrie américaine de l’armement et ses lobbys influents aient un certain intérêt à l’escalade militaire pour accroître la production et l’exportation de ses produits, et que la politique américaine ait un intérêt à maintenir les emplois existants à l’intérieur du pays, il est beaucoup plus difficile de comprendre pourquoi la résistance des gouvernements des Etats européens à une telle escalade est si limitée.

Tirer les leçons du passé

Après les nombreuses guerres dévastatrices qu’ont vécues les Etats européens au cours du dernier siècle, il est bien connu et scientifiquement prouvé que les guerres sont systématiquement préparées à long terme et qu’elles sont «voulues» ou planifiées par certains groupes de personnes. Un tel processus peut également s’étendre à plusieurs Etats, par exemple dans le cadre d’une alliance:

  • par l’implication de certaines forces sociales et politiques dans un pays espérant tirer avantage d’une guerre ou pouvant être mis sous pression pour de tels objectifs;
  • en utilisant les médias pour établir et développer au sein de la population une image hostile de l’«ennemi», avec des moyens de la psychologie de masse (PR), pouvant être mobilisé à tout moment.
  • en modifiant successivement les lois ou les articles constitutionnels «dérangeants» et restreignant pour une politique belliciste agressive (p.ex. les réserves parlementaires ou le principe de neutralité);
  • par un réarmement militaire planifié et systématique;
  • par des mesures asymétriques et à bas seuil contre une puissance «hostile» (boycott, sanctions, guerre économique ou persécution «juridique» de personnalités politiques individuels);
  • en faisant de la surenchère médiatique de certains «événements / incidents»;
  • en développant une rhétorique belliciste et menaçante dans les médias et en politique;
  • par la rupture des relations diplomatiques;
  • par des actes de guerre.

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Lors d’un conflit militaire entre les Etats-Unis et la Russie, il semble aujourd’hui évident que l’Europe sera le champ de bataille, car ni les Etats-Unis ni la Russie voudront que les combats militaires aient lieu sur leurs propres territoires.

Tout engagement en faveur de la com­préhension entre les peuples est bénéfique

C’est pourquoi chaque pas contribuant à une désescalade est actuellement de grande importance. Tout effort visant à promouvoir la compréhension et la paix entre les peuples est un pas dans la bonne direction. Tout effort politique en faveur de la compréhension et du respect mutuels est important. Le respect du droit international et des objectifs liés à la création de l’ONU doit être placé de toute urgence au centre de l’engagement politique de tous les Etats.
Compte tenu de l’écart social s’élargissant constamment et de la menace d’une crise économique et financière, les Etats européens profiteraient énormément d’une «dividende de la paix». Celle-ci résulterait d’une politique étrangère et économique pacifique avec tous les Etats – notamment en éliminant toutes les dépenses improductives pour les armements militaires.    •

1 Il ne faut pas se laisser tromper par le chiffre de 2% du PIB. Le produit intérieur brut (PIB) mesure la production de tous les biens et services d’un pays après déduction de toutes les prestations déjà effectuées. En 2018, on a calculé pour l’Allemagne un PIB de 3,344 billions d’euros. Cela signifie que 2% correspondent à environ 66,88 milliards d’euros pour les dépenses militaires (le chiffre actuel est de 38,9 milliards d’euros en 2018). Il s’agit donc d’une énorme augmentation du budget militaire.

«L’OTAN aurait dû disparaître avec le bloc soviétique»

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«L’OTAN aurait dû disparaître avec le bloc soviétique»

Interview de Gabriel Galice,* économiste et politologue, Berne

Ex: https://www.zeit-fragen.ch

Créée pour combattre le communisme, l’OTAN aurait dû disparaître en même temps que l’URSS, estime Gabriel Galice, président de l’«Institut international de recherches pour la paix» (GIPRI) à Genève. Au lieu de cela, déplore-t-il, l’organisation militaire est devenue le bras armé des Etats-Unis.

Echo Magazine: Selon vous, l’«Organisation du traité de l’Atlantique nord» (OTAN) aurait dû être dissoute il y a longtemps. Pourquoi?

Gabriel Galice: Parce que l’ennemi qu’elle était censée combattre n’existe plus.

Comment cela?

Le traité de l’Atlantique nord a été signé en 1949. Son organisation politico-militaire, nommée OTAN, a été constituée l’année suivante par une douzaine d’Etats dont les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Italie et la France, pour parer à une attaque de l’Union soviétique. Or, cette menace a disparu avec l’effondrement de l’Empire soviétique en 1991.

Concrètement, qui était l’ennemi de l’OTAN?

Le pacte de Varsovie. Cette alliance militaire fut créée en 1955 en réaction à l’agrandissement de l’OTAN qui avait incorporé la Turquie, la Grèce et l’Allemagne de l’Ouest. Fondée sous la houlette de Nikita Khrouchtchev, alors premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique, elle réunissait l’URSS, les républiques populaires d’Europe de l’Est et la RDA (cf. encadré). Elle a été dissoute six mois avant l’effondrement effectif de l’URSS, le 1er juillet 1991.

Pourquoi, alors, l’OTAN n’a-t-elle pas été dissoute?

Il y a eu un moment de flottement résumé par cette déclaration d’un ancien amiral de l’OTAN en poste à l’époque: «On a essayé de remplacer l’OTAN par quelque chose, mais on n’a rien trouvé». La Russie avait tenté de se rapprocher de ses voisins en proposant, entre autre, avant la chute du mur en 1988, la «Maison commune européenne». Certains ont songé à refondre l’alliance en incluant l’ancienne puissance soviétique. Un comité Russie-OTAN a même vu le jour. Bref, on a bricolé. Jusqu’à ce que les tendances lourdes reprennent le dessus.

C’est-à-dire?

Les pressions des lobbys du pétrole et de l’industrie de la guerre, la lutte pour le contrôle des ressources naturelles, etc. A la fin des années 1990, les dirigeants de l’alliance militaire, poussés par le gouvernement des Etats-Unis, ont décidé de s’étendre vers l’Europe orientale, rapprochant ainsi dangereusement les troupes atlantistes de la frontière russe. L’ancien président de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev, décrit cette décision dans un livre paru il y a quelques jours, comme «la plus grande erreur stratégique de l’Occident».

Qu’y a-t-il de si dérangeant à voir l’OTAN s’agrandir si son but est de garantir la paix et la stabilité mondiales?

On confie la paix aux diplomates, pas aux soldats! Je doute que les populations afghane, irakienne et serbe considèrent l’OTAN comme un facteur de stabilité. Dans toutes les régions où ses troupes sont intervenues, les morts se comptent par milliers.
Et pourtant, l’organisation militaire ne cesse de grandir. Elle s’étend aux pays baltes et de l’Est et compte désormais 29 membres…
Si l’on voit l’OTAN, qui vient de fêter ses 70 ans, comme un bouclier contre le communisme, son extension constante à partir de la chute de l’Empire soviétique est incompréhensible. En revanche, si l’on considère cette superpuissance militaire pour ce qu’elle est devenue, un instrument de l’hégémonie américaine, tout devient clair.

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Un instrument de l’hégémonie américaine?

Le siège de l’OTAN est à Bruxelles, d’accord. Mais les Américains financent 70% du budget de cette armée de 3 millions d’hommes en service actif. Viennent ensuite l’Angleterre (6,2%), la France (5%), l’Italie (2,5%), le Canada (2,1%)… Ce n’est un secret pour personne: les Etats-Unis contrôlent cette armée, qui est la plus puissante du monde.
Or que disent les têtes pensantes de la première puissance mondiale, tel l’influent analyste américain Thomas Friedman, chantre de la mondialisation? «La main invisible du marché ne fonctionne pas sans un poing caché qui s’appelle l’armée, la force aérienne, la force navale et les Marines des Etats-Unis.» C’est limpide: la mondialisation va de pair avec un mouvement militaire de conquête des populations et des territoires.

Trente ans après la chute du mur, ce poing caché se tourne à nouveau vers la Russie…

Oui. L’OTAN assiège désormais la Russie. Ce n’est pas bon pour la paix – on l’a vu en Géorgie, en Ukraine, en Crimée, mais également en Syrie. La défense commune et solidaire (du monde libre, des démocraties) a été remplacée par le concept de sécurité. Beaucoup plus flou, celui-ci autorise les troupes américaines à intervenir partout et en tout temps, bien au-delà de l’Atlantique nord. Le seul fait de menacer une source d’approvisionnement d’un membre de l’alliance peut justifier une attaque. Si la Chine convoite du pétrole au Nigeria, cela peut être un motif d’intervention. Cette alliance non plus défensive, mais offensive, est une menace pour la paix.

L’OTAN a-t-elle un contrepoids aujourd’hui?

Oui. L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), créée en réaction à son extension. Signée en 2001 entre Vladimir Poutine et l’ancien président chinois Jiang Zemin, cette alliance militaire et économique comprend également quatre pays d’Asie centrale (cf. encadré). Elle est passée à dix membres en 2016 avec l’arrivée du géant indien et de son voisin pakistanais. Deux puissances nucléaires de plus, auxquelles il faut ajouter une dizaine d’Etats partenaires et observateurs dont la Turquie (également membre de l’OTAN!) et l’Iran. A travers l’OCS, la Chine et la Russie font front commun contre les Etats-Unis et l’OTAN.

Entre l’OCS et l’OTAN, quelle marge de manœuvre pour l’Europe?

Nous devons tout faire pour échapper à cette double emprise – pour garder notre indépendance, mais aussi parce que les Chinois et les Américains pourraient s’entendre à nos dépens. Il faut se rapprocher des Russes qui ne cessent de nous tendre la main et qui, même s’ils sont alliés aux Chinois, se sentent européens. Alors soyons raisonnables, profitons-en pour nous rapprocher de Moscou. Ce serait préférable pour l’Europe et l’équilibre mondial.    •

(Propos recueillis par Cédric Reichenbach)

Source: Echo Magazine no 45 du 7/11/19. www.echomagazine.ch

Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN):
Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, Italie, France, Belgique, Danemark, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Luxembourg, Islande (1949). Grèce et Turquie (1952). Allemagne (1955), Espagne (1982), République tchèque, Hongrie et Pologne (1999), Bulgarie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie (2004), Albanie et Croatie (2009), Monténégro (2017).
Organisation de coopération de Shanghai (OCS):
Chine, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan (2001), Inde et Pakistan (2016) et une dizaine d’Etats partenaires et observateurs dont la Turquie et l’Iran.

 

Quelle interprétation de l’eurasisme ?

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Quelle interprétation de l’eurasisme ?

 

par Yohann Sparfell

Ex: https://www.in-limine.eu

Chez de nombreux nationalistes et dissidents des nations occidentales, qui comprennent toutefois l’importance de prolonger leur idéal en direction du redressement spirituel et politique de la civilisation européenne, le néo-eurasisme est perçu de plus en plus, nous semble-t-il, comme une doctrine politique, géopolitique, et même métapolitique, intéressant exclusivement la Russie. Nous pensons que cette aperception des choses est issue d’une interprétation de cette nouvelle théorie politique qui émane principalement de deux éléments, historique et conjoncturel : d’une part le fait que l’eurasisme soit à son origine, c’est-à-dire au début du XXième siècle, l’aboutissement du travail intellectuel de penseurs russes, certains émigrés en Europe de l’Ouest (Mendeleev, Troubetskoï, Florovsky, Alexeïev, etc.) et, d’autre part, que la majorité des militants européens actuels ne saisissent pas toujours clairement la nécessité, simultanément à leur combat (consistant à stimuler et à affirmer la singularité d’une civilisation, la civilisation européenne, à partir de ce qui subsiste de ses fondements culturels et spirituels), de participer à l’élaboration d’une nouvelle théorie politique universelle propre à proposer de façon adéquatement différenciée à chaque civilisation un devenir qui s’ « abreuve » de la Tradition et qui s’oriente par rapport à la Centralité atemporelle de Celle-ci (cet enjeu hautain se situe donc au niveau supérieur de la doctrine, et au-delà, au niveau d’une vision spirituelle universelle du monde, avant même de pouvoir se situer au niveau inférieur, quoique essentiel, de son adaptation à une civilisation en particulier afin de lui restituer un Centre immatériel inspiré par cette vision supérieur du monde, bref, d’instaurer un Imperium européen).

Le premier élément, historique, ci-dessus mentionné, pourrait sembler surmonté par l’effet du temps, mais en apparence seulement, surtout chez certains nationalistes de l’Europe de l’Est principalement, puisqu’il joue encore, du fait de son origine russe, un rôle répulsif tant il est vrai que l’eurasisme représente pour eux un idéal oriental, asiatique, donc strictement étranger à la culture européenne originelle, et qui plus est, amalgamé au passé bolchévique. Il est exact que l’eurasisme initial s’appuyait grandement sur un « fusionisme » slavo-turco-musulman en phase avec la vision d’une destinée impériale singulière multi-ethnique et multi-nationale de la Russie intégrant ses aspects européen et turco-mongol. Il était effectivement l’aboutissement doctrinal d’une volonté, dans l’esprit de ces penseurs russes exilés, consistant à redonner des perspectives véritablement impériales à la Russie, c’est-à-dire d’en faire le siège du Centre politique et spirituel d’une civilisation prétendument singulière, suite aux enseignements qu’ils ont pu tirer de la révolution bolchevique. Mais le but ici n’est pas d’analyser, même brièvement, cet eurasisme originel car nous pensons pour notre part que le néo-eurasisme, que nous participerons ici à faire mieux appréhender sous le vocable d’« eurasisme », tout simplement, a su dépasser, grâce aux travaux et aux relations internationales soutenus par Alexandre Douguine et bien d’autres, l’espace auquel il s’était donné pour tâche sacrée à l’époque de redonner une Vie spirituellement ordonnée. Il nous faut aujourd’hui « européaniser » cette pensée féconde, car elle est, en réalité, issue de l’Europe même, de l’expérience historique de cet Europe slavo-caucasienne étendue aux nations touraniennes limitrophes.

Le second point, que nous avons qualifiés de conjoncturel, pourrait être lié au fait que la Russie s’affirme de plus en plus comme un acteur majeur du jeu géopolitique mondial actuel. Partant, ce qui est perçu de façon croissante comme une Nation qui non seulement voudrait affirmer sa singularité telle une civilisation en propre mais qui, dans le même temps, est victime d’un ostracisme de la part du cartel des pays occidentaux (sous la pression américaine), se voit bénéficier, et ce d’un point de vue qui peine à comprendre la nécessité actuelle d’une nouvelle démarche spirituel et politique vers l’universel, d’une théorie politique « appropriée » qui serait donc prétendument adaptée à son paradigme culturel, géographique et historique, voire ethnique (ce qui en soit est un non sens puisque la Russie est ethniquement et majoritairement indo-européenne), : l’eurasisme. Dans l’esprit de ces contempteurs de l’univers russe, ainsi d’ailleurs que de beaucoup d’eurasistes russes eux-mêmes, l’eurasisme serait par conséquent le prolongement doctrinal d’une césure civilisationnelle séparant la Russie du reste de l’Europe, position affirmée par Douguine lui-même (qui estime que la Russie est une civilisation orientale fortement influencée par la culture touranienne. Mais nous pourrions répondre que l’Europe, plus à l’ouest et au sud, a aussi été influencée par les cultures touranienne sans pour autant qu’elle n’en reste européenne). Il est tout à fait exact de dire que cette doctrine prend directement en compte les situations géographique et géopolitique russes au sein du Grand Continent Eurasien et la réalité socio-culturelle des peuples divers qui composent la Fédération de Russie aujourd’hui en phase d’affirmation empreinte d’incertitudes et d’hésitations à l’égard du reste de l’Europe. Cette nouvelle théorie politique, et spirituelle (ce qu’elle se doit d’être en tout premier lieu – mais nous y reviendrons), est centrée (et ce terme est d’importance à cet égard) sur une réalité des rapports internationaux actuels et une certaine aspiration qui en découle logiquement (sentiment d’exclusion de la sphère originelle européenne – sanctions, présence de l’OTAN aux frontières occidentales de la Russie, etc.). Il est bien entendu que cette aspiration motivée par la réalité actuelle d’un Occident en perte d’hégémonie ne saurait qu’être mis en parallèle avec l’absence de réelle aspiration autonome d’une Union Européenne engluée dans son atlantisme et son néo-libéralisme destructeur.

La démarche russe vers une vision civilisationnelle auto-centrée est fondée d’après la position centrale de cette immense Nation, position tout autant historique que géographique issue de la rencontre des peuples indo-européens et de peuples touraniens dans leur marche eschatologique respective, les premiers cherchant le levant et les immensités continentales du sud-est, les seconds le couchant et l’ouverture vers les mers occidentales du sud-ouest. Il ne saurait être question de nier l’Histoire, ni d’ailleurs la réalité de la mission historique d’une Nation indo-européenne qui devait pousser vers l’Est et les Grands Espaces eurasiens pour l’affirmation du pouvoir européen en Eurasie. L’eurasisme se fonde sur la reconnaissance des implications de cette aventure humaine guerrière et créatrice ayant finalement abouti à une Fédération de peuples multi-ethniques (mais avec l’ethnos slavo-caucasien au centre de cette dynamique nationale) dont la particularité est d’assumer aujourd’hui à elle seule un rôle de pivot et d’ouverture entre l’Orient et l’Occident. La Russie actuelle, avec les nations indépendantes qui lui sont historiquement, culturellement et économiquement liées, ainsi que spirituellement (soit l’Arménie, la Géorgie, la Biélorussie, l’Ossétie, etc.), participent bien à leur manière d’une civilisation qui s’est étendue historiquement au cœur de l’Eurasie, soit l’Europe, d’où elles jouent en réalité le rôle de lien entre cette dernière et l’Orient (Chine, nations turciques centre-eurasiennes et nations principalement d’origine indo-européennes du Sud eurasien : Iran, Inde). Son héritage européen primordiale, et toujours actif dans la pensée eurasiste même, ne saurait édulcorer une réalité rendue bien plus complexe et diverse par sa rencontre avec l’Orient, d’autant plus assumée de par son extension au sein du continent eurasiatique jusqu’au Pacifique (les Cosaques atteignent le Pacifique en 1640) et le Caucase (annexion de diverses nations caucasiennes au début du XIXième siècle : Arménie, Daghestan, Azerbaïdjan), ce qui a renforcé d’une certaine façon sa singularité par rapport au reste de la Mère Patrie européenne. Mais d’une certaine façon seulement car les liens, pour être distendus, n’en sont pas moins présents vers l’Europe dans une vision partagée de l’homme que l’on pourrait à juste titre relier à un « humanisme » européen originel hérité des traditions pré-chrétiennes aujourd’hui en grande partie dévoyées dans le catholicisme réformé, mais mieux conservés dans l’orthodoxie russe. La Russie est et restera européenne, si l’Europe, et elle-même, le veulent !

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L’eurasisme est donc issu d’une prise de conscience de la généalogie d’une Nation singulière au sein de laquelle ce courant d’idée apparu, avec tout ce qu’une telle connaissance peut être à même d’engendrer au crépuscule d’un monde qui s’efforce de nier la réalité profonde et sacrée de l’affirmation de la personnalité (à l’antithèse de l’individu). L’eurasisme est donc une approche civilisationnelle, impliquant profondément une démarche spirituelle, et géopolitique, pour laquelle importe avant toutes choses que les hommes, ainsi par conséquent que leurs communautés, puissent s’assimiler la force supra-humaine qui les fit naître singulièrement au sein du monde créé, et s’affirmer au travers elle. De Vladivostok à Lisbonne, cette affirmation est européenne. L’eurasisme est d’essence européenne, même si sa portée spirituelle se doit être universelle.

L’eurasisme est donc né d’une prise de conscience de la constitution originelle, spirituelle et singulière d’une Nation eurasienne (dans le mot « Eurasie », il y a Europe autant que Asie !) de la part de penseurs politiques et de philosophes russes qui avaient touché du doigt l’essence sacrée et axiale de sa « présence au monde ». Nous avons vu que cette théorie politique, malgré qu’elle ait pu être inspirée par la singularité de l’Histoire russe et qu’elle soit néanmoins profondément européenne (mais non occidentale), peut avoir pour destinée d’intéresser (dans une volonté mondiale d’instaurer une affirmation et, dans le meilleurs des cas, une harmonie des civilisations) l’ensemble des civilisations humaines, mais surtout d’être un mode de pensée au travers duquel celles-ci sauront à même de pouvoir dominer leur devenir. Il faut bien comprendre que l’eurasisme se veut être une nouvelle théorie dite « politique » qui, pour autant, est d’abord et plus profondément d’essence spirituelle. Elle nous invite en tout premier lieu à nous réorienter par rapport à un Centre qu’il nous sera nécessaire de découvrir au cœur de chaque civilisation comme de chaque communauté et personne la composant. Ce Centre n’est pas fondamentalement différent d’un point à un autre (d’une entité humaine à l’autre), mais il est d’une même Nature spirituelle partout, de formes diverses dans ses manifestations singulières, mais pourtant Un en chaque émanation de l’Être. C’est en cela que l’eurasisme peut représenter le moteur spirituel de l’élévation des esprits vers une nouvelle interprétation de l’universel, un universel qui ne saurait être confondu avec l’uniformité (ou, ce qui revient pratiquement au même, à l’universalisme), à moins de vouloir corrompre ce qui constitue les fondements de cette nouvelle théorie. En d’autres termes, l’eurasisme est une volonté opportune d’orientation vers la Tradition et son Centre céleste que notre civilisation européenne, Russie incluse, situa en Hyperborée, où nous aurons bien le besoin, il va sans dire, de nous ressourcer.

Cette nouvelle théorie, dont on a vu qu’elle est d’essence européenne et d’esprit universel (sans pour autant en faire un nouvel universalisme), est en outre politique et géopolitique, et donc pleinement apte à s’intégrer à l’espace planétaire de la pensée humaine du XXIième siècle qui prend peu à peu conscience de l’inconséquence aporétique dans lequel l’enferme la théorie néo-libérale, seule rescapée et en même temps héritière des fourvoiements idéologiques du XXième siècle. Cette théorie est donc amenée à participer au renouvellement radical (dans le sens réel du terme, c’est-à-dire qui revient à la racine, à l’essence des « choses ») d’une pensée politique qui s’est effectivement articulée jusque présent autours des trois théories politiques que sont le communisme, le nationalisme et le libéralisme, y compris dans toutes leurs variantes, jusque récemment, donc incluant la forme postmoderne du libéralisme : le post-libéralisme impolitique qui s’est de manière insidieuse immiscée en chacune des civilisations de façon à leur ôter toute réelle vocation et leur empêcher de participer à une nouvelle harmonie internationale nommée multipolarité ou encore mieux, polycentricité. Parce que l’eurasisme est aussi, et en second lieu après son approche affirmée d’une réorientation spirituelle du monde, la théorie de la multipolarité civilisationnelle qui, à son tour, intéresse l’ensemble des civilisations ainsi que des communautés humaines en cours de réaffirmation et de ré-identification à leurs fondements originels.

Mais si l’eurasisme est une théorie géopolitique, centrée sur l’essence spirituelle des civilisations et sur les rapports singuliers qu’elles entretiennent à leur propre espace (espace ayant participé à leur fondation charnelle), elle est donc aussi une théorie politique, la Quatrième Théorie Politique, dont la particularité est justement de vouloir redonner au terme même de « politique » une légitimité au regard du devenir des communautés humaines. Le politique doit justement redevenir un Art au travers duquel les personnes pourrons, et même devrons, se réorienter elles-mêmes vers le centre ordonnateur et harmonisateur de chaque communauté dont elles sont membres, vers leur propre manière d’ « habiter le monde ». La décision, qui se doit de se nourrir de la multiplicité des points de vues exprimés librement, retrouvera en dernier lieu une centralité qui la soustraira de toute obscurité liée aux instabilités de la matière (c’est-à-dire des vicissitudes liées au monde inférieur de la nécessité). La centralité et la multiplicité ne devront plus être antinomiques mais devront au contraire pouvoir se réaffirmer conjointement au travers du politique et du compromis qui lui est lié, tout comme du spirituel, qui s’incarneront dans le Bien commun. L’eurasisme est une théorie politique qui porte en elle ce principe hautain visant à élever le politique au-dessus des conflits d’intérêts (notamment économiques) et de le soumettre à la supériorité du spirituel (par le biais du Bien commun tel que nous le comprenons et tel qu’il doit être compris dans l’optique de la Quatrième Théorie Politique), au travers d’une reconnaissance toute singulièrement européenne et de l’inéluctabilité des jeux de pouvoir et de la nécessité de les circonscrire au sein d’une juste hiérarchie.

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Au vue de ce qui précède, nous considérons qu’il serait tout à fait inopportun d’estimer que l’eurasisme puisse intéresser exclusivement l’univers russe, ou adapté spécifiquement à cet univers « oriental » (par rapport au reste de l’Europe), malgré que cette théorie ait été marquée par cette spécificité depuis son origine pour s’ouvrir inévitablement vers l’universel par la suite. Les militants européens auraient donc toute légitimité à s’en réclamer à l’égard d’une nouvelle affirmation de l’Europe qui paraît encore, somme toute, hypothétique au vue du manque cruel de volonté de ses dirigeants actuels (manque de volonté de se dégager de l’hégémonisme unipolaire américain hérité des deux grandes guerres du XXième siècle, comme du totalitarisme rampant du post-libéralisme « libéré » du politique et des enracinements). Et si la civilisation européenne pouvait avoir une chance de se ré-élever (et redevenir Kultur !) en nous efforçant d’étudier et d’adapter les idées de l’eurasisme (et donc la doctrine d’une Quatrième Théorie Politique européenne), ce ne serait justement pas pour dévier de ce qui fait la singularité du langage et de l’Idée originelle de notre civilisation (puisque l’eurasisme, comme nous l’avons déjà dit, est d’essence européenne selon nous), mais au contraire, pour pouvoir l’affirmer au regard d’une théorie politique et géopolitique qui fait des civilisations et de leur singularité les axes autours desquels devront s’articuler de nouvelles théories et de nouvelles pratiques distinctives au sujet de l’homme et de ses relations à l’Autre et son environnement.

L’eurasisme n’est donc pas étranger à l’Europe car il s’agit là en réalité du nom donné à une nouvelle théorie politique, avec un volet géopolitique crucial, que chaque civilisation devra aborder et s’approprier à sa façon et selon sa propre vision originelle du monde et de l’homme. L’enjeu n’est pas, effectivement, de s’efforcer de regarder le monde par le petit bout de la lorgnette russe, mais bel et bien d’asseoir et d’affirmer notre propre vision du monde originelle européenne (que nous avons en partage avec les nations ethniquement européennes à l’est du Dniepr) tout en nous efforçant de dépasser les chimères qui, jusqu’à aujourd’hui encore, nous servent de guides intellectuels dans nos errements inconséquents.

Nous pouvons d’ailleurs émettre aujourd’hui un autre argument en faveur de l’eurasisme qui puisse en faire un instrument conceptuel, mais aussi réaliste, visant à faire ré-émerger l’Idée européenne (un humanisme originel ayant une vision réaliste de l’homme) des limbes dans lesquelles l’ont plongés les idéologues néo-libéraux. La Russie et les nations qui gravitent historiquement autours, comme précédemment mentionnées, sont primordialement de culture européenne, comme nous avons déjà pu l’exprimer ici. Mais, la réalité géopolitique du monde actuel, incitant à ce que la multipolarité s’affirme dans les rapports internationaux, tendra en outre à faire que les entités nationales de l’ex-URSS et les autres nations européennes se rapprochent de plus en plus de façon à intensifier leurs coopérations et leur intégration face aux tentatives ou potentialités hégémoniques émanant d’autres pôles plus puissants comme l’Amérique du Nord ou la Chine. Elles le devront aussi du fait des menaces qui, déjà, frappent à leur porte, notamment celles concernant l’immigration de masse et le terrorisme islamiste. C’est sans doute, et ce en vertu de la réalité des tendances des relations internationales actuelles, l’ensemble civilisationnel regroupant les nations russo-eurasiennes et européennes (de l’actuel UE), grâce à une coopération étroite et suivie, qui sera le Grand Espace au sein duquel l’eurasisme, dans toute l’Europe, devra s’affirmer une fois dépassés les vieilles rancœurs qui, encore, alimentent les discours officiels de dirigeants et de médias qui restent désespérément accrochés à leurs lubies idéologiques et leurs dépendances (sous)-culturelles. Cela doit être un argument de plus en faveur du fait que l’eurasisme, et la Quatrième Théorie Politique, non seulement ne sont pas exclusivement liés à la Nation russo-eurasienne (la Fédération de Russie et ses nations « satellites »), mais en outre qu’elle peut être à même de permettre de refonder un Grand Espace géopolitique (et spirituel) euro-asiatique (ou eurasien) qui pourra être à même de s’affirmer dans le chaos mondial actuel résultant de la dilution d’un ordre des rapports internationaux qui ne peut résister aux problèmes et contradictions qu’il a lui-même engendré dans le cours hégémonique du néo-libéralisme triomphant (la « Grande Europe » de Rejkjavik à Vladivostok).

L’eurasisme est une arme conceptuelle (tout en étant plus fondamentalement la clef doctrinaire de la réémergence possible du logos originel européen devant ouvrir à une nouvelle conscience spirituelle et communautaire civilisationnelle) qui intéresse primordialement l’Europe et la Russie en tant que Nation européenne, ensembles, unies par une volonté nouvelle d’inspirer un monde capable de dépasser (mais non d’annihiler) l’antagonisme entre l’universel et l’individuel. Ce que nous pourrons fonder de façon préliminaire de par nos relations entre les nations européenne et russo-eurasienne, et de par les relations alors plus assurées entre l’Europe et les autres civilisations mondiales, seront à la base d’un nouvel ordre de rapports internationaux qui devra émaner d’un respect du à chaque singularité et de relations non basées sur l’hégémonie et l’unilatéralisme.

Nous pouvons par conséquent nous réclamer avec force et conviction de l’eurasisme tout en ayant une foi profonde et enracinée à l’égard du devenir de l’Europe, en tant qu’européistes (malgré tous les à priori qu’inspirent ce terme à un certain nombre de néo-souverainistes) . Nous ajoutons même, que l’un engage fortement l’autre puisque l’eurasisme est un engagement en faveur de la renaissance et de la Puissance de notre civilisation européenne dont nous pouvons alors prendre conscience de ses potentialités en tant que pôles géopolitiques prenant une part considérable, si ce n’est fondamentale, au renouvellement radical des relations internationales (d’où l’importance aujourd’hui à ce qu’un Imperium européen post-UE s’associe étroitement aux initiatives russes de redéfinition des rapports internationaux et inter-civilisationnels). L’eurasisme n’est, en effet, pas séparable du projet de construction d’un ordre mondial organisé autour du principe de la multipolarité. Il n’est pas séparable, non plus, d’une vision organique des communautés humaines qui inclus les régions, les nations, les ethnies et les peuples dans un respect de la diversité culturelle, politique et spirituelle qui devra structurer le monde multipolaire à venir. L’eurasisme, si l’on peut dire, est un globalisme de la « périphérie » qui se doit de s’élever contre le globalisme du « centre » imposé, entre autres, par l’arme déstructurant des « droits de l’homme » et par le Marché. Nous pouvons d’ailleurs constater que, de ce point de vue, le mouvement des Gilets Jaunes, d’une certaine façon et de façon relative, s’engage inconsciemment dans cette voie, et est donc partie prenante de ce combat eurasiste.

L’eurasisme n’a aucune « vérité révélée » à imposer d’une façon ou d’une autre aux peuples et aux civilisations car il englobe une prise de conscience de la nécessité de respecter les diverses visions du monde qui construisent les humanités. Sa structure théorique s’appuie sur une appréciation spatiale (non principalement selon le sens anglo-saxon du terme, soit une ambition tournée vers la conquête, horizontale, mais selon une vision « cosmique » qui donne priorité à l’ordre et à l’harmonie, verticale) des civilisations dont l’enjeu primordial est pour chacune d’entre elles de pouvoir bâtir leur devenir à la lumière de leur tradition, tout en participant activement à l’élaboration d’un nouveau type de relations internationales au cœur desquelles s’imposeront une pleine conscience des réalités géographiques (économiques, énergétiques, etc.) ainsi que des différences d’approches culturelles, voire spirituelles et religieuses, plus ou moins reliées à ces réalités.

L’eurasisme est donc un appel à une nouvelle tentative d’harmonisation du monde, dont il est su au préalable qu’elle sera toujours en chantier, et non pas un quelconque espoir en faveur d’un nouvel idéalisme, de nouvelles croyances, soit une nouvelle idéologie abstraite. C’est une nouvelle théorie politique et géopolitique qui est une conscience de ce que le monde ne saurait se plier à la contrainte d’idéologies abstraites sans se sacrifier sur l’autel du vice et du faux (les abstractions sont des constructions inséparables de la pensée qui ne doivent pas pour autant s’imposer dans les esprits comme buts. Comme l’écrivait Heidegger, le mot allemand bauen veut dire bâtir, mais aussi habiter, signifiant en cela que nous ne saurions échafauder sans y trouver profondément un sens dans la réalité en fonction de la singularité de nos être-là, de notre façon d’être-dans-le-monde). C’est en cela que l’eurasisme est un dépassement, une Nouvelle Théorie, qui se positionne entre les fondamentaux de l’homme et ses responsabilités quant à son accomplissement par et pour son monde. L’eurasisme nous offre à ce titre une perspective qu’il appartient à chaque civilisation de mettre en œuvre selon sa propre weltanschauung.

L’eurasisme européen (de Lisbonne à Vladivostok et de Hammerfest à Erevan) peut donc devenir une réalité dans nos cœurs, dans nos pensées et nos actes pour peu que nous sachions bien comprendre ce qui en fait sa force et toute sa potentialité rénovatrice et créatrice. C’est pour cela, en tout cas, que nous-mêmes nous nous reconnaissons en tant qu’eurasiste et que nous désirons contrer la tendance actuelle en Europe à vouloir refouler cette Idée dans les strictes limites d’une « civilisation » russo-eurasienne qui est plutôt, en réalité, une part inespérée et un tant soit peu préservée de l’ancienne Kultur européenne. Puissions-nous en réalité nous inspirer aujourd’hui de cette Sainte Sagesse qui y a été relativement épargnée des affres de la Modernité par une Histoire à mille lieux des chemins perfides de la démocratie libérale.

Il devient indispensable de tourner le dos à une certaine vision de la géopolitique qui en fait toujours l’instrument scientifique au service de l’extension d’une puissance malsaine et illusoire, bref, de l’impérialisme. La géopolitique doit devenir pour nous, et dans le respect des différences culturelles et spirituelles, un outils au service d’une nouvelle harmonie entre les nations et les civilisations. L’Europe et ses nations doivent pouvoir y puiser la force de réorienter leur devenir en accord avec les grands projets mondiaux qui, au fils des ans, changeront radicalement l’ordre du monde (nous pensons ici entre autres au projet de Nouvelle Route de la Soie – Belt and Road Initiative – mené par la Chine) ; mais à la condition que nous ayons acquis au préalable les conditions, tant économiques, politiques que culturelles, de les accueillir favorablement et équitablement.

L’eurasisme est une Idée que les peuples et les civilisations devront s’approprier en fonction de leur propre vision du monde. Elle est donc l’alpha d’un mouvement créateur singulier et propre à chacun dont l’aboutissement, l’omega, devra être le dépassement de limites qu’aujourd’hui nous subissons de par l’hybris mondialiste. Elle est une force, nous le rappelons, qui nous fera élever l’Idée européenne, et qui, en outre, nous fera réinterpréter à la lumière de notre humanisme originel la présence de la France en Europe et dans le monde.

L’eurasisme repose essentiellement sur cette réorientation, et c’est bien la raison pour laquelle il serait injuste de prétendre qu’il ne saurait intéresser que la Nation russe (sinon nous ne parlerions que du sens vulgaire et galvaudé de l’ « intérêt », du sens individualiste). Il sera bien plutôt au centre de l’intérêt (inter-esse, être ensemble) des peuples européens, russe inclus, donc au centre de la Nation européenne sous la forme de l’européisme. Il n’existe pas essentiellement de civilisation russo-eurasienne selon nous, n’en déplaise à notre ami Alexandre Douguine, il existe par contre des cultures, des façon d’ « habiter » le monde, russe, arménienne, française, allemande italienne, islandaise, etc. qu’il s’agit alors d’unir de nouveau sous les Principes intemporelles et « originelles » de la civilisation européenne.

 

Yohann Sparfell