vendredi, 23 janvier 2009
Die Varusschlacht - Der germanische Freiheitskrieg
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ca. 256 Seiten, € 16,90 [D]
Das alles und noch viel mehr weiß Focus-Redakteur Christian Pantle auf ebenso kenntnisreiche wie unterhaltsame Weise zu beantworten. Im Stil einer Reportage führt er uns an die Anfänge unserer Zeitrechnung, als die antike Supermacht im Zenit ihrer Machtentfaltung stand und dabei war, sich große Teile Germaniens einzuverleiben. Mit der spektakulären Niederlage am Teutoburger Wald wendete sich das Blatt in dem fast dreißigjährigen Krieg - mit bis heute spürbaren Folgen für die Geschichte Europas. Pantle versteht es glänzend, das dramatische Schlachtgetümmel plastisch zu schildern und die Protagonisten lebendig werden zu lassen. Wir erfahren Neues über die jüngsten archäologischen Funde, lernen den Schauplatz des Geschehens kennen und staunen über die geniale Taktik, mit der Arminius seinen Gegenspieler in die Falle lockte. Abbildungen, Schaubilder und Karten ergänzen Pantles Bericht und machen das Buch zur idealen Einführung in eines der spannendsten Kapitel unserer Geschichte.
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jeudi, 22 janvier 2009
Henri DE MAN: Souvenir d'Ernst Jünger
Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES / VOULOIR (Bruxelles) - Juillet 1995
Souvenir d'Ernst Jünger
Henri DE MAN
J'ai toujours trouvé le roman allemand, dans son ensemble, très inférieur aux romans français, anglais, russes, américains ou scandinaves. Ceci vaut, à plus forte raison, pour la nouvelle, qui exige plus encore les qualités d'objectivité et d'ordonnance concentrée qui sont à l'opposé de celles qui font le génie allemand. Le Faust de Gœthe n'a son équivalent dans aucune littérature, et il ne se passe guère deux ans sans que je le relise; par contre, l'Allemagne n'offre rien de comparable à Stendhal, Thackeray, Tolstoï, Poe ou Björnson; moins encore à Maupassant ou Tourguenieff.
Cette opinion est depuis si longtemps ancrée en moi qu'une espèce de parti pris me retient de m'intéresser à n'importe quel livre de "fiction" en allemand. Pourtant, au cours de ces trois dernières années, deux fois le hasard m'a fait faire une exception, et deux fois j'eus lieu de m'en réjouir. D'abord, le hasard d'un cadeau reçu me fit connaître Emil Strauss, dans des nouvelles d'une grande sensibilité et d'un style impeccable. Ensuite, le hasard d'une rencontre avec l'auteur —le Capitaine Ernst Jünger, avec qui je passai une soirée chez des amis à Paris— m'amena à lire son dernier livre paru, Gärten und Strassen (paru en traduction française, je crois, sous le titre Routes et Jardins). Depuis longtemps, je n'avais plus lu de livre qui m'eut fait autant de plaisir, et qui m'eût été plus sympathique. Et d'abord, il est d'une forme très soignée. C'est chose rare en Allemagne, ou il se publie beaucoup de livres pleins de substance, mais mal écrits, à l'opposé de la France, qui est inondée de livres bien écrits mais creux. La phrase est ciselée avec un sens du rythme qui est presque poétique, et qui surprend d'autant plus agréablement qu'il s'agit de prose authentique, concise, précise, transparente.
Quant au contenu, j'ai trouvé dans ce journal qui chevauche sur la fin de la paix et le début de la guerre —d'avril 1939 à fin juillet 1940— le reflet d'une personnalité que j'avais déjà trouvée singulièrement attachante en chair et en os. Ernst Jünger est fils d'un apothicaire hanovrien; et on n'est pas plus Allemand du Nord, ni plus fils de son père. Un petit homme blond, maigre et sec, à l'aspect réticent, qui parle posément et doucement; qui dès son entrée dans une pièce s'en va flairer l'atmosphère et fureter du côté des bibelots, qu'il palpe de ses doigts presque caressants; qui parle des choses les plus profondes comme des plus banales avec le même souci de justesse et d'économie dans l'expression, comme un professeur de mathématiques qui exposerait un théorème.
Cependant cet homme à l'aspect timide et placide est un grand soldat et un grand poète. Pendant la première guerre mondiale, il accomplit tellement d'actions d'éclat qu'il se trouva être le seul lieutenant d'infanterie a obtenir l'Ordre Pour le Mérite, la plus haute distinction de l'Empire; et en 1939, il saisit l'une des rares occasions qui se présentèrent sur le front du Rhin pour mériter une nouvelle croix de fer. Pourtant, son journal de guerre n'a rien d'une Chanson de Roland; ce sont les annotations, au jour le jour, d'un officier qui aime le service, certes, comme on aime un devoir, mais qui aime surtout ses hommes. D'ailleurs, il reste homme lui-même au point de s'intéresser à tout ce qu'il voit, même et surtout aux choses qui n'ont aucun rapport avec le drame dont il est témoin avant que d'en être acteur. Ainsi, il parle de ses contacts avec des civils ou des prisonniers français, comme de ceux avec des militaires allemands, d'une façon qui fait oublier qu'il s'agit de deux nations en guerre. Et il ne manque aucune occasion de sacrifier à sa passion d'entomologiste en se livrant, surtout en forêt, à ce qu'il appelle la "chasse subtile".
Ce qu'il y a en moi de l'ancien officier s'est réjoui de trouver, dans les confidences de ce capitaine allemand, une étonnante similitude de réactions et de conceptions quant à la grandeur et la servitude militaires. Son récit fourmille de traits —notamment à propos de la discipline, du moral de la troupe, de l'éthique de la guerre, des réactions psychologiques en général— qui correspondent tellement à ma propre expérience que j'aurais voulu pouvoir les exprimer à sa place, et aussi bien. Jünger dit à ses soldats que quand ils trouvent dans une maison abandonnée des cuillers dont ils ont besoin, ils peuvent en prendre une; mais s'il y en a en argent et en étain, ils doivent se contenter de la cuiller d'étain. Quand il quitte la cure d'un village ardennais où il avait été cantonné, le curé dit qu'il est triste de devoir se séparer quand on commence à peine à se connaître; Jünger commente simplement: "Cela me fit plaisir; dans les cantonnements, je m'en vais toujours un peu à la chasse aux hommes". Sur le même thème, cette méditation: "Le rapport entre le logeur et le soldat est particulier, en ce qu'il est encore régi, comme le droit sacré d'asile, par les formes de l'hospitalité primitive, que l'on accorde sans égard de personne. Le guerrier a le droit d'être l'hôte dans n'importe quelle maison, et ce privilège est l'un des plus beaux que confère l'uniforme. Il ne le partage qu'avec les poursuivis et les dolents".
A propos d'une femme qui se lamente près du cadavre de son mari: "De cette façon, on apprend à connaître aussi l'effet indirect des projectiles, qui sans cela échappe au tireur. La balle touche beaucoup de gens; on voit tomber l'oiseau et on se réjouit de voir s'éparpiller les plumes; mais on ne voit pas les œufs et les jeunes et la femelle dans le nid où il ne retourne plus". Dans Laon abandonné où il a été détaché avec sa compagnie pour y improviser une Kommandantur, il va installer des gardes dans les bâtiments les plus exposés au pillage. Aux archives, il se plonge dans la lecture des autographes, où il trouve notamment des lettres du Maréchal Foch. "On les avait jointes au moyen d'une épingle, selon la manière déplorable des bibliothécaires français; l'épingle ayant taché le papier de sa rouille, je me suis permis de l'enlever". Il ne s'agit dans tout cela que de détails quelquefois infimes, mais toujours significatifs. Le détail significatif est d'ailleurs la méthode d'évocation employée dans ce livre, et qui fait son charme.
Après avoir rencontré Ernst Jünger d'abord, lu son livre ensuite, je me suis surpris à penser: "Toi, je voudrais t'avoir presque indifféremment sous moi comme officier subalterne, au-dessus de moi comme chef, ou en face de moi comme adversaire". Je sais fort bien ce que pareille pensée comporte d'atroce; mais je sais aussi que pour beaucoup d'hommes qui ont fait la guerre, elle ne sera que trop compréhensible. La guerre est un destin contre lequel on peut se révolter, mais que l'on ne peut pas fuir; et le droit à la révolte n'appartient qu'à ceux qui n'ont pas esquivé le devoir. Le pacifisme est un titre que les hommes de ma génération n'auront pu, pour leur malheur, conquérir qu'en combattant.
Je viens de dire que j'aime presque autant m'imaginer Jünger en face de moi que du même côté. Réflexion faite, je crois que l'expression a quelque peu dépassé ma pensée. Je me souviens qu'en causant avec lui, je lui demandai sur quels fronts il avait combattu de 1914 à 1918: or. après avoir constaté qu'il n'avait jamais pu me faire face, je me sentis indubitablement soulagé. Et il me vint soudain à la mémoire une bribe d'un poème, appris jadis par cœur à l'école:
" Ah ! que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là ! "
Cette malédiction est la conclusion à laquelle je voulais principalement arriver.
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mercredi, 21 janvier 2009
Leni Riefenstahl - A Life
Leni Riefenstahl To order the book : http://www.ibtauris.com/ Leni Riefenstahl in her long and extraordinary life (she died in 2003 aged 101) was a dancer, actress, mountaineer, photographer and world famous filmmaker. She was also a liar. Riefenstahl was a protegee and confidante of Adolf Hitler, for whom she made her internationally renowned films "Triumph of the Will" and "Olympia". During her eventful post-war career, she has been both villainized for her lionization of Hitler and championed as an adventurer and artist. Her remarkable ad innovative creative vision is beyond doubt. The controversy that still rages around her memory is based on her apparent complicity with Nazi leaders - right up to Josef Goebbels and Hitler himself - in allowing her work to be used as the most potent propaganda weapon in their arsenal. Jurgen Trimborn knew Leni personally. He uses detailed research and his own unblinking eye as an authority on the Third Reich to reveal this portrait of a stubborn, intimidating visionary who inspired countless photographers and filmmakers with her artistry but refused to accept accountability for her role in supporting the twisted agenda of the Nazi high command. AUTHOR BIOGRAPHY: |
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Habermas sur la défensive: politique, philosophie et polémique
Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES / CRITICON (Munich) - ORIENTATIONS (Bruxelles) - Février 1988
Habermas sur la défensive:
Politique, philosophie et polémique
par Hans-Christof Kraus
N.B.: Ce texte est en même temps une recension critique de deux ouvrages récents de Jürgen Habermas: Die Neue Unübersichtlichkeit (Francfort, Suhrkamp Verlag, 1985, 269 p., 14 DM) et Der philosophische Diskurs der Moderne (Francfort, Suhrkamp Verlag, 1985, 450 p., 36 DM), recueil de douze cours. Dans le texte ci-dessous, ces deux livres sont indiqués par les abréviations NU et PhD.
Incroyable mais vrai: Jürgen Habermas, la tête pensante la plus en vue et la plus féconde de la gauche ouest-al-le-mande, est sur la défensive. Lui qui proclamait encore en 1979: "Je tiens à passer pour un mar-xiste" (1), se plaint aujourd'hui avec cette faconde dont il a le secret, de ce que "les efforts de la praxis philosophique pour re-for-muler le projet de la modernité dans une optique marxiste ont perdu de leur crédibilité" (PhD, 380). Le socia-lisme, il ne peut, au mieux, que le définir a contrario: "Le socialisme consiste avant tout à savoir ce dont on ne veut pas" (NU, 73). Quant au capitalisme, il n'est peut-être pas si condamnable que cela! "Faisons donc vio-lence à nos sentiments: le capitalisme a été un franc succès, au moins sur le plan de la reproduction maté-rielle, et il l'est toujours" (NU, 194). Faussement perspicace, Habermas pérore sur la "singulière évanescence d'un certain type de progrès" (NU, 67) qui serait (quelle découverte!) "le propre des peuples qui n'ont pas eu leur révolution" (NU, 68).
Habermas manie la litote avec bonheur. Et donne dans la modestie: "Je ne suis pas un producteur de Weltan-schauung; je voudrais en fait laisser quelques petites vérités. Pas une seule et grande Vérité". Il faut dire qu'il a dé-jà mis au rancart la "conception élitaire de la Vérité chez les Anciens", qu'il considère comme un "mythe creux". Pour finir, il se drape avec une feinte irritation dans le rôle de "l'auteur inactuel" auquel le temps pré-sent n'est pas particulièrement propice et ne manifeste qu'un goût mitigé pour sa théorie de la "rationalité com-municative" (NU, 179).
Contre les rénégats de la gauche et les conservateurs impénitents!
A partir de cette position défensive, et se rappelant que "l'attaque est la meilleure défense", Habermas prend pour cible deux catégories d'adversaires dont il tente de minimiser les différences: d'une part, les renégats de la gauche, espèce particulièrement prolifique en France (Foucault, Glücksmann, Lévy, Lyotard), chez lesquels il croit déceler "les thèmes bien connus de la contre-Aufklärung": les "théories sur la puissance" propres au "pessimisme bourgeois" de Hobbes à Nietzsche; celles-ci ne seraient plus que des "positions de repli pour trans-fuges désabusés" (PhD, 302, note 26). Bien entendu, Habermas ne se pose à aucun moment la seule ques-tion intéressante qui puisse être posée: pourquoi ce sont précisément d'anciens gauchistes que l'on trouve au-jour-d'hui prêts à "sacrifier leur intelligence à seule fin de mettre un terme à leur déboussolement" et à "s'a-ban-donner au jeu grotesque de l'extase esthético-religieuse" (PhD, 361)! Sa polémique contre les "renégats de la gau-che" trahit plutôt sa propre perplexité et ne peut faire oublier qu'à l'évidence, une certaine forme d'Auf-klä-rung rationaliste, à laquelle adhère encore Habermas, est devenu inacceptable, y compris pour ces intellectuels de gauche qui, naguère, ne juraient que par la raison.
L'autre cible de Habermas, ce sont les conservateurs de tout poil. Cependant, une espèce particulière retient son attention. Habermas sait reconnaître l'adversaire; il aura au moins retenu cela de Carl Schmitt: ce sont les "vieux nietzschéens" qui "sortent de leurs trous pour clamer publiquement les fantasmes élitistes qui ont tou-jours meublé leurs cervelles" (NU, 61). A la bonne heure. D'autant que le compliment peut être retourné à l'en-vo-yeur: souhaitons à monsieur le professeur Habermas (et à nous-mêmes!) l'avènement d'une époque où lui et ses épigones marxiens auront l'occasion de réintégrer leurs trous de souris sans oublier d'emporter leurs fan-tas-mes égalitaires!
I. La critique de la pensée conservatrice
Habermas est connu pour affectionner l'abstraction, la classification, la schématisation. Les conservateurs, il les range d'emblée dans quatre tiroirs: les "vieux conservateurs", les "néo-conservateurs", les "nouveaux con-servateurs allemands" et le courant "jungkonservativ". Les premiers sont expédiés en un tour de main; le dé-bat est en effet stérile: "le recours des paléoconservateurs à des vérités religieuses ou métaphysiques ne pèse plus d'aucun poids dans le discours philosophique de la modernité" (PhD, 74).
Le libéralisme fondamental des "néo-conservateurs" américains
Les "néo-conservateurs" sont déjà un adversaire plus sérieux. L'expression désigne chez Habermas un groupe de publicistes américains, ci-devant de gauche voire gauchistes, reconvertis dans le libéral-conservatisme (Pod-ho-retz, Kristol) ou dans la sociologie (Bell, Berger et Lipset). L'une de leurs préoccupations est par exemple de savoir comment transposer sur le marché les problèmes du budget de l'Etat et pallier la crise culturelle ac-tuelle "en modérant des principes démocratiques qui ont placé trop haut leur niveau de légitimation" (NU, 34). Mais la critique finale de Habermas parle d'elle-même: il n'a pas affaire à des conservateurs. Irving Kristol s'est lui-même défini, à juste titre, comme un "libéral malmené par les réalités"… Quant à Daniel Bell, qui juge né-ces-saire "une égalité ouverte au compromis", il n'est pour Habermas, qu'un "libéral logique avec lui-même" (NU, 39). La première joute avec les conservateurs est donc un coup d'épée dans l'eau: sous l'étiquette de "néo-con-servateurs", Habermas critique non des conservateurs mais… des libéraux (2).
Les "nouveaux conservateurs" de la tradition allemande
Le troisième tiroir s'ouvre sur les "nouveaux conservateurs" en République fédérale (3). Héritiers de l'hégélia-nisme de droite, ils se laissent docilement porter par "la dynamique de la modernité sociale en banalisant la cons-cience moderne du temps et en ramenant la raison à l'intellect (Verstand). Leur conception de la rationa-lité est de type utilitariste" (PhD, 57). Habermas tente ensuite d'illustrer leur "réconciliation timide" (selon lui) avec la modernité (NU, 40) en évoquant Joachim Ritter, Ernst Forsthoff et Arnold Gehlen (NU, 41 ss.). Mais ses arguments ne sont, pour la plupart, que des combats d'arrière-garde à peine déguisés: lorsqu'il repro-che à Gehlen et à Schelsky d'avoir profité du chaos culturel orchestré (mais non voulu paraît-il…) par les idéo-logues de gauche pour en tirer prétexte à une "chasse aux intellectuels" et "mobiliser les ressentiments de la classe moyenne" (NU, 46), sa critique fait sourire. Aux thèses conservatrices, comme celle de l'épuisement de la modernité culturelle ou de la nécessité d'une nouvelle conscience de la tradition, Habermas ne trouve rien d'au-tre à opposer que la sempiternelle phraséologie creuse de la gauche: il faut-moraliser-la-politique, "démo-cra-tiser les procesus de décision pour placer l'action politique sous le signe de la justice sociale, trouver des formes de vie souhaitables" (NU, 51), etc… Il garde pour la fin sa grosse artillerie: les nouveaux conser-va-teurs veulent "tourner le dos à l'Occident et aux Lumières", ils se réclament (horribile dictu!) de traditions spé-cifiquement allemandes, comme celle du "luthérianisme d'Etat" qui repose sur une "anthropologie pessi-mis-te" (NU, 54), l'objectif final étant "l'abandon de la modernité" et "l'hommage à la modernisation capitaliste" (id.). Sur le plan philosophique, l'argumentaire n'est guère plus rigoureux: le "traditionalisme" néo-conser-va-teur d'un Freyer et surtout d'un Ritter délégitime les "positions critiques de l'universalisme moral et des forces créatrices et subversives de l'art d'avant-garde" (PhD, 93) au nom de "conceptions esthétiques rétrogrades" (bien entendu). Ici encore, les concepts s'affolent: subitement, il n'est plus question de "nouveaux conser-va-teurs" mais de "l'émergence de libéraux tardifs militants (!) qui, chez nous, sont allés à l'école de Gehlen et de Carl Schmitt" (NU, 181), récusent "l'héritage du rationalisme occidental" et mobilisent la Gegenaufklärung (NU, 182). Ce seraient donc, à nouveau, des libéraux? Si les catégories sémantiques qu'Habermas élabore lui-mê-me sont aussi exigües, et leurs cloisons aussi perméables, rien d'étonnant à ce que Habermas soit aujour-d'hui acculé à la défensive…
Les "jeunes conservateurs" qui veulent faire éclater le cadre du rationalisme occidental
Mais les choses se compliquent encore: dans le dernier tiroir qu'ouvre Habermas s'entassent les "jeunes con-ser-va-teurs" dont la généalogie lui pose les mêmes problèmes que leurs (soi-disant) représentants actuels: en effet, nous avons, d'un côté, les "nouveaux conservateurs" (c'est-à-dire, nous venons de le voir, les "libéraux tar-difs" formés chez Carl Schmitt!) qui seraient les héritiers des Jungkonservativen de la République de Weimar sous l'influence desquels ils auraient opéré une "réconciliation timide avec la modernité" (NU, 40). Mais, d'au-tre part, ces mêmes "nouveaux conservateurs" seraient essentiellement les héritiers des hégéliens de droite (NU, 41; PhD, 57, 71, 86 ss.) dont l'erreur, au rebours des hégéliens de gauche, serait une interprétation fausse des rapports entre l'Etat et la société. D'un côté, donc, Carl Schmitt et ses élèves, Huber et Forsthoff ("jeunes con-servateurs" s'il en fut!) sont considérés comme des "hégéliens de droite" (PhD, 89); de l'autre, les "jeunes con-servateurs" ne seraient que des disciples de Nietzsche (PhD, 57) dont "l'antihumanisme" consistait à vou-loir "faire éclater le cadre du rationalisme occidental, à l'intérieur duquel évoluaient encore les tenants de l'hé-gé-lianisme, de gauche comme de droite" (PhD, 93).
Mais là où la démonstration devient vraiment curieuse, c'est lorsque Habermas avance les noms de quelques "re-présentants" de la tendance jungkonservativ: à l'exception d'Ernst Jünger, sur lequel il passe rapidement (NU, 40 et PhD, 161), on ne trouve dans son énumération aucun "conservateur révolutionnaire" ni personne per-pétuant cette tradition; après Heidegger et Bataille, on trouve surtout, pour la période actuelle, Derrida, La-can, Foucault et Lyotard (PhD, 120, 7). Baptiser "jeunes conservateurs" ces auteurs, uniquement parce que cer-tains d'entre eux ont repris des thèmes déjà présents chez Nietzsche, est proprement absurde (Heidegger mis à part).
Bataille, Lacan, Lyotard, Derrida et Foucault: pour Habermas, ils seraient les "Jungkonservativen" d'aujourd'hui!
Bataille, par exemple, doit être écarté d'entrée de jeu: il fut un communiste convaincu qui vit dans le stalinisme ins-titué la condition première de la réalisation de ses idées. Quant à savoir ce que fait Lacan, psychanalyste struc-turaliste, dans les rangs des "Jeunes conservateurs", la question demeure sans réponse sérieuse possible. Son nom, heureusement, n'est que rarement cité par Habermas. Lyotard, que Habermas se faisait fort de "démasquer", voici cinq ans, comme "néo-conservateur", a, depuis, opposé un démenti formel à cette appelation (4). Mê-me chose pour Derrida.
Quant à Foucault, mort en 1984, s'il s'est justement moqué de l'étroitesse d'esprit de la vieille gauche (à la-quel-le il a lui-même appartenu, puisqu'il militait au PC), cela ne signifie nullement qu'il se soit transformé en "conservateur": l'anarchisme bizarre, à prétentions esthético-hédonistes, qu'il a incarné vers la fin de sa vie (5) ne relève pas plus de l'idéologie jungkonservativ que son étrange enthousiasme pour la révolution ira-nien-ne (6). Et s'il fallait une preuve de la distance qui sépare Foucault d'un Arnold Gehlen, par exemple, (avec le-quel Habermas tient sans cesse à le mettre en parallèle), il n'est que de relire sa critique des "institutions to-ta-les" des temps modernes, dont les conclusions sont diamétralement opposées aux thèses centrales de la théo-rie des institutions chez Gehlen. Là encore, la critique des "conservateurs" est boîteuse: les "jeunes conser-va-teurs" ne sont finalement, pour la plupart, qu'un mélange insolite de paléo-marxistes et de néo-anarchistes qui, d'ailleurs (dans la mesure où ils sont encore en vie et peuvent donc se défendre), ont vivement protesté contre les classifications pour le moins arbitraires de Habermas.
Signalons pour terminer une autre contradiction flagrante dans sa critique du "néo-" ou du "nouveau" conser-va-tis-me: d'un côté, Habermas critique le refoulement de l'Etat hors de la sphère économique au nom d'une éco-no-mie politique orientée sur l'offre, qu'il juge, évidemment, "anti-sociale" (NU, 34, 153 ss.); de l'autre, il vitu-pè-re rageusement le "hobbisme", l'"étatisme", le "légalisme autoritaire" et autres horribles méfaits des conser-vateurs (NU, 65, 91, 97, 102, 104, 107 ss.), coupables à ses yeux de réclamer "trop d'Etat". Ici encore, Ha-bermas devrait accorder ses violons… Les attaques véhémentes de Habermas contre tout ce qu'il estime "con-servateur" (que ce soit "paléo", "néo", "nouveau" ou jungkonservativ) ne sont, tout compte fait, que du vent, soit parce qu'Habermas se trompe de cible, soit parce qu'il oppose la polémique aux arguments.
II. Habermas et l'actualité politique
"Je suis moi-même un produit de la reeducation; un produit pas trop raté, j'espère", disait de lui-même Ha-ber-mas en 1979. Sur ce point, qu'il se rassure: ses craintes en la matière sont totalement injustifiées, il n'est que de lire, pour s'en convaincre, ses déclarations et confidences politiques. Habermas se félicite de ce que "la Ré-pu-blique fédérale se soit, pour la première fois, ouverte sans retenue à l'Occident", de ce que "nous ayons fait nô-tre la théorie politique de l'Aufklärung", "… compris que le pluralisme était un grand formateur de men-ta-li-tés" et "appris à connaître l'esprit radical-démocratique du pragmatisme américain" (NU, 54). Mais cela ne lui suffit pas: apparemment, nous ne sommes pas encore suffisamment rééduqués: comment expliquer autrement que "nous ayions en Allemagne une culture politique aussi dévoyée" dont le responsable n'est autre, bien en-ten-du, que le "fil de la tradition" (Traditionsstränge): "le Reich impérial, le wilhelminisme, les nazis, la ré-vo-lution bourgeoise, restée partiellement inopérante, etc…" (NU, 192). Mais, quelques pages plus loin, on lit: "La République fédérale est à ce point devenue le 52ème Etat des USA qu'il ne nous manque plus que le droit de vote" (NU, 217 ss.) - on l'a bien vu dans la question du réarmement. Il faudrait savoir! D'abord, nous som-mes américanisés, et c'est très bien. Ensuite, nous ne le sommes pas, et c'est très mal. Et voilà que pour fi--nir, nous le sommes tout de même un peu, et c'est… encore très mal! Décidément, la défensive ne doit pas être une position très confortable lorsqu'elle en arrive à déboussoler un penseur d'une telle sagacité.
Ses autres propos politiques sont moins équivoques. La nation, par exemple, est selon lui devenue inapte à fon-der des valeurs (PhD, 424). Interrogé sur la question allemande et sur certains signes avant-coureurs d'un na-tionalisme de gauche, Habermas se réfugie sous l'aile de Willy Brandt et proclame sur un ton apodictique: "La question allemande n'est plus ouverte. Parler d'un nouveau nationalisme allemand est pour moi une absurdité… La nostalgie d'une identité allemande perdue, chez plusieurs intellectuels, sent le kitsch et rappelle les discours sur la 'réunification' de nos orateurs du dimanche de la CSU" (NU, 251).
En revanche, Habermas ne trouve rien à redire à la "rééducation", ce qui s'explique puisque, en bon "produit" de la rééducation, selon ses propres dires, il y participe activement: certes, "personne (?), aujourd'hui, ne soutient plus la thèse de la faute collective", mais quiconque "persiste à nier la responsabilité collective des Alle-mands", ne vise en fait qu'à occulter le problème du regard sur l'histoire, problème "inextricablement lié à no-tre propre identité, et à celle de nos enfants et petits-enfants" (NU, 264). Le propos est clair, comme d'ailleurs son hommage au discours "digne d'un Heinemann" (!) du président de la République du 8 mai 1985 (NU, 268)…
La "désobéissance civile" et la "théorie de la justice"
Habermas se révèle également comme un pur produit de la rééducation dans son plaidoyer en faveur de la "dé-so-béissance civile". Pour lui, cette forme de "résistance non violente" fait partie des "formes non con-ven-tion-nelles de la formation de la volonté politique" (NU, 79). Il faut "faire comprendre à l'Allemagne que la dé-so-béissance civile est le signe d'une culture politique parvenue à maturité" (NU, 81). Pour cela, Habermas mo-bi-lise la "théorie de la justice" du moraliste américain John Rawls, dont il retient la définition de la déso-béis-sance civile comme "action publique, non violente, dictée par la conscience mais politiquement illégale, et or-dinairement destinée à provoquer une modification de la loi ou de la politique gouvernementale" (8). Fort de l'au-torité (?) de ce professeur de Harvard largement imperméable à la politique et qui annonce tout de go que les ac-tes politiques dans un Etat de droit peuvent être illégaux (9), Habermas tente de démontrer que le degré de "dé-sobéissance civile" est un baromètre de la "maturité" de la République fédérale (NU, 84). Point de vue aussi aventureux qu'exhorbitant: par quels arguments un citoyen agissant dans l'illégalité peut-il exiger de l'Etat et de ses institutions le respect du droit existant? Et même si l'on admet, avec Rawls, que la désobéissance civile ne doit pas "troubler l'ordre constitutionnel", la question surgit aussitôt: où, exactement, tracer les limites? Et surtout: qui veillera au respect de ces limites? Les manifestants? Dans ce domaine, les limites sont très vite fran-chies lorsque le droit en vigueur a été enfreint et que les institutions sont bafouées.
Or, ce problème de la dynamique propre à l'action politique ne semble manifestement pas exister pour Rawls et Ha-bermas (10): fidèle aux principes universalistes du droit naturel, Habermas se fait l'avocat d'un fossé béant entre légalité et légitimité qui a déjà conduit, au cours de ce siècle, à la suppression de l'Etat (et à la dictature de Béhémoth) (NU, 85 ss., 97). Pour lui, les véritables "gardiens de la légitimité" d'un Etat sont "les labo-rieux et les besogneux qui ressentent plus que d'autres l'injustice dans leur chair" (NU, 88). Mieux: appelant à la rescousse un autre théoricien anglo-saxon du droit, R. Dworkin, il va jusqu'à affirmer que les "violations ci-vi-les de la loi" sont des "expériences moralement justifiées dans lesquelles une République vivante ne peut con-server ni sa capacité d'innovation ni sa légitimité aux yeux de ses citoyens" (ibidem). Ces vues surréalis-tes, et même dangereuses si elles étaient mises en pratique, ne sont possibles que parce que Habermas, pur pro-duit de la "rééducation", ignore totalement la tradition réaliste de la pensée politique, celle qui va de Machia-vel à Hobbes jusqu'à Carl Schmitt en passant par Hegel et Nietzsche. A cette tradition, Habermas préfère ma-ni-fes-tement quelques théories moralisantes anglo-saxonnes sur le droit naturel.
"Pour un usage réflexif de la règle majoritaire"
Son argumentaire est également très révélateur lorsqu'il émet des réserves à l'encontre du principe démocratique de la majorité (bien que lui et ses semblables aiment s'appeler des "démocrates radicaux"), notamment lorsque l'ap-plication de ce principe aboutit à des décisions déplaisantes pour lui et ses compagnons de route (voir l'af-fai-re de l'implantation des fusées Pershing). Mais il ajoute ensuite: "Le principe majoritaire n'est vraiment con-vaincant que dans certaines situations" (NU, 96); il est inopérant "lorsque le Non de la minorité exprime le refus d'une forme d'existence… taillée en fonction des besoins de la modernisation capitaliste" (NU, 95), bref lorsqu'il y a "face à face entre deux formes opposées de l'existence". Que faire alors? Habermas a bien sûr trou-vé la solution. L'un de ses disciples, le sociologue de Bielefeld Claus Offe, la définit ainsi: "C'est un usage ré-flexif de la règle majoritaire… de telle façon que les objets, modalités et limites de l'application du principe ma-joritaire lui-même soient mis à la disposition de la majorité" (NU, 96). La solution, n'en doutons pas, fera mer-veille, à condition que la population ne soit composée que de sociologues venus de Bielefeld ou de Franc-fort!
III. Le problème philosophique de la modernité
En 1954 parut à Berlin-Est un volumineux ouvrage qu'il faut considérer comme la contribution communiste la plus importante à la rééducation intellectuelle des Allemands de RDA (et pas seulement de RDA…). Son titre: Die Zerstörung der Vernunft de Georg Lukàcs. Ce livre, rédigé à Moscou pendant la guerre, développe, sous la for-me d'une pérégrination à travers l'histoire récente des idées en Allemagne, la thèse de la "destuction de la rai-son" par les philosophes et écrivains "irrationalistes". Auxquels Lukàcs oppose la "bonne" tradition, la tra-dition rationaliste qui va, comme il se doit, de Hegel à Marx et à ses épigones.
Sauver la raison de ses "falsifications"
Si Habermas, dans ses lectures sur le discours philosophique de la modernité, ne procède pas de façon aussi su-per-ficielle ni aussi tapageuse, il semble bien par moments se prendre pour un nouveau Lukàcs (comme le sug-gè-re une allusion dans NU, 179) qui suivrait les traces de son prédécesseur, mais avec des ambitions intellec-tuel-les plus élevées. Déjà, dans ses écrits politiques, Habermas tentait d'expliquer tous les aspects négatifs de la modernité, critiqués par les "post-modernes" (et par lui-même) par des "effets secondaires" (NU, 63), des "fal-sifications" du véritable esprit de la modernité (NU, 15), des "exagérations", dans l'architecture moderne par exemple, (NU, 23), afin de "sauver le projet inachevé de la modernité qui s'emballe" (NU, 15). Son point de départ philosophique est donc à nouveau la défensive: la reconstruction du discours philosophique de la mo-der-nité est une réaction au "défi de la critique néostructuraliste de la raison" (PhD, 7).
Voici, brossée à grands traits, la démarche intellectuelle de cet ouvrage (Der philosophische Diskurs der Mo-der-ne) sans doute ambitieux dont l'argumentaire se meut -et se perd- dans les hautes sphères de la réflexion: l'"é-mancipation de la modernité" (PhD, 26) commence avec Hegel dont la philosophie érige la subjectivité en prin-cipe des temps nouveaux. En même temps, la subjectivité reconnaît la supériorité du monde moderne (com-me monde de progrès) mais aussi sa crise (comme monde de l'esprit aliéné), et c'est pourquoi "la première ten-ta-tive de conceptualiser la modernité est originellement inséparable d'une critique de la modernité" (PhD, 27). A la rupture du principe de subjectivité en trois formes de raison depuis Kant (raison pure, raison pratique et ju-gement esthétique), qui sera suivie d'autres dissociations (entre science et foi, par exemple), Hegel oppose la "notion d'absolu" (PhD, 32) grâce à laquelle la philosophie peut révéler "la raison comme force de synthèse afin de répondre à la crise née de la dissociation (Ent-zweiung) de l'existence" (ibidem) (11). Grâce à cet "ab-solu", posé en principe central et conçu par Hegel comme "le processus conciliatoire de la relation incon-di-tion-nelle à soi-même" (PhD, 46), Habermas peut certes "convaincre la modernité de ses errements sans re-cou-rir à un principe autre que celui, inhérent à la modernité, de subjectivité", mais il n'aboutit qu'à une "ré-con-ci-liation partielle" (PhD, 49) puisque sa solution revient à privilégier la généralité concrète (das konkrete Allgemeine) par rapport au sujet concret, c'est-à-dire à "donner la préférence à une subjectivité supérieure, cel-le de l'Etat, plutôt qu'à la liberté subjective de l'individu" (PhD, 53). L'alternative possible (mais que rejette He--gel) eût été une "intersubjectivité supérieure de la volonté libre … dans une communauté de commu-ni-ca-tion" (PhD, 54). Ce point sera ultérieurement repris par Habermas lorsqu'il développera le concept dialectique de rai-son chez Hegel.
Les trois perspectives posthégéliennes
Après avoir développé ces prolégomènes dans ses 1ère et 2ème lectures, Habermas ébauche dans la troisième les trois perspectives posthégéliennes:
1) les hégéliens de gauche, qui veulent faire la révolution au nom de la raison totale (umfassend) contre une rai-son étiolée et mutilée par l'esprit bourgeois;
2) les hégéliens de droite, qui font confiance à l'Etat et à la religion pour faire contrepoids à l'inquiétude de la so-ciété bourgeoise;
3) Nietzsche qui veut démasquer la raison, toute raison, comme une volonté de puissance déguisée et pervertie (PhD, 71).
La quatrième lecture traite d'ailleurs du seul Nietzsche qu'Habermas considère comme la plaque tournante de l'ir-rup-tion de la post-modernité. Dans une interprétation largement abrégée de la pensée nietzschéenne (et dans la-quelle il ne fait de surcroît aucune différence entre le jeune Nietzsche et le Nietzsche de l'âge mûr), Habermas ex-pose le projet nietzschéen de rénovation du mythe (PhD, 107 ss.) destiné à surmonter les déficits du ratio-na-lisme des Lumières. Il s'agit pour Nietzsche de "rompre radicalement (totaler Abkehr!) avec une modernité ex-ca-vée par le nihilisme" (PhD, 117). La délivrance dyonisiaque de l'homme moderne par l'expérience esthétique, que propose Nietzsche, supprime tous les intermédiaires de la raison hégélienne (PhD, 116 ss.) et la volonté de puissance se révèle comme fondamentalement esthétique (PhD, 118).
Le problème de Nietzsche
Mais le problème de Nietzsche est qu'il ne peut légitimer rationnellement sa critique de la raison, critique "qui se place d'emblée hors de l'horizon rationnel" (PhD, 119), pas plus d'ailleurs que ses critères du jugement esthé-tique (c'est un reproche fondamental que Habermas fera plus tard également à Heidegger, à Bataille, à Derrida et à Foucault). Pour résoudre ce problème, Nietzsche oscille entre deux stratégies:
1) la possibilité d'un regard artistique, en même temps sceptique et antimétaphysique, sur le monde, mobilisant des méthodes scientifiques et sur ce point, Bataille, Lacan et Foucault n'ont pas dit autre chose;
2) la possibilité d'une critique de la métaphysique, critique qui ne serait pas une philosophie au sens tra-di-tion-nel du terme mais le fait d'un initié participant d'un mystère dyonisiaque: ici, Nietzsche rejoint Heidegger et Derrida (PhD, 120).
Cependant, avant d'écorcher ces deux derniers auteurs, Habermas essaie, dans sa cinquième lecture, de "sauver la dialectique de l'Aufklärung", jadis théorisée par Horkheimer et Adorno, afin d'empêcher les auteurs post-mo-dernes d'en abuser. Ce qui ne l'empêche pas lui-même, dans un premier temps, de critiquer la part trop belle fai-te par Horkheimer et Adorno à la raison instrumentale: certes, l'éclatement des sphères qui englobaient les va-leurs culturelles est à l'origine de la "régression sociale de la raison" mais il a provoqué également une "diffé-ren-ciation progressive d'une raison qui en acquiert une forme procédurale" (PhD, 137), en sorte que la "dia-lec-ti-que de l'Aufklärung" appréhende mal "le contenu rationnel de la modernité culturelle" (PhD, 137 ss.). Pour-tant, Habermas décèle en filigrane, chez ces deux auteurs, une "fidélité fondamentale à la démarche de l'Aufklä-rung" (PhD, 143) puisqu'ils s'offrent le paradoxe d'une critique radicale de la raison… avec les intruments de la rai-son (PhD, 145).
Habermas contre Heidegger
Habermas n'a pas la même indulgence à l'égard de Heidegger et de Derrida, qu'il aborde dans ses 6ème et 7ème lec-tures. Heidegger, qui se range comme Bataille, "sous la bannière de Nietzsche pour la lutte finale" (PhD, 158), en arrive lui aussi, à force de critiquer en bloc la philosophie moderniste du sujet, à évacuer la raison, de sor-te que, comme l'indique Habermas (on croirait lire du Lukàcs), "il ne fait plus la différence entre, d'une part, le contenu universaliste de l'humanisme, des Lumières … et, d'autre part, les idées d'auto-affirmation du parti-cu-lier, propres au racisme, au nationalisme et aux typologies rétrogrades du style Spengler ou Jünger" (PhD, 160 ss.). Le "décisionisme volontariste" qui s'exprime dans Sein und Zeit débouche, pour Habermas, sur … le na-tio--nal-socialisme. Aux prises avec celui-ci, Heidegger développe alors sa philosophie tardive, à savoir le Den-ken der Kehre, l'idée de retournement (12). Cette pensée nouvelle se dévoile alors comme une "tempora-li-sa-tion de la philosohie originelle" (PhD, 158, 182): l'Etre comme "principe primordial selon la philosophie ini-tiale" est temporalisé et se révèle comme événement vrai, actuel en permanence, mais caché et qui, en tant que tel, ne peut se donner à voir que par le biais d'une critique radicale et destructrice de l'histoire de la méta-phy-sique. Or, dans une telle démarche, le "déracinement de la vérité propositionnelle" va de pair avec une "dé-va-lorisation de la pensée discursive" (PhD, 182), en sorte que Heidegger ne parvient qu'à "renverser les sché-mas de la philosophie du sujet" tout en restant "prisonnier de la Problématique de cette philosophie" (PhD, 190).
Le cheminement intellectuel de Derrida est très proche de celui de son maître Heidegger. Chez ce penseur fran-çais, l'absolu primordial est non l'Etre mais l'Ecrit "comme signe originel, … soustrait à tous les contextes prag-matiques de la communication" (PhD, 210). L'"Ecrit primordial" (Ur-schrift), "force originelle diffuse dans le temps" (PhD, 211), rend possibles, en excluant tout sujet transcendental, "les distinctions, sources d'in-formation sur le monde, entre l'intelligible des significations et l'empirique qui se donne à voir dans l'ho-ri-zon de ce dernier" (PhD, 210). Pour réfuter ces conceptions, Habermas mobilise les arguments déjà utilisés con-tre Heidegger: Derrida lui aussi ne fait qu'ériger en mythe des "pathologies sociales manifestes" (PhD, 214).
Derrida: un irrationaliste proche de la mystique juive; Heidegger: un néo-païen "hölderlinien"
Détail intéressant: Habermas relève une différence notoire entre ces deux auteurs, même s'il les confond dans sa cri-tique: à l'actif de Derrida, il note que cet auteur "reste proche de la mystique juive" et ne souhaite pas "reve-nir, comme les néo-païens, à une période antérieure aux prémisses du monothéisme" (PhD, 214), ce qui le met à l'abri "tant de l'imperméabilité politico-morale que du mauvais goût esthétique d'un nouveau paganisme enri-chi d'Hölderlin" (PhD, 197). Heureusement, Derrida "reste en-deçà de Heidegger" car "l'expérience mystique… des traditions juive et chrétienne ne peut déployer toute sa puissance explosive, capable de liquider insti-tu-tions et dogmes" (!) (NU, 216) que par référence à un dieu caché, alors que "la mystique néo-païenne de Hei-deg-ger… a, au mieux, les charmes de la charlatanerie" (PhD, 217). Remarquable confession monothéiste, qui con-firme, s'il en était besoin, ce que la Nouvelle Droite, en France, a dévoilé au grand jour: une parenté idéo-lo-gique directe entre la pensée marxiste et les religions monothéistes du salut (13).
Dans la huitième lecture, Habermas présente la continuité qui court de Nietzsche à Bataille: pour ce penseur fran-çais, il s'agit de réhabiliter un sacré séculier qui s'exprime dans les expériences fondamentales (refoulées par la modernité) que sont l'ivresse, le rêve, la vie des instincts et que Bataille appelle la souveraineté (PhD, 248 ss.). Sa vision utopique d'un tel "retour de l'homme à lui-même" (PhD, 268), auquel tend son Economie gé-nérale, se réalise dans le sillage du soviétisme marxiste de type stalinien (PhD, 266 ss.). Comme Nietzsche avant lui, Bataille se trouve confronté au problème (irrésolu) de la maîtrise théorique de la souveraineté comme "au-tre que la raison" puisque toute théorie est tributaire de ses présupposés rationnels (PhD, 277).
Au centre de la pensée de Foucault: la puissance
La pensée de Foucault, auquel Habermas consacre de longs développements dans ses 9ème et 10ème lectures, se rat-tache à celle de Bataille et de Nietzsche. Historien des sciences, ce philosophe parisien décédé en 1984 met la notion de puissance au centre de son analyse. Pour lui, la modernité se caractérise avant tout par "un pro-ces-sus inquiétant de montée en puissance d'interactions concrètes" (PhD, 285), qu'il aperçoit aussi bien dans l'histoire des sciences humaines (PhD, 279 ss.) que dans l'apparition et le développement des "institutions to-ta-les": prison, asile, établissement psychiatrique, école, etc… (PhD, 286 ss.). Chez Foucault, la puissance devient donc "la notion de base historico-transcendentale d'une historiographie critique à l'égard de la raison" (PhD, 298 ss.). En même temps, sa démarche est "nominaliste, matérialiste et empirique puisqu'elle envisage les pratiques transcendentales de la puissance comme relevant du particulier, mais aussi de l'inférieur, du corpo-rel, du sensuel, de ce qui escamote l'intelligible, enfin du contingent qui pourrait être autre car il n'obéit à au-cun ordre directeur" (PhD, 301) -passages soulignés par l'auteur. Or, dans la mesure où Foucault utilise, dans sa gé-néalogie des sciences humaines, un concept de puissance posé en absolu et qui se manifeste de surcroît dans un rôle empirique et transcendental (PhD, 322), il ne parvient qu'à inverser le signe des apories de la philo-so-phie du sujet traditionnelle, et ne résoud le paradoxe qu'en substituant la vérité à la puissance (PhD, 323): son "historiographie généalogique" se révèle exactement comme "… la pseudo-science présentiste, relativiste et cryp-to-normative que précisément elle se défend d'être". Bref, elle se résorbe dans un "subjectivisme sans is-sue" (PhD, 324).
L'alternative habermasienne: la notion de "rationalité communicative"
Comme alternative aux apories des critiques de la raison depuis Nietzsche, Habermas propose, dans les 11ème et 12ème lectures, la notion de "rationalité communicative" qu'il avait déjà présentée en 1981 dans un pavé de 1200 pages intitulé Theorie des kommunikativen Handelns. Cette conception reprend, du moins à en croire Ha-bermas, des éléments déjà présents chez Hegel, Marx ou même Heidegger (PhD, 94, 177 ss. et 345). Elle per-met de surmonter à la fois le paradigme désuet de la connaissance (= Erkenntnis dans la philosophie du su-jet) (PhD, 345) et le paradigme de la production dans la philosophie de la praxis (PhD, 95 ss.). Cette nouvelle no-tion de "raison communicative" peut contribuer à "réhabiliter le concept de raison" (PhD, 395) en réac-ti-vant le vieil objectif de "révision de l'Aufklärung, mais avec les instruments de l'Aufklärung" (PhD, 353) et en renouant avec le "contre-discours inhérent à la modernité qui est critique du logocentrisme occidental, mais une critique qui diagnostique non un excès mais un déficit de la raison" (PhD, 361). La raison communicative "est intégrée directement au processus de la vie sociale" (PhD, 367) et la "praxis rationnelle doit être en-ten-due comme raison concrétisée dans l'histoire, la société, le corps et le langage" (PhD, 368 ss.): ce n'est que lors-qu'on a admis ces deux postulats que le "contenu normatif de la modernité" peut se manifester (PhD, 390). Ce contenu s'exprime notamment à travers le progrès social, méconnu par Nietzsche et ses successeurs (PhD, 392 et 342) et dont Habermas ne doute à aucun moment même s'il admet quelques "phénomènes de pathologie so-ciale" (PhD, 403)… qu'il s'empresse d'ailleurs de banaliser en les baptisant "pathologies de la commu-ni-ca-tion".
Habermas s'envisage donc, même s'il ne le dit pas ouvertement, comme le véritable héritier tant de la phi-lo-so-phie du sujet de l'idéalisme allemand que des velléités praxisphilosophisch des hégéliens de gauche dans la me-sure où il dépasse par le haut les apories de ces deux lignages, à savoir par une redéfinition sociologique de la rationalité, et écarte en même temps d'un revers de main toutes les objections et points de vue de l'adver-sai-re postmoderne. Pour lui, le seul protagoniste vraiment sérieux est Niklas Luhmann, héritier bon teint de l'hé-gé-lianisme de droite (PhD, 408 ss.), qui porte aux extrêmes, dans sa théorie des systèmes sociaux, "l'affir-ma-tion néo-conservatrice de la modernité sociale" (PhD, 441). Sa thèse, "actuellement inégalée par sa puissance de conceptualisation, son imagination théorique et sa capacité à brasser les concepts" (ibidem, 444), atteint "une hauteur de réflexion où tout ce que les avocats de la postmodernité ont pu avancer… a déjà été pensé par lui mais de façon plus subtile" (PhD, 411). Son "sens des réalités" trahirait un "héritage très allemand, qu'il par-tage avec les hégéliens de droite sceptiques, jusqu'à Gehlen" (PhD, 432)! Néanmoins, face à Luhmann, Ha-ber-mas maintient qu'il n'y a pas seulement des systèmes sociaux parcellaires (Teilsysteme) —il traite les con-ceptions de Luhmann d'"antihumanisme méthodique"!— et que l'ensemble social peut, grâce à ses opinions pu--bliques plurielles (Öffentlichkeiten) exprimant, même de façon diffuse, une "conscience commune", "pren-dre normativement ses distances vis-à-vis de lui-même et réagir aux phénomènes de crise" (PhD, 435).
IV. Penser Habermas contre Habermas
Habermas a déclaré un jour qu'il fallait "penser avec Heidegger contre Heidegger" (14). Le précepte peut, à bien des égards, lui être retourné. Les éléments de critique sont nombreux; nous en retiendrons cinq:
1. Habermas applique le principe "deux poids, deux mesures": "Ce qui m'horripile, ce qui me heurte", a-t-il avoué un jour, "ce sont les agressions de ceux qui refusent de faire chez moi la différence entre le publiciste politique et le philosophe… et qui mélangent tout" (NU, 205). Or, n'est-ce pas ce que fait Habermas lui-même? Quand, dans sa 6ème lecture, il évoque un cours de Heidegger sur Nietzsche, il observe immédiatement (si ce n'est pas là de la basse polémique!) que pour Heidegger, "le surhomme a le visage du SA type" (PhD, 159). On se demande qui mélange ici la politique et la philosophie, et de manière diffamatoire de surcroît (15). A un au-tre endroit, Habermas proclame: "la chaire du professeur et l'amphithéatre de la faculté ne sont pas le lieu où l'on vide les querelles politiques; ce sont des lieux de débat scientifique" (NU, 212). On peut se demander, en li-sant un passage de sa 12ème lecture, s'il prend au sérieux son propre avertissement: "la communauté de va-leurs atlantique, focalisée autour de l'OTAN, n'est guère qu'un slogan de propagande pour ministres de la dé-fen-se" (PhD, 424), ou encore: "Cette science-fiction de la guerre des étoiles est tout juste bonne pour les planifi-ca-teurs idéologiques qui pourront ainsi agiter le spectre macabre d'un espace militarisé de façon à déclencher l'impulsion innovatrice qui mobilisera le colosse du capitalisme mondial pour le prochain round techno-lo-gi-que" (PhD, 425). Sans doute Habermas ne voit-il là aucune polémique. Seulement un "débat scientifique"…
2. L'un des reproches fondamentaux de Habermas à l'encontre des critiques de la raison dans le sillage de Nietz-sche est que leur discours ne fait "aucune place à la praxis quotidienne" (PhD, 393). Le responsable, encore et toujours, est Nietzsche: il aurait "tellement fixé ses disciples sur les phénomènes de l'extra- et du supra-quo-ti-dien" que la praxis quotidienne en est venue à être méprisée comme "du dérivé, de l'inauthentique" (un-eigentlich). Outre qu'un tel reproche, rapporté à Nietzsche et formulé de cette façon, est inexact, l'objection n'est fon-dée que si l'on est convaincu, avec Habermas, que les modalités et les formes de la communication quoti-dien-ne dans le monde vivant recèlent effectivement ce que l'on peut appeler les structures fondamentales de la ra-tionalité. Mais il y a autre chose: Habermas ne fait pas la distinction, pourtant évidente chez Nietzsche et les nietzschéens, entre la petite élite de ceux qui sont vraiment capables d'une pensée philosophique et la mas-se qui demeure nécessairement impénétrable à ces dimensions supérieures de l'esprit humain. Bien évidemment, c'est à cette élite que s'adresse Nietzsche (comme ses prédécesseurs et successeurs), à une élite pour qui l'exis-ten-ce quotidienne devient inessentielle (un-wesentlich) comparée au monde supérieur de la pensée dont elle par-ticipe. Cela ne signifie nullement que pour ces penseurs le quotidien ne soit absolument pas digne de ré-fle-xion! Dans ses brillantes analyses de critique culturelle, notamment dans Sein und Zeit, Heidegger montre clai-rement qu'un étude rigoureuse du quotidien et la reconnaissance de son importance pour l'existence humaine, peut très bien s'accompagner d'une critique de ce monde de la quotidienneté qui, entrevu sur un plan plus élevé, s'a-vère précisément comme uneigentlich (16).
Habermas demuere crispé sur l'utopisme
3. Habermas se crispe sur les positions classiques de la gauche: celle de l'utopisme. Il s'agit certes, dès l'a-bord, d'un utopisme très atténué, abstrait dans sa formulation. Rappelons-nous le jeune Marx qui pensait que, dans la société communiste, il serait possible de "faire aujourd'hui une chose, demain une autre, de chasser le ma-tin, pêcher l'après-midi, pratiquer l'élevage le soir, critiquer le repas sans jamais être chasseur, pêcheur, éleveur ou critique", exactement selon son humeur (17), ou les prophéties absurdes de Labriola ou de Trotsky qui pen--saient que les Platons, les Brunos et les Galilées courraient un jour les rues et que la "moyenne humaine" s'élèverait au niveau d'un Aristote, d'un Goethe et d'un Marx (18). Bien sûr, il ne reste plus grand chose, chez Ha-bermas, de ces élucubrations: l'expérience du "socialisme bureaucratique" (NU, 266; c'est ainsi qu'Habermas dé-signe le régime politique d'au-delà de l'Elbe!) est un bagage assez encombrant… Les "accents utopistes", af-fir-me-t-il, se déplacent aujourd'hui "de la notion de travail à celle de communication" (NU, 160); "le contenu uto-pique de la société de communication se réduit aux aspects formels d'une intersubjectivité laissée intacte" (NU, 161). Mais Habermas va au delà de cette formule passablement creuse: son "intuition fondamentale", qu'il avoue puisée aux archétypes de la mystique protestante et juive, serait "la réconciliation de la modernité a-vec elle-même" grâce à des "formes d'interaction réussie" (NU, 202 et 223) et à "la perspective d'une praxis par-venue à la conscience d'elle-même et où l'auto-détermination solidaire de tous devrait être compatible avec l'au-to-épanouissement authentique de chaque individu" (PhD, 391). Habermas en aperçoit d'ailleurs les prémices (c'est, dit-il, une "parcelle de raison existante") "dans le féminisme, les révoltes culturelles, les résistances éco-logiques et pacifistes" (NU, 252). Autrement dit, les symptômes de décadence sont à ses yeux des signes évi-dents de progrès. On croirait voir gesticuler sous nos yeux les "derniers hommes" de Nietzsche qui clignent de l'œil en disant qu'ils ont "inventé le bonheur". Les professions de foi utopistes à la Habermas n'inter-pel-lent pas le contradicteur; leur propre ridicule les tue plus sûrement.
Une lacune chez Habermas: un jugement sur l'éthologie d'un Konrad Lorenz
4. Cet utopisme s'explique largement, chez Habermas, par le rejet de toute anhropologie réaliste. Habermas de-vrait tout de même savoir que Kant, dès 1793, ajoutait aux trois interrogations fondamentales de la philoso-phie (la métaphysique, la morale et la religion) un quatrième questionnement: "Qu'est-ce que l'homme?" (Was ist der Mensch) (19). Or, ce questionnement-là, Habermas, somme toute logique avec lui-même, s'y dérobe. On le voit bien dans sa critique du conservatisme: il dénombre quatre types d'argumentaires conservateurs, mais, de façon significative, esquive le quatrième, le "discours éthologique de Konral Lorenz… parce qu'il dé-bou-che plutôt sur la Nouvelle Droite française que sur le néoconservatisme allemand" (NU, 41). L'argument n'est guère solide: Habermas ne comprend-il rien à l'éthologie? Rien n'est moins sûr: quiconque, outre ses dis-ci-plines de travail, se sent à son aise aussi bien dans la psychanalyse que dans la mystique juive, aussi bien en économie classique que dans les prolégomènes du post-structuralisme le plus récent, doit bien avoir éga-le-ment quelques notions d'éthologie. Pourquoi, dans ces conditions, escamote-t-il le problème et refuse-t-il (y com-pris dans d'autres écrits) d'accepter les acquis de la science moderne du comportement? Parce qu'à l'évi-den-ce, ses utopies se dégonfleraient, même et surtout ses utopies politiques, puisque nous savons désormais, au moins depuis Carl Schmitt, que "la conception de l'homme comme être problématique/non problématique est la condition première de toute réflexion politique" (20). Et ce n'est pas avec des coups de bec agressifs contre ce qu'il appelle "l'anthropologie pessimiste" (NU, 54) des conservateurs qu'Habermas pourra combler un déficit idéo-logique flagrant: sa propre anthropologie, implicitement optimiste.
Il n'y a plus de raison universelle...
5. Le concept de raison chez Habermas reste prisonnier des illusions de l'Aufklärung. En fait, ce concept de rai-son est au centre de son argumentaire philosophique et politique. Au premier abord, Habermas semble en fai-re un usage modéré: il ne peut plus exister de raison qui serait au service d'une "motivation philosophique en dernier ressort". L'erreur de Nietzsche, de Heidegger et même d'Adorno et de Derrida aura été d'avoir "con-fon-du les questionnements universalistes, toujours présents en philosophie, avec leur prétention —aban-don-née, elle, depuis longtemps— à avoir rang de statut, prétention que la philosophie exprimait naguère pour les réponses qu'elle apportait". Certes, "la conscience de la faillibilité des sciences… a depuis longtemps rat-tra-pé la philosophie", mais celle-ci "se conçoit, aujourd'hui comme hier, comme la gardienne de la rationalité au sens d'une prétention rationnelle inhérente à notre forme d'existence" (PhD, 247, rem. 74). Mais cette as-ser-tion fait elle-même problème: comment conserver les "questionnements traditionnels et universalistes" si l'on jette par dessus bord le statut traditionnel de la philosophie où s'enracinent —et se justifient— ces ques-tion-nements, et si les réponses de portée universelle deviennent impossibles? (La réserve de Habermas selon la-quelle les "propositions universelles" doivent nécessairement se couler dans un "moule grammatical" de-vient très vite relative). Comment la philosphie peut-elle encore de nos jours se comprendre comme "la gar-dienne de la rationalité" (comme dans l'Aufklärung) lorsqu'on sait que l'universalité de la raison (prétention qu'elle soutenait encore naguère) n'est plus crédible aujourd'hui? Sur ce point, Nietzsche et Dilthey voyaient plus loin qu'un Jürgen Habermas, auquel le XVIIIème siècle colle encore à la peau…
Un panrationalisme qui ne tient pas à l'analyse...
Habermas précise que sa conception de la raison est en rupture avec la raison archaïque de l'idéalisme allemand: "Il n'existe aucune raison pure qui se serait ensuite glissée dans l'habit du langage. La raison est raison incar-née d'entrée de jeu dans l'acte de communication comme dans les structures du monde vivant" (PhD, 374). Il se-rait plus juste de parler ici de panrationalisme (comme il y a un "panthéisme"): la raison communicative de Habermas est omniprésente puisqu'elle "décrit… l'universel d'une forme de vie commune" (PhD, 377). L'uni-versum (das Ganze) est traversé par le fil de la raison: même l'erreur, le crime et l'illusion ne sont pas a-ra-tion-nels: ce ne sont que les manifestations d'une raison "à contre-sens" (verkehrt). A l'évidence, c'est cela qui jus-tifie aux yeux d'Habermas la possibilité de croire encore à l'utopisme au nom du "progrès", puisque tous les phé-nomènes indésirables du monde moderne ne sont pour lui que des manifestations d'une "raison à contre-sens", qu'il appelle "pathologies de la communication" et qui peuvent être corrigées par le retour à des formes ra-tionnelles de communication. Ici, c'est l'élève de Hegel qui parle: on critique certes la modernité mais sur le ter-rain et avec les instruments de la modernité, afin de perpétuer le projet culturel de la modernité.
La conception de Habermas repose entièrement sur une absolutisation du concept de la raison dialectique hégé-lienne, concept qu'il avance comme fondement intellectuel incontournable d'une modernité conçue sur le mode mo-nolithique. Or, une telle démarche n'est possible que si l'on occulte purement et simplement un héritage phi-losophique d'une importance et d'une richesse capitales.
Habermas ignore tout un continent de la philosophie, vieux de deux siècles
Habermas occulte le fait que depuis le XVIIIème siècle, parallèlement au surgissement kantien, s'articule une ré-sis-tance à l'idée d'une modernité hypostasiant la rationalié et que cette résistance n'a pas commencé avec Hamann, Möser et Herder: elle a atteint, chez ces auteurs, une première apogée mais s'est prolongée ensuite avec des penseurs comme Jacobi et les Romantiques (parmi lesquels Habermas ne cite que Schelling et F. Schlegel, et brièvement de surcroît; PhD, 111 ss.). Schopenhauer et Kierkegaard perpétuent, sous des approches diffé-ren-tes, cette lignée philosophique qui produira Nietzsche et le vitalisme et se développera jusqu'à Spengler, Kla-ges et les intellectuels de la "Révolution conservatrice". Dès les origines de la modernité (qui n'a jamais été cet-te entité fermée et monolithique que suggèrent les textes de Habermas), il a donc existé une tradition de l'es-prit qui a identifié et conceptualisé les dangers inhérents à la césure, introduite par la modernité, entre horizon de l'expérience et horizon de l'espérance, selon l'expression de Koselleck, et dont la Révolution française fut un exemple. Comme l'a montré sans ambiguité Bernard Willms, "la pensée allemande, de Herder à Gehlen, se con-çoit effectivement comme un face-à-face permanent avec l'Aufklärung de l'Occident et l'on peut démontrer que, dans ce débat, la pensée allemande se percevait et se perçoit toujours comme une riposte aux Lumières" (21). Cela ne signifie nullement que cette pensée ait dégénéré en "irrationalisme" et en borborygmes mys-ti-ques: "La contre-Aufklärung, c'est le dépassement critique de l'Aufklärung par une relation plus réaliste à l'his-toi-re et au réel… La contre-Aufklärung, ce n'est donc pas l'érection d'une ligne de défense face à l'Aufklärung, c'est une réflexion plus profonde sur les notions générales et abstraites auxquelles la Révolution française avait réduit l'histoire et l'humanité" (22).
La contre-Aufklärung fait contrefeu à l'optimisme panrationaliste du "progrès", caractéristique d'une praxis phi-lo-sophique indigente dont les héritiers se parent aujourd'hui des oripeaux des "théories de la communication" et essaient de revendre sous un emballage nouveau les vieilles lunes de l'utopisme des XVIIIème et XIXème siècles.
Habermas a la conviction apparemment inébranlable que seule la raison émet un accès privilégié au réel. Plus le monde vivant est appréhendé de façon abstraite, mieux cela vaut. Plus la réflexion est brumeuse, plus l'em-pri--se sur le réel est précise. Ce qui permet accessoirement (au grand plaisir de Habermas) de disqualifier le dis-cours adverse comme unterkomplex: trop simple!! (PhD, 394). Il juge évidemment dangereuse l'idée que le réel puis-se se manifester plutôt dans le concret que dans l'abstrait. On le voit bien lorsqu'il déclare que les mou-ve-ments sociaux doivent intégrer en eux le "contenu normatif de la modernité", c'est-à-dire ce "droit à l'erreur" (Fallibilismus), "cet universalisme et ce subjectivisme qui sapent la force et la forme concrète de tout ce qui est particulier" (PhD, 424, souligné par l'auteur). On ne peut être plus clair: l'ennemi, c'est tout ce qui est par-ticulier, spécifique, concret! En effet: l'"analyse structurelle des mondes vivants", fondée sur la théorie de la com-munication, n'est viable que si on fait l'impasse du concret; faute de quoi, on nage, selon Habermas, "dans la mer des contingences historiques" (NU, 191). Que le réel consiste justement en cette "mer des contingences his-toriques", que ce "tout autre" (das Andere) d'une raison conçue sur le mode abstrait puisse se poser en anti-thèse du Général, de l'Universel, de l'Abstrait et du Médiat (23), non seulement comme rêve, fantasme, folie ou ex-tase mais également comme Individuel, Concret ou Immédiat, cette idée-là, le panrationalisme d'un Jürgen Ha-bermas ne peut que s'en détourner avec horreur…
Redécouvrir "l'autre que la raison" et échapper à l'hybris du panrationalisme
Pourtant, ce n'est peut-être pas un hasard si la pensée contemporaine connait actuellement un nouveau change-ment de cap pour lequel c'est surtout "l'expérience de la finitude… qui fait l'homme", c'est avant toute chose "comprendre que l'homme ne pourra jamais faire coïncider totalement sa pensée avec le réel" (24). Ce qui im-plique nullement un rejet de la raison comme entité; cela suppose seulement que l'on reconnaisse "l'Autre que la raison" (das Andere der Vernunft) et que l'on incorpore dans son schéma mental cet élément qui n'est pas "in-férieur" à la raison puisqu'il est au cœur du réel. Réapprendre que l'esprit humain se heurte toujours en fin de comp-te aux limites de l'aporie et du paradoxe, c'est échapper à l'hybris d'un rationalisme omnipotent.
C'est Hermann Lübbe qui a le mieux cerné la portée actuelle d'une pensée comme celle de Habermas: "Dans une ci-vi-lisation qui nous est une contrainte culturelle et politique, moins par sa sclérose que par sa dynamique, les attitudes progressistes deviennent obsolètes" (25). Mais on soupçonne fort, par moments, que la forme de ces at-titudes, cet emballement intellectuel qui se résorbe dans ces abstractions toujours plus insaisissables, signale l'irruption de cette "barbarie de la réflexion" dont parlait déjà Vico puis, après lui, Nietzsche, Sorel et Speng-ler et qui annonce invariablement la barbarie tout court.
Hans-Christof KRAUS.
(traduction française: Jean-Louis Pesteil).
Notes:
(1) Interview de D. Horster et W. van Reijen du 23 mars 1979, in: D. Horster, Habermas zur Einführung, Hanovre, 1980, p. 76.
(2) On le voit très bien quand Habermas découvre… Richard Löwenthal et Kurt Sontheimer comme "pen-dants ouest-allemands" des néoconservateurs américains (NU, 39)! Ces deux libéraux de gauche, te-nants d'un "patriotisme de la Constitution" (Verfassungspatriotismus), n'ont strictement rien à faire dans le camp "conservateur". Ils seraient d'ailleurs eux-mêmes fort contrariés d'une telle classification!
(3) Sur le plan de la définition, Habermas les distingue nettement des néoconservateurs américains (NU, 40). Ce qui ne l'empêche pas ensuite d'accoler ce qualificatif aux Allemands (NU, 39, 46, 49 et 182). On aurait aimé un peu plus de rigueur dans le maniement de certains concepts!
(4) Sur la controverse entre Habermas et les Français, on consultera A. Huyssen, "Die Postmoderne. Eine amerikanische Internationale?" in dito et K.R. Scherpe (éd.), Postmoderne - Zeichen eines kulturellen Wandels, Reinbek bei Hamburg, 1986, pp. 26 ss.
Sur Lyotard, on peut lire dans le texte de présentation de ses livres parus chez Merve-Verlag (Berlin): "… Militait pendant la guerre d'Algérie dans le groupe d'extrême-gauche de la revue "Socialisme ou Bar-barie"".
(5) Voir par exemple le recueil de textes M. Foucault: Mikrophysik der Macht - Über Strafjustiz, Psychiatrie und Medizin, Berlin 1976 ou encore le "Dialogue entre Michel Foucault et les étudiants" in M. Foucault: Von der Subversion des Wissens, Francfort, Berlin, Vienne, 1978, pp. 110 ss.
(6) Cf. J. Altwegg, Die Republik des Geistes, Munich, 1986, p. 210.
(7) Horster (cf. Note 1), p. 73.
(8) J. Rawls, Eine Theorie der Gerechtigkeit, Francfort, 1979, p. 401.
(9) La citation de Rawls par Habermas est tronquée; Habermas a omis un "détail" important: l'adjectif "po-litique", sans en aviser le lecteur (NU, 83).
(10) D'autant que pour Habermas, la question de savoir si la théorie de Rawls, pur produit de la tradition anglo-saxonne, est transposable à l'Allemagne, ne semble même pas se poser…
(11) Habermas essaie d'éluder la critique de l'Aufklärung par Hegel (par exemple la critique du primat du "devoir-être" sur l'Etre) en affirmant que Hegel est "obligé" de développer sa notion de modernité "à par-tir d'une dialectique elle-même inhérente au principe de l'Aufklärung" (PhD, 33), ce qui laisse com-plè-tement de côté, évidemment, les différences qui peuvent exister entre la notion de raison chez Hegel d'une part, dans l'Aufklärung d'autre part. A ce jour, Bernard Willms est, il me semble, le seul à avoir mon-tré comment les "théoriciens critiques" de l'Ecole de Francfort s'évertuent à gommer ces différences: "La prétention de la Théorie critique à incarner un courant "progressiste" qui apercevrait comme axe de ce "progrès" l'offensive de l'Aufklärung, ses intentions révolutionnaires (comme le tournant de la dialec-tique) et surtout son prolongement révolutionnaire par le marxisme, repose en fait sur une double er-reur: premièrement, la Théorie critique n'a pas vu que Marx, en remontant au 18ème siècle, ne pouvait que retomber dans un système de pensée qui avait déjà été dépassé et surmonté par l'idéalisme. Deuxiè-me-ment, elle n'a pas vu que le matérialisme "scientifique", que le marxisme prétendait incarner, se con-ten-tait en réalité de reformuler la rationalité de l'Aufklärung dans le sens du 19ème siècle scientiste et positiviste. En sorte que la "Théorie critique" a conservé, malgré toutes les subtilités et toutes les acro-ba-ties de sa réflexion, le caractère réactionnaire des schémas de pensée hérités du 18ème siècle: une rai-son prétentieuse, reproduisant une démarche intellectuelle de type religieux, ne pouvait qu'être une idéo-lo-gie au sens strict de théocratie intellectuelle et se dégrader en activisme jacobin, voire en véritable sco-lastique. Tout cela n'a plus rien à voir avec une quelconque appréhension du réel, en dépit du rem-plis-sage sociologique et des jongleries avec les "totalités". A cause du marxisme, les acquis phi-loso-phiques de l'idéalisme allemand se sont vus ramenés aux vieilles lunes de l'Aufklärung" (B. Willms, "Deutscher Idealismus und die Idee der Nation - Aufklärung und Idealismus in ihrem Verhältnis zur historischen und politischen Wirklichkeit" in: A. Mölzer (éd.), Österreich und die deutsche Nation, Graz, 1985, p. 395).
(12) Cette interprétation est en contradiction flagrante avec les résultats des recherches les plus récen-tes sur Heidegger: elles montrent que le "retournement de Heidegger", la Kehre, a commencé dès 1930, et non pas après 1933-34 (W. Franzen, Martin Heidegger, Stuttgart, 1976, p. 81; cf. également p. 76 ss.).
(13) Cf. Alain de Benoist, Aus rechter Sicht (=Vu de droite), VoL. II, Tübingen, 1984, pp. 33 ss., 156 ss.; du même: Kulturrevolution von Rechts, Krefeld 1985, p. 122.
(14) J. Habermas, Philosophisch-politische Profile, Francfort, 1984, p. 469.
(15) Au demeurant, tout le chapitre sur Heidegger est entrecoupé d'allusions plus ou moins polémiques et malveillantes au faux-pas politique du grand philosophe. Détail révélateur: sur ce point comme sur d'au-tres, Habermas utilise deux poids et deux mesures: on ne sache pas qu'il ait jamais critiqué son pa-tron de thèse, Eric Rothacker, philosophe à Bonn, très méritant du reste, qui collabora allègrement après 1933 (cf. sa "Philosophie de l'histoire", Munich et Berlin, 1934, p. 135 ss.) et qui, après la dé-fai-te, préféra "tout oublier" (cf. ses Heitere Erinnerungen, Francfort et Bonn 1963, p. 73)!
(16) M. Heidegger, Sein und Zeit, Halle, 1941, p. 166 ss. (§§ 35-38).
(17) Karl Marx, Die Frühschriften, éd. S. Landshut, Stuttgart 1953, p. 361.
(18) Labriola et Trotsky cités par W. Sombart: Der proletarische Sozialismus, vol. I, Iéna 1924, p. 323.
(19) Kant à C.F. Stäudlin, du 4 mai 1973, in: Kant, Briefe, éd. par J. Zehbe, Göttingen, 1970, p. 216.
(20) Carl Schmitt, Der Begriff des Politischen, Berlin, 1963, p. 59.
(21) Bernard Willms, Die Deutsche Nation, Köln 1982, p. 88.
(22) B. Willms, Idealismus und Nation - Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewusstseins der Deutschen, Paderborn, 1986, p. 41.
(23) Cf. à ce sujet Armin Mohler: "Die nominalistische Wende", in A. Mohler, Tendenzwende für Fortgeschrittenen, München 1978, p. 187 ss.
(24) A. Mohler, Was die Deutschen fürchten, Stuttgart, 1965, p. 18.
(25) H. Lübbe: Zeit-Verhältnisse, Graz,1983, p. 142.
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jeudi, 15 janvier 2009
A Posthumous Conversation With Arnold Gehlen
A Posthumous Conversation With Arnold Gehlen
Thomas Molnar
My only "encounter" with Arnold Gehlen was on the pages of Criticon: He was the subject of the Autorenportrat in the first issue of the review; I was the subject in the second. This is not much, yet I have mentally "conversed" with him several times, thereafter as a conservative social anthropologist. I employ conservative both as a term of praise and disagreement. Facing his progressive colleagues, a conservative social philosopher is one who does not indulge in wishful imaginings that he presents as the inevitable future of mankind. At the same time, he runs the risk of becoming intellectually rigid when he assumes that man, less plastic than the evolutionists believe, is determined by successive civilizational forms, from that of the hunter-gatherers to postindustrial society.
Gehlen is part of a school of thought whose members divide history--not l'histoire evenementielle but sociotechnical history--into boxes, then shuffle their contents and are visibly annoyed when the cards from one box spill over to another box. A good illustration of this method of over classification is found in the works of the cultural anthropologist Pitirim Sorokin who involves himself in so many cross-references that the reader finally loses the line of argument and can only hold on to a few passages for their illustrative value.
In the above paragraph, I tried to unmask the scholarly processes of these men when I called their professional object "sociotechnical history." It seems to me that most, if not all, of these admirable thinkers are over impressed by our "age of technology," and have become its victims in the sense that they regard it as the end of history, culture, and the human condition. To be sure, this view may be more defensible than that of their progressive colleagues. These latter are similarly overimpressed but build temples to technology, congratulating each other that they can now pray at the same shrine, members of the same ultimate cult. Gehlen and his colleagues were less naïve; they did not like what they saw. Yet they, too, considered technological civilization as the ultimate human achievement, though perhaps in the negative sense, as if man's being turned into a machine were inscribed in the natural order of things.
History As Positive Achievement
What can one do after reaching such a conclusion? Two possibilities are left. One is given by the pessimistic historian Oswald Spengler: the replaying of the whole scenario from infancy to senility in some other geographical setting, endlessly. The fatalism of this process shuts off all discussion. The other possibility was explored by Gehlen: the explanation of our supposedly final civilizational shape as seen in reference to former ages, now perceived as approaches to the present level of mechanized living. Facing Spengler's picture of a cyclical history, Gehlen declares the course of history irreversible and, as such, a positive achievement.
The French philosopher Henri Bergson at least contemplated a pair of alternatives, one of them negative, and the other positive. The élan vital had two choices, one of which ended in the cul-de-sac of perfect but mechanized instincts (the lepidoptera); the other of which flowed in the direction of an incalculable freedom and in the direction of man--the open intelligence, the creative artist, mystic, saint. Gehlen, however, insists on basic human constants--stability, regularity, and domination over nature--and is led to such a strange rapprochement: equation between the magical practices of archaic man and modern technological inventions. In both cases, Gehlen holds, man projects his need for regularity and routing onto the outside world. Magic brings him the obedience of the organic universe (or what his animism regards as organic); governing technology brings him the scientific laws of inorganic matter.
This is, of course, reductionism of a rather materialistic kind. Marx and Engels, and before them, Helvetius and the Renaissance adepts of Epicurus, could have subscribed to it: Religion is merely a method of influencing imaginary superior forces. Once these forces are harnessed, scientific laws and their technical embodiments take over--and give us at least as much satisfaction as religion. The logic of this position does not stop here; it compels us to distinguish between our dependence on animate forces (in the age of magic) and our freedom today, as we manipulate the inanimate world. Max Weber's concept Entzauberung may be relevant here; that is, nature's desacralization as not merely an option, but an inevitable and irreversible transformation. As Gehlen writes, with man's switch from near passive object to active-dominant subject of historical and productive forces, the moral ideal has also changed. Is this not the line of argument of all utopian thinkers, from Joachim of Fiore to Teilhard de Chardin, not to mention the solid phalanx of progressive social scientist and ideologues?
A Rationalistic Future
I hope the reader sees now the nature of my objection to Gehlen's quasi-deterministic vision. It is a vision that German thinkers adopted at the end of the last century, and that they have had certain reasons to cultivate in this one. Writes Gehlen: "The future no longer holds any prospect of a resurgence of mystical consciousness, since the industrial culture now conquering the globe is rationalistic through and through" (Man in the Age of Technology, p. 122). He proceeds to analyze industrialization's dreary consequences, the bureaucratization of life, mechanization of work, and institutional dissolution. This is Max Weber and Oswald Spengler again, themselves influenced by Vico, Burckhardt, and Tocqueville, and in their turn influencing Toynbee, Ortega, and others. Gehlen is by no means along; in fact, the cultural mood he represents has become all-pervasive, a sign of the times. But no matter how many brilliant names subscribe to and illustrate this mood and trend of thought, it is no more than a vision of the world closing in upon us.
If I read Gehlen correctly, his philosophical anthropology contains two principal propositions. The first is that one may speak of culture only in a magical ritualistic sense, which suggests man views himself as a fragile being. This would also explain the human need for institutions because they mediate the sphere of transcendence to communities, at least to Gemeinschaften. And it further explains why, according to Gehlen, the place of institutions in our time is taken over by organizations (Gesellschaften). These temporary products of social relationships regulate themselves without pointing to a beyond and express ad hoc subjective desires.
Gehlen's second proposition is that the consciousness of an age alters in response to changes in culture, in the form of human settlement or method of production. In our industrial civilization, then, culture has come to an end, and our consciousness is shaped by vast, manipulated, and manipulatory forces (the media, commercial publicity, government propaganda). The small enclave, in which each of us lives his impoverished private existence, with neither gods nor genuine human contacts to console us, has no cultural motivation and is easily adaptable to a hedonistic life-style.
Although Arnold Gehlen and the other philosophers of civilization neither make excessive use of the so-called objective methods of measurement nor reject value judgments such as "decadence," "moral decline," and "social fragility," their central weakness is their inability to rise above the typological view of history. They ought to take into account the fact that every age proceeds to divide historical time according to its own convenience or prejudice, distributing praise, difference, or hostility by means of labels it nails to the various time-sections. "Middle Ages" contains a negative verdict, "Enlightenment" a positive one, while "ecumenic age" has a question mark attached to it.
No wonder, then, that our preoccupation with industry and technology has introduced and encouraged a new classification based on the ways and methods of production. This is why we discovered in retrospect the nomadic gatherers; the clans of hunters and fishermen; the settled agriculturists and animal breeders; the urban population; artisanship and trade; large-scale, indeed global, industry; then, with an anxious look at the future, the age of nuclear energy and spatial navigation. The postulate that overarches this enumeration is irreversibility. As Gehlen writes, we cannot return from the industrial to the mythical consciousness because the former destroyed the later with its cold, rationalistic methods and has expanded throughout the planet.
The Shaping Of Societal Consciousness
Where is my disagreement with Gehlen and the school to which he belongs? It is questionable to what extent the consciousness of a society is shaped by its material substratum, productive forces, and social relationships. It was the Marxist Lucien Goldman who tried (in Le Dieu cache) to demonstrate that Pascal's and Racine's work can be explained in terms of the new sociological position of the noblesse de robe--a thesis brilliantly demolished by a young scholar, Gerard Ferrey-rolles. Similar attempts at a basically Marxist analysis abound in the works of sociologists of knowledge like Karl Mannheim, and, of course, Georg Lukacs and the Frankfurt School.
Gehlen did not belong to any of these groups, yet he shares with them a number of intellectual ancestors and presuppositions. Industrial society was so traumatic for scholars holding a tradition-based worldview that some drew apocalyptic conclusions from its predominant position and gradual annexation of various areas of daily and cultural life. Let us not forget that in the nineteenth century not scholars but primarily artists opposed scientific progress (Blake, Baudelaire, Flaubert, then Pound, Yeats, Eliot); most intellectuals were swept off their feet by the prospect of utopia, but art historians soon joined the artists in their opposition to technology and mechanization (Sedlmayr, Ortega, Weidle).
We must, however, question the theories of civilization built on nineteenth century culture shock, and regard fully developed technological society not as the last phase of a sadly declining history, but as a dead-end street, in the sense that lepidoptera represent an exhausted biological line in Bergson's system. (This is not a general approval of his Evolution cretrice!) Ghelen was impressed by the gradual buildup of the civilizational stages from the nomadic food gatherers to the present, cybernetic era. When the nomads made fire with a flint, that act was profoundly needed; hence, it was sponsored by a god (Agni in the Hindu pantheon, Vulcanus in the Roman), and it was an organic, unremovable part of civilization. This quality of permanence integrated "fire" with theology, philosophy (from the pre-Socratics until the Stoics), the magical worldview, alchemy, mining, poetry, and images of love and passion.
Cybernetics, no matter what its giant achievements, cannot create counterparts in imagination nor install them in the pantheon. It is in the strictest sense unneeded, an embarrassing burden, a manipulative device; since nobody really wants it, it cannot catch our fancy. It is not part of the human condition. In short, there will never be a "cybernetic consciousness", only the learning by specialists of an auxiliary branch of industrial technology. No matter what sophisticated machines we build, man remains man, and machines, insofar as they enter our imagination at all, will be strange, freakish, monstrous, or ridiculous Frankensteins.
The Building Of A "Lepidopteran" World
Thus industrial civilization, which so overwhelms us today, is a Bergsonian quasi-impasse in the succession of civilizations. I mentioned that its first opponents were those nineteenth-century artists who rebelled against photography, the railroad, the grisaille of factory life, functional architecture, the smoke that defiles the air of cities--not mere Luddites but clear-sighted insurgents against mechanization. Of course, this kind of milieu created its own human type, utilitarian man, who judges beauty in terms of supermarkets and building speculation.
However, the whole thing can be diagnosed as a "lepidopteran" undertaking: Technology will simply not fuse with consciousness, it will frighten it, alienate it. The machine encourages things like the Centre Pompidou; it may even reach a kind of apotheosis in a night skyline mirrored in the river, as the illuminated cubes of Manhattan. Such a vista is impressive, but it does not speak to the emotional roots where time, exaltation, awe, and humility enter into alchemic combination.
Like many of his colleagues, Gehlen feared, in fact, the end of history, a typical and understandable rightist response to the present dehumanization and vulgarity of bureaucracy and mass culture. An abundance of histories of civilization has been written in the last hundred years. The authors either spoke openly of the decadence of the West or tried to balance Western civilization on the point of a needle, guessing whether it would remain or fall. At any rate, the authors believed they were publishing the last book before the end of the world, an end to come in an apocalypse or a whimper, as T.S. Eliot suggested. The books themselves were conceived on the model of inventories, the last tour d'horizon before all books are closed.
Yet, history continues, and it is not irreversible. Indeed, irreversibility itself is a mechanical concept, exemplified by the machine that never stops functioning. But how could we say of Chartres or a Mozart symphony that it is irreversible, or that Augustine and Michelangelo did forever? Such statements, we know deep inside, do not make sense. Likewise, we know that a mechanical product, like the Centre Pompidou, regardless of how long it stands, will not be assimilated by historical consciousness.
The modern reductionist methodology is responsible for Gehlen's pessimism about civilizations. It may be tempting and spectacular to equate archaic magic with the mathematical certainties derived from scientific technology, but it is a false equation. Magic was not solely an attempt to secure desired results--it suggested that the cosmos is one totality, the unimaginably vast scene of cross-influences by all its myriad components, human and other. Even when the magician obtained negative or no results, he felt the safety of belonging to a meaningful whole.
The contemporary engineer has no such support. Our civilization, built on a "second nature" as it were, cannot be intimately ours. We will leave it behind and proceed to new configurations in the light of which dehumanizing technology and its computer brain may again appear as marginal--abandoned by post-technological man. Industrial society does not have to be followed by "more of the same"; envisioning the next civilization postulates is not in our power.
The Argument For Divine Censorship
A final point. Gehlen expected, like many modern thinkers, that mankind would formulate a new, sound moral relationship with industrial culture. This may take the form of an "ethics of responsibility" (Hans Jonas) inspired by ecological considerations, a new awareness of our growing and perhaps unlimited power over nature. It must be noted, however, that morals are not formulated and observed in vacuo; they are creations of an ontological penetration into the universe by which human relations, too, are seen in a new light.
Even if we accept the classification of previous historical epochs as sedentarization, agriculture, city building, and so on, it is obvious that each presented itself under the sponsorship of divinities who fulfilled two essential civilizational functions: They offered their followers a meaning of, and justification for, what gods and men were doing, thereby suggesting myths, rituals, and art forms. Their second function was setting the limits that the given technical instruments were unable to transcend--unless the gods themselves changed, but that act created another civilization.
No such relationship exists between the technological age and what I have called the ontological penetration. Science has cleared the cosmos of the sacred presence; technology simply fills the empty place thus left, the way chairs fill the stage in Ionesco's Les Chaises: relentlessly, endlessly, even after the curtain falls. In other words, for a morality to exist as an active agent, the universe must have a meaning, and therefore techne must have limits. As if he had anticipated Hans Jonas' call for an "ethics of responsibility", Gehlen warned that Western man has had two centuries of conditioning in an uncritical admiration of technology. I think we must go farther and realize that we do have a system of ethics adjusted to science and technology, just as we have a system of esthetics. The trouble is that both are false: "Technological esthetics" is represented by the Centre Pompidou, while "technological ethics" is contained in the phrase, What is technically feasible is also moral. Neither system harmonizes with man's deeper vision of himself and the world.
Thus my final disagreement with Gehlen can now be summarized. If there were a law according to which a new and different moral vision must coincide with every major change in technology, then the weight of importance in spiritual anthropology would have to shift from the moral demand as such to what technology can offer. In short, technology would determine morality, and anthropologists would merely register this fact. This is a fashionable view, which recently found a brilliant expression in Le desenchantement du monde, by Marcel Gauchet. The French writer's work is predicated on an also fashionable "historical entropy": We have left the religious worldview behind and have descended, as if from the mountains to the endlessly stretching plain, onto a self-regulating society.
However attractive this thesis may appear, it is merely speculation for people ideologically committed to the infrastructure/superstructure process of history: With changes in the material and psychological preconditions, moral truth also shifts in a predetermined direction. But how do we measure the ratio that exists between, let us say, the structure of production or ownership, and the moral judgement? To my knowledge, there is no formula for the calculation of such a ratio, and speculation about the existence of one is the fading legacy of nineteenth-century positivism. There is thus no demonstrable relationship between infrastructure and superstructure, to use these loaded terms. The freedom and specificity of man--and if we do not postulate them, we might as well abandon all thought of an anthropology--are ultimately not tied to his material condition. Otherwise, given the present state of civilization, this "conversation with Arnold Gehlen" could not take place or would be without meaning.
Thomas Molnar is professor of religion at Yale. He is the author of The Pagan Temptation; The Decline of the Intellectual; Sartre: Ideologue of Our Time; and God and Knowledge of Reality.
[The World and I (New York), November, 1989]
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mercredi, 14 janvier 2009
"L'Amazone blessée" de Franz von Stuck
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mardi, 13 janvier 2009
Remembering Johann Herder
Remembering Johann Herder
M. Raphael Johnson
Surprisingly, very few of those who call themselves ethnic-nationalist know anything of its history and development. Johann Herder, writing in the early 19th century, is largely considered the major founder of nationalist theory in western Europe. A pro-Slavic German, Herder laid out a vision of the cultural order where the globe was made of innumerable ethnic groups, united by culture and language, each with its own purpose and “genius.” These were all to be self-governing, as the state was to have a minimal role, leaving actual governance to local institutions and tradition. Of all the nationalist theorists of history, Herder is likely the most widely read today, and is even given a modicum of respect within academic intellectual history and political science.
Ethno-nationalism, in spite of the myths pouring out of the academic presses, is a rejection of the gnostic-Enlightenment view of man, morality and epistemology. Unless one understands this negative connection, one cannot understand the moral and historical and moral basis of nationalism and the ethno-community. Therefore, it is absolutely central that the work of Johann Herder be dealt with, for, in many respects, the revolt against Enlightenment "liberalism" and "practical" conservatism comes from him rather than from Burke, whose theoretical prowess has been overestimated in many respects.
Herder's critique of the Enlightenment rests on one major proposition: that the study of man is radically different from the study of nature. In other words, the object with which any specific community or civilization provides the "social scientist" with does not bear the same marks as an object as in the natural sciences. The sciences themselves impose an ideological and a priori grid upon nature, the quantitative measures to which science reduces all visible phenomena. To treat man as an object of science is to standardize him, to standardize him is to reject all that is human about him, to reduce him to a mechanical being, a being easily manipulated from outside; the esoteria of the social sciences. In other words, this sort of standardization is to reduce civilization -- for Herder the ethno-nation -- to a set of material causes and effects which ensures that only the most formal and formalizable aspects of the people under study will be understood. Even here, though, precisely because that which is formal (or formalizable) is removed from the rest, that then is misunderstood. Peoples are distorted if they are a priori standardized in a quantitative formula. This is the central proposition of Herder's social theory, and, importantly, the starting point for the countercritique of Enlightenment mythology.
Herder, as nearly all anti-Enlightenment thinkers, rejected the intellectually vapid notion of a "social contract." If such contracting individuals were to exist to enter into some contractual obligations, then the contract would have already been settled. In other words, the civilizational apparatus that would allow a scholar to even conceive of a "contract" is already in existence as the contracting parties are coming together. "Social contract" theory is an intellectually dishonest slight of hand: its primary purpose is to reject all aspects of history, civilization and nationhood in order to rebuild the society on the demands of the contracting parties. These, as always, mean the wealthy and powerful who demand the institutionalization of their own interests and call them "universal human rights."
Communities derive primarily from the fact that men are born radically helpless and dependent, not free and equal. Only the existence of the community ensures that human beings exist at all. Therefore, all arts and sciences derive from this natural, communal union, and exist as a product of the communal mind, rather than specifically the minds of great men. In other words, that the man of genius, undoubtedly a reality in human history, should be demystified in that his genius has been nurtured by the community around him. The books he has read, lectures attended, apprenticeships, language, education, in short, everything necessary to develop the talents of genius are communally created, not individually created. Therefore, the proper study of human society is not the "great man" but rather the community, the nation, the ethnos. This is the proper unit of history, and it is it that works through the great men, economic institutions, armies and books that a historian might study. Genius exists, as do classes or great ideas, but they do not come into existence in isolation.
What Herder and his followers revolted against is the mechanization of nature and human societies, the dominance of methodology over mankind and the idea that various nations and cultures are commensurate with the newest conceptual apparatus of modern science. On the contrary, Herder believed that nations and cultures were basically incommensurable, and that, in order to understand any one, they needed to be understood from the point of view of how they understood themselves. Modern historical theorizing generally judges historical societies to the extent they have manifested the much more contemporary ideas of liberalism and secularism. Of course, such a method is not history, but a crude ideological polemic that passes for erudition in American universities. A nation is not "successful" if it is wealthy, if indeed, wealth is not a mark of success. American historians will prattle on about the wealth, freedom or repression in a certain historical culture, without bothering to inquire whether or not such things were considered important, or if the average person considered liberal ideas of jurisprudence to be wise or not. Herder fought this trend in his own day, and the battle seems still to be lost.
The basic epistemological idea here is that, in order to understand anything, the conceptualization of the data (always incomplete) must come a posteriori. Objects can only be understood within and through the group mind of the ethno-community. Contemporary scientific methods take an a priori notion of conceptualization such as "rational choice" theory or a class- or "gender"-based analysis, for example, and impose it upon any society or group whatever. In political science, so it is regularly claimed, any data set whatsoever can easily be quantified and placed within a regression model. The connection between the real, concrete data and its quantification and analysis is rarely questioned. Everything is standardized and everything follows the same crass laws of cause and effect, even man.
For Herder and so many others, what must come first is first-hand, lived experience with the data, with a concrete sense of what an object is, as defined by the specific community under question. Rejecting qualities as "accidents" or "residuals" is an epistemological error, for it rejects what is a part of the object under study, part of what makes it unique and thus worth studying in the first place. In other words, for Herder, any object needs to be understood in the sense of its value or lack of it within the culture which it is found. Epistemology is intensely social, and to divorce it from social life and the development of national consciousness (and therefore language) is to divorce knowledge from reality. Reality, for the analytic philosopher, is a set of concepts expressed in words, not actual objects; and actual objects, to be thus, are always a product of culture, traditions or traditional norms. Objects only become so in the nexus of national and cultural tradition, or they are not objects at all.
For the Enlightenment, the notion of "progress" has been an allegedly continuous move from "myth" to "fact;" myth is the sensuous and concrete aestheticization of nature and mankind into something socially recognizable and intelligible. Progress has its esoteric side of being the "demystification" or "unmasking" of such concrete realities into the abstractions of modern scientific and moral ideology. For Herder, this is a regress. Modern scientific methodology has eliminated the concrete object in favor of a sterile concept. The older idea of myth was not falsehood in any sense, but is a key to the heart and mind of a specific people and civilization. To aestheticize nature is to imprint the "general will" upon it, to provide it with cultural reality by integrating it into the vortex of the nation. The nation, then, seeks to unify all things to itself: nature, technics and economics. These are provided with the imprint of the historical memory of a people. Nothing is strange, everything becomes recognizable.
While it might be true that technics derives from a certain conceptualization of matter, it does no follow that the mythos, or the aestheticization of matter is therefore "backward" or "false." The notion of myth, however conceived, is a means whereby objects of nature and art are brought into the cultural gestalt of the community, the nation. To render objects as mere concepts is to destroy them; it is, in a magical and occult sense, to recreate them in the image of man. In turn, they are taken out of the realm of experience and exist solely in the realm of ideas to then be renamed and reconceptualized by those with the power to perform such magic community-wide. It is a dangerous form of alienation that removes the individual from the realm of the concrete, the realm of reality, or real consequences and the real personal identity, into the realm of ideas, of the realm of images that can easily be transformed by the wishes of those who control the vocabulary and projection of images in modern life. Myth therefore, is not falsity, but it is something integrative and gives nature the stamp of nationhood, or the identity of the collective self.
More importantly for mankind, what is important is a view towards what the various communities and nations deem important or worthy in life. The "idea of order" that animates the community carved out of what ordinarily would be chaos is what needs to be analyzed, not, on the other hand, that strictly modern sense of placing a stylized pattern of "rational choice," "utility maximization," structural-functionalism, psychoanalysis, or whatever and placing it over every and any people. Such modern methods are not based on "science," but on a set of axiomatic assumptions that cannot be proven, namely, that stripping away the cultural "accretions" of a people leads to their "essence," their "demystification." The proposition: "all peoples function according to strict rational choice and utility maximization models," is a completely nonscientific statement. It is an non-provable assumption, made more dangerous that it must be taken on faith, a priori, and merely applied. One then assumes that the product of such analysis actually reflects the "real world" of things.
The vapidity and coldness of analytic methods do, in fact, communicate true cultural life: they are not the universal truths of the faculty lounge dreamers, but rather that of the emptiness of modern western life, where "tradition" and "culture" are largely non-existent, completely administered by the handful of families that control the flow of images and the resultant stimulus. Analytic philosophy, indeed, far from being the search for the universal inherent in the text under study, is nothing more than a brutalization of the texts of western philosophy, the imposition of the mindlessness of Anglo-American liberalism and nihilism upon texts the authors of which could never understand.
For Herder, and for ethno-nationalism in general, one approaches an artifact of a culture, of a nation, precisely as that. Something that reflects, not the specific idiosyncrasies of the artist, craftsman or writer, but of a whole people. Any artifact contains within itself the soul of an ethno-nation and a civilization, of the folk. it reflects years of development long before the object ever came into existence, and a set of influences so nuanced, and going back so far into history that it radically resists any form of quantification, or even of understanding except in the most pedestrian of senses.
In other words, objects of a culture are "organic." That word is used over and over again, and only in the rarest of papers it it ever defined. The best and most meaningful use of the word is that the whole is manifest in the part. That is, each object manifests the whole in which it has been created. Because each man, no matter how much an "individualist" he might delude himself into thinking he is, is the product of time, culture (or lack of it), language and national and communal history that defines the fears and hopes of society at large. Because of the intrinsic connection between human development and one's immersion into a national tradition and self-identification, it follows that the acts of such an individual are, in fact, acts of the nation, of the people.
The notion of "organic," (or, "integral," for that matter) then, refers to the fact that it is not proper to split off the disciplines from one another: morality is dependent upon an understanding of history, philosophy on culture, culture on language, etc. Each is necessary to reinforce the other, and any specific text of a culture, therefore, contains all of them, to one extent or another, however ultimately distorted. To remove moral views from historical development or epistemology or language is to completely distort the actual historical process of these things coming into existence and taking hold over a people.
Hence every nationality must be considered solely in its place with everything that it is and has; deliberate isolation, rejection of individual phases and customs will not result in history. To gather such collections one steps into a charnel-house, into a lumber room and wardrobe of the nationalities, but not into the living creature, into that great garden in which the nationalities grow like plants and of which they are a part; in which everything -- air, earth, water, sun, light, even the caterpillar which crawls upon the plants an the worm which destroys them -- belong to it. (xviii 248)
For Herder, as for nationalism properly understood, nationalities are not states, nor do they need them. States are the creation of men, the ruling classes; nations, on the other hand, are creations of nature, creatures of the dependence and weakness of the individual alone against the elements. Herder writes in a celebrated passage:
Millions of people on the globe live without states....Father and mother, man and wife, child and brother, friend and man -- these are natural relationships through which we become happy; what the state can give us is an artificial contrivance; unfortunately it can also deprive us of something far more essential -- rob us of ourselves. (xiii 341)
One of the most significant difficulties in the American literature on nationalism is the extent to which the state is confused with the nation. However, it is understandable, for the dominance of analytic methods in the social sciences has extreme difficulty dealing with the unquantifiable and complex set of nuances and subtle folkways that are actually the stuff of nationality. The state, with its conveniently arranged bureaucratic offices, numbers of soldiers and massive budgets, is a far more amenable object of study. Unsurprisingly, the nation became synonymous with the development of the state administration. The development of nationalist thinking under Herder was completely lost as the social sciences found the state far more amendable to their careers and intellects.
One of the central aspects of Herder's vision for the development of counterrevolutionary thinking is just this distinction between culture and law, between the ethnos and the state. If culture is strong and vibrant, passed down from the church and family unit, then the arm of the state is unnecessary. The Russian Old Believers, Serbia under Dushan or the feudal West are examples of "states" whose constitution consisted of autonomous communities where the state was very weak or non-existent except in the realm of foreign policy and general taxation. Under the medieval royal systems, each community was self-governing under only those laws necessary to the proper functioning of each autonomous institution. The culture, found in the Church and its myriad manifestations, maintained the identity and order of each community, each with its own specific mission and sense of self. As later as nineteenth century Russia, the rural commune was self governing, and the state's presence in rural life was nearly non-existent. The liberalism of Alexander II and his serf emancipation served one purpose: to allow the state to enter into the formerly self-governing sphere of commune-landlord relations and impose a more centralized regime. In other words, either in the Germano-Latin, Polish, Serbian or Russian cultural milieu in the middle ages, the state's power was not conceived of in a liberal and centralized fashion of an "administration," but the nation -- the ethno-cultural community -- was given free reign to rule and maintain order.
Very much like the Russian Slavophiles of the 1840's, Herder did reject the "consent" theory of government. Custom, tradition and nationality are not things that one consents to: they are the conditions for one to consent to anything. When one, in a purely theoretical way, "consents" to become a citizen of a certain polity, one already must have a rather well developed sense of moral life, culture and self in order to make such a decision. The idea of liberal "consent" is a fraud, for no one has ever consented to be ruled by a certain ruling class, but the idea of 'consent" is intrinsically connected to the lie of "contract theory."
If custom and national tradition has its place, providing the natural and organic sources of authority that one comes to understand from one's birth, then the state or any external authority become unnecessary. The medieval state was a distant entity, an object of veneration because of its function as the protector of the real, that is, the protector of the church and tradition. A monarch or great general is an object of veneration, a bureaucrat is not. The extent to which the state becomes a set of neatly organized bureaucratic offices, distanced and often contemptuous of the communal locality, it ceases to be representative. The modern notion of "representation" is just another of the contemporary frauds that masquerade as "political theory" in the halls of academia. The extent to which the state is consolidated, centralized and self-interested (defined as the bureaucratic regime developing its own corporate interests), it automatically becomes non-representative. This has nothing to do with campaigns or elections, for the bureaucracy in every "advanced" western society, along with the courts, economic centers and mass media, hold real cultural and therefore social power. The destruction of communal cultural unity is always to the benefit of the bureaucratic regime and its demand for neat organization, conceptualization and standardization. Herder writes:
The most natural state is one naturally with one national character. This it retains for ages and this is most naturally formed when it is the object of its native genius for a nationality is as much a plant with nature as a family, only with more branches. nothing appears so indirectly opposite to the end of government as the unnatural enlargement of states, the wild mixing of all kinds of people and nationalities under one scepter....Glued together indeed they may be into a fragile machine, termed a machine of state, but it will be destitute of inner life and mutual sympathy of the parts. (xiii 384)
This may well be termed, as well as the political vision the work as attempted to put forth, a vision of ethno-national anarchism. That is, the lack of state power means the proportionate growth of a local patriotism, a local ethno-traditionalism and a local cultural nationalism that provides for the loyalty of healthy citizens far more than the recruiting sergeant or revenue director. Bureaucracy cannot be separated from a epistemological methodology that demands all data be standardized, conceptualized and subject to the same testing. An epistemology that refuses to see the uniqueness of objects, but rather, for the sake of communicability and neatness of presentation, reduces all objects of whatever kind to their definitional "essences," becomes whatever the powerful in any society want them to be. Herder refused to make the common distinctions between reason and imagination, or sensate experience and culture, all were intimately bound together. One cannot remove the feeling of romance from reason, for it is precisely these feeling that provides for the continued interest in the world. The spirit of loyalty and ethnic tradition is what maintains loyalty, not mathematical equations. One has never done statistical analyses to figure out whether or not one loves his family or native village. These relations are immediate, and they are immediate because it is these that make conceptual mediation (i.e. reason) possible in the first place. Post-modernism is easily predicted when the cultural bases of reason (making reason contingent rather than culture) disappear. When this happens, reason takes a back seat to the "will to power." Without ethno-nationalism, reason dies.
The nature of this tradition, if one is forced to"conceptualize" it, is language. For Herder, language was the primary ingredient in nationality. Words represent the "common symbolism" of memory, the basic structure of which is traditional praxis. It is not surprising that Herder believed words to be ideas, and ideas, words. There is no such thing as an abstract thought that then finds a linguistic outer coating, called a "word." All thought is done through language and therefore, language precedes conceptualization. If language precedes conceptualization, and language is the "concretization" of historical memory or tradition, then reason, a certain structure of thought, is based ultimately on tradition. The basic philosophical distinction between self, idea, word and world is for Herder completely false. Each of these is to be found in the others and is intimated and suggested by the others. Tradition, self, ideas and language are basically one and the same concept; complex to be sure, but related in such a way as to make their arbitrary analytic separation impossible or unintelligible.
The self is not sui generis -- to put this more simply -- but rather the product of the cultural milieu in which it was created: the language, customs, hopes, memories and fears which nurture the self from infancy into adulthood. Only when the culture breaks down through alien peoples and ideas (including the state) does this connection become severed, and the most horrid of situations, alienation, becomes a social reality, leading to social pathology and ultimately, social death.
Man is shaped by his association with others. This association is governed, indeed made possible at all, though similarity -- language, concepts, morality and historical experience. When this memory become clouded -- as in the present day -- though outside intervention of self-interested self-deception then the basic nature of the association is destroyed. The abstractions of liberalism or neo-conservatism cannot rescue it, but are the very products of this decay.
For Herder, nations are formed by various variables, which are primarily climate, basic physical environment, relations with others (or lack of them) and heredity. They develop slowly, but have as their primary goal the binding of strangers into a unity. For Herder, nations in the modern sense are the most holistic form of community: small enough to maintain a basic linguistic and cultural commonality, but large enough to be self defending and economically secure. Obviously the Greek city state was extremely vulnerable, as the large empires were bereft of any ordering principle, as they were made of myriad religions, ethnic groups and languages. For Herder, the very subject of history is the development, thriving and demise of these various nations. Or, put differently, history is the story of how specific peoples controlled and directed the potentially infinite human impulses. Without harmonization, the human will will seek its own pleasure an domination. Culture and historical memory serve to direct the will into a unity of form and function, initiating the man into a world of order in a chaotic and fallen nature.
There can be no doubt that the notion of the cultural community, that is, nationality, for Herder was the primary method of actual and real representation. For him, the nation was the collective consciousness of the people who composed it. In a certain sense, the Rousseauian notion of a general will makes a bit of sense. Now, Rousseau cannot be the ground for nationalism of the Herderian stripe, but there is a sense in which that the idea of a selfless will, dedicated to the common good, can meet in time through historical memory and customary fears and hopes, all expressed a common language that embodies these. This idea of cultural unity is a manifestation of the general will, and is a far more interesting use of the phrase than that "insane Socrates." Herder made a careful distinction between the people, that is, the true representatives of the nation, the folk, and the "rabble," or the frenzied mobs of alienated and acultural "societies" (such as in the modern era) that have only their anger and bitterness to unite them. That there is an "idea" of order that the imagination can partly grasp for Herder is central to their being a nation or a national character at all.
"Progress," one of the phony buzzwords of Enlightenment mythology, is also something that comes to make sense only in a national context. The idea of order that makes sense out of an association, and is developed by it, is what produces the various goals and strivings of a people. Therefore "progress" as an ethical notion can only begin there. The constant uses of the terms "backward" or "progressive" are non-universal, and can only be utilized in the context of the communal structures of a specific nation. What is valued and respected by the community is the extent to which something is progressive or not. To the extent that policy moves towards what is valued versus something else is the proper use of the terms "backward." A "progressive" society, therefore, is one that continually improves its manifestation of its idea of order, or that "general will" that truly represents the historical memory of a people. A "regressive" society is one that moves away from it. "Injustice" comes to be the introduction of policy that rejects the communal consciousness of a people, and therefore, the people's inherent sense of propriety.
Johann Herder is at present, a threat to the modern world and its academic establishment. He is a living refutation of their ideas of progress and conceptual uniformity. He is a danger for he has the potential to unite the anarchists of the "left" with the ethno-nationalist of the "right" against the demands of Enlightenment, empirico-capitalism, in both its vapid liberal and conservative forms. His battle was primarily against the notion of cosmopolitanism, or the idea that man's faculties are sui generis, and therefore owing no loyalty to any specific community. Such a person is barely human, living accordingly only to his desires and impulses: he is inherently sociopathic. The proof of Herder's ideas here is evident in the present day. Herder writes, mocking the pretensions of the modern cosmopolitan spirit:
All national characters, thank God, have become extinct; we all love one another ,or, rather no one feels the need of loving anyone else. We all associate with one another, all are completely equal -- cultured, polite, very happy; we have, it is true no fatherland, no one for whom we live; but we are philanthropists and citizens of the world. most of the rulers already speak French, and soon we all shall do so. And then -- bliss! The golden era is dawning again when all the world has one tongue and one language; there shall be one flock and one shepherd! (v, 550)
Therefore, Herder is forgotten, but is is equally clear that the building upon the ruins of the plastic liberal/conservative divide will need his services once more.
[The Idyllic, August 9, 2003]
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jeudi, 08 janvier 2009
L'oeuvre de Herman Wirth
L'oeuvre de Herman WIRTH (1885-1981)
par Robert Steuckers
Né le 6 mai 1885 à Utrecht aux Pays-Bas, Herman Wirth étudie la philologie néerlandaise, la philologie germanique, l'ethnologie, l'histoire et la musicologie aux universités d'Utrecht, de Leipzig et de Bâle. Son premier poste universitaire est une chaire de philologie néerlandaise à Berlin qu'il occupe de 1909 à 1919. Il enseigne à Bruxelles en 1917/18 et y appuie l'activisme flamand germanophile. Séduit par le mouvement de jeunesse contestataire et anarchisant d'avant 1914, le célèbre Wandervogel, il tente de lancer l'idée aux Pays-Bas à partir de 1920, sous l'appelation de Dietse Trekvogel (Oiseaux migrateurs thiois). En 1921, il entame ses études sur les symboles et l'art populaire en traitant des uleborden, les poutres à décoration animalière des pignons des vieilles fermes frisonnes. Convaincu de la profonde signification symbolique des motifs décoratifs traditionnels ornant les pignons, façades, objets usuels, pains et pâtisseries, Wirth mène une enquête serrée, interrogeant les vieux paysans encore dépositaires des traditions orales. Il tire la conclusion que les symboles géométriques simples remontent à la préhistoire et constituent le premier langage graphique de l'homme, objet d'une science qu'il appelle à approfondir: la paléo-épigraphie. Le symbole est une trace plus sûre que le mythe car il demeure constant à travers les siècles et les millénaires, tandis que le mythe subit au fil des temps quantités de distorsions. En posant cette affirmation, Wirth énonce une thèse sur la naissance des alphabets. Les signes alphabétiques dérivent, selon Wirth, de symboles désignant les mouvements des astres. Vu leur configuration, ils seraient apparus en Europe du Nord, à une époque où le pôle se situait au Sud du Groenland, soit pendant l'ère glacière où le niveau de la mer était inférieur de 200 m, ce qui laisse supposer que l'étendue océanique actuelle, recouvrant l'espace sis entre la Galice et l'Irlande, aurait été une zone de toundras, idéale pour l'élevage du renne. La montée des eaux, due au réchauffement du climat et au basculement du pôle vers sa position actuelle, aurait provoqué un reflux des chasseurs-éleveurs de rennes vers le sud de la Gaule et les Asturies d'abord, vers le reste de l'Europe, en particulier la Scandinavie à peine libérée des glaces, ensuite. Une autre branche aurait rejoint les plaines d'Amérique du Nord, pour y rencontrer une population asiatique et créer, par mixage avec elle, une race nouvelle. De cette hypothèse sur l'origine des populations europides et amérindiennes, Wirth déduit la théorie d'un diffusionnisme racial/racisant, accompagné d'une thèse audacieuse sur le matriarchat originel, prenant le relais de celle de Bachofen.
Wirth croyait qu'un manuscrit frison du Moyen-Age, l'Oera-Linda bok, recopié à chaque génération depuis environ le Xième siècle jusqu'au XVIIIième, contenait in nuce le récit de l'inondation des toundras atlantiques et de la zone du Dogger Bank. Cette affirmation de Wirth n'a guère été prise au sérieux et l'a mis au ban de la communauté scientifique. Toutefois, le débat sur l'Oera-Linda bok n'est pas encore clos aux Pays-Bas aujourd'hui.
Très en vogue parmi les ethnologues, les folkloristes et les «symbolologues» en Allemagne, en Flandre, aux Pays-Bas et en Scandinavie avant-guerre, Wirth a été oublié, en même temps que les théoriciens allemands et néerlandais de la race, compromis avec le IIIième Reich. Or Wirth ne peut être classé dans la même catégorie qu'eux: d'abord parce qu'il estimait que la recherche des racines de la germanité, objectif positif, était primordiale, et que l'antisémitisme, attitude négative, était «une perte de temps»; ensuite, en butte à l'hostilité de Rosenberg, il est interdit de publication. Il reçoit temporairement l'appui de Himmler mais rompt avec lui en 1938, jugeant que les prétoriens du IIIième Reich, les SS, sont une incarnation moderne des Männerbünde (des associations masculines) qui ont éradiqué, par le truchement du wotanisme puis du christianisme, les cultes des mères, propres à la culture matricielle atlanto-arctique et à son matriarchat apaisant, remontant à la fin du pliocène. Arrêté par les Américains en 1945, il est rapidement relaché, les enquêteurs ayant conclu qu'il avait été un «naïf abusé». Infatigable, il poursuit après guerre ses travaux, notamment dans le site mégalithique des Externsteine dans le centre de l'Allemagne et organise pendant deux ans, de 1974 à 1976, une exposition sur les communautés préhistoriques d'Europe. Il meurt à Kusel dans le Palatinat le 16 février 1981. Sans corroborer toutes les thèses de Wirth, les recherches des Britanniques Renfrew et Hawkins et du Français Jean Deruelle ont permis de revaloriser les civilisations mégalithiques ouest-européennes et de démontrer, notamment grâce au carbone 14, leur antériorité par rapport aux civilisations égyptienne, crétoise et mésopotamienne.
L'ascension de l'humanité (Der Aufgang der Menschheit), 1928
Ouvrage majeur de Wirth, Der Aufgang der Menschheit se déploie à partir d'une volonté de reconnaître le divin dans le monde et de dépasser l'autorité de type augustinien, reposant sur la révélation d'un Dieu extérieur aux hommes. Wirth entend poursuivre le travail amorcé par la Réforme, pour qui l'homme a le droit de connaître les vérités éternelles car Dieu l'a voulu ainsi. Wirth procède à une typologie racisée/localisée des religiosités: celles qui acceptent la révélation sont méridionales et orientales; celles qui favorisent le déploiement à l'infini de la connaissance sont «nordiques». La tâche à parfaire, selon Wirth, c'est de dépasser l'irreligion contemporaine, produit de la mécanisation et de l'économisme, en se plongeant dans l'exploration de notre passé. Seule une connaissance du passé le plus lointain permet de susciter une vie intérieure fondée, de renouer avec une religiosité spécifique, sans abandonner la démarche scientifique de recherche et sans sombrer dans les religiosités superficielles de substitution (pour Wirth: le néo-catholicisme, la théosophie ou l'anthroposophie de Steiner). Les travaux archéologiques ont permis aux Européens de replonger dans leur passé et de reculer très loin dans le temps les débuts hypothétiques de l'histoire. Parmi les découvertes de l'archéologie: les signes symboliques abstraits des sites «préhistoriques» de Gourdan, La Madeleine, Rochebertier et Traz-os-Montes (Portugal), dans le Sud-Ouest européen atlantique. Pour la science universitaire officielle, l'alphabet phénicien était considéré comme le premier système d'écriture alphabétique d'où découlaient tous les autres. Les signes des sites atlantiques ibériques et aquitains n'étaient, dans l'optique des archéologues classiques, que des «griffonnages ludiques». L'œuvre de Wirth s'insurge contre cette position qui refuse de reconnaître le caractère d'abord symbolique du signe qui ne deviendra phonétique que bien ultérieurement. L'origine de l'écriture remonte donc au Magdalénien: l'alphabet servait alors de calendrier et indiquait, à l'aide de symboles graphiques abstraits, la position des astres. Vu la présence de cette écriture linéaire, indice de civilisation, la distinction entre «histoire» et «préhistoire» n'a plus aucun sens: notre chronologie doit être reculée de 10.000 années au moins, conclut Wirth. L'écriture linéaire des populations du Magdalénien atlantique d'Ibérie, d'Aquitaine et de l'Atlas constituerait de ce fait l'écriture primordiale et les systèmes égyptiens et sumériens en seraient des dégénérescences imagées, moins abstraites. Théorie qui inverse toutes les interprétations conventionnelles de l'histoire et de la «pré-histoire» (terme que conteste Wirth). Der Aufgang der Menschheit commence par une «histoire de l'origine des races humaines» (Zur Urgeschichte der Rassen). Celle-ci débute à la fin de l'ère tertiaire, quand le rameau humain se sépare des autres rameaux des primates et qu'apparaissent les différents groupes sanguins (pour Wirth, le groupe I, de la race originelle —Urrasse— arctique-nordique, précédant la race nordique proprement dite, et le groupe III de la race originelle sud-asiatique). Ce processus de différenciation raciale s'opère pendant l'éocène, l'oligocène, le miocène et le pliocène. A la fin de ces ères tertiaires, s'opère un basculement du pôle arctique qui inaugure une ère glaciaire en Amérique du Nord (glaciation de Kansan). Au début du quaternaire, cette glaciation se poursuit (en Amérique: glaciations de Günz, de l'Illinois et de l'Iowa; en Europe, glaciation de Mindel). Ces glaciations sont contemporaines des premiers balbutiements du paléolithique (culture des éolithes) et, pour Wirth, des premières migrations de la race originelle arctique-nordique vers l'Amérique du Nord, l'Atlantique Nord et l'Asie septentrionale, ce qui donne en Europe les cultures «pré-historiques» du Strépyen et du Pré-Chelléen. Le réchauffement du climat, à l'ère chelléenne, permet aux éléphants, rhinocéros et hippopotames de vivre en Europe. L'Acheuléen inaugure un rafraîchissement du climat, qui fait disparaître cette faune; ensuite, à l'ère moustérienne, s'enclenche une nouvelle glaciation (dite de Riß ou de Würm; en Amérique, première glaciation du Wisconsin). Sur le plan racial, l'Europe est peuplée par la race de Néanderthal et les hommes du Moustier, de Spy, de la Chapelle-aux-Saints, de La Ferrasie, de La Quina et de Krapina. Lors d'un léger réchauffement du climat, apparaît la race d'Aurignac, influencée par des éléments de la race arctique-nordique-atlantique, porteuse des premiers signes graphiques symboliques. C'est l'époque des cultures préhistoriques de l'Europe du Sud-Ouest, de la zone franco-cantabrique (squelette de Cro-Magnon, type humain mélangé, où se croise le sang arctique nordique et celui des populations non nordiques de l'Europe), à l'ère dite du Magdalénien (I & II). Epoque-charnière dans l'optique de Wirth, puisqu'apparaissent, sur les parois des cavernes, notamment celles de La Madeleine, de Gourdan et du Font de Gaume en France, d'Altamira en Espagne, les dessins rupestres et les premières signes symboliques. Vers 12.000 avant notre ère, le climat se réchauffe et le processus de mixage entre populations arctiques-atlantiques-nordiques et Pré-Finnois de l'aire baltique (culture de Maglemose au Danemark) ou éléments alpinoïdes continentaux se poursuit, formant les différentes sous-races européennes. La Mer du Nord n'existe pas encore et l'espace du Dogger Bank (pour Wirth, le Polsete-Land) est occupé par le peuple Tuatha, de souche arctique-nordique, qui conquiert, à l'Est, le Nord-Ouest de l'Europe et, à l'Ouest, l'Irlande, qu'il arrache aux tribus «sud-atlantiques», les Fomoriens. La Mer du Nord disparaît sous les flots et, selon la thèse très contestée de Wirth, les populations arctiques-nordiques émigrent par vagues successives pendant plusieurs millénaires dans toute l'Europe, le bassin méditerranéen et le Moyen-Orient, transmettant et amplifiant leur culture originelle, celle des mégalithes. En Europe orientale, elles fondent les cultures dites de Tripolje, Vinça et Tordos, détruisent les palais crétois vers 1400 avant notre ère, importent l'écriture linéaire dans l'espace sumérien et élamite, atteignent les frontières occidentales de la Chine, s'installent en Palestine (les Amourou du Pays de Canaan vers -3000 puis les Polasata et les Thakara vers -1300/-1200), donnent naissance à la culture phénicienne qui rationalise et fonctionnalise leurs signes symboliques en un alphabet utilitaire, introduisent les dolmens en Afrique du Nord et la première écriture linéaire pré-dynastique en Egypte (-3300), etc.
Pour prouver l'existence d'une patrie originelle arctique, Wirth a recours aux théories de la dérive des continents de W. Köppen et A. Wegener (Die Entstehung der Kontinente und Ozeane, 1922) et aux résultats de l'exploration des fonds maritimes arctiques et des restes de flore qu'O. Heer y a découverts (Flora fossilis artica, Zürich, 1868-1883). A la fin du tertiaire et aux débuts du quaternaire, les continents européen et américain étaient encore soudés l'un à l'autre. La dérive de l'Amérique vers l'ouest et vers le sud aurait commencé lors de la grande glaciation du pléistocène. Le Groenland, les Iles Spitzbergen, l'Islande et la Terre de Grinell, avec le plateau continental qui les entoure, seraient donc la terre originelle de la race arctique-nordique, selon Wirth. Le plateau continental, aujourd'hui submergé, s'étendant de l'Ecosse et l'Irlande aux côtes galiciennes et asturiennes serait, toujours selon Wirth, la seconde patrie d'origine de ces populations. Comme preuve supplémentaire de l'origine «circum-polaire» des populations arctiques-nordiques ultérieurement émigrées jusqu'aux confins de la Chine et aux Indes, Wirth cite l'Avesta, texte sacré de l'Iran ancien, qui parle de dix mois d'hiver et de deux mois d'été, d'un hiver si rigoureux qu'il ne permettait plus aux hommes et au bétail de survivre, d'inondations post-hivernales, etc. La tradition indienne, explorée par Bal Gangâdhar Tilak (The Arctic Home in the Vedas, 1903), parle, elle, d'une année qui compte un seul jour et une seule nuit, ce qui est le cas au niveau du pôle. Aucun squelette de type arctique-nordique n'a été retrouvé, ni en Ecosse ou en Irlande, zones arctiques non inondées, ni le long des routes des premières migrations (Dordogne/Aquitaine, Espagne, Atlas, etc. jusqu'en Indonésie), parce que les morts étaient d'abord enfouis six mois dans le giron de la Terre-mère pour être ensuite exhumés et exposés sur une dalle plate, un pré-dolmen, pour être offerts à la lumière, pour renaître et retourner à la lumière, comme l'atteste le Vendidad iranien, la tradition des Parses et les coutumes funéraires des Indiens d'Amérique du Nord.
L'organisation sociale des premiers groupes de migrants arctiques-nordiques est purement matriarcale: les femmes y détiennent les rôles dominants et sont dépositaires de la sagesse.
En posant cette série d'affirmations, difficiles à étayer par l'archéologie, Wirth lance un défi aux théories des indo-européanisants qui affirment l'origine européenne/continentale des «Indo-Européens» nordiques (appelation que Wirth conteste parce qu'il juge qu'elle jette la confusion). La race nordique et, partant, les «Indo-Européens» ne trouvent pas, pour Wirth, leur origine sur le continent européen ou asiatique. Il n'y aurait jamais eu, selon lui, d'Urvolk indo-européen en Europe car les nordiques apparaissent toujours mélangés sur cette terre; les populations originelles de l'Europe sont finno-asiatiques. Les Nordiques ont pénétré en Europe par l'Ouest, en longeant les voies fluviales, en quittant leurs terres progressivement inondées par la fonte des glaces arctiques. Cette migration a rencontré la vague des Cro-Magnons sud-atlantiques (légèrement métissés d'arcto-nordiques depuis l'époque des Aurignaciens) progressant vers l'Est. La culture centre-européenne du néolithique est donc le produit d'un vaste métissage de Sud-Atlantiques, de Nordiques et de Finno-asiatiques, que prouvent les études sérologiques et la présence des symboles. Les Celtes procèdent de ce mélange et ont constitué une civilisation qui a progressé en inversant les routes migratoires et en revenant en Irlande et dans la zone franco-cantabrique, emmenant dans leur sillage des éléments raciaux finno-asiatiques. En longeant le Rhin, ils ont traversé la Mer du Nord et soumis en Irlande le peuple nordique des Tuatha, venu de la zone inondée du Dogger Bank (Polsete-Land) et évoqué dans les traditions mythologiques celto-irlandaises. L'irruption des Celtes met fin à la culture matriarcale et monothéiste des Tuatha de l'ère mégalithique pour la remplacer par le patriarcat polythéiste d'origine asiatique, organisé par une caste de chamans, les druides. Wirth se réfère à Ammien Marcellin (1. XV, c.9, §4) pour étayer sa thèse: celui-ci parle des trois races de l'Irlande: l'autochtone, celle venue des «îles lointaines» et celle venue du Rhin, soit la sud-atlantique fomorienne, les Tuatha arcto-nordiques et les Celtes.
Le symbolisme graphique abstrait, que nous ont laissé ces peuples arcto-nordiques, temoigne d'une religiosité cosmique, d'un regard jeté sur le divin cosmique, d'une religiosité basée sur l'expérience du «mystère sacré» de la lumière boréale, de la renaissance solaire au solstice d'hiver. Dans cette religiosité, les hommes sont imbriqués entièrement dans la grande loi qui préside aux mutations cosmiques, marquée par l'éternel retour. La mort est alors un re-devenir (ein Wieder-Werden). Le divin est père, Weltgeist, depuis toujours présent et duquel procèdent toutes choses. Il envoie son fils, porteur de la «lumière des terres», pour se révéler aux hommes. Les hiéroglyphes qui expriment la présence de ce dieu impersonnel, qui se révèle par le soleil, se réfèrent au cycle annuel, aux rotations de l'univers, aux mutations incessantes qui l'animent, au cosmos, au ciel et à la terre. L'étymologie de tu-ath (vieil-irl.), ou de ses équivalents lituanien (ta-uta), osque (to-uto), vieux-saxon (thi-od), dérive des racines *ti, *to, *tu (dieu) et *ot, *ut, *at (vie, souffle, âme).
Ce peuple, connaisseur du «souffle divin», soit du mouvement des astres, a élaboré un système de signes correspondant à la position des planètes et des étoiles. Les modifications de ces systèmes de signes astronomiques étaient entraînées par les mouvements des corps célestes. Toute la civilisation mégalithique, explique Wirth, avant Renfrew, Hawkins et Deruelle, procède d'une religiosité astronomique. Elle est née en Europe occidentale et septentrionale et a essaimé dans le monde entier: en Amérique du Nord, au Maghreb (les mégalithes de l'Atlas), en Egypte, en Mésopotamie et, vraisemblablement, jusqu'en Indonésie et peut-être en Nouvelle-Zélande (les Maoris).
(Robert Steuckers).
- Bibliographie: Pour une bibliographie très complète, se référer au travail d'Eberhard Baumann, Verzeichnis der Schriften von Herman Felix WIRTH Roeper Bosch von 1911 bis 1980 sowie die Schriften für, gegen, zu und über die Person und das Werk von Herman Wirth, Gesellschaft für Europäische Urgemeinschaftskunde e.V., Kolbenmoor, 1988. Notre liste ci-dessous ne reprend que les ouvrages principaux: Der Untergang des niederländischen Volksliedes, La Haye, 1911; Um die wissenschaftliche Erkenntnis und den nordischen Gedanken, Berlin, 1929 (?); Der Aufgang der Menschheit, Iéna, 1928 (2ième éd., 1934); Die Heilige Urschrift der Menschheit, Leipzig, 1931-36; Was heißt deutsch? Ein urgeistgeschichtlicher Rückblick zur Selbstbestimmung und Selbstbesinnung, Iéna, 1931 (2ième éd., 1934); Führer durch die Erste urreligionsgeschichtliche Ausstellung "Der Heilbringer". Von Thule bis Galiläa und von Galiläa bis Thule, Berlin/Leipzig, 1933; Die Ura-Linda-Chronik, Leipzig, 1933; Die Ura-Linda-Chronik. Textausgabe (texte de la Chronique d'Oera-Linda traduit par H.W.), Leipzig, 1933; Um den Ursinn des Menschseins, Vienne, 1960; Der neue Externsteine-Führer, Marbourg, 1969; Allmutter. Die Entdeckung der "altitalischen" Inschriften in der Pfalz und ihre Deutung, Marbourg, 1974; Führer durch das Ur-Europa-Museum mit Einführung in die Ursymbolik und Urreligion, Marbourg, 1975; Europäische Urreligion und die Externsteine, Vienne, 1980.
- Sur Wirth: consulter la bibliographie complète de Eberhard Baumann (op. cit.); cf. également: Eberhard Baumann, Der Aufgang und Untergang der frühen Hochkulturen in Nord- und Mitteleuropa als Ausdruck umfassender oder geringer Selbstverwirklung (oder Bewußtseinsentfaltung) dargestellt am Beispiel des Erforschers der Symbolgeschichte Professor Dr. Herman Felix Wirth, Herborn-Schönbach, 1990 (disponible chez l'auteur: Dr. E. Baumann, Linzer Str. 12, D-8390 Passau). Cf. également: Walter Drees, Herman Wirth bewies: die arktisch-atlantische Kulturgrundlage schuf die Frau, Vlotho-Valdorf, chez l'auteur (Kleeweg 6, D-4973 Vlotho-Valdorf); Dr. A. Lambardt, Ursymbole der Megalithkultur. Zeugnisse der Geistesurgeschichte, Heitz u. Höffkes, Essen, s.d.
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mercredi, 07 janvier 2009
"Danseuse" par Arno Breker
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Walter Flex: une éthique du sacrifice au-delà de tous les égoïsmes
Robert STEUCKERS:
Walter Flex: une éthique du sacrifice au-delà de tous les égoïsmes
Né à Eisenach en 1887, Walter Flex a grandi dans une famille de quatre garçons: son frère aîné, Konrad, qui a survécu à la tourmente de la guerre, et deux cadets, Martin, qui mourra des suites de ses blessures et d'une pneumonie en 1919, et Otto, qui tombera en France en 1914. Son père décèdera en juillet 1918 et sa mère en octobre 1919. Konrad Flex, seul survivant de cette famille unie, préfacera en 1925 les deux volumes des œuvres complètes de son frère. Le père Rudolf Flex était un grand admirateur de Bismarck; esprit religieux, mais éloigné des églises, il est un croyant plus ou moins panthéiste, proche de la nature, qui s'engage résolument dans un combat politique national-libéral, pétri de l'esprit du «Chancelier de Fer». A l'occasion, Rudolf Flex rédige des poèmes ou des petites pièces de théâtre d'inspiration nationale, que jouent en partie sa propre femme et ses enfants. Homme du peuple, issu de lignées de paysans et d'artisans, parfaitement au diapason de ses concitoyens, Rudolf Flex s'intéresse au dialecte d'Eisenach, sur lequel il publie deux petits travaux de philologie. Sa mère, née Margarete Pollack, lui transmet un héritage plus précis, bien qu'hétérogène à première vue: enthousiasme pour l'aventure prussienne et l'éthique qui la sous-tend, religiosité encadrée par l'église évangélique, culte du premier empereur Hohenzollern. Dans la transmission de cet héritage, explique Konrad Flex, il n'y a aucune sécheresse: Margarete Pollack-Flex possède les dons de l'imagination et de la narration, assortis d'une bonne culture littéraire. La mère des quatre frères Flex a de nombreuses activités publiques dans les œuvres de bienfaisance de la ville d'Eisenach, notamment dans les associations caritatives placées à l'enseigne du roi de Suède, Gustave-Adolphe, champion de l'Europe septentrionale protestante au XVIIième siècle. Cet engagement social dans le cadre protestant-luthérien montre l'impact profond de ce protestantisme national dans le milieu familial de Walter Flex. Les associations caritatives protestantes tentaient de faire pièce à leurs équivalentes catholiques ou socialistes. Pendant la guerre, Margarete Pollack-Flex s'est engagée dans les associations qui venaient en aide aux soldats revenus du front.
Konrad Flex conclut: «L'intérêt pour les choses de l'Etat et pour l'histoire, la volonté d'œuvrer dans les affaires publiques, la volonté de créer une œuvre littéraire, de dominer la langue par la poésie, l'humour, le talent d'imiter les paroles des autres et le sens des arts plastiques sont des qualités que Walter Flex a essentiellement hérité de son père; en revanche, sa mère lui a légué cette pulsion décidée et consciente d'accomplissement de soi et de négation de soi dans un cadre éthique, un sens aigu de l'observation de soi, l'imagination, le talent narratif, la pensée abstraite, un intérêt fort motivé pour la philosophie et, dans une moindre mesure, le souci des questions sociales».
Le jeune Walter Flex rédigera très tôt, à onze ans, ses premiers poèmes et sa première pièce de théâtre. Son tout premier poème fut rédigé à l'occasion du décès du Prince Bismarck. Pendant la guerre des Boers, il a pris passionnément le parti des colons hollandais, allemands et huguenots en lutte contre l'armée britannique. Ce sera encore l'occasion de quelques poèmes. A dix-sept ans, une petite pièce de théâtre, intitulée Die Bauernführer (Les chefs paysans) est jouée dans son Gymnasium et connaît un indéniable succès. Un peu plus tard, le lycéen Walter Flex rédige un drame plus élaboré, Demetrius, basé sur une des thématiques les plus poignantes de l'histoire russe, débutant par la mort mystérieuse de Dmitri, fils d'Ivan le Terrible, vraisemblablement assassiné; à la suite de la mort de ce dernier descendant direct du chef varègue Rurik, trois faux Dmitri revendiquent successivement le trône occupé par Boris Goudounov, plongeant la Russie dans une suite ininterrompue de guerres civiles au début du XVIIième siècle. La version définitive de ce drame de Walter Flex ne paraîtra que quelques années plus tard, quand il sera à l'université. Le Théâtre de la Ville d'Eisenach le jouera en 1909.
Après le Gymnasium, il étudiera la philologie germanique et l'histoire à Erlangen et à Strasbourg entre 1906 et 1910. Pendant ses années d'études, il adhérera à une corporation d'étudiants, la Bubenruthia. Malgré un handicap à la main droite, qui le forçait à être gaucher, il était bon en escrime et redouté par ses challengeurs dans les duels traditionnels des étudiants allemands (la Mensur). Le 31 octobre 1910, il défend son mémoire sur «le développement de la problématique tragique dans les drames allemands sur la thématique de Demetrius, de Schiller à aujourd'hui».
De 1910 à 1914, il deviendra le percepteur des enfants de la famille Bismarck. D'abord de Nicolas de Bismarck, puis de Gottfried et Wilhelm. Outre cette fonction de précepteur, il assume la tâche de ranger et de classer les archives de la famille. Ce qui lui donne l'occasion de rédiger sa nouvelle historique Zwölf Bismarcks (= Douze Bismarcks) et sa tragédie Klaus von Bismarck. Ces ouvrages paraissent en 1913; la tragédie est jouée la même année au Théâtre de la Cour à Cobourg en présence du Duc. Ces récits sont pour l'essentiel pure fiction; il ne s'agit donc pas d'une chronique sur la famille Bismarck mais l'intention de l'auteur est de camper des profils psychologiques, qui affrontent le réel, le modèle selon leurs canons éthiques, politiques ou esthétiques ou connaissent l'échec en restant stoïques. En 1913, il publie également Die evangelische Frauenrevolte in Löwenberg (La révolte protestante des femmes à Löwenberg), au profit de la Gustav-Adolf-Frauenverein (Association féminine Gustav-Adolf) que présidait sa mère.
Ensuite Walter Flex devient précepteur des enfants du Baron von Leesen à Retchke en Posnanie. C'est là qu'il se trouve quand éclate la guerre en août 1914; il se porte tout de suite volontaire, en dépit de sa légère infirmité à la main droite qui l'avait auparavant dispensé du service militaire. Armé de ses convictions éthiques et stoïques, il se jure de mobiliser tous ses efforts pour vaincre les résistances du terrain, de la souffrance, de ses faiblesses physiques. Il demande à servir dans l'infanterie. Soldat-poète, ses vers enthousiasmeront ses contemporains, engagés sur tous les fronts d'Europe. Walter Flex combattra d'abord sur le front occidental, dans la Forêt d'Argonne. C'est le 3 octobre 1914 qu'il pénètre sur le territoire français avec son régiment. Il écrit, le 5, à ses parents: «Au moment où, avant-hier, nous franchissions la frontière française, il y avait un magnifique clair de lune à trois heures du matin. Nous pensions à la scène du Serment de Rütli dans le récit de Guillaume Tell et nous nous en sommes réjouis. Hier nous avons eu une longue marche, que je n'ai pas trouvé extraordinaire; nous avons pris nos quartiers de nuit dans la paille d'une écurie: au-dessus de nous un ciel tout éclairé par la lune que nous contemplions à travers le trou percé dans le toit par un obus. Du côté des hauteurs devant nous, vers lesquelles nous marchions, nous entendions le fracas des canons et le crépitement des fusils. Pendant la nuit nous pouvions apercevoir le bombardement de Verdun. Au-dessus des collines, des ballons captifs. Hier soir, j'ai passé la soirée autour d'un feu avec trois femmes françaises, heureuses d'entendre quelqu'un leur parler dans leur langue; elles me répétaient sans cesse: nous aussi nous serons Allemands».
Le 7 octobre, toujours dans une lettre à ses parents, sa philosophie générale de la guerre se précise: «Nos souffrances sont très grandes, mais c'est un sentiment sensationnel d'engager ses forces dans la lutte de notre peuple pour son existence». Quelques jours plus tard: «Le froid des nuits dans les hauteurs ardennaises nous transperce les os quand on est couché en plein champ ou dans les tranchées. Malgré cela, c'est un sentiment extraordinaire de se sentir membre de cette fraternité de fer qui protège notre peuple». Jamais la tendresse n'est absente quand il écrit à sa mère: «Très chère maman! Hier je t'ai envoyé trois violettes cueillies devant nos tranchées, et la première chose que je reçois aujourd'hui et qui m'illumine de joie, c'est ton cher courrier de campagne qui contient trois petites violettes d'Eisenach. N'est-ce pas l'adorable symbole de notre communauté de cœur?». A la veille de Noël, le 17 décembre 1914, nous trouvons cette première réflexion importante sur la mort, suite à la disparition de son jeune frère Otto: «Je pense que, réunis tous en cette veillée sacrée à Eisenach, vous lirez ma lettre. Pour nous tous, c'est un jour grave, difficile, mais qui reste beau tout de même. Comme moi, vous penserez à notre Petzlein (= Otto) et à toutes les touchantes transformations qu'a connues ce jeune être de vingt ans, vous penserez tantôt au bambin en tablier tantôt au jeune randonneur aux yeux graves, intelligents et bons, et il sera presque vivant au milieu de la pièce où vous célèbrerez la Noël. Mais ces souvenirs ne doivent pas nous affaiblir. Nous devons rester modestes et savoir que, nous les vivants, ne pourrons jamais voir, avec nos sens amoindris et malhabiles, la dernière et sans doute la plus belle des mutations de l'être aimé, mutation qui l'a arraché à notre cercle et l'a placé au-dessus de nous, sans pour autant mettre fin aux effets qu'il suscite encore en nous et par nous. Sans doute ceux que nous appelons les morts ressentent-ils l'état dans lequel nous nous trouvons, nous, les vivants, comme un état antérieur à la naissance et ils attendent que nous venions, après eux, à la vraie vie. La mort et la naissance ne me semblent pas être en opposition, mais sont comme des stades supérieur et inférieur dans le développement de la vie... Ceux qui sont tombés pour le soleil de leur terre et pour protéger la joie des générations futures ne veulent pas que nous les trahissions par des deuils qui ne sont indices que de nos faiblesses, des deuils qui ne pleurent que la part que nous aurions pu avoir dans les moissons de leur vie. Une douleur sans limite est si terne, si dépourvue de vie, alors que nos chers morts sont tombés pour que nous soyions forts en nos cœurs et en nos œuvres. Nous n'avons pas le droit de regarder l'éclat des bougies de Noël avec les yeux embués de larmes, parce qu'elles nous renvoient comme le reflet d'une âme aimée, lointaine mais tout de même si proche!...».
Au printemps de 1915, Walter Flex est envoyé au Warthelager (Le Camp de la Warthe), pour y subir une formation d'officier. C'est là qu'il rencontrera Ernst Wurche. L'été venu, le climat plus clément, Walter Flex écrit à ses parents, le 2 juin, cette lettre qui exprime la joie de la vie militaire en campagne sur le Front de l'Est, avec des mots d'une simplicité qui étonne, où l'éternité des choses de la nature semble primer par rapport au cataclysme guerrier qui embrase l'Europe d'Ouest en Est. Cette lettre du 2 juin 1915 est aussi la première qui fait mention de Wurche: «C'est en direction de cette languette de terre, à l'Ouest [du Lac Kolno], que j'ai commandé une patrouille il y a quelques jours; j'ai brisé la résistance d'un détachement russe de 23 hommes avec mes quatre gaillards; j'ai personnellement capturé un Yvan dans le marais; il nous a communiqué des renseignements intéressants. Le pistolet Mauser qui j'ai acheté avec notre chère maman m'a donc porté bonheur. Je me sens très heureux dans ma nouvelle position et, sans doute, ce moment est-il le plus heureux de ma vie. Cette nuit, j'ai occupé une nouvelle position avec mon peloton; elle doit encore être aménagée. Je viens d'instruire mon état-major de chefs de patrouille des plans de travail et j'ai réparti les postes. Dans mon dos, il y a un petit pavillon d'été non encore entièrement construit, que je pourrai sans doute occuper dès demain. Cette nuit, j'ai servi de pâture aux moustiques dans la forêt. Parmi mes hommes, il y a beaucoup de gars bien, utilisables, beaucoup sont de Rhénanie et, quand ils parlent, ils me rappellent Bonn et notre cher Petzlein. Mon ordonnance Hammer est lui aussi Rhénan, c'est un garçon jardinier fort habile qui aménage tout autour de moi avec grand soin et beaucoup de complaisance. Un jour, il m'a dressé une table de jardin sous de hauts sapins, et c'est là que je suis en ce moment et que je vois le soleil et les moustiques jouer au-dessus du marais et de la forêt... Avec moi, il y a un Lieutenant issu de Rawitsch —Wurche— détaché par les “50” à la même compagnie, c'est un fameux gaillard, dont j'apprécie beaucoup la présence. Ne vous faites pas de souci pour moi. J'aime vous raconter des petites choses et d'autres sur mon vécu quotidien et je sais que je puis le faire sans vous inquiéter».
Le 24 août, Flex a le pénible devoir d'envoyer une lettre aux parents du Lieutenant Wurche, annonçant la mort de leur fils au combat. «Jamais je n'ai tant eu de peine à écrire une lettre mais j'ai demandé au chef de compagnie de votre cher fils de me permettre d'être le premier à vous écrire et à vous dire ce que Dieu vient d'infliger à votre famille. Car je voulais que l'annonce de la mort héroïque de votre garçon, si formidable, si bon, soit faite par un homme qui l'aimait. Depuis la mort de mon propre frère cadet, il y a presque un an, rien ne m'a touché aussi profondément que la mort de votre fils, mon excellent ami, de cet homme fidèle et droit, chaleureux et sensible à l'égard de tout ce qui est beau et profond. Mais permettez-moi de vous dire que, après sa mort, quand je me suis agenouillé pour prendre longuement, silencieusement, solitairement congé de lui, et que j'ai regardé son visage pur et fier, je n'ai eu qu'un seul souhait pour ses parents: s'ils pouvaient le voir couché comme je le vois, ils accepteraient plus sereinement leur douleur. En effet, leur fils Ernst avait toujours su susciter de la joie en mon cœur le plus profond parce que ses sentiments étaient toujours d'une exceptionnelle clarté, parce qu'il ignorait la peur qui tenaille si souvent les hommes et parce qu'il était toujours prêt en son âme à accepter tous les sacrifices que Dieu et sa patrie lui auraient demandés. Et le voilà étendu devant moi, il avait consenti au sacrifice suprême et ultime et sur ses traits jeunes, je lisais l'expression solenelle et formidable de cette sublime disposition d'âme, de ce don de soi, reposant dans la volonté de Dieu. Nous, votre cher fils et moi-même, nous nous trouvions la nuit dernière, chacun à la tête de nos services de garde respectifs, séparés par une distance d'environ trois kilomètres, sur les hauteurs bordant le lac, à Simno, à l'Ouest d'Olita. Soudain, le téléphone de campagne de la dixième compagnie, à laquelle il avait été très récemment affecté, m'apprend que le Lieutenant Wurche est tombé face à l'ennemi en effectuant sa patrouille. J'ai attendu, le cœur complètement déchiré, pendant toute cette longue nuit, parce que je ne pouvais pas abandonner mon poste, et, enfin, peu après quatre heures du matin, à bord d'une charrette russe, j'ai pu me rendre à Posiminicze, où il était basé en tant que responsable de la garde et où l'on avait ramené son corps. Une main devait l'amener au repos éternel, une main appartenant à quelqu'un qui l'aimait d'un amour fraternel, sans qu'il n'en soit sans doute entièrement conscient. C'est alors que je me suis trouvé devant lui, que j'ai vu la fierté tranquille et la paix dominicale de son visage pur et que j'ai eu honte de ma douleur et de mon déchirement.
Ernst était parti en patrouille pendant la nuit, pour aller voir à quelle distance s'étaient retirés les Russes qui fléchissaient et abandonnaient les positions qu'ils occupaient face à nous. Il a rampé seul, selon son habitude de chef de s'engager toujours en tête, il a avancé ainsi à 150 mètres devant ses hommes face à une position russe, dont ne ne savions pas si elle était encore occupée ou non. Une sentinelle ennemie l'a remarqué et a aussitôt fait feu sur lui. Une balle lui a traversé le corps, en lacérant plusieurs grosses veines, ce qui a provoqué la mort en peu de temps. Ses hommes l'ont ramené de la ligne de feu. Quand ils le portaient, l'un d'eux lui a demandé «Ça va ainsi, mon Lieutenant?». Il a encore pu répondre, calme comme toujours, «Bien, très bien». Il a alors perdu connaissance, et est mort sans souffrir.
Ce matin, je me suis hâté d'arriver à Posiminicze, afin de faire préparer sa tombe de héros, sous deux beaux tilleuls dressés devant une ferme lettone, se trouvant dans un petit bois à l'Ouest du Lac de Simno. Dans la tombe toute bordée de verdure, je l'ai fait descendre, portant tout son équipement d'officier, avec son casque et sa baïonnette; dans la main je lui ai glissé une grande tige de tournesol, avec trois belles fleurs dorées. Sur le petit monticule recouvert de gazon, se dressent une autre fleur de tournesol et une croix. Sur celle-ci figure l'inscription: “Lieutenant Wurche, R.I. 138, mort pour la patrie, le 23.8.1915”. Enfin, sur la croix, j'ai accroché une couronne tressée de cent fleurs aux couleurs éclatantes; pour la confectionner, ses hommes ont pillé tous les parterres des paysans lettons. Votre Ernst repose dans la plus belle tombe de soldat que je connaisse. Devant la tombe ouverte, j'ai récité un “Notre Père”, dont les paroles se sont noyées dans mes larmes, et j'ai jeté les trois premières poignées de terre sur lui, ensuite, ce fut le tour de sa fidèle ordonnance, puis de tous les autres. Ensuite, j'ai fait fermer et décorer la tombe, comme je vous l'ai décrite. J'ai demandé à un dessinateur, que j'ai fait venir de ma propre compagnie, de réaliser pendant la cérémonie un petit dessin du modeste tumulus sous lequel repose notre héros. Je vous le ferai parvenir dès qu'il sera possible de faire ce genre d'envoi, avec une esquisse en forme de carte indiquant le lieu, de même que ses objets de valeur. Je demande à notre compagnie de vous faire parvenir, à votre adresse, ses affaires personnelles. Je dois cependant vous dire que de tels envois venus du front demandent souvent beaucoup de temps. Mais vous recevrez assez vite le dessin de sa tombe, du moins si Dieu me laisse la vie. Comme l'ordre de marche vient d'arriver par le téléphone de campagne, je dois partir au galop jusqu'à mon poste de garde et m'élancer, à la tête de ma compagnie, à la poursuite de l'ennemi qui recule. Nous allons emprunter le chemin qu'il a découvert en fidèle éclaireur avec sa patrouille au sacrifice de sa vie. Maintenant, nous nous terrons dans une ferme que les Russes bombardent au shrapnel et nous attendons les ordres de la division. Je profite de ce bref répit qui me reste, pour vous écrire ce message de deuil sur ces fiches de rapport (c'est le seul papier que j'ai sur moi). Que Dieu donne à vos cœurs de parents une parcelle de la force et de la fierté de son âme héroïque! Croyez-moi, donnez-lui ce dernier témoignage d'amour, en acceptant sa mort comme il en a été digne, et comme il l'aurait souhaité! Que Dieu permette que ses frères et sœurs, à qui il vouait un grand amour fraternel, grandissent pareils à lui en fidélité, en bravoure, avec une âme aussi vaste et aussi profonde que la sienne! Avec mes sentiments les plus respectueux. Dr. Walter Flex, Lieutenant de réserve».
Dans une lettre à ses propres parents, le 29 août, il fait un récit plus concis de la mort de son camarade, mais exprime aussi d'autres sentiments, impossibles à dire au père et à la mère de Wurche, dans une première lettre de circonstance: «Wurche est mort. Il est tombé lors d'une reconnaissance audacieuse, en commandant un poste de garde à Posiminicze sur les rives du Lac Simno. Moi, j'étais de garde à Zajle —à cinq kilomètres de là— et j'ai appris la nouvelle par le téléphone de campagne et je n'ai pu me rendre auprès de lui que le matin, car je ne pouvais pas abandonner mon poste. A cinq heures, notre bataillon devait reprendre la marche et je n'ai donc eu qu'une heure et demie pour le voir une dernière fois et le faire enterrer. J'ai dû, revolver au poing, forcer un paysan à atteler un équipage et à me conduire à travers champs à P. J'ai enterré ce fidèle compagnon entre deux tilleuls et j'ai placé entre ses mains une fleur de tournesol aussi haute qu'un homme, avant qu'on ne le descende dans la tombe. Ses derniers mots, avant de partir pour son poste de garde, ont été: «Flex, revenez donc encore me voir à P.!». Je lui ai répondu que moi aussi j'étais de garde. Mais je suis tout de même retourné à P.! La mort de Wurche, je l'ai ressentie comme une deuxième mort de Petzlein, à qui il ressemblait beaucoup, par sa jeunesse, son idéalisme, sa pureté —lui aussi était Wandervogel!—. Mais cette douleur-là élargit aussi les horizons du cœur, qui refuse désormais de s'imposer des exigences [individuelles] et bat désormais au même rythme que celui du peuple. Sa montre fonctionnait encore, quand je la lui ai enlevée. Je la prend souvent dans le creux de la main et je sens cette douce et lente pulsation de vie, que ses propres mains ont impulsée. Ne croyez pas que je sois triste, j'ai désappris la tristesse. A côté de la volonté et du don de soi, il n'y a plus de place pour ce sentiment-là...».
Dans une lettre du 4 novembre 1915, adressée à son père seul, le ton est plus philosophique, plus dur aussi, comme si Walter Flex tentait d'épargner à sa mère, qu'il adorait, des récits qui auraient pu accroître son chagrin et son inquiétude: «... Nous sommes tous devenus bien différents parce que nous avons vécu des moments que nul mot humain ne peut exprimer, nous sommes devenus plus riches, plus graves, et les souhaits que nous nous formulons dépassent le niveau purement personnel et se portent sur des choses qui se trouvent certes en nos propres cœurs mais s'élèvent quand même bien au-dessus de nous. Les désirs pressés, exprimant l'espoir de se revoir bientôt pendant assez longtemps, s'estompent pour faire place à des désirs tenaces, que nous cultivons en nous, auxquels nous préparons nos âmes, le désir d'arriver enfin à réaliser les objectifs que s'est donnée la patrie. C'est avec ce qui est arrivé ce matin que mon cœur s'est renforcé dans ce sens, avec beauté et gravité. Lors d'une patrouille, un homme de ma compagnie a reçu une balle dans l'articulation de la hanche, la blessure était très sérieuse. Avec quelques hommes munis d'une toile de tente, je suis sorti pour le ramener dans nos positions. Le pauvre gars était exposé aux vents du nord-est et à une neige mordante, complètement désemparé, et il perdait beaucoup de sang. Il appartenait à la réserve la plus récente qui était arrivée en septembre seulement. Je lui ai demandé: «Alors, mon garçon, vous souffrez beaucoup?» - «Non, mon Lieutenant!», soupira-t-il en serrant les dents, «mais... mais... cela me fait enrager que le gars d'en face m'ait eu ainsi!» - «Quoi!», lui répondis-je, «quand on a fait son devoir aussi bien que vous, on a le droit de passer quelques bonnes semaines dans un beau lit tout blanc à l'hôpital de campagne allemand» - «Mais mon Lieutenant», me répondit ce brave garçon en avalant sa colère et en se raidissant, «je ne suis au front que depuis quelques semaines et je dois déjà partir!». Il a haleté brièvement et s'est mis à pleurer de colère, et les larmes coulaient sur son visage sale. Croyez-moi, une telle attitude est rare malgré les idées reçues qui nous évoquent l'impavide héroïsme de la multitude. Mais rien que le fait que cela arrive tout de même, est une grande et belle chose, et ce courageux petit bonhomme mérite bien de s'en sortir... Nos hommes endurent des privations, des souffrances et des peines indescriptibles, mais seul a de la valeur et du poids ce qu'ils font et supportent volontairement, en faisant fièrement et en toute conscience le don de leurs propres personnes...».
En décembre 1915, Walter Flex écrit deux lettres qui précisent encore sa vision de la vie, comme “pont entre deux mondes”, thématique essentielle de Der Wanderer zwischen beiden Welten. La première de ces lettres date du 16 décembre, est adressée aux parents de Wurche et a été rédigée lors d'une permission à Eisenach: «... J'ai oublié de vous dire quelque chose. Votre Ernst avait souvent l'habitude de dire, quand nous parlions de nos soldats morts au combat: «La plus belle chose que l'on puisse dire sur la mort en héros, c'est ce qu'a dit un Pasteur quand son propre fils est tombé: «Quoi qu'il ait pu réaliser dans sa vie, il n'aurait jamais pu atteindre quelque chose d'aussi haut». Cette vision, si belle et si sublime, que cultivait votre cher fils, doit avoir le pouvoir de vous réconforter, vous aussi».
La seconde date du 25 décembre, est adressée à un ami et nous révèle les premières intentions de l'auteur, d'écrire le livre qui le rendra immortel: «Enfants, nous avions chacun une branche à nous sur l'arbre de Noël, où brûlait une bougie que nous réétoffions sans cesse jalousement à l'aide de la cire qui coulait, afin qu'elle soit la dernière à brûler. Hier soir, lorsque je regardais scintiller notre petit arbre russe dans mon abri souterrain gelé, chaque petite bougie semblait avoir un nom. J'étais aux côtés de beaucoup d'êtres que j'avais aimés, et quand la dernière bougie s'est éteinte, j'étais assis dans un cercle formé de beaucoup de morts. Petzlein était près de moi, ainsi qu'un ami, Ernst Wurche, que j'ai connu et perdu à la guerre et que j'ai enterré près de Posiminisze. Dans les moments où les morts sont si proches de moi, je me sens bien, et seule la compagnie des vivants m'apparaît étroite. Fidèle, tu m'écris si souvent; ne sois pas fâché si je t'écris plus rarement; je ne suis pas moins cordial à l'égard du seul vivant qui me reste. Mais la compagnie des morts fait que l'on devient plus tranquille et que l'on se contente de penser aux uns et aux autres. Les quelques mots que l'on jette sur le papier semblent si pauvres et si démunis à côtés des relations si vivantes que l'on peut entretenir dans nos rêves et nos souvenirs... La plupart des gens ne valent pas grand'chose; si nos pensées s'occupent trop de cette multitude, ne fût-ce que par colère et par rejet, nos souvenirs ne sont plus qu'un fatras hétéroclite. Il ne faut pas que cela soit ainsi. Le divin est dans l'homme comme l'oiseau niche dans une haie d'épines, il ne faut qu'écouter son chant et ne pas regarder les épines. Les yeux, les oreilles et les lèvres doivent se fermer devant toutes les petites mesquineries, laideurs et misères, et l'âme toute entière doit se consacrer aux moments, aux choses et aux personnes qui nous révèlent le beau: voilà tout l'art de la vie. Ernst Wurche, que j'ai évoqué dans quelques-unes des lettres que je t'ai écrites, avait une manière si fine, si exemplaire, de passer à côté de toutes ces laideurs humaines, il en riait et récitait son petit vers de Goethe favori: “Voyageur, c'est contre cette misère-là que tu veux t'insurger? Tourbillon, étron séché, laisse le virevolter, se pulvériser!”. L'immense fatigue physique et nerveuse est passée, dès que nous avons repris la guerre de mouvement; je suis sur le point d'écrire mes souvenirs d'Ernst Wurche et toutes mes expériences de la guerre deviendront ainsi le vécu de cet homme tout de beauté et de richesse d'âme...».
A Mazuti, le 11 mars 1916, Walter Flex écrit à sa correspondante Fine Hüls, jeune femme du mouvement Wandervogel, une lettre dans laquelle sont précisées ses intentions de consacrer un livre à Ernst Wurche: «Je me suis mis depuis plusieurs semaines à un travail, auquel je consacre mes meilleurs instants et qui résumera mes souvenirs d'un ami tué au combat. Lui aussi était un Wandervogel et je puis dire déjà que mon travail fera ressortir de la manière la plus vivante qui soit l'esprit du Wandervogel, sublime et illuminant, tel qu'il m'est apparu chez ce garçon. Car c'est cet esprit-là dont l'Allemagne aura besoin dans l'avenir. Moi même, je n'ai jamais été Wandervogel, mais mon jeune frère l'était, et j'ai habité pendant de longs mois le même abri souterrain avec l'autre [Wandervogel que j'ai connu], le mort sur qui je vais écrire [mon livre]...».
Le 14 mars 1916, toujours à Mazuti, Walter Flex écrit à son frère et précise plus nettement encore ses intentions quant au livre qu'il prépare et rédige sur la figure sublime du Wandervogel Ernst Wurche. Outre des réflexions philosophiques intenses, simples, essentielles pour entrevoir la première mouture de son ouvrage en gestation, la lettre révèle qu'il a toujours caché à ses parents, et surtout à sa mère, les vraies horreurs du quotidien de la guerre, horreurs qu'il accepte avec un remarquable et admirable stoïcisme, parce, comme toute souffrance, ou toute maladie, elle construit la personnalité: «...Plus cette guerre durera, plus elle prendra des formes destructrices, et il serait effronté de calculer et de songer à mener sa petite mission dans ce grand jeu, tout en espérant échapper à la mort. En disant cela, je ne cherche pas à te faire peur —bien sûr, ne montre pas cette lettre à nos parents— mais je veux tout simplement te signaler des évidences que tout officier d'infanterie te confirmera et qui, personnellement, ne m'inquiètent pas le moins du monde, sauf quand je pense à notre maison. Mon grand ami Ernst Wurche m'a un jour dit à peu près ce qui suit: «Si [nous savons que] le sens et le but de la vie humaine sont de parvenir au-delà de la forme humaine, alors nous avons déjà accompli notre part dans le [grand processus] de la Vie, et quelle que soit la fin qui nous advienne aujourd'hui ou demain, nous savons davantage que le centenaire ou le sage. Personne n'a jamais vu tomber autant de masques, de coquilles vides, vu autant de bassesse, de lâcheté, de faiblesse, d'égoïsme, de vanité, vu autant de dignité et de noblesse d'âme silencieuse que nous. Nous n'avons plus grand'chose à exiger de la vie: elle nous a davantage révélé qu'à d'autres, et au-delà de cela il n'y a pas d'exigence humaine [à formuler]; attendons calmement, ce que la vie va nous demander. Si elle nous demande tout, alors qu'elle nous a tout de même déjà tout donné, les factures s'équilibrent». Ces paroles proviennent de la dernière conversation tranquille que j'ai eue avec Wurche; elles ne me quittent plus, elles sont si vraies, un profane resté en dehors de cette guerre peut à peine les comprendre et les sentir, mais ce n'est pas une phrase creuse que je t'écris quand je te dis qu'en ce qui concerne ma personne, je suis totalement serein. Mais peut-être qu'une tâche t'attend, surtout à l'égard de maman, dont je ne peux guère mesurer l'ampleur. Nous devons être capables de parler de cela en adultes et en toute sérénité, sans nous émouvoir. Je pense que tu dois te préparer et t'armer à l'avance pour affronter cette tâche, si elle t'échoit. Savoir comment tu la mèneras à bien, est ton affaire...».
Sa philosophie éthique se précise encore plus nettement dans une lettre du 28 avril 1917 à Fine Hüls: «Je me suis porté volontaire avec quelques camarades, parmi lesquels un vieux major, un type formidable, pour le front de l'Ouest. C'est pénible quand je pense à ma mère qui ne le sait pas encore. Pour le reste, vous connaissez ma pensée. Il ne suffit pas de poser des exigences d'ordre éthique, il faut les accomplir, pour leur donner vie. Goût de l'aventure et idéalisme ont souvent été confondus au début de cette guerre, et l'idéalisme inflexible, refusant toute concession, où seul compte le salut présent et futur de notre peuple, est devenu rare... Vous m'écrivez: «Toutes sortes de soucis me troublent l'âme, quand je pense à vous». Très chère madame, il n'y a aucune raison de se soucier. Ce souci ne serait fondé que si j'avais enfreint, en renonçant à mon engagement, le principe de cette unité d'action et de pensée, pour des raisons de cœur. En mon fors intérieur, je suis tout autant volontaire de guerre qu'au premier jour. Je ne le suis pas et je ne l'étais pas, comme beaucoup le croient, par fanatisme nationaliste, mais par fanatisme éthique. Ce sont des exigences éthiques, et non pas des exigences nationales, que je mets en avant et que je défends. Ce que j'ai écrit sur l'«éternité du peuple allemand» et sur la mission rédemptrice de la Germanité dans et pour le monde, n'a rien à voir avec l'égoïsme national, mais relève d'une foi éthique, qui pourra même se réaliser dans la défaite ou, comme Ernst Wurche l'aurait dit, dans la mort héroïque au combat de tout un peuple. Je n'ai jamais été le poète du parti pangermaniste, comme on le croit un peu partout, et j'avoue que ma pensée politique n'est pas trop claire, qu'elle n'a jamais hésité ni réfléchi outre mesure sur les nécessités de la politique intérieure et extérieure. Je m'en suis toujours tenu à une pensée claire et limitée: je crois, en effet, que l'évolution de l'humanité a atteint sa forme la plus parfaite, pour l'individu comme pour son évolution intérieure, dans le peuple, et que le patriotisme pan-humanitaire représente une dissolution, qui libère une nouvelle fois l'égoïsme personnel, normalement bridé par l'amour porté au peuple, et fait revenir l'humanité entière à l'égoïsme dans sa forme la plus crue... Voici ce que je crois: l'esprit allemand en août 1914, et après, a atteint un degré d'élévation inouï, comme chez aucun peuple auparavant. Heureux celui qui a pu atteindre ce sommet et n'a plus eu besoin d'en redescendre. Les descendants de notre peuple et des autres peuples verront la trace de ce déluge voulu par Dieu, au-dessus d'eux, le long des rives vers lesquelles ils s'avanceront. Voilà donc ce que je crois, voilà ma fierté et ma joie, qui m'arrachent à tous les soucis personnels».
A partir de mars 1915, Flex a donc servi continuellement sur le front russe, avec un repos de quelques mois au ministère de la guerre en 1917, où il participera à la rédaction d'une histoire officielle de la guerre en cours. Il a toujours refusé les nominations au département de la presse, qu'on lui a souvent proposées, préférant servir au feu. C'est à la fin de 1916 que paraît Der Wanderer zwischen beiden Welten, chez Beck. En deux ans, 250.000 exemplaires seront vendus (en 1940, le chiffre sera de 682.000 exemplaires). Walter Flex a donc eu le bonheur de connaître le succès de son livre et la joie de recevoir un courrier très abondant de soldats et d'officiers du front, qui lui disaient avoir trouvé dans ce texte consolation, force et sérénité. En décembre 1916, Walter Flex part en permission à Eisenach chez ses parents, avec, dans son sac, une nouvelle pièce de théâtre, Die schwimmende Insel (L'Ile flottante), à thématique mythologique. Elle sera jouée peu avant Noël au théâtre de la ville. Mais cette version originale n'est demeurée qu'un premier jet et n'a jamais été retravaillée. Walter Flex se jette alors corps et âme dans la rédaction d'un nouvel ouvrage, Wolf Eschenlohr, qui restera à l'état de fragment. Il se porte volontaire pour le Front de l'Ouest, mais sa demande est rejetée. Il continuera donc le combat contre les Russes, avec un répit à l'état-major à Berlin, où on lui demande de rédiger un rapport précis sur l'offensive russe du printemps 1916 («Die russische Frühjahrsoffensive 1916»), qui figurera dans un ouvrage collectif édité par l'armée et paraîtra aussi sous forme de livre après sa mort. A Berlin, il fait la connaissance d'une jeune femme du Wandervogel, Fine Hüls, à qui il enverra des lettres poignantes, révélant clairement ses positions. Fine Hüls était une collaboratrice de la Tägliche Rundschau, et avait fait mettre en musique certains poèmes de Walter Flex pour les cercles berlinois du Wandervogel. Le 6 juillet 1917, il reçoit la Croix de Fer de première classe. Fin août 1917, il rejoint son Régiment dans le “Baltikum”. Il participe au franchissement de la Duna et à la prise de Riga. Ensuite, sa compagnie est envoyée sur l'île d'Oesel, face aux côtes lettones et estoniennes. Mais l'obsession de la mort demeure, malgré cette progression fulgurante des armées du Kaiser qui contraste avec le piétinement à l'Ouest. Il écrit à Fine Hüls: « De tous mes camarades qui sont partis à l'Ouest il y a quelques mois, un seul est encore en vie. Parmi eux, il y avait quelques hommes formidables, avec qui j'aurais aimé partir. Je les revois encore dans la gare, qui me font signe du train qui partait. «Dommage que vous ne puissiez venir avec nous!», me criait Erichson, un Mecklembourgeois, qui formait avec Wurche et moi un trio de chefs de peloton de la 9ième Compagnie devant Augustov[o]. Maintenant il est enterré en face de Verdun. S'il avait su que nous aurions pris Tarnopol et Riga peu après, il serait sûrement resté avec nous. Où serais-je si mon engagement de l'époque n'avait pas été refusé? Est le hasard ou le destin? Je suis toujours reconnaissant de conserver cette égalité d'âme, qui n'a jamais été sérieusement ébranlée. Non pas que j'aie le sentiment d'être différent des autres ou supérieurs à eux, mais j'ai la conviction tranquille et intérieure que tout ce qui peut m'arriver est une parcelle de l'évolution de la vie, sur laquelle la mort n'a nulle emprise...».
Le 15 octobre 1917, le jour où cette lettre arrive à Berlin, une balle mortelle atteint Walter Flex sur l'île d'Oesel. Plusieurs lettres existent, qui témoignent de sa mort, ainsi qu'un rapport rédigé par la Général von Hutier, commandeur du Régiment. Voici comment Konrad Flex résume l'ensemble de ces récits et rapports dans son introduction aux œuvres complètes de son frère: «Dans la cour du domaine de Peudehof, près du village de Leval, s'était retranché un fort parti de Russes avec leurs chariots à bagages. Le représentant du corps des officiers, Weschkalnitz, est allé de l'avant et a demandé aux Russes de se rendre. Un officier russe lui a mis la main sur l'épaule et lui a dit: «Non, vous êtes mon prisonnier». Weschkalnitz a fait un bond en arrière et a cherché à s'abriter derrière un rocher, tandis que les Russes ouvraient le feu sur lui. C'est alors que Flex a sauté sur un cheval cosaque qui n'était plus monté, a sorti son épée du fourreau et s'est élancé vers l'ennemi. W. lui a crié: «Mon Lieutenant, ils ne veulent pas se rendre!». Au même moment, plusieurs balles ont été tirées. L'une d'elles a sectionné l'index de la main droite du cavalier qui avançait et puis s'est logée dans le corps. Walter Flex est tombé de cheval et a crié à W., qu'il devait prendre le commandement de la compagnie. Un homme du Landsturm allemand (= équivalent de la Territoriale française) s'est élancé furieux, pour massacrer à coups de crosse le tireur russe, mais mon frère lui a dit: «Laisse-le, lui aussi n'a fait que son devoir». Immédiatement, les Russes ont abandonné le combat et déposé les armes. Le blessé a été amené par ses hommes dans une petite maison le long d'un chemin, où un sous-officier du service sanitaire lui a prodigué les premiers soins. Sa première question a été de s'enquérir de la situation à la suite de cet engagement. La réponse l'a satisfait et il s'est affaissé. Dans le château du domaine de Peudehof, les Russes avaient installé un hôpital de campagne, qui venait de tomber aux mains des Allemands. Le blessé y a été transporté sur un chariot et pansé par les médecins russes. Peu après, un médecin militaire allemand est arrivé à son chevet, après s'être concerté avec ses collègues russes, il a jugé qu'une opération était exclue, car le blessé avait perdu trop de sang et était trop affaibli. La balle avait traversé le ventre et manifestement touché des organes vitaux. A Zimmer, sa fidèle ordonnance, mon frère a dicté la carte suivante: «Chers parents, j'ai dicté cette carte, parce que je suis légèrement blessé à l'index de la main droite. Autrement tout va très bien. Ne vous faites aucun souci. Salutations chaleureuses. Votre Walter». Lorsque Zimmer lui a demandé s'il devait écrire comme mon frère avait l'habitude de le faire «A Monsieur le professeur et Madame Flex», il a dit en souriant: «Non, Zimmer, n'écrivez cette fois que “Professeur Flex”, pour que ma mère ne soit pas effrayée». Pendant la nuit, Zimmer est venu plusieurs fois au chevet de son Lieutenant et l'a toujours trouvé apaisé, les yeux fermés. Lorsqu'il lui a demandé s'il avait mal, Walter Flex a répondu par la négative, mais lui a parlé de difficultés au niveau du cœur. Le matin du jour suivant, il a reçu la visite du Pasteur de la Division, von Lutzki, qui, à sa grande joie, lui a apporté le salut du Régiment. Comme le blessé était fort affaibli, von Lutzki n'a pu rester que quelques instants. Il a demandé s'il devait saluer le Régiment pour lui, et mon frère a répondu: «Bien sûr que oui! Excusez-moi de ne pas vous le dire moi-même, mais avec tout ça, je me sens tout de même un peu perturbé». Le Pasteur von Lutzki voulait revenir l'après-midi. Lorsque mon frère, pour prendre congé de lui, a lancé un «Au revoir», il a remarqué un geste chez le prêtre et a ajouté sur un ton mi-plaisant mi-interrogateur: «Quoi qu'il en soit, nous nous reverrons tout de même, n'est-ce pas?». Son état de faiblesse s'est alors rapidement amplifié. Beaucoup voulaient rendre une visite au blessé, mais personne n'y a été autorisé. Walter Flex est mort au début de l'après-midi du 16 octobre. Le jour de sa mort correspondait au jour de l'anniversaire de son frère Otto, qui l'avait précédé dans la mort du soldat. Le corps de Walter a été ensuite amené dans un petit pavillon du parc. Normalement, le régiment entier aurait dû prendre part aux obsèques, mais, le soir même, il a reçu l'ordre d'aller de l'avant. Ainsi, seuls neuf hommes de sa chère compagnie ont pu rester, pour lui faire une dernière escorte, accompagnés par quelques médecins militaires allemands. L'enterrement a eu lieu dans le cimetière du village de Peude, à dix minutes de là. Sa tombe se trouve juste en face du caveau de la famille von Aderkas, à qui appartenait le domaine avant qu'il ne soit exproprié. Il y a quelques semaines, je me suis rendu à Peude. La croix de bois, érigée par nos soldats, s'est décomposée depuis et a été remplacée par une autre, payée par des fonds récoltés dans les cercles baltes. Sur un petit socle de granit, se dresse, fine et élégante, une croix de fer forgé peinte en blanc, pourvue d'une plaque de laiton portant le nom et les dates de naissance et de décès du défunt. Cette croix est provisoire, mais elle a été dressée par des cœurs fidèles et des bonnes volontés. C'est une croix de soldat comme des milliers d'autres et je l'aime telle qu'elle est, comme je l'ai vue pour la première fois ce jour-là, tôt dans la matinée. C'est pourquoi je pense qu'elle peut rester quelque temps, jusqu'à ce qu'elle se décompose à son tour et qu'elle soit remplacée par une pierre tombale définitive. Le cimetière de Peude est tout encombré de gros arbres, un peu négligé, ce qui le rend d'autant plus pittoresque».
Au moment de sa mort, paraît un recueil de poèmes sur ses expériences de guerre, Im Felde zwischen Nacht und Tag, qui, la même année a connu vingt-et-une éditions. Walter Flex a pu lire et corriger les épreuves mais n'a jamais vu son livre. Les droits d'auteur devaient revenir à une fondation créée en faveur des orphelins de guerre.
Sa nouvelle de guerre, Wolf Eschenlohr, est restée inachevée. Le 23 août 1917, il avait envoyé le premier chapitre à son éditeur. Le manuscrit du second se trouvait dans un porte-cartes, qu'il a eu le temps de remettre à son ordonnance, en lui demandant d'y veiller tout particulièrement. Zimmer expédia tout à la famille. Ce manuscrit, un cahier noir et d'autres papiers ont été transpercés par la balle fatale. Konrad Flex écrit: «Le livre aurait dû décrire les expériences de guerre du poète, les expériences extérieures et intérieures, dans une intrigue purement fictive. L'auteur voulait prendre position face aux nombreuses questions, notamment de natures religieuse et éthique, que la guerre avait éveillées en lui. Il voulait aussi y traiter de la question sociale et de l'opposition entre les classes (...)».
Le noyau de la vision poétique de Flex, qui est aussi une vision de l'homme et de la mission qu'il a à accomplir sur la Terre, constitue une réflexion intense, soumise constamment au contrôle du vécu, sur le rapport entre l'individu et la société (ou la communauté; le poète Flex n'opère pas de distinction entre les deux concepts comme les sociologues). Dans ses pièces de théâtre, le social est la condition existentielle qui permettra à l'individu de vivre en adéquation avec ses propres canons éthiques. L'individu qui croit pouvoir s'élever au-dessus des conditions sociales, qui croit détenir un savoir supérieur ou mener seul une mission sublime, d'essence métaphysique ou divine, ou qui s'isole en déployant seul une éthique pure de tout contact avec le réel, est irrémédiablement condamné à l'échec.
Libre de tout engagement politique, Walter Flex n'introduit aucun ferment idéologique dans sa poésie, ses drames et sa prose. De même, jamais, ni dans ses poèmes ni dans ses récits ni dans ses fictions ni dans les lettres qu'il adressait à ses parents, ses frères et ses amis, il n'écrit un seul mot désobligeant envers l'ennemi français ou russe. Pour lui, le peuple (Volk) est mis en équation avec l'ethos: car ce Volk est le cadre spatio-temporel où, lui, Allemand, où l'autre, Russe ou Français, doit stoïquement, sans fléchir, incarner l'éthique du service à la communauté, devant les tourments et les souffrances de la guerre, qui est la tragédie portée au pinacle, l'örlog de l'Edda, le chaos déchaîné qui reste finalement le fond-de-monde auquel nous sommes livrés, de par notre conditio humana. On est sur Terre pour servir et pour souffrir, non pour recevoir ou pour jouir. Ainsi, Walter Flex touche à l'essentiel et garde un cœur pur, limpide: des souffrances qu'il endure, avec ses millions de camarades du front, il n'attend aucune récompense, aucune promotion, ni même aucune victoire. La guerre est l'occasion, pour lui, de vivre pleinement la condition humaine.
Der Wanderer zwischen beiden Welten est un monument à son ami Ernst Wurche, un jeune officier issu des Wandervögel, le mouvement de jeunesse idéaliste né sous l'impulsion de Karl Fischer, à Steglitz, dans la banlieue de Berlin en 1896. Wurche avait étudié la théologie, participé à ce mouvement de jeunesse en quête du “Graal” au moment où la société se vidait de toute éthique sous les coups de l'industrialisme, de la consommation, de la publicité, des plaisirs frivoles et commercialisables. Wurche incarnait l'intégrité, la pureté des idéaux, une grâce forte et virile, une dignité sereine, la Gelassenheit: bref, toutes les qualités du mouvement Wandervogel. Si Flex, plus âgé que Wurche, hérite encore de l'ancienne notion prussienne du service, plus âpre, plus militaire, plus politique, plus ancrée dans une histoire institutionnelle précise, le jeune officier issu des Wandervögel, développe un idéalisme au-delà de ces circonstances historiques spécifiquement prussiennes, donc un idéalisme plus pur, visant, en fait, à dompter les tensions et les contradictions multiples qui traversaient la nation allemande. Les clivages entre confessions religieuses et idéologies politiques, entre intérêts divergents et opposés, doivent disparaître au profit d'une synthèse nouvelle, qui ne sera pas bruyamment nationaliste, mais rigoureusement et sereinement éthique. La germanité nouvelle, rêvée autour des feux de camp du Wandervogel puis des bivouacs de l'armée impériale en campagne, serait une synthèse entre la foi du Christ, la sagesse vitaliste de Goethe et l'idéal de la surhumanité nietzschéenne. Cet homme nouveau, ce nouveau Germain stoïque et serein, calme et maître de soi, devra avoir le sens du sacrifice suprême, sans poses et sans coups de gueule. Son sacrifice, sa mort au combat, comme celle de Wurche qui, en ce sens, est exemplaire, n'est pas une perte irréparable, ne réclame pas vengeance: elle est une consécration religieuse, un accès au sacré. Comme la Passion du Christ. Dans cette perspective qui reste absolument chrétienne, et plutôt de facture évangélique-luthérienne, Flex écrit, dans Nachtgedanken: «La guerre est l'un des dévoilements les plus sacrés et les plus importants, par lequel Dieu répand de la lumière dans notre vie. La mort et le sacrifice des meilleurs de notre peuple ne sont qu'une répétition, voulue par Dieu, du miracle le plus profond de la vie qu'ait jamais connu la Terre, c'est-à-dire de la souffrance vicariale de Jésus Christ».
De cette vision de la vie et de la mort, de la souffrance et du don de soi, doit découler une pédagogie nationale, dont le dessein premier est d'insuffler une vigueur morale de telle ampleur, que le peuple qui la pratique échappe à la mort. La véritable vie du moi se situe dans le don au toi. Il y a dès lors primauté de l'éthique sur le national et sur le social (qui offrent chacun un contenant à la pratique de l'éthique). Le social n'est rien en soi mais est tout pour l'individu, parce qu'il lui présente toutes les facettes de ce Protée qu'est le toi, et lui offre donc la possibilité d'être altruiste. Dès les dernières années de son Gymnasium, Walter Flex a élaboré sa philosophie du service et de l'altruisme, où se mêlent, dans une synthèse sans doute assez maladroite, le vieil idéal prussien du service et une sorte de social-darwinisme coopératif; jeune lycéen il écrit: «J'ai trouvé l'ancienne montagne magnétique, vers laquelle convergent tous les efforts humains: c'est le groupe, la patrie». C'est la vie en groupe qui donne son sens à l'individu: «La volonté vise un but, et ce but, c'est la durée. Or le moi n'a pas de durée. La durée, c'est la famille, c'est la patrie». Mais l'égoïsme est une force indéniable parmi les multiples mobiles humains. L'individu, par le truchement des institutions nationales, du cadre nationalitaire, du Volk organisé en Etat, sublime ses pulsions égoïstes naturelles et les hisse à un niveau plus élevé, celui du service à la collectivité. Cette vision éthique et politique peut être considérée comme l'expression simplifiée d'un hégélianisme nationaliste, encore fort teinté des premiers écrits romantiques de Hegel, avant qu'il ne s'insurge contre les simplismes des “teutomanes”. Le Volk est, dans cette optique, le fondement à partir duquel se déploie une éthique, une morale, une Sittlichkeit unique, non interchangeable, non transmissible à d'autres Völker. Par le truchement du droit, des institutions politiques et de l'Etat, cette Sittlichkeit peut s'ancrer dans les esprits et créer de véritables “organismes politiques”, lesquels postulent qu'il y ait identité entre les gouvernants et les gouvernés, que les uns commes les autres participent de la même Sittlichkeit, dérivée du même humus, c'est-à-dire de la même substance populaire, du même Volk. La Sittlichkeit politique de facture hégélo-nationale s'oppose ainsi, comme le constate le philosophe italien Domenico Losurdo à la suite d'une enquête minutieuse, au strict individualisme kantien et aux sentimentalismes irrationalistes et mystiques, qualifiés de “criticismes stériles”. La Sittlichkeit n'a rien à voir avec la Schwärmerei (= l'enthousiasme) romantique, refuse les “évasions consolatrices”. Elle se déploie dans un cadre politique, dans un cadre national, dans une éthique du service, au-delà des intérêts personnels et des idéologies qui leur servent de justifications. Si Flex n'a jamais rien écrit de systématique sur ses options politiques, il est évident qu'il a vécu tout compénétré de cet hégélianisme implicite du monde protestant allemand.
Walter Flex propose ainsi un idéal de l'accomplissement de soi par la négation de soi, un dépassement de l'égoïsme personnel. Notre vie sur terre ne constitue nullement un but en soi, mais n'est seulement qu'une parcelle infime de notre être éternel, qui nous pousse graduellement, par la lente action du temps, vers le divin. Les souffrances que nous affrontons, et que les soldats de la première guerre mondiale affrontent, rendent les forts plus forts et les faibles plus faibles. En ce sens, la guerre est révélatrice: elle montre les créatures de Dieu telles qu'elles sont vraiment, sans fard, sans masque.
La germaniste Irmela von der Lühe écrit, dans une étude consacrée à Flex: «Les valeurs spirituelles, vis-à-vis desquelles il se sent obligé et responsable, sont simples et droites. L'étudiant en théologie Ernst Wurche lit Goethe et, dans les tranchées, il apprend encore des poèmes par cœur, il lit aussi les aphorismes poético-philosophiques du Zarathoustra de Nietzsche, trimbale ce livre partout avec lui, et il ne cesse d'en citer des passages ainsi que de l'édition de campagne du Nouveau Testament. Ce qu'il cite (...) il le cite sans crispation intellectuelle. La beauté de l'art, l'idéal du combat pour le bien et contre le mal, et la prière comme requête pour obtenir la force et la bravoure du soldat: voilà les valeurs qui remplissent la bibliothèque du soldat Ernst Wurche. Y transparaît surtout son christianisme guerrier. Le Dieu d'Ernst Wurche est un ennemi des faibles, il porte lui aussi l'épée, qui brille pure et claire dans le soleil...».
Symbole de l'homme parfait, de cet homme nouveau que doit imposer la pédagogie populaire et nationale souhaitée par Walter Flex (et par Fine Hüls dans ses écrits d'hommage au poète dans la presse du Wandervogel, après la guerre), Ernst Wurche traverse deux mondes, le monde terrestre et le monde du divin, qui fusionnent dans l'intensité brève et incandescente de l'assaut ou dans la mort héroïque. En France, Pierre Drieu La Rochelle écrira des pages aussi sublimes sur l'assaut dans La comédie de Charleroi.
Dans les poésies de Flex —et dans sa philosophie implicite de la vie que l'on rencontre très souvent dans sa prose—, se dégage une sorte de proximité avec la nature, de volonté de fusion avec la cosmicité, proche à maints égards des pensées asiatiques. Observateur français critique, proche de l'Action Française, Maurice Muret, écrit dans La Revue universelle, en août 1921, que l'anti-asiatisme bruyant —violent et très agressif lors de la Guerre des Boxers— de Guillaume II, vitupérant sans discontinuité contre le “péril jaune”, a fait place à une “asiatomanie” anti-occidentale parce qu'anti-rationaliste et, partant, anti-française et anti-anglaise. Le néo-orientalisme allemand est, aux yeux des critiques germanophobes et antisémites français, dont Muret, une sorte de néo-rousseauisme, véhiculé par les cercles et les publications de la Freideutsche Jugend et par des philosophes comme Rudolf Pannwitz (très critique à l'égard des formes militaristes du nationalisme et de l'impérialisme allemands) ou Martin Buber (traducteur des Discours et similitudes du sage taoïste chinois Tchouangtsé). Muret insiste également, pour appuyer sa thèse de l'“asiatisme” des Allemands, sur le succès que connaissait, dans l'Allemagne vaincue, l'auteur indien Rabindranath Tagore, qui condamnait l'Angleterre, se montrait indulgent pour le Reich battu et définissait les nations occidentales comme celles de l'“égoïsme organisé” où triomphait la “mécanisation sans idéal”. Tagore, avec le langage des traditions védique et bouddhique pluri-millénaires, tentait de prouver que le bouddhisme ne prêchait nullement l'anéantissement de soi-même, mais l'éternisation de soi-même, non seulement par l'abolition de la personnalité mais aussi et surtout par son ascension dans le spirituel. Ce sera Henri Massis, dans un texte célèbre de 1925, Défense de l'Occident, qui donnera une forme et un argumentaire définitif à cette critique occidentale de l'asiatisme de la pensée allemande. On peut tracer à l'évidence un parallèle avec Flex, même si celui-ci n'a aucune référence orientale. Sans oublier de dire quand on aborde ce contexte, que cette “asiatomanie” que Muret et les germanophobes antisémites de la place de Paris dans les années 20 attribuent à un ressentiment allemand devant la défaite et le Traité de Versailles, est en fait beaucoup plus ancienne et remonte à Schopenhauer.
Celui-ci avait annoncé la fin de l'euro-centrisme en philosophie et un retour à la philosophie indienne. Cette reconnaissance de la pertinence des philosophies extra-européennes ne s'accompagne pourtant pas, chez Schopenhauer, d'une fébrilité de converti, d'une “désertion de l'Europe”. En réhabilitant la pensée indienne, Schopenhauer et ses émules parmi les philosophes allemands du début du siècle réintroduisent dans le discours philosophique des linéaments aussi importants que l'idée du malheur structurel et incontournable, inhérent à la vie humaine et animale, l'égalité en rang du règne animal et humain, un principe de réalité non intellectuel, etc. Car, dans cette perspective, l'unité fondamentale de toute chose et de toute vie ne peut se saisir que par une mystique. La mystique, en effet, saisit la réalité au-delà de tout disible et de tout pensable. C'est la réalité d'avant le langage (donc d'avant tous les travestissements, les calculs anthropocentriques, les dérivatifs qu'il induit), la réalité non cognitive, laquelle se borne à “se montrer”, se dévoiler. Le langage et les concepts abstraits, tout comme les conventions sociales dénoncées par le Wandervogel ou les idéologies des groupes politiques conventionnels de droite et de gauche, masquent le réel, masquent la prolixité féconde et ubiquitaire de l'indicible et de l'impensable, de l'incommensurable.
Flex opte, dans le contexte de cette postérité schopenhauerienne où il est finalement inconscient de l'héritage de Schopenhauer, pour une contemplation de la nature, source d'inspiration spirituelle du poète. En effet, toute son œuvre poétique est imprégnée de notations révélatrices du sentiment d'intime participation à l'organicité du monde. Au-delà des raisons “hégéliennes” que nous évoquons par ailleurs, au-delà des héritages luthériens de sa famille, Flex fait usage d'une terminologie extra-philosophique, faisant implicitement et inconsciemment référence à un “socle” préexistant à tout concept abstrait, à toute religiosité plaquée sur le tronc germanique et européen, c'est-à-dire, schopenhaueriennement parlant, à cette réalité d'avant le langage, d'avant tout disible et tout pensable... Le reconnaissance, tout naturelle, parfois joyeuse et confiante, acceptante, de ce socle est la nouveauté religieuse et métaphysique apportée par l'homo novus germanique, à la fois “goethéen, chrétien et nietzschéen”, en guerre contre le “vieux monde” occidental. Ce naturalisme spiritualisé ou cette spiritualité naturelle justifient l'engagement allemand dans le premier conflit mondial. L'homo novus, assez proche de l'“ange” de Rilke, n'apporte pas aux hommes, humains trop humains, une idéologie rationnellement construite ou des principes intangibles ou des concepts juridiques ou des préceptes moraux qu'il s'agit de défendre comme les fondements immuables, —soustraits à toutes les vicissitudes de la vie—, d'une civilisation avancée sur la ligne du “progrès” mais appelle à préserver une certaine forme d'être contre cette modernité mercantile et ce matérialisme démocratique défendus par l'Entente. Cette forme d'être, c'est finalement l'homme pleinement relié au cosmos.
De Schopenhauer à Keyserling puis à Hauer, la pensée allemande a effectivement redécouvert l'hindouisme et le bouddhisme. Elle y voit une forme particulière de la sensibilité indo-européenne, orientale certes, mais préservée finalement de l'influence chrétienne. La rencontre est d'autant plus profondément ressentie qu'elle croise et confirme l'intuition romantique qui ne cesse de se développer depuis la fin du XVIIIième contre l'esprit des Lumières.
Les poèmes de Flex rendent compte de cette rupture. Les invocations au soleil de gloire, aux corps libres, au sang lumineux, à la terre fraîche, aux forêts du Septentrion, parlent avec émotion de la fusion sensuelle au mystère du monde. Le choix du Pélerin-migrateur, dans le titre, associé à l'Oie Sauvage, comme leitmotiv, renvoie à un folklore dont l'origine, en Europe du Nord, se perd dans la nuit des temps: «Symbole d'une très ancienne sagesse, la messagère qui unit le ciel et la terre [...], l'oie ou le cygne sauvage, qui parcourent le continent d'un bout à l'autre, symbolisent l'âme transmigrant de vie en vie [...], spirale mystique symbolisant la difficile pérégrination de l'âme vers le centre, le sanctuaire intérieur et caché, où elle rencontrera son Etre essentiel, la permanence de son impermanence, ce qui [...] ressemble à l'itinéraire intérieur accompli en zazen» (Jacques Brosse, Zen et Occident, Albin Michel, Paris, 1992).
Dans les poèmes de Flex, on ne compte plus les allusions aux tournesols, aux fleurs de soleil associées à l'éclat de l'or apollinien:
“Es deckt des Sonnenjünglings Brust
Als Sonnenwappen des Blütenbrust
Der gold'nen Blumenlanze”.
[Il couvre la poitrine de cet homme jeune et solaire, comme des armoiries solaires orneraient un buste en pleine croissance, comme une lance de fleurs toute dorée...].
Image du porteur de lumière:
“Als Fackel trägt er in weißer Hand
Eine goldene Sonnenblume”.
[Dans sa main blanche, il porte comme un flambeau un fleur de tournesol dorée].
Ou encore:
“Glüh', Sonne, Sonne glühe!
Die Welt braucht soviel Glanz!”.
[Resplendis, ô Soleil, ô Soleil, resplendis!
Le monde a bien besoin d'autant d'éclat!].
La mort elle-même devient expérience vivante, rupture sans abandon, intensification du lien spirituel et attachement charnel à la glèbe habitée. L'évocation du coup sur la nuque lors du rappel intense de l'absent correspond précisément à l'expérience décrite par Carlos Castañeda lors de circonstances similaires. L'énigme du monde n'est plus simple champ de spéculations dialectiques (de l'aristotélo-thomisme au pur formalisme teinté d'hégélianisme) mais domaine de réalisation tangible de sa propre nature (le gnothi seauton apollinien). Soit un recours à l'extra-philosophique, comme le réclamait Schopenhauer dans un certain désordre et une certaine confusion, mais en demeurant au niveau du sublime. Nous touchons là à la Voie du Guerrier telle que l'a pratiquée aussi bien l'Inde que le Japon ou l'Amérique précolombienne (cf. Bernard Dubant, La Voie du Guerrier, Ed. de la Maisnie, Paris, 1981).
Autre signe: le culte de l'épée.
“Das Schwert, so oft beschaut mit Lust
Glüht still in eig'nem Glanze”.
[L'épée, si souvent contemplée avec désir, repose, tranquille, dans son propre éclat].
On songe à la réponse du chef alain auquel un prélat chrétien, à l'époque de la grande migration des peuples, consécutive à l'assaut des Huns et l'effondrement des structures romaines, demandait quel était son dieu, l'Alain planta son épée dans une motte: «Voilà mon dieu». L'épée est indissociable de la lumière de la torche:
“Dann bricht er mit Fackel und Schwert hervor
Und leuchtet durch der Ewigkeit Tor”.
[Alors, il s'élance avec flambeau et épée et illumine le chemin qui passe par la porte de l'éternité].
Vient la synthèse, dans cette description poétique de Wurche mort, dans sa tombe, une fleur de tournesol entre les mains:
“Drin schläft ein Jüngling mit Fackel und Schwert
Unter des Kreuzes Pfosten”.
[Là (dans cette tombe) dort un homme jeune, avec flambeau et épée, sous la croix].
Nous sommes proches finalement de cette tradition christo-païenne de la littérature médiévale courtoise; le Graal n'est pas loin dans ces deux vers évoquant l'ami Wandervogel:
“Er war ein Hüter, getreu und rein,
Des Feuers auf Deutschlands Herde”.
[Il était un gardien, fidèle et pur, du feu qui brûle en l'âtre de la Terre Thioise]. Flex nous offre finalement une synthèse de paganisme viril, —au sens de vir, l'homme accompli— et de compassion bouddhique.
Der Wanderer zwischen beiden Welten, les lettres et les poèmes de guerre de Walter Flex sont avant toute chose une réflexion intense sur la mort. Le mystère de la mort tourmente puis fascine Walter Flex. Sa lettre, où il évoque les bougies du sapin de Noël de son abri sur le front russe et le “cercle des morts” où siègent Petzlein et Wurche, nous indique bien que leur troupe est la troupe des purs, celle des saints artisans qui «tirent l'acier du roc de nos âmes et le mettent à jour». La mort arrache les meilleurs soldats à la terre et les envoie dans son “royaume élyséen”. Ce sont bien les meilleurs qui ne reviennent pas, car ils sont appelés à incarner pour toujours, pour les siècles des siècles, l'idéal éthique; leur pureté et leur intangibilité en font des exemples immortels pour le peuple. Le Royaume des Morts, dans la vision de Flex, est le Royaume des vrais Vivants, il est comme l'idéal face aux imperfections du réel. Ces vrais Vivants, ces Purs, échappent aux viles petites passions des humains, englués dans leurs égoïsmes non sublimés. Mais s'ils sont exemples, et s'ils demeurent, dans la vision de Flex, haut dans l'empyrée des modèles impassables, ils sont aussi réfugiés, retournés, dans un sein maternel et tellurique. Leur tombe froide et l'image de la douceur du sein maternel fusionnent dans la poèsie et l'imaginaire passionnés du poète: car ces Morts, ces Purs, voyagent de leur empyrée sublime et idéale aux mystérieuses profondeurs fécondes de la terre, où ils rencontrent et illuminent ceux qui attendent encore leur naissance. Ils placent en eux la semence de leur excellence. Afin que le peuple puisse, plus tard, engranger une nouvelle moisson de héros. Significatif à cet égard est le poème Chor der deutschen Toten in Polen, où le poète prédit un grand avenir au peuple polonais, parce que, dans sa terre, demeure pour l'éternité une vaste cohorte de héros allemands, qui communiqueront leur excellence aux fils et aux filles de Pologne.
Der Wanderer zwischen beiden Welten a été le bréviaire de toute une génération. Il a redonné confiance et procuré consolation aux Allemands vaincus, après novembre 1918. Il a été un livre important. Qui a marqué le siècle, au même titre que les souvenirs de guerre d'Ernst Jünger (Orages d'acier, Le Boqueteau 125) ou A l'Ouest, rien de nouveau du pacifiste Erich Maria Remarque, très éloigné des valeurs des nationalistes, et aussi, finalement, de l'éthique hégélienne de la vieille Prusse. Il reste un immense travail de comparaison à faire sur l'impact philosophico-idéologique de la Grande Guerre et sur les innombrables écrits qu'elle a suscités. On a pu dire, dans notre insouciance, dans notre volonté de faire du passé table rase, dans notre course suicidaire à la consommation, que la Grande Guerre appartient définitivement au passé, qu'elle n'a plus rien à nous communiquer, qu'elle est la preuve la plus manifeste de la folie des hommes. Ces opinions ont peut-être leur logique, recèlent sans doute quelque pertinence positiviste, il n'empêche que sur le plan littéraire, elle a suscité des monuments éternels de la littérature universelle, elle a provoqué d'indicibles souffrances à des millions d'hommes, elle a porté au pinacle les affres de notre déréliction terrestre, les a démultipliés de manière exponentielle. Mais cette déréliction est un fait de monde incontournable. On n'échappe pas, on n'échappera jamais à la douleur en dépit des vœux pieux des intellectuels, des rêveurs, des eudémonistes de tous poils qui tentent de vendre leur camelote inessentielle. On n'abolira pas la mort qui obsédait Walter Flex et Ernst Wurche. Elle demeure, pour nous tous, au bout du chemin. Il faut l'assumer. En nous rapportant les paroles d'un tout jeune théologien jeté dans la guerre, en les immortalisant, en forgeant les mots simples qui ont touché et marqué durablement les combattants et tout son peuple, Walter Flex nous oblige à regarder ce destin en face, sans aucune grandiloquence —car il abominait la grandiloquence—, avec des mots d'une sublime simplicité, où le cœur garde la toute première place, où jamais l'immense tendresse du poète et du fils, de l'ami et du pédagogue n'est absente. Car l'œuvre de Flex est aussi une grande leçon de tendresse, surtout quand elle jaillit du pire carnage guerrier de ce siècle. Walter Flex, et par son intermédiaire, Ernst Wurche, et derrière Ernst Wurche, les jeunes idéalistes du Wandervogel, demeurés inconnus, dormant au fond d'une tombe à Langemarck ou ailleurs, nous ont légué un bréviaire, un livre de stoïcisme, à ranger dans nos bibliothèques à côté de Sénèque, de Marc-Aurèle et de l'Imitation de Jésus-Christ de Thomas à Kempis. (*)
Robert Steuckers,
Forest, janvier-avril 1995.
Sources:
- Nicola COSPITO, I Wandervögel. La gioventú tedesca da Gugliemo II al Nazionalsocialismo, editrice il corallo, Padova, 1984.
- Walter FLEX, Gesammelte Werke, 2 vol., Beck'sche Verlagsbuchhandlung, München, s.d. (Introduction de Konrad Flex).
- Walter FLEX, Für dich, mein Vaterland. Ein Auswahl aus den Kriegsbriefen, C.H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, München, 1939.
- Walter FLEX, Der Wanderer zwischen beiden Welten. Ein Kriegserlebnis, Orion-Heimreiter-Verlag, Heusenstamm, 1978 (postface de Martin Flex).
- Michael GOLLBACH, Die Wiederkehr des Weltkrieges in der Literatur. Zu den Frontromanen der späteren Zwanziger Jahre, Scriptor Verlag, Kronberg/Ts., 1978.
- Hermann HELLER, Hegel und der nationale Machtstaatsgedanke in Deutschland. Ein Beitrag zur politischen Geistesgeschichte, Aalen, Otto Zeller Verlagsbuchhandlung, 1963.
-Ernst KELLER, Nationalismus und Literatur. Langemarck. Weimar. Stalingrad, Francke Verlag, Bern/München, 1970.
- Hellmuth LANGENBUCHER, Die deutsche Gegenwartsdichtung. Eine Einführung in das volkhafte Schrifttum unserer Zeit, Junker u. Dünnhaupt Verlag, Berlin, 1940.
- Walter LAQUEUR, Die deutsche Jugendbewegung. Eine historische Studie, Verlag Wissenschaft und Politik/Berend von Nottbeck, Köln, 1978.
- Eric J. LEED, Terra di nessuno. Esperienza bellica e identità personale nella prima guerra mondiale, Il Mulino, Bologna, 1985.
- Robert LEGROS, Le jeune Hegel et la naissance de la pensée romantique, Ousia, Bruxelles, 1980.
- Domenico LOSURDO, Hegel. Questione nazionale. Restaurazione. Presupposti e sviluppi di una battaglia politica, Università degli studi di Urbino, Urbino, 1983.
- Irmela von der LÜHE, «Der Wanderer zwischen beiden Welten von Walter Flex», in Marianne Weil (Hrsg.), Wehrwolf und Biene Maja. Der deutsche Bücherschrank zwischen den Kriegen, Verlag Ästhetik und Kommunikation/Edition Mythos, Berlin, 1986.
- Reinhard MARGREITER, «Die achtfache Wurzel der Aktualität Schopenhauers», in Wolfgang SCHIRMACHER (Hrsg.), Schopenhauers Aktualität. Ein Philosoph wird neu gelesen, Passagen Verlag, Wien, 1988. A propos de ce livre, lire en français: Robert STEUCKERS, «Un ouvrage collectif sur Schopenhauer ou huit raisons de le relire», in Orientations, n°11, juillet-août 1989.
- Henri MASSIS, L'Occident et son destin, Grasset, Paris, 1956 (ce volume reprend in extenso le texte «Défense de l'Occident» de 1925).
- Arno MULOT, Der Soldat in der deutschen Dichtung unserer Zeit, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, Stuttgart, 1938.
- Maurice MURET, «La pensée allemande et l'Orient», in La Revue Universelle, Tome VI, n°10, 15 août 1921.
- Rita THALMANN, Protestantisme et nationalisme en Allemagne (de 1900 à 1945), Librairie Klincksieck, 1976.
- Michel TODA, Henri Massis, un témoin de la droite intellectuelle, La Table Ronde, Paris, 1987.
(*) Moine germano-néerlandais, né à Kempten en 1379 ou en 1380 et décédé à Agnietenberg près de Zwolle en 1471, auteur de cette Imitation de Jésus-Christ qui influença considérablement la pratique quotidienne du christianisme catholique jusqu'en ce siècle, probablement plus que les quatre évangiles! Thomas à Kempis met davantage l'accent sur l'ascétisme que sur la mystique et demande à ses lecteurs de pratiquer une austérité modérée, non extrême, nouant ainsi avec un leitmotiv à la fois hellénique et nordique: celui de la mesure. Mais l'essentiel de cet ouvrage, écrit dans un contexte religieux particulier, celui des Frères de la Vie Commune, dévoués à l'éducation des plus démunis et à la charité. Le sens du service y est très présent. Le texte réclame l'engagement personnel total au profit d'autrui. Dans une perspective politique, et non plus simplement religieuse, cet engagement pourrait être étendu à la Cité entière. Le parallèle que l'on pourrait tracer entre l'Imitation de Jésus-Christ et Der Wanderer zwischen beiden Welten, c'est que les deux ouvrages, l'un religieux, l'autre laïc et militaire, sont des bréviaires anti-individualistes qui ont façonné en profondeur des générations; pendant des siècles pour l'œuvre majeure de Thomas à Kempis; pendant deux à trois décennies pour celle de Flex.
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dimanche, 04 janvier 2009
Zum 120. Geburtstag von Carl Schmitt / Der "Partisan" - wieder aktuell
Zum 120. Geburtstag von Carl Schmitt / Der »Partisan« – wieder aktuell
Vor 120 Jahren wurde am 11. Juli 1888 im westfälischen Plettenberg der deutsche Staatsrechtstheoretiker und politische Philosoph Carl Schmitt als Sohn eines Kaufmanns geboren. Grund genug, sich seiner wieder einmal zu erinnern.
Nach seinem Studium der Staats- und Rechtswissenschaften in Berlin, München und Straßburg promovierte der junge Schmitt 1915 an der Universität Straßburg. Eine Berufung an die Universität Greifswald erfolgte 1921, er veröffentlichte die Abhandlung »Die Diktatur«, in der er die staatsrechtlichen Grundlagen der Weimarer Republik untersuchte.
Schmitt wurde 1922 Professor an der Universität Bonn. In seiner Schrift »Politische Theologie« arbeitete er seine Staatstheorie, von seinem katholischen Glauben ausgehend, weiter aus. 1923 schrieb er die Analyse: »Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus«. 1926 wurde er Professor der Rechte an der Handelshochschule in Berlin.
1932 kam es dann zur Berufung an die Universität Köln, und Schmitt schrieb sein grundlegendes Werk: »Der Begriff des Politischen«. Diese Staatsrechtslehre beschäftigte sich überwiegend mit der Unterscheidung von Freund und Feind.
Im Dritten Reich nicht straffällig geworden
Am 1. Mai 1933 dann ein folgenschwerer Schritt: der Eintritt in die Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei (NSDAP). Im gleichen Jahr folgte die Ernennung zum preußischen Staatsrat durch Hermann Göring und im November 1933 zum Präsidenten der »Vereinigung nationalsozialistischer Juristen«. Zwischen 1933 und 1945 war Schmitt Professor der Rechte an der Universität zu Berlin.
Im Juni 1934 wurde er zum Hauptschriftleiter der Deutschen Juristen-Zeitung ernannt. Zwei Jahre später, im Oktober 1936, führte er den Vorsitz auf einem in Berlin stattfindenden Kongreß akademischer Rechtslehrer. Von 1937 an zog sich Schmitt zunehmend aus seiner herausgehobenen Stellung als führender nationalsozialistischer Rechtsgelehrter in die innere Emigration zurück.
1945 wurde Schmitt seines Lehramts enthoben und zeitweise verhaftet, zu einer Anklage kam es jedoch nicht, weil eine Straftat im juristischen Sinne nicht festgestellt werden konnte. Ab 1950 widmete sich Schmitt nunmehr völkerrechtlichen Studien und veröffentlichte seine Memoiren. Schmitt starb am 7. April 1985 in seiner Geburtsstadt Plettenberg.
Wegen seiner klaren »Feind«bestimmung in der Politik kommt man auch heute nicht um Carl Schmitt herum. Für Carl Schmitt ist ein grundlegendes Kennzeichen des Politischen die Fähigkeit zur Unterscheidung zwischen Freund und Feind. Außerdem macht er in seiner Schrift über den »Begriff des Politischen« deutlich, welche Art von Politik heute wichtig erscheint: »Sind innerhalb eines Staates organisierte Parteien imstande, ihren Angehörigen mehr Schutz zu gewähren als der Staat, so wird der Staat bestenfalls ein Annex dieser Parteien, und der einzelne Staatsbürger weiß, wem er zu gehorchen hat. Das kann eine ›pluralistische Staatstheorie‹ rechtfertigen … In außenpolitischen und zwischenstaatlichen Beziehungen tritt die elementare Richtigkeit dieses Schutz-Gehorsam-Axioms noch deutlicher zutage: das völkerrechtliche Protektorat, der hegemonische Staatenbund oder Bundesstaat, Schutz- und Garantieverträge mannigfacher Art finden darin ihre einfachste Formel.
Es wäre tölpelhaft zu glauben, ein wehrloses Volk habe nur noch Freunde, und eine krapulose Berechnung, der Feind könnte vielleicht durch Widerstandslosigkeit gerührt werden. Daß die Menschen durch einen Verzicht auf jede ästhetische oder wirtschaftliche Produktivität die Welt z.B. in einen Zustand reiner Moralität überführen könnten, wird niemand für möglich halten, aber noch viel weniger könnte ein Volk durch den Verzicht auf jede politische Entscheidung einen rein moralischen oder rein ökonomischen Zustand der Menschheit herbeiführen. Dadurch, daß ein Volk nicht mehr die Kraft oder den Willen hat, sich in der Sphäre des Politischen zu halten, verschwindet das Politische nicht aus der Welt. Es verschwindet nur ein schwaches Volk.«
Im Jahre 1963 veröffentlichte Schmitt die Abhandlung zur »Theorie des Partisanen«. Schmitts Interesse an der Figur des Partisanen ist rein theoretischer Natur. Er sieht ihn als das letzte wirklich politische Wesen der Gegenwart. In seiner »Theorie des Partisanen« läßt Schmitt nicht außer acht, daß »der autochthone Partisan agrarischer Herkunft in das Kraftfeld des unwiderstehlichen technischen-industriellen Fortschritt hineingerissen wird. Seine Mobilität wird durch Motorisierung so gesteigert, daß er in Gefahr gerät, völlig entartet zu werden. In der Situation des Kalten Kriegers wird er zum Techniker des unsichtbaren Kampfes, zum Saboteur und Spion …
»Motorisierter Partisan«
Ein solcher motorisierter Partisan verliert seinen tellurischen Charakter und ist nur noch das transportable und auswechselbare Werkzeug einer mächtigen Weltpolitik treibenden Zentrale … Der Theoretiker kann nichts mehr tun, als die Begriffe wahren und die Dinge beim Namen nennen. Die Theorie des Partisanen mündet in den Begriff des Politischen ein, in die Frage nach dem wirklichen Feind und einem neuen Nomos der Erde.«
Schmitts Werk findet heute wieder weltweite Beachtung. Kein Wunder im Zeitalter des Krieges gegen den »Terror«.
Günter Kursawe
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samedi, 03 janvier 2009
Franz von Stuck: "Medusa"
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vendredi, 02 janvier 2009
Julius Evola: Idée d'Empire et universalisme
Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Avril 1991
Julius EVOLA: Idée d'Empire et universalisme
Quiconque s'interroge sérieusement sur le nouvel ordre européen perçoit de plus en plus nettement l'importance et la force révolutionnaire des idées de "grand-espace" (Grossraum) et d'"espace vital" (Lebensraum). Cependant, au lieu de "grand-espace", nous préférons ici parler d'"espace impérial", d'espace "reichisch", c'est-à-dire déterminé par l'idée de Reich, ou encore d'"espace de Reich". Il s'agit en effet de dissiper l'idée selon laquelle l'ordre nouveau serait essentiellement dicté par des facteurs matériels plutôt que par une idée ou par un droit supérieur qui fonde l'autorité. Bien entendu, l'"espace déterminé par l'idée de Reich" englobe aussi ce que nous appelons "l'espace vital"; mais il peut en dépasser les limites, soit en fonction de considérations militaro-stratégiques, soit en raison d'influences indirectes, de relations affinitaires ou de ces affinités électives qui poussent les petits peuples à se grouper autour d'un "peuple impérial".
Nous ne sonderons pas ici la notion générique de "grand-espace" ou d'espace "déterminé par l'idée de Reich" (reichisch). Nous nous pencherons plutôt sur un de ses aspects particuliers, qui dépasse à la fois le mythe nationaliste et le mythe universaliste.
En ce qui concerne le mythe nationaliste, il connaîtra dans l'avenir une double limitation: d'abord, aucun peuple ne peut assumer et exercer une fonction supérieure de direction s'il ne s'élève pas au dessus des intérêts et des allégeances de type particulariste. Ensuite, les petits peuples devront réapprendre qu'il existe une subordination qui, loin d'être un "esclavage", peut au contraire être source de fierté puisqu'elle permet l'intégration à une communauté culturelle plus vaste et la participation à une autorité plus haute et plus forte. On peut ici songer à des exemples historiques comme le Saint-Empire romain dont les souverains incarnaient une autorité et une fonction dissociées et distinctes de celles qu'ils détenaient en tant que princes d'un peuple particulier. Il pouvait même arriver que des peuples sollicitent d'eux-mêmes l'honneur d'être rattachés à une communauté qui était plus que nationale puisqu'elle se définissait par l'emblème impérial.
En ce qui concerne maintenant le second aspect, par lequel l'espace déterminé par l'idée de Reich apparaît comme le dépassement non seulement du nationalisme étriqué mais du mythe universaliste, il faut préciser que cet espace n'est pas un "espace impérial": il faudrait plutôt penser à des entités distinctes, caractérisées par des idées et des traditions spécifiques, mais agissant conjointement et solidairement. Seule, à l'évidence, cette idée peut dépasser l'universalisme, que ce soit sous sa forme utopique ("le royaume mondial") ou sous sa forme juridico-positiviste qui postule des principes rationnels, universellement valables et obligatoires.
Quant à l'"espace déterminé par l'idée de Reich", il ne faut pas y voir un assemblage plus ou moins lâche, mais un véritable organisme défini par des frontières précises et axé sur une idée centrale imprégnant toutes les forces qu'il rassemble.
Si l'espace déterminé par l'idée de Reich ne constitue pas un tout cohérent puisqu'il se présente sous la forme d'un ordre dynamique, il obéit cependant toujours à une certaine loi d'évolution et s'articule autour de valeurs fondamentales qui constituent son "principium individuationis":
Par son caractère organique, vivant, et par les conditions géopolitiques nécessaires qui sont les siennes, l'idée d'espace déterminé par l'idée de Reich s'oppose notamment à ce que nous appelerions "l'impérialisme qui se cherche" (vortastender Imperialismus) et dont le prototype est l'Angleterre. Pour des raison identiques, il s'oppose également à toute conception abstraite, "spiritualiste", du Reich, qui bien souvent n'est qu'un paravent de l'universalisme. or, en Italie, la compréhension de ce dernier point a été obscurcie par nombre d'idées fausses et de lieux communs désuets.
L'exemple de l'idée romaine
Le grand-espace dont l'Italie peut éventuellement se réclamer est essentiellement méditerranéen. A ce titre, sa référence "impériale" et supranationale ne peut être que l'idée romaine. Or, certains milieux développent à propos de Rome une rhétorique telle que l'on éprouve une sensation de lassitude chaque fois qu'il est question de Rome et de la romanité. Et pourtant, l'Italie n'a pas d'autre choix. Mussolini l'a dit: "Rome est notre point de départ et notre référence: c'est notre symbole et notre mythe".
La difficulté que nous venons de signaler provient de ce que, pour beaucoup, romanité et universalisme sont synonymes. L'"universalisme romain" est un slogan qui, visiblement, sert les ambitions douteuses de certains milieux. D'autres s'eforcent bien de faire une distinction entre le principe universel de Rome et l'universalisme de type démocrate, franc-maçon ou humanitariste, ou encore celui de l'Internationale communiste. Mais cela ne dissipe pas le malentendu.
Est universaliste tout principe qui prétend à la validité générale. Le rationalisme franc-maçon, la démocratie, l'internationalisme et le communisme sont, de fait, des idées qui se répandent dans le monde entier et qui pourraient donc effectivement devenir "universelles" –à condition de déraciner d'emblée et de niveler méthodiquement tous les peuples et toutes les cultures. On retrouve à peu près un projet identique dans les très controversés "Protocoles des Sages de Sion".
Le symbole de Rome –s'il ne s'épuise pas dans une rhétorique creuse– implique tout au contraire quelque chose de concret et de défini: nul ne songe sérieusement à unifier tous les continents et tous les peuples sous l'égide de Rom. Telle est pourtant l'intention des utopies antitraditionnelles, niveleuses et collectivistes. Rome, pour nous, peut effectivement signifier quelque chose et si ce "quelque chose" n'est pas "l'universalisme", ce sera l'idée fondamentale, la force qui met-en-forme, la loi inhérente à un certain "espace déterminé par l'idée de Reich"
D'ailleurs, il n'en allait pas autrement dans l'Antiquité, Rome était l'axe sacré d'une communauté soudée de peuples et de cultures, mais en dehors de laquelle il existait d'autres cultures, ce que traduit du reste l'expresion de "barbare" qui, à l'origine, n'avait aucune connotation péjorative et servait simplement à désigner l'étranger.
Dans l'Empire romain finissant, il a pu, certes, exister –dans les limites de cet espace où soufflait l'esprit d'empire– un certain "universalisme": on laissa s'introduire à Rome des éléments hétérogènes et des races inférieures dont on fit abusivement des "Romains". La ville du Tibre intégra sans difficulté des cultes et des mœurs allogènes dont le contraste avec la romanité des origines était parfois stupéfiante, comme le notait Tite-Live. C'est dans cet universalisme-là que réside l'une des pricnipales raisons de l'effondrement de Rome. Voir dans un tel universalisme une caractéristique propre au "principe romain" serait le plus grave des contresens. Le principe romain vrai, c'est-à-dire viril et hiérarchisé, celui qui a fondé notre grandeur, n'a absolument rien à voir avec cet universalisme de la Rome tardive et abâtardie.
Nous vivons une époque de rassemblement, d'organisation et de structuration de forces, où le discours universaliste abstrait n'a pas sa place. Une époque où la dimension spirituelle ne doit pas nous conduire à des déviations ni à des transgressions mais sublimer le sens des forces et des contraintes d'une réalité concrète. Que Rome ait fait don au nom de la "lumière de la culture", que l'esprit romain soit illimité, que tous les peuples doivent à Rome des éléments de culture, voilà qui est bien. Il reste cependant à tester la vitalité actuelle de cet héritage millénaire au regard d'entreprises moins poétiques mais plus précises. Pour celui qui ne se satisfait pas du verbiage, la moindre des choses à exiger de la force de l'idée romaine est qu'elle puisse faire naître, à partir des peuples que rassemblera notre grand-espace, un organisme véritablement déterminé par l'idée d'Empire, un "reichischer Organismus" doté d'une structure solide, d'un visage et d'une culture propre, ce que permettrait, par exemple, un recours à l'idée organique et hiérarchique du Moyen-Age aryen et combattant. Ce n'est que lorsque que cet exemple aura pris consistance que le prestige de l'idée romaine franchira de nouveau les limites de notre espace. Alors, d'autres pays se demanderont si ces idées fondamentales peuvent être adoptées et façonner le réel selon des formes propres au type d'humanité auquel ils appartiennent.
Julius Evola
(traduction: J.L.P.).
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mercredi, 31 décembre 2008
Sarközy dans le collimateur en Allemagne
Sarközy dans le collimateur en Allemagne
On savait déjà que l’entente n’était pas parfaite entre Angela Merkel et Nicolas Sarközy, coupable aux yeux des Allemands de négliger le binôme Paris/Berlin au profit de relations privilégiées avec la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, voire en annonçant l’avènement d’une « Union Méditerranéenne », englobant les 27 pays de l’UE et noyant, de ce fait même, le cœur germanique et danubien du continent dans un gigantesque magma informel et sans colonne vertébrale, sans trognon mental commun, fort peu susceptible de fonctionner et de générer de l’harmonie et du consensus. Dans un tel magma, rien de constructif ne peut être entrepris avec toute la célérité décisionnaire voulue, vu l’hétérogénéité de ce bricolage racoleur, qui ne produira que des palabres sans suite. La Méditerranée est certes importante et sa maîtrise est vitale pour l’Europe mais l’empreinte qu’elle doit recevoir doit être européenne, doit venir du cœur du continent et non pas du désert arabique. Pierre Vial disait que la Méditerranée, depuis l’effondrement de l’Empire romain, l’échec des Vandales et des tentatives byzantines de reconquête, était un front et non pas un trait d’union. C’est là une évidence historique. La verbosité de Sarközy et ses gesticulations théâtrales n’y changeront rien.
Dans le n°50/2008 de l’hebdomadaire « Der Spiegel », l’essai, que le magazine publie chaque semaine, était consacré à l’ « Omniprésident » Sarközy et était signé Ullrich Fichtner (dont on n’évoque pas les qualités ou fonctions). Cet « essay » était féroce : il énumérait, sur le ton du sarcasme et du mépris, voire du dégoût, les frasques du président français, accusé de surcroît de trahir les idéaux de Montesquieu quant à la séparation des pouvoirs. Sarközy aurait ainsi fait de l’Etat le « butin » du pouvoir. Et Fichtner de citer quelques exemples d’entorses graves à l’idéal de Montesquieu, dont les mésaventures d’un manifestant, Hervé Eon, qui s’était promené lors d’une visite présidentielle dans sa ville, avec une pancarte au cou, sur laquelle il reproduisait la parole historique du Président, empreinte de tant de délicatesse, « Casse-toi, pauv’ con ! ». Après que pression eût été exercée sur les tribunaux et sur la magistrature couchée et vénale, Hervé Eon a été condamné pour « injure au Président de la République » (sans que les professionnels de l’idéologie et de la pratique des « droits de l’homme » ne s’en soient outrancièrement émus, ni en France ni ailleurs en Europe…) ; ensuite, la brutalité avec laquelle a été traité un journaliste de « Libération », arrêté dès potron-minet et copieusement rossé dans un commissariat de police, parce qu’il avait écrit, il y a deux ans, quelques rosseries sur le candidat président.
Face à ces dérapages, dignes du Zaïre de feu Mobutu, Ullrich Fichtner constate : en l’an II du mandat de Sarközy, « le pays (la France) est aujourd’hui devenu l’objet de rapports négatifs qui auraient pu provenir de l’Amérique du Sud des années 70 ». Et d’ajouter que le commissaire européen des droits de l’homme, Thomas Hammarberg, avait décrit, après sa visite des prisons françaises, que la situation y était « inacceptable » et que la politique française de la justice contredisait les « droits fondamentaux de la personne humaine ». Et hop, quelques belles fleurs dans le jardin de Rachida Dati… Et tout cela se passe aujourd’hui dans le pays de la « rrrrrévolution » et des « droits de l’homme »… dont les ténors du journalisme et de la pensée ( ?) aiment tant donner des leçons aux autres… Fichtner : « Avec Sarközy, un style politique est né, en un laps de temps très court, qui nuit à la culture démocratique du pays » ; « nous assistons à une brutalité croissante du discours politique, comme si Sarközy et ses compagnons avaient suivi les leçons de Georges Bush le Jeune » ; « ivre de son pouvoir, Sarközy se sent compétent en tout et le contraire de tout : il tient des discours sur la maladie d’Alzheimer et sur la psychiatrie, sur la construction automobile, le logement et l’urbanisme, il propose des plans pour les économies à la traîne et contre la tragédie des sans-abri ; il exprime ses visions sur l’avenir de l’Afrique, sur les chances du Québec ; il a des idées sur l’énergie éolienne, le Tibet et le rugby ».
Jusqu’ici, rien que de la polémique, des reproches, comme chaque président français en a essuyés. Mais, l’ « essay » se termine par des paragraphes plus consistants : « Ses discours et ses projets ne peuvent contribuer à étayer l’Etat : généralement, Sarközy cherche la sensation car il se pose comme une homme politique éternellement en campagne électorale et, à cause de cela, dans les circonstances inquiétantes d’aujourd’hui, le système politique français manque d’un pôle de repos et de stabilité, d’un étalon fiable, d’une instance neutre ».
« La télévision d’Etat a été réformée de façon telle que l’émetteur public ne pourra plus diffuser de la publicité après 20 heures, à partir de janvier prochain. Sarközy vend cette réforme comme un « saut qualitatif », le téléspectateur est donc content et toute cette politique semble parfaitement raisonnable et rationnelle. Mais cette politique, de manière drastique, ne permet plus le financement des programmes de la télévision publique, qui se montraient aisément critique à l’encontre du pouvoir. On craint partout en France que l’on tentera de récupérer l’argent perdu de la publicité en ne recrutant plus de journalistes sérieux. Cette crainte est fondée car Sarközy a fait bidouiller sa loi de façon telle que ce sera en fin de compte le Président qui nommera personnellement le futur gestionnaire principal de la télévision publique. Quant aux émetteurs privés, à la tête desquels se trouvent les nouveaux amis super-riches de Sarközy, ils bénéficieront à partir de janvier d’entrées financières proportionnellement plus substantielles, ce qui est un effet collatéral parfaitement voulu, bien entendu ».
Et in cauda venenum : « Les forces de la désintégration politique corrodent l’Etat plus férocement en France qu’ailleurs dans le monde, car la société française est un mélange bigarré d’ethnies, de religions et, heureusement, de citoyens à l’esprit libre ; il n’empêche que l’édifice, qui les abrite tous, se lézarde. Ce processus n’a pas commencé avec Sarközy mais ce président-là n’a rien entrepris pour l’endiguer, l’apaiser, ni trouvé des nouveaux ciments pour le souder à nouveau ; au contraire : animé par son leitmotiv ‘diviser plutôt que concilier’, il mine encore davantage la cohésion de la nation. L’évolution actuelle de la France est une leçon qui nous enseigne que la démocratie et l’Etat de droit ne sont pas de simples évidences, mais des principes que l’on doit gagner chaque jour, pour lesquels il faut lutter quotidiennement, qu’il faut façonner et surtout remplir de sens, de volonté et de ‘virtù’. L’Allemagne, comme aucun autre pays, a dû apprendre cette leçon dans les peines, les douleurs et la souffrance. La France, qui s’est presque toujours retrouvée du côté ensoleillé de l’histoire doit bigrement faire attention, elle, de ne pas l’oublier ».
L’article de fond de Fichtner est le premier, depuis des décennies, à évoquer, au sein d’un établissement politique allemand pourtant bien soucieux de « rectitude politique », la nature « composite » et artificielle de la France en tant que construction politique. Et laisse sous-entendre que cette nature composite, ce manque d’homogénéité, et notamment d’homogénéité ethnique, est une faiblesse effroyable qui risque, à terme, de provoquer un vaste chaos entre le Rhin et les Alpes, d’une part, et l’Atlantique, d’autre part.
L’article de Fichtner montre en filigrane que son auteur préfère une référence directe à Montesquieu qu’un discours, tout en trémolos, sur les droits de l’homme, qui n’est pas suivi d’une pratique ad hoc. Montesquieu permet effectivement une application sereine, sobre et posée des droits du citoyen d’une république ou du sujet d’une monarchie, sans les excès criminels ou verbeux du discours républicain et révolutionnaire. La pratique européenne du droit doit s’inspirer davantage de Montesquieu que des mauvais modèles révolutionnaires. Voilà donc un axiome que l’on peut facilement tirer de l’article de Fichtner.
L’article de Fichtner révèle aussi toute la teneur de l’ère glaciaire qui règne actuellement dans les relations germano-françaises, une glaciation dont Sarközy est responsable. En plus, Fichtner dénonce la césure existante entre le discours (souvent tonitruant) sur les droits de l’homme en France et la pratique quotidienne, très déficitaire, de cette idéologie, soi-disant fondatrice de la République, inviolable et intangible. Cela, les régionalistes bretons, alsaciens ou autres le savaient depuis toujours. Et les cadavres des Vendéens ou des noyés de la Loire savent qu’immédiatement après la proclamation des droits de l’homme et du citoyen, on a inventé le principe de « dépopulation », soit une pratique en bonne et due forme de l’extermination totale d’une population au nom d’un délire abstrait, et qu’on l’a appliqué sans état d’âme par le truchement de « colonnes infernales ». Cette césure entre ce discours et cette pratique indique précisément que le discours en question est, sur le fonds, et depuis son émergence, pure hypocrisie.
L’article de Fichtner devrait inspirer nos législateurs pour condamner, comme le fit un jour Soljenitsyne, la matrice des totalitarismes exterminateurs, après avoir condamné ces derniers ; ensuite pour assimiler les symboles de cette matrice, dont le sinistre tricolore qu’a sacralisé Sarközy, à ceux des totalitarismes du passé, si bien que leur exhibition ou leur vénération ou toute tentative de les importer chez nous, en toutes circonstances ou sous quelque prétexte que ce soit, soit considérées comme un délit, assimilable à l’ostentation pathologique d’oripeaux ou de « paraphernalia » national-socialistes . Ce qui permettrait, en autres choses, d’écarter le délire du rattachisme en Wallonie.
Enfin l’article de Fichtner devrait inciter à une vigilance européenne généralisée contre les déviances sarközistes, permettant à terme de libérer les peuples de France d’une idéologique intrinsèquement terroriste dans ces principes, même si elle ne peut actuellement les traduire dans le réel et dans toute leur effroyable pureté, et de pratiques contraires aux principes nord-européens de l’habeas corpus, incarnés chez nous, notamment, par la Charte de Kortenberg. La révolution française, comme les pratiques centralisatrices et absolutistes des derniers rois de la monarchie capétienne, a forcé les peuples des anciennes Gaules à sortir d’une matrice européenne commune où la liberté et l’autonomie sont des valeurs cardinales. Il faut les y accueillir à nouveau.
En résumé, c’est un fort beau costume, un pur alpaga haut de gamme, que le principal hebdomadaire d’information en Europe, le « Spiegel », qui tire au moins à deux millions d’exemplaires, a taillé pour cet hiver au nouveau président français, au sortir de ses six mois d’animateur numéro un de l’UE.
(source : Ullrich FICHTNER, « Der Omnipräsident », in « Der Spiegel », n°50/2008).
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L'oeuvre de Bernard Willms
L'oeuvre de Bernard WILLMS, 1931-1991
par Robert Steuckers
Né le 7 juillet 1931 à Mönchengladbach dans un milieu catholique, Bernard Willms étudie la philosophie, la sociologie, l'histoire contemporaine, la philologie germanique et le droit public à Cologne et à Münster. Sous la direction de Joachim Ritter, il présente ensuite une thèse sur la liberté totale chez Fichte. Il devient ensuite, dans les années 60, l'assistant du sociologue libéral-conservateur Helmut Schelsky, brillant analyste de la famille allemande, de la sexualité et du rôle des intellectuels dans les sociétés libérales. Le politologue et juriste Ernst Forsthoff exerce également une influence prépondérante sur la pensée de Willms à cette époque où la philosophie allemande est déterminée par une autre école: l'Ecole de Francfort. En 1970, Willms est nommé Professeur de sciences politiques à Bochum, où il restera jusqu'à sa mort. Ses intérêts le portent à enseigner principalement la «théorie du politique» et l'histoire des idées politiques. Marqué par l'idéalisme allemand, et plus particulièrement par Hegel, Willms aborde et approfondit ses connaissances de l'œuvre de Hobbes. Trois ouvrages sur le philosophe anglais, auteur du Leviathan, se succéderont entre 1970 et 1987, fruits de vingt années de spéculations et de méditations. Membre du Conseil honoraire de l'International Hobbes Association, il est reconnu comme l'un des plus éminents spécialistes au monde de la pensée de Hobbes.
Dans les années 80, Willms devient le philosophe du politique et de la nation. Il fonde de la sorte une école néo-idéaliste qui vise la reconstitution de la souveraineté allemande et désigne le libéralisme comme l'ennemi principal de toute pensée politique concrète. Programme qui transparaît dans son célèbre ouvrage Die deutsche Nation (1982). Mais le nationalisme de Willms n'est pas un nationalisme de fermeture: en 1988, notre auteur, avec l'aide de Paul Kleinewefers, ébauche le plan d'une confédération centre-européenne (Allemagne RFA + RDA, Autriche, Tchécoslovaquie), prévoyant le respect des identités nationales/ethniques tout en dépassant le cadre étroit de l'Etat-Nation conventionnel. A partir de 1989, Willms affronte une dimension nouvelle de la philosophie politique, née dans le sillage des spéculations post-modernes. S'appuyant sur les classiques de la pensée politique allemande conservatrice de notre après-guerre, Carl Schmitt et Arnold Gehlen, Willms compare cet héritage à la critique française contemporaine de la modernité (Foucault, Lyotard, Derrida, Baudrillard). Il en conclut que la négation des principes de la modernité doit former l'assise d'un principe positif nouveau qui conduira les nations opprimées, dont l'allemande, à la liberté. Cette négation des fondements de la modernité est simultanément une négation du libéralisme, entendu comme idéologie hostile à toutes les institutions, dissolvante et impolitique.
En 1982, il devient co-éditeur de la prestigieuse revue de sciences politiques Der Staat, éditée à Berlin.
Bernard Willms meurt le 27 février 1991. Ses étudiants l'ont porté en terre, avec, sur le cercueil, une plaque de cuivre représentant le frontispice du Léviathan de Hobbes et la phrase percutante, inspirée de Caton l'Ancien, que Willms aimait prononcer à la fin de chacune de ses nombreuses conférences: ceterum censeo Germaniam esse restituendam.
La Nation allemande. Théorie, Situation, Avenir (Die Deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft) 1982
Ouvrage de base, où Willms a récapitulé les axes principaux de sa démarche philosophique. L'objectif du livre est annoncé d'emblée: il faut penser en termes de «nation». Pour pouvoir penser en termes de nation, il faut élaborer une théorie de la nation. A partir de la renaissance, l'existence humaine se dégage des dogmes médiévaux et scolastiques et n'a plus d'autre référent qu'elle-même. Dès lors, elle peut soit sombrer dans l'individualisme —chemin choisi et emprunté par le libéralisme— soit se mettre à construire en toute conscience de la socialité —chemin choisi par l'idéalisme allemand (Fichte, Hegel, Freyer)— afin de ne pas basculer définitivement dans la loi de la jungle. Le travail, éminemment politique, de construction de la socialité passe par ce qu'Arnold Gehlen appelait les «institutions» (droit, Etat, etc.). Celles-ci ont pour fonction, dans toute société cohérente et civilisée, de réguler le comportement des individus. Les institutions permettent aux individus de ne pas être désorientés dans l'infinité des possibilités d'action qu'offre le monde en perpétuelle effervescence. L'existence des institutions implique qu'il n'existe aucune morale universelle et naturelle: elles sont des fixations toujours temporaires, posées devant un horizon infini de possibilités en interaction constante. Le politique, dans une telle optique, c'est le travail constant de modification/adaptation des institutions, l'application modulée des principes sur lesquels elles reposent.
Comme les institutions varient selon les contextes, les nous collectifs, réceptacles des libertés individuelles, que sont les nations constituent des réalités incontournables. La liberté individuelle ne peut s'exprimer concrètement qu'au travers d'un filtre institutionnel national, sinon elle déchoit en pure négativité (la voie du libéralisme). Toute philosophie ancrée dans le réel est donc «nationale» sur le plan politique. La philosophie de la nation explore de ce fait le rapport qui existe entre le particulier (la liberté individuelle) et le général (les institutions qui filtrent les énergies émanant de ce particulier, dans un contexte donné, soit la nation). La philosophie politique n'acquiert concrétude que par la reconnaissance de ce rapport qui fonde le politique, comme l'avait déjà reconnu Aristote, dont l'anthropologie faisait de l'homme un être théorique et politique ancré dans une polis, espace concret. La polis actuelle est la nation. Par conséquent, l'impératif national est catégorique. La disparition ou l'effacement de la concrétude «nation» engendre l'irrationalité politique; ce n'est pas l'adhésion positive à cette concrétude qui est irrationnelle: Willms prend ici le contre-pied des postulats négateurs, hostiles à toute affirmation dans l'orbite du politique, de la philosophie critique que l'Ecole de Francfort —et à sa suite Habermas— avait voulu imposer au discours philosophique et politique allemand de notre après-guerre.
Le retour à la concrétude, la volonté de ré-ancrer la philosophie dans les contextes nationaux passe par une critique serrée des principes de l'Aufklärung et de ses avatars récents. Ceux-ci sont portés par un optimisme progressiste qui raisonne au départ de situations inexistantes: la société sans classe ou le village-monde des «mondialistes». Or, dans le concert international, depuis toujours, nous n'avons affaire ni à l'une ni à l'autre mais à un pluriversum de nations, aux institutions différenciées, répondant aux besoins, aux nécessités et aux aspirations d'hommes ancrés sur des sols particuliers qui leur imposent géologiquement un mode de vie précis, non interchangeable.
Cet ancrage dans la polis/nation n'est pas une disposition naturelle de l'homme, comme les sentiments qui le lient à son terroir, mais est le produit d'un travail de réflexion. Le politique, qui est travail, se sert d'un instrument, l'Etat, qui se comporte vis-à-vis de la concrétude nation, de la matière nation, comme l'ébauche de l'architecte vis-à-vis du bâtiment construit, comme la forme vis-à-vis de la matière travaillée. Ce qui implique qu'il n'a pas d'objet sans la concrétude et qu'exclure ou amoindrir conceptuellement la matière nation est une sottise théorique. Le rapport de la nation à l'Etat est donc un rapport d'auto-réalisation consciente. L'Etat, dans cette optique, n'est pas un concept abstrait mais un concept nécessaire, un concept qui exprime une nécessité vitale. Concept et Begriff signifient, étymologiquement, con-capere, be-greifen saisir et rassembler, fédérer: il implique donc la présence d'une concrétude à saisir, à travailler, à hisser à un niveau de conscience supérieur.
L'Etat est concept nécessaire donc réel et est soumis aux conditions mêmes du réel: exister dans le temps et dans l'espace. Dans une histoire et sur un territoire, aux frontières mouvantes sous les coups des aléas. L'idéologie de l'Aufklärung refuse les implications de la réalité histoire. C'est pourquoi elle bascule dans l'abstraction et l'utopie. L'histoire est soit acceptée dans sa totalité soit intégralement ignorée. Les individualités ou les peuples qui perdent le sens de leur histoire perdent également tout rapport fécond avec le réel dans le présent. Les partis politiques n'acceptent qu'une partie de l'histoire; ils entretiennent à son égard un rapport partisan/sélectif mutilant qui conduit au déclin par insuffisance théorique et négligence des pans de réel qui déplaisent.
L'idée «Nation», la perspective nationale-idéaliste, est née à l'aube du XIXième siècle, de la conjonction des théories émises précédemment par Rousseau, Herder, Schiller, Arndt, Görres, Fichte et Wilhelm von Humboldt. Willms entend réactualiser ce corpus doctrinal, battu en brèche par le libéralisme et les idéologies politiques de diverses obédiences, nées dans son sillage. L'idée nationale, dans ce sens, recèle une dimension subversive, dans le sens où elle est un projet idéel positif et affirmateur qui se mesure sans cesse à une réalité faite de compromis boîteux, régie par les «Princes» ou l'«établissement».
Cette dimension subversive de l'idée nationale ne puise pas dans le corpus de l'Aufklärung mais dans une tradition qui lui est opposée et qui a été théorisée de Herder à Arnold Gehlen. Cette tradition philosophique idéaliste s'insurge contre l'interprétation occidentale (française, anglaise et américaine) du rationalisme, qui, sur le plan politique, tombe rapidement dans un «contractualisme unidimensionnel» figé et refuse souvent de reconnaître les limites de temps et d'espace inhérentes à toute réalité. Kant, le théoricien le plus pointu de la tradition des Lumières, a pourtant perçu les limites de l'Aufklärung, nous explique Willms, en constatant que l'esprit peut théoriquement descendre partout mais que quand il descend, il descend toujours dans une concrétude pluri-déterminée par la langue, l'histoire, le peuple. La tradition opposée aux Lumières appliquées stricto sensu, sans référence explicite au temps et à l'espace, constitue donc une pensée plus riche et plus profonde, tenant compte de davantage de paramètres. La pluralité des paramètres oblige à plus de circonspection; tenir compte de cette pluralité, de la complexité et de l'imprévisibilité qu'elle postule, n'est pas de l'«irrationalisme» mais, au contraire, constitue une rationalité plus fine, qui n'exclut pas l'aléatoire.
Certes, l'idée nationale peut se radicaliser dangereusement et les sentiments nationaux, légitimes, peuvent subir des manipulations qui les discréditent ultérieurement. C'est un risque qu'il faut inclure dans tous les calculs politiques.
Pour Willms, il n'existe aucun concept politique qui soit hiérarchiquement supérieur, en théorie comme en pratique, à l'Etat national. L'idée d'humanité, d'Etat mondial, de société humaine globale sont toutes des constructions abstraites qui n'ont aucun répondant dans le monde réel. Celui-ci, parce qu'il est un pluriversum, ne connaît que des Etats nationaux. De plus, toute forme de coopération internationale ne peut fonctionner que par la reconnaissance et dans le respect des sujets politiques, donc des Etats nationaux. Le monde évoluera sans doute vers des confédérations sur de plus grands espaces: il n'empêche qu'elles se forgeront au départ d'adhésions volontaires d'Etats nationaux ou seront rassemblées par la coercition, l'hégémonisme ou l'impérialisme. Toutes les formes d'internationalisme iréniste sont vouées à l'échec. Il existe toutefois une forme d'internationalisme particulièrement pernicieuse: celle qui dérive de la dynamique d'un sentiment national, comme l'idée de «grande nation» de la France révolutionnaire. Cet internationalisme part d'une concrétude nationale tangible, la France, mais veut se débarrasser des limites incontournables, propres à toute concrétude nationale, pour se mondialiser. Ce processus pervers d'évacuation des limites s'accompagne généralement d'un engouement pour les idéologèmes de l'Aufklärung et d'une accentuation extrême du pathos nationaliste. En dépit de ce pathos qui peut surgir à tout moment, l'idée nationale postule, en ultime instance, une ascèse assez rigoureuse qui limite son action à un cadre précis sans vouloir le déborder. Le nationalisme français ne s'adresse plus à la seule nation française mais veut planétariser les idéaux des Lumières. Le national-socialisme allemand se mue en impérialisme qui veut asseoir dans le monde entier la domination de la race nordique, éparpillée sur plusieurs continents, donc sur une multitude de contextes différents, ce qui interdit de la penser comme une nation, donc comme limitée à un et un seul contexte précis. Avec Max Weber, Willms affirme que la Nation ne doit vouloir que sa propre continuité, ne doit affirmer qu'elle-même. L'idée de nation n'est donc pas une valeur, qui pourrait être contestée comme toutes les valeurs, mais un fait objectif que l'on ne contourne pas, un destin (Schicksal).
Donc la nation est un but en soi, elle n'est jamais un moyen pour arriver à d'autres fins, comme, dans le cas français, à faire triompher une idéologie, celle des Lumières, ou, dans le cas allemand/hitlérien, à promouvoir à l'échelle de la planète entière un fantasme racial, ou, dans le cas anglais, à généraliser une praxis économique qui ne connaît pas de limites, le libre-échange libéral.
Willms pense également la coexistence politique, car différences ne signifient pas nécessairement antagonismes. Pour Willms, la coexistence part 1) de la reconnaissance des réalités politiques que sont les nations; 2) d'une prise en compte des transformations dues aux faits de guerre et de paix; 3) d'une contestation de toutes les prétentions à vouloir représenter seul, devant l'histoire et le monde entier, la réalité humaine dans toute sa globalité; 4) d'une promptitude à amorcer toute espèce de coopération en politique extérieure qui aille dans le sens des intérêts de toutes les parties.
Après ce panorama théorique, Willms analyse la situation historique de l'Allemagne: d'où vient-elle, où est-elle? Le pays est divisé et un ensemble précis de forces cherche à perpétuer ad infinitum cette division. Dans le contexte du grand débat autour de la nation qui s'est déroulé en Allemagne dans la première moitié des années 80, Willms énonce des recettes pour reconstituer la nation allemande dans son intégralité. Cette nation reprendra ensuite sa place dans un contexte international.
Identité et résistance. Discours sur fond de misère allemande (Identität und Widerstand. Reden aus dem deutschen Elend), 1986
Le recul de la politologie nationale a créé un vide en Allemagne. Un vide théorique d'abord puisque les traditions politologiques dérivées de l'idéalisme allemand, de Fichte, Treitschke, etc. ont été abandonnées et n'ont plus été approfondies, confisquant du même coup au peuple allemand la possibilité d'élaborer un droit et une praxis politique concrète en accord avec ses spécificités identitaires. Un vide existentiel ensuite, puisque, sans pleine souveraineté, le peuple allemand ne jouit pas de droits pleinement garantis, car, en dernière instance, cette garantie se trouve entre les mains de puissances étrangères. Pour Willms, le peuple allemand, en perdant ses traditions intellectuelles, a perdu le pouvoir de cerner son identité (de prendre sereinement acte de «son» réel) et d'articuler une praxis politique en conformité avec cette identité. Conséquence: le déficit en matière d'identité postule un droit imprescriptible à la «résistance».
Willms se penche ensuite sur l'arrière-plan de cette misère allemande qui devrait déclencher cette résistance. Cette misère est à facettes multiples et d'une grande complexité. A l'échelle du globe, la misère allemande a pour toile de fond la fin de l'après-guerre, processus qui s'est déroulé en plusieurs étapes: décolonisation, guerre froide, course aux armements. La confrontation entre les deux superpuissances, les Etats-Unis et l'URSS, jette l'Europe et l'Allemagne dans une situation d'insécurité. Le centre du continent européen est devenu une zone d'affrontement potentiel. L'intérêt de tous les Européens est de sortir de ce contexte insécurisant qui leur confisque tout destin.
L'idée de nation, poursuit Willms, permet de sortir de cette impasse. Le monde est un pluriversum de nations, de sujets politiques et non un One World ou une société sans classe planétaire. Les hommes, animaux politiques selon la définition d'Aristote, n'existent concrètement que dans des communautés politiques déterminées, lesquelles sont plurielles et diverses. Cette diversité est postulée par la nécessité brute et vitale de faire face à des aléas naturels et historiques, chaque fois différents selon les circonstances, les lieux, les époques. Dire qu'il existe des idées supérieures à l'idée de nation, c'est utiliser une formule idéologique pour occulter une volonté délibérée de domination, d'impérialisme ou de colonialisme. Ainsi, le «socialisme universel» sert les desseins de l'impérialisme soviétique, tandis que l'idéal démocratique des droits de l'homme sert la machine politico-économique des Américains. Nous avons donc là deux idéologies supra-nationales qui égratignent les souverainetés concrètes des puissances plus petites, en injectant, de surcroît, dans leurs tissus sociaux, des ferments de décomposition par le biais de partis à leur dévotion qui servent d'officines de propagande aux idéaux abstraits instrumentalisés depuis Moscou ou Washington.
Willms démontre les effets pervers des idéologies mondialistes: elles arasent les droits concrets et diversifiés des peuples, les plongeant dans une bouillabaisse de droits mutilés, handicapés et stérilisés par les abstractions. Le concert des nations a des dimensions bellogènes —Willms ne le nie pas— mais le type de conflits qui en ressort, reste localisé et permet d'asseoir et d'affirmer des formes de droit particulières, bien adaptées à des contextes précis. Malgré ce risque de guerre localisée, les limites qu'implique l'idée de nation offrent aux citoyens un horizon saisissable, qui confère du sens. Les super-puissances, elles, sont des impasses de l'évolution historique, affirme Willms. Gigantesques comme des dinosaures, elles n'ont pas d'avenir sur le long terme car leurs jeunesses vivent en permanence un sentiment d'absurde, issu de ce discours tablant sur l'illimité, donc trop abstrait et insaissisable pour le citoyen moyen, confiné dans une spatio-temporalité précise, limitée et déterminée. Les universalismes engendrent un sentiment d'absurde par évacuation de la concrétude nation. Par suite, le retour de la concrétude nation restaure du sens dans l'histoire et dans le monde.
Instruments des grandes puissances dominatrices, les idéologies universalistes désignent des ennemis qui ne sont pas les ennemis immédiats et réels des peuples soumis à leur emprise. Le jeu normal du politique est dès lors vicié puisqu'une désignation concrète de l'ami et de l'ennemi s'avère impossible. La mobilisation des citoyens, dans un tel contexte aberrant, s'effectue au bénéfice de religions laïques, issues des spéculations philosophiques du XVIIIième siècle. Ces religions désignent des ennemis absolus, contrairement au politique qui ne connaît que des ennemis provisoires, qui peuvent devenir amis demain et alliés après-demain.
Prenant le cas de l'Allemagne, Willms constate qu'elle a très peu d'amis réels, qui souhaitent franchement sa réunification. Les hommes politiques allemands doivent dès lors œuvrer à soutenir les initiatives étrangères qui acceptent le principe de la réunification parce que celle-ci contribuerait à déconstruire les antagonismes qui s'accumulent en Europe centrale. Sont donc ennemis intérieurs de la nation allemande, tous ceux qui embrayent sur les discours universalistes, camouflages des impérialismes qui mettent l'Allemagne sous tutelle, tous ceux qui font passer d'autres intérêts que ceux qui concourent à accélérer la réunification. Willms énonce sept péchés capitaux contre l'identité allemande, dont l'auto-culpabilisation, la moralisation du politique (projet irréalisable car tout ne peut être moralisé d'emblée), le renoncement à forger une démocratie taillée sur mesure pour l'identité allemande, la servilité à l'égard des vainqueurs de 1945, la reconnaissance de facto de la division allemande, l'irénisme infécond, cultiver la peur de l'histoire (même si la peur est compréhensible dans la perspective d'un conflit nucléaire en Europe centrale).
Idéalisme et nation. A propos de la reconstruction de la conscience de soi politique chez les Allemands (Idealismus und Nation. Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewußtseins der Deutschen), 1986
Anthologie de textes classiques des grands auteurs de référence de Willms, tels Justus Möser, Herder, Ernst Moritz Arndt, Joseph Görres, Wilhelm von Humboldt et Fichte, ce livre est doublé d'une série de définitions et d'analyses philosophiques, ayant pour objets les contenus conceptuels de cette «conscience nationale allemande», exprimée par l'idéalisme et le romantisme. Willms cherche surtout à comparer et à opposer les Lumières (Aufklärung) et l'idéalisme. Dans cette opposition se reflète également le dualisme antagoniste franco-allemand. Les Lumières ont pris leur envol en France car, depuis Philippe le Bel et la corruption des Papes d'Avignon, les diversités composant la société française ont été progressivement mises au pas au profit de l'absolutisme royal. La Saint-Barthélémy de 1572 et la révocation de l'Edit de Nantes ont constitué deux mesures de restauration de l'absolutisme en déclin. L'idéologie des Lumières en France s'insurge contre cet absolutisme mais en reprend les structures mentales dans la mesure où elle perçoit le monde comme une diversité dépourvue de sens qu'il faut soumettre aux critères d'une raison omnilégiférante. Montesquieu a été une exception: il relativisait l'absolutisme en recourrant à l'histoire et au réel. Les Lumières, version révolutionnaire, n'ont pas retenu sa leçon. Leur démarche dualiste et moralisante restaurait une pensée para-religieuse, paradoxalement la même que celle qui régissait la religion et l'absolutisme qu'elles combattaient. Depuis Guillaume d'Ockham et la renaissance, les hommes avaient découvert le Règne de la Liberté, c'est-à-dire un règne du hasard, de l'aléatoire, du risque qui réclame l'action consciente, la création consciente et constante d'ordres politiques viables. Le Règne de la Liberté, rude et rigoureux, postule Travail et Devenir. Les Lumières, elles, chavirent dans le pastoralisme idyllique et immanent, mauvaise caricature de la théologie défunte. Avec Thomas Hobbes, l'auteur du Léviathan, Willms demande de prendre la Règne de la Liberté au sérieux. La liberté est un défi à cette existence humaine miséreuse, animale, brève (Hobbes, Léviathan, Ch. 13), à cette déréliction où l'homme peut être un dieu ou un loup pour l'homme. La liberté et la raison n'existent que dans un devenir fragile, si bien qu'elles doivent être inlassablement construites dans le Léviathan, seule réalisation active pensable de la liberté et de la raison.
L'idéologie des Lumières entend construire un stade final de l'histoire dans l'immanence, où le travail constant de réalisation/incarnation de la raison et de la liberté ne sera plus nécessaire. L'au-delà de la religion descend dans l'immanence, transformant l'idéologie des Lumières en nouvelle foi laïque organisée par une hiérocratie d'intellectuels qui n'hésite pas, le cas échéant, à déclencher la terreur. L'idéologie des Lumières est par conséquence une tentative d'échapper aux implications du Règne de la Liberté. Elle rompt les liens qui unissent les hommes au réel. Ce n'est donc pas parce que les intellectuels modernes occidentaux ont perdu Dieu que leur pensée s'est affranchie du réel mais parce qu'ils ont opéré cette immanentisation des structures mentales fixistes de la religion, fuyant de la sorte les impératifs du réel qui réclament l'action permanente. Cette rupture entre la pensée et le réel a conduit aux horreurs des révolutions française et russe et des guerres du XXième siècle. Si l'idée motivante d'une construction permanente du Léviathan n'avait pas cessé, à cause de l'idéologie des Lumières, de mobiliser les hommes dans la mesure et les limites spatio-temporelles inhérentes à tout fait de monde, ce cortège d'horreurs, déclenché parce qu'il y a volonté d'absolu dans l'immanence, n'aurait jamais eu lieu.
Les ordres concrets qui structurent les peuples sont perçus, par les tenants de l'idéologie des Lumières, comme des résidus irrationnels et pervers qu'il faut éliminer. En refusant de tenir compte de la tangibilité de ces ordres concrets, les protagonistes de l'idéologie des Lumières, prétendant introduire dans le discours politique une dimension «critique», s'abstraient des conditions concrètes de leur propre histoire. Erreur dans laquelle l'idéalisme allemand n'a pas basculé. Willms enjoint ses lecteurs à relire Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Goethe, Hölderlin et Schiller. Cet idéalisme s'enracine toujours dans une spécificité qui, en l'occurrence, est allemande. L'esprit allemand a toujours voulu saisir pleinement le réel. Ce qui le rend immanent parce que conscient. Cette conscience dans l'immanence conduit à concevoir tout réel comme réalisation (Verwirklichung). Tout réel est, par suite, devenir. L'idéalisme allemand restaure donc le lien qui unit la pensée européenne contemporaine à Héraclite. Mais l'Obscur d'Ephèse est observateur du devenir tandis que l'idéaliste conçoit la réalisation du réel par un sujet, c'est-à-dire par un homme conscient de sa liberté. Il y a donc dans l'idéalisme germanique un primat du pratique, de l'action. Son anthropologie repose sur une conception où l'homme ne doit compter que sur lui-même pour affronter le monde, que sur ses propres mains et son propre cerveau.
La liberté qui rend possible le travail de «réalisation du réel» n'est donc pas simplement définissable négativement; elle n'est pas simple «bris de chaînes»: elle exprime la structure réflexive de l'organisme humain; elle est la conditio humana par excellence.
Ouverture sur l'erreur comme sur la réussite, la liberté, sur le plan politique, doit travailler à créer des institutions, c'est-à-dire des cadres de vie communautaires/collectifs déterminés par un ensemble de circonstances précises. L'idéalisme complète de la sorte le nominalisme d'Ockham qui reconnaissait la rationalité du contingent, la réalité du particulier et les lois propres régissant l'individuel. Il n'y a, pour la tradition nominaliste née sous l'impulsion d'Ockham, que du particulier et de l'individuel. Ce qui ne signifie pas que le monde est un chaos atomisé. Il y a du général individué à organiser. Ce général individué se présente au sujet réalisateur tantôt avec précision tantôt avec imprécision. Le sujet le hisse au niveau de l'idée, ce qui le rend instrumentalisable et systématisable. L'idée n'est de ce fait pas une abstraction: elle émerge du réel auquel elle peut sans cesse être confrontée. L'idée est réalité hissée au niveau de la conscience. L'idéalisme est de ce fait une attitude mentale qui consiste à élever sa propre existence au niveau de l'idée, donc à tirer de soi le meilleur de soi-même. Pour parler le langage de l'entéléchie: à devenir ce que l'on est. Deux erreurs philosophiques règnent aujourd'hui: dire que le matérialisme est plus proche du réel que l'idéalisme. Ensuite, dire que l'idéalisme est un romantisme nébuleux, une illusion détachée du réel et lui opposer un «réalisme» qui n'est qu'utilitarisme particulier ou trivialité.
Mais l'idéalisme a basculé dans les abîmes du XXième siècle. Il s'agit, non pas de le reconstruire, mais d'en redégager la substance. A la suite de Walter Wimmel (Die Kultur holt uns ein. Die Bedeutung der Textualität für das geschichtliche Werden, Würzburg, 1981), Willms décrit l'idéalisme comme un «grand texte», fonctionnant comme un dépôt, un magasin, un champ ouvert, où les éléments sont entassés ou rangés en vue d'un usage futur. L'archétype qui structure le «grand texte» de l'idéalisme est celui de la liberté qui appelle les hommes au travail de construction du Léviathan, dieu périssable, tandis que l'archétype de l'idéologie des Lumières est la volonté de réaliser une fois pour toutes le paradis céleste sur la terre, état de chose voulu comme définitif.
Puisque la vie dans le Règne de la Liberté est travail et combat, le noyau de l'idéalisme, expression et reconnaissance philosophique de cet état de chose, c'est le politique, réalisation de l'éthique dans le temps et l'espace comme veut le démontrer le discours hégélien. Le cadre du politique est la nation, aux dimensions précises et limitées, instance qui ne saurait en aucun cas se soumettre aux critères d'une morale absolue, soustraite au temps et à l'espace. De même, il est impossible de hisser l'individu au-dessus du collectif nation, produit de l'histoire, sans sombrer dans la pure démagogie ou dans l'absurdité. L'homme, en effet, ne peut vivre qu'imbriqué dans un réseau de rapports politiques concrets, déterminé par un temps et un espace. En dehors de tels rapports, dont la concrétion est la polis d'Aristote ou ses avatars ultérieurs, dont la nation au sens allemand du terme, l'homme n'est pas homme: il n'est qu'animal ou dieu.
En définissant l'idéalisme selon la tradition allemande, Willms opte pour une «politique réaliste» contre une «politique idéologique». Avec la domination depuis près de deux cents ans qu'exercent les principes de l'Aufklärung d'origine française, notre civilisation a basculé dans le nihilisme. En bout de course, l'idéalisme lui-même s'est trop mâtiné d'illuminisme, si bien que le nationalisme allemand, qui, théoriquement, voulait agir dans le cadre concret d'une nation —l'allemande— prise dans sa globalité, a échoué parce qu'il s'est imposé sur la scène politique dès l'ère wilhelminienne comme un parti, donc comme une instance d'exclusions multiples qui refusait de prendre en compte bon nombre de pans du réel. Pour Willms, la «révolution conservatrice» est un idéalisme de l'ère nihiliste, qui a nié le parlement de Weimar, son système de partis et n'a vu dans le général de son époque qu'un vulgaire système de besoins et d'intérêts. Négation non suivie d'un investissement concret de ces instances pour les infléchir dans le sens de l'idée de nation. La «révolution conservatrice» n'a pas suivi les traces des deux grands continuateurs de l'idéalisme, Hans Freyer et Arnold Gehlen.
En conclusion de son anthologie et de son plaidoyer pour l'idéalisme contre les Lumières, Willms énonce les pistes que doit emprunter, à ses yeux, l'idéalisme à l'ère atomique: cet idéalisme doit refuser toutes les utopies de type religionnaire; il ne fonctionne pas à la haine ou à l'emphase mais a besoin de décision. Il ne reconnaît que des nécessités, au-delà du bien et du mal. Il désigne ses ennemis mais n'a aucun ennemi a priori, défini au nom de sentiments, d'une idéologie, d'une race. Il combat tous les ennemis de sa nation concrète et se montre solidaire à l'égard de toutes les autres nations libres.
L'idéaliste contemporain doit ensuite juger et agir au nom de la raison nationale-politique et non au nom d'une idéologie qui ne connaîtrait pas de cadre précis, limité dans le temps et dans l'espace.
La lutte pour la liberté est une lutte pour permettre à celle-ci de s'exercer de toutes les façons, de forger en tous lieux des institutions adaptées à chaque locus destinal, de manière à canaliser et renforcer des flux d'énergies particuliers, uniques, non interchangeables.
Renouveau au départ du centre. Prague. Vienne. Berlin. En-deçà de l'Est et de l'Ouest (Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Berlin. Diesseits von Ost und West), 1988
Ecrit en collaboration avec Paul Kleinewefers, ce livre répond à l'engouement pour la Mitteleuropa qui a agité le débat politique allemand au cours des années 1984-1989. L'objet premier de ce travail est de penser l'Europe centrale au-delà de la partition du continent, scellée dans l'immédiat après-guerre. L'objet second est de concevoir une unité allemande sans liens trop privilégiés avec l'Ouest. Une Westbindung trop prononcée serait une involution historique déracinante et renforcerait la division du continent. Le renouveau européen doit dès lors venir du centre de l'Europe. Sur le plan institutionnel, ce renouveau doit se baser sur un fédéralisme associatif regroupant Tchèques, Slovaques, Allemands (de l'Est et de l'Ouest) et Autrichiens dans une instance confédérale nouvelle, animée par des principes économiques de «troisième voie». Willms étudie les principes historiques du fédéralisme et les structures de la démocratie libérale en vigueur en RFA et en Autriche pour proposer une réforme constitutionnelle allant dans le sens d'une assemblée tricamérale (Parlement, Sénat, Chambre économique). Le Parlement se recruterait pour moitié parmi des candidats désignés par des partis et élus personnellement (pas de vote de liste); l'autre moitié étant constituée de représentants des conseils corporatifs et professionnels. Le Sénat est essentiellement un organe de représentation régional. La chambre économique, également organisée sur base des régions, représente les corps sociaux, parmi lesquels les syndicats.
En concevant ce plan pour une nouvelle Mitteleuropa, Willms ne renonce pas à sa théorie de la nation, cadre institutionnel indépassable. Tout comme l'idée d'Etat, quand elle est correctement comprise, ne détruit pas la liberté de l'individu, mais, au contraire, permet qu'elle se déploie, la libre coopération entre nations libres est un projet qui permet à ces nations de croître, de se rendre plus fortes par la coopération, à rebours de ce qui se passait dans l'ancien système fait de nations en conflit. La coopération entre grandes et petites nations au sein des confédérations de modèle nouveau doit être réglée juridiquement.
Willms a voulu dépasser le nationalisme étroit que certains polémistes et idéologues croyaient déceler dans son œuvre. La Mitteleuropa est un projet de civilisation dans lequel tous les peuples ont leur place et toute leur place. Ce projet n'est pas une utopie: il n'est pas quelque chose qui n'a pas de lieu. Au contraire, il gère, harmonise et organise des lieux. Il rappelle tout simplement sur la scène de l'histoire une réalité historique qui a été.
Thomas Hobbes. Le Règne du Léviathan (Thomas Hobbes. Das Reich des Leviathan), 1987
Couronnement des multiples études de Willms sur Hobbes, ce livre nous offre une biographie politique du philosophe anglais, une présentation fouillée de sa science et de son système, sa théorie de la guerre civile, sa théorie du Léviathan, son appréhension du facteur religion et ses positions relatives à la théologie. En fin d'ouvrage, Willms brosse un tableau de l'influence de l'œuvre de Hobbes aux XVIIième, XVIIIième et XIXième siècles et analyse les recherches sur Hobbes au XXième.
Willms rappelle les circonstances de la naissance de Hobbes en 1588. L'Angleterre était prise de panique à l'approche de la grande armada de Philippe II d'Espagne. Une fausse alerte, annonçant le débarquement des troupes espagnoles, provoqua l'accouchement prématuré du petit Thomas qui, plus tard, aimait à dire qu'il avait une sœur jumelle, la peur. Toutes les réflexions politiques ultérieures du philosophe seront axées sur l'omniprésence angoissante de la peur dans les sociétés.
Devenu à l'âge adulte précepteur des Barons Cavendish, Hobbes voyagera à travers toute l'Europe avec ses pupilles. Au cours de l'un de ces «grands tours», il découvre les Elementa d'Euclide, qui le fascinent par leur rationalité parfaite et leur mode d'argumentation sans faille. Cette lecture lui fournit l'armature de son système philosophique articulé en trois volets: la nature, l'homme et la politique (De corpore, de homine, de cive). La science, pour Hobbes, consiste à comprendre constructivement le réel parce que l'homme a toujours affaire à lui-même, soit à ses propres constructions. Celles-ci, faits de monde, doivent d'abord être conceptuellement démontées puis recomposées par un jeu d'analyse et de synthèse que Hobbes appelle la méthode «résolutive/compositive» (De Corpore, VI, 1). La generatio, dans l'orbite de cette méthode «résolutive/compositive», est donc la force intrinsèque de la raison productive et constructive. La dissociation des éléments conduit à leur connaissance et à leur conceptualisation. La vision du monde de Hobbes n'est donc pas purement mécaniciste ni physicaliste ni scientiste, explique Willms. Les méthodes mécanicistes sont précisément des méthodes d'action; elles ne visent pas à expliquer le monde. Contrairement aux tenants de l'idéologie des Lumières, Hobbes ne croit pas à la science ou à un progrès qui serait mis à l'enseigne du mécanicisme. L'axiomatique physicaliste de Hobbes ne se veut pas modèle du monde mais tremplin de départ pour le travail constructeur de la raison. Cette axiomatique ne veut pas réduire le monde à un éventail de formules mathématiques. Elle ne cherche qu'à évacuer les faux questionnements, les reliquats des philosophies abâtardies par les engouements stériles et les opinions génératrices de luttes intestines et de guerres civiles.
Cette méthode et cette axiomatique font de l'homme le point focal de la philosophie. C'est lui qui construit le savoir qui l'oriente dans le monde.
La phrase de Hobbes, homo homini lupus (l'homme est un loup pour l'homme) est connue mais souvent citée en dehors de son contexte où elle a été écrite à côté de homo homini deus (l'homme est un dieu pour l'homme). Hobbes, pour avoir dit que l'homme pouvait être un loup pour l'homme, a été considéré comme un philosophe pessimiste voire un misanthrope. Mais il n'a souligné que les deux possibles de l'homme tout en insistant sur la menace que fait peser sur la paix publique les tendances agressives tapies dans l'âme humaine. Menace dont il faut encore tenir compte dans tout calcul politique. L'homme, pour Hobbes, est essentiellement mu par la passio qui est tantôt «pulsion vers», tantôt «évitement de», qui est tantôt amour tantôt haine ou peur. Contrairement à ce qu'avaient affirmé la théologie et la métaphysique traditionnelles, les fondements de la morale ne sont donc plus extérieurs à l'homme; ils s'enracinent en lui, dans sa finitude qui est mélange d'instincts divers, tirant vers le sublime ou vers l'horreur, au gré du hasard. Cette finitude imparfaite fonde l'anthropologie des temps modernes et c'est au départ de cette imperfection, de cette corporéité humaine, que doit se construire le politique. L'homme ajoute aux choses de ce monde en mouvement des connotations moralisantes spécifiques, posant du même coup une classification opératoire distinguant les choses «bonnes pour moi» et «mauvaises pour moi». Plongé dans l'incertitude et la peur, l'homme désire un avenir stabilisé; comme le dit Hobbes, etiam fame futura famelicus (il a faim anticipativement en pensant à la famine de demain). Cette faculté d'anticiper fait que l'homme est le seul être mortel, fini, à avoir un avenir ouvert. Ouverture due à la peur qui corrobore sa liberté. La raison est donc intimement liée à la peur. Dans l'orbite du politique, cette raison dérivée de la peur appelle une question angoissante: comment peut-on affronter, en tant que philosophe, la catastrophe de la guerre civile? En dépassant l'état de nature, où l'homme est toujours un loup pour l'homme. Dans l'état de nature, qui réémerge dans la guerre civile, règnent la concurrence, la défiance, le désir d'acquérir gloire et honneurs. Dans une telle situation, écrit Hobbes, travail, assiduité, zèle constructif n'ont plus de place, ne peuvent plus se faire valoir. Tous réclament le droit à tout. Tout le monde affronte tout le monde. Chaos qui est le résultat de la nature humaine, privée à l'ère moderne de ses référants axiologiques traditionnels. La disparition de ces référants provoque le retour de l'état de nature et postule une stabilisation raisonnable. Comme la liberté, qui découle de la disparition du cadre axiologique traditionnel, ne peut nullement s'exercer dans le chaos de l'état de nature, il faut la limiter pour qu'elle puisse s'exercer quand même dans un cadre bien circonscrit. Cette limitation s'effectue grâce au contrat, lequel institue un Etat, une civitas, instances qui stabilisent provisoirement le déchaînement des passions de l'état de nature. Cet Etat est le Léviathan, dieu mortel qui nous procure une paix toujours provisoire et permet à nos énergies de donner le meilleur d'elles-mêmes. Le Léviathan lie et oblige les hommes tout en annullant l'état de nature qui empêche leur liberté d'être productrice. Willms perçoit dans l'anthropologie de Hobbes l'antidote par excellence qui nous vaccine contre toutes les séductions des utopies et de l'idéologie des Lumières. La méthode claire et euclidienne du philosophe anglais fait de son œuvre le «plus grand réservoir de sagesse politique».
Postmodernité et politique (Postmoderne und Politik), 1989
Prélude à un livre que Willms n'a jamais pu écrire, ce texte important, paru dans la revue Der Staat (Berlin), préfigurait les orientations nouvelles que notre philosophe cherchait à impulser dans le discours (méta)politique allemand. Pour Willms, la postmodernité, surtout celle théorisée par Jean-François Lyotard, permet un dépassement constructif de l'idéologie des Lumières, dominante depuis deux bons siècles. La démarche de Lyotard, pour Willms, correspond très précisément à celle de Hobbes, dans le sens où elle veut instituer des «enchaînements» pour contrer l'action déliquescente du chaos, postérieur à l'effondrement des grands récits modernes. En voulant instituer des «enchaînements», Lyotard, selon Willms, prend le relais de Hobbes et réclame le retour du décisionnisme politique. L'étude de Hobbes, des grands classiques de l'idéalisme allemand et de Carl Schmitt doit donc se compléter d'une exploration minutieuse du continent philosophique «post-moderne» et de l'œuvre de Lyotard.
(Robert Steuckers).
- Bibliographie: Die totale Freiheit. Fichtes politische Philosophie, 1967; Die Antwort des Leviathans. Thomas Hobbes' politische Philosophie, 1970; Revolution und Protest oder Glanz und Elend des bürgerlichen Subjekts, 1969; traduction japonaise; Planungsideologie und revolutionäre Utopie, 1969; Funktion. Rolle. Institution, 1971; Die politischen Ideen von Hobbes bis Ho Tschi Minh, 1971; 2ième éd., 1972; trad. finlandaise; Entwicklung und Revolution, 1972; Kritik und Politik. Jürgen Habermas oder das politische Defizit der Kritischen Theorie, 1973; Entspannung und friedliche Koexistenz, 1974; Selbstbehauptung und Anerkennung. Grundriß einer politischen Dialektik, 1977; Offensives Denken, 1978; Einführung in die Staatslehre, 1979; Der Weg des Leviathan, 1979; Die Hobbes-Forschung von 1968-1978, 1981; Die deutsche Nation. Theorie. Lage. Zukunft, 1982; Idealismus und Nation. Zur Rekonstruktion des politischen Selbstbewußtseins der Deutschen, 1986; Identität und Widerstand. Reden aus dem deutschen Elend, 1986; Deutsche Antwort. Zehn Kapitel zum Recht auf Nation, 1986; Thomas Hobbes. Das Reich des Leviathan, 1986; Erneuerung aus der Mitte. Prag. Wien. Berlin, 1988 (en collaboration avec Paul Kleinewefers).
- Contributions à des ouvrages collectifs (liste non exhaustive); «Zur Dialektik der Planung. Fichte als Theoretiker einer geplanten Gesellschaft», in Säkularisation und Utopie. Ernst Forsthoff zum 65. Geburtstag, Stuttgart, 1967; «Systemüberwindung und Bürgerkrieg. Zur politischen bedeutung von Hobbes' Behemoth, in H. Baier (Hrsg.), Freiheit und Sachzwang, Opladen, 1977; «Tendenzen der gegenwärtigen Hobbes-Forschung», in U. Bermbach et K.M. Kodalle (Hrsg.), Furcht und Freiheit. Leviathan-Diskussion 300 Jahre nach Thomas Hobbes, Opladen, 1982; «Tendencies of Recent Hobbes Research», in J. G. v.d. Bend, Thomas Hobbes. His View of Man, Amsterdam, 1982; «Antaios oder die Lage der Philosophie ist die Lage der Nation», in Norbert W. Bolz (Hrsg.), Wer hat Angst vor der Philosophie?, Paderborn, 1982; «Die sieben Todsünden gegen die deutsche Identität und die auf sie antwortenden sieben Imperative», in Peter Dehoust (Hrsg.), Die deutsche Frage in der Welt von morgen, Kassel, 1983; «Das deutsche Wesen in der Welt von morgen. Überlegungen zur Aufgabe der Nation, in Peter Dehoust (Hrsg.), op. cit., Kassel, 1983; «Die Erneuerung des Nationalbewußtseins aus dem Geist der Politik. Kampf um Selbstbehauptung», in Peter Dehoust (Hrsg.), Mut zur geistigen Wende, Kassel/Coburg, 1984; «Die politische Identität der Westdeutschen. Drei erbauliche Herausforderungen und eine politische Antwort», in H.J. Arndt, D. Blumenwitz, H. Diwald, G. Maschke, W. Seiffert, B. Willms, Inferiorität als Staatsräson. Sechs Aufsätze zur Legitimität der BRD, Krefeld, 1985; «Die Idee der Nation und das deutsche Elend», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band I, Geistiger Bestand und politische Lage, Tübingen, 1986; «Volk, Staat, Nation und Gesellschaft. Die methodische und politische Bedeutung des nationalen Standpunktes», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band II, Nationale Verantwortung und liberale Gesellschaft, Tübingen, 1987; «Über die Unfähigkeit zu erinnern. Geschichtsbewußtsein und Selbstbewußtsein in Westdeutschland», in Bernard Willms, Handbuch zur Deutschen Nation, Band 3, Moderne Wissenschaft und Zukunftsperspektive, Tübingen, 1988; «Carl Schmitt - jüngster Klassiker des politischen Denkens?», in Helmut Quaritsch (Hrsg.), Complexio Oppositorum. Über Carl Schmitt, Berlin, 1988.
- Articles importants (liste non exhaustive): «Einige Aspekte der neueren englischen Hobbes-Literatur», in Der Staat, 1, 1962, pp. 93-106; «Von der Vermessung des Leviathan. Aspekte neuerer Hobbes-Literatur», in Der Staat, 6, 1967, pp. 75-100; «Ist weltpolitische Sicherheit institutionalisierbar? Zum Problem des neuen Leviathan», in Der Staat, 15, 1974, pp. 305-334; «Staatsräson und das Problem der politischen Definition. Bemerkungen zum Nominalismus in Hobbes' Behemoth», in Staatsräson, 1975, pp. 275-300; «Tendenzen der gegenwärtigen Hobbes-Forschung», in Zeitschrift für philosophische Forschung, 34, 1980, pp. 442-453; «Politische Identität der Deutschen. Zur Rehabilitation des nationalen Arguments», in Der Staat, 21, 1982, pp. 69-96; «Weltbürgerkrieg und Nationalstaat. Thomas Hobbes, Friedrich Meinecke und die Möglichkeit der Geschichtsphilosophie im 20. Jahrhundert», in Der Staat, 22, 1983, pp. 499-519; «Fängt der mündige Bürger heute erst beim Parteifunktionär an?», in Die Welt, 9 avril 1983; «Autorenporträt: Thomas Hobbes (1588-1679)», in Criticón, 92, 1985, pp. 241-247, article suivi d'une bilbiographie précise sur Hobbes; «Deutsches Nationalbewußtsein und Mitteleuropa. Die europäische Alternative», Criticón, 102, 1987, pp. 163-165; «Widergänger oder Widerlager? Zum aktuellen Umgang mit Hegels Rechtsphilosophie», in Der Staat, 27, 3, pp. 421-436; «Der Leviathan und die delischen Taucher. Zur Entwicklung der Hobbes-Forschung seit 1979», in Der Staat, 27, 3, pp.569-588; «Gespräch mit Prof. Dr. Bernard Willms», Na klar!, 43, 1988 (trad. franç., cf. infra); «Il Leviatano, le superpotenze e la postmodernità» (texte d'une leçon publique incluse dans un cycle de séminaires sur Thomas Hobbes, tenue pendant l'année académique 1988-89 à Teramo à la Faculté de Jurisprudence et de sciences politiques de l'Université Gabriele d'Annunzio), in Behemoth, 6, 1989); «Postmoderne und Politik», in Der Staat, 3, 1989 (trad. it.: «Postmoderno e politica», in Behemoth, 8, 1990).
- En français: Martin Werner Kamp, «Le concept de nation selon Bernard Willms», in Vouloir, n°19/20, 1985; Luc Nannens, «Identité allemande et idée nationale. Le combat du Professeur Willms», in Vouloir, n°40/41/42, 1987; «Entretien avec le Professeur Bernard Willms. Vous avez dit "Mitteleuropa"?», in Vouloir, n°59/60, 1989; Thor von Waldstein, «Hommage au Professeur Bernard Willms. Entre Hobbes et Hegel», in Vouloir, n°73/74, 1991.
THEMES CONNEXES: idéalisme, nation, institution, nature du politique, liberté, cité, idéologie des Lumières, concrétude, idée, identité, destin, coexistence, droit de résistance, souveraineté, irénisme, devenir, nominalisme, révolution conservatrice.
PHILOSOPHES: Helmut Schelsky, Fichte, Ernst Forsthoff, Hegel, Hobbes, Carl Schmitt, Arnold Gehlen, Hans Freyer, Michel Foucault, Jacques Derrida, Jean-François Lyotard, Jean Baudrillard, Jean-Jacques Rousseau, Herder, Schiller, Ernst Moritz Arndt, Görres, Wilhelm von Humboldt, Max Weber, Justus Möser, Guillaume d'Ockham.
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vendredi, 26 décembre 2008
A l'Est, du nouveau...
Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES - LE COURRIER DES PAYS-BAS FRANçAIS (Lille) - VOULOIR (Bruxelles) - DÉCEMBRE 1989
Ce texte issu de nos archives montre, une fois de plus, quels espoirs fous soulevaient nos coeurs au moment de la disparition du Mur de Berlin ! Nos espoirs, faut-il le dire, n'ont pas été exaucés. La responsabilité de cette trahison vient de l'impéritie et de la veulerie du personnel politique européen, que nous n'avons pas eu le courage de jeter aux poubelles de l'histoire, comme les Est-Européens avaient jeté leurs apparatchiks communistes en descendant en masse dans la rue. Et aujourd'hui, y a-t-il eu foule en Belgique pour qu'on demande l'emprisonnement et la condamnation des immondes banksters? Et des flics ripoux qui pillent les librairies? Honte sur nous !
A l'Est, du nouveau
par Fabrice GOETHALS
L'ère de Yalta s'achève. Le rideau de fer, sinistre ba-lafre portée au cœur du continent européen, a craqué le 11 septembre dernier, lorsque la Hon-grie a ouvert ses frontières à l'Ouest. Deux mois plus tard, le Mur de Berlin était démantelé sous les acclamations du peuple allemand vivant des deux côtés de la frontière, tandis que le monde entier n'en croyait pas ses yeux. Ne nous payons pas de mots. Si, depuis 1945, il y a eu en Europe des événements proprement historiques, ce sont bien ceux auxquels nous venons d'assister au cours de ces dernières semaines. Evénements symbo-liques, mais aussi annonciateurs d'une époque qui ne pourra jamais plus avoir le même visage.
La première leçon que l'on peut tirer du spectacle qui se déroule à l'Est aujourd'hui, c'est qu'il constitue un démenti flagrant à bien des théories énoncées avec aplomb par les politolo-gues occidentaux. On nous dé-crivait l'Union Soviétique comme un mal absolu, quasi onto-logique et, comme tel, incapable de se ré-former lui-même. Mikha'il Gorbatchev (dont nul n'avait non plus prévu l'arrivée au pouvoir) a répondu à sa façon à cette représentation aussi specta-culaire que fantasmatique. Le fait que la peres-troïka soit une ré-volution accomplie par le haut dément, à elle seule, les analyses classiques des soviétologues libéraux. En réalité, comme l'a noté Paul Thibaud, "le totalitarisme absolu, sans faille, n'a jamais existé. S'il existait, il serait littéralement increvable" (Le Nouvel Observa-teur, 2-11-1989). S'écroulent du même coup l'image d'une bureaucratie "indéracinable", pri-son-nière d'un lobby militaro-industriel tout puissant, et d'un pouvoir installé dans l'irréversible, qui ne pourrait s'achever que dans la guerre et le sang.
Identité allemande et "Mitteleuropa"
Mais la fin du Mur de Berlin démontre encore autre chose. Elle démontre quels sont les enjeux historiques et les forces politiques les plus es-sentiels. Elle dé-montre que, sur la longue durée, ce sont les exigences des peuples, la reven-dication identitaire des commu-nautés nationales et les lois de la géopolitique qui fi-nissent tou-jours par l'emporter. Pendant des décen-nies, les hommes politiques occidentaux —allemands y compris— ont feint de croire que la vieille "question allemande" pouvait être mise per-pétuellement sous le boisseau. Comme l'a dé-claré ingénument l'ancien Premier ministre bri-tannique Edward Heath: "Bien sûr, nous disions que nous croyions à la réunification, mais c'est parce que nous savions que cela n'arriverait pas!". Il faut aujourd'hui se rendre à l'évidence: le re-foulé revient toujours au galop. L'évolution de l'opinion en RFA depuis quelques années, le regain d'intérêt pour la "Mitteleuropa" étaient des signes avant-coureurs qui ne trompaient pas. Tout récemment encore, l'exode massif des Allemands de l'Est vers la RFA, via la Hongrie et la Tchécoslovaquie, a brutale-ment rappelé aux observateurs que pour les Alle-mands, la "question nationale" n'est toujours pas ré-glée, et que les jeunes Allemands sont aujourd'hui les seuls à ne pas avoir d'identité propre en Europe.
Certes, la réunification allemande n'est pas encore faite. Elle se heurtera à bien des résis-tances! Gorbatchev, d'ailleurs, souligne lui-mê-me avec force que l'existence de deux Etats allemands fait aujourd'hui partie des "réalités existantes" en Europe. Mais qu'en sera-t-il demain?
Bien que l'attitude soviétique reste éminemment pro-blématique, compte tenu de la multitude des para-mètres à prendre en compte, il est clair, con-cernant l'Allemagne, que l'intérêt des Russes est de conserver pour l'avenir quelque chose de négociable. En clair, de "vendre" la réunification le plus cher possible. Dans l'immédiat, on aurait tort de sous-estimer la dyna-mique mise en œuvre par les derniers événements.
En RDA, la libéralisation politique a en effet nécessai-rement une résonnance différente de celle qu'elle peut avoir dans les autres pays de l'Est, dont l'existence nationale n'est pas en question. La division de l'Allemagne est directe-ment liée à l'existence d'un ré-gime communiste. Que ce régime s'affaiblisse, et la frontière née de cette division apparaîtra comme plus artificielle encore.
L'histoire revient au grand galop
Rapprocher la structure politico-institutionnelle des as-pirations populaires revient alors imman-quablement à rapprocher le temps de la réunifi-cation. Rétablir la libre circulation entre les deux parties d'une ville —et qui plus est, d'une ancienne capitale— traversée par la frontière Est-Ouest, c'est faire en sorte que cette fron-tière perde toute signification. Après cela, toute une sé-rie de cliquets vont jouer.
Une chose est sûre, et c'est elle qui donne aux événe-ments leur véritable dimension: l'Alle-magne, du fait de sa situation géopolitique, reste au cœur de l'Europe et de ses contradictions. L'unité de l'Europe passe par la réunification allemande et, inversement, toute évolu-tion du statut de l'Allemagne ne peut à terme qu'affecter le statut de l'Europe toute entière. Pour l'heure, la grande interrogation des Occidentaux est de savoir si la réunification est "compatible avec l'Europe". En un sens, ils n'ont pas tort: dans les an-nées qui viennent, c'est la nature de la coo-pération al-lemande avec l'Est qui va déter-miner la future structure de la Communauté européenne.
Mais en même temps, leur raisonnement est fautif, précisément parce qu'en parlant d'Europe, ils n'ont en tête que la "petite" CEE. Or, l'Eu-rope ne se ramène pas à son promontoire occi-dental. Elle est un conti-nent, dont les peuples aspirent à retrouver les voies de l'autonomie, de la puissance et de l'identité, perspec-tive qui implique l'abandon de la seule logique économique et marchande et l'émergence d'une "troi-sième Europe", sortie de l'affrontement stérile des blocs.
Alors qu'aux Etat-Unis, la mode est aujourd'hui de spéculer sur la "fin de l'histoire", tout se passe au contraire comme si, brusquement, l'histoire faisait re-tour. Et de fait, c'est toute une dynamique proprement historicisante qui s'en-clen-che actuellement, prenant de court les futurologues et la classe politique, toutes nuances con-fondues. Certes, il reste bien des incerti-tudes, et nous restons mal informés sur l'exacte signification des réformes entreprises en Union Soviétique, comme sur l'avenir de la perestroïka. On peut envisa-ger des phases de recul. Mais déjà, l'essentiel est fait. Si toute l'Europe de l'Est s'ébranle, les Russes, de-main, ne pourront pas envoyer les chars partout. L'histoire redevient ou-verte, et l'on peut déjà parier que, parmi ceux qui applaudissent aujourd'hui à la destruction du Mur, il s'en trouvera beaucoup demain pour regretter à mi-vois la "stabilité" de l'époque de la guerre froide. Donner l'initiative aux peuples, sortir de la logique des blocs, c'est en effet entrer dans la zone de l'imprévisible. Mais l'histoire est faite de cette im-prévisibilité-là. Et c'est pour cela que l'homme lui-même est toujours "ouvert": il se construit historiquement.
Fabrice GOETHALS.
Texte paru dans Le Courrier des Pays-Bas Français (n°62, nov. 89), lettre mensuelle éditée par la SEDPBF. Tout courrier à SEDPBF, 46 rue Saint-Luc, 59.800 Lille. Abonnement annuel (10 numéros): 100 FF ou 650 FB.
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mardi, 23 décembre 2008
L. F. Clauss: "L'âme des races"
L'âme des races - L.F. Clauss
Né le 8 février 1892 à Offenburg dans la région du Taunus, l'anthropologue Ludwig Ferdinand Clauss est rapidement devenu l'un des raciologues et islamologues les plus réputés de l'entre-deux-guerre, cumulant dans son oeuvre une approche spirituelle et caractérielle des diverses composantes raciales de la population européenne, d'une part, et une étude approfondie de la psyché bédouine, après de longs séjours au sein des tribus de la Transjordanie. L'originalité de sa méthode d'investigation raciologique a été de renoncer à tous les zoologismes des théories raciales conventionnelles, nés dans la foulée du darwinisme. Clauss renonce aux comparaisons trop faciles entre l'homme et l'animal et focalise ses recherches sur les expressions du visage et du corps qui sont spécifiquement humaines ainsi que sur l'âme et le caractère.
Sous le IIIème Reich, Clauss a tenté de faire passer sa méthodologie et sa théorie des carcatères dans les instances officielles. En vain. Les autorités israéliennes ont fait planter un arbre en son honneur à Yad Vashem en 1979. Car sa fidélité qui le liait à son pays et son travail au Département VI C 13 du RSHA (Reichssicherheitshauptamt), en tant que spécialiste du Moyen-Orient n'a toutefois pas empêché l'amitié qui liait Clauss à sa secrétaire Margarete Landé (d'origine juive) qu'il sauva des camps de concentration.
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INTRODUCTION DE L'AUTEUR : LE PROBLÈME DES VALEURS
Chaque fois qu’une nouveauté surgit dans l'histoire, les clameurs ne se font pas attendre. Ce que la recherche allemande en racio-psychologie a dû affronter, un certain temps en Allemagne même, fut en réalité le lot de toute la raciologie allemande de la part du reste du monde. Les reproches les plus inouïs lui furent adressés. La plupart étaient d'ailleurs si niais que le temps en fit rapidement litière. Peu à peu cependant, les armes dirigées contre nous s'affinèrent. Mais, toujours, la question des valeurs fut au centre de l'argumentaire qui devait nous abattre. On nous accusa de tenir la race nordique pour la seule valable, toutes les autres étant supposées l'être moins... Là où cet « argument » fut cru, il nous fit d'autant plus de mal que l'épithète « nordique », à l'origine de tant de méprises chez le profane, se prête à toutes sortes de manipulations gratuites, allant de la malhonnêteté à la bêtise.
Le Vatican, hélas, joignit sa voix aux vociférations contre les acquis de la raciologie. Il nous attaqua en particulier, avec les arguments habituels, dans un article de l'Osservatore Romano du 30 avril 1938. Comme mes livres furent également la cible de ces attaques, il est de mon devoir, me semble-t-il, de mettre ici les choses au point en quelques lignes, tout au moins en ce qui me concerne. Même si ces propos anticipent sur le contenu de l'ouvrage qu'ils sont censés préfacer.
Il y a trois erreurs par lesquelles ces attaques essaient de nous brouiller avec nos voisins. La première consiste à donner l'impression que la raciologie allemande attribuerait à chaque race, comme le maître à ses élèves, un rang déterminé. Selon cette erreur, elle assignerait ainsi une place à chaque race, la première revenant à la race nordique. Ce qui impliquerait que la race méditerranéenne, par exemple, dût se contenter de la seconde, ou d'une place inférieure encore.
Rien n'est plus faux. Certes, des livres et des brochures, parus en Allemagne et à l'étranger, ont affirmé cela. Mais la racio-psychologie, dont la seule mission, en fin de compte, est de déterminer les valeurs liées à l'âme de telle ou telle race, nous enseigne d'emblée, très explicitement, que chaque race représente en elle-même et pour elle-même la valeur suprême. Chaque race porte son ordre et ses critères de valeurs. Elle ne peut être appréciée au moyen des critères d'une autre race. Il est donc absurde et de surcroît anti-scientifique de voir, par exemple, la race méditerranéenne avec les yeux de la race nordique et de porter sur elle un jugement de valeur selon des critères nordiques - et l'inverse est tout aussi vrai. Bien sûr, de telles bévues se produisent sans cesse dans la vie quotidienne, et c'est inévitable. Mais pour la science, c'est là un manquement à la logique la plus élémentaire.
Pour juger « objectivement » de la valeur d'une race humaine, il faudrait être au-dessus de toutes les races ! Chose impossible car être homme, c'est être déterminé par des caractères raciaux.
Dieu, peut-être, a-t-il son échelle de valeurs. Pas nous.
La science a donc pour mission de trouver la loi qui gouverne la constitution physique et mentale de chaque race. Cette loi particulière renferme également le système de valeurs spécifique, inhérent à cette race. On peut comparer ces systèmes de valeurs : l'échelle de valeurs spécifique à la race nordique, par exemple, peut être comparée à celle de la race méditerranéenne.
Ces comparaisons sont même instructives car toute chose, dans le monde où nous vivons, ne dévoile sa nature que si elle se distingue d'une autre, différente. Mais ces ordres de valeurs ne peuvent être jugés « en soi », à partir d'une axiologie « surplombante » puisqu'une telle axiologie, à notre connaissance, n'existe pas.
Que le Nordique soit nordique et le Méditerranéen méditerranéen ! Car ce n'est que si l'un et l'autre reste lui-même qu'il sera « bon », chacun à sa façon ! C'est la conviction de la racio-psychologie allemande que j'ai l'honneur de représenter, et cette conviction, la politique raciale allemande l'a reprise à son compte : le Bureau de la politique raciale du NSDAP a ainsi fait imprimer et distribuer dans les écoles des planches illustrées où l'on peut lire en gros caractères :
« TOUTES LES RACES SONT UNE VALEUR SUPRÊME »
La deuxième illusion que l'Osservatore Romano voudrait propager est la suivante : pour la science allemande, une race se distinguerait d'une autre par la possession de telles qualités, telle autre race ayant telles autres qualités. La race nordique, par exemple, se signalerait par son discernement, son dynamisme, son sens des responsabilités, son caractère consciencieux, son héroïsme - les autres races étant dépourvues de toutes ces qualités. Il n'est pas niable que de nombreux traités d'anthropologie anciens, dont certains furent rédigés par des Allemands, contiennent ce genre d'affirmations bien peu psychologiques.
Cela dit, ne vaut-il pas mieux consulter un cordonnier pour ses chaussures, un marin sur la navigation et un psychologue plutôt qu'un anatomiste sur les lois de la psychologie ?
Depuis 1921, la racio-psychologie allemande nous enseigne clairement ceci : l'âme d'une race ne réside pas dans telle ou telle « qualité ». Les qualités sont affaire individuelle : untel aura telles qualités, untel telles autres. La qualité « héroïsme » se rencontre sans aucun doute chez de nombreux Nordiques, mais également chez d'autres races. Il en est de même du dynamisme, du discernement, etc... L'âme d'une race ne consiste pas à posséder telle ou telle « qualité », elle réside dans le mouvement à travers lequel cette qualité se manifeste quand elle est présente chez un individu. L'héroïsme d'un Nordique et d'un Méditerranéen peut être « égal », il n'en reste pas moins que ces deux héroïsmes ne se présentent pas de la même façon : ils opèrent de manière différente, par des mouvements différents.
Le procédé parfaitement puéril consistant à rassembler une somme de qualités relevées chez quelques représentants individuels d'une race donnée, disons de la race nordique, et à (faire) croire que c'est dans la possession de ces qualités que réside le fait racial, est à peu près aussi intelligent que de vouloir décrire l'aspect physique de la race nordique, par exemple, en disant : elle a un nez, une bouche, des bras, des mains. Sans nul doute, cette race possède tout cela, et bien d'autres choses encore. Mais toutes les races possèdent un nez, une bouche, des bras et des mains. Ce n'est donc pas là, dans la possession de telle ou telle partie du corps, qu'il faut chercher le fait racial. Ce qui, en revanche, est déterminé racialement, c'est la forme du nez, de la bouche, et la manière dont on s'en sert. Même chose pour la forme des bras, des mains, et la façon dont ils se meuvent. Que l'homme de race méditerranéenne évolue dans l'espace différemment du Nordique, qu'il marche et danse différemment, qu'il accompagne son discours de gestes différents, cela est indéniable, il suffit d'ouvrir les yeux. Quant à savoir quels mouvements du corps, quelle gestuelle, ont le plus de « valeur », ceux du Méditerranéen ou ceux du Nordique, c'est là une question vide de sens. La réponse est : tous les deux, chacun à sa manière, chacun selon son style propre.
Les mouvements du corps sont l'expression des mouvements de l'âme, comme en témoignent le jeu des muscles de la face et les gestes des bras et des mains qui ponctuent l'élocution. Pourquoi le locuteur agite-t-il ses mains de telle façon et non pas autrement ? Parce que le rythme auquel vit son âme lui dicte cette façon-là de remuer les mains. Le style des mouvements de l'âme détermine le style des mouvements du corps, car tous deux ne font qu'un.
Un exemple simple, tiré de l'observation quotidienne, illustrera ce propos : lequel, du Nordique ou du Méditerranéen, est le plus « doué » pour conduire une automobile ? Question, ici encore, vide de sens : ce n'est pas "le" Nordique, ni "le" Méditerranéen, qui a le don de ceci ou de cela, de nombreux êtres humains, appartenant à ces deux races, sont capables de conduire une automobile. Mais les Nordiques le seront d'une certaine manière, et c'est cette manière qui les fera apparaître comme tels. De même, les Méditerranéens le seront à la manière méditerranéenne, et c'est à cela qu'on les reconnaît comme méditerranéens. Voici la différence entre ces deux styles de conduite : le conducteur méditerranéen est maître de l'instant : où qu'il se trouve, il y est dans la perfection achevée du moment présent. D'un mouvement brusque du volant, il abordera un virage à toute vitesse, évitera un obstacle et freinera avec effet immédiat. Plus l'action est folle, dangereuse, plus le jeu sera magnifique. L'automobiliste nordique ne le suit pas sur ce terrain-là : non parce qu'il est piètre conducteur, mais parce que la loi qui préside aux mouvements de son âme et de son corps lui dicte un style de conduite différent. Le Nordique ne vit pas dans ce qui est, il vit toujours dans ce qui viendra : il n'est pas le maître de l'instant, il est le maître du lointain. Il n'abordera pas un virage de façon brusquée, il décrira au contraire un vaste arc de cercle : pour lui, le virage est « beau » s'il l'a prévu et s'il l'accentue le moins possible. Le Méditerranéen affectionne la surprise, l'imprévu : par là, il s'affirme comme le maître de l'instant présent. Le Nordique, lui, essaie toujours de pressentir, de prévoir ce qui va venir, même si cela n'est pas certain. C'est pourquoi il se crée un code de la route pensé jusque dans ses ultimes éventualités - ce qui exaspère le Méditerranéen. Car pour ce dernier, supprimer l'excitation de la surprise, ce n'est pas lui simplifier la tâche !
La troisième erreur que commet l'Osservatore Romano consiste à affirmer ceci : le peuple allemand se confond avec la race nordique, le peuple italien avec la race méditerranéenne. Si ce n'est pas dit explicitement, c'est admis implicitement. Or, le peuple allemand est composé de plusieurs races, parmi lesquelles la nordique prédomine bien sûr, mais elle n'est pas exclusive : il y a du sang méditerranéen dans le peuple allemand.
D'ailleurs, le peuple italien lui-même est constitué de plusieurs races, parmi lesquelles la race méditerranéenne domine certes (du moins dans la moitié Sud de la péninsule) ; mais il y a d'autres apports dans le peuple italien, par exemple beaucoup de sang nordique. Il n'existe pas de frontière raciale rigide entre les deux peuples, ils ont au contraire de nombreux traits communs, y compris au niveau du sang. Cette parenté biologique remonte très loin dans la Rome primitive et a, depuis, été renouvelée par plusieurs apports. Au sein des deux cultures, la germanique et la latine, les lois de la nordicité coexistent avec celles de la latinité mais le résultat en est différent d'une culture à l'autre : ces deux civilisations se sont formées ensemble, au contact l'une de l'autre. La latine est plus ancienne, la germanique plus récente. Laquelle a le plus de valeur, la plus ancienne ou la plus jeune ? Là encore, le problème nous paraît mal posé.
Le piège qui consiste à faire porter le soupçon sur la politique raciale allemande pour semer la méfiance entre peuples amis ne peut aujourd'hui leurrer que les naïfs. Tous les actes de la politique internationale, ou coloniale, viennent corroborer les acquis de la racio-psychologie et confirment son utilité pratique dans les relations avec des peuples différents. Son but n'est pas de séparer les peuples, mais de les rapprocher en fondant entre les divers types humains une compréhension mutuelle éclairée par la science.
Ludwig Ferdinand Clauss, « L’âme des races ».
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Paul von Krannhals (1883-1934)
Paul von KRANNHALS (1883-1934)
Né le 14 novembre 1883 à Riga, Paul von Krannhals, chimiste de formation, participe à la première guerre mondiale et reste longtemps prisonnier en Russie. Après son retour au pays, il enseigne à titre privé. Son œuvre est un essai de transposition de l'organicisme implicite des sciences chimiques et biologiques dans les sphères historique, politique et religieuse. Son ouvrage majeur, Das organische Weltbild, récapitule toutes les étapes de la pensée et les théories à connotations organicistes afin d'en faire une synthèse instrumentalisable en politique. Il meurt le 18 août 1934 à Dresde.
La vue du monde organique (Das organische Weltbild), 1928
Gros ouvrage en deux volumes, Das organische Weltbild constitue une protestation contre la mécanicisation du monde et l'emprise des idéologèmes mécanicistes dans les sciences humaines. Krannhals réclame, dans tous les domaines, un «respect pour la vie». En science politique et en économie, l'individualisme a engendré l'absurdité de la lutte de tous contre tous, camouflée derrière l'idéologie du contrat qui transforme l'Etat en Zweckverband, en association d'intérêt. Tout ordre juridique basé sur le contractualisme est au service du seul bien-être matériel d'une certaine catégorie de la population. L'Etat organisé selon les principes du contractualisme ne génère pas d'éthique propre, ne suscite chez ses citoyens aucun sens du devoir, vertus qui ne sont possibles que si l'on accepte l'existence d'une totalité (Ganzheit) supérieure aux individus. L'absence d'éthique conduit à une existence privée de sens et de valeur. Le rationalisme mécaniciste fractionne et mutile l'unité de la vie. Mécanicisation est synonyme de pétrification. Se référant à l'œuvre de Ferdinand Tönnies, qui avait posé la distinction entre Kürwille (volonté arbitraire) et Wesenswille (volonté essentielle), Krannhals constate que la conjonction de l'individualisme et de l'idéologie du contrat a détruit les communautés (Gemeinschaft) pour faire place à la société (Gesellschaft). Dans ce processus, c'est un principe masculin guerrier et destructeur qui fait œuvre de dissolution et sépare les éléments constitutifs des communautés, en s'opposant à un principe féminin créateur et constructif. Les personnalités politiques, elles, sont le produit d'une fusion harmonieuse entre ces deux principes. Reprenant les dichotomies propres à la pensée vitaliste/organiciste, propre à une certaine idéologie conservatrice, Krannhals oppose, d'une part, la culture, la communauté, le sentiment, l'intuitive Wesenschau (la vision intuitive de l'essence ou des essences) et la conscience raciale (Artbewußtsein) à la civilisation mécaniciste/techniciste, à la société et aux modes éphémères successives qu'elles produisent, où la forme s'impose provisoirement comme règle obligatoire de comportement sans qu'elle n'ait contenu éthique qualitatif et durable. Krannhals définit l'essence de la conception politique organiciste, pour laquelle l'Etat organique est le contraire radical de l'Etat rébarbatif et fonctionnaire, pure construction formelle et fruit d'une logique sans âme. L'Etat organique s'oppose également à l'Etat absolutiste qui confond volontairement la direction de l'Etat (en l'occurrence le souverain) et l'Etat (Louis XIV: l'Etat, c'est moi!). Krannhals, en posant cette déclaration de principe, renoue avec Kant, dont l'œuvre tardive signale une volonté très nette de dépasser la conception de l'Etat qui repose sur le seul individu et ne vise que son «petit bonheur». Kant, affirme Krannhals, a voulu ancrer l'Etat de droit dans l'idée de la liberté éthique, justice et éthique étant ici inséparables. L'idée d'un Etat organique est précisément ce que postule la conscience éthique. Celle-ci demande au peuple, âme de l'Etat, de suivre librement, sans contraintes et en éliminant les contraintes artificielles auxquelles il pourrait avoir à faire face, les lois de la vie, qui s'incarnent dans les formes vitales naturelles. La piste organiciste inaugurée par Kant se poursuit chez Fichte et Hegel, prétend Krannhals, en dépit de la méthode dialectique. Elle se poursuit dans les travaux de l'école du droit historique (Savigny, von Eichhorn) et chez les théoriciens qui entendent «biologiser» les théories politiques, comme le géopoliticien et politologue suédois Rudolf Kjellén ou le philosophe français Gustave Le Bon. Krannhals se réfère plus explicitement à H.G. Holle pour qui le Volk est primordial et l'Etat, secondaire, simple forme organisée et organisatrice du peuple. Portée par une démarche racisante, la définition que donnent Krannhals et Holle du Volk n'exclut par pour autant les peuples mixés. Là où il y a mélange racial, il peut subsister un peuple tant que le noyau originel homogène —le völkischer Grundstock— continue à déterminer la culture. La conscience éthique d'un peuple n'est rien d'autre que la pleine acceptation et l'épanouissement de la conscience intime propre qu'il a de lui-même, en temps que phénomène naturel. Au regard de ces définitions organicistes/biologisantes, Krannhals conclut que l'objectif de tout ordre juridique véritable consiste à protéger les nécessités biologiques de la vie communautaire du peuple. La politique organique doit empêcher les groupes d'intérêts de dominer l'Etat. Le libéralisme n'assure pas la liberté au sens éthique du terme. Krannhals oppose, dans la ligne de Sombart, le marxisme au «véritable socialisme». La tâche de l'Etat et du «véritable socialisme» est d'organiser et de fédérer les différences sociales et non pas de perpétuer leurs antagonismes dans des jeux parlementaires stériles parce que purement discursifs. Dans son chapitre définissant l'économie organique, Krannhals récapitule toutes les grandes orientations de l'école des économistes organicistes, mélange d'autarcie fichtéenne, de socialisme de la chaire et de corporatisme conservateur. Par une dichotomie didactique où la volonté polémique n'est pas absente, Krannhals oppose l'argent (Geld) au sang (Blut), soit un principe quantitatif (et qui transforme tout qualitatif en quantitatif) à un principe qualitatif (qui transforme tout quantitatif en qualitatif). L'objectif de l'économie organique est de parvenir à la domination du sang sur l'argent, de la personnalité sur les choses. La science s'est effondrée et patine car elle s'est isolée du vécu. Elle ne pourra progresser que par une revalorisation de ses dimensions instinctives. Le vécu est source inépuisable dans le processus de formation des concepts. Le savoir doit s'organiser à partir du vécu local, de l'expérience nationale du peuple. L'art et la religion doivent également emprunter des pistes organiques s'ils veulent échapper à la stérilisation provoquée par la domination des idéologèmes mécanicistes.
(Robert Steuckers).
- Bibliographie: Das organische Weltbild. Grundlagen einer neuentstehenden deutschen Kultur (avec une introduction de Hermann Oncken), 2 vol., 1928; Lebendige Wissenschaft, 1937 (extraits de Das organische Weltbild, op. cit.); Der Weltsinn der Technik als Schlüssel zu ihrer Kulturbedeutung, 1932; Religion als Sinnerfüllung des Lebens. Ein Bekenntnis zur schöpferischen Weltheiligung, 1933; Der Glaubensweg des deutschen Menschen, 1934-35; Revolution des Geistes. Eine Einführung in die Schöpfungswelt organischen Denkens, 1935.
- Sur Paul von Krannhals: cf. Armin Mohler, Die Konservative Revolution in Deutschland 1918-1932. Ein Handbuch, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1989 (3ième éd.).
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lundi, 22 décembre 2008
Pour une nouvelle Ostpolitik
Michael WIESBERG:
Pour une nouvelle “Ostpolitik”
Récemment, les tentatives unilatérales des Etats-Unis d’élargir l’OTAN, en y incluant la Géorgie et l’Ukraine et en contournant de la sorte des décisions antérieures et claires, lancent dans le débat quelques questions fondamentales, appelant les partenaires européens des Etats-Unis au sein de l’Alliance atlantique, dont l’Allemagne, à prendre position dans l’avenir. La situation actuelle suscite avant toute chose la question suivante: comment les relations transatlantiques futures s’agenceront-elles? La Russie ne laisse planer aucun doute: elle considère que l’élargissement de l’OTAN à la Géorgie et à l’Ukraine relève de la pure provocation. Concrètement, nous courrons le danger d’une nouvelle période de gel sinon celui d’une nouvelle Guerre Froide avec la Russie.
Ce glissement vers une nouvelle Guerre Froide ne va pas dans le sens des intérêts européens et allemands, pour plusieurs raisons. Déjà les rapports étaient fort tendus, à cause de la Guerre d’Août dans le Caucase en 2008 et du projet américain d’installer des fusées en Europe de l’est. La Russie considère qu’elle est de plus en plus menacée par l’OTAN et en particulier par les Etats-Unis. Ainsi, le Président russe Dimitri Medvedev déplore dans son discours sur l’état de la nation, tenu le 5 novembre dernier, que l’on s’active à mettre en place “un nouveau système global de missiles anti-missiles” et que la Russie est actuellement “encerclée par des bases militaires”, tandis que l’OTAN tente de s’élargir sans la moindre retenue. Medevedev a ensuite évoqué les contre-mesures russes, qu’il a qualifiées de “contraintes et forcées”. Comme son prédecesseur Poutine, Medvedev a rappelé que le monde “ne peut être dirigé depuis une seule capitale” et a demandé que “l’architecture d’une sécurité globale” soit mise en place, qui engloberait la Russie, les Etats-Unis et l’UE.
Jusqu’à présent, les Etats-Unis ont ignoré froidement ces avances et, pire, ont poursuivi sans sourciller leur politique des coups d’épingle contre les intérêts stratégiques russes. Même les partenaires européens des Etats-Unis ne comprennent guère quels sont les motifs géopolitiques de cette attitude américaine. Expriment-elles le fait qu’une superpuissance comme les Etats-Unis soit soumise à des dynamiques spécifiques qui impliquent “un besoin permanent d’intervention”, ainsi que l’a qualifié le politologue berlinois Herfried Münkler? D’après lui, les Etats-Unis ne pourront réaffirmer leur rôle de superpuissance que s’ils s’avèrent capables de contrôler réellement les “flux de capitaux de l’économie mondiale” et de déterminer “les rythmes de l’économie mondiale”.
De telles capacités sont désormais remises en question, vu la crise financière actuelle. Dans cette optique, un rapport récent (“Global Trends 2025”), émis par le NIC (“National Intelligence Council”), explique que nous sommes au beau milieu d’une phase de transition et que nous nous acheminons vers un “nouveau système” qui s’installera graduellement au cours des vingt prochaines années. Dans ce “nouveau système”, les Etats-Unis demeureront sans conteste le “principal acteur” sur la scène internationale, mais leur position sera “moins dominante” qu’auparavant. Les Etats-Unis, poursuit le rapport, ne pourront maintenir et défendre leur statut que s’ils continuent à jouer un rôle décisif dans “l’espace eurasien”, où vivent les trois quarts de la population mondiale. Ce n’est donc pas un hasard si les principaux challengeurs des Etats-Unis (la Chine, l’Inde et la Russie) se situent justement dans cet espace. Si les Etats-Unis y perdent leur influence, cela reviendrait à perdre leur position hégémonique sur le globe.
Mais dans cette volonté de se maintenir dans “l’espace eurasien”, les Etats-Unis butent contre une difficulté majeure: ils sont là-bas une “raumfremde Macht”, une “puissance étrangère à l’espace”; ils doivent donc se maintenir et s’affirmer sur une masse continentale où ils ne sont pas chez eux et où ils demeurent par conséquent vulnérables. Cette constellation oblige les Etats-Unis à multiplier leurs manoeuvres, à mouvoir constamment leurs pions sur l’échiquier eurasien, selon l’expression du stratégiste Zbigniew Brzezinski, aujourd’hui devenu conseiller d’Obama. Si ces manoeuvres sont souvent dirigées contre la Russie, c’est parce que celle-ci occupe une position centrale sur cette masse continentale eurasienne.
On peut me rétorquer, ici, que la Russie n’est certainement pas la puissance la plus solide de l’espace eurasien et que, dans l’avenir, elle ne pourra guère concurrencer l’UE et la Chine. Le publiciste allemand Hauke Ritz nous explique clairement pourquoi les Etats-Unis sont néanmoins portés à affaiblir constamment la Russie. C’est parce que cette dernière, vu sa position géographique et ses richesses en matières premières, est en mesure de concrétiser des “coopérations inter-eurasiennes”, notamment sous la forme de “relations économiques approfondies” avec l’UE. L’Europe y gagnerait en “indépendance” et, à la longue, cela mettrait en danger l’orientation transatlantique de sa politique depuis 1945.
Cette vision des choses est tout à fait plausible vu la complémentarité de bon nombre d’intérêts européens et russes. Par exemple: l’Europe ne peut pas réellement assurer ses apporvisionnements énergétiques sans la Russie; quant à la Russie, elle a un besoin énorme en technologie européenne. Cette complémentarité inquiète énormément les stratégistes américains, comme l’atteste, entre autres choses, la teneur du dernier livre de Brzezinski, “The Second Chance”, paru en 2007. Il y explique qu’il faut plus ou moins isoler la Russie en scellant des accords avec l’Europe et avec la Chine. La volonté américaine d’élargir l’OTAN encore plus à l’Est correspond pleinement à ces injonctions de Brzezinski, dans le sens où elles débouchent sur un morcellement complémentaire des sphères d’influence russes.
Une telle stratégie vise à créer un système de sécurité dominé par les Etats-Unis et englobant l’ensemble du continent européen jusqu’à ces confins caucasiens. Mais elle ne résussira que si elle reçoit l’aval et le soutien inconditionnels de l’Europe. Or, dans le rapport du NIC, celle-ci est décrite, avec mépris et condescendance, comme “un géant boiteux”, incapable de transformer sa puissance économique en puissance politique. Ce qui n’empêchera pas ce “géant boiteux” de devoir tôt ou tard prendre une position claire: peut-être acceptera-t-il la logique hégémoniste des Etats-Unis mais cela équivaudra à renoncer aux intérêts propres de l’Europe. Or un renoncement pareil ne constitue nullement une option politique valable pour le long terme. Il est donc grand temps que le “géant boiteux” apprenne à marcher droit.
Michael WIEBERG.
(article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°50/2008, traduction française: Robert Steuckers).
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Dali par Arno Breker
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samedi, 20 décembre 2008
Erwin Guido Kolbenheyer
Erwin Guido Kolbenheyer (1878-1962)
Robert Steuckers
Né le 30 décembre 1878 à Budapest, Erwin Guido Kolbenheyer, poète, dramaturge et philosophe, voit le jour dans le foyer d'un célèbre architecte austro-hongrois. Orphelin dès 1881, il s'installe avec sa mère à Karlsbad, dans le pays des Sudètes, où il fréquente le Gymnasium. En 1900, il part à Vienne pour y étudier la zoologie et la philosophie, notamment sous la tutelle des professeurs Hatschek et A. Stöhr. C'est avec l'appui de ce dernier qu'il acquiert son titre de docteur en philosophie en 1904. Mais il renonce à toute carrière universitaire pour se consacrer entièrement à sa poésie, ses drames et ses romans. En 1925, il fait paraître une première version de son ouvrage philosophique majeur, Die Bauhütte, qui sera définitivement achevé en 1940. Honoré de plusieurs prix, il continuera à ¦uvrer jusqu'à sa mort, survenue le 12 avril 1962. Dans toute sonoeuvre, tant philosophique que poétique ou romanesque, Kolbenheyer pose des héros qui incarnent l'être le plus profond de l'homme germanique, caractérisé par un élan vital sans repos; partant, ses héros recherchent, infatigables et tragiques, une connaissance, une puissance, un absolu, un idéal, un dieu, eux-mêmes. Son Paracelse, par exemple, est toujours en errance, toujours à la recherche de la connaissance suprême; dans ce cheminement interminable, Paracelse, précurseur de Faust, s'éloigne toujours davantage de l'Eglise et de ses lois. Il cherche, dans la foi, une liberté totale et, en Dieu, le repos éternel, sans jamais trouver ni l'une ni l'autre. Chacun des volumes de sa trilogie paracelsienne est précédé d'un dialogue entre le Christ et Wotan et contient plusieurs dialogues entre Paracelse et un représentant de la "vieille culture" classique, désormais incapable d'étancher la "soif métaphysique" des hommes. A un représentant de la Curie romaine, venu en Allemagne pour enquêter sur les progrès de la Réforme, Paracelse reproche de défendre des formes, figées et raidies, sans contenu, sans substance. Le Réforme est, aux yeux de Kolbenheyer, le retour de l'humanité germanique à la substance vitale, au-delà des formes figées, imposées par l'Eglise de Rome. Dans l'¦uvre de Kolbenheyer, resurgissent tous les débats de la réforme et de la renaissance, de l'humanisme et de la nouvelle vision du cosmos (celle d'un Giordano Bruno notamment), autant de Schwellenzeiten, d'époques-seuil, où il est impératif d'adapter l'esprit au temps. Pour notre auteur, l'histoire de la pensée européenne est marquée par l'opposition entre, d'une part, un dynamisme adaptatif/mouvant/plastique, ancré dans un humus populaire précis, et un statisme absolu rigide, immobile et planant au-dessus de l'oikos des hommes. Spinoza, Paracelse, Giordano Bruno, le personnage de Kolbenheyer Meister Joachim Pausewang, sont des représentants du dynamisme. Les églises et les dogmes, religieux ou laïques, sont des éléments de statisme, des cangues dont il faut sortir.
L'atelier. Eléments pour une métaphysique des temps présents (Die Bauhütte. Grundzüge einer Metaphysik der Gegenwart) 1925-1952
Idée centrale de cet ouvrage philosophique de Kolbenheyer: l'humanité, fascinée par les absolus postulés par les métaphysiques désincarnées, ne parvient plus à s'adapter aux impératifs des temps présents. Ceux-ci exigent une métaphysique souple, plastique, sans forme systématique définitive. L'homme a besoin de métaphysique pour s'orienter dans l'avalanche de données que lui communique le monde. La métaphysique lui sert de fil d'Ariane. Sans elle, il tâtonne. Les métaphysiques classiques ont toutes été des systèmes qui se voulaient définitifs et absolus, qui avaient pour but d'ordonner les idées, les connaissances et les valeurs humaines selon une idée centrale, généralement une conception de Dieu ou du monde, issue d'un état particulier d'adaptation de l'homme au monde dans un contexte spatio-temporel déterminé mais révolu. Mais quand le monde change sous la pression des événements, quand le changement provoque à l'échelle européenne une "crise de conscience", les métaphysiques classiques, de Pascal à Leibniz et à Rousseau, s'effondrent. On tente de les remplacer par l'idée du Moi, l'idée de la matière ou l'idée de l'esprit, l'idée de la collectivité ou l'idée du rien (nihilisme), sans se rendre compte que ces idées n'ont pas de contenu réel correspondant au nouvel état d'adaptation de l'humanité. Pire: ces idées sans contenu réel ont servi à construire des systèmes que l'on a posé comme définitifs, alors que la vitesse des changements, donc la nécessité vitale d'adaptations rapides successives, impliquait de se débarrasser de toute espèce de rigidité.
Question majeure que pose Kolbenheyer: qu'est-ce que la pensée? Elle est 1) l'intégration consciente de tout ce que nous vivons dans le monde de la conscience et 2) le fait de compléter, de classer et de construire sans cesse ces diverses sensations. Le siège de ce processus d'intégration, de complétement, de classification et de construction est le cerveau humain, conditionné par une biologie et une hérédité précises. Ce site, différent d'une multitude d'autres sites analogues, exclut la croyance naïve et dépassée en un esprit d'essence indépendante. Ces déterminations du siège de la pensée, c'est-à-dire du cerveau, lié à d'autres cerveaux par le jeu infini et kaléidoscopique du code génétique, se heurtent à des résistances continuelles qu'il faut vaincre, dépasser ou contourner. Les communautés de cerveaux unies par un même code génétique, lequel est variable à l'infini, produisent des idées directrices qui font montre d'une certaine durée dans l'histoire. Ces idées directrices sont métaphysiques, selon Kolbenheyer, car elles transcendent les individualités qui les incarnent plus ou moins bien. La métaphysique, de cette façon, est descendue de l'au-delà dans le monde réel. Les données du problème de la métaphysique sont les hommes, les hommes dans la vie et la vie dans les hommes et non pas un au-delà quelconque auquel il s'agit d'arriver, non pas un absolu fixé d'avance, indéterminé et indéterminable auquel l'homme doit adapter sa vie. La métaphysique est de ce fait "un point parfait d'adaptation intérieure et extérieure de l'homme" qui, nécessairement, diffère d'un individu à l'autre, d'un peuple à l'autre. De cette définition différenciée à l'infini de la métaphysique découle un dépassement de l'idéalisme et du rationalisme; ces systèmes faisaient de la pensée un "cadre" sans contenu. Pour Kolbenheyer, la pensée est et cadre et contenu en interaction ininterrompue. La pensée est ainsi à la foi force absorbante et force créatrice et n'a de valeur et d'importance que si elle remplit ce double rôle.
L'horizon de la pensée est, chez Kolbenheyer, celui de la "vie plasmatique", qui n'est pas un être en soi supérieur auquel les formes d'individuation sont subordonnées; il n'existe pas d'être plasmatique en dehors des formes d'individuation, ce qui n'empêche pas de penser à un rapport originel et générateur entre les formes d'individuation sur le plan de l'évolution générale. Ce qui existe en tant que vie, est de la vie différenciée, de la vie en train de s'adapter. Kolbenheyer dégage les lois de la "plasmogénèse" c'est-à-dire de l'individuation du plasma et de sa conservation dans les individus; le plasma adapté (c'est-à-dire l'individu) ne peut être ramené à un degré d'individuation par lequel il a passé précédemment; la part de plasma dont les capacités ne résistent pas par l'adaptation au changement des époques géologiques cosmiques disparaît. La substance vitale, le plasma, est répartie entre tous les peuples de la terre. Pour parfaire leur rôle historique, pour créer des formes culturelles viables et sublimes, pour exprimer les potentialités de ce plasma qui leur est échu, les peuples épuisent graduellement leur capital en plasma. Les peuples jeunes sont ceux qui disposent encore d'une grande quantité de plasma non transformé en formes. Plus la quantité de plasma résiduel est importante, plus la vitalité du peuple est intense. Les peuples trop encombrés de formes ont terminé leur cycle et se retirent petit à petit de la scène du monde.
De cette vision biologico-mystique, Kolbenheyer déduit une éthique individuelle répondant à une maxime paraphrasant Kant: "Agis toujours de façon telle, que tu puisses être convaincu d'avoir fait par tes actions le meilleur et le maximum pour que le type humain, dont tu es issu, puisse être maintenu et se développer". L'individualité est, dans cette optique, "exposant de fonction"; il est une modalité de l'adaptation au réel du donné plasmatique. Par conséquent, ne sont immortelles que les prestations de l'individualité qui ont accru les capacités adaptatives du plasma. De la maxime énoncée ci-dessus et de cette notion d'immortalité des prestations, découle une éthique du devoir. L'individualité doit maintenir et développer la vie, au-delà de sa propre existence individuelle, et mettre en ¦uvre, dans ce but, toutes ses énergies. L'individu en soi, dans la perspective kolbenheyerienne, n'existe pas car tous les hommes sont reliés au paracosmos, et ont ainsi en commun bon nombre de traits supra-individuels; de plus, l'individualité, au cours de son existence, change et est appelée à jouer des rôles différents: celui de l'enfant, puis celui de l'époux, du père, celui que postule sa fonction sociale, etc. Il y a différenciation constante, ruinant toute rigidité posée comme en soi. On a parlé de l'¦uvre philosophique de Kolbenheyer comme d'un "naturalisme métaphysique" (R. König) ou d'un "matérialisme biologique" (E. Keller).
(Robert Steuckers).
- Bibliographie non exhaustive; nous ne reprenons que les ouvrages littéraires de Kolbenheyer ayant un intérêt philosophique; une bibliographie complète, établie par Kay Nieschling, se trouve dans Peter Dimt (cf. infra); par ailleurs, le lecteur pourra s'adresser à la Kolbenheyer-Gesellschaft e. V., Schnieglinger Straße 244, D-8500 Nürnberg, pour tout renseignement sur l'auteur. Cette société édite également un périodique d'exégèse de l'¦uvre d'EGK, intitulé Der Bauhütten-Brief.
Giordano Bruno, 1903 (tragédie); Die sensorielle Theorie der optischen Raumempfindung, 1905 (thèse); Amor Dei, 1908 (roman sur Spinoza); Meister Joachim Pausewang, 1910 (roman où intervient la figure de Jakob Böhme); Montsalvach, 1912; Die Kindheit des Paracelsus, 1917 (premier tome de la trilogie paracelsienne); Wem bleibt der Sieg?, 1919; Das Gestirn des Paracelsus, 1922 (tome 2); Die Bauhütte. Grundzüge einer Metaphysik der Gegenwart, 1925 (première version); Das dritte Reich des Paracelsus, 1926 (tome 3); Heroische Leidenschaften, 1929 (nouvelle mouture de Giordano Bruno); Aufruf an die Universitäten, 1930 (discours); Das Gesetz in dir, 1931 (théâtre); Die volksbiologischen Grundlagen der Freiheitsbewegung, 1933 (essai); Gregor und Heinrich, 1934 (pièce de théâtre mettant en scène le Pape et l'Empereur et les valeurs qu'ils incarnent); Unser Befreiungskampf und die deutsche Dichtung, 1934 (discours); Der Lebensstand der geistig Schaffenden und das neue Deutschland, 1934 (discours); Arbeitsnot und Wirtschaftskrise biologisch gesehen, 1935 (article); Das gottgelobte Herz, 1938 (roman avec pour thème la mystique allemande); Der Einzelne und die Gemeinschaft, 1939 (discours); Goethes Denkprinzipien und der biologischen Naturalismus, 1939 (discours); Die Bauhütte, 1940 (nouvelle version); Das Geistesleben in seiner volksbiologischen Bedeutung, 1942 (discours); Menschen und Götter, 1944 (tétralogie dramatique); Die Bauhütten-Philosophie, 1952 (troisième édition, complétée de textes nouveaux); Sebastian Karst über sein Leben und seine Zeit, I, 1957 (autobiographie); Sebastian Karst über sein Leben und seine Zeit, II & III, 1958 (autobiographie, suite); Metaphysica viva, 1960; éditions posthumes: Wem bleibt der Sieg?, 1966 (anthologie comprenant le texte de 1919 portant le même titre); Vorträge, Aufsätze, Reden, 1966 (‘uvres complètes, 2/VII); Die Bauhütte, 1968 (4ième éd.); Mensch auf der Schwelle, 1969; Du sollst ein Wegstück mit mir gehn, 1973 (anthologie); Gesittung. Ihr Ursprung und Aufbau, 1973; Kämpfer und Mensch. Theoretischer Nachlaß, 1978; Rationalismus und Gemeinschaftsleben, 1982. Les ‘uvres complètes, publiées à l'initiative de la Kolbenheyer-Gesellschaft, sont parues entre 1956 et 1969.
- Sur Kolbenheyer: Conrad Wandrey, Kolbenheyer. Der Dichter, der Philosoph, Langen/Müller, Munich, 1934; Franz Westhoff, E.G. Kolbenheyers Paracelsus-Trilogie - eine Metaphysik des deutschen Menschen, Thèse, Münster, 1937; Ernst Heinrich Reclam, Die Gestalt des Paracelsus in der Dichtung. Studien zu Kolbenheyers Trilogie, Thèse, Leipzig, 1938; H. Vetterlein, "Kolbenheyer-Bibliographie", in Dichtung und Volkstum (Euphorion), 40, 1939, pp. 94-109; E. Fuchs, Das Individuum und die überindividuelle Individualität in Kolbenheyers historischen Romanen, 1940; Franz Koch, "E.G. Kolbenheyers Bauhütte und die Geisteswissenschaften", in Dichtung und Volkstum (Euphorion), 41, 1941, pp. 269-296; H. Seidler, "Kolbenheyer über die Dichtkunst", in Dichtung und Volkstum (Euphorion), 41, 1941, pp. 296-321; Paul Lespagnard, "Erwin Guido Kolbenheyer", in Bulletin de l'Ouest, Bruxelles, 15 avril 1942, 2, pp. 18-20; Paul Lespagnard, "L'oeuvre de E.G. Kolbenheyer. La "Bauhuette"", in Bulletin de l'Ouest, Bruxelles, 15 nov. 1943, 20, pp. 230-233 et 30 nov. 1943, 21, pp. 241-244; St. R; Townsend, Kolbenheyers Conception of the German Spirit and the Conflict with Christianity, 1947; H.D. Dohms, Die epische Technik in Kolbenheyers Roman "Das gottgelobte Herz", 1948; Franz Koch, Kolbenheyer, Göttinger Verlagsanstalt, Göttingen, 1953; Robert König, Von Giordano Bruno zu E.G. Kolbenheyer, Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1961; A.D. White, The Development of the Thought of E.G. Kolbenheyer from 1901 to 1934, 1967; Otto Schaumann, Die Triebrichtungen des Gewissens, Orion-Heimreiter, Francfort s.M., 1967; Ernst Frank, Jahre des Glücks. Jahre des Leids. Eine Kolbenheyer-Biographie, blick + bild, Velbert, 1969 (principale biographie de l'auteur; avec 95 ill.); Ernst Keller, "Der Weg zum deutschen Gott: E.G. Kolbenheyer", in Ernst Keller, Nationalismus und Literatur, Francke, Berne/Munich, 1970; Robert König, Der metaphysische Naturalismus E.G. Kolbenheyers, Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1971; Robert König, Ein Gedenkblatt zu seinem 10. Todestag am 12. April 1972, Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1972; Alain de Benoist, "Paracelsus: roman d'Erwin Guido Kolbenheyer", in Nouvelle Ecole, 29, 1976, pp. 126-131; Robert Steuckers, "Le centenaire de Kolbenheyer", in Pour une renaissance européenne, Bruxelles, 27/28, 1979, pp. 270-276; Herbert Seidler, "Erwin Guido Kolbenheyer", in Neue Deutsche Biographie, Band 12, Duncker u. Humblot, Berlin, 1980; Peter Dimt, Schlederloher Teestunde. Vierzig Anekdoten um Erwin Guido Kolbenheyer, Türmer, Berg, 1985 (avec bibliographie complète des ¦uvres de EGK); Hedwig Laube, Von Erwin Guido Kolbenheyers Ethos aus Naturerkenntnis, Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1985; Hedwig Laube, Religion in Kolbenheyers Werk, tiré à part édité par la Kolbenheyer-Gesellschaft, Nuremberg, 1989; Karl Hein, "Er hieß Kolbenheyer und schuf den biologischen Sozialismus für das 21. Jahrhundert", in Elemente, Kassel, 4, 1990.
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vendredi, 12 décembre 2008
Berlin: nous l'avons tant voulu...
SYNERGIES EUROPÉENNES / PARTISAN EUROPÉEN - DÉCEMBRE 1989
Un texte totalement dépassé, mais qui montre bien les espoirs fous que nous avons cultivés au moment de la chute du Mur de Berlin ! Des espoirs que le personnel politique européen, incapable et vendu à l'étranger, n'a pas été capable de faire passer dans le réel. A méditer...
Berlin: nous l'avons tant voulu...
La lente agonie du communisme, la dislocation du système de Yalta, la réunification allemande
Le 9 novembre 1989 est déjà une date historique. Une ère nouvelle vient de s'ouvrir. L'Europe redevient une unité de civilisation, un espace unifié mais divers, un réseau d'échanges multiséculaire. La géopolitique allemande disait qu'elle était un Großraum, un grand espace. Gorbat-chev dit qu'elle est une "maison commune". Simple différence de vocabulaire qui désigne une réalité incontournable que les idéologies marxiste et ploutocra-tique a-vaient voulu nier.
Nous l'avions toujours dit: l'Europe ne se fera pas à partir du marché commun, ne se construira pas depuis cet Occident sans élan, engoncé dans son corset matérialiste. L'Europe sera à nouveau un Großraum quand la nation qui occupe son cen-tre sera réunifiée. Et le premier grand pas de cette réunification vient d'avoir lieu. Le Mur de la honte, le Mur qui sym-bolisait la défaite de toute l'Europe vient de tomber. Les peuples de l'Est réclament à nouveau leur droit à l'auto-détermina-tion.
Pour nous, militants nationaux-révolution-naires, partisans d'une "troisième voie", cet événement majeur annonce le triom-phe discret de certaines de nos idées. Un triomphe discret qui s'avance toutefois sur un chemin semé d'embûches.
Dressons le bilan des événements qui nous apparaissent positifs:
- L'Allemagne est en marche vers sa réunification. Le peuple allemand est, en Europe, le peuple-passerelle: c'est lui qui nous relie au monde slave, qui nous arrache à nos torpeurs occidentales. Le territoire allemand est aussi un territoire-pas-serelle: c'est lui que nous devons traverser pour atteindre les Balkans, pour débouler à Delphes ou à Athènes, pour re--joindre la Scandinavie, pour aller flâner sur les gondoles de Venise. Sans l'unité de ce territoire, pas d'unité européenne, pas d'échanges fructueux, pas d'autonomie con-tinentale possible.
- La vision du monde des chrétiens-dé-mo-crates s'effondre. Ces misérables voyous politiques ne voulaient pas d'une Eu-rope qui contiendrait une majorité de non-catholiques. Pour nous, l'unité des ethnies d'Europe, l'unité du territoire ma--triciel de notre race, prime de loin les ambitions sectaires du Vatican et de ses alliés de la mafia. Avec la réunification al-lemande en marche, l'Allemagne ne con-tient déjà plus une majorité de Catho-li-ques. La CEE avait été créé dans une op-tique de reconquista: avoir une majorité catholique aux Pays-Bas, isoler les Protes-tants du Nord de l'Allemagne et con-traindre les Anglicans à une sorte d'oe-cu-ménisme, tout en maintenant les Ortho-doxes loin de nous. La CEE devait être un espace entièrement sous la coupe du ca-tho-licisme: désormais, ce rêve est à ran-ger parmi les vieilleries...
- Le communisme s'effondre. Notre en-nemi le plus musclé et le plus tenace bais-se la garde. Il est vaincu pour des rai-sons aux racines anciennes et profondes: le marxisme avait fait siens, au début du XIXième siècle, les principes mécani-cis-tes et arithmétiques du libéralisme man-chésterien anglais et avait refusé toute lo-gique biologisante, toute philoso-phie de la vie, tout le dynamisme de la physique quan-tique. Une terrible inquisi-tion régnait dans les pays communistes et dans les universités ouest-européennes marxisées contre tous les "irrationalismes" et contre les idées iden-titaires et nationales. Le com-munisme ne s'est pas mis à jour sur le plan scientifique: il a été battu par le libéralisme dans la course aux technolo-gies. Le commu-nisme a nié non pas les faits nationaux en tant que tels mais leur a assigné une place secondaire. Le prin-temps des peuples remet les horloges à l'heure.
- Les peuples descendent dans la rue en Moldavie, dans les Pays Baltes, en Alle-magne de l'Est et en Tchécoslovaquie. Ils crient devant leurs dirigeants commu-nistes: "Wir sind das Volk", nous sommes le peuple. De ce fait, ils dénient aux communistes le droit de les représenter et annoncent que les peuples, en tant que volontés historiques, ne peuvent jamais être encadrés de manière rigide. A Pra-gue, les lycéens hurlent "Jakesch à la pou-belle". Cette fantastique mobilisation de la rue devrait nous faire honte: à l'Ouest, nous n'avons plus de tonus, nous sommes tous des chiffes molles bercées par les sonorités soft de nos walkmen. Quand aurons-nous assez de tripes pour vociférer les mêmes slogans, pour insulter collectivement les démocrates-chrétiens, pour cracher aux visages de nos salauds de sociaux-démocrates, pour gifler nos li-béraux, pour rosser nos flics comme plâ-tre, pour bastonner les banquiers qui tien-nent ici le haut du pavé, pour souffle-ter les arrogants détenteurs du quatrième pouvoir, les journaleux à la solde des puis-sances d'argent? A l'Ouest il n'y a plus de peuples, il y a des masses abruties, tenues en laisse par des marchands de gad-gets.
Quant aux perspectives négatives, énumé-rons-les aussi:
- Les préliminaires de la réunification profiteront d'abord aux capitalistes ouest-allemands. Ils bénéficient d'ores et déjà de vastes zones de prospection, avec main-d'œuvre à bon marché, où des pro-fits immenses sont possibles. Ces forces ploutocratiques, alliées à leurs consœurs d'Outre-Atlantique, ont un double intérêt: favoriser l'ouverture pour enregistrer des pro-fits colossaux mais conserver suffi-sam-ment de statu quo pour que les tra-vail-leurs de l'Est puissent toujours bosser à bas salaires. L'Europe capitaliste main-tiendra une partie du statu quo, au béné-fice des réseaux marchands et de la puis-sance américaine. Nous, nous voulons l'éli--mination complète du statu quo. Les nationaux-révolu-tionnaires doivent exiger un code du tra-vail valable pour tous les travailleurs euro-péens et un auto-centrage des investisse-ments des plus-values. Plus question d'aller investir des milliards dans un Tiers-Monde à la main-d'œuvre encore meilleure marché. Chaque sou gagné par les travailleurs européens doit être investi en Europe, dans de bonnes infrastruc-tures routières, ferroviaires, scolaires, universitaires. Il faut maximiser les bud-gets de recherche et bâtir chez nous toutes les usines qui peuvent être bâties.
- L'effondrement du communisme laisse notre pire adversaire seul sur le ring. Le libéralisme, vieux et malade, triomphe du seul ennemi qui lui restait. Nous avons lutté pour une troisième voie quand les deux antagonistes nous dominaient, tout en s'affrontant. La disparition du commu-nisme nous laisse seuls et mal préparés face au libéralisme. Nous sommes la deu-xième voie, l'autre voie, l'alternative. Beau--coup de travail at-tend les partisans.
- L'euphorie des Allemands de l'Est leur fait aimer d'une manière naïve les pro-duc-tions de l'Occident. Combien de jeu-nes Berlinois, le 10 novembre, sont allé s'acheter un baladeur ou un disque de Mi-chael Jackson? Trop à notre goût. Même si la denrée la plus prisée était le fruit exotique. La tâche des militants NR est de montrer à leurs camarades de l'Est quels sont les artifices de l'American Way of Life. Quels affreux simulacres diffuse la société marchande.
En conclusion, les cénacles NR d'Europe occidentale, cette poignée de militants hyper-conscients des enjeux —et dont la force réside précisément dans cette hy-per-conscience— doivent se réorganiser face aux nouveaux défis qui s'annoncent pour la décennie 1990. Plus d'anti-com-munisme à l'avant-plan; un renforcement de notre anti-américanisme, dans la me-sure où l'impérialisme yankee sera encore dangereux quand les Nippons auront acheté toutes les industries-clefs des Etats-Unis. Il n'y aura plus lieu de faire uniquement de l'"anti-ceci" ou de l'"anti-cela", mais d'ébaucher et de construire la Cité NR, en forgeant un nouveau droit, un nou-veau code social identitaire et socia-liste taillé pour les producteurs. Une ter-rible disci-pline s'impose désormais à l'étu-diant NR, porteur de l'avenir de notre vision du monde et de la société: cesser de perdre son temps à des marottes littéraires et à des problèmes périphéri-ques; cesser de prononcer des discours oiseux sur la grandeur de l'Europe; cesser de dire que l'économie n'est pas le destin (même si c'est très vrai) pour ne pas avoir à réflé-chir sur les statistiques réelles de notre monde. Etre NR, ce n'est pas être un rouspéteur stérile: c'est être un vo-lontaire toujours prêt, la truelle à la main pour construire la Cité nouvelle.
Camarades NR de toutes les régions d'Europe, camarades manuels et intellectuels, mobilisez vos muscles et vos cer-veaux, bandez vos énergies, demain nous appartient!
Il domani appartiene a noi!
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jeudi, 11 décembre 2008
Une biographie de Carl Schmitt
Une biographie de Carl Schmitt
Analyse: Paul NOACK, Carl Schmitt. Eine Biographie, Ullstein/Propyläen, Berlin, 1993, 360 p., ISBN 3-549-05260-X.
Si les exégèses de l'œuvre de Carl Schmitt sont fort nombreuses à travers le monde depuis quelques années, si les interprétations de sa notion de “décision” ou de sa “théologie politique” se succèdent à un rythme ahurissant, personne ne s'était encore attelé à écrire une biographie personnelle du prince des politologues européens. Paul Noack (*1925), germaniste, romaniste et historien, ancien rédacteur des rubriques politiques de la Frankfurter Allgemeine Zeitung et du Münchener Merkur, actuellement professeur d'université à Munich, vient de combler cette lacune, en suivant chronologiquement l'évolution de Schmitt, en révélant sa vie de famille, en évoquant ses souvenirs personnels, consignés dans des journaux, des lettres et des entretiens inédits, et en replaçant l'émergence des principaux concepts politologiques dans le vécu même, dans l'existentialité intime, de l'auteur. Noack sait qu'il est difficile de périodiser une existence, a fortiori quand elle s'étend presque sur tout un siècle, entrecoupé de guerres, de bouleversements, de violences et d'effondrements. Mais dès le départ, toutes les tranches de la première moitié de la longue vie de Schmitt sont marquées par des coupures: l'enfance (1888-1890) par l'arrachement à la patrie de ses ancêtres, l'Eifel mosellan profondément catholique, et l'exil en Sauerland; l'adolescence (1900-1907), elle, est imprégnée d'une éducation humaniste dans une ambiance cléricale édulcorée, qui a abandonné cette “totalité” mobilisatrice et exigeante, propre du catholicisme intransigeant; la jeunesse (1907-1918) de Schmitt baigne, quant à elle, dans une Grande Prusse dés-hégélianisée, de facture wilhelmienne, où l'engouement philosophique dominant va au néo-kantisme; le premier âge adulte (1919-1932) se déploie dans une germanité dé-prussianisée, où règne la démocratie parlementaire de Weimar contestée par les divers mouvements nationaux et par la gauche musclée.
Bref, cette périodisation claire, qu'a choisie Noack, indique que les bouleversements, les abandons, les relâchements se succèdent pour aboutir au chaos des dernières années de la République de Weimar et du grand “Crash” de 1929. Cette effervescence, de la Belle Epoque au Berlin glauque où s'épanouisent au grand jour toutes les perversités, est peut-être féconde sur le plan des ruptures, des idées, des modes, des variétés, des innovations artistiques, des audaces théâtrales: elle plaît assurément aux Romantiques de tous poils qui aiment les originalités et les transgressions. Mais Schmitt reproche aux Romantiques, ceux de la première vague comme leurs héritiers à son époque, de s'engouer temporairement pour telle ou telle beauté ou telle ou telle originalité: ils sont “occasionalistes”, “irresponsables”, incapables de développer, affirmer et approfondir des constantes politiques ou conceptuelles. Toute pensée fondée sur le goût ou le plaisir lui est étrangère: il lui faut de la clarté et de l'efficacité. Sa conviction est faite, il n'y changera jamais un iota: le “moi” n'est pas, ne peut pas être, un objet du penser. Celui qui hisse le “moi” au rang d'objet du penser, participe à la dissolution du monde réel. Ne sont réels et dignes de l'attention du penseur que les hommes qui s'imbriquent dans une histoire, s'en déclarent les héritiers et sont porteurs d'une attitude immuable, éternelle, qui incarnent des constances, sans lesquelles le monde et la cité tombent littéralement en quenouille.
Cette option, constate Noack, est le meilleur antidote contre le nihilisme et le désespoir. Pour y échapper, l'homme Schmitt entend ne pas être autre chose que lui-même et ses circonstances, notamment un Catholique impérial et rhénan, comme l'ont été ses ancêtres. C'est dans ces circonstances-là que Schmitt s'imbrique pour ne pas être emporté par le flot des modes de la Belle Epoque ou du Berlin décadant des années 20. La politique, dès lors, doit être servie par une philosophie du droit fondée sur des concepts durs, impassables, éprouvés par les siècles, comme l'ont été ceux de la théologie jadis. Les concepts politiques qu'il s'agit d'élaborer pour sortir de l'ornière doivent être résolument calqués sur ceux de la théologie, s'ils n'en sont pas des reflets résiduaires, inconscients ou non. Schmitt, au seuil de sa maturité, demeure quelque peu en marge de la “révolution conservatrice”, dont l'objectif majeur, dans le sillage de Moeller van den Bruck et des autres nationalistes de tradition prusso-protestante, était d'approfondir les fondements de l'“idéologie allemande”, née dans le sillage du romantisme et de la guerre de libération anti-napoléonienne. Cette “idéologie allemande” véhicule, aux yeux de Schmitt, trop de linéaments de ce romantisme et de cet occasionalisme qu'il abomine. Ses références seront dès lors romanes et non pas germaniques, plus exactement franco-espagnoles: Donoso Cortès, de Bonald, de Maistre. C'est dans leurs œuvres que l'on trouve les matériaux les plus solides pour critiquer et déconstruire la modernité, pour jeter bas les institutions boîteuses et délétères qu'elle a générées, reponsables des bouleversements et des arrachements que Schmitt a toujours ressenti dans son propre vécu, quasiment depuis sa naissance. Ces institutions libérales, insuffisantes selon Schmitt, sont défendues avec brio, à la même époque, par Hans Kelsen et son école positiviste. Schmitt juge ce libéral-positivisme d'une manière aussi pertinente que lapidaire: «Kelsen résout le problème du concept de souveraineté en le niant. La conclusion de ses déductions est la suivante: le concept de souveraineté doit être radicalement refoulé». S'il n'y a plus de souveraineté, il n'y a plus de souverain, c'est-à-dire plus de pouvoir personnalisé par des hommes charnellement imbriqués dans une continuité historique précise. par le truchement de ce positivisme froid, le pouvoir devient abstrait, incontrôlable, incontestable. Son épine dorsale n'est plus une forme héritée du passé, comme la forme catholique pour laquelle opte Schmitt. Sans épine dorsale, le pouvoir chavire dans l'“informalité”: il n'a plus de conteneur, il s'éparpille. Dans ce contexte, quelle est la volonté de Schmitt? Forger un nouveau conteneur, créer de nouvelles formes, restaurer ou re-susciter les formes anciennes qui ont brillé par leur rigueur et leur souplesse, par leur solidité et leur adaptabilité.
Quand paraît le “concept du politique” en 1927, il est aussitôt lu par un autre maître des formes et des attitudes, Ernst Jünger, tout aussi conscient que Schmitt de la liquéfaction des formes anciennes et de la nécessité d'en restaurer ou, mieux, d'en forger de nouvelles. Enthousiasmé, Ernst Jünger écrit une lettre à Schmitt le 14 octobre 1930, qui sera l'amorce d'une indéfectible amitié personnelle. Pour Jünger, l'homme des “orages d'acier” de 1914-1918, la démonstration de Schmitt dans le "concept du politique” est une “évidence immédiate” qui “rend toute prise de position superflue” et balaie “tous les bavardages creux qui emplissent l'Europe”. «Cher Professeur», ajoute Jünger, «vous avez réussi à découvrir une technique de guerre particulière: la mine qui explose sans bruit». «Pour ce qui me concerne, je me sens vraiment plus fort après avoir ingurgité ce repas substantiel». Les deux hommes étaient pourtant fort différents: d'une part le guerrier décoré de l'Ordre Pour le Mérite; de l'autre, un pur intellectuel qui n'avait jamais livré d'autres batailles que dans les livres. Jünger essaiera avec un indéniable succès d'introduire la clairvoyance de Schmitt dans les cercles néo-nationalistes, notamment les revues Die Tat, de Hans Zehrer et Erich Fried, et Deutsches Volkstum de Wilhelm Stapel. La participation des deux hommes aux activités littéraires, philosophiques et journalistiques de la “Konservative Revolution” n'efface par leurs différences: Armin Mohler, nous rappelle Paul Noack, écrit très justement qu'ils sont demeurés chacun dans leur propre monde, qu'ils ont continué à chasser chacun dans leur propre forêt. Césure qui s'est bien visibilisée à l'époque du national-socialisme: retrait hautain et aristocratique de l'ancien combattant, engagement sans résultat du jursite.
Mais, souligne Paul Noack, une grande figure de la gauche, en l'occurrence Walter Benjamin, écrivit aussi à Schmitt en 1930, quelques semaines après le “néo-nationaliste” Jünger, exactement le 9 décembre. Benjamin envoyait ses respects et son nouveau livre au juriste catholique et conservateur, admirateur de Mussolini! Il soulignait dans sa lettre des similitudes dans leur approche commune du phénomène du pouvoir. Cette approche est interdisciplinaire et c'est l'interdisciplinarité qui doit, aux yeux du Benjamin lecteur de Schmitt, transcender certains clivages et rapprocher les hommes de haute culture. Effectivement, l'interdisciplinarité permet seule de pratiquer un véritable “gramscisme”, non un “gramscisme de droite” ou un “gramscisme de gauche”, mais un gramscisme anti-établissement, anti-installations. Paul Noack écrit: «[Schmitt et Benjamin] sont tous deux adversaires de la pensée en compromis. Benjamin disait que tout compromis est corruption. Tous deux sont aussi adversaires du parlementarisme, du libéralisme politique et du système politique qui en procède. Tous deux pensent que ce n'est que dans l'état d'exception de l'esprit d'une époque se dévoile véritablement; tous deux manifestent une tendance pour l'absolu et la théologie». Et de citer Rumpf: «Benjamin et Schmitt se rencontrent dans leur rejet et leur mépris d'une bourgeoisie qui s'encroûte dans ce culte générateur du Moi». Ce rapport entre Schmitt et l'un des plus éminents représentants de la “Nouvelle Gauche”, voire de l'“Ecole de Francfort”, permet d'accréditer la thèse longtemps contestée d'Ellen Kennedy, spécialiste américaine de l'œuvre de Schmitt, qui a toujours affirmé que ce dernier a bel et bien influencé en profondeur cette fameuse “Ecole de Francfort” en dépit de ce que veulent bien avouer ses tristes légataires contemporains.
Avec l'avènement du national-socialisme, les positions vont se radicaliser. L'effondrement de la République de Weimar laisse un vide: Schmitt croit pouvoir instrumentaliser le nouveau régime, sans assises intellectuelles, s'en servir comme d'un Cheval de Troie pour introduire ses idées dans les hautes sphères de l'Etat. Ses anciennes accointances avec le Général von Schleicher, liquidé lors de la “nuit des longs couteaux” en juin 1934, la nationalité serbe de son épouse Duchka Todorovitch (les services secrets se méfiaient de tous les Serbes, accusés de fomenter des guerres depuis l'attentat de Sarajevo) et son catholicisme affiché (son “papisme” disaient les fonctionnaires du “Bureau Rosenberg”): autant de “tares” qui vont freiner son ascension et même précipiter sa chute. Schmitt laisse des textes compromettants, qui le marqueront comme autant de stigmates, mais échoue face à ses adversaires dans les rangs du nouveau parti au pouvoir. Pire, à cause de son zèle intempestif, il traîne parfois aussi une réputation de naïf ou, plus grave encore, d'opportuniste sans scrupule qui souhaite toujours et partout être le “Kronjurist”, le “juriste principal”. Plus tard, en 1972, dans un interview à la radio, Schmitt a avoué avoir agi sous l'impulsion d'un bon vieil adage français: «On s'engage et puis on voit». Paul Noack croit déceler dans cette attitude collaborante une certitude de type hégélien: Schmitt, l'homme des livres, l'homme de culture, était persuadé, est demeuré persuadé, qu'au bout du compte, l'esprit finit toujours par triompher de la médiocrité. Le national-socialisme, pour ce catholique de Prusse, pour ce catholique frotté à une idéologie d'Etat de facture hégélienne, était une de ces médiocrités propre de l'homme pécheur, de l'homme imparfait: elle devait forcément succomber devant la lumière divine de l'esprit. Erreur fatale et contradiction étonnante chez ce pessimiste qui n'a jamais cru en la bonté naturelle de l'homme, commente Noack (Robert Steuckers).
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dimanche, 07 décembre 2008
Sur August Bebel
Archives de Synergies Européennes - 1987
Sur August Bebel
Werner JUNG, August Bebel. Deutscher Patriot und internationaler Sozialist. Seine Stellung zu Patriotismus und Internationalismus, Centaurus-Verlagsgesellschaft, Pfaffenweiler, 1986, 540 S., DM 48.
August Bebel, personnage central de la social-démocratie allemande, a, comme beaucoup de ses pairs, évolué du libéralisme au démocratisme socialiste. Incarnant une synthèse de toutes les variantes de l'idée socialiste, Bebel s'interrogera pendant toute sa vie sur la «question nationale». Au départ, sa vision de l'Etat national est opposée au particularisme prussien: elle est grande-allemande et républicaine. Bebel s'opposait ainsi à la Petite-Allemagne (sans l'Autriche) réunie sous la couronne prussienne. Dans un tel Etat, l'intérêt dynastique passait avant l'intérêt national global. Bebel déplorait amèrement la guerre austro-prussienne de 1866 et critiquait avec véhémence la constitution d'une «Ligue nord-allemande», qui contribuait à affaiblir l'ensemble germanique. Lors de la guerre franco-allemande de 1870, Bebel s'opposait au conflit au nom de la solidarité ouvrière internationale et se faisait le défenseur zélé de la Commune de Paris. Après la fondation du IIème Reich à Versailles en 1871, ses positions se feront plus «nationales» et il s'efforcera d'élaborer les assises d'un «patriotisme social-démocrate». L'appartenance à un même ensemble politique, le fait de parler une même langue, créaient les conditions d'une communauté de destin et les socialistes devaient respecter et admettre cet état de choses, tout en soutenant les politiques commerciales qui contribuaient à éliminer les désavantages de l'Allemagne et à assurer son indépendance complète. Le patriotisme social-démocrate qui découle de cette analyse, diverge fondamentalement du nationalisme bourgeois: à l'intérieur, ce patriotisme vise un bouleversement total du statu quo et l'abolition des clivages de classe; à l'extérieur, il prône la fraternisation entre tous les peuples au lieu du chauvinisme de l'exclusion. Est patriotique, selon la définition bebelienne, tout acte politique qui favorise l'émancipation de larges strates de la population et contribue à faire des ouvriers et des défavorisés des citoyens à part entière. Sont anti-patriotiques, en revanche, toutes les formes «bourgeoises» de faire de la politique, lesquelles s'épuisent dans des discours grandiloquents pour, finalement, ne consolider que le statu quo. L'approche bourgeoise de la politique ne permet pas de résoudre les contradictions de l'intérieur, donc affaiblit la nation. Le patriotisme national et l'internationalisme ne sont pas des principes antagonistes, mais des principes complémentaires: les patriotes de tous les pays, tous soucieux du bien-être et de la prospérité de leur peuple, doivent se manifester mutuellement de la solidarité. La conception militaire qui se déduit de ce patriotisme socialiste est une conception de «milice populaire» (Volkswehr), hostile aux «armées permanentes» et dont la mission est purement défensive. L'idéalisme de Bebel connaîtra un cruel démenti en août 1914, quand les sociaux-démocrates applaudissent à la défense du territoire de la Prusse orientale envahie par les armées du Tsar et déplorent mollement l'invasion de la Belgique et du Nord de la France, régions où le socialisme était bien ancré au sein de la population, par les armées permanentes du Kaiser. Bebel est toutefois resté logique avec lui-même: son patriotisme fut réel, de même que son internationalisme. Le livre de Werner Jung nous renseigne amplement sur les courants divergents de la sociale-démocratie allemande, courant qui, au fond, n'ont pas cessé d'exister aujourd'hui. C'est pourquoi, surtout, son ouvrage nous apparaît fondamental (Robert Steuckers).
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vendredi, 05 décembre 2008
Autarcie et grand espace économique en Allemagne 1930-1939
SYNERGIES EUROPÉENNES - ORIENTATIONS (Bruxelles)- JUILLET 1988
Autarcie et économie de "grand-espace"
Recension: Eckart Teichert, Autarkie und Großraumwirtschaft in Deutschland 1930-1939. Außenwirtschaftspolitische Konzeptionen zwischen Wirtschaftskrise und Zweitem Weltkrieg, Oldenbourg, München, 1984, 390 S.
Partisan de l'idéologie économique libérale, Teichert soumet la politique d'autarcie allemande sous le régime national-socialiste à une critique sévère. De cette critique ressortent néanmoins les grandes lignes conceptuelles de la tradition autarcique allemande, bien implantée dans l'arc idéologique conservateur, nationaliste et völkisch. Les concepts d'autarcie et de Großraumwirtschaft (= économie de grand espace) sont flous, explique Teichert, et permettent d'englober des aspirations et des intérêts très divers, ce qui, par la suite, leur permet de fonctionner à vitesses diverses, c'est-à-dire souplement. Plus tard, en 1943, le théoricien Henke parlera d'un "concept idéal mouvant", conteneur de possibles divers et sans cesse en mutation, qui peut agir conformément aux impératifs du temps, sans s'encombrer de principes rigides et dans une dimension résolument volontariste. L'histoire économique allemande de 1930 à 1939 s'est déroulée en deux phases selon Teichert: la première, s'étendant de 1930 à 1934, favorise l'établissement de liens bilatéraux dans un espace homogène et continu (raumgebunden); la seconde phase, de 1934 à 1938, vise, elle, à la constitution d'un espace économique qui échapperait à tout blocus en cas de guerre. Ce projet se couple à une volonté de couvrir les besoins stratégiques à l'importation, au détriment d'une conquête ou d'une consolidation néo-colonial(ist)e des débouchés extérieurs. L'Anschluß, le démembrement de la Tchécoslovaquie et le traité signé avec la Roumanie en mars 1939 font avancer ce projet et correspondent —Teichert ne l'explique pas— à la volonté d'autarcie impériale de Chamberlain en Angleterre (ce qui fait que le Premier anglais accepte Munich). En revanche, elle s'oppose à la volonté de Roosevelt de pénétrer, au profit de l'économie américaine, les marchés européens et extrême-orientaux. Problématique que l'on voit réapparaître aujourd'hui dans les guerres économiques entre les USA et la CEE et à l'annonce de l'échéance 1992.
(Robert STEUCKERS).
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