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jeudi, 30 octobre 2008

Otto Dix: un regard sur le siècle

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Otto Dix, un regard sur le siècle

 

Guillaume HIEMET

 

Le centième anniversaire de la naissance d'Otto Dix a été l'occasion pour le public allemand de découvrir la richesse de la production d'un peintre largement méconnu. Plus de 350 œuvres ont en effet été exposées jusqu'au 3 novembre 1991, dans la galerie de la ville de Stuttgart, puis, à partir du 29 novembre, à la Nationalgalerie de Berlin. Peu connu en France, classé par les critiques d'art parmi les représentants de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit), catalogué comme il se doit, Otto Dix a toujours bénéficié de l'indulgence de la critique pour un peintre qui avait dénoncé les horreurs de la première guerre mondiale, figure de proue de l'art nouveau dans l'entre-deux guerres, et ce, en dépit de son incapacité à suivre la mode de l'abstraction à tout crin dans l'après-guerre. Quelques tableaux servent de support à des reproductions indéfiniment répétées et à des jugements qui ont pris valeur de dogmes pour la compréhension de l'œuvre. A l'encontre de ces parti-pris, les expositions de 1991 permettent aux spectateurs de se faire une idée infiniment plus large et plus juste des thèmes que développent la production de Dix.

 

Dix est né le décembre 1891 à Untermhaus, à proximité de Gera, d'un père, ouvrier de fonderie. Un milieu modeste, ouvert cependant aux préoccupations de l'art; sa mère rédigeait des poèmes et c'est auprès de son cousin peintre Fritz Amann que se dessina sa vocation artistique. De 1909 à 1914, il étudie à l'école des Arts Décoratifs de Dresde. Ses premiers autoportraits, à l'exemple de l'Autoportrait avec oeillet  de 1913, sont clairement inspirés de la peinture allemande du seizième siècle à laquelle il vouera toujours une sincère admiration. Ces tableaux de jeunesse témoignent déjà d'un pluralisme de styles, caractérisé par la volonté d'intégrer des approches diverses, par la curiosité de l'essai qui restera une constante dans son œuvre.

 

La guerre: un nouveau départ

 

En 1914, Dix s'engageait en tant que volontaire dans l'armée. L'expérience devait, comme toute sa génération, profondément le marquer. S'il est une habitude de dépeindre Dix comme un pacifiste, son journal de guerre et sa correspondance montrent un caractère sensiblement différent. La guerre fut perçue par Dix, comme par beaucoup d'autres jeunes gens en Allemagne, comme l'offre d'un nouveau départ, d'une coupure radicale avec ce qui était ressenti comme la pesanteur de l'époque wilhelminienne, sa mesquinerie, son étroitesse, sa provincialité qu'une certaine littérature a si bien décrites. Elle annonçait la fin inévitable d'une époque. Les premiers combats, l'ampleur des destructions devaient, bien sûr, limiter l'enthousiasme des départs, mais le gigantisme des cataclysmes que réservait la guerre, n'en présentait pas moins quelque chose de fascinant. Le pacifiste Dix se rapproche par bien des aspects du Jünger des journaux de guerre. L'épreuve de la guerre pour Ernst Jünger trempe de nouveaux types d'hommes dans le monde d'orages et d'acier qu'offrent les combats dans les tranchées.

 

Avec nietzsche: “oui” aux phénomènes

 

Une philosophie nietzschéenne se dégage, “la seule et véritable philosophie” selon Dix, qui, en 1912, avait notamment élaboré un buste en platre en l'honneur du philosophe de la volonté de puissance. Des écrits de Nietzsche, Dix retient l'idée d'une affirmation totale de la vie en vertu de laquelle l'homme aurait la possibilité de se forger des expériences à sa propre mesure. Ainsi, il note: «Il faut pouvoir dire “oui” aux phénomènes humains qui existeront toujours. C'est dans les situations exceptionnelles que l'homme se montre dans toute sa grandeur, mais aussi dans toute sa soumission, son animalité». C'est cette même réflexion qui l'incite à scruter le champ de bataille, qui le pousse à observer de ses propres yeux, si importants pour le peintre, les feux des explosions, les couleurs des abris, des tranchées, le visage de la mort, les corps déchiquetés.

 

De 1915 à 1918, il tient une chronique des événements: ce sont des croquis dessinés sur des cartes postales, visibles aujourd'hui à Stuttgart, qui ramassent de façon simple et particulièrement intense l'univers du front. Le regard du sous-officier Dix a choisi de tout enregistrer, de ne jamais détourner le regard puis de tout montrer dans sa violence, sa nudité. Les notes du journal de guerre montrent crûment sa volonté de considérer froidement, insatiablement le monde autour de lui. Ainsi, en marche vers les premières lignes: «Tout à fait devant, arrivé devant, on n'avait plus peur du tout. Tout ça, ce sont des phénomènes que je voulais vivre à tout prix. Je voulais voir aussi un type tomber tout à côté de moi, et fini, la balle le touche au milieu. C'est tout ça que je voulais vivre de près. C'est ça que je voulais». Dans cette perception de la réalite, Dix souligne le jeu des forces de destruction, les peintures ne semblent plus obéir à aucune règle de composition si ce n'est les repères que forment les puissances de feu, les balles traçantes, les grenades. Tout dans la technique du dessin sert, contribue vivement à cette impression d'éclatement, les traits lourds brusquement interrompus, hachures des couleurs, parfois plaquées. Le regard est obnubilé par la perception d'ensemble, la brutalité des attaques, vision cauchemardesque qui emporte tout.

 

La dissolution de toute référence stable

 

Le réalisme de ces années 1917-1918 qui caractérise ces dessins et gouaches est dominé par cette absence d'unité, l'artiste a jeté sur la toile tel un forcené la violence de l'époque, la dissolution de toute reférence stable. L'abstraction dit assez cette incapacité de se détourner des éclairs de feu et de se rapprocher du détail. Cette peinture permettra pareillement à Dix de conjurer peu à peu les souvenirs de tranchées. Ce rôle de catharsis, cette lente maturation s'est faite dans son esprit pendant les années qui suivent la guerre. L'évolution est sensible. Ce sont en premier, le cycles des gravures intitulé la Guerre qu'il réalise en 1924 puis les grandes compositions des années 1929-1936. Les gravures presentent un nouveau visage de la guerre, Dix s'attarde à représenter le corps des blessés, les détails de leurs souffrances. Ici, le terme d'objectivité est peut-être le plus approprié, il n'est pas sans évoquer toutefois les descriptions anatomiques du poète et médecin Gottfried Benn. Le soin ici de l'extrême précision, de la netteté du rendu prend chez ces guerriers mourants, mutilés ou dans la description de la décomposition des corps une force incroyable.

 

Les souvenirs de guerre ne se laissaient pas oublier aisément, il avouait lui-même: «pendant de longues années, j'ai rêvé sans cesse que j'étais obligé de ramper pour traverser des maisons détruites, et des couloirs où je pouvais à peine avancer». Dans les grandes toiles qu'il a peintes après 1929, il semble que Dix soit venu à bout des stigmates, entaillés dans sa mémoire, que lui avaient laissées la guerre, ou tout du moins que l'unité ait pu se faire dans son esprit. La manière dont l'art offre une issue aux troubles des passions, ce rôle pacificateur, il l'évoque à plusieurs moments dans des entretiens à la fin de sa vie. Dans ces toiles grands-formats qui exposent maintenant, l'univers de la guerre, se conjuguent une extrême précision et l'entrée dans le mythe que renforce encore la référence aux peintres allemands du Moyen-Age. Dix a choisi pour la plus importante de ces oeuvres, un tryptique, La Guerre, la forme du retable. Le renvoi au retable d'Isenheim de Mathias Grünewald, étrange et impressionnant polyptique qui dans la succession de ses volets propose une ascension vers la clarté, l'aura de la Nativité et de la Résurrection, est explicite. En comparaison, le triptyque de Dix semble une tragique redite du premier volet de Grünewald, La tentation de Saint Antoine. Ici, l'univers apocalyptique de la guerre, la mêlée de corps sanglants, les dévastations de villages minés par les obus, correspondent aux visions délirantes de monstres horribles et déchainés, aux corps repoussants, aux gueules immondes mues par la bestialité de la destruction chez Grünewald.

 

des tranchées aux marges de la société

 

L'impossibilité de s'élever vers la clarté, l'éternel recommencement du cycle de destructions est accentué par l'anéantissement du pont qui ferme toute axe de fuite et le dérisoire cadavre du soldat planté sur l'arche de ce pont qui forme une courbe dont l'index tendu pointe en direction du sol. Le cycle du jour est rythmé par la marche d'une colonne dans les brouillards de l'aube, le paroxysme des combats du jour, et le calme, la torpeur du sommeil, les corps allongés dans leur abris que montre la predelle (le socle du tableau). L'effet mythique est encore accentué par la technique qu'utilise Dix pour ces toiles: la superposition de plusieurs couches de glacis transparents, technique empruntée aux primitifs allemands, qui nécessite de nombreuses esquisses et qui confère une perfection, une exactitude extraordinaire aux scènes représentées. Ainsi dans le tableau de 1936, la mort semble être de tout temps, la destinée des terres dévastées de Flandre  —“en Flandre, la mort chevauche...”, selon les paroles d'un air de 1917—,  et le combat dans son immensité parvient à une dimension cosmique.

 

Sous la République de Weimar, Dix conserve en grande partie le style éclaté des peintures de guerre. Il demeure successivement à Dresde, Düsseldorf, Berlin puis à nouveau Dresde jusqu'en 1933. Les thèmes que traite Dix se laissent difficilement résumer: le regard froid des tranchées se tourne vers la société, une société caractérisée, disons-le, par ces marges. Dix est fasciné par le mauvais goût, la laideur, les situations macabres, grotesques. L'esprit du temps n'est pas étranger à cet envoûtement pour la sordidité, et souvent ses personnages tiennent la main aux héroïnes de l'opéra d'Alban Berg Lulu:  thèmes des bas-fonds de la littérature, aquarelles illustrants les amours vénales des marins, accumulation de crimes sadiques décrits avec la plus grande exactitude. Le cynisme hésite entre le sarcasme et l'ironie la moins voilée. L'atmosphère incite aux voluptés sommaires, comme disait un écrivain français. Une des figures qui apparaît le plus souvent et qui nous semble des plus caractéristiques, est celle du mutilé. La société weimarienne ne connaît pour Dix qu'estropiés, éclopés, que des bouts d'humanité, et tout donne à penser que ce qui est valable pour le physique l'est aussi pour le mental. Ainsi les cervelets découpés et asservis aux passions les plus vulgaires et les plus automatiques.

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déshumanisation, désarticulation, pessimisme

 

Une des peintures les plus justement célèbres de Dix, la Rue de Prague  en 1920, fournit un parfait résumé des thèmes de l'époque. D'une manière particulièrement féroce, Dix place les corps désarticulés de deux infirmes à proximité des brillantes vitrines de cette rue commerçante de Dresde, dans lesquelles sont exposés les mannequins et autres bustes sans pattes. Le processus de déshumanisation est complet, les infirmes détraqués, derniers restes de l'humain trouvent leur exact répondant dans la vie des marionnettes. La composition du tableau  —huile et collage—  accentue d'autant plus la désarticulation des corps, la régression des mouvements et pensées humains à des processus mécaniques dont l'aboutissement symbolique est la prothèse. Nihilisme, pessimisme complet, dégoût et aversion affichée pour la société, il y a sans doute un peu de tout cela.

 

Bien des toiles de cette époque pourraient être interprétées comme une allégorie méchante et sarcastique de la phrase de Leibniz selon laquelle “nous sommes automates dans la plus grande partie de nos actions”. L'absence de plan fixe, de point d'appui suggère cette dégringolade vers l'inhumain. Le rapprochement de certains tableaux de cette époque  —Les invalides de guerre, 1920—  avec les caricatures de George Grosz est évident, mais celui-ci trouve bientôt ses limites, car très vite il apparaît que si la source de tout mal pour Grosz se situe dans la rivalité entre classes, pour Dix, le mal est beaucoup plus profond. La société tout entière se vend, tel est le thème du grand triptyque de 1927-1928, La grande ville, misère et concupiscence d'une part, apparence de richesse, faste et vénalité de l'autre. Rien ne rachète rien. On a souvent reproché à Dix son attirance pour la laideur, la déchéance physique et la violence avec laquelle il traite ses sujets. La volonté de provocation rentre directement en ligne de compte, mais plus profondément, ces thèmes se présentaient comme un renouvellement de la peinture. Il avouait d'ailleurs: “j'ai eu le sentiment, en voyant les tableaux peints jusque là, qu'un côté de la réalité n'était pas encore représenté, à savoir la laideur”.

 

Haut-le-cœur, immuables laideurs

 

Si l'impressionnisme a porté le réalisme jusqu'à son accomplissement ce qui n'était pas sans signifier l'épuisement de ces ressources, les tentatives des années vingt restent exemplaires. Le beau classique s'était mû en un affadissement de la réalité, la perte de la force inhérente à la peinture ne pouvait être contrecarrée d'une part, que par une abstraction de plus en plus poussée à laquelle tend toute la peinture moderne, de l'autre, par la confrontation avec un réel non encore édulcoré. Naturellement, de la façon dont Dix, animé d'une sourde révolte, tire sur les conformismes du temps, on comprend le haut-le-cœur des contemporains devant ces corps qui semblent jouir du seul privilège de leur immuable laideur. Aujourd'hui cependant, le spectateur n'est pas sans sourire à cette atmosphère encanaillée des pièces de Brecht, aux voix légèrement discordantes, le parler-peuple de l'Opéra de Quatre-sous. Il en est de même de la caricature de la société de Weimar, attaque frontale contre les vices et vertus de l'époque à laquelle procède méthodiquement Dix, époque de vieux, de nus grossiers, de mères maquerelles, de promenades dominicales pour employés de commerce.

 

La toile Les Amants inégaux  de 1925, dont il existe également une étude à l'aquarelle, condense particulièrement les obsessions chères à Dix. Un vieillard essaie péniblement d'étreindre une jeune femme aux formes imposantes qui se tient sur ses genoux. Le caractère vain du désir, l'intrusion de la mort dans les jeux de l'amour que symbolisent les longues mains décharnées du vieillard forment une danse étonnante de l'aplomb et de la lassitude, de la force charnelle et de sa disparition.

 

les révélations des autoportraits

 

Dix a tout au long de sa vie produit un grand nombre de portraits. L'exposition de Stuttgart en 1991 a montré le fabuleux coloriste qu'il fut. Il affectionne les rouges sang, le fard blanc qui donne aux visages quelque chose du masque, de tendu et de crispé, et les variations de noir et de marron que fournit la fourrure de Martha Dix dans le magnifique portrait de 1923. Selon l'aveu même du peintre, l'accentuation des traits jusqu'à la caricature ne peut que dévoiler l'âme du personnage et la résume d'une façon à peu près infaillible. Il n'est pas interdit de retourner cette remarque à Dix lui même, car il n'est pas sans se projetter dans sa peinture et tout d'abord, dans les nombreux autoportraits que nous disposons de lui. L'esprit qui anime les peintures de l'entre-deux guerres se retrouvent ici aisément: l'Autoportrait avec cigarettes de 1922, une gravure, partage la brutalité des personnages qu'il met en scène. Dix se présente les cheveux gominés, les sourcils froncés, le front décidément obtus, la machoire carrée, bref, une aimable silhouette de brute épaisse dont seul la finesse du nez trahit des instincts plus fins que viennent encore démentir la clope posée entre les lèvres serrées. Qui pourrait nier que ces autoportraits fournissent des équivalences assez exactes de la rudesse et de la brutalite de la peinture de Dix?

 

Art dégénéré ou retour du primitivisme allemand?

 

A partir de 1927, Dix fut nomme professeur à 1'Académie des Beaux-Arts de Dresde. En 1933, quelques temps après 1'arrivée au pouvoir du nouveau régime, il est licencié. Dix représentait pour le régime nazi le prototype de l'art au service de la décadence, et des œuvres tels que Tranchées, Invalides de guerre, eurent l'honneur de figurer dans l'exposition itinérante ”d'art dégenéré” organisée par la Propagande du Reich en 1937, plaçant Dix dans une situation délicate. Il est clair que Dix n'a jamais temoigné un grand intérêt pour la chose politique, refusant toute adhésion partisane avec force sarcasmes. Mais, rétrospectivement, ces jugements apparaissent d'autant plus absurdes que la manière de Dix depuis la fin des années vingt avait déjà considérablement évoluée et témoignait d'un très grand intérêt pour la technique des primitifs allemands que le régime vantait d'autre part. Situation ô combien absurde, mais qui devait grever toute la production des années trente.

 

En 1936, 1'insécurité présente en Saxe l'incite à s'installer avec sa famille sur les bords du lac de Constance dans la bourgade de Hemmenofen. A l'exil intérieur dans lequel il vit, correspond une production toute entière consacrée aux paysages et aux thèmes religieux. Tous ces tableaux montrent une maîtrise peu commune, l'utilisation des couches de glacis superposés, fidèle aux primitifs allemands du seizième, permet une extraordinaire précision et la description du moindre détail. Si Dix a pu dire qu'il avait été condamné au paysage qui, certes, ne correspondait pas au premier mouvement de son âme, on reste néanmoins émerveillé par certaines de ses compositions. Randegg sous la neige avec vol de corbeaux  de 1935: la nuit de 1'hiver enclot le village recouvert d'une épaisse couche de neige, les arbres qui se dressent dénudés évoquent les tableaux de Caspar David Friedrich, unité que seule perçoit le regard du peintre. Loin de se contenter d'un plat réalisme, cet ensemble n'a jamais rendu aussi finement la présence du peintre, léger recul et participation tout à la fois à l'univers qui l'entoure.

 

Devant les gribouilleurs et autres tâcherons copieurs de la manière ancienne aux ordres des nouveaux impératifs, et dans une période où l'humour est si absent des œuvres de Dix, celui-ci semble dire magistral: “Tas de boeufs, vous voulez du primitif, en voilà!”. Art de plus en plus contraint à mesure que passaient les années, mais au moyen duquel Dix exposait une facette majeure de sa personnalité. Dès 1944, il éprouvait le besoin d'en finir avec cette technique minutieuse, exigeante qui bridait son besoin de créativité. La dynamique formelle reprend vivement le dessus dans ses Arbres en Automne de 1945 où les couleurs explosent à nouveau triomphantes. Les peintures de la fin de sa vie renouent avec la grossièreté des traits des œuvres des années vingt.

 

Peu reconnu par la critique alors que le combat pour l'art abstrait battait son plein, Dix est resté, dans ces années, en marge des nouveaux courants artistiques auxquels il n'éprouvait aucunement le besoin d'adhérer. Les thèmes religieux, ou plutôt une imagerie de la bible qu'il essaie étrangement de concilier avec la philosophie de Nietzsche, tiennent dans cette période un rôle fondamental. Sa peinture semble parvenir à une économie de moyens qui rend très émouvantes certaines de ses toiles  —Enfant assis, Enfant de réfugiés, 1952—, la prédisposition de Dix pour les couleurs n'a jamais été aussi présente, l'Autoportrait en prisonnier de guerre  de 1947 est organisé autour des taches de couleur, plaquées sur un personnage muet, vieilli, dont les traits se sont encore creusés. Après plusieurs années de vaches maigres, les honneurs des deux Allemagnes se succédèrent  —il resta toujours attaché à Dresde où il se déplaçait régulièrement . Atteint d'une première attaque en 1967 qui le laissa amoindri, il devait néanmoins poursuivre son travail jusqu'à sa mort deux ans plus tard. Un des ces derniers autoportraits, l'Artiste en tête de mort, montre le crâne du peintre ricanant ceint de la couronne de laurier, image troublante qui rejette au loin les nullissimes querelles entre art figuratif et art abstrait.

 

Guillaume HIEMET.

 

Les citations sont tirées de : Eva KARCHNER, Otto Dix 1891-1969, Sa vie, son œuvre, Benedikt Taschen, 1989.

mercredi, 29 octobre 2008

H. von Hofmannsthal et "l'enténèbrement du monde"

Hugo von Hofmannsthal et « l’enténèbrement du monde »

samedi, 25 octobre 2008

Dix millions de "Coccinelles"

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Dix millions de coccinelles

 

 

Il faut bien qu'il y ait beaucoup de choses de pourri dans notre bon monde de “correction politique” pour qu'un romancier comme Saint-Loup connaisse à nouveau un succès d'estime certain auprès d'une fraction grandissante de la jeunesse eu­ropéenne. Quatre ans après sa mort, ses livres continuent à être réédités méthodiquement et les hommes courageux qui s'emploient à cette tâche sont toujours surpris de voir avec quel enthousiasme on se rue sur ces ouvrages.

 

Pour les tenants de l'anti-FRAT (Fascisme-Racisme-Antisémitisme-Totalitarisme: expression forgée par un autre héré­tique des temps modernes le professeur Notin), Saint-Loup restera seulement l'apologiste des réprouvés de la Waffen-SS francaise.

 

Mais son œuvre est bien plus vaste. Il fut aussi un analyste formidable des grands travaux publics et semi-publics de ce vingtième siècle finissant. Et c'est ici l'aventure automobile qui nous est contée. En effet, à la fin des années 60, après avoir achevé sa trilogie sur les derniers défenseurs du bunker de Hitler à Berlin et avant de commencer son cycle sur les patries charnelles, Saint-Loup termine une autre trilogie: après avoir publié les magistrales biographies de Louis Renault (1955) et de Marius Berliet (1962), il écrit Dix millions de coccinelles, l'histoire de la Volkswagen qui, en quelques décennies, va conquérir l'univers.

 

Mais en 1976, c'est 21 millions de “Cox” qui ont été vendues sur la planète depuis sa création. Tous les journaux automo­biles portent aux nues le fer de lance de notre belle société de consommation, en lui rendant aujourd'hui un hommage bien mérité. On la fabrique toujours au Mexique. On ne pouvait plus l'acheter neuve sur le marché européen: là aussi, à force de célébrer son génie sur l'autel consacré au dieu Hermès, elle va effectuer son retour, en star comme une actrice mythique ou un chanteur adulé qui fait sa dernière tournée de chant! Oui, en 1999, fiers nostalgiques de la belle époque, vous pourrez à nouveau l'acheter, flamboyante, en France, en Allemagne, en Italie... Et dire qu'elle a été conçue à la fin des années 30, alors que la France devait attendre près de quinze ans pour avoir sa toute petite réplique de voiture nationale, la 2CV, la “deux pattes”, ou la 4CV de Renault.

 

En premier lieu, soulignons dans cette édition une ambiguité éditoriale assez édifiante: Dix millions de coccinelles,  en page de titre est bien le véritable titre (car en 1968, date de la première publication du livre, seulement 10 millions de ces curieux véhicules ont été vendus); mais ce livre est à la fois non moins significativement sous-titré “l'épopée automobile du Troisième Reich” en “une” de couverture et aussi “l'épopée industrielle du Troisième Reich” en quatrième de couverture. Industrie, automobile, l'un ne va pas sans l'autre, sans l'automobile il n'y aurait pas eu d'épopée industrielle, ni de cocci­nelles, ni par conséquent le succès politique, économique et social fulgurant qu'a connu le Troisième Reich avant la guerre.

 

Pour ce qui est du contenu du livre proprement dit, les partisans de la pensée unique découvriront avec horreur que la voi­ture la plus populaire ayant jamais existé et qui, seule, soixante ans après sa conception, continue à rouler dans le monde entier, a été conçue grâce à la rencontre quasi miraculeuse d'un ingénieur autodidacte de génie Ferdinand Porsche et d'un homme politique un peu particulier, à savoir Adolf Hitler. Comme celui qui lui servira de cornac, Ferdinand Porsche était Autrichien: «c'étaient de toutes petites gens», nous dit Saint-Loup, «mais issus des profondeurs biologiquement intactes des races germaniques et ouverts à ce titre aux plus grandes ambitions créatrices».

 

Porsche  —«Cet homme qui manque totalement de culture, mais dont le cerveau, dans le domaine de la création, valait toutes les équipes de recherche d'une douzaine d'universités»—  est entouré d'ingénieurs exclusivement autrichiens. Et comme le constructeur Enzo Ferrari, qu'admirait également Saint-Loup, il travaille aussi en symbiose avec le monde ou­vrier et c'est bien sûr grâce aux grands projets étatiques qu'il vécut cette grande aventure industrielle, cette véritable chan­son de geste du vingtième siècle, tout de forges et d'enclumes.

 

Jusque dans la construction de la gigantesque ville-usine de 9000 habitants, Adolf Hitler fera confiance à un architecte de trente ans de petite taille, à l'allure de Wandervogel,  les cheveux dressés sur la tête, la chemise ouverte sur la poitrine, culottes en cuir, le visage ouvert, naturellement rieur et bien sûr lui aussi Autrichien! N'en déplaise aux sectateurs du grand métissage universel généralisé, la cohérence ethnique peut aussi donner de bons résultats, tout simplement parce que la cohésion de toute équipe humaine est plus forte quand on partage la même gouaille dialectale (la fameuse tétraglossie du linguiste Gobard!), quand on a aimé les mêmes paysages, connus les mêmes auberges ou les mêmes brasseries, les mêmes écoles et les mêmes bals!

 

Constatons également que des capitaines d'industrie de la sorte existent bel et bien dans cet univers du millénaire qui s'achève mais ceux-ci sont dans une impossibilité totale de s'exprimer et doivent par conséquent croupir dans des postes d'employés à cause d'une société jalonnée d'obstacles en diplômes, administrations, convenances sociales et autres, où, pour un être créatif, tout, absolument tout, est fait pour qu'il n'y parvienne jamais, ceci afin de préserver l'ordre établi, car où irait-t-on si des petits génies de la campagne bousculaient à tout bout de champ les cours en bourse avec leurs satanées in­ventions!

 

Sinon, au-delà de l'aventure extraordinaire des hommes, des expéditions pendant la guerre dans la version militaire de la “Cox”, c'est-à-dire la “Kübelwagen” et la vie quotidienne dans la ville païenne, Stadt des KDF-Wagens, privée d'église, mais surmontée d'une acropole du travail et de la joie, on sent confusément que l'écrivain éprouve un certain scepticisme par rapport à l'univers qui était en train de s'édifier dans la future Wolfsburg, sur les autoroutes du Reich et par cet engoue­ment généralisé pour les machines, les autos et le moteurs.

 

En effet, insistons tout de même sur une des idées-forces de ce récit: malgré l'aventure industrielle et étatique dont il est question ici, l'auteur n'oublie pas son idéal libertaire et écologiste, celui des “copains de la belle étoile”, de l'expérience du Contadour de Jean Giono et de son vieux maître, un des rares écrivains français authentiquement völkisch/folciste, au sens allemand du terme, Alphonse de Chateaubriant: il pense sans doute aux vieux idéaux de liberté germanique, lorsqu'il évoque les contrôleurs des firmes automobiles: «en manteau de cuir noir tombant jusqu'aux chevilles dans ce style mili­taire, qui, lentement et comme à regret, impose à l'Allemagne un nouveau visage...».

 

Et aussi un peu plus loin: «[...] c'est parce que les nationaux-socialistes détestent l'anarchie, prétendent donner un sens à l'histoire, contraindre l'homme à suivre une direction spirituellement et biologiquement préétablie, qu'on verra bientôt s'allonger les premiers fils de fer barbelés, les premiers miradors émerger au dessus des perspectives de sapins et terres grises, les premiers gardiens de camps s'opposer au chaos qui partout et toujours nait des grands bouleversements indus­triels, n'épargnant pas plus Wolfsburg que les autres coins d'Europe [...]».

 

Ainsi, un des axes centraux de ce roman à thèse, comme c'est toujours le cas avec Saint-Loup, est de nous faire prendre conscience des contradictions internes du régime national-socialiste, ballotté entre son désir de préserver les traditions, d'une part, et de sa facilité à céder à l'attraction des miroirs aux alouettes que tend la societé moderne, d'autre part, et qui reste finalement le grand débat qui mérite vraiment d'être tenu en cette fin de siècle. En effet, nous ne prenons pas de grands risques en disant que si le Troisième Reich avait gagné la guerre, les populations, vivant dans cette ville nouvelle et les autres qui, à coup sûr, se seraient multipliées, passé le premier enthousiasme procuré par la société de consommation, auraient souffert, elles aussi, inéluctablement, des pathologies de la civilisation, exactement comme les populations ac­tuelles des grandes villes occidentales. Or, coupé des liens du sol, il n'y a pas de salut. C'est seulement dans un cadre en­raciné que peuvent s'épanouir les hommes. La technique comme fin en soi est une horreur. L'enracinement et le lien avec la nature au sein d'une communauté sont indispensables pour l'équilibre psychologique des populations quel que soit leur sang.

 

Avec cette réalisation mirifique pour l'époque, le régime national-socialiste ne faisait qu'imiter  —avec une perfection supé­rieure toutefois—  le taylorisme américain (voir les usines Ford) ou le productivisme soviétique. Et une forme d'art natio­nal-socialiste a été produite par ce type de civilisation: la Stadt des KDF-Wagens était futuriste comme l'avaient préconisé les architectes des mouvements italiens et soviétiques de cette époque. Et en plus on l'a construite en détruisant une partie de la lande du Lüneburg, si chère à l'écrivain Hermann Löns.

 

Ainsi toute l'ambiguité de ce système apparaît dans sa praxis politique et dans sa difficulté à concilier tradition et modernité. Sur le plan politique, ce sont Albert Speer et Walther Darré qui s'opposent. Du coté du ministre de l'industrie et de la cons­truction, ce sont des réalisations architecturales grandioses, le futurisme des grandes avenues, la Stadt des KDF-Wagens, les automobiles et son corollaire d'industrie, de commerces et de pollution... Du coté du ministre de l'agriculture Darré, il s'agit du Hegehof, la ferme organique de conservation, la préservation de la diversité des espèces végétales et animales de la lande de Lüneburg, une vision de la société organique et écologique... Walther Darré étant peut-être un des premiers hommes politiques à vouloir transcrire dans la réalité sociale un discours écologiste. Il est bien évident qu'après sa démis­sion en mars 1942 par Hitler, les imperatifs industrialo-militaires du Reich en difficulté annihileront toute initiative concrète dans ce sens écologique. Et nous ne parlons même pas de l'après-guerre, où la reconstruction a pris le pas sur toutes autres considérations, a fortiori en matières d'urbanisme et d'écologie...

 

Quant à Saint-Loup, il tranche sans ambages ce débat en faveur des idées du sang et du sol, se rapprochant davantage de Darré que de Speer. Pour s'en convaincre nous ne reproduirons que deux courtes citations du livre: «Les ouvriers de cette usine composent déjà un de ces tableaux dont l'avenir va multiplier les versions: l'homme tombé dans la servitude des ma­chines qu'il a créées pour le meilleur et pour le pire!». Et il conclut son ouvrage de la sorte: «La coccinelle appartient dé­sormais à l'univers déshumanisé des moyens industriels et des techniques qui se suffit presque à lui-même... pour le meilleur ou pour le pire! Le pire fort probablement!».

 

Par cette démonstration littéraire souvent magistrale et au-delà de ce débat plus que jamais d'actualité, le jeune lecteur (et les autres aussi...), passionné par l'automobile, dans ce récit haletant mené sans aucun temps mort, découvrira la fidélité absolue du peuple allemand et des autres peuples de la Terre à cette petite auto toute en rondeurs, au-delà même de la dé­faite de son concepteur, et cette passionnante épopée lui rappelera que “là où il y a une volonté, il y a un chemin”.

 

Pascal GARNIER.

 

SAINT-LOUP, Dix millions de coccinelles, Ed. L'Æncre (12 rue de la Sourdière, F-75.001 Paris), 1996, 366p. + 8 p. de photos hors texte, 185 FF.

vendredi, 24 octobre 2008

Des Corps Francs à la révolution allemande

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Des Corps Francs à la révolution allemande

 

 

Le renouveau des idées nationales dans le monde entier semble avoir inspiré l'ancien chef charismatique d'Europe Action:  fini (provisoirement?) les excellents livres sur les armes, il faut dire aussi que son ami intime et spécialiste ès-vennerie François de GROSSOUVRE est maintenant décédé.

 

Par contre, nous avons assisté au lancement avec succès de sa luxueuse et toujours intéressante revue Enquête sur l'histoire, à la publication d'un livre autobiographique Le cœur rebelle  et de plusieurs essais historiques Gettysburg, Histoire critique de la Résistance (voir NdSE n°16) et maintenant cette Histoire d'un fascisme allemand, version remaniée et enrichie de son maître-ouvrage Baltikum paru en 1974. Ce livre d'une grande profondeur philosophique est également une synthèse de bonne facture sur la “Révolution allemande”.

 

L'action se déroule durant la République de Weimar et la situation politique, économique et sociale rappelle la situation d'aujourd'hui: culture cosmopolite et composite, corruption à tous les niveaux, crise économique grave se traduisant par notamment un chômage de masse, la présence humilante pour les citoyens allemands des années 20 des soldats français et sénégalais sur les rives du Rhin, anticipant le phénomène actuel de l'immigration ou de l'occupation américaine...

A mon sens cependant deux différences essentielles:

* Les pathologies de la civilisation étaient bien moins présentes (voir en ce moment la montée de la petite délinquence, de la consommation de psychotropes, et autres divers échappatoires de la société qui se décompose).

* L'inexistence (hormis la presse) du système médiatique qui abrutit les masses en pensant évidemment au premier d'entre eux, la télévision.

Et c'est ce qui explique que les populations ne réagissent plus, n'aient plus cette envie instinctive de se battre les armes à la main afin de pouvoir encore exister en tant qu'entité culturelle et biologique. C'est la raison pour laquelle le lecteur du livre de Venner peut parfois avoir du mal à comprendre que des milliers et des milliers de combattants des Corps Francs aient pu mourir au combat, le plus souvent contre la volonté de leur propre armée et de leurs gouvernants pour défendre leur patrie.

 

Pour l'instant ce phénomène de guerre civile semble nous être épargné dans ses épisodes les plus sanglants et nous ne pouvons que constater que le système médiatique et l'opulence matérielle annihilent la volonté des protagonistes d'en découdre manu militari, le combat se déroulant à “fleurets mouchetés”, de bons nerfs étants plus utiles que le courage physique. De toutes manières, dans de telles époques, l'individu actif conserve son autonomie et son pouvoir pour accroître le désordre, agir dans le sens de la destruction, mais ce pouvoir lui est refusé pour bâtir.

 

Les écrits de ce temps reflètent cette violence et tout cela le Jünger de la période nationale-révolutionnaire l'avait bien compris: Dominique Venner nous rapporte une de ses citations qui le rapproche de l'esprit d'un soldat politique: «L'ordre est l'ennemi commun... La destruction est le seul programme qui remplisse les exigences nationalistes». Le célèbre chef de Corps Francs, Roßbach lui-même, en termes encore plus crus, ne disait pas autre chose: «Rassembler des hommes pour en faire des soldats, se quereller, boire, rugir et casser des fenêtres, détuire et mettre en pièces ce qui doit être détruit. Etre sans scrupules et inexorablement dur. L'abcès doit faire couler beaucoup de sang rouge. Et il faut le laisser couler un bon moment, jusqu'à ce que le corps soit purifié». Et c'est vrai qu'un certain nombre de responsables de la République de Weimar finissent leur vie éxécutés par des groupes armés: Gareis, Rathenau, Erzberger, etc...

 

A la lecture de ce livre, aussi minutieux que vivant, nous comprenons d'une manière très complète l'état d'esprit des Corps Francs: le guerrier de la première guerre mondiale laisse la place à une sorte de lansquenet des temps modernes, influencé par l'image toujours présente des Wandervögel; rarement ils haïssent les communistes et ne les méprisent jamais. En revanche, leur dégoût pour les bourgeois, les politiciens, les intellectuels et les Juifs (Zeitgeist  oblige...) est certain. Ils savent aussi faire preuve d'une grande adaptabilité dans leur comportement. Pour ne citer qu'un seul exemple, certains Corps Francs, lorsque leur existence légale est menacée, se transforment alors en communauté de travail agricole, sorte de phalanstères guerrières mais aussi réponse au penchant germanique pour la colonisation militaire.

 

L'auteur situe la fin de la Révolution des Corps Francs le jour du putsch de Munich, le 9 novembre 1923. Après le temps de ces lansquenets viendra le temps des politiques. En effet, Adolf Hitler veut utiliser la légalité pour arriver au pouvoir. Beaucoup de Corps Francs vont le lui reprocher: ils se perdront irrévocablement dans ce combat politique.

 

Ainsi Venner aime ces périodes troubles et agités qui permettent à des chefs de bande de donner la pleine mesure de leur capacité. Clin d'oeil de l'histoire: comme les Corps Francs se sont levés après l'humiliation du traité de Versailles, la France, après avoir cédé l'Algérie, verra une bande de jeunes gens se dresser face à la décadence: son chef en était Dominique Venner, la bande c'était Europe-Action. Beaucoup d'entre eux continuent une carrière brillante non seulement au sein du mouvement national mais aussi ailleurs. Venner a été d'une certaine manière leur guide spirituel comme Ernst Jünger celui des anciens des Corps Francs. Venner entretient depuis quelque temps une correspondance avec celui, centenaire aujourd'hui, qui a été la conscience politique et philosophique de la “Révolution Conservatrice”.

 

Et aussi comme Jünger l'avait fait à partir de 1929, Venner, dans les années 70, s'est retiré de tout militantisme politique pour se consacrer à son œuvre. Mais le bon grain avait été semé. Il est vrai également que tous les deux éprouvaient le besoin de faire une pause dans ce parcours commencé si tôt par un engagement dans la légion dès l'âge de 15 ans. Etrange parallèle de ces deux destins à un demi siècle de distance.

 

Sans doute, est-ce la raison pour laquelle Venner a rajouté deux très beaux chapitres sur la Révolution Conservatrice, sorte d'espace métapolitique allemand des années 20, et une analyse très fine de l'œuvre de Jünger, hommage de l'élève à son maître.

 

Pascal GARNIER.

 

Dominique VENNER, Histoire d'un fascisme allemand. Les Corps Francs du Baltikum et la Révolution Conservatrice, Pygmalion/Gérard Watelet, Paris,1996, 380 p., 139 FF.

 

mercredi, 22 octobre 2008

L. F. Céline et Karl Epting

A paraître : Louis-Ferdinand Céline et Karl Epting

Présentation de l'éditeur
Karl Epting (1905-1979) fut l’un des représentants les plus influents de la culture allemande dans le Paris des années 30 et 40. En 1932, après la parution de Voyage au bout de la nuit, il se proposa de faire connaître Céline en Allemagne. Leur première rencontre eut lieu en 1937, et leurs rapports durèrent jusqu’à la mort de l’écrivain. Frank-Rutger Hausmann fait le point sur les relations entre les deux hommes et propose, pour la première fois, l’intégralité de la correspondance adressée par Céline à Karl Epting. Englobant la période située entre 1941 et 1960, ces lettres offrent des renseignements précieux à la fois sur la biographie de Céline et sur les relations franco-allemandes sous l’Occupation. On trouvera également dans cet ouvrage plusieurs textes de Karl Epting, dont tous ceux qu’il a écrits sur Céline, et une bibliographie exhaustive.

L'auteur
Professeur de langues et littératures françaises et italiennes à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, Frank-Rutger Hausmann a notamment publié des éditions commentées de Dante, Villon et Rabelais. Il a également écrit des introductions aux études médiévales et humanistes, ainsi que plusieurs monographies sur les universités allemandes durant la période nationale-socialiste.


Frank-Rutger Hausmann, L-F Céline et Karl Epting, Ed. Le Bulletin célinien, 2008.

Commande possible auprès du Bulletin célinien:
Le Bulletin célinien
B P 70
1000 Bruxelles 22
Belgique

celinebc@skynet.be

mardi, 21 octobre 2008

Carl Schmitt: l'humanité

L'Humanité

Trouvé sur: http://metanoia.hautetfort.com

« L'Humanité n'est pas un concept politique […]. L'Humanité des doctrines fondées sur le Droit naturel, libérales et individualistes, est une construction sociale idéale de caractère universel, c-à-d. englobant tous les hommes de la terre (...), qui ne sera pas réalisée avant que ne soit éliminée l'éventualité effective du combat et que soit rendu impossible tout regroupement en amis et ennemis. Cette société universelle ne connaîtrait plus de peuples (...) Le concept d'Humanité est un instrument idéologique particulièrement utile aux expansions impérialistes, et sous sa forme éthique et humanitaire, il est un véhicule spécifique de l'impérialisme économique (...) Étant donné qu'un nom aussi sublime entraîne certaines conséquences pour celui qui le porte, le fait de s'attribuer ce nom d'Humanité, de l'invoquer et de le monopoliser, se saurait que manifester une prétention effrayante à faire refuser à l'ennemi sa qualité d’être humain, à la faire déclarer hors la loi et hors l'Humanité et partant à pousser la guerre jusqu'aux limites extrêmes de l'humain ».

 

Carl Schmitt
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Parler d’Humanité revient à refuser que l'on s'intéresse à notre avenir, à notre réalité, qui est l’Européanité. Ce ne peut être qu’une régression vers l’Indéterminé ; autrement dit pour vous et moi le meilleur moyen de ne jamais être en tant que personnes, de ne jamais vivre et faire vivre dans des sociétés véritablement organisées.

*

L’Humanité, ce qui unit vulgairement toutes les cultures et les peuples, c’est le ventre, la libido, la naissance et la mort. Tout le reste ne concerne plus que des groupes restreints au sein de cette Humanité qui par là même, perd immédiatement toute valeur. Il existe au sein de cette Humanité des groupes raciaux, distincts par leurs caractéristiques physiques, leurs groupes sanguins, leurs QI et leur niveau d’adaptation à tel ou tel milieu, distincts encore par leur vulnérabilité à telle ou telle maladie. Le simple point de vue biologique, qui participe à priori à unir conceptuellement les hommes, ne débouche en fait que sur l’idée d’un pluriversum constitué de communautés humaines plus ou moins radicalement liées à un Sol particulier (Une Terre – Un Peuple). Le concept d’humain n’a donc une valeur que toute relative, qui n’a en tout cas aucune légitimité supérieure sur le plan politique, et ne peut qu’être l’arme d’une idéologie bien précise, à proprement parler contre nature. Une idéologie qui postule l'identité absolue des peuples afin de la réaliser, une sorte de communisme du XXIe siècle faisant directement appel à l'idée des types humains sans même passer par l'intermédiaire d'une rhétorique classiste. Une idéologie qui postule l'unité du genre humain pour mieux mener l'extermination des types porteurs de la culture et du sens. 

C’est sur le plan de la culture que doit principalement porter notre questionnement, sur ce qui, en somme, semble être le propre de l’homme. L’homme est un être de culture, et en cela non plus, il n’y a pas d’Humanité, mais une série de communautés qui sont donc à la fois ethniques et culturelles. La culture est le diviseur par excellence, ce qui distingue avec autant d’évidence que le corps l’Africain de l’Européen, le Japonais du Juif. Des forces distinctes, et souvent irréductibles, antagonistes, se côtoient et s’affrontent pour le respect sur une ère donnée de telle ou telle conception culturelle, plus fortement encore que pour le respect de telle ou telle présence raciale. Reconnaître que l’homme n’est pas seulement bios, mais aussi culture, c’est reconnaître définitivement que l’Humanité n’existe pas, ou du moins qu’elle est plurielle et en cela relative. Nous sommes humains avant d’être des Européens sur le plan biologique, encore que cela soit contestable, mais nous sommes d’abord des Européens sur le plan culturel – autrement dit, sur un plan supérieur - celui de notre humanité totale, réelle. Bien entendu, la culture ne correspond pas exactement au groupe racial, mais il est tout à fait évident que cette production est en partie le fait de notre patrimoine biologique, directement ou indirectement (Un Sang – Une Esthétique ; Une Terre – Une vision du Sacré). Quant à la question de l’adoption d’une culture d’origine allogène par un peuple, elle est dérisoire sur le plan de l’argumentation politique pour trois raisons : la première est que cette adoption est généralement le fait d’un échec (défaite militaire, décadence intérieure), la seconde est qu’elle débouche sur un syncrétisme (c’est ainsi que le judaïsme universalisé a donné naissance au catholicisme et son culte des Saints, des anciennes sources, à ses églises dans des arbres, …), et la troisième que l’ampleur des nouvelles Grandes Invasions est telle qu'elles constituent essentiellement un mouvement anti-culturel, non de transformation mais de destruction pure et simple. 

*

Le seul type d’individu qui convienne à la notion d’Humanité, c’est l’atome sans race incapable d'être porteur de la moindre esthétique parce qu’il nie lui-même l’évidence de son rapport immédiat au Beau et au Laid (« l’homme est la mesure de toute chose », et plus précisément dans cet aphorisme de Protagoras, l’homme grec : bien compris ce précepte se décline autant de fois qu’il y a de peuples), sans terre et donc sans conception saine du sacré, sans tradition et ne pouvant de fait vivre que sur le plan strictement individuel, par définition hors de l’histoire (Le Présent horizon indépassable de l’existence). Sur le plan de l’organisation politique, cet individu ne peut vivre qu’au sein d’un Etat Mondial, autrement dit d’une « fiction-organisme ». Il est parfaitement évident, choquant même, que tout cela n’est qu’un plan mondial de domination devenu puissance abstraite qui s’est emparé de populations décadentes ou conquises par la force, dont il ne s’agit pas ici de discuter de la paternité, mais qui est essentiellement porté à l’échelle planétaire par les Etats-Unis d’Amérique après l'avoir été par la France révolutionnaire à l’échelle du continent européen. La force avec laquelle est idéologisée avec ce décalage temporel porteur d’un paradoxe alarmant la notion d’Humanité (L’Humanité existe, mais nous venons pour la faire exister) montre qu’elle est tout aussi abstraite que la Race Aryenne, autrement dit qu’elle est un mensonge, purement et simplement, au profit de puissances étrangères et d’esprits malades.

Mais cette maladie de l’esprit n’est pas seulement le fait d’une autonomie excessive de la Raison, elle est la résultante d’un déséquilibre des fonctions, d’abord au sein des sociétés, puis dans l’organisme même de tous les individus. La croisade pour l’Humanité, c'est-à-dire concrètement la croisade contre l’homme réel, advient lorsque les fonctions corporelles s’absolutisent (et il s’agit encore des fonctions les plus basses de ce plan) au point d’asservir totalement une Raison imbue d’elle-même à ses objectifs d’accumulation de petites satisfactions physiques ; menant ainsi une unification-collectivisation par le bios inférieur. Cette maladie n'est pas autre chose, sur le plan politique, que la démocratie libérale. Autrement dit, l’Humanité n’est pas l’ensemble des hommes, mais bien une masse, une addition de masses d’atomes s’identifiant uniquement aux fonctions biologiques les moins « humaines », c’est-à-dire coupées de toute espèce de culture : l’Humanité n’est que l’involution de l’homme, non au stade de l’animal (puisque nous appartenons de toute façon à la totalité de la Nature), mais à celui d’un moins-que-l’homme. Ou pour mieux dire, si le terme n’était pas devenu si connoté, au stade du sous-homme ; celui que Nietzsche dénommait le dernier homme.

*

Lorsque l’on nous accuse de manquer d’humanité, d’être « moins humains que », il est donc bon de songer que pour la grande majorité des individus de notre société-monde en avènement, « humanité » s’identifie à « primitivisme ». Immanquablement, celui qui se tient droit, qui se fixe comme objectif d’être et demeurer, ne pourra de plus en plus apparaître que comme un adversaire mortel, un organisme hors de l’Humanité, ne méritant à ce titre aucune espèce de considération morale. En demeurant libres, nous nous heurterons de plus en plus souvent, de plus en plus violemment, aux dégénérés qui se glorifient de leur « liberté » dans une société « décomplexée » alors qu’il ne s’agit que de soumission à l’infra-personnel et de laisser-aller, d’incapacité de force.

lundi, 20 octobre 2008

Spengler: Atlantis, Kasch et Turan

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Robert Steuckers:

 

Les matrices préhistoriques des civilisations antiques dans l'œuvre posthume de Spengler: Atlantis, Kasch et Turan

Généralement, les morphologies de cultures et de civilisations proposées par Spengler dans son ouvrage le plus célèbre, Le déclin de l'Occident, sont les seules à être connues. Pourtant, ses positions ont changé après l'édition de cette somme. Le germaniste italien Domenico Conte en fait état dans son ouvrage récent sur Spengler. En effet, une étude plus approfondie des textes posthumes édités par Anton Mirko Koktanek, notamment Frühzeit der Weltgeschichte, qui rassemble les fragments d'une œuvre projetée mais jamais achevée, L'épopée de l'Homme.

 

Dans la phase de ses réflexions qui a immédiatement suivi la parution du Déclin de l'Occident, Spengler distinguait quatre stades dans l'histoire de l'humanité, qu'il désignait tout simplement par les quatre premières lettres de l'alphabet: a, b, c et d. Le stade “a” aurait ainsi duré une centaine de milliers d'années, aurait recouvert le paléolithique inférieur et accompagné les premières phases de l'hominisation. C'est au cours de ce stade qu'apparaît l'importance de la “main” pour l'homme. C'est, pour Spengler, l'âge du Granit. Le stade “b” aurait duré une dizaine de milliers d'années et se situerait au paléolithique inférieur, entre 20.000 et 7000/6000 avant notre ère. C'est au cours de cet âge que naît la notion de vie intérieure; apparaît “alors la véritable âme, inconnue des hommes du stade “a” tout comme elle est inconnue du nouveau-né”. C'est à partir de ce moment-là de son histoire que l'homme “est capable de produire des traces/souvenirs” et de comprendre le phénomène de la mort. Pour Spengler, c'est l'âge du Cristal. Les stades “a” et “b” sont anorganiques.

 

Le stade “c” a une durée de 3500 années: il commence avec le néolithique, à partir du sixième millénaire et jusqu'au troisième. C'est le stade où la pensée commence à s'articuler sur le langage et où les réalisations techniques les plus complexes deviennent possibles. Naissent alors les “cultures” dont les structures sont de type “amibien”. Le stade “d” est celui de l'“histoire mondiale” au sens conventionnel du terme. C'est celui des “grandes civilisations”, dont chacune dure environ 1000 ans. Ces civilisations ont des structures de type “végétal”. Les stades “c” et “d” sont organiques.

 

Spengler préférait cette classification psychologique-morphologique aux classifications imposées par les directeurs de musée qui subdivisaient les ères préhistoriques et historiques selon les matériaux utilisés pour la fabrication d'outils (pierre, bronze, fer). Spengler rejette aussi, à la suite de cette classification psychologique-morphologique, les visions trop évolutionnistes de l'histoire humaine: celles-ci, trop tributaires des idéaux faibles du XVIIIième siècle, induisaient l'idée “d'une transformation lente, flegmatique” du donné naturel, qui était peut-être évidente pour l'Anglais (du XVIIIième), mais incompatible avec la nature. L'évolution, pour Spengler, se fait à coup de catastrophes, d'irruptions soudaines, de mutations inattendues. «L'histoire du monde procède de catastrophes en catastrophes, sans se soucier de savoir si nous sommes en mesure de les comprendre. Aujourd'hui, avec H. de Vries, nous les appelons “mutations”. Il s'agit d'une transformation interne, qui affecte à l'improviste tous les exemplaires d'une espèce, sans “causes”, naturellement, comme pour toutes les choses dans la réalité. Tel est le rythme mystérieux du réel» (L'homme et la technique). Il n'y a donc pas d'évolution lente mais des transformations brusques, “épocales”. Natura facit saltus.

 

trois cultures-amibes

 

Dans le stade “c”, où émergent véritablement les matrices de la civilisation humaine, Spengler distingue trois “cultures-amibes”: Atlantis, Kasch et Turan. Cette terminologie n'apparaît que dans ses écrits posthumes et dans ses lettres. Les matrices civilisationnelles sont “amibes”, et non “plantes”, parce que les amibes sont mobiles, ne sont pas ancrées dans une terre précise. L'amibe est un organisme qui émet continuellement ses pseudopodes dans sa périphérie, en changeant sans cesse de forme. Ensuite, l'amibe se subdivise justement à la façon des amibes, produisant de nouvelles individualités qui s'éloignent de l'amibe-mère. Cette analogie implique que l'on ne peut pas délimiter avec précision le territoire d'une civilisation du stade “c”, parce que ses émanations de mode amibien peuvent être fort dispersées dans l'espace, fort éloignées de l'amibe-mère.

 

“Atlantis” est l'“Ouest” et s'étend de l'Irlande à l'Egypte; “Kasch” est le “Sud-Est”, une région comprise entre l'Inde et la Mer Rouge. “Turan” est le “Nord”, s'étendant de l'Europe centrale à la Chine. Spengler, explique Conte, a choisi cette terminologie rappelant d'“anciens noms mythologiques” afin de ne pas les confondre avec des espaces historiques ultérieurs, de type “végétal”, bien situés et circonscrits dans la géographie, alors qu'eux-mêmes sont dispersés et non localisables précisément.

 

Spengler ne croit pas au mythe platonicien de l'Atlantide, en un continent englouti, mais constate qu'un ensemble de sédiments civilisationnels sont repérables à l'Ouest, de l'Irlande à l'Egypte. ‘Kasch” est un nom que l'on retrouve dans l'Ancien Testament pour désigner le territoire de l'antique Nubie, région habitée par les Kaschites. Mais Spengler place la culture-amibe “Kasch” plus à l'Est, dans une région s'articulant entre le Turkestan, la Perse et l'Inde, sans doute en s'inspirant de l'anthropologue Frobenius. Quant à “Turan”, c'est le “Nord”, le haut-plateau touranique, qu'il pensait être le berceau des langues indo-européennes et ouralo-altaïques. C'est de là que sont parties les migrations de peuples “nordiques” (il n'y a nulle connotation racialisante chez Spengler) qui ont déboulé sur l'Europe, l'Inde et la Chine.

 

Atlantis: chaude et mobile; Kasch: tropicale et repue

 

Atlantis, Kasch et Turan sont des cultures porteuses de principes morphologiques, émergeant principalement dans les sphères de la religion et des arts. La religiosité d'Atlantis est “chaude et mobile”, centrée sur le culte des morts et sur la prééminence de la sphère ultra-tellurique. Les formes de sépultures, note Conte, témoignent du rapport intense avec le monde des morts: les tombes accusent toujours un fort relief, ou sont monumentales; les défunts sont embaumés et momifiés; on leur laisse ou apporte de la nourriture. Ce rapport obsessionnel avec la chaîne des ancêtres porte Spengler à théoriser la présence d'un principe “généalogique”. Les expressions artistiques d'Atlantis, ajoute Conte, sont centrées sur les constructions de pierre, gigantesques dans la mesure du possible, faites pour l'éternité, signes d'un sentiment de la vie qui n'est pas tourné vers un dépassement héroïque des limites, mais vers une sorte de “complaisance inerte”.

 

Kasch développe une religion “tropicale” et “repue”. Le problème de la vie ultra-tellurique est appréhendé avec une angoisse nettement moindre que dans Atlantis, car, dans la culture-amibe de Kasch domine une mathématique du cosmos (dont Babylone sera l'expression la plus grandiose), où les choses sont d'avance “rigidement déterminées”. La vie d'après la mort suscite l'indifférence. Si Atlantis est une “culture des tombes”, en Kasch, les tombes n'ont aucune signification. On y vit et on y procrée mais on y oublie les morts. Le symbole central de Kasch est le temple, d'où les prêtres scrutent la mathématique céleste. Si en Atlantis domine le principe généalogique, si les dieux et les déesses d'Atlantis sont père, mère, fils, fille, en Kasch, les divinités sont des astres. Y domine un principe cosmologique.

 

Turan: la civilisation des héros

 

Turan est la civilisation des héros, animée par une religiosité “froide”, axée sur le sens mystérieux de l'existence. La nature y est emplie de puissances impersonnelles. Pour la culture-amibe de Turan, la vie est un champ de bataille: “pour l'homme de ce Nord (Achille, Siegfried)”, écrit Spengler, “seule compte la vie avant la mort, la lutte contre le destin”. Le rapport hommes/divin n'est plus un rapport de dépendance: “la prostration cesse, la tête reste droite et haute; il y a “moi” (homme) et vous (les dieux)”. Les fils sont appelés à garder la mémoire de leurs pères mais ne laissent pas de nourriture à leurs cadavres. Pas d'embaumement ni de momification dans cette culture, mais incinération: les corps disparaissent, sont cachés dans des sépultures souterraines sans relief ou dispersés aux quatre vents. Seul demeure le sang du défunt, qui coule dans les veines de ses descendants. Turan est donc une culture sans architecture, où temples et sépultures n'ont pas d'importance et où seul compte un sens terrestre de l'existence. L'homme vit seul, confronté à lui-même, dans sa maison de bois ou de torchis ou dans sa tente de nomade.

 

Le char de combat

 

Spengler porte toute sa sympathie à cette culture-amibe de Turan, dont les porteurs aiment la vie aventureuse, sont animés par une volonté implaccable, sont violents et dépourvus de sentimentalité vaine. Ils sont des “hommes de faits”. Les divers peuples de Turan ne sont pas liés par des liens de sang, ni par une langue commune. Spengler n'a cure des recherches archéologiques et linguistiques visant à retrouver la patrie originelle des Indo-Européens ou à reconstituer la langue-source de tous les idiomes indo-européens actuels: le lien qui unit les peuples de Turan est technique, c'est l'utilisation du char de combat. Dans une conférence prononcée à Munich le 6 février 1934, et intitulée Der Streitwagen und seine Bedeutung für den Gang der Weltgeschichte (= Le char de combat et sa signification pour le cours de l'histoire mondiale), Spengler explique que cette arme constitue la clef pour comprendre l'histoire du second millénaire avant J.C.. C'est, dit-il, la première arme complexe: il faut un char (à deux roues et non un chariot à quatre roues moins mobile), un animal domestiqué et attelé, une préparation minutieuse du guerrier qui frappera désormais ses ennemis de haut en bas. Avec le char naît un type d'homme nouveau. Le char de combat est une invention révolutionnaire sur le plan militaire, mais aussi le principe formateur d'une humanité nouvelle. Les guerriers deviennent professionnels, tant les techiques qu'ils sont appelés à manier sont complexes, et se rassemblent au sein d'une caste qui aime le risque et l'aventure; ils font de la guerre le sens de leur vie.

 

L'arrivée de ces castes de “charistes” impétueux bouleversent l'ordre de cette très haute antiquité: en Grèce, ils bousculent les Achéiens, s'installent à Mycène; en Egypte, ce sont les Hyksos qui déferlent. Plus à l'Est, les Cassites se jettent sur Babylone. En Inde, les Aryens déboulent dans le sous-continent, “détruisent les cités” et s'installent sur les débris des civilisations dites de Mohenjo Daro et d'Harappa. En Chine, les Tchou arrivent au nord, montés sur leurs chars, comme leurs homologues grecs et hyksos. A partir de 1200, les principes guerriers règnent en Chine, en Inde et dans le monde antique de la Méditerranée. Les Hyksos et les Kassites détruisent les deux plus vieilles civilisations du Sud. Emergent alors trois nouvelles civilisations portées par les “charistes dominateurs”: la civilisation greco-romaine, la civilisation aryenne d'Inde et la civilisation chinoise issue des Tchou. Ces nouvelles civilisations, dont le principe est venu du Nord, de Turan, sont “plus viriles et énergiques que celles nées sur les rives du Nil et de l'Euphrate”. Mais les guerriers charistes succomberont aux séductions du Sud amollissant, déplore Spengler.

 

Un substrat héroïque commun

 

Cette théorie, Spengler l'a élaborée en accord avec le sinologue Gustav Haloun: il y a eu quasi simultanéité entre les invasions de Grèce, des Hyksos, de l'Inde et de la Chine. Spengler et Haloun estiment donc qu'il y a un substrat commun, guerrier et chariste, aux civilisations méditerranéenne, indienne et chinoise. Ce substrat est “héroïque”, comme le prouve les armes de Turan. Elles sont différentes de celles d'Atlantis: ce sont, outre le char, l'épée ou la hache, impliquant des duels entre combattants, alors qu'en Atlantis, les armes sont l'arc et la flèche, que Spengler juge “viles” car elles permettent d'éviter la confrontation physique directe avec l'adversaire, “de le regarder droit dans les yeux”. Dans la mythologie grecque, estime Spengler, arc et flèches sont autant d'indices d'un passé et d'influences pré-helléniques: Apollon-archer est originaire d'Asie Mineure, Artemis est libyque, tout comme Héraklès, etc. Le javelot est également “atlante”, tandis que la lance de choc est “touranique”. Pour comprendre ces époques éloignées, l'étude des armes est plus instructive que celle des ustensiles de cuisine ou des bijoux, conclut Spengler.

 

L'âme touranique dérive aussi d'un climat particulier et d'un paysage hostile: l'homme doit lutter sans cesse contre les éléments, devient ainsi plus dur, plus froid et plus hivernal. L'homme n'est pas seulement le produit d'une “chaîne généalogique”, il l'est tout autant d'un “paysage”. La rigueur climatique développe la “force de l'âme”. Les tropiques amolissent les caractères, les rapprochent d'une nature perçue comme plus maternante, favorisent les valeurs féminines.

 

Les écrits tardifs de Spengler et sa correspondance indiquent donc que ses positions ont changé après la parution du Déclin de l'Occident, où il survalorisait la civilisation faustienne, au détriment notamment de la civilisation antique. La focalisation de sa pensée sur le “char de combat” donne une dimension nouvelle à sa vision de l'histoire: l'homme grec et l'homme romain, l'homme indien-aryen et l'homme chinois, retrouvent tous grâce à ses yeux. La momification des pharaons était considérée dans Le déclin de l'Occident, comme l'expression égyptienne d'une volonté de durée, qu'il opposait à l'oubli impliqué par l'incinération indienne. Plus tard, la momification “atlante” déchoit à ses yeux au rang d'une obsession de l'au-delà, signalant une incapacité à affronter la vie terrestre. L'incinération “touranique”, en revanche, indique alors une volonté de concentrer ses efforts sur la vie réelle.

 

Un changement d'optique dicté par les circonstances?

 

La conception polycentrique, relativiste, non-eurocentrique et non-évolutionniste de l'histoire chez le Spengler du Déclin de l'Occident a fasciné des chercheurs et des anthropologues n'appartenant pas aux milieux de la droite allemande, notamment Alfred L. Kroeber ou Ruth F. Benedict. L'insistance sur le rôle historique majeur des castes de charistes de combat donne à l'œuvre tardive de Spengler une dimension plus guerrière, plus violente, plus mobile que ne recelait pas encore son Déclin. Doit-on attribuer ce changement de perspective à la situation de l'Allemagne vaincue, qui cherche à s'allier avec la jeune URSS (dans une perspective eurasienne-touranienne?), avec l'Inde en révolte contre la Grande-Bretagne (qu'il incluait auparavant dans la “civilisation faustienne”, à laquelle il donnera ensuite beaucoup moins d'importance), avec la Chine des “grands chefs de guerre”, parfois armés et encadrés par des officiers allemands? Spengler, par le biais de sa conférence, a-t-il cherché à donner une mythologie commune aux officiers ou aux révolutionnaires allemands, russes, chinois, mongols, indiens, afin de forger une prochaine fraternité d'arme, tout comme les “eurasistes” russes tentaient de donner à la nouvelle Russie soviétique une mythologie similaire, impliquant la réconciliation des Turco-Touraniens et des Slaves? La valorisation radicale du corps à corps “touranique” est-elle un écho au culte de l'“assaut” que l'on retrouvait dans le “nationalisme soldatique”, notamment celui des frères Jünger et de Schauwecker?

 

Enfin, pourquoi n'a-t-il rien écrit sur les Scythes, peuples de guerriers intrépides, maîtres des techniques équestres, qui fascinaient les Russes et sans doute, parmi eux, les théoriciens de l'eurasisme? Dernière question: le peu d'insistance sur les facteurs raciaux dans ce Spengler tardif est-il dû à un sentiment rancunier à l'égard des cousins anglais qui avaient trahi la solidarité germanique et à une mythologie nouvelle, où les peuples cavaliers du continent, toutes ethnies confondues (Mongols, Turco-Touraniens, descendants des Scythes, Cosaques et uhlans germaniques), devaient conjuguer leurs efforts contre les civilisations corrompues de l'Ouest et du Sud et contre les thalassocraties anglo-saxonnes? Les parallèles évident entre la mise en exergue du “char de combat” et certaines thèses de L'homme et la technique, ne sont-ils pas une concession à l'idéologie futuriste ambiante, dans la mesure où elle donne une explication technique et non plus religieuse à la culture-amibe touranienne? Autant de thèmes que l'histoire des idées devra clarifier en profondeur...

 

Robert STEUCKERS.

 

Domenico CONTE, Catene di civiltà. Studi su Spengler, Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1994, 394 p., Lire 58.000, ISBN 88-7104-242-924-1.

jeudi, 16 octobre 2008

Carl Schmitt: Etat, Nomos et "grands espaces"

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Carl Schmitt: Etat, Nomos et “grands espaces”

 

La maison d'édition berlinoise Duncker & Humblot, qui publie l'essentiel de l'œuvre de Carl Schmitt, a eu le mérite l'an passé d'avoir publié une anthologie d'articles définitionnels fondamentaux du juriste et polito­logue allemand (CS, Staat, Großraum, Nomos - Arbeiten aus den Jahren 1916-1969), magistralement pré­facés par Günter Maschke. Ce fut sans doute, à nos yeux, le nouveau livre le plus important en philoso­phie politique exposé à la Foire de Francfort en octobre 1995. Mais c'est aussi un livre fondamental pour comprendre dans tous ses rouages le monde d'après la Guerre Froide. Günter Maschke, un des plus grands spécialistes allemands de Carl Schmitt, mérite nos éloges pour avoir annoté avec une remar­quable précision tous ces articles et surtout les avoir resitués dans leur vaste contexte. Maschke fournit en effet au lecteur  —à l'étudiant comme à l'érudit—  des commentaires et des analyses très mé­thodiques et très fouillées. Staat, Großraum, Nomos est divisé en quatre parties: 1. Constitution et dicta­ture; 2. Politique et idée; 3. Grand-Espace et Droit des gens et 4. Du Nomos de la Terre. A notre avis, l'essentiel pour notre monde en effervescence depuis la chute du Mur réside dans les deux dernières par­ties.

 

Cette nouvelle anthologie a l'immense mérite de concentrer toute son attention sur un aspect moins connu, mais toutefois déterminant, de la pensée et de l'œuvre de Carl Schmitt: la géopolitique. Notre “Centre de Recherches en Géopolitique” avait jadis déjà mentionné quelques-uns de ces textes fonda­mentaux, mais le vaste ensemble d'articles et d'essais sélectionnés par Maschke permet de jeter, sur cette géopolitique schmittienne, un regard beaucoup plus synoptique.

 

Le “Grand-Espace”

 

Notre Centre a publié depuis 1988 un certain nombre de textes de géopolitique; depuis 1991, nous réflé­chissons intensément sur le nouvel ordre mondial après l'effondrement de l'Union Soviétique. L'ère nou­velle sera très vraisemblablement marquée par la notion de “Grand-Espace”, toutefois dans un sens peut-être différent de celui que lui donnait Carl Schmitt. Commençons notre analyse par une citation de Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même: «L'ère des petites na­tions est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue» (1904). Mais l'effondrement de l'URSS nous enseigne que l'ère des empires traditionnels est elle aussi révolue, si l'on considère toutefois que le dernier des empires traditionnels a été l'Union Soviétique. A la place des empires, nous avons dé­sormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clai­rement le concept qu'il entend imposer et vulgariser: «Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en ges­tation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces».

 

Schmitt cite Friedrich Ratzel et montre, en s'appuyant sur ces citations, comment, à chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui pour notre génération, car la bipolarité d'après 1945 fait place à une multipolarité, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de protagonistes.

 

Maschke, dans ses commentaires sur l'article intitulé Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte, mentionne à juste titre la théorie de Haushofer qui envisa­geait de publier un Grundbuch des Planeten, un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux  —contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes—  mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la première guerre mondiale. Ce Grundbuch  haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver l'“habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer­tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques. Certes, on peut reprocher à ce Grundbuch de Haushofer, un peu écolo avant la lettre, d'être utopique et irénique, mais force est de cons­tater que ses idées étaient fondamentalement pacifistes et qu'elles ne coïncidaient pas avec les projets agressifs de l'Allemagne nationale-socialiste. Pourtant, Maschke rappelle que Schmitt et Haushofer ne correspondaient apparemment pas et ne s'étaient jamais vus.

 

Cet article sur le völkerrechtliche Großraumordnung... constituaient une tentative d'introduire en Europe une “doctrine de Monroe” au cours de la seconde guerre mondiale. Dans son commentaire, Maschke rap­pelle les thèses d'un géographe américain, Saul Bernard Cohen, qui a eu le mérite de maintenir à flot les idées géopolitiques avant leur retour à l'avant-plan. Le concept cohenien de “région géopolitique”, déve­loppé depuis les années 60 et actualisé aujourd'hui, s'avère pertinent dans le contexte actuel de “fin de millénaire”. Ces idées de “grand-espace” et de “région géopolitique” se retrouvent également chez les deux experts espagnols de droit international, fortement influencés par Schmitt: Camilo Barcia Trelles et Luis Garcia Arias.

 

L'étude de Schmitt Das Meer gegen das Land (La mer contre la terre) de 1941 contient le noyau essentiel du futur livre de Schmitt Land und Meer. Maschke pense que Schmitt a été influencé par la lecture de Vom Kulturreich des Meeres (1924) de Kurt von Boeckmann, et de Vom Kulturreich des Festlandes (1923) de Leo Frobenius.

 

Une recension écrite par Schmitt en 1949 garde toute sa pertinence aujourd'hui, souligne Maschke. Elle s'intitule Maritime Weltpolitik. Schmitt y écrit: «La domination de l'espace aérien et la possession de moyens de destruction modernes pourront à elles seules s'assurer la domination sur la terre et sur la mer. [Par ces moyens techniques], notre planète est encore devenue plus petite. En comparaison avec les structures qu'érige la technique moderne sur la planète, la Tour de Babel apparaît comme une entreprise très modeste. La Mer a perdu sa puissance en tant qu'élément et notre Terre est devenue un aérodrome» (p. 479 de l'édition de Maschke).

 

Quelques années après la seconde guerre mondiale déjà, Schmitt tire la conclusion: dans le futur, le con­trôle de la planète s'exercera par le biais des communications aériennes (et plus tard spatiales); la Terre et la Mer perdront de l'importance. Le nouvel espace  —jeu de mot!—  sera l'espace.

 

Schmitt mentionne l'œuvre de l'Américain Homer Lea (1876-1913) dans sa recension. Lea avait terminé sa carrière comme conseiller militaire de Sun Yat Sen en Chine. Il avait écrit des livres importants, largement oubliés aujourd'hui: The Day of the Saxon (1912) et The Valor of Ignorance (1909). Le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, ami et complice de Maschke, avait préfacé une réédition allemande de The Day of the Saxon et prépare actuellement une vaste étude sur le écrits militaires et géopolitiques de Lea.

 

Le Nomos

 

Penchons-nous maintenant sur la quatrième partie de cette anthologie, qui commence par la définition que donne Schmitt du “nomos”: «Il est question d'un Nomos de la Terre. Ce qui signifie: je considère la Terre  ­l'astéroïde sur lequel nous vivons—  comme un Tout, comme un globe et je recherche pour elle un ordre et un partage globaux. Le terme grec “nomos”, que j'utilise pour désigner ce partage et cet ordre fondamental, dérive de la même étymologie que le mot allemand “nehmen” (= prendre). Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, faire paître sont les actes primaires et fonda­mentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la tragédie des origines» (Maschke, p. 518).

 

Dans une étude datant de 1958 et intitulée Die geschichtliche Struktur des Gegensatzes von Ost und West  (= La structure historique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest), Schmitt mentionne quelques-unes des théories géopolitiques de base énoncées par Sir Halford John Mackinder. Il se réfère au géographe britannique quand il affirme que l'opposition entre puissances continentales et puissances maritimes constitue la réalité globale de la guerre froide. Quand il commente cette étude, Maschke commet la seule erreur que j'ai pu trouver dans son travail par ailleurs exemplaire. L'“Ile du monde” selon Mackinder est l'Europe + l'Asie + l'Afrique et non pas l'“hémisphère oriental” comme le dit Maschke (p. 546). Celui-ci af­firme également que Mackinder avait été influencé par le géographe allemand Joseph Partsch. Je ne pré­tends pas être un expert dans l'œuvre de Mackinder, mais c'est bien la première fois que je lis cela...

 

Nous avions déjà eu l'occasion de recenser un ouvrage important de Schmitt, Gespräch über den neuen Raum (= Conversation sur le nouvel espace). C'est l'une des contributions les plus pertinentes de Schmitt à la géopolitique depuis 1945. Le message de Schmitt dans ce travail (et dans d'autres), c'est un appel à la constitution de différents “Grands-Espaces”, ce qui semble advenir aujourd'hui, surtout depuis la Guerre du Golfe. La théorie du pluralisme des Grands-Espaces, Schmitt l'a bien exprimée dans un autre texte figurant dans l'anthologie de Maschke: Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg (= l'Ordre du monde après la seconde guerre mondiale). Schmitt y écrivait: «De quelle manière se résoudra la con­tradiction entre le dualisme de la Guerre Froide et le pluralisme des Grands-Espaces...? Le dualisme de la Guerre Froide s'accentuera-t-il ou bien assistera-t-on à la formation d'une série de Grands-Espaces, qui généreront un équilibre dans le monde et, par là même, créeront les conditions premières d'un ordre paci­fique stable?» (Maschke, p. 607).

 

En 1995, nous connaissons la réponse à la question que posait Schmitt en 1962. Le dualisme n'est plus et nous pouvons assister à l'émergence (timide) de Grands-Espaces, qui pointent à l'horizon. Nous ne pouvons toujours pas deviner quelle sera l'issue de ce processus. Des changements surviendront indubi­tablement dans le cours des choses mais nous pouvons d'ores et déjà penser que l'ALENA et l'UE seront deux de ces Grands-Espaces, et ils coopéreront sans doute avec le Japon. Le Lieutenant-Général William E. Odom de l'US Army, aujourd'hui à la retraite, a lancé quelques éléments dans le débat visant à structurer le système qui prendra le relais de celui de la Guerre Froide dans son ouvrage How to Create a True World Order (= Comment créer un véritable Ordre Mondial?; Orbis, Philadelphia, 1995). La Russie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique et le monde musulman pourraient bien devenir des Grands-Espaces autonomes. L'Afrique continuera à végéter dans la misère, sauf peut-être le Nigéria et l'Afrique du Sud. L'attitude agressive croissante de la Chine aura sans doute pour résultat d'avertir les petites puissances d'Asie; elles prépareront dès lors leur défense contre l'impérialisme chinois à venir.

 

Dans la quatrième partie de l'anthologie de Maschke, nous trouvons encore un texte fondamental, Gespräch über den Partisanen (= Conversation sur la figure du partisan). Au départ, il s'agissait d'un dé­bat radiodiffusé en 1960 entre Schmitt et un maoïste allemand, Joachim Schickel. ce débat était bien en­tendu marqué par la grande question de cette époque: l'insurrection croissante au Vietnam. Il n'en de­meure pas moins vrai que la question de la guerilla (ou du Partisan) demeure. Le Law Intensity Warfare (= la guerre à basse intensité) continuera à faire rage sur la surface du monde et influencera les processus politiques. Résultat: le terme de “Guerre civile mondiale” acquerra sans cesse de l'importance (1).

 

Carl Schmitt n'était pas en première instance un géopolitologue. Il était un expert en droit constitutionnel et international. Toutefois, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, il est temps, me semble-t-il, de remettre sur le métier les approches schmittiennes en matières géopolitiques et géostra­tégiques globales. Même si Schmitt reste une personnalité controversée (à cause des opinions qu'il a émises au début des années 30), il est devenu impossible de l'ignorer quand on élabore aujourd'hui des scénarii pour l'avenir du monde.

 

Theo HARTMAN.

(«State, Nomos and Greater Space. Carl Schmitt on Land, Sea and Space», in Center for Research on Geopolitics (CRG), Special Report no.4, Helsingborg/Sweden, 1996. Adresse: CRG, P.O.Box 1412, S-251.14 Helsingborg/Suède; traduction française: Robert Steuckers).

 

Références du livre de Maschke: Carl SCHMITT, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916-1969. herausgegeben, mit einem Vorwort und mit Anmerkungen verse­hen von Günter Maschke, Duncker & Humblot, Berlin, 1995.

 

Note:

(1) Pour une analyse complète de na notion de “Guerre civile mondiale”, cf. le manuscrit impublié de Bertil Haggman, directeur du CRG suédois, intitulé Global Civil War - A Terminological and Geopolitical Study, 1995).

dimanche, 12 octobre 2008

Une critique de la modernité chez P. Koslowski

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Une critique de la modernité chez Peter Koslowski

 

Peter Koslowski est un analyste critique de notre modernité dominante et stéréotypante, dont l'ouvrage sur Ernst Jünger a été largement remarqué l'an dernier (cf. la recension que lui consacre Isabelle Fournier dans Vouloir n°4/1995). Né en 1952, ce jeune philosophe anti-moderne (mais qui n'appartient nullement à l'école néo-conservatrice), pose comme premier diagnostic que la modernité au sens le plus caricatural du terme a pris fin quand la physique a découvert la non-conservation ou entropie, soit le deuxième prin­cipe de la thermodynamique en 1875 et quand l'esprit humain a pris fondamentalement conscience de sa finitude au point de ne plus croire à ce mythe tenace de la perfectibilité infinie (cf. NdSE n°14), au progrès, aux formes diverses d'évolution(isme) téléologique, aux sotériologies laïques et eudémonistes vectoriali­sées, etc. Mais parallèlement à ces mythes progressistes, vectoriels, téléologiques, messianiques et perfectibilistes, les temps modernes, soit la Neuzeit qui précède la modernité des Lumières proprement dite, avait développé une normalité basée sur l'accroissement de complexité, ce qui revient à dire que cette Neuzeit accepte comme normal, comme fait acquis, que le monde se complexifie, que les para­mètres s'accumulent, que les paramètres anciens et nouveaux bénéficient tous éventuellement d'une équivalence axiologique quand on les juge ou on les utilise, que l'accumulation de nouveautés est un bienfait dont les hommes vont pouvoir tirer profit. Avec l'avènement de la Neuzeit, avec les innovations venues d'Amérique et des autres continents découverts par les marins et les aventuriers européens, le monde devient de plus en plus complexe et cette complexité ne va pas diminuer.

 

L'accroissement de complexité ne postule nullement une idéologie irénique: au contraire, nous consta­tons, au cours du XVIIième siècle, l'éclosion de philosophies fortes du politique (Hobbes), au moment où la modernité dans sa première phase offensive propose justement une pluralité de projets pour remplacer le système médiéval fixe (tellurocentré) qui s'est effondré. La Réforme, la Contre-Réforme, le Baroque, les Lumières, l'idéalisme allemand, le marxisme, sont autant de projets modernes mais contradictoires les uns par rapport aux autres; ce sont des philosophies fortes, des récits mobilisateurs (avec une téléologie plus ou moins explicite). Mais aujourd'hui, la défense et l'illustration d'une modernité, que l'on pose comme seule morale et acceptable, dérive d'une interprétation simplifiée du corpus des Lumières, pro­cède d'une réduction de la modernité à un seul de ses projets, explique Koslowski. Une schématisation du message des Lumières sert désormais de base théorique à une vulgate qui ne sous-tend finalement, ajouterions-nous, que les discours ou les systèmes politiques de la France, de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et des Pays-Bas. Cette vulgate s'exprime dans les médias et dans la philosophie hypersimplificatrice d'un Habermas et de ses épigones parisiens, tels Bernard-Henri Lévy, Guy Konopnicki ou Christian Delacampagne. L'objectif des tenants de cette vulgate, nouveau mythe de l'Occident, est de créer une orthoglossie pour pallier à la chute des métarécits hégéliens, marxistes ou marxisants, démontés par Lyotard. Orthoglossie correspondant parfaitement au thème de la “fin de l'histoire” cher à Fukuyama, au moment de la chute du Mur. Cette orthoglossie s'appelle plus communé­ment aujourd'hui la political correctness, en bon basic English.

 

Mais à notre sens, la post-modernité a pour impératif de dépasser cette orthoglossie dominante et tyran­nique et:

- doit démontrer l'inanité et le réductionnisme de cette orthoglossie;

- dire qu'elle est une prison pour l'esprit;

- que son évacuation est une libération;

- que traquer cette orthoglossie ne relève pas d'un pur irrationalisme ni d'une inversion pure et simple du rationalisme de bon aloi, mais d'une volonté d'ouverture et de plasticité.

 

A ce sujet, que nous dit Koslowski qui est religieux, catholique, disciple de Romano Guardini, comme on peut le constater dans ses références? Ceci: «La finitude de l'existence humaine s'oppose tant à l'im­pératif de complètement de la modernité et de la raison discursive qu'au droit des époques futures à déve­lopper leur propre projet. La post-modernité veut poursuivre son propre projet. On ne peut pas lui enlever ce droit en imprégnant totalement le monde de raison discursive. Le droit de chaque époque est le droit de chaque génération à marquer son temps et le monde. Nous sommes contraints au­jourd'hui d'apporter des limites à cette pulsion frénétique au complètement et aussi de nous rendre dis­ponibles pour laisser en place ruines, choses inachevées et surfaces libres. Si nous ne pouvons plus aujourd'hui tolérer les ruines, les traces du passé et que nous les soumettons à la restauration, avec son perfection­nisme, ses laques et ses vernis, si nous percevons toutes les prairies ou les superficies libres comme de futurs chantiers de construction, qui devront être recouverts au plus vite, cela veut dire que nous nous trouvons toujours sous l'emprise de cette pulsion de complètement, propre à la modernité, ou sous l'emprise modernisatrice de la raison totalisante. Nous tentons de bannir de notre environnement toutes les traces de finitude et de temporalité en procédant à des restaurations et des modernisations parfaites. La profondeur et l'antiquité qui sont présentes sur le visage du monde sont évacuées au profit d'une illu­sion de complétude. Bon nombre de ruines doivent rester en place, en tant que témoins de la grandeur et du néant du passé. Leur incomplétude est une chance qui s'offre à elles de voir un jour leur construction reprendre, lorsque leur temps sera revenu, comme après plusieurs siècles, un jour, on a repris la construction de la Cathédrale de Cologne en ruines. Un jour, peut-être, on retravaillera au projet ou à cer­tains projets de la modernité. Mais aujourd'hui, il y a plus important que le projet de la mo­dernité: les ate­liers de la post-modernité» (p. 49; réf. infra).

 

Mais les ateliers de la post-modernité doivent-ils reproduire à l'infini ce travail de “déconstruction” entre­pris il y a quelques décennies par les philosophes français? Certes, il convient avec les post-modernes “déconstructivistes” de travailler à l'élimination des effets pervers des “grands récits”, mais sans pour au­tant se complaire et s'enliser dans un pur “déconstructivisme”, ou vagabonder en toute insouciance dans les méandres d'une polymythie anarchique, anarcho-libérale et fragmentée, qui n'est qu'un euphémisme pour désigner le chaos et l'anomie. Koslowski plaide pour la ré-advenance d'une sophia. Car toute créa­tion et toute naissance ne sont pas les produits d'une réflexion (d'un travail de la raison discursive), au contraire, créations et naissances sont les produits et de la volonté et de l'imagination et de la pensée et de l'action, soit d'un complexe que l'on peut très légitimement désigner sous le nom grec et poétique de sophia. Sans reductio  aucune.

 

En fait, Koslowski apporte matière à méditation pour tous ceux qui constatent que l'eudémonisme et le consumérisme contemporains, —désormais dépourvus de leurs épines dorsales qu'étaient les métaré­cits— sont des impasses, car ils abrutissent, anesthésient et mettent le donné naturel en danger. Koslowski déploie une critique de cette modernité réduite à une hypersimplification des Lumières qui ne sombre pas dans la pure critique, dans un travail de démolition finalement stérile ou dans une acceptation fataliste du chaos, camouflant mal une capitulation de la pensée. La polymythie d'Odo Marquard (qui suscite de très vives critiques chez Koslowski) ou le “pensiero debole” de Vattimo —réclamant l'avènement et la pérennisation d'une joyeuse anarchie impolitique—  sont autant d'empirismes capitu­lards qui ne permettront jamais l'éclosion d'une pensée réalitaire et acceptante, tempérée et renforcée par une sophia inspirée de Jakob Boehme ou de Vladimir Soloviev, prélude au retour du politique, à pas de colombe... Car sans sophia, le “réalitarisme” risque de n'être qu'une simple inversion mécanique et carna­valesque du grand récit des Lumières, qui confisquerait aussi aux générations futures le droit de forger un monde à leur convenance et de léguer un possible à leurs descendants.

 

Robert STEUCKERS.

(extrait d'une conférence prononcée lors de la deuxième université d'été de la FACE, Provence, août 1994).

 

- Peter KOSLOWSKI, Die Prüfungen der Neuzeit. Über Postmodernität. Philosophie der Geschichte, Metaphysik, Gnosis, Edition Passagen, Wien, 1989, 167 p., ISBN 3-900767-22-X.

vendredi, 10 octobre 2008

Entretien avec Anatoli Ivanov

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ARCHIVES DE "SYNERGIES EUROPEENNES" - 1996

 

Identité et socialisme en Russie

Entretien avec Anatoli Ivanov

 

Tous les Européens tournent anxieusement leurs regards vers la Russie. Les élections de la Douma n'ont pas profité à l'opposition nationale, qui n'a pas obtenu la majorité des sièges escomptée. L'opposition de gauche a pris, elle, un poids considérable. Mais le vieux clivage gauche/droite, cher aux démocraties vermoulues d'Europe occidentale et des Etats-Unis, est beaucoup plus fluide en Russie car l'anticapitalisme et l'anti-américanisme sont aux programmes de ces deux blocs oppositionnels. C'est en tenant compte de cette réalité idéologique que le spécialiste allemand des questions russes, Wolfgang Strauss, est allé s'entretenir avec notre correspondant russe, Anatoli M. Ivanov, fin observateur de la vie politique russe actuelle (Robert Steuckers).

 

WS: Aviez-vous envisagé la victoire de l'opposition de gauche?

 

AMI: Oui. J'avais pronostiqué 30%. Mais la concentration des voix sur le parti de Ziouganov a été plus forte encore que je ne l'avais imaginé (au lieu de 15%, il a obtenu 22%). Les partisans du PC ont ainsi évité une dispersion des votes. Je connais même d'anciens détenus politiques qui ont voté pour le PCFR. Le parti “Troudovaïa Rossiya” (“La Russie au Travail”) de Viktor Ampilov a engrangé 4,5% des voix et obtenu un seul mandat direct. Le “Parti Agrarien” a eu 4% et 20 élus directs. Le bloc électoral “Le pouvoir au peuple” n'a, lui, obtenu que 1,5%, mais s'est assuré la majorité dans onze circonscriptions. Ses têtes de liste, Ruchkov et Babourine ont désormais un siège au Parlement.

 

WS: Ces résultats ont-ils été obtenus au détriment de l'opposition nationale?

 

AMI: Sans nul doute, on peut dire que l'aile nationale du spectre politique russe est sortie affaiblie de ces élections. Jirinovski a eu 11% et a subi ainsi une défaite dans toutes les circonscriptions où le vote personnel avait de l'importance. Parmi ses 180 candidats directs, un seul a obtenu un siège.

 

WS: Le fisco du “Congrès des Communautés Russes” (CCR) était inattendu: il n'est pas parvenu à passer la barre des 5%...

 

AMI: Dans les circonscriptions à vote majoritaire, le CCR a gagné cinq mandats, parmi lesquels celui du Général Alexandre Lebed. Tous les observateurs de la vie politique russe pensent que la raison principale de cet échec provient de la personnalité de Skokov, fort antipathique. Cet homme figurait en tête de liste. Le maigre résultat du CCR diminue considérablement les chances du Général Lebed dans la prochaine course à la présidence.

 

WS: Et qu'est-il advenu du mouvement social-patriotique “Derchava”, dirigé par le Général Routskoï, le héros de la Maison Blanche en octobre 1993?

 

AMI: Ce mouvement a dû encaisser une défaite totale. Il n'a obtenu que 2% des voix et n'a gagné aucun mandat direct.

 

WS: Et les autres figures de proue de l'opposition nationale qui se sont présentées dans les circonscriptions à élection directe?

 

AMI: Elles ont toutes été perdantes. Nikolaï Lyssenko, le chef des nationaux-républicains, a connu l'échec tout comme les candidats de la “Fédération des Patriotes”, les généraux Sterligov et Atchalov, et les militants du “Semskii Sobor” (“L'Assemblée du Pays”), parmi lesquels l'ancien député Astafiev, un chrétien démocrate. Le cinéaste Stanislav Govoroukhine de l'“Alliance Populaire”, porte-paroles de la fraction constituée par le petit “Parti Démocratique” dans l'ancienne Douma, a gagné les élections dans sa circonscription à vote majoritaire, grâce à l'appui des communistes; en revanche, ses co-listiers Axioutchiz (libéral) et Roumiantsev (social-démocrate) ont perdu. Les locomotives du “Parti National-Bolchevique”, Edouard Limonov et Alexandre Douguine, n'ont eu aucun succès à Moscou et à Saint-Petersbourg. Le célèbre animateur de télévision Alexandre Nevzorov a été réélu à Pskov. Le “Mouvement Populaire Russe”, fondé par les Cosaques de Sibérie, n'a obtenu que 0,13% des voix. Quant aux atamans des Cosaques du Don, Ratiyev et Kosytsine, ils n'ont pas pu s'affirmer dans leurs propres circonscriptions électorales.

 

WS: Mais quel est le résultat final de tout cela, en termes de sièges à la Douma...

 

AMI: ... les partis d'opposition nationale ont 20%, le parti gouvernemental de Tchernomyrdine n'a que 9%. Le rapport des forces est de 51-49. L'opposition, droites et gauches confondues, obtient 51%; Tchernormyrdine, c'est-à-dire Eltsine, et différents partis démo-libéraux, obtiennent 49%.

 

WS: Au vu de ses résultats, peut-on dire que les pronostics pour les élections présidentielles du 16 juin doivent être totalement révisés?

 

AMI: Certainement. Tous les pronostics émis avant le 17 décembre se basaient sur des appréciations exagérées de la popularité de Lebed. Il ne reste plus que deux favoris à l'heure actuelle: Ziouganov et Jirinovski. Chacun d'eux peut battre Tchernormyrdine, mais pas Eltsine! Le CCR fait contre mauvaise fortune bon cœur et cherche les causes de sa défaite dans les brouilles internes du mouvement, dans les intrigues de ses propagandistes, en un mot, partout, sauf, dans ses propres erreurs de gestion.

 

WS: Ce qui intéresse tout particulièrement les lecteurs allemands et ouest-européens, militants des diverses oppositions nationales comme anti-fascistes en quête de sensationnel, c'est l'échec complet du mouvement “Unité Nationale Russe”, qui a fait la une de beaucoup de journaux à cause de son style qui rappelait les années 30...

 

AMI: Pour ce qui concerne son leader, Alexander Barkachov, il faut dire que son avocate, Madame Dementyeva, a subi une défaite à Moscou, tandis que son second candidat a échoué dans la région de Kalouga. Un ancien partisan de Barkachov, Alexander Fiodorov, s'est porté candidat pour le “Parti Russe” à Mytichtchy dans la région de Moscou: en vain, résultats nuls! Quant au célèbre Wedekin, il a connu l'échec à Lioubertzy, également dans la région de Moscou. Nos grandes villes ne se prêtent pas à ce type d'“aventuriers politiques”, comme les appelent les libéraux. Alexander Nevzorov a été plus pertinent: il s'est porté candidat en province, à Pskov, et a gagné.

 

WS: Il est étonnant que ce mouvement national, si bien capillarisé dans la société, si diversifié, alignant tant de partis et de cartels électoraux, n'a obtenu que des résultats aussi misérables. En tant qu'analyste patenté de cette nébuleuse de partis d'opposition nationale, pourriez-vous nous expliquer les causes de cet échec?

 

AMI: Il y a deux causes principales, d'ordre technique et organisationnel. D'abord, ils n'ont pas été en mesure de réunir les 200.000 signatures par liste prévues par la loi électorale. Ensuite, ils ne possédaient pas de “réserves” de voix, ce qui permettait à la “commission électorale centrale” de les exclure très aisément de la course. Plusieurs partis ont été victimes de cette débâcle: le “Parti Russe” du Colonel Milozerdov, le parti “Renaissance”, le “Parti National Populaire’ de Vladimir Ossipov (un ami de jeunesse, prisonnier politique de 1961 à 1968 et de 1974 à 1982), la “Fédération des Patriotes”, enfin, le Semskii Sobor dans lequel militaient le célèbre sculpteur Klykov et le rédacteur en chef du journal “Rousski Vestnik” (= “Le messager russe”), Sénine, qui figurera en tête de liste.

 

WS: Donc, dès le départ, c'est Jirinovski qui a eu les meilleurs atouts en mains?

 

AMI: Quelle que soit la position que l'on adopte à son égard, quel que soit le jugement que l'on puisse porter sur sa personne, ses succès électoraux nous obligent à réfléchir. L'élément principal dans ce phénomène politique, c'est que Jirinovski incarne le type même de l'activiste politique moderne capable de conquérir la sympathie du public et qui ne palabre pas inlassablement sur le bon vieux temps d'il y a cent ans...

 

WS: Il est tout de même étonnant qu'aucun rival ne se mette en travers du chemin qu'emprunte cet homme haut en couleurs, qu'aucun concurrent crédible venu du camp de l'opposition nationale, qu'aucun populiste véritable ne se lève pour lui barrer la route...

 

AMI: Effectivement! Lors des élections pour la Douma en décembre 1993, Jirinovski a profité de la colère populaire après l'assaut sanglant lancé par les troupes d'Eltsine contre le Parlement (la Maison Blanche). Jirinovski a pu ainsi se hisser au-dessus des cadavres des défenseurs de la Douma et confisquer à son profit leurs mots d'ordre nationaux russes. En 1995, les démocrates annonçaient urbi et orbi  que le parti de Jirinovski n'allait jamais passer la barre des 5%. Aujourd'hui, ils s'étonnent une fois de plus des succès enregistrés par Jirinovski. On peut se poser la question: pourquoi aucun homme politique du camp national ne peut-il dépasser Jirinovski en popularité, pourquoi aucun d'entre eux ne peut-il exercer le même pouvoir d'attraction sur les masses populaires, ne fait-il preuve d'une autorité comparable?

 

WS: La Russie ne possède-t-elle donc pas d'homme charismatique dans le camp des nationaux?

 

AMI: Pendant toute une période, on a pensé que le Général Alexander Routskoï allait pouvoir jouer ce rôle. Sous la bannière de son mouvement “Derchava”, plusieurs opposants du camp national se sont unis, tels Axioutchitz, Astafiev, Pavlov, Artemov et le Colonel Alksnis. Mais on n'a assisté par la suite qu'à des démissions, des scissions, des intrigues. C'est ainsi que Routskoï a perdu son prestige, qu'il n'a plus pu jouer le rôle d'intégrateur. L'échec de son mouvement met un terme définitif à ses ambitions dans les élections présidentielles. Après le désastre subi par Routskoï, les mouvements patriotiques ont placé leurs espoirs dans le Général Alexander Lebed. Mais contre toute attente, son CCR a subi une terrible défaite en décembre 1995. Du fait que le CCR n'a pas réussi à se tailler une part dans les sièges de la Douma, on a accusé son président, Youri Skokov, d'avoir mal géré le mouvement derrière lequel se profilait le populaire Général. La stratégie de Skokov a suscité l'incompréhension voire le rejet des nationaux-patriotes. Non seulement parce que le technocrate Skokov pactisait en coulisse avec le parti de Gaidar, mais parce que Skokov prétendait qu'il n'existait pas de Russes ethniquement purs et que, dès lors, la Russie devait être transformée, par le biais d'un référendum, en une Union d'ethnies diverses.

 

WS: Mais les causes de l'échec de l'opposition nationale ne sont-elles pas plus profondes, ne sont-elles pas à rechercher au-delà des querelles de personnes, c'est-à-dire dans le discours idéologique lacunaire qu'elle tient et dans les stratégies déficitaires qu'elle pratique?

 

AMI: Bien sûr. Quoi qu'on puisse dire sur Routskoï, il a eu des moments de grande lucidité. La grande tragédie de la Russie, a-t-il dit lors d'un entretien avec la presse, est d'avoir considérer que les deux grandes idées mobilisatrices de notre siècle, l'idée de justice sociale et l'idée d'identité nationale, ont été considérées comme des antinomies. Effectivement, quand un militant politique s'engage pour le salut de sa nation et oublie la justice sociale, ou quand un militant socialiste s'engage à fond pour la justice sociale et oublie le salut de la nation, ils font tous deux fausse route, s'engagent dans une impasse. Hélas, Routskoï n'a fait que signaler ce problème majeur, il n'a suggéré aucune solution. Mais si les nationaux parvenaient à s'en rendre compte et à agir en conséquence, les communistes perdraient rapidement leur marge de manœuvre en Russie.

 

WS: Autre sujet: la situation des Allemands de Russie autorise-t-elle quelqu'espoir? Quelles sont leurs chances de retrouver une dose d'autonomie? Comment leur futur se dessine-t-il? Vont-ils rester? Vont-ils émigrer?

 

AMI: La situation des Allemands de Russie a été soumise à discussion dans la Douma le 17 novembre 1995. C'est une déclaration du député communiste Oleg Mironov qui a ouvert les débats. Dans la circonscription électorale d'Engels, ce député a proposé de voter le 17 décembre pour le national-républicain Lyssenko. Mironov a dit: «Dans la région de Saratov les relations entre les nationalités sont en train de se dégrader. D'après les résultats de sondages locaux, la population russe refuse catégoriquement que ce crée un Etat allemand sur le cours de la Volga [ndlr: comme avant 1941]. Il est dangereux de soulever à nouveau cette question. Parmi les habitants de cette ancienne république autonome règne désormais un certain désarroi; ils pensent: des Allemands dans la région? Oui! Une autonomie? Non!».

 

WS: Il n'y a pas eu de voix pour s'opposer à cette opinion?

 

AMI: Si. Le ministre des nationalités Mikhaïlov a répondu que les données qu'avançait Mironov étaient obsolètes et remontaient aux années 1988-89. A cette époque-là, la situation avait été très tendue; aujourd'hui, quelque 17.000 Allemands se seraient installés dans la région, dont 65 à 70% des familles seraient mélangées, seraient donc germano-slaves. Près de 80% des Allemands de Russie vivaient auparavant en Sibérie occidentale, soulignait le ministre.

 

WD: Jirinovski a-t-il participé aux débats?

 

AMI: Oui, en lançant la phrase suivante: «Nous devrions cesser définitivement de parler de la création d'une quelconque autonomie pour les Allemands de Russie. Au Kazakhstan, s'il vous plait».

 

WS: Qu'a répondu le ministre?

 

AMI: En citant des faits. Voici ce qu'il a dit, textuellement: «Après la guerre, 1,7 million d'Allemands ont quitté l'URSS et, au cours de ces trois dernières années, 200.000 Allemands supplémentaires sont encore partis, la plupart venant du Kazakhstan, d'Asie centrale». Un tiers de ces réfugiés sont revenus s'installer en Sibérie occidentale russe, où nous avons constitué deux arrondissements nationaux allemands, dans la région de l'Altaï et dans la circonscription d'Azov dans la région d'Omsk. 70.000 Allemands du Kazakhstan et d'Asie centrale  —dans ce cas aussi, nous avions affaire à des familles mixtes—  ont souhaité s'installer dans la circonscription d'Azov». Ensuite, Mikhaïlov a dit, plein d'espoir: «Nous avons donc un bilan positif. Au cours de ces deux dernières années, plus d'Allemands ont quitté la région de Saratov que de nouveaux arrivants y ont été enregistrés. Dans des circonstances favorables, 150.000 à 160.000 Allemands pourraient trouver une nouvelle patrie sur les rives de la Volga».

 

WS: Monsieur Ivanov, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.

(entretien paru dans Europa Vorn, n°100, 1 avril 1996; adresse: Europa Vorn, Pf.30.10.10, D-50.780 Köln).

jeudi, 09 octobre 2008

Note sur Otto Weininger

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Note sur Otto Weininger (1880-1903)

 

 

«Quel homme étrange, énigmatique, ce Weininger!», écrivait August Strindberg à son ami Artur Gerber, immédiatement après le suicide d'Otto Weininger, âgé de 23 ans. «Weininger mi ha chiarito molte cose» [= “Weininger m'a éclairé sur beaucoup de choses”], avouait Mussolini dans son long entretien avec Emil Ludwig. Pour Ernst Bloch, l'ouvrage principal de Weininger, Sexe et caractère,  était “une unique anti-utopie contre la femme”, Weininger était dès lors un “misogyne extrême”, un misogyne par excellence. Theodor Lessing posait le diagnostique suivant: il voyait en Weininger la typique “haine de soi” des Juifs. Rudolf Steiner voyait en lui un “génie décadant”. Il fut admiré par Karl Kraus, Wittgenstein et Schönberg; Mach, Bergson, Georg Simmel et Fritz Mauthner l'ont lu et l'ont critiqué. Son ouvrage principal a connu quelque trente éditions, a été traduit en vingt langues; en 1953, il a même été traduit en hébreu malgré son antisémitisme. Plus d'une douzaine de livres ont été consacrés jusqu'ici à Weininger seul.

 

Otto Weininger est né en 1880 à Vienne. Très tôt, il a été marqué par le souffle, d'abord fort léger, de la décadence imminente. C'était la Vienne fin de siècle, avec Hofmannstahl, Schnitzler et Nestroy, Wittgenstein et le Cercle de Vienne, l'empiro-criticisme et la psychanalyse freudienne, Mahler et Schönberg, Viktor Adler et Karl Lueger: une grande richesse intellectuelle, mais marquée déjà du sceau de la fin. L'effervescence intellectuelle de Vienne semble d'ailleurs se récapituler toute entière dans la personne de Weininger: il développe des efforts intellectuels intenses qui finissent par provoquer son auto-destruction. Et il a fini par se suicider le jour de sa promotion, ce Juif converti au protestantisme, ce philosophe qui était passé du positivisme à la métaphysique mystique et symbolique; en peu d'années, cet homme très jeune était devenu une sorte de Polyhistor qui naviguait à l'aise tant dans l'univers des sciences naturelles que dans celui des beaux arts, qui connaissait en détail toutes les philosophies d'Europe et d'Asie, qui savait toutes les langues classiques et les principales langues modernes d'Europe (y compris le norvégien, grâce à son admiration pour Ibsen).

 

Pourquoi ce jeune homme si brillant s'est-il tiré une balle dans la tête le 4 octobre 1903, quelques mois après la parution de son ouvrage principal, dans la maison où mourut jadis Beethoven?

 

«Seule la mort pourra m'apprendre le sens de la vie», avait-il un jour écrit. Et il avait dit à son ami Gerber: «Je vais me tuer, pour ne pas devoir en tuer d'autres». Bien qu'il ait toujours considéré que le suicide était un signe de lâcheté, il s'est senti contraint au suicide, tenaillé qu'il était pas un énorme sentiment de cul­pabilité. Ce qui nous ramène à son œuvre et à sa pensée, où la catégorie de la culpabilité occupe une place centrale. La culpabilité, pour Weininger, c'est, en dernière instance, le monde empirique.

 

Après avoir rapidement rompu avec le néo-positivisme de Mach et d'Avenarius, Weininger développe tout un système métaphysique, une philosophie dualiste au sens de Platon et des néo-platoniciens, du chris­tianisme et de Kant. D'une part, nous avons ce monde de la sensualité, de l'espace et du temps, c'est-à-dire le Néant. De l'autre, nous avons le monde intelligible, soit le monde de la liberté, de l'éthique et de la logique, de l'éternité et des valeurs: le Tout. Le monde empirique, selon Weininger, n'a de réalité que sym­bolique; c'est pourquoi, inlassablement, il approfondit la signification symbolique de chaque chose empi­rique, de chaque plante, de chaque animal, au fur et à mesure qu'elle se révèle à son regard mystique. Ainsi, la forêt est le symbole du secret; le cheval, le symbole de la folie (on songe tout de suite à cette ex­périence-clé de Nietzsche, se jetant au cou d'une cheval à Turin en 1889!); le chien, celui du crime; et ce sont justement des cauchemars, où des chiens entrent en jeu, qui ont tourmenté Weininger, tenaillé par ses sentiments de culpabilité, immédiatement avant son suicide.

 

Ce qui est caractéristique pour tous les efforts philosophiques de Weininger, est un élément qu'il partage avec toutes les autres philosophies dualistes, soit une nostalgie catégorique pour l'éternité, pour le monde de l'absolu et de l'immuable. En guise d'introduction à cette métaphysique, citons, à partir de son ouvrage principal, cette caractérologie philosophique des sexes, aussi bizarre que substantielle. Cette caractérologie reflète finalement son dualisme métaphysique fondamental. Le principe masculin est le re­présentant du Tout. Le principe féminin, le représentant du Néant. Cette antinomie, posée par Weininger est à la source de bien des quiproquos. En fait, il ne parle pas d'hommes et de femmes empiriques, mais d'idéaltypes. Tout être empirique contient une certaine combinaison de principe masculin et de principe féminin, de “M” et de “F” comme Weininger les désigne. Cette notion d'androgyne, il la doit à Platon (Sym­po­sion)  et il cherche à expliquer, par les différences dans les combinaisons entre ces deux élé­ments, quelles sont les lois régissant les affinités sexuelles, notamment l'homosexualité et le féminisme.

 

Sur base de son analyse des deux idéaltypes, Weininger voulait jeter les fondements d'une psychologie philosophique et remettre radicalement en question la psychologie de tradition anglo-saxonne, qu'il ju­geait être dépourvue de substance. Le principe “M” est donc l'idée platonicienne de l'homme et le véhicule du génie, qui, grâce à sa créativité, sa logique et son sens de l'éthique, participe au monde intelligible. Le principe “F”, en revanche, n'est que sexualité, au-delà de toute logique et de toute éthique; en fin de compte, il est le Néant et la culpabilité qui tourmente le principe masculin. Le principe “F” est incapable d'amour, car tout amour véritable naît d'une volonté de valeur, ce qui manque totalement au principe fé­minin. En conséquence, pense Weininger, la véritable émancipation de la femme serait justement de dé­passer et de transcender ce principe féminin; le raisonnement de Weininger est très analogue à celui de Marx dans La question juive,  quand l'auteur du Capital donne ses recettes pour résoudre celle-ci.

 

Weininger consacre tout un chapitre au judaïsme et, en lisant, on s'aperçoit immédiatement qu'il ne s'agit pas seulement d'une manifestation de “haine de soi”, typiquement juive, mais, bien plutôt d'une analyse profonde, introspective et psychologique de l'essence du judaïsme. Weininger pose la question de savoir si sont exactes les théories qui affirment que les Juifs constituent le plus féminin et le moins religieux de tous les peuples; certaines de ses analyses en ce domaine, comme du reste dans les chapitres sur le crime et la folie, la maternité et la prostitution, l'érotisme et l'esthétique, sont magistrales, véritablement géniales, mais aussi, en bien des aspects, déplacées, naïves ou exagérément exaltées.

 

Ce qui en impose dans l'œuvre de Weininger, c'est qu'il tente de penser à fond et d'étayer son anti-fémi­nisme et de l'inclure dans un système métaphysique de type néo-platonicien. Certes, il y a eu des doc­trines anti-féministes à toutes les époques, et qui n'exprimaient pas seulement une quelconque misogy­nie, mais qui apercevaient clairement que le féminisme était une de ces idéologies égalitaires qui entravait le chemin des femmes vers une réelle affirmation d'elles-mêmes. Mais, à l'exception des idées de Schopenhauer, jamais l'anti-féminisme n'a été esquissé avec autant de force et de fougue philosophiques que chez le jeune philosophe viennois.

 

Mladen SCHWARTZ.

(texte issu de Criticón, n°64, mars-avril 1981; trad. française: Robert Steuckers).

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mardi, 07 octobre 2008

Kurt Schumacher, socialiste prussien

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Kurt Schumacher, socialiste prussien

 

«Aujourd'hui, la sociale-démocratie voit comme grand objectif national l'unité allemande dans la paix et la liberté. Elle s'opposera à toute tentative de fondre des parties du territoire national allemand dans d'autres peuples et combattra tous ceux qui préfèreront de telles solutions à l'unité allemande. Nous voulons la Communauté. Mais toute communauté commence pour nous par une Communauté avec les habitants de la zone soviétique d'occupation et de la Sarre». Ces paroles fortes de Kurt Schumacher ont eu valeur de programme pour la SPD, qui se positionnait comme le “parti de la réunification”. Elles sont extraites d'un long discours de Schumacher, président de la SPD dans l'immédiat après-guerre, prononcé à Dortmund en 1952, lors d'un congrès destiné à donner les mots-d'ordre aux militants de base. Mais que reste-t-il de ce nationalisme social et intransigeant en 1989/90? Rien. Absolument rien. Les soixante-huitards du pou­voir actuel, liquidateurs de la SPD, avaient encore plaidé en 1989, à la veille de la chute du Mur, pour que l'on abroge les phrases récla­mant explicitement le retour à l'unité allemande dans le préambule de la loi fondamentale de la RFA. Cet aveuglement et cette trahison font qu'ils courent le risque, aujourd'hui, d'être balayés par l'histoire. Mais le premier Président des sociaux-démocrates de notre après-guerre, Kurt Schumacher, demeurera dans les mémoires, précisément parce qu'il a été clairvoyant, nationaliste et intransigeant. Son œuvre a été pa­triotique et le peuple allemand doit lui en être reconnaissant.

 

Un mutilé de 1914-1918

 

Comme l'immense majorité des jeunes Allemands, Schumacher, après avoir passé son Abitur [équivalent du “bac”], s'engage dans l'armée en août 1914. Il était né le 13 octobre 1895 à Kulm en Prusse occiden­tale. Envoyé sur le front de l'Est, contre les Russes, le jeune homme, qui ne cache pas ses sympathies socialistes, demande à servir en première ligne, pour contribuer personnellement à arrêter le “danger tsa­riste”, que dénonçaient la SPD et August Bebel. Mais l'euphorie de l'été 1914 sera de courte durée pour Kurt Schumacher; elle finira tragiquement. Le 2 décembre 1914, le volontaire Schumacher est très griè­vement blessé lors de la bataille de Lodz. Il faut lui amputer le bras droit. En 1915, après avoir transité dans de nombreux hôpitaux de campagne, il est démobilisé, avec la Croix de Fer de 2ième classe au re­vers de son Waffenrock. Il se console en étudiant le droit, l'économie et les sciences politiques à Halle, Leipzig et Berlin. 1918 est, pour lui, l'année d'une terrible césure; au printemps, il s'était affilié à la MSPD, une aile de la so­ciale-démocratie qui entendait “construire la communauté nationale dans la responsabilité” et visait un ré­formisme socialiste à forte structuration étatique. Quand éclate la “révolution de novembre”, il devient membre du “Conseil des Ouvriers et des Soldats” du Grand-Berlin. Il y représentait la voie parlementaire au sein du Reichsbund der Kriegsbeschädigten [= Fédération Impériale des mutilés de guerre].

 

Les bouleversements de la “révolution de novembre” obligent le jeune Schumacher à abandonner l'idée de faire une carrière de fonctionnaire et à se jeter corps et âme dans la politique. Il s'installe dans le Wurtem­berg en décembre 1920, pour servir son parti pendant quatre ans à la rédaction de la Schwäbische Tag­wacht de Stuttgart. En 1924, il est élu à la Diète du Land de Wurtemberg, où il gagne rapidement ses lau­riers de chef de l'opposition sociale-démocrate. En 1930, Chef de la SPD du Wurtemberg et de sa milice, le Reichsbanner, il entre au Reichstag comme député. Mais il est jeune, et le présidium des députés socialistes, composé de vieillards têtus et bornés, le relègue sur les arrière-bancs. Ce n'est que le 23 février 1932 que le militant Schumacher va pouvoir donner de la voix et déployer sa rhétorique tranchante et virulente, et étaler son nationalisme; Goebbels venait de diffamer gravement la sociale-démocratie en la désignant comme le “parti des déserteurs”. Schumacher, le mutilé de guerre, a bondi à la tribune, prêt à prononcer un discours au vitriol, où il a rappelé que les socialistes avaient payé l'impôt du sang et perdu leurs biens au même titre que les autres citoyens pendant la guerre et que leur politique n'était pas moins “nationale” que celle de Goebbels. Schumacher donne ensuite la liste des députés socialistes mutilés, décorés et anciens combattants. Une liste plus longue que celle des nationaux-socialistes... Ensuite, plus dur, il traite Goeb­bels de “petit mal-foutu, rédacteur de mauvais feuilletons” et l'agitation nationale-socialiste d'“appel cons­tant au cochon qui sommeille dans l'intériorité de tout homme”. Inutile de dire qu'il devint ainsi la bête noire des nazis.

 

Cette polémique, l'engagement de Schumacher pour l'unité allemande de 1945 à 1952, reposaient sur une vision bien précise du socialisme, qui était un “socialisme prussien”. Dans sa thèse de doctorat, présen­tée en 1926, et intitulée Der Kampf um den Staatsgedanken in der deutschen Sozialdemokratie [La lutte pour l'idée d'Etat dans la sociale-démocratie allemande], Schumacher, ressortissant de Prusse occiden­tale, se montre rigoureusement “étatiste” et réclame l'avènement d'une nouvelle doctrine de l'Etat. Il écrit: «La spécificité toute particulière de la germanité, reliée au rôle tout particulier de la sociale-démocratie, montre bien que nous manquons cruellement d'une doctrine socialiste de l'Etat». Sans ambiguités, Schu­ma­cher ne cache pas ses sympathies pour “l'organisation étatique prussienne”, héritage d'une vision las­sal­lienne de l'Etat, qui accordait le primat à cette instance parce qu'elle était un instrument d'intervention dans les forces économiques du libre marché et du capitalisme, alors qu'elle était démonisée et com­battue par les marxistes.

 

Quand les nationaux-socialistes prennent le pouvoir en 1933, la carrière de Schumacher prend fin abrup­tement. Délibérément, il refuse d'émigrer et, à partir de juillet 1933, commence son long périple dans les camps de concentration: Heuberg, Kuhberg et surtout Dachau, où les souffrances du coprs et de l'esprit s'accumulent. Son internement durera dix ans. Ce n'est qu'en 1943 que le mutilé de 1914, manchot mais intact intellectuellement, peut quitter Dachau et revenir à la vie civile. Comme il ne peut plus mettre les pieds à Stuttgart, il s'installe à Hannovre avec sa sœur et son beau-frère. C'est de son bureau dans cette ville qu'il amorcera la reconstruction de la SPD dans les zones d'occupation occidentales. Malgré une santé déficiente, il parvient en quelques semaines ou en quelques mois à devenir le fer de lance de la SPD ressuscitée. Ce retour étonnant, il le doit à son charisme, à ses talents de chef et à sa rhétorique hâchée, dure, sans compromis. Schumacher sait parler et organiser, son passé de souffrances, d'abnégation, qui ne l'ont pas abattu, font de lui l'incarnation de la prusséité protestante et lui attirent des centaines de mil­liers de sympathisants et des millions d'électeurs, des anciens sociaux-démocrates, des soldats revenus du Front, des anciens des jeunesses hitlériennes... Les jeunes, qui n'ont connu que le national-socia­lisme, sont fascinés par son credo à la fois nationaliste et social-démocrate. Ensuite, dans un discours, Schumacher leur promet que “la plupart des soldats allemands rentreront dans une nouvelle patrie et en deviendront rapidement les piliers porteurs”.

 

Après avoir conclu un accord avec son homologue de la zone soviétique, Grotewohl, Schumacher devient le représentant de la SPD-Ouest (en octobre 1945), accède à la dignité de Président du parti en mai 1946, et reste jusqu'à sa mort en 1952 le chef de l'opposition sociale-démocrate au Bundestag. Dans cette car­rière, il a eu bien des mérites. Par son influence et sa faculté de persuader ses camarades, il a mis un terme à la politique de “bolchevisation” entreprise par les Soviétiques et leurs complices allemands. Celle-ci n'a réussi qu'à l'Est de l'Elbe. Schumacher a opposé une résistance farouche à toutes les tentatives des “communistes unitaires” d'installer des structures de la SED (est-allemande) à l'Ouest et à Berlin-Ouest.

 

Maxime de la politique: l'unité

 

Toute en résistant aux pressions des communistes et de leurs alliés, Schumacher modernise le parti, lui impose une politique et un programme de rénovation, l'ouvre aux classes moyennes. Schumacher rompt avec la dogmatique marxiste et ses justifications sonnent encore assez justes aujourd'hui: «C'est égal, si quelqu'un devient aujourd'hui social-démocrate parce qu'il est un adepte des analyses économiques marxistes, ou s'il vient à nous pour des motifs philosophiques ou éthiques ou s'il adhère à notre socia­lisme parce qu'il croit aux principes évangéliques du Sermont sur la Montagne. Chacun a les mêmes droits dans le parti d'affirmer sa personnalité spirituelle ou intellectuelle, d'annoncer ses motivations». Mais Schumacher ne tombait pas dans le libéralisme: il restait inébranlablement fidèle aux théories de la macro-planification en économie et à une socialisation partielle. Cette fidélité provenait de sa conception lassal­lienne de l'Etat qu'il articulait dans le contexte de la reconstruction allemande et de l'alternative socialo-communiste que proposaient les dirigeants de la zone soviétique d'occupation.

 

Mais le message le plus important de Schumacher a été le suivant: l'insistance sur la réunification. Il a im­posé aux chefs de la sociale-démocratie, il a communiqué au peuple de part et d'autre du Rideau de Fer, l'idée que la réunification devait demeurer la “mesure de toute chose” en politique allemande. «Au contraire d'Adenauer, il n'a jamais cessé de plaider pour la réunification, de mobiliser les efforts de son parti pour l'unité. Il en a fait la maxisme supérieure de la politique allemande», écrit l'historien Rainer Zitelmann (in Adenauers Gegner. Streiter für die Einheit, Straube, Erlangen, 1991).

 

Le 20 août 1952, Kurt Schumacher, le patriote de la sociale-démocratie allemande, meurt après une longue et pénible maladie. Mais le message qu'il a laissé avant de mourir en 1952 reste plus actuel que jamais: «Il faut donner au peuple allemand une nouvelle conscience nationale, à égale distance entre l'arrogance du passé et la tendance actuelle, de voir dans tous les souhaits des Alliés, la révélation d'un sentiment européen. Seul un peuple qui s'affirme lui-même pour ce qu'il est peut devenir un membre à part entière d'une communauté plus vaste».

 

Christian HARZ.

(Article paru dans Junge Freiheit, n°41/1995; trad. franç. : Robert Steuckers).

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lundi, 06 octobre 2008

K. Radzimanowski over geopolitiek in Europa

Kersten Radzimanowski over geopolitiek in Europa

“Duitsland is door de NAVO, die door de USA gedomineerd wordt, in steeds sterkere mate van vazal tot knechtje van de Amerikanen verworden. In deze evolutie en dit verbond kan ik niet in de geringste mate iets positiefs zien. Het is duidelijk te zien, met welke zware druk de USA proberen om de opname van Georgië in de NAVO erdoor te drukken, om zo met het breekijzer haar belangen in de regio veilig te stellen. Nadat president Saakaschvili met zijn militaire offensief een fiasco leed, is het geween bij de USA en NAVO groot. (…) In de EU zijn het vooral Oost-Europese staten zoals Polen, maar ook Groot-Brittannië, Denemarken en Nederland die meer in de USA dan in het continentale Europa geïnteresseerd lijken. Dat is hun goed recht, maar dan moeten de basisfundamenten van de EU veranderd worden in een meer losse Statengemeenschap. Met een land als Groot-Brittannië of Polen die deelneemt aan een agressieoorlog aan de zijde van de USA, tegen het volkenrecht in, kan ik niet de zoveel geprezen waardegemeenschap erkennen.”

Dr. Kersten Radzimanowski, voormalig DDR-staatssecretaris voor Buitenlandse zaken, voormalig CDU-politicus, vandaag NPD-militant. Bron: Deutsche Stimme, sep. 2008, p.3

Het citaat toont de grote geopolitieke kwestie voor Europa aan het begin van de 21ste eeuw duidelijk aan: welk Europa willen wij? Een Atlantisch slaafje van de USA dat ons meesleurt in imperialisme om de Amerikaans-kapitalistische en zionistische belangen veilig te stellen, en daarbij Europeanen als kanonnenvlees gebruikt? Of een continentaal sterk Europa dat zelfstandig zijn eigen belangen kan verdedigen? N-SA kiest onomwonden voor het laatste. Als “Groot-Nederland” betekent dat wij nog meer in de Angelsaksische, Atlantische invloedssfeer terechtkomen, dan kan dit Groot-Nederland à la Geert Wilders maar beter oplossen in het zoute Noordzeewater.

vendredi, 03 octobre 2008

"Ich wollte nicht danebenstehen..."

Bräuninger, "Ich wollte nicht danebenstehen ..."

Werner Bräuninger ist unter den zahllosen Autoren, die sich auch Jahrezehnte nach dessen Untergang mit dem Nationalsozialismus beschäftigen. Er will in seinem Buch Männer und Frauen vorstellen, "deren Namen schon fast ausgelöscht schienen". Seine Darstellungen helfen, jene Zeit zu verstehen, die uns offenbar nicht losläßt.

"Preußische Allgemeine Zeitung 19. Mai 2007"

 

Werner Bräuninger ist unter den zahllosen Autoren, die sich auch Jahrzehnte nach dessen Untergang mit dem Nationalsozialismus beschäftigen, einer der originellsten. Jetzt legt er mit seinem Buch "Ich wollte nicht daneben stehen ..." eine Sammlung von Essays vor, die sich mit Lebensentwürfen von bemerkenswerten Persönlichkeiten befassen, die von vielen Aspekten des Nationalsozialismus wie der Person Adolf Hitlers fasziniert waren, auch wohl in großen Zügen den von ihm verkündeten Zielen zustimmten, wie etwa Deutschland aus seiner tiefen Erniedrigung nach dem Ersten Weltkrieg herauszuführen und die deutsche Parteizwietracht zu überwinden, die sich aber meist der nationalsozialistischen Bewegung nicht anschlossen. Manche verwendeten sich nach den ersten Jahren der NS-Machtausübung enttäuscht ab, keiner war an der praktischen Politik beteiligt.

Da stößt man auf Namen wie dem des politischen Pädagogen und führenden nationalsozialistischen Philosophen Alfred Baeumler, der sich weigerte, Berlin zu verlassen und als Volkssturmmann an der Verteidigung teilnahm; auf Arno Breker, der bis 1945 und dann auch wieder nach Jahrzehnten der Diffamierung als einer der großen Bildhauer des 20. Jahrhunderts anerkannt wurde; auf Ernst Bertram, der in den 20er und 30er Jahren als einer der führenden Gelehrten der Zeit galt, befreundet mit Thomas Mann, dem Stefan-George-Kreis angehörend, der seine ganze Hoffnung auf Hitler setzte, aber nie NSDAP-Mitglied wurde; auf die Engländerin Winifred Wagner, Ehefrau des Richard-Wagner-Sohns Siegfried, die auch nach 1945 zu ihrer Freundschaft zu Adolf Hitler stand. Berichtet wird über den erstaunlichen Gelehrten Ernst Kontorowicz, 1895 in Posen geboren, deutscher Jude, Offizier, im Ersten Weltkrieg hoch dekoriert, Freikorpskämpfer, dessen Hauptwerk über den Staufen-Kaiser Friedrich II. auch heute noch von hoher Bedeutung ist.

Auch er gehörte zum Kreis von Stefan George. Sein Ziel war eine deutsch-jüdische Symbiose. Als er als Professor den Amtseid auf Hitler ablegen mußte, verweigerte er ihn und emigrierte, blieb aber stets Deutschland verbunden.

Ernst Jünger ist ein langes Kapitel gewidmet, Wandervogel, Offizier, Pour-le-Merite-Träger, Autor. Seine Bücher fanden in der intellektuellen Welt höchste Beachtung. Den nationalen Aufbruch hatte er zunächst freudig begrüßt, zog sich aber später enttäuscht zurück. "Krieger und Träumer, Autor und Soldat, radikaler Nationalist und Künder einer neuen Zeit, Dandy und Einzelgänger" apostrophiert ihn Bräuninger.

Leni Riefenstahl ist ein verständnisvolles Kapitel gewidmet, jener genialen deutschen Filmregisseurin, die international mit höchsten Preisen geehrt wurde. Ihr Film über die Olympischen Spiele 1936 wurde als "bester Film der Welt" 1938 in Paris prämiert. Ihr ging es um nichts anderes, als in ihren Filmen "das Schöne, Starke, Gesunde" darzustellen, kurz: "Ich suchen die Harmonie." 1945 wurde auch sie verfemt und boykottiert, bis ihr vor einigen Jahrzehnten eine Renaissance zuerst im Ausland, dann auch in Deutschland Gerechtigkeit widerfahren ließ.

Bereichert werden die Essays durch ein Personenverzeichnis, in dem man intellektuell wichtige Persönlichkeiten aus dem Deutschland des 20. Jahrhunderts findet, deren Leben und Bedeutung kurz skizziert wird.

Bräuninger will in seinem Buch Männer und Frauen vorstellen, "deren Namen schon fast ausgelöscht schienen". Seine Darstellungen helfen, jene Zeit zu vertehen, die uns offenbar nicht losläßt.

"Preußische Allgemeine Zeitung 19. Mai 2007"

jeudi, 02 octobre 2008

Les leçons de Peter Koslowski face à la post-modernité

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Les leçons de Peter Koslowski face à la post-modernité

 

par Jacques-Henry Doellmans

 

Peter Koslowski, jeune philosophe allemand né en 1952, est pro­fes­seur de philosophie et d'économie politique à l'Université de Wit­ten/Her­decke, président de l'Institut CIVITAS, Directeur de l'In­sti­tut de Recherches en Philosophie de l'Université de Hanovre. Son ob­jectif est de déployer une critique fondée de la modernité et de tous ses avatars institutionalisés (en politique comme en économie). Ses argu­ments, solidement étayés, ne sont pas d'une lecture facile. Rien de son œuvre, déjà considérable, n'a été traduit et nous, fran­co­phones, avons peu de chances de trouver bientôt en librairie des traductions de ce philosophe traditionnel et catholique d'aujour­d'hui, tant la ri­gueur de ses arguments ruine les assises de la pen­sée néo-gnosti­ci­ste, libérale et permissive dominante, surtout dans les rédactions pa­risiennes!

 

Koslowski est également un philosophe prolixe, dont l'éventail des pré­occupations est vaste: de la phi­losophie à la pratique de l'écono­mie, de l'éthique à l'esthétique et de la métaphysique aux questions re­ligieuses. Koslowski est toutefois un philosophe incarné: la réfle­xion doit servir à organiser la vie réelle pour le bien de nos pro­chains, à gommer les dysfonction­ne­ments qui l'affectent. Pour at­teindre cet op­timum pratique, elle doit être interdisciplinaire, évi­ter l'impasse des spécialisations trop exigües, pro­duits d'une pensée trop analytique et pas assez orga­ni­que.

 

Pour la rédaction d'un article, l'interdisciplinarité préconisée par Koslowski fait problème, dans la me­sure où elle ferait allègrement sauter les limites qui me sont imparties. Bornons-nous, ici, à évo­quer la présentation critique que nous donne Koslowki de la “post­mo­dernité” et des phénomènes dits “postmodernes”.

 

La “modernité” a d'abord été chrétienne, dans le sens où les chré­tiens de l'antiquité tardive se dési­gnaient par l'adjectif moderni, pour se distinguer des païens qu'ils appelaient les antiqui. Dans cette ac­ception, la modernité correspond au saeculum de Saint-Augustin, soit le temps entre la Chute et l'Accomplissement, sur lequel l'homme n'a pas de prise, seul Dieu étant maître du temps. Cette con­ception se heurte à celle des gnostiques, constate Koslow­ski, qui protestent contre l'impuissance de l'homme à exercer un quelconque pouvoir sur le temps et la mort. Le gnosticisme  —qu'on ne confon­dra pas avec ce que Koslowski appelle “la vraie gnose”—  prétendra qu'en nommant le temps (ou des segments précis et définis du temps), l'homme parviendra à exercer sa puissance sur le temps et sur l'histoire. Par “nommer le temps”, par le fait de donner des noms à des périodes circonscrites du temps, l'homme gnostique a la prétention d'exercer une certaine maîtrise sur ce flux qui lui échappe. La divi­sion du temps en “ères” antique, médiévale et moderne donne l'illusion d'une marche en avant vers une maîtrise de plus en plus assurée et complète sur le temps. Telle est la logi­que gnostique, qui se répé­tera, nous allons le voir, dans les “grands récits” de Hegel et de Marx, mais en dehors de toute réfé­rence à Dieu ou au Fils de Dieu incarné dans la chair des hommes.

 

Parallèlement à cette volonté d'arracher à Dieu la maîtrise du temps, le gnosticisme, surtout dans sa version docétiste, nie le ca­ractère historique de la vie de Jésus, rejette le fait qu'il soit réelle­ment devenu homme et chair. Le gnosticisme spiritualise et dés-his­torise l'Incarnation du Christ et introduit de la sorte une anthro­pologie désincarnée, que refusera l'Eglise. Ce refus de l'Eglise per­met d'éviter l'écueil de l'escapisme vers des empyrées irréelles, de déboucher dans l'affabulation phantasmagorique et spiritualiste. L'In­carnation revalorise le corps réel de l'homme, puisque le Christ a partagé cette condi­tion. Cette revalorisation implique, par le biais de la caritas  active, une mission sociale pour l'homme politique chré­tien et conduit à affirmer une religion qui tient pleinement compte de la communauté humaine (paroissiale, urbaine, régionale, natio­na­le, continentale ou écouménique). L'homme a dès lors un rô­le à jouer dans le drame du saeculum,  mais non pas un rôle de pur sujet au­tonome et arbitraire. Si les gnostiques de l'antiquité avaient nié toute valeur au monde en refusant l'Incarnation, l'avatar mo­der­ne du gno­sticisme idolâtrera le monde, tout en le désacralisant; le monde n'aura plus de valeur qu'en tant que matériau, que masse de ma­tiè­res premières, mises à la totale disposition de l'homme, je­tées en pâture à son arbitraire le plus complet. Le gnosticisme mo­der­ne dé­bou­che ainsi sur la “faisabilité” totale et sur la catastrophe écolo­gi­que.

 

Si le premier concept de modernité était celui de la chrétienté im­bri­quée dans le saeculum  (selon Saint-Augustin), la deuxième ac­ception du terme “modernité” est celle de la philosophie des Lumiè­res, dans ses seuls avatars progressistes. Koslowski s'insurge contre la démarche de Jürgen Habermas qui a érigé, au cours de ces deux dernières décennies, ces “Lumières progressistes” au rang de seul pro­jet valable de la modernité. Habermas perpétue ainsi la super­sti­tion du progressisme des gauches et jette ainsi un soupçon per­manent sur tout ce qui ne relève pas de ces “Lumières progres­sistes”. L'idée d'un progrès matériel et technique infini provient du premier principe (galiléen) de la thermodynamique, qui veut que l'énergie se maintient en toutes circonstances et s'éparpille sans ja­mais se perdre au tra­vers du monde. Dans une telle optique, l'ac­crois­sement de complexité, et non la diminution de com­plexité ou la régression, est la “normalité” des temps modernes. Mais, à partir de 1875, émerge le se­cond principe de la thermodynamique, qui con­sta­te la déperdition de l'énergie, ce qui permet d'envisager la déca­dence, le déclin, la mort des systèmes, la finitude des ressources na­turelles. Le pro­jet moderne de domi­ner entièrement la nature s'ef­fon­dre: l'homme gnostique/moderne ne prendra donc pas la place de Dieu, il ne sera pas, à la place de Dieu, le maître du temps. Dans ce sens, la post­modernité commence en 1875, comme le notait déjà Toynbee, mais ce fait de la déperdition n'est pas pris en compte par les idéologies politiques dominantes. Partis, idéologues, décideurs politiques a­gis­sent encore et toujours comme si ce second principe de la ther­mo­dynamique n'avait jamais été énoncé.

 

Pourtant, malgré les 122 ans qui se sont écoulés depuis 1875, l'usa­ge du vocable “postmoderne” est venu bien plus tard et révèle l'exis­tence d'un autre débat, parti du constat de l'effondrement de ce que Jean-François Lyotard appelait les “grands récits”. Pour Lyo­tard, les “grands récits” sont représentés par les doctrines de Hegel et de Marx. Ils participent, selon Koslowski, d'une “immanentisation ra­di­cale” et d'une “historicisation” de Dieu, où l'histoire du monde de­vient synonyme de la marche en avant de l'absolu, libérant l'hom­me de sa prison mondaine et de son enveloppe charnelle. Pour Marx, cette marche en avant de l'absolu équivaut à l'émancipation de l'homme, qui, en bout de course, ne sera plus exploité par l'hom­me ni assu­jet­ti au donné naturel. Lyotard déclarera caducs ces deux “grands récits”, expressions d'un avatar contemporain du filon gno­sti­que.

 

A la suite de cette caducité proclamée par Lyotard, le philosophe al­lemand Odo Marquard embraye sur cette idée et annonce le rem­pla­cement des deux “grands récits” de la modernité européenne par une myriade de “petits récits”, qu'il appelle (erronément) des “my­thes”. Le marxisme, l'idéalisme hégé­lien et le christianisme, dans l'optique de Marquard, sont “redimensionnés” et deviennent des “pe­tits récits”, à côté d'autres “petits récits” (notamment ceux du “New Age”), auquel il octroie la mê­me va­leur. C'est le règne de la “po­lymythie”, écrit Koslowski, que Marquard érige au rang d'obli­ga­tion éthique. Le jeu de la concurrence entre ces “mythes”, que Kos­low­ski nomme plus justement des “fables”, devient la catégorie fon­damentale du réel. La concurrence et l'affrontement entre les “pe­tits récits”, le débat de tous avec tous, le jeu stérile des discussions aimables non assorties de décisions constituent la variante anarcho-libérale de la postmodernité, conclut Koslowski. Ce néo-polythéisme et cet engouement naïf pour les débats entre tous et n'importe qui dévoile vite ses insuffisances car: 1) La vie est unique et ne peut pas être inscrite exclusivement sous le signe du jeu, sans tomber dans l'aberration, ni sous le signe de la discussion perpétuelle, ce qui serait sans issue; 2) Totaliser ce type de jeu est une aberration, car s'il est totalisé, il perd automati­quement son caractère ludique; 3) Cette po­lymythie, théorisée par Marquard, se méprend sur le ca­rac­tère intrinsèque des “grands ré­cits”; con­trai­rement aux “petits ré­cits”, alignés par Marquard, ils ne sont pas des “fables” ou de sym­pa­thiques “historiettes”, mais un “mé­lange hybri­de d'histoire et de philosophie spéculative”, qui est “spéculation dog­matique” et ne se laisse pas impliquer dans des “dé­bats” ou des “jeux discursifs”, si ce n'est par in­térêt stratégique ponctuel. La polymythie de Mar­quard n'affirme rien, ne souhaite même pas mainte­nir les différen­ces qui distin­guent les “petits récits” les uns des autres, mais a pour seul effet de mélan­ger tous les genres et d'estomper les limites en­tre toutes les catégories. Les ratiocinations évoquant une hypothéti­que “pluralité” qui serait indépassable ne con­duisent qu'à renoncer à toute hiérarchisation des valeurs et s'avèrent pu­re accumulation de fables et d'affabu­la­tions sans fondement ni épaisseur.

 

Après la “polymythie” de Marquard, le second volet de l'offensive postmoderne en philosophie est re­présentée par le filon “décon­struc­ti­viste”. En annonçant la fin des “grands récits”, Lyotard a jeté les bases d'une vaste entreprise de “déconstruction” de toutes les in­stitutions, instances, initiatives, que ces “grands récits” avaient générées au fil du temps et imposées aux sociétés humaines. Procé­dant effecti­vement de cette “spécu­la­tion dogmatique” assimilable à un néo-gnosticisme, les “grands récits” ont été “constructivistes”  —ils relevaient de ce que Joseph de Maistre appelait “l'esprit de fa­bri­cation”—  et ont installé, dit Ko­slow­ski, des “cages d'acier” pour y enfermer les hommes et, aussi, les mettre à l'abri de tout appel de l'Ab­solu. Ces “cages d'acier” doi­vent être démantelées, ce qui légi­ti­me la théorie et la pratique de la “déconstruction”, du moins jus­qu'à un certain point. Si déconstruire les cages d'acier est une nécessité pour tous ceux qui veulent une restauration des valeurs (tradition­nel­les), fai­re du “déconstructivisme” une fin en soi est un errement de plus de la mo­dernité. Toujours hostile aux ava­tars du gnosticis­me an­ti­que, à l'instar du penseur conserva­teur Erich Voegelin, Ko­slowski rap­pelle que pour les gnoses extrê­mes, le réel est toujours “faux”, “inauthen­tique”, “erratique”, etc. et, derrière lui, se trouvent le “sur­na­turel”, le “tout-autre”, l'“inattendu”, le “nouveau”, l'“étran­ger”, tou­jours plus “vrais” que le réel. Pour Lyotard et Derrida, le phi­lo­so­phe doit tou­jours placer ce “tout-autre” au centre de ses pré­occu­pa­tions, lui oc­troyer d'office toute la place, au détriment du réel, tou­jours con­si­déré comme in­suffisant et imparfait, dépourvu de valeur. Lyotard veut privilégier les “discontinuités” et les “hété­ro­généités” contre les “continuités” et les “homogénéités”, car elles témoignent du ca­ractère “déchiré” du monde, dans lequel jamais au­cun ordre ne peut se déployer. L'idée d'ordre  —et non seulement la “cage d'a­cier”—   est un danger pour les déconstructivistes et non pas la chan­ce qui s'offre à l'homme de s'accomplir au service des autres, de la Cité, du prochain, etc.

 

Pour Koslowski, cette logique “anarchisante” dérive de Georges Ba­taille, récemment “redécouvert” par la “nouvelle droite”. Bataille, notamment dans La littérature et le mal, explique que la souverai­neté consiste à accroître la liberté jusqu'à obtenir un “être-pour-soi” absolu, car toute activité consistant à maintenir l'ordre est signe d'es­calavage, d'une “conscience d'esclave”, servile à l'égard de l'“objectivité”. L'homme ne peut être souverain, pour Bataille, que s'il se libère du langage et de la vie, donc s'il est capable de s'auto-détruire. Le moi de Bataille renonce de façon absolue à défendre et à maintenir la vie (laquelle n'a pas de valeur comme le monde n'a­vait pas de valeur pour les gnosti­ques de la fin de l'antiquité, qui refusaient le mystère de l'Incar­na­tion). L'apologie du “gaspillage”, anto­nyme total de la “conservation”, et la “mystique du moi” chez Ba­taille débouchent donc sur une “my­sti­que de la mort”. En ce sens, elle surprivilégie la dispersio des mystiques médiévaux, lui accorde un sta­tut ontologique, sans affirmer en contre-partie l'unio mystica.

 

Telle est la critique qu'adresse Koslowski à la philosophie postmo­der­ne. Elle ne s'est pas contenté de “déconstruire” les structures im­posées par la modernité, elle n'a pas rétabli l'unio mystica, elle a gé­né­ralisé un “déconstructivisme” athée et nihiliste, qui ne débou­che sur rien d'autre que la mort, comme le prouve l'œuvre de Ba­taille. Mais si Koslowski s'insurge contre le refus du réel qui part du gnosticisme pour aboutir au déconstructivisme de Derrida, que pro­pose-t-il pour ré-ancrer la philosophie dans le réel, et pour dégager de ce ré-ancrage une philosophie politique pratique et une écono­mie qui permette de donner à chacun son dû?

 

Dans un débat qui l'opposait à Claus Offe, politologue allemand vi­sant à maintenir une démocratie de facture moderne, Koslowski in­diquait les pistes à suivre pour se dégager de l'impasse moderne. Of­fe avait constaté que les processus de modernisation, en s'am­pli­fiant, en démultipliant les différencia­tions, en accélérant outranciè­re­ment les prestations des systèmes et sous-systèmes, confis­quaient aux structures et aux institutions de la modernité le ca­rac­tè­re normatif de cette même modernité. Différenciations et accé­lé­rations finissent par empêcher la modernité d'être émancipatrice, a­lors qu'au départ son éthique foncière visait justement l'émanci­pa­tion tota­le (i.e.: échapper à la prison du réel pour les gnostiques, s'émanciper de la tyrannie du donné naturel chez Marx). Pour réin­troduire au centre des préoccupations de nos contemporains cette idée d'é­man­cipation, Offe prône l'arrêt des ac­cumulations, différen­ciations et ac­célérations, soit une “option nulle”. Offe veut la moder­ni­té sans pro­grès, parce que le progrès fini par générer des struc­tu­res gigantesques, incontrôlables et non démo­cratiques. Il réconcilie ainsi la gauche post-industrielle et les paléo-conservateurs, du moins ceux qui se contentent de ce constat somme toute assez fa­cile. Effectivement, constate Koslowski, Offe démontre à juste titre qu'une accumulation incessante de différenciations diminue la vi­ta­lité et la robustesse de la société, surtout si les sous-systèmes du sy­stème sont chacun monofonctionnels et s'avèrent incapables de ré­gler des problèmes complexes, chevauchant plusieurs types de compétences. Si les principes de vérité, de justice et de beauté s'é­loi­gnent les uns des autres par suite du processus de différencia­tion, nous aurons, comme l'avait prévu Max Weber, une vérité in­juste et laide, une justice fausse et laide et une esthétique immorale et fausse. De même, le divorce entre économie, politique et solida­ri­té, conduit à une économie impolitique et non solidaire, à une politi­que anti-économique et non solidaire, à une so­lidarité anti-écono­mi­que et impolitique. Ces différenciations infécondes de la moder­ni­té doivent être dépassées grâce à une pratique de l'“in­ter­péné­tration” générale, conduisant à une polyfonctionalité des insti­tutions dans lesquelles les individus seront organiquement imbriqués, car l'individu n'est pas seulement une unité économique, par exemple, mais est simultanément ouvrier d'usine, artiste ama­teur, père de famille, etc. Chaque institution doit pouvoir répondre tout de suite, sans médiation inutile, à chacune des facettes de la personnalité de ce “père-artiste-ouvrier”. Offe con­si­dère que l'“interpéné­tration” pourrait porter atteinte au prin­cipe de la séparation des pouvoirs. Koslowski rétorque que cette sé­pa­ration des pouvoirs serait d'au­tant plus vivante avec des insti­tu­tions polyfonctionnelles et plus robustes, taillées à la mesure d'hommes réels et complexes. L'“op­tion nulle” est un con­stat d'échec. L'effondrement de la modernité politique et des es­poirs qu'elle a fait naître provoque la déprime. Un monde à l'en­sei­gne de l'“option nulle” est un monde sans per­spective d'avenir. Un sy­stème qui ne peut plus croître, s'atrophie.

 

Pour Koslowski, c'est le matérialisme, donc la pensée économiciste,  —la sphère de l'économie dans la­quelle la modernité matérialiste avait placé tous ses espoirs—  qui est contrainte d'adopter l'“option nulle”. Comme cette pensée a fait l'impasse sur la culture, la reli­gion, l'art et la science, elle est incapable de générer des développe­ments dans ces domaines et d'y susciter des effets de compensation, pourtant essentiels à l'équilibre humain et social. L'impasse, le sur-place du domaine socio-économique doit être un appel à investir des énergies créatrices et des générosités dans les dimensions re­li­gieuses, artis­tiques et scientifiques, conclut Koslowski.

 

Telle est bien son intention et Koslowski ne se contente pas d'émet­tre le vœu d'une économie plus con­forme aux principes de conser­va­tion et d'équilibre des philosophies non modernes. Deux livres très denses témoignent de sa volonté de sauver l'économie et le so­cial de la stagnation et du déclin induits par l'“option nulle”, consta­tée par Offe, un politologue déçu de la modernité mais qui veut à tout prix la sauver, en dépit de ses échecs patents. Dans cette opti­que, Koslowski a écrit Wirtschaft als Kultur  (1989) et Die Ordnung der Wirtschaft  (1994) (réf. infra). Ces deux ouvrages sont si fonda­mentaux que nous serons contraints d'y revenir: retenons, ici, que Koslowski, dans Wirtschaft als Kultur, part du constat que les réser­ves naturelles de la planète s'épuisent, qu'elles sont limitées, que cette limite doit être prise en compte dans toutes nos actions, qu'elle implique ipso facto que le progrès accumulatif il­limité est une impossibilité pratique. A ce progressisme qui avait structuré toute la pensée moderne, Koslowski oppose les idées d'une “justice” et d'une “réciprocité” dans les échanges entre l'homme et la nature. Ensuite, il plaide pour une réinsertion de la pensée économique dans une culture plus globale, laissant une large place à l'éthique du devoir. Il esquisse ensuite les contours de l'Etat social postmo­derne, qui doit être “subsidiaire” et prévoir une solidarité en tous sens en­tre les générations. Cet Etat postmoderne et subsidiaire doit partici­per, de concert avec ses homologues, à la restauration d'un marché intérieur européen, prélude à la naissance d'une “nation européen­ne”, capable d'organiser ses différences ethniques et culturelles sans sombrer dans le nivellement des valeurs qu'un certain dis­cours sur la “multiculturalité” appelle de ses vœux (Koslowski se mon­tre très sévère à l'égard de cet engouement pour la “multicul­tu­re”).

 

Dans Die Ordnung der Wirtschaft, ouvrage très solidement char­pen­té, Koslowski jette les bases d'un néo-aristotélisme, où s'al­lient “phi­lo­sophie pratique” et “économie éthique-politique”. Cette al­liance part d'une “interpénétration” et d'une “compénétration” des ratio­na­lités éthique, économique et poli­tique. Ainsi, la “bonne politi­que” est celle qui ne répond pas seulement aux impératifs politiques (con­servation du pouvoir, évitement des conflits), mais vise le bien commun et la couverture optimale de tous les besoins vitaux. Les structures économiques, toujours selon cette logique néo-aristotéli­cien­ne, doivent également répondre à des critères politiques et é­thi­ques. Quant à l'éthique, elle ne saurait être ni anti-économique ni anti-politique. Cette volonté de ne pas valoriser un domaine d'acti­vi­té humaine au détriment d'une autre postule de recombiner ce que la modernité avait voulu penser séparément. La philosophie prati­que d'Aristote entend également conserver les liens d'amitié politi­que (philia poli­tike)  entre les citoyens et les communautés de cito­yens, qui fondent le sens du devoir et de la récipro­cité. Koslow­ski relie ce principe cardinal de la pensée politique aristotélicienne aux travaux de la nou­velle école communautarienne américaine (A. MacIntyre, M. Walzer, Ch. Taylor, etc.). Le néoaristoté­lisme met l'ac­cent sur le retour indispensable de la vertu grecque de phrone­sis:  l'intelligence pratique, capable de discerner ce qui est bon et utile pour la Cité, dans le contexte propre de cette Cité. En effet, la ratio­na­lité pure, sur laquelle l'hypermodernité avait parié, exclut le con­texte. L'application de cette ra­tionalité décontextualisante dans le domaine de l'économie a conduit à une impasse voire à des cata­s­tro­phes: une rationalité économique réelle et globale exige une im­mersion herméneutique dans le tissu social, où se conjuguent ac­tions économiques et politiques. Enfin, le réel est le fondement pre­mier de la philosophie pratique et non le “discours” ou l'“agir com­mu­nicationnel” (cher à Habermas ou à Apel), car tout ne procède pas de l'agir et du parler: l'Etre transcende l'action et ses détermi­na­tions précèdent l'acte de parler ou de discourir.

 

La pensée philosophique et économique de Koslowski constitue une réponse aux épreuves que nous a infligées la modernité: elle repré­sente la facette positive, le complément constructif, de sa critique de la modernité gnosticiste. Elle est un chantier vers lequel nous al­lons immanquablement devoir retourner. Puisse cette modeste in­troduction éveiller l'attention du public francophone pour cette œu­vre qui n'a pas encore été découverte en France et qui complèterait celles de Taylor, MacIntyre, Spaemann, déjà traduites.

 

Bibliographie:

 

- Peter KOSLOWSKI, «Sein-lassen-können als Überwindung des Modernismus. Kommentar zu Claus Offe», in Peter KOSLOWSKI, Robert SPAEMANN, Reinhard LÖW, Moderne oder Postmo­der­ne?, Acta Humaniora/VCH, Weinheim, 1986

 

- Peter KOSLOWSKI, Wirtschaft als Kultur. Wirtschaftskultur und Wirtschaftsethik in der Postmoderne, Edition Passagen, Wien, 1989.

 

- Peter KOSLOWSKI, Die Prüfungen der Neuzeit. Über Post­mo­dernität. Philosophie der Geschichte, Metaphysik, Gnosis, Edition Passagen, Wien, 1989.

 

- Peter KOSLOWSKI, «Supermoderne oder Postmoderne? Dekon­struk­tion und Mystik in den zwei Postmodernen», in Günther EIFLER, Otto SAAME (Hrsg.), Postmoderne. Anspruche einer neuen Epoche. Eine interdisziplinäre Erörterung, Edition Pas­sagen, Wien, 1990.

 

- Peter KOSLOWSKI, Die Ordnung der Wirtschaft, Mohr/Siebeck, Tübingen, 1994.

par Jacques-Henri Doellmans 

Europäer sollen US-Wirtschaft retten

Europäer sollen US-Wirtschaft retten

Ex: http://www.deutsche-stimme.de

Das Ende der Investmentbanken in den USA ist eingeläutet: Die beiden verbliebenen Investmentbanken Goldman Sachs und Morgan Stanley wollen nun „normale“ Banken werden. Die amerikanische Notenbank hat in der Nacht zum Montag dem Begehren der beiden letzten der bis vor kurzen fünf großen Investmentbanken stattgegeben, zu Bank-Holdings zu werden. Das erleichtert es ihnen, durch die staatliche Federal Deposit Insurance Corporation versicherte Kundeneinlagen entgegenzunehmen. Bisher finanzierten sie sich hauptsächlich durch kurzfristige Mittelaufnahmen auf den Finanzmärkten, eine Geldquelle, die in den letzten Tagen zunehmend zu versiegen drohte. Die Vorteile dieser Statusänderung haben allerdings ihren Preis. Die beiden Finanzinstitute werden strengeren Eigenkapitalvorschriften unterliegen und außerdem einer erheblich strikteren regulatorischen Aufsicht unterstehen. Die Diskussion, wie Investmentbanken künftig zu beaufsichtigen sein werden, ist mit dieser Statusänderung praktisch über Nacht weitgehend gegenstandslos geworden.
Der Liberalkapitalismus und sein immer wieder gepriesenes Wirtschaftssystem pfeifen aus dem letzten Loch. Der amerikanische Staat greift nun mit Verstaatlichung von Banken und einem „Rettungsplan“ in Milliardenhöhe in den Markt ein. Mit dem weitreichendsten Eingriff in das Finanzsystem seit der großen Depression der 30iger Jahre versucht die US-amerikanische Regierung, den Zusammenbruch des Finanzmarktes zu stoppen.

Das Rettungspaket für die Wall Street wird täglich größer. Der Finanzminister der USA, Paulson, der zuvor als Chef der Investmentbank Goldman Sachs kräftig beim Spekulationsroulett mitgespielt hat, möchte nun gerne auch Europäer und Asiaten an den Kosten zur Rettung der US-Wirtschaft beteiligen. Erst hat die USA die Finanzkrise in die Welt exportiert, nun sollen europäische Steuerzahler den Schaden abfedern. Diese Forderungen sind eigentlich als schamlos zurückzuweisen.
Viele europäische Banken haben nämlich schon die fragwürdigen Kreditersatzpapiere gekauft und müssen nun den erheblichen Wertverlust tragen. Da sich aus Deutschland vor allem öffentlich-rechtliche Banken am Monopoly der Weltwirtschaft beteiligt haben, sind deutsche Steuerzahler nun ohnehin schon an den Kosten der Finanzkrise beteiligt. Das ist traurig genug und als Beitrag zur Finanzierung der Krise wirklich ausreichend.

Das amerikanische Schatzamt will nun aber „Rettungsanleihen“ im Wert von 700 Milliarden Dollar ausgeben. Diese Anleihen werden dann wohl wieder zu großen Teilen von Ausländern aufgekauft werden, die so schon seit Jahren den Lebensstil der Amerikaner auf Pump finanzieren. Deutschland wäre aber in Zeiten wie heute gut beraten, das Geld zusammenzuhalten und nicht wieder dem windigen „Großen Bruder“ in den Rachen zu schmeißen.

Die Weltwirtschaft ist nämlich durch die Krise in eine Rezession gestürzt, die die nächsten Jahre auch auf Deutschland durchschlagen wird. Die Steuerzahlungen der Unternehmen dürften auch in Deutschland in den Keller gehen, die Arbeitslosenzahlen hingegen wieder ansteigen. Angesichts dieser Aussichten ist es unverantwortlich, sich auf Kosten des deutschen Steuerzahlers als Retter der Wall Street aufzuspielen.

mercredi, 01 octobre 2008

Gespräch mit Dr. K. Radzimanowski

»Für Kohl waren wir Luft«

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Dr. Kersten
Radzimanowski

Dr. Kersten Radzimanowski wurde 1948 in Altlandsberg, Kreis Niederbarnim, geboren, war nach dem NVA-Grundwehrdienst ab 1969 Volontär und später Redakteur bei der Neuen Zeit. Ab Ende der 70er Jahre Mitarbeiter beim CDU-Parteivorstand (Internationale Beziehungen, ab 1989 Abteilungsleiter), ab Herbst 1989 Berater von Lothar de Maizière, ab Dezember 1989 Leiter der Abteilung Außen- und Deutschlandpolitik und der gleichnamigen Kommission des CDU-Parteivorstandes. Ab Mai 1990 Mitarbeiter im Ministerium für Auswärtige Angelegenheiten, zuletzt als Staatssekretär und geschäftsführender Minister (nach dem Weggang von Markus Meckel). 1991 Landesgeschäftsführer der CDU im Land Brandenburg unter de Maizière. 1992 bis 1997 Leiter eines Bildungswerkes, derzeit freier Autor, Historiker, Publizist und Herausgeber von Publikationen mit Ostpreußen-Schwerpunkt.

DS: Herr Dr. Radzimanowski, welche Gründe bewegen Sie als langjähriges Mitglied der CDU in Ost und West, als Staatssekretär und letzten geschäftsführenden Außenminister der DDR, als Christ und auch als sozial engagierten Menschen, sich jetzt öffentlich und vernehmbar in der NPD zu engagieren?

Radzimanowski: Ich habe erlebt, wie in der DDR im Frühjahr und Sommer 1989 immer mehr Menschen ausgegrenzt und zu Staatsfeinden erklärt wurden. Auf die zumeist berechtigten Forderungen und Anliegen der Bürger konnten die Herrschenden keine Antwort mehr geben, so wurde Diffamierung, Druck und selbst das Mittel der Inhaftierung eingesetzt, um Herr des Geschehens zu bleiben.

Vieles erinnert mich bei der heutigen Hysterie über die »Gefahr von rechts« an die damalige Zeit. Mit einem Unterschied: Die heutigen Herrscher verfügen über weit mehr Ressourcen und über einen Verbund von Medien, von dem man zu DDR-Zeiten gleichgeschaltet gesagt hätte.

Ich habe damals den Kontakt und das Gespräch mit den Verfemten der DDR gesucht und innerhalb und mit meiner früheren Partei, der CDU, für weitreichende gesellschaftliche Veränderungen in der DDR hingewirkt. Was damals für mich ganz selbstverständlich war, ist mir jetzt nicht leicht gefallen. Die bürgerliche Gesellschaft hat ziemlich hohe Hürden aufgebaut. Doch angesichts der Situation in unserem Land war dieser Schritt überfällig.

DS: Als ehemaliger Christdemokrat werden Sie in Brandenburg den extremen und verleumderischen Umgang des Ex-Generals und jetzigen Innenministers Schönbohm mit der NPD seit geraumer Zeit beobachtet haben. Schreckt Sie nicht die Vorstellung, durch Ihre künftigen Aktivitäten für unsere deutschen Interessen in ähnlicher Weise gebrandmarkt und verleumdet zu werden?

Radzimanowski: Ich muß Ihnen gestehen, daß ich zunächst Hoffnung für die CDU in Brandenburg schöpfte, als Herr Schönbohm Landesvorsitzender wurde. Doch sehr schnell festigte sich der Eindruck, daß auch dieser Westimport in entscheidenden Fragen ein gestörtes Wahrnehmungsvermögen der gesellschaftlichen Realität gegenüber besitzt. Viele seiner Äußerungen empörten nicht nur die Brandenburger, sondern nahezu alle Bürger der ehemaligen DDR. Nicht zuletzt aufgrund seiner unzutreffenden Analysen war er für die CDU in Brandenburg nicht mehr tragbar. Es ist schwer vorstellbar, daß diese heillos zerstrittene Partei überhaupt noch ein Brandenburger wählt.

Was meine Befürchtungen vor Brandmarkung betrifft, so sind mir diese nicht fremd. Als mein Gemeindepfarrer in Berlin-Niederschönhausen, zu dem ich ein sehr enges und freundschaftliches Verhältnis hatte, im Auftrage der Staatssicherheit mich als angeblichen Stasi-Spitzel denunzierte, war das schon ein Schlag. Zu diesem Zeitpunkt wußte ich noch nicht, daß er es war, einer jener IM, die an der Front der psychologischen Kriegsführung wirkten. Und ich habe ein SED-Mitglied kennengelernt, das mir zumindest eine Vorwarnung in diese Richtung gab.

In vieler Hinsicht war ich Ziel von Verleumdungen. Doch als Preuße, als der ich mich fühle, kann man sich der Verantwortung für sein Land und dem deutschen Volk nicht entziehen. Ich habe mich bereits zu lange weggeduckt, wie so viele andere. Wir brauchen endlich das entschlossene Aufbegehren der Anständigen gegen den Ausverkauf Deutschlands.

DS: Als Christ und Historiker haben Sie sich zunächst in der DDR mit der lateinamerikanischen Befreiungstheologie, ausgewiesen durch mehrere Publikationen, auseinandergesetzt. War das für Sie eher eine akademische Nische oder haben sie damals schon einen Zusammenhang zwischen nationaler Befreiungsbewegung, der Herstellung von staatlicher Souveränität, und ethnisch oder religiös fundierter sozialer Verantwortung gesehen?

Radzimanowksi: Von beidem etwas. Natürlich eine Nische, aber eine, die mir die Möglichkeit zur Beschäftigung mit einem sehr interessanten und für die Völker Lateinamerikas existenziellen Problem ermöglichte. Ich habe gelernt, wie, warum und für wen sich Priester und Pfarrer dort einsetzen und welche Bedeutung die Theologie im Prozeß der Befreiung im Kampf der Völker aus sozialer Versklavung, aus dem Bildungsnotstand, aus der nationalen Unterdrückung und Ausbeutung durch die USA und multinationale Konzerne hat.

DS: Werden Ihrer Ansicht nach die Geistlichen der beiden großen christlichen Kirchen in Deutschland ihrer Verantwortung gegenüber diesem Land und seinen Menschen gerecht, oder sollte man Elemente dieser Befreiungstheologie auch auf Deutschland anwenden können?

Radzimanowski:
Als evangelischer Christ bin ich von der Institution Kirche, insbesondere vielen Geistlichen sehr enttäuscht. Ein Geistlicher kann in einer gesellschaftlichen Ausnahmesituation auch einmal Partei für eine Partei ergreifen. Doch es drängt sich der Eindruck auf, daß viele Pfarrer die Kirche als Unterstützungsverein der SPD umfunktionieren wollen. Doch ein Geistlicher hat Antworten des Glaubens zu den Rahmenbedingungen des irdischen Lebens zu geben und nicht die Gläubigen parteipolitisch zu reglementieren. Wie sich hier die evangelische Kirche für die Tagespolitik vereinnahmen läßt, finde ich schon skandalös.

DS: Im Verlauf der Wende 1989 wurden Sie unter der Regierung de Maiziere schnell in hohe Positionen ins DDR-Außenministerium getragen. Wie muß man sich den außenpolitischen Spielraum vorstellen, den Sie im Rahmen der »Zwei plus Vier Verhandlungen« hatten?

Radzimanowski: Zwischen Kohl und Gorbatschow waren die Bedingungen für die Vereinigung der Bundesrepublik und der DDR ausgehandelt worden. Die DDR-Seite hatte so viel Spielraum wie ein Zwillingsreifen bei einem großen Lkw, der ohne Ladung fährt.

DS: Wie haben Sie die Vereinigung der CDU erlebt? War der innerparteiliche Zusammenschluß einfacher und weniger »besserwisserisch« als der von BRD und DDR?

Radzimanowski:
Leider ist das Gegenteil richtig. Der Führung der West-CDU war kein Mittel zu primitiv, um uns zu schaden. Zuerst wurde als Voraussetzung für eine Zusammenarbeit gefordert, daß sich die CDU in der DDR umbenennt. Als sie sich damit nicht durchsetzen konnten, hat man ständig den anderen Partnern in der »Allianz für Deutschland« den Vorzug gegeben. Übrigens kommt auch die heutige Bundeskanzlerin nicht aus der Ost-CDU, sondern vom »Demokratischen Aufbruch«. Sie war enge Mitarbeiterin von Rechtsanwalt Wolfgang Schnur, wie sie mir einmal bei einem Gang »Unter den Linden« erzählte.

Bei der West-CDU gab es auch positive Ausnahmen. Ich möchte ausdrücklich Eberhard Diepgen und seinen damaligen engen Mitarbeiter Thomas de Maizière oder den damaligen hessischen Ministerpräsidenten Walter Wallmann nennen.

Nach den Volkskammerwahlen vom 18. März 1990 konnten auch der Vorsitzende der West-CDU und sein Generalsekretär nicht umhin, dem Votum der Bevölkerung für die DDR-CDU Rechnung zu tragen. Nach eigenem Erleben würde ich jedoch sagen, daß dies nur oberflächlich, man kann vielleicht treffender sagen, berechnend war.

Hintergründig wurde die alte Linie weitergeführt. Bei einer Tagung in England im Frühjahr 1990 beispielsweise, an der Margaret Thatcher und Helmut Kohl teilnahmen, nahm sich die britische Premierministerin viel Zeit für ein Gespräch mit mir und zeigte sich sehr interessiert für die Befindlichkeiten der DDR-Bevölkerung.

Für Helmut Kohl war ich Luft, was die mitreisenden konservativen Pressevertreter schon als deutlichen Affront werteten. Ich habe damals viel in Sachen »Demokratie« gelernt. So auch, als unsere Kommission für Außen- und Deutschlandpolitik beim Parteivorstand der DDR-CDU zum Vereinigungsparteitag eine Reihe von Anträgen einreichte. Faktisch waren wir Aussätzige, deren Anliegen in keiner Weise erörtert oder gar berücksichtigt wurde.

DS: Als versierter Außenpolitiker haben sie sicherlich eine Meinung zu den militärischen Einsätzen der Bundeswehr in Afghanistan, Somalia, dem Libanon und so weiter. Welche Konsequenzen kann eine solche Politik für Deutschland zeitigen?

Radzimanowski:
Die immer wieder von Regierungsvertretern geäußerte Meinung, unsere Freiheit werde am Hindukusch oder am Horn von Afrika usw. verteidigt, halte ich schon im Ansatz für falsch. Unsere Freiheit wird zunächst einmal durch unser Grundgesetz verteidigt, und eine äußere Bedrohung liegt weder durch Afghanistan, noch dem Sudan oder Libanon vor. Viel mehr sind deutsche Soldaten Kanonenfutter für Kriege der USA zur Aufrechterhaltung ihrer inzwischen arg ramponierten Hegemonie.

Unsere Beteiligung am Feldzug gegen die Völker Afghanistans und unsere flankierenden militärischen Maßnahmen beim Überfall der USA auf den Irak haben verständlicherweise die traditionell freundschaftlichen Gefühle dieser Völker zu Deutschland schwer geschädigt, ja lassen unser Land zum Ziel von Terroranschlägen werden.

Insofern bringen die Einsätze der Bundeswehr in diesen Regionen nicht mehr Sicherheit für unser Land, sondern haben im Gegenteil als Reaktion eine Bedrohung für Leib und Leben der deutschen Bevölkerung bewirkt. Die Bundeswehr muß schleunigst dort raus.

DS: Den Stiefel der Sowjets hat man in der DDR immer als Zeichen der Besatzung aufgefaßt. Mit welcher außenpolitischen Ausrichtung könnte man denn für Deutschland eine wirkliche nationale Souveränität herbeiführen? Und wer sind unsere »natürlichen« Verbündeten?

Radzimanowski: Deutschland ist durch die von den USA dominierte NATO in immer stärkerem Maße vom Vasallen zu einem Büttel der Amerikaner geworden. Dieser Ausrichtung und diesem Bündnis kann ich nicht im geringsten etwas Gutes abgewinnen.

Es zeigt sich ja, mit welchem Druck die USA die Aufnahme Georgiens in die NATO vorantreiben, um mit der Brechstange ihre Interessen in der Region durchzusetzen. Nachdem Präsident Saakaschwili mit seiner Militäroffensive ein Fiasko erlitt, ist das Geschrei der USA und der NATO groß. Georgien muß einem Gewaltverzicht zustimmen, sonst haben wir demnächst die gleiche Katastrophe.

In der EU sind es vor allem die osteuropäischen Staaten wie Polen, aber auch Großbritannien, Dänemark, die Niederlande, die ebenfalls mehr an den USA als an Kontinentaleuropa interessiert scheinen.

Das ist ihr gutes Recht, nur sollte dann die Geschäftsgrundlage der EU hin zu einer mehr oder weniger lockeren Staatengemeinschaft verändert werden. Mit einem Land wie Großbritannien oder Polen, die sich an einem völkerrechtswidrigen Aggressionskrieg an der Seite der USA beteiligen, kann ich nicht die vielgepriesene Wertegemeinschaft erkennen.

Aber es gibt durchaus Staaten innerhalb und außerhalb der EU, denen Deutschland in kultureller, historischer oder auch politischer Sicht nahe steht und eng zusammenarbeiten sollte. Dazu würde ich unbedingt auch Rußland zählen. Rußland ist ein ganz bedeutender »natürlicher Partner« Deutschlands, wenn es auch in unserer gemeinsamen Geschichte zumindest eine große Katastrophe gegeben hat. Doch für eine Politik der nationalen Souveränität benötigen wir diese Partnerschaft, die uns zudem den Rücken freihält bei dem heftigen Druck, den das »Reich des Bösen« dann auf Deutschland ausüben wird.

Auf längere Sicht sollten wir uns auch um China als Partner bemühen. Ein Land, das vom Westen wie ein dummer Schuljunge behandelt wird, ein Land, das nicht nur kulturell unbeschreiblich reich ist, sondern sich in einer einzigartigen Weise trotz aller äußeren Bedrohungen seinem Wesen gemäß und wirtschaftlich sehr erfolgreich entwickelt hat.

DS: Zum Schluß noch eine Frage zu den politischen Schwerpunkten, die sich für Ihre Arbeit in der NPD setzen wollen und welche Aufgaben beziehungsweise Ämter Sie sich zutrauen würden?

Radzimanowski: Ich möchte das allgemeiner formulieren. Wir sollten alles versuchen, damit die NPD in möglichst vielen Parlamenten vertreten ist, ganz besonders im Zentrum der politischen Macht, im Bundestag. Das eröffnet der Partei eine Vielzahl neuer Möglichkeiten und kann den Mitbürgern vor Augen führen, wie engagiert die NPD für Deutschland und die Deutschen wirkt.

DS: Herr Dr. Radzimanowski, wir danken Ihnen für das Gespräch und freuen uns, mit Ihnen einen kompetenten Mitstreiter für Deutschland gewonnen zu haben.

Das Gespräch führte Dr. Olaf Rose.

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Movimiento de juventud e ideologia nacional revolucionaria bajo la republica de Weimar

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MOVIMIENTO DE JUVENTUD E IDEOLOGIA NACIONAL REVOLUCIONARIA BAJO LA REPUBLICA DE WEIMAR

Desde los años 1924/25 hasta las elecciones legislativas de Septiembre de 1930 que proyectaron bruscamente al primer plano al partido nacional socialista, el militantismo nacionalista estaba representado principalmente en Alemania por los grupos paramilitares (Wherverbände) herederos de los cuerpos francos, y por las ligas de juventud (Bund) (1). Bajo el efecto de la crisis económica los elementos más radicales de esos grupos y de las ligas evolucionaron hacia el nacional socialismo revolucionario (tendencia Strasser) o el nacional bolchevismo, mientras que los otros (es decir la mayoría de los miembros y jefes de las ligas) buscaron acomodamiento en el sistema creando nuevos partidos como el Partido del Estado Alemán (surgido de la fusión del Partido Demócrata y de la Joven Orden Alemana de Arthut Mahraun) y el Partido popular Conservador (formado por los social cristianos y elementos surgidos del partido de extrema derecha DNVP) intentando en vano hacer de ellos instrumentos validos de la renovación de Alemania.

 

EL SOCIALISMO BUNDISCH

Los miembros de las ligas de juventud optaban por el socialismo bündisch, variante del "socialismo alemán" al cual se unieron numerosos medios socio profesionales y grupos políticos de la Alemania de Weimar. El socialismo Bündisch estaba bastante cercano al "socialismo soldadesco" que profesaban sus mayores de los grupos paramilitares. En ambos casos, el socialismo era lo mas importante en el grupo, no solo en el Bund o en el grupo militarizado sino también en el Volksgemeinschaft (la comunidad del pueblo) al que sirve el Bund y en el que esta inserto (2). Mientras que el socialismo soldadesco de los mayores se basaba en la experiencia de la guerra y la camaradería del frente, el socialismo bündisch de los mas jovenes se apoyaba en la experiencia de las excursiones a través de Alemania, en contacto con el pueblo alemán, sobre la experiencia comunitaria de la liga y la camaradería vivida en su seno. Con la crisis y la radicalización creciente de la juventud de las ligas el socialismo bündisch se transforma en un socialismo nacional revolucionario favorable a la nacionalización total o parcial de los medios de producción y a la autarquía alemana y centro europea.

 

EL DESAFIO HITLERIANO

Tras el acceso de Hitler al poder, las principales ligas de juventud (excepción hecha de los moderados, sobre todo del importantisimo "Deutsche Freischar") se unieron en marzo de 1923 en la Grossdeutsche Jugenbund bajo el patronazgo del almirante Von Trotha, próximo al presidente Hinderburg. Esperaban así escapar a la sincronización (Gleiehschaltung), es decir, a su disolución e integración en la Juventud Hitleriana. Por su parte, las ligas mas duras, las mas volkisch (para las que Volk era sinónimo de raza) y al mismo tiempo las críticas con respecto al hitlerismo (al que juzgaban desde un punto de vista nacional bolchevique) se reagruparon en una bündisch para el servicio de defensa del trabajo y las fronteras) bajo la presidencia de un troskista del nacional socialismo, el Dr. Kleo Pleyer (3).
Pese a todos sus esfuerzos las ligas de juventud fueron disueltas tras el verano de 1933. Sus miembros entraron entonces masivamente en la juventud hitleriana y en el Deutsche Jungvolk que reagrupaba a los elementos mas jovenes de la HJ para continuar sus actividades y promover el espíritu bündisch. Los mayores, (próximos a Friedrich Heilcher) entraron en las SS y la Ahnenerbe (Herencia de los antepasados, sector de las SS especializado en la investigación científica, particularmente la histórica y prehistórica). Otros, (los estraserianos bajo la dirección de Heinz Gruber) prefirieron entrar en el Frente del Trabajo a fin de acentuar la orientación socialista. Finalmente, el Dr. Werner Haverbeck intenta reagrupar en una organización, la Reichsbund Volstum und Heimat, asociación satélite del KdF (Kraft durch Freude, Fuerza por la alegría) a la juventud de espíritu bündisch, organización está que llegará a contar con un millón de miembros (4).

 

COMIENZA LA REPRESION

Bajo la presión de Baldur von Schirach, jefe de la juventud hitleriana, que temía ver su autoridad sobre la juventud alemana contestada, se abate la represión sobre los antiguos líderes bündisch, algunos fueron excluidos de la HJ (Werner Lass)(5), otros fueron arrestados (Heinz Gruber)(6), (Robert Oelbermann)(7) o forzados al exilio ( Eberhard Koebel (8), Fritz Borinski (9), Hans Ebeling (10), Karl Otto Paetel (11) etc ), otros finalmente fueron asesinados (Karl Lamermann) (12) durante la noche de los cuchillos largos. El Reichbunde de Haverbeck fue disuelto.
Pese a cuatro prohibiciones sucesivas (en 1933, 1934, el 6 de febrero de 1936 y el 13 de mayo de 1937) y la incorporación obligatoria de los jovenes alemanes en la juventud hitleriana decidida en 1936 y aplicada de hecho en 1939, algunas ligas continuaron sus actividades en Alemania en la clandestinidad. Ese fue el caso de la DJ.1.11. fundada por Tusk en 1931 (13) unida a Karl Otto Paetel y Otto Strasser ambos igualmente en el exilio (Helmut Hirsch, miembro de la DJ.1.11. fue condenado a muerte el 4 de junio de 1937 y colgado en Plötzensee); fue también el caso del "Nerother Wandervögel" (14) y del Jungnationaler Bund Deutsche Jungenschaft (15) desmantelado en 1937 y cuyos jefes serán torpemente condenados en el proceso de Essen.
Si algunas ligas pudieron sobrevivir en la clandestinidad otros grupos nuevos aparecieron, bandas de adolescentes que rechazaban la integración en la HJ y la militarización de la HJ (16). Algunas de esas bandas imitaban los modos occidentales y prefiguraban ya las bandas de la postguerra, otras profesaban un cristianismo moralizador y constituían la supervivencia de las organizaciones de juventud cristianas, otras renovaban el ideal romántico del Wandervögel. Entre esos nuevos grupos el más conocido fue sin duda "Die Weisse Rose"" de la que algunos de sus miembros habían pertenecido a las ligas de juventud. Los jovenes bündisch y sus émulos no fueron los únicos en resistir al "fascismo" hitleriano, hay que citar también la resistencia de los jóvenes comunistas en el medio obrero y de los jovenes católicos en Renania y Baviera. Mientras que los primeros se apoyan sobre la infrastructura clandestina del partido comunista alemán, los segundos lo hacen sobre el concordato firmado en 1933 entre Hitler y el Papa.

 

EL IDEAL BUNDISCH EN EL EXILIO

El ideal bündisch progresivamente sofocado en Alemania se mantiene en el exilio extranjero. Otto Strasser suscita la creación de un "ring bundischer Jugend" que se integra en su Deutsche Front gegen das Hitler system (Frente alemán contra el sistema hitleriano). En París, una revista antifascista controlada por los comunistas ve la luz bajo el título de "Frei Deutsche Jugend" (este nombre había designado entre 1913 y 1923 a una fracción del movimiento de juventud independiente y designara tras la segunda guerra mundial a la organización juvenil de la RDA). Karl Otto Paetel editaba primero en Estocolmo, luego en Bruselas y finalmente en París las "Schriften der Jungen Nation" y las Blatter des sozialistichen Nation" (difundidas en Alemania por las hermanas Silieva, miembros de la DJ.1.11. de Berlín). En Bélgica, Hans Ebeling y Theo Hespers fundan en 1935 el "Arbeitgemeimschaft Bundischer Jugend" al que se adhieren Paetel, Tusk, la revista "Frei Deutsche Jugend", etc... y que da nacimiento al "Deutsche Jugend Front". Este frente de la juventud estaba ligado a grupos neerlandeses, belgas y británicos. Había nacido de la voluntad de reagrupar a toda la juventud alemana de oposición. Pero esta tentativa fracasa a causa de las maniobras comunistas y de la falta de cohesión de esos jovenes opositores. Ebeling y Hespers que no desfallecían crearon entonces la revista "Kameradschatf" de 1937 a 1940.

 

HANS EBELING Y THEO HESPERS

El facsimil de la revista "Kameradschatf" (Camaradería) constituye un importante testimonio sobre la resistencia de la juventud bündisch al estado hitleriano y del proyecto de estado y sociedad que estaba opuesto al fascismo. Esta revista de lengua alemana editada en Bélgica era distribuida clandestinamente en Alemania. Sus fundadores Hans Ebeling y Theo Hespers eran dos antiguos jefes de las ligas de juventud en el exilio. El primero, nacido en 1897 en Krefeld había tomado parte en la primera guerra mundial (de la que salió con el grado de teniente); en los combates de 1920 (Renania), en las filas de la Reichwehr provisional y en la resistencia contra las tropas de ocupación francesas en el Ruhr. Poco después se une al "Jungnationaler Bund" del que se separó en 1924 para fundar la "Jungnationaler Bund Deutsche Jungenschaft" mas activista y radical que evoluciona pronto hacia el nacional bolchevismo. A partir de finales de 1929 y hasta Enero de 1933 Ebeling dirige con el profesor Lenz la revista "Der Vorkampfer" (17). Theo Hespers, nacido en 1903 entra a los catorce años en la organización de juventud católica "Quickborn" a la que pertenece hasta 1927. Participa también en la resistencia pasiva contra la ocupación franco belga del Rhur. Se adherirá seguidamente a la "Vitus heller Bewegung" (18) y dirigirá la "Pfadfinderschaft Westmark" que constituirá junto con la liga de Ebeling, la de Werner (Freischar Schill) y la joven liga prusiana de Jupp Hoven, el "Comité de lucha de los grupos nacional revolucionarios de la marca occidental en Renania".

 

EL "BUND", ALTERNATIVA A LOS PARTIDOS Y AL PARTIDO UNICO

"Kameradschatf" era la tribuna de los jóvenes opositores al hitlerismo. Los jóvenes nacionales", "jovenes socialistas", "jóvenes católicos" y "jóvenes protestantes" se expresaban en Kameradschatf y en ella se afirmaban bündisch, nacionalistas volkisch y gran alemanes, cristianos, demócratas y socialistas.
Para ellos, el Bund constituía un modelo político, modelo de una "democracia a la alemana" fundada sobre el duo Fuhrer Gefolgschaft (el fuhrer carismático al servicio de la idea, libremente elegido y sometido a la permanente aprobación del grupo, siendo solo un "primus inter pares"). Oposición al Bund a los fallidos partidos de la democracia weimeriana y al partido único de la dictadura hitleriana. El Bund era también un modelo social fundado sobre la Camaradería (Kameradschatf) opuesta a la Schadenfreude hitleriana, un modelo de integración del individuo y de socialización fundada sobre el entusiasmo, un modelo de educación política y el modelo mismo de la comunidad de combate revolucionaria formada por la juventud activista alemana, enemiga de Weimar y después del hitlerismo.
Para los colaboradores de "Kameradschatf" que insistían particularmente sobre el papel jugado por el Bund en materia de educación política y para los que el hombre bündisch era el hombre político por excelencia enteramente dedicado al servicio del Estado del pueblo, el estado hitleriano aparecía como una dictadura de elementos pequeño burgueses apolíticos (asociados a una Reichwehr politizada pero tímida ante toda responsabilidad política). la liquidación política, a veces incluso física, bajo el III Reich del activismo nacionalista (grupos paramilitares y ligas de juventud) considerado como peligroso para los nuevos señores de Alemania, les parecía a este respecto revelador (19).

 

REDEFINIR LA VOLKGEMEINSCHAFT

Los nacionalistas volkisch tomaban la defensa del pueblo y del Volkstum pero rechazaban el imperialismo neo alemán de los hitlerianos, en el espíritu de los colaboradores de "Kameradschatf" el nacionalismo volkisch se consagra a defender la independencia y el Volkstum de todos los pueblos. Defendían igualmente a los Volkgenos contra la explotación capitalista que aun perduraba y contra el arbitrio del Estado hitleriano, predicaban la constitución de un verdadero Volksgemeinschaft (comunidad del pueblo) sin relación con la susodicha volkgemeinschaft producto de la dictadura policial y de la masificación hitleriana, la constitución de esta "verdadera" volkgemeinschaft necesitaba a sus ojos un nuevo orden socio económico (socialista) que pusiese fin al orden de clases nacido del capitalismo y una reorientación espiritual (volkisch) de esencia cristiana que combatiría el desarrollo materialista de la época (20).
Como Otto Strasser, oponían la tradición gran alemana fundada sobre el rechazo dualismo austro prusiano, en el que se situaban, al pangermanismo.
Rechazaban la economía capitalista fundada sobre el provecho así como la economía de guerra y la "anarquía burocrática" (simbiosis esta que realizaba a la perfección la Alemania hitleriana) las cuales pretendían substituir por un Plan (alemán primero y europeo después). Preconizaban en el marco de ese plan una economía destinada a satisfacer las necesidades del pueblo, la nacionalización de las industrias clave que rompiera el poderío del gran capital y el reparto de las grandes propiedades agrícolas y finalmente la constitución de cooperativas en todos los ámbitos de las actividad económica.

 

LA TRADICION LIBERTARIA DEL WANDERVOGEL

La redacción de Kameradschatf se declaraba heredera de dos tradiciones:
1) la del movimiento de juventud independiente, sobre todo de la "Juventud alemana libre" nacida del reencuentro del Hohe Meissner de 1913.
Contra el mundo paternalista (Vatenvelt) el movimiento de juventud había afirmado su fidelidad a los padres originales, a los ancestros (Vorvater) (21). Contra la tutela de las instituciones (escuela, iglesia, familia) y la sociedad burguesa reivindica la independencia y acoge en su seno jovenes líderes. Contra el estado Wilhelmiano y el chauvinismo burgués afirma su amor al Volk (22). Contra la gran ciudad el movimiento de juventud había propuesto el "Wandern", la excursión a través del país alemán (La Alemania profunda) y el contacto del Volk alemán auténtico. Contra la religión revelada el movimiento juvenil intenta despertar una religiosidad germánica. Contra el tabaquismo y el alcoholismo que condena, contra la degeneración física, exalta la fuerza física y la belleza nórdica (pintada por el dibujante Fidus) practicando la gimnasia y el nudismo.
Finalmente, tras la prueba de la gran guerra el movimiento de juventud había desembocado en las ligas surgidas en 1924/25 de la fusión de los grupos scouts disidentes y del Wandervögel y la juventud alemana libre (1919).

LA TRADICION DE LOS CUERPOS FRANCOS

2) La de los cuerpos francos que en 1919 formaron la Reichwehr provisional antes de convertirse en enemigos de este ejercito salido de las cláusulas militares de Versalles (que revivieron las tradiciones nobiliarias del ejercito imperial poniendo así termino a la democratización del Ejercito y sobre todo del cuerpo de oficiales, provocado por la gran guerra y sus consecuencias) y la de los grupos paramilitares nacional revolucionarios que suceden a los cuerpos francos y que hacen frente a la Reacción encarnada por los industriales y terratenientes, los generales de la Reichwehr y los políticos de la derecha.
Pese a la originalidad del enfoque dado por la revista (interpretación que se acercaba en ciertos aspectos a la "teoría del totalitarismo"), "Kameradschatf" retomaba contra el hitlerismo ciertas críticas formuladas anteriormente por sus predecesores de los cuerpos francos de los grupos paramilitares con respecto a Weimar (y sobre todo de la Reichwehr asociada al poder hitleriano).

 

LOS VINCULOS DE LA "BUNDISCHE" EN EL EXILIO CON LOS "INCONFORMISTAS" Y LOS PLANISTAS FRANCESES

Además de esa filiación evidente entre el movimiento de juventud alemán, los Cuerpos Francos, grupos paramilitares y Kameradschatf, se constaba un extraño parentesco entre las ideas de la juventud bündisch tal y como se expresaba en "Kameradschatf" y la de los jovenes no conformistas franceses de los años treinta que se adherían a las palabras de orden patrióticas y federalistas, personalistas y comunitarias, planistas y corporativistas.
Habían existido contactos entre los representantes de las ligas de juventud alemanas y grupos no conformistas franceses Harro Schulze Boyssen (antiguo militante de la "Orden Joven Alemana" que más tarde debía jugar un importante papel en la "orquesta roja", director de "Planner", el equivalente alemán de la revista francesa "Plans" dirigida por Philippe Lamour, fue con Otto Abetz uno de los delegados alemanes en el frente único de la juventud europea, creada por iniciativa de los grupos franceses "Plans" y "Ordre Nouveau" (23). Por su parte, Ordre Nouveau mantiene contactos bastante estrechos con Otto Strasser, el grupo constituido por la revista "Die Tat" y sobre todo la revista "Der Gegner" (El adversario) (a la que Louis Dupeux consagra un capitulo de su tesis sobre el nacional bolchevismo) animado por Harro Schulza Boyssen y Fred Schmid, fundador y jefe de la Liga "El cuerpo gris" escisión de la "Deutsche Freischar" (24). Pero los contactos personales no bastan para explicar una tal convergencia: lo que acercaba a los mejores elementos de la juventud alemana y la francesa era el común rechazo del liberalismo y del totalitarismo y una aspiración común a una evolución espiritual (o si se prefiere cultural) política y socio económica.

Thierry Mudry.

NOTAS
1) Durante los cuatro o cinco años de la breve prosperidad de Weimar y sobre todo entre 1925 y 1927, el primer plano en materia de activismo ultra nacionalista está unido a las ligas o asociaciones paramilitares (Wehrverbande). Estas ligas surgían generalmente de los cuerpos Francos de la inmediata postguerra, aunque cada vez en mayor grado reclutaban sus miembros en el movimiento de juventud "burgués" (Louis Dupeux. Estrategia comunista y dinámica conservadora. Ensayo sobre los diferentes sentidos de la expresión "nacional bolchevismo" en Alemania bajo la república de Weimar (1919/33). Libreria Honoré Champion, París 1976, pag 294/5.)
2) "El Bund es el vigor del vinculo comunitario opuesto al individualismo anarquizante del antiguo Wandervögel, el acento es puesto sobre el grupo (lo que permitirá hablar de un socialismo bündisch) pero también sobre la jerarquía, la selección de los miembros y la libre designación de los "jefes". Es, a fin de cuentas la educación de una élite destinada a dirigir y a servir a Alemania al término de una revolución cultural; es la imagen misma en miniatura de esta nueva Alemania" (L. Dupeux, idem pag 335).
3) Ver Hans Chritian Brandenburg, Die Geschichte der J. Verlag Wissenchaft n. Politik, Köln 1982. pag 137 y 139.
4) Ver Hans Ch. Brandemborg. idem. pag 194/5.
5) Werner Lass: fundador y jefe de la "Freischar Schill" organización secreta de los Erdgenossen los conjurados .
6) Heinz Gruber: fundador y jefe de la Schwenze Jungmanschaft, disidente social revolucionario de la Juventud Hitleriana y parte integrante del Frente Negro de Otto Strasser.
7) Robert Oelbermann: fundador y jefe del "Nerother Wandervögel".
8) Eberhard Koebel (Tusk fundador y jefe de la DJ.1.11. disidente de la importante "Deutsche Freischar".
9) Fritz Borinski: uno de los dirigentes de la Deutsche Freischar, social demócrata.
10) Hans Ebeling: fundador y jefe del "Jungnationaler Bund Deutsche Jungenschaft".
11) Karl Otto Paetel: fundador y jefe del "Gruppe Sozialrevolutionarer Nacionalisten".
12) Karl Lamermann. dirigente de la Deutsche Freischar.
13) Sobre la DJ.1.11. y Tusk conviene leer a Hans Kraul. "Der jungenschafer ohne Fortune. Eberhard Koebel (Tusk) erlebt und biographisch erarbeitt von einem Weiner Gefahrten", Dipa Verlag, Frankfurt am Main 1985. , y a Helmut Gran "DJ.1.11.: Struktur und Wandel eines subkulturelles jugendlichen Miliens in vier Jahrzehnten", Dipa Verlag, Frfrt., 1976. Estas dos obras han sido recesadas en Vouloir nº 28/29. Mayo de 1986.
14) Sobre el "Nerother Wandervögel" hay que leer a Stefan Krolle, "Bundische Umtriebe. Die Geschichte des Nerother Wandervögels vor und unter dem NS Staat, Ein Jugendbund zwischen Konformität und Widerstand, Lit Verlag, Munster 1985.
15) Ver mas adelante.
16) Sobre estos nuevos grupos ver: Fritz Theilen. "Edelweisspiraten". Fischen Taschenbuch Verlag. Frankfurt an Main 1984.
17) Hans Ebeling participa en campañas de otros dirigentes bündisch (Werner Lass y Karl Otto Paetel sobre todo) en los encuentros de Freusburg (Agosto de 1927) y de Ommen en Holanda (Agosto de 1928) destinados a preparar la fundación de una liga mundial por la paz. Esos encuentros internacionales tras los cuales los jovenes jefes bündisch establecieron contactos con representantes de la extrema izquierda y los pueblos colonizados, aceleraron la radicalización de las ligas de juventud (señalemos que Hans Ebeling, Werner Lass y Karl Otto Paetel se convirtieron seguidamente en figuras del nacional bolchevismo) y determinaron a Ebeling a fundar con el profesor Lenz en Enero de 1930 la revista "Der Vorkampfer" de orientación ultranacionalista y anti capitalista (El Vorkampfer adaptaba elementos de análisis marxista, anti imperialista y prosovietico.
18) El movimiento de Vitus Meller al que pertenecía Theo Espers, era el único movimiento nacional bolchevique cristiano (los otros eran indiferentes en materia religiosa o practicaban un ateismo agresivo o se pronunciaban por un neo paganismo germánico) implantado en el medio católico (aún como muestra L. Dupeux el nacional bolchevismo era un fenómeno mayoritariamente "protestante" nada extraño ya que se vinculaba a la tradición de Arminius, Witukind y Lutero lo que no impedía a la católica Renania, región frontera sensible a las tesis nacional alemanas, ser con Berlín y Franconia una plaza fuerte del nacional bolchevismo).
19) "Kameradschatf" consagra con amplios artículos a los procesos contra el "Jungnationaler Bund, Deutsche Jungenschaft" y contra Niekisch y los "camaradas Eberhard".
20) Los nacional socialistas revolucionarios de Otto Strasser y los nacionalistas social revolucionarios de K.O. Paetel defendían el mismo punto de vista (en el aspecto espiritual mas pagano germánico que cristiano).
21) Ver: J. Pierre Faye. Lenguajes Totalitarios Hermann, París 1973, pag 22. Hay traducción española en Taurus.
22) Para G. Mosse, el movimiento de juventud independiente era indiscutiblemente "volkisch" pero su nacionalismo se oponía al nacionalismo wilhelmiano oficial imperialista y chauvinista. Su nacionalismo fundado sobre el Volk y no sobre el Estado, en lugar de ser agresivo y expansivo era intensivo e introvertido (G. Mosse, The Crissis of German Ideology, Schoken Books, N.Y. 1981. pag 179.
23) Ver: J. Louis Laubet del Bayle. Los no conformistas de los años treinta. Seuil, París 1969 pag 98.
24) J. L. Loubet del Bayle. idem. pag 113.

dimanche, 28 septembre 2008

Japon: pour une Commission internationale d'enquête sur les événements du 11 septembre 2001

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Pour une Commission d’enquête sur les événements du 11 septembre 2001

Un parlementaire japonais lance une initiative internationale

 

Entretien avec Yukihisha FUJITA

 

Propos recueillis par Moritz Schwartz

 

Yukihisha Fujita demande à ce que soit constituée une Commission internationale, chargée de relancerl ‘enquête sur les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Début septembre  2008, ce député japonais se trouvait en Europe, afin de nouer les contacts ad hoc pour constituer cette Commission internationale. Au parlement japonais, il s’efforce de créer une initiative parlementaire, au-delà de toutes les fractions politiques, dans le même but. Le 10 janvier 2008, il a pu faire accepter un débat à la Haute Chambre japonaise sur les événements du 11 septembre 2001, où il a interpellé le Premier ministre et le ministre de la défense. Fujita préside la Commission des Affaires étrangères au Sangiin, la deuxième chambre du Kokkai, l’Assemblée nationale japonaise. Il appartient au “Parti démocratique du Japon” (PDJ), qui est la formation politique la plus forte à la Haute Chambre (40%  des représentants) et la deuxième à la Chambre basse (36%). Avant l’année 2005, Fujita représentait son parti à la Chambre basse. Il est né en 1950 à Hitachi sur la plus grande des îles de l’archipel nippon, Honshu.

 

Q.: Monsieur Fujita, pourquoi voulez-vous absolument raviver la question du 11 septembre 2001?

 

YF: Parce que le monde est devenu un autre monde à la suite de cet événement: tant la guerre d’Afghanistan que celle d’Irak n’auraient pas été possibles sans lui. Et dans ces deux guerres, des soldats japonais ont été impliqués d’une manière ou d’une autre. Voilà pourquoi nous sommes en droit de savoir: ce que l’on dit sur ces événements, est-ce exact?

 

Q.: C’est là une question que les hommes politiques allemands ne se posent pas...

 

YF: Ils devraient le faire.

 

Q.: Votre homologue allemand, soit le président de la Commission des affaires étrangères du Bundestag, Ruprecht Polenz, n’aurait jamais l’idée d’enquêter sur cette affaire...

 

YF: C’est dommage car il me semble que les attitudes critiques quant aux événements du 11 septembre 2001 sont nettement plus répandues en Allemagne qu’au Japon. Je constate avec satisfaction que beaucoup d’Allemands s’intéressent à cette question, surtout après toutes les affirmations contradictoires que l’on a énoncées dans cette affaire. Ensuite, ce n’est pas simplement un nombre plus important d’Allemands qui s’y intéressent, l’Allemand moyen, l’homme de la rue, me semble mieux informé sur le sujet que son pendant japonais. Au Japon, on a plutôt tendance à croire la version officielle. Ceux qui tentent d’investiguer plus en profondeur, comme moi, n’ont pas la tâche aisée. 

 

Q.: Quels sont les résultats que vous avez obtenus?

 

YF: Au départ, je ne voyais rien qui m’aurait induit à mettre en doute la version officielle, mais plus je me suis penché sur ce sujet, plus il m’est apparu évident que cette version officielle des événements du 11 septembre 2001 ne peut être juste. Elle perd sa plausibilité tant elle contient des contradictions.

 

Q.: Les nombreux arguments des critiques de la version officielle sont connus. Mais pour chacun des points qui ont été critiqués, les autorités ont avancés des explications.

 

YF: Mais dans la plupart des cas, ils ne sont pas convaincants. Prenez par exemple le trou béant que l’on nous montre dans le bâtiment du Pentagone, qui aurait été touché: ce trou est beaucoup trop petit.

 

Q.: On dit que ce trou est petit par ce que l’avion qui est tombé là s’était déjà désintégré auparavant...

 

YF: Honnêtement, cette explication vous convaint-elle?

 

Q.:  Vous n’êtes ni physicien ni technicien. Ne vaudrait-il pas mieux partir du principe que l’explication est compliquée du point de vus de la physique plutôt que d’en déduire immédiatement qu’il y  a complot?

 

YF:  Il ne faut pas être physicien pour savoir qu’il est impossible qu’un Boeing 757 soit passé par une béance dont le rayon est plus petit que son fuselage.

 

Q.: Comment réagissez-vous quand on vous accuse de complotiste, d’énoncer une théorie du complot?

 

YF: Le président de la Commission d’enquête sur les événements du 11 septembre, l’ancien gouverneur Thomas Kean, a lui-même déploré, à plusieurs reprises, et publiquement, que le gouvernement américain n’a pas mis toutes les informations à sa disposition, alors qu’il en avait besoin. Le rapport officiel fourmille de contradictions. Il y a en plus les contradictions entre les représentants mêmes du gouvernement américain, notamment quand Condoleezza Rice dit: “Personne ne pouvait prévoir une chose pareille” et que, par ailleurs, Donald Rumsfeld concède: “Il y avait beaucoup de signes avant-coureurs”. Ces contradictions ne peuvent être prises pour argent comptant: dans une affaire aussi importante, nous ne pouvons pas continuer notre bonhomme de chemin en considérant qu’elles n’ont aucune importance et passer aux autres points de l’ordre du jour.

 

Q.: Bon. Quelle est alors votre théorie sur le déroulement réel des événements du 11 septembre 2001?

 

YF: Mon but n’est pas de fournir une théorie. Il s’agit d’acter que la version officielle n’est pas exacte. Si l’on se hasarde à formuler une théorie nouvelle, on se rend automatiquement vulnérable et la  version officielle en profite; en effet, si l’on pose des questions sur les contradictions internes de la version officielle, celle-ci peut riposter en évoquant les éventuelles contradictions de la théorie alternative, ce qui annulle l’effet de celle-ci. Non, ne leur donnons pas l’occasion de biaiser et de louvoyer! Posons des questions et voyons s’ils y répondent de manière crédible.

 

Q.: D’après vous les réponses données jusqu’ici ne sont pas crédibles.

 

YF: Au cours de ces dernières années de nombreuses personnalités politiques et des experts  —et leur nombre s’élève désormais à quelques milliers—  ont émis des doutes ou, du moins, posé des questions critiques. Parmi eux, en Allemagne, l’ancien ministre fédéral de la recherche scientifique, expert ès-études sur les services secrets pour le compte de son parti, la SPD: je veux parler d’Andreas von Bülow; mais il n’est pas le seul, il y a aussi des représentants des deux chambres américaines. Je vous le demande à titre tout-à-fait personnel: est-ce que cela ne vous trouble pas d’apprendre, par exemple,qu’Ernst Welteke, membre de la SPD et président de la “Deutsche Bundesbank” de 1999 à 2004, ait confirmé, lors d’un sommet de la Banque centrale européenne, que quelques jours avant le 11 septembre 2001, des options de vente inhabituelles ont eu lieu, et que le prix de l’or et du pétrole ait également augmenté? Ou, autre exemple, qu’Oussama Ben Laden, jusqu’ici, n’est pas recherché par le FBI pour les attentats du 11  septembre 2001 mais “seulement” pour les attaques perpétrées contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, comme le trahit clairement le libellé de la liste officielle des personnes recherchées?

 

Q.:  Avant de passer au vote qui devait décider du renouvellement ou non de la participation japonaise à la mission anti-terroriste américaine baptisée “Enduring Freedom”, vous avez, début janvier dans l’enceinte du parlement japonais, procédé, pendant une demie heure, à une présentation de votre point de vue à la Haute Chambre. Comment ont réagi vos collègues?

 

YF: A ma grande surprise, non seulement j’ai obtenu, et c’est étonnant, beaucoup d’encouragements, mais je n’ai essuyé aucune critique. De surcroît, les encouragement ne venaient pas uniquement de ma propre fraction mais aussi de représentants d’autres partis, dont celui-là même du gouvernement, le PLD. Les encouragements venaient non seulement de la Haute Chambre mais aussi de la Chambre basse. Non seulement de mes collègues de l’Assemblée plenière mais aussi des dirigeants de mon parti! Manifestement, la présentation de mon projet a fait mouche! Il semble bien que cette question ait préoccupé beaucoup de monde.

 

Q.: En Allemagne, une telle réaction serait difficilement imaginable. Comment expliquez-vous cette différence d’attitude?

 

YF: Je ne peux donner aucune explication. C’est à vous d’éclairer ma lanterne!

 

Q.: C’est sans doute parce que vos hypothèses sont dépourvues de tout fondement...

 

YF: Non, je suppose plutôt que la  différence n’est pas  si grande, car, n’oubliez pas que malgré tous ces encouragements je demeure le seul et unique parlementaire japonais qui ose poser de telles questions. Je suppose qu’il existe aussi chez vous quelques députés qui me prodigueraient des encouragements. La différence réside sans doute seulement en ceci: chez vous, jusqu’ici, personne n’a encore brisé le silence.

 

Q.: Vous avez interpellé le premier ministre Yasuo Fukuda et le ministre de la défense Shigeru Ishiba pour leur demander dans quelle mesure le gouvernement nippon avait été informé par les Etats-Unis sur les auteurs des attentats terroristes du 11 septembre 2001 et sur leurs agissements. Avez-vous été satisfaits de leurs réponses?

 

YF: Non, mais je ne m’attendais pas à recevoir des réponses satisfaisantes. Néanmoins, malgré leur réticense et leur circonspection, on pouvait clairement sentir que le gouvernement japonais avait, en réalité, été fort peu informé sur les événements. Bien que vingt-quatre sujets japonais aient été tués à la suite de ces attentats et que la mort de ces personnes ait motivé l’engagement de nos soldats dans la “lutte contre le terrorisme”, notre gouvernement n’a pas, de lui-même, mené une enquête. Au lieu de cela, le gouvernement se fie exclusivement aux affirmations des Américains, qui présentent force lacunes et contradictions.

 

Q.: De ce fait, vous considérez que la participation japonaise à la “guerre contre le terrorisme” ne va pas dans le sens des intérêts de votre pays...

 

YF: Notre intérêt national, c’est de trouver la vérité, afin de savoir à quoi réellement se tenir.

 

Q.: Vous demandez une nouvelle enquête, qui serait cette fois internationale, sur les événements du 11 septembre 2001. Comment une telle enquête doit-elle s’articuler?

 

YF: L’idéal serait que l’ONU patronne une telle enquête. Car, quoi qu’il en soit, dégager la vérité sur ces événements serait de son ressort, car les conséquences de ceux-ci marquent  et imprègnent la politique internationale d’aujourd’hui. Par exemple, l’assemblée plenière pourrait ordonner que se constitue un comité international d’experts. Ou la Cour de justice internationale pourrait s’emparer de l’affaire. Comme le terrorisme n’est pas une forme de guerre mais relève de la criminalité, la Cour de La Haye pourrait parfaitement être compétente. Ou, autre solution possible, des parlementaires de différents pays décideraient de constituer une Commission internationale d’enquête. Plusieurs solutions sont possibles au départ.

 

Q.: Pensez-vous réellement et sérieusement que votre proposition a des chances d’aboutir?

 

YF: Quoi qu’il en soit, une telle Commission aurait davantage de sens que la deuxième commission nationale d’enquête que certains envisagent de mettre sur pied aux Etats-Unis. 

 

Q.: Quelles mesures concrètes entreprenez-vous pour atteindre cet objectif?

 

YF: Je reviens justement d’un voyage en Europe. J’y ai rencotré diverses personnalités comme, par exemple, Michael Meacher, qui fut jusqu’en 2003, le ministre de l’environnement du gouvernement travailliste de Tony Blair ou encore l’ancien président de l’Etat italien, le chrétien-démocrate Francesco Cossiga.

 

Q.:  Meacher dit que la “guerre contre le terrorisme” est une “tromperie” et Cossiga considère que les attentats du 11 septembre sont l’oeuvre de la CIA et du Mossad...

 

YF: En outre, j’ai été invité par le député Giulietto Chiesa au Parlement Européen, où nous avons montré le nouveau film “Zero: An Investigation into 9/11” à six autres députés, alors que ce film a été montré dans toute la Russie par la télévision russe. En Allemagne également, j’ai eu contacts et conversations, mais je ne suis pas autorisé à en parler davantage.

 

Q.: Vous avez rencontré l’ancien président de la “Bundesbank”, Ernst Welteke. Mais avez-vous eu des contacts avec des hommes ou des femmes en Allemagne, qui sont actifs sur la scène politique?

 

YF: Malheureusement non.

 

Q.: Malgré ces contacts, vous êtes encore à des années-lumière de la constitution effective de votre nouvelle commission internationale d’enquête.

 

YF: Mis à part ces efforts sur le plan international, je travaille à Tokyo, avec d’autres collègues du parlement japonais pour que naisse une initiative parlementaire. Il serait bien sûr idéal que nous devenions suffisamment forts pour exiger de nos gouvernements qu’ils adoptent une attitude critique à l’égard de Washington et réclament une enquête sur toutes les questions qui demeurent encore ouvertes.

 

Q.: Que se passera-t-il si, en fin de compte, vous êtes obligés de constater que la version officielle est toute de même exacte?

 

YF: Attendons simplement les résultats d’une enquête future et indépendante.

 

(entretien paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°38/2008 – sept. 2008 – trad. franç. : Robert Steuckers).

samedi, 27 septembre 2008

Pressions américaines contre l'installation du gazoduc de la Baltique

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Pressions américaines contre l’installation du gazoduc de la Baltique

 

Dans son édition n°39/2008, l’hebdomadaire de Hambourg, “Der Spiegel”, dénonce les pressions indirectes qu’exerce Washington pour saboter l’installation définitive du gazoduc germano-russe de la Baltique. Après l’échec de la tentative téméraire du président géorgien Saakachvili dans le Caucase, dont l’enjeu est la ligne de gazoducs et d’oléoducs Bakou-Tiflis-Ceyhan, les Etats-Unis passent à l’offensive en Mer Baltique, pour torpiller le bon fonctionnement de “North Stream”, sur lequel  ils n’exercent aucun contrôle. Ils procèdent de manière indirecte. Soi-disant non officielle. Michael Wood, ambassadeur américain en poste à Stockholm, nommé à ce titre par George Bush junior parce qu’il jouait jadis au golf avec lui et l’accompagnait dans ses randonnées en mountain-bike, vient de publier sous son nom propre un article qui enfreint toutes les règles de la bienséance diplomatique, selon la bonne vieille méthode des néocons, qui revendiquent haut et clair ce style de dérapages. Cet article est paru dans le quotidien suédois “Svenska Dagbladet” et constitue un appel au gouvernement suédois: celui-ci devra vérifier, avec la plus extrême rigueur, si le gazoduc est bien “écologique”, comme prévu, mais ne devra pas se borner à ce seul aspect écologique. Il devra, selon Wood, prendre d’autres facteurs en considération: notamment que ce gazoduc est le fruit d’accords spéciaux entre Allemands et Russes, qu’il est une mise en oeuvre par Moscou de “l’arme de l’énergie” face à laquelle l’Europe doit faire front commun, en refusant bien entendu toutes les séductions qu’elle offre.

 

Pour une fois, le gouvernement fédéral allemand a réagi clairement: Rüdiger von Fritsch, directeur du département économique du ministère allemand des affaires étrangères, a appelé l’ambassadeur américain en ses bureaux pour lui demander des explications. Le gouvernement fédéral allemand se dit “irrité” devant cette démarche “inhabituelle”. La réponse du diplomate américain à Berlin reflète, elle, une hypocrisie bien habituelle: les Etats-Unis sont “surpris”, paraît-il, des propos de Wood et prétendent que Washington n’a aucune objection à formuler “quant à l’installation de ce gazoduc privé”. Rüdiger von Fritsch, qui n’est évidemment pas dupe, a conservé sa fermeté: un incident comme l’article de Wood ne devra pas se répéter, a-t-il demandé.

 

Le diplomate von Fritsch n’a pas été le seul à marquer son mécontentement en Allemagne. Eggert Voscherau, représentant de BASF dans le Conseil de supervision du gazoduc “North Stream” incriminé, a déclaré: “Les Américains manifestent désormais ouvertement leur opposition au gazoduc”. Martin Schulz, chef de la fraction sociale-démocrate au Parlement Européen a, lui, déclaré pour sa part que l’article de Wood est une preuve utile et intéressante “pour montrer quelles sont les intentions réelles des Américains: déstabiliser l’Europe”. Notre commentaire: les sociaux-démocrates, jadis, surtout en Belgique, champions de l’alliance atlantiste, vont-ils enfin comprendre, après plus d’un demi siècle, voire un siècle entier, que cette intention américaine a toujours été telle: affaiblir, déstabiliser et détruire l’Europe?

 

Le ministre allemand des affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier ne minimise pas davantage l’affaire: il part du principe que la teneur menaçante de l’article de Wood révèle bel et bien les intentions réelles de Washington. Les observateurs attentifs ont déjà pu constater que la diplomatie américaine ne cesse plus d’intriguer contre ce gazoduc long de 1200 km entre Wyborg et Greifswald, qui, pensent les Américains, accentuera la dépendance énergétique de l’Europe au profit de la Russie. Argument classique, banal mais fallacieux: en effet, ce n’est pas cette dépendance que craignent finalement les Américains mais, au contraire, la fusion des potentialités européennes et russes, qui détacherait les uns et les autres de toute dépendance à l’endroit des Etats-Unis et des sociétés pétrolières moyen-orientales qu’ils contrôlent.

 

Cette crainte n’est pas seulement exprimée par Condoleezza  Rice mais, plus nettement encore, par le Sénateur de l’Utah, Bob Bennett, qui s’inquiète de voir la Russie se transformer “en un Etat gazier et pétrolier”. Ensuite, le tandem énergétique germano-russe, prétendent les Américains, permet à Poutine et Medvedev  d’agir énergiquement dans le Caucase et d’y mettre les manigances américaines, voire turques, en échec et mat. Raison pour laquelle, la diplomatie américaine tente une politique de la zizanie en Europe du Nord en excitant Polonais, Baltes et Suédois contre l’alliance énergétique forgée par Berlin et Moscou. Réactivation du clivage polémique entre “Vieux Européens” et “Nouveaux Européens”, à la différence près que, cette fois, Français, Néerlandais et Britanniques sont ou seront aussi les bénéficiaires du gazoduc contre lequel Washington excite les esprits.

 

La démarche de déstabilisation de l’Europe est si évidente, cette fois, que même les chrétiens-démocrates allemands, souvent très critiques à l’endroit de la politique russe, protestent. Eckart von Klaeden, porte-paroles de la CDU en matière de politique étrangère: “Il faut bien que les énormes investissements [que nous avons faits en Russie] soient amortis”.  Déclaration qui montre bien que la dépendance ne va pas en sens unique, que ce n’est pas seulement l’Europe qui dépend de l’énergie russe mais que, simultanément, la Russie dépend du savoir-faire européen, pour combler le “technological gap” que constataient, triomphants,  les auteurs anglo-saxons entre 1917 et 1989, dont Arnold J. Toynbee. La Chancelière Merkel, qui semblait pourtant avoir cédé aux ukases américains après la Guerre du Caucase en août dernier et déplorait une trop grande dépendance européenne face au gaz et au pétrole russes, soutient le projet “North Stream” sans la moindre réticence.

 

Steinmeier et Merkel se sont rendus en Suède pour plaider la cause du gazoduc, qu’ils définissent comme un “projet stratégique européen”. Les Suédois ont le droit de vérifier la fiabilité écologique de ce gazoduc, mais rien de plus, disent les Allemands. La vérification sera sans doute la plus méticuleuse qu’un gazoduc aura jamais subie. Nous ajouterions que les Américains jouent là sur une vieille inimitié russo-suédoise, qui remonte à Charles XII de Suède, au temps où la Suéde désirait maîtriser “l’axe gothique”, de la Baltique à la Mer Noire, entre Memel et Odessa. La défaite de Charles XII l’a évincée, comme fut aussi évincé le tandem polono-lithuanien. L’axe gothique ne peut plus être maitrisé que par un tandem germano-russe, dans le cadre d’un concert européen cohérent qui rappelle et la Sainte-Alliance de 1815 et l’Alliance des Trois Empereurs au temps de Bismarck.

 

(résumé de l’article et commentaires de Robert Steuckers; titre de l’article: “Aussenpolitik. Amerikanischer Ausrutscher”, par Ralf Beste & Cordula Meyer, in: “Der Spiegel”,  n°39/2008).

lundi, 22 septembre 2008

Hommage à H. Diwald

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Robert STEUCKERS:

Hommage à Hellmut Diwald (1924-1993)

 

Né le 13 août 1924 dans le pays des Sudètes, plus précisément à Schattau en Moravie méridionale, le professeur Hellmut Diwald a quitté la vie le 26 mai 1993. Fils d'ingénieur, il s'était d'abord destiné à suivre les traces de son père: il suit les cours de l'école polytechnique de Nuremberg et y décroche son premier diplôme. Mais c'est à l'université d'Erlangen qu'il trouvera sa véritable vocation: l'histoire, l'événémentielle et celle des religions et des idées. De 1965 à l'année de sa retraite, il a enseigné l'histoire médiévale et moderne dans l'université qui lui avait donné sa vocation. Auparavant, il avait travaillé sur les archives d'Ernst Ludwig von Gerlach, un homme politique conservateur et chrétien de l'époque de Bismarck, avait rédigé une monographie sur le philosophe Dilthey et publié plusieurs études, notamment sur Ernst Moritz Arndt, père de la conscience nationale allemande (mais qui a eu un grand retentissement en Flandre également, si bien qu'il peut être considéré à Anvers, à Gand et à Bruxelles comme un pater patriae), et sur l'évolution des notions de liberté et de tolérance dans l'histoire occidentale.

 

Ces premiers travaux scientifiques permettent de comprendre quel homme fut Hellmut Diwald, quelle synthèse il a incarnée dans sa vie intellectuelle et militante: homme de progrès dans le sens où il s'inscrit dans la tradition émancipatrice des Lumières et de la Prusse, il ne conçoit pas pour autant cette émancipation comme un pur refus de tout ancrage historique et politique, mais au contraire, à l'instar du romantique Arndt et du conservateur von Gerlach, comme la défense d'un ancrage précis, naturel, inaliénable, dont l'essence est de générer de la liberté dans le monde et pour le monde. Cet ancrage, ce sont les nations germaniques, nations d'hommes libres qui se rebiffent continuellement contre les dogmes ou les institutions contraignantes, contre les coercitions improductives. Cette notion germanique de l'homme libre a donné la réforme, les lumières pratiques du XVIIIième siècle frédéricien ou joséphien, ou, chez nous, le mythe d'Uilenspiegel. Elle est donc à la base du progressisme idéologique, avant que celui-ci ne deviennent fou sous l'impact de la révolution française et du messianisme marxiste.

 

Hellmut Diwald doit sa notoriété à un ouvrage paru en 1978: une «histoire des Allemands» inhabituelle, où notre auteur inverse la chronologie en commençant par l'histoire récente pour remonter le cours du temps. Cette originalité n'est pas une simple facétie de professeur. En effet, les historiens allemands de notre après-guerre n'ont cessé de juger l'histoire allemande comme le préliminaire à l'horreur nationale-socialiste. Tous les événements de cette histoire étaient immanquablement jugés à l'aune du national-socialisme, ramenés à l'une ou l'autre de ses facettes. Reductio ad Hitlerum: telle était la manie, lassante, répétitive, morne, de tous les zélotes de la profession qui travaillaient à réaliser une seule obsession: tenir leur peuple à l'écart de l'histoire qui se jouait désormais à Washington ou à Moscou, à Pékin ou à Tel Aviv. Tout retour de l'Allemagne sur la scène de l'histoire réelle aurait signifié, pour ces savants apeurés, le retour d'une tragédie à l'hitlérienne. On peut évidemment comprendre que les Allemands, après deux défaites, aient été échaudés, dégoûtés, rassis. Mais ces sentiments sont justement des sentiments qui ne permettent pas un regard objectif sur les faits historiques. En inversant la chronologie, Diwald se voulait pédagogue: il refusait d'interpréter l'histoire allemande comme une voie à sens unique débouchant inévitablement sur la dictature nationale-socialiste. S'il y a pourtant eu ce national-socialisme au bout de la trajectoire historique germanique, cela ne signifie pas pour autant qu'il ait été une fatalité inévitable. L'histoire allemande recèle d'autres possibles, le peuple allemand recèle en son âme profonde d'autres valeurs. C'est cela que Diwald a voulu mettre en exergue.

 

Du coup, pris en flagrant délit de non-objectivité, les compères de la profession, ont crié haro sur Diwald: en écrivant son histoire des Allemands, il aurait «banalisé» le national-socialisme, il l'aurait traité comme un fragment d'histoire égal aux autres. Pire: il ne l'aurait pas considéré comme le point final de l'histoire allemande et aurait implicitement déclaré que celle-ci demeurait «ouverte» sur l'avenir. Pendant deux ans, notre historien a subi l'assaut des professionnels de l'insulte et de la délation. Sans changer sa position d'un iota. Meilleure façon, d'ailleurs, de leur signifier le mépris qu'on leur porte. Mesquins, ils ont voulu «vider» Diwald de sa chaire d'Erlangen. Ils n'ont pas obtenu gain de cause et se sont heurtés au ministre de l'enseignement bavarois, Maier, insensible aux cris d'orfraie poussés des délateurs et des hyènes conformistes.

 

Diwald n'a pas cessé de travailler pendant que ses ombrageux collègues vitupéraient, complotaient, s'excitaient, pétitionnaient. En 1981, avec Sebastian Haffner, un homme de gauche éprouvé et un anti-fasciste au-dessus de tout soupçon, et Wolfgang Venohr, historien et réalisateur d'émissions télévisées, il participe en 1981 à la grande opération de réhabilitation de l'histoire prussienne, dont le point culminant fut une grande exposition à Berlin. Parallèlement à cette série d'initiatives «prussiennes», Diwald travaillait à un sujet qui nous intéresse au plus haut point dans le cadre de notre souci géopolitique: une histoire de la conquête des océans. Deux volumes seront les fruits de cette recherche passionnante: Der Kampf um die Weltmeere  (1980) et Die Erben Poseidons. Seemachtpolitik im 20. Jahrhundert  (1987). Conclusion de Diwald au bout de ces sept années de travail: l'Allemagne a perdu les deux guerres mondiales sur l'Atlantique, parce que sa diplomatie n'a pas compris le rôle essentiel de la guerre sur mer.

 

Au cours de toute sa carrière, Diwald, auteur classé arbitrairement à droite à cause de son nationalisme d'émancipation, n'a jamais perdu la réunification allemande de vue. Cet espoir le conduisait à juger très sévèrement tous les ancrages à l'Ouest qu'essayait de se donner la RFA. Chacun de ces ancrages l'éloignait de sa position centre-européenne et des relations privilégiées qu'elle avait eu l'habitude de nouer avec la Russie. Diwald était donc un critique acerbe de la politique du Chancelier Adenauer, dont l'objectif était l'intégration totale de la RFA dans la CEE et dans le binôme franco-allemand. Inlassablement, Diwald a critiqué le refus adénauerien d'accepter les propositions de Staline en 1952: neutralisation de l'Allemagne réunifiée. Ce refus a conduit au gel des positions et condamné la RDA à la stagnation communiste sous la houlette d'apparatchiks pour lesquels le Kremlin n'avait que mépris.

 

La vie exemplaire de Diwald, clerc au service de sa patrie, nous lègue une grande leçon: l'historien ne peut en aucun cas faire des concessions aux braillards de la politique. Sa mission est d'être clairvoyant en toutes circonstances: dans l'euphorie du triomphe comme dans la misère de la défaite. Pour l'un de ses amis proches, venu lui rendre visite peu de temps après le diagnostic fatidique qui constatait la maladie inéluctable, Diwald a prononcé cette phrase qui fait toute sa grandeur, qui scelle son destin de Prussien qui conserve envers et contre tout le sens du devoir: «Pourvu que je puisse régler toutes les affaires en suspens qui traînent sur mon bureau avant de m'en aller». Hellmut Diwald, merci pour votre travail.

 

Robert STEUCKERS.

 

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vendredi, 19 septembre 2008

Jünger et l'Allemagne secrète

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Jünger et l'Allemagne secrète

 

Antonio GIGLIO

 

La polémique qui s'est déclenchée à propos d'Ernst Jünger, remet à l'avant-plan, une fois de plus, les fan­tasmes nés de la guerre civile européenne et du passé qui ne passe pas, mais, pire encore, les fan­tasmes plus insidieux générés par l'incompréhension totale de nos contemporains face à l'histoire poli­tique et culturelle de ce siècle. A Jünger qui est aujourd'hui, à 100 ans, le plus grand écrivain européen vi­vant, on a reproché d'être, dans le fond, un complice des nazis. Pour clarifier cette question, il nous appa­raît opportun de récapituler, depuis le début, l'histoire des activités politiques et culturelles de Jünger, le héros de la Première Guerre mondiale, un des rares soldats de l'armée impériale, avec Rommel, à avoir reçu la plus haute décoration militaire allemande, l'Ordre “Pour le Mérite”. Le thème des premières œuvres littéraires de Jünger est l'expérience de la guerre, dont témoigne notamment son célèbre roman Orages d'acier.  Ces livres de guerre lui ont permis de devenir en peu de temps l'un des écrivains les plus lus et les plus fameux de l'Allemagne. En outre, Jünger est rapidement devenu l'un des chefs de file du nouveau nationalisme, suscité par les conditions de paix très dures imposées à l'Allemagne. Il réussit à forger une série de mythes politiques représentant la synthèse ultra-révolutionnaire de tout ce que la droite alle­mande avait produit à cette époque.

 

L'écrivain évoluait entre les bureaux d'études de l'armée, les groupes paramilitaires et nationaux-révolu­tionnaires, et réussissait à fusionner plusieurs projets politiques: celui du philologue Wilamowitz visant la création d'un Etat régi par un Ordre ascétique ou une caste sélectionnée d'hommes de culture et de science, celui de Spengler visant le contrôle et la domination des nouvelles formes technologiques en train de transformer le monde, celui du poète Stefan George chantant une nouvelle aristocratie, celui de Moeller van den Bruck axé sur la nécessité de rénover de fond en comble le “conservatisme” ou plutôt sur la nécessité de lancer une “révolution conservatrice”, formule inventée par le poète Hugo von Hoff­mann­sthal et traduite par Jünger en termes ultra-nationalistes et guerriers. Pourtant, Jünger, in­fluencé par la fu­rie iconoclaste de Nietzsche, propose à l'époque de détruire totalement la société bour­geoise, ce qui lui permet d'utiliser aussi les mythes politiques de la gauche, dont l'idée bolchévique sug­gérée par Lénine, soit la mobilisation totale et militaire de l'Etat, utilisée auparavant en Allemagne par le Général Erich Ludendorff; chez Jünger, cette mobilisation totale deviendra la mobilisation totale de tout ce qui est allemand. Enfin, il utilise le mythe du travailleur-soldat, déjà loué par Trotsky; Jünger l'adopte et le pro­po­se, transformé par la pensée du philosophe Hugo Fischer. Cette synthèse de Lénine, Trotsky et Fischer deviendra Le Travailleur, au moment même où Jünger est l'allié du national-bolchévique Ernst Niekisch. Il faut encore noter que la pensée philosophique et politique de Heidegger a été profondément influencée par ce célébrissime essai de Jünger, qui moule audacieusement en une puissante unité philo­sophique la technique, le nihilisme et la volonté de puissance.

 

Parallèlement, l'écrivain se propose d'unifier tous les mouvements nationalistes allemands; c'est cette in­tention qui explique sa tentative initialement favorable à Hitler; il suffit de penser à la dédicace rédigée de son livre de 1925, Feuer und Blut  (= Feu et Sang) à l'intention du “Führer national” Adolf Hitler, même si l'année précédente, il avait désapprouvé la décision des nazis d'adopter des méthodes légales et craint une trahison nationale-socialiste à l'égard de la pureté des idéaux nationaux-révolutionnaires. Quoi qu'il en soit, en 1927, Hitler propose à Jünger un siège au Parlement, mais l'écrivain ne l'accepte pas parce qu'il refuse le parlementarisme et toute forme de parti. Après 1933, Jünger se retire complètement de la politique parce qu'il est trop élitaire, aristocratique et révolutionnaire pour accepter qu'un mouvement de masse s'accapare de ses idées; par ailleurs, il se sent trop impliqué dans bon nombre d'idées nationa­listes pour pouvoir critiquer ouvertement le nouveau régime. En 1939, cependant, Jünger semble vouloir inter­venir directement, de manière critique, dans le régime nazi, en publiant son roman Sur les falaises de marbre. Selon un philosophe allemand contemporain, Hans Blumenberg, Jünger a rassemblé dans ce ro­man toutes les allusions aux événements de l'époque dans un scénario mythique, surtout après l'élimi­na­tion des opposants à Hitler lors de la “nuit des longs couteaux”, décidant ainsi de n'opposer plus qu'une résistance animée par la pure force de l'esprit. Un spécialiste plus connu du nazisme, George L. Mosse affirme que Jünger, dans ce roman, rejette les idées de sa jeunesse et retourne au protestan­tisme. En réalité, les choses sont beaucoup plus complexes.

 

De fait, Jünger, en 1938, dans la seconde version de son livre Le cœur aventureux,  fait allusion pour la première fois au mystérieux Ordre des Maurétaniens, une élite mystique de mages savants et guerriers, qui deviendra le protagoniste collectif du roman Sur les falaises de marbre, et, par la suite, de tous les autres romans de l'auteur. En premier lieu, nous devons souligner que Jünger et les révolutionnaires na­tionalistes de sa génération sont obsédés par le mythe politique d'un Ordre qui régit l'Etat et guide les masses. Les Maurétaniens sont à mi-chemin entre les Templiers et les Chevaliers Teutoniques, ils sont l'incarnation de ce mythe.

 

Donc, en 1938, Jünger écrit qu'au lieu de rester coincé dans ses chères études, il va s'introduire dans le milieu des Maurétaniens, qu'il définit comme des polytechniciens subalternes du pouvoir, parmi lesquels il nomme Goebbels et Heydrich, un des chefs de la SS. Ce n'est dès lors pas un hasard si Carl Schmitt écrit, dans son journal, que les Maurétaniens sont une allégorie des SS. Jünger, en outre, ajoute textuel­lement qu'«une équipe sélectionnée des nôtres est au travail dans les lieux secrets du plus secret Thibet». Effectivement, à cette époque, existait une organisation culturelle liée à la SS et dénommé l'Ahnenerbe  (= l'Héritage des Ancêtres), qui organisait entre autres choses des expéditions plus ou moins secrètes au Thibet, et était reçue par le Dalaï Lama en personne. Par ailleurs, il faut signaler que cette structure avait été mise sur pied, au départ, par un ami de Jünger, Friedrich Hielscher, le chef spiri­tuel des jeunes nationalistes allemands, avant d'être incluse par Himmler dans les institutions SS. Mais quand paraît le roman-pamphlet Sur les falaises de marbre, certains nazis, ignorant ces faits, réclament la tête de Jünger, qui sera défendu par le “Maurétanien” Goebbels, et ensuite par Hitler lui-même, qui, ne l'oublions pas, avait confessé à Rauschning, stupéfait et attéré, avoir fondé un Ordre mystérieux. Nous sommes donc en présence d'un mystère historiographique et politique du 20ième siècle.

 

Le roman de Jünger est probablement le témoignagne d'un conflit politique et culturel qui se déroulait à l'intérieur du noyau dirigeant national-socialiste, et aussi, sans doute, à l'intérieur même de cet Ordre mystérieux, pour savoir comment imposer et diriger la politique intérieure et extérieure du IIIième Reich. Jünger, qui plus est, considère que l'un des protagonistes du roman, le Maurétanien Braquemart, est semblable à Goebbels, et que la figure démoniaque et destructive du Forestier peut être ramenée à Staline. Ensuite, en 1940, il attribue la victoire fulgurante des troupes allemandes en France à la Figure du Travailleur, décrite dans son livre Der Arbeiter.  En 1942, il fait rééditer son essai sur la mobilisation totale, au moment même où Hitler mobilise totalement et désespérément tout ce qui est allemand. Ce conflit in­terne entre les Maurétaniens, dans lequel Jünger entendait bel et bien intervenir en publiant son roman-pamphlet, s'est avivé pendant la durée du conflit, à cause des conséquences catastrophiques de la guerre voulue par Hitler et non par les autres membres de l'Ordre des Maurétaniens. Voilà pourquoi Jünger et son ami Hielscher en sont arrivés à comploter contre le Führer: ils voulaient désespérément éviter le destin tragique qui allait frapper l'Allemagne, ou au moins l'atténuer.

 

Jünger, en effet, fut l'un des organisateurs de la tentative de coup d'Etat du 20 juillet 1944, qui aurait dû avoir lieu après l'attentat contre Hitler. A Paris, où il est officier d'état-major dans le Haut Commandement des troupes d'occupation, centre du complot contre Hitler, Jünger écrit l'essai La Paix  qui est, en fait, le texte politique essentiel de ce complot, et dont le manuscrit avait été lu et approuvé par Rommel, le seul officier supérieur capable de mettre un terme à la guerre sur le front occidental et à affronter la guerre ci­vile. Mais le complot échoue, Rommel est contraint au suicide parce qu'il est condamné à mort. Le Maurétanien Hielscher est arrêté à son tour. Jünger semble vouloir nous dire que le Prince Sunmyra, un des auteurs malchanceux de l'attentat contre le Forestier dans le roman-pamphlet, peut être comparé au Colonel von Stauffenberg, l'auteur malchanceux de l'attentat contre Hitler. Claus von Stauffenberg, héros de la “Résistance allemande”, était un disciple de Stefan George, donc un représentant de ces Maurétaniens qui s'étaient donné le devoir de préserver l'Allemagne secrète. Et Hitler ne pouvait pas con­damner à mort l'Allemagne secrète, incarnée dans l'œuvre et la personne de Jünger.

 

Antonio GIGLIO.

(article extrait de l'Italia settimanale, n°13/1995; trad. franç.: Robert Steuckers).

jeudi, 18 septembre 2008

J. Evola: Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

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Julius EVOLA:

 

Jünger et l'irruption de l'élémentaire dans l'espace bourgeois

 

Il est visible et il nous paraît évident qu'à travers l'économie se sont réveillées des forces «élémentaires», qui, en de nombreux domaines, échappent au contrôle du bourgeois et, ainsi, deviennent le substrat d'une nouvelle unité, collective cette fois.

 

Ce constat nous amène effectivement à certains aspects de la crise du monde bourgeois et à les étudier; selon Jünger, il faut tourner notre attention vers quelques traits caractéristiques du bourgeois qui correspondent à son idéal de sécurité commode et d'exclusion de toute force élémentaire hors de sa vie.

 

Le concept d'élémentaire joue un rôle central dans le livre de Jünger. Comme chez d'autres auteurs allemands, le terme «élémentaire» n'est pas utilisé chez Jünger dans le sens de “primitif”; il désigne bien plutôt les puissances les plus profondes de la réalité qui échappent aux structures intellectuelles et moralistes et qui sont caractérisées par une transcendance, positive ou négative selon l'individu: c'est comme si l'on parlait des forces élémentaires de la nature. Dans le monde intérieur, il existe des puissance qui peuvent faire irruption dans la vie, tant la vie personnelle que la vie collective, en venant d'une strate psychique plus profonde. Quand Jünger parle de l'exclusion de l'élémentaire dans le monde bourgeois, il est évident qu'il s'associe à la polémique développée par plusieurs courants d'idées contemporains, depuis l'irrationalisme, l'intuitionnisme, la religion de la vie (ou vitaliste) jusqu'à la psychanalyse et à l'existentialisme; il s'insurge contre la vision rationaliste-moraliste de l'homme, prédominante hier encore. Mais nous allons voir que la position de Jünger est originale dans ce contexte, car il conçoit des formes actives, lucides, non régressives des rapports de l'homme à l'élémentaire, ce qui le distingue de l'orientation problématique, propre à la grande majorité des courants que nous venons de mentionner.

 

La préoccupation constante du monde bourgeois est donc «de fermer hermétiquement l'espace vital à tout irruption de l'élémentaire», de «se créer une ceinture de sécurité face à l'élémentaire». De ce fait, la sécurité dans la vie est donc l'exigence de ce monde, que devra consolider et légitimer le culte de la raison: une raison «pour laquelle tout ce qui est élémentaire équivaut à l'absurde et à l'insensé». Inclure l'élémentaire dans l'existence, avec tous les problèmes et les risques que cela peut impliquer, voilà ce qui apparaît inconcevable au bourgeois; pour lui, c'est une aberration qu'il faut prévenir par le truchement de techniques pédagogiques adéquates. Jünger écrit: «Le bourgeois ne se sent jamais assez hardi pour se mesurer au destin en luttant et en s'exposant aux dangers, parce que l'élémentaire réside en dehors de son monde idéal; pour lui, l'élémentaire est l'irrationnel voire l'immoral. Il cherchera donc à le tenir toujours à distance, que celui-ci lui apparaisse sous le mode de la puissance ou de la passion, ou se manifeste dans les forces de la nature, dans le feu, l'eau, la terre ou l'air. De ce point de vue, les grandes villes du début du siècle apparaissaient comme les citadelles de la sécurité, comme le triomphe des murs qui, à ce moment-là, cessaient d'être les murs antiques des enceintes fortifiées et se manifestaient désormais comme pierres, asphalte et vitres encerclant la vie, similaires à la structure des rayons d'une ruche, pénétrant jusqu'à la trame la plus intime de la vie. Dans ce sens, toute conquête de la technique est un triomphe de la commodité et toute apparition de l'élémentaire est régulée par l'économie».

 

Pour Jünger, le caractère anomal de l'ère bourgeoise ne réside pas tant dans la recherche de la commodité «que dans ce trait spécifique qui s'associe à ces tendances: c'est-à-dire dans le fait que l'élémentaire se présente comme l'absurde et, partant, que les murs d'enceinte de l'ordre bourgeois se présentent simultanément comme les murs d'enceinte de la rationalité». Tel est donc bien le point d'ancrage de la polémique anti-bourgeoise de Jünger. Il distingue bien la rationalité du culte de la raison et conteste l'idée qui veut qu'un ordre et une mise en forme rigoureuse de la vie soient possibles et concevables seulement selon le schéma rationaliste, partant d'une imperméabilisation de l'existence face à l'élémentaire. Parmi les tactiques utilisées par le bourgeois, il y a celle qui consiste à «présenter toute attaque contre le culte de la raison comme une attaque contre la raison en elle-même, afin de pouvoir bannir cette attaque dans l'aire de l'irrationnel». En vérité, toute attaque peut s'identifier à une autre, mais seulement selon la vision bourgeoise, c'est-à-dire seulement sur base de «la conception spécifiquement bourgeoise de la raison, caractérisée par une “inconciliabilité” avec l'élémentaire». Cette antithèse ne peut être retenue comme valide par un nouveau type humain: du reste, cette antithèse est dépassée de fait par des figures «comme, par exemple, celles du croyant, du guerrier, de l'artiste, du navigateur, du chasseur, du travailleur et, aussi, finalement, du délinquant»; pour toutes ces figures, à l'exception de la dernière, le bourgeois nourrit une aversion plus ou moins ouverte, parce que «pour ainsi dire, elles portent déjà à l'intérieur même des cités, par leurs apparences, l'odeur du danger, parce que déjà leur simple présence représentent une instance dirigée contre le culte de la raison».

 

Mais «pour le guerrier la bataille est un événement dans lequel se réalise un ordre suprême, pour le poète les conflits les plus tragiques sont des situations où le sens de la vie peut se condenser en un mode particulièrement net»; la délinquence elle-même peut être expliquée par une rationalité lucide; quant au croyant, «il participe à la sphère plus vaste d'une vie pleine de signification. Soit par le malheur ou le danger ou le miracle, le destin l'englobe directement dans un tissu d'événements plus puissants. Les dieux aiment se manifester dans les éléments, dans les astres enflammés et dans la foudre, dans les ronces que la flamme ne consume pas». L'élément décisif qu'il s'agit surtout de reconnaître ici est que «l'homme peut demeurer en rapport avec l'élément(aire) sur un plan supérieur ou sur un plan inférieur et qu'en conséquence, multiples sont les plans sur lesquels tant la sécurité que le danger retournent dans l'ordre. Au contraire, dans le bourgeois, on perçoit un homme qui ne reconnaît comme valeur suprême que la sécurité, et détermine sa conduite de vie sur base de cet idéal de sécurité». «Les conditions pour promouvoir cette sécurité, que le progrès cherche à réaliser, sont corollaires de la domination universelle de la raison bourgeoise, laquelle devrait non seulement limiter, mais, en bout de course, détruire, toutes les sources de danger. Et, comme à la lumière de cette raison, le danger est présenté comme étant l'irrationnel, on ôte à celui-ci tout droit de faire partie de la réalité. Il est fort important, dès lors, dans un tel mode de penser, de voir l'absurde dans tout danger: celui-ci semble éliminé dès le moment où, dans le miroir de la raison, il apparait comme une erreur».

 

«Dans les ordonnancements tant spirituels qu'objectifs du monde bourgeois, on peut constater tout cela», poursuit Jünger. «En grand, on peut le voir dans la tendance à concevoir l'Etat  —lequel, normalement, se base pour l'essentiel sur la hiérarchie, en termes de société—  comme une forme ayant pour principe fondamental l'égalité et se constituant par le truchement d'un acte de la raison. Cette vision révèle la volonté d'imposer une organisation complexe, un système de sécurité devant ventiler et atténuer toutes les formes de risques, non seulement dans le domaine de la politique intérieure et extérieure, mais aussi dans celui de la vie individuelle, ce qui constitue une tendance à dissoudre le destin par un calcul de probabilités. Cette vision révèle enfin, dans ses multiples et complexes tentatives de ramener la vie de l'âme à des rapports de cause à effet, dans sa volonté de transférer la vie de l'âme du domaine de l'imprévisible à celui du calculable, et puis de l'insérer dans la sphère “éclairée” de la conscience extérieure». Dans tous les domaines, la tendance est d'éviter les conflits et de démontrer leur “évitabilité”. Mais vu que les conflits surviennent malgré tout, pour le bourgeois, «l'important est de démontrer qu'ils sont une erreur que l'éducation et une pédagogie “éclairée” des esprits devront empêcher la répétition».

 

Mais un tel monde ne serait qu'un monde d'ombres, où l'idéologie des Lumières surévaluerait ses propres forces, en croyant qu'il puisse tenir vraiment debout. En réalité, «le danger est toujours présent; comme un élément de la nature, il cherche continuellement à briser la digue que l'ordre a construit pour l'enserrer; et, par l'effet des lois d'une mathématique occulte mais infaillible, il se fait d'autant plus menaçant et mortel que l'ordre cherche à l'exclure. En fait, le danger veut être non seulement un élément de cet ordre mais, en plus, le principe d'une sécurité supérieure, que jamais le bourgeois ne pourra connaître». En règle générale, si l'on peut exclure l'élémentaire dans un type donné d'existance, cette exclusion «doit être soumise à certaines lois, parce que l'élémentaire n'existe pas seulement dans le monde externe mais est aussi inséparable de la vie de chaque individu». L'homme vit dans l'“élémentarité” dans la mesure où il est un être naturel, un être mu spirituellement par des forces profondes. «Aucun syllogisme ne pourra jamais se substituer au battement du cœur ou à l'activité des reins; il n'existe aucune grandeur qui puisse naître de la seule raison, qui, de temps en temps, doit bien se soumettre aux passions, nobles ou ignobles». Enfin, se référant au monde économique, Jünger note que «s'il est beau le mode par lequel nous nous voyons imposer des calculs, et si l'unique résultat de ceux-ci doit être le bonheur, il restera toujours un résidu qui se soutraira à toute analyse et l'être humain aura le sentiment d'être appauvri, de vivre une désespérance croissante».

 

Mais l'élémentaire a une double source. «D'une part, il a sa source dans un monde qui est toujours dangereux, comme la mer recèle en elle le danger même quand elle n'est pas troublée par le moindre ventelet. D'autre part, il a d'autres sources dans l'âme humaine, qui a soif de jeu et d'aventure, d'amour et de haine, de triomphe et de chute, qui ressent tant le besoin du risque que de la sécurité; et donc, pour cette âme humaine, un Etat absolument sécurisé apparaît comme un Etat d'incomplétude». En prononçant d'aussi audacieuses paroles, Jünger se réfère implicitement à un type humain différent de celui véhiculé par le monde bourgeois, mais que ce monde génère malgré lui.

 

La domination des valeurs bourgeoises peut donc se mesurer «à la distance que l'élémentaire semble avoir prise en se retirant de l'existence». Jünger dit “semble”, parce que l'élémentaire se sert de multiples masques et trouve toujours un moyen de se nicher au centre même du monde bourgeois, pour en miner les ordonnancements rationalisants et émerger dès que survient une crise. Par exemple, Jünger rappelle comme déjà dans le passé, sous le signe de la Révolution française, quelles noces cruelles furent celles qui unirent la bourgeoisie et le pouvoir. Le dangereux et l'élémentaire se sont réaffirmés «face aux astuces les plus subtiles par lesquelles on a cherché à les circonvenir; ils s'introduisent de façon imprévue dans les rouages mêmes de ces astuces, en prennent les travestissements, ce qui fait que tout ce qui est civilisation [au sens bourgeois] présente un visage ambigu; nous connaissons tous les rapports qui existent entre les idéaux de fraternité universelle et les gibets, entre les droits de l'homme et les massacres». Non que ce soit le bourgeois lui-même qui veuille imposer de telles circonstances contradictoires: car quand il parle de rationalité et de moralité, il se prend terriblement au sérieux: «tout cela est plutôt un terrible rire sarcastique qu'adresse la nature aux masques se présentant sous le visage de la moralité, une exultation frénétique du sang dirigée contre l'intellect, après que se soit achevé le prélude des beaux discours». En revanche, ce qui mérite d'être remarqué, c'est «le jeu ingénieux des concepts par lequel le bourgeois cherche à faire ressortir ces vertus et à ôter aux mots tout ce qu'ils ont de dur et de nécessaire, afin que transparaisse seulement une moralité que tous sont tenus de reconnaître». Par exemple, cette attitude est bien visible sur le plan international, «quand on cherche à présenter la conquête d'une colonie comme étant une pénétration pacifique ou comme une opération civilisatrice, ou l'incorporation d'une province appartenant à un pays voisin comme un effet de la libre auto-décision des peuples, ou, enfin, les rapines perpétrées par les vainqueurs comme des réparations». Il est évident qu'à ces exemples avancés par Jünger on pourrait facilement ajouter des faits plus récents. Parmi les cas les plus typiques, nous pourrions ajouter les «nouvelles croisades», les tribunaux de vainqueurs, les «aides aux pays sous-développés», etc.

 

Dans ce même ordre d'idées, est exact ce que dit Jünger quand il relève que c'est justement à l'époque où se sont officiellement et bruyamment propagées les valeurs bourgeoises de “civilisation” que l'on a assisté à des événements que l'on n'aurait plus cru possibles dans un monde éclairé: des phénomènes de violence et de cruauté, de délinquence organisée, de déchaînements d'instincts, de massacres. Tous ces événements représentent «la réduction à l'absurde de l'utopie bourgeoise de la sécurité». En guise de bon exemple, Jünger signale les conséquences qu'a déjà eues le prohibitionnisme aux Etats-Unis: il constitue une tentative moralisatrice, promise par une littérature faite d'utopisme social, et qui semble avoir été conçue comme une mesure de sécurité; elle n'a cependant réussi qu'à attiser des forces élémentaires du plus bas niveau. Ainsi, l'Etat, en suivant rigidement le principe bourgeois, se réfère à des catégories abstraites, rationnelles et moralisantes, et exclut l'élémentaire; mais, en réalité, cet Etat fait en sorte que cet élémentaire s'active en dehors du cadre qu'il installe. «Le moral et le rationnel n'étant pas des liens primordiaux mais seulement des liens propres à l'esprit abstrait, dit Jünger, toute autorité ou tout pouvoir qui veulent se baser sur eux, ne seront qu'autorité ou pouvoir apparents, et, simultanément, la sécurité bourgeoise ne tardera pas à manifester son caractère utopique et éphémère». Il serait bien difficile de contester la réalité de cette dialectique, surtout dans la période qui a suivi la rédaction du Travailleur. C'est effectivement à cette dialectique que se rapportent, d'une part, l'un des facteurs principaux de la crise du monde bourgeois, et, d'autre part, cette autre face, informe, obscure et dangereuse des structures sociétaires modernes, ordonnées et régulées seulement en surface, mais privées tant d'un sens supérieur que de racines dans les strates psychiques les plus profondes.

 

Déjà au moment de la rédaction du Travailleur,  après la première guerre mondiale, il était clair qu'un phénomène analogue de contre-coup allait se produire quand on allait appliquer de tels principes, notamment celui qui se profile derrière le concept bourgeois de liberté abstraite: dans la mesure où l'on reconnaît au principe de la démocratrie nationale une validité universelle, sans opérer la moindre discrimination, on aboutit automatiquement à un état d'anarchie mondiale, suscitant de nouvelles causes de crise au sein de l'ordre ancien, telle la révolte des peuples colonisés et de toutes les forces auxquelles, en Europe et ailleurs, le principe d'auto-détermination des peuples a donné une souveraineté politique même quand il s'agissait de tribus ou de populations, explique Jünger, «dont le nom n'était pas connu de l'histoire politique mais seulement, à la rigueur, des manuels d'ethnologie. Cet état de choses a pour conséquence naturelle la pénétration dans l'espace politique de courants purement élémentaires, de forces appartenant moins à l'histoire qu'à l'histoire naturelle». Aujourd'hui, ce constat est encore plus exact qu'hier.

 

Pour nous, il est cependant plus important d'examiner la crise du système dans ses aspects spirituels. Jünger parle surtout de formes de défense et de compensation qui se sont déjà manifestées en marge de la société bourgeoise, avec le phénomène du romantisme. «Il y a des périodes où les relations de l'homme avec l'élémentaire se manifestent sous l'aspect de propensions au romantisme, lesquelles constituent déjà en soi un point de fracture. Selon les circonstances cette fracture se fera visible: on se perdra dans le lointain (l'exotique), dans l'ivresse, la folie, la misère ou la mort. Ce sont là toutes des formes de fuite où l'homme isolé, après avoir cherché en vain une voie de sortie dans tout l'espace du monde spirituel ou matériel, met bas les armes. Mais, en tant que telle, la capitulation, peut aussi revêtir les apparences d'une attaque, comme quand un navire de guerre, en sombrant, tire encore une ultime bordée à l'aveuglette».

 

«Nous avons su reconnaître la valeur de la sentinelle tombée sur sa position perdue, continue Jünger. Nombreuses sont les tragédies auxquelles se lient de grands noms, mais il y a aussi beaucoup de tragédies anonymes, où des groupes entiers, des strates sociales entières, qui subissent une raréfaction de l'air nécessaire à la vie, comme s'ils avaient été pris par un vent de gaz toxiques». Ce que Jünger ajoute ensuite a une base autobiographique et reflète ses propres expériences de jeunesse, dont nous avons déjà eu l'occasion de parler: «Le bourgeois a presque réussi à persuader le cœur aventureux que le danger n'existe pas, qu'une loi économique gouverne le monde et l'histoire. Mais les jeunes gens qui dans la nuit et le brouillard abandonnent la maison de leur père ont le sentiment intime de devoir aller très loin à la recherche du danger, au-delà de l'océan, en Amérique, à la Légion Etrangère, dans des pays où poussent les arbustes qui donnent le poivre. Mais surgissent aussi des figures qui n'auront pas le courage de s'exprimer dans ce langage propre et supérieur, comme celle du poète qui se sent pareil au pétrel dont les ailes puissantes, créées pour la tempête, ne deviennent, hélas, plus qu'un objet de curiosité inopportune dans un milieu étranger, sans vent, ou comme celle du guerrier né, qui semble n'être qu'un bon à rien, parce que la vie du marchand le remplit de dégoût».

 

Pour Jünger, le point décisif de fracture a eu lieu pendant la première guerre mondiale. «Dans la joie, les volontaires l'ont saluée (écrit Jünger en se souvenant visiblement de ce qu'il a lui-même vécu) parce qu'elle leur procurait un sentiment de libération des cœurs et que, d'un trait, se révélait à eux une vie nouvelle, plus dangereuse. Dans cette joie, se cachait aussi, tapie, une protestation révolutionnaire contre les valeurs anciennes, tombées irrémédiablement en désuétude. A partir de ce moment-là, dans tous les courants de pensée, dans tous les sentiments et dans tous les événements, s'est infusé une couleur nouvelle, élémentaire». L'important, ici, est de voir comment, par la force même des choses, un nouveau mode d'être a commencé à se différencier. Jünger relève aussi le rôle qu'ont joué dans la jeunesse combattante, entraînée dans la complexité de cette guerre, les enthousiasmes, les idéaux et les valeurs du patriotisme conventionnel lié au monde bourgeois. Mais, bien vite, il est apparu clairement que cette guerre réclamait des réserves de forces bien différentes de celles nourries à ces sources bourgeoises: et cette différence est celle qui distingue les sentiments d'enthousiasme des troupes quittant les gares, d'une part, et «leur action entre les cratères, sous le fer et le feu d'une bataille de matériel», d'autre part. Alors, dans cette épreuve du feu, disparait le contexte qui justifiait la protestation romantique. Cette protestation-là, écrit Jünger, «est condamnée au nihilisme, là où elle est fuite, simple polémique contre un monde qui sombre, or en tant que telle, elle reste conditionnée par lui. Elle ne devient force que quand elle donne lieu à un type spécial d'héroïsme». Là s'annonce le thème central du Travailleur:  traverser une zone de destruction sans être soi-même détruit. La même expérience aura des effets totalement opposés chez des hommes d'une même génération: «les uns se sont sentis déchirés par elle, les autres ont participé à un vécu jamais expérimenté auparavant, grâce à l'extrême proximité de la mort, avec le feu et le sang». La discordance découle de l'ambigüité d'avoir eu comme uniques béquilles les valeurs bourgeoises qui se basaient sur l'individu et sur l'exclusion de l'élémentaire, et d'avoir été capables de vivre une nouvelle liberté. S'il avait été déchiré, brisé, par la guerre, Jünger aurait pu se référer aux mots qu'Erich Maria Remarque a mis en exergue de son fameux livre A l'Ouest rien de nouveau:  «Ce livre ne veut ni accuser ni démontrer une thèse; il veut seulement dire quelle fut une génération, déchirée par la guerre même quand les obus l'ont épargnée». Mais comme Jünger est de ceux qui savent intimement qu'ils ont vécu une expérience unique, il voit en ses compagnons de combat ceux qui anticipativement ont constitué le «type»: c'est-à-dire un homme qui se tient debout parce qu'il veut se rendre capable d'un rapport actif avec l'élémentaire, et, parallèlement, développer des formes supérieures de lucidité, de conscience et de maîtrise de soi, parce qu'il veut se dés-individualiser et accepter un réalisme absolu, parce qu'il connaît le plaisir des prestations absolues, de la plénitude maximale de l'action, assortie d'un minimum de “pourquoi?” et de “dans quel but?”. C'est là que «les lignes de la force pure et celles de la mathématique se rencontrent»; dans l'aire d'une conscience accrue, «il est possible de potentialiser les moyens et les énergies premières de la vie, dans un sens inattendu, jamais encore expérimenté».

 

«Dans les centres occultes de la force, par laquelle on domine la sphère de la mort, on rencontre une humanité nouvelle, qui se forme par le biais d'exigences nouvelles», écrit Jünger. «Dans un tel paysage, on ne peut plus apercevoir l'individu qu'avec beaucoup de difficultés; le feu a calciné tout ce qui n'a pas un caractère objectif». Les processus en plein développement sont tels que toute tentative de la raccorder encore au romantisme et à l'idéalisme de l'individu finissent par sombrer irrémédiablement dans l'absurde. Pour dépasser victorieusement «quelques centaines de mètres où règne la mort mécanique», on n'a nul besoin des valeurs abstraites, morales ou spirituelles, de la libre volonté, de la culture, de l'enthousiasme ou de l'ivresse aveugle qui méprise le danger. Pour cela, il faut une énergie nouvelle et précise, tandis que «la force combattive du milieu dans son ensemble assume un caractère moins individuel que fonctionnel». En outre, on découvre des correspondances entre le point de destruction et l'apogée spirituelle d'une existence; c'est là que se déchaînent les prémisses de la personne absolue. Les rapports avec la mort se transforment et «la destruction peut surprendre l'homme singulier dans ces instants précieux où on lui demande un maximum d'engagement vital et spirituel». Alors, «à la fin, on peut aussi reconnaître la liberté la plus élevée». Tout cela devient, finalement, un part naturelle, voulue d'avance, d'un nouveau style de vie. Finalement se présentent «des figures d'une suprême discipline du cœur et des nerfs, indices d'une froideur quasi métallique, extrême et lucide, où la conscience héroïque se montre capable d'utiliser le corps comme un pur instrument, en lui imposant une série d'actions complexes, au-delà de l'instinct de conservation. Entre les flammes d'un avion touché, dans les chambres d'air d'un submersible qui coule, on accomplit encore un travail qui, au sens propre, transcende la sphère de la vie et dont jamais aucun communiqué ne signalera». Les deux termes qui s'unissent dans ce «type» sont donc l'élémentaire en acte, en soi et en dehors de soi, d'une part, et la discipline, l'extrême rationalité, l'extrême objectivité, c'est-à-dire un contrôle abstrait et absolu de l'activation totale de son être propre, d'autre part.

 

C'est ainsi, d'après Jünger, que déjà au cours de la première guerre mondiale, s'annonçait l'avènement d'une nouvelle «forme intérieure», et nous avons déjà eu l'occasion de dire qu'en elle, il voyait ce qui allait devenir décisif pour l'humanité en devenir, c'est-à-dire les culminations exceptionnelles, à l'image des extériorisations guerrières. La crise finale du monde bourgeois et de toutes les valeurs anciennes, pour Jünger, découle de la civilisation de la technique et de la machine, et de toutes les formes d'élémentarité qui leur sont consubstantielles. Et substantiellement identique serait le type d'homme qui, spirituellement, n'est pas le vaincu mais le vainqueur, que ce soit sur les champs de bataille modernes ou dans un monde absolument technicisé. Substantiellement identique serait le type de dépassement et de formation intérieure qui serait requis dans les deux cas. C'est ainsi que s'ébauche la figure de l'homme que Jünger nomme le “Travailleur”, qu'une continuité idéale unirait «au soldat vrai, invaincu, de la Grande Guerre».

 

Julius EVOLA.

(Chapitre extrait de L'«Operaio» nel pensiero di Ernst Jünger,  éd. Volpe, Rome, 1974; trad. franç.: Robert Steuckers).

Julius EVOLA

mercredi, 17 septembre 2008

E. Jünger: 70 s'efface, IV

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70 s'efface, IV

 

 

Karlheinz SCHAUDER

 

Il a largement dépassé le grand âge de Goethe: Ernst Jünger, le Patriarche de Wilflingen, vient de fêter ses 100 ans le 29 mars 1995. L'écrivain se sent comme l'Ahasver de la légende et s'étonne d'avoir atteint cet âge après toutes ses “tribulations”. Lui, l'auteur d'une œuvre exemplaire dans la littérature contemporaine, respectée par ses adversaires, remarque, à ce propos: «Depuis des années, l'âge avance, se place à l'avant-scène, se mue en une qualité que je n'avais pas prévue. Je suis frappé, comme toujours, par le nombre impressionnant de perspectives différentes par lesquelles je suis passé, depuis que je suis capable de penser. Cela a l'avantage de donner plus de poids à mes assertions, mais je n'en suis pas responsable».

 

Cette phrase se trouve dans le quatrième volume des Journaux qu'écrit Jünger depuis son 70ième anniversaire sous le titre de Siebzig verweht, traduit en français par Soixante-dix s'efface. Ce quatrième volume constitue, une fois de plus, une collection impressionnante de notules personnelles, rédigées entre janvier 1986 et décembre 1990. Avec les sens toujours en éveil, avec une force expressive intacte, Jünger enregistre ainsi toutes ses rencontres et ses conversations, ses lectures et ses réflexions. Une fois de plus, on est fasciné de voir comment cet écrivain et ce contemporain parvient à tirer l'essentiel d'une journée, à y goûter: «Parmi mes bonnes œuvres, il y a le fait que j'incite beaucoup de mes contemporains à tenir un journal. Quelle qu'en soit la teneur, il demeurera une prestation qui aura une valeur personnelle et documentaire. Ensuite, cette rédaction satisfait une pulsion: notre cheminement est balisé. Le sacré peut advenir; l'homme est seul avec lui-même. Il est bon qu'un Journal commence tôt dans la vie; mieux: qu'il se poursuive jusqu'à la fin, jusqu'à proximité de la mort».

 

En ce siècle, quelques écrivains et philosophes ont choisi d'écrire des notes quotidiennes, pour refléter leur temps et transmettre une pensée vraiment vivante. Ce sont particulièrement Léon Bloy et André Gide, Julien Green et Paul Léautaud qui ont veillé à ce que le Journal ne soit pas une simple habitude privée, mais un genre littéraire, permettant de communiquer des impressions ou des idées, créant un espace où l'on peut raconter et rêver. Chez Ernst Jünger également, les notes quotidiennes occupent une place essentielle dans l'œuvre complète. Lorsqu'il écrit ses Journaux, il ne néglige pas les autres formes de création littéraire, mais hisse tout simplement ses notes au rang d'une forme littéraire significative.

 

Dans ses notes de voyage et ses souvenirs, ses anecdotes et ses considérations, il s'exprime tout à la fois comme écrivain et comme penseur. Cette démarche n'autorise aucune dissipation ni aucun bavardage, comme c'est parfois le cas chez Thomas Mann. Les notes sont séparées par des dates ou des astérisques; souvent pendant plusieurs jours, voire pendant toute une semaine, on ne trouve rien. Sans nul doute, Jünger stylise et rédige ces notes pour qu'elles soient publiées ultérieurement. Il choisit et sélectionne celles qui lui paraissent les plus significatives, les plus chargées de sens, les plus précieuses. Ce qu'il veut communiquer est dit avec précision et concision. Certes, ces qualités-là ôtent quelque lambeaux de spontanéité et d'authenticité à l'écriture immédiate. La construction des phrases est objective et distanciée, souvent certains thèmes s'y répètent, ou un ton docte s'y insinue.

 

Les impressions de l'environnement le plus proche, du paysage des alentours de Wilflingen occupent un vaste espace dans ces annotations. Le très vieil écrivain vit intensément au rythme de la nature, note les observations qu'il glâne dans son jardin ou au cours de ses promenades. Il consigne les transformations saisonnières que subissent plantes et animaux, s'occupe d'ornithologie et de botanique, et surtout d'entomologie. Jünger est d'ailleurs devenu un entomologiste célèbre qui s'est fait un nom dans l'univers scientifique, si bien que quelques espèces portent son nom. C'est avec joie qu'il commente les envois d'insectes que des amis du monde entier lui expédient. C'est pour se livrer aux «chasses subtiles» que le nonagénaire entreprend encore de longs voyages vers les pays exotiques: en Malaisie par exemple où il a pu observer la comète de Halley qu'il avait vu pour la première fois il y a 76 ans avec ses parents, ses frères et ses sœurs; enfin, à Sumatra, dans les Seychelles et à l'Ile Maurice.

 

L'envie de voyager de l'écrivain, sa curiosité envers le monde, sont demeurées intactes. Sans cesse, il prend des vacances en compagnie de sa femme Liselotte, qu'il appelle affectueusement «Petit Taureau», et séjourne dans les pays européens, où il visite les bouquinistes et flâne dans les musées. Ou il circule en France, est reçu par les Chevaliers du Taste-Vin, visite en compagnie de Rolf Hochhuth les grottes de Lascaux et revient, en bout de course, dans l'appartement de Paris. L'octroi de prix ou de doctorats honoris causa le conduit à Palerme, à Rome ou à Bilbao, ce qui lui rappelle de nombreux souvenirs, ravive en lui des impressions anciennes. Jünger rencontre à Berne ou à Munich des amis et des collègues, participe aux jubilés et aux fêtes villageoises de Wilflingen. Dans la gestion quasi ménagère de son œuvre, Jünger consigne dans ses Journaux le meilleur de son courrier et les messages de remerciement. En dépit de tous les honneurs qu'on lui accorde, il conserve une distance par rapport à la gloire: «Les étapes de la gloire et leur mi-temps: depuis le moment où l'on arrive dans le dictionnaire jusqu'au moment où on en est radié. Un chapitre en soi: le rapport entre la gloire et l'après-gloire, riche en déceptions et en surprises, sans intérêt pour la personne concernée».

 

Outre les impressions de voyage, l'auteur honore les moments qu'il a vécu avec ses contemporains et ses compagnons de route: il nous évoque ainsi une visite du dramaturge allemand Heiner Müller, une virée avec Ionesco, une correspondance avec Wolf Jobst Siedler ou avec Rainer Hackel, d'anciennes rencontres avec Ernst Niekisch et Ernst von Salomon, des souvenirs d'Alfred Kubin et de Valeriu Marcu. Le nonagénaire relit ses anciennes lettres, se souvient de son père, de sa première femme, se rappelle avec chagrin de son frère Friedrich Georg, qui, lui aussi, fut un grand écrivain, et avec douleur de son fils Ernstel, tombé au champ d'honneur en Italie pendant la seconde guerre mondiale. Quand Jünger rumine tous ses souvenirs douloureux, il ne pense presque jamais à sa propre mort, mais surtout à la présence des disparus. Les défunts sont tout particulièrement présents dans les rêves du vieil homme.

 

Jünger accorde aux rêves une grande importance: ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface commence et se termine par la description d'un rêve. Dans un cas précis, Jünger raconte pendant quatorze pages en détails et avec minutie une de ses visions nocturnes. A côté du monde bizarre des rêves, il nous décrit une manifestation de l'inconscient, qu'il désigne comme “troisième voie”. Les Journaux offrent ainsi matière à réflechir pour les psychanalystes. Pour les jeux et joutes d'idées pendant l'éveil, la lecture est indispensable; on ne peut y renoncer et Jünger écrit: «Même si la journée d'hier a été fatigante, j'ai encore lu, la nuit tombée, quelques pages du Journal de Renard. Je ne peux imaginer un jour sans lecture et je me demande souvent si, au fond, je n'ai pas vécu la vie d'un lecteur. Le monde des livres serait ainsi le monde réel, et le vécu n'en serait que la confirmation —et cet espoir serait toujours déçu. Ce qui pourrait avoir pour effet que les auteurs présentent la matière sur un plan supérieur et que cette matière s'inscrusterait mieux que le tissu des hasards biographiques. Nous ne voyons que le dos du gobelin. Voilà pourquoi je m'y retrouve mieux dans un bon roman que dans ma propre biographie».

 

Jünger se préoccupe ensuite, dans ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface, des célèbres cas juridiques de Pitaval, se penche encore sur Montaigne, Léon Bloy et Léautaud, relit les œuvres de Tourgueniev, Dostoïevski et Tolstoï. Il note encore le texte d'antiques sagesses d'Egypte, des proverbes chinois dans ses chroniques quotidiennes et fait référence à des versets de l'Ancien et du Nouveau Testament. Pour ce qui concerne la littérature contemporaine, il a été séduit par un roman de Gabriel Garcia Márquez et sait apprécier les poèmes de Helena Paz, la fille d'Octavio Paz.

 

En guise d'anticipation à la publication prochaine de sa correspondance, Jünger reprend de nombreux extraits de lettres dans son Journal. Il cite des parties de lettres qui lui ont été adressées, note des salutations originales issues de cartes postales, nous révèle des réponses à ses traducteurs Henri Plard et Pierre Morel, qu'il consulte toujours en cas de litige. Avec des remarques bien étayées, il commente la préface qu'a rédigée Julien Hervier pour l'édition française du Travailleur, ou il reproduit le texte d'un interview téléphoné qu'il a accordé au Figaro. Il nous parle du travail qu'il a effectué dans le texte des Ciseaux,  où il tente de nous léguer une théodicée, et introduit dans son Journal un passage qu'il a ôté du texte définitif. Il s'occupe de subtilités grammaticales et stylistiques avec une telle intensité que cette précision lui apparaît comme un phénomène de vieillissement! Autrement, il n'a que de petits tracas, constate-t-il: le principal, c'est qu'ils ne se répercutent pas sur sa prose.

 

En tant qu'anarque —c'est ainsi qu'il s'“auto-désigne”—  il a l'impression de vivre davantage dans les livres que dans “notre misérable réalité”. Les rencontres immédiates avec la réalité, avec les événements politiques et culturels, sont quasiment absentes de cette partie du Journal, elles ne sont pas transposées dans l'écriture. Ainsi, les visites répétées à Wilflingen du Chancelier fédéral et du Président Mitterrand ou du Premier Ministre espagnol Gonzales. Ainsi, ses vols en hélicoptère vers Bonn, à l'invitation du Chancelier ou sa participation aux fêtes du jubilé du Traité d'amitié franco-allemand à Paris. Quand on a dépassé 100 ans, les événements du jour n'ont plus trop d'importance, car on a déjà vécu tout et le contraire de tout. Pourtant, deux événements l'ont touché: la fête en l'honneur de son 95ième anniversaire dans le Neuer Schloß de Stuttgart et le nuit de la réunification allemande en novembre 1989.

 

Le Journal de Jünger n'est nullement un “journal intime”, qui, en première instance, sert à exprimer les sentiments du moi qui écrit. Tout, dans les notices de ce Journal, semble être parfaitement maîtrisé, soupesé; la prose admirablement ciselée de ce monologue mis en écriture montre que le Journal de Jünger, en fait, est un moyen de prendre distance et non pas de rester trop proche du vécu. Il s'agit des visions et des expériences d'un homme qui, sans mélancolie, se meut dans la sphère du très grand âge, avec froideur, comme s'il n'était pas concerné. La propre vie et la propre œuvre de l'auteur lui servent à relier et à rapprocher les événements immédiats et lointains, le proche et l'éloigné, le rêve et l'imprimé. Les remarques philosophiques, culturelles, sociologiques et critiques de Jünger, les idées qu'il exprime sur l'histoire et la civilisation ne sont nullement des plaintes pessimistes. Il se borne à enregistrer les évolutions et les bouleversements, il décrit la destruction de la nature due à l'avancée de la technique. Sur notre situation globale, il écrit: «Ce que notre situation a de particulier et peut-être d'unique, c'est que nous sommes plongés non pas seulement dans une révolution mondiale mais aussi et surtout dans une révolution tellurique. Ainsi culmine la résistance qui s'oppose tant à l'artiste qu'au philosophe. Leur œuvre sera soit insuffisante soit provisoire. L'insuffisant sera détruit par les événements, mais le provisoire pourra se révéler si significatif que les événements ne le rattraperont pas».

 

Malgré des observations contrariantes et des détails effrayants, Jünger cherche la loi secrète, l'ordre caché, qui régit tout cela. Qu'il formule des observations sur une couleur ou sur une spirale, qu'il examine un insecte ou décrit une floraison, il s'efforcera toujours de déchiffrer l'«écriture imagée immédiate», de se rapprocher de la plénitude et de l'harmonie du tout cosmique. Il demeure animé par une volonté inconditionnelle de sens et ne se montrera jamais prêt à abandonner la foi en ce sens. Un jour, il s'est demandé: «Qu'est-ce qui est le plus important pour un écrivain? La redécouverte de l'impassable dans le temps passé: l'Etre dans l'existence».

 

Pour Jünger, l'écrivain est une personne morale qui s'est extraite de la quotidienneté sociale, qui, par la force de son imagination, peut reconnaître les rapports entre les choses. Ce quatrième volume de Soixante-Dix s'efface  est lui aussi un outil idéal et sublime pour pénétrer, avec son «regard stéréoscopique», dans le monde pour le révéler, pour pénétrer dans sa pensée qui est un “voir” dans l'espace et dans les profondeurs. Cette collection de notices et de témoignages, de souvenirs et de lettres est un document littéraire de tout premier rang, une chambre aux trésors où l'on trouve les plans et les analyses les plus fines sur notre temps. Une lecture indispensable, captivante, fécondante.

 

Karlheinz SCHAUDER.

(recension tirée de Criticón,  n°146/1995; adresse: Criticón Verlag, Knöbelstrasse 36/0, D-80.538 München; abonnement: DM 64; étudiants: DM 42; trad. franç. : Robert Steuckers).

lundi, 15 septembre 2008

Klages e la mistica del primordiale

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La mistica del primordiale

Autore: Luca Leonello Rimbotti

Tommaso Tuppini, <I>Ludwig Klages. L'immagine e la questione della distanza Credeva che l’Amore, forza cosmica ancestrale, fosse impersonale e assoluto. Che vagasse nell’etere, come un’energia che proveniva dai mondi della creazione. Klages non era un visionario. O almeno, non solo. Era un filosofo-poeta contro l’epoca moderna. Nella società della tecnica vedeva la negazione della vera identità dell’uomo, che secondo lui proveniva dalle leggi primitive dell’esistenza, da ciò che lui chiamava anima. Anima è l’origine, è il segreto della vita, è il sigillo che ogni uomo e ogni popolo si porta dietro come un simbolo. Anima è la fusione con la natura, è la voce silenziosa degli avi, che non sappiamo più percepire. Tipico dell’epoca moderna è il voler andare contro l’anima, il voler costruire ideali artificiali, rapporti sociali falsi, utopie ingannatrici. Contro la purezza originaria della vita e contro l’armonia primordiale degli uomini e delle cose è sorto un giorno quel vizio assurdo che è lo spirito, cioè la ragione, l’intelletto razionalista. Energia distruttrice delle radici cosmiche dell’uomo, lo spirito ha in ogni epoca edificato imposture: tra queste, la coscienza repressiva invece dell’anima libera, la volontà tirannica invece della libertà senza limiti di spazio, la storia invece del tempo senza tempo.

Si capisce subito che in Klages rintoccano alcune eco di Nietzsche: la celebrazione delle origini e delle radici, la nostalgia di un’epoca mitica - quella dei “Pelasgi” - in cui gli uomini erano potenze dell’universo prive di angosce e paure, padroni di se stessi e dei propri istinti sovrani.

Nostalgia per l’epoca in cui sorsero i miti delle antiche civiltà, quando l’intuito, l’inconscio e le percezioni sensitive non erano ancora stati repressi dalle armi di distruzione della perversa intelligenza: il concetto, il giudizio, il criticismo. Quella era la vera vita: liberazione degli istinti e delle sensazioni, senza complessi, senza colpe, senza nessuna idea del “peccato”. Questo dell’uomo razionalista è invece il trionfo dell’anti-vita artificiale, che crea i mostri della tecnica e del progresso materiale.

La vita come estasi. Se l’uomo fosse in grado di tornare alla magia dell’origine, potrebbe sbarazzarsi di tutti i fardelli angosciosi che impone la schiavitù della modernità, che ha robotizzato i cervelli e isterilito le anime. La libera psiche è Eros, amore cosmico, distacco romantico dai vuoti interessi terreni. Nel suo libro famoso Dell’Eros cosmogonico, risalente al 1922, Klages celebrò l’Amore totale, il magnete che attrae magicamente due poli anche lontani tra loro, al di là della semplice sessualità, come un moto unitario di natura e un legame di sangue: “Il compimento consiste nel destarsi dell’anima, ed il destarsi dell’anima è contemplazione, ma essa contempla la realtà delle immagini originarie; le immagini originarie sono anime del passato che appaiono; per apparire esse hanno bisogno del legame con il sangue di chi è ancora vivo ed ha ancora un corpo”. In questo “mistico sposalizio” tra anima e “demone generatore” si compie, alla maniera platonica, secondo Klages, la trasformazione del semplice uomo in uomo assoluto, cosmico.

Klages amava la cultura romantica, che pensava per simboli, e che assegnava ai sentimenti il primo posto nella scala dei valori. Ma amava anche Goethe, la sua ricerca dei fenomeni originari come manifestazione del divino. Goethe era poeta, romanziere, scienziato. Ma uno scienziato che credeva ai fenomeni intuitivi, alla magia che è in natura. Ad esempio, il suo romanzo sulle Affinità elettive - in cui rappresentò il caso di una gravidanza condizionata dalla forza psichica del pensiero d’amore, al di là delle normali leggi biologiche - piacque moltissimo a Klages, che giunse a considerare Goethe come un maestro di sapienza inconscia, un poeta delle possibilità magnetiche della psiche umana. Non dunque il solare, l’olimpico genio che siamo abituati a conoscere, ma una sorta di mago indagatore dei segreti dell’anima e dei poteri occulti racchiusi nelle energie di Madre Natura.

Ritroviamo questi temi nella recente traduzione italiana di un piccolo libro di Klages del 1932, Goethe come esploratore dell’anima (editore Mimesis), in cui Goethe diventa quasi un sacerdote neo-pagano. Egli, studiando ad esempio la metamorfosi delle piante, in realtà aveva penetrato il mondo delle segrete potenze primordiali: i mutamenti, le polarità, i magnetismi. Klages, con mentalità irrazionale e religiosa, vede dunque nel genio di Goethe non semplicemente un grande poeta o un grande romanziere, ma un uomo capace di avvicinarsi al cuore divino della vita. Scienziato mistico e non razionalista, Goethe diventa agli occhi di Klages il massimo profeta di un ritorno alla natura e alle sue leggi di attrazione tra simili e di differenziazione universale. Klages amò la natura, fu un “ecologista” ante-litteram, ma non così profano e banale come i “verdi” del nostro tempo materialista. Nel suo capolavoro del 1929, Lo spirito come avversario dell’anima - un tomo di oltre mille pagine che fece epoca - Klages scrisse che “chi distrugge il volto della terra, uccide il cuore della terra e priva della loro ’sede’ le potenze che ora si sono dileguate nell’etere”.

Gli dèi sono fuggiti dal mondo perché l’uomo ha profanato la terra e desacralizzato la natura. Ma attenzione: tutto questo non era soltanto letteratura. Era molto di più. Nella rivalutazione dell’irrazionale e dell’inconscio c’era una guerra dichiarata al mondo razionalista, indifferenziato, democratico, ateo, materialista. Giampiero Moretti ha scritto che nell’idea di Klages di coniugare Goethe con Nietzsche c’era inciso il destino dell’Europa, “forse fin dai suoi primi albori, ad esempio, fin dal momento in cui le figure del guerriero e del sacerdote-poeta presero due strade diverse, spesso in lotta tra loro”.

Ora tutto è più chiaro. Molto oltre la mediocrità della new-age attuale, e con tanta profondità culturale in più, Klages fece parte di quella ribellione tradizionalista al mondo moderno che fu pensata in Europa come un’arma di difesa della terra, del sangue, dell’istinto, dell’origine mitica, del simbolo ancestrale, dell’identità mistica di popoli e gruppi umani. Una cultura politicamente vinta e dispersa. Ma non abbastanza da non lasciarci immaginare che possa presto o tardi riemergere, proprio come una di quelle occulte leggi della vita studiate da Goethe.

* * *

LUDWIG KLAGES: L’IRRAZIONALISMO INNANZI TUTTO

Nato a Hannover nel 1872, filosofo, psicologo e grafologo, Klages visse e insegnò a Monaco, dove conobbe Stefan George - il maggior poeta tedesco dell’epoca - entrando nel George-Kreis, il famoso sodalizio di cui facevano parte molti intellettuali di valore (tra gli altri, Bertram, Wolfskehl, Kantorowicz, Gundolf). Collaborò alla prestigiosa rivista di George “Blätter für die Kunst“, alla cui ideologia romantico-estetizzante si formarono intere generazioni di giovani tedeschi. Nel 1899 formò un suo gruppo culturale, i Kosmiker, vicino alle idee dell’antichista Johann Jakob Bachofen e di Alfred Schuler, il visionario studioso di Nietzsche e di Roma antica. Distaccatosi nel 1904 da George, Klages fondò il “Seminario di Psicodiagnostica”, che gli dette la notorietà. Il senso ideologico di questo ambiente consisteva nel recupero dei valori “dionisiaci” e tellurici, con una rivalutazione dell’irrazionalismo e degli aspetti esoterici della vita e della persona umana. Autore prolifico e originale, durante il Terzo Reich fu nominato Senatore dell’Accademia Tedesca di Monaco ma, a partire dal 1938, rimase appartato per l’inimicizia che gli portarono Alfred Rosenberg e i seguaci dell’ideologia volontarista e virilmente eroica, egemone all’interno della cultura nazionalsocialista. Epurato nel 1945, morì nei pressi di Zurigo nel 1956. Tra le sue opere tradotte in italiano: L’anima e lo spirito (Bompiani, Milano 1940); Dell’Eros cosmogonico (Multhipla, Milano 1979); Perizie grafologiche su casi illustri (Adelphi, Milano 1994); Stefan George, in S.George-L.Klages, L’anima e la forma (Fazi, Lucca 1995); L’uomo e la terra (Mimesis, Milano 1998). Di prossima pubblicazione è la riedizione de I Pelasgi presso le Edizioni Herrenhaus di Seregno. Si tratta di un capitolo dell’opera principale di Klages, Der Geist als Wiedersacher der Seele (Lo spirito come avversario dell’anima), mai tradotta in italiano.

Tratto da Linea del 21.III.2004.


Luca Leonello Rimbotti