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mardi, 05 octobre 2010

La place de la Russie dans l'histoire de la diplomatie européenne

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES- 1997

La place de la Russie dans l'histoire de la diplomatie européenne

 

Intervention de Robert Steuckers lors du 1er Colloque de l'Atelier régional d'Ile-de-France de Synergies Européennes, le 8 mars 1997

 

On ne peut évaluer la place et l'importance de la Russie dans la tradition diplomatique européenne que sur base des textes existants. Les premiers textes valables pour juger l'émergence de la Russie dans la réalité politique européenne datent de l'époque de Pierre le Grand. Ce Tsar a manifesté durant son règne la volonté de faire de la Russie un Etat organisé à l'européenne, participant pleinement au concert des Etats européens. Cette volonté peut se concrétiser dès l'effondrement de la puissance polono-lithuanienne qui conduira aux partages successifs de la Pologne, achevés tout à la fin du XVIIIième siècle.

 

Cependant, en dépit de la volonté de Pierre le Grand, la Russie ne se laissera jamais appréhender par les mêmes concepts politiques et géographiques que le reste de l'Europe. Cette différence est due à la qualité, aux dimensions et à l'immensité de son territoire, qui fait charnière entre l'Europe et l'Asie. Dès le départ, dès les premiers textes rédigés en Europe sur la Russie et destinés aux chancelleries, on perçoit la dimension eurasienne de la Russie, malgré la volonté de Pierre le Grand de s'aligner exclusivement sur l'Europe.

 

Aujourd'hui, les cercles politiques et culturels européens, toutes tendances confondues, font désormais face à une Russie complexe, immense, tout à la fois européenne et asiatique, échappant aux règles des idéologies occidentales. Ils ne font plus face à une URSS à l'idéologie monolithique, parfois plus aisée à comprendre, encore que les arcanes peu déchiffrables de la soviétologie ont souvent induit en erreur des soviétologues patentés comme Alain Besançon ou Hélène Carrère d'Encausse... Récemment, pendant l'été 1993, la presse à sensation de Paris a parlé d'une alliance entre “rouges” et “bruns”, de l'émergence inquiétante d'un bloc “national-communiste”, en embrayant sur des phénomènes somme toute superficiels et sans tenir nullement compte de la longue histoire des rapprochements et des ruptures entre la Russie, d'une part, et les autres puissances européennes, d'autre part. La phobie du complot “rouge-brun” a fait long feu car les connaissances historiques la­cunaires des quelques journalistes fort prétentieux et très braillards qui ont déclenché le scandale étaient bien maigres. Leur bricolage n'était qu'un jeu médiatique. Quant à ceux qui se sont déclarés “rouges-bruns”  dans la foulée, pour entrer dans le jeu des hystéries médiatiques et faire parler de leurs personnes, on décèle aisément chez eux une volonté d'apparaître comme de “grands scandaleux”, de “grands méchants loups”, additionnant toutes les rigueurs des totalitarismes stalinien et hitlérien de ce XXième siècle.

 

Pour éviter la répétition malheureuse de telles sensations médiatiques, pour échapper aux hypersimplifications de la presse parisienne, il m'apparaît nécessaire de retourner à l'histoire de la diplomatie européenne et de voir comment le rapport Europe/Russie est perçu dans les chanceleries et comment il transcende et chevauche les étiquettes de “gauche” et de “droite”. Il convient d'examiner comment les concepts de la géopolitique sont nés il y a près de 300 ans, au départ de ré­flexions sur l'immensité du territoire russe, ensuite de voir comment ils ont été articulés dès l'époque napoléonienne. Il con­vient de déceler quelles polarités ont été mises en exergue dans le contexte tourmenté des guerres de la Révolution et de l'Empire, de voir comment les conflits ont été explicités.

 

Accusé d'avoir fait partie de ce complot “rouge-brun” pour avoir participé à un débat avec Ziouganov, président du PCFR, et Volodine, son ajoint et conseiller, à Moscou en avril 1992, débat portant sur une alternative éthique au néo-libéralisme (!), sur l'œuvre de François Perroux, sur l'anti-utilitarisme, débat retransmis ensuite dans la presse russe (Dyeïnn) et serbe (Duga), j'étais redevable d'une explication, non pas aux ignares de la presse parisienne mais à mes lecteurs et à mes abonnés. Je m'étais déjà expliqué par bribes dans un interview (cf. NdSE n°2; versions portugaise et néerlandaise également disponibles). J'entends, dans cette allocution qui deviendra très prochainement texte, être plus exhaustif. J'avais le devoir d'approfondir la question pour confondre les piteux, médiocres et minables journalistes parisiens du Monde et d'autres gazettes de bas étage qui se sont donnés en spectacle pendant l'été 1993. J'avais le devoir intellectuel de retourner au réel pour réduire à néant les simplifications esthétisantes des néodroitistes et nationaux-révolutionnaires parisiens, relevant de la même engeance journa­listique que leurs adversaires, qui n'ont pas de projets cohérents ni de discours étayés, mais qui aiment à répéter “je suis un grand méchant” ou un “grand-pervers-qui-pense-tout-ce-qui-est-interdit-de-penser”. Afin, bien sûr, de ne plus jamais se lais­ser embarquer dans un jeu médiatique aussi stérile que celui de l'été 1993.

 

Les spéculations sur la nature politique et géographique de la Russie commencent dans l'œuvre de Leibniz, qui a cumulé les positions de philosophe, de mathématicien, de conseiller du Prince et de diplomate. Pour la première fois, Leibniz livre à ses lecteurs européens une réflexion politique profonde sur la Russie. Leibniz a forgé des concepts instrumentalisables pour faire face à la nouvelle réalité géographique et politique qui se présentait aux portes de l'Europe. Pierre le Grand venait en effet d'annoncer qu'il ferait de la Russie un Etat européen, participant au concert des nations européennes. En 1669, Leibniz réagit face à la question polonaise. La Pologne, voisine de la Russie, était, avant l'émergence de celle-ci, la puissance la plus “orientale” de l'Europe. Cette Pologne était une “république aristocratique”, tolérante sur le plan religieux, fantaisiste sur le plan culturel et littéraire, brillante dans les arts, fébrile et mobile sur le plan militaire, avec sa cavalerie portée par un “mythe sar­matique”, où l'aristocratie polonaise se décrivait comme la descendante de cavaliers sarmates venus d'Iran, du Caucase et des régions pontiques. La monarchie de cette Pologne était élective. Avant l'élection du nouveau monarque, l'Allemand Leibniz donne son avis: il est alors “russophobe”, se méfie de cet immense pays dont on connaît finalement peu de choses, et espère la défaite du candidat qui a les faveurs de la Moscovie. Sinon, dit-il, le “rempart polonais” qui protège l'Europe va tomber, ce qui amènera les “barbares asiatiques” au centre de notre sous-continent et aux frontières du Reich. Ceci est la première posi­tion de Leibniz et elle est anti-russe.

 

Mais très vite, cette position se juxtaposera à une deuxième: il faut inclure la Russie dans une grande alliance européenne anti-turque («Quid si ergo posset Moscus quoque in anti-turcicum foedus pellici»). En effet, avant sa longue désagrégation, la Pologne était forte. Rappelons l'intervention des troupes de Jan Sobiesky et du Hongrois Janos Hunyadi lors des Croisades anti-ottomanes dans les Balkans et lors de la défense de Vienne aux XVième et XVIième siècles. La Russie de Pierre le Grand devra reprendre à son compte la fonction de cette puissante Pologne de Sobiesky. Telle est la seconde position de Leibniz.

 

Dans la troisième position qu'il adopte face à la Russie montante, Leibniz jette les bases de ce qu'il est convenu d'appeler l'“eurasisme”. Dans son texte de 1697, Novissima Sinica, Leibniz écrit que la masse continentale euro-asiatique compte deux anciennes civilisations: 1. Rome/Europe (le Reich); 2: La Chine. La Russie, poursuit-il, doit faire le lien entre ces deux civili­sations en organisant son propre territoire. L'Europe acquerra un avantage si c'est elle qui communique à la Russie les re­cettes de la “bonne” organisation politique, territoriale, administrative, etc.

 

Dans sa quatrième position, Leibniz parle de la Russie comme d'une tabula rasa, comme d'un espace vierge, où l'on pourra tester toutes sortes d'expériences. La Russie est un pays qui offre des milliers de possibilités (comme on le dira plus tard des Etats-Unis). Il permettra d'absorber une immigration paysanne allemande.

 

Dans sa cinquième position, prise en 1712 lors de la guerre entre la Suède et la Russie pour la maîtrise de l'axe fluvial “gothique”, joignant la Baltique à la Mer Noire, afin d'assurer la translation de l'héritage polono-lithuanien. Leibniz, Allemand, s'oppose à toute expansion de la Russie vers le Nord, mais favorise toute expansion vers le Sud. Cette position allemande est une constante: on l'a vu se manifester lors de l'indépendance des Pays Baltes (en 1919 comme en 1991), de la Finlande, dans les intentions lisibles en filigrane dans les clauses du Pacte germano-soviétique de 1939, dans les concessions accordées en théorie par Jirinovski aux Suédois et aux Allemands dans son projet de “grande avancée vers le Sud”. Symptomatique est le fait que Jirinovski insiste si fortement en Allemagne et en Suède sur l'orientation méridionale des hypothétiques efforts de “sa” future Russie.

 

Dans sa sixième position, Leibniz approfondit sa réflexion sur la qualité de tabula rasa  du territoire russe. La Russie est vierge, dit-il, on peut y importer tant les vices que les vertus de l'Europe. Mais Leibniz est pessimiste, conservateur. Pour lui, l'Europe décadente est travaillée et minée par ses vices. Il raisonne binairement en opposant une Europe décadente à une Russie pure. Adepte de l'idéologie des Lumières à ses débuts, Leibniz poursuit un objectif pédagogique: si la Russie est pure, vierge et “mineure”, elle peut devenir l'objet d'une pédagogie vertueuse et éviter ainsi d'entrer directement en décadence à cause de ses nouveaux contacts avec l'Europe malade.

 

En résumé: l'Europe, par la voix de Leibniz, est favorable à la Russie quand elle avance ses pions vers le Sud contre les Turcs, vers la Mer Noire, mais pas encore vers les Balkans, territoire réservé à l'époque aux Hongrois et aux Autrichiens, protecteurs des Serbes, après la libération de Belgrade en 1717/18. En revanche, l'Europe se montre hostile à la Russie quand elle avance ses pions vers le Nord. Comme Leibniz, elle se montre pro-suédoise, pro-polonaise (puis pro-ukrainienne), car, pour elle, l'axe gothique est un espace intermédiaire entre la Russie et l'Europe, qui a une logique propre qu'il convient de con­server, tandis que l'espace balte est un indispensable espace de transition entre Russes, Suédois et Allemands

 

Herder précisera cette vision d'un espace balte d'échange culturel. Herder est le père des nationalismes germaniques et slaves, le théoricien de la relativité culturelle, des différences, de la valorisation des origines de toute culture au détriment des époques plus tardives, jugées déclinantes. En 1769, dans le journal qu'il a écrit au cours de son voyage de la Livonie (en Lettonie actuelle) à Nantes, Herder écrit que l'Europe est vieillie, décadente, qu'elle a épuisé ses potentialités. Face à elle, la Russie possède encore des atouts, des potentialités. Il faut travailler la Russie, dit Herder, pour en faire un modèle pour le reste de l'humanité. La pensée de Herder est à la fois liée aux Lumières car elle est pédagogique, elle veut étendre au monde entier des idées européennes qui ne sont ni le rationalisme occidental ni le césaro-papisme catholique. Mais si cette pensée de Herder est liée aux Lumières, elle est en même temps critique à leur égard. La critique de Herder s'articule surtout autour de l'optimisme et de la prétendue unicité du modèle des Lumières. Pour Herder, théologien protestant, toute culture est une manifestation voulue par Dieu et celui-ci se manifeste de multiples façons, donc seule la pluralité des cultures est légitime, est œuvre de Dieu. L'histoire d'un peuple particulier est simultanément l'histoire d'un possible humain, universellement valable.

 

Sur base de ces principes, Herder énonce des projets pour l'Europe orientale et la Russie. Il privilégie les Pays Baltes, dont il est issu, comme espace d'échanges entre l'Europe germanique et la Russie. Mais il concocte également des projets sédui­sants pour l'Ukraine, la Crimée et la rive septentrionale de la Mer Noire. La mission de la Russie, à ses yeux, est de recréer un nouvel hellénisme sur le pourtour de la Mer Noire et de faire de la Crimée sa capitale. En énonçant ce grand projet, il re­prend l'idée allemande d'un “Drang nach Süden” russe et souligne l'importance capitale de la Crimée sur le plan géopolitique (pendant la guerre civile entre Blancs et Rouges, la Crimée, sous le Général Wrangel, a été un enjeu majeur du conflit; le IIIième Reich concoctait également des plans germanisants/hellénisants pour la Crimée et le conflit russo-ukrainien d'aujourd'hui rappelle l'importance géopolitique de cette presqu'île). Le “Projet grec” de Herder sera repris par Catherine II et instrumentalisé contre l'Empire ottoman que la fougueuse Tsarine chassera des rives septentrionales de la Mer Noire.

 

Le jugement que porte Herder sur l'œuvre de Pierre le Grand est également fort intéressant. Herder reproche au Tsar Pierre d'avoir négligé la culture “naturelle” de la Russie, de ne pas avoir tablé sur ses atouts nationaux et surtout d'avoir fait de la Russie une “pyramide inversée” qui risque de s'effondrer tôt ou tard dans la catastrophe. Herder prédit ainsi pour la première fois la révolution russe de 1917.

 

De 1789 à 1820, c'est-à-dire de la Révolution française à l'avènement de la Monarchie de Juillet, la réflexion sur la Russie va s'articuler autour de trois oppositions:

1. L'opposition entre liberté et despotisme, où l'Ouest est la liberté et la Russie, le despotisme (Marx reprendra cette di­chotomie russophobe, et, dans le marxisme, on parlera parfois de “despotisme oriental”).

2. L'opposition entre légitimité et révolution, où la Russie est le bastion de la contre-révolution. Nous avons là ante litte­ram une dialectique Est-Ouest, où la droite légitimiste est pro-orientale et anti-occidentale, contrairement à ce que nous avons connu pendant la guerre froide. Dans l'Allemagne de la “révolution conservatrice”, Moeller van den Bruck, traducteur de Dostoïevski, réfléchit sur l'itinéraire de ce dernier: révolutionnaire dékabriste, il deviendra légitimiste, en percevant l'insuffisance des idées occidentales. Moeller et, à sa suite, les diplomates allemands conserveront l'espoir légitimiste-con­servateur en la Russie, en dépit de la révolution bolchevique.

3. L'opposition Terre/Mer ou Russie/Angleterre. Ces réflexions ont annoncé la géopolitique de McKinder et de Haushofer, ainsi que l'œuvre de Carl Schmitt. Face à cette dualité Terre/Mer, notons la position intermédiaire prise par la France. La France est une “civilisation équilibrée” entre Terre et Mer, elle s'oppose également au “navalisme anglais” et au “despotisme exclusivement tellurique” de la Russie. Quand, sous Napoléon, la France s'identifie à l'Europe, comme l'Allemagne s'y identi­fiera pendant les deux guerres mondiales, les Continentaux percevront l'Europe comme le centre du monde et de l'histoire mondiale.

 

La période qui s'étend de 1789 à 1830 est une période de grande effervescence. Pour reprendre la terminologie de Carl Schmitt, c'est la fin du jus publicum europæum. L'idée révolutionnaire veut se planétariser, ne connaît ni repos ni mesure. Au cours de cette période, les diplomates écrivent une quantité impressionnante de rapports dont la teneur est proprement géopolitique. Nous allons examiner ceux qui concernent notre propos d'aujourd'hui: la Russie.

 

En 1791, un rapport anglais anonyme, intitulé Russian Armament, jette les bases de l'hostilité anglo-saxonne à l'encontre de la Russie. La Russie est désignée clairement comme l'ennemi car elle vise l'élimination de la présence ottomane en Mer Noire et dans les Balkans. Nous avons là le premier indice de l'alliance réelle et tacite entre Londres et la Turquie, entre la thalasso­cratie anglo-saxonne et la Sublime Porte. Le rapport poursuit: l'avancée de la Russie vers Constantinople menace 1) l'Egypte (on prévoit déjà en Angleterre le percement du Canal de Suez) et 2) le commerce du Levant. Donc, pour les diplomates an­glais, l'existence de l'Empire Ottoman, y compris sa présence dans les Balkans, garantit l'équilibre européen (l'argument sera repris lors de la Guerre de Crimée); l'Empire Ottoman est un barrage contre la Russie qu'on soupçonne vouloir s'emparer des Indes (en 1800-1801, effectivement, le Tsar Paul I, allié de Napoléon, projette l'invasion des Indes). Dans d'autres mani­festes anonymes parus entre 1792 et 1793, des observateurs anglais envisagent une alliance entre la France, l'Angleterre et la Turquie, pôle de la liberté, contre l'Autriche, la Prusse et la Russie, pôle du despotisme.

 

Cette tentative de rapprochement, en pleine guerre, de l'Angleterre avec la France révolutionnaire peut s'expliquer clairement si l'on a lu le livre de l'historien français Olivier Blanc, Les hommes de Londres. Histoire secrète de la Terreur (Albin Michel, 1989). Blanc nous y démontre les mécanismes d'organisation de la guerre civile en France, mis en œuvre depuis Londres, afin de venger la bataille de Yorktown (1781) qui avait donné la victoire aux insurgés américains avec l'appui de troupes et de vaisseaux français. Par ailleurs, l'Angleterre visait à détruire les ressorts de la politique navale de Louis XVI, qui avait connu quelques succès militaires. Les manifestes anonymes réclamant une alliance avec la France demandent implicitement l'arrêt de cette politique secrète d'organisation de la guerre civile en France, d'autant plus que les troupes autrichiennes et prus­siennes avancent dans le Nord et en Lorraine, risquant d'affaiblir définitivement la France et de souder au Nord et au centre de l'Europe un bloc germanique et impérial solide. L'Angleterre, au nom de l'équilibre continental, cherche à changer d'alliés et à se ranger du côté du plus faible. Mais, coup de théâtre, la France est victorieuse à la bataille de Fleurus en 1793: elle devient la plus forte puissance européenne, s'installe en Brabant et à Anvers, ce qui, pour Londres, est intolérable. L'Angleterre, pour respecter sa politique d'équilibre, doit lui faire la guerre, de concert avec les Prussiens et les Autrichiens. Quand l'Allemagne, après Bismarck, sous Guillaume II et avec la politique navale de von Tirpitz, deviendra la plus forte des puissances euro­péennes, l'Angleterre fera la guerre contre elle, en utilisant les ressources humaines de la France.

 

C'est sur cet arrière-plan que Wilhelm von Byern en 1794 propose une alliance germano-russe contre la France révolution­naire et E. von Zimmermann une alliance germano-franco-anglo-russe contre le challengeur qui pointe à l'horizon, l'Amérique. Mais le théoricien le plus pointu qui a esquissé les grandes lignes d'une politique générale pour vertébrer l'Europe, pendant cette époque de troubles et de désorientements, reste le Français Bertrand Barère de Vieuzac. En 1798, il rédige un manifeste intitulé La liberté des mers ou le gouvernement anglais dévoilé;  ce texte fondamental annonce et anticipe véritable­ment le noyau central des doctrines géopolitiques allemandes de ce siècle (Haushofer) et les positions telluriques et anti-tha­lassacratiques de Carl Schmitt. Pour Barère de Vieuzac, le véritable principe dissolvant n'est pas tant la révolution que le “principe industriel”, générateur de flux incontrôlables. L'industrie anglaise, dit Barère de Vieuzac, découle de la navigation, dès lors les flots générés par la production de marchandises correspondent aux flots océaniques, sur lesquelles rien ne peut se construire. L'industrie induit une démonie de la technique, qui abolit toutes les barrières, frontières, etc. Elle abolit le prin­cipe traditionnel de la famille avec son ancrage dans la Terre. C'est au départ de ce texte de Barère de Vieuzac que le poète Rudolf Pannwitz (cf. NdSE n°19) chantera son apologie de la Terre et de l'Imperium Europæum et que le Carl Schmitt d'après 1945 élaborera son anti-thalassocratisme fondamental (cf. Terre et Mer & Glossarium). Pour Barère de Vieuzac, l'Europe est une terre de civilisation et d'enracinement qui s'oppose tout naturellement à l'Angleterre, qui domine l'espace fluide de la mer sur lequel aucune civilisation ne peut éclore, et à la Russie, qui domine un espace mouvant de terres non travaillées. Son dis­ciple Eschasserieux propose dès lors une alliance franco-prussienne contre l'Angleterre et la Russie. C'est dans les travaux de Barère de Vieuzac et d'Eschasserieux qu'on trouve l'origine des rapprochements franco-allemands, depuis le napoléo-gaullisme de Pannwitz jusqu'à la réconcialisation préconisée par Adenauer et De Gaulle en 1963 et à la présence d'un Ernst Jünger lors de la visite de Kohl et Mitterand à Verdun.

 

Chez les nationalistes allemands de la première génération, nous trouvons d'autres approches, qui, elles aussi, ont connu une postérité. Pour Ernst Moritz Arndt, auteur de Deutsche Volkswerdung,  l'analyse est plus subtile: l'opposition fondamentale, pour Arndt, n'est pas tant la révolution ouest-européenne contre la contre-révolution russe, ou la civilisation française, alle­mande et européenne contre la barbarie russe (comme le voulaient les russophobes napoléoniens), mais l'opposition entre pays fermés non organisés et pays ouverts à la mer (sans pour autant être thalassocratiques). Arndt préfigure là la géopo­litique de Ratzel.

 

Quant au poète Jean-Paul en 1810, il se moque de la russophobie qui décrit les Russes comme des “barbares”, mais reste attaché à l'idée pédagogique de l'Aufklärung (que l'on a repérée de Leibniz à Herder). Selon cette idée laïque et missionnaire, la Russie est certes encore “barbare” mais elle se civilisera sous l'influence européenne. Remarquons que la russophilie de Jean-Paul n'est pas encore celle des narodniki russes: il ne rejette pas l'intellectualisme de l'Aufklärung mais ne parie pas sur les ressorts naturels du peuple russe, qu'il juge encore “inférieurs” et “mineurs”.

 

Heinrich von Kleist, dans son essai Über das Marionettentheater  (1810) décrit un monde futur totalement technicisé et ratio­nalisé, mais, dans ce monde figé, tout à coup, un ours déboule sur la scène; il est le symbole de l'Est, de la Russie; il repré­sente la force de l'instinct qui domine toute technique. Contre l'instinct, inutile de se battre, il ne faut attendre aucune victoire. L'Ouest, c'est Napoléon, l'ours, c'est la Russie. Cette argumentation sera reprise par Niekisch dans ses articles “nationaux-bolcheviques” de la revue Widerstand.

 

En France, c'est le traditionalisme anti-révolutionnaire qui développera des réflexions intéressantes sur la Russie. Pour Louis de Bonald (1754-1840), dans ses Discours politiques sur l'état actuel de l'Europe  (1802), la Russie est, depuis la chute de l'Empire romain, la plus grande force d'expansion à l'œuvre en Europe. Mais, ajoute-t-il, son christianisme est “byzantin”, donc, du point de vue catholique de Bonald, il est un mélange de “superstitions” d'“idolâtrie” et de “morceaux de christia­nisme”. Dans les droites catholiques et françaises, Bonald introduit un ferment russophobe d'anti-byzantinisme, contre lequel s'insurgera le Russe Leontiev (cf. Vouloir n°6/1996). A cet anti-byzantinisme, Bonald ajoute un jugement sur l'œuvre de Pierre le Grand: il estime qu'avoir voulu l'européanisation de la Russie est une bonne initiative, mais, déplore Bonald, “il a introduit la corruption avant de former la raison”. Bonald veut dire par là que Pierre le Grand a d'abord favorisé le commerce et l'industrie avant d'établir des lois. Il aurait dû favoriser les classes rurales, puis assurer le primat de la chose militaire, de la souverai­neté et de la paysannerie sur les fonctions de négoce. Bonald développe une critique conservatrice de l'idéologie marchande, vectrice de corruption, mais souhaite la conversion de la Russie au catholicisme. Il introduit ainsi un motif de russophobie ré­current dans la pensée politique conservatrice en France.

 

Joseph de Maistre (1753-1821) critique à son tour l'œuvre de Pierre le Grand, qui s'est laissé entraîner par “l'esprit de fabri­cation”. Comme cet esprit de “fabrication” (on dirait aujourd'hui: ce “constructivisme”) s'est insinué dans la vie politique russe dès l'origine de son européanisation, il est appelé à s'accentuer en dépit des barrières traditionnelles et provoquera une révo­lution (avec la critique de Herder qui voit dans la Russie de Pierre le Grand une “pyramide inversée” prête à basculer, la cri­tique de J. de Maistre est la seconde prédiction de la révolution russe, un siècle avant les faits).

 

La fin de l'aventure napoléonienne se déroule sous le règne du Tsar Alexandre I. Celui-ci fournit le gros des troupes de la coa­lition anti-napoléonienne, si bien qu'il acquiert le titre de “Libérateur de l'Europe”. Il est forcément peu perçu comme tel en France mais bien en Allemagne ou en Belgique (où le souvenir de “Pietje le Cosaque”, à Gand, au moment des premières manifestations flamingantes, reste dans les mémoires). L'idée motrice d'Alexandre I était de constituer une “Sainte-Alliance” en Europe. La mission de la Russie est de donner corps à cette initiative, visant à terme la “monarchie universelle”, que ses adversaires déclareront bien vite “despotique”. Cette idée du Tsar Alexandre I provient de deux sources:

1) La “pansophie” de Louis-Claude de Saint-Martin, qui visait à transcender les clivages religieux en Europe entre orthodoxes, protestants et catholiques.

2) Le “Mouvement du Réveil” de l'Allemand Jung-Stilling.

 

Jung-Stilling (1740-1817) veut fusionner le piétisme et la mystique protestante. Il élabore le concept de “nostalgie” (Heimweh, également titre d'un roman). La nostalgie est toujours nostalgie de la patrie céleste, de l'Empire de Dieu à construire. Pour Jung-Stilling, cet empire commencera à l'Est. Le christianisme s'est développé d'Est en Ouest et a décliné. Il faut faire le chemin inverse. Son disciple Johann Albrecht Bengel voit dans la Russie l'instrument de Dieu pour punir les nations: Napoléon est l'Antéchrist, Alexandre I, l'Ange de l'Apocalypse. En 1817, quand une famine éclate en Allemagne du Sud, les paysans adeptes du “Mouvement du Réveil” (catholiques et protestants confondus) émigrent vers la Russie, afin de s'installer dans l'antichambre du futur paradis et de fuir l'Europe qui allait subir une punition méritée.

 

Franz von Baader (1765-1841) recueille l'héritage de la mystique allemande de Jakob Boehme, de Louis-Claude de Saint-Martin, de Jung-Stilling et de Görres. Son objectif se confond avec celui d'Alexandre I: réconcilier catholiques et protestants dans l'orthodoxie, raviver la dimension religieuse eschatologique et mystique, faire de la Russie le site de la synthèse de ce renouveau religieux et de son armée l'instrument destiné à sauver l'Europe de la dissolution révolutionnaire.

 

Les idées traditionalistes, la coalition anti-napoléonienne, le “Mouvement du Réveil” poursuivaient un même objectif. D'où la théocratie chrétienne et pansophique, l'utopie tirée du “Mouvement du Réveil”, l'“entremission organique” (organische Vermittlung) participent du “Principe d'Etat” qui s'oppose à l'Etat mécanique des révolutionnaires (procédant de l'“esprit de fa­brication”) et au “Dieu mécanique” des philosophes. Mais la grande différence entre, d'une part, Baader et les catholiques pan­sophiques et pro-orthodoxes et, d'autre part, et Bonald, de Maistre et les catholiques stricto sensu, c'est que Baader est mo­niste (il veut façonner le futur et affirme que la bonne politique organique adviendra) tandis que Bonald et de Maistre sont dua­listes et prétendent que la bonne politique est une chose définitivement passée. Face à la position pro-orthodoxe de Baader, de Maistre avance que l'orthodoxie est figée. Baader lui répond que cela la rend imperméable aux idées révolutionnaires. Pour Baader en revanche, c'est le “papisme” qui est figé car il jette le soupçon sur l'intelligence et le savoir (selon l'adage: “point trop de science”). Le protestantisme selon Baader laisse libre cours au savoir et l'accumulation de “science” désoriente les hommes, incapables de maîtriser les flux de la connaissance. Pour Baader, science et foi ne doivent pas être distinctes: telle est la mission d'Alexandre I, de la Sainte-Alliance, du “Mouvement du Réveil”, de la Russie et de l'orthodoxie, face à l'“Ouest pourri” (gniloï zapad). Mais les forces les plus conservatrices de l'Eglise orthodoxe russe refusent la démarche d'Alexandre, jugé trop ouvert aux Catholiques et aux Protestants, les “Réveillés” sont expulsés de Russie, de même que Baader, qui ne peut plus s'y rendre et tire les conclusions de sa tentative avortée: «Le retour à une politique ecclésiale conservatrice va pro­voquer l'expansion du matérialisme en Russie et, sous le manteau d'une Eglise d'Etat, les tendances anti-chrétiennes pourront agir plus secrètement, donc plus destructivement». Troisième prévision de la révolution bolchevique...

 

Autre figure-clef de l'époque, l'Abbé Dufour de Pradt (1759-1837), archevêque et confesseur de Napoléon. Pour Dufour de Pradt, le monde contient “deux zones de principes et de langage”, la zone de l'“ordre absolu” et la zone de l'“ordre constitution­nel à des degrés divers”. Ces deux zones se livreront une lutte à mort. Dufour de Pradt annonce au fond la bipolarité de la guerre froide... L'Europe n'a plus le choix qu'entre devenir un protectorat anglais et devenir un protectorat russe. En 1819, Dufour de Pradt prévoit que l'Amérique remplacera l'Angleterre sur mer, avant même que le Président Monroe ne proclame sa célèbre “doctrine” en 1823. Pourquoi? Parce que tant la Russie que l'Amérique disposent d'espace. Dufour du Pradt écrit: «La Russie jouit de tous les avantages dont sont privés les anciens Etats de l'Europe, dans lesquels les espaces sont occupés par la population et par les cultures destinées à la subsistance. On a calculé l'époque à laquelle les Etats-Unis d'Amérique possèderaient une population de cent vingt millions d'habitants, la progression a même dépassé les prévisions. Pourquoi, dans un temps donné, la Russie ne s'élèverait-elle pas au même degré, car elle possède des éléments parfaitement semblables et égaux à ceux qui promettent aux Etats-Unis ce rapide accroissement? La faculté de nourrir sa famille est la limite de la popu­lation; c'est elle qui, dans les Etats peuplés, réduit les mariages à un si petit nombre. Mais il faut un long cours de siècles pour que cette limite sera atteinte en Russie, comme en Amérique; elle se peuplera donc à l'infini...».

 

Aux Etats-Unis, le diplomate Alexander H. Everett (1790-1847) constate que tous les mouvements politiques de son époque sont les conséquences de la Révolution, cherchent à poursuivre la Révolution. L'Europe, dit-il, doit s'unir sinon elle subira le sort des cités grecques, face à la puissante machine militaire et administrative romaine. Mais pour que cette unification ait lieu dans l'équilibre des forces, il faut en exclure la Russie, parce qu'elle a beaucoup d'espace et rompt cet équilibre. Néanmoins, elle va sauver l'Europe en l'unifiant de force: c'est alors que prendra fin l'ère révolutionnaire.

 

En Allemagne le Baron von Haxthausen (1792-1866) écrit que l'atout slave/russe majeur dans le concert politique européen de l'époque est le sens intact de la communauté (mir/obchtchina). Haxthausen influencera directement la pensée populiste russe, tant dans l'expression qu'elle s'est donnée chez Alexander Hertzen que dans celle des narodniki  (les slavophiles) ou des marxistes russes. Entre les uns et les autres, face à cette revendication de la “communauté”, il y tout de même des diffé­rences d'approche: les “progressistes” voient dans le mir une condition sociale favorisant l'avènement du socialisme, tandis que les narodniki y voient une suprématie morale. Pour Haxthausen, les “communautés” russes sont le fondement de l'ordre social car elles empêchent l'émergence d'un prolétariat. Haxthausen était conscient de la différence entre démocrarie orga­nique et démocratie atomisée.

 

Vu d'Europe, voici donc un vaste éventail de réflexions sur la Russie qui inspirent toujours les chanceleries. Elles apparais­sent limpides dans leur simplicité et continuent à structurer toute la pensée géopolitique, même si les noms de leurs auteurs sont aujourd'hui tombés dans un oubli non mérité.

 

Il nous reste à dire quelques mots sur l'Eurasisme. Les Anglais ont un mot pour désigner la lutte planétaire pour le contrôle de l'Asie Centrale et himalayenne: “The Great Game”, “le Grand Jeu”. ce “Grand Jeu” consiste à contrôler les espaces vides entre les grands pôles civilisationnels de l'Inde, de la Chine et de l'Europe. Car la maîtrise de ces espaces assure la domina­tion de la planète. Leibniz s'en était déjà confusément aperçu en rédigeant sa Novissima Sinica en 1697. Dès la fin du XVIIIième siècle, en 1796-97, les Anglais devinent que l'Europe (allemande ou française) et la Russie vont un jour ou l'autre contester ses positions en Inde. Pour les Anglais, il y avait des signes avant-coureurs, comme la conquête de Sébastopol par les troupes de Catherine II en 1783, qui devient port russe en 1784, prélude à l'annexion complète de la côte pontique entre le Dniester et le Boug à la suite de la Paix de Jassy en 1792. La Mer Noire devient un lac russe, tandis que les Pays-Bas méri­dionaux tombent aux mains des hordes révolutionnaires.

 

Napoléon, lui, se rend compte du désastre que constitue pour la France la perte de ses comptoirs indiens. D'où son plan de couper la route des Indes en s'installant en Egypte. Avant de se lancer dans cette entreprise, il dévore tous les livres sur l'Egypte: «J'étais plein de rêves. Je me voyais fondateur d'une nouvelle religion, marchant à l'intérieur de l'Asie monté sur un éléphant, avec un turban sur la tête et à la main le nouveau Coran que j'aurais écrit pour répondre à mes besoins». Le 19 mai 1798 une armada française, avec 40.000 hommes, quitte Toulon et Marseille pour se diriger vers l'Egypte. Aussitôt les Anglais envoient tous leurs navires du Cap et de Calcutta pour bloquer la Mer Rouge. Nelson détruit la flotte française en mouillage à Aboukir (1 août 1798).

 

En 1801, le Tsar Paul I suggère à Napoléon d'envahir l'Inde par la terre et met 35.000 cosaques à la disposition de ce projet. Pour les appuyer, il demande à Napoléon de lui envoyer une armée française par le Danube, la Mer Noire et la Caspienne. Napoléon juge le projet irréalisable. Le 24 janvier 1801, 22.000 cosaques et 44.000 chevaux quittent le sud de la Russie pour se diriger vers l'Asie centrale. Mais le 23 mars 1801, Paul I est assassiné et Alexandre I monte sur le trône. Les Anglais réagissent en envoyant au Moyen-Orient le jeune John Malcolm, un orientaliste, spécialiste de la Perse, nommé officier dès l'âge de 13 ans. Malcolm a pour mission de forger une alliance avec l'Iran, pour bloquer sur le “rimland” toute avancée française (ou russe ou européenne ou, plus tard, allemande) dans la zone s'étendant de la Syrie au Béloutchistan. La réaction russe est immédiate: le Tsar annexe la Géorgie en septembre 1801. En juin 1804, les Russes sont en Arménie, mettent le siège devant Erivan et engagent la guerre contre la Perse pour forcer le passage vers les Indes.

 

En 1804, les Perses appellent les Anglais au secours. Mais 1804 est également l'année où Napoléon devient “empereur”, pro­voquant un renversement des alliances et un rapprochement entre Russes et Anglais. Les Anglais ne font plus pression sur le Tsar pour qu'il rende à la Perse la Géorgie et l'Arménie. Le Shah n'a plus d'autre alternative que de se tourner vers la France. De 1804 à 1807, les tractations entre le Shah et Napoléon sont ininterrompues, la Perse devant servir de tremplin pour une re­conquête française des Indes. L'armée persane est entraînée par des instructeurs français. En 1807, à Friedland, Alexandre se rapproche à nouveau de Napoléon et participe au blocus continental; Français et Russes sont à nouveau alliés contre les Anglais. A Tilsit, la France et la Russie envisagent de bouter les Ottomans hors d'Europe, de s'allier avec la Perse pour mar­cher de concert sur les Indes, mais la France ne peut plus demander aux Russes de rendre la Géorgie et l'Arménie, poussant les Perses dans une nouvelle alliance anglaise!

 

Tels ont été les préludes du “Grand Jeu”. L'affrontement Terre/Mer entre la Russie et l'Angleterre se poursuivra pendant tout le XIXième siècle, véritable épopée avec, de part et d'autre, des héros sublimes et des aventuriers extraordinaires. Parmi les autres facettes du “Grand Jeu”, il y a eu la volonté de contrôler le Tibet (et surtout les sources des grands fleuves chinois, indochinois et birmans), de maîtriser la “Route de la Soie” et surtout le Turkestan chinois (ou Sinkiang). Des missions allemandes tenteront de forger une “alliance diagonale” entre le Reich, l'Empire Ottoman, la Perse, l'Inde et l'Indonésie. Le pantouranisme sera instrumentalisé par les Allemands en 1914, par les Britanniques après 1918. Pendant la guerre civile russe, les Anglais ont tenté de détacher le Caucase de la Russie, en incitant au massacre des commissaires communistes arméniens. Le Japon y participera en soutenant Koltchak et Unger-Sternberg en Asie. Aujourd'hui, avec la tentative de souder à la Turquie, alliée des Etats-Unis, toutes les républiques musulmanes de l'ex-Union Soviétique, le “Grand Jeu” est loin d'être terminé. Pour nous, il s'agit d'en étudier tous les mécanismes, d'en connaître l'histoire jusqu'en ses moindres détails.

 

Robert STEUCKERS

samedi, 02 octobre 2010

Impuissance européenne

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Impuissance européenne

Lors d’un sommet spécial tenu en septembre 2010, les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de l’UE ont débattu d’un thème important : comment l’UE peut-elle augmenter son poids en politique extérieure ? De fait, en ce domaine, il y a un urgent besoin d’agir, car l’Europe, dans le monde, est objet de moqueries, pour autant qu’on la prenne en considération… Point fondamental : les partenariats stratégiques, qui sont actuellement envisagés, avec les puissances mondiales montantes que sont la Chine, l’Inde et le Brésil, sont de bons moyens pour sortir de l’impuissance politique sur l’échiquier international. Car, c’est évident, l’UE doit se détacher de la tutelle américaine en matières de politique étrangère et de sécurité, mais elle n’est pas capable, seule, de par ses propres forces, de constituer un pôle alternatif à Washington.

 

Autre question : les déclarations d’intention formulées lors de ce sommet spécial de Bruxelles seront-elles traduites dans la réalité ? En effet, à l’évidence, l’UE envisage depuis des années un partenariat stratégique avec la Russie, dont l’importance est soulignée avec emphase, à intervalles réguliers, par la nomenklatura eurocratique. Mais rien de tout ce projet n’a été réalisé jusqu’ici et, aujourd’hui, les relations entre Euro-Bruxelles et Moscou se sont encore rafraîchies. Les grands bénéficiaires de ces atermoiements européens sont bien entendu les Etats-Unis d’Amérique qui, par nature, ont le plus grand intérêt à maintenir les Européens sous leur tutelle, en politique étrangère et au niveau militaire. Sans l’aide volontaire de leurs partenaires transatlantiques, qui se baignent dans l’illusion de pouvoir exercer une influence quelconque sur la politique extérieure des Etats-Unis, au nom du grand partenariat atlantiste, les Américains auraient bien des difficultés à jouer leur rôle de « policier planétaire ».

 

Il existe toutefois un instrument politique, qui n’a joué aucun rôle jusqu’ici et qui ne sera pas utilisé dans l’avenir : celui que constituent les versements colossaux pour l’aide au développement et autres « aides humanitaires » après les guerres ou les catastrophes naturelles. En ce domaine, vu la mauvaise conscience des anciennes puissances colonisatrices d’Europe et vu d’autres contraintes imposées par le politiquement correct, les Européens s’empressent d’être les meilleurs payeurs de la planète, sans que ce rôle, choisi, ne leur procure le moindre avantage politique. Au lieu de toujours sortir le carnet de chèques avec empressement, les Européens devraient appliquer l’adage « qui paie, achète ».  Mais pour cela, l’UE n’a ni la volonté ni le courage politiques.

 

Andreas MÖLZER.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°38/2010 ; http://www.zurzeit;at/ ).

vendredi, 01 octobre 2010

L'Afghanistan, coeur géopolitique du nouveau grand jeu eurasiatique

L’Afghanistan, cœur géopolitique du nouveau grand jeu eurasiatique

Par Aymeric Chauprade

Ex: http://fortune.fdesouche.com/

Le nouveau grand jeu en Afghanistan n’est plus bipolaire. Il n’est plus la vieille opposition du XIXe siècle, dont on a tiré la formule de «Grand Jeu », entre l’Angleterre présente aux Indes et la poussée russe vers les mers chaudes ; il n’est pas plus réductible à l’opposition du XXe siècle entre les intérêts américains et russes.

Le nouveau grand jeu en Afghanistan est à l’image de la géopolitique mondiale : il est multipolaire.

Trois grandes puissances mondiales s’entrechoquent en Afghanistan : Etats-Unis, Russie, Chine. Deux puissances régionales s’y livrent ensuite, par délégation, une guerre féroce : Pakistan et Inde. Dans ces rivalités de premier ordre, interfèrent des intérêts de second ordre, mais qui peuvent influer fortement sur le jeu afghan : les intérêts de l’Iran, ainsi que ceux des républiques musulmanes indépendantes, ex-soviétiques (en particulier, pour des raisons à chaque fois spécifiques, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Turkménistan).

 

Combiné à ces rivalités géopolitiques classiques de trois ordres (rivalités identitaires, stratégiques, énergétiques), le jeu du fondamentalisme sunnite est également à prendre en compte. L’islamisme est un acteur global, une créature ancienne, mais réveillée et excitée durant les années 1980 et 1990 par les apprentis-sorciers américains et pakistanais de la CIA et de l’ISI (Inter Services Intelligence), au point de finir par échapper à l’autorité de ses maîtres, sans pour autant avoir complètement rompu avec eux.

Pour quelles raisons le grand jeu en Afghanistan est-il triangulaire ?

Tout d’abord, parce que les Etats-Unis veulent refouler d’Asie centrale au moins autant la Chine que la Russie.

Ensuite, parce que la Russie veut non seulement limiter l’influence de Washington dans ses ex-républiques musulmanes soviétiques aujourd’hui indépendantes, mais également empêcher la Chine de combler le vide que les Américains laisseraient s’ils s’avisaient de quitter l’Afghanistan. Car pour la Russie, l’influence de Pékin en Asie centrale, ce n’est pas la parenthèse artificielle d’une Amérique projetée trop loin de sa terre ; c’est la réalité implacable d’une histoire millénaire, celle des routes de la Soie.

Enfin, le grand jeu en Afghanistan est triangulaire, parce que la Chine ne sera la première puissance géopolitique mondiale que lorsqu’elle aura chassé la flotte américaine du Pacifique et que ses trains rapides atteindront les rivages de l’Atlantique, en France, après avoir parcouru des milliers de kilomètres à travers l’Asie centrale et les plaines d’Europe.

Les Etats-Unis tentent aujourd’hui d’éliminer une force, les Talibans, qu’ils ont contribué à amener au pouvoir à Kaboul en 1997, avant de les en déloger en 2001.

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Les Talibans sont l’aboutissement ultime d’une stratégie de radicalisation des mouvements islamistes, entamée à la fin des années 1970 par l’ISI soutenu par la CIA, au profit d’un triple djihad : contre les chiites pakistanais menacés par l’influence de la Révolution islamique iranienne, contre les communistes pro-russes en Afghanistan, contre les Indiens dans le Cachemire.

Après que des seigneurs de la guerre afghans soient devenus, comme résultat de cette stratégie, à la fois des seigneurs du djihad et de la drogue (lire l’encadré [1] pour comprendre l’importance essentielle du « facteur drogue »), et que les Soviétiques aient reflué (1989), les Américains se sont aperçus que leur société pétrolière UNOCAL n’arriverait jamais à tendre un gazoduc, du Turkménistan au Pakistan, à travers un territoire afghan tribalisé, rançonné par des clans en lutte pour le contrôle du pouvoir politique et de l’héroïne.

Leurs amis pakistanais de l’ISI, également agacés de ne pouvoir contrôler des chefs de guerre féodaux turbulents, ont alors suggéré les Talibans comme solution. Des fanatiques absolus, essentiellement issus de l’ethnie majoritaire d’Afghanistan, les Pachtouns (ethnie divisée par la ligne Durand de 1893, qui deviendra la frontière entre Afghanistan et Pakistan), décidés à imposer la chape de plomb d’un « islam pur des origines », au-dessus des clans, et qui présentaient l’avantage, aux yeux du gouvernement démocrate de William Clinton qui les soutint dès 1994, d’être une solution d’ordre et un interlocuteur unique avec lequel négocier le passage des hydrocarbures.

Puis les Américains se sont fâchés avec les Talibans en 1998, un an après leur arrivée, et c’est ainsi que s’est nouée l’alliance entre les Talibans et Oussama Ben Laden, semble-t-il également fâché depuis lors avec la CIA.

En 2001, en se projetant en Afghanistan, et pour cela également en Ouzbékistan et au Kirghizstan, quels avantages géopolitiques Washington pouvait-il attendre ?

A ce moment, le Groupe de Shanghaï, constitué par les Chinois et les Russes, coopérait fortement dans la lutte contre le terrorisme islamiste, mais également dans le domaine énergétique. L’irruption des Etats-Unis brisa cette dynamique eurasiatique et contribua à repousser la Chine pour quelques années.

Aujourd’hui, la Chine est revenue en force. Elle est, depuis 2009, à la fois le premier partenaire commercial de l’Asie centrale ex-soviétique et le premier fournisseur de l’Iran, devant l’Allemagne qui l’avait été ces vingt dernières années. Or, Moscou n’entend pas voir les Américains remplacés par les Chinois.

Quelle est alors la stratégie des Russes ? Laisser les Américains contenir l’islamisme en Afghanistan, mais devenir incontournables pour eux, stratégie identique à celle suivie sur le dossier nucléaire iranien. D’où le soutien officiel de la Russie aux opérations de l’OTAN en Afghanistan ; d’où, également, l’accord russo-américain de transit aérien de juillet 2009, qui, à mi-avril 2010, avait permis d’acheminer 20 000 militaires occidentaux en Afghanistan (en théorie, l’accord autorise une moyenne de 12 vols américains par jour mais, un an après, la moyenne n’est que de 2).

Pour Moscou, obliger les Américains à passer par la Russie, revient à les chasser de sa périphérie musulmane.

Le 7 octobre 2001, les Etats-Unis avaient signé un accord antiterroriste avec Tachkent (l’Ouzbékistan partage une longue frontière avec l’Afghanistan). Les bases aériennes et l’espace aérien du pays le plus peuplé de l’Asie centrale ex-soviétique leur étaient ouverts. Un an plus tard, le 5 décembre 2002, Washington prenait pied également au Kirghizstan grâce à la base de Manas. Mais en 2005, après la répression d’Andijan (une région turbulente à l’est du pays, où les islamistes sont forts), et refusant l’ingérence démocratique américaine, les Ouzbeks décidaient de se tourner de nouveau vers la Russie (et la Chine) et contraignaient l’armée américaine à plier bagages.

Aujourd’hui, la base de Manas au Kirghizstan et son corridor de 1500 km par voie terrestre jusqu’en Afghanistan, constitue la seule base arrière solide pour les Américains. Environ 35 000 soldats transitent entre Manas et l’Afghanistan chaque mois. La base assure aussi le ravitaillement en vol des avions militaires et apporte beaucoup de sang (100 kg en moyenne chaque nuit, par des vols entre Manas et Kandahar).

Mais les Russes admettent difficilement cette implantation. Le 23 octobre 2003, le président Poutine inaugurait une base aérienne russe de soutien à Kant, à quelques kilomètres de la base américaine.

Ces dernières années, les Kirghizes, conscient de l’immense valeur stratégique de cette base pour la réussite des opérations en Afghanistan, ont fait monter les enchères entre Moscou et Washington. En 2009, les Russes qui avaient sans doute reçu des assurances, ont versé 2 milliards de dollars sous forme de prêt sans intérêt au Kirghizstan ; non seulement le président Bakiev n’a pas fermé la base, mais il a accepté la présence américaine pour une année supplémentaire, en échange d’un triplement du loyer. Le Kirghize a payé sa crapulerie par son renversement début avril 2010, sans doute avec l’appui discret des Russes.

Quelques jours plus tard, les Américains étaient autorisés à rester un an de plus à Manas. Désormais, cela dépend davantage de Moscou. C’est une donnée essentielle.

Plus le temps passe, moins l’action américaine en Afghanistan ne peut se faire en contournant les Russes. C’est, pour Moscou, une assurance devant la montée des Chinois en Asie centrale ex-soviétique.

On oublie que la Russie est le premier pays à avoir soutenu Washington, le lendemain du 11 septembre 2001, dans son action globale contre le terrorisme islamiste. Poutine ne cherchait pas seulement, comme on l’a dit, l’assurance de ne plus être gêné par les critiques occidentales sur la Tchétchénie. Il cherchait un partenariat équilibré avec Washington face à la montée de Pékin, [partenariat] qui eût été possible si Washington n’avait pas étendu l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie en 2002, installé dans la périphérie de Moscou des gouvernements proaméricains (Révolutions colorées de Géorgie en 2003, d’Ukraine en 2004) et convaincu d’anciens pays soviétisés (République tchèque et Pologne) d’accepter un bouclier anti-missiles sur leur sol.

Aujourd’hui, la donne est redevenue favorable aux Russes : si les Américains ont reculé sur le bouclier antimissile, c’est qu’ils ont besoin des Russes sur l’Afghanistan et l’Iran, et qu’ils ont aussi perdu l’Ukraine.

Ce que craignent Washington comme Moscou en Asie centrale, dans une perspective de plus longue durée, va au-delà du retour d’un islamisme fort : c’est la domination de la Chine. Investissant dans les hydrocarbures et l’uranium du Kazakhstan, dans le gaz du Turkménistan, construisant des routes pour exporter ses productions vers le Tadjikistan et le Kirghizstan, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Asie centrale ex-soviétique en 2009.

Washington est au moins autant en Afghanistan dans le cadre de sa vaste stratégie globale de contrôle de la dépendance énergétique chinoise et d’encerclement de l’Empire du Milieu (voir notre article dans le n°2 de la NRH, sept. Oct. 2002 : « Comment l’Amérique veut vaincre la Chine », que les années passées ont confirmé), que dans sa lutte contre un islamisme devenu incontrôlable.

La Chine a son Turkestan, le Xinjiang, avec sa minorité turcophone ouïghour que les Etats-Unis tentent d’agiter. Elle ne peut relier sans risque son Turkestan à l’ex-Turkestan russe, qu’à la condition de jouir d’une influence politique et économique forte dans le second. Ainsi, ni l’Afghanistan, ni l’Asie centrale ex-soviétique ne risqueraient d’être des bases arrière du séparatisme ouïghour. Ainsi, son grand projet de « China’s Pan-Asian railway », ces routes de la Soie du XXIe siècle, qui mettraient Londres à deux jours de train de Pékin deviendrait possible avant 2025 [2].

En 2006, dans un pays sous tutelle américaine, la Chine n’a pas hésité à investir 3 milliards de dollars dans la mine de cuivre d’Aynak, une des plus grandes du monde. En 2010, les présidents chinois Hu Jintao et afghan Hamid Karzaï ont signé d’importants accords économiques et commerciaux et l’Afghan a commencé à menacer les Américains de se tourner vers Pékin, alors que ceux-ci critiquaient la manière dont l’élection présidentielle s’était déroulée.

L’intérêt de la Chine pour l’Afghanistan ne peut qu’aller croissant, depuis qu’Hamid Karzaï a annoncé (le 30 janvier 2010) ce que les Américains savaient depuis longtemps : « les gisements d’hydrocarbures d’Afghanistan valent sans doute plus d’un millier de milliards de dollars », en plus des gisements de cuivre, de fer, d’or, de pierres précieuses, qui restent non exploités. Ainsi, l’Afghanistan n’est plus seulement une route stratégique pour le désenclavement des richesses ; il est aussi un territoire riche en ressources stratégiques.

La Chine n’est pas la seule future superpuissance à regarder vers l’Afghanistan. Depuis la chute des Talibans en 2001, l’Inde a engagé 1,3 milliards de dollars dans la reconstruction de l’Afghanistan, soit dix fois plus que la Chine ; cela fait de New Delhi le premier donateur de la région (signe politique fort : le nouveau Parlement afghan a été financé par l’Inde).

Si les Etats-Unis se retiraient d’Afghanistan, l’Inde pourrait devenir l’allié du régime afghan face aux Talibans. C’est le cauchemar du Pakistan qui, sous pression américaine, doit réduire ses créatures fondamentalistes. L’ISI a façonné des groupes fanatiques pour massacrer l’Indien dans le Cachemire et il est probable que les attentats graves qui ont frappé les intérêts indiens à Kaboul (en 2007 et 2009 contre l’ambassade) soient encouragés par le service pakistanais, lequel s’emploie à pousser l’Inde hors de l’Afghanistan.

Sans l’Afghanistan, le Pakistan a encore moins de profondeur stratégique, ce qui est déjà sa faiblesse face à l’Inde (le déficit en puissance conventionnelle du Pakistan expliquant sa doctrine nucléaire de première attaque). Islamabad a donc comme priorité stratégique absolue d’empêcher la formation d’une alliance stratégique Kaboul-New-Delhi.

L’Inde et le Pakistan, qui se sont fait trois guerres depuis l’indépendance de 1947, mènent une nouvelle guerre par procuration en Afghanistan. La stratégie d’inflammation du rapport entre les deux voisins, menée par les groupes pakistanais les plus radicaux (attentats de Bombay en 2008 et de nombreux autres depuis), a fonctionné.

L’ISI ne peut plus contrôler les monstres qu’il a créés. Et d’ailleurs, comment pourrait-il expliquer à ses monstres de continuer à massacrer les Indiens dans le Cachemire et en Afghanistan, et de se calmer en même temps contre les « mécréants occidentaux» ? Les systèmes politiques reviennent toujours à leurs gènes. Or l’islam radical est au cœur du génome pakistanais.

Cet islam du Pachtounistan (terre des Pachtouns, à cheval sur l’Afghanistan et le Pakistan, notamment les fameuses zones tribales) menace l’équilibre régional et peut-être même au-delà. Il est certain que si les Etats-Unis se désengageaient maintenant, un autre acteur majeur serait contraint de s’engager, dans le but de prévenir le double risque de basculement de l’Afghanistan et du Pakistan (pays doté de l’arme nucléaire) dans les mains d’un régime sunnite fanatique. On voit mal les Russes revenir, ne reste que l’Inde. Mais que ferait alors le Pakistan, si les troupes indiennes débarquaient en force sur le territoire afghan ?

L’Inde a besoin d’une Asie centrale stable, pour satisfaire ses besoins énergétiques. Deux routes d’alimentation essentielles s’offrent à elle : le gazoduc IPI (Iran Pakistan Inde), qui lui amènera du gaz iranien provenant du gisement géant de South Pars dans le Golfe Persique (le Pakistan, après des années d’hésitation a fini par signer en mars 2010 le projet de pipe) ; et le fameux gazoduc TAPI (Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, Inde) voulu par UNOCAL, un tuyau lui-même raccordé vers l’Ouest aux autres « routes américaines » (celles qui concurrencent le réseau russe), le corridor transcaspien et le BTC (Bakou Tbilissi Ceyhan).

Les Etats-Unis, qui soutiennent depuis longtemps ce projet de pipe vers l’Inde et l’Asie du Sud-est, depuis le Turkménistan et à travers l’Afghanistan et le Pakistan, veulent absolument doubler l’Iran et empêcher le régime chiite de devenir incontournable pour l’Asie (Chine, Japon, Inde) ; ils n’ont pas pu empêcher le Pakistan de signer l’IPI avec l’Iran, car ils ont besoin de la coopération d’Islamabad dans la lutte contre les Talibans. Ils sont par ailleurs empêchés de réaliser le TAPI, à cause de la situation sécuritaire en Afghanistan.

L’Iran (en plus de la Chine) est bien l’une des cibles que les Américains veulent atteindre depuis l’Afghanistan. Les accusations américaines concernant une hypothétique collaboration entre Téhéran et les Talibans se sont multipliées en 2009 et 2010. Ainsi, l’amiral américain Mullen a parlé (fin mars 2010) de fournitures d’armes et d’entraînement militaire par les Pasdarans. On sait que les Américains remuent aussi le séparatisme baloutche (le peuple baloutche est à cheval sur l’Est de l’Iran, le Sud de l’Afghanistan et l’Ouest du Pakistan) contre Téhéran.

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L’intérêt réel des Iraniens est-il de voir les Talibans triompher en Afghanistan ? Certainement pas. Mieux vaut un Afghanistan infecté, dans lequel les Américains s’engluent sans jamais l’emporter (d’où la possibilité d’éventuels coups de pouce dosés aux Talibans), plutôt que l’installation d’un régime sunnite radical, violemment anti-chiite, à Kaboul. Les intérêts iraniens et pakistanais se rejoignent, d’une certaine manière, dans l’idée suivante : « une bonne dose de Talibans, mais pas trop, de sorte que les Américains restent là où ils sont aujourd’hui ».

Cependant, rien ne prouve que l’Iran aide les Talibans. Pour accuser Téhéran, les Américains s’appuient sur des déclarations de Talibans qui se sont vantés de cette aide. Mais nonobstant même le problème de l’incompatibilité idéologique entre Iraniens et Talibans, on peut imaginer que ces Talibans qui ont intérêt à ce que les Américains ouvrent un second front en Iran, s’amusent à mettre de l’huile sur le feu…

On le voit, nombreuses sont les puissances qui ont intérêt à ce que les Américains restent en Afghanistan sans jamais l’emporter vraiment : Russes, Chinois, Iraniens, Pakistanais, Indiens même. Dans ces conditions, il n’est plus certain que les Américains et les Européens qui les suivent mènent une guerre pour leurs intérêts propres.

En réalité, aucune victoire durable n’est possible en Afghanistan, sans une transformation profonde du Pakistan lui-même. Or, en se démocratisant, le Pakistan a ouvert d’immenses perspectives aux fondamentalistes (contrairement aux régimes anti-islamistes forts d’Asie centrale ex-soviétique). En toute logique, une arme nucléaire qui existe déjà et qui est susceptible de tomber dans les mains de Talibans devrait inquiéter davantage Washington, qu’une arme qui n’existe pas dans les mains d’Iraniens bien plus pragmatiques que les islamistes pachtouns et finalement potentiellement capables d’équilibrer… le danger nucléaire pakistanais.

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Notes :

[1] Cet encadré est manquant dans l’article original, reproduit ici (Note de Fortune).

[2] Ce projet de train à grande vitesse traversant l’Eurasie à travers Asie centrale doit relier 17 pays reliés suivant 3 routes différentes et au total 81 000 km 1/ la route du Sud allant de Kunming sur les contreforts du Tibet en Chine jusqu’à Singapour à travers l’Asie du Sud Est 2/ la route de l’Europe depuis Urumqi (capitale du Xinjiang) jusqu’à l’Allemagne, à travers l’Asie centrale 3/ la route de l’Europe du Sud enfin, depuis Heilongjiang au nord est de la Chine jusqu’à l’Europe du Sud Est à travers la Russie.

Aymeric Chauprade est professeur de géopolitique, directeur de la Revue Française de géopolitique et du site www.realpolitik.tv. Il est l’auteur de l’ouvrage de référence «Géopolitique, constantes et changements dans l’histoire», éd. Ellipses.

Realpolitik.tv

dimanche, 26 septembre 2010

De la mer et de sa stratégie

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1986

De la mer et de sa stratégie

 

à propos d'un livre de Philippe Masson

 

par Ange Sampieru

 

 

 

Deux pensées géopolitiques

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La réflexion sur la stratégie maritime, à l'heure du retour de la géopolitique en politologie, participe de cette volonté des hommes de mieux intégrer dans leur intelligence du jeu des Etats les éléments de la géographie planétaire. Carl SCHMITT le faisait remarquer: nous vivons sur une planète que nous avons appelé la "Terre"; or, les 2/3 de la surface de cette "Terre" sont composés d'étendues marines!! L'école traditionnelle de géopolitique se compose dès lors de deux courants: le courant "continental", très répandu dans les milieux européens (HAUSHOFER, mais aussi CLAUSEWITZ) et le courant "océanique", mis en valeur dans l'aire culturelle anglo-saxonne (MAHAN) mais aussi, paradoxalement, en France, avec l'Amiral CASTEX, le Contre-Amiral SANGUINETTI ou l'Amiral Pierre LACOSTE.

 

Pour Philippe MASSON, l'école des stratèges européens, dont CLAUSEWITZ fut le maître à penser, révèle deux lacunes: la première, c'est de ne pas tenir suffisamment compte, dans sa théorie des guerres de partisans, de la guerilla comme force armée populaire (l'écrivain Ernst JüNGER est le seul, avec sa fameuse théorie du partisan à avoir abordé ce thème, encore que ce soit sous une forme moins directement militaire que guerrière et philosophique). La seconde lacune concerne précisément la puissance maritime. Philippe MASSON souligne en effet l'absence totale, chez CLAUSEWITZ, de réflexions construites sur le rôle des océans dans la guerre ni sur le poids pourtant réel des escadres dans les rapports de force entre Etats.

 

Dans cette pensée, la "frontière" stratégique reste essentiellement terrestre et l'absence de spéculations relatives aux thalassocraties apparaît générale dans la grande majorité des théories stratégiques en Europe (GUIBERT, JOMINI, von der GOLTZ, FOCH, LUDENDORFF). Cette ignorance oppose ce courant continental-européen au courant océanique, dont le plus illustre représentant fut l'Amiral américain MAHAN. Son ouvrage fondamental, paru en 1890 et intitulé "La puissance maritime dans l'Histoire", constitue une révolution dans le sens où la place accordée à la mer dans la stratégie militaire acquiert désormais une importance considérable. Le Times anglais a comparé d'ailleurs cette révolution à celle de NEWTON en astronomie. De telles réactions sont indices de l'intérêt immédiat que les théories de MAHAN connurent dans les milieux dirigeants de son époque, surtout en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Contrairement au "Vom Kriege" de CLAUSEWITZ, le livre de MAHAN s'est révélé déterminant dans les décisions concrètes prises par les Etats maritimes, en matière de stratégie. La politique internationale des Etats-Unis, notamment, en a été constamment imprégnée et le demeure.

 

Les bases du Sea-Power selon Mahan

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La question que pose MAHAN, et à laquelle il apporte une réponse cohérente, est la suivante: quelles sont les bases du "Sea Power", autrement dit de la puissance maritime? L'étude de l'histoire lui fournit les matériaux d'une réponse complète. Il dégage d'abord les facteurs déterminants:

1) La position géographique d'abord. La position en bordure des routes maritimes fréquentées par exemple; un découpage des côtes favorables à l'établissement de ports, avec ressources suffisantes en "gens de mer" et base arrière industrielle à forte capacité productive pour soutenir l'activité maritime (construction et entretien d'une flotte de guerre).

2) Un facteur social ensuite. La pauvreté d'un pays côtier, tant du point de vue des ressources du sous-sol (richesses en matières premières ou en ressources alimentaires) que de la population (esprit d'aventure). MAHAN juge d'ailleurs les médiocres prestations maritimes françaises dues à la relative richesse des terres et à la clémence du climat.

3) Un facteur psycho-culturel aussi. La mentalité de "boutiquiers" des Hollandais et des Anglais est à l'origine de leur réussite maritime. La France, tournée vers une économie de nature "colbertienne", construite sur un mépris catholique de la profession commerciale, est exclue de cette philosophie mercantiliste, propice à l'économie d'échanges.

4) Un facteur institutionnel enfin: l'Etat peut réellement jouer un "rôle d'entraînement", appuyé en cela par les opinions dominantes de la société, prise au sens le plus large.

 

Bien entendu, chacun de ces facteurs cités peut être sujet à contestation. Ainsi, par exemple, nous pourrions évoquer le développement remarquable de l'activité maritime sous le règne de Louis XIV où les négociants bordelais, malouins ou nantais tenaient une place importante dans le commerce maritime mondial (toiles, draps, céréales).

 

Les stratégies des années 80

 

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A partir de ces constatations de départ, Philippe MASSON développe son étude en quatre points: après une analyse des théories stratégiques maritimes, il compare, dans une seconde partie, les différents types de stratégies développés et leurs enjeux. Dans une troisième partie de son travail, intitulée "La bataille", MASSON introduit ses lecteurs aux principes généraux de la bataille navale, à l'histoire des tactiques navales ainsi qu'à une typologie du personnel maritime. Il conclut par une étude aussi courte que concise sur le thème du "Chef et du hasard". Dans une quatrième partie, la stratégie maritime est replacée dans l'environnement moderne, celui du nucléaire et des missiles.

 

Nous nous intéresserons tout particulièrement à cette quatrième partie, dans la mesure où elle contient des implications directes sur la situation mondiale des années 80. L'invention de l'arme atomique a profondément modifié les règles de la stratégie maritime. Mais elle a aussi modifié la composition et la physionimie des flottes de combat.

 

Dans une première période, l'arme nucléaire est le monopole de fait d'une et une seule puissance mondiale: les Etats-Unis d'Amérique. Forte de ce monopole, cette dernière suit une stratégie répondant à l'absence de forces nucléaires chez son principal adversaire soviétique et cette stratégie sera celle des représailles massives. La maîtrise de l'arme atomique, à partir de 1955, en URSS, modifie la politique d'emploi de cette arme. Face à ce rétablissement de "l'équilibre" stratégique, on passe à une nouvelle stratégie, celle de la "destruction mutuelle assurée" (ou "Mutual Assured Destruction"; en abrégé, "MAD"), encore appelée "équilibre de la terreur".

 

Plus tard, de nouveaux pays entreront dans ce "club atomique" des possesseurs de l'armement nucléaire. Bien entendu, les forces navales de ces puissances n'échapperont pas aux mutations qu'induit ce phénomène, tant sur le plan de la réflexion stratégique que sur l'évolution de l'équipement. Les navires de la nouvelle flotte de guerre seront dotés de toute la gamme des missiles modernes, tant les classiques que ceux munis de charges nucléaires.

 

Suivant en cela les enseignements traditionnels, le porte-avion constitue toujours le pivot de toute flotte de combat (les Anglais parlant à son sujet de "capital ship"). Le meilleur exemple d'utilisation de ce type de navire est le porte-avion américain Nimitz. Avec ses 325 m de long et ses 41 m de large, ce porte-avion déplace une charge de 91.000 tonnes. Grâce à ses deux réacteurs nucléaires, il développe une puissance de 260.000 chevaux, soit une vitesse de croisière supérieure à 30 noeuds et un rayon d'action quasi illimité.

 

De plus, il peut emporter à son bord un arsenal impressionnant d'appareils de l'aéronavale: de l'intercepteur Tomcat à l'avion d'assaut Hornet ou Phantom, en passant par les hélicoptères Seaking, les avions de guerre électroniques Prowler ou encore l'appareil de veille et d'exploration Hawkeye. Chacun de ces porte-avions est par ailleurs accompagné d'une flotille de protection, allant du croiseur au destroyer, en comptant les frégates aptes à la lutte anti-sous-marine et à une riposte aux attaques aériennes; ces dernières sont équipées en général de missiles air-mer (dont la portée est de plus de 100 km), venant compléter une DCA plus classique. On a pu néanmoins constater au cours de la Guerre des Malouines la relative faiblesse de ces moyens de protection, notamment face à des chasseurs armés de missiles de type air-mer Exocet AM 39 qui, lancés en vol rasant, sont assez difficiles à intercepter. Dans la même catégorie, on peut signaler le danger que représente, pour les forces navales, le bombardier soviétique Backfire qui dispose d'un rayon d'action de 9000 km à une vitesse de 1 à 2,5 mach et dont l'armement, redoutable pour un navire de gros tonnage même bien protégé, se compose de missiles AS4 "Kitchen", à autodirecteur actif, munis de charges nucléaires et d'une portée impressionnante: 300 km.

 

Les autres bâtiments de surface de ces flottes possèdent aussi les missiles surface-surface, éventuellement équipés en charges nucléaires. Le premier essai d'utilisation opérationnelle de ce type de missile fut la destruction en juin 1967 de la vedette israëlienne "Elath" par un engin "Styx" de fabrication soviétique. Depuis, de nombreux modèles ont été mis au point, comme l'Exocet français, le Harpoon américain ou le Saab suédois. Les Américains ont même réussi à améliorer les performances de cette catégorie de missiles par le lancement d'un missile de croisière appelé Tomahawk. Ce dernier peut être mis en oeuvre aussi bien à partir d'un avion que d'un navire de surface ou d'un sous-marin. Il vole à une vitesse de 800 km/h à basse altitude avec un rayon d'action de 1300 km.

 

Les nouvelles générations de submersibles

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A cette famille de missile, souvent nucléaires, destinés à la destruction des navires de surface, il faut ajouter les nouvelles générations de submersibles. Inauguré en 1955 avec l'apparition du sous-marin américain Nautilus, les submersibles modernes possèdent des caractéristiques exceptionnelles: vitesse élevée, supérieure aux navires de surface, rayon d'action pratiquement illimité, affranchissement total vis-à-vis de la surface. La seule limite est en fait la résistance psychologique des équipages, séparés de tout durant les périodes longues de plongée. On trouve aujourd'hui deux types d'unités à propulsion nucléaires: 1) les sous-marins nucléaires lance-engins (SNLE), instruments très fiables dans le cadre d'une politique de dissuasion; ils sont armés de missiles ballistiques (entre 16 et 24) dont la portée a été régulièrement augmentée depuis les années 60... En 1960, les missiles américains Polaris avaient une portée de 1500 miles nautiques; les futurs Trident II D5 auront, eux, une portée de 6000 miles nautiques! L'Union Soviétique possède les missiles SS N8 d'une portée de 4500 miles nautiques, les nouveaux SS20 étant en cours d'élaboration. Quant aux cinq SNLE français, ils sont armés de missiles M20 (portée: 3000 km), en attendant la nouvelle génération des M4 ayant une portée de 4000 km.

 

Ajoutons à ces performances de longue portée et de vitesse, celle de la précision. Le "cercle d'erreur probable", autrement dit la dispersion des engins, varie de 1200 mètres pour les anciens missiles américains Poséidon à 500 mètres pour les Tridents I4. Tous ces missiles sont d'autre part améliorés dans le sens d'une multiplication des ogives portées et d'une réduction de leur puissance. Les missiles américains possèdent de 8 à 14 têtes de 50 à 100 kilotonnes qui, de surcroît, sont "marvées". C'est-à-dire qu'ils assument eux-mêmes leur trajectoire, de façon à éviter les risques d'interception et à faciliter la pénétration. La flotte soviétique est demeurée, quant à elle, au stade des missiles dits "mirvés", c'est-à-dire non guidés et lancés en grappe. Les nouveaux SSN20 seront sans aucun doute "marvés" et prêts à recevoir de 7 à 9 têtes marvées.

 

2) La seconde catégorie de sous-marins est celle des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA). D'un tonnage moins important que les SNLE, ils peuvent atteindre 40 noeuds en plongée et 450 m d'immersion. Leur armement est à la fois très sophistiqué et très varié. A la base, une panoplie de torpilles filo-guidées ou auto-guidées, ainsi que des missiles aérodynamiques (type Subharpoon ou SM39, dérivé de l'Exocet français). La mission des SNA est plutôt d'ordre stratégique, de "mission stratégique". Repérer, pister et éventuellement détruire les SNLE adverses. D'où la constante amélioration en matière de silence et de discrétion des SNLE pour échapper aux recherches des SNA. Leur deuxième mission est l'attaque des forces de surface. Durant le conflit des Malouines, le SNA Conqueror a torpillé le bâtiment de surface argentin "General Belgrano", prouvant ainsi le danger de ce type de submersible mais aussi le caractère indispensable, dans une flotte moderne, de posséder des moyens réels et efficaces de lutte anti sous-marine. Le SNA est en outre armé de missiles qu'il peut lancer en immersion, à des distances variant entre 30 et 300 miles nautiques. Une troisième mission est celle, plus classique, d'action contre les lignes de communication. Le SNA peut aussi assurer, mission nouvelle, l'attaque contre des objectifs continentaux, soit situés sur le littoral soit franchement à l'intérieur des terres.

 

Face à cette diversification des tâches confiées à l'arme navale, l'Europe semble ne pas avoir répondu. Si, en 1939, ses flottes de guerre représentaient la majorité en terme de tonnage (60%), en 1980, elle n'est plus que de 15%! Les marines européennes, en dépit de capacités technologiques et industrielles élevées, ne peuvent plus répondre à l'éventail des missions exigées, à l'éventail des menaces potentielles ni même au maintien d'ensembles homogènes. Le cas le plus frappant est celui des pays nordiques, notamment en ce qui concerne un éventuel affrontement en Mer Baltique. Face aux forces du Pacte de Varsovie, en général bien adaptées aux conditions hydrographiques locales, les forces navales des pays riverains (RFA, Norvège, Danemark,...), englobés dans le système de défense occidental, ne pourraient pas aligner des qualités au moins égales aux forces qui leur font face.

 

La stratégie navale soviétique

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Une évolution remarquable est celle de l'Union Soviétique. A l'origine puissance continentale, elle est devenue aujourd'hui une véritable puissance navale. D'où une politique efficace où la géostratégie joue un rôle majeur. Les mutations technologiques ont été intégrées par ailleurs dans une politique mondiale où l'engagement naval tient une place prépondérante. Cette œuvre historique est, en partie, le résultat des efforts de l'Amiral GORTCHKOV qui a quitté son poste en 1986. La mission actuelle de la marine soviétique apparaît double. En période de paix, "elle constitue la projection de la puissance de l'URSS au-delà des mers" (p.310), autrement dit, elle assure la présence physique de la volonté politique soviétique sur les cinq continents (visites amicales, surveillance des "points chauds", etc.). Elle constitue aussi un vecteur de la propagande et de l'action révolutionnaires dans le monde. Comme le déclarait l'Amiral GORTCHKOV lui-même: "La marine soviétique marque et neutralise les forces navales américaines et facilite les processus révolutionnaires en Occident". Par là même, l'arme navale retrouve sa place dans une vision clausewitzienne de la politique extérieure d'un Etat. En outre, elle s'inscrit dans une approche traditionnelle des relations entre les forces armées et le pouvoir politique. La célèbre dichotomie proposée par le stratège allemand entre finalité politique et objectif militaire stratégique est implicitement restaurée dans la doctrine militaire de l'armée et de la marine soviétiques. Cette mission de présence et d'action "subversive" (nous préférons écrire "politique") est réservée à la flotte de surface, en liaison avec des navires "civils" soviétiques (flotilles de pêche, navires océanographiques, etc.) dont les missions complètent celle de la première (surveillance, observation, etc.). En temps de guerre, la mission de la marine soviétique est plus "traditionnelle". Elle assure la défense des approches maritimes de l'URSS, mais surtout participe directement aux actions de destruction du "potentiel militaro-économique" de l'adversaire. Pour le chef de la marine soviétique, il s'agit là de l'objectif majeur de son arme. Le but est moins le contrôle de la mer en soi que la participation à la guerre contre la terre adverse. La marine, ici, ne joue pas un rôle préventif mais préemptif, c'est-à-dire qu'elle devance une action d'offensive générale contre l'ennemi. Dans ce cas, elle a pour objectif la destruction des forces navales ennemies, autrement appelée dans le langage soviétique "bataille de la première salve", suivie d'opérations de plus grande ampleur contre les territoires ennemis en liaison étroite avec les forces de terre et de l'air. Les SNA soviétiques pourraient ainsi détruire le potentiel industriel ennemi situé en bordure du littoral au moyen de missiles aérodynamiques.

 

Nous nous devons donc de signaler la double nature de l'Union Soviétique en tant que grande puissance mondiale: elle est à la fois continentale et maritime. En dépit de certaines erreurs d'appréciation (comme la prétendue supériorité des transports terrestres sur les transports maritimes), le géopoliticien britannique MACKINDER a trouvé, a posteriori, dans le jeu mondial de l'URSS, une éclatante confirmation de ses théories. L'Union Soviétique est bien en effet le Heartland  identifié par le théoricien MACKINDER. Sa politique extérieure consiste bien en une destruction ou un affaiblissement réguliers des "croissants extérieurs", des cordons surpeuplés et sur-industrialisés, qui, par leur puissance économique et l'attraction qu'ils exercent, pourraient menacer à terme la sécurité et l'expansion de l'URSS. L'exportation de la révolution communiste comme soutien à l'objectif géopolitique jette un éclairage nouveau sur l'histoire des quarante dernières années, rejettant comme superficiel et schématique les analyses des anti-communistes professionnels.

 

En conclusion

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Philippe MASSON, en près de 350 pages, où les annexes assurent une fonction importante dans l'analyse des stratégies maritimes (notamment les cartes), nous démontre que, loin de disparaître, les marines tendent à jouer un rôle croissant dans la politique extérieure des Etats. Par l'intégration intelligente des progrès technologiques, les forces navales conjuguent une certaine autonomie vis-à-vis des points fixes (aérodromes et pistes terrestres) à une souplesse d'adaptation aux missions qui lui sont imparties. L'invulnérabilité des SNLE et autres SNA, totalement invisibles et irrepérables dans les fonds marins, permet une quasi efficacité de la politique de dissuasion, notamment dans le cadre de la doctrine de la seconde frappe.

 

Le seul handicap est la lenteur de leurs interventions. Aujourd'hui, les mers ne sont plus seulement des soutiens aux conflits terrestres; elles jouent désormais un rôle "à part entière" que personne ne peut plus leur contester. Aux Européens de prendre en compte cette nouvelle dimension de la politique, la dimension planétaire.

 

Ange SAMPIERU.

 

Philippe MASSON, De la mer et de sa stratégie, éditions Tallandier, Paris, 1986, 120 FF.

 

 

mercredi, 22 septembre 2010

Oceano Indiano: qui si svolge la grande battaglia per il dominio del mondo

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Oceano Indiano: qui si svolge la grande battaglia per il dominio del mondo

 

di Hassan Mohamed

Fonte: eurasia [scheda fonte]

Il destino del mondo si gioca oggi nell’Oceano Indiano? Dominato dall’arco dell’Islam (che varia dalla Somalia all’Indonesia attraverso il Golfo e l’Asia centrale), la regione è sicuramente diventata il nuovo centro di gravità strategico del pianeta. Questo nuovo capitolo della nostra serie “Comprendere il mondo musulmano“, ci accompagna in una crociera. Mohamed Hassan spiega come lo sviluppo economico della Cina, che sconvolge l’equilibrio delle potenze mondiali e fa uscire il Sud dalla sua dipendenza dell’Occidente. Ci rivela anche le strategie attuate dagli Stati Uniti per cercare di mantenere la leadership. E perché l’impero USA è tuttavia destinato all’estinzione. Infine, ci ha previsto la fine della globalizzazione. Resta la questione se questa rapina globale finisca senza problemi, o se i rapinatori liquidaranno gli ostaggi, in questa avventura.

Serie “capire il mondo musulmano” .

Dal Madagascar alla Thailandia, passando per la Somalia, il Pakistan o la Birmania, il bacino dell’Oceano Indiano è particolarmente agitato! Come spiega queste tensioni?

L’equilibrio del potere nel mondo è in subbuglio. E la regione dell’Oceano Indiano è al centro di questa tempesta geopolitica.

Di quale zona parliamo, esattamente?

Si va dalla costa orientale dell’Africa al sud dell’Asia. Con un lago (il Mar Caspio) e tre fiumi: il mare del Golfo, Mar Rosso e il Mar Mediterraneo.

Perché questa regione è così importante? Primo, perché il 60% della popolazione mondiale è concentrata in Asia ed è collegata all’Oceano Indiano. Da sole, Cina e India assorbono il 40% della popolazione mondiale. Inoltre, l’affermazione economica di queste due potenze, avviene nell’Oceano Indiano, una zona particolarmente strategica. Oggi, il 70% del traffico mondiale di petrolio passa attraverso questo oceano. Tale percentuale dovrebbe aumentare, per le crescenti esigenze di entrambi i paesi. Inoltre, il 90% del commercio mondiale è trasportato da navi portacontainer e l’Oceano Indiano riceve solo la metà di questo traffico.

Come previsto dal giornalista statunitense Robert D. Kaplan, stretto consigliere di Obama e del Pentagono, l’Oceano Indiano diventerà il centro di gravità strategico del mondo del 21° secolo. Non solo questo oceano è un passaggio fondamentale per le risorse energetiche e commerciali tra il Medio Oriente e Asia orientale, ma è anche al centro degli assi di sviluppo economico tra la Cina, da una parte, e Africa e America Latina, dall’altra.

L’ascesa di queste nuove relazioni commerciali significa che il Sud si sta liberando dalla sua dipendenza dall’Occidente?

In effetti, alcune cifre sono impressionanti: il commercio Cina – Africa è aumentato di venti volte dal 1997. Quello con l’America Latina di quattordici in meno di dieci anni! India e Brasile, inoltre, collaborano più strettamente con il continente africano. Sotto la spinta della Cina, gli investimenti Sud-Sud sono aumentati rapidamente. Dopo essere stata depredato e saccheggiato per secoli, il Sud finalmente esce dal suo torpore.

Perché così tanti paesi dell’Africa e dell’America Latina si stanno rivolgendo alla Cina?

Per secoli, l’Occidente s’è impegnato in un vero e proprio saccheggio delle risorse del Sud, ostacolando i paesi in via di sviluppo, soprattutto attraverso un debito odioso. Ma la Cina sta offrendo prezzi migliori per le materie prime, e investe nei paesi in via di sviluppo per sviluppare infrastrutture, programmi sociali o progetti di energia pulita. Ha anche abolito i dazi doganali all’importazione di molti prodotti africani, facilitando notevolmente la produzione e il commercio di questo continente. Infine, ha anche annullato il debito dei paesi più poveri dell’Africa.

Inoltre, a differenza delle potenze occidentali, la Cina non interferisce nella politica interna dei suoi partner economici. In una conferenza ministeriale Cina-Africa, il premier cinese Wen Jiabao ha riassunto la politica del suo paese: “Il nostro commercio e la nostra cooperazione economica sono basate sul reciproco vantaggio. (…) Non abbiamo mai posto condizioni politiche all’Africa e non lo faremo mai neppure in futuro.” Che differenza dalle potenze occidentali che hanno continuamente fatto e disfatto i governi in Africa! Il Sud ha sete d’indipendenza: l’alleanza con la Cina è una reale opportunità per placare quella sete.

Infine, i paesi capitalisti occidentali versano in grave crisi economica, che ha ripercussioni sulla Cina, ma che non gli impedisce di mantenere una forte crescita. In questa situazione, è normale che i paesi africani e latinoamericani si stiano rivolgendo al più forte partner economico. Come indicato sul Financial Times, in precedenza, il Brasile è stato colpito dalla crisi negli Stati Uniti. Ma nel 2009, la sua economia ha continuato a crescere, e non è un caso che la Cina sia diventata il suo principale partner economico.

Questa Sud-Sud sfida l’egemonia occidentale. Gli Stati Uniti e l’Europa lasciano la Cina invadere il loro territorio?

Nel complesso, lo sviluppo di questo asse Sud-Sud presenta due principali minacce per gli interessi delle potenze imperialiste, e in particolare per gli Stati Uniti. In primo luogo, si ritira dalla zona d’influenza dei paesi occidentali ricchi di materie prime. In secondo luogo, permette alla Cina di avere tutte le risorse necessarie per continuare il suo folgorante sviluppo. In piena crescita, Pechino sta raggiungendo la prima potenza economica: gli Stati Uniti. Secondo Albert Keidel, ex economista della Banca Mondiale e membro del Consiglio Atlantico, la Cina potrebbe andare in testa nel 2035.

Oggi, Washington cerca quindi di contenere l’emergere della Cina per mantenere la leadership. E il controllo dell’Oceano Indiano è al centro di questa strategia. La lotta contro la pirateria somala è, in realtà, un pretesto per la posizione delle forze NATO nell’Oceano Indiano, e per mantenere il controllo delle potenze occidentali in questo bacino. Anche il Giappone ha iniziato la costruzione di una base militare a Gibuti, per la lotta contro la pirateria.

Parliamo ora di pirati, o dei terroristi islamici. Minaccia o pretesto?

Non sto dicendo che non vi è alcuna minaccia. Semplicemente, le potenze occidentali li strumentalizzano per i loro interessi strategici nella regione. Come s’è sviluppata la pirateria in Somalia? Da oltre venti anni, non vi è nessun governo in questo paese. Alcune società europee hanno colto l’occasione per venire a saccheggiare il pesce al largo delle coste, e gli altri a scaricare rifiuti tossici. In queste condizioni, i pescatori somali, inabili al lavoro, si sono impegnati nella pirateria per sopravvivere. Naturalmente, il fenomeno ha assunto un’altra dimensione da allora. Ma se si vuole risolvere il problema della pirateria, lo si deve attaccare alla radice e ristabilire un ordine politico legittimo in Somalia. Ordine che gli USA non hanno voluto finora…

Sì, e la loro politica sciocca potrebbe creare problemi ben più gravi. Infatti, dobbiamo sapere che la Somalia è il centro storico dell’Islam in Africa orientale. In precedenza, l’influenza dei capi religiosi somali era molto importante. Avevano portato l’islam sunnita fino in Mozambico. Inoltre, quando gli sciiti dell’Oman estesero la loro influenza in Africa orientale, nel corso del 18° secolo, hanno pesantemente influenzato la cultura della regione, ma non furono in grado di convertire la popolazione allo Sciismo.

Oggi, un movimento islamico potrebbe svilupparsi a causa degli errori commessi dagli Stati Uniti nel Corno d’Africa. E se i leader di questo movimento utilizzeranno questa storia comune per raccogliere membri in tutta l’Africa orientale, e difendere la Somalia come un centro dell’Islam africano, la minaccia diventerà molto grave per gli Stati Uniti!

L’Oceano Indiano è sormontato dalla “arco dell’Islam“, che si estende dall’Africa orientale all’Indonesia, attraverso il Golfo e l’Asia centrale. Come questo oceano, la culla del potere musulmano, è finito sotto il dominio delle potenze occidentali?

Prima dell’apertura del Canale di Suez nel 1869, quattro grandi potenze dominavano la regione: l’impero turco ottomano, i persiani (oggi Iran), quella dei Moghul (l’impero musulmano che fiorì in India) e la Cina. Attraverso l’Oceano Indiano, il commercio aveva messo in contatto i popoli musulmani con altri popoli della regione, e ha contribuito a diffondere l’Islam in Cina e in Africa orientale. Così l’arco di Islam è stato formato e l’Oceano Indiano è stato ampiamente dominato da potenze musulmane.

a un evento importante si è verificato in India, smorzando la dominazione europea sulla regione: la ribellione indiana nel 1857. I sepoy erano soldati indiani al servizio della compagnia delle Indie inglese. Le ingiustizie inflitte dai loro datori di lavoro hanno portato a una ribellione che, molto rapidamente, ha portato a un grande movimento popolare. E’ stata una rivolta molto violenta, i sepoy massacrarono molti inglesi, ma che infine riuscirono a reprimere il movimento. In Gran Bretagna, una campagna propagandistica denunciava la barbarie dei sepoy. Karl Marx analizzò questo evento e ne trasse le conclusioni: “I loro metodi sono barbari, ma dobbiamo chiederci chi li ha portati a mostrare una tale brutalità: i coloni britannici che si stabilirono in India.”

Oggi stiamo vivendo la stessa cosa con gli attentati dell’11 settembre. Tutta l’opinione pubblica occidentale è portata ad indignarsi per i metodi barbari dei terroristi islamici. Ma non si fanno domande soprattutto sui fattori che hanno dato origine a questa forma di terrorismo, che ci rimanda alla politica estera degli Stati Uniti in Medio Oriente, durante gli ultimi cinquant’anni.

Infine, la soppressione della ribellione ha avuto due importanti conseguenze: in primo luogo, la colonia indiana, precedentemente gestita da società private, ufficialmente passò sotto l’amministrazione del governo britannico. Poi, la Gran Bretagna depose l’ultimo leader dei musulmani dell’India, l’imperatore Mogul Muhammad Bahâdur Shâh. Fu esiliato in Birmania, dove finì i suoi giorni.

Undici anni dopo la ribellione indiana, si aprì il canale di Suez, che collega il Mediterraneo e l’Oceano Indiano. Una famosa spintarella per la dominazione europea di questo oceano?

Assolutamente. La colonizzazione europea nel bacino dell’Oceano Indiano si accelerò allora, la Francia e la Gran Bretagna si presero Gibuti, l’Egitto e Bahrein per proteggere India dall’espansione russa.

Poi, dopo molti cambiamenti nell’imperialismo nel 19° secolo (unificazione di Germania e Italia, la spartizione dell’Africa tra le potenze europee), l’impero del sultanato d’Oman fu l’ultima potente forza araba nell’Oceano Indiano. Per rovesciarlo, gli Europei montarono una campagna di propaganda sul fatto che gli omaniti sfruttavano gli africani come schiavi. Con il pretesto della lotta contro la schiavitù, l’Europa ha mobilitato le sue truppe nell’Oceano Indiano e rovesciò il sultanato di Oman. Così, la dominazione occidentale sull’Oceano Indiano divenne totale.

Ma oggi, questa posizione dominante è messa in discussione dalle potenze emergenti dell’Asia e dell’Oceano Indiano, e potrebbe diventare il teatro di una competizione sino-statunitense. Gli Stati Uniti sono in declino e la Cina in spettacolare ascesa, come Washington potrebbe bloccare il suo principale concorrente?

Il Pentagono è ben consolidato nella regione: una enorme base militare a Okinawa (Giappone), accordi con le Filippine, con il pretesto della lotta contro il terrorismo, ottimi rapporti con i militari indonesiani che sono stati addestrati da Washington a uccidere milione di comunisti e a stabilire una dittatura militare negli anni ’60…

Inoltre, gli Stati Uniti possono contare sulla loro base militare di Diego Garcia. L’isola di corallo, situata nel cuore dell’Oceano Indiano, sarebbe più di un posto per vacanze da sogno, con una spiaggia di sabbia bianca e le palme. Tuttavia, la storia di questa isola è molto meno affascinante, nel 1965 Diego Garcia e il resto delle Isole Chagos, furono incluse nel territorio britannico nell’Oceano Indiano, nel 1971, e tutti gli abitanti dell’isola Diego Garcia vennro espulsi dagli Stati Uniti, che costruirono una base militare: è da questa posizione estrategica che Washington ha condotto alcune operazioni nel contesto della guerra fredda, e delle guerre in Iraq e in Afghanistan. Oggi, nonostante i giudici inglesi abbiano dato loro ragione, agli abitanti di Diego Garcia è impedito di ritornare alla loro isola da parte del governo del Regno Unito.

Gli Stati Uniti hanno quindi una forte presenza militare nella regione. Da parte sua, la Cina ha due talloni d’Achille: lo Stretto di Hormuz e quello di Malacca. Il primo (tra Oman e Iran) è l’unico accesso al Golfo Persico ed è largo solo 26 km, nel punto più stretto. Circa il 20% del petrolio importato dalla Cina attraversa questo luogo. L’altro punto debole, lo Stretto di Malacca (tra la Malaysia e l’isola indonesiana di Sumatra), è molto trafficato e pericoloso, ma è il principale punto di passaggio per le merci provenienti dall’Oceano Indiano per la Cina. Circa l’80% delle importazioni di petrolio della Cina passa attraverso lo stretto. Gli Stati Uniti sono ben consolidati in questo settore, potrebbero bloccare lo stretto di Malacca, nel caso un conflitto dovesse esplodere con la Cina. E sarebbe un disastro per Pechino.

Questo spiega perché la Cina cerca di diversificare le proprie fonti di approvvigionamento energetico?

Assolutamente. Di fronte a questo grave problema, la Cina ha sviluppato diverse strategie. Il primo è rifornirsi in Asia centrale. Un gasdotto che collega il Turkmenistan alla provincia cinese del Xinjiang, da oggi al 2015, dovrebbe fornire 40 miliardi di metri cubi all’anno, quasi la metà del consumo attuale della Cina. Un oleodotto collega la Cina anche al Kazakistan, trasportando petrolio dal Mar Caspio.

C’è anche l’Asia meridionale. Pechino ha firmato accordi con il Bangladesh per ottenere gas e petrolio. Ha recentemente annunciato la costruzione di un oleodotto e un gasdotto, che forniranno rispettivamente, dal Myanmar (Birmania), 22 milioni di tonnellate di petrolio e 12 miliardi di metri cubi di gas all’anno.

Infine, la terza strategia cinese, chiamata “filo di perle” è quello di costruire porti in paesi amici, lungo la costa nord dell’Oceano Indiano. Obiettivo: avere un traffico navale autonomo in questa regione autonoma. Di questa strategia fa parte la costruzione del porto oceanico di Gwadar, nel Pakistan. Questo tipo di porto è adatto al traffico delle navi portacontainer, e la Cina dovrebbe costruirne altri, soprattutto in Africa. Si noti che alcune navi portacontainer che trasportano merci verso la Cina dall’America Latina, sono troppo grandi per raggiungere l’Oceano Pacifico attraverso il Canale di Panama. Esse quindi passano attraverso l’Oceano Atlantico e l’Oceano Indiano, prima di raggiungere la Cina. Durante questo viaggio, non dovrebbero necessariamente attraversare l’Europa, come avviene adesso, e passare nell’Oceano Indiano attraverso il Canale di Suez. Come parte dell’asse Sud – Sud, queste navi portacontainer potrebbero, invece, transitare in Africa, collegando l’America Latina e l’Asia.

Ciò avrebbe conseguenze importanti per l’Africa. Paesi come Mozambico, Somalia, Sud Africa e Madagascar potrebbero far parte di questa grande rete dell’Oceano Indiano. Se vogliono sviluppare nuovi porti come Gwadar, sarebbe un enorme boom economico in questa regione dell’Africa. Nel frattempo, l’attività dei principali porti europei come Marsiglia e Anversa declinerà. Collegare l’Africa al mercato asiatico attraverso l’Oceano Indiano, sarebbe un vantaggio per il continente. Nelson Mandela, quando era presidente del Sud Africa, ha desiderato vedere realizzati questo progetto, ma gli Stati Uniti e in Europa si opposero. Oggi, la Cina ha i mezzi per assumere la guida. Creato l’asse Sud-Sud: i paesi del terzo mondo sfuggiranno alle divisioni instauratesi tra loro e collaboreranno sempre di più. Il mondo è in fermento!

Come la Cina è diventata una tale potenza in così poco tempo?

Fino al 19° secolo, la Cina era una grande potenza. Vendeva prodotti di buona qualità e aveva più valuta estera, oro e argento delle potenze europee. Ma il paese non s’è mai aperto al commercio internazionale. C’erano solo pochi insediamenti sulle coste, con disappunto della Gran Bretagna. Quest’ultima, in piena rivoluzione industriale, cercava di vendere una grande quantità dei suoi prodotti in tutta la Cina.

Così, quando il viceré Lin Zexu ordinò la distruzione, nel 1838, di casse di oppio che la Gran Bretagna importava illegalmente in territorio cinese, i britannici trovarono il pretesto per la guerra. Lord Melbourne mandò una spedizione a Canton, fu la prima guerra dell’oppio. Si concluse quattro anni dopo. Sconfitti, i cinesi furono costretti ad aprire ulteriormente il loro paese al commercio internazionale.

Ma le potenze imperialiste voleva penetrare ancor più verso l’interno della Cina, al fine di vendere i loro prodotti. E chiedevano la legalizzazione della vendita dell’oppio, nonostante la devastazione che ha causato nella popolazione. Poiché questo business molto redditizio permetteva loro di essere pagati in lingotti d’argento, ebbero una bilancia commerciale favorevole. Di fronte al rifiuto dell’Impero Cinese, Gran Bretagna e  Francia avviarono la “seconda guerra dell’oppio” (1856-1860). In ginocchio, la Cina è diventata una semi-colonia delle potenze occidentali. Infine, la vendita dell’oppio fu legalizzata e la Gran Bretagna e gli Stati Uniti vi si dedicarono con molto profitto.

Di tutto ciò non si parla in Europa, dove sembra finalmente di conoscere per nulla la storia della Cina …

Anche altrove. E’ importante capire che queste guerre imperialiste e le distruzioni causate dalle potenze coloniali hanno provocato la morte di oltre cento milioni di cinesi. Alcuni furono presi come schiavi nelle miniere del Perù, dove le spaventose condizioni di lavoro causarono numerosi suicidi collettivi. Altri furono usati per costruire le ferrovie negli Stati Uniti. Mentre migliaia di bambini cinesi vennero rapiti per scavare i primi pozzi di petrolio della Shell in Brunei, mentre le tecniche di estrazione meccanizzate non erano ancora pronte. È stato un periodo terribile. Nessun popolo ha sofferto così tanto. Bisognerà attendere il 1949 e la rivoluzione guidata da Mao, per vedere la Cina diventare indipendente e prospero.

Alcuni attribuiscono questa crescita enorme della Cina a Deng Xiaoping: solo le prese di distanze dal maoismo e l’apertura della Cina al capitale straniero avrebbe consentito al paese di svilupparsi…

Si dimentica che la Cina di Mao era già in continuo sviluppo tra il sette e il dieci per cento! Naturalmente, Mao ha fatto degli errori durante la Rivoluzione Culturale. Ma ha anche trovato un paese di un miliardo di persone in estrema povertà. E ha permesso alla Cina di diventare uno stato indipendente dopo un secolo di oppressione. E’ quindi sbagliato attribuire lo sviluppo solo alla politica della porta aperta della Cina di Deng Xiaoping. Partendo dal nulla, questo paese ha continuato a crescere, a partire dalla rivoluzione del 1949. E questo compito non è completato.

Ovviamente, l’apertura al capitalismo attuale solleva numerosi interrogativi sul futuro della Cina. Ci saranno sicuramente contraddizioni tra le diverse forze sociali, con il rafforzamento di una borghesia locale. La Cina potrebbe diventare un pieno paese capitalista, ma non dominato dall’imperialismo. Ma in entrambi i casi, gli Stati Uniti cercheranno di evitare che il paese diventi una grande potenza con i mezzi per resistergli.

Giustamente, alcuni sostengono che la Cina stessa è diventata una potenza imperialista, esportando il suo capitale ai quattro angoli del pianeta e compiendo prospezioni in tutto il Sud per ottenere materie prime?

C’era confusione, anche all’interno della sinistra, sulla definizione di imperialismo fatta da Lenin (che ha probabilmente meglio studiato questo fenomeno). Alcuni non considerano che un singolo componente di tale definizione, l’esportazione di capitali all’estero. Certo, grazie alle esportazioni di capitale, le potenze capitaliste si arricchiscono più velocemente, e finiscono per dominare le economie dei paesi meno sviluppati. Ma nel contesto dell’imperialismo, il predominio economico è inseparabile dalla dominazione politica che trasforma il paese in semi-colonia.

In altre parole, se sei un imperialista, è necessario, nel apese in cui esporti capitali, creare il tuo burattino personale, un governo che serva i tuoi interessi. Potete addestrare anche l’esercito della vostra semi-colonia a organizzare i colpi di stato militari, quando il burattino non obbedisce. Ciò è accaduto di recente in Honduras, dove è stato deposto il presidente Manuel Zelaya da un esercito i cui ufficiali sono stati addestrati nelle accademie militari statunitensi. È anche possibile infiltrarsi del sistema politico con le organizzazioni come la CIA, per creare dei collaborazionisti interni. In breve, l’imperialismo si basa su una doppia posizione dominante: economica e politica. L’una non va senza l’altra.

Questo fa una grande differenza con la Cina. Essa non interferisce negli affari politici dei paesi con i quali commercia. E l’esportazione di capitali non è destinata a dominare e soffocare le economie dei paesi partner. Così, la Cina non solo non è una potenza imperialista, ma consente anche ai paesi che subiscono l’imperialismo di liberarsi sconvolgendo la struttura di potere costituita dall’Occidente.

Gli Stati Uniti possono ancora fermare il loro concorrente cinese? Certo, il Pentagono s’è ben stabilitosi nella regione, ma un confronto militare diretto con la Cina sembra improbabile: Washington è ancora impantanato in Medio Oriente e, secondo molti esperti, non sarebbe in grado di vincere un conflitto diretto con Pechino.

In effetti, bombardare e invadere la Cina non è un’opzione plausibile. Gli Stati Uniti hanno quindi sviluppato strategie alternative. La prima è affidarsi agli stati vassalli in Africa, per controllare il continente ed impedire l’accesso della Cina alle materie prime. Questa strategia non è nuova, era stata sviluppata dopo la seconda guerra mondiale, per contenere lo sviluppo del Giappone.

E quali sono oggi i vassalli degli Stati Uniti?

In Nord Africa, c’è l’Egitto. Per l’Africa orientale c’è l’Etiopia. Per l’Africa Occidentale, la Nigeria. Per il sud e per il centro del continente, Washington contava sul Sud Africa. Ma questa strategia è fallita. Come abbiamo visto, gli Stati Uniti non riescono a impedire ai paesi africani di commerciare con la Cina, e hanno perso una grande influenza sul continente. Testimonianza del colpo subito dal Pentagono, è stato quando esso ha cercato invano un paese che ospitasse il quartier generale del suo comando regionale AFRICOM. Tutti gli Stati continentali si sono rifiutati di ospitare questa base. Il ministro della Difesa sudafricano ha spiegato che il rifiuto è “una decisione collettiva africana” e lo Zambia aveva anche risposto al Segretario di Stato USA: “Vorreste avere un elefante in salotto?” Attualmente, la sede del comando regionale per l’Africa è a Stoccarda …! E’ una vergogna per Washington.

Un’altra strategia degli Stati Uniti per controllare l’Oceano Indiano, sarebbe usare l’India contro la Cina per esacerbare le tensioni tra i due paesi. Questa tecnica era stata usata per l’Iran e l’Iraq, negli anni ’80. Gli USA armarono entrambi le parti contemporaneamente, e Henry Kissinger aveva dichiarato: “Lasciate che si uccidano a vicenda!” L’applicazione di questa teoria all’India e alla Cina, porterebbe a prendere due piccioni con una fava, indebolendo le due maggiori potenze emergenti dell’Asia. Inoltre, negli anni ’60, gli Stati Uniti avevano già usato l’India in un conflitto contro la Cina. Ma l’India fu sconfitta e adesso io non credo che i suoi leader farebbero lo stesso errore di andare in guerra contro il loro vicino, per gli interessi di una potenza straniera. Ci sono molte contraddizioni tra Pechino e New Delhi, ma non sono importanti. Questi due paesi emergenti del Terzo Mondo non devono impegnarsi in questo tipo di conflitto, tipicamente imperialista.

Niente da fare, quindi, per gli Stati Uniti in India o in Africa. Ma in Asia orientale, hanno molti alleati. Possono contare su di essi per contenere la Cina?

Ancora una volta, Washington ha fallito, a causa della sua avidità. L’Asia del Sud-Est ha avuto una terribile crisi economica del 1997, causata da un grande “errore” degli Stati Uniti. Tutto è iniziato con una svalutazione della moneta tailandese, che era stato attaccata da speculatori. Di conseguenza, i mercati azionari furono in preda del panico e molte aziende fallirono. La Thailandia, aveva sperato di ricevere il sostegno degli Stati Uniti, era un suo fedele alleato. Ma la Casa Bianca non si mosse. Respinse anche l’idea di creare un Fondo monetario asiatico per aiutare i paesi più colpiti. In effetti, le multinazionali statunitensi hanno beneficiato della crisi asiatica, per eliminare i concorrenti asiatici la cui ascesa li preoccupava.

Infine, fu la Cina che ha salvato la regione dal disastro, decidendo di non svalutare la propria moneta. Una moneta debole aiuta le esportazioni, e se lo yuan era depresso, l’aumento delle esportazioni cinesi avrebbero completamente finito le economie dei paesi vicini, già in cattive condizioni. Quindi, mantenendo il valore della sua valuta, la Cina ha permesso ai paesi della regione e sviluppare le loro esportazioni e di risollevarsi. Mentre molti governi asiatici mantennero una certa amarezza verso Washington, per il suo ruolo in questa crisi, il primo ministro malese ha dichiarato: “La collaborazione con la Cina e il suo alto senso di responsabilità nella regione, ci hanno preservato da uno scenario ancora più catastrofico”.

Da allora, le relazioni economiche tra la Cina e i suoi vicini hanno continuato a crescere. Nel 2007, Pechino è anche diventato il principale partner commerciale del Giappone, che è tuttavia uno degli alleati più strategici degli Stati Uniti in Asia.

Inoltre, la Cina non ha pretese egemoniche nella regione. Gli Stati Uniti credevano che i paesi dell’Oceano Indiano si sarebbero spaventati dalla potenza cinese, e avrebbero cercato di essere protetti. Ma la Cina ha stabilito relazioni con i paesi vicini sulla base del principio di uguaglianza. Da questo punto di vista, gli Stati Uniti hanno, così, perso anche la battaglia in Asia orientale.

Gli Stati Uniti non hanno modo di impedire che la Cina faccia loro concorrenza?

Pare di no. Per crescere, la Cina ha un bisogno vitale di risorse energetiche. Gli Stati Uniti cercano, quindi, di controllare queste risorse e assicurare che non raggiungano la Cina. C’era un obiettivo chiave nelle guerre in Afghanistan e in Iraq, ma sono diventati un fiasco. Gli Stati Uniti hanno distrutto questi paesi, per mettervi dei governi a loro docili, ma senza successo. Ma ciliegina sulla torta: i nuovi governi di Iraq e Afghanistan commerciano con la Cina! Pechino non ha quindi alcuna necessità di spendere miliardi di dollari in una guerra illegale per mettere le mani sull’oro nero iracheno: le imprese cinesi hanno appena vinto concessioni petrolifere in un’asta molto regolare.

Vedete, la strategia dell’imperialismo degli Stati Uniti è un fallimento su tutta la linea. Resta tuttavia l’opzione degli Stati Uniti: mantenere il caos per impedire che la stabilità strategica di questi paesi non favorisca la Cina. Questo significa continuare la guerra in Iraq e Afghanistan, ed estenderlo ad altri paesi come l’Iran, lo Yemen e la Somalia.

Questo a breve termine potrebbe essere devastante, perché porterebbe i popoli ancora di più sulla linea anti-americana, anti-Nato e anti-occidentale. Coloro che vorrebbero continuare il cammino farebbero meglio a studiare la storia militare degli Stati Uniti degli ultimi sessant’anni: Washington non ha vinto alcuna guerra, se non contro la piccola isola di Grenada (1983).

Come iniziò il declino di “Impero Americano“?

Dopo la seconda guerra mondiale, questo paese aveva fatto jackpot. E’ stato, infatti, si era entrato tardi nel conflitto, dopo aver a lungo sostenuto (in mood molto redditizio) entrambe le parti: gli alleati e il nazismo. Infine, Washington ha deciso di venire in aiuto degli alleati. Alla fine della guerra, la Gran Bretagna era gravata dai debiti, il potere tedesco era stato distrutto e l’Unione Sovietica aveva pagato un prezzo pesante (più di venti milioni di morti) per sconfiggere l’esercito nazista. Per contro, gli Stati Uniti, che non hanno fatto praticamente nessun sacrificio, uscirono grandi vincitori, avevano un vasto territorio, un’industria che operava a tutta velocità, grande capacità del settore agricolo e i loro principali concorrenti erano in ginocchio. Fu così che gli Stati Uniti diventarono una superpotenza mondiale.

Ma poi, hanno speso tutti il jackpot vinto nella seconda guerra mondiale, per combattere il comunismo. L’economia statunitense è stata militarizzata e le guerre si sono svolte una dietro l’altra, dalla Corea al Vietnam, e all’Iraq per citarne alcuni. Oggi, per ogni dollaro messo nel bilancio del governo degli Stati Uniti, vanno settanta centesimi all’esercito. Un disastro! Le altre industrie principali del paese sono state distrutte, le scuole e gli ospedali pubblici sono in pessime condizioni.

Cinque anni dopo l’uragano Katrina, i residenti di New Orleans vivono ancora nei campi. Possiamo paragonare questa situazione a quella del Libano: coloro che avevano perso le loro case a causa dei bombardamenti israeliani del 2006, hanno trovato una casa grazie a Hezbollah. Ciò che ha fatto dire a un mullah che era meglio vivere in Libano che negli Stati Uniti, perché nel paese dei cedri si ha almeno un tetto sopra la testa.

Questo processo di militarizzazione ha gettato gli Stati Uniti nella crisi del debito. Ma oggi, il loro principale creditore non è altri che… la Cina! Curiosamente, il destino di questi due grandi concorrenti sembra intimamente legato.

Sì, l’economia è qualcosa di pazzesco! In effetti, la Cina esporta molti prodotti verso gli Stati Uniti, guadagnandosi molta valuta in dollari. L’accumulo di valuta straniera della Cina, consente di mantenere un tasso di cambio stabile tra lo yuan e il dollaro, cosa che favorisce le esportazioni. Ma l’accumulo di dollaro anche portato Pechino a comprare buoni del Tesoro USA, finanziandone il debito Con il finanziamento del debito degli Stati Uniti, possiamo dire che la Cina sta finanziando la guerra contro il terrorismo! Ma il Pentagono sta conducendo questa guerra per aiutarla a controllare le risorse energetiche del mondo, e cercando di contenere l’emergere della Cina. Vedete, la situazione è paradossale! Ma questa campagna è un fallimento degli Stati Uniti e la loro economia è sull’orlo del fallimento.

Essi hanno solo una opzione: ridurre le spese militari e usare il loro bilancio per rilanciare l’economia. Ma l’imperialismo ha una logica dominata dal profitto immediato e dalla concorrenza sfrenata: perciò, continua a correre fino a che non muore. Lo storico Paul Kennedy ha studiato la storia dei grandi imperi, ogni volta che l’economica di una grande potenza è in declino, ma continua ad aumentare le spese militari, allora questa grande potenza è destinato a scomparire.

Così è la fine dell’”impero americano“?

Chi può dirlo? La storia è fatta di zig-zag e non ho alcuna sfera di cristallo per predire il futuro. Ma tutte le indicazioni dicono che l’egemonia degli Stati Uniti sta arrivando al termine. Non ci sarà più una superpotenza globale e gli Stati Uniti, probabilmente, diventeranno una importante potenza regionale. Saremo presenti all’inevitabile ritorno del protezionismo e, quindi, alla fine della globalizzazione. I blocchi economici regionali emergeranno e tra questi blocchi, l’Asia sarà il più forte. Oggi, ci sono sempre meno milionari nell’occidente bianco. Sono in Asia, dove ci sono la ricchezza e la capacità produttiva.

Che cosa succederà in Europa?

Ha forti legami con gli Stati Uniti. In particolare attraverso la NATO, una invenzione degli Stati Uniti, emersa dopo la seconda guerra mondiale per il controllo del vecchio continente. Tuttavia, penso che ci siano due tipi di leader in Europa: pro-USA e i ceri europei. I primi rimangono con Washington. I secondi sottolineano gli interessi specifici dell’Europa e si legano alla Russia. Con la recessione economica e il declino negli Stati Uniti, l’interesse logico dell’Europa è guardare all’Asia.

Nel suo famoso libro ‘La Grande Scacchiera’, il politologo statunitense Zbigniew Brzezinski aveva paura di vedere una tale alleanza tra Europa e Asia. Ma ha detto che l’Unione probabilmente non avrebbe mai visto la luce del giorno, a causa delle differenze culturali.

Dopo la seconda guerra mondiale, gli Stati Uniti hanno dominato la scena economica, in particolare in Europa, ed erano in grado di esportare la loro cultura e stile di vita. L’economia genera in effetti dei legami culturali, ma la cultura non crea legami che quando lo stomaco è pieno. Non mangiamo cultura. Inoltre, quando lo stomaco è vuoto, la cultura viene dopo l’economia.

Così oggi, mentre il mondo capitalista è in crisi, l’Europa deve mettere i suoi interessi economici prima del legame culturale che la lega agli Stati Uniti. Sarebbe logico a sua volta, per l’Asia. Tanto più che i legami culturali Europea – Stati Uniti sono stati forgiati a Hollywood. Storicamente, possiamo dire che sono più forti i legami culturali tra, ad esempio, l’Italia e la Libia, o tra la Spagna e il Marocco.

Henry Kissinger, quando non permetteva agli iraniani e iracheni di uccidesi a vicenda, ha detto che l’egemonia degli Stati Uniti era essenziale per mantenere la pace e la democrazia diffusa in tutto il mondo. Molti professionisti come Brzezinski hanno sostenuto la stessa idea. La fine dell’”American Empire”, non potrebbe provocare dei grandi conflitti?

La democrazia di cui stanno parlando è quella dei paesi imperialisti occidentali, che rappresentano il 12% della popolazione mondiale. Inoltre, non possiamo davvero dire che l’egemonia degli Stati Uniti abbia portato pace e stabilità nel mondo. Al contrario! Per rimanere l’unica superpotenza del mondo, hanno fatto affidamento su guerre in continuo e fomentato conflitti in tutto il mondo.

Oggi, molti europei, anche se condannano gli eccessi degli Stati Uniti, non desiderano vedere decadere l’”American Empire“. Per oltre sessant’anni Washington ha dominato militarmente il vecchio continente, dicendo che lo faceva per la sua sicurezza. Molti europei hanno paura di mettere una croce sulla “protezione” e assumersi la propria sicurezza.

Un esercito europeo richiederebbe che una parte importante dell’economia europea sia investita nell’esercito. Ma non è un settore produttivo e un suo rifinanziamento causerebbe una nuova crisi. Inoltre, se si investe nell’esercito, una questione si porrà: chi combatte? In caso di guerra, l’Europa avrebbe seri problemi demografici.

A mio parere, questa situazione spiega la volontà di alcuni leader europei di muoversi verso la Russia. Questa è l’unica alleanza pacifica e prospera possibile per l’Europa. Ma ciò richiede lasciare che la Russia diventi una grande potenza, in cui gli europei possano investire le loro tecnologie. Ma gli Stati Uniti si sono opposti all’integrazione della Russia in Europa. Se dovesse succedere, ci sarà davvero qualcuno di troppo e Washington lascerà il vecchio continente.

Gli otto anni di politica di guerra dell’amministrazione Bush, le spese militari faraoniche e i suoi miserabili fallimenti hanno accelerato il crollo degli Stati Uniti. Pensa che Barack Obama possa cambiare qualcosa?

La sua elezione è storica. Gli afro-americani hanno sofferto tanto in passato. Anche se hanno contribuito enormemente allo sviluppo degli Stati Uniti, i loro diritti politici sono stati traditi. Infatti, durante la guerra civile americana, gli afro-americani sono stati vittime della schiavitù nel Sud. La borghesia del Nord ha promesso loro la libertà, se era disposto a combattere per essa. Gli schiavi accettarono di partecipare al conflitto, cose che ha permesso al Nord di vincere. Tra il 1860 e il 1880, gli Stati Uniti hanno avuto un periodo di prosperità, senza il razzismo, definita una ricostruzione dal famoso leader afro-americano William Edward Burghardt Du Bois. Ma ben presto, l’elite degli Stati Uniti si era allarmata nel vedere persone di colore, lavoratori e semplici cittadini unirsi: le proprietà della minoranza borghese era minacciata dalla solidarietà delle masse. La segregazione fece quindi il suo ritorno. Essa mirava a rompere l’unità delle classi e i cittadini comuni insorgere l’uno contro l’altro, al fine di preservare l’elite da qualsiasi rivolta.

Data la storia degli Stati Uniti, l’avvento di un nero alla Casa Bianca è molto importante. Ma se Barack Obama è un presidente liberale a causa del suo colore, ciò non è sufficiente: la natura reazionaria dell’imperialismo statunitense è riemersa, come si vede sempre di più. Pertanto, non credo che Barack Obama possa cambiare nulla nei mesi e negli anni a venire. L’imperialismo non può essere modificato o adattato. Deve essere rovesciato.

 

E qual è il ruolo del mondo musulmano in questo grande confronto tra gli Stati Uniti e la Cina? Il suo ruolo è veramente importante?

Molto importante. Come ho detto in precedenza in questa intervista, gli USA hanno demonizzato la “minaccia islamica” in una serie di paesi che si affacciano sull’Oceano Indiano: Somalia, Golfo, Asia centrale, Pakistan, Indonesia… L’obiettivo, legato agli interessi delle multinazionali degli Stati Uniti, è il controllo del petrolio e delle risorse energetiche e delle vie di transito strategiche della regione. Ma nel Medio Oriente, e in tutto il mondo musulmano, s’è sviluppata una comune resistenza antimperialista al dominio degli Stati Uniti.

E’ un fattore estremamente positivo. I popoli di tutto il mondo hanno interesse a stabilire relazioni sulla base del principio di uguaglianza e a porre fine, nel modo più rapido, all’egemonia occidentale che ha causato così tante aggressioni e crimini. In passato, tutti i tipi di personalità e movimenti politici hanno cercato di spingere il mondo musulmano tra le braccia degli Stati Uniti e nella loro grande alleanza anti-comunista. Ma in realtà, gli interessi dei popoli dell’”arco dell’Islam”, l’interesse dei musulmani, si trova sul lato opposto. Se tutti comprendono e sostengono il ruolo positivo della Cina nella bilancia del potere mondiale, oggi, sarà possibile una grande alleanza di tutti i paesi che cercano di svilupparsi in modo autonomo, nell’interesse del loro popolo, sfuggendo così al saccheggio e alle interferenze da parte delle potenze imperialiste.

Tutti dovrebbero informarsi e fare prendere consapevolezza di questi importanti e positivi cambiamenti. Por fine all’egemonia delle potenze imperialiste aprirà grandi prospettive per la liberazione dei popoli.

 

Fonte: Investig’Action – http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=21057

Intervista di Lalieu Gregory e Michel Collon a Hassan Mohamed

 

Mohamed Hassan raccomanda le seguenti letture:

Robert D. Kaplan, Center Stage for the Twenty-first Century, in Foreign Affairs, March/April 2009

Robert D. Kaplan, The Geography of Chinese Power, in Foreign Affairs, May/June 2010

Chalmers Johnson, No longer the lone superpower – Coming to terms with China

Cristina Castello, “Diego Garcia”, pire que Guantanamo: L’embryon de la mort

Mike DAVIS, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales.

Aux origines du sous-développement, Paris, La Découverte, 2003, 479 pages

Peter Franssen, Comment la Chine change le monde

Pepe Escobar, China plays Pipelineistan

Edward A. Alpers, East Africa and the Indian Ocean

Patricia Risso, Merchants And Faith: Muslim Commerce And Culture In The Indian Ocean (New Perspectives on Asian History)

F. William Engdahl, A Century of War, Anglo-American oil politics and the new world order

Michel Collon, Media Lies and the Conquest of Kosovo (NATO’s Prototype for the Next wars of Globalization), traduzione inglese di Monopoly, Investig’Action

Traduzione di Alessandro Lattanzio
Tante altre notizie su www.ariannaeditrice.it

mardi, 21 septembre 2010

Yemen: una battaglia decisiva nell'ordine simbolico, contro la monarchia saudita

Yemen: Una battaglia decisiva nell’ordine simbolico, contro la monarchia saudita

di René Naba

Fonte: eurasia [scheda fonte]

yemen.jpgL’attacco fallito a un aereo nigeriano a Detroit (USA), nel dicembre 2009, quattro mesi dopo l’attacco fallito contro un principe saudita, responsabile della lotta contro il terrorismo in Arabia Saudita, il principe Mohammed bin Nayef Ben Abdel Aziz, ha sollevato i timori degli statunitensi e ha fatto rivivere il loro interesse verso lo Yemen, temendo che il paese sia utilizzato come nascondiglio dagli uomini di Al Qaeda nella penisola arabica. L’attacco contro l’Arabia del 27 Agosto 2009, inoltre, è stato rivendicato dal capo regionale di al-Qaida, Al Nasser Whayshi, alias Abu Bassir, come anche l’attacco contro il cacciatorpediniere USS Cole, nel porto di Aden, nel 2000. Designato quale bersaglio prioritario da parte degli statunitensi, Abu Bassir è stato ucciso tre mesi dopo la sua rivendicazione del caso di Detroit. Dal 2009, in meno di un anno, le autorità saudite hanno sventato quattro attentati contro il principe Mohammed, un record mondiale difficilmente eguagliabile.

L’attentato di Detroit è stato utilizzato per attivare l’attuazione della nuova dottrina statunitense della guerra clandestina contro il terrorismo, di cui lo Yemen è il banco di prova. La dottrina Obama sostiene l’uso di piccole unità mobili di commando di parà per le operazioni speciali assegnate al monitoraggio dei leader di al-Qaida in Pakistan al Nord Africa, dall’Uganda al Kenya, via Somalia, e in tutti i paesi del Sahel (Algeria, Mali, Mauritania) e dell’Asia centrale. Meno costoso, in termini di bilancio e di immagini, contando sulla collaborazione di imprese di lavori pubblici operanti nell’area, mira a sostituire la Dottrina Bush. Uno degli errori principali della nuova guerra degli Stati Uniti, passato inosservato al giudizio arabo e della pubblica internazionale, è stata anche la morte del prefetto del distretto di Maareb, il 25 maggio 2010, un incidente dell’intervento illegale USA. L’uomo era in trattative con al-Qaida la liberazione della zona di sua responsabilità. La sua morte ha sollevato un vento di rivolta all’interno della sua tribù, che da allora è stata discretamente compensata dal governo degli Stati Uniti. Fin dall’inizio di questa dottrina Obama, tre leader di al-Qaida sono stati uccisi in Yemen, il leader regionale, Nasser al Whayshi, Nasser al Chihri a Rafda e Jamil al Anbari, il 24 marzo 2010, secondo il quotidiano arabo pubblicato a Londra “Al Quds al Arabi” (16 agosto 2010).

Il sistema statunitense è completato in Africa orientale dalla base aerea di Diego Garcia, nell’Oceano Indiano, e dalla co-locazione della base francese di Gibuti di “Camp Lemonier”. La base di Gibuti permette agli Stati Uniti e alla Francia di dominare l’estremità orientale della vasta striscia petroliera che attraversa l’Africa, oggi considerata vitale per i loro interessi strategici, una striscia che va dall’oleodotto Higleg-Port Sudan (1600 km) nel sud-est, all’oleodotto Ciad-Camerun (1000 km) e al Golfo di Guinea a ovest. Una postazione di osservazione degli Stati Uniti, in Uganda, dà a essi la possibilità di controllare il Sud Sudan, dove si trova la maggior parte delle riserve di greggio sudanesi.

La presenza degli Stati Uniti a Gibuti, ha anche il compito di individuare i gruppi terroristici collegati con quelli del Medio Oriente, e di servire da piattaforma operativa per la guerra clandestina contro al-Qaida in Africa orientale, soprattutto in Somalia, che secondo Washington ospita il comoriano Fazul Abdullah Mohammed e il keniota Saleh Ali Saleh Nabhan, coinvolti negli attacchi contro le ambasciate statunitensi in Kenya e Tanzania nel 1998, dove 224 persone sono state uccise.

Al-Qaida ha realizzato un decentramento del suo movimento, in un approccio simmetrico alla dottrina statunitense della furtività, dando autonomia a ampi comandi regionali, in virtù della nuova strategia della ‘lotta diffusa’, implementata con successo da Hezbollah Libanese contro Israele, nel 2006. Dalla ripresa delle ostilità su vasta scala, nello Yemen, al-Qaida ha reso possibile la riunificazione dei due rami che operano nella zona, in Arabia Saudita e nello Yemen, per avviare nel 2008 “Al-Qaida nella penisola araba“, attaccando obiettivi strategici, come l’ambasciata degli Stati Uniti nel 2008 e un centro di sicurezza di Aden, dove i detenuti erano membri dell’organizzazione, nel giugno 2010, al fine di influenzare il separatismo meridionale yemenita, e contribuire a delegittimare il governo centrale. Gli statunitensi vedono questo ramo come la più efficace esecuzione divisione della società madre.

Al Qaida ha anche una filiale somala, “i famosi Chebab” (i giovani) che tengono testa al governo filo-saudita e filo-occidentale di Mogadiscio, segnalandosi presso l’opinione pubblica internazionale con un raid mortale in Uganda, l’11 luglio 2010, facendo una sessantina di morti; e un ramo del Nord Africa, che attua le operazioni tra il ramo africano e quello arabo: “Al-Qaida nel Maghreb Islamico (AQIM).” Risultante da un processo di fusione, AQIM è il prodotto, nel gennaio 2007, dell’inclusione nella rete di bin Laden del Gruppo Salafita per la Predicazione e il Combattimento (GSPC) algerino, a sua volta fondato nel 1998 da dissidenti del Gruppo Islamico Armato (GIA).

Operante generalmente nei deserti di Algeria, Mali, Niger e Mauritania, al-Qaida ha approfittato dei confini porosi per espandere la sua area di operazioni nella regione arida del Sahel, puntando ora al Burkina Faso, il cui Presidente Blaise Compraoré, il negoziatore per la liberazione dell’agente francese Peter Calmatte (febbraio 2010), ha appena compiuto un riavvicinamento spettacolare con gli Stati Uniti. L’AQMI ha attuato, il 24 luglio 2010, l’esecuzione dell’ostaggio francese Michel Germaneau, punto che contrassegna la resa dei conti con la Francia, in quello che sembra essere una strategia della tensione volta ad inviare una avvertimento a quello che vede come l’islamofobia del potere francese, tra il clamore dei media in Francia, dedicati alle “caricature del Profeta“, sotto l’egida della coppia giornalistica Daniel Leconte e Philippe Val, e le polemiche sul velo e la catena self service Halal.

Una battaglia decisiva nell’ordine simbolico contro l’Arabia Saudita

Il coinvolgimento di al-Qaida nel conflitto nello Yemen e nel suo ambiente somalo, risuonava come un affronto ai suoi ex compari, l’Arabia Saudita e gli Stati Uniti, e allo stesso tempo sottolineava l’irriverenza alla strategia statunitense nel suo obiettivo principale, “la guerra globale contro il terrorismo,” la madre di tutte le battaglie.

A capo del paese per 32 anni (1978), il presidente Ali Abdullah Saleh accusa i ribelli di cercare di rovesciare il suo regime per ripristinare l’Imamato zayidita, abolito nel 1962 da Sana’a, e di essere manipolati dall’Iran. Gli houthisti, nel frattempo, si lamentano di essere emarginati dal governo sul piano politico, economico e religioso, e chiedono la restaurazione dell’autonomia di cui godevano prima del 1962. Assicurano di voler difendere l’identità minacciata sia dalla politica del governo centrale, che mantiene la propria regione nel sottosviluppo, e dalla pressione del fondamentalismo sannita, per la quale Sanaa mantiene spesso un’ambiguità.

Provenienti dalla corrente religiosa sciita zayidita, gli houthisti vivono negli altopiani, soprattutto nella provincia yemenita di Saada, e mostrano molte differenze dogmatiche rispetto agli sciiti iraniano duodecimani. Essi rappresentavano, nel 2007, circa il 30% di 22,2 milioni di yemeniti, che sono in prevalenza sunniti. Inoltre, condividono molte interpretazioni religiose con la maggioranza sunnita Shafita. Gli houthisti negano ogni uso della loro causa da parte di una potenza straniera, e insistono, invece, sull’aiuto che il regno saudita avrebbe portato al presidente.

La nuova guerra nello Yemen, ha avuto inizio nel 2004 in seguito alla cattura di importanti leader houthisti e alla morte in combattimento del loro leader, Hussein al Houthi, ucciso nel settembre dello stesso anno da un missile, durante un’operazione clandestina della CIA in ritorsione all’attacco contro il cacciatorpediniere USS Cole. Hussein, leader del movimento, è stato successivamente sostituito da suo fratello Abdul Malik.

Ma al di là del conflitto tribale, gli yemeniti nutrono solidi risentimenti verso l’Arabia Saudita, di cui non tollerano l’annessione di tre verdeggianti province, Asir, Najran e Jizan (2), che criticano, inoltre, di aver mantenuto a lungo l’instabilità nel paese, finanziando direttamente il bilancio della difesa, quindi bypassando il potere statale, in favore alternativo a due confederazioni tribali principali: Beni Hached e Bakil. Lo sceicco Abdullah Hussein Al Ahmar, uomo forte della tribù Hached, leader dell’al-Islah (Riforma) e presidente del Parlamento yemenita, si dice riceva sovvenzioni sauditi, nel nuovo confronto.

Yemen e Iraq, due paesi confinanti con l’Arabia Saudita, costituiscono i due baluardi della difesa strategica del Regno wahabita, il primo a sud, il secondo a nord dell’Arabia Saudita. E’ in questi due paesi che l’Arabia Saudita s’è inserita nella lotta per assicurare la continuità della dinastia wahhabita, per almeno due volte negli ultimi decenni. Lo Yemen è stato utilizzato, in effetti, come campo dello scontro inter-arabo tra repubblicani e monarchici, al tempo della rivalità Faisal-Nasser, negli anni ‘60, e l’Iraq, la scena dello scontro tra sciiti rivoluzionari e sunniti conservatori, al tempo della rivalità Saddam-Khomeini negli anni ‘80.

Al-Qaida nello Yemen è in realtà un ritorno ai fondamenti del conflitto che oppone il movimento alla famiglia al-Saud. Usama Bin Ladin è considerato un legittimo titolare di allori raccolti sui campi di battaglia in Afghanistan, cosa che ha avuto l’effetto di rafforzare la posizione saudita verso i suoi alleati statunitensi, un ruolo che è negato dagli al-Saud.

Pur avendo un certo seguito sia nell’Islam dell’Asia (Afghanistan, Pakistan), che nell’Islam dell’Africa (sub-sahariana del Sahel), Usama bin Ladin soffre di un grave handicap nel nucleo storico dell’Islam del mondo arabo, a causa del suo passato legame con gli statunitensi, durante la guerra anti-sovietica in Afghanistan (1980-1990), deviando quasi cinquantamila combattenti arabi e musulmani dal campo di battaglia principale, la Palestina, mentre Yasser Arafat, il leader dell’OLP, era assediato a Beirut dagli israeliani, con il supporto degli Stati Uniti (giugno 1982). Se si può affermare di aver contribuito a far precipitare il collasso del “regime ateo” dell’Unione Sovietica, i suoi critici lo accusano di aver privato del loro principale sostegno militare, i paesi arabi del ‘campo di battaglia’, l’Organizzazione per la Liberazione della Palestina, Egitto, Siria, Iraq, Algeria, Yemen del Sud, Sudan e Libia.

La sua autorità si scontra, quindi, nel mondo arabo, col carisma di leader autentici dimostratosi tali agli occhi di ampie fazioni del mondo musulmano arabo, quali lo sceicco Hassan Nasrallah, leader di Hezbollah, il movimento sciita libanese, autore di due imprese militari contro Israele (2000, 2006) e Hamas, il movimento sunnita palestinese, il cui incomparabile vantaggio su Usama bin Ladin è il fatto che non hanno mai abbandonato la lotta contro Israele, il nemico principale del mondo arabo.

L’autodafé del Corano, una manna ideologica, una leva per il reclutamento per al-Qaida

La distruzione da parte dei suoi alleati taliban dei Budda di Bamiyan (3), nell’Afghanistan centrale, nel 2001, alienò all’Islam quasi un miliardo di buddisti, aumentando i sospetti contro di lui. Questo atto diventa ancora più importante, a posteriori, quando i musulmani, a loro volta, stigmatizzano il progetto di uno piccolo gruppo di cristiani fondamentalisti della Florida, di voler bruciare 200 copie del Corano, il libro sacro dei musulmani, sabato 11 settembre, nel nono anniversario degli attentati negli Stati Uniti.

Il progetto del pastore Terry Jones del Colomba World Outreach Center, di bruciare il Corano è stato chiamato “gesto distruttore, che minaccia le truppe occidentali in Afghanistan“, dal Presidente Obama. È, in ogni caso, una manna ideologica e potrebbe servire come giustificazione a posteriori per il raid di al-Qaida contro gli USA, sostenendo l’islamofobia nella società occidentale, come leva per il reclutamento nell’organizzazione islamista, nell’intero periodo di commemorazione degli attentati contro gli USA.

Usama Bin Ladin appare, in retrospettiva, come il tacchino della farsa della vicenda afgana, nella sua versione anti-sovietica, dal momento che ha portato a fare crollare un alleato dei paesi arabi del campo di battaglia, l’Unione Sovietica, e rafforzato il partner strategico d’Israele, gli Stati Uniti. Cinquantamila arabi e musulmani si arruolarono sotto la bandiera dell’Islam, sotto la guida di Usama bin Ladin, ufficiale di collegamento dei sauditi e degli statunitensi, per combattere in Afghanistan l’ateismo sovietico, in una guerra finanziata in parte dalle petro-monarchie del Golfo, fino a venti miliardi di dollari, una somma equivalente al bilancio annuale di un quarto dei paesi membri dell’organizzazione pan-araba (4).

In confronto, l’Hezbollah libanese con un numero molto inferiore di combattenti, stimato in duemila combattenti, e con pochi soldi rispetto a quelli impegnati per il finanziamento degli arabi afgani, ha causato lo sconvolgimento psicologico e militare più significativo che la Legione islamica, nell’equilibrio delle potenze regionali.

Il raid dell’11 Settembre 2001 compare, così, a posteriori, come una rappresaglia a questa doppiezza, e allo stesso tempo un tentativo di trascinare gli Stati Uniti, con la risposta che non mancherebbe di suscitare, in una guerra di usura nel pantano afgano. Tale, almeno, è una interpretazione che ha avuto luogo in ambienti politici arabi, sulle motivazioni di Usama Bin Ladin nella scelta dei bersagli degli attentati dell’11 settembre 2001.

La creazione di al-Qaida per la penisola arabica nello Yemen, potrebbe avere un effetto destabilizzante sul regno, che “non sarà immune da un crollo, in caso di caduta dello Yemen”, ha ammonito il 17 luglio 2010, il ministro dell’istruzione superiore yemenita, Saleh Basserrate, deplorando la mancanza di cooperazione saudita nel risolverne le difficoltà economiche (5). L’allarme è stato ritenuto sufficientemente grave da indurre il re Abdullah ad impegnare nella lotta le sue forze nello Yemen, nell’autunno del 2009, accanto alle forze governative, e di superare le sue dispute con la Siria, incitando il suo braccio destro in Libano, il nuovo Primo ministro libanese Saad Hariri, a volgersi verso Damasco.

Quasi un milione di lavoratori yemeniti sono stati espulsi dall’Arabia Saudita nel 1990, per l’allineamento del governo di Sana’a nella disputa territoriale di Saddam Hussein con il Kuwait, spingendo il governo dello Yemen, nella speranza di ottenere dall’Arabia assistenza economica, a disattivare le sue pretese territoriali, col dispiacere di una frazione dell’opinione pubblica yemenita. Il coinvolgimento di un membro del contesto familiare del principe Bandar bin Sultan, figlio del ministro della Difesa e presidente del Consiglio nazionale di sicurezza, la riattivazione dei simpatizzanti di al-Qaida in Siria e il Libano del Nord, nella regione del campo palestinese di Nahr el-Bared, ha dato la misura dell’infiltrazione dell’organizzazione islamista nei circoli dei governanti sauditi, mentre stava minando il regno nei confronti dei suoi interlocutori, sia come che statunitensi.

Sheikh Maher Hammoud, un mufti sunnita della moschea “Al Quds” di Saida (sud del Libano), ha apertamente accusato il principe Bandar dalla TV satellitare Al-Jazeera, sabato 26 giugno 2010, d’aver finanziato i disordini in Libano, in particolare contro le zone cristiane di Beirut, come tattica diversiva, senza che questa affermazione sia smentita, o il dignitario citato in giudizio, portando gli USA a dichiarare “persona non grata” Bandar, l’ex beniamino degli Stati Uniti, il “Grande Gatsby” dell’establishment statunitense.

Significativamente, un responsabile di al-Qaida nella penisola arabica, non è altro che l’imam radicale Anwar al-Aulaqi, un uomo che gli statunitensi identificano come responsabile della strategia di comunicazione di Al Qaida destinata al mondo di lingua inglese, tramite il sito on-line “Inspire“. Yemenita nato negli Stati Uniti, ha rivendicato come suo discepolo il mancato attentatore del volo Amsterdam-Detroit del 25 Dicembre 2009, illustrazione sintomatico della confusione che regna nelle relazioni tra gli Stati Uniti e il mondo musulmano e la strumentalizzazione statunitense dell’Islam nella sua guerra contro l’Unione Sovietica. Ora è una priorità della dottrina Obama.

L’ancoraggio di un organismo a maggioranza sunnita, escrescenza del rigorismo wahhabita, sul lato sud dell’Arabia Saudita, porta il segno di una sfida personale do bin Laden agli antichi padroni, in quanto porta sul posto stesso della loro antica alleanza, lo scontro sulla d legittimità tra la monarchia e il suo ex servitore.

Sullo sfondo dello showdown della controversia Usa-Iran sul nucleare iraniano, Usama bin Ladin, di origine yemenita, decaduto dalla nazionalità saudita, ha scelto di combattere per la terra dei suoi antenati.

Per portare, nell’ordine simbolico, la battaglia decisiva contro la monarchia saudita, che egli considera come una negazione dell’Islam, l’usurpatore saudita di province yemenite, in una battaglia di ritorno, il cui fine ultimo deve essere il ripristino della sua legittimità, almeno della legittimità del marchio della sua organizzazione in rapido declino nel mondo arabo. Con paradossalmente, degli osservatori passivi, ma dai dividendi possibili, l’Iran sciita e, soprattutto, la Russia, estromessa da Socotra, che ha combattuto in Afghanistan per la causa dell’ateismo.
Riferimenti

2- Le tre province yemenite Jizan, Asir e Najran erano state annessa dall’Arabia Saudita nel 1932, l’annessione fu ratificata dall’accordo di Taif del 1934. Lo Yemen si oppose alla proroga di venti anni di questo accordo, scaduto nel 1992.

3 – I Buddha di Bamiyan erano due statue monumentali del Budda in piedi, scavate nel fianco di una rupe situata nella valle di Bamyan nell’Afghanistan centrale, 230 chilometri a nord ovest di Kabul, a un’altitudine di 2500 metri. L’intero sito è patrimonio dell’umanità dall’UNESCO. Il ‘Grande Buddha’ (53 metri) risale al V secolo, il ‘piccolo Buddha’, nella seconda metà del terzo secolo. Le statue sono scomparse dopo essere state distrutte dai taliban nel marzo 2001.

4-Mikael Awad, politilogo egiziano, l’intervento sul network pan-arabo ‘Al Jazeera’, 2 febbraio 2010, trasmissione “al Ittijah al Mouakess“, (Il senso contrario).

5- Cfr. “La chiamata in soccorso dallo Yemen all’Arabia Saudita“, editoriale di Abdel Bari Atwan, direttore del quotidiano panarabo Al Quds Al Arabi, pubblicato a Londra, 17 Luglio 2010
Per ulteriori informazioni:

1 -Cfr. Arabie saoudite: la grande frayeur de la dynastie wahabite

http://www.renenaba.com/?p=701

2 Cfr. Yémen: La lutte pour le pouvoir dans le sud Yémen pro soviétique

http://www.renenaba.com/?p=766

Traduzione di Alessandro Lattanzio

Fonte: Il blog di René Naba (http://www.renenaba.com/)

http://www.mondialisation.ca/PrintArticle.php?articleId=21003

Leggi la prima parte – YEMEN: l’affronto di bin Laden ai suoi ex sponsor

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid...

 


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lundi, 20 septembre 2010

Teheran, Damasco e Caracas: il triangolo strategico

Teheran, Damasco e Caracas: il triangolo strategico

di Pamela Schirru

Fonte: eurasia [scheda fonte]

Teheran, Damasco e Caracas: il triangolo strategico

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Che l’Iran annoveri tra le sue “amicizie di lungo corso” anche il Venezuela non è una novità. Oltre al Brasile e alla Bolivia, nella lista dei partners politici latino-americani un posto di rilievo è occupato proprio dal Venezuela di Hugo Chavez. Un’amicizia lunga all’incirca un decennio quella che lega il leader maximo al presidente iraniano Mahmud Ahmadinejad, rinnovata da frequenti incontri ufficiali. Nel 2004, in occasione di una visita ufficiale del presidente venezuelano in Iran, l’allora sindaco di Teheran Ahmadinejad (non ancora eletto alla carica presidenziale) rese omaggio al leader con l’inaugurazione di una statua raffigurante l’eroe nazionale Simon Bolivar, all’interno del parco Goft-o-Gou nei pressi della capitale iraniana. Nel 2006, Ahmadinejad e Chavez si rincontrano. Il primo da un anno è il presidente della Repubblica Islamica dell’Iran, il secondo, invece da due anni è di nuovo alla guida della Repubblica Bolivariana del Venezuela. Il luogo dell’incontro stavolta è Caracas. È qui che i due leader rinnovano la loro “amicizia politica ed economica”. Un’alleanza, quest’ultima, incoraggiata nel 2005 proprio dal neo eletto presidente iraniano, deciso ad avviare una stretta collaborazione con i Paesi dell’America Latina. E il governo venezuelano non si è tirato indietro, accettando la sfida lanciata dal presidente iraniano. In cinque anni, le visite ufficiali del presidente venezuelano a Teheran si sono intensificate, segno di una buona intesa tra i due Paesi. In un solo anno (2007), Chavez ha raggiunto il suo omologo iraniano per ben due volte. Al centro dei loro incontri, la tutela dei reciproci vantaggi economici. Non c’è dubbio che Venezuela e Iran sono legati l’una all’altra da un doppio filo. Lo sono dal punto di vista politico, quando Chavez sostiene il diritto dell’Iran a sfruttare il nucleare per scopi essenzialmente civili; lo sono dal punto di vista economico, quando stringono accordi. A tal proposito, è opportuno ricordare il viaggio di Chavez in Iran del 2008. In questo frangente, il leader venezuelano ha avanzato una proposta al presidente iraniano: sostenere alcuni progetti industriali entro i confini nazionali bolivariani, attraverso il coinvolgimento di enti e società private iraniane. Un esempio perfetto di cooperazione “sud-sud”: l’Iran fornirebbe al Venezuela gli strumenti necessari, ovvero servizi tecnici e adeguata manodopera affinché questa concretizzi i numerosi progetti di espansione urbanistica e di sostegno all’edilizia locale. Un sistema di scambi e favori reciproci, quello messo in piedi dal governo di Caracas e favorito da quello iraniano, fondato essenzialmente sul rapporto qualità – prezzo.

L’Iran vede come prioritario – al fine di dare impulso alla sua economia interna – l’esportazione di servizi tecnici verso altri Paesi e in qualsiasi mercato che li richieda. Sull’altro versante, la parte venezuelana necessita di rinverdire il mercato interno attraverso buoni investimenti e mediante progetti frutto di una cooperazione sostenuta da costi ragionevoli e qualità di servizi. E l’Iran sembra volerglieli offrire. Sempre nel 2008, il governo iraniano ha firmato 150 accordi commerciali del valore di 20 miliardi con il Venezuela e si è classificato terzo tra i Paesi investitori. Alla luce di ciò, l’intesa tra i due è andata ben oltre, fino a toccare altri settori dell’economia: dall’elettricità all’ambiente, dall’agricoltura all’industria automobilistica. Compagnie miste venezuelano – iraniane fabbricano mattoni, producono latte e lanciano sul mercato auto e biciclette.

I due Paesi, in quanto membri OPEC, cooperano anche nel settore energetico – petrolifero. Un’intesa, la loro, sancita nel 1960 con la creazione dell’Organizzazione dei Paesi esportatori di petrolio alla quale aderirono in origine, oltre all’Iran e al Venezuela, anche Arabia Saudita, Iraq e Kuwait. Attualmente, l’organizzazione si è ampliata fino a contare 11 membri permanenti. Tuttavia, l’idillio tra OPEC e Iran-Venezuela ha iniziato a scricchiolare nel 2008, quando l’asse Teheran/ Caracas ha inferto un duro colpo al cartello che controlla le esportazioni di greggio sul mercato globale. Al centro della disputa la valuta di scambio: meglio il dollaro o l’euro? Una diatriba culminata con una profonda frattura interna: l’Iran ha modificato il suo listino prezzi in euro, nonostante i restanti membri Opec abbiano mantenuto inalterata la valuta di scambio in dollari. Mentre Caracas ha optato per una politica monetaria ad hoc, da applicare al settore import-export. La misura è stata varata dal governo venezuelano ai primi di gennaio 2010 e consiste non tanto in una svalutazione, bensì in un adeguamento del valore della sua moneta, il bolivar in base alle necessità dettate dal mercato. In poche parole, il Venezuela può scegliere su una valuta debole e forte. Che cosa significa questo? Che la moneta nazionale si conforma alle diverse condizioni economiche, soprattutto nel settore delle esportazioni. L’economia bolivariana è strettamente legata alla produzione di materie prime, in particolare al petrolio, di cui possiede la quarta  più grande riserva certificata al mondo, dopo Iraq e Arabia Saudita, dopo le recenti scoperte nei pressi della Faglia di Orinoco: 314 milioni di barili estraibili, un terzo di tutte le riserve petrolifere mondiali. Fino al 2008, le entrate derivanti dal petrolio avevano raggiunto picchi elevatissimi, grazie all’ingente produzione di barili (stimati in oltre 3 milioni di barili al giorno) e al loro costo, altrettanto elevato: ciascun barile di “oro nero” costava intorno ai 100/150 dollari. Ma nell’ultimo trimestre dello stesso anno qualcosa inizia a cambiare, soprattutto a causa della crisi economica globale. Il prezzo del petrolio inizia a calare, fino a raggiungere la soglia dei 30 dollari a barile nel 2009. Per far fronte alla drastica caduta dei prezzi, l’OPEC opera un taglio altrettanto drastico della produzione pari al 25% al fine di ripristinare un certo equilibrio. Come ha reagito il Venezuela? Adeguando il prezzo della sua moneta alle sue individuali necessità. A partire dal 7 gennaio 2010, infatti, il governo di Caracas ha dato avvio al processo di “svalutazione-adeguamento” della moneta nazionale, dapprima per i prodotti di prima necessità per poi estendersi al settore petrolifero.

Una linea retta ideale unisce Teheran a Caracas passando per Damasco. E se i punti di questa linea si unissero, essi formerebbero un triangolo imperfetto. Iran, Siria e Venezuela che cosa hanno in comune queste tre realtà? Ad esempio, una rotta aerea percorsa due volte al mese da un vettore dell’Iran Air, la compagnia aerea iraniana. Per due sabati al mese, un Boieng 747SP decolla dall’aeroporto internazionale di Teheran e opera uno scalo di 90 minuti in terra siriana, prima di ripartire alla volta del Maiquetia International Airport di Caracas. Nata dall’intesa tra la società di trasporti venezuelano Conviasa e la compagnia di bandiera persiana Iran Air e inaugurata il 2 febbraio 2007, la rotta ha fin da subito generato sospetti sul versante occidentale. Dubbi e ipotesi hanno fatto da cornice in questi tre anni al volo 744 dell’Iran Air: che cosa trasporterà? Chi volerà a bordo dei suoi vettori? Domande rimaste senza risposta, se non fosse per alcune indiscrezioni filtrate dalle pagine di un “memorandum” risalente al 2008 e compilato da funzionari dei servizi segreti israeliani. Dietro il volo 744 dell’Iran Air si ritiene ci sia uno scambio di favori militari per via aerea. In poche parole, Chavez consentirebbe al leader iraniano di adoperare liberamente i propri aerei di linea in cambio di aiuti di varia natura: dal trasferimento di materiale scientifico verso i laboratori del Centro di studi e ricerca siriano a Damasco, agli aiuti militari diretti a Caracas. In particolare, si tratterebbe di spedizioni di macchine CNC, computer per il controllo di missili e di materiale per lo sviluppo di vettori. Le spedizioni verso “la zona franca” siriana sarebbero state fatte da una società iraniana – la “Shaid Bakeri” – nonostante i veti internazionali. Infatti, l’azienda è stata inclusa nel dicembre 2006 nella lista degli enti sanzionati dal Consiglio di Sicurezza delle Nazioni Unite (ris.1737), in ragione del ruolo svolto dall’Iran nello sviluppo del suo programma missilistico. Sanzioni ratificate lo scorso 18 giugno dall’Unione Europea. Nonostante i divieti imposti dalla comunità internazionale, la Siria avrebbe pertanto ricoperto il ruolo di corridoio di passaggio per gli scambi tra Teheran e Caracas.

Al di là di ipotesi e di supposizioni, le relazioni tra Caracas/Damasco e Iran/Damasco sembrano godere di buona salute. Nel primo caso, Chavez ha promesso al presidente siriano, Bashar al Asad, un supporto economico nella realizzazione di infrastrutture in terra siriana. In particolare, il governo venezuelano investirà nella costruzione di una raffineria che dovrà essere pronta entro il 2013. La struttura avrà la capacità di lavorare 140 mila barili al giorno. Mentre Caracas in veste di promotore finanziario, deterrà almeno il 30% delle azioni: la restante percentuale sarà ripartita tra Siria e Iran. Il progetto verrà portato avanti da un’impresa mista creata nel 2009, di cui fanno parte anche Iran, Malesia, Siria e appunto Venezuela e secondo stime approssimative, costerà circa 4,7 miliardi. Un piano ambizioso, ma nel contempo un segnale positivo nel settore dell’economia nazionale siriana nonché una prova di apertura nei confronti del mercato sud-americano. Le intenzioni di Caracas verso la Siria si sono spinte oltre: il 28 luglio 2010 nel corso della visita di Stato del presidente Asad a Caracas, il leader bolivariano ha esteso l’invito alla Siria a prendere parte all’ALBA, ovvero all’Alleanza Bolivariana per i Popoli di Nuestra America, in veste di osservatore del prossimo vertice del gruppo. L’intesa tra i due presidenti è sfociata poi nella firma di quattro accordi di collaborazione, in materia agricola e scientifica, che riguardano il trasferimento di tecnologie indispensabili per l’installazione di una fabbrica di olio d’oliva in territorio siriano.

Solidissimo il sodalizio tra Iran e Siria. Un’intesa strategica rafforzata nel corso delle due guerre del Golfo e cementata dal comune obiettivo di contrastare l’influsso israeliano nella Regione: dal 1967 la Siria rivendica le Alture del Golan occupate da Israele. Negli ultimi trent’anni, la vicinanza con l’Iran ha inoltre permesso alla Siria di uscire dal suo isolamento internazionale, durato troppo a lungo: dal 1963 al 2000. Cioè dall’ultimo colpo di Stato inferto alla già fragile struttura politica siriana dal partito baath, fino all’ascesa di Bashar al Asad, attuale presidente siriano e principale promotore di una politica distensiva in campo economico, favorevole ad un’apertura del mercato siriano verso l’esterno. Ma non solo. Entrambe sorreggono il movimento sciita libanese Hezbollah e la fazione radicale palestinese, Hamas. Infine, la Siria (come il Venezuela di Chavez) appoggia il diritto dell’Iran a proseguire lungo la strada dell’arricchimento dell’uranio, al fine di completare il suo programma nucleare per scopi essenzialmente civili. Come hanno più volte ribadito i presidenti dell’Asse Sud Americano-Asiatico, non è illegale fornire aiuti all’Iran e alla sua economia,martellata dalle pesanti sanzioni inflitte dalle Nazioni Unite e ratificate puntualmente dall’Unione Europea.

* Pamela Schirru è laureanda in Filosofia Politica (Università di Cagliari)

dimanche, 19 septembre 2010

Augmentation de l'influence iranienne - Entretien avec Shayan R. Arkian

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Augmentation de l’influence iranienne

 Entretien avec Shayan R. Arkian

Propos recueillis par Moritz Schwarz et Jens Boye Volquartz

Shayan R. Arkian, 28 ans, est islamologue et expert ès questions iraniennes. Ce journaliste (cf. www.irananders.de/ ) possède la citoyenneté allemande et vit dans la région de Francfort sur le Main. Il est l’un des auteurs du livre collectif intitulé « Iran. Fakten gegen westliche Propaganda » (= « L’Iran. Les faits contre la propagande occidentale »), Kai Homilius Verlag, Berlin, 2009. L’entretien qu’il a accordé à l’hebdomadaire « Junge Freiheit » vise à nous éclairer sur une question stratégique importante : après le retrait des troupes américaines hors d’Irak, l’Iran deviendra automatiquement la plus grande puissance de la région. Le pays deviendra-t-il alors vraiment dangereux ?

 

Q. : Monsieur Arkian, les Etats-Unis ont déclaré que la guerre en Irak  était terminée et viennent, officiellement, de retirer toutes leurs unités de combat. Bon nombre d’observateurs estiment désormais que l’Iran est le seul vainqueur de cette guerre…

 

ShA : Sans aucun doute, l’influence de l’Iran est devenue plus importante. Non seulement en Irak parce que beaucoup d’opposants irakien du temps de Saddam Hussein s’étaient réfugié en Iran et constituent aujourd’hui une bonne part du gouvernement irakien, mais aussi ailleurs dans la région, notamment en Afghanistan où l’on parle une langue fort apparentée au persan. L’Iran ne se borne pas à jouer la carte du chiisme mais, selon une logique toute pragmatique, se sert de la puissance culturelle que lui procure son héritage national persan.

 

Q. : A la fin du mois d’août, Téhéran a mis en œuvre son premier réacteur atomique à Bushehr et a présenté le premier bombardier-drone à longue distance de fabrication iranienne (photo), engin que le Président Ahmadinedjad a qualifié « d’émissaire de la mort ». Selon toute apparence, l’Iran constitue un danger croissant pour son environnement géopolitique…

 

ShA : Vous devriez citer la phrase d’Ahmadinedjad au complet : avant de dire que le drone est un éventuel « émissaire de la mort », il a dit qu’il apportait d’abord un message de paix, et que le véritable message qu’il entend apporter est celui d’éviter toute confrontation. Le Président a parlé de l’utilisation pacifique du drone car, du point de vue iranien, il faut compenser l’évidente prépondérance militaire américaine. Indépendamment de cela, nous devrions pas, ici en Allemagne et pour notre propre intérêt, considérer seulement l’Iran comme une menace, car, surtout en Afghanistan nous avons des buts communs très similaires.

 

Q. : Empêcher les confrontations ? Alors qu’Ahmadinedjad a clairement menacé Israël…

 

ShA : On nous dit en effet qu’Ahmadinedjad a proféré des menaces et aurait dit qu’Israël devait être rayé de la carte. Ce n’est pas exactement ce qu’il a dit ; il a énoncé une citation qui disait que le régime d’occupation à Jérusalem « devait être ôté des pages des livres d’histoire ». Ensuite, la politique étrangère et la sécurité de l’Iran sont un apanage du chef de l’Etat, l’Ayatollah Khamenei, qui est également le commandant en chef des forces armées.

 

Q. : Vous êtes l’un des co-auteurs du volume « Iran. Fakten gegen westliche Propaganda »…

 

ShA : Ce petit volume a rassemblé une demie douzaine de plumes qui se penchent chaque fois sur un aspect de la présentation que l’on fait de l’Iran en Occident, pour s’efforcer dans la foulée de donner d’autres perspectives sur le débat à propos de l’Iran.

 

Q. : Vous êtes Iranien ; dès lors, ce livre n’est-il pas lui-même de la propagande ?

 

ShA : Lisez ma contribution et, alors, j’espère que vous reconnaîtrez la plausibilité de mes arguments. Ensuite, je dois vous dire que je n’ai jamais voté pour Ahmadinedjad, ni lors des élections de 2009 ni auparavant.

 

Q. : Ce volume ne donne toutefois pas l’impression d’une objectivité totale…

 

ShA : Cette impression, que vous avez, provient sans doute du fait que les dysfonctionnements et les dérapages qui ont lieu en Iran n’y sont pas thématisés. A l’heure actuelle, presqu’aucun média ne donne des informations complètes sur l’Iran, parce que le pays recèle en fait beaucoup trop de contrastes. De ce fait, il me paraît important de consulter des sources et des points de vue différents, pour se donner une image plus objective de l’Iran. Par ailleurs, vu le titre même de l’ouvrage, j’ai dû mettre l’accent sur le fait que, derrière toutes les présentations imprécises de l’Iran dans les médias occidentaux, ne se trouve pas nécessairement des intentions propagandistes : les raisons de l’imprécision sont souvent l’absence de connaissances réelles ou la mécompréhension des ressorts de la société iranienne. Les journalistes occidentaux ne font même pas l’effort de comprendre leurs propres compatriotes chrétiens, qui ont une optique plus traditionnelle de la religion, alors comment pourraient-ils comprendre les ressorts d’un Etat chiite, incarné par des théologiens, comme l’est l’Iran actuel.

 

Q. : Pouvez-vous nous donner des exemples ?

 

ShA : Très souvent, on considère l’Iran comme un Etat agressif. Lors de la première guerre du Golfe, de 1980 à 1988, c’est Saddam Hussein qui, le premier, a utilisé des gaz toxiques. L’Iran, lui, a refusé d’utiliser de telles armes et de pratiquer une politique de la vengeance en frappant l’Irak par des armes similaires. En effet, selon les fatwas des dirigeants religieux iraniens, la mise en œuvre d’armes de destruction massive est interdite par les lois régissant la religion.

 

Q. : Vers la mi-août, les rumeurs concernant une attaque aérienne sont allées bon train. Depuis des années déjà, on spécule à ce sujet… Une intervention américaine est-elle encore réalisable ?

 

ShA : Les attaques par voie aériennes perpétrées par les Etats-Unis au cours de ces dernières décennies se sont effectuées contre des pays fortement endommagés par des guerres, afin de maintenir les pertes américaines le plus bas possible, pour des raisons évidentes de politique intérieure. Une attaque aérienne de même acabit ne pourrait avoir lieu que contre un Iran harassé et affaibli par une guerre. Ensuite, le monde actuel est de plus en plus multipolaire et ne participe plus aussi facilement aux sanctions levées contre l’Iran, par conséquent une attaque ne semble pas imminente dans le contexte actuel. Nous, ici en Occident, serions bien inspirés si nous retournions aux principes de la Realpolitik et si nous nous mettions à traiter avec l’Iran d’homme à homme. Si nous procédions de la sorte, nous gagnerions beaucoup et perdrions peu sinon rien.

 

(entretien paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°36/2010 ; http://www.jungefreiheit.de/ ).

 

 

samedi, 18 septembre 2010

La Colombie dénonce les accords militaires qui la lient aux Etats-Unis

La Colombie dénonce les accords militaires qui la lient aux Etats-Unis

 

COLOMBIE-I-_Converti_-2.jpgC’est une fin de non recevoir claire et nette que le tribunal constitutionnel colombien a adressé aux Etats-Unis. L’objet de cette décision était un accord militaire contesté, qui aurait permis à l’armée américaine d’utiliser sept bases militaires sur territoire colombien. Le tribunal suprême de ce pays latino-américain vient de décider que le traité signé à la fin de l’année dernière entre Bogota et Washington doit être déclaré nul et non avenu.

 

Les prédécesseurs du gouvernement du nouveau président Juan Manuel Santos avaient réglé l’affaire sans en référer au Congrès colombien. Après le prononcé des juges, la décision est désormais entre les mains du Parlement, qui pourra accepter ou refuser les accords et les couler éventuellement en un traité international.  Washington et l’ancien gouvernement colombien avaient justifié la signature de ce pacte en prétextant la lutte contre les cartels de la drogue. Un document émanant du Pentagone laisse entrevoir que les intentions réelles étaient autres. Ce document, en effet, révèle que les Etats-Unis ont l’intention d’étendre leur contrôle à d’autres régions de l’Amérique du Sud. Par conséquent, explique le document, l’autorisation d’utiliser notamment la base aérienne de Palanquero, située au centre du territoire colombien, offrirait « la possibilité unique, de mener des opérations dans une région ‘critique’ sur laquelle des ‘gouvernements anti-américains’ exercent leur influence ».

 

En utilisant ces bases colombiennes, les forces armées américaines pourraient effectivement contrôler l’ensemble de la région amazonienne, le Pérou et la Bolivie. La base de Palanquero offrirait, explicite encore le document stratégique de l’US Air Force, « une mobilité aérienne suffisante » sur le continent sud-américain. Actuellement, plus de 300 soldats américains sont stationnés en Colombie.

 

Cette coopération militaire avec les Etats-Unis a isolé la Colombie et fait de tous ses voisins des adversaires. C’est bien entendu le Venezuela qui se sent visé en premier lieu. A ce propos, l’historien colombien Gonzalo Sanchez a écrit : « Les Etats-Unis veulent surtout obtenir le contrôle de l’espace amazonien, avec toutes les ressources qu’il recèle, et surveiller le Brésil, puissance mondiale en pleine ascension ».

 

H.W.

(article paru dans DNZ, Munich – n°35/2010).

jeudi, 16 septembre 2010

L'influence atlantiste en Allemagne et en Russie

L'influence atlantiste en Allemagne et en Russie

Par Michel Drac

 Ex: http://fortune.fdesouche.com/

Par commodité, nous réputerons ici que l’ensemble USA/Grande-Bretagne/Israël constitue une entité capable d’agir de façon coordonnée sur le plan géopolitique. Nous appellerons cette entité : l’Empire.

Cet Empire est confronté à son déclin. Sa réaction est maintenant visible. Confronté à un défi géostratégique qu’il ne parvient pas à relever, celui de la Chine ; confronté encore à la volonté manifeste de la Russie de se poser en acteur géostratégique de premier plan, à nouveau ; confronté, enfin, au risque de voir l’Europe échapper à son assujettissement, l’Empire a choisi de combattre, pour l’instant, en usant de stratégies d’influence. L’attaque sur l’Iran, pour l’instant toujours, n’a pas eu lieu. La guerre ouverte n’est pas, à ce stade, l’option choisie par les dirigeants de l’Anglosphère (et de son annexe israélienne).

Cela peut changer du jour au lendemain, bien sûr.

Mais jusqu’ici, l’influence semble bel et bien la stratégie privilégiée. Elle prend la forme d’une entreprise de cooptation sélective des élites des puissances que l’Empire doit ou conserver en sujétion (l’Allemagne et la France, pour faire court), ou tenir en respect (la Russie).

Le point sur la question.

*

En France, la promotion de Dominique Strauss-Kahn par les médias dominants est si grossière qu’elle risque de devenir franchement contre-productive. DSK (qui, rappelons-le, a explicitement avoué qu’il était entré en politique « pour défendre Israël ») est par exemple promu via des sondages de commande par Libération (quotidien désormais possédé par la famille Rothschild). Le plan apparaît cousu de fil blanc : il s’agit de remplacer un atlantiste « de droite » (Sarkozy) par un atlantiste « de gauche » (DSK). Plan si cousu de fil blanc, au demeurant, que la probabilité de le voir échouer semble désormais assez grande. La présidentielle 2012 s’avère risquée pour les atlantistes…

Bref, on n’épiloguera pas.

Intéressons-nous plutôt à l’Allemagne. Inutile de disserter longuement sur la situation française, elle est bien connue de nos lecteurs. Il n’en va pas de même de l’évolution outre-Rhin, qui pourtant, elle aussi, révèle une très nette accentuation de l’emprise atlantiste sur les élites.

Quelques points de repère pour commencer.

Angela Merkel a été propulsée à la chancellerie par les milieux atlantistes. Cela s’est fait en deux temps.

Tout d’abord, à la fin des années 1990, avec l’affaire de la « caisse noire » de la CDU. Walther Leisler Kiep (WLK), trésorier de la CDU et accessoirement homme fort de la fondation Atlantik Brücke (en gros, l’équivalent allemand de notre French American Foundation) avait reçu une forte somme d’argent d’un marchand d’armes. Ce fut l’occasion d’entraîner Helmut Kohl, et surtout ses hommes liges, dans un vaste scandale, où fut mis à jour le système de financement occulte de la droite d’affaire allemande. Wolfgang Schaüble (WS), jusque là pressenti comme le successeur naturel de Kohl, en paya le prix – et c’est ainsi que Merkel se retrouva à la tête de la CDU. Il est probable que sous les remous provoqués à la surface par cette opération mains propres, une lutte d’influence féroce se joua à ce moment-là, au sein de la droite d’affaires allemande. On ignore, à ce stade, les détails de cette lutte, mais on sait en tout cas qu’avec Merkel, les milieux atlantistes sauvaient au moins l’essentiel : leur capacité d’influence décisive au sommet de l’appareil.

En 2002, le leader de la campagne CDU/CSU était Edmund Stoiber, homme politique bavarois (le détail a son importance, la CSU bavaroise étant traditionnellement moins atlantiste que la CDU de l’Allemagne du nord). Il perdit de justesse les élections, après une campagne où les choix de la grande presse, pour une fois, ne fut pas particulièrement net en faveur de la droite d’affaires (un choix de la grande presse à peu près aussi clair, à vrai dire, que les positions alambiquées de Stoiber sur la guerre d’Irak…).

La route était désormais dégagée pour Merkel, qui bénéficia, elle, en 2005, d’un soutien total de la part des médias – et remporta donc les élections. Ainsi alla la carrière de celle que les médias présentent comme « la femme la plus puissante d’Europe », et que les esprits mal intentionnés voient plutôt comme la soubrette du capital germano-américain.

Cependant, comme toujours, rien n’est simple. La très forte culture du consensus qui caractérise les élites allemandes fait qu’il pratiquement impossible de rattacher un politicien quelconque à un « camp » stable et bien défini, au regard d’un problème donné. En fait, si l’on excepte les situations où ils s’organisent collectivement pour incuber deux lignes le temps que l’histoire décide à leur place laquelle était la bonne, les politiciens allemands ont pour habitude de prendre des positions molles et flexibles, et de gérer en interne leurs débats, portes closes. La population s’en accommode majoritairement, l’ambiguïté consensuelle étant, là-bas, un mode de fonctionnement collectif très prisé.

Bref, on ne peut pas présenter Merkel comme une atlantiste inflexible, même si elle a, en 2003, pris position plutôt en faveur de la guerre d’Irak. Disons qu’elle est plus atlantiste que la moyenne des politiciens de son camp, eux-mêmes très atlantistes – mais cela peut changer, tout dépend des circonstances.

Or, justement, depuis quelques temps, cela a tendance à changer. Depuis la crise de 2007, Merkel semble, d’une manière générale, agir comme un poids mort, qui retarde et affaiblit la remise en cause du lien transatlantique – mais qui ne fait plus grand-chose pour le promouvoir franchement. La nuance n’a pas échappé aux observateurs attentifs.

Fondamentalement, Merkel est une opportuniste. Elle incarne au fond les qualités et les défauts des femmes en politique : elle sait remarquablement bien naviguer en fonction du vent – mais justement, quand il faut faire vent contraire, elle n’est pas à son aise. Et aujourd’hui, pour être atlantiste, au sein de la droite d’affaires allemande, il faut affronter un vent de face modéré, mais bien présent. Cette physicienne de formation, auteur d’un mémoire sur l’effet des hautes pressions dans la combinaison des molécules, est sans doute plus prompte à tenir un rôle de coordinatrice qu’à imposer ses vues brutalement. Dans le contexte actuel, il n’est donc pas certain qu’elle soit encore « l’homme » de la situation, pour ses sponsors atlantistes eux-mêmes confrontés à une situation très tendue, où le temps leur manque, et où chaque erreur peut se payer cash.

En 2007, Merkel s’est rendue en Chine, et a pris position pour un renforcement des relations commerciales sino-allemandes. Elle y a, certes, souligné que la Chine devait « jouer le jeu » du commerce international, mais concrètement, il s’agissait bel et bien de poursuivre l’ancrage de l’économie allemande dans la sphère de croissance constituée par l’Asie émergente, avec laquelle le patronat d’Outre-Rhin a trouvé un modus vivendi original (intégration logistique, l’Allemagne se réservant les activités à forte intensité technologique et capitalistique).

La suite l’a d’ailleurs très bien montré :


(source)

Commentaire : alors qu’entre 2007 et 2010, le commerce extérieur allemand régressait fortement (comme l’ensemble du commerce international), les relations germano-chinoises sont restées pratiquement constantes. Bien entendu, s’agissant de l’année 2010, le chiffre est une projection.

On remarquera qu’entre 2005 et 2010, les exportations allemandes vers les USA ont, quant à elles, baissé de 25 % environ (estimation).

Toute atlantiste qu’elle soit, Merkel ne peut tout simplement rien contre une dynamique économique de fond – le recul des USA, la montée en puissance de la Chine. Pour l’instant, les USA ont réussi à limiter leur décrochage – le financement d’une fausse reprise, en trompe l’œil et par le déficit budgétaire, ayant temporairement maintenu à flots le marché US. Mais on voit bien que si cette « reprise » craque (ce qu’elle fera certainement), l’Allemagne pourrait assez vite se retrouver avec la Chine comme premier client et premier fournisseur – ce qui imposera sans doute de revoir fondamentalement l’orientation économique globale du pays, et donc sa géostratégie.

Moins cruciales sur le strict plan économique, les relations germano-russes sont peut-être encore plus sensibles que les relations sino-allemandes en termes stratégiques. Et là encore, Merkel, tout en conservant un parfait atlantisme de façade, n’a finalement rien fait pour endiguer sérieusement le développement des relations commerciales bilatérales (peut-elle, d’ailleurs, faire quoi que ce soit ?).

Evolution en millions d’euros du commerce germano-russe (document allemand)

L’analyse de l’Ost Europa-Institut précise : « Le commerce extérieur germano-russe se développe indépendamment des changements politiques intérieurs ».

Non seulement le commerce allemand en Russie n’a pas régressé sous Merkel (en fait, il a progressé plus vite que sous Schröder !), mais en outre, les investissements allemands en Russie, il est vrai initialement fort modestes, ont littéralement explosé :

(Investissements directs allemands en Russie, en millions d’euros, même source – la progression est impressionnante, de sorte que, même si en 2007 les investissements allemands en Russie ne représentaient encore que 5 % des investissements allemands à l’étranger, la Russie commence à devenir un moteur de développement très significatif pour l’Allemagne).

Ces trois dernières années, l’évolution s’est poursuivie si l’on ramène le commerce germano-russe à l’évolution globale du commerce extérieur allemand (marquée, comme partout sur la planète, par une très forte chute). Pour les dernières données disponibles sur le web (2008 et une partie de 2009), le poids de la Russie dans le commerce extérieur allemand continue de croître, à un rythme de l’ordre de +10% par an. La crise russe a sans doute endigué momentanément cette tendance, mais la dynamique d’ensemble n’est pas brisée.

Nul doute dans ces conditions que dans les cercles atlantistes, la cote de popularité de Frau Merkel est aujourd’hui assez loin du zénith atteint en 2003. Si le développement des relations germano-russes s’accompagnait d’une « démocratisation » de la Russie (c’est-à-dire de son occidentalisation), la démarche aurait probablement l’appui des USA. Mais ce n’est pas ici de cela qu’il s’agit ; on dirait plutôt que l’Allemagne a de moins en moins d’intérêts communs avec l’Ouest, et de plus en plus avec l’Eurasie. Et cela, ça ne doit pas plaire à Washington.

On relèvera donc avec intérêt que, depuis quelques temps, les milieux atlantistes semblent investir beaucoup sur un politicien totalement inconnu en France, mais doté en Allemagne d’une influence certaine : Friedrich Merz.

Un personnage haut en couleur, dont le portrait mérite le détour, tant il est révélateur. C’est lui qui va nous servir de « fil rouge » pour analyser, à travers un exemple assez croustillant, les stratégies d’influence de l’Empire en Allemagne.

Merz est avocat d’affaires. Sa notice Wikipédia nous apprend qu’il fut membre de l’association des étudiants catholiques, qu’il a été employé au début de sa carrière par l’industrie chimique, comme juriste, et qu’il fut tour à tour député européen et député au Bundestag (la CDU/CSU le positionna très bien au sein du comité des finances). Plutôt dans le sillage de Schaüble au début des années 2000, il survécut à la victoire de Merkel, et conserva l’essentiel de ses attributions au parlement. Il en profita pour enfourcher deux principaux chevaux de bataille : la libéralisation tous azimuts (réforme fiscale) et la critique du « passéisme » des musulmans immigrés en Allemagne. Bref, un politicien libéral néoconservateur bon teint.

Mais il y a aussi ce que Wikipédia ne dit pas. Par exemple, que depuis 2004, tout en poursuivant une carrière politique, Merz a travaillé pour « Mayer, Brown, Rove & Maw », une firme américano-britanico-mondialisée, en charge, entre autres, de la défense juridique de la compagnie « Hudson Advisors ». C’est intéressant, parce que cette compagnie racheta la banque IKB, après sa faillite en 2007, dans des conditions plus que douteuses (achat pour 150 millions d’euros, en échange d’une garantie gouvernementale de 600 millions d’euros). L’affaire a fait grand bruit Outre-Rhin, où un collectif des investisseurs spoliés s’est même constitué.

Plus croustillant encore, Merz, dont l’agenda semble indéfiniment extensible, a trouvé le temps, en 2005, de conseiller la banque Rothschild en Allemagne, au moment où un de ses fonds d’investissement, TCI (« the children investment ») attaquait la bourse allemande (pour dissuader le président de la Deutsche Börse de prendre le contrôle du London Stock Exchange). On remarquera ici, toujours pour le côté croustillant de l’affaire, que TCI fut officiellement constitué pour aider au développement des pays du tiers-monde via le microcrédit (comme si un hedge fund pouvait être une œuvre caritative !). Et que ce fonds spéculatif est en réalité connu pour pratiquer fréquemment de très agressives spéculations à la baisse, pratiquement assimilables à des manipulations de cours. TCI peut compter, pour appuyer sa démarche, sur la complicité des agences de notation, d’où sa forte profitabilité. Voilà pour les œuvres caritatives de monsieur Merz.

Sans doute parce qu’après ces affaires successives, un véritable concert de casseroles se faisait entendre derrière lui dans les couloirs du Bundestag, Merz ne s’est pas présenté aux élections de 2009, se mettant en quelque sorte « en retrait » de la vie politique officielle. Cela ne l’a pas empêché de continuer à faire avancer les affaires de ses mandants.

Merz, en quittant le Bundestag, devint président de la fondation Atlantik Brücke. Or, ces dernières semaines, on a assisté, au sommet de l’organigramme de cette fondation, à un curieux ballet. Friedrich Merz a été violemment attaqué par WLK (voir ci-dessus), au motif que Merz entraînait la fondation dans un conflit avec Merkel. Merz a en effet rédigé récemment un livre avec une figure du SPD (1), et ce serait la raison de l’ire de WLK – même si on subodore que ce n’est là qu’un prétexte, et qu’il s’agit ici de bien autre chose que d’un vulgaire bouquin.

WLK est président d’honneur de la fondation Atlantik Brücke depuis sa condamnation suite à l’affaire de la caisse noire de la CDU (une sorte de récompense pour avoir porté le chapeau, probablement). Président d’honneur, mais doté d’une influence plus qu’honorifique, il est parvenu, dans un premier temps, à obtenir l’éviction de Merz.

Mais dans un deuxième temps, celui-ci a regroupé ses soutiens, et finalement triomphé. Et cela n’est pas tout à fait anodin.

Un journaliste d’investigation allemand, Jürgen Elsässer, a eu la curiosité de regarder qui, au sein de la fondation Atlantik Brücke, avait soutenu WLK ou Merz. Et il s’est aperçu de quelque chose d’assez révélateur (2) : en substance, ce sont les représentants de la partie allemande de l’axe germano-américain qui ont soutenu WLK (la grande industrie), tandis que les représentants de la partie sous dominance capitalistique américaine (par exemple le rédacteur en chef de Bild Zeitung) appuyèrent Merz, lequel bénéficia dans l’ensemble du soutien de la grande presse (3). A l’intérieur de la fondation Atlantik Brücke, il y a donc eu reprise en main par les agents d’influence américains, au détriment de leurs associés plus soucieux des intérêts proprement allemands.

En somme, il se pourrait bien qu’avec l’affaire Merz, les milieux atlantistes aient envoyé un message à Merkel : n’oublie pas qui t’a fait roi. Une épée de Damoclès surmonte désormais la tête de Frau Merkel. A elle de ne pas se tromper à l’avenir. Le sacrifice de WLK et le sauvetage de Merz ressemblent bigrement à un avertissement adressé, par les milieux atlantistes, à des élites allemandes de moins en moins enclines à coupler leur économie à une Amérique qui leur a certes beaucoup rapporté par le passé, tant que les USA s’endettaient, mais qui risque maintenant de se transformer en fardeau, puisqu’ils sont ruinés.

*

Nous sommes moins bien renseignés sur la Russie que sur l’Allemagne. Il faut bien dire que le Kremlin n’est pas précisément réputé pour sa transparence…

Décidément, la Russie restera toujours la Russie. Pour qui voit les choses de loin, aujourd’hui, il y a, à Moscou, un Grand Tsar (Poutine), un héritier ambitieux (Medvedev) et des boyards comploteurs (les oligarques). Le Tsar a le soutien du peuple, l’héritier est obligé de s’appuyer sur les boyards pour acquérir de l’influence, et les agents étrangers naviguent entre les factions rivales dans une ambiance de cour byzantine. Le Grand Souverain parviendra-t-il à déjouer les complots des boyards pour sauver la Sainte Russie ? – Telle est la question. Il ne manque plus qu’un moine mystique dans la pénombre, et on se croirait dans un roman historique !

Bref, trêve de plaisanteries.

Essayons, armés du peu d’informations dont nous disposons, de démêler l’écheveau de la vie politique russe (la vraie, celle qui se joue dans les coulisses). Nous verrons que la Russie reste la Russie, mais que les choses sont, tout de même, un peu plus compliquées que dans un film d’Eisenstein.

Petit rappel du paysage russe, pour commencer.

Dans les années 1990, après l’écroulement de l’URSS, quelques dizaines d’oligarques se sont littéralement partagé les dépouilles de l’économie russe. C’est probablement le plus grand pillage de tous les temps, en tout cas la plus formidable disparition de valeurs jamais vue en temps de paix. De véritables colosses industriels ou miniers ont été bradés par Eltsine à ses « amis », c’est-à-dire, en fait, ses financiers.

En reprenant le pays, en 2000, Poutine fit preuve de pragmatisme. Conscient des rapports de force, il n’a pas attaqué frontalement les oligarques. Il s’est contenté de leur fixer les règles du jeu : ils eurent le droit de conserver leurs propriétés, même mal acquises, à une condition, les mettre au service de la grandeur et de la puissance de la Russie. L’officialisation de cette position s’est faite en deux temps : d’abord, dès son entrée en fonction, Poutine signa un décret qui exemptait Eltsine et son entourage de toute enquête sur leurs malversations (sans doute était-ce le prix à payer pour entrer en fonction) ; ensuite, ayant rassuré, il punit. Il disposait pour cela d’une force d’appoint décisive : le soutien des réseaux ex-KGB, bien décidés à restaurer la « verticale du pouvoir » (en d’autres termes : en finir avec l’anarchie destructrice des années Eltsine).

Mikhaïl Khodorkovski est alors le président du géant pétrolier Ioukos, qu’il a acquis pour une somme dérisoire par rapport à sa valeur réelle (à peu près 1,25 % d’après des estimations sérieuses). Il envisage de revendre l’entreprise à un groupe occidental. Poutine s’y oppose, mais Khodorkovski persiste – il vient de transmettre ses parts au financier britannique Jacob Rothschild. Cette fois, l’oligarque a passé une ligne rouge : il est arrêté et condamné à huit ans de prison. Le message est simple : tant que vous obéissez à Poutine, on ne vous demande pas de compte sur la période Eltsine. Mais si vous désobéissez, vous aurez l’insigne honneur de participer avec enthousiasme à la colonisation de la Sibérie (Khodorkovski est, aux dernières nouvelles, à l’isolement dans une colonie pénitentiaire située sur un gisement d’uranium à ciel ouvert – Elie Wiesel a d’ailleurs lancé une campagne pour essayer de le sortir de là – on lui souhaite bonne chance).

La plupart des oligarques se sont accommodés de la méthode Poutine. D’abord parce qu’ils n’avaient pas envie de finir à l’isolement sur un gisement d’uranium, ensuite parce qu’au fond, ils savent bien que la « verticale du pouvoir » est indispensable en Russie.

Parmi les oligarques qui se rallièrent à Poutine (Roman Abramovitch, Pavel Fedoulev, Vladimir Potanine…), le plus important était sans doute Anatoli Tchoubaïs. Retenons ce nom, ce sera notre « fil rouge » pour décoder l’influence atlantiste en Russie.

Les milieux d’affaires occidentaux ont toléré mise en place du système Poutine parce qu’ils n’avaient tout simplement pas le choix. Ils ont bien tenté de financer des partis libéraux, avec Gary Kasparov en figure de proue, mais le libéralisme est, en Russie, assimilé à l’ère Eltsine, de sorte qu’il culmine à 5 % des votes. En réalité, il est complètement impossible de réaliser, en Russie, une « révolution colorée » à la Soros (comme celle qui fut tentée et, provisoirement, réussie en Ukraine), parce qu’à part Moscou et Saint-Pétersbourg (et encore), le pays est totalement imperméable au projet libéral anglo-saxon. Comme il n’est pas non plus envisageable d’attaquer militairement la Russie, dès lors que le Kremlin est unifié et déterminé, les acteurs sous influence occidentale ne peuvent jouer qu’un rôle subalterne.

Mais les données du problème changent dès lors que le Kremlin n’est plus unifié. La rupture apparente du tandem Poutine-Medvedev offre donc, depuis quelques mois, de nouvelles possibilités d’action aux « occidentaux ».

L’homme à suivre en premier lieu est, sans doute, notre « fil rouge » : Anatoli Tchoubaïs. Surnommé « le père de tous les oligarques », c’est de toute manière un personnage-clef. C’est lui qui organisa, en grande partie, la privatisation-pillage des années 90. C’est encore lui, aujourd’hui, dont l’influence grandit au sein du cercle Medvedev – du moins dans la mesure où nous sommes informés correctement des évolutions au sein d’une direction moscovite fort peu transparente.

Tchoubaïs fait partie des milieux économiques qui souhaitent orienter la Russie vers les technologies de pointe, en particulier l’informatique civile et les nanotechnologies, pour diversifier une économie trop dépendantes des exportations de matières premières – ce en quoi il n’a pas forcément tort. Il est surprenant qu’un pays à la pointe de la recherche militaire (développement des systèmes laser anti-détection sur les avions de chasse, sous-marins nucléaires ultra-furtifs de quatrième génération, chasseur T-50 de cinquième génération, comparable au F-22 américain) ne soit capable d’exporter que des matières premières… et des armes.

Or, on a pu constater, ces dernières semaines, que Medvedev semblait s’approprier le projet « high tech » de Tchoubaïs. En mai 2010, dans un discours au comité pour la modernisation de l’économie russe, il a pris position en faveur du développement accéléré des technologies de l’information et de la communication. On remarquera ici, au passage, que ce choix impliquerait le développement d’une plus forte intégration entre l’économie russe et le leader dans ce domaine, leader qui reste (au moins pour ce qui relève du software) les Etats-Unis – et impliquerait, en contrepoids, un moindre investissement dans le projet industriel classique qui sous-tend évidemment le commerce germano-russe.

En filigrane, on doit peut-être ici discerner un axe Tchoubaïs-Medvedev, le premier « vendant » au second l’intégration de la Russie dans l’économie occidentale, sur un pied d’égalité, le second s’empressant de croire à la promesse (pourtant bien nébuleuse) du premier, afin de se doter d’un soutien de poids, dans la perspective d’un face-à-face avec Poutine aux élections prochaines. La communication très « occidentalisante » adoptée par Medvedev ces derniers temps (rencontre avec Bono, le leader de U2, etc.) laisse penser que c’est le cas.

Si cette analyse est correcte, alors il semble bien que Tchoubaïs ait décidé de miser sur Medvedev en vue d’accroître le pouvoir des oligarques – une intrigue de palais, au sein des tout petits milieux pétersbourgeois qui trustent les postes de responsabilité à Moscou, depuis dix ans (Tchoubaïs, Poutine et Medvedev sont tous trois issus de la « suite » d’Anatoli Sobtchak, ex-maire de Saint-Pétersbourg). Mais peut-être est-ce, aussi, un peu plus qu’une intrigue de palais… Dans quelle mesure Tchoubaïs agit-il ici sur ordre des occidentaux ? Bien malin qui pourrait répondre à cette question. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que son influence joue en faveur d’un retour de l’Occident en Russie.

Poutine, l’homme de l’alliance chinoise, contre Medvedev, l’homme de l’OTAN ? Sans aller jusque là, force est de constater que les lignes de communication respectives des deux hommes, à ce stade, laissent penser qu’un véritable affrontement se prépare. D’un côté, Medvedev, l’ex-fan de hard rock, partisan de l’inscription de la Russie dans l’univers occidental (virtualisme, nouvelles technologies). En face, Poutine, l’homme de la Russie profonde, partisan d’une politique de puissance et champion de la lutte anti-corruption (récent discours très dur, sur ce sujet, pour dénoncer les dérives de la bureaucratie au niveau local – purges en perspective ?).

Poutine est fort de son bilan (la gestion de la crise financière de 2008 a été remarquable, la dévaluation du rouble a permis une relance rapide). Medvedev, lui, entend communiquer sur un retour du rêve occidental.

Medvedev propose implicitement à la Russie de capitaliser sur son statut de puissance retrouvé (symbole fort : pour la première fois, en 2009, les ventes d’armes russes ont dépassé celles des USA en Amérique Latine). Dans la logique Medvedev, il s’agit, à présent que le siège semble brisé (axe économique germano-russe en construction, Ukraine à nouveau sous contrôle, présence marquée en Asie Centrale, abandon du projet antimissiles US en Europe de l’est) d’encaisser les dividendes : principalement, obtenir le soutien de l’Occident pour une intégration accélérée dans l’OMC (4), et de manière plus générale une place honorable dans l’ordre économique international. Le président russe peut compter, pour déployer cette communication, sur le soutien d’une partie des médias. Et il dispose, il ne faut pas s’y tromper, d’arguments réels : pour diversifier son économie, la Russie a besoin d’importer du savoir-faire occidental, comme la Chine l’a fait ces dernières décennies – et cela, c’est un fait.

Poutine, de son côté, a déjà fait donner ses propres réseaux (l’appareil d’Etat, principalement) pour contrebattre la ligne de communication Medvedev. En filigrane, derrière ces discours pro-Poutine, on devine une mise en garde : le « rêve occidental » n’est qu’un leurre. Le siège n’est pas définitivement brisé, il est trop tôt pour encaisser les dividendes. L’influence anglo-saxonne continue, partout où elle le peut, de contrecarrer le retour de la Russie (en Asie centrale, en Europe de l’est, mais aussi, désormais, en Amérique Latine). Les livraisons d’armements OTAN à la Géorgie se poursuivent. Comment attendre quoi que ce soit de l’Occident, dans ces conditions ?

Ce qui rend ce heurt apparent très difficile à analyser, c’est qu’il est impossible, en Russie, de séparer les prises de position des deux hommes du consensus latent des élites qui les soutiennent. Or, ces élites sont caractérisées par une opacité extrême, et une stabilité sous-jacente qu’on n’imagine pas en Occident. Détail révélateur, c’est la même plume qui rédige aujourd’hui les discours de Medvedev, rédigeait hier ceux de Poutine, et avant-hier ceux de Eltsine. En fait, il faut bien garder en tête, ici, que nous pouvons avoir l’impression d’un clivage Poutine / Medvedev, et que cependant, dans la réalité, dans la coulisse, il y a consensus pour négocier un accord avant la prochaine élection présidentielle. Tout ce qu’on peut dire à ce stade de solide et sérieux, c’est que la marge de manoeuvre de Medvedev, jusque là presque nulle, semble croître, et que des influences pro-US très fortes se manifestent désormais au niveau des classes dirigeantes russes.

Medvedev n’est pas l’homme qui fera basculer la Russie dans l’atlantisme, c’est plus compliqué que cela. Il faut toujours se souvenir que Poutine voulait initialement se lier avec les USA, et que c’est Washington, au départ, qui a refusé sa proposition de partenariat, il y a dix ans. En Russie, rien n’est simple, tout est possible.

*

Derrière l’affaire Merz en Allemagne et le cas Tchoubaïs en Russie, une isomorphie : un Empire en train de perdre la maîtrise de la mondialisation qu’il impulse, et qui, pour retarder et si possible annuler les conséquences de son déclin dans l’économie réelle, pour contrôler les élites rivales et maîtriser leurs choix, mise sur la cooptation sélective au sein de ces élites.

Plutôt que la « révolution colorée » méthode Soros, et (pour l’instant) aux antipodes de la brutalité néoconservatrice, on retrouve là le schéma d’influence proposé par Z. Brzezinski, l’éminence grise de Barack Obama.

Quelques citations de son ouvrage principal, « Le Grand Echiquier » (5) :

« Par définition, les empires sont des entités politiques instables, parce que les unités subordonnées préfèrent, presque toujours, acquérir une plus grande autonomie. Et presque toujours, les contre-élites gérant ces unités s’emploient à accroître leur autonomie. » (citation que Z.B. tire de l’universitaire Donald Puchala.)

« Pour l’Amérique, l’enjeu géopolitique principal est l’Eurasie. Depuis cinq siècles, les puissances et les peuples de ce continent ont dominé les relations internationales. Aujourd’hui, c’est une puissance extérieure [l’Amérique] qui prévaut en Eurasie. Et sa primauté globale dépend étroitement de sa capacité à conserver cette position. »

« Tous les rivaux politiques et/ou économiques des Etats-Unis sont situés en Eurasie. Leur puissance cumulée dépasse de loin celle de l’Amérique. Heureusement pour cette dernière, le continent est trop vaste pour réaliser son unité politique. »

« Si l’espace central de l’Eurasie [la Russie] peut être attiré dans l’orbite de l’ouest [l’Europe], où les Etats-Unis sont prépondérants, […] et si l’Est [Chine-Japon] ne réalise pas son unité de sorte que l’Amérique se trouve expulsée de ses bases insulaires, cette dernière conservera une position prépondérante. »

« L’arme nucléaire a réduit, dans des proportions fantastiques, l’usage de la guerre comme prolongement de la politique. […] Ainsi les manœuvres, la diplomatie, la formation de coalitions, la cooptation et l’utilisation de tous les avantages politiques sont désormais les clefs du succès dans l’exercice du pouvoir géostratégique. »

« Dans la terminologie abrupte des empires du passé, les trois grands impératifs géostratégiques se résumeraient ainsi : éviter les collusions entre vassaux et les tenir dans l’état de dépendance que justifie leur sécurité ; cultiver la docilité des sujets protégés ; empêcher les barbares de former des alliances offensives. »

« La France et l’Allemagne sont assez puissantes pour avoir une influence régionale au-delà de leur voisinage immédiat. […] De plus en plus, l’Allemagne prend conscience des atouts qu’elle a en propre. […] Du fait de sa situation géographique, l’Allemagne n’exclut pas la possibilité d’accords bilatéraux avec la Russie. »

« La Russie a de hautes ambitions géopolitiques qu’elle exprime de plus en plus ouvertement. Dès qu’elle aura recouvré ses forces, l’ensemble de ses voisins, à l’est et à l’ouest, devront compter avec son influence. »

« Un scénario présenterait un grand danger potentiel : la naissance d’une grande coalition entre la Chine, la Russie et peut-être l’Iran. »

« On peut s’inquiéter d’un échec du processus [d’unification européenne] et de ses conséquences […] pour la place de l’Amérique sur le continent. […] La Russie et l’Allemagne pourraient tirer parti de cette nouvelle situation et se lancer dans des initiatives visant à satisfaire leurs propres aspirations géopolitiques. »

Ce paragraphe, très important dans le contexte actuel, signifie que Brzezinski souhaite dans une certaine mesure le développement des liens germano-russes, mais seulement si l’Allemagne est, via l’Union Européenne codirigée avec une France capable de maintenir une forme de parité, ancrée dans un monde atlantique lui-même sous leadership américain. Brzezinski parle, pour décrire l’Europe qu’il souhaite, de « tête de pont de la démocratie » (en clair : de l’Amérique). Et donc, une situation, où la France serait trop faible pour maintenir cette parité, modifierait fondamentalement l’attitude des USA à l’égard de la question germano-russe – surtout si, dans le même temps, l’Amérique est si affaiblie qu’elle n’a plus les moyens de faire clairement percevoir son leadership global.

Nous avons confirmation de cette lecture plus loin : « A long terme, la France est un partenaire indispensable pour arrimer définitivement l’Allemagne à l’Europe. […] Voilà pourquoi, encore, l’Amérique ne saurait choisir entre la France et l’Allemagne. »

En clair : aussi longtemps que l’Europe s’unifie sous la tutelle américaine, l’Allemagne doit être poussée à étendre sa zone d’influence vers l’est. Mais si ce nouveau Drang nach Osten devait déboucher sur la définition d’un axe Berlin-Moscou émancipé de la tutelle US, alors il faudrait que les USA donnent les moyens à la France de rééquilibrer l’Europe. Ce point est, évidemment, pour nous, Français, d’une grande importance. Nous allons peut-être avoir, enfin, la possibilité de desserrer l’étau de l’alliance germano-américaine.

*

De tout ceci, en attendant, on peut tirer une conclusion simple s’agissant de l’Empire : nous assistons probablement, derrière l’affaire Merz et le cas Tchoubaïs, au déploiement d’une vaste stratégie US, dont la finalité est d’empêcher que la « tête de pont de la démocratie » se mue, en éclatant, en tête de pont de l’économie eurasiatique.

Profondément affaiblie par la crise économique, l’Amérique perd la maîtrise de la mondialisation. Si, comme on peut le penser, sa « reprise » en trompe-l’œil, financée par le déficit budgétaire, implose dans les deux ans qui viennent, la balance pourrait commencer à peser de plus en plus nettement en faveur de la Chine, y compris au sein des classes dirigeantes européennes – et allemandes en premier lieu. Une situation qui pourrait entraîner, à long terme, la constitution d’une économie eurasiatique dynamique et partiellement intégrée, dont l’Amérique, déclassée, ne serait plus qu’une périphérie.

Le troisième impératif de Brzezinski, « empêcher les barbares de former des alliances offensives », ne serait alors plus garanti, puisque le premier, « éviter les collusions entre vassaux », aurait volé en éclat. Il y a treize ans, dans « Le Grand Echiquier », Brzezinski écrivait, en substance, que pour conduire à terme le projet mondialiste dans de bonnes conditions, il fallait que l’hégémonie US soit maintenue encore pendant une génération – il est de plus en plus évident que cette condition sera peu aisée à remplir. Le fond du problème est évident, il suffit de relire « Le Grand Echiquier » pour le comprendre : la montée en puissance de la Chine va beaucoup plus vite que ce qui avait été anticipé par Brzezinski.

Peu capables de s’opposer à cette dynamique économique de fond, les milieux atlantistes ont, de toute évidence, choisi pour l’instant de jouer sur les armes d’influence recommandées par Brzezinski : « les manœuvres, la diplomatie, la cooptation ».

Sur ce dernier point, il écrit, dans « Le Grand Echiquier » : « Deux étapes fondamentales sont donc nécessaires. Premièrement, identifier les Etats géopolitiquement dynamiques qui ont le potentiel de créer un basculement important en terme de distribution internationale du pouvoir, et décrypter les objectifs poursuivis par leurs élites politiques, et les conséquences éventuelles. Deuxièmement, mettre en oeuvre des politiques US pour les compenser, coopter, et/ou contrôler. »

Compenser : Medvedev contre Poutine, la fondation Atlantik Brücke contre une partie du haut patronat allemand. Coopter : Merz. Contrôler : Tchoubaïs.

Si la démarche échoue, il ne restera plus à l’Empire qu’à choisir entre la défaite et la guerre.

—————————

Notes :

(1) « Ce qu’il faut faire maintenant : l’Allemagne 2.0 », coécrit avec un ancien politicien SPD, « de gauche », Wolfgang Clement. L’étiquette « gauche » ne doit pas ici abuser le lecteur. Ce monsieur Clement, maintenant retiré de la vie politique, siège à de nombreux conseils de surveillance – sans doute une récompense pour avoir conduit une bonne partie des réformes social-libérales de l’ère Schröder.

(2) Source : « Est-ce que les cercles anglo-américains préparent une rocade du pouvoir en Allemagne ? », Jürgen Elsässer Blog

(3) Par exemple, la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ, l’équivalent allemand du Figaro) a publié, en mai 2010, un article présentant les critiques de WLK comme « peut-être » infondées, et « peut-être » motivées par de vulgaires considérations financières : « Bataille boueuse ».

Cet article a été écrit par un monsieur Majid Sattar, d’origine irakienne, qui a fait ses études aux USA.

(4) Il est utile, pour comprendre le positionnement de Medvedev, de se souvenir que lorsqu’il discute avec les Américains de l’Iran, par exemple, c’est entre deux séances de travail sur l’admission de la Russie à l’OMC.

(5) Le texte de Brzezinski est entouré de circonlocutions et formules obligées visant à nous présenter son projet comme l’expression d’une hégémonie américaine « bienveillante », destinée à conduire le monde vers la paix universelle et la démocratie. J’épargnerai au lecteur de subir ici ces formules hypocrites, pour mettre plutôt en exergue les passages qui traduisent, selon toute probabilité, la pensée profonde de l’auteur : défendre un Empire inégalitaire et prédateur, pour les meilleurs intérêts de ses classes dirigeantes corrompues.

(6) Ce texte a été rédigé avec l’aide bénévole de l’ami Fritz et d’oncle Vania, que l’auteur tient à remercier tout en respectant leur anonymat.

Scriptoblog

mercredi, 15 septembre 2010

Bloc continental, Lumière du Nord, Endkampf et Imperium Magnum

Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1991

 

Bloc continental, Lumière du Nord, Endkampf et Imperium Magnum

 

Une lettre de Jean PARVULESCO

 

 

Le 16 mai 1991.

 

parvulesco.jpgCher Robert Steuckers,

 

je ne pense pas qu'il me faille le cacher, et bien moins encore vous le cacher à vous, c'est en quelque sorte la réception de votre dernier envoi, celui-ci ayant donc eu à accomplir, en l'occurrence, une mission pour ainsi dire pro­videntielle, envoi comprenant les revues Vou­loir janvier-février 1991 et Orientations été 1990 et hiver 1990-1991, cette dernière axée sur la grande bataille géopolitique finale ac­tuellement en cours et sur le concept hau­shoférien fondamental du Kontinentalblock, qui a brusquement cristallisé ma décision de rejoindre à nouveau, à titre personnel et quoi qu'il en fût, la Ligne de Front du combat à la fois tragique et total dont nous autres nous portons encore et toujours en nous la prédes­tination abyssale, le feu secrètement inextin­guible et le Nom Prohibé, qui n'en finit plus d'être celui de l'Honneur s'appelant Fidélité. Ainsi, tout rentre à nouveau dans la zone de l'attention suprême.

 

(1) Je le tiens pour une évidence aussi tran­chante qu'inconditionnelle, l'histoire mondiale et juqu'à l'histoire ontologique du monde ap­prochent aujourd'hui vertigineusement de la ligne d'un non-retour final, cette ligne de fron­tière et d'engouffrement vers laquelle se trou­ve aujourd'hui fatidiquement emporté, et com­me aspiré en avant n'étant autre que celle de l'au­to-consommation apocalyptique des temps, ce que la pensée traditionnelle in­dien­ne appelle Mahapralaya, la «Grande Dis­solution».

 

Mais, d'autre part, si, à présent, le cycle final des grands cycles à leur fin va devoir lui-même connaître, catastrophiquement, sa pro­pre fin, il n'est pas moins certain qu'au delà de l'inéluctable déjà en marche d'autres temps viendront, porteurs d'un monde autre et d'horizons historiques entièrement, incon­cevablement autres.

 

(2) Ceux de la grande lumière du Nord, ceux de l'ancienne Nordlicht ne l'ignorent pas, et ne l'ont jamais ignoré: au-delà de l'ensemble de toutes ces catastrophes terminales, catas­trophes que la tradition nordique secrète a prévues et sans cesse annoncées, nous allons à présent vers le Renversement des Pôles, vers le mystérieux Paravrti  tantrique projeté sur ses dimensions cosmiques ultimes, nous nous apprêtons à connaître le retour de l'A­xe Polaire vers son élévation transgalac­tique des origines, élévation héroïque et di­vine, intacte et, de par cela même, régénérée et ré­générante, renouvelante et salvatrice en ter­mes de libération totale et de recommen­ce­ment total.

 

«Je rappelle aussi que la dernière des grandes catastrophes eut pour conséquence le bascu­lement de l'axe des pôles. Ce fut comme un gigantesque coup de balai cosmique pour net­toyer la terre trop polluée. L'Atlantide ne con­naître plus jamais l'éternel printemps de l'âge d'or», écrit Bernard Delafosse dans son roman prophétique, paru en 1990 chez Guy Tréda­niel, Des vies de lumière.

 

«A une certaine époque, l'axe de la terre s'est déplacé, et ce choc a dû disloquer l'ensemble de sa surface, provoquer des dévastations ir­rémédiables», lit-on aussi dans l'extraor­di­nai­re roman de l'Australien Earle Cox, La Sphè­re d'Or, paru en 1925 et repris par Néo en 1987.

 

Lorsque survint le cataclysme du Renverse­ment des Pôles, la race habitant alors la terre avait atteint, d'après la Sphère d'Or, «les plus hauts sommets que l'humanité puisse at­tein­dre», entendons que l'humanité puisse at­teindre en se dépassant elle-même, en s'é­le­vant aux stades ultimes d'une suprême sur­humanité.

 

Or, à ce moment-là tout comme aujourd'hui  —la spirale ascendante du devenir cosmogo­nique retrouve les mêmes situations d'être, les mêmes états ontologiques, à des niveaux de plus en plus élevés, de plus en plus pa­ro­xystiques, de plus en plus sombrement tra­giques­­—  le seul problème salvateur appa­rais­sait donc comme étant, toujours en sui­vant la Sphère d'Or, celui de «transmettre le flam­beau d'une race mourante à celle qui n'était pas encore née».

 

(3) Aussi le prochain retour des fondations oc­cultes de ce monde à la conscience originale d'une race suprahumaine, préontologique­ment identique à elle-même et redevenant ainsi, encore une fois, surpuissante et même toute-puissante, se trouvera-t-il posé dans les termes mêmes du projet révolutionnare abys­salement encore et toujours présent, vivant et agissant dans les profondeurs du sang de cette race et de son immémoire transcendan­tale, et sur la ligne de confrontation de toutes les grandes batailles métapolitiques à venir ce seront donc les dénominations visionnaires de cette race, les concepts de sa propre géopoli­tique transcendantale en action, qui décide­ront du sens des recommencements à venir et de leur histoire encore, en ces temps, pour nous, in-prépensable (in-prépensable prove­nant, ici, du concept heideggerien d'unvor­denk­lich).

 

Qui dira et qui, de par ce dire même, fera ain­si émerger à nouveau des profondeurs océa­niques de la «grande histoire», pour les im­poser révolutionnairement à son cours fi­nal, les concepts géopolitiques d'avant-garde de sa propre vision de l'histoire et du monde, dé­ci­dera, ce faisant, de l'histoire du monde et du monde de l'histoire à sa fin.

 

Ainsi les grandes batailles décisives pour la domination finale du monde seront-elles, dé­sormais et jusqu'à la fin, des batailles conçues et définies exclusivement en termes de géo­politique totale, en termes de géopolitique im­périale au double niveau planétaire et cos­mique, «galactique».

 

La domination finale du monde n'est désor­mais plus rien d'autre que le fait impérial de sa définition géopolitique ultime, le monde et son histoire appartiennent désormais à qui parviendra à en donner, à en imposer la der­nière définition géopolitique totale.

 

(4) Les concepts géopolitiques ultimes que je propose donc pour la prochaine instruction ré­volutionnaire impériale de la géopolitique agis­sante de ce monde et de son histoire à sa fin sont les suivants:

 

- Le concept d'Endkampf, interpellant et ré­gissant le mystère déflagrationnel de la ba­taille finale pour la domination totale du mon­de et de l'histoire du monde à sa fin.

 

- Le concept révolutionnaire de Nordlicht, qui en appelle à la lumière originale de l'être, à la conscience polaire de soi-même et du monde, conscience à la fois fondamentale et fondationnelle des nouveaux recommence­ments du monde et de cette nouvelle histoire du monde par le truchement de laquelle ses propres recommencements se trouvent à nou­veau posés, et posés, très précisément, par nous-mêmes, en termes de géopolitique totale, en termes de «géopolitique transcendentale».

 

- Recommencements de l'histoire du monde qui, posés, ainsi, en termes de géopolitique to­tale, aboutissent révolutionnairement à l'exi­gence de la mise en être immédiate, de la mi­se en histoire directe du concept polaire, du concept métahistorique suprême de l'Impe­rium Magnum.

 

Ainsi allons-nous rejoindre et découvrir, dans les chemins de nos plus proches combats à venir, le concept géopolitique révolutionnaire immédiat de la Fédération européenne et grand-continentale du futur Empire Eu­ra­sia­tique, de l'Imperium Magnum pré­on­tologiquement toujours présent dans la cons­cience abyssale de notre race, dans l'enso­leillement préontologique polaire de la Nord­licht.

 

- Enfin, si j'avançais aussi, en citant Moeller van den Bruck et les conclusions de son essai visionnaire Das Dritte Reich  où il dit qu'il n'y a qu'un seul Reich  comme il n'y a qu'une seule Eglise, il apparaîtra que le signe apoca­lyptique des profondeurs, annonçant et met­tant en branle l'irrévocabilité ontologique, l'immaculée conception du recommencement métahistorique polaire et impérial de la fin de l'actuelle histoire du monde, sera le signe de l'avènement d'une nouvelle religion propre à la race héroïque et divine qui assumera, qui assume déjà, souterrainement, dans son être, dans son sang transcendantal, dans ses plus secrets destins désormais à l'œuvre, le pas­sage en continuité au-delà des abîmes de sa propre fin et de la fin du monde, de son his­toire à sa fin et au-delà de sa fin.

 

- A l'heure de son passage à l'histoire, le concept géopolitique ultime qui est celui d'Im­perium Magnum  recouvrant le projet de la Fédération européenne grand-continen­ta­le du futur Empire Eurasia­tique, exi­ge­ra que sa mise en processus ins­titue un corps spécial de protection idéolo­gique et de com­mandement, une comman­derie européen­ne grand-continentale, occulte à ses dé­buts, se dissimulant derrière ses propres struc­tures géopolitiques de pré­sence et d'ac­tion extérieures, mais appelée à se dévoiler historiquement et politiquement à mesure que va s'accomplir sa tâche impériale en avant.

 

En assumant, quant à moi, toutes mes res­ponsabilités avouables et autres, et je dirais même les autres surtout, j'ai donc pris sur moi de procéder, sans plus attendre, à la ré­activation confidentielle des Groupes Géo­politiques ayant déjà été mis directe­ment en piste, à l'intérieur de l'appareil sou­terrain gaulliste faisant suite à 1968, de re­prendre la publication, dans un cercle res­treint, de la lettre confidentielle De l'At­lantique au Pacifique, d'envisager l'instal­lation sociale immédiate de l'Institut de Re­cherches Métastratégiques Spé­ciales «At­lantis» (IRMSA), ainsi que d'un certain nom­bre d'autres instances activistes.

 

Ce qui s'est ainsi mis en marche, j'en ai pris l'engagement sans faille, ne s'arrêtera plus. Je ferai tout ce qui doit être fait.

 

je vous prie de recevoir, cher Robert Steu­ckers, mon meilleur salut de camarade,

 

Jean PARVULESCO.

mardi, 14 septembre 2010

Marc Rousset: la nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou

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Marc Rousset:

"La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou"

Ed. Godefroy de Bouillon

 Présentation de l'éditeur

Sommes-nous des citoyens transatlantiques ou des citoyens paneuropéens ? Pourquoi les Européens devraient-ils s' insérer dans un quelconque Commonwealth du XXIe siècle piloté par Washington ? L Europe ne va pas de Washington à Bruxelles, mais de Brest à Vladivostok. La Russie est européenne par ses vingt-cinq millions de morts qui ont scellé pendant les deux dernières guerres mondiales le destin de l' Europe. Si le catholicisme et l'orthodoxie sont les deux poumons de l'Eglise, ils sont aussi ceux de l Europe. Le contrôle de la Sibérie sera l enjeu stratégique du XXIe siècle entre la Grande Europe et la Chine. La Russie est à la fois l'Hinterland , le Far East de l' Europe par ses grands espaces et un avant-poste par rapport à la Chine et à l' Islam de l Asie centrale. Dans ces régions, l' Européen, c' est le Russe. L objectif ultime à atteindre serait la constitution d un arc boréal paneuropéen de nations qui intégrerait le monde slave et orthodoxe. Il se concrétiserait par le rapprochement entre l' Europe carolingienne, capitale Strasbourg, et la Russie, seule alliance bipolaire capable d arrimer efficacement sur le Rhin et la Moskova cette nouvelle Grande Europe. L ' avenir de l' Europe n' est donc pas dans une Union européenne qui gonfle démesurément, jusqu à en perdre son identité, mais dans la création de deux alliances ouest et est européennes qui s équilibrent mutuellement et rivalisent amicalement.

Biographie de l'auteur

Marc Rousset, diplômé H.E.C, Docteur ès Sciences Economiques, MBA Columbia University, AMP Harvard Business School, a occupé pendant 20 ans des fonctions de Directeur Général dans les groupes Aventis, Carrefour et Veolia. Il est l auteur de Pour le Renouveau de l Entreprise (préface de Raymond Barre, aux Editions Albatros, 1987), de la Nouvelle Europe de Charlemagne (préface d Alain Peyrefitte, aux Editions Economica, 1995, Prix de l Académie des Sciences Morales et Politiques) et des Euroricains (préface d Yvon Gattaz de l Institut aux Editions Godefroy de Bouillon, 2001).
 
Et, pour alimenter la polémique, ces observations:
 
"J’ai reçu certaines remarques à propos de mon commentaire de ce livre (*), qui montrent bien que le sujet traité par Marc Rousset  fait débat.

D’abord sur la nécessité d’une entité européenne, indépendante des Etats-Unis d’Amérique et plus proche de la Russie.

Pour Marc Rousset, s’il ne se constitue pas un « noyau carolingien » de 160 millions d’hommes, les nations européennes disparaîtront dans un monde où l’Amérique atteindra 500 millions d’hommes et la Chine 1,3 milliard d’habitants. Cette entité a à la fois vocation et intérêt à se rapprocher de la Russie, pour être en quelque sorte l’hinterland européen de ce pays qui lutte pour sa survie alors qu’il demeure le plus solide rempart de la civilisation européenne.

Sans doute l’auteur ne confond-il pas, dans son analyse, et je me dois de le signaler, ce rapprochement avec une soumission du genre de celle que l’Europe actuelle témoigne aux Etats-Unis. Mais plutôt y voit-il une alliance fondée sur la continentalité, la culture commune, les intérêts convergents.

De même, certains regrettent que ne soit pas détaillée plus avant la thèse de Marc Rousset sur la nécessité d’une langue commune, pour contrer l’anglo-américain actuellement dominant. Pour l’auteur, elle a toujours été nécessaire depuis l’origine des grandes entités et il rappelle avec justesse qu’en Europe ce fut, un moment, le français. Si les Européens n’adoptent pas un langage commun, leurs Etats, dont par exemple la France, ne pourront se défendre contre la contagion actuelle et deviendront à terme des « Louisiane » : l’espéranto devrait, à défaut du français, jouer ce rôle.

Je fais donc ces mises au point par souci d’objectivité.

Mais je persiste et signe : Avons-nous besoin de grands ensembles, constitués de pays qui ont de grandes différences de mœurs et de cultures lesquels sont façonnés par l’Histoire de chacun d’eux et nos intérêts économiques sont-ils toujours convergents ? De solides alliances militaires entre nations libres et souveraines, par exemple sur le modèle du traité de Washington pour l’Otan (quand elle servait à quelque chose), de bons accords commerciaux et de libre-échange ne suffisent-ils pas à assurer la paix et la prospérité aux citoyens de ces nations qui devraient rester indépendantes et n’épouser aucune querelle étrangère ?

Certes, la Russie n’est plus l’Union soviétique et Marc Rousset à raison de le dire. Certes, le bon sens devrait suffire à comprendre que nous avons plus d’affinités avec ce pays chrétien continental dont l’histoire est longue et riche. Mais la réalité est souvent cruelle et la prudence demeure de mise lorsqu’il s’agit de la liberté fondamentale des nations.

Mais le débat est ouvert, grâce à cet ouvrage qui est un vrai pavé dans la mare de la pensée politiquement conforme".

Pierre Millan

samedi, 11 septembre 2010

Géopolitique et heurs et malheurs de la défense européenne

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2003 

GEOPOLITIQUE et HEURS ET MALHEURS DE LA DEFENSE EUROPEENNE

 

« L’Europe ne pourra être un des pôles d’un monde redevenu multipolaire si elle n’est pas en mesure de définir une politique étrangère qui lui soit propre, de mettre en place une défense européenne, et de maîtriser son approvisionnement énergétique ».

                                                               Henri de Grossouvre (Défense Nationale –février 2003).

 

Malgré des avancées, le projet de défense européenne demeure frileux et insuffisant et ne se caractérise que par son « irritante lenteur ». Nous osons cependant croire (comme nous l’avions écrit- Cf NDSE N°14-1995) qu’un jour ce processus débouchera sur une authentique défense de l’Europe.

Mais certains thèmes devront être définitivement clarifiés. Ainsi en est-il évidemment des relations transatlantiques. Mais il faudra auparavant que le lien qui unit défense et politique soit réaffirmé et que la nature conflictuelle des relations internationales devienne un credo pour les décideurs européens qui, semble-t-il, ne croiraient « plus en la possibilité d’utiliser la force armée pour résoudre un quelconque problème politique » (Fareed Zakaria, commentateur américain). Au delà c’est la question des limites de l’espace européen qui devra être abordée ainsi que celle de la « définition de l’Ennemi ». Si ces thèmes devaient demeurer éternellement dans les brumes, ne doutons pas que la défense européenne reste un « objet militaire non identifié ».

 

AMER CONSTAT

 

                « Il ne fait plus de doute aujourd’hui que cette défense européenne se fera, mais elle ne fera rien ». Ce constat pessimiste mais clairvoyant d’un chroniqueur d’un grand quotidien français traduit malheureusement la réalité. Près de quinze ans après la chute du mur de Berlin, bifurcation historique s’il en fut, l’Europe de la défense est toujours dans l’attente. Mais comment pourrait-il en être autrement alors même que l’Europe politique est toujours en gestation ?[1]

 

En 1989, après l’effondrement du monde communiste et la re-connexion géographique du continent, nous avions pensé que l’Europe, devenue UNE, pouvait œuvrer à une géopolitique grand-continentale européenne (version contemporaine du Kontinentalblock haushoférien), retrouver sa géographie et son histoire, rivaliser à nouveau avec les autres grandes puissances[2] sur la scène internationale.

 

Les années ont passé. Certes l’Europe n’est pas restée passive. Mais en ce qui concerne la Politique Etrangère et de Défense Commune (PEDC)- nous savons depuis Raymond Aron et son ouvrage célèbre Paix et guerre entre les nations que diplomatie et défense sont indissociables - malgré des avancées prometteuses, la pusillanimité des interventions est inversement proportionnelle au volontarisme des accords.

 

Dans le camp adverse; « l’Autre »[3], Etats-Unis bien sûr, mais également d’autres puissances comme la Chine, l’Inde, la Russie et des entités non-étatiques, dépourvues de « citoyenneté internationale » (terrorisme, monde islamique …) entendent bien avoir leur place sur l’échiquier mondial. Tous ces acteurs ont déployé une grande activité géopolitique et stratégique, confirmant avec acuité que les croyances iréniques de fin de guerre froide ont volé en éclat. La « mondialisation heureuse » n’est pas le paradis annoncé. La théorie de « la fin de l’Histoire » chère à Francis Fukuyama, projet orwellien en gestation,  n’est pas l’avenir de l’humanité. La logique de puissance et de prédation perdure.

 

L’Europe a donc plus que jamais intérêt à édifier une politique étrangère et de défense commune. Mais il faut établir un constat : au-delà de certaines avancées non négligeables, un déficit et un retard diplomatico-stratégique chronique subsistent. Tous les analystes de l’actualité internationale s’accordent sur un fait : politiquement, géopolitiquement, militairement, l’Europe n’existe pas. Aucun mole de puissance ne s’est constitué. La division des européens (savamment cultivée par l’Ile Amérique) et leur attitude face à l’intervention américaine en Irak (mars 2003) en aura été une nouvelle illustration flagrante. Le baroud d’honneur courageux d’un président de la république française n’aura cependant pas modifié les visées guerrières de la thalassocratie américaine qui n’a cure des revendications du « vieux continent ». D’ailleurs le prétendu souci de légalité internationale de Jacques Chirac dissimule mal sa disposition à suivre les Etats-Unis une fois les apparences sauvées.

                Un véritable défi est lancé à l’Europe. Mais à force de sommets et de déclarations d’intention non suivis d’effet, repoussant toujours plus loin les réalisations concrètes, l’on se demande si un jour les décideurs européens accoucheront d’autre chose que d’un fœtus débile.

 

Cependant comme l’écrivait Jacques Bainville :« Il y a toujours des raison d’espérer. Si l’on avait pas cette confiance, ce ne serait même pas la peine d’avoir des enfants ». Nous ferons nôtre cette espérance

 

LA DEFENSE DE L’EUROPE, UNE IDEE RECENTE, PONCTUEE DE NOMBEUX ECHECS.

 

DEFENSE D’HIER

 

                L’idée d’une défense européenne institutionnalisée, pensée et voulue comme telle, dotée de moyens d’agir au service du continent, est très récente.

Aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire du continent européen, ce n’est qu’épisodiquement et face à un Ennemi circonstancié que des alliances se sont constituées. Les guerres Médiques en constituent sans doute le premier exemple. Pour la première fois des Européens, les Grecs (même si à l’époque la Grèce ne peut en rien être rapprochée d’un monde européen en genèse), ont su s’unir contre un envahisseur avec la conscience d’appartenir à une civilisation commune qui transcendait les divisions et les rivalités des Cités. Les guerres Médiques représentent dans la mémoire des Européens, le premier fait de résistance à une puissance extra-européenne et « restent le synecdoque de l’agression de la civilisation européenne par la barbarie orientale ».

La résistance gallo-romaine face à l’envahisseur hunnique (batailles des champs Catalauniques en 451 où combattaient pourtant majoritairement dans chaque camp des germaniques. En fait la mort d’Attila un an plus tard mit réellement fin au conflit), le conflit entre Héraclius, empereur d’Orient et Khosroès, Roi des rois (début 7ème siècle), « première grande guerre de religion », la bataille de Poitiers (732), la bataille navale de Lépante contre la flotte ottomane en 1571 (victoire militaire et maritime hautement symbolique), la résistance de Vienne face aux Turcs (1683), la grande figure du Prince Eugène de Savoie grâce auquel la Sainte Alliance put stopper l’expansionnisme ottoman (fin 17ème), constituent autant d’exemples où à un moment donné de leur histoire, des nations et des princes d’Europe ont su unir des forces armées face à un ennemi commun. Constatons que l’existence d’un Ennemi commun aura contribué à chaque fois à fédérer les énergies pour défendre la « Polis Europe ».

 

Quant aux diverses expériences impériales d’union du continent, si certaines ont avantageusement réussi à faire combattre sous les mêmes enseignes, aigles ou drapeaux des européens de maintes nations, d’autres, essentiellement martiales et idéologiques ont montré leurs limites et ne sont pas étrangères au recul de notre continent sur la scène internationale. Cette page doit être définitivement tournée (« victimisme » et nostalgie doivent être rejetés).

 

Osons croire que le processus mis en œuvre après la seconde guerre mondiale, chaotique et hésitant, soit porteur d’un autre avenir et qu’il enfantera d’autre chose qu’une simple zone d’échanges livrée aux appétits des marchands et des financiers. S’il s’agit d’un véritable projet géo-politique, alors il aura besoin d’être protégé de l’hostilité et de la convoitise des Autres. L’idée de lui adjoindre une défense est donc une nécessité. Cette idée a suscité bien des tentatives et des aléas. Mais plus d’un demi siècle après sa fondation l’Union des pays d’Europe ne possède toujours pas d’outil de défense crédible. Retracer l’histoire de ces différents projets nous amènera à poser des questions existentielles auxquelles les « importants » européens ne veulent pas répondre et auxquelles pourtant il faudra trouver une réponse.

 

…ET D’AUJOURD’HUI

 

Du traité de Dunkerque (1947) au traité de Bruxelles (1948), de la CED (1954) au plan Foucher (1962)et à l’UEO (rapidement entrée en léthargie du fait de la création de l’OTAN, l’UEO a disparu en tant qu’organisation opérationnelle au début de l’année 1991, après avoir transféré certaines de ses capacités à l’UE), les projets avortés furent multiples.

L’existence d’une Alliance Atlantique omniprésente et d’un allié américain qui embrassait pour mieux étreindre ne laissait de toute façon que peu de marges aux velléités européennes. Dans le même temps, en dehors de la volonté gaulliste, les européens ont largement et toujours recherché la protection américaine (sans jamais savoir jusqu’où cette dernière serait allée en cas de conflit. A priori l’automaticité prévue se serait sans doute faite attendre).

Ce n’est en définitive qu’avec le traité de Maastricht (1992) que s’est instauré un processus visant à mettre en œuvre une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Confirmée par le traité d’Amsterdam (1997) la PESC a suscité depuis nombre de désillusions.

Pourtant le sommet franco-britannique de St Malo (novembre 1998) avait laissé penser qu’un infléchissement significatif s’était produit. Lors de ce dernier sommet les deux pays avaient en effet affirmé la nécessité pour l’Europe de se doter d’une capacité militaire : « l’Union Européenne doit avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ».

 

De nouvelles étapes devaient ensuite être franchies. En juin 1999 (conseil européen de Cologne) et en décembre 1999 (Conseil Européen d’Helsinki) ) furent entérinées (puis approuvées au Conseil Européen de Nice en décembre 2000) des décisions aux perspectives intéressantes qui ont fait dire lors du sommet de Laeken en décembre 2001 que l’Union était « opérationnelle » :

- création à l’horizon 2003 d’une force de réaction rapide (FRR) de 60 000 hommes - ce qui laisse rêveur au regard de la puissance économique et démographique de notre continent –déployable dans un délai de soixante jours pour une durée minimum d’un an (en décembre 2002 lors du conseil de Copenhague l’objectif semble avoir été modifié en y ajoutant un élément de réaction rapide -moins de à 60 jours- aptitude aux missions humanitaires et évacuation des ressortissants).

Complétée par des capacités civiles, cette force doit pouvoir être contrôlée et dirigée par l’UE grâce à trois nouvelles institutions politico-militaires, créees au sein du Conseil de l’UE :

-un Comité politique et de sécurité (COPS)

-un état-major européen

-un comité militaire.

Viennent compléter le dispositif : un Ministre des Affaires étrangères et de la Défense » (pour l’heure il s’agit de Javier Solana, ancien secrétaire général de l’Otan, qui, tentant d’élaborer récemment une « doctrine de sécurité » pour l’UE, n’a fait que reprendre à son compte les priorités de la Maison Blanche et sa doctrine d’action préventive ! aucune confiance ne doit être accordée à ce vilain personnage) et une stratégie aérienne avec Galileo (système spatial d’aide à la navigation utilisant des satellites) destiné à pallier les insuffisances du GPS (Global positioning System, système américain de navigation par satellites) et du Glonass russe (malheureusement outre les problèmes techniques et l’impréparation des pays européens l’opposition des USA est flagrante). Galiléo pourrait bien « n’être qu’une ligne Maginot de plus sans véritable volonté d’émancipation sur les enjeux de l’Europe/puissance ».

L’optimisme pourrait donc être de mise. Il demande pourtant à être tempéré.

Les ambitions « militaires » affichées trouvent en effet rapidement leurs limites. Contenues dans le spectre des missions dites de Petersberg (humanitaires, évacuation de ressortissants menacés, maintien ou rétablissement de la paix), elles évacuent le second volet, pourtant primordial, celui de la défense proprement dite (prévention des agressions et réponse à une agression) et ne font pas de l’Europe un « acteur stratégique ».

Ainsi les diverses actions menées par des contingents européens (Kosovo, Afghanistan) ne traduisent pas la mise en œuvre d’une stratégie globale au service d’une vision géo-politique. Comme le soulignait un sénateur (comme quoi la haute assemblée réserve parfois d’heureuses surprises !) « il me semble que ces missions de Petersberg devraient être accessoires si nous voulons vraiment disposer d’une armée », et d’insister : »Allons-nous avoir une armée essentiellement de guerre ou essentiellement axée sur les missions de Petersberg ? ».

 

Réponse en l’occurrence très politiquement incorrecte et courageuse d’un général : « Monsieur le sénateur, ce sont les hommes politiques qui sont responsables de cette situation. Depuis la fin de la guerre froide, aucun homme politique, de droite ou de gauche, n’a voulu répondre à la question : « une armée, pour quoi faire ?, et les missions de Petersberg dissimulent lamentablement ce manque de clarté. Le problème se pose au niveau de l’Europe, où il est nécessaire que nous disposions d’hommes et de femmes politiques ayant suffisamment de vision stratégique et de conviction pour bâtir, non pas l’Europe de la défense, mais la défense de l’Europe ».

 

A l’aube de l’année 2003, censée inaugurer l’opérationnalité[4] de la FRR, la « défense européenne » demeure donc toujours intégrée dans l’épure stratégique américaine, via l’OTAN. Or de nombreux analystes internationaux soulignent combien cette organisation n’est que l’interprète des intérêts américains et leur redéploiement sur le continent européen. Qui peut être encore assez naïf (ou alors franchement collabo !) pour croire que cette organisation ait un jour été conçue pour défendre les intérêts européens[5]. Nous reviendrons sur cette organisation au cours de notre exposé mais les événements récents ont démontré que l’Otan n’est plus qu’une « boîte à outils » dans laquelle les Américains espèrent venir puiser quand bon leur semble.

 

Quant à l’Europe de l’armement, maillon essentiel de l’indépendance stratégique de l’Europe, ses retards ne sont pas plus encourageants. Si le principe a été entériné il demeure toutefois l’apanage des Etats et demeure exclu du champ communautaire (art.296 du traité d’Amsterdam). Se construisant de manière pragmatique à travers l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) créée en 1996, elle a favorisé plusieurs initiatives ( Eurocopter et surtout le mariage franco-allemand d’Aérospatial/Matra avec l’Espagnol Dasa en décembre 1997, lui-même renforcé par l’accord cadre de Farnborough en juin 2000[6]. Au delà, face à la concurrence américaine (les américains n’ont pas hésité à proposer aux Européens leurs avions Loockeed devant les difficultés de lancement de l’Airbus A-400 M) si les Européens n’établissent pas des besoins matériels identiques, ne coordonnent pas leur politique budgétaire ni de leur politique d’achat et n’élaborent pas de processus d’intégration des décisions, ils ne favoriseront pas l’industrie européenne d’armement et par ricochet fragiliseront l’Europe de la défense.

 

En définitive les avancées demeurent minces et ne se traduisent par aucune réactivité par rapport aux événement internationaux. L’Europe n’a rien à dire et ne peut opposer à la vision du monde de la thalassocratie américaine aucune autre vision. Il serait temps que le projet d’Union Européenne s’affiche clairement comme un projet géo-politique suis generis et qu’il se libère d’une « américanôlatrie » sclérosante et incapacitante l’empêchant d’advenir à la puissance.

 

LA NECESSITE D’UNE REPONSE POLITIQUE

                Aux origines de la PESC, l’absence de vision politique

 

En fait dès ses origines la PEDC a souffert d’un lourd handicap, celui de ne reposer sur aucun consensus définissant un « concept stratégique » répondant lui-même à une vision géo-politique susceptible de la guider. La PECD a été lancée selon « une approche dite « bottom-up », c’est à dire d’une évolution à petits pas. Cette méthode d’intégration s’est traduit avant tout par un processus de rejet de l’utilisation des rapports et outils de puissance et à une dépolitisation du projet européen ».

L’absence d’autonomie politique et stratégique européenne vis à vis des Etats-Unis, fruit du contexte particulier de la guerre froide, a largement déterminé les évolutions ultérieures de la construction européenne et apparaît, en grande partie, à l’origine du développement insuffisant des relations extérieures de l’UE, auquel la PESC et la PESD sont maintenant censées remédier.

Le refus de développer des structures politico-militaires proprement européennes, sans doute à l’origine de la construction relativement insatisfaisante de l’UE, a de plus conduit à une réticence de la plupart des Etats membres envers toute forme de gestion commune des affaires de sécurité et de défense, instaurant ainsi une césure politique, idéologique et psychologique entre l’Europe et la puissance.

 

Cette posture de l’Union Européenne, stratégiquement et géopolitiquement confortable mais paresseuse, si elle peut trouver des explications (éloignement de la menace, désaffection pour tout ce qui touche au militaire et à la guerre, absence d’Ennemi désigné, jeu des Etats-Unis, vision apaisante des relations internationales…), n’en demeure pas moins calamiteuse et dangereuse. Elle n’est ni le fait des stratèges et des militaires européens (ce qui ne doit pas occulter leurs responsabilités). La faiblesse du projet géo-politique européen, la « volonté d’impuissance » (Pascal Boniface) des décideurs européens sont les premiers responsables des « heurts et malheurs » de la défense européenne.

 

Du rapport du politique et du militaire

 

Tout homme politique et tout militaire avisé sait que le politique préexiste à tout acte de guerre et demeure une prérogative régalienne. C’est une fois les objectifs politiques fixés que les stratèges interviennent. Dans son principe la célèbre formule de Clausewitz « la guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens » rappelle cette évidence : le militaire demeure dans la dépendance du politique.

PESC (Politique Etrangère et de Sécurité Commune), I.D.E (Identité de Défense Européenne), défense européenne…ne dérogent pas à la règle. L’ensemble est conditionné par le projet politique et géopolitique de l’Union Europeénne (UE).

Or, globalement, ce projet géo-politique dont, on ose le croire, l’UE est en substance dépositaire, demeure encore inconsistant. Sa formulation qui n’a pris forme qu’en 1992 (traité de Maastricht) n’« enchante »[7] pas les Européens.

 

Abstrait, mercantile et fondé sur la nature non-conflictuelle des rapports internationaux, il véhicule un vague ethos universel dont la Charte des Droits fondamentaux de l’UE est l’illustration. En vérité il n’est ni mobilisateur ni fédérateur, aucun « Nous » n’y est défini. Sa faiblesse intrinsèque provient du fait que l’UE n’y est aucunement pensé comme « nouvelle unité de sens et de puissance » ni envisagée comme nouvelle « zone dure » dans le « pluriversum étatique ». Sur le plan international cela se traduit par un nanisme politique et géo-politique de l’UE.

Cela a des conséquences sur le projet de défense européenne. Sans vision géopolitique bien établie, les stratèges demeurent dépourvus de grille de lecture.

 

…QUI PASSE PAR LA RESOLUTION DE DEUX QUESTIONS PRIMORDIALES

 

 

Pour ce faire, deux notions essentielles et existentielles, éminemment politiques mais constamment écartées de tout débat, se doivent d’être éclairées : l’espace (ligne de front, jusqu’où défendre l’Europe ?), et l’Ennemi et/ou l’Ami (discrimination du Soi et du Non-soi, défendre l’Europe contre qui ?). Le général P.M. Galois écrivait « pour qu’une armée ait un sens, il faut qu’elle ait une terre à défendre, des frontières à protéger et qu’elle ait un ennemi qui la menace ».Ces notions constituent les fondements de toute politique de défense. Au delà c’est tout le projet d’Union Européenne qui pourrait prendre sens. De projet marchand il deviendrait projet politique et pourrait secréter ce sentiment d’appartenance communautaire sans lequel aucune défense n’est viable.

 

Notions dépassées, dira-t-on. Au contraire affirmerons-nous sans crainte. Notions politiques primordiales et existentielles non exclusives, elles constituent à nos yeux, malgré les modifications sur la scène internationale (éloignement de la menace directe, hypothèses de conflits limités, guerres asymétriques, apparitions de nouvelles menaces, mafias, flux migratoires incontrôlés…), l’essence et les fondements de toute politique de défense, quelle qu’en soit la dimension, nationale ou continentale.

 

Si ces notions ne devaient jamais être abordées au fond, ni clairement définies et débattues et donc demeurer sans réponse, n’espérons pas qu’un jour, un jeune européen trouve des raisons de mourir ou de vivre (elles ont toujours été les mêmes) pour défendre une terre et un/des peuples qu’il devra percevoir comme patrie et comme partie de lui-même.

 

L’Europe, jusqu’où ? La question des frontières de l’Europe.

 

Ce thème demeure éminemment actuel. La récente polémique autour de l’élargissement de l’Europe à la Turquie a rappelé que l’Europe n’est pas un continent extensible à l’infini.

L’espace est tout et sans lui le débat serait vide de sens. L’époque contemporaine ne nous démentira pas : maints conflits ont l’espace comme enjeu. En outre, pour le combattant, la défense de la terre des siens, de sa Cité, demeure l’essence de sa fonction. Les murs de la Cité demeurent ses repères.

Malheureusement les frontières du « sanctuaire européen », le premier cercle des « intérêts vitaux » définis par Lucien Poirier, laissent place au doute. Anachronisme d’une situation que celle où l’on envisage de construire une défense européenne alors qu’aucune limite territoriale n’a été fixée.

L’on sait combien une frontière est avant tout politique donc toujours susceptible d’être remise en cause. Le regretté Général von Lohausen[8] écrivait « l’Europe existera là jusqu’où elle désirera se défendre ». Pourtant certaines réalités géographiques ou historiques, des recouvrements ethno-culturels permettent d’imaginer, un « limes » européen.

Chose certaine, au nord comme au sud et à l’ouest, la géographie de l’Europe se dessine naturellement. L’Islande et les pays scandinaves au nord, l’Atlantique à l’ouest, la Méditerranée au sud (sachant que la frontière au sud se défend sur le territoire de l’Afrique du nord, véritable marche de l’Empire) constituent des limites intangibles.

C’est à l’est et au sud-est que la ligne de front pose problème. La Russie, pays continent ambivalent, est-elle européenne ou non ? Si elle l’est, cela repousse jusqu’au fleuve Amour (frontière avec la Chine) et à l’océan Pacifique (depuis la prise de possession des immensités sibériennes par les Cosaques) les limites du continent. Mais comment ne pas imaginer que les fils des Varègues ne soient pas un jour associés étroitement au projet européen.?[9]

Pour l’heure un certain réalisme nous amènera à faire nôtre les considérations très constructives d’un Pierre Biarnès[10] : « les frontières de l’Europe devront se fixer un jour ou l’autre de façon définitive entre les pays baltes et la Biélorussie, entre la Pologne et l’Ukraine, entre la Roumanie et la Moldavie, entre la Grèce et la Turquie et s’arrêter au nord de la Méditerranée ».

Le débat sur les frontières européennes devra être clos rapidement. Il faut cesser de cultiver la confusion en voulant inclure des espaces culturellement trop différents (Turquie, Maroc…)qui nous achemineront vers l’incohérence géographique et civilisationnelle et qui déconcertent les bons européens qui habitent en terre d’Europe.

Les décideurs européens ne pourront passer outre. Ne pas y répondre comporte le risque de retarder inexorablement la mise en forme d’une défense européenne à vocation première de défense du territoire européen, actuellement non menacé (mais certaines zones, certains territoires ne sont-ils pas déjà aux mains d’envahisseurs que les cerveaux conquis de certains politiques laissent pénétrer dans nos pays), et de voir le combattant (du stratège au soldat) européen demeurer sans horizon, sans repère concret. Ce n’est qu’à partir d’un espace devenu lisible, visible et cohérent que pourra être définie une authentique géo-politique de l’Union Européenne, ouverte sur le monde et non eurocentrée (nous savons que l’Europe se défend bien au-delà de ces/ses frontières) et une politique de défense crédible qui pourra s’imposer aux Autres. Faudra-t-il se résigner à n’avoir qu’à défendre un «puzzle artificiel, sans énergie et sans âme… » ? Aucun stratège ne pourra s’y résigner.

 

Mais poser une limite territoriale, c’est également déterminer qu’en deçà de ces limites le Même commence et qu’au-delà c’est le règne de l’Autre. A ce point de réflexion nous aborderons le second concept focal de toute pensée stratégique, la relation d’hostilité. Cet Autre, ce Non-Soi, constitue qu’on le veuille ou non cet Ennemi, au moins potentiel, dont l’intérêt premier est de permettre la perception de la collectivité mais aussi de contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance. Ce concept doit lui aussi être géré par l’autorité politique. Carl Schmitt affirmait que « la désignation de l’Ennemi est l’acte politique par excellence ».

 

L’Europe, contre qui ? La distinction Ami-Ennemi.

 

Pour ceux ignorants de l’œuvre du grand politologue Carl Schmitt, nous précisons que l’Ennemi évoqué dans ces lignes n’a rien à voir avec l’«Axe du Mal » de Bush Junior et de son manichéisme biblique. Son messianisme religieux et théologique, à l’origine de tant de croisades assassines pour la démocratie et le libre échange, relève de la paranoïa et non du politique (ce qui n’exclut pas les buts politiques de la guerre entreprise par les USA).

En second lieu nous préciserons également que désigner l’Ennemi ne relève en rien d’une idéologie bellogène et ne prédispose pas plus à  la guerre (possible mais non inéluctable) que les idéologies qui se voulaient et se veulent pacifistes et qui depuis des siècles n’en finissent pas de déclarer la guerre au monde entier dans l’espoir de le modifier et de le conformer à leur vision du monde et à leurs intérêts.

En humble mais attentif lecteur de Carl Schmitt et de Julien Freund[11], nous préciserons donc qu’il s’agit de l’Ennemi public (l’hostis des Romains) et qu’il n’implique aucune haine personnelle. Il est « l’étranger hostile, antagoniste, celui qui unit intention hostile et capacité de nuisance, militaire ou autre ». Définir l’Ennemi, c’est « constater que depuis que les hommes font de la politique, ils se regroupent entre amis au sein d’une communauté déterminée… et qu’ils essaient de préserver leur identité contre d’éventuelles menaces » (J.Freund).

« Tout regroupement géopolitique doit impliquer une relation d’hostilité au moins potentielle vis à vis de puissances étrangères » écrivait Freund. Encore faut-il que les raisons de l’union soient réellement politiques et que la reconnaissance des « antagonismes » (Max Weber) ait été admise.

Malheureusement l’une des carences de la construction de l’UE c’est d’avoir évacué le politique. Le projet peut même être qualifié d’impolitique ( ie que l’éventualité de la confrontation n’est pas réellement envisagée). La virtualité de l’Ennemi n’est pas prise en compte. Or c’est à travers le politique que la reconnaissance de l’ennemi prend forme.

La désignation de l’Ennemi constitue sans aucun doute un des axiomes et un des principes d’action qui fonde toute stratégie et définit son esprit. Connexion intime et éternelle du militaire et du politique il est temps que les politiques européens prennent en compte les situations conflictuelles contemporaines et à venir (inconcevables aujourd’hui mais plausibles dans vingt ou trente ans) et proposent aux stratèges européens un projet géo-politique capable de mobiliser leur intelligence et leur soif d’œuvrer à la grandeur et à la défense de la grande patrie européenne en devenir.

La puissante répugnance et la couardise des politiques face à la violence armée doit être oubliée.

« Aucun regroupement géopolitique digne de ce nom ne s’est construit sans savoir avec qui ni contre qui. Il n’y a pas d’union sans exclusion, donc sans rapport virtuel Ami/Ennemi entre ceux qui sont admissibles ou admis dans l’union et ceux qui ne le sont pas » (n’en fut-il pas ainsi des USA qui au 19ème avec la doctrine Monroe désignèrent les Etats Européens comme l’Ennemi.

Les proclamations incantatoires n’y feront rien. « Personne n’est jamais assez naïf pour penser qu’un pays n’aura pas d’ennemi parce qu’il ne veut pas en avoir ».Tout se règle facilement dès lors qu’on exclut l’Ennemi. Mais celui-ci ne dort pas. Contrairement à la générosité humanitaire, l’humanité n’a pas que des bons cotés le désir n’est pas la réalité ».

L’Union Européenne essentiellement animée par des idéaux pacifistes, ne se connaît pas et/ou ne veut pas se connaître d’Ennemi et encore moins en désigner. Se refusant à cette attitude responsable (ce qui n’empêche pas d’être désigné comme tel par d’Autres) l’on peut juger à quels sommets d’immobilisme géopolitique et stratégique cela nous a conduit.

 

Sans distinction Ami-Ennemi, sans perception de l’Ennemi, aucune collectivité ne peut exister politiquement ni se situer par rapport à l’Autre. C. Schmitt écrivait même que « l’aptitude à distinguer l’Ami et l’Ennemi est ce qui qualifie politiquement un peuple . Désigner l’Ennemi c’est en effet pouvoir se poser dans l’espace (jusqu’où existons-nous ?) et dans l’Etre (qui sommes-nous ?). C’est à travers ces concepts que se forme l’identité collective sans laquelle aucune politique de défense ne peut advenir.

 

Dans un monde à la haute conflictualité, l’hostilité se porte bien. Si l’identification de l’Ennemi ne peut être univoque (puisqu’il peut être religieux, économique, culturel, territorial … mais souvent tout à la fois), il peut être cependant identifié et désigné.

 

A l’aune du XXIème siècle l’Ennemi de l’Europe, comme de tous ceux désireux de vivre dans un monde divers, demeure représenté par « toutes les forces tendant à un universalisme du monde unipolaire centralement dominé face à la pluralité des « grands espaces » équilibrés ». Les forces de l’hostis sont donc perceptibles dans la figure de puissances ou d’organisations hostiles à notre grande œuvre de reconstruction de l’espace grand-européen. C’est contre toutes les formes d’hostilité à ce projet que les volontés européennes doivent être tournées. Quant aux stratèges, enfin délivrés de la mollesse et de l’irresponsabilité des politiques, ils sauront proposer des stratégies adaptées. Leur compétence est grande, leur courage exemplaire, leur désir de servir toujours vivace, ne les décevons pas. Sur le front extérieur comme sur le front intérieur ils sauront mettre en œuvre le meilleur d’eux-mêmes, mettre à profit l’enseignement de haut niveau que l’on sait leur donner et enfin se débarrasser de la paralysie doctrinale, du stratégiquement correct, appris dans les états-majors otanesques. Aux politiques de désigner les buts à atteindre et l’Ennemi à combattre.

 

Notre propos serait incomplet si un thème n’était pas abordé. Comment évoquer l’idée de défense européenne sans s’intéresser à l’Otan et au nécessaire repositionnement de l’Europe par rapport aux Etats-Unis.

Nous ne cesserons de rappeler combien l’Ile Amérique ne partage pas les intérêts de d’Europe. N’ayant jamais cessé d’entraver toute oeuvre de réunification européenne depuis plus d’un siècle, les Etats-Unis via l’Otan constituent sans aucun doute l’une des figures de l’Ennemi de l’Europe.

 

 

 REVISITER LA RELATION AVEC LES ETATS-UNIS.

 

Nous avons toujours regretté qu’après l’implosion du pacte de Varsovie (1992) les pays de l’Alliance atlantique n’aient pas décidé l’auto-dissolution de l’Otan Nous continuons à penser qu’il est insupportable de conserver le traité de Washington qui fonde l’Otan tel qu’il a été conçu en 1949 (modifié 1954). Un traité est fait pour un objectif ( en l’occurrence assurer la sécurité de la partie ouest de l’Europe contre un supposé envahisseur soviétique). Du jour où cet objectif avait disparu le traité devenait caduc. Rien de cela ne s’est produit.

Bien au contraire, soucieux de pérenniser une organisation qui avait largement servi à mettre sous tutelle le projet européen, les Etats-Unis, toujours guidés par la préservation de leurs impératifs géopolitiques, ont donné un nouveau souffle à l’Otan. Conçue à l’origine pour assurer la défense collective des signataires de l’Alliance, l’Otan s’est donc progressivement transformée en un système de sécurité collective.

« Transatlantique par définition, méditerranéenne par Etats-Unis interposés, moyenne-orientale par son rôle implicite dans le conflit du Golfe, l’Otan est devenue paneuropéenne et asiatique, concurrençant ouvertement les institutions européennes et contournant l’OSCE »[12]. Ainsi présentée par Thierry Garcin, l’Otan apparaît comme un instrument inséparable de la volonté de puissance américaine.

En fait c’est dès 1991 que les Etats-Unis ont travaillé à la rémanence de l’OTAN en développant le concept de « communauté atlantique » de Vancouver à Vladivostok (création du Conseil de coopération Nord-Atlantique -CCNA).

Lancés dans un véritable « Drang nach Osten », les Etats-Unis, désireux de border au plus près les frontières de la Russie (politique de nouveau containment), ont mis en place le « Partenariat pour la paix » en 1994. Puis pour ménager la Russie « l’Acte fondateur Russie-OTAN » (1997). Puis vint l’élargissement de 1999 à la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Lors du sommet de Prague de novembre 2002, la reconfiguration de l’Alliance a continué et s’est orientée vers « un élargissement robuste …de la mer Baltique à l’Adriatique et à la mer Noire ». Ainsi les trois  Pays Baltes, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie rejoindront-ils l’Otan d’ici 2004 tandis que déjà l’Albanie, la Croatie et la Macédoine frappent à la porte en participant au plan d’action pour l’adhésion (MAP : Membership Action Plan). Washington, via l’Otan étend son influence, multiplie ses bases de projection, prépare ses accès à la mer Noire et à la mer Caspienne (maîtrise de l’ancienne route de la soie). Outre ces élargissements le sommet de Prague a constitué une étape décisive vers la transformation des membres européens de l’Alliance atlantique…en auxiliaires des forces armées états-uniennes dans leur entreprise d’expansion impériale planétaire.

Les Américains ont donc donné une nouvelle impulsion à l’Otan pour en faire une organisation politique et militaire au service de la lutte contre le terrorisme, une sorte de « boîte à outils » (concept tool box américain) où ils puiseront (la mission définissant la coalition). L’Alliance militaire multinationale sous commandement intégré devient un vaste forum politique susceptible de fournir des coalitions de circonstances (coalition of the willing) pour des opérations de rétablissement de la paix par la force armée, dans la zone eurasiatique, ou en dehors. L’Otan est désormais globalisée et se voit attribuée de nouvelles missions.

Outre ces grandes manœuvres qui dament le pion à toutes les initiatives européennes ( les Américains ont même projeté de créer une force de réaction rapide- Nato Response Force- ouvertement rivale de la Force Européenne de réaction Rapide), une nouvelle doctrine stratégique est venue chapoter l’organisation.

Cette mutation stratégique, opérée depuis le sommet de Rome de novembre 1991, tend à faire de l’Otan, alliance défensive, une organisation dite de « sécurité », c’est à dire interventionniste. Son périmètre initial n’est plus respecté (art VI du traité de 1949 comme ne couvrant que les pays membres , les territoires sous leur juridiction et leurs forces « dans la région de l ‘Atlantique nord au nord du tropique du Cancer ») et ses missions étendues à la lutte contre le terrorisme et la prolifération des ADM. Ajouté à cela le concept de « préemption » qui inclut non seulement l’utilisation de moyens diplomatiques et économiques pour prévenir l’apparition de nouvelles menaces terroristes…mais également l’utilisation de frappes militaires préventives.

Cette doctrine est l’exemple même de l’unilatéralisme, en ce qu’elle suppose qu’il est légitime pour un Etat de prendre des mesures pour se prémunir contre ce qu’il a considéré –de son propre chef-comme une menace potentielle à sa sécurité nationale , sans consultation préalable d’autres Etats ou d’organisations multilatérales. Elle ouvre la porte à tous les abus et à la guerre totale.

Relayés par son secrétaire général qui affirmait « L’Otan va devenir le centre de coordination et de préparation d’une action militaire multinationale (…) contre le terrorisme et d’autres menaces nouvelles », les Etats-Unis entendent bien demeurer ancrés dans l’Ancien Monde. Cette présence leur permet de se projeter en Asie et au Moyen-Orient, elle contribue à garantir l’accès aux « économies et sociétés ouvertes de l’Ancien Monde où les marchés d’armement alliés ne sont pas le moindre des enjeux. Enfin, l’implantation des radars sur des territoires européens (GB et Danemark) est essentielle au déploiement du futur bouclier spatial américain (Missile Defense).

L’absence de volonté des gouvernements et opinions publiques d’Europe occidentale de s’opposer au leadership usaïque ne pourra qu’encourager les Etats d’Europe centrale et orientale à contracter une « assurance » auprès de l’hegemon nord-américain.

L’Alliance atlantique n’est plus « une vache sacrée » (Rudolf Sharping, ministre allemand de la défense).

Plus que jamais l’absence de volonté politique et de volonté de puissance des Européens empêche la remise en cause du leadership usaïque et bloque toute mise en œuvre d’une politique de défense européenne. Dans ce dispositif stratégique et géopolitique où la place des Européens est réduite à la fourniture de chair à canon, il serait temps que les décideurs européens comprennent que « le monde n’est pas un Eden kantien et que c’est en osant la puissance que l’on pèse sur la définition des grands équilibres planétaires ».

Chaque jour les Etats-Unis nous démontrent que le réalisme géo-politique et la logique de puissance, les intérêts nationaux, la lutte pour les matières premières, constituent les fondements des relations internationales. Sans agir avec autant de cynisme pour un but méprisable, véritable néocolonialisme économique et culturel, du moins pourrions-nous nous convaincre que la scène internationale est autre chose qu’une scène idyllique où la « brebis dormira entre les pattes du lion ».

 

 

POUR MIEUX DONNER SENS A L’ETRE EUROPE » OU QUELQUES RAISONS DE MOURIR POUR L’EUROPE

 

L’évocation de ces thèmes, de notre point de vue primordiaux, n’est certes pas exclusive (le déficit démographique devient en effet de plus en plus dramatique pour l’Europe). Il n’en demeure pas moins qu’ils constituent des points de débat fondamentaux de toute réflexion sur le devenir politico-militaire européen. Ils peuvent permettre l’élaboration de l’« l’Etre-Europe », fondement d’une unité collective pan-européenne fondatrice du grand espace européen auquel nous aspirons. Ce dernier ne pourra apparaître qu’en posant des frontières et en s’affirmant face à d’autres regroupements continentaux ayant leur propre vue du monde. Il entrera en crise tant qu’aucune démarcation n’aura été mise en place et tant qu’aucun Ennemi n’aura été désigné.

L’Europe politique et a fortiori l’Europe de la défense ne sauraient évacuer ces questions sans se fragiliser et au fond ne pas donner des raisons de vivre et de mourir à ses peuples. C’est en faisant le choix du politique, en pensant en termes de continent, en renouant avec l’audace de la puissance que l’Europe se donnera ces raisons.

Au-delà et bien sûr c’est à un réenchantement de l’Europe que nous devons également travailler. Thucydide écrivait : «  La force de la Cité n’est pas dans l’épaisseur de ses murailles, ni dans le nombre de ses vaisseaux, mais dans le cœur de ses habitants ». Mais là comme toujours ce sont les poètes qui trouveront la réponse.

 

Pour conclure j’évoquerais un événement qui m’est apparu comme porteur de grande espérance. Le 16 juillet 2002 s’est déroulé à Coëtquidan, la Conférence des Ecoles et Académies militaires de l’Union européenne. Elle réunissait de jeunes élèves officiers (20-25 ans) de 14 pays de l’Union européenne. J’ose y voir la réunion des meilleurs fils d’Europe, libérés des carcans idéologiques et des pesanteurs historiques d’hier, prêts à constituer les nouveaux cadres de cette « armée européenne » au service des intérêts d’une Europe puissante et indépendante, enracinée dans son illustre passé mais tournée intensément vers le XXII siècle, désireuse de marcher à nouveau sur les chemins de ce que Nietszche appelait la « grande histoire ». S’il devait y avoir un jour une école d’officiers européens (mais également de sous-officiers) formés dans des académies et écoles militaires européennes capables de leur inculquer un savoir militaire, historique, géographique…européen de haut niveau, ce qu’il faudra bien un jour mettre en œuvre), que le site de Coëtquidan soit choisi ne serait pas pour nous déplaire (mais bien d’autres sites sont tout autant envisageables). Situé non loin de l’envoûtante forêt de Brocéliande, elle est un des « nemetons » de l’imaginaire européen. Comment ces jeunes cadres militaires pourraient-ils ne pas œuvrer à défendre la terre d’Europe, guidés par Merlin, Arthur, Lancelot et autres preux européens, en quête de nouveaux exploits pour plaire à leurs dames et à leurs souverains mais également à leurs peuples.

 

« Moi je dis qu’il faut faire l’Europe, déclarait en 1949, le Général De Gaulle, avec pour base un accord entre Français et Allemands. Une fois l’Europe faite sur ces bases, alors, on pourra se tourner vers la Russie. Alors on pourra essayer, une bonne fois pour toutes, de faire l’Europe tout entière avec la Russie, dut-elle changer de régime. Voilà les programmes des vrais Européens. Voilà le mien ». Voilà le nôtre.

 

                Et puis comme l écrit l »historien Mi chel Rouche à propos de Clovis : « cette montée d’un homme qui trouve des solutions dans les pires situations sont probablement les preuves que le tohu-bohu accouche toujours d’une nouvelle création, que l’idéal méprise les rapports de force économiques et sociaux. Quand tout est perdu, rien n’est perdu : il suffit d’un homme qui croit ».

 

                                                                                                              Lucien Favre – Septembre 2003.



[1] Le projet de constitution européenne élaboré par la Convention pour l’Avenir de l’Europe, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, remettra-t-il en cause cet immobilisme ? Osons l’espérer.

[2] Le terme de puissance est envisagée ici dans son acception classique, définie par Raymond Aron comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités ».

[3] L’Autre (ou une coalition d’Autres) que le politique et stratèges privilégient et introduisent comme un facteur déterminant dans leurs analyses et computations, en un moment de l’Histoire et dans une configuration donnée du système international.

[4] Cela signifiant au mieux la possibilité d’entreprendre les moins exigeantes des missions de Petersberg et ceci en 2003( !), année qui a été retenue comme devant marquer le début d’un possible déploiement de la Force de Réaction Rapide.

[5] A Washington le projet d’Identité Européenne de Défense est considéré comme une aimable virtualité, une incongruité au regard de la planification atlantiste qu’ont toujours appliqué les communautés puis l’UE. Pour l’Amérique l’Otan doit rester une organisation d’alliés souverains où le processus européen de décision n’est pas détaché du processus de décision plus large de l’Alliance.

[6] Accord signé entre les britanniques, français, allemands, italiens, espagnols et suédois établissant des mesures concrètes visant à faciliter la restructuration et le fonctionnement de l’industrie européenne de défense.

[7] Par référence à l’ouvrage de Marcel Gaucher Le désenchantement du monde- Ed Gallimard. Nous prenons acte cependant de la volonté de M. Giscard d’Estaing d’œuvrer pour une « Europe puissance », attachée à son autonomie et à ses frontières             .

[8] Auteur de l’ouvrage incontournable Les Empires et la puissance aux Ed du Labyrinthe.

[9] Une association étroite n’est pas une union. D’où l’intérêt de ne pas morceler l’ancien empire russe pour en faire un pôle réel de puissance, associé étroitement à l’UE. N’aspirons-nous pas à monde pluripolaire ?

[10] Pour l’Empire du monde – Revue française de géopolitique - Ellipses 2003.

[11] Son ouvrage fondamental L’essence du politique paru chez Sirey doit bientôt être réédité chez Dalloz. A lire également Politique et impolitique chez Sirey également.

[12] Thierry Garcin-Les grandes questions internationales depuis la chute du mur de Berlin- Economica.

Géopolitique et heurs et malheurs de la défense européenne

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2003 

GEOPOLITIQUE et HEURS ET MALHEURS DE LA DEFENSE EUROPEENNE

 

« L’Europe ne pourra être un des pôles d’un monde redevenu multipolaire si elle n’est pas en mesure de définir une politique étrangère qui lui soit propre, de mettre en place une défense européenne, et de maîtriser son approvisionnement énergétique ».

                                                               Henri de Grossouvre (Défense Nationale –février 2003).

 

Malgré des avancées, le projet de défense européenne demeure frileux et insuffisant et ne se caractérise que par son « irritante lenteur ». Nous osons cependant croire (comme nous l’avions écrit- Cf NDSE N°14-1995) qu’un jour ce processus débouchera sur une authentique défense de l’Europe.

Mais certains thèmes devront être définitivement clarifiés. Ainsi en est-il évidemment des relations transatlantiques. Mais il faudra auparavant que le lien qui unit défense et politique soit réaffirmé et que la nature conflictuelle des relations internationales devienne un credo pour les décideurs européens qui, semble-t-il, ne croiraient « plus en la possibilité d’utiliser la force armée pour résoudre un quelconque problème politique » (Fareed Zakaria, commentateur américain). Au delà c’est la question des limites de l’espace européen qui devra être abordée ainsi que celle de la « définition de l’Ennemi ». Si ces thèmes devaient demeurer éternellement dans les brumes, ne doutons pas que la défense européenne reste un « objet militaire non identifié ».

 

AMER CONSTAT

 

                « Il ne fait plus de doute aujourd’hui que cette défense européenne se fera, mais elle ne fera rien ». Ce constat pessimiste mais clairvoyant d’un chroniqueur d’un grand quotidien français traduit malheureusement la réalité. Près de quinze ans après la chute du mur de Berlin, bifurcation historique s’il en fut, l’Europe de la défense est toujours dans l’attente. Mais comment pourrait-il en être autrement alors même que l’Europe politique est toujours en gestation ?[1]

 

En 1989, après l’effondrement du monde communiste et la re-connexion géographique du continent, nous avions pensé que l’Europe, devenue UNE, pouvait œuvrer à une géopolitique grand-continentale européenne (version contemporaine du Kontinentalblock haushoférien), retrouver sa géographie et son histoire, rivaliser à nouveau avec les autres grandes puissances[2] sur la scène internationale.

 

Les années ont passé. Certes l’Europe n’est pas restée passive. Mais en ce qui concerne la Politique Etrangère et de Défense Commune (PEDC)- nous savons depuis Raymond Aron et son ouvrage célèbre Paix et guerre entre les nations que diplomatie et défense sont indissociables - malgré des avancées prometteuses, la pusillanimité des interventions est inversement proportionnelle au volontarisme des accords.

 

Dans le camp adverse; « l’Autre »[3], Etats-Unis bien sûr, mais également d’autres puissances comme la Chine, l’Inde, la Russie et des entités non-étatiques, dépourvues de « citoyenneté internationale » (terrorisme, monde islamique …) entendent bien avoir leur place sur l’échiquier mondial. Tous ces acteurs ont déployé une grande activité géopolitique et stratégique, confirmant avec acuité que les croyances iréniques de fin de guerre froide ont volé en éclat. La « mondialisation heureuse » n’est pas le paradis annoncé. La théorie de « la fin de l’Histoire » chère à Francis Fukuyama, projet orwellien en gestation,  n’est pas l’avenir de l’humanité. La logique de puissance et de prédation perdure.

 

L’Europe a donc plus que jamais intérêt à édifier une politique étrangère et de défense commune. Mais il faut établir un constat : au-delà de certaines avancées non négligeables, un déficit et un retard diplomatico-stratégique chronique subsistent. Tous les analystes de l’actualité internationale s’accordent sur un fait : politiquement, géopolitiquement, militairement, l’Europe n’existe pas. Aucun mole de puissance ne s’est constitué. La division des européens (savamment cultivée par l’Ile Amérique) et leur attitude face à l’intervention américaine en Irak (mars 2003) en aura été une nouvelle illustration flagrante. Le baroud d’honneur courageux d’un président de la république française n’aura cependant pas modifié les visées guerrières de la thalassocratie américaine qui n’a cure des revendications du « vieux continent ». D’ailleurs le prétendu souci de légalité internationale de Jacques Chirac dissimule mal sa disposition à suivre les Etats-Unis une fois les apparences sauvées.

                Un véritable défi est lancé à l’Europe. Mais à force de sommets et de déclarations d’intention non suivis d’effet, repoussant toujours plus loin les réalisations concrètes, l’on se demande si un jour les décideurs européens accoucheront d’autre chose que d’un fœtus débile.

 

Cependant comme l’écrivait Jacques Bainville :« Il y a toujours des raison d’espérer. Si l’on avait pas cette confiance, ce ne serait même pas la peine d’avoir des enfants ». Nous ferons nôtre cette espérance

 

LA DEFENSE DE L’EUROPE, UNE IDEE RECENTE, PONCTUEE DE NOMBEUX ECHECS.

 

DEFENSE D’HIER

 

                L’idée d’une défense européenne institutionnalisée, pensée et voulue comme telle, dotée de moyens d’agir au service du continent, est très récente.

Aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire du continent européen, ce n’est qu’épisodiquement et face à un Ennemi circonstancié que des alliances se sont constituées. Les guerres Médiques en constituent sans doute le premier exemple. Pour la première fois des Européens, les Grecs (même si à l’époque la Grèce ne peut en rien être rapprochée d’un monde européen en genèse), ont su s’unir contre un envahisseur avec la conscience d’appartenir à une civilisation commune qui transcendait les divisions et les rivalités des Cités. Les guerres Médiques représentent dans la mémoire des Européens, le premier fait de résistance à une puissance extra-européenne et « restent le synecdoque de l’agression de la civilisation européenne par la barbarie orientale ».

La résistance gallo-romaine face à l’envahisseur hunnique (batailles des champs Catalauniques en 451 où combattaient pourtant majoritairement dans chaque camp des germaniques. En fait la mort d’Attila un an plus tard mit réellement fin au conflit), le conflit entre Héraclius, empereur d’Orient et Khosroès, Roi des rois (début 7ème siècle), « première grande guerre de religion », la bataille de Poitiers (732), la bataille navale de Lépante contre la flotte ottomane en 1571 (victoire militaire et maritime hautement symbolique), la résistance de Vienne face aux Turcs (1683), la grande figure du Prince Eugène de Savoie grâce auquel la Sainte Alliance put stopper l’expansionnisme ottoman (fin 17ème), constituent autant d’exemples où à un moment donné de leur histoire, des nations et des princes d’Europe ont su unir des forces armées face à un ennemi commun. Constatons que l’existence d’un Ennemi commun aura contribué à chaque fois à fédérer les énergies pour défendre la « Polis Europe ».

 

Quant aux diverses expériences impériales d’union du continent, si certaines ont avantageusement réussi à faire combattre sous les mêmes enseignes, aigles ou drapeaux des européens de maintes nations, d’autres, essentiellement martiales et idéologiques ont montré leurs limites et ne sont pas étrangères au recul de notre continent sur la scène internationale. Cette page doit être définitivement tournée (« victimisme » et nostalgie doivent être rejetés).

 

Osons croire que le processus mis en œuvre après la seconde guerre mondiale, chaotique et hésitant, soit porteur d’un autre avenir et qu’il enfantera d’autre chose qu’une simple zone d’échanges livrée aux appétits des marchands et des financiers. S’il s’agit d’un véritable projet géo-politique, alors il aura besoin d’être protégé de l’hostilité et de la convoitise des Autres. L’idée de lui adjoindre une défense est donc une nécessité. Cette idée a suscité bien des tentatives et des aléas. Mais plus d’un demi siècle après sa fondation l’Union des pays d’Europe ne possède toujours pas d’outil de défense crédible. Retracer l’histoire de ces différents projets nous amènera à poser des questions existentielles auxquelles les « importants » européens ne veulent pas répondre et auxquelles pourtant il faudra trouver une réponse.

 

…ET D’AUJOURD’HUI

 

Du traité de Dunkerque (1947) au traité de Bruxelles (1948), de la CED (1954) au plan Foucher (1962)et à l’UEO (rapidement entrée en léthargie du fait de la création de l’OTAN, l’UEO a disparu en tant qu’organisation opérationnelle au début de l’année 1991, après avoir transféré certaines de ses capacités à l’UE), les projets avortés furent multiples.

L’existence d’une Alliance Atlantique omniprésente et d’un allié américain qui embrassait pour mieux étreindre ne laissait de toute façon que peu de marges aux velléités européennes. Dans le même temps, en dehors de la volonté gaulliste, les européens ont largement et toujours recherché la protection américaine (sans jamais savoir jusqu’où cette dernière serait allée en cas de conflit. A priori l’automaticité prévue se serait sans doute faite attendre).

Ce n’est en définitive qu’avec le traité de Maastricht (1992) que s’est instauré un processus visant à mettre en œuvre une Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Confirmée par le traité d’Amsterdam (1997) la PESC a suscité depuis nombre de désillusions.

Pourtant le sommet franco-britannique de St Malo (novembre 1998) avait laissé penser qu’un infléchissement significatif s’était produit. Lors de ce dernier sommet les deux pays avaient en effet affirmé la nécessité pour l’Europe de se doter d’une capacité militaire : « l’Union Européenne doit avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ».

 

De nouvelles étapes devaient ensuite être franchies. En juin 1999 (conseil européen de Cologne) et en décembre 1999 (Conseil Européen d’Helsinki) ) furent entérinées (puis approuvées au Conseil Européen de Nice en décembre 2000) des décisions aux perspectives intéressantes qui ont fait dire lors du sommet de Laeken en décembre 2001 que l’Union était « opérationnelle » :

- création à l’horizon 2003 d’une force de réaction rapide (FRR) de 60 000 hommes - ce qui laisse rêveur au regard de la puissance économique et démographique de notre continent –déployable dans un délai de soixante jours pour une durée minimum d’un an (en décembre 2002 lors du conseil de Copenhague l’objectif semble avoir été modifié en y ajoutant un élément de réaction rapide -moins de à 60 jours- aptitude aux missions humanitaires et évacuation des ressortissants).

Complétée par des capacités civiles, cette force doit pouvoir être contrôlée et dirigée par l’UE grâce à trois nouvelles institutions politico-militaires, créees au sein du Conseil de l’UE :

-un Comité politique et de sécurité (COPS)

-un état-major européen

-un comité militaire.

Viennent compléter le dispositif : un Ministre des Affaires étrangères et de la Défense » (pour l’heure il s’agit de Javier Solana, ancien secrétaire général de l’Otan, qui, tentant d’élaborer récemment une « doctrine de sécurité » pour l’UE, n’a fait que reprendre à son compte les priorités de la Maison Blanche et sa doctrine d’action préventive ! aucune confiance ne doit être accordée à ce vilain personnage) et une stratégie aérienne avec Galileo (système spatial d’aide à la navigation utilisant des satellites) destiné à pallier les insuffisances du GPS (Global positioning System, système américain de navigation par satellites) et du Glonass russe (malheureusement outre les problèmes techniques et l’impréparation des pays européens l’opposition des USA est flagrante). Galiléo pourrait bien « n’être qu’une ligne Maginot de plus sans véritable volonté d’émancipation sur les enjeux de l’Europe/puissance ».

L’optimisme pourrait donc être de mise. Il demande pourtant à être tempéré.

Les ambitions « militaires » affichées trouvent en effet rapidement leurs limites. Contenues dans le spectre des missions dites de Petersberg (humanitaires, évacuation de ressortissants menacés, maintien ou rétablissement de la paix), elles évacuent le second volet, pourtant primordial, celui de la défense proprement dite (prévention des agressions et réponse à une agression) et ne font pas de l’Europe un « acteur stratégique ».

Ainsi les diverses actions menées par des contingents européens (Kosovo, Afghanistan) ne traduisent pas la mise en œuvre d’une stratégie globale au service d’une vision géo-politique. Comme le soulignait un sénateur (comme quoi la haute assemblée réserve parfois d’heureuses surprises !) « il me semble que ces missions de Petersberg devraient être accessoires si nous voulons vraiment disposer d’une armée », et d’insister : »Allons-nous avoir une armée essentiellement de guerre ou essentiellement axée sur les missions de Petersberg ? ».

 

Réponse en l’occurrence très politiquement incorrecte et courageuse d’un général : « Monsieur le sénateur, ce sont les hommes politiques qui sont responsables de cette situation. Depuis la fin de la guerre froide, aucun homme politique, de droite ou de gauche, n’a voulu répondre à la question : « une armée, pour quoi faire ?, et les missions de Petersberg dissimulent lamentablement ce manque de clarté. Le problème se pose au niveau de l’Europe, où il est nécessaire que nous disposions d’hommes et de femmes politiques ayant suffisamment de vision stratégique et de conviction pour bâtir, non pas l’Europe de la défense, mais la défense de l’Europe ».

 

A l’aube de l’année 2003, censée inaugurer l’opérationnalité[4] de la FRR, la « défense européenne » demeure donc toujours intégrée dans l’épure stratégique américaine, via l’OTAN. Or de nombreux analystes internationaux soulignent combien cette organisation n’est que l’interprète des intérêts américains et leur redéploiement sur le continent européen. Qui peut être encore assez naïf (ou alors franchement collabo !) pour croire que cette organisation ait un jour été conçue pour défendre les intérêts européens[5]. Nous reviendrons sur cette organisation au cours de notre exposé mais les événements récents ont démontré que l’Otan n’est plus qu’une « boîte à outils » dans laquelle les Américains espèrent venir puiser quand bon leur semble.

 

Quant à l’Europe de l’armement, maillon essentiel de l’indépendance stratégique de l’Europe, ses retards ne sont pas plus encourageants. Si le principe a été entériné il demeure toutefois l’apanage des Etats et demeure exclu du champ communautaire (art.296 du traité d’Amsterdam). Se construisant de manière pragmatique à travers l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) créée en 1996, elle a favorisé plusieurs initiatives ( Eurocopter et surtout le mariage franco-allemand d’Aérospatial/Matra avec l’Espagnol Dasa en décembre 1997, lui-même renforcé par l’accord cadre de Farnborough en juin 2000[6]. Au delà, face à la concurrence américaine (les américains n’ont pas hésité à proposer aux Européens leurs avions Loockeed devant les difficultés de lancement de l’Airbus A-400 M) si les Européens n’établissent pas des besoins matériels identiques, ne coordonnent pas leur politique budgétaire ni de leur politique d’achat et n’élaborent pas de processus d’intégration des décisions, ils ne favoriseront pas l’industrie européenne d’armement et par ricochet fragiliseront l’Europe de la défense.

 

En définitive les avancées demeurent minces et ne se traduisent par aucune réactivité par rapport aux événement internationaux. L’Europe n’a rien à dire et ne peut opposer à la vision du monde de la thalassocratie américaine aucune autre vision. Il serait temps que le projet d’Union Européenne s’affiche clairement comme un projet géo-politique suis generis et qu’il se libère d’une « américanôlatrie » sclérosante et incapacitante l’empêchant d’advenir à la puissance.

 

LA NECESSITE D’UNE REPONSE POLITIQUE

                Aux origines de la PESC, l’absence de vision politique

 

En fait dès ses origines la PEDC a souffert d’un lourd handicap, celui de ne reposer sur aucun consensus définissant un « concept stratégique » répondant lui-même à une vision géo-politique susceptible de la guider. La PECD a été lancée selon « une approche dite « bottom-up », c’est à dire d’une évolution à petits pas. Cette méthode d’intégration s’est traduit avant tout par un processus de rejet de l’utilisation des rapports et outils de puissance et à une dépolitisation du projet européen ».

L’absence d’autonomie politique et stratégique européenne vis à vis des Etats-Unis, fruit du contexte particulier de la guerre froide, a largement déterminé les évolutions ultérieures de la construction européenne et apparaît, en grande partie, à l’origine du développement insuffisant des relations extérieures de l’UE, auquel la PESC et la PESD sont maintenant censées remédier.

Le refus de développer des structures politico-militaires proprement européennes, sans doute à l’origine de la construction relativement insatisfaisante de l’UE, a de plus conduit à une réticence de la plupart des Etats membres envers toute forme de gestion commune des affaires de sécurité et de défense, instaurant ainsi une césure politique, idéologique et psychologique entre l’Europe et la puissance.

 

Cette posture de l’Union Européenne, stratégiquement et géopolitiquement confortable mais paresseuse, si elle peut trouver des explications (éloignement de la menace, désaffection pour tout ce qui touche au militaire et à la guerre, absence d’Ennemi désigné, jeu des Etats-Unis, vision apaisante des relations internationales…), n’en demeure pas moins calamiteuse et dangereuse. Elle n’est ni le fait des stratèges et des militaires européens (ce qui ne doit pas occulter leurs responsabilités). La faiblesse du projet géo-politique européen, la « volonté d’impuissance » (Pascal Boniface) des décideurs européens sont les premiers responsables des « heurts et malheurs » de la défense européenne.

 

Du rapport du politique et du militaire

 

Tout homme politique et tout militaire avisé sait que le politique préexiste à tout acte de guerre et demeure une prérogative régalienne. C’est une fois les objectifs politiques fixés que les stratèges interviennent. Dans son principe la célèbre formule de Clausewitz « la guerre n’est rien d’autre que la continuation de la politique par d’autres moyens » rappelle cette évidence : le militaire demeure dans la dépendance du politique.

PESC (Politique Etrangère et de Sécurité Commune), I.D.E (Identité de Défense Européenne), défense européenne…ne dérogent pas à la règle. L’ensemble est conditionné par le projet politique et géopolitique de l’Union Europeénne (UE).

Or, globalement, ce projet géo-politique dont, on ose le croire, l’UE est en substance dépositaire, demeure encore inconsistant. Sa formulation qui n’a pris forme qu’en 1992 (traité de Maastricht) n’« enchante »[7] pas les Européens.

 

Abstrait, mercantile et fondé sur la nature non-conflictuelle des rapports internationaux, il véhicule un vague ethos universel dont la Charte des Droits fondamentaux de l’UE est l’illustration. En vérité il n’est ni mobilisateur ni fédérateur, aucun « Nous » n’y est défini. Sa faiblesse intrinsèque provient du fait que l’UE n’y est aucunement pensé comme « nouvelle unité de sens et de puissance » ni envisagée comme nouvelle « zone dure » dans le « pluriversum étatique ». Sur le plan international cela se traduit par un nanisme politique et géo-politique de l’UE.

Cela a des conséquences sur le projet de défense européenne. Sans vision géopolitique bien établie, les stratèges demeurent dépourvus de grille de lecture.

 

…QUI PASSE PAR LA RESOLUTION DE DEUX QUESTIONS PRIMORDIALES

 

 

Pour ce faire, deux notions essentielles et existentielles, éminemment politiques mais constamment écartées de tout débat, se doivent d’être éclairées : l’espace (ligne de front, jusqu’où défendre l’Europe ?), et l’Ennemi et/ou l’Ami (discrimination du Soi et du Non-soi, défendre l’Europe contre qui ?). Le général P.M. Galois écrivait « pour qu’une armée ait un sens, il faut qu’elle ait une terre à défendre, des frontières à protéger et qu’elle ait un ennemi qui la menace ».Ces notions constituent les fondements de toute politique de défense. Au delà c’est tout le projet d’Union Européenne qui pourrait prendre sens. De projet marchand il deviendrait projet politique et pourrait secréter ce sentiment d’appartenance communautaire sans lequel aucune défense n’est viable.

 

Notions dépassées, dira-t-on. Au contraire affirmerons-nous sans crainte. Notions politiques primordiales et existentielles non exclusives, elles constituent à nos yeux, malgré les modifications sur la scène internationale (éloignement de la menace directe, hypothèses de conflits limités, guerres asymétriques, apparitions de nouvelles menaces, mafias, flux migratoires incontrôlés…), l’essence et les fondements de toute politique de défense, quelle qu’en soit la dimension, nationale ou continentale.

 

Si ces notions ne devaient jamais être abordées au fond, ni clairement définies et débattues et donc demeurer sans réponse, n’espérons pas qu’un jour, un jeune européen trouve des raisons de mourir ou de vivre (elles ont toujours été les mêmes) pour défendre une terre et un/des peuples qu’il devra percevoir comme patrie et comme partie de lui-même.

 

L’Europe, jusqu’où ? La question des frontières de l’Europe.

 

Ce thème demeure éminemment actuel. La récente polémique autour de l’élargissement de l’Europe à la Turquie a rappelé que l’Europe n’est pas un continent extensible à l’infini.

L’espace est tout et sans lui le débat serait vide de sens. L’époque contemporaine ne nous démentira pas : maints conflits ont l’espace comme enjeu. En outre, pour le combattant, la défense de la terre des siens, de sa Cité, demeure l’essence de sa fonction. Les murs de la Cité demeurent ses repères.

Malheureusement les frontières du « sanctuaire européen », le premier cercle des « intérêts vitaux » définis par Lucien Poirier, laissent place au doute. Anachronisme d’une situation que celle où l’on envisage de construire une défense européenne alors qu’aucune limite territoriale n’a été fixée.

L’on sait combien une frontière est avant tout politique donc toujours susceptible d’être remise en cause. Le regretté Général von Lohausen[8] écrivait « l’Europe existera là jusqu’où elle désirera se défendre ». Pourtant certaines réalités géographiques ou historiques, des recouvrements ethno-culturels permettent d’imaginer, un « limes » européen.

Chose certaine, au nord comme au sud et à l’ouest, la géographie de l’Europe se dessine naturellement. L’Islande et les pays scandinaves au nord, l’Atlantique à l’ouest, la Méditerranée au sud (sachant que la frontière au sud se défend sur le territoire de l’Afrique du nord, véritable marche de l’Empire) constituent des limites intangibles.

C’est à l’est et au sud-est que la ligne de front pose problème. La Russie, pays continent ambivalent, est-elle européenne ou non ? Si elle l’est, cela repousse jusqu’au fleuve Amour (frontière avec la Chine) et à l’océan Pacifique (depuis la prise de possession des immensités sibériennes par les Cosaques) les limites du continent. Mais comment ne pas imaginer que les fils des Varègues ne soient pas un jour associés étroitement au projet européen.?[9]

Pour l’heure un certain réalisme nous amènera à faire nôtre les considérations très constructives d’un Pierre Biarnès[10] : « les frontières de l’Europe devront se fixer un jour ou l’autre de façon définitive entre les pays baltes et la Biélorussie, entre la Pologne et l’Ukraine, entre la Roumanie et la Moldavie, entre la Grèce et la Turquie et s’arrêter au nord de la Méditerranée ».

Le débat sur les frontières européennes devra être clos rapidement. Il faut cesser de cultiver la confusion en voulant inclure des espaces culturellement trop différents (Turquie, Maroc…)qui nous achemineront vers l’incohérence géographique et civilisationnelle et qui déconcertent les bons européens qui habitent en terre d’Europe.

Les décideurs européens ne pourront passer outre. Ne pas y répondre comporte le risque de retarder inexorablement la mise en forme d’une défense européenne à vocation première de défense du territoire européen, actuellement non menacé (mais certaines zones, certains territoires ne sont-ils pas déjà aux mains d’envahisseurs que les cerveaux conquis de certains politiques laissent pénétrer dans nos pays), et de voir le combattant (du stratège au soldat) européen demeurer sans horizon, sans repère concret. Ce n’est qu’à partir d’un espace devenu lisible, visible et cohérent que pourra être définie une authentique géo-politique de l’Union Européenne, ouverte sur le monde et non eurocentrée (nous savons que l’Europe se défend bien au-delà de ces/ses frontières) et une politique de défense crédible qui pourra s’imposer aux Autres. Faudra-t-il se résigner à n’avoir qu’à défendre un «puzzle artificiel, sans énergie et sans âme… » ? Aucun stratège ne pourra s’y résigner.

 

Mais poser une limite territoriale, c’est également déterminer qu’en deçà de ces limites le Même commence et qu’au-delà c’est le règne de l’Autre. A ce point de réflexion nous aborderons le second concept focal de toute pensée stratégique, la relation d’hostilité. Cet Autre, ce Non-Soi, constitue qu’on le veuille ou non cet Ennemi, au moins potentiel, dont l’intérêt premier est de permettre la perception de la collectivité mais aussi de contribuer à renforcer le sentiment d’appartenance. Ce concept doit lui aussi être géré par l’autorité politique. Carl Schmitt affirmait que « la désignation de l’Ennemi est l’acte politique par excellence ».

 

L’Europe, contre qui ? La distinction Ami-Ennemi.

 

Pour ceux ignorants de l’œuvre du grand politologue Carl Schmitt, nous précisons que l’Ennemi évoqué dans ces lignes n’a rien à voir avec l’«Axe du Mal » de Bush Junior et de son manichéisme biblique. Son messianisme religieux et théologique, à l’origine de tant de croisades assassines pour la démocratie et le libre échange, relève de la paranoïa et non du politique (ce qui n’exclut pas les buts politiques de la guerre entreprise par les USA).

En second lieu nous préciserons également que désigner l’Ennemi ne relève en rien d’une idéologie bellogène et ne prédispose pas plus à  la guerre (possible mais non inéluctable) que les idéologies qui se voulaient et se veulent pacifistes et qui depuis des siècles n’en finissent pas de déclarer la guerre au monde entier dans l’espoir de le modifier et de le conformer à leur vision du monde et à leurs intérêts.

En humble mais attentif lecteur de Carl Schmitt et de Julien Freund[11], nous préciserons donc qu’il s’agit de l’Ennemi public (l’hostis des Romains) et qu’il n’implique aucune haine personnelle. Il est « l’étranger hostile, antagoniste, celui qui unit intention hostile et capacité de nuisance, militaire ou autre ». Définir l’Ennemi, c’est « constater que depuis que les hommes font de la politique, ils se regroupent entre amis au sein d’une communauté déterminée… et qu’ils essaient de préserver leur identité contre d’éventuelles menaces » (J.Freund).

« Tout regroupement géopolitique doit impliquer une relation d’hostilité au moins potentielle vis à vis de puissances étrangères » écrivait Freund. Encore faut-il que les raisons de l’union soient réellement politiques et que la reconnaissance des « antagonismes » (Max Weber) ait été admise.

Malheureusement l’une des carences de la construction de l’UE c’est d’avoir évacué le politique. Le projet peut même être qualifié d’impolitique ( ie que l’éventualité de la confrontation n’est pas réellement envisagée). La virtualité de l’Ennemi n’est pas prise en compte. Or c’est à travers le politique que la reconnaissance de l’ennemi prend forme.

La désignation de l’Ennemi constitue sans aucun doute un des axiomes et un des principes d’action qui fonde toute stratégie et définit son esprit. Connexion intime et éternelle du militaire et du politique il est temps que les politiques européens prennent en compte les situations conflictuelles contemporaines et à venir (inconcevables aujourd’hui mais plausibles dans vingt ou trente ans) et proposent aux stratèges européens un projet géo-politique capable de mobiliser leur intelligence et leur soif d’œuvrer à la grandeur et à la défense de la grande patrie européenne en devenir.

La puissante répugnance et la couardise des politiques face à la violence armée doit être oubliée.

« Aucun regroupement géopolitique digne de ce nom ne s’est construit sans savoir avec qui ni contre qui. Il n’y a pas d’union sans exclusion, donc sans rapport virtuel Ami/Ennemi entre ceux qui sont admissibles ou admis dans l’union et ceux qui ne le sont pas » (n’en fut-il pas ainsi des USA qui au 19ème avec la doctrine Monroe désignèrent les Etats Européens comme l’Ennemi.

Les proclamations incantatoires n’y feront rien. « Personne n’est jamais assez naïf pour penser qu’un pays n’aura pas d’ennemi parce qu’il ne veut pas en avoir ».Tout se règle facilement dès lors qu’on exclut l’Ennemi. Mais celui-ci ne dort pas. Contrairement à la générosité humanitaire, l’humanité n’a pas que des bons cotés le désir n’est pas la réalité ».

L’Union Européenne essentiellement animée par des idéaux pacifistes, ne se connaît pas et/ou ne veut pas se connaître d’Ennemi et encore moins en désigner. Se refusant à cette attitude responsable (ce qui n’empêche pas d’être désigné comme tel par d’Autres) l’on peut juger à quels sommets d’immobilisme géopolitique et stratégique cela nous a conduit.

 

Sans distinction Ami-Ennemi, sans perception de l’Ennemi, aucune collectivité ne peut exister politiquement ni se situer par rapport à l’Autre. C. Schmitt écrivait même que « l’aptitude à distinguer l’Ami et l’Ennemi est ce qui qualifie politiquement un peuple . Désigner l’Ennemi c’est en effet pouvoir se poser dans l’espace (jusqu’où existons-nous ?) et dans l’Etre (qui sommes-nous ?). C’est à travers ces concepts que se forme l’identité collective sans laquelle aucune politique de défense ne peut advenir.

 

Dans un monde à la haute conflictualité, l’hostilité se porte bien. Si l’identification de l’Ennemi ne peut être univoque (puisqu’il peut être religieux, économique, culturel, territorial … mais souvent tout à la fois), il peut être cependant identifié et désigné.

 

A l’aune du XXIème siècle l’Ennemi de l’Europe, comme de tous ceux désireux de vivre dans un monde divers, demeure représenté par « toutes les forces tendant à un universalisme du monde unipolaire centralement dominé face à la pluralité des « grands espaces » équilibrés ». Les forces de l’hostis sont donc perceptibles dans la figure de puissances ou d’organisations hostiles à notre grande œuvre de reconstruction de l’espace grand-européen. C’est contre toutes les formes d’hostilité à ce projet que les volontés européennes doivent être tournées. Quant aux stratèges, enfin délivrés de la mollesse et de l’irresponsabilité des politiques, ils sauront proposer des stratégies adaptées. Leur compétence est grande, leur courage exemplaire, leur désir de servir toujours vivace, ne les décevons pas. Sur le front extérieur comme sur le front intérieur ils sauront mettre en œuvre le meilleur d’eux-mêmes, mettre à profit l’enseignement de haut niveau que l’on sait leur donner et enfin se débarrasser de la paralysie doctrinale, du stratégiquement correct, appris dans les états-majors otanesques. Aux politiques de désigner les buts à atteindre et l’Ennemi à combattre.

 

Notre propos serait incomplet si un thème n’était pas abordé. Comment évoquer l’idée de défense européenne sans s’intéresser à l’Otan et au nécessaire repositionnement de l’Europe par rapport aux Etats-Unis.

Nous ne cesserons de rappeler combien l’Ile Amérique ne partage pas les intérêts de d’Europe. N’ayant jamais cessé d’entraver toute oeuvre de réunification européenne depuis plus d’un siècle, les Etats-Unis via l’Otan constituent sans aucun doute l’une des figures de l’Ennemi de l’Europe.

 

 

 REVISITER LA RELATION AVEC LES ETATS-UNIS.

 

Nous avons toujours regretté qu’après l’implosion du pacte de Varsovie (1992) les pays de l’Alliance atlantique n’aient pas décidé l’auto-dissolution de l’Otan Nous continuons à penser qu’il est insupportable de conserver le traité de Washington qui fonde l’Otan tel qu’il a été conçu en 1949 (modifié 1954). Un traité est fait pour un objectif ( en l’occurrence assurer la sécurité de la partie ouest de l’Europe contre un supposé envahisseur soviétique). Du jour où cet objectif avait disparu le traité devenait caduc. Rien de cela ne s’est produit.

Bien au contraire, soucieux de pérenniser une organisation qui avait largement servi à mettre sous tutelle le projet européen, les Etats-Unis, toujours guidés par la préservation de leurs impératifs géopolitiques, ont donné un nouveau souffle à l’Otan. Conçue à l’origine pour assurer la défense collective des signataires de l’Alliance, l’Otan s’est donc progressivement transformée en un système de sécurité collective.

« Transatlantique par définition, méditerranéenne par Etats-Unis interposés, moyenne-orientale par son rôle implicite dans le conflit du Golfe, l’Otan est devenue paneuropéenne et asiatique, concurrençant ouvertement les institutions européennes et contournant l’OSCE »[12]. Ainsi présentée par Thierry Garcin, l’Otan apparaît comme un instrument inséparable de la volonté de puissance américaine.

En fait c’est dès 1991 que les Etats-Unis ont travaillé à la rémanence de l’OTAN en développant le concept de « communauté atlantique » de Vancouver à Vladivostok (création du Conseil de coopération Nord-Atlantique -CCNA).

Lancés dans un véritable « Drang nach Osten », les Etats-Unis, désireux de border au plus près les frontières de la Russie (politique de nouveau containment), ont mis en place le « Partenariat pour la paix » en 1994. Puis pour ménager la Russie « l’Acte fondateur Russie-OTAN » (1997). Puis vint l’élargissement de 1999 à la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Lors du sommet de Prague de novembre 2002, la reconfiguration de l’Alliance a continué et s’est orientée vers « un élargissement robuste …de la mer Baltique à l’Adriatique et à la mer Noire ». Ainsi les trois  Pays Baltes, la Slovaquie, la Slovénie, la Roumanie et la Bulgarie rejoindront-ils l’Otan d’ici 2004 tandis que déjà l’Albanie, la Croatie et la Macédoine frappent à la porte en participant au plan d’action pour l’adhésion (MAP : Membership Action Plan). Washington, via l’Otan étend son influence, multiplie ses bases de projection, prépare ses accès à la mer Noire et à la mer Caspienne (maîtrise de l’ancienne route de la soie). Outre ces élargissements le sommet de Prague a constitué une étape décisive vers la transformation des membres européens de l’Alliance atlantique…en auxiliaires des forces armées états-uniennes dans leur entreprise d’expansion impériale planétaire.

Les Américains ont donc donné une nouvelle impulsion à l’Otan pour en faire une organisation politique et militaire au service de la lutte contre le terrorisme, une sorte de « boîte à outils » (concept tool box américain) où ils puiseront (la mission définissant la coalition). L’Alliance militaire multinationale sous commandement intégré devient un vaste forum politique susceptible de fournir des coalitions de circonstances (coalition of the willing) pour des opérations de rétablissement de la paix par la force armée, dans la zone eurasiatique, ou en dehors. L’Otan est désormais globalisée et se voit attribuée de nouvelles missions.

Outre ces grandes manœuvres qui dament le pion à toutes les initiatives européennes ( les Américains ont même projeté de créer une force de réaction rapide- Nato Response Force- ouvertement rivale de la Force Européenne de réaction Rapide), une nouvelle doctrine stratégique est venue chapoter l’organisation.

Cette mutation stratégique, opérée depuis le sommet de Rome de novembre 1991, tend à faire de l’Otan, alliance défensive, une organisation dite de « sécurité », c’est à dire interventionniste. Son périmètre initial n’est plus respecté (art VI du traité de 1949 comme ne couvrant que les pays membres , les territoires sous leur juridiction et leurs forces « dans la région de l ‘Atlantique nord au nord du tropique du Cancer ») et ses missions étendues à la lutte contre le terrorisme et la prolifération des ADM. Ajouté à cela le concept de « préemption » qui inclut non seulement l’utilisation de moyens diplomatiques et économiques pour prévenir l’apparition de nouvelles menaces terroristes…mais également l’utilisation de frappes militaires préventives.

Cette doctrine est l’exemple même de l’unilatéralisme, en ce qu’elle suppose qu’il est légitime pour un Etat de prendre des mesures pour se prémunir contre ce qu’il a considéré –de son propre chef-comme une menace potentielle à sa sécurité nationale , sans consultation préalable d’autres Etats ou d’organisations multilatérales. Elle ouvre la porte à tous les abus et à la guerre totale.

Relayés par son secrétaire général qui affirmait « L’Otan va devenir le centre de coordination et de préparation d’une action militaire multinationale (…) contre le terrorisme et d’autres menaces nouvelles », les Etats-Unis entendent bien demeurer ancrés dans l’Ancien Monde. Cette présence leur permet de se projeter en Asie et au Moyen-Orient, elle contribue à garantir l’accès aux « économies et sociétés ouvertes de l’Ancien Monde où les marchés d’armement alliés ne sont pas le moindre des enjeux. Enfin, l’implantation des radars sur des territoires européens (GB et Danemark) est essentielle au déploiement du futur bouclier spatial américain (Missile Defense).

L’absence de volonté des gouvernements et opinions publiques d’Europe occidentale de s’opposer au leadership usaïque ne pourra qu’encourager les Etats d’Europe centrale et orientale à contracter une « assurance » auprès de l’hegemon nord-américain.

L’Alliance atlantique n’est plus « une vache sacrée » (Rudolf Sharping, ministre allemand de la défense).

Plus que jamais l’absence de volonté politique et de volonté de puissance des Européens empêche la remise en cause du leadership usaïque et bloque toute mise en œuvre d’une politique de défense européenne. Dans ce dispositif stratégique et géopolitique où la place des Européens est réduite à la fourniture de chair à canon, il serait temps que les décideurs européens comprennent que « le monde n’est pas un Eden kantien et que c’est en osant la puissance que l’on pèse sur la définition des grands équilibres planétaires ».

Chaque jour les Etats-Unis nous démontrent que le réalisme géo-politique et la logique de puissance, les intérêts nationaux, la lutte pour les matières premières, constituent les fondements des relations internationales. Sans agir avec autant de cynisme pour un but méprisable, véritable néocolonialisme économique et culturel, du moins pourrions-nous nous convaincre que la scène internationale est autre chose qu’une scène idyllique où la « brebis dormira entre les pattes du lion ».

 

 

POUR MIEUX DONNER SENS A L’ETRE EUROPE » OU QUELQUES RAISONS DE MOURIR POUR L’EUROPE

 

L’évocation de ces thèmes, de notre point de vue primordiaux, n’est certes pas exclusive (le déficit démographique devient en effet de plus en plus dramatique pour l’Europe). Il n’en demeure pas moins qu’ils constituent des points de débat fondamentaux de toute réflexion sur le devenir politico-militaire européen. Ils peuvent permettre l’élaboration de l’« l’Etre-Europe », fondement d’une unité collective pan-européenne fondatrice du grand espace européen auquel nous aspirons. Ce dernier ne pourra apparaître qu’en posant des frontières et en s’affirmant face à d’autres regroupements continentaux ayant leur propre vue du monde. Il entrera en crise tant qu’aucune démarcation n’aura été mise en place et tant qu’aucun Ennemi n’aura été désigné.

L’Europe politique et a fortiori l’Europe de la défense ne sauraient évacuer ces questions sans se fragiliser et au fond ne pas donner des raisons de vivre et de mourir à ses peuples. C’est en faisant le choix du politique, en pensant en termes de continent, en renouant avec l’audace de la puissance que l’Europe se donnera ces raisons.

Au-delà et bien sûr c’est à un réenchantement de l’Europe que nous devons également travailler. Thucydide écrivait : «  La force de la Cité n’est pas dans l’épaisseur de ses murailles, ni dans le nombre de ses vaisseaux, mais dans le cœur de ses habitants ». Mais là comme toujours ce sont les poètes qui trouveront la réponse.

 

Pour conclure j’évoquerais un événement qui m’est apparu comme porteur de grande espérance. Le 16 juillet 2002 s’est déroulé à Coëtquidan, la Conférence des Ecoles et Académies militaires de l’Union européenne. Elle réunissait de jeunes élèves officiers (20-25 ans) de 14 pays de l’Union européenne. J’ose y voir la réunion des meilleurs fils d’Europe, libérés des carcans idéologiques et des pesanteurs historiques d’hier, prêts à constituer les nouveaux cadres de cette « armée européenne » au service des intérêts d’une Europe puissante et indépendante, enracinée dans son illustre passé mais tournée intensément vers le XXII siècle, désireuse de marcher à nouveau sur les chemins de ce que Nietszche appelait la « grande histoire ». S’il devait y avoir un jour une école d’officiers européens (mais également de sous-officiers) formés dans des académies et écoles militaires européennes capables de leur inculquer un savoir militaire, historique, géographique…européen de haut niveau, ce qu’il faudra bien un jour mettre en œuvre), que le site de Coëtquidan soit choisi ne serait pas pour nous déplaire (mais bien d’autres sites sont tout autant envisageables). Situé non loin de l’envoûtante forêt de Brocéliande, elle est un des « nemetons » de l’imaginaire européen. Comment ces jeunes cadres militaires pourraient-ils ne pas œuvrer à défendre la terre d’Europe, guidés par Merlin, Arthur, Lancelot et autres preux européens, en quête de nouveaux exploits pour plaire à leurs dames et à leurs souverains mais également à leurs peuples.

 

« Moi je dis qu’il faut faire l’Europe, déclarait en 1949, le Général De Gaulle, avec pour base un accord entre Français et Allemands. Une fois l’Europe faite sur ces bases, alors, on pourra se tourner vers la Russie. Alors on pourra essayer, une bonne fois pour toutes, de faire l’Europe tout entière avec la Russie, dut-elle changer de régime. Voilà les programmes des vrais Européens. Voilà le mien ». Voilà le nôtre.

 

                Et puis comme l écrit l »historien Mi chel Rouche à propos de Clovis : « cette montée d’un homme qui trouve des solutions dans les pires situations sont probablement les preuves que le tohu-bohu accouche toujours d’une nouvelle création, que l’idéal méprise les rapports de force économiques et sociaux. Quand tout est perdu, rien n’est perdu : il suffit d’un homme qui croit ».

 

                                                                                                              Lucien Favre – Septembre 2003.



[1] Le projet de constitution européenne élaboré par la Convention pour l’Avenir de l’Europe, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, remettra-t-il en cause cet immobilisme ? Osons l’espérer.

[2] Le terme de puissance est envisagée ici dans son acception classique, définie par Raymond Aron comme « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités ».

[3] L’Autre (ou une coalition d’Autres) que le politique et stratèges privilégient et introduisent comme un facteur déterminant dans leurs analyses et computations, en un moment de l’Histoire et dans une configuration donnée du système international.

[4] Cela signifiant au mieux la possibilité d’entreprendre les moins exigeantes des missions de Petersberg et ceci en 2003( !), année qui a été retenue comme devant marquer le début d’un possible déploiement de la Force de Réaction Rapide.

[5] A Washington le projet d’Identité Européenne de Défense est considéré comme une aimable virtualité, une incongruité au regard de la planification atlantiste qu’ont toujours appliqué les communautés puis l’UE. Pour l’Amérique l’Otan doit rester une organisation d’alliés souverains où le processus européen de décision n’est pas détaché du processus de décision plus large de l’Alliance.

[6] Accord signé entre les britanniques, français, allemands, italiens, espagnols et suédois établissant des mesures concrètes visant à faciliter la restructuration et le fonctionnement de l’industrie européenne de défense.

[7] Par référence à l’ouvrage de Marcel Gaucher Le désenchantement du monde- Ed Gallimard. Nous prenons acte cependant de la volonté de M. Giscard d’Estaing d’œuvrer pour une « Europe puissance », attachée à son autonomie et à ses frontières             .

[8] Auteur de l’ouvrage incontournable Les Empires et la puissance aux Ed du Labyrinthe.

[9] Une association étroite n’est pas une union. D’où l’intérêt de ne pas morceler l’ancien empire russe pour en faire un pôle réel de puissance, associé étroitement à l’UE. N’aspirons-nous pas à monde pluripolaire ?

[10] Pour l’Empire du monde – Revue française de géopolitique - Ellipses 2003.

[11] Son ouvrage fondamental L’essence du politique paru chez Sirey doit bientôt être réédité chez Dalloz. A lire également Politique et impolitique chez Sirey également.

[12] Thierry Garcin-Les grandes questions internationales depuis la chute du mur de Berlin- Economica.

vendredi, 10 septembre 2010

Sur la situation actuelle de la Russie (2005)

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2005

 

Sur la situation actuelle de la Russie

Extrait d’une allocution de Robert Steuckers à la Tribune de “Terre & Peuple-Lorraine”, à Nancy, le 26 novembre 2005

 

La situation actuelle de la Russie est assez aisément définissable: cette superpuissance européenne en recul dramatique fait face, depuis la fin de l’ère Gorbatchev, à trois offensives de guerre indirecte; 1) elle subit une stratégie d’encerclement; 2) elle subit une deuxième stratégie, qui vise son morcellement; 3) elle subit un processus de subversion intérieure qui mine ses capacités de résister aux défis du monde extérieur.

 

◊1. La stratégie d’encerclement est clairement perceptible: à la périphérie du territoire de l’actuelle Fédération de Russie, sur des zones qui firent partie de l’empire des Tsars et de l’ex-URSS ou qui en furent des glacis, nous voyons, depuis la fin de l’ère Gorbatchev, se constituer une zone de turbulences permanentes. Cette zone comprend le Caucase, l’Asie centrale, l’Ukraine et, potentiellement, dans une éventuelle offensive ennemie ultérieure, le bassin de la Kama, avec une agitation programmée à l’extérieur des Tatars et des Bachkirs, regroupés dans des “républiques” autonomes de la Fédération (les investissements étrangers dans ces régions sont d’ores et déjà bien plus élevés que dans le reste de la Fédération). Après les glacis conquis depuis Pierre le Grand, on programme, à Washington, l’émergence d’un islam très septentrional, sur le site même des khanats tatars terrassés jadis par Ivan le Terrible. Après l’encerclement de l’ancien empire russe et soviétique, viendra peut-être l’encerclement du tremplin moscovite, du  noyau premier de cet empire. Cette stratégie d’encerclement prend le relais de la stratégie d’endiguement, qui fut celle préconisée par Mackinder et ses successeurs, dont Lord Curzon, contre la Russie de Nicolas II et contre l’Union Soviétique de Lénine à Gorbatchev.

 

◊2. La stratégie du morcellement de l’espace russe, dont nous parlait Alexandre Douguine lors de ses récentes interventions à Anvers (11 nov. 2005) et à Bruxelles (12 nov. 2005) découle très logiquement de la stratégie d’encerclement , qui, notamment, vise à agiter les peuples ou les ethnies ou les communautés religieuses ou mafieuses de la “zone des turbulences permanentes” de façon à les détacher de l’espace impérial russe défunt et de l’espace spirituel de la “civilisation russe” (Douguine), concept dynamique que l’on comparera utilement à la notion de “civilisation iranienne” qu’évoquait le dernier Shah d’Iran dans le plaidoyer pro domo qu’il adressait à l’histoire (cf. Mohammad Reza Pahlavi, Réponse à l’histoire, Albin Michel, 1979). L’espace de la “civilisation russe” a connu son extension maximale avec l’URSS de Brejnev, avec, en prime, une “Wachstumspitze” (une “pointe avancée”) en Afghanistan. Malheureusement, la période de cette extension maximale n’était pas marquée par une grandeur traditionnelle, comme sous certains tsars ou comparable à ce que le Shah entendait par “civilisation iranienne”, mais par une idéologie froide, mécaniciste et guindée, peu susceptible de susciter les adhésions, de gagner la bataille planétaire au niveau de ce que les Américains, avec Joseph Nye, appellent aujourd’hui le “soft power”, soit le pouvoir culturel.

 

◊3. La stratégie de subversion vise plusieurs objectifs, déjà implicites dans les deux stratégies que nous venons d’évoquer: 1) imposer à la Russie un idéal démocratique importé, fabriqué de toutes pièces, comparable à celui que véhiculait la “révolution orange” en Ukraine l’an dernier. 2) contrôler les médias russes et suggérer un “way of life” de type américano-occidental, irréalisable pour la grande masse du peuple russe. 3) gagner en Russie une bataille métapolitique en faisant jouer le prestige du “soft power” occidental. Cette stratégie de subversion est portée par diverses officines téléguidées depuis les Etats-Unis et financées par des réseaux capitalistes internationaux. Nous avons là, pêle-mêle, la Freedom House, l’International Republican Institute, le National Endownment for Democracy, la Fondation Soros, le National Democratic Institute, l’Open Society Institute (dont bon nombre de subdivisions et de départementssont consacrés aux Balkans, à l’Ukraine et à la Biélorussie), etc. Le concours de toutes ces fondations, avec l’aide des grandes agences médiatiques internationales, a contribué à mettre sur pied des mouvements comme Otpor en Serbie (pour renverser Milosevic), comme Pora en Ukraine (avec la révolution orange de la belle Ioulia), comme Kmara en Géorgie pour faire triompher un candidat qui accepterait l’inféodation complète du pays à l’OTAN, ou comme la révolution des tulipes au Kirghizistan et, enfin, comme une révolution qui, elle, contrairement aux autres, a du mal à démarrer, parce que la leçon a été apprise: je veux parler ici de l’agitation, timide et jugulée, du mouvement “Subr” (= “Bison”) en Biélorussie. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel, dans un article de longue haleine publié en deux volets, explicitait le mode de fonctionnement de cette vaste entreprise de subversion, à têtes multiples telle l’hydre de la mythologie grecque. Les enquêteurs de cet hebdomadaire de Hambourg nous apprenaient comment se déroulait effectivement la formation des personnages principaux de cette vaste entreprise. Le Spiegel nous rappelle, fort utilement, que l’essentiel de cette formation se trouve consigné dans un film de Peter Ackerman, intitulé “Bringing Down a Dictator” (= Faire tomber un dictateur). Le titre dévoile clairement les intentions des auteurs: faire tomber, non pas véritablement des dictateurs, mais des leaders politiques qui déplaisent à l’Amérique ou qui ne veulent pas s’aligner sur les diktats du néo-libéralisme. En juin 2005, les jeunes recrutés dans les pays à subvertir et engagés dans ces entreprises de subversion destinées à de larges franges de la zone des turbulences, se sont réunis en Albanie pour mettre au point les nouveaux aspects de la stratégie et planifier l’avenir de leurs activités.

 

Pour résumer, l’objectif des Etats-Unis, héritiers de la stratégie anglo-saxonne mise au point par Mahan, Mackinder et Lea dans la première décennie du 20ième siècle, est 1) d’encercler la Russie selon les thèses géopolitiques et géostratégiques des géopolitologues Lea et Mackinder; 2) de morceler et satelliser la zone de tubulences et, ensuite, dans une phase ultérieure, le reste de la Fédération russe selon la stratégie de balkanisation mise au point par Lord Curzon à partir du Traité de Versailles de 1919; effectivement, après la révolution bolchevique et la guerre civile entre Rouges et Blancs, Lord Curzon souhaitait créer ou faire émerger un maximum d’Etats tampons, dépendants et économiquement précaires, entre l’Allemagne de Weimar et la nouvelle URSS. Cette stratégie visait à appuyer la Pologne, avec le concours de la France, sans que cette Pologne instrumentalisée ne puisse développer une industrie autonome et viable, tout en étant obligée de consacrer 39% de son budget à l’entretien d’une armée. Selon le Colonel russe Morozov, ce stratagème a été ressorti du placard dans les années 90, dans la mesure où l’armée polonaise a augmenté ses effectifs dans l’OTAN tandis que la Bundeswehr allemande a été réduite (aux mêmes effectifs que la nouvelle armée polonaise) et que l’armée russe connaît un ressac épouvantable, faute de budgets substantiels. Aujourd’hui, la réactualisation des projets de morcellement à la Curzon, est perceptible dans le Caucase et en Asie centrale, non seulement contre la Russie mais aussi contre l’Iran. Enfin, 3) de subvertir la Russie par tous les moyens que peut fournir un “soft power” dominant. En gros, il s’agit de provoquer en Russie un soulèvement orchestré par les médias contre Poutine sur le modèle de ce qui s’est passé en Ukraine fin 2004.

 

Double pari: sur le pantouranisme, sur l’islamisme saoudien

 

C’est dans ce cadre qu’il faut analyser le double pari des stratèges américains de ces trois dernières décennies : le pari sur le monde turc/turcophone et le pari sur la carte musulmane wahhabite saoudienne. Le pari sur le monde turc était bien clairement exprimé sous Clinton, un Président sous lequel les trois stratégies énumérées dans la première partir de cet exposé ont été mises en oeuvre. De surcroît, pour injecter dans la région un soft power puissant mais inféodé aux agences américaines, on prévoyait le lancement d’un satellite de télécommunication afin de créer une chaîne unique turcophone, dans une langue turque unifiée et standardisée, capable de diffuser un message bien orchestré en Asie centrale jusqu’aux confins de la Chine.

 

Le pari sur les réseaux wahhabites saoudiens remonte à l’époque où il fallait recruter des hommes de main contre les troupes soviétiques présentes en Afghanistan. Des combattants de la foi musulmane, les mudjahiddins, s’engageaient dans des formations militaires bien entraînées pour appuyer les Pachtouns hostiles à la présence russe. Parmi eux, un certain Oussama Ben Laden, qui financera et appuyera les “talibans”.

 

Le pari sur le monde turc était un pari plus homogène et plus cohérent, en fin de compte, plus “impérial” que “nomade”, dans la mesure où l’empire ottoman, héritier de bon nombre d’institutions impériales de la Perse sassanide et de la romanité greco-byzantine, possédait les structures organisées d’un empire tandis que l’islam wahhabite garde toutes les caractéristiques des tribus de la péninsule arabique, qui ont eu l’enthousiasme de bousculer les empires byzantin et perse moribonds mais non l’endurance de gérer ces territoires civilisés et urbanisés sur le long terme. Mais le pari sur le monde turc, du temps de Clinton, n’était pas un néo-byzantinisme ou un néo-ottomanisme. Il pariait bien plutôt sur une idéologie nouvelle, datant du 20ième siècle, qui posait la Turquie comme l’avant-garde des peuples mobiles, pasteurs, nomades et cavaliers du Touran, d’Asie centrale. Cette idéologie est le panturquisme ou le pantouranisme. Elle a servi un objectif anti-communiste et anti-soviétique, depuis le temps de l’Allemagne nazie jusqu’aux Etats-Unis de Clinton, où la Turquie était posée tout à la fois comme cette avant-garde pantouranienne en direction de l’Ouest et comme l’avant-garde de l’OTAN dans la zone  sensible de la Mer Noire.

 

Pantouranisme: un lien millénaire avec les peuples turcs d’Asie centrale

 

Le pantouranisme est une idéologie diffuse, grandiloquente, qui ne peut trouver aucune concrétisation sans un appui extérieur, sans l’aide d’une puissance étrangère dominant les mers et possédant une solide infrastructure industrielle. L’idéologie pantouranienne a toujours été latente dans l’histoire turque, mais elle n’a été théorisée, de façon complète, que dans les années 20 du 20ième siècle, à la suite et sur le modèle des idéologies pangermanistes et panslavistes. Elle est portée par un argument historique valable du point de vue turc: c’est en effet toujours un apport turc (turkmène, tatar ou ouzbek) venu d’Asie centrale qui a permis à l’Empire ottoman de renforcer ses armées et de mener des opérations en Europe et au Moyen-Orient, contre la Sainte-Ligue, l’Autriche-Hongrie ou l’Empire perse. Quelques exemples: le calife de Bagdad fait appel aux troupes turques de Toghrul Bey venues du fonds de la steppe pour rétablir l’ordre dans le califat arabe en déliquescence; les Seldjouks, qui arrivent au 11ième  siècle et battent les Byzantins à Manzikert en 1071, viennent eux aussi d’Asie centrale; les derniers Grecs de Trébizonde doivent finir par céder face aux masses rurales de l’arrière-pays, entièrement composées de pasteurs turkmènes, alliés des Ottomans; à Vienne en 1683, l’armée ottomane est appuyée par des colonnes volantes de cavaliers-raiders tatars et turkmènes qui rançonnent, pillent et saccagent la Hongrie, la Slovaquie et de vastes régions d’Autriche. Les peuples turcs d’Asie centrale ont constitué la réserve démographique et militaire de l’empire ottoman.

 

Dans les années 20 et 30 du 20ième siècle, le pantouranisme est l’idéologie de quelques savants turcologues; elle ne connait pas de traduction politique; elle est à ce titre désincarnée mais d’autant plus virulente  sur le plan intellectuel. En 1942, quand le sort des armes paraît favorable au Troisième Reich et que les services de celui-ci encouragent les peuples non russes à déserter le service de Staline, le pantouranisme, qui veut profiter de cette aubaine, gagne des adeptes et sort de la discrétion. Un certain Turkes, qui deviendra le leader des “Loups Gris” nationalistes, fait partie de ceux qui réclament une alliance rapide avec l’Allemagne pour participer au démantèlement de l’Union Soviétique jugée trop vite moribonde, parce qu’elle n’a pas encore reçu, via l’Iran occupé, un matériel moderne  venu des Etats-Unis. Le mouvement des “Loups Gris”, intéressant à plus d’un titre et bien structuré, s’alignera sur des positions panturques pures et laïques jusqu’en 1965, année où il fera une sorte d’aggiornamento et admettra un “islamisme” offensif, à condition qu’il soit dirigé par des éléments turcs. Aujourd’hui, ce mouvement, qui a connu la répression du régime, est partagé: ainsi, il ne veut pas d’une adhésion turque à l’Europe, car, prétend-il, une immersion de l’Etat turc dans l’UE conduirait à lui faire perdre toute “turcicité”. Il me paraît dès lors important de ne pas confondre trois strates idéologiques présente en Turquie actuellement: le kémalisme, l’idéologie nationaliste des Loups Gris et le pantouranisme, dans son orientation libérale et pro-occidentale.

 

Diverses idéologies turques

 

En effet, le kémalisme voulait et veut encore (dans la mesure où il domine) aligner la Turquie sur l’Europe, l’européaniser sur les plans intellectuels et spirituels sans pour autant la christianiser.  Dans ce but, Kemal Ataturk développe un mythe “hittite”. Pour lui, la Turquie est l’héritière de l’empire hittite, peuple indo-européen venu de l’espace danubien pour s’élancer vers le Proche-Orient et se heurter à l’Egypte. C’est la raison pour laquelle il crée un musée hittite à Ankara et encourage les fouilles pour redécouvrir cette civilisation à la charnière de la proto-histoire et de l’histoire. L’idéologie des Loups Gris, qui se dénomment eux-mêmes les “idéalistes”, est panturquiste mais ses avatars ont parfois admis l’islamisation et ont refusé, récemment, l’adhésion à l’UE, que préconiserait tout néo-kémalisme fidèle à ses options de base. Les libéraux et les sociaux-démocrates turcs (pour autant que ces labels idéologiques aient une signification en dehors de l’Europe occidentale) sont souvent à la fois panturcs et pro-américains, anti-arabes, anti-russes et pro-UE.

 

Après la défaite électorale des démocrates américains et l’avènement de Bush à la présidence, la stratégie américaine s’est quelque peu modifiée. L’alliance qui domine est surtout wahhabite-puritaine; elle mise sur un islamisme simplifié et offensif plus exportable et, en théorie, détaché des appartenances ethniques. L’objectif est de fabriquer une idéologie mobilisatrice d’éléments agressifs pour réaliser le projet d’un “Grand Moyen Orient” intégré, servant de débouché pour une industrie américaine toujours en quête de clients. Ce “Grand Moyen Orient” a l’atout d’avoir une démographie en hausse, ce qui permet de prévoir d’importantes plus-values (l’iranologue français Bernard Hourcade, dans une étude très fouillée, constate toutefois le ressac démographique de l’Iran, en dépit de l’idéologie natalisme du pouvoir islamique; cf. B.  Hourcade, Iran. Nouvelles identités d’une république, Ed. Belin/Documentation Française, 2002).

 

L’alliance wahhabite-puritaine recouvre aussi  —c’est l’évidence même—  une alliance économique axée sur le pétrole (saoudien et texan). Avec Bush, c’est une stratégie plus pétrolière que historico-politique qui s’installe, et qui bouleverse certaines traditions diplomatiques américaines, notamment celles qu’avaient déployées les démocrates et les conservateurs classiques (que l’on ne confondra pas avec les néo-conservateurs actuels). Cette nouvelle stratégie pétrolière ne satisfait pas les rêves turcs. Qui, eux, visent essentiellement à récupérer le pétrole de Mossoul. En effet, la Turquie, de Mustafa Kemal à aujourd’hui, est un Etat aux ressources énergétiques rares, insuffisantes pour satisfaire les besoins toujours plus pressants d’une population en croissance rapide. Les nappes pétrolifères de l’Est du pays, dans le Kurdistan montagnard en ébullition, à proximité de la frontière irakienne, sont insuffisantes mais nécessaires, ce qui explique aussi la hantise et la phobie du régime turc pour toute idée d’une émancipation nationale kurde pouvant aboutir à une sécession. Les départements autour de ces quelques puits de pétrole sont tous sous le statut d’état d’exception, notamment la région de Batman où se situe la principale raffinerie de pétrole turc. Pour Ankara, la fidélité à l’alliance américaine devait à terme trouver une récompense: recevoir une certaine indépendance énergétique, par le biais de revendications  territoriales issues d’une idéologie panturquiste ou néo-ottomane, soit en annexant le Kurdistan irakien, soit en forgeant une alliance avec l’Azerbaïdjan, Etat turcophone mais iranisé, soit en recevant toutes sortes d’avantages dans l’exploitation du pétrole de la région caspienne, du moins dans ses parties turcophones. La stratégie pétrolière de Bush vise, elle, à concentrer un maximum de ressources en hydrocarbures entre les mains de ceux qui, au Texas comme dans la péninsule arabique, en possèdent déjà beaucoup. La Turquie, comme personne d’autre, n’est invitée au partage. Dans de telles conditions, la Turquie ne peut espérer récupérer Mossoul.

 

“Hürriyet” et la question kurde

 

Récemment, le principal quotidien turc, “Hürriyet”, suggère indirectement une paix aux Kurdes, dans la mesure où il dit ne plus craindre ouvertement la création d’un Kurdistan indépendant dans le nord de l’Irak. Pour “Hürriyet”, désormais, le Kurdistan indépendant du nord de l’Irak pourrait parfaitement cohabiter avec un Kurdistan autonome sur le territoire de la république turque, à condition que s’instaure une sorte de marché commun turco-kurde, dont la principale source d’énergie serait ce pétrole tant convoité de Mossoul. C’est la première fois qu’un quotidien turc, de l’importance de “Hürriyet”, ose évoquer l’idée d’un Kurdistan autonome. L’objectif de ce nouvel engouement kurde est à l’évidence de récupérer le pétrole de Mossoul, cédé à contre-coeur par la Turquie en 1923, et d’empêcher les Chiites irakiens, alliés des Etats-Unis, de faire main base sur l’ensemble des ressources en hydrocarbures de l’Irak dépecé. Le vent est en train de tourner en Turquie et Bush, contrairement à Clinton, n’a pas carressé son allié turc dans le sens du poil. Une négligence qui pourrait être lourde de conséquence.

 

L’alliance entre Washington et les Wahhabites est un fait, malgré les rideaux de fumée médiatiques, évoquant une guerre des civilisations entre un Occident dominé par l’Amérique et un monde arabo-musulman travaillé par l’idéologie de Ben Laden. Posé comme l’ennemi  public n°1 sur la planète entière après les attentats de New York en septembre 2001, Oussama Ben Laden reste curieusement introuvable, ce qui permet de faire de sa personne le croquemitaine universel, se profilant derrière tous les attentats sordides qui ensanglantent la planète. Ben Laden est sans doute le modèle tout trouvé pour des musulmans déboussolés dans les grandes banlieues sinistres où l’on parque les immigrés en Occident, mais il est loin de représenter tout l’islam. Son islam n’est pas celui de l’Iran, qui choisit d’autres alliances stratégiques, avec la Chine ou avec la Russie. Son islam n’est pas non plus celui de l’islam russophile d’Asie centrale, qui, même s’il est fortement battu en brèche depuis l’effondrement du soviétisme, ne souhaite pas se voir inféodé à un “Grand Moyen Orient”, entièrement sous la tutelle des trusts américains. Il existe non pas un islam mais des islams comme le disait très justement le géopolitologue français Yves Lacoste. Les islamismes radicaux, qui se proclament bruyamment anti-américains, font souvent le jeu de Washington et peuvent, le cas échéant, être considérés comme des créations des services spéciaux, servant de leviers à des opérations de guerre indirecte.

 

L’islamisme : un levier de déstabilisation permanente

 

Bon nombre de ces islams radicaux sont effectivement des leviers pour créer du désordre partout. C’est le cas en France pour briser et affaiblir l’une des principales puissances de l’axe potentiel unissant Paris, Berlin et Moscou. C’est le cas dans le sud de la Thaïlande, déstabilisé par sa minorité musulmane. Ce sera demain le cas en Inde, un pays qui se développe plus lentement et plus sûrement que la Chine, déjà dans le collimateur de Washington.

 

Pour ce qui concerne la Russie, l’alliance Washington-Ankara permettait  aux Etats-Unis d’occuper l’Anatolie, base de départ de la conquête ottomane des Balkans, dont la façade orientale, avec la Bulgarie et la Roumanie, était inféodée, à partir de 1945, à la puissance soviétique; de se trouver proche du Caucase que les Allemands n’avaient pas pu conquérir en 1941-42 et de tenir en échec les puissances arabes du Proche-Orient et l’Egypte, alors alliées de l’URSS. Aujourd’hui, la Turquie sert de base arrière aux terroristes tchétchènes et d’alliée des Azeris. Seule la question de Mossoul a jeté un froid sur les relations turco-américaines et permis un rapprochement avec la Russie. L’alliance entre Washington et les wahhabites permet d’instrumentaliser des islamistes dans le conflit tchétchène et ailleurs en Asie centrale, voire de trouver des sources de financement pour remettre l’Albanie anti-serbe sur les rails.

 

Le panturquisme et l’islamisme wahhabite sont des leviers, tout comme la Fondation Soros, et toutes les fondations de même nature, pour parfaire ce que les géopolitologues anglo-saxons ont nommé le “Grand Jeu”, qui est, hier comme aujourd’hui, la volonté de contenir ou de détruire la puissance impériale russe.

 

Robert STEUCKERS,

Forest-Flotzenberg/Nancy, 26 novembre 2005.

lundi, 06 septembre 2010

Zuma wirbt in China um Aufnahme in die BRIC-Gruppe

Der Nächste bitte: Südafrikas Präsident Jacob Zuma wirbt in China um Aufnahme in die BRIC-Gruppe

Wang Xin Long

Ex: http://info.kopp-verlag.de/

 

Der südafrikanische Präsident, Jacob Zuma, besuchte diese Woche Peking, seine letzte Station auf der Reise zu den BRIC-Staaten Brasilien, Russland, Indien und China. Zuma, der mit einer 300 Personen starken Wirtschaftsdelegation und einer seiner Frauen angereist war, wurde in Peking mit vollen militärischen Ehren begrüßt.

 

 

Zuma besucht China, um die wirtschaftlichen Beziehungen zwischen den beiden Ländern weiter auszubauen und für mehr chinesische Investitionen in Südafrika zu werben. Die Gespräche waren für beide Seiten erfolgreich, und bereits am Dienstag hatte man ein dutzend Kooperationsverträge unterzeichnet. Die angestrebten Kooperationen umfassen den Finanzmarkt, Versicherungen, Infrastrukturprojekte und die Telekommunikation. Außerdem greift die chinesische Entwicklungsbank dem südafrikanischen Mobilfunkdienstleister Cell C mit einem Kredit in Höhe von umgerechnet rund 240 Millionen Euro unter die Arme.

Darüber hinaus hat Jacob Zuma erneut sein Anliegen vorgetragen, Südafrika in der BRIC-Gruppe unterbringen zu wollen. Das Land sei reif für eine Aufnahme, sagte er in mehreren Interviews. Das Anliegen als solches ist zwar verständlich, denn immerhin handelt es sich bei den BRIC-Staaten um die größten volkswirtschaftlichen Potenziale der nächsten zehn bis 15 Jahre. Aber woher Zuma die Idee hat, dass Südafrika in diesen Club der wohlhabenden Nationen hineinpasst, ist manchen Kommentatoren schleierhaft.

In der Tat, Südafrika wirbt nicht erst seit gestern um Aufnahme in die BRIC-Gruppe, und man lässt keine Gelegenheit aus, bei den BRIC-Teilnehmern auf sich aufmerksam zu machen. Zuma bereist die Teilnehmerländer oft, und unterstreicht jedes Mal seine Vision von einer Teilnahme Südafrikas. Auch beim diesjährigen Sankt Petersburger Wirtschaftsforum (SPIEF) war Südafrika durch seinen Botschafter in Russland und den Geschäftsführer der Standard Bank, der größten südafrikanischen Bankengruppe vertreten

Zuma scheint zuversichtlich, dass seine Lobbyarbeit erfolgreich sein wird, und er den angestrebten Sprung in den Kreis der BRIC-Staaten schafft. Ein wenig überrascht ist man über das beharrliche Ansinnen des südafrikanischen Präsidenten an einigen Orten aber schon. Denn letztendlich bedarf es einer Aufnahme unter der BRIC-Doktrin einer gesunden Volkswirtschaft mit beträchtlichem Potenzial in bestimmten auserwählten Wirtschaftssektoren – und diese Potenziale müssen vom Begründer der Doktrin, der Goldman Sachs, auch als solche identifiziert werden können. Jacob Zuma wäre also gut beraten, einmal bei Jim O’Neill, dem Chef der Abteilung Globale Forschung bei Goldman Sachs nachzufragen, wie man denn dort über die Aufnahme Südafrikas denkt.

Ob der erst diese Woche von der chinesischen Entwicklungsbank erteilte Kredit an den angeschlagenen südafrikanischen Mobilfunker Cell C in Höhe von umgerechnet rund 240 Millionen Euro bei Goldman Sachs die nötige Euphorie und ausreichend Vertrauen in die Wirtschaftspotenziale Südafrikas hervorgerufen hat, ist fraglich.

 

samedi, 28 août 2010

Dall'unipolarità alla multipolarità

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Dall’unipolarità alla multipolarità

di Carlos Pereyra Mele

Fonte: eurasia [scheda fonte]

La geopolitica (scienza maledetta sin dalla II Guerra Mondiale), rinasce a partire dagli anni settanta, quando la politica internazionale si trasforma dal modello che si fondava nello scontro ideologico (capitalismo versus comunismo), poiché in quegli anni gli USA stabiliscono buoni rapporti con la Cina comunista di Mao, a quello in cui si dà inizio a una nuova fase nella geopolitica moderna. Ma fondamentalmente è a partire dallo schieramento capeggiato dagli USA contro l’ex URSS che la geopolitica si dispiega con tutta la sua potenzialità, trasformando gli Stati Uniti nella prima repubblica imperiale moderna e anche nell’iperpotenza militare che impone la globalizzazione per raggiungere il controllo planetario; per questa ragione uno dei suoi più dotati geopolitici, Henry Kissinger, affermò che “in realtà, la globalizzazione è un altro nome con il quale si esercita il ruolo dominante degli Stati Uniti”.

Quest’idea di controllo planetario, come più volte ribadito, si affida sull’appoggio mitico del destino manifesto dai dirigenti americani e dalle grandi corporazioni che integrano il modello, e che cerca di piegare la resistenza sollevata da regioni e stati nazionali per imporre un controllo all’espansione del modello economico capitalista neoliberale. Il modello che si è voluto fornire è un sistema di espansione economico vulnerabile che deve essere protetto militarmente nelle sue infrastrutture. Questo modello ha fornito un sistema militarmente unipolare (gli USA come grande potenza), e culturalmente ed economicamente multipolare (USA, UE, Giappone) che è riuscito a dividere in due correnti l’America latina, soprattutto a seguito dell’attuazione della globalizzazione asimmetrica. Anche se fondamentalmente trova sempre maggiore resistenza nel cuore del continente asiatico e, nonostante l’immenso sforzo messo in pratica dall’iperpotenza per imporsi totalmente, dopo una decade questo modello non ha avuto successo e ciò sta creandogli nuove sfide e condizioni che mettono in crisi quella politica dal destino manifesto.

Dopo il sistema bipolare (dal 1945 al 1991), è iniziata una nuova era geopolitica, quella del “momento unipolare”, nella quale gli Stati Uniti rappresentavano “l’iperpotenza” (“hyperpuissance”, secondo la definizione del ministro francese Hubert Védrine).

Ad ogni modo, il nuovo sistema unipolare avrebbe avuto una vita breve e si è esaurito agli inizi del secolo XXI, quando la Russia ricompare come sfidante strategica nelle faccende globali e, allo stesso tempo, Cina e India, i due giganti asiatici, si affacciano come potenze economiche e strategiche. A livello globale, dobbiamo anche prendere in considerazione il peso crescente rappresentato da alcune nazioni dell’America latina, come il Brasile, l’Argentina e il Venezuela. Gli importanti rapporti che intrattengono questi paesi con la Cina, la Russia e l’Iran, sembrano acquisire valore strategico e prefigurano un nuovo sistema multipolare, i cui principali pilastri si possono considerare costituiti da Eurasia e dall’America latina sudamericana.

Ma stiamo vivendo anche un nuovo momento in cui la supremazia imposta dal cosiddetto mondo occidentale sin dalla rivoluzione industriale, cessa di rappresentare l’asse portante dello sviluppo e della cultura del mondo moderno per ridefinirsi in nuovi equilibri con paesi e culture molto diversi da quelli dominati negli ultimi duecento anni (e che concerne anche la nostra storia, soprattutto adesso che stiamo festeggiando il Bicentenario).

Il grande cambiamento s’imposta in rapporto alla partecipazione e allo sviluppo dell’Asia, in particolar modo di Cina, India e Russia, i quali rispettivamente sono passati ad avere un PIL pro capite da 419 a 6800 dollari, 16 volte in più, da 643 a 3500 dollari, 5 volte in più, in Russia si è arrivati a 13173 e in Brasile si è passati da 3744 a 9080, quasi tre volte in più. Il potere economico tendenzialmente va accompagnato verso la regionalizzazione, il che rende più dinamici e danno maggiore potere agli emergenti che capeggiano questi processi. Gli scambi interregionali si accelerano e si attivano in Asia Orientale, passando negli ultimi anni da un 40% a un 60%, lo stesso sta accadendo con l’aumento delle possibilità di sviluppo nella regione sudamericana, di là dalle asimmetrie esistenti, come nel caso del Mercosur.

Autorevoli analisti economici prevedono che, nonostante la crisi mondiale e se questa non produce maggiori danni di quelli che ha prodotto fino a ora, nella cosiddetta triade (USA, UE, Giappone), la partecipazione nel prodotto lordo mondiale da parte delle regioni emergenti sarà nel periodo 2020-2025 di circa il 60%, spettandogli all’Asia il 45% di questo incremento.

Questo aumento della potenzialità economica e dello sviluppo sarà accompagnato da una maggiore autonomia politica.

Per questa ragione, il secolo XXI si caratterizzerà come un secolo decentralizzato e con molte zone di potere decisionale.

Questa realtà la nascosero molti studiosi di rapporti esteri, perché “occidentali”. E ancora adesso continuano a confondere i nostri popoli con informazione falsa, mediante i mezzi di comunicazione che sono proprietà di quel sistema di alleanze. L’iperpotenza americana deve negoziare con attori che prima non prendeva in considerazione o al massimo li considerava marginalmente. E questo non è poco.

Ricordiamo che questa dinamica del nuovo ordine in gestazione la stiamo sostenendo sin dall’anno 2001, e quelli che hanno partecipato nelle nostre conferenze, riunioni e seminari possono confermare ciò.

Con una globalizzazione severamente aggravata dall’unilateralismo degli Stati Uniti, nel 2001 sostenevamo una divisione del mondo schematicamente diviso in 4 livelli:

  1. Livello superiore. Supremazia assoluta (o quasi) degli USA.
  2. Livello a elevata autodeterminazione, dove si trovano solo l’Unione Europea e il Giappone.
  3. Livello di resistenza. Lì stanno la Cina, l’India e la Russia, le quali posseggono la capacità di limitare l’interferenza della globalizzazione nel loro territorio. Vale a dire, hanno autodeterminazione interna, ma molto limitata autodeterminazione esterna.
  4. Livello di dipendenza. Tutti gli altri paesi.

Dopo il 1991 non c’è stato nessun altro tipo di negoziati tra le “potenze vittoriose”, come accadde alla fine della II Guerra Mondiale. Neanche ci fu “accordo di pace”, i nuovi rapporti politici ed economici sanciti tra le grandi potenze – e tra queste e il resto del mondo- da allora si stanno definendo in forma lenta, conflittuale, basati nel “caso per caso”. Gli Stati Uniti continuarono ad applicare le tesi Nicolas Spykman, per controllare ciò che lui definì il Rimland – principale oggetto della strategia per il governo mondiale -, il quale è pensato per il controllo dell’Europa occidentale, Medio Oriente, la Penisola arabica, Iran, Turchia, India e Pakistan, il Sudest asiatico, parte della Cina, Corea, Giappone e la parte costiera della Russia orientale. E, all’interno di questo quadro di controllo geopolitico “ha luogo” l’11 settembre (attentato alle torri gemelle), per mezzo del quale gli USA portano avanti la denominata “guerra infinita” contro i paesi che unilateralmente dichiara “Stati canaglia” con il suo famoso “asse del male” e con questa giustificazione mette in moto la parte finale del processo di dominio planetario che i suoi ideologi ed esecutori militari avevano pianificato sin dalla caduta dell’URSS (si vedano i documenti americani di Santa Fe per capire meglio questo modello).

Quello che in realtà si volle imporre fu una versione aggiornata del vecchio modello globalizzatore della rivoluzione industriale della fine del secolo XIX, nel quale il mondo si divise in centri dominanti (paesi sviluppati) e periferici (colonie dipendenti).

Ma il progetto non poté rendersi del tutto operativo nella sua totalità e la grande notizia è che l’attuale mutazione sta mettendo fine a una struttura storica di quasi duecento anni di dominazione da parte dell’occidente e con essa non è in crisi il modello capitalista, bensì tutto il sistema munito di strutture e di organizzazioni che si sono imposte dopo il trionfo degli USA nella II Guerra Mondiale (ONU, FMI, BM, OSA nel nostro caso specificamente latinoamericano, ecc.)

Attualmente, il sistema mondo 2010 si sta ridefinendo nella seguente maniera:

  1. Livello superiore. Supremazia non più assoluta degli USA.
  2. Livello a elevata autodeterminazione, dove si collocano l’Unione Europea, il Giappone, la Cina e la Russia.
  3. Livello di resistenza. In esso si collocano l’India, il Sudafrica e il Brasile (che cerca di irrobustire tutto un suo sistema regionale del quale l’Argentina rappresenta il nucleo forte dell’integrazione con strutture come: Gruppo di Rio, Mercosur, UNASUR, Consiglio di Difesa Sudamericano, Banco del Sud, ecc.), le quali consentono di avere una capacità di limitazione dell’interferenza globalizzatrice nel proprio territorio. Vale la pena ricordare che il livello di resistenza significa: autodeterminazione interna e con limitata autodeterminazione esterna).
  4. Livello di dipendenza. Tutti gli altri paesi.

Queste sono le tendenze geopolitiche del 2010, il come si definirà questo modello di sistema mondo lo vedremo tra qualche anno, il grande dubbio che rimane in sospeso è se gli attuali detentori dell’egemonia militare non tenteranno d’imporre il loro modello di controllo planetario di tipo bellico, perché se così fosse, l’umanità starebbe sull’orlo dell’estinzione in un olocausto nucleare.

I grandi mutamenti sono un’enorme sfida che devono affrontare gli attori politici e sociali d’America e, in particolar modo, quelli del nostro paese che si trovano davanti a un’alternativa molto forte, perché da questi esigono un livello di cooperazione pressante per evitare il trionfo dell’irrazionalità. Evidenziando che queste nuove circostanze danno al nostro continente la possibilità, vera e concreta, di ridefinire il nostro ruolo a livello globale e di non partecipare nuovamente come invitati di pietra nel ridisegnare il mondo, giacché siamo alla presenza di un mondo che racchiuderà molti centri di potere e la logica ci dovrebbe obbligare a pensare in grande, cioè in termini di regione e di continente per uscire dallo stadio di dipendenza periferica che ci aveva assegnato il sistema di globalizzazione avviato dagli USA. Dobbiamo ricordare, come lo abbiamo più volte detto, che il mondo che abbiamo conosciuto negli ultimi duecento anni si sta modificando nelle sue strutture basiche, paradigmi e miti, tanto nazionali, regionali e continentali, e ciò ci richiede una nuova insubordinazione che getti le fondamenta in questo Bicentenario.

Testo presentato alla Conferenza del III Seminario di Geopolitica organizzato dal Settore Cultura della Provincia di Córdoba il 12 agosto 2010.

Fonti:

La Insoburdinación Fundante, del Dott. Marcelo Gullo.

Le monde Diplomatique, edición latinoamericana.

Rivista EURASIA, del Dott. Tiberio Graziani.

Pensamiento de Ruptura, del Dott. Alberto Buela.

Diccionario Latinoamericano de geopolítica y Seguridad del Dott. Miguel Barrios y Carlos Pereyra Mele.

(trad di V. Paglione)

http://licpereyramele.blogspot.com/

* Carlos Pereyra Mele, politologo argentino e membro del  Centro de Estudios Estratégicos Suramericanos, collabora con la rivista “Eurasia”.


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samedi, 21 août 2010

L'idée touranienne dans la stratégie américaine

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Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 2001

 

 

L'idée touranienne dans la stratégie américaine

 

Le régime turc est autorisé à se maintenir en lisière de l'Eu­rope et dans l'OTAN, malgré ses dimensions "non démo­cra­ti­ques", parce ce pays reçoit en priorité l'appui des Etats-U­nis, qui savent que le militarisme turc pourra leur être très utile si le "Grand Jeu" reprend au beau milieu de l'espace eurasiatique. Cette coïncidence d'intérêts entre militaires turcs et stratégie générale des Etats-Unis incite les uns et les autres à redonner vigueur au "panturquisme", qui porte quelques fois un autre nom : celui de "pantouranisme" ou de "touranisme". C'est le rêve et le projet d'un "empire grand-turc", même s'il doit rester informel, qui s'étendrait de l'Adriatique (en Bosnie) à la Chine (en englobant le Xin­jian ou "Turkestan oriental" ou "Turkestan chinois") (1). Cet empire grand-turc rêvé prendrait le relais de l'Empire otto­man défunt. Le projet touranien a été formulé jadis par le dernier ministre de la guerre de cet empire ottoman, Enver Pacha, tombé au combat face aux troupes soviétiques en com­mandant des indépendantistes turcophones d'Asie cen­tra­le. La "Touranie" centre asiatique n'a jamais fait partie de l'Empire ottoman, sauf quelques bribes territoriales dans les marches; néanmoins, il y a toujours eu des liens entre les khanats des peuples turcs d'Asie centrale et l'Empire ot­to­man, qui y recrutait des hommes pour ses armées. Si la li­gnée d'Osman s'était éteinte, celle des khans de Crimée, de la maison de Giraj, dont l'ancêtre était le Grand Khan des Mongols, Gengis Khan (2), serait alors devenue, comme prévu, la dynastie dirigeante de l'Empire Ottoman (3). 

 

Face au projet touranien, Atatürk adoptait plutôt une posi­tion de rejet, mais c'était très vraisemblablement par tac­ti­que (4), car il devait justifier sa politique face à l'Occident et condamner, pour cette raison, le génocide perpétré par les gouvernements jeunes-turques contre les Arméniens. En­suite, dès que le régime soviétique s'est consolidé, il n'au­rait pas été réaliste de persister sur des positions pan­tou­raniennes. Pourtant, en 1942, quand les troupes alle­man­des pénètrent profondément à l'intérieur du territoire so­viétique, le panturquisme, longtemps refoulé, revient très vite à la surface. Mais, vu la constellation internatio­nale, le gouvernement turc a dû officiellement juger cer­tains activistes pantouraniens, comme le fameux Alparslan Türkesch, pour "activités racistes"; en effet, les Britan­ni­ques (et non pas l'Allemagne nationale-socialiste) avaient, selon leurs bonnes habitudes et sans circonlocutions inu­ti­les, menacé d'occuper la Turquie et Staline, lui, était passé à l'acte en déportant en Sibérie les Tatars de Crimée, alliés poten­tiels d'une coalition germano-turque.

 

Perspective touranienne

et "grande turcophonie"

 

Après l'effondrement de l'URSS, la perspective touranienne (5) est bien trop séduisante pour les Etats-Unis, héritiers du système de domination britannique, pour qu'ils la négli­gent. Mises à part les républiques caucasiennes, la majorité écrasante de la population des Etats indépendants dans la partie méridionale de l'ex-Union Soviétique sont de souche turque, sauf les Tadjiks qui sont de souche persane. Qui plus est, de nombreux peuples au sein même de la Fé­dé­ra­tion de Russie appartiennent à cette "grande turcophonie": leur taux de natalité est très élevé, comme par exemple chez les Tatars, qui ont obtenu le statut d'une république quasi indépendante, ou chez les Tchétchènes, qui combat­tent pour obtenir un statut équivalent. Les "pantouraniens" de Turquie ne sont pas encore très conscients du fait que les Yakoutes de Sibérie nord-orientale, face à l'Etat amé­ri­cain d'Alaska, relèvent, eux aussi, au sens large, de la tur­co­phonie.

 

Si l'on parvient à unir ces peuples qui, tous ensemble, comp­tent quelque 120 millions de ressortissants, ou, si on par­vient à les orienter vers la Turquie et son puissant allié, les Etats-Unis, à long terme, les dimensions de la Russie pourraient bien redevenir celles, fort réduites, qu'elle avait au temps d'Ivan le Terrible (6). En jouant la carte azérie (l'A­zerbaïdjan), ethnie qui fournit la majorité du cadre mi­li­taire de l'Iran, on pourrait soit opérer une partition de l'I­ran soit imposer à ce pays un régime de type kémaliste, indirectement contrôlé par les Turcs. Certains pantoura­niens turcs, à l'imagination débordante, pourraient même rêver d'un nouvel Empire Moghol, entité démantelée en son temps par les Britanniques et qui sanctionnait la domina­tion turque sur l'Inde et dont l'héritier actuel est le Pa­ki­stan.

 

Le "Parti du Mouvement National" (MHP), issu des "Loups Gris" de Türkesch, se réclame très nettement du touranis­me; lors des dernières élections pour le parlement turc, ce parti a obtenu 18,1%, sous la houlette de son président, Dev­let Bahceli et est devenu ainsi le deuxième parti du pays. Il participe au gouvernement actuel du pays, dans une coalition avec le social-démocrate Ecevit, permettant ainsi à certaines idées panturques ou à des sentiments de même acabit, d'exercer une influence évidente dans la so­ciété turque. C'est comme si l'Allemagne était gouvernée par une coalition SPD/NPD, avec Schroeder pour chancelier et Horst Mahler comme vice-chancelier et ministre des af­faires extérieures! […].

 

Une Asie centrale "kémalisée"?

 

Dans un tel contexte, le kémalisme comme régime a toutes ses chances dans les républiques touraniennes de l'ex-Union Soviétique. Les post-communistes, qui gouvernent ces E­tats, gardent leur distance vis-à-vis de l'Islam militant et veu­lent le tenir en échec sur les plans politique et institu­tionnel. Mais l'arsenal du pouvoir mis en œuvre là-bas peut rapidement basculer, le cas échéant, dans une démocratie truquée. Jusqu'à présent, ces Etats et leurs régimes se sont orientés sur les concepts du soviétisme libéralisé et, mis à part l'Azerbaïdjan, choisissent encore de s'appuyer plutôt sur la Russie que sur la Turquie (8), malgré l'engagement à grande échelle de Washington et d'Ankara dans les sociétés pétrolières et dans la politique linguistique (introduction d'un alphabet latin modifié (7), adaptation des langues turques au turc de Turquie. Comme l'Occident exige la li­berté d'opinion et le pluralisme, ces éléments de "bonne gouvernance" sont introduits graduellement par les gouver­ne­ments de ces pays, ce qui constitue une démocratisation sous contrôle des services secrets selon la notion de peres­troïka héritée de l'Union Soviétique (9).

 

Cela revient à construire les "villages à la Potemkine" de la dé­mocratie (10), dont le mode de fonctionnement concret est difficile à comprendre de l'extérieur. Tant que les diffé­rents partis et organes de presse demeurent sous le contrô­le des services secrets, on n'aura pas besoin d'interdire des formations politiques en Asie centrale (contrairement à ce qui se passe en Allemagne fédérale!). Mieux: on ira jusqu'à soutenir le "pluralisme" par des subsides en provenance des services secrets, car cela facilitera l'exercice du pouvoir par les régimes post-communistes établis, selon le bon vieux principe de "Divide et impera", mais l'Occident aura l'im­pression que la démocratie est en marche dans la ré­gion.

 

Avec Peter Scholl-Latour, on peut se poser la question: «Pen­dant combien de temps l'Occident  —principalement le Congrès américain et le Conseil de l'Europe—  va-t-il culti­ver le caprice d'imposer un parlementarisme, qui soit le cal­que parfait de Westminster, dans cette région perdue du monde, où le despotisme est et reste la règle cardinale de tout pouvoir? ». Ce jeu factice de pseudo-partis et de pseu­do-majorités ne peut conduire qu'à discréditer un système, qui ne s'est avéré viable qu'en Occident et qui y est incon­tour­nable. Le pluralisme politique et la liberté d'opinion ne sont pas des "valeurs" qui se développeront de manière op­timale en Asie centrale. Même le Président Askar Akaïev du Kirghizistan, considéré en Europe comme étant "relative­ment libéral", a fait prolonger et bétonner arbitrairement son mandat par le biais d'un référendum impératif. Nous avons donc affaire à de purs rituels pro-occidentaux, à un libéralisme d'illusionniste, pure poudre aux yeux, et les mis­sionnaires de cette belle sotériologie éclairée, venus d'Oc­cident, finiront un jour ou l'autre par apparaître pour ce qu'ils sont: des maquignons et des hypocrites (11).

 

Va-t-on vers une

islamisation de l'extrémisme libéral?

 

Comme la pseudo-démocratie à vernis occidental court tout droit vers le discrédit et qu'elle correspond aux intérêts américains, tout en ménageant ceux de la Russie (du moins dans l'immédiat…), c'est un tiers qui se renforcera, celui dont on veut couper l'herbe sous les pieds : l'islamisme. Com­me le kémalisme connaît aussi l'échec au niveau des par­tis politiques, parce que la laïcisation forcée qu'il a prô­née n'a pas fonctionné, la perspective touranienne conduit ipso facto à réclamer une ré-islamisation de la Turquie, mais une ré-islamisation compatible avec la doctrine kéma­liste de l'occidentalisation (12); de cette façon, le kéma­lis­me pourra, à moyen terme, prendre en charge les régimes post-communistes de la "Touranie".

La synthèse turco-islamique ("Türk-islam sentezi") est un nou­vel élément doctrinal, sur lequel travaillent depuis long­temps déjà les idéologues du panturquisme (13), avec de bonnes chances de connaître le succès : si l'on compta­bi­lise les voix du DSP et du CHP, on obtient à peu de choses près le nombre des adeptes de l'alévisme; ceux-ci se veu­lent les représentants d'un Islam turc, posé comme distinct du sunnisme, considéré comme "arabe", et du chiisme, con­sidéré comme "persan" (14). Dans cette constellation poli­tique et religieuse, il faut ajouter aux adeptes de l'alé­visme, l'extrême-droite turque et une partie des islamistes (15). Ces deux composantes du paysage politique turc é­taient prêtes à adopter une telle synthèse, celle d'un Islam turc, voir à avaliser sans problème une islamisation du ké­malisme, qui aurait pu, en cas de démocratisation, con­duire à une indigénisation de facto de l'extrémisme libéral.

 

Universalisme islamique

et Etats nationaux

 

En s'efforçant de créer une religion turque basée sur la ma­xime "2500 ans de turcicité, 1000 ans d'islam et (seule­ment) 150 ans d'occidentalisation", un dilemme se révèle : ce­lui d'une démocratisation dans le cadre d'un islam qui reste en dernière instance théocratique. L'établissement de la démocratie dans tout contexte islamique s'avère fort difficile, parce que la conception islamique de l'Etat im­plique une négation complète de l'Etat national (16). Or cette instance, qu'on le veuille ou non, a été la grande pré­misse et une des conditions premières dans l'éclosion de la démocratie occidentale (en dépit de ce que peuvent penser les idéologues allemands au service de la police politique, qui marinent dans les contradictions de leur esprit para-théocratique, glosant à l'infini sur les "valeurs" de la démo­cratie occidentale). Dans l'optique de l'islam stricto sensu, en principe, tous les Etats existants en terre d'islam sont illégitimes et peuvent à la rigueur être considérés comme des instances purement provisoires. Ils n'acquièrent légiti­mité au regard des puristes que s'ils se désignent eux-mê­mes comme bases de départ du futur Etat islamique qui, en théorie, ne peut être qu'unique. 

 

Dans le christianisme, le conflit entre la revendication universaliste de la religion et les exigences particularistes de la politique "mondaine" (immanente) se résout par la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Dans le christianisme oriental (orthodoxie), la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'a pas été poussée aussi loin, ce qui est une caracté­ristique découlant tout droit de la forme de domination propre au système ottoman, que l'on appelle le "système des millets", où les chefs d'Eglise, notamment le Patriarche de Constantinople, sont considérés comme des "chefs de peuple". De ce fait, le principe de l'"église nationale" con­stitue la solution dans cette aire byzantine et orthodoxe. Dans l'aire islamique, nous retrouvons cette logique, qui, en Occident, a conduit à la démocratie, telle qu'on la connaît aujourd'hui. Cette démocratie a pu s'organiser dans un es­pace particulier et circonscrit, via l'instance "Etat national". Donc dans l'aire islamique, réaliser la démocratie passe né­cessairement par le postulat de créer une religion natio­nale. On retrouve une logique similaire dans le judaïsme, lui aussi apparenté à l'Islam, où le sionisme a été le moteur d'une démocratisation nationaliste, qui a finalement con­duit à la création de l'Etat d'Israël. Cependant, dans l'aire islamique, une religion nationale de ce type, qui pourrait concerner tous les Etats musulmans, ne pourrait pas se con­tenter d'être une simple religion civile, comme en Occident et notamment en RFA, où la religion civile repose sur un reniement moralisateur du passé, organisé par l'Etat lui-mê­me; elle devrait avoir tous les éléments d'une véritable religion (17), pouvant se déclarer "islamique", même si d'au­tres refusent de la considérer comme telle.

 

 

L'alévisme turc,

religiosité de type gnostique

 

Dans les doctrines de l'alévisme turc (18), nous avons affai­re à une religion de type gnostique, car son noyau évoque la théorie des émanations, selon laquelle tous les étants sont issus de Dieu, vers lequels ils vont ensuite s'efforcer de retourner. Dieu a créé les hommes comme êtres corporels (phy­siques) (19), afin de se reconnaître lui-même dans sa création. Après le "retour" dans l'immense cycle ontolo­gi­que, toutes les formes, produites par l'émanation, retour­nent à Dieu et se dissolvent en lui (20), ce qui lui permet de gagner en quelque sorte une plus-value d'auto-connais­sance. La capacité qu'a l'homme de reconnaître Dieu at­teste de la nature divine de l'homme. Par extrapolation, on aboutit quelques fois à une divinisation de l'homme, deve­nant de la sorte un être parfait (où l'homme devient un dieu sur la Terre), et, dans la logique de l'alévisme turc, le Turc devient ainsi le plus parfait des êtres parfaits. L'hom­me a parfaitement la liberté d'être athée, car l'athéisme con­stitue une possibilité de connaître Dieu (21), car la con­nais­sance de Dieu, dans cette optique, équivaut à une con­naissance de soi-même.

 

Par conséquent, les lois islamiques, y compris les règles de la prière, ne sont pas reconnues et, à leur place, on installe les anciennes règles sociales pré-islamiques des peuples turcs, ce qui revient à mettre sur pied une religion ethni­que turque, compénétrée d'éléments chamaniques venus d'Asie centrale. Dans une telle optique, Mohammed et Ali, qui, au titre d'émanation est pied sur pied d'égalité avec lui, sont perçus comme des êtres angéliques préexistants, devenus hommes.  Le Coran n'a plus qu'une importance de moin­dre rang, car, disent les gnostiques turcs, par sa chute dans une forme somatique d'existence, le Prophète a subi une perte de savoir, le ramenant au niveau de la simple con­naissance humaine. Tous les éléments d'arabité en vien­nent à être rejetés, pour être remplacés par des éléments turcs.

 

Ordre des Janissaires, alévisme

et indigénisme turc

 

Si l'on ôte de l'idéologie d'Atatürk tout le vernis libéral (extrême libéral), on perçoit alors clairement que le fonda­teur de la Turquie moderne —même s'il n'en était pas entiè­rement conscient lui-même—  était effectivement un Alé­vite, donc en quelque sorte un indigéniste turc (on le voit dans ses réformes : égalité de l'homme et de la femme, in­terdiction du voile, autorisation de consommer de l'alcool, suppression de l'alphabet et de la langue arabes, etc.). Ce programme ne peut évidemment pas se transposer sans heurts dans d'autres Etats islamiques. En Turquie, ces ré­for­mes ont pu s'appliquer plus aisément dans la majorité sun­nite du pays sous le prétexte qu'elles étaient une occi­dentalisation et non pas une transposition politique des critères propres de l'alévisme. La suppression du califat sun­nite par Atatürk en 1924 peut s'interpréter comme une ven­geance pour la liquidation de l'ordre des janissaires par l'Etat ottoman en 1826. Les janissaires constituaient la prin­cipale troupe d'élite de l'Empire ottoman; sur le plan re­ligieux, elle était inspirée par l'Ordre alévite des Bekta­chis , lui aussi interdit en 1827 (22). Les intellectuels de l'Armée et les nationalistes d'inspiration alévite reprochent à cette interdiction d'avoir empêché la turquisation des Albanais, très influencés par le bektachisme, à l'ère du ré­veil des nationalités. Les nationalistes alévites constituent l'épine dorsale du mouvement des Jeunes Turcs qui arrivent au pouvoir en 1908. Ces événements et cette importante cardinale du bektachisme alévite explique pourquoi la Tur­quie actuelle et les Etats-Unis (23) accordent tant d'impor­tance à l'Albanie dans les Balkans, au point de les soutenir contre les Européens.

L'idéal de "Touran" vise

à poursuivre la marche de l'histoire

 

La religion quasi étatique dérivée directement des doctri­nes alévites pourrait sous-tendre un processus de démocra­ti­sation dans l'aire culturelle musulmane (24), mais elle ne serait acceptée ni par les Sunnites ni par les Chiites. Ceux-ci n'hésiteraient pas une seconde à déclarer la "guerre sain­te" aux Alévites. On peut penser que les prémisses de cet Is­lam turco-alévite pourrait, par un effet de miroir, se re­trou­ver dans le contexte iranien, où les Perses se réfère­raient à leur culture pré-islamique (ou forgeraient à leur tour un islam qui tiendrait compte de cette culture). Une tel­le démarche, en Iran, prendrait pour base l'épopée na­tio­nale du Shahnameh (le "Livre des Rois"). Aujourd'hui, on observe un certain retour à cette iranisme, par nature non islamique, ce qui s'explique sans doute par une certaine dé­ception face aux résultats de la révolution islamique. Mais le nouvel iranisme diffus d'aujourd'hui se plait à souligner toutes les différences opposant les Perses aux Turcs, alliés des Etats-Unis. Enfin, dans l'iranisme actuel, on perçoit en fi­ligrane une trace du principe fondamental du zoro­as­tris­me, c'est-à-dire la partition du monde en un règne du Bien et un règne du Mal, un règne de la "Lumière" et un règne de l'"Obscurité", compénétrant entièrement l'épopée nationale des Perses. Cela se répercute dans l'opposition qui y est dé­cri­te entre l'Empire d'"Iran" et l'Empire du "Touran". « L'Iran étant la patrie hautement civilisée des Aryens, tandis que le Touran obscur est le lieu où se rassemblent tous les peu­ples barbares de la steppe, venus des profondeurs de l'Asie centrale, pour assiéger la race des seigneurs de souche in­do-européenne » (25).

 

La fin de l'histoire occidentale

 

Peut importe ce que les faits établiront concrètement dans le futur : dés aujourd'hui, on peut dire que la perspective tou­ranienne permet d'aller dans le sens des intérêts amé­ri­cains au cas où le "Grand Jeu" se réactiverait et aurait à nou­veau pour enjeu la domination du continent eurasia­ti­que, prochain "champ de bataille du futur" (26). Parce qu'ils bénéficient du soutien des Etats-Unis, les Etats riverains et touraniens de la Mer Caspienne équipent leurs flottes de guerre pour affirmer leurs droits de souveraineté sur cette mer intérieure face à la Russie et à l'Iran. Le tracé de ces frontières maritimes est important pour déterminer dans l'avenir proche à qui appartiendront les immenses réserves de pétrole et de gaz naturel. Le risque de guerre qui en découle montre l'immoralité de la politique d'occidentalisa­tion, dont parle Huntington (27). Celui-ci nous évoque les moyens qui devront irrémédiablement se mettre en œuvre pour concrétiser une telle politique : ces moyens montrent que la conséquence nécessaire de l'universalisme est l'im­pé­­rialisme, mais que, dans le contexte actuel qui nous pré­occupe, l'Occident n'a plus la volonté nécessaire de l'impo­ser par lui-même (mis à part le fait que cet impérialisme con­tredirait les "principes" occidentaux…). L'universalisme oc­ci­dental, qui cherche à s'imposer par la contrainte, ne peut déboucher que sur le désordre, car les moyens mis en œuvre libèreraient des forces religieuses, philosophiques et démographiques qu'il est incapable de contrôler et de com­pren­dre. Cette libération de forces pourra conduire à tout, sauf à la "fin de l'histoire". Mais cette fin de l'histoire sera effectivement une fin pour la civilisation qui pense que cet­te fin est déjà arrivée. «Les sociétés qui partent du prin­ci­pe que leur histoire est arrivée à sa fin sont habituel­le­ment des sociétés dont l'histoire sera interprétée comme étant déjà sur la voie du déclin » (28).

 

On peut émettre de sérieux doute quant à la réalisation ef­fective de la "perspective touranienne" ou d'une issue con­crète aux conflits qu'elle serait susceptible de déclencher dans l'espace centra-asiatique quadrillé jadis par l'interna­tionalisme stalinien qui a imposé des frontières artificiel­les, reprises telles quelles par le nouvel ordre libéral, qui ne parle pas d'"internationalisme", comme les Staliniens, mais de "multiculturalisme". Ce multiculturalisme ne veut pas de frontières, alors que ce système de frontières est une nécessité pour arbitrer les conflits potentiels de cette ré­gion à hauts risques. Renoncer aux frontières utiles re­vient à attendre une orgie de sang et d'horreur, qui sera d'au­tant plus corsée qu'elle aura une dimension métaphy­si­que (29). C'est une sombre perspective pour nous Euro­péens, mais, pour les Turcs, elle implique la survie, quoi qu'il arrive, à l'horizon de la fin de l'histoire, que ce soit en préservant leur alliance privilégiée avec les Etats-Unis ou en entrant en conflit avec eux, remplaçant l'URSS comme dé­tenteurs de la "Terre du Milieu", nécessairement opposés aux maîtres de la Mer.

Josef SCHÜSSLBURNER.

(extrait d'un article paru dans Staatsbriefe, n°9-10/2001).

Notes :

(1)     Cf. «Waffen und Fundamentalismus. Die muslimischen Separa­tisten im Nordwesten Chinas erhalten zulauf», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 29.3.1999.

(2)     Plus tard, un nombre plus élevé de tribus mongoles se sont pro­­gressivement "turquisées"; le terme "Moghol" le rappelle, par exemple, car il signifie "mongol" en persan; c'est un sou­venir des origines mongoles des familles dominantes, alors qu'en fin de compte, il s'agit d'une domination turque sur l'In­de.

(3)     F. Gabrieli, Mohammed in Europa - 1300 Jahre Geschichte, Kunst, Kultur, 1997, p. 143.

(4)     La position d'Atatürk était purement tactique, en effet, si l'on se rappelle que les principaux responsables du génocide sont devenus les meilleurs piliers du régime kémaliste; cf. W. Gust, Der Völkermord an den Armeniern, 1993, pp. 288 et ss.

(5)     Cf. «Stetig präsent. Das Engagement der Türkei in einem unsi­cher werdenden Mittelasien», Frankfurter Allgemeine Zei­tung, 4.10.1999.

(6)     La Russie reconnaît effectivement cette problématique; cf. «Mos­kau will eine Allianz gegen Russland nicht hinnehmen. Ankara der Verbreitung pantürkischer Vorstellung bezichtigt - Ab­schluß des Gipfels (der Staatschefs von Aserbaidschan, Ka­sachstan, Kyrgystan, Usbekistan und Turkmnistan) in Istanbul» (!), Frankfurter Allgmeine Zeitung, 20.10.1994.

(7)     Vu le caractère "irréversible" de la candidature de la Turquie à l'UE, la CDU et le Frankfurter Allgemeine Zeitung espèrent que l'ancien bourgmestre d'Istanbul fondera un parti islamique sur le modèle de la CDU (cf. «Im Zeichen der Glühbirne - Die neu­ge­gründete islamische Partei in der Türkei könnte erfolgreich sein - Diesen Erfolg will jedoch das kemalistische Regime nicht zulassen», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 16.8.1991, p. 12; cf. également: «Neues Verfahren gegen Erdogan», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 22.8.2001, p. 8.

(8)     A ce sujet, cf. «Ein U für ein Y. Schriftwechsel in Aserbaid­schan von kyrillischen zu lateinischen Buchstaben; "…die durch den Wechsel der Schrift zu erwartende engere Anbindung an die Türkei sei von Vorteil für das Land, weil dadurch auch ein wirtschaftlicher Aufschwung zu erwarten sei», Frankfurter All­gemeine Zeitung, 2.8.2001, p. 10.

(9)     Pourtant la distance s'amplifie, cf. «Staatschefs der GUS reden ü­ber regionale Sicherheit; "… herrschen indes Zweifel am Sinn und Zweck der GUS, deren Staaten sich in den vergangenen Jahren auseinanderentwickelt haben», Frankfurter Allge­mei­ne Zeitung, 2.8.2001, p. 6.

(10)   Malheureusement, il n'existe aucune présentation systéma­ti­que de ce concept de "pseudo-démocratisation" téléguidée par les services secrets; on trouve cependant quelques allusions chez A. Zinoviev, Katastroïka, L'Age d'Homme, Lausanne. Par ail­leurs, des allusions similaires se retrouvent dans A. Golit­syn, New Lies for Old, 1984, livre dont nous recommandons la lecture car l'auteur, sur base de sa bonne connaissance du sys­tème soviétique de domination, a parfaitement pu prévoir la mon­tée de la perestroïka.

(11)   Voir le titre de chapitre, p. 109, dans le livre de Peter Scholl-La­tour, Das Schlachtfeld der Zukunft. Zwischen Kaukasus und Pamir, 1998. 

(12)   Ibidem, pp. 151 et ss.

(13)   Cf. «Türkisierung  des Islam? Eine alte Idee wird in Ankara neu aufgelegt», Frankfurter Allgemeine Zeitung, 4.9.1998.

(14)   Références dans U. Steinbach, Geschichte der Türken, 2000, p. 111.

(15)   Dans ce contexte, il convient de citer le nom du prédicateur iti­né­rant Fethullah Gülen, toutefois soupçonné par les kéma­listes, cf. Frankfurter Allgemeine Zeitung, 15.4.1998.

(16)   C'est ce que souligne à juste titre Huntington, pp. 281 et sui­vantes de l'édition de poche allemande de son livre Der Kampf der Kulturen. Die Neugestaltung der Weltpolitik im 21. Jahr­hundert, 1996.

(17)   Il existe une étape intermédiaire entre une religion civile em­preinte de dogmatisme, comme cette "révision moralisante et permanente du passé" qui s'exerce en RFA, et une véritable religion d'Etat: c'est le concept du "panchasilla", qui est à la fois politique et religieux, propre au régime indonésien, qui permet à l'Etat d'énoncer des dogmes religieux, comme celui d'un monothéisme abstrait, ce qui oblige la minorité bouddhis­te d'interpréter l'idée de nirvana dans un sens théiste, ce qui pré­pare en fait son islamisation (voir notre note 20).

(18)   On en trouve une bonne présentation chez Anton J. Dierl, Ge­schichte und Lehre des anatolischen Alevismus-Bektasismus, 1998, voir en particulier pp. 29 et ss.

(19)   L'accent mis sur le corps et sur les besoins du corps, y compris l'autorisation de boire de l'alcool, a rendu les Alévites sus­pects, comme jadis les Pauliciens et les Bogomils, dont la spiritualité est sous-jacente à l'islam européen dans les Bal­kans. On peut hésiter à qualifier cette religiosité de "gnosti­que". Toutefois la construction théologique générale possède les caractéristiques du gnosticisme, car son lien avec l'islam ap­paraît plutôt fortuit (en effet, les doctrines gnostiques peu­vent recevoir aisément une formulation chrétienne ou boud­dhis­te, comme l'atteste le manichéisme).

(20)   Cette conception peut provenir du temps où la majeure partie des peuples turcs était encore bouddhiste : à l'évidence, il s'a­git ici d'une interprétation théiste du nirvana; on peut suppo­ser qu'elle ait continué à exister au niveau de la mémoire, mê­me après la conversion à l'islam de ces Turcs bouddhistes d'A­sie centrale et d'Inde, même si cette théorie n'est pas satis­fai­sante pour expliquer le principe du karma tout en niant l'exis­tence de l'âme.

(21)   On peut y reconnaître des influences venues de l'hindouisme ; la vision de Dieu comme créateur, conservateur et destructeur du monde rappelle la doctrine trifonctionnelle (Trimurti) de l'hin­douisme; quant à savoir si les cercles ésotériques de l'alé­visme turc croient à la transmigration des âmes  —comme les Dru­ses, mais qui se réfèrent à d'autres traditions, on peut sim­ple­ment le supposer. Les Alaouites de Syrie le pensent, mais les Alévites turcs ne veulent rien avoir à faire avec les Alaoui­tes qui dominent le système politique en Syrie, comme, en fin de compte, aucun Turc s'estimant authentiquement turc ne veut rien avoir à faire avec les Arabes!

(22)   L'orthodoxie sunnite n'a pas pu reprendre en charge cette fonc­tion, car elle s'opposait à la conversion forcée des Chré­tiens (jusqu'en 1700, les janissaires se recrutaient parmi les garçons chrétiens enlevés à leurs familles); cette orthodoxie ne pouvait accepter qu'un musulman soit l'esclave d'un chré­tien (ce que les janissaires étaient formellement en dépit de leur conversion forcée); ce devrait être un avertissement à ceux qui pensent que les Alévites sont des "libéraux" que l'on pourrait soutenir contre l'orthodoxie islamique.

(23)   Cf. «Das Doppelspiel der Amerikaner : Unter den Europäern wächst die Irritation über das zwielichtige Agieren Washing­tons auf dem Balkan : Als Paten der UÇK sind die USA mitver­ant­wortlich für die Zuspitzung des Konflikts zwischen Albanern und Slawo-Mazedoniern», Der Spiegel, n°31/2001, p. 100.

(24)   Il faut tenir compte du fait que l'Islam, actuellement, se trou­ve à une période de son histoire qui correspond à celle de la Ré­forme en Europe : à cette époque-là en Europe, la démo­cra­tisation ne pouvait se comprendre que comme une théocra­tisation - l'Iran actuel correspond ainsi au pouvoir instauré par Calvin à Genève (et aux théocraties équivalentes installées en Nouvelle-Angleterre). Il faudrait en outre accorder une plus grande importance à la phénoménologie culturelle que nous a léguée un Oswald Spengler; celui-ci , avec une précision toute allemande, a approfondi la théorie de l'anakyklosis (doctrine des cycles ascendants) de Polybe. Pour les collaborateurs des ser­vices de sûreté allemands, Spengler et Polybe seraient au­tomatiquement classés comme des "ennemis de la consti­tu­tion", car ni l'un ni l'autre n'auraient cru, aujourd'hui, à l'é­ternité du système de la RFA actuelle, que tous les historiens contemporains sont sommés de ne jamais relativiser!

(25)   Cf. le résumé final dans le livre de Peter Scholl-Latour, op. cit., p. 294.

(26)   Comme le dit bien le titre du livre de Peter Scholl-Latour, op. cit.

(27)   Ibidem, p. 511.

(28)   Comme le dit à juste titre Samuel Huntington, op. cit. , p. 495.

(29)   Exactement comme le dit le titre de chapitre en page 151 du li­vre de Peter Scholl-Latour, op. cit.

 

jeudi, 19 août 2010

Iran: les Etats-Unis préoccupés par les investissements chinois

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Ferdinando CALDA :

 

Iran : les Etats-Unis préoccupés par les investissements chinois

 

Les rapports commerciaux sino-iraniens et russo-iraniens risquent d’annuler l’effet des sanctions américaines

 

Le maillage des sanctions infligées à l’Iran par les Etats-Unis et la « communauté internationale » n’est pas étanche, ce qui fait enrager les bellicistes américains et donne matière à penser aux Israéliens, qui, en attendant, fourbissent leurs armes pour toute intervention militaire éventuelle.

 

Vendredi 30 juillet 2010, la Chine, à son tour et après la Russie, a critiqué la décision de l’UE d’imposer de nouvelles sanctions unilatérales contre l’Iran, sanctions qui s’ajoutent à celles déjà votées par l’ONU. « La Chine désapprouve les sanctions décidées unilatéralement par l’UE à l’encontre de l’Iran. Nous espérons que les parties intéressées continueront dans l’avenir à opter pour la voie diplomatique afin de chercher à résoudre de manière appropriée les différends, par le biais de discussions et de négociations », a déclaré Jiang Yu, le porte-paroles du ministère chinois des affaires étrangères.

 

Dans le sillage des décisions prises ces jours-ci par les Etats-Unis, en effet, l’Union Européenne ainsi que le Canada et l’Australie ont adopté une série de sanctions unilatérales sans précédent contre l’Iran, sanctions qui frappent surtout le secteur énergétique du pays. Le ministre iranien des affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, a souligné que cette décision, une fois de plus, démontre que « l’Europe est sous l’influence des Etats-Unis dans toutes ses décisions de politiques extérieures ».

 

Plus grave : ces mesures restrictives prises récemment par l’UE déplaisent fortement à la Russie et à la Chine qui, à la tribune de l’ONU, avaient demandé d’éviter toutes sanctions « paralysantes » contre la République Islamique d’Iran, particulièrement dans le secteur énergétique, lequel constitue le véritable talon d’Achille de Téhéran. Tant Moscou que Beijing entretiennent des rapports commerciaux avec l’Iran et n’ont aucune intention d’y renoncer. La position prise par les Russes et les Chinois préoccupe fortement la Maison Blanche, vu qu’elle ébranle considérablement toutes les tentatives entreprises pour isoler l’Iran.

 

« Le fait que Beijing fasse des affaires avec Téhéran est pour nous un motif de grande préoccupation », confirme Robert Einhom, conseiller spécial du département d’Etat américain pour la non prolifération et le contrôle des armements.

 

Ce fonctionnaire américain a par ailleurs annoncé qu’une délégation américaine se rendra en Chine très bientôt, ainsi qu’au Japon (qui, lui aussi, au cours de ces derniers mois, a entamé une collaboration avec l’Iran pour la construction de centrales nucléaires antisismiques). Cette délégation se rendra également en Corée du Sud et dans les Emirats arabes du Golfe car ces Etats exportent énormément vers l’Iran. Le but de la délégation est évidemment de faire accepter par toutes ces puissances les sanctions contre l’Iran décidées par Washingto (ndt : et entérinées benoîtement par ses satellites).

 

Plus particulièrement, cette délégation aura pour tâche de rappeler à Beijing que les nouvelles sanctions approuvées par les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Canada et l’Australie impliquent que toutes les entreprises étrangères qui coopèreront avec le secteur énergétique iranien seront également sanctionnées. Or, actuellement, les entreprises chinoises, auxquelles la délégation américaine fait implicitement référence, sont en train d’investir de « manière agressive » dans ce secteur-là et non dans d’autres.

 

Du reste, le pétrole et le gaz iraniens  —qui pourraient arriver en Chine via le Pakistan, après qu’Islamabad ait noué d’importants accords en ce sens avec Téhéran—  représentent un enjeu important pour une Chine en croissance continue, de plus en plus demanderesse en matières énergétiques.

 

« Les Chinois prétendent avoir des exigences importantes en matière de sécurité », explique Einhom, qui, toutefois, invite Beijing « à revoir ses priorités ».

 

Entretemps, la République Islamique d’Iran cherche de nouvelles collaborations pour échapper aux sanctions et à l’étranglement voulu par Washington. Ces dernières semaines, le vice-ministre iranien des pétroles, Javad Oji, a eu une longue entrevue avec une délégation irakienne afin de préparer un accord sur l’exportation de gaz iranien vers l’Irak. Les Iraniens espèrent qu’il y aura très bientôt un gazoduc partant d’Iran pour aboutir en Irak qui, ultérieurement, pourra être étendu au territoire syrien et, de là, aboutir à la Méditerranée et servir à l’alimentation énergétique de l’Europe.

 

Ferdinando CALDA (f.calda@rinascita.eu ).

(article tiré de « Rinascita », Rome, 31 juillet/1 août 2010 ; http://www.rinascita.eu/ ).

 

 

 

 

mercredi, 18 août 2010

Les Etats-Unis modifient leur stratégie en Afghanistan

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Bernhard TOMASCHITZ :

 

Les Etats-Unis modifient leur stratégie en Afghanistan

 

A partir de 2014, le gouvernement afghan devra lui-même assurer la sécurité sur son propre territoire. Cette intention a été confirmée au Président Hamid Karzai fin juillet 2010, lors de la Conférence internationale sur l’Afghanistan, tenue à Kaboul. Dès l’été 2011, les premières troupes américaines quitteront le pays, ce qui, d’après les paroles d’Hillary Clinton, ministre américaine des affaires étrangères, constituera « le commencement d’une phase nouvelle de notre engagement et non sa fin ». En fin de compte, les Etats-Unis entendent participer, après le retrait de leurs troupes, à la formation des forces afghanes de sécurité.

 

Le Président américain Barack Obama cherche ainsi à se débarrasser du vieux fardeau afghan, hérité de son prédécesseur George W. Bush, juste avant les présidentielles de 2012. Mais derrière les plans de retrait hors d’Afghanistan, que l’on concocte aux Etats-Unis, se profile le constat que la guerre dans ce pays, qui dure maintenant depuis neuf ans, ne pourra pas être gagnée. A cela s’ajoute le coût très élevé de cette guerre, qui se chiffre à quelque 100 milliards de dollars par an. Une telle somme ne peut plus raisonnablement s’inscrire désormais dans le budget américain, solidement ébranlé. Richard N. Haass, Président du très influent « Council of Foreign Relations » (CFR) tire la conclusion : « Nous devons reconnaître que cette guerre a été un choix et non pas une nécessité ». Il y a surtout que le coût militaire de l’entreprise est trop élevé, dans la mesure où elle mobilise des ressources qui, du coup, manquent en d’autres points chauds. Haass cite, dans ce contexte, l’Iran et la Corée du Nord, deux Etats étiquetés « Etats voyous », qui se trouvent depuis longtemps déjà dans le collimateur de Washington.

 

Si les Etats-Unis se retirent du théâtre opérationnel de l’Hindou Kouch, l’Afghanistan, ébranlé par la guerre, n’évoluera pas pour autant vers des temps moins incertains. Ensuite et surtout, les Etats-Unis ne disposent pas de moyens adéquats pour trancher le nœud gordien afghan, constitué d’un entrelacs très compliqué de combattants talibans, de divisions ethniques et de structures claniques traditionnelles. Il y a ensuite le voisin pakistanais, disposant d’armes nucléaires, qui est tout aussi instable que l’Afghanistan. Rien que ce facteur-là interdit aux Etats-Unis de laisser s’enliser l’Afghanistan dans un chaos total. D’après Haass, « les deux objectifs des Etats-Unis devraient être les suivants : empêcher qu’Al Qaeda ne se redonne un havre sécurisé dans les montagnes afghanes et faire en sorte que l’Afghanistan ne mine pas la sécurité du Pakistan ». C’est pourquoi, malgré le retrait annoncé, on peut être certain que des troupes américaines demeureront en permanence en Afghanistan, fort probablement en vertu d’un accord bilatéral qui sera signé entre Washington et Kaboul. Les Américains, finalement, n’ont que fort peu confiance en les capacités du Président afghan Karzai, homme corrompu, qui, au cours des années qui viennent de s’écouler, n’a pu assurer sa réélection que par une tricherie de grande envergure.

 

La situation en Afghanistan et aussi en Irak indique aujourd’hui qu’il y a changement de stratégie à Washington, comme l’atteste les nouvelles démarches des affaires étrangères américaines. Hier, nous avions les « guerres préventives » pour généraliser sur la planète entière les principes de la « démocratie libérale » ; les cénacles et les « boîtes à penser » des néo-conservateurs les avaient théorisées. Aujourd’hui, nous assistons à un retour à la Doctrine Nixon. Richard Nixon, Président des Etats-Unis de 1969 à 1974, après le désastre du Vietnam, avait parié, surtout en Asie, sur le renforcement des économies des pays alliés et sur le soutien militaire à leur apporter. Aujourd’hui, le ministre de la défense américain Robert Gates déclare « qu’il est peu vraisemblable que les Etats-Unis répètent bientôt un engagement de l’ampleur de celui d’Afghanistan ou d’Irak, pour provoquer un changement de régime et pour construire un Etat sous la mitraille ». Mais parce que le pays doit faire face à toutes sortes de menaces, en premier lieu celle du terrorisme, l’efficacité et la crédibilité des Etats-Unis doivent demeurées intactes aux yeux du monde. Ces réalités stratégiques exigent, dit Gates, que le gouvernement de Washington améliore ses capacités à consolider les atouts de ses partenaires. Il faudra donc, poursuit-il, « aider d’autres Etats à se défendre eux-mêmes et, si besoin s’en faut, de lutter aux côtés des forces armées américaines, dans la mesure où nous aurons préparé leurs équipements, veillé à leur formation et apporté d’autres formes d’assistance à la sécurité ».  Gates justifie aussi le changement de stratégie comme suit : l’histoire récente a montré que les Etats-Unis ne sont pas prêts de manière adéquate à affronter des dangers nouveaux et imprévus émanant surtout d’Etats dits « faillis ».

 

L’Afghanistan recevra donc une « assistance à la sécurité », mais on peut douter qu’elle enregistrera le succès escompté. Toutefois la nouvelle stratégie américaine nous montre que Washington n’est pas vraiment prêt à renoncer à ses visées hégémoniques. En effet, l’armement d’alliés et de partenaires, en lieu et place de l’envoi de troupes propres, offre un grand avantage : les moyens peuvent être utilisés de manière beaucoup plus diversifiée. En fin de compte, il y a, dispersés sur l’ensemble du globe, bon nombre de pays qui peuvent être mobilisés pour faire valoir les intérêts américains. Exemples : la Colombie, pour tenir en échec le Président vénézuélien Hugo Chavez, ennemi des Etats-Unis ; ou les petits émirats du Golfe Persique pour constituer un avant-poste menaçant face à l’Iran. Comme l’exprime le ministre des affaires étrangères Gates : « Trouver la manière d’améliorer la situation qu’adoptera ensuite le gouvernement américain pour réaliser cette tâche décisive, tel est désormais le but majeur de notre politique nationale ».

 

Bernhard TOMASCHITZ.

(article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°30/2010 ; http://www.zurzeit.de/ ).

lundi, 16 août 2010

Schritt für Schritt in den nächsten (kalten) Krieg. Die USA planen militärische Dauerpräsenz in den Gewässern vor China

Schritt für Schritt in den nächsten (kalten) Krieg. Die USA planen militärische Dauerpräsenz in den Gewässern vor China

Wang Xin Long

in: http://info.kopp-verlag.de/

 

Das amerikanisch-südkoreanische Seemanöver im Ostchinesischen Meer rund um die Koreanische Halbinsel ist letzte Woche zu Ende gegangen. Die Weltgemeinschaft ist also dem Ernstfall gerade noch einmal entkommen. Was sich wie Panikmache liest, ist aber leider bittere Wirklichkeit. Die Nationen der Region haben über die letzten vier Tage und Nächte den Atem angehalten – und das Militär machte Überstunden in Bereitschaft. Die Welt war nur einen Wimpernschlag von einer militärischen, möglicherweise sogar atomaren Auseinandersetzung entfernt.

 

 

 

Unfälle passieren, weil Menschen fehlbar sind, weil sie Fehleinschätzungen machen oder eine Sekunde lang nicht aufpassen. In der letzten Woche befanden sich mehr als 8.000 Soldaten, bewaffnet mit neuester Kriegstechnologie, an der Grenze zu Nordkorea, um dort einen Krieg zu führen – wenn auch nur als Simulation. Es haben also 8.000 Menschen über vier Tage und Nächte hinweg mit dem Finger am Abzug ein »Signal« nach Nordkorea gesendet. Wenn nur einem der 8.000 am Manöver beteiligten Soldaten ein menschliches Versagen (welcher Art auch immer) unterlaufen wäre, hätte sich Nordkorea zu einem Gegenschlag genötigt gesehen – und diesen auch ausgeführt, hierüber darf kein Zweifel bestehen.

Das ganze Szenario erinnert irgendwie an einen Kindergarten, in dem die Bandenchefs »ihr« Territorium verteidigen. Es werden Linien in den Sand gezogen, diese Linien werden irgendwann übertreten, und am Ende gibt es Tränen.

In Bezug auf die aktuelle Situation ist es nun einmal leider so, dass aus einer kleinen fehlgeleiteten Rakete oder der falsch berechneten Position eines Kriegsschiffes sich schnell eine Situation hätte hochschaukeln können, mit allerschlimmsten Folgen für die Menschen weltweit. Die Liste der potenziellen Auslöser kann beliebig weitergeführt werden – und das macht die Gefahr nur noch greifbarer, und den Konflikt wahrscheinlicher. Aber es ist ja nun »zum Glück« nichts passiert. Schade ist nur, dass die Menschheit mittlerweile auf das Glück angewiesen ist, denn die Vernunft scheint sich aus verschiedenen Winkeln der Welt bereits verabschiedet zu haben.

 

Und Glück wird die Menschheit weiterhin brauchen; eine ganze Menge sogar, denn die USA planen eine Dauerpräsenz in der Region, mit weiteren Manövern und Tausenden von Soldaten. Die Nordkoreaner haben auf diese Ankündigung bereits reagiert und bekannt gegeben, dass man sich vor diesen »Bedrohungen« nicht fürchtet und jederzeit gewillt ist, mit voller Härte zurückzuschlagen. Die USA quittieren solche Ankündigungen mit der Aussage, man sei lediglich an der militärischen Übung interessiert und wolle auf keinen Fall provozieren. Aber wenn dem tatsächlich so ist, warum muss diese Übung dann nur einen Steinwurf von jener Grenze stattfinden, deren Verletzung einen Weltkrieg auslösen könnte? Ist das nicht ein zu hoher Preis für so ein wenig »militärische Übung«?

Es ist in der Tat ein hoher Preis, der gezahlt werden muss. Die Frage ist nur: von wem? Denn bei den asiatischen Nachbarn machen sich die Südkoreaner durch das Spiel mit dem Feuer nicht gerade beliebt. Insbesondere die Volksrepublik China, die ja gleichfalls Adressat der amerikanisch-südkoreanischen »Signale« ist, wird diese Provokation so schnell nicht vergessen.

Denn in Wahrheit geht es den USA nämlich um mehr als nur ein paar militärische Übungen und »Signale«. Es geht – wieder einmal – um die geopolitischen Interessen der Amerikaner. Diese Interessen hat die amerikanische Außenministerin, Hillary Clinton, bei der letzte Woche stattgefundenen ASEAN-Konferenz (Association of Southeast Asian Nations, deutsch: Verbund der Südostasiatischen Nationen) unverblümt zu Protokoll gegeben.

Clinton sprach ganz offen über die »nationalen Interessen« der USA im Südchinesischen Meer (nicht zu verwechseln mit dem Ostchinesischen Meer, in dem die Manöver der letzten Woche stattfanden). Die Außenministerin stellte darüber hinaus fest, dass die dortigen Souveränitäts-verhältnisse nicht geklärt seien. Das ist politischer Sprengstoff, und die Tragweite dieser Aussage darf nicht unterschätzt werden. Denn die »Besitzverhältnisse« im Südchinesischen Meer sind – vorsichtig ausgedrückt – problembehaftet. Dies liegt in der Tatsache begründet, dass die Anrainerstaaten unterschiedliche Ansprüche aus der eigenen geografischen Lage ableiten.

Somit haben die USA, hier in Person ihrer Außenministerin, wieder einmal Öl in ein Feuer gegossen, welches schnell eine ganze Region in Brand stecken könnte. Und warum? Ganz einfach: wegen der »nationalen Interessen« der USA! Denn aus den angeblich ungeklärten Hoheitsverhältnissen leiten die USA das Recht – nein, die Pflicht! – ab, sich in der Region zu engagieren. Als Friedensstifter sozusagen.

Die Worte Clintons zielen darauf ab, einen über viele Jahre hinweg erfolgreich geführten Friedensprozess aufzulösen, um die nötige Volatilität in der Region zu schüren. Denn die Anrainerstaaten des Südchinesischen Meeres haben eine gemeinsame Erklärung unterzeichnet, welche die Hoheitsansprüche und Nutzungsrechte vor Ort regelt, um den Frieden und die Kooperation in der Region zu sichern. Es handelt sich hierbei um die Declaration on the Conduct of Parties in the South China Sea (DOC), die im Rahmen des ASEAN-Forums ausgehandelt wurde und seit 2002 in Kraft ist.

Die Erklärung als solche geht eindeutig auf die Initiative der Volksrepublik China zurück, und die Tatsache, dass alle Anrainerstaaten die Erklärung unterzeichneten, ist ein Verdienst unermüdlicher Diplomatie. Oberstes Ziel war es, der Region die nötige Stabilität zu geben. Dass die angestrebte Stabilität nun gewährleistet ist, ist den Amerikanern zwar bekannt – aber offensichtlich egal. Aus einer stabilen Region ist nun einmal aus Sicht der USA kein geopolitischer oder wirtschaftlicher Nutzen zu ziehen.

 

Einen ganz besonderen Schliff bekommt die Angelegenheit durch die Aussage Clintons, die Anrainererklärung sei nicht bindend, denn die Regeln des Seerechtsübereinkommens der Vereinten Nationen (United Nations Convention on the Law of the Sea, UNCLOS) seien bei Fragen zu den Hoheitsrechten anzuwenden. Mit anderen Worten: Die USA sprechen den souveränen Anrainerstaaten einer ganzen Region die Fähigkeit ab, eigene nationale Interessen in multilateralen Verträgen zu regeln. Stattdessen verlangen die Amerikaner im Rahmen des internationalen Rechts, die Würfel zu Gunsten der USA neu zu rollen. Hervorzuheben ist, dass die USA dieses Seerechtsübereinkommen selbst nie ratifiziert haben, weil man durch diese Erklärung die eigenen Interessen und Souveränität gefährdet sieht.

Dank der »Friedensinitiative« der USA wird das Südchinesische Meer nun also zum geopolitischen Brennpunkt. Sehen wir also weiter zu, wie unsere Freunde aus »Fernwest« die Welt in Fernost zu befrieden gedenken.

 

 

vendredi, 13 août 2010

La geopolitica en la Italia republicana

LA GEOPOLÍTICA EN LA ITALIA REPUBLICANA

 

por Tiberio Graziani *

 

Un país con soberanía limitada

 

            A pesar de su enviadiable posición geográfica y de los carácteres que constituyen su estructura morfológica, en la actualidad, Italia no posee una doctrina geopolítica.

            Esto se debe principalmente a los tres siguientes aspectos: a) la afiliación de Italia en la esfera de influencia americana (el así llamado sistema occidental); b) la profunda crisis de la identidad nacional; c) la escasa cultura geopolítica de su clase dirigente.

            El primer aspecto, además de limitar la soberanía del Estado italiano en múltiples ámbitos, desde el militar al de la política exterior, tanto para citar algunos de aquellos más relevantes bajo el apecto geopolítico, condiciona la política y la economía interna, la elección estratégica por lo que concierne el tema de la energía, investigación tecnológica y realización de grandes infraestructuras y, no por último, incluso llega a vincular las políticas nacionales de contraste a la criminalidad organizada. La Italia republicana, por causa de las notorias consecuencias del tratado de paz de 1947 y también en virtud de la ambigüedad ideológica de su dictamen constitucional, según el cual la soberanía pertenecería a una entidad socioeconómica y cultural, por otra parte variable y vagamente homogénea, el pueblo, y no a un sujeto político bien definido como es el Estado (1), ha seguido la regla áurea del “realismo colaboracionista o claudicador”, es decir, el de renunciar a la responsabilidad de dirigir el proprio destino (2). Semejante abdicación ubica a Italia en la condición de “subordinación pasiva” y ata sus elecciones estratégicas a “la buena voluntad del Estado subordinador” (3).

            El segundo aspecto invalida uno de los factores necesarios para la definición de una doctrina política coherente. La crisis de la identidad italiana se debe a causas complejas que remontan a la fracasada combinación de las varias ideologías nacionales (la de inspiración católica, monárquica, liberal, socialista o laico-masónica) que han apoyado el proceso de unificación de Italia, la edificación del Estado unitario y, luego de la paréntesis fascista, la realizaciٖón del actual orden republicano. Además, la crisis de la identidad nacional se debe también a la mal digerida experiencia fascista y al trauma de la derrota sufrida durante la guerra. La retórica romántica del Estado-Nación, el mito de la Nación y, sucesivamente, los de la Resistencia y de la “liberación”, seguramente non han ofrecido un buen servicio a los intereses de Italia, quien, después de ciento cincuenta años de su unificación, aún está en busca de su propia identidad nacional.

            Finalmente, el tercer aspecto que por motivos históricos en parte se puede relacionar a los anteriores,  no permite situar la cuestión de las directrices geopolíticas de Italia entre las prioridades de la agenda nacional.

            No obstante, una especie de geopolítica – o bien una política exterior esencialmente basada en la colocación geográfica – correspondiente a los intereses nacionales y por lo tanto excéntrica con respecto a las indicaciones estadounidenses, exclusivamente dirigida para asegurarle a Washington la hegemonía en el Mediterráneo, se ha hallado siempre presente en las alternas vicisitudes de la República italiana. En particular, el interés de hombres del gobierno como Moro, Andreotti, Craxi, así como de importantes commis d’État como Mattei, orientado a los países de África del Norte y a los del Cercano y Medio Oriente, si bien limitado a las relaciones “de amistosa vecindad” y de “coprosperidad”, estaba decididamente acorde no sólo con la posición geográfica de Italia en el Mediterráneo, sino que también era funcional sea a una potencial, futura y deseable emancipación de la Italia democrática del amparo norteamericano, sea del papel regional que Roma habría podido ejercer también en el ámbito del rígido sistema bipolar. Tales iniciativas habrían podido constituir la base para definir las líneas estratégicas de lo que el argentino, Marcelo Gullo, ha denominado, en el ámbito del estudio de la construcción del poder de las naciones, “realismo liberacionista” para permitir a Italia transitar desde la “subordinación pasiva” a la “subordinación activa”, un estadio decisivo para conseguir algunos espacios de autonomía en la competición internacional.

            El fracaso de la modesta política mediterránea de la Italia repubblicana hay que atribuirlo, además de las interferencias norteamericanas, también a la naturaleza ocasional con la cual ha sido ejercida y a la actitud contraria y obstativa de los grupos de presión internos más filoamericanos y prosionistas. Con la conclusión del bipolarismo y de la así llamada Primera república, las iniciativas arriba expuestas, orientadas a conseguir una aun limitada autonomía de la política exterior italiana, literalmente se han desvanecido.

            Actualmente Italia, en calidad de país euromediterráneo subordinado a los intereses americanos, se halla en una situación muy delicada, puesto que además de sufrir, en cuanto miembro de la Unión Europea y de la OTAN, las tensiones entre Usa y Rusia presentes en Europa continental, particularmente en aquella centroriental (véase la cuestión polaca por lo que respecta la “seguridad”, o bien aquella energética), sufre sobre todo las repercusiones de las políticas cercano y mediorientales  de Washington. Además, el sometimiento de Italia a los Estados Unidos que – vale la pena corroborarlo- se expresa a través de un evidente límite de la soberanía del Estado italiano, exalta los carácteres de fragilidad típicos de las áreas peninsulares (tensión entre la parte continental, aun limitada por lo que concierne Italia y aquella más específicamente peninsular e insular), aumenta los empujes centrífugos, hasta hacer dificultosa la gestión de la normal administración del Estado.

            Ocupada militarmente por los Estados Unidos, - en el ámbito de la “alianza” atlántica- con más de cien bases (4), desprovista de recursos energéticos adecuados, económicamente frágil y socialmente instable por la continua erosión del ya agonizante “estado social”, Italia no posee niveles de libertad tales que le permitan valorizar su potencial geopolítico y geoestratégico en sus naturales directrices representadas por el Mediterráneo y por el área adriática-balcánica-danubiana, sino en el contexto de las estrategias de allende el atlántico con exclusivo beneficio para los intereses extranacionales y extracontinentales.

            Las oportunidades que posee Italia para alcanzar un propio rol geopolítico resultan ser, por lo tanto, externas a la voluntad de Roma; éstas radican en la recaída que la actual evolución del escenario mundial – a esta altura multipolar- produce en la cuenca mediterránea y en el área continental europea. De hecho, los grandes trastornos geoplíticos en acto, principalmente determinados por Rusia podrían exaltar la función estratégica de Italia en el Mediterráneo precisamente en el ámbito del orden y de la consolidación del nuevo sistema multipolar  y de la potencial integración eurasiática.

            De hecho, hay que tener presente que la estructuración de este nuevo sistema geopolítico multipolar pasa, por obvias razones, a través del proceso de desarticulación o de reorganización de aquel de tipo “occidental” bajo control norteamericano, a partir de sus periferias. Estas últimas están compuestas, considerando la masa euroafroasiática, por la península europea, por la cuenca mediterránea y por el arco insular japonés.

 

Rusia y Turquía: los dos polos geopolíticos

 

            Las recientes transformaciones del cuadro geopolítico global han producido algunos factores que podrían facilitar la “desvinculación” de gran parte de los países que constituyen el llamado sistema occidental bajo tutela del “amigo americano”. Esto, potencialmente pondría a Roma en la posición de activar una propia doctrina geopolítica en coherencia con el nuevo contexto mundial.

            Es notorio que la reafirmación de Rusia a nivel mundial y el protagonismo de China y de India han provocado un reajuste de las relaciones entre las mayores potencias y ha sentado las premisas para la constitución de un nuevo orden que excluye las relaciones de fuerza de carácter militar, y que se basa en unidades geopolíticas continentales de interés estratégico. Tales cambios también se registran en la parte meridional del hemisferio oriental, el que fue el patio trasero de los EE.UU, donde las relaciones de Brasil, Argentina y Venezuela con las potencias eurasiticas arriba mencionadas han aportado nuevo impulso a las hipótesis de la unidad continental suramericana. Por lo que concierne el área mediterránea, el principal de estos nuevos factores geopolíticos está representado por la inversión de tendencia fijada por Ankara en sus últimas políticas cercano y mediorientales. La ruptura con Washington y Tel Aviv de parte de Ankara podría asumir, a corto plazo, un alcance geopolítico de largo alcance con el fin de constituir un espacio geopolítico eurasiático integrado, puesto que representa un primer acto concreto a través del cual se hace posible desencadenar el proceso de desarticulación (o de limitación) del sistema occidental a partir de la cuenca mediterranea.

            Dadas las condiciones actuales, los polos geopolíticos - acerca de los cuales una Italia relamente intencionada a emanciparse de la tutela norteamericana debería hacer hincapié- están representados precisamente por Turquía y Rusia. Un alineamiento de Roma a las indicaciones turcas sobre el tema de política cercano oriental dotaría a Italia del necesario prestigio, pesadamente obcecado por sus avasalladoras relaciones con Washington, para imprimir un sentido geopolítico a la fatigada política de cooperación que desde hace años la Farnesina mantiene con el margen sur del Mediterráneo y el Cercano Oriente. Además, la pondría junto (y gracias a ello) al aliado turco, en la situación, si bien no de denuncia del pacto atlántico, por lo menos en aquella necesaria de renegociar  el oneroso y humillante empeño en el seno de la Alianza, y, simultanemanete, para plantear la reconversión de las bases militares controladas por la OTAN en bases útiles para la seguridad del Mediterráneo. Italia y Turquía, junto a los demás países costeños del Mediterráneo, podrían en ese caso realizar un sistema de defensa integrado siguiendo el ejemplo de la Organización del Tratatdo de la Seguridad Colectiva (OTSC).

            Para ejercer esta “exit strategy” del vínculo americano, sintéticamente esbozada en los párrafos anteriores, Roma encontraría un apoyo valedero, además de parte de Ankara, también de Tripoli, Damasco y Teheran y, lógicamente, de Moscú. Por otra parte esta última apoyaría con certeza a Roma en su salida de la órbita norteamericana, favoreciendo su natural proyección geopolítica en la directriz adriática-balcanica-danubiana en el marco, obviamente, de una alianza italo-turco-rusa edificada bajo intereses comunes en el así llamado Mediterráneo alargado (es decir, constituido por los mares Mediterráneo, Negro y Caspio).

 

* Eurasia. Rivista di Studi Geopolitici

direzione@eurasia-rivista.org

www.eurasia-rivista.org

 

 

Notas

 

1.      Por lo que concierne el estudio de la génesis del primer artículo de la Constitución y, en particular, el segundo apartado (La soberanía pertenece al pueblo, quien la ejerce en las formas y en los límites de la Constitución), y además por la falta de un artículo específico de la Constitución dedicado al Estado y a la soberanía, como lo deseaba Dossetti, véase Maurizio Fioravanti, Constitución y pueblo soberano, Il Mulino, Bologna, 2004, p.11 y pp. 91-98.

2.      Marcelo Gullo, La insubordinación fundante, Editorial Biblos, Buenos aires, 2008, pp. 26-27.

3.      Marcelo Gullo, ibid.

4.      Fabrizio Di Ernesto, Portaerei Italia. Sessant’anni di Nato nel nostro Paese, Fuoco Edizioni, Roma, 2009.

 

(Trad. di V. Paglione)

jeudi, 05 août 2010

L'Allemagne et la Chine renforcent leur partenariat stratégique

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Andrea PERRONE :

 

L’Allemagne et la Chine renforcent leur partenariat stratégique

 

Berlin et Beijing relancent leurs rapports commerciaux, économiques et politiques

Jiabao heureux des nouveaux rapports avec l’UE

 

La Chancelière allemande Angela Merkel est arrivée à Beijing vers la mi-juillet 2010, après avoir rencontré le Président russe Dmitri Medvedev à Yekaterinenbourg, pour une visite qui pourrait contribuer à la naissance d’un vaste partenariat stratégique entre les deux pays : la Chine, en effet, est le premier partenaire commercial de l’Allemagne en Asie et l’Allemagne est le principal partenaire commercial européen pour la Chine ; le volume des échanges se chiffre à quelque 105,73 milliards de dollars en 2009, pour 2010, le chiffre pourrait être beaucoup plus élevé. L’Allemagne et la Chine vont donc relancer leurs relations bilatérales, qui reposeront sur « de nouvelles bases », comme l’a déclaré Mme Merkel, à la fin des entretiens qu’elle a eus à Beijing avec le premier ministre chinois Wen Jiabao. Pour résumer le parcours entrepris depuis quelque temps par les deux puissances économiques, un communiqué de vingt-huit points a été distribué, illustrant le travail fait en commun dans les secteurs de l’économie, des sciences et de la culture. Nous avons donc affaire à une véritable syntonie et à un grand pas en avant dans les relations germano-chinoises, qui envisagent notamment une coopération élargie dans la lutte contre les changements climatiques. Ce projet a été confirmé par une déclaration de Wen Jiabao qui, en s’adressant à ses interlocuteurs allemands, a rappelé : « Nous sommes embarqués sur le même navire ». Le ministre allemand de l’environnement, Norbert Roettgen, vient de signer un accord pour renforcer le travail commun entrepris par la Chine et l’Allemagne dans les secteurs de la politique énergétique et écologique. Pour l’automne, Allemands et Chinois ont prévu une réunion d’experts des deux pays pour discuter de la lutte contre les effets négatifs du changement climatique.

 

Les différends qui avaient opposé les deux pays semblent avoir été surmontés: ils étaient survenus en 2007 lorsque la Chancellerie allemande avait reçu le Dalaï Lama, chef spirituel des Tibétains. Le premier ministre Jiabao a tenu à préciser que l’Europe constitue la destination préférée des investissements chinois à l’extérieur. “Il est de bonne notoriété que la Chine possède d’abondantes réserves de devises étrangères”, a poursuivi le premier ministre chinois lors d’une conférence de presse, tenue après les entretiens qu’il avait eus pendant deux heures avec Mme Merkel. “En qualité de responsable et d’investisseur sur le long terme, la Chine adhère au principe de toujours détenir un portefeuille diversifié. Le marché européen est et restera l’un des marchés clefs pour les investissements chinois”, a-t-il ajouté. Le premier ministre chinois a rappelé que la Chine a offert une aide quand certains pays européens ont été frappés par une crise de la dette publique, ce qui a renforcé les relations amicales entre la Chine et l’Europe.

 

Les accords commerciaux qui ont été conclus entre les deux pays sont très importants. La firme Daimler, géant automobile allemand qui possède la marque Mercedes-Benz, et le producteur de camions chinois Beiqi Foton Motor ont signé un projet commun pour constituer une « joint venture » dans le secteur des poids lourds. La « joint venture » Daimler/Foton, où chacun des signataires détient une quantité égale de parts, produira des autocars et des autobus dont la technologie aura été développée chez Daimler (surtout en ce qui concerne les moteurs Diesel). Les véhicules seront vendus soit en Chine soit à l’étranger, en particulier en Asie. Le groupe allemand n’a pas donné jusqu’ici de détails sur son engagement dans cette initiative mais des sources gouvernementales à Berlin ont révélé que les deux entreprises associées ont consenti un investissement total de 800 millions d’euros.

 

Toujours au cours de la conférence de presse tenue conjointement avec Mme Merkel, Jiabao a précisé que « la Chine poursuivra sa politique de rapprochement économique et continue à avoir confiance en l’Europe, malgré la crise financière qui l’a frappée » ; il faut souligner que ces paroles du premier ministre chinois constituent « un signal important de confiance en l’euro de la part de la Chine ». Pour ce qui concerne l’économie du géant asiatique, Jiabao a dit bien clairement que le gouvernement chinois « maintiendra une continuité dans sa politique et mettra en acte une politique fiscale active et une politique monétaire permissive à bon escient ». Sur la crise des dettes publiques en Europe, Jiabao semble pourtant trop optimiste, en rappelant que la Chine « a toujours tendu la main » dans les moments difficiles et s’est déclaré « convaincu qu’avec un dur labeur en commun au sein de la communauté internationale, l’Europe surmontera certainement ses difficultés ». Jiabao a ensuite répété sa satisfaction de voir l’Allemagne intercéder pour la Chine au sein de l’UE et reconnaître la valeur de l’économie de marché en Chine, se félicitant, par la même occasion, que l’Allemagne, moteur de l’économie européenne, joue un rôle actif dans le renforcement des relations entre la Chine et l’UE.

 

Andrea PERRONE ( a.perrone@rinascita.eu ).

(texte paru dans « Rinascita », Rome, 17 juillet 2010 ; http://www.rinascita.eu/ ).   

 

lundi, 02 août 2010

L'antagonisme Chine/Etats-Unis sur le continent africain

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Federico DAL CORTIVO:

 

L’antagonisme Chine/Etats-Unis sur le continent africain

 

Avec la création de l’AFRICOM, la thalassocratie américaine veut transformer le Continent noir en une arrière-cour de Washington !

 

Les Etats-Unis, sous « l’Administration Bush », n’ont plus cessé de considérer l’Afrique comme un futur « espace vital », destiné à fournir des matières premières, dont du pétrole, indispensables pour l’économie américaine qui est constamment à la recherche de nouveaux territoires à exploiter sans vergogne, aujourd’hui plus que jamais, vu l’actuelle crise économique et le recul de l’hégémonie américaine sur l’Amérique latine, son arrière-cour traditionnelle. Mais la volonté de Washington d’étendre son influence en Afrique a aussi pour objectif de s’opposer à la pénétration chinoise sur ce continent, qui se montre de plus en plus importante. Beijing entretient des rapports commerciaux étroits et de grande ampleur avec de nombreux pays africains, rapports qui, eux aussi, s’avèrent de plus en plus nécessaire pour une économie chinoise en pleine croissance.

 

Dans le passé, la présence militaire américaine s’était manifestée en Afrique via l’ « US European Command » qui prenait sous son aile tous les pays africains ; ensuite cette compétence fut transférée au « Strike Command », devenu en 1971 le « Readiness Command » et puis, successivement, au « CentCom » et au « Pacific Command ». Il a fallu attendre 2007 pour que le Pentagone annonce la création d’un commandement tout entier consacré à l’Afrique seule.

 

La création de ce nouveau commandement a permis de définir clairement les nouvelles structures militaires qui expriment la volonté bien déterminée de Washington de renforcer considérablement sa présence militaire et de se doter, en Afrique, de capacités de riposte rapide.

 

Placé sous le commandement du Général William E. « Kip » Ward, l’Africom comprend toutes les armes formant traditionnellement les forces armées : l’armée de terre, la marine, l’aviation et les Marines, dont les postes de commandement se situent actuellement en Italie, à Vicenza (US Army Africa Setaf), à Naples (US Navy Africa), et en Allemagne, à Ramstein (US Air Force Africa), à Boeblingen (US Marine Corps Africa) et à Stuttgart (Special Operation Command Africa) ; enfin, à ces postes installés en Italie et en Allemagne, s’ajoute le Camp Lemonier à Djibouti en Afrique orientale, où se trouve également le « Combined Joint Task Force – Horn of Africa ». Le Pentagone examine actuellement la possibilité de mettre à la disposition de l’Africom d’autres forces, afin d’accroître sa vitesse opérationnelle : 1000 Marines aéroportables, capables d’être déployés rapidement sur divers théâtres d’opération. Toujours sous le prétexte de la « lutte contre le terrorisme international », Washington a renforcé ses liens militaires et diplomatiques avec plusieurs Etats africains, en suivant, dans cette optique, trois lignes directrices principales : la diplomatie, la chose militaire et le développement. Ce dernier sert, comme d’habitude, à lier l’Etat en question au modèle économique américain, afin d’un faire un vassal, pompeusement baptisé « allié ».

 

Aux côtés du Général Ward, on trouvera l’ambassadeur Anthony Holmes afin de mieux coordonner les rapports entre pays africains et, par conséquent, de s’assurer une mainmise toujours plus forte sur le Continent noir, considéré dorénavant comme « stratégique ». Tout cela correspond bel et bien à ce que l’on peut lire dans le « Quadrennial Defence Review » de février 2010, qui prévoit une augmentation des dépenses militaires de 2%, avec une somme totale allouée de 708 milliards de dollars pour 2011 (y compris les 160 milliards de dollars prévus pour les guerres d’Irak et d’Afghanistan). Pour 2010, l’Africom pourra s’attendre à recevoir 278 millions de dollars pour les opérations et 263 autres millions de dollars pour la logistique, le développement de nouvelles structures et d’autres moyens divers.

 

La machine de guerre américaine s’apprête aussi à débarquer en force en Afrique, où elle avait déjà, à intervalles réguliers, organisé des manœuvres militaires communes avec le Mali, le Nigéria, le Maroc et le Sénégal.

 

Les raisons géopolitiques, qui président à ce nouveau projet africain des Etats-Unis, doivent être recherchées dans le poids de plus en plus lourd que pèse Beijing en Afrique, grâce à une politique de non ingérence dans les affaires intérieures des pays concernés, à la différence de la pratique américaine qui a toujours préféré contrôler étroitement les « gouvernements amis » et les manipuler à loisir.

 

Après avoir adopté le « socialisme de marché », en tant que version revue et corrigée du communisme, la Chine s’est affirmée avec force sur la scène internationale, mue par l’impératif d’acquérir matières énergétiques en grandes quantités et à bon prix. On se rappellera les bonnes relations qu’entretient Beijing avec certains pays d’Amérique latine, surtout le Venezuela et le Brésil ; ces relations se déroulent de manière paritaire, mode de travail qui ne trouble en aucune façon le cours nouveau qu’a emprunté ce continent sud-américain, comme on peut le constater en observant les accords pris entre certains de ces pays d’Amérique ibérique, d’une part, et la Russie, l’Inde, l’Iran et l’Afrique du Sud, d’autre part.

 

Cependant la partie la plus importante se joue en Afrique où d’immenses richesses minières et pétrolières sont encore disponibles. Le Dragon chinois est présent sur place, avec des investissements dépassant les 20 milliards de dollars pour la réalisation d’infrastructures importantes comme des ponts, des centrales électriques et des routes.

 

Les rapports entre la Chine, d’une part, l’Angola et le Soudan, d’autre part, sont optimaux ; d’autres accords ont été conclu avec l’Algérie et l’Egypte, où 150 entreprises chinoises se sont implantées. En Afrique du Sud, les Chinois ont acquis la « Standard Bank », principale banque de ce pays riche en minerais, dont l’or et le diamant.

 

Au Soudan, la découverte de riches gisements de pétrole a attiré l’attention de la « China Petroleum Company », ce qui fait que 8% du pétrole consommé en Chine vient désormais de ce pays africain. En Algérie, la « China Petroleum & Chemical Corporation » et la « China National Petroleum » ont pris en main la gestion des puits les plus importants. A la liste, on peut ajouter le Nigéria, troisième fournisseur africain de pétrole à la Chine ; ensuite, le Sénégal, la Tchad, la Guinée, qui possèdent aussi  des gisements de pétrole, et le Cameroun, où l’on trouve et du gaz naturel et du pétrole.

 

Aujourd’hui donc, force est de constater que les fronts sur lesquels sont déployées les forces armées des Etats-Unis augmentent en nombre au lieu de diminuer ; dans un tel contexte, la thalassocratie américaine ne peut rien faire d’autre que de mettre la main sur les ressources du « Tiers Monde » (comme il était convenu de l’appeler). Pour y parvenir, Washington doit déployer de plus en plus de troupes, d’avions et de navires aux quatre coins du globe. Ces efforts ne laissent pas indifférents les Américains eux-mêmes car, pour réaliser cette politique d’omniprésence, la Défense engloutit des sommes gigantesques : il suffit d’analyser les chiffres ; entre 2001 et 2011, le bilan du Pentagone a augmenté de 40% et, si nous prenons en compte également les frais engendrés par les guerres, nous arrivons au chiffre de 70%. Nous sommes dont dans un état de guerre permanente, même si cette guerre n’a jamais été déclarée ; en effet, 400.000 hommes de l’armée américaine sont déployés sur les divers théâtres opérationnels de tous les continents. On le voit : de Bush à Obama, il n’y a eu aucun changement.

 

Federico DAL CORTIVO.

(article paru dans « Rinascita », Rome, 13 juillet 2010 ; http://www.rinascita.eu/ ).

 

 

US-Raketen in der Umgabung Chinas stationiert

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US-Raketen in der Umgebung Chinas stationiert

F. William Engdahl / ex: http://info.kopp-verlag.de/

 

Das Pentagon stationiert verstärkt U-Boot-gestützte Marschflugkörper an der Peripherie Chinas – denn die wachsende wirtschaftliche Macht Chinas stellt mittlerweile den Status der bankrotten und industriell maroden USA als einziger Supermacht ernsthaft in Frage. Die Raketen sind Teil des breiter angelegten Versuchs der USA, China in Schranken zu halten. Dem Bemühen wird jedoch kaum Erfolg beschieden sein.

 

 

Ohne großes Aufheben hat die US-Marine in den vergangenen Tagen vier U-Boote der Ohio-Klasse auf den Weg geschickt, wie sie die in der Zeit des Kalten Krieges – damals mit Trident-Atomraketen bestückt – zum Einsatz gekommen waren. Heute sind diese U-Boote mit je 154 Tomahawk-Marschflugkörpern ausgerüstet, die Ziele in einer Entfernung von 1000 Meilen treffen können.

Ende Juni hat die US-Navy die U.S.S. Ohio in die Subic Bay auf den Philippinen entsandt. Gleichzeitig traf die U.S.S. Michigan in der südkoreanischen Hafenstadt Pusan ein, während die U.S.S. Florida auf dem gemeinsamen britisch-amerikanischen Marinestützpunkt Diego Garcia im Indischen Ozean auftauchte. Insgesamt sind zurzeit 462 neue Tomahawks in der Umgebung von China stationiert. »Es gab die Entscheidung, unsere Streitmacht im Pazifik zu verstärken,« so Bonnie Glaser, China-Expertin am Center for Strategic and International Studies in Washington.

Letzten Monat hatte die Navy angekündigt, erstmals würden sämtliche mit Tomahawks bestückten U-Boote gleichzeitig ihre jeweiligen Heimathäfen verlassen. Der Marineeinsatz ist Teil der Pentagon-Strategie, das Schwergewicht der Präsenz vom Atlantik zum Pazifik zu verschieben. Die US-Navy hat etwa 4 Milliarden Dollar aufgewendet, um die U-Boote von den Trident-Raketen auf die Tomahawk-Marschflugkörper umzurüsten und Platz für die jeweils 60 Soldaten der Sondereinheiten zu schaffen, die verdeckt weltweit operieren.

Als eindeutiges Signal an Peking, wer beide Weltmeere beherrscht, laufen zurzeit zwei große gemeinsame Manöver der USA und der Alliierten in der Region, nämlich zunächst das »Rim of the Pacific«-Manöver vor Hawaii, das größte multinationale Marinemanöver dieses Jahres. Zusätzlich hat gerade vor Singapur das CARAT-2010-Manöver begonnen, an dem insgesamt 73 Schiffe aus den USA, Singapur, Bangladesh, Brunei, Kambodscha, Indonesien, Malaysia, den Philippinen und Thailand beteiligt sind.

China nimmt an keinem der beiden Manöver teil. Die Ankunft der Tomahawks »ist Teil einer größeren Anstrengung, unsere Schlagkraft in der Region zu erhöhen«, erklärte ein China-Experte der Washingtoner Denkfabrik CSIS. »Wir signalisieren damit, dass niemand unsere Entschlossenheit unterschätzen sollte, die Machtbalance in der Region aufrecht zu erhalten, was auch viele der Länder dort von uns erwarten.«