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vendredi, 08 février 2008

Franchet d'Esperey à Istanbul

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Franchet d'Esperey à Istanbul

8 février 1919 : Le Général français Franchet d’Esperey entre, monté sur un beau cheval blanc, dans Istanbul, après la capitulation, le 30 octobre 1918, de l’Empire Ottoman, battu et assiégé sur son flanc méridional par les Anglais, qui avec Lawrence d’Arabie avaient soulevé contre la Sublime Porte les tribus arabes, et menacé dans les Balkans par les Alliés venus de Salonique, qui contraignent, le 26 septembre 1918, la Bulgarie, alliée des puissances centrales, à capituler. Franchet d’Esperey est acclamé par les chrétiens de la ville, heureux, croient-il, d’échapper définitivement au joug pesant des Turcs. Ironie de l’histoire : c’est un général français qui entre triomphalement dans la capitale d’un Empire que la France avait courtisé pendant plus de deux longs siècles pour qu’il mette l’Europe centrale et orientale à feu et à sang, des côtes pontiques à l’Adriatique et de la Valachie à Vienne.

L’arrivée des troupes de Franchet d’Esperey ne résout évidemment aucun problème : les Alliés occidentaux, qui ne comprennent rien aux dynamiques de la région, avaient promis tout et n’importe quoi aux peuples des Balkans et du Proche-Orient (exemples : la Palestine tout à la fois aux Arabes et aux Juifs ; Mossoul aux Kurdes et aux Arabes, etc.). Cet imbroglio, et, partant, cette paix ratée, prouvent que l’Occident  -plus particulièrement la France et l’Angleterre-  n’a aucune vocation d’ordre, mais n’est que vecteur de chaos et de dissensus. La plupart des conflits actuels proviennent de l’impéritie des diplomates français et britanniques de 1919.  

 

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mercredi, 06 février 2008

P. Laederich: les limites de l'Empire (romain)

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Les limites de l'Empire - Les stratégies de l'impérialisme romain dans l'oeuvre de Tacite

par Pierre LAEDERICH

Ed. Economica (2001)

Les questions militaires occupent une place essentielle dans l'oeuvre de Tacite. Quelques figures parmi les plus prestigieuses de l'histoire romaine sont issues de son récit, comme les exploits de Germanicus sur le Rhin, de Corbulon sur l'Euphrate et d'Agricola en Grande-Bretagne, et la résistance à l'Empire des rebelles Arminius, Tacfarinas, Boudicca et Calgacus. De la Vie d'Agricola aux Annales, la narration tacitéenne révèle une réflexion approfondie sur la sécurité des frontières et une conscience intime des enjeux des stratégies impériales : comment allouer au mieux des ressources militaires limitées sur un périmètre immense, trouver l'équilibre entre la progression territoriale que la sécurité paraît exiger sur certaines frontières et la stabilisation des conquêtes sans laquelle la fragile construction impériale peut s'effondrer, entre le temps court des opérations et le temps long de l'intégration. Tacite porte un regard sans concessions sur les questions stratégiques du premier siècle, une période charnière dans l'histoire de l'impérialisme romain : la transition difficile, traversée de contradictions, vers un Empire aux frontières mieux définies, mieux bornées. Bien que cette période soit encore proche de lui, il est pleinement conscient de son importance historique. Il écrit à une période elle-même fertile en contradictions : l' âge d'or du règne de Trajan, après bien des désillusions, s'achève dans un désastre militaire en Orient, Hadrien s'installe dans le sang. Autant de tensions qui marquent sa conscience d'historien et hantent sa narration.


A propos de l'auteur :

Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris et docteur ès lettres classiques, Pierre Laederich a également publié une traduction commentée des Stratagèmes de Frontin, un contemporain de Tacite, dans la même collection.

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dimanche, 03 février 2008

1116: Mort du Roi Coloman

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03 février 1116 : Mort du Roi de Hongrie Coloman, alias Könyves Kálmán, ce qui signifie “Coloman qui possèdent tant de livres”. Fils illégitime du Roi Laszlo et d’une concubine grecque, Coloman monte sur le trône au détriment de son demi-frère, successeur légitime, Almos. Coloman parachève l’œuvre des Rois de Hongrie, fidèles à l’alliance avec le Saint Empire Romain Germanique. Cette alliance fonctionne par la promesse des Hongrois de faire rempart de leurs corps contre toutes les invasions venues de la steppe eurasienne. Par cette promesse, la Hongrie devient la gardienne de l’espace centre-européen, permettant du même coup au continent tout entier de se développer à l’abri d’invasions calamiteuses. Cette mission de la Hongrie est cardinale. Coloman autorise ensuite le passage des armées de Godefroid de Bouillon en marche vers la Palestine, envahie par les Seldjoukides, qui barrent la route vers l’intérieur des terres asiatiques, vers l’Inde et la Chine. Coloman, en compensation, souhaite une ouverture sur la Méditerranée. Il prend le contrôle de la Dalmatie en 1102. Sur le plan intérieur, Coloman fut un véritable homme d’Etat, doué du sens de la justice. Il abolit les procès en sorcellerie, jugeant que le statut de “sorcière” relevait d’un fantasme irréel.

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samedi, 02 février 2008

J.P. Roux: un choc de religions

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Un choc de religions - La longue guerre entre la chrétienté et l'Islam 622-2007

par Jean-Paul ROUX

Ed. Fayard (2007)

Il y a ces grands noms qui surgissent du passé : bataille de Poitiers, croisades, prise de Constantinople, guerre d'Algérie, et tant d'autres épisodes. Il y a ce conflit armé qui a commencé en l'année 632 et qui, de décennie en décennie et jusqu'à nos jours, a été marqué par des événements dont la presse mondiale, si elle avait existé, aurait fait pendant des jours sa première page. Il n'y a pas d'année, pas de mois, pas de semaine peut-être sans que du sang soit versé par des chrétiens ou par des musulmans. Ne vaut-il pas la peine de le rappeler, de montrer à nos contemporains que les événements qui occupent l'actualité, qui les bouleversent, s'inscrivent dans une longue série de 1375 ans d'événements tout aussi spectaculaires ; que de plus petits faits dont on ne parle guère qu'un jour ou deux ont eu, tous les jours, leurs équivalents pendant 1375 ans ? Déclarée et ouverte, génératrice de grandes batailles, de villes enlevées à l'ennemi, de provinces conquises, de pays occupés, de populations exterminées, ou larvée et sournoise, la guerre entre l'islam et la chrétienté, malgré cette amitié que l'on évoque encore et qui fut souvent réelle, malgré ces relations entre Byzance et le califat de Cordoue ou entre Charlemagne et Harun al-Rachid, malgré ces traités d'alliance comme celui de François Ier et de Soliman le Magnifique, malgré de longues périodes de trêves sur tel ou tel front alors qu'on se battait ailleurs, malgré tout ce que chrétiens et musulmans se sont mutuellement apporté, ont échangé, malgré l'admiration qu'ils ont pu avoir les uns pour les autres, cette guerre est une réalité. Elle n'a jamais vraiment pris fin.

A propos de l'auteur :

Ancien directeur de recherches au CNRS, ancien professeur à l'École du Louvre - où il enseigna l'art islamique , maîtrisant de nombreuses langues orientales, Jean-Paul Roux a consacré de nombreux livres à l'Orient et à l'Asie. Citons son Histoire des Turcs (Fayard, 1984 et 2000), son Histoire de l'Iran et des Iraniens (Fayard, 2006). Il s'est toujours intéressé, en érudit mais aussi en chrétien loyal et respectueux de l'autre, à l'histoire des religions (Jésus, Fayard, 1989 ; Montagnes sacrées, montagnes mythiques, Fayard, 1999).

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samedi, 26 janvier 2008

Traité de Karlowitz

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Le Traité de Karlowitz

26 janvier 1699 : Les Ottomans signent le Traité de Karlowitz qui sanctionne les victoires d’Eugène de Savoie. Après que les Polonais du Roi Jean Sobieski aient dégagé Vienne, le 12 septembre 1683, qui avaient été assiégée par les Ottomans depuis le 13 juillet, la victoire change de camp. Les Européens reprennent du poil de la bête et passent à la contre-offensive. La guerre durera en fait jusqu’en 1699. L’Europe constitue la Sainte Ligue (Autriche, Pologne, Venise, Russie), instrument de sa contre-attaque. En 1686, le Duc Charles de Lorraine écrase les Turcs à Mohacz, vengeant ainsi la défaite, au même endroit, des Hongrois en 1526. Les Autrichiens libèrent Budapest. La libération de la Croatie peut commencer. La lutte sera dure. Sous l’impulsion du vizir Mustafa Köprölü, un Albanais converti, les Ottomans résistent et relancent une offensive en direction de la Save et du Danube en 1690, aidé par des Hongrois renégats, regroupés autour du vassal ottoman Tekely (Tököly). Le Vizir mourra au combat et son successeur Mustafa II, après quelques succès initiaux, subit revers sur revers : le 11 septembre 1697, ses armées sont écrasées par les Autrichiens à Zenta (Senta) dans la Voïvodine actuelle. La Croatie, la Hongrie et la Transylvanie sont libérées définitivement : plus aucun janissaire ou auxiliaire tatar n’y mettra les pieds ou les sabots de sa monture. Les Turcs ne respecteront pas le traité : ils reprendront les hostilités en 1715-1716 mais subiront de terribles défaites, notamment à Petrovaradin le 5 août 1716. Ils perdront Timisoara (Temesvar/Temeschburg) et Belgrade (enlevée par des soldats hutois). Le Traité de Passarovitz du 21 juillet 1718 les obligent à rendre le Banat, la Valachie occidentale et la Serbie septentrionale. Les Turcs vont alors aller affronter les Perses dans une guerre de treize ans (1723-1736). Les Autrichiens en profiteront pour tenter de reprendre la Bosnie et libérer la Bulgarie, mais se heurteront à une résistance inattendue, appuyée en secret par la France, qui joue là sa toute dernière carte pro-ottomane ; après la défaite autrichienne de Gratzker, les territoires récupérés par le Traité de Passarovitz redeviendront turcs (en vertu du Traité de Belgrade du 18 septembre 1739). Les Serbes croupiront encore longtemps sous le joug ottoman et accusent les Autrichiens de les avoir laissé tomber. Les enjeux des trois traités (Karlowitz, Passarovitz et Belgrade) nous permettent de comprendre le fond des affaires balkaniques, y compris celles de la dernière décennie du 20ième siècle. Des pages d’histoire à méditer.

Source : Jean-Paul Roux, « Un choc de religions – La longue guerre de l’islam et de la chrétienté – 622/2007 », Fayard, 2007.

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vendredi, 25 janvier 2008

Léon IV le Khazar

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25 janvier 749, naissance du Basileus byzantin Léon IV le Khazar. Il doit son nom à l’origine khazar de sa mère, fils du Khan de ce peuple d’Asie centrale qui avait envahi l’Ukraine. Il oscilla entre icônophobie et icônophilie tout au long de son règne, mais ne changea rien, fondamentalement, à la politique anti-icônes de son père. Sur le plan militaire, il fut celui qui forgea une alliance avec les Bulgares du Khan Telerig et qui conduisit trois campagnes pour repousser les Arabes auxquels il infligea deux défaites retentissantes à Germanicia en Cilicie en 778 et l’autre dans le thème des Arméniaques en 780. La même année, il meurt à 30 ans de la maladie du charbon, ce qui met abruptement fin à un règne qui s’annonçait glorieux, où Byzance aurait pu reprendre l’offensive en direction de la Syrie et de la Palestine.

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Joseph Görres

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25 janvier 1776, naissance à Coblence en Rhénanie du philosophe Joseph Görres.

Au début de sa grande carrière de penseur politique et de théologien, il montre un enthousiasme pour la révolution française et pour le “Club des Jacobins” qui sévit dans sa ville natale, bientôt annexée à la “République”. Il part à Paris pour plaider cette annexion de la Rhénanie mais revient dégoûté des mœurs politiques parisiennes.

Görres avait imaginé que la révolution allait avoir un effet bénéfique sur le plan éthique. Elle n’a généré pourtant que corruption et déni de droit et de justice. Pendant la première décennie du 19ième siècle, il se retire, entièrement désillusionné, de la politique et s’adonne aux études philosophiques, pour découvrir la “Naturphilosophie” de Schelling, le renouveau romantique allemand et la pensée mystique médiévale, ce qui l’amène, tout naturellement, à rejeter les principes secs et froids de la pseudo-pensée des “Lumières”.

Dès 1814, il fonde le journal “Rheinischer Merkur”, autour duquel se forme un club politique original, critique à l’endroit des folies révolutionnaires, mais non adepte de la restauration pure et simple. Au nom d’une pensée romantique, organique et mystique, il critique sévèrement cette volonté arbitraire de restauration. Son journal est interdit et il est contraint à l’exil, en Suisse et en Alsace.

Rappelé par le roi de Bavière à Munich, pour une fonction d’enseignant, il y approfondit ses études sur la mystique et sur l’œuvre de Saint François d’Assise. La vie de Görres est donc un itinéraire intéressant, dans la mesure où il prouve que les philosophades des Lumières ne valent que ce qu’elles valent, c’est-à-dire pas grand chose sinon rien, et que le recours à l’essence de l’Europe passe par une redécouverte du patrimoine mystique. Pour en savoir plus, cf.: www.bautz.de

Pu Yi sur le trône impérial chinois

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Le jeune Prince Pu Yi sur le trône impérial de Chine

25 janvier 1900 : Le jeune Prince Pu Yi, âgé de neuf ans, est installé sur le trône impérial de Chine. Il sera le « dernier Empereur ». Onze ans plus tard, Sun Yatsen proclame la république, isole le jeune prince dans la Cité interdite. Il ne retrouvera un rôle politique que sur le trône du Mandchoukouo, un Etat situé sur le territoire de la Mandchourie et dirigé par les Japonais qui voient en lui une réserve de matières premières et un tremplin pour une expansion continentale en direction de la Mongolie et du Sud de la Chine (Nankin). Ce projet continental du Japon heurtait les intérêts russes et constitua, dès la première décennie du 20ième siècle, l’un des motifs de la guerre russo-japonaise de 1905. Pendant la seconde guerre mondiale, le Japon opta plutôt pour une expansion vers la Chine du Sud et vers le Pacifique : ce qui explique, d’une part, la neutralité soviétique à son égard, du moins jusqu’aux dernières semaines de la guerre et, d’autre part, la grande guerre navale et aéronavale entre l’Empire du Soleil Levant et les Etats-Unis, qui entendaient garder le Pacifique et le marché chinois potentiel comme leur propre chasse gardée. Pu Yi fut capturé par les Soviétiques lors de l’invasion de la Mandchourie en 1945, que Staline comptait annexer à l’URSS ; il sera livré aux maoïstes qui le rééduqueront et feront de lui un simple jardinier. Un film exceptionnel a été consacré à sa tragique et poignante existence ; il porte le titre : « Le dernier Empereur ». A voir et à revoir.

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jeudi, 24 janvier 2008

J. de Pange, fédéraliste européen

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Colloque de "Synergies Européennes"-France, Château de Pange/Lorraine, 26 septembre 1998,

 

Intervention de Laurent SCHANG

Le Comte Jean de Pange, défenseur du régionalisme et théoricien du fédéralisme européen

 

"C'est alors que Jean de Pange revint sur une de ses thèses favorites qui, bien plus tard, devait devenir réalité; le rôle de la Lorraine dans la restructuration de l'Europe. Alors que personne ne pouvait encore prévoir l'action qu'exercerait un jour Robert Schuman, Jean de Pange pressentait déjà, avec la vision prophétique qui est le propre des grands historiens et littérateurs, que ce serait de la Lorraine que partirait le renouveau d'un continent, cette réunion des Francs de l'Est et de l'Ouest, sans laquelle notre monde, inévitablement, serait voué au suicide (...) L'action politique de Robert Schuman eût été difficilement réalisable si des penseurs n'avaient pas préparé sa voie. Parmi ceux-ci, Jean de Pange occupe une place d'honneur".

 

L'hommage rendu en quelques mots choisis à la mémoire du comte de Pange est de l'archiduc Othon de Habsbourg, préfacier de l'ouvrage L'Auguste Maison de Lorraine, paru en 1996, neuf ans après la disparition de Jean de Pange. Vibrant et élogieux, ce témoignage, provenant d'une aussi auguste personne que l'actuel héritier de la double couronne et représentant de la prestigieuse famille Habsbourg-Lorraine, reflète quelle autorité intellectuelle et spi­rituelle put être Jean de Pange durant l'entre-deux-guerres. Si bien qu'à défaut de revêtir le titre de père de l'Europe, tout du moins ses biographes peuvent-ils lui appliquer, aux côtés de Richard Coudenhove-Kalergi et Denis de Rougemont, celui de "parrain" de l'Union Européenne. Et le relatif anonymat dont recouvre aujourd'hui notre époque ingrate l'œuvre pourtant dense et abondante de Jean de Pange ne saurait faire oublier combien prégnante fut son action auprès des milieux intellectuels progressistes en faveur des Etats-Unis d'Europe.

 

Du traité de Versailles au traité de Munich, ce sont vingt ans de militantisme au service de l'idéal supranational et fédéraliste, éternelle Cassandre au milieu des égoïsmes nationalistes et des prétentions utopistes de la Société des Nations.

 

Un ardent militant de la réconciliation franco-allemande

 

Fils, petit-fils et arrière petit-fils de lorrains, de ses racines découle son engagement. Jean de Pange fut un ardent militant de la réconciliation franco-allemande : nul n'est plus conscient que lui de la mission historique qui incombe à la Lorraine. "Prophète du passé et prophète de l'avenir" selon l'heureuse formule de Jean Guitton, nourri de culture aristocratique, catholique, cosmopolite et viennoise, la pensée de Jean de Pange est un fil tendu par delà les générations et les distances entre son patriotisme lotharingien et sa fidélité pour la famille des Habsbourg-Lorraine. Une dynastie gardienne de l'idéal indépassable d'un ordre supranational européen qu'il conçoit comme rayonnement spirituel.

 

Dans son livre-testament, Les Meules de Dieu, il écrit: "L'Empire autrichien, par sa constitution même, était incompatible avec le principe des nationalités. Aucune des nationalités qui le composaient n'était assez forte pour dominer les autres, et toutes n'étaient reliées entre elles que par le loyalisme dynastique, par la fidélité au prince lorrain qui était devenu empereur". Témoin de la haine vouée aux Habsbourg par la République Française, il ne lui pardonnera jamais d'avoir aveuglément démantelé par pur souci idéologique le pôle de stabilité du continent, libérant en Europe Centrale toutes les passions nationalistes qui de la première guerre civile européenne allait provoquer la seconde, et toutes ses conséquences désastreuses. Marqué par l'écartèlement de l'Alsace-Lorraine entre la France et l'Allemagne, meurtri par la chute de la famille impériale d'Autriche, Jean de Pange décèle parmi les premiers la nocivité du nationalisme jacobin, géniteur monstrueux des pseudo-empires napoléonien et bismarckien.

 

Fin connaisseur de l'histoire européenne, habitué dès l'enfance à penser à l'échelle continentale, il développe, à partir de 1918, une œuvre dont il forme le projet ambitieux qu'elle sera, sinon le moteur, le ferment d'une réflexion nouvelle sur le principe impérial, fondée sur sa double relation aux espaces rhénan et danubien, et dépassement des nationalismes belliqueux pour une fédération nouvelle des peuples européens de l'Atlantique à l'Oural. Epicentre successif de l'Austrasie, de la Lotharingie, de la Bourgogne, foyer d'une double culture unique puisée aux sources de la rencontre germano-latine et transportée jusqu'à Vienne au cœur de la Mitteleuropa, la  Lorraine trouve sa vocation, libérée du carcan des frontières: "L'Alsace-Lorraine ne doit-elle pas nous aider à élargir notre nationalisme, à nous élever jusqu'à l'esprit européen? Pour cela, il faut lui laisser la pleine conscience d'elle-même". Homme de contemplation, ancré dans son présent, fidèle au passé mais aussi penseur pour l'avenir, Jean de Pange se veut acteur engagé dans le devenir du continent, qu'il veut riche de sa pluralité, et fort de son unité transcendante. Pareil idéal, de surcroît servi par une plume de belle qualité, ne pouvait que lui susciter, comme à tout visionnaire, au moins autant d'inimitiés que de sympathies. Car pour oser affirmer, en plein choc des nationalismes, que l'Europe ne fut jamais aussi grande que frappée du sceau impérial, la chute du second précipitant le déclin de la première, il fallait être mû d'une foi et d'un optimisme qui aujourd'hui encore forcent le respect, à moins de cent jours de l'entrée dans l'Union Monétaire Européenne.

 

Une éducation européenne

 

Le château de Pange étend sa majestueuse silhouette de pierre le long de la Nied française, sur une terre à mi-parcours de la place de Metz et de la frontière allemande. Le sol sur lequel reposent ses fondations a vu défiler les premières tribus celtiques, les légions ro­maines montant vers le limes, les peuplades germaniques, les ar­mées des rois de France et du Saint Empire Romain Germanique, les bandes de reîtres croates, suédois, espagnols. Vassaux des ducs de Lorraine, les seigneurs du lieu ont, des siècles durant, tourné leur regard vers Vienne avant de reconnaître la suzeraineté versaillaise sur leur domaine. Plate-forme de rencontre et d'enrichis­sement mutuel des peuples d'Europe de part et d'autre du Rhin du haut Moyen-Age à la Renaissance, le poids de l'histoire a également assigné à la Lorraine la lourde charge de figurer la ligne de fracture entre deux blocs hostiles issus du réveil des nationalismes, la Fran­ce, royaume puis république, et l'Allemagne, monarchique à Vienne, impériale à Berlin.

 

Du traité de Verdun en 843, qui marque l'éclatement de l'Empire de Charlemagne et brise le rêve européen de la République Chrétienne, au traité de Francfort en 1871, qui lie pour 47 ans le sort de l'Alsace-Lorraine à celui de la Prusse, et dont découlera en droite ligne le suicide de 14-18 et le traité de Versailles, c'est toute l'histoire de l'Europe qui se joue en Lorraine sur plus d'un millénaire.

 

L'étroitesse des liens entretenus par l'histoire de Lorraine avec le destin de l'Europe, le jeune Jean de Pange la ressent avec d'autant plus d'acuité qu'il est lui-même descendant d'une vieille famille du pays, anoblie au XVIIIème siècle par Stanislas Leczinsky, duc de Lorraine et de Bar. Fils cadet, Jean de Pange ne sera jamais propriétaire de la résidence familiale, ce qui ne l'empêchera pas d'en faire le point de départ de toute sa réflexion politique.

 

Né à Paris en 1888 parmi les émigrés de 1871, la mutation de son père, capitaine d'artillerie, à Vienne en tant qu'attaché militaire, lui fait entrevoir les délices de l'empire danubien, cependant qu'il prend conscience de la parenté austro-lorraine. L'Empereur François-Joseph lui apparaît d'abord comme le dernier duc de Lorraine. Sur les pentes du Kahlenberg, l'enfant rêveur revit ce jour de septembre 1683 où le duc Charles de Lorraine et ses armées bousculèrent les Turcs du Grand Vizir Kara Mustapha et libérèrent Vienne assiégée, sauvant l'Empire et l'Europe du joug ottoman. Un Empire dont son petit-fils François devait hériter en épousant Marie-Thérèse, scellant la destinée des Habsbourg-Lorraine, pour le meilleur de l'Europe.

 

Du Traité de Westphalie à la frontière rigide sur le Rhin

 

De retour en France, après avoir ambitionné une carrière militaire, Jean de Pange décide, par goût pour l'histoire médiévale, de suivre les cours de l'Ecole des Chartes, et consacre sa thèse au duc Ferri III de Lorraine, contemporain des rois de France Louis IX et Philippe le Bel. Baignant dans le milieu revanchard parisien, la lecture de la brochure de son professeur Lavisse, intitulée La question d'Alsace dans une âme alsacienne, l'incite à étudier plus en détail la politique de Richelieu sur les pays rhénans. Plus que l'acte d'annexion des régions de Lorraine et d'Alsace au royaume de France, le traité de Westphalie lui apparaît, à rebours des historiens de son temps, comme le révélateur de la mission historique des "marches de l'Est".

 

"Contrairement à l'opinion courue, encouragée par les historiens allemands, écrit-il dans Les meules de Dieu, Richelieu n'a jamais eu l'intention d'annexer l'Alsace". Ayant préservé toutes leurs libertés au terme du traité de Reuil signé par Louis XIV en 1653, les nouvelles provinces ne constituent pas une fin en soi pour la monarchie mais ouvrent les voies de la pénétration politique, intellectuelle, éco­no­mique et artistique dans le corps germanique. Le Rhin ne deviendra frontière rigide qu'avec la Révolution Française et son cortège d'i­déo­logie nationaliste, anticléricale et expansionniste, ouvrant à son tour la voie dans les guerres napoléoniennes au pangermanisme qui con­duira finalement l'Europe vers les deux cataclysmes du XXème siècle.

 

Lorrain de sang, Français de nationalité et Habsbourgeois de cœur, l'annexion de la Lorraine l'amène à s'interroger sur le concept de patrie: "N'oublions pas que la Lorraine est avant tout une patrie spirituelle. Il serait impossible de lui assigner des limites géo­graphiques, ni une capitale. En effet, d'où la Lorraine —c'est-à-dire la Lotharingie— tire-t-elle son nom? Ce n'est pas, comme la plupart de nos provinces, de la population qui l'habite. C'est d'un des arrière-petit-fils de Charlemagne, de Lothaire II, fils de l'Empereur Lothaire qui s'était fait attribuer pour sa part d'héritage une longue bande de territoire reliant Aix-la-Chapelle à Rome, la capitale politique à la ca­pitale religieuse. Un génie inconscient traçait ainsi à la Lorraine son rôle: créer une zone intermédiaire entre le monde roman et le monde germanique, où les deux cultures pussent se pénétrer mutuellement en vue d'une collaboration féconde. Ainsi dès le règne de Lothaire, s'institue le régime de la "Fraternité" ou de la "Concorde", véritable Sainte Alliance où des princes issus du même sang se réunissent pour travailler ensemble au bien commun de leurs peuples. Cette grande tradition ne s'effaça jamais de la mé­moire des souverains qui, des Pays-Bas à la Lombardie, avaient recueilli l'héritage de Lothaire".

 

Le mouvement lotharingiste

 

Son propos, résolument à contre-courant en un temps où la IIIème République pleure le martyr de sa chère Lorraine perdue, s'inscrit dans le sillon du phénomène lotharingiste. Apparu dans les années 1830, le lotharingisme place au centre de ses préoccupations l'histoi­re, insistant sur la longue tradition d'indépendance de la Lorraine, réunie à la France que depuis le XVIIIème siècle et riche de ses coutumes, de ses lois, de sa nombreuse noblesse. Le mouvement lotharingiste connaîtra son apogée en 1865 avec la parution du très moderne "projet de décentralisation", appelé aussi « Programme de Nancy », mais en proie à l'hostilité de l'administration et des ligues nationalistes, il ne survivra pas au siècle et s'étiolera dans l'in­différence générale. Imprégné des lectures du prince de la jeunesse, son compatriote lorrain Maurice Barrès, Jean de Pange mêle son vo­lontarisme d'un déterminisme raisonné, plus retenu que celui prodigué par l'auteur des Déracinés: "L'obligation de s'attacher à la terre est très vivante en Lorraine, se confondant avec le culte des morts, qui est l'expression la plus profonde de l'âme lorraine. La thèse des Déracinés de Barrès est qu'il faut respecter la croissance ininterrompue par laquelle les organes s'adaptent à leurs nouvelles fonctions: "Ne jamais détruire, continuer" (...) Oui, la race de Lorraine est accoutumée à mourir en témoignage de sa foi. Elle croit à la justice immanente, au ressort caché qui, tôt ou tard, rétablit l'é­quilibre rompu par la violence. Comme Antigone, elle ne pense pas que les décrets d'un mortel aient assez de force pour prévaloir sur les lois non écrites, toujours vivantes et dont nul ne connaît l'origine".

 

Il se distingue ainsi des théories positivistes de son maître, refusant selon son expression de faire des vivants les prisonniers des morts. Décelant déjà chez Barrès l'influence des romantiques allemands, Jean de Pange met en évidence les risques de subordination de la personne à sa race mythifiée, étouffant ses potentialités créatrices sous le poids d'un passé sclérosé. Une philosophie politique fondée sur le principe fallacieux de l'identité raciale et linguistique, Jean de Pange ne l'ignore pas, à l'origine du drame alsacien-lorrain. "Ainsi se développe peu à peu en moi, dès ma jeunesse, le sentiment que l'Etat est peu de chose, que notre lien avec lui est toujours révocable, que ce qui compte, c'est le clan, le petit groupe d'hommes liés entre eux par des attaches héréditaires et tenant au sol par la même racine nourricière".

 

Mobilisé en 1914

 

Foisonnante, sa pensée jeune mais déjà très sûre se heurte partout aux antagonismes idéologiques qui minent la paix en Europe. Pacifiste résolu, c'est sans surprise qu'il se retrouve mobilisé à l'été de 1914, lieutenant de réserve dans un régiment de cavalerie. Patriote lorrain, sa guerre sera celle du droit, jamais celle des peuples européens. Partout sur les champs de bataille, il traînera dans son paquetage un exemplaire du Faust de Goethe.

 

Poursuivant malgré tout ses prises de notes, son journal présente une singulière similitude avec ce que consigne dans le camp adverse son alter ego, Ernst Jünger: "Nous sommes condamnés à nourrir la guerre, qui, comme une hydre monstrueuse, est accroupie sur les nations. Il n'y a plus de Français, d'Anglais, d'Allemands, d'Italiens, il n'y a plus que des soldats. Dans tout l'Occident, les combattants ne forment plus qu'un peuple immense, qui a les mêmes mœurs, le même état d'esprit, qui ne vit plus que pour tuer, et qui, par-dessus les tranchées, se sent uni par la fraternité des armes et de la souffrance (...). Cependant il faut faire notre métier".

 

Versé dans les troupes d'assaut, il pénètre le 24 octobre à la tête d'une poignée d'hommes dans le fort de Douaumont qu'il reconquiert de haute lutte sur ses occupants allemands. Un fait d'armes vite éclipsé dans son esprit lorsqu'il apprend le 21 novembre 1916, consterné, la mort dans sa 86ème année de l'Empereur François-Joseph en son palais de Schoenbrunn. Le couronnement de son petit-neveu, Charles Ier, ravive en lui l'espoir d'une négociation de paix, rapidement démenti par l'intransigeance française. Entre une paix de compromis et la prolongation de la guerre, la République a tranché.

 

Pressentant la victoire finale des Alliés, il s'enquiert de l'état d'esprit des élus alsaciens et présage de l'impact qu'aurait la préservation de l'autonomisme alsacien sur les structures administratives françaises. "Strasbourg s'est habituée à être une capitale régionale; elle ne se résignera pas à être un chef-lieu de préfecture comme les autres, où l'on mènera une vie ennuyeuse et étriquée". La concrétisation des li­bertés régionales contenues dans le programme de Nancy lui paraît soudain envisageable, transporté par le besoin de renouveau inhé­rent à l'euphorie de chaque fin de guerre. D'autant plus que les ré­gionalistes se découvrent en le Maréchal Lyautey un allié cha­ris­matique, tout auréolé de sa gloire coloniale.

 

La politique rhénane, nouveau Regnum Francorum

 

Parce que "c'est l'Alsace-Lorraine qui donne à cette guerre son sens. C'est pour elle que le monde doit saigner, jusqu'à l'épuisement et c'est par elle que nous devons nous renouveler", la restitution de l'Alsace-Lorraine implique aux yeux de Jean de Pange un rapprochement franco-allemand dont elle serait le centre. Le 11 novembre1918 s'annonce riche de promesses pour l'avenir. Mais la joie sera de courte durée. Sa guerre fut celle de la Lorraine contre la Prusse, militariste, autoritaire et bureaucratique, non celle contre l'Allemagne, la vraie, celle qu'il aime de toutes ses forces, intellec­tuelle, artistique, monde des libertés et des idées. Et moins encore contre l'Autriche-Hongrie. La signature du traité de Versailles, qui en­térine le démantèlement de l'empire danubien, est, dans ces cir­con­stances, vécu comme une déchirure, inaugurant pour lui le temps des désillusions. Ce sont désormais plusieurs Alsace-Lorraine qui re­cou­vrent l'empire démembré, et autant de casus belli au cœur d'une Europe dont les vieilles puissances coloniales sont exsangues, l'Allemagne déchirée, humiliée mais invaincue, et la Russie des tsars mise à feu et à sang par la révolution bolchevique.

 

Mais pour l'heure, c'est la question de l'Alsace-Lorraine qui retient toute l'attention du capitaine démobilisé. Car là aussi la politique française s'avère désastreuse. Tandis que Au service de l'Alle­ma­gne, ouvrage de Maurice Barrès paru avant-guerre, avait ouvert Jean de Pange à la mission des provinces annexées, sa rencontre avec les élus autonomistes du Landtag de Strasbourg le confirme dans sa conviction que "c'est en développant toutes les virtualités de l'âme alsacienne et de l'âme lorraine que les deux provinces rem­pliront le mieux leur destinée". Le droit des petits pays à s'admi­nistrer eux-mêmes dans le cadre d'une République Française décen­tralisée, et intégrée au plan européen dans une plus vaste fédération des états, projet défendu par Aristide Briand à la Société des Nations, n'est-ce pas là la forme moderne de l'idée impériale? Il écrit: « Le grand drame des relations franco-allemandes et, on peut le dire, de l'histoire européenne, c'est que les Français, depuis 150 ans, ont ou­blié jusqu'au sens du mot fédéralisme. Pour eux, c'est "l'auto­nomisme" qu'ils confondent avec le séparatisme ». Or, "l'Alsace est la pierre de touche du régime, car elle nous invite à réformer à la fois notre politique intérieure et notre politique extérieure". Au lieu de quoi, Clémenceau puis Poincaré privilégient répression policière et réintégration brutale des populations locales, inconscients du crime qu'ils commettent, non seulement pour l'Alsace-Lorraine, mais pour l'Europe. Priver Strasbourg de sa vocation germanique, et de là européenne, c'est s'interdire toute coopération avec la nouvelle Alle­magne. Sans se décontenancer, Jean de Pange prend contact avec le Maréchal Lyautey et s'engage totalement dans la promotion de la politique rhénane, qu'encourage en Allemagne le jeune Conrad Ade­nauer. A travers ce projet, c'est de la résurrection de la Lo­tha­ringie qu'il s'agit pour Jean de Pange, et plus loin de l'Europe fé­dérée sur son modèle.

 

Le Maréchal Lyautey

 

Véritable projet de civilisation, Jean de Pange entend gagner à lui les esprits les plus réticents par la peur de la menace soviétique, contre quoi il suggère de former un nouveau Kulturfront, un "front de la culture" de Cologne à Vienne par Munich, qui fortifierait les as­pirations fédéralistes en Allemagne et Europe centrale resolida­ri­sées. De là à recomposer l'ensemble impérial danubien, il n'y aurait qu'un pas vite franchi.

 

Lyautey, patriote lorrain lui aussi, incarne la figure idéale du chef de demain pour Jean de Pange, catholique bien sûr, européen convain­cu, habile négociateur, persuasif mais l'esprit conciliant, autant "de qualités qui auraient pu lui permettre de jouer un grand rôle en Alsace, dans la Sarre et dans l'Europe d'après guerre, si elles n'avaient pas éveillé la méfiance des maîtres du jour". Suscitant l'appui de Barrès, il ne peut que constater son divorce d'avec l'écrivain, qui vient de publier le Génie du Rhin, et dont le natio­nalisme missionnaire refuse le principe rénovateur de l'humanisme rhénan. Les civilisations latine et germanique sont irréductiblement antagonistes, le Rhin est le fossé qui les sépare. Toute portée spi­rituelle, constate, amer, Jean de Pange, échappe au Génie du Rhin. Seule peut-être la voix de Barrès eût-elle pu infléchir la Chambre Bleu Horizon qui, de Paris, prend la résolution derrière Poincaré d'oc­cuper la Ruhr, en sanction du retard dans les réparations de guerre. Mais en 1923 Barrès, vieilli, éreinté, se sait au bout de sa vie. En janvier, les troupes françaises pénètrent la rive gauche du Rhin, mettant brusquement fin à la politique rhénane de Jean de Pange.

 

Un jeune nationaliste allemand, Leo Schlageter, est fusillé, aussitôt récupéré par un agitateur d'origine autrichienne, Adolf Hitler. Le culte de Schlageter, héros de la résistance à l'occupation française, ser­vira de tremplin à la NSDAP. Pour Jean de Pange, comme pour l'Eu­rope, s'ouvre une ère nouvelle, celle des états totalitaires contre l'idée fédérale.

 

Une Fédération Européenne de Confédérations

 

Quand dix ans plus tard, l'ancien tribun bavarois accède à la chancellerie du Reich, Jean de Pange note dans son carnet: "Je me dis ce soir que l'Allemagne, avec sa révolution nationale, est en train de suivre le chemin où la France est entrée il y a 150 ans. Les mêmes causes auront les mêmes effets: nivellement des classes (les nazis s'en réjouissent comme autrefois les conventionnels), sté­rilisation de la culture et appauvrissement. Il est vrai que dans les premiers temps cette concentration des pouvoirs donne une force, un élan extraordinaire, mais au prix d'un épuisement rapide. La révolution égalitaire ouvre toujours la voie de la décadence". Depuis quinze ans que Jean de Pange œuvre à l'union d'une grande Europe fédérale, pacifique, supranationale, où l'Allemagne recouvrerait la place d'honneur qui lui revient dans le concert international, cette nomination sonne comme un aveu d'échec. Soudain semble renaître dans le IIIème Reich toutes les tares du second, démultipliées. L'Allemagne des masses, toujours plus à gauche dans sa politique intérieure, est toujours plus à droite en politique extérieure. L'Europe fédérale avait déjà un ennemi à ses portes, dans l'URSS stalinienne, elle en a maintenant un dans ses fondations, avec le IIIème Reich. Pour ne pas avoir saisi l'occasion de s'unifier au sortir du précédent conflit, les nations européennes, impuissantes, semblent prêtes à s'engouffrer dans un nouveau brasier.

 

L'étincelle qu'attend le régime hitlérien pour allumer son feu se pro­duit en 1935, à l'occasion du plébiscite sarrois. Toutes les grandes idées qui ont mobilisé Jean de Pange depuis l'enfance sont en jeu dans ces élections dont le résultat décidera du sort de l'Europe. Hitler sait qu'une victoire aux élections légitimerait la poursuite de ses revendications sur l'Autriche, les Sudètes, la Pologne.

 

"Chacun sait que le sort de l'Autriche est lié à celui de la Sarre, et que la chute de Sarrebrück entraînera celle de Vienne". Et c'est non sans inquiétude que Jean de Pange note que les motifs des reven­dications de Hitler sur l'Autriche sont les mêmes que ceux de Bis­marck sur l’Alsace-Lorraine: la parenté de langue et l'identité raciale. Mais un non massif au plébiscite, et tout le IIIème Reich s'effondre. Ironie du sort, l'aide, inespérée, viendra de France, en la personne du ministre des Affaires Etrangères Pierre Laval, qui pous­sera les Sarr­ois en faveur du oui. Sarrebrück, d'étymologique­ment "Pont sur la Sarre" devient le tombeau du rêve fédéraliste.

 

Une république fédérale de modèle suisse

 

Publiant régulièrement des articles dans la presse catholique, Jean de Pange accentue sa participation et collabore à La Revue des Deux Mondes, Le Journal des Débats, Le Petit Parisien mais aussi Marianne et L'Aube. En Sarre, deux conceptions du monde se sont affrontées, celle de la dictature et celle de la Société des Nations. Cette dernière ayant été désavouée, Jean de Pange prend acte de sa caducité, "mot vide par la faute de ses auteurs (qui) ont voulu la réaliser sous la forme de l'universalisme, c'est-à-dire de l'égalité absolue entre tous les Etats de la planète". Mais face au nazisme, l'union doit faire la force: "Il ne faut associer que des Etats unis par l'identité des intérêts et la communauté des aspirations. L'Europe prend l'habitude de tourner autour de l'axe Paris-Londres. On veut donc commencer par une fédération franco-britannique sur laquelle d'autres prendront leur point d'appui". Sous la menace allemande, le chancelier Schussnigg réinvente la "monarchie sociale" et on s'attend d'ici peu à ce qu'il rappelle le jeune archiduc Othon de Habsbourg. Jean de Pange écrit: "Si on ne veut plus des Habsbourg-Lorraine, gardons au moins les nations de l'ancien empire en une république fédérale sur un modèle suisse: confédération danubienne ou Etats Unis d'Europe centrale".

 

L'idée d'une fédération de confédérations germe à nouveau dans quelques esprits dont Hermann Rauschning, Otto Strasser et Jean de Pange. Sur le modèle du Commonwealth, qui oppose le pouvoir légitime fondé sur l'équité et la vérité chrétienne à l'Etat totalitaire et plébiscitaire (Jean de Pange parlera de "Société des Nations con­sacrée"), des pourparlers s'engagent en vue d'une union de l'Autri­che, de la Hongrie et de la Bohême. Mais la Tchécoslovaquie du pré­sident Bénès s'y oppose avec virulence et, plaidant sa cause à Lon­dres, fait échouer l'entente. En 1916 déjà, le même Bénès avait publié une brochure, intitulée "Détruisez l'Autriche", où il réclamait l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne. Un désir concrétisé en 1938 mais que Hitler, au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mê­mes, étendra à la Tchécoslovaquie.

 

Bientôt l'Allemagne réclame le plébiscite sur Eupen, Malmédy et l'Alsace-Moselle. Jean de Pange poursuit ses activités au sein du Service National Autrichien installé à Paris et, en relation avec le Vatican, recueille les réfugiés d'Europe Centrale. La débâcle du 10 mai 1940 le prend de court cependant qu'il plaide pour une fédération franco-anglaise à laquelle s'ajouterait après-guerre la fé­dé­ration danubienne et une Allemagne fédéralisée, non plus frédé­ri­cienne mais thérésienne (= de Marie-Thérèse). Juste avant d'être arr­êté, prenant position pour le Général de Gaulle contre le Maréchal Pétain, pour l'idéal contre le sol, il a le temps de consigner dans son journal ces quelques mots: "Les Français ne croient plus à la fé­dération. C'est la cause de notre déclin".

 

Emprisonné dans les geôles gestapistes sous l'inculpation de "haute trahison" (Hochverrat), ce qui ne manque pas de l'étonner, Jean de Pange signe sa déclaration de cellule le 18 juin 1941, plutôt une profession de foi:

"Je déclare véritable en ma foi de gentilhomme:

1° Que les interrogatoires précédents ont clairement prouvé l'hostilité de mes idées et de mon activité à l'égard du national-socialisme (...) J'étais seulement un ami de l'ancienne Allemagne.

2° Mon but politique était la création d'une Confédération danubienne sous la direction de la maison de Habsbourg et par la suite la fédération de l'Allemagne sous la direction monarchique dans le cadre d'une Europe fédéralisée (...)

3° L'histoire prouve les avantages immanents de la fédération pour un peuple (...)"

Jean de Pange restera sous les verrous jusqu'à la fin de la guerre.

 

De l’Empire Médian à l’Europe de Strasbourg

 

Othon de Habsbourg, toujours en préface de L'Auguste Maison de Lorraine, écrivait: "Profondément ancré dans son sol lorrain, Jean de Pange a chanté dans ses écrits la grandeur de l'Empire Médian, de ces terres de Lotharingie, de Bourgogne, des Pays-Bas, qui à travers l'histoire ont formé l'axe de la pensée, de la culture et de la politique européenne". Lorsque le 7 mars 1949, le premier Conseil de l'Euro­pe se réunit à Strasbourg autour du ministre des affaires étrangères français Robert Schuman, trente ans après que lui-même ait exhorté depuis Strasbourg à la création d'une République Rhénane, Jean de Pange voit là la consécration de ses efforts: "Strasbourg, qui, au cours de sa longue histoire a souffert d'être un objet de discorde entre les peuples guerriers de l'Europe, va devenir  le centre d'un nouvel effort de conciliation et d'unité (...) En choisissant Strasbourg comme siège du Conseil de l'Europe (ils) ont reconnu que l'Alsace par sa double culture était prédestinée à être le foyer de l'esprit européen". Soucieux de doter l'Europe d'une âme commune où la jeunesse retrouverait ses propres aspirations, Jean de Pange se lance dans la rédaction de son dernier livre, L'esprit international. Il n'aura pas le loisir de l'achever. Le 20 juillet 1957, âgé seulement de 69 ans, Jean de Pange s'éteint, au terme d'une vie consacrée à l'unité de l'Europe. Son corps repose au cimetière de Pange, sur cette terre qu'il a tant aimée.

 

La majorité des penseurs politiques lorrains de son temps auront conçu la Lorraine comme une région frontière: Poincaré, Lebrun, Maginot. Tous sauf lui. "Son idée européenne est le fruit de ses racines lorraines, de son enfance autrichienne, de sa culture inter­nationale, de ses deux guerres, l'une comme soldat, l'autre comme prisonnier", ainsi que le résume son neveu, Roland de Pange. Jean de Pange aura profondément révéré l'Allemagne cosmopolite, fé­déraliste, fidèle à son génie profond. Homme du XVIIIème siècle, seule cette Allemagne pouvait lui convenir. Quant à sa Lorraine, qu'on peut affirmer plus messine que nancéienne, elle se trouve aujourd'hui au cœur de l'Union Européenne.

 

A l'heure où l'enthousiasme européen semble s'émousser sous le poids des contingences économiques, Jean de Pange nous rappelle que l'Europe est avant tout le plus grand idéal qu'ait jamais porté la civilisation. En épigraphe du chapitre Europe de son livre Mes Prisons, Jean de Pange notait, reprenant Nietzsche: "Les idées qui transformeront le monde avancent à pas de colombe".

 

Laurent SCHANG.

mercredi, 23 janvier 2008

1516: Mort de Ferdinand le Catholique

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Mort de Ferdinand le Catholique

23 janvier 1516 : Mort à 64 ans de Ferdinand le Catholique qui fut Roi d’Aragon à partir de 1479 et Régent de Castille à partir de 1507. Dans son troisième et ultime testament, rédigé un jour avant son décès, il désigne comme Régent de Castille le Cardinal Cisneros, qui devra exercer ces fonctions jusqu’à la pleine maturité de son petit-fils Charles, le futur Charles-Quint. Ferdinand avait chassé les Maures de Grenade en 1492 et les Français de Navarre en 1512 ; il avait également amorcé une politique méditerranéenne, destinée à ré-européaniser cette Mer du milieu. Ses armées avaient aussi pris la ville d’Oran et sa région le 18 mai 1509 ; cette victoire militaire contre les pirates et les esclavagistes barbaresques donne le droit à l’ensemble impérial européen, hispano-germano-bourguignon, de posséder cette terre en toute exclusivité ; d’autant plus que, trois siècles plus tard, des soldats issus de nos régions avaient participé à la conquête française de l’Algérie à l’époque de Léopold I ; qu’une colonisation flamande y avait été prévue mais non traduite dans les faits à cause de la perfidie française ; que cette partie de l’Algérie a été pour l’essentiel colonisée par des Espagnols, que la belle armée française a laissé massacrer en grand nombre, sans lever le moindre petit doigt, par les rebelles algériens au moment de l’indépendance de ce pays barbaresque. On voit que les comptes ne sont pas réglés… Et que toute puissance qui ne s’aligne pas respectueusement sur les projets de Ferdinand et de Charles-Quint ne génère que le désordre, le chaos et la barbarie. Ce qui leur ôte le droit au respect et à l’existence et que tant qu’ils existent de facto, nous ne devons les considérer que comme des anomalies ou des incongruités.

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mardi, 22 janvier 2008

Bruno Kreisky

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22 janvier 1911: Naissance à Vienne de Bruno Kreisky au sein d’une riche famille juive de la capitale de l’Empire austro-hongrois. Rapidement, le jeune Kreisky va rompre avec l’idéologie et la judaïté familiales, en adhérant notamment au mouvement des “Jeunes socialistes”, qui professaient un socialisme hostile à tout dogmatisme et à toute doctrine figée.

En 1934, quand, tour à tour, socialistes marxistes puis nationaux-socialistes, tentent d’abattre la première république autrichienne, il se retrouve en prison. De même, en 1938, au moment de l’Anschluß, il connaît une nouvelle fois la paille humide des cachots viennois. En 1940, il émigre en Suède, où il devient l’ami d’un autre exilé, appelé à devenir célèbre: Willy Brandt.

Après la seconde guerre mondiale, il développera, dans le cadre de la deuxième république autrichienne, une politique nettement arabophile, en dépit de ses origines juives. Par ailleurs, son séjour en Suède l’induit à adopter le modèle socialiste scandinave. Cette option lui permet d’élargir considérablement la base du parti socialiste autrichien, la SPÖ. Pendant treize ans, les socialistes pourront gouverner seuls la république alpine. L’économie tourne, l’Autriche retrouve une certaine prospérité.

Mais si Kreisky a su donner cohérence au socialisme autrichien dans ses dimensions économiques et sociales, son oeuvre politique la plus emblématique reste une diplomatie de troisième voie, de non-alignement. Elle impliquait donc une ouverture au monde arabe et aux autres petites puissances non alignées, ainsi qu’une volonté de surmonter la césure du Rideau de fer, par exemple, en nouant des relations avec la RDA.

En 1975, le Colonel Khadafi reçoit Kreisky en Libye. En 1982, Kreisky reçoit le Colonel libyen à Vienne, indiquant par là clairement que l’Autriche ne cesserait pas de faire valoir sa neutralité sur la scène internationale, notamment en ne tenant jamais compte des injonctions de Washington. Ni de celles de Tel Aviv. Faut-il y voir la raison d’une série d’attentats terroristes perpétrés en Autriche, notamment contre des synagogues ? Sur ce fond fait d’explosions et d’horreurs, Kreisky est l’objet d’une tentative d’assassinat, mais, à partir de 1980, sa santé décline, il quitte la scène politique et meurt à Vienne, sa ville natale, le 29 juillet 1990.

Kreisky a incarné la troisième voie autrichienne, comme le conservateur catholique Waldheim, également victime d’une campagne de haine internationale, et comme Jörg Haider, autre figure, libérale-populiste celle-là, qui a suscité à son tour la haine des médias aux ordres, notamment pour sa volonté de s’ouvrir à l’Irak baathiste.

Si un homme politique autrichien, fût-il juif, socialiste, conservateur-chrétien ou libéral-populiste, entend mener une politique autrichienne, il sera immanquablement la cible des médias orwelliens : une succession de faits historiques le prouve, faits qui devraient faire réfléchir les “hommes de gauche”, notamment socialistes, si prompts à hurler de concert avec CNN ou d’autres chaînes, quand il s’agit de Waldheim et de Haider, alors que leur compagnon de combat Kreisky, ami de Willy Brandt, avait exactement les mêmes positions que ses deux compatriotes non socialistes que nous venons de nommer.

Mais les socialistes actuels, comme les libéraux qui ont la lâcheté de suivre aveuglément un pitre comme Louis Michel, sont des socialistes amnésiques, des socialistes opportunistes, des socialistes de carnaval ou, pour être encore plus précis, des socialistes de Gay Prides… (Robert Steuckers).

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lundi, 21 janvier 2008

1919: premier Dàil Eireann

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21 janvier 1919 : première session du parlement libre irlandais

 

Karl WEINHOLD :

Le premier pas vers l’indépendance irlandaise

 

Dans les actualités de ces dernières décennies, le conflit d’Irlande du Nord a été très souvent évoqué, démontrant par là que la lutte pour la liberté sur l’Ile Verte n’est pas encore véritablement terminée. Il y a près de 90 ans, l’appel à constituer « l’assemblée de l’Irlande », le « Dàil Eireann », marquait un premier pas vers l’indépendance pour le pays.

 

L’Ile Verte, colonisée depuis le 16ième siècle par l’Angleterre, après avoir été pendant tout le moyen âge un foyer européen d’érudition et de foi, n’avait au fond jamais accepté la perte de son autodétermination. En 1800, le Parlement local irlandais avait été supprimé et l’autorisation, pour les députés irlandais de siéger à Westminster, ne compensait pas entièrement cette perte d’autonomie. Ce qui engendra, pendant tout le 19ième siècle, plusieurs révoltes populaires. En 1870, Isaac Butt crée le « Home Rule Mouvement » ou, traduit en termes français actuels, le « Mouvement pour l’autodétermination de la patrie (irlandaise) », qui portera très vite le nom de « Irish Party » et conquerra la majorité des sièges irlandais aux Communes (House of Commons). Le successeur de Butt, Parnell, répondit au refus de tout compromis de la part des autorités anglaises par des exigences de plus en plus tranchées ; ce qui amena à l’Irish Party plus des trois quarts des suffrages. Malgré ces succès électoraux, le gouvernement britannique ne se montrait pas prêt à des concessions, aussi infimes soient-elles. La « Home Rule Bill » (la loi sur l’autodétermination), pourtant dûment promise, fut suspendue en 1914, sous prétexte que l’Etat était en guerre.

 

Lors de la révolte de Pâques 1916, où ce furent surtout les habitants de Dublin qui entrèrent en lice, 1315 personnes furent tuées ou blessées. Mais à partir de ce soulèvement, la « République irlandaise », proclamée par les rebelles, ne cessa plus d’être à l’ordre du jour de la politique. Ce fut surtout l’exécution systématique des chefs de l’insurrection qui créa dans tous les pays une vague de solidarité avec les martyrs. En 1918, le Sinn Fein, un parti qui militait (et milite toujours) pour l’indépendance de l’Irlande, gagne aux élections 73 des 105 sièges irlandais à Westminster.

 

Parmi les points essentiels du programme et du manifeste électoral du Sinn Fein, figurait la volonté de constituer un Parlement irlandais, semblable à celui qui fut dissous en 1800. Lorsque la nouvelle chambre des Communes britanniques s’assembla pour la première fois, les députés du Sinn Fein refusèrent de prendre leurs sièges. Le 21 janvier 1919, vingt-sept d’entre eux  -les autres étaient emprisonnés ou devaient se cacher-  se rassemblèrent à Dublin pour créer le « Dàil Eireann ». Ils demandèrent aux autres nouveaux élus irlandais de se joindre à eux et exprimèrent leur ferme décision de constituer de facto le gouvernement d’une Irlande indépendante. Eamon de Valera fut choisi comme Président. L’assemblée accepta la proclamation de la République, lue lors de l’insurrection de Pâques 1916, et déclara l’indépendance du pays. L’assemblée nomma ensuite des fonctionnaires et envoya une délégation à Versailles pour participer aux négociations de paix. Grâce à un travail intensif de propagande aux Etats-Unis et au soutien des Irlandais qui y avaient émigré, la communauté internationale prit conscience de la situation. Ainsi l’indépendance irlandaise prenait ses contours, du moins symboliquement.

 

Les autorités britanniques, après une phase d’hésitation et d’indécision, réagirent en tentant de faire emprisonner les membres du Parlement irlandais. La délégation envoyée à Paris fut refoulée sans ménagement, après que Wilson ait accepté le point de vue britannique. Le 11 septembre 1919, l’ « Assemblée d’Irlande » fut déclarée illégale. Incapables de se défendre ou de passer à l’offensive, faisant erronément confiance au « désir de dialogue » des Britanniques, les députés irlandais, à l’instar de leurs homologues du Parlement démocratique de Francfort pendant la révolution de 1848, durent céder devant la force. Mais la brièveté de l’existence de ce Parlement irlandais avait malgré tout infléchi le cours de l’histoire.

 

Par la force des choses, l’élimination de l’assemblée populaire irlandaise provoqua l’émergence de mouvements militarisés. L’ « Army of the Irish Republic », qui deviendra l’IRA, devint bien vite l’avant-garde, très populaire, des intérêts nationaux. Des milliers d’hommes prirent les armes et étendirent les actions de résistance isolées, perpétrées jusqu’alors, pour en faire une guérilla générale. Deux ans plus tard, le Premier Ministre britannique Lloyd George se voyait contraint de négocier avec l’équipe qui formait le gouvernement irlandais plongé dans l’illégalité depuis septembre 1919. Toutefois, Lloyd George fut le vainqueur des négociations : il réussit à obliger les Irlandais à faire bon nombre de concessions. Le 26 décembre 1921, une délégation irlandaise signe les « Articles of Agreement », fort contestés, où l’on avait évité, expressis verbis, de prendre position quant au « Dàil Eireann ». Vingt-six comtés irlandais obtinrent leur autonomie, avec le statut de « dominion » au sein du Commonwealth britannique. Six autres comtés au nord-est de l’Ile, en Ulster, furent détachés de l’ensemble et maintenus dans le Royaume-Uni.

 

Même après l’indépendance définitive de l’Irlande, la partition de l’Ile constitue encore et toujours un foyer de crise, de désordre et de conflit. Les événements de ces dernières décennies nous montrent que le conflit n’a rien perdu de son acuité. L’Union Européenne devra à terme se pencher sur la question irlandaise, exactement comme elle a été obligée de régler la question de la division allemande en 1989. En conclusion, nous pouvons dire que les vicissitudes de l’histoire, en Irlande comme en Allemagne, présentent bien des similitudes pour qui sait observer : les deux pays ont subi des dominations étrangères et l’histoire de leurs parlements a connu beaucoup de rebondissements.

 

Karl WEINHOLD.

(article paru dans « Junge Freiheit », n°4/1994 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

 

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La Conférence de Londres de 1930

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21 janvier 1930: La conférence de Londres vise à réduire l’armement naval dans le monde. L’Italie exige d’avoir la parité avec la France. Cette conférence est la suite logique du Traité de Washington de 1922, qui visait à asseoir une hégémonie totale des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes sur le reste des nations du monde. Ce traité de Washington est une réponse britannique et américaine à la politique de Tirpitz, car l’Allemagne est privée de tous moyens navals, et une application directe des principes énoncés par l’Amiral américain Alfred Thayer Mahan, historien des puissances navales anglaise et française au 18ième siècle et à l’époque napoléonienne. Ni la France ni l’Allemagne ne devaient encore disposer de flottes suffisamment puissantes pour pouvoir défier les thalassocraties.

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dimanche, 13 janvier 2008

Quand les soixante-huitards passent à l'autre bord...

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Dimitrij GRIEB :

Quand les soixante-huitards passent à l’autre bord…

 

Ils couraient au pas de charge dans les rues de Berlin, de Paris et même de Vienne en scandant des slogans d’extrême gauche, prenaient d’assaut les auditoires des universités, se battaient sauvagement contre la police dans les rues. Et de fait, en l’année 1968, le monde semblait sorti de ses gonds. Et pas seulement parce que des étudiantes, en signe de protestation, exhibaient leurs seins nus au visage de professeurs médusés et désarçonnés –heureusement que ces féministes étaient encore jeunes à l’époque ! Mais surtout parce que la classe politique dominante, dans la portion d’Europe qui n’était pas sous la férule communiste soviétique, a sérieusement redouté que les peuples n’accepteraient plus, à terme, la coopération militaire avec les Etats-Unis, grande puissance protectrice à l’époque de la Guerre Froide. Les rapports sur la manière, dont les troupes américaines menaient leur guerre en Indochine ex-française, et sur les crimes qu’elles y commettaient, servaient de prétexte à toute une jeunesse pour se réclamer non seulement de l’anticapitalisme, mais aussi de l’antiaméricanisme et de l’anti-impérialisme.

 

En République Fédérale allemande, tout un éventail d’organisations, situées idéologiquement à la gauche de la gauche, émergeaient dans le paysage politique, en marge de l’établissement. Parmi elles, le SDS ou « Sozialistischer Deutscher Studentenbund », qui, sous son autre appellation d’  « Opposition extra-parlementaire » (en allemand : « Ausserparlamentarische Opposition » ou « APO »), entendait, sur le long terme, renverser l’établissement politique, bouleverser les certitudes et conventions de la société. Dans un premier temps, cette jeunesse s’était dressée contre « tout le moisi (« Muff ») de mille ans d’âge accumulé sous les robes (des professeurs d’université) ». Elle avait pris pour armes intellectuelles les livres de la « théorie critique » de l’Ecole de Francfort. Aujourd’hui, ces révolutionnaires de la fin des années 60 sont sur le point de prendre leur retraite. L’APO annonçait une « longue marche » à travers les institutions et ses porte paroles de l’époque imaginaient que cette pérégrination combattante prendrait plus de temps : rapidement, les trublions ont réussi à occuper les postes qu’ils briguaient. Dans tous les domaines clefs des sociétés ouest-européennes, soit dans l’éducation, l’art, la culture, les médias, on les a accueillis avec bienveillance ; ce fut pour eux le succès assuré et ils ont donné le ton. Tous ceux qui n’ont pas franchi la limite fatale en s’engageant dans la clandestinité armée, le terrorisme de la « Rote Armee Faktion » de Baader, ont réussi en politique dans le cadre du parti des « Verts », ont reçu des titres de docteur et de docteur honoris causa, sont devenus ministres ou conseillers, avec, à la clé, des honoraires plantureux.

 

Quelques figures de proue de la révolte étudiante, comme Klaus Rainer Röhl, l’ex-mari de la terroriste ouest-allemande Ulrike Meinhof, à l’époque éditeur de l’organe central du mouvement extra-parlementaire, la revue « konkret », posent aujourd’hui un jugement très négatif sur le mouvement de 68. Leurs jugements sont en effet fort sévères et partiellement, dois-je dire, moi, qui n’ai pas un passé de gauche, injustifiés dans leur dureté. Certes, il est de bon ton de dire que, dans l’histoire allemande, il n’y a eu qu’une et une seule phase, où tout fut carrément mauvais et même atroce ; il n’en demeure pas moins que l’après-guerre avait généré une atmosphère terriblement viciée (« Mief »), où la société était satisfaite d’elle-même, où l’hypocrisie petite-bourgeoise étouffait tous les élans et où dominait une sous-culture sans relief faite de loisirs à deux sous et de variétés d’une épouvantable platitude ; tout cela a contribué à donner à la jeune génération un sentiment général d’asphyxie. Nous étions évidemment dans l’après-guerre, après 1945 qui avait sonné le glas de l’idéal national-socialiste de la « Communauté populaire » (= « Volksgemeinschaft ») et il n’aurait pas été opportun de quitter, tant sur le plan politique que sur le plan social, le droit chemin du juste milieu, de la moyenne, de la médiocrité (ndt : le pionnier belge du socialisme, Edmond Picard, aurait dit du « middelmatisme », vocable qu’il forgea pour désigner la médiocrité belge, et qui traduit bien la notion allemande de « Mittelmass »). Pour bien comprendre ce que je veux dire ici, rappelons-nous ce qu’a dit Günter Grass l’an passé, lui qui fut pendant plusieurs décennies le thuriféraire de la SPD, sur son engagement dans la Waffen SS qu’il avait auparavant si soigneusement occulté ; c’était, a-t-il déclaré, l’esprit « anti-bourgeois » de cette milice du parti national-socialiste qui l’avait fasciné.

 

Après le miracle économique de la RFA, il n’y avait plus de place dans la nouvelle société allemande pour une armée « anti-bourgeoise », quelle qu’en ait été l’idéologie. Certes, quand on voulait se détourner des choses purement matérielles, on avait le loisir de lire les existentialistes français, et c’était à peu près tout. Ces existentialistes, regroupés autour de Sartre, niaient la religion et développaient une anthropologie particulière, où l’homme n’était plus qu’un être isolé dans un monde insaisissable et dépourvu de sens. Des livres comme « L’homme révolté » ou « Le mythe de Sisyphe » d’Albert Camus étaient les références cardinales de cette époque, pour tous ceux qui pensaient échapper à la culture superficielle des années 50 et 60.

 

La plupart des faiseurs d’opinion actuels, qui tiennent à s’inscrire dans la tradition de 68, affirment, sans sourciller, que l’intelligence est à gauche, et à gauche uniquement, ce que prennent pour argent comptant tous les benêts qui n’ont jamais eu l’occasion de connaître des figures comme Martin Heidegger, Ernst Jünger, Helmut Schelsky, Carl Schmitt ou Arnold Gehlen, dont les idées ne sont certainement pas classables à gauche.

 

Il est un dicton courant qui nous dit : celui qui, à vingt ans, n’est pas à gauche, n’a point de cœur, et celui qui l’est toujours à quarante ans n’a pas de cervelle. Parmi les anciens dirigeants du mouvement extra-parlementaire de 68, nombreuses sont toutefois les personnalités qui se sont éloignées de l’extrémisme de gauche.

 

Je viens de citer Klaus Rainer Röhl, l’ancien époux d’Ulrike Meinhof. Il fait bien évidemment partie de cette brochette d’esprits libres qui ont tourné le dos à leurs anciens engouements, parce qu’ils sont restés fidèles à l’idéal même de critique, un idéal qui ne peut tolérer les ritournelles, les figements. Röhl fait partie désormais de la petite phalange d’intellectuels qui critiquent avec acribie les mutations sociales de masse, que les idées de 68 ont impulsées. Bernd Rabehl, figure de proue du SDS étudiant, ainsi que de l’APO, en appelle, sans jamais ménager ses efforts, à l’esprit critique pour que l’on brise bientôt tous les liens par lesquels l’héritage intellectuel de 68 nous paralyse. Günter Maschke, jadis animateur pétulant de la « Subversive Aktion », est devenu, au fil du temps, journaliste en vue du principal quotidien allemand, la « Frankfurter Allgemeine Zeitung », avant d’abandonner cette position et de s’adonner pleinement à l’exégèse de l’œuvre immortelle de Carl Schmitt.

 

Cette liste de dissidents de la dissidence, devenue établissement, est bien sûr plus longue. Nous ne donnons ici que quelques exemples. Dépasser le marxisme, dont la logique est si fascinante, est un dur labeur intellectuel. Seuls les esprits vraiment forts peuvent avouer, aujourd’hui, qu’ils se sont trompés ou mépris dans leurs meilleures années, à l’époque de cette haute voltige intellectuelle dans nos universités.

 

La question se pose aujourd’hui : y a-t-il des passerelles voire des points de réelle convergence entre les idées du mouvement de 68 et le conservatisme (révolutionnaire ou non) ? La critique de la culture de masse abrutissante qui nous vient principalement des Etats-Unis, la critique de la folie consumériste et de la saturation qu’elle provoque, mais aussi la volonté de préserver l’environnement naturel de l’homme, sa « Heimat », sa patrie charnelle, sont autant de thématiques, d’idées et d’idéaux que l’on retrouve, sous d’autres appellations ou formules, dans l’héritage intellectuel du conservatisme ou des droites. Ni Maschke ni Rabehl ni Röhl ni les autres ni a fortiori un Horst Mahler ne sont devenus des intellectuels « bourgeois » aujourd’hui. Loin s’en faut ! Mais, si l’on réfléchit bien, au temps de leur jeunesse, un Ernst Jünger ou un Carl Schmitt seraient-ils allés siroter un p’tit kawa avec une Angela Merkel… ?

 

Dimitrij GRIEB.

(article paru dans l’hebdomadaire viennois « zur Zeit », n°47/2007, trad. franç. : Robert Steuckers).   

 

samedi, 12 janvier 2008

Du symbolisme du joug et des flèches

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Karlheinz WEISSMANN :

Du symbolisme du joug et des flèches

 

L’Espagne : pendant longtemps, elle fut l’exemple paradigmatique du passage tranquille de la dictature à la démocratie ; ses partis, si cruellement opposés les uns aux autres jadis, sont parvenus à un consensus tacite, n’ont pas cherché à réanimer les horreurs de la guerre civile. Il n’empêche que ce pays connaît, depuis quelques temps, une tentative de « réinterpréter le passé », correspondant à ce que nous avons connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale en pays allemands (la « Vergangenheitsbewältigung »).

 

Dans le cadre de cette « réinterprétation » générale de l’histoire espagnole contemporaine, les mesures prises, surtout celles qui revêtent un caractère politico-symbolique, jouent un rôle important ; ces mesures ne concernent pas seulement l’espace public  -on est en train d’enlever les dernières statues de Franco- mais aussi la sphère privée. Le Parlement espagnol vient de décider une loi qui pourrait obliger l’Eglise à enlever dans ses bâtiments tous les emblèmes qui, d’une manière ou d’une autre, rappelleraient le régime franquiste ou le camp des Nationaux pendant la guerre civile. Cette loi vise essentiellement le symbole de l’ancien parti porteur d’Etat, la Phalange, soit le symbole du joug et des flèches.

 

Le Joug et les Flèches étaient, à l’origine, des images chères à Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon. Ce couple, que l’histoire désigne sous le nom de « Rois catholiques », avait uni, par son mariage, ses terres éparses pour en faire le Royaume d’Espagne unifié. C’est pourquoi il a choisi justement le symbole du joug et des flèches, parce que les lettres initiales de ces deux mots correspondaient aux prénoms des époux : Isabelle arborait un ensemble de flèches (en espagnol « flechas », avec un « F » comme dans « Ferdinand ») et Ferdinand arborait un joug (en espagnol « yugo », avec un « Y » comme dans « Ysabella »).

 

Les deux symboles ont une histoire qui remonte à l’antiquité : le jeu de flèches symbolise l’unité, une unité qui s’appliquait parfaitement à la nouvelle Espagne d’Isabelle et de Ferdinand, tandis que le joug ne se référait nullement à la soumission ou à l’humilité, mais plutôt à leur contraire, soit au désir d’empire. Le joug du symbole espagnol se réfèrerait à l’histoire légendaire d’Alexandre le Grand qui aurait défait et libéré un char attaché à un joug et à un timon par le « nœud gordien », qu’il trancha d’un coup d’épée. Cette action eut lieu parce qu’un oracle avait promis que celui qui réussirait à trancher le nœud, conquerrait l’Orient. L’honneur de Ferdinand, après avoir chassé les Maures de Grenade et après avoir conféré à Colomb la mission de trouver une voie maritime vers les Indes, était de se poser comme un nouvel Alexandre et de soumettre l’Orient pour la gloire de l’Espagne et de la religion chrétienne.

 

Ferdinand et Isabelle placèrent toutefois le joug et les flèches à côté de l’aigle johannite, un aigle noir avec auréole, symbole de l’Evangéliste dans la Bible, portant sur son poitrail les armes de l’Etat espagnol. Après la mort du couple royal, l’emblème du joug et des flèches tomba rapidement en désuétude et ne fut redécouvert que par le nationalisme espagnol moderne, qui voulait renouer avec un passé glorieux et entendait illustrer cette volonté en exhumant des symboles quasiment oubliés.

 

D’abord, ce furent deux journalistes, Rafael Sanchez Masas et Gimenez Caballero, qui militèrent pour le retour de ce symbole ; ensuite, en 1931, le national-syndicaliste Ramiro Ledesma Ramos utilisa le joug et les flèches dans le titre de son hebdomadaire « La Conquista del Estado ». La même année, Ledesma Ramos fonda les « Juntas de Ofensiva Nacional Syndicalista », en abrégé les JONS, dont la symbolique utilisait les couleurs noire et rouge des anarcho-syndicalistes, en les complétant du joug et des flèches (en rouge sur un drap avec bandes noire et rouge), afin de se démarquer clairement de la symbolique des forces de gauche.

 

Les JONS s’unirent en 1934 à la Phalange fondée par José Antonio Primo de Rivera ; la nouvelle organisation, fruit de la fusion, utilisa immédiatement le joug et les flèches dans sa symbolique. La fusion entre Phalange et JONS avait un style nettement fasciste, ce qui, à l’époque, exerçait une réelle fascination sur la jeunesse espagnole. José Antonio fut arrêté dès mars 1936, puis, au début de la guerre civile, condamné à mort à la suite d’un procès spectacle et finalement fusillé en novembre. La Phalange était dès lors sans chef. Franco la fusionna avec les monarchistes. La nouvelle union s’appela la « Falange Espanola Tradicionalista y de la JONS », devint le parti monopole de l’Espagne franquiste. L’emblème du joug et des flèches fut conservé, car Franco aimait renouer, lui aussi, du moins symboliquement, avec le passé glorieux de l’Empire espagnol.

 

A dater du 20 août 1936, le joug et les flèches furent incorporés dans les armes de l’Etat et, comme au temps des Rois catholiques, placés à côté de l’aigle johannite. Mais leur subordination, sur le plan optique, dans ces nouvelles armes d’Etat, révèle d’une certaine manière l’absence d’influence réelle du phalangisme authentique sous le régime de Franco.

 

Karlheinz WEISSMANN.

(article paru dans l’hebdomadaire berlinois « Junge Freiheit », n°45/2007, trad. Franç.: Robert Steuckers).

 

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mardi, 08 janvier 2008

Le fascisme entre Occident et Orient

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Michelangelo INGRASSIA :

Le fascisme entre Occident et Orient

 

Les rapports entre le régime de Mussolini et les nationalistes orientaux : une page d’histoire oubliée

 

A la fin des années 20, le fascisme cherchait à avoir des rapports stables, dans une perspective anticapitaliste et anticommuniste avec les mouvements nationalistes du Moyen Orient et de l’Extrême-Orient, comme le prouvent les contacts avec le nationalisme hindou, les visites de Gandhi et de Tagore en Italie…

 

Lors de sa visite en Libye, entre le 12 et le 21 mars 1937, Mussolini reçut du chef arabe Youssouf Kerbish l’épée de l’islam. Le remise de cette épée ne fut pas un acte purement formel ou symbolique mais bel et bien un acte politique : « Les musulmans voient en toi », dira Kerbish au Duce, « un grand homme d’Etat qui guide notre destin d’une main ferme ».

 

Toutefois, en dépit de ce geste symbolique et politique, l’histoire des rapports entre Mussolini et l’Orient, entre le fascisme et les nationalismes arabe, chinois, indien et japonais, a commencé bien avant 1937. Dès le lendemain de la fondation des « fasci di combattimento », le futur Duce annonçait dans les colonnes du journal « Popolo d’Italia », le 26 août 1919, que « sans vouloir tourner le dos à l’Occident… la politique extérieure italienne se portera vers l’Orient, se tournera vers lui, de l’Albanie au Japon ».

 

Durant le régime, on a vu naître en 1933, l’Institut Italien pour le Moyen et l’Extrême-Orient. Avant cela, en 1932, une revue bimestrielle avait également vu le jour, intitulée « L’Avvenire Arabo » et Radio Bari émettait en langue arabe.

 

A la fin des années 20, le fascisme cherchait à avoir des rapports stables avec les mouvements nationalistes d’Orient, à entretenir des contacts avec le nationalisme indien. L’Italie accueillit Gandhi et Tagore. Le régime portait une attention particulière aux intérêts italiens en Chine, intérêts « susceptibles de se développer », comme l’écrivait le Duce à l’ambassadeur Aloisi, le 18 octobre 1928. Il faut également rappeler les contacts entre l’Italie fasciste et l’Emir Chekib Arslan ainsi qu’avec le Mufti de Jérusalem. Tous ces faits, aujourd’hui oubliés ou ignorés, témoignent de l’importance réelle que le fascisme accordait à la politique étrangère de l’Italie au Moyen Orient et en Extrême-Orient. On dit et l’on écrit souvent que la politique extérieure du régime mussolinien en Orient était une arme brandie par le Duce pour agacer ou faire chanter les puissances occidentales. C’est évident : le machiavélisme avoué du Duce permet cette interprétation mais, toutefois, il me paraît impossible de nier l’excellence voire la pertinence des tentatives de pénétration fasciste au Yémen, en Egypte, en Palestine, en Irak et en Arabie Saoudite.

 

En réalité, l’histoire de ces rapports entre fascisme et Orient révèle, une fois de plus, la césure qui existait entre théorie fasciste et praxis mussolinienne pendant tout le Ventennio. La théorie fasciste réclamant un rapprochement entre Orient et Occident dans une perspective anticapitaliste et anticommuniste se verra sacrifiée sur l’autel d’une pratique colonialiste à visage humain demeurant toutefois étrangère au projet d’une nouvelle culture et d’une grande politique internationale. Ce projet qui s’inscrivait dans le filon du « fascisme universel », pensé par Arnaldo Mussolini, hiérarque du mouvement très attentif aux vicissitudes politiques du vaste Orient. Ce « fascisme universel » se voulait une force alternative au racisme nazi émergent et à l’exploitation colonialiste généralisée, pratiquée par les démocraties capitalistes, suivant en cela le modèle anglais.

 

C’est dans cette opposition à l’Angleterre qu’il faut trouver l’arrière-plan politique et culturel de l’histoire des rapports entre le fascisme et l’Orient. Lorsque, le 22 décembre 1933, cinq cents jeunes donnent le coup d’envoi, dans la salle Jules César (Giulio Cesare) du Campidoglio, à la « semaine romaine des étudiants orientaux », Benito Mussolini, ouvrant les travaux, déclara que, dans l’antiquité, Rome avait créé en Méditerranée un empire faisant le pont entre l’Orient et l’Occident, mais que dans les siècles ultérieurs, cette continuité avait été interrompue ; l’Orient avait alors été considéré seulement comme une source de matières premières ou comme un ensemble de marchés. Contre cet état de choses, le fascisme entendait réagir et développer un projet unificateur. Aux paroles du Duce, plusieurs étudiants orientaux réagirent avec enthousiasme ; parmi eux, une étudiante indienne, un étudiant syrien et un étudiant iranien. Mais les suites de cette « semaine romaine » ne correspondirent en rien aux promesses faites, parce que la culture nationaliste et, pour parler comme Renzo De Felice, la culture catholique-nationale, barra la route à la « modernité » que voulait le fascisme dès le départ, qu’il recelait littéralement en ses gènes. Le compromis entre le fascisme et le nationalisme classique italien empêcha, en ultime instance, Mussolini de sortir de l’ornière de la politique habituelle de l’Italie en Méditerranée orientale. Ce blocage fut réel malgré les espoirs que le Duce avait fait naître dans le monde arabe, espoirs que traduisit parfaitement l’intellectuel libanais Amir Er-Reihani dans les colonnes d’ « Avvenire arabo » : « Une seule mesure pour la justice. Une seule mesure pour le respect. Une seule mesure pour l’intérêt. J’observe aujourd’hui en Italie des choses qui nous encouragent à croire que les principes fascistes, ou, mieux, les nouvelles directives politiques du Duce, sont, plus que tous les autres, proches de ces normes fondamentales qui devraient régir les rapports humains et internationaux ».

 

La Rome fasciste aurait pu et dû devenir un point d’ancrage sûr pour les indépendantistes arabes. Ceux qui considéraient le fascisme en termes d’universaux percevaient sincèrement dans le nationalisme arabe un allié dans la bataille culturelle et politique contre le marxisme et le capitalisme, dans l’affirmation d’un idéal de justice sociale et éthique. L’exemple paradigmatique de cet idéal s’apercevait à l’époque dans le mouvement « Jeune Egypte », fondé en 1933. Ce mouvement avait à sa tête un chef très jeune, Ahmad Hussein. Il disposait d’une structure paramilitaire faite d’escouades de soldats politiques en chemises vertes, saluant le bras droit tendu, à la mode romaine. Autre exemple : les rapports entre l’Italie et le Grand Mufti de Jérusalem, Hadj Amin Ali al Husseini, qui inquiétaient beaucoup les Anglais. Ces rapports nous montrent aujourd’hui encore quels espoirs et quelles sympathies le fascisme avait éveillés dans tous les mouvements qui luttaient pour leur propre indépendance nationale.

 

Seule une historiographie superficielle et tendancieuse peut avoir l’arrogance de déclarer aujourd’hui, de manière expéditive, que cet aspect particulier du fascisme historique était velléitaire, quand il se posait comme lien entre l’Orient et l’Occident, prouvant par là même qu’il avait deviné intuitivement, il y a plus de 70 ans, que l’attitude du monde occidental était désastreuse et obsolète dans cette région importante du monde, où il voulait tout régenter seul.

 

L’erreur historique de Mussolini fut de ne pas avoir traduit en termes politiques, actifs, concrets et cohérents cette intuition. Mais cette erreur relève de Mussolini personnellement et non pas du fascisme en tant que mode de penser et de pratiquer la politique. « Les objectifs historiques de l’Italie portent deux noms : l’Asie et l’Afrique, le Sud et l’Orient (…) ; il ne s’agit pas de conquêtes territoriales mais d’une expansion naturelle, devant conduire à la coopération entre l’Italie et les nations du Proche et du Moyen Orient. L’Italie est en mesure d’assumer cette fonction. Sa position en Méditerranée  -une mer qui est destinée à reprendre sa fonction historique de relier l’Occident à l’Orient-  lui donne ce droit et lui impose ce devoir. Nous n’avons nulle intention de revendiquer des monopoles ou des privilèges mais nous désirons et voulons obtenir que les parvenus, les privilégiés et les partisans du statu quo ne s’ingénient plus à bloquer de partout l’expansion spirituelle, politique et économique de l’Italie fasciste », avait déclaré Mussolini. Des fascistes en vue comme Carlo Formichi, Ettore Rossi et Arnaldo Mussolini cherchaient à conjuguer théorie et pratique et, partant, proposaient le fascisme comme solution concrète et actuelle aux problèmes d’un Occident en pleine phase de sénescence, cherchant à tout prix à conserver le statu quo, tout en titubant vers son inéluctable déclin ; de même, ce fascisme se voulait une solution aux problèmes de l’Orient en pleine effervescence, aspirant à se donner un destin nouveau. La solution résidait en un nouveau projet politique, social et culturel pour le monde, capable de libérer les idées et les énergies nouvelles germant au sein des nations jeunes et « prolétariennes », tant en Occident qu’en Orient.

 

La seconde guerre mondiale a eu de multiples causes et, parmi celles-ci, il y a eu la volonté des nations conservatrices de résister à ce nouveau projet politique d’envergure internationale. Un demi siècle de confusion politique en Orient et en Occident s’en est suivi, désordre qui prouve amplement la pertinence de ce projet avorté. D’autant plus, qu’après la seconde guerre mondiale, l’Orient (et en particulier le monde arabe) n’a eu de cesse de chercher des solutions à ses propres problèmes, notamment en tentant la voie du socialisme national, qui présente quelques similitudes avec le fascisme (le mouvement Baath nous montre que la réalisation du socialisme est une nécessité à condition qu’il émerge du sein même de la nation arabe, c’est-à-dire en niant le concept de lutte des classes et en concevant la propriété comme un droit naturel garanti, tout en contestant le système capitaliste).

 

Mais l’histoire, l’apogée et le déclin du baathisme constituent une autre thématique, que nous aurons bientôt l’occasion d’aborder.

 

Michelangelo INGRASSIA.

(article paru dans le mensuel « Area », Rome, juillet/août 2000 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

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mardi, 01 janvier 2008

Sur Sir Oswald Mosley

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Sur Sir Oswald Mosley

 

Richard Thurlow, pour le compte de l’éditeur londonien I. B. Tauris, vient de publier une nouvelle histoire du mouvement fasciste britan­nique, centré autour des « Black Shirts » de Sir Oswald Mosley. Ou­tre une histoire générale de ce mouvement, né de la grande crise éco­nomique qui a secoué l’Angleterre à la fin des années 20 et au début des années 30, le livre de Thurlow aborde l’histoire personnelle de Mosley après 1940-45. Interné en 1940 pour raisons de sécurité, Mosley, écrit Thurlow, a utilisé son repos forcé en prison ou en résidence surveillée, pour lire énormément. Thurlow signale ainsi qu’il a appris la langue allemande et s’est intéressé à l’histoire de la Grèce antique. Cet intérêt a notamment renforcé son classicisme, son en­gouement pour les formes dites « classiques » de notre civilisation. La correspondance avec son fils Nicholas témoigne de son intérêt pour l’évolutionnisme non matérialiste, s’enracinant dans la psycho­lo­gie de Jung et la nouvelle physique de Jeans et Eddington. De ces lec­tures éparses, Mosley déduit une théorie de l’homme de « pensée et d’action » (« Thought-Deed Man »), opposé à cette « volonté de con­fort », qui prévalait dans l’ethos puritain du capitalisme britan­nique et de sa classe dominante.

Pendant ces quelques années de ré­clusion forcée, Mosley a cessé d’être un nationaliste britannique pour se muer en Européen. La figure du Faust de Goethe, le wag­né­risme revu par George Bernard Shaw et la philosophie de Nietzsche se sont combinés dans l’esprit de Mosley. Celui-ci estimait que, chez Faust, la quête de beauté et d’achèvement, ne pouvait se réaliser que par un effort constant, sans repos, et que si une sorte de satis­faction béate remplaçait cette quête, l’évolution personnelle de l’hom­me arrêtait sa marche, et qu’alors, l’extinction et la mort survenaient. La fébrilité incessante, propre de l’homme (surtout de l’homme fau­stien), devait être canalisée vers des objectifs positifs, socialement et po­litiquement utiles et féconds. Les travers de l’homme pouvaient dès lors être mobilisés pour atteindre un « Bien », surtout par le truchement de l’art et de l’action. Mosley a donc développé une vision faustienne de l’homme européen, qui s’est superposée à la vision nietz­schéenne du surhomme. Son « Thought-Deed-Man » devait ser­vir d’anthropologie fondamentale à l’Europe unie du futur. Thurlow montre que Mosley s’est efforcé de concevoir une vision positive de l’hom­me, de communiquer une éthique constructive à ses militants, tan­dis qu’une bonne part des rescapés du fascisme britannique bas­cu­lait dans les théories de la conspiration et du complot (géné­ra­lement « judéo-maçonnique »).  

Autre volet intéressant dans l’étude de Thurlow : le débat sur l’in­ter­nement et la libération de Mosley pendant la seconde guerre mon­diale en Grande-Bretagne. Le principe de liberté de conscience, d’o­pi­nion et de parole est sacré en droit britannique. De ce fait, l’inter­ne­ment des fascistes en 1940 a suscité des réactions variées et somme toute assez mitigées. Mosley, citoyen britannique issu de la classe dominante, ne pouvait juridiquement pas être interné pour ses opi­nions, mais uniquement, le cas échéant, pour des actes concrets de sa­botage ou de trahison, mais il n’en avait pas commis… En no­vem­bre 1943, le monde politique britannique connaît une crise sérieuse quand on parle de relâcher Mosley. Les communistes, à l’époque as­sez puissants et forts de l’alliance qui lie Londres à Moscou, tentent de provoquer une crise, excitent les émotions, ce qui menace la pro­duction de guerre. Thurlow rappelle que, généralement, la gauche s’in­surgeait avant la guerre avec véhémence contre toute action gou­ver­nementale visant à restreindre les libertés civiles. En novembre 43, en revanche, dans le cas de Mosley et de ses compagnons, les communistes et le « Council for Civil Liberties » (qu’ils contrôlaient partiellement), militaient pour maintenir l’ex-chef du BUF (British U­nion of Fascists) en détention. Harold Nicholson, membre du « Coun­cil for Civil Liberties », démissionne, car il n’accepte pas la position de la majorité de ce conseil dans l’affaire Mosley : pour Nicholson, il était illogique qu’un tel organisme, visant à défendre les libertés ci­viles des citoyens, appuyât le maintien en détention d’un citoyen sans jugement. Trente-huit autres membres du Council suivirent Nichol­son. Ils estimaient qu’en 1940, on pouvait comprendre l’internement de Mosley et des fascistes, vu les menaces allemandes pesant dir­ec­te­ment sur le territoire britannique, mais qu’en 1943, la fortune de guerre avait changé de camp et les Allemands ne menaçaient plus l’Angleterre d’une invasion. Ensuite, Nicholson et ses amis jugeaient la position des communistes particulièrement hypocrite, dans la me­su­re où ils avaient, eux aussi, milité contre la guerre en même temps que Mosley. Ils étaient donc tout aussi coupables que lui, et cela, jusqu’en juin 1941, où, du jour au lendemain, ils s’étaient mués en su­per-patriotes !  

Chez les socialistes, les attitudes furent variées. Dès 1940, le député travailliste Richard Stokes, d’Ipswich, réclame la libération de Mosley et de ses amis parce que leur détention enfreint le principe de res­pect absolu des libertés civiles. Aux yeux de ces travaillistes, Mosley devait soit être jugé comme traître soit immédiatement libéré. Mais, la base des syndicats, travaillée par les communistes, adresse deux lett­res à Herbert Morrison, président des « trade unions », lui préci­sant que la libération de Mosley porterait un coup au moral des civils, parce que le leader de la BUF avait fini par symboliser le fascisme et le nazisme contre lesquels les ouvriers britanniques avaient été in­ci­tés à combattre par un travail accru, des sacrifices sociaux et des ca­den­ces infernales. Quant au gouvernement conservateur de Chur­chill, son souci était de ne pas apporter d’eau au moulin des neu­tra­listes américains, fortement représentés dans l’opinion d’Outre-Atlan­ti­que. En effet, il pouvait paraître incongru de faire officiellement la guerre à la tyrannie fasciste ou nazie, alors que des citoyens britan­ni­ques croupissaient en prison sans avoir été jugés. L’artifice juridique pour libérer Mosley et bon nombre de ses compagnons a été de rap­pe­ler que l’article DR18b, qui permettait temporairement l’isolement de personnes dangereuses pour la sécurité de l’Etat en temps de guer­re, stipulait que la santé des prisonniers ne pouvait jamais être mi­se en danger. Mosley, atteint d’une phlébite, pouvant avoir des con­séquences graves, devait donc être relaxé. De plus, il avait con­si­dé­rablement maigri, ce qui suscitait l’inquiétude des médecins. Les com­munistes organisèrent des manifestations dans Londres et aill­eurs, mais les grèves dont ils avaient menacé le gouvernement n’eu­rent pas lieu. L’Union Soviétique avait besoin de matériel américain et britannique pour faire face aux troupes allemandes.  

Benoît DUCARME.  

Richard THURLOW, Fascism in Britain. From Oswald Mosley’s Blackshirts to the National Front, I. B. Tauris, London, 1998, 298 pa­ges, ISBN 1-86064-337-X.

dimanche, 30 décembre 2007

Quand les Philippines devinrent une colonie US

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Saverio BORGHERESI :

 

Quand les Philippines devinrent une colonie américaine

 

Pour comprendre la problématique de la guerre hispano-américaine de 1898 et de la conquête et de la soumission des Philippines par les Etats-Unis, méditons d’abord cet extrait d’un discours du Président américain William McKinley, tenu en 1899 :

 

« J’ai parcouru les corridors et les pièces de la Maison Blanche, nuit après nuit et je n’ai pas honte de vous dire, Messieurs, qu’en plus d’une occasion je suis tombé à genoux et j’ai prié le Dieu tout puissant pour qu’il m’accorde sa lumière et me guide. Et, une nuit, à une heure tardive, je ne sais comment, mais c’est arrivé, j’en suis venu aux conclusions suivantes : nous ne pouvons en aucun cas rendre les îles des Philippines à l’Espagne parce que ce serait un acte vil et déshonorant ; nous ne pouvons pas davantage les confier à la France ou à l’Allemagne, car elles sont nos concurrents commerciaux en Orient et ce serait, en plus, un mauvais choix, qui diminuerait notre prestige international ; nous ne pouvons pas non plus les abandonner à elles-mêmes parce qu’elles ne sont pas en mesure de se doter d’un gouvernement autonome et sombreraient rapidement dans l’anarchie ou tomberaient sous la houlette d’un gouvernement étranger pire encore que celui de l’Espagne ; il ne nous reste donc plus rien d’autre à faire que de les occuper et d’instruire les Philippins, de les élever au-dessus de leur triste condition actuelle, de les civiliser, de les christianiser et, avec l’aide de Dieu, de faire de notre mieux pour les aider car ils sont nos frères pour qui le Christ est aussi mort sur la croix ».

 

L’idée que McKinley avait derrière la tête, en dépit de ce discours « généreux », était d’envoyer l’armée américaine tuer un maximum d’indépendantistes philippins, de brûler leurs villages, de les soumettre à la torture et de jeter les bases d’une colonie destinée à être exploitée de fond en comble jusqu’à la fin des temps. Après le conflit hispano-américain de 1898, les Espagnols furent chassés des Philippines, par une action commune des forces américaines et des rebelles locaux.

 

Les Philippins, sous la houlette du charismatique Andrès Bonifacio, avaient déjà proclamé leur indépendance, mais ni les Espagnols ni les Américains, ne l’avaient reconnue. L’Espagne fut contrainte de confier l’archipel pacifique aux Etats-Unis, contre un paiement de vingt millions de dollars, sans tenir compte des décisions prises par les populations autochtones.

 

Les groupes de libération avaient déjà assumé le pouvoir sur tout le territoire national, à l’exception de Manille où la garnison espagnole ne s’est rendue qu’aux seuls Américains.

 

Dans les mois qui ont suivi, les Américains renforcèrent considérablement leurs effectifs dans l’archipel, où ils concentrèrent finalement une armée de 115.000 hommes. Leur objectif déclaré était d’établir un régime colonial aux Philippines. La situation était de plus en plus tendue, ce qui conduisit à l’explosion à Manille, le 4 février 1899, après un bref affrontement entre Philippins et soldats américains. Le jour suivant, le conflit s’est étendu à toute la ville, provoquant la mort de deux mille Philippins et de deux cents Américains.

 

Après cet incident, le Président Aguinaldo proposa au Général Otis une trêve unilatérale, que les Américains refusèrent immédiatement. McKinley ordonna tout de suite la capture d’Aguinaldo, l’accusant de « banditisme ». McKinley ne déclara jamais la guerre aux Philippines parce qu’il considérait qu’elles étaient déjà entièrement possession des Etats-Unis. A la fin du mois de février 1899, les yankees réussissent à pacifier Manille et ses environs, obligeant l’armée philippine à se retirer vers le nord. A la suite de ce retrait, les forces américaines commencèrent une offensive de grande envergure et battirent les Philippins à Quingao en avril, à Zapoté en juin et à Tirad en décembre.

 

Au cours de cette première année de guerre, les troupes philippines subirent de terribles revers sur le plan militaire, en perdant notamment leurs plus valeureux généraux comme Gregorio del Pilar et Antonio Luna. Les commandants de l’armée philippine, pour faire face à l’écrasante supériorité des Américains, décidèrent d’adopter de nouvelles tactiques militaires pour éliminer leur présence dans l’archipel. Ils organisèrent des sabotages, de brèves escarmouches, pendant les années qui suivirent leurs défaites. Au cours des quatre premiers mois de l’année 1900, cinq cents militaires américains perdirent la vie dans des actions de guérilla. Les Philippins enregistrèrent alors de petites victoires militaires à Paye, à Catubig, à Makahambus, à Pulag, à Balangigga et à Mabitac.

 

Pour faire face aux succès des rebelles philippins, les Américains organisèrent de féroces répressions au détriment de la population civile. La majorité des militaires engagés dans cette guerre avaient eu l’habitude de nier totalement les droits des gens, étant donné qu’ils étaient souvent des vétérans des guerres indiennes. Les mêmes tactiques, jadis utilisées contre les Amérindiens, furent mises en œuvre contre les malheureux Philippins : des villages entiers furent détruits, sympathisants et chefs locaux furent éliminés. Les Américains créèrent ensuite des camps d’internement où furent reclus les Philippins, pour y mourir d’inanition.

 

La tactique yankee parvint à miner les bases des mouvements indépendantistes locaux. Le 23 mars 1901, à cause de l’aide apportée aux envahisseurs par des traîtres indigènes, le Président Aguinaldo est capturé à proximité de Palan. Une semaine plus tard, à Manille, Aguinaldo fut contraint de jurer obéissance aux Etats-Unis et d’appeler les Philippins à déposer les armes.

 

La capture du Président fut un coup dur pour la résistance populaire, mais les événements ultérieurs ne se déroulèrent pas comme l’avaient espéré les Américains. L’armée de libération lança une terrible contre-attaque, concentrant ses coups principalement dans la région de Batagans. Certes, cette contre-attaque victorieuse n’entama pas la supériorité militaire américaine. Les pertes chez les Marines furent insignifiantes. Mais elle fit comprendre à Washington que la guerre n’était pas finie. Le Général Bell répondit avec une férocité accrue à la renaissance armée du mouvement indépendantiste, en renforçant toutes les mesures répressives contre les insurgés. En 1903, les indépendantistes durent faire face à de graves problèmes logistiques et financiers, face à un ennemi trop puissant. Les dernières troupes rebelles se rendirent donc aux envahisseurs.

 

Quelques nationalistes philippins n’acceptèrent pas cette reddition et continuèrent la guérilla pendant plus de dix ans. Siméon Ola, qui dirigeait ces groupes d’inconditionnels dans la région de Bicol, fut battu le 25 avril. Il fut le dernier général vaincu en rase campagne. Le reste de ces groupes armés était constitué de milices paysannes, recrutées parmi les plus pauvres des ruraux, et menées par des chefs messianiques qui se référaient tout autant aux traditions animistes qu’au catholicisme importé par les Espagnols. En 1913, la milice commandée par Dionisio Sequela, mieux connu sous le surnom de Papa Isio, dépose les armes la dernière, mettant ainsi fin à la guerre entre Philippins et Américains.

 

Ce conflit a causé la mort de plus d’un million de personnes (90% de victimes civiles). Les Américains, pour sauver les apparences de la « démocratie » qu’ils importaient, instaurèrent une « Assemblée nationale » composée surtout de latifundistes. En 1946, les Etats-Unis concédèrent l’indépendance aux Philippines, mais continuèrent à exercer une influence prépondérante sur le pays, surtout sur la vie économique et politique.

 

Saverio BORGHERESI.

(article paru dans « Rinascita », Rome, 23 novembre 2007; trad. franç. : Robert Steuckers).

 

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Fondation du MSI

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Fondation du MSI

30 décembre 1946 : Fondation à Rome du « Mouvement Social Italien », que les médias ne cesseront de qualifier de « néo-fasciste ». Ce mouvement connaîtra bon nombre de vicissitudes au cours de son histoire, créera un espace politico-culturel vivant qui culminera avec la revue « Area » qui paraît toujours, avant de se transformer sous l’impulsion de Gianfranco Fini en une « Alliance Nationale », qui reprend certes des positions du MSI mais les complète ou les édulcore de référents gaullistes (l’option pour un régime présidentialiste) ou républicains à l’américaine (avec la mascotte « éléphant » lors d’une campagne électorale). Cette modernisation ne fait pas l’unanimité, même si elle fait incontestablement la majorité : Fini est accusé de « trahison » et le parti « Fiamma Tricolore » reprend à son compte le décorum et l’esprit du premier MSI.  La formation AN de Fini entrera dans un gouvernement de coalition de centre-droit après la victoire électorale du mouvement « Forza Italia » du milliardaire Berlusconi, qui balaie les vieux partis historiques de la République d’après 1945. L’AN fait désormais partie intégrante du paysage politique italien.

       

 

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samedi, 29 décembre 2007

Les Sikhs et la Khalsa

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Moestasjrik / ‘t Pallieterke :

Les Sikhs et la Khalsa

 

On discute actuellement au Parlement belge du droit des Sikhs au port de leur dague traditionnelle, le « kirpaan ». Le terme, désignant cette arme blanche, dérive du mot « kripa », qui signifie la « grâce » ; les Sikhs actuels affirment qu’il ne portent cette dague que pour se défendre ou pour protéger les faibles contre toute agression et jamais pour commettre eux-mêmes des agressions. Les Sikhs bénéficient du privilège de porter cette arme, vecteur de paix selon leur tradition, en Inde, leur patrie, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays du Commonwealth. Ce privilège ne découle pas de l’idéologie des Lumières dans sa nouvelle mouture multiculturaliste mais de la position dont jouissaient déjà les Sikhs dans l’Empire britannique car ils s’étaient alliés aux Anglais dès l’époque de la grande révolte des Indes en 1857.

 

La région, d’où les Sikhs sont originaires, venait alors d’être conquise par les Britanniques et les peuples indigènes se souvenaient de la supériorité militaire de leurs conquérants. Les Sikhs ne partageaient pas l’optimisme des autres Indiens qui pensaient pouvoir submerger facilement les Britanniques, peu nombreux, en jetant dans la bataille la masse innombrable de leurs combattants. Ensuite, les insurgés indiens de 1857 avaient élu le dernier « padeshah », ou dernier empereur mogol, comme chef de leur révolte, l’indolent Bahadur Shah Zafar, souverain nominal du résidu d’empire qui était, de fait, sous le contrôle réel des Britanniques. La dynastie mogol était l’ennemie héréditaire des Sikhs : raison pour laquelle ceux-ci choisirent le camp britannique. Les Sikhs sauvèrent la vie d’administrateurs britanniques, de leurs épouses et enfants. Après le rétablissement de la puissance britannique, ils furent récompensés de leur fidélité en pouvant faire carrière dans l’armée coloniale ; ils servirent partout : du Kenya à Singapour et à Hong Kong. Dans l’album de Tintin, « Le Lotus Bleu », on voit des Sikhs dans les unités de maintien de l’ordre de la concession internationale de Shanghai.

 

Les « disciples »

 

Le sikhisme est une école fondée par le gourou Nanak (1469-1539), inspirateur d’un courant dévotionnel à l’intérieur du culte de Vishnou et de ses réincarnations Rama et Krishna. Le terme « Sikh » signifie donc « disciple », en l’occurrence disciple du Maître Nanak. Pendant la vie de ce dernier, le Sultanat de Delhi  -régime d’occupation qui confirme les pires stéréotypes sur l’islam sanguinaire-  fut éradiqué par le conquérant ouzbek Babar, descendant tout à la fois de Genghis Khan et de Timour Lenk (ou « Tamerlan »). Babar fondit en 1526 l’Empire Mogol qui, au départ, poursuivit la politique de terreur du Sultanat de Delhi contre les « incroyants ». Sous le règne du petit-fils de Babar, Akbar, cette politique fut abrogée et remplacée par un régime plus tolérant. Pendant un siècle environ, l’Inde vécut ainsi sous un régime de réelle tolérance jusqu’à ce que le Padeshah Aurangzeb se remit à serrer la vis vers 1668. Toutefois le cinquième gourou des Sikhs connut la mort du martyr en 1606. Il avait compilé un certain nombre de vers pieux de Nanak et d’autres poètes hindous pour un faire une anthologie portant pour titre « Gourou Granth » ; la cour mogol apprit que ce livre contenait quelques propos anti-islamiques. Ce fut considéré comme intolérable : le gourou fut torturé pendant cinq jours jusqu’à ce que mort s’ensuive.

 

Le neuvième gourou des Sikhs fut lui aussi exécuté après qu’il ait refusé de se convertir à l’islam. Son fils, le gourou Govind Singh, décida que de telles exécutions ne pouvaient plus avoir lieu dans l’avenir et constitua en 1699 une milice pour lutter contre le pouvoir musulman. C’est ce que nous rapporte la légende mais, toutefois, il convient de dire que la vérité historique est moins binaire. Les Sikhs eux-mêmes n’avaient jamais cherché la confrontation : ce furent les Mogols qui rompirent l’équilibre et l’entente entre confessions en faisant exécuter les chefs spirituels qu’ils jugeaient « mécréants ». Les Sikhs retrouvèrent assez rapidement les faveurs de la Cour mogol. Plus d’un gourou sikh devint le conseiller ou le confident des empereurs ou des princes héritiers, notamment le père de Govind, avant que celui-ci ne tombe en disgrâce, et Govind lui-même après s’être péniblement extrait de cet état de disgrâce.

 

Malgré ces périodes de connivence, le gourou Govind, au beau milieu de son magistère, entre 1699 et 1705, était bel et bien en conflit avec le régime mogol musulman. La confrontation ne fut pas glorieuse pour lui : il fut poursuivi, chassé, défait ; deux de ses quatre fils tombèrent au combat ; les deux autres furent capturés puis torturés à mort. Govind n’a donc pas eu de postérité biologique directe : il décida que la lignée des gourous sikhs était définitivement achevée et que le seul gourou, dorénavant, devait être le livre « Gourou Granth ». Bon nombre de ses disciples lui tournèrent le dos, à cause de sa direction malheureuse. Finalement, il envoya au Padeshah Aurangzeb une lettre, où il émit quelques critiques  -raison pour laquelle les Sikhs le considèrent comme courageux et appellent sa lettre « Zafar-Nama », la « lettre de la victoire »-  mais, en fin de compte, il y offrit sa soumission. Il devint un courtisan du prince héritier Bahadur Shah. Parce que le gouverneur mogol, qui avait battu Govind, se sentait menacé par l’amitié qui liait ce dernier au nouveau Padeshah, il le fit assassiner en 1708. Govind fut ainsi le troisième gourou à périr d’une main musulmane, ce qui contribua, bien évidemment, à consolider la haine profonde qu’éprouvent les Sikhs à l’endroit des musulmans, une haine qui fut réactivée en 1947 lorsqu’ils furent expulsés en masse du Pakistan, nouvel Etat islamique issu de la décolonisation du sous-continent indien.

 

Ce n’est donc qu’après la mort de Govind que le sikhisme prit l’initiative militaire de combattre le pouvoir musulman. Banda Bairagi, homme de confiance de Govind, mena une insurrection, qui fut écrasée dans le sang. Mais, sur ces entrefaites, la puissance mogol se vit brisée par un facteur nouveau, venu du sud, les Marathes hindous. L’Empire mogol n’eut plus qu’une existence nominale, tandis que le véritable pouvoir était exercé par les Marathes, qui le tiendront jusqu’à leur défaite de 1818 face aux Britanniques. Dans la région des Sikhs, il y eut donc subitement, à cause de la défaite des Mogols face aux Marathes, un vide de pouvoir, leur permettant  de proclamer leur propre Etat, qui résista à l’avance des Britanniques jusqu’en 1849.

 

Les cinq « K »

 

Malgré ses déboires militaires, le gourou Govind demeurera dans l’histoire pour avoir, en 1699, réorganisé une partie des Sikhs en un ordre militaire, la Khalsa (de l’arabe « khalis », signifiant « pur »). Lors d’un rassemblement, il aurait dit  -mais la narration de cette assemblée date de 1751 et est donc peu fiable-  qu’il avait besoin de quelqu’un qui soit prêt à donner sa vie. Un premier volontaire se présenta : c’était un homme appartenant à la même caste que les dix gourous qui s’étaient succédé depuis Nanak.

 

Ce volontaire s’engouffra dans une tente en compagnie de Govind. Le gourou en sortit un peu plus tard, un sabre ensanglanté à la main. Malgré le suspens pesant sur l’assemblée, un deuxième volontaire se présenta et entra dans la tente, puis un troisième. Après un manège identique avec cinq volontaires au total, le gourou sortit de la tente, avec les cinq volontaires, désormais appelés les « cinq favoris », se tenant par la main, tous bien vivants, rayonnant dans leurs habits et leurs turbans orange. Ils appartenaient à cinq différentes castes et venaient de cinq régions différentes, symbolisant par là même l’unité des Sikhs.

 

Les membres de la Khalsa, qui devinrent l’élite « normante » de la communauté sikh, doivent se tenir à toute une série de règles. Ainsi, ils ne peuvent pas épouser une femme musulmane ni manger de la viande « halal » (c’est-à-dire de la viande pure selon les critères de l’abattage rituel islamique). Cette disposition de la Khalsa pourrait avoir un réel impact sur nos sociétés devenues multiculturelles : nos enfants sont contraints, désormais, de manger de la nourriture « halal », dans les cantines scolaires sous prétexte que cela ne fait aucune différence pour eux, alors que leurs condisciples musulmans, eux, ne peuvent pas manger de viande « non halal ». Mais que doit faire dès lors l’enfant d’immigrés sikhs ? Pour eux, cette nourriture « halal » constitue un interdit alimentaire, quoique de manière inverse : il leur est rigoureusement interdit d’en absorber ! Toute école « progressiste », qui fait de la multiculturalité islamocentrée une obligation absolue à respecter, et qui fait cuire des plats « halal » pour l’ensemble de ses élèves, mais ne prend évidemment pas la peine de faire cuire des plats « non halal » pour les élèves chrétiens ou laïcs, lesquels doivent ipso facto renoncer à leur cuisine traditionnelle, devra à l’avenir, du moins si elle veut respecter les critères pluralistes de la multiculturalité, faire cuire des plats non halal pour d’éventuels élèves sikhs, faute de quoi leurs discours multiculturels apparaîtraient pour de la pure farce ou pour une islamisation déguisée, ce qui serait une option monoculturelle et non plus multiculturelle.

 

Les membres de la Khalsa ne peuvent jamais camoufler leur identité en portant des vêtements banals. Il faut qu’ils soient reconnaissables en portant la barbe et un certain type de turban, en portant également le titre honorifique du guerrier « Singh » (= « lion ») et en respectant la règle des cinq « K » : « Kesha » pour « cheveux », lesquels ne peuvent être coupés ; « Kangha » pour « peigne », afin de pouvoir porter leurs longues chevelures de manière ordonnée et soignée, à la différence de la pilosité désordonnée des ascètes hindous (le sikhisme est contre le renoncement au monde et le célibat monacal) ; « Kara » pour le bracelet d’acier ; « Katchtchiha » pour le pantalon knickerbockers sur le modèle militaire britannique ; et enfin, « Kirpaan », pour la fameuse dague, que les autorités indiennes et britanniques permettent de porter, aujourd’hui encore.

 

Renoncer au port de cette arme blanche est donc inacceptable pour les Sikhs membres de la Khalsa. Etre en mesure de se défendre par les armes est pour eux une obligation.

 

Moestasjrik/’t Pallieterke, 19 décembre 2007 (trad. franç.: Robert Steuckers).

 

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mercredi, 26 décembre 2007

Idée nationale et liberté

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Prof. Dieter Langewiesche : l’idée nationale génère la liberté…

Professeur d’histoire à Tübingen et lauréat du Prix Leibniz en 1996, Dieter Langewiesche, aujourd’hui âgé de 64 ans, s’est spécialisé dans l’histoire du libéralisme et du nationalisme en Allemagne. Il est un Européen convaincu, estime que l’Europe doit se construire en dépassant les petits nationalismes du passé. Néanmoins, il ne partage pas l’hostilité gratuite des idéologies dominantes aux nationalismes démocratiques et libertaires d’antan. Sa thèse est la suivante : la xénophobie et l’esprit guerrier, qui se dégageaient des nationalismes de libération du 19ième siècle sont des éléments constitutifs du politique, dont on ne peut ignorer les apports. Dans le n°4/2007 de l’hebdomadaire « Der Spiegel », le Prof. Langewiesche explicite ses thèses dans un long entretien, accordé aux journalistes Martin Doerry et Klaus Wiegrefe, à l’occasion d’une série d’articles à paraître sur l’ « invention des Allemands » (Die Erfindung der Deutschen), soit sur le processus de formation de la nation allemande.

Voici ces thèses :

Les nations dégagées de l’étau soviétique après la disparition du Rideau de Fer ont réactivé spontanément un nationalisme, tout simplement parce qu’il est légitime de refuser toute immixtion venue de l’extérieur, de voisins trop puissants, surtout quand cette immixtion s’est avéré désastreuse sur bien des plans.

La nation (et partant l’idée nationale) est un instrument commode pour partager les ressources du pays entre les nationaux, ressources qui sont évidemment économiques mais aussi culturelles. L’idée nationale sert à donner accès à tous à la culture et à la formation scolaire, universitaire et para-scolaire. La liberté, que croyaient obtenir Slovaques, Ukrainiens ou Slovènes, est une vertu politique qui permet, elle aussi, d’allouer correctement les ressources du pays aux nationaux. Idéal de liberté et idée nationale vont de paire. L’idée nationale est quasi synonyme de « souveraineté populaire ».

L’idée nationale a été, de toutes les idées politiques avancées par les Européens au cours des deux derniers siècles écoulés, la plus mobilisatrice. C’est elle qui a fait bouger les masses, les a sorties de leur léthargie politique.

Il n’y a pas d’alternative à l’idée nationale, si l’on veut créer un pays, ressusciter l’émergence d’un Etat national. Les pays qui ne génèrent pas d’idée nationale se décomposent en groupes d’autre nature, comme les tribus, incapables de produire une conscience d’appartenance qui va au-delà de leurs propres limites. De plus, sans idée nationale, avec le seul stade tribal de la conscience politique, il est impossible de faire éclore des systèmes institutionnels viables sur le long terme.

Certes, quand l’idée nationale se mue en nationalisme agressif, l’Etat, qui en dérive, devient une véritable machine à agresser ses voisins. Mais il est impossible de prendre prétexte de cette dérive, pour condamner l’idée nationale en soi, car rien ni personne ne peut trier et séparer proprement les bons des mauvais éléments du complexe idée nationale/nationalisme.

L’introspection que postule la création d’un Etat, d’institutions politiques et culturelles positives, induit nécessairement à se démarquer de l’Autre, de l’extérieur. Ce travail d’introspection a été jugé « irrationnel » par une certaine historiographie : cette posture intellectuelle est fausse. Ce travail, dit Langewiesche, est bel et bien rationnel. Car sans introspection, sans repli sur les limites de ce qu’est la nation, il est impossible de déterminer qui vote pour le Parlement, qui a droit à quoi dans le partage des ressources nationales. Langewiesche est conscient que les Etats où vivent plusieurs minorités importantes ont souvent pratiqué l’exclusion de ces dernières, ce qui a entraîné d’autres problèmes (ndlr : qui sont récurrents : il suffit de lire les limites que s’impose le nouveau groupe IST/Identité, Souveraineté, Transparence, au Parlement Européen, vu les litiges entres Roumains centralistes et minorités hongroises, allemandes et autres, litiges que n’acceptent pas les Autrichiens notamment).

Le danger que recèle l’idée nationale, quand elle se mue en nationalisme, est de ne pas pouvoir terminer les guerres entamées, contrairement à ce qui se passait à l’époque des « guerres de forme ». Le processus propagandiste de mobilisation des masses a provoqué des conflagrations telles que les classes dirigeantes ont dû justifier les pertes énormes, en évoquant le caractère sacré de la guerre en cours. Dans une telle situation, faire la paix sans avoir gagné la guerre s’avère particulièrement difficile.

Les nations ont pour ciment principal la conscience historique. Elles sont des communautés de souvenirs, dont on ne peut aisément se soustraire, sans se renier intimement. Pour Elias Canetti, auquel se réfère Langewiesche, les nations sont des communautés de sentiments partagés.

L’idée nationale, bien qu’unificatrice, ne gomme pas nécessairement les autres forces politiques ou religieuses présentes. Celles-ci demeurent sous-jacentes, susceptibles de se re-dynamiser. Mais sans l’idée nationale, ces forces provoqueraient des dissensions civiles graves. Dans l’Allemagne d’après 1945, on a voulu remplacer cette idée nationale par un « patriotisme constitutionnel », par une fidélité à un texte abstrait, celui de la « loi fondamentale » de 1949. Cependant, en cas de crise importante, ce patriotisme constitutionnel s’avèrerait bien insuffisant. Le « Verfassungspatriotismus » de Dolf Sternberger et de Jürgen Habermas ne génère pas suffisamment de « force liante ».

Ernst Gellner estime que l’idée nationale est une construction artificielle, née dans le cerveau des intellectuels du 19ième siècle. Pour Langewiesche, cet argument de Gellner est pertinent, mais seulement dans la mesure où l’on peut constater que l’émergence des faits nationaux et nationalitaires n’était pas une fatalité, inscrite dans les astres. Langewiesche cite alors l’exemple de la France, première nation nationaliste moderne, où les masses paysannes n’ont pas été intégrées dans l’ensemble national avant la fin du 19ième (ndlr : les émeutes, bagarres et accrochages contre la loi Combe le prouvent encore dans la première décennie du 20ième siècle ; ce sera la fusion des masses paysannes dans l’armée à partir de 1914 qui inclura cette masse rurale hexagonale dans le fait national). En France, poursuit Langewiesche, le paysannat se référait à d’autres appartenances : régionales ou locales. Les intellectuels, en effet, parlaient de la nation, comme d’un tout intégré ou à intégrer le plus rapidement possible. En Allemagne, l’idée nationale a certes été répandue par des intellectuels (Fichte, Arndt) mais aussi par des chanteurs itinérants, des pratiquants de la gymnastique populaire (Jahn) et des compagnies de « Schütze » (ndlr : en Belgique : des « serments d’arbalétriers », mais ceux-ci n’ont jamais revêtu une quelconque influence politique ; en revanche, les concours de chants ont eu, en Flandre, une importance capitale dans l’éclosion de la conscience nationale flamande ; nous avons d’ailleurs toujours la « Vlaams Nationaal-Zangfeest » à Anvers chaque année en avril). La culture populaire, non intellectuelle, a donc servi de ciment à l’idée nationale allemande.

Le Zollverein (l’Union Douanière) allemande de 1834 lève des barrières internes, processus qui fait éclore un sentiment de communauté chez les industriels, négociants et compagnons de toute l’Allemagne. L’UE pourrait avoir un effet analogue en Europe dans les prochaines décennies.

L’idée nationale demeure l’antidote majeur aux effets pervers de la globalisation contemporaine, et si elle ne parvient pas à les atténuer, elle perdra la force liante qu’elle a toujours eue.

(résumé par Robert Steuckers de l’entretien accordé par le Prof. Dieter Langewiesche au « Spiegel », n°4/2007).

 

 

mardi, 25 décembre 2007

1745: Paix de Dresde

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25 décembre 1745 : Signature de la Paix de Dresde entre la Prusse, l’Autriche et la Saxe. Elle met fin à la deuxième guerre de Silésie, que l’Autriche avait tenté de récupérer par la force des armes. Tant que l’Autriche possédait la Silésie, elle avait accès, via le haut bassin de l’Oder, à la Baltique. Elle pouvait prétendre à terme réaliser le vœu du Roi de la Bohème médiévale, Ottokar II Przmysl, c’est-à-dire former un royaume centre-européen, unissant sous une seule autorité, tous les territoires entre la Baltique et l’Adriatique. La Prusse de Frédéric II s’opposait à une présence autrichienne dans les bassins fluviaux parallèles de la plaine d’Allemagne du Nord et contestait la souveraineté de Vienne en Silésie (bassin de l’Oder) et en Bohème (bassin de l’Elbe).

Lors de l’affrontement de 1745, les victoires successives des armes prussiennes à Soor et à Kesseldorf, et l’occupation consécutive de Dresde, capitale de la Saxe, le 17 décembre 1745, contraignent les Saxons et les Autrichiens à négocier. La Prusse de Frédéric II préfère, elle aussi, une solution négociée, à une poursuite de la guerre, car elle craint une intervention russe en faveur de l’Autriche et de la Saxe. Les Anglais ne pouvaient pas intervenir aux côtés de la Prusse car la révolte de l’Ecosse mobilisait toute l’attention du gouvernement de Londres et toutes les troupes disponibles. L’Autriche préférait quitter le théâtre d’opérations du Nord de l’Europe pour affronter les Français, alliés à l’Espagne des nouveaux Bourbons, en Italie et dans les Pays-Bas. Conclusion : à la suite de la Paix de Dresde, la Prusse conserve la Silésie mais reconnaît l’Empereur Charles, époux de Marie-Thérèse. La Saxe ne s’en sort pas trop bien : elle doit payer un million de thaler de dédommagement à la Prusse.

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lundi, 24 décembre 2007

1979: les troupes soviétiques en Afghanistan

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24 décembre 1979 : Les troupes soviétiques entrent en Afghanistan

Le 27 avril 1978, le « Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan » avait pris le pouvoir sous la direction de Muhammad Taraki. Le pays se rapproche de l’URSS afin de parfaire un programme de réformes sociale, surtout dans les domaines de l’éducation et de la réforme agraire. Notons, au passage, que l’Afghanistan avait bien dû se tourner vers l’URSS, les puissances anglo-saxonnes, qui soutenaient alors Khomeiny, voyaient d’un mauvais œil les tentatives iraniennes de venir en aide aux Afghans.

Ce nouveau régime, en observant la situation chaotique dans laquelle se débattait l’Iran, met immédiatement les agitateurs religieux au pas. La CIA décide tout de suite de soutenir une trentaine de groupes de moudjahhidins. La situation devient alors bien vite critique. Dans les troubles qui agitent l’Afghanistan, Taraki est assassiné. En septembre 1979, Hafizullah Amin prend le pouvoir, ce qui déclenche une guerre civile, amenant, le 24 décembre, les troupes soviétiques à intervenir, pour rétablir l’ordre. Amin est exécuté. Babrak Karmal accède alors au pouvoir et demande à Brejnev l’appui permanent de troupes soviétiques. Ce qui lui est accordé. L’Occident capitaliste (l’américanosphère) et l’Islam radical condamnent l’intervention et forgent une alliance qui durera jusqu’aux attentats du 11 septembre (qui n’y mettront fin qu’en apparence).

Le 21 mars 1980, les Afghans hostiles aux Soviétiques forment une « Alliance islamique pour la liberté de l’Afghanistan », qui comprends des fondamentalistes et des monarchistes. Cette alliance, dont le nom contient les vocables « islamistes », pour plaire aux bailleurs de fonds saoudiens, et « liberté », pour plaire aux Américains, comptait sept partis islamistes, dont quatre étaient jugés fondamentalistes et trois, plus ou moins modérés. Ces partis installent leur QG sur le territoire pakistanais voisin. Dans la longue guerre qui s’ensuivra, les services pakistanais, dont surtout l’ISI, recevront et distribueront l’argent et les armes venus des Etats-Unis, d’Arabie Saoudite et d’organisations « privées » arabo-musulmanes.

Zbigniew Brzezinski, artisan de cette stratégie, avouera, dans un entretien accordé au « Monde », que la version officielle d’une aide aux moudjahhidins à partir de 1980 est fausse. D’après le stratège, c’est le 3 juillet 1979 que la décision a été prise d’armer les moudjahhidins, pour attirer l’URSS dans un piège, afin de la déstabiliser par une opération coûteuse et de lui donner une mauvaise image médiatique, tant dans le monde arabo-musulman que dans l’américanosphère.

dimanche, 23 décembre 2007

1861: Création de la Principauté de Roumanie

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23 décembre 1861 : Création de la Principauté de Roumanie

Les assemblées représentatives de la Valachie et de la Moldavie sont réunies en un seul parlement, dont le siège est fixé à Bucarest dès février 1862. Alexandre-Jean Cuza devient Prince de Roumanie et obtient l’investiture du Sultan ottoman, qui demeure le suzerain en titre des provinces valaques et moldaves. Dans la foulée, l’église orthodoxe roumaine proclame son autocéphalie, malgré la réticence du Patriarche de Constantinople, qui ne l’acceptera qu’en 1885.

Cuza est issu d’une famille de boyards. Il a toujours défendu l’unité des « principautés danubiennes » (Valachie et Moldavie). Quand il devient Prince de Valachie le 5 février 1859, la Roumanie est unifiée de facto. Sur le plan politique, Cuza n’obtiendra pas l’assentiment des masses populaires et paysannes, qui lui reprochaient son idéologie libérale et occidentale. Le 22 février 1866, il est contraint d’abdiquer. Charles de Hohenzollern-Sigmaringen deviendra, immédiatement après cet incident, Roi de Roumanie sous le nom de Carol I (26 mars 1866). A.J. Cuza quittera la Roumanie définitivement et connaîtra l’exil jusqu’à sa mort, survenue à Heidelberg le 15 mai 1893.

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samedi, 22 décembre 2007

Volonté française d'annexer la Sarre

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Drapeau sarrois imposé par les troupes d'occupation française en vue d'une annexion que refusait le peuple

Volonté française d'annexer la Sarre

22 décembre 1946 : La France manifeste clairement son intention d’annexer la Sarre allemande. Elle l’isole, en ce 22 décembre 1946, des autres territoires allemands par un cordon douanier qui se veut hermétique. Cette politique d’agression reçoit l’approbation des Britanniques et des Américains mais non des Soviétiques. Molotov entend se tenir aux décisions prises à Potsdam et refuse l’intégration économique de la Sarre à la France, prélude à son annexion pure et simple. Rappelons que la Sarre a été envahie par les armées révolutionnaires en même temps que les Pays-Bas autrichiens. L’Autriche ne reconnaîtra le fait accompli de l’annexion de la rive gauche du Rhin que lors du Traité de Campo Formio en 1797 et après avoir reçu en compensation la Lombardie et la Vénétie. En 1814 quand l’Ogre est vaincu une première fois et envoyé à l’Ile d’Elbe, la France garde la Sarre, déchue au rang de vulgaire « département », mais la perd en 1815 après Waterloo, en même temps que les forteresses de Philippeville et Mariembourg, qui reviennent ainsi dans le giron des Pays-Bas méridionaux. Au cours du 19ième siècle, l’obsession ne sera pas tant la Sarre que le Luxembourg, qu’il faudra protéger des visées expansionnistes de Napoléon III. Ni 1918 ni 1945 ne permettront d’annexer la Sarre qui restera allemande en dépit de tout.

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