jeudi, 21 janvier 2010
L'itinéraired'Otto Strasser
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1985
L'itinéraire d'Otto Strasser
par Thierry MUDRY
Un jeune universitaire français, Patrick Moreau, a fait paraître en Allemagne en 1985, une version abrégée de sa thèse de doctorat sur la "Communauté de combat national-socialiste révolutionnaire et le Front Noir" (cette thèse de 821 pages, soutenue en 1978 devant l'Université de Paris 1, n'est malheureusement pas diffusée en France). L'ouvrage de Moreau, très documenté et objectif, comporte une biographie (qui s'arrête en 1935) d'Otto Strasser, leader du nazisme de gauche dissident, une histoire du nazisme de gauche de 1925 à 1938 et une analyse des principaux thèmes constitutifs de l'idéologie "national-socialiste révolutionnaire".
Moreau dévoile l'existence d'un courant qui, se réclamant d'une authenticité national-socialiste, a résisté à la mainmise hitlérienne sur le parti nazi, résisté à l'Etat hitlerien et combattu vainement pour une Révolution socialiste allemande. L'histoire de ce courant s'identifie au destin de son principal animateur et idéologue : Otto Strasser.
Antécédents familiaux
Otto Strasser naît le 10 septembre 1897 dans une famille de fonctionnaires bavarois. Son frère Gregor (qui sera l'un des chefs du parti nazi et un concurrent sérieux d'Hitler) est son aîné de cinq ans. L'un et l'autre bénéficient de solides antécédents familiaux: leur père Peter, qui s'intéresse à l'économie politique et à l'histoire, publie sous le pseudonyme de Paul Weger, une brochure intitulée "Das neue Wesen", dans laquelle il se prononce pour un socialisme chrétien et national. Selon Paul Strasser, frère de Gregor et d'Otto: "dans cette brochure se trouve déjà ébauché l'ensemble du programme culturel et politique de Gregor et d'Otto, à savoir un socialisme chrétien et national, qui y est désigné comme la solution aux contradictions et aux manques nés de la maladie libérale, capitaliste et internationale de notre temps". (Cité, p. 12).
Otto Strasser social-démocrate
Lorsqu'éclate la Grande Guerre, Otto Strasser interrompt ses études de droit et d'économie pour s'engager, dès le 2 août 1914 (il est le plus jeune engagé volontaire de Bavière). Sa brillante con-duite au Front lui vaudra d'être décoré de la Croix de Fer de première classe et d'être proposé pour l'Ordre Militaire de Max-Joseph. Avant sa démobilisation en avril/mai 1919, il participe, avec son frère Gregor, dans le Corps-Franc von Epp, à l'assaut contre la République soviétique de Bavière. Rendu à la vie civile, Otto re-prend ses études à Berlin en 1919 et fonde l'"Association universitaire des an-ciens combattants sociaux-démocrates". En 1920, à la tête de trois "centuries pro-létariennes", il résiste dans le quartier ouvrier berlinois de Steglitz au putsch Kapp (putsch d'extrême-droite). Il quitte peu après la SPD (parti social-démocrate) lorsque celle-ci refuse de respecter l'ac-cord de Bielefeld conclu avec les ouvriers de la Ruhr (cet accord prévoyant la non-intervention de l'armée dans la Ruhr, la répression des éléments contre-révolu-tionnaires et l'éloignement de ceux-ci de l'appareil de l'Etat, ainsi que de la natio-nalisation des grandes entreprises). Otto Strasser s'éloigne donc de la SPD sur la gauche.
Otto Strasser retourne en Bavière. Chez son frère Gregor, il rencontre Hitler et le général Ludendorff, mais refuse de se rallier au national-socialisme comme l'y invite son frère. Correspondant de la presse suisse et hollandaise, Otto "cou-vre", le 12 octobre 1920, le Congrès de l'USPD (Parti social-démocrate indépen-dant) à Halle où il rencontre Zinoviev. Il écrit dans "Das Gewissen", la revue des jeunes conservateurs Moeller van den Bruck et Heinrich von Gleichen, un long article sur sa rencontre avec Zinoviev. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de Moeller van den Bruck qui le ralliera à ses idées.
Otto Strasser rentre peu après au ministère de l'approvisionnement, avant de travailler, à partir du printemps 1923, dans un consortium d'alcools. Entre 1920 et 1925, il s'opère dans l'esprit de Stras-ser un lent mûrissement idéologique sur fond d'expériences personnelles (expé-rience du Front et de la guerre civile, ren-contres avec Zinoviev et Moeller, expé-rience de la bureaucratie et du capita-lisme privé) et d'influences idéologiques diverses.
Otto Strasser National-Socialiste
Après le putsch manqué de 1923, l'em-prisonnement de Hitler et l'interdiction de la NSDAP qui l'ont suivi, Gregor Stras-ser s'est retrouvé en 1924 avec le général Ludendorff et le politicien völkisch von Graefe à la tête du parti nazi reconstitué. Aussitôt sorti de prison, Hitler réorga-nise la NSDAP (février 1925) et charge Gregor Strasser de la direction du Parti dans le Nord de l'Allemagne. Otto rejoint alors son frère qui l'a appelé auprès de lui. Otto sera l'idéologue, Gregor l'organi-sateur du nazisme nord-allemand.
En 1925, une "Communauté de travail des districts nord- et ouest-allemands de la NSDAP" est fondée sous la direction de Gregor Strasser, ces districts mani-festent ainsi leur volonté d'autonomie (et de démocratie interne) face à Munich. En outre, la NSDAP nord-allemande prend une orientation nettement gauchiste sous l'influence d'Otto Strasser et de Joseph Goebbels, qui exposent leurs idées dans un bimensuel destiné aux cadres du Parti, les "National-sozialistische Briefe". Dès oc-tobre 1925, Otto Strasser dote la NSDAP nord-allemande d'un programme radical.
Hitler réagit en déclarant inaltérables les vingt-cinq points du programme nazi de 1920 et en concentrant tous les pou-voirs de décision dans le Parti entre ses mains. Il rallie Goebbels en 1926, circon-vient Gregor Strasser en lui proposant le poste de chef de la propagande, puis de chef de l'organisation du Parti, exclut en-fin un certain nombre de "gauchistes" (no-tamment les Gauleiters de Silésie, Po-méranie et Saxe). Otto Strasser, isolé et en opposition totale avec la politique de plus en plus ouvertement conservatrice et pro-capitaliste de Hitler, se résoud fina-lement à quitter le Parti Nazi le 4 juillet 1930. Il fonde aussitôt la KGRNS, "Com-munauté de combat national-socialiste révolutionnaire".
Otto Strasser dissident
Mais, peu après la scission stras-serienne, deux événements entraînent la marginalisation de la KGNRS: tout d'abord la publication de la "déclaration-pro-gramme pour la libération nationale et sociale du peuple allemand" adoptée par le Parti Communiste allemand. Ce program-me exercera une attraction considérable sur les éléments nationalistes allemands anti-hitleriens et les détournera du Strasserisme (d'ailleurs dès l'automne 1930, une première crise "national-bolchévique" provoque le départ vers le Parti Communiste de trois responsables de la KGRNS : Korn, Rehm et Lorf); ensuite, le succès électoral du Parti Nazi lors des élections législatives du 14 septembre 1930 qui convainc beaucoup de nationaux-socialistes du bien fondé de la stratégie hitlerienne. La KGRNS est minée, en outre, par des dissensions internes qui opposent ses éléments les plus radicaux (natio-naux-bolchéviques) à la direction, plus modérée (Otto Strasser, Herbert Blank et le Major Buchrucker).
Otto Strasser essaie de sortir la KGRNS de son isolement en se rappro-chant, en 1931, des S.A. du nord de l'Alle-magne, qui, sous la direction de Walter Stennes, sont entrés en rébellion ouverte contre Hitler1 (mais ce rapprochement, mené sous les hospices du capitaine Ehr-hardt, dont les penchants réactionnaires sont connus, provoque le départ des na-tionaux-bolchéviques de la KGRNS). En octobre 1931, Otto Strasser fonde le "Front Noir", destiné à regrouper autour de la KGNRS un certain nombre d'organisa-tions proches d'elle, telles que le groupe paramilitaire "Wehrwolf", les "Camara-deries Oberland", les ex-S.A. de Stennes, une partie du Mouvement Paysan, le cercle constitué autour de la revue "die Tat", etc.
En 1933, décimée par la répression hitlerienne, la KGRNS se replie en Autri-che, puis, en 1934, en Tchécoslovaquie. En Allemagne, des groupes strasseriens clandestins subsisteront jusqu'en 1937, avant d'être démantelés et leurs membres emprisonnés ou déportés (l'un de ces an-ciens résistants, Karl-Ernst Naske, dirige aujourd'hui les "Strasser-Archiv"2).
L'idéologie strassérienne
Les idées d'Otto Strasser transparais-sent dans les programmes qu'il a élabo-rés, les articles, livres et brochures que ses amis et lui-même ont écrit. Parmi ces textes, les plus importants sont le pro-gramme de 1925 (résumé P.23), destiné à compléter le programme de 1920 du Parti Nazi, la proclamation du 4 juillet 1930 ("Les socialistes quittent la NSDAP" P.41/42), les "Quatorze thèses de la Ré-volution allemande", adoptées lors du pre-mier Congrès de la KGRNS en octobre 1930 (PP. 240 à 242), le manifeste du "Front Noir", adopté lors du deuxième Congrès de la KGRNS en octobre 1931 (pp. 250/251), et le livre "Construction du So-cialisme allemand", dont la première édi-tion date de 1932.
Une idéologie cohérente se dégage de ces textes, composée de trois éléments étroitement imbriqués: le nationalisme, l'"idéalisme völkisch" et le "socialisme allemand".
* Le nationalisme: Otto Strasser pro-pose la constitution d'un Etat (fédéral et démocratique) grand-allemand "de Memel à Strasbourg, d'Eupen à Vienne" et la li-bération de la Nation allemande du traité de Versailles et du plan Young. Il prône une guerre de libération contre l'Occident ("Nous saluons la Nouvelles Guerre" pp. 245/246), l'alliance avec l'Union sovié-tique et une solidarité internationale an-ti-impérialiste entre toutes les Nations opprimées. Otto Strasser s'en prend aussi avec vigueur aux Juifs, à la Franc-maçon-nerie et à l'Ultramontanisme (cette dé-nonciation des "puissances internatio-nales" semble s'inspirer des violents pamphlets du groupe Ludendorff). Mais les positions d'Otto Strasser vont évoluer. Lors de son exil en Tchécoslovaquie, deux points nouveaux apparaissent: un certain philosémitisme (Otto Strasser propose que soit conféré au peuple juif un statut protecteur de minorité nationale en Euro-pe et soutient le projet sioniste - Patrick Moreau pense que ce philosémitisme est purement tactique: Strasser cherche l'ap-pui des puissantes organisations anti-nazies américaines) et un projet de fédé-ration européenne qui permettrait d'éviter une nouvelle guerre (pp. 185/186). L'anti-occidentalisme et le pro-soviétisme de Strasser s'estompent.
- Au matérialisme bourgeois et mar-xiste, Otto Strasser oppose un "idéalisme völkisch" à fondement religieux.
- A la base de cet "idéalisme völ-kisch", on trouve le "Volk" conçu comme un organisme d'origine divine possédant des caractéristiques de nature physique (raciale), spirituelle et mentale.
La "Révolution allemande" doit, selon Otto Strasser, (re)créer les "formes" ap-propriées à la nature du peuple dans le domaine politique ou économique aussi bien que culturel. Ces formes seraient, dans le domaine économique, le fief (Erb-lehen); dans le domaine politique, l'auto-administration du peuple au moyen des "Stände", c'est-à-dire des états - état ou-vrier, état-paysan, etc. (ständische Selbstverwaltung) et, dans le domaine "culturel", une religiosité allemande 3.
- Principale expression de l'"idéalisme völkisch": un "principe d'amour" au sein du Volk - chacun reconnaissant dans les au-tres ses propres caractéristiques racia-les et culturelles (pp. 70 et 132) - qui doit marquer chaque acte de l'individu et de l'Etat.
Cet idéalisme völkisch entraîne le re-jet par Otto Strasser de l'idée de la lutte des classes au sein du Volk au profit d'une "révolution populaire" des ouvriers-pay-sans-classes moyennes (seule une toute petite minorité d'oppresseurs et d'exploi-teurs seraient éliminés), la condamnation de l'affrontement politique entre Alle-mands: Otto Strasser propose un Front uni de la base des partis extrémistes et des syndicats contre leur hiérarchie et contre le système (pp.69/70). Cet idéalisme völ-kisch sous-tend l'esprit du "socialisme allemand" prôné par Strasser et inspire le programme socialiste strasserien.
Le programme socialiste strasserien comporte les points suivants: la natio-nalisation (partielle) de la terre et des moyens de production, la participation ouvrière, le Plan, l'autarcie et le mono-pole de l'Etat sur le commerce extérieur.
Le "socialisme allemand" prétend s'op-poser au libéralisme comme au marxisme. L'opinion d'Otto Strasser sur le marxisme est cependant nuancée: "Le marxisme n'a-vait pour Strasser aucun caractère 'juif' spécifique comme chez Hitler, il n'était pas "l'invention du Juif Marx", mais l'éla-boration d'une méthode d'analyse des con-tradictions sociales et économiques de son époque (la période du capitalisme sauvage) mise au point par un philosophe doué. Strasser reconnaissait à la pensée marxiste aussi bien qu'à l'analyse de l'im-périalisme par Lénine une vérité objec-tive certaine. Il s'éloignait de la Weltan-schauung marxiste au niveau de ses im-plications philosophiques et utopiques. Le marxisme était le produit de l'ère du li-béralisme et témoignait dans sa méthode analytique et dans sa structure même d'une mentalité dont la tradition libérale remontait au contrat social de Rousseau.
L'erreur de Marx et des marxistes-lé-ninistes résidait, selon Strasser, en ce qu'ils croyaient pouvoir expliquer le déve-loppement historique au moyen des con-cepts de rapport de production et lutte de classes alors que ceux-ci n'apparais-saient valables que pour la période du ca-pitalisme. La dictature du prolétariat, l'internationalisme prolétarien, le com-munisme utopique n'étaient plus con-formes à une Allemagne dans laquelle un processus d'entière transformation des structures spirituelles, sociales et éco-nomiques était engagé, qui conduisait au remplacement du capitalisme par le so-cialisme, de la lutte des classes par la communauté du peuple et de l'internatio-nalisme par le nationalisme.
La théorie économique marxiste de-meurait un instrument nécessaire à la compréhension de l'histoire. Le marxisme philosophique et le bolchévisme de parti périssaient en même temps qu'un libéra-lisme entré en agonie" (pp 62/63).
Le "socialisme allemand" rejette le modèle prolétarien aussi bien que le mo-dèle bourgeois et propose de concilier la responsabilité, l'indépendance et la créa-tivité personnelles avec le sentiment de l'appartenance communautaire dans une société de travailleurs de classes moyen-nes et, plus particulièrement, de paysans (P.135). "Strasser, comme Jünger, rêva d'un nouveau "Travailleur", mais d'un type particulier, le type "Paysan", qu'il soit ouvrier paysan, intellectuel paysan, sol-dat paysan - autant de facettes d'un bouleversement social réalisé par la dislocation de la société industrielle, le démantèlement des usines, la réduction des populations urbaines et les transferts forcés de citoyens vers le travail régé-nérateur de la terre. Pour prendre des il-lustrations contemporaines de la volonté de rupture sociale de la tendance Stras-ser, certains aspects de son projet évo-quent aujourd'hui la Révolution Culturelle chinoise ou l'action des Khmers Rouges au Cambodge" (cf. Patrick Moreau "Socia-lisme national contre hitlerisme" dans La Revue d'Allemagne, tome XVI, n°3, Juillet-septembre 1984, P.493). Otto Strasser veut réorganiser la société alle-mande autour du type paysan. Pour ce fai-re, il préconise le partage des terres, la colonisation des régions agricoles de l'Est peu peuplées et la dispersion des grands complexes industriels en petites unités à travers tout le pays - ainsi naîtrait un type mixte ouvrier-paysan (cette dernière proposition évoque l'expérience des "hauts-fourneaux de poche" dans les com-munes populaires de la Chine commu-niste), PP.134 à 140. Patrick Moreau n'hé-site pas à qualifier Otto Strasser de "con-servateur agraire extrémiste" (article ci-té). Les conséquences de cette réorgani-sation de l'Allemagne (et de la socialisa-tion de l'économie qui doit l'accompagner) seraient: une réduction considérable de la production des biens de consommation du fait de l' "adoption d'un mode de vie spar-tiate où la consommation est réduite à la satisfaction quasi autarcique, au plan lo-cal, des besoins primaires" (article cité) et "l'institution nationale, puis interna-tionale, d'une sorte d'économie de troc" (Ibid.).
Le "socialisme allemand" refuse enfin la bureaucratie et le capitalisme privé (Otto Strasser connaît les méfaits des deux systèmes) et propose la nationali-sation des moyens de production et de la terre qui seraient ensuite (re)distribués à des entrepreneurs sous la forme de fiefs. Cette solution conjuguerait, si l'on en croit Strasser, les avantages de la pos-session individuelle et de la propriété collective.
Thierry MUDRY.
Patrick MOREAU, "Nationalsozialismus von links. Die "Kampfgemeinschaft Revo-lutionärer Nationalsozialisten" und die "Schwarze Front" Otto Strassers 1930-1935", Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, 1985, 268 S., 39,80 DM.
Notes :
1 Sur Walter Stennes : lire "Als Hitler nach Canossa ging" de Charles Drage (Berlin 1982)
2 "Strasser Archiv, correspondance : Karl-Ernst Naske, 5350 EUSKIRCHEN-Kreuzweingarten, R.F.A.
3 Cfr. "Weder Rom noch Moskau, sondern Deutschland, nichts als Deutschland", article d'Otto Strasser dans "Deutsche Revolution", 5 juillet 1931.
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mardi, 19 janvier 2010
Gamelin chargé d'envahir le Caucase
19 janvier 1940: Il est un plan concocté par les Franco-Britanniques en 1940 que l’on oublie généralement de mentionner dans les histoires de la seconde guerre mondiale: celui que Daladier a demandé à Gamelin de mettre au point pour attaquer l’URSS, alors alliée à l’Allemagne dans le cadre du pacte germano-soviétique ou pacte Molotov/Ribbentrop, dans le Caucase, afin de s’emparer des puits de pétrole d’Azerbaïdjan et des oléoducs qui acheminent le brut dans les républiques soviétiques au Sud de la chaîne caucasienne. C’est le 19 janvier 1940 que Daladier convie Gamelin à s’atteler à cette tâche, qui n’aura pas de lendemain mais qui préfigure tout de même toute l’affaire géorgienne d’août 2008. La France, n’ayant été rien d’autre que la réserve continentale de chair à canon pour l’empire britannique, a donc été conviée à lancer une opération destinée à réaliser un vieux voeu de l’impérialisme anglais, conçu avant la première guerre mondiale, mais mis sous le boisseau car Londres avait besoin de la chair à canon russe pour éliminer l’Allemagne, non pas tant celle de Guillaume II, mais celle, plus cohérente, de l’Amiral von Tirpitz, qui entend épauler le développement industriel et commercial allemand dans le monde entier et en Amérique latine en particulier, par une flotte aguerrie, capable de se mesurer aux autres flottes de guerre de la planète. Avant de donner l’ordre à Gamelin de travailler à un plan d’invasion du Caucase méridional, le gouvernement français avait décidé le 8 janvier 1940 de créer une armée d’Orient en Syrie, sous les ordre du Général Weygand, celui-là même qui avait aidé les Polonais à refouler les Soviétiques au-delà de la Ligne Curzon, autre démarcation inventée dans les bureaux londoniens pour élargir au maximum l’espace entre l’Allemagne et la nouvelle URSS, prêtes à s’allier sous la double impulsion de Rathenau et de Tchitchérine qui s’étaient rencontrés à Rapallo en 1922. Il est évident qu’une occupation des champs pétrolifères caucasiens aurait privé également la Wehrmacht allemande de son carburant.
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L'Université de Paris octroie une chaire de grec à Grégoire
19 janvier 1458: L’Université de Paris octroie la première chaire de grec à Grégoire, érudit byzantin qui avait réussi à fuir Constantinople en mai 1453, quand la ville était tombée aux mains du Sultan ottoman Mehmet II. Grégoire est ainsi un des nombreux savants byzantins à s’être réfugié en Occident, et surtout en Italie, d’où partira la Renaissance.
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dimanche, 17 janvier 2010
Robert E. Lee and Stonewall Jackson were Anti-Slavery
Robert E. Lee and Stonewall Jackson Were Anti-Slavery
By Chuck Baldwin / http://www.campaignforliberty.com/
Praise For Lee And Jackson
January is often referred to as "Generals Month" since no less than four famous Confederate Generals claimed January as their birth month: James Longstreet (Jan. 8, 1821), Robert E. Lee (Jan. 19, 1807), Thomas Jonathan "Stonewall" Jackson (Jan. 21, 1824), and George Pickett (Jan. 28, 1825). Two of these men, Lee and Jackson, are particularly noteworthy.
Without question, Robert E. Lee and Stonewall Jackson were two of the greatest military leaders of all time. Even more, many military historians regard the Lee and Jackson tandem as perhaps the greatest battlefield duo in the history of warfare. If Jackson had survived the battle of Chancellorsville, it is very possible that the South would have prevailed at Gettysburg and perhaps would even have won the War Between the States.
In fact, it was Lord Roberts, commander-in-chief of the British armies in the early twentieth century, who said, "In my opinion, Stonewall Jackson was one of the greatest natural military geniuses the world ever saw. I will go even further than that--as a campaigner in the field, he never had a superior. In some respects, I doubt whether he ever had an equal."
While the strategies and circumstances of the War of Northern Aggression can (and will) be debated by professionals and laymen alike, one fact is undeniable: Robert E. Lee and Thomas J. Jackson were two of the finest Christian gentlemen this country has ever produced. Both their character and their conduct were beyond reproach.
Unlike his northern counterpart, Ulysses S. Grant, General Lee never sanctioned or condoned slavery. Upon inheriting slaves from his deceased father-in-law, Lee freed them. And according to historians, Jackson enjoyed a familial relationship with those few slaves that were in his home. In addition, unlike Abraham Lincoln and U.S. Grant, there is no record of either Lee or Jackson ever speaking disparagingly of the black race.
As those who are familiar with history know, General Grant and his wife held personal slaves before and during the War Between the States, and, contrary to popular opinion, even Lincoln's Emancipation Proclamation did not free the slaves of the North. They were not freed until the Thirteenth Amendment was passed after the conclusion of the war. Grant's excuse for not freeing his slaves was that "good help is so hard to come by these days."
Furthermore, it is well established that Jackson regularly conducted a Sunday School class for black children. This was a ministry he took very seriously. As a result, he was dearly loved and appreciated by the children and their parents.
In addition, both Jackson and Lee emphatically supported the abolition of slavery. In fact, Lee called slavery "a moral and political evil." He also said "the best men in the South" opposed it and welcomed its demise. Jackson said he wished to see "the shackles struck from every slave."
To think that Lee and Jackson (and the vast majority of Confederate soldiers) would fight and die to preserve an institution they considered evil and abhorrent--and that they were already working to dismantle--is the height of absurdity. It is equally repugnant to impugn and denigrate the memory of these remarkable Christian gentlemen.
In fact, after refusing Abraham Lincoln's offer to command the Union Army in 1861, Robert E. Lee wrote to his sister on April 20 of that year to explain his decision. In the letter he wrote, "With all my devotion to the Union and the feeling of loyalty and duty of an American citizen, I have not been able to make up my mind to raise my hand against my relatives, my children, my home. I have therefore resigned my commission in the army and save in defense of my native state, with the sincere hope that my poor services may never be needed . . ."
Lee's decision to resign his commission with the Union Army must have been the most difficult decision of his life. Remember that Lee's direct ancestors had fought in America's War For Independence. His father, "Light Horse Harry" Henry Lee, was a Revolutionary War hero, Governor of Virginia, and member of Congress. In addition, members of his family were signatories to the Declaration of Independence.
Remember, too, that not only did Robert E. Lee graduate from West Point "at the head of his class" (according to Benjamin Hallowell), he is yet today one of only six cadets to graduate from that prestigious academy without a single demerit.
However, Lee knew that Lincoln's decision to invade the South in order to prevent its secession was both immoral and unconstitutional. As a man of honor and integrity, the only thing Lee could do was that which his father had done: fight for freedom and independence. And that is exactly what he did.
Instead of allowing a politically correct culture to sully the memory of Robert E. Lee and Thomas J. Jackson, all Americans should hold them in a place of highest honor and respect. Anything less is a disservice to history and a disgrace to the principles of truth and integrity.
Accordingly, it was more than appropriate that the late President Gerald Ford, on August 5, 1975, signed Senate Joint Resolution 23, "restoring posthumously the long overdue, full rights of citizenship to General Robert E. Lee." According to President Ford, "This legislation corrects a 110-year oversight of American history." He further said, "General Lee's character has been an example to succeeding generations . . ."
The significance of the lives of Generals Lee and Jackson cannot be overvalued. While the character and influence of most of us will barely be remembered two hundred days after our departure, the sterling character of these men has endured for two hundred years. What a shame that so many of America's youth are being robbed of knowing and studying the virtue and integrity of the great General Robert E. Lee and General Thomas J. "Stonewall" Jackson.
Furthermore, it is no hyperbole to say that the confederated, constitutional republic so ably declared by Thomas Jefferson in the Declaration of Independence of 1776 and codified into statute by the U.S. Constitution of 1787 was, for the most part, expunged at the Appomattox Court House in 1865. After all, it was (and is) the responsibility of the states to be the ultimate vanguard of liberty. Without a tenacious, unrelenting defense of liberty by the sovereign states, we are reduced to ever-burgeoning oppression--which is exactly what we see happening today.
Thankfully, freedom's heartbeat is still felt among at least a few states. State sovereignty resolutions (proposed in over 30 states), Firearms Freedom acts (passed in 2 states--Montana and Tennessee--and being proposed in at least 12 other states), and official letters (Montana), statements (Texas Governor Rick Perry), and resolutions (Georgia and Montana) threatening secession have already taken place.
Yes, freedom-loving Americans in this generation may need to awaken to the prospect that--in order for freedom to survive--secession may, once again, be in order. One thing is for sure: any State that will not protect and defend their citizens' right to keep and bear arms cannot be counted on to do diddlysquat to maintain essential freedom. It is time for people to start deciding whether they want to live free or not--and if they do, to seriously consider relocating to states that yet have a heartbeat for liberty.
I will say it straight out: any State that will not protect your right to keep and bear arms is a tyrannical State! And if it is obvious that the freedom-loving citizens of that State are powerless to change it via the ballot box, they should leave the State to its slaves and seek a land of liberty.
I, for one, am thankful for the example and legacy of men such as Robert E. Lee and Stonewall Jackson. They were the spiritual soul mates of George Washington and Thomas Jefferson. They were men that loved freedom; they were men that loved federalism and constitutional government; and they were men of courage and understanding. They understood that, sometimes, political separation is the only way that freedom can survive. Long live the spirit of Washington, Jefferson, Lee, and Jackson!
Copyright © 2010 Chuck Baldwin
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vendredi, 15 janvier 2010
15 janvier 1821: les Anglais au Yémen
15 janvier 1821 : Depuis l’expédition de Bonaparte en Egypte et ses tentatives de prendre pied en Palestine et en Syrie en 1798-99, l’Angleterre s’est faite la protectrice de l’Empire ottoman; elle réitérera cette protection contre l’Egypte de Mehmet Ali en 1839 et contre la Russie, lors de la guerre de Crimée et lors de l’offensive russe vers la Bulgarie et la Thrace en 1877-78, où les armées orthodoxes ont campé aux portes de Constantinople. L’Empire ottoman se situait sur la route des Indes, était bien présent en Méditerranée orientale, d’où la Sainte Ligue n’avait pu le déloger après la bataille de Lépante (1571) ni libérer Chypre; au 17ème siècle, les Ottomans, malgré leur ressac, avaient même pu conquérir la Crète, dernier bastion vénitien. Aucune puissance, aux yeux de l’Angleterre ne peut donc subjuguer cet Empire ottoman en pleine déliquescence ni acquérir des zones stratégiques lui appartenant. Si ces zones demeurent ottomanes, elles sont en quelque sorte neutralisées et ne servent pas de têtes de pont à une puissance européenne capable de rompre les communications entre la Grande-Bretagne et les Indes. Seule l’Angleterre, bien entendu, qui donne sa garantie à la Sublime Porte, mais tente de grignoter les côtes de son empire moribond ou d’occuper les points stratégiques éloignés de Constantinople, difficilement contrôlables et gérés par des potentats locaux, dont la fidélité est assez aléatoire. En 1821, avant que ne se consolide le pouvoir de Mehmet Ali en Egypte et avant que ne se déclenche la révolte grecque que soutiendront finalement, après bien des hésitations, Anglais, Français et Russes, la Royal Navy bombarde le port de Mokka au Yémen du 4 au 20 décembre 1820, afin de faire fléchir l’Imam local. Le 15 janvier 1821, celui-ci accepte les “capitulations” qui lui sont imposées: il doit respecter les “droits du résident anglais” et reconnaître la juridiction britannique sur tous les sujets de Sa Majesté vivant ou circulant au Yémen. En outre, il doit limiter les droits d’entrée de toutes les marchandises anglaises qui arrivent sur son territoire: c’est une application claire et nette des principes de l’ “impérialisme libre-échangiste”, pratiqué par l’Angleterre au 19ème siècle qui vise à lui assurer des débouchés, à briser les résistances locales et les barrières douanières et à garder les monopoles qu’elle a acquis en tant que première puissance industrielle. Quelques mois plus tard, les Anglais placent sous la protection de leur flotte l’Emir de Bahrein. La thalassocratie britannique est dorénavant présente à l’entrée de la Mer Rouge et dans le Golfe; elle en verrouille les accès. Petit à petit, elle se rend maîtresse de l’Océan Indien, océan du milieu, garant, pour qui le contrôle, de la maîtrise du globe. La logique de cet impérialisme, et les pratiques destinées à en assurer la longue durée, seront théorisées tout au début du 20ème siècle par deux géopolitologues: Halford John Mackinder et Homer Lea. Mutatis mutandis, ces règles servent encore pour étayer la stratégie américaine au Moyen Orient, en Afghanistan et au Pakistan, cette fois, sans la maîtrise directe de l’Inde, mais avec la maîtrise d’une île minuscule, celle de Diego Garcia, où se concentrent un arsenal moderne de bombardiers lourds à long rayon d’action et une flotte, épaulée par des porte-avions, véritables îles mobiles capables de frapper l’intérieur des terres sans donner prise à un ennemi dépourvu d’armes de ce genre.
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mercredi, 13 janvier 2010
L'insegnamento della Costituzione di Fiume
L'insegnamento della Costituzione di Fiume |
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Scritto da Giorgio Emili |
La politica si spezza il cuore a forza di predicozzi e buoni sentimenti, nell’era del conflitto sociale. La Costituzione italiana – serve parlar chiaro - in molte parti nasconde questa realtà. |
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mardi, 12 janvier 2010
Quis contra nos? Gabriele d'Annunzio et la Marche sur Fiume
Peter VERHEYEN:
Quis contra nos?
Gabriele d’Annunzio et la Marche sur Fiume
Dans l’histoire, nous trouvons bon nombre de figures difficilement classables dans une catégorie proprette et bien définie. Elles nous apprennent que les clivages entre la gauche et la droite, entre le conservatisme et le progressisme ne sont finalement que des clivages entre « concepts conteneurs » aux contours médiocrement balisés, que l’on peut sans doute appliquer aux politicards sans intérêt qui sévissent de nos jours mais qui n’ont aucune pertinence dans la réalité, en dehors des tristes et inutiles baraques à parlottes que sont devenus les parlements. Gabriele d’Annunzio est l’exemple d’un penseur original, de la trempe de ceux que l’on ne rencontre pas tous les jours. Ce poète excentrique, cet aviateur et ce révolutionnaire demeure, encore de nos jours, une personnalité dont on peut s’inspirer ; ce n’est donc pas un hasard si son portrait orne un certain mur de la « Casa Pound » de Rome, le magnifique squat occupé aujourd’hui par des nationaux révolutionnaires dans la capitale italienne. Sa Marche sur Fiume en septembre 1919 et l’occupation de la ville qui s’ensuivit et dura quinze mois, n’a pas seulement été une entreprise toute d’ardeur et de témérité : elle a donné le ton pour d’autres générations de nationalistes révolutionnaires, d’anarchistes et d’autres esprits libres de l’entre-deux-guerres et, même, d’époques ultérieures. Le concept de « Zone Temporaire Autonome », telle que décrite dans les travaux de l’anarchiste Hakim Bey, a finalement été traduit dans le réel, et pour la première fois, à Fiume. La ville est ainsi devenue un microcosme où les rêves les plus radicaux, quels qu’ils soient, ont reçu la chance de se développer. Il serait dès lors dommage de dénigrer la Marche sur Fiume comme un simple précédant de la Marche sur Rome de 1922.
Dès son plus jeune âge, d’Annunzio avait lu Shakespeare et Baudelaire et ses premiers pas de poète, il les a faits dans le sillage du poète italien Giosué Carducci. L’influence de Nietzsche fut grande chez lui et le leitmotiv du « surhomme » devint rapidement central dans son œuvre. Il en déduisit un rôle important à accorder à l’héroïsme. Il hissa le culte éthique de la beauté, propre de l’héritage latin antique, au-dessus des fausses valeurs de l’industrialisme et du matérialisme. Il se dressa contre le positivisme et proclama qu’il ne voulait plus entendre de « vérité » mais voulait, plus simplement, posséder un rêve. C’est en ces années de maturation que l’influence de Nietzsche se fit fortement sentir sur d’Annunzio : il en vint à prêcher l’avènement d’une aristocratie spirituelle, arme contre la morale bourgeoise, et à concentrer ses efforts pour faire advenir une ère nouvelle. Avant la première guerre mondiale, sa pensée avait influencé le mouvement futuriste mais le fondateur du futurisme, Tomaso Marinetti, considérait que d’Annunzio était un personnage appartenant au passé. Après avoir séjourné un certain temps en France, il revint en Italie en 1915, en suscitant un énorme intérêt et pour participer aux combats de la guerre. Il avait déjà 52 ans au moment où elle éclata mais cela ne l’empêcha pas de se porter volontaire pour commander une division de cavalerie et la mener au feu, contre les puissances centrales. Il acquis bien vite le statut de héros, notamment en lançant une attaque contre les tranchées ennemies, vêtu d’une longue cape flottante jetée sur ses épaules et armé seulement d’un pistolet. Autre geste héroïque qu’il convient de rappeler : il s’envola un jour, à bord d’un avion, pour lancer des tracts sur Vienne, ce qui lui permit d’obtenir la « médaille d’or », la plus haute décoration honorifique d’Italie.
Lors de la conférence préludant au Traité de Versailles en 1919, l’Italie exigea le port de Fiume. Mais le sort de la ville était scellé, semble-t-il. En Italie, un sentiment général prenait le dessus : celui de subir une « victoire mutilée », concept forgé par d’Annunzio lui-même. La situation était devenue explosive, d’autant plus que l’état de l’économie se détériorait considérablement, avec son cortège de millions de chômeurs et l’atmosphère prérévolutionnaire que cette misère impliquait.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France voulaient que Fiume fasse partie du nouvel Etat, né de Versailles : la Yougoslavie unitaire. Les alliés occidentaux occupent le port pour concrétiser leur volonté. En août 1919, les troupes italiennes sont contraintes de quitter la ville après quelques fusillades échangées avec des soldats français. Un petit groupe d’officiers, qui avaient dû quitter le port adriatique, s’est alors adressé à d’Annunzio, pour lui dire : « Nous l’avons juré : ou nous reprenons Fiume ou nous mourrons. Et que faites-vous pour Fiume ? ». Le 12 septembre 1919, pour répondre à ce défi, d’Annunzio, gravement malade, marche sur Fiume à la tête de deux mille légionnaires italiens, qui avaient déserté et s’étaient affublés de chemises noires ; leurs colonnes avancèrent en chantant « Giovinezza » et prirent la ville. Fiume était soudainement devenue le symbole de la liberté qui se dressait contre la lâcheté du temps. En fait, Fiume était devenue non seulement le symbole de la « victoire mutilée », qu’on essayait de réhabiliter, mais aussi le symbole de la « latinité ». En dehors de la ville, d’Annunzio rencontre le général italien Vittorio Emanuele Pittaluga, qui commandait les forces italiennes présentes devant la cité. Il donna l’ordre à d’Annunzio de faire demi-tour, mais le poète-soldat sortit son atout et lui montra fièrement ses médailles. Le général Pittaluga n’eut pas le cœur de faire tirer sur le héros. Ils entrèrent tous deux dans la ville sans qu’un seul coup de feu n’ait été tiré. Les alliés, abasourdis, furent contraints de quitter les lieux et d’Annunzio annonça qu’il avait l’intention d’occuper la ville jusqu’à ce qu’elle soit annexée à l’Italie. Il prit le titre de « Commandante » et, quelques semaines plus tard, sept mille légionnaires supplémentaires et quatre cent marins vinrent renforcer ses effectifs.
Les légionnaires de d’Annunzio se prononçaient en faveur de la liberté des peuples opprimés et tournaient leurs regards vers les expériences du tout jeune régime soviétique. D’Annunzio entra également en contact avec Sean O’Kelly, le futur président de l’Irlande, qui représentait le « Sinn Fein » à Paris ; ensuite, avec des nationalistes égyptiens et avec les autorités soviétiques. Le 28 avril 1920, il met sur pied une « Ligue de Fiume » pour faire contrepoids à la « Société des Nations ». Vladimir Lénine citait d’Annunzio comme « l’un des rares révolutionnaires d’Italie », un compliment qu’il avait préalablement adressé à Mussolini. Ces faits nous montrent que les extrêmes se touchent effectivement, même si d’actuels bourgeois trotskisants ne l’admettront jamais.
La « Carta del Carnaro » : base de l’Etat Libre de Fiume
L’Etat Libre de Fiume reposait sur des idées proto-fascistes, sur des idées républicaines et démocratiques antiques et sur quelques formes d’anarcho-syndicalisme : en ce sens, il exprimait un éventail bigarré mais intéressant d’idées fortes, issues de trois sphères intellectuelles fort différentes. D’Annunzio et l’anarchiste national-syndicaliste Alceste de Ambris rédigèrent le 27 août 1920 la constitution de Fiume, intitulée « Carta del Carnero » ; elle hissait la musique au rang de principe cardinal de l’Etat. D’après Gabriele d’Annunzio, la musique est un langage rituel, disposant du pouvoir d’exalter les objectifs de l’humanité. Les idées développées dans cette « Carta del Carnero » étaient inspirées du syndicalisme, surtout de ses éléments corporatifs. Les principes d’autonomie, de production, de communauté et de corporatisme y étaient tous importants. Inspirés par l’antiquité, les libérateurs de Fiume firent de la Cité une république, avec un régent comme chef d’Etat, qui, comme sous la république romaine, devait diriger la Cité avec des pouvoirs dictatoriaux si l’époque était soumise à un danger particulièrement extraordinaire. Autre élément important : la décentralisation complète, afin de dégager le politique autant que possible du parlement et de le ramener sur la « piazza », sur la place publique, sur le forum, de façon à ce que les simples citoyens soient tous impliqués dans le fonctionnement de la politique de la cité.
Les méchantes langues diront que c’est là du populisme mais, en fait, cette disposition rappelait la démocratie antique où un droit civil positif incitait les citoyens à participer aux débats politiques. Le parlement ne recevait dans cette « Carta » qu’un rôle peu signifiant, tandis que neuf corporations, qui accueillaient l’ensemble des citoyens et étaient basées sur leurs activités économiques, étaient destinées à gouverner véritablement. On créa même une dixième corporation, pour souligner l’importance du facteur spirituel : « … elle sera réservée aux forces mystérieuses du progrès et de l’aventure. Elle sera une sorte d’offrande votive au génie de l’inconnu, à l’homme du futur, à l’idéalisation espérée du travail quotidien, à la libération de l’esprit de l’homme au-delà des efforts astreignants et de la sueur sanglante que nous connaissons aujourd’hui. Elle sera représentée dans le sanctuaire civique par une lampe allumée portant une ancienne inscription en toscan, datant de l’époque des communes, qui appelle à une vision idéale du travail humain ; « Fatica senza fatica » » (article 9, Carta del Carnero).
A côté de ces corporations, les citoyens et la commune se voient octroyer, eux aussi, un rôle important. Les citoyens obtiennent leurs droits politiques et civiques dès l’âge de 20 ans. Tous, hommes et femmes, reçoivent le droit de vote (1) et peuvent, par l’intermédiaire d’institutions législatives, lever l’impôt dans le but de mettre un terme à la lutte entre le travail et le capital. La commune, elle, était basée sur le « potere normativo », le « pouvoir normatif », c’est-à-dire le pouvoir de soumettre le législatif aux lois coutumières.
La marine de Fiume se nommait « les Uscocchi », d’après le nom de pirates disparus depuis longtemps et qui avaient vécu jadis dans les îles de l’Adriatique, pas très éloignées de Fiume, et prenaient pour proies les bateaux marchands vénitiens et ottomans. Les Uscocchi modernes ont permis ainsi à Fiume de s’emparer de quelques navires bien chargés et de s’assurer de la sorte une plus longue vie. Artistes, figures issues de la bohème littéraire, homosexuels, anarchistes, fuyards, dandies militaires et autres personnages hors du commun se rendirent par essaims entiers à Fiume.
Fiume fut une république bizarre et excentrique, que l’on peut aussi qualifier de « décadente ». Chaque matin, d’Annunzio y lisait ses poésies du haut de son balcon et, chaque soir, il organisait un concert, suivi d’un feu d’artifice. Dans la constitution, l’enseignement se voyait attribuer un grand rôle, avec usage fréquent de poésie, de littérature et de musique dans les classes (articles 50 à 54 de la « Carta del Carnero »). Cette légèreté et cette superficialité apparentes exprimaient surtout l’autonomie et la liberté, n’étaient pas signes de décadence. Cependant, les problèmes ne tardèrent pas à survenir : ils se sont manifestés par des divergences idéologiques. Au départ, d’Annunzio voulait rendre Fiume à l’Italie, avait agi pour que Rome annexe la ville portuaire adriatique mais ses compagnons légionnaires ne voyaient pas l’avenir de cette façon. D’Annunzio, tourmenté par le doute, a fini par renoncer, lui aussi, à son idée initiale. L’un des corédacteurs de la constitution de Fiume, l’anarcho-syndicaliste Alceste de Ambris, plaidait pour une alliance entre les éléments fascistes de gauche et les révolutionnaires de gauche, mais elle ne se concrétisa jamais. L’objectif d’Alceste de Ambris était d’exporter la révolution de Fiume vers l’Italie toute entière mais, comme on le verra par la suite, Mussolini s’y opposait, tout en glissant petit à petit vers des options de droite. Cette mutation dans l’esprit de Mussolini, dira de Ambris, fera de lui « un instrument antirévolutionnaire aux mains de l’établissement bourgeois ».
La fin rapide de l’expérience insolite et originale que fut l’Etat Libre de Fiume vint au moment où Giolitti succéda à Nitti au poste de premier ministre en Italie. En novembre 1920, Giolitti signe à Rapallo un traité avec le nouvel Etat yougoslave. Ce traité fixe les frontières définitives entre les royaumes de Yougoslavie et d’Italie. Ce traité était à l’avantage de l’Italie : elle recevait l’Istrie, la région située à l’Est de la Vénétie ; Fiume devenait une ville-Etat indépendante. D’Annunzio, pour sa part, refusait de se retirer de Fiume ; Giolitti décida de faire donner l’armée pour le déloger. L’armée régulière prend la ville. Mussolini déclare : « maintenant l’épine enfoncée dans le flanc de Fiume est ôtée ; la rage de détruire, le feu de la destruction qui avait pris à Fiume n’a pas incendié l’Italie ni même le monde ». Lors des combats, commencés le 24 décembre 1920, il y eu 52 morts. Les trois mille hommes de d’Annunzio, après quatre jours de combat, se rendirent à l’armée régulière, forte de 20.000 hommes. L’Etat Libre de Fiume, qui fut éphémère, représente une révolte héroïque et passionnée contre la modération, incarnée par les autorités officielles de l’Italie. Même si l’on peut considérer que l’expérience de d’Annunzio était dès le départ condamnée à une fin prématurée, il faut dire que le souvenir de Fiume demeurera, comme un espoir général et comme source d’inspiration du futur fascisme.
D’Annunzio, effectivement, inspira Mussolini qui reprendra certains de ses emblèmes comme les chemises noires, oripeaux des combattants « arditi » de la première guerre mondiale, ces troupes de choc et d’élite de l’armée italienne ; Mussolini reprendra aussi une bonne part des us et de la terminologie de d’Annunzio. Mais tout cela n’était pas vraiment nouveau. Giuseppe Garibaldi, fondateur de l’Italie moderne, avait déclaré, en insistant, que les Italiens devaient s’habituer à l’idée de porter des chemises de couleur, car elles étaient le symbole de toutes les causes visant l’émancipation. Même le terme « fascio », d’où dérive le mot « fascisme » et qui signifie « groupe » ou « ligue », avait une longue tradition déjà dans la terminologie de la gauche italienne. En 1872, Garibaldi avait fondé un « fascio operaio », un « faisceau ouvrier », et, en 1891, apparaît un groupe d’extrême gauche qui a pour nom « Fascio dei Lavoratori », le « faisceau des travailleurs ». En dehors d’Italie, le mot « fascio » existe et exprime une idée de force, reprise par toutes sortes d’organisations politiques. A l’instar du futur fascisme, d’Annunzio exalte la violence et l’action héroïques et méprise le socialisme et le mode de vie bourgeois. Les marches de masse, dont la Marche sur Fiume fut le modèle initial, étaient considérées par les contemporains comme une réaction disciplinée, héroïque et collective contre le grand anonymat qu’imposait l’idéologie bourgeoise. La rébellion des jeunes hommes de gauche contre un socialisme perçu comme bourgeois et oppresseur, comme mou et antirévolutionnaire, était un trait commun aux légionnaires de Fiume et aux miliciens fascistes. Tous se réclamaient d’une puissance italienne, qui devait s’exprimer sur les plans militaire, culturel et sexuel.
Quelle leçon devons-nous tirer aujourd’hui de la Marche sur Fiume ? Tout d’abord, et c’est indubitablement la leçon principale qu’elle nous donne, c’est que la pensée politique ne peut pas, ne peut plus, se limiter aux concepts conteneurs conventionnels que sont le conservatisme, le progressisme, la gauche et la droite, etc. Toute pensée révolutionnaire s’exprime par la parole et par l’action, et ne met jamais d’eau dans son vin. Les compromis sont de simples instruments de la politique politicienne, axée sur les comptabilités électorales ; ils sont toutefois autant de coups de poignard dans les idéaux révolutionnaires. La prise de Fiume et la constitution qui s’ensuivit ont constitué le premier exemple de ville-Etat de facture utopique et poétique dans l’histoire contemporaine. Gabriele d’Annunzio était tout à la fois révolutionnaire, poète, guerrier, chef et philosophe. Fiume nous apprend a élargir notre propre horizon philosophique, lequel ne doit jamais se laisser aveugler par les compromis ni chavirer dans la médiocrité. Dans un régime où ont cohabité l’anarcho-syndicalisme, le proto-fascisme et l’idéal de la démocratie et de la république antiques, il n’y avait pas de place pour le bourgeoisisme passif, celui qui aime tant se laisser enchaîner par le conformisme moral et social et refuse d’emprunter une voie propre et héroïque :
Tutto fu ambito
e tutto fu tentato.
Ah perchè non è infinito
Come il desiderio, il potere umano ?
Cosi è finito il sogno fiumano.
NON DVCOR, DVCO !
Gridiamo ancora Noi,
per ricordare e per agire !
(Nous avons tout voulu,
nous avons tout tenté.
Et pourquoi donc le pouvoir humain
n’est-il pas aussi infini que le désir ?
C’est ainsi que finit le rêve de Fiume.
NON DVCOR, DVCO !
crions-nous encore,
pour nous souvenir et pour agir !) (2)
Peter VERHEYEN v/o Pjotr,
Scriptor NSV !’09-’10,
Stud. rer. hist..
( branding@nsv.be ).
Notes :
(1) Deux instances constituent le pouvoir exécutif : un Conseil de Sénateurs auquel peuvent appartenir tous les citoyens qui disposent de leurs droits politiques. la deuxième instance est le Conseil des « Provisori », composé de soixante délégués, élus au suffrage universel et selon une représentation proportionnelle. Y siègent des ouvriers, des marins, des patrons d’entreprise, des techniciens, des enseignants, des étudiants et des représentants d’autres groupes professionnels.
(2) Texte d’une chanson intitulée « NON DVCOR, DVCO » du groupe italien « Spite Extreme Wing ».
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lundi, 11 janvier 2010
1941: les Soviétiques préparaient la guerre
Archives de Synergies Européennes - 1991
1941: les Soviétiques préparaient la guerre!
par le Dr. Heinz MAGENHEIMER
Professeur à l'Université de Salzbourg,
Membre de l'Académie de la Défense de Vienne
Pendant des décennies, l'attaque allemande contre l'Union Soviétique, commencée le 22 juin 1941, a été considérée comme l'exemple par excellence d'une guerre d'extermination, préparée depuis longtemps et justifiée par des arguments raciaux. L'historiographie soviétique qualifiait en outre cette guerre de «guerre de pillage» et ajoutait que l'Allemagne avait trahi ses promesses, avait rompu la parole donnée. Jusqu'en 1989, le Pacte Hitler/Staline des 23 et 24 août 1939 avait été interprété de cette façon dans l'apologétique soviétique. L'observateur des événements était littéralement noyé sous un flot d'arguments qui visaient à étayer au moins deux thèses: 1) La signature du traité a empêché Moscou d'être impliqué dans les premiers événements de la guerre européenne, qui aura ultérieurement comme victime principale l'URSS; 2) Le pouvoir soviétique a vu d'avance le plan des «impérialistes» et l'a contrecarré; il visait à détourner l'armée allemande vers l'Est. L'Union Soviétique aurait ainsi été la victime, à l'été 1941, de sa fidélité à la lettre du pacte et de sa volonté de paix. Cette loyauté, l'URSS l'a payée cher et a failli être complètement détruite sur le plan militaire.
Des experts soviétiques réfutent l'interprétation officielle
Depuis 1989, cette vision de l'histoire contemporaine a été largement réfutée. Des experts soviétiques, dont V. Dachitchev, estiment désormais que le Pacte des 23 et 24 août 1939 a constitué une lourde erreur de la politique étrangère soviétique (cf. Hans-Henning Schröder, Der Zweite Weltkrieg, Piper, München, 1989). Bien sûr, on parle encore et toujours de la guerre germano-russe comme d'une «guerre d'anéantissement justifiée par une idéologie racialiste», notamment dans les écrits, y compris les derniers, de l'historien Andreas Hillgruber (cf. Zweifacher Untergang, 1986). Mais les préoccupations qui dominent, actuellement, chez les spécialistes de l'histoire contemporaine, sont celles qui concernent les multiples facettes du processus de décision: outre la volonté d'expansion de Hitler, on examine désormais la logique, certes subjective, qui a fait que l'Allemagne a choisi la solution militaire pour règler le problème que constituait l'URSS dans le contexte stratégique du printemps 1941. On étudie ensuite ce qui opposait de façon irréconciliable les idéologies au pouvoir en URSS et dans le Troisième Reich, tout en essayant de comprendre quelles étaient les arrière-pensées de Staline en ce qui concerne l'Europe. Résultat de ces investigations: on se demande si l'attaque allemande n'a pas été finalement une attaque préventive, vu ce qui s'annonçait à moyen ou long terme. Ernst Topitsch est de cet avis depuis longtemps et a étayé solidement sa thèse dans Stalins Krieg (2ième éd., 1986). Quant à Viktor Souvorov, dans Le brise-glace (Olivier Orban, Paris, 1990), il a illustré cette thèse à grand renfort de preuves.
Staline avait le temps pour lui
Cela n'aurait guère de sens de revenir sur la vieille querelle quant à savoir si l'attaque de la Wehrmacht a été dictée essentiellement par des considérations d'ordre stratégique et politique ou par des motivations d'ordre idéologique. Il me semble plus utile, d'un point de vue historique, de chercher à cerner la raison première et fondamentale qui a fait que l'état-major allemand s'est décidé à passer à l'attaque. Cet état-major s'est dit, me semble-t-il, qu'attendre passivement rendait jour après jour le Reich plus dépendant de la politique de Staline; une telle dépendance aurait finalement créé des conditions défavorables pour l'Allemagne dans sa guerre à l'Ouest et en Afrique. Hitler était bien conscient du risque énorme qu'il y avait à ouvrir un second front, à parier pour l'offensive: il l'a clairement fait savoir à ses généraux, dont la plupart étaient trop optimistes.
Les papiers de Joukov
Les historiens qui affirment que les motivations idéologiques à connotations racistes ont été les plus déterminantes, sous-estiment trop souvent les préoccupations stratégiques; en effet, dès le début de l'automne 1940, la situation, pour l'Allemagne, était alarmante; l'état-major devait le reconnaître, si bien que son chef, le Général Halder craignait, dès avril 1941, une attaque préventive des Soviétiques. Aujourd'hui, après qu'on ait publié les papiers du Maréchal Georgy Joukov et qu'on y ait découvert des documents d'une importance capitale, non seulement on sait que l'Armée Rouge s'était mise en branle, que ses manœuvres avaient un caractère offensif, surtout dans les quatre districts militaires de l'Ouest mais on sait également, d'après des sources attestées, que les autorités militaires soviétiques prévoyaient dès la mi-mai 1941 une attaque préventive limitée, au moins contre la Pologne centrale et la Haute-Silésie.
Staline a certes refusé ce plan, mais son existence explique néanmoins pourquoi les Soviétiques ont massé six corps mécanisés sur des positions en saillie du front (le premier échelon opérationnel soviétique comptait en tout et pour tout treize corps mécanisés), ont aligné cinq corps aéroportés, ont réaménagé les installations d'un grand nombre de terrains d'aviation pour bombardiers et pour chasseurs à proximité de la frontière et ont renoncé à renforcer la Ligne Staline, alors qu'elle aurait été excellente pour une bonne défense stratégique du territoire soviétique. Les papiers de Joukov nous permettent de comprendre pourquoi les grandes unités stationnées dans les régions frontalières n'ont pas reçu l'ordre de construire un système défensif en profondeur mais, au contraire, ont été utilisées pour améliorer les réseaux routiers menant à la frontière. Ces indices, ainsi que bien d'autres, ont été mis en exergue récemment par des historiens ou des publicistes soviétiques, dont Vladimir Karpov. Sur base de ces plans d'opération, le chef de l'état-major général soviétique, Joukov, en accord avec le Ministre de la Défense, Timochenko, voulait atteindre en trente jours la ligne Ostrolenka, Rive de la Narev, Lowicz, Lodz, Oppeln, Olmütz. Ensuite, Joukov prévoyait de retourner ses forces vers le Nord et d'attaquer et de défaire le centre des forces allemandes, ainsi que le groupe Nord des armées du Reich, massé en Prusse Orientale.
Je souligne ici que ce plan d'opérations ne signifie pas que les Soviétiques avaient définitivement décidé de passer à l'offensive. L'existence de ce plan ne constitue donc pas une preuve irréfutable des intentions offensives de Staline à l'été 1941. Mais ce plan nous permet d'expliquer bon nombre de petits événements annexes: on sait, par exemple, que Staline a refusé de prendre en considération les informations sérieuses qu'on lui communiquait quant à l'imminence d'une attaque de la Wehrmacht au printemps 1941. Or il y a eu au moins 84 avertissements en ce sens (cf. Gordievski/Andrew, KGB, 1990). Comme le prouvent les événements de la nuit du 22 juin, Staline voulait éviter toute provocation; peu de temps avant que le feu des canons allemands ne se mette à tonner au-dessus de la frontière soviétique, il a donné instruction à l'ambassadeur d'URSS à Berlin, de s'enquérir des conditions qu'il fallait respecter pour que les Allemands se tiennent tranquilles (cf. Erich E. Sommer, Das Memorandum, 1981).
Staline estime que
l'Armée Rouge n'est pas prête
Ce qui nous autorise à conclure que Staline cherchait à gagner du temps, du moins jusqu'au moment où le deuxième échelon stratégique, composé de six armées (77 divisions), puisse quitter l'intérieur des terres russes. Ce qui étaye également la thèse qui veut que Staline estimait que ses préparatifs offensifs, destinés à réaliser ses projets, n'étaient pas encore suffisants. Quoi qu'il en soit, au début de la campagne, les Soviétiques alignaient à l'Ouest, réserves comprises, 177 divisions, renforcées par au moins 14.000 chars de combat, environ 34.000 canons et obusiers et à peu près 5.450 avions d'attaque (61 divisions aériennes). Face à ces forces impressionnantes, la Wehrmacht n'alignait que 148 divisions, trois brigades, 3.580 chars de combat, 7.150 canons et environ 2.700 avions d'attaque.
Cette faiblesse des forces allemandes et l'improvisation dans l'équipement et l'organisation, permettent de soutenir la thèse que la décision d'ouvrir un front à l'Est ne découlait pas d'un «programme» concocté depuis longtemps (cf. Hartmut Schustereit, Vabanque, 1988). Beaucoup d'indices semblent prouver que Staline estimait que le conflit ouvert avec l'Allemagne était inéluctable. En effet, les avantages incontestables que le Pacte germano-soviétique offrait à Berlin (cf. Rolf Ahmann, Hitler-Stalin-Pakt 1939, 1989) n'avaient de valeur qu'aussi longtemps qu'ils facilitaient les opérations allemandes à l'Ouest.
C'est alors qu'un facteur a commencé à prendre du poids: en l'occurrence le fait que les deux camps percevaient une menace qui ne pouvait être éliminée que par des moyens militaires. Les ordres qui lancent déploiements ou opérations ne reflètent —c'est connu— que des jugements d'ordre politique. C'est pourquoi l'observateur se trouve face à une situation historique où les deux protagonistes ne réfléchissent plus qu'au moment opportun qui se présentera à eux pour déclencher l'attaque. Mais comme dans l'histoire, il n'existe pas d'«inéluctabilité en soi», la clef pour comprendre le déclenchement de l'«Opération Barbarossa» se trouve dans une bonne connaissance de la façon dont les adversaires ont perçu et évalué la situation. De cette façon seulement, l'historien peut «vivre rétrospectivement et comprendre» (comme le disait Max Weber), le processus de décision. On peut ainsi acquérir un instrument pour évaluer et juger les options politiques et stratégiques qui se sont présentées à Berlin et à Moscou au cours des années 1940 et 1941. L'Allemagne tentait, en prestant un effort immense qu'elle voulait unique et définitif, de créer un imperium continental inattaquable; l'URSS tentait de défendre à tout prix le rôle d'arbitre qu'elle jouait secrètement, officieusement, en Europe.
Dr. Heinz MAGENHEIMER.
(texte issu de Junge Freiheit, juin 1991; adresse: JF, Postfach 147, D-7801 Stegen/Freiburg).
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dimanche, 10 janvier 2010
La "Bulle d'or" est proclamée...
10 janvier 1356: L’Empereur du Saint Empire Romain de la Nation Germanique, Charles IV, proclame la “Bulle d’Or”, un édit impérial qui fixe les règles déterminant l’élection des rois germaniques et les droits des princes électeurs (Kurfürsten), sans prévoir un quelconque assentiment du Pape. Les électeurs sont au nombre de huit: les archevêques de Cologne, de Mayence et de Trêves, le roi de Bohème, le comte palatin du Rhin, le Duc de Saxe-Wittemberg, le margrave de Brandebourg.
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vendredi, 08 janvier 2010
Catherine II prend la Crimée
8 janvier 1784 : Le Sultan ottoman est contraint de céder la Crimée à la Tsarine Catherine II. Celle-ci avait pour politique principale d’étendre la Russie vers le Sud, vers la Mer Noire et le monde grec. Elle avait tourné le dos à la politique russe antérieure, qui était de prendre la Baltique toute entière et d’affronter, pour y parvenir, le royaume de Suède et la Pologne. Catherine II tourne donc toutes ses forces vers le Sud. L’année précédente, elle avait protégé le khan de Crimée contre ses sujets révoltés, alors que ce khan était vassal de la Sublime Porte. Celle-ci est trop affaiblie pour réagir, et l’ambassadeur de France, Vergennes, dissuade le Sultan de riposter. Vergennes participe à une grande politique continentale : la France n’est plus l’ennemie de l’Autriche, car Louis XVI a épousé Marie-Antoinette ; et Joseph II, Empereur d’Autriche, qui a succédé en 1780 à sa mère Marie-Thérèse, souhaite la paix avec la France et avec la Russie. Implicitement, il existe à l’époque un Axe Paris/Vienne/Saint-Pétersbourg, donc une sorte de bloc eurasiatique ou eurosibérien avant la lettre. Quand Catherine II prend la Crimée, en rêvant d’y réaliser une synthèse russo-germano-grecque, l’Empereur Joseph II gagne pour l’Autriche le droit de faire circuler ses navires dans les Détroits. Contrairement à ce qui va se passer à la fin du 19ème siècle, après l’occupation de la Bosnie par les Autrichiens en 1878, il n’y avait pas, au départ, d’animosité russo-autrichienne, mais un franc partage des tâches, dans une harmonie européenne, que la révolution française, invention des services de Pitt le Jeune, va ruiner.
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8 janvier 1792: Traité de Jassy
8 janvier 1792: Comme les souverains de Prusse et d’Autriche souhaitent mobiliser tous les efforts militaires de l’Europe pour vider le chancre de la révolution française, pure fabrication des services secrets de Pitt le Jeune et non soulèvement populaire et “démocratique” comme le veulent les légendes colportées depuis lors, les Autrichiens sont contraints d’abandonner toutes les conquêtes récentes qu’ils venaient de faire dans les Balkans. A cause des voyous parisiens stipendiés par l’Angleterre, la Russie se retrouve seule face aux Ottomans de Sélim III qui tentent de profiter de l’aubaine pour réaffirmer leur présence en Serbie. Le peuple serbe est l’une des premières victimes collectives du chancre sans-culottes, on l’oublie trop souvent, car les Autrichiens, pour faire face à une France dévoyée ont dû suspendre leur protection et ramener une bonne partie de leurs troupes à l’Ouest, où l’alliance implicite de la France et de l’Autriche, sous Louis XVI et Joseph II, les avait rendues inutiles. Néanmoins, l’armée de la Tsarine Catherine II parvient à écraser les troupes ottomanes à Mashin, le 4 avril 1791. Le Sultan ne peut plus formuler d’exigences. Il devra entériner le Traité de Jassy, signé le 8 janvier 1792.
Dans les clauses de ce Traité, les Ottomans acceptent l’annexion de la Crimée à la Russie et la suzerainté russe sur la Géorgie othodoxe, libérée du joug musulman. Le Dniestr devient la frontière entre les empires russe et ottoman. Cette extension russe permet aux Tsars de dominer la Mer Noire, ce qui leur vaudra l’inimitié tenace de l’Angleterre, une inimitié qui se concrétisera lors de la fameuse Guerre de Crimée (1853-1856), où la France sera entraînée. Ensuite, la présence russe sur le Dniestr pèse sur les “Principautés” danubiennes, la Moldavie et la Valachie, que Vienne entendait dominer afin de contrôler l’ensemble du cours du Danube, jusqu’à son delta et d’obtenir ainsi une fenêtre sur la Mer Noire. Le Traité de Jassy jette donc aussi les bases de l’inimitié entre la Russie et l’Autriche, qui compliquera considérablement la diplomatie du 19ème siècle et constituera l’un des motifs de la première guerre mondiale.
Si l’on jette un coup d’oeil sur la situation actuelle dans la région, nous constatons que les Etats-Unis ont repris en quelque sorte le rôle de la thalassocratie anglaise: ils sont les protecteurs de la Turquie, en dépit d’une mise en scène où celle-ci fait semblant de branler dans le manche et d’adopter, avec Davutolgu, une diplomatie autonome; en tant qu’héritiers de la politique pro-ottomane de l’Angleterre du 19ème siècle, ils veillent aussi à détacher la Crimée de la sphère d’influence moscovite, en pariant sur le contentieux russo-ukrainien et, aussi, à arracher la Géorgie orthodoxe à l’influence russe. Les Etats-Unis ont pour objectif de défaire les acquis du Traité de Jassy de 1792. Nous constatons également que la frontière sur le Dniestr constitue aujourd’hui aussi un enjeu, avec la proclamation de la république pro-russe de Transnistrie, face à une Moldavie qui pourrait se joindre à la Roumanie et, ainsi, se voir inféodée à l’OTAN et à l’UE.
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dimanche, 03 janvier 2010
Les Finlandais bloquent l'Armée Rouge
3 janvier 1940: Après avoir bloqué l’offensive soviétique, les Finlandais constatent que l’Armée Rouge s’enterre le long de la frontière russo-finlandaise et la fortifie, manifestement en vue d’une future offensive, après les grands froids. Le 3 janvier, l’aviation finlandaise lance trois millions de tracts sur Leningrad, afin de démoraliser la population soviétique et de l’informer sur la situation réelle sur le front. Deux jours plus tard, les troupes du Maréchal finlandais Mannerheim encerclent la 18ème Division soviétique au nord du Lac Ladoga. Le 8 janvier, la 9ème Division finlandaise du Général Siilasvuo écrase deux divisions soviétiques, dont elle avait préalablement coupé les approvisionnements. La tactique des Finlandais est “de laisser la faim et le froid affaiblir l’ennemi”.
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samedi, 02 janvier 2010
Joseph II abolit la torture
2 janvier 1776 : L’Empereur Joseph II d’Autriche, despote éclairé, décide d’abolir la torture dans tous ses Etats. Joseph II entend modeler son système de pouvoir sur les idées nouvelles du 18ème siècle et “se débarrasser des fardeaux inutiles du passé”. Cette volonté de se débarrasser de toutes les bonnes vieilles habitudes de la tradition lui jouera des tours, notamment aux Pays-Bas où ses réformes seront mal accueillies et considérées comme tatillonnes, si bien qu’il récoltera le sobriquet de « roi sacristain » car il avait demandé de légiférer sur la longueur et l’épaisseur des bougies et cierges destinés au culte. De même, il vexera profondément les Hongrois, en ramenant à Vienne la Couronne de Saint-Etienne, qu’il portait au titre de Roi de Hongrie. Quant au palais royal de Prague, il le transformera en caserne de cavalerie, fasciné qu’il était par tout ce qui était « utile ». Joseph II introduit dans ses Etats disparates et composites un centralisme qui ne sera guère apprécié. Cet Empereur d’ancien régime, adepte du despotisme éclairé, a néanmoins « humanisé » les pratiques judiciaires, bien avant le triomphe des idées de 1789, qui, elles, feront un usage zélé de la guillotine.
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Le destin de Beppo Römer: des Corps Francs au Parti Communiste Allemand
Holger SZYMANSKI :
Le destin de Beppo Römer : des Corps Francs au Parti Communiste Allemand
Josef Römer, « Beppo » pour ses amis, était un ancien chef des Corps Francs allemands après 1918. Indubitablement, cette personnalité illustre est typique de ces destins troublés qui ont traversé le 20ème siècle.
Ceux qui s’intéressent à l’histoire allemande de la première moitié du 20ème siècle connaissent Römer : il fut l’un des initiateurs de l’assaut contre l’Annaberg en Silésie, une hauteur stratégique qui avait été occupée par des francs-tireurs polonais en mai 1921 ; ensuite, il fut un résistant à l’hitlérisme, exécuté en 1944. Entre l’héroïsme de l’Annaberg et la mort tragique de 1944, s’étend une période moins bien connue, celle où notre Capitaine mis à la retraite s’est d’abord engagé dans les rangs nationalistes puis, par le détour du national-bolchevisme, a fini par devenir un compagnon de route du communisme allemand. Pourtant ceux qui s’intéressent aux phénomènes de la « révolution conservatrice » et du national-bolchevisme ignorent une chose : Römer était déjà dans les années 20 un agent du service de renseignement de la KPD communiste allemande. Il y a déjà une quinzaine d’années, la maison d’édition Dietz de Berlin, inféodée à la SED, le parti unique de l’ex-Allemagne de l’Est, avait fait paraître un livre intitulé « Der Nachrichtendienst der KPD 1919-1937 » (= «Le service de renseignement du parti Communiste Allemande – 1919-1937 ») ; cet ouvrage est passé presque totalement inaperçu dans les milieux généralement intéressés à la « révolution conservatrice » et aux nationalismes allemands, sans doute à cause de sa provenance est-allemande et communiste.
Les auteurs de ce livre ont sans nul doute suscité des hauts le cœur chez les conservateurs et les nationaux : tous étaient jadis enseignants auprès de la « Hauptverwaltung Aufklärung » (« Administration Principale du Renseignement ») du Ministère de la Sécurité de l’Etat (la « Stasi »). Parmi eux, il y avait également le chef d’un département spécialisé « dans les recherches sur les problèmes spécifiques de lutte et de résistance antifascistes » ; lui aussi relevait du ministère du fameux Général Mielke. Pourtant, ces auteurs, contrairement à beaucoup d’autres historiens, avaient accès aux archives est-allemandes et toutes les références qu’ils citent dans leur livre sont vérifiables dans la mesure où leurs sources sont dûment citées. Pour l’essentiel, nos ex-officiers est-allemands se basent sur les archives de la SED et sur celles du « Département IX/11 » de la Stasi. Aujourd’hui, tous ces documents ont été transférés aux Archives Fédérales (« Bundesarchiv »). A l’époque de la RDA, les résultats des recherches de nos auteurs étaient considérés comme « top secrets » et tenus sous le boisseau. La Stasi se voulait l’héritière du « service de renseignement » de la KPD.
D’après les travaux de nos historiens membres de la Stasi, les contacts de Beppo Römer avec les communistes remontaient à 1921 déjà et auraient été rendus possibles par l’entremise d’un député communiste du Landtag de Bavière, Otto Graf. Le service de renseignement du parti finit par prendre contact avec Römer à l’automne 1923. Römer revêtait une grande importance pour les communistes, car il était l’un des dirigeants de la Ligue Oberland (= « Bund Oberland »), issue du Corps Francs du même nom, qui avait joué un rôle important dans les combats de l’immédiat après-guerre. A ce titre, cette Ligue exerçait une grande influence dans le camp nationaliste. Nos auteurs est-allemands en arrivent dès lors à la conclusion suivante, après avoir dépouillé un grand nombre de documents archivés : « Römer fut l’un des informateurs les plus prolixes de la KPD sur le camp des radicaux de droite en Bavière ». La direction de la KPD était donc très bien informée sur la préparation, l’exécution et l’échec du putsch perpétré par Hitler les 8 et 9 novembre 1923.
Cependant, le travail des informateurs ne servait pas seulement à informer la direction de la KPD mais aussi et surtout à travailler à la dislocation des troupes d’auto-défense et de toutes les autres organisations de droite. Le domaine dans lequel ce travail de dislocation devait s’effectuer s’appelait tout simplement celui des « Fascistes » dans le langage des communistes. Travaillant sous la houlette de son chef, Otto Thomas, Beppo Römer, qui avait achevé des études, obtenu un diplôme et trouvé un emploi civil dans le domaine de l’économie, fonde, avec Ludwig Oestreicher, issu comme lui de la Ligue Oberland, et quelques autres amis, la revue « Die neue Front » (= « Le Front nouveau ») dont l’objectif était de promouvoir des volontés activistes d’orientation nationale-bolchevique parmi les anciens des Corps Francs ; remarquons que, dans le chef de Römer, c’est avec le concours de l’appareil de subversion de la KPD que de telles vocations doivent éclore. La revue ne suscite finalement pas grand intérêt et cesse bien vite de paraître.
Römer, libéré de ses tâches de publiciste, s’adonne alors plus intensément à l’espionnage économique et militaire auquel se livrent les communistes allemands pour le bénéfice de leurs camarades soviétiques. Dans ce contexte, Römer est arrêté le 30 septembre 1926 à Berlin. Grâce à une amnistie générale, il ne sera pas jugé. Römer se serait surtout intéressé à la production de gaz toxiques et à fournir des échantillons de produits finis.
Beppo Römer ne réapparaît sur la scène de la politique allemande qu’en 1931, lorsqu’apparaissent les groupes de travail « Aufbruch ». Ces cercles politiques voient le jour au moment où l’ancien lieutenant de la Reichswehr, Richard Scheringer, passe de la NSDAP hitlérienne à la KPD communiste. Scheringer, avec ses camarades Hanns Ludin (plus tard ambassadeur du Reich en Slovaquie pendant la seconde guerre mondiale et, à ce titre, exécuté en 1947) et Hans Friedrich Wendt, avait fait de la propagande pour la NSDAP au sein des forces armées. Les trois hommes avaient voulu mettre sur pied des « cellules NSDAP » dans l’armée. Lors du procès de la Reichswehr, qui s’est tenu à Ulm à l’automne 1931, Hitler a été appelé à la barre comme témoin et c’est là qu’il a prononcé son fameux « serment de légalité », par lequel il proclama que la NSDAP ne cherchait à atteindre le pouvoir que par des moyens légaux.
Scheringer purgea sa peine à Gollnow où, sous l’influence d’un détenu communiste, Rudolf Schwarz, il finit par adhérer à l’idéologie des Rouges. Rudolf Schwarz n’était pas le premier communiste venu mais avait été le responsable du département « Reichswehr » de l’appareil politico-militaire du parti. Le dirigeant actif, à l’époque, de cet appareil « M », Hans Kippenberger, fit sensation le 19 mars 1931 lorsqu’il annonça pendant un débat au Reichstag l’adhésion de Scheringer à la KPD. La démarche de Scheringer a permis à la KPD de pénétrer des strates sociales qui avaient été jusqu’alors sceptiques à son égard.
Pour consolider ces nouveaux contacts, Kippenberger décida de fonder une nouvelle revue, « Aufbruch - Kampfblatt im Sinne des Leutnants a. D. Scheringer » (= « Aufbruch – Feuille de combat selon les idées du Lieutenant e.r. Scheringer »). Dans un premier temps, les éditeurs de la publication furent l’ancien Premier Lieutenant de police Gerhard Giesecke et l’ancien représentant du Gauleiter NSDAP du Brandebourg, Rudolf Rehm. A partir de 1932, le Capitaine e.r. Dr. Beppo Römer prend en mains la rédaction de la revue. On ne peut affirmer avec certitude si Römer avait adhéré de facto à la KPD à cette époque. Il l’a nié plus tard en dépit d’une note émise par le journal communiste « Die Rote Fahne » en date du 22 avril 1932. Autour de la revue naissent les cercles « Aufbruch » : en 1933, il y en avait vingt-cinq, avec quelque 200 à 300 membres. Leur objectif était de recruter dans les cercles d’officiers des combattants contre le national-socialisme. A la tête de ces cercles se trouvait une « Commission dirigeante », composée de « camarades travaillant sur le mode de la conspiration ». Outre Römer, il y avait, parmi ces « camarades », un certain Dr. Karl-Günther Heimsoth, devenu célèbre par des lettres de sa main, très compromettantes pour son ami intime Ernst Röhm et relatives à l’homosexualité de ce dernier. Pour la KPD, l’existence des cercles « Aufbruch » constituait une formidable aubaine : celle de glaner quantité d’informations et de recruter de nouveaux agents. Après la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes en 1933, « Aufbruch » et les cercles qui gravitaient autour de la revue sont interdits. Bon nombre de leurs activistes, y compris Beppo Römer, sont placés en garde à vue ou fuient vers l’étranger. Plus tard, Beppo Römer se joindra à divers mouvements de résistance ; le dernier auquel il adhéra fut d’obédience communiste et sous la direction de Robert Uhrig. Cette adhésion constitua le motif de son arrestation au début de l’année 1942, de sa condamnation à mort et de son exécution, le 25 septembre 1944 à Brandenburg-Görden.
Au vu de toutes ces activités au profit du service de renseignement de la KPD, Römer apparaît plutôt aujourd’hui comme un véritable agent communiste et non pas comme un visionnaire rêvant de forger un Axe Berlin-Moscou, comme on l’a cru pendant très longtemps.
Holger SZYMANSKI.
(article paru dans la revue « Deutsche Stimme », février 2008 et sur http://www.deutsche-stimme.de/ - trad.. franc. : Robert Steuckers).
Bibliographie :
Bernd KAUFMANN et al., « Der Nachrichtendienst der KPD – 1919-1937 », Dietz Verlag, Berlin, 1993, 462 pages.
Pour tous les éléments biographiques relatifs à la personnalité de Beppo Römer, se référer au « Taschenkalender des nationalen Widerstandes 2007 », où ses activités d’agent communiste ne sont toutefois pas évoquées.
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mercredi, 30 décembre 2009
Wang Tsing-wei s'engage pour le "nouvel ordre asiatique"
30 décembre 1939: Les Japonais trouvent des alliés en Chine parmi les dissidents du Kuo-Min-Tang (KMT) nationaliste. Leur chef de file est Wang Tsing-wei, ancien ministre des affaires étrangères du KMT, donc une figure de proue et non un militant subalterne de cette formation nationaliste et républicaine chinoise. Wang Tsing-wei avait été l’un des principaux concurrents de Tchang Kai-chek dans la lutte pour la direction du KMT. Evincé, il se met au service d’une politique japonaise prônant la paix et invitant tous les Asiatiques à construire le “nouvel ordre asiatique” ou la “sphère de coprospérité d’Asie orientale”. Il s’était réfugié d’abord à Hanoï en Indochine française et, de là, avait appelé à cette paix voulue par les Japonais.
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mardi, 29 décembre 2009
Chine: l'impact psychologique de la révolte "Taiping" (1851-1864)
« Moestasjrik » : ‘t Pallieterke :
Chine : l’impact psychologique de la révolte « Taiping » (1851-1864).
Quand on se demande pourquoi les autorités politiques séculières ont si peur des mouvements religieux sectaires, comme, par exemple, l’actuel régime chinois, dont le communisme est devenu « soft », craint la secte Falungong, il faut étudier l’histoire de la révolte Taiping qui, entre 1851 et 1864, a ravagé la Chine centrale et méridionale en faisant près de vingt millions de morts, plus encore que la première guerre mondiale en Europe.
La révolte a été dirigée par une figure prophétique typique, Hong Xiuquan, qui s’était converti au protestantisme et imaginait être le frère de Jésus Christ. Conséquence des traductions lacunaires de la Bible en chinois, sa théologie chrétienne était largement « déviationniste ». Il n’acceptait que Dieu le Père, rejetait la Sainte Trinité et, bien sûr aussi, le précepte de la foi qui veut que Jésus ait été « le seul et unique fils de Dieu », puisqu’il y en avait deux : Jésus et lui-même ! Le compagnon de Hong, Yang Xiuqing imaginait qu’il était, lui aussi, un prophète mandaté par Dieu.
L’aventure commença par une révolte dans une ville de Chine du Sud, Jintian, en janvier 1851, soulèvement populaire qui parvint à mettre en déroute les troupes impériales. En 1851, Hong proclame dans cette ville le « Taiping Tianguo », c’est-à-dire « le royaume céleste de la paix suprême ». Dans les masses déshéritées, il parvient à recruter un grand nombre d’adeptes, surtout au sein de la minorité non chinoise des Zhuang et dans la strate sociale des migrants intérieurs de Chine, les Keija ou Hakka. Son armée compta bien vite un bon million de combattants. Elle conquit la grande métropole de la Chine du Sud, Nanjing (« la capitale du Sud ») et en fit la capitale de Hong, après l’avoir débaptisée et renommée « Tianjing » (« la capitale céleste »). La moitié supérieure de l’uniforme des combattants Taiping était rouge et la partie inférieure, bleue. Ces combattants portaient les cheveux longs, d’où leur surnom de « changmao » (= les hommes aux longs cheveux »).
Les partisans Taiping ne se sont pas donné la peine d’intéresser les classes supérieures à leur cause. Hong appelait systématiquement l’empereur le « roi de l’enfer ». Il expropriait les grands propriétaires terriens et, souvent, les exécutait. Pour sélectionner ses fonctionnaires, il avait supprimé les examens portant sur les auteurs classiques du confucianisme, dont les livres étaient accusés de répandre de la « sorcellerie », pour les remplacer par des examens portant sur la Bible. Des milliers de temples de la religion autochtone chinoise ont été détruits. Les Taiping professaient l’égalité de tous les hommes, sous la forme d’un néo-illuminisme protestant, né pendant les campagnes contre l’esclavage, en allant même plus loin, dans l’optique traditionnelle chinoise, en prêchant l’égalité de l’homme et de la femme. Son armée comptait dès lors quelques bataillons féminins. Hong avait adopté le principe monogamique chrétien mais, à l’instar de bon nombre de chefs de secte, il avait fait une exception pour lui et conservé son harem.
Le mouvement finit par contrôler une grande partie de la Chine, sans être sérieusement défié avant 1861. Entre 1856 et 1860, l’armée impériale avait d’autres soucis : elle devait affronter la France et l’Angleterre à l’occasion de la deuxième guerre de l’opium. Dans le cadre de ce conflit, en 1859, le capitaine américain Josiah Tattnall, sans avoir reçu aucun ordre de sa hiérarchie, était venu en aide au commandant en chef de l’armée britannique, Sir James Hope, quand ce dernier affrontait une armée chinoise. Plus tard, Tattnall justifia cette entorse à la neutralité américaine par les mots célèbres d’un vieux poème écossais : « Blood is thicker than water » (= le sang est plus épais que l’eau), ce qui signifiait que la solidarité raciale de deux officiers blancs perdus dans un océan de Chinois était plus importante que tout le reste. Cette guerre s’est terminée par la destruction du palais d’été de l’empereur, situé en dehors de Beijing, et par l’acceptation, par les Chinois, d’une nouvelle série de « droits spéciaux » et de privilèges pour les puissances occidentales, leurs diplomates et leurs commerçants.
Le modèle de Mao
Immédiatement après la signature du traité de paix, les Britanniques sont venus en aide à l’empereur pour mater définitivement la révolte (à laquelle participaient quelques aventuriers occidentaux et quelques zélotes protestants). C’est alors que la fortune changea de camp. Lorsque les Taiping menacèrent Shanghai en 1862, où habitait une importante communauté d’Occidentaux, une armée britannique, sous les ordres du Général William Staveley, vint dégager la ville de l’étau des révoltés. Visant le même objectif, l’Américain Frederick Townsend Ward, de son côté, avait organisé une armée de soldats chinois commandés par des officiers occidentaux, mettant en œuvre les méthodes techniques les plus modernes de l’époque. Frederick Townsend Ward tomba au combat en 1863 et, à la demande du gouverneur local, Sir Staveley détacha son homme de confiance, Charles George Gordon, pour commander cette armée nouvelle et expérimentale. Après toute une série de succès impressionnants, l’empereur de Chine donna à cette armée le titre de « Changjiejun » (= « Armée toujours victorieuse »).
Gordon parvint à conquérir un point nodal dans le dispositif des Taiping, Chanchufu, et brisa de la sorte l’épine dorsale des révoltés. Il licencia son armée et laissa aux troupes impériales le soin de terminer le travail. En 1864, les Impériaux chinois prirent Nanjing et passèrent au fil de l’épée non seulement tous les combattants Taiping qui leur tombèrent sous la main mais aussi une bonne partie de la population civile. Hong était décédé depuis quelques mois ; son fils avait pris sa succession mais il n’avait ni le charisme ni le talent militaire de son géniteur pour pouvoir maintenir intact son Etat de nature sotériologique. Ses lieutenants, du moins les survivants, s’enfuirent dans tous les coins de l’empire. Au cours des décennies suivantes, quelques-uns d’entre eux organiseront encore des révoltes locales, notamment celle des musulmans des provinces occidentales.
L’historiographie maoïste s’était montré très positive à l’égard de la révolte Taiping : pour elle, c’était une prise du pouvoir bien organisé de la classe travailleuse, animée par les bons idéaux mais qui devait finalement échouer parce qu’elle n’avait aucun plan ni aucun mode d’organisation à « fondements scientifiques ». D’autres révoltes paysannes avaient déjà échoué parce qu’elles souffraient du même mal, sauf celles qui avaient été détournées par des aristocrates locaux qui surent bien souvent gérer les masses populaires pour les faire œuvrer au bénéfice de leurs propres ambitions. Pour les maoïstes, ces lacunes des révoltes populaires antérieures à Mao ne seront comblées que par l’adoption du marxisme-léninisme ; celui-ci impliquait une organisation rationnelle (avec un parti prolétarien d’avant-garde soumis à la centralisation démocratique) et une analyse scientifique de la situation ; ces deux atouts ont donné la victoire finale au peuple. Une étude maoïste sur les mérites de la révolte Taiping reprend les mots de Lénine : « Parfois, une lutte des masses, même pour une cause sans espoir, se révèle utile pour éduquer finalement ces masses et pour les préparer à la lutte finale ».
« Moestasjrik » / « ‘t Pallieterke ».
(article paru dans « ‘t Pallieterke », 16 mai 2007 ; trad.. franç. : Robert Steuckers, déc. 2009).
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samedi, 26 décembre 2009
Renseignement et espionnage dans la Rome antique
Renseignement et espionnage dans la Rome antique
Les activités de renseignement font partie intégrante de l’art de gouverner et, sans elles, les Romains n’auraient pas pu édifier et protéger leur empire.
Même s’ils ne séparaient pas les différentes fonctions du renseignement entre activités civiles et militaires, il n’en demeure pas moins qu’une grande partie de leurs activités de renseignement ressemblaient aux nôtres et qu’il est possible d’utiliser le concept moderne de cycle du renseignement pour les décrire. L’éventail des activités concernées est assez large : collecte de renseignements, contre-espionnage, infiltration, opérations clandestines, utilisation de codes et de chiffres, et diverses techniques d’espionnage. Toutes ont laissé des traces littéraires, épigraphiques et archéologiques qu’il est possible de suivre en partie.
Rose Mary Sheldon retrace le développement des méthodes de renseignement romaines des débuts de la République jusqu’au règne de Dioclétien (284-305 après J.-C.), d’une forme embryonnaire et souvent entachée d’amateurisme jusqu’au système très élaboré d’Auguste et de ses successeurs. L’ouvrage est rythmé tant par des chapitres consacrés à l’étude de certains des échecs romains que par l’examen des réseaux de communication, des signaux de transmission, des activités d’espionnage, des opérations militaires et de la politique frontalière.
C’est pourquoi les questions plus larges soulevées dans ce livre sont d’une pertinence immédiate pour le présent : bien que les méthodes de renseignement aient radicalement changé avec l’avènement de la technologie moderne, les principes restent étonnamment similaires. Les questions politiques essentielles portant sur la place des services de renseignement dans une démocratie et une république plongent leurs racines dans le monde gréco-romain.
Publication : novembre 2009, 528 pages,35
Via Theatrum Belli [1]
Disponible sur Amazon [2]
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dimanche, 13 décembre 2009
Tiberio Graziani: Afghanistan 1979
Afghanistan 1979
Déstabilisation du Proche et du Moyen Orient et origine du collapsus soviétique dans la géopolitique étasunienne
par Tiberio Graziani *
1979, l’année de la déstabilisation
Parmi les divers évènements de la politique internationale de l’année 1979, il y en a deux qui sont particulièrement importants à souligner, pour avoir contribué au bouleversement de la géopolitique mondiale basée à l’époque sur la confrontation entre les USA et l'URSS.
Il s’agit de la révolution islamique d'Iran et de l'aventure soviétique en Afghanistan.
Comme on le sait, la prise du pouvoir par l'ayatollah Khomeiny élimina un des piliers fondamentaux sur lesquels reposait l'architecture géopolitique occidentale, édifiée par les États-Unis à partir de la fin de la seconde guerre mondiale.
L'Iran de Reza Pahlavi représentait, dans les relations de pouvoir entre les États-Unis et l'URSS, en particulier au niveau géostratégique, un pion très important dont la disparition poussa le Pentagone et Washington à une révision profonde de la géopolitique des États-Unis dans la région.
En fait, un Iran autonome et hors de contrôle introduisait, sur l'échiquier géopolitique régional, une variable qui compromettait potentiellement toute la cohérence du système bipolaire.
En outre, le nouvel Iran, comme puissance régionale anti-étatsunienne et anti-israélienne, possédait également toutes les caractéristiques (en particulier, l’étendue et la centralité géographiques, ainsi que l'homogénéité politico-religieuse) pour prétendre à l'hégémonie sur une partie au moins du Moyen-Orient, en opposition ouverte avec les aspirations analogues et les intérêts d'Ankara et de Tel-Aviv - les deux solides piliers de la stratégie régionale de Washington - et d’Islamabad.
Pour ces raisons, les stratèges de Washington, conformément à leur « géopolitique du chaos » bicentenaire, poussèrent immédiatement l'Irak de Saddam Hussein à déclencher une guerre contre l'Iran.
La déstabilisation de toute la région permettait à Washington et à l'Occident de se donner du temps pour mettre au point une stratégie à long terme, et de « harceler sur ses flancs », en toute tranquillité, l'ours soviétique.
Comme l’a révélé, il y a onze ans, Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, lors d'une interview donnée à l'hebdomadaire français Le Nouvel Observateur (15-21 janvier 1998, p. 76), la CIA avait pénétré en Afghanistan, en vue de déstabiliser le gouvernement de Kaboul, en juillet 1979 déjà, soit cinq mois avant l'intervention de l’armée soviétique.
La première directive par laquelle Carter autorisait l'action clandestine pour aider secrètement les adversaires du gouvernement pro-soviétique date, en fait, du 3 juillet 1979.
Le même jour, le stratège étatsunien d'origine polonaise écrivit une note au président Carter, dans laquelle il expliquait que sa directive conduirait Moscou à intervenir militairement.
Cela se réalisa parfaitement à la fin de décembre de la même année.
Toujours dans la même interview, Brzezinski rappelle que, lorsque les Soviétiques entrèrent en Afghanistan, il écrivit une autre note à Carter, exprimant l'opinion que les USA avaient finalement l’occasion de donner à l'Union soviétique « sa guerre du Vietnam ».
Le conflit, insoutenable pour Moscou, devait conduire, selon Brzezinski, à l'effondrement de l'empire soviétique.
Le long engagement militaire des Soviétiques en faveur du gouvernement communiste de Kaboul contribua, en effet, à affaiblir encore davantage l'Union soviétique, déjà en proie à une importante crise interne, aussi bien sur le plan politique que socio-économique.
Comme nous le savons aujourd'hui, le retrait des troupes de Moscou du théâtre afghan laissa toute la région dans une situation d'extrême fragilité politique, économique, et surtout géostratégique. En effet, dix ans seulement après la révolution iranienne, la région tout entière avait été complètement déstabilisée au profit exclusif du système occidental. Le déclin, contemporain et inéluctable, de l'Union soviétique, accéléré par son aventure en Afghanistan et, ultérieurement, le démembrement de la Fédération yougoslave (une sorte d'État tampon entre les blocs occidental et soviétique) dans les années 90, ouvrirent la voie à l’expansion des États-Unis - de l'hyper-puissance, selon la définition du ministre français Hubert Védrine - dans l'espace eurasien.
Succédant au système bipolaire, une nouvelle saison géopolitique allait s’ouvrir: celle du «moment unipolaire».
Le nouveau système unipolaire aura, toutefois, une vie très courte, qui se terminera – à l'aube du XXIe siècle, - avec la réaffirmation de la Russie en tant qu'acteur mondial et l’émergence concomitante, économique et géopolitique, de la Chine et de l’Inde, les deux États-continents de l’Asie.
Les cycles géopolitique de l'Afghanistan
L'Afghanistan, en raison de ses spécificités, relatives, en premier lieu à sa position par rapport à l'espace soviétique (frontières avec les Républiques - à l’époque soviétiques - du Turkménistan, d’Ouzbékistan et du Tadjikistan), à ses caractéristiques géographiques, et aussi à son hétérogénéité ethnique, culturelle et confessionnelle, représentait, aux yeux de Washington, une grande partie de l’ « arc de crise», c'est à dire de cette portion de territoire qui s'étend des frontières sud de l'URSS à l'océan Indien. Le choix, comme piège pour l'Union soviétique, était donc tombé sur l'Afghanistan pour d’évidentes raisons géopolitiques et géostratégiques.
Du point de vue de l’analyse géopolitique, l'Afghanistan représente en fait un excellent exemple d'une zone de crise, où les tensions entre les grandes puissances se manifestent depuis des temps immémoriaux.
Le territoire actuellement dénommé République islamique d'Afghanistan, où le pouvoir politique a toujours été structuré autour de la domination des tribus pachtounes sur les autres groupes ethniques (Tadjiks, Hazaras Ouzbeks, Turkmènes, Baloutches), s’est constitué à la frontière de trois grands dispositifs géopolitiques: l'Empire mongol, le khanat ouzbek et l'Empire perse. Et ce sont les différends entre ces trois entités géopolitiques limitrophes qui détermineront son histoire.
Pendant les XVIIIe et XIXe siècles, lorsque l’État se consolidera en tant que royaume d’Afghanistan, la région deviendra l'objet de différends entre deux autres entités géopolitiques majeures: l'Empire de Russie et la Grande-Bretagne. Dans le cadre du «grand jeu », la Russie, puissance continentale, dans sa poussée vers les mers chaudes (océan Indien), l'Inde et la Chine, se heurte à la puissance maritime britannique, qui tente, à son tour, d’encercler et pénétrer la masse de l'Eurasie, vers l'est en direction de la Birmanie, de la Chine, du Tibet et du bassin du Yangtze, en s'appuyant sur l'Inde, et vers l'ouest en direction de l'actuel Pakistan, de l'Afghanistan et de l'Iran jusqu’au Caucase, à la mer Noire, à la Mésopotamie et au Golfe Persique.
Dans le système bipolaire, à la fin du XXe siècle, comme on l’a vu plus haut, l'Afghanistan est une fois de plus le théâtre de la compétition entre une puissance maritime, les USA, et une puissance continentale, l’URSS.
Aujourd'hui, après l'invasion étatsunienne de 2001, ce que Brzezinski avait, de façon présomptueuse, appelé le piège afghan des Soviétiques, est devenu le cauchemar et le bourbier des États-Unis.
* Directeur de Eurasia. Rivista di studi geopolitici – www.eurasia-rivista.org - direzione@eurasia-rivista.org
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jeudi, 10 décembre 2009
Une vie pour l'Irlande: Patrick Pearse
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1994
Une vie pour l'Irlande: Padraig Mac Piarais
Poète, éducateur et soldat, tel fut Patrick Pearse (1879-1916), l'un des pères de l'Irlande libre. Jean Mabire, défenseur opiniâtre des patries charnelles et l'un des vrais inspirateur du renouveau révolutionnaire-conservateur en Europe, nous offre un élégant petit livre vert que tous les activistes des profondeurs serreront dans leur besace. Patrick Pearse, une vie pour l'Irlande est édité par l'association identitaire “Terre et Peuple”; c'est d'ailleurs son président, Pierre Vial, professeur d'histoire du Moyen Age à l'Université de Lyon, qui préface ce précieux bréviaire dédié à Michel Déon, autre amoureux de la Verte Erin et bel éveilleur lui aussi. Je tiens en effet La Carotte et le bâton (Table ronde) et Les Poneys sauvages (Gallimard) pour des livres essentiels à la formation d'une sensibilité antimoderne, que tous nos amis doivent avoir lu, au même titre qu'Henri Vincenot ou Jean Raspail (Le Camp des Saints, qui serait aujourd'hui interdit!). P. Vial souligne la principale qualité de Pearse: il fut un intellectuel organique dans le meilleur sens du terme, un homme dévoué à sa patrie jusqu'à la mort, et qui mit en accord ses pensées les plus profondes et ses actes les plus risqués. Comme Grundtvig ou Petöfi, Pearse voua sa vie à la cause des peuples, la plus noble qui soit. Aujourd'hui comme hier, Pearse demeure un modèle pour nous autres, patriotes continentaux, puisqu'il avait compris que le combat culturel précède toujours l'action politique et que celle-ci peut, quand l'état d'urgence (Ernstfall) l'exige, se transformer en révolution armée. Jean Mabire dresse un portrait complet et attachant du poète, initiateur de la Renaissance gaélique (des vers aux fusils, la route est parfois moins longue que prévu), car il avait compris que la langue, comme la géographie, cela sert aussi à faire la guerre! Pearse fut aussi éducateur de son peuple en créant le Collège où seront formés spirituellement (« Si l'Irlande spirituelle disparaît, alors l'Irlande réelle mourra aussi » aime à répéter Padraig Mac Piarais, forme gaélique de Patrick Pearse) et intellectuellement les Volunteers dont l'Irlande a tant besoin. Enfin, il assumera au moment voulu l'écrasante responsabilité de déclencher une révolte armée, la sixième en trois siècles, l'Uprising de Pâques 1916, écrasé dans le sang... par des bataillons de volontaires irlandais portant l'uniforme britannique. Pendant cette semaine folle et magnifique malgré le sang versé (une majorité de civils tués par les bombardements anglais: la tactique sera appliquée ailleurs, de Dresde à Bagdad), Pearse proclamera Poblacht na h Eireann, la République d'Irlande... même s'il fut un moment question de monarchie, avec un prince allemand comme Roi d'Irlande, ce qui aurait sans doute évité bien des drames. Au détour des pages, le.lecteur croisera d'autres géants de l'histoire irlandaise: Michael Collins et James Connolly le socialiste, qui fut l'ami du nationaliste Pearse. Tous deux furent fusillés par les Britanniques. L'émotion suscitée par ce meurtre, un crime, mais surtout une faute politique, devait faire passer la population dublinoise au départ hostile aux insurgés dans le camp de la résistance nationale. Du sacrifice de Pearse naquit l'Etat d'Irlande, encore mutilé à ce jour de ses comtés du nord.
Padraig CANAVAN.
Jean MABIRE, Patrick Pearse. une vie pour l'Irlande, Editions Terre et Peuple, BP 1095, F-69612 Villeurbanne cedex, tél: 04.72.12.29.92. Prix: 85 FF. Sur l'Irlande, lire aussi, de Pierre Joannon, Michaël Collins (Table ronde) et Le Rêve irlandais (Artus), deux évocations passionnantes.
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jeudi, 03 décembre 2009
Israël, le Likoud et le rêve sioniste
Archives de Synergies Européennes - 1998
Israël, le Likoud et le rêve sioniste
Le terme “sioniste”, en devenant un concept polémique voire une injure politique, ne désigne plus clairement une réalité politique, idéologique et historique. En entendant le terme “sioniste” dans la seule acception polémique qu’a inaugurée le conflit de Palestine, nos contemporains ne parviennent plus à saisir ce qu’a été cette idéologie avant la création de l’Etat d’Israël, dans les mouvements clandestins, et quelles ont été ses évolutions et ses mutations au cours de l’histoire israëlienne. A l’occasion du 50ième anniversaire de l’Etat d’Israël, il nous a semblé bon de conseiller la lecture d’un ouvrage de Colin Shindler, Israel, Likud and the Zionist Dream. Power, Politics and Ideology from Begin to Netanyahu (réf. infra). L’étude de Shindler commence en 1931, l’année où Zeev Vladimir Jabotinsky et ses camarades s’imposent lors du 17ième Congrès sioniste et lancent le “sionisme révisionniste” (qui obtient 21% des votes, contre 29% pour le Mapai modéré de Ben Gourion). En apprenant ces résultats, Chaim Weizmann, président de l’OSM (“Organisation Sioniste Mondiale”), est amer et ne mâche pas ses mots: pour lui, le “révisionnisme” est une gesticulation haineuse, de type hitlérien. Le clivage entre la gauche et la droite sionistes s’approfondit: le Mapai travailliste (fusion de l’Achdut Ha’avoda et de Hapoel Hatzair) s’oppose à la droite dont le noyau dur est le Betar de Jabotinsky, qui rejette le socialisme, “idéologie faible qui induit l’homme à ne plus déployer d’efforts, à cesser de combattre, de chercher le meilleur”. Et il ajoute: «[Dans le socialisme] la position de chacun serait régulée automatiquement, rien ne pourrait plus être changé, on cesserait de rêver, l’esprit ne se projetterait plus en avant et toutes les impulsions constructives de l’individu disparaîtraient». De même, Jabotinsky rejette injustement l’humanisme “dialogique” de Martin Buber, qu’il a verbalement agressé à plusieurs reprises: “ce provincial typique dans ses allures, un soi-disant penseur de troisième zone, qui énonce neuf dixièmes de phrases tordues pour une seule véhiculant une idée, qui n’est pas la sienne et n’a pas de valeur”. Jabotinsky reproche à Buber de “rêver” et de ne suggérer à la jeunesse juive que le rêve, sans concrétude aucune. Accusé de fascisme par les socialistes, Jabotinsky, toutefois, n’adhère pas à la formule italienne du fascisme et n’accepte pas, a fortiori, l’antisémitisme national-socialiste. Seuls quelques groupes, tel le Brit Ha’Biryonim, ont cultivé une certaine admiration pour Mussolini et même Hitler, tout en admirant les sicarii du Ier siècle de notre ère, qui assassinaient les collaborateurs juifs de Rome.
Le sionisme israëlien futur, dont celui du Likoud, sera un dérivé de ce “sionisme révisionniste” explique Shindler. Première étape dans l’évolution du “révisionnisme” sioniste: celle de la constitution de la “New Zionist Organization” (fondée en 1935) qui donne ensuite naissance à deux groupes armés, qui adopteront des politiques quelque peu différentes: l’Irgoun et le Groupe Stern. La différence entre les deux groupes de la “nouvelle organisation sioniste” repose surtout la façon de combattre la présence britannique en Palestine. Faut-il chasser les Anglais par la force ou composer avec eux? L’Irgoun s’était fait l’avocat d’une révolte immédiate contre les Britanniques en Palestine sous l’impulsion de Begin, apôtre de la désobéissance civile sur le modèle gandhiste. Après l’épisode de la “Nuit de cristal” en novembre 1938 et quand éclate la seconde guerre mondiale, Jabotinsky place sa confiance dans la diplomatie britannique et dans la personnalité de Churchill. Cette nouvelle option pro-britannique provoque d’âpres débats au sein de l’Irgoun. David Raziel, commandant militaire de l’Irgoun, opte également pour l’alliance avec Londres contre l’Axe et veut attendre la fin de la seconde guerre mondiale et l’élimination du national-socialisme en Europe, tandis que le Groupe Stern (plus tard le “Lehi”) veut démarrer la révolte juive avant la fin de la seconde guerre mondiale. Il avait fait des propositions à Mussolini à la fin des années 30: selon ce plan, les sionistes devaient s’allier avec l’Italie pour chasser les Anglais de Palestine, former un Etat hébreu de facture corporatiste et satellite de l’Axe et placer les lieux saints de Jérusalem sous la protection du Vatican. Cette proposition n’eut pas de lendemains, de même que l’offre faite à Hitler de recruter 40.000 soldats juifs d’Europe orientale pour chasser les Britanniques de Palestine. Hitler a préféré jouer la carte arabe. Néanmoins, Stern sabote le recrutement de soldats juifs de Palestine pour l’armée britannique. La police britannique abat Stern le 12 février 1942, éliminant le plus radical des sionistes anti-britanniques, ce qui laisse le champ libre à la politique pro-alliée de Jabotinsky et Raziel (qui meurt à la suite d’un raid aérien). Ya’akov Meridor prend sa succession à la tête de l’Irgoun et opte également pour la carte alliée et l’“armistice” avec les Britanniques.
Avraham Stern était un homme qui ne faisait pas confiance en Londres et s’inspirait de plusieurs sources: surtout l’IRA irlandaise, mais aussi l’action de Garibaldi en Italie, les sociaux-révolutionnaires russes et, sur le plan de la tradition juive, les animateurs de la révolte contre Rome. Stern s’est successivement adressé à Pilsudski en Pologne, à Mussolini et à Hitler pour demander leur appui contre les Britanniques, sous prétexte que ceux-ci sont les ennemis n°1 du rêve sioniste et que “les ennemis de nos ennemis sont nos amis”. Dès 1944, Begin, sûr de la défaite de l’Axe, donne l’ordre de commencer “la Révolte” contre l’administration britannique et de mettre un terme à l’“armistice”. Après 1945, les successeurs de Stern, c’est-à-dire le triumvirat Eldad, Yellin-Mor et Yitzhak Shamir, s’inspirent des terroristes russes du XIXième siècle, de Netchaïev et de Narodnaïa Volnia, demeurent anti-occidentaux et anti-britanniques et cherchent l’appui de l’URSS de Staline. Idéologiquement, explique Shindler, en dépit de la lutte commune contre l’administration britannique, l’Irgoun et le Lehi (= Groupe Stern) ne pouvaient pas fusionner: le Lehi était très jaloux de son indépendance et refusait tout contrôle par Begin. La carte soviétique du Lehi renouait avec la tradition de Stern (“les ennemis de nos ennemis sont nos amis”). Le Lehi considérait que Staline était le nouvel adversaire principal de l’Empire britannique, après la double disparition de Mussolini et de Hitler. A ce titre, le Vojd soviétique pouvait être considéré comme un allié du futur Israël. Yellin-Mor joue une carte plus bolchevique que ses compagnons: il garde une ligne anti-impérialiste radicale et appelle les sionistes à se joindre à tous les mouvements arabes anti-britanniques de la région. Begin, qui a été interné en URSS dans le goulag, est réticent. Shamir, lui, prend pour modèle Michael Collins, chef militaire de l’IRA, au point de prendre, en souvenir du chef irlandais, le nom de code de “Michael” dans la clandestinité. Il prône une lutte sans compromis contre Londres et entend déployer une propagande pro-sioniste en Amérique, pour créer un mouvement favorable à la création d’Israël comme De Valera et Connolly l’avaient fait pour l’Irlande. La littérature sur l’IRA devient lecture obligatoire pour les militants du Lehi. Shindler rappelle que David Raziel connaissait l’histoire de l’IRA par cœur et qu’Avraham Stern avait traduit en hébreu en 1941 le livre de P. S. O’Hegarty, The Victory of Sinn Fein.
Avec l’assassinat de Lord Moyne, ami personnel de Churchill, la Haganah de Ben-Gourion coopère avec les Britanniques et contribue à démanteler partiellement l’Irgoun. Le Lehi, plus clandestin, est relativement épargné. Begin est horrifié au spectacle de l’Haganah tuant des Juifs pour le service d’une puissance tierce. En novembre 1945, seulement, après le refus du nouveau gouvernement travailliste britannique de mener une politique pro-sioniste inconditionnelle, les trois forces (Haganah, Irgoun, Lehi) acceptent un armistice et cessent de se combattre mutuellement. Cette trêve durera jusqu’en août 1946, où Ben Gourion dénoncera les campagnes sanglantes de l’Irgoun (Hôtel King David, Deïr Yassin, etc.).
Après 1948, Begin initie un processus d’alliances et de fusions avec les divers éléments de droite et les factions dissidentes des milieux travaillistes: ainsi son mouvement Herout devient le Gahal en 1965 et le Likoud en 1973. Bien qu’ayant dû accepter l’armistice avec les Britanniques pendant le seconde guerre mondiale, Begin n’a jamais admis leur politique de donner la rive occidentale du Jourdain à l’Emir Abdoullah de Jordanie dans les années 20 ni celle des Nations-Unies de donner ce même territoire aux Palestiniens en 1947. Dans cette revendication, Begin est demeuré fidèle à Jabotinsky qui réclamait pour les Juifs tous les territoires à l’Ouest du Jourdain (la Judée et la Samarie). S’il a redonné le Sinaï à l’Egypte de Sadat, Begin n’a jamais lâché la Cisjordanie, qu’il percevait comme un glacis pour protéger le peuplement juif de Palestine, refuge ultime en cas de nouvelles persécutions en Europe. La conquête du Sud-Liban par Sharon est dans la logique de cette idéologie d’Israël-camp-retranché.
Yitzhak Shamir prend le relais dans le Likoud, bien qu’il soit issu du Groupe Stern anti-britannique. Shamir est un pragmatique, pour qui les pages de la seconde guerre mondiale et de l’opposition des Juifs au mandat britannique sont définitivement tournées, même si la saga du combat sioniste armé et clandestin doit toujours être donnée en exemple aux jeunes générations de “sabras”. Le salut de la droite israëlienne ne réside à ses yeux que dans le Likoud, les autres partis étant trop modestes numériquement. Shamir refuse de rester dans les cercles et petits partis issus du nationalisme anti-britannique, c’est-à-dire du Lehi et de ses satellites. Shamir s’allie donc aux pragmatiques du Likoud, rassemblés autour de Moshe Arens.
Avraham Stern a toutefois légué à Shamir l’idée d’un “Très Grand Israël”, du Nil à l’Euphrate. Raison pour laquelle, en dépit de son pragmatisme et de son refus de s’enfermer dans les petits partis dérivés du Lehi, Shamir est resté un adversaire des accords de Camp David. L’idéologie et la pratique de Shamir a donc sans cesse oscillé entre le maximalisme de Stern et le pragmatisme de Ben Gourion, dont il ne partageait pourtant pas la théorie d’une fédération de deux Etats, l’un palestinien, l’autre juif. Shindler rappelle que les actions du Groupe Stern et du Lehi ont toujours été mûrement réfléchies et n’ont jamais été des gestes spectaculaires et irréfléchis. Face à Begin, qui aimait “mélodramatiser” ses interventions et rappelait sans cesse le sort tragique des Juifs d’Europe, Shamir demeurait plus austère dans ses propos mais pratiquait dans le dialogue avec les Palestiniens une “approche immobile”, disant de lui-même qu’il aurait pu faire traîner les négociations pendant dix ans s’il l’avait fallu.
Netanyahu est aujourd’hui l’héritier de cette idéologie complexe, qui a pour point commun de faire vivre et survivre coûte que coûte l’Etat d’Israël dans un environnement hostile, mais où des inimitiés anciennes sont bien présentes, focalisées autour des concepts de “Petit Israël” (avec la Cisjordanie) ou de “Très Grand Israël” (du Nil à l’Euphrate).
L’ouvrage de Shindler est important, pour connaître tous les méandres de l’histoire du sionisme et d’Israël, pour prendre acte de la complexité de la question palestinienne.
Benoît DUCARME.
Colin SHINDLER, Israel, Likud and the Zionist Dream. Power, Politics and Ideology from Begin to Netanyahu, I. B. Tauris, London/New York, 1995, 324 p., $39.50, ISBN 0-85043-969-9.
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mardi, 01 décembre 2009
Fascismo, Nazionalsocialismo, gli Arabi e l'Islam
Fascismo, Nazionalsocialismo, gli Arabi e l’Islam
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Giovanna Canzano ha incontrato per Rinascita lo scrittore e storico Stefano Fabei Nei primi otto anni di potere Mussolini non portò avanti un’autonoma politica araba per diverse ragioni: la politica estera italiana aveva come punto di riferimento quella inglese e dall’andamento dei rapporti con la Gran Bretagna dipendeva l’atteggiamento di Roma verso gli arabi; inoltre gli impulsi a una politica estera rivoluzionaria, verso questa parte del mondo, sostenuta dai fascisti più dinamici, erano soffocati dall’influenza esercitata sul regime da nazionalisti e cattolici conservatori. |
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Yukio Mishima et le Jieitai
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998
Yukio Mishima et le Jieitai
«Quand le tonnerre gronde dans le lointain, le temps qui passe à travers la lumière de la lampe, qui frappe à travers la fenêtre, et le son sourd qui s’ensuit paraissent incroyablement long. Dans mon cas particulier, il a duré vingt ans. La voix des héros disparus est la voix de la lampe. Dans un futur proche, la rumeur nostalgique du tonnere fera vibrer nos ventres virils et avec la promesse de fécondités sauvages fera vibrer aussi le cœur du Japon».
Cette phrase, Mishima l’a écrite dans la préface à Vie et mort de Hasuda Zenmei de la Kodakane Jirô. Il m’apparait superflu de souligner que Hasuda Zenmei a contribué durablement à la formation spirituelle et idéologique de l’adolescent Mishima. On le sait aujourd’hui: Hasuda, le 19 août 1945, peu de jours avant la défaite du Japon, servait encore l’Empire au titre de commandant de compagnie dans une base proche de Singapour. Hasuda apprend que le commadant du régiment avait lu lui-même à la troupe la déclaration de reddition de l’Empereur et avait demandé à ses hommes de donner le drapeau à l’ennemi. Hasuda le tue à coups de revolver et puis se suicide.
La signification de la mort de Hasuda est restée longtemps obscure, y compris pour Mishima: «Quand j’ai compris son geste, j’étais proche de la quarantaine: un âge peu éloigné de celui du Disparu... La signification d’une telle façon de mourir, comme une fulguration improvisée, a soudain éclairé les ténèbres épais qui assombrissaient mon propre long cheminement...». Cette fameuse préface nous explique quels sont les rapports entre Hasuda et Mishima, mais elle nous livre aussi, pour la première fois, explicitement, la clef de voûte qui explique le propre suicide de Mishima et révèle l’arrière-plan politique, historique et culturel qui l’a justifié.
Cependant, si l’on jette un regard plus attentif, derrière les allégories de la “lampe” et du “tonnerre”, on repère, cachées, les étapes de l’iter spiritualis de Mishima. Pour beaucoup de citoyens dont les années d’adolescence et de jeunesse se sont passées pendant la guerre, l’expérience guerrière est devenue a posteriori un point de référence existentiel et politique indépassable. En particulier, pour tous les Japonais, qu’ils soient de droite ou de gauche, la défaite de 1945 est une expérience communément partagée et le turning point le plus significatif du siècle. Yukio Mishima se souvient de cette expérience comme d’un sentiment de bonheur indicible, désormais perdu: «... Mis à part toute autre considération, il n’était pas étrange, à cette époque, pour les pilotes kamikaze, d’écrire: Tenno Heika Banzai (= Vive l’Empereur!). Admettons que cette époque puisse revenir, ou revenir sous une autre forme ou ne jamais revenir. Et pourtant, moi, cette époque où il n’était pas étrange d’écrire [cette parole], je l’ai connue, et le fait de l’avoir connue, en y pensant, me donne une incroyable sensation de bonheur. Mais quelle fut cette expérience? Quelle fut cette sensation de bonheur?» (Débats sur les Japonais).
Plus tard, cependant, cette “sensation de bonheur”, ressentie par l’adolescent Mishima, qui avait entrevu la guerre sous la forme de la “lumière d’une lampe”, chavire misérablement avec la défaite. La “sensation du tonnerre”, qui s’ensuivit, et qui aurait apporté ce bonheur, n’a plus jamais été ressentie. Yukio Mishima va vivre le temps de l’après-guerre (“une époque faite de fictions”, “un veillissement en toute harmonie”), pendant vingt-cinq années “terriblement longues” pour se retrouver lui-même transformé en “lampe”, pour faire vibrer par son propre “tonnerre”, d’acier et de sang, le cœur des hommes, le flux de l’histoire.
Les banderoles qu’il a fait claquer au vent sur la terrasse du Quartier Général d’Ichigaya le 25 novembre 1970 proclamaient: «Nous, les hommes du TATE-NO-KAI (= Secte des Boucliers/“Shield Society” selon la propre traduction anglaise de Mishima) avons été élevé par le Jieitai (le “Corps d’Auto-Défense”, soit l’actuelle armée japonaise, ndlr). En d’autres morts, le Jieitai a été pour nous un père, un frère aîné. Alors pourquoi avons-nous été poussés à commettre une telle action? Moi, depuis quatre ans, les autres membres étudiants de notre société, depuis trois ans, avons été acceptés dans le Jieitai à titre de quasi-officiers, nous avons reçu une instruction sans autre fin. Par ailleurs, nous aimons le Jieitai profondément, nous avons rêvé du véritable Japon, de ce Japon qui n’existe plus désormais en dehors de ces murs d’enceinte. C’est justement ce Japon que nous avons pleuré pour la première fois, nous, hommes nés après la guerre. La sueur que nous avons dépensée est pure. Tous ensemble, nous avons couru et marché à travers les champs aux pieds du Fukuyama, nous étions des camarades unis par l’esprit de la patrie. Nous n’avons aucun doute. Pour nous, le Jieitai est comme un pays natal. Dans la sordidité du Japon actuel, nous avons réussi à respirer seulement en ce lieu, où l’air est excitant. L’esprit qui nous a été communiqué par les officiers et les instructeurs est indépassable. Alors pourquoi avons-nous posé un acte aussi extrême? Cela peut paraître un paradoxe, mais j’affirme que nous l’avons posé parce que nous aimions le Jieitai» .
Vingt-sept ans se sont écoulés depuis le suicide de Mishima et le Jieitai, qu’il avait tant aimé, a changé lentement. Il avait été une sorte de “Cendrillon” des institutions japonaises; il s’est transformé en une armée quasi normale et respectée. Dernièrement, il a participé (ironie de l’histoire!) pour la première fois aux activités de “pacification” sous la bannière de l’ONU au Cambodge, à Madagascar et au Liban. Désormais, le Parti Socialiste (social-démocrate) japonais le “reconnaît”. Deux occasions ont permis au Jieitai de se placer sous les feux de la rampe: l’action humanitaire menée à la suite du tremblement de terre de Kobe et l’aide technique apportée aux forces de police lors de l’attaque au gaz neurotoxique perpétré par la secte Aum Shinri-kio, il y a deux ans.
Le problème fondamental pour le Japon demeure toutefois la constitution pacifiste imposée par les Alliés après 1945. L’article 9 de cette constitution interdit au pays de façon unilatérale l’usage de la force (militaire). C’est le plus gros obstacle à la restauration complète des droits de l’Etat japonais. Mishima, dans un bref essai intitulé Le Tate-no-kai, publié dans la revue anglaise Queen, écrivait à propos de la constitution pacifiste: «Je suis las de l’hypocrisie de l’après-guerre japonais: par là, je ne veux pas dire que le pacifisme est une hypocrisie, mais vu que la Constitution pacifiste est utilisée comme excuse politique tant par la gauche que par la droite, je ne crois pas qu’il existe un pays au monde, mis à part le Japon, où le pacifisme est autant synonyme d’hypocrisie. Dans notre pays, le mode de vie que tous honorent est celui d’une existence définitivement soustraite à tout danger, un mode de vie tout compénétré de sinistrose, celui des pacifistes et des adeptes de la non-violence. En soi, cette chose n’est pas criticable, mais le conformisme exagéré des faux intellectuels m’a convaincu que tous les conformismes sont une calamité et que les intellectuels, au contraire, devraient mener une vie dangereuse. D’autre part, l’influence des intellectuels et des salons socialistes s’est développée de manière absurde et ridicule. Ils conseillent aux mères de ne pas donner à leurs garçons des jouets imitant des armes à feu et considèrent que c’est du militarisme d’aligner les enfants sur des files à l’école et de leur demander de se nommer et d’énoncer leur numéro... ce qui a pour résultat que les enfants se rassemblent de manière éparpillée et mollement comme une bande de députés».
L’action de Mishima, de Morita et des autres membres du Tate-no-kai au Quartier Général d’Ichigaya fut pour l’essentiel un acte symbolique, destiné à donner le coup d’envoi à une révision de la constitution et à la transformation du Jieitai en une armée nationale légitime. Dans un certain sens, l’échec apparent de cette tentative a toutefois été le point de césure entre les deux droites japonaises: la droite contre-révolutionnaire des années 60 et la nouvelle droite radicale des années 70 (Shin-Uyoku).
Giuseppe FINO.
(article issu de Marginali, n°22, avril 1998).
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lundi, 30 novembre 2009
Une biographie du Maréchal Mannerheim
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1998
Une biographie du Maréchal Mannerheim
Heureuse initiative des éditions M. La Maule que de traduire du suédois la biographie du Maréchal Mannerheim (1867-1951), le De Gaulle finlandais. Officier de l'armée impériale russe, aide de camp du Tsar Nicolas II en 1912, Gustaf Mannerheim prend la tête des troupes blanches qui pulvériseront les Bolchéviks sur le Front de Finlande, garantissant l'indépendance du pays des mille lacs. La Finlande, comme la Pologne d'un autre grand maréchal, donne ainsi l'exemple d'une résistance victorieuse au communisme, parce qu'ancrée dans une conscience populaire et ethnique clairement profilée: une réalité charnelle, même numériquement inférieure, triomphe toujours d'une abstraction, fût-elle colossale. Mannerheim, comme plus tard en Espagne ou au Chili, aura sauvé son pays de la terreur léniniste. Dans les années 30, Mannerheim fait tout pour préparer son pays à l'inévitable affrontement avec Staline. Et en 1939, il prend à nouveau la tête des armées finlandaises lors de la Guerre d'Hiver, modèle de guérilla bien menée et occasionnant un maximum de pertes à l'Armée rouge. Parmi les Gardiens de la Démocratie et du Droit, lisez la City de Londres et la calamiteuse IIIième République, nul ne s'opposa concrètement à cette invasion d'un pays neutre: les Finlandais mobilisent tous leurs hommes de 15 à 70 ans, et aussi leurs femmes, les formidables Lotta qui épauleront leurs compagnons, leurs fils et leurs maris, avec une détermination qui nous laisse encore pantois. Les mêmes démocrates français et britanniques, idolâtres de principes ronflants et de monnaies sonnantes et trébuchantes, précipiteront le continent dans une guerre suicidaire pour “défendre la Pologne” (sauf la partie envahie par les Russes): 120.000 soldats français mourront pour Dantzig, mais non pour Katyn. Episode peu connu de la IIième Guerre civile européenne, l'auteur de cette passionnante biographie rappelle la complexe partie de cache-cache de l'armée finlandaise avec les troupes allemandes durant le Guerre de Continuation, qui verra leur pays amputé de la Carélie et de Vyborg, vidées de leur population et soviétisées, c'est-à-dire sinistrées. L'ouvrage du professeur S. Jagerskiold, diplomate et juriste, constitue une excellente introduction à l'histoire contemporaine —et à l'esprit— de la Finlande, qui présidera bientôt l'Union Européenne.
Patrick CANAVAN.
S. JAGERSKIOLD, Gustaf Mannerheim, M. de Maule (27 rue Montorgueil, F-75.001 Paris), 148 FF. Une seule critique: peu de cartes et aucune photo, contrairement à l'édition allemande recensée dans Orientations n°9/1987.
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jeudi, 26 novembre 2009
L'art et la guerre: de Céline à H. G. Wells
Paul MODAVE :
L’art et la guerre : de Céline à H. G. Wells
Article paru dans « Le Soir », Bruxelles, le 18 juillet 1944
Au moment où l’invasion et les bombardements aériens dévastent les cités d’art de l’Occident, l’hebdomadaire français « la gerbe » vient d’ouvrir une enquête auprès des personnalités représentatives des lettres françaises afin d’offrir à celles-ci l’occasion de manifester leur réaction devant le saccage du pays.
Ce qui frappe dans beaucoup de ces réponses, c’est leur réticence. Ainsi M. de Montherlant ne voit dans cette enquête qu’une « recherche académique ». M. Georges Ripert, doyen de la Faculté de Droit de Paris, regrette que « dirigeant une maison où il y a beaucoup de jeunes gens, il lui soit impossible d’accorder d’interview » ; quant à Ferdinand Céline, il répond sans ambages « qu’il donnerait toutes les cathédrales du monde pour arrêter la tuerie », ce qui est une plaisante façon de ne rien dire.
Commentant cette enquête dans « L’Echo de la France », M. Robert Brasillach s’exprime en ces termes : « Les professionnels de l’art savent bien, Céline aussi bien entendu, que la destruction des cathédrales ou des palais n’arrêtera pas pour cela la tuerie. Mais voilà, dire qu’on désapprouve —ce serait bien timide cependant— la destruction inutile de la beauté du monde, c’est donner des gages à l’Allemagne, paraît-il ! On a passé trente, quarante ans à discuter sur l’art et à plaindre nos civilisations mortelles, mais lorsque les trésors de cet art sont renversés par le souffle des machines à détruire, on se tait. On dira ce que l’on pense après la guerre, bien sûr, nuancé à la couleur du vainqueur, s’il y a un vainqueur et s’il y a une après-guerre ».
Et après avoir constaté que le dernier témoignage de liberté d’esprit aura été fourni par les cardinaux de France et de Belgique, M. Brasillach conclut par ses mots : « Aujourd’hui, la parole est aux forces et à leurs rapports. Tout s’est simplifié. Mais on pense seulement que la beauté du monde est chaque jour assassinée, et qu’un univers où risquent de manquer demain, Rouen, Caen, Pérouse, Sienne, Florence, n’est pas un univers dont les artistes, fût-ce par leur silence, aient le droit de se dire fiers. Si le « saint Augustin bouclé », de Benozzo Gozzoli, est détruit, dans ses fresques dorées de San-Gimignano, si la « Charité » ne rayonne plus sur les murailles d’Assise, si, de même qu’on ne peut plus errer au pied des plus nobles façades médiévales de Rostock ou de Hambourg, demain c’est le quai aux Herbes de Gand, qui s’effondre dans le néant où sont déjà les rues rouennaises et les églises de Caen ; et si l’on trouve cela tout naturel et si l’on ne souffre pas dans son cœur de civilisé, alors il me semble qu’on perd le droit de parler de culture et de barbarie, qu’on perd le droit, dans l’avenir, d’affirmer que l’on aime l’Italie, l’art roman, la sculpture française si tendre et si virile, il me semble que le silence qui sert aujourd’hui d’alibi devrait être le silence de toute une vie ».
On ne peut pas mieux dire. Mais dans le même moment où les artistes français se montrent si discrets ou si réticents, l’écrivain anglais H.-G. Wells, dans un article paru dans « Sunday Dispatch », bientôt repris dans le périodique « World Review », exprime ainsi son opinion sur la destruction des monuments d’art de l’Italie : « Dans tout ce territoire, il n’y a pas une seule œuvre d’art, à l’exception peut-être de manuscrits pouvant être mis facilement à l’abri, qui ne puisse être entièrement détruite, et l’héritage de l’humanité n’en éprouvera pas la moindre perte en beauté. Nous possédons notamment les maquettes de toutes ces statues qui peuvent être copiées, y compris leur patine ».
J’espère que nos lecteurs auront savouré comme il convient l’humour —hélas ! inconscient— de M. H.-G. Wells. Mais il ne s’agit pas d’une boutade. Pour l’auteur, auteur particulièrement sérieux mais aussi évidemment privé du sens de l’art que l’aveugle du sens des couleurs, ne comptent que les statues cataloguées dont on possède les maquettes ! La qualité originale d’une œuvre, le milieu spirituel dont elle fait partie intégrante, lui échappe avec une certitude indiscutable. Et il le prouve bien lorsqu’il déclare plus loin, avec autant de pédantisme béat que de solennelle bêtise : « L’art et le goût de l’art sont de suprêmes offenses au charme inépuisable des créations de la nature ».
Alors qu’il n’est que trop évident que l’art est exactement le contraire, c’est-à-dire une action de grâce, un cri d’amour et de reconnaissance devant la beauté de la vie !
Au pays basque, au déclin d’une belle journée, il n’est pas rare que des couples de paysans se mettent, en pleine campagne, à danser et à chanter, pour rien, pour personne, pour la joie de vivre. L’art n’est pas autre chose, à l’origine, que ce chant et cette danse. Mais revenons à M. Wells, qui se hâte d’ajouter : « L’œil embrasse plus de beauté en contemplant un oiseau qui plane, un poisson qui s’ébat dans l’eau, les reflets dans une chute d’eau ou toutes les ombres qui se dessinent sous les branches d’un arbre éclairé par le soleil que nous, misérables gâcheurs, puissions espérer imaginer ou imiter ».
Certes. Mais selon le mot de Debussy : « Les gens n’admettent jamais que la plupart d’entre eux n’entendent ni ne voient » et c’est le rôle de l’artiste de leur ouvrir les oreilles et les yeux à la beauté du monde. Il est trop facile, presque élémentaire, d’énumérer ici ce que chaque artiste nous enseigne au premier coup d’œil : Rubens, la joie triomphante de vivre ; Renoir, la beauté rayonnante de la créature humaine ; Vermeer de Delft, le charme profond des intérieurs où se jouent les lumières et les ombres ; Chardin, la secrète poésie qui vit au cœur des plus humbles objets, des plus usuels. Tout cela et bien davantage encore…
Je sais, hélas ! qu’il n’en est plus ainsi : que ces échanges permanents entre la vie et l’art ne nous sont plus sensibles ; que l’art, né spontanément de la vie, a cessé de nous y ramener avec des facultés plus vives et plus aigües. Les esthètes restent confinés dans un étouffant esthétisme qui n’a d’autre fin que lui-même. Les « viveurs », si je puis les appeler ainsi, ceux qui « vivent leur vie » comme ils disent, m’apparaissent aussi peu soucieux de la beauté des oiseaux qui planent que de la grâce des poissons qui s’ébattent, n’en déplaise à M. Wells. Qu’est-ce que cela veut dire sinon que l’homme a cessé de mettre en jeu toutes ses facultés, de vivre pleinement ? C’est là une des raisons les plus profondes de notre décadence.
Céline, contempteur du monde moderne, pas plus que Wells qui s’en fait l’apologiste, n’y ont trouvé de remède. C’est que l’un et l’autre appartiennent à différents égards, à cette décadence que le Docteur Carrel a si bien diagnostiquée : « Nous cherchons à développer en nous l’intelligence. Quant aux activités non intellectuelles de l’esprit, telles que le sens moral, le sens du beau et surtout le sens du sacré, elles sont négligées de façon presque complète. L’atrophie de ces qualités fondamentales fait de l’homme moderne un être spirituellement aveugle ».
Et, pour revenir au sujet de cet article, cela explique bien des erreurs de jugement, bien des réticences, bien des silence…
Paul Modave.
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mercredi, 25 novembre 2009
Les mémoires de Jaruzelski
Archives de SYNERGIES EUROPEENNES - 1996
Les mémoires de Jaruzelski: notes sur le rôle de l'homme d'Etat
Au début de l'été 1992, le général polonais Wojciech Jaruzelski publiait un livre de mémoires politiques. Il y décrivait les événements politiques qui ont secoué la Pologne à partir du 13 décembre 1981, jour où l'état de siège a été proclamé. Moscou craignait qu'une Pologne déstabilisée ferait vaciller le système de domination soviétique. Raison pour laquelle l'ordre communiste fidèle à Moscou devait être promptement rétabli. Jaruzelski a donc reçu pour mission de maintenir son pays dans l'orbite soviétique, même en faisant usage de la violence, si cela s'avérait nécessaire. Les chapitres de son livre dévoilent des réalités peu connues de l'histoire polonaise des années 1980-85. Bien que “socialiste” et adepte du “socialisme réellement existant” de l'époque et du système soviétique, le militaire Jaruzelski nous apparaît toutefois, après les événements tumultueux du début des années 80, comme une sorte de “katechon” conservateur, c'est-à-dire, pour reprendre la définition de Carl Schmitt, comme un homme d'Etat qui se donne pour tâche de rétablir l'ordre et de préserver les institutions de son pays du chaos et du déclin. Bien entendu, pour nous, le communisme reste un corps étranger à la nation polonaise et le mouvement “Solidarité” de Walesa une expression spontanée de la colère populaire. Néanmoins, tout observateur neutre, aujourd'hui, admettra que des services spéciaux étrangers ont manipulé “Solidarnosc”, dans le but évident de faire sauter le système soviétique, déjà sérieusement gangréné. Cette opération de déstabilisation ne pouvait évidemment s'effectuer que là où le système était le plus faible, entre le grand espace soviétique et le territoire de l'ex-RDA (qui, disposant du balcon thuringien, servait de base au fer de lance du Pacte de Varsovie).
Les forces consrvatrices et les militaires de l'orbite soviétique ne pouvaient pas tolérer un développement, certes démocratique, mais néanmoins “aventureux” dans le rapport de forces de l'époque. Jaruzelski a été chargé de sauver la situation: en tant que militaire, il a obéi aux ordres de ses supérieurs du monde politique. L'état d'esprit de Jaruzelski se révèle clairement dans le livre. On peut le qualifier de conservateur-mainteneur, de “katechonique”, au sens où l'entendait Carl Schmitt. Plusieurs extraits de l'ouvrage en attestent: «On ne choisit pas l'espace historique et géographique dans lequel on nait. Parmi les hommes de ma génération, on en trouve très peu qui soient taillés d'un seul morceau de bois. La vie nous a formé avec les copeaux du destin et sur les croisées des chemins. Nous étions les enfants de notre époque, de notre milieu, de notre système. Chacun, à sa façon, est sorti de ce cadre. Mais tous ceux qui en sont rapidement sortis ne méritent pas notre respect. Et ceux qui n'en sont sortis que fort tard ne méritent pas tous notre mépris. Le plus important, c'est de savoir par quoi ces hommes se sont laissé guider individuellement, comment ils se sont comportés, ce qu'ils ont fait et ce qu'ils sont devenus aujourd'hui en tant qu'hommes» (p. 8). «En tant que soldat, je sais qu'un chef militaire, que tout supérieur hiérarchique est responsable pour tout et pour tous. Le mot “excuse” peut ne rien signifier, mais je ne trouve pourtant pas d'autres mots. Je voudrais ne demander qu'une seule chose: s'il y a des hommes pour qui le temps n'a pas guéri les blessures, n'a pas apaisé la colère, alors qu'ils tournent cette colère surtout contre moi, mais non pas contre ceux qui, dans des circonstances données, honnêtement et de bonne foi, ont sacrifié de nombreuses années de leur vie et donné toute leur capacité de travail pour la reconstruction de notre patrie» (p. 9).
Dans sa conclusion, Jaruzelski s'exprime dans un style clairement “katechonique”: «Des situations et des mesures exceptionnelles conduisent souvent à des flots de sang. Nous savons que dans de nombreux pays, l'état d'exception a coûté la vie à des milliers et des milliers d'hommes. Nous, en revanche, avons pris cette décision dramatique, afin, justement, de ne pas déboucher sur une telle tragédie. En grande partie, nous avons réussi ce coup de poker. Malheureusement, pas à 100%. Dans la mine de Wujek, on a dû faire usage d'armes à feu et neuf mineurs sont morts. Cet événement douloureux jette encore aujourd'hui une ombre sur l'ensemble des décisions prises à cette époque» (p. 465). Sa prise en compte objective et froide des forces humaines en présence sur l'échiquier politique révèle une proximité de pensée entre Jaruzelski et les conservateurs “katechoniques” comme Donoso Cortés, Joseph de Maistre ou Constantin Frantz: «Dans l'appareil du pouvoir, il y avait beaucoup d'hommes réfléchis, cultivés et expérimentés. Malheureusement, une somme de têtes intelligentes ne donne pas automatiquement un surplus d'intelligence. Souvent, on est tiré vers le bas par les idiots qui, par fanatisme, démagogie et arrogance, font en sorte que même les meilleures intentions sont exprimées en un langage faux et inacceptable. Tant pour des raisons objectives que pour des raisons subjectives, l'assise gouvernementale n'a pas été substantiellement élargie. Beaucoup d'hommes de valeur, qui ne voulaient s'engager ni d'un côté ni de l'autre, ont été poussés dans la marginalité» (p. 466).
Le général polonais perçoit parfaitement la différence entre mythologie et pragmatisme sur l'échiquier politique: «La mythologie est une composante ineffaçable de la vie de toute société. Le concept d'“éthique de la solidarité (Solidarnosc)” n'échappe pas à cette coloration mythologique, même s'il perd considérablement de son tonus aujourd'hui. C'est sans doute Pilsudski qui a dit, un jour, que les Polonais “ne pensaient pas en termes de faits, mais de symboles”. Le pragmatisme a d'incontestables avantages en politique et devrait en fait servir de guide pour toutes les équipes dirigeantes. Mais le pragmatisme seul ne suffit pas. Il demeure sec et gris si ses représentants n'en appellent pas en même temps aux fondements émotionnels de la conscience collective et individuelle» (p. 469). Jaruzelski reste sceptique lorsqu'il observe l'emprise totale du libéralisme économique dans les anciens pays du bloc de l'Est: «Je crains que diverses paroles vengeresses qui appellent à la “dé-communisation” ne détournent notre attention des objectifs essentiels; elles pourraient conduire à un éparpillement des efforts de notre société. Ce serait mortel pour la Pologne, au véritable sens du mot. Cela ne peut que nuire aux intérêts de notre pays, si l'on cherche des objectifs de remplacement dans ce monde marqué par la rivalité, la compétition et la concurrence et qu'on gaspille dans une telle démarche les énergies de la société» (p. 470).
Jaruzelski a donc défendu et sauvé un Etat imprégné de soviétisme, sans, semble-t-il, être un adepte de l'idéologie communiste. Pourquoi a-t-il alors agit de la sorte? Le chapitre 28 de son livre nous donne une réponse très détaillée et fort intéressante. Le principal, pour le Général, était de sauver la souveraineté de la Pologne: «Y avait-il une chance pour la Pologne, après la seconde guerre mondiale, d'exister en tant qu'Etat pleinement indépendant sans influence soviétique? (...) Les conférences de Téhéran, Yalta et Potsdam déterminent l'histoire contemporaine et les historiens en discutent à l'infini (...). La majorité des politiciens de cette époque ont dû, bon gré mal gré, accepter les accords de Yalta, les considérer comme le réel donné (...). L'ordre existant forçait aussi la Pologne à accepter ses règles et déterminait la marge de manœuvre du pays. En tant que militaire, je ne pouvais pas agir comme si je ne le savais pas» (pp. 302-303).
Jaruzelski rappelle ensuite à ses lecteurs une lettre qu'il a écrite en 1945 à sa mère et à sa sœur: «Je suis obligé de servir la Pologne et de travailler pour elle, peu importe les contours qu'elle prendra et les sacrifices qui seront exigés de nous» (p. 304). Le jeune officier polonais de l'époque voulait servir son pays sous la forme d'un Etat réellement existant, servir une Pologne “peu importe les contours" qu'elle aurait pris; le jeune Jaruzelski voulait se donner ce devoir et le hisser au-dessus de toutes les autres considérations. Les patriotes allemands estimeront sans doute que cette profession de foi est peu pertinente et intenable, mais, pour le meilleur et pour le pire, elle est bel et bien une attitude typique dans le corps des officiers polonais, où le service et le devoir semblent être plus importants que les facteurs ethniques et historiques ou que les constructions idéologiques. Jaruzelski esquisse, dans ce 28ième chapitre, la teneur des querelles qui ont opposés les Polonais de Londres, rassemblés autour du Général Anders, et les Polonais de Moscou. Les puissances occidentales n'ont jamais garanti les frontières occidentales de la Pologne, au contraire de l'URSS. Aux yeux de Jaruzelski, l'Union Soviétique apparaissait dès lors comme un garant fiable et un allié solide. Seule l'URSS, à l'époque, garantissait l'existence d'un Etat polonais dans des frontières fixées une fois pour toutes et clairement tracées. Les Polonais de Londres voulaient restaurer les frontières de 1939, ce que les Soviétiques n'auraient jamais accepté, parce que la Pologne avait annexée en 1921 de larges portions des territoires biélorusse et ukrainien. Comme les Soviétiques avançaient vers l'Ouest et disposaient de la plus puissante armée, la Pologne risquait d'être réduite aux dimensions qu'elle avait après le Congrès de Vienne en 1815, c'est-à-dire les dimensions et la configuration géographique d'un pays très réduit, aux frontières démembrées, impossibles à défendre. Cette prépondérance militaire soviétique et le refus de Moscou de rendre les territoires pris en 1921 par les armées polonaises victorieuses, a scellé le destin tragique des populations allemandes de Poméranie, de Prusse Orientale, de Dantzig, de Silésie et de Posnanie: une Pologne alliée à l'Union Soviétique devait nécessairement rendre les territoires biélorusses et ukrainiens et être élargie à l'Ouest, aux dépens des Allemands.
Les ennemis de Jaruzelski soulignent que la Pologne a été asservie dans le cadre du Pacte de Varsovie. A ce reproche, le Général répond qu'il existe deux formes de souveraineté limitée: 1) La limitation volontaire dans l'intérêt de l'Etat ou d'un groupe d'Etats alliés; 2) La limitation qui a les caractéristiques d'un protectorat. Jaruzelski admet que la Pologne a été un protectorat jusqu'en 1956, ensuite, elle a “bénéficié” d'une souverainté limitée dans le cadre du Pacte de Varsovie. Dans un tel cadre, Jaruzelski, en tant qu'officier, s'est fixé deux tâches principales: garder un Etat capable de fonctionner et éviter le chaos social et économique.
Jaruzelski cite encore les appels lancés à l'époque par les Chanceliers Kreisky (Autriche) et Schmidt (RFA) pour sauver l'ordre en Pologne, afin que le pays puisse remplir ses obligations vis-à-vis d'autres Etats et afin que la raison et la mesure demeurent maîtresses du terrain. Ensuite, ces mémoires de Jaruzelski contiennent le texte complet d'un rapport du ministre polonais des affaires étrangères Jozef Czyrek sur sa vistie au Saint-Siège (pp. 353-354) et également le rapport du Général Kiszczak sur les manœuvres des troupes soviétiques, est-allemandes et tchèques le long des frontières polonaises pendant l'automne 1981 et sur les actions des agents des services secrets à l'intérieur du pays. Si Jaruzelski n'avait pas proclamé l'état de siège le 13 décembre 1981, les troupes du Pacte de Varsovie seraient entrées en Pologne le 16, afin de sauver le peuple polonais du “garot de la contre-révolution”. Exactement selon le même schéma qu'à Prague en 1968.
L'action de Jaruzelski a constitué, selon le “faucon anti-communiste” américain, Zbigniew Brzezinski, le passage de l'“autoritarisme communiste” à l'“autoritarisme post-communiste”. Solidarnosc n'a pas été interdit, comme l'avait demandé le Pape à Czyrek, mais a été dompté avant de préserver la Pologne d'une invasion, du chaos et de la faillite. A la lecture de ces mémoires, on pourra rester sceptique, mais la teneur de ce livre est extrêmement intéressante, non pas parce qu'il nous révèle les idées d'un général polonais soviétophile, mais parce qu'il nous dévoile très précisément comment fonctionne la conscience du devoir chez un militaire, contraint par les événements à intervenir directement dans la politique. L'esprit militaire, le catholicisme, la russophilie et le communisme se mêlent étroitement, de façon très étonnante, dans les mémoires de Jaruzelski. Tous ces ingrédients forment en dernière instance un mélange instable, correspondant à l'identité polonaise réellement existante.
Robert STEUCKERS.
Wojciech JARUZELSKI, Hinter den Türen der Macht. Der Anfang vom Ende einer Herrschaft, Militzke Verlag, Leipzig, 1996, 479 p., ISBN 3-86189-089-5.
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