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dimanche, 19 avril 2020

Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

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Pierre Daye, un esthète dans la tourmente

par Christophe Dolbeau

            Lorsque le 28 février 1960, le très discret Pierre Daye s’est éteint à Buenos-Aires, très peu de Belges se souvenaient probablement de lui. Et pourtant ce Porteño d’adoption avait été l’un des journalistes européens les plus brillants de la première moitié du XXe siècle, ainsi qu’un protagoniste majeur de la vie politique bruxelloise d’avant-guerre. Grand reporter à la façon d’un Albert Londres, d’un Paul Morand ou d’un Henri Béraud, brillant causeur et plaisant conférencier, il avait également été député et avait même occupé des fonctions gouvernementales sous l’Occupation. Effacé de la mémoire collective comme des annales littéraires belges, ce personnage aux multiples facettes mérite amplement, 60 ans après sa disparition, de sortir du purgatoire.

Un globe-trotter

            C’est dans une famille très bourgeoise de Schaerbeek, l’une des communes de Bruxelles, que Pierre Daye vient au monde le 24 juin 1892. Scolarisé chez les pères jésuites du Collège Saint-Michel, il se voit offrir, dès l’enfance, la possibilité de faire plusieurs beaux voyages. À une époque où l’on circule bien moins qu’aujourd’hui, le jeune Pierre découvre Venise (août 1901), la Bretagne et les pistes de ski de Kandersteg (1904). Il assiste même à une audience du Pape Saint Pie X. À 17 ans, il passe des vacances à Tanger (1909) puis intègre l’Institut Saint-Louis où il va suivre deux années de droit. Appelé ensuite sous les drapeaux, il se trouve donc fin prêt, en juillet 1914, pour répondre à la mobilisation générale. Le jeune homme prend part aux batailles de Namur, d’Anvers et de l’Yser, puis son goût pour l’exotisme le conduit à se porter volontaire pour rejoindre, en Afrique, les troupes du général Charles Tombeur (1867-1947). Ces unités (la Force publique congolaise) se battent contre le célèbre général allemand Paul Emil von Lettow-Vorbeck (1870-1964). Mitrailleur, Pierre Daye participe à la prise de Tabora (19 septembre 1916), le principal fait d’armes des bataillons belges. Il consacrera plus tard un livre à cette épopée tropicale (1). Promu officier mais sévèrement atteint par la malaria, il est alors rapatrié en Europe. Au terme de sa convalescence, le conflit n’est pas achevé, ce qui lui vaut d’effectuer encore une dernière mission, nettement moins périlleuse celle-là : assurer, à Washington, la promotion de la Belgique, en qualité d’attaché militaire adjoint. C’est à ce titre qu’il est reçu, en décembre 1918, par le président cubain García Menocal (1866-1941). De son séjour américain, il tirera matière à un livre, Sam ou le voyage dans l’optimiste Amérique, qui paraîtra en 1922.

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Pierre Daye, officier de la "Force publique" congolaise.

            Rendu à la vie civile en 1919, Pierre Daye s’intéresse dès lors aux joutes politiques. Membre de la Ligue de la Renaissance nationale, où il côtoie Pierre Nothomb (2), l’aviateur Edmond Thieffry (3) et le peintre Delville (4), il en est candidat suppléant lors des élections de novembre 1919. On le trouve ensuite au Comité de politique nationale, un groupe qui milite, sous la houlette de Pierre Nothomb, pour « la plus grande Belgique », et il collabore à l’hebdomadaire La Politique (1921). Très sédentaire, cette activité n’est toutefois pas à même de le retenir bien longtemps car, au fond, sa véritable passion, ce sont les voyages. Dès 1922, il embarque donc sur l’Élisabethville et repart pour l’Afrique : durant plusieurs mois, il sillonne le Congo, en voiture, en train, à pied ou en « typoï » (chaise à porteurs), et navigue sur le lac Tanganyika. Puis, avant de rentrer en métropole, il fait un crochet par l’Union sud-africaine où il s’entretient avec le Premier ministre Jan Smuts.

9200000102951244.jpgEmbauché comme reporter par le grand quotidien Le Soir, il va désormais multiplier les expéditions les plus lointaines et les entrevues exclusives. En une quinzaine d’années, ses pérégrinations vont l’emmener aux quatre coins de l’univers et lui permettre de rencontrer un nombre incroyable de personnalités de premier plan. Après le Congo (où il retournera plusieurs fois), Pierre Daye visite ainsi le Maroc, où il s’entretient avec le sultan Moulay Youssef (1881-1927), les Balkans, où il est reçu par le Premier ministre bulgare Alexandre Tsankov (1879-1959), et l’Argentine, où il se rend, en 1925, en faisant le subrécargue sur un modeste cargo. Après Buenos-Aires, où il se lie avec l’écrivain nationaliste Leopoldo Lugones (1874-1938), il traverse la Cordillière des Andes et découvre le Chili, puis se rend en Uruguay et au Brésil. En 1926, il est à Moscou, approche Léon Trotsky, Leonid Krassine (5) et Maxime Litvinov (6), puis passe par la Pologne et s’y entretient avec Sikorski (7), avant de regagner Bruxelles pour y faire rapport au roi Albert Ier. D’autres expéditions le conduisent en Angola, en Nubie mais aussi au Maroc espagnol, où il rencontre le général Primo de Rivera, et en Asie qu’il visite en qualité de chargé de mission. Après une escale à Ceylan, il passe par les Indes britanniques, la Malaisie, Sumatra, le Japon, la Chine et la Mandchourie. Dans l’Empire du Milieu, il va voir les tombes des Mings, rencontre Pou-yi (8) et obtient une entrevue avec le président Tchang Tso-lin (9). D’une curiosité insatiable, Pierre Daye effectue ensuite un tour du monde par les îles, périple original qui le conduit au Cap Vert, aux Antilles, à Panama, à Tahiti, aux îles Fidji, aux Nouvelles-Hébrides, en Nouvelle-Calédonie, en Australie et à Java. Il va sans dire que toutes ces étapes donnent naissance à autant d’articles ou de livres captivants (10). Notre impénitent voyageur connaît également bien Constantinople et le Moyen-Orient. Passé par la Syrie, la Palestine et Jérusalem, il séjourne assez longuement en Égypte (1931), ce qui lui permet de visiter Memphis (avec le peintre Herman Richir), Thèbes, Abou Simbel et le temple d’Edfou.

vie-et-mort-d-albert-ier-1.jpgAjoutons encore à la liste de ses voyages mémorables, la traversée de la Sibérie par 30° au-dessous de zéro, et un séjour en Perse qui lui offre l’occasion de converser avec Reza Chah Pahlavi. Son goût affirmé pour les contrées lointaines ne l’empêche pas d’apprécier aussi les découvertes européennes. Angleterre, Portugal, Italie, Autriche, Hongrie et pays scandinaves n’ont guère de secrets pour lui ; en août 1932, il est même en Lituanie, à Nida, où l’a invité Thomas Mann, tandis qu’en 1935, il visite les Pays-Bas et l’Allemagne en compagnie de Pierre Gaxotte. À Berlin, les deux hommes auront l’occasion d’échanger quelques propos avec Ribbentrop et Otto Abetz. Aventurier dans l’âme, Pierre Daye ne se contente pas de flâner nonchalamment mais il n’hésite pas, le cas échéant, à se rendre sur le théâtre de certains conflits : on le verra par exemple, en pleine guerre civile espagnole, faire la tournée des lignes de front avec Gaxotte et José Félix de Lequerica (11).

Un homme du monde

            Chroniqueur réputé et homme du monde, Pierre Daye est également un habitué des dîners en ville où ses commensaux sont généralement des personnes de qualité. On l’apercevra ainsi à la table du maréchal Joffre ou à celle de Raymond Poincaré. Ami de Pierre Gaxotte (qui le fera bientôt entrer à Je suis partout), il est également lié au poète Éric de Haulleville, à Pierre Drieu la Rochelle, Maurice Mæterlinck et Georges Remi (Hergé). Sa popularité de journaliste et ses talents de causeur en font par ailleurs l’un des hôtes les plus réguliers des salons à la mode de la capitale belge. Membre assidu du très chic Cercle Gaulois, que fréquentent André Tardieu, Paul Claudel ou Pierre Benoit, il est aussi l’un des convives attitrés des dîners que donne Isabelle Errera (Goldschmidt), des soirées de prestige qu’organise Madame Jules Destrée, ou encore des réunions qu’orchestre la belle Lucienne Didier (Bauwens). Très éclectiques, ces rendez-vous accueillent aussi bien des notables de gauche, comme Henri De Man (12) et Paul-Henri Spaak (13), que des intellectuels de droite, comme Louis Carette (le futur Félicien Marceau), Brasillach, Montherlant et Fabre-Luce, ou des penseurs indépendants, comme Emmanuel Mounier (14). Dans les années 1930, il n’est pas excessif de dire que Daye est un homme arrivé. Un peu sarcastique, Jean-Léo le présente ainsi : « Grand bourgeois catholique, un peu précieux, toujours habillé avec recherche (sauf quand il pratique le nudisme), il affectionne les cravates club et ne fume que des ‘Abdalla’ à bout doré » (15). « Gentleman globe-trotter », précise-t-il encore, « habitué des sleepings, des paquebots, des palaces et des restaurants quatre étoiles (…) il est un peu boudé par la bonne société qui lui reproche ‘des mœurs dissolues’ (L’expression, à une époque où l’on ne s’éclate pas encore dans les Gay pride, désigne son homosexualité que Marcel Antoine, dans ses caricatures, suggère en le représentant jouant du bilboquet » (16). Confirmant ce portrait, l’historien Jean-Michel Etienne ajoute que l’homme est sans conteste intelligent et bon connaisseur des milieux diplomatiques belges et étrangers (17).

Disons aussi que si Pierre Daye est effectivement familier de la haute société, il ne succombe jamais à ce miroir aux alouettes qu’il observe un peu comme une sorte d’entomologiste. Parlant des « gens du monde », voici d’ailleurs ce qu’il en dit : « … vains, souvent paresseux, certains ont pour excuse sinon leur fortune, tout au moins leur culture ou leur goût, qui sont parfois réels. Snobs, comme on dit, ils se nourrissent néanmoins d’idées toutes faites, à condition qu’elles soient à la mode (…) On trouve chez eux, souvent, de l’élégance extérieure, du brillant, du charme, ce que l’on a appelé la douceur de vivre, et parfois du comique involontaire. C’est pourquoi je les ai beaucoup fréquentés, et ils m’ont beaucoup amusé. À condition de les juger pour ce qu’ils sont et de ne rien leur demander, les gens du monde apparaissent d’un utile et agréable commerce pour un célibataire qui se pique d’être en même temps un observateur professionnel » (18)

           rubens-28.jpg Au demeurant, il serait injuste et inexact de ne voir en Pierre Daye qu’un voyageur nanti et un mondain frivole : il s’agit aussi et surtout d’un écrivain talentueux dont les nombreux livres se vendent très bien. Auteur de multiples récits de voyage (19), il a également consacré plusieurs ouvrages aux souverains belges (20), ainsi que plusieurs essais à l’Afrique (21). Dans la première partie de sa vie, il a, en revanche, peu abordé la politique dans ses livres, et lorsqu’il l’a fait, ce fut plutôt sous l’angle de la politique étrangère (22). Il s’est par ailleurs peu intéressé à la fiction, sinon sous la forme de quelques nouvelles et contes. L’un de ceux-ci, Daïnah, la métisse (1932), sera même adapté au cinéma par Jean Grémillon (avec Charles Vanel dans l’un des rôles principaux).

Député rexiste

            Dans les années 1930, la politique, qu’il avait autrefois délaissée au profit des voyages, l’attire de nouveau. Secrétaire du socialiste Jules Destrée, Daye se refuse toutefois à rallier le Parti Ouvrier Belge (POB). En fait, il se range parmi les conservateurs « éclairés » : membre (depuis 1926) de l’Union paneuropéenne, il se montre sensible aux questions sociales, mais à la façon des catholiques, et reste très fidèle au roi comme à l’unité nationale. Partisan de la colonisation et hostile à une émancipation rapide du Congo, il n’est cependant absolument pas raciste et ne témoigne d’aucune hostilité de principe à l’égard des Noirs. Dès 1921 et dans un article consacré au mouvement « pan-nègre » (23), il souligne qu’ « il serait vain de croire que la suprématie de la race blanche pourra se maintenir intacte », proclame que « les préjugés de race sont absurdes » et s’affirme partisan « des généreuses idées de collaboration des races ». À propos des Africains, il déclare : « Nous sommes les premiers à vouloir que le sort de la race noire soit amélioré ; que là où des abus existent, ils soient redressés ; que l’on s’occupe de l’éducation, de la formation intellectuelle et – par après – de la liberté des nègres. Mais il faut procéder avec ordre ». Car, ajoute-t-il, « il nous faut veiller à ce qu’au nom de principes sentimentaux, on n’aille pas saper notre autorité en Afrique ». Si nous insistons quelque peu sur ces opinions, disons paternalistes, de Pierre Daye, c’est afin de mieux souligner toute l’absurdité qu’il y a à le qualifier de « nazi » comme d’aucuns le feront un jour…

            image-original.jpgDésireux de descendre dans l’arène pour y défendre ses idées catholiques, sociales et nationales, Pierre Daye découvre en 1935 le nouveau phénomène politique qu’est Léon Degrelle. Le 24 janvier, il le voit, pour la première fois, à Louvain où le jeune orateur l’impressionne beaucoup. « J’attendais depuis plusieurs années », racontera-t-il, « que se manifestât dans mon pays un effet de ce grand mouvement européen dont j’avais découvert en tant de nations les signes tangibles » (24). Séduit, l’écrivain n’est pas long à rejoindre les rangs de Rex où il siège d’emblée au Conseil politique (mais pas au Bureau exécutif). Aux élections du 24 mai 1936, le mouvement, qui a le vent en poupe, obtient du premier coup 33 élus (21 députés et 12 sénateurs). « Nous étions partis, nous pouvons bien le dire », se souvient-il, « sans aucun moyen ; nous n’avions pas d’argent, aucune expérience, très peu d’hommes, pas de journaux. Mais nous avions la foi. Et la jeunesse aussi… » (25). Et le 27 mai, dans les colonnes du Pays réel, le nouveau député bruxellois se montre plus laudatif encore, affirmant entre autres que « Léon Degrelle est devenu l’interprète de tout ce qui, dans la nation, est jeune, vivant, audacieux, tourné vers l’avenir » (26). L’Assemblée que découvre Pierre Daye n’a rien de bien attrayant : selon lui, « les trucs, les combinaisons, l’intérêt personnel, la stérilité, la suffisance, la vulgarité, tels étaient quelques-uns des traits que révélait l’examen de l’institution parlementaire » (27). Il semble néanmoins tout à fait décidé à jouer le jeu et à faire sérieusement son travail de député. Placé à la tête du groupe parlementaire, il s’efforce donc, en premier lieu, de discipliner ses collègues rexistes qui font souvent preuve d’une nonchalance et d’un amateurisme consternants. Auteur d’un projet de loi réduisant la durée du service militaire, il s’exprime aussi au sein de la Commission des Colonies et de celle des Affaires Étrangères où il plaide fougueusement pour l’Espagne nationaliste. Assez proche du chef, il est souvent associé aux grandes manœuvres de ce dernier. En septembre 1936, par exemple, il est aux côtés de Degrelle lorsque celui-ci est reçu par Hitler (invité par Rudolf Hess, il profite du déplacement pour assister au 8e congrès de Nuremberg). C’est par ailleurs autour de la table de Pierre Daye que se nouent certains contacts discrets entre des gens comme Gustave Sap (28), Hendrik Borginon (29), Gérard Romsée (30), Joris van Severen (31), Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (32), et Léon Degrelle. Plus tard, et au grand dam du Quai d’Orsay, il demandera la dénonciation de l’accord militaire franco-belge, ainsi que des accords de Locarno (33).

            3021089-gf.jpgDévoué mais exigeant, Pierre Daye va vite se lasser des carences profondes du groupe parlementaire rexiste dont il abandonne d’ailleurs la présidence dès juin 1937. Cela ne l’empêche cependant pas de continuer son travail à la Chambre. Dans le même temps, il poursuit son activité de chroniqueur et d’essayiste. En octobre 1936, il joue un rôle clef dans la parution d’un numéro spécial de Je suis partout entièrement consacré à Rex, avec une « Lettre aux Français » de Léon Degrelle et des articles de Serge Doring, Carlos Leruitte et Lucien Rebatet [La même année, Robert Brasillach fait paraître Léon Degrelle et l’avenir de Rex (Plon) et l’année suivante (3 novembre 1937), il dédiera toute une page de Je suis partout au mouvement belge]. Régulièrement présent dans les colonnes de l’hebdomadaire parisien, Pierre Daye signe également, en 1937, un livre sur Léon Degrelle et le rexisme (Fayard), suivi en 1938 d’une Petite histoire parlementaire belge. Malgré cet engagement sans faille, les erreurs répétées de Rex et de son chef finissent toutefois par user sa patience. Ce désenchantement le conduit même, en 1939, à refuser de se représenter aux élections et à quitter le mouvement. Le 10 mars, il prend donc définitivement congé du groupe parlementaire et se tourne dès lors vers le parti catholique où il a conservé nombre d’amis. Il s’en va, certes, mais demeure en excellents termes avec Degrelle, ce que la suite des événements ne va pas tarder à démontrer.

La catastrophe de 1940

            À nouveau libre de ses initiatives et très hostile à l’idée d’un nouveau conflit avec l’Allemagne, Pierre Daye s’associe, le 23 septembre 1939, au manifeste des intellectuels (34) « pour la neutralité belge, contre l’éternisation de la guerre européenne et pour la défense des valeurs de l’esprit ». Le texte paraît le 29 septembre dans la Revue catholique des idées et des faits, puis dans Cassandre, le Pays réel, les Cahiers franco-allemands, et ses treize signataires se voient aussitôt interdire l’accès au territoire français. En décembre, Daye rejoint Robert Poulet, Hergé, Gaston Derijcke (Claude Elsen) et Raymond De Becker, au nouvel hebdomadaire L’Ouest qui se veut le prolongement du manifeste. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne étant entrées en guerre le 3 septembre, la situation devient dès lors chaotique en Belgique où partis politiques et ministres ne parviennent pas à faire des choix clairs et consensuels.

            Et puis survient soudain le cataclysme, avec l’attaque allemande du 10 mai 1940 et la débandade quasi immédiate du gouvernement belge. Avant de filer vers Paris, Poitiers, Limoges ou Vichy, les autorités ont tout de même fait appréhender tous ceux qu’elles soupçonnent – à tort le plus souvent – d’appartenir à la cinquième colonne. Averti de l’arrestation de nombre de ses amis mais épargné par la première rafle, Pierre Daye juge dès lors prudent de s’éloigner au plus vite de Bruxelles. Accompagné de son neveu, Jacques Lesigne, il part donc, le 12 mai, pour La Panne, dans le but de trouver asile en France. Refoulé car il ne possède pas les visas nécessaires, il parvient cependant, le 14 mai, à franchir la frontière à Poperinghe et à filer vers Eu. Après une étape de cinq jours à Lisieux, il reprend la route, le 20 mai, traverse Nantes et atteint La Rochelle où son ami Pierre Bonardi (35) lui offre le vivre et le couvert. Le 24 mai, il pousse encore jusqu’à la périphérie de Bordeaux, laisse son neveu à Libourne, puis rebrousse chemin et regagne La Rochelle où les Bonardi le dirigent vers l’île de Ré où ils possèdent un moulin.

8065721862.jpgDaye va donc séjourner plusieurs semaines à Saint-Clément-des-Baleines. Loin des combats, il fait de la bicyclette, se balade avec Henri Béraud et aperçoit de temps en temps Suzy Solidor ou le peintre Paul Colin. Cette paisible villégiature s’achève toutefois vers la fin juin car avec l’armistice, le journaliste souhaite désormais rentrer chez lui. Le 8 juillet 1940, il remonte donc sur Paris, s’y arrête le temps de voir Jean Chiappe, puis regagne Bruxelles. Informé du massacre d’Abbeville (36) et du décès de Léon Degrelle, le journaliste ne tarde pas à réapparaître à Paris où l’ambassadeur Abetz, une vieille connaissance, lui apprend incidemment que Degrelle n’est absolument pas mort, mais probablement interné dans un camp du sud de la France. En dépit des divergences politiques qui ont pu opposer les deux hommes, Daye estime alors de son devoir de se porter au secours du chef de Rex et part aussitôt à sa recherche. Accompagné de Jacques Crokaert et Carl Doutreligne, il file à Vichy, rencontre Adrien Marquet mais aussi plusieurs ministres belges en déréliction… L’administration française n’ayant pas mis longtemps à localiser Degrelle qui se trouve dans l’Ariège, au camp du Vernet, le trio de sauveteurs (« mes trois mousquetaires » dira Degrelle dans La cohue de 40) s’empresse de reprendre la route. Quelques heures plus tard, ils sont à Carcassonne où ils retrouvent enfin Léon Degrelle, « sale, amaigri, méconnaissable » (37), ainsi que l’ex-député rexiste Gustave Wyns.

Au cœur des intrigues

            La petite troupe ne s’attarde pas dans l’Aude et remonte aussitôt vers Paris où une brève escale permet à Degrelle de remercier Abetz et de s’entretenir avec Fernand de Brinon. De retour à Bruxelles le 30 août, Pierre Daye reçoit bientôt la visite du comte Robert Capelle auquel il relate la triste épopée de Degrelle. À cette occasion, le secrétaire du roi lui fait part de la position circonspecte et réservée du souverain, et lui conseille de collaborer à la presse. « Le patriotisme », énonce-t-il, « commande que les patriotes s’emparent des journaux, au lieu de les laisser à d’autres » (38). Là-dessus, Daye effectue un nouveau séjour à Paris, sa terre d’élection. Le 7 août 1940, il présente Degrelle à Pierre Laval, puis déjeune avec Bertrand de Jouvenel, et dîne un soir avec Abetz, Degrelle et Henri de Man. Le 12 août, enfin, il est chez le comte de Beaumont où il passe la soirée en compagnie de Pierre Drieu la Rochelle, avant de regagner Bruxelles.

R200016998.jpgLoin d’être le pestiféré qu’il deviendra bientôt, Pierre Daye conserve en cette époque troublée de nombreuses relations mondaines : il organise, chez lui, une rencontre entre le comte Capelle et le chef de Rex, dîne avec les frères Heymans (dont l’un, Corneille, est prix Nobel) et séjourne au Zoute, chez le banquier Wauters. Invité chez le vicomte Jacques Duvignon, ancien ambassadeur à Berlin, il revoit également Mme Destrée et Robert Poulet, tandis que lors d’un enième séjour à Paris, il croise Alphonse de Chateaubriant (qui l’accueille dans les locaux de La Gerbe), Bernard Grasset, l’historien Pierre Bessand-Massenet et Stanislas de la Rochefoucauld. Si, en dépit des circonstances, Pierre Daye est quelqu’un qui demeure attaché aux petits plaisirs de la vie et aux relations sociales, il serait erroné de ne voir en lui qu’un second couteau falot et superficiel. En fait, il sert de passerelle entre beaucoup d’acteurs importants du jeu politico-diplomatique et maintient notamment d’étroits contacts avec les proches du roi. En relation avec les secrétaires du souverain, il voit aussi, très régulièrement, les anciens ministres Maurice Lippens et Henri De Man, ainsi que le général Van Overstræten, aide-de-camp de Léopold III. Pour le palais royal, Daye est donc une précieuse source de renseignements : « Je servis bien souvent d’informateur au souverain », écrit-il, « et le bloc-notes en main, le comte Capelle prenait des indications ‘pour sa Majesté’ durant la plupart de nos entretiens » (39). Il facilite par ailleurs certains contacts improbables comme cette entrevue, chez lui, le 22 mai 1943, entre Capelle et l’abbé Louis Fierens, l’aumônier (non rexiste) de la Légion Wallonie… Aucun reproche, explicite ou implicite, ne lui ayant jamais été exprimé, le journaliste s’étonnera plus tard des accusations de félonie formulées à son encontre : « Pouvais-je n’être pas convaincu », demande-t-il dans ses mémoires, « après tous mes rapports plus ou moins directs avec lui (le roi), par l’intermédiaire de son entourage, que ma conduite était approuvée ? Ou que tout au moins, elle n’était pas blamée ? » (40). Et pour être encore plus clair, il ajoute : « Si des ‘collaborationnistes’ sincères se trompaient, Léopold III aurait dû les avertir, ou les faire avertir, même au risque de déplaire aux Allemands » (41).

Engagé mais avec raison

            Il faut dire que conformément aux conseils de Capelle, Pierre Daye s’engage assez nettement dans la « politique de présence » en rejoignant, à l’automne 1940, la rédaction du Nouveau Journal que lance Paul Colin, son ancien condisciple de l’Institut Saint-Louis. Déjà patron de l’hebdomadaire Cassandre, ce dernier est, selon Jean-Léo, un véritable « Frégoli polygraphe, merveilleusement à l’aise une plume à la main » (42). Rescapé du camp du Vernet, il a réuni autour de lui une équipe brillante où figurent entre autres Robert Poulet, le rédacteur en chef, Nicolas Barthélémy, Guido Eeckels, Paul Herten, Joseph Jumeau (alias Pierre Hubermont) et Paul Werrie (43). Son quotidien revendique « un esprit nouveau » et veut « montrer aux Belges que leur pays doit réclamer et prendre sa place dans l’économie continentale à l’érection de laquelle le Reich allemand – c’est un fait – consacre aujourd’hui une grande partie de son effort » (44). Partisan d’une collaboration digne et relativement modérée, il s’agit néanmoins, aux yeux des résistants et des Belges de Londres, d’un journal « emboché ».

Daye-Pierre.jpgChargé de la rubrique de politique étrangère, Pierre Daye en sera l’un des principaux chroniqueurs jusqu’en avril 1943. Le Nouveau Journal n’est pas le seul organe de presse à accueillir sa prose puisque l’on trouve également sa signature dans Junges Europa, Das Neue Europa, Europäische Revue, Signal, Actu, le Petit Parisien, Je suis partout, et qu’il s’exprime de temps à autres au micro de Radio-Bruxelles. Quoique très dense, cette activité journalistique ne l’empêche pas de publier aussi quelques nouveaux livres. En 1941, il fait ainsi paraître un essai politique, Guerre et révolution, lettre d’un Belge à un ami français, suivi d’un Rubens, puis de Par le monde qui change, un ouvrage où il évoque quelques-uns des pays qu’il a visités, décerne au passage quelques compliments au Reich pour avoir encouragé la jeunesse et amélioré la race, et décrit Adolf Hitler comme « un homme simple, très différend des hobereaux allemands d’autrefois » (45). Si l’homme de lettres ne fait pas mystère de ses sympathies, il s’abstient toutefois de franchir certaines limites : il garde notamment ses distances avec la Légion Wallonie et fait même publiquement savoir qu’il n’est jamais intervenu en sa faveur auprès du palais royal. Il admire, dit-il, le courage des volontaires mais ne comprend pas vraiment leur démarche. Très attaché à l’unité et à l’intégrité de la Belgique comme à la personne du roi, il prend grand soin de ne jamais cautionner une autre ligne que celle-là. Hostile à la persécution des Juifs comme à tout démembrement du royaume, Pierre Daye considère globalement les affaires politiques d’un œil sévère : « Trop de gens aux dents longues, trop de bonshommes intéressés. Trop de tripotages. Trop de fortunes aussi gigantesques que rapides » (46). Désireux de voir la Belgique se réorganiser sur un schéma centralisateur, monarchique et corporatif, il regroupe autour de lui un « Bureau politique », auquel prennent part  ses amis Gustave Wyns et Jacques Crokaert, puis s’associe, en mai 1941, à la tentative de créer un Parti des Provinces Romanes. Ce dernier doit soutenir l’Ordre Nouveau européen, protéger la race et favoriser la fondation d’un État autoritaire, corporatif et chrétien (47). Le projet fera long feu car le 5 août 1941, les autorités allemandes y opposent leur veto. Autre geste politique de Pierre Daye : le 1er février 1943, il adhère à la Société Européenne des Écrivains (48) et plus précisément à l’une de ses deux sections belges, la Communauté Culturelle Wallonne (49). Cet engagement sans détour ne fait cependant pas de lui un fanatique ou un ultra, et c’est assez souvent, il faut le dire, qu’il intervient en faveur de certains Israélites ou de résistants (dont le communiste  Albert Marteaux et le socialiste Victor Larock).

            DSC08139.JPGLa guerre n’a pas émoussé le goût pour les voyages de Pierre Daye qui continue, dans la mesure où les événements le permettent, à se déplacer en Europe. Début 1942, il est par exemple au Portugal, puis en août en Hongrie, et séjourne, en fin d’année, à Rome. Dans la ville éternelle, il renoue avec de vieux amis, comme la duchesse de Villarosa ou le sénateur Aldobrandini Rangoni, tous très anglophiles, et s’entretient, le 10 janvier 1943, avec le prince Umberto. Quatre jours auparavant, il a pu être reçu par le Souverain Pontife, ce qui revêt pour lui une importance toute particulière. Grâce à un proche du Pape, le père jésuite Tacchi-Venturi, il a en effet obtenu de voir brièvement Sa Sainteté Pie XII qui l’a interrogé sur la situation belge et lui a donné sa bénédiction. « Ce qui m’avait le plus ému durant cette entrevue », rapporte-t-il, « c’est la grande allure du Saint-Père, son air de seigneur, la beauté de son visage ascétique et blême, avec ses yeux d’un noir brillant, sa longue bouche volontaire, son nez en bec d’aigle, la noblesse de ses gestes » (50). Peu de temps après cette promenade italienne, en février-mars 1943, Pierre Daye se rend à Madrid. N’étant inféodé à aucune faction politique, il profite de ce passage dans un pays non-belligérant pour adresser, de son propre chef, un courrier à Paul van Zeeland : « Il faut souhaiter », lui écrit-il, « que des éléments provenant des deux clans entre lesquels se divise aujourd’hui la Belgique, celui des “gens de Londres“ et celui de ceux que vous appelez, je crois, les “collaborationnistes“ (je suis pour ma part convaincu que tous deux comptent des patriotes sincères) puissent bientôt, à l’issue des hostilités, se comprendre et collaborer, autour du Roi, dans l’intérêt même de notre pays » (51). Par le biais de l’armateur Pierre Grisar, il envoie une missive du même genre à Hubert Pierlot, le chef du gouvernement belge en exil. Faut-il préciser qu’il n’obtiendra aucune réponse…

Face à l’orage

            La destination préférée de Pierre Daye reste la France où le Belge a ses habitudes depuis des lustres et où il compte de nombreux amis. À Paris, il rencontre bien sûr les gens de Je suis partout : Lucien Rebatet (« bouillant, grinçant, belliqueux, rageur »), Brasillach, Lesca (« serein, définitif et magnifique »), Georges Blond, Pierre-Antoine Cousteau, Claude Jeantet et Alain Laubreaux (« féroce, débordant d’esprit, d’érudition théâtrale »). À La Gerbe, il rend visite à Alphonse de Chateaubriant qu’il invitera bientôt à Bruxelles. Toujours friand de distractions, il retrouve aussi son complice Carl Doutreligne et dîne parfois avec lui chez Maxim’s où les deux compères coudoient Cécile Sorel et Maurice Chevalier, mais aussi Fernand de Brinon, Alice Cocéa, Serge Lifar et l’ambassadeur Scapini. Sans parler de quelques Belges comme les barons Jean Empain et de Becker-Remy… Doué pour les croquis, Pierre Daye en parsème les articles qu’il donne alors au Nouveau Journal et au Petit Parisien. On y voit défiler Fernand de Brinon, « la taille moyenne, le profil aquilin, la voix un peu haute », Pierre Laval, « l’œil plein d’ironie » et presque « asiatique », Jean Chiappe, avec « ses souliers vernis à tiges de drap mastic et ses hauts talons, son melon un peu penché sur l’oreille, sa canne à bague d’or », ou encore Robert Brasillach, « le regard toujours ingénu derrière ses grosses lunettes à monture d’écaille ». De cette galerie, le chroniqueur n’omet pas le maréchal, « figure ferme, au teint mat et sain », ni Jacques Doriot, « grand, de visage plus martelé que sur les photos, agile, quoique puissant (…), l’œil très noir derrière les verres ronds, le geste sobre » (52).

MLA 11826.jpgPrésent dans les gazettes, Pierre Daye l’est tout autant aux devantures des librairies : en 1942, il fait paraître deux essais politiques (L ‘Europe aux Européens et Trente-deux mois chez les députés), puis en 1943, un texte sur l’Afrique (Problèmes congolais), et en 1944, un recueil de contes (D’ombre et de lumière). À compter de 1943, son engagement se concrétise aussi par son accession à un poste officiel dans l’administration belge. Sur recommandation du Flamand Gérard Romsée, il est en effet nommé, le 25 juin 1943, au poste un peu inattendu de … commissaire général à l’Éducation Physique et aux Sports. En soi, il s’agit d’une fonction peu compromettante et qui fournit à son titulaire d’excellentes justifications pour voyager. Reste qu’elle fait de Pierre Daye un fonctionnaire officiel de la collaboration, ce qui peut se révéler extrêmement dangereux. De fait, loin d’aller vers l’apaisement qu’il souhaitait, la situation se dégrade et les rivalités belges se muent désormais en sanglants règlements de compte. « Les hitlériens de nationalité belge [sont] plus abjects encore que leurs maîtres allemands », proclame un journal clandestin communiste. « Cette vermine immonde doit être écrasée (…) Les Partisans belges se sont juré de liquider ces bêtes puantes » (53) L’année 1942 est ponctuée d’au moins 67 attentats et l’année 1943 connaît une recrudescence vertigineuse des actes violents, au point que le chef de l’administration allemande, Eggert Reeder, parle carrément d’une vague de meurtres ou Mordwelle. « Dans la rue et les campagnes, surtout à partir de 1943 », écrit une historienne belge, « règne une atmosphère de guerre civile : rexistes et nationalistes flamands, ainsi que les membres de leurs familles, sont abattus, sans autre forme de procès, sans distinction d’âge ou de sexe » (54).

            Le 14 avril 1943, Paul Colin, le patron et l’ami de Pierre Daye, est abattu dans sa librairie. L’un de ses employés, Gaston Bekeman, tombe sous les balles du même assassin. Le meurtrier, Arnaud Fraiteur, un étudiant de 22 ans (55), et ses deux complices, André Bertulot et Maurice Raskin, seront condamnés à mort et pendus. « Paul Colin », écrit Pierre Daye, « n’était pas seulement le premier critique d’art de Belgique (…) l’auteur de tant d’essais littéraires, artistiques, politiques, l’historien profond des ducs de Bourgogne, l’éditeur, le directeur du Nouveau Journal et de Cassandre, le chroniqueur et le pamphlétaire, le fondateur et le président de l’Association des journalistes belges, mais un amateur éclairé, un homme de goût et surtout un être terriblement intelligent, un des plus intelligents que j’ai rencontrés dans cette partie agitée de ma carrière » (56) « Il était détesté, naturellement », ajoute-t-il, « car il haïssait la médiocrité et ne se privait pas de le montrer, avec une verve, un éclat terribles. Il avait la dent dure et adorait se faire des ennemis » (57).

Pierre Daye Feuillets bleus 1931.jpgProfondément choqué par le déferlement de violence auquel il assiste, Pierre Daye en juge sévèrement les inspirateurs : « Il fallait », constate-t-il amèrement, « par la provocation, empoisonner une atmosphère trop paisible, donc trop favorable à l’occupant. Il fallait susciter des vengeances, allumer l’esprit de représailles » (58). Et confronté à cet engrenage fatal (59), il en décrit tristement le mécanisme : « De braves gens, mûs uniquement par le sentiment patriotique, ne se doutaient point du vrai rôle qu’on leur faisait ainsi jouer. Et des canailles trouvaient, en se glissant parmi eux, le moyen de commettre les plus bas crimes (…) Se sentant sans protection, d’autres braves gens, de l’autre idéologie, se dirent alors qu’il fallait se défendre soi-même ; non pas se venger, mais si l’on voulait vivre, répondre à la terreur par la terreur » (60).

            Sa charge administrative facilitant les déplacements, Pierre Daye ne se prive pas de revenir en France autant qu’il le souhaite. Le 29 novembre 1943, il est à Vichy où il déjeune avec Pierre Laval, « la mèche napoléonienne sur la lippe fatiguée (…) Ironique, sans illusion, finaud » (61). Le soir, il dîne au Chantecler avec Stanislas de la Rochefoucauld, l’ambassadeur Gaston Bergery (« toujours l’air d’un jeune père jésuite, sec, précis et désabusé, strictement vêtu de drap sombre ») et son épouse, Bettina Jones, ancienne égérie de Schiaparelli. Au retour, le Belge s’arrête bien sûr à Paris où il rend visite à Drieu, avenue de Breteuil. « Il m’effraye », note-t-il, « par sa lucidité triste : la guerre, la décadence des possédants, la lourdeur des Allemands, l’incompréhension des femmes, le préoccupent. Son scepticisme me désespère et me séduit à la fois » (62). De retour chez lui, avenue de Tervueren, à Etterbeek, Pierre Daye n’est pas rasséréné par l’atmosphère ambiante. Les attentats se multiplient et les positions des uns et des autres se crispent jusqu’à l’absurde. Même les nuits ne laissent désormais plus aucun répit : « Qui n’a pas connu », raconte-t-il, « l’angoisse causée par des centaines d’avions passant sur les têtes, tandis que roulait à travers les nuages un bruit sourd, dominant tous les autres, et la sensation de la mort qui pouvait vous atteindre à chaque seconde, alors que l’on se sentait accablé d’impuissance, hors de toute possibilité de fuite ou de recours quelconque, ne sait pas ce que furent pour les nerfs ces heures démoralisantes » (63).

Loin des épurateurs

            Dans ces conditions, et compte tenu de l’avenir immédiat de la Belgique tel qu’il l’anticipe, Daye songe de plus en plus à mettre quelque distance entre les futurs libérateurs du royaume et lui-même. En mai 1944, l’occasion s’offre à lui d’effectuer une tournée officielle en Espagne en qualité de commissaire aux sports, déplacement qui possède l’immense avantage de le mettre à l’abri des pistoleros du Front de l’Indépendance, comme des bombes de la RAF et de l’US Air Force. Le 19 mai, le quotidien madrilène ABC rapporte que le Belge a donné une conférence de presse dans la capitale ibérique, et quant à l’intéressé lui-même, il signale qu’il passe ensuite quelques jours à Barcelone afin de s’entretenir avec le général Moscardo (1878-1956), délégué national aux sports. Peu pressé de rentrer en Belgique, Pierre Daye se trouve encore à Madrid le 6 juin lorsque tombe la nouvelle du débarquement allié en Normandie. Ses supérieurs le pressent de rentrer au pays, mais l’écrivain n’en a cure : « J’étais venu librement comme les autres fois », commente-t-il. « Nul ne m’avait donné d’ordres, et je ne me sentais pas d’humeur à commencer à en recevoir » (64). D’ailleurs, un retour impliquerait de traverser une France en pleine insurrection et comme il le souligne : « Je possédais les meilleures raisons du monde pour ne pas tomber entre les mains d’excités pris de folie sanguinaire » (65). À cette époque commence donc pour Pierre Daye une seconde existence, celle d’un émigré politique. Elle va durer un peu plus de quinze ans.

            yvhth_gkgw.jpgLes premiers temps d’exil ne sont pas trop durs car l’expatrié possède encore quelques relations : il est reçu chez le phalangiste Eugenio d’Ors (66) ou chez le général Eugenio Espinosa de los Monteros, ancien ambassadeur à Berlin, et dîne même parfois avec Walter Starkie (67), le directeur de l’Institut Britannique de Madrid. Plus tard, il verra de temps en temps François Piétri et l’académicien Abel Bonnard. Quelles que soient les difficultés qu’il rencontre et la peine qu’il éprouve, cet exil lui épargne à tout le moins un sort funeste. L’épuration belge se veut en effet particulièrement vindicative puisque, si l’on en croit Paul Sérant, un certain Marcel Houtman exige par exemple que soient exécutés tous les Belges ayant combattu sur le front de l’Est, tous les écrivains et journalistes de la collaboration et tous les fonctionnaires ayant servi les desseins de l’occupant ! (68) Les intellectuels ne peuvent donc guère espérer de mansuétude. Le poète René Baert a été sommairement abattu au coin d’un bois, quelque part en Allemagne, plusieurs journalistes sont condamnés à la peine capitale et fusillés (Paul Herten, José Sreel, Jules Lhoste, Victor Meulenyser, Charles Nisolles, Paul Lespagnard), d’autres échappent de très peu au poteau (Robert Poulet, Paul Jamin), et quelques-uns, comme Pierre Hubermont et Gabriel Figeys, écopent de lourdes peines de détention. Le peintre Marc Eemans est frappé d’une peine de huit ans de prison, tandis que le dramaturge Michel de Ghelderode se fait copieusement insulter et chasser de son emploi. Beaucoup ne retrouveront un peu de tranquillité qu’à l’étranger : Simenon, Hergé et Henri de Man en Suisse, Paul Werrie en Espagne puis en France, Raymond de Becker (condamné à mort puis à la détention perpétuelle), Claude Elsen (condamné à mort par contumace) et Louis Carette (condamné par contumace à 15 ans de travaux forcés) en France. Certains feront malgré tout, hors de Belgique, de brillantes carrières : émigré à Paris, Oscar Van Godtsenhoven, alias Jan Van Dorp, y remportera un prix (1948) pour son Flamand des vagues ; Louis Carette, alias Félicien Marceau, sera élu à l’Académie française (1975), tandis que Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse vendront des milliers de livres sous les noms d’emprunt de Paul Kenny et Jean-Gaston Vandel. « La répression contre les intellectuels », note Elsa Van Brusseghem-Loorne, « surtout en Wallonie (69), prendra (…) une tournure dramatique et particulièrement cruelle, comme si le pouvoir, détenu par des classes en déclin, voulait éliminer par tous les moyens ceux qui, par leurs efforts, étaient la preuve vivante de son infériorité culturelle » (70)…

Au pays de Martin Fierro

            Faute d’avoir pu épingler Pierre Daye à leur tableau de chasse, les nouvelles autorités belges se penchent néanmoins sur son cas, et la 4e Chambre du Conseil de Guerre n’éprouve aucun scrupule à le condamner par contumace, le 18 décembre 1946, à la peine de mort. Des pressions sont exercées sur l’Espagne qui ne peut décemment, sous le nez des Alliés, offrir l’hospitalité à tous les proscrits d’Europe et se voit donc contrainte d’effectuer des choix. Si le Caudillo a accordé l’asile politique à Léon Degrelle, Jean Bichelone ou Abel Bonnard, il n’a pas gardé Pierre Laval qui a fini devant un peloton d’exécution… Malgré le soutien de quelques dignitaires franquistes, comme José Félix de Lequerica, Manuel Aznar et José María de Areilza, Pierre Daye fait lui aussi partie des gens que l’on incite vivement à quitter l’Espagne. Muni d’un passeport espagnol libellé au nom de Pedro Adán, l’ancien commissaire aux sports s’envole donc pour Buenos Aires où il arrive le 21 mai 1947. En Argentine, le nouveau venu n’est pas livré à lui-même car plusieurs amis et connaissances l’ont précédé et sont là pour l’accueillir. Au nombre de ces fidèles, citons Charles Lesca (71), alias Carlos Levray ou Pedro Vignau, ancien directeur de Je suis partout, Georges Guilbaud (72), alias Jorge Degay, et Robert Pincemin (73), alias Rives ; dans le comité d’accueil figure également Mario Octavio Amadeo (74), l’un des proches conseillers du Président Perón. À peu près à la même époque, Buenos Aires voit aussi arriver Jean-Jules Lecomte, alias Jean Degraaf Verhegen, ancien bourgmestre rexiste de Chimay ; plus tard, en 1949, débarquera encore Henri Collard-Bovy, un avocat bruxellois d’un certain renom. Avisée de l’arrivée de Pierre Daye, Bruxelles se manifeste aussitôt auprès du gouvernement argentin et réclame son extradition (17 juin 1947). Cette demande ayant été rejetée, l’écrivain est alors tout simplement déchu de sa nationalité. À compter du 24 décembre 1947, l’ancien combattant de 1914-18, vétéran de Tabora et ex-député, n’est donc plus citoyen belge, il est apatride.

          daye_p_le_congo_belge_1931.jpg  Âgé de 55 ans et plutôt combatif, l’homme est cependant loin d’avoir dit son dernier mot. Le 29 juin 1948, il prend part, avec quelques autres expatriés (75), à la création de la Société Argentine pour l’Accueil des Européens ou Sociedad Argentina para la Recepción de Europeos (SARE). Jouissant de la discrète protection de l’anthropologue Santiago Peralta, patron des services d’immigration, et bénéficiant des encouragements du cardinal Santiago Luis Copello (1880-1967), cette société s’efforce d’aider les « maudits » qui continuent d’affluer sur les rives du Rio de la Plata. Pierre Daye reprend aussi son métier de journaliste et participe au lancement de plusieurs publications dont Hebdo (1947), Europe-Argentine (1948), Argentina 49, Paroles françaises et Nouvelles d’Argentine. Naturalisé argentin en 1949, il collabore également aux revues Criterio et Itinerarium, à El Economista, le journal que fonde l’ancien Premier ministre yougoslave Milan Stojadinović (1888-1961), ainsi qu’à Dinámica Social, le mensuel que lance, en 1952, l’ancien hiérarque fasciste Carló Scorza (alias Camillo Sirtori)-(76). Organe officiel du Centre d’Études Économiques et Sociales, cette revue regroupe de nombreuses plumes de talent dont celles du philosophe roumain Georges Uscatescu, d’Ante Pavelić (alias A. S. Mrzlodolski), du père Juan Ramon Sepich, de Julio Irazusta, ou encore de Jean Pleyber, André Thérive, Jacques de Mahieu et Jacques Ploncard (alias Jacques de Sainte-Marie). Pierre Daye ne délaisse pas non plus le terrain politique où il parvient, avec son entregent habituel, à rester en bons termes à la fois avec les traditionalistes catholiques et les péronistes. Durant l’été 1949, il a quelques contacts avec le Centre des Forces Nationalistes, mais s’intéresse aussi à la Troisième Position de Juan Perón. Avec Radu Ghenea, Georges Guilbaud, René Lagrou (77) et Victor de la Serna, il signe d’ailleurs à ce sujet une note qui sera remise au chef de l’État. En septembre 1950, l’écrivain a le plaisir de renouer avec le ministre belge Marcel Henri Jaspar (1901-1982) qui est de passage dans le cône sud. Autre contact important, Sir Oswald Mosley, qu’il rencontre en novembre 1950, lors de la visite que l’ancien chef de la British Union of Fascists fait en Argentine (78). Venu s’entretenir avec Hans Ulrich Rudel, l’Anglais sera reçu par Juan Perón. Installé à Buenos Aires, dans le quartier de Palermo, et nommé professeur à l’Université de La Plata (sur recommandation de son ami le ministre des Affaires Étrangères Hipólito Jesús Paz), Pierre Daye entretient d’autre part une abondante correspondance.

On sait notamment qu’il a de fréquents échanges épistolaires avec des gens comme Jean Azéma, Maurice Bardèche, Henri de Man, Georges Remi (Hergé), Christian du Jonchay (alias Della Torre), le père Omer Englebert, Simon Arbellot, Henri Poulain ou l’éditeur genevois Constant Bourquin. Au plan des relations sociales, il est probable qu’il rencontre assez souvent quelques collègues d’autrefois comme Henri Lèbre (alias Enrique Winter), un ancien du Cri du Peuple, Henri Janières, vétéran de Paris-Soir (et futur correspondant local du Monde) et Pierre Villette-Dorsay, ancien chroniqueur parlementaire à Je suis partout et rescapé de Radio-Patrie (79), qui tous résident dans la capitale fédérale. Il possède également d’excellents amis argentins, comme Juan Carlos Goyeneche (1913-1982), l’attaché de presse de la présidence de la République. En août 1951, il assiste sans doute, à la cathédrale de Buenos Aires, à la messe qui est célébrée, devant des milliers de fidèles, pour le repos de l’âme du maréchal Pétain, et fin 1952 à celle qui est dite pour Charles Maurras.  Séparé de son lectorat habituel et résidant dans un pays hispanophone, Pierre Daye ne publie quasiment plus de livres : seul paraîtra, en 1952, un essai politique, El suicidio de la burguesía (Le suicide de la bourgeoisie). Cela ne l’empêche bien évidemment pas d’écrire et il laissera à la postérité de nombreux inédits. Parmi ceux-ci et outre divers essais (Le voyageur de la guerre, 1940-1945 ; Panorama espagnol ; En Argentine ; Pris aux autres), son long exil lui permet de rédiger d’imposants mémoires. Intitulés D’un monde à l’autre et ne comptant pas moins de 63 chapitres ou 1600 pages dactylographiées, ces mémoires sont, hélas, encore inédits et dorment toujours dans les bibliothèques bruxelloises…

           108740.jpg La chute de Juan Perón, en septembre 1955, n’entraîne pas d’inconvénients majeurs pour Pierre Daye qui n’est pas vraiment un acteur de la vie politique locale. Tenu pour proche du péronisme, il se retrouve néanmoins marginalisé et éloigné des nouveaux cercles dirigeants. Plus que le changement de régime, c’est plutôt l’isolement et l’oubli qui le menacent désormais. Le temps fait lentement son œuvre et la plupart des Belges l’ont d’ores et déjà oublié. Pas mal d’émigrés ont regagné l’Europe, on lui demande de moins en moins d’articles et la solitude le guette. C’est dans ce contexte un peu maussade que le 20 février 1960, à un peu moins de 68 ans, une hémorragie cérébrale vient brutalement mettre un terme à son existence. Cultivé, discret et fort modéré, on se demande encore ce que cet homme avait bien pu faire pour que la Belgique d’après-guerre lui témoigne d’une vindicte aussi tenace. Se pourrait-il tout simplement que l’on ait jugé, en haut lieu, qu’il en savait beaucoup trop long sur les arcanes (et les drôles de combines) de l’Occupation et qu’il fallait le discréditer à jamais ?

Christophe Dolbeau

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(1) Avec les vainqueurs de Tabora, Paris, Perrin et Cie, 1918.

(2) Le baron Pierre Nothomb (1887-1966) fut avocat mais surtout écrivain et homme politique. Leader des nationalistes belges, il sera plus tard sénateur du Parti catholique puis du Parti social-chrétien. Voy. Lionel Baland, Pierre Nothomb, Qui suis-je, Grez-sur-Loing, Pardès, 2019.

(3) Edmond Thieffry (1892-1929) était un as de l’aviation belge. En 1925, il accomplit l’exploit de rallier Léopoldville (Kinshasa) depuis Bruxelles, à bord d’un avion Handley Page W8.

(4) Jean Delville (1867-1953) était un poète et un peintre symboliste. Il enseigna son art à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles entre 1907 et 1937.

(5) L’ingénieur Leonid Krassine (1870-1926) était un dirigeant bolchevik qui fut commissaire du peuple au commerce extérieur, puis ambassadeur soviétique à Paris et Londres.

(6) Fils de banquier, Maxime Litvinov ou Meir Henoch Wallach-Finkelstein (1876-1951) fut commissaire du peuple aux Affaires Étrangères et ambassadeur soviétique à Londres, puis auprès de la SDN.

(7) Le général Wladyslaw Sikorski (1881-1943) avait été, en 1920, l’un des artisans de la défaite des bolcheviks devant Varsovie. Il sera successivement chef d’état-major, Président du Conseil et ministre des affaires militaires.

(8) Pou-yi (1906-1967) fut le dernier empereur de Chine. Destitué en 1912 puis réfugié à Tianjin, il sera placé par les Japonais à la tête du « Grand État mandchou de Chine » ou Mandchoukouo (1932).

(9) Seigneur de guerre et généralissime, Tchang Tso-lin (1875-1928) sera brièvement président de la République de Chine (juin 1927-juin 1928) après avoir été longtemps le maître de la Mandchourie.

(10) Par exemple Le Maroc s’éveille (1924), Moscou dans le souffle de l’Asie (1926), La Chine est un pays charmant (1927), Le Japon et son destin (1928), La clef anglaise (1929), Beaux jours du Pacifique (1931) et Aspects du monde (1934).

(11) José Félix de Lequerica (1891-1963) fut maire de Bilbao (1938-39), puis ambassadeur d’Espagne en France, ministre des Affaires Étrangères (1944-45) et ambassadeur aux Etats-Unis (1951-54).

(12) Président du Parti Ouvrier Belge, Henri de Man (1885-1953) sera ministre des Travaux publics (1934-35) et ministre des Finances (1936-38). Condamné en 1946 à 20 ans de détention et dix millions d’amende pour avoir « servi les desseins de l’ennemi », il finira ses jours en Suisse (écrasé par un train sur une voie de chemin de fer où sa voiture s’était immobilisée).

(13) Militant socialiste, Paul-Henri Spaak (1899-1972) sera ministre des Transports et des PTT, ministre des Affaires Étrangères et Premier ministre. Il est considéré comme l’un des « pères de l’Europe ».

(14) Voy. Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945 », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de Recherches et d’Études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, p. 165-168.

(15) Voy. Jean-Léo, La Collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002, p. 107.

(16) Ibid, p. 109.

(17) Voy. Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968, p. 73.

(18) Voy. Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Editions du Ponant, p. 35 – extrait du chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(19) Voy. supra, note 10.

(20) À savoir La politique coloniale de Léopold II (1918), Léopold II (1934), Vie et mort d’Albert Ier (1934), La jeunesse et l’avènement de Léopold III (1934).

(21) Par exemple Les conquêtes africaines des Belges (1918), L’Empire colonial belge (1923), Le Congo belge (1927), Congo et Angola (1929),  Stanley (1936), Livingstone retrouvé par Stanley (1936),

(22) Voy. En Espagne, sous la Dictature (1925), La Belgique et la mer (1926), La Belgique maritime (1930) et L’Europe en morceaux (1932).

(23) « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, pp. 360-375 (consultable en ligne).

(24) Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937, p. 10.

(25) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 2 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(26) Voy. Jean-Michel Etienne, op.cit., p. 36.

(27) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 4 – chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(28) Le Flamand Gustave Sap (1886-1940) était le propriétaire du journal catholique De Standaard. Député du Parti catholique, il sera ministre des Travaux publics, de l’Agriculture et du Commerce (1932-34), ministre des Finances (1934), puis de l’Économie et du Commerce (1939-40). Ses sympathies pour la droite et le rexisme entraîneront son exclusion du Parti catholique…

(29) L’avocat Hendrik Borginon (1890-1985) était l’un des dirigeants du parti nationaliste flamand VNV.

(30) Député du Parti catholique populaire flamand, Gérard Romsée (1901-1975) fut ensuite l’une des figures de proue du parti nationaliste flamand VNV. En avril 1941, il sera nommé secrétaire général à l’Intérieur et la Santé, ce qui lui vaudra d’être condamné à mort puis à la réclusion perpétuelle en 1945.

(31) Nationaliste flamand, Joris van Severen (1894-1940) fut le fondateur du mouvement solidariste thiois Verdinaso. Arrêté en 1940 sur soupçon (totalement infondé) d’appartenance à la 5e colonne, il sera sommairement abattu par des militaires français, le 20 mai, à Abbeville.

(32) Charles-Albert d’Aspremont-Lynden (1888-1967) était un sénateur du Parti catholique. Il sera ministre de l’Agriculture en 1939-40 et ministre sans portefeuille dans le gouvernement belge en exil à Londres (1940-44).

(33) « On ne comprit pas », écrit Pierre Daye, « ou plutôt on ne voulut pas comprendre, qu’en politique, les sentiments et le réalisme sont deux choses et que si mon affection pour la culture et pour le peuple de France n’a jamais varié, je ne pouvais pas rester aveugle devant la folie de sa politique guerrière… » – Le Dossier du Mois, n° 12, p. 8 –  chapitre XXXV des mémoires de Pierre Daye.

(34) Voy. Bernard Delcord, op. cit., pp. 177-179.

(35) Autonomiste corse, Pierre Bonardi (1887-1964) était un journaliste et un écrivain. Longtemps proche du Parti radical-socialiste et de la Ligue contre l’antisémitisme (LICA), il adhèra ensuite au PPF et soutint Pierre Laval durant l’Occupation.

(36) Le 20 mai 1940, 21 personnes arrêtées en Belgique et soupçonnées d’appartenir à la 5e colonne sont assassinées sans jugement, à Abbeville, par une compagnie de l’armée française aux ordres du capitaine Marcel Dingeon et du lieutenant René Caron. Disparaissent (entre autres) dans ce massacre le leader flamand Joris Van Severen et son adjoint Jan Ryckoort, le rexiste René Wery, le hockeyeur canadien Robert Bell, deux communistes et deux Juifs. Léon Degrelle échappe de justesse à la mort. Voy. Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d. ; Carlos Vlaeminck, Dossier Abbeville, Louvain, Davidsfonds, 1977.

(37) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 15 –  chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(38) Ibid, p. 16 – chapitre XLII des mémoires de Pierre Daye.

(39) Ibid, p. 22 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(40) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(41) Ibid, p. 24 – chapitre XLV des mémoires de Pierre Daye.

(42) Voy. Jean-Léo, op.cit., p. 28.

(43) Ibid, pp. 41-48.

(44) Voy. Jean-Léo, op. cit., p. 56.

(45) cité par Roland Roudil, Jean-François Durand et Guillaume Bridet, in Le reportage colonial,  Pondicherry, Kailash, 2016, p. 462.

(46) Le Choc du Mois, n° 12, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(47) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 183.

(48) Voy. C. Dolbeau, « Weimar 1941-1942 : la Société Européenne des Écrivains », Tabou, vol. 25, Saint-Genis-Laval, Akribeia, 2019, 160-183.

(49) Voy. Bernard Delcord, op. cit., p. 182.

(50) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 27 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(51) Ibid, p. 27-28 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(52) Ibid, pp. 31-32 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(53) Voy. Jacques Willequet, La Belgique sous la botte, Paris, Éditions universitaires, 1986, p. 279.

(54) Voy. Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), p. 62.

(55) petit-cousin de Robert Poulet (1893-1989), le rédacteur en chef du Nouveau Journal.

(56) Le Dossier du Mois, n° 12, pp. 28-29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(57) Ibid, p. 29 – chapitre XLVI des mémoires de Pierre Daye.

(58) Ibid, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(59) Les Partisans communistes se vantent d’avoir « exécuté » 962 soldats ennemis et 1137 collaborateurs (voy. J. Willequet, op. cit., p. 300) et l’on parle de 700 rexistes assassinés. En face, des commandos ripostent, en abattant le banquier Alexandre Galopin et l’ancien gouverneur François Bovesse ou en massacrant 27 otages à Courcelles-Charleroi.

(60) Le Dossier du Mois, n° 12, p. 35 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(61) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(62) Ibid, p. 34 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(63) Ibid, p. 36 – chapitre XLVII des mémoires de Pierre Daye.

(64) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(65) Ibid, p. 36 – chapitre XLIX des mémoires de Pierre Daye.

(66) Célèbre écrivain et critique d’art catalan, Eugenio d’Ors i Rovira (1881-1954) fut ministre des Beaux-Arts du gouvernement nationaliste durant la Guerre Civile. Membre de l’Association des amis de l’Allemagne, il siégeait aussi à l’Académie royale espagnole.

(67) Universitaire et musicien, Walter Starkie (1894-1976) était un grand spécialiste de la culture rom. Il avait appartenu, dans les années 1920, au Centre International d’Études sur le Fascisme (CINEF) avec Giovanni Gentile, James S. Barnes et Herman de Vries de Heekelingen.

(68) Voy. Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964, p. 136.

(69) Il ne faut toutefois pas sous-estimer les effets de la répression du côté flamand, avec notamment l’exécution d’Auguste Borms et Karel de Feyter, la condamnation à mort puis à la détention perpétuelle de Ward Hermans, Johannes Timmermans, Gérard Romsée et Josephus Van De Wiele, la condamnation à mort de Jozef François, la condamnation à mort par contumace du père Cyriel Verschaeve, de Wies Moens, Hendrik Elias, Frans Daels et Edgar Delvo, la peine de 20 ans de détention infligée à Hendrik Borginon (avec une amende de 10 millions), celle de 12 ans de prison infligée à Jules Callewaert  ou celle de 10 ans infligée à Filip de Pillecijn – Voy. Franz W. Seidler, Die Kollaboration 1939-1945, Munich-Berlin, Herbig, 1999.

(70) Elsa Van Brusseghem-Loorne, op. cit., p. 62.

(71) Charles Lesca (1887-1948) était né en Argentine et s’appelait en fait Carlos Hipólito Saralegui Lesca. Ami personnel de Charles Maurras, il succéda à Robert Brasillach à la direction de Je suis partout, ce qui lui valut, en mai 1947, d’être condamné à mort par contumace. Voy. Dominique Venner, Histoire de la Collaboration, Paris, Pygmalion, 2000, p. 620-621 ; Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la Collaboration française, Paris, Jean Picollec, 1987, pp. 560-562.

(72) Ancien fort des Halles mais aussi docteur en droit, Georges Guilbaud (1914) était un ex-communiste qui avait rejoint le PPF de Jacques Doriot. Directeur du journal L’Écho de la France, il fut également plénipotentiaire français auprès de la République Sociale Italienne. Voy. Dominique Venner, op. cit., p. 600.

(73) Ancien ingénieur de l’École Centrale, Robert Pincemin avait dirigé la Milice française dans les départements de l’Ariège et de la Haute-Garonne. Il fondera en Argentine une branche locale de la Cité catholique et publiera plusieurs ouvrages de politique et d’économie.

(74) Philosophe et diplomate, Mario Octavio Amadeo (1911-1983) était l’un des fondateurs de l’Action catholique en Argentine. Proche un temps de Juan Perón, il s’en écartera par la suite et sera brièvement ministre des Affaires Étrangères en 1955. Chef de la délégation argentine aux Nations Unies, il en présidera même le Conseil de Sécurité en 1959.

(75) En l’occurrence le Roumain Radu Ghenea (1907-1973), ex-ambassadeur de Roumanie à Madrid et ancien avocat de Corneliu Zelea Codreanu, Ferdinand Durčansky (1906-1974), ancien ministre slovaque de l’Intérieur et des Affaires Étrangères, Mgr Ferenc Luttor (1886-1953), protonotaire apostolique hongrois, Eugenio Morreale, ex-ambassadeur d’Italie à Madrid, et Robert Pincemin (voy. note 73).

(76) Plusieurs fois élu député, Carló Scorza (1897-1988) fut, en 1943, le dernier secrétaire du Parti national fasciste.

(77) L’avocat flamand René Lagrou (1904-1969) fut le premier chef de l’Algemeene-SS Vlaanderen puis il rejoignit la Waffen-SS en qualité de correspondant de guerre et obtint le grade de Sturmbannführer dans la division Langemarck.

(78) Il voyage alors sous l’amusant pseudonyme de Harry Morley.

(79) Voy. C. Dolbeau, « Des Français chez Perón », Écrits de Paris, n° 727, janvier 2010, 47-53.

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Bibliographie

Le Dossier du Mois, n° 12 (décembre 1963), Bruxelles, Éditions du Ponant (« Les Mémoires de Pierre Daye »).

– Elsa Van Brusseghem-Loorne, « La libération et l’épuration en Belgique », Le Crapouillot, n° 120 (juillet-août 1994), 61-63.

– Pierre Daye, Léon Degrelle et le rexisme, Paris, Fayard, 1937.

– Pierre Daye, « Le mouvement pan-nègre », Le Flambeau, 4e année, n° 7, juillet 1921, 360-375.

– Léon Degrelle, La cohue de 40, Lausanne, Robert Crauzaz, 1949.

– Léon Degrelle, La guerre en prison, in Relectures Léon Degrelle, Lyon, Irminsul Éditions, s.d.

– Paul Sérant, Les vaincus de la Libération, Paris, Robert Laffont, 1964.

– Jean-Michel Etienne, Le mouvement rexiste jusqu’en 1940, Paris, Armand Colin, 1968.

– Jacques Willequet, La Belgique sous la botte. Résistances et collaborations 1940-1945, Paris, Éditions universitaires, 1986.

– Bernard Delcord, « À propos de quelques ‘chapelles’ politico-littéraires en Belgique (1919-1945) », Cahiers d’Histoire de la IIe Guerre mondiale, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, n° 10, octobre 1986, 153-205.

– Bernard Delcord et José Gotovitch, Papiers Pierre Daye, Inventaires 22, Bruxelles, Centre de recherches et d’études historiques de la IIe Guerre mondiale, 1989.

– Jean-Léo, La collaboration au quotidien – Paul Colin et le Nouveau Journal 1940-1944, Bruxelles, Racine, 2002.

– Louis Fierens, 39-45 Carnets de Guerre – Prêtre chez les SS, Waterloo, Éditions Jourdan, 2012.

             

samedi, 18 avril 2020

Littératures et nationalités de combat

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Littératures et nationalités de combat

Par Pieter Jan Verstraete

Jelle Krol, Frison de cœur et de tripes, collaborateur au « Tresoor », a passé récemment une thèse de doctorat, qui est remarquable, et sur laquelle je souhaite attirer l’attention de mes lecteurs. Le « Tresoor » à Leeuwarden, capitale de la Frise néerlandaise, est, dans une certaine mesure, l’équivalent de la Maison des Lettres AMVC en Flandre.

L’objectif premier de la thèse de Krol est de situer les littératures produites par les minorités ethno-linguistiques dans la période qui a immédiatement suivi la première guerre mondiale et qui ont été exprimées par des écrivains qui se posaient comme les dirigeants politiques de minorités linguistiques auxquels ils s’identifiaient. Il aborde des auteurs tels Douwe Kalma (1896-1953), Frison, Saunders Lewis (1893-1985), Gallois, Hugh MacDiarmid (1892-1978), Ecossais, et Roparz Hemon (1900-1978), Breton.

Avant-Garde

Pendant la première guerre mondiale, le Président américain Woodrow Wilson avait annoncé que des nations sans langue jusqu’alors officielle allaient recevoir l’autonomie. Après la guerre, la carte de l’Europe avait pris un tout autre aspect. Si on la compare à celle d’avant 1914, on constate que le nombre d’Etats souverains avait augmenté d’environ un tiers. Des langues qui, auparavant, n’avaient aucun statut, sont devenues en 1918, des langues d’Etat, comme notamment le Polonais et le Slovaque. L’Islande avait obtenu un plus grand degré d’indépendance et l’Irlande (moins l’Irlande du Nord) était devenue une république indépendante.

Conséquence du débat public sur l’auto-détermination des minorités ethno-nationales, les sentiments propres au nationalisme culturel se sont intensifiés pendant l’entre-deux-guerres. Ces sentiments se sont exprimés tant et si bien que de jeunes écrivains d’avant-garde, partout en Europe, surent capter l’attention des lecteurs et des auteurs de langues majoritaires pour les littératures des langues minoritaires et, par suite, de créer de la sorte un espace plus indépendant pour leur propre littérature. Ces écrivains d’avant-garde se percevaient comme les leaders d’une nouvelle vague, au seuil de temps nouveaux. En tant que disciple de la spécialiste française ès-littératures comparées, Pascale Casanova, Jelle Krol pose ces littératures des langues minoritaires comme des « littératures de combat ».

Avec acribie, Krol explore la vie et l’œuvre des quatre auteurs ethno-nationalistes mentionnés ci-dessus, sans perdre de vue le contexte politique, socio-économique et religieux de leurs régions respectives. Les auteurs sélectionnés par Krol sont des contemporains, tous nés dans la dernière décennie du 19ème siècle. Il les décrit comme des littérateurs de premier plan, qui ont vigoureusement stimulé l’usage de leurs langues (le frison, le gallois, le breton et l’écossais), en démontrant qu’elles pouvaient exprimer des valeurs intellectuelles et culturelles de haut niveau. On les comparera à nos flamingants d’avant la première guerre mondiale qui ont su prouver à leurs détracteurs que la langue néerlandaise était aussi une langue scientifique (notamment dans le cadre de la lutte pour faire ouvrir une université de langue néerlandaise).

L’idée de la Grande Frise

KALMA.jpgDouwe Kalma opposait l’idée d’une Grande Frise à celle d’une Grande Néerlande, en exprimant de la sorte les liens, qu’il ressentait comme réels et charnels, entre les Frisons des Pays-Bas et ceux de Frise septentrionale et de Frise orientale qui vivaient sous les administrations allemande et danoise. Simultanément, il plaidait pour une Grande Frise qui aurait eu pour fonction de faire pont entre la Scandinavie et l’Angleterre, afin de lier des peuples qui, selon lui, étaient très proches depuis longtemps et qui présentaient certaines affinités mentales. Pour pouvoir donner forme à cette fonction de pont, la Frise, selon Kalma, devait réclamer une plus grande autonomie ; il fallait, pour cela, que ses compatriotes soient culturellement structurés.

Inspirés par la lutte pour l’indépendance irlandaise, Saunders Lewis et Hugh MacDiarmid insistaient sur la nécessité de promouvoir des changements politiques et des réformes culturelles, notamment au niveau de l’enseignement. En 1925, Lewis participe à la fondation du « Plaid Genedlaethol Cymru » (le Parti National du Pays de Galles) ; en 1928, MacDiarmid devint l’un des fondateurs du « National Party of Scotland ».

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Saunders Lewis.

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Hugh MacDiarmid.

Roparz Hemon, au contraire, pensait qu’une Bretagne plus autonome ne pourrait être concrétisée que si les Bretons se donnaient la peine de parler la langue bretonne, au-delà des cercles familiaux et religieux. Il croyait surtout que si la Bretagne devenait davantage bretonne sur les plans de la langue et de la culture, elle finirait par acquérir tout naturellement une plus large indépendance.

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Roparz Hemon.

En langue anglaise

Chacun de ces quatre auteurs, dans sa propre sphère linguistique, s’est avéré comme critique radical, qui exigeait une plus ample reconnaissance de sa langue. En même temps, ils incitaient leurs collègues écrivains à créer une littérature de haut niveau dans leurs langues minoritaires. Leur attitude combattive pourrait s’expliquer par leurs sentiments meurtris qui les auraient conduits à une ferme détermination : celle de se consacrer entièrement à leur mission. Chez ces quatre hommes, la minimisation ou, parfois, le mépris à l’endroit de la langue de leurs parents et de leurs ancêtres, ont constitué, consciemment ou inconsciemment, l’élément moteur de leur engagement.

Ils se posaient comme des dirigeants appelés à parfaire une mission. Indépendamment les uns des autres, ces quatre écrivains ont formulé plus ou moins le même objectif : ils voulaient que l’on déplace le foyer nodal de la civilisation des centres du pouvoir vers les périphéries. Ils avaient tous quatre conscience que le chemin vers ce noble but serait parsemé d’embûches et de défis. Leurs langues étaient toutefois davantage associées à la tradition et à la simplicité plutôt qu’à l’innovation et à la modernité.

Finalement, ces quatre écrivains étaient tous convaincus que leur langue et leur culture pouvaient jouer un rôle significatif dans l’après-guerre de 1918, non seulement dans leurs environnement réduit mais aussi  à un niveau plus vaste, sur le plan international. Ils ont réussi à donner plus de respectabilité à leur littérature. Ces quatre militants linguistes plaidaient aussi pour une large autonomie culturelle, pour le maintien de leur identité et pour une autonomie de leurs régions.

J’ai esquissé ici les lignes de force de la thèse du Dr. Jelle Krol. Cette thèse recèle toutefois un grand désavantage : elle est écrite en anglais (avec seulement un résumé en néerlandais à la fin). C’est devenu la règle dans les universités aux Pays-Bas.

Hélas, cette tendance à l’anglicisation devient aussi de plus en plus fréquente dans les universités flamandes. Je ne sais pas si cette thèse paraîtra un jour en néerlandais, en frison, en gallois, en écossais ou en breton. Quoi qu’il en soit, elle constitue un solide dossier, fourmillant de points de vue originaux, qui devraient intéresser nos lecteurs.

Pieter Jan Verstraete.

(ex : ‘t Pallieterke, 20 septembre 2018).

Jelle Krol, « Combative Minority Literature Writers in the Aftermath of the Great War », Groningen, Rijksuniversiteit Groningen, 2018. 408 pages, ISBN-978-94-60016-51-6.

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Le bataillon des Philhellènes : le soutien à la lutte grecque contre le joug turc

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Le bataillon des Philhellènes : le soutien à la lutte grecque contre le joug turc

Par Henrik Bergtann

Le 25 mars 1821 éclate la révolte générale, et bien planifiée, des Grecs contre la domination turque qui s’exerçait depuis plusieurs siècles sur l’archipel hellénique. Entre cette date et la défaite finale de l’Empire ottoman, avec l’appui de la Grande-Bretagne, de la France et de la Russie, défaite scellée en 1829 par le Traité d’Andrinople, de nombreux et sanglants combats ont eu lieu. Mais les Grecs, à cette époque-là, n’étaient pas laissés à eux-mêmes, car leur lutte soulevait les enthousiasmes partout en Occident. « La jeunesse manifestait son enthousiasme pour Hellas (…) et, les philologues, tout particulièrement, brûlaient d’ardeur et s’enflammaient pour la cause grecque », notait Heinrich Heine. Les associations qui récoltaient de l’argent pour les Grecs en lutte connaissaient un vif succès. En plus, des milliers de jeunes étaient prêts à offrir leur force physique et leur vie pour la lutte qui s’engageait dans le Sud-Est de l’Europe. De nombreux aventuriers, issus de tous les pays, se retrouvèrent ainsi dans le fameux bataillon des Philhellènes, qui s’était constitué pour venir en aide à ceux que l’on posait comme les héritiers des Spartiates. Certes, l’une des principales motivations était l’amour de la culture antique mais bon nombre de volontaires étaient aussi animés par les idées antimonarchistes et par la naïveté de l’idéologie des Lumières, parce qu’ils ne pouvaient pas exprimer ces pulsions-là dans leur propre pays. A la manière du romantisme, ils projetaient leurs aspirations sur le peuple grec.

L’apothéose de ce combat des Philhellènes, héroïque autant que désastreux, fut la bataille livrée près de Peta. Commandés par Karl von Normann-Ehrenfels, les Philhellènes, avec les insurgés grecs, purent tenir longtemps une colline contre un parti ottoman quatre fois plus nombreux, qui ne cessait de lancer des attaques contre eux. Au bout du compte, cet engagement héroïque se solda par une défaite.

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Karl von Normann-Ehrenfels

Le plus connu des Philhellènes est assurément George Gordon Noel Byron, encore connu de nos jours sous le nom de « Lord Byron », un des plus célèbres poètes anglais. En 1823, Byron prend le commandement d’une unité qu’il avait équipée de ses deniers. Pour ce faire, il avait vendu une ancienne maison de maître pour la somme de 20.000 livres sterling, qu’il a versée intégralement dans sa caisse de guerre. Après avoir affronté les Turcs dans plusieurs escarmouches, Byron est grièvement blessé au combat en avril 1824, dans la ville assiégée de Missolonghi, et y meurt des suites d’une hémorragie.

Beaucoup de Philhellènes avaient été déçus par la Grèce de cette époque du soulèvement général car il l’avait imaginée pareille aux beautés de l’antiquité, dont ils rêvaient tous. Or, de cette beauté, il ne restait plus grand-chose. Byron se plaignait notamment que les représentants des factions grecques, qui se querellaient entre elles, ne briguaient que son argent. Sur le plan culturel, la plupart de ces Philhellènes pensaient à l’Orient dans cette Grèce-là, plutôt qu’à l’hellénité antique, berceau de la culture européenne.

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Le Morgenblatt für gebildete Leser publia à l’époque quelques contributions du Dr. Daniel Elster, l’un des rares étrangers à avoir survécu à la bataille de Peta. Ce médecin se montrait choqué du piètre niveau culturel de ses camarades grecs : « Un bonne partie d’entre eux réclamaient que je leur dévoile leur destin futur. Pas étonnant ! Car sorciers, magiciens, prophètes et médecins sont placés sur le même plan chez les Grecs d’aujourd’hui dont les médecins sont généralement des prêtres ».

Plusieurs monuments rappellent encore le combat des Philhellènes. Les Grecs honorent encore tout particulièrement  les figures de Byron et de Normann-Ehrenfels.

Henrik Bergtann.

(article paru dans zur Zeit, Vienne, 14/2020).

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samedi, 11 avril 2020

Gold ein sicherer Hafen in Krisenzeiten? Der große Goldraub der US-Regierung von 1933

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Torsten Groß:

Gold ein sicherer Hafen in Krisenzeiten?

Der große Goldraub der US-Regierung von 1933

Ex: https://kopp-report.de

Vor 87 Jahren, am 5. April 1933, unterzeichnete der damalige US-Präsident Franklin D. Roosevelt die Executive Order (EO) 6102. Mit dieser Anordnung wurde der Besitz von Goldmünzen, Goldbarren und Goldzertifikaten durch Personen, Gesellschaften, Vereinigungen und Firmen auf dem Gebiet der Vereinigten Staaten ab dem 1. Mai 1933 verboten. Alles Gold in privater Hand musste innerhalb von 14 Tagen bei staatlichen Annahmestellen abgegeben werden, die dafür einen amtlich festgelegten Preis von 20,67 Dollar je Feinunze (31,1 Gramm) bezahlten. Von der Verfügung ausgenommen blieb Gold, das in Industrie, Kunst oder Handwerk Verwendung fand. Außerdem gab es eine Freigrenze für Goldmünzen und Goldzertifikate in Höhe von 100 Dollar, was inflationsbereinigt einem Gegenwartswert von rund 1.970 US-Dollar entspricht. Die Freigrenze hatte zur Folge, dass der größte Teil der amerikanischen Bevölkerung nicht von dem Verbot betroffen war und es deshalb kaum öffentlichen Widerstand gegen die Präsidentenverfügung gab.

51OyWwvJLqL.jpgWer gegen die Verordnung verstieß und sein Gold trotz Verpflichtung nicht an den Staat verkaufte, musste mit einer Geldstrafe von bis zu 10.000 US-Dollar (nach heutigem Wert rund 200.000 Dollar) bzw. einer Haftstrafe rechnen, die in schweren Fällen zehn Jahre betragen konnte. Gold im Wert von über Einhundert Dollar (beim festgelegten Ankaufspreis von 20,67 Dollar also etwa 5 Unzen), welches die Polizei bei Durchsuchungen sicherstellte, wurde entschädigungslos beschlagnahmt.

Trotz der hohen Strafandrohung gab es allerdings nur selten Razzien in Privathäusern, um illegale Goldbestände aufzuspüren, zumal es dafür eines richterlichen Beschlusses bedurfte. Die Polizei konzentrierte sich stattdessen auf Tresore und Schließfächer in Banken, die nur im Beisein eines Beamten der Bundessteuerbehörde geöffnet werden durften. War hier privates Gold gelagert, das über die Freimenge hinausging, wurde das Edelmetall konfisziert und die Besitzer juristisch zur Verantwortung gezogen.

Die EO 6102 diente nicht wie gemeinhin angenommen dem Zweck, privaten Goldbesitz einzuschränken, sondern sollte den Goldbestand der amerikanischen Notenbank aufstocken.

Die sah sich mit dem Problem konfrontiert, die Geldmenge erhöhen zu müssen, um die Folgen der durch den Börsencrash vom Oktober 1929 ausgelösten Weltwirtschaftskrise zu bekämpfen, deren Volumen aber an den Goldbestand geknüpft war. Der Federal Reserve Act sah vor, dass alle ausgegebenen Banknoten zu 40 Prozent mit Gold besichert sein mussten (Goldstandard). Um in der Rezession handlungsfähig zu bleiben, ohne diese Vorgabe zu verletzen und damit eine Inflation heraufzubeschwören, wurden private Goldbesitzer von der Regierung praktisch beraubt, um der Zentralbank die erforderlichen Goldreserven zur Verfügung stellen zu können. Die EO 6102 läutete zugleich den Anfang vom Ende des Goldstandards in den USA ein.

Bereits wenige Wochen vor Inkrafttreten der präsidialen Verordnung hatte die Regierung den Banken untersagt, Gold ins Ausland zu exportieren oder Privatleuten zu den damals geltenden Marktpreisen abzukaufen. Am 31. Januar 1934 hob die Regierung den staatlichen Abnahmepreis für Gold auf 35,00 US-Dollar je Feinunze an. Diese Erhöhung diente weniger dem Zweck, Besitzer kleinerer Goldmengen zu motivieren, ihren Bestand an den Staat zu veräußern. Viel wichtiger war, dass durch die Maßnahme der Goldwert in der Bilanz der Fed über Nacht um 69 Prozent stieg und so der Spielraum, neues Geld zu drucken, um die wirtschaftliche Depression zu bekämpfen, entsprechend erweitert wurde.

513xzjfI9GL._SX318_BO1,204,203,200_.jpgEs war US-Präsident Richard Nixon, der dem Goldstandard knapp 40 Jahre später endgültig den Garaus machte. Am 15. August 1971 hob Nixon die Goldbindung des US-Dollar und damit den Goldstandard auf. Hintergrund war der rasant wachsende Welthandel, der den teilweise goldgedeckten Dollar als Ankerwährung überforderte, aber auch die hohen Kosten des Vietnamkrieges, der die Vereinigten Staaten auch finanziell stark belastete. Nixon versprach seinen Landsleuten, dass der Dollar nach dem Ende des Goldstandards seinen Wert behalten werde. Das hingegen erwies sich als falsch. Nach dem amtlichen Verbraucherindex hat der US-Dollar seit 1971 mehr als 80 Prozent seiner Kaufkraft eingebüßt. Das spiegelt sich auch im Goldpreis wieder, der von 35 Dollar auf aktuell 1.650 Dollar anstieg, ein Zuwachs um mehr als 4.600 Prozent!

Dieser kleine historische Abriss sollte deutlich gemacht haben, dass der Goldstandard, den einige Ökonomen als Königsweg für die Neuordnung unseres auf Schulden gebauten Finanzwesens propagieren, keineswegs gleichbedeutend mit dem Paradies auf Erden für alle privaten Goldbesitzer sein dürfte. Wenn der Staat in Krisenzeiten wie beispielsweise der aktuellen Virus-Epidemie unerwartet viel Geld benötigte, würden die Verantwortlichen sehr schnell wieder auf die Idee verfallen, privates Gold zu enteignen, um ihre finanziellen Spielräume zu erweitern. Doch auch ohne Goldstandard dürfen Edelmetallbesitzer nicht der Illusion erliegen, dass sie im Falle eines Systemcrashs, den Experten wie Max Otte und Markus Krall schon in absehbarer Zeit erwarten, ungeschoren davonkommen werden.

Es muss deshalb nicht die beste Idee sein, seine Reichtümer dem Schließfach einer Bank anzuvertrauen. Auch das kann man aus den Erfahrungen der frühen dreißiger Jahre des vorigen Jahrhunderts lernen.

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Donnerstag, 09.04.2020

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mardi, 07 avril 2020

Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

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Semmelweis: pionnier de l'épidémiologie et héros de Céline

Par Jacques DUFRESNE

Ex: https://metainfos.fr

Ignace Philippe Semmelweis (1818-1865). Voici le nom qui se présente avec le plus d’insistance à mon esprit dans le contexte des deux grands débats actuels : sur le virus covid-19 et sur la violence faite aux femmes. Il se trouve que ce «sauveur des mères» a eu un biographe de génie, lui aussi médecin des pauvres : Louis-Ferdinand Céline. Dans son Semmelweis, qui fut sa thèse de doctorat en médecine, soutenue en 1924, s’ébauche  un style qui s’accomplira huit ans plus tard dans le Voyage au bout la nuit, mais qui déjà, dans sa verdeur, transporte le lecteur dans une région de la vérité à laquelle aucun autre livre ne lui avait donné accès. Ce fut en tout cas mon expérience lors de ma première lecture à la fin de la décennie 1970. J’en suis à ma cinquième ou sixième lecture et je m’exclame de nouveau, avec plus d’enthousiasme encore que jadis : voici un livre qui devrait être une lecture obligatoire dans toutes les facultés de médecine !  J’ai lu quelques grandes biographies, parmi les œuvres de Plutarque, de Saint-Simon et de Stéphan Zweig notamment, aucune ne m’a donné autant que celle de Céline le sentiment de l’unité de l’auteur et de son sujet. Il m’est devenu impossible de les dissocier. Céline cite Semmelweis à quelques reprises, je me demande chaque fois s’Il s’agit vraiment d’une citation.

product_9782070755837_195x320.jpgJe n’hésite plus à mettre entre parenthèses tout ce qu’on sait au croit savoir sur l’antisémitisme de Céline, suivant en cela l’exemple de l’homme qui aurait eu le plus de raisons de jeter l’anathème sur lui, George Steiner, un juif bien formé et bien informé qui, au lieu de nier le génie là où il le voyait associé aux passions les plus funestes, s’inclinait devant le mystérieux scandale de leur coexistence dans un même être,  sans jamais exclure que, dans les mêmes circonstances , il aurait pu lui-même dériver vers les mêmes excès. Je reviens sur cette question dans un article distinct sur Steiner.

Semmelweis est celui qui, en 1848, quarante ans avant les découvertes de Pasteur sur l’infection par les microbes, a trouvé le remède à la plus tragique, la plus durable, la plus récurrente et la plus occultée des épidémies : celle qui, dans les grandes villes européennes du XIXème siècle notamment, frappaient les femmes pauvres réduites à accoucher dans les hôpitaux publics. Le taux de mortalité y était souvent de 40% et plus.

On ne sait plus qui de Socrate ou de Platon, il faut admirer le plus, tant le génie littéraire du second a contribué à la gloire du premier. Semmelweis a devant l’histoire la même dette à l’endroit de Céline que Socrate à l’endroit de Platon. Comparaison disproportionnée, m’objectera-t-on, l’œuvre de Platon est un sommet unique en son genre, tandis que la découverte de l’asepsie par Semmelweis, car c’est de cela qu’il s’agit, ne serait qu’un heureux événement parmi une foule d’autres semblables en médecine. Quand on a lu attentivement la thèse de Céline, on a au contraire et à jamais la conviction qu’il s’agit de deux plaidoyers en faveur de la même vérité, l’un au plus haut degré d’abstraction compatible avec la poésie, l’autre au ras du sol, comme dans les grands romans policiers mais jumelé à une poésie encore plus déchirante : celle de la compassion pour les malheureux.

« Semmelweis était issu d’un rêve d’espérance que l’ambiance constante de tant de misères atroces n’a jamais pu décourager, que toutes les adversités, bien au contraire, ont rendu triomphant. Il a vécu, lui si sensible, parmi des lamentations si pénétrantes que n’importe quel chien s’en fût enfui en hurlant. Mais, ainsi forcer son rêve à toutes les promiscuités, c’est vivre dans un monde de découvertes, c’est voir dans la nuit, c’est peut-être forcer le monde à entrer dans son rêve. Hanté par la souffrance des hommes, il écrivit au cours d’un de ces jours, si rares, où il pensait à lui-même : ‘’Mon cher Markusovsky, mon bon ami, mon doux soutien, je dois vous avouer que ma vie fut infernale, que toujours la pensée de la mort chez mes malades me fut insupportable, surtout quand elle se glisse entre les deux grandes joies de l’existence, celle d’être jeune et celle de donner la vie.’’ »[1]

Le Semmelweis de Céline est une chose unique dans l’histoire de la littérature. Tous les genres littéraires s’y entrelacent dans une harmonie impossible et pourtant bien atteinte : essai sur la méthode scientifique, roman policier, étude de caractères, évocation du génie des villes, histoire d’une époque et, à travers cette époque, témoignages saisissants sur la condition humaine. Quand on ferme le livre, on ne sait pas si l’on sort d’une fiction ailée ou d’un méticuleux rapport de laboratoire, d’une page de l’évangile ou d’une compilation de statistiques, mais on est sûr d’avoir fait quelque progrès dans l’inconnu de la vérité.

Semmelweis lui-même, comme Céline, est un être double, plein de compassion, mais aussi orgueilleux, intolérant et maladroit au point de nuire à ses propres recherches en se mettant inutilement à dos des collègues dont le soutien lui était nécessaire. Chercheurs du monde entier, en scaphandre, reliés par Internet et disposant d’ordinateurs tout puissants, la forme que prend aujourd’hui la recherche médicale, dans le cas des épidémies en particulier, rend très difficile pour nous de comprendre les génies solitaires du passé. Semmelweis fut peut-être le plus solitaire de tous. Et pour l’histoire des sciences telle qu’on la conçoit aujourd’hui, il n’a le mérite de la grandeur ni en tant que théoricien ni en tant que technicien : il ne fut qu’un observateur servi aussi bien par ses défauts, son orgueil, son entêtement que par ses qualités, son amour des vivants et son horreur de l’a peu près.

« L’ à peu près est la forme agréable de l’échec, consolation tentante…

Pour le franchir, l’ordinaire lucidité ne suffit pas, il faut alors au chercheur une puissance plus ardente, une lucidité pénétrante, sentimentale, comme celle de la jalousie. Les plus brillantes qualités de l’esprit sont impuissantes quand plus rien de ferme et d’acquis ne les soutient. Un talent seul ne saurait prétendre découvrir la véritable hypothèse, car il entre dans la nature du talent d’être plus ingénieux que véridique.

Nous avions pressenti, par d’autres vies médicales, que ces élévations sublimes vers les grandes vérités précises procédaient presque uniquement d’un enthousiasme bien plus poétique que la rigueur des méthodes expérimentales qu’on veut en général leur donner comme unique genèse.»[2]

De-Celine.jpgDans l’hôpital de Vienne où Semmelweis travaillait en tant qu’obstétricien, il y avait deux services de maternité, celui du professeur Bartch et celui du professeur Klin, dont il était l’adjoint. Après avoir éliminé une à une toutes les hypothèses, aussi farfelues les unes que les autres, rassemblées dans la littérature médicale de l’époque, il n’avait plus comme point de départ de son enquête qu’un seul fait : les femmes mouraient plus dans le service de Klin que dans celui de Bartch. Une différence entre les deux sautait aux yeux : dans le pavillon de Bartch le service était rendu par des sages-femmes, dans celui de Klin par des internes. Il a suffi à Semmelweis de signaler ce fait pour se mettre à dos et son patron et bon nombre de ses collègues. Il a en outre exigé avec une insistance incorrecte que les internes se lavent les mains entrant dans le pavillon de Klin; ce dernier, pour qui une telle précaution paraissait dénuée de tout fondement scientifique, le congédia. Les protecteurs de Semmelweis, car il en avait quelques-uns à Vienne, organisèrent pour lui un repos de deux mois à Venise, où il se rendit avec son ami Markusovsky. La merveille ici c’est la façon dont Céline, dans son roman biographique, raconte le séjour de Semmelweis et y voit le prélude à ses découvertes futures.

«Jamais Venise aux cent merveilles ne connut d’amoureux plus hâtif que lui. Et cependant, parmi tous ceux qui aimèrent cette cité du mirage, en fut-il un plus splendidement reconnaissant que lui ?

Après deux mois passés dans ce grand jardin de toutes les pierres précieuses, deux mois de beauté pénétrante, ils rentrent à Vienne. Quelques heures seulement se sont écoulées quand la nouvelle de la mort d’un ami frappe Semmelweis. Semblable cruauté du sort n’est-elle point normale dans sa vie ? »[3]

Le malheur n’a laissé aucun répit à Semmelweis. Il avait peu de temps auparavant perdu sa mère et son père. À son retour à Vienne, il apprend la mort de son meilleur ami, Kolletchka. Cette mort, comment se fait donc la science?  enfermait la preuve que cherchait Semmelweis. Kolletchka s’était blessé à un doigt en pratiquant une autopsie : la vérité se dévoilait tragiquement : une quelconque particule cadavérique avait contaminé le sang de cet homme. Les internes transportaient cette substance dans les entrailles des mères. Semmelweis eut droit à un nouveau poste à son hôpital, cette fois dans le service de Bartch. Dans le but de préciser le contour de sa preuve, il obtint de son patron que les sages-femmes soient remplacées par des internes le temps d’une expérience. Le taux de mortalité s’accrut immédiatement. Semmelweis appliqua alors la solution technique qu’il avait à l’esprit depuis un moment : avant chaque intervention, obliger les sages-femmes et les internes à se laver les mains avec une solution de chlorure de chaux. Le taux de mortalité descendit à son niveau actuel.

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Il existait toutefois d’autres causes d’infection que les particules cadavériques. Ces causes ne manquèrent pas de se manifester en certaines occasions. Les adversaires de Semmelweis les invoquèrent pour achever de discréditer leur collègue et l’empêcher de progresser dans la défense de sa thèse. Semmelweis devait tenter par la suite de rallier les plus grands médecins d’Europe à sa cause. Peine perdue, la plupart d’entre eux, y compris le grand Virchow, ne répondirent même pas à ses lettres.

Voici le diagnostic de Céline sur cette infection de la raison humaine par les passions. 

« ‘’S’il s’était trouvé que les vérités géométriques pussent gêner les hommes, il y a longtemps qu’on les aurait trouvées fausses.’’ (Stuart Mill)

Ce philosophe, tout absolu qu’il paraisse, demeure cependant bien au-dessous de la vérité, voici la preuve. La plus élémentaire raison ne voudrait-elle pas que l’humanité, guidée par des savants clairvoyants, se fût pour toujours débarrassée de toutes les infections qui la meurtrissaient, et tout au moins de la fièvre puerpérale, dès ce mois de juin 1848 ? Sans doute.

Mais, décidément, la Raison n’est qu’une toute petite force universelle, car il ne faudra pas moins de quarante ans pour que les meilleurs esprits admettent et appliquent enfin la découverte de Semmelweis.»

Déchiré par la contradiction entre l’amour de ses patientes et l’impuissance déraisonnable de sa profession, Semmelweis perdit le reste de prudence qu’il avait en réserve. Il tenta de dresser l’opinion publique contre ses collègues en les traitant de criminels sur des affiches. « Assassins ! je les appelle tous ceux qui s’élèvent contre les règles que j’ai prescrites pour éviter la fièvre puerpérale. »[4] Il sombra ensuite dans une démence aussi ardente que l’avait été son amour de la vérité et des mères : il fit un jour irruption dans une salle de dissection, s’empara d’un scalpel, trancha les chairs d’un cadavre et se blessa à une main. Il s’ensuivit une infection semblable à celle qui avait emporté Kolletchka, mais plus violente et plus longue.

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La démence de Semmelweis inspira à Céline, sur la maladie mentale, quelques pages qui portent la marque de son génie comme tant d’autres dans son livre.  Savoir raison garder ! La raison, qu’il assimile au bon sens, est cette limite, cette chaîne, qui tempère en nous une intelligence capable de toutes les démesures.

« Rapidement il devint le pantin de toutes ses facultés, autrefois si puissantes, à présent déchaînées dans l’absurde. Par le rire, par la vindicte, par la bonté, il fut possédé tour à tour, entièrement, sans ordre logique, chacun de ses sentiments l’agissant pour son compte, paraissant uniquement jaloux d’épuiser les forces du pauvre homme plus complètement que la frénésie précédente. Une personnalité s’écartèle aussi cruellement qu’un corps quand la folie tourne la roue de son supplice.[…] Semmelweis s’était évadé du chaud refuge de la Raison, où se retranche depuis toujours la puissance énorme et fragile de notre espèce dans l’univers hostile. Il errait avec les fous, dans l’absolu. »

Semmelweis avait participé dans une euphorie excessive et irresponsable à la révolution hongroise de 1848. Pensant aux poètes de la même époque, romantique, Céline rappelle ensuite les risques de la fuite dans l’irrationnel. « S’ils se doutaient, les téméraires, que l’enfer commence aux portes de notre Raison massive qu’ils déplorent, et contre lesquelles ils vont parfois, en révolte insensée, jusqu’à rompre leurs lyres ! S’ils savaient ! De quelle gratitude éperdue ne chanteraient-ils point la douce impuissance de nos esprits, cette heureuse prison des sens qui nous protège d’une intelligence infinie et dont notre lucidité la plus subtile n’est qu’un tout petit aperçu. »[5]

N’en faisons pas une théorie. Céline écrivain éclipse ici Céline psychiatre. Retenons toutefois qu’avant lui Platon et Aristote avaint rattaché l’idée de raison à celle de limite et à arrêtons-nous à la pertinence de ce livre dans le contexte actuel. Semmelweis était un solidaire. Modeste sur le plan théorique par rapport à celles de Pasteur et de Virchow plus tard dans le même siècle, sa découverte, celle de l’asepsie, n’en n’est pas moins l’une des plus importantes de l’histoire de la médecine et elle a l’avantage par rapport à la plupart des découvertes postérieures de donner lieu à des applications qui ne coûtent rien, qui présentent le meilleur rapport coût/efficacité dont on puisse rêver. Rappelons aussi que Semmelweis a jeté les bases de ce qu’on appellera un siècle plus tard la médecine basée sur les faits.

Le même chercheur solitaire aurait sans doute été heureux de disposer des technologies et des moyens de communications offerts aux chercheurs d’aujourd’hui, mais on peut aussi se demander si la médecine ne se prive pas d’occasions de grandes découvertes en misant trop exclusivement les technologies de pointe. Faut-il exclure qu’il y ait dans le cas du cancer, de la maladie d’Alzheimer ou de tel ou tel virus grippal des causes échappant aux radars les plus sophistiqués, des causes simples que seul pourrait découvrir un génie rassemblant tous les facteurs de réussite que Céline a su repérer dans la vie et le caractère de Semmelweis. C’est parce qu’Il se posait les mêmes questions que, dans un livre intitulé Chercher, René Dubos, celui à qui l’on doit la découverte du premier antibiotique, se prononça en faveur de la recherche dans les petites universités comme complément à la recherche dans les grands instituts. Voici ce qu’il a observé dans les petites universités du Middle West : « Ce qui m’impressionne, c’est le nombre de jeunes gens à l’esprit très ouvert de qui sortiront les idées les plus originales, les plus inattendues, alors que si vous allez à Harvard, ou à l’Institut Rockefeller, vous trouverez des gens admirables, mais qui se sont engagés dans une voie dont ils ne pourront pas sortir.»[6]


[1]Louis-Ferdinand Céline, Semmelweis, Gallimard, Paris 1990, p. 81-82.

[2] Ibid., p.80

[3] Ibid., p.74

[4] Ibid., p.111

[5] Ibid., P.121

[6] René Dubos, Jean-Paul Escande, Chercher, Éditions Stock, 1979, p.55

SOURCE : http://encyclopedie.homovivens.org/

lundi, 06 avril 2020

La Sainte-Alliance de 1815, un projet européen

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La Sainte-Alliance de 1815, un projet européen

Par Matthias Hellner

Après les longues guerres provoquées par les révolutionnaires français, qui avaient bouleversé la carte politique de l’Europe, les puissances de notre continent, après la paix de Paris, décident de se réunir à Vienne pour forger un ordre post bellum, durable et solide. Le Congrès n’avait cessé de danser quand Napoléon, qui avait marqué l’histoire européenne plus que tout autre au cours des décennies précédentes, revenait à la charge pour les Cent Jours : les puissances devaient reprendre les armes pour l’arrêter définitivement. Le 18 juin 1815, l’Empereur des Français est battu par les Britanniques et les Prussiens. Blücher avait nommé cette bataille du nom de l’auberge où le Corse avait établi son quartier général : la bataille de Belle-Alliance.

Il fallait un instrument accepté à l’unisson pour garantir  la viabilité des décisions du Congrès, c’est-à-dire pour rétablir l’équilibre européen d’avant la révolution française et l’autorité du principe monarchique d’abord, pour mater les idées libérales, révolutionnaires et nationalistes, ensuite.

Pour y parvenir, Metternich reprend une idée du Tsar Alexandre I, influencé par la mystique Juliane de Krüdener et par les idées maçonniques. Cette idée est celle d’une Sainte-Alliance, qui assurerait la paix dans le monde. Le 26 septembre 1815 nait alors la Sainte Alliance du Tsar orthodoxe, du roi protestant de Prusse et de l’Empereur catholique d’Autriche. Dans l’acte de fondation de cette alliance, les trois monarques posent la religion chrétienne comme le fondement de leur politique commune. « Ils déclarent, en grande pompe, que, face au monde entier, le présent acte et leur inébranlable décision n’ont pour but que de maintenir et promouvoir la sainte religion, d’en faire le fil conducteur de leurs gouvernements intérieurs et extérieurs, d’appliquer les principes de la justice, de l’amour et de la paix, lesquels ne sont pas des valeurs exclusivement destinées à la vie privée mais doivent, bien plutôt, donner assise aux décisions des princes, et les influencer, pour consolider tous leurs projets, ainsi que constituer un moyen pour fortifier la conscience humaine et sanctifier son incomplétude ».

Toutefois, l’Alliance, qui comprenait aussi le Saint Siège, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande ainsi que toutes les autres puissances européennes, se plaçait sous l’égide de Metternich ; elle a servi, pour l’essentiel, à réprimer les idées révolutionnaires. Ainsi, chaque fois que la légitimité des princes semblait être en danger, comme en Espagne, au Royaume de Naples et des Deux-Siciles ou encore au Portugal, où l’Alliance a décidé d’intervenir et de mater, par la violence et la coercition, les soulèvements populaires.

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En 1822, lors du Congrès de Vérone, on a pu voir que cette Sainte Alliance se disloquait inexorablement parce que les puissances européennes étaient animées par des visions politiques divergentes. La lutte des Grecs pour l’indépendance et la liberté a provoqué une césure dans l’Alliance. Metternich était opposé à ce combat hellénique contre l’Empire ottoman, alors que la Russie y était favorable pour des motifs panorthodoxes. L’Italie, elle aussi, constituait une pomme de discorde entre les puissances plutôt libérales comme l’Angleterre et la France, d’une part, et la Prusse, l’Autriche et la Russie, toutes trois conservatrices. Sur le plan de la politique intérieure, l’Alliance fonctionnait mieux car elle réprimait les mouvements et les idées nationales et libérales, notamment en préconisant la persécution des « démagogues » et la répression des révolutions de 1848/49. Mais, quelques années plus tard, la Sainte Alliance passe littéralement de vie à trépas, dès que se déclenche la Guerre de Crimée.

Matthias Hellner.

(Article paru dans l’hebdomadaire zur Zeit, Vienne, n°27-28/2014).  

dimanche, 05 avril 2020

Un Anglais chez Mussolini: James Strachey Barnes

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Un Anglais chez Mussolini: James Strachey Barnes

par Christophe Dolbeau

            À propos du fascisme britannique, on connaît surtout la célèbre British Union of Fascists ainsi que la figure majeure de son chef, Sir Oswald Mosley (1896-1980)-(1). On connaît beaucoup moins, en revanche, le personnage de James Strachey Barnes, un intellectuel anglais qui joua un certain rôle dans l’Italie fasciste. Beaucoup plus discret et moins scabreux que John Amery (2) ou William Joyce (3), Barnes fut, dès la fin des années 1920 et jusqu’au milieu des années 1950, l’un des grands thuriféraires anglo-saxons du fascisme et de Mussolini, ce qui mérite bien un petit coup de projecteur.

Un gentleman complet

            Fils de Sir Hugh Shakespear Barnes (1853-1940), haut-commissaire britannique au Baloutchistan, et de Winifred Strachey, James (ou Jim) Strachey Barnes voit le jour le 7 septembre 1890 à Shimla, dans le nord-ouest de l’Inde. Il a une sœur aînée, Mary, et il est le cousin du futur grand écrivain et critique Giles Lytton Strachey (1880-1932). Très tôt orphelins de mère, les enfants Barnes ne restent pas longtemps dans le Raj : en 1892, ils partent en effet pour Florence où résident leurs grands-parents qui vont les élever. À l’issue de cette première phase italienne, Jim est envoyé en Angleterre pour y être scolarisé. Il fréquente d’abord l’école préparatoire St Aubyns, à Rottingdean, puis entre, en 1904, au très chic collège de Eton. De là, il rejoint ensuite l’académie militaire de Sandhurst (1909), avant de voyager un peu (dans les Balkans notamment) et d’intégrer King’s College, à Cambridge, pour y étudier l’arabe. En fait, son père souhaiterait le voir faire carrière dans l’administration anglo-égyptienne, alors que Jim s’intéresse bien plus à l’économie et à la philosophie…

            De toute manière, ce cursus incertain s’interrompt brutalement en août 1914 avec le début de la Première Guerre mondiale. D’abord mobilisé dans un régiment de cavalerie de la Garde, Jim rejoint peu après le Royal Flying Corps, ancêtre de la RAF, où il sert comme pilote. C’est en cette qualité qu’il prend part à la bataille de la Somme (juillet-novembre 1916), puis à la bataille de Passchendaele (juillet-novembre 1917), et enfin à celle de Vittorio Veneto (octobre-novembre 1918). Vers la fin du conflit, il est commandant et assure la liaison entre les aviations britannique et italienne ; efficace et parfaitement bilingue, ses services sont appréciés, au point que l’ambassadeur d’Italie à Londres suggère même que lui soit décerné l’Ordre de la Couronne d’Italie. De ces quatre ans de guerre, qui furent pour lui « une grande aventure chevaleresque et individuelle », Barnes conserve, en tout cas, un souvenir plutôt positif. Dans le premier volume de ses Mémoires (4), il parle d’une vie quelque peu dissolue, ponctuée de blagues, de libations, de parties de cartes et de grivoiseries. Il raconte aussi qu’en guise de porte-bonheur, il emmenait toujours avec lui un bouchon de Veuve Cliquot 1904, et qu’au terme de certaines missions réussies, il arrivait à son copilote et observateur, Munro, de faire le vol de retour, allongé tout nu sur une aile de leur aéronef ! (5)

            Au lendemain de l’armistice, Jim s’intéresse sérieusement à la politique étrangère, notamment à la zone des Balkans et à l’Albanie. Il donne quelques conférences sur ce pays à la Royal Geographical Society, ce qui lui vaut d’intégrer la délégation du Foreign Office qui participe à la Conférence de la Paix (Paris, 1919). Son intérêt pour le pays des aigles ne se dément pas ; au début des années 1920, il s’implique d’ailleurs activement dans le développement économique du petit État dont il devient l’un des conseillers officiels. À l’en croire, on lui en aurait même offert le trône… (6) Grâce à sa sœur, Mary Hutchinson (7), proche du groupe de Bloomsbury, il fréquente aussi, durant un temps, l’avant-garde littéraire : en 1909, il rencontre Virginia Woolf, puis, en janvier 1914, D. H. Lawrence auquel il rend visite à Viareggio, en compagnie d’Edward Marsh (8). À la fin des années 1920, il se lie également avec T. S. Eliot (9), Max Beerbohm (1872-1956) et le peintre gallois Augustus John (1878-1961).

Catho-fascisme

            Rien de particulier ne le retenant en Grande-Bretagne, Jim repart en Italie, en 1924 : il y est à la fois employé de l’Anglo-Persian Oil Company (dont son père est l’un des dirigeants) et correspondant du Financial Times. Lorsqu’il arrive, Mussolini est au pouvoir depuis deux ans (30 octobre 1922) et le jeune Anglais s’enthousiasme pour le nouveau régime. Malgré la fâcheuse affaire Matteoti (10 juin 1924), il se fait dès lors l’éloquent avocat du fascisme. À vrai dire, il n’est pas le seul Britannique à subir la séduction du Duce. Dès le mois de mai 1923, le général Blakeney (10) et Miss Rotha Lintorn-Orman (11) ont fondé le mouvement des British Fascisti qui attire pas mal de beau monde (12). Chez les intellectuels, notamment catholiques, le fascisme suscite également un vif engouement. Apôtre du distributisme, Hilaire Belloc (1870-1953) ne se cache pas d’y être favorable, tout comme Sir Charles Petrie (1895-1977)-(13) ou encore Douglas Francis Jerrold (1893-1964)-(14), Christopher Hollis (1902-1977)-(15), Michael de la Bédoyère (1900-1973)-(16) et Douglas Woodruff (1897-1978)-(17). Le 25 novembre 1924, Jim publie, dans les colonnes du Times, une longue apologie du fascisme qui ne passe pas inaperçue (« The Fascist Regime : Aims and Achievements »). Deux ans plus tard, en janvier 1926, c’est à la tribune du Royal Institute of International Affairs et sous un angle fort bienveillant qu’il présente la doctrine fasciste, dans une conférence dont le texte (« The Doctrines and Aims of Fascism ») sera ultérieurement publié par la National Review (18).

            Issu d’une famille anglicane mais converti au catholicisme en juin 1914, Jim restera sa vie durant très attaché aux valeurs spirituelles chrétiennes. En 1925-26, il suit d’ailleurs certains enseignements dispensés par le Pontificio Collegio Beda, une institution du Vatican qui accueille les anciens clercs de l’Église d’Angleterre. Promu camérier de cape et d’épée du Pape Pie XI, il se veut proche de la hiérarchie ecclésiastique, au point même de demander la permission explicite du cardinal Francis Bourne avant de continuer à lire l’Action française que le Saint-Office vient de mettre à l’index. À la même époque (1927), il devient également membre honoraire du Parti national fasciste et accède au poste de secrétaire-général du Centre international d’études sur le fascisme (CINEF). Basé à Lausanne et fondé par le paléographe helvético-néerlandais Herman de Vries de Heekelingen (19), ce centre est surtout un véhicule de propagande. On y croise diverses personnalités européennes telles que le philosophe Giovanni Gentile (20), le comte Pál Teleki (21), les professeurs Walter Starkie (22) et Edmund Gardner (23), Lord Sydenham of Combe (24) et l’écrivain français Marcel Boulenger (25). Déjà associé à la rédaction des annuaires du CINEF, Barnes se lance alors dans un ambitieux projet d’exégèse de la pensée mussolinienne. En 1928, il publie The Universal Aspects of Fascism (Londres, William & Norgate Ltd), un ouvrage qui a pour but « d’offrir un exposé précis de la doctrine fasciste telle que la prônent les créateurs et les chefs du mouvement en Italie » (p. 239-240). Dédié à Sir John Barnes, le grand-père de Jim, le livre bénéficie d’une préface de Mussolini lui-même. Laudatif, ce dernier y qualifie l’auteur de « penseur anglais avisé, qui connaît parfaitement l’Italie et les Italiens, et tout aussi bien le fascisme » (p. XVII). Ce mouvement, précise ensuite le Duce, « est un phénomène purement italien dans son expression, mais dont les postulats doctrinaux possèdent un caractère universel » (p. XIX) – affirmation bien faite pour plaire à un Jim Barnes très imprégné d’universalisme chrétien. Pour l’Anglais, le fascisme – « seule idéologie politique capable de vaincre les forces de l’’agnosticisme’ libéral et de l’’athéisme’ communiste » (p. 7) – vient restaurer ou renforcer l’autorité sacrée de l’Église. « En règle général », affirme-t-il, « on peut définir le fascisme comme un mouvement politique et social qui a pour but de restaurer un ordre politique et social basé sur le principal courant des traditions qui ont façonné notre civilisation européenne, traditions créées par Rome, d’abord par l’Empire, puis par l’Église Catholique » (p. 35). En guise d’épilogue, Barnes adresse aux sympathisants fascistes du monde entier un pertinent conseil que nombre d’entre eux auront beaucoup de mal à suivre : « Ceux qui adhèrent à cette doctrine », écrit-il, « doivent trouver leur propre voie afin d’être en harmonie avec les conditions du pays dont ils sont les citoyens ; et dans un vieux pays comme la Grande-Bretagne, doté d’une longue histoire et tradition nationale, la voie constitutionnelle est incontestablement celle qu’ils doivent suivre (…) Les fascistes de chaque pays doivent faire du fascisme leur propre mouvement national, en adoptant des symboles et des tactiques qui correspondent aux traditions, à la psychologie et aux inclinations de leur propre nation » (p. 239-240). Le livre obtiendra une bonne critique de T. S. Eliot dans The Criterion (26).

            9781472505828.jpgLe 27 septembre 1930, Jim Barnes, qui a tout de même quarante ans, épouse Buona Pia Felice Guidotti, la fille d’un général italien ; le couple (qui a reçu les félicitations de Mussolini et du Pape) aura un fils, Adriano, dit « Job », qui naît l’année suivante (27). Les activités du CINEF étant sur le déclin, Jim travaille désormais comme directeur des ventes chez Vickers Aviation, ce qui ne l’empêche aucunement de poursuivre son activité éditoriale. Toujours soucieux de mieux faire connaître au public anglophone la doctrine mussolinienne, il publie, en 1931, Fascism (Londres, Thornton Buttersworth Ltd), un petit livre qui connaîtra plusieurs rééditions. Fidèle à ses convictions spirituelles, c’est une interprétation très chrétienne du fascisme que Jim offre à ses lecteurs. Pour lui, le saint-patron du fascisme n’est autre que François d’Assise, et quant à son modèle absolu, c’est Ignace de Loyola : « Jamais peut-être n’a existé un homme associant aussi parfaitement, et en un seul individu, la pensée et l’action », affirme-t-il. «  Il fut à la fois un philosophe, un soldat et un mystique. Il connaissait la valeur de la discipline et de l’autorité » (p. 76). Le fascisme, précise-t-il aussi, est « une force positive dont le but est de promouvoir la vertu » ; ce « n’est pas seulement un système politique ou social (…) mais une philosophie globale de la vie, une religion » (p. 18). Pour Jim, le fascisme « est une vigoureuse révolte contre le matérialisme, c’est à dire contre toutes les façons d’interpréter le monde d’un point de vue purement naturaliste et individualiste » (p. 43). Et « un gouvernement fondé sur le principe [autoritaire fasciste] », tranche-t-il, « serait en parfaite symbiose avec la tradition romaine » (p. 113). Le fascisme, c’est également un mouvement qui « fait tout ce qu’il peut pour éduquer les gens, pas seulement dans la perspective d’augmenter leurs connaissances, mais bien dans celle de forger les caractères, de promouvoir le jugement intuitif (jusqu’alors très négligé) et de développer le civisme et le sens moral » (p. 114). « Le fascisme », proclame-t-il enfin, « est décidé à faire des jeunes une génération d’individus qui croient à la Providence Divine, les hérauts d’un âge de foi ; à faire des jeunes une génération qui, grâce à sa foi, ne connaît pas la peur, va galvaniser l’esprit de sacrifice, affronter gaiement tous les dangers, soutenir la bonne cause, et subir le martyre avec le sourire » (p. 50). On voit que le disciple anglais du Duce ne manque pas de ferveur !

Propagandiste zélé

            En 1933, Barnes est embauché par l’agence Reuters pour couvrir l’actualité sur le sous-continent indien. La famille embarque donc pour Delhi, mais avant de partir, Jim prend tout de même le temps de faire paraître Half a Life (Londres, Eyre & Spottiswoode), le premier volume de ses Mémoires (le second, Half a Life Left, suivra quatre ans plus tard, chez le même éditeur). À côté de multiples anecdotes sur sa jeunesse, il y exprime une vive nostalgie du passé : « Tout ce que j’aimais en Angleterre », avoue-t-il, « semblait appartenir à une époque antérieure – les jolis villages d’antan qui incarnaient une prospère économie rurale, les belles cathédrales anciennes et les antiques temples du savoir que les catholiques avaient édifiés avant la Réforme, les élégantes demeures d’une aristocratie qui florissait avant l’avènement des nouveaux riches, tout ce qu’il subsistait d’un artisanat raffiné, dans le délicat mobilier et les ustensiles domestiques des siècles ayant précédé l’ère industrielle » (p. 42). Le séjour indien des Barnes sera relativement bref car en octobre 1935, Jim est mandaté par Reuters pour suivre les troupes italiennes qui se battent en Abyssinie. La famille regagne par conséquent l’Italie, tandis que lui-même rejoint l’Éthiopie. Il recevra plus tard (1938) la médaille d’argent de la valeur militaire pour sa belle conduite durant cette campagne. Ses reportages ayant toutefois été jugés trop partiaux et ouvertement favorables à l’Italie, l’agence Reuters mettra un terme à son contrat en 1937.

            Pour Jim, cette rupture n’est pas un drame puisqu’il se voit aussitôt chargé par le gouvernement fasciste d’entreprendre une tournée de promotion aux Etats-Unis. Il va y rester un peu plus d’un an, multipliant conférences et interviews dans la plupart des grandes métropoles du pays. À titre personnel, ce long séjour lui permet de prendre langue avec la National Union for Social Justice, le mouvement crypto-fasciste du père Charles Edward Coughlin (28). Rentré en Italie en 1939, c’est d’ailleurs dans les colonnes de Social Justice (un journal qui tire à un million d’exemplaires) que Jim va désormais s’exprimer. En accord avec les nouvelles orientations de Rome, il y prône un certain antisémitisme (29) et suggère notamment qu’il faudrait expulser tous les Juifs d’Europe. Selon lui, c’est à la Grande-Bretagne qu’il incombe de leur trouver un foyer : pas en Palestine, mais en Rhodésie du Nord (actuelle Zambie). Ce transfert, assure-t-il, « serait une gloire pour notre civilisation et une réalisation qui nous apporterait de nouveaux espoirs et nous redonnerait confiance en l’avenir du monde civilisé » (30). Dans un autre article, il accuse carrément les Juifs de vouloir construire, sur les ruines de la Chrétienté, une nouvelle Jérusalem, « un ordre universel dominé par leur propre communauté internationale, compacte, raciale et ésotérique » (31). Sur un tout autre plan, il souligne par ailleurs l’incompatibilité existant entre libéralisme (« une vile perversion » selon le Pape Léon XIII) et catholicisme, et rappelle aux chrétiens qu’il n’est d’autre choix pour eux que celui du fascisme. À l’occasion, il vante aussi les attraits du corporatisme, solution catholique au conflit capital-travail. Convaincu que les régimes italien, espagnol et portugais sont supérieurs au nazisme car clairement catholiques, il explique ensuite aux Yankees que l’influence de Mussolini finira bientôt par amener l’Allemagne à se corriger. Dans l’immédiat, et malgré sa sympathie pour la Pologne catholique, il lui paraît que le nazisme est néanmoins un instrument efficace pour défendre l’Europe contre le bolchevisme. Considérant que la guerre qui s’annonce doit se percevoir comme un conflit entre « l’Église du Christ (…) et les loges de Lucifer en révolte contre Dieu » (32), il estime enfin que l’avenir du continent repose sur une renaissance de l’Europe catholique. « L’Italie », déclare-t-il à ses lecteurs d’outre-Atlantique, « est l’espoir de l’Europe – c’est à dire de l’Europe civilisée et chrétienne. Et l’Espagne catholique agit en étroite coopération avec elle. Par conséquent, de cette guerre naîtra peut-être une ère nouvelle et plus glorieuse. Si tel est le cas, cela viendra d’un regain de vitalité de la conception romaine de la religion et de l’État que l’Italie, terre des Césars et patrie des Papes, aura rendu possible » (33). Cette ère nouvelle sera celle des États-Unis d’Europe – parmi lesquels il inclut aussi l’Irlande, la France, la Pologne et la Hongrie – qui seront enfin délivrés à jamais de la finance, de l’usure et de l’esprit néo-judaïque (34).

Un ami loyal

            Fidèle au fascisme, Jim Barnes est également très attaché à sa patrie d’adoption, comme il en témoigne noir sur blanc dans Io amo l’Italia : memorie di un giornalista inglese (Milan, Garzanti), un petit livre qu’il publie en 1939, à son retour d’Amérique. À la même époque, il rejoint le Ministère de la Culture Populaire (MinCulPop) où on lui offre un poste de speaker à la radio nationale. Avec l’entrée en guerre de l’Italie (juin 1940), cet emploi de propagandiste est tout sauf anodin. Habile causeur et possédant un gros réseau de relations qui lui fournissent de précieuses informations, Jim se fait vite apprécier de ses employeurs. On lui confie souvent le micro car il se révèle percutant dans ses caricatures de Churchill et Eden. C’est ainsi qu’entre décembre 1940 et septembre 1941, soit en neuf mois à peine, il ne réalise pas moins de 170 émissions (35). Cette activité radiophonique l’amène à faire la connaissance d’un autre speaker de prestige, le poète américain Ezra Loomis Pound (36), avec lequel il sympathise tout de suite. Les deux hommes collaborent sur divers projets communs, et lorsque Pound séjourne à Rome, il est souvent reçu chez les Barnes. Jim et le poète sont également passionnés d’économie : tous deux partagent le même intérêt pour le distributisme et le créditisme, ainsi qu’une même haine de l’usure. En 1943, c’est Jim qui s’efforcera de procurer un faux passeport à Ezra Pound, et c’est encore lui qui convaincra l’Américain de reprendre ses causeries à la radio de la République Sociale Italienne.

            En ce qui le concerne, Jim se trouve dans une situation tout aussi délicate que celle de Pound. Il a demandé la nationalité italienne en 1940, mais les choses ont traîné ; en 1943, il a enfin obtenu une réponse favorable mais le débarquement des Alliés (juillet-août) et l’armistice (8 septembre) sont venus à nouveau perturber le processus, et il n’a pu prêter serment dans les délais impartis. Il est donc encore britannique et figure en tête de la liste des traîtres, ce qui pourrait lui valoir la potence… Inquiet, il a rencontré le Pape Pie XII qui a confié au cardinal Montini (futur Paul VI) le soin de veiller à la sécurité de la famille. Le 12 septembre, il obtient des faux papiers grace auxquels il envisage de trouver asile en Suisse ; sur les conseils de ses amis Raimundo Fernández Cuesta (37), ambassadeur d’Espagne à Rome, et Luigi Lojacono, ambassadeur d’Italie à Madrid, il a un temps songé à émigrer en Espagne. De leur côté, les Allemands voudraient bien le récupérer pour la Reichsrundfunk, ce qui achèverait de le compromettre. Au final, les Barnes quittent la capitale le 21 septembre en direction de Venise où ils arrivent le 7 octobre. De là, Jim rallie son ministère qui s’est replié à Salò, sur le lac de Garde.

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Rita Zucca

Libéré par les Allemands (12 septembre 1943) et réinstallé au pouvoir, Mussolini réorganise ses forces. À compter du 1er décembre, son centre de propagande radiophonique est à nouveau opérationnel et Jim reprend ses interventions, depuis les studios de Milan. Avec Ezra Pound et la célèbre Rita Zucca (38), il animera notamment, en 1944, l’émission « Jerry’s Front Calling ». Outre cette présence sur les ondes, il signe une brochure, Giustizia Sociale : attraverso la riforma monetaria (La justice sociale : grâce à la réforme monétaire) qui paraît à Venise (39). « Il ne suffit pas », y affirme-t-il, « de sauver l’indépendance économique de l’Europe, mais encore faut-il aussi, à l’intérieur de cette Europe, éradiquer le système financier, monétaire et bancaire de type anglo-saxon et hébraïque, car tant qu’il persistera (et entre nous, il est encore loin d’être détruit), il rendra impossible l’instauration d’un véritable régime de justice sociale » (p. 11). Plutôt favorable aux ultras du régime (dont le fort peu clérical Farinacci), il donne régulièrement des articles à Croaciata Italica, le journal catho-fasciste que rédigent, entre autres, les prêtres Don Tullio Calcagno (40), Don Edmondo De Amicis (41), Don Antonio Padoan (42) et le capucin Fra Ginepro da Pompeiana (43). Loyal jusqu’au bout au régime qu’il sert depuis vingt ans, il s’entretient une dernière fois avec Mussolini le 9 avril 1945, avant de prendre, avec les siens, le chemin de Mérano.

           9780300192308_p0_v1_s550x406.jpg C’est donc au Tyrol du Sud qu’il apprend la mort du Duce (28 avril 1945), un drame qu’il n’hésite pas à qualifier de « plus grand crime depuis la crucifixion ». Activement recherché par les services secrets et la police militaire britanniques, Jim plonge dès lors dans la clandestinité la plus stricte. Son épouse demeure à Mérano, sans se cacher, mais lui-même disparaît totalement de la circulation. On le croit au Vatican, hébergé au Collège Pontifical Saint-Bede que l’on surveille en vain durant plusieurs mois. En fait, le fugitif est parti pour Bergame puis a trouvé refuge dans un couvent sicilien où il va séjourner jusqu’en août 1947. Pour quelqu’un d’aussi pieux que lui, cette réclusion monacale n’est pas un problème. À la fin de l’occupation britannique, il prolonge d’ailleurs sa retraite – on n’est jamais trop prudent – et continue à bénéficier de l’hospitalité de divers monastères, dans le Latium et le Piémont. Ce n’est qu’en septembre 1949 qu’il réapparaît au grand jour et retrouve les siens à Rome. Quatre ans ont passé, on est en pleine guerre froide et Londres ne s’intéresse plus du tout à lui. Barnes n’a renoncé à aucune de ses convictions mais la page du fascisme semble désormais tournée. Employé par une compagnie pétrolière, il garde le contact avec quelques vétérans de l’épopée mussolinienne mais n’a plus vraiment d’activité politique. Il correspond toutefois, de temps en temps, avec Ezra Pound et adresse même une lettre à Churchill pour lui demander d’intercéder en faveur du poète qui se morfond toujours à l’hôpital St Elizabeths, à Washington. En 1953 et avec dix ans de retard, Jim connaît enfin l’immense satisfaction d’être officiellement naturalisé italien. Il devient définitivement Giacomo Barnes, identité sous laquelle il succombe le 25 août 1955, et qui figure sur sa tombe au cimetière romain du Verano. « Aucun Italien digne de ce nom » affirmera l’historien et diplomate Luigi Villari (1876-1959), « n’oubliera jamais ce cher Jim, ses sacrifices pour la cause italienne, et les risques qu’il a courus pour la servir ».

 

                                                                                                          Christophe Dolbeau

Notes:

(1) Voy. R. Skidelsky, Oswald Mosley, Londres, Macmillan, 1975 ; C. Dolbeau, Les Parias, Lyon, Irminsul, 2001, pp. 93-110 ; R. Tremblay, Oswald Mosley – L’Union fasciste britannique, Paris, Synthèse nationale, Cahiers d’histoire du nationalisme, n° 14, 2018.

(2) Voy. Adrian Weale, Patriot Traitors, Londres, Viking, 2001 ; Josh Ireland, The Traitors, Londres, John Murray, 2017.

(3) Voy. W. Cole, Lord Haw-Haw and William Joyce, Londres, Faber & Faber, 1964 ; F. Selwyn, Hitler’s Englishman, Londres, Routledge & Kegan, 1987 ; C. Dolbeau, op. cit., pp. 81-91.

(4) J. S. Barnes, Half a Life, Londres, Eyre & Spottiswoode, 1933, pp. 230, 233, 234.

(5) Voy. T. Villis, British Catholics and Fascism : Religious Identity and Political Extremism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013, p. 21.

(6) Ce pays avait bien eu pour monarque, en 1914, le prince allemand Guillaume de Wied, alias Vilhelm Vidi (1876-1945)…

(7) Nouvelliste de talent, Mary Hutchinson (1889-1977) fut la grande amie du critique Clive Bell, de Aldous Huxley, Georges Duthuit, Samuel Becket et Virgina Woolf.

(8) Edward Marsh (1872-1953) était un célèbre traducteur et protecteur des arts. Il fut en outre le chef de cabinet de W. Churchill et de Lord Asquith.

(9) qui parle de lui à son frère aîné, Henry Ware Eliot (1879-1947), en 1937, et le qualifie à cette occasion de « drôle d’oiseau » ou queer bird

(10) R. B. D. Blakeney (1872-1952) est un officier du génie qui a servi au Soudan et en Afrique du Sud, avant de diriger les chemins de fer égyptiens (1906-1923).

(11) Rotha Lintorn-Orman (1895-1935) est la petite-fille du maréchal Lintorn Simmons. Infirmière durant la Première Guerre mondiale et décorée deux fois de la Croix de la Charité pour son rôle au cours du grand incendie de Salonique (1917), elle dirige après-guerre l’auto-école de la Croix Rouge britannique. Voy. R. Thurlow, Fascism in Britain – A History, 1918-1985, Oxford, Basil Blackwell, 1987, pp. 51-57.

(12) Notamment les généraux Sir Ormonde Winter (ancien directeur adjoint de la police et du renseignement en Irlande) et T. Erskine Tulloch, le colonel et député Sir Charles Burn, l’amiral John Armstrong, ainsi que plusieurs membres de l’aristocratie terrienne, comme Lord Garvagh, Lord Ernest Hamilton, le marquis de Ailesbury et Sir Arthur Hardinge, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne en Espagne. Voy. Martin Pugh, ‘Hurrah for the Blackshirts !’, Londres, Pimlico, 2006, p. 52.

(13) Historien, Sir Charles Petrie signe en 1931 Mussolini (Londres, Holme Press), une biographie très flatteuse du Duce. Il sera l’un des principaux soutiens du général Franco au Royaume-Uni.

(14) Éditeur de l’English Review, Douglas Francis Jerrold sera mêlé de très près, en juillet 1936, à l’envoi d’un avion et de deux pilotes pour transporter le général Franco des Canaries au Maroc. En 1930, il avait publié Storm Over Europe (Londres, Ernest Benn), un roman très favorable à l’idéologie fasciste où il se référait à une conception catholique et traditionaliste de l’histoire.

(15) En 1941, Christopher Hollis publiera un ouvrage, Italy in Africa (Londres, Hamish Hamilton), très favorable à l’action de l’Italie fasciste en Afrique.

(16) Entre 1934 et 1962, Michael de la Bédoyère sera le rédacteur en chef du Catholic Herald.

(17) Entre 1936 et 1967, Douglas Woodruff sera le rédacteur en chef de l’hebdomadaire catholique The Tablet.

(18) N° 87 (1926), pp. 568-586.

(19) Néerlandais de naissance mais naturalisé suisse, Herman de Vries de Heekelingen (1880-1942) fut professeur de paléographie à l’Université de Nimègue. Fondateur du Centre International d’Études sur le Fascisme (CINEF), il a également créé le Centre International de Documentation sur les Organisations Politiques. Admirateur du national-socialisme, il a écrit plusieurs ouvrages antisémites dont Israël. Son passé. Son avenir (1937), L’orgueil juif (1938), Le Talmud et le non-juif (1938) et L’Antisémitisme italien (1940), livres ayant tous connu de nombreuses traductions.

(20) Philosophe et pédagogue, Giovanni Gentile (1875-1944) sera président de l’Institut National fasciste de Culture et de l’Académie d’Italie ; ministre de l’Instruction publique (1922-1924), il sera également directeur scientifique de l’Encyclopédie Italienne (1925-1938). Il sera assassiné, le 15 avril 1944, à Florence, par des partisans communistes.

(21) Géographe et membre de l’Académie hongroise des sciences, Pál Teleki (1879-1941) a été à deux reprises Premier ministre du Royaume de Hongrie.

(22) Walter Starkie (1894-1976) est un hispaniste irlandais, musicien et spécialiste du peuple rom. Il sera le fondateur et premier directeur de l’Institut Britannique de Madrid.

(23) Edmund G. Gardner (1869-1935) est professeur de langue et littérature italienne, spécialiste de Dante. Membre des universités de Londres et Manchester, il siège à l’Académie britannique.

(24) Ancien colonel du génie, Lord Sydenham of Combe (1848-1933) a été gouverneur de l’État de Victoria (1901-1903), en Australie, puis gouverneur de Bombay (1907-1913).

(25) Ancien escrimeur olympique et romancier, Marcel Boulenger (1873-1932) est également un collaborateur de l’Action française et de la Revue des deux Mondes.

(26) The Criterion, n° 8 (1928), pp. 280-290 (« The Literature of Fascism »)

(27) Il décèdera en 1987.

(28) Américano-canadien, Charles Edward Coughlin (1891-1979) est un prêtre catholique et animateur de radio. Favorable à une réforme monétaire, antisémite et favorable au fascisme, il se verra contraint par sa hiérarchie, en 1942, de mettre fin à son action politique.

(29) À la fin de l’été et à l’automne 1938, Mussolini prend une série de lois raciales et antisémites.

(30) Voy. « The Jewish Problem – and a Solution », Social Justice du 17 avril 1939.

(31) Social Justice du 14 août 1939.

(32) Social Justice du 24 juillet 1939 (« Tragedy of Chamberlain »).

(33) Social Justice du 11 décembre 1939.

(34) On retrouve là les thèmes chers à son ami Ezra Pound.

(35) Dont voici certains titres : « Glané dans la presse britannique », « Merci mon Dieu pour les erreurs de nos ennemis », « Les vrais maîtres de l’Inde », « La ploutocratie britannique », « Le salut de la civilisation européenne », « Résister ou mourir », « La réponse au traître De Gaulle », « Une réplique à Churchill », etc.

(36) Sur Ezra Loomis Pound (1885-1972), voy. Les Cahiers de l’Herne, n° 6 et 7, 1965 (Ezra Pound 1 et 2) ; Noel Stock, The Life of Ezra Pound, Harmondsworth, 1970 ; John Tytell, Ezra Pound – Le volcan solitaire, Paris, Seghers, 1990 ; C. Dolbeau, op. cit., pp. 259-267.

(37) Raimundo Fernández Cuesta (1896-1992) était l’un des fondateurs de la Phalange dont il fut longtemps le secrétaire général. Après la Seconde Guerre mondiale, il sera ministre de la Justice.

(38) Rita Zucca (1912-1998) était une Italo-Américaine, originaire de New York, qui s’exprimait sur les ondes de la radio italienne. Naturalisé italienne, elle ne fut pas poursuivie par la justice américaine mais écopa néanmoins, devant un tribunal militaire italien, de quelques mois de prison.

(39) Cette brochure a été rééditée en 1995 par Barbarossa (Milan).

(40) Excommunié (24 mars 1945), Don Tullio Calcagno (1899-1945) sera arrêté, à Crema, par des partisans communistes (24 avril 1945), transféré à Milan, condamné à mort et exécuté, en compagnie de l’aveugle de guerre et médaille d’or de la valeur militaire Carlo Borsani. D’abord jetés dans une benne à ordures, leurs corps seront ensuite inhumés dans une tombe anonyme.

(41) Aumônier militaire et vétéran des campagnes d’Afrique, Don Edmondo de Amicis (1885-1945) s’exprimait régulièrement au micro de la radio fasciste. Victime le 24 avril 1945 d’un attentat communiste, il décède de ses blessures deux jours plus tard.

(42) Curé de Castelvittorio, Don Antonio Padoan sera assassiné le 8 mai 1944 par des partisans communistes. Son nom sera donné à la XXXIIe Brigade noire.

(43) Aumônier militaire et vétéran des campagnes d’Ethiopie et d’Albanie, le capucin Ginepro da Pompeiana (1903-1962) sera incarcéré à Gênes en 1945. 

Bibliographie:

– James S. Barnes, The Universal Aspects of Fascism, Londres, William & Norgate Ltd, 1928 ; id., Fascism, Londres, Thornton Buttersworth Limited, 1931 ; id., Half a Life, Londres, Eyre & Spottiswoode, 1933 ; id., Io amo l’Italia : memorie di un giornalista inglese, Milan, Garzanti, 1939 ; id. A British Fascist in the Second World War – The Italian War Diary of James Strachey Barnes, 1943-45, Londres, Bloomsbury Academic, 2014.

– Giacomo Barnes, Giustizia Sociale : attraverso la riforma monetaria, Milan, Barbarossa, 1995.

– R. Thurlow, Fascism in Britain – A History, 1918-1985, Oxford, Basil Blackwell, 1987.

– T. Linehan, British Fascism, 1918-39 : Parties, Ideology and Culture, Manchester, Manchester University Press, 2000.

– Martin Pugh, ‘Hurrah for the Blackshirts !’ – Fascists and Fascism in Britain between the Wars, Londres, Pimlico, 2006.

– David Bradshaw et James Smith, « Ezra Pound, James Strachey Barnes (‘The Italian Lord Haw-Haw’) and Italian Fascism », Review of English Studies, n° 64 (266), 2013, pp. 672-693.

– T. Villis, British Catholics and Fascism : Religious Identity and Political Extremism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2013.

– Paul Jackson, « James Strachey Barnes and the Fascist Revolution : Catholicism, Anti-Semitism and the International New order », dans Modernism, Christianity and Apocalypse (sous la direction de Erik Tonning), Leyde, Brill, 2014, pp. 187-205.

mercredi, 01 avril 2020

The Expulsion of the Moriscos: Matthew Carr’s Blood & Faith

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The Expulsion of the Moriscos:
Matthew Carr’s Blood & Faith

610IWMl7uaL._SX323_BO1,204,203,200_.jpgMatthew Carr
Blood and Faith: The Purging of Muslim Spain
New York: New Press, 2009

There is something about the Spain of centuries past that is so dreadfully modern. One situation was the presence of large numbers of Muslim Moors after the conquest of Granada in 1492. The Moorish community arrived in Spain during the Islamic conquest of Iberia which started in 711 AD.

The Islamic conquest of Spain is unique in that a less advanced civilization conquered a more advanced one. It is also unique in that the conquerors came from the south of the conquered. The Romans were situated south of many of their conquests, but they were a very advanced civilization indeed and Rome itself is pretty far north — 41 degrees Latitude.

The Moorish conquest occurred prior to the revolution in military affairs caused by gunpowder. In that situation, “barbarians,” be it Mongols, Vikings, or Arabs armed with swords and spears could use what the US Army calls “the characteristics of the offense.” Simply put: surprise, concentration, audacity, and tempo to take over. In other words, you get a bunch of healthy and armed young men and attack some place just before dawn.

While there is much talk of an “Islamic Golden Age” as well as the appearance of “science” going on in Moorish Cordoba, it is clear from the historical record of the Reconquista that the Spanish recovered their balance and started to become economically and militarily dominant over the Moors rather quickly because they were a superior civilization in all respects. The “Islamic Golden Age” is probably a fiction invented by historians with no experience with Muslims or Islamic society while having an anti-Catholic or anti-Spanish bias. By the late Middle Ages, there is a sense that a final Spanish victory in Iberia was only a matter of time.

The last Moorish stronghold at Granada fell in 1492. The final battle was not a straight-up, blood-soaked military conquest; the last Moorish chieftain Boabdil turned over the keys to the city to Ferdinand and Isabella when it became clear that further Islamic resistance was futile. While Ferdinand and Isabella had advisors that wished to immediately extirpate Islam from Spain, Royal policy became one of toleration — at least in the short term.

Granada and its surrounding area was an extension of North Africa. The streets in the towns were narrow and mosques abounded. The villages in the hinterland of Granada were also populated by Moors. A large Moorish population also lived around Valencia, on the east coast of Spain. After the fall of Granada, the Moors remaining in Iberia became known as Moriscos, i.e. “little Moors.” Castilian settlers slowly moved into Granada and its surrounding region.

The Morisco Wars

Carr catalogs the sharp problems between the Moriscos and the native Iberian Spanish. Indeed, the Moriscos and Iberians lived in parallel societies. The Moriscos revolted in Granada in 1500. Although there were some setbacks, the Spanish military crushed the revolt and the Muslims in Granada were officially converted in 1501.

Meanwhile, in Valencia, there was a large population of Moriscos who worked on the estates of the landed Spanish gentry. Moriscos were protected by the Spanish wealthy, who felt that they couldn’t manage without cheap Morisco labor. The parallels of this situation to non-white, illegal immigration today with regards to the wealthy are obvious. The region was also plagued with crime. In 1521, native Iberian Spaniards revolted. Estates were burned and the Morisco population was converted or put to the sword. The Spanish establishment regained control by 1522, but the situation had changed. Valencia’s Moriscos were “Christians,” but suspicion and racial tensions remained.

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The ugliest war started in the village of Cadiar on Christmas Eve in 1568. Moriscos from the village murdered Spanish soldiers garrisoned in the town in their beds. The revolt spread to Granada and the rest of the Alpujarras Mountain Range. The Christians managed to hold Granada and the Spanish military eventually suppressed the rebellion. The fighting was vicious, not unlike the ugly, no-holds-barred fighting in Bosnia in the early 1990s.

The parallels of this situation were also like that of the non-white problems in the United States starting with the “civil rights” disorders from the 1960s. Like America, being at the height of its power and dealing with an existential threat from the Soviet Union in LBJ’s time, Spain was at the height of its power and dealing with an existential threat in the Mediterranean from the Ottoman Empire. In the same way many in the US viewed black rioting as part of a greater Communist conspiracy, so too did many Spaniards view Moriscos as a potentially subversive force. There is considerable evidence to show that “civil rights” was supported to a degree by Communists in the 1960s, and even more evidence between the lines in Blood and Faith that show Moriscos were helping out North African corsairs and other Muslims in various ways; although not all the time by all the Moriscos.

Civic Nationalism & Limpieza de Sangre

Spanish policy towards its non-native Iberian Moorish and Jewish populations was dual-natured. On the one hand, the Spanish government used the Roman Catholic Church as a vector for civic nationalism. As long as a Jew or Morisco converted, these populations could be considered loyal Spanish citizens. However, the magic of civic nationalism never really took. The Jewish situation is well known, but the Morisco situation needs further explanation. Pastoral care for Moriscos was something of a boondoggle. If a priest showed up at all, they often took the money and did little for the community. Moriscos also never fully converted. After the fall of Granada, Islamic scholars urged Moriscos to practice taqiyya, a form of deception allowed under Islamic law if a Muslim community was under threat. The Spanish were never able to really trust the converted Moriscos.

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Again, the parallels to non-whites in modern America and modern Europe abound. Like black football players kneeling during the national anthem, Moriscos with blank faces at mass represented a rejection of the rituals of civic nationalism. Identity issues also bubbled up regarding Morisco clothing. Morisco women wearing a veil and Morisco men wearing a turban were perceived to be carrying out a hostile act. (Much like the perception of hijab wearers in Yorkshire or Paris today by modern Europeans.) Even funeral practices caused controversy. If the dead were washed and buried in a Muslim way, community tensions and suspicions arose. Moriscos spoke Spanish with a different accent from the native Iberians, but not in all places or at all times.

Eventually, it became clear to the Spanish intellectual and political elite that a policy of Limpieza de Sangre (purity of blood) was the only way to deal with the Morisco problem. That is to say, citizenship became based on racial relatedness rather than belief in an ideology. Proposals for expelling the Moriscos first came up in 1492, but it took until 1609 for any action to be taken. There were all sorts of sticking points: the wealthy wanted pliable Third World workers, and many in the Catholic hierarchy genuinely cared about the immortal souls of the Moriscos. Some felt that the Moriscos would empower the Islamic World if they were sent to North Africa. Eventually, the problems with the Ottoman Turks, the Islamic corsairs, fear of demographic eclipse, and years of metapolitical activism by patriotic native Iberian Spanish monks, friars, and intellectuals combined to bring about expulsion.

The affair started in Valencia and then other regions of Spain carried out their own expulsions. Some Moriscos were able to sell their property and make new lives in their ancestral North Africa. Some Moriscos were impoverished by the expulsion. It is certain that a few Moriscos were robbed and murdered by unscrupulous sailors or soldiers charged with evacuating them. This was not Spanish policy, though; those caught doing such deeds were arrested and often hanged. A few Moriscos returned to a different region of Spain from where they were expelled and blended in as though they were native Iberians.

Several items stick out:

  1. Civic nationalism through Roman Catholicism failed to work in part because the Moriscos deliberately rejected the idea and antagonized the Spanish when they clearly failed to perform civic nationalist rituals.
  2. The Spanish paid an economic price when expelling the Moors. In particular, the economy of Valencia experienced a setback. One pays to sustain the burden of vibrant diversity and one pays even more to remove vibrant diversity.
  3. Regardless, the real economic shock to the Spanish Empire was the Spanish inability to engage in complex commercial activities. The Spanish wars with the Dutch and English contributed to Spanish Imperial decline, not the removal of the Moriscos. This book implies that the removal of the Moriscos was a major factor — I disagree.
  4. In light of Rotherham grooming gangs, Salafi Jihadist terrorism, ISIS, and street crime observed today, one can easily infer that Moriscos were less than stellar citizens. There really were Barbary corsairs colluding with Moriscos to capture Christian slaves. Had the Moriscos remained in Spain, there would have been another Morisco War sometime in the mid-1600s.

On a final note, albeit from an outsider’s perspective, it is unfortunate that the tension in Spain between the civic nationalism of the Roman Catholic Church and the Inquisition versus the concept of Limpieza de Sangre was never reconciled by separating the two concepts. For many Spaniards, their nationality became defined by their Roman Catholicism. Spain became a proposition nation based around an ideology when it didn’t need to be. As a result, Spanish society had a far more difficult time absorbing ideas that clashed with Catholicism than other European groups such as the English or French. This helped contribute to cultural stagnation and the rise of an anti-clerical faction in Spanish culture that was a toxic mixture of Jacobin leftism and solid logical reasoning. This problem contributed to Spain’s appalling and tragic civil war of the 1930s.

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Matthew Carr, Blood and Faith’s author, is hostile to Spain’s expulsion of the Moriscos as well as Europe’s increasing anti-Islam stances today. However, this book is very interesting. Indeed, Mr. Carr should have the final word:

If some contemporary “Islamic threat” narratives echo medieval anti-Islamic polemics in their depictions of Islam as an inherently aggressive “religion of the sword,” the construction of the contemporary Muslim enemy often fuses culture, religion, and politics in ways that would not be entirely unfamiliar to a visitor from Hapsburg Spain. Just as sixteenth-century Spanish officials regarded the Moriscos as “domestic enemies” with links to the Barbary corsairs and the Ottomans, so journalists and “terrorism experts” increasingly depict Europe’s Muslims as an “enemy within” with links to terrorism and enemies beyond Europe’s borders. Just as inquisitors regarded Morisco communities as inscrutable bastions of covert Mohammedanism and sedition, so some of these commenters depict a continent pockmarked with hostile Muslim enclaves, “Londonistans,” and no-go areas that lie entirely outside the vigilance and control of the state, in which the sight of a beard, a shalwar kameez (unisex pajamalike outfit), or a niqab (veil) is evidence of cultural incompatibility or refusal to integrate.”

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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lundi, 30 mars 2020

"Antes de la historia: Algunas notas asistemáticas" (1975)

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"Antes de la historia: Algunas notas asistemáticas" (1975)

Armin Mohler, Nouvelle École 27-28 (1975).

Del tipo de hombre que concede una importancia especial a la historia, queremos decir que es un ser que se siente incómodo en este presente y que busca volver en sus sueños a las épocas que ama y, por esta razón, podemos decir que es "conservador". Para describir esta actitud, que hoy en día comienza a parecer una epidemia, se ha acuñado el término "nostalgia". La nostalgia es un fenómeno con múltiples aspectos y, a la luz de estos, no resulta fácil emitir un juicio. Pero parece que no depende de unas actitudes intelectuales fundamentales. Hay conservadores nostálgicos y conservadores que no lo son, mientras que un sinnúmero de no conservadores experimentan una intensa nostalgia. De todas formas, la nostalgia no es un elemento constitutivo del conservadurismo; y el hecho de que uno sea o no nostálgico no es lícito concluir que alguien es o no es conservador.

  1. La historia está cerca

La mayoría de los malentendidos sobre el tema de la historia provienen del hecho de que la consideramos distante en el tiempo. Ciertamente la historia no es inmediatamente perceptible. Pero no por ello tiene menos importancia en el presente. Podríamos concebir nuestra relación con ella según el modelo de la holografía, que fue introducido en 1948 por Dennis Gabor. Se trata esencialmente de un nuevo tipo de "fotografía", capaz de representar tanto los contornos como el reverso de un objeto, aunque nuestro ojo sólo puede tomar su propia perspectiva. El hombre sin sentido histórico es como quien se ve en un espejo: se ve a sí mismo como si estuviera transcrito en una superficie, con las distorsiones y omisiones que esto conlleva. Tener sentido histórico significa no contentarse sólo con esta dimensión. Y, para seguir con la imagen que hemos tomado como ejemplo, estudiar la historia significa sostener un segundo espejo detrás de la cabeza, o todo un sistema de espejos, para verse desde todos los ángulos y así lograr una distancia con respecto a uno mismo.

  1. La historia no es una clase académica.

El beneficio que se obtiene de la historia es generalmente de orden moral. Alabamos los ejemplos que esperamos igualar. Afirmamos que nos ayuda a evitar los errores de los demás. Y así sucesivamente. Los historiadores no han escatimado esfuerzos en lo que se refiere a estos supuestos efectos directamente educativos de la historia. Los sucesores de los grandes hombres son generalmente pocos en número; y los errores se ensayan fatigosamente. Si la historia tiene un efecto educativo, éste se manifiesta de la forma menos directa, por decir algo.

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  1. La historia permite una observación verificable

La historia tiene un poder disciplinario porque su función es la misma que la de la experimentación en el dominio de las ciencias naturales: la historia ofrece la única posibilidad de efectuar una observación verificable a nivel humano, tal como la experimentación la ofrece a nivel de la naturaleza. Esta observación es más fácil de hacer ya que la filosofía se ha degradado a un modesto papel de secretario en las reuniones interdisciplinares. La lógica tiene ciertamente sus inducciones, pero sólo en abstracto. Lo que tratamos de distinguir en el ámbito humano, como "naturaleza", "alma" (Seele) y "espíritu" (Geist), está tan íntimamente enredado que la lógica se esfuerza por comprenderlo. ¿Qué podría decir realmente verificable sobre una cosa, una persona, un evento humano? Podría decir qué es, en qué se convertirá con el tiempo y cómo cambia mientras tanto. Sobre los detalles puede haber diferencias de opinión: en términos generales, sin embargo, un consenso es posible.

  1. La verificabilidad no lo es todo

Quien comenta los severos límites de la observación verificable se expone generalmente a la sospecha de querer desvalorizar toda observación adelantada. Pero no tendría sentido actuar de esta manera: sería decir que cualquier intento de volver a las raíces, cualquier proyecto de gran envergadura debería ser limitado en consecuencia, y que la fuerza creativa en el hombre debería dejarse marchitar. En la esfera de la acción humana, la historia tiene una función particular: "verificabilidad" no significa otra cosa más. Y llamar a esa función "compensatoria" sería minimizarla: ya que la experiencia de la historia puede tener dos efectos contrarios y radicalmente opuestos.

  1. A través de la historia experimentamos lo complejo

Seguiría siendo una de esas simplificaciones inadmisibles, como en el caso de la cuestión de la nostalgia, decir que el "conservador" experimenta la historia como un absurdo. Algunos autores han utilizado la metáfora de "lo in-significativo" ("l'in-signifiant") para denotar aquello que aparece efectivamente en todo acontecimiento histórico: a saber, el hecho de la experiencia de que la historia representa siempre un exceso con respecto a los esquemas interpretativos que tratamos de atribuirle en el pensamiento. La experiencia fundamental según la cual "el mundo no es divisible", es decir, que el pensamiento humano y la realidad nunca pueden coincidir, alcanza en la dimensión histórica una intensificación que se podría comparar con un "efecto estéreo". La historia es una escuela de humildad: todos los intentos de explicación monocausal (o incluso bi- y tricausal) se hacen añicos contra ella, y nos hace conscientes del carácter complejo de toda realidad. Esto no tiene por qué molestarnos, ni siquiera desalentarnos, sino todo lo contrario: de una manera difícil de definir (e inexplicable en términos racionales), esto puede -de hecho- impulsarnos a una apreciación más profunda. Al darnos cuenta de lo complejo que es el mundo, vivimos una especie de segundo nacimiento.

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  1. A través de la historia experimentamos la forma.

"Darle un significado a lo que no tiene significado" es igualmente una fórmula de la que debemos desconfiar. Desmiente una psicología un tanto escuálida. Es cierto que el mundo no tiene sentido y que, como el hombre no puede vivir sin sentido, pues bien, se construye uno. Pero la relación que debemos tener con la historia es aún más esencial. Este "segundo nacimiento" no sólo consiste en la experiencia de la complejidad del mundo, sino que también reside en nuestro impulso de contraponer a lo complejo (Benn o Montherlant dirían "contra el caos") una forma, una configuración. Lo que nos mueve profundamente en la historia es que el hombre siempre busca, precisamente a partir de esta experiencia de una realidad compleja, e incluso en las situaciones más desesperadas, dejar todavía un rastro detrás de él. Aunque sólo sea un rasguño en una realidad tan compacta, como dijo Malraux en alguna parte, con esa brillante despreocupación que hizo suya.

El hombre de la Aufklärung [Ilustración] dirá: "No es mucho". Nuestra respuesta sólo puede ser: "Pero lo es".

Tomado de : https://ferguscullen.blogspot.com/2020/01/armin-mohler-be...

dimanche, 29 mars 2020

Allemagne 2020 Crise de la démocratie parlementaire ou dissolution de l'ordre européen ?

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Allemagne 2020. Crise de la démocratie parlementaire ou dissolution de l'ordre européen ?
 
Les leçons de Weimar et l'après Merkel, face à une renaissance de la "Question allemande"
 
IERI - Institut Européen des Relations Internationales <info@ieri.be>
 
par Irnerio Seminatore
 
ABSTRACT
 
Allemagne 2020. A la veille de la Présidence allemande de l'UE, la "Question allemande" figure à nouveau sur l'Agenda politique européen, comme foyer historique de tensions et de conflits (blocus de Berlin des 1948-49, crise du Mur de 1961, Ostpolitik de 1970), aux enjeux élargis et aux répercussions systémiques.
 
Les leçons de Weimar et l'après Merkel, voilent derrière une stabilité apparente, une identité en crise, des populations et des opinions.
 
Le rôle européen de l'Allemagne et ses blocages, dus à une hégémonie incomplète et à un leadership improbable, ne suffisent plus à garantir le "statu quo" de l'Union européenne, ni celui du "Mittellage".
 
La crise actuelle du modèle allemand, économique, politique et identitaire, sa culture du compromis et son recours répété à des coalitions, ont usé le modèle démocratique (némésis historique) et  interdit un renouvellement de la classe politique. Ils ont contribué à l'ouverture d'un fossé trans-atlantique (OTAN, Trump) et au recours purement réthorique au partenariat franco-allemand. Ils traduisent par ailleurs un attentisme généralisé des pays européens et un refus systématique d'adopter les changements du monde, à des fins d'adaptation.
 
Le réveil des problèmes identitaires, suscités par une immigration de masse sans contrôle et par une prise de conscience nationale, venant d' Alternative Für Deutschland et de Pegida, symptômes d'un traumatisme culturel évident, atteste à la fois, d'un malaise réel et d'un bilan négatif de l'ère Merkel.
 
L'avenir de l'Europe et l'impossible retour de l'Allemagne à la "Sonderweg" (la voie solitaire des années 30-40), imposent au "Mitte Lage" un autre rapport au monde, à l'Europe, à la Russie, aux Etats Unis et à l'Eurasie
 
Bruxelles 24 mars 2020
 
Les leçons de Weimar et l'après Merkel, face à une renaissance de la "Question allemande"
 
Table des matières
 
Fin de la stabilité politique et du "patriotisme constitutionnel"
 
La montée électorale  de l'Alternative für Deutschland (AfD)
 
L'histoire peut -elle se répéter?
 
Merkel et l'asservissement des citoyens. Le totalitarisme "soft" contre la tentation souverainiste au coeur de l'Europe
 
La renouveau de l'approche politique  en Allemagne.
 
De la pensée partitocratique à la pensée géo-politique et néo-nationale
 
Nouvelles élites et énergies rétroactives
 
Perspective et conscience historique
 
Triomphe  du néo-nationalisme en Europe et impact géopolitique du Bréxit
 
Rupture du processus d'intégration et crise identitaire élargie
 
L'Allemagne et le néo-nationalisme de gauche 
 
Rôle de l'Allemagne après le Brexit et rôle de l'UE dans la géopolitique mondiale
 
Positions et options ouvertes
 
La chute du mur, la réorganisation des équilibres de pouvoir en Europe et les axes de la politique étrangère allemande
 
L'Allemagne et les trois dynamiques de l'UE
 
Les crises en chaîne, les limites de l'Union et la fin d'un cycle historique

Un bilan rétrospectif 1990-2020

Le poids de l'Histoire

L'idée allemande de nation et d’État

Crise de la démocratie parlementaire ou dissolution de l'ordre européen ?

* * *

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Fin de la stabilité politique et du "Patriotisme constitutionnel"

220px-Habermas10_(14298469242).jpgL'Allemagne vit la fin d'une longue période de stabilité politique, qui a eu pour piliers la Constitution et la démocratie et pour garants  le consensus
des opinions ,exprimé par les deux grands partis populaires, la C.D.U et le S.PD. C'est grace à ces deux partis que l'Allemagne a pu assurer le respect de la politique européenne et celle de sa politique étrangère La rupture de ces équilibres internes  remettent en cause sa politique européenne et les relations trans-atlantiques, autrement dit, l'hégémonie du modèle allemand au sein de l'UE et la confiance dans la protection des Etats-Unis, via l'Otan. Et ce, dans un pays central (Mittellage), historiquement dominant et dépourvu aujourd'hui de puissance militaire. Or, si l'avenir des partis politiques n'est plus assuré en Allemagne, par le "patriotisme constitutionnel" (Habermas) de la Loi fondamentale et par le régime démocratique, caractérisé par la séparation des pouvoirs et un système bicaméral (Bundesrat et Bundestag ), tout le système de gouvernance est ébranlé.


C'est ce qui s'annonce, suite à la percée aux élections régionales de Thuringe de  l'Alternative für Deutschland, qui a obtenu en septembre 2019 le 22,9%des suffrages  et a fait sauter la digue du "cordon sanitaire" dressé autour d'elle , lors de l'élection du Président du Land, obtenue grace à un accord entre la CSU et AfD, remis en cause plus tard. Puisque ni la gauche (SPD ou Die Linke), ni la droite( CDU ou CSU), ne parviennent plus à atteindre  ou à dépasser les 50%, toute "grande coalition" devient impraticable et les solutions de remplacement rendent nécessaires des gouvernements minoritaires et donc aléatoires,  d'au moins trois partis, tant au niveau fédéral, qu'au niveau  des Länder. Dans ce contexte la poussée électorale des forces populistes et souverainistes  compromet le jeu des coalitions classiques, paralysie le fonctionnement des parlements régionaux et nationaux  et aggrave la crise du Leadership politique de Merkel, en Allemagne et en Europe. Celle-ci démeure la principale responsable de la montée des droites, de l'absence d'une politique européenne d'immigration et de l'invasion de l'Europe, menacée par Erdogan. Son attentisme généralisé et son déni des trasformations mondiales, aggravés par son manque de vision, font de M.me Merkel le problème et non la solution de l'Allemagne et de l'Europe.

La montée électorale  de l'Alternative für Deutschland (AfD)

La montée électorale  de l'AfD,  née en avril 2013, fait elle vaciller le système politique allemand? Représente-t-elle une bombe sociale ou annonce-t-elle un chaos à venir? Une des clés du succès de l'AfD a été de présenter l'union constitutionnelle de la RFA et de la RDA, comme un échec sur toute la ligne et comme une humiliation des allemands de l'Est, les Ossis, tenus au rang de  citoyens colonisés ou de deuxième classe et, suite à l'amplification de la criminalité, à la non intégration des immigrés et à l'islamisation croissante de la socièté, comme une manipulation et une désaffection des classes dirigentes de la CDU-CSU , ainsi que du SPD, de Die Linke et de la gauche en général, vis à vis du menu peuple. Or, cette désaffection vis à vis du peuple n'est rien d'autres qu'une usure et un affaiblissement de la démocratie.En réalité les  analogies apparentes de situation entre le cadre politique actuel  et celui de la république de Weimar de 1930 à 1932, ont fait publier, en 1965,  un livre à un chercheur américain, William Allen , concernant l'accession au pouvoir du nazisme par la voie électorale , en utilisant le fonctionnement des institutions démocratiques et surtout les administrations régionales et locales.En effet -argumente-t-il, entre 1930 et 1932, ont adhéré au parti nazi, non pas les chomeurs, partisants du socialisme et du marxisme qui inspiraient la socialdémocratie allemandes, mais la classe moyenne et la bourgeoisie. de telle sorte que la nature ouverte de la démocratie permit de subvertir les institutions existentes et d' instaurer légalement la dictature. De fait, depuis 1933, la république de Weimar fut anéantie et toute opposition éliminée.

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L'histoire peut -elle se répéter?

Ainsi cette démonstration autorise une  question troublante:" L'histoire peut elle se répéter?" William Allen a adopté comme fil conducteur de son livre l'interrogation  sur les origines du nazisme: "Comment cela a pu arriver?". Or, la question d'aujourd'hui peut être ainsi formulée:"La situation est-elle vraiment la même? Ou encore, l'ennemi est il là oû on l'attend? D'oû viennent-ils le danger principal et l'esprit de révolte?"

En revenant aux réalités de l'Allemagne de 2020,une série de données incontestables apparaissent alarmantes:

-le ralentissement économique fin 2019, qui pourrait remettre en cause le taux de chomage le plus bas du continent de 3,5%
-le vieillissement de la population
-la politique d'immigration illégale massive
-l'ignorance des bouleversements stratégiques, intervenus dans la reconfiguration du système multipolaire
-la démondialisation en cours et ses repercussions en Europe
-la fin du "statu-quo"et le déclin de puissance de l'Union Européenne
-la désoccidentalisation du monde, surtout en Asie et l'affaiblissement du leadership de l'Amérique
-le retour à la souveraineté de la Grande -Bretagne ( Brexit) et à son pouvoir de reglémenter le mouvement historique de manière indépendante et autonome, manifeste dans la conception même du Deal de la négociation en cours.
Pour toutes ces raisons, imputables à la Chancellière,l'ère de l'après Merkel se configure comme une étape d'incertitudes et de surprises stratégique

Merkel et l'asservissement des citoyens.

Le totalitarisme "soft" contre la tentation souverainiste au coeur de l'Europe

En ce sens comprendre un monde qui se fissure et se disloque,  derrière l'apparente stabilité des coalitions, comporte le constat que le peuple des autocthones est devenu indifférent à la politique  et celui des allogènes est en déhors et contre la loi . Ceci prouve l'impossibilité , dans une société multiculturelle, de gouverner et de vivre, autrement que par la violence ou par la force.

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Dans une situation où les chefs politiques perdent leurs légitimité, les meneurs et intrigants étrangers, et,  parmi les Chefs d'Etats,  le plus outrancier( Erdogan), profitent des conflits internes, en exerçant des chantages par l'envoi massif de migrants, prêts à invahir le continent, sans que l'UE réagisse.


L'Union Européenne a toujours vu les nations et les frontières comme un rétage du passé et des contraintes à surmonter, au nom d'un progressisme planétaire et d'une idéologie diversitaire, qui aveugle ses dirigents contre l'offensive démographique et islamiste du monde musulman. Grace à M.me Merkel  l'Allemagne en est la première victime en Europe, à côté de la France de Macron, empreigné d'idéologie post- coloniale. L'asservissement aux tyranies globalistes  et la corruption des régimes démocratiques viennent de l'homme démocratique lui même, si l'on interprète correctement Platon, lorsque, embu de sa propre réthorique , il ne connaît que les passions de son groupe(CDU,CSU,SPD/ LAREM...). Ce dévoiement entraîne l'asservissement des citoyens à des maîtres aveugles et  à des minorités despotiques.L'intrusion progressive de la démagogie et de la tyranie dans la démocratie, interdisent ainsi toute révolte intellectuelle et morale.

Les meilleurs analystes de l'Allemagne et de la France s'emploient à étudier aujourd'hui, la corrupton de l'esprit public, la fin des démocraties et l'émergence possibles des régimes tyranniques.La France et L'Allemagne sont éprises, à des degrés divers,par le même paradoxe,celui d'être serrées par l'étreinte implacable  des Etats souverainistes et des Etats globalistes, et en termes de gouvernance ,entre un populisme césariste( France) et un totalitarisme soft (Allemagne)

Le renouveau de l'approche politique  en Allemagne.
De la pensée partitocratique à la pensée géo-politique et néo-nationale

La faible croyance dans la démocratie est due en effet à l'égarement des cultures nationales dans le globalisme planétaire et l'Allemagne vit ainsi à l'heure
d'un totalitarisme sans violence et d'une tyranie sans machiavélisme. Autrement dit dans une forme d"exercice du pouvoir sans adoption "de la force et de la ruse" comme contraintes consubstantielles à l'action du Prince. Ainsi, dans le cadre d'une Europe qui se disloque, la notion  qui est associée à l'idée de "nation", comme retour à une personnalité égarée et aux passions  populaires de l'âme collective, est la notion de "révolution géo-politique", héritière reviviscente d'une histoire ancienne.


Or, en Allemagne,la rénovation de la pensée partitocratique est une rénovation culturelle des classes moyennes, qui veulent un pays éthniquement pur et homogène, confiant en lui même et en son avenir. Dans ce modèle idéal, les petits aspirent de nouveau à être tenus pour grands, au sein d'une Allemagne plus "libre" et finalement  souveraine.
La satisfaction morale de cette nouvelle liberté ne repose pas sur  l'Europe, mais sur  l'idée de Mitte Lage ou d'épicentre continental.


Concrètement, la rénovation  allemande a besoin d'une vision et une ambition, mais elle nécessite  surtout d'une culture, qui représente la présence d'un espace existentiel comme idée et sous la forme de ses anciennes racines et provinces historiques.( Heinz Brill, Alfred Zänker, Jordis von Lohausen).

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Depuis 1945 l'optimisme philosophique est mort partout en Europe et il n'est pas rené avec le Traité de Rome en 1957, ni avec le Traité de Maastricht en 1992, comme dernière et illusoire tentative de corseter l'Allemagne.

Nouvelles élites et énergies rétroactives

En opposition à cette tentative, l'émergence de nouvelles élites dirigeantes est en cours en Allemagne, en France et en Italie, signalée par le refus de l'égalitarisme, la subordination de l'économie à la politique intérieure et de celle-ci à la politique étrangère; et, au niveau planétaire, du Heartland à la "Grande Ile" et de l'Europe au Rimland atlantique.


Dans ce cadre renové, s'affirme la conscience que les conflits diplomatiques ne naissent plus de l'idéologie, comme écran de fumée de la "Raison d'Etat", mais  de la politique d'affirmation nationale. A l'intérieur du pays,  les régimes démocratiques laïcisés et ouverts,  deviennent dépolitisés  et obsolètes , tandis que les régimes totalitaires se commuent en perturbateurs ou en révolutionnaires.


Plus profondément et au delà de la tentation populiste au coeur de l'Europe, l'Allemagne semble remettre en cause, au sein de ses élites, les contraintes géopolitiques qui lui ont été imposées par les puissances occidentales, visant à contrôler et à juguler, dans les siècles , le centre germanique du continent, par la neutralisation, l'intégration, l'encerclement, la surveillance ou la logique des alliances. Un courant de pensée néo- nationaliste et néo-conservateur, défendant, au nom de l'Allemagne unifiée,  sa position de "puissance du milieu", adopte une double perpective, d'autonomie continentale ou d'option  eurasienne. La premère appuyée sur un jeu d'équilibre entre Washington et Moscou, la deuxième sur la troïka Berlin-Moscou-Tokyo.

Perspective et conscience historique
 
En repensant la politique en termes de siècles et l'espace en termes de continents, la conscience historique de l'Allemagne d'aujourd'hui ne peut occulter une même identité de civilisation  avec la France et, de ce fait, les origines franques de la nation française, la germanité commune du passé carolingien, ainsi que la Chrétienneté latine de l'Europe occidentale et byzantine, des Balkans, de l'aire slavo-ortodoxe et de l'espace russo-sybérien. Ces rappels éthno-linguistiques et réligieux opposent l'aire européenne à l'aire anglo-saxone. Cette dernière, orientée par la stratégie globale d'Hégémon, éxercée en termes de Soft Power, comme modèle culturel fondé sur l'échange ,contribue au déracinement de nos sociétés,  fondées sur des traditions anciennes. L'issue  de cette opposition entre modèles culturels contrastants, conduit tout droit à l'annihilation de notre histoire et de notre  vocation à la puissance. Or, le rôle fondamental de la mémoire et des données historiques représente une tâche politique primordiale, que les droites conduisent en Europe,  pour mobiliser les "énergies rétroactives", menacées par le modele  anglo-saxon d'empreinte américaine et par une immigration musulmane massive. Le temps présent est donc aux résurgences et aux affirmations identitaires. 

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Triomphe  du néo-nationalisme en Europe et impact géopolitique du Bréxit

Du point de vue géo-politique, l'Allemagne, serait, selon von Lohausen, la paume d'une main, dont les doigts sont la Scandinavie, l'Angleterre, l'Espagne,l'Italie et  les Balkans. Bref l'épicentre du continent! Et , au même temps ,l'Europe deviendrait le Rimland de l'Amérique, promue à  pivot du système monde.


Même la perte d'une phalange, la Grande Bretagne,  ne peut changer la position de l'Allemagne, qui, après le Brexit, devient  le centre de gravité géopolitique de l'ensemble européen et le pays de facto hégémonique à l'ouest du continent. La France, affaiblie, ne peut plus jouer à la triangulation stratégique avec la Grande- Bretagne face au Mitte-Lage et ne peut prétendre au leadership de l'Union Européenne , même en arguant d'une distinction entre hégémonie et direction politique. En effet le départ du Royaume- Uni vers le "Grand large" interdit à la France de rééquilibrer la dissymétrie de forces et de pouvoir avec l'Allemagne et aggrave l'isolement et le rejet de Paris, en Europe centrale et orientale, dans les pays baltes et scandinaves, ainsi que  vers le sud, dans les pays méditerranéens, au Proche et  Moyen Orient,au Golfe et plus en général en Afrique

Rupture du processus d'intégration et crise identitaire élargie

Si,  par rapport à l'Europe , la désencrage  de la Grande Bretagne du continent peut apparaître une crise morale et politique, sa signification historique est celle d'une rupture, qui conduit à une restauration de la souveraineté et de l'Etat-Nation et apparaît un frein des  tentatives d'intégration, entamées dans la perspective de création d'un  bloc régional autonome ( UE et autres)


Celui-ci, contraire à la logique de la mondialisation et du libre ếchange intégral, a pu faire penser à une partie de l'establishement américain que la sortie de la Grande Bretagne de l'Union Européenne représentait la fin de l'intrusion des Etats-Unis dans la politique européenne et de l'entrisme anglo-saxon dans le sustème décisionnel de la Communauté Ainsi à la question de savoir si cette rupture a comporté pour le Royaume-Uni une victoire de Pyrrhus , Ernst Lohof, membre du groupe Krisis , a répondu résolumment non.


Cette rupture ( D.Moïsi-les Echos du 2/12/2013)  se concluera par une victoire des anglais sur les français et les allemands, comme à Azincourt (1415), et à Waterloo(1815) pour les premiers,  ou dans la bataille d'Angleterre(1940/41), pour les deuxièmes. Et donc, dans le cas  des français,  par une délice du coeur et dans celui des allemands, par la libération d'un cauchemar.


L'impact mondial  du Brexit reconfigurera en effet la structure  du système international dans ses principes et dans ses alliances, car il n'arrivera pas à reconcilier la famille européenne de son quadruple divorce, celui de la société contre les élites, du Nord contre le Sud, de l'Allemagne contre la France et de la Grande Bretagne contre tous les autres. Il s'agit d'un divorce  intercontinental étendu, car l'Amérique s'éloigne, la Russie se rapproche et le Moyen Orient se fragmente. Il n'apportera pas de réponses aux  grands questionnements qui sécouent la conjoncture internationale. En effet de Tokyo à Pékin, en passant par Séoul, les élites asiatiques se demandent si nous ne sommes pas à la veille de grandes turbulences , comme celles qui ont précédé les deux grandes guerres du XXème siècle. Par ailleurs, le cumul des crises actuelles, politiques , économiques, financières et sanitaires, ne fait qu'approfondir le fossé entre le projet européen et une masse de citoyens, de plus en plus désabusés de la politique et de leurs classes dirigentes.

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Dans ce contexte,où les Etats-Unis ont intimidé l'Allemagne au sujet de l'achat de gaz à la Russie, conduisant à un marché coercitif, l'érosion des classes moyennes se manifeste par une perte de confiance évidente  et par la fragmentation des partis politiques traditionnels. On ajoutera que le rejet des élites encourage les mouvements souverainistes et populistes et que l'insécurité grandissante aggrave la crainte d'une perte d'identité, due à une invasion migratoire massive.


Le triomphe du néo-nationalisme semble ainsi assuré de succès et d'une montée en puissance, reconfortante pour ses ambitions.

serveImage.jpgL'Allemagne et le néo-nationalisme de gauche 

Ernst Lohoff, analyse clairement, dans une perspective critique, le ressentiment des citoyens contre l'UE et les gouvernements des pays -membres qui la soutiennent, et qualifie ce ressentiment de force historique. En attirant l'attention sur l'optimisme de circonstance de M.me Merkel, il ne se prive pas de souligner la contradiction entre le globalisme des marchés et de l'économie,  portée d'une part ,par la financiarisation et la création de capital fictif, come nouveau moteur de croissance et, d'autre part, par  l'UE, comme bouc émissaire de l'échec du modèle libéral. Ernst Lohoff rappelle que la gauche allemande surfe contre l'Ue, à l'image de Podemos en Espagne et que l'égérie de Die Linke, Sahra Wagenknecht, avant garde du néo-nationalisme de gauche, identifie l'espace démocratique à l'Etat Nation et prone un globalisme décentralisé, comme base d'une utopie , qui demeure au fond réactionnare

Rôle de l'Allemagne après le Brexit et rôle de l'UE dans la géopolitique mondiale
Positions et options ouvertes

La distinction sur le rôle de l'Allemagne, au sein de l'UE et dans le monde, est largement justifiée par les séquelles de l'histoire européenne.


La réunification allemande assigne au "mitte lage" le rôle ,presque naturel, de facteur d'équilibre, ce qui implique une prudence et une pondération attentives de ses initiatives. Celles -ci, avec M.me Merkel, accutumée à temporiser, définissent une position ambivalente, qui  peut se résumer, à l'intérieur de l'UE, par une indécision de fond entre l'option du "noyau dur" et celle  d'Europe à intégration différenciée. Par ailleurs quant au slogan fédéraliste sur "plus d'Europe intégrée,(le Royaume Uni parle  de"better regulation" ),M.me Merkel réclame " plus d'Europe en matière de sécurité". En ce qui concerne l'avenir de la monnaie unique, la réforme de la zone euro, l'Union bancaire et la restructuration de la dette, la reponse de l'Allemagne est sans équivoque et se focalise sur le principe d'irrecevabilité. La réduction des risques et le rejet d'une Union des transferts seraient  susceptibles, pense-t- elle,  de remettre en cause la cohésion de l'Union et de destabiliser les pays qui sont des contributeurs nettes.


En matière de crise migratoire , l'Allemagne, qui n'était pas une terre  d'accueuil avant 2015, adopte un tournant radical et un virage dérogatoire par rapport aux règles communautaires, passant du principe de défense des frontières nationales à celui des frontières européennes .Sous la pression du Groupe de Visegrad ( Hongrie, Pologne, Republique Tchèque et  Slovaquie-) est abandonné le critère  d'une répartition obligatoire des migrants et adopté celui d'une adoption volontaire".


Or, si la politique migratoire s'est révélée volatile, le thème de la sécurité, interne et extérieure, est apparu, au Sommet de Bratislava ( sept.2016),comme fondé sur une politique inter-étatique et non communautaire. Le paradigme revendicatif "d'indépendance politique et d'autonomie stratégique" de l'UE,par rapport aux Etats-Unis et à l'Otan, comportant une"coopération structurée permanente", a montré qu'il ne faut pas porter des attentes démésurées sur l'Allemagne puisque  celle-ci, ne sera jamais en concurrence avec l'Alliance Atlantique et, in fine, Berlin ne remplacera pas Londres, ni en matière d'alliances, ni dans d'autres domaines dans lesquelles la Grande Btretane a joue le rôle de défenseur des positions américaines en Europe . Il faut en déduire une grande caducité du tandem franco -allemand, vu l'affaiblissement de la France et le manque de vision stratégique du "Mitte Lage".


L'Allemagne s'étant toujours appuyée sur la Grande -Bretagne pour faire avancer ses propres objectifs, elle s'est contentée de limiter les dégats du Brexit et a laissée la France seule, à résoudre à la fois les problèmes du Leadership de l'Union, les divisions cachées des 27,les problèmes des flux migratoires et de gestion des chantages d'Erdogan. Ainsi la "menace" bien réelle d'une floraison montante des souverainismes et des populismes guette de plus en plus les pouvoirs en place  sur le continent. Le fragile consensus a minima, obtenu sur tous ces noeuds cruciaux  à Bratislava, n'a pu résoudre la perte de confiance des opinions envers l'Europe. Par ailleurs la défense  du principe des quatre libertés ( libre circulation des hommes, biens, services et capitaux) , dans les négociations pour un Deal (très incertain ) avec le Royaume-Uni, risque de  sacrifier la première liberté, celle de la libre circulation des hommes.


Ainsi, avant la présidence allemande du Conseil de l'Union Eurpéenne (1er juillet 2020), toutes les options d'avenir restent ouvertes et toutes  sont susceptibles de réserver des surprises.

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La chute du mur, la réorganisation des équilibres de pouvoir en Europe et les axes de la politique étrangère allemande

La chute du mur de Berlin a eu des conséquences bouleversantes pour la réorganisation des équilibres de pouvoir en Europe et dans le monde. Depuis la fondation de la RFA en 1949, l'axe de la politique étrangère de l'Allemagne a été le maintien de la paix et de la sécurité entre l'Est et l'Ouest, par un activisme particulièrement marqué dans le désarmement et le contrôle des armements et l'ancrage du pays dans la communauté des démocraties occidentales , ainsi que dans les relations euro-atlantiques (OTAN).

Le multilatéralisme et la politique d'intégration européenne ont été les vecteurs principaux de la légitimation de la nouvelle diplomatie allemande, pratiquant une « hégémonie soft » et une politique mondiale intravertie. La chute du rideau de fer et l'effondrement de l'Union soviétique restituent l'Allemagne à son rôle central en Europe et replacent le « Land Der Mitte » face aux deux options classiques du pays, celles de la priorité à accorder à l'Est ou à l'Ouest.

Face à ce dilemme qui s'est révélé dramatique dans l'histoire allemande en raison de l'antinomie des deux dynamiques « géopolitiques » qui en résultaient, le recouvrement de la souveraineté, consécutif à la réunification, a eu comme référent immédiat une réflexion de fond sur le rôle de l'Allemagne en Europe.

L'Allemagne et les trois dynamiques de l'UE

Le rôle de la République Fédérale a influencé en Europe la dynamique de trois politiques :

- la politique institutionnelle, par la mise en œuvre rigoureuse et conforme des Traités de l'Union, exigeant un contrôle de constitutionnalité interne sur toute dévolution de compétences à l'Union

- le soutien à une politique étrangère commune, marquée par la diversification des intérêts plutôt que par l'affirmation des identités

- Une politique extérieure caractérisée par une « politique de responsabilité», un mélange de puissance civile et de politique introvertie, privilégiant l'approche multilatérale et le contexte institutionnel de l'Uni

- Ceci a comporté une stabilisation de l'Europe centrale et orientale, rendue possible, dès le 14 novembre 1990, par la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse avec la Pologne, réconciliation forcée ,qui a ouvert la porte à l'adhésion de ce pays à l'UE et à la poursuite de la Ostpolitik vers la Fédération russe, la confédération des Etats indépendants (CEI), l'Asie centrale et le Caucase.

Les crises en chaîne, les limites de l'Union et la fin d'un cycle historique

Une limite importante semble apparaître aujourd'hui, celle de la fin d'un cycle historique, pour l'Allemagne et pour l'Union européenne, marquée par trois décennies de dynamiques politiques et économiques.

A un examen retrospectif, cette limite est caractérisée par le refus de la part de la France et de l'Union Européenne de continuer à jouer les mêmes règles, dans le cas du partenariat transatlantique et dans les relations avec la Russie et la Chine . Par ailleurs elle s'est  manifesté  à l'intérieur,par un essouflement du consensus et par effrittement des partis politiques traditionnels ( le SPD et la CDU).

En termes d'Ostpolitik, à la période de stabilisation qui avait permis de régler à Moscou en 1990, les réliquats de la deuxième guerre mondiale ( minorités et frontières) , l'émergence de la politique migratoire, a transformé le Groupe de Visegrad, très sensible aux questions d'identité et de minorité , en bloc hostile et presque antagoniste. Après la crise ukrainienne, comme dernier  épilogue de la politique d'élargissement, le retour de la Crimée à la Russie a crée les conditions d'un renforcement des liens entre la Chine et la Russie, au détriment de l'Europe.

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Un bilan rétrospectif 1990-2020

La conclusion de ce bilan retrospectif est sévère:

- le tandem franco- allemand , hier "noyau dur", est dégradé en relation asymétrique. En effet« le noyau dur » Paris-Bonn de la guerre froide correspondait à une phase euro-centrée du leadership européen et la troïka Paris-Berlin-Moscou de 2010 a été une hypothèse de gouvernabilité de la sécurité multipolaire à caractère eurasiatique.

- "l'arc de feu " à l'Est (Ukraïne), a été  perçu  par la Russie comme ingérence et ce feu n'est pas encore éteint

- l'éloignement de la Turquie  de l'Otan, maifestant virulence et hostilité à l'Europe et haussant le prix du chantage migratoire, par  l'humiliante "diplomatie du chèque", est une preuve d'impuissance européenne et un raté de la diplomatie unilatéraliste et dérogatoire de M.me Merkel

- l'effritement de l'unité de l'Union , après le Brexit, qui ouvre une crise de consensus et  de "sens" politique, apparait comme le  prélude d'une phase d'effondrement possible du projet européen

Ce bilan pourrait se conclure par un dernier constat: il y a eu avancement de la constuction européenne, lorsque étaient réunies les conditions d'une  concertation  franco-allemandes et isolement politique de l'Allemagne, en cas contraire. Plus grave, l'absence d'un débat stratégique  a infuencé le pacifisme et rendu  difficile le remplacement intellectuel de Habermas par Carl Schmitt et de Schröder/Maas/Merkel par un Bismark hypothétique du XXIème siècle. De façon générale, le règne du mercantilisme politique et du provincialisme globaliste, a été en phase avec le multilatéralisme officiel, mais se hurte aujourd'hui à la généralisation des règles unilatéralistes  de conduite, en matière de politique internationale et dans un contexte systémique, à forte connotation multipolaire.

Le poids de l'Histoire

Nous prenons conscience historiquement que la poitique étrangère allemande a joué un rôle prépondérant dans la formation de l'Europe contemporaine.Elle a conditionné au XIXème les relations austro-prussiennes pour le primat sur le monde germanique, le "Deutschtum", puis sur les relations franco-allemandes de 1870 à 1945, et, après l'intermède  de la période de souveraineté limitée de 1945 à 1990, sur l'Union Européenne .

Quel rôle pourra -t- elle jouer à l'extrémité du Rimland eurasien,  dans un système multipolaire fragmenté et dans un affrontement tripolaire possible entre les Etats-Unis, la Russie et la Chine? S'opposant à une renaissance néo nationale allemande et indirectement européenne,  quel  sera l'enjeu du Konzept de sécurité allemand et d'où viendra-t-elle l'étincelle du feu universel et des grans temps?

Pour l'heure, nous remarquons l'effacement des cadres de régulations multilatéraux qui ont affaibli l'Allemagne et l'Europe, en l'absence d'une culture de la coërcition et du hard power et dans la préeminence accordée à la vision légaliste ,à la priorité du droit et aux mandats onusiens.

Dans une conjoncture,caractérisée par la crise de confiance et par le désengagement des Etas-Unis de l'Europe,qui fait suite au pivot Asie- Pacifique d'Obama, les raccomandations du Président de la République Steinmaier à la Conférence sur la sécurité de Munich, quant à la nécessité d'un rôle plus actif de l'Allemagne , en matière de défense, sont très loin de la crainte de la renaissance des idéologies nationalistes en Europe.

Ces craintes ne peuvent venir d'un Etat qui a renoncé au concept " d'Etat qui gouverne et qui décide"(Schmitt), ni d'un peuple qui n'est plus déterminé,en ses avancées, par la force culturelle et la totalité du passé du Mitte Lage

L'idée allemande de nation et d’État

L'idée de Reich represente, dans l'histoire allemande, depuis l'an 962 (naissance du Sacré Romain Empire Germanique,  premier Reich ),le principe de commandement (impérium), qui s'exerce sur un territoire, soumis au pouvoir suprême d'un roi, d'un empereur et plus tard d'un Etat.

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Ainsi, l'idée allemande de peuple fait de celui-ci  le garant d'un ordre, qui s'enracine dans le concept organique d'Etat ,comme totalité vivante, opposé aux philosophies du contrat (Rousseau, Kant, Fichte), qui font de l'Etat un artifice destiné à garantir des intérêts individuels (conception liberale). Le passage de l'organicisme à l'individualisme est marqué par la transition de la morale collective ( Sittlichkeit ou éthicité), au pluralisme des convictions personnelles Dans ce cas il ne peut y avoir une différenciation éthique au sein du peuple,que par la subordination des moralités individuelles au lien politique, conçu comme un lien éthique, de telle sorte que l'éthos est identifié à l'ethnos et comporte une opposition claire à l'existence d' une pluralité d'éthicités (société multiculturelle), liées à autant de conceptions politiques . Si l'impératif politique est un impératif moral, de nature quasi réligieuse, la conception de la révolution fraçaise de 1789, fondée sur un légalisme abstrait, érige le droit en une souveraineté morte, en un dieu inautentique et figé .Or  l'essentiel de l'idéologie nationale et des doctrines des droites en Europe et en Allemane, est fondées sur l'opposition entre  l'élément national et populaire (discipline, fidélité et ordre) et l'Etat  rationnel  et abstrait, dépourvu d'un substrat éthnique, historique et linguistique, ainsi que d'un principe supérieur et hiérarchique  d'ordre.(ex. l'Etat républicain en France). Les révolutionnaires de 89 ont éliminé les articulations vivantes et intermédiaires de la société civile pour leur substituer, par l'abstraction contractualiste, le pouvoir mort de la loi. L'autonomie de l'Etat de la société civile, considérée comme nation historique, a engendré une sorte d'anti-étatisme révolutionnaire, solidaire du nationalisme romantique et le souffrage, comme expression atomisée des individus singuliers a favorisé l'extrémisme légaliste et la "liberté rationnelle", au détriment de l'identité nationale. Or, en Allemagne la concepton de l'Etat organique et de la "Gemeinschaft" (communauté de sang, de  langue et de terre) résulte d'un principe de développement,  fondé sur la"force vitale" ( F.Nietzsche).Ainsi  lorsque l'Etat organique se commue en Etat total, ce dernier introduit en toutes ses dimensions l'essence du politique, la distinction de l'ami et de l'ennemi et l'état de guerre (C.Schmitt), aussi bien dans ses relations extérieures que dans les relations internes, avec la société civile et les partis.Le critère de cette évolutiontion constante est l'ordre (die Ordnung), expression constitunnalisée de la vie d'un peuple.L'idée allemande de nation a-t elle été reprise par la constitution démocratique de1949, et  le débat actuel sur le destin démocratique du pays est il approprié pour appréhender l'état de crise de la sociéte et du système politique allemand (2020), si différent du celui de la République de Weimar et de la naissance de la RDA dans l'immédiat après guerre?

Crise de la démocratie parlementaire allemande ou dissolution de l'ordre européen ?

La vieille maxime "Ab integro nascitur ordo!" était l'appel radical au réveil, en condition d'abîme politique et d'espoir de survie . Or, sommes nous en Europe et en Allemagne dans une telle situation? S'agit -il de la dissolution de l'ordre européen ou d'une particularité spécifiquement allemande?. il est certain que la lutte anti-globaliste a commencé depuis au moins 2008, sous forme financière étendue et, en 2015, sous la poussée migratoire et la politique de la" porte ouverte"de M.me Merkel. Cependant l'élément déclancheur, au sein de l'usure  du système politique bipolaire, a été la montée en puissance des droites en Thuringe en septembre 2019. Ca a été un alarme révélateur de la crise de légitimité du système des partis et, au même temps une crise de la légalité démocratique, traduisant une crise d'autorité sur fond de crise d'identité de la nation. Or, la crise de légitimité, intervient toujours avant les collaps de la légalité institutionnelle et , dans ce cas, constitutionnelle, car elle dévoile  la fin d'un cycle de pouvoir et de la structure des forces qui l'ont soutenu; dans ce cas, le régime politique et la forme constitutionnelle de l'Etat, autrement dit la forme démocratique et parlementaire de 1949. L'indicateur principal de l'ensemble de ces phénomènes a été la violence implosive d'Hanau (02/2020), la réactivité des opinions et des médias et l'analyse des causes, de leurs répercussions et des aspects politiques similaires en Europe, désignant la remise en cause du "sens" des institutions européennes "protectrices". Une faille dans l'édifice, puis krak, le sentimennt d'un collaps. Une pandémie a débutée depuis, celle des esprits, la plus mortelle!

Russia’s World Mission

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Russia’s World Mission

Ex: https://blackhousepublishing.com

It would be easy to regard Oswald Spengler, author of the epochal Decline of The West in the aftermath of World War I, as a Russophobe. In so doing the role of Russia in the unfolding of history from this era onward could be easily dismissed, opposed or ridiculed by proponents of Spengler, while in Russia his insights into culture-morphology would be understandably unwelcome as being from an Slavophobic German nationalist. However, while Spengler, like many others of the time in the aftermath of the Bolshevik Revolution, regarded – partially – Russia as the Asianised leader of a ‘coloured revolution’ against the white world, he also considered other possibilities.

RUSSIA’S ‘SOUL’

Spengler regarded Russians as formed by the vastness of the land-plain, as innately antagonistic to the Machine, as rooted in the soil, irrepressibly peasant, religious, and ‘primitive’. Without a wider understanding of Spengler’s philosophy it appears that he was a Slavophobe. However, when Spengler wrote of these Russian characteristics he was referencing the Russians as a still youthful people in contrast to the senile West. Hence the ‘primitive’ Russian is not synonymous with ‘primitivity’ as popularly understood at that time in regard to ‘primitive’ tribal peoples. Nor was it to be confounded with the Hitlerite perception of the ‘primitive Slav’ incapable of building his own State.

To Spengler, the ‘primitive peasant’ is the well-spring from which a race draws its healthiest elements during its epochs of cultural vigour. Agriculture is the foundation of a High Culture, enabling stable communities to diversify labour into specialisation from which Civilisation proceeds.

However, according to Spengler, each people has its own soul, a German conception derived from the German Idealism of Herder, Fichte et al. A High culture reflects that soul, whether in its mathematics, music, architecture; both in the arts and the physical sciences. The Russian soul is not the same as the Western Faustian, as Spengler called it, the ‘ Magian’ of the Arabian civilisation, or the Classical of the Hellenes and Romans. The Western Culture that was imposed on Russia by Peter the Great, what Spengler called Petrinism, is a veneer.

The basis of the Russian soul is not infinite space – as in the West’s Faustian (Spengler, 1971, I, 183) imperative, but is ‘the plain without limit’ (Spengler, 1971, I, 201). The Russian soul expresses its own type of infinity, albeit not that of the Western which becomes even enslaved by its own technics at the end of its life-cycle. (Spengler, 1971, II, 502). (Although it could be argued that Sovietism enslaved man to machine, a Spenglerian would cite this as an example of Petrinism). However, Civilisations follow their life’s course, and one cannot see Spengler’s descriptions as moral judgements but as observations. The finale for Western Civilisation according to Spengler cannot be to create further great forms of art and music, which belong to the youthful or ‘ spring’ epoch of a civilisation, but to dominate the world under a technocratic-military dispensation, before declining into oblivion like prior world civilisations. It is after this Western decline that Spengler alluded to the next world civilisation being that of Russia.

According to Spengler, Russian Orthodox architecture does not represent the infinity towards space that is symbolised by the Western high culture’s Gothic Cathedral spire, nor the enclosed space of the Mosque of the Magian Culture, (Spengler, 1971, I, 183-216) but the impression of sitting upon a horizon. Spengler considered that this Russian architecture is ‘not yet a style, only the promise of a style that will awaken when the real Russian religion awakens’ (Spengler, 1971, I, p. 201). Spengler was writing of the Russian culture as an outsider, and by his own reckoning must have realised the limitations of that. It is therefore useful to compare his thoughts on Russia with those of Russians of note.

41JkTwFc0dL.jpgNikolai Berdyaev in The Russian Idea affirms what Spengler describes:

There is that in the Russian soul which corresponds to the immensity, the vagueness, the infinitude of the Russian land, spiritual geography corresponds with physical. In the Russian soul there is a sort of immensity, a vagueness, a predilection for the infinite, such as is suggested by the great plain of Russia. (Berdyaev, 1).

The connections between family, nation, birth, unity and motherland are reflected in the Russian language:

род [rod]: family, kind, sort, genus родина [ródina]: homeland, motherland родители [rodíteli]: parents родить [rodít’]: to give birth роднить [rodnít’]: to unite, bring together родовой [rodovói]: ancestral, tribal родство [rodstvó]: kinship

Western-liberalism, rationalism, even the most strenuous efforts of Bolshevik dialectal materialism, have so far not been able to permanently destroy, but at most repress, these conceptions – conscious or unconscious – of what it is to be ‘Russian’. Spengler, as will be seen, even during the early period of Russian Bolshevism, already predicted that even this would take on a different, even antithetical form, to the Petrine import of Marxism. It was soon that the USSR was again paying homage to Holy Mother Russia rather than the international proletariat.

‘RUSSIAN SOCIALISM’

Of the Russian soul, the ego/vanity of the Western culture-man is missing; the persona seeks impersonal growth in service, ‘in the brother-world of the plain’. Orthodox Christianity condemns the ‘I’ as ‘sin’ (Spengler, 1971, I, 309).

The Russian concept of ‘we’ rather than ‘I’, and of impersonal service to the expanse of one’s land implies another form socialism to that of Marxism. It is perhaps in this sense that Stalinism proceeded along lines often antithetical to the Bolshevism envisaged by Trotsky et al. (Trotsky, 1936).

A recent comment by an American visitor to Russia, Barbara J. Brothers, as part of a scientific delegation, states something akin to Spengler’s observation:

The Russians have a sense of connectedness to themselves and to other human beings that is just not a part of American reality. It isn’t that competitiveness does not exist; it is just that there always seems to be more consideration and respect for others in any given situation.

Of the Russian traditional ethos, intrinsically antithetical to Western individualism, including that of property relations, Berdyaev wrote:

Of all peoples in the world the Russians have the community spirit; in the highest degree the Russian way of life and Russian manners, are of that kind. Russian hospitality is an indication of this sense of community. (Berdyaev, 97-98).

9782081223219.jpgTARAS BULBA

Russian National Literature starting from the 1840s began to consciously express the Russian soul. Firstly Nikolai Vasilievich Gogol’s Taras Bulba, which along with the poetry of Pushkin, founded a Russian literary tradition; that is to say, truly Russian, and distinct from the previous literature based on German, French and English. John Cournos states of this in his introduction to Taras Bulba:

The spoken word, born of the people, gave soul and wing to literature; only by coming to earth, the native earth, was it enabled to soar. Coming up from Little Russia, the Ukraine, with Cossack blood in his veins, Gogol injected his own healthy virus into an effete body, blew his own virile spirit, the spirit of his race, into its nostrils, and gave the Russian novel its direction to this very day.

Taras Bulba is a tale on the formation of the Cossack folk. In this folk-formation the outer enemy plays a crucial role. The Russian has been formed largely as the result of battling over centuries with Tartars, Muslims and Mongols.

Their society and nationality were defined by religiosity, as was the West’s by Gothic Christianity during its ‘Spring’ epoch, in Spenglerian terms. The newcomer to a Setch, or permanent village, was greeted by the Chief as a Christian and as a warrior: ‘Welcome! Do you believe in Christ?’ —‘I do’, replied the new-comer. ‘And do you believe in the Holy Trinity?’— ‘I do’.—‘And do you go to church?’—‘I do.’ ‘Now cross yourself’. (Gogol, III).

Gogol depicts the scorn in which trade is held, and when commerce has entered among Russians, rather than being confined to non-Russians associated with trade, it is regarded as a symptom of decadence:

I know that baseness has now made its way into our land. Men care only to have their ricks of grain and hay, and their droves of horses, and that their mead may be safe in their cellars; they adopt, the devil only knows what Mussulman customs. They speak scornfully with their tongues. They care not to speak their real thoughts with their own countrymen. They sell their own things to their own comrades, like soulless creatures in the market-place…. . Let them know what brotherhood means on Russian soil! (Spengler, 1971, II, 113).

Here we might see a Russian socialism that is, so far form being the dialectical materialism offered by Marx, the mystic we-feeling forged by the vastness of the plains and the imperative for brotherhood above economics, imposed by that landscape. Russia’s feeling of world-mission has its own form of messianism whether expressed through Christian Orthodoxy or the non-Marxian form of ‘world revolution’ under Stalin, or both in combination, as suggested by the later rapport between Stalinism and the Church from 1943 with the creation of the Council for Russian Orthodox Church Affairs (Chumachenko, 2002). In both senses, and even in the embryonic forms taking place under Putin, Russia is conscious of a world-mission, expressed today as Russia’s role in forging a multipolar world, with Russia as being pivotal in resisting unipolarism.

Commerce is the concern of foreigners, and the intrusions bring with them the corruption of the Russian soul and culture in general: in speech, social interaction, servility, undermining Russian ‘brotherhood’, the Russian ‘we’ feeling that Spengler described. (Spengler 1971, I, 309).

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The Cossack brotherhood is portrayed by Gogol as the formative process in the building up of the Russian people. This process is not one of biology but of spirit, even transcending the family bond. Spengler treated the matter of race as that of soul rather than of zoology. (Spengler, 1971, II, 113-155). To Spengler landscape was crucial in determining what becomes ‘race’, and the duration of families grouped in a particular landscape – including nomads who have a defined range of wandering – form ‘a character of duration’, which was Spengler’s definition of ‘race’. (Spengler, Vol. II, 113). Gogol describes this ‘ race’ forming process among the Russians. So far from being an aggressive race nationalism it is an expanding mystic brotherhood under God:

The father loves his children, the mother loves her children, the children love their father and mother; but this is not like that, brothers. The wild beast also loves its young. But a man can be related only by similarity of mind and not of blood. There have been brotherhoods in other lands, but never any such brotherhoods as on our Russian soil. (Golgol, IX).

The Russian soul is born in suffering. The Russian accepts the fate of life in service to God and to his Motherland. Russia and Faith are inseparable. When the elderly warrior Bovdug is mortally struck by a Turkish bullet his final words are exhortations on the nobility of suffering, after which his spirit soars to join his ancestors. (Gogol, IX). The mystique of death and suffering for the Motherland is described in the death of Tarus Bulba when he is captured and executed, his final words being ones of resurrection:

‘Wait, the time will come when ye shall learn what the orthodox Russian faith is! Already the people scent it far and near. A czar shall arise from Russian soil, and there shall not be a power in the world which shall not submit to him!’ (Gogol, XII).

PSEUDOMORPHOSIS

A significant element of Spengler’s culture morphology is ‘Historic Pseudomorphosis’. Spengler drew an analogy from geology, when crystals of a mineral are embedded in a rock-stratum: where ‘clefts and cracks occur, water filters in, and the crystals are gradually washed out so that in due course only their hollow mould remains’. (Spengler, II, 89).

By the term ‘historical pseudomorphosis’ I propose to designate those cases in which an older alien Culture lies so massively over the land that a young Culture, born in this land, cannot get its breath and fails not only to achieve pure and specific expression-forms, but even to develop its own fully self-consciousness. All that wells up from the depths of the young soul is cast in the old moulds, young feelings stiffen in senile works, and instead of rearing itself up in its own creative power, it can only hate the distant power with a hate that grows to be monstrous. (Ibid.).

A dichotomy has existed for centuries, starting with Peter the Great, of attempts to impose a Western veneer over Russia. This is called Petrinism. The resistance of those attempts is what Spengler called ‘Old Russia’. (Spengler, 1971, II, 192). Spengler described this dichotomy:

Nikolai Berdyaev wrote in terms similar to Spengler’s: ‘Russia is a complete section of the world, a colossal East-West. It unites two worlds, and within the Russian soul two principles are always engaged in strife – the Eastern and the Western’. (Berdyaev, 1).

With the orientation of Russian policy towards the West, ‘Old Russia’ was ‘forced into a false and artificial history’. (Spengler, II, 193). Spengler wrote that Russia had become dominated by Late Western culture:

Late-period arts and sciences, enlightenment, social ethics, the materialism of world-cities, were introduced, although in this pre-cultural time religion was the only language in which man understood himself and the world. (Spengler, 1971, II, 193).

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Ivan Aksakov

‘The first condition of emancipation for the Russian soul’, wrote Ivan Sergyeyevich Aksakov, founder of the anti-Petrinist ‘Slavophil’ group, in 1863 to Dostoyevski, ‘is that it should hate Petersburg with all this might and all its soul’. Moscow is holy, Petersburg Satanic. A widespread popular legend presents Peter the Great as Antichrist.

The hatred of the ‘West’ and of ‘Europe’ is the hatred for a Civilisation that had already reached an advanced state of decay into materialism and sought to impose its primacy by cultural subversion rather than by combat, with its City-based and money-based outlook, ‘poisoning the unborn culture in the womb of the land’. (Spengler, 1971, II, 194). Russia was still a land where there were no bourgeoisie and no true class system but only lord and peasant, a view confirmed by Berdyaev, writing: ‘The various lines of social demarcation did not exist in Russia; there were no pronounced classes. Russia was never an aristocratic country in the Western sense, and equally there was no bourgeoisie’. (Berdyaev, 1).

The cities that emerged threw up an intelligentsia, copying the intelligentsia of Late Westerndom, ‘bent on discovering problems and conflicts, and below, an uprooted peasantry, with all the metaphysical gloom, anxiety, and misery of their own Dostoyevski, perpetually homesick for the open land and bitterly hating the stony grey world into which the Antichrist had tempted them. Moscow had no proper soul’. (Spengler, 1971, II, 194). Berdyaev likewise states of the Petrinism of the upper class that ‘Russian history was a struggle between East and West within the Russian soul’. (Berdyaev, 15).

RUSSIAN THE KATECHON

Berdyaev states that while Petrinism introduced an epoch of cultural dynamism, it also placed a heavy burden upon Russia, and a disunity of spirit. (Ibid.). However, Russia has her own religious sense of Mission, which is as universal as the Vatican’s. Spengler quotes Dostoyevski as writing in 1878: ‘all men must become Russian, first and foremost Russian. If general humanity is the Russian ideal, then everyone must first of all become a Russian’. (Spengler, 1963, 63n). The Russian Messianic idea found a forceful expression in Dostoyevski’s The Possessed, where, in a conversation with Stavrogin, Shatov states:

fyodor-dostoevsky-the-possessed-by-fritz-eichenberg-01.jpgReduce God to the attribute of nationality?…On the contrary, I elevate the nation to God…The people is the body of God. Every nation is a nation only so long as it has its own particular God, excluding all other gods on earth without any possible reconciliation, so long as it believes that by its own God it will conquer and drive all other gods off the face of the earth. …The sole ‘God bearing’ nation is the Russian nation… (Dostoyevsky, 1992, Part II: I: 7, 265-266).

This is Russia as the Katechon, as the ‘nation’ whose world-historical mission is to resist the son of perdition, a literal Anti-Christ, according go the Revelation of St. John, or as the birthplace of a great Czar serving the traditional role of nexus between the terrestrial and the divine around which Russia is united in this mission. This mission as the Katechon defines Russia as something more than merely an ethno-nation-state, as Dostoyevsky expressed it. (Ibid.). Even the USSR, supposedly purged of all such notions, merely re-expressed them with Marxist rhetoric, which was no less apocalyptic and messianic, and which saw the ‘decadent West’ in terms analogous to elements of Islam regarding the USA as the ‘Great Satan’. It is not surprising that the pundits of secularised, liberal Western academia, politics and media could not understand, and indeed were outraged, when Solzhenitsyn seemed so ungrateful when in his Western exile he unequivocally condemned the liberalism and materialism of the a ‘decadent West’. A figure who was for so long held up as a martyr by Western liberalism transpired to be a traditional Russian and not someone who was willing to remake himself in the image of a Western liberal to for the sake of continued plaudits. He attacked the modern West’s conceptions of ‘rights’, ‘freedom’, ‘happiness’, ‘wealth’, the irresponsibility of the ‘free press’, ‘television stupor’, and referred to a ‘Western decline’ in courage. He emphasised that this was a spiritual matter:

But should I be asked, instead, whether I would propose the West, such as it is today, as a model to my country, I would frankly have to answer negatively. No, I could not recommend your society as an ideal for the transformation of ours. Through deep suffering, people in our own country have now achieved a spiritual development of such intensity that the Western system in its present state of spiritual exhaustion does not look attractive. Even those characteristics of your life which I have just enumerated are extremely saddening. (Solzhenitsyn, 1978).

These are all matters that have been addressed by Spengler, and by traditional Russians, whether calling themselves Czarists Orthodox Christians or even ‘Bolsheviks’ or followers of Putin.

Spengler’s thesis that Western Civilisation is in decay is analogous to the more mystical evaluations of the West by the Slavophils, both reaching similar conclusions. Solzhenitsyn was in that tradition, and Putin is influenced by it in his condemnation of Western liberalism. Putin recently pointed out the differences between the West and Russia as at root being ‘moral’ and religious:

Another serious challenge to Russia’s identity is linked to events taking place in the world. Here there are both foreign policy and moral aspects. We can see how many of the Euro-Atlantic countries are actually rejecting their roots, including the Christian values that constitute the basis of Western civilisation. They are denying moral principles and all traditional identities: national, cultural, religious and even sexual. (Putin, 2013).

Spengler saw Russia as outside of Europe, and even as ‘Asian’. He even saw a Western rebirth vis-à-vis opposition to Russia, which he regarded as leading the ‘coloured world’ against the whites, under the mantle of Bolshevism. Yet there were also other destinies that Spengler saw over the horizon, which had been predicted by Dostoyevski.

Once Russia had overthrown its alien intrusions, it could look with another perspective upon the world, and reconsider Europe not with hatred and vengeance but in kinship. Spengler wrote that while Tolstoi, the Petrinist, whose doctrine was the precursor of Bolshevism, was ‘the former Russia’, Dostoyevski was ‘the coming Russia’. Dostoyevski as the representative of the ‘coming Russia’ ‘does not know’ the hatred of Russia for the West. Dostoyevski and the old Russia are transcendent. ‘His passionate power of living is comprehensive enough to embrace all things Western as well’.  Spengler quotes Dostoyevski:

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‘I have two fatherlands, Russia and Europe’. Dostoyevski as the harbinger of a Russian high culture ‘has passed beyond both Petrinism and revolution, and from his future he looks back over them as from afar. His soul is apocalyptic, yearning, desperate, but of this future he is certain’. (Spengler, 1971, II, 194).

To the ‘Slavophil’, of which Dostoyevski was one, Europe is precious. The Slavophil appreciates the richness of European high culture while realising that Europe is in a state of decay. Berdyaev discussed what he regarded as an inconsistency in Dostoyevski and the Slavophils towards Europe, yet one that is comprehensible when we consider Spengler’s crucial differentiation between Culture and Civilisation:

Dostoyevsky calls himself a Slavophil. He thought, as did also a large number of thinkers on the theme of Russia and Europe, that he knew decay was setting in, but that a great past exists in her, and that she has made contributions of great value to the history of mankind. (Berdyaev, 70).

It is notable that while this differentiation between Kultur and Zivilisation is ascribed to a particularly German philosophical tradition, Berdyaev comments that it was present among the Russians ‘long before Spengler’, although deriving from German sources:

It is to be noted that long before Spengler, the Russians drew the distinction between ‘culture’ and ‘civilization’, that they attacked ‘civilization’ even when they remained supporters of ‘culture’. This distinction in actual fact, although expressed in a different phraseology, was to be found among the Slavophils. (Ibid.).

Dostoyevski was indifferent to the Late West, while Tolstoi was a product of it, the Russian Rousseau. Imbued with ideas from the Late West, the Marxists sought to replace one Petrine ruling class with another. Neither represented the soul of Russia. Spengler states: ‘The real Russian is the disciple of Dostoyevski, even though he might not have read Dostoyevski, or anyone else, nay, perhaps because he cannot read, he is himself Dostoyevski in substance’. The intelligentsia hates, the peasant does not. (Ibid.). He would eventually overthrow Bolshevism and any other form of Petrinism. Here we see Spengler unequivocally stating that the post-Western civilisation will be Russian.

For what this townless people yearns for is its own life-form, its own religion, its own history. Tolstoi’s Christianity was a misunderstanding. He spoke of Christ and he meant Marx. But to Dostoyevski’s Christianity, the next thousand years will belong. (Ibid.).

To the true Russia, as Dostoyevski stated it, ‘not a single nation has ever been founded on principles of science or reason’. (Dostoyevski, 1872, II: I: VII).

By the time Spengler had published The Hour of Decision in 1934 he was stating that Russia had overthrown Petrinism and the trappings of the Late West, and while he called the new orientation of Russia ‘Asian’, he said that it was ‘a new Idea, and an idea with a future too’. (Spengler, 1963, 60). To clarify, Russia looks towards the ‘East’, but while the Westerner assumes that ‘Asia’ and East are synonymous with Mongol, the etymology of the word ‘Asia’ comes from Greek Aσία, ca. 440 BC, referring to all regions east of Greece. (Ibid., 61). During his time Spengler saw in Russia that,

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Race, language, popular customs, religion, in their present form… all or any of them can and will be fundamentally transformed. What we see today then is simply the new kind of life which a vast land has conceived and will presently bring forth. It is not definable in words, nor is its bearer aware of it. Those who attempt to define, establish, lay down a program, are confusing life with a phrase, as does the ruling Bolshevism, which is not sufficiently conscious of its own West-European, Rationalistic and cosmopolitan origin. (Ibid.).

Of Russia in 1934 Spengler already saw that ‘of genuine Marxism there is very little except in names and programs’. He doubted that the Communist programme is ‘really still taken seriously’. He saw the possibility of the vestiges of PetrineBolshevism being overthrown, to be replaced by a ‘nationalistic’ Eastern type which would reach ‘gigantic proportions unchecked’. (Spengler, 1963, 63). Spengler also referred to Russia as the country ‘least troubled by Bolshevism’, (Ibid.,182) and the ‘Marxian face [was] only worn for the benefit of the outside world’. (Ibid., 212). A decade after Spengler’s death the direction of Russia under Stalin had pursued clearer definitions, and Petrine Bolshevism had been transformed in the way Spengler foresaw. (Brandenberger, 2002).

CONCLUSION

As in Spengler’s time, and centuries before, there continues to exist two tendencies in Russia : the Old Russian and the Petrine. Neither one nor the other spirit is presently dominant, although under Putin Old Russia struggles for resurgence. U.S. political circles see this Russia as a threat, and expend a great deal on promoting ‘regime change’ via the National Endowment for Democracy, and many others; these activities recently bringing reaction from the Putin government against such NGOs. (Telegraph, 2015).

Spengler in a published lecture to the Rheinish-Westphalian Business Convention in 1922 referred to the ‘ancient, instinctive, unclear, unconscious, and subliminal drive that is present in every Russian, no matter how thoroughly westernised his conscious life may be – a mystical yearning for the South, for Constantinople and Jerusalem, a genuine crusading spirit similar to the spirit our Gothic forebears had in their blood but which we can hardly appreciated today’. (Spengler, 1922).

Bolshevism destroyed one form of Petrinism with another form, clearing the way ‘for a new culture that will some day arise between Europe and East Asia. It is more a beginning than an end’. The peasantry ‘will some day become conscious of its own will, which points in a wholly different direction’. ‘The peasantry is the true Russian people of the future. It will not allow itself to be perverted or suffocated’. (Ibid.).

The arch-Conservative anti-Marxist, Spengler, in keeping with the German tradition of realpolitik, considered the possibility of a Russo-German alliance in his 1922 speech, the Treaty of Rapallo being a reflection of that tradition. ‘A new type of leader’ would be awakened in adversity, to ‘new crusades and legendary conquests’. The rest of the world, filled with religious yearning but falling on infertile ground, is ‘torn and tired enough to allow it suddenly to take on a new character under the proper circumstances’. Spengler suggested that ‘perhaps Bolshevism itself will change in this way under new leaders’. ‘But the silent, deeper Russia,’ would turn its attention towards the Near and East Asia, as a people of ‘great inland expanses’. (Ibid.).

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While Spengler postulated the organic cycles of a High Culture going through the life-phases of birth, youthful vigour, maturity, old age and death, it should be kept in mind that a life-cycle can be disrupted, aborted, murdered or struck by disease, at any time, and end without fulfilling itself. Each has its analogy in politics, and there are plenty of Russophobes eager to stunt Russia’s destiny with political, economic and cultural contagion. The Soviet bloc fell through inner and outer contagion.

Spengler foresaw new possibilities for Russia, yet to fulfil its historic mission, messianic and of world-scope, a traditional mission of which Putin seems conscious, or at least willing to play his part. The invigoration of Orthodoxy is part of this process, as is the leadership style of Putin, as distinct from a Yeltsin for example. Whatever Russia is called outwardly, whether, monarchical, Bolshevik or democratic, there is an inner – eternal – Russia that is unfolding, and whose embryonic character places her on an antithetical course to that of the USA.

REFERENCES

Nikolai Berdyaev, The Russian Idea, MacMillan Co., New York, 1948.

D Brandenberger, National Bolshevism: Stalinist culture and the Formation of Modern Russian National Identity 1931-1956. Harvard University Press, Massachusetts, 2002.

T A Chumachenko, Church and State in Soviet Russia, M. E. Sharpe Inc., New York, 2002.

H Cournos,‘Introduction’, N V Gogol, Taras Bulba & Other Tales, 1842, http://www.gutenberg.org/files/1197/1197-h/1197-h.htm

Fyodor Dostoevsky, The Brothers Karamazov, 1880

Dostoevsky, The Possessed, Oxford University Press, 1992.

V Putin, address to the Valdai Club, 19 September 2013.

Alexander Solzhenitsyn, A World Split Apart — Commencement Address Delivered At Harvard University, June 8, 1978

Oswald Spengler, Prussian and Socialism, 1919.

Spengler, ‘The Two Faces of Russia and Germany’s Eastern Problems’, Politische Schriften, Munich, 14 February, 1922.

Spengler, The Hour of Decision, Alfred A Knopf, New York, 1963.

Spengler, The Decline of The West, George Allen & Unwin, London, 1971.

TelegraphVladimir Putin signs new law against ‘undesirable NGOs’, May 24, 2015,

Leon Trotsky, The Revolution Betrayed: what is the Soviet Union and where is it going?, 1936.

vendredi, 27 mars 2020

L'héritage franc dans la langue française

 

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L'héritage franc dans la langue française

Ex: http://www.e-stoire.net

  Les Francs n'ont pas seulement donné leur nom à la France; leur langue, le francique ne disparaîtra pas sans avoir laissé de trace dans la langue française.

  L'apport franc à la constitution de la langue française se distingue d'autres apports (mots de formation savante pris du grec ancien, mots isolés d'origine italienne, espagnole ou arabe...) par le fait qu'il résulte de l'implantation, sur le territoire gaulois, d'une population de langue germanique : les Francs. Si ces derniers apprennent assez rapidement à s'exprimer dans le bas-latin parlé par les gallo-romains, ils n'en continuent pas moins à pratiquer jusqu'à la dynastie carolingienne leur langue germanique d'origine : le francique.


  Outre ses effets au niveau de la typologie, de la phonétique et de la syntaxe, l'apport francique a laissé, au niveau lexical, des mots assez importants et assez nombreux. Plus de 500 mots d'origine francique existent encore aujourd'hui dans la langue française (il y en avait 700 dans le vieux français). Selon M.J.Brochard («Le francisque» dans Dictionnaire historique de la langue française, Dictionnaire Le Robert), certains emprunts lexicaux, dans une zone située entre la Picardie et la Lorraine, remontent à la première colonisation (Vè siècle). D'autres, qui ne dépassent pas le sud de la Loire, témoignent d'une forte implantation au nord de la Loire pendant la période mérovingienne.  La troisième catégorie d'emprunts pénètre, par l'intermédiaire du latin carolingien, jusque dans les régions du sud de la Loire. Ces mots sont, pour la plupart, des emprunts interromans que l'on trouve dans d'autres langues romanes.

  Des mots d'origine francique se retrouvent dans pratiquement tous les domaines, excepté le commerce, l'artisanat et la religion.

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Conquérants, les Francs apportèrent à la langue française le mot guerre et tout un vocabulaire ayant trait à l'art médiéval : heaume, haubert, hache, héraut, ainsi qu'à l'art équestre : galoper, trotter, étalon, croupe, éperon, étrier. On leur doit également le nom de certaines fonctions : maréchal, sénéchal, baron.


  Plusieurs verbes d'usage courant viennent des Francs. On trouve parmi eux des verbes indiquant : le mouvement : marcher, danser , grimper, frapper, ramper, heurter; l'observation : guetter, épier, guigner; la mise en ordre : ranger, garer; l'engagement : garantir, gager; le fait de conduire les autres : guider; le fait de s'assurer un profit, d'être vainqueur : gagner.


  De même, est-on redevable à la langue des Francs de divers mots traduisant un sentiment particulièrement fort : orgueil, haine, hargne, honte, ainsi que d'adjectifs marquant l'énergie et le courage : hardi, ou l'honnêteté : franc.


  Citons encore des couleurs : bleu, blanc, gris; des adverbes : trop, guère; des termes ayant trait à la vie rurale : hameau, jardin, haie, hêtre, houx, mousse, haricot, grappe, gerbe, gibier, harde, hanneton, crapaud, mare; des noms de bâtiments : hangar, halle; des noms d'objets divers : hotte, cruche, trique, échasse, jauge, gaule, gant, froc, trappe, gaufre.

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L'apport de Francs à la langue française est si riche et si diversifié qu'il permet de construire des phrases où tous les noms, adjectifs et verbes proviennent de la langue francique. Ainsi continuons-nous d'une certaine manière à parler la langue des Francs lorsque nous disons que «la guerre éclate», que nous parlons de «gagner la guerre» ou que nous construisons une phrase telle que «le hardi baron guerroie sans heaume et sans haubert. Éperonnant son étalon, il franchit la haie au galop et, de sa hache, frappe l'orgueilleux sénéchal».


  Dans un style plus pacifique et bucolique, on utilise également des termes d'origine franque lorsque nous parlons d' attraper des crapauds dans la mare, de ranger la houe dans le hangar ou de récolter les haricots blancs du jardin.


  L'apport germanique à la langue française ne se limite pas à l'apport initial des Francs. Les vikings qui s'installent en Normandie au Xè siècle apporteront nombres de mots d'origine scandinave dont une partie passera des dialectes normands dans la langue française. Ces termes ont essentiellement trait à la navigation et au monde de la mer : flotte, cingler, étrave, agrès, quille, hune, vague, crique, varech, crabe, homard, marsouin. Viennent également du scandinave des verbes tels que flâner et hanter.


  Tous ces mots s'ajoutant à l'apport francique et aux mots qui continueront à être empruntés aux langues de peuples germaniques avec lesquels les Français restent en contact étroit durant tout le Moyen Âge (matelot, nord, sud, est, ouest, hisser, garder...) augmenteront l'impact germanique sur la langue française. César aurait ainsi bien du mal à retrouver son latin dans la phrase suivante : «Le matelot hisse le foc et grimpe sur le mât de hune. La flotte cingle vers le nord; à bord du bateau, l'équipage, harassé, grommelle
  Une certaine légèreté de l'esprit français peut même s'exprimer en des termes qui ne doivent rien à la langue d'Ovide. Ainsi ne sommes-nous pas aussi «latins» que nous le croyons lorsque nous prononçons une phrase telle que : «Le galant marquis garde en gage le gant de la baronne

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Notons, pour conclure, que les prénoms royaux les plus fréquemment utilisés nous viennent des Francs. Louis (Lodewig en francique, Ludwig en allemand), dont Clovis (Chlodwig) n'est qu'un doublet; Charles (Karl).


  De même, près du quart des patronymes français actuels ont des racines germaniques, notamment franciques. Notons ainsi, parmi tous ceux qui sont cités par Albert Dauzat[1] : Auger (Adal-Garl), Baudouin (Bald-Win), Béraud (Berwald), Drumond (Drud-Mund), Foucher (Fulc-Hari), Gaubert et Jobert (Gaut-Berht) , Godard (Gud-Hard), Guichard (Wig-Hard) , Flobert et Flaubert (Hlod-Berht), Raimbaud (Ragin-Bald), Roland (Hrod-Land); Lambert (Land-Berht), Landry (Land-Ric), etc...

  Peut-on en conclure que finalement, nos ancêtres ne sont pas les Gaulois ? Certainement pas !


  Les Gaulois devinrent Gallo-Romains non parce qu'ils furent submergés par des populations d'origine romaine, mais parce qu'ils se soumirent à l'autorité militaire et administrative de Rome, et que petit à petit, ils adoptèrent de nombreux aspects de la culture romaine. Puis, les Gallo-Romains passèrent sous domination franque. Là encore, la population resta composée en très grande majorité de Gaulois, des Gaulois romanisés qui, se pliant à l'autorité des Francs assimilèrent une partie de la culture franque, sans pour autant perdre leur identité gauloise.


  Bref, la France est un pays né d'une belle synthèse de trois éléments : Celtes (les Gaulois), Latins (les Romains), Germaniques (les Francs). La synthèse a été possible, et fructueuse, car Celtes, Latins et Germains appartenaient au même fond culturel et ethnique: les Indo-Européens.

D'après un article de Pierre Maugué paru dans Enquète sur l'histoire N° 17

[1]Les noms de familles en France, Payot, 1949.

mercredi, 25 mars 2020

"He Who Does More Is Worth More" The Christian Knight’s Ethos according to Geoffroi de Charny

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"He Who Does More Is Worth More"
The Christian Knight’s Ethos according to Geoffroi de Charny
Ex: https://www.unz.com

Geoffroi de Charny (trans. Elspeth Kennedy), A Knight’s Own Book of Chivalry (Philadelphia, Pennsylvania: University of Pennsylvania Press), 2005.

51iZoqEV30L.jpgGeoffroi de Charny was a widely respected French lord of the fourteenth century. A bearer of the royal standard (the Oriflamme) and the first recorded owner of the Turin Shroud, he spent his life fighting in various wars before dying fighting the English and Gascons at the battle of Poitiers in 1356, in his late forties.

Charny was also a writer, producing a number of books, including the Livre de Chevalerie (The Book of Chivalry), one of the few non-fiction descriptions of the knightly ethos that we possess. This book is an exhortation to martial prowess, a spirited defense of the military way life, and a guide to how one should act as a knight.

Charny is unique in combining a downright Homeric competitiveness and spiritedness with a very Christian piety and humility before divine providence. He urges single-minded determination, if necessary unto death:

And no one should give up performing great exploits. For when the body can do no more, the heart and determination should take over; and there are many people who have been more fortunate in the end than they had hoped for at the beginning in relation to the nature of their enterprise. I therefore say: whoever does best is worth most. (10.5-10[1])

One never has an excuse to give up. As in many sections, Charny concludes saying: “qui plus fait, mieux vault” (he who does more is worth more). He says this again and again throughout the work, recurring like a mantra, a kind of final existential statement.

At the same time, Charny is thoroughly imbued with Christian piety. “Ah God!” he often says, thinking gratefully of the natural qualities and opportunity to be a knight granted to him by the Lord. Man has a duty to exploit the natural gifts granted to him by God. One must be humble, for uncertainty is the lot of humanity, our fates determined by an inscrutable divine providence. Hence, Charny urges us to not be arrogant in success, nor despairing in failure, but to be detached and reverent in the face of ever-uncertain events. A lifetime’s work and amassed wealth can be lost in an instant, only the honor of good deeds is eternal.[2] Greed, he says, is the enemy of honor and often leads to self-destruction.

Charny is empowered by his closeness to God:

Now he is indeed a poor wretch who leaves this sweet spring at which everyone can quench his thirst and satisfy all his good desires, for he can only find there a good beginning, a better middle, and a very good end. (44.27)

Interestingly, Charny is not particularly pro-clerical however, seemingly leaping over the priests in his martial piety.

We find again that Homeric wisdom which so often resurfaces in Western literature throughout the ages: that it is better to live well and gloriously, however briefly, than long in servility. The Christian Charny writes:

[A] man is happy to die when he finds life pleasing, for God is gracious toward those who find their life of such quality that death is honorable; for the said men of worth teach you that it is better to die than live basely. (22.50)

He urges the soldier, on a philosophical note, to “live with the constant thought of facing death at any hour on any day” (42.85).

In short, much like the Song of Roland in the eleventh century, Charny’s Book of Chivalry represents a fusion of Christian piety and selflessness with native European spiritedness and martial culture.

The French Hagakure

Charny’s Book of Chivalry can be interestingly compared with Jōchō Yamamoto’s samurai handbook, Hagakure (later studied by Yukio Mishima). The two works are very different in terms of form. Jōchō presents a disordered set of fragmentary memoirs, historical anecdotes, and life advice, collected by an acolyte. Charny by contrast apparently dictated his work in a great burst, as a steady and single-minded torrent of exhortation.

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In terms of values, Jōchō and Charny perhaps differ mostly in emphasis. Both are warriors relentlessly convinced of the excellence of their profession, of the need to be the best one can be, and to be unshakably determined unto death. While Charny notes the importance of hierarchy, loyalty and speaking well, Jōchō absolutely stresses the need for selflessness and tact in the service of one’s lord.

The biggest difference is perhaps related to piety. Jōchō, apparently retired as a Zen monk, was basically impious: the samurai’s conscience should not be troubled by what gods or Buddha might want, noting as an afterthought that such selfless service could only be pleasing to deities. Charny by contrast has mind only for war and God.

The Glory of Prowess

Charny is unwaveringly proud of his profession. For him, martial pursuits are inherently worthwhile, insofar as these entail expensive investments (weapons, armor, steed, travel), risk to oneself (fighting, travel), hardship, determination, and skill. Thus, simple tournaments as well as wars for honor, for one’s inheritance and land, for one’s rightful lord, for self-defense, for helpless orphans and damsels, and for true religion are all impressive and honorable, though not equally so.

Charny recognizes that arms can be misused: robbery, plunder, or stealing from churches bring only “dishonorable ill fame” (41.98). Whereas monastics like Saint Bernard tended to condemn knights in general, praising only the honorable exception of warrior-monks like the knights-templar, Charny inverses the pattern. For him, warriors in general are worthy of praise, whether rich or poor.

Charny’s treatment of wealth and aristocracy is somewhat nuanced. In a striking passage, he argues that, in ancient times, the nobility were chosen because of their powerful physique and capacity to endure, thus earning the right to rule for the benefit of others. Charny asks: “Were they chosen in order to take pleasure in listening to dissolute conversation or in watching worthless pastimes? Indeed no!” (24.108). He notes that the poor have to invest more of their little wealth to go on military adventures, but ultimately considers the rich more honorable, because they have no need to go on such expeditions, but do so purely for “personal honor” (17.80). He urges us however to recognize the merit of each individual whatever his class: “Be sure that you do not despise poor men or those lesser in rank than you, for there are many poor men who are of greater worth than the rich” (23.32).

Natural gifts and humility before God

Charny is among those writers sensitive to the reality of in-born human nature determining differing qualities among individuals. For him, an individual will be blessed by God with different “natural good qualities,” which will make him more or less suited to being a knight. One must build upon these qualities:

[The potentially perfect men-at-arms] is embodied in those who, from their own nature and instinct, as soon as they begin to reach the age of understanding, and with their understanding they like to hear and listen to men of prowess talk of military deeds, and to see men-at-arms with their weapons and armor and enjoy looking at fine mounts and chargers; and as they increase in years, so they increase in prowess and in skill in the art of arms in peace and in war; and as they reach adulthood, the desire in their hearts grows ever greater to ride horses and to bear arms . . . [In time] they double the good to be found them, their own instinct and the will for good which God has given them, they know what is right and spare neither themselves nor what they own in their effort” (16.4-25)

The greatest knight will be simple of heart, pious (and not just outwardly so), intelligent (but not malicious or over-subtle), brave (but not thoughtless), and a good leader or counsel as well as a strong fighter.

Geoffroi_de_Charny_tomb_brass.jpgCharny presents a selection of ancient heroes, mostly Jewish, to embody his decidedly virile ideal. The ideal warrior will have Samson’s strength, Absalom’s beauty, Solomon’s wisdom, Saint Peter’s piety, and Caesar’s generalship. All of these figures are found wanting however, the only man having all these qualities together being Judas Maccabeus, leader of the Maccabean Revolt against the Hellenistic monarchy. We see here how Judeo-Christian figures became archetypes for a distinctly European martial ideal.

Charny is certain that the souls of the noble fallen will ascend to Heaven, much as the Vikings believed their fallen would feast forever in Valhalla. The warrior who fights to defend his kinsmen, a maiden’s inheritance, orphans, one’s land or inheritance, or in holy war for true religion can die with “purity of conscience,” unfazed.

Charny’s attitude to priests is somewhat ambiguous, although generally dismissive. He concedes that priests form “the worthiest order of all” (39.1), before adding that knights are “the most rigorous order of all” (40.2). Knighthood “makes greater physical and spiritual demands those those required of any men ordained” (42.60) and there is a greater need for them to be good Christians. Priests should tend to their rituals and mind their own business. Knights however should put on their armor as would priests their robes, armor “which can and should be called the armor of Our Lord” (42.43).

Women should inspire men

In ancient Greece and samurai Japan, a hypermasculine martial culture featured a marked homoerotic strain. By contrast, women have an important place in Charny’s chivalry. Women inspire men to achieve great feats of prowess, are won by such feats, and achieve their own honor through such feats. Charny praises:

the noble ladies who have inspired [men] and through whom they have made their name. And one should indeed honor, serve, and truly love these noble ladies and others whom I hold to be ladies who inspire men to great achievement, and it is thanks to such ladies that men become good knights and men-at-arms” (12.14-17).

A realistic appraisal of sexual competition is then a significant aspect of Charny’s ethos. His concern is not to condemn, but to cultivate romance in such a way that both men and women find their glory.

Importantly, the lovely lady supports a knight because of the social standing she will receive by his successful risk taking, basking in his reflected glory. Charny writes:

Which one of two ladies should have the greater joy in her lover when they are both at a feast in a great company and they are aware of each other’s situation? Is it the one who loves the good knight, and she sees her lover come into the hall where all are at table and she sees him honored, saluted, and celebrated by all manner of people and brought to favorable attention before ladies and damsels, knights and squires, and she observes the great renown and the glory attributed to him by everyone? All of this makes the noble lady rejoice greatly within herself at the fact the she has set her mind and heart on loving and helping to make such a good knight or good man-at-arms. And when she also sees and understands that, in addition to true love for another which they share, he is in addition loved, esteemed and honored by all, this makes her so glad and happy for the great worth to be found in the man who loves her, that she considers her time to have been well spent. (20.1-15)

Women also had a important role in promoting male heroism in ancient Sparta. A cowardly Spartan, if found fleeing a battle, would be shamed or outright killed by his womenfolk. By contrast, women will generally be highly reluctant to support unpopular ‘heretics’ in their risky pursuits, let alone demanding such behavior.

Charny seems to endorse courtly love, that somewhat curious, poetic, and almost anti-social ideal of secret affairs. He urges to “keep secret the love itself and all the benefit and the honorable rewards you derive from it” (19.200) and assures that “the most secret love is the most lasting and the truest” (19.215).[3]

Charny has a fairly practical approach to marriage. Marriage for love in youth is desirable in providing heirs and protecting from sin. Marriage for money is wrong. Marriage in old age, which cannot provide heirs but protects from sin, is acceptable. Charny is disgusted by the latest men’s fashion and excessive wearing of jewelry. He thinks fashion-consciousness is acceptable for women however, as this helps them find a mate and they don’t have other means of showing off, as men do.

The Joy of Struggle

For all his advice, Charny says of the young: “too much good sense is not right for young men at the beginning of their career in arms” (33.5). Young men naturally must take great risks for great rewards and the opportunity to secure their position in society.

Whatever one’s age or station in society, Charny thinks that everyone can contribute through their efforts. The opportunity for glory could present itself at any moment.

[O]ne should not fail in any way to put great efforts into anything which might improve one’s chance of winning an honorable reputation at any moment of the day or night; for the most precious thing there is to lose is time which passes, and cannot be won back nor can it return; and it can happen that such honor is won in an hour which one might fail to find in a year or indeed ever. (19.129-34)

.[Y]ou should know for certain that there is no one who can or should excuse himself from performing well according to his station, some in relation to arms, others in relation to the clerical vocation, others in relation to the affairs of the world. (19.140-5)

.[M]en of standing tell us truly that those who have the will to achieve great worth are already on the way to great achievement . . . they do not care what sufferings they have to endure, but turn everything into great enjoyment. . . . [G]reat good comes from performing these deeds, for the more one does, the less one is proud of oneself, and it always seems there is so much left to do. (19.150-7)

Charny’s Book of Chivalry is a very male and very European celebration of prowess and achievement. This basic competitive and ambitious streak has, no doubt, been responsible for many of Western civilization’s greatest achievements, from the conquests of Antiquity and the explorations of the New World, to the philosophical questioning of the Greeks and the scientific prowess of the Moderns. Qui plus fait, mieux vault!

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What follows is Charny’s very practical advice for men-at-arms, much of which will still be relevant for young men today (I have introduced paragraphs).

* * *

There is a supreme rule of conduct required in these good men-at arms as the above-mentioned men of worth inform us: they should be humble among their friends, proud and bold against their foes, tender and merciful toward those who need assistance, cruel avengers against their enemies, pleasant and amiable with all others, for the men of worth tell you that you should not converse at any length nor hold speech with your enemies, for you should bear in mind that they do not speak to you for your own good but to draw out of you what they can use to do you the greatest harm. You should be generous in giving where the gift will be best used and as careful as you can that you let your enemies have nothing that is yours. Love and serve your friends, hate and harm your enemies,[4] relax with your friends, exert yourself with all your strength against your foes.

You should plan your enterprises cautiously and you should carry them out boldly. Therefore the said men of worth tell you that no one should fall into despair from cowardice nor be too confident from great daring, for falling into too great despair can make a man lose his position and his honor, and trusting too much in his daring can make a man lose his life foolishly; but when one is engaged on an armed enterprise, one should dread vile cowardice more than death.

Take care not to be so greedy as to take what belongs to others without good cause. And be sure that, as you value your self, you do not let anything of yours be taken from you. Speak of the achievements of others but not of your own, and do not be envious of others. Above all, avoid quarrels, for a quarrel with one’s equal is dangerous, a quarrel with some one higher in rank is madness, and a quarrel with some one lower in rank is a vile thing, but a quarrel with a fool or a drunk is an even viler thing.

The aforesaid men of worth also tell you to refrain from saying unpleasant things and to make sure that what you say is of some profit rather than merely courteous. And make sure that you do not praise your own conduct nor criticize too much that of others. Do not desire to take away another’s honor, but, above all else, safeguard your own. Be sure that you do not despise poor men or those lesser in rank than you, for there are many poor men who are of greater worth than the rich. Take care not to talk too much, for in talking too much you are sure to say something foolish; for example, the foolish cannot hold their peace, and the wise know how to hold their peace until it is time to speak.

And be careful not to be too guileless, for the man who knows nothing, neither of good nor of evil, is blind and unseeing in his heart, nor can he give himself or others good counsel, for when one blind man tries to lead another, he himself will fall first into the ditch and drag the other in after him. Refrain from remonstrating with fools, for you will be wasting your time, and they will hate you for it; but remonstrate with the wise, who will like you the better for it. Do not put too much faith in people who have risen rapidly above others by good fortune, not merit, for this will not last: they can fall as quickly as they rise. And the aforementioned men of worth tell you that fortune tests your friends, for when it abandons you, it leaves you those who are your friends and takes away those who are not.

I repeat that you should never regret any generosity you may show and any gifts well bestowed, for the above-mentioned men of worth tell you that a man of worth should not remember what he has given except when the recipient brings the gift back to mind for the good return he makes for it. You must avoid acquiring a bad reputation for miserliness in your old age, for the more you have given, the more you should give, for the longer you have lived, the less time you will have yet to live. And above all refrain from enriching yourself at others’ expense, especially from the limited resources of the poor, for unsullied poverty is worth more than corrupt wealth.

The aforementioned men of worth also tell you that you should treat your friends in such a way that you have no need to fear lest they become your enemies, for you should consider that as long as you keep your secret to yourself, it is always within your control, but as soon as you have revealed it, you are at its mercy. And if you have to reveal it, only disclose it to your loyal friend, and disclose your illness only to a loyal doctor.

The aforementioned men of worth also tell you that when moving against your enemies to meet them in battle, never admit the idea that you might be defeated nor think how you might be captured or how you might flee, but be strong in heart, firm, and confident, always expecting victory, not defeat, whether or not you are on top, for whatever the situation, you will always do well because of the good hopes that you have. Indeed, many retreat when, if they had stayed and done what they could, their enemies might have been defeated; and some who have been easily taken prisoner, if they had resisted as well as they could, their enemies would have suffered great losses. You should, therefore, always and in all circumstances be determined to do your best, and above all have the true and certain hope that comes from God that He will help you, not relying just on your strength nor your intelligence nor your power but on God alone, for one often sees that the best men are defeated by lesser men, and a greater number of people may be defeated by a smaller, and the strongest in body may be overcome by the weakest, and the wisest and best ordered in battle by the most foolish and worst ordered.

You can see clearly and understand that you on your own can achieve nothing except what God grants you. And does not God confer great honor when He allows you of His mercy to defeat your enemies without harm to yourself? And if you are defeated, does not God show you great mercy if you are taken prisoner honorably, praised by friends and enemies? And if you are in a state of grace and you die honorably, does not God show you great mercy when He grants you such a glorious end to your life in this world and bears your soul away with Him into eternal bliss? And you can see that no one should be too afraid or too overjoyed or too disturbed at such happenings when they occur, but should give thanks and commit everything into the hands of Him who gives graciously more than one can ask for.

And the aforesaid men of worth teach you that if you want to be strong and of good courage, be sure that you care less about death than about shame. And those who put their lives in danger with the deliberate intention of avoiding shame are strong in all things. The aforesaid men of worth also tell you that you should reflect in your hearts on the things which may happen to you, both the good and the bad, so that you can suffer the bad patiently and treat the good with restraint. And in all adversity be always steadfast and wise.

And you also need to consider how you can and must maintain any benefit or honor which God may bestow on you, so that you do not lose them through negligence such as by removing yourself and distancing yourself from trouble when it comes upon you; and you should first thank and praise Him who gives you these things and preserve them without arrogance, for you must understand that where there is arrogance, there reigns anger and all kinds of folly; and where humility is to be found, there reigns good sense and happiness.

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And as the aforesaid men of worth teach you and tell you truly, if arrogance were to be so high that it towered up into the clouds and its highest point reached the heavens, it would have to fall and would crumble and be reduced to nothing. And you should know that from arrogance grow many branches from which many evils come, so many as may cause the loss of soul and body, honor and wealth. You should preserve what you know and the honor you have without arrogance. And what you do not know, you should ask with due humility to be taught it.

The aforesaid men of worth also tell you not to put too much trust in the gifts of fortune, for they are things which are destined to come to an end, whether through loss or illness or force or death, for death spares no one, neither the high nor the low, but levels all. And no one therefore should delay, because such gifts do not last for long, but can vanish at any moment, without waiting for the hour. And the man who perfectly understands this will never be overcome by arrogance. (23.1-117)

Notes

[1] Numbering here refers to section and line in the book.

[2] A striking parallel here with the famous stanza from the Hávamál.

[3] This ideal is very different from Jōchō’s notion of “secret love,” which is also love for men. The idea that the highest love is rendered through helping others, not telling others, and is carried with oneself to the grave.

[4] The Christian Charny has a decidedly pre-Socratic morality here.

mercredi, 18 mars 2020

"Nouvelle histoire de la Révolution française" par Jean-Clément Martin

Jean-Clément Martin, avec le talent qu’on lui connaît, arrive à décortiquer les passionnants faits historiques qui marquent encore durablement la société française du XXIe siècle. En France, il demeure toujours difficile d’aborder sereinement les nombreuses questions soulevées par les événements liés à la Révolution.

Pourquoi, plus de deux cents ans après 1789 et la mort du roi Louis XVI survenue le 21 janvier 1793, en sommes-nous encore là ? Dès les premières lignes l’auteur livre une intéressante réflexion : « La Révolution fascine ou dérange. Qu’elle soit morale, sexuelle, économique ou politique, elle porte un imaginaire qui séduit ou révulse mais ne laisse jamais indifférent ».

En même temps, comment en serait-il autrement ? 1789 semble être l’horizon indépassable pour l’écrasante majorité des acteurs de la vie politique française, comme si de 496 – date du baptême de Clovis – au 5 mai 1789 – ouverture des États Généraux –, il n’y avait presque rien eu entre-temps. Pourtant, Martin rappelle que « même si la France continue de se dire Patrie des droits de l’homme, elle se réclame moins de son héritage révolutionnaire qu’elle ne le fit jusqu’au milieu du XXe siècle. »

9782262081515ORI.jpgLes raisons de ce relatif abandon intellectuel sont multiples : mondialisme, faiblesses intellectuelles et historiques chez la grande majorité du personnel politique et l’inventaire de la Révolution est de plus en plus connu… Cela étant, un homme situé à l’extrême gauche de l’échiquier politique républicain n’a pas hésité, tout récemment, à commettre une œuvre dans laquelle il assume se reconnaître dans l’héritage jacobin.(1)

Quoi qu’il en soit, la France républicaine reste imprégnée par la Révolution, et l’auteur écrit, avec selon nous une pointe d’ironie, que « son hymne national, qui revendique de faire couler le sang de ses ennemis dans les sillons, est toujours chanté dans les stades du monde entier ». Nous citerons également, entre autres : la Marianne, la devise Liberté-Égalité-Fraternité inscrite aux frontispices de nombreux bâtiments, officiels ou non, autant de symboles qui démontrent tous la mainmise idéologique de la Révolution sur la France contemporaine.

De fait, ce n’est donc pas un hasard si « la force de cet imaginaire est telle que l’année zéro des temps modernes français est toujours identifiée à 1789. Tous se rejoignent sur ce point, qu’ils regrettent la monarchie idéalisée, qu’ils voient 1789 ou 1793 comme la première marche vers le totalitarisme, ou bien au contraire qu’ils demeurent convaincus que 1789 jette les bases d’une ère nouvelle pour l’humanité, ou qu’ils puisent plus simplement dans les rebondissements des événements révolutionnaires des enseignements pour aujourd’hui. »(2)

Pour comprendre les bouleversements historiques, encore faut-il prendre le temps de les analyser loin des passions. Effectivement ces dernières obscurcissent souvent la vue et embrument les capacités de réflexion. Martin estime que « c’est le processus révolutionnaire lui-même qui est à examiner pour ce pour quoi il se donne : une inventivité politique, économique, sociale, religieuse, culturelle, qui commence sous l’effet des expériences européennes et américaines dans les années 1785-1787 et qui est accompagnée, en permanence, par les contre-courants provoqués en retour. »

Pour saisir l’essence de la Révolution, il faut constamment avoir à l’esprit comme le dit Martin que « la Révolution est dans cette optique une création et une affirmation ininterrompue d’expériences, créant une attente à jamais insatisfaite et une angoisse de l’échec. »

Très rapidement, les révolutionnaires en sont venus à se poser la question suivante : « Comment finir la révolution ? », car le vide institutionnel créé par la mort de Louis XVI fut en définitive difficile à combler, comme beaucoup s’en aperçurent, souvent à leurs dépens.

La période Révolutionnaire fut marquée par la guerre intérieure et aux frontières, par des exécutions officielles – approuvées par l’État de droit(3) – et non officielles – violences des populations non encadrées par les différents gouvernements révolutionnaires – ainsi que par des rivalités politiques très puissantes. Martin n’entend bien sûr pas fermer les yeux sur ces nombreux épisodes : « Il ne s’agit pas d’exonérer les acteurs de leurs responsabilités. Ce qui est en jeu est la compréhension des moments révolutionnaires, de ces périodes pendant lesquelles des façons de voir s’imposent, des groupes s’emparent du pouvoir, des personnalités sont reconnues et suivies. »

L’intention de Martin ne repose pas sur la volonté de défendre ou d’attaquer la Révolution : « Le but du livre a été d’inscrire ces moments dans la période révolutionnaire tout entière – ce que Maistre appelait l’époque – en respectant les engrenages minuscules qui ont régi les rapports entre les individus et les groupes. »

Après une lecture attentive et critique, nous pouvons dire que l’objectif est atteint, même si nous ne suivons pas l’auteur dans toutes ses intuitions et analyses.

Martin nous présente en effet une étude passionnante et réellement originale sur la Révolution française. Nous saluons son érudition et surtout son grand talent de pédagogue pour expliquer des situations complexes dont le profane ne mesure pas toujours les implications puissantes. La bibliographie se montre conséquente et exhaustive. Elle permet de repérer d’excellents ouvrages pour creuser les sujets qui nous intéressent. L’auteur ne se départit jamais de son rôle d’historien et, quand il analyse les faits historiques, il ne défend pas une cause politique. Il énonce même que la révolution – mais par le haut ! – fut initialement lancée par Louis XV, et maladroitement reprise par Louis XVI…

La suite est connue : révoltes, Révolution, espoirs de la mise en place d’une société nouvelle et d’un Homme nouveau, libéralisation de la violence, stabilisation des institutions qui restent malgré tout fragiles, pour finir par Bonaparte prenant le pouvoir. Onze ans après avoir tué leur roi, les Français voyaient à Paris un étrange paradoxe : un général de la Révolution – soupçonné un temps d’avoir été jacobin – devenir Empereur en présence du Pape Pie VII. Quel roman que l’histoire française, pour reprendre une phrase très connue de Napoléon…

Pour conclure, rappelons que dès le début des émotions populaires, l’attente exprimée par les Français vivant à l’heure de ces soubresauts politiques atteignait des sommets. Martin note qu’il n’y a «  pas lieu de s’étonner que nombreux soient ceux qui, au moment de l’ouverture des États Généraux en France et surtout après la prise de la Bastille, parlent de l’heureuse révolution qui se déroule sous leurs yeux ». Leurs espoirs seront douchés. Cela arrive généralement quand on accorde – trop légèrement ? – sa confiance aux politiques.

Nous laissons le mot de la fin à l’auteur : « Le scandale de la Révolution tient depuis la fin du XVIIIe siècle à ce qu’elle a été « une promesse dont l’échec est inscrit dans la nature même de la promesse » pour reprendre une formule saisissante de M.-C Blais. »

Rien à ajouter !

Notes

(1) Alexis Corbière, Jacobins !, Paris, Éditions Perrin, 2019

(2) Jean-Clément Martin, Robespierre : la fabrication d’un monstre, Paris, Éditions Perrin, 2016

(3) État de droit révolutionnaire, notion difficile à discerner, à défendre et à légitimer au vu des différents coups de force (parfois meurtriers) opérés par les révolutionnaires pour s’approprier le pouvoir et le garder…

 

mardi, 17 mars 2020

Approaching D’Annunzio

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Approaching D’Annunzio

Reviewing a story collection in 1925, an American critic compared Gabriele d’Annunzio’s influence on the Italian mindset to that of Rudyard Kipling in England. “[T]o understand him is to understand pre-war and immediately post-war Italy.” [1] [1] That sort of remark is almost inaccessible to us today; when we think of the Great War, if we think of the Great War at all, we surely don’t automatically think of Kipling or d’Annunzio. That is one hurdle in approaching d’Annunzio today.

Another is the peculiarity of his style, replete with obsessively detailed sex, gore, and flights of fantasy. That 1925 American reviewer took special exception to one of the stories at hand, “The Death of the Duke of Ofena,” in which in a few brief pages a half-dozen people are successively impaled, hanged, dismembered, and burned alive. [2] [2]

Here and there you read that d’Annunzio’s fiction and poetry never gained much acclaim outside Italy, because his idiom and imagery defy faithful translation. And in the writer’s own time there was also the problem of censorship. Even in France, his works were often bowdlerized or never published at all. The Holy See put most of his works on its Index Librorum Prohibitorum in 1911, and they remained there (I presume) until the Index ceased in 1966.

At root, d’Annunzio seems to have regarded himself as a Man of the Renaissance, rather than simply a “Renaissance man”: someone from the age of Benvenuto Cellini, a soldier-poet-dandy, full of sensuality and operatic emotions. Someone who understood that overwhelming passion is the fuel that makes the creative soul run. A “bold, bald-headed, perhaps a little insane but thoroughly sincere, divinely brave swashbuckler [3]” — as a young sometime-fan named Ernest Hemingway once put it.

It’s hard not to think that d’Annunzio’s public persona was something of an act, a self-caricature put on to get attention. Maybe it was; certainly, he never seems to have shown self-consciousness about the whole thing. The self-promotion started early. When he was 17 and publishing his second book of poetry, he anonymously informed the Rome newspapers that the young genius d’Annunzio had just been killed by falling off his horse — alas! By the time the “error” was discovered, he was famous, and the public was thrilled to learn the brilliant young poet hadn’t died after all.

The arc of his life connects the epoch of aestheticism and “decadence” of the 1880s and 90s (Whistler, Huysmans, Swinburne, etc.), and the age of Italian Fascism, to which d’Annunzio contributed both style (black uniforms, Roman salutes) and song. He didn’t write “Giovinezza, Giovinezza,” but that was the marching song of his followers when he was dictator of the city-state of Fiume in 1919-1920. After that, the Fascisti appropriated it as their own anthem.

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Benito Mussolini called d’Annunzio a John the Baptist figure, “the first Duce,” and obsequiously modeled his own oratorical style on the poet’s. This admiration was not reciprocated. D’Annunzio considered Mussolini a buffoon, and the Fascisti a tawdry spoof of the heroic cult that d’Annunzio had hoped to lead. After Mussolini’s March on Rome in 1922, relations between poet and Duce were frosty. D’Annunzio was excluded from the new Royal Academy of Italy until Mussolini decided it might be good public relations to extend a welcome to Italy’s greatest living writer. D’Annunzio slapped back the belated invitation with a snarl: “A thoroughbred horse should not mix with jackasses. This is not an insult, but a eugenic-artistic fact.” [3] [5]

Nevertheless people blamed d’Annunzio for Mussolini. One of them was Hemingway, who long hero-worshipped d’Annunzio, and met him once in 1918. Five years later, covering a Mussolini speech for the Toronto Daily Star [3], he saw the mimicry and the bombast, and decided d’Annunzio was a “jerk [6].”

What had happened in the meantime was the pinnacle of d’Annunzio’s public career, his 1919 capture of Fiume. Fiume, on the Adriatic, was a mostly Italian town, but had long been under Austrian rule, as indeed much of Italy had been sixty years earlier. Off in Paris, the Allied leaders at the Versailles Conference had decided to award Fiume to the new made-up country of “Jugoslavia” (as it was then spelled). Captain d’Annunzio, with about 2,000 fellow mutineers from the Italian army, marched upon Fiume and claimed it for the Kingdom of Italy. The Kingdom demurred, however, and wouldn’t take it. (A purely diplomatic move; Italy was one of those victors meeting at Versailles, and couldn’t be seen treating with freebooting renegades.) D’Annunzio and his followers thereupon declared Fiume to be an independent city-state, under the leadership of the poet himself. Each morning he went to his balcony and declaimed poetry and speeches to the appreciative crowds.

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He had ambitions beyond Fiume. He was certain the new Jugoslavia would start to fall apart. And when it did, he and his army (with the aid of some unhappy Croats and Montenegrins) would seize territory from the oppressive Serbian regime in Belgrade. This, of course, didn’t happen. After 15 months d’Annunzio was forced out — but by Italy, which eventually agreed to annex Fiume. And Italian it remained until 1945. D’Annunzio in Fiume is often dismissed as a comic-opera figure whose coup ended in fiasco. But like Columbus with the egg, he showed Europe (and Mussolini) that the thing could be done.

The saga of this doughty little city-state on the Adriatic, standing fast against the might of the world, is something that ought to have appealed to Hemingway. But the mood of the time had shifted. Here was d’Annunzio in 1920, still exalting war in the style of 1914, calling for eternal vengeance and a ground soaked with blood. Hemingway took it all personally. He’d served as an ambulance driver on the Italian front, where he was wounded, decorated, and ever after appalled by the endless, meaningless carnage. Back home in Chicago, he wrote a little poem called “D’Annunzio.” It goes: “Half a million dead wops / And he got a kick out of it / The son of a bitch.” [4] [7]

* * *

51ELxVNVWuL._SX323_BO1,204,203,200_.jpgIn her 2013 biography of d’Annunzio, [5] [8] Lucy Hughes-Hallett says d’Annunzio’s life is the most thoroughly documented of any figure, in large part because he was an assiduous diarist, describing his daily doings in minute detail — the quality of the asparagus he was eating, the comeliness of the serving maid, and every lurid fantasy that sprang to his busy mind. Much of this note-taking served as raw material for his novels:

His works are full of descriptions of sex so candid they still startle . . . We have his descriptions not only of his lovers’ outward appearances but of the secret crannies of their bodies, of the roofs of their mouths, of the inner whorls of their ears, of the little hairs on the back of a neck, of the scent of their . . .

Et cetera. Too much information, suggests the biographer. For lack of a more precise category, his novels and poetry are grouped into the late-19th century Decadent school. But his obsession with the lurid and surreal probably has its closest approximation in the work of a painter, Salvador Dalí.

Images and ideas recur in d’Annunzio’s life and thought, moving from reality to fiction and back again: martyrdom and human sacrifice, amputated hands, the scent of lilac, Icarus and aeroplanes, the sweet vulnerability of babies, the superman who is half-beast, half-god. [6] [9] 

To learn more about D’Annunzio’s life and accomplishments, see the following works on this site:

Additionally, Kerry Bolton’s essay on D’Annunzio is included in his book, Artists of the Right, and Jonathan Bowden’s lecture on him is included in his Extremists.

Notes

[1] [10] Thomas Caldecot Chubb, “Sparks from the Hammer,” in The Saturday Review of Literature, June 24, 1925.

[2] [11] Gabriele d’Annunzio, Le Faville del Maglio (Milano: Fratelli Treves), 1924.

[3] [12] Marcel F. Grilli, “The Poet and the Duce,” The New Masses, July 12, 1938.

[4] [13] Ernest Hemingway, Complete Poems (Lincoln NE: University of Nebraska Press), 1979.

[5] [14] Lucy Hughes-Hallett, Gabriele D’Annunzio: Poet, Seducer, and Preacher of War (New York: Alfred A. Knopf), 2013. Published in England as The Pike: Gabriele D’Annunzio (London: Fourth Estate), 2013.

[6] [15] Hughes-Hallet, Gabriele D’Annunzio.

Article printed from Counter-Currents Publishing: https://www.counter-currents.com

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URLs in this post:

[1] [1]: #_ftnref1

[2] [2]: #_ftnref2

[3] bold, bald-headed, perhaps a little insane but thoroughly sincere, divinely brave swashbuckler: https://www.etbrooking.com/2016/12/28/hemingway-il-duce/

[4] here: https://www.counter-currents.com/artists-of-the-right-order/

[5] [3]: #_ftnref3

[6] jerk: https://newrepublic.com/article/116326/gabriele-dannunzio-poet-seducer-and-preacher-war-reviewed

[7] [4]: #_ftnref4

[8] [5]: #_ftnref5

[9] [6]: #_ftnref6

[10] [1]: #_ftn1

[11] [2]: #_ftn2

[12] [3]: #_ftn3

[13] [4]: #_ftn4

[14] [5]: #_ftn5

[15] [6]: #_ftn6

Le mur des lamentations a été construit par les romains !

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Le mur des lamentations a été construit par les Romains !

Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Il va falloir revoir le chapitre «Mur des Lamentations » des guides touristiques d'Israël, car les origines de sa construction ne seraient pas celles que l'on croyait. Jusqu'à présent, il était admis que le site -le Mont du Temple pour les Juifs, l'Esplanade des mosquées pour les musulmans- avait été entièrement construit par Hérode, roi des Juifs.

Placé sur le trône par les Romains, Hérode règne sur la Judée de 37 avant Jésus-Christ jusqu'à sa mort, en 4 avant Jésus-Christ. Dans la tradition chrétienne, Hérode est avant tout connu pour avoir tenté de tuer l'enfant Jésus en ordonnant la mise à mort de tous les enfants de Bethléem âgés de moins de deux ans. Grand bâtisseur, il se lance dans de grands travaux en recourant aux techniques romaines. C'est ainsi qu'on lui attribue la construction du théâtre et de l'amphithéâtre de Jérusalem, mais surtout, l'extension du Second Temple, complexe religieux juif construit au VI ème siècle avant JC sur l'emplacement du Premier Temple, détruit par Nabuchodonosor II en 587 avant Jésus-Christ. Ce que l'on appelle communément le Mur des Lamentations, principal lieu saint du judaïsme, est considéré comme étant le mur occidental restant du Second Temple, qui sert également de soubassement à l'Esplanade des mosquées, le «Noble Sanctuaire» des musulmans.

Mais des archéologues travaillant pour l'Autorité des antiquités d'Israël ont annoncé mercredi que des fouilles sous les fondations en pierre du Mur avaient permis de mettre au jour des pièces frappées par un procurateur romain de Judée vingt ans après la mort d'Hérode. Ce qui indique qu'Hérode n'a pas construit le Mur des Lamentations.
Flavius Josèphe avait raison

Les pièces de bronze ont été frappées aux alentours de 17 après Jésus-Christ par Valerius Gratus, qui précéda Ponce Pilate en tant que représentant de Rome à Jérusalem, souligne Ronny Reich, de l'Université de Haïfa, l'un des deux archéologues en charge des fouilles. Ces pièces ont été découvertes dans un bain rituel qui était antérieur à la construction du complexe du Temple d'Hérode, et avait été comblé à l'époque pour soutenir les nouveaux murs, précise Ronny Reich. Si Hérode a bien mis en route l'extension du Second Temple, les pièces montrent que la construction du Mur des Lamentations n'avait même pas commencé avant sa mort et a été probablement achevée seulement des générations plus tard.

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La découverte vient confirmer un récit de Flavius Josèphe, historien romain du Ier siècle, qui après la destruction du Second Temple par Rome en 70 après Jésus-Christ, raconta que les travaux au Mont du Temple n'avaient été terminés que par le roi Agrippa II, arrière-petit-fils d'Hérode. Flavius Josèphe explique également que la fin du chantier avait laissé 18.000 travailleurs sans emploi, ce qui, selon certains historiens, est à mettre en relation avec l'éclatement de la Grande Révolte des Juifs de la province de Judée contre l'Empire romain en 66 après Jésus-Christ. Après quatre années d'affrontements, les légionnaires romains de Titus viennent à bout de l'insurrection en 70 et détruisent le Temple, marquant la fin de l'État hébreu à l'époque ancienne.

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Contrôlée depuis 1967 par Israël, l'enceinte abrite la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher, sanctuaire musulman à la coupole dorée. Ce «Noble sanctuaire», un des lieux les plus saints de l'islam, cohabite dans la douleur avec, en contrebas, le Mur des Lamentations. 
 

lundi, 16 mars 2020

Four French Collaborationists: Châteaubriant, Céline, Drieu, Brasillach

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Counter-Currents Radio Podcast No. 264
Four French Collaborationists:
Châteaubriant, Céline, Drieu, Brasillach

 

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This is a lost London Forum talk by Michael Walker on four French artists of the Right: Alphonse de Châteaubriant, Louis-Ferdinand Céline, Pierre Drieu La Rochelle, and Robert Brasillach. If anyone has details about when this talk was given, please post a comment below.

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“Homage to Robert Brassilach”
Michael Walker

Comme le temps passe
Robert Brasillach

My homage is for the way you lived to die
That I a coward cannot emulate
You knew and wrote
Reason turns malevolent
after childhood disperses
And slumps into mature consideration
You could not have lived with yourself after failing.
So the leaden sentence was a gift
Better to die as you died
In the fluency and grace of certainty and light
Like poor Pucelle
Than grapple with compromise and penance
To win years in retirement and shame
Dying defiant
Sin pañuelo
The Castilian way.
Happiness a bagatelle
To a fascist
Dying well essential
Dying well redeems
The quintessence
Not delaying
Nor complaining
Nor dreading
Unbitter witness
The theatrical end
Many shrink and strive to safety
Delay complain and dread
And run away and hide
And sacrifice their pride for a
Doubtful grace
Not you a thief or cheat
Perhaps a busy undertaker
Coffins lined in neatly ordered rows
“The Bubonic East has
Broken out” –the facts
Every issue packed and bracketed
Childhood spoilt and spilled
Venom packed away in lofts or cellars
Then taken out and filmed
Nothing like that within you
So they held their tryst with you
Many shrink and strive to safety
They show their heads
Where they fear no censure
The dumb speak no treason
The illiterate pen no error
They called you traitor and acolyte to murder
But no betrayal was within you
Those
Who mattered to you
Will wait and wait
Carlists on horseback
Ragamuffin Spain
The islands of childhood
You walk to them
Punctual formal and correct
In the fields of your Great Faith
Le paradis terrestre
Martyr’s etiquette at the shore
Running and returning
Your last breath faithful
Hear the sea roar

Comme le temps passe
Robert Brasillach

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vendredi, 13 mars 2020

La révolution nationale de Georges Valois

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La révolution nationale de Georges Valois

par Juan ASENSIO

Finalement, le ton pamphlétaire en moins propre à l’auteur des Décombres, Georges Valois adressera à Charles Maurras, après l’avoir admiré de manière un peu trop grandiloquente (1), les mêmes reproches que Lucien Rebatet : «Maurras et ses commanditaires avaient toléré ma politique ouvrière, tant qu’ils avaient pu la mener sur le plan de la littérature, mais du jour où je déclarais que nous passions à l’action politique, on voulait m’arrêter net» écrit ainsi l’auteur dans son Basile ou la politique de la calomnie (2), décrivant Charles Maurras comme tant d’autres l’ont fait, à savoir un homme qui est avant tout un esprit plutôt que des muscles et des mains. Maurras dut ainsi être «extrêmement embarrassé par mes questions», continue Georges Valois, qui poursuit sa charge en enfonçant le clou d’une ironie point complètement débarrassée de regrets, du moins à cette date : «Il nous fit un discours d’une demi-heure pour me démontrer que, nécessairement, il avait toujours pensé à faire ce qu’il disait. Je lui demandai des ordres, il n’en donna aucun» (3).


Ce n’est pourtant pas tant l’action qui a souri à Georges Valois, Paul Sérant rappelant en quelques pages synthétiques l’échec que fut sa tentative de créer un fascisme à la française, que la réflexion, dont ce texte heureusement réédité par La Nouvelle Librairie dirigée par François Bousquet (qui reprend l’héritage de Valois, créateur de la Nouvelle Librairie nationale) nous donne un témoignage plus qu’intéressant. La Préface à cet ouvrage évoque l’intérêt principal de ce livre de Georges Valois, l’un de ces auteurs qui heureusement ne fait pas partie de ces «penseurs simples, binaires, facilement classables [qui] ne sont plus d’un grand secours» (p. 8) : «une tentative de dépasser les clivages sociaux, dans une vision organique et corporatiste de la nation» (p. 20), ou, pour l’écrire avec l’intéressé lui-même, une tentative de refonder voire, plus désespérément, fonder un État national, autrement dit «nous-mêmes avec nous-mêmes, avec nos femmes et nos enfants, avec ceux de nos métiers, avec nos propres chefs, pour la France régénérée par la victoire, pour la grandeur française que nous aurons servie et que nous voulons servir !» (p. 41).

De cet État national, Georges Valois donne une définition qui synthétise l’opposition courant au travers de tout son livre entre les vertus du combattant, héroïques et nobles, et celles du bourgeois, aussi peu héroïques que nobles, corrosives à vrai dire : «c’est l’État qui repose sur les valeurs héroïques par lesquelles toute cité est fondée, défendue, conduite à la grandeur; c’est l’État qui repose sur la philosophie même du combattant; c’est l’État qui veille sur la propriété nationale, qui veille sur le patrimoine spirituel de la nation, qui n’accorde aucune licence aux tentatives faites contre les valeurs fondamentales de la Cité; pour qui la propriété individuelle et familiale n’est qu’un moyen de prospérité et non le but de son activité; qui est au-dessus des partis et des classes et qui recrute ses états-majors aussi bien dans une classe que dans l’autre» (pp. 67-8). L’État national est donc l’inverse même de l’État libéral, dans lequel la nation n’est qu’une «juxtaposition de citoyens dont la règle individuelle est la loi de l’argent», alors que, pour l’autre, «la nation est une organisation de familles, qui font corps avec les régions et les métiers» (p. 69).

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Seul cet État national est capable de provoquer un patriotisme charnel, antithèse même du «patriotisme verbal» (p. 31) qui a fait des ravages durant la Grande Guerre dont Georges Valois exalte l’esprit véritable, seul à même d’insuffler sa vitalité à la nouvelle organisation sociopolitique qu’il appelle de ses vœux : «La philosophie du combattant, qui défend les valeurs héroïques, s’oppose à la philosophie du financier, pour qui il n’y a dans le monde que des valeurs de bourse, des commissions sur les emprunts, qu’ils soient français ou allemands» (p. 49). Il s’agit de retrouver un horizon spirituel et une dimension complétant la Politique par une mystique, s’il est vrai qu’un peuple ne pourra «supporter longtemps la pensée que son effort n’a d’autre expression que les plaisirs de Deauville et de la Côte d’Azur» (p. 72) et, puisqu’il faut «recréer les conditions de la grandeur», la première d’entre elles, juge Georges Valois, sera de faire rentrer dans la vie publique les «valeurs héroïques retrouvées dans la guerre» (p. 73). Il ne sera pas le seul à avoir exigé, une fois sorti vivant de l’hécatombe monstrueuse que fut la Première Guerre mondiale, une refondation ou même une régénération du pays profondément blessé. Il ne sera pas le seul à vite déchanter, les vertus de l’Arrière ayant pris, si j’ose dire, le devant de la scène politique française, les grands appels et belles déclarations s’étant vite transformés en petites médiocrités et compromissions.


Comme nous comprenons que Georges Valois ait fini par se séparer de Charles Maurras, pourtant qualifié de «grand libérateur de la pensée » (147), lui qui écrivait, assez crânement : «Notre objet, c’est la grandeur. On atteint la grandeur par l’action» (p. 75) même s’il n’a pas vraiment su la concrétiser sous ses propres entraînement et panache, alors qu’il n’aura eu de cesse, du moins dans ce petit livre, d’évoquer une «comptabilité des impondérables» (p. 95) à opposer systématiquement à la basse comptabilité des bourgeois qui ne sont en fin de compte rien d’autre que les propagateurs d’une «conception mercantile ou économique de la vie nationale et sociale» (p. 99), comme si le bourgeois avait finalement diffusé son poison matérialiste jusqu’à la tête, aux plus hauts sommets de la nation mais aussi dans l’ensemble de l’organisme social qui ne tardera pas à devenir fiévreux : «Quand le bourgeois veut être le premier dans l’État, c’est un destructeur, ou un chef qui s’abandonne, c’est Étienne Marcel, c’est Guizot, c’est M. Thiers, c’est M. Raymond Poincaré» alors que, s’il restait fidèle à sa place qui ne devrait jamais être la première, il serait bien évidemment capable de servir, puisque c’est alors «un grand serviteur du Prince et du Peuple, c’est Colbert» (p. 93). L’opposition au bourgeois n’est donc pas complète, le propos de Valois concernant bien davantage le fait que ce dernier n’occupe que la place qui lui revient, subalterne. C’est au contraire au Combattant d’être au premier rang, car c’est sur la force que l’on fonde la paix, et que «l’on organise le commerce dans les limites que trace sur le sol l’épée du combattant» (p. 104) puisque, en effet, c’est «la sécurité qui est la condition de l’abondance» (p. 109) et certainement pas l’inverse, sur quoi repose la prétention et la tromperie du régime que le Bourgeois cherche à favoriser, toutes les fois que l’une de ses déclinaisons historiques cherche à mettre en place un pouvoir qui lui soit favorable, donc qui le laisse en paix faire ce qu’il sait faire le mieux : acheter et vendre, autrement dit faire des affaires. Ainsi, «le bourgeois libéral représentait l’Argent, mais recouvert d’un voile pieux; le bourgeois national représentait l’Argent, mais avec un petit morceau du drapeau tricolore; le bourgeois radical représente l’Argent nu et obscène» (p. 132).

GVage.jpgL’Argent, puisqu’il est parlé du bourgeois que Valois substantifie en quelque sorte en lui accordant, comme au métal précieux d’ailleurs, une majuscule, est le thème sous-jacent de notre livre et on peut sans trop craindre de se tromper affirmer qu’il est, comme la Machine chez Georges Bernanos, l’un des surgeons du règne de la quantité, du chiffre, alors que, pour Valois, c’est «l’épée, et non le bidon de pétrole, qui est au premier rang» car la «paix, ce n’est pas une entente entre financiers et producteurs des deux mondes, c’est l’équilibre entre les forces des combattants» (p. 150). D’ailleurs, toutes les fois qu’un empire s’est laissé envahir par le Chiffre n’ayant d’autre but que son accroissement, il a péri, comme lorsque «Rome devenue trop riche, l’Argent l’emporta sur le glaive», comme «lorsque l’esprit combattant de Rome héroïque céda devant l’esprit bourgeois de Rome riche et jouisseuse» (p. 152).
Le Combattant, le premier, a été floué par la paix honteuse qui a été signée après la Grande Guerre, tout bonnement parce que cette paix est «la paix bourgeoise, la paix des financiers, qui rejette l’Europe tout entière dans la corruption de l’argent » (p. 157), Georges Valois allant même, et c’est sans doute la page la plus saisissante de son ouvrage, que je me permets donc de citer in extenso, jusqu’à décrire fascisme et communisme comme «une même réaction contre l’esprit bourgeois et ploutocratique» : «Au financier, au pétrolier, à l’éleveur de porcs qui se croient les maîtres du monde et veulent l’organiser selon la loi de l’argent, selon les besoins de l’automobile, selon la philosophie des cochons, et plier les peuples à la politique du dividende, le bolcheviste et le fasciste répondent en levant l’épée. L’un et l’autre proclament la loi du combattant. Mais le bolcheviste slave arme son bras pour s’élancer à la conquête des richesses accumulées dans le monde romain. Le fasciste latin dresse la hache pour fonder la paix et protéger le laboureur contre l’usurier. Ce n’est point par hasard que la réaction contre le régime bourgeois produit le bolchevisme en Russie et le fascisme en Italie. Le bolcheviste slave, c’est le guerrier du Nord, qui se place à la tête des hordes asiatiques et scythiques et à qui sa doctrine fournit une justification pour partir au pillage du monde romain, qu’il nomme le monde capitaliste. Le fasciste latin, c’est le combattant du Midi, qui veut arracher l’État aux mains débiles de l’administrateur bourgeois, protéger le travail contre l’argentier, et redresser les défenses de la civilisation abandonnées par les mercantis et les juristes incapables de porter les armes» (p. 158).

Je me demande si nous ne pourrions pas transposer assez facilement cette excellente analyse, comme le suggère d’ailleurs la première de couverture de notre réédition, au cas actuel de la France ployant sous la Macronie qui, après tout, peut à bon droit être considérée comme la prise de pouvoir d’une petite oligarchie méprisante et arriviste, dénuée de tout scrupule, ayant pour politique dévastatrice d’allier les différentes bourgeoisies françaises, puisqu’elle considère que c’est un climat propice au développement des affaires, un monde libéré de toute forme de régulation et dans lequel l’Argent, le Chiffre, seraient donc roi, qu’il faut instituer pour libérer l’homme de ses vieilles attaches, ne pariant donc, pour parvenir à son désir le plus cher, que sur les valeurs pondérables, échangeables, reléguant les valeurs impondérables au musée des horreurs réactionnaires et si affreusement passéistes.


Si c’était le cas, il nous faudrait alors faire nôtre ce rappel de Georges Valois affirmant que ce n’est pas un Gouvernement bourgeois, instauré par le bourgeois et n’ayant d’autre but que de favoriser la prospérité de ce dernier, qui décidera de notre sort, mais l’esprit des combattants qui «fera la révolution nécessaire» (p. 161). Reste à savoir si nous sommes encore capables de dresser des combattants, même éborgnés, face à ce qu’incarne le pouvoir macronien, l’empire du chiffre, ce qui sera un avenir peut-être moins sombre, à tout prendre, que celui que Georges Valois appelle de ses vœux, une révolution nationale établissant impitoyablement une «Dictature nationale, afin d’accomplir son œuvre» (p. 174).

Notes
(1) Georges Valois, La Révolution nationale (1924) (La Nouvelle Librairie, préface de Guillaume Travers, 2019, p. 148) : «Le XIXe siècle portera le nom bourgeois. Le XXe, s’il est nommé, portera celui de Maurras».
(2) Cité par Paul Sérant, Les dissidents de l’Action française (Éditions Pierre-Guillaume de Roux, préface d’Olivier Dard, 2016), p. 49.
(3) Paul Sérant, op. cit., pp. 45-6.

Source : http://www.juanasensio.com/archive/2020/02/26/la-revoluti...

https://www.lanouvellelibrairie.fr/

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Stanisław Przybyszewski

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Stanisław Przybyszewski

Halina Floryńska-Lalewicz

Author: Culture.pl

Writer, poet, dramatist and essayist. Born on 7 May 1868 in Łojewo near Kruszwica, died 23 November 1927 in Jaronty– Inowrocław county.

Upon graduation from a German gymnasium in Toruń (Thorn), Przybyszewski went to Berlin to study architecture and medicine from 1889. In 1892 he edited "Gazeta Robotnicza", the Polish socialist weekly appearing in Berlin. The following year he married the Norwegian writer Dagny Juel and in 1894-98 lived mostly in Norway. While in Germany and Norway, he stayed in close touch with the circles of international Bohemia; he was friends with Edvard Munch, Richard Dehmel, August Strindberg and others.

In 1898 he arrived in Kraków and was appointed editor of "Życie". The following year the magazine went bust for censorhip and financial reasons. In 1901-05 Przybyszewski lived in Warsaw, devoting himself to literary work.

From 1906 to 1918 he stayed in Munich. In 1917-18 he contributed to the Expressionist magazine "Zdrój" which was published in Poznan.

In 1919 he returned to Poland to take civil service posts in Poznan and Gdansk. He also got involved in social responsibility projects - he was the champion and organizer of the construction of a Polish gymnasium and the Polish House in Gdansk. In 1924 he got employed at the Civil Office of the President of the Republic. He was awarded the Officer Cross and the Commander Cross of the Polonia Restituta Order. An active man of letters till his last days, he was the author of a great many publications and gave tremendously popular public lectures.

Przybyszewski's role in the Young Poland period goes beyond the facts contained in his curriculum vitae and, indeed, beyond what he wrote. In the late 19th and early 20th centuries he was a major figure, if not a prophet, of literary life. Writers of more intellectually mature works used to start their discourse from comments on his views. A large percentage of his generation spoke his language. One of the reasons for it was his eccentric personality and his scandalizing legend which included erotic excesses, drinking and the notorious divorce of Jadwiga and Jan Kasprowicz which he had caused. More than that, he was the one to formulate the main philosophical ideas of his generation in a most extreme and dramatic way, and did it through literary provocation.

spybook.jpgHe earned fame in Berlin, where he became a hero of the international artistic community. It was in Berlin that he published his resonant essay "Zur Psychologie des Individuums. I - Chopin und Nietzsche. II - Ola Hansson" 1892 as well as poems Totenmesse, 1895 (Polish version: Requiem aeternam, 1904), Vigilien, 1895 (Polish version: Z cyklu wigilii, 1899), De profundis, 1895 (Polish version 1900), Androgyne, 1900. They introduced themes which would be central to all of his work: individualism, the metaphysical and social status of creative individuals, fate of geniuses, the sense of such attributes of genius as "degeneration" and "illness". He continued to present his philosophical views in essays published in a number of magazines and later collected in the volumes "Auf den Wegen der Seele" 1897 ("Na drogach duszy" [On the Paths of the Soul], 1900), "Szlakiem duszy polskiej" [On the Paths of the Polish Soul], 1917, "Ekspresjonizm, Słowacki i Genesis z ducha" [Expressionism, Slowacki and Genesis from the Spirit], 1918.

Initially open to various views, Krakow's "Życie", coming out in 1897-1900, was transformed into a magazine of the young generation when Artur Górski was appointed editor-in-chief in early 1898, to become the organ of Young Poland. In no. 1 of 1899 Przybyszewski published Confiteor, the manifesto of the new art and one of its key writings. Its main slogan, "art for art's sake", was not just an appeal for the autonomy of artistic activities. It was born out of Przybyszewski's conviction, shared with other artists, that art reveals important truths about existence, reaching the Absolute. The artist's "naked soul", stripped of conventions and freed from social constraints and intellectual stereotypes, is able to transcend the seeming biological and spiritual dualism of the human being. Indeed, this dualism is one of cognitive powers, and conceals the basic unity of being. According to Przybyszewski, the opposition of soul and brain is the opposition of intuitive and discursive cognition; the former, analytical and communicable, belongs to the unified order of social phenomena; the latter is a way in which the individual communicates with absolute reality.

Przybyszewski's manifesto, affirmative of creative individuals as bearers of metaphysical insight, was targeted against the positivist program of socially involved art and the positivist concept of progressive natural and social evolution. It juxtaposed two types of cognition, two moral models and two development ideas: the social one and the individual one. Przybyszewski invoked the anti-positivist trends of contemporary philosophy, represented by Friedrich Nietzsche, Arthur Schopenhauer, Eduard Hartmann, as well as Polish romantic tradition (mainly Słowacki's philosophy of Genesis), theosophy and occultism. His views were also influenced by the heritage of naturalism. The sphere of the Absolute, in which the "naked soul", freed from social constraints, belongs, initially had strongly marked features of the sphere of biology and drive, believed to determine the conscious life of man and to cause permanent moral conflict. Przybyszewski based on it his concepts of "blameless guilt", doom and evil, the latter perceived as the inseparable element of being. Gradually, however, the "naked soul" evolved to become increasingly spiritual, its destructive and self-destructive energy proving the evolution's driving force towards individual perfection. Przybyszewski combined Slowacki's concept of King Spirit who destroys the existing forms of being to create finer ones, with Nietzsche's idea of the Overman. To legitimize these ideas, he finally accepted the concept of re-incarnation.

spybook2.jpgPrzybyszewski translated the philosophical issues raised in his essays and narrative poems into the language of literary prose and drama. A very prolific writer, he published many novels, all of them trilogies, in German and Polish, notably Homo Sapiens, German edition 1895-96, Polish edition. 1901; Satans Kinder, 1897; Synowie ziemi [Sons of the Earth], 1904-11; Dzieci nędzy [Children of Poverty], 1913-14; Krzyk [The Cry], 1917; Il Regno Doloroso, 1924. All of his novels had basically the same type of protagonists, i.e. outstanding individuals destroyed by the social world and by their internal demons. These doomed characters were presented in extreme, frequently pathological, emotional states of alcoholism, jealousy, destructive love. The plots were weak and served as a pretext to analyze the characters' internal states. This new type of the protagonist required appropriate narration techniques that were different from those used in realistic novels. Przybyszewski made innovative use of (seemingly) indirect speech and of internal monologue.

As they violated taboos of social behaviour and were - intentionally - morally provocative, all of his books aroused intense public response. Translated into English, Italian, Czech, Bulgarian, Serbo-Croatian, Yiddish and many other languages, his novels and essays had a major influence on the period's literature, particularly in Scandinavia and Central Europe.

He also wrote a number of dramas, including Das grosse Gluck, 1897; Złote Runo [Golden Fleece], 1901; Śnieg [The Snow], 1903; Matka [Mother], 1903; Odwieczna Baśń [Perennial Fairytale], 1906; Śluby [The Oaths], 1906; Gody życia [The Nuptials of Life], 1910; Topiel [Deep Water], 1912; Miasto [The Town], 1914; Mściciel [The Avenger], 1927. Their themes and characters were similar to those of the novels. Likewise, the plots were flimsy, and were compensated for by numerous monologues and discussions revealing the inner life of the characters.

Przybyszewski's dramas were put on stage in many Polish and European theatres; in a number of cases the staging preceded the coming out in print. In 1921, marking Przybyszewski's thirtieth anniversary as a writer, his dramas appeared in the repertoires of the theatres of Krakow, Warsaw and Lvov. All the premieres were accompanied by heated debates on their literary and moral aspects.

Both the work and the legend of Przybyszewski lost some of its popularity in the twenty years separating the two world wars, other literary events eclipsing them. Przybyszewski's other side came to the forefront, however. This enemy of involvement of art and of any social ties gave himself in to the tide of patriotic feeling, publishing a bilingual pamphlet "Polen und der heilige Krieg; Polska and the Holy War" (1916), an apotheosis of the struggle for national liberation. After World War I his support for the freshly regained statehood was not limited to words; he championed and master-minded pro-Polish public actions and became a valued civil servant. Once a poet maudit, he had a funeral worthy of a dignitary, writes his biographer, Stanisław Helsztyński. Przybyszewski was buried in Góra in the Kujawy region. His coffin was placed in a four-horse carriage decorated with state insignia. The funeral procession was a three-quarter mile long and included state and Church dignitaries, chancellors of colleges and universities, writers and journalists. An honorary salute was fired over his grave. A public collection of money which lasted for four years paid for the stately tomb that has survived to the present day.

Przybyszewski played a major role in Polish cultural life as an artist, thinker and taboo-breaking provocateur. Writing in Polish as well as German, he was among the best-known Polish writers in Europe. Today he is of interest mostly to historians of literature and culture as well as to lovers of the period of Young Poland. Of the few stagings of his dramas, the most interesting performance was that of Matka directed by Krystian Lupa in Jelenia Góra in 1979.

Major publications: "Wybór pism" [Selected Writings], Wroclaw 1966; "Listy" [Letters] vol. 1-2, Wroclaw 1954.

Author: Halina Floryńska-Lalewicz, January 2004
 

jeudi, 12 mars 2020

Le Raspoutine d’Himmler

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Le Raspoutine d’Himmler

par Julien DARVANT

Sur le fameux « Ordre noir » de la SS, de nombreuses choses furent dites et écrites. La légende entourant ce corps d’élite se nourrit des spéculations des historiens qui font souvent appel aux mythes, plutôt qu’aux faits pour expliquer ses symboliques. Chevalerie moderne, ordre occultiste, secte néo-païenne… plusieurs interprétations ont été données pour expliquer cet ordre qui revêtait un caractère spiritualiste le distinguant des autres formations militaires de son époque. Une des théories en vogue fut que la SS possédait une religion qui lui était propre. Celle-ci aurait été inspirée par Karl Maria Wiligut, véritable Raspoutine du Reichsführer Heinrich Himmler.

Mais il s’agit de fiction. Dans une récente monographie dédiée à Wiligut, Christian Bouchet remet les pendules à l’heure. Oui, Wiligut fut bien impliqué dans la SS et oui, il développa des thèses spiritualistes qui le conduisirent à l’hôpital psychiatrique, mais il n’eut pas l’influence que certains lui prêtent. Wiligut en tant qu’éminence grise d’Himmler n’est qu’un mythe.

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Bouchet nous présente ainsi l’histoire pour le moins inusitée de ce personnage atypique qui fait partie de de ces hommes singuliers qui rêvent de faire l’histoire ou d’y laisser leur trace de façon indélébile, mais qui de par leur originalité restent en marge, ne parvenant pas à s’imposer ou à transmettre ce qu’ils auraient aimé pouvoir laisser comme héritage.

C’est après avoir servi durant la Première Guerre mondiale que cet ancien officier se tourna vers l’ésotérisme. Wiligut entama une quête spirituelle qui le mena de la franc-maçonnerie à diverses organisations ésotériques qui pullulaient alors, comme la Société Guido von List, l’Ordre du Nouveau Temple et la Société de l’Edda. Puisant dans les textes anciens, il analysa les mythes du passé pour leur donner une nouvelle interprétation, parfois déconcertante.

Pour cet homme qui croyait que la Bible était en fait un texte allemand et que le monde avait connu des âges divers durant lesquels les forces telluriques s’étaient affrontées, « le monde est animé par une circulation cosmique d’esprit, d’énergie et de matière auquel les runes participent ». Ses croyances étaient donc un amalgame entre diverses croyances auxquelles il donnait une interprétation germaniste.

Wiligut serait resté confiné dans les cercles ésotériques qui foisonnaient à cette époque de grande instabilité, s’il n’avait pas rencontré Heinrich Himmler à une réunion de la Nordische Gesellschaft en 1933. Il rejoignit alors la SS sous un pseudonyme et devint général.

Il servit alors de conseiller à Himmler, produisant pour ce dernier plusieurs rapports sur la cosmogonie, la théologie, l’histoire et évidemment sur le paganisme, dont il se revendiquait, lui qui proposait la confiscation des biens de l’Église en vue d’une redistribution auprès des néo-païens. On lui attribue une certaine influence sur certains rites de la SS, mais Bouchet est formel, Wiligut ne fut pas le maître à penser d’Himmler. Son influence fut limitée, surtout qu’il dut démissionner de la SS en 1939, lorsque fut rendu public son internement passé.

Après la guerre, Wiligut sombra dans un certain oubli, ses thèses continuant pourtant d’être étudiées et transmises par un cercle d’initiés relativement discret. C’est l’ancien SS Rudolf Mund qui le remit à l’avant-scène en publiant une première biographie le présentant comme un penseur majeur de l’aventure SS.

Son paganisme n’était pas folklorique, comme celui des Odinistes, et se basait sur l’esprit plutôt que sur la lettre. Bouchet en nous présentant cet homme ainsi que quelques textes choisis nous permet de nous replonger dans l’effervescence spiritualiste de l’Entre-deux-guerres, mais aussi de déboulonner le mythe de la religion SS et de son mage noir Karl Maria Wiligut.

Julien Darvant

Christian Bouchet, Karl Maria Wiligut, le Raspoutine d’Himmler, Ars Magna, coll. « Sonnenwende », 2019, 87 p., 26 €.

lundi, 09 mars 2020

Marie von Clausewitz

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Marie von Clausewitz

Non sono solito leggere biografie, ma in questo caso ero molto curioso di affrontare il testo e godermelo fino alla fine per due motivi. Pur essendo una biografia, per me era come leggere e conoscere meglio un autore e un’opera che considero fondamentale per capire la natura della guerra. Secondariamente, il testo mi ha riportato in luoghi che ho visitato e vissuto e che quindi hanno fatto riemergere nella mia mente vivi e piacevoli ricordi.


Il libro di cui vi voglio parlare è Marie von Clausewitz: The Woman Behind the Making of On War di Vanya Eftimova Bellinger, un testo molto interessante che affronta un tema del tutto originale, ovvero la figura di Marie von Brühl, moglie del generale prussiano Carl von Clausewitz il più noto pensatore sulla guerra. Il tema diventa veramente centrale dal momento che la figura che emerge dalle pagine del libro ha chiaramente un carattere e una statura intellettuale importante con un ruolo non secondario nella stesura dell’opera principale di Clausewitz, il Vom Kriege, oltre che, come noto, nella sua pubblicazione postuma dopo la morte prematura dell’autore.


Marie von Brühl nacque nel 1779 da una nobile famiglia originaria della Turingia ma con forti legami con le terre prussiane orientali, ora in Polonia, e con la corte di Dresda. Era, quindi, a tutti gli effetti una nobildonna del tempo con tutto ciò che ne consegue, ovvero ottima educazione (anche relativamente alle lingue visto che parlava fluentemente l’inglese per via di alcuni legami famigliari) e ottime entrature anche nella corte di Berlino che frequenterà assiduamente fino alla morte sopraggiunta nel 1836.


Questo aspetto mette subito in luce una profonda differenza tra lei e il marito, poiché Clausewitz, originario della cittadina di Burg, era sì un nobile ma era un titolo che aveva ottenuto suo padre per vie burocratiche e che andava confermato (cosa che avvenne negli anni successivi anche per merito dell’intercessione di Marie). Il divario sociale tra i due era quindi notevole, la madre di lei, per esempio, all’inizio non approvò la relazione. Il diverso lignaggio ebbe ripercussioni poi anche sul diverso grado di educazione, Clausewitz era certamente un uomo colto e che amava leggere, ma la preparazione di cui godette Marie era superiore per ciò che concerne sia le lingue sia i modi e i comportamenti nelle lettere ufficiali piuttosto che a corte.


L’autrice riesce a creare una vivida immagine della coppia grazie a due aspetti. Primo, utilizza l’epistolario di Marie ritrovato qualche anno fa e ciò le permette di avere a disposizione diverso materiale inedito in grado di gettare luce su aspetti nuovi o poco conosciuti. Pur non essendo un epistolario completo, e con il grande limite di non coprire tutti quei periodi in cui la coppia, vivendo insieme, non aveva necessità di scriversi, resta una fonte fondamentale per capire meglio la personalità di Clausewitz, le dinamiche di coppia, così come i loro interessi.


Dalle lettere emerge chiaramente come la coppia condividesse importanti interessi politici e come Marie sia stata un elemento importante per la carriera di Carl spronandolo e cercando appoggi tra i suoi contatti a corte. Lei lo ha sempre appoggiato nelle sue scelte che spesso lo portavano lontano per via della carriera militare e questo ha rinsaldato sempre più il legame tra loro. Anche la scelta di Carl di raggiungere l’esercito russo e combattere contro Napoleone, quando la Prussia invece si alleò con il francese, fu sofferta ma condivisa perché entrambi condividevano la stessa visione politica nazionalista prussiana in netta contrapposizione con il piano egemonico di Bonaparte.


clausewitz,marie von clausewitz,art militaire,militaria,guerre,histoire,allemagneLa visione politica dei due è molto simile ed emerge costantemente nelle lettere. Il libro ne segue le tracce nel quadro di quegli anni burrascosi che fu l’inizio dell’800 con le guerre napoleoniche la disfatta di Jena (14 ottobre 1806), la sconfitta e l’umiliazione prussiana che scossero gli animi della coppia (che in quel periodo non era ancora sposata, il matrimonio venne celebrato il 17 dicembre 1810 a Berlino presso la Marienkirche visitabile ancora oggi in pieno centro). Questo permette all’autrice di ricostruire in modo preciso le vicende della Prussia, e in genere dell’Europa di quegli anni, inserendovi quindi la maturazione delle idee politico-strategiche di Clausewitz oltre che ovviamente le vicende amorose dei due.
Il secondo aspetto importante è che l’autrice, che ha ripercorso i luoghi della coppia (dalla cittadina natale di Burg fino a Berlino) è che inserisce quella coppia, sicuramente particolare già all’epoca (per il divario sociale tra i due, ma anche per la particolare personalità di Marie), nel dibattito politico della Prussia facendo emergere i contatti con vari personaggi di spicco dello schieramento anti-napoleonico, ma soprattutto le forti e ampie riflessioni politiche che i due erano sicuramente impegnati a fare tra loro, ma anche nei salotti bene della nobiltà prussiana.


Marie appare quindi una donna sui generis rispetto all’immagine della classica nobildonna di inizio Ottocento perché era sì colta, ma aveva maturato un vivo e attivo interesse per la politica, un fatto certamente non comune (come a volte mette in luce l’autrice). Era inoltre impegnata in prima persona in quei dibattiti, ma anche nella vita militare sia per seguire il marito sia per scelta personale. Infatti, è significato il passaggio del testo in cui si ricostruisce il periodo in cui Marie per cercare di rimanere più vicina a Carl, impegnato nelle campagne belliche, e di essere di aiuto nello sforzo bellico prussiano scende in campo in prima persona. Ovviamente non imbracciando un arma, ma occupandosi dei feriti (per esempio durante l’assedio della cittadella di Spandau a Berlino, altro luogo che consiglio vivamente di visitare) e collaborando, dalle lettere non è chiaro in che ruolo, con il locale ospedale militare. Se da un lato all’epoca era relativamente normale che le mogli degli ufficiali seguissero in mariti, dall’altro è chiaro come non fosse normale per una donna che frequentava quotidianamente il re e la corte trovarsi a svolgere mansioni simili a un infermeria da campo.


Marie dunque era sicuramente una donna diversa dalle sue contemporanee e lo dimostra poi ancora una volta dopo la morte del marito, avvenuta improvvisamente per colpa di un’epidemia di colera nel 1831, quando prende in mano il manoscritto del Vom Kriege e le altre opere di Carl per sistemarle e mandarle in stampa. Lei aveva sempre spinto il marito sia verso la carriera militare sia nella stesura dell’opera. Dalle lettere emerge chiaramente il coinvolgimento di Marie in alcune riflessioni di Carl così come il suo sosteno morale per continuare a scrivere. Marie, quindi, conosceva bene sia l’opera sia il pensiero del marito e si trovò a dover completare in qualche modo il lavoro. Purtroppo anche lei morirà presto, nel 1836, e non riuscirà a vedere l’intera opera pubblicata, ma quella che noi oggi leggiamo è quella riassemblata da Marie partendo dai fogli di Carl.


Insomma il libro di Vanya Eftimova Bellinger è sicuramente originale per il tema trattato, interessante da un punto di vista storico, poiché ricostruisce le vicende della Prussia del primo Ottocento e cruciale per chi vuole studiare con maggiore profondità la vita e il lavoro di Clausewitz.

La Russie de Poutine, entre despotisme oriental et démocratie souveraine

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La Russie de Poutine, entre despotisme oriental et démocratie souveraine

par Jure Georges VUJIC

La Russie n’a jamais été une démocratie à l’occidentale. En annonçant les nouvelles réformes constitutionnelles, Vladimir Poutine le prouve une fois de plus, en mettant fin après douze ans de « tandémocratie », une démocratie à la russe où le pouvoir était partagé en apparence entre Poutine et Dmitri Medvedev à la tête de l’exécutif bicéphale russe depuis 2008.

Il est vrai que les analyses ne manquent pas pour identifier ce type singulier de démocratie poutinocentrée et l’on parle de « démocratie dirigée », d’oligarchie, d’autocratie, de nouveau tsarisme (D. Trenin), de néo-féodalisme autoritaire (S. Rabinovitch), de corpocratie (J.-R. Raviot)… Les vocables typologiques ne manquent pas pour qualifier ce régime qui conjugue les tendances libérales et réformistes, conservatrices et étatistes. Pourtant si l’on se réfère à la période depuis son retour au Kremlin en 2012 après l’interlude Medvedev, le système poutinien d’apparence plus libéral, pencherait fortement vers l’autoritarisme, la personnalisation du pouvoir, la centralisation. Et, depuis la récente démission du gouvernement, certains parlent d’une nouvelle concentration de pouvoir qui ouvrirait la voie à une autocratie à vie. Et pourtant, contrairement à ce courant politiste démocentriste qui voit des formes démocratiques un peu partout, il est utile de se référer à l’actualité des travaux de Karl August Wittfogel sur les despotisme orientaux.

Wittfogel et les despotisme orientaux

Selon les thèses de Wittfogel, le modèle même du despotisme oriental était constitué par les «sociétés hydrauliques», les grands travaux d’irrguation et la maîtrise de l’eau, lesquels étaient à la base même de la constitution de grands États et d’empires, comme la Chine, l’Égypte ou la Mésopotamie.

L’URSS de Staline s’inscrivait dans la continuation de cette forme étatique de « production asiatique », lorsque Staline, entreprenait de grands travaux «hydrauliques » : creusement de canaux, liaisons entre les grands fleuves (par exemple le Don et la Volga). Le contrôle de vastes espaces supposait un renforcement de la centralisation bureaucratique et étatique. Et c’est pourquoi Wittfogel élargissait cette catégorie de despotisme oriental à l’Union soviétique, en tant que déclinaison russe du « Pouvoir total », le communisme soviétique étant selon lui à l’origine des sociétés disciplinaires, coercitives ou autoritaires, une version russe de la technocratie organisatrice évoquée par James Burnham. À la suite de la parenthèse chaotique du régime eltsinien, la reprise en main de l’État post-soviétique russe par Poutine s’est elle aussi accompagnée d’une vaste refonte institutionnelle et politique, marquée par le renforcement du dirigisme étatique dans l’économie et par une politique de grands travaux d’infrastructures initiée par Poutine lui-même.
Cette politique de grands travaux s’inscrit dans la continuité historique des deux vagues des grands travaux staliniens à partir de 1930, et la modernisation de Moscou voulue par Khroutchev dans les années 60.

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La politique de Vladimir Poutine entendait initier une troisième vague avec la rénovation de Saint-Pétersbourg, la construction de douze grands stades en Russie, d’une vingtaine d’aéroports et de centaines de kilomètres d’autoroutes…

Sans oublier l’immense ouvrage de préparation de la ville de Sochi, du littoral de la mer Noire et des montagnes du Caucase à l’accueil des Jeux Olympiques d’hiver 2014. L’administration russe de régime poutiniste (qui lui-même était membre de la Société russe de géographie) était consciente de la fragilité des infrastructures et du manque de cohésion du territoire russe, aggravés depuis l’éclatement de l’URSS en 1991, et se lancera dans une restructuration en profondeur l’ensemble des réseaux d’infrastructure du pays.

Le poutinisme incarnation de l’État long

L’autre élément en commun avec le modèle du despotisme oriental est la concentration, voire la personnalisation du pouvoir, qui s’appuie sur le contrôle de l’opinion publique.

Si l’on se souvient que la peur structurelle est inhérente au système totalitaire soviétique et à sa stabilité même à l’époque moderne, la Russie de Poutine même en s’appuyant sur l’appareil politico-policier omniprésent, doit cependant compter avec la postmodernité d’un pouvoir qui doit reposer sur le consentement de l’opinion publique majoritaire, sur un softpower russe, une sorte de « Russan way of life », suffisamment intégrateur et attractif, plus que sur le seul hardpower répressif.

Et c’est précisément dans ce contexte que s’incrivent les dernières décisions poutiniennes et la démission du dernier gouvernement rufsse. En effet, ayant pris conscience du fort mécontentement social qui monte en Russie depuis plusieurs années et de la baisse relative de sa popularité, Vladimir Poutine entend rénover son image de marque pour développer un nouveau discours axé sur les priorités sociales et démographiques des régions russes (et cela depuis 2018), l’innovation et le développement économique de la Russie. En étant conscient de la baisse de popularité du Président Medvedev, Poutine entend rajeunir et renforcer le gouvernement en faisant le parrainage d’une nouvelle génération patriotique de cadres technocratique, au profil méritocratique, indépendant si possible des réseaux oligarchiques et des clans, pour en faire une « réserve » générationnelle d’une nouvelle élite gouvernementale des nouveaux hauts cadres de l’État, qui assurera la pérennité, non plus du seul président Poutine, mais du poutinisme après 2024, qui devrait incarner alors cette nouvelle figure de « l’État long » que certains qualifient de système corpocratique, de « capitalisme d’État » – une adaptation postmoderne du despotisme oriental à l’heure globale. Postmoderne car, en dépit de sa volonté de « restaurer son statut de puissance dans un monde devenu multipolaire » et de son repositionnement géopolitique sur la scène internationale (Moyen-Orient, Syrie, etc.), la Russie reste tout de même encore une puissance militaire asymétrique profitant, d’une part, de l’arsenal civil et militaire ex-soviétique mais pâtissant, d’autre part, de forces conventionnelles réduites et à moderniser.

La pérennité de la puissance de l’État russe ne sera effective que si certains problèmes sont résolus à terme : le gaspillage énergétique et la question environnementale, les phénomènes de ségrégation socio-spatiale et l’opulence ostentatoire des « nouveaux Russes » (dont une cinquantaine de milliardaires), le « déclin démographique inquiétant », et son rapport paternaliste avec l’« étranger proche » dans ses relations avec les ex-républiques soviétiques. De puissance montante, elle pourrait très vite redevenir puissance relative et déclinante. En choisissant d’osciller entre une « ligne directe », d’asseoir une  légitimité populaire et la nécessité de consolider dans le temps long le rôle historique de la Russie en tant qu’empire autoritaire, la Russie poutiniste s’expose à deux processus centrifuge inhérents à toute construction néoimpériale et multinationale : le risque de sur-extension (l’« imperial overstretch » de Paul Kennedy) de sa puissance militaire et économique, et la volonté d’émancipation souveraine et nationale des peuples du giron moscovite.

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Démocratie souveraine ?

Il est vrai que la définition du despotisme, catégorie occidentalo-centriste bien commode des Lumières pour classer les gouvernements et les civilisations, relevait de Montesquieu qui influença Wittfogel (« le pouvoir d’un seul, sans loi et sans règle »), aboutissant à une orientalisation du despotisme, alors que la démocratie occidentale peut être aussi bien contaminée par les despotisme, ce que relevait déjà Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique. Selon ce dernier, la société démocratique recèle des dangers profonds, au premier rang desquels la tendance à la centralisation qui, dans la recherche de l’égalité, y sacrifie trop souvent la liberté et les droits des individus. Il faut rappeler aussi que Wittfogel considérait les États-Unis comme une société hydraulique (avec ses nombreux travaux d’aménagement fluvial) au même titre que l’Union Soviétique, mais cependant « non despotique », alors que dans les faits, les États-Unis puissance impériale bi-océanique, de par leur histoire d’expansion géopolitique mondiale, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, peuvent être à juste titre qualifiés de despotisme démocratique par l’exportation parfois manu militari du modèle de la démocratie de marché et de la religion des droits de l’homme.

Vladimir Sourkov, vice-président du gouvernement, a développé en 2005-2006 la conception de « démocratie souveraine », à savoir une démocratie qui ne se soumet pas aux influences étrangères et où les élections expriment non pas l’opposition des intérêts, mais l’unité du peuple et du pouvoir. On se souvient que Poutine avait déclaré que la démocratie occidentale reposait sur l’illusion du choix. Si le choix démocratique n’est qu’une illusion, il est bien plus sain de le rejeter en faveur du rôle historique que la Russie a toujours assumé : celui d’un Empire autoritaire. Selon lui, il ne s’agit pas de l’imposition d’un modèle autoritaire d’en-haut, mais du choix libre de la société russe.

Cependant, cette vision sourkovienne de démocratie souveraine se heurte au paradoxe multinational et multiconfessionnel de l’ensemble Russe et renvoie à l’analyse schmittienne, selon laquelle la condition préalable à toute forme de démocratie réelle et fonctionnelle est la présence d’une population homogène.

D’autre part, l’histoire du déclin des despotisme orientaux et de l’Empire soviétique a démontré que ces empires multinationaux reposaient eux aussi sur l’illusion de la force éternelle et que la plupart ont dû céder à long terme, à ce que Thimoty Garton Ash désigne par « l’ottomanisation », à savoir la poussée de l’autonomie et de l’indépendance des colonies et territoires périphériques de l’empire ottoman.

Selon Daniel Vernet, en dépit de l’occidentalisation de la politique étrangère russe, la Russie semble peiner à choisir entre les quatre options qui se présentent à elle : le modèle chinois, le réformisme musclé, la lutte antiterroriste ou la « double occidentalisation », qui garantirait son insertion durable dans le « mainstream » des relations internationales.

Cependant, l’annexion de la Crimée et le conflit avec l’Ukraine ont accéléré la mutation vers un système où le nationalisme grand-russe et l’anti-occidentalisme confortent le fameux complexe russe d’obsidionalité, ce sentiment de l’encerclement et de menace perpétuelle.

Jure Georges Vujic.

Notes

• Daniel Vernet, Le Rêve sacrifié, Paris, Odile Jacob, 1994.

Daniel Vernet, La Renaissance allemande, Paris, Flammarion, 1992.

• Daniel Vernet, URSS, Paris, Le Seuil, 1990.

• Karl August Wittfogel, Oriental Despotism. A Comparative Study of Total Power, New Haven, Connecticut, Yale University Press, 1957, en français, Le Despotisme oriental. Étude comparative du pouvoir total, traduit par Michèle Pouteau, Paris, Éditions de Minuit, 1964.

• Thimoty Garton Ash, History of the Present. Essays, Sketches, and Dispatches from Europe in the 1990s, Allen Lane, 1999.

• D’abord mis en ligne sur Polémia, le 2 février 2020.

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samedi, 07 mars 2020

L'épidémie de grippe dite « espagnole » et sa perception par l’armée française (1918-1919)

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L'épidémie de grippe dite « espagnole » et sa perception par l’armée française (1918-1919)

par Olivier Lahaie
Ex: https://echelledejacob.blogspot.com
 
Résumés

En 1918, la France compte plus de 22.000 morts aux armées du fait de la grippe. Le Service de santé entreprend de sensibiliser toutes les régions militaires sur les mesures prophylactiques à adopter, mais le corps médical est globalement impuissant à enrayer une pandémie dont les origines restent obscures. Sa virulence, sa facilité à se propager laissent penser qu’elle n’est pas l’œuvre du hasard, mais plutôt celle des bactériologistes d’outre-Rhin. S’agit-il même d’une grippe ? Rien n’est moins sûr, surtout pour les services de renseignements français qui doutent devant les manifestations de la maladie. S’il est un fait incontestable aujourd’hui, c’est que la maladie s’est répandue chez tous les belligérants et qu’elle a durement frappé le camp allemand, affaibli par la pénurie alimentaire. Inutile de préciser qu’elle s’est évanouie sans que le contre-espionnage français ait pu arrêter (et pour cause) un agent allemand, porteur d’éprouvettes remplies de souches virales non identifiés.

1 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), Vie et mort des Français 1914-1918, Paris, Hachette, 1960, (...)
2 Archives du Val-de-Grâce, citées par : Darmon (P.), « La grippe espagnole submerge la France »,, L (...)
3 Dans L’Illustration du 19 octobre 1918, le docteur F. Heckel note « l’extension et la persistance (...)
4 Barbier (Dr M.), « La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine », 1919, cité (...)


Le 13 octobre 2004, la revue Nature présente le fruit des travaux d’une équipe de biologistes américano-japonais et met un terme à une énigme vieille de près de 90 ans : ces chercheurs sont parvenus à reconstituer, par génie génétique, le virus de la grippe dite « espagnole ». Cinq des huit gènes du virus de 1918 ayant été prélevés sur des cadavres congelés de victimes de la pandémie, on a pu obtenir en laboratoire les protéines « H » et « N », caractéristiques de la souche espagnole. Inoculés à des souris, les virus reconstitués ont engendré des symptômes grippaux sévères, souvent mortels, entraînant des atteintes inflammatoires aux poumons. Mais quel était donc le fond de cette « énigme » que nous venons de mentionner ? C’est finalement – et aussi étrange que cela puisse paraître – que cette épidémie de 1918 était bien une grippe ! Mais revenons aux faits. En 1916 déjà, la France est frappée par une épidémie de grippe, rappelant « l’influenza » du passé et que l’on surnomme à l’époque « la grippe vertigineuse » 1. Quelques cas de pneumonie et de pleurésie purulente surviennent en 1916-1917 parmi les Annamites, avec des taux de mortalité voisins de 50 % 2. Mais ces épisodes ne sont rien, comparés à la véritable saignée démographique que provoque l’épidémie de grippe dite « espagnole » en 1918 ; du jamais vu en quelque sorte, depuis l’épidémie de peste noire 3. « Nous ne retrouverons pas, dans nos cas, de complications ou de faits qui aient déjà été signalés dans une épidémie antérieure » 4, ainsi que le souligne le corps médical d’alors.

5 Madrid est alors fortement touchée et l’ambassade de France doit cesser ses activités.
 
Cette grippe frappe l’Europe en trois vagues successives (printemps 5, automne, hiver 1918). En France, celles-ci sont ressenties de la manière suivante :

6 Entre le 10 et le 20 avril 1918, des cas de grippe sont répertoriés dans les tranchées à Villers-s (...)

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L’épidémie débute entre le 10 et le 20 avril 1918, aux armées 6 comme dans les villes. Elle dure jusqu’à la fin de juin 1918 et se traduit par une poussée de fièvre bénigne ; elle est remarquable par sa forte contagion, puisque la maladie dépasse les frontières nationales.

7 Le 22 septembre, Le Matin avait annoncé, un peu hâtivement, que la maladie était éradiquée. Paris (...)

La 2e vague dure de septembre à octobre 1918 ; c’est la plus meurtrière d’entre toutes et elle se répand cette fois dans le monde entier 7.

La 3e vague dure de la fin de 1918 au printemps 1919. Toute aussi dangereuse que la précédente, ses symptômes sont comparables à ceux de la peste pneumonique ou de la forme respiratoire du charbon.

8 Dopter (C.), Les maladies infectieuses pendant la guerre (étude épidémiologique), Paris, Alcan, 1 (...)
9 Service historique de la Défense, archives de la guerre (SHD/GR), 7 N 170 : « Épidémie de grippe ; (...)
10 Note du 26octobre1918, citée dans J.-J. Becker, op.cit., p. 83.
11 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), op.cit., p. 357.
12 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.


Dès l’année 1918, la France déplore plus de 22 000 morts aux armées du fait de la grippe. C’est vrai, les conditions de vie dans les tranchées se sont améliorées depuis la fin de 1914 ; mais l’eau souillée, la saleté, la vermine (rats, puces, mouches), les cadavres sommairement enterrés ou déterrés par les bombardements, expliquent toujours qu’un large panel de « germes infectieux aient toutes facilités pour se propager et exercer à l’envi leurs ravages » 8. La promiscuité facilite quant à elle la propagation du virus grippal. En cette dernière année de guerre, cette maladie particulièrement contagieuse a donc un poids économique, humain et, par ricochet, des conséquences militaires 9. Une note des Renseignements généraux fait d’ailleurs remarquer qu’au Palais de justice de Paris, « on parle beaucoup plus de la grippe, et des ravages qu’elle exerce, que de la guerre et de la paix » 10. Car bien évidemment, à l’arrière, la population n’est pas épargnée. En automne 1918 : « On compta bientôt les morts par milliers. À l’hôpital de Joigny, un homme par heure quitte ce monde. Lyon, qui manque de corbillards et de cercueils, est obligé – je l'ai vu, de mes propres yeux vu – de transporter les cadavres dans des linceuls improvisés, à même les charrettes, et d’enterrer la nuit. Des scènes identiques se déroulent à Paris, où, dans la dernière semaine d’octobre, meurent 300 personnes par jour et où les ensevelissements ont lieu très tard dans la soirée. En un mois, la grippe espagnole a causé, dans la capitale, plus de mal que les avions et les canons en quatre ans de guerre. » Pendant la semaine du 10 au 17 octobre 1918, 1 263 Parisiens décèdent de la grippe ; 1 700 si l’on ajoute ceux qui en sont morts de façon indirecte, par surinfection 12. Très contagieuse, la maladie exerce facilement des ravages au sein d’une population affaiblie par quatre années de privations alimentaires. Il faut souligner qu’en 1918, la ration quotidienne de pain n’est que de 300 grammes à Paris. Cependant, la grippe touche aussi des hommes jeunes et vigoureux. Elle a ainsi fait de terribles ravages aux États-Unis et en Suisse, pays qui n’étaient pas affectés par une quelconque pénurie alimentaire. Entre 1918 et 1919, la grippe va tuer 550 000 Américains, civils ou militaires, soit plus que les deux guerres mondiales, la guerre de Corée et celle du Viêt-nam réunies.

13 Heckel (Dr F.), « La grippe épidémique actuelle », L’Illustration, no 3948, 2novembre1918, p. 425. (...)
14 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit., p. 373.
15 Idem.


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Cette maladie opportuniste profite des brassages ethniques importants, nés de la guerre, pour se répandre rapidement dans toutes les régions du globe et parmi toutes les couches sociales. Toute négligence à isoler une personne se sachant atteinte se traduit immanquablement par « des contagions de voisinage qui peuvent décimer une famille, un village, parfois toute une population » 13. « Pour la grippe, il semble bien que très peu de personnes puissent résister à une exposition prolongée ou répétée ; la seule cause (de contamination) réelle, indispensable, est le contact avec le contage microbien, encore contesté de cette maladie, qu’il soit fourni par un malade déjà atteint, ou par un objet inerte précédemment contaminé, ou même par une personne qui, non atteinte elle-même, porte sur elle le germe pris auprès d’un malade. » 14 Le personnel médical doit être particulièrement vigilant et veiller à circonvenir les risques de propagation du virus. « L’ignorance et la légèreté de la masse du public, l’incompréhension des nécessités d’isolement, de prophylaxie, prolongent depuis près de six mois une épidémie dont la durée habituelle ne dépasse pas six semaines » 15, regrette un praticien.

16 SHD/GR, 7 N 170 : « Au sujet de la grippe ; Note du sous-secrétariat d’État du Service de Santé Mil (...)


Le service de santé entreprend de sensibiliser toutes les régions militaires sur les mesures à adopter : « Il m’est signalé que, dans quelques circonstances, les mesures destinées à lutter contre la grippe et ses complications broncho-pulmonaires n’ont pas été appliquées avec toute l’exactitude, la précision et la célérité indispensables. Ces faits sont exceptionnels ; mais il importe qu’aucune lacune ne subsiste dans une action prophylactique d’aussi haute importance. S’il est vrai que la prophylaxie est particulièrement difficile et demeure souvent inopérante vis-à-vis d’une maladie extrêmement contagieuse, dont le germe spécifique est d’ailleurs mal déterminé, il faut reconnaître que des mesures intelligemment et consciencieusement appliquées doivent limiter la contagion, réduire le nombre des foyers, abaisser le chiffre des cas compliqués et le taux de mortalité : il importe donc de persévérer sans relâche dans l’effort prophylactique. » 16

17 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit. p. 425.
18 « Complication la plus redoutable par la rapidité avec laquelle elle peut menacer la vie du malade, (...)
19 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit. p. 373.
20 Crosby (A. W. Jr.), Epidemic and Peace 1918, London, ed.Westport, 1976.
21 Combinaison de phénétidine et d’acide citrique, découverte par le Dr J. Roos. Utilisé comme antithe (...)
22 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustrationdu 2 novembre 1918, op.cit. et Darmon (P.), op.cit. (...)


Ce qui frappe les observateurs, c’est aussi la brutalité de cette nouvelle maladie : quatre mois après leur infection, ce sont 90 % des malades qui sont passés de vie à trépas ; « à son début, une grippe promenée conduit souvent au cimetière » 17. Elle envahit l’organisme par les muqueuses aériennes supérieures (nez, pharynx), puis se propage dans les voies broncho-pulmonaires. Les symptômes vont ensuite crescendo en se déclinant de la façon suivante : des courbatures, des douleurs stomacales, de fortes fièvres (au-dessus de 40 degrés), un sentiment d’oppression, des crachats sanglants répétitifs, suivis de graves complications pulmonaires (pneumonies, broncho-pneumonies, œdèmes 18, congestions) et même d’infarctus. Les patients qui en réchappent sont, pendant plus d’un mois, dans un état d’extrême faiblesse. Profitant de la situation, d’autres microbes opportunistes s’associent à la grippe ou prennent sa suite (staphylocoques, streptocoques, pneumocoques), ce qui accroît encore le nombre de décès 19. « Le fait important et le plus incompréhensible à propos de la grippe espagnole est qu’elle a tué des millions de personnes en une année ou moins. Jamais rien, ni maladie, ni guerre, ni famine, n’a tué autant en si peu de temps. » 20 Démuni, le corps médical est impuissant à enrayer la pandémie et préconise pêle-mêle : l’alitement, la pose de ventouses, les saignées, les injections sous-cutanées d’oxygène, de toniques cardiaques (caféine, digitale, huile camphrée, adrénaline, essence de térébenthine), l’administration d’antithermiques (quinine, cryogénie, citrophène 21), les enveloppements froids de la poitrine, l’alimentation liquide et légère. Le quidam y ajoute, sans plus de succès, des remèdes de grand-mères 22.

23 Ou de Saint-Sébastien.

À l’époque, les origines de cette pandémie demeurent obscures. Son caractère hautement infectieux, sa facilité à se répandre laissent penser qu’elle n’est pas née – et qu’elle ne se diffuse pas – « par hasard », mais qu’elle est plutôt l’œuvre des bactériologistes d’outre-Rhin. En avril 1918, la presse française parle d’ailleurs d’une maladie « venant d’Allemagne », se manifestant par un affaiblissement des patients et une chute brutale de leur température corporelle. Elle ne sous-entend pas par là que les premiers malades sont des Allemands (puisque la maladie a d’abord frappé la Chine, l’Amérique, l’Angleterre et la Suisse), mais qu’après les gaz de combat, cette dernière est, à n’en point douter, une nouvelle et terrible invention germanique. Pourtant, des bruits insistants situent son origine en Espagne 23.

24 Berger (M.) et Allard (P.), Les secrets de la censure pendant la guerre, Paris éd. des Portiques, 1 (...)
25 Service de manipulation bactériologique dépendant du Nachrichtenbüro allemand, chargé de répandre c (...)
26 Crozier (J.), En mission chez l’ennemi, Paris, éd. A. Rédier, 1930, p. 118.


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S’agit-il même d’une grippe ? Rien n’est moins sûr, surtout au sein des services de renseignement français ; devant les manifestations de la maladie, le doute s’installe. « La grippe, la terrible grippe "espagnole″, ou bien la peste ! », avance-t-on dans les milieux bien informés 24. Son caractère décimateur la fait incontestablement comparer à la terrible peste noire qui se répandit au Moyen Âge en Europe. À l’état-major de l’armée, on s’interroge et si des bacilles de peste avaient été répandus, à dessein, par le redoutable service « S » germanique, basé en Espagne ? 25 : « Vous souvenez-vous de cette maladie mystérieuse qui nous vint du front français ou bien du front allemand et qui infesta d’ailleurs les deux armées ? On la dénomma grippe espagnole et c’était en réalité la peste. Mais ceci est une autre histoire… Quel jeu de répandre ces microbes dans les agglomérations, sans que personne puisse découvrir ou même soupçonner l’origine du mal », écrit un ancien agent secret français dans l’entre-deux-guerres 26.

27 Sur ce plan, la population range : grippe, canons à longue portée Berthas, bombardiers Gothas et Ze (...)
28 Becker (J.-J.), op.cit., p. 83.
29 Du 1er septembre 1918 au 29 mars 1919, l’épidémie fait 210 victimes/jour dans la capitale, soit 10 (...)
30 Préfecture de la Seine, direction de l’hygiène : « Épidémie de grippe à Paris ; 30 juin 1918-26 avr (...)
31 Cité par : Darmon (P.), op.cit., p. 83.
32 Idem.
33 Cf. « Ce que le docteur Roux, de l’Institut Pasteur, pense de la grippe », Le Petit Journal, 27 oc (...)

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Quelle que soit la nature du virus, on s’accorde donc à dire que l’épidémie est une création de l’ennemi, ce dernier visant à répandre la mort à peu de frais derrière la ligne de front 27. Les rumeurs les plus folles circulent : « Des bruits couraient dans le public que la maladie avait été provoquée par des conserves venues d’Espagne et dans lesquelles des agents allemands auraient introduit des bacilles pathogènes. » 28 À Paris, la mortalité s’aggravant, de semaine en semaine 29, fait que la population affiche une anxiété grandissante puisque alimentée par d’innombrables ragots 30. Le 20 septembre, un rapport adressé par un inspecteur de la brigade spéciale au préfet de police de Paris tente d’y voir clair : « D’après les médecins militaires, l’épidémie de grippe dite « espagnole » aurait pour origine la consommation de conserves alimentaires de provenance espagnole et dans lesquelles auraient été introduit des bacilles. On a dit aussi que de nombreuses fabriques de conserves sont entre les mains des Allemands. On prétend que les oranges ont aussi subi des injections de même nature. » 31 Une lettre, postée par un soldat à Toulon, est bloquée par la censure : il avance que si la pandémie se répand, c’est à cause d’ « un vaccin empoisonné, fourni par les Boches » 32. Aussitôt, le contre-espionnage français cherche des indices, quête qui – bien entendu – s’avère vaine. Le 27 octobre, un journaliste du quotidien Le Petit Journal procède à l’interview d’un chercheur de l’Institut Pasteur, cherchant à recueillir l’avis d’un spécialiste pour confirmer certaines rumeurs sur l’origine de la maladie : « Des médecins et des fonctionnaires ont émis des doutes sur la nature de cette épidémie. On a été jusqu’à suggérer que ça pourrait ne pas être la grippe, mais une maladie mystérieuse contre laquelle on serait désarmé. À votre avis, Docteur, quelle est cette épidémie ? » Le scientifique garde les pieds sur terre et confirme qu’il s’agit bien du virus de la grippe, déjà identifié en 1889 et 1910 33.

34 Statistique citée par : Darmon (P.), op.cit. p. 83.
35 Commentaire recueilli par un policier et cité dans P. Darmon, op.cit., p. 84.
36 À Lyon, on parle d’ailleurs de grippe « chinoise ».
37 Il semble aujourd’hui que le cheminement ait été successivement : la Chine, les États-Unis, la Fr (...)


Grippe ou pas, le service de santé de l’armée est légitimement inquiet et envisage toutes les éventualités. De septembre à novembre 1918, ce sont 230 000 soldats qui sont contaminés, la promiscuité aidant 34. Au moment où les alliés reprennent l’initiative des opérations militaires (et où la fabrication des munitions est vitale), la maladie semble faire le jeu des Allemands puisqu’elle paralyse l’activité économique et la vie sociale en France. « Ce fléau est plus terrible que la guerre ou que les Berthas et les Gothas » se lamente une ménagère parisienne 35. S’agissant de localiser le berceau de l’épidémie, la communauté scientifique ne peut apporter de réponse précise : compte tenu des premiers cas observés, doit-on affirmer qu’elle est née en Chine (Canton) ? A-t-elle été rapportée en France par des marins 36, ou est-elle apparue dans un camp militaire de Caroline du Sud aux États-Unis, puis a-t-elle « débarqué » avec les Sammies à Brest ? Mystère 37. Comment expliquer par ailleurs que cette grippe ne disparaisse pas avec l’été ? Nouveau mystère. Après une baisse des cas enregistrés en juin (12 000 cas dont 14 mortels) et en juillet (moins de 3 000 malades et 6 décès), l’épidémie repart de plus belle en août. Il y a alors 3 135 soldats hospitalisés (243 décès) ; ce nombre passe à 24 282 en septembre (2 124 décès), 75 519 en octobre (6 017 décès). Entre août et octobre, le nombre exact de malades et de morts parmi les civils est inconnu.

38 Provoquée par le coccobacille de Pfeiffer ; virus A° (1889) et virus A2 (1890). Becker (J.-J.), op. (...)
39 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit., p. 425.
40 Témoignage du Dr Weil de Nantes cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.


L’Académie de médecine, l’Institut Pasteur et le Val-de-Grâce, loin de rassurer civils et militaires, se perdent en conjectures sur l’origine de cette pandémie. On croit un temps reconnaître le virus de l’épidémie de grippe de 1889-1890 38. Mais finalement, le plus urgent n’est pas là ; il faut absolument parvenir à ralentir le nombre des contaminations, lequel s’accroît de manière exponentielle. « La maladie n’est pas seulement redoutable par sa virulence ; elle l’est encore par son caractère insidieux et ses traîtrises. » 39 Les médecins avouent leur dépit : « On a laissé un matin un pneumonique en bon état avec un ou deux foyers de condensation et, le soir, on le retrouve dyspnéique, inquiet, s’agitant dans son lit, avec les lèvres cyanosées. L’homme devient bleu, baigné de sueurs profuses, commence à râler et la mort survient.» 40

41 SHD/GR, 7 N 170 et 7 N 2003 : courriers divers traitant de ces questions immobilières, en rapport (...)
42 Barbier (Dr M.), La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine, 1919, cité dans (...)
43 Témoignage du Dr Merklen, Morbihan et Finistère, cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.


Devant l’ampleur du phénomène, l’ensemble du corps médical se trouve vite débordé. L’armée doit trouver des locaux pour isoler ses malades et remet donc en activité des casernes désaffectées 41. Dans le même temps, elle détache des médecins auprès des hôpitaux civils pour soigner les malades qui s’y accumulent. « Nous nous trouvions vraiment en face d’une grande épidémie, devant laquelle nous nous sentions impuissants. Certains, même, devant la gravité des symptômes et l’allure foudroyante de la maladie, allèrent jusqu’à penser à la peste, au choléra » 42, se souvient avec angoisse un médecin. Il ne s’agit donc pas simplement de « fabulation populaire, qui parle de sujets morts après quelques heures de maladie, devenant noirs, de peste, de choléra et qui veut qu’il s’agisse là d’une maladie nouvelle »43. C’est tout le corps médical qui se met à douter.

44 Ludendorff (maréchal E.), Souvenirs de guerre, Paris, Payot, 1921, t. 2, p. 257.
45 Miquel (P.), La Grande Guerre, Paris, Fayard, 1978, p.566.


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S’il est un fait incontestable aujourd’hui, c’est que la maladie s’est répandue chez tous les belligérants et qu’elle a durement frappé le camp allemand, affaibli par la pénurie alimentaire née du blocus franco-britannique. Dans ses Souvenirs de guerre, Ludendorff écrit ainsi (juin 1918) : « La grippe se répandit un peu partout ; le Groupe d’armées du Kronprinz Rupprecht fut particulièrement atteint. C’était pour moi une occupation sérieuse d’entendre chaque matin, de la bouche des chefs, les chiffres élevés des cas de grippe et leurs plaintes sur la faiblesse des troupes, si les Anglais se décidaient tout de même à attaquer. » 44 Le Matin du 6 juillet 1918 se réjouit un peu vite du fait que la France se soit faite, avec la grippe, une nouvelle alliée : « En France, elle est bénigne ; nos troupes, en particulier, y résiste merveilleusement. Mais de l’autre côté du front, les Boches sont très touchés. Est-ce là le symptôme précurseur de la lassitude, de la défaillance des organismes dont la résistance s’épuise ? Quoi qu’il en soit, la grippe sévit en Allemagne avec intensité. » Bel exemple de « bourrage de crânes », puisqu’on dit bientôt que la grippe se répand en France « à la vitesse d’un train express » 45.

46 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82. Un compte rendu du 2e bureau de l’EMA sur « L’état sanitaire de l’A (...)

Début octobre 1918, une dépêche venant de Zurich parle néanmoins de « 420 000 cas de grippe dans l’armée du Reich » ce qui prouve à tous que, d’une part, l’ennemi n’est pas épargné, et que d’autre part, s’il est vraiment responsable du fléau, il doit désormais le regretter amèrement 46.

47 Perreux (G.), La vie quotidienne des civils pendant la Grande Guerre, Monaco, Hachette, 1966, p. 13 (...)

« Alors qu’en 1914, la grippe ordinaire a causé 3 946 morts, en 1915, 5 068, en 1916, 4 997, en 1917, 4 845, c’est 91 465 décès qu’il faut inscrire au bilan de la grippe espagnole pour la seule année 1918. » 47 On tente pourtant de réagir face au fléau. Facultés de médecine et « comité permanent d’hygiène » diffusent avertissements et procédés prophylactiques par voie de presse. Le service de santé tente de protéger l’armée en diffusant dans tous les corps une circulaire au titre évocateur : « Mesures à prendre en temps d’épidémie de choléra, de grippe, de peste et de typhus », rédigée en 1895 à l’usage des troupes coloniales. Le 4 octobre, le sous-secrétaire d’État à l’Intérieur Albert Fabre envoie des instructions aux préfets pour coordonner la lutte contre l’épidémie et réussir à endiguer sa propagation : désinfection des lieux publics, fermeture éventuelle de ceux-ci, limitation des activités et des déplacements. Dans les hôpitaux, il faut d’abord isoler les malades, tendre des draps autour des lits, se laver mains et bouche après les soins, porter des masques ou des tampons de gaze imprégnés de désinfectant, des blouses et des gants de caoutchouc, utiliser de l’huile phéniquée en pulvérisations nasales ou buccales. Des trains spéciaux sont aménagés pour séparer militaires et civils, ceci afin d’éviter la contagion de l’avant à l’arrière ou vice versa ; après chaque transport, les wagons sont désinfectés. Dans les commissariats de quartier, un cycliste est désigné chaque nuit pour aller chercher les médicaments prescrits dans les pharmacies de garde.

48 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.
49 Darmon (P.), op.cit., p. 85.


Le 8 octobre 1918, une commission est nommée par l’Académie de médecine pour tenter d’éradiquer la maladie. Une série de vaccins et de sérums voit alors le jour, mais tous restent inefficaces. Le 10 octobre, la municipalité de Caen décide la fermeture des salles de spectacle, interdit les réunions et réduit les cérémonies religieuses de la Toussaint 48. Le rhum – qui entre dans l’arsenal de la pharmacopée antigrippale – est délivré sur ordonnance ; à Paris, 500 hectolitres sont débloqués par le ministre du Ravitaillement. Rien n’y fait. Le 17 octobre, Le Matintitre : « L’épidémie de grippe ne décroît pas » ; deux jours plus tard, le conseil municipal de Paris réclame d’autres mesures de protection ; le 25, des députés interpellent le gouvernement, prenant prétexte de la faiblesse des moyens mis en œuvre pour lutter contre la grippe. Il faut bientôt fermer les lycées pour éviter la contagion. En octobre 1918, ce sont 616 Parisiens qui meurent des suites de leur infection 49.

50 Le docteur Armand Gautier guérit quelques patients à l’« Hôpital des enfants assistés » (service d (...)
51 En septembre 1918, l’armée française déplore 2 000 morts du fait de la grippe ; le 11 novembre 1918 (...)


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Début novembre, les chercheurs pensent avoir mis au point un vaccin 50, mais l’espoir est de courte durée puisque la parade se révèle une nouvelle fois inopérante. La science demeure impuissante à juguler cette grippe qui tue trois fois plus de militaires que de civils. Seule reste donc la prophylaxie pour espérer limiter la mortalité, ce qui est notoirement insuffisant. De mai 1918 à novembre 1918 51, ce sont 22 618 soldats français qui décèdent de la grippe, et encore 30 382 de plus entre novembre 1918 et août 1919. La grippe a ainsi contaminé 130 soldats sur 1 000 (soit 436 000 hommes), et en a tué près de 10 sur 1 000 (soit l’équivalent de six divisions) entre le 1er mai 1918 et le 30 avril 1919. De manière inexpliquée, une légère amélioration s’est cependant dessinée courant novembre 1918. La baisse du nombre des contaminés a malgré tout constitué un faux espoir puisque l’épidémie est repartie début 1919, frappant jusqu’à fin avril. Entre 1918 et 1919, la pandémie a ainsi provoqué la mort de près de 20 à 25 millions de personnes dans le monde (sur un milliard de malades) dont 165 000 à 210 000 en France. À titre de comparaison, la Grande Guerre a tué 13 millions de personnes. Inutile de préciser qu’elle s’est évanouie sans que le contre-espionnage français ait pu arrêter – et pour cause – un agent secret allemand, venu de Madrid (ou d’ailleurs), et porteur d’éprouvettes remplies de souches virales non identifiés…

Notes

1 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), Vie et mort des Français 1914-1918, Paris, Hachette, 1960, p. 356, note 2.

2 Archives du Val-de-Grâce, citées par : Darmon (P.), « La grippe espagnole submerge la France »,, L’Histoire, no 281, novembre 2003, p. 80.

3 Dans L’Illustration du 19 octobre 1918, le docteur F. Heckel note « l’extension et la persistance anormale de l’épidémie grippale » frappant la France. Voir son article : « La grippe ; son traitement préventif, prophylactique et abortif », p. 373.

4 Barbier (Dr M.), « La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine », 1919, cité dansJ.-J. Becker, « 20 millions de morts ! La grippe espagnole a frappé », article paru dans L’Histoire, no 40, décembre 1981, p. 82.

5 Madrid est alors fortement touchée et l’ambassade de France doit cesser ses activités.

6 Entre le 10 et le 20 avril 1918, des cas de grippe sont répertoriés dans les tranchées à Villers-sur-Coudun.

7 Le 22 septembre, Le Matin avait annoncé, un peu hâtivement, que la maladie était éradiquée. Paris est frappée à partir du 8 octobre 1918 par l’épidémie.

8 Dopter (C.), Les maladies infectieuses pendant la guerre (étude épidémiologique), Paris, Alcan, 1921, p. 3.

9 Service historique de la Défense, archives de la guerre (SHD/GR), 7 N 170 : « Épidémie de grippe ; Note du Président du Conseil, ministre de la Guerre, à MM. Les Généraux commandant les Régions Nord, 3 à 13, 15 à 18, 20 et 21, le Général commandant les troupes françaises de l’Afrique du Nord », signée « P.O. le Général faisant fonction de Chef d’état-major de l’Armée Alby », 16octobre1918.

10 Note du 26octobre1918, citée dans J.-J. Becker, op.cit., p. 83.

11 Meyer (J.), Ducasse (A.), Perreux (G.), op.cit., p. 357.

12 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.

13 Heckel (Dr F.), « La grippe épidémique actuelle », L’Illustration, no 3948, 2novembre1918, p. 425. Cependant, le rapport contaminés/décédés est encore relativement faible, c’est-à-dire de l’ordre de 3 %. Becker (J.-J.), op.cit., p. 83.

14 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit., p. 373.

15 Idem.

16 SHD/GR, 7 N 170 : « Au sujet de la grippe ; Note du sous-secrétariat d’État du Service de Santé Militaire à MM. Les Directeurs du Service de Santé de toutes les Régions, GMP, Région du Nord, Afrique du Nord, Tunisie », signée « Louis Mourier », 3 octobre 1918.

17 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit. p. 425.

18 « Complication la plus redoutable par la rapidité avec laquelle elle peut menacer la vie du malade, parfois en quelques heures [par] une poussée de congestion menaçant de submerger l’organe pulmonaire tout entier en faisant disparaître la fonction respiratoire ». Idem.

19 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration du 19 octobre 1918, op.cit. p. 373.

20 Crosby (A. W. Jr.), Epidemic and Peace 1918, London, ed.Westport, 1976.

21 Combinaison de phénétidine et d’acide citrique, découverte par le Dr J. Roos. Utilisé comme antithermique et analgésique, ce médicament a donné de bons résultats contre la fièvre typhoïde, la tuberculose, la migraine et les névralgies. Littre (E.), Guilbert (A.), Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie et des sciences qui s’y rapportent, Paris, éd. J.-B. Baillère, 21e éd., 1908, p. 337.

22 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustrationdu 2 novembre 1918, op.cit. et Darmon (P.), op.cit. p. 84.

23 Ou de Saint-Sébastien.

24 Berger (M.) et Allard (P.), Les secrets de la censure pendant la guerre, Paris éd. des Portiques, 1932, p. 353.

25 Service de manipulation bactériologique dépendant du Nachrichtenbüro allemand, chargé de répandre chez les alliés (ou dans les pays neutres ravitaillant les puissances de l’Entente) les bacilles de la morve et du charbon dans le but de décimer les chevaux militaires et le cheptel (porcs et bovins essentiellement). Voir : Riviere (commandant P.-L.), Un centre de guerre secrète, Madrid (1914-1918), Paris, Payot, 1936, p. 99 et suiv.

26 Crozier (J.), En mission chez l’ennemi, Paris, éd. A. Rédier, 1930, p. 118.

27 Sur ce plan, la population range : grippe, canons à longue portée Berthas, bombardiers Gothas et Zeppelins sur un pied d’égalité.

28 Becker (J.-J.), op.cit., p. 83.

29 Du 1er septembre 1918 au 29 mars 1919, l’épidémie fait 210 victimes/jour dans la capitale, soit 10 059 morts.

30 Préfecture de la Seine, direction de l’hygiène : « Épidémie de grippe à Paris ; 30 juin 1918-26 avril 1919 ».

31 Cité par : Darmon (P.), op.cit., p. 83.

32 Idem.

33 Cf. « Ce que le docteur Roux, de l’Institut Pasteur, pense de la grippe », Le Petit Journal, 27 octobre 1918.

34 Statistique citée par : Darmon (P.), op.cit. p. 83.

35 Commentaire recueilli par un policier et cité dans P. Darmon, op.cit., p. 84.

36 À Lyon, on parle d’ailleurs de grippe « chinoise ».

37 Il semble aujourd’hui que le cheminement ait été successivement : la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Suisse (juin), le Danemark et la Suède (juillet), la Hollande et la Suède (août), la Grèce (septembre).

38 Provoquée par le coccobacille de Pfeiffer ; virus A° (1889) et virus A2 (1890). Becker (J.-J.), op.cit., p. 83. La première semaine de janvier 1890, le virus avait tué 960 Parisiens. Darmon (P.), op.cit., p. 85.

39 Heckel (Dr F.), article paru dans L’Illustration no 3948, 2 novembre 1918, op.cit., p. 425.

40 Témoignage du Dr Weil de Nantes cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.

41 SHD/GR, 7 N 170 et 7 N 2003 : courriers divers traitant de ces questions immobilières, en rapport avec l’épidémie.

42 Barbier (Dr M.), La grippe de 1918-1919 dans un service de l’Hôpital Saint-Antoine, 1919, cité dans J.-J. Becker, op.cit., p. 82.

43 Témoignage du Dr Merklen, Morbihan et Finistère, cité dans P. Darmon, op.cit., p. 82.

44 Ludendorff (maréchal E.), Souvenirs de guerre, Paris, Payot, 1921, t. 2, p. 257.

45 Miquel (P.), La Grande Guerre, Paris, Fayard, 1978, p.566.

46 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82. Un compte rendu du 2e bureau de l’EMA sur « L’état sanitaire de l’Allemagne » se rapportant à la progression de la grippe entre le 28 octobre 1918 et le 3 novembre 1918 figure au Service historique de la Défense (SHD/GR, 7 N 937). Fin octobre, la maladie se répand aussi au Danemark.

47 Perreux (G.), La vie quotidienne des civils pendant la Grande Guerre, Monaco, Hachette, 1966, p. 130.

48 Becker (J.-J.), op.cit., p. 82.

49 Darmon (P.), op.cit., p. 85.

50 Le docteur Armand Gautier guérit quelques patients à l’« Hôpital des enfants assistés » (service du Dr Variot).

51 En septembre 1918, l’armée française déplore 2 000 morts du fait de la grippe ; le 11 novembre 1918, on compte encore 16 383 soldats hospitalisés. Du côté allemand, 187 000 soldats en sont morts et, dans le camp britannique, 112 000. Quid, Paris, 2004, p. 216 ; Becker (J.-J.), op.cit., p. 82-83.

Olivier Lahaie, « L’épidémie de grippe dite « espagnole » et sa perception par l’armée française (1918-1919) », Revue historique des armées, 262 | 2011, 102-109.
Référence électronique

Olivier Lahaie

Source

mercredi, 04 mars 2020

Le “droit anglo-saxon” et l’absolutisme financier

Je vous propose  :
. d’analyser comment le droit anglais a historiquement été mis, de façon institutionnelle, au service des puissants ;
. avant d’examiner comment la puissance politique est devenue une puissance économique ;
. pour enfin considérer la conclusion qui est que la domination internationale du droit anglo-saxon est la promesse de disparition de la civilisation et le plus sûr chemin vers l’esclavagisme de tous.

Le Parlement anglais : une organisation politique au service des puissants

Le Parlement anglais est l’héritier direct des institutions issues de la Magna Carta ; de quoi parle-t-on vraiment ? La Magna Carta apparue en 1215 quasi immédiatement abrogée a ressurgi en 1216 avant d’être amendée et complétée d’une loi domaniale (Charte de Forêt) en novembre 1217. Une quatrième version voit le jour en février 1225, qui valide la disparition de la moitié de celle promulguée en 1215 ; cette Charte nouvelle version, confirmée solennellement le 10 novembre 1297, sera désormais connue sous le nom de Magna Carta.


La Magna Carta brandie comme l’arme démocratique absolue est en réalité la manifestation d’une lutte de la féodalité contre le pouvoir royal centralisateur. Elle n’est pas un instrument du peuple contre les puissants mais un instrument des puissants seigneurs contre le pouvoir royal unificateur. Il s’agit en réalité de retirer au Roi, en tant qu’organe politique central, l’essentiel ou une grande partie de ses prérogatives pour les donner à un conseil de grands féaux, ou grands aristocrates appelé « Conseil des Barons », afin de limiter et finalement contrôler le pouvoir Royal. Le peuple, qui n’a rien à voir dans cette guerre entre grands aristocrates, n’a strictement rien gagné à la proclamation de ladite Charte.


C’est précisément ce conseil de grands féodaux, initialement appelé « Conseil des Barons », qui se transformera peu à peu en Parlement. Ledit Parlement est, dès le départ, fonctionnellement, aussi peu fondateur de la « démocratie » au sens de gouvernement par le peuple et pour le peuple, que l’esclavagisme serait la cause ultime de la liberté.


Les principes du « droit à un procès équitable » et « d’égalité universelle » devant la loi seront introduit dans la Magna Carta en 1354.

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Ce dernier principe dit « d’égalité universelle » est une pure « pétition de principe » non contraignante, c’est-à-dire non juridiquement sanctionnée. Il ne sera, par exemple, pas en mesure de justifier, au XVIIème siècle, la suppression de l’esclavage sur le territoire anglais.
Par ailleurs, il faut insister sur le fait que la proclamation du « droit à un procès équitable » concernait aussi peu le peuple, que la composition du Parlement issu du Conseil des Barons de la Magna Carta. Seuls les puissants, et de plus en plus, à partir du XIIème siècle, les bourgeois des villes, avaient l’arme procédurale à leur disposition car la justice médiévale anglaise s’est construite, ab initio, comme une justice de classe.


Considérer le parlement anglais comme un organisme représentant la démocratie est une simple imposture politique ; en réalité, le Parlement anglais a toujours été chargé de mettre en musique juridique la volonté des puissants : d’abord des puissances féodales, puis des puissances financières qui les ont remplacées.


Le « droit » issu du Parlement anglais est en réalité un droit d’entre-soi, un droit oligarchique qui se fomente plus sûrement à la City of London, centre financier et économique du Royaume, ou dans les « clubs » chers aux anglais, que dans l’enceinte officielle d’un Parlement représentant l’intérêt populaire. Le Parlement ne fait, en réalité le plus souvent, conformément à sa mission d’origine, qu’entériner des solutions pré-constituées dans le silence des couloirs et des cabinets ; on parle à ce propos de « lobbying ».


Cette analyse générale n’est pas linéaire et l’on voit de ci de là, en Angleterre, certains errements de députés qui manifestent ouvertement leur opposition à des projets de lois. Plus ces errements seront fréquents et se multiplieront, plus vite le carcan institutionnel du parlementarisme volera en éclat, et la démocratie réelle pourra alors pointer son nez en Angleterre…

Le « droit anglais » : un principe de réglementation au service des puissants


Revenons un instant sur les particularités du droit anglo-saxon, en tant qu’héritier direct du droit anglais, et sur les conditions de son développement à compter du XVIème siècle.
Au cours du temps, est apparu une divergence fondamentale, de nature conceptuelle, dans l’évolution du « droit » entre l’Angleterre et l’Europe continentale.


A la suite de l’effondrement de l’empire romain, le droit s’est développé en Europe, autour de la double hélice du pouvoir temporel d’une part et du pouvoir spirituel d’autre part. Par pouvoir temporel, il faut comprendre l’aristocratie organisée autour du Roi compris comme le premier d’entre ses pairs (Primus inter pares). Par pouvoir spirituel, il faut comprendre le catholicisme hiérarchisé et organisé à Rome – avec quelques exceptions historiques – autour du pape.
En 1531, l’Angleterre a fait sécession vis-à-vis de cette organisation socio-politique continentale lorsque le Roi Henri VIII, représentant de l’ordre temporel, décida de prendre le pas sur le pouvoir spirituel en le soumettant à sa propre volonté.

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L’église anglicane – dite catholique réformée c’est-à-dire à mi-chemin entre catholicisme et protestantisme – est née de la scission de l’Angleterre opérée par le Roi Henri VIII avec le pape Clément VII qui refusa obstinément d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon (afin de permettre audit Henry VIII d’épouser Anne Boleyn). A partir de cette date, l’Église anglaise n’est plus soumise à l’autorité du pape catholique romain mais de l’archevêque de Cantorbéry, lequel est, en réalité totalement dépendant du pouvoir temporel, c’est-à-dire du Roi d’Angleterre.
Cette réunion des pouvoirs temporel et spirituel n’a pas eu lieu en Europe continentale où, tout au contraire, chacun des deux pouvoirs temporel et spirituel est resté – du moins jusqu’à la révolution de 1789 – concurrent et indépendant, de force relativement égale (si on lisse l’histoire qui a vu successivement la prééminence de l’un des deux ordres sur le second, et vice versa). La porosité structurelle liée au fait que les grandes familles d’aristocrates occupaient, de facto, les postes de dignitaires dans ces deux Ordres – Ordres politiques au sens où ils structuraient effectivement l’organisation de la Société – n’a pas eu pour conséquence une normalisation des intérêts de ces Ordres, qui sont historiquement restés distincts et concurrents.


En Europe continentale le pouvoir temporel avait toujours dû composer avec le pouvoir spirituel, et réciproquement ; en outre, ces deux pouvoirs avaient pour caractéristique d’être organisés de façon hiérarchique, c’est-à-dire verticale, ce qui leur conférait une force sociale et politique équivalente. Il en est résulté que le pouvoir normatif des autorités temporelles, seigneurs et Roi compris, a toujours été limité par le pouvoir normatif de l’autorité spirituelle centralisée à Rome sous l’autorité du pape.


Cette double compétence normative structurelle a sans doute été, depuis la disparition de l’Empire Romain, le seul réel point commun des différents pays européens. Nous avions donc, de façon ontologique, en Europe continentale, une organisation politique naturellement organisée autour de l’idée de contre-pouvoirs. Cette organisation politique et sociale qui a caractérisé la période du Moyen-Âge en Europe est la raison principale qui fait que l’ancien régime était, structurellement, beaucoup moins absolutiste que ne le sont les prétendus « régimes démocratiques » actuels, discrètement fondés sur la domination des capitaux, et calqués sur les préceptes dérivés du droit anglais.

 

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Si le droit anglo-saxon est aujourd’hui fondé sur la prééminence financière et économique, il est, ontologiquement depuis le XVIème siècle, mis au service exclusif des puissants.
Ce droit ne relève pas d’un quelconque effort intellectuel ou collectif visant à fluidifier et faciliter la vie en commun, il est tout simplement la mise en forme écrite de la domination des puissants, aristocrates dans un premier temps, puis financiers depuis Cromwell.


La fusion, en 1531 en Angleterre, des pouvoirs temporel et spirituel a engendré l’émergence d’une volonté impériale par l’alliance du fer et de l’argent. Dans ce contexte, Oliver Cromwell (1599 – 1658) a élaboré le système politique dans lequel l’hégémonie impériale est financée par les banquiers. Ces banquiers, jusqu’alors installés en Hollande à la suite de leur expulsion d’Espagne sous le règne du Roi Ferdinand et de la Reine Isabelle – suite à la signature du décret de l’Alhambra le 31 mars 1492 -, ont dès lors commencé à s’intégrer massivement au pouvoir politique temporel anglais.


Selon la « loi naturelle » qui veut que « celui qui donne est au-dessus de celui qui reçoit », cette alliance du fer et du portefeuille a, à son tour, historiquement et mécaniquement, donné naissance à la suprématie des détenteurs de capitaux sur le pouvoir politique. Cette suprématie s’est affirmée au cours des XVIIème et XVIIIème siècle par le financement, par les puissances d’argent, des différentes Compagnies des Indes qui agissaient pour le compte des États, en bénéficiant du monopole de la force publique.


Historiquement mis au service du seul pouvoir temporel, le « droit » anglo-saxon s’est peu à peu, à la mesure de la prise du pouvoir politique par les puissances d’argent, mis au seul service des principaux détenteurs de capitaux. Il ne faut donc pas s’étonner de l’absolutisme de la domination actuelle.


Cette évolution, commencée en Angleterre, a vu la France être sa première victime dès 1789 ; elle s’est répandue dans le monde entier au cours des XVIIIème, XIXème et XXème siècles.
Cette véritable « révolution » qui a eu lieu en France en 1789 s’est peu à peu répandue en Europe et dans le monde pour finir par remettre en cause l’équilibre politique post impérial (en référence à l’Empire Romain) issu de l’Europe du Moyen-Âge.


Le « Nouvel Ordre Mondial », appelé de leurs vœux par les tenanciers du système économique global qui ont pris le pouvoir effectif au XVIIIème siècle, est le résultat de la longue évolution décrite ci-dessus. Notons d’ailleurs que la devise « Novus Ordo Seclorum », issue du Grand Sceaux des États-Unis dessiné en 1782, a été repris, en 1935, sur les billets de 1 dollar.


Ce « Nouvel Ordre Mondial », qui n’est donc en rien « nouveau », s’apparente à l’anéantissement complet de ce que l’on entendait traditionnellement par le terme de « civilisation », qui suppose un développement collectif et repose, fondamentalement, sur un équilibre des forces et des pouvoirs. Aucune civilisation ne peut naître et prospérer dans le contexte de l’absence pérenne de contre-pouvoirs politiques effectifs.


Il faut bien comprendre que la réunion, au XVIème siècle, en Angleterre, des pouvoirs spirituel et temporel entre les mains du Roi d’Angleterre a pavé la route anglaise vers un impérialisme dominé par les puissances d’argent. La route anglaise a, à son tour, via la domination monétaire et l’idéologie britannique qu’elle a imposé au reste de l’humanité, pavé la route mondiale vers l’impérialisme financier absolu.


L’intégrisme financier actuel, juridiquement matérialisé par la suprématie du droit anglo-saxon, est le descendant direct, l’héritier fatal, de l’absolutisme du pouvoir anglais qui, en 1531, a fusionné les pouvoirs temporel et spirituel, faisant ainsi disparaître la réalité des contre-pouvoirs.
En 1600, la East India Company acte le début du remplacement de l’aristocratie terrienne par les puissances d’argent au sein du pouvoir Anglais.


Depuis le début du XVème siècle, l’époque dite des Grandes Découvertes et des grandes aventures maritimes, les détenteurs de capitaux n’ont eu de cesse de développer leur contrôle discret, par la mise en œuvre générale du concept d’anonymat.


Ce concept d’anonymat, mis en musique au double niveau économique et politique, a connu son premier réel grand succès avec les « Compagnies des Indes », qui ont allègrement pratiqué la confusion du pouvoir politique et du pouvoir économique.

East_India_Co_Blason.jpgSans surprise, la première Compagnie des Indes, la East India Company, est d’origine anglaise.
En quelques sortes, les Compagnies des Indes préfigurent la distinction, aujourd’hui entrée dans les mœurs économiques occidentales, entre les bénéfices, largement privés, et les charges, financées par la collectivité publique. Avec la précision que, dès l’avènement des différentes Compagnies des Indes, les responsabilités civiles, pénales et politiques des intervenants disparaissent dans le monopole d’État.


Les compagnies des Indes sont le premier modèle dans lequel les détenteurs réels du pouvoir, ceux qui profitent de façon ultime des bénéfices des opérations, sont très largement à l’abri de toute mise en cause juridique.


Les détenteurs du pouvoir capitalistique, vainqueur par KO du pouvoir politique, revendiquent aujourd’hui, de façon « naturelle », l’officialisation politique et juridique de la réalité de leur prise de pouvoir. Fatalement, ce pouvoir économique caché derrière les multiples faux semblants de l’anonymat capitalistique et du parlement représentatif devait, tôt ou tard, revendiquer officiellement le pouvoir qu’il a officieusement conquis au fil des siècles.
Les partisans du « Nouvel Ordre Mondial » ou « Novus Ordo Seclorum », encore appelé « New World Order » sont en réalité les émissaires du pouvoir économique caché.

La domination anglo-saxonne du monde actuel : « de l’absolutisme financier à l’esclavagisme pour tous »


La fusion, à la mode anglaise, du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel a fait disparaître l’équilibre des pouvoirs qui a, seul dans l’histoire du monde, permis l’émergence de la liberté individuelle et, notons-le, de la « bourgeoisie commerçante » en tant que force politique.
Car l’émancipation populaire n’a pu, en occident, voir le jour qu’en raison de l’instable équilibre politique entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel.


Plus récemment au XXème siècle, et toujours sous l’influence néfaste des banquiers globalistes, l’élimination de tout contre-pouvoir est devenue internationale.


Ayant disparu dans l’organisation interne des États occidentaux, un contre-pouvoir a toutefois existé de façon non institutionnelle depuis la seconde Guerre Mondiale au travers de l’antagonisme international des blocs de l’Est communiste et de l’Ouest libéral. A la chute de l’Union Soviétique, ce contre-pouvoir informel qui existait néanmoins de facto sur la scène internationale a, à son tour disparu, mettant à nouveau en lumière la cruelle inexistence de contre-pouvoir politique interne aux États occidentaux.


Paradoxalement et de façon ironique, c’est sous les coups de boutoirs répétés de la « liberté individuelle », elle-même manipulée à l’extrême, que disparaît la civilisation occidentale caractérisée par la liberté individuelle et par la liberté politique des masses populaires. Rappelons incidemment que l’ultra-individualisme, revendiqué par des mouvements comme les « LGBT », les « droits de l’enfant », « l’éducation sexuelle dès le plus jeune âge », est l’aboutissement logique de la domination politique absolue des principaux détenteurs de capitaux : ces derniers utilisant à leur avantage exclusif le principe de bonne politique consistant à « diviser pour mieux régner ».


Diviser chaque humain en une entité isolée de toute composante sociale pérenne et, au-delà, diviser l’humain et la vie en des entités physiques autonomes, est l’une des armes les plus redoutables utilisées par les tenanciers du pouvoir économique global pour asservir l’humanité. En effet, cette méthode d’asservissement appelée « diviser pour mieux régner » n’est pas seulement utilisée, de manière géopolitique, pour diviser les peuples et les nations mais également, de façon beaucoup plus sournoise et dangereuse, d’un point de vue politique pour faire de chaque humain une entité instable dépourvue de tout supports émotionnels et affectifs stables ; l’humain devenant dès lors un atome aisément manipulable, analogue à un « objet » qu’il convient d’utiliser.


Le contrôle du phénomène politique par les principaux détenteurs de capitaux a permis à ces derniers de se rendre les maîtres absolus du concept réglementaire. Ils ont ainsi, peu à peu, sur toute la surface du globe imposé l’anonymat de leurs actions en développant de façon institutionnelle les intermédiations capitalistiques opaques (paradis fiscaux et autres structures juridiques opaques sur le modèle des trusts anonymes), interdisant toute recherche en responsabilité. La multiplication exponentielle des intermédiaires financiers a, à son tour, mécaniquement permis un resserrement létal de l’emprise des financiers sur tous les aspects de la vie en commun. Par l’imposition au niveau international de leurs règles du jeu économico-financier, les banquiers globalistes à la manœuvre ont réussi le tour de force d’imposer une unification des modes de fonctionnement, préalables nécessaires à l’élaboration d’un gouvernement mondial.


Dans ce contexte d’accaparement du pouvoir, il faut comprendre que le « droit anglo-saxon », est une arme brandie comme un bouclier antisocial et anti-national par les tenanciers du pouvoir économique réel. Le « droit-réglementation » à la mode anglo-saxonne sert à la fois de prétexte et de justification au renforcement de l’absolutisme financier.

Valérie Bugault est Docteur en droit, ancienne avocate fiscaliste, analyste de géopolitique juridique et économique.

mardi, 03 mars 2020

Henri Conscience et la chouannerie belge

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Henri Conscience et la chouannerie belge

Ex: https://lepassebelge.blog

« De Boerenkryg » , le roman d’Henri Conscience (1853), relate de manière réaliste le soulèvement contre le régime français, pour la foi catholique et pour la patrie belge, qui mobilisa dans toutes les couches de la population. Mais la diffusion de cette œuvre, comme le souvenir des événements eux-mêmes, se sont largement estompés (1798).

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Le monument conçu par Ernest Dieltiens et érigé en 1898 à Herentals pour le centenaire de la guerre des Paysans. (Source: https://www.herentals.be/boerenkrijgmonument)

   La Belgique est française depuis trois ans et Overmere, près de Termonde, appartient au département de l’Escaut quand, le 12 octobre 1798, un huissier, accompagné de quelques soldats de l’armée occupante, vient saisir les biens d’un citoyen récalcitrant à l’impôt. L’affaire fait rapidement le tour du village. Les jeunes commencent à s’attrouper, montrant les dents ou les poings en direction des sbires qui n’en mènent pas large. Les cris de « Vive l’Empereur » (d’Autriche) sont lancés comme autant de défis. Les représentants de l’ordre n’insistent pas: ils s’en vont sous les huées.

   Partie remise, bien sûr. On envoie peu après des gendarmes pour réduire les bagarreurs. Mais les jongens ont ameuté les communes environnantes. La guerre des Paysans est déclenchée. Elle va s’étendre, à des degrés divers, dans toutes nos provinces et, malgré l’appellation réductrice, mobiliser dans toutes les couches sociales. La République mettra trois mois au moins pour venir, partiellement, à bout de l’incendie.

   Un demi-siècle s’est écoulé depuis ces événements quand Henri (ou Hendrik) Conscience en fait, en 1853, la matière d’un roman qui sera l’un de ses plus grands succès, tant en néerlandais qu’en traduction française.

De Boerenkryg (La guerre des Paysans), observe Kevin Absillis (Université d’Anvers), a « ancré dans la mémoire collective belge et flamande » ce chapitre de l’histoire en en faisant, « selon les standards d’alors, une épopée tourbillonnante » [1]. C’est une révolte pour la foi et pour la patrie – patrie qui est bien d’un bout à l’autre la Belgique. Même si l’essentiel de l’action se situe en Flandre, dans le village campinois de Lichtaart (Kasterlee) rebaptisé du nom de Waldeghem, les héros sont les « Belges opprimés » et la « Belgique combattante » . Cinq mois après la parution du livre, le roi Léopold Ier offrira à Conscience une bague en diamant comme « marque de Sa haute bienveillance » .

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Depuis, des interprétations en sens divers ont fait leur chemin. L’une d’elles veut que l’intérêt pour la chouannerie belge ait été lié à la crainte – nullement infondée – d’une résurgence des projets annexionnistes français après la révolution de 1848 et surtout sous le Second Empire. D’autres exégèses tiennent du procès idéologique intenté à un écrivain chantre de la tradition catholique et rurale. L’historien et journaliste Marc Reynebeau, dans Het klauwen van de leeuw (1995), y ajoute une dose de freudisme: la haine de la France serait liée à un complexe d’Œdipe, l’artisan du renouveau des lettres flamandes étant né d’un père français! Kevin Absillis entend pour sa part exonérer l’auteur de sa supposée mauvaise réputation pour en faire un louable réformiste. Il se demande surtout, à la fin de son étude, si la modernité opposée au conservatisme culturel et religieux des paysans n’est pas elle-même une construction discursive (beaucoup moins appréciée par ses protagonistes quand elle est invoquée dans un contexte colonial…).

   Qu’en est-il au fond ? Pour « l’homme qui apprit à lire à son peuple » , selon l’expression consacrée, il n’est pas douteux que la Terreur condamne 1789 et que nos contrées, au XVIIIè siècle, n’avaient pas de leçons de libertés à recevoir de la France, étant sur ce point beaucoup mieux loties qu’elle. Dès les premiers paragraphes du prologue de De Boerenkryg, Conscience n’hésite pas à qualifier la Belgique de « pays natal de la liberté » , rappelant que dès le Moyen Age, entre prince et peuple, « les droits et les devoirs de chacun étaient réglés par des lois écrites » . Toute notre histoire a été « un gigantesque déploiement de forces pour la défense de la liberté » , ajoute l’écrivain, se montrant aussi éloigné de la monarchie absolue portée à sa quasi-perfection par Louis XIV que du libéralisme national et romantique pour lequel le passé antérieur à la Révolution française se résume à une longue nuit.

   cms_visual_1024445.jpg_1519392015000_300x399.jpgCeci posé, le lecteur du récit ne peut manquer d’être frappé par le soin qui y a été mis à casser les stéréotypes et autres images d’Epinal. Le meneur de l’insurrection à Waldeghem, Bruno Halinx, n’a rien du fruste campagnard qu’on serait tenté de se représenter dans ce rôle. Fils du notaire de la localité, il a pu bénéficier d’un enseignement de qualité à l’école latine des augustins d’Anvers. Le futur héros est raffiné, quelque peu efféminé même, au point que le début de l’œuvre ressemble à un roman d’apprentissage, où la force des circonstances transforme un homme peu viril en chef intrépide.

   La fiancée de Bruno, Genoveva, est tout aussi éloignée de la Vlaamse boerin dont il « conviendrait » qu’elle soit une femme faible et effacée. Fille du maître d’école et sacristain, elle est intelligente et bien au fait des questions politiques. Sa fermeté et son intransigeance vont jusqu’à susciter l’admiration des soldats français pour qui elle n’a rien à envier à l’icône de la République! Mais son héroïne à elle est Charlotte Corday, qui a assassiné Marat pour sauver les vies de ses futures victimes.

   Quant au collaborateur de l’ennemi, Simon Meulemans, devenu commandant d’un régiment de sans-culottes qui opprime le village, il dépasse tout autant les figures unidimensionnelles. Il n’est pas Wallon ou francophone – ce qui aurait été pour l’auteur le choix de la commodité. Il est né et a grandi à Waldeghem. Révolutionnaire fanatique, responsable de l’exécution du père de Bruno, il peut aussi être taraudé par le doute. A la fin, il revient à Dieu et à la Belgique.

   En toile de fond de ces figures qui déjouent les a priori, on n’en retrouve pas moins la mise en valeur d’un passé glorieux et d’un héritage ancestral proposés comme remèdes aux dérives du temps présent. Le mal en Simon, qui est l’autodéracinement, est symbolisé par sa décision de se faire appeler Brutus, en référence au fondateur légendaire de la République romaine, qui fit condamner à mort ses deux fils royalistes. Qui rejette le nom de son père mérite la plus grande « indignation » possible, avait déjà écrit Conscience dans De Leeuw van Vlaenderen (Le Lion de Flandre, 1838). Et ce n’est pas fortuitement que la conversion du futur Simon « Brutus » commence à Bruxelles où il séjourne pendant la première occupation française (novembre 1792 – mars 1793). Il y subit l’influence d’un club entiché des doctrines venues de Paris, qui l’amène progressivement à quitter le droit chemin et à mépriser la vie pieuse de sa campagne natale.

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Cette dualité entre ruraux résistants et citadins égarés (ou à tout le moins passifs) s’exprime encore dans l’épilogue où Henri Conscience s’imagine, longtemps après les faits, en interviewer de Genoveva, devenue une vieille dame de 75 ans. « Maintenant, lui dit-elle, les histoires du pays ne disent pas un mot des pauvres Brigands [2] qui eurent le courage de verser leur sang à flots pour l’indépendance commune, alors que les villes courbaient lâchement la tête devant la tyrannie de l’étranger » .

   Relevons encore – ce que ne font pas Kevin Absillis ni Philippe Raxhon – la manière habile dont sont distillées, dans les propos de Simon, des expressions d’origine biblique, comme pour souligner la prétention de l’idéologie jacobine à s’ériger en religion. Ainsi, quand le séide du nouveau régime déclare à ses concitoyens de Waldeghem qu’il a rejoint les rangs des apôtres de l’affranchissement pour « annoncer la liberté des peuples jusqu’aux confins de la terre » (« tot aen de uiterste uithoeken der aerde » ), la similitude avec la parole du Christ envoyant ses témoins en mission [3] a été de toute évidence voulue. Et quand le même personnage affirme ailleurs qu’ « en vérité, un républicain ne devrait avoir sur terre ni père, ni mère, ni amis » (« in der waerheid, een Republikein zou op aerde noch vader, noch moeder, noch vrienden mogen hebben » ), comment ne pas y entendre une résonance du renoncement évangélique [4] ?

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On le voit: La guerre des Paysans mérite à coup sûr d’être considérée comme autre chose et plus qu’un pensum patriotique simpliste. Mais encore faut-il lire ce livre et sa diffusion sur papier, pour l’heure, est en panne. La dernière réédition (en néerlandais) date de 1985… Le souvenir des boerenkrijgers s’est tout autant estompé derrière les tragédies des deux guerres mondiales. Quelques cercles d’histoire locale maintiennent la flamme, certes, et nombreux demeurent les monuments élevés naguère aux héros de 1798: à Herentals, Mol, Bornem, Overmere, Turnhout, Hasselt, Clervaux… Mais combien de passants, en les voyant, pourraient dire à leurs enfants quelle épopée ces vieilles pierres devaient préserver de l’oubli ?

P.V.

[1] « Mag Conscience spreken ? « De Boerenkryg » (1853) anders gelezen » , dans De grote onleesbare. Hendrik Conscience herdacht, dir. Kris Humbeeck, Kevin Absillis & Janneke Weijermars, Gent, Academia Press, 2016, pp. 463-496. Cfr aussi Philippe RAXHON, « Henri Conscience and the French Revolution » , dans Nationalism in Belgium. Shifting Identities, 1780-1995, dir. Kas Deprez & Louis Vos, Basingstoke (Hampshire, Great Britain) – New York, Macmillan Press Ltd – St. Martin’s Press Inc., 1998, pp. 72-80. On notera que le premier auteur critique sans ménagements la lecture que fait le second du roman de Conscience.

[2] C’est ainsi que les Français désignaient les paysans insurgés.

[3] Les Actes des Apôtres, 1:8.

[4] Luc, 14:26. – Matthieu, 10:37.