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samedi, 21 juin 2008

Jean Mabire: artiste et partisan

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Artiste et partisan

Entretien avec Jean Mabire

Journaliste, historien, écrivain, Jean Mabire est un homme de style. Attaché à la civilisation européenne, dirigeant d' Europe Action et fondateur du GRECE, il a été de tous les combats identitaires. Critique littéraire à National Hebdo, membre du Comité de rédaction d' Eléments et du Comité de parrainage de Nouvelle Ecole, Jean Mabire nous a reçu pour parler en toute liberté du combat identitaire qui est le nôtre.

Q.: Pour vous quelle est la finalité du combat identi­taire?

Le véritable sens de notre lutte apparaît de plus en plus clairement: c'est la défense de l'individu contre les robots et, par conséquent, celle des patries contre le mondialis­me. Pour nous, chaque homme comme chaque nation pos­sè­de une personnalité irréductible. Aussi, je ne vois pas pour­quoi je devrais m'excuser de parler à la première per­sonne du singulier.

Q.: Et vous, comment participez-vous au mouvement identitaire?

Je ressens profondément la nécessité de concilier deux at­titudes, apparemment contradictoires: celle de l'artiste et celle du partisan. Cette rencontre est pour moi une que­stion de goût personnel. C'est aussi un problème de sens politique: je crois qu'on ne peut rien construire sans une certaine recherche esthétique. Mais celle-ci devient stérile sans une profonde rigueur doctrinale. Résultat pratique: je ne suis ni un bon écrivain ni un bon militant. Je triche un peu sur les deux attitudes. Mais elles remplissent tous mes jours et bien de mes nuits. Voici des images pour m'ex­pli­quer. Celle-ci, par exemple: il est des lieux où je me suis sen­ti parfaitement moi-même; dans le grand hall de la Bi­blio­thèque nationale et sur la place d'armes d'un Régiment parachutiste. Le vertige et la plénitude que m'offrent les li­vres ne sont pas si éloignés de ceux que m'apportaient les sauts. La pensée et l'action ont toujours pour moi marché cô­te à côte, au pas fiévreux de la recherche ou au pas tran­quille de la certitude.

Q.: Au fait, comment êtes-vous devenu écrivain?

On croit être né pour une carrière d'officier, d'architecte ou d'avocat (c'était bien porté dans ma famille). Et puis les ha­sards, les amis et les guerres vous lancent dans d'étranges batailles. J'ai commencé à écrire parce que je haïssais tout autant le silence que le bruit et que mon pays était devenu silencieux et bruyant. A la barre d'une revue culturelle: Wi­king; dans les soutes d'un quotidien départemental: La Presse de la Manche; sur le pont d'un journal politique: L'Es­prit public; ou au pied du mât avec mon livre sur Drieu.

Q.: Je reviens à ma question initiale: comment êtes-vous devenu écrivain?

Cela me fait souffrir quand on m'appelle écrivain. Ecrire pour moi n'est pas un plaisir ni un privilège. C'est un service comme un autre. Rédiger un article ou distribuer un tract sont des actes de même valeur. Chacun sert où il peut. C'est une question de tempérament et d'efficacité. Non de mérite, et encore moins de hiérarchie. Dans notre aristo­cratie militante, nous sommes parfaitement démocrates et même égalitaires. Nous ne sommes pas de ces intellectuels de gauche qui se sentent supérieurs aux employés, aux ouvriers ou aux paysans de leur propre peuple.

Q.: Pour vous, qu'est-ce que le nationalisme?

Le nationalisme, c'est d'abord reconnaître ce caractère sa­cré que possède chaque homme et chaque femme de notre pays et de notre sang. Notre amitié doit préfigurer cette unanimité populaire qui reste le but final de notre action, une prise de conscience de notre solidarité héréditaire et inaliénable. En quelque sorte, c'est une certaine forme de socialisme !

Q.: Il s'agit d'une véritable conception du monde...

J'espère être assez artiste pour exprimer d'une manière li­sible notre conception du monde et de la vie. Mais j'essaye d'être assez partisan pour ne pas transformer en jeu d'adresse et en exercice de sty1e ce qui demeure la chair et l'esprit de notre combat. Si je hais tout sectarisme, je n'en méconnais pas moins les nécessités de la discipline et même de la brutalité. Je sais qu'il est des dialogues qu'il faut clore et des amitiés qu'il faut briser. Les écrivains po­litiques doivent accepter ces injures qui font aussi mal que des coups. Je me bats avec les armes qui sont les miennes. Ce ne sont pas les seules. Nos ennemis se battent sur tous les fronts. Nous aussi, nous devons être partout. Dans la rue comme dans la presse.

Q.: Vous êtes direct…

Nous sommes des amants éperdus de la liberté.

Q.: Qui détestez vous le plus ?

Je déteste ces écrivains qui font un petit tour dans la poli­ti­que et se retirent à temps, lorsque leurs idées commen­cent à se transformer en actes entre des mains un peu é­ner­giques. Ils ne savent plus que dire: "Nous n'avions pas vou­lu cela!" Les belles âmes! Les salauds!

Q.: Ecrire peut être un jeu dangereux...

C'est la seule noblesse de l'écrivain, sa seule manière de participer aux luttes de la vie. L'écrivain politique ne peut se séparer du militant politique. Le penseur ne peut aban­donner le guerrier. Un certain nombre d'hommes de ce pays ont sauvé et l'honneur des lettres et l'honneur des armes. Ils ne furent pas tous du même camp, mais ils sont nos frè­res et nos exemples. Je pense à Saint-Exupéry, abattu au cours d'une mission aérienne; je pense à Robert Brasillach, fusillé à Montrouge; je pense à Drieu La Rochelle, acculé au suicide dans sa cachette parisienne; je pense à Jean Pré­vost exécuté dans le maquis du Vercors. Ceux-là n'ont pas triché. Ils n'ont pas abandonné les jeunes gens impatients et généreux qui leur avaient demandé des raisons de vivre et de mourir et qu'ils avaient engagés sur la voie étroite, rocailleuse et vertigineuse de l'honneur et de la fidélité. Au­jourd'hui, nous sommes là, avec nos certitudes et nos es­pérances.

(Propos recueillis par Xavier CHENESEAU).

samedi, 12 avril 2008

L'itinéraire personnel d'Urbain Decat

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Un itinéraire personnel du socialisme flamand au Vlaams Blok

Entretien avec Urbain Decat, cofondateur des "Rode Leeuwen"

 

«Le parti socialiste flamand a trahi le combat populaire pour l'émancipation. A l'heure de la globalisation néo-libérale, le Vlaams Blok reprend le flambeau», nous déclare Urbain Decat, conseiller communal VB à Schaerbeek

 

Monsieur Decat, votre itinéraire est tout à fait in­ha­bi­tuel. Vous étiez au départ un militant socialiste con­vain­cu, vous avez milité pendant toute votre vie pour le triomphe de la plus grande idée de la philosophie des Lumières, l'émancipation, la sortie de l'homme hors de sa minorité (Kant); vous avez été professeur de "morale laïque" dans une grande école secondaire de la région bru­xelloise, vous avez présidé à l'Université à la forma­tion permanente de vos jeunes collègues et vous vous re­trouvez aujourd'hui dans les rangs du Vlaams Blok, un parti que vos anciens camarades et collègues considè­rent comme l'antithèse exacte de vos anciens engage­ments. Pouvez-vous nous expliquer cette anomalie  —vo­tre anomalie—  dans le paysage politique flamand?

 

Personnellement, je suis issu d'une vieille famille libérale (an­ti-cléricale) mais flamingante, soucieuse de l'émancipa­tion du peuple flamand face à la double emprise de la fran­cophonie et du cléricalisme. Mon arrière-grand-père fut ain­si l'un des fondateurs du Willemsfonds, la grande fonda­tion culturelle libérale flamande, dans les années 1870, au moment où le Kulturkampf de Bismarck luttait contre l'em­prise cléricale en Allemagne. Mais le Kulturkampf laïque et germanique n'a pas réussi en Flandre: le cléricalisme catho­lique romain le plus obtus a mis la main sur le mouvement fla­mand, ruinant à l'avance toute tentative d'émancipation à l'allemande. Ma famille a pris ses distances avec le fla­min­gantisme institutionnel. Elle a conservé son idéal indé­pendantiste flamand, mais elle refusait le joug clérical, ne vou­lait pas de la tutelle cléricale sur le mouvement fla­mand et, a fortiori, sur une Flandre qui serait devenue in­dé­pendante. Le clivage cléricalisme/anti-cléricalisme a été dé­terminant dans toute l'histoire de la Belgique indépen­dante, jusque dans les années 60. Mais l'emprise de l'Eglise sur le mouvement flamand a contraint les anti-cléricaux à changer de priorité, à abandonner la lutte pour l'émanci­pation flamande.

 

Dans ma jeunesse, vers 16 ou 17 ans, j'ai atterri dans le mou­­vement socialiste, tout en gardant les positions flamin­gantes, héritées de mon contexte familial. Oui je suis fier d'être Flamand, mais pas à la mode de ce nationalisme pé­tri de cléricalisme, de pensées pieuses. Ce nationalisme-là idéalise les "belles âmes", les "bons paroissiens", les "ver­tueux sans tripes ni bite". Je constate que cette imagerie d'E­pinal a réussi à fabriquer un bon petit peuple de couil­lons (l'expression existe: een arm klootjesvolk). De cela, je ne tire aucune fierté: je ne veux pas appartenir à un peu­ple qui ressemble à des chromos à la Saint-Sulpice. Je veux des durs à cuire, des gars au verbe haut et peu châtié, des cogneurs, des tombeurs de filles, des têtes de lard. Car ils sont toujours l'incarnation de la liberté d'action et de senti­ments. Mais ce type d'homme n'apparaîtra que dans une Flan­dre véritablement émancipée et indépendante. L'indé­pen­dance met les peuples devant leurs responsabilités. Leur donne un but, une fierté. Les Flamands feront comme les Français ou les Allemands (bien que la fierté nationale, là-bas à l'Est, en a pris un coup dans le processus de "réé­du­cation" mis en œuvre par les Américains après 1945).

 

Passivité flamande dans la question autrichienne

 

Prenons un exemple actuel: Louis Michel, Ministre des Af­fai­res Etrangères du Royaume de Belgique, parvient à con­tour­ner la majorité flamande dans la question autrichien­ne. On sait que seulement 10% des Flamands sont en faveur des mesures de rétorsion préconisées par Michel contre l'Au­triche, parce que le peuple autrichien n'a pas voté com­me cela lui aurait plu! Même en Wallonie, région plus ma­tra­quée par les folies austrophobes fabriquées à Paris, seu­le une minorité de 30% donne raison sur ce plan à Michel. A Bruxelles, ville plus cosmopolite, 34% sont en faveur du boy­cott. L'affaire autrichienne, qui a excité les esprits en ce printemps 2000,  démontre que les Flamands, et leur per­­son­nel politique, sont passifs, se laissent embobiner dans une politique française, imposée par les relais franco­phones du Quai d'Orsay, de l'Alliance française ou d'autres “services spéciaux” de la République une-et-indivisible  en Wallonie. Les Flamands n'ont pas eu le courage civique et na­tional de dénoncer ce jeu malsain de la France chez nous et à Vienne, alors qu'ils sont majoritaires et qu'une simple fermeté aurait pu provoquer la démission de Michel et con­fondre les manigances de Chirac et de Jospin au niveau eu­ro­péen. Ceci dit, malgré le fait que je déplore amèrement la faiblesse politique de mon peuple, je reste flamingant au sens historique du terme. 

 

Revenons à votre engagement socialiste, quand vous étiez adolescent…

 

UD: Quand j'avais 16 ou 17 ans, je me suis effectivement en­gagé dans les rangs du parti socialiste belge, qui était en­core un parti unitaire, regroupant les fédérations fla­mandes et wallonnes. En 1963, l'année où l'on a déterminé définitivement le tracé de la frontière linguistique en Bel­gique, les choses ont bougé, notamment par une marche fla­mande sur Bruxelles (plus de 100.000 participants) et des incidents assez violents dans les six villages des Fourons. J'ha­bitais Landen, une petite ville flamande, qui faisait par­tie de la province de Liège, trilingue à l'époque, mais très majoritairement wallonne (les districts de Landen et des Fourons étaient flamands, ainsi que la vallée du Geer, perdue pour la Flandre aujourd'hui; les cantons d'Eupen et de Saint-Vith étaient et sont toujours germanophones). Avec le tracé de la frontière linguistique, à Landen, nous sou­haitions nous détacher de cette province très majoritai­rement wallonne et faire partie du Brabant (bilingue à l'é­poque, avant qu'elle n'ait été récemment scindée en deux provinces, l'une flamande, l'autre wallonne). Une minorité francophone à Landen (5%) souhaitait que notre ville restât liégeoise. Avec mes amis socialistes, mais aussi avec les mi­litants politiques flamands de toutes obédiences, nous nous sommes battus pour que Landen passe au Brabant. Ce ne fut pas un long combat: rapidement, on nous a donné rai­son et nous avons quitté le giron de la province de Liège, heu­reuse de se débarrasser d'une minorité néerlandophone qui aurait compliqué son administration.

 

En 1964, je suis venu habiter à Bruxelles et j'ai rejoint, dans la capitale, les sections du BSP/PSB (Belgische So­cia­listische Partij/Parti Socialiste Belge), dont les structures, à l'époque, étaient unitaires. A Bruxelles, les Flamands comp­taient pour du beurre, ils faisaient fonction de cin­quiè­me roue à la charrette. Jamais on ne leur donnait une pla­ce éligible. Lors des réunions, quand un militant ouvrier s'exprimait en néerlandais parce qu'il ne maîtrisait pas as­sez le français, les francophones l'insultaient, lui lançaient des "Ta gueule!". Tout cela m'a rapidement échauffé les o­reilles. Pas question pour moi de me faire traiter de tous les noms ni de subir cette hystérie. J'ai donc milité au sein du parti socialiste pour briser cet unitarisme qui était un mar­ché de dupes, pour nous Flamands. Nous avons donc fon­dé à la fin des années soixante et au début des années sep­tante les "Rode Leeuwen" (= les Lions Rouges), une struc­ture autonome des socialistes flamands, prélude à la scission du parti en deux entités indépendantes l'une de l'autre: le PS wallon et francophone, et le SP flamand. Plus exactement en trois entités, avec le SP germanophone à Eupen et à Saint-Vith. En 1970, j'ai démissionné. L'aventure de la fondation des "Rode Leeuwen" était terminée, pour laisser la place au personnel politique belge habituel: les pense-petits, les arrivistes, les carriéristes à la petite se­maine, les politicards véreux, les obséquieux qui quéman­dent un logement social, une allocation, un petit boulot, etc. Ce zoo ne me convient pas. Je suis dès lors resté un "sans-parti" jusqu'en 1995, quand j'ai adhéré au Vlaams Blok, parti qui suscitait ma sympathie depuis quelques an­nées déjà, parce qu'il était le seul à proposer une rupture radicale dans le ronron politicien belge. Pendant ces vingt-cinq années, j'ai été professeur de morale laïque dans une grande école secondaire de la région bruxelloise et j'ai di­rigé les stages de formation pour mes jeunes collègues à la VUB (Vrije Universiteit Brussel).

 

Vous avez étudié la philosophie. Quels professeurs ont été vos maîtres, quels filons de la philosophie peuvent expliquer votre engagement et surtout votre passage du SP au VB?

 

UD: Quand j'entre à la VUB à dix-huit ans, l'esprit y était beau­coup plus ouvert qu'aujourd'hui. J'assiste actuellement à un effondrement dramatique du niveau philosophique et du niveau politique. A l'époque, le principe du libre examen signifiait encore quelque chose. On permettait aux étu­diants d'exercer leur sens critique. A fond. Avec la perti­nen­ce et l'insolence voulues. Les principes du libre-exami­nis­me ne s'étaient pas encore mués en des dogmes aussi fa­des qu'intangibles. Les prêtres de ce laïcisme étaient des phi­losophes critiques et pas encore une sinistre prêtraille ner­veuse et hystérique. Le ver est entré dans le fruit avec ce culte, venu de Paris, pour les Droits de l'Homme, qui n'a plus rien à voir avec l'émancipation de l'homme "hors de la minorité qu'il s'était lui-même imposée" (Kant), mais con­stitue bel et bien l'émergence d'un nouveau catéchisme fi­gé, d'un éventail de dogmes rigides, que l'on ne peut ni cri­ti­quer ni adapter aux réalités du temps et de l'espace. Dans ce glissement progressif vers le dogmatisme, sous couleur d'une interprétation fallacieuse des droits de l'homme, j'ai vu l'émergence d'un nouveau cléricalisme, justement la men­talité que ma famille combattait depuis des géné­ra­tions.

 

Vertuisme politique, néo-cléricalisme, "political correctness", inquisition et ukases saugrenus 

 

Pire pour un garçon issu du laïcisme et de la libre pensée com­me moi: le vertuïsme politique, nouveau cléricalisme, la political correctness à la belge, est portée aujourd'hui par un dominicain acharné et obstiné, le R.P. Johan Leman, éminence grise et grand manitou de ce machin qui s'im­misce en tout dans le Royaume de Belgique aujourd'hui, le "Centre d'égalité des chances et de lutte contre le ra­cis­me". Les travers les plus saugrenus de l'idéologie des Lu­miè­res (mal comprise et mal digérée) sont imposés à coups d'ukases tout aussi saugrenus par un dominicain, qui, logi­que­ment, en tant qu'homme d'Eglise, devrait les com­bat­tre: telle est la contradiction majeure, et risible, du "dé­bat" en Belgique aujourd'hui. Mais peut-on parler de "dé­bat"? Non, évidemment. Nous avons affaire à un monologue collectif, à un ânonnement généralisé des mêmes poncifs é­culés. Comme vous pouvez le constater, je reste fidèle à l'i­dée cardinale de l'idéologie des Lumières: l'émancipation, la sortie volontaire de l'homme hors de sa minorité, la di­gni­té de l'homme libre, non prisonnier de dogmes mu­ti­lants. Or, nous voyons depuis plusieurs décennies que l'i­déologie des Lumières, idéologie de gauche, a sombré dans un gauchisme de plus en plus mièvre, jusqu'à se trans­for­mer en cette bouillie insipide qui inonde toute discussion au­jourd'hui, crée un marais où toute idéologie émergeante, constructive et contestatrice, risque l'enlisement. Cette bouil­lie insipide, qui se présente comme “inoffensive” et “dé­mocratique”, érige toutefois des “garde-fou” dogma­ti­ques pour ne pas être remise en question par des esprits au­dacieux, soucieux tout à la fois de ne pas poser de dog­mes intangibles et d'agir efficacement (constructivement) dans la société et au niveau du politique. Qui enfreint les “dogmes garde-fou” est condamné à l'opprobre médiatique, au cordon sanitaire, voire à la correctionnelle: c'est le re­tour de l'inquisition, la mort des libertés civiles et de la li­ber­té d'expression. Bref le retour à tout ce qu'un libre pen­seur cohérent comme moi abomine et exècre.

 

Des corrections au départ de Nietzsche

 

Pour éviter cet enlisement dramatique, il aurait fallu, de temps à autre, opérer des corrections au départ de corpus classés arbitrairement à droite, notamment en tenant compte des enseignements et des critiques de Nietzsche, et de toutes les écoles qu'il a fécondées. Malheureusement, se référer à Nietzsche et à ces écoles, c'est commettre aux yeux des pères-la-morale et des vertuïstes actuels, le pé­ché de "dextrisme". Les insolents sont considérés comme é­tant "de droite", ou comme des "fascistes". Que les inqui­si­teurs persécutent, que l'on étouffe sous le silence, à qui l'on barre toute carrière académique. Tout adepte cohérent de l'idéologie des Lumières ne peut que se révolter devant une telle situation! Donc, je me révolte. Et je crie ma ré­volte.

 

Dans les années 60, décennies où vous avez achevé vos études, le marxisme, le freudo-marxisme, les idées de Marcuse et de l'école de Francfort, l'existentialisme de Sartre étaient les mouvements d'opinion dominants. Vous vous en êtes réclamé, comme tous vos contem­po­rains, comme tous les étudiants de votre génération. Quel regard rétrospectif jetez-vous sur ce passé que l'on peut carrément qualifier de "soixante-huitard"?

 

UD:  Dans les années 60, il y avait des exégètes pertinents de la pensée de Marx, que je respecte et que je relis, mais c'é­tait surtout un Vulgärmarxismus, un marxisme vulgaire, qui dominait à l'Université. On a vu cela dans tous les pays d'Europe et aux Etats-Unis. Je ne dis pas que le marxisme y était mal enseigné, mais la masse des étudiants n'en rete­nait qu'une vulgate maladroite, appelée à terme à devenir un pot-pourri de dogmes stériles. Cette vulgate était insup­por­table, d'autant plus qu'elle était portée par ceux qui n'a­vaient jamais lu Marx! Le noyau intéressant du marxisme, que je me suis efforcé de retenir, était une petite fleur fra­gile: les manipulateurs de la vulgate l'ont fait crever. Ensui­te, le marxisme vulgaire de l'Université était mâtiné de théo­ries françaises, étrangères au contexte germanique de Marx. Notamment l'interprétation existentialiste du marxis­me proposée par Sartre.

 

Léopold Flam: une double lecture de Marx et de Nietzsche

 

J'ai suivi les cours du Professeur Léopold Flam, avant de de­ve­nir son assistant. Flam était issu de la communauté israé­lite de Belgique. Il avait fait de la résistance et les Alle­mands l'avaient interné à Buchenwald. Flam enseignait la pensée de Marx, sans être un dogmatique. Car, justement, il corrigeait les dérives gauchistes et néo-cléricales de la vul­gate marxiste par un recours à Nietzsche. Il fut le pre­mier à écrire dans une revue consacrée à la pédagogie de la philosophie que Nietzsche était par excellence le philo­so­phe de la jeunesse et que sa manière de voir le monde de­vait absolument être enseignée aux adolescents dans les écoles secondaires. Flam s'intéressait aussi à Heidegger et à sa philosophie de l'enracinement dans le sol (notamment le sol de la Forêt Noire, de la Souabe alémanique). Heidegger souligne la nécessité d'un ancrage, pour éviter les vatici­na­tions hors contexte, désarticulées, fumeuses, qui, à terme, servent d'instruments manipulateurs aux escrocs qui endor­ment les peuples pour mieux les enchaîner. Une combinai­son adroite de Marx, Nietzsche et Heidegger serait la re­cette idéale pour briser le dogmatisme actuel, qui aurait hé­rissé Flam, pour casser les reins à cette monstruosité qu'est la political correctness.

 

L'œuvre littéraire de Henri Bosco

 

Flam se référait à un autre auteur, un Français, un Proven­çal, Henri Bosco, pour étayer son discours sur le nécessaire ancrage anthropologique de l'homme dans un lieu, concret et clairement circonscrit dans l'espace. Bosco appartient à la catégorie des "écrivains du terroir", comme Giono, autre illustre Provençal, Maurice Genevoix et, plus récemment, Henri Vincenot. Flam a sans doute découvert cet auteur, cette fascination pour la Provence, via le lien qui unissait aussi Heidegger à ce Midi du Soleil. Je rappelle qu'il y a sé­journé avec René Char, découvrant aux abords des collines du Lubéron, un paysage "où l'origine n'était pas entière­ment voilée". Camus aussi, à la fin de sa vie, a été séduit par ce paysage, où son corps repose désormais, dans le pe­tit cimetière de Lourmarin. Henri Bosco, le Provençal pré­féré de Léopold Flam, était certes un écrivain du terroir, chan­tre de la Provence éternelle, de sa nature, de sa fau­ne, de sa flore, de ses habitants qui suivent des rythmes de vie simple et inchangés depuis des siècles. Mais derrière ce décor qu'on pourrait croire idyllique, serein, sans boulever­se­ments, la violence est toujours présente, prête, le cas échéant, à faire irruption à la surface. La violence n'est pas bannie de l'horizon du poète Bosco. Avec l'inspiration que lui a donnée Gérard de Nerval, les mystères, le suprasen­si­ble, les éléments magiques, les numines propres aux élé­ments de la nature peuplent ses romans et leur donnent une touche païenne, qui n'est pas sans rappeler l'œuvre de l'An­glais David Herbert Lawrence. Comme Camus, Flam glis­sait sans doute vers une acception plus enracinée de la gau­che intellectuelle, glissement diamétralement différent de celui, actuel, qui va vers la political correctness, en dé­pit de l'engouement pseudo-écologique d'une frange non né­gligeable de l'électorat.

 

"Urwüchsigkeit" et "Weltgefühl"  

 

Flam haïssait les "libres-penseurs" professionnels, les Frei­denker à faux nez, les bigots et les rombières du bataclan laïciste. Il détestait de tout son cœur ceux qui débitaient des dogmes. Qui érigeaient un nouveau cléricalisme. Flam n'ap­préciait que ceux qui allaient à la substance de la pen­sée, à l'Urwüchsigkeit, à la Vie des vitalistes, au Weltge­fühl. Il aimait les esprits ouverts, peu importent leurs en­ga­ge­ments ou leurs opinions périphériques.

 

Plus exactement, qu'est-ce que le marxisme pour vous?

 

UD: Le marxisme des années 60 était pour Flam, pour ses étu­diants et pour moi-même, une concession à la mode du temps, au Zeitgeist. Personnellement, je considère que le socialisme annoncé par Marx est le socialisme de la fin de l'aliénation (Entfremdung). Le socialisme n'est pas, en pre­mière instance, l'avènement de la "justice sociale" (car com­ment peut-on la quantifier?). Ni surtout ce moralisme qu'on essaie de nous vendre comme la quintessence des gau­ches aujourd'hui. Le socialisme, c'est donc la fin de l'a­lié­nation, pour tous les hommes en général, pour les tra­vail­leurs en particulier, victimes du manchestérisme et de l'exo­de rural au XIXième siècle. Pour Marx, le travailleur doit être le maître de son travail, et du produit de son tra­vail. Conserver un lien direct, immédiat, vital avec son activité professionnelle et avec le produit que celle-ci gé­nè­re. Tels sont ses leitmotive fondamentaux. A la suite de Léo­pold Flam, mon professeur, et de George Steiner, philo­sophe juif-allemand émigré en Angleterre à l'époque du na­tio­nal-socialisme, je constate une analogie entre ce désir de Marx et la pensée ancrée-enracinée de Heidegger. Celui-ci parlait d'un sentiment fondamental de l'homme, sans le­quel il est jeté dans la tourmente de l'existence: le "sich-zu-Hause-Fühlen", le "se-sentir-chez-soi", le "se-sentir-en-sa-maison". Le travailleur doit se sentir chez soi dans son usine, dans sa rue, dans sa ville, dans son pays, il doit être ancré, demeurer sûr de cet ancrage et ne plus être le jouet de forces supra-locales qui le manipulent comme un pion sur un échiquier ou qui spéculent sur son interchangeabilité permanente. Mon engagement au Vlaams Blok découle de là: je n'ai plus retrouvé dans la "libre-pensée" officielle (et dévoyée) le souci incontournable du "sich-zu-Hause-Füh­len", élément essentiel de toute anthropologie cohérente et viable. Beaucoup de mes camarades politiques du Vlaams Blok considèreront sans doute les propos que je tiens ici comme le reflet et l'expression d'une hérésie ou d'une aberration, mais j'affirme clairement que je vois dans le combat de mon nouveau parti une sorte de combat pro­to-marxiste. Le Manifeste du parti communiste de Marx (1844) contient pourtant des affirmations que n'importe quel homme de droite accepterait avec enthousiasme.

 

Le "Manifeste du parti communiste" de Marx: une lecture impérative pour tout homme "de droite"

 

Je cite de mémoire cet extrait du Manifeste de Marx: "Par­tout où elle [= la bourgeoisie] a conquis le pouvoir, elle a détruit les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens variés qui unissent l'homme féodal à ses su­périeurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du “paiement au comp­tant”. Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité peti­te-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a supprimé la dignité de l'individu devenu simple valeur d'é­change; aux innombrables libertés dûment garanties et si chèrement conquises, elle a substitué l' unique et impito­ya­ble liberté de commerce. En un mot, à l'exploitation que mas­quaient les illusions religieuses et politiques, elle a sub­stitué une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activi­tés considérées jusqu'alors, avec un saint respect, comme vé­nérables. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, l'hom­me de science, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité tou­chan­te qui recouvrait les rapports familiaux et les a réduits à de simples rapports d'argent". Je vous le demande: quel hom­me de la droite véritable, de la droite des racines (j'y re­viens!) ne souscrirait-il pas à ces phrases de Marx et d'En­gels?

 

Aujourd'hui, cette synthèse marxo-heideggerienne, cette dou­ble revendication sociale et philosophique du droit "à être chez soi" ("Thuis zijn", thème central de la campagne du Vlaams Blok pour les élections communales du 8 octobre 2000) est notamment portée par le philosophe slovène Sla­voj Zizek, peu connu dans l'espace linguistique fran­cophone mais largement apprécié dans le monde anglophone, en Al­lemagne et aux Pays-Bas. Zizek va dans le même sens: il est hostile à la globalisation, parce qu'elle porte l'aliénation à son pinacle. Sa critique est nourrie de Marx et de Hei­deg­ger. Lui aussi dénonce l'idéologie “po­litiquement correcte”, avec son homme “multiculturel”, qui n'est, dit-il, qu'une ab­­straction totalement désincarnée. Donc une escroquerie. Donc un instrument de manipu­lation.  

 

Donc, pour vous, le malheur premier de l'homme, c'est l'a­liénation. Tout humaniste engagé en politique doit dès lors lutter contre les facteurs et les effets de l'alié­nation, aider ses contemporains plus faibles et plus dé­sorientés à s'en dégager…

UD: Oui. Aujourd'hui, l'aliénation a conduit à l'atomisation de nos sociétés, surtout dans les grandes villes. Bruxelles n'é­chappe évidemment pas à la règle. Les gens vivent barri­cadés chez eux, parce qu'ils n'ont plus envie de sortir  —la rue ne correspondant plus à leurs désirs de convivialité ou d'esthétique collectives—   ou parce qu'ils s'abreuvent de fic­tions cinématographiques, d'expériences de "seconde main", par films interposés. Dans un tel contexte, l'agora antique, le forum des citoyens libres, libres parce qu'ils pre­naient la parole en public, s'adressaient à leurs homolo­gues, n'est plus qu'un souvenir: c'est le comble de l'aliéna­tion. C'est aussi le message que nous a laissé Hannah Arendt. Ma position, de philosophe et d'homme engagé dans le seul parti révolutionnaire du pays (révolutionnaire jus­tement parce qu'il fait enrager tous les conformistes), c'est de m'insurger contre l'aliénation et ses formes multiples, de mettre toutes mes énergies à lutter contre les affres de l'aliénation. Je suis ainsi scrupuleusement la leçon de Marx, en tournant le dos à tout marxisme vulgaire, à tout "mar­xisme de parti" (partijmarxisme). Ce marxisme de parti est une escroquerie. Mon marxisme reste purement philoso­phique, il transcende largement les querelles politiques ou les querelles entre écoles. Avec Henri Lefèbvre, autre in­tellectuel en vue du PCF dans les années 50 et 60, je me dres­se contre le déracinement des hommes. Vous me dites qu'avec votre ami Guillaume Faye, ténor de la "Nouvelle Droi­te" dans les années 80, vous avez eu le privilège de dî­ner deux fois à la “Closerie des Lilas" à Paris avec Lefèbvre: je suis heureux de l'apprendre, cela confirme mes intui­tions. Depuis longtemps déjà, des passerelles auraient pu être jetées. Je suis fier d'être ainsi, à quelques années de dis­tance, sur la même longueur d'onde que Lefèbvre, ce grand maître de ma période universitaire.

 

Marx aurait donc été aussi "politiquement incorrect" que vous, s'il avait vécu aujourd'hui?

 

UD: Evidemment. Sa critique du consumérisme comme for­me la plus extrême de l'aliénation, où tous les hommes deviennent les esclaves de la marchandise, l'aurait mis radicalement en porte-à-faux par rapport à cet agence­ment complexe et aliénant de publicité et de mass-media que nous connaissons depuis quelques décennies. On ne parle jamais, chez les bigots laïcistes qui se piquent de marxisme, du "racisme" de Marx. Bon nombre de ses propos l'auraient conduit aujourd'hui devant un de ces tribunaux inquisitoriaux, issus de la Loi Moureaux, une loi qui doit son nom à cet ex-ministre de la Justice qui se prétend juste­ment son plus féal disciple au sein du PS francophone. En­core une belle contradiction dans notre "beau monde" politique! Philippe Moureaux exhorte ses ouailles socialistes à lire et à relire Marx, il n'a que cette exhortation à la bou­che… Mais, s'il veut être fidèle, par ailleurs, à l'esprit de sa fameuse loi contre le racisme, il devrait fournir à ses yes-men des versions dûment expurgées de Marx, sinon ils ris­que­raient d'enfreindre la loi qui porte son nom! Karl Marx était très fier, par exemple, d'appartenir à la culture alle­man­de, à l'appareil complexe de cette culture, mixte d'idéa­lisme, de kantisme, d'hegelianisme, de dialectique, de romantisme, etc. Je n'ai pas dit que Marx était fier d'ap­par­tenir aux aspects cucu de la culture allemande de son temps, au bric-à-brac Biedermeier, comme on disait à l'épo­que. Cette sous-culture, je le concède, il la vomissait. Ma position est analogue dans la Flandre d'aujourd'hui: qu'on ne me parle pas de cette fausse Flandre fabriquée par les cléricaux, où tous les Flamands seraient de pieux be­nêts bien chastes (vroom en kuis), humbles et souffrants sous les quolibets de leurs maîtres, décrits comme des per­vers impies. Mes modèles sont les Flamands combattants, entêtés, paillards, libertins, grands buveurs devant l'éter­nel, aventuriers et entreprenants.

 

Vous nous avez parlé de Léopold Flam. D'autres pro­fesseurs ont-ils influencé votre cheminement?

 

UD: Oui, sans doute avant tout Hubert Dethier. Ce phi­lo­sophe laïque s'inscrivait à ses débuts dans le filon de l'anti-humanisme français des années 60, qui entendait prendre le relais de Marx, quand il raillait, à la suite de Hegel, le culte des “belles âmes”. Dans le carnaval de la laïcité en Belgique, les dévots laïcards ont construit une vision tota­lement abstraite de l'homme, que critiquait Dethier, à la suite d'Althusser notamment. Mais Dethier est tombé dans le piège de la "nouvelle philosophie" des B. H. Lévy, des Glucksmann et consorts. Sa critique anti-humaniste a fait place à un mysticisme de Prisunic, où gargouillent tous les ingrédients de la vulgate dominante d'aujourd'hui. Je le dé­plo­re. Mais tant pis pour Dethier. Son anti-humanisme d'hier m'a aidé à me méfier des belles idées généreuses, qui ne camouflent généralement que du vide intellectuel ou des escroqueries véreuses. Hegel nous avait déjà averti, dans la dernière décennie du XVIIIième siècle, contre le cul­te des “belles âmes” (schöne Seelen). Ce culte est à la ba­se de toutes les abstractions morales ou éthiques qui veu­lent oblitérer la richesse infinie de l'homme vrai, de chair et de sang. Marx en riait. Je suis fidèle à son rire. Le formalisme philosophique de la VUB, mon université, a dé­bouché sur une triste philosophie de salon, un académisme infécond. Les pseudo-philosophes contemporains qui en sont issus et qui font des ravages dans les lycées et athé­nées se posent comme des "savants". Ils ne font que de la pa­raphrase, de la napraterij. Devant ce pandémonium, je me suis enfui à toutes jambes et j'ai abandonné mon poste de directeur de stages pour les professeurs de morale laï­que des athénées de la Région de Bruxelles.

 

Marxisme vulgaire et messianisme chez les trotskistes 

 

Parmi mes collègues, beaucoup venaient du trotskisme, ai­re idéologique où les militants, souvent, se sentent investis d'une mission, font montre d'une propension accentuée pour le messianisme. Ces personnages estimaient que leur mission était d'apporter aux masses, donc aux potaches, ce marxisme vulgaire (et non marxien!)  —justement celui qui épouvantait Flam—  afin qu'il devienne l'idéologie unique de la société, permettant ainsi de réaliser la parousie sur la terre. Mais, à l'analyse, leur internationalisme et leur pseu­do-solidarité sociale n'ont rien à voir avec Marx, avec son décryptage lucide des mécanismes du monde bourgeois. Le prêchi-prêcha internationaliste, on connaît. Tout le monde entonne la rengaine, y compris l'Eglise. C'est ainsi que la libre-pensée, sous la triple influence du marxisme vulgaire, du messianisme de nos trotskistes simplets et de la "nou­velle philosophie" des Lévy et consorts, est devenue un nou­veau cléricalisme. Il n'y a plus de différence fondamen­tale entre ce que nous racontent les curés et ce que nous se­rinent les libres penseurs. Tout est mêlé, mélangé dans une panade sans saveur.

 

Qu'entendez-vous, au fond, par “cléricalisme”? Chez vous, ce terme semble recouvrir davantage qu'une sim­ple critique de l'Eglise et de ses mécanismes de pouvoir et d'influence sur les esprits…

 

UD: Pour moi, la libre pensée, c'est tout à la fois le refus du paternalisme (d'être objet d'un paternalisme), de la tutelle (d'être mis sous tutelle), de la manipulation. C'est refuser que la population tout entière, ou une partie de la popu­la­tion, soit soumise à l'emprise d'une forme ou d'une autre de pa­ternalisme, de sollicitude artificielle, entraînant une dis­cri­mination, négative ou positive. Quand, en théorie, l'en­sem­ble de la population citoyenne (et par conséquent auto­ch­tone) a été émancipée des tutelles qui pesaient jadis sur elle, il a fallu inventer de nouvelles catégories d'“exclus”, à la fois afin d'avoir un prétexte pour relancer la dynamique de l'émancipation et de se donner un nouvel objet de pitié, d'apitoiement et de sollicitude, tous ingrédients dont les paternalistes désœuvrés ont un besoin pathologique. Cette nouvelle catégorie, ce sont les immigrés (et accessoirement les jeunes, les drogués, etc.). Les bourgeois à mauvaise cons­cience, les professionnels du paternalisme à tous crins et du charity business style dames patronnesses, ont trouvé dans ces strates plus récentes de nos populations urbaines de nouveaux objets de (fausse) sollicitude, qu'il faut choyer et paterner/materner, le cas échéant, en leur accordant des faveurs matérielles de toutes sortes, financées évidem­ment par le contribuable (cette fois sans discrimination).

 

Se venger des citoyens socialistes autochtones

 

On peut même avancer sans trop craindre de se tromper, que cette bourgeoisie, paternaliste en surface, égoïste dans le fond, qui a dû accorder des droits sociaux à nos pro­pres strates populaires et ouvrières, sous la pression des grèves et des mouvements syndicaux, cherche à se venger, consciemment ou inconsciemment, de notre peuple en ma­nipulant contre lui les catégories sociales issues de l'immi­gration (Il reste effectivement à faire la psychanalyse de cet engouement pro-immigrés, où les immigrés ont d'abord joué à leur insu le rôle de "jaunes", pour casser ou contour­ner les acquis sociaux des autochtones). Manipulation qui s'effectue par l'instrument de la "discrimination positive" (qui n'en reste pas moins une discrimination), par le chan­ta­ge moral, par l'exploitation du mal-vivre qu'engendrent la cohabitation de populations qui se connaissent mal et une intégration forcée qui ne se réalisera sans doute que lors­que les poules auront des dents, bien plantées dans de nou­velles maxillaires charnues, don providentiel de l'évolution (merci Darwin!).

 

Comment seront les dix prochaines années en Flandre à votre avis?

 

UD: Dans les dix prochaines années, l'emprise du néo-li­bé­ra­lisme se fera toujours plus pesante. Tout est déjà mar­ché. Et demain, ce sera encore pire. Notre société va bas­culer dans le consumérisme le plus forcené, entraînant l'ato­misation, l'aliénation absolue. Nous, militants identi­taires flamands, devront construire la réaction populaire contre ce désastre. Nous ne sommes pas la droite de l'ar­gent (du capitalisme), mais la droite des racines (celles que Camus et Flam ont découvertes dans la Provence du Lubé­ron, d'Henri Bosco et, pourquoi pas?, de Jean Giono). La droi­te des racines sera celle qui mènera en première ligne le combat contre l'aliénation. Elle devra clairement décla­rer la guerre au néo-libéralisme, idéologie de la globalisa­tion, donc de l'aliénation suprême. Certes, je suis conscient qu'en Flandre, aujourd'hui, le néo-libéralisme peut encore séduire: en apparence, il a réduit le taux de chômage; mais cette petite victoire, sans nul doute toute provisoire, n'ex­clut pas les très prochaines retombées tragiques de la glo­ba­lisation, dont l'immigration débridée et ses effets pervers ne sont qu'un aspect. Abattre les règles du protectionnisme me semble une aberration politique, car, quand les bar­rières régulatrices n'existent plus, nous tombons très vite dans la crise, au moindre choc conjoncturel.

 

Le libéralisme ne permet pas de réconcilier autochtones et immigrés

 

Le néo-libéralisme promet l'euphorie et la réconciliation en­tre les peuples; en bout de course, ce sera le contraire, l'affrontement, avec tout son cortège de tragédies. L'immi­gration, produit de la mondialisation en cours depuis plu­sieurs décennies, ne réconcilie pas les ouvriers autochtones et allochtones. Au contraire. On peut le déplorer, mais c'est ainsi: deux hommes issus de civilisations différentes se­ront les meilleurs amis du monde, si chacun possède un ter­ritoire, qu'il agence comme il l'entend, sur lequel il cons­truit la société de ses vœux, de ses aspirations pro­fondes ou perpétue celle de ses pères. Sur un même terri­toi­re, ces deux amis potentiels risquent de s'opposer, car leurs désirs se télescoperont et s'excluront mutuellement. Dans leurs usines, les ouvriers de chez nous parlent de leurs conquêtes féminines et de leurs libations. Difficile, dans ces deux domaines élémentaires, d'être sur la même lon­gueur d'onde avec un camarade issu d'une culture islami­que, où l'on ne parle pas des femmes de la même façon et où l'alcool est prohibé. Dans un tel contexte de mécom­pré­hension mutuelle, les hiatus se multiplient. Les uns et les au­tres se replient sur eux-mêmes. Le “sich-zu-Hause-Füh­len” disparaît du lieu de travail. Un puissant sentiment d'a­lié­nation naît. Et pas seulement à l'usine, sur le lieu du tra­vail. Aussi dans la rue. Psychologiquement, cette situation est très dure pour un large pourcentage de la population. Le sentiment d'insécurité en découle. Même les adversaires les plus acharnés de mon nouveau parti en conviendront, mais dissimuleront leur constat derrière un rideau d'hypo­cri­sies verbeuses, tenteront de maquiller la triste réalité que doivent vivre tant de nos contemporains.

 

Votre conclusion?

 

UD:  En dépit de tout, la lutte première à mener est la lut­te contre l'aliénation. Ce fut mon combat hier. C'est mon com­bat aujourd'hui. Ce sera mon combat demain.

 

(propos recueillis par Robert Steuckers).          

 

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mercredi, 20 février 2008

G. Miglio: une Europe impériale et fédéraliste

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Pour une Europe Impériale et fédéraliste, appuyée sur ses peuples

 

Entretien avec le Prof. Gianfranco MIGLIO

 

«L'Europe future renouera avec la formidable structure que fut le Saint Empire Romain de la Nation Germanique; elle ne sera pas une Europe des Etats-Nations comme le voulait De Gaulle ni une Europe d'Etats centralisés, comme actuel­lement. Les Américains s'en sont aperçus comme le prou­ve le récent discours de Clinton à Aix-la-Chapelle». Gianfranco Miglio n'est pas l'homme à se laisser aller à des vaticina­tions ou, pire, à des prophéties dictées par les passions et l'enthousiasme. Ses mots sur les mutations en cours dans les structures territoriales et politiques d'Europe revêtent dès lors une grande importance, car ils viennent d'un savant érudit qui, pendant des décennies, a perfectionné et déve­loppé des modèles constitutionnels et politiques qui ont été pris en considération en Italie du Nord mais aussi dans tou­te l'Europe.

 

Après un isolement studieux de quelques mois, le Profes­seur Miglio nous revient aujourd'hui tout ragaillardi et sa verve batailleuse anime chacun de ses paroles. Les temps changent, nous dit-il, et la vieille Europe semble se ré­veil­ler après les sombres décennies de la Guerre Froide, où l'équilibre (balance of power) se faisait entre les deux su­per-puissances qui, à Yalta, avaient hérité des destinées du monde.

 

Aujourd'hui, seuls les Etats-Unis demeurent en piste et c'est de là-bas que nous viennent des messages sans équivoque qui en disent long sur les idées et les préoccupations du gouvernement américain en ce qui concerne notre conti­nent. «L'idée est neuve et ancienne tout à la fois et elle se répand dans les secteurs les plus influents de la diplomatie européenne: cette idée, c'est celle du Saint Empire Romain de la Nation Germanique, explique Miglio, une idée impé­riale européenne qui ne doit effrayer personne. Car elle est prête à ouvrir un chapitre nouveau et très intéressant dans l'histoire millénaire de notre continent».

 

Q.: Professeur Miglio, le Président américain Bill Clinton vient de prendre acte de l'importance de la dévolution en Europe et des identités des vieilles nations euro­péennes, qui ont été englobées au cours de l'histoire dans les Etats nationaux issus des idées du XVIIIième siè­cle: la Lombardie, le Piémont, la Vénétie, la Ca­ta­lo­gne, la Silésie, etc. Vous attendiez-vous à cela?

 

GM: A mon avis, Clinton et ses hommes ont une vision de l'Eu­rope qui est également dépassée, parce les déclarations du Président américain ne m'enthousiasment nullement. Quoi qu'il en soit, c'est un fait avéré maintenant, que les hommes politiques américains se rendent compte que l'Eu­ro­pe est à la veille d'un changement profond et que les in­stitutions parlementaires qui ont fait l'efficacité de l'UE sont inexorablement sur le déclin. Dès lors, la possibilité est ouverte désormais de mener une opération de type fé­déral, actualisable par une refonte géopolitique générale interne. Les grandes régions, celles que l'on appelle les ma­cro-régions d'Europe, pourront, dans ce processus, se repo­si­tionner en dehors des Etats nationaux décadents et dé­pas­sés, qui les avaient avalées jadis.

 

Q.: Pour ce qui concerne plus spécifiquement notre aire géographique, nous pourrons assister à la renaissance de la Mitteleuropa?

 

GM: L'idée de Mitteleuropa est d'une brûlante actualité. Mais cette fois Berlin ne la conteste pas. Au contraire! La ca­pitale allemande est devenue le nouveau laboratoire po­litique du continent, où se construit une nouvelle civili­sation. Dans la culture allemande, une idée nouvelle est en train de germer. Prenons par exemple le Ministre des Af­faires étrangères d'Allemagne, Joschka Fischer. C'est un an­cien militant écologiste qui s'est converti à la Realpolitik, en abandonnant la démagogie de son ancien parti. Fischer a du génie, à mon avis, et il oppose désormais sa vision de l'Eu­rope à celle des Français.

 

Q.: Mais qu'en pensent les Français?

 

GM: Ils s'accrochent encore et toujours aux conceptions de De Gaulle, c'est-à-dire à une vision de l'Europe formée d'E­tats nationaux, de patries (ndt: au sens petit-nationalitaire du terme). Ce sont là des conceptions entièrement obso­lètes, inadaptés à la tâche qui nous attend. Les Etats na­tionaux actuels sont désormais en déliquescence à tous les niveaux. Pour parler comme Nietzsche, accélérons sa dis­parition! Fischer et les Allemands, au contraire, proposent une nouvelle mouture du Saint Empire Romain de la Nation Germanique. Pendant toute ma vie, j'ai étudié en long et en large le fonctionnement de cette structure continentale pondéreuse, au Moyen Age comme aux temps modernes.

 

Q.: Fonctionnait-elle mieux que les structures actuelles?

 

GM: Certainement mieux que l'Europe actuelle. L'Empire é­tait une structure multinationale qui servait aux Reichs­städten, aux Cités de l'Empire, à régler les conflits qui sur­gissent aux niveaux locaux. Mais pour le reste les commu­nautés urbaines ou locales avaient la liberté de s'auto-gou­verner, à promulguer leurs propres lois. L'autorité impé­riale les laissait en paix, au contraire de ce que fait Bru­xelles aujourd'hui.

 

Q.: De ce fait, vous avez un jugement favorable sur ce que vient de dire Umberto Bossi à propos du Saint Em­pire?

 

GM: Oui. Mais Bossi devrait se montrer plus calme quand il parle de l'Allemagne. Le “Quatrième Reich”, qu'il semble craindre, ne pourra pas exister dans une Europe conçue sur le mode impérial. Les Allemands ne veulent pas tout ger­maniser. Ils semblent menaçants dans la mesure où ils uti­li­sent ouvertement les bases de leur grande tradition cul­tu­rel­le européenne, mais Bossi est trop intelligent pour ne pas comprendre que le symbole du Saint Empire servira à re­lan­cer une fédération de peuples européens libres et sou­verains.

 

Q.: Dans la structure impériale européenne, basée sur les cultures et sur les identités des peuples, les popu­la­tions du Mezzogiorno italien ont-elles leur place? Comme l'a écrit le philologue vénétien Gualtiero Ciola, nous, Padaniens, sommes les héritiers des Celtes et des Lombards, peuples présents dans toute l'Europe conti­nen­tale. Qu'en est-il alors des peuples de l'espace mé­di­terranéen?

 

GM: Votre observation est juste. La partie de l'Europe qui est baignée par la Méditerranée a des traditions et des cul­tures différentes de celles qui animent le continent et dont fait partie la Padanie. La Padanie est une terre de la Mit­teleuropa et devra nécessairement tourner ses regards vers les peuples de cette Mitteleuropa. Mais sans oublier les liens commercieux et les liens de bons voisinage avec les Eu­ropéens de la Méditerranée. Du reste, nous ne devons pas oublier que la première guerre mondiale a éclaté quand le Kaiser allemand Guillaume II a manifesté son intention de construire une grande voie de chemin de fer à travers tout notre continent pour arriver à Bagdad. Il y a eu tou­jours des échanges intenses entre la Mitteleuropa et les Bal­kans, comme il faudra maintenir, dès aujourd'hui, des rap­ports profonds entre l'Europe continentale et l'Europe méditerranéenne.

 

Q.: Quels seront alors nos rapports avec l'Est, avec la Russie qui subit un ressac important?

 

GM: Je pense que les futurs rapports entre l'Europe et la Russie seront profitables aux deux parties. Surtout pour con­trebalancer l'hyper-puissance américaine.

 

Q.: Suivez-vous toujours les initiatives politiques de la Lega Nord?

 

GM: Je les suis avec le plus extrême intérêt. Pour moi, les idées “liguistes” sont centrales aujourd'hui. L'idée d'une Eu­rope des régions et des peuples peut recevoir un appui fon­damental par une action politique au sein du Carroccio, par­tant du niveau régional. Bossi doit continuer à brandir bien haut la bannière de la dévolution et de la “question septentrionale”. Je crois que, finalement, le processus de la fédéralisation s'est mis en marche et la Padanie, dans ce jeu, jouera sa part. Elle sera actrice et protagoniste dans ce prochain grand changement.

 

(propos recueillis par Gianluca SAVOINI et parus dans La Padania, le 15 juin 2000; http://www.lapadania.com).

mardi, 12 février 2008

National suicide and demographic decline in France

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National suicide and demographic decline in France

A translation by Fred Scrooby of an interview with Yves-Marie Laulan, author of Les Nations Suicidaires (1998).  Yves-Marie Laulon, economist and banker, has had a varied career that has taken him from French government cabinet posts to such international institutions as the International Monetary Fund, the World Bank, and NATO, as well as positions with Société Générale de Banques and Crédit Municipal of Paris.  He has taught in a number of universities, including the Institute for Political Studies in Paris.  He has published a dozen works on economics and geopolitics in France and abroad.

The interview was conducted by Xavier Cheneseau, and was published Dec. 28 at Robert Steuckers’ Euro-Synergies website.  The original entry doesn’t give the interview’s date.  (Judging by certain details in the text, it may be a few years old.)

Xavier Cheneseau: With regard to demographics you seem willfully pessimistic …

Yves-Marie Laulan: It isn’t the author’s comments that are violent but the situation that is violent.

In fact it’s already nearly too late.  Demographic phenomena — the ones I’m dealing with, at any rate — have this special characteristic, that they are slow and they proceed largely unnoticed, precisely until it is too late.

Wartime ravages can be repaired in a few years — Germany and France managed it.  Recovery from the consequences of an economic crisis doesn’t take long.  But demographic damage can take decades, even centuries, to recover from — when recovery is possible at all. […]

But you’re partly right:  I’ve deliberately taken a provocative tone, because you need to make a loud racket to awaken the deaf.  And look at the dumbed down, dullened public opinion we are dealing with, anesthetized by daily bombardment with mass media!  Where filtering of information is concerned, today’s France resembles Ceaucescu’s Romania, only a more efficient version. 

Faced with this situation, a dissident having ideas that are out of the ordinary, such as myself — Soviet Russia’s Samizdat, as Pierre Chaunu calls it — humbly cherishes the hope, perhaps, of being, if possible, the watcher at dawn spoken of in the Bible (Isaiah), the one who remains alone at his post all night waiting for the dawn to break.

XCh: How do you explain that we are faced with one of the most terrible demographic winters?

YML: Why, when living standards are breaking all records and humanity in general — Western women in particular — have never been so well off, are we seeing a birth-rate collapse?  This phenomenon is of course denied or obfuscated by those certified liars, our official demographers, who are to today’s demographic realities what Radio Paris was to the news during the German Occupation.

The following are the phenomenon’s main causes:

Western women don’t want, or are unable, to have children.

The famous Barbie doll we hear so much about these days represents very well the way in which women are viewed in our satiated, sterile societies.  Neither mother nor wife, but girlfriend on and off, she reigns supreme in her own enchanted universe based on sex (a little), sports (a lot), career (enormously), and finally, her body (totally).  She aspires to be a man in every respect, for Western society has been incapable of giving a satisfactory answer to the great 20th-Century challenge:  How to achieve the emancipation of women?  How to arrange for women to reconcile in reasonable ways their roles of mother — indispensable, both biologically and culturally, for the perpetuation of the species — and career, no less necessary?  Go put that question to Monsieur Juppé.

There has also been the shameless success of homosexuals — who aren’t exactly known for their natural fecundity.  Acceptable in private when engaged in with decent discretion, homosexuality has instead become aggressive and proselytizing, as seen with homosexual “civil unions.” Homosexuals demand society’s recognition and consideration normally reserved for fathers and mothers of families, nay even greater consideration — which says a lot about the reversal of values in our societies that seem bent on suicide.

We could add lots of other factors, such as the culture of death so rightly denounced by Pope John Paul II, with mass abortions paid for by government health insurance — no less! — and the mass media’s “humanitarianism” which endlessly attacks the strong traditional values of honor, hard work, dignity, family, sacrifice and being satisfied with what you have, etc.  Don’t even get me started on that subject, or you’ll think you’re talking to a flesh-and-blood preacher!

XCh: Isn’t this demographic winter a manifestation of abdication of responsibilities?

YML: That’s the fundamental cause.  For thirty years we’ve sat helpless and resigned as we watched a generalized abdication of responsibility at all levels.  Irresponsibility on the part of young men who no longer want to take on the responsibilities of fatherhood and being heads of families.  Irresponsibility on the part of young women who no longer want to bring babies into the world but prefer buying little dogs to keep them company (it’s true dogs don’t pay into Social Security but hey, no one’s perfect).  Irresponsibility on the part of politicians who are ready to sacrifice our nation’s future if it means safeguarding their precious chances in the next election ("Don’t get anyone mad at you, and ‘Après moi, le déluge!’ “).  Irresponsibility on the part of officials and bureaucrats who always want more employees for their offices, more salary increases, more perks and bonuses, and shorter work-weeks. 

France is transforming itself, guided by socialists (but the right has scarcely been any better), into a gigantic camp of welfare recipients of every variety.  Furthermore, in view of the fact that 57% of gross domestic product is redistributed, one can confidently say that one Frenchman out of two is on welfare, therefore irresponsible.

XCh: By combining individualism with a certain numbing comfort isn’t France putting itself on the slippery slope that leads to exiting history altogether?

YML: In our time France has already exited history.  On tiptoe.  She’ll re-enter it perhaps, one day, but that’s another story — for now, we’ve already given up two major attributes of sovereignty, things which make it that a nation exists in the world, namely our currency, replaced by the euro […] (whose rate of exchange is decided in Frankfurt) […and] the French army, now more like a police auxiliary in the service of NATO and our allies. 

Europe today is not on an ascent toward something better but is stumbling forward while our politicians seek to preserve their generous parliamentary incomes as they shift all hard decisions onto Brussels.  It is no longer the borderless Europe of François Perroux but the faceless Europe of Jacques Delors, the Europe of quitting, of cowardice, of shirking.  The amazing thing is how the French, as if in a daze, stay mute and fail to react in the face of such mutilations of their sovereignty as are being imposed on them.  They’ll demonstrate en masse against dove hunting but have no reaction to homosexual “civil unions” or the Amsterdam Treaty.  They are no longer a population of sheep but a lemming colony.  And it’s claimed they are “ungovernable.” Not true.  They are manipulated exactly as is wished, and made to swallow anything.

XCh: Is there no sign of a healthy reaction?

YML: None for the moment.  The electroencephalogram tracing shows a flat line and the patient is profoundly comatose.

XCh: Do you think France will survive the 20th Century?

YML: It depends on what you mean by “survive.” If it’s a question of a population provided with more or less recent national ID cards together, of course, with national health-service cards, Frenchmen may well survive — after all, the recipes for cassoulet, duck magret, and tripes à la mode de Caen won’t disappear.  And there’s also soccer. 

But if it’s a question of a people proud of its past and concerned for its destiny as a nation, taking pride in its presence in the world and in its place among the nations of Europe, that’s a completely different story.  Because of its demographic evolution characterized by internal demographic collapse, the shortfall to be made up by massive immigrant populations, France stands a good chance of becoming what could be called an unfortunate society which will have difficulty overcoming the internal contradictions she herself has created.  Populated by large minorities aspiring to be majorities, very different in their culture and values and therefore rivals, France will become a country in which simply maintaining public order will require the mobilization of all domestic resources to preserve a semblance of social order.  Furthermore, unlike the United States which has accepted the harsh disciplines of a liberalism that has created wealth and jobs, France adopts inept measures, for example the disastrous 35-hour work-week, the laughing stock of the civilized world. 

Such societies cannot pretend to have a foreign policy or a national defense but will be limited to (what is already a lot for them) simple preoccupations of maintaining order, within the framework of a régime that more and more resembles a police state, and a more and more nationalized economy, as seen in the cases of many African countries and Lebanon. 

If that’s what is meant by “survive” then yes, France has a chance to survive — but in what condition!

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mardi, 05 février 2008

Troy Southgate in "Kinovar" (Russia)

By Miron FYODORAV

http://www.new-right.org/?p=21

Troy, you are now one of England’s most influential and radical ideologists. How did your political views develop, and, more generally, how did a young South London lad get in touch with rather abstract philosophical and political concepts?

As a child I always had a strong social conscience, something I inherited from my father. As a result, therefore, I was constantly aware of the great disparity between the immense wealth and riches enjoyed by the West and the comparative poverty in so-called ‘Third World’ countries like Ethiopia and India. In my final two years at school I became very interested in the six main bands from the Two Tone scene that were releasing protest songs in opposition to Margaret Thacher’s Conservative Government. These included The Beat, The Specials and The Selecter. The deeper message behind Two Tone, apart from promoting racial harmony, was centred on urban decay and the effects that Capitalism was having on ordinary people’s lives. In my teenage years we moved from a council estate in Crystal Palace, South London, to a small bungalow in the country town of Crowborough, in East Sussex. When I was eighteen I decided to vote Labour in the General Election, following my father’s example. By this time, the rest of my family were becoming Conservatives and involving themselves in the expanding housing market. Despite the fact that I was very mistaken to believe that the Labour Party was anti-Capitalist, the fact that my father was virtually the last person to stick to his working class roots inspired me a great deal. Meanwhile, the fact that I now found myself in such a rural environment meant that I had to travel up to London on a regular basis to see the rest of my family or to buy clothes and records. The fact that I always kept in touch with my South London roots, therefore, eventually led to me discovering the National Front (NF). I had heard of the NF on various occasons, not least because they were regularly denounced at many of the Two Tone and ‘Rock against Racism’ events that I was attending several years earlier. But there was a great deal of crossover between the skinheads of the Ska movement and those who attached themselves to racialist causes, so during a visit to East Croydon to watch Bad Manners in 1984 a chance meeting with an old friend led to me accompanying him to the ‘NF pub’ across the road. Consequently, I ended up buying a copy of ‘NF News’ and reading it on the train home. The first thing that struck me was how incredibly anti-Capitalist and pro-socialist the Movement was, particularly the articles about the Mondragon Co-operative in Northern Spain, the distributist views of Hilaire Belloc and G.K. Chesterton, and Otto Strasser’s defiant struggle against Hitler and Big Business. Before long, I found myself travelling up to South London twice a week in order to socialise with members of Croydon NF like Chris Marchant, Gavin Hall and John Merritt. They were a few years older than I was and, in between pints of ale, I spent the evening picking their brains about the history of the NF and various ideological issues. I was astonished to discover that the stereotypical media image relating to a group of alleged race-hating, neo-nazi thugs was complete and utter hogwash. Eventually I was made East Sussex Regional Organiser, given the role of taking ‘NF News’ to the printers and joining the likes of Derek Holland, Nick Griffin, Graham Williamson and Patrick Harrington in the Movement hierarchy. It was a very exciting and formulative period and I look back on that period with a good degree of fondness and nostalgia.

What, exactly, was the NATIONAL REVOLUTIONARY FACTION and why was it disbanded in 2003?

In 1990, the NF changed its name to Third Way after a bitter personality clash had driven a wedge between those in the leadership. Many of us left to form the International Third Position (ITP), but by 1992 a large group of us became disenchanted with the fact that certain individuals like Roberto Fiore (now Forza Nuova) and Derek Holland had betrayed the genuinely anti-fascist principles of the late-80’s NF by forming alliances with conter-revolutionary elements in the Catholic Church and neo-fascist groups overseas. As someone who has always been extremely suspicious of Right-wing reaction, this was not what I wanted at all. Consequently, when it emerged that Fiore and Company had also stolen thousands of pounds from a very close friend of mine who had invested money in their abortive ‘farm’ project in Northern France, we formed the English Nationalist Movement (ENM) and took most of the ITP’s regional units and publications with us. One of our more senior members, on the other hand, had spent over twenty-five years in Gerry Healey’s Workers Revolutionary Party (WRP) and taught me a great deal about strategy and organisation. The ENM restored the old socialist values that had come to the fore in the 1980’s NF and produced a barrage of printed material about Robert Blatchford, William Morris, the Strasser brothers, Robert Owen and others. The ENM was fairly successful and earned itself quite a reputation, but in 1998 we decided to take things one step further by establishing the National Revolutionary Faction (NRF). The NRF was a hardline revolutionary organisation based on an underground cell-structure similar to that used by both the Islamic Resistance Movement (Hamas) and the IRA. Our main centre of operations was in West Yorkshire, where we established a system of ‘leaderless resistance’ and worked alongside local resident groups concerned at the large number of Asian attacks in the area. This was not designed to affect innocent people, but to counter the increasing violence against the indigenous White community. Eventually, however, a combination of State repression and half-heartedness on behalf of some of our cadres led to us having to scale down the whole operation. The fact that we had been greatly inspired by the work of Richard Hunt and Alternative Green and were also in the process of changing the NRF into an Anarchist organisation also took its toll. In 2003 we finally decided that it was futile to portray ourselves as a ‘movement’ when, in fact, there were never more than 20-25 people involved at any one time. These days, we simply refer to ourselves as ‘the National-Anarchists’ and believe that we represent a current rather than an actual organisation of any kind. What is also quite fascinating, however, is that National-Anarchism developed in several different countries at the same time. Hans Cany (France), Peter Topfer (Germany) and myself are each part of a simultaneous phenomenon that developed as a logical antithesis to the ideological bankruptcy that characterised the end of the Twentieth Century. It is with this new platform in mind that we now enter the next century and attempt to overcome the difficulties and tribulations that dominated the last.

The idea of National-Anarchism is certainly very attractive, but its critics seem to be justified in claiming that it can make a territory - we are consciously avoiding words like “state” and “country” - extremely vulnerable to foreign intervention. How can a society based on National-Anarchist principles defend itself against a centralised, totalitarian agressor? Surely the principle of “blood and soil” would make it impossible to be loyal to a greater entity than one’s local community, and thus to successfully oppose globalisation, foreign economic domination and cultural imperialism?

We all know what happened to the innocent children of Waco, the family of Randy Weaver and the anti-tax rebels of the Michigan Militia, so in order to be as successful as possible it is crucial that National-Anarchist communities do not seek to maintain a high profile or invite confrontation with the State. There are peaceful Anarchist and secessionist communities all over the world, let alone tribal societies that have existed for many thousands of years. It’s just a question of keeping one’s head beneath the parapet. Large-scale immigration and socio-economic decay has meant that countries like England have become totally irretrievable, and therefore it may even be necessary to create these communities abroad. Given that Indo-Europeans have migrated on countless occasions before and, indeed, in the case of people emigrating to New Zealand and Spain are continuing to do so in great numbers today, this is not as drastic as it sounds. As the West continues its inevitable decline and fall, National-Anarchists will continue to investigate those socio-economic alternatives which can provide a real alternative to the system that is crumbling around our ears. In many ways, the real struggle against Capitalism will take place on the periphery, rather than at the centre. We must remember that the West can only retain it’s privileged lifestyle by exploiting the so-called ‘Third World’, and this is precisely why revolution on the periphery is a far more feasible option than attempting to fight the Capitalists on their own turf in Europe or North America. In fact the very same process brought about the collapse of the imperialistic Roman Empire. It is also vital to view National-Anarchism as part of a long-term strategy and understand that it could take many decades before these ideas really begin to swing into action. One thing we do have on our side, however, is that every time the system weakens we actually get that little bit stronger. As more and more people turn their backs on mass consumerism, the concept of living in small, decentralised communities with others of like-mind will become more realistic and attractive.

What are your views on natural rights? Is there such a thing as a right to life?

I don’t believe that anyone, man or beast, has a specific ‘right’ to life. That is not to suggest, on the other hand, that we shouldn’t continue to resist those who seek to exploit our labour in the factories and the fields, attempt to bleed us dry through the machinations of the international banking system, or cruelly torture innocent animals in the name of fashion or medical science. We hear a lot about ‘rights’, but never enough about duties. What about our responsibility to the environment, for example, or our duty to ensure the well-being of our children and not leave them vulnerable to the corrosive effects of the liberal ‘education’ system? But in short, nobody has a ‘right’ to anything. ‘Rights’ are purely contractual and can only be drawn up superficially. We know from experience, however, that just as weeds will overrun a beautiful garden, basic human nature ensures that even the best intentions inevitably come to nothing. This may sound very pessimistic, but these utopian liberal bubbles are there to be pricked.

What are the links between your vision of National Anarchism and JULIUS EVOLA’S writings? How can his concept of the Empire co-exist with that of anarchism? In this context, what is your view of FRANCIS PARKER YOCKEY’S ideology?

National-Anarchism and Julius Evola do not necessarily go hand in hand. As a former student of Theology & Religious Issues, I have a personal interest in Evola because his seminal work, ‘Revolt Against The Modern World’, taught me a great deal about the irreconcilable differences between tradition and modernity. That obviously has great implications for the development of traditional communities that have rejected the contemporary world. And, like the German novelist Ernst Junger, Evola also adhered to the concept of the Anarch or Sovereign Individual. The man or woman that has learnt to ‘ride the tiger’ and retain both their sanity and dignity in the face of cosmological decline. But as far as Evola’s belief in a European Imperium is concerned, whilst I agree with a transcendental and unitary vision to which people can give their allegiance, I still support political, social and economic decentralisation right down to the lowest possible unit. This may sound like a contradiction in terms, but it is possible to give one’s allegiance to a higher ideal and still retain a sense of localised autonomy and self-determination. I don’t find Yockey’s work that inspiring, to be perfectly honest, and a centralised European superstate has no appeal for me whatsoever. On the other hand, he did understand the threat that America and its Zionist allies present to the world and proved himself to be a brave and competant liaison officer.

It seems that, while the best men devote their lives to the development of conservative-revolutionary ideas, the worst men succeed in putting them into practice. One can easily sympathise with MOELLER VAN DEN BRUCK’s heroic vision of the Third Reich, but not with Hitler’s regime. The same is true of other great thinkers when compared to the brutal and bureaucratic regimes their works indirectly helped to establish. This, in fact, has led to great pessimism among those who felt their ideas were betrayed. GOTTFRIED BENN or JUNGER for example. Does this mean the conservative revolution is a largely utopian concept, more romantic than it is practical?

I certainly don’t believe that it is possible for Revolutionary Conservatives to take control of a national government, if that’s what you mean. At least not in Europe. Here in England, for example, the New Right is confined to small fringe groups like the Conservative Democratic Alliance, Monday Club, Freedom Party and Right Now magazine. Meanwhile, of course, working on the fringes does not present a problem for National-Anarchists, in fact that’s the whole point of our opposition to the centre. The Gramscian method can work on the Left, it seems, but not on the Right.

What is your opinion of SIR OSWALD MOSLEY, and of other “homegrown” fascist ideologists?

I am opposed to all totalitarian doctrines, be they Fascist or Communist. But whilst Mosley himself was a thoroughly dislikable character, I do believe that he was a geniune and principled individual and to a certain extent I have respect for what he tried to achieve. He went the wrong way about it, of course, but if the British Union of Fascists (BUF) had not made the mistakes that it did we would have to go through the whole process again.

As a patriot, how do you view of the Right-wing of England’s politics? What are the main problems you have with nationalist groups like the British Nationalist Party (BNP), or the even more moderate United Kingdom Independence Party (UKIP)?

I’m not sure I would describe myself as a ‘patriot’. As I’ve already explained, the whole notion of England as representing both a geographical area and a people is becoming increasingly hard to substantiate. The only way England can ’survive’ is by being constantly redefined. Using ridiculous and contrived phrases like Tony Blair’s ‘Cool Brittania’, for example. But let’s face it, the main towns and cities of modern-day England have become multi-racial hellholes and despite the flag-waving that accompanies any major football tournament, it’s quite ridiculoius to cling to the belief that we can somehow restore our nationhood by repatriating all immigrants and their descendants. It won’t happen. Ever. Parties like the BNP are merely postponing the inevitable decline. Furthermore, of course, the fact that they continune to tread the discredited boards of parliamentary politics simply perpetuates the whole charade. We need people to become disillusioned with the ballot box, not to cling to the mistaken belief that voting for the BNP can solve all of our problems. One way in which it is possible to have some kind of influence, on the other hand, is by using UKIP as a vehicle to disrupt the European Union. Besides, whilst UKIP itself is comprised of bankers and industrialists worried about the threat of the single currency, the fact that it remains a single-issue pressure group means that it is still possible to upset the federalist applecart without compromising one’s own principles. Voting for parties, therefore, is futile, but UKIP MEPS only seek election in order to interfere with the very process itself. This, perhaps, would be a worthy target for the attentions of the New Right.

What about the Left? Are there any forces associated with Left politics that you are prepared to ally with? Have you been influenced by Left-wing authors and ideas?

Certainly been far more influenced by the Left than the Right, if that’s what you mean. The so-called ‘anti-fascists’ on the Left appear to have trouble with the fact that I cut my political teeth, so to speak, in the NF. But this is quite irrelevant. I’ve never considered myself to be Right-wing and when I joined the Movement it had progressed beyond the stage of being a Right-wing organisation. Furthermore, the terms ‘Left’ and ‘Right’ each have their origins in the build up to the 1789 French Revolution, anyway, and my lifelong opposition to the established order must surely put me on the Left. Not that I even consider this to be a valid description of my beliefs, of course. National-Anarchists are prepared to form alliances with anyone and have attended many protests and demonstrations in order to express our solidarity with the wider opposition to International Capitalism. To paraphrase Lenin, ‘we must march separately but strike together’. Indeed, when a young Palestinian miltant throws a petrol bomb at an Israeli tank, he speaks for us just as we speak for him. My own ‘Left-wing’ influences include George Orwell, Mikhail Bakunin, Emma Goldman, Peter Kropotkin, Gerard Winstanley, Max Stirner, Nestor Makhno, Che Guevara, Sergei Nechayev, Hakim Bey, Pierre-Joseph Proudhon, the Angry Brigade, and the Red Army Faction.

Generally, how flexible is your movement when it comes to strategic alliances? What would you say is the political common denominator, the decisive streak a group or a party must have in order to become your ally? Is it anti-Americanism, anti-globalism, anti-liberalism, Third Positionism?

I don’t think there are any common denominators. Useful opportunities come in all shapes and sizes and world history is full of surprising alliances that have taken place between seemingly opposed groups. Realpolitik is necessary whenever and wherever the need arises. Much of what we do has to be covert, because the groups that direct the anti-Capitalist movement are usually controlled by Left-wing dogmatists who believe that we National-Anarchists are trying to subvert Anarchism for our own sinister ends. But this is false. As we’ve said elsewhere time and time again, we are not ‘racists’ or ’supremacists’ with some kind of secret agenda, we are seeking our own space in which to live according to our own principles. Sadly, however, most people on the Left want more than that and will not rest until they can organise every minute aspect of people’s lives. It’s a self-perpetuating disease. This is why they talk of the ‘right to work’, when - as Bob Black rightly points out - the real problem is work itself. The Left, just like the totalitarian Right, refuses to tolerate anyone who tries to opt out of its vision of an all-inclusive society. Some of us, however, want no part of this and will only be ’socialists’ among ourselves and with our own kind.

A somewhat provocative question: do you sometimes feel that radicalism and marginal politics have grotesque and ridiculous sides, as famously described in STUART HOME’S novel “Blowjob”? Ideologists switching from left to right and back again within an hour, supposedly dangerous parties consisting of just a few members - doesn’t all this this sometimes remind you of a poltical carnival rather than realpolitik?

Despite being regarded by Stuart Home and his friends as some kind of ‘anarcho-fascist’, I can’t say I’ve actually read his book. But I do understand the point you’re trying to make. The ITP accused me of being fickle once I had left the Catholic Church and began exploring paganism and the Occult, but I think it’s a question of personal development. Some people will always be political opportunists, of course, but in my case it was a question of gravitating slowly over the course of several years. Without being arrogant, I believe that intelligent people tend to think their way out of the party. And it you look at my track record, it does actually make sense. I’ve always tried to be as genuine and open-minded as possible, doing the research and exploring the options available to me instead of following blindly like those who decided to remain in the ITP rather than try to put things back on track. National-Anarchism isn’t some kind of middle-class adventurism designed to shock, it’s what I like to describe as a form of ‘realistic escapism’.

What about using the enemy’s weapons instead of fighting with guerilla tactics from the underground? I’m talking about unorthodox means such as using the style of glamour mass-media together with aggressive propaganda of a “trendy revolution” aimed at the youth. We know that the System has so far managed to digest the most marginal and revolutionary elements of counter-culture and make them harmless, so surely the adequate response to this is to position oneself as “mainstream” right from the start, thus preventing the ruthless market from exploiting one’s “non-conformity”? Can you accept this position, or do you see the process of “reclaiming the streets” as the only effective tactic?

I don’t believe in reclaiming the streets at all. We tried that in the ENM and failed. But I do make a distinction between politics and culture, so therefore I support these forms of counter-culture because the political struggle can only make progress if there is a cultural struggle to accompany it. This was how the NSDAP managed to achieve so much progress in 1930’s Germany, it simply tapped into an existing cultural vein and rode it all the way to the Reichstag (with more than a little help from wealthy German industrialists, of course). I’m not suggesting that it’s still possible to gain control of the national state in this way, but it’s all a question of identity. An individual can empower his or herself by joining together with like-minded people. If this relates to an ideal that is connected with music or fashion, for example, then all the better. I think the strategy currently being deployed by KINOVAR is the right path to take.

How strong is your link with the Russian “International Eurasia Movement”? You are, after all, the man behind the “Eurasian Movement” which stresses the importance of “the geopolitical vision” of “contemporaries like ALEXANDER DUGIN”, and you could therefore easily be seen as Dugin’s man in England. And yet his approach to politics seems to differ greatly from yours. Can you share all of his views and accept his strategies?

I won’t pretend that the Eurasian Movement (EM) in England is making any real progress at the present time, because Eurasianism in general is still a fairly new concept in Western Europe. More than anything, I think, the EM is simply a convenient rallying point for those familiar with Dugin’s ideas and who are gravitating towards such concepts. But we are part of the Eurasianist international, if you like, and recently sent a message of support to the annual Eurasianist gathering in Moscow. Dugin is not a National-Anarchist by any stretch of the imagination, but as an advisor to Vladimir Putin he is in a position to influence Russian affairs and policy-making at the very highest level. In many respects this is similar to the role of UKIP, referred to above. Eurasianism is important to National-Anarchists because it puts our struggle into a wider perspective. Indeed, whilst we are primarily concerned with what goes on at the level of the village or on our own doorstep, so to speak, we still believe that we can export our ideas by offering support to a new ‘dissident’ alliance against Western interests. But we are not interested in the formation of a new Eastern imperialism, by which Russia can then dominate her immediate neighbours for her own narrow interests. We want to help create a network of decentralised allies all striving towards a similar ideal, but each retaining their own unique character. The best - despite being a fairly simplistic - example that I can think of in this regard, is the collaboration that takes place between Hobbits, Elves, Dwarves and Men against a common totalitarian enemy in Tolkien’s ‘The Lord of the Rings’. Instead of creating a counter-imperialism, of course, when the battle is finally won the Fellowship gradually subsides and the various races get on with their own lives in their own peculiar way. This kind of loose defence structure is completely in tune with National-Anarchism and its opposition to large standing armies and militaristic autocracy in general.

What is your vision of the European and English future in 50-100 years’ time?

To some extent I dealt with this issue in Question 8. But let me give you an example. Imagine if you had a glass of clean water and then began to add several drops of another liquid, such as ink, for example. At first, the water would become rather cloudy, but as more and more ink is added the water then begins to lose its original appearence altogether. Eventually, of course, it would be ridiculous to refer to it as ‘water’ at all. This is how I see the future of both England and Europe. The fact that our continent is changing at such an alarming rate means that it can no longer be seen as representing a homeland for people of Indo-European stock. Coupled with the fact that thousands of Europeans are emigrating abroad to places like Australia and New Zealand, the future of Europe is beginning to look very precarious indeed. Many will stay and fight, of course, but the most sensible option in this increasingly tenuous situation - I believe - is to create new homelands on the periphery. But just how far we will have to go in order to avoid the wrathful clutches of the West remains to be seen.

One has the impression that a number of our contemporaries identified with the conservative revolution were inspired by Russian culture. For example, DAVID TIBET has mentioned SOLOVYEV among his spiritual influences, while your friend and ally, the radical Christian and conspiracy theorist WAYNE JOHN STURGEON, seems to be inspired by BERDYAEV. We know you are interested in TARKOVSKY, who is, in fact, extremely popular with the European intellectuals (his name has practically become a cliche), but apart from him, who were the other Russian thinkers to influence you?

David Tibet has many influences and Solovyev merely relates to his interest in revelation and apolocalyptic matters in general. Wayne John Sturgeon, on the other hand, who is a good friend of mine, is probably more interested in the remarkable English mystic, William Blake, who was convinced that a new Jerusalem could be constructed in the British Isles. The main Russian thinkers that have inspired me, however, include Mikhail Bakunin and Fyodor Dostoyevsky. The former, for his defiant opposition to Marxist dogmatism and state socialism, and the latter, for his deep and profound insights into Russian poverty and the latent power of the human spirit. Sergei Nechayev is also very interesting, because he describes the uncompromising attitude that must be adopted by the serious revolutionary.

What about ALEXANDER BLOK? I recall you quoting from “The Scythians” at some point.

Reliable information about Alexander Blok is often hard to come by in English, but I do admire his melancholic attitude, his poetic romanticism and the undisguised hostility that he expressed towards civilisation and materialism. He also believed in the idea of messianic revolution, something clearly at odds with his initial support for the events of 1917 and the Soviet regime’s bitter campaign against both orthodox and unorthodox religion.

Let’s return to England. If asked to name five Englishmen whose works you have learnt from, who would you include in the list?

This is a very difficult question, not least because it is so confined. But if I had to name just five individuals, I would choose William Cobbett for introducing a city boy to the joys of self-sufficiency and the countryside, Richard Burton for epitomising the indomitable hero and for awakening my interest in Africa and the Middle-East, Charles Dickens for bringing the misery of working-class life to the educated public mind for the first time, George Orwell for having the courage to share with us his shattered dreams and illusions about International Socialism, and Hilaire Belloc for teaching me what it means to be English in the first place. Apologies to Morris, Reed, Chesterton, Blatchford, Lawrence and several others!

You seem to be a music lover and an expert, especially when it comes to Neofolk and Industrial music. Which bands do you value most, and why?

I’m certainly no expert, but I’ve always had a deep love of music from a very young age. I also enjoy Traditional Folk (Shirley Collins, Planxty, Dubliners, Steeleye Span, Yetties), Bluegrass (Bill Monroe, Stanley Brothers, Country Gentlemen, Merle Travis, Doc Watson), Classical (Strauss, Bach, Chopin, Vivaldi), Metal (Iron Maiden, Rammstein, Cradle of Filth, Marilyn Manson, Black Sabbath), Psychedelic (Bevis Frond, Hawkwind) and Electronic (Kraftwerk), but the reason so many Neofolk and Industrial groups have fired my interest in recent years is due to the way in which, unlike the contemporary mush of the musical mainstream, they have an ability to convey thoughts and ideas in a less well known but extremely powerful manner. Rather like the way symbols and archetypes can work on the human subconcious. It would be unfair of me to single out a mere handful of groups or individuals when there are clearly so many talented examples out there, but the more professional and significant of them emanate from labels such as Cold Spring, Dark Holler, Mute, Tesco, World Serpent, Eis & Licht, Athanor, Somnambulant Corpse, Tursa, Fluttering Dragon, Svartvintras, and Cynfeirdd. But the reason these artists stand out, at least for me, is due to their unwillingness to compromise or to popularise themselves in the name of profit. It’s also a fact that several of our main influences - Junger and Codreanu, for example - feature in many of the songs.

Have you ever been in a band yourself? Ever written lyrics or poetry?

Yes. I used to write fiction and poetry as child, winning minor prizes at school and colege, and then as a teenager I was a vocalist in several Ska and Oi! bands and played gigs in and around London and the southern counties. I also play Folk and Bluegrass songs on acoustic guitar and a close friend of mine often joins me on the mandolin for long jamming sessions. These days, however, I’m a writer and vocalist with the mainly Dutch group, HERR, and have written and recorded for the harsh Swedish electronic outfit, Survival Unit.

What are your views on the importance of music for the revolutionary struggle?

I believe that music can act as a true voice in the quest for revolutionary change. We’ve all seen the immense power and influence that can be produced by certain genre, the musical categories mentioned above being testimony to that fact. Music can be far more than a pleasurable experience, however, it can also function as a means of anger, self-expression and experimentation. This has been going on ever since the Teddy Boys of the 1950’s, or the Mods and Rockers a decade later. Music and its accompanying lifestyles can inspire real belief. Once that power is shackled to a political current it can become a dynamic cocktail.

The majority of the industrial/neofolk scene is highly sceptical of “sellout” musicians, rejecting an artist’s work as soon as he becomes accepted by MTV. You don’t seem to judge according to the same criteria, your praise of MARILYN MANSON’S performance in London being just one example. In today’s totalitarian “society of the spectacle”, can anyone be accepted by the masses but still remain an inspirational and great artist?

I think that a lot of this talk about ’selling out’ completely misses the point. Moreover, it’s often something alluded to by the more pretentious or superficial music fan. As long as the central or unifying idea of a particular form of music is not compromised or watered-down, it can actually help to spread these ideas to a far larger number of people. Surely the whole point is to reach as many people as possible? Besides, I would rather see young teenagers wearing corpse paint and painting their nails black than going out to night clubs and listening to the manufactured pap of the music industry. The very nature of most Industrial and Neofolk artists, however, usually precludes them from ever being accepted by the masses. They are necessarily elitist and often deal with misanthropic or deeply philosophical themes.

What is your opinion of the vague concept of “postmodernism”? Is postmodernism merely another step down the slope of kali-yugian degradation, or is it a bizarre but fascinating cultural period in which ancient values and traditional rites suddenly re-appear? Does it possess a positive side, in the way that it is anti-modernist?

In some respects, yes. I think this is particularly true of the way it presents a more fractured and fluid interpretation of the world in stark contrast to the modernist tendency to centralise or internationalise everything. I haven’t quite decided whether postmodernism offers a real alternative to modernism, but we can learn a lot from the way it has sought to dissect and analyse both the period in question and that which now follows in its wake. Postmodernism also appears to harbour a distaste of science and technology, something I find easy to identify with. However, the problem with postmodernism in general is that it seems to encompass a vast array of thought and has no real direction of its own.

When and how did you come into contact with the internet? What are views on the web from a political and cultural perspective?

I first came into contact with the Internet in the mid-1990’s, whilst at university, and finally got online myself around 1995. But I have very mixed feelings about it. Whilst I can see the wonderful advantages it offers in terms of being able to spread ideas or make oneself heard, I also feel that it leads to a greater dependence upon technology. In some respects this is a good thing, because it makes the System even more fragile than it is, but the Internet can also act as a huge distraction from the true realities of our existence. The best thing about it, of course, is being able to have all this incredible knowledge at your fingertips, but that’s no good if you can’t even drag yourself out of the chair to act upon it all.

Your SYNTHESIS magazine only exists online, and yet we know that you have been actively involved in a variety of printed magazines. Do you see the printing press as inferior to the internet when it comes to cultural and political warfare in today’s world?

Yes, very much so. In fact the very people that we have always sought to target through the medium of print, those already involved to some extent or another, are all on the Internet already. On the other hand, you can’t beat a proper magazine or newspaper in terms of giving people a tangible and living example of your work, but the results are often very minimal when compared to the expenditure that is necessary to produce them. The stationary industry in this country has become a vast racket, not to mention the amount of trees that have to be felled for human consumption.

Have you ever thought about writing for big magazines and thus making your ideas reach a greater and more diverse audience? If, hypothetically, you would be offered a weekly column in a broadsheet on the condition of making your views slightly more moderate, would you compromise or reject the proposal?

I would certainly relish the opportunity of promoting National-Anarchism in this way, but I wouldn’t be prepared to actually change my views to that extent. It may be possible, on the other hand, to stick within certain limits rather than raise the more inflammatory subjects like Race or Zionism.

Do you fear governmental action against you or your movement? Have you ever had serious troubles with the police due to your political activity?

I don’t fear it, but the possibility is always there in the back of my mind. National-Anarchists like Peter Topfer, on the other hand, have experienced almost constant repression by the State and he has been persecuted many times. I have been arrested many times for stickering and flyposting, as well as on Anarchist demonstrations, but the worst case scenario occurred in 1987 when I was charged with Actual Bodily Harm (ABH) & Affray and eventually consigned to Lewes Prison for eighteen months the following year. Apparently, the very fact that I and a handful of others were trying to defend ourselves against 200 violent Communists was neither here nor there. But the British State got what it wanted and, by throwing me in jail, managed to disrupt the steady growth of the NF in one of its newest areas.

Please excuse our curiosity, but do you have a job besides being engaged in various National-Anarchist related activities? May we know something about your family?

It’s impossible for me to work full-time because I teach my four children at home. This takes up a great deal of my time and can be extremely hard work, not least because of the differing age levels, the lack of State-funding for home-schooled families in this country and the fact that we often have to rely on self-help organisations like Education Otherwise. I’ve been married for over fourteen years now and we have two girls and two boys. We don’t have a car for environmental reasons and therefore a lot of our time is spent exploring local parks or hiking through the countryside. The children are very artistic and enjoy making their own collages and fantasy comic strips, whilst my wife - originally from Tunbridge Wells, in Kent - has a strong interest in Punk Noir, psychology and basset hounds. I spend my spare time reading and discussing Theology, forcing people to eat my attempts at Italian and Indian cookery, enjoying the fantasy novels of Michael Moorcock, and organising football matches with the other kids in the area.

Your Iron Youth internet site, giving advice on how to bring your kids up as National-Anarchists, features a reading list of childrens’ literature: SWIFT, POE, WILDE, STEVENSON… Most of these classical authors are now being read at university level by literature students only. Why do you think is the current state of English education so poor, and do see a way out of this crisis?

The reason the educational standards are so awful in this country, is because the mass media is continuously dominating every aspect of people’s lives. The last few years has seen the growth of a huge social underclass, which seems to be comprised of promiscuous girls and violent males. But it’s futile to completely blame this on poverty. Many of these people have managed to acquire a certain degree of wealth and affluence, but they can’t seem to escape the debilitating peer pressure which encourages people to live in a world of fast cars, fast sex and fast food. There is also a severe identity crisis in England, which has been caused by Americanisation on the one hand, and multi-racialism on the other. It is hardly surprising, therefore, that a culture which prides itself on drunken thuggery and so-called ‘reality TV’ has no interest whatsoever in academic matters or the intellectual development of the individual. The only solution to this crisis is home-schooling. Once you take your children out of this detrimental environment, they are free to develop naturally without the constraints imposed by their peers. In South London, for example, most white schoolchildren have incorporated black slang into their vocabulary, blurring the distinctions between the races and creating a uniform monoculture. To be an individual in modern England, therefore, is to become a virtual outcast.

What is your opinion of elitist educational institutions like Eton, Oxford or Cambridge? On the one hand, you support elitist meritocracy, but on the other, you reject centralised education. In a National-Anarchist society, would the likes of Oxford and Cambridge have a chance to survive?

Firstly, National-Anarchists do not recognise nation-states and, secondly, given that we expect the internationalist system to decline to the extent that it leads to a full-blown technological crisis, it would be impossible for universities to continue as they are at the present time. At the village level, on the other hand, I would expect children to be educated naturally and in accordance with their abilities. Egalitarianism is a myth and some children will always be slower than others, that’s life. But this should take place in a community setting, rather than at a privileged institution, because it is possible to learn from those around you without ever having to establish schools or education systems in the first place.

Do you sympathise with the anti-copyright movement, and if so, have any steps been made to unite your forces with those of prominent anti-copyright fighters? After all, their ideology, though far less complicated and metaphysical than yours, has striking similaritites with National-Anarchism.

We haven’t formerly approached the anti-copyright movement at this stage, but it’s certainly an interesting idea and worth considering in the future. Personally, I oppose all forms of copyright and believe that, rather than seek to protect the artist concerned, copyright laws are simply there to take advantage of that which has been produced. This is achieved by taking it away from the artist altogether and limiting creative output in order to control the amount of alternative material that gets into the mainstream. As an Anarchist, I also believe that it’s impossible to ‘own’ intellectual ideas because they are part of our common development. I’m sure Pierre-Joseph Proudhon would have understood the logical connotations of this process, despite the fact that people often confuse his famous ‘property is theft’ statement with the denial of individual - rather than private - property.

Let us turn to the spiritual and esoteric side of your teaching. You have taken the long path from agnosticism and extreme Catholicism to heathen cults like Mithraism. How did your beliefs evolve, and what is your current spiritual system? Does your movement have an official religious position? Can a Christian or Hindu possibly join?

I have never been an agnostic and always believed in some kind of god or higher intelligence. These days I would describe myself as a student of Primordial Tradition and don’t embrace any kind of religious system. At the present time I am examining the work of Alan Watts, who was chiefly responsible for introducing Eastern philosophy to the West for the very first time. I have a lot of time for Hinduism, too, but at the moment I feel a growing affinity with Zen Buddhism. I don’t care what spiritual outlook people have, I believe that it’s a relatively private matter and National-Anarchism is about banding together with people of like mind and therefore I would find it far more conducive to spend my time with someone interested in Spirituality or the Occult than in material things.

Did you ever have a teacher, a guru who taught you any of the spiritual doctrines you were interested in, or did you pick them up in literary sources?

I have never been under the guidance of a guru or holy man, although I do try to meet as many interesting and intelligent people as possible. I studied Theology & Religious Issues at university, so that helped put things into an historical and cultural perspective to some extent, but I do feel that I’ve reached the stage of my life where a more strenuous and disciplined approach is necessary for my own personal development. I have spent several years examining the various Occult groups and weighing up the possibilities, but I’m not really the kind of person who would respect an authority unless I was convinced that it was tied in to an initiatory source.

Much of the spiritual energy of the Twentieth Century has been hijacked by rather distasteful New Age movements. How can one objectively distinguish a GUENON from a BLAVATSKY, and is there a actually a line separating true mysticism from Occult parodies? If so, which cathegory would you place STEINER, GURDJIEFF and SERRANO in?

I have studied the personalities you mention above, as well as many others to whom people have given their spiritual allegiance, but I happen to believe that it’s a case of gathering all the fragments together until we get a broad picture of the truth. I suppose it’s the National-Anarchist in me. I have always been very suspicious of those who attempt to form personality cults around either themselves or others, in fact I prefer to observe from a distance and explore the information that is available. I do have a lot of respect for some of the main Occult societies but, like most things in the twilight age of the Kali Yaga, many have become corrupt or detached from their origins. One development that interests me is the ongoing fusion of the New Right with various esoteric and Right-wing Anarchist groups on the Continent. There seems to be a genuine attempt to regather the lost wisdom of the past and then use this knowledge to cross the threshold between this world and the beginning of the next Cycle. As the Visnu Purana explains: ‘[They] will then establish righteousness upon earth; and the minds of those who live at the end of the Kali age shall be awakened, and shall be as pellucid as crystal. The men who are thus changed by virtue of that particular time shall be as the seeds of [new] human beings, and shall give birth to a race who shall follow the laws of the Krita, or primordial age.’

Finally, please tell us how you view the possibilities of future co-operation between Russia and England in terms of revolutionary politics and culture. Do you think that our individualistic interests could be overcome in order to combine forces against a common enemy?

Following obediently behind the coat-tails of her American ally, the British State will no doubt continue on her journey towards oblivion. But it remans to be seen whether this country will alienate itself from the rest of Europe or seek to unite Europe in the next logical step towards world goverment. This is why England plays such a vital role for American interests, a fifth column within Europe for the intended subjugation of the whole globe. Eurasianists rarely include Western Europe in their vision of a new future, unless, of course, it’s in a very minor or peripheral role. But the Russia of the past, like France, was always known for her warm attitude towards political outcasts and revolutionaries, so perhaps Eurasianism will bring about a new alliance of minds and become the springboard for salvation. I have always deeply admired the long-suffering peoples of Russia, but I do find it rather unusual that National-Anarchism has yet to appear in the country which spawned the likes of Georgy Chulkov and Viacheslav Ivanov. Hopefully, this interview will go some way to changing that fact.

Thanks for listening.

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mercredi, 30 janvier 2008

Entretien avec Michel Mohrt

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Entretien avec Michel MOHRT

http://www.reflechiretagir.com

L’écrivain Michel Mohrt, membre de l’Académie Française, nous a fait l’honneur de nous recevoir. Elégant dans tous les sens du terme, d’une gentillesse et d’une simplicité à toute épreuve, il revient pour nous sur toute une vie de bruit et de fureur qu’il a observée avec son œil de peintre. Moteur !

R&A : Aujourd’hui, nous parlons beaucoup de l’Europe. Dans l’un de vos articles (De bonne et de mauvaise humeur, Le Rocher, 1999), vous disiez que vous aviez compris la nécessité de faire l’Europe en 1940. Pourquoi ?

Michel Mohrt : Quand on a vécu la défaite de 1940 comme moi… Enfin, je l’ai vécu un peu différemment puisque j’étais dans les Alpes, face aux Italiens et non aux Allemands. J’ai quand même ressenti terriblement la catastrophe de la défaite. J’ai pensé que la France n’était plus le grand pays que j’avais connu et espéré après la victoire de la première Guerre Mondiale. Déjà, dès 1930, j’avais compris que la France était un pays en décadence. La IIIe République ne la préparait pas à cette guerre qui est arrivée. Je sentais que la France allait perdre ses colonies, ce qui arriva peu de temps après. Elle n’avait qu’une chance, c’est d’appartenir à une entité politique plus grande qu’elle-même et où elle pourrait jouer un rôle important : l’Europe. Je n’ai pas cru dès 1940 (et je ne l’ai pas entendu d’ailleurs) au message de De Gaulle. Je pense que de Gaulle a été un homme politique extrêmement habile mais il n’a nullement détruit les effets malheureux de la défaite de 40.

R&A : En fait, vous vous êtes posé les mêmes questions que Renan et bon nombre d’intellectuels français au lendemain de Sedan. Ce fut d’ailleurs l’objet de votre livre Les Intellectuels français devant la défaite de 1870 (Gallimard, 1944 - réédition Editions du Capucin, 2004)…

Michel Mohrt : Exactement. Les gens qui viennent de relire mon livre à la faveur de sa réédition m’ont dit qu’il n’avait pas vieilli et qu’il était toujours d’actualité. En effet, on voit que les Renan, les Taine, au lendemain de 1870, ont dit que la France devait faire des réformes qu’elle n’arrive toujours pas à faire. D’où ce besoin d’Europe.

R&A : De plus, il y a en Europe une unité de civilisation plurimillénaire…

Michel Mohrt : Oui, c’est ce qui fait que je me suis senti tout à fait européen dès 1940. Et je le suis resté. Ce pourquoi aussi, je ne suis pas aujourd’hui pour l’entrée de la Turquie dans l’Europe. Je suis aussi attaché à l’Europe chrétienne. Il suffit de traverser la France en chemin de fer pour voir ses villages avec leurs clochers.

R&A : Dans vos livres, vous préférez observer, témoigner que vous engager. Je pense notamment à votre roman Mon royaume pour un cheval où vous expliquez cette attitude en rendant aussi hommage à l’engagement de votre ami Bassompierre. C’est un trait de votre caractère de vous méfier de ces aventures politiques ?

Michel Mohrt : En effet… D’abord, je n’aime pas la foule. Je me rappelle, en 1940, quand on a fait le SOL (Service d’Ordre Légionnaire), très vite, je me suis dépris de ce mouvement auquel j’adhérais au début car je n’aime pas la foule, perdre mon temps avec des palabres qui n’aboutissent à rien. Je me sens un observateur, un romancier. Et le roman suppose un décalage par rapport aux évènements que l’on veut raconter. J’ai toujours pris de la distance vis-à-vis des évènements et de mes propres engagements qui sont demeurés purement intellectuels d’une certaine façon. Je n’ai pas voulu m’impliquer dans un mouvement politique quelconque et je ne le ferai toujours pas.

R&A : Tout en témoignant ainsi par le biais du roman, vous avez quand même une indéniable estime pour « cette race d’hommes faite pour vivre entre hommes, race de moines et de soldats durs à eux-mêmes comme aux autres, race de demi-soldes, éternelle race des héros, des terroristes et des saints ». A travers Bargemont (double romanesque de Bassompierre dans Mon royaume pour un cheval), vous rendez hommage à l’amitié mais aussi au courage d’hommes comme lui…

Michel Mohrt : Bassompierre était un ami avec qui j’ai fait la guerre. Il commandait le Fort de la Colmiane dans les Alpes, juste au dessus de la Vésubie. Moi, je commandais une section d’éclaireurs-skieurs devant ce fort. Nous nous sommes vus beaucoup après la Drôle de Guerre, en attendant l’invasion allemande. C’est lui, avec quelques autres, qui a fondé le SOL. Très vite, j’ai pris cette distance mais j’ai continué à le voir durant l’Occupation. Et quand il m’a appris qu’il partait sur le Front de l’Est avec la LVF, cela ne m’a pas étonné car il l’a fait par anti-communisme. Aujourd’hui, on a oublié qu’à l’époque, le communisme apparaissait comme le vrai et principal danger. Sans les troupes alliées en Europe d’ailleurs, nous aurions eu le communisme en France. De Gaulle a été obligé de pactiser avec eux et de prendre Thorez qui s’était courageusement planqué à Moscou, en quittant l’armée pendant la guerre. J’ai dit à Bassompierre de laisser cela aux gens qui n’avaient rien dans la tête et qu’on avait besoin de gens comme lui pour refaire la France. Mais non, il voulait mettre son action en rapport direct avec ses idées. C’était très courageux de sa part d’entrer dans la LVF, d’accepter de porter l’uniforme allemand avec toutefois l’écusson tricolore.

R&A : Vous étiez au Canada lorsqu’il a été fusillé…

Michel Mohrt : Hélas ! A cette époque, on ne traversait pas l’Atlantique en quelques heures. Le bateau mettait 5 à 9 jours. J’ai regretté mais son avocat m’a dit que mon témoignage n’aurait servi à rien. Tous ses anciens compagnons d’armes qui avaient servi sous ses ordres dans les Alpes dirent quel homme admirable il avait été, en pure perte puisqu’il fut fusillé.

R&A : Vous avez dit que « le devoir de mémoire ne consiste pas à perpétuer les drames, à attiser les haines qui ont dressé les uns contres les autres les fils d’un même pays. Ce devoir c’est d’apaiser les discordes et de rassembler ceux que la mort a déjà unis. » Dans vos articles, vous avez célébré le courage des brigadistes internationaux, partis aider les républicains espagnols. Par contre, croyez-vous qu’un jour, les bobos du Nouvel Observateur ou BHL reconnaîtront à leur tour la pureté de l’engagement des soldats de la Charlemagne comme Bassompierre ou assistons-nous à « un Nuremberg permanent dans l’Europe » comme vous l’avez écrit, toujours 50 ans après ? Que pensez-vous de cette supercherie intellectuelle qui fait des uns des héros et des autres des salauds ?

Michel Mohrt : C’est le politiquement correct. On ne reproche pas, en effet, aux gens d’avoir été communistes alors que l’on sait l’effroyable bilan humain du communisme. Des gens comme Bassompierre se sont battus par idéalisme. J’avais écrit cet article que vous citez après une déclaration de Mitterrand en Allemagne où il disait très justement qu’il y a eu deux sortes de Français à cette époque : ceux qui ont voulu être dans l’action et les autres. Mitterrand et moi étions ces autres. Bassompierre, lui, a voulu s’engager. Mitterrand avait ajouté que, quelque soit l’uniforme sous lequel ils se sont battus, nous devions le reconnaître.

R&A : Ce qui montre qu’avec un bilan politique aussi catastrophique, Mitterrand était sur ce sujet plus lucide et courageux que Chirac et, bien entendu, beaucoup plus cultivé, avec des goûts littéraires très marqués à droite…

Michel Mohrt : Mitterrand avait été vichyssois. Sa formation fut la même que la mienne. Il a été chez les curés puis militant à droite (avec l’Action Française) puis il a été vichyssois. Ce n’est que parce qu’il avait une ambition politique qu’il a compris qu’il devait finir à gauche.

R&A : Pompidou l’avait bien défini en disant qu’il était « l’aventurier de sa propre ambition ».

Michel Mohrt : C’est une très bonne formule en effet. Il a compris qu’il fallait devenir résistant. Comme l’ont compris beaucoup de Français qui avaient été vichyssois.

R&A : Comment expliquez-vous ce basculement politique du monde intellectuel de l’Après-guerre, après l’Epuration en fait…

Michel Mohrt : Déjà, la gauche et la droite ne veulent plus dire grand chose. La « droite » et la « gauche » gouvernent en fait au centre et font des politiques difficilement distinguables. En 1981, Mitterrand et Mauroy ont voulu faire une politique réellement de gauche. Ca a duré deux ans et, pour moi, Mitterrand l’a fait exprès pour montrer que la chose était impossible. La France ne peut pas rester à rebours contre le reste du monde.

R&A : Pour revenir à ce que nous disions d’hommes comme Bassompierre, un roman comme les Réprouvés de Von Salomon vous avait-il plu ?

Michel Mohrt : J’avais lu cela au début de la guerre. J’ai trouvé que c’était très beau. La France est un peu responsable, comme Bainville l’a montré dans Les Conséquences politiques de la paix. Le Traîté de Versailles était trop faible pour ce qu’il avait de dur. Notamment vis-à-vis de l’Allemagne et je comprends que Salomon n’ait pas pu accepter cette humiliation et cette occupation française sur son sol.

R&A : La Bretagne tient une grande place dans vos livres (Le Serviteur fidèle, Les Moyens du bord, La Prison maritime)…

Michel Mohrt : Je suis breton. En dépit de mon nom d’origine germanique, mon grand-père paternel avait épousé une bretonne qui parlait très bien le breton d’ailleurs. Il l’écrivait aussi et avait même eu une correspondance avec un barde (Taldyr). Puis leur fils, mon père, a épousé une bretonne 100%, de Brest. Je suis donc plus qu’aux trois-quarts breton par le sang et je suis né en Bretagne que je n’ai quittée qu’à 23 ans pour aller dans le midi, pour voir autre chose. Mais je me sens profondément breton. Ma famille avait une maison à Locquirec, sur les Cotes d’Armor. Maison où je vais toujours. C’est dans la baie de Lannion que j’ai appris à naviguer et je suis 100% breton. J’y vais souvent, je parle un peu breton.

R&A : Que pensez-vous des gens, comme ceux de Breizh Atao hier, qui luttent pour une Bretagne plus forte et reconnue ?

Michel Mohrt : Je les comprends même si je n’ai jamais cru que la Bretagne pouvait devenir indépendante. Par contre, un certain provincialisme oui. L’Europe va permettre à des pays comme la Bretagne, la Corse, la Savoie, le Pays Basque de retrouver une partie de leur identité. Je le crois profondément. Les Bretons ont une langue qui n’a cependant pas donné de grands ouvrages littéraires. Ils ont eu la chance de pouvoir s’exprimer en français mais cela date d’après la reine Anne. Depuis, la Bretagne est française et je pense que c’est tant mieux pour elle car elle est quand même restée la Bretagne. Dans ma jeunesse, on se sentait très loin de Paris, à Brest ou Morlaix, au bout de la terre (Finistère). On se sentait un peu abandonné et donc c’est là qu’est né Breizh Atao. Je les ai d’ailleurs côtoyés quand je faisais mes études de Droit à Rennes. J’ai souvent discuté avec eux tout en leur disant que leur idéologie était à mon avis irréalisable. J’étais par contre ravi qu’ils aient fait sauter devant la mairie de Rennes une statue représentant la Bretagne à genoux devant la France ! Ce sont des nuances tout cela. Je n’ai jamais cru que la Bretagne pouvait ou avait intérêt à devenir indépendante. Le breton est une langue celtique. Il est d’ailleurs émouvant qu’il n’y ait qu’un seul mot en breton pour désigner deux couleurs, le bleu et le vert : glass. Pour un pays qui est entouré de mer, et ce sont les couleurs de la mer, je trouve cela très beau.

R&A : Une mer qui ne vous sépare pas tant que cela de vos cousins celtiques. Vous devez vous sentir un peu chez vous au Pays de Galles (la langue déjà) ou en Irlande ?

Michel Mohrt : La côte ouest de l’Irlande est la même que la côte bretonne. Bien sûr que je me sens tout à fait chez moi là-bas. Sans aucun doute. J’aime beaucoup l’Irlande, le Connemara notamment. Ce dernier ressemble d’ailleurs à mes Côtes d’Armor qui sont restées assez sauvages, qui n’ont pas été abîmées par le béton (par rapport au sud de la Bretagne). Cette côte qui va de Saint-Malo jusqu’à Brest est vraiment très très belle. Je l’ai faite en bateau bien des fois. Cela dit, il y avait chez moi (il est mort aujourd’hui) un palmier !

R&A : Vous disez que « nous assistons à la mort de l’art oratoire dans les prétoires, dans les églises, dans les assemblées politiques » que vous reliez avec raison avec la mort des humanités. N’a-t-on pas aujourd’hui un désert idéologique où l’économique a tué le politique ?

Michel Mohrt : La diminution du latin et du grec, qui sont des langues oratoires, a été pour beaucoup dans la décadence de l’art oratoire. Il n’y a plus qu’à l’Académie que l’éloquence garde un certain sens. L’éloquence a disparu, même chez les avocats (même s’il en reste quelques grands) ou chez les prêtres où il n’y a plus de sermons. Le ton est devenu celui de la télévision. On dit les choses rapidement, n’importe comment, dans un mauvais français truffé d’anglicismes.

R&A : C’est la mort de Cicéron et Bossuet…

Michel Mohrt : Hélas oui. Curieusement, par opposition à cette décadence de la langue parlée, il y a chez maintenant chez de jeunes écrivains une certaine préciosité de la langue écrite. Cela m’a frappé dans des romans récents.

R&A : Malgré votre attachement à notre langue, vous avez beaucoup apprécié et popularisé la littérature anglo-saxonne, notamment Faulkner. Et un roman comme L’Ours des Adirondacks est très américain…

Michel Mohrt : J’ai personnellement été plus influencé par Hemingway que par Faulkner. Quoique mon roman Le Serviteur fidèle (qui vient de ressortir chez Albin Michel) avait été qualifié par le critique Jean-Louis Bory de faulknerien.

R&A : La Bretagne c’est votre Oxford à vous…

Michel Mohrt : Oui, c’est mon Sud ! Cela dit, ces romanciers américains avaient eux-mêmes été inspirés par les romanciers anglais du XVIIIe siècle. Les premiers romans étaient épistolaires. Un roman par lettres c’est un roman parlé. Simplement, les lettres remplacent les voix.

R&A : Avant, il y avait eu Madame de Lafayette et sa Princesse de Clèves

Michel Mohrt : Madame de Lafayette, en effet, ainsi que les Liaisons dangereuses de Laclos. C’était très fréquent les romans épistolaires à cette époque. Je suis venu de plus en plus, au travers d’Hemingway, au dialogue. Mon dernier roman, On liquide et on s’en va, est tellement dialogué qu’il n’est pas un roman. Je l’ai d’ailleurs qualifié de sotie.

R&A : D’autres Américains vous ont-ils influencé également ? Miller, Steinbeck, Dos Passos ?

Michel Mohrt : Steinbeck moins qu’Hemingway. Miller non. Dos Passos non plus : il a beaucoup influencé Sartre par contre.

R&A : Et les auteurs français ?

Michel Mohrt : Tout d’abord Flaubert. Avec mon roman le plus important (La Guerre civile), j’ai voulu faire l’équivalent pour mon époque de L’Education sentimentale.

R&A : Stendhal, ce souffle épique, ce style ?

Michel Mohrt : Ah oui, Stendhal, le mouvement rapide, la sensibilité qui galope. Que l’on puisse lire dans le Chasseur Vert trois fois dans la même page « Madame de Chastelet était charmante… Madame de Chastelet était très charmante… Elle était vraiment très charmante », eh bien, cela ne me gêne pas. Car c’est enlevé par un mouvement de grande rapidité. Pour moi, un style c’est une voix. Si un romancier n’a pas le courage de faire comme Stendhal, il n’écrira pas de roman.

R&A : Vous rejoignez le point de vue d’un Céline qui disait que le style c’est tout. Céline, c’est quelqu’un qui vous touche ?

Michel Mohrt : Ah oui beaucoup, beaucoup. Surtout le Voyage.

R&A : Vous aviez consacré votre premier livre à un hommage à Montherlant. Vous l’avez connu ?

Michel Mohrt : Je l’ai en effet connu à la suite de ce livre. Mon livre l’avait touché. Contrairement à ce que l’on pouvait penser, c’était un homme très simple et ouvert. J’ai souvent déjeuné avec lui, quelquefois à Paris lorsque j’arrivais à passer de la zone sud à la zone occupée. Nous mangions au Voltaire. La conversation était facile avec lui. Pas du tout comme on l’imagine, le menton haut sur la cravate. Maintenant, écrire un livre sur un auteur, c’est un peu le tuer, se débarrasser d’une influence.

R&A : Un adieu à sa jeunesse en quelque sorte…

Michel Mohrt : Oui, Montherlant m’a moins marqué ensuite. J’avais été davantage touché avant la guerre par ses textes lyriques (Tombeau pour les morts de Verdun, Service inutile, Mors et vita…) que par les Jeunes filles. Service inutile a beaucoup marqué bon nombre de gens de ma génération.

R&A : Plutôt que Montherlant, on vous aurait davantage vu près de Drieu qui, comme vous, est très anglais (Mémoires de Dirk Raspe), élégant voire dandy et grand amateur de femmes… Il vous correspond plus que Montherlant.

Michel Mohrt : En effet ! J’ai été marqué par Drieu aussi. C’est une question de chance aussi. j’ai découvert ses romans plus tard. J’ai même rencontré Drieu une fois. C’était quelques mois avant la fin de la guerre et donc son suicide. Je me rappellerai toujours cette après-midi passée dans son appartement qui était juste derrière les Invalides. Il avait une vue superbe sur le dôme des Invalides et sur Montmartre dans le lointain. Je venais alors d’écrire un article sur L’Homme à cheval. Je venais de le découvrir pour ainsi dire. On s’est très bien entendu. A la fin de cet après-midi, il allait rejoindre des amis aux Champs-Elysées pour aller au cinéma. Je me rappelle encore de ses derniers mots. Il s’est retourné sur le quai du métro et il m’a lancé : « Alors on se revoit ! Où on se voit souvent où on ne se voit jamais. »

R&A : C’est une belle formule ! Et son roman qui vous a le plus marqué ?

Michel Mohrt : L’Homme à cheval donc et Rêveuse bourgeoisie qui tombait sur beaucoup des problèmes que je connaissais moi-même. Quant à Gilles, je l’avais dans ma cantine durant la Drôle de Guerre.

R&A : Comme les Pensées de Pascal pour Drieu ! Et chez les écrivains depuis 1945, qui aimez-vous ?

Michel Mohrt : Ca m’est difficile de répondre. Ce sont mes contemporains. Ce sont les anciens qui m’ont influencé, comme pour tout écrivain. J’aime bien entendu mon ami Michel Déon. Ceci dit, je n’étais pas un Hussard. J’étais plus vieux de 10 ans qu’eux. Eux n’ont pas fait la guerre…

R&A : Ce sont les fameux 20 ans en 45 !

Michel Mohrt : Oui, et la guerre est une expérience qui a beaucoup compté pour notre génération. Avant, j’avais terminé un service de 3 ans en 1939 puis la guerre a éclatée. De sorte que je suis resté 4 ans sous l’uniforme. C’est beaucoup 4 ans dans la vie d’un homme, surtout entre 24 et 28 ans ! Ca compte ! C’est une époque où quelques années de différence comptaient presque autant qu’une génération. Nous avions ressenti la défaite plus cruellement qu’eux et puis nous en avions assez des armes. J’avais donné et j’avais envie d’écrire, de travailler. Cette différence d’âge fut énorme : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà » !

R&A : Vous vous intéressez au cinéma ?

Michel Mohrt : J’ai fait de la critique de cinéma au Figaro pendant longtemps. J’ai assisté aux débuts du parlant après avoir connu le cinéma muet. Maintenant, je n’y vais plus. Je regarde la télévision. Je vais même vous avouer que j’attends avec impatience le samedi soir pour revoir la fameuse série Dallas. C’est remarquablement fait, astucieux. J’adore J.R. qui est devenu mon ami de la semaine.

R&A : C’était la première série soap c’est vrai à arriver sur nos écrans européens… Et la musique ?

Michel Mohrt : La musique m’a beaucoup aidé, notamment à vivre sous l’Occupation. Le Quatuor LowenGoethe qui a donné tous les quatuors de Beethoven m’a énormément touché. J’aime beaucoup la musique, tout particulièrement la musique de chambre. La chanson française me barbe. J’en suis resté à Charles Trénet. J’ai bien aimé le jazz aussi et les negro-spirituals. J’adore les chansons de mer. J’en connais des tas que je pourrais vous chanter. Mon ami François-Régis Bastide m’avait dit que j’étais un taureau et que la partie importante du taureau (astrologique) est le cou. Il paraît que le taureau aime chanter. Dans mon cas, c’est tout à fait vrai. Je me rappelle même avoir chanté en breton, notamment un soir avec Pierre-Jakez Hélias.

R&A : On parle de mer. Vous avez eu une tendresse pour les flibustiers, ces gentilhommes de fortune ?

Michel Mohrt : Oh bien sûr ! LE roman qui m’a le plus marqué de toute ma vie et que j’ai voulu imiter dans la Prison maritime c’est L’Ile au Trésor de Stevenson.

R&A : Qui n’a pas rêvé sur ce livre !

Michel Mohrt : Je l’ai lu et relu. C’est mon père qui me l’avait donné. Il a beaucoup compté pour ma formation littéraire.

R&A : Pour finir cet entretien, que pensez-vous de notre monde moderne ?

Michel Mohrt : Je n’en pense que du mal. L’autre jour, j’ai vu le débat actuel sur le mariage des homosexuels. Il y a quelque temps, j’aurais pris cela à la rigolade. Mais là, ça m’a foutu le cafard. J’étais triste. Dans quel monde va-t-on vivre demain ? Je viens de fêter mes 90 ans et je n’ai qu’une envie c’est de m’en aller lorsque je vois où nous en sommes arrivés !

R&A : Et l’immigration qui dénature notre Europe ?

Michel Mohrt : Malheureusement j’ai bien peur qu’il ne soit trop tard. On s’est battu à Poitiers et l’Espagne a retrouvé sa terre après la Reconquista. Mais là, nous vivons une autre conquête de manière pacifique. Si j’étais plus jeune, je fuirais en Californie, dans cette Amérique où j’ai vécu 7 ans (on dit d’ailleurs que pour bien connaître un pays, il faut y payer ses impôts et y tomber amoureux, ce que j’ai fait là-bas !). La côte ouest de la Californie ressemble assez curieusement à la côte ouest de la Corse qui est superbe. La France et l’Europe me déçoivent de ce côté là. Heureusement que sur mes Côtes d’Armor, rien n’a bougé. Je déteste Paris.

Recueilli par Pierre Gillieth, Réfléchir & Agir n°18, automne 2004

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mercredi, 23 janvier 2008

Entretien avec Thomas Molnar

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Entretien avec Thomas Molnar :

Crise spirituelle, mondialisme et Europe

 

Q. : Pour vous la disparition du spirituel et du sacré dans notre société a-t-elle pour cause la modernité ?

 

ThM : Je préfère inverser les termes et dire que la modernité se dé­finit comme la disparition du spirituel et du sacré dans notre société. Il s'agit d'un réseau de pensée qui s'est substitué graduelle­ment —peu importe le moment du débat historique— aux réseaux tra­dition­nels et en a redéfini les termes et la signification.

 

Q. : Comment  l'Eglise universelle peut-elle s'opposer au mondialisme ?

 

ThM : Elle ne s'y oppose guère sauf dans certains cas et certains moments, et là aussi d'une manière plutôt inefficace. Ayant accepté, avec enthousiasme ou résignation, sa nouvelle position de lobby (depuis Vatican II), l'Eglise s'intègre à la société civile, ses présupposés philosophiques, sa mentalité, sa politique. Un jour, un chan­gement pourra, bien sûr, intervenir, mais pas avant que la struc­ture de la société civile elle-même ne démontre ses propres insuf­fisan­ces. Donc, le changement ne viendra pas de l'Eglise dont le personnel perd la foi et se bureaucratise. Dans l'avenir prévisible, les grandes initiatives culturelles et spirituelles n'émaneront pas de l'E­glise. Plus ou moins consciente de cette réalité, l'Eglise se rallie en ce moment au mondialisme, religion nouvelle des siècles devant nous.

 

Q. :  S'opposer au modernisme et au mondialisme, n'est-ce pas refuser le progrès ?

 

ThM : Le mondialisme rétrécit le progrès, il ne s'identifie plus à lui. C'est que la bureaucratie universelle et ses immenses lourdeurs et notoires incompétences bloquent les initiatives dont la source ultime est l'individu, le petit groupe, la continuité, l'indépendance régionale, enfin la souveraineté de l'Etat face aux pressions impérialistes et idéologiques. Aujourd'hui, le "progrès" (terme particulièrement pau­vre et ne recouvrant aucune réalité intelligible) s'inverse, la société perd ses assises, l'anarchie règne. Nous allons vers le phalanstère sans âme. Bientôt viendra l'épuisement technologique, car l'élan né­cessaire pour toute chose humaine même matérielle, s'amoindrira, s'essoufflera. L'homme désacralisé ne connaît que la routine, assas­sine de l'âme.

 

Q. :  A vous lire, il semble que le sacré n'est pas divin. Pouvez-vous expliquer cette approche ?

 

ThM : Le sacré n'est pas divin dans le sens "substantiel" du mot ; il médiatise le divin, il l'active en quelque sorte. D'abord, le sacré change d'une religion à l'autre, il attire et ordonne d'autres groupes humains (Chartres a été bâtie sur un lieu déjà sacré pour les druides, mais ces sacrés superposés n'expriment pas la même "sacralité"). Le sacré nous révèle la présence divine, cependant le lieu, le temps, les objets, les actes sacralisateurs varient.

 

Q. : Croyez-vous à une régénération du spirituel et du sacré en France et en Europe ?

 

ThM : Il n'existe pas de technique de régénération spirituelle techni­que que l'on utilise à volonté. L'Europe vit aujourd'hui à l'ombre des E­tats-Unis ; elle importe les idées et les choses dont elle pense avoir besoin. Elle est donc menée par la mode qui est le déchet de la civi­li­sation d'outre-mer. Bref, l'Europe ne croit pas à sa propre identité, et en­core moins à ce qui la dépasse : une transcendance ou un telos. "L'unité" européenne n'est qu'un leurre, on joue à l'Amé­rique, on fait sem­blant d'être adulte. En réalité, on tourne le dos au pas­sé gréco-chré­tien et le plus grotesque de tout, on veut déses­pé­rément devenir un "creuset", rêve américain qui agonise déjà là-bas.

 

Tout cela n'exclut pas la régénération, qui part toujours d'un élan iné­dit, de la méditation d'un petit groupe. Aussi ne sommes-nous pas ca­pa­bles de le prévoir, de faire des projets, en un mot de décider du choix d'une technique efficace. Sans parler du fait que la structure démocratique neutralise les éventuels grands esprits qui nous sor­tir­aient du marasme. Sur le marché des soi-disant "valeurs", on nous im­pose la plus chétive, les fausses valeurs qui court-circuitent les meilleures volontés et les talents authentiques. Si le sacré a une chance de resurgir sur le sol européen, le premier signe en sera le NON à l'imitation. Ce que je dis n'est pas nouveau, mais force m'est de constater dans les "deux Europes", Est et Ouest, l'impression du déjà-vu : l'Europe, dans son ensemble c'est Athènes plongée dans la décadence et l'Amérique, nouvelle Rome, mais d'ores et déjà à son dé­clin. La régénération ne peut être qu'imprévue.

 

Q. : Sans ce renouveau spirituel, que peut-il se passer en France et Europe ?

 

A court terme, des possibilités politiques existent, et la France pourrait y apporter sa part. L'Europe qui se prépare sera germanique et anglo-saxonne, la surpuissance de la moitié nord se trouve déjà programmée. Or, c'est la rupture de l'équilibre historique, car la latinitas n'a jamais été à tel point refoulée que de nos jours. La France pourrait donc redevenir l'atelier politico-culturel de la nouvelle Europe, grâce à son esprit et son intelligence des réalités dans leurs profondeurs. Bientôt, l'Europe en aura assez des nouveaux maîtres qui apportent l'esprit de géométrie, la bureaucratie la plus lourde, la mécanisation de l'âme. La France doit être celle qui crie « Halte ! » et, pour cela, pénétrer le continent, porteuse et l'alternative.

 

(propos recueillis par Xavier CHENESEAU ;  celui-ci en détient le © ; pour toute reproduction ou traduction, lui écrire via la rédaction).

 

Notre invité en quelques livres :

 

1968 - Sartre, philosophe de la contestation

1970 - La gauche vue d'en face

1972 - La contre révolution

1974 - L'animal politique

1976 - Dieu et la connaissance du réel

1976 - Le socialisme sans visage

1978 - Le modèle défiguré, l'Amérique de Tocqueville à Carter

1982 - Le Dieu immanent

1982 - L'Eclipse du sacré

1990 - L'Europe entre parenthèses

1991 - L'américanologie, le triomphe d'un modèle planétaire ?

1991 - L'hégémonie libérale

1996 - La modernité et ses antidotes

 

A signaler la parution prochaine, aux Editions l'Age d'Homme, de deux nouveaux ouvrages de Thomas Molnar : Moi, Symmaque et L'âme et la machine.

 

mardi, 08 janvier 2008

Un entretien avec Georges Dumézil

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Un entretien avec Georges Dumézil

Lors d'une interview de Georges Dumézil  (55 min) sur ses recherches, sont abordés les thèmes suivants :

Les populations et langues indo européennes, et leur progression dans l'espace Européen.

Les mythes et la mythologie, et leur importance dans la restitution de notre identité.

Mais aussi les trois fonctions et la structure antique des sociétés européennes : la première fonction dite de souveraineté, politique et religieuse (oratores), la seconde fonction de la défense et de la sécurité (bellatores) et enfin la troisième fonction qui a trait à la reproduction aux échanges et à la fécondité (laboratores).

Notre monde crève aujourd'hui du surdimensionnement de cette troisième fonction !!!

Sont aussi abordés les différences entre l'âme Européenne et les Monothéismes...

Monothéismes qui ont aboutis à créer tant d'intolérances, qu'elles soient spirituelles ou économiques.

Bref 50 minutes à écouter, et à réécouter, ou à faire connaître pour qui cherche des repères dans ce monde de Barbares !!!

http://www.dailymotion.com/robertofiorini/video/x3rsds_le...

Toute littérature qui permettra d’étoffer cette interview est la bienvenue

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vendredi, 28 décembre 2007

Entretien avec Bernd Rabehl

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Entretien avec Bernd Rabehl, leader en 1968 de l’Opposition extra-parlementaire ouest-allemande

 

Nous sommes devenus un peuple d’ilotes !

 

Propos recueillis par Dimitrij Grieb

 

Introduction : Né le 30 juillet 1938, le Dr. Bernd Rabehl a reçu une formation de sociologue et de politologue. Il a été professeur à la « Freie Universität Berlin » jusqu’en 2003. Ami de longue date et camarade de combat de Rudi Dutschke, on le considère comme l’un des principaux théoriciens de l’ « Opposition extra-parlementaire », en abrégé « APO », et du fameux SDS (« Sozialistischer Deutscher Studentenbund », « Fédération socialiste des étudiants allemands »), qui furent les deux organisations porteuses de la révolte estudiantine  de 1967-68 en Allemagne. Bernd Rabehl a écrit une biographie de son ami, intitulé « Rudi Dutschke – Revolutionär im geteilten Deutschland » (= « Rudi Dutschke – Un révolutionnaire dans l’Allemagne divisée »). Ce livre nous permet, aujourd’hui, de réexaminer sereinement les positions du penseur révolutionnaire tant contesté par la bienpensance à l’époque.

 

* * *

 

Q. : Professeur Rabehl, beaucoup de jeunes sont totalement désorientés et l’Allemagne connaît désormais le chômage de masse. Ce qui est en train de se passer, soit le basculement de jeunes gens de gauche dans des partis ou des organisations d’inspiration nationale voire nationaliste, ressemble au paysage politique des années 20 du 20ième siècle. Cet état de chose va conduire les partis du régime à mener un dur combat politique pour récupérer cette jeunesse, mais les partis de droite n’ont pas grand-chose à offrir, jusqu’à présent….

 

BR : Nous expérimentons effectivement ce basculement dans les provinces de l’Est, où nous voyons les jeunes des classes défavorisées passer à « droite ». Nous avons ensuite un autre phénomène, celui de la neutralisation de l’intelligentsia dans les universités et les hautes écoles. Ces phénomènes sont liés à la situation fatale qui règne sur le marché du travail ; quant à la neutralisation des élites intellectuelles, elle est due à la concurrence accrue entre les étudiants qui terminent leurs études : comment vont-ils décrocher un boulot ? Jadis l’intelligentsia de gauche dominait dans les universités : cette intelligentsia est aujourd’hui neutralisée ou se comporte de manière parfaitement opportuniste, tandis que les jeunes sans diplôme, issus de classes défavorisées, principalement dans les Länder de l’Est, basculent à « droite », phénomène lié à l’histoire récente, très spécifique à ces régions, où les villes et leurs industries traditionnelles ont été détruites.

 

Q. : La CDU démocrate-chrétienne est passée définitivement à gauche ; elle s’aligne sur le discours apocalyptique et médiatique qui se veut « anti-fasciste ». Jusqu’en 1989, année de la chute du Mur, l’ « anti-fascisme » était l’idéologie passerelle entre les néo-marxistes libertaires, inspirés par l’école de Francfort, et les marxistes durs, de mouture stalinienne. Que pensez-vous de ce glissement ?

 

BR : Cette alliance de facto existe toujours de nos jours. C’est une sorte de « front populaire », ou de « front national » de l’Allemagne démocratique, c’est-à-dire de feue la RDA. Dans ce concert, la CDU est effectivement devenue un petit instrument mineur jouant benoîtement la partition écrite par les partis de gauche. Tous s’accordent sur une conception du monde, sur un programme, mais leur but essentiel est de lutter contre le peuple lui-même, contre le peuple allemand, contre la culture allemande, contre la langue allemande, contre le passé allemand. Ils veulent réduire ce passé allemand à la période qui court de 1933 à 1945.

 

Q. : Vous considérez que le peuple allemand est devenu un peuple d’ilotes. Que devons-nous entendre par là ?

 

BR : Les peuples d’ilotes sont des peuples qui ont perdu l’esprit, qui n’ont plus une intelligentsia propre, qui n’ont plus de culture spécifique. Je veux ici vous rappeler une parole qui nous vient tout à la fois de Hegel et de Friedrich Engels : « Un peuple est toujours un peuple de bâtisseurs de villes, un peuple qui possède des universités, une peinture propre, un art spécifique, une architecture ». Si tout cela va à vau-l’eau, le peuple perd la tête et est détruit jusqu’au tréfonds de sa personnalité. Les valeurs d’autres peuples sont alors injectées dans ce peuple « ilotisé », qui perd ainsi les derniers résidus de son identité.

 

Q. : Les Allemands sont donc devenus un peuple d’ilotes, mais sont-ils dominés par les Etats-Unis ou par les forces dynamisantes qui tiennent là-bas, Outre Atlantique, le haut du pavé ?

 

BR : Oui, c’est cela, c’est exact. C’est là l’application exemplaire des stratégies qui ont été élaborées pour les guerres du futur. On ne veut pas qu’en Europe centrale et orientale émerge une puissance forte qui pourrait concurrencer les Etats-Unis ou choisir un jour de s’aligner aux côtés de la Russie ou de la Chine. A Washington, l’intérêt majeur est de détruire l’Europe, et non pas seulement l’Allemagne, dans sa substance culturelle et nationale. C’est pour cette raison qu’on nous a imposé l’immigration de masse ; celle-ci est téléguidée et introduit en nos murs des populations venues de plusieurs zones de la planète, sinistrées par des guerres. Ce n’est pas un hasard si nos immigrés viennent de Turquie, du Moyen Orient ou d’Afrique du Nord. Dans les régions sinistrées par la guerre, on retire l’eau dans laquelle le poisson peut nager et on transplante celui-ci en Europe, où l’on se demande : « Pourquoi cela, vers quel but nous dirigeons-nous en pratiquant une telle politique ? ». Ces immigrés n’apportent pas une force de production supplémentaire, ni un savoir précieux, mais arrivent chez nous en tant que peuples brisés, c’est-à-dire en peuples réduits au statut d’ilotes, comme nous.

 

Q. : Comme votre célèbre compagnon de combat de jadis, Rudi Dutschke, vos racines sont en Allemagne centrale, l’ex-RDA. Vous avez pu observer comment les Etats-Unis comme l’URSS ont tenté, chacun à leur manière, de faire du peuple allemand un peuple d’ilotes. Peut-on considérer, avec le recul, que les Allemands de l’ex-RDA ont été moins contaminés par les politiques de rééducation que les Allemands de l’Ouest ?

 

BR : En ex-RDA, il y a toujours eu une sorte de résistance naturelle. Les valeurs soviétiques, les valeurs du parti, de la culture soviétique, ou même du peuple russe, n’ont finalement été adoptées que par les castes dominantes, dans les sphères supérieures du parti. Pour leur part, les ouvriers et la petite bourgeoisie n’ont cessé de récriminer, d’imaginer des blagues mordantes car ils voyaient les pauvres troufions des garnisons soviétiques traîner leurs godillots dans leurs villes et savaient que ces pauvres bougres ne pouvaient rien leur apporter, n’avaient rien à leur dire. C’est dans ce non dialogue permanent que résidait la résistance naturelle du peuple et c’est pour cette raison que les Allemands de l’ancienne RDA sont aujourd’hui plus allemands que les ex-Ouest-Allemands.

 

Q. : Lénine considérait que le peuple russe était son premier ennemi. Il avait l’intention, dès lors, de subordonner les Russes à son idéologie, et d’en faire aussi un peuple d’ilotes. Finalement, le marxisme comme le libéralisme sont issus tous deux du même tronc idéologique : tous deux défendent une vison linéaire de l’histoire, croient à une fin de l’histoire et raisonnent dans les termes d’une philosophie matérialiste. Vos travaux et vos conférences abordent régulièrement les dimensions religieuses du marxisme. Mais existe-t-il aussi une dimension religieuse du libéralisme ?

 

BR : En Russie, aujourd’hui, l’Eglise orthodoxe a récupéré à son compte toute la charge religieuse que recelait, en dépit de son idéologie matérialiste, le marxisme. Le peuple préfère apparemment redevenir chrétien de rite orthodoxe. En Europe occidentale et en Amérique, nous devons plutôt évoquer une ère post-libérale car les principes du libéralisme y sont désormais évoqués pour étayer une méthode de domination des peuples, méthode qui n’entend toutefois pas respecter ces principes.

 

Q. : On vous campe comme l’ancien bras droit de Rudi Dutschke. Y a-t-il un point particulier que vous aimeriez souligner ici, quant à la personnalité de Dutschke, quarante ans après la révolte étudiante et extra-parlementaire ?

 

BR : D’abord je voudrais tout de même rappeler que Rudi Dutschke n’était nullement une personnalité qui appelait à la violence ni cherchait à la commettre. Dutschke était un chrétien protestant au milieu de socialistes ; il se rendait régulièrement au temple, priait souvent et lisait la Bible. Ce sont là des éléments importants de sa personnalité que l’on ne doit ni oublier ni occulter aujourd’hui. Dutschke était un adversaire déclaré de toute violence et a toujours tenté de défendre une position hostile à la violence au sein de la gauche extra-parlementaire, mais n’a jamais pu atteindre son but, car l’ambiance, autour de lui, était à l’action violente. Plus tard, quand le parti des Verts a été fondé par d’anciens activistes de gauche, il a tenté de s’incruster dans le mouvement. Mais il est mort prématurément des suites des blessures qu’il avait subies lors de l’attentat commis contre sa personne. Je peux dire clairement, sans aucune ambiguïté, que Dutschke n’avait rien en commun avec la violence déclenchée ultérieurement par la RAF (Bande à Baader) ou par d’autres groupes militants.

 

Q. : Vous soulignez donc le christianisme de Dutschke, homme de gauche mais aussi nationaliste au meilleur sens du terme, car il s’opposait à toute les formes d’occupation que subissait l’Allemagne…

 

BR : Il a refusé de servir dans la NVA, la « Nationale Volksarmee » de la RDA, parce qu’il ne voulait pas combattre les Allemands de l’Ouest. Il voulait que les Américains quittent notre pays, de même que les Soviétiques. Il voulait transposer les idéaux des mouvements de libération est-européens en RDA et en RFA. Il pensait que la Révolution allait venir de l’Est pour réanimer l’Ouest. La Révolution française avait d’abord migré vers l’Est, vers Moscou et vers Pékin ; ses idéaux allaient ensuite revenir, pensait-il, vers l’Ouest, en faisant crouler les régimes communistes de Hongrie, de Pologne, de RDA et, finalement, d’URSS. Au fond, malheureusement, ses idées sont parties aujourd’hui en fumée : personne n’a tiré réellement les leçons qu’il fallait des positions de Dutschke. Et, de toute façon, la gauche n’était pas prête, à l’époque, à accepter ses idées.

 

(extraits d’un entretien accordé à l’hebdomadaire viennois « zur Zeit », n°47/2007 ; trad. franç. : Robert Steuckers).

vendredi, 21 décembre 2007

G. Miglio: l'Etat moderne est dépassé!

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L'Etat moderne est dépassé!

Entretien avec le Prof. Gianfranco MIGLIO

Propos recueillis par Carlo STAGNARO

 

«Le pouvoir politique s'est concentré au détriment du décentrement initial».

 

Parler de la Déclaration d'Indépendance américaine, de la pensée de Thomas Jefferson et de l'évolution historique des Etats-Unis revient, inévitablement, à parler de fédéralisme. Mais pour évoquer correctement ces thématiques, il convient de se rappeler de certains faits: dans le débat constitutionnel américain, c'est, en substance, le mouvement “fédéraliste” d'Alexandre Hamilton qui a triomphé (mais ce mouvement réclame, en réalité, une centralisation des pouvoirs). Les “anti-fédéralistes” américains (farouches défenseurs des droits des Etats) ont réussi à obtenir, quelques années a­près, la promulgation d'une “Charte des Droits”: un docu­ment très important, mais insuffisant pour contrebalancer les tendances vers la centralisation (fédérale!), qui, désormais, ont commencé à faire sentir leur propre force. Nous avons parlé de tout cela avec Gianfranco Miglio, l'un des exposants majeurs actuels de l'école néo-fédéraliste. Avec sa voix forte et bien modulée, avec sa lucidité de toujours, Miglio m'a fait forte impression, surtout parce qu'il veut communiquer sans freins tout ce qu'il sait, tout le patrimoine de ses idées, toutes ses convictions. J'espère avoir été à la hauteur…

 

Q.: Professeur Miglio, que représente concrètement la Déclaration d'Indépendance américaine?

 

GM: Il s'agit surtout d'une Déclaration d'Indépendance face à la monarchie anglaise. Les colonies américaines s'affran­chis­sent du dominium de la Couronne. Il faut souligner que cette indépendance se réfère aux Etats pris singulièrement, non à leur ensemble. L'origine de l'indépendance est donc fédérale: chaque colonie avait son propre statut, qui précé­dait l'avènement de la Fédération. Par la suite, la Fédération a pratiquement détruit les Etats singuliers. J'aime rappeler le statut de la Pennsylvanie. 80% de la population en Penn­sylva­nie étaient d'origine allemande. On parlait l'allemand et on s'habillait à la mode allemande du 18ième siècle. Les struc­tures politiques pennsylvaniennes plongeaient leurs racines dans la culture allemande. La majeure partie de ces Etats é­tait essentiellement de tradition européenne, une tradition qui remontait aux 16ième et 17ième siècles européens.

 

Q.: Dans le passé vous avez défendu l'idée que le fé­déralisme américain était un “faux fédéralisme”. Défen­dez-vous toujours ce point de vue?

 

GM: Le fédéralisme américain s'est imposé sur la destruc­tion des Etats singuliers qui, dans un premier temps, s'é­taient mis d'accord pour adopter des structures fédérales. Au­jourd'hui, cependant, les soi-disant “fédéralistes” aux Etats-Unis sont considérés comme les fossoyeurs des au­to­no­mies. Certains fédéralistes, comme Madison, visaient directement la création d'un Etat national.

 

Q.: Quelles sont les caractéristiques du vrai fédéralisme alors?

 

GM: Des institutions authentiquement fédérales doivent naî­tre au départ de l'indépendance réciproques des commu­nautés politiques qui participent à la structure fédérale. De telles entités doivent avoir leurs propres structures et leurs pro­pres statuts, indépendamment des institutions fédérales.

 

Q.: Est-il possible d'identifier dans l'histoire américaine un moment où le fédéralisme des origines a été corrom­pu et s'est transformé en un processus de central­isa­tion?

 

GM: Toute l'histoire des Etats-Unis est l'histoire d'une cen­tra­lisation. Le pouvoir politique s'y est concentré petit à petit et les pouvoirs détenus au départ par les Etats de la fé­déra­tion se sont réduits.

 

Q.: Nous, Européens de l'an 2000, pouvons-nous encore tirer quelque enseignement de la Déclaration d'Indépen­dance des Etats-Unis?

 

GM: Certainement. Nous devons retourner à la grande tra­dition juridique inaugurée jadis par Althusius et les juristes des 16ième et 17ième siècles, qui ont construit des modèles pour assurer la permanence des souverainetés particulières. Je crois que le poids du “droit public européen”, qui a créé l'Etat moderne, est encore (trop) considérable dans l'histoire quotidienne de l'Europe d'aujourd'hui. Le problème actuel est de mettre ce droit de côté, de le remplacer par des struc­tu­res fédérales. L'Etat moderne est entré en déclin pour de­ve­nir un Etat parlementaire. Il nous faut retourner aux tra­ditions fédérales des 16ième et 17ième siècles, que l'on a ou­bliées, et que l'Etat moderne a oblitérées, pour se poser com­me l'unique pouvoir souverain et inégalable.

 

Q.: Si j'ai bien compris, Professeur, l'Etat moderne est non seulement insuffisant, mais aussi immoral…

 

GM: Je dirais même plus: il est dépassé. L'Etat moderne est en plein déclin. Notre tâche est de raviver la tradition au­then­tique de l'Europe des cités, de l'Europe de l'ère hanséa­ti­que… où les cités indépendantes ne faisait appel au Saint-Empire romain que pour arbitrer les conflits entre elles. L'Eu­ro­pe de l'avenir n'est pas une Europe des Etats modernes, car cette Europe-là a déclenché les épouvantables guerres de notre siècle. Il nous faut donc oublier cette Europe né­ga­tive.

 

(entretien paru dans La Padania, 4 juillet 2000, http://www.lapadania.com ).  

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mardi, 18 décembre 2007

Panturquisme et pantouranisme

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Sur le panturquisme et le pantouranisme

Entretien avec le Prof. Dr. Dr. Heinrich Paul Koch (Université de Vienne, Autriche)

Le Prof. Heinrich Paul Koch, détenteur de deux doctorats, s’est surtout rendu célèbre en Autriche et dans l’espace linguistique germanique grâce à sa thèse sur « les légendes du déluge dans le monde ouralo-altaïque » (1997). Il est un spécialiste des études historiques, préhistoriques et proto-historiques, de philologie finno-ougrienne et d’ethnologie. Jusqu’en 1996, le Prof. Koch, né en 1931 à Pressburg (Bratislava), avait enseigné la chimie pharmaceutique à l’Université de Vienne et la biopharmacie à l’Université de Cincinnati en Ohio aux Etats-Unis. Outre des centaines d’articles et d’essais, le Prof. Koch est l’auteur de huit livres.

Le panturquisme, que l’on appelle parfois aussi le pantouranisme, vise l’unité de tous les peuples turcs, leur rassemblement au sein d’un seul Etat. Dès 1839, se constitue en Turquie une « Société Touranienne » qui se fixe comme objectif de fonder un « Empire du Touran ». En 1915, les Jeunes Turcs, qui dirigent le gouvernement de l’Empire ottoman, déclarent que leur objectif de guerre est l’unité de tous les peuples turcs. Aujourd’hui encore, la Turquie revendique pour elle-même le rôle de diriger l’ensemble des peuples turcs, qui comptent quelque 250 millions d’âmes, sur des territoires qui s’étendent jusqu’aux confins de la Chine et jusqu’aux coins les plus reculés de la Sibérie. Le Prof. Dr. Dr. Heinrich P. Koch s’est intéressé très vivement à l’histoire de l’idéologie touranienne et, plus particulièrement, aux adeptes hongrois de cette idéologie. Car on oublie qu’en Hongrie aussi, en 1918, s’est constituée une « Société Touranienne », qui se fixait pour objectif de réunir tous les « Touraniens ». L’entretien que nous donne le Prof. Koch vise à nous éclairer sur les tenants et aboutissants de cette idéologie.

L’idée touranienne

Q. : Prof. Koch, quels sont les fondements du touranisme ?

HPK : Par touranisme l’on entend, la plupart du temps, le mouvement panturquiste dont le but est de réunir tous les peuples turcs. Le touranisme, au sens le plus large, va beaucoup plus loin : à la base de cette idéologie, nous trouvons la théorie de l’ascendance commune des peuples finno-ougriens et turcs, qui serait un peuple matriciel unique d’Asie centrale, issu d’une région située entre l’Oural et l’Altaï. La désignation collective « touranide » servirait de référence à tous les peuples non-indo-européens et non-sémitiques de l’Ancien Monde. Sous la désignation de « touranides », on rassemble, par un élargissement audacieux, outre les Turcs de l’ancien empire ottoman et outre les peuples turcs d’Asie centrale (soit les Azerbaïdjanais, les Oghuzes, les Tchouvaches, les Turco-Tatars, les Toungouzes, les Ouïghours, les Ouzbeks, etc.), les Japonais, les Chinois, les Coréens et les Tibétains. Les langues de tous ces peuples sont désignées, encore aujourd’hui, sous le nom de « langues touraniennes », alors qu’en fait elles n’ont que très peu de traits communs ; ainsi, le hongrois et le turc, n’ont que peu de racines communes et n’on comme point commun que le fait d’être des langues agglutinantes. La linguistique moderne a réfuté depuis longtemps l’appartenance à une famille commune des langues ouralo-altaïques.

Le « pays des Turcs »

Q. : Malgré cela, le touranisme a fait un nombre croissant d’adeptes en Hongrie pendant la première guerre mondiale…

HPK : Effectivement. Ce mouvement visait à détacher la Hongrie de l’Europe et de la ramener dans l’orbite asiatique. Après l’ère prospère des Germains et des Slaves, viendrait, disaient les touranistes, l’heure des Touraniens – dont le territoire s’étendrait de la Hongrie au Japon, ou, selon leurs propres mots, « de Theben jusqu’à Tokyo ». Par Theben, ils entendaient la localité à l’embouchure de la rivière March.

Le touranisme doit son nom à une plaine, une dépression, nommée « Touran », comme contrepartie du haut plateau iranien, qu’elle jouxte au Nord-Est. En réalité, « Touran » est le terme persan pour désigner le Turkestan, ce qui signifie le « Pays des Turcs ». L’énorme région du « Touran » est aux quatre cinquièmes constitué de déserts, mais est très riche en pétrole et en gaz naturel. Aujourd’hui, ce pays de « Touran » est divisé entre trois Etats : le Turkménistan, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.

Q. : Quelle a été l’importance du touranisme en Hongrie ?

HPK : Le premier président de la « Société Touranienne » en Hongrie a été le Comte Pàl Teleki, qui disait de lui-même : « Je suis un Asiate et fier de l’être ». Le Comte Teleki a été deux fois ministre des affaires étrangères et, en 1920-21 puis entre 1939 jusqu’à son suicide en 1941, premier ministre de Hongrie. La production la plus connue de ce courant d’idées ont été les « Chants touraniens » d’Arpàd Zempléni. Il appelait les Allemands de Hongrie des « diables aryens » et avait travaillé dès 1910 à leur expulsion, qui aura lieu en 1945.

Dans les années 40, l’idée du touranisme était très répandue dans l’intelligentsia hongroise. Eugen Cholnoky, Président de la « Société touranienne » à partir de 1941, avait déjà été, pendant l’entre-deux-guerres, « Grand Vizir » de l’ « Alliance touranienne ». Cette dernière était un mouvement de rénovation particulièrement agressif à l’égard des Allemands, des Tziganes et des Juifs.

Honneur à Attila, roi des Huns

Q. : Comment l’idée touranienne a-t-elle pu se diffuser à une telle ampleur ?

HPK : Déjà au 13ième siècle, le chroniqueur médiéval hongrois Simon Kézai faisait des Huns asiatiques du 5ième siècle les ancêtres directs des Magyars. Aujourd’hui encore, Attila, le roi des Huns (mort en 453) est honoré en Hongrie.

A l’époque baroque, le Cardinal Péter Pàzmàny (mort en 1637) voyait dans la fraternité païenne entre Hongrois et Turcs la raison réelle de l’absence de résistance de ses contemporains face à l’ennemi extérieur ottoman.

L’historien chauvin Istvàn Horvàt a accentué à l’extrême cette notion de fraternité asiatique en tenant les Magyars pour apparentés aux Scythes, aux Assyriens, aux Pélasges, aux Parthes et aux Arabes de l’antiquité. Il répète et confirme l’ascendance hunnique des Hongrois, mais ne voulait rien entendre de la parenté réelle qui liait ces derniers aux Finnois. Le Comte Istvàn Széchenyi voulait, pour sa part, établir une parenté entre les anciens Magyars et les Sumériens, c’est-à-dire le premier peuple de culture qui a émergé en Mésopotamie.

Q. : La couronne royale hongroise recèle des composantes d’origine proche-orientale…

HPK : La couronne dite de « Saint Etienne » se compose de deux parties, celle que le Pape Sylvestre II a envoyé au roi Etienne, le futur Saint Etienne, et que l’on appelle aussi la « corona latina », et, ensuite, celle que le roi Géza I a reçue de l’Empereur byzantin Michel Ducas, soit la « corona graeca ». La réunion de ces deux parties est perçue par les Touraniens comme le symbole de la division Est-Ouest, qui divise aussi l’âme magyare. C’est cette division dont les Touraniens veulent se débarrasser. Ils voulaient se détacher de l’Occident et retourner à la grandeur touranienne afin de servir de fondement et de réveil à la conscience nationale hongroise. La nation magyare serait, dans cette optique, l’incarnation glorieuse de la « race des seigneurs » touranienne.

Q. : Qu’en disaient, mis à part les peuples réellement turcs, les autres « candidats » invités à communier dans l’idéal pantouranien ?

HPK : Les Finnois et les Estoniens refusaient clairement de se considérer comme des Asiatiques. Les Japonais, les Chinois ou les Coréens riaient d’être ainsi étiquetés « touraniens ».

Les pertes hongroises sous la domination turque

Q. : Avait-on dès lors oublié, en Hongrie, que les fonctionnaires et la soldatesque turcs avaient systématiquement pillé le pays au cours des deux cents années qu’y avaient duré les guerres contre les Ottomans ?

HPK : Oui. Et l’on avait oublié aussi que les Allemands, alliés à la Maison des Habsbourgs, avaient libéré la Hongrie du joug turc. On essaya même, dans la foulée, de leur mettre sur le dos l’annihilation de larges strates de la population hongroise pendant la période de domination turque. En 1941, on parlait par exemple des 200 années d’ « oppression autrichienne », période égale à celle de la domination ottomane. Pourtant les faits sont têtus : la population hongroise s’est réduite de 3,2 millions d’habitants à 1,1 million pendant l’occupation turque, tandis que sous l’ère des Habsbourgs, elle a crû de 1,1 million à 9,2 millions.

Les Allemands, les Slaves et les Juifs ne devaient avoir plus aucune place dans une Hongrie redevenue pleinement « touranienne ». C’est ainsi que Teleki, tandis qu’il exerçait les fonctions de premier ministre, fit passer en 1920 les premières lois antisémites de l’Europe contemporaine.

Après la défaite allemande à Stalingrad, la propagande touraniste reprit vigueur. Après l’effondrement du Reich, les « chasseurs touraniens » (« Turàni Vadàszok ») exigèrent l’  « évacuation définitive de tous les Souabes ». L’exigence d’une expulsion ou d’une élimination physique de tous les non Magyars dans l’ancien espace géographique hongrois avait déjà été exigée dès 1939. Les communistes magyars sous la direction de Matyàs Ràkosi refusèrent toutefois le racisme des surexcités touranistes. Le touranisme en Hongrie a donc été résolument germanophobe, mais aussi antisémite. On doit constater avec tristesse que ces idées aberrantes on joué un rôle essentiel dans l’expulsion des Allemands de souche, installés en Hongrie, après la seconde guerre mondiale.

(entretien paru dans DNZ, n°43, octobre 2005; trad. franç. : Robert Steuckers).

samedi, 08 décembre 2007

R. Steuckers: Interview to "Free Eurasia"

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Interview of Robert Steuckers for the Georgian magazine "Free Eurasia"

Questions of Mr. Gia BUMGIASHVILI

1. What is your opinion about the creation of the Eurasian movement under
the leadership of A. Dugin?

I first met Dugin in a Parisian bookshop in 1990. We started a conversation
and, immediately, we stated that we had the same geopolitical vision, in
spite of the fact that the Cold War had separated Russians and West
Europeans for more than forty years. A very few group of people, on both
side of the Iron Curtain, remained silently true to the same
conservative-revolutionist and geopolitical ideas. We both were tremendously
satisfied to state that. So I am very happy to hear now that he is launching
a worldwide Eurasian movement. In Paris, Guillaume Faye is pleading since a
couple of years for a "Euro-Siberian" perspective and many other people here
in Belgium write me now to develop similar initiatives. In Germany too, the
hope of re-establishing the traditional German-Russian alliance (from
Tauroggen in 1813 till the tragic abdication of Bismarck) is present. In
Italy and Spain, many people struggle also for similar Eurasian
perspectives. To put the idea in practical terms and to embed it in an
actual historical perspective, I would say that the Eurasian idea should be
the answer to the current American strategy, which was elaborated by
Zbigniew Brzezinski in his book The Grand Chessboard; at the same time, this
mobilising idea should be the revival of the Holy Alliance led by Prince
Eugene of Savoy at the end of the 17th century. Brzezinski wants to reduce
the space of the Orthodox-Russian civilisation sphere to the lands it
occupies before Catherine II, by supporting the Turkish and Muslim claims.
Against such a strategy, we should remember the actions and victories of
Prince Eugene, who compelled the Ottomans to retrocede 400.000 km2 of lands
to Austria and Russia. Prince Eugene gave so the first kick that allowed
some decades later Potemkine and Catherine II to push their armies to Crimea
and to deliver the all Black Sea Coast from Ottoman yoke.

2. What do you think about Georgia and Caucasus?

As all Western people, I must confess that our knowledge about your country
is very reduced. This is a result of forty years of Cold War. The only
testimonies of people having really been in the Caucasus area are the ones
of German soldiers or of people having served in the German army. I remember
an old man, who is still alive, and who told me that he had been impressed
by a refined way of life in the difficult conditions of war. In the
neo-conservative circles in Western Europe, the main sources of reference
about the Caucasus are the books and articles of the French philologist
Georges Dum_zil, who specialised in the ancient Ossetes, and the poems of
the Armenian poet Daniel Varoujan, who wrote verses about the gods of the
Ancient Caucasus. Daniel Varoujan was killed by the Turks in 1916, when the
Ottoman authorities decided to get rid of all the Orthodox populations
accused of supporting the Russians. About the Black Sea area, our main
sources are Romanian. As the Romanians generally speaks French very well,
they were the only intellectuals in the West that could give us here
intelligent information about the Black Sea area. We really look forward to
receiving from you more information about Georgian and Caucasian history, in
the frame of our activities in Eurasian work groups. More generally, I would
say that Europe needs a link to the so-called Pontic area. A Europe that is
cut from your area is not complete, it lacks the contact with decisive
elements of its culture, as the Romanian historian of religions, Mircea
Eliade, taught us. The German historian of religions Markus Osterrieder
speaks of the "Pontic mysteries", heritated by the Scythians, the
Sarmatians, the Alans and the Ancient Iranians, that were cultivated in all
Caucasian countries before the islamisation and that were also preserved in

monasteries and cave dwellings in Crimea. The French Paul Du Breuil
remembers us that the ideals of the medieval Chivalry derives form the ethic
codes of the Sarmatians, who served in the Roman army, and who were also
deeply influenced by the cult of Mithra. Europa has always been nostalgic of
these "Pontic Mysteries" and created in the 15th century the Chivalry "Order
of the Golden Fleece", in order to come back spiritually to the Pontic area,
womb of the highest ideals. The Western materialistic spirit wouldn't have
wounded the European soul so deeply, would the ideal of the "Golden Fleece"
have been realised.

3. What political orientation of Europe are you for?

We want a free Europe, independent on all level, inclusive the food, energy
and finance levels. To reach this ideal in Europe, we have to reduce our
dependencies from American food consortiums, from Saudi Arabian oil and oil
routes and from Wall Street. Only the Eurasian perspective, and subsequently
the "Golden Fleece" ideal in its material contemporary aspects, can help us
all to get rid of those dependencies. The Euro-Siberian ideal should be
centred around the Black Sea, as well as the Caspian and Aral Sea, with
links to the West by the river system, as the geopolitician Artur Dix saw it
at the time of the Rathenau-Chicherin alliance of Rapallo in 1922. As you
know, America is controlling Europe militarily by holding the Mediterranean
through the presence of the 6th Fleet and its alliance with Turkey and
Israel. But Chancellor Kohl of Germany realised actually a dream of
Charlemagne, first Frankish Emperor of the West. Charlemagne, stating that
the Mediterranean was in the hands of the Saracens, thought that it would be
opportune to dig a Canal between the Main, a river which is tributary of the
Rhine, and the Danube, in order to reach the Black Sea. So Europe would have
had a fluvial highway from the North Sea to the Black Sea, without being
disturbed by the Saracens. Kohl realised this project after more than
thousand years. Immediately after the digging of the Canal, war started on
another spot of Danube river, i. e. in Yugoslavia. First, the terrible
battle of Vukovar between Croats and Serbs blocked the river for a while;
secondly, the disastrous war of the NATO against Serbia destroyed the
bridges in Belgrade, cutting the circulation on the main European river.
More, from Belgrade, Europe could easily reach by road and railway the
Aegean Sea, i. e. the Eastern basin of the Mediterranean, an area that the
British and the American always wanted to keep far from European or Russian
hands.

So our freedom as political entities or as a civilisation area depends
largely from a freedom to use our own highways. The same is valid of course
for the pipelines of Northern and Southern Caucasus. If they are linked to
the Rhine-Danube system instead of to the Turkish-American project of
letting the oil transiting through Turkey in the direction of Ceyhan on the
Eastern Mediterranean coast, we all would be masters of our energy.

We wish also a Europe that would be lead by politicians having a clear
historical and geopolitical consciousness. And who would have
"responsibility ethics", as Max Weber said.

4. How do you imagine the best anti-American movement in the world?

A good movement should be borne by people in every country, who would first
cope with the problems in practical and geopolitical terms. A movement is
always a potential government elite and in our eyes there is no better
governance than a governance guided by a good historical memory. The
divisions within the Eurasian peoples' family are due to a horrible lack of
historical perspective. The task of an elite is to give back to all of us an
historical perspective, able to seize the real dynamics of history. Guy
Debord, the French clever leftist of the Sixties, said that manipulation was
possible because the historical memory had been wiped out. This is very
true. CNN can tell its lies throughout the world because the brains of the
petty politicians of the usual parties are totally empty. Our task is to
revive the historical memory of our people, in a unifying Eurasian sense.

5. May we translate your articles and publish them in our journal?

This question makes me really happy, simply because I tell the people since
decades that our freedom will come when we know each other better. The best
way to know each other is to translate texts. So you understand clearly
what's to be done. Of course, Georgian fellows, you not only may translate
our texts, but you ought to! For the sake of our common struggle! We will
try, with your help, to give as much information about your activities as we
can. Many young people helping me to edit my magazines will be happy to see
their texts translated. Thank you! And good luck!

dimanche, 21 octobre 2007

J. Mabire: entretien sur la figure de l'Aventurier

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Entretien exclusif avec Jean Mabire : Réflexions sur la figure de l'aventurier

Jean Mabire, quels que soient les domaines que vous ayez abor­dés dans vos 90 et quelques volumes publiés à ce jour (ndlr:170, en fait, nous confiera Jean Mabire lui-même dans la lettre accompagnant ses réponses), des SS français aux 55 jours de Pékin, d'Amundsen à l'histoire de la Normandie, toujours ressort en filigrane, sinon d'évidence, une idée ré­currente, mieux, une certaine définition de l'homme, dont les valeurs pourraient se résumer par un mot: l'aventure. Jean Hoh­barr ne s'y trompait pas, qui écrivait dans un numéro du Fran­çais : «Mabire l'avoue, il ne tient pas la littérature pour un genre “neutre”, mais bien comme l'expression d'une vision du mon­de». Sans doute le sang viking qui coule dans vos veines de Normand n'y est pas étranger. Toujours est-il qu'aujourd'hui, l'aventure paraît définitivement ressortir du domaine du passé, à l'heure du tout-media et de la photographie par satellite. La conquête de l'espace, le mercenariat ou l'exploit sportif (voir la lutte contre le SIDA selon certains) seraient-ils les dernières formes d'aventure ouvertes à l'homme de demain?

Jean Mabire: Quand Ernst von Salomon, cet aventurier-type de notre siècle, se vit obligé, après la défaite de son pays, de répondre à un Questionnaire, il ne fallut pas moins de 650 pages pour ce faire, ce qui lui permit d'ailleurs d'écrire son meilleur livre. On s'aperçut alors qu'il n'avait jamais cessé de se mettre en scène lui-même et qu'il avait tout au long de sa vie mélanger sa bibliographie et sa biographie. Tel n'est certes pas mon cas. Je m'intéresse bien davantage à mes personnages —imaginés ou restitués— qu'à moi-même. Et bien davantage peut-être à mes lecteurs qu'à mes personnages.

Certes, mes «héros» vivent une aventure, à commencer par le très singulier Roman Feodorovitch von Ungern-Sternberg, cas extrême s'il en fut. Je pense cependant que le terme d'aventurier ne leur con­vient guère. Il m'arrive de préférer celui de militant. Ou si l'on veut ce­lui de «soldat politique», expression inventée, je crois, par Ernst Roehm, qui n'est pas le moins singulier de tous mes sujets et qui a l'avantage d'être plus véridique que romanesque, d'où le côté assez «instructif » du livre que je lui ai consacré.

Puisque vous parlez d'aventurier, je crois qu'il faut revenir à un essai (si important que j'ai consacré à son auteur une chronique entière dans Que lire?).

Il s'agit du Portrait de l’aventurier de Roger Stéphane. On sait qu'il y évoque trois hommes hors du commun: Lawrence d'Arabie, André Malraux et l'indispensable von Salomon. Ce petit livre, publié en 1950 et récemment réédité, est précédé d'une très éclairante étude de Jean-Paul Sartre. Une vingtaine de pages, mais elles me sem­blent capitales pour répondre à votre interrogation. Sartre distingue as­sez bien: «Aventurier ou militant: je ne crois pas à ce dilemme. Je sais trop qu'un acte a deux faces: la négativité, qui est aventurière, et la construction qui est discipline. Il faut rétablir la négativité, l'in­quié­tude et l'autocritique dans la discipline ».

Dans une fameuse querelle, vieille d'un demi-siècle, je me sens plus proche de Sartre que de ces «Hussards» qui harcelaient le lourd convoi de la littérature engagée.

Je crois, par ailleurs, qu'il y a quelque simplification abusive à oppo­ser aventurier de l'action et aventurier du rêve. Drieu la Rochelle l'a­vait fort bien compris qui se refusait à enfermer l'aventure dans le car­can dérisoire de la gratuité. Si l'on parle voile, le plaisancier peut se révéler aussi «aventurier» que le navigateur de compétition. Et vice-versa. Moilessier-Tabarly.

L'opposé de l'aventurier? C'est le bourgeois. Voir Flaubert qui a tout dit là-dessus. Le champ reste vaste, infini même, y compris avec la boutade de Péguy qui prétendait que les pères de famille étaient les aventuriers de son siècle.

Sur la littérature comme «vision du monde», je voudrais encore citer Drieu. J'ai récemment découvert un article du 20 février 1932: «Il n'est donné à personne d'écrire une ligne qui, à un égard quel­con­que, soit neutre. Un écrit présentera toujours une significa­tion politique aussi bien qu'une signification sexuelle ou reli­gieuse».

Non, I'aventure n'est pas le passé. Croyez-moi, on vivra encore fort dangereusement au XXIe siècle.

Pierre Mac Orlan, dans son fameux Petit manuel du parfait aventurier (aujourd'hui réédité au Mercure de France) mettait l'accent sur le paradoxe de l'aventurier, à savoir que celui-ci n'existe pas, qu'il n'est que recréation a posteriori, minéralisa­tion pseudo-mythologique par une société bourgeoise avide de rêves et d'exploits; et que, a contrario, ce même aventurier ne mon­trait dans ses actes que cruauté, nihilisme et cynisme, si­non cupidité. On est là, nous semble-t-il, à mille lieues du message que diffusent vos ouvrages, plus proches de Jack London que de Lawrence d'Arabie.

JM: Je devais avoir une douzaine d'années quand j'empruntais dans la bibliothèque de mon père ce petit manuel dont vous parlez et je me souviens d'avoir été fort déçu. Brusquement privé de mon ima­ginaire adolescent, nourri de L'île au trésor de Stevenson et des Cor­sai­res du roi de t'Serstevens. D'où mon ultérieure méfiance envers Mac Orlan, maître-démystificateur. Il me retira l'envie d'être un aven­turier. J'en devins, par réaction sans doute, militant.

Cela n'enlève rien à la sombre fascination des gentilshommes de fortune. Mais je m'identifiais plus facilement à Cyrano qu'à L'Olon­nois ou Borgnefesse...

Il devait toujours me rester, du drame épique d'Edmond Rostand, l’opinion que c'est bien plus beau quand c'est inutile... Cette sensation fut confortée par le film La patrouille perdue de John Ford, avant de trouver son épanouissement avec Le désert des Tartares de Buzzati. J'ai été frappé du fait que les batailles fondatrices —ces aventures exemplaires— sont toujours des batailles perdues: Sidi Brahim, Camerone, El Alamo, Bazeilles, Berlin, Dien Bien Phu. Cela devait renforcer mon pessimisme foncier (toujours Flaubert, bien plus que Stendhal). Mais un pessimisme qui incite à l'action plus qu'au rêve. Voir là-dessus les sagas et Corneille.

Dans mon cas très personnel, ce qui m'a rendu assez exaltante la guerre d'Algérie en 58-59, c'est que je savais qu'elle était perdue pour l'armée dans laquelle je me battais. On retrouve ce sentiment à la puissance dix quand j'ai rejoint Philippe Héduy et l'équipe de L 'Esprit public à la fin de 1962.

A l'âge des relectures, j'ai repris La Bandera, La cavalière Elsa et même Picardie, avec un constant sentiment de malaise. Seul bou­quin à surnager: L'ancre de miséricorde.

Il est de fait que le «roman d'aventure» n'est que substitution. Le lecteur vit ce qu'il n'est pas, revit même ce qu'il n'a pas vécu. Phé­nomène auquel la télévision donne une dimension fasci­nan­te et onirique. On «fait» la guerre ou l'amour par procuration de­vant le petit écran. Triomphe de l'illusion absolue.


Mac Orlan (…) me retira l'envie d'être un aventurier. J'en devins, par réaction sans doute, militant»

Le héros de votre dernier livre, Padraig Pearse (Patrick Pearse une vie pour l'Irlande, éditions Terre et Peuple) donne aussi cette impression d'osciller entre l'idéalisme révolutionnaire et le plus noir nihilisme, l'amour des hommes et la froide détermination criminelle. Un peu comme Ungern avant lui, et ce, dans une perspective très proche des Conquérants de Malraux.

JM: Ce côté nihiliste et même suicidaire de Patrick Pearse a été souvent mis en avant par ses adversaires. Si vous retirez cette im­pression de mon livre, c'est que j'aurais manqué ma démonstration. Car c'en est une. Ce court essai décrit une sorte de cheminement inévitable qui conduit un homme —qui est un écrivain, donc un artiste— du combat culturel à l'engagement politique et de cet engagement à la lutte armée. Une autre dimension de Pearse, et non la moindre, est son rôle d'éducateur à Saint-Enda.

Nous sommes très loin d'un aventurier, comme le sera après lui, par bien des traits de son caractère, un homme comme Michael Collins. Pearse me semble la plus haute incarnation du «soldat politique». Il va accomplir un geste fou, mais qui lui semble le seul capable de réveiller le peuple irlandais. Evoquer Les Conquérants à son sujet me paraît fort éclairant.

Ne pas oublier aussi que ce petit livre se situe dans la même ligne que mon gros ouvrage sur Les éveilleurs de peuples (Jahn, Mazzini, Mickiewicz, Petöfi et Grundtvig). Pearse se bat dans leur sillage et conjugue en lui tous les aspects de leurs diverses personnalités: poèt­e, éducateur, militant, prophète, martyr...

Ungern, lui, échappait à cette sorte de «rationalisation de la folie». Il était à la fois plus dément et plus lucide.

Dans votre livre La Torche et le Glaive, vous écrivez ces mots, superbes: «Ecrire pour moi n'est pas un plaisir ni un privilège. C'est un service comme un autre. Rédiger un article ou distribuer des tracts sont des actes de même valeur (...) Ecrire doit être un jeu dangereux. C'est la seule noblesse de l'écrivain, sa seule manière de participer aux luttes de la vie». Or, en relisant Dominique de Roux, quelle ne fut pas notre surprise de retrouver des propos similaires, et écrits à peu près à la même époque: «Ces dernières années, j'ai compris ceci: la littérature et l'action révolutionnaire directe sont, toutes les deux, des modalités d'approche de la mort (...) C'est à travers la mort que la littérature devient action révolutionnaire, et c'est par la mort que l'action révolutionnaire rejoint la littérature». Il ne paraît pas usurpé aujourd'hui de voir en lui un aventurier des lettres.

Fort de ces confidences, et au risque de nous répéter, l’aven­ture du prochain siècle ne serait-elle pas davantage intérieure? Entendez par là une attitude que nous qualifierions de « Re-deviens ce que tu es». N'est-ce pas là somme toute l'objectif supérieur assigné à la littérature, tels que vos écrits nous le laissent à penser?

JM: D'abord, ne nous faisons pas trop d'illusions, nous autres écri­vains, sur l'importance de ces «aventures» que sont nos livres. On ne sait trop quel usage en feront nos lecteurs. Ainsi l'influence d'un Barrès nous apparaissait hier surprenant et aujourd'hui incro­yable.

Je suis d'une génération marquée au fer rouge par Montherlant et Malraux. C'est dire si Sartre et Camus m'ont paru ensuite d'une rare fadeur. On revenait à la littérature «fin de siècle» avec l'esthétisme méditerranéen et l'intellectualisme dreyfusard.

La contre-attaque des «Hussards» m'a semblé moins pertinente que celle des garçons de la fournée suivante, et notamment Dominique de Roux et Jean-Edern Hallier. On se doit d'ajouter Jean-René Hu­guenin et Jean de Brem, mais ils sont morts trop tôt.

Il faudrait parler de la mort. Dominique comme Jean-Edern en avait la fascination, la prescience. C'est une réflexion qui ne vient pas seu­lement avec l'âge. Là encore, on retrouve Malraux. L'idée tragique de la vie. Vous posez ensuite une sorte d'opposition entre «action in­térieure» et «action extérieure». Il y a là une tentation: la voie royale Guénon/Evola. Elle m'intéresse, mais c'est un chemin qui ne m'attire guère. Je suis plutôt fasciné, dans le même ordre d'esprit, par la dia­lec­tique paix/guerre. Disons Giono/Malraux (toujours lui). Nietzsche a­vait assez bien pressenti tout cela. La tentation de la tour d'ivoire se heurte à la brutale affirmation que la rue appartient à celui qui y descend.

Il est évident que pour un écrivain, l’acte d'écrire est intérieur et l'acte de publier extérieur. Deux aventures strictement complémentaires. Il me semble que vous faites allusion à «la politique». Autant sa version politicienne et même politicarde m'est totalement étran­gère, autant le sort de la cité, de ma patrie charnelle à l'Europe, n'a jamais cessé de me hanter. D'où une réflexion sur l'Etat, dont le but doit être de «fortifier » le peuple et non de servir une idéologie.

« Je suis d’une génération marquée au fer rouge par Montherlant et Malraux, c'est dire si Sartre et Camus m’ont paru ensuite d 'une rare fadeur »

Toujours dans le même registre, mais autre aventure aussi intensément vécue depuis bientôt cinquante ans, l’engagement fédéraliste, qui combine dans la même absoluité européisme passionné et défense des identités charnelles. Vous dites dans le Manifeste pour la renaissance de la culture normande que la culture française ne sera sauvée que par son ressourcement dans ses traditions régionales et son ouverture à l'Europe des lettres. Pouvez-vous préciser?

JM: L'identité d'un peuple, c'est son esprit autant que sa chair. C'est pourquoi le «culturel d'abord» me paraît plus décisif que le fameux «politique d'abord» de Maurras. Certes, je ne nie pas la vi­sion politique. Mais je la situe hors des multiples et néfastes contin­gen­ces actuelles. Pour moi, tout se résume dans la dialectique, di­sons plutôt la confrontation, entre ces deux entités, non contra­dic­toires mais complémentaires, qu'est l'Empire, c'est-à-dire l'Europe, et les peuples qui ne se confondent certes pas avec les états-nations existants.

L'Europe, si elle veut préserver son identité et s'affirmer par rapport au reste du monde, c'est-à-dire en résistant d'abord et avant tout à l'impérialisme américain, doit être avant tout une et diverse.

Une politiquement, militairement, diplomatiquement, économique­ment. Mais diverse culturellement. C'est pourquoi la France n'a de signification qu'en assurant d'abord ce que la Pléiade nommait «la défense et l'illustration de la langue française». En ce domaine, le rôle de la Wallonie comme de la Suisse romande est capital, même si ces deux entités excitent le mépris du parisianisme le plus stérile.

Cette culture française, incarnée dans une langue, ne pourra retrou­ver quelque vivacité qu'en intégrant toutes ses spécificités régio­nal­es.

Je ne parle pas ici des langues dites «minoritaires», breton, flamand, alle­mand, corse, catalan, basque, occitan, mais aussi des différents dia­lectes d'oïl, tout comme de ce qu'on nomme le «français régio­nal», qui varie selon les pays et les usages.

L'actuelle promotion du «langage des banlieues» aboutit à un terrible appauvrissement, entre autres facteurs par l'emploi du «verlan», qui est le contraire d'une création pour devenir une mécanique.

Maintenir le langage écrit contre le langage parlé est un des aspects de la guerre culturelle. Cela se heurte certes à la modernité qui ne connaîtra bientôt plus qu'une sorte de basic French assez analogue à ce qu'est l'américain par rapport à la langue de Shakespeare.

Cette attitude implique le souci des «humanités» comme on disait autrefois, c'est-à-dire la connaissance du grec et du latin. On doit y ajouter, pour les patries charnelles concernées, une certaine con­nivence avec leurs racines les plus profondes. C'est-à-dire, en Nor­mandie, par exemple, des notions élémentaires sur le mode nor­rois primitif qui nous permettrait de maintenir le lien avec notre plus ancienne culture.

Et parce que pour vous l'aventure continue, pouvez-vous, pour les lecteurs de Nouvelles de Synergies Européennes, nous indiquer quelques prochaines pistes de lecture...

JM: Je n'ai pas à l'heure actuelle le projet d'écrire quelque grand document sur la Seconde Guerre mondiale, même si je suis loin d'en avoir terminé avec la vaste fresque des «corps d'élite», commencée voici près de trente ans chez l'éditeur Balland. Il me reste à écrire deux volumes de l'histoire des volontaires français sur le front de l'Est: 1943 et 1944. J'attends que mon jeune ami Eric Lefèvre me fournisse, comme cela a été dans le passé, les documents néces­sai­res à l'évocation de cette aventure. Je laisse à d'autres le soin d'évo­quer les motivations et les combats des volontaires baltes, ukrai­niens ou hongrois. Cela me demanderait trop de temps en recher­ches et traductions.

Après Béring et Amundsen, j'aurais eu envie de faire revivre d'autres explorateurs polaires comme le Suédois Nordenskjöld et le Danois Rasmussen. Mais le marché du livre et l'incuriosité du public sont tels que je n'envisage pas de me lancer dans ces aventures. Alors, je me concentre sur mes chroniques de Que lire? Le volume 6 est terminé et devrait paraître à la fin de cette année. J'en suis à plus de 450 écrivains et il reste environ deux cents auteurs que j'estime indispensable de traiter.

J'ai aussi l'intention de consacrer un livre à ce mystère qu'est la per­ma­nence de la Normandie depuis onze siècles. Mon projet d'une gi­gan­tesque histoire des écrivains normands, en plusieurs volumes, res­te pour le moment à l'état de notes et de fiches, faute d'avoir trouvé un éditeur assez entreprenant.

Quant au roman sur la dernière guerre dont j'ai l'idée depuis plus d'un demi-siècle, il sera peut-être réduit à une simple nouvelle.

De la part de la rédaction, M. Mabire, merci.

(Entretien recueilli par Laurent Schang)

 

 

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mardi, 16 octobre 2007

Das Zeitalter der OLigarchen ist vorbei

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"Das Zeitalter der Oligarchen ist vorbei"

 Russland-Experte Wolfgang Seiffert über die Ära Putin, deren Fortsetzung und den Einfluss der Oligarchen

http://www.zurzeit.at/index.php?id=205

Herr Professor Seiffert, in der vergangenen Woche kam es in Rußland zu einem überraschenden Regierungswechsel. Der bis dahin unbekannte Viktor Subkow wurde neuer Regierungschef. Was hat das im Hinblick auf die Parlamentswahl im Dezember und die Präsidentenwahl im März 2008 zu bedeuten?

Wolfgang Seiffert: So überraschend war der Regierungswechsel nicht, denn er wurde erwartet. Überraschend war aber, daß Subkow zum Regierungschef vorgeschlagen wurde und dann auch von der Duma gewählt worden ist. Ich glaube, er steht für die Fortsetzung des Kurses, den Präsident Putin eingeschlagen hat, und an seinem Regierungsprogramm sehe ich, daß er weiter auf wirtschaftliche Stabilität – auch auf die Stabilität des Rubels – setzt, aber auch weitere neue Akzente setzt, indem er z.B. Fehler der Vergangenheit in der Sozialpolitik und bei der Gesundheitsvorsorge korrigieren will. Da Subkow gleichzeitig gesagt hat, daß personelle Veränderungen in der Regierung stattfinden werden, muß man davon ausgehen, daß das auch auf den Gebieten der Wirtschaft, der Gesundheits- und Sozialpolitik der Fall sein wird. Auch ist überraschend, daß er nicht ausgeschlossen hat, im nächsten Jahr bei den Präsidentenwahlen zu kandidieren. Putin hat das einerseits bestätigt und andererseits gesagt, daß es von Subkows Erfolg als Regierungschef abhänge und daß es fünf Kandidaten gebe, die das Amt ausüben können. Allerdings hat Putin keine Namen genannt.

Welche Chancen hätte Subkow bei der Präsidentenwahl?

Seiffert: Ich glaube, er hat gute Chancen. Denn Subkow ist ein alter Freund aus Putins Petersburger Tagen, und die beiden können schon seit 15 Jahren gut miteinander. Außerdem gibt Subkow, der 66 Jahre alt ist, Putin die Aussicht, in vier Jahren wieder zu kandidieren. Schließlich wäre er dann 70 Jahre alt, sodaß es Zeit für einen „natürlichen Wechsel“ wäre.

Es wird derzeit aber auch spekuliert, daß Subkow, sofern er Präsident wird, nach einer gewissen Zeit aus „gesundheitlichen Gründen“ zurücktreten könnte, um Putin Platz zu machen.

Seiffert: Diese Spekulationen haben keinen Rückhalt, denn Subkow macht mit seinen 66 Jahren einen gesunden Eindruck. Ich glaube, wenn er es schafft, Präsident zu werden, daß er das Amt vier Jahre gut ausüben kann.

Wenn Sie ein Resümee über Putins Amtszeit ziehen: Was würden Sie besonders hervorheben?

Seiffert: Erstens hat er die vielen Unsicherheiten und Instabilitäten im Lande beseitigt. Er hat dafür gesorgt, daß die Löhne, Gehälter und Renten regelmäßig gezahlt werden; er hat dafür gesorgt, daß Rußland wieder zu einer wirtschaftlichen Stabilität findet und daß die Auslandsschulden fast vollständig beglichen sind. Auf wirtschaftlichem Gebiet bezweifelt heute auch der schärfste Kritiker nicht, daß Rußland wieder eine wirtschaftliche Großmacht ist – nicht nur auf dem Gebiet der Bodenschätze, sondern auch im Bereich der Industrie, wo Rußland immer mehr mit dem Westen Schritt halten kann.

Und es ist auch auffallend, daß Rußland unter Putin wieder ein neues außenpolitisches Selbstbewußtsein zeigt.

Seiffert: Das ist richtig. Der frühere Premier Primakow, der jetzt Chef der Industrie- und Handelskammer in Moskau ist, hat gesagt: „Unmittelbar nach dem politischen Wechsel von der kommunistischen Herrschaft zu Demokratie und Rechtsstaat haben wir uns im Schlepptau der USA bewegt. Aber das ist jetzt vorbei, jetzt haben wir wieder unsere eigenen nationalen Interessen, die wir in den internationalen Gremien selbstbewußt vertreten.“ Das wird auch von den führenden Personen in Rußland so gesehen, und die Bevölkerung akzeptiert das. Denn es ist die Meinung weit verbreitet, daß Rußland durch die Entwicklung bis Anfang der 90er Jahre sein Gesicht in der Welt verloren hat, weshalb begrüßt wird, daß dies wieder hergestellt wird.

Die USA haben in den 90er Jahren auch versucht, sich Teile der russischen Einflußsphäre einzuverleiben…

Seiffert: Die USA unter Präsident Bush haben einerseits – und das ist auch auf Putin zurückzuführen – mit Rußland zusammengearbeitet, um etwa die Weiterverbreitung von Atomwaffen zu verhindern. Das wird wohl auch nach dem Wechsel von Putin zu einem anderen Präsidenten – gleiches gilt für die USA, wo Bush 2008 ebenfalls abtritt – so bleiben. Andererseits haben die USA versucht, die ehemaligen Staaten der Sowjetunion, die 1990 ausgeschieden sind – die Ukraine und die Staaten im Kaukasus wie Georgien – auf ihre Seite zu ziehen. Dabei haben sie Kräfte unterstützt, von denen sie ausgehen, daß sie Amerika aufgeschlossen gegenübertreten. Es gab beispielsweise die sogenannte orangene Revolution in der Ukraine, aber dieses Pendel ist schon wieder zurückgeschlagen. Denn in der Ukraine verfolgt Premier Janukowitsch eine andere Politik als Präsident Juschtschenko. Die Hoffnung der USA, Rußland einzukreisen, hat Rückschläge erlitten, aber der Versuch ist noch nicht beendet. Dagegen wenden sich viele im Lande, und Putin mit einer stärkeren Ausrichtung auf die Armee. So hat der neue Premier Subkow versprochen, ab 1. Dezember die Gehälter der Armeeangehörigen zu erhöhen, Rußland hat den Abrüstungsvertrag in Europa auf Eis gelegt, und die Flüge um die Grenzen der Russischen Föderation aufgenommen, die mit dem Ende des Kalten Krieges beendet wurden, und Rußland hat eine neue Vakuumbombe getestet. Das ist keine Bedrohung des Westens, sondern eine Reaktion darauf, daß die NATO mit der Aufnahme ehemaliger Sowjetstaaten immer näher an Rußland herangerückt ist.

Im vergangenen Jahr sorgte ein russisches Gesetz, wonach die Tätigkeit von Nichtregierungsorganisationen eingeschränkt wird, im Westen für Aufregung. Wie stark ist denn der Einfluß der von den USA unterstützten Nichtregierungsorganisationen auf die russische Politik?

Seiffert: Dieser Einfluß ist sehr gering. Was das Gesetz betrifft, so richtet es sich vor allem dagegen zu kontrollieren, wenn nicht zu verhindern, daß vom Ausland finanzielle Mittel an diese Nichtregierungsorganisationen fließen. Denn die russische Regierung – ob zu Recht oder zu Unrecht sei dahingestellt – sieht darin Versuche, in ihrem eigenen Land Gruppen zu schaffen, die, beispielsweise wie in der Ukraine oder in Georgien, im Sinne der USA tätig werden. Wegen des geringen Einflusses dieser Gruppen wurde dieses Gesetz nicht beschlossen, sondern weil Putin glaubt, daß er auf alle Fälle die innere Stabilität sicherstellen muß, weil sonst auch die wirtschaftliche Entwicklung in Rußland gefährdet werden könnte, und weil er befürchtet oder weiß, in welchem Umfang ausländische Geldgeber diese Gruppen unterstützen.

Stimmen eigentlich die Vorwürfe, Putin habe einen autoritären Staat geschaffen?

Seiffert: Es ist ganz offensichtlich, daß Putin einerseits bemüht ist, die seit 1993 geltende Verfassung einzuhalten. Das sieht man jetzt wieder beim Regierungswechsel, der von Artikel 111 der russischen Verfassung gedeckt ist. Andererseits versucht Putin im Rahmen der vorgegebenen Bedingungen, eine stabile Entwicklung sicherzustellen, und diesem Schritt diente auch die neue Regierungsbildung. Westliche Medien haben lange Zeit behauptet, daß Putin mit der absoluten Mehrheit in der Duma versuchen werde, die Verfassung zu ändern, damit er ein drittes Mal als Präsident kandidieren kann – aber das hat er von Anfang an abgelehnt und betont, daß er sich an die Verfassung hält.

Sie sprachen vorhin, davon daß Putin Rußland wirtschaftlich stabilisiert hat. Nun werden aber weiterhin wichtige Zweige der Industrie – Rüstung, Stahl, Energie, aber auch die Medien – von den sogenannten Oligarchen kontrolliert…

Seiffert: Hier muß man unterscheiden: Erstens gibt es in Rußland strategisch wichtige Industrien, die weitgehend in staatlicher Hand sind. Wenn Sie beispielsweise den Energiekonzern Gazprom nehmen, dann ist das eine privatrechtlich organisierte Aktiengesellschaft, aber die Mehrheit der Aktion hält der russische Staat. Und dann gibt es Oligarchen, die – wie der bekannte Michail Chodorkowski – in den Jahren der Amtszeit Jelzins entstanden sind und auf nicht ganz einwandfreie Weise zu Milliardenbeträgen gekommen sind. Gegen diese Oligarchen war in Rußland rechtlich vorgegangen worden: Der Oligarch Chodorkowski verbüßt wegen Steuerhinterziehung und Betrug eine mehrjährige Haftstrafe in Sibirien, und der Oligarch Beresowski ging ins Ausland und betreibt von London aus eine Anti-Putin-Politik, obwohl er sich früher dafür eingesetzt hat, daß Putin Präsident wird. Und die übrigen Oligarchen gibt es nach wie vor, aber sie betreiben keine Politik gegen Putin, sondern sind wirtschaftlich tätig und wollen Geld verdienen. Wie weit sie im Ausland investieren, ist dabei eine andere Frage. Interessant ist – und das ist wohl auch Subkow zuzuschreiben, der Leiter der Finanzaufsichtsbehörde war – daß früher mehr Geld ins Ausland floß als nach Rußland kam. Die russische Zentralbank hat in ihrer Kapitalbilanz mitgeteilt, daß im Jahr 2006 der Kapitalüberschuß 151 Milliarden betragen hat. Die Kapitalflucht, die es eine Zeit lang gegeben hat, konnte also gestoppt werden.

Beim Prozeß gegen Chodorkowski wurde kritisiert, daß rechtsstaatliche Kriterien verletzt worden wären. Trifft dieser Vorwurf zu?

Seiffert: Ich halte es für denkbar, daß beim Prozeß gegen Chodorkowski vom juristischen Standpunkt her handwerkliche Fehler unterlaufen sind. Aber in der Hauptsache wird die Bestrafung zutreffend sein, denn sowohl der Betrug als auch die Steuerhinterziehung sind nachgewiesen und wurden in Rußland von den Instanzen überprüft und bestätigt. Jetzt liegt eine Beschwerde beim Europäischen Gerichtshof für Menschenrechte vor, über die aber bis jetzt noch nicht entschieden wurde.

Wenn sich heute, wie Sie sagten, die Oligarchen im wesentlichen ihren Geschäften widmen, dann ist wohl eine Rückkehr in die 90er Jahre, in die Jelzin-Zeit, wo die Oligarchen und nicht der Präsident die Politik des Landes bestimmt haben, ausgeschlossen?

Seiffert: Diese Zeit ist vorbei, und ich sehe auch keine Möglichkeit zur Rückkehr in diese Verhältnisse. Denn dafür gibt es auch in der Bevölkerung keine Unterstützung.

Und welche Rolle spielt die vom Westen so genannte „liberale Opposition“?

Seiffert: Der Einfluß von Gruppen wie dem „Komitee 2008“ unter dem früheren Ministerpräsidenten Kasjanow und dem früheren Schachweltmeister Kasparow ist in Rußland verschwindend gering. Bei Wahlen haben sie keine Chancen, zumal die Leute sagen, Kasjanow sei nicht besser als die anderen, und bei Kasparow wissen sie genau, daß er zwei Staatsangehörigkeiten – die russische und die amerikanische – besitzt. Putin hat es verstanden, auf die entscheidenden Machtpositionen des Landes Einfluß zu nehmen und sie mit Personen seines Vertrauens zu besetzen. Insofern kann man von einem „System Putin“ sprechen.

Das Gespräch führte Bernhard Tomaschitz.

Prof. Dr. Wolfgang Seiffert:
Bis 1978 Professor für Internationales Wirtschafts- und Völkerrecht in Ost-Berlin. Danach Übersiedelung in die Bundesrepublik, wo er bis 1994 am Institut für Osteuropäisches Recht der Universität Kiel arbeitete. Prof. Seiffert ist Autor mehrerer Bücher, darunter „Wladimir W. Putin – Wiedergeburt einer Weltmacht?“ und „Selbstbestimmt – Ein Leben im Spannungsfeld von geteiltem Deutschland und russischer Politik“

samedi, 22 septembre 2007

Intervista con Putin

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Putin boccia la politica imperialista americana

Tensione con gli Usa su armamenti, diritti umani, caso Litvinenko.
«Non uso un linguaggio da luna di miele»
Putin: pronto a puntare i missili sull’Europa

Intervista al presidente russo: le manifestazioni represse? Sciocchezze

NOVO-OGARYOVO (Russia) — Sono passate le otto di sera, Vladimir Putin
è in ritardo perché è andato a visitare la vedova di Eltsin. I
rappresentanti dei giornali invitati dal Cremlino, uno per ogni Paese
del G8 che si apre mercoledì in Germania, lo attendono nella dacia
presidenziale di Novo-Ogaryovo, immersa in un bosco stupendo oltre il
quale spuntano come funghi le seconde case dei nuovi miliardari
moscoviti. L’atmosfera è rilassata, funzionari e guardie del corpo
giocano a biliardo per ingannare il tempo. Ma quando il Presidente
arriva e comincia un incontro che poco dopo si trasferirà a tavola,
l’amichevole informalità che regna nella dacia diventa poca cosa
davanti alla rudezza delle parole. Sì, risponde Putin a una nostra
domanda, i missili nucleari russi torneranno a essere puntati contro
città e obiettivi militari europei se gli Usa insisteranno a
modificare l’equilibrio strategico con il coinvolgimento di Polonia e
Repubblica Ceca nella creazione di uno «scudo» anti- balistico. Il
messaggio è forte, ma conviene cominciare dall’antipasto.

Signor Presidente, non c’è più amore tra Russia e Occidente, lei parla
di imperialismo Usa come si faceva ai tempi dell’Urss; siamo già in un
clima da nuova guerra fredda?

«Nelle relazioni internazionali non si usa un linguaggio da luna di
miele. Vanno sempre difesi i propri interessi nazionali, e la
coesistenza consiste nel farlo insieme, in uno spirito di compromesso.
Qualcuno nella comunità internazionale crede che le sue idee e i suoi
interessi siano valori assoluti da affermare con ogni mezzo. Questo
non aiuta. Faccio un esempio: se avesse prevalso lo spirito di
compromesso, i nostri consigli sarebbero stati ascoltati e gli Usa non
avrebbero attaccato l’Iraq. Certo oggi la situazione sarebbe migliore
ma non voglio nemmeno drammatizzare i contrasti, non è proprio il caso
di parlare di guerra fredda».

Al centro dei dissensi con Washington c’è il sistema difensivo
anti-missile e la volontà di installare alcuni suoi componenti in
Polonia e nella Repubblica Ceca. Quando la Russia protesta, vuole che
l’America rinunci del tutto al progetto difensivo?

«Vorrei rispondere partendo dal Cfe, il trattato che limita le forze
convenzionali in Europa. Noi lo abbiamo applicato scrupolosamente, e
cosa abbiamo avuto in cambio? L’Europa si sta riempiendo di nuove
basi, di nuove truppe, di nuovi radar, di nuovi missili. Allora
dobbiamo chiederci: stiamo forse disarmando unilateralmente? Non
possiamo permetterci di non essere preoccupati, e per questo abbiamo
dichiarato una moratoria sul Cfe. Lo stesso ragionamento vale per il
cosiddetto scudo difensivo, esso fa parte dell’arsenale americano, è
un elemento del sistema nucleare che protegge il territorio degli Usa,
ed è la prima volta nella storia che elementi di questo sistema
vengono dislocati in Europa. Ci dicono che la difesa serve contro i
missili iraniani, ma non esistono missili iraniani con la gittata
necessaria. Allora diventa evidente che queste novità riguardano noi
russi.
È ben noto che l’equilibrio strategico può essere alterato con sistemi
difensivi, creando l’illusione teorica di non essere più vulnerabili e
dunque di poter attaccare senza conseguenze. Noi non intendiamo
inseguire questo sogno. Intendiamo invece riequilibrare gli strumenti
difensivi con più efficaci strumenti offensivi, senza tuttavia
aumentare le spese militari, ma sappiamo che questo rischia di
riaprire una corsa agli armamenti di cui non saremo comunque
responsabili. Non abbiamo cominciato noi ad alterare l’equilibrio
strategico, non siamo stati noi ad abbandonare unilateralmente il
trattato Abm».

Le viene mai la tentazione di restituire pan per focaccia all’America,
di collocare missili russi a Cuba o in Venezuela?

«No, non ci penso nemmeno, anche se oltre alla Polonia e alla
Repubblica Ceca vedo sorgere basi Usa anche in Romania e in Bulgaria».

Se lo «scudo» andrà avanti, i missili russi torneranno ad essere
puntati contro le città e gli obiettivi militari americani come
accadeva ai tempi della guerra fredda?

«Naturalmente sì. Se il potenziale nucleare americano si allarga al
territorio europeo noi dovremo darci nuovi bersagli in Europa. Spetta
ai nostri militari la definizione di questi bersagli così come la
scelta tra missili balistici e missili da crociera. Ma questo è
soltanto un aspetto tecnico».

Dopo il Cfe sulle forze convenzionali anche il trattato Inf sugli
euromissili è in pericolo?

«La questione del trattato Inf non è direttamente collegata alle
difese antibalistiche americane. Il problema è che in base a quel
trattato Usa-Urss del 1987, soltanto la Russia e gli Stati Uniti non
possono avere missili con gittata da 500 a 5.500 chilometri, mentre
molti altri Paesi se ne stanno dotando. Così non va. Noi non vogliamo
complicare ulteriormente le cose, ma stiamo seriamente considerando
l’impatto dell’Inf sulla nostra sicurezza».

Come reagirebbe se l’Ucraina entrasse nella Ue e nella Nato?

«Al primo processo, quello che riguarda la Ue siamo sempre stati
favorevoli. Al secondo no, perché la Nato è un’alleanza militare e
nessuno ha bisogno, nemmeno in Ucraina, di ulteriori motivi di
contrasto. La politica dei blocchi è fuori dai tempi, e del resto la
maggioranza degli ucraini non è favorevole a entrare nella Nato».

Se lo «scudo» Usa fosse multilaterale e gestito dalla Nato, la Russia
accetterebbe di parteciparvi?

«Non credo che cambierebbe molto, noi che abbiamo conosciuto il Patto
di Varsavia sappiamo come vengono prese le decisioni nella Nato. La
sapete la barzelletta sul telefono speciale di Honecker? Era un
telefono fatto di un pezzo soltanto, la cornetta di ascolto. Anche la
Nato oggi funziona così. Quanto alla collaborazione russa, eravamo
stati noi a proporla e ad ottenere un rifiuto. Oggi l’idea riaffiora.
Ma cosa ci viene offerto? Di usare i nostri missili come bersaglio nei
test. Viene da ridere. Se invece ci fossero proposte serie, noi
saremmo pronti a lavorare insieme».

In quale modo si può risolvere il contrasto nucleare con l’Iran?

«Come è stato fatto con la Corea del Nord: con la pazienza e il
negoziato».

Lei è d’accordo con George Bush quando dice che un Iran con la bomba
atomica è inaccettabile?

«Sono assolutamente d’accordo con lui».

La vostra posizione sul Kosovo non rischia di accelerare una
dichiarazione di indipendenza unilaterale?

«La Russia si limita ad affermare le norme del diritto internazionale
sancite peraltro anche nella risoluzione 1294 dell’Onu. Se si ritiene
che l’autodeterminazione debba prevalere sul diritto, allora questo
deve essere valido ovunque. Anche in Ossezia, in Abkhazia o in
Transdnistria, e anche in regioni europee che vanno dalla Scozia alla
Catalogna e a tante altre. Un dialogo con la Serbia può favorire
l’evoluzione della loro posizione sul Kosovo, perché avere tanta
fretta a umiliarli come nazione?».

Vladimir Vladimirovich, qualcuno chiede che la Russia sia esclusa dal
G8 perché la sua democrazia è troppo imperfetta. Cosa risponde?

«È una cosa che non ha senso. Siamo nel G8 perché ci hanno invitati. E
per quanto riguarda la nostra democrazia non siamo gli unici ad avere
difetti. Con la differenza che gli altri non attraversano un periodo
di trasformazioni epocali come noi. Del resto alcune libertà sono
garantite da noi meglio che altrove. Per esempio noi non abbiamo la
pena di morte e nemmeno i senza casa, Guantánamo, la tortura, la
violenza contro i dimostranti».

Eppure piccole manifestazioni sono state represse con molta durezza di
recente…

«Sciocchezze. Altrove vengono usati i gas, le scariche elettriche, i
proiettili di gomma. Perché dobbiamo essere sempre noi i più cattivi,
perché tanto scandalo? Si può dimostrare, ma non si possono bloccare i
trasporti o creare rischi per gli altri, e in questi casi le autorità
hanno il dovere di intervenire. Noi usiamo metodi meno duri di quelli
in vigore in Occidente. Ho detto ad Angela Merkel che ero sorpreso per
le perquisizioni e per i raid preventivi effettuati in Germania in
vista del G8, ma in realtà so che bisogna garantire la sicurezza prima
dei grandi eventi. E poi con Angela ho un buon rapporto. Ma la si
smetta di considerarci degli orchi cattivi».

Lei è indubbiamente popolare in Russia, ma ha il vantaggio di non
subire la minima critica in televisione…

«Anche questo è sbagliato. Abbiamo 19 mila media elettronici. Anche se
volessi, non potrei controllarli tutti. E poi non è vero che non vengo
mai criticato.
Quando sbaglio le critiche arrivano. E per giunta la presenza dello
Stato in tv non è da noi diversa da quella che c’è in Francia o in
altri Paesi europei».

La Gran Bretagna ha chiesto alla Russia l’estradizione di Andrej
Lugovoj per l’omicidio Litvinenko. Perché non viene accordata?

« Intanto perché bisognerebbe emendare la Costituzione. Ma se anche si
facesse questo, il Procuratore generale mi dice che non sono state
fornite motivazioni sufficienti. Anche in Russia c’è un’indagine su
Lugovoj, e noi procederemmo se trovassimo materiale d’accusa. A questo
punto mi chiedo: coloro che vogliono l’estradizione, ignorano le
nostre leggi oppure non sono in grado di fornire elementi di accusa
validi? Viene il sospetto che si tratti di una mossa politica, proprio
da parte di chi nasconde sul suo territorio terroristi e ladri».

Il suo mandato scade nel marzo 2008. Come vorrebbe che fosse il suo
successore?

«Saranno gli elettori a decidere. È troppo presto e sarebbe
inopportuno fare speculazioni sui candidati. Per quanto mi riguarda
non ho l’età della pensione. Lavorerò, ma non so dire dove».

Che ne pensa sua moglie?

«Lyudmila ha i suoi interessi, è filologa, ha la sua vita
professionale. La mia presidenza è stata per lei causa di limitazioni
più che di lustro. Non ha mai protestato, ma non credo che le
dispiaccia la mia uscita dal Cremlino».

La Shell e ora forse la Bp perderanno le loro licenze di estrazione.
Ma in questo modo la Russia non scoraggia gli investimenti che pure
desidera?

«Qualcuno ha letto l’accordo originale per Sakhalin-2? Era un testo
coloniale, non rispondeva in alcun modo agli interessi della Russia.
Posso soltanto rammaricarmi che negli anni ‘90 qualcuno l’abbia
firmato. E anche così, se i nostri partner avessero rispettato gli
impegni, noi avremmo fatto lo stesso. Ma è andata diversamente e le
decisioni prese erano inevitabili. Anche per il giacimento di Kovykta
in cui è impegnata la Bp, vanno protetti tutti gli azionisti, i
traguardi produttivi non sono stati rispettati e chi ha concluso
l’accordo conosceva gli ostacoli sin dal primo momento. Pure in
materia energetica noi russi passiamo per cattivi. Veniamo accusati se
applichiamo regole di mercato all’Ucraina dopo averla sovvenzionata
per 15 anni; lo stesso è accaduto con i Paesi baltici, e persino con
la Bielorussia. Insomma, qualsiasi cosa facciamo non va bene.
Parliamo delle società europee: perché dovrebbero avere paura della
partecipazione russa? Se fossimo stati nel consorzio Airbus avremmo
salvato molti posti di lavoro. Noi non puntiamo a conquistare,
applichiamo le regole di mercato».

Ciò vale anche per Aeroflot e Alitalia?

«Naturalmente. Faciliteremo un accordo se le parti lo vorranno, ma di
sicuro non forniremo aiuti pubblici».

A Parigi è diventato Presidente un amico dell’America che tiene molto
ai diritti umani. Andrà d’accordo con Sarkozy?

« Guardi che anche noi ci sentiamo amici dell’America. Forse le
sembrerà strano per le critiche che rivolgo a Washington, ma tra noi
non esiste più inimicizia, il problema è non compromettere la
sicurezza collettiva che ci riguarda entrambi. Quanto a Sarkozy, che
incontrerò tra pochi giorni, lui ha detto di essere amico dell’America
ma di conservare gelosamente anche il diritto di dissentire
dall’America. Ecco, io la penso esattamente allo stesso modo».

Fabrizio Dragosei / Franco Venturini

L’incontro con il presidente russo ha avuto luogo venerdì sera. Dal
momento che il settimanale tedesco Der Spiegel ha parzialmente violato
l’embargo concordato per domani, il
Corriere della Sera, che ha intervistato Putin in esclusiva italiana,
si ritiene libero di pubblicare oggi il suo articolo

Fonte: Corriere della Sera


Article printed from Altermedia Italia: http://it.altermedia.info

URL to article: http://it.altermedia.info/antimperialismo/putin-boccia-la-politica-imperialista-americana_3431.html

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jeudi, 13 septembre 2007

G. Reisegger: Entretien à POLITICA (Belgrade)

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Entretien de Gerhoch Reisegger accordé à la revue POLITICA (Belgrade)

Propos recueillis par Dragos KALAJIC, lors de la 7ième Université d’été du Groupe de réflexion grand-européen « Synergies Européennes » (Perugia, août 1999)

Q. : Quelle est la différence entre les écoles économiques anglo-saxonnes et la conception allemande traditionnelle de l’économie, théorisée par des esprits comme Friedrich List, Othmar Spann, Alois Schum­peter ou par leur élève français François Perroux ? Ici, en Serbie, la plupart des observateurs, journalistes, politologues ou politistes ne sont pas capables de discerner les concepts de la pensée économique alle­man­de ou d’évoquer des écoles économiques ; malheureusement pour nous, nos élites économiques et u­ni­­versitaires ne connaissent que les concepts, théorèmes et dogmes de l’école libérale anglo-saxonne et du capitalisme anglo-saxon. Pour eux, le concept fondamental qui devrait présider à la reconstruction de la Yougoslavie est le suivant : « Trouver du capital et accepter pour cela toutes les conditions ». Au­jour­d’hui, mêmes les Yougoslaves ne font qu’ânonner les dogmes du libéralisme à l’américaine…

GR : Ma position est le contraire diamétral des dogmes néo-libéraux. Selon ces dogmes, le capital (les « in­ves­tis­sements directs ») conduit à l’essor de l’économie (nationale), ce qui conduit à l’opinion suivante : « Le ca­pi­tal crée le travail », alors que c’est le contraire qui est vrai, c’est « le travail qui crée le capital » ! On de­vrait se focaliser sur l’économie réelle et non pas sur l’économie « virtuelle ». Il faut donc refaire fonctionner l’économie nationale en toutes circonstances et même tenter d’inverser la vapeur, aller à contresens de la tendance générale à la globalisation. Cela implique de poursuivre des objectifs économiques déduits de priorités politiques nationales. La hiérarchie des valeurs devrait donc être : culture, politique, économie (et non l’inverse). L’économie n’est jamais qu’un moyen et non pas un but en soi au sein de tout Etat national qui se respecte et qui agit en faveur de l’ensemble de sa population.

Q. : Comment la conception économique d’un Hjalmar Schacht pourrait-elle être appliquée en You­go­sla­vie, si du moins, cela s’avère possible ?

GR : Schacht, dans le fond, était un partisan du libre marché, mais il a dû affronter les conditions de la grande dépression de l’économie mondiale, c’est-à-dire le chômage de masse en Allemagne, les impositions du Traité de Versailles et le manque cruel de devises en Allemagne, avec, simultanément, un besoin urgent de matières premières pour l’industrie allemande. Il a donc dû imposer des contrôles très stricts du marché des devises et du commerce extérieur. Afin d’obtenir des devises étrangères (un allongement du crédit n’était pas possible à cette époque), il proclama le « nouveau plan », afin de diriger les flux d’exportations et d’importations en direction des pays, qui acceptaient des compensations en produits finis allemands pour leurs importations en Allemagne de matières premières. Les offices du commerce extérieur allemand ont reçu pour mission d’acheter moins de produits finis, mais davantage de matières premières ou de produits semi-finis (y compris des denrées alimentaires), pour augmenter la valeur des créations et réalisations industrielles allemandes et épargner les réserves de devises.

Cette façon complexe de pratiquer le commerce extérieur a été possible dans la mesure où l’on a pratiqué, en fait, une économie de troc. Ainsi l’Allemagne a réussi à inverser la vapeur et à effacer sa balance commerciale négative et sa balance des paiements, également négative. Elle a même pu avoir un très léger excédent d’ex­por­tations. Autre mesure prise pour des raisons économiques : la substitution de matières premières cha­que fois que cela était possible, afin de juguler la dépendance importante de l’Allemagne vis-à-vis des ma­tiè­res pre­mières importées (ce qui permettait aussi d’économiser les réserves de devises). Pour modifier les ha­bi­tu­des d’achat et de production de diverses branches de l’industrie allemande, qui devaient, selon la nouvelle po­li­ti­que, travailler de préférence avec des matières de substitution, le ministère de Schacht a pris une série d’au­­tres mesures : il a favorisé la recherche pour que l’on sache, dans le pays, travailler de manière optimale avec ces nouvelles matières. Il a fallu ensuite construire de nouvelles installations industrielles, éviter la con­sti­­tution de monopoles, etc.

L’objectif de l’autarcie allemande et le principe de substituer, autant que possible, les matières premières ha­bituellement importées, n’était pas le résultat d’une théorie de l’autarcie ou d’une idéologie autarciste, qui au­rait été le propre de la NSDAP nationale-socialiste, mais a tout bonnement été imposé par les circonstances : l’Allemagne souffrait d’un déséquilibre entre ses exportations de biens et de services (et donc d’un manque de devises) et la nécessité inconditionnelle de payer ses importations à l’aide de devises (qu’elle n’avait pas en suffisance) (1). Le système économique allemand entre 1933 et le début de la seconde guerre mondiale n’a nul­lement été une « économie de guerre » placée sous la direction d’un instance centralisée (2). Mais ce sy­stè­me n’a pas été représenté uniquement par Schacht. D’autres personnalités et d’autres économistes l’ont im­pul­­sé et incarné. Aujourd’hui, l’Allemagne paria d’après Versailles nous semble être un modèle pour la You­go­sla­­vie paria d’après les bombardements de l’OTAN.

Q. : L’Europe aura-t-elle un jour la force de secouer le joug de la pensée économique anglo-saxonne ?

GR : Oui, si l’Europe met volontairement un terme à son statut de protectorat des Etats-Unis. Ensuite, si l’ac­tuel­le économie mondiale s’effondre et si les Etats-Unis sont précipités dans le chaos. Malheureusement, les « é­lites » européennes ne sont pas du tout préparées à affronter de telles catastrophes. Pourtant, si un tel é­tat de détresse devient réalité, il n’y aura pas d’autre issue que de mettre un terme au type d’économie « vir­tuel­le » que les Etats-Unis ont imposé au monde.

Q. : La Yougoslavie peut surtout offrir un surplus d’énergie (électrique), de produits agricoles (blé), même si cette énergie et ces produits agricoles ne sont pas produits selon des critères écologiques rigoureux, et des techniques de communication (y compris la possibilité de les fabriquer). Comment ces atouts de l’é­co­no­mie yougoslave pourraient-ils être valorisés, pour accéder plus aisément aux marchés ouest-européens, est-européens et asiatiques ? Que devrait faire l’homme politique qui occuperait le poste de ministre des af­faires économiques pour restaurer la position de notre pays dont les atouts sont, je le répète, l’énergie, l’a­griculture et les technologies de la communication ? Surtout s’il doit faire face à un déficit de moyens fi­nanciers, s’il ne reçoit aucun crédit du FMI et s’il doit tenir compte de l’embargo imposé au pays…

GR : En aucun cas, il ne faut accepter de l’argent du FMI ni accepter un quelconque « accord politico-éco­no­mi­que », qui porterait atteinte à la souveraineté du pays ou qui vous enlèverait, à vous les Serbes, le droit de fa­çon­ner les institutions de votre pays comme vous l’entendez. Une telle politique de subordination signifierait la fin de toute stratégie nationale propre dans la reconstruction de votre économie. Si vous ne comprenez pas ce­la clairement, il me semble oiseux de parler de « compromis » ou d’ «alternatives », qui engloberaient les « e­co­nomic adjustment policies » du FMI ou poseraient celles-ci comme des conditions incontournables. L’ap­pli­ca­tion de telles idées débouchent toujours sur le chaos, la destruction du tissu économique et la perte de la sou­ve­raineté nationale dans les pays qui croient naïvement aux dogmes du néo-libéralisme. Pourquoi ? Parce que les dettes ne cessent d’augmenter auprès du FMI et des banques anglo-américaines.

Q. : Comment jugez-vous les plans de Georges Sörös pour l’Europe de l’Est : les peuples de cette région de­vraient s’unir au sein d’une Union Balkanique qui abolirait les frontières entre les Etats actuels (You­go­sla­vie, Macédoine, Roumanie, Bulgarie) et donc aussi les barrières douanières. Les pertes en matière de re­cette, jusqu’à des montants de 5 milliards de dollars ou d’euros, seraient compensées par la Commission de l’UE, l’Euro deviendrait la seule monnaie en cours dans cette Union Balkanique.

GR : C’est une stratégie qui vise la destruction des Etats nationaux. Mon compatriote, le philosophe et théo­lo­gien Friedrich Römig a constaté : «La monnaie, c’est l’Etat ! » ou, inversemment, « L’Etat, c’est la mon­naie ! ». Si l’on renonce au droit de battre monnaie, toute souveraineté apparente n’est qu’illusion. De tels pro­jets, qui n’ont aucun modèle dans l’histoire ou dans l’histoire politique, qui n’ont aucune justification é­thi­que, ethnique ou autre, débouchent forcément sur le chaos, sur la perte de l’autodétermination des peuples dans le fa­çon­na­ge de leur propre destin. En fait, le projet de Sörös est un projet qui vise à faire de l’ensemble de la péninsule bal­kanique un protectorat occidental. De plus, l’UE elle-même, dans sa constitution actuelle, n’est pas en me­su­re de garantir quoi que ce soit ; elle n’est pas sûre de survivre à la première crise éco­no­mi­que sérieuse, alors qu’une crise de grande ampleur est manifestement proche…

Q. : Quel est le rôle et la signification de l’euro ou du dollar, quelles sont les conséquences de l’intro­duc­tion de l’euro (même d’un euro fort) pour l’économie ?

GR : L’euro n’est nullement pris au sérieux par les Américains. Si les Etats-Unis percevaient dans l’euro un dan­ger pour le dollar, l’euro n’aurait même pas été inventé. Nous pensons dès lors que l’euro n’est pas un avan­ta­ge pour l’Europe, et surtout par pour l’Allemagne, qui perd ainsi sa dernière possibilité d’influencer le destin de l’Europe ou d’exercer une forme, même minime, de puissance sur notre sous-continent. De cette façon, la vieil­le recette s’applique toujours : il faut entraver et juguler l’Allemagne. La chute du cours de l’euro face au dol­lar montre très bien les faiblesses de cette nouvelle monnaie. Quant aux réévaluations plus récentes, elles sont artificielles, elles sont des manipulations du Japon et de la Banque Centrale Européenne (BCE), mais cela n’a ab­solument rien à voir avec la fin de la guerre en Yougoslavie ou avec une amélioration de la situation éco­no­mique en Europe. Tout cela, c’est de la propagande.

Les raisons « techniques » de ces fluctuations de l’euro résident dans les différences en matières de législations sociales, fiscales, et de droit du travail, etc. et vouloir placer ces innombrables différences sous le dé­no­mi­na­teur commun d’une seule monnaie contribuera à plonger les économies nationales réelles dans le désordre. Les di­verses priorités d’ordre politique dans les Etats membres ne nous permettent pas d’augurer une politique co­hé­­ren­te de la part de la BCE (il suffit de se rappeler les débats qui ont eu lieu à propos de l’é­lection du pre­mier pré­sident de cette BCE : Duisenberg a été élu pour la moitié du temps qui aurait normalement dû lui être ac­­cor­dé, pour laisser la place au Français Trichet ; ces discussions laissent clairement entrevoir les difficultés fu­­tu­­res…).

Les analyses financières les plus récentes prévoient d’ores et déjà un effritement de l’union monétaire, dès que les premiers signes d’un crash du système financier international apparaîtront. Les démissions du ministre a­méricain des finances R. Rubin et du vice-ministre des finances japonais E. Sakarikaba (surnommé « Mister Yen ») ont certainement pour cause l’éventualité fort probable d’un crash. Sakarikaba a clairement donné cette raison pour expliciter sa démission (3).

Q. : Même si les sociaux-démocrates sont au pouvoir en Europe, ce sont eux qui détruisent de facto les in­sti­­tu­tions de l’Etat-Providence et tous les filets de sécurité sociale, tissés au cours de longues décennies de luttes ou­vrières. Ils remplacent les institutions sociales européennes par les principes du néo-libéra­lisme.

GR : Oui, effectivement, ce sont les socialistes actuels qui détricotent les filets de la politique sociale, tissés par leurs prédécesseurs ! On peut dire clairement aujourd’hui qu’ils ne sont plus du tout les représentants des intérêts sociaux de la population, mais les laquais des puissances financières hégémoniques dans le monde. On peut aussi les accuser d’être des voleurs, car ils tentent, dans l’opération, de rafler un maximum pour leurs pro­pres poches. Les anciennes différences entre socialistes et conservateurs, entre verts et libéraux, ont fini par disparaître et perdre toute signification : tous, sans exception, mettent en pratique les penchants les plus frau­­duleux de la partitocratie et sont totalement corrompus. La seule chose qui les préoccupe, c’est d’être réé­lus et de conserver leurs « jobs ».

Q. : Quelles expériences avez-vous eues avec des élites balkaniques ?

GR : Je me suis aperçu qu’elles étaient bien souvent naïves, quand elles demandent des aides substantielles aux organisations internationales ou au FMI. Elles sont obnubilées par le néo-libéralisme sans en connaître, au fond, les principes pervers. Lorsque ces élites économiques balkaniques se présentent dans les conférences internationales, comme à Davos ou au « South European Summit » de Salzbourg ou aux conférences sur la « re­construction », organisées par le FMI, la Banque mondiale ou l’UE, elles viennent, parfois sans s’en rendre comp­te, recevoir des ordres. Il semble qu’elles n’ont pas compris les mécanismes en place…

Dans la plupart des pays, la « démocratisation », toujours suivie de la « privatisation », de la « libéralisation » et de la « dérégulation », conduit à une destruction massive des capacités de production, accompagnée d’un taux de chômage catastrophique et, pire, dans les pays agricoles, d’une pénurie de denrées alimentaires (avec des débuts de famine !), parce que la dérégulation néo-libérale ruine l’agriculture. L’erreur n’a pas été de procéder à une « démocratisation » insuffisante, mais d’avoir repris et appliqué le système néo-libéral dans son ensemble et de manière a-critique.

D’abord, ce système ne pouvait pas s’appliquer dans une économie de type traditionnel. Ensuite, il n’y avait pas les conditions-cadres nécessaires (d’ordres institutionnel, légal, juridique et autres) ni suffisamment de ca­dres formés à ces écoles anglo-saxonnes, pour que ce type d’économie puisse s’organiser. Mais, chose plus im­por­tante encore, l’ensemble du processus de néo-libéralisation consiste en une « reprise en main par l’enne­mi », en la personne de spéculateurs (le capital international, des trafiquants de toutes espèces, des escrocs). Fi­nalement, le système néo-libéral a atteint son point terminal, le crash, comme nous pouvons le constater à la suite ininterrompue de crises dans le monde entier. L’illusion, qui consiste à croire que, si le système ancien était mauvais, le nouveau devait automatiquement être bon, est une conclusion complètement erronée. Il ne s’a­git pas de cela. Si on prend conscience de QUI, ici en Europe orientale, dans des délais très brefs, en est ve­nu à dominer l’industrie, le système bancaire ou les médias, on s’étonne et on se demande comment cela a-t-il pu se faire… Sont-ce des événements normaux ? Ou un processus téléguidé de l’extérieur par des forces ano­ny­mes et secrètes ? Pour trouver réponse à ces questions, il suffit de se demander « Cui bono ? », « A qui profite le crime ? ».

Q. : Quelles sont vos impressions après votre voyage en Serbie, frappée par les bombardements de l’O­TAN ? Sur le plan géopolitique, que signifie la Serbie pour vous ? Garde-t-elle une signification dans l’af­fron­tement futur entre l’Europe et les Etats-Unis ?

GR : La Serbie a été, est et restera très importante pour des raisons géopolitiques. Elle se situe au carrefour de plu­­sieurs lignes de communication entre l’Europe et l’Asie. Si l’on songe à la résistance que vient d’opposer la Ser­bie à l’impérialisme américain et aux pressions hégémoniques de Washington, alors on peut dire, sans hé­si­ta­tion, que les Serbes, une fois de plus dans l’histoire, ont pris en charge la mission très difficile de défendre l’Eu­rope contre le despotisme d’une puissance étrangère à l’espace européen. La Serbie est donc le dernier pays d’Europe à opposer une résistance au nouvel ordre mondial annoncé jadis par Bush, Président des Etats-U­nis. Je me souviens d’avoir lu un livre très ancien, publié au début du siècle, qui avait pour titre « Die Serben – Wächter des Tores » (= « Les Serbes, gardiens de la porte »). Ce livre est plus actuel que jamais. Malgré toutes les nuées de la propagande, l’exemple donné par le peuple serbe cette année a changé la situation de manière dé­cisive. Car les Etats-Unis n’ont pas atteint le but de leur guerre : ils n’ont pas un modèle casuel pour justifier d’autres interventions, comme par exemple, en Tchétchénie contre la Russie ; ils n’ont pas pu installer une nouvelle « international law » en mesure de sa passer d’un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU ; ils n’ont pas pu étendre leur contrôle à l’ensemble du territoire serbe, c’est-à-dire à l’extrémité occidentale du « pont terrestre » de la « route de la soie », et de remplacer les forces de sécurité de l’ONU par l’OTAN. L’exemple serbe est donc de première importance, surtout sur le plan mental.

ADDENDUM : Réflexions sur les notions de « terre » et de « mer » (Carl SCHMITT)

Pour répondre plus en détails à votre question sur les différences entre économie anglo-saxonne et économie al­­lemande, il faut d’abord bien comprendre la différence fondamentale qu’il y a entre « terre » et « mer », com­­me Carl Schmitt l’a démontré dans son œuvre. Il a notamment approfondi ces concepts dans tous leurs as­pects dans son ouvrage intitulé Der Nomos der Erde (= Le Nomos de la Terre). Les différences entre les pays qui tien­nent leur puissance de la mer, comme l’Angleterre et plus tard les Etats-Unis, et ceux qui la tiennent de la ter­re, comme l’Allemagne, la Russie et la Chine, sont considérables. Je conseille à tous de lire attentivement l’œu­­vre de Carl Schmitt pour comprendre réellement combien les différences dans les forces motrices in­té­rieu­res des pays maritimes et des pays continentaux sont fondamentales. Les puissances maritimes basent leur économie sur le commerce mondial illimité et exercent dès lors leur contrôle sur les mers, en tous points du globe. Elles occupent les têtes de pont stratégiques les plus importantes dans le monde entier : Gibraltar pour les Britanniques, Panama pour les Américains, Suez, etc. (4).

Une caractéristique : ces puissances maritimes veulent la concurrence illimitée entre des marchés « libres », dans le monde entier, le commerce ne peut connaître d’entraves. L’OMC/WTO et d’autres organisations in­ter­na­tionales comme le Mercosur, l’ALENA et l’UE servent d’instruments à cette idéologie du libre-échange pla­né­tai­re. Lorsqu’une économie nationale particulière a un marché solvable, génère une surproduction mais se fer­me au principe du libre marché, alors les Etats-Unis appliquent, sans fard ni hésitation, leur stratégie habi­tuel­le de répression, qu’avait annoncé en son temps le Président Wilson : « S’ils ne veulent pas nous ouvrir leurs por­tes, alors nous allons les enfoncer… ». Exemple : le blocus subi par le Japon au 19ième siècle et perpétré par la flotte américaine ; plus tard, à partir de 1937, ces blocus directs ou indirects, ont obligé les Japonais, qui dé­pendaient cruellement des matières premières, à faire une guerre qu’ils ont perdue.

Aujourd’hui, les méthodes sont plus subtiles. A côté de « l’économie réelle » (investissements dans la produc­tion), dominent en économie les « financial markets ». On devrait plutôt les appeler des « marchés virtuels », car ils sont complètement détachés de l’économie réelle ; leurs transactions sont en fait des jeux d’ordi­na­teurs, aux caractères hautement spéculatifs.

Les problèmes majeurs liés à ce type de marchés virtuels sont les suivants :

- moins de 1% des transferts financiers quotidiens concernent la paiement effectif de biens réels et de véritables services. Plus de 99% sont de nature purement spéculative.

- Les « dérivats », tels qu’on les appelle, sont en réalité purement virtuels et relèvent de l’économie casino. Ils ressemblent à ces jeux de pyramides financières et, par définition, sont des escroqueries graves et des at­tentats criminels contre les économies nationales et contre l’économie mondiale. Pire : la « bulle d’air » gé­nérée par les spéculations de cette économie virtuelle peut éclater à tout moment et précipiter l’en­sem­ble du système financier et monétaire du monde dans le chaos, avec toutes les conséquences d’un ef­fon­drement économique général, frappant toutes les économies nationales, la perte de toutes les épargnes des familles et d’une masse incalculable d’emplois, la pénurie générale de tous les biens importants. Un tel crash ferait apparaître celui de 1929/1930 comme une broutille sans importance !

-  Depuis quelques temps, l’ampleur des transactions spéculatives a dépassé la masse dominable. Les éva­lua­tions à la fin de l’année 1997 estiment que les « investissements » de ce type —et ils ne sont pas tous répertoriés ; de plus, parler « d’investissements » en cette matière est déjà une escroquerie— s’élèvent à 120.000 milliards de dollars. La Banque internationale des paiements rapporte que le taux de crois­sance de cette bulle spéculative est de 60% par an !

(La suite de cette étude de Gerhoch Reisegger dans notre prochain recueil ; version allemande parue dans la revue Staatsbriefe à Munich, http://members.tripod.de/staatsbriefe – version anglaise disponible chez l’auteur reisegger-gerhoch@netway.at ou chez robert.steuckers@skynet.be ).

Notes :

1. Hans KEHRL, Krisenmanager im Dritten Reich.

2. C’est immédiatement visible lorsque l’on observe les chiffres des budgets pour la défense et les questions militaires en pourcents du BNP :

Dépenses pour les questions militaires :

1933/34 : 1,9 milliards de RM = 4% du BNP

1934/35 : 1,9 milliards de RM = 4% du BNP

1935/36 : 4,0 milliards de RM = 7% du BNP

1936/37 : 5,8 milliards de RM = 9% du BNP

1937/38 : 8,2 milliards de RM = 11% du BNP

1938/39 : 18,4 milliards de RM = 22% du BNP

A titre de comparaison en 1934 : France : 8,1% du BNP ; Japon : 8,4% du BNP ; Union Soviétique : 9,0% du BNP ; Angleterre : 3,0% du BNP. Ce n’est qu’au début de la guerre que les dépenses de l’armée allemande et de l’industrie de guerre ont été comparables à celles des autres puissances.

3. Le journal financier australien Australian Financial Review a dévoilé les véritables raisons de la démission du vice-ministre des finances japonais, Eisuke Sakakibara (alias « Mister Yen »), responsable du départe­ment « finances internationales ». Sakakibara entrevoyait parfaitement la possibilité d’un gigantesque crash. « Il a dit à un ami qu’il n’insisterait pas pour rester un an de plus à son poste parce qu’il croyait que Wall Street allait crasher endéans cette période et qu’il ne voulait pas être responsable de la résolution des problèmes résultant de ce crash au Japon ». Plus loin, la magazine financier australien écrit : « Non seu­lement l’économie américaine s’effondrera, mais l’ensemble du système capitaliste global sera me­na­cé ». Il est assez inhabituel qu’un ministre parle un tel langage. Sakakibara est l’homme qui a inventé un ter­me moqueur pour désigner l’économie américaine : « bubble.com ». « Les Etats-Unis seront aux pre­miè­res loges quand la bulle internet va éclater et crasher ».

4. Dans The Grand Chessboard, Z. Brzezinski énumère toutes les positions stratégiques importantes du globe et les régions géopolitiquement importantes. D’un point de vue européen, nous ne partageons pas toutes ses analyses : elles sont néanmoins cohérentes dans les plans de l’hégémonisme américain.

 

mardi, 11 septembre 2007

R. Steuckers: Entretien accordé à G. Luyt

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Réponses aux questions de Guillaume Luyt

Entretien avec Robert Steuckers

Robert Steuckers, qu'est-ce que Synergies Européennes ?

«Synergies Européennes» est une amicale paneuropéenne, qui regroupe, de manière somme toute assez infor­mel­le, des non conformistes de toutes nationalités qui travaillent sur un ensemble de thèmes communs: criti­que du mondialisme et des idéologies dominantes, révolution conservatrice et thématiques assimilables à ce complexe politico-idéologique riche de différences, projets alternatifs en économie et en droit, littérature cri­tique des travers de notre monde contemporain, philosophie nietzschéenne et postmoderne, etc. Cette ami­cale "fonctionne" naturellement et spontanément sans structures autres qu'un bureau européen, dont j'assure le secrétariat et qui a pour simple tâche de coordonner des activités communes, comme les séminaires ré­guliers ou ponctuels, les universités d'été ou les rencontres amicales. Comme vous l'aurez sans doute appris par la rumeur, j'avais découvert la ND en 1973 quand j'avais 17 ans et j'y ai travaillé longtemps en gardant toutefois un certain scepticisme au fond du cœur. Toujours, j'ai voulu œuvrer à la charnière de cette ND, que je percevais comme un cercle d'études (j'étais avec Guillaume Faye au “Secrétariat Etudes & Recherches"/ SER), et les diverses expressions du nationalisme révolutionnaire, que je percevais comme des tentatives d'an­crage de nos études dans la réalité sociale; comme des espaces effervescents capables de conquérir une niche et de la consolider sur les échiquiers politiques nationaux dans les Etats européens.

Pour moi, l'aire NR devait être aux forces identitaires ce que le tissu associatif gauchiste était aux forces mar­xistes et surtout à la sociale-démocratie européenne. On mesure pleinement aujourd'hui le succès de ce travail gau­chiste en marge de la sociale-démocratie ou des forces écologistes quand on aperçoit des Fischer ou des Jo­s­pin, des Blair ou des Schröder au pouvoir. Je me suis malheureusement trompé jusqu'ici, mais, en dépit de cet­te erreur d'analyse factuelle, je demeure convaincu qu'une consolidation de cette aire politique, si elle se réa­­lise, sera la base de départ d'un renouveau. Que les extrêmes droites classiques, véhiculant un vétéro-natio­na­lisme anti-social, a-critique à l'égard des structures dominantes, ou des résidus de pensée théologique ou des bricolages complotistes ou des nostalgies des fascismes ou des para-fascismes, sont incapables de mener à bien. La ND, centrée autour d'Alain de Be­noist, avait toujours refusé, avant 1985 et après 1987, de frayer avec des groupes plus militants, portés par des jeunes gens dynamiques (entre 1985 et 1987, les principaux ex­po­sants de la ND accordent toutefois des entretiens aux revues du MNR de J. G. Mal­liarakis, sans que cette coo­pé­ra­tion ponctuelle et passagère ne donne de véritables résultats). Pour nous, qui œuvrions à Bruxelles depuis 1976, ce refus néo-droitiste était une insuffisance. Nous préférions les synthèses allemandes et italiennes, notamment le mélange allemand de nationalisme révolutionnaire et de nouvelle droite, dont les observateurs scientifiques ou critiques ne parviennent pas à séparer les ingrédients (voir les travaux de Bartsch, Pröhuber, etc.). En Italie, Pino Rauti, entre 1978 et 1982, dirigeait le bimensuel Linea, où les options nationales ré­vo­lu­tion­nai­res se mêlaient très habilement à certaines thèses de la ND, rendant particulièrement instructive la lecture de cette publication très vivante, très en prise sur les réalités quotidiennes de la péninsule. La syn­thèse réussie de Linea a toujours été pour moi un modèle.

Dans le cadre de mes activités en marge du GRECE d'abord, du Groupe EROE ("Etudes, Recherches et Orien­ta­tions Européenne") puis de Synergies Européennes ensuite, j'ai toujours tenté de rétablir un contact entre ces deux pôles, l'un théoricien, l'autre activiste. Je n'ai jamais renié mon compatriote Jean Thiriart, avec qui j'ai échangé un courrier aussi abondant que truculent (nous nous échangions des épithètes dignes du Capitaine Haddock), qui fut un maître incontournable sur deux plans: sa volonté de parfaire toujours une analyse géopo­li­ti­que de la scène internationale et, ensuite, sa volonté d'analyser les situations politiques intérieures à l'aune des instruments que nous ont laissés des hommes comme Vilfredo Pareto, Gaetano Mosca, Serge Tchakhotine, Da­vid Riesman, Raymond Aron (surtout "Les grands courants de la sociologie contemporaine"), etc. Thiriart était un analyste lucide des tares des régimes dominants; il méprisait profondément les politiciens à la petite semaine, qui n'agissent que par fringale d'intérêts personnels et par appétit de petits pouvoirs sans impact sur le fonctionnement réel de la politique. J'ai aussi participé régulièrement aux activités du MNR de Jean-Gilles Malliarakis à Paris, dont les interventions publiques étaient si chaleureuses à la mode latine et méditerra­néen­ne. Le MNR de Malliarakis était comme une grande famille et je regrette vivement qu'une structure de ce type n'existe plus aujourd'hui dans la capitale française, permettant des échanges féconds.

J'ai également participé à la revue Nationalisme et République de Michel Schneider, ce qui m'a valu les foudres d'A­lain de Benoist et de Charles Champetier. Heureusement que ces deux personnages ne sont que des Jupiters de petit voltage, juchés sur des taupinières, et que leurs foudres ne m'ont pas terrassé: elles n'ont eu que l'ef­fet d'un micro-postillon crachoté par une musaraigne. L'expérience de Nationalisme et République a été fort in­­téressante dans la mesure où des esprits très différents ont fait confluer leurs réflexions non conformistes dans ce journal, lui conférant une pertinence rarement égalée depuis. Ensuite, dernière remarque sur Natio­na­lisme et République: cette trop courte expérience éditoriale a permis notamment de suggérer les bases d'une recomposition géopolitique de l'Europe.

Incompatibilité entre politique et satano-saturnalisme

En revanche ma collaboration avec Christian Bouchet ("Nouvelle Résistance", le FEL) a tourné court. Bien que j'ai toujours amèrement déploré sa rupture, incompréhensible, avec le mouvement "Troisième Voie" de Jean-Gilles Malliarakis, qui, lui, a trop vite jeté l'éponge, j'ai toujours regardé le mouvement lancé ou repris par Bouchet avec sympathie et nous échangions publications et informations; nous nous sommes retrouvés à Paris dans une salle du 18ième arrondissement à côté d'Alexandre Douguine, nous semblions coopérer sans arrière-pen­sées, jusqu'au jour où Bouchet a eu une idée somme toute assez saugrenue. A la veille des élections euro­péennes de 1994, il a rendu visite au président français de "Synergies Européennes", Gilbert Sincyr, un ancien du GRECE, pour lui demander de placer les membres de SE sur une liste de candidats, dirigée par Bouchet lui-même, qui devait s'opposer à celle du FN de Le Pen. A juste titre, Sincyr a jugé que cette opé­ra­tion n'avait pas raison d'être et que SE, tout comme le FEL, risquait de se couvrir de ridicule, vu les scores for­cé­ment dérisoires que cette liste aurait obtenus. Bouchet a très mal pris ce refus et s'est mis en campagne contre Synergies Européennes, avec, en coulisse, l'appui d'Alain de Benoist et du "Chancelier" (!) du GRECE, Maurice Rollet, qu'il rencontrera à Marseille pour jeter les bases d'un "front commun" contre nous (et contre moi en particulier!).

Ce comportement irrationnel et puéril a fait perdre beaucoup de temps au mouvement. Par ailleurs, bon nom­bre de "synergétistes" voyaient d'un fort mauvais œil les activités non politiques de Bou­chet, où se mê­laient un culte du Britannique Aleister Crowley (sujet/objet de sa thèse universitaire), des pra­ti­ques sa­ta­nistes et sa­turnalistes, des rites sexuels du plus haut comique, où les participants s'affublent d'ori­peaux sacerdotaux d'où dépassent, obscènes, leurs attributs, sacrifices de poulets (pauvres bêtes!) par dé­ca­pitation en psalmodiant des in­cantations hystériques en faux tibétain, etc. Bouchet fait évidemment ce qu'il veut dans ses pénates, s'in­vente les jeux érotiques qui lui plaisent (à chacun selon ses voluptés!), mais un mixte de ces bouffonneries et de la politique —chose sérieuse quand elle refuse d'être purement politicienne— ne peut rien rapporter de bon, si ce n'est les quolibets de nos adversaires, qui peuvent ainsi largement alimenter leurs fantasmes. Le grou­pe “anti-fasciste” Golias étant particulièrement friand de ce genre de mixtum com­po­situm. Tout en gar­dant certaines réserves et en conservant mon esprit critique, je reconnais pleinement par ail­leurs l'excellence des deux derniers ouvrages de Bouchet: le volume collectif intitulé Les nouveaux natio­nalistes et l'ouvrage didactique qu'il vient de publier chez Pardès: Le B.A.BA du néo-paganisme. Bouchet a fait là œuvre utile, mais pour ses dérapages "saturnalistes", je conseille à tous de lire les deux pages bien claires de Victor Vallière, intitulées “De Satan à Loki: l'erreur de parcours de certains néo-païens” (in: Réfléchir & Agir, n°9, été 2001). Vallière nous donne là le vade-mecum de tout responsable local pour faire face à des velléités de saturnalisme ou de satanisme: il faut leur opposer un non possumus catégorique.

Ma collaboration avec Lookmy Shell (PCN) n'a débouché sur rien non plus, mis à part quelques articles dans ses publications. Ultérieurement, la querelle Bouchet/Shell, quels qu'en soient les motifs, a enrayé, à mon avis, la progression du mouvement nationaliste révolutionnaire, y compris des revues de Shell lui-même, qui au­raient pourtant mérité une plus ample diffusion, surtout qu'elles contenaient les articles de Frédéric Kisters, dont le niveau est excellent. Je reconnais notamment le bien fondé des tentatives de Lookmy Shell d'éradiquer tou­­tes les formes de “nazisteries” qui entachent le mouvement national-révolutionnaire et le couvrent de ridi­cule. Mais de là à imiter les insuffisances des mouvements qui s'auto-proclament “anti-fascistes” ou “anti-ra­cis­tes” et de faire du “nazisme” (défunt depuis mai 1945!!!) un concept extensible à l'infini, il y a une marge… Lookmy Shell a malheureusement franchi cette marge et renforcé la confusion qui règne depuis longtemps déjà dans la mouvance NR. J'aurais voulu poursuivre avec lui une quête sur le stalinisme, l'histoire de la diplomatie so­vié­ti­que, la mise en œuvre de la Sibérie dans les premières décennies du pouvoir soviétique, sur l'eurasisme, sur la di­plomatie soviétique pendant la guerre froide, sur la géopolitique des Balkans. A cause de l'attitude incom­pré­hensible de Lookmy Shell, toute cette documentation est restée en jachère mais, soyez-en sûrs, elle ser­vi­ra à d'autres. Par ailleurs, le comportement de Shell à mon égard demeure inexplicable. Il me reproche no­tam­ment d'a­voir dialogué avec le FNB de Marguerite Bastien, dont le journal, Le Bastion, a repris certains de mes pro­pos, sous la forme de deux ou trois interviews, axés principalement sur le problème de la Turquie dans l'OTAN et dans l'an­tichambre de l'UE. Lookmy Shell accusait l'équipe du Bastion d'être inspirée par une idéologie bru­ne-bleue (c'est-à-dire naziste-libérale) et d'être pro-occidentale, alors que dans le conflit du Kosovo, par ex­em­ple, elle a sévèrement critiqué la politique de l'OTAN et ne s'est jamais réclamée du national-socialisme. Je me de­man­de en quoi mes rapports avec les uns ou les autres regardent Lookmy Shell, et pourquoi s'arroge-t-il le droit de se poser en juge (fouquier-tinvillesque) de toute une presse, nationale ou autre? Quelles sont ses com­pé­­ten­ces intellectuelles, quelle élection l'a donc érigé à ce poste qu'il se donne arbitrairement? Shell n'a jamais été mon professeur et je n'ai jamais été membre de son mouvement. Dont acte. Et s'il n'en prend pas acte, je pense que son jugement est vicié et s'assimile aux rodomontades d'un interné qui se prendrait pour l'Empereur Napoléon (ou pour un autre personnage historique). Il y aurait là un vice dans l'appréhension du réel. Que je dé­­plore. Quand je visiterai une nouvelle fois un Asklepion hellénique, je demanderai à ce bon Esculape d'in­ter­céder en sa faveur, de trouver remède à ce mal qui afflige mon bon compatriote Lookmy Shell. Et quand un voi­sin catholique se rendra à Lourdes, je lui demanderai de dire une belle prière pour le Chef suprême du PCN, dont le retour à l'équilibre vaut bien quelques cierges consumés devant cette belle grotte pyrénéenne. Afin que nous puissions tous bénéficier de son rétablissement. Et relancer la machine interrompue à cause de ses co­lères aussi bruyantes qu'inexplicables.

Ces diverses péripéties montrent que l'espace ND/NR pose problème. Qu'il est tiraillé entre un empyrée théo­rique parfaitement éthéré —la planète Sirius disait un jour Pierre Vial en faisant allusion au GRECE— et un dis­cours qui s'englue dans des répétitions stériles, c'est-à-dire dans un piège mortel, où l'on n'appréhende plus le réel correctement. Si, à cet irréalisme et à ses répétitions, s'ajoutent l'arbitraire de personnalités en proie à des défaillances de jugement ou des illusions de grandeur, tout l'édifice, déjà fragile, bascule dans le néant. C'est pourquoi je salue avec joie, aujourd'hui, l'émergence de personnalités nouvelles, qui ont le sens de la camaraderie, de la solidarité, des nuances, de la nécessité de fédérer toutes les forces, de proposer une al­ter­native crédible et acceptable, à condition que ces personnalités adoptent systématiquement des démarches prospectives en direction des besoins réels de nos sociétés, quittent les marécages dangereux du nostalgisme et du sectarisme. Je pense aux efforts d'Eddy Marsan en France, qui juge la situation politique avec le regard acéré du philosophe réaliste, et de l'équipe du journal De­venir en Belgique, qui bénéficie depuis quelques nu­méros de la plume de Frédéric Kisters, qui a quitté, ef­fra­yé, le PCN de Lookmy Shell, à la suite de déboires dont je ne connais pas les détails. La tâche de ces person­na­lités nouvelles et dynamiques sera ardue, mais si elles persévèrent, elles réussiront au moins à établir soli­de­ment un édifice critique (à l'encontre de l'éta­blis­se­ment) et affirmateur (de valeurs et de perspectives poli­ti­ques nouvelles) dans le double champ de la ND et du NR. Et devenir, par conséquent, l'espace de renou­velle­ment des forces identitaires en Europe, que j'avais tou­jours espéré voir advenir. Laissons les personnalités à pro­blèmes se réfugier dans leur tour d'ivoire, prendre une retraite parfois méritée, dans de belles demeures ru­ra­les, en zone verte, pour se calmer les nerfs en siro­tant de réconfortantes tisanes.

Travailler à l'avènement d'une collégialité conviviale

Ce dont nous avons besoin, et que nous appelons de nos vœux depuis l'émergence de "Synergies Européennes", c'est l'avènement d'une col­lé­gialité conviviale et courtoise (ce sont les termes mêmes de notre charte), où cha­cun garde bien sûr qui sa re­vue, qui son cercle, qui son site internet, dans une pluralité féconde qui sera fédé­rée en ultime instance par un état d'esprit non sectaire, où l'intérêt collectif prime les humeurs et les af­fects per­sonnels. Ceux qui souf­frent de tels affects, ou se prennent pour des oracles infaillibles tout en menant des "stra­tégies personnelles" et en semant la zizanie, n'ont pas leur place au sein d'une telle collégialité. Il ne s'agit pas d'oblitérer les élans personnels et les initiatives de qualité; au contraire, il faut les laisser intacts et les fé­dérer ponctuellement, sans faire régner un mauvais esprit de soupçon, ni un caporalisme stérilisant, car de tels es­prits sapent le fonc­tion­nement optimal de tout groupe organisé.

Dans le cadre de la ND, il faut aussi déplorer une ambiguïté importante dans la définition qu'elle donne de la "cul­­ture", en tentant de la dégager et de l'autonomiser par rapport à toute démarche ou réflexion politiques, aus­si modestes soient-elles. Pour moi, une culture politique implique d'aborder les questions

- de la géopolitique (la dynamique croisée de l'histoire et de la géographie, des volontés humaines et de la don­née spatiale),

- du droit (le droit comme expression de l'identité politique d'un peuple, d'un Etat ou d'un Empire),

- de l'économie (les institutions économiques nationales ou locales sont autant l'expression de la culture d'un peu­ple que ses productions artistiques; la revalorisation des institutions économiques spécifiques est un an­­tidote contre les tentatives d'arasement globaliste)

- de l'histoire ancienne et immédiate, car nos méthodes sont généalogiques et archéologiques au contraire de celles des idéologies dominantes, qui plaquent sur le réel des idées toute faites; chaque entité poli­ti­que doit être ramenée à son histoire, à sa trajectoire propre dans le temps, et ramasser son passé pour le pro­jeter vers l'avenir, son avenir, distinct de celui des autres entités.

Cette approche nous différencie de la ND au sens habituel du terme, qui n'a pas abordé ces questions de ma­niè­re systématique, mais a mis davantage l'accent sur la volonté de créer une religion-ersatz (avec des rituels as­­sez parodiques et puérils: incantations biscornues devant une vieille pierre de meule rebaptisée "soleil de pierre", d'où l'expression d'un humoriste, qui avait assisté, à son corps défendant, à ce médiocre spectacle: le "pa­­ganisme du soleil pétrifié"), de forger une nouvelle morale en posant des interrogations sans fin (comme l'at­­­testent, par exemple, les deux numéros de Krisis sur la morale qu'Alain de Benoist a fait paraître naguère). Je ne nie pas l'importance des questions religieuses, morales ou éthiques mais je critique la propension à pren­dre prétexte de ces questions pour générer un questionnement sans fin qui n'aboutit à rien (les philosophes di­ront: le "trilemme de Münchhausen"). Les grandes valeurs religieuses ou éthiques ont déjà été énoncées et vé­cues dans le passé: il suffit de le reconnaître et de s'y soumettre. Le Bushido du shintoïsme japonais ou le Tao Te King chinois, par exemple, tous deux sources d'inspiration d'Evola, sont là, depuis toujours à notre dispo­si­tion. Nous pouvons les méditer, nous forger le caractère à leur lecture comme des millions d'hommes avant nous, intérioriser les admirables leçons de force et de modestie que ces deux textes nous offrent. C'est cela la pé­rennité de la Tradition. Un questionnement inquiet et torturé ne peut rien apporter de bon, si ce n'est l'in­dé­cision et le solipsisme, tares impolitiques par excellence.

Quelle est la dimension de votre combat ?

La dimension de notre combat est tout à la fois culturelle et politique. Elle vise la création d'une école politi­que européenne, puisant ses arguments dans les corpus culturels de notre continent. Géographiquement, ce com­bat est d'emblée européen, car, en notre point de départ, la Belgique, le cadre offert par le territoire na­tional est insuffisant (voire ridicule dans ses limites et indéfendable militairement). Les grands élans politiques ont toujours été impériaux ou européens chez nous, tant dans leurs dimensions laïques (comme chez "Jeune Eu­­rope" de Jean Thiriart), que bien souvent aussi dans leurs dimensions catholiques, où l'iconographe et pé­da­go­gue de l'histoire, le Chanoine Schoonjans des Facultés Saint-Louis, défendait toujours un point de vue im­pé­rial et catholique, même s'il devait parfois faire des concessions au "nationalisme petit-belge". En ultime in­stan­­ce, la patrie est le Saint-Empire, héritier de Rome. Les intellectuels de la fonction souveraine de ce Saint-Em­­pire, à ses débuts, étaient les clercs "lotharingiens", dont la plupart venaient du triangle Liège/Maas­tricht/ Aix-la-Chapelle, patrie originelle des Pippinides. Malgré cet affreux oubli du passé, qui nous pousse au­jourd'hui vers un univers orwellien, vers cette société du spectacle absolu sans profondeur temporelle que nous annon­çait Guy Debord, l'idée de cet aréopage de "lotharingiens" qui travaillent silencieusement au maintien de la struc­ture impériale, est une des idées motrices qui nous animent dans nos cercles de Brabant et de Liège. Cet­te Chancellerie "lotharingienne" trouve un écho dans la volonté de Carl Schmitt de recréer une telle in­stance, ap­pelée à énoncer un droit constitutionnel continental, de facture historiciste, flanquée d'une é­co­no­mie auto-cen­trée d'échelle continentale, reposant tous deux sur un recours à la Tradition, c'est-à-dire aux for­ces spi­ri­tuelles éternelles de l'Europe. Des "Lotharingiens" à Carl Schmitt, nous avons trouvé la conti­nui­té de gran­de pro­fondeur temporelle dans laquelle, humblement, nous nous inscrivons, en tâchant d'être de mo­destes con­ti­nua­teurs ou, du moins, les vestales de feux qui ne doivent pas s'éteindre.

De la guerre préventive des Américains contre l'Europe dans les Balkans, en Méditerranée orientale et en Asie centrale

Quant à la dimension plus pragmatique, que les impératifs de l'heure nous imposent, nous tentons de travailler de concert avec des amis allemands, italiens, espagnols, britanniques, français, helvétiques, russes, croates ou ser­bes sur des thématiques communes à toute l'Europe. Nous tentons de déconstruire à l'avance les antago­nis­mes artificiels que les services de diversion américains cherchent à bétonner en Europe. Par exemple, quand Hun­tington laisse sous-entendre qu'un clivage insurmontable existe de facto entre l'Europe occidentale (catho­lique et protestante) et l'Europe orientale (slavo-orthodoxe et son prolongement sibérien), il avance en fait un ar­gument de propagande pour rendre possible la guerre préventive que mènent les Etats-Unis contre toute con­centration de forces sur la masse territoriale eurasienne. En incluant la Grèce dans la sphère slavo-orthodoxe, les Etats-Unis, héritiers des stratégies de "containment" de l'Empire britannique, veulent à l'avance bloquer toute avancée des puissances danubiennes d'Europe centrale (allemande et serbe) en direction du bassin orien­tal de la Méditerranée, où Chypre déjà, est occupée par les Turcs depuis 1974. En fabriquant un axe musulman et néo-ottoman de la Thrace turque à l'Albanie, les Américains tirent un verrou infranchissable dans la portion sud du territoire balkanique, isolant la Grèce, qui, membre de l'UE et de l'OTAN, et réticente face aux pro­vocations turques, ne peut plus servir de tête de pont dans le bassin oriental. La géopolitique, vous le con­sta­tez, dans cet exemple très actuel, est une discipline faite de méthodologies diverses, qui vise à donner autant d'ouvertures possibles à nos forces continentales et apprend à prévoir l'organisation par nos adversaires de verrous ou le déploiement de stratégies bloquantes, qui visent à nous asphyxier politiquement, économique­ment, culturellement. Les travaux de nos amis croates et serbes (Antun Martinovic et Dragos Kalajic) ont été très éclairants dans cette problématique.

Enfin, il n'y a pas d'impérialité possible en Europe sans une économie propre qui suit ses règles spécifiques et non pas des recettes, néo-libérales et globalistes, énoncées en d'autres lieux, notamment dans les écoles et in­stituts de l'adversaire principal, les Etats-Unis. L'application de ces recettes conduit à notre impuissance. Nous travaillons donc sur les alternatives viables en économie, que des économistes français, tels Perroux, Albertini et Silem, avaient nommé les "hétérodoxies", qu'ils opposaient aux "orthodoxies", c'est-à-dire le libéralisme clas­sique (radicalisée aujourd'hui en "néo-libéralisme"), le communisme soviétique, désormais défunt, et les recet­tes de Keynes telles qu'elles sont appliquées par les sociales démocraties européennes (alors que l'œuvre de Key­­nes, nous le verrons parce que nous la travaillons actuellement, permet d'autres politiques). Pas d'im­pé­ria­lité non plus sans un droit clair et unifié, permettant d'harmoniser l'unité et la diversité. Un disciple de Carl Schmitt, Ernst Rudolf Huber, nous suggère un fédéralisme unificateur, respectueux des forces enracinées, seu­les garantes d'une "Sittlichkeit", c'est-à-dire d'une identité éthique et historique offrant la stabilité évoluante d'une continuité. C'est-à-dire une éthique vivante, politique et historique, qui permet de se projeter dans l'a­venir sans rester engluée dans des formes de gouvernance figées et sans jeter par-dessus bord les acquis du pas­sé. Guillaume Faye parlerait, lui, d'"archéofuturisme". En bref: l'antidote radicale à l'obsession de la "table rase" qui nous conduit tout droit à l'ambiance sinistre du 1984 d'Orwell et à la société moutonnière du spec­tacle, critiquée par Debord.

Vous venez de tenir votre université d'été, quelle place tient ce rendez-vous dans l'action de SE ?

L'Université d'été tient effectivement une place centrale dans nos activités. Elle est simultanément la Diète du mouvement, qui permet à nos sympathisants, venus de toute l'Europe, de se rencontrer et de constater que bon nombre de leurs préoccupations sont les mêmes en dépit des barrières nationales ou linguistiques.

Quelles en ont été les interventions principales ?

Il n'y a pas eu d'interventions principales et d'interventions secondaires, lors de cette 9ième Université d'été (qui est simultanément notre 16ième rencontre internationale). Nous avons toujours voulu présenter un panel d'orateurs chevronnés et d'orateurs néophytes. Cette méthode permet un enrichissement réciproque et évite le piège de la répétition, qui, comme je viens de vous le dire, est mortel à terme. Souvent les orateurs néophytes se défendent d'ailleurs fort bien. Ce fut le cas cette année plus que jamais. Parmi les orateurs chevronnés, nous avons eu Guillaume Faye, Frédéric Valentin, le Général Reinhard Uhle-Wettler et moi-même.

Faye nous a parlé de la "convergence des catastrophes" qui risque fort bien de s'abattre sur l'Europe dans les deux prochaines décennies. C'est un thème qu'il a déjà eu l'occasion d'évoquer dans ces trois derniers ouvrages, mais qu'il va approfondir en étudiant les théories de la physique des catastrophes. Le résultat final de cette quête va paraître dans une dizaine de mois et nous offrir une solide batterie d'argumentaires pour notre "philosophie de l'urgence", que nous avons tous deux héritée de nos lectures de Carl Schmitt (l'Ernstfall sur lequel nous travaillions déjà ensemble au début des années 80, notamment avec le concours de notre ami milanais Stefano Sutti Vaj et de la revue portugaise Futuro Presente), d'Ernst Jünger et de Martin Heidegger. Cette "philosophie de l'urgence" est dénoncée avec rage aujourd'hui par notre ancien "patron", Alain de Benoist, qui renie ainsi une bonne partie de ses propres positions, exprimées dans les colonnes des diverses revues néo-droitistes: on reste pantois à voir ainsi le chef de file de la ND/Canal historique renier purement et simplement les auteurs clefs de la RC et de la ND, qui se veut son héritière. Pire: il s'était posé comme le disciple fidèle d'Armin Mohler, auteur du manuel de référence principal des ND allemandes et italiennes (paru en version fran­çaise chez Pardès). Mohler développait une pensée de l'urgence, tirée des auteurs de la RC dont Jünger, de Carl Schmitt (“die Entscheidung”, “der Ausnahmezustand”), des disciples de celui-ci qui parlaient d'«Ernstfall», de la théorie de Walter Hof sur le “réalisme héroïque” et de la philosophie du Français Clément Rosset, auteur d'un ouvrage capital: La logique du pire. Pour Rosset, il fallait en permanence penser le pire, donc l'urgence, pour pouvoir affronter les dangers de l'existence et ne pas sombrer dans le désespoir devant la moindre contra­rié­té ou face à un échec cuisant mais passager. Mohler et Rosset sont mes professeurs: je n'accepte pas qu'on les trahisse aussi misérablement, que l'on opère une volte-face aussi pitoyable, surtout que rien, mais alors rien, n'est jamais venu infirmer la justesse de leurs démonstrations. La critique d'Alain de Benoist contre la pen­sée de l'urgence, telle que Faye l'articule, est résumée en une seule page de son journal, celle du 1 août 1999 (cf. La dernière année, L'Age d'Homme, 2000). Elle est à mon avis très bête, et toute à la fois suffisante et insuffisante. “Suffisante” par la prétention et la cuistrerie qui se dégagent de cette leçon sans substance, dia­métralement opposée à celles de Mohler et Rosset, et “insuffisante” par sa nullité et sa non pertinence.

Economie régulée et modèles sociaux traditionnels

Frédéric Valentin a abordé deux thèmes importants: la théorie de la régulation, avancée par les gauches au­jourd'hui, mais qui puise dans les corpus "hétérodoxes" (selon la définition de Perroux, Albertini et Silem). Pour les régulationistes français, la bonne marche de l'économie dépend de l'excellence des institutions politiques et économiques de l'entité où elle se déploie. Ces institutions découlent d'une histoire propre, d'un long terme his­torique, d'une continuité, qu'il serait tout à fait déraisonnable d'effacer ou de détruire, sous peine de dis­lo­quer la société et d'appeler une cascade de problèmes insolubles. Par conséquent, une économie qui se vou­drait "mondiale" ou "globale" est une impossibilité pratique et une dangereuse illusion. Dans sa deuxième in­ter­vention, il a montré comment les civilisations indiennes et chinoises avaient mis au point des garde-fous pour em­pêcher les classes sociales s'adonnant au négoce (du latin "neg-otium", fébrilité ou frénésie sans élégance) de contrôler l'ensemble du corps social.

Le Général Uhle-Wettler, ancien commandant des unités parachutistes allemandes et ancien chef de la 1ière Division aéroportée de la Bundeswehr, nous a exhorté à lire attentivement

- les ouvrages de Paul Kennedy sur la dynamique des empires et sur le concept d'hypertension impériale (im­perial overstretch),

- de Zbigniew Brzezinski pour connaître les intentions réelles de Washington en Eurasie et

- de Noam Chomsky pour connaître les effets pervers du globalisme actuel.

Cet exposé a été d'une clarté limpide, tant par la voix d'un homme habitué à haranguer ses troupes que par la concision du chef qui donne des ordres clairs. En tous points, les énoncés et les conclusions du Général cor­res­pondaient aux projets de notre "Ecole des Cadres", dirigée par Philippe Banoy, ce qui a évidemment en­thou­siasmé les stagiaires de cette école, présents à l'Université d'été! Mieux: debout à côté du Général pour tradui­re ses propos en français, j'ai été frappé d'entendre son appel aux jeunes Allemands à rejoindre un cercle com­me le nôtre pour élaborer l'alternative au monde actuel.

Pour ma part, j'ai présenté 54 cartes historiques de l'Europe, montrant le conflit cinq fois millénaire de nos peuples avec les peuples de la steppe eurasiatique. Nos cartographies scolaires sont généralement insuffisantes en France, en Allemagne et en Belgique. Les Britanniques en revanche, avec les atlas scolaires de Colin McEvedy, que je ne cesse de potasser depuis plus de vingt ans, disposent d'une cartographie historique beaucoup plus précise. En gros, quand les peuples européens dominent la steppe eurasienne jusqu'aux confins du Pamir (et peut-être au-delà, vers la Chine, à partir de la Dzoungarie et du désert du Taklamakan), ils sont maîtres de leur destin. Mais dès qu'un peuple non européen (Huns, Turcs) dépasse le Pamir pour s'élancer sur la ligne Lac Balkhach, Mer d'Aral, Mer Caspienne, il peut rapidement débouler en Ukraine puis dans la plaine hongroise et disloquer la cohésion territoriale des peuples européens en Europe. Cette vision, bien mise en exergue par la cartographie de Colin McEvedy, depuis la dispersion des peuples iraniens en Eurasie (vers 1600 av. J. C.), permet de bien mesurer les dangers actuels, où, avec Brzezinski, les Américains considèrent que l'Asie centrale fait partie de la zone d'influence des Etats-Unis, qui s'appuient sur les peuples turcophones.

Pour jeter les bases d'une "révolution conservatrice" civile

Dans une deuxième intervention, plus littéraire celle-là, j'ai montré comment les ferments de la fameuse "ré­volution conservatrice" allemande étaient né dans un cercle lycéen de Vienne en 1867, pour se développer en­suite à l'Université puis dans la sphère politique, tant chez les socialistes que chez les nationalistes. L'objectif de ce cercle, animé par la personnalité d'Engelbert Pernerstorfer, était de raviver les racines, de promouvoir un système d'enseignement populaire, de combattre les effets de la société marchande et de la spéculation boursière, de diffuser des formes d'art nouvelles selon les impulsions lancées par Schopenhauer, Wagner et Nietzsche (la "métaphysique de l'artiste", créateur de formes immortelles par leur beauté). La "révolution con­ser­vatrice" de Pernerstorfer est intéressante dans la mesure où elle se déploie avant la césure gauche/droite, socialistes/nationalistes, dévoilant une synthèse commune qui nous permet aujourd'hui de surmonter le clivage gauche/droite, qui bloque toute évolution idéologique, sociale et politique dans nos sociétés. Ensuite, le cor­pus idéologique qui a germé à Vienne de 1867 à 1914, permet de déployer une "révolution conservatrice" civile, c'est-à-dire une RC qui est en phase avec toutes les problématiques d'une société civile et non pas de la réduire à un "univers soldatique" comme dans la période de guerre civile qui a régné en Allemagne de 1918 à 1923. L'"u­ni­vers soldatique" est certes fascinant mais demeure insuffisant pour une pratique politique en temps normal (ceci dit pour répondre aux critiques insuffisantes et insultantes de de Benoist à l'encontre de toute pensée de l'urgence).

Deux autres orateurs de 40 ans se sont succédé à notre tribune: Andreas Ferch qui nous a brossé une esquisse biographique de Georg Werner Haverbeck, ancien animateur de la jeunesse "bündisch", inféodé par décret aux jeunesses hitlériennes, en rupture de banc avec le parti dès 1936 (parce que Haverbeck voulait une jeunesse fonctionnant selon les principes de la "démocratie de base" et non pas une jeunesse sous la tutelle d'un Etat), pasteur à Marbourg dans les années 40 et 50, animateur de cercles pacifiques au temps de la guerre froide (ce qui lui a valu le reproche d'être un "agent rouge"), fondateur de l'écologie non politicienne dans les années 80, refusant l'inféodation au gauchisme des Grünen (ce qui lui a valu le reproche de "néo-nationaliste" sinon pi­re…). Un destin étonnant qui résume toutes les problématiques de notre siècle. Werner Haverbeck est décédé à la fin de l'année 1999, à l'âge de 90 ans.

Heidegger et les effets pervers de la manie "faisabiliste"

Oliver Ritter, pour sa part, nous a parlé avec une extraordinaire concision et une remarquable clarté de Martin Heidegger. Il a parfaitement démontré que la transposition de critères et de grilles d'analyse de type technique ou de nature purement quantitative/comptable dans l'appréhension du réel conduit à des catastrophes (à cause du "voilement" ou de l'"oubli" de l'Etre). Face à l'option "archéofuturiste" de Faye, qui a des aspects techniciens, voire assurément "technophiles", en dépit de références heideggeriennes, les positions de Ritter sont bien sûr différentes, mais non "technophobes", dans la mesure où Heidegger s'émerveille aussi devant la beauté d'un pont qui enjambe une vallée, d'un barrage qui dompte une rivière ou un fleuve. Heidegger, et Ritter à sa suite, dénonce le désenchantement, y compris celui des productions de la technique, par l'effet pervers de ce culte technicien et quantitativiste de la faisabilité (Machbarkeit, feasability). Cette faisabilité (que critique aussi Ema­nuele Severino en Italie) réduit à rien la force intérieure des choses, qu'elles soient organiques ou produites de la main de l'homme. Cette réduction/éradication conduit à des catastrophes, et assurément à celles, convergentes, qu'annonce Faye. Ce dernier est plus proche du premier Heidegger, qui voit l'homme ar­raisonner le réel, le commettre, le requérir; Ritter, du second, qui contemple, émerveillé, les choses, souvent simples, comme la cruche qui contient le vin, au sein desquelles l'Etre n'a pas encore été voilé ou oublié, de ce second Heidegger qui dialogue avec ses disciples zen japonais dans son chalet de la Forêt Noire.

Sven Henkler, secrétaire de Synergon-Deutschland, vient de sortir un ouvrage sur le rapport homme-animal, totalement vicié aujourd'hui. Henkler nous a présenté son ouvrage le plus récent, Mythos Tier, qui déplore la déperdition définitive du rapport sacré qui existait entre l'homme et l'animal, de l'effroi respectueux que ressentait parfois l'homme face à la force de l'animal (notamment l'ours). L'animal est devenu pure mar­chan­di­se, que l'on détruit sans pitié quand les réquisits de l'économie l'exigent. Thierry de Damprichard a présenté un panorama des auteurs américains de la Beat Generation et explicité quelles influences ils avaient reçues d'Ezra Pound. Cette présentation a suscité un long débat qu'il a magistralement co-animé avec Guillaume Faye, très bon connaisseur de cette littérature, très en vogue dans les années 60. Ce débat a permis de rappeler que no­tre contestation du système (et de l'«américanosphère») est également tributaire de cette littérature protesta­taire. Guillaume Faye a notamment dit qu'elle avait marqué une figure non-conformiste française qui a démar­ré sa carrière dans ces années-là, qui est toujours à nos côtés: Jack Marchal.

Le rôle géopolitique futur de l'Inde et de sa marine

Jorge Roberto Diaz nous a parlé de la géopolitique de l'Inde, dans le cadre de diverses interventions sur les questions stratégiques et géostratégiques. Nous abordons chaque année un ensemble de questions de ce domai­ne, afin de consolider nos positions géopolitiques. L'ouvrage auquel Diaz s'est référé pour prononcer son exposé est celui d'Olivier Guillard, La stratégie de l'Inde pour le 21ième siècle (Economica, Paris, 2000). Jouer la carte in­dienne est un impératif géostratégique pour l'Europe et la Russie d'aujourd'hui, qui permettrait de contourner la masse territoriale turcophone, afghane/talibanique et pakistanaise, mobilisée contre l'UE et la Fédération de Rus­sie par les Etats-Unis. Une alliance entre l'UE, la Russie et l'Inde aurait pour corollaire de contenir l'effer­ves­cence islamiste et surtout, comme l'a très bien exposé Diaz, de contrôler l'Océan Indien et le Golfe Persique, donc les côtes des puissances islamiques alliées des Etats-Unis. Le développement de la marine indienne est donc un espoir pour l'Europe et la Russie qui permettra, à terme, de desserrer l'étau islamique dans le Caucase et les Balkans et de parfaire, le cas échéant, un blocus de l'épicentre du séisme islamiste, c'est-à-dire l'Arabie Saoudite. La menace qui pèse sur l'Inde vient de l'occupation américaine de l'île de Diego Garcia, où sont con­cen­trées des forces impressionnantes, permettant aux Etats-Unis de contrôler les flots et le ciel de l'Océan In­dien ainsi que le transit maritime du pétrole en direction de l'Europe, de l'Afrique du Sud, du Japon et des nou­veaux pays industriels d'Asie orientale.

Max Steens nous a plongés dans la pensée politique chinoise, en évoquant la figure de Han Fei, sage du 3ième siècle avant l'ère chrétienne. Han Fei nous suggère une physique politique limpide, sans jargon, avec, en plus, 47 principes pour prévenir toute pente vers la décadence. Phrase ou aphorismes courts, à méditer en perma­nen­ce! Le renouveau de notre espace politico-idéologique passe à notre sens par une lecture des sagesses po­litiques extrême-orientale, dont

- le Tao-Te-King, traduit en italien par Julius Evola pendant l'entre-deux-guerres et texte cardinal pour com­prendre son idéal de “personnalité différenciée” et son principe de “chevaucher le Tigre” (c'est-à-dire de vivre la décadence, de vivre au sein même de la décadence et de ses manifestations les plus viles, sans perdre sa force intérieure et la maîtrise de soi),

- le traité militaire de Sun Tsu comme le préconise Philippe Banoy, chef de notre école des cadres de Wal­lonie,

- le "Tao du Prince" de Han Fei, comme le préconise Steens de l'école des cadres de Bruxelles et

- le code du Shinto japonais, comme le veut Markus Fernbach, animateur de cercles amis en Rhénanie-West­phalie. Fernbach est venu nous présenter le code du Shinto avec brio, avec une clarté aussi limpide que son homologue français ès-shintoïsme, que je n'ai pas l'honneur de connaître, Bernard Marillier, auteur d'une étude superbe sur ce sujet primordial, parue récemment chez Pardès.

Tremper le caractère, combattre les affects inutiles qui nous distraient de l'essentiel

Ces voies asiatiques conduisent à tremper le caractère, à combattre en nos fors intérieurs tous les affects inu­tiles qui nous distraient de l'essentiel. Un collège de militants bien formés par ces textes, accessibles à tous, per­mettrait justement de sortir des impasses de notre mouvance. Ces textes nous enseignent tout à la fois la du­reté et la sérénité, la force et la tempérance. Après la conférence de Fernbach, le débat s'est prolongé, en abordant notamment les similitudes et les dissemblances entre ce code de chevalerie nippon et ses homologues persans ou européens. On a également évoqué les "duméziliens" japonais, étudiés dans le journal "Etudes indo-européennes" du Prof. Jean-Paul Allard de Lyon III, bassement insulté par la presse du système, qui tombe ainsi le masque et exhibe sa veulerie. Enfin, il y a eu un aspect du débat qui me paraît fort intéressant et promet­teur: notre assemblée comptait des agnostiques, des païens, des catholiques et des luthériens. Ethique non chré­tienne, le Shinto peut être assimilé sans problème par des agnostiques ou des païens, mais aussi par des ca­tho­liques car le Vatican a admis en 1936 la compatibilité du shintoïsme et du catholicisme romain. On peut donc être tout à la fois catholique et shintoïste selon la hiérarchie vaticane elle-même. Dès lors pourquoi ne pas étendre cette tolérance vaticane aux autres codes, ceux de la Perse avestique ou des kshatriyas indiens, le culte romain des Pénates, etc., bref à tout l'héritage indo-européen? Voilà qui apporterait une solution à un problème qui empoisonne depuis longtemps notre mouvance. Mais cette reconnaissance du shintoïsme, qui da­te de 1936, sous le Pontificat de Pie XII, est-elle encore compatible avec les manifestations actuelles du catho­li­cisme: les mièvreries déliquescentes de Vatican II ou l'impraticable rigidité des intégrismes obtus?

Manfred Thieme nous a ramenés à l'actualité en montrant avec précision les effets de la privatisation de l'éco­nomie dans les PECO (pays d'Europe centrale et orientale), en prenant pour exemple l'évolution de la Répu­blique Tchèque.

Les autres conférences, prévues à Bruxelles pendant le week-end précédant l'Université d'été proprement dite, seront prononcées plus tard, majoritairement en langue néerlandaise. Successivement, Jürgen Branckaert, Pré­sident des Jeunes du Vlaams Blok, l'historien brugeois Kurt Ravyts, Philippe Banoy, Guillaume Faye et moi-même y prendront la parole. Branckaert évoquera une figure cardinale de notre histoire: le Prince Eugène de Savoie, vainqueur des Turcs à la fin du 17ième siècle. Un cercle "Prince Eugène" verra le jour à Bruxelles, ras­sem­blant des Flamands et des Wallons fidèles à l'idée impériale, fédérant les cercles épars qui véhiculent la même inébranlable fidélité, tels “Empire et puissance” de Lothaire Demambourg ou la “Sodalité Guinegatte”. Des sections seront créées ensuite en Autriche, en Hongrie et en Croatie, de façon à nous remémorer notre seule légitimité politique possible, détruite par la révolution française, mais dans une perspective plus claire et plus européenne que celle de l'iconographie que nous avait présentée, dans notre enfance, le Chanoine Schoonjans, avec les images de la collection “Historia”. Ravyts analysera les influences de Gabriele d'Annunzio et de Léon Bloy, notamment sur la figure du national-solidariste flamand Joris Van Severen. Il rendra de la sorte cette figure de notre histoire plus compréhensible pour nos amis français et italiens. Cet exposé per­mettra également de raviver le souvenir de Léon Bloy dans notre mouvance, qui l'a trop négligé jusqu'ici. Banoy analysera l'œuvre de Vladimir Volkoff et en tirera tous les enseignements nécessaires: lutte contre la sub­version et la désinformation. Guillaume Faye présentera une nouvelle fois sa théorie de la “convergence des catastrophes".

La diversité de vos intervenants se retrouve dans la liste de diffusion multilingue que vous animez sur le net. Qu'il s'agisse de culture, de politique ou de géostratégie, vous offrez à vos destinataires des contri­butions qui tranchent bien entendu avec la pensée unique mais aussi bien souvent avec la routine intel­lectuelle des milieux nationalistes, français en tous cas. Précisément, quel regard portez-vous sur les na­tionalismes européens en général et français en particulier ?

Le rôle d'un cercle "métapolitique" est aussi de diffuser de l'information en vrac pour aider les jugements à se forger, pour concurrencer, dans la mesure du possible, l'idéologie que véhiculent les médias. Nous diffusons en six langues, le français, l'anglais, l'allemand, le néerlandais, l'espagnol et l'italien. Ce sont les six langues de travail de Synergies Européennes en Europe occidentale. Bon nombre de nos destinataires sont multilingues et la combinaison de langues maîtrisées varie d'individu à individu. Ce service de documentation électronique vise essentiellement, comme vous le devinez, à contredire et à critiquer l'idéologie dominante, celle de la "pensée unique" et de la "political correctness", mais aussi à enrichir le discours de nos lecteurs, quel que soit le secteur où ils sont actifs, politiquement ou professionnellement. En confrontant les idées de leurs milieux national, politique ou professionnel à celles de milieux similaires dans d'autres pays ou espaces linguistiques, ils consolident leurs idées, apprennent à les illustrer avec davantage d'arguments donc à transcender tout ce qui pourrait être répétition stérile. Nous tranchons de la sorte avec les routines du nationalisme français comme avec toutes les autres routines qui sévissent ailleurs. Pour moi, le nationalisme n'a de sens que s'il est une pratique qui consiste à capter les forces agissantes dans la société civile, dans le "pays réel" aurait dit Maurras, mais qui sont contrecarrées dans leur déploiement par l'établissement, ou le "pays légal".

Le "pays réel" des petites et honnêtes gens

Quant au regard que nous portons sur le nationalisme français, vous devinez qu'il est critique, justement parce qu'il vient d'ailleurs, d'un lieu hors Hexagone. En général, les observateurs scientifiques des phénomènes nationalistes dans le monde opèrent une distinction entre les "nationalismes étatiques" et les "nationalismes populaires" ou "ethniques". Les nationalismes étatiques, dans cette optique, seraient ceux qui privilégieraient les appareils d'Etat sans tenir compte des facteurs ethniques ou en s'opposant à ceux-ci. Les nationalismes populaires ou ethniques serait ceux qui instrumentaliseraient les forces populaires contre les appareils, jugés étrangers et coercitifs. Généralement, les nationalismes populaires ou ethniques se réclament du philosophe allemand Johann Gottfried Herder, père spirituel des nationalismes allemand, flamand, scandinaves, finnois, hongrois, russe, serbe, croate, tchèque, grec, slovaque, irlandais, breton, etc. On a opposé ce nationalisme du substrat ethnique aux idées de la révolution française, qui utilisent les forces organiques du peuple pour faire triompher des abstractions qui, une fois établies, travailleront à éradiquer les peuples réels. En dehors de France, le nationalisme français est souvent confondu avec les idées révolutionnaires jacobines, qui sont considérées comme anti-nationales. Ernest Renan a tenté de formuler un "nationalisme d'élection", un nationalisme fait d'adhésion volontaire à une "idée" nationale. Cette formule est également considérée comme un leurre par les nationalismes d'inspiration herdérienne, cette volonté et cette "idée" apparaissant trop éthérées par rapport à la substantialité que représentent l'héritage ancestral, la littérature véhiculée de génération en génération, les lignées de chair et de sang, la langue comme réceptacle de tous les souvenirs ataviques. La formule de Maurras éveille la même suspicion, à l'exception de sa distinction entre "pays réel" et "pays légal". Où le pays réel des "petites et honnêtes gens" (Péguy!) est exploité et écrasé par un pays légal mais foncièrement illégitime. En ce sens, Maurras est ambigu: dans sa jeunesse félibrige, il était un adepte de Herder qui s'ignorait. Il pariait directement sur le charnel local, cherchait à le dégager de l'emprise d'un légalisme abstrait. Cette trajectoire va continuer : la nostalgie d'un populisme organique ne cesse de hanter de grands esprits en France. Les fédéralistes autour d'Alexandre Marc et de Guy Héraud, qui commencent leurs travaux dans les années 30, les éléments critiques à l'égard d'un étatisme trop rigide que l'on repère dans l'œuvre de Bertrand de Jouvenel, le "folcisme" provençal, rural et paysan d'un Giono, les mouvements paysans de l'entre-deux-guerres, le slogan la "Terre ne ment pas" du temps de Vichy, les éléments épars de toute cette quête diffuse qui se retrouve dans le populisme gaulliste pendant la guerre et dans l'après-guerre, etc. La synthèse de toutes ces merveilles de la pensée du 20ième siècle n'a pas encore été faite. Malheureusement ! Cependant, les orientations nouvelles du gaullisme dans les années 60, après les tumultes de la guerre d'Algérie, avec la volonté de créer un Sénat des régions et des professions et de lancer l'idée mobilisatrice de "participation" mériteraient, à notre sens, une attention plus soutenue de la part des cercles néo-nationalistes en France, qu'ils soient inféodés à des partis ou non.

Un programme nouveau pour le nationalisme français

Enfin, il est évidemment qu'en dehors de France, et même dans les régions francophones à la périphérie de l'Hexagone, l'Histoire n'est pas jugée de la même manière. Par rapport au reste de l'Europe, l'Histoire de Fran­ce, depuis Louis XI (que nos instituteurs appelait l'«Universelle aragne», en reprenant l'expression qu'utilisait à son propos Charles le Hardi, Duc de Bourgogne, que l'historiographie française nomme le «Téméraire») et sur­tout depuis François I est regardée avec une évidente animosité. L'alliance que François I noue avec les Ot­tomans est considérée comme une trahison à l'égard du "bloc civilisationnel" européen. Cette animosité est difficilement surmontable, car lorsque nous avons affaire à des amis allemands (surtout du Sud), espagnols, autrichiens, hongrois, croates, lombards ou vénitiens, nous sommes amenés tout naturellement à partager la même vision de l'histoire: celle qui voit l'Europe unie contre les adversaires communs en Afrique du Nord et dans les Balkans. La France, comme du reste l'Angleterre, et dans une moindre mesure le Portugal et la Suède, fait bande à part, est perçue comme étant en marge de notre bloc civilisationnel. Par conséquent, notre souhait est de voir se développer une nouvelle historiographie française qui aurait les caractéristiques suivantes:

◊ Elle se réapproprierait une bonne part de la tradition bourguignonne, dans la mesure où celle-ci est fidèle à l'Empire, forge un "Ordre de la Toison d'Or" visant à reprendre pied dans l'espace pontique (Mer Noire);

◊ Elle revaloriserait des figures comme Catherine Ségurane, héroïque niçoise en lutte contre les Ottomans et François I (cf. «Une jeune Niçoise résiste au Turc Barberousse», in : Historia, n°593, mai 1996);

◊ Elle se réfèrerait davantage à la Sainte-Ligue, au-delà d'un catholicisme trop intransigeant, car la Sainte-Ligue était alliée à une Espagne combattante, notamment en Méditerranée et en Afrique du Nord;

◊ Elle se réfèrerait aux mouvements populaires de résistance, ainsi qu'à la Fronde, contre les tentatives de centralisation, qui n'avait qu'un but, spolier la population pour financer des guerres contre le reste de l'Europe et au profit de l'allié ottoman;

◊ Elle réactualiserait la politique maritime de Louis XVI, qui fut capable de damer le pion à la Royal Navy, et qui aurait, s'il avait réussi, dégagé définitivement l'Europe de l'«anaconda» thalassocratique (Haushofer);

◊ Elle mettrait en exergue la conquête de l'Algérie, imposée par la Restauration européenne à la France, pour expier les fautes de François I, qui avait, par ses manœuvres pro-ottomanes, fait échouer les conquêtes de Charles-Quint, amorcées en Tunisie, et des troupes espagnoles en Oranie;

◊ Elle renouerait avec le gaullisme anti-impérialiste et participationniste, en dépit des clivages catastrophiques de la guerre d'Algérie, ce qui permettrait de retomber à pieds joints dans le concret, en avançant une politique d'indépendance agricole et d'indépendance énergétique, pariant sur la diversité des sources, en proposant un modèle social original, dépassant les insuffisances du libéralisme et du capitalisme de type anglo-saxon, de lancer une politique spatiale (de concert avec le reste de l'Europe), de consolider un armement nucléaire, de relancer une flotte crédible (cf. les thèses de l'Amiral Castex et les travaux de Hervé Coutau-Bégarie) et de maintenir l'atout majeur qu'est une industrie aéronautique autonome, prête à coopérer avec ses consœurs européennes (notamment Saab en Suède).

Vous le constatez: nous ne sommes pas seulement critiques, par rapport aux errements du passé, nous sommes surtout positifs car nous proposons aux Français de mettre leurs atouts au service d'un bloc civilisationnel, capable de résister aujourd'hui aux Etats-Unis et à son appendice, le monde islamique, travaillé par les intégrismes de tous acabits.

 

mercredi, 22 août 2007

Moi (Evola), Tzara et Marinetti

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Entretien inédit avec Julius EVOLA

Moi, Tzara et Marinetti

Documents retrouvés par Marco DOLCETTA

Nous publions ici quelques extraits d'un entretien télévisé inédit d'Evola, transmis sur les ondes en 1971 par la TFI, la télévision suisse de langue française. Cet entretien rappelait aux téléspectateurs la période où Evola fut un peintre dadaïste...

En mars 1971, je fréquentais à Paris l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, pour obtenir un doctorat en philosophie politique. Mais le cinéma et la télévision m'intéressaient déjà. Un soir, j'ai discuté avec Jean-José Marchand qui réalisait alors pour l'ORTF «Les Archives du XXième siècle» et cette discussion nous a conduit à une collaboration fructueuse. Nous étions tous deux animés du désir de rencontrer Julius Evola. Nous voulions l'introduire dans une série d'entretiens portant sur trois points importants du dadaïsme. J'ai organisé cet entretien et il a duré longtemps... Au départ, Evola n'y était pas entièrement hostile, mais il demeurait sceptique. Puis, dans un français impeccable, il m'a parlé très longtemps de l'expérience dada et des doctrines ésotériques. De ce long dialogue, la télévision n'a retenu que trois minutes...

Pour la postérité je dois signaler qu'Evola a refusé de répondre à deux questions. La première: «Dans le Livre du Gotha qui appartenait à mon ancien camarade de collège à Genève, Vittorio Emanuele de Savoie, et à son père Umberto, il n'y a pas de Baron Evola qui soit mentionné. Etes-vous vraiment baron?». La seconde: «Pourquoi, dans l'édition Hoepli de 1941 de votre livre de synthèse des doctrines de la race avez-vous mis en illustration un portrait de Rudolf Steiner, sans mentionner son nom, mais en signalant qu'il était un exemple de race nordico-dinarique, de type ascétique, doté d'un pouvoir de pénétration spirituelle?». Ce jour-là, j'ai compris que Steiner avait cessé de l'intéresser, voire de lui plaire. Evola me fit une grande et belle impression. Voici quelques petits extraits de notre long entretien...

Q.: Parlons du dadaïsme. Quelles ont été ses manifestations en Italie et quelle a été votre contribution personnelle au dadaïsme?

Il faut d'abord souligner qu'il n'y a pas eu de mouvement dadaïste au sens propre en Italie. Il y avait un petit groupe réuni autour de Cantarelli et Fiozzi qui avait publié une petite revue appelée Blu,  à laquelle ont collaboré des dadaïstes, mais c'est Tzara qui m'en a appris l'existence. Plus tard, j'y ai moi-même apporté ma collaboration, mais cette revue n'a connu que trois numéros. Pour le reste, j'ai organisé une exposition de mes œuvres en Italie et une autre en Allemagne, dans la galerie Der Sturm  de Monsieur von Walden. Il y avait soixante tableaux. En 1923, j'ai participé à une exposition collective, avec Fiozzi et Cantarelli en Italie, à la galerie d'Art Moderne de Bragaglia; ensuite, j'ai publié un opuscule intitulé Arte Astratta  pour la Collection Dada. Donc: de la peinture, de la poésie et mon interprétation théorique de l'art abstrait. Et puis, j'ai prononcé des conférences, notamment sur Dada à l'Université de Rome. Ensuite, j'ai écrit un poème: La Parola Oscura del Paesaggio Interiore, un poème à quatre voix en langue française, qui a été publié pour la Collection Dada en 1920 à 99 exemplaires. Ce poème a été réédité récemment par l'éditeur Scheiwiller de Milan.

A Rome, il y avait une salle de concert très connue dans un certain milieu et qui s'appelait L'Augusteo.  Au-dessus de cette salle, un peintre futuriste italien, Arturo Ciacelli, avait créé un cabaret à la française: Le Grotte dell'Augusteo.  Dans ce cabaret, il y avait deux salles que j'ai décorées moi-même. C'était un petit théâtre, dans lequel il y a eu une manifestation dada, où l'on a récité mon poème à quatre voix, avec quatre personnages évidemment, trois hommes et une fille qui, pendant cette récitation, buvaient du champagne et fumaient, et la musique de fond était de Helbert, de Satie et d'autres musiciens de cette veine; cette soirée avait été réservée uniquement à des invités, chacun recevant un petit talisman dada. Nous avions l'intention de nous focaliser uniquement sur le dadaïsme, en l'introduisant en même temps que le manifeste dada; malheureusement, la personne qui avait promis une aide financière n'a pas...

Q.: ...n'a pas tenu sa promesse.

En effet, elle n'a pas tenu sa promesse... Quant à l'exposition dadaïste, elle ne se contentait pas seulement d'exposer des tableaux; nous avions l'intention déclarée de choquer le plus possible les bourgeois et il y avait dans la salle toute une série d'autres manifestations. A l'entrée, chaque invité était traité comme un vilain curieux, ensuite, à travers toute la salle, étaient inscrites des paroles de Tristan Tzara: «J'aimerais aller au lit avec le Pape!». «Vous ne me comprenez pas? Nous non plus, comme c'est triste!». «Enfin, avant nous, la blennorragie, après nous, le déluge». Enfin, sur chaque cadre, il y avait écrit en petit, des phrases telles: «Achetez ce cadre, s'il vous plait, il coûte 2,50 francs». Sur une autre scène à regarder, on dansait le shimmy,  ou, selon les goûts, s'étalaient les antipathies de Dada: «Dada n'aime pas la Sainte Vierge». «Le vrai Dada est contre Dada»,  et ainsi de suite. Par conséquent, vu cette inclinaison à laquelle nous tenions beaucoup, parce que, pour nous, une certaine mystification, un certain euphémisme, une certaine ironie étaient des composantes essentielles du dadaïsme, vous pouvez donc bien imaginer quel fut en général l'accueil que recevait le public lors de ces soirées, de ces manifestations dadaïstes; elles n'étaient pas organisées pour que l'on s'intéresse à l'art, mais pour nous permettre de faire du chahut: on recevait les visiteurs en leur jettant à la tête des légumes ou des œufs pourris! A part le public en général, les critiques ne nous prenaient même pas au sérieux... Ils n'avaient pas l'impression que nous faisions là quelque chose de sérieux, ou du moins, dirais-je, de très sérieux, au-delà de ce masque d'euphémisme et de mystification. C'est pourquoi je puis dire qu'en Italie le dadaïsme n'a pas eu de suite. Quand je m'en suis allé, après avoir publié trois ou quatre numéros, le Groupe de Mantoue s'est retiré dans le silence, et il n'a pas eu de successeur...

Q.: Retrospectivement, que pensez-vous aujourd'hui de l'expérience dadaïste et du dadaïsme?

Comme je vous l'ai dit, pour nous, le dadaïsme était quelque chose de très sérieux, mais sa signification n'était pas artistique au premier chef. Pour nous, ce n'était pas d'abord une tentative de créer un art nouveau, en cela nous étions à l'opposé du futurisme qui s'emballait pour l'avenir, pour la civilisation moderne, la vitesse, la machine. Tout cela n'existait pas pour nous. C'est la raison pour laquelle il faut considérer le dadaïsme, et aussi partiellement l'art abstrait, comme un phénomène de reflet, comme la manifestation d'une crise existentielle très profonde. On en était arrivé au point zéro des valeurs, donc il n'y avait pas une grande variété de choix pour ceux qui ont fait sérieusement cette expérience du dadaïsme: se tuer ou changer de voie. Beaucoup l'ont fait. Par exemple Aragon, Breton, Soupault. Tzara lui-même a reçu en Italie, peu de temps avant sa mort, un prix de poésie quasi académique. En Italie, nous avons connu des phénomènes analogues: Papini, conjointement au groupe auquel il était lié quand il jouait les anarchistes et les individualistes, est devenu ultérieurement catholique. Ardengo Soffici, qui était un peintre bien connu quand il s'occupait d'expressionnisme, de cubisme et de futurisme, est devenu traditionaliste au sens le plus strict du terme. Voilà donc l'une de ces possibilités, si l'on ne reste pas seul sur ses propres positions. Une troisième possibilité, c'est de se jeter dans l'aventure, c'est le type Rimbaud... On pourrait même dire que la méthode dadaïste n'est pas sans un certain rapport avec la formule “Dada Toujours”, telle que je l'ai interprétée, et qui est aussi la formule d'Arthur Rimbaud, celle de maîtriser tous les sens pour devenir voyant. Comme je l'ai dit, l'autre solution est de se lancer dans une aventure, comme le firent d'une certaine façon Blaise Cendrars et d'autres personnes. Pour finir, il y a bien sûr d'autres possibilités positives, si bien que la nature inconsciente mais réelle de ce mouvement est une volonté de libération, de transcendance.

Poser une limite à cette expérience et chercher à s'ouvrir un chemin, ou choisir d'autres champs où cette volonté pourrait être satisfaite: c'est ce que je faisais en ce temps, après le très grave moment de crise auquel j'ai survécu par miracle. Je suis... parce que l'arrière-plan existentiel qui avait justifié mon expérience dadaïste n'existe plus. Je n'avais plus aucune raison de m'occuper de cette chose, et je suis passé à mes activités pour lesquelles je suis... essentiellement connu.

Q.: Que pensez-vous du regain d'intérêt aujourd'hui pour le mouvement dadaïste, regain qui provient de milieux variés?

A ce propos, je suis très sceptique, parce que, selon mon interprétation, le dadaïsme constitue une limite: il n'y a pas quelque chose au-delà du dadaïsme, et je viens de vous indiquer quelles sont les possibilités tragiques qui se présentent à ceux qui ont vécu profondément cette expérience. Par conséquent, je dis que l'on peut s'intéresser au dadaïsme d'un point de vue historique, mais je dis aussi que la nouvelle génération ne peut pas en tirer quelque chose de positif: c'est absolument exclu.

(Interview paru dans L'Italia Settimanale,  n°25/1994; trad. franç.: Robert Steuckers).

 

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dimanche, 05 août 2007

R. Steuckers : Entretien (3)

Troisième et dernière partie des “réponses de Robert Steuckers au questionnaire d’un étudiant…”

9. Dans vos revues, au cours des années 80, vous avez défendu des positions neutralistes; est-ce la même logique qui vous fait défendre un monde multipolaire ou constitués de grands blocs qui ne pratiqueraient pas entre eux la politique d’ingérence et d’immixtion, qui semble dominante aujourd’hui ?

Entendons-nous d’abord sur le terme « neutralisme ». Le neutralisme n’est pas une idéologie démissionnaire, un pacifisme bêlant comme celui des gauches qui manifestaient contre l’installation des missiles américains, au début des années 80. Le neutralisme, pour moi, est armé et même surarmé. L’exemple est helvétique et suédois, autrichien et yougoslave. Il s’agissait d’organiser une armée de citoyens, capable de mailler totalement le territoire. Il impliquait la fusion armée/nation. Sur le plan diplomatique, il s’interdisait de participer à des alliances, comme l’OTAN, par exemple, et mettait l’accent sur l’indépendance et la souveraineté nationales. Parallèlement à ce neutralisme classique, de type suisse, il y avait aussi le gaullisme, ou la sanctuarisation nucléaire du territoire national. Cette option neutraliste ou gaullienne impliquait aussi de conserver des usines d’armement nationales et de créer les conditions d’une autarcie militaire. La Suède y parvenait. L’Europe, à plus grande échelle, aurait parfaitement pu réussir sa déconnexion, par rapport aux blocs atlantique et soviétique. C’est aussi ce que réclamait les Tchèques lors du printemps de Prague: rappelez-vous le Paris-Match de l’époque, avec cette jeune fille pragoise, blonde et fort maigre, qui, devant les chars soviétiques qui entraient dans la ville, portait sur la poitrine un écriteau, avec ce seul mot: « Neutralitu ». Elle exprimait le désir de la population tchèque et slovaque de se dégager du bloc soviétique sans pour autant vouloir se noyer dans le bloc capitaliste. Un mouvement neutraliste, de part et d’autre du Rideau de Fer, suite logique d’une application graduelle de la « Doctrine Harmel », aurait rendu à l’Europe son indépendance et sa puissance.

En 1984, quand j’ai rencontré le Général Löser, lors de la Foire du Livre de Francfort, il venait de sortir un livre programmatique, appelant ses compatriotes, les ressortissants des trois Etats du Bénélux, les Hongrois, les Tchèques, les Slovaques et les Polonais à se dégager des blocs. Ce livre s’intitulait justement Neutralität für Mitteleuropa. Löser, ancien Commandeur de la 24ième Panzerdivision de la Bundeswehr et rescapé de Stalingrad, était aussi un théoricien militaire qui s’alignait sur les stratèges Spannocchi (Autriche), Brossolet (France gaullienne), sur leurs homologues yougoslaves, suisses et suédois. Sa neutralité n’était pas une neutralité désarmée, mais, au contraire, une neutralité vigilante et citoyenne, centrée sur elle-même et non aliénée par l’appartenance à un bloc, dominé par une superpuissance, qui oblitérait les spécificités nationales et tenait sa part d’Europe sous tutelle.

Le monde est effectivement multipolaire. On ne peut réduire l’inépuisable diversité humaine à deux blocs ou à un monde global unifié,comme le voudrait le « nouvel ordre mondial » de Bush-le-Père et de son théoricien Francis Fukuyama (qui a révisé ses positions depuis ses euphories du début des années 90). Les Etats-Unis veulent imposer leur modèle et utilisent, pour y parvenir, l’idéologie des « droits de l’homme », indéfinie, mise à toutes les sauces, manipulable à l’envi (on l’a vu au Kosovo, où elle a servi à mettre en place un régime de mafieux et de maquereaux). L’idée d’un « nouvel ordre mondial », outre ses aspects missionnaires, part du principe d’un genre humain indifférencié ou de l’idée d’un genre humain amnésique, épuré de tous les legs de l’histoire, dévalorisés a priori comme s’ils n’étaient que de vulgaires scories. Or les hommes ont été appelés à créer des formes, variées et différentes, sur la Terre. Ce sont ces formes qui font l’humanité, qui permettent de dépasser le stade purement animal et générique de l’espèce. Par conséquent, l’espace politique de la Terre n’est pas un « uni-versum », mais un « pluri-versum ». Le respect du passé, des formes, des continuités, comme nous l’enseigne Naipaul, postule de respecter ces acquis, de ne pas vouloir revenir à un stade purement générique et de ne pas vouloir éradiquer purement et simplement, avec une rage frénétique, ce qui a été, est et demeurera. L’acceptation de la nature « pluri-verselle » de l’échiquier mondial implique de reconnaître la multiplicité des pôles politiques dans le monde. C’est donc bien une option « multipolaire ».

Face à la volonté américaine d’établir un « nouvel ordre mondial », la Chine, notamment, a suggéré des « amendements ».D’abord, elle a souhaité une adaptation de la notion de « droits de l’homme » à chaque aire civilisationnelle de la planète. Chaque aire de civilisation adapterait ainsi la déclaration universelle des droits de l’homme à ses propres spécificités culturelles, et la Chine, par exemple, lui donnerait une connotation « confucéenne ». La Chine a demandé à l’Occident de « respecter l’étonnante pluralité des valeurs et des systèmes sociaux, économiques et politiques », de « renoncer à toutes manoeuvres coercitives d’unification ou d’uniformisation ». Les Chinois estiment, à juste titre, que: « ces dix mille choses peuvrent croître de concert, sans se géner mutuellement, et les taos peuvent se déployer parallèlement sans se heurter ». C’est l’esprit de la « Déclaration des Droits de l’Homme de Bangkok », proclamée le 2 avril 1993. La Chine a tenté de faire front, de s’opposer à la volonté américaine d’homogénéisation de la planète. Elle s’est expressément référée à la notion de « pluralité ». Sa volonté était aussi d’imposer un modèle des relations internationales, reposant sur les « cinq principes de la coexistence pacifique »: 1) le respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats; 2) le principe de non-agression; 3) le refus de toute immixtion dans les affaires intérieures d’Etats tiers; 4) l’égalité des partenaires sur l’échiquier international; 5) le respect des besoins vitaux de chacun (auxquels il est illicite de porter atteinte). Ces cinq principes, me semble-t-il, résument parfaitement nos propres positions « multipolaristes ». Ils sont l’expression d’une antique sagesse, qu’il serait sot de ne pas écouter.

10. Votre vision d’une Europe impériale est donc tout-à-fait antinomique de tout impérialisme à l’intérieur ou à l’extérieur de celle-ci. Qu’en est-il ?

Le débat qui porte sur l’Europe impériale, sur les impérialismes intérieur et extérieur est sans fin. La notion d’Empire en Europe remonte aux Romains. La personnalité collective, porteuse de cet Empire, est le « Senatus Populusque Romanus », soit le Sénat et le Peuple romains. Par la « Translatio Imperii », elle passe aux Francs de Charlemagne (« Translatio Imperii ad Francos »), puis, avec Othon Ier, à l’ensemble des peuples germaniques (« Translation Imperii ad Germanos »). Ou plus exactement, aux ressortissants des territoires relevant du « Saint Empire Romain de la Nation Germanique ». Cela a été tout théorique, surtout après l’élimination de la descendance de Frédéric II de Hohenstaufen. Outre les vicissitudes dynastiques du Saint Empire, le noyau territorial concret de cet ensemble, forgé depuis César (Caesar / Kaiser), implique d’unir le continent européen autour de trois bassins fluviaux, le Rhône (conquis depuis Marius), le Rhin et le Danube, plus le Pô en Italie du Nord. C’est à partir de ces trois bassins, et des territoires qui se situent entre eux, et à partir de la plaine nord-européenne aux fleuves parallèles, de l’Yser au Niémen, que l’Europe doit se former. C’est, disait le géopolitologue autrichien, le Général-Baron Jordis von Lohausen, la paume de la main « Europe », dont les doigts sont les espaces périphériques: scandinave, ibérique, italique, balkanique, britannique. Sans une cohésion solide de cette paume, pas d’unification européenne possible. Et sans cette unification, c’est l’anarchie et la dissolution. Or c’est ce désordre et cette dispersion qui ont été le lot de l’Europe au cours de l’histoire post-romaine. Napoléon a voulu l’unifier à partir de la frange occidentale de la paume, l’espace gaulois, dont les bassins fluviaux portent vers l’Atlantique et non pas vers le c ?ur du continent, dont l’artère majeure est le Danube, symbole fluvial de l’Europe comme forme de vie. La tentative napoléonienne est donc grevée d’une impossibilité physique et géographique. L’ « hegemon » ne pouvait être français, à cause des faits géographiques et hydrographiques, qui sont évidemment incontournables. Hitler est prisonnier de la vision « ethniste », qui domine en Allemagne à son époque. Il se vaut libérateur et émancipateur, fondateur d’un nouvel ordre social, plus juste et plus efficace pour les ouvriers et les paysans. Il séduit. Incontestablement. Mais quand ses troupes entrent en Bohème tchèque, à Prague, elles réduisent ipso facto à néant le principe cardinal de la politique allemande, depuis la « prussianisation » protestante du « Reich ». En entrant dans l’espace linguistique tchèque, les armées de Hitler remettaient en question le fondement même du Reich protestantisé, et donc particulariste, et la propre propagande ethniste du national-socialisme. Une contradiction qui n’a jamais pu être surmontée, avant la fin du deuxième conflit mondial. De Gaulle, après 1945, et surtout dans les années 60, veut assumer une sorte de leadership, mais sa France, bien que souveraine et membre du Conseil de sécurité de l’ONU, n’est plus prise au sérieux: la défaite de 1940 est toujours dans les têtes, le pays paraît pauvre et archaïque (cf. les études d’Eugen Weber sur la France rurale), ne séduit pas les Nord-Européens qui le regardent avec commisération, les défaites coloniales d’Indochine et d’Algérie écornent son prestige. La France gaullienne, en dépit de ses efforts, ne sera pas le « Piémont » d’une Europe dégagée des blocs. Le retour à une Europe impériale ne sera possible que s’il y a unanimité des Européens, sans autre « hegemon » que la volonté organisée et structurée des européistes de toutes nationalités.

Il est évident que le colonialisme de papa, essentiellement capitaliste dans son essence, est inacceptable dans la situation actuelle. En Indochine, par exemple, l’imbroglio de 1940 à 1946, entre Japonais, Français de Vichy et de Londres, Britanniques, Américains, Indochinois de droite et Vietminh, semblait insoluble. Les Japonais avaient appuyé les mouvements d’émancipation anticolonialistes; les Américains avaient pris le relais. Il était évident que la seule solution raisonnable, pour la France de Londres, qui appartenait au camp des vainqueurs, aurait été de négocier directement avec le Vietminh, plus nationaliste que communiste au lendemain de l’occupation japonaise. Un accès graduel mais rapide à l’indépendance des territoires indochinois aurait permis de sauver une certaine présence française, donc européenne, de se faire le champiuon de l’émancipation coordonnée des peuples extra-européens, dans ce territoire hautement stratégique, où se situent les embouchures des grands fleuves asiatiques, qui prennent leurs sources sur les flancs de l’Himalaya (Fleuve Rouge, Mékong, …). Les hésitations, l’illusion de vouloir perpétuer un empire colonial du 19ième siècle dans les conditions très différentes d’après 1945 a empêché les uns et les autres de trouver une solution rapide et harmonieuse.

La défaite de Dien Bien Phu encourage ensuite la rébellion algérienne, qui couvait depuis les événements sanglants de Sétif en 1945. Mais, l’Algérie se trouvant aux portes de l’Europe, l’histoire de sa conquête et de sa colonisation est fort différente de celle de l’Indochine. Si la présence française en Extrême-Orient est due à la course effrénée de toutes les puissances européennes pour se tailler une fenêtre sur le Pacifique, la conquête de l’Algérie, après 1830, provient d’une volonté européenne d’imposer à la France une tâche « réparatrice », après les guerres révolutionnaires et napoléoniennes. La France avait été l’alliée des Ottomans et des Barbaresques contre la légitimité impériale; elle s’était mise ainsi au ban des nations européennes. Comme la piraterie barbaresque ne cessait de sévir au début du 19ième siècle, l’Europe de la Sainte-Alliance a décidé d’y mettre un terme et de charger la France de cette mission. La présence d’une puissance européenne en Afrique du Nord se justifiait par la nécessité de sécuriser la Méditerranée, de garantir la libre circulation des navires européens et d’éviter les rafles d’esclaves sur les côtes chrétiennes de la Méditerranée. Si la France n’avait pas imposé son système jacobin aberrant en Algérie, la révolte n’aurait pas été aussi sauvage et la décolonisation aurait sans doute pu s’opérer dans l’harmonie. En dépit de cela, l’Europe aurait dû se montrer solidaire des Européens d’Algérie, appuyer la France et les colons espagnols et italiens d’Algérie. L’Espagne avait un droit d’intervenir en Oranie, où la population européenne de souche espagnole était majoritaire. L’Europe, et surtout l’Espagne (avant même la France), a le droit d’entretenir des troupes en Afrique du Nord en représailles des agressions sarazines et barbaresques, qui ont duré plus d’un millénaire. On ne peut transposer l’idée d’une libération nationale et anticoloniale, comme elle s’est exprimée en Indochine, en Afrique du Nord, puisque l’intervention française est la réponse européenne à des agressions répétées et particulièrement horribles. Au nom du Testament de Charles-Quint, qui doit constituer le bréviaire de tout homme politique qui se respecte en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, en Croatie, en Italie et en Espagne, les zones d’Afrique du Nord doivent être tenues constamment sous surveillance. La présence espagnole à Ceuta et Melilla est ainsi entièrement justifiée, ne peut être soumise à révision, même si nos concitoyens de souche marocaine ne le comprennent pas.

Toute démarche impériale offensive, en dehors de la zone initiale d’un Empire, est justifiable si elle est dictée par des motifs stratégiques et géopolitiques. En revanche, elle est injustifiable si elle est dictée par des motifs économiques. De même, autre facteur dont il faut tenir compte: la proximité spatiale. En Indochine, la France est une « raumfremde Macht » (une puissance étrangère à l’espace), exactement comme l’Allemagne avait été une « raumfremde Macht » en Micronésie avant 1918, ce que reconnaissait pleinement le géopolitologue Haushofer. En Afrique du Nord, aucune puissance européenne riveraine de l’Atlantique et de la Méditerranée n’est une « raumfremde Macht », puisque toutes ont subi les agressions sarazines ou barbaresques pendant près d’un millénaire. L’Europe a le droit inaliénable de protéger ses abords, même en constituant des glacis hors de son espace propre. En Europe même, aucun colonialisme intérieur n’est acceptable.

Les Etats-Unis sont en train de créer un OTAN-Sud comprenant tous les pays arabes d’Afrique du Nord, du Maroc jusqu’à l’Egypte, Libye comprise, afin de pénétrer l’Afrique subsaharienne et d’y puiser les richesses du sous-sol, non encore pleinement exploitées. L’OTAN-Sud arabophone a donc deux fonctions:

1) parachever l’encerclement de l’Europe;
2) contrôler l’Afrique subsaharienne et servir de verrou entre l’Europe et celle-ci. Ce projet n’est possible que sans présence européenne en Afrique du Nord, d’où la bienveillance américaine à l’égard des terroristes algériens en lutte contre la France jadis, à l’égard du Maroc contre l’Espagne à la fin des années 50, enfin, à l’égard de l’agression marocaine contre Perejil et l’Espagne en juillet 2002. Les Etats-Unis misent sur le trop-plein démographique nord-africain, sur le « Youth Bulge » comme disent leurs stratèges, afin d’y recruter des mercenaires pour bloquer l’Europe par le Sud et engager des troupes le long des nouveaux oléoducs qui achemineront le brut africain vers les côtes de l’Atlantique, si des troubles ou des rébellions enflamment la région. L’émergence imminente d’un OTAN-Sud aurait dû inciter les autorités européennes à la vigilance. L’Europe perd toutes ses cartes en Afrique.

La question de l’impérialisme extérieur est donc bien trop complexe pour la réduire à ces schémas binaires dont se gargarisent les belles âmes de gauche.

11. Actuellement, il semble que l’anti-américanisme soit à la mode. Quelles sont vos critiques à l’égard de celui-ci et de l’anti-Bushisme médiatique ?

Si l’anti-américanisme a le vent en poupe actuellement, c’est dû essentiellement à une décennie et demie d’interventions américaines dans le monde. La disparition de la « Soviétie », et donc la fin de la Guerre Froide, avait fait espérer, surtout en Europe, l’avènement d’une longue ère de paix, de reconstruction, de fraternité, où les deux parties de l’Europe se seraient lentement mais sûrement resoudées. Les Etats-Unis ont déçu cet espoir. C’est la raison majeure de l’anti-américanisme réel et sincère qui déferle sur la planète et surtout sur l’Europe. Mais il existe aussi un « anti-américanisme » fabriqué, notamment dans les milieux « altermondialistes ». Christian Harbulot, officier et stratége français, spécialiste de la « guerre cognitive », constate que l’ouvrage théorique majeur, censé exprimer la sensibilité altermondialiste, Empire de Hardt et Negri, évoque lourdement la nécessité d’organiser une « résistance » en « réseaux », dont la caractéristique majeure serait d’être non territorialisée. Cette idée est devenu le « joujou » de la nouvelle gauche actuelle. Or, on ne peut résister sans avoir de base territoriale, sans restructurer des souverainetés territorialisées, de préférence à l’échelle continentale. Par conséquence, une « résistance » déterritorialisée ne débouche sur rien, comme le constate très justement Harbulot. La gauche est aussi très excitée parce que Bush est républicain. Or les démocrates, que cette gauche juge plus pacifiques, sont tout aussi bellicistes, comme l’a prouvé l’Administration Clinton, en déclenchant la guerre dans les Balkans. Kerry, nouvelle figure de proue démocrate, accepte le fait de la guerre en Irak et appartient vraisemblablement au même groupe étudiant de Yale, la fameuse société « Skull & Bones », dont les Bush ont fait partie et qui semble être le noyau dur, dont sont issus les dirigeants américains actuels. La gauche ne tient pas un raisonnement géopolitique mais « moraliste ». Or on ne riposte pas à une agression militaire, permanente et planétaire, par des déclarations moralisantes. Elles ont toujours eu, ont et auront un effet nul.

L’anti-bushisme se borne à ridiculiser le Président américain, à dire qu’il est un « idiot », alors que la démarche impériale qu’il poursuit a été jusqu’ici couronnée de succès. Certes, c’est au détriment de l’Europe, de la Russie et du nationalisme arabe laïc, mais, objectivement, cette stratégie, assortie de culot et d’audace, foulant aux pieds le droit international, paie. Les lamentations ne servent donc à rien et l’anti-bushisme à la Michael Moore n’est finalement qu’une dérivation, qui sert à dire : « Voyez, nous sommes réellement démocrates, nous tolérons la critique, nous admettons que l’on soit outrancièrement irrévérencieux à l’égard du Président ». Pendant ce temps, les chars tirent sur Bagdad, les grandes entreprises logistiques comme Halliburton entrent en action, les satellites espions ne cessent pas de fonctionner.

12. Les mouvements d’extrême-gauche sont aussi souvent très anti-américains. Que pensez-vous de leurs thèses ?

Les mouvements d’extrême-gauche devraient se livrer à un petit travail d’anamnèse. La gauche extrême, qui existe aujourd’hui, est l’héritière de ceux qui scandaient, en Allemagne et à Paris entre 1967 et 1969: « Ho Ho Ho Chi Minh !». Or cet homme politique vietnamien, qui a dégagé son pays des tutelles japonaise, française et américaine, a d’abord négocié avec Washington dans le dos des Français, immédiatement après la seconde guerre mondiale. Ho Chi Minh a d’abord été un agent américain, avant de devenir un ennemi de Washington dans le Sud-Est asiatique. Après le départ des troupes américaines en 1975, les relations américano-vietnamiennes se sont rapidement « normalisées », prouvant que, malgré l’horreur de la guerre du Vietnam (bombardements sur Hanoï, défoliation des forêts tropicales indochinoises par l’agent orange, etc.), des passerelles entre les deux pays existaient, tout comme d’ailleurs, entre la Chine de Mao et les Etats-Unis, notamment par l’intermédiaire de brillants journalistes sinologues.

Ce qui caractérise les diverses extrêmes gauches, c’est l’absence de rétrospective historique, c’est l’amnésie, c’est une propension agaçante à raisonner en termes figés, à ériger des mythologies propagandistes au rang de vérités historiques. J’ai toujours trouvé de bonnes analyses factuelles dans les publications et chez les auteurs dits d’« extrême gauche », mais les conclusions étaient trop souvent erronées, car elles partaient de raisonnements détachés du flux de l’histoire, lequel ne s’arrête pas. On a assisté plus d’une fois à des débats stériles pour tenter d’interpréter les nouvelles donnes qui surgissaient sur l’échiquier international. Je me rappelle surtout des discussions sans fin (et sans objet) au moment du rapprochement sino-soviétique en 1972, puis, dans la foulée, entre partisans du Vietnam devenu entièrement communiste et partisans du Cambodge de Pol Pot. Tout cela a fini par lasser le public. L’extrême gauche relève donc, le plus souvent, d’un rituel sans impact politique réel. Tout comme l’extrême droite d’ailleurs, qui cultive d’autres fantasmes.

Aujourd’hui, les thèses les plus intéressantes débattues dans le petit espace de l’extrême gauche internationale sont indubitablement celles de Noam Chomsky. L’analyse géopolitique n’y est pas clairement énoncée. L’option moraliste et internationaliste de ce corpus ne permet pas d’incarnation politique réelle, puisqu’elle entend se situer au-delà des Etats nationaux, tout en admettant que les nations du tiers-monde, mais elles seules, ont un droit à l’auto-détermination. L’Europe est généralement assimilée, ni plus ni moins, au camp « impérialiste », alors qu’elle est sous tutelle et ne dispose d’aucune marge de manoeuvre réelle ! Tous les faits énoncés par Chomsky, Chossudovsky, etc. doivent être inclus et assimilés dans les analyses géopolitiques classiques, qui se hissent bien évidemment au-dessus des étiquettes et clivages idéologiques. La fusion des deux corpus pourrait donner à terme un outil politique efficace. Quant à l’altermondialisme, je le répète, il ne peut se laisser piéger par le leurre qu’on lui agite sous le nez, à savoir cette idée de « réseaux » sans ancrage territorial.

13. Quelle est votre opinion sur la Guerre Froide ? A-t-elle été une mascarade et, si oui, pourquoi les Etats-Unis ont-ils poussé à la chute de l’URSS ?

La Guerre Froide est un répit. Il s’agissait d’assiéger, de « contenir » l’URSS, soit, dans le langage du géopolitologue britannique Mackinder, de coincer la puissance maîtresse du « Heartland » continental, de l’enserrer dans un jeu d’alliances, dont les maillons se situent sur l’ « anneau extérieur littoral », afin qu’elle ne puisse conquérir cette frange périphérique et maritime du vaste continent eurasien. Auparavant, il s’était agi d’utiliser les forces du « Heartland » pour harceler les puissances organisatrices de la « Forteresse Europe », dont l’Allemagne, pièce géographique centrale de la « Zwischeneuropa », et du Japon, organisateur de la « sphère de coprospérité est-asiatique ». Les Etats-Unis, ont bien assimilé la dialectique théorisée par Mackinder pour affaiblir toutes les puissances d’Eurasie. Après les ennemis principaux, Allemands et Japonais, il fallait mettre hors jeu l’allié principal, le « spadassin continental » soviétique (« kontinentaler Haudegen », dixit Ernst von Reventlow). Pour y parvenir, il fallait organiser le « containment », l’encerclement de l’ancien allié, maître de la « Terre du Milieu », en organisant sur les « franges continentales » (ou « rimlands »), des systèmes d’alliance, tels l’OTAN, l’OTASE, le CENTO, etc. L’objectif était évidemment d’éviter tout rapprochement germano-soviétique, ou euro-soviétique, après 1945. Le terme « mascarade » ne me paraît dès lors pas adéquat. La Guerre Froide est la suite logique des deux premières guerres mondiales. L’intention des puissances thalassocratiques anglo-saxonnes a toujours été, depuis les préludes de la Guerre de Crimée au 19ième siècle, de détruire la puissance russe, de la faire imploser. En 1941, après la défaite de la France, l’Allemagne est le danger primordial. Il faut dès lors la détruire en utilisant le potentiel militaire et démographique de la seconde puissance du continent: en l’occurrence, l’URSS de Staline. Une fois le danger allemand écarté, on passe à l’étape suivante: détruire la Russie. Le même scénario s’observe au Moyen-Orient, où les Etats-Unis ont armé Saddam Hussein contre l’Iran, puis désigné l’Irak comme ennemi du genre humain, pour qu’il ne puisse exercer aucun contrôle de type hégémonique dans la région. Après 1945, la France, alliée, est évincée de ses positions extra-européennes en Indochine, avec la complicité des Etats-Unis, qui se retournent ensuite contre leurs alliés communistes vietnamiens du départ. La dernière phase consiste à organiser des « abcès de fixation » sur les franges extérieures de la Fédération de Russie, aux frontières déjà complètement démembrées depuis la chute de l’Union Soviétique. L’imbroglio tchétchène, qui s’étend à l’Ingouchie, à l’Ossétie et au Daghestan, en est un exemple d’école. Ces processus n’étonnent que ceux qui prennent les vérités de propagande anti-hitlériennes, anti-staliniennes, anti-nasseriennes, anti-irakiennes pour des faits objectifs et imaginent que les services américains croient à leur propre propagande: en fait, ils ne font que manipuler un discours, qu’ils savent parfaitement construit et amplifié par les grands médias internationaux, undiscours qui sert à réaliser des buts géopolitiques, définis depuis des décennies sinon des siècles.

14. Comment voyez-vous l’évolution des Etats-Unis au cours de ces prochaines années ?

Je ne possède pas de boule de cristal, me permettant de voir l’avenir. La seule chose que l’on puisse dire avec suffisamment de certitude, au vu de l’évolution actuelle de la situation internationale, c’est que les Etats-Unis cherchent, au Moyen-Orient et en Afrique Noire, à s’emparer du maximum de ressources pétrolières, de gagner la bataille des énergies pour conserver les rentes que leur offre le pétrole, afin de les investir dans les recherches de haute technologie. Ainsi, les Etats-Unis pourront forger les armes et les technologies satellitaires qui leur permettront de conserver leur leadership pendant un siècle ou deux. Ils s’assureront une domination très confortable sur les autres et pérenniseront leur puissance. Je me méfie des discours récurrents, qui apparaissent dans les médias et qui prévoient le déclin imminent des Etats-Unis.

15. Pourquoi les atlantistes en Europe, mais aussi aux Etats-Unis ne militent-ils pas pour la création des Etats-Unis d’Occident, comme le suggère « Xavier de C* » dans son livre « L’Edit de Caracalla ou plaidoyer pour des Etats-Unis d’Occident », paru chez Fayard en 2002 ?

Les atlantistes européens sont des internationalistes qui croient à la propagande de Washington. Mais les vrais détenteurs du pouvoir américain, qui orchestrent cette propagande « mondialiste » ne le sont que d’une certaine façon. Ils croient à l’ancrage américain. Imaginez la situation qui émergerait, si l’Europe votait toujours pour des pacifistes ou si son poids démographique contribuait à faire élire exclusivement des présidents européens, qui feraient une géopolitique européenne et non plus américaine. Les programmes géopolitiques américains, définis depuis si longtemps, ne pourraient plus être mis en oeuvre. L’écoumène atlantiste ne serait plus américanocentré. Le protestantisme puritain deviendrait minoritaire, sous le poids du catholicisme européen et latino-américain. Ce « Xavier de C*» ignore que le moteur religieux de l’américanisme est ce protestantisme dissident, puritain et fanatique des « Founding Fathers ». Son projet « caracallien » minorise ipso facto ce puritanisme, donc fait perdre à l’Amérique sa spécificité fondatrice. C’est un projet d’atlantiste européen naïf et non pas un projet puritain-américain réaliste, car un tel projet n’imaginerait pas une fusion globale où il ne serait plus qu’un facteur périphérique et marginalisé.

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samedi, 04 août 2007

R. STEUCKERS : ENTRETIEN (2)

Deuxième partie des “réponses de Robert Steuckers au questionnaire d’un étudiant…”

5. Dans vos revues, il y a beaucoup de traductions d’articles provenant du monde germanophone, mais aussi latin (hispanique et italien) et, plus original encore, de l’Europe slave, en particulier de la Russie. D’une certaine façon, ne peut-on pas considérer votre revue comme une sorte de « Courrier International » de la pensée européiste ?

En effet, le poids prépondérant de thématiques germanisantes au début de l’histoire de Vouloir, faisait dire, à quelques néo-droitistes parisiens jaloux, qui n’ont pas digéré entièrement l’anti-germanisme maurrassien en dépit de leurs dénégations et de leur germanomanie de pacotille, que mes publications étaient des « revues allemandes en langue française ». J’ai donc suivi des cours accélérés en langues espagnole, italienne et portugaise, de façon à acquérir une connaissance passive de ces langues et de traduire, avec l’aide d’amis et de mon ex-épouse, les articles de nos innombrables amis hispaniques et italiens. D’autres, que je remercie, m’ont aidé à traduire des articles du polonais et du russe. L’objectif a donc toujours été de dire « non » aux enfermements; « non » à un enfermement dans le carcan très étroit du belgicanisme institutionnel (ce qui n’est évidemment pas le cas de notre culture, qui a un message serein à offrir à tous), « non » à un enfermement dans le carcan de la francophonie officielle, « non » au carcan de l’eurocratisme, « non » au carcan de l’atlantisme. Par ailleurs, « non » aux carcans idéologiques et politiques, « non » aux deux carcans du « démocratisme chrétien » et du « laïcisme libre(!!!)-penseur » à la belge. La masse de textes, de thématiques diverses et variées, qu’offraient les éditeurs et les revues allemandes permettait de rebondir dans tous les domaines et dans tous les espaces culturels européens et d’éviter toute forme d’enclavement idéologique.

Au fond, je vais confesser ici pour la première fois que cette idée est très ancienne chez moi: elle vient de la victoire électorale du FDF aux élections communales de 1970. Flamand de Bruxelles, littéralement assis sur deux cultures, cette victoire électorale a fait pâlir mon père, l’angoisse se lisait sur le visage de cet homme de 57 ans, qui craignait la minorisation des Flamands de Bruxelles, un homme simple qui n’avait pas envie de subir l’arrogance d’une bourgeoisie et d’une petite bourgeoisie qui se piquait d’une culture française (qu’elle ne connaissait évidemment pas en ses réels tréfonds), un pauvre petit homme qui devinait aussi, instinctivement, que ce francophonisme de brics et de brocs, plus braillard que créateur de valeurs culturelles véritables, barrait la route de beaucoup aux cultures néerlandaise, allemande et anglaise, auxquelles les Flamands ont un accès plus aisé. Ensuite, ce qui le rendait malade, c’était les rodomontades des « traitres » : les Flamands de souche, installés à Bruxelles, qui croyaient s’émanciper, échapper à la culture, souvent rurale, qu’avaient abandonnée leurs parents en venant travailler dans la grande ville. Tout cela était confus dans la tête de mon père, qui aimait les Wallons, quand ils étaient authentiques. Il avait travaillé à Liège, comme beaucoup de Limbourgeois. Il aimait les Ardennais et surtout les Hesbignons, dont les Limbourgeois du Sud sont si proches et auxquels ils sont si souvent liés par des liens matrimoniaux. Et les Wallons du quartier, où nous vivions, n’avaient cure du bête « francophonisme » des nouveaux francophonissimes originaires de Flandre ou de Campine, qui n’avaient rien de wallon, qui agaçaient les vrais Wallons. Et les Ardennais de Bruxelles, comme mon père du Limbourg, ne reniaient pas leur culture catholique et rurale, qu’ils ne retrouvaient évidemment pas dans les rodomontades émancipatrices des zélotes du nouveau parti de Lagasse et de « Spaakerette ». Dans ma tête d’adolescent, tous ces affects paternels s’entrechoquaient, provoquaient des réflexions, sans doute fort confuses, mais qui allait être à la base de toutes mes entreprises ultérieures et surtout de ma décision d’étudier les langues germaniques. Car que proposaient les braillards du FDF, dont l’insupportable Olivier Maingain perpétue la triste tradition ? Rien d’autre qu’un réductionnisme intellectuel, inacceptable en notre pays, carrefour entre quatre grandes langues européennes. Le multilinguisme est une nécessité et un devoir: à quatorze ans, j’en étais bien conscient. Mon père aussi. J’allais donc devoir, adulte, me battre contre l’ineptie qui venait de triompher, par la grâce des dernières élections. Il fallait commencer la bataille tout de suite. A cette heure, je n’ai pas encore déposé les armes.

Mais, il fallait que je me batte en français car le vin avait été tiré, j’étudiais dans cette langue, depuis ma première primaire, sans renier mes racines; il me fallait donc utiliser la langue de Voltaire pour commencer le travail de reconquista qu’il s’agissait d’entreprendre, non pas tant contre le FDF, manifestation éphémère, politicienne et périphérique d’un « francophonisme » bizarre, mixte monstrueux d’ « illuminisme » révolutionnaire et de « postmaurrasisme panlatiniste » (qui ne voulait pas s’avouer tel), mais contre tous les simplismes et réductionnismes que le (petit) esprit, se profilant derrière sa victoire, amenait dans son sillage. Toute cette bimbeloterie francophonisante finissait par m’apparaître comme des « plaquages » artificiels, des agitations superficielles sans fondements. La culture rurale matricielle me paraissait seule authentique (quelques mois plus tard, Mobutu évoquait l’authenticité zaïroise, banalisait le terme d’ « authenticité » et je ne pouvais m’empêcher de lui donner raison…). Cette notion d’authenticité était valable pour la Flandre et le Brabant thiois, pour la Wallonie et les Ardennes. Elle était valable aussi pour la seule région d’Europe que je connaissais à l’époque: le haut plateau franc-comtois dans le département du Doubs, les Franches Montagnes, fidèles à la tradition burgonde, fidèles à l’Espagne et à l’Autriche contre le Roi-Soleil, comme l’écrivait, dans un opuscule anti-jacobin, un certain Abbé Mariotte, auteur d’une petite histoire de la Franche-Comté, que je lisais avidement, avec amour, chaque été, quand nous étions là-bas, à l’ombre du clocher de Maîche. Une authenticité que m’avait fait découvrir un cadeau du concierge permanent du formidable manoir qui nous hébergeait à Maîche: Le loup blanc de Paul Féval, roman chouan et bretonnant, qui accentuait encore plus cette volonté d’aller aux racines les plus profondes, ici les racines celtiques d’Armorique, comme là le « saxonnisme » de Walter Scott, avec Ivanhoe et Robin des Bois. L’homme était donc tributaire de (et non déterminé par) l’appartenance au terroir de ses ancêtres et le nier ou l’oublier équivalait à basculer dans une sorte de folie, de démence maniaque, qui s’acharnait à éradiquer passé, souvenirs, liens, traces… jusqu’à rendre l’homme totalement anémié, vidé de tout ce qui fait son épaisseur, son charme, sa personnalité. Un tel homme est incapable de créer de nouvelles formes culturelles, de puiser dans son fonds archétypal: les portes sont ouvertes alors pour faire advenir une « barbarie technomorphe ».

1970, l’année de mes quatorze ans et l’année du triomphe du FDF, a déterminé mon itinéraire de façon radicale: au-delà des agitations politiciennes, jacobines, modernistes, toujours aller à l’authentique, avoir une démarche « archéologique » et « généalogique », sortir du « francophonisme » d’enfermement, s’ouvrir au monde et d’abord au monde proche, tout proche, qui commence à Aix-la-Chapelle, qui nous ouvre à l’Est, comme la langue française, non reniée et cultivée, ouvre au Midi. Quelques semaines après la victoire électorale du FDF, je m’en vais d’ailleurs, muni d’un catalogue du « Livre de Poche », quémander au Frère Marcel, une liste de bons livres à lire: il m’a fait découvrir Greene et surtout Koestler, sources de mon engouement pour la littérature anglaise. Mais aussi tous les classiques de la littérature française à l’époque: Cesbron, Mauriac, Bazin, Troyat…

Le « germanisme » était présent, comme la matrice culturelle du Flamand de Bruxelles, du fils d’immigré limbourgeois. Mais le germanisme était ouvert, tant au français (qui n’est pas le « francophonisme ») qu’à la latinité, que nous faisait aimer notre professeur de latin, l’inoubliable Abbé Simon Hauwaert. Balzac, Stendhal, Baudelaire et Flaubert sont d’ailleurs des exposants ante litteram de la « révolution conservatrice », en sont la matrice à bien des égards, dans leur critique incisive du « bourgeoisisme »: donc, une fois de plus, pas de frontière entre un espace français, qui serait hermétique, et un espace germanique, qui serait tout aussi hermétique. Par ailleurs, ce sont le baron Caspar von Schrenck-Notzing, directeur de Criticón (Munich), qui me fait découvrir l’Espagne de Balthazar Gracian, puis Günther Maschke (et Arnaud Imatz), qui me font découvrir Donoso Cortès. C’est par des études allemandes, ou traduites en allemand, que je découvre d’Annunzio et Pessoã. Plus tard, j’allais constater que la culture italienne est très ouverte à l’Allemagne et à l’Autriche, qu’elle traduit bien plus que l’édition parisienne, sans perdre la moindre once de sa latinité. Un exemple à suivre…

La lecture conjointe de Herder et de Heidegger allait donner des assises philosophiques à ce magma informel de l’adolescent.

6. Justement, une spécificité importante de votre démarche réside dans votre philo-slavisme et votre anti-soviétisme modéré qui s’est manifesté dès le début de votre itinéraire (à l’époque, où, sous l’impulsion de Ronald Reagan, on renoue avec la Guerre Froide la plus glaciale) et que vous partagez, quoique dans une autre optique, avec le PCN. Qu’en dites-vous aujourd’hui ?

Entre 1970, que je viens de vous évoquer, et le début de l’aventure de Vouloir, treize années se sont écoulées. La Guerre Froide s’enlise. Le duopole n’a rien d’autre à proposer qu’une partition définitive du monde entre deux camps, animés chacun par une idéologie hostile aux matrices culturelles et aux authenticités fécondes, décrétées « archaïsmes » ou « fascismes » (à la suite notamment des hypersimplifications d’un Georges Lukacs). Derrière cette partition du monde, se profile une histoire européenne pluri-millénaire, où les horizons sont toujours vastes, où l’on ne bute pas sur un « Rideau de fer », à 350 km à vol d’oiseau de Bruxelles. Où l’on pouvait aller à Prague, à Varsovie et à Budapest, sans passer à travers un champ de mines, surveillé par des miradors. Le dégel avait fait espérer un assouplissement et voilà, soudain, que le reaganisme réactive la Guerre Froide, éloignant la possibilité d’une réconciliation européenne. La déception est immense, surtout, j’imagine, pour ceux qui avaient espéré que la « Doctrine Harmel », voire l’Ostpolitik de Brandt, allaient porter des fruits. La division européenne apparaît dès lors comme l’oeuvre d’un « talon d’acier », une anomalie scandaleuse, qu’il fallait combattre, à la suite de Thiriart et de son mouvement « Jeune Europe », afin de retrouver le dynamisme européen en direction du Sud-Est et des profondeurs du continent asiatique, conquis vers 1600 avant JC par les cavaliers iraniens, puis, à partir du 16ième siècle, par les Cosaques des Tsars. C’était un idéal d’ « Europe Totale », mixte de Harmel et de Thiriart. Et, derrière eux, se profilaient tout à la fois 1) un projet « démocrate-chrétien » (en réalité « conservateur » au sens metternichien du terme) de rééditer, cette fois sous le signe d’une pensée inspirée de « Rerum Novarum », la « Sainte-Alliance » conservatrice de 1814, Europe de l’Est voire Russie comprises, ou 2) une vision plus pragmatique, géopolitique et technique, comme celle d’Anton Zischka, inspirateur majeur du jeune Thiriart. Elle impliquait d’étudier les dynamiques à l’oeuvre dans ces espaces immenses. Une telle étude postule non seulement de connaître les atouts économiques de l’espace euro-sibérien, dans le sillage de Youri Semionov, mais aussi, à la suite de l’historien italien des religions, Giuseppe Tucci, l’héritage spirituel de ces peuples à la charnière de l’Europe et de l’Asie. Parmi les multiples aspects de cet héritage spirituel, la slavophilie et l’oeuvre de Leontiev, partisan d’une alliance avec les forces asiatiques contre un Occident « libéral-manchesterien » qui a trahi la Russie lors de la Guerre de Crimée. Raison pour laquelle mes amis et moi, nous n’avons cessé de nous intéresser à ces thématiques.

Le PCN, dans ses démarches, ne semble pas fort s’intéresser à la pensée organique russe. Or peu avant que la Guerre Froide ne reprenne sous Reagan, le dissident Yanov, établi en Californie, sort un ouvrage universitaire intitulé The Russian New Right, où il démontre que la pensée slavophile et néo-orthodoxe, fondamentalement anti-occidentale, et l’oeuvre de Soljénitsyne, impulsent, tant chez les établis que chez les dissidents de l’ex-URSS, une nouvelle révolution conservatrice, ou « nouvelle droite », avec des écrivains comme Valentin Raspoutine ou Youri Belov. Quant aux tenants de l’idéologie occidentaliste, on les retrouvait aussi, d’après Yanov, dans les deux camps. A Moscou, Alexandre Prokhanov, que j’allais rencontrer en 1992, était à l’époque directeur de la revue Lettres soviétiques. Il avait publié, pour la première fois dans une publication soviétique officielle, un numéro consacré à Dostoïevski, qui avait été mis à l’écart à l’ère soviétique la plus sourcilleuse. Prokhanov innovait. Je me suis procuré un exemplaire de cette revue à la « Librairie de Rome » à Bruxelles. Au même moment, Etudes sociales, autre publication émanant de l’Académie soviétique des sciences, réhabilitait le passé païen russe, dans un optique très semblable à celle de la « nouvelle droite ». Ces textes attestaient d’un changement et d’un abandon graduel des vieilles lunes progressistes du marxisme institutionnalisé, abandon qu’aucune officine « marxiste » belge ou française ne jugeait bon de faire. Les archaïsmes étaient toujours de mise chez nos communistes locaux. Leur déphasage par rapport aux legs de l’histoire et au réel ne faisait que s’accentuer. Rien n’a changé sur ce chapitre.

Ce chassé-croisé d’occidentalisme et de slavophilie chez les dissidents comme chez les établis, et le succès des néo-slavophiles, notamment dans l’orbite cinématographique, laissaient espérer une transformation lente de l’URSS en une nouvelle Russie conservatrice, capable de damer le pion à la superpuissance libérale, vectrice de toutes les déliquescences morales et spirituelles, fautrice du déclin intellectuel généralisé de l’Occident et matrice de la vulgarité marchande. Ce que nous haïssions dans le communisme s’estompait et ce que nous n’avons cessé de haïr, du plus profond de nos tripes, dans le libéralisme ne cessait de s’amplifier, jusqu’à atteindre l’effroyable monstruosité qu’il a acquise aujourd’hui, un monde où le banquier, être infect et infécond, inculte et vulgaire, accumulateur et comptable, vaut plus que le joueur d’accordéon du coin de la rue, être touchant de sincérité et de spontanéité. Chez nous, les acteurs de théâtre sont sûrs de crever de misère quand ils ne pourront plus monter sur les planches. En Italie, les professeurs d’université s’étaient mobilisés à l’époque contre les MacDo, qui finançaient Reagan et recevaient en échange le droit de s’établir dans tous les coins et recoins de l’américanosphère. Ces professeurs voulaient organiser un boycott général de la chaîne de « fast food »; chez nous, quand les étudiants de Gand ont voulu faire de même, par solidarité avec le corps académique italien, la minable crapule assurant la gérance d’une de ces auges de la mal-bouffe a eu le culot d’appeler les flics, qui ont verbalisé, et le corps académique, veule et lâche, n’a rien dit. On mesure aujourd’hui l’étendue du désastre. L’empoisonneur avait la « liberté » de commercer… et on ne pouvait y porter atteinte. La chaîne de ces fast-foods avait acquis le droit, grâce à Reagan, qu’elle avait financé, d’abaisser l’âge requis pour travailler dans le secteur de la restauration: depuis lors, les lycéens travaillent pour gagner l’argent de leurs cartes de GSM et le niveau d’instruction et d’éducation ne cesse de baisser; le monde sans relief des « petits jobs et boulots », stigmatisé par Hannah Arendt, est devenu la référence suprême.

Face à cette involution, perceptible dès le début des années 80, la société soviétique, malgré son caporalisme, sa froide rigueur idéologique, sa langue de bois, laissait entrevoir une renaissance, un dépassement de l’horreur économique par un retour aux valeurs qui avaient enthousiasmé les premiers slavophiles du 19ième siècle, ces disciples russes de Herder. Ensuite, sous les coups du néo-libéralisme triomphant, l’Europe perdait et le sens de l’Etat et le respect de ses héritages culturels. Face au « Dieu Argent », désormais honoré sans plus aucune retenue morale ou éthique en Occident, dans l’ « américanosphère » (Faye), Moscou semblait conserver un sens de l’Etat, avec une armée qui respectait des traditions russes (donc européennes), et un appareil culturel et académique, dont le Bolchoï, par exemple, était un fleuron. Les titres académiques semblaient mieux respectés qu’en Europe ou en Amérique. Le « fast food » est la manifestation sociale la plus tangible de cet avènement du « tout-économique », qui nous a tant scandalisé à l’époque, jusqu’à en devenir, je le concède, une véritable obsession récurrente, qu’atteste la littérature néo-droitiste et nationale-révolutionnaire.

Ensuite, Reagan et ses conseillers étaient bien conscients du fait qu’un discours exclusivement néo-libéral ne pouvait consolider leur pouvoir ni constituer une propagande efficace. Ils ont alors puisé dans le registre de l’idéologie religieuse puritaine, l’héritage américain des « Founding Fathers » et des « Pèlerins du Mayflower », où l’accent est souvent mis sur l’Apocalypse, jugée imminente, portée par le « Mal absolu », qu’il s’agit de combattre et d’éradiquer. Ce langage réactive les affects qui préfigurent les guerres de religion, alors que la pensée d’un Hobbes et toute l’évolution de la pensée politique européenne après les horreurs de la guerre de Trente Ans visaient justement à éviter de tels débordements. Le reaganisme met un terme définitif aux « formes » de la guerre et de la diplomatie traditionnelles. Cet infléchissement était inacceptable, même dans une optique conservatrice traditionnelle. Il ne faut pas se leurrer: si Reagan a été décrit par les gauches comme un « néo-conservateur », cette manière de percevoir les choses est fondamentalement erronée. Le puritanisme apocalyptique des « Pères Fondateurs » et des Puritains du 17ième siècle est le contraire diamétral des options « tacitistes » et « machiavéliennes », de la tradition régalienne européenne en général. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le retour, après Cromwell, du Roi en Angleterre ait contraint ces zélotes, à l’idéologie bibliste, à franchir l’Atlantique, où, espérait-on en Europe, ils allaient pouvoir vivre leurs utopies irréalistes et anti-historiques en vase clos.

Les Etats-Unis sont spécialisés dans le bricolage idéologico-théologique quand il s’agit de créer des vulgates médiatisables pour faire passer leur volonté dans les faits. Avec Reagan, nous avions, outre le néo-libéralisme, qui dissout toutes les formes politiques et culturelles, l’idéologie de l’Apocalypse, qui entend faire table rase des legs de l’histoire, et, surtout, une interprétation messianique des « droits de l’homme », impliquant un interventionnisme tous azimuts, qui flanquait tous les principes de la diplomatie traditionnelle par terre ! Le Général Jochen Löser s’est dressé, à l’époque, et avec vigueur, contre ce mixte idéologico-théologico-économique, qui revient aujourd’hui à l’avant-plan avec Bush junior; avec l’armement moderne, cette nouvelle idéologie agressive risquait de déclencher une guerre d’annihilation totale en Europe centrale. Si les Etats-Unis maniaient une telle idéologie, la fidélité à l’alliance atlantique pouvait être remise en question. Harmel s’était proposé d’assouplir la « Doctrine Hallstein », rigide et pérennisant par son intransigeance la césure européenne, afin de mettre lentement fin à la chape pesante qu’était le duopole né à Yalta. La « Doctrine Harmel » était aussi un retour à la diplomatie traditionnelle, laquelle devait recevoir à nouveau la préséance. Löser et Kiessling entendaient y revenir au début des années 80, juste avant la perestroïka de Gorbatchev. Ce débat n’est pas clos: au printemps 2003, quand les troupes anglo-américaines entrent pour la deuxième fois en Irak, et que les Européens s’insurgent en arguant que toutes les voies diplomatiques n’avaient pas été exploitées, Robert Kagan, idéologue au service de la politique de Bush junior, annonce clairement, sans circonlocutions inutiles, que la diplomatie, « c’est du passé » et que l’avenir appartient à ceux qui ne s’en soucient nullement. La « Vieille Europe » est donc celle de la diplomatie, à l’idéologie « machiavello-tocquevillienne » et « tacitiste ». La « Nouvelle Europe » est celle qui va renier cet héritage pour suivre aveuglément le nouvel « Empire » qui agit arbitrairement selon ses intérêts immédiats.

Je ne crois pas que le PCN ait vraiment mis tous ces éléments dans la balance: il m’a donné la triste impression de se muer en un calque maladroit du stalinisme (revu par la propagande américaine du temps de la Guerre Froide), attitude typique des mouvements politiques marginaux qui cherchent à attirer l’attention sur eux par des prises de position qui font bêtement scandale.

7. Autre point commun avec le PCN et, par-delà cette formation, avec Jean Thiriart, vous avez fait, vous aussi, votre pèlerinage à Moscou. Quelles sont les perspectives avec les Russes et notamment avec Alexandre Douguine et l’actuel président russe Vladimir Poutine, de créer cet empire européen que vous appelez de vos voeux ?

Je n’ai pas souvenir que le PCN, ou l’un de ces dirigeants, ait fait le « voyage à Moscou ». Fin mars, début avril 1992, je m’y suis effectivement rendu avec Alain de Benoist et Jean Laloux (secrétaire de rédaction de la revue Krisis). Les activités principales de ce voyage ont été 1) une conférence de presse où nous avons présenté les grandes lignes de la « nouvelle droite »; 2) un débat, dans les locaux de la revue moscovite Dyeïnn (« Le Jour ») avec Ziouganov et Volodine, exposants du parti communiste russe. Le dialogue a tourné autour de la notion de « Troisième Voie » en économie, c’est-à-dire, pour moi, ce que Perroux, Albertini et Silem ont nommé les « voies hétérodoxes », héritières de l’école historique allemande de Schmoller, Rodbertus, etc. Douguine et Prokhanov étaient les deux organisateurs de ces rencontres. Douguine a fait du chemin depuis lors. Il appuie aujourd’hui Vladimir Poutine, qui, à ses yeux, tente de redresser une Russie ruinée par le clan Eltsine et les oligarques.

Quelques mois plus tard, Thiriart, Schneider, Battarra et Terracciano se retrouvaient à leur tour à Moscou. En 1996, une équipe de « Synergies européennes », composée de Sincyr, Sorel et de Bussac, visite à son tour Moscou et rencontre d’autres personnalités, dont l’ex-dissident, le sorélien Ivanov, l’anthropologue Avdeev, et d’autres. Ces hommes oeuvrent dans d’autres perspectives. L’hispaniste Toulaev s’est joint à eux. Notre ami autrichien Gerhoch Reisegger s’est également rendu à plusieurs reprises à Moscou, ramenant de ses voyages des informations d’ordres économique et factuel très intéressantes. Wolfgang Strauss continue à publier une chronique permanente sur cet espace idéologique russe, dans les colonnes de la revue Staatsbriefe, qui paraît à Munich sous la direction du Dr. Sander. Tous les aspects de la pensée non conformiste —hétérodoxe— russe nous intéressent.

Quant à savoir si Poutine emportera le morceau, il me semble que la réponse se situe dans les extraits du dernier ouvrage de Reisegger que nous avons traduits. La consolidation du poutinisme dépend de l’organisation des transports (routes et chemins de fer), des gazoducs et oléoducs de l’Asie centrale, de la Sibérie, de concert avec l’Inde, le Japon et la Chine. Si une synergie parvient à s’établir, l’Eurasie demeurera eurasiatique. Sinon, les Américains préparent d’ores et déjà la riposte: le stratège Thomas Barnett propose aujourd’hui à l’établissement américain d’abandonner l’alliance européenne, de laisser l’Europe périr dans ses contradictions et de miser sur l’Inde et la Chine, voire sur une Russie détachée de l’Europe, afin de conserver les atouts américains en Asie centrale, acquis par la conquête de l’Afghanistan et la satellisation de l’Ouzbékistan. Barnett apporte la réponse américaine au projet de Henri de Grossouvre, soit le projet de créer un Axe Paris-Berlin-Moscou.

8. Après plus de vingt ans d’activités politiques et intellectuelles, quel est le bilan que vous tirez ? Notamment sur les Etats-Unis et l’Europe ?

Premier bilan, évidemment, comme Thiriart et de Benoist, et même comme Faye, c’est d’avoir constaté l’immense, l’incommensurable bêtise du « milieu identitaire ». En hissant la préoccupation au niveau européen, Thiriart avait voulu dépasser l’étroitesse des « petits nationalismes ». Avec son option « métapolitique », de Benoist avait voulu briser le cercle infernal des répétitions et des rengaines. Ils se sont tous deux heurtés à une incompréhension générale, hormis quelques notables exceptions qui ont tenté de poursuivre le combat. Thiriart n’a pas trop bien su emballer sa marchandise.Ses textes, denses, toujours au moins partiellement actuels, figuraient certes au milieu de dessins satiriques de toute première qualité, mais les écrits des autres « journalistes », dans la feuille du mouvement, laissaient vraiment à désirer et étalaient les fantasmes habituels du « petit nationalisme » ou de l’« extrême droite » au mauvais sens du terme. Thiriart a vraiment tout essayé pour gommer définitivement ces dérives: il avouait, dans un entretien accordé à l’avocat espagnol Gil Mugarza, n’avoir pas pu enrayer les multiples expressions de cette « psychopathologie » politique. Les hommes de notre temps ne raisonnent plus en termes de temps et d’espace, mais se laissent aveugler par les idéologies, les « blueprints » de Burke, déviance encore accentuée par la propagande médiatique, qui atteint désormais des proportions incroyables. Ignorant tout de la géographie, nos contemporains ne comprennent pas les enjeux spatiaux, seuls enjeux réels des conflits qui ensanglantent la planète. Leurs horizons sont vraiment limités, alors que l’on n’a jamais autant parlé de « mondialisme » ou d’« universalisme ».

Alain de Benoist, pour sa part, a tenté d’élargir et d’européaniser l’horizon culturel du milieu nationaliste français, dans lequel, dès l’adolescence, il avait fait ses premiers pas. Il lui a présenté des thématiques inhabituelles, fort intéressantes au départ, mais, en bout de course, force est de constater qu’il en a trop fait, qu’il a jonglé avec une quantité de choses diverses que ce public ne pouvait pas assimiler à la vitesse voulue. Alain de Benoist changeait trop souvent de sujet et son propre public, au sein du GRECE, ne suivait pas la cadence. Il s’en désolait, tempètait, rouspétait; on l’écoutait poliment, mais, au fond, on semblait lui dire, par le regard: « Cause toujours, tu m’intéresses ! ». D’où, ce que j’appelle le « mouvement brownien » des brics et brocs culturels et cultureux agités par de Benoist. Henry de Lesquen parlait, à son propos, de prurit « noviste ». Deux handicaps marquaient la démarche du « Pape de la nouvelle droite »: une incapacité —en fin de course, et non pas, curieusement, au début de sa trajectoire— à opérer une synthèse et à se concentrer sur l’essentiel; bref, la dispersion et la confusion; ensuite, un désintérêt pour l’histoire et ses dynamiques, au profit d’une sorte d’idolâtrie pour les idées toutes faites, pour les corpus moraux plus ou moins bien échafaudés, pour le clinquant de concepts immédiatement médiatisables (dans l’espoir d’être enfin accepté, comme figurant ou comme acteur, dans le « PIF » ou « paysage intellectuel français »). Enfin, l’homme est tenaillé par l’inquiétude, par d’inexplicables angoisses, par un doute incapacitant, aux dimensions qui laissent pantois. Si Thiriart a été une cohérence au milieu des incohérences de l’extrême droite belge et italienne de son époque, de Benoist, lui, a démarré dans la cohérence pour se disperser dans un fatras de thématiques différentes et divergentes, dans un capharnaüm conceptuel qu’il est désormais incapable de maîtriser. Il m’apparaît aujourd’hui comme une sorte d’âne de Buridan, qui n’a pas à choisir entre deux picotins d’avoine, mais est perdu au milieu d’une foultitude de picotins, tous aussi alléchants, et ne sait plus où donner de la tête.

Ne cédons pas à cette aigreur, que l’on retrouve aussi chez un Guillaume Faye, qui la tourne en cynisme avec son sens du canular qui est inégalable, ou chez un Christian Bouchet, qui ne mâche pas ses mots pour fustiger l’inculture du « milieu identitaire ». Cette inculture n’est pourtant pas le propre de ce milieu mais bien le lot général de notre temps. La gauche n’est plus aussi « intellectuelle » qu’elle ne l’a été. Sachons que l’OSS visait, dès l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1941-42, à faire perdre à l’Europe son leadership intellectuel. L’effervescence de mai 68 et les pédagogies démissionnaires qui en découlent, en dépit de l’excellence de ce que Luc Ferry appelle la « pensée 68 » (avec Deleuze, Guattari, Foucault, Lévi-Strauss, etc.), a donné le coup de grâce aux établissements d’enseignement en Europe. La vague néo-libérale a simplement parachevé l’horreur. La méditation, la lecture, l’étude, la recherche sont des activités qui prennent du temps, qui empêchent de gagner vite beaucoup d’argent, pour pouvoir consommer tout aussi rapidement. Et empêcher l’adolescent ou l’étudiant de gagner de l’argent, même au détriment de ses études, relève, au regard du mental contemporain, d’un « archaïsme », méchant et pernicieux, d’un « fascisme » rétrograde. Au bout d’une décennie à peine, on a des instituteurs, des régents et des licenciés mal formés, qui ont moins lu, qui n’ont pas de passions littéraires bien étayées, qui ont butiné bêtement autour de toutes les loupiotes médiatiques faites de variétés de plus en plus vulgaires (Loft, Star Academy, etc.), qui ont gagné des sous pour se payer de la bimbeloterie high tech ou des fringues ridicules et, partant, ne se sont pas constitué de bibliothèques personnelles. L’influence des sous-cultures et des modes est de plus en plus désastreuse. A cela s’ajoute que le milieu identitaire est tout aussi indiscipliné que le reste de la société, que les « egos » y sont encore plus surdimensionnés, générant à la pelle des personnalités caractérielles. Très difficile dès lors de faire éclore dans un tel milieu une conscience historique prospective et volontariste, comme le voulait Thiriart, ou d’entamer une longue bataille métapolitique, comme le voulait de Benoist.

Pourtant, de nouvelles initiatives voient le jour. Elles sont au moins portées par des hommes au caractère plus trempé. De vrais travailleurs. Qui multiplient les initiatives et sont très présents sur internet. Cette nouvelle génération semble ouverte sur le monde. Elle est européiste, même en France, car la France contemporaine, qui se veut championne des abstractions universalistes les plus délirantes, l’a déçue. L’avenir nous dira ce que ce travail parviendra à réaliser. Deux éceuils à éviter: se méfier des modes, ne pas y succomber (comme Ulysse face au chant des sirènes); ne pas tomber dans la dispersion.

Ensuite, force est de constater que les Etats-Unis ont gagné la guerre: en Europe en 1945 (mais ça, tout le monde le sait déjà), dans les Balkans en 1999, ce qui leur permet de contrôler l’espace-tremplin de l’Europe vers le Moyen-Orient, utilisé par Alexandre le Grand puis par les Ottomans, en Afghanistan en 2001, ce qui leur permet de contrôler l’Asie centrale, en Irak en 2003, où ils se sont emparé des principales réserves énergétiques du monde, en Afrique centrale et occidentale, ce qui leur permettra de contrôler les ressources pétrolières inexploitées du continent noir. Cette série de victoires est due à leur avance technologique, notamment sur le plan satellitaire. Pire: la riposte européenne ne sera guère possible car en s’emparant d’Avio en Italie, de Santa Barbara Blindados en Espagne, de l’usine de sous-marins allemand, bientôt de Rheinmetall, les consortiums américains, dont le fameux Groupe Carlyle, ont mis la main, par des coups en bourse, sur les entreprises qui forgent les armes européennes. Le Général allemand Franz Ferdinand Lanz a déclaré à ce propos: « Toute armée dépendant d’une industrie militaire étrangère est une armée de deuxième classe ». « Dans tous les cas de figure, l’armée est l’expression et la garante de la souverainté d’un Etat ». « Seules les puissances qui disposent d’un potentiel stratégique produit par une industrie militaire indépendante, sont en mesure de s’affirmer, même modestement, sur la scène internationale ». Cette fois, il n’y a pas lieu de parler de la simple souveraineté d’un Etat, mais de celle de tout un continent, de toute une matrice de civilisation. L’Europe est donc aujourd’hui une « impuissance » édentée.

 

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vendredi, 03 août 2007

R. Steuckers: ENTRETIEN (1)

Réponses de Robert Steuckers au questionnaire d’un étudiant, dont le mémoire de fin d’études porte sur l’anti-américanisme dans les milieux néo-droitistes, nationaux-révolutionnaires et extrême-droitistes en Belgique [Fait à Forest/Flotzenberg, août 2004].

1. Comment vous définissez-vous au niveau idéologique ?

Première remarque : la notion d’idéologie n’est pas adéquate en ce qui me concerne. L’idéologie fonctionne selon un mode constructiviste, elle procède de ce que Joseph de Maistre nommait l’“esprit de fabrication”, elle tente de plaquer des concepts flous, soi-disant universellement valables, relevant du « wishful thinking », sur un réalité effervescente, qui procède, elle, qu’on le veuille ou non, d’une histoire, d’une réalité vivante, d’un flux vivant, souvent violent, rude, âpre. D’emblée, nous avons voulu une immersion dans ce flux, certes cruel, où le moralisme des systèmes idéologiques dominants n’a pas sa place, et non pas le repli frileux dans les espaces idéologisés, strictement contrôlés, qui ronronnent des ritournelles et qui ânonnent des poncifs dans le triste espace politico-intellectuel belge (français, allemand, etc.). Cette option implique un ascétisme rigoureux : celui qui refuse sinécures et prébendes, celui qui s’astreint à lire et à archiver sans état d’âme, sans désir vénal de voir ses efforts rémunérés d’une façon ou d’une autre. Un ascétisme aussi qui n’est jamais qu’une transposition particulière, et peut-être plus rigoureuse, de l’option de Raymond Aron qui se déclarait « spectateur désengagé ». Après plus de trente ans de combat métapolitique assidu, je ne regrette pas mon option première, celle de l’adolescent, celle de l’étudiant. Je n’ai tué ni l’enfant, ni l’adolescent, ni l’étudiant qui est en moi. Je garde les mêmes sentiments, la même moquerie, le même mépris pour le monde politique et intellectuel de ce pays qui crève sous la sottise des politicards véreux, qui se prétendent « démocrates ». « L’enfant qui joue aux dés », disait Nietzsche, grand poète. Et je ris. Tout à la fois de bon coeur et méchamment. Mélange des deux. Comme les enfants.

Pour revenir au terme « idéologie », je vous rappelle que l’objet de mon mémoire à l’institut de traducteurs-interprètes portait justement sur l’ « idéologie », comme articulation de la domination des préjugés. Ce petit ouvrage d’Ernst Topitsch et de Kurt Salamun (« Ideologie als Herrschaft des Vorurteils ») —dont j’ai fait une traduction raisonnée et commentée— démontrait comment tout discours idéologique masquait le réel, travestissait les réalités historiques, camouflait derrière des discours ronflants ou moralisants des réalités bien plus prosaïques et vénales. Topitsch, Salamun et Hans Albert, leur maître à penser, s’inscrivaient dans une tradition philosophique mettant l’accent sur le pragmatisme et la raison. Par conséquent, j’ai toujours estimé qu’il ne fallait jamais raisonner et analyser les faits de monde au travers du prisme d’une doctrine idéologique, quelle qu’elle soit. Au contraire l’attitude politique et intellectuelle qu’il convient de recommander est celle de Tite-Live, de Tacite et des « tacitistes » espagnols, dont faisait partie notre compatriote Juste-Lipse : recenser les faits, comparer, retenir des points récurrents, écrire des « annales d’empire », afin de pouvoir trancher vite en cas d’urgence, de décider sur base de faits d’histoire et de géographie, qui sont toujours récurrents. En effet, l’homme politique ne peut raisonner qu’en termes de temps et d’espace, puisqu’il est jeté, comme tous ses semblables, dans ce monde troublé, en perpétuelle effervescence, hic et nunc. L’idéologue est celui qui croit trouver des recettes soustraites aux affres du temps et de l’espace. Impossible. Il est donc un escroc intellectuel. Et un piètre politique. Il inaugure des ères de ressac, de déclin, de décadence, de déchéance.

A cette option « tacitiste », j’ajouterai la marque de Johann Gottfried Herder, théoricien au 18ième siècle d’une vision « culturaliste » de l’histoire, opposée aux schématismes de l’idéologie des « Lumières ». La vision herdérienne de l’histoire a eu un impact politique considérable en Flandre, en Allemagne, dans tous les pays slaves et scandinaves, en Irlande. Elle estime que le patrimoine culturel d’un peuple est un éventail de valeurs impassables, que l’homme politique ne peut négliger, ni mettre « à disposition », comme le dit Tilman Meyer, pour satisfaire une lubie passagère, une mode, un schéma idéologique boiteux, qui n’aura aucun lendemain ou, pire, inaugurera une ère de sang et d’horreur, comme à partir de Robespierre.

Ma position, face à la question qui interpelle tout publiciste quant à ses options idéologiques, est donc la suivante : je ne m’inscris nullement dans le cadre étroit, artificiel et fabriqué d’une « idéologie », mais dans le cadre d’une histoire européenne, qu’il faut connaître et qu’il faut aimer.

2. Quels sont les penseurs les plus importants pour vous ?

J’estime que tous les penseurs politiques sont importants et que l’homme engagé, sur le plan métapolitique comme sur le plan politique, doit avoir une solide culture générale. On mesure pleinement le désastre aujourd’hui, quand on voit des huitièmes de savant se pavaner grossièrement sur la scène de la politique belge et européenne. Des huitièmes de savant passés maîtres évidemment dans l’art de hurler des slogans idéologisés, qui valent ce qu’ils valent, c’est-à-dire rien du tout. S’il est un penseur important à approfondir ou à redécouvrir aujourd’hui, c’est sans nul doute Carl Schmitt. Que des dizaines de politologues, dans le monde entier, et surtout près de chez nous aux Pays-Bas, sont en train de faire revivre. Mais Carl Schmitt a commencé à écrire à seize ans, a produit son dernier article à l’âge de 91 ans. Sa culture classique et sa connaissance des avant-gardes du 20ième siècle étaient immenses. Au-delà de son oeuvre qui insiste, comme vous le savez, sur l’esprit de décision, sur les constitutions, sur la notion de « grand espace », etc., nous découvrons au fil des pages, et surtout de son journal, Glossarium, —paru seulement après sa mort, à sa demande—, une connaissance très vaste de la culture européenne, non seulement politique, mais aussi littéraire et artistique. Ce constat, après lecture du Glossarium de Schmitt ou des Journaux de Jünger, m’induit à refuser cette facilité, très courante chez bon nombre de publicistes, qui consiste à sélectionner quelques figures, à les isoler du vaste contexte dans lequel elles ont émergé, à les simplifier, à en faire de vulgaires sources de slogans à bon marché, à les couper de leurs sources, souvent innombrables. Ce vain exercice de sélection et de simplification conduit trop souvent à des discours creux, tout comme l’exaltation des schémas idéologiques.

Je plaide par conséquent pour une connaissance réelle de toute la trajectoire de la pensée européenne, pour une connaissance des trajectoires arabo-musulmanes ou asiatiques, comme l’ont fait des auteurs comme Henry Corbin pour le monde iranien ou la mystique islamique, Thierry Zarcone pour cet étonnant mélange de soufisme et de chamanisme qui structure le monde turc, comme Giuseppe Tucci pour les mondes chamaniques et bouddhistes d’Asie centrale, etc. Aucune personnalité du monde intellectuel, aussi pertinente soit-elle, aucune époque, aussi riche soit-elle, ne sauraient être isolées des autres. L’Europe et le reste du monde ont besoin de retrouver le sens de la chronologie, le sens du passé: c’est la réponse nécessaire aux épouvantables ravages qu’a fait le progressisme en jugeant, de cette manière si impavide qui est la sienne, tout le passé comme un ensemble hétéroclite de méprisables reliquats, juste bons à être oubliés. La leçon du Prix Nobel de littérature V. S. Naipaul est à ce titre fort intéressante : on ne peut gommer le passé d’un peuple; toute conversion, aussi complète puisse-t-elle paraître, ne saurait oblitérer définitivement ce qu’il y avait « avant ». Naipaul nous enseigne à respecter le passé, à nous méfier des « convertis » aux discours tapageurs, tissés de haine. Pour moi, cette haine est certes le propre des talibans, que l’on a vu à l’oeuvre à Bamiyan en Afghanistan, est le propre des tueurs musulmans d’Indonésie, bien évidemment, mais aussi, chez nous, le propre du mental des tristes avataras de l’idéologie des Lumières: les ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville et le trou béant de la Place Saint Lambert à Liège l’attestent, pour ne pas mentionner les autres sites en ruines depuis la révolution française, dont l’historien René Sédillot a dressé le bilan affligeant. La rage d’éradiquer, la frénésie de détruire sont bel et bien le propre de certaines conversions, de certaines idéologies, notamment de celles qui tiennent, ici chez nous, aujourd’hui, le haut du pavé.

Il nous faut donc retrouver le sens des humanités, comme on disait à la Renaissance, c’est-à-dire renouer avec nos antiquités et dire, avec Goethe, que « rien d’humain ne doit nous demeurer étranger ». Les faux « humanistes » professionnels, qui écervèlent les jeunes générations depuis mai 1968, et tiennent le pouvoir aujourd’hui, trahissent cet humanisme en usurpant justement le terme « humanisme », pour en faire, avec la complicité des médias, le synonyme de leurs forfaitures. Nos faux « humanistes », parlementaires ou « chiens de garde » du système dans les médias, vont à contre-sens de ceux qui ont donné à V. S. Naipaul un Prix Nobel que cet écrivain indo-britannique a très largement mérité. Quand, comme ces politiciens et ces médiacrates incultes, on pense que le discours, que l’on développe, est une panacée universelle indépassable, qu’elle incarne le « multiculturalisme », l’imposture éclate au grand jour: pour ces gens « tout ce qui est humain, c’est-à-dire tous les héritages situés » leur est étranger; leur « multiculturalisme » n’est ni multiple, puisqu’il vise l’homologation universelle, ni culturel, car toute culture est située, animée d’une logique propre, que le respect des choses humaines nous induit à préserver, à maintenir et à cultiver, comme nous l’enseigne Naipaul.

Donc il faut tout lire, tout découvrir et re-découvrir. Chacun selon ses choix (Goethe: « Ein jeder sieht, was er im Herzen trägt »), chacun selon ses rythmes.

3. Ce qui est frappant dans votre anti-américanisme de « droite », c’est qu’il est le pendant négatif de votre européanisme radical et qu’il est aussi multiforme : puisqu’il critique les aspects sociaux, culturels, économiques, géopolitiques et législatifs (questions de droit international) des Etats-Unis ?

D’abord, je perçois dans votre question une anomalie fondamentale due sans doute aux mauvaises habitudes lexicales et sémantiques nées de la Guerre Froide. L’anti-américanisme n’est pas le propre des gauches. Historiquement parlant, c’est faux. L’anti-américanisme est une très vieille idée « conservatrice ». Petit rappel: l’inquiétude face à la proclamation de la doctrine de Monroe dans l’Europe de la Restauration était réelle. Ainsi, Johann Georg Hülsemann, le ministre autrichien des affaires étrangères en 1823, au moment où le Président américain Monroe proclame sa célèbre doctrine, avertit l’Europe du danger que représentent les principes dissolvants de l’américanisme. Tocqueville voit émerger une « démocratie », atténuée, jugulée ou contrôlée par des lobbies, forte de sa pure brutalité et de ses discours simplistes, dépourvus de toutes nuances et subtilités. L’aventure mexicaine de Maximilien a l’appui d’une Europe conservatrice qui veut remplacer outre Atlantique une Espagne qui n’est plus capable, seule, d’assurer là-bas sa mission. En 1898, les forces conservatrices européennes sont du côté de l’Espagne agressée et scandaleusement calomniée par les médias imprimés (déjà les mêmes tactiques de diabolisation outrancière !). Quand Sandino et ses partisans se dressent au Nicaragua contre l’emprise économique américaine, les forces conservatrices catholiques sont à ses côtés. La littérature française d’inspiration conservatrice fourmille de thématiques anti-américaines et dénonce le quantitativisme, la frénésie et l’économisme de l’American Way of Life.

Hülsemann décrit l’opposition de principe entre l’Amérique et l’Autriche-Hongrie comme un choc imminent, opposant des « antipodes ». Il avait vu clair. En effet, les politiques menées au nom d’une continuité millénaire, comme celle qu’incarnait l’Empire austro-hongrois, héritier de l’impérialité romaine-germanique, et celles menées au nom de la nouveauté intégrale, qui entend rompre avec tous les passés, comme l’incarnent les Etats-Unis, sont irréconciliables dans leurs principes, surtout si l’on veut transposer la nouveauté américaine dans le contexte européen et danubien. Dans cette lutte duale, et métaphysique, je suis évidemment du côté des continuités, quelles qu’elles soient et où qu’elles s’incarnent sur la planète.

Pour ce qui concerne la Russie, elle a été, dès la fin de l’ère napoléonienne, le bouclier de la Tradition dans le concert des puissances européennes, avec le dessein de ne plus laisser se déchaîner l’hydre révolutionnaire, qui, à cause de ses obsessions idéologiques et de sa volonté de transformer le réel de fond en comble, met fin aux guerres de « forme », idéologise les conflits et entraîne la disparition de la distinction entre civils et militaires, comme le montre les horreurs commises en Vendée. Dostoïevski, pourtant révolutionnaire décembriste au début de sa carrière, s’est, avec la maturité, parfaitement rendu compte de la mission « katéchonique » de son pays. Son Journal d’un écrivain explicite les grandes lignes de sa vision politique et géopolitique. Le traducteur allemand de ce Journal d’un écrivain n’est autre que la figure de proue de la « révolution conservatrice », Arthur Moeller van den Bruck. Ce dernier, sur base d’une connaissance très profonde de l’oeuvre de Dostoïevski, énonce la théorie russophile de la « révolution conservatrice » : la Russie est éternelle dans son refus des mécanismes révolutionnaires et du rationalisme étriqué qui en découle. Même si, en surface, elle devient « révolutionnaire », elle ne le sera jamais dans ses tréfonds. Donc l’Allemagne conservatrice doit s’allier à la nouvelle Russie soviétique pour se dégager de la cangue politique et économique que lui impose l’Occident libéral. Pour Moeller van den Bruck, le soviétisme n’est qu’un « habit », qui revêt, momentanément, une Russie « illibérale » qui ne peut se trahir. Cette idée revient à l’avant-plan dans le sillage de mai 68: en Occident, les derniers restes de bienséance traditionnelle, les institutions qui reflètent le fond ontologique de l’homme, sont battus en brèche par la nouvelle idéologie, alors qu’au même moment, en Union Soviétique, on assiste à un retour à de nouvelles formes de slavophilie traditionnelle.

Dans l’espace néo-droitiste allemand, cette renaissance slavophile faisait germer l’espoir d’une nouvelle alliance russe, pour secouer le joug américain, faire quitter le territoire allemand par les Britanniques et voir les Français retraverser le Rhin.

Dans l’espace néo-droitiste français, surtout sous l’impulsion indirecte du créateur de bandes dessinées Dimitri, l’image d’une humanité russe fruste mais honnête, intacte en son fond ontologique, agitait aussi les esprits. Pour certains, qui allaient évoluer vers un néo-national-bolchevisme, et redécouvrir, à la suite de la thèse de doctorat du Prof. Louis Dupeux, l’oeuvre d’Ernst Niekisch —le national-bolchevique du temps de la révolution spartakiste et de la République de Weimar—, la société soviétique était un modèle de décense face à un Occident perverti par l’idéologie soixante-huitarde, la permissivité générale et la déliquescence des moeurs.

Pour d’autres, mieux ancrés dans les rouages étatiques en Occident, l’affaire des missiles, le retour à l’idéologie d’un occidentalisme missionnaire des droits de l’homme, d’une idéologie de l’Apocalypse (l’Armaggedon, disait-on), l’évolution de la praxis politique internationale des Etats-Unis était inadmissible. Elle signifiait une immixtion totale. Elle assimilait l’ennemi au Mal absolu, ravivait en quelque sorte les guerres de religion, toujours horribles dans leur déroulement. Elle n’admettait plus la neutralité librement choisie d’Etats, pourtant en théorie libres et souverains, et assimilait la modération à de la tiédeur, de la lâcheté ou de la trahison. On a revu le même scénario pendant la guerre d’Irak: la diplomatie appartenait au passé, annonçaient les nouveaux bellicistes anti-européens à la Kagan; le monde devait suivre l’ « Empire » et punir tous les récalcitrants, posés d’office comme « immoraux ». Finalement, Staline et sa diplomatie des rapports bilatéraux entre Etats apparaissait comme un modéré, qui avait arrondi les angles d’une praxis internationale révolutionnaire et bolchevique, également apocalyptique, binaire et manichéenne.

Cette pratique des rapports bilatéraux permettait aux petites puissances des deux blocs en Europe d’amorcer, du moins en théorie et au nom de la liberté des peuples et des Etats de disposer d’eux-mêmes, des relations bilatérales sans l’intervention des deux superpuissances. Ce créneau théorique, notre ministre des affaires étrangères de l’époque, Pierre Harmel, a tenté de l’occuper. Il a voulu dégager les pays européens, au nom d’une idée d’ « Europe Totale », de l’étreinte mortelle du duopole américano-soviétique. Cette oeuvre de paix lui a valu d’être traité de « crypto-communiste ». Les atlantistes, comme le remarque Rik Coolsaet, qui entend s’inscrire dans la tradition harmélienne de notre diplomatie, ont torpillé cette initiative belge et ramené notre pays dans l’ordre atlantique. Cette immixtion intolérable dans notre liberté d’action postule, bien évidemment, pour tous les patriotes, de considérer l’atlantisme comme l’ennemi numéro un et les atlantistes comme des traitres, non seulement à la patrie belge, mais aussi aux patries flamande et wallonne et à la Grande Patrie européenne. La caballe contre Harmel, menée avec des complicités intérieures, surtout socialistes, constitue une intolérable ingérence dans les affaires européennes.

L’affaire Harmel a rebondi vers 1984, quand éclate à l’OTAN le scandale Kiessling. Le général allemand Kiessling voulait raviver la « Doctrine Harmel », qu’il défendait avec brio dans les colonnes de la presse ouest-allemande. Il souhaitait un partage des tâches plus équitable au sein de l’OTAN et l’accès d’officiers européens aux commandements réels. Les services américains ont considéré que cette exigence de justice et d’équité constituait une révolte inacceptable de la part d’un minable « foederatus » du nouvel empire thalassocratique. De toutes pièces, on a monté une caballe contre le Général Kiessling, en poste au SHAPE à Mons, arguant qu’il avait des rapports homosexuels avec son chauffeur. Au même moment, avec beaucoup de courage, Rik Coolsaet, haut fonctionnaire au ministère des affaires étrangères, ose, à son tour, réhabiliter la Doctrine Harmel, dans un livre qui comptera plusieurs rééditions. La tradition européiste reste donc malgré tout bien présente dans notre pays. Dans le cadre de votre travail, ou dans tout développement ultérieur de celui-ci, il serait bon que vous procédiez à une étude parallèle de l’européisme officiel de Harmel et de l’européisme « marginal » de Thiriart.

Le cadre de l’anti-américanisme de mes publications s’inscrit donc dans cette critique conservatrice de l’américanisme, bien étayée depuis les écrits de Hülsemann. Pour Hülsemann, qui écrit juste après la proclamation de la Doctrine de Monroe, l’américanisme peut tranquillement se développer derrière la barrière océanique que constitue l’Atlantique. Mon objectif n’est donc pas de critiquer tel ou tel aspect de la vie politique, sociale ou économique des Etats-Unis, car ils sont libres de développer les formes sociales qu’ils souhaitent voir advenir dans leur réalité quotidienne. Pour répondre à la deuxième partie de votre question, je dirais que si nous avons quelques fois critiqué certains aspects de la société américaine, c’est dans la mesure où ces aspects peuvent s’exporter en d’autres espaces de la planète, comme le craignait Hülsemann. Dans L’ennemi américain, j’ai surtout choisi de développer et de solliciter les arguments de Michel Albert dans son célèbre ouvrage Capitalisme contre capitalisme. Michel Albert, dont l’inspiration est essentiellement « saint-simonienne », défend le capitalisme ancré dans un espace donné, patrimonial et investisseur, soucieux de la survie des secteurs non marchands et démontre la nocivité des doctrines importées depuis le monde anglo-saxon, qui privilégient la spéculation boursière et ne se soucient nullement des dimensions non marchandes, nécessaires à la survie de toute société. Par conséquent, toute critique de tel ou tel aspect de la société américaine doit porter uniquement sur leurs aspects exportables et dissolvants. S’ils sont dissolvants, ils ne faut pas qu’ils soient importés chez nous. S’ils ne le sont pas et permettent au contraire de fortifier notre société, il faut les adopter et les adapter. Au cas par cas.

La géopolitique américaine a entièrement pour vocation de contrôler les rives européenne et africaine de l’Atlantique et les rives asiatiques du Pacifique, afin qu’aucune concentration de puissance économique ou impériale ne puisse s’y consolider. En réponse à ce défi, nous devons, malgré les innombrables difficultés, oeuvrer pour qu’un jour l’émergence de blocs soudés par l’histoire, en Europe et en Asie, redevienne possible. Autre nécessité, pour y parvenir: manifester une solidarité pour les continentalistes latino-américains, qui entendent se dégager de l’emprise nord-américaine. Le panaméricanisme n’est jamais que le camouflage du colonialisme de Washington, dans une vaste région du monde aux réflexes catholiques et traditionnels, qui respectent le passé européen. Dans le cadre de l’église catholique, il y a eu assez de voix pour plaider pour l’indépendance ibéro-américaine, des voix qui ont pris tantôt une coloration idéologique de droite, tantôt une coloration idéologique de gauche, notamment au temps de la « théologie de la libération ». Ces colorations n’ont pas d’importance de fond: ce qui importe, c’est l’indépendance continentale ibéro-américaine. Car si cette indépendance advient, ou si les Etats-Unis éprouvent de manière constante des difficultés à maintenir leur leadership, la cohésion du « nouveau monde » face à l’Europe et à l’Asie recule, à notre bénéfice commun.

Quand vous évoquez les aspects « législatifs » de notre critique de l’américanisme, vous voulez sûrement mentionner notre critique des principes non traditionnels de droit international que les Etats-Unis ont imposés à la planète depuis Wilson. Depuis le Président Wilson, sous l’impulsion des Etats-Unis, le droit international devient un mixte biscornu de théologie à bon marché, de principes moraux artificieux et d’éléments réellement juridiques qui ne servent que de decorum. Théologie, principes moraux et éléments de droit que l’on va modifier sans cesse au gré des circonstances et des intérêts momentanés de Washington. Les bricolages juridico-idéologiques des Kellogg et Stimson, manipulés contre les intérêts vitaux du Japon dans les années 20 et 30, les manigances de l’Administration Clinton dans l’affaire yougoslave en 1998-1999, les appels à détruire définitivement les principes de la diplomatie traditionnelle avant l’invasion de l’Irak au printemps 2003, attestent d’une volonté d’ensauvager définitivement les moeurs politiques internationales. Position évidemment inacceptable. L’oeuvre de Carl Schmitt nous apprend à critiquer cette pratique barbare de Washington, véritable négation des principes policés de la civilisation européenne, établis au cours du 18ième siècle, après les horreurs des guerres de religion. Dans l’idéologie américaine, les théologies violentes et intolérantes du puritanisme religieux s’allient aux folies hystériques de l’idéologie révolutionnaire française. Cette combinaison calamiteuse a contribué à ruiner la culture européenne et son avatar moderne, la civilisation occidentale. Sur base de leur excellente connaissance de l’oeuvre de Carl Schmitt, Günter Maschke, en Allemagne, et Nikolaï von Kreitor, en Russie, travaillent actuellement à élaborer une critique systématique de la pratique bellogène qui découle de ce « mixtum compositum » théologico-juridique.

4. Il y a chez vous, et c’est lié à vos études je suppose, un grand intérêt pour le monde germanique, à la fois au niveau historique et géopolitique, mais aussi au niveau de l’histoire des idées politiques et notamment au travers de la révolution conservatrice. Qu’en est-il ?

Certes, mais, quantitativement, le « monde germanique », comme vous dites, est celui qui, au cours de l’histoire européenne, a produit le plus de textes politiques, philosophiques et idéologiques, tout simplement parce que la langue allemande est la langue européenne la plus parlée entre l’Atlantique et la frontière russe. Peut-on comprendre réellement les grands courants idéologiques contemporains en Europe et dans le monde, tels le marxisme, le freudisme, l’existentialisme, etc., sans se référer aux textes originaux allemands et sans connaître le contexte, forcément germanique, dans lequel ils ont d’abord émergé. J’ai toujours été frappé de constater combien étaient lacunaires les productions soi-disant marxistes ou freudiennes d’individus ne maîtrisant pas l’allemand. La même remarque vaut pour les conservateurs ou néo-droitistes ou nationaux-révolutionnaires qui se piquent de connaître les protagonistes allemands de « leur » idéologie, tout en ne sachant pas un traître mot de la langue tudesque. Le premier résultat de cette ignorance, c’est qu’ils transforment cet univers mental en une panoplie hétéroclite de slogans décousus, d’imageries naïves, de transpositions plus ou moins malsaines, panoplie évidemment détachée de son contexte historique, essentiellement celui qui s’étend de 1815 à 1914. La « révolution conservatrice », que vous évoquez dans votre question, est certes importante, dans le sens où elle exprime cette sorte de « néo-nationalisme » des années 20, sous la République de Weimar, soit un ensemble de courants idéologiques non universalistes, opposés au marxisme de la social-démocratie ou au libéralisme économique, ensemble assez diversifié qu’ont défini des auteurs comme Armin Mohler ou Louis Dupeux (Zeev Sternhell préférant parler, pour la France, de « droite révolutionnaire »). Cependant, si Mohler, par exemple, a dû opérer une coupure temporelle et limiter sa recherche aux années qui vont de la défaite allemande de 1918 à l’avènement de Hitler au pouvoir en janvier 1933, cet ensemble de courants idéologiques n’est évidemment pas hermétiquement fermé aux époques qui l’ont précédé et à celles qui l’ont suivi. Cette « révolution conservatrice » de 1918-1932 a des racines qui plongent profondément dans le 19ième siécle : notamment via la lente réception de Nietzsche dans les milieux parapolitiques, via les mouvements sociaux non politiques de « réforme de la vie », dont les plus connus restent le mouvement de jeunesse « Wandervogel » et le mouvement de l’architecture nouvelle, Art Nouveau ou Jugendstil, notamment l’école de Darmstadt et, chez nous, celles de Horta et de Henry Vandevelde (tous deux également très actifs en Allemagne). Ces mouvements sociaux étaient plutôt socialistes, voyaient l’avènement du socialisme d’un oeil bienveillant, mais, simultanément, offraient à ce socialisme naissant, une culture que l’on pourrait parfaitement qualifier d’ « archétypale », offraient des référents germanisants, celtisants ou néo-médiévaux, mettaient l’accent sur l’organique plutôt que sur le mécanique. La social-démocratie autrichienne de la fin du 19ième siècle présente ainsi des références qui sont davantage schopenhaueriennes, wagnériennes et nietzschéennes que marxistes. Sous le national-socialisme, certaines trajectoires intellectuelles se poursuivent sans être censurées. Et ces mêmes trajectoires se prolongent dans les années fondatrices de la République Fédérale, jusque très loin dans les années 60 et sous des étiquettes non nationalistes et non politiques.

Par ailleurs, la « révolution conservatrice » n’est pas un monde exclusivement allemand. Les passerelles sont très nombreuses : l’influence de Maeterlinck, par exemple, est prépondérante dans la genèse d’une nouvelle pensée organique en Allemagne avant 1914. J’ai déjà évoqué brièvement l’influence de l’école belge de Horta en Allemagne, et vice-versa, l’influence des écoles de Vienne et de Darmstadt, voire de Munich, sur l’Art Nouveau en Belgique, à Nancy et à Paris. La philosophie de Henri Bergson joue également un rôle capital dans la genèse de la révolution conservatrice. Un homme comme Henri De Man se situe lui aussi dans cette zone-charnière entre le socialisme vitaliste et populaire de la sociale-démocratie d’avant 1914 et les théories économiques non libérales du « Tat-Kreis » révolutionnaire-conservateur. Les influences des Pré-Raphaëlites anglais, de l’architecture théorisée par Ruskin, du mouvement « Arts & Crafts » en Grande-Bretagne ont influencé considérablement les théoriciens allemands du Jugendstil, d’une part, et l’architecture organique d’un Paul Schulze-Naumburg avant, pendant et après le national-socialisme, d’autre part. L’expressionnisme, mouvement complexe, diversifié, influence l’époque toute entière, une influence qui retombe forcément aussi sur l’espace intellectuel « révolutionnaire conservateur ». On ne saurait négliger l’influence des grands courants ou des grandes personnalités scandinaves telles Kierkegaard, Hamsun, Strindberg, Ibsen, Munch, Sibelius, Nielsen, etc. L’Espagne est présente aussi, par l’intermédiaire d’Ortega y Gasset, très apprécié en Allemagne, surtout chez les protagonistes catholiques de la « révolution conservatrice », dont Reinhold Schneider, qui a atteint le sommet de sa célébrité dans les années 50. Entre l’oeuvre de l’Anglais D. H. Lawrence et cet ensemble « révolutionnaire conservateur », d’une part, et le monde artistique contestataire et organique de l’époque, d’autre part, est-il possible d’établir une césure hermétique ? Non, évidemment. La Russie, avec ses penseurs slavophiles, avec Leontiev et Dostoïevski, ensuite via l’émigration blanche à Berlin, pèse, à son tour, d’un poids prépondérant sur l’évolution des penseurs « révolutionnaires conservateurs ». La France, outre Bergson, influence les jeunes néo-nationalistes, dont Ernst Jünger, qui sont de grands lecteurs de Léon Bloy, de Maurice Barrès, de Charles Péguy, de Charles Maurras (en dépit de l’anti-germanisme outrancier de celui-ci).

La « révolution conservatrice » n’est donc pas vraiment une spécialité germanique, mais l’expression allemande, localisée dans le temps de la République de Weimar, d’un vaste mouvement européen. Il convient donc d’étudier les passerelles, de mettre en exergue les influences réciproques des uns sur les autres, de ne pas isoler cette « révolution conservatrice » de ses multiples contextes, y compris celui de la social démocratie d’avant 1914.

Connaissant la langue allemande, j’ai pris cet ensemble « révolutionnaire conservateur » comme tremplin, pour entamer une quête dans toute la culture européenne des 19ième et 20ième siècles. J’ai également utilisé les travaux de Zeev Sternhell (La droite révolutionnaire et Ni gauche ni droite) ainsi que les classifications du Professeur français René-Marill Albérès, spécialiste de l’histoire littéraire européenne. Albérès est justement l’homme qui m’a aidé à bien percevoir les innombrables passerelles entre courants littéraires provenant de toutes les nations européennes. Partant, la maîtrise des classifications d’Albérès, ajoutées à celle de Mohler, de Sternhell et de Dupeux (et du national-révolutionnaire historique Paetel), me permettait d’opérer une transposition vers la sphère des idéologies politiques.

Pour terminer ma réponse, je dirais que cet ensemble de courants idéologiques ne relève nullement du passé: le retour « postmoderne » à une architecture moins fonctionnelle, la nécessité ressentie de voir triompher un urbanisme de qualité à l’échelle humaine (comme le voulaient Horta et l’école de Darmstadt), la sensibilité écologique qui doit davantage à Bergson, Klages, Friedrich-Georg Jünger, D. H. Lawrence, Jean Giono et tant d’autres qu’aux soixante-huitards et marxistes recyclés dans la défense d’une nature à laquelle ils ne comprennent généralement rien, le mouvement altermondialiste qui cherche à jeter les bases d’une économie nouvelle, la guerre en Irak qui a fait prendre conscience de l’inanité de l’interventionnisme systématique des Etats-Unis (à l’instar de Carl Schmitt), l’engouement généralisé pour les grands courants religieux et mystiques, le goût du public pour l’aventure et les épopées, notamment sur les écrans de cinéma, montrent tous que les filons philosophiques, qui ont donné naissance à la « révolution conservatrice », qui l’ont irriguée et ont suscité de nouvelles veines, qui sont ses héritières, demeurent vivants.

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mercredi, 01 août 2007

Introduction à la géopolitique

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Nous avons eu le plaisir de rencontrer un sympathique géopolitologue d'Arlon au célèbre estaminet saint-gillois "Moeder Lambiek", qui nous a confié ce texte didactique, sous la forme d'un entretien accordé en 1990 à une revue ardennaise. Mille mercis à Louis Pallenborn!

Introduction à la géopolitique

Entretien avec Louis Pallenborn

1) Que recouvre la notion de «géopolitique»?

La notion de «géopolitique», telle que l'on utilisée les hommes politiques, les diplomates ou les militaires, est d'ordre essentiellement stratégique. C'est la politique  —et toute politique est une stratégie; parfois les deux termes se recoupent—  qui vise la maîtrise de l'espace géographique, tant au niveau extérieur qu'au niveau intérieur. Au niveau extérieur, la géopolitique vise l'obtention d'un territoire aux dimensions optimales, ou d'une sphère d'influence cumulant le maximum d'atouts. En temps de paix, ce sont les diplomates qui tentent de réaliser les désirs géopolitiques d'une puissance; en temps de guerre, ce sont les militaires. Quand on parle d'un territoire aux «dimensions optimales», on pense à des frontières militairement défendables, à des zones économiques homogènes non fractionnées entre diverses puissances, à des zones ethniquement homogènes. Sur le plan intérieur, la pratique géopolitique vise un aménagement optimal du territoire: assèchement de zones marécageuses, gain de sol sur la mer (Hollande), défrichage de territoires arides ou peu fertiles, lancement d'une politique agricole plus ou moins autarcique, etc.

2) Quelles sont les relations entre la géographie et la politique?

C'est une très vieille relation. En effet, la politique est avant toute chose liée à un territoire précis, où s'exerce la souveraineté d'un peuple, d'une élite, d'une oligarchie, d'un parlement, d'un empereur, etc. La politique est par définition liée à un territoire, qu'il soit celui d'une communauté villageoise, d'une cité antique ou médiévale, d'un duc ou d'un prince féodal, d'un Etat national moderne ou d'un Empire aux dimensions globales comme le fut l'Empire britannique.

Ceux qui font la politique gèrent un espace et tentent d'en accroître les potentialités, soit en le rentabilisant sans recourir à des conquêtes, soit en en augmentant la superficie par des annexions plus ou moins arbitraires, en profitant de la faiblesse d'une élite voisine faible ou décadente, ou en faisant sauter des verroux d'étranglement territoriaux (conquête d'une enclave ou d'un accès à la mer), condamnant leur cité ou leur pays à la stagnation ou à l'étouffement économique.

3) La géopolitique est-elle une science?

Oui et non. Elle est une science car elle repose sur de bonnes connaissances en histoire, en stratégie militaire, en géographie physique, en hydrographie, en géologie, en zoologie et en botanique (une zone forestière comme l'Ardenne a longtemps constitué un verrou, jugé infranchissable). Mais comme la géopolitique est aussi et surtout une stratégie, elle conserve une dimension subjective. C'est l'élite, le général, le stratège, l'homme politique qui décident, à un moment donné de l'histoire, de faire valoir leurs atouts géographiques. Il y a donc un élément de volonté, qui échappe aux critères scientifiques proprement dits. Et il y a un risque: celui qui décide d'agir, d'arrondir les contours de son territoire, d'éliminer une enclave qui menace la cohésion de son pays, de réunir une province partagée entre deux souverainetés, peut ne pas connaître tous les paramètres historiques, géographiques, hydrographiques, etc., ou en surestimer ou en sous-estimer l'un ou l'autre. Dans ce cas, il risque l'échec à tout moment.

4) La géopolitique a-t-elle une histoire?

Bien sûr. Les grands philosophes de l'Antiquité, qui ont posé les premiers jalons de la pensée politique, comme Thucydide ou Aristote, ont reconnu le rôle-clef de l'espace dans la gestion quotidienne des choses politiques. A l'époque moderne, Bodin, Colbert, les amiraux anglais et néerlandais du XVIIième siècle, Gustave Adolphe de Suède, Pierre le Grand de Russie ont théorisé ou mis en pratique, plus ou moins à leur insu, une géopolitique qui ne sera codifiée que plus tard. Après les réflexions sur la politique ou sur l'espace de Montesquieu en France et de Herder en Allemagne, la géographie et la cartographie modernes prennent leur envol grâce aux travaux de Ritter. A partir de Ritter et de ses premières cartes de grande précision, la géographie politique devient une science en pleine expansion: Ratzel poursuit les travaux de son maître en Allemagne et énonce les premiers rudiments de la géopolitique proprement dite (avec composante subjective, reprise très vite par l'Amiral Tirpitz); en Angleterre, le géographe écossais Mackinder rénove de fond en comble les facultés de géographie dans son pays et prononce un discours à Londres en 1904 qui esquisse les grandes lignes de la géopolitique de l'Empire britannique; aux Etats-Unis, l'Amiral Mahan jette les bases de la grande stratégie navale et globale de son pays, toujours appliquée de nos jours. En Suède, Rudolf Kjellen, qui enseignait les sciences politiques à l'Université d'Uppsala, énonce les principes qui doivent guider les puissances continentales. Au Japon, également, les études géopolitiques fleurissent. En France, on retiendra surtout trois noms: Elisée Reclus, Paul Vidal de la Blache et Jean Brunhes. Voilà pour les pionniers.

Mais dans l'Allemagne vaincue en 1918, un disciple de Mackinder, le Général Karl Ernst Haushofer, spécialiste du Japon et de l'Océan Pacifique, fonde une revue en 1924 qui popularisera les thèses de la géopolitique, n'hésitant jamais à mettre en exergue les composantes les plus subjectives des pratiques nationales allemandes, japonaises, russes ou italiennes. D'autres géopoliticiens, comme Dix, Kornhölz et Henning resteront plus modérés dans leurs affirmations politiques. Mais c'est le nom de Haushofer qui est resté dans les mémoires, parce qu'il a eu des relations étroites avec Rudolf Hess. Cela lui a été beaucoup reproché mais l'ostracisme qui l'a frappé injustement (son épouse, issue d'une très vieille famille israëlite, a été inquiétée à plusieurs reprises et son fils Albrecht a été exécuté à Berlin par la Gestapo en 1945) a cessé depuis quelques années: le programme de stratégie, enseigné dans les grandes écoles militaires et navales américaines, lui réserve un chapitre très intéressant; à Paris, le prof. Jean Klein a réédité chez Fayard quelques-uns de ses textes les plus intéressants, les mettant dans une perspective de gauche (anti-impérialiste); en Allemagne, les archives fédérales ont ressorti de très intéressants documents le concernant, sous la houlette du prof. Jacobsen. Au Japon, il n'a jamais cessé d'être commenté.

Ceci dit, toutes les puissances ont mis en pratique une géopolitique, y compris celles qui étaient trop modestes pour la traduire dans les faits. Depuis la fin de la guerre, où pendant une ou deux décennies, le terme «géopolitique» a été plus ou moins tabou, les écoles de stratégies l'ont remis à l'avant-plan, sans plus aucune restriction mentale: dans l'ex-URSS, l'Amiral Gortchkov, rénovateur de la flotte soviétique et impulseur de l'arme sous-marine, s'est avéré un excellent élève de Mahan, de Mackinder, de Ratzel, de Haushofer et des marins allemands de 1939-45 (notamment Carls); aux Etats-Unis, la politique visant à contenir l'URSS est directement héritée de Mackinder, père de l'idée de «cordon sanitaire». Le prof. Colin S. Gray est celui qui, à partir de 1975, remet la science géopolitique à l'honneur dans les universités et les écoles militaires américaines. En France, les Amiraux Castex et Célérier forgent sous De Gaulle une géopolitique et une géostratégie françaises. A l'Université, le prof. Hervé Coutau-Bégarie s'est fait remarqué par une production abondante de textes géopolitiques de grande qualité.

Comme on peut le constater, la géopolitique n'a jamais cessé d'être une préoccupation majeure dans les hautes sphères diplomatiques, militaires et universitaires. Malgré le discrédit jeté sur les travaux de Haushofer par quelques idéologues fumeux, quelques moralistes simplets et de terribles simplificateurs, la géopolitique a une longue histoire et reste très vivante.

5) La géopolitique fut-elle surtout une discipline allemande?

Non. Pas du tout. La cartographie et la géographie physique, au départ, ont reçu des impulsions innovantes de Ritter, savant allemand de l'époque romantique, formé à l'école de pédagogie du célèbre Pestalozzi. Mais la géopolitique proprement dite est née du cerveau de Mackinder. Ce dernier constatait quels avaient été les progrès de la géographie allemande et les conséquences pratiques qui en découlaient (bonnes cartes militaires, bonne connaissance des grandes routes commerciales, excellente diplomatie économique). L'Angleterre, disait Mackinder, devait imiter cet exemple, systématiser la géographie et mettre ce savoir pratique au service de l'Empire. La consolidation de l'Empire, avec l'occupation des points d'appui, des îles stratégiques importantes, des postes de relais, des cols et des massifs montagneux surplombant les plaines non inféodées à l'Empire ou occupées par un ennemi de la Couronne, est due au génie pratique de Mackinder. L'organisation militaire et stratégique de l'Empire britannique, l'utilisation optimale de ce savoir à des fins impériales, restent des modèles du genre. Haushofer, plus tard, a été très conscients des lacunes allemandes en matières géopolitiques. Les Allemands ont parlé de géopolitique, écrit des traités de géopolitique, mais sont resté en deçà des Britanniques pour ce qui concerne la mise en pratique de ce savoir. Rappelons que Mackinder a forgé la notion de «cœur du monde» ou de «terre du milieu», c'est-à-dire le centre de la grande masse continentale eurasienne, qui, par son immensité et son éloignement de la mer, est inaccessible aux flottes des puissances navales anglaises et américaines. Mais les puissances maritimes n'ont pas la force ni le matériel humain nécessaire pour occuper physiquement cette «terre du milieu». Il faut donc la «contenir» en organisant des systèmes de défense à sa périphérie. Telle est la grande stratégie de l'OTAN au cours de notre après-guerre. La géopolitique est donc une théorie et une pratique qui est surtout anglo-saxonne.

6) Quels sont les principaux théoriciens de la géopolitique?

Je viens de vous les énumérer. Ratzel a affiné la géographie politique, étayant cette science d'arguments d'ordre anthropologique et ethnologique. Ratzel, par exemple, étudiait les agricultures du globe, les modes de vie qu'elles généraient, et tirait de remarquables conclusions quant à l'aménagement du territoire. Mackinder a surtout énoncé la théorie de la «terre du milieu» dont je viens de parler. Il a créé un remarquable réseau d'enseignement universitaire et post-universitaire (réservé aux enseignants et aux militaires) pour la géographie, auparavant négligée dans le monde académique britannique. Haushofer a vulgarisé et popularisé les thèses de Mackinder, mais dans une optique très allemande et continentale, résolument hostile aux puissances anglo-saxonnes et favorable au Japon. Spykman a élaboré les grandes lignes de la stratégie globale américaine au cours de la seconde guerre mondiale. Disciple de Mackinder, Spykman sera également à la base de la pratique géostratégique du «containment». Kjellen, qui se situe chronologiquement entre Mackinder et Haushofer, a brillament commenté et étudié les lignes de force des pratiques géopolitiques de chacune des grandes puissances engagées dans la première guerre mondiale. Ces commentaires étaient certes circonstanciels; il n'en demeure pas moins vrai que leur pertinence garde toujours une validité aujourd'hui, à plus forte raison quand le canon tonne à nouveau dans les Balkans et que la zone austro-hongroise se reforme de manière informelle. Relire Kjellen à la lumière des événements de l'ex-Yougoslavie serait, pour nos diplomates, du plus grand intérêt.

7) La géopolitique a-t-elle été mise en pratique?

Je viens de citer la politique du «containment», celle de l'OTAN, de l'OTASE et du CENTO au cours de notre après-guerre, l'organisation du «cordon sanitaire» à la suite du Traité de Versailles (1919), etc. Plus près de nous, la Guerre du Golfe, menée pour restaurer intégralement la souveraineté koweitienne, procède d'une vieille stratégie anglo-saxonne, déjà appliquée dans la région. En effet, c'est un retour de la «question d'Orient», qui avait secoué les passions au début de notre siècle. La Turquie ottomane avait accès au Golfe Persique et à l'Océan Indien. Les Britanniques usent de leur influence pour que l'on accorde l'indépendance aux cheikhs de la côte, en conflit avec leurs maîtres ottomans. L'Angleterre se fait la protectrice de ce nouveau micro-Etat. De cette façon, elle peut barrer la route de l'Océan Indien aux Ottomans. Quand Français, Suisses, Belges et Allemands se concertent pour créer un chemin de fer Berlin-Istanbul-Bagdad-Golfe Persique, les Britanniques s'interposent: l'hinterland arabe ou ottoman ne peut pas contrôler la côte koweitienne du Golfe, a fortiori s'il est appuyé par une ou plusieurs puissances européennes. Les Américains ont pratiqué, toutes proportions gardées et en d'autres circonstances, la même politique en 1990-91. Le conseiller du Président algérien Chadli, Mohammed Sahnoun, fin analyste de la politique internationale et bon géopoliticien, a écrit, notamment dans un numéro spécial du Soir  et de Libération consacré au «nouveau désordre mondial» que si les Américains se désengageaient en Europe et en Allemagne, ils allaient jeter tout leur dévolu sur la région du Golfe (Emirats, Arabie Saoudite et Koweit), de façon à ce que ni l'Europe ni le Machrek arabe n'aient de débouchés directs sur l'Océan Indien. c'est une belle leçon de continuité géopolitique que les Américains nous ont donnée.

Examinons l'histoire de l'ex-Yougoslavie. En 1919, à Versailles, les puissances victorieuses créent l'Etat yougoslave de façon à ce qu'Allemands, Autrichiens, Hongrois et Russes n'aient plus d'accès à la Méditerranée. Ils rééditent de la sorte la tentative napoléonienne de créer des «départements illyriens», directement administrés depuis Paris, pour couper Vienne de l'Adriatique. En proclamant leur indépendance, Croates et Slovènes veulent rendre cette politique caduque. Et en faisant reconnaître leur indépendance par Vienne, Rome, Bruxelles et Berlin, en proclamant leur volonté de s'intégrer à la dynamique européenne en marche, ils donnent un accès à la Méditerranée à l'Autriche, à la Hongrie et à l'Allemagne réunifiée. Couplée à l'ouverture prochaine du canal de grand gabarit Rhin-Main-Danube, cette dynamique à l'œuvre montre que les énergies européennes sont en train de s'auto-centrer et que les logiques atlantiques, qui ont prévalu dans notre après-guerre, vont perdre de leur vigueur. Les conséquences géopolitiques et géostratégiques de cet «euro-centrage» et de cette lente «dés-atlantisation» sont d'ores et déjà visibles: chute de l'Angleterre et de la livre sterling, guerre sur le cours du Danube à hauteur d'Osijek (là où se trouvent nos casques bleus), velléités indépendantistes en Italie du Nord, revitalisation de l'industrie lourde autrichienne, mort lente de l'Ouest et du Sud-Ouest de la France, etc.

8) On reparle beaucoup de géopolitique; ceci est-il à mettre en rapport avec l'évolution actuelle de l'Europe de l'Est?

Evidemment. Si l'Europe n'est plus coupée en deux, elle se resoude et centre ses énergies sur elle-même. L'Europe de l'Est n'est plus l'Europe de l'Est mais l'Europe centrale. Et la CEI, voire la seule République russe de Boris Eltsine, est l'Europe de l'Est. Les relations récentes entre la Turquie et les républiques islamiques turcophones ex-soviétiques sont le signe qu'une géopolitique nouvelle est en train de se dessiner en Asie Centrale.

9) Y a-t-il un avenir pour la géopolitique?

Plus que jamais. Les instituts de réflexion géopolitique sortent du sol depuis peu comme des champignons! En France, les travaux d'un prof. Michel Foucher (auteur de Fronts et frontières  chez Fayard) font désormais autorité: son institut, basé à Lyon, dessine la plupart des cartes prospectives que vous découvrez dans la grande presse ou dans les revues spécialisées (L'Expansion, par exemple). Ouvrez l'oeil et vous verrez que ces cartes font partie du décor quotidien dans la galaxie Gutenberg. Citons encore Gérard Chaliand, à qui nous devons un magnifique Atlas stratégique  (chez Fayard), devenu lecture obligatoire pour tous nos étudiants en sciences politiques. N'omettons pas non plus la belle revue, significativement intitulée Géopolitique  et éditée par Marie-France Garaud, candidate malchanceuse aux élections présidentielles françaises de 1981. En France toujours, l'IFRI (Institut Français des Relations Internationales) se préoccupe beaucoup de géopolitique, de même que son homologue britannique, le célèbre RIIA (Royal Institute of International Affairs), où sévissaient déjà Mackinder et le célèbre historien Toynbee. En Russie, le débat est ouvert: l'idée de «terre du milieu», la volonté de donner cohérence à celle-ci, les souvenirs des théoriciens de l'espace sibérien et du ministre du Tsar Witte reviennent à la surface. On peut véritablement parler d'un retour en force.

10) La géopolitique nous enseigne-t-elle quelque chose sur le devenir de l'Europe du Nord-Ouest, ainsi que sur celui de la Wallonie?

Bien sûr. Mais rien n'a été systématisé. Espérons toutefois qu'on y remédiera vite. Quelques idées: l'espace du Nord-Ouest, le nôtre, est déterminé par les trois fleuves (Escaut, Meuse, Rhin) qui nous conduisent vers le centre de l'Europe. L'ouverture du canal Rhin-Main-Danube doit nous obliger à repenser l'histoire de ces trois fleuves. Nous sommes la zone portuaire de l'hinterland rhénan et suisse. Nous sommes un nœud autoroutier. Nos Ardennes sont un tremplin vers une Lorraine ruinée par le centralisme parisien. Vers une Alsace en prise directe avec l'Allemagne et la Suisse (notamment le centre industriel de Bâle). Mais aucune synergie transrégionale n'est possible tant que toutes les scories du jacobinisme statolâtre et centraliste ne seront pas impitoyablement éliminées chez nos voisins du Sud. Le devenir de la Wallonie ne pourra être à nouveau expansif que si un gouvernement régional wallon peut dialoguer sur pied d'égalité avec un gouvernement régional lorrain ou alsacien ou «nord-pas-de-calaisien» (traduit de l'hexagonal: Flandre, Artois, Hainaut), exactement comme, sous l'impulsion de Jean-Maurice Dehousse, un gouvernement régional wallon non encore sevré dialogue avec le gouvernement de Rhénanie-Westphalie ou de Rhénanie-Palatinat. L'avenir est au dialogue entre régions, que nous devons faire triompher, au nom d'une idéologie pacifiste dictée par la raison (plus de guerres franco-allemandes, car nous en faisons les frais).

11) Comment s'initier à la géopolitique? Quelles sont les publications actuellement accessibles?

Pour le débutant, je conseille d'abord l'achat d'un bon atlas historique, notamment celui qu'édite Stock. L'atlas historique éclaire sur la mouvance des frontières et sur les enjeux territoriaux des guerres de l'histoire. Ensuite, le Que-sais-je?  des PUF (Presses Universitaires de France; n°693; Charles Zorgbibe, Géopolitique contemporaine). Les ouvrages de Hervé Coutau-Bégarie, également parus aux PUF ou chez d'autres éditeurs (Economica notamment), les ouvrages de Michel Foucher (Fayard), l'Atlas stratégique  de Gérard Chaliand (également chez Fayard), les entrées consacrées aux figures historiques de la géopolitique dans l'Encyclopédie des Œuvres philosophiques  des PUF qui sortira de presse ce mois-ci et que l'on consultera à l'Albertine ou dans les grandes bibliothèques universitaires.     

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dimanche, 15 juillet 2007

Entretien avec D. Lloyd (Plaid Cymru)

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Entretien avec le Dr. Dai Lloyd, chef de la fraction parlementaire du « Plaid Cymru », parti nationaliste gallois

 

Le Pays de Galles, frange occidentale et celtophone de la Grande-Bretagne, est divisée depuis 1996 en 22 « unitary authorities », instances en charge des administrations locales. Le Pays de Galles compte trois millions d’habitants. Le parti identitaire gallois, le « Plaid Cymru », a été fondé en 1925. En 2003, il avait subi un ressac électoral, mais tous les sondages prouvent désormais qu’il reprend du poil de la bête. Lors des élections du 3 mai 2007, ce parti identitaire a réussi à conquérir le quart des sièges du parlement gallois, soit 15 députés sur 60. Le « Plaid Cymru » est désormais la deuxième force politique du pays. Allié aux Ecossais du « Scottish National Party », qui ont enregistré, eux aussi, des résultats mirobolants, le « Plaid Cymryu » fait partie du groupe « EFA » au Parlement européen, une alliance qui rassemble les partis à vocation régionale. Le Dr. Dai Lloyd, qui préside la fraction parlementaire du « Plaid Cymru » a répondu aux questions de la « National-Zeitung » (n°22/2007) de Munich. Voici la version française des principales réponses du Dr. Lloyd.

 

DNZ : Comment votre parti a-t-il réussi à consolider sa représentation politique en devenant la deuxième force au Parlement national gallois, oubliant du même coup le ressac électoral que vous aviez subi en 2003 ?

 

Dr.DL : Dès qu’a démarré notre campagne électorale au début de l’année 2006, nous avons pu faire un grand pas en avant en très peu de temps. Ce succès est dû à des mutations purement extérieures, comme par exemple notre nouveau logo, avec son coquelicot jaune stylisé, qui prouve que nous sommes désormais un parti tourné vers l’avenir et non plus seulement obnubilé par le passé. D’autres innovations ont séduit l’électeur, notamment notre manifeste riche en idées nouvelles. Ensuite, pour la première fois, nous avons réussi, face aux Gallois, à évoquer des choses qui les concernaient directement, ce qui les a enthousiasmé d’emblée.

 

Nous n’avons pas seulement mené une campagne électorale fructueuse à l’échelon national gallois, mais nous avons surtout travaillé dur entre les deux scrutins. Nous demandons désormais à tous les élus de notre parti, à quelque niveau que ce soit, d’aller frapper à toutes les portes de cinq rues au moins chaque semaine, de façon à rester constamment en contact avec les gens de leur commune et à déceler immédiatement les problèmes qui surgissent.

DNZ : Quel rôle a joué la guerre en Irak dans le succès électoral du « Plaid Cymru », sachant que, pour nous, identitaires allemands, cette guerre est en contradiction flagrante avec les principes fondamentaux du droit des gens ?

Dr.DL : Le « Plaid » a refusé clairement, de manière constante et récurrente, la guerre contre l’Irak. Dans l’avenir, nous continuerons à exiger le retrait des forces militaires britanniques et le démantèlement des bases militaires qu’entretient le Royaume-Uni en Irak et en Afghanistan.

DNZ : Pourquoi le « Plaid Cymru » réclame-t-il l’indépendance du Pays de Galles, en tant qu’Etat libre au sein de l’Union Européenne ?

Dr.DL : Notre vision d’un Pays de Galles indépendant prend appui sur les besoins réels qu’éprouvent au quotidien les habitants de notre terre. Les faits parlent pour eux-mêmes : les citoyens des petits et moyens pays indépendants, dans l’Europe entière, sont en général plus riches et vivent en meilleure santé. Le peuple du Pays de Galles mérite d’obtenir les mêmes avantages dans l’avenir. Nous voulons aussi que le Pays de Galles contribue à façonner, avec les autres Européens, un monde plus juste, plus pacifique et à l’avenir certain.

DNZ : Quand l’indépendance du Pays de Galles pourra-t-elle devenir réalité ?

Dr.DL. : Notre façon de penser et d’agir politiquement part du principe intangible que la souveraineté du peuple gallois doit trouver sa légitimité dans le peuple gallois lui-même. Le « Plaid Cymru » pense que le pouvoir devrait se trouver entre les mains du peuple et de lui seul. Les Gallois ont le droit inaliénable de décider seuls de leur avenir, de décider où, par qui et dans quel but le pouvoir doit s’exercer. Notre marche vers l’indépendance sera donc, en toute bonne logique, une entreprise que nous mènerons en commun avec tous les hommes et toutes les femmes du Pays de Galles. Ainsi, tous les pas importants qui jalonneront cette marche vers l’indépendance seront nécessairement sanctionnés par des référendums.

DNZ : Dans quelles circonstances un Pays de Galles indépendant pourra-t-il faire partie de l’OTAN ?

Dr.DL : Nous aimerions bien qu’une coopération plus accentuée existe au sein de l’UE dans les questions relatives à la politique extérieure, à la prévention des conflits, à l’engagement de forces militaires dans des opérations de maintien de la paix. Nous estimons que l’UE possède les capacités pour mettre en œuvre un solide système de contrepoids à la puissance américaine dans le monde.

DNZ : Quel rôle la monarchie britannique pourrait-elle jouer après la proclamation de l’indépendance du Pays de Galles ?

Dr.DL. : Après l’indépendance du Pays de Galles, il faudra organiser un référendum sur la monarchie, par lequel les Gallois pourront décider eux-mêmes de la présence future de cette institution.

DNZ : Comment le « Plaid Cymru » va-t-il gérer le problème de la modification des limites des circonscriptions électorales, modification qui a été apportée en vue de torpiller les avancées du mouvement identitaire gallois ? Et comment va-t-il gérer ce problème d’ici aux prochaines élections pour le Parlement britannique de Londres ?

Dr.DL. : Avec notre succès du 3 mai 2007 dans les élections pour le parlement régional gallois, nous avons prouvé que les modifications apportées aux circonscriptions électorales n’avaient freiné en rien la progression de notre parti. Quoi qu’il en soit, nous mènerons une campagne électorale dure, tambour battant, et nous ferons en sorte que les Gallois puissent jouer un rôle plus important dans le Parlement de Londres.

(entretien paru dans DNZ n°22/25 mai 2007 ; trad. franç. : R. Steuckers).

 

 

 

jeudi, 05 juillet 2007

Entretien avec Aurel Cioran

Entretien avec Aurel Cioran

Q.: Dans la nouvelle nomenclature des rues de Bucarest, on trouve aujourd'hui le nom de Mircea Eliade, mais à Sibiu, il n'y a pas encore de rue portant le nom d'Emil Cioran. Que représente Cioran pour ses concitoyens de Sibiu à l'heure actuelle?

AC: Donner un nom à une rue ou à une place dépend des autorités municipales. Normalement, il faut qu'un peu de temps passe après la mort d'une personnalité pour que son nom entre dans la toponymie. Quant à ce qui concerne les habitants de Sibiu et en particulier les intellectuels locaux, ils ne seront pas en mesure de donner une réponse précise à votre question.

Q.: Je vais vous la formuler autrement. Dans une ville où il y a une faculté de théologie, comment est accueilli un penseur aussi négativiste (du moins en apparence...) que votre frère?

AC: Vous avez bien fait d'ajouter “en apparence”. Dans un passage où il parle de lui-même à la troisième personne et qui a été publié pour la première fois dans les “œuvres complètes” de Gallimard, mon frère parle très exactement du “paradoxe d'une pensée en apparence négative”. Il écrit: «Nous sommes en présence d'une œuvre à la fois religieuse et antireligieuse où s'exprime une sensibilité mystique». En effet, je considère qu'il est totu-à-fait absurde de coller l'étiquette d'“athée” sur le dos de mon frère, comme on l'a fait depuis tant d'années. Mon frère parle de Dieu sur chacune des pages qu'il a écrites, avec les accents d'un véritable mystique original. C'est justement sur ce thème que je suis intervenu lors d'un symposium qui a eu lieu ici à Sibiu. Je vais vous citer un autre passage qui remonte à 1990 et qui a été publié en roumain dans la revue Agorà: «Personnellement, je crois que la religion va beaucoup plus en profondeur que toute autre forme de réflexion émanant de l'esprit humain et que la vraie vision de la vie est la vision religieuse. L'homme qui n'est pas passé par le filtre de la religion et qui n'a jamais connu la tentation religieuse est un homme vide. Pour moi, l'histoire universelle équivaut au déploiement du péché originel et c'est de ce côté-là que je me sens le plus proche de la religion».

Q.: Parlons un peu des rapports entre Emil Cioran et les lieux de son enfance et de sa jeunesse. Vous demandait-il de lui parler de Rasinari et de Sibiu?

AC: Il se souvenait de choses que moi j'avais complètement oubliées. Un jour, il m'a dit au téléphone: «Je vois chaque pierre des rues de Rasinari». Pendant toute sa vie, il a conservé en son fors intérieur les images avec lesquelles il a quitté la Roumanie.

Q.: Il n'a jamais manifesté le désir de revenir?

AC: Quand nous nous sommes séparés en 1937, il m'a dit, en avalant sa salive, dans le train: «Qui sait quand nous nous reverrons». Et nous ne nous sommes revus que quarante ans plus tard, mais pas dans notre pays. Il a toujours désiré revenir. En 1991, il a été sur le point de s'embarquer pour la Roumanie. C'est alors que la maladie l'a frappé, qu'il a dû rentrer à l'hôpital. Dans ces derniers moments, il a été contraint d'utiliser une chaise roulante. Il craignait forcément de voir une réalité toute autre, s'il était revenu. Et effectivement il y a eu beaucoup de changements; à Rasinari, la composition sociale a complètement changé: quasi la moitié des habitants du village travaillent à la ville, ce qui conduit forcément à un changement de mentalité. Tout est bien différent du temps où nous étions adolescents. A Rasinari, nous étions des gamins de rue, nous allions en vadrouille toute la journée à travers champs, forêts et rivières...

Q.: ... et à Coasta Boacii.

AC: Oui, en effet, il évoquait sans cesse, avec énormément de regrets, ce paradis qu'était Coasta Boacii. «A quoi bon avoir quitté Coasta Boacii?», disait-il. Ensuite, il y avait ce pacage, près de Paltinis, où nous nous rendions tous les étés. Nous y restions un mois, dans une baraque tellement primitive, située dans une clairière où régnait une atmosphère extraordinaire.

Q.: Vous avez été très proche de votre frère non seulement dans les années d'enfance mais aussi pendant votre adolescence et votre jeunesse. Parlez-moi de vos expériences communes...

AC: Nous assistions aux cours de Nae Ionescu à l'Université. Ce professeur était une figure extraordinaire! Beaucoup de gens venaient l'écouter et pas seulement des étudiants. Mon frère y retournait même après avoir quitté l'université, pour rendre visite au professeur. Un jour, dès que la leçon fut terminée, Nae Ionescu a demandé: «De quelles choses devrais-je encore parler?». Et mon frère, spontanément lui a répondu: «De l'ennui». Alors Nae Ionescu a prononcé deux leçons sur l'ennui. Par la suite, ses adversaires ne sachant plus quelles armes utiliser pour l'attaquer, parce qu'il était le maître à penser de toute la jeune génération d'intellectuels qui soutenaient le “Mouvement Légionnaire”, ils l'ont accusé d'être... un plagiaire! Ce genre d'attaques est une manifestation infernale... L'œuvre d'une mafia de criminels, qui a commencé par s'attaquer à Heidegger, puis à chercher à faire le procès d'Eliade...

Q.: ... et même de Dumézil!

AC: Toujours sous prétexte d'antisémitisme. En Roumanie, à l'époque, il y avait bien sûr de l'antisémitisme, en réaction à l'arrivée massive d'un million de juifs venus de Galicie. En ce temps-là, c'était un véritable problème. Mais j'ai l'impression que cette manœuvre visant à criminaliser Eliade, Noica et les autres intellectuels de la “jeune génération” produira des effets contraires à ceux désirés.

Q.: Vous avez milité dans le Mouvement Légionnaire. Avez-vous connu Corneliu Codreanu?

AC: C'était un homme exceptionnel à tous points de vue. Il avait du charisme. J'ai souvent dit qu'il était un trop grand homme pour le peuple roumain, trop sérieux, trop grave. Il voulait une réforme radicale, basée sur la religion. Il était un esprit très intensément religieux. Il y a encore une chose qui m'impressionne profondément aujourd'hui: la manière dont le Mouvement Légionnaire abordait les problèmes économiques. Le Mouvement avait ouvert des restaurants, des réfectoires, où l'on vous servait un très bon repas, avec du vin en quantité limitée. L'idée qui me paraissait extraordinaire, c'est que les prix n'étaient pas fixés. Chacun payait selon ses propres moyens ou selon son bon plaisir.

Q.: Où avez-vous connu le Capitaine?

AC: A Bucarest, parce que j'y étudiait la jurisprudence. Mais je l'ai rencontré deux ou trois fois dans un camp de travail légionnaire. C'était un homme exceptionnel à tous points de vue.

(propos recueillis à Sibiu le 3 août 1995 par Claudio Mutti et parus dans la revue Origini, n°13/février 1996).

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vendredi, 29 juin 2007

La Turquie et l'Europe

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La Turquie et l'Europe

Entretien de Robert Steuckers à la revue étudiante "Branding" - Propos recueillis par Jurgen Branckaert

1. Le 6 octobre dernier [2004], la Commission Européenne a donné un avis positif pour l’adhésion de la Turquie à l’UE, malgré de vastes protestations émises par de nombreuses forces politiques  européennes et leur arrière-ban. Nous nous posons la question : le combat contre cette adhésion est-il terminé, faut-il déposer les armes?

Non, le combat n’est pas terminé. Comme d’habitude, on a une nouvelle fois escamoté les problèmes. Car ils sont légion : le déficit de l’économie turque atteint des proportions  formidables, en dépit d’incontestables améliorations au cours de ces quelques dernières années. Mais, le passif reste trop important pour qu’il puisse être tout simplement absorbé par des subsides venus du reste le l’UE. Avec la meilleure volonté du monde, on ne peut y remédier, alors que l’Europe elle-même a un besoin urgent de nouveaux investissements structurels, notamment dans les zones plus ou moins sinistrées d’Europe occidentale, dans les Länder de l’Allemagne de l’Est, en Pologne ou en d’autres zones de l’ancien COMECON. Qui plus est, la démographie turque s’accroît sans arrêt. Les experts en questions démographiques prévoient que la population turque atteindra le chiffre de 95 millions d’âmes en 1925. Cet accroissement démographique considérable contribuera à accroître le déficit de l’économie turque et augmentera le nombre de chômeurs autochtones là-bas, qui ne pourront pas vraiment être aidés. Ensuite, si la Turquie adhère, la politique agricole commune, pratiquée depuis les origines du “Marché Commun” ne pourra plus exister et fera totalement faillite. On ne pourra tout simplement plus la financer, car, ne l’oublions pas, le pourcentage de la population turque qui vit de l’agriculture atteint le chiffre de 35%, alors qu’il n’est que de 5,6% dans le reste de l’Union. Enfin, on peut raisonnablement s’attendre à ce que, sur le plan des droits de l’homme, le gouvernement turc commette encore quelques solides gaffes, notamment au Kurdistan. A cela s’ajoute que le projet d’adhésion suscitera une forte résistance dans certains pays de l’Union qui ne sont pas spécialement turcophiles, comme Chypre et la Grèce. A mes yeux, les Etats de l’ancienne fédération yougoslave devraient bénéficier d’une priorité absolue dans leur droit historique à faire partie de la communauté des peuples européens, que prétend être l’Union. Ces Etats cultiveront évidemment une méfiance à l’endroit d’Ankara. Les cercles d’inspiration identitaire en Europe doivent poser des conditions claires, sans aucune ambiguïté :
1) Toutes les troupes turques doivent quitter sans délais et sans conditions, le Nord de l’île de Chypre;
2) Le Kurdistan doit bénéficier d’un statut d’autonomie;
3) La Turquie doit reconnaître le génocide jadis perpétrer contre les Arméniens et les Grecs;
4) La Turquie doit reconnaître sur son territoire toutes les Eglises chrétiennes orientales (notamment celles des communautés araméennes établies le long de la frontière syrienne);
5) La Turquie doit s’interdire d’apporter toute aide matérielle et tout soutien idéologique au terrorisme tchétchène;
6) La Turquie doit rendre Sainte-Sophie au culte de l’Eglise grecque-orthodoxe;
7) La Turquie doit s’abstenir de s’immiscer dans les affaires intérieures des républiques turcophones de l’ancienne Union Soviétique;
8) La Turquie doit mettre un terme à sa politique de construire des barrages sur les cours du Tigre et de l’Euphrate, qui conduit à assécher l’ensemble du Moyen-Orient.
Telles sont les principales conditions que la Turquie doit satisfaire pour devenir un membre à part entière de l’UE. Or, aucune de ces conditions ne pourra jamais être acceptée par un gouvernement turc, quelle que soit sa couleur, ce que l’on peut parfaitement comprendre du point de vue turc. Mais, du point de vue européen, ces conditions constituent le strict minimum pour une Turquie européenne crédible, pour que la Turquie prouve sa loyauté à la civilisation dont elle veut faire partie.


2. Pouvez-vous expliciter les principaux arguments historiques, culturels et politiques qui plaident contre une adhésion turque à l’UE?

Sur le plan historique, on pourrait écrire des centaines de volumes pour démontrer que l’Europe, d’une part, et la Turquie, d’autre part, sont deux mondes politiques fondamentalement différents, antagonistes et irréconciliables. En l’an 955, après la Bataille de Lechfeld en Bavière, le futur empereur romain-germanique Othon I bat les Hongrois définitivement et met un terme aux invasions constantes subies par l’Europe en provenance de la steppe eurasiatique. Les Rois de Hongrie ont dû promettre de ne plus jamais mener des campagnes et des raids en direction de l’Europe occidentale, de défendre le Danube et la plaine de Pannonie contre toutes les incursions ou invasions à venir issues du fonds du continent asiatique. Les Hongrois ont donc dû changer complètement de perspective géopolitique. Telle est l’essence de leur conversion, qui, de fait, est d’ordre géopolitique, et non pas tant d’ordre religieux. Après la chute de Constantinople en mai 1453, le Pape Pie II suggère les mêmes conditions au Sultan, qui les refuse. Pie II avait été le Chancelier de l’Empereur romain-germanique Frédéric III. Avant d’avoir assuré cette haute fonction politique, il avait été un humaniste italien, traducteur de textes antiques. Il avait notamment traduit le “De Germania” de Tacite puis esquissé un programme géopolitique européen dans son “De Europa”, où il démontrait que l’Europe était de facto le Saint-Empire romain-germanique, que le reste du continent était composé de zones périphériques, et que ce Saint-Empire ne pouvait survivre que s’il conservait la Bohème et le Brabant. Pie II est ainsi, en quelque sorte, un des pères fondateurs des nationalismes allemand et flamand. De Tacite, il avait fait sienne l’idée d’une qualité humaine “supérieure” des peuples du Nord. Mais revenons à la question turque : le Sultan refuse donc de changer, comme jadis les Hongrois, de perspective géopolitique et se pose derechef comme l’héritier de deux perspectives géopolitiques anti-européennes, plus exactement de deux “directions offensives”, de “Stoßrichtungen” contraire à celles de l’Europe. La première de ces “directions offensives” est celle des peuples turcs de la steppe qui, partis des profondeurs de l’Asie, déboulent à intervalles réguliers dans l’histoire, dans l’espace de la Mer Noire et dans le bassin du Danube sur le flanc septentrional, dans la direction de l’Egée sur le flanc méridional. La seconde de ces “directions offensives” est celle des tribus nomades venues de la péninsule arabique pour se porter vers l’Afrique du Nord, d’une part, vers l’Egée à travers l’Anatolie, d’autre part. L’existence bien tangibles de ces “directions offensives” constitue une menace mortelle pour l’Europe. La Turquie actuelle continue d’agir dans ces deux sens, même si aujourd’hui, elle le fait d’une manière moins belliqueuse et avec des arguments apparemment pacifiques. L’objectif principal du programme pan-turc est d’ouvrir une porte sur l’Europe à toutes les populations du monde turcophone entre le Bosphore et la frontière chinoise. L’objectif est d’installer ces populations en Europe et de venger et d’annuler ainsi les défaites des Huns, des Hongrois, des Avars, des Coumans, de Petchénègues, des Khazars, des Seldjouks et des Ottomans. Nous ne devons pas oublier que la mémoire politique des peuples d’Orient est une “longue mémoire”  et que le passé, à leurs yeux, n’est justement jamais “passé”, mais demeure toujours d’une brûlante actualité. Les peuples d’Orient ne souffrent pas, comme nous, d’amnésie, de troubles de la mémoire, caractéristiques majeures de la pathologie “progressiste”.

3. Pouvons-nous tirer des leçons du passé dans la campagne que nous allons mener contre l’éventuelle adhésion turque à l’UE? Quels sont les grands exemples historiques auxquels nous pouvons nous référer?

De l’histoire, nous pouvons tirer mille et une leçons. Une chose est cependant certaine : l’élite politique, que l’Europe devrait avoir, aurait pour but premier de connaître sur le bout des doigts l’histoire de la confrontation millénaire entre nos peuples et ceux des steppes et devrait aussi modeler toutes ses décisions sur ces connaissances historiques. Le grand exemple historique demeure incontestablement le Prince Eugène de Savoie-Carignan, un homme qui avait lu toutes les sources disponibles en son temps, avant de lancer ses campagnes militaires victorieuses contre les Ottomans, afin de les battre et de faire disparaître la menace qu’ils constituaient pour l’Europe. L’arme dont disposait ce petit homme chétif était une grande connaissance des sources historiques de son temps. Avec de faibles moyens, et avec la formidable armée française du traître Louis XIV dans le dos, il a réussi à battre la plus grande puissance militaire de son époque. Sun Tzu nous enseigne que l’information est extrêmement importante pour battre l’ennemi. Le Prince Eugène l’a prouvé et, dans son cas, l’information était la connaissance de l’histoire. Clausewitz soulignera aussi l’importance d’une vision historique et stratégique pour étayer le moral des officiers et transmettre cette force à la troupe. Cette règle est toujours valable : les puissances anglo-saxonnes gagnent la partie en Asie centrale et au Moyen-Orient parce que leurs livres d’histoire sont les meilleurs à l’heure actuelle.

4. Comment voyez-vous le rôle des éléments turcs dans la  population d’Europe occidentale et centrale?  Forment-ils à terme une sorte de cinquième colonne, si jamais la Turquie était admise dans l’UE? Et comment devons-nous évaluer les conséquences de la citoyenneté turque accordée de jure aux millions de turcophones d’Asie centrale, si jamais la République turque devenait membre à part entière de l’UE?

Ce n’est pas “à terme” que les Turcs d’Europe occidentale formeront une cinquième colonne, ils le sont déjà! Il y a quelques années, à Schaerbeek, plusieurs centres culturels kurdes et araméens ont été saccagés et incendiés par des bandes de jeunes Turcs mineurs d’âge, bien entraînés par les militants “Loups Gris” voire directement pas des militaires turcs, le tout sous les caméras d’une équipe de télévision turque, qui a disparu rapidement après les incidents, direction Istanbul. Le soir même, les images prises à Schaerbeek étaient diffusées sur les écrans de la télévision turque, sans que la fameuse sûreté de l’Etat belge n’ai pu ou voulu réagir! La Belgique, une fois de plus, s’était couverte de ridicule. En Allemagne, des incidents similaires se sont produits maintes fois. Quant aux Turcophones d’Asie centrale, le gouvernement turc leur donne automatiquement la citoyenneté turque, tant et si bien que le chiffre de 95 millions de citoyens turcs en 2025 n’est qu’un pieux euphémisme. La Turquie ne laissera pas tomber les Turcophones d’Asie centrale : l’Empire byzantin a été miné de l’intérieur par la pénétration pacifique d’immigrés issus des peuples pasteurs turkmènes ou turcomans, dès l’époque des Seldjouks. Les armées des Sultans étaient toujours composées pour une bonne part de cavaliers ou de fantassins turkmènes ou tatars. Ces derniers ont notamment pillé et ravagé systématiquement la Bohème, la Moravie et la Hongrie lors du dernier siège de Vienne en 1683. Sur le plan historique, les liens entre les Turcs de l’actuel Etat turc et les Turcophones de l’ancienne URSS sont très étroits. Et cela ne changera pas, même si la Turquie fait mine de se convertir faussement aux pseudo-valeurs, toutes de mièvrerie, de l’Europe libérale.

5. Qu’en est-il des opposants à l’adhésion turque en Turquie même? Selon vous, existent-il des possibilités de forger des alliances objectives avec ces forces politiques?

Les opposants turcs à l’adhésion sont, d’une part, les nationalistes “Loups Gris” et, d’autre part, les islamistes. Les “Loups Gris”, qui sont parfois très ambigus dans leurs positions, craignent que la Turquie ne devienne une colonie de l’Occident et que le pays devra abandonner sa politique traditionnelle au Kurdistan. Les islamistes craignent que les fausses valeurs de l’Occident vont miner, par leur immoralité profonde, les assises de la société turque. Comme nous n’avons ni l’intention de “coloniser” la Turquie ni de propager les valeurs délétères du libéralisme occidental, nous pouvons devenir des interlocuteurs valables pour ces résistants ethno-nationaux ou religieux de Turquie. Reste à savoir si l’histoire nous réserve cette possibilité... L’”alliance objective” me semble possible avec les nationalistes, dans la mesure où, comme eux, nous constatons qu’après le Traité de Lausanne de 1923, la Turquie est devenue un pays totalement dépendant d’abord de la Grande-Bretagne, ensuite des Etats-Unis, car le Traité l’avait privée de pétrole et d’autres ressources énergétiques. A la dernière minute, les Anglais ont annexé la région de Mossoul à l’Irak, car elle contenait d’immenses réserves de pétrole. Sans sources énergétiques, la Turquie reste un pays faible. Nous devons le faire comprendre clairement aux nationalistes turcs, mais, il est évident, qu’en dépit de l’alliance américaine et de la fidélité à l’OTAN, ils le savent. La Turquie n’a pas d’autre avenir qu’en Irak. Mais l’attitude servile qu’ont adoptée tous les gouvernements turcs face aux Américains n’a laissé aucune chance à la Turquie de récupérer Mossoul. Aujourd’hui, c’est apparemment trop tard : l’US Army y campe, flanquée de ses auxiliaires kurdes. Par ailleurs, les Américains souhaitent affaiblir l’Europe, qui devra payer interminablement les dettes et les factures d’Ankara pour remettre à flot une Turquie surpeuplée et faible sur le plan des infrastructures, tandis que les pétroliers US contrôleront Mossoul, qui revient de droit à la Turquie et lui permettrait d’être une puissance viable et indépendante. Une dernière remarque : une telle orientation mésopotamienne de la Turquie avait été possible au temps de son alliance avec l’Allemagne avant 1914 et pendant la première guerre mondiale...  Un épisode de l’histoire que nous devons impérativement relire, tant en Europe qu’en Turquie.

6. Un “niet” européen à l’adhésion turque est une chose. Mais qu’en est-il de l’alternative que l’Europe devra alors proposer à la Turquie, qui, comme nous le savons tous, est une puissance de premier plan au Moyen Orient et en Asie centrale?  Existe-t-il une possibilité de soustraire la Turquie à la sphère d’influence américaine et d’en faire un allié objectif de l’Europe, par exemple en lui proposant une sorte de partenariat, où elle sera une nation privilégiée, un partenariat qui viserait à fortifier les intérêts géopolitiques et de l’Europe et de la Turquie et qui utiliserait les énergies du peuple turc contre les ennemis de l’Europe et non pas contre l’Europe?

Un “niet” n’a de sens que s’il est un “niet” contre la volonté occulte des Turcs de conquérir l’Europe à l’aide de millions d’immigrants venus d’Anatolie, du Kurdistan ou d’Asie centrale, afin, comme je viens de le dire, de réduire à néant l’effet de leurs défaites au cours des siècles précédents. Un “niet” me parait aussi raisonnable parce que l’adhésion turque s’avèrerait rapidement impayable, surtout que nous sommes plongés depuis plus de deux décennies dans une phase de basse conjoncture. Mais, effectivement, il faut une alternative valable à l’adhésion pure et simple et le seul projet intelligent à remettre en selle est celui jadis suggéré par l’Empereur prussien de l’Allemagne, Guillaume II, c’est-à-dire un partenariat entre l’Europe toute entière et une Turquie qui retrouvera son rôle capital et historique en Mésopotamie. L’Empereur Guillaume avait convié l’Europe entière à participer à son projet de rentabiliser la Mésopotamie et la péninsule arabique, projet que l’on a appelé le projet “Berlin-Bagdad”, mais la France avait refusé cette offre de manière hautaine, parce qu’elle était travaillée par l’idée de “revanche”; elle pariait à l’époque sur la Russie pour la transformer, pour son malheur, en rouleau compresseur contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. Le partenariat euro-turc était possible en ce temps-là parce que les champs pétrolifères restaient disponibles. Après la défaite de 1918, la Turquie a perdu ses principales ressources énergétiques et son alliance actuelle avec les Etats-Unis fait qu’elle ne pourra pas retrouver ces ressources. Voilà donc un fait géopolitique incontournable. Il faut en être conscient tant à Euro-Bruxelles, qu’à Berlin, Vienne ou Ankara. Les Turcs doivent aussi prendre conscience que la réduction volontaire de leur espace géopolitique par l’idéologie kémaliste pose aujourd’hui problème car une Turquie réduite à l’Anatolie sans les régions kurdes ou arabes ne peut, sur le long terme, devenir une puissance régionale réelle et viable. L’Empire Ottoman était de facto un empire multiculturel et fédéral. Dans son partenariat avec l’Europe, la Turquie ne peut demeurer un système étatique centraliste de facture jacobine. Jamais la Turquie ne pourra récupérer Mossoul sans accorder aux Kurdes, de part et d’autre de la frontière turco-irakienne, un statut d’autonomie cohérent, comme ils en disposaient sous le régime ottoman. Une Turquie fédérale, réconciliée avec l’Europe et la Russie, aura un avenir valable et digne. Sans ces réformes nécessaires, la Turquie restera un facteur de zizanie dans la région, au service de Washington. Le sort de la région de Mossoul prouve que les ennemis de l’Europe et de la Turquie sont les mêmes.  Il faut en devenir bien conscient, ici en Europe, là-bas en Turquie...

7. Une dernière question : imaginons que l’adhésion turque à l’UE soit devenue réalité; de quelle manière pourrons-nous, le cas échéant, poursuivre notre combat?  

Si cette adhésion devient réalité, l’ensemble de notre continent et de sa civilisation s’en ira à vau-l’eau.  Une évolution positive serait de voir émerger une alliance triangulaire entre la Russie, l’Europe et la Turquie autour de la Mer Noire, qui deviendrait, ipso facto, le point d’intersection des échanges entre ces trois pôles. Alexandre Douguine envisage cette hypothèse aujourd’hui à Moscou. Dans le cas d’une adhésion effective de la Turquie à l’UE, nos efforts devraient converger vers une telle alliance, ce qui impliquerait aussi que la Turquie ne se laisse plus atteler à des projets anti-européens et anti-russes, pareils à ceux que concocte Brzezinski aux Etats-Unis, depuis déjà de nombreuses décennies.


[Traduction française de l’original néerlandais]