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dimanche, 30 octobre 2016

L'art occidental de perdre la guerre

Ex: http://quebec.huffingtonpost.ca

Parmi les géopoliticiens contemporains, Gérard Chaliand, né en 1934, est sans aucun doute le plus marquant. Pas seulement pour sa connaissance remarquable du terrain - ce qu'il appelle le « savoir de la peau » -, pas seulement non plus pour l'ampleur et la diversité de sa culture ou son style incroyablement sobre, incisif, précis, mais surtout pour son approche résolument non idéologique des conflits et des relations internationales, sa capacité spinoziste à ne pas détester (ce que tout le monde peut faire), mais comprendre (ce qui est aussi précieux que rare).

chaliandpq.jpgDans son dernier livre, Pourquoi perd-on la guerre ? Un nouvel art occidental, Gérard Chaliand cherche à comprendre comment les Occidentaux, avec la supériorité matérielle qui est la leur, n'ont cessé, depuis le Vietnam, de multiplier les échecs sur le terrain militaire et politique, alors qu'ils avaient, lors de la période coloniale qui précède, gagné l'ensemble des guerres asymétriques ou irrégulières (malgré quelques batailles perdues).

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Le livre commence par évoquer la conquête du Mexique par H. Cortés et celle du Pérou par F. Pizarre. Gérard Chaliand rappelle, en ce qui concerne le Mexique, le rôle primordial de la Malinche, esclave indienne qui deviendra la maîtresse et l'interprète de Cortés, et grâce à laquelle les Espagnols auront accès à ce que pensent leurs adversaires, à leur conception du monde, alors que les Aztèques, de leur côté, ne sauront rien des Espagnols, ou très peu. Sans être le seul avantage de Cortés sur Moctezuma, cet élément fut décisif.

Au 19e siècle, les Occidentaux disposent d'un avantage du même ordre : les peuples colonisés les connaissent mal, ou même pas du tout. La révolution scientifique du 17e siècle, le mouvement des Lumières du siècle suivant, la Révolution industrielle au 19e siècle, tout cela est incompréhensible pour des sociétés qui n'ont pas connu le même développement historique. En revanche, du côté occidental, on exige « un enracinement du corps des officiers dans un milieu qui devient partie de l'existence et dont ils acquièrent une connaissance concrète ». Les troupes sont immergées dans la population locale et restent présentes, comme les officiers, sur le long terme.

Cette méconnaissance de l'adversaire s'accompagne aujourd'hui d'un facteur aggravant : l'adversaire, lui, nous connaît, et souvent fort bien.
 

Telle n'est plus désormais la situation sur le terrain, que les soldats occidentaux n'apprennent guère à connaître et où, de toute façon, ils sont, dans une large mesure, de passage. Robert McNamara reconnaissait déjà, à propos de la guerre du Vietnam : « Je n'avais jamais été en Indochine. Je n'en connaissais ni l'histoire ni la culture ». En Irak, en 2003-2004, Paul Bremer n'avait, lui non plus, pas la plus petite connaissance du terrain, multipliant ainsi les erreurs d'une façon qu'il faut bien - même si certaines reproduisaient celles du passé - qualifier d'exceptionnelle.

Cette méconnaissance de l'adversaire s'accompagne aujourd'hui d'un facteur aggravant : l'adversaire, lui, nous connaît, et souvent fort bien. Un adversaire comme l'État islamique sait manipuler avec brio l'opinion publique occidentale, exercer, même, une espèce de fascination, d'ailleurs inlassablement stimulée, ravivée et revivifiée par des médias davantage attirés par le spectaculaire que par la contextualisation instruite. Pourtant, « le phénomène terroriste, dans sa version islamiste, est aujourd'hui, sur le plan militaire, surévalué. Son effet majeur est psychologique : il vise les esprits et les volontés ».

Avant la Première Guerre mondiale, les opinions publiques ne savent pas grand-chose des combats qui se déroulent au loin : « Elles sont soit indifférentes, soit parfois fières des succès remportés, lorsque ceux-ci flattent l'orgueil national ». Le rapport à la guerre en Occident - et en Occident seulement - s'est profondément modifié. Lors de la première guerre d'Irak (1991), le nombre de morts du côté de la coalition menée par les États-Unis s'élevait à 350. Le nombre de morts du côté irakien n'a pas été donné (vraisemblablement entre 35 000 et 70 000). On a estimé que l'opinion publique occidentale n'encaisserait pas une telle disproportion. Nous ne sommes plus à l'époque où l'on pouvait se vanter des lourdes pertes essuyées par l'ennemi.

Gérard Chaliand conclut, de là, que l'asymétrie majeure réside finalement moins dans l'armement ou la technologie que dans l'idéologie. La victoire de Cortés sur les Aztèques a très largement été de l'ordre de l'esprit : « On craint la fin du monde chez les Aztèques avec, en face, des conquérants assurés de leur foi et de la grandeur de leur souverain ». Sur ce plan, l'intense propagande de l'Arabie saoudite à partir de la première crise pétrolière (1973-1974) pour répandre l'idéologie islamiste radicale (dans sa version wahhabite) a porté ses fruits. Le travail de sape opéré sur les populations par les Frères musulmans, rivaux de l'Arabie saoudite, a aussi largement contribué à renforcer l'islamisme radical (comme l'ont montré les élections en Égypte en 2012). Une telle mobilisation des populations par l'idéologie ne peut se comparer qu'à celle du marxisme-léninisme ou à celle de Mao en Chine.

Le succès rencontré par la France au Mali - car il y a quelques succès - s'explique justement en partie par l'incapacité des islamistes à constituer une « base de masse » en raison du fait qu'ils opèrent, au Nord-Mali, dans des zones sous-peuplées. Dans ces conditions, la supériorité technologique des militaires français redevient un avantage de poids - sans compter que la France opère ici sur un terrain qu'elle connaît bien.

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Le succès au Mali s'explique aussi par le fait que, dès le départ, on a « pensé l'après ». L'accompagnement qui s'effectue après la victoire était la donnée majeure de la période coloniale. Il faut, écrit Joseph Gallieni, « développer le plus vite possible le réseau électrique. [...] C'est certainement plus à coup de routes et de télégraphes qu'on fait la conquête d'une colonie, qu'à coup de troupes ». Hubert Lyautey, sous les ordres de Gallieni à Madagascar, reprend le principe de la « tache d'huile » au Maroc : on apporte des améliorations économiques immédiates dans la zone contrôlée et l'on s'étend. Chaliand souligne, par contraste, qu'à l'été 2003, « les forces américaines n'ont pas pris les moyens de rétablir l'électricité à Bagdad, malgré la chaleur torride de l'été ». D'une manière générale, l'après-seconde guerre d'Irak est le contre-modèle des victoires coloniales.

L'islamisme est «condamné à perdre» dans la mesure où ses objectifs sont «totalement illusoires»
 

Les Américains n'ont pas tenu compte du fait que la minorité sunnite représentait la « classe dirigeante » non pas seulement depuis Saddam Hussein, mais déjà à l'époque de l'Empire ottoman, puis pendant le mandat britannique. En renvoyant l'armée et en interdisant à tout membre du parti Baas de faire partie de la future administration, Paul Bremer marginalisait entièrement les sunnites et se condamnait ainsi à l'échec. « Jamais, comme le précise Chaliand, un État anciennement communiste n'avait rejeté ainsi en bloc tous les membres du parti ». Le prix à payer pour cette erreur fondamentale a été, depuis, particulièrement élevé. Comme on sait, les sunnites marginalisés sont passés, comme c'était prévisible, à l'opposition armée : « Finalement, le rejeton de l'intervention américaine en Irak s'appelle l'État islamique ».

Le bilan pour les Occidentaux, depuis le Vietnam, n'est pas glorieux. Et nous n'avons rien dit de la Libye, où l'on ne s'est pas davantage donné les moyens de conquérir la paix. Les problèmes qui s'annoncent sont de taille : l'instabilité de l'Afrique subsaharienne au cours des années à venir laisse présager, en Afrique de l'Ouest comme en Afrique Orientale, une propagation de l'islamisme, nouvelle idéologie de contestation après le marxisme. Un tel problème doit être anticipé et traité, d'autant que la démographie ne nous sera pas favorable. Les erreurs commises dans le passé n'ont rien de fatal, à condition d'en tirer les leçons.

À terme, selon Gérard Chaliand, l'islamisme est « condamné à perdre » dans la mesure où ses objectifs sont « totalement illusoires ». Contrairement à la Chine ou à l'Inde, on ne voit rien, dans un mouvement révolutionnaire de ce genre, qui soit porteur d'avenir. On ne se développe pas par l'ivresse identitaire, mais par le travail. Ce dont disposent les islamistes, c'est d'une capacité de perturbation, elle bien réelle et durable. Dans ce contexte, conclut Chaliand, tout succès militaire de leur part sur le terrain « constitue une dangereuse propagande par l'action. C'est pourquoi, quelle que soit l'ambiguïté de nos alliances officielles, il faut agir de telle sorte que les mouvements islamistes ne remportent pas de victoires militaires, ni en Syrie ni ailleurs ».

Bruno Favrit, Vitalisme et vitalité

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Bruno Favrit, Vitalisme et vitalité

(Editions du Lore, 2006)

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

brunofavrit.jpgIl est parfois bon de parcourir les bibliothèques d’autrui. Ainsi, c’est en explorant une bibliothèque où le paganisme et les traditions d’Europe ont bonne place que je tombai par « hasard » sur une brochure du nom de Présence Païenne. Son auteur, Bruno Favrit, sans jouir (hélas) de la renommé d’un Jean Mabire ou d’un Christopher Gérard, n’est pas un inconnu et encore moins un débutant.

Collaborateur à la décapante revue non-conforme Réfléchir & Agir, Bruno Favrit compte une quinzaine d’ouvrages à son actif, principalement des essais sur le paganisme et des romans. En fin connaisseur de la Grèce antique – particulièrement de l’œuvre de Platon – et de la philosophie de Friedrich Nietzsche, l’auteur synthétisait dans la brochure susnommée une vision solaire du paganisme traversée par un vitalisme bienvenu en ces temps moroses d’apathie existentielle et de nihilisme. Quelle ne fut pas ma surprise et ma joie lorsque je découvris que Bruno Favrit avait précisément consacré un ouvrage à la question du vitalisme, et pas n’importe lequel: celui de la Grèce antique. Vitalisme et Vitalité, c’est donc son nom, est un essai dont la lecture devenait par conséquent indispensable…

« La Grèce comme creuset de la civilisation occidentale est un fait avéré […] Son vitalisme se tient là, dans le champs de tous les possible. C’est ce que nous proposons de méditer à une époque où la sclérose, la limitation, la législation n’ont jamais été aussi pesantes ». Redécouvrir des racines enfouies au plus profond de nous-mêmes à une heure où, justement, plus rien ne doit avoir de racines, ni de sens, où l’existence de chacun se résume à un parcours linéaire allant d’un point A à un point B. Nous autres Européens avons la chance de pouvoir puiser le vitalisme nécessaire quant à notre sauvegarde dans nos nombreuses traditions et cultures : c’est pourquoi nous incarnons la diversité dans l’unité. Néanmoins, la racine prépondérante de notre civilisation Européenne est incontestablement la Grèce antique (« Tout est parti de la Grèce ») qui fut un point de départ pour des domaines tels que l’Art, la Philosophie (qu'elle soit tournée vers la métaphysique ou le politique), la Religiosité et le Sacré, la Science, etc. C’est ce que propose d’étudier la première partie de cet essai.

Il y aurait énormément de chose à dire sur ce berceau civilisationnel que fut la Grèce antique. Nous l’avons dit plus haut : son influence est prépondérante. Or, il s’agit ici d’un essai et non d’une étude universitaire, l’excellente connaissance du sujet conjugué à un esprit de synthèse s’imposent donc. Heureusement, Bruno Favrit manie les deux parfaitement et la lecture de Vitalisme et Vitalité n'en est que plus agréable. Dans la sous-partie « La tradition et les idées » l’auteur développe les thèmes des dieux, des mythes et des différentes écoles de philosophie présocratique avec des figures telles Pythagore, Anaxagore, Parménide, Héraclite et post-Socratique en la figure de Platon. Bien que cité de nombreuses fois, on regrettera cependant l’absence d’une partie consacrée à Aristote, philosophe, au coté de son maître Platon, d’une importance et d’une influence pourtant capitale…

La mythologie et la religiosité des anciens grecs sont bien entendu à l’honneur. En bon nietzschéen, Bruno Favrit nous gratifie même d’une partie dédiée à Dionysos, expression d’une autre facette du vitalisme européen, celui là-même que le christianisme, poison de l’âme européenne, n’a cessé de diaboliser. D’autres grands thèmes sont pareillement étudiés lors de cette première partie (à savoir les mœurs et l’éducation à Sparte, l’expérience de la guerre et l’expérience métaphysique) dont nous pourrions en résumer la quintessence via la citation suivante : « L’union et la volonté comme moteur de l’action, c’est donc la leçon que nous donne la Grèce. Elle n’appelle pas seulement à ce que l’homme tende à s’identifier aux dieux, mais à ce que la société toute entière s’organise autour de cette idée, davantage du reste qu’une idée : une interprétation du monde. »

La deuxième partie de l’ouvrage, « De l’homme empêché à l’homme vitalisé », se veut être « le constat d’une déréliction, ses causes et ses effets, et une relecture du monde à travers le prisme vitaliste ». Sont désignés par l’essayiste comme ennemis de l’être et, en ce qui nous intéresse, de l’être européen: l’idéologie du progrès, les monothéismes, l’eudémonisme, le règne de l’Opinion, l’irénisme et l’égalitarisme. L'auteur revient également sur la notion capitale à ses yeux (et nous souscrivons entièrement à son point de vue): le Mythe. Mythos qu’il oppose au Logos. Les mythes, les légendes, et les contes font partie intégrale de notre identité d’Européens, un auteur comme Robert Dun s’attachait particulièrement à ces derniers. Nous avons ici matière à inspirer nos vies et la jeunesse. Plutôt Siegfried et Héraclès qu’Iron Man et Captain America !

Vitalisme et Vitalité de Bruno Favrit est un essai roboratif, loin de la lourdeur des écrits académiques et de celle du « dernier homme », emprunt de poésie parfois, chose normale pour ce lecteur de Nietzsche ! Ils sont d’ailleurs nombreux aujourd’hui à remettre au goût du jour cette philosophie vitaliste (voir Rémi Soulié et son Nietzsche ou la sagesse dionysiaque). Le renouveau vitaliste sera une étape majeure quant aux retrouvailles avec notre être européen, cette fameuse « âme européenne ». Notre imago mundi est certes politique mais elle est aussi métaphysique, et cette métaphysique se doit d'être vitaliste, c’est à dire « plus que vie ». L’essai de Bruno Favrit est un appel. Espérons qu’il sera entendu !

Donatien/C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

Pour commander l'ouvrage:

http://www.ladiffusiondulore.fr/documents-essais/24-vital...

samedi, 29 octobre 2016

De particratie - Arnout Maat

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Sid Lukkassen:

De particratie - Arnout Maat

Ex: http://www.doorbraak.be

Is het mogelijk om de particratie van binnenuit om te vormen tot een democratie?

particratie-arnout-maat-boek-cover-9789463380720.jpgDe Particratie is een werk van de aanstormende intellectueel Arnout Maat. Vanuit zijn achtergrond in geschiedenis, politicologie en politieke communicatie presenteert hij een relaas over het huidige politieke bestel. De essentie is dat politieke partijen al een eeuw lang een véél grotere rol spelen in de representatieve democratie dan ooit door onze grondwet is bedoeld. ‘De particratie van binnenuit omvormen to een democratie, zoals D66 ooit poogde te doen, is onmogelijk: alsof men een rijdende auto probeert te repareren’, zo vat Maat zijn relaas op de achterflap samen.

Maat over het falen van D66

‘Om meer democratie in te voeren zal er door de partijen actief gehandeld moeten worden om hun eigen machtsbasis te verzwakken’ (p191). De auteur zegt ook hoe: ‘Een eerste optie is het oprichten van een populistische, anti-particratische partij.’ Dat is zeer interessant, want via het voorbeeld van D66 – een hoofdonderwerp in het boek – laat Maat nu juist zien hoe dit tot mislukken gedoemd is. D66 kondigde zich lang geleden aan met een agenda van bestuurlijke vernieuwing: zij wilden de kloof dichten tussen burgers en elite, bijvoorbeeld via referenda en de gekozen burgemeester. Vervolgens zou een districtenstelsel worden ingevoerd waarna de partij zichzelf zou opheffen. Vandaag ziet Maat dat D66 bij uitstek een regentenpartij is: een politieke club van ambtenaren en lobbyisten. Het volk keert zich af van de “progressieve” idealen en dus verruilt D66 de democratie voor technocratie.

Als we Maats redenering volgen dan moeten de tegenkrachten zich, om waarlijk democratisch te kunnen zijn, buiten de gecorrumpeerde “representatieve democratie” positioneren. Want de geschiedenis van D66 leert dat ons achterhaalde politiek bestuursysteem niet van binnenuit te hervormen is, maar van buitenaf moet worden opengebroken. Maat legt glashelder uit hoe dit komt: politieke carrières worden gemaakt en gebroken met het woordvoerderschap over interessante dossiers en mediaoptredens. Beiden kunnen alleen via de kanalen van de partij geregeld worden. Hierdoor is de politicus afhankelijk van de partij en dus is "zonder last of ruggespraak" een fictie.

Volkssoevereiniteit en revoluties

Dikwijls haalt men de volkssoevereiniteit en Thorbecke er bij als het over deze kwestie gaat – Maat citeert hem in het openingsmotto van dit boek. Ik wijs er op dat Thorbecke in zijn notities (Utrecht 2007) de volkssoevereiniteit "een chaotisch denkbeeld" noemt; "de volkswil van het ogenblik." Als de volksvertegenwoordiging zich naar de wil van het volk te richten heeft dan is het volk de feitelijk regerende – dat is volgens hem een innerlijke tegenspraak.

De particratie past perfect in een culminatiepunt van discussies over islamisering, volkssoevereiniteit, de rol van de EU en directe democratie. Allemaal debatten die op hetzelfde moment leven: denk aan het proefschrift van Geerten Waling, het boek Waarover men niet spreekt van Wim van Rooy en het huidige verkiezingsprogramma van de PVV. Het dilemma met al deze betoogtrends is dat als je jezelf filosofisch eerlijk opstelt, even de maatschappelijke conventies loslaat en ze écht doortrekt, dat je dan buiten het domein van de maatschappelijke conventies treedt, omdat je moet gaan denken in termen van staatsgrepen, volksopstanden en revoluties. Maar dat is nog niet makkelijk als je een baan als politicus of academicus wil behouden – en dus eindigt ook dit boek met een sussend slot. Iets van een "infiltratietactiek" met als voorbeeld de G500 (het plan van Sywert van Lienden om jongeren massaal lid te laten worden van CDA, PvdA en VVD). Terwijl het boek nu net zélf betoogt dat hervormingspogingen gedoemd zijn tot mislukken zolang men binnen het systeem blijft denken en opereren – wat de auteur nota bene aan de hand van D66 en G500 demonstreert. ‘Men kan immers geen auto repareren terwijl hij rijdt.’

maatarnout.jpgSpoedcursus Gramsci

Dat wat Maat omschrijft als probleem, is met zijn eigen begrippen en methoden niet op te lossen. Dit is zo klaar als een klontje. Voor allerlei machtige baantjes zijn er sowieso geen democratische verkiezingen. Hij noemt: ‘Burgemeesters, commissarissen van de koning, hoge ambtenaren, secretarissen- en directeuren-generaals, leden van de Raad van State en van de Algemene Rekenkamer, bestuurders van de publieke omroep, kroonleden van de Sociaaleconomische Raad, de Wetenschappelijke Raad voor het Regeringsbeleid, het Commissariaat voor de Media en allerlei andere zelfstandige bestuurs- en adviesorganen’ (p181-2). Wie denkt dat partijen zich deze benoemingen met wettelijke middelen uit handen laten spelen, die moet echt even een opfriscursusje "lange mars door de instituties" volgen bij Antonio Gramsci. 

Het boek voert tot conclusies die niet kunnen worden toegegeven, en dus worden er conclusies opgevoerd die zwakker en minder geloofwaardig zijn dan de krachtige opbouw van het betoog. Natuurlijk kan men terecht de vraag stellen of zo'n “volksopstand” dan naderbij begint te komen – met de EU die de greep kwijt is op het migratiedossier, geplaagd wordt door voortwoekerende schuldencrisissen en via het beleid ten aanzien van Turkije en Rusland in een kwetsbare, chantabele geopolitieke positie is geraakt. Recente rellen in steden hebben de autoriteiten getest, en de autoriteiten zijn licht bevonden. Terwijl de rijksoverheid zich via de decentralisering en de participatiesamenleving langzaam terugtrekt, zijn de politieke partijen volgens Maat juist bezig hun macht te concentreren: ‘Partijinstituties proberen, zoals veel andere organisaties, zoveel mogelijk macht voor henzelf te vergaren. De particratie is een macht die geneigd is het laatste woord in de besluitvorming over te nemen’ (p21).

Maat noemt sociale media, zoals blogs en nieuwssites, waarmee burgers zich kunnen organiseren om tegengewicht te bieden aan de particratie (p187). Toch zijn ook deze media steeds meer voortzettingen van de mainstream media. Men googelt wat informatie over het debat tussen Clinton en Trump: werkelijk alle top zoekresultaten zijn niet neutraal – ook op Youtube krijg je deze eenzijdige video's voorgesteld. Zoals Maat zelf concludeert: ‘De eenstemmige volkswil bestaat niet, en wat wij aanduiden als de “wil” van de burger wordt in grote mate juist bepaald door de overtuigingskracht van de elite in plaats van andersom’ (p188).

Democratische controle ebt weg

De auteur benadrukt dat meer mensen moeten gaan stemmen voor de Eerste Kamer, om dit orgaan een meer democratisch mandaat te geven (p222). Ik zie hier een ander probleem, namelijk dat deze verkiezingen – die van de Provinciale Staten – geheel ten teken komen van visies op het nationale kabinet. Wat er op het Provinciehuis gebeurt valt zo buiten de campagne en buiten de democratische controle. Zodoende runnen ambtenaren en technocraten daar de show. Dit punt benadrukte ik bij mijn eigen Provinciale Statencampagne in 2015. Toen ik het inbracht in een debat tijdens de kadertraining begreep het Kamerlid dat mij moest beoordelen überhaupt niet waar ik het over had.

Vervolgens stelt Maat dat ‘ook in een volledige democratie, waarin het volk het laatste machtswoord bezit, de meest verlichten van geest via de rede mensen voor hun plannen zullen winnen" (188). In Avondland en Identiteit (Aspekt 2015) heb ik nu juist bewezen dat emotionele manipulatie een veel grotere rol speelt in de politieke cultuur dan rationele argumenten. Case in point opnieuw Hillary en Trump. Neem nu het geopolitieke deel van hun tweede presidentsdebat – wat voor Europa het meest relevant is. Trump heeft daar toch wel wat zinnige dingen gezegd. Zoals: ‘Goh, misschien is het beter de lijn van Bush en Obama niet door te zetten en om met Rusland tot een compromis te komen, gezien de opbouw van conflicten in het Midden-Oosten, Oost-Europa en de Stille Zuidzee.’ Toch zien we zelfs hier in Europa alleen media voorbijkomen die het hebben over Trump de vrouwonvriendelijke kruisgrijper. Het échte vrouwenmisbruik, zoals de besnijdenissen en kindbruiden, verdwijnen tegelijk ongestraft van de agenda. Maats optimistische vertrouwen "dat in democratieën uiteindelijk de rede zal zegevieren" is zodoende misplaatst.

Referenda: voor en nadelen

Tot slot – onvermijdelijk in discussies over staatsrechtelijke vernieuwing: referenda. Het idee hierachter is dat de massa's gepolitiseerd raken en mee kunnen beslissen. Maar wie eenmaal deze vorm van directe democratie verwerft krijgt ook referenda over bijvoorbeeld het basisinkomen. Daar zitten veel “rechtse” mensen die nu voor directe democratie zijn niet op te wachten. Bovendien kunnen zo op legitieme wijze (delen van) shariawetgeving worden ingevoerd, afhankelijk van de demografische ontwikkelingen binnen regio's: in het Verenigd Koninkrijk is hiervoor onlangs rechter Shamim Qureshi aangesteld.

Verder is het zo dat hoe meer mensen mogen stemmen, hoe minder invloed uitgaat van één stem. Hierdoor wordt het steeds minder rendabel qua tijdsinvestering om een onderwerp diepgaand te bestuderen alvorens te stemmen. Het voordeel van directe democratie is dat mensen mogen stemmen die de directe nadelen ondervinden van bijvoorbeeld migratiebeleid, terwijl de huidige elite daarvan zo goed als verschoond blijft. Maar hoe direct men democratie ook maakt: men blijft altijd stemmen over de portemonnee van anderen. Wie in de lokale politiek actief is weet dat zaken als schutterijen en voetbalverenigingen meer gewicht in de schaal leggen dan argumenten.

Tot besluit

Maar nogmaals, al deze kritiekpunten betreffen de inzichten van het boek, want qua stijl, leesvlotheid, structuur en bronraadpleging steekt het sterk in elkaar. De argumenten zijn krachtig, maar ik bekritiseer de conclusies die uit de argumenten worden getrokken. Ik zou het boek zeker op de leeslijst zetten bij een vak als staatsinrichting. 

Beoordeling : * * * *
Titel boek : De Particratie
Subtitel boek :
Auteur : Arnout Maat
Uitgever : Aspekt
Aantal pagina's :
Prijs : 23,2 €
ISBN nummer : 9463380728
Uitgavejaar : 2016

samedi, 22 octobre 2016

Milosz ou la Profondeur du Temps

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Milosz ou la Profondeur du Temps

A propos des Arcanes d’O. V. de L. Milosz, éditions Arma Artis, 2016

par Luc-Olivier d'Algange

olm-1.jpgSi le propre des grands poètes est de demeurer longtemps méconnus avant de nous advenir en gloires et ensoleillements sans doute est-ce qu'ils entretiennent avec la profondeur du temps une relation privilégiée. Leurs œuvres venues de profond et de loin tardent à nous parvenir. Elles sont ce « Printemps revenu de ses lointains voyages », - revenu vers nous avec sa provende d'essences, d'ombres bleues, de pressentiments.

Toute œuvre est recommencement, ou, plus exactement, procession vers un recommencement qui est le sens théologique du pardon. Tout revient pour recommencer, pour effacer, dans une lumière de printemps, les offenses et les noirceurs de l'hiver de l'âme. « Une étoile existe plus haut que tout le reste, écrit Paracelse, celle-ci est l'étoile de l'Apocalypse... Il y a encore une étoile, l'imagination, qui donne naissance à une nouvelle étoile et à un nouveau ciel ».

Etre poète, pour Milosz, ce n'est pas user des mots à des fins de conviction, d'information, ni même d'expression, - au sens où l'expression serait seulement le témoin d'une subjectivité humaine, c'est entrer autrement dans le Temps, c'est laisser entrer en soi le Temps autrement, c'est d'être d'un autre temps qui n'est pas du passé mais d'une autre qualité ou possibilité du Temps, - un Grand Temps, un temps sacré, un temps profond.

olm-2.jpgCe temps n'est pas un temps linéaire, le temps de la succession, le temps historique mais le temps métahistorique, s'inscrivant dans une hiéro-histoire: c'est là tout le propos des Arcanes de Milosz. Ce savoir ne sera pas conquête arrogante, mais retour en nous de l'humilité, non pas savoir qui planifie, qui arraisonne le monde par outrecuidance, par outrance, mais retour à la simple dignité des êtres et des choses, des pierres, des feuillages, des océans, des oiseaux.

Pour atteindre « le lieu seul situé », le poète doit vaincre, écrit Milosz, « cet immense cerveau délirant de Lucifer où l'opération de la pensée est unique et sans fin, partant du doute pour aboutir à rien». Cette victoire suppose un combat, mais un combat qui a pour sens, pour orient, pour aurore, la contemplation même. « Tant de mains pour transformer le monde, écrit Julien Gracq, et si peu de regards pour le contempler ».

Le combat commencera donc dans le regard, par l'éveil de l'œil du cœur qui est le véritable œil de l'esprit. Contre « l'immense cerveau délirant », ce technocosme qu'est devenu le monde moderne, contre ce nihilisme masqué d'utilitarisme qui part du doute pour aboutir à rien, un recours demeure possible dont le secret, la raison d'être, repose, pour Milosz, dans le secret même de la langue française, dans ses arcanes étymologiques, dans le cours souterrain de sa rhétorique profonde.

« Le cerveau, écrit Milosz, est le satellite du cœur ». Ce cœur, « lieu seul situé », n'est pas seulement le siège des sentiments humains mais le cœur du monde, le cœur du Temps. C'est dire en même temps, par la verticale de l'inspiration poétique et métaphysique, sa profondeur la plus abyssale et sa hauteur la plus limpide. Pour Milosz, l'intelligence n'est pas cette faculté que l'on pourrait quantifier ou utiliser mais l'instrument de perception de l'invisible, plus exactement, la balance intérieure du visible et de l'invisible, le médiateur qui donne le la entre le monde sensible et le monde intelligible.

olm-3.jpgCertains hommes, plus que d'autres, par l'appartenance à une caste intérieure, sont prédisposés à entrer en relation avec le monde intermédiaire, là où apparaissent les Anges, les visions, les dieux. Ce mundus imaginalis, ce monde imaginal, fut la véritable patrie de Milosz comme elle fut celle de Gérard de Nerval ou de Ruzbéhân de Shîraz. Ce monde visionnaire n'a rien d'abstrus, de subjectif ni d'irréel. Il est, pour reprendre le paradoxe lumineux d'Henry Corbin « un suprasensible concret », - non pas la réalité, qui n'est jamais qu'une représentation, mais le réel, ensoleillé ou ténébreux, le réel en tant que mystère, source d'effroi, d'étonnement ou de ravissements sans fins.

« Des îles de la Séparation, écrit Milosz, de l'empire des profondeurs, entends monter la voix des harpes de soleil. Sur nos têtes coule paix. Le lieu où nous sommes, Malchut, est le milieu de la hauteur ». A chaque instant, ainsi, dans l'œuvre de Milos, la saisissante beauté, la sapience, non pas abstraite mais éprouvée dans une âme et un corps, dans le balancier de la lancinante nostalgie et du pressentiment ardent: « L'espace, essaim d'abeilles sacrées, vole vers l'Adramand, d'extatiques odeurs. Le lieu où nous sommes, Malchut, est le milieu de la hauteur. »

Long est le chemin vers ce que Milosz nommera « la vie délivrée ». Dans ce monde sublunaire, la première condition est de servitude, la première réalité carcérale. Dans un monde d'esclaves sans maîtres, toute servitude devient sa propre fin, repliée sur elle-même et sans révolte possible. L'homme hylique s'effraie de l'œuvre-au-noir qu'il lui faudrait traverser pour atteindre à la transparence légère de l'œuvre-au-blanc, puis à l'ensoleillement salvateur de l'œuvre-au-rouge. Le chemin philosophal requiert une vertu héroïque. On songe à la célèbre gravure de Dürer, ce chevalier qui, entre la mort qui le menace et le diable qui le nargue, chemine calme et droit vers la Jérusalem céleste.

olm-4.jpg« Je regarde, écrit Milosz, et que vois-je ? La pureté surnage, le blanc et le bleu surnagent. L'esprit de jalousie, le maître de pollution, l'huile de rongement aveugle, lacrymale, plombée, dans la région basse est tombé. Lumière d'or chantée, tu te délivres. Viens épouse, venez enfants, nous allons vivre ! » A ce beau pressentiment répond, dans le même poème la voix de Béatrice: « Montjoie Saint-Denis, maître ! Les nôtres, rapides, rapides, ensoleillés ! Au maître des obscurs on fera rendre gorge. Vous George, Michel, claires têtes, saintes tempêtes d'ailes éployées, et toi si blanc d'amour sous l'argent et le lin... »

La sagesse ne vient pas aux tièdes ni aux craintifs, non plus qu'aux forts qui s'enorgueillissent de leur force mais aux fragiles audacieux, aux ingénus demeurés fidèles au printemps revenu.

L'œuvre de Milosz est une œuvre immense, - de poète, de romancier, de dramaturge, de métaphysicien, de visionnaire. Qu'elle soit encore si peu connue et reconnue est un sinistre signe des temps. Cependant, peut-être est-il un signe dans le désastre où nous sommes qui sera de nous contraindre à retourner à l'essentiel. Tout ce dont il n'est plus question dans ce monde quantifié, livré aux barbares, vit en secret dans l'œuvre de Milosz, dans ses rimes heureuses et ses raisons offertes au mystère, dans une suavité, parfois, qui n'est pas douceâtre mais une force qui nous exile du monde en revenant en nous, en réminiscences, comme le triple mouvement de la vague.

Etre véritablement au monde, c'est comprendre que nous n'y sommes pas entièrement ni exclusivement. Un retrait demeure, une distance, un exil, qui est le donné fondamental de l'expérience humaine, - le mot expérience étant à prendre ici au sens étymologique, ex-perii, traversée d'un danger.

Toute l'œuvre de Milosz s’oriente ainsi, à travers les épreuves, les dangers et les gloires, vers un idéal chevaleresque qui, par-delà les formes diverses où il s'aventure, demeure la trame de ses pensées et de ses œuvres. « L'homme n'est rien, l'œuvre est tout » écrivait son ami Carlos Larronde. L'Ordre chevaleresque auquel aspirait Milosz, et dont il ne trouve sans doute pas, dans une époque déjà presque aussi confuse que la nôtre, la forme parfaitement accomplie, fut d'abord la reconnaissance qu'il y a quelque chose de plus grand que nous qui nous fait tel que nous sommes, et qu'un combat est nécessaire pour retrouver , à travers cette évidence, « la simple dignité des êtres et des choses » qu'évoquait Maurras.

olm-5.jpgContraires à l'œuvre et à la prière, de titanesques forces sont au travail pour nous distraire et nous soumettre. L'idéal guerroyant, chevaleresque, opposera au coup de force permanent du monde moderne, non pas une force contraire, qui serait son image inversée et sa caricature, mais une persistante douceur et d'infinies nuances.

La vaste méditation de Henry Corbin sur la chevalerie héroïque et la chevalerie spirituelle éclaire le cheminement de Milosz. Pour aller, vers, je cite, « l'enseignement de l'heure ensoleillée des nuits du divin », il faut partir et accomplir sa destinée jusqu'à cette frontière incertaine, cette orée tremblante où l'homme que nous étions, blessé de désillusions, devient Noble Voyageur.

L'idéal chevaleresque du Noble Voyageur témoigne de cette double requête: partir, s'éloigner du mensonge des représentations et des signes réduits à eux-mêmes pour revenir « au langage pur des temps de fidélité et de connaissance ». Etre Noble Voyageur, selon Milosz, c'est savoir que la connaissance n'est pas une construction abstraite mais le retour en nous de la Parole Perdue, - celle qui, ainsi que le savaient les platoniciens de d'Athènes, de Florence, d'Ispahan ou de Cambridge, nous advient sur les ailes de l'anamnésis. « Le langage retrouvé de la vérité, écrit Milosz, n'a rien de nouveau à offrir; Il réveille seulement le souvenir dans la mémoire de l'homme qui prie. Sens-tu se réveiller en toi, le plus ancien de tes souvenirs ? »

olm-6.jpgLe Noble Voyageur s'éloigne pour revenir. Il quitte la lettre pour cheminer vers l'aurore du sens, - qui viendra, en rosées alchimiques, se reposer sur la lettre pour l'enluminer. « Le monde, disaient les théologiens du Moyen-Age, est l'enluminure de l'écriture de Dieu ». Le voyage initiatique, la quête du Graal, qui n'est autre que la coupe du ciel retournée sur nos têtes, débute par l'expérience du trouble, de l'inquiétude, du vertige: « J'ai porté sur ma poitrine, écrit Milosz, le poids de la nuit, mon front a distillé une sueur de mur. J'ai tourné la roue d'épouvante de ceux qui partent et de ceux qui reviennent. Il ne reste de moi en maint endroit qu'un cercle d'or tombé dans une poignée de poussière. »

Que les yeux se ferment sur un monde et s'ouvrent sur un autre, qui est mystérieusement le même, tel sera le secret inconnu de lui-même, jusqu'à l'advenue, jusqu'à la révélation, du Noble Voyageur. La sapience perdue est la « vérité silencieuse » de la plus « humble chose», le réel est la Merveille au regard de celui qui le laisse advenir en lui. Le voyage, c'est de fermer et d'ouvrir les yeux. « J'ai fermé ma vue et mon cœur, écrit Milosz, les voici réconfortés. Que je les ouvre maintenant. A toute cette chose dans la lumière. A ce blé de soleils. Avec quel bruissement de visions, il coule dans le tamis de la pensée ».

Milosz fut poète, poète absolu serait-on tenté de dire, voulant restaurer dans un monde profané ces épiphanies que désigne « le lieu seul situé », l'Ici qui est l'acte d'être et non plus seulement l'être à l'infinitif de l'ontologie classique. Fermant les yeux, il entre dans ce que Philon d'Alexandrie, nomme Le Logos intérieur. « C'est ainsi, écrit Milosz, que je pénétrai dans la grotte du secret langage; et ayant été saisi par la pierre et aspiré par le métal, je dus refaire les mille chemins de la captivité à la délivrance. Et me trouvant aux confins de la lumière, debout sur toutes les îles de la nuit, je répétais, de naufrage et naufrage, ce mot le plus terrible de tous: Ici. »

Comment être là, comment saisir dans une présence qui ne serait plus une représentation « l'or fluide et joyeux » de la réminiscence. Afin d'y atteindre, il faut être protégé, et c'est là précisément le sens de l’idéal chevaleresque de Milosz par lequel il incombe au poète d'être le protecteur de la beauté et de la vérité la plus fragile.

Cette vérité, pour Milosz, n'est pas un dogme ou un système mais la chose la plus impondérable. C'est l'ondée par exemple: « Elle vient, elle est tombée, et tout le royaume de l'amour sent la fleur d'eau. Le jeune abeille, fille du soleil, vole à la découverte dans le mystère des vergers. » Sur les ailes de la réminiscence arcadienne, la vérité légère, est, selon la formule de Joë Bousquet, « traduite du silence ».

olm-7.jpgLe propre de la poésie est d'honorer le silence, - ce silence qui est en amont, antérieur, ce silence d'or qui tisse de ses fils toute musique, ce silence que les Muses savent écouter et qu'elles transmettent à leurs interprètes afin de faire entendre la vox cordis, la voix du cœur, qui vient de la profondeur du Temps.

Luc-Olivier d'Algange

In de boekenkast van schrijver Chris Ceustermans

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In de boekenkast van schrijver Chris Ceustermans

Ex: http://www.doorbraak.be

Chris Ceustermans is auteur van De boekhandelaar en Koude oorlogsdromen en Doorbraak-columnist. Momenteel bereidt hij de biografie voor van schrijver Jean-Marie Berckmans. In een vorig leven werkte Ceustermans onder meer bij De Morgen en was lesgever en organisator voor diverse NGO’s. Hij blikt er even op terug. ‘Ik heb de journalistiek voor mijn ogen zien veranderen. Minder onderzoeksjournalistiek, meer oog voor spectaculaire dingen … Ik moest triviale artikels schrijven, ik voelde me er een beetje een “media worker”, om de term van Noam Chomsky te gebruiken.’ Ook de redactionele lijn van De Morgen en het politiek correcte denken zit hem soms dwars. Dit is iets waarover hij zich ook in de (Vlaamse) boekenwereld stoort en in dit gesprek verder zal aanhalen. Beginnen doen we met een door hem gekozen volgorde van auteurs en boeken die hem blijven fascineren.

ErasmusLaus.JPGLof der zotheid van Erasmus

‘Erasmus is een tragische figuur. Hij leefde in een tijd – begin zestiende eeuw – waarin alle zekerheden verdwenen. Hij zat geprangd tussen verwachtingen van groepen zoals de Kerk en zijn individuele kern. Dat gegeven is ook de rode draad door de door mij geselecteerde boeken. In zijn tijd was Erasmus het symbool van de verzoening tussen de lutheranen en de kerk van Rome. Hij trachtte ook binnen het denkkader van die christelijke godsdienst het schisma te overwinnen, iets wat uiteindelijk een misvatting bleek te zijn. Een aantal decennia later begon namelijk de Tachtigjarige Oorlog; iets wat hijzelf gelukkig niet meer heeft meegemaakt.’

‘Lof der zotheid is een beetje een buitenbeentje in zijn oeuvre. Voor zijn doen is het vrij literair. Heel veel belangrijke dingen, zoals de voortplanting, zouden zonder zotheid volgens Erasmus onmogelijk zijn. Het boek is bovendien nog actueel omdat het de illusies van de maakbaarheid van de wereld en de mens – een van mijn stokpaardjes – ondermijnt.’ 

Twee opvattingen van vrijheid van Isaiah Berlin

‘Voor mij is Berlin een van de grootste en meest inspirerende denkers van de twintigste eeuw. Meer dan ooit is hij actueel. Wat me het meest aanspreekt, is dat hij zowel binnen de Angelsaksische liberale traditie gepokt en gemazeld is, alsook een Russische afkomst en Joodse roots heeft en hoe al die factoren samen zijn rijke denken bepalen. Zoals Erasmus in zijn tijd probeerde te verzoenen, wilde Berlin bemiddelen tussen liberale en collectieve ideeën. Hij verdedigde zelfs de natiestaat als betekeniskader. “Het naakte, theoretische liberalisme is een illusie”, zegt Berlin. Het fascinerende aan Berlin is dat hij gelooft in een liberalisme dat ingebed is in een gemeenschap, met een eigen culturele identiteit. Er bestaat voor hem ook niet één goede manier van leven, maar vele. De samenleving is complex. Een monistisch wereldbeeld leidt voor hem alleen maar naar wreedheid en intolerantie. Hij is dus een genuanceerde denker.’

‘Berlin is eigenlijk een van de founding fathers van het communautarisme, een filosofisch-politieke school waarvan Charles Taylor en Michael Sandel enkele belangrijke denkers zijn. Deze stroming heeft invloed in Duitsland en Engeland. Ze tracht te kijken naar de mens zoals hij is en niet vanuit zuivere concepten. In Vlaanderen is ze jammer genoeg minder bekend. De cultuursector zet zich hier overigens ook categoriek af tegen zogezegd nationalistische partijen, wat ietwat vreemd is aangezien zulke partijen zich net zouden moeten bezighouden met cultuur. Ergens verwacht je dan een interessante dialoog, want cultuurmakers zijn toch ook bezig met betekenissen te creëren. Maar hier in Vlaanderen blijven die werelden nogal gescheiden.’

Baltische-zielen.jpgBaltische zielen van Jan Brokken

Brokken, een van de grootste Nederlandse schrijvers, balanceert tussen fictie en non-fictie. Dit boek, Baltische zielen, is een meesterwerk. Het geeft heel prachtig een niet in een aantal slogans te vatten werkelijkheid weer. Het is opgebouwd uit een aantal verhalen van bekende mensen die veel hebben bijgedragen aan de Europese cultuur. Brokken schetst portretten die tegelijk de ziel van een individu en van de geschiedenis tekenen: Hanna Arendt, Romain Gary, Mark Rothko, Avo Pärt … De Baltische staten hebben ook zoveel, onderdrukkende monistische invloeden ondergaan – het tsarisme, het communisme, het fascisme –  wat maakt dat Jan Brokken in Vilnius – de hoofdstad van Litouwen die begin twintigste eeuw nog een van de grootste Joodse hoofdsteden ter wereld was en meer dan 100.000 joden had – nu nog maar een klein groepje joden kan vinden. Het is een pijnlijke illustratie van hoe een samenleving kan verarmen door eenzijdige mensbeelden. De Baltische staten hebben zich van al die overheersingen – van de Duitsers, de nazi’s en de communistische Russen –  pas in de jaren negentig kunnen losrukken. Die overheersers hebben ook geprobeerd om die plaatselijke culturen er weg te vegen door immigratie van Russen. In sommige van die landen is inmiddels bijna de helft van de bevolking vandaag daardoor Russischtalig. Tegelijk mogen ze er hun taal officieel niet overal gebruiken. De Letten, Esten en Litouwers proberen na alles wat ze hebben meegemaakt hun eigen identiteit te beschermen en daardoor discrimineren ze weer andere groepen. Het is een pijnlijke illustratie van het cynisme van de geschiedenis. Baltische zielen is aangrijpend omdat het al die tegenstrijdigheden en gruwelijkheden van de geschiedenis blootlegt. Tegelijk toont Brokken de kracht van mensen en culturen om ondanks alles door te gaan. Bijvoorbeeld door het verhaal te brengen van een Joodse boekenwinkel die al die regimes heeft overleefd. De problemen zetten zich intussen verder, maar een zuivere oplossing bestaat niet. Het is dus altijd een beetje bricoleren.’

romain-gary-vert-jenny-tuin-een-heel-leven-voor-je-c.jpgEen heel leven voor zich van Romain Gary

‘Gary – geboren als Roman Capew – is eveneens getekend door die Baltische wereld die eigenlijk nooit normaliteit heeft gekend. Het is Vlaanderen in het kwadraat. Wij zijn ook vaak bezet geweest, maar het kan dus nog altijd erger. Gary zelf is gevlucht is voor de communisten. Op een bepaald moment begon Stalin Joden te wantrouwen. Hij werd paranoïde en dacht dat ze met zijn tegenstanders heulden. De communisten begonnen toen met het deporteren van joden uit de Baltische satellietstaten. Gary zelf en zijn Joodse moeder zijn dan gedeporteerd naar Rusland. Bijna niemand is teruggekeerd. Dankzij zijn moeder is hij toch kunnen ontsnappen; ze zijn dan naar Polen gevlucht. Daar kregen ze een vergunning om naar Nice te gaan. Toch kwam die verschrikkelijke terreur waarvoor ze waren gevlucht ook naar Frankrijk, door het nazisme tijdens de Tweede Wereldoorlog. Als jongeman besloot Gary hiertegen te strijden en sloot hij zich aan bij een Frans bataljon van de Britse Royal Airforce. Als navigator van een ‘vliegend fort’ werd hij toen uit de lucht geschoten. Op een miraculeuze wijze wist hij dan toch te overleven en tijdens zijn herstel begon hij te schrijven aan zijn levensverhaal: Education Européenne – let op de sarcastische titel ... Vrij snel kreeg hij weerklank als auteur en won hij de Prix Goncourt. Hij werd een societyfiguur. Zeker nadat hij trouwde met de Amerikaanse actrice Jean Seberg, zowat het sekssymbool van die tijd. Toch geraakte zijn carrière in het slop. Met de beweging van mei 1968 had Gary weinig op. Met zijn achtergrond gruwelde hij van linkse sympathieën. Ook literair geraakte hij op een zijspoor. Uit wanhoop, om zichzelf een nieuw leven te geven, heeft hij dan zijn mooiste boek geschreven: Een heel leven voor je. Het is in 1975 verschenen. Omdat hij zo passé was, bracht hij het uit onder de naam Emile Ajar. Zijn comeback was een enorm succes. Voor de tweede keer, zonder dat de buitenwereld wist dat Ajar dezelfde persoon als Romain Gary was, won hij opnieuw de Prix Goncourt – die je volgens het reglement eigenlijk maar eenmaal mag winnen. De ware identiteit van Emile Ajar werd pas bekend na de zelfmoord van Romain Gary.’

‘De roman gaat over de hechte vriendschap tussen een Arabisch jongetje en een Joodse prostituee op leeftijd. Het is een ode aan de verwarrende wereld waarin mensen niet in hokjes te steken zijn. Het is des te meer ontroerend omdat Madame Rosa, de prostituee, gebaseerd is op Gary’s eigen moeder. Wat ook heel mooi is: in de jaren zeventig is hij een consul van Frankrijk geworden in de VS. En zo is de droom van zijn moeder toch nog werkelijkheid geworden: die hield hem al vanaf hun vlucht uit Vilnius naar Polen voor dat hij ooit ambassadeur van Frankrijk zou worden.’

De wereld van gisteren van Stefan Zweig

‘Het is een magistraal boek waarin de ondergang van het negentiende-eeuwse Oostenrijkse keizerrijk en het cultuurleven van die tijd doorleefd beschreven wordt. Zweig, uit Wenen, was zoals Erasmus een kosmopoliet van de wereldvrede, verzoening en de kunst. Hij was ook bezig met het verspreiden van de poëzie van Emile Verhaeren in het Duitse taalgebied. In die zin voelde hij zich goed in de cultuurwereld van die tijd. Maar er waren toen al tekenen aan de wand door de opkomst van gewelddadige fracties van Duits-nationale herrieschoppers, eigenlijk voorlopers van de naziknokploegen. Zweig schreef dit boek vlak voor zijn zelfmoord in Brazilië, waar hij belandde tijdens zijn vlucht voor de nazi’s. Alles wat hij in zijn leven had opgebouwd had hij moeten achterlaten – ook zijn dromen. Dit boek beschrijft hoe je in een tijd heel wijs kan leven, kosmopoliet kan zijn en tegelijk ook blind kan zijn voor fanatisme dat de kop opsteekt. Het is dus ook een doorleefde waarschuwing. Na het lezen van dit boek voel je dat de democratie in een samenleving in elke tijd ontzettend fragiel is.’ 

utz.jpgUtz van Bruce Chatwin

‘Opnieuw zo’n schrijver die balanceert op de grens van fictie en non-fictie. Een absoluut pareltje. Utz is de naam van het hoofdpersonage, een onaangepast figuur tijdens het communistisch regime in het Praag na de Tweede Wereldoorlog. Hij is een Duitse afstammeling van een adellijke familie en dat was niet zo handig in die tijden. (lacht) Hij was ook een fanatieke verzamelaar van Meissen-porselein, Commedia dell’arte-figuurtjes, zijn enige grote passie. In een antimaterialistisch regime was zo’n privéverzameling natuurlijk niet vanzelfsprekend. Dit is dus opnieuw zo’n boek waarin een individu against all odds de eigen kern verdedigt. Dat is ook waar proza over gaat: hoe je het alledaagse leven probeert te overleven, terwijl men aan alle kanten zit te trekken om wat volgens jou belangrijk is toch te relativeren.’

Al te luide eenzaamheid van Bohumil Hrabal

‘Opnieuw een meesterwerk dat zich in Praag afspeelt. Het gaat ook over een outsider. De novelle is eigenlijk een lange, lyrische tirade. In een kelder van een papierverwerkend bedrijf maakt het vereenzaamde en vaak dronken hoofdpersonage met een papierpers conceptueel kunstige papierbalen van boeken die door het communisme zijn afgevoerd. Met een zekere elegantie geeft hij zo verboden boeken een laatste rustplaats en haalt hij er trots uit. Hij smokkelt boeken naar zijn appartement en stapelt die op het baldakijn boven zijn bed waardoor die hem vroeg of laat zullen verpletteren. Het leest als een delirium van iemand die hoorde te zwijgen en die toch zijn eigen stem laat horen, al is het maar via een kunstige en kleurrijke papierbaal.’

houell.jpgOnderworpen van Michel Houellebecq

‘Houellebecq duidt aan dat de fundamenten van dit soort Europa heel snel kunnen instorten. In die zin is hij de chroniqueur van de scheuren in de mentale Europese constructie. De scheur die Stefan Zweig eigenlijk op het einde van zijn leven pas wist vast te leggen. Onderworpen is zijn recentste boek, al vind ik het niet zijn beste. Elementaire deeltjes vind ik sterker. Onderworpen heeft soms iets uitleggerigs. Desondanks vind ik Houellebecq toch een van de weinige echt relevante West-Europese auteurs van deze tijd. Dit omdat hij wars van alle wenselijkheid zijn botten veegt aan hoe de wereld er zou moeten uitzien. Op zijn manier geeft hij weer wie volgens hem de mens is. Dat is volgens mij ook de enige bestaansreden van literatuur; anders kan je beter non-fictie schrijven. Als je fictie schrijft, vind ik niet dat je je te veel moet bezighouden met wat x of y ervan zal denken. Een goede roman zaait onrust, maar op een bevruchtende en inspirerende manier. Dat is een van de dingen die ik in proza zoek en ook mis in Vlaamse literatuur. Wat mij opvalt in het huidige Vlaamse literaire landschap is dat men heel veel gevoelige thema’s zoals – je kan het moeilijk anders noemen – de opkomst van een religieus fascisme bijna niet durft aan te raken. Er bestaat blijkbaar een grote angst om die hele onrustwekkende, pijnlijke wereld van vandaag te tekenen. Volgens mij hangt het ook samen met het politiek correcte denken waarvan de cultuurwereld een motor is in de plaats van een tegenstem. Veel Vlaamse auteurs schrijven met de handrem op om toch maar aanvaard te kunnen blijven.’

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jeudi, 20 octobre 2016

Comment Pierre Drieu la Rochelle est entré dans la Pléiade

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Comment Pierre Drieu la Rochelle est entré dans la Pléiade

A son tour, Drieu connaît les honneurs de la bibliothèque de la Pléiade. L'écrivain talentueux au parcours honteux s'interrogeait sur sa postérité. Il repose désormais, mais pas en paix, sur papier bible.

Quelle postérité pour un écrivain collabo? Mauriac voyait en lui un des «ratés immortels». Pour Sartre, il était «sincère, il l’a prouvé» (1). Si Pierre Drieu la Rochelle, fasciste, antisémite, sent durablement le soufre, son suicide «nous épargne un embarras: il a assumé sa conduite», note Jean-François Louette, professeur de littérature à la Sorbonne, responsable de l’édition des Romans, récits, nouvelles dans la Pléiade, qui paraît le 20 avril 2012. De fait, l’écrivain n’eut de cesse de se scruter à travers ses personnages. Gilles, son chef d’œuvre, dessine un portrait miroir de son parcours. Etrange roman qui se termine abruptement, comme un suicide sacrificiel, évoquant celui de l’auteur.

Le droit de se contredire

drieu-pleiade.jpgJamais Drieu ne brigua de mandat électif – son antiparlementarisme l’en empêchait - mais son engagement politique est manifeste. Membre du PPF de Jacques Doriot (de 1936 à 1939), il prône une Europe unie, sous hégémonie allemande, seule capable de mettre fin à la décadence. Sous l’Occupation, il collabora activement. Drieu pourtant n’est pas réductible au seul fascisme. Mieux que tout autre peut-être, il incarne la confusion d’une époque brisée. Au point que l’on serait tenter de paraphraser, qu’il nous pardonne!, Montaigne: «je ne peins pas le fasciste, je peins le passage».

Il connut Borgès, une amitié durable l’unit à Malraux. Il fut proche de communistes - dont Aragon à qui il dédia L’Homme couvert de femmes. Il n’est pas exempt de tentations pacifistes: en 1923 il appelle à une réconciliation généreuse avec les allemands (c’est alors l’occupation de la Ruhr!)... Résolument antisémite, après avoir été philosémite, il «contribua à sauver des mains des nazis sa première femme, Colette Jéramec, et ses deux jeunes enfants, internés à Drancy», observe Jean-François Louette. En 1938, il est furieusement hostile aux accords de Munich. Enthousiaste à l’égard d’Hitler puis déçu, il reporte son admiration sur… Staline, en 1944. 

«Il est plus contradictoire qu’aucun de ses contemporains. Il a constamment revendiqué le droit de se contredire, comme le dit Baudelaire (2). Il s’est trompé mais il y a une conviction, une sincérité dans chacun de ses mouvements. Chez lui, j’aime bien l’incertitude. Changer d’avis est une forme d’intelligence car la politique n’est pas une science mais une contingence. Son ralliement ultime à Staline a quelque chose de prophétique, comme s’il avait voulu reprendre la main face à l’Histoire…»

Il assume ses contradictions comme ses erreurs. Hostile à la République, il refuse la Légion d’Honneur. Fin 1943, il rentre de Suisse, alors même qu’il est déjà persuadé de la défaite allemande. Plus tard,  Paul Morand, sagement, optera pour l’exil doré en Suisse et évitera l’épuration (il finira à l’Académie française). Ce destin-là, Drieu n’en voulut pas. Il choisit la mort, l’opprobre. D’où, malgré un cercle de lecteurs passionnés, de rares adaptations cinématographiques (3), une forme de mise au ban. Jean-François Louette s'interroge:

«Est-il un écrivain maudit? Le terme me paraît un peu fort. Mais il reste sulfureux et les passions sont toujours prêtes à se déchaîner – en sa faveur, comme dans la détestation. L’édition de son Journal en 1992, très antisémite, y a aidé, bien que celui-ci n’ait pas été destiné à la publication et soit aussi le reflet d’une grande crise personnelle.»

De boue, les damnés de la terre

Comme toute une génération, la vie de Drieu commence (ou se termine?) avec 14-18. Plus longuement d’ailleurs, puisqu’il est incorporé au 5ème régiment d’infanterie en novembre 1913 et ne sera libéré que fin mars 1919. Durant ces presque six ans (aujourd’hui où «les trois jours» sont quelques heures, imagine-t-on ce qu’ont représenté tant d’années?), il collectionne les blessures (à la tête, au bras gauche - deux fois, tympan crevé), sans oublier les maladies (dysenterie, paratyphoïde), alternant les séjours au front et à l’hôpital.

Contrairement à beaucoup, il n’en ressortira pas durablement pacifiste. «Pour lui, les choses ne peuvent se résoudre que dans le sang, explique Jean-François Louette. Quelque chose doit exploser pour que l’Histoire puisse avancer». Refuser Munich, c’est espérer un sursaut – ce que la molle démocratie ne fera pas. 

Le tournant de février 1934

C’est en février 1934 que Drieu devient résolument fasciste. Plus encore que la manifestation du 6 février, c’est celle organisée par le PCF quelques jours après, qui l’en persuade. Il est désormais «convaincu que la Troisième République est incapable de se réformer en respectant un processus démocratique». L’été qui suit, il écrit Socialisme fasciste. En 1935, le voici en Allemagne, admiratif du Congrès de Nuremberg, «aveuglé par la propagande hitlérienne”. Il n’en démordra plus, malgré les déceptions: le bellicisme fanatique d’Hitler comme le pacifisme de Doriot (qui est munichois). Tandis que Gide publie Retour de l’URSS, témoignage lucide sur le communisme réel (1937), Drieu préfère s’ancrer dans une erreur suicidaire: «mourir en démocrates ou survivre en fascistes», écrit-il.

Son antisémitisme devient virulent, l’Occupation le voit bientôt collaborer à la résurrection de la NRF - en décembre 1940 (y figurent aussi les signatures de Paul Valéry, Henry de Montherlant, Paul Eluard, André Gide, Francis Poulenc). Gide se désolidarise en avril 1941, Malraux critique sa position mais lui garde son amitié (faisant de Drieu le parrain de son deuxième fils fin 1943). 

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Le droit de s’en aller

Sa Collaboration ne se limite pas à la NRF. Il fait le voyage propagandiste de Weimar en 1941 (première édition des Dichtertreffen), écrit dans La Gerbe ou Je suis partout. Son protecteur, l’ambassadeur Otto Abetz, tombe en disgrâce, la censure allemande bloque certains de ses écrits, la défaite approche: Drieu ne cherche pas à fuir, ni à retourner sa veste. Le suicide lui est un salut: «Que la France soit balayée par la destruction. C’est vivre que de hâter la décision de la mort» (Gilles).

Sa marche vers le suicide est résolue: Le 11 août 1944, «il prend une dose mortelle de Luminal» mais est sauvé par miracle. Quatre jours après, à l’hôpital, il s’ouvre les veines. Sauvé encore. En mars 1945, sur le point d’être arrêté, il «avale du Gardénal et arrache le tuyau de gaz (...). Cette fois, il ne sera pas ranimé». 

«Le suicide est un compagnon constant qui l’a toujours hanté, constate Jean-François Louette. C’est l’assomption de la décadence. En mettant fin à ses jours, il indique la fin de la civilisation. Mais ça reste un geste de force, une protestation, qui exige du courage…»

Par-delà ce parcours si singulier, que reste-t-il de Drieu aujourd’hui, qui lui vaille les honneurs de la Pléiade ? 

Un charme désinvolte

Jean-François Louette parle d’un «charme malgré tout». Classique, le style de Drieu l’éloigne des innovations d’un Céline et il a pris ses distances avec les Surréalistes. Mais l’élégance est là, qui séduit souvent. S’y ajoute, s’y conjugue plutôt, une désinvolture assumée, qui le pousse parfois à bâcler, comme l’épilogue de Gilles, si frustrant. Mais il la revendique, écrivant en préface: «pour montrer l’insuffisance, l’artiste doit se réduire à être insuffisant». Ce dandysme nonchalant évoque un «aristocratisme de la désinvolture», avec une pointe de provocation.

Y figure aussi une part d’amertume, de déception. L’œuvre de Drieu oppose un démenti à l’assertion de Cioran pour qui, «depuis Benjamin Constant, personne n’a retrouvé le ton de la déception». Ses textes narrent des déceptions, des échecs, concourant à son propre dénigrement: «la haine de lui-même le recouvrait comme de la sueur», ose-t-il superbement. 

Un précurseur de l’autofiction ?

Benjamin Constant encore. D’Adolphe, ne disait-il pas qu’il s’agissait d’une «fiction confessionnelle»? Les textes de Drieu répondent sans doute à cette appellation, parce qu’écrire «c’est visiter les différentes parties de soi», avec leurs contradictions et leurs alternances. La confession est distanciée, avec lucidité et, sans doute, un brin d’apitoiement affectueux. «Gilles est à la fois Drieu et la caricature de Drieu», note Jean-François Louette avant de s’amuser de ce Gilles, prénom récurrent dans l’œuvre, construit en je-il.

Est-il, avec son roman-confession, un précurseur de l’autofiction? «En un sens oui», répond Jean-François Louette.

«Drieu a besoin de se projeter dans ses personnages et de s’inventer d’autres destins à travers ces personnages. Pas au sens où l’entend Serge Doubrovski, c’est-à-dire une aventure du langage, avec des calembours ou jeux de mots – Drieu est éloigné de cela. Mais plutôt pour parler de son vécu en évitant la catégorie autobiographique ou celle du portrait. A cette différence notable que l’exhibition de soi lui est étrangère: il ne se livre qu’en se masquant. Gilles est une autobiographie du possible, de ce que Drieu aurait dû ou voulu être. C’est un romancier qui a besoin du double.»

Un classicisme de lambeaux

DrieuChevalPoche.jpgStendhal, Balzac, Zola...: Drieu n’ignore pas le 19ème siècle mais de ces références il ne garde que des «lambeaux, et à la limite de la parodie». Pourtant, ce qui fait d’abord la force, l’attrait de ses textes, c’est qu’il s’agit de grands romans d’amour.

«L’élan et la déception amoureuse y tiennent une grande place, tout comme la désillusion, celle de L’Education sentimentale. Ensuite, son œuvre est une réflexion sur le cynisme, un des phénomènes essentiels de notre époque, avec la décroyance, l’incrédulité généralisée, l’amertume… Et le nivellement de toutes les valeurs dans cet équivalent universel qu'est l’argent. Drieu a fait une profonde analyse de la société moderne, celle d’après la Révolution.»

Ainsi, il serait contre Révolutionnaire…

«Oui. Mais il n’adhère pas à l’Action française parce qu’il est déçu à titre personnel par Maurras, qui est plus un homme de mots que d’action. Le personnage principal de Blèche est un journaliste très proche de l’Action française, mais vu de manière satirique.»

La modernité, symbole de la décadence

Dans ses textes, il s’en prend à la bourgeoisie bien sûr, mais aussi aux Surréalistes, et aux institutions: l’Armée, la République... La censure partielle de Gilles est en quelque sorte un hommage rendu par la République à celui qui la vomit. Son antiparlementarisme et son refus de la modernité culminent dans sa haine des juifs. «L’homme moderne est un affreux décadent», écrit-il, et c’est le juif qui l’incarne le mieux.

Contradiction encore. Car comment expliquer ce refus de la modernité avec son fascisme, mouvement fortement imprégné (comme le communisme) d’une culture et d’une esthétique du progrès?

«La relation de Drieu au fascisme est extrêmement compliquée. Le côté technicien du fascisme ne lui plaît guère. Son refus des machines et de la mécanique est explicite dans La Comédie de Charleroi. Dans le fascisme, il espère retrouver une communauté unie par la maximisation de la force. L'esthétisation de la politique (l’expression est de Walter Benjamin) le séduit. Il salue le beau geste, de la prouesse du Congrès de Nuremberg. A l’inverse, le communisme ne donne pas la possibilité d’exalter l’individu. L’égalitarisme soviétique, fût-il de façade, ne le convainc pas.»

Il est mort dans le mauvais camp. Rien n'a été pardonné à Drieu, qui entre néanmoins dans la Pléiade, avec cette édition qui devrait faire émerger des livres peu connus, comme Blèche, et aider à apprécier une œuvre qui peut susciter fascination ou répulsion, plus souvent les deux, mais s’avère parfois touchante dans sa désarmante lucidité.

Dans les semaines qui viennent, on s’amusera de l’indignation qui, à l’instar de celle d’Aude Lancelin, dans Marianne, ne manquera pas de se faire entendre. Drieu au Panthéon de la littérature? Un crime, pire: le reflet de notre époque. Une indignation sélective et absurde: la Pléiade n’est pas une bibliothèque rose façon bisounours.

A Drieu vat.

Jean-Marc Proust

Drieu la Rochelle: Romans, récits, nouvelles, la Pléiade (1936 pages) - 72,50 € (prix de lancement : 65,50 € jusqu'au 31 août 2012).

1 Les citations sont extraites de la préface (Jean-François Louette) et de la chronologie (Julien Hervier), de l’édition de la Pléiade, ainsi que d’un entretien avec Jean-François Louette. Retourner à l'article.

2 « Parmi l’énumération nombreuse des droits de l’homme que la sagesse du xixe siècle recommence si souvent et si complaisamment, deux assez importants ont été oubliés, qui sont le droit de se contredire et le droit de s’en aller. » (Edgar Poe, sa vie et ses œuvres).Retourner à l'article.

3 Le Feu follet, film de Louis Malle (1963), Une femme à sa fenêtre, film de Pierre Granier-Deferre (1976), Oslo 31 août, film de Joachim Trier (2012), d’après Le Feu follet. Retourner à l'article

 

mardi, 18 octobre 2016

Alexandre Mendel à Toulouse

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vendredi, 14 octobre 2016

G. Solaro: Fascismo o plutocrazia

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mercredi, 12 octobre 2016

Pierric Guittaut: D’Ombres et de Flammes. Crépuscule rural

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Pierric Guittaut: D’Ombres et de Flammes. Crépuscule rural

Ex: http://monromannoiretbienserre.blog.tdg.ch

Sous le feu de l’actualité depuis plusieurs mois, on pourrait penser que certains auteurs s’engouffrent dans le roman noir rural par pur opportunisme en vue de récolter quelques miettes du succès d’estime qu’il suscite. Il s’agit pourtant parfois que d’une simple question de timing liée à une absence de mise en lumière comme c’est le cas pour Pierric Guittaut, auteur, essayiste et chroniqueur de polars qui explore déjà depuis plusieurs années les origines rurales du roman noir français et qui publia en 2013, un roman noir, La Fille de la Pluie, se déroulant dans un coin de campagne isolée. Dans ses articles, Pierric Guittaut cite notamment Marcel Aymé et Pierre Pélot parmi les auteurs ayant initié la veine des polars ruraux. Mais en introduisant une dimension fantastique dans son dernier ouvrage intitulé D’Ombres et de Flammes, on pense également à Claude Seignolle, ceci d’autant plus que l’intrigue a pour cadre la région forestière de la Sologne.

Retour au pays, pour le major de gendarmerie Remangeon. Après une bavure violente, ce policier irascible, se voit muter au cœur de la Sologne, territoire de son enfance. La région marquée par la superstition a bien changée depuis son départ. Désormais, les domaines de chasse luxueux pullulent tout comme les braconniers qui sévissent dès la nuit tombée pour abattre bon nombre de cervidés qu’ils mutilent sauvagement. Mais le major est à mille lieues de ces préoccupations, car l’endroit attise surtout les souvenirs d’Elise, sa femme disparue mystérieusement depuis dix ans et dont il croit apercevoir la silhouette au détour d’une rue du village. Entre le pragmatisme militaire et les traditions occultes, dont il est l’héritier, le major Remangeon va mener une enquête peu commune pour mettre à jour les contentieux entre les différentes communautés de la région et découvrir les origines du mal mystérieux qui frappe l’élevage de son amie d’enfance Delphine. Dans l’ombre dansante des flammes, il y a comme une odeur de soufre étrange qui lamine les cœurs et les esprits. Bienvenue en Sologne.

On ne va pas se mentir, Pierric Guittaut invective régulièrement la lignée gauchistes des auteurs de la génération Manchette en publiant ses chroniques dans la revue Elément qui penche pour l’extrême … pardon la « nouvelle » droite. Le bougre n’a d’ailleurs pas la plume dans sa poche lorsqu’il descend les romanciers se réclamant du néo polar français. Mérite-t-il pour autant cette indifférence médiatique dont il fait l’objet ? La réponse est assurément non, parce que, plus que tout, Pierric Guittaut est une superbe conteur qui parvient à associer le style avec l’intrigue pour nous livrer un des meilleur roman noir rural. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien s’il est en lice pour le Grand Prix de Littérature Policière 2016, même si l’on se doute bien (sauf grosse surprise) que ce sera Plateau de Frank Bouysse qui sera célébré.

portrait_guittaut.jpgMais revenons à D’Ombres et de Flammes pour se pencher sur un texte brillamment écrit avec un style enflammé sans pour autant verser dans l’outrance ou l’excès de descriptions surfaites. Pierric Guittaut dépeint simplement l’environnement qui l’entoure avec une précision permettant au lecteur de s’immerger dans un contexte réaliste dépourvu d’effets outranciers. La nature n’est donc pas célébrée ou magnifiée dans de longs descriptifs superflus, souvent propres aux auteurs citadins, mais devient un décor envoutant distillant une atmosphère étrange et inquiétante. On ressent ainsi l’émotion et la passion de l’auteur pour cette région de la Sologne en dégageant une espéce de force tranquille qui transparaît tout au long du récit.

D’Ombres et de Flammes se décline sur trois niveaux d’intrigues. Il y a tout d’abord l’absence de Claire, épouse de Remangeon, dont il est sans nouvelle depuis plus de dix ans. Hanté par cette disparition qui n’est sans doute pas étrangère à son comportement, le policier semble désormais perdu en menant une vie dépourvue de repère. On le perçoit notamment par l’entremise de son lieu de vie se situant à la lisière semi urbaine délimitant la ville et le monde rural. Puis lors de son retour sur ses terres d’origine, le major Remangeon doit faire face à des affaires de braconnages et autres trafics liés au monde de la chasse. Peu concerné par ces événements, il prend néanmoins les affaires en main lorsque celles-ci dégénèrent lors de confrontations violentes et meurtrières. Et pour finir, il y a ce joute occulte entre le major Remangeon et le braconnier Lerouge voyant d’un très mauvais œil le retour de ce gendarme, fils de sorcier.

Même s’il est teinté d’un aspect fantastique, l’auteur parvient à ancrer son récit dans un contexte social d’un réalisme époustouflant, notamment en ce qui concerne la chasse et les éléments occultes émaillant le roman, mais également pour tout ce qui est en lien avec l’univers clos d’une brigade de gendarmerie. Que ce soit au niveau des procédures, des activités ou des relations entre les différents membres de la brigade, Pierric Guittaut conduit le lecteur dans le quotidien de ces policiers uniformés en mettant en scène des personnages dotés de caractères forts, teintés d’une certaine sensibilité parfois émouvante à l’instar du brigadier-chef Toussaint, jeune femme antillaise, un peu perdue au beau milieu de cette campagne de la Sologne.

D’Ombres et de Flammes est donc le roman noir qu’il faut impérativement découvrir afin de d’appréhender ce monde rural, parfois étrange, toujours très mystérieux, si proche et si lointain tout à la fois. Pierric Guittaut signe un roman noir original aux multiples intrigues aussi brillantes qu’insolites.

Sega

Pierric Guittaut : D’Ombres et de Flammes. Editions Gallimard/Série Noire 2016.

 

Les Verticaux, de Romaric Sangars

Les Verticaux, de Romaric Sangars

Par Gersende Bessède

Ex: https://www.contrepoints.org

verticaux_01.jpgLa rentrée littéraire a ceci de commun avec les foires au vin de la grande distribution, qu’en dehors de faire survivre une presse subventionnée, à bout de souffle, incapable de servir autre chose que des cépages surexploités, elle permet d’écouler à bon compte et sournoisement des infâmes piquettes, des vins bouchonnés, quelques vieux domaines madérisés, des jeunesses déjà séchées de platitudes et de noyer le chaland en recherche de grands crus sous le tsunami des références (pas moins de 590 livres en librairie pour cette rentrée 2016.)

Difficile donc, de s’y retrouver sans y perdre son latin de chai, si l’on veut trouver un beau vin subtil, corsé et revigorant pour chasser le spleen de ce début d’automne.

Les Verticaux de Romaric Sangars (éditions Léo Scheer) est de ceux-là. Goûtons donc ce Château-Sangars.

Respirons d’abord son bouquet. Oui, respirons, c’est le mot qui convient. Dès les premiers mots, ses effluves hypnotiques gonflent notre cage thoracique asphyxiée du souffle « d’or de mille grandeurs détruites. »

Examinons la robe ensuite. Rubis intense, profond, soyeux, déployant l’amplitude de sa rythmique pneumatique, étirant ses gradations rutilantes, la phrase s’étire avec splendeur. Nous savons déjà à ce stade que nous n’avons pas affaire à une cuvée fatiguée de la phrase, dont nos contemporains sont pourtant si friands. Impossible de résister à l’avidité de plonger enfin les lèvres dans le vers.

Alors, plongeons. Dans le corps de la verticalité.

« Comme je le lui exposais, c’était par le truchement d’une oeuvre que j’avais, quant à moi, voulu m’éprouver. Me forger en forgeant un style, me purger des scories en limant des phrases, me tatouer l’âme de myriades de mots. Mais ce transfert avait globalement échoué et je crachais ma limaille amère. Emmanuel me donnait cependant l’exemple d’une exigence presque frénétique. Lui n’était revenu de rien, il ignorait tout compromis, sa jeunesse était intacte. Mieux : elle était armée. À juste trente ans, nous étions encore des jeunes gens pour cette époque rapide en surface mais lente en profondeur, et nous étions donc toujours en âge de soulever des questions comme celle-ci : comment dresser une vie au sein d’un tel limon ? Comment conférer à l’existence ne serait-ce qu’une forme acceptable ? L’aube nous surprit en révélant dans une lumière hésitante l’épais nuage de fumée où nous parlions toujours. Notre colloque improvisé s’acheva sur un tour paradoxal. « En fin de compte, affirmai-je à Emmanuel en le quittant, nous vivons une ère formidable puisque le simple fait de se tenir droit relève de l’héroïsme. »

Vincent Revel, pigiste réfractaire au néant ricaneur du monde qui l’entoure et à la vocation d’écrivain, anesthésiée par la torpeur amniotique du néant contemporain, va voir les laves refroidies de ses volcans intérieurs en sommeil, ranimés par la rencontre de deux êtres impitoyablement verticaux.

Lia Silowsky. La Femme, celle qui va permettre au narrateur de sortir par le haut de « l’interchangeabilité mécanique où pourrit l’univers », et de la routine tiède des amours « sans enjeu ». Rencontre nerveuse, charpentée, dont Vincent va tirer pendant un temps un épanouissement analgésique de l’âme. « Au fond, ils se retrouvaient tous deux sur l’axe vertical : lui tout entier dans l’élan de se hisser ; elle douchée d’éclats d’en haut. Et c’était sans doute sur cette dimension que se jouait la rupture décisive, signifiante, qui, à mes yeux, les liguait ensemble à rebours du monde tel qu’il s’était vautré dans la plus vertigineuse platitude. » En présence de Lia, le vin se fait suave, moelleux, capiteux, l’intimité sexuelle virilement poétique.

Le breuvage se charpente avec le moine-soldat, le chevalier incarnat et incarné, Emmanuel Starck. Apparition stratosphérique, cyclone magnifique tranchant le train-train superficiellement routinier des creuses soirées parisiennes. Dans son sillage, reviennent les guerriers, Guynemer, les chevaliers croisés, les samouraïs. Avec lui, Vincent, lamentablement échoué sur le champ de bataille de la modernité va apprendre à se redresser. Un objectif : « armer ma bouche » pour l’un, « mourir en souriant » pour l’autre.

Et saboter sans pitié la Laideur : la marchandisation des âmes et des paysages, la vulgarité publicitaire, l’art factice, le festivisme multiculturel et l’absolue bêtise déracinée de leurs contemporains.

Les fantômes de Tzara et des surréalistes les accompagnent dans leurs premières actions : choquer les démagogues sinistres des happenings d’art contemporain, trônant au milieu de leurs détritus déconstruits, en égorgeant un lapin, par exemple.

Mais, vite, l’attentat surréaliste connait ses limites. Il se dissout dans la gélatine absorbante du subversivement correct, cher à l’époque.

Il faut frapper plus fort. Plus durement. Boire plus (on boit beaucoup dans Les Verticaux…heureuse coïncidence) et radicaliser l’ivresse des hauteurs : « au fond, l’héroïsme est une ivresse, une ivresse plus profonde que celle qu’allouent les stupéfiants et les alcools, non pas une ivresse d’aliénés, mais une ivresse souveraine, non plus un gaspillage, mais un don soudain de soi. »

Le vin s’intensifie en bouche. L’action s’accélère. D’onirique, le terrorisme devient pyromane, explosif. Des bâches publicitaires drapant d’un linceul boutiquier les monuments de Paris, aux cérémonies niaiseuses célébrant le vivre-ensemble, il ne restera rien.

Mais l’explosion calorifère consumera aussi Notre-Dame des Hauteurs, Lia, perdue irrémédiablement dans une folie pythonisse. Consumera les amis complices, ralliés à la cause lors d’un sabbat churchillien, et les larmes du vin se répandront sur la terrasse des buveurs, quand se fera exploser, le faux-prophète sobre du néant aride, chevalier-toc du désert métaphysique, parodie obscène des anciens ordres européens.  Consumé aussi,  le Templier vengeur, croisé implacable du châtiment nécessaire et définitif pour les vendus à l’ennemi.

Mais.

Régénéré, Vincent. Relevé. Debout. Entrant enfin en littérature. Enfin en guerre véritable.

Le lecteur, lui, ivre de joie intérieure, terminera sa bouteille de Chateau-Sangars, « dos au soleil » tel Guynemer avant l’attaque. Redressé. Enfin vertical.

En murmurant :

« Nous sommes cachés dans les ruines du futur. »

  • Romaric Sangars, Les Verticaux, éditions Leo Scheer, septembre 2016.

samedi, 08 octobre 2016

Olivier Zajec ou la géopolitique au présent

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Olivier Zajec ou la géopolitique au présent

Comprendre le monde actuel au prisme de la géopolitique avec Olivier Zajec

Présenté comme une modeste introduction à la géopolitique, le livre d’Olivier Zajec est beaucoup plus que cela. Si ce n’est pas une encyclopédie de la géopolitique qui nécessiterait plusieurs volumes, c’est une très solide introduction à toutes les questions essentielles de ce domaine de la pensée.

Introduction-à-lanalyse-géopoltique-Olivier-Zajec.jpgQu’est-ce que la géopolitique ? Commençons par éliminer ce qu’elle n’est pas. Ce n’est pas une théorie des relations internationales parmi d’autres. Ce n’est pas non plus ce qui prend la place de la théorie des relations internationales. Disons le brutalement : la géopolitique ne dispense pas de lire Pierre Renouvin. La géopolitique est bien plutôt ce qui vient en amont. C’est la prise en compte des dimensions spatiales des relations internationales, et donc des politiques internationales. Par dimension spatiale, on entend non seulement les dimensions géométriques, mais les caractères de cet espace : habitable, hostile, fertile, aride, contrôlant ou pas les accès à l’eau, montagneux, symbolique, sacré, etc. En d’autres termes, on pourrait dire que la géopolitique est « la question cardinale de la structure spatiale du droit des gens ». (Carl Schmitt).

L’espace n’est pas neutre, c’est une agglomération historico-géographique  de lieux. Exemple : qu’est-ce que le Kosovo ? Un territoire guère plus grand (11 000 km2) que le département de la Dordogne (9 000 km2), et sans accès à la mer. Mais c’est à divers égards une patrie originelle de la Serbie. Il y a un fort enjeu symbolique pour les Serbes.

La géopolitique n’est pas une science, note Olivier Zajec. Elle n’est pas pour autant une idéologie. Elle est une série ordonnée de connaissances objectives. L’analyse géopolitique s’appuie sur des outils et des méthodes. Mais plusieurs types d’objectivité existent en parallèle. C’est pourquoi aucune analyse géopolitique ne peut aboutir à des préconisations de politiques internationales incontestables. L’analyse géopolitique reste par nature ouverte. Elle ne dispense pas les politiques de choisir. Elle indique des tendances, elle indique des fourchettes de risque. C’est beaucoup. Mais cela ne supplée pas à la décision.  En d’autres termes, la guerre peut être une fuite en avant, mais l’inaction peut aussi être une fuite en avant dans l’abdication de toute souveraineté. Il peut y avoir une surenchère dans l’agressivité, mais il peut y avoir une surenchère dans le renoncement. Cela peut concerner la géopolitique comme la géodémographie, qui en est une des branches.

Si la géopolitique s’appuie sur des arguments objectifs et rationnels, elle est traversée par des rivalités de rationalités. La nation-ethnie ou la nation-Etat, la logique des grands espaces ou la logique capétienne ont toute leur rationalité. Mais elles sont différentes. C’est pourquoi il y a non seulement une géopolitique par grands pays (Allemagne, France, Etats-Unis, Chine…) mais une pluralité de la géopolitique dans chacun même de ces grands pays. Chacun sait qu’aux Etats-Unis, il y a à la fois une tendance isolationniste, privilégiant le continent américain, et une tendance à un interventionnisme mondial, incarnée en ce moment par une Hillary Clinton. De même, chaque observateur sérieux sait que la géopolitique de Carl Schmitt dans les années trente et quarante n’était pas du tout la même que celle du NSDAP.

Pearl Harbour et la mappemonde de F-D Roosevelt

« Je vous demande d’étaler devant vous une mappemonde » disait le président Franklin D. Roosevelt quelques semaines après Pearl Harbour.  Effectivement, il faut toujours commencer par cela. Masses continentales, espaces maritimes, lignes de communication, sources de matières premières, masses démographiques, c’est le ba-ba de la géopolitique.

Non seulement la géopolitique n’est pas une idéologie mais elle prime sur celles-ci. « Ce sont les intérêts, et non les idées, qui déterminent directement les actions des hommes » écrivait Max Weber. Hitler était furieusement anticommuniste mais il n’aurait sans doute pas déclaré la guerre à une Argentine communiste. Il cherchait la domination à l’est, et donc l’asservissement de la Russie, quel que soit son régime.

Sans être idéologique, la géopolitique comporte d’évidents enjeux en termes de reconnaissance de soi par soi et par les autres. Ce sont des enjeux narcissiques toujours liés aux enjeux de puissance, qu’elle soit militaire ou économique.  C’est le cas de la Bolivie ayant perdu sa façade maritime depuis la guerre de 1879, de la Serbie depuis l’indépendance du Monténégro en 2006, de l’Ethiopie depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993 et donc la perte de l’accès à la mer pour Addis-Abeba.

Quant à l’Irak, lui accorder les iles de Warbah et Boubiyan pour élargir ainsi son accès à la mer n’aurait-il pas été une solution pour éviter l’invasion du Koweït, même s’il n’est pas douteux qu’il y avait aussi pour les Irakiens un enjeu symbolique, le Koweït étant ce qu’ils appellent la 19e province de l’Irak ?

***

Etats, empires, fédérations : les acteurs de la géopolitique sont pluriels. Mais il faut aussi compter avec les peuples, qu’ils soient sans Etats (Kurdistan, de moins en moins sans Etat du reste), ou sans vrai territoire (la Palestine dont les bouts épars de terrain ne forment pas un territoire défendable), voire à cheval entre deux Etats (Cachemire). Sans oublier les peuples mal à l’aise dans leur Etat (Québec dans le Canada, Corse dans la France ?).

L’analyse géopolitique peut-elle s’appliquer aux civilisations ? Peut-on raisonner en termes d’alliances – ou de choc – de civilisations ? Samuel Huntington a avancé une théorie, du reste beaucoup moins sommaire que la façon dont elle a été présentée. Le problème est que le degré d’unité et de réalité des notions de civilisations, par exemple d’Occident et d’Islam, reste à penser. Quelle unité entre l’Islam chiite iranien pro-russe et pro-eurasien et l’Islam sunnite jordanien pro-anglo-saxon ?  Il est clair qu’il n’y a pas de parenté d’orientation géopolitique mais bien plutôt une divergence de fond. On observera d’un autre côté qu’un musulman reste culturellement un musulman. On remarquera aussi que, malgré la fine opposition due à la Nouvelle droite entre l’Occident comme déclin et l’Europe comme projet de puissance, un Européen, quitte à être amener à s’éloigner de l’Europe, préfère généralement aller vivre aux Etats-Unis plutôt qu’au Yémen. Cela n’est pas douteux et c’est un fait de culture. Mais cela ne fait pas un projet géopolitique commun.

On observera aussi que la communauté de foi n’a pas empêché la scission entre Pakistan oriental et Pakistan occidental en 1971. Dans la géopolitique, de nombreux facteurs interfèrent et se hiérarchisent différemment selon les pays et les époques. D’où la différence des préconisations d’orientation géopolitique qui, répétons-le, ne constituent jamais une science. D’autant que les représentations du monde ne sont jamais loin de la géopolitique.

« Plutôt mourir en Européen que pourrir en Américain », a écrit Karl Haushofer. Les flux de biens, d’argent, de population mais aussi d’idées font partie de la géopolitique. « Nous avons l’intention d’être aimable envers tous […] Mais, tout aussi important, nous aspirons à rester nous-même ». disait récemment le premier ministre de Singapour.

article paru dans Polemia.com

Olivier Zajec, Introduction à l’analyse géopolitique. Histoire, outils, méthodes, éditions du Rocher, 248 pages, 17,90 €

vendredi, 07 octobre 2016

EUROPA - Robert Steuckers

 

EUROPA - Robert Steuckers

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mercredi, 05 octobre 2016

De moderniteit als mislukt experiment

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De moderniteit als mislukt experiment

door Jonathan Van Tongeren

Ex: http://www.novini.nl

De moderne mens leeft in een hiaat, zo oordeelt de Duitse filosoof Peter Sloterdijk. In zijn briljante en tegelijk verontrustende boek ‘De verschrikkelijke kinderen van de nieuwe tijd’ zet hij zich aan het uitmeten van dit hiaat.

Voor Sloterdijk is de moderniteit het gevolg van het hiaat. Als Sloterdijk van hiaat spreekt, dan bedoelt hij het proces van het opbreken van tradities en het afbreken van verwantschappen. Waarlijk modern is derhalve naar zijn overtuiging “dat vanuit het niets het tot dan toe overtuigde leven, dat in de experimenterende omgang met zichzelf het besluit verwerkelijkt, de verschoten traditie door intensieve hypothesen te vervangen.”

slotkinder42435.jpgSloterdijk verbindt dit hiaat ook concrete historische gebeurtenissen vast. Zo heeft in de Franse Revolutie, met haar voorlopige hoogtepunt in de executie van koning Lodewijk XVI op 21 januari 1793, de breuk met alles wat geweest is zijn definitieve manifestatie gevonden.

Sloterdijk trekt vervolgens de lijn van deze breuk en zijn gevolgen door, via Napoleon tot aan de Russische Oktoberrevolutie en de moord op de Romanovs. Zijn oordeel met betrekking tot deze gebeurtenissen kon nauwelijks harder uitvallen: Zonder het hiaat, dus zonder 1789 en 1793, hadden Napoleon noch Stalin een kans gehad.

Het tijdperk van de reparaties

Tegen deze achtergrond mag het niet verwonderen dat Sloterdijk ook geen goed woord over heeft voor de politici van tegenwoordig, die logischerwijze eveneens producten van het hiaat van 1789 zijn. “Waar de moderniteit het tijdperk van de projecten was, bewijst zich de postmoderniteit als het tijdperk van de reparaties. [..] Waar vooruitgang en reactie de leidende begrippen van de 19e eeuw waren, zijn lapwerk en reparatie die van de 21e eeuw. Grotere politiek lijkt nog slechts in de vorm van uitgebreide pechservice mogelijk.”

Maar waarom is dat zo? Waarom kan politiek tegenwoordig niets meer tot stand brengen, maar nog slechts repareren en zodoende noodzakelijkerwijs mank gaan? Het antwoord levert Sloterdijk in de vorm van wat hij ‘de beschavingsdynamische hoofdregel’ noemt: “In het wereldproces na het hiaat worden voortdurend meer energieën los gemaakt dan onder vormen van tot overlevering in staat zijnde beschaving gebonden kunnen worden.”

Deze zin barst van het Sloterdijkiaanse taalgebaar, waarvan we toe moeten geven dat ze niet altijd meteen eenvoudig te begrijpen is. De filosoof slaagt er zo echter in het hele drama van de moderne mens in één zin te condenseren. Het gaat er om dat de moderne mens steeds met meer te maken krijgt dan hij verwerken kan. De moderne mens laat het zodoende vrijwillig afweten.

De breuk met het verleden was immers een vrije keuze van de mens, die hem vandaag de dag steeds vaker op de knieën dwingt: “Alleen de ontkrachting van het verleden [..] bewerkt dat mensen zichzelf vrij moeten ‘uitkiezen’ of ‘uitvinden’. De vrijen zijn niet alleen diegenen die zich van een heer ontdaan hebben. Ze zijn ook diegenen die men zonder verklaring op straat heeft gezet.”

Diegenen die op straat zijn achtergelaten zijn voor Sloterdijk de ‘verschrikkelijke kinderen van de nieuwe tijd’. Falende opvoeding en vrijwillige zelfontaarding van vaders en moeders zijn hiervan voor Sloterdijk overigens niet meer dan een symptoom. Hij bedoelt met de verschrikkelijke kinderen al diegenen die kinderen van hun tijd moeten worden omdat ze zo graag met tradities breken of het zonder klagen accepteren wanneer anderen dat voor hen doen. Wie geen bindingen heeft en geen bindingen erkennen wil, is verloren en moet toegeven aan wat de tijd waarin hij leeft hem opdringt als schema voor denken en handelen.

Als men Sloterdijk volgt in zijn analyse van wat hij in de ondertitel van zijn boek het ‘antigenealogische experiment van de moderniteit’ noemt, dan is dat experiment in ieder opzicht mislukt. Zelfs links, dat in zijn ambities voor experimenteren met de mens het meest gedurfd was, wist volgens Sloterdijk geen enkel succes te boeken. Wel integendeel, links is naar zijn mening de politieke manifestatie van de mislukking om de grootheden ‘partij’ en ‘klasse’ op elkaar af te stemmen.

De vraag die overblijft, is die naar redding; of uitredding uit het experiment van de moderniteit mogelijk is en zo ja hoe. Sloterdijks antwoord kon niet eenduidiger zijn. Wie zich ervoor behoeden wil een kind van zijn tijd te worden, die mag niet toegeven aan hen die de breuk met de traditie tot een onomstotelijk dictum willen verheffen. Want voor het in-de-wereld-zijn is er ook wat Sloterdijk betreft geen alternatief. Ieder mens en dus ook de mens in de nieuwste tijd heeft het echter in de eerste plaats zelf in de hand hoe hij zich in dit bestaan inricht. Deze autonomie zou hij nooit op moeten geven.

N.a.v. Die schrecklichen Kinder der Neuzeit. Über das anti-genealogische Experiment der Moderne (Suhrkamp Verlag, 2014), hardcover, 489 pagina’s. In het Nederlands verschenen als: De verschrikkelijke kinderen van de nieuwe tijd (Uitgeverij Boom, 2015), paperback, 352 pagina’s.

 
 

lundi, 03 octobre 2016

Laurent Obertone, Guerilla

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Laurent Obertone, Guerilla

(Ring, 2016)

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com

Obertone connait la France. Ses rouages, ses ressorts secrets. Il sait que tout cela est potentiellement déjà mort, que la structure est branchée sur respirateur artificiel et que « l’incident » qui tranchera les câbles peut survenir à tout instant.

Obertone imagine et montre.

Il imagine le scénario du pire et le pousse à son paroxysme. Ainsi, l’effondrement de la structure France qu’il dépeint se fait en trois jours. Trois jours entre notre situation actuelle et l’univers de Mad Max. Et oui, Laurent Obertone n’y va pas avec le dos de la cuillère!

Certains verront là une forme d’outrance et une dimension « irréaliste ». Mais là n’est pas le fond de l’ouvrage. Ce livre est le récit du « collapse » du système, de sa faillite à tous niveaux. Certes. Mais là n’est pas l’essentiel.

Car Guerilla, plus que l’histoire de l’effondrement, est plutôt le récit de la dépression occidentale, de la xénophilie à outrance, de l’ethnomasochisme total. Guerilla est un constat froid et résolument implacable sur l’état de notre société. Et surtout sur l’état de la psyché de « l’homme blanc » contemporain. De ses manies, de ses tares.

Obertone, par ce texte fort et acéré, prononce une accusation. Une accusation lourde et remuante. Pour formuler son réquisitoire, l’auteur se contente de montrer. Le livre bien qu’œuvre de fiction, et offrant au lecteur des revirements parfois surprenants, parle surtout du réel… Et le constat qu’il en tire est terrifiant.

Dans ce livre vous ne trouverez pas de héros, ou peut-être quelques rares figures attachantes mais résolument désenchantées, lucides. Trop lucides... Les personnages que l’auteur décrit avec une grande acuité sont, pour la plupart, atteints d’une forme de peste intérieure. Cette peste est incurable et nombre des protagonistes que vous rencontrerez à travers les quelques 400 pages du texte en crèveront… Et de manières peu réjouissantes.

obertoneguerilla.jpgDépressifs s’abstenir… Ce texte vous collera au cerveau pendant plusieurs semaines. Et les lueurs d’espérance n'y sont guère nombreuses.

Guerilla est aussi le récit de l’ultra-violence, du déchaînement absolu. Du ré-ensauvagement brutal des villes et des campagnes de l’Hexagone. De la livraison des cités de France aux barbares. D’ailleurs, l’auteur brille par ses descriptions. Il dévoile la violence totale. Pas de fard ni d’entourloupe. Toutefois, à aucun moment nous ne tombons dans le gore et l’outrance. Cela est un beau tour de force.

Vous trouverez aussi quelques passages truculents, car le chaos absolu que décrit ce livre peut être le prétexte à une forme d’humour. Un humour sombre : le meilleur.

Le récit est aisé à lire. Le style est clair, net. Les paragraphes sont courts et accompagnent les respirations du lecteur. Les amateurs de « punchlines » seront satisfaits.

Guerilla est à mettre dans toutes les mains. Certains se diront mal à l’aise en le lisant. D’autres y verront une prophétie. Parfois on vous hurlera dessus, on vous accusera de faire de la sinistrose et d’être un fasciste primaire. Il s’agit incontestablement de très bonnes raisons de l’acquérir et de le lire. Et surtout de l’offrir sur un ton narquois en affirmant : « Tiens, voici la France qui vient. Tu ne pourras pas dire que tu ne savais pas ».

Jacques Thomas / C.N.C.

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

Bruno Colson: «Clausewitz a toujours été noté comme un officier modèle»

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Bruno Colson: «Clausewitz a toujours été noté comme un officier modèle»

Ex: http://www.breizh-info.com

(Breizh-info.com) – Bruno Colson vient de publier une biographie très attendue de Clausewitz, aux éditions Perrin. Belge et francophone, Professeur à l’université de Namur, Bruno Colson, spécialiste d’histoire militaire, a publié notamment La Culture stratégique américaine. L’influence de Jomini, L’Art de la guerre, de Machiavel à Clausewitz et, chez Perrin, a présenté leDe la guerre de Napoléon

clausewitz-192x300.jpgCarl von Clausewitz (1780-1831) appartient à la catégorie des illustres inconnus dont l’oeuvre a masqué la vie. C’est en effet grâce à Vom Kriege (De la guerre), publié quelques années après sa mort, qu’il acquiert une célébrité qui va défier le temps. Cet immense traité reste considéré comme le plus important jamais consacré aux questions militaires et stratégiques, inspirant les plus grands généraux, mais également des intellectuels comme Guy Debord, Raymond Aron ou René Girard.

Or, Clausewitz a été aussi un officier supérieur de premier ordre et un acteur influent des guerres napoléoniennes. Témoin de la « grande catastrophe » de 1806, il devient l’un des artisans de la réforme de l’armée prussienne des années 1808-1811, puis participe à la campagne de Russie dans l’armée du tsar, la Prusse étant alors alliée de Napoléon, ce qui lui vaut une disgrâce durable à sa cour. On le retrouve dans les états-majors et sur les principaux champs de bataille jusqu’à Ligny et Waterloo où ses décisions prirent une portée considérable. Général, penseur, conseiller à l’occasion frondeur, mari aimant et ami exemplaire, il consacra les dernières années de sa vie à rédiger les récits de ses principales campagnes et à écrire son chef-d’oeuvre. Avec l’exigence et le talent qui le caractérisent, Bruno Colson est parti pendant plusieurs années à sa découverte, exhumant notamment de nombreuses archives inédites pour restituer l’homme dans ses multiples facettes.

Nous nous sommes entretenus avec l’auteur (ci-dessous) d’un ouvrage majeur, en Français, pour qui veut comprendre et découvrir la vie d’un homme dont les écrits sont fondamentaux en terme de stratégie militaire.

Bruno Colson – Clausewitz – Perrin – 27 € (cliquez-sur l’image ci-dessous pour le commander)

Entretien avec Bruno Colson

Breizh-info.com : Tout d’abord, qu’est-ce qui vous a amené à vous passionner pour l’histoire ? Pour l’histoire militaire ensuite ?

Bruno Colson : C’est une passion qui remonte à l’enfance et que j’ai « intellectualisée » ensuite. Comme le dit Jean Tulard, le déclic est souvent provoqué soit par les livres d’histoire illustrés, soit par les soldats de plomb. Dans mon cas, ce fut les deux. Ensuite, j’ai bien réalisé que la guerre avait toujours entraîné des souffrances et des malheurs indicibles. C’est un phénomène provoqué par les hommes et il mérite d’être étudié sérieusement.

Breizh-info.com : Si vous deviez résumer la vie de Clausewitz en quelques lignes, que diriez-vous ?

Bruno Colson : Issu d’une famille modeste mais désireuse de monter dans l’échelle sociale, Carl von Clausewitz a grandi dans le culte de l’armée prussienne et du métier d’officier, tout en étant doué d’une intelligence peu commune, d’une sensibilité de poète et d’une grande ouverture d’esprit. Témoin de l’humiliation subie par son pays face à Napoléon, il a redoublé d’efforts pour réformer l’armée prussienne et aussi comprendre ce qu’est fondamentalement la guerre. De là sont issus ses nombreux écrits, dont le plus important est Vom Kriege (De la guerre),toujours considéré comme l’ouvrage de réflexion le plus approfondi sur ce thème.

Breizh-info.com :  En quoi Clausewitz fut-il un grand officier avant d’être le théoricien que l’on connait ? 

Bruno Colson : Il a toujours été noté comme un officier modèle, très appliqué et connaissant parfaitement son métier. Il a d’abord réussi à traduire en textes les idées du général Scharnhorst, le grand réformateur de l’armée prussienne. En 1812, son choix de servir la Russie lui a permis de jouer un rôle capital dans le changement de camp de la Prusse, ce qui a préludé à la dernière grande coalition contre Napoléon. Comme chef d’état-major d’un corps d’armée prussien en 1815, il a contribué à la victoire alliée de Waterloo en résistant aux forces du maréchal Grouchy à Wavre.

Breizh-info.com : Clausewitz n’a-t-il pas finalement été « l’anti » Napoléon ?

Bruno Colson : Même s’il était déjà un officier intellectuel avant d’affronter Napoléon en 1806, la défaite infligée par celui-ci à la Prusse l’a effectivement marqué pour la vie. Clausewitz a vu Napoléon comme celui qui avait ouvert la porte d’une forme de guerre plus intense et plus violente. Il fallait donc, pour lui résister, s’inspirer de ses méthodes et faire appel à l’énergie du peuple, comme les Français le faisaient depuis leur Révolution.

Breizh-info.com : Votre ouvrage permet de se familiariser avec un travailleur acharné, et avec un penseur hors pair, en quête permanente de défi (pour lui-même, pour son armée …). Finalement, on dirait que Clausewitz a tellement pensé et agi qu’il n’a pas eu le temps de synthétiser son œuvre. Qu’en dites-vous ?

Bruno Colson : Son De la guerre est en effet inachevé, mais les spécialistes discutent du degré d’inachèvement et on découvre encore des manuscrits inédits. Clausewitz est mort à 51 ans, du choléra. Il n’a pas eu le temps de mettre la dernière main à son œuvre, qui était néanmoins presque terminée. Cela contribue paradoxalement à la richesse de celle-ci, car elle laisse la porte ouverte à des réflexions ultérieures, au fur et à mesure de l’évolution du monde. Clausewitz considérait d’ailleurs que son ouvrage ne devait pas servir de manuel sur le champ de bataille mais former l’esprit de son lecteur en aidant ce dernier à développer son propre jugement.

Breizh-info.com : Pourquoi ses écrits, presque deux siècles après sa mort, restent-ils toujours profondément d’actualité, lus, et assimilés, notamment au sein des armées modernes ? 

Bruno Colson : C’est dû à la profondeur de la réflexion clausewitzienne, qui ne s’enferme pas dans une époque mais cherche à comprendre « la guerre en soi ». Celle-ci se révèle en « une étonnante trinité », écrit Clausewitz, où interagissent les dirigeants politiques, les chefs militaires et les peuples. Ces trois groupes sont animés par des calculs rationnels, d’autres fondés sur des probabilités où il faut faire la part du hasard, et enfin des passions hostiles. L’ordre d’énumération de ces attitudes correspond plutôt à celui des trois groupes, mais pas toujours, ce qui engendre beaucoup plus de possibilités et permet de rendre compte de situations très diverses.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui différencie un Clausewitz d’un Sun Tzu dans l’analyse de la guerre ?

Bruno Colson : La réflexion de Sun Tzu est beaucoup plus laconique, ce qui la rend plus accessible dans notre monde de gens pressés. Elle est subtile et peut avoir plus directement des implications pratiques, mais elle n’atteint pas selon moi la profondeur de celle de Clausewitz.

Breizh-info.com : Quelles lectures conseilleriez-vous à nos lecteurs férus de cette époque, et de stratégie militaire ? Quels sont les livres qui vous ont marqué récemment ?

Bruno Colson : Les publications en anglais sont aujourd’hui, dans ce domaine comme dans d’autres, les plus nombreuses et les plus variées. Pour me limiter à des productions en français, je citerais d’abord le Relire De la guerre de Clausewitz, par Benoît Durieux. C’est une excellente introduction, qui peut être suivie du Clausewitz en France, où le même auteur retrace la façon dont les Français ont pris connaissance des idées du général prussien et les ont commentées et assimilées.

Jean-Jacques Langendorf offre un panorama plus large avec La Pensée militaire prussienne, une synthèse capitale qui part de Frédéric II pour s’arrêter en 1914. Jean-Yves Guiomar a bien alimenté le débat avec L’Invention de la guerre totale, XVIIIe-XIXe siècle, où il pointe la responsabilité des dirigeants révolutionnaires français, dont les buts de guerre avaient le grave défaut d’être trop vagues. Enfin, je citerais la version publiée de la thèse de doctorat de Gilles Candela, L’Armée d’Italie. Des missionnaires armés à la naissance de la guerre napoléonienne.

C’est une étude novatrice qui pourrait en susciter d’autres sur les différentes armées conduites par Napoléon.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2016 dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

dimanche, 02 octobre 2016

Alexandre Mendel, La France Djihadiste

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Alexandre Mendel, La France Djihadiste

(Editions RING, 2016)

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com 

Impossible d'échapper à l'actualité, ou plus exactement à la réalité, en ce qui fut la période estivale de 2016. Après l'attentat du 14 juillet, il n'y eut quasiment pas un seul jour en Europe sans une attaque ou un attentat... L'Allemagne et la France commençaient à payer lourdement le prix d'une immigration-invasion de masse qui, en plus de nous remplacer, apporte avec elle l'islamisation de notre continent (des rayons halals dans les supermarchés aux terroristes islamiques en passant par le « fameux » burkini). Tout ceci n'est cependant qu'un début, et ce n'est pas La France Djihadiste d'Alexandre Mendel qui nous contredira…

Alexandre Mendel est journaliste, sa plume, il l'a notamment exercée dans Valeurs Actuelles. Sa spécialité est le travail de terrain, ce qu'on a coutume d'appeler le journalisme d'investigation. Etant donné le sujet abordé ici c'est un réel plus, bien que l’entreprise soit risquée. Ce dernier s'est d'abord intéressé aux départs pour la Syrie et son vivier français, la ville de Lunel dans l’Hérault. Sans doute, ses attaches régionales et familiales y sont pour quelque chose.... Au fur et à mesure de ses recherches se dessine un portrait sans concessions, mais réaliste, d'une France que certains ne veulent tout simplement pas voir (ou n'en soupçonnent qu'à peine l'existence).

alexandre-mendel-la-france-djihadiste1.jpgAlors, quelle est-elle cette France djihadiste ? A première vue, et sans minimiser la dangerosité des célèbres « déséquilibrés », elle ne se compose pas de moudjahidines féroces, n’en déplaise aux « néo-croisés ». En effet, il ne faut pas regarder du côté du prophète – dans tout ce qu’il a de belliqueux – mais plutôt du côté de la CAF et du CCAS du coin. Cas-sociaux, petits trafiquants ré-islamisés et paumés constituent le gros des départs pour la Syrie. Leur point commun ? Etre, pour la grande majorité, des enfants d’immigrés. Profils de déracinés nourris à l’occidentalisme plus qu’avec les versets du Coran, ces joyeux drilles rendent désormais la monnaie de leur pièce à tous ces bisounours droit-de-l’hommiste qui les ont traités en victimes pendant tant d’années… Ce n’est donc pas tant le coran qui est à l’origine des nombreuses conversions à l’islam radical -et aux départs pour la Syrie- mais plutôt le monde moderne. Déracinement identitaire, manque de verticalité et crise du sens ont fait beaucoup de mal. Sur ce dernier sujet, ce sont souvent des imams autoproclamés ou des organismes politico-religieux comme les Frères Musulmans qui l’exploitent, voire parfois des services de renseignements…

La France Djihadiste mérite d’être lu et médité. C’est une enquête très bien ficelée qui, au final, dresse un bilan plutôt inquiétant du rapport entre la France et l’islam radical. Car ce n’est pas tellement le message des prêches ou même les attentats qui, en soi, sont préoccupants ; c'est avant tout l’ampleur du phénomène, le nombre de candidats au Djihad, de terroristes, de loups solitaires etc. Mais est-ce si surprenant quand on sait que les gouvernements successifs ont laissé s’installer des enclaves ethnico-religieuses, ces fameuses No go-zones, si bien que l’on peut dorénavant parler d’un maillage territorial conséquent ? Et puis qu’en est-il de tous les musulmans qui ne se reconnaissent ni dans l’islam radical, ni dans les « valeurs de la République » ? Où étaient-ils lors des manifestations pour Charlie Hebdo ? Sont-ils descendus dans la rue après le 13 novembre ? Poser la question c’est déjà y répondre et, dans la perspective d’une « guerre civile » ethnico-religieuse, un tel silence est pesant. Mais dans un pays (de) soumis, est-ce si surprenant ?

Donatien / C.N.C.

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jeudi, 29 septembre 2016

Mathieu Slama: «Le grand drame de la modernité»

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Mathieu Slama: «Le grand drame de la modernité»

 

Vous parlez d’une croisade de Moscou contre l’Occident, mais l’offensive n’est-elle pas plutôt menée par les États-Unis, Poutine se bornant à défendre les traditions ?

Il y a sans doute une part de provocation dans le choix du mot « croisade », mais aussi deux raisons essentielles : d’abord, Poutine lui-même a décidé, depuis quelques années, de s’attaquer frontalement au modèle libéral des sociétés occidentales. Non seulement il défend les valeurs traditionnelles de la Russie, mais il s’en prend explicitement aux pays euro-atlantiques, et à l’Europe tout particulièrement, qu’il accuse de rejeter ses racines et de tomber dans le « primitivisme », au mépris des « valeurs spirituelles de l’humanité ». Ensuite, le mot « croisade » contient une dimension éminemment religieuse, et il se trouve que c’est aussi sur ce terrain que Poutine s’en prend à l’Occident. Défendant « les valeurs de la famille traditionnelle, de la vie humaine authentique, y compris de la vie religieuse des individus », il s’est attaqué à plusieurs reprises à la conception européenne de la laïcité. On connaît aussi sa proximité affichée avec l’Église orthodoxe, qu’il lie étroitement, dans ses discours, au destin national de la Russie. 

Voici l’intuition de mon livre : ce qui se joue dans le conflit entre Poutine et les pays occidentaux est bien plus fondamental qu’un simple conflit d’intérêts sur les dossiers syrien ou ukrainien. Il y a, en arrière-plan de tout cela, le retour d’un vieil affrontement entre deux grandes visions du monde concurrentes : le monde libéral d’un côté, exaltant l’individu et son émancipation ; et le monde de la tradition, exaltant la communauté et l’enracinement.

Vous présentez Poutine comme une personnalité attachée à l’égalité entre les nations. Mais est-il vraiment cet apôtre du droit international et de la non-ingérence ? Nous pensons à la Géorgie, à l’Ukraine. Stratégie rhétorique ?

Un des mots les plus souvent utilisés par Poutine est « diversité du monde ». Dans son discours, l’Occident se rend coupable de vouloir modeler le monde à son image. Il y a là un argument essentiel qu’il faut entendre (stratégie rhétorique ou non) : l’Occident est persuadé que son modèle libéral est applicable au monde entier. Il suffit de feuilleter les reportages dans les médias français sur l’Iran, par exemple : on célèbre ce pays parce qu’il s’occidentalise ! Mais on crie à l’obscurantisme dès qu’il s’agit d’évoquer ses composantes traditionnelles. C’est tout le paradoxe de nos sociétés libérales : nous exaltons l’Autre mais ce n’est que pour annihiler son altérité. Il y a, dans cet universalisme occidental, un mélange d’incompréhension et de mépris. Cet universalisme est aussi dangereux quand il se transforme en action extérieure (cf. les ingérences occidentales catastrophiques au Moyen-Orient).

En revanche, il est exact que Poutine ne s’applique pas forcément cette règle de non-ingérence. Poutine n’est pas un saint : il y a, chez lui, une ambition impériale, liée à une volonté de protéger les intérêts stratégiques de la Russie face à une Amérique agressive et intrusive. Comme le disait Soljenitsyne, qui s’inquiétait du renouveau impérialiste russe, plutôt que de chercher à s’étendre, la Russie devrait plutôt s’attacher à conserver l’âme du territoire qu’il lui reste. 

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Faisant l’éloge de l’enracinement, vous prenez l’exemple de Bilbo, un Hobbit frileux à l’idée de quitter sa terre natale pour partir à l’aventure. Attachement que vous qualifiez de « noble ». Or, il me semble plutôt que les Hobbits incarnent cette prudence petite-bourgeoise, aux antipodes de la vraie noblesse qui est lutte pour la vie, mépris du confort matériel et passion pour les équipées lointaines.

Pour illustrer les limites du modèle libéral occidental, j’évoque, en effet, la belle parabole de Tolkien sur le combat de plusieurs communautés fictives qui luttent pour leur survie face à un ennemi technicien et guerrier. Les Hobbits sont des personnages intéressants car ils vivent en vase clos, selon des rites traditionnels immémoriaux. Ils partent à l’aventure à contrecœur, ayant sans cesse la nostalgie de leur terre durant leur voyage. C’est cette nostalgie que je trouve formidable, parce qu’elle représente tout ce que nous avons perdu en Occident. Le rapport à la terre, au lieu, comme disait Levinas, le sens de la mesure, la perpétuation de vieilles traditions qui donnent un sens à notre existence : tout cela ne veut plus rien dire pour nous autres Occidentaux. Les Européens ne comprennent plus qu’un seul langage, celui des libertés individuelles. C’est cela, le grand drame de la modernité.

Entretien réalisé par Romain d’Aspremont 

Essayiste

lundi, 26 septembre 2016

Le journaliste l’ignore, mais les mots ont un sens

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Le journaliste l’ignore, mais les mots ont un sens

Dans un essai consacré à la «langue des médias», Ingrid Riocreux s’attaque au langage tel que le pratiquent quotidiennement les journalistes. En analysant les propos tenus et les commentaires, elle parvient à une triste conclusion: faute de maîtriser le langage, les journalistes s’intéressent peu aux faits, ils préfèrent promouvoir des idées.

La Langue des médias est un essai stimulant qui s’attaque résolument au quatrième pouvoir en analysant ce qui fait sa force et sa faiblesse: le verbe. Le langage des journalistes  y est disséqué avec précision. Chercheuse associée à la Sorbonne, son auteure, Ingrid Riocreux, s’intéresse d’abord aux mots, à leur contextualisation ainsi qu’à l’énoncé, à la prononciation et aux fautes. Le correcteur qui sommeille chez tout auditeur lui saura gré d’avoir relevé (sa cible préférée est France Info) des «gouvernomon», «Ôrope» et «cor d’heure», sans oublier le «pople palestinien» et le délicieux «rrocourr rrochté». Certaines fois, cette prononciation hasardeuse induit d’admirables lapsus: ainsi, après le référendum sur l’Indépendance de l’Ecosse, on entend que «David Cameron s’est adressé aux cons du oui» (camp).

Elle pointe le mimétisme des journalistes, leurs tics de langage, ce «parler spécifique (vocabulaire, phraséologie, oui, mais aussi prononciation)» étant qualifié de «sociolecte». Certains de ces tics ne nous surprennent même plus:

«On se dirige vers un forfait de Mamadou Sakho.»

«Les frondeurs semblent se diriger vers une abstention.»

riocreux.jpgDésormais, une manif ne se disperse plus mais se disloque. Le verbe générer a remplacé susciter, tandis qu’impacter (avoir un impact sur) s’est imposé. On parle de déroulé (et non de déroulement) ou de ressenti (sentiment). Or, regrette-t-elle, cet appauvrissement du vocabulaire conduit parfois à des erreurs. Ainsi des violences qui se font désormais «en marge» des manifestations, alors qu’elles les accompagnent. «En marge» également, les agressions sexuelles de la place Tahrir en Égypte? Pourtant, les violeurs étaient aussi des manifestants.

On aborde ici l’enjeu politique du langage: «De l’adoption du mot à celle de l’idée, il n’y a qu’un pas.» Ingrid Riocreux note que les journalistes s’approprient aisément des mots et expressions d’origine militante, comme le terme de «sans-papiers», forgé par la «gauche radicale altermondialiste pour en finir avec la force péjorative du mot clandestins». Terme, s’amuse-t-elle, utilisé sans sourciller par… Valeurs actuelles, tout comme ceux de «migrants» ou d’«islamo-fascisme». Le journaliste n’analyse pas les mots mais les reprend à son compte. Il court alors le risque de se tromper:

«On ne parle presque plus de romanichels, de gens du voyage, de bohémiens, de tziganes, de nomades ou de gitans, mais de Roms (même quand ce ne sont pas des Roms).»

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Sans doute de manière inconsciente, le journaliste recourt aisément à des qualificatifs qui discréditent celui qu’ils désignent. Invariablement, les médias opposent climatologues et climato-sceptiques. Or, ce dernier terme renvoie à une forme d’incompétence donc d’illégitimité –comme s’il était inconcevable qu’il y ait des climatologues sceptiques.

Des convictions en forme d’évidence

Si l’«eurosceptique» est admis, il en va tout autrement pour l’europhobe. On signifie à la fois qu’un «parti est europhobe (et) qu’il a tort», estime Ingrid Riocreux, pour qui les journalistes distinguent ici «un anti-européisme toléré (Nicolas Dupont-Aignan par exemple) et un anti-européisme nauséabond, qu’on se doit de détester (le Front national)».

Après tout, cette nuance pourrait être légitime si elle était à l’œuvre pour désigner également les partisans de l’Europe. Mais les journalistes se contentent des «europhiles» et ignorent les «eurobéats», considérant que cette dernière tournure est «née dans la bouche des anti-Européens». En fait, les journalistes sont eux-mêmes europhiles (que l’on se souvienne des débats de 2005) car il s’agit pour eux de «la seule posture moralement acceptable.» C’est une «conviction en forme d’évidence» (Alain Minc parlait ainsi du passage à l’euro).

Inconscients ou non, les choix partisans sont multiples. Tandis que le terme «islamophobe» est entré dans le langage courant, celui de «christianophobe» reste marginal. Ou alors fortement nuancé: «Les catholiques espèrent une forte mobilisation contre ce qu’ils appellent un acte christianophobe.» «Madiba», surnom affectueux donné par ses partisans à Nelson Mandela, est utilisé sans la moindre précaution de langage alors qu’il ne viendrait l’idée à personne de parler de Kadhafi comme du «frère guide.»

Des précautions oratoires qui induisent le soupçon

Les précautions de langage s’observent dans tout ce qui touche à l’islam. Evoquant deux faits divers, Ingrid Riocreux analyse les étranges choix rédactionnels qui conduisirent à oblitérer les noms des meurtriers, mais pas ceux de leurs victimes.

En janvier 2010, Hakim est poignardé dans un lycée. Pour désigner le meurtrier, les journalistes recourent à la périphrase: un camarade, l’agresseur, un jeune homme, le suspect… Son prénom, Islam, est révélé par la réinfosphère ou fachosphère –selon le camp dans lequel on se situe. «Le journaliste, en s’évertuant à dissimuler le nom de l’agresseur, n’est ni méchant ni mauvais: il croit bien faire.» En fait, poursuit-elle, il anticipe «constamment la réception de son discours et, partant, l’interprétation qu’en fera l’auditeur».

webjournaliste.jpgDeux ans après, un assassinat similaire survient (le meurtre du jeune Kilian, en juin 2012). Le Monde choisit de désigner le suspect comme un… Vladimir avant de préciser que «le prénom a été changé». S’ensuit un courrier des lecteurs auquel répond le médiateur: il s’agissait de respecter l’anonymat du suspect «conformément à la loi» – argument fallacieux tant cette précaution est rarement respectée par ailleurs.

Pour Ingrid Riocreux, ces scrupules sont contreproductifs: «En se refusant à donner une information qu’il estime dangereuse, le journaliste pousse son auditeur à chercher par lui-même et à trouver, non seulement l’information en question, mais un faisceau d’éléments supplémentaires qui vont dans le sens opposé à la position défendue par les médias de masse». D’où la perte de confiance et le discrédit de la profession, régulièrement mesurés dans les sondages.

Le camp du bien

Le langage résulte donc d’un choix politique qui est en général celui que le journaliste estime être le camp du progrès ou du bien. Ingrid Riocreux se refuse à établir une opposition droite-gauche, préférant parler d’une adhésion au sens de l’histoire. «Le journaliste est un croyant (et) sa raison lui dit qu’on ne peut pas aller contre l’histoire.» En témoignent l’utilisation fréquente d’adverbes temporels: déjà, encore, pas encore. Ainsi, le «mariage homosexuel est déjà autorisé dans dix pays» tandis que la peine de mort «est encore légale dans une centaine de pays.» Ce faisant, le journaliste n’informe pas le lecteur ou l’auditeur mais lui dit plutôt «ce qu’il doit comprendre.»

Ni droite ni gauche? Interrogée par Slate.fr, Ingrid Riocreux préfère parler d’un «bain lexical et idéologique: nous sommes tous amenés à prendre position en utilisant tel ou tel mot». Il s’agit de dénoncer «le mythe de la neutralité. Le choix des mots n’est jamais innocent. C’est très bien d’être engagé politiquement mais il faut l’assumer. Ce qui m’embête beaucoup, c’est quand le journaliste prétend ne pas l’être, comme lorsqu’il défend le mythe de la neutralité de la radio du service public».

Employant le terme «manipulation» avec précaution, elle estime que le journaliste est davantage manipulé que manipulateur et lui préfère celui d’«orientation». Le journaliste n’a pas les outils pour décrypter les discours et la rhétorique. L’aisance avec laquelle des personnages politiques se jouent d’interviews mal préparées ou trop révérencieuses le montre aisément.

Le choix d’accompagner ce qu’il est convenu d’appeler le «politiquement correct», dans des domaines aussi différents que l’écologie, l’art contemporain, la politique vaccinale ou éducative, montre également la difficulté d’appréhender ces sujets, voire de les maîtriser suffisamment pour pouvoir bien informer. Pour réhabiliter la méthode syllabique, «trop idéologiquement marquée», il suffit de lui donner son autre nom, moins connu, de méthode explicite. Les journalistes s’en satisferont.

Enfin, le journaliste «n’enquête que sur les gens à qui il veut nuire»: un groupe d’opposants à l’IVG est un sujet à traiter, mais on ne fera jamais d’«infiltration dans un centre du Planning familial». Tout comme on évitera de montrer certaines images trop violentes afin d’en protéger le spectateur: l’IVG, relève-t-elle, est invisible et, comme le foie gras, les «détracteurs seuls (en) montrent les images.» Paresse sélective de l’enquêteur? Certains sujets sont soumis à un «silence médiatique obligatoire», qui irrigue jusqu’au «monde universitaire où il est pourtant de bon ton de critiquer les médias».

«Il ne s’agit pas ici de prétendre qu’enquêter sur les réseaux islamistes ou les groupuscules néonazis soit sans intérêt. La question n’est pas là; ce qu’il faut regretter, c’est le panel restreint et répétitif des sujets traités.»

Les médias en font-ils trop ou pas assez?

A la question, récurrente sur beaucoup de sujets, sorte de marronnier nombriliste, «les médias en font-ils trop?», elle oppose cette assertion: «le journaliste ne se demande jamais s’il n’en fait pas assez».

Décodant un article des Décodeurs consacré à la photo du petit Aylan («Mensonges, manipulations et vérités»), elle montre comment, faute d’une contre-enquête, il en vient à donner du crédit aux rumeurs qu’il entend démonter. Les enfants avaient-ils des gilets de sauvetage? La rumeur prétend que non. Réponse du Monde: «On ne sait pas si les enfants portaient les gilets.» 

«Autre argument des complotistes», poursuit le quotidien du soir : «la famille d’Aylan n’était pas une famille de réfugiés politiques mais de réfugiés économiques car ils ne vivaient plus dans une zone de guerre (en Syrie) mais dans un pays en paix (la Turquie). C’est oublier un peu vite que la famille a vécu pendant une longue période en Syrie (native de Kobané, dans le nord de la Syrie, elle vivait depuis quelques années à Damas, avant de fuir les combats)…» Cette réponse, observe Ingrid Riocreux, ne fait que confirmer ce que disent les complotistes, en reformulant leur argumentation de manière positive.

Etablissant un parallèle (osé, pour le moins) avec les enfants noyés dans les piscines où nul cadavre n’est jamais montré, elle affirme que «la photo d’un enfant mort n’est pas informative, elle est injonctive». En fait, la contre-enquête n’en est pas une. Pour les médias, la photo en soi devrait suffire.

La perte de crédit de la profession est sans doute là, dans cet exercice insatisfaisant du métier de journaliste. L’émergence des réseaux sociaux et, surtout, de sources d’information alternatives est pourtant un signal alarmant.

«Faute d’avoir les moyens d’analyser les techniques du discours, nous ne croyons plus rien ni personne. Ni le journaliste ni celui qu’il interroge. […]. Nous accordons une vertu excessive aux sources d’information alternatives. Elles ne racontent pas forcément autre chose mais elles le racontent autrementOr, met-elle en garde, «la réinfosphère recourt […] volontiers aux méthodes des désinformateurs qu’elle prétend dénoncer.»

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Analyse et polémique

En lisant cet ouvrage, je m’attendais à le voir analysé, critiqué, encensé ou démoli. Il a été étrangement peu commenté. «Je critique les grands médias; il est normal qu’ils ne se précipitent pas pour parler du livre», explique l’auteur à Slate, se disant «plutôt agréablement surprise» de sa réception. A l’exception d’un article à charge de L’Obs (ici, avec réponse d’Ingrid Riocreux ici), d'une critique, intelligente et honnête, dans Vice, c’est plutôt la droite qui s’en empare (Atlantico, Éric Zemmour…). Tenant désormais un blog sur Causeur, Ingrid Riocreux n’écarte pas le risque d’une politisation facile de ses écrits.

À tort. D’abord, la compétence universitaire est indiscutable (agrégation et doctorat), tout autant que la capacité à aligner, donc à décrypter, des phrases incompréhensibles (qu’on lise le résumé de sa thèse), sans négliger un plaisir évident à la joute intellectuelle.

La Langue des médias laisse pourtant une étrange impression. Elle y pose d’excellentes questions, apporte de bonnes réponses mais s’appuie sur des exemples pour le moins polémiques. IVG, climato-scepticisme, mariage homosexuel, l’affaire Méric, islam, migrants…: les sujets qu’elle choisit sont sensibles, ce qu’elle ne peut ignorer. Montrant quel camp choisissent les journalistes (en faveur de l’IVG par exemple), elle décrypte leur discours et observe qu’il tient à déprécier ceux qui s’y opposent.

Est-ce pour Ingrid Riocreux une manière de se protéger en choisissant un angle d’attaque qui, de facto, l’expose à des réactions indignées des journalistes? Lesquels s’exonéreraient alors d’une lecture attentive  de son livre? Elle confie à Slate avoir écarté des sujets qu’elle connaît mal (l’économie, par exemple[1]), pour privilégier des «thèmes que tout le monde maîtrise à peu près, ceux dont il est question dans les dîners en famille et qui créent des frictions».

Soutenir une manière d’équité dans le traitement des informations appelle d’importantes réserves. On se souvient de la phrase de Jean-Luc Godard: «L’objectivité, ce n’est pas cinq minutes pour Hitler, cinq minutes pour les juifs». Cet apparent équilibre de l’information n’en est pas un. N’est-il pas normal que les médias accordent plus d’intérêt ou de bienveillance à des sujets qui sont devenus la norme, notamment sous une forme législative, même si le débat resurgit parfois?

C’est prendre le risque que le journaliste du «camp du bien» ignore cet ouvrage, alors qu’il devrait le lire, ne serait-ce que pour interroger sa manière de restituer des informations (qu’Arrêt sur images ne l’ait pas même évoqué me laisse pantois). Et ne plus jamais dire à un interviewé cette phrase péremptoire, «Je ne peux pas vous laisser dire cela», alors que, justement, son rôle est de lui faire dire cela.

1 — Et c’est dommage, car il y a aussi matière à étude. Exemple: chaque été, à quelques jours d'intervalle, sont publiées deux études similaires dans leur approche. L'une conclut à un jour de «libération fiscale», l'autre calcule le jour où la planète commence à «vivre à crédit». Dans Le Monde, la première étude est jugée «non sérieuse», avec une longue analyse des Décodeurs, rubrique censée en revenir aux faits. Suffisamment «non sérieuse» pour que le journal y consacre deux articles (en 2014 et 2016), un tweet en 2015 renvoyant à l'article de l'année précédente. En parallèle, l'étude consacrée à la planète trouve un écho favorable, avec un article chaque année (20142015, 2016) qui en retrace les conclusions, avec force schémas. Dans un cas, le calcul n'est pas pris au sérieux; dans l'autre il l'est. Sans autre explication possible qu'un choix éditorial, ou moral. Retourner à l'article

Logique des révolutions

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Logique des révolutions

À propos de : Hamit Bozarslan et Gaëlle Demelemestre, Qu’est-ce qu’une révolution ? Amérique, France, Monde Arabe, 1763-2015, Éditions du Cerf.


Ex: http://www.laviedesidees.fr
 

Avec les « Printemps arabes », la question du fait révolutionnaire s’est vue posée à nouveaux frais. Suivant une démarche comparatiste, H. Bozarslan et G. Delemestre analysent le lien entre révolution et processus démocratiques, et reviennent sur le rôle des intellectuels dans la dynamique révolutionnaire.

revolutionslivre.jpgRecensé : Hamit Bozarslan et Gaëlle Demelemestre, Qu’est-ce qu’une révolution ? Amérique, France, Monde Arabe, 1763-2015, Paris, Éditions du Cerf, 2016, 400 p., 29€.

Depuis l’hiver 2010-2011, les soulèvements de populations dans différents pays arabes ont fait couler beaucoup d’encre. Les innombrables travaux sur le sujet ont cherché à comprendre les causes et les circonstances locales des révoltes arabes. Mais ces soulèvements ont surtout montré le besoin de repenser le fait révolutionnaire. Car, en faisant revenir « l’âge des révolutions » sur le devant de l’Histoire, « le Printemps arabe » a remis en cause les anciennes grilles d’analyse. Redéfinir le fait révolutionnaire et créer de nouveaux outils d’analyse à l’aune des soulèvements arabes est justement l’ambition de Qu’est ce qu’une révolution ? de Hamit Bozarslan et Gaëlle Demelemestre.

Dans cet ouvrage, les auteurs poursuivent la réflexion sur les révolutions arabes dans la démarche comparatiste initiée en 2011 par H. Bozarslan et al. dans Passions révolutionnaires [1]. Rédigé pendant le « Printemps » tunisien, ce livre comparait les crises révolutionnaires ayant éclaté au Moyen-Orient au cours du XXe siècle avec d’autres révolutions non occidentales. Pour sa part, Qu’est-ce qu’une révolution ? met les récentes révolutions arabes en parallèle avec les deux références historiques classiques en matière de contestation que sont les révolutions américaine et française. Ce faisant, l’ouvrage explore le rapport entre l’attente d’un changement révolutionnaire et l’idée de démocratie. Cette approche novatrice redonne toute leur place aux revendications démocratiques exprimées au commencement des soulèvements arabes, rappelant les dilemmes qu’ont dû affronter, en leur temps, les révolutionnaires américains et français.

Le concept de « révolution », entre slogan et catégorie scientifique

La première chose que les révoltes arabes ont remise en cause, c’est le terme de « révolution » même. A la fois rigide et polysémique, il ne permettait pas de rendre compte des différentes évolutions des « Printemps arabes ». Le retour des régimes liberticides, l’éclatement de guerres civiles et l’abandon des revendications démocratiques par une grande partie des populations qui ont suivi les contestations étaient loin de correspondre à l’image normative des révolutions [2]. Les nombreuses controverses qui ont accompagné l’usage du terme de « révolution » pour parler des soulèvements arabes illustrent bien la difficulté d’utiliser ce concept, qui fonctionne à la fois comme un slogan, destiné à agir sur la réalité pour la changer, et un terme théorique servant à décrire cette réalité en changement.

La première partie de l’ouvrage d’H. Bozarslan et G. Demelemestre vise à répondre à ces questions afin d’analyser les révolutions au-delà de telles controverses. Ils constatent que les chercheurs sont confrontés à une double exigence. D’une part, ils ont besoin d’« objectiver » la révolution, c’est-à-dire d’essayer de sortir du discours axiologique qui se tient sur elle, afin de la comparer à d’autres mouvements du même type. D’autre part, il leur faut comprendre que cette objectivation peut contredire les dénominations utilisées par les acteurs pour définir leurs expériences. Car, « désigner une expérience (…) comme une révolution, n’est pas un acte neutre : c’est monopoliser le droit de classer et de déclasser ». En effet, « la prétention même d’être une révolution produit des effets de nature révolutionnaire sur une société que le chercheur ne peut négliger » (p. 45-46).

La difficulté d’appréhender une révolution tient également à l’emprise de discours qu’elle engendre sur elle-même, sa propre « philosophie de l’histoire » faisant de la révolution une nécessité historique qui ne pouvait qu’advenir. Vécue comme une lutte eschatologique entre le Bien et le Mal, elle exige du chercheur qu’il se positionne pour ou contre elle. Si cette philosophie de l’histoire empêche d’aborder une révolution d’une manière historique et sociologique, il est également contre-productif de l’écarter de l’analyse. Car, vécue dans la chair de ses acteurs, elle exerce des effets transformateurs sur la société. Dès lors, le chercheur « est obligé de se dédoubler », en adoptant une posture sans « fétichisme, ni rejet » vis-à-vis de la révolution (p. 24-25). De multiples lectures du fait révolutionnaire sont donc proposées : il est analysé à la fois comme une attente, un principe de changement, une rupture historique, un événement universel ancré dans le particulier, et le processus d’institutionnalisation d’un nouvel ordre politique. Ce choix d’une pluralité de lectures est permis par la variation des échelles de temporalité dans lesquelles s’inscrit un fait révolutionnaire. Il est à la fois l’événement, souvent court et dense, qui aboutit au renversement de l’ancien régime ; le processus, souvent laborieux, de négociation d’un nouvel ordre institutionnel ; et une construction historiographique permettant d’insérer une révolution dans une histoire longue (p. 29). Chaque partie de l’ouvrage est, par conséquent, consacrée à une révolution différente traitée sous un aspect particulier.

revolution(1).jpgDeux « passions », révolution et démocratie

Le fil conducteur de l’ouvrage est l’exploration du rapport entre faits révolutionnaires et attentes démocratiques. Sans établir un lien de causalité entre ces deux « passions » – un lien démenti par nombre de révolutions ayant débouché sur des régimes autoritaires comme en Russie, Chine ou Iran – le livre explore les conditions historiques dans lesquelles ces deux éléments se sont juxtaposés. Très riches et informatives, les parties 2 et 3, rédigées par la philosophe Gaëlle Demelemestre, suivent les débats qui ont accompagné la construction d’un ordre démocratique en Amérique et en France. À travers une comparaison entre les deux mouvements révolutionnaires, l’auteure explique pourquoi ils ont débouché sur différentes façons de concilier pouvoir et libertés individuelles. Les conditions politiques dans lesquelles surviennent les deux révolutions jouent un rôle crucial dans cette différence. Aux États-Unis, la constitution d’une strate sociale active a précédé la création de l’État, permettant d’élever la liberté d’entreprendre au-dessus de tout. En revanche, en France, le legs de la société hiérarchisée était trop important pour permettre à une frange importante de la population d’influer sur les décisions politiques. En suivant une lecture tocquevillienne de la Révolution française, attentive aux continuités entre le nouvel ordre et l’Ancien Régime, l’auteure suggère que cette conjoncture initiale a amené les révolutionnaires français à reprendre la forme unitaire de la souveraineté conçue sous la monarchie. La force de cette analyse est de montrer que c’est par la confrontation à des dilemmes concrets que les révolutionnaires sont parvenus à des solutions politiques. Les idées ne flottent pas dans l’air : elles sont ancrées dans les luttes politiques concrètes que connurent ces deux révolutions.

Ces luttes, toutefois, n’empruntent pas toujours le langage démocratique. Dans le monde arabe, discuté par H. Bozarslan dans la partie 4, l’association entre idée du changement révolutionnaire et attente démocratique a longtemps été l’exception plutôt que la règle. Au cours de l’histoire du Moyen-Orient, pourtant riche en contestations, les révolutions passées justifiaient souvent l’autoritarisme comme formule politique, car il était impensable qu’une société pluraliste et conflictuelle puisse servir de base à l’accomplissement des grands desseins d’indépendance et de développement. De nombreux coups d’État militaires ont secoué les pays arabes, notamment l’Égypte, l’Irak, la Syrie ou la Lybie entre 1952 et 1969. Ils étaient généralement présentés ou vécus comme de véritables révolutions, même après avoir accouché de régimes autoritaires et liberticides. La nature plurielle et conflictuelle des sociétés était perçue comme une menace contre l’unité de la nation, unité indispensable dans la lutte contre les « ennemis » extérieurs aussi bien qu’intérieurs. Ce n’est qu’au tournant des années 2010 que les attentes démocratiques se sont mêlées à l’idée de changement radical, grâce notamment aux nouveaux médias et à l’émergence des sociétés civiles (p. 306). Toutefois, la tension entre deux conceptions antagonistes de la société n’a pas disparu. D’une part, il y a l’idée d’une société organique, vue comme un seul corps allant dans la même direction. D’autre part, la société est perçue comme un magma d’intérêts divers et divergents rendant le compromis et la négociation indispensables. C’est la première conception qui domine aujourd’hui en Égypte où la police, l’armée et d’autres institutions répressives ont pu légitimer leur pouvoir par la demande de sécurité formulée par une grande partie de la société. Cette lecture sociologique fine des processus post-révolutionnaires dans les pays arabes permet de comprendre les facteurs qui ont empêché la démocratisation de l’ordre politique, tels que l’étouffement des protestations publiques et la résilience institutionnelle de l’ancien régime.

Le rôle des idées et des intellectuels

En s’interrogeant sur le rapport entre révolution et démocratie, cet ouvrage s’inscrit dans une réflexion sur le rôle des idées dans une contestation révolutionnaire. Il fait écho, sans s’y référer explicitement, au fameux débat qui a opposé dans les années 1980 T. Skocpol et W. Sewell sur le rôle des Lumières dans le déclenchement de la Révolution française [3]. H. Bozarslan suggère, pour sa part, que « les idées ne font pas la révolution », mais qu’elles sont intériorisées par les acteurs et deviennent alors « attente », « conviction partagée que l’ordre établi n’est pas juste » (p. 58-59).

Ce rôle des idées justifie l’attention portée, dans l’ouvrage, aux intellectuels arabes, qui seraient, selon l’auteur, en partie responsables de l’échec de la démocratisation des sociétés arabes. Contrairement aux intellectuels nord-américains et français, les penseurs arabes n’ont pas élaboré de notions novatrices de citoyenneté permettant à leurs sociétés d’adopter des modèles institutionnels inédits (p. 307). Ni les sciences sociales, qui se sont désintéressées des questions de pouvoir, de citoyenneté et de représentation politique, ni les intellectuels « essayistes », repliés sur la problématique de « la condition arabo-musulmane », n’ont pu remplir une fonction politique semblable à celle des théoriciens révolutionnaires du XVIIIe siècle. Cette carence théorique est selon H. Bozarslan la raison de la différence de fond entre les révolutions arabes et les révolutions américaine et française. Quand ces dernières visaient à transformer la cité, à travers la reconfiguration des rapports entre l’individu, la collectivité et le pouvoir, les révolutions arabes se sont elles limitées à la volonté d’intégrer « la cité bourgeoise » dont le modèle existait déjà ailleurs. Les contraintes idéologiques pesant sur les intellectuels, telles la culture politique arabe, imprégnée de l’idée néo-platonicienne du « roi-philosophe », ou l’emprise de la Raison théologique et de l’imaginaire de la Nation, interdisaient d’accepter le principe d’une société divisée et conflictuelle.

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Le rôle des intellectuels dans les révolutions arabes ayant très peu été exploré jusqu’ici, cette analyse offre une contribution particulièrement bienvenue. Toutefois, en n’abordant les intellectuels que sous l’angle des idées qu’ils produisent, elle empêche de saisir les logiques sociales susceptibles d’expliquer l’ambivalence de leurs positionnements face aux insurrections. Étudier ces positionnements dans leur contexte aurait aidé à mieux comprendre pourquoi les intellectuels arabes n’ont pu élaborer qu’une vision restreinte du changement politique, et sont rapidement retombés dans la logique moubarakienne de la polarisation autour de la question islamiste. On observe, en outre, un certain décalage dans le traitement du rôle des idées dans les parties du livre respectivement consacrées aux révolutions américaine et française, et aux soulèvements arabes. Alors que les passages portant sur les premières montrent comment les conceptions théoriques s’élaborent au cours de luttes concrètes, la partie qui analyse les seconds se concentre sur le contexte intellectuel détaché des affrontements politiques, adoptant une approche quelque peu désincarnée des idées. Or, le rapprochement entre les trois cas de révolutions aurait pu être plus poussé, si l’ouvrage avait intégré les débats très intenses qui ont accompagné le processus révolutionnaire en Égypte, par exemple sur le sens de la démocratie (« la démocratie des urnes » vs. « la démocratie de la rue »), ou sur la signification de « la citoyenneté » et de « l’état civil » [4].

En dépit de ces quelques réserves, Qu’est-ce qu’une révolution ? offre une réflexion novatrice et nuancée sur les processus de démocratisation en contextes révolutionnaires. Cet ouvrage donne une vision globale des mouvements révolutionnaires et permet de mieux comprendre leur ancrage dans la philosophie politique.

Pour citer cet article :

Giedre Sabaseviciute, « Logique des révolutions », La Vie des idées , 9 septembre 2016. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Logique-des-revolutions.html

dimanche, 25 septembre 2016

Le Manuel d'Épictète

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Le Manuel d'Épictète

Ex: http://lesocle.hautetfort.com 

EPI-0.gifParmi les philosophies antiques, le stoïcisme tient une grande place. Traversant l'antiquité grecque et l'antiquité romaine sur près de six siècles, symbole du sérieux et de l'abnégation de tout un peuple, l'école du Portique apprend à ses disciples à vivre en harmonie avec l'univers et ses lois. Maîtrise de soi, courage, tenue, éthique, ce sont là quelques mots clés pour comprendre le stoïcisme. Le Manuel 1 d'Epictète, condensé de cette sagesse, permet à chaque Européen de renouer avec les plus rigoureuses racines de notre civilisation. Brillant exemple de ce que pouvait produire l'univers mental propre au paganisme européen, le stoïcisme continuera d'irriguer la pensée européenne sur la longue durée (avec notamment le mouvement du néo-stoïcisme de la Renaissance). Et au delà de la longue durée, il est important de souligner l'actualité de la philosophie stoïcienne. Philosophie de temps de crise comme le souligne son histoire, le stoïcisme redirige l'homme vers l'action.

Structure de l’œuvre: Le Manuel est volontairement court. Il s'agit d'un condensé des leçons données par Epictète. Si court qu'il soit, on pourrait s'attendre à une idée différente à chaque aphorisme. Et pourtant les idées centrales ne sont que quelques-unes. Le lecteur ne doit donc pas s'étonner de voir répétées sous des formes différentes, à partir d'observations différentes, les mêmes idées. Ce manuel est un précis de gymnastique, une gymnastique de l'âme. Quelques mouvements y sont codifiés. Ce qui importe n'est pas le nombre mais bien la perfection dans l'exécution. Que chacun puisse donc y voir une porte d'entrée vers une métaphysique de l'absolu, celle de nos origines et qui s'oppose à la métaphysique de l'illimité dans laquelle nous nous perdons aujourd'hui.

Gwendal Crom, pour le SOCLE

La critique positive du Manuel d’Épictète au format .pdf

Le Manuel est l’œuvre attribué à Epictète la plus célèbre. Attribué car tout comme Socrate, il n'écrit rien de son vivant. C'est le disciple d'Epictète, Arrien qui consigna les pensées du maître dans huit à douze œuvres (les Entretiens) dont seuls quatre nous sont parvenus. Le Manuel consiste en un condensé de ces entretiens. Disciple de l'école stoïcienne fondée par Zénon en 301 avant notre ère, Epictète fut par la suite abondamment cité par l'empereur Marc-Aurèle. Epictète forme avec Sénèque (qui le précéda) et Marc-Aurèle la triade du stoïcisme impérial (ou latin). Esclave affranchi né aux alentours de l'an 50 de notre ère, il put suivre durant sa servitude les leçons de Musonius Rufus, grande figure du stoïcisme romain. Une fois libre, il devint un philosophe porté en haute estime par ses contemporains. Epictète vécut dans la pauvreté toute sa vie en ayant pour principale préoccupation de répondre à la question « Comment doit-on vivre sa vie ? ». Il mourut selon toutes vraisemblances aux alentours de l'an 130.

EPI-2.pngLa pensée stoïcienne dégage à ses origines trois grands axes d'étude: la physique (l'étude du monde environnant), la logique et l'éthique (qui concerne l'action). La pensée d'Epictète a ceci de particulier qu'elle ne s'intéresse pas à l'étude de la physique et ne s'attarde que peu sur celle de la logique, même si Epictète rappelle la prééminence de cette dernière dans l'un de ses aphorismes: Le Manuel, LII, 1-2. Car en effet, toute éthique doit être démontrable.

Et si la pensée d'Epictète peut être considérée comme une pensée de l'action alors son Manuel est un manuel de survie, comme le considérait selon la légende Alexandre le Grand. Le Manuel est dénommé en Grec : Enkheiridion qui signifie également « que l'on garde sous la main » et désigne communément le poignard du soldat. Voilà pourquoi Alexandre le Grand gardait sous son oreiller nous dit-on, un poignard et Le Manuel d'Epictète.

Le stoïcisme a pour tâche de nous faire accéder au divin. Il n'est pas une illumination une révélation. C'est une voie d'accès au bonheur par l'exercice et la maitrise rigoureuse de la (froide) raison. C'est une constante gymnastique de l'esprit, une méditation à laquelle on doit se livrer en permanence pour redresser son esprit, redresser toute son âme vers un seul but : être en harmonie avec les lois de l'univers et accepter la marche de celui-ci sans s'en émouvoir. Ainsi, dans ses Pensées pour moi-même 2 (Livre I, VII), l'Empereur Marc-Aurèle remercie son maitre Julius Rusticus (qui fut vraisemblablement un élève d'Epictète) en ces termes: « De Rusticus : avoir pris conscience que j'avais besoin de redresser et surveiller mon caractère... [et] avoir pu connaître les écrits conservant les leçons d'Epictète, écrits qu'il me communiqua de sa bibliothèque ».

On ne saurait de fait évoquer la pensée d'Epictète sans évoquer la notion de tenue. Car la tenue est une manière d'être, un exemple pour soi et pour les autres comme le souligne Epictète. Ainsi pour le philosophe, il ne faut point attendre pour mettre en pratique ce qui a été appris. La perfection théorique n'a aucune valeur si elle n'est pas suivie d'effets. De plus, le stoïcisme croit aux effets retours du comportement sur l'âme humaine. C'est en effet en s'astreignant chaque jour à la discipline, à la méditation, au maintien d'une tenue que l'âme peut tendre vers la perfection. Simplement théoriser cette perfection ou pire, l'attendre, est vain et puéril. Il faut chaque jour trouver de nouvelles confirmations des enseignements du stoïcisme. Il faut chaque jour méditer cet enseignement comme on pratiquerait un art martial, pour que chaque mouvement appris se fasse naturellement, instinctivement.

Mais avant de pénétrer plus avant la pensée stoïcienne, il convient d'emblée de préciser qu'il ne faut pas confondre la philosophie stoïcienne avec le caractère « stoïque » qui désigne quelqu'un de résigné, faisant preuve d'abnégation et affrontant les coups du sort sans broncher. La philosophie stoïcienne est avant tout une recette du bonheur visant à se libérer totalement de l'emprise des émotions pour atteindre un état dit d'ataraxie, calme absolu de l'âme. Néanmoins, ce bonheur ne sera accessible qu'en étant « stoïque » : l'abnégation étant la base nécessaire pour accéder à la philosophie stoïcienne. De fait, cette recherche du calme absolu, de la maîtrise de soi intégrale ne put que plaire aux Romains comme le souligne Dominique Venner dans Histoire et Tradition des Européens 3. Peuple droit et rigoureux, cette philosophie enseignait entre autres à bien mourir, c'est-à-dire à affronter la mort en face, et au besoin, de se l'administrer soi-même lorsque l'honneur le commandait. Il sera d'ailleurs tentant de remarquer que la philosophie stoïcienne, par son rapport aux émotions, rappelle le bouddhisme là où le sérieux des Romains n'hésitant pas à se donner la mort rappelle étrangement celui des Samouraïs s'infligeant le seppuku. Que serait devenu une Europe où le stoïcisme aurait remplacé la morale chrétienne ? Qu'en serait-il également d'une noblesse européenne qui telle la noblesse japonaise aurait répondu de son honneur sur sa vie ? Ce sont là des pistes que l'historien méditatif saura explorer à bon escient. Mais avant d'entreprendre tel voyage, examinons comme dirait Epictète ses antécédents et ses conséquents.

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Le philosophe Epictète représenté avec une canne. Durant sa servitude, son maître lui mit la jambe dans un instrument de torture. Selon la légende, Epictète le prévint en ces mots: «Attention. Cela va casser ». Lorsque la jambe céda, Epictète dit alors « Ne t'avais-je point prévenu que cela allait casser ». Boiteux toute sa vie, il montra que l'on pouvait nuire à son corps mais pas à son âme.

Car le stoïcisme est une voie dure et qui n'est pas sans risques. Le rejet des émotions et donc de la subjectivité de l'existence expose celui qui s'y livre à une vie terne (car sans émotions) et tourmentée (tourmentée car on ne souffre jamais plus que de ce que l'on cherche à fuir, à nier ou à absolument contrôler). Celui qui recherche le bonheur et la suprême sagesse à travers la philosophie stoïcienne se devra de s'y livrer totalement. Il serrera alors conte lui ses enfants comme des êtres mortels, que l'univers peut à tout moment lui prendre sans que cela ne l'émeuve. Le Manuel, III: « Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi que c'est un être humain que tu embrasses ; car s'il meurt, tu n'en seras pas troublé ». Mais celui qui ne peut ou ne veut s'engager sur la voie de la philosophie mais recherche un exemple de tenue, une manière de redresser son âme tel l'empereur Marc-Aurèle aura alors à sa disposition les outils d'une puissante et européenne méditation. Tel Marc-Aurèle, il sera en moyen de faire le bien et de s'acquitter de sa tâche en ne cédant pas aux fastes et distractions que la vie pourrait lui offrir. Car c'est également cela la force de la pensée stoïcienne : elle offre deux voies. Une pour le philosophe et une autre pour le citoyen. C'est également en cela qu'elle est une pensée de l'action car elle n'est pas uniquement destinée à un corpus d'intellectuel mais constitue une manière de vivre que chaque Européen, que chaque citoyen peut faire sien. Philosophe et citoyen, tous deux seront en mesure de vivre selon ce qui est élevé. Qu'est ce qui est élevé ? La Sagesse. Que fait l'homme sage ? Le Bien. Comment se reconnaît-il ? Il vit dans l'Honneur.

Epi-1.jpgEt c'est cet Honneur au-dessus de tout, au-dessus de la vie elle-même qui est invoqué par la pensée d'Epictète. Car rappelons-le, la tenue est la base de la pensée stoïcienne. Sans Honneur, point de tenue. Sans tenue, point de voie d'accès à la Sagesse. Et sans Sagesse, on ne saurait faire le Bien. Il faut d'abord et avant tout vivre dans l'honneur et savoir quitter la scène le jour où notre honneur nous le commandera. C'est ce que ce grand Européen que fut Friedrich Nietzsche rappelle dans Le Crépuscule des Idoles 4 (Erreur de la confusion entre la cause et l'effet, 36): Il faut « Mourir fièrement lorsqu'il n'est plus possible de vivre fièrement ». Et s'exercer à contempler la mort jusqu'à ne plus la craindre, jusqu'à lui être supérieur est une des principales méditations stoïciennes : Le Manuel, XXI: « Que la mort, l'exil et tout ce qui paraît effrayant soient sous tes yeux chaque jour ; mais plus que tout, la mort. Jamais plus tu ne diras rien de vil, et tu ne désireras rien outre mesure ». Celui qui se délivrera de l'emprise de la mort sur son existence pourra alors vivre dans l'Honneur jusqu'à sa dernière heure.

Pour bien comprendre Le Manuel, il convient de rappeler les trois disciplines du stoïcisme selon Epictète. Selon lui, toute philosophie se répartie entre ces trois disciplines que sont : la discipline du discernement (le jugement que l'on porte sur soi et le monde environnant), la discipline du désir et des passions (celle qui régit l'être) et la discipline de l'éthique (c'est-à-dire celle qui régit l'action). Et par l'usage de la raison, on part de la première pour arriver à la troisième. Ce qui importe, c'est de pouvoir porter un jugement sûr permettant de régler tout notre être de la meilleure manière qui soit pour pouvoir enfin agir avec sagesse et donc ainsi faire le Bien. La première tâche qui nous incombe est donc de focaliser notre attention (et donc notre jugement) sur les choses qui importent.

Toute la démarche de celui qui s'engage sur la voie du stoïcisme consiste donc d'abord à pouvoir déterminer la nature de l'univers et à pouvoir se situer par rapport à lui. Et le stoïcisme nous enseigne que la première caractéristique de l'univers est qu'il est indifférent à notre sort. Tout est éphémère et n'est que changement. Nous ne pouvons rien contre cela. La marche de l'univers est inéluctable et nous ne sommes qu'une partie d'un grand Tout. Si les Dieux existent, ont prise sur notre existence et doivent être honorés, ils ne sont eux aussi qu'une partie d'un grand Tout et soumis au fatum. Il devient dès lors inutile de pester contre les coups du sort, de maudire les hommes et les Dieux face au malheur. La véritable Sagesse consiste à accepter tout ce qui peut nous arriver et à aller à la rencontre de notre destin le cœur serein. Voilà entre autres pourquoi on ne saurait craindre la mort qui forcément un jour viendra à nous. Prenant l'exemple des bains publiques pour illustrer les torts que notre environnement ou nos contemporains peuvent nous causer, Epictète nous dit (Le Manuel, IV) : « Ainsi, tu seras plus sûr de toi en allant te baigner si tu te dis aussitôt : « Je veux me baigner, mais je veux encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature ». Et qu'il en soit ainsi pour toutes tes actions. Ainsi s'il te survient au bain quelque traverse, tu auras aussitôt présent à l'esprit : « Mais je ne voulais pas me baigner seulement, je voulais encore maintenir ma volonté dans un état conforme à la nature. Je ne la maintiendrais pas, si je m'irritais de ce qui arrive » ». C'est l'un des pivots de la pensée stoïcienne. Tout comme l'univers est indifférent à notre sort, nous devons être indifférents à sa marche. Mieux encore, épouser la marche du monde, accueillir le destin d'un cœur résolu, c'est faire acte de piété car c'est avoir fait sien le principe directeur qui guide l'univers lui-même. Et l'univers est par définition parfait donc divin. Ce sont ces considérations métaphysiques qui nous amènent à la raison. Et c'est par la raison que nous accéderons en retour au divin.

EPI-4.jpgNous devons donc ne nous préoccuper que de ce qui ne dépend que de nous car selon Epictète, l'une des plus grandes dichotomies à réaliser c'est celle existante entre les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas. Parmi les choses qui dépendent de nous, le jugement que l'on se fait de soi et de l'univers qui nous entoure. Ce qui dépend de nous, c'est tout ce qui a trait à notre âme et à notre libre-arbitre. Et parmi les choses qui ne dépendent pas de nous : la mort, la maladie, la gloire, les honneurs et les richesses, les coups du sort tout comme les actions et pensées de nos contemporains. L'homme sage ne s'attachera donc qu'à ce qui dépend de lui et ne souciera point de ce qui n'en dépend point. C'est là la seule manière d'être libéré de toute forme de servilité. Car l'on peut courir après richesses et gloires mais elles sont par définition éphémères. Elles ne trouvent pas leur origine dans notre être profond et lorsque la mort viendra nous trouver, à quoi nous serviront-elles ? Pour être libre, il convient donc de d'abord s'attacher à découvrir ce qui dépend de nous et ce qui n'en dépend pas. C'est bel et bien la première discipline du stoïcisme : celle du discernement. En se plongeant dans Le Manuel d'Epictète, on apprendra vite qu'il faut d'abord et avant tout s'attacher à ce que l'on peut et au rôle dont le destin nous a gratifié. Le rôle qui nous est donné l'a été par l'univers (que ce soit par l'entremise des Dieux ou par la voie des causes et des conséquences) et c'est donc avec ferveur que nous devons le remplir. C'est en faisant ainsi, cheminant aux côtés de ses semblables, modeste et loyal, que l'on sera le plus utile aux siens et à sa patrie. C'est bel et bien une vision fataliste de l'existence, un amor fati très européen. Rappelons-nous qu'aller à l'encontre du destin, c'est défier les Dieux et l'univers. Et pourtant... cela nous est bel et bien permis à nous Européens. La Sagesse consiste à savoir que cela ne peut se faire que lorsque tel acte est commandé par l'absolue nécessité et en étant prêt à en payer le prix. On se replongera dans l'Iliade pour se le remémorer. Mais comme il est donné à bien peu d'entre nous de connaître ce que le destin leur réserve, notre existence reste toujours ouverte. Il n'y a pas de fatalité, seulement un appel à ne jamais se dérober lorsque l'histoire nous appelle. Voici une autre raison de s'exercer chaque jour à contempler la mort. Car si nous ne nous livrons pas quotidiennement à cette méditation, comment réagirons-nous le jour où il nous faudra prendre de véritables risques, voir mettre notre peau au bout de nos idées ? Lorsque le Destin frappera à notre porte, qu'il n'y aura d'autre choix possible qu'entre l'affrontement et la soumission, le stoïcien n'hésitera pas. Que seul le premier choix nous soit accessible, voici le présent que nous fait le stoïcisme. Le Manuel, XXXII, 3: « Ainsi donc, lorsqu'il faut s'exposer au danger pour un ami ou pour sa patrie, ne va pas demander au devin s'il faut s'exposer au danger. Car si le devin te déclare que les augures sont mauvais, il est évident qu'il t'annonce, ou la mort, ou la mutilation de quelque membre du corps, ou l'exil. Mais la raison prescrit, même avec de telles perspectives, de secourir un ami et de s'exposer au danger pour sa patrie. Prends garde donc au plus grand des devins, à Apollon Pythien, qui chassa de son temple celui qui n'avait point porté secours à l'ami que l'on assassinait ».

Qu'en est-il à présent des trois disciplines du stoïcisme. Comme il a été dit précédemment, être et action découlent du discernement et l'on peut ainsi affiner la définition des trois disciplines du stoïcisme:

  • Discernement: On s'attachera à déterminer les choses qui dépendent de nous et celles qui n'en dépendent pas.
  •  Être: On se bornera à ne point désirer ce qui ne dépend pas de nous et inversement à désirer ce qui en dépend.
  • Action: On pourra alors agir selon ce que notre être nous commande et ne pas aller vers ce qui nous en détournerait.

EPI-3.jpgIl convient de s'attarder maintenant sur ces définitions de l'être et de l'action. Comme nous le voyons, non seulement nous devons aller dans la bonne direction mais qui plus est nous interdire tout ce qui pourrait nous en détourner. Vivre en stoïque, c'est vivre de manière radicale. Que l'on vive le stoïcisme en philosophe ou en citoyen ne change rien à cela. Il n'y a pas de place pour la demi-mesure. Une droite parfaitement rectiligne, c'est ce qui doit symboliser le chemin parcouru par l'homme antique, l'homme stoïque. Il a été dit plus haut que tout était éphémère, que tout n'était que changement. A partir de cette constatation, sachant que nous ne devons point désirer et accorder d'importance à ce qui ne dépend point de nous, il devient dès lors impossible de s'attacher à ses possessions, à ses amis, à sa famille. Ceux-ci ne nous appartiennent pas et rien de ces choses et de ces personnes ne sont une extension de nous-même. Hommes ou objets, nous n'en jouissons que temporairement. Et cela ne doit pas être vu comme un appel à l'indifférence et à l'égoïsme. L'enseignement qui doit en être retiré est que la vérité et l'exigence de tenue ne doivent pas tenir compte de ces que nos contemporains, si proches soient-ils de nous, peuvent en penser. De même, l'argent et les biens matériels ne sont que des outils. Des outils au service du bien, de la cité, de la patrie. Celui qui se laisse posséder par ce qui est extérieur à lui-même ne mérite pas le titre de stoïcien, le qualificatif de stoïque. Et à ceux qui verront le stoïcisme comme trop dur, Epictète répond que la Sagesse a un prix. Nous ne pouvons désirer la paix de l'âme et les fruits d'une vie de servitude. A vrai dire, à vouloir les deux à la fois, on n'obtient bien souvent ni l'un ni l'autre. Et à ceux qui se décourageront en chemin, Epictète rappelle que nous pouvons trouver en nous tous les outils pour persévérer. Face à l'abattement, invoquons la ferveur, face à la fatigue, invoquons l'endurance, face aux insultes et aux coups, invoquons le courage.

Quelles sont alors les valeurs qui doivent être invoquées en toutes circonstances par l'Européen sur la voie du stoïcisme ? Puisque tout n'est qu'éthique, puisque tout n'est que tenue, que doit-on se dire inlassablement pour être prêt le jour où le destin nous appellera ?

  • Méprise mort, maladie, honneurs, richesses
  • Ne te lamente de rien qui puisse t'arriver
  • Maîtrise-toi car tu es le seul responsable de tes actes
  • Joue à fond le rôle qui t'es donné
  • Agis ou lieu de décréter
  • Respecte les liens du sang, de hiérarchie et les serments
  • Ne te détourne jamais de ton devoir
  • Ne te justifie jamais, ris des éloges que tu reçois
  • Ne parle que lorsque cela est nécessaire
  • Ne commet rien d'indigne
  • Par ta conduite, amène les autres à la dignité
  • Ne fréquente pas ceux qui sont souillés
  • Modération en tout. Accepte les bonnes choses de la vie sans les rechercher. Enfin, ne les désire plus
  • Les Dieux gouvernent avec sagesse et justice :

« Sache que le plus important de la piété envers les Dieux est d'avoir sur eux de justes conceptions, qu'ils existent et qu'ils gouvernent toutes choses avec sagesse et justice, et par conséquent, d'être disposé à leur obéir, à leur céder en tout ce qui arrive, et à les suivre de bon gré avec la pensée qu'ils ont tout accompli pour le mieux. Ainsi, tu ne t'en prendras jamais aux Dieux et tu ne les accuseras point de te négliger »

Epictète, Le Manuel, XXXI

epi-6.jpgAller au-devant du monde le cœur serein. Rester droit face aux pires menaces et affronter la mort sans faillir, voilà la grande ambition du stoïcisme. En des temps troublés, l'Européen, quel que soit son rang, trouvera dans le Manuel tous les outils pour y arriver. Par la méditation, la raison et la maîtrise de soi il pourra se forger jour après jour une antique et véritable tenue. Le stoïcisme est également l'une des traditions par laquelle on peut se rapprocher du divin puis enfin mériter soi-même ce qualificatif. Devenir « pareil au Dieux » fut l'une des grandes inspirations de nos plus lointains ancêtres au sein de toute l'Europe. Germains et Celtes aux ancêtres divins ou Latins et Hellènes rêvant de prendre place à la table des Dieux, tous étaient habités par cette métaphysique de l'absolu qui guide nos âmes depuis nos origines. Une métaphysique de l'absolu qui les poussait à rechercher la perfection, l'harmonie, la beauté. Avec la raison menant au divin et le divin menant à la raison, le stoïcisme réussit un syncrétisme que beaucoup ont cherché à réaliser en vain pendant des siècles. Et cette sagesse n'est nullement incompatible avec les fois chrétiennes comme avec nos antiques fois européennes. Le libre penseur, l'incroyant lui-même n'en est pas exclu. Voilà pourquoi celui qui ouvre Le Manuel aura alors pour horizon l'Europe toute entière et ce, à travers toutes ses époques. Que celui qui contemple alors notre histoire se rappelle ces paroles d'Hector dans L'Iliade 5 (XII, 243) : « Il n'est qu'un bon présage, celui de combattre pour sa patrie ».

Pour le SOCLE :

De la critique positive du Manuel, les enseignements suivants peuvent être tirés :

                    - Le Manuel dicte la tenue idéale à tenir pour un certain type d'Européen.

                    - C'est un devoir sacré pour chacun d'être utile là où il est.

                    - Il ne saurait y avoir de réflexion sans action.

                    - L'honneur est au-dessus de la vie.

                    - L'hubris doit être condamné.

                    - On doit être guidé par une métaphysique de l'absolu.

                    - Le divin mène à la raison. La raison mène au divin.

Bibliographie

  1. Le Manuel. Epictète. GF-Flammarion.
  2. Pensées pour moi-même. Marc-Aurèle. GF-Flammarion.
  3. Histoire et tradition des Européens. 30 000 ans d'identité. Dominique Venner. Editions du Rocher.
  4. Le crépuscule des idoles. Friedrich Nietzsche. Folio Essais.
  5. L'Iliade. Homère. Traduit du grec par Fréréric Mugler. Babel.

mercredi, 21 septembre 2016

Die Flüchtigkeit des Hier und Jetzt

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Die Flüchtigkeit des Hier und Jetzt

von Gereon Breuer
Ex: http://www.blauenarzisse.de

mogMM.jpgBücher über die Finanzkrise hat es viele gegeben. Keines warnt so eindringlich vor der Flüchtigkeit des Hier und Jetzt wie Martin Mosebachs „Mogador“. Eine Rezension.

Die Penetranz, in der Martin Mosebach Form und Stil mit der ihm eigenen Detailverliebtheit verbindet, polarisiert seit Jahrzehnten. Seine Kritiker werfen ihm beständig vor, weitgehend handlungslose Romane zu schreiben, deren Lesen oder gar Wiederlesen sich nicht lohne. Wer sich aber einmal in Mosebachs Stil verliebt hat, der kommt von seinem Prosawerk noch viel weniger los als von seinen essayistischen Beiträgen.

Der jetzt erschienene Roman Mogador macht da keine Ausnahme. Die Erzählung beginnt mit der Schilderung eines Hamam-​Besuchs des Protagonisten Patrick Elff. Dieser musste, so stellt sich im Verlauf des Buches heraus, nach Marokko in die einst prachtvolle Hafenstadt Mogador fliehen. Zwielichtige Finanzgeschäfte und die drohende Entdeckung seiner Mitwisserschaft waren der Hauptgrund für die Flucht. So jedenfalls stellt es sich auf den ersten Blick dar. Denn so wie die Erzählung die Flucht und das abenteuerliche Leben von Patrick Elff im Rückblick schildert, so sind die Flucht selbst und ihr Grund auch nur im Rückblick zu verstehen.

Geld muss man sich leisten können

Die Erzählperspektive ist deshalb ein eindrückliches Stilmittel, weil sie ganz und gar nicht zum Protagonisten des Romans passen will. Patrick Elff ist ein Mann in den besten Jahren, für den der Blick zurück mit Stillstand gleichzusetzen ist. Nach einer wirtschaftswissenschaftlichen Promotion hat er dem Berufsbeamtentum der universitären Welt den Rücken gekehrt. In einer Beratungsfirma mit einem Schwerpunkt im Beteiligungsrecht begann seine Karriere in der Finanzwelt. Von dort wechselte er zu einer Bank, wo er recht schnell in der Hierarchie aufstieg und dabei auch deutlich ältere Konkurrenten hinter sich gelassen hat.

Er erscheint als Karrieremensch durch und durch, der vor allem von der Vorstellung getrieben ist, seiner als äußerst attraktiv beschriebenen Frau Pilar mit einem ererbten Millionenvermögen ebenbürtig erscheinen zu müssen. Geld, so wird schnell klar, wird für Patrick Elff wichtig, weil es für seine Frau nicht wichtig ist. Diese arbeitet nämlich nur zum Zeitvertreib als Immobilienmaklerin und lässt ihren Mann immer wieder spüren, dass sie finanziell am längeren Hebel sitzt. Aus Sicht ihres Ehemannes genießt sie diese Stellung und schöpft daraus einen großen Teil ihres Selbstwertgefühls.

Geld als Basis des Selbstwertgefühls

Der daraus resultierende Konflikt der Männlichkeit beginnt sich für Patrick Elff erst dann scheinbar zu lösen, als er in der Bank illegale Geschäfte entdeckt. Ein gewisser Dr. Filter nutzt die relativ lange Bearbeitungsdauer der Überweisungen von großen Geldbeträgen, um das Geld in einem Geflecht von Beteiligungsgesellschaften verschwinden und wieder auftauchen zu lassen, ohne dass die Kunden etwas davon merken. Die dabei entstehenden Zinsgewinne streicht er selbst ein und eröffnet Patrick Elff eine Beteiligungsmöglichkeit für sein Schweigen.

Mit der Aussicht, seiner Frau endlich auch finanziell ebenbürtig werden zu können, ist er zu diesem Schweigen gerne bereit. Dabei übersieht er, dass es Dr. Filter gar nicht um das Geld an sich geht, sondern nur um das Spiel damit. Ein Spiel, dessen Regelbeherrschung nach Dr. Filters Meinung von der Intelligenz eines Menschen abhängig ist, die er bei Patrick Elff und auch bei den meisten seiner Vorgesetzten nicht erkennen kann. Auch diese Intelligenz kann aber Dr. Filter nicht vor dem Selbstmord bewahren, der Patrick Elffs Welt des finanziellen Wohlbefindens in Schutt und Asche legt. Im Polizeipräsidium entschließt sich Elff nach einem peinlichen Verhör zur Flucht durch ein Toilettenfenster.

Ohne Geld nach Marokko

Warum aber ausgerechnet nach Marokko und noch dazu in eine heruntergekommene Hafenstadt? Der Grund dafür hat ein letztes Mal im Leben des Patrick Elff mit Geld zu tun. Mogador ist nämlich die Heimatstadt eines halbseidenen marokkanischen Geschäftsmannes, dem Elff bei einem seiner obskuren Geschäfte mit inoffizieller Rückendeckung des Vorstandes der Bank helfen muss. Dabei muss der Marokkaner gar keinen direkten Zwang ausüben.

Um Elff gefügig zu machen, reicht es aus, ihm in einem sehr teuren Restaurant den Lebensstil zu zeigen, den er mit viel Geld haben könnte. Auch kurz nach seiner Ankunft in Mogador will Elff zu diesem Lebensstil unbedingt zurück, weshalb er auch immer wieder versucht, den marokkanischen Geschäftsmann aufzusuchen. Ein Treffen kommt aber nie zustande, weil der Marokkaner nicht in der Stadt ist oder sich verleugnen lässt. Je unwahrscheinlicher ein Treffen wird, umso mehr beginnt auch das Geld als Symbol des Äußeren für Elff an Bedeutung zu verlieren. Dieser Bedeutungsverlust wird maßgeblich durch die Umstände befördert, unter denen er in Mogador leben muss.

Geld ist existenzgefährdend

Weil er sich ein Hotel nicht leisten kann, nimmt Elff gerne das Angebot an, im Haus einer gewissen Khadija unterzukommen. Was ihm erst als Notlösung erscheint, wird ihm mehr und mehr zu einer vertrauten Welt, in der er seine Bodenhaftung wiedergewinnen kann. Khadija ist ihm dabei eine gute Wegweiserin. Im Gegensatz zu ihm ist ihre Existenz rein innerlich ausgerichtet. Aus ärmlichen Verhältnissen stammend, hatte Geld für sie nie eine Bedeutung. Durch Konzentration auf ihr Inneres konnte sie sich dagegen immunisieren, dass Geld jemals Bedeutung für sie haben könnte. Das hat ihr eine innere Unabhängigkeit verliehen, die Patrick Elff vom ersten Moment an beeindruckt. Dass er diese Unabhängigkeit, über die auch der suizidale Dr. Filter verfügte, für einen monetären Machtkampf mit seiner Frau aufgegeben hat, stürzt ihn in eine tiefe Verzweiflung. Aus dieser erwacht er mit der Erkenntnis, dass die Flüchtigkeit des Hier und Jetzt, wie sie sich im Mammon materialisiert, existenzgefährdend sein kann.

Martin Mosebach (2016): Mogador, Rowohlt, 368 Seiten, 22,95 Euro.

samedi, 17 septembre 2016

Robert Stark interviews Keith Preston about Thinkers Against Modernity

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Robert Stark interviews Keith Preston about Thinkers Against Modernity

Robert Stark and co-host Alex von Goldstein interview Keith Preston about his book Thinkers Against Modernity

Topics include:

KP-th-1.jpgHow the book is an examination of thinkers critical of modernity from a value neutral perspective

How Keith is influenced by the intellectual tradition of the enlightenment, yet finds value in traditionalist critiques of modernity

Julius Evola as the purest critique of modernity

How the Right tends to have a pessimistic view of the present and idealizes a particular era of the past(ex. Julius Evola the 8th Century BC, Nietzsche the Sophist era in Ancient Greece, Traditional Catholics the Middle Ages, and mainstream conservatives the 1950’s or Reagan Era)

Defining characteristic of the Right include rejection of social change, egalitarianism, and universalism, and a fixed view of human nature

Nietzsche’s point that ideologies become new religions, and how the modern politically correct left is a new moralistic religion rather than genuine liberalism or Marxism

Aleister Crowley’s aristocratic individualism, and his view that capitalism and mass democracy degraded a genuine cultural elitism

The Distributist G.K. Chesterton and Hilaire Belloc, their views on the distribution of capital, and their critic of capitalism as degrading traditional values

Carl Schmitt’s view that democracy was incompatible with liberal individualism

How Carl Schmitt subscribed to the realist school of though and viewed the

United States as having an ideologically driven foreign policy

The United States as a nation founded on Classical Liberalism and the Enlightenment

The European New Right, how it was founded in the late 1960’s as a counter to the New Left, fusing aspects of the New Left with the conservative revolution of the interwar period

How the New Right tried to appeal to the left on issues such as anti-globalization, anti-consumerism, anti-imperialism, and environmentalism

The New Right’s critique of political correctness, feminism, and mass immigration as being products of capitalism

Noam Chomsky on capitalism and anti-racism

The American Alternative Right, how it is influenced by the European New Right, and how it is different

Guillaume Faye’s Archeo-Futurism and futurist thought on the right

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mercredi, 14 septembre 2016

Ce régionalisme peu connu

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Ce régionalisme peu connu

par Georges FELTIN-TRACOL

Au cours des quarante dernières années, la République française fut souvent confrontée aux revendications, parfois violentes, de mouvements régionalistes, autonomistes, voire indépendantistes, en Corse, au Pays Basque, en Bretagne sans oublier des contrées d’Outre-mer. La Catalogne du Nord, l’Occitanie, le Pays Nissart, la Savoie, l’Alsace connurent, eux aussi à un degré moindre, des réclamations similaires. On ignore en revanche qu’il existe en Normandie un mouvement régionaliste.

C’est l’histoire de ce régionalisme peu connu qu’étudie Franck Buleux. Son travail sort au moment où les régions basse- et haute-normandes s’unissent pour former une seule entité régionale : la Normandie. Cette unification constituait la raison d’être majeure du Mouvement Normand (MN). Fondé le 29 septembre 1969 à Lisieux par le député gaulliste Pierre Godefroy, l’universitaire Didier Patte et l’écrivain Jean Mabire, il se nomme avant 1971, Mouvement de la Jeunesse de Normandie (MJN) et rassemble, d’une part, les militants anti-communistes de la Fédération des étudiants rouennais (FER), et, d’autre part, les notables pro-gouvernementaux de l’URN (Union pour la région normande). « Le MJN se veut, non pas l’interlocuteur des masses, mais celui des élus. Il ne se fixe pas des objectifs électoraux, mais son rôle est de convaincre les élus normands de la nécessité, historique comme économique, d’unifier la Normandie (p. 103). »

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La Normandie une et diverse

Son dynamisme en fait vite le promoteur d’une identité normande enchâssée dans plusieurs cercles d’appartenance culturelle et politique spécifiques. « La Normandie, observe Franck Buleux, composée de fortes distinctions géographiques naturelles (notamment par la différence des sols) estimées au nombre de vingt-sept pays (le pays d’Ouche, le pays de Caux, le pays d’Auge, le pays de Bray, la Hague, le Val de Saire, le Cotentin, l’Avranchin, le Mortanais, le Passais, le Bessin, le Bocage, le Houlme, la campagne ou plaine de Caen, la campagne ou plaine d’Alençon, le Lieuvin, le Hiémois, le Thimerais, le Roumois, la Campagne du Neufbourg, la plaine de Saint-André, la Madrie, le Vexin, le Talou, l’Aliermont, le Petit Caux et le Perche) connaît aussi une distinction linguistique (p. 10). » S’ouvrant sur la Manche, la Normandie entre en résonance certaine avec le monde anglo-saxon (qu’il serait plus juste de dire « anglo-normand » !) et la Scandinavie.

buleux.jpgFranck Buleux s’intéresse longuement à la revue d’inspiration nordiciste Viking de Jean Mabire. « Fondée en mars 1949 et diffusée à partir de cette même date, y compris en kiosques dans l’ensemble des départements normands et dans la Capitale, [elle] se qualifia comme “ la revue des Pays Normands ” ou les “ Cahiers de la jeunesse des pays normands ”. Elle va illustrer, tout au long de sa pagination et de son existence, cette identification de la terre normande à son passé scandinave. Cette revue […] produisit un ensemble de 27 numéros entre mars 1949 et le printemps 1958 (p. 44). »

Contrairement à quelques groupuscules indépendantistes loufoques brièvement mentionnés, le Mouvement Normand « rejettera, dès son origine, toute volonté séparatiste vis-à-vis de la France qui entraînerait l’indépendance normande (p. 117) ». Il préfère se définir régionaliste et français. Il réclame par conséquent une véritable et profonde décentralisation. En effet, « au-delà de la réunification, l’objectif concomitant du MN est la reconnaissance d’un réel “ pouvoir régional ”, ce qui le distingue d’autres mouvements de droite, souvent considérés comme proches. Ainsi, Didier Patte reprochera généralement à la droite, ainsi qu’à l’extrême droite nationale, d’être certes, toutes deux, favorables à la réunification, mais d’être beaucoup plus réticentes à la mise en place d’un pouvoir régional, avec la dévolution de certaines prérogatives au profit d’une assemblée normande (p. 116) ».

Des actions plus culturelles que politiques

N’hésitant pas, le cas échéant, à présenter des candidats aux élections, le Mouvement Normand investit en priorité la métapolitique et l’influence auprès des élus locaux. Sa défense acharnée des intérêts normands du Cotentin à la vallée de la Seine, du littoral de la Manche à la Suisse normande, contrarie régulièrement les initiatives strictement localistes et presque égoïstes des maires, des conseils généraux et des conseils régionaux.

Afin de faire avancer ses idées qui ne se limitent pas à la seule unification normande puisqu’il aborde en permanence les questions économiques et d’aménagement du territoire, le Mouvement Normand dispose de deux périodiques : L’Unité Normande à tonalité politique et Culture Normande consacrée aux problèmes culturels. Franck Buleux n’évoque en revanche pas le médiat sur Internet, TVNormanChannel (TVNC), lancé en 2010. Son étude démontre finalement qu’en dépit du centralisme parisien multiséculaire et malgré l’unicité uniformisatrice propre à l’idéologie égalitariste républicaine, un régionalisme enraciné et conséquent aide au maintien du caractère pluraliste des nombreux terroirs qui façonnent cette « Europe en miniature », la France.

Georges Feltin-Tracol

• Franck Buleux, L’unité normande. Réalité historique et incertitude politique, Paris, L’Harmattan, coll. « Connaissance des Régions », 2015, 261 p., 26,50 €.

• D’abord mis en ligne sur Euro-Libertés, le 19 juillet 2016.

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

URL to article: http://www.europemaxima.com/ce-regionalisme-peu-connu-par-georges-feltin-tracol/

mardi, 13 septembre 2016

«Défense de la race» et «Solidarité anti-impérialiste», un dilemme pour la de pensée?

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«Défense de la race» et «Solidarité anti-impérialiste», un dilemme pour la de pensée?

par Daniel COLOGNE

Le concept de « tiers-mondisme » est forgé en 1952 par l’économiste et démographe français Alfred Sauvy. Étymologiquement, il évoque la recherche d’une « troisième voie » entre les deux impérialismes (étatsunien et soviétique) sortis vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Il trouve son expression politique dans la conférence des pays non-alignés réunis en 1955 à Bandoeng en Indonésie. Il finit par désigner le soutien à tous les « damnés de la Terre » et, de Frantz Fanon à Jean Ziegler, revêt une teinte progressiste.

lautre-tiers-monde-1.pngMais il existe aussi un « tiers-mondisme de droite » que son origine antérieure à 1952 autorise à qualifier de « paléo-tiers-mondisme » ou « tiers-mondisme » ante litteram. C’est ce courant de pensée qu’aborde le remarquable ouvrage de Philippe Baillet (1), sur une durée d’environ un siècle, avec un retour en arrière (p. 391) sur l’époque de la Révolution française.

Le livre de Philippe Baillet excelle par l’ampleur documentaire, le courage de l’engagement politique et une grande honnêteté intellectuelle. Hormis certains passages franchement polémiques, Baillet porte des jugements toujours nuancés sur des auteurs importants comme Renaud Camus, Alain de Benoist, Pierre-André Taguieff ou Guillaume Faye. Il conserve constamment une parfaite symétrie entre les points d’accord ou de désaccord qui le rapprochent ou le séparent desdits auteurs. Il manifeste un total respect pour les qualités humaines ou la hauteur de pensée d’un Maurice Bardèche ou d’un René Guénon, tout en développant par ailleurs une sévère critique de leurs idées.

Une remise en cause salutaire ?

L’autre tiers-mondisme interpelle tous ceux qui, comme moi, se sont beaucoup promenés en Guénonie et en ont fait longtemps leur province intellectuelle de prédilection. Après avoir lu le réquisitoire anti-guénonien centré sur les pages 17 – 19 et 233 – 271, on referme le livre de Baillet avec le sentiment que Guénon n’a pas sa place parmi les références de notre famille de pensée, c’est-à-dire la « droite radicale », que j’aurais tendance à nommer plutôt la « droite principielle », en raison même de l’influence de Guénon tout au long de mon parcours.

Baillet est très clair. La droite radicale doit recueillir l’héritage du « fascisme comme phénomène européen », dont le national-socialisme allemand lui semble la forme la plus aboutie. Le fascisme et le national-socialisme sont traversés par des courants alter-tiers-mondistes. Les adeptes de ces courants sont parfois regroupés sous l’expression d’Otto-Ernst Schüddekopf : « Gens de gauche de la droite (Die linke Leute von rechts) (cité p. 12). » C’est pourquoi Baillet opte finalement pour l’appellation « autre tiers-mondisme », de préférence à « tiers-mondisme de droite », qu’il utilise encore dans un article paru en 2013. Il est en effet difficile de classer « à droite » un homme comme mon compatriote (2) Jean Thiriart, qui se présente volontiers « comme un grand admirateur de Lénine (p. 165) ».

Redevenu nietzschéen après être passé par le traditionalisme intégral (Coomaraswamy, Guénon, Evola, dans l’ordre de leur année de naissance), Baillet estime le « sémitisme », dans ses trois déclinaisons judaïque, chrétienne et musulmane, totalement incompatible avec la vision albo-européenne du monde. Par conséquent, l’ouverture de notre famille de pensée à l’« autre tiers-mondisme » peut générer un véritable dilemme. D’un côté, il semble légitime que nous autres identitaires tendions à « reconnaître aux autres peuples ce que nous réclamons pour nous, l’accomplissement de notre particularisme racial (p. 48) », comme l’écrit Gregor Strasser dès 1932. Mais d’un autre côté, les peuples du tiers-monde, en lutte contre l’impérialisme devenu unicéphale (l’Occident américanocentré), donc théoriquement alliés de notre projet de régénération de l’Europe, épousent une trajectoire qui, via l’immigration de peuplement et le terrorisme islamiste, peut in fine mettre en péril, non seulement notre identité culturelle profonde, mais aussi notre substrat anthropologique.

Vers le milieu des années 1970, certains d’entre nous s’inquiètent déjà de la paradoxale solidarité qui lie des mouvements nationalistes-révolutionnaires à des « courants politiques hostiles au monde blanc (p. 220) ». À l’époque, Philippe Baillet est encore « alter-tiers-mondiste », mais aujourd’hui il considère cette position insoutenable. Elle lui semble d’ailleurs vouée à connaître, dans les milieux de la droite radicale européenne, un certain reflux, à cause des craintes légitimes engendrées par l’immigration de peuplement, l’installation durable de l’islam dans le paysage ouest-européen, le développement de l’islamisme radical, les crimes du terrorisme islamiste (p. 424) ».

fiumegda.jpgAux yeux de Baillet, l’immigration non européenne et non blanche et l’islamisation constituent deux périls conjoints. C’est une hydre à deux têtes qu’il faut mettre hors d’état de nuire en tranchant sans équivoque le dilemme susdit : non à la « solidarité anti-impérialiste », oui à la « défense de la race », qui postule le combat contre l’islam et l’immigration. Cette conclusion dénuée de toute ambiguïté est adossée à une pénétrante analyse historique des idées alter-tiers-mondistes déjà présentes, en 1919 – 1922, dans la Ligue de Fiume fondée par le poète-soldat italien Gabriele d’Annunzio.

Fascisme, national-socialisme et monde colonisé

En abordant le fascisme italien, Baillet souligne « les nombreuses rencontres entre Mussolini et Chandra Bose, le leader indépendantiste indien (p. 45) ». Mais il épingle aussi, de la part de l’Italie fasciste, « une politique incohérente envers le monde arabo- musulman (p. 41) ». Avant même la prise du pouvoir par le Duce, l’Italie relance ses prétentions en Afrique du Nord, qui ne sont à vrai dire que es velléités de fin de cycle colonialiste, quelque peu comparables aux rêves mégalomanes de la Belgique (autre pays de fondation récente).

L’Allemagne elle-même avait mené une politique coloniale contre-nature en Afrique. Après la perte de ses possessions africaines et de ses protectorats sur le Togo et le Cameroun, consécutivement à sa défaite de 1918, l’Allemagne revient à la claire conscience de n’avoir « jamais eu réellement la vocation coloniale (3) ». Le « principe de la continuité territoriale, de la continuité du sol (p. 74) » explique ce qui différencie l’Allemagne des puissances congénitalement poussées aux conquêtes d’outre-mer : le Portugal, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas (4). À ce principe géopolitique de la « continuité du sol » correspond la tendance philosophique allemande à exalter la « persévérance dans l’Être (Heidegger) », dont la « volonté de puissance » est l’expression nietzschéenne.

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Revenons à l’immédiat après-guerre 14 – 18 pour constater avec Baillet qu’un des leviers du revanchisme allemand est l’humiliation infligée à l’Allemagne par la France républicaine, « qui n’a pas reculé devant l’intégration de Sénégalais et de Maghrébins à ses armées », amenant ainsi « des Nègres jusque sur les rives du Rhin (p. 83) ». Il est clair que l’enrôlement de colonisés dans les armées des puissances coloniales est une forme d’immigration, mais en remontant plus loin dans le temps, on peut considérer du même point de vue la « traite des Noirs », flux migratoire massif de travail et de peuplement, trafic de chair humaine dont un grand port atlantique français fut un moment la plaque tournante. Des premières ébauches de contre-colonisation et de « remplacisme » sont audibles dès les années 1950 dans les milieux anarchistes (5). D’une manière générale, la colonisation est elle-même un grand flux migratoire dans le cadre d’une « première mondialisation » diagnostiquée, dès le XVIIe siècle, par un historien universitaire bruxellois (6).

En ce centenaire du scandaleux accord Sykes – Picot (1916) conclu par la France et la Grande-Bretagne au détriment des provinces non turques de l’Empire ottoman (Baillet en parle en note p. 157), il est bon de rappeler que « le régime fasciste et le régime national-socialiste affirmèrent très volontiers leur hostilité radicale aux empires coloniaux français et britannique, regardés comme des paravents de la démo-ploutocratie et de la finance internationale (p. 12) ». Mais certaines personnalités proches du NSDAP poussent la solidarité anticolonialiste jusqu’à l’adhésion à l’identité spirituelle des peuples colonisés. Tel est le cas de Johann von Leers, sur lequel je ne m’attarderai pas, car j’ignorais jusqu’à son existence. À l’opposé, et à l’intérieur même de la mouvance nationale-socialiste, Alfred Rosenberg prophétise « le flot montant des peuples de couleur (p. 82) » et la possibilité de voir l’islam devenir la religion fédératrice de ces peuples.

Un des grands mérites du livre de Baillet est de mettre au jour le foisonnement intellectuel d’une Allemagne hitlérienne animée par d’incessantes controverses. Son ouvrage est ainsi totalement non-conformiste. Il se situe à rebours du « bourrage de crânes (p. 448) » qui vise à faire passer depuis sept décennies, le national-socialisme pour une « dictature » matraquant la population allemande avec des slogans haineux et simplistes.

Un autre tiers-mondisme désormais politique

thiriart.jpgAprès 1945, l’autre tiers-mondisme « accède à une claire conscience de lui-même qui donne lieu à une formulation théorique cohérente (p. 161) ». Telle est l’œuvre de Jean Thiriart, fondateur de Jeune Europe et partisan d’une « Quadricontinentale », c’est-à-dire d’une coordination des luttes de libération nationale en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud (la « Tricontinentale » fondée à La Havane en 1966), mais aussi en Europe. L’histoire des idées est redevable à Thiriart de la désignation de l’« ennemi américain » au sein d’un courant de pensée pour lequel cette prise de position n’était pas évidente. Elle est consolidée, au sein de la « Nouvelle Droite », par Alain de Benoist, Giorgio Locchi et Guillaume Faye, en un temps où les États-Unis partagent encore avec l’Union Soviétique l’hégémonie duopole hérité de Yalta. Baillet montre très bien que la russophilie est un des traits récurrents et distinctifs de l’« autre tiers-mondisme », même avant la décomposition du communisme. Nous verrons d’ailleurs plus loin que lui-même invite aujourd’hui les identitaires albo-européens à se tourner vers la Russie de Poutine comme vers le salutaire « poumon extérieur » souhaité par Thiriart.

Maurice Bardèche est un autre exemple d’alter-tiers-mondisme. « C’est à l’enseigne d’une nébuleuse mystique fasciste, dont on chercherait en vain un commencement de définition, que Bardèche réconcilie régime nassérien et islam, sans jamais songer à distinguer l’islam comme religion et l’Islam comme civilisation, mais en les mélangeant allègrement (p. 149) ». À l’époque, la droite nationaliste cherche des « fascismes imaginaires » dans l’Égypte de Nasser ou la Libye de Kadhafi, un peu comme l’extrême gauche projette son idéal politique sur le Tiers-Monde sud-américain (Allende, Castro). Guevara lui-même a inspiré un des compagnons de route de la « Nouvelle Droite », un « lettré en quête d’une figure héroïque et romanesque (p. 32) » : Baillet veut parler de Jean Cau, auteur d’une « lecture romantique et naïve de la geste du Che (p. 31) ». Rendons cependant justice à l’auteur de La Grande prostituée qui, avant de succomber en 1979 au charme d’Ernesto l’Argentin, avait osé crier White is beautiful et nous avait donné vers 1975 l’un ou l’autre essai roboratif.

Revenant sur la Révolution française « nourrie par la passion de l’égalité, par définition insatisfaite (François Furet cité p. 393) », Baillet lui oppose « les couleurs inimitables du conservatisme anglo-américain (p. 397) ». Son intérêt pour la pensée contre-révolutionnaire d’Edmund Burke, dont un long extrait figure en tête du livre, ne s’insère pas dans son message « racialiste » comme une parenthèse inattendue. C’est notamment à l’idée de « race », totalement décriée de nos jours, que Baillet pense quand il évoque « le rôle socialement protecteur des préjugés (p. 402) ». Le préjugé racial « fondé en raison » ne postule nullement le dressage d’une hiérarchie rigide entre les ethnies. Il revient simplement à admettre le rôle de la race en tant qu’élément moteur de l’histoire et l’incompatibilité réciproque des « tropismes » de certaines populations que la « panmixisme utopique (p. 411) » condamnent le « vivre-ensemble ».

Par ailleurs s’esquisse sous la plume de Baillet un arc géopolitique albo-nordique qui, contournant une Europe de l’Ouest fatiguée et une France démissionnaire, « s’étendrait de Dublin à Vladivostok et qui, par le détroit de Behring, serait tout proche du Pacific Northwest cher aux nationalistes blancs des États-Unis (p. 453) ». Dans cette optique, la Russie est amenée à devenir le foyer d’irradiation d’une race blanche régénérée. Elle est aujourd’hui « le plus grand réservoir au monde d’hommes et de femmes de race blanche qui n’ont pas honte d’être ce qu’ils sont (p. 451) ». Elle est imperméable à l’ethnomasochisme comme l’est sa religion orthodoxe aux aberrantes dérives du christianisme occidental.

Que faire de l’islam (et de Guénon) ?

Mais replongeons-nous vers la fin des années 1970 où se produit un événement capital : la révolution iranienne de 1979. Certes, il s’agit de l’islam chiite, avec lequel Baillet croit une entente possible pour tous ceux qui aspirent à la régénération spirituelle de l’Europe. Cette entente n’est pas envisageable, selon lui, avec les diverses formes du sunnisme. Il semble néanmoins que le bouleversement de Téhéran donne, pour la droite radicale, le coup d’envoi d’un intérêt de plus en plus marqué envers l’islam dans son ensemble.

tot.jpgFondée deux ans plus tôt, la revue Totalité consacre un numéro spécial à la révolution iranienne et, dans les livraisons ultérieures, il est question d’une « croisade » (Antonio Medrano), qui « n’aura donc absolument pas lieu contre l’Islam, mais à ses côtés (p. 212) ». Éric Houllefort écrit que son camp est celui « du fanatisme des martyrs qui combattent et meurent dans la voie de Dieu (p. 210) ». Désormais, l’ennemi à désigner est la modernité. Le nationalisme-révolutionnaire se mue en un traditionalisme-révolutionnaire. Le monde de la Tradition auquel il est fait référence est celui décrit par Julius Evola et René Guénon. Sur la revue Totalité s’exerce l’influence de l’universitaire italien Claudio Mutti. Membre du groupe fondateur de Totalité, Baillet se livre aujourd’hui à une intransigeante critique de Mutti et de Guénon.

Claudio Mutti est un des militants de Jeune Europe de Thiriart dont le Denkweg va évoluer, selon Baillet, d’une manière très problématique. Lorsque Baillet fait sa connaissance en 1975, il a en face de lui quelqu’un qui « parlait déjà de l’islam, mais d’une façon qui n’allait guère au-delà de la volonté, classique chez les nationaux-révolutionnaires européens, de trouver des alliés politiques dans le monde musulman (p. 198) ». Mais dès 1978, Mutti se convertit à l’islam et se met à accumuler des choix que Baillet estime aujourd’hui, par delà la fascination exercée sur le « jeune militant » par l’« intellectuel fanatique et polyglotte », « erronés, aveugles et dangereux (p. 201) ».

Baillet fait à Mutti les griefs de brouiller « la vieille question monothéisme – polythéisme – paganisme (p. 213) », d’épingler quelques dérisoires aphorismes où Nietzsche se montre bienveillant envers l’islam, alors que la Grèce pré-platonicienne est la référence principale du penseur allemand (p. 228), et, last but not least, d’isoler un verset du Coran (XXX, 22) de manière à présenter l’islam comme favorable aux humanités plurielles, alors qu’il est, selon Baillet, universaliste et « a-racial (p. 225) ». L’auteur développe une sévère critique de Guénon et de ses continuateurs Frithjof Schuon, Michel Vâlsan et Charles-André Gilis. Je suis plus indulgent avec Schuon. Castes et races me semble un bon livre. La caste est bien analysée comme « tendance foncière » susceptible de « cristallisation sociale », comme principe de verticalité dans l’édification de la cité (alors que le racialisme relève d’un point de vue horizontal) et comme identité transversale somme toute assez proche de la « race de l’esprit » de Julius Evola. En revanche, là où je rejoins totalement Baillet, c’est quand il affirme la nécessité de soumettre les idées de Guénon à une analyse génétique de type nietzschéen, c’est-à-dire de les envisager au moins partiellement comme les produits d’une psychologie particulière, et notamment d’une « sensibilité exacerbée (p. 247) ». Je vais même plus loin en reliant le départ de Guénon vers l’Égypte en 1930 à la succession de déboires familiaux, sentimentaux et éditoriaux qu’il endure à la fin des années 1920.

Guénon-Planéte.jpgMais il faut fidèlement rendre compte des arguments de Baillet, pour qui Guénon n’est pas un penseur infaillible « missionné » par on ne sait quel Centre Suprême. Il reproche à l’œuvre de Guénon son caractère totalement impolitique (c’est lui qui souligne). À ses yeux, Guénon ne cesse de « penser hors sol ». Son indifférence à la dimension raciale est proportionnelle au « simplisme effarant » avec lequel il définit la notion de peuple qui, comme toutes les catégories intermédiaires entre l’individuel et l’universel, l’intéresse très peu. Il « sort de l’histoire » au point que son testament intellectuel de 1946 (Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps) ne contient pas une ligne sur le conflit mondial qui vient de se dénouer. À charge de Guénon, Baillet ajoute « sa méconnaissance presque totale du fait indo-européen », son approche de la mentalité moderne comme un « gigantesque envoûtement général », « son mépris affiché pour la coutume » et son ignorance des « réactions saines » de « régulation vitale » et de « défense immunitaire » garantissant la cohésion sociale.

Cela dit, il me semble abusif d’assimiler le Coran à un « invraisemblable fatras textuel (p. 225) ». Ce n’est pas faire allégeance au « parti islamophile », dangereux parce que « polymorphe », que rappeler la valeur numérique des lettres de l’alphabet arabe et ipso facto l’arithmosophie liée aux langues sacrées (hébreu, sanscrit, grec, latin). Une cohérence supérieure ne peut-elle être tirée d’une lecture coranique, biblique ou védique qui ne soit pas étroitement littérale ? Les récits des mythologies païennes sont-ils limpides ? Ne faut-il pas aussi un fil d’Ariane ésotérique pour cheminer dans leur labyrinthe, comme dans tous les dédales des légendes (legenda, choses devant être lues) ?

Il n’en reste pas moins que nous assistons de plus en plus à un « phénomène de remplacement » des Français de souche, sur leur territoire national ancestral, par des populations allogènes d’origine maghrébine et subsaharienne, pour l’essentiel (p. 372) ». Ce « grand remplacement » auquel Renaud Camus a consacré un livre majeur, s’accompagne d’un péril d’islamisation. Il est aussi observable, échelle réduite, dans quelques quartiers de ma commune natale de Molenbeek, en Belgique, où les premiers travailleurs marocains sont arrivés en 1964. Mais dans les faubourgs du Bruxelles comme dans les banlieues de Paris, le « chaos social » découle d’un discours officiel mensonger autour de notions comme la « multiculturalité » et l’« intégration ».

Le danger laïciste

Le Système prétend édifier une société « multiculturelle ». En réalité, il encourage la construction d’une société pluriraciale fonctionnant selon un seul critère d’intégration : l’adhésion au « modèle consumériste (p. 358) ». L’immigré qui ne s’assimile pas demeure fasciné par ce modèle et veut y « accéder tout de suite, ici et maintenant, sans effort et sans réciprocité sociale (Guillaume Faye cité p. 358) ». Il en résulte la délinquance des banlieues et lorsque le jeune allochtone arrive au point de rupture, il part s’engager pour Daech et peut revenir ensuite chez nous avec un projet d’attentat terroriste.

Mais à qui profite finalement le crime ? L’État islamique est une aubaine pour le Nouvel Ordre mondial américanocentré qui a retrouvé un ennemi à désigner, après la décomposition du communisme. Sa lutte contre l’« islamisme radical » peut de surcroît se présenter avantageusement comme un combat de la « civilisation » contre la « barbarie ». De même, à l’intérieur des sociétés européennes, et notamment de la société française, les « racailles » des périphéries urbaines sont un cadeau pour la nouvelle caste dominante où se côtoient des immigrés occidentalisés, qui renient leur tradition spirituelle, et des membres de « la gauche laïcarde (p. 387) », à laquelle Renaud Camus a tort de se rallier. Point n’est besoin d’employer le suffixe péjoratif -ard pour mesurer la potentialité négative d’une laïcité qui dérive en laïcisme.

moralelaique.jpgLa grande offensive laïciste de ces quarante dernières années est strictement contemporaine de l’immigrationnisme intensif, du relâchement des mœurs, du naufrage de l’enseignement, de la fièvre des questions sociétales et de l’émergence d’un type humain libéral-libertaire-libertin uniquement soucieux de sa « croissance personnelle ». Cette dernière expression est propre au mouvement New Age, que Baillet ne tient pas en grande estime, ce en quoi je suis totalement d’accord avec lui.

Globalement, je trouve d’ailleurs son livre très convaincant. Dans le sillage de Renaud Camus, Philippe Baillet lance un vigoureux appel à la lutte contre « l’éradication monstrueuse du sentiment identitaire, culturel, racial, civilisationnel (p. 450) ». Sans tomber dans le piège du conspirationnisme, il nous convie à nous interroger, non seulement sur les ennemis que nous devons désigner, mais aussi sur la ou les forces qui nous désignent comme ennemis. Pour reprendre l’heureuse formule d’un collaborateur de Réfléchir et Agir (7), il ne s’agit pas seulement de « savoir quelle est la nature du poison qui nous est inoculé 7, mais aussi d’identifier « qui tient la seringue ». pour ma part, je crois que la piqûre est administrée par le laïcisme davantage que par un « parti islamophile » sur lequel Baillet n’a toutefois pas tort d’attirer notre méfiante attention en raison de son caractère « protéiforme ».

Retour sur des années militantes

Puisque Baillet me cite à trois reprises, je ferai état de quelques souvenirs personnels et lorsqu’il s’agira d’auteurs mentionnés dans le copieux index de onze pages et vingt-deux colonnes, j’indiquerai la ou les pages de référence. En Suisse romande, où j’ai vécu et travaillé de 1970 à 1977, un groupuscule de droite radicale publiait la revue Renaissance, bientôt rebaptisé Le Huron. Un des membres défendait des idées relevant de « l’autre tiers-mondisme ». Gaspard Grass écrivait notamment sur la « troisième voie libyenne ». Il connaissait aussi très bien l’histoire des idées nationales-socialistes. Il leur avait consacré son mémoire de fin d’études. Petit-fils d’un militant de l’Union nationale, parti fasciste suisse d’avant-guerre, il m’a fait découvrir le fondateur de ce parti, Georges Oltramare, dont Baillet retrace avec exactitude le parcours tumultueux (pp. 67 et 93).

duprat.jpgAvec François Duprat, je n’ai eu que des relations épistolaires. Je ne puis donc ni confirmer ni infirmer le « dégoût physique (p. 24) » qu’il inspirait à Baillet et à d’autres. Il m’a accueilli dans sa Revue d’histoire du fascisme et m’a encouragé dans mon essai de transformer à Genève, le NOS (Nouvel ordre social) en un GNR (Groupe nationaliste-révolutionnaire). Le Genevois Georges Néri et moi-même avons crée le CCL (Cercle Culture et Liberté), à la tribune duquel ont pris la parole Jean-Gilles Malliarakis (p. 391) et Yves Bataille (pp. 178 – 179). Ma rencontre à Lausanne avec Gaston-Armand Amaudruz (pp. 159 – 160), qui reprochait à Evola de « débiologiser » la race, atteste que j’ai été aussi attentif que possible au discours identitaire de base, bien que ma préférence pour le traditionalisme intégral impliquât la revendication d’une identité tendancielle : la « race de l’esprit » transversale et trans-ethnique, la caste comme « tendance foncière (Schuon) ». Aux côtés de l’excellent germaniste Robert Steuckers (p. 99) militait le regretté Alain Derriks, dont je n’ai pas oublié cette remarque : la lecture d’Evola et de Guénon n’incite-t-elle pas à un alter-universalisme susceptible de détourner les identitaires des priorités de leur combat pour leur particularisme culturel et racial ?

Enfin, il va de soi qu’en même temps que Philippe Baillet (rencontré en 1977), Georges Gondinet est la personnalité qui m’a le plus marqué à l’époque. Notre collaboration comporte deux phases : 1975 – 1978 (Totalité, mais aussi, peu avant, Horizons européens, revue proche des idées de Thiriart, hormis son credo régionaliste) et 1982 – 1983 (fondation des éditions Pardès et de la revue L’Âge d’Or). J’assume l’entière responsabilité des torts dans notre rupture de 1984. En 1974, à la taverne genevoise du « Pied-de-Cochon », notre GNR de Suisse romande se réunit pour fonder sa revue Le Huron. Son rédacteur en chef Georges Néri a dû jeter l’éponge à la suite d’un chantage de son employeur. Mais ce soir-là, en milieu de jeunes collaborateurs (dont le signataire de ces lignes) surtout préoccupés par le terrorisme intellectuel des « Rouges », Néri fait sensation en lâchant : « Le communisme, cela passera, mais quand nous serons tous négrifiés, alors il sera trop tard. »

C’est pourtant un illustre Noir que je vais citer en conclusion. Si nous n’identifions pas clairement les « mécanismes de destruction » qui nous ciblent, nous courons au devant de défaites susceptibles de nous démobiliser. Méditons donc la devise de Nelson Mandela : « Je ne perds jamais. Je gagne ou j’apprends. »

Daniel Cologne

Notes

1 : Philippe Baillet, L’autre tiers-mondisme. Des origines à l’islamisme radical, Akribeia, Saint-Genis-Laval, 2016, 475 p., 25 €. L’intitulé de ma recension s’inspire d’un autre sous-titre qui apparaît, non sur la page de couverture, mais plus discrètement sur la page de garde.

2 : Je ne suis pas « Français d’origine wallonne (p. 199) », mais Belge de souche partiellement flamande par ma grand-mère paternelle.

3 : Remarque d’Adolf Hitler faisant partie des Bormann Vermerke (recueillies par martin Bormann) éditées par Bernard Plouvier sous le titre Derniers libres-propos, Déterna, Paris, 2010. Le propos ici concerné date du 7 février 1945.

4 : Tous ces pays ont une façade atlantique (directe pour quatre d’entre eux, indirecte pour les Pays-Bas, via la Mer du Nord, sous-espace maritime de l’Océan).

5 : Voir la chanson (très belle au demeurant) de Léo Ferré :
« Un jour, je m’en irai très loin en Amérique
Donner des tonnes d’or aux nègres du coton.
Je serai le bateau pensant et prophétique
Et Bordeaux croulera sous mes vastes pontons. »

Le Bateau espagnol

Le navire revient d’Espagne, toujours avec une Madone attachée :
« En poupe, par le col, mais d’une autre couleur. »

6 : Philippe Moureaux a aussi été pendant 20 ans bourgmestre socialiste de Molenbeek, dont les quartiers centraux donnent l’exemple, à échelle réduite, d’un « grand remplacement ». Il déclare ne pas avoir vu venir la radicalisation musulmane, si ce n’est sur le tard, le jour où une femme voilée a refusé de lui serrer la main. Il faut aussi rappeler la désastreuse politique urbanistique qui a frappé tout l’Ouest bruxellois en prévision de l’Expo 58 et lors du creusement du métro (début des années 1970).

7 : Cf. Réfléchir et Agir, n° 53, été 2016, p. 26.

Article printed from Europe Maxima: http://www.europemaxima.com

URL to article: http://www.europemaxima.com/defense-de-la-race-et-solidarite-anti-imperialiste-un-dilemme-pour-notre-famille-de-pensee-par-daniel-cologne/

lundi, 12 septembre 2016

Ellen Kositza und "Der Weg der Männer" von Jack Donovan

jack-donovan_der-weg-der-m-nner.jpgEllen Kositza und "Der Weg der Männer" von Jack Donovan

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Zum elften Mal stellt die »Sezession«-Literaturredakteurin Ellen Kositza bemerkenswerte Literatur vor. Diesmal geht es um »Der Weg der Männer« des US-Autoren und Maskulisten Jack Donovan, übersetzt von Martin Lichtmesz. Donovans Weg der Männer ist der Weg zurück zu selbstbewußter, starker Männlichkeit – eine klare Absage an Gender-Schwachsinn und den Babysitter-Staat!

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00:05 Publié dans Livre, Livre, Sociologie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jack donovan, livre, masculinisme, masculinité | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook