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mercredi, 28 juillet 2021

L'importance cardinale de la philosophie politique de Giovanni Gentile

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L'importance cardinale de la philosophie politique de Giovanni Gentile

"Genèse et structure de la société", ouvrage majeur de Gentile, est réédité par l'éditeur Oaks sous les auspices de Gennaro Sangiuliano

par Giovanni Sessa

Ex: https://www.barbadillo.it/99510-la-centralita-della-filosofia-politica-di-giovanni-gentile/

Giovanni Gentile a fourni, d'un point de vue théorique, une contribution essentielle à la philosophie italienne et européenne du vingtième siècle. Malgré des jugements préconçus, motivés par des raisons purement politiques et dictés par les directives de l'"intellectuellement correct", de nombreux critiques, libérés de ce conditionnement, reconnaissent aujourd'hui l'importance du penseur de Castelvetrano.

Gentile était non seulement un philosophe distingué, mais aussi un homme d'une noblesse d'esprit et d'un courage intellectuel hors du commun. La maison d'édition OAKS a récemment publié l'ouvrage que l'on peut franchement considérer comme son héritage spirituel, Genèse et structure de la société. Saggio di filosofia pratica (Genesi e struttura di società. Saggio di filosofia pratica), précédé d'un essai introductif qui contextualise la figure et l'action culturelle mise en œuvre par le philosophe, signé par l'éditeur, Gennaro Sangiuliano (pour les commandes : info@oakseditrice.it, pp. 194, euro 20.00).

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L'œuvre, qu'Ugo Spirito décrit comme la plus importante du penseur qui se définissait comme "actualiste", fut publiée à titre posthume en 1946; elle a été écrite à un moment dramatique de l'histoire italienne, entre septembre et août 1943, lorsque tout était perdu pour le régime fasciste: "soulager l'âme dans les jours d'angoisse" et "accomplir un devoir civique" (Gennaro Sangiuliano, éd.). "Pour accomplir un devoir civique" (p. 5), en vue de la future Italie. Il est donc possible de parler de la Genèse comme d'un témoignage, prononcé avant sa mort imminente, qui explique, dans le chef de Gentile en tant qu'homme et en tant que philosophe, quelle fut réforme morale et civile qu'il avait théorisée tout au long de sa vie. Le livre, issu d'un cours universitaire, montre une reprise des thèmes que Gentile avait déjà abordés en 1899 dans La filosofia di Marx, un auteur chez qui il avait perçu des critiques évidentes, mais aussi la résolution positive de la pensée dans la praxis. Dans ces pages, le philosophe actualiste part du concept de "Discipline", entendu comme la capacité de régir, en permanence et sans discontinuité, la coutume qui, dans sa répétition, se transforme en ce que les Romains appelaient les mœurs: "éléments de la singularité de l'esprit" (p. XXIX). 

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En particulier, le philosophe s'arrête pour analyser le rapport entre l'individu et la société, adoptant la définition d'Aristote de l'homme comme "animal politique", dont la vie "par excellence" se déroule dans la "société transcendantale" ou la "communauté". C'est seulement en elle que "l'altérité immanente du Moi est exaltée" (p. XXX). En tout cas, l'État, la dimension politique, vivent en l'intériorité de l'homme, ils ne naissent pas d'un contrat social, stipulé pour laisser derrière soi l'état de nature, l'état sauvage. Il existe donc: "une vox populi qui est ratio cognoscendi de la vérité [...] et c'est le consensus gentium cicéronien " (p. XXX). Cette voix, sans être sollicitée, s'exprime, sua sponte, spontanément et à sa propre façon, en chaque individu, en tant qu'enfant d'une histoire et appartenant, avec ses pairs, à un destin commun. De là découle la notion d'état éthique de Gentile, porteur, comme le savait bien Campanella, d'une "valeur absolue", dans la mesure où il y a en lui "une volonté commune et universelle du sujet " (p. XXXI). L'État authentique naît du mouvement d'une communauté, il ne se limite pas, comme le voudraient les théoriciens post-modernes, à être une organisation fonctionnelle et administrative. Elle est l'expression d'un peuple, enraciné dans un paysage, le résultat de son action dans l'espace.

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S'il existe un humanisme de la culture, l'humanisme du travail est tout aussi important pour les adeptes de la pensée actualiste de Gentile. Le travail, en effet, "n'est pas seulement une question de salaire, mais l'une des plus hautes expressions de l'esprit humain" (p. XXXII). Dans le travail, l'homme déploie la même capacité de réflexion, que celle qui s'exprime dans la créativité intellectuelle. C'est pourquoi le travail doit être protégé, en termes d'entreprise, contre toute action "atomisante" qui peut potentiellement être menée, en fonction des diverses contingences, par les entrepreneurs ou les employés. Défendre la dignité du travail implique de défendre le bien de la communauté. Gentile, à partir de Marx, postule l'identité absolue de la théorie et de la praxis et en vient, platoniquement, à identifier la fonction du philosophe à celle de l'homme politique. Les "politiques-philosophes" sont, comme le soulignera Eric Voegelin des années plus tard, des hommes à l'âme "ordonnée" et, par conséquent, des hommes qui savent et agissent avec vertu. Il est facile de comprendre comment, dans l'état actuel des choses, caractérisé par un désordre existentiel et politique, ces thèses gentiliennes sont d'une grande actualité.

Comment le penseur actualiste en est-il venu à développer de telles positions ? L'essai introductif de Gennaro Sangiuliano répond pleinement à cette question, en reconstruisant l'ensemble de l'itinéraire biographique, politique et spéculatif de Gentile. La reconstruction biographique contredit ce qui a été affirmé, entre autres, par Mimmo Franzinelli (dans Il filosofo in camicia nera. G. Gentile e gli intellettuali di Mussolini, 2021), dont l'analyse révèle qu'il n'est qu'une figure de penseur lié au pouvoir, à sa gestion, un dispensateur de faveurs "politiques". En réalité, le parcours du philosophe actualiste se caractérise dès le départ par une extrême cohérence. Après avoir obtenu son diplôme de l'Université Normale, il s'est proposé sur la scène intellectuelle nationale comme un penseur capable de donner une cohérence théorique aux "intuitions" de l'avant-garde du début du vingtième siècle. Au moment de sa collaboration avec Croce, il est l'auteur d'une critique organique des insuffisances de la culture positiviste et du socialisme tandis que, à travers l'exégèse du Risorgimento, compris comme Révolution-Restauration, présentée dans les écrits de Rosmini et Gioberti, il devient le porteur d'une réforme morale et civile radicale, à réaliser politiquement, de la nation italienne. Cela impliquait naturellement une metanoia, un "changement de cœur" des Italiens, dont le philosophe a été le témoin concret.

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Genèse et structure de la société de Giovanni Gentile

Dans l'interventionnisme, puis dans le fascisme, il a identifié la possibilité que cette réforme souhaitable devienne réalité dans le processus historique. L'éducation devra y jouer un rôle important: d'où son engagement en tant que pédagogue, ministre et directeur scientifique de l'Enciclopedia Italiana. Après le Concordat, il a quitté la fonction publique et, dans une certaine mesure, le régime lui-même. Il revient faire entendre sa voix dans le Discorso agli Italiani du 24 juin 1943. Voici le commentaire de Sergio Romano: "Il s'était tu au moment de la déclaration de guerre; il ne pensait pas se taire quand le sort de la guerre tournait au pire" (p. XXIV). Autant pour être un homme de pouvoir. Ce choix lui a coûté cher, il l'a payé de sa vie. Il est assassiné le 15 avril 1944 par un commando gappiste dirigé par Bruno Fanciullacci. En 2004, Jader Jacobelli, dans un article publié dans le Corriere della Sera, a ouvertement déclaré que le meurtre avait été perpétré avec la complicité de la direction du PCI.

L'harmonie sociale, la pacification nationale, dont parlait le philosophe dans son Adresse aux Italiens, sont encore loin d'être advenues. Nous devons encore compter avec les idées de Giovanni Gentile, c'est une urgence qui ne peut être reportée.     

Giovanni Sessa

 

lundi, 26 juillet 2021

Serge Latouche a écrit une biographie intellectuelle de Baudrillard

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Serge Latouche a écrit une biographie intellectuelle de Baudrillard

Par Francesco Marotta

Ex: https://www.grece-it.com/2021/07/08/serge-latouche-scrive-la-biografia-intellettuale-di-baudrillard/   

"Toute destinée, aussi longue et compliquée soit-elle, consiste en réalité en un seul moment : celui où l'homme sait pour toujours qui il est."

(Jorge Luis Borges, L'Aleph - 1949 -, Feltrinelli, Milan 1999, p.4).

Serge Latouche, professeur émérite de sciences économiques à l'université Paris-Sud, économiste et philosophe français, et principal théoricien de la décroissance, a écrit une biographie exceptionnelle sur Baudrillard. A partir du 18 mars 2021, son livre Quel che resta di Baudrillard : Un eredità senza eredi a été disponible dans toutes les librairies d'Italie. Une biographie intelligente, comme il y en a peu : Latouche donne largement la parole à ses capacités d'analyse et d'intellectualité, racontant Baudrillard mais sans se priver de mettre en évidence leurs points communs et ceux qui les ont toujours divisés.

Ceci, alors que le philosophe et politologue français, comme l'a rappelé à juste titre Alain Caillé, professeur émérite de sociologie à l'Université de Paris-Ouest Nanterre, n'est malheureusement "plus lu en France par les sociologues ou les philosophes (sans parler des économistes et des anthropologues)". Ce n'est pas vraiment le cas ici en Italie mais, contrairement à ce qui se passe en France, certains de ses vues éclairantes sur l'hyperréalité, sur Le système des objets de l'essai du même nom et sur la séduction du symbolique, etc. sont souvent reproposés, en adoptant un critère d'évaluation de la performance et de la production, inhérent au vaste répertoire bibliographico-intellectualiste. De plus, nous lisons des écrits qui ne vont pas au-delà des examens habituels de Baudrillard, manquant de perspicacité et incapables de tracer de nouvelles voies. Ceux qui tentent de nier ce fait ne font souvent pas de critiques argumentées de ses œuvres : ils ne sont bons qu'à détruire l'ex-marxiste ou le "traître" sorti des rangs de la nouvelle gauche socialiste. Plusieurs années plus tard, on peut dire que peu de choses semblent avoir changé pour les épigones de la gauche caviar. Et cela se double du silence assourdissant d'une droite qui n'a pratiquement jamais lu un livre ni de Latouche ni de Baudrillard, à quelques rares exceptions près, en ces temps difficiles de condamnations et d'évictions pour "collusion" avec l'ennemi.

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Pour ceux qui ne se soumettaient pas aux schématisations surmontées par l'histoire (il est arrivé la même chose à Baudrillard), pour ceux qui avaient un QI juste au-dessus de la moyenne, le couperet tombait inexorablement. Certains auteurs et universitaires, comme Vanni Codeluppi, ont réussi, grâce à leurs recherches, à mettre en lumière les phénomènes communicationnels présents dans l'idéologie de la consommation, les médias et la culture de masse. Ils n'ont pas baissé les bras et ont remis à sa juste place l'une des figures les plus controversées et les plus brillantes de la scène intellectuelle européenne, qui fait l'objet de nouvelles études et d'approfondissements appropriés.

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Et grâce à Latouche, il est désormais possible de lire entre les plis de la vie et de la pensée de Jean, entre les facettes du doppelgänger et du vagabond errant entre les choses du monde. Ils reprennent vie et apparaissent dans toute leur surprenante complexité : le gauchiste militant et bientôt désabusé, le génie qui suit un itinéraire correspondant à la forme et à la maturité de sa pensée, choisissant de poursuivre son chemin non pas de manière linéaire mais avec un "chemin en spirale". Et voilà l'anarchiste conservateur, le situationniste, le germaniste habile et le sociologue, le pataphysicien qui arrive à la "pathosociologie", pour Latouche le métalepsychiste qui se transforme en pataphilosophe, "Baudrillard avant Baudrillard" et le Jean qui viendra après. Certainement pas l'homme qui a répudié son identité, pensant ne plus vouloir la trouver dans les "grands espaces" et les déserts d'Amérique du Nord, traversant le désert de Mojave, le parc d'Anza-Borrego, l'Arizona et le Nevada.

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Sauf à réaliser, lors d'une conférence à Reims, ville historique du nord-est de la France et lieu de sa naissance, des origines de sa famille, qu'"on peut ne pas vouloir être classé ou compris en termes de références (note Ludovic Leonelli, ancien élève de Baudrillard), mais on ne peut pas prétendre être "de nulle part"". Les habitants du "village" le reconnaîtront comme l'un des leurs et Jean, à son tour, les reconnaîtra comme faisant partie de lui-même. L'érudit qui allait écrire sur l'Amérique à cette époque avait un œil pour le "cosmopolitisme total". Mais c'est aussi le même homme qui, dans le lieu où il a vécu toute son enfance, a su renouer les fils rompus avec " la trace d'un arrière-grand-père berger, de son grand-père petit paysan " et n'est certainement pas le déraciné qu'il prétendait être quand il disait que " la dimension locale est impure ". Après tout, il n'a jamais oublié ses amis d'enfance au Lycée de Reims, ceux de son adolescence qui étaient Michel Neyraut, dit le Philosophe, et Jean-Marc Segresta, dit le Baron et surnommé le Chanoine. Un microcosme, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans la région Champagne-Ardenne, où Jean a commencé à enquêter sur ce que d'autres considéraient comme superflu.

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Petit à petit, tout s'est éclairci pour lui : peu après l'arrivée des Américains, une question s'est posée dans son esprit sur la notion de surplus. Le macrocosme de l'envahissement des marchés par les Américains et du système d'actions pour les GIs apparaît bientôt dans toute sa large banalité. La question est évidente, "il n'y a pas de surplus" pour la raison que "tout est surplus", tandis que les ravages de la dévastation laisseront place à une amère constatation, la nouvelle religion de l'Occident : "la guerre est un surplus et même de plus en plus, elle nous submerge, elle se répand, elle est le surplus". Une réflexion qui n'est pas sans rappeler celle de Jünger dans ses Strahlungen, plus précisément dans son deuxième journal parisien de février 1943 à août 1944, approfondissant la déification du "monde comme une maison de fous rationnellement construite".

51VGXG2EdbL._SX210_.jpgLe ressort de la pensée spéculative de Baudrillard est sans aucun doute le double, clairement visible dans Le système des objets et dans presque toutes ses œuvres. Ce qui l'aide grandement, c'est le continuel "échange subtil entre les considérations générales et l'expérience personnelle". L'affirmation chère à Jean, selon laquelle "l'homme n'est jamais identique à lui-même", s'avère d'une telle conventionnalité que Latouche ne manquera pas de la saisir parfaitement. Dans le mythe de "l'étudiant de Prague", que Baudrillard cite souvent dans ses essais (voir L'échange symbolique et la mort), en effet, "son double tue son fiancé" et, à son tour, "le jeune homme se tue en tirant sur le double qui l'a déshonoré". Jean oppose au sens du double et du dédoublement, ce qui pour Latouche s'apparente à un certain engouement pour les peuples "primitifs". En résumé, cela n'a rien à voir avec le sens de la multiplicité de "l'antiquité polythéiste", mais beaucoup à voir avec "le dédoublement tel qu'il est vécu dans les sociétés européennes modernes".

Si pour Latouche le génie de Reims "retraçait l'histoire du double depuis l'antiquité polythéiste jusqu'à l'intériorisation de l'âme par le sujet chrétien", pour Jean il était beaucoup plus important de mettre en valeur un type de sujet "unifié et individualisé" qui fait effectivement partie du double. Un élément important d'une vision double de l'homme, bon ou mauvais, audacieux ou craintif, etc. Bien que l'homme soit beaucoup d'autres choses, beaucoup plus. En tout cas, à la page 56, c'est Baudrillard lui-même qui précise ce qu'il veut dire : "l'être se démolit dans d'innombrables autres, tout aussi vivants que lui, tandis que le sujet unifié, individué, ne peut que se confronter à lui-même dans l'aliénation et la mort". Et comme d'habitude, il recommence, perdant sa trace et reprenant le fil au besoin. La première chose qui vient à l'esprit en lisant cet extrait, c'est le temps qui s'est écoulé entre eux et qui leur a permis de se confronter sur leurs différences. Serge, si différent de Jean. Jean, avec sa maîtrise de l'écriture et du langage, si diamétralement opposé à Serge. Les réunir, c'est sans doute la biographie-dédicace d'un Latouche dans sa vieillesse, qui ne pouvait pas ne pas écrire quelque chose sur Baudrillard. Qui sait, il ne pouvait manifestement plus retenir ces pensées très justes et ces observations aiguës qu'il aurait eu le plaisir d'exposer à Baudrillard de son vivant. Mais les deux n'étaient pas en bons termes...

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Le Breton de Vannes, qui fut l'un des animateurs de la Revue du MAUSS (Revue du Mouvement Anti-Utilitariste en Sciences Sociales), a sûrement tenté de lui donner l'une des épithètes habituelles des milieux de gauche. Jean devient à son tour le "radical chic" du salon, habitué des expositions photographiques, le conférencier impénitent qui écrit, dit tout et le contraire de tout, sans jamais se couler dans la réalité. En tout cas, Latouche, esprit avisé et clairvoyant, a saisi ce que les détracteurs de Baudrillard (en partie les siens) ont ignoré en évitant de se regarder dans le miroir: Baudrillard a réussi à faire tenir ensemble deux polarités bien spécifiques, l'enracinement et le "cosmopolite". Ce dernier, au sens positif du terme. Il a traversé Mai 68 indemne et, surtout, conscient de l'importance qu'il revêtait pour sa génération, il a lu les événements avec des yeux non encombrés par les pièges de la culture pop et de son imagerie : il les a remis en question et les a poussés à l'extrême "dans un monde totalement dominé par le paradoxe". Ceci, alors qu'aujourd'hui encore personne n'assume la responsabilité de critiquer en profondeur les études culturelles avec une "pensée radicale", relative à la "racine", étant donné que "l'enjeu ne consiste plus en une explication mais en un duel, en un défi respectif de la pensée et de l'événement" (Power Inferno, Cortina Raffaello Editore, 2003, p. 20.). Au cours de ces années, il fait la connaissance de ce qui deviendra son ami de toujours, François Séguret, de George Perec et d'Edgar Morin, qui se souvient de lui au Centre d'études des communications de masse (C.E.C.M.A.S.). Mais bientôt, malgré son amitié avec Félix Guattari et la création en 1962 de l'Association franco-chinoise, qui produit une revue de style maoïste, il choisit d'entreprendre une "traversée" vers des domaines et des champs qui lui convenaient mieux. Avant tout, l'élaboration d'une critique respectueuse de Foucault qui déboucherait sur une véritable réflexion théorique sur l'importance de devoir oublier Foucault, à l'image du titre du livre du même nom. Comme nous le disions, une critique respectueuse que l'homme irritable a attachée à son doigt en l'ignorant, alors que le but était justement d'en discuter.

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Mais Jean n'a jamais vécu selon les cotes d'approbation des grandes figures culturelles de l'époque. Il a suivi sa propre voie, se livrant à des analyses peu audacieuses de l'"immondializzazione", terme qu'il a inventé pour mettre en évidence les distorsions de la mondialisation, de l'omniprésence d'un anti-utilitarisme par trop utilitaire, des aspirations ultra-consuméristes des classes moyennes et populaires liées à la logique sociale de l'abondance et de la "jouissance indexée sur la culpabilité" (jouissance honteuse) qui s'ajoutent, en aggravant la situation, à la "réintégration du manque de jouissance dans la jouissance". Il a également réussi à esquisser à l'avance les teintes plombées du paradoxe structurel de la croissance et de la perte de destruction de notre oikos. Ses réflexions continuent d'agacer, et plus d'un lui reproche d'avoir une écriture arty, tendant à l'autosatisfaction, révélant une déloyauté cachée à ses coups de gueule sur l'exhibitionnisme dans la société de masse.

Un énième j'accuse, une autre façon de tenter de cacher l'addiction à l'artificialisation même du monde et des choses. Pour reprendre les termes de Latouche, qui ne lésine certainement pas sur ce travail, l'ensemble fait partie du complexe de démonstrations plastiques de la manière dont le simulacre doit "ne plus être compris comme ce qui cache la vérité, mais comme ce qui cache l'absence de vérité". Une virtualisation et une altération des choses qui vivent aussi des opinions d'un vague "opinionnisme", "dominé par des modèles qui se suivent compulsivement : cela vaut pour la mode, la communication politique, etc.". Le même discours qui suit servilement la naissance continue de sagas commémoratives et de processus d'intentions pour recycler "à titre posthume ou artificiel", des événements du passé qui "témoignent d'une histoire encore vivante". Bien sûr, raconté pour ce qu'il n'a jamais été. Un festival plutôt qu'une saga de l'indifférence qui alimente la fascination pour les effets détériorants de l'excès, étendu à toutes les sphères et tous les domaines. L'auteur de Ce qu'il reste de Baudrillard : un héritage sans héritiers nous éclaire sur la question, allant jusqu'à évoquer une hypothétique complicité de Baudrillard avec le "Système", complicité ou duplicité qui le verrait se dérober aux tics de la gauche face aux critiques de cette même gauche : illustrant les risques de la "tentation du nihilisme" dont Jean n'était pas exempt. Ce soupçon est totalement infondé, voire contradictoire, puisque les suppositions de Latouche s'articulent sur la base d'une "juxtaposition entre les propos de Baudrillard et d'autres positions nominalistes", comme celles de Bruno Latour, de Jean-Loup Amselle, partisan de la non-existence des groupes ethniques, et de bien d'autres. Une erreur que l'auteur ne prolonge pas longtemps, évitant de gravir plus haut une crête pleine d'incertitudes et hérissée de conjectures: Baudrillard aborde le nihilisme de "différents côtés et avec différentes thèses sur la réalité". En particulier, écrit Latouche, il est aussi un "grand nihiliste devant l'éternel et le cadavre de l'éternel, ou, dans son cas, le cadavre du réel...". Du point de vue de Serge Latouche, la réponse est implicite. Il enrichit le contenu d'une lecture inédite de Baudrillard, où il y a le moindre doute à dissiper sur la bonté de l'œuvre de l'économiste et philosophe français. Une biographie et un travail intellectuel que seul un esprit libre comme Baudrillard pouvait encourager.

Serge Latouche

Quel che resta di Baudrillard. Un'eredità senza eredi, Bollati Boringhieri, 2021,

360 pages, euro 27.00

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12:21 Publié dans Livre, Livre, Philosophie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : philosophie, jean baudrillard, serge latouche, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

vendredi, 23 juillet 2021

Le paradigme monopolaire dans un monde polycentrique

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Le paradigme monopolaire dans un monde polycentrique

par Yevgeny Vertlieb

Recension de la monographie de Leonid V. Savin Ordo Pluriversalis : the Revival of a Multi-polar World Order.

Alexandre Douguine, penseur et leader bien connu du mouvement international eurasien, est convaincu que le meilleur des systèmes est un ordre mondial multipolaire qui remplacerait à terme l'ordre "unipolaire " (1). La défense d'un modèle d'ordre mondial multipolaire est le leitmotiv de la monographie, que nous analysons ici, et qui émane du politologue L.V. Savin (2). Le livre a été écrit et publié à l'occasion du 100ème anniversaire de la publication de l'ouvrage du prince N. S. Trubetskoï "L'Europe et l'humanité" - le premier, selon Douguine, qui constitua un véritable texte eurasiste, une théorie structurée de l'eurasisme de première mouture, composé "pour vaincre l'Occident de l'intérieur". La publication d'information et d'analyse Geopolitika, dirigée par Leonid Savin, a été amenée, en raison de sa farouche position orthodoxe et pro-eurasienne, à être considérée par le département d'État américain comme l'un des piliers de "l'écosystème de la propagande et de la désinformation russes". Le comité de rédaction de ce think tank russe, quant à lui, considère les sanctions américaines comme punitives - "faisant partie d'une répression soutenue dirigée contre les sources d'information alternatives qui n'acceptent pas l'ordre du jour néolibéral, celui d'un monde unipolaire".

L'analyste du système qu'est Leonid Savin mène tambour battant un "brainstorming" pour identifier les dispositifs des systèmes adverses et développer des règles et des mécanismes pour l'établissement et le fonctionnement d'une sécurité globale pour tous. L'argument est que le vieux modèle de "la bonne démocratie contre le mauvais autoritarisme" ne fonctionne plus; que des alternatives aux modèles et aux dogmes dépassés sont nécessaires; que le courant occidental du néolibéralisme-mondialisme cède la place à un monde multipolaire dominé par des valeurs conservatrices. Le changement devient le déclencheur de la dé-modernisation et annonce la réadaptation des modèles et des schémas antérieurs qui avaient régi relations internationales.

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Cette expertise par Savine de la multipolarité est désormais le thésaurus d'une approche non occidentale déterminée par une perspective multivariée sur l'ordre mondial.

Cette monographie repense les fondements de l'État pour y inclure la religion, l'économie, les visions du monde propres aux peuples réels, les attitudes à l'égard du temps et de l'espace, les thèmes de la sécurité et de la souveraineté, le nationalisme et les civilisations. Cette exploration à plusieurs niveaux de la structure polycentrique du système politique mondial s'appuie sur une abondance de faits illustratifs et contient des conclusions existentielles-substantielles originales.

L'équilibre des forces est une loi de la politique et une condition de la non-guerre. Le trouble bipolaire est un malaise bloquant de la politique et une aggravation des contradictions de la société. L'équilibre des pôles mutuellement opposés a pris fin avec l'effondrement de l'URSS. Pour la sécurité mondiale, une telle rupture dans le système bien rodé d'extinction des conflits en résonance est comparable au cataclysme naturel de la croûte terrestre lorsque les plaques tectoniques nord-américaine et eurasienne ont divergé et que des failles géantes sont apparues - le danger des conséquences du déséquilibre de la parité des pouvoirs : la tentation d'une frappe impunie contre l'ennemi ontologique. Et le pathos du discours de Winston Churchill à Fulton en 1946 confirme cet axiome : "L'ancienne doctrine de l'équilibre des forces est désormais inadaptée. Nous ne pouvons pas nous permettre - autant que faire se peut - d'agir à partir d'une position de faible prépondérance, qui introduit une tentation d'engager une épreuve de force". D'où : même une petite prépondérance de forces stratégiques provoque l'expansion.

Le "moment unipolaire" de l'ordre mondial centré sur les États-Unis a duré de la fin 1991 (année de l'effondrement de l'URSS) au 15 septembre 2008 (avec l'effondrement de Lehman Brothers). Les États-Unis sont toujours une superpuissance. Mais ne sont plus un tuteur mondial: ils sont un centre de gravité, un médiateur. Les universitaires J. Nye et R. Keohane estiment qu'en tant que régulateur mondial, un seul État fort ayant le pouvoir d'approuver les règles de base régissant les relations interétatiques et la volonté de le faire est suffisant. Un centre de pouvoir parallèle et émergent revendique de manière hégémonique sa ceinture chinoise mondiale. À court terme, cependant, il n'y aura pas d'"ère à deux pôles".

Le "soft power" de la Chine obtient ce qu'il veut. La Chine a utilisé avec succès la mondialisation pour mener à bien la modernisation sans occidentalisation. Elle s'obstine à former ses propres espaces géopolitiques (SCO, BRICS) et géoéconomiques (zones de libre-échange). Avec son ambitieux projet "One Belt, One Road", elle fait d'une pierre trois coups : 1) elle empêche le pays de tomber dans le "gouffre d'un ralentissement économique imminent", 2) elle construit et protège ses infrastructures avec des bases militaires, et 3) elle attire les pays en développement dans l'orbite des plans stratégiques chinois. Leurs stratèges archaïques parlent de domination économique, culturelle et militaire sur les autres pays et d'un "ordre international fondé sur un système unipolaire" dans lequel la Chine fixe seule les règles. Ils n'ont certainement pas oublié les trois siècles de confrontation géopolitique avec la Russie. Après le conflit de Daman en 1969, les Chinois se sont jusqu'à présent contentés d'un "voisinage harmonieux" avec la Russie, considérée comme "l'arrière" de la géopolitique chinoise. Mais ils ont aussi la géostratégie du fouet à revendre : l'établissement d'une alliance temporaire avec un pays lointain pour vaincre un ennemi voisin. Pékin est capable de tirer un maximum de dividendes - même de l'effondrement de la bipolarité USA-URSS.

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Dans un monde en mutation, l'azimut de la confrontation géopolitique n'est plus Ouest-Est, mais les conglomérats rivaux : l'Union européenne, la zone de libre-échange nord-américaine (ALENA), la zone de la "grande économie chinoise", le Japon et le groupe des pays de l'ANASE. Le monde est consolidé institutionnellement par paires (OTAN-ODCB, G7-SCO, UE-CIS) (3). Un ordre mondial trop interdépendant (aux États-Unis, par exemple, les produits pharmaceutiques de la Chine) est marqué par la prudence puisqu'il faut adhérer au "consensus de légitimité, de souveraineté et de gouvernance".

Mais dans l'actuelle "tripolarité" conflictuelle, il est difficile de parvenir à une harmonie dans les relations internationales. Le modèle multipolaire est né avec la consolidation de la géopolitique comme stratégie visant la sécurité et la justice dans les affaires internationales depuis le Congrès de Vienne en 1815. La multipolarité correspond à la géostratégie actuelle de la Russie, qui consiste à "équilibrer l'équidistance" (ou généraliser le principe d'"équidistance").

Le livre de Leonid Savine établit une méthodologie permettant d'évaluer la multipolarité de retour: c'est un concentré de propédeutique (le commencement des commencements), d'anamnèse (repérer ce qui a précédé), de diagnostic (ce qui est) et de prédiction (ce qui sera) de l'état transitoire actuel où l'ordre mondial est en phase de reformatage. Le concept de culture stratégique (4) est considéré comme un élément d'identification spécial, important pour l'État.

Dans une confrontation multipolaire "tout contre tout", une connaissance inexacte de l'ennemi est dangereuse pour un état-major militaire. Cette vulnérabilité a coûté à Joachim von Ribbentrop la potence et à Adolf Hitler sa défaite dans la guerre. Il est utile pour les développeurs des systèmes qui gèreront les nouvelles relations internationales et la politique globale de se familiariser avec les concepts avancés par Leonid Savine: la théorie du néo-pluralisme, la synthèse de la politique esthétique et de la quatrième théorie politique. La théorie de la politique durable de notre auteur repose sur une pensée holistique conservatrice; elle est particulièrement attrayante pour les personnes orientées "extra-libérales". Le rejet du libéralisme radical, qui caractérise les sociaux-démocrates européens ainsi que les républicains de droite du type gaulliste-adenauérien, pourrait constituer la base d'un rapprochement entre les partisans d'un équilibre durable dans la communauté mondiale. La Russie, dans une situation d'agitation anarchique au siècle dernier, a changé le paradigme de l'orientation spirituelle et civique de la société - vers un libéralisme modéré. "Seule l'énergie du conservatisme raisonnable et libéral, écrivait le savant et homme politique russe B. N. Tchicherine, peut sauver la société d'une vacillation sans fin".

Dans le livre de Leonid Savine, l'abondance des méthodes scientifiques proposées pour décrire un nouveau type d'ordre mondial est frappante: système de systèmes, néofonctionnalisme, systèmes adaptatifs complexes, relationnisme, multiplexité, polylogue, systase et synérèse.

Les zones aveugles de la pensée postmoderne, où l'homme est désorienté dans un "tunnel", deviennent "visibles" grâce aux centres d'intérêt de Savine. Qui repousse les limites de la connaissance de l'homme et du monde. Cette familiarisation avec la vision eurasienne-conservatrice de la polycentricité aidera les analystes de systèmes à développer des stratégies optimales en politique étrangère et une approche multipolaire-polycentrique-pluriverse dans les sciences politiques, des innovations très nécessaires pour le système de sécurité mondial à une époque de turbulences géopolitiques. Le potentiel de conflit dans la multipolarité dépend du résultat de l'intégration stratégique de ses composantes, sous le parapluie unique d'une puissance forte en tant qu'arbitre mondial des différends. Cette approche est proche des idées de Carl Schmitt, Richard Rosencrantz, et Alexander Douguine.

Notes:

(1) Unipolaire et monopolaire sont synonymes. En anglais, "unipolar" ou "monopolar". En traduction anglaise, nous utiliserons "monopolar".  

(2) Ordo Pluriversalis : la renaissance d'un ordre mondial multipolaire. Maison d'édition Oxygen, Moscou, 2020. Traduction anglaise publiée sous le titre Ordo Pluriversalis : The End of Pax Americana and the Rise of Multipolarity. Black House Publishing Ltd, Londres, 2020.

(3) OTAN : Organisation du traité de l'Atlantique Nord ; OTSC : Organisation du traité de sécurité collective ; G-7 : Groupe des sept ; OCS : Organisation de coopération de Shanghai ; UE : Union européenne ; CEI : Communauté des États indépendants.

(4) Il est intéressant de noter que l'auteur a fait une lecture aux diplomates et aux militaires au George C. Centre européen Marshall, Allemagne, son cours spécial "L'esprit russe". Pendant le cours, une grande attention a été accordée à "l'importance stratégique de la culture".

Publié dans Global Security and Intelligence Studies - Volume 6, Number 1 - Spring / Summer 2021.

jeudi, 22 juillet 2021

Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de J.B.E. Goldstein

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Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de J.B.E. Goldstein

Ex: https://rebellion-sre.fr/theorie-et-pratique-du-collectivisme-oligarchique-de-j-b-e-goldstein/

« C’était un lourd volume noir, relié par un amateur sans nom ni titre sur la couverture. L’impression paraissait légèrement irrégulière. Les pages étaient usées sur les bords et se séparaient facilement, comme si le livre avait passé entre beaucoup de mains. Sur la page de garde, il y avait l’inscription suivante : théorie et pratique du collectivisme oligarchique par Emmanuel Goldstein. » Ces mots décrivent l’instant où Winston Smith tient entre ses mains le livre pour la première fois. Il est seul chez lui, se sent en sécurité et commence alors la lecture en savourant chaque mot, chaque phrase, avec une attitude quasi religieuse. C’est l’œuvre damnée par excellence et le lire en Océania relève de la plus grande des transgressions par le simple fait que son auteur, Goldstein, est « l’ennemi du peuple », « le traître fondamental » qui commandait un réseau clandestin de conspirateurs appelé la Fraternité. On raconte qu’il y avait « des histoires que l’on chuchotait à propos d’un livre terrible, résumé de toutes les hérésies […], et qui circulait clandestinement çà et là. Ce livre n’avait pas de titre. Les gens s’y référaient, s’ils s’y référaient jamais, en disant simplement le livre ». Avant de se faire traquer puis torturer par la police de la Pensée, Winston aura eu le temps de lire le premier chapitre « L’ignorance c’est la force » et le troisième, « La guerre c’est la paix »…

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Le lecteur aura bien évidemment reconnu le très fameux 1984 de Georges Orwell, roman dystopique incontournable, écrit en 1948 et qui sous de nombreux aspects, fait écho au monde d’aujourd’hui. Pourtant, ce qui semble être une fiction totale issue d’une imagination débordante, est remise en question dans une vidéo datant de 2014 et qui atteste de l’existence du livre Théorie et pratique du collectivisme oligarchique d’un certain J.B.E. Goldstein. Cette vidéo qui se présente comme une « courte histoire d’un livre maudit » nous explique qu’un client de brocante a trouvé en Belgique un exemplaire dans un carton de vieux livres de sciences politiques datant des années 40. C’est en tombant justement par la suite sur un article traitant de 1984 et qui affirme que le livre en question n’existe pas, que ce client compris la valeur de ce qu’il avait en sa possession. Concernant cette découverte, la vidéo ne nous donne pas beaucoup plus de détails et laisse planer un certain mystère. Qui est ce client ? Dans quelle brocante l’a-t-il déniché ? Où se trouve actuellement l’unique exemplaire ? A-t-il déjà était examiné par des spécialistes ? Sa conclusion est en tout cas sans appel : George Orwell a bien eu connaissance de la théorie de Goldstein, et 1984 n’est qu’une version romancée de ce traité politique. Il est à remarquer que la personne qui met en ligne la vidéo est la même qui publie le texte entier 20 jours plus tôt sur Internet Archive – même pseudo, même principe de compte à usage unique – et l’on peut donc imaginer qu’elle connaisse la vérité sur toute cette affaire. En libre accès sur internet depuis maintenant 7 ans, le texte est désormais disponible en format papier chez Kontre Kulture. 

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Cet ouvrage qui a été traduit du russe en 1948 s’ouvre sur une dédicace pour le moins étrange : « En hommage à mon ami et Frère Édouard Boulard à qui je dois l’idée de cet essai. » L’existence de ce dernier ne laisse planer aucun doute, c’est un militant socialiste et franc-maçon de la fin du xixe siècle qui a notamment écrit une brochure intitulée Théorie et pratique du collectivisme intégral-révolutionnaire, un essai de philosophique politique largement inspiré des idées de Spinoza et qui on ne peut plus modestement se donne pour projet d’« exposer le pourquoi et le comment de tout ce qui est dans le Temps et l’Espace, ainsi que le Vrai et le Faux des principales énigmes que les faits posent à l’Humanité »…

La suite du texte est une citation du chapitre xviii du Prince de Machiavel et qui semble néanmoins avoir était complétée par l’auteur : « Qu’un prince veille donc, avant tout à conserver son État. S’il réussit, les moyens seront toujours estimés honorables, et loués d’un chacun. La foule ne juge que d’après les apparences et les résultats ; le monde entier n’est qu’une foule et pense comme une foule. Les isolés, capables de penser et de comprendre, se tairont, ou on les fera taire. » Ce passage terrible donne le ton et il fait en réalité office d’introduction tant il est révélateur de ce que vont proposer les quatre chapitres du livre. D’ailleurs les titres parlent d’eux-mêmes et sont connus pour être les slogans de l’AngSoc, le mot en novlangue qui désigne le socialisme anglais dans le livre 1984 : « I. Politique intérieure. L’ignorance, c’est la force » ; « II. Information. Qui contrôle le présent contrôle le passé, qui contrôle le passé, contrôle le futur » ; « III. Économie. La liberté, c’est l’esclavage » ; « IV. Politique extérieure. La guerre, c’est la paix ». La théorie du livre est clairement machiavélienne dans le sens où la fin de la politique est la recherche consciente du pouvoir pour le pouvoir et son maintien dans le temps. Il y a donc cette idée complètement assumée que le cœur de l’oligarchie se loge dans les techniques de manipulation des masses issue tout droit de la psychosociologie du xxe siècle d’où les nombreuses références à Psychologie des foules de Gustave Le Bon et Propaganda d’Edward Bernays. La règle fondamentale de la doctrine de J.B.E. Goldstein qui oriente tout le processus de fabrication du consentement se trouve au tout début du premier chapitre : « Il y a une nécessité de ne jamais dévoiler ses véritables intentions à la masse, et de lui présenter d’autres raisons auxquelles on sait qu’elle est sensible. Ainsi il faut nettement séparer la forme de l’intention, et la véritable intention. » Parmi de nombreux exemples, Bernays – neveu de Freud et père de la propagande institutionnelle moderne – est convoqué pour illustrer ce qui pourrait faire songer à l’actualité : Vous êtes le responsable des ventes d’un grossiste en viande et vous voulez décupler la vente de bacon dans le seul but de réaliser du profit (véritable intention) alors inutile de vanter le prix bas du bacon mais faites plutôt appel au corps médical qui se prononcera publiquement sur les effets bénéfiques de sa consommation car manger du bacon tous les matins au petit-déjeuner améliore la santé de tous (forme de l’intention). 

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À vrai dire, ce livre laisse derrière lui plus de questions que de réponses. Qui est véritablement ce J.B.E. Goldstein ou plutôt qui se cache derrière ce pseudonyme ? Est-ce le manuel ésotérique – dans le sens de ce qui se transmet à des initiés, à des adeptes – d’un diplomate russe ou est-ce simplement Orwell lui-même ? Il est possible aussi que ce texte soit le travail d’un fan, un canular à la belge mais si c’est le cas attention, c’est une contrefaçon qui a vraiment beaucoup de classe, une falsification de très belle facture qui doit être considérée sérieusement. Il y a dans ce livre une vraie maîtrise de la philosophie, de la psychologie et de la sociologie qui pourrait même laisser penser à un travail de groupe, c’est un travail considérable qui n’est pas à la portée de tout le monde aujourd’hui. À la lecture, il y a un ton d’authenticité qui se dégage et une justesse du propos qui finalement, quelle que soit sa date d’écriture, met en évidence les tenants et aboutissants de la machinerie oligarchique. 

Contrefaçon ou pas, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique de l’énigmatique J.B.E. Goldstein donne la possibilité au lecteur, lorsqu’il est mis en perspective avec 1984, de repenser les interactions entre ce qui fonde la réalité et la fiction dans une société où le spectacle domine et où le mensonge est roi.  

David

J.B.E. Goldstein, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique,  Kontre Kulture, 448 pages, 24,50 euros

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dimanche, 18 juillet 2021

"Ernst Jünger et les fulgurances d'un contemplateur solitaire"

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"Ernst Jünger et les fulgurances d'un contemplateur solitaire"

Un entretien avec Luca Siniscalco, éditeur chez Bietti du livre de Nicolaus Sombart "Ernst Jünger. Un dandy dans les tempêtes d'acier".

Propos recueillis par Michele De Feudis

Ex: https://www.barbadillo.it/98602-ernst-junger-e-le-folgorazioni-di-un-contemplatore-solitario/

Luca Siniscalco, vous qui êtes spécialiste de la tradition et de la littérature allemandes, comment est né l'essai de Nicolaus Sombart sur Ernst Jünger ?

"Le petit volume Ernst Jünger. Un dandy nelle tempeste d'acciaio (= "Ernst Jünger. Un dandy dans les tempêtes d'acier") traduit une brève mais importante contribution de Nicolaus Sombart parue sous le titre Der Dandy im Forsterhaus (littéralement, "Le dandy dans la maison du forestier") dans le journal allemand Der Tagesspiegel du 29 mars 1995.

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La version italienne que j'ai éditée, qui contient également une brève introduction au texte et une bibliographie essentielle de l'œuvre de Sombart, met à la disposition des lecteurs italiens une œuvre que l'auteur, qui s'est largement intéressé à la tradition révolutionnaire-conservatrice, quoique sous un angle essentiellement critique, tout au long de sa production d'essayiste, a conçue à l'occasion du centenaire d'Ernst Jünger (1895-1998) - et au moment même où Klett publiait le quatrième volume des journaux de Jünger intitulé Siebzig verweht.

Le texte de Sombart est donc une "mise au point" sur le Contemplateur solitaire, une esquisse "radiographique" d'un protagoniste fascinant et énigmatique du vingtième siècle, tout d'abord en raison de son caractère universel, au sein duquel toute définition possible est engloutie par sa fréquentation assidue des lieux "au mur du temps".

Pourquoi l'auteur définit-il Jünger comme la "conscience stylistique de l'Allemagne" ?

"Selon Sombart, Jünger est un auteur paradoxal - et pour cette raison même fécond - parce qu'il est déchiré par une dialectique interne entre l'identité allemande et le souffle "cosmopolite" international. Jünger est donc la "conscience stylistique de l'Allemagne", un "phénomène dans l'histoire de la littérature allemande", un "sismographe" (définition d'Ernst Niekisch, mais c'est Sombart lui-même qui la cite) de l'Allemagne moderne dans toutes ses transformations du 20ème siècle. "Plus que quiconque, il peut être décrit comme le chroniqueur d'un siècle d'histoire allemande - son siècle. Jünger est donc la forme, le type, l'archétype, le style - ça va sans dire au sens nietzschéen - de l'Allemagne. Dans le même temps, Jünger est toujours au-delà, épiant les domaines de cette superhistoire qui ne parle ni allemand, ni français, ni italien, ne connaissant que les silences de l'ineffable.

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L'écriture de Sombart est intentionnellement consacrée à l'identification des tendances fondamentales de l'œuvre de Jüngler, qui se situe entre l'héritage allemand (lui-même le résultat de la conjonction de quatre idéaux-types, que Sombart considère, dans sa perspective d'adepte actuel des Lumières, avec une suspicion évidente: le militarisme aristocratique prussien, l'idéal de l'"Allemagne secrète", l'amour anti-moderne de la nature, le goût de l'insolite, qui se traduit par une passion pour la collection et le catalogage) et l'idéal "européen" et "international" du dandy. Sombart souligne que c'est le "dandysme" de Jünger qui apparaît comme son véritable trait dominant. C'est la quintessence d'une prise de pouvoir qui l'élève au-dessus du niveau du conteur allemand des bois et des prairies et qui fait de lui une superstar internationale. En cela, il surpasse ses rivaux Stefan George et Thomas Mann, qui, malgré tout leur talent, sont et restent des Allemands de province.

Quelle est la pertinence de la figure de l'écrivain allemand des Orages d'acier dans l'Allemagne d'aujourd'hui ?

Le succès, l'interprétation et " l'histoire des effets " de Jünger en Allemagne semblent comparables, pour autant que je sache, à son destin italien. Jünger est généralement connu comme un grand écrivain et un grand styliste - n'oublions pas qu'en 1982 il a remporté le prestigieux prix Goethe -, il a évoqué un petit cercle de "dévots" et d'enthousiastes, souvent liés à des cercles politiques conservateurs, pour les premiers, à des contextes de recherche académique (philosophique surtout) pour les seconds. Il reste un objet de suspicion au niveau de la vision anthropologico-politique et en vertu de son approche mythico-symbolique de la connaissance. Le destin d'un Anarque excentrique et inaccessible, que la modernité peine à métaboliser et préfère souvent marginaliser.

La Ernst und Friedrich Georg Jünger Gesellschaft, une association d'études dédiée aux frères Jünger, basée à Wilflingen, à laquelle j'ai le plaisir d'être associé, protège sa figure avec beaucoup de sérieux et de rigueur.

À l'heure du mondialisme, est-il possible de revenir à la vision de l'"État universel" développée par Jünger ?

"Ce n'est pas seulement possible, c'est nécessaire. C'est précisément parce que le statu quo exige des réponses capables de dépasser l'idée d'État-nation du 19ème siècle pour se tourner vers des perspectives continentales et futuristes que le texte de Jünger est plus que jamais d'actualité pour nous fournir des stimuli prospectifs.

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À première vue, l'enquête de Jünger sur l'État universel semble confirmer les espoirs des mondialistes. En fait, si l'on lit attentivement l'essai, il apparaît clairement que l'approche de l'auteur est avant tout phénoménologique, c'est-à-dire descriptive et non normative. Le fait que nous soyons destinés à évoluer vers un État mondial ne fait aucun doute pour tout analyste avisé. Les puissances titanesques et telluriques dont la technologie et le capitalisme sont l'épiphénomène historique vont dans ce sens. Ainsi, "l'état du monde n'est pas simplement un impératif de la raison, à réaliser par l'action conséquente d'une volonté. Si c'était le cas, si ce n'était qu'un postulat logique ou éthique, tout irait mal pour nous à l'avenir. C'est aussi quelque chose qui arrive. Dans l'ombre qu'elle projette devant elle, les anciennes images s'effacent. Jünger semble probablement avoir négligé la réapparition récente, à la fin du 20ème siècle, des racines ethnico-religieuses, du "choc des civilisations" sur lequel Huntington avait attiré l'attention. Et pourtant, si sa prophétie politique, qui rejoint d'une certaine manière l'idée de la "fin de l'histoire", semble, du moins dans le présent, loin de se réaliser, il est indiscutable que l'État mondial s'est réellement affirmé dans notre for intérieur, au sein d'un globalisme subtilement envahissant, qui, grâce à un solutionnisme technique et à la fourniture d'une anthropologie de nivellement des masses, conquiert les consciences plutôt que les territoires.

L'homme a la tâche d'affronter cette tendance avec une posture et un style dignes (mais pas nécessairement statiques). Jünger évoque, une fois de plus, le style de l'Anarque, qui, par son pouvoir de transfiguration, impose sa propre forme à la chaîne des événements. Même l'État mondial, selon la thèse de Jünger, peut devenir un nouveau Heimat si, pour citer l'introduction perspicace de Quirino Principe à cet essai, "l'individu, dans un monde dépourvu de formes symboliques, en produit de nouvelles, privilégiant la liberté à l'organisation et à l'ordre".

@barbadilloit
propos recueillis par Michele De Feudis

mercredi, 14 juillet 2021

Nederland de Guillaume Faye: un roman posthume prenant et déjanté

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Nederland de Guillaume Faye: un roman posthume prenant et déjanté

Par Johan Hardoy

Ex: https://www.polemia.com/nederland-de-guillaume-faye-un-roman-posthume-prenant-et-dejante/?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=la_lettre_de_polemia&utm_term=2021-07-14

Découvrez la dernière histoire « foutraque » d’un penseur original : Nederland de Guillaume Faye. À noter que ce roman posthume est édité par Daniel Conversano via sa maison d’édition Alba Léone.
Avant toute chose, il convient de présenter brièvement l’auteur, disparu en 2019 à l’âge de 70 ans, pour comprendre comment cet ouvrage posthume s’inscrit dans son œuvre.

Un intellectuel original

Né en 1949 à Angoulême, dans un milieu bourgeois, Guillaume Faye a tout d’abord appartenu au premier cercle des jeunes théoriciens de la Nouvelle Droite réunis autour d’Alain de Benoist.

Il développait alors une théorie politique favorable à une lutte commune des Européens et des ressortissants du « Tiers-monde » contre l’américanisme et le sionisme, visant à combattre le système capitaliste néolibéral et son corollaire, le déracinement des populations (cf. son excellent livre, « Le Système à tuer les peuples », paru en 1981 aux Éditions Copernic).

Après un début de carrière fulgurant, Guillaume Faye a quitté ce milieu dans les années 1980 pour exercer diverses activités parfois surprenantes. Il est ainsi devenu, entre autres, un animateur pourvoyeur de canulars en tout genre dans une radio libre très populaire auprès des jeunes !

À la fin des années 1990, il est revenu dans le débat culturel et politique en publiant plusieurs ouvrages très remarqués dans les milieux nationalistes. En rupture avec certaines de ses idées de jeunesse, il a adopté un discours très virulent à l’encontre de l’Islam, tout en se proclamant tout d’abord « judéo-indifférent » puis partisan d’une alliance de raison avec les « sionistes ». Selon lui, les musulmans constituent en effet les « ennemis » d’une « Eurosibérie » destinée à s’unir de l’Atlantique au Pacifique, les impérialistes américains n’en étant que des « adversaires ».

Guillaume Faye a également proposé divers concepts, dont celui d’« ethnomasochisme » qui a rencontré un succès certain au-delà même des groupes identitaires et radicaux.

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Par ailleurs, il s’est beaucoup intéressé à la dimension « faustienne » de la civilisation européenne et aux avancées et promesses de la techno-science. Un autre de ses concepts, l’« archéofuturisme », exprime une volonté de dépassement des idéologies de la modernité par le biais d’un retour à des « valeurs archaïques » conjuguées à la plus franche modernité technologique. Une réaction jugée nécessaire devant la « convergence des catastrophes » qui s’annonce sur le continent européen…

Un roman posthume prenant et déjanté

Son dernier livre n’est pas un essai ou un pamphlet, mais un récit rocambolesque dont le protagoniste principal est un triste sire prénommé Bartholomé. L’action se passe dans un univers parallèle et sur une planète qui ressemble beaucoup à la nôtre.

Cet anti-héros, qui réside dans la capitale d’un pays qui rappelle trait pour trait les États-Unis, tombe fou amoureux d’une voisine qu’il observe régulièrement de la fenêtre de son appartement, car elle habite en face de chez lui. Après avoir remarqué une présence masculine chez la belle, il décide de se procurer une arme de chasse et un silencieux pour éliminer son rival, ce qui lui permettra d’adresser la parole à la jeune femme pour la première fois en allant la consoler. L’occasion se présente bientôt lorsqu’il aperçoit les deux tourtereaux qui prennent l’air sur le balcon. Il passe immédiatement à l’acte en tuant l’homme, tout en cherchant à effacer les traces de son crime.

Très vite, d’importants moyens policiers et même militaires sont mis en œuvre, car, ô surprise !, la victime s’identifie au Président de la République Franck Nederland !

Interrogé lors de l’enquête de voisinage, l’assassin lance spontanément les enquêteurs sur une fausse piste qui les oriente vers un groupe subversif connu. En outre, la presse révèle que sa voisine, qui recevait en secret le Président chez elle, est une journaliste dont les « sympathies dissimulées et implicites » sont favorables à ce mouvement révolutionnaire, ce qui conduit à sa mise en détention provisoire.

Bartholomé est alors invité au journal de 20 heures de la chaîne télévisée la plus regardée, car son témoignage, qui a évidemment « fuité », se révèle déterminant. Parmi les téléspectateurs, une détective privée décide pourtant de reprendre l’enquête parce qu’elle est intuitivement convaincue que c’est lui le tueur.

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En attendant, la voisine est rapidement condamnée, en première instance, à la peine de mort pour complicité et incitation au meurtre sur la personne du Chef de l’État.

De son côté, la détective avance vite, puisqu’elle a déjà retrouvé l’arme du crime cachée maladroitement.

Quelques jours plus tard, c’est donc au tour de Bartholomé d’être arrêté et incarcéré. Des preuves matérielles l’accusent désormais, notamment après la découverte chez lui des douilles des balles utilisées pour tuer le Président.

Son avocat, un ténor pénaliste du Barreau qui le défend gratuitement parce que son procès lui assurera une grande notoriété, lui explique quel doit être son système de défense : il doit plaider le crime passionnel en affirmant que sa voisine l’a séduit en vue de l’inciter à tirer sur un homme qu’elle lui a présenté comme un harceleur violent sans lui révéler sa véritable identité.

Cette version, appuyée par deux faux témoignages commandités par son défenseur, emporte la conviction du jury et la sentence prononcée ne s’élève qu’à vingt ans d’emprisonnement.

En détention, le condamné, qui entend depuis longtemps une voix lui parler, devient pieux et reçoit la visite d’un prêtre.

Pendant ce temps, le successeur du Président doit contrecarrer les rumeurs qui l’accusent d’avoir fomenté un complot pour éliminer son prédécesseur…

La suite de l’histoire réserve encore de multiples rebondissements mais pas question de les « divulgâcher », comme disent plaisamment nos cousins québécois !

Au-delà de l’histoire d’un pauvre hère devenu assassin par jalousie et pris dans un engrenage qui le dépasse, Guillaume Faye met en scène la conduite de gouvernants qui n’hésitent pas à enfreindre la légalité, par le biais d’assassinats si nécessaire, pour protéger leurs positions. Quelques-uns d’entre eux peuvent bien être plus légalistes, mais leurs convictions sont vite contrariées par des menaces de révélation de dossiers en possession des services secrets, à moins qu’elles ne leur coûtent tout simplement la vie…

L’auteur s’est manifestement beaucoup amusé à enchaîner les péripéties et les clins d’œil ironiques, dans un style qui rappelle celui d’un scénario de film, loin des exposés philosophiques et politiques auxquels il nous avait habitués.

Il est bien possible qu’au soir de sa vie, il ait voulu nous proposer une leçon de sagesse : partir sur un éclat de rire !

Johan Hardoy
12/07/2021

Nederland, Guillaume Faye, Éditions Alba Leone, 289 pages, 25 euros

mardi, 13 juillet 2021

Dix réflexions sur la terre et la mer

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Dix réflexions sur la terre et la mer

Adriano Scianca

Ex: https://www.centrostudilaruna.it/terraemare.html

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"L'histoire du monde est l'histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances terrestres et des puissances terrestres contre les puissances maritimes". Ainsi Carl Schmitt, dans son petit chef-d'œuvre Terre et Mer (Adelphi, Milan 2002). Le Schmitt que nous rencontrons ici n'est pas le penseur scientifique et rigoureux que connaissent tous ceux qui ont lu ses textes juridiques, mais plutôt le lecteur de Guénon et le connaisseur expert du symbolisme ésotérique, engagé de manière quasi obsessionnelle dans la recherche de la clé symbolique de l'histoire de l'humanité. Or, cette clé symbolique, pour Schmitt, c'est le conflit des éléments. Sillonnant le globe "avec la roue et la rame" - pour reprendre une expression de Carlo Terracciano - l'homme a toujours perçu son propre être au monde à travers l'expérience du choc séculaire entre la Terre et la Mer.

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Que représentent la Terre et la Mer sur le plan géophilosophique ? La Mer est d'abord la négation de la différence, elle ne connaît que l'uniformité, alors que dans la Terre il y a toujours variation, dissemblance. La mer n'a pas de frontières, à l'exception des masses continentales à ses extrémités, c'est quelque chose qui lui est antithétique, l'anti-mer. La Terre est toujours sillonnée par des frontières tracées par l'homme, au-delà de celles qu'elle donne elle-même comme barrières naturelles. La mer, c'est la mobilité permanente, le flux sans centre stable, le "progrès". C'est le chaos et la dissolution. La Terre est la constance, la stabilité, la gravité. C'est la hiérarchie et l'ordre. La mer est le capital, la terre est le travail. Le travail est tellurique dans la mesure où il est fixe, c'est la production concrète ; le Capital est au contraire liquide, c'est l'exploitation et l'aliénation. Le travail crée, le capital détruit. La Terre-Travail est donc incarnée par l'Est métaphysique, la terre de ce qui naît (sol orient, soleil levant ; " orient " en vieux russe est vostok, " se lever ", tandis qu'en allemand c'est Morgenland, terre du matin), tandis que le Capital-Mer est l'Ouest métaphysique, ce qui meurt (sol occidens, soleil déclinant ; " Ouest " est zapad, " tomber ", en russe et en allemand Abendland, la terre du soir, du déclin). Concrètement et historiquement, la Mer est incarnée par les thalassocraties anglo-saxonnes, la Terre par la tellurocratie continentale eurasienne.

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Le conflit entre la terre et la mer acquiert ainsi un caractère concret, historique et politique. Oswald Spengler (Prussianisme et socialisme, Edizioni di Ar, Padoue 1994) a illustré ce choc par l'opposition entre l'esprit communautaire prussien et l'individualisme anglais. Pour l'auteur du Crépuscule de l'Occident, les âmes anglaise et prussienne s'opposent comme deux instincts, deux "on ne peut pas faire autrement" : d'une part, l'esprit authentiquement socialiste, l'essence de l'État, la subordination à la totalité communautaire ; d'autre part, l'esprit individualiste, la négation de l'État, la révolte de l'individu contre toute autorité. Le type anglais et le type prussien "révèlent la différence entre un peuple dont l'âme s'est formée dans la conscience d'une existence insulaire, et un peuple gardien d'une marque, dépourvu de frontières naturelles et par conséquent exposé à l'ennemi de tous côtés. En Angleterre, l'île a remplacé l'État organisé." D'où aussi la perception différente de ce que doit être l'économie et de ses finalités : " de la manière de percevoir la réalité qui distingue le véritable colon de la marque frontière et l'Ordre chargé de la colonisation, découle nécessairement le principe de l'autorité économique de l'Etat. [...] Le but n'est pas l'enrichissement de quelques individus ou de chaque individu, mais le renforcement maximal de la Totalité. [...] L'instinct de maraudeur sur les mers qui caractérise le peuple insulaire comprend la vie économique d'une manière entièrement différente. Ici, c'est une question de lutte et de butin".

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L'existence insulaire - donc non-historique et non-politique - typique de l'Angleterre se retrouve multipliée à la puissance n dans la théologie occidentaliste américaine. L'Amérique - l'éternelle Carthage, l'anti-Eurasie par excellence - est à tous égards l'héritière géopolitique et géophilosophique de l'Angleterre. L'esprit mercantile, l'instinct de prédation et l'individualisme bourgeois y atteignent des niveaux délirants. La conscience de l'insularité conduira les Américains à se considérer comme les habitants d'une forteresse inattaquable, ce qui renforcera également leur certitude de représenter les élus du Seigneur. L'Amérique se conçoit comme la terre promise séparée des nations corrompues (Thomas Jefferson : "heureusement pour nous [nous sommes] séparés par la nature et un vaste océan des ravages exterminateurs d'un quart du globe") et comme l'île imprenable. Cette illusion de sécurité prend fin le 11 septembre 2001. Ce jour-là, l'Amérique rencontre son propre jumeau : le terrorisme. L'action des pirates de l'air rappelle inévitablement le caractère fluide, mobile, indéfinissable de l'essence de l'Amérique. Le terrorisme, en effet, est quelque chose d'insaisissable, d'introuvable : il n'a pas d'uniformes, pas de règles, pas de limites ; il n'a pas d'État, pas de centre fixe, pas de Terre. Le terrorisme est le miroir de l'Amérique.

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Le titanisme prédateur, pirate et mercantile typique des thalassocraties est animé par une soif de domination inextinguible qui ne peut être limitée par aucune règle. La règle, en effet, distingue, discrimine, sépare ; la mer, au contraire, ne connaît pas de distinctions ni de différences, pas même entre la guerre et la paix, les combattants et les civils. La guerre devient une continuation du marché par d'autres moyens, elle n'est plus ontologiquement différente de la paix. Dans la guerre terrestre, observe Schmitt dans l'ouvrage cité ci-dessus, "les armées s'affrontent dans des batailles ouvertes et rangées ; en tant qu'ennemis, seules les troupes engagées dans l'affrontement se font face, tandis que la population civile non combattante reste en dehors des hostilités. Tant qu'ils ne prennent pas part aux combats, ils ne sont pas des ennemis et ne sont pas traités comme tels. La guerre maritime, quant à elle, repose sur l'idée que le commerce et l'économie de l'ennemi doivent être affectés. Dans une telle guerre, l'"ennemi" n'est pas seulement l'adversaire qui se bat, mais tout citoyen ennemi, et enfin aussi le neutre qui commerce et entretient des relations économiques avec l'ennemi." La guerre terrestre est une guerre de guerriers. La guerre maritime est une guerre de maraude.

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Sur l'île, donc, le capitaliste remplace le politicien et le corsaire prend la place du soldat ; ce n'est que sur la Terre que l'existence de l'homme est immédiatement politique : en elle, l'homme trace des frontières, répétant l'acte archétypal de Romulus. N'étant pas protégé par des barrières naturelles, l'homme est obligé de devenir authentiquement lui-même, de sortir d'une existence purement biologique, animale, naturaliste. Il doit créer son propre monde. L'existence politique, en effet, a un caractère purement tellurique ; le droit existe parce qu'il y a la Terre. La mer, en revanche, échappe à toute tentative de codification. Elle est an-œcuménique, comme le disait le grand géopoliticien Friedrich Ratzel. Dans L'origine dell'opera d'arte (in Sentieri interrotti, La Nuova Italia, Milan 2000), Heidegger a montré avec une profondeur extraordinaire cette caractéristique de la Terre comme condition de possibilité du monde humain. La Terre et le Monde, pour Heidegger, prennent une signification qui peut être ramenée, respectivement, à la nature et à la culture, ou à la sphère de l'enracinement dans le sol natal et à la sphère de la décision pour un projet. La Terre est le fond abyssal qui donne un sens à tout ce qui s'en détache comme produit de l'activité humaine ; "sur elle et en elle l'homme historique fonde sa vie dans le monde". Entre les deux aspects, il existe une tension dialectique dans laquelle "le Monde est fondé sur la Terre et la Terre surgit à travers le Monde". Le Monde, sphère de ce qui dérive de la libre activité humaine, "ne peut se détacher de la Terre s'il doit, comme région et voie de tout destin essentiel, être fondé sur quelque chose de certain". Sinon, si le Monde prévaut sur la Terre, nous avons la rationalité technologique qui détruit et viole la nature dans son projet de domination totale. Si, par contre, la Terre l'emporte sur le Monde, alors nous avons l'œuvre de l'homme qui se résorbe dans les profondeurs obscures de la nature, comme l'herbe qui pousse sur les ruines des maisons abandonnées. Il est bon, au contraire, que la Terre et le Monde soient toujours dans une confrontation/affrontement continu qui les exalte tous les deux sans les annuler. L'homme a toujours tendance à aller au-delà de la nature, mais il doit toujours se souvenir du caractère dévastateur d'une culture livrée à elle-même. On ne peut jamais s'échapper de la Terre sans douleur.

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Le "surhumanisme horizontal" (Gabriele Adinolfi) qui caractérise la prévalence du monde humain sur la Terre conduit à la réduction à zéro de la diversité. Or, l'absence de variété et de différence caractérise précisément l'essence de la Mer. Géophilosophiquement, c'est le jumeau du désert. Le désert est l'élément par excellence de la désolation, de l'absence de changement, de l'uniformité. Ce n'est pas un hasard si le monothéisme religieux est l'enfant du désert. Et ce n'est pas un hasard si le monothéisme économique est l'enfant de la mer. Dans le désert, il n'y a pas de dieu qui puisse se manifester à travers la nature, il n'y a pas de cosmos destiné à être le corps vivant des dieux ; il n'y a qu'une plate monotonie qui engendre par réflexion un Dieu qui est le Totalement Autre par rapport au monde. La désolation du désert renvoie à la solitude métaphysique d'un Dieu qui est avant tout et au-delà de tout, qui ne peut être saisi conceptuellement ni représenté figurativement, dont le nom ne peut même pas être prononcé. Un Dieu bien trop semblable au Néant. De même, l'uniformité maritime fluide génère la monnaie divine, celle par laquelle toute marchandise peut être échangée mais qui n'est pas elle-même une marchandise, l'équivalent universel de toute entité, qui doit donc nécessairement être rien. Si l'argent était quelque chose, il serait incarné dans une marchandise particulière et ne pourrait pas remplir sa fonction. L'argent est la catégorie abstraite qui égalise tous les biens concrets, tout comme le Dieu unique est l'abstrait par rapport auquel les hommes concrets sont rendus égaux. Nivellement, égalité, uniformité : c'est le paysage physique et spirituel déterminé par l'élément mer/désert.

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Le monothéisme du marché découle donc de la mer. Après tout, la nature particulière de l'économie actuelle va particulièrement bien avec l'élément liquide. L'ère moderne est en effet l'ère des flux : flux d'informations, flux de capitaux, flux de marchandises, flux d'individus. Même le pouvoir devient un flux, il se dématérialise, il devient une réalité subtile, qui traverse les corps et les esprits sans être "solidifié" dans un Palais d'Hiver. L'homme lui-même perd sa solidité, il devient flexible, il doit sans cesse se réajuster au flux du marché, abandonnant pour toujours tout enracinement, toute identité stable, tout fondement sûr. C'est le monde de la nouvelle économie, fondé - observe Alexandre Douguine - sur l'"évaporation" des concepts fondamentaux de l'économie, sur une dématérialisation de la réalité. Le montant des capitaux employés dans les secteurs classiques de l'économie, ceux de la production "réelle", est effroyablement inférieur à celui des marchés boursiers et de la finance virtuelle. La masse monétaire dans le monde d'aujourd'hui est égale à près de quinze fois la valeur de la production. En fait, le capitalisme s'affranchit aujourd'hui des marchandises pour se concentrer directement sur l'autoproduction tourbillonnante de l'argent, dans un système totalement autoréférentiel où l'argent ne sert qu'à générer plus d'argent. La valeur d'usage des biens tend vers zéro, tandis que leur valeur d'échange tend vers l'infini. L'économie perd toute référence physique, l'internet dépasse les limites de l'espace et du temps, le fondamentalisme libéral brise les règles et ainsi le marché mondial devient une marée inarrêtable qui efface tout résidu d'humanité sur son passage. La Mer/Marché déborde, la Terre est totalement submergée.

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En effet, l'assaut de la Mer sur la Terre entraîne la disparition de cette dernière. C'est la mise à mort des territoires. Face à la marée montante, il n'y a plus de terre émergée, c'est-à-dire qu'il ne reste rien de la Terre telle qu'elle est parce qu'elle a été historiquement habitée par l'homme. Les territoires deviennent de simples zones, des espaces déshumanisés dont l'essence est purement mercantile. Les frontières entre les zones sont comme les frontières dessinées sur l'eau : ce sont de pures conventions valables sur le papier à des fins commerciales, et non des limites de division d'un espace humain. "Entre les zones, cependant, des liens doivent passer : passages d'argent, de marchandises, de signes. Ces liens sont indispensables et marquent le passage de la géographie au réseau" (Simone Paliaga, L'uomo senza meraviglia, Edizioni di Ar, Padoue 2002). Le réseau "exonère" le territoire de son essence physique, le dématérialise, le rend fluide. Le réseau égalise et remet à zéro la différence des lieux qui sont en eux-mêmes différents, incomparables et irréductibles les uns aux autres. L'opacité du différent s'efface au profit de la transparence du réseau, dans lequel chaque lieu est égal à l'autre. Comme en pleine mer, où personne ne peut établir sans autres indications où l'on se trouve sur la planète.

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Si la Mer déborde et fait son dernier assaut sur la Terre, les gardiens de la Terre doivent faire face au danger avec une fermeté qui ne peut cependant pas se transformer en immobilisme. Si tout est Mer, alors, à la manière de D'Annunzio, navigare necesse est. Dans le monde des flux, des réseaux, de la mobilité inépuisable, nous ne pouvons pas rester dans l'attente d'un choc frontal que nous ne gagnerons jamais, parce que l'ennemi nous surpasse en force et en organisation et surtout parce qu'il n'est pas seulement "devant" mais aussi à côté de nous, au-dessus, au-dessous et à l'intérieur de nous. " Pour chevaucher le tigre, c'est-à-dire pour ne pas se noyer dans la crue du fleuve, il faut [...] ne jamais essayer, de la manière la plus absolue, d'aller à contre-courant mais il faut exploiter les vents, suivre les dynamiques, émergeant soudain sur la crête de la vague pour offrir des interprétations actualisées, correctes, en ordre et non en conformité " (Gabriele Adinolfi, Nuovo Ordine Mondiale, S.E.B. Milan 2002). L'avenir sera fait de réseaux agiles et solidaires, et non de paroisses monolithiques et divisées. Il faut assumer l'attitude "liquide" de l'époque tout en restant ancré à la Terre et enraciné dans une Communauté de destin qui incarne encore des valeurs en net contraste avec l'éthos contemporain. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons nous placer de manière constructive au cœur de l'affrontement qui nous voit - pour toujours et à jamais - face à l'Aeterna Carthago.

* * *

Tiré d'Orion 235 (2004).

Carl Schmitt, Terre et Mer, Adelphi, Milan 2002.

Sur Evola en anglais

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Sur Evola en anglais

par Bastien VALORGUES

Ex: http://www.europemaxima.com

Le Londonien Troy Southgate est un infatigable militant des radicalités albo-européennes. Dans le cadre des éditions Black Front Press (clin d’œil plaisant au Front noir des frères Strasser), il offre au public anglophone les textes traduits des penseurs du renouveau européen (Nietzsche, Codreanu, Spengler, Jünger, etc.). Le fondateur, responsable et théoricien du « national-anarchisme » leur fait ainsi découvrir des thèses dissidentes variées. Avec Protector of the Sacred Flame. Essays on the life and Thought of Julius Evola (« Protecteur de la Flamme sacrée. Essais sur la vie et la pensée de Julius Evola »), c’est la vie et l’œuvre du Baron romain qui traverse la Manche, l’Atlantique et le Pacifique sous la forme d’un recueil rassemblant les contributions de neuf auteurs réparties en quatorze chapitres.

On y trouve cinq écrits de Troy Southgate, deux de Robert Steuckers sans oublier les analyses de João Franco, d’Alberto Lombardo, de K.R. Bolton, de Primo Siena, de Sean Jobst et de Von Sanngetall. On y relève la version anglaise de « La voie herculéenne de la Tradition. Spiritualité, puissance et identité chez Julius Evola » de Georges Feltin-Tracol déjà disponible en espagnol.

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Dans l’un de ses articles, Troy Southgate confronte les analyses évoliennes avec celles de Georges Bataille. Il constate que « Evola se distingue clairement de Bataille en ce qu’il privilégie les principes masculin, solaire et apollinien au-delà de ceux du féminin, de la Lune et du dionysiaque, ce que Bataille aurait considéré comme une aveuglement utopique bon marché que l’on pourrait même trouver parmi les marxistes sous la forme d’une lumière de rédemption s’élevant au-dessus du monde, au-dessus des classes, le débordement de l’élévation spirituelle ».

Cette comparaison rappelle l’étude de Charles Champetier sur « Georges Bataille et le fascisme » dans le numéro 50 de Nouvelle École (1998). Malgré les dénégations véhémentes et vaines des universitaires en Cour, le sociologue de droite Jules Monnerot fréquenta avant-guerre Georges Bataille et le Collège de Sociologie. Von Sanngetall propose « Une méditation sur le Souverain » dans laquelle il n’hésite pas là encore à se référer à Georges Bataille.

Concluant son travail par une « transcendance post-évolienne dans l’anarque païen », Sean Tobst y examine les liens et autres réciprocités entre l’initiation traditionnelle et la transcendance à l’aune d’Evola, mais aussi d’une « anarchie » (« a-cratie » ?) à venir. Quant au Portugais João Franco, il évoque « Le Prophète de l’Empire endormi ». Il souligne qu’« à une époque de dévastation et de désertification, [Julius Evola] est resté fidèle à l’Idée à laquelle il a consacré sa vie et a contribué à entretenir une flamme ».

Les éclairages toujours pertinents de Robert Steuckers portent, d’une part, sur « L’influence de J.J. Bachofen sur Julius Evola » et, d’autre part, sur la « Lecture évolienne des thèmes de H.F.K. Günther ». L’Italien Alberto Lombardo aborde « L’anti-américanisme “ traditionnel ” de Julius Evola ». K.R. Bolton traite d’« Evola sur l’État organique et la caractère du travail ».

On ne peut que se féliciter de l’existence dans le monde anglo-saxon d’une si belle introduction à la vue du monde du penseur traditionaliste radical européen d’expression italienne. Il complète fort utilement Evola : Thougths & Perspectives (2011) (« Evola : Réflexions & Perspectives ») et The World Through a Monocled Eye. A Detailed Exposition of Julius Evola’s Men Among the Ruins (2017) (« Le monde à travers le monocle. Une exposition détaillée des hommes de Julius Evola parmi les ruines ») déjà édités aux Black Front Press.

Mentionnons afin la couverture, originale et superbe, dessinée par l’artiste sud-africain Sean Verster. Les anglophones ont bien de la chance d’avoir un tel ouvrage.

Bastien Valorgues

• Troy Southgate (edited by), Protector of the Sacred Flame. Essays on the life and Thought of Julius Evola, Black Front Press, 2021, 180 p., 22 €.

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Monde moderne et sagesse ancienne selon Arnaud Desjardins

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Monde moderne et sagesse ancienne selon Arnaud Desjardins

Joan Montcau

Ex: https://septentrionis.wordpress.com/2021/07/11/mundo-moderno-y-sabiduria-antigua-arnaud-desjardins/

"L'homme moderne a rompu avec les deux religions ; celle qui l'unissait au haut, parce qu'il a fait l'expérience qu'il est possible de vivre sans DIEU, et celle qui le reliait au bas, parce qu'il s'est éloigné de la terre... s'installant dans l'utopie (idéologies modernes et postmodernes). La meilleure illustration de cet homme est sans doute la plante artificielle. Il manque de racines. Pas vers le haut, puisqu'il ignore la lumière du soleil. Pas vers le bas, puisqu'il ne reçoit pas l'humidité de la terre". (ALFREDO SÁENZ)

TITRE ET AUTEUR : 

MONDE MODERNE ET SAGESSE ANCIENNE, Arnaud Desjardins.

1 Quel genre de livre est-ce ? 

   Fondamentalement un livre de critique de la civilisation actuelle (plutôt une parodie grotesque de celle-ci) que l'auteur commence avec la montée de l'Humanisme, camouflé en "Renaissance" (pas précisément en termes spirituels celle-ci, comme Evola dirait d'un point de vue traditionnel la vraie RENAISSANCE était le haut médiéval gibelin). Plusieurs auteurs traditionnels ont déjà signalé quelque chose de très caractéristique de la subversion moderne, qui est aujourd'hui si actuelle mais qui remonte à des siècles, comme la manipulation du langage, l'inversion diabolique du sens des mots... 

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Sur la base de la Sagesse antique et de la Tradition sapientielle, l'auteur énumère et analyse les contradictions intrinsèques de cette civilisation, les menaces qu'elle fait naître elle-même et qui sont de plus en plus nombreuses, les graves dangers matériels et psychologiques (pour ne pas dire spirituels) que court l'humanité, l'insatisfaction, l'agitation et l'opposition croissante, le niveau de folie, de bêtise, d'imbécillité et de mal généralisé, tous "signes de ces temps" (où de plus en plus "le désert croît et avance..."), "autorisez-nous à mettre les "signes de ces temps" (où de plus en plus "le désert croît et avance..."), "autorisez-nous à mettre les "signes de ces temps" (où de plus en plus "le désert croît et avance..."). ), "nous autorisent à nous interroger sur la solidité et la valeur des fondements sur lesquels nous, les hommes, avons construit le monde moderne" (A. Desjardins) ; bien qu'il serait plus juste de dire CONSTRUITS par ceux qui ont réellement conspiré contre la Tradition pour préparer l'avènement d'un "monde gouverné par des personnages qui ne peuvent même pas être imaginés par ceux dont les yeux ne pénètrent pas dans les coulisses", comme le disait Benjamin Disraeli (un Juif, soit dit en passant...), personnage infâme et ouvertement anti-traditionnel... 

   En simplifiant un peu, une des caractéristiques fondamentales de la Modernité en général et de cette ère crépusculaire en particulier - et très typique des systèmes démoplutocratiques actuels -, est celle du charlatanisme grossier, vide et insubstantiel, de la haine, de la saleté, du bruit, d'un activisme contre nature, écœurant et avilissant, la répugnance pour la stabilité, la beauté, l'ordre, le culte du simple ÊTRE sur l'ÊTRE, la prédominance du PATHOS sur l'ETHOS, la pseudo-civilisation du Moi égotique sur la vraie civilisation du Moi intérieur, le manque absolu de valeurs et de référents vraiment élevés dans un monde détestable où tout est relatif, sujet au doute et discutable ; comme l'a dit José Antonio, nous sommes déjà immergés dans un monde où les entités de valeur permanente n'existent plus. Antonio Medrano lui-même distingue ceux dont la "vie" se limite à un simple EXISTANT, c'est-à-dire ceux qui vivent complètement décentrés, sans principes ni valeurs ni référents vraiment élevés ; puis il y a ceux dont la vie -féroce, ardente et authentiquement vivante-, est un INSISTANT continu, c'est-à-dire qui vivent à l'intérieur de soi, autour d'un Centre spirituel et métaphysique, avec une Norme et un Guide existentiel. C'est la différence fondamentale entre le sous-homme moderne et démocratique par rapport à l'Homme de la Tradition, c'est la différence essentielle entre une civilisation de l'être et une civilisation de l'être : alors que la première vit sur des sables mouvants et sur le Mensonge, la seconde vit sur la Vérité, sur ce qui est Eternel et Immuable. LE MONDE MODERNE OU LA SAGESSE ANCIENNE. L'homme de la subversion ou l'homme de la tradition, il n'y a pas plus... 

   "Être" est le mot clé, et encore plus à notre époque où l'on a implanté dans les sociétés un système infernal de vie purement végétative, ou tout au plus, animaliste. Un monde qui renonce à l'Être et à la Sagesse est fatalement condamné à périr sous des souffrances et des destructions indescriptibles, c'est un monde déjà spirituellement mort et bientôt les vers et les rats dévoreront ce cadavre : "Les hommes, dans le monde moderne, tournent dans l'angoisse, comme des rats dans un labyrinthe de laboratoire" (N. G. Dávila). Les sociétés traditionnelles étaient fondées sur la certitude que le véritable sens de la vie humaine "en ce monde" reposait sur l'Être et non sur l'Avoir, voie préparatoire à l'accès à la Patrie céleste ou, dans d'autres cas, à la conquête de la véritable Immortalité. 

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   Il est évidemment vrai qu'il faut un minimum d'avoir pour être. Cet avoir peut être matériel, intellectuel ou affectif : des vêtements, une maison, de la nourriture, des amis, des camarades, un conjoint, des enfants, des connaissances, etc. Mais nous ne devons pas confondre ce qui est nécessaire pour pouvoir fonctionner dans ce monde avec ce qui est vraiment fondamental et essentiel. La vraie Libération (avec une majuscule), contrairement à ce que proclame la populace démocratique et démo-bourgeoise, ce n'est pas quand on "a plus" mais quand on "est plus", quand on parvient à forger une véritable personnalité autour d'une Vision sacrée du Monde. " Le monde moderne ne reconnaît aucun fondement métaphysique ; il se vante, au contraire, d'avoir fait de la réalité apparente, celle de l'homme et de l'univers, le sol ferme sur lequel il a construit sa civilisation, aujourd'hui chancelante " (A. Desjardins). La LOI DE L'AVOIR et la LOI DE L'ÊTRE sont les deux formes existentielles catégoriques et paradigmatiques qui séparent spirituellement la sous-humanité de la véritable humanité ; les "Deux Races" - comprises d'un point de vue ontologique et métaphysique -, comme l'a exposé un intéressant groupe de caractère néo-fasciste et évolutionniste en Italie (Groupe des Dioscures) dans l'un de ses manifestes dans les années 60 du siècle dernier. 

   L'entraînement, la lecture constante, la méditation et la prière, la Sagesse active contre l'activisme débridé et diabolique de la Modernité, la montagne, le sport, l'union de l'Action et de la Contemplation dans une synthèse supérieure, telles sont les formes d'héroïsme que nous invitons d'ici à embrasser tous ceux qui, existentiellement et spirituellement, se considèrent comme des ennemis ou sont en marge "d'un monde où l'idéal est de devenir grégaire" (Henry de Montherlant). SAVOIR C'EST ÊTRE... 

   "Dès l'instant où l'Homme est apparu sur terre sous sa forme actuelle, deux instincts profonds, deux âmes, deux races s'affrontent en permanence dans une guerre unique dont les objectifs opposés s'appellent ESPRIT et MATIÈRE, INTEGRATION et DISSOLUTION. 

   "Deux instincts profonds, mais signifiant, en réalité, une vocation spirituelle claire et lumineuse opposée à une sombre perte de forme et de sensations ; deux âmes, mais l'une d'origine divine et l'autre tendant à devenir sous-humaine ; deux races, mais l'une est la race par excellence puisque l'Esprit tend à s'unir à la Matière dans une parfaite harmonie, et l'autre, la race de la horde et du chaos qui rugit anxieusement pour se perdre dans les dimensions illusoires du temps et de l'espace".

Les Dioscures. Les Deux Races, 1969 ( ?)

2.- Résume son sujet 

   En termes généraux, une négation totale de la Modernité et de toutes les pseudo-valeurs qui en ont émané. Au contraire, la Tradition sapientielle est la Norme et l'Axe, le germe impérissable de tout ce qui est sacré, de tout l'Univers manifesté -Macrocosme et Microcosme-, le fondement de toutes les traditions secondaires, le dépôt éternel de la Doctrine et de la Connaissance divine, en un mot, le Temple de la Vérité éternelle et impérissable, l'IDEE toujours fraîche et jeune (notre vraie Patrie comme disait Evola). " Le printemps attendu par le Ciel, la Terre et la Mer " dans un monde qui se consume, pleure et gémit dévoré par le Mal et les Ténèbres. 

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3.- Qui en est l'auteur ? 

   Arnaud Desjardins (18 juin 1925 - 10 août 2011) est l'un des premiers Occidentaux à découvrir et faire découvrir, à travers des documentaires télévisés, les grandes traditions spirituelles ignorées des Européens : l'hindouisme, le bouddhisme (tibétain et zen) et le soufisme en Afghanistan. Né en France dans l'hérésie protestante, sa forte spiritualité l'a fait s'en éloigner et il est entré dans un monastère cistercien catholique. Plus tard, il s'est intéressé à l'hindouisme et au bouddhisme. 

4 Est-il partial ou impartial dans son sujet ?

   Totalement biaisé. 

5.- Détails de l'édition 

  EDITIONS DE LA TABLE RONDE, Editorial Sirio, 1987. 

6.- Désaccords, anecdotes sur lui et relation personnelle avec lui. 

   Je ne le connaissais pas avant de lire ce livre. Certains désaccords avec l'orientalisme excessif de l'auteur, très dans la lignée de René Guénon. À cet égard, Julius Evola, dans son "Riding the Tiger", critiquait ceux qui, dans cette phase finale du Kali-Yuga, recherchaient de prétendus "paradis spirituels" en Orient : "le désert avance", et de surcroît à une vitesse de plus en plus écrasante et globale. Evola précise également qu'en ce qui concerne les doctrines spirituelles et sapientielles, l'Occident n'a rien à envier à l'Orient non plus. D'autre part, il souligne que si l'aberration moderne a d'abord conquis l'Occident pour ensuite répandre ses erreurs dans le monde entier, cela ne signifie pas que dans un avenir plus ou moins proche nous serons les premiers à nous débarrasser de cette monstruosité (bien qu'il soit difficile de le voir aujourd'hui à notre époque...). 

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7.- Pourquoi avez-vous choisi de le lire ? 

   Le titre du livre est en soi très suggestif, et son sujet l'est encore plus. 

8.- Quelle est votre évaluation du livre en tant que tel, et de son sujet ? 

   Les deux sont très positifs.

9.- A qui s'adresse ce livre ? 

   Pour tous ceux qui considèrent la Modernité comme une authentique anomalie et subversion, une calamité qui nous a conduits à l'actuelle "Grande Parodie" (René Guénon), c'est-à-dire à la rupture avec la Tradition et à l'établissement de la civilisation la plus entièrement matérialiste et titanesque de l'Histoire. 

10.- A qui le recommanderiez-vous ? 

   A tout homme de tradition.

Joan Montcau

  

 

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lundi, 12 juillet 2021

Un empire colonial oublié...

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Un empire colonial oublié...

par Georges Feltin-Tracol

Ex: http://www.europemaxima.com

Les vacances estivales approchent. L’instant est favorable pour suggérer quelques lectures agréables et instructives. Certes, le livre présenté aujourd’hui va mécontenter Assa Traoré et tous les universitaires de l’Hexagone qui ne jurent plus que par l’islamo-gauchisme intersectionnel décolonial inclusif à fort tropisme suprémaciste féministe – trans – saphique.

À la suite de Bernard Lugan qui rédige d’ailleurs la postface et de Rémy Porte, rédacteur de l’avant-propos, Sylvain Roussillon vient de publier chez Via Romana L’épopée coloniale allemande (272 p., 25 €). Les curieux de l’histoire non conformiste le connaissent bien puisqu’il a signé en 2012 chez le même éditeur Les Brigades internationales de Franco et a republié ces derniers temps aux Éditions du Toucan – L’Artilleur L’autre guerre d’indépendance américaine : 1812, le conflit méconnu.

Les Français ignorent qu’à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, le tout jeune État allemand détient des possessions ultra-marines en Afrique avec le Togoland, le Kamerun, le Ruanda–Urundi, le Tanganyika, le Sud-Ouest africain, en Asie avec la ville chinoise de Kiao-Tchéou, et en Océanie avecla partie septentrionale de la Papouasie – Nouvelle-Guinée, les îles Mariannes, Marshall, Carolines ainsi que Nauru.

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Longtemps hostile à l’aventure coloniale, le chancelier Bismarck comprend l’insistance des commerçants à trouver des débouchés divers et devine l’avantage géopolitique de maîtriser des territoires extra-européens. Cependant, cet élan ne date pas de la décennie 1870 ! L’auteur revientsur la « préhistoire » de la colonisation germanique outre-mer. Au XVIe siècle, une famille de banquiers, les Welser, cherche à s’implanter à l’Ouest du Venezuela. Le duché de Courlande tente d’investir l’île antillaise de Tobago. Entre 1669 et 1680 existent entre les Guyanes et le Brésil les « Indes hanauriennes » de langue allemande. On trouve aussi le long du littoral africain des comptoirs liés aux entités du Saint-Empire romain germanique.

Si L’épopée coloniale allemande évoque les différentes manières de s’emparer de nouveaux territoires, l’ouvrage mentionne aussi leur perte au cours de la Première Guerre mondiale. Les cas ne sont jamais uniformes. Malgré l’isolement, le manque certain de ravitaillement et la supériorité numérique croissante de leurs ennemis anglo-saxons, portugais et japonais, les colons allemands du Kamerun, du Sud-Ouest africain et de l’Afrique orientale résistent avec une rare ténacité. Ainsi Sylvain Roussillon rapporte-t-il les exploits de Paul Emil von Lettow – Vorbeck qui tient tête à l’Empire britannique jusqu’au 29 novembre 1918. Dans le Pacifique s’activent des équipages « corsaires » sous l’étendard à croix de fer !

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Le 26 mai 2021, le gouvernement allemand a reconnu la responsabilité de l’Allemagne dans les massacres de masse en Namibie au moment de la révolte des Héréros et des Namas entre 1904 et1908. L’auteur aborde cette tragédie en l’inscrivant dans son contexte et sans verser dans l’anachronisme tendancieux en vogue chez les incultes. Dommage que l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne ne s’excusent pas auprès des descendants des colons allemands détenus dansdes conditions d’internement effroyables. Londres ne se repent pas de la persécution des Acadiens, des Irlandais et des Boers. Quant à la République française – et non la France, nuance ! -, peut-être responsable du génocide au Ruanda en 1994, elle devrait se préoccuper en priorité du génocide vendéen et enfin indemniser les héritiers, directs ou non, des victimes par une allocation mensuelle versée sur sept générations de 1793 euros.

Rédigée avec brio dans une langue claire, vivante et précise, L’épopée coloniale allemande synthétise et dépasse les travaux de Bernard Lugan et de Rémy Porte. Cet ouvrage en appelle d’autres explorant la colonisation belge, espagnole, italienne, néerlandaise, voire danoise. Il mériterait de recevoir un prix tant son sujet va à contre-courant de l’étouffante narration officielle historiquement correcte.

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n°221, mise en ligne sur TVLibertés, le 1er juillet 2021.

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jeudi, 08 juillet 2021

Entretien avec le philosophe et politologue argentin Marcelo Gullo Omodeo

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Entretien avec le philosophe et politologue argentin Marcelo Gullo Omodeo

Propos recueillis par Carlos Javier Blanco

(source : La Tribuna del País Vasco)

"La gauche a transformé l'Espagne en une nation autruche qui cache sa tête face aux deux grands problèmes qui menacent son existence."

Docteur Gullo Omodeo, dites-nous : le titre de votre dernier livre, "Madre Patria", de quoi parle-t-il ?

Le titre du livre est en soi une déclaration de principe. C'est-à-dire qu'il s'agit de l'expression des croyances essentielles de Marcelo Gullo Omodeo en tant qu'individu, mais aussi de l'expression des croyances essentielles que le peuple argentin et hispano-américain dans son ensemble avait avant que la falsification de l'histoire n'obscurcisse la conscience du peuple. Tous les grands leaders populaires, de Juan Manuel de Rosas à Juan Domingo Perón en passant par Hipólito Yrigoyen, aimaient l'Espagne et la considéraient comme notre Mère Patrie, tandis que les représentants de l'oligarchie pro-britannique, certains à voix basse, comme Bartolomé Mitre, et d'autres à voix haute, comme Domingo Faustino Sarmiento, détestaient l'Espagne. D'autre part, le titre du livre est inspiré d'un tango de Carlos Gardel où il appelle l'Espagne "Madre Patria querida de mi amor" (Chère patrie de mon amour). C'était le sentiment de la majorité de la population argentine et hispano-américaine avant que le poison de la "légende noire", à travers la propagande culturelle de la "gauche cipaya" - dont l'expression politique la plus importante aujourd'hui en Argentine est le kirchnerisme - ne pénètre l'esprit de la jeunesse.

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L'Espagne est-elle la patrie commune de tous les Hispano-Américains, ou une simple référence aux origines, aux racines ?

Comment ne pas appeler l'Espagne "Patrie" si - comme l'affirmait le triple président constitutionnel de l'Argentine Juan Domingo Perón - son œuvre civilisatrice est sans équivalent dans l'histoire de l'humanité et constitue un chapelet d'héroïsme, de sacrifices et de renoncements. "L'Espagne a érigé des temples, construit des universités, répandu la culture, éduqué les hommes et fait bien plus encore ; elle a fusionné et confondu son sang avec l'Amérique et marqué ses filles d'un sceau qui les rend, bien que différentes de leur mère par la forme et l'apparence, égales à elle par l'essence et la nature". Cette phrase de Perón dit tout.  Notons que Fidel Castro lui-même, lors de sa visite en Galice en 1992, manifestement ému, dans un élan de sincérité qui jaillissait de son cœur, a déclaré "nous faisons partie de l'âme de l'Espagne". Même le mythique commandant Che Guevara considérait l'Espagne comme notre patrie. La légendaire Evita ne se lassait pas de répéter que nous, les Hispano-Américains, indépendamment de la couleur de notre peau, sommes ".... non seulement les enfants légitimes des conquérants, mais les héritiers directs de leurs actes et de la flamme de l'éternité qu'ils ont portée au-delà des mers" et ce, parce que l'Espagne, dit Eva Perón, "...nous a donné son être et nous a légué sa spiritualité".

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Vous parlez souvent des "Espagnols d'Amérique" et des "Espagnols d'Europe". Cependant, il existe une résistance à cette façon de parler. Selon vous, qui résiste le plus et pourquoi?

Le plus grand triomphe politique des ennemis historiques de l'Espagne et de l'Amérique hispanique- comme l'impérialisme français et l'impérialisme anglo-saxon, dirigé d'abord par l'Angleterre et ensuite par les États-Unis - est que nous, Hispano-Américains, ne nous considérons pas comme des Espagnols et que les Espagnols ne considèrent pas les Vénézuéliens, les Équatoriens ou les Argentins comme de véritables Espagnols. Y a-t-il un Égyptien qui ne se considère pas comme un Arabe ? Y a-t-il un Syrien qui ne se considère pas comme un Arabe ? Y a-t-il un Tunisien qui ne se considère pas comme un Arabe ? Du Maroc à l'Irak, en passant par le Soudan et l'Arabie saoudite, indépendamment de la couleur de la peau et des différentes origines ethniques, tous ceux qui parlent arabe se considèrent comme des Arabes et comme les membres d'une grande nation arabe inachevée, artificiellement divisée en différents États. La réunifier était le rêve politique du dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser et du penseur syrien Michel Aflaq. Alors, pourquoi nous, les Argentins, les Chiliens, les Mexicains... ne nous considérons pas comme espagnols ?  Alors, pourquoi les Espagnols de la péninsule ne considèrent-ils pas les Équatoriens, les Uruguayens et les Colombiens, indépendamment de la couleur de leur peau et de leurs différentes origines ethniques, comme des Espagnols ? Tout simplement parce que nous avons cru l'histoire élaborée par les propagateurs rémunérés de la "légende noire" qui a été la première fake news de l'histoire et le plus brillant travail de marketing politique britannique.  Ensuite, pour avoir cru à cette fausse histoire de la conquête espagnole de l'Amérique, les Américains espagnols ont exécré l'Espagne et les Espagnols ont renié l'Amérique espagnole. Eva Perón a crié aux quatre vents que "la légende noire avec laquelle la Réforme s'est ingéniée à dénigrer la plus grande et la plus noble entreprise connue au cours des siècles, comme la découverte et la conquête, n'était valable que sur le marché des imbéciles ou des intéressés" et le problème est que beaucoup de privilèges et beaucoup d'argent ont été distribués pour que beaucoup de professeurs, d'écrivains et de journalistes intéressés stupéfient beaucoup d'étudiants et de lecteurs.

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J'ai récemment pu consulter le professeur J. Barraycoa, président de Unidad Hispanista, au sujet de la continuité entre les processus indépendantistes américains du XIXe siècle et les séparatismes péninsulaires d'aujourd'hui. Croyez-vous qu'il s'agit du même processus étalé sur tant de décennies, ou simplement d'une analogie ? L'unité des Hispaniques a-t-elle encore des ennemis ?

Par sympathie politique, le "séparatisme catalan" promeut aujourd'hui, en Amérique hispanique, avec l'argent de tous les contribuables espagnols et en comptant sur la sympathie de l'impérialisme international, c'est de l'argent pour le "fondamentalisme indigéniste fragmentant."  Les séparatistes catalans - imprégnés de la haine de l'Espagne - aimeraient, par exemple, que dans la jungle équatorienne toute trace d'espagnol soit perdue, qu'au Pérou, dans la région de Cuzco, l'usage de l'espagnol soit abandonné et que seul le quechua soit parlé, qu'à Puno, l'usage exclusif de l'aymara soit imposé et que l'espagnol soit oublié, que dans le sud du Chili et en Patagonie argentine, les Mapuches soient imposés à feu et à sang et que les hispanophones soient persécutés. Le nationalisme séparatiste catalan et l'indigénisme fondamentaliste balkanisant sont des frères jumeaux, car tous deux partagent une volonté d'effacer tout ce qui est espagnol, servant ainsi les intérêts de ceux qui veulent déconstruire l'Espagne et fragmenter les républiques hispano-américaines.

Il me semble que si en Amérique s'est répandu le mythe indigéniste, qui se languit d'un passé de cannibalisme atroce et de l'impérialisme aztèque et inca le plus cruel, nous subissons ici, dans la Péninsule, quelque chose de semblable avec le mythe d'al-Andalus. Les gens ont la nostalgie de l'empire musulman (de l'émirat, du califat) qui a réduit en esclavage, castré, pratiqué la pédérastie et traité les juifs et les chrétiens comme des êtres de seconde zone... La légende noire que vous analysez dans "Madre Patria" est toujours complétée par des "légendes roses" ?

Les chroniques arabes de la conquête de l'ancienne Mésopotamie nous racontent que le bain de sang causé par les envahisseurs musulmans était si important que l'Euphrate et le Tigre étaient teints en rouge. Pour célébrer la conquête de l'Espagne, les musulmans ont emmené à Damas, par la force, trente mille vierges espagnoles pour les garder comme esclaves sexuelles. Pour comprendre l'ampleur d'un tel enlèvement - en gardant à l'esprit qu'il est fort probable qu'au début du VIIIe siècle, à la veille de l'invasion musulmane, la population de la péninsule ibérique n'atteignait même pas le niveau de la population du début de l'ère romaine - il est nécessaire de souligner que prendre trente mille femmes espagnoles pour les soumettre à l'esclavage sexuel en Syrie équivaudrait aujourd'hui à sortir quatre millions de femmes d'Espagne. Il convient de rappeler qu'ils ont également emporté à Damas vingt-six couronnes d'or provenant de la cathédrale de Tolède et plusieurs jarres remplies à ras bord de perles, de rubis et de topazes.

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D'autre part, en Amérique du Nord, les "pieux protestants anglais", pendant l'un des hivers les plus rigoureux de mémoire d'homme, ont distribué "charitablement" des couvertures infectées par la variole aux Indiens d'Amérique du Nord. Lorsque les Anglais ont commencé la colonisation de l'Australie, ils l'ont déclarée "terra nullius", c'est-à-dire sans habitants humains, malgré le fait qu'ils avaient recensé quelque neuf cent mille aborigènes qui vivaient en Australie depuis environ soixante-dix mille ans. Cela vaut la peine de le répéter car cela semble incroyable : pour l'Angleterre "humanitaire", il n'y avait pas d'êtres humains en Australie. Les Aborigènes australiens étaient, pour les "gentlemen" anglais, des animaux rares comme l'ornithorynque ou le kangourou ; des animaux qui marchaient sur deux jambes et semblaient avoir le don de parler comme des perroquets. Cependant, la seule conquête que le monde critique est la conquête espagnole de l'Amérique. Sans doute la légende noire de la conquête espagnole de l'Amérique est-elle toujours complétée par la légende rose de la conquête arabe de l'Espagne et la légende rose de la conquête anglaise de l'Amérique du Nord et de l'Australie. 

Enfin, comment voyez-vous la situation en Espagne ?

J'ose affirmer, sans tourner autour du pot, que l'Espagne est aujourd'hui en danger de mort. Cependant, la grande majorité des Espagnols sont totalement inconscients de ce danger. La plupart des Espagnols dansent nonchalamment sur le pont du bateau qui coule, ignorant que la Nation a heurté un iceberg. La gauche espagnole actuelle, et non la gauche de Felipe González et d'Alfonso Guerra, est la principale responsable de cette situation car elle a transformé l'Espagne en une nation autruche qui se cache la tête face aux deux grands problèmes qui menacent l'existence même de l'Espagne. D'une part, l'émergence de nationalismes périphériques fous qui, prenant le pouvoir, endoctrinent dans les écoles les enfants dans la haine de l'Espagne et de sa langue commune. Ce fait axial fait que l'Espagne roule, presque inexorablement, vers sa fragmentation territoriale. Ils sèment la haine de la nationalité commune et, sans aucun doute, ils sèment la haine, car ils récolteront des tempêtes. D'autre part, l'Espagne, qui possède une pyramide des âges "funéraire", est en passe de cesser d'être l'Espagne car, comme l'affirme le philosophe Alfonso López Quintas, les nouveaux arrivants se promènent dans les rues de Grenade, Cordoue et Séville en pensant et en disant à voix basse : "...ces villes ont été les nôtres et elles le seront à nouveau". Le monde musulman - comme l'affirme Charles Simond dans sa célèbre introduction au livre d'Armand Kahn, L'Arabie sacrée - ne rêve pas de Ceuta, il rêve de Grenade. L'Espagne, après avoir atteint le bien-être économique tant désiré, séparée de sa "foi fondatrice" et endormie par le relativisme, le consumérisme et l'hédonisme, a reçu un coup de poignard métaphysique mortel. Seul un miracle aujourd'hui pourrait fermer la blessure ouverte et profonde et arrêter l'hémorragie.

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L'histoire peut-elle être "redressée" ?

Seule une "immigration massive" d'hispano-américains pourra sauver l'Espagne, qui, je le répète encore une fois, présente déjà une "pyramide funéraire", celle d'une tragique "fin annoncée" et faire en sorte que l'Espagne continue à être l'Espagne. Mais cela nécessite une profonde réconciliation entre les Espagnols d'Amérique et les Espagnols d'Europe. Pour cela, il faut en finir avec le mythe de la Légende noire, avec la "zoncera" [stupidité] du génocide des peuples indigènes, avec la "zoncera" que Cortés a "conquis" le Mexique alors qu'en réalité, il a libéré la majorité de la population - qui habitait alors le Mexique - de l'impérialisme le plus atroce que l'histoire de l'humanité ait jamais connu: l'impérialisme anthropophage des Aztèques. Au Mexique, il y avait une nation oppressive et des centaines de nations opprimées, auxquelles les Aztèques n'ont pas arraché leurs matières premières - comme l'ont fait tous les impérialismes au cours de l'histoire - mais ils ont arraché leurs enfants, leurs frères... pour les sacrifier dans leurs temples et distribuer ensuite les corps démembrés des victimes dans leurs boucheries, comme s'il s'agissait de porcs, pour servir de nourriture substantielle à la population aztèque.  Le miracle est encore possible si les Espagnols européens comprennent qu'aucun hispano-américain, riche ou pauvre, éduqué ou non, blanc ou indien, n'est un étranger sur les terres d'Isabelle et de Ferdinand. Aujourd'hui, la légende noire, c'est-à-dire la fausse histoire de la conquête espagnole de l'Amérique écrite par les ennemis historiques de l'Espagne et de l'Amérique latine, semble avoir gagné la bataille culturelle, déterminant les consciences, les coutumes et les préjugés. Mais les temps sont mûrs pour le rétablissement de la vérité.

Source :

https://latribunadelpaisvasco.com/art/15224/marcelo-gullo...

 

lundi, 05 juillet 2021

À la découverte des micro-États

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À la découverte des micro-États

par Georges FELTIN-TRACOL

En 2005, le sympathique polygraphe conservateur national Jean-Claude Rolinat sortait un intéressant Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours. Il poursuit un travail original d’archéologue des bizarreries géopolitiques avec Ces drôles d’États grands comme un mouchoir de poche.

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On sait que certains États disposent d’une superficie restreinte et/ou d’une population limitée tels la Cité du Vatican au cœur de Rome, la république de Saint-Marin ou la principauté de Monaco. L’auteur ne se contente pas de ces quelques renommées géographiques. Il évoque aussi les États libres associés et autres « territoires autonomes ». Archipel viking dont la capitale porte le nom du dieu Thor (Thorshavn), les Féroé en mer du Nord envisagent de s’émanciper de la tutelle danoise. En mer Baltique, les Åland de population suédoise dépendent de la Finlande. Ces îles méconnues bénéficient d’une très large autonomie interne si bien que l’application et l’adaptation de son statut constitueraient une avancée majeure dans les Balkans, dans le Caucase et en Océanie.

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C’est dommage que l’ouvrage s’organise autour d’un plan foutraque fort peu alphabétique. Par ailleurs, l’auteur présente « quelques “ curiosités “juridiques qui ne sont pas, à proprement parler, des “ États “ (p. 14) » comme le territoire de Pitcairn dans le Pacifique ou l’enclave espagnole de Llivia en France. Pourquoi n’évoque-t-il pas les île franco-espagnoles des Faisans et de la Conférence au milieu de la Bidassoa, les presidios de Melilla et de Ceuta au Maroc, Gibraltar ou bien Wallis-et-Futuna (1) ? Jean-Claude Rolinat étudie des « États pour rire (p. 17) », c’est-à-dire des « États-fantômes » (2), ces entités para-étatiques auto-proclamées reconnues par personne, des cryptarchies (3) dont la plus célèbre demeure au XIXe siècle le royaume d’Araucanie – Patagonie d’Orélie-Antoine de Tounens. Certains sont comiques tels la république du Saugeais en Franche-Comté. D’autres sont plus tragiques comme l’Ossétie du Sud, l’Artsakh ou la Transnistrie. Concernant la république monastique du Mont-Athos en Grèce, lieu strictement interdit aux femmes car dédié à la Mère du Christ, l’auteur semble ignorer que le monastères d’Esphigmenou s’est séparé des dix-neuf autres monastères au nom de l’Orthodoxie vieille-calendariste (maintien et respect du calendrier julien).

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Le Vatican et Monaco sont-ils les plus petits États du monde ? Non ! L’Ordre souverain de Malte se caractérise à Rome par un territoire de cinq… hectares ! En Océanie, nombreux sont les États microscopiques (Nauru, Mariannes du Nord, Palaos, îles Cook…). Quant à Monaco, l’auteur ne parle de l’existence d’un mouvement séparatiste groupusculaire implanté à Roquebrune – Cap-Martin et à Menton revendiquant le rattachement au rocher au nom de l’histoire.

En traitant de la principauté du Liechtenstein, Jean-Claude Rolinat se gausse du regretté Rodolphe Crevelle qui y voyait un éventuel « Cuba anarcho-royaliste (p. 57) ». Ce dernier se doutait que Sophie von Wittelsbach, l’épouse du prince héritier et actuel régent Alois, deviendrait tôt ou tard l’héritière des Stuarts selon les règles jacobites. Avec l’éclatement souhaitable de la Grande-Bretagne et l’autodétermination de l’Écosse, leur fils aîné, le prince Joseph Wenzel von und zu Liechtenstein, comte de Rietberg, pourrait peut-être un jour accéder à la tête d’une Écosse enfin libérée de l’usurpation dynastique des Windsor – Mountbatten et régner en union personnelle tant sur le Liechtenstein qu’en Écosse. Dans sa fougue souvent visionnaire, l’animateur du Lys noir considérait par ailleurs la république du Saugeais comme la préfiguration du canton libre, auto-administré et communautaire, « noyau nucléaire » constitutionnel d’une république royale autarcique des peuples de France.

tudesurlhistoi00ch_0007.jpgJean-Claude Rolinat aurait enfin pu se référer à l’Étude sur l’histoire des alleux en France (1888) d’Émile Chénon. Ce juriste y explique la notion juridique médiévale d’« alleu souverain ». En droit féodal, l’alleu se définit comme un domaine héréditaire conservé en toute propriété, libre et franc de toute redevance et de tout hommage. La principauté de Monaco est un alleu souverain réussi. Si le cours de l’histoire avait pris une autre direction, les alleux d’Yvetot en Normandie ou de Bidache au Pays Basque seraient eux aussi devenus des micro-États tout aussi pertinents et viables.

Gage d’une indispensable diversité dans les relations diplomatiques, les micro-États et leurs succédanés témoignent par leur seule présence des conséquences complexes survenues entre le politique, l’histoire, la géographie et le droit. Avec le talent narratif qu’on lui connaît, Jean-Claude Rolinat nous fait voyager aux quatre coins de la planète, ce qui en ces temps de confinement, de déconfinement, de reconfinement et de fermeture aléatoire des frontières ne constitue pas un mince exploit.

Georges Feltin-Tracol

Notes

1 : cf. Georges Feltin-Tracol, « Un coin d’Océanie française bien particulier », dans Le Harfang. Magazine de la fédération des Québécois de souche, vol. 9, n° 5, juin – juillet 2021.

2 : cf. Georges Feltin-Tracol, « Géopolitique des États fantômes », dans L’Unité normande, n° 295, janvier 2007, repris dans L’Esprit européen entre mémoires locales et volonté continentale, Les Éditions d’Héligoland, 2011.

3 : cf. Bruno Fuligni, L’État c’est moi. Histoire des monarchies privées, principautés de fantaisie et autres républiques pirates, Éditions de Paris – Max Chaleil, coll. « Essais et documents », 1997.

• Jean-Claude Rolinat, Ces drôles d’États grands comme un mouchoir de poche, préface d’Olivier Pichon, Dualpha, coll. « Vérités pour l’Histoire », 2021, 271 p., 31 €.

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Projet des éditions Carmin : rééditer l’homme du ressentiment, de Max Scheler

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Projet des éditions Carmin : rééditer l’homme du ressentiment, de Max Scheler

Rééditer "L'homme du ressentiment" de Max Scheler (Philosophie, 220 pages)

À propos du projet de financement via la plateforme Ulule :

Là où l’on fait revivre un livre, on ressuscite des hommes.

Le relativisme moral vous étouffe et la médiocrité vous révolte ? Le mouvement « woke » vous inquiète et vous ne savez pas comment lui répondre ? Mais grâce à Nietzsche, vous avez compris que ce progressisme est en grande partie une « école du ressentiment » (Harold Bloom). Cependant, si Nietzsche vous intéresse, vous le trouvez injuste avec la civilisation chrétienne. Il a stimulé votre appétit de grandeur, mais vous ne voyez pas en quoi par exemple l’héroïque Moyen Age chrétien serait basé sur une « morale de faibles ».

L’homme du ressentiment de Max Scheler est le livre qu’il vous faut. C’est un livre sauvé des flammes. Le 10 mai 1933, les nazis brûlaient publiquement les ouvrages des plus grandes figures intellectuelles du XXe siècle. Ces autodafés marquaient la "décapitation intellectuelle" du pays ; ces bûchers étaient l’expression même du ressentiment des masses abruties. Le grand philosophe allemand l’avait prévu. Son livre avait diagnostiqué ce mal dès 1913, si bien qu’arrivés au pouvoir, les nazis ont voulu supprimer l’ensemble de son œuvre.

C’est un essai qui approfondit l’analyse pénétrante de Nietzsche de cet esprit qui rapetisse toute chose, tout en en montrant les limites. Introuvable en français, nous le proposons à la réédition, car le renouveau du nietzschéisme en France stimule certains esprits intrépides à dépasser le nihilisme post-moderne. Cependant, le vitalisme de Nietzsche frustre lui-même ses propres promesses, parce que la vie n’est pas la plus haute valeur, les instincts ne remplacent pas la conscience, et le pan-déterminisme biologique ne saurait être véritablement libérateur. Si la vie est l’alpha et l’oméga, comment être héroïque et pour quoi donner sa vie ? C’est ce que montre Max Scheler dans ce livre si nietzschéen qu’il dépasse Nietzsche, et qui a été publié pour la première fois en 1913.

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L’amour n’est pas à la portée des caniches ! Voilà ce qu’avait affirmé déjà avec et contre Nietzsche, le plus grand philosophe allemand de l’entre-deux guerres. L’amour est et restera un sentiment viril et héroïque, c’est ce qu’avance magistralement Scheler, en s’insurgeant contre l’assimilation du christianisme à un sous-marxisme spiritualisant. Avec les outils de Nietzsche, qu’il expose et exploite dans toute leur puissance, Scheler montre la voie de la grandeur éternelle et temporelle. Paradoxalement, il montre aussi que Nietzsche était lui-même pétri de ressentiment envers les valeurs qu’il ne pouvait lui-même atteindre, et qu’il rabaissait à la seule valeur de la vie.

L’œuvre de Max Scheler est d’une importance capitale. Le pape Jean-Paul II n’a cessé de s’en nourrir et de la critiquer, lui consacrant sa thèse de doctorat. Les personnalistes comme les fondateurs de la revue « Esprit » s’y référaient. Pourtant, Scheler reste assez méconnu en France. Il n’existe pas d’édition de ses œuvres complètes en français, et son œuvre majeure, Le Formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs est introuvable.

Max Scheler a été victime de sa propre richesse, car sa pensée n’est pas réductible à des slogans partisans. Son parti-pris résolument anti-subjectiviste en a fait un auteur maudit pour tous ceux épris de consensus mou. Les philistins détestent son élitisme. Les libéraux abhorrent son exigence spirituelle. Les fascistes et les communistes haïssent son intellectualisme. Les spiritualistes font la moue devant son pragmatisme. Les néo-kantiens qui dominent l’université française craignent son « éthique matériale », qui est un dynamitage en règle du formalisme kantien. Les existentialistes ne veulent pas de ses valeurs absolues. Les heideggériens souhaitent faire oublier les critiques définitives de Scheler envers le « calvinisme » d’Etre et temps. Bref, tous ceux qui veulent réduire l’Homme à une seule dimension manipulable par leurs intérêts, c’est-à-dire à peu près toutes les « chapelles philosophiques », ont intérêt à faire oublier cet esprit exigeant. Ils parachèvent par le silence ce que les nazis avaient voulu accomplir par la violence.

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Le noyau de la philosophie de Scheler, c’est une pensée de Pascal : « le cœur a ses raisons que la raison n’a pas ». L’effort intellectuel de Scheler s’est appuyé sur cette intuition fondamentale que ces « raisons du cœur » ne sont pas subjectives, émotionnelles et méprisables, mais au contraire, qu’elles sont hiérarchisées, ordonnées, et vivifiantes, et que nul n’ignore impunément cet ordre objectif des valeurs. Le consumérisme, le totalitarisme et le conformisme sont chacun à sa manière un renversement des valeurs qui finit par se payer très cher. C’est la voie qu’a explorée un autre disciple de Scheler, Viktor Frankl, psychiatre rescapé d’Auschwitz et inventeur de la logothérapie. Cette troisième école de psychothérapie viennoise, après celle de Freud et celle d’Adler, emploie les idées de Max Scheler pour répondre à ces maux spécifiques de la modernité : le nihilisme, le vide existentiel, la perte du sens de la vie, qui tourmentaient aussi le malheureux Nietzsche.

Pour s’armer contre le nivellement, contre l’absurdité moderne et contre le désarroi libéral-hédoniste, il faut sauver des cendres L’homme du ressentiment. On y puisera une vigueur spirituelle insoupçonnée.

Quelques citations :

« Scheler a perçu dans l'homme contemporain une attitude spirituelle caractéristique défavorable à une véritable estime de la vertu : le ressentiment. » 

Jean-Paul II, Amour et responsabilité, 1960.

 « Le premier homme de génie, Adam du nouveau Paradis, ce fut Max Scheler. » 

José Ortega y Gasset, Revista de Occidente, LX, juin 1928

« Max Scheler était la force philosophique la plus puissante dans l'Allemagne moderne, voire dans l'Europe contemporaine et même dans philosophie en tant que telle. »

Martin Heidegger, Fonds métaphysiques initiaux de la logique, 1928

Extraits choisis:

« Le ressentiment est un auto-empoisonnement psychologique, qui a des causes et des effets bien déterminés. C’est une disposition psychologique, d’une certaine permanence, qui, par un refoulement systématique, libère certaines émotions et certains sentiments, de soi normaux et inhérents aux fondements de la nature humaine, et tend à provoquer une déformation plus ou moins permanente du sens des valeurs, comme aussi de la faculté du jugement. Parmi les émotions et les sentiments qui entrent en ligne de compte, il faut placer avant tout : la rancune et le désir de se venger, la haine, la méchanceté, la jalousie, l’envie, la malice. »

« L’attitude du fort à l’égard du faible, du riche à l’égard du pauvre, et généralement du plus vivant vers le moins vivant, dans l’acte de s’incliner et de lui porter assistance peut se réaliser selon deux modes radicalement différents. Elle peut découler et être animée d’un sentiment très ferme de sûreté, d’assurance, du sens que l’on a d’être sauf, de l’invincible plénitude de son être et de sa vie, et plus encore d’un sentiment très net de pouvoir quitter tout ce que l’on est et tout ce que l’on possède. Amour, Sacrifice, Service, inclination vers les humbles et les faibles, tout cela est comme un débordement spontané de nos forces, accompagné de la joie et de la paix la plus profonde. En regard de cette disponibilité spontanée à l’amour et au sacrifice, tout égoïsme particulier, tout retour sur soi-même ou sur ses intérêts propres, et jusqu’à « l’instinct de conservation », représente comme tel un rétrécissement, un affaiblissement d’intensité de la vie. La vie est essentiellement expansion, développement, croissance, plénitude : non conservation de soi, comme le veut une fausse doctrine, qui par ailleurs cherche à réduire tous les phénomènes d’expansion, de développement et de croissance à de purs épiphénomènes des forces de conservation, et en définitive à la conservation du « plus adapté ». »

« Le christianisme n’a jamais affirmé cette « égalité des âmes devant Dieu », où Nietzsche voit la racine de toute démocratie, si l’on entend par là autre chose que l’action de Dieu dégageant la valeur réelle de l’homme des fausses valeurs produites par les situations, les petitesses, les aveuglements, les intérêts particuliers. Mais il est absolument étranger à l’esprit du christianisme de croire que tous les hommes ont la même valeur devant Dieu, et que toute différence de valeur, et tout ce qui tient à l’aristocratie des valeurs humaines, procède de préjugés, d’une étroitesse d’esprit ou d’un anthropomorphisme ; (….). Au contraire, il est authentiquement chrétien de sentir que, sous l’uniformité apparente et superficielle des valeurs humaines, au sein des races, des sociétés, des individus, tels qu’ils nous apparaissent, Dieu saisit une inépuisable multiplicité de perfections et de valeurs diverses ; de même que chez les hommes, selon le mot profond de Pascal, à mesure que l’on a plus d’esprit on trouve plus de gens originaux, en dépit de leur uniformité apparente. »

Lien vers notre vidéo Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=q3dYiNaJMNQ&feature=e...

Paliers de financement du projet :

100% Si vous précommandez 500 exemplaires, le livre "L'homme du ressentiment" sera préfacé, imprimé et envoyé.

200% Si nous atteignons 1000 exemplaires précommandés, nous ajouterons au texte initial un essai de Max Scheler : "LA REHABILITATION DE LA VERTU" (environ 30 pages)

Extrait: "La vertu nous est devenue si intolérable surtout parce que nous ne voulons plus la comprendre comme une conscience durable, vivante et joyeuse de la capacité de l'homme de pouvoir, de désirer et d'agir pour ce qui est juste et bon en soi et, simultanément, désirer et agir pour son propre moi individuel, comme conscience de puissance qui jaillit de son être même."

300% Si nous atteignons 1500 précommandes, nous ajouterons au texte initial un deuxième essai de Max Scheler :"REPENTENCE ET RENAISSANCE", qui est une réponse vigoureuse à Nietzsche (environ 40 pages).

Extrait: "Le repentir n'est ni une erreur spirituelle ni une auto-tromperie, ce n'est ni un simple symptôme de disharmonie mentale, ni une tentative absurde de la part de l'âme humaine de chasser ce qui est passé et immuable. Au contraire, le repentir est une forme d'auto-guérison de l'âme, et c'est en fait son seul moyen de retrouver ses pouvoirs perdus."

500% Si nous atteignons 2500 précommandes, nous traduirons un troisième essai inédit « LES LEADERS ET LES MODELES EXEMPLAIRES (Le saint, le héros, le génie, le dirigeant des civilisations, le maître dans l'art de vivre) » (environ 65 pages)

Extrait: "Nous utiliserons le terme "leader" sans renvoyer à aucune valeur. Car un leader peut être un sauveur ou un démagogue impitoyable ; il peut être un leader positif ou un séducteur ; il peut être le chef d'une alliance morale, ou d'une bande de voleurs ; dans un contexte sociologique sens du terme, il est un « leader » dans la mesure où il veut diriger et il a des suiveurs. C'est assez différent d'une personne exemplaire. Le sens du concept « modèle exemplaire » émerge toujours dans un contexte de valeur. Nous considérons nos modèles exemplaires comme bons, voire parfaits et comme incarnant quelque chose qui devrait être, pendant que nous les suivons. Toute âme est unie à son modèle personnel par une sorte d'amour et une valorisation positive, que ce soit d'un point de vue religieux, moral ou esthétique. Il y a toujours une relation passionnée et affective. Mais un leader peut être méprisé s'il ne fait que diriger."

700 %  3500 exemplaires ! A ce niveau d'intérêt pour Max Scheler, les lecteurs recevront deux livres au lieu d’un. 

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En effet, nous traduirons l’essai « LA PLACE DE L'HOMME DANS LE COSMOS » Comme cet écrit fait 110 pages, nous ne pourrons pas le rajouter au livre L'homme du ressentiment, car cela rendrait le livre trop volumineux. Alors nous regrouperons ces essais supplémentaires et nous en ferons un deuxième livre distinct d'environ 245 pages que nous offrirons à tous ceux qui auront précommandé L'homme du ressentiment.

Ce livre exprime la vision finale de Scheler, juste avant sa mort prématurée, en 1928, la veille de l'ascension au pouvoir des nazis. C'est la démonstration que l'homme a une place héroïque dans le cosmos, à cause et grâce à sa conscience, sa liberté et sa responsabilité. Ainsi, loin d'être une créature impuissante, il est le co-créateur du cosmos, pour autant qu'il en valorise librement l'existence, et qu'il la sanctifie par son amour viril. C'est le visage du véritable Surhomme que nous montre ici Scheler, au-delà des limites biologisantes fixées par Nietzsche.  

TABLE DES MATIERES:

Préface 

Note préliminaire

1. Phénoménologie et Sociologie du ressentiment

2. Ressentiment et jugement moral

3. Ressentiment et morale chrétienne

4. Ressentiment et « Humanitarisme »

5. Du ressentiment et de quelques autres transmutations des valeurs dans la morale moderne

5.1. Valeur du travail personnel et de l’acquisition propre

5.2. Le Subjectivisme des valeurs

5.3. Subordination des valeurs de vie aux valeurs d’utilité

5.3.1. L’utile et l’agréable

5.3.2. Valeur d’utilité et valeur de vie

5.3.2.1. L’être vivant, somme de parties

5.3.2.2. Organe et Outil

(220 pages au total, 19 cm x 13,5 cm, cahiers cousus)

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A propos des éditions Carmin :

Ce projet est le premier des Éditions Carmin. Nous souhaitons proposer des textes inédits et importants pour la formation d'un "honnête homme" du XXIe siècle. Il s'agit d'offrir la nourriture spirituelle aux hommes en désarroi. Nous partons du principe que l'essentiel chez un homme, l'aspect que nous souhaitons développer, c'est la capacité d'autodépassement, la force pour surmonter les difficultés de la vie. Cette force ne saurait se résumer à la force physique. Et cet autodépassement implique une connaissance lucide des conditions nouvelles des relations hommes/femmes et de avancées de la médiocrité dans tous les domaines.

Nietzsche est récupéré et utilisé à l'heure actuelle comme un maître à penser sans critique aucune, comme si personne n'avait recadré son enseignement depuis cent ans. On propose sa théorie du Surhomme comme une sorte de panacée aux jeunes gens en quête de sens. Or donner la "volonté de puissance" pour l’Alpha et l’Omega de la vie, c'est une doctrine appauvrissante, darwiniste sociale, bien médiocre. C'est parce que Scheler a recadré Nietzsche sur ce point très précisément, que le livre L'homme du ressentiment est en quelque sorte notre manifeste. 

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dimanche, 04 juillet 2021

Raymond Ibrahim: l'épée et le cimeterre

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Raymond Ibrahim: l'épée et le cimeterre

Entretien recueilli par Arnaud Imatz

L’historien américain Raymond Ibrahim a publié au début du mois de juin un ouvrage unique en son genre : L’épée et le cimeterre. Quatorze siècles de guerre entre l’Islam et l’Occident (Éditions Jean-Cyrille Godefroy). Sans surprise, les grands médias ne se précipitent pas pour recenser ce livre qui heurte l’un des principaux tabous de notre époque. L'auteur m’a aimablement accordé l’entretien ci-dessous. Une version courte a été  publiée dans La Nef (juillet-août 2021, nº338) et une version plus longue (voir ci-dessous) est actuellement sur le site web de La Nef.  

Merci de bien vouloir relayer autant que possible cette information pour que ce remarquable travail de recherche ne passe pas inaperçu.

L’islam et le modèle occidental  

Raymond Ibrahim, universitaire américain spécialiste du Proche-Orient et de l’islam, né aux États-Unis et chrétien d’origine copte égyptienne, vient de publier en français un livre important ayant connu un large succès aux États-Unis lors de sa sortie en 2018*.  

La Nef – L’hostilité entre l’islam et la chrétienté est-elle un accident de l’histoire ou s’inscrit-elle dans la continuité de l’histoire islamique ?  

Raymond Ibrahim – Elle s’inscrit très certainement dans la continuité. Le problème est que les historiens modernes ont tendance à mettre de côté l’aspect religieux et à se concentrer plutôt sur les identités nationales. Nous savons, par exemple, que pendant des siècles un grand nombre de peuples « orientaux » ont envahi et parfois conquis des parties appréciables de l’Europe. Les historiens modernes donnent des noms très variés à ces peuples : Arabes, Maures, Berbères, Turcs et Tatars, ou encore Omeyyades, Abbassides, Seldjoukides et Ottomans. Ce que ces historiens modernes omettent de faire, cependant, c’est de souligner que tous s’appuyaient sur la même logique et la même rhétorique djihadistes que les groupes terroristes contemporains tels que l’État islamique. Qu’il s’agisse des Arabes (ou « Sarrasins ») qui ont envahi la chrétienté pour la première fois au VIIe siècle, ou des Turcs et des Tatars qui ont terrorisé l’Europe de l’Est jusqu’au XVIIIe siècle, tous ont justifié leurs invasions en invoquant l’enseignement islamique, à savoir que le « destin » de l’islam est de régner sur le monde entier par le biais du djihad. Ils ont tous également suivi les injonctions juridiques classiques consistant, notamment, à offrir aux « infidèles » trois choix avant la bataille : la conversion à l’islam, l’acceptation du statut de dhimmi et le paiement du tribut (jizya), ou la mort. Et, une fois qu’ils ont conquis une région chrétienne, ils ont immédiatement détruit ou transformé les églises en mosquées, et vendu tous les chrétiens qui n’ont pas été massacrés, les condamnant à un esclavage abject, souvent sexuel.  

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Le degré d’ignorance de l’Occident moderne est évident lorsqu’il affirme que des groupes comme l’État islamique ne se comportent pas conformément à l’enseignement et la doctrine islamiques. En fait, non seulement ces derniers agissent en stricte conformité avec la vision traditionnelle du monde de l’islam – haïr, combattre, tuer et réduire en esclavage les infidèles – mais ils imitent souvent intentionnellement les grands djihadistes de l’histoire (comme Khalid bin al-Walid, le « sabre d’Allah ») dont l’Occident a tendance à ne rien savoir.  

Le terme « Occident » masque selon vous la véritable histoire parce qu’il laisse accroire que les terres « orientales » et nord-africaines conquises par l’islam, Syrie, Égypte, Asie Mineure, Afrique du Nord, n’auraient pas fait vraiment partie de l’héritage chrétien gréco-romain : pourquoi se réfère-t-on toujours à l’Empire byzantin et jamais à l’Empire chrétien greco-romain ?  

Oui, non seulement l’Europe postchrétienne et ses ramifications (l’Amérique, l’Australie, etc.) ne parviennent pas à comprendre la véritable histoire de l’islam, mais elles ne parviennent pas non plus à comprendre vraiment leur propre histoire, et en particulier l’impact de l’islam. Ce que l’on appelle aujourd’hui « l’Occident » a été pendant des siècles connu et délimité par l’étendue territoriale de sa religion (d’où le terme plus ancien et historiquement plus exact de « chrétienté »). Elle comprenait alors toutes les terres que vous mentionnez et bien d’autres encore ; elles étaient devenues chrétiennes plusieurs siècles avant l’arrivée de l’islam et faisaient partie de la même civilisation globale. Puis l’islam est arrivé et a violemment conquis la majorité de ces territoires, certains de façon permanente (le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, l’Anatolie), d’autres de façon temporaire (l’Espagne, les Balkans, les îles de la Méditerranée). Pendant ce temps, la majeure partie de l’Europe est devenue le dernier et le plus redoutable bastion de la chrétienté qui n’a pas été conquis, mais qui a été constamment attaqué par l’islam. Dans ce sens (oublié), le terme « l’Occident » est devenu ironiquement exact. Car l’Occident était en fait et littéralement le vestige le plus occidental d’un bloc civilisationnel beaucoup plus étendu que l’islam a définitivement amputé.  

Venons-en maintenant à ce qu’on appelle « l’Empire byzantin ». En 330, l’empereur romain Constantin le Grand a construit une nouvelle capitale pour l’Empire, qu’il a appelée « Nouvelle Rome » (baptisée plus tard en son honneur Constantinople). Bien qu’elle soit profondément chrétienne, qu’elle ait succédé directement à l’ancienne Rome, qu’elle ait survécu à sa chute pendant mille ans, que tout le monde, amis et ennemis, l’appelle « romaine » et qu’elle ait été le rempart le plus oriental de la chrétienté contre l’islam pendant des siècles, elle est connue depuis 1857 sous le nom de « Byzance » – un autre néologisme qui rompt la continuité et la signification de l’histoire et de l’héritage de l’Occident postchrétien. Ces termes – « Occident », « Byzance », etc. – n’ont qu’une fonction : supprimer le mot christianisme dans la conscience des descendants de ceux qui ont combattu et sont morts pour lui.  

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La bataille de Manzikert qui a été pour les Turcs ce que Yarmuk a été pour les Arabes est célébrée comme une grande victoire de l’islam par Erdogan et les dignitaires Turcs. À l’inverse, les leaders des pays européens ne célèbrent pas leurs victoires contre l’envahisseur musulman : faut-il y voir des signes du regain de l’islam combattant et, à l’inverse, du pacifisme et du renoncement des Européens ?  

Oui, ils devraient très certainement être vus ainsi, car c’est précisément ce que ces attitudes signifient. Mais je dirais que pour l’élite européenne la question est bien pire que de simplement « minimiser » les victoires défensives de leurs ancêtres contre l’islam. Car certains les condamnent activement. C’est le cas d’un nombre croissant d’Espagnols avec la Reconquista – des siècles de guerre pour libérer l’Espagne de l’islam – qui n’est plus pour eux qu’une source de honte, un rappel de l’« intolérance » et de l’« arriération » de leurs ancêtres, en particulier vis-à-vis des musulmans d’al-Andalus, supposés « tolérants » et « avancés ». En réalité, la honte que ces élites éprouvent à l’égard de leurs ancêtres et les louanges qu’elles adressent aux ennemis de ces derniers sont révélatrices du degré d’endoctrinement d’une « histoire » qui est aux antipodes de la réalité.  

Vous écrivez que les croisades ont eu une influence décisive sur les événements ultérieurs et que « même les voyages de Christophe Colomb furent motivés par le désir de reprendre Jérusalem ». Pourquoi ?    

L’hostilité de l’Islam était telle, il avait tellement envahi et encerclé l’Europe qu’il n’y avait plus guère d’aspects de la vie qui ne subissait son impact – y compris, par exemple, les voyages et le commerce. C’est parce que l’Islam (sous les Ottomans et les Mamelouks) dominait la Méditerranée orientale – tuant ou réduisant en esclavage tout chrétien assez téméraire pour s’approcher des territoires conquis par lui – que Colomb a cherché une autre route pour se rendre en Orient ; d’autres, comme les Portugais, ont navigué tout autour de l’Afrique pour se rendre en Asie. Les motifs des voyages de Colomb sont moins « romantiques » que ceux décrits dans les salles de classe : il était à la recherche d’alliés potentiels dans la longue guerre contre l’Islam, notamment pour libérer Jérusalem. En ce sens, même le « voyageur » Colomb était un croisé contre l’Islam – tout comme d’ailleurs de nombreux autres voyageurs européens avant lui, en particulier dans le contexte de la recherche, pendant des siècles, du Prêtre Jean, ce monarque chrétien fabuleusement fort dont on disait qu’il vivait quelque part au-delà des frontières orientales de l’Islam. On croyait alors que si l’on parvenait à atteindre ce personnage légendaire, il viendrait en aide aux Européens contre l’Islam.   

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La doctrine de la taqiyya, qui définit traditionnellement la manière dont l’islam doit fonctionner sous un pouvoir non musulman, est-elle aujourd’hui dépassée ou toujours d’actualité ?  

La taqiyya (dissimulation) – qui permet aux musulmans de tromper les non-musulmans en prétendant, par exemple, qu’ils renoncent au djihad, voire qu’ils apostasient l’islam et se convertissent au christianisme – est toujours d’actualité. Comme l’a écrit le Dr Sami Nassib Makarem, la plus grande autorité en matière de taqiyya, dans son livre fondateur de 2004, Al-Taqiyya fi’l Islam (La taqiyya dans l’islam) : « La taqiyya revêt une importance fondamentale dans l’islam. Pratiquement toutes les sectes islamiques y adhèrent et la pratiquent… Nous pouvons aller jusqu’à dire que la pratique de la taqiyya est courante dans l’islam, et que les quelques sectes qui ne la pratiquent pas divergent du courant dominant… » Il ajoute encore, et nous le soulignons, « la taqiyya est très répandue dans la politique islamique, surtout à l’époque moderne ».  

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Le sentiment de solidarité chrétienne a disparu de nos jours non seulement parmi les hommes politiques et les chancelleries européennes mais plus généralement dans l’opinion publique. Qu’en est-il des musulmans ?  

Oui, il en est plus particulièrement ainsi de ceux qui ont appris l’histoire – et le musulman moyen est de loin beaucoup plus instruit de l’histoire de l’islam que l’Européen moyen ne l’est de sa propre histoire. Pire encore, comme nous l’avons mentionné, les Européens ont tendance à être « éduqués » – c’est-à-dire endoctrinés – dans de fausses histoires, conçues pour diaboliser leur passé et leur héritage, tout en blanchissant le passé et l’héritage des autres, en l’occurrence les musulmans. Le djihad contre les infidèles fait en effet partie intégrante de l’islam, ceci est documenté et validé partout – dans et par le Coran, les hadiths (puis la Sunna) et le consensus de la oumma. Aucun religieux musulman faisant autorité, passé ou présent, ne l’a jamais nié – sauf, bien sûr, lorsqu’il s’exprime devant des auditoires « infidèles » et pratique la taqiyya.  

La communauté des musulmans, l’umma, est-elle de nos jours totalement divisée ou relativement unie ?    

Elle est bien sûr divisée matériellement en ce que certains critiquent comme des États-nations artificiels établis par les puissances coloniales. Cela dit, de nombreux musulmans partagent une certaine dose de « tribalisme » avec d’autres musulmans, ce qui signifie qu’ils peuvent préférer la compagnie d’un autre musulman, quelle que soit sa race, à celle d’un infidèle, même de leur propre race (conformément à la doctrine al-wala’ w’al bara’ (ou « loyauté et inimitié »). Les rêves de réunification sous un califat sont également courants et régulièrement exprimés par tous les segments de la société allant de l’État islamique au président turc, en passant bien sûr par le musulman moyen de la rue. Une autre question est de savoir si une telle réunification est réaliste et réalisable.   

RISSC.jpgLes musulmans « militants », « extré­mistes » ou « islamistes », sont-ils fidèles à l’islam ou bien le prennent-ils en otage pour satisfaire leurs propres intérêts politiques ?  

L’important est de savoir qu’il n’y a pratiquement rien que ces différents types de musulmans fassent qui ne fasse déjà partie de leur religion et de leur héritage. Par exemple, toutes les dépravations auxquelles s’est livré l’État islamique – asservir, vendre et acheter des « esclaves sexuels » infidèles ; décapiter, crucifier et même brûler vifs des infidèles ; détruire ou transformer des églises en mosquées – ont été commises d’innombrables fois au cours des siècles par des musulmans, toujours au nom du djihad. De telles dépravations sont d’ailleurs définies comme étant au moins « permises » par la loi islamique. Comment pouvons-nous alors qualifier ces musulmans de « militants » et d’« extrémistes » ? Ne semble-t-il pas plus logique de qualifier l’islam lui-même de « militant » et d’« extrémiste » ?  

L’argument selon lequel ces types de musulmans agissent ainsi parce qu’ils « prennent l’islam en otage de leurs propres intérêts politiques » n’est pas pertinent. En réalité, depuis le tout début, à commencer par Mahomet lui-même, l’islam a toujours été utilisé – et sans doute « conçu » – pour des intérêts politiques. Rappelons ici un seul exemple frappant : après avoir proclamé qu’Allah avait autorisé les musulmans à avoir quatre épouses et un nombre illimité de concubines (Coran 4:3), Mahomet a déclaré plus tard qu’Allah avait délivré une nouvelle révélation (Coran 33 : 50-52) lui offrant, à lui seul, une dispense pour coucher et se marier avec autant de femmes qu’il le souhaitait – ce qui a incité sa fiancée Aïcha à dire : « Je sens que ton Seigneur se hâte d’exaucer tes souhaits et tes désirs » (rapporté dans Sahih Bukhari 6 : 60 : 311).  

Alors que la communautarisation de la société française est désormais un fait sinon admis du moins largement débattu, les élites françaises font depuis plus de cinquante ans le pari de l’émergence d’un « nouvel islam, modernisé, réformé, ouvert, contextualisé, laïcisé, démocratisé », compatible avec le modèle occidental, qui permettrait de marginaliser la « petite minorité fondamentaliste vivier du terrorisme islamiste » : un tel islam est-il possible ?  

Un tel islam « occidentalisé », s’il devait voir le jour, aurait par nécessité si peu de rapport avec l’islam authentique qu’il serait intellectuellement malhonnête de l’associer à l’« islam », sans même parler de l’appeler ainsi. L’important est que les enseignements essentiels de l’islam ont été promulgués par un Arabe du VIIe siècle, qui pensait et agissait précisément comme on peut s’attendre à ce qu’un Arabe du VIIe siècle pense et agisse, c’est-à-dire de manière draconienne et même barbare. Les enseignements de l’islam – qui incluent la haine et, lorsque cela est opportun, la guerre contre les infidèles, l’ostracisme ou le meurtre des apostats, la soumission des minorités religieuses et une foule de mesures misogynes – ne sont pas, par nature, « modernisés, réformés, ouverts, contextualisés, sécularisés ou démocratisés ». En bref, la charia, cet ensemble sacré d’enseignements islamiques, est par définition non seulement pas « compatible avec le modèle occidental », mais elle est l’antithèse du modèle occidental.  

Bien entendu, cela ne veut pas dire que les musulmans ne peuvent pas être laïques, réformés, etc. Il s’agit simplement de dire que, s’ils le sont – et tant mieux pour eux – c’est parce qu’ils ignorent les enseignements de l’islam. Pour l’islam, se conformer au modèle occidental, c’est devenir quelque chose d’entièrement méconnaissable.  

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Arnaud Imatz  

*Quatorze siècles de lutte entre Islam et Occident  

L’Américain Raymond Ibrahim vient de publier une histoire aussi passionnante qu’érudite des conflits pluriséculaires qui ont opposé l’islam et la chrétienté (1). Ce livre est le récit quasiment exhaustif des quatorze siècles d’antagonismes et de combats, majeurs ou mineurs, qui se sont déroulés depuis Yarmuk (636) jusqu’à la fin des guerres barbaresques (1830), en passant par les fameuses batailles de Guadalete (711), Poitiers-Tours (732), Manzikert (1071), Hattin (1187), Las Navas de Tolosa (1212), Koulikovo (1380), Constantinople (1453), Malte (1565), Lépante (1571) et Vienne (1683).  

Historien, linguiste et philologue, spécialiste des langues orientales, Ibrahim a exploité méthodiquement les sources de première main tant musulmanes qu’occidentales et a consulté de très nombreux manuscrits de la Librairie du Congrès de Washington. Son livre n’est pas seulement une chronique détaillée des batailles, il est aussi et surtout une analyse rigoureuse des intentions et des stratégies des différents leaders belligérants. Ibrahim montre que les forces musulmanes obéissaient essentiellement à une logique religieuse, messianique, expansionniste, conquérante, alors que les armées chrétiennes voulaient avant tout récupérer des territoires qui, pendant des siècles, avaient été romains, grecs et chrétiens.  

Il montre également que la ferveur religieuse des islamistes d’aujourd’hui recoupe exactement les dogmes islamistes ancestraux, que les réactions occidentales sont des mécanismes d’autodéfense vieux de 1400 ans et que les rivalités actuelles sont le reflet d’une très ancienne lutte existentielle.  

Arnaud Imatz  

(1) L’épée et le cimeterre, Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2021, 350 pages, 24 €.  

© LA NEF n°338 Juillet-Août 2021  

https://lanef.net/2021/07/02/lislam-et-le-modele-occidental/

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jeudi, 24 juin 2021

Les Héroïques de Paulina Dalmayer (Grasset, 2021).

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Luc-Olivier d'Algange:

Les Héroïques de Paulina Dalmayer (Grasset, 2021)

Voici un livre tout en muscles et en nerfs qui nous change de la flaccidité ordinaire du nihilisme confortable, de ces romans qui semblent écrits du bout des lèvres. Dans ces Héroïques, c'est tout un corps qui écrit, avec ses tendons, ses articulations, ses terminaisons nerveuses, l'électricité qui passe entre les neurones, le crépitement des phosphènes, la circulation du sang dans les veines et les battements du cœur, - sans oublier la peau, qui est le suprême organe de perception.

Wanda, qui est le personnage principal de ce roman, sait qu'elle va mourir, que ses jours sont comptés et que son corps, avant de se défaire, est le siège d'une âme qui persiste. Que faire pendant ces jours qui restent ? Et surtout comment faire ? Que se passe-t-il alors ? Dotée de cette certitude terrible, qui est la limite proche que l'on ne peut désormais dissimuler sous des nuées incertaines plus ou moins aimables, Wanda ne va pas théoriser un ars moriendi, elle va, au contraire, vivre et revivre, tuer et ressusciter, par la réminiscence et le désir,  un ars amandi, un art d'aimer.

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Nous apprendrons ainsi, dans ce voyage, que l'amour ne vaut que délié et divers, et qu'il faut dire, comme naguère, les amours, non seulement pour désigner par ce pluriel un nombre plus ou moins grand d'êtres aimés, mais aussi pour comprendre qu'il y a de nombreuses façons d'aimer, à l'impourvue, avec esprit, avec loyauté ou amitié profonde, dont aucune ne se laisse réduire en cette compacité sentimentale qui tasse en un même composé artificieux, - qui aura le charme des amalgames dentaires, - le sexe, le sentiment, le possession, la raison sociale, la soumission familiale, et autres occurrence du « gros animal », pour reprendre la formule platonicienne chère à Simone Weil, autrement dit de cette société, de ce collectivisme forcé, qui sont devenus les ennemis de la civilisation et de la civilité. L'héroïsme sera de s'en déprendre.

Ce roman cruel, comme le théâtre d'Artaud ou de Grotowski, - qui est l'un des personnages du roman, mais nous n'en divulguerons pas davantage, - ne se laisse pas lire comme une antienne morose ou déprimante : il nous regarde et nous déchiffre. Ce n'est pas un objet, mais une méthexis, une participation, vérifiant ainsi cette évidence : plus le propos est subjectif et personnel, plus il se tient dans la trame de son propre monde et mieux il opère à une sorte d'impersonnalité active où nous pourrons retrouver nos propres vérités et nos propres tentations, ainsi que le fait précisément Grotowski lorsqu'il s'interroge sur le passage du «rôle » à « l'essence » des personnages.

Le roman de Paulina Dalmayer nous force à garder en mémoire cette frontière frémissante qui sépare, et unit, notre « rôle » joué dans le monde de « l'essence » mystérieuse, hors d'atteinte, qui seule demeure, telle, derrière le défilement des images d'un film, la lumière du projecteur.

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Wanda est polonaise, c'est dire qu'elle nous vient de la Mitteleuropa, et ce qu'elle nous dit, en se souvenant, et en agissant, vient de cette civilisation, prodigieusement complexe et vivante, qui elle aussi, est, à ce moment de l'Histoire, au voisinage de la mort. Autant dire qu'il ne faut pas s'attendre à ces préciosités étiques, ces plaintes bien gérées, ces mondanités moroses qui font, hélas, le fond le plus commun des romans français actuels. Nous sommes, avec Les Héroïques, du côté de Witkacy ou du Döblin du Voyage babylonien. L'ironie, qui traverse de part en part le roman comme un fluide salvateur, n'est point celle de l'intelligence énervée,  - c'est-à-dire, par étymologie, privée de nerf, - mais celle du « double regard », qui saisit le jour et la nuit des personnages, d'un seul trait sûr, dans sa ductilité sensible immédiate et dans sa fin dernière.

Nous comprenons, en lisant ce roman de Paulina Dalmayer, - dont la suite est annoncée et attendue, - que le temps est un flux, un flot, voire sur quelque rivage ultime, une vague qui se retourne elle-même dans l'immémorial. Dans son échappée belle, les pieds nus dans la neige, Wanda se souvient, certes, de sa jeunesse polonaise, de la collective incarcération communiste, de sa malédiction familiale, de ses aventures théâtrales, mais le souvenir l'emporte, la soulève dans un présent qui n'appartiendra qu'à elle, pour le ressaisir et se laisser saisir, dans la roulement de la vague, par d'impondérables puissances dans l'extrême fragilité.

Tel est l'héroïsme, qui est un génie de l'intuition : sentir ce qui soulève dans ce qui défaille, vérifier l'existence de l'âme dans l'extinction du corps. Ce beau roman, cependant échappe à chaque phrase à la tristesse. Sa drôlerie se donne à nous les larmes aux yeux ; sans plaintes il va vers son recours, à vif, pour mieux nous laisser entrevoir la sagesse éperdue de vivre.

Luc-Olivier d'Algange.

jeudi, 10 juin 2021

Eduard Alcántara : "L'Imperium est la forme la plus achevée et la plus complète d'organisation socio-politique"

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Eduard Alcántara: "L'Imperium est la forme la plus achevée et la plus complète d'organisation socio-politique"

Ex: https://elcorreodeespana.com/libros/167428483/Eduard-Alcantara-El-Imperium-es-la-forma-mas-acabada-y-mas-completa-de-organizacion-politico-social.html

indexlie.pngLa maison d'édition Letras Inquietas vient de publier Imperium, Eurasia, Hispanidad y Tradición, une œuvre collective avec la participation de Carlos X. Blanco, Eduard Alcántara et Robert Steuckers. Les essais qui composent le livre recherchent dans la Tradition, dans l'Histoire et dans le présent, les éléments conceptuels nécessaires à une théorie de l'Empire qui rejette le modèle actuel, absorbant, prédateur et "impérialiste". À cette occasion, EL CORREO DE ESPAÑA s'entretient avec Eduard Alcántara, philosophe et expert de la pensée traditionaliste.

Qu'est-ce que l'Imperium ?

Pour la Tradition, la notion d'Imperium représente l'aspiration à transférer l'Ordre cosmique (l'Ordo dont on parlait au Moyen Âge ou le Ritá védique) aux constructions politico-sociales conçues par l'homme. Il s'agit de faire en sorte que le microcosme soit le reflet du macrocosme. Nous parlons de la prétention de consommer ce que l'adage hermétique-alchimique dit quand il exprime que "ce qui est en haut est en bas". L'harmonie qui régit dans les domaines célestes et qui a son corrélat dans la musique des sphères dont parlait déjà Pythagore, doit aussi régir dans les domaines terrestres. Les forces subtiles (numina) constituent le nerf de la charpente cosmique et, de même qu'elles s'interpénètrent de manière à harmoniser la dynamique du macrocosme, l'homme doit, au moyen du rite sacré, les activer afin que, par leur opérativité, elles rendent possible que l'harmonie qui gouverne en Haut gouverne aussi ici-bas sous la forme de l'Imperium ou du Regnum, tous deux donc de caractère sacré.

Quelles sont les implications de l'Imperium pour la Tradition et vice versa ?

Si l'ensemble du cadre nouménique a pour cause première d'harmonisation la force centripète représentée par le Premier Principe indéfinissable, indéterminé et éternel (Brahman, pour l'hindouisme) qui est à son origine, l'Imperium fonctionne de manière similaire, puisque toutes ses composantes agissent et interagissent en harmonie en "tournant" autour de la figure de l'Empereur comme axe vertébral, car il est revêtu de cette aura sacrée qui dégage un prestige, une dignité supérieure et une majesté qui ne nécessitent, par nature, aucune force coercitive pour maintenir la cohésion des différents corps sociaux, administratifs et territoriaux qui font partie de cet Imperium. L'empereur, dans la Tradition, assume le rôle de Pontifex, ou bâtisseur de ponts, entre le monde métaphysique et le monde physique. Il est donc la clé de la sacralisation des sociétés dont il est le recteur et le guide. Il agit comme un catalyseur et un exemple pour ceux qui, par volonté et potentiel spirituel, s'aventurent sur le chemin rigoureux, méthodique et ardu de la metanoia, de la transsubstantiation ou remotio intérieure, de la réalisation spirituelle. De même, à ceux qui n'ont pas cette volonté et ce potentiel, elle rend possible l'approche, par la participation à son projet, des vérités transcendantes.

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Quelle a été l'influence de l'Imperium dans l'évolution de l'histoire en général et de l'hispanité en particulier ?

Le Monde de la Tradition s'est toujours efforcé de se constituer en Imperium comme la forme la plus complète et la plus aboutie d'organisation politico-sociale. Il comprenait parfaitement que la fonction impériale était celle qui incarnait et reflétait le plus fidèlement les ordonnancements et les harmonies des plans métaphysiques de la réalité. C'est pourquoi nous l'avons vu se réaliser sous des latitudes lointaines : au Japon, en Chine, en Perse, à Rome ou dans l'Europe du Saint Empire romain germanique. En Amérique, l'Espagne se heurte à une forme d'empire déjà dégradée, dont la survie repose uniquement sur l'usage de la force. Il a rencontré un empire aztèque tombé dans une sorte de rituel du sang, de la coupe tellurique ; il a interagi avec des forces préternaturelles et non surnaturelles. Il a également rencontré un empire inca centré sur les cultes d'une solarité décadente et non olympique. Une solarité qui ne dérive pas du Principe Suprême et éternel, qui par essence est imperturbable, mais une solarité qui naît et meurt, qui est donc changeante et qu'ils tentent de réveiller en la nourrissant continuellement de sacrifices humains sanglants. Si nous faisons un parallélisme avec l'univers mythologique grec, nous dirions que le monde inca n'accomplissait pas de rites pour activer les pouvoirs du dieu solaire, immuable et olympien Apollon, mais du dieu soleil Hélios, qui meurt et ressuscite sans cesse. L'Espagne devient Imperium, et ainsi la monarchie hispanique remplace les formes dissolues des empires amérindiens précolombiens par un Imperium fidèle aux vérités impérissables et éternelles de la Tradition. En Amérique, en Europe et même en Asie, avec les Philippines, une Idée spirituelle, la Catholicité, et la figure qui l'incarnait (différents monarques) ont maintenu la cohésion de l'Imperium pendant trois siècles sans maintenir, une fois établie, pratiquement aucune force militaire d'origine péninsulaire dans les différents territoires qui s'y conformaient, parce que la dignité sacrée de l'Idée qu'elle incarnait est devenue le pôle d'attraction qui l'a rendu possible. Son existence de trois siècles constitue un fait quasi-miraculeux si l'on tient compte des temps qui couraient alors dans une Europe qui avait vu naître un humanisme et un anthropocentrisme qui poussaient l'homme à une sorte de solipsisme qui le faisait se regarder le nombril et tourner le dos au fait Transcendant. Une Europe où dominaient le subjectivisme, le relativisme et l'impossibilité de connaître le Supérieur en raison de l'irruption du protestantisme. Une Europe dans laquelle la raison d'Etat (la fin machiavélique qui justifie les moyens) s'élevait au-dessus des considérations d'ordre sacré ou dans laquelle le rationalisme cartésien du 17ème siècle et le mal nommé illuminisme du 18ème siècle luttaient avec succès pour laminer toute Vérité Supérieure en n'entrant pas dans la compréhension courte du raisonnement humain. Pourtant, même au cours du XVIIIe siècle, le miracle de l'Imperium hispanique ou de la Monarchie hispanique a survécu.

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Après Rome, l'Imperium s'est manifesté, selon vous, dans le Saint-Empire romain germanique et, plus tard, dans la tentative de récupération conçue par Charles Quint...

Oui, sans être trop polémique, on peut dire que le second prend le relais du premier et le troisième du second. Le Saint Empire Romain (S.I.R.G.) montre clairement cette intention de continuité jusque dans son nom même de Romain. Il représente une tentative de restauration du défunt Empire romain d'Occident. Malheureusement, en raison surtout de l'issue des guerres entre Guelfes et Gibelins à partir du XIIe siècle (les guerres dites des Investitures), le S.I.R.G. se dilue en raison du triomphe du camp guelfe, qui finit par enlever la potestas sacra à l'Empereur. Les conséquences en seraient finalement désastreuses, car désacraliser le chef du S.I.R.G. finirait par désacraliser, par osmose, tous les corps sociaux et territoriaux qui étaient sous son égide et accélérerait, de la sorte, tout un processus de décadence qui n'a guère eu de frein jusqu'à nos jours délétères. En fait, le seul frein a été mis par Charles V avec son projet de Monarchie Universelle qui, pour commencer, vivifierait les restes anodins et sans âme de ce qui avait été le S.I.R.G.. et, en outre, non seulement de la restituer à son territoire d'origine mais, surtout, à son être constitutif, qui n'était autre que celui de son essence spirituelle sous la forme de la catholicité ; D'où, par exemple, sa détermination à mettre fin au schisme protestant et son non-conformisme de simple catholique dévot face à la politique infâme du pape Clément VII, comme il l'a démontré avec le Sac de Rome de 1527; peut-être une gueule de bois gibeline de l'empereur Charles face au guelfisme symbolisé par la papauté ? Nous pouvons donc tracer des liens qui unissent l'Empire romain, le S.I.R.G. et l'Empire hispanique.

Tradition contre monde moderne : qu'est-ce que l'un et qu'est-ce que l'autre ?

La tradition consiste à vivre en se concentrant sur le Haut. C'est pourquoi les structures et les organismes politico-sociaux sont substantialisés et concrétisés de telle sorte qu'ils permettent à l'homme de vivre en consonance avec le Transcendant, même dans sa vie quotidienne la plus insignifiante ; ainsi, chacune de ses actions deviendra une sorte de rite. La tradition agit comme si elle était une force qui sacralise l'existence terrestre. La Tradition, par essence sacrée, est intemporelle et peut, par conséquent, se manifester et se concrétiser à n'importe quel moment de l'évolution de l'histoire de l'homme, bien que, certainement, plus le kali-yuga, dont parlent les textes sapientiels indo-aryens (ou l'âge de fer, auquel fait allusion le Grec Hésiode) devient omni-hégémonique, plus la possibilité d'une Restauration de l'Ordre Traditionnel se produit sous une certaine latitude. Le monde moderne, quant à lui, représente le triomphe de la matière sur l'Esprit. Au début, sa prépondérance n'est pas totale mais progressivement, parfois avec des accélérations brutales, son hégémonie devient de plus en plus étouffante et aliénante. Jamais le monde n'a été aussi grossièrement et extrêmement matérialiste, mais, comme nous l'avons souligné plus haut, la prostration actuelle est le résultat de l'action d'une série de facteurs et de processus de dissolution, tels que l'humanisme, l'anthropocentrisme, le protestantisme, le relativisme, le rationalisme, le positivisme, les Lumières, le "nouveau" monde, positivisme, les Lumières ou/et les révolutions libérales et communistes, les sous-produits culturels tels que l'évolutionnisme darwinien, l'utilitarisme ou la psychanalyse pour aboutir au dépotoir actuel, consumériste, individualiste, nihiliste et de relativisme et de subjectivisme faisant partie intégrante de la postmodernité. Voyez donc que le seul antidote intégral pour affronter le monde moderne corrosif et dissolvant est le monde de la Tradition.

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En quoi l'Imperium diffère-t-il de l'impérialisme exercé, par exemple, par les États-Unis ?

Nous avons vu que l'Imperium a une base métaphysique, tandis que l'impérialisme a une base matérielle, que ce soit en vue d'une domination simplement expansive-territoriale ou à des fins économiques-mercantilistes. L'Imperium prétend créer la civilisation et l'impérialisme se déplace avec des prétentions de pillage et d'exploitation des ressources matérielles (énergie, nourriture,...). L'impérialisme anglais, hollandais ou français présentait un caractère colonialiste plus qu'évident, consistant dans le pillage par la métropole des ressources des colonies et dans la non-industrialisation de celles-ci afin qu'elles n'aient d'autre choix que d'acheter les produits fabriqués dans les industries de la métropole. Par exemple, dans le cas des Anglais, ils sont allés jusqu'à détruire les métiers à tisser en Inde ou à couper les pouces des tisserands à Ceylan pour couper toute concurrence textile possible avec les industries métropolitaines. Là où les puissances impérialistes avaient l'habitude de créer des usines commerciales, l'Espagne, en revanche, a fondé des villes et les a dotées d'aqueducs et d'infrastructures de toutes sortes. Ses routes pénétraient vers l'intérieur car il s'agissait de civiliser l'ensemble du territoire. Ainsi, contrairement aux usines côtières anglaises ou néerlandaises, les villes étaient fondées et refondées à des centaines de kilomètres de la côte, car l'objectif n'était pas seulement de remplir les cales des navires marchands, mais aussi de diffuser le catholicisme et ses vecteurs culturels, tels que la langue, la scolastique et la théologie. La Bible a été traduite dans un bon nombre de langues précolombiennes (toutes non grammaticales jusqu'à l'arrivée des Espagnols), comme le quechua et le nahuatl. Vingt-cinq universités et un grand nombre de Colegios Mayores ont été fondés, ouverts à tout sujet de la couronne espagnole ; certaines de ces universités ont été créées un siècle avant que les Anglais ne fondent la première dans leurs colonies américaines : l'université de Harvard en 1636. Le cas des États-Unis est également paradigmatique de ce qui a été et est un empire prédateur, aux antipodes de l'Imperium Hispanico. Au XVIIe siècle, c'est la doctrine de la Destinée manifeste qui a guidé dans une large mesure l'élan colonialiste américain. Les protestants en général et les puritains en particulier qui sont arrivés sur le territoire des 13 colonies l'ont brandi comme un argument expansionniste. Selon eux, les nouveaux colons auraient été désignés par Dieu pour avoir, comme les Juifs avec la terre promise d'Israël, leur terre de promesse. La conquête de nouveaux territoires et l'enrichissement économique qui en découle seraient les signes du choix préalable que le Très-Haut en aurait fait ; dans la lignée, cette idée, des dogmes calvinistes qui, par ailleurs mais dans cette même lignée, ont tant contribué à l'apparition et à l'expansion ultérieures du capitalisme (une contribution, disions-nous, essentielle du calvinisme en particulier comme du protestantisme en général). Cette doctrine de la Destinée Manifeste a pris de nouveaux envols depuis la fin du 18ème siècle (avec l'indépendance des 13 colonies) et est arrivée jusqu'à nos jours avec la conviction que les Américains ont été choisis par la divinité pour exporter et implanter (par la force ou par la ruse) la démocratie dans le monde entier. Leur impérialisme repose donc sur le principe d'une souveraineté populaire (si chère à la démocratie) par laquelle le pouvoir n'est pas légitimé par le Haut (il n'a pas d'origine sacrée) mais par le Bas, par un démos qui un jour peut établir, par la moitié plus un des votes, que les valeurs à défendre sont certaines et le lendemain en choisir d'autres, brisant ainsi toute validité des Vérités et Valeurs éternelles qui ont toujours donné la stabilité aux sociétés traditionnelles et ont toujours été leurs points de référence supérieurs. Nous ne révélons aucune preuve qui n'est pas connue si nous dénonçons que derrière cet empressement "généreux" et "détaché" à étendre la démocratie à toute la planète, se cachent des intérêts économiques non dissimulés qui, dans leur avidité, n'ont aucune limite par rapport aux confins du monde.

"Les États ont déjà défenestré toute aspiration à constituer des unités politiques qui les dépassent et qui ont en vue un but élevé, parce que, au contraire, ils n'aspirent plus à restaurer l'Imperium. " Est-il encore possible de récupérer l'Imperium et la Tradition ?

La restauration de l'Ordre traditionnel et de sa forme impériale nous semble très compliquée étant donné les temps de dissolution que nous traversons dans tous les ordres, mais ce n'est pas un obstacle pour nous de soutenir qu'il n'est pas impossible que cela se produise. Le susdit Hésiode a écrit dans son œuvre Travaux et Jours que même dans les périodes de plus grande dispersion et de tribulations, il était possible de restaurer l'âge d'or dont parlait la mythologie grecque. L'homme n'est pas un être fatal, au destin irrévocablement écrit d'avance. Pour la Tradition, l'homme est libre de tracer son chemin, tant intérieur qu'extérieur, tout comme il chérit cette liberté qui peut lui permettre d'entreprendre un combat dont le but est de renverser le désordre ambiant et d'illuminer une nouvelle ère libérée des chaînes et des fardeaux lourds et aliénants que le monde moderne place depuis longtemps dans son empressement à bestialiser l'homme en l'amputant de sa dimension Transcendante.

Carlos X. Blanco, Eduard Alcántara et Robert Steuckers: Imperum, Eurasia, Hispanidad y Tradición. Letras Inquietas (juin 2021)

Pour commander l'ouvrage:

https://www.amazon.es/dp/B096HYCNL9?&linkCode=sl1&tag=microprensa-21&linkId=68b8bc9a4c1c22a214d7821626982eb5&language=es_ES&ref_=as_li_ss_tl

 

 

samedi, 05 juin 2021

"1979 l'Année Charnière" avec Robert Steuckers & "Les nonagénaires génocidaires" avec Nicolas Bonnal

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Café Noir N.26

"1979 l'Année Charnière" avec Robert Steuckers & "Les nonagénaires génocidaires" avec Nicolas Bonnal

 
Café Noir – Un Autre Regard sur le Monde. Émission du vendredi 04 juin 2021 avec Pierre Le Vigan et Gilbert Dawed.
 
Première Partie: 1979 l'Année Charnière avec Robert Steuckers
et Deuxième Partie: Le Coup de Gueule de Nicolas Bonnal: Les Nonagénaires Génocidaires.
 
 
INDEX (pour naviguer la vidéo, cliquer sur les liens)
 
00:00 - Présentation & Introduction
05:10 - La "Cancel" & "Woke" Cultures
08:30 - La Chine s'ouvre à l'Économie de Marché
10:00 - Le Retour de Khomeini à Tehran
13:20 - Les Verts en Allemagne
16:10 - Le Néo-conservatisme aux USA (Reagan)
17:00 - Le Néo-libéralisme en Grande Bretagne (Thatcher)
27:28 - Jean-Paul II en Pologne
28:30 - Les Boat-People
30:10 - La Nouvelle Philosophie en France
34:53 - La Prise de l'Ambassade USA à Tehran
37:50 - La Double Décision de l'OTAN (Allemagne)
43:45 - L'Invasion de l'Afghanistan par l'Union Soviétique
46:35 - Les Premiers "Regime Change"
50:45 - La Première Conférence Internationale sur le Climat
51:10 - L'Emergence du Système Monétaire Européen
 
52:44 - Le CDGNB: Les Nonagénaires Génocidaires
 

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RÉFÉRENCES
Frank Bösch (Wikipédia France) https://fr.wikipedia.org/wiki/Frank_B...
Zeitenwende 1979. Als die Welt von heute begann, Frank Bösch, Beck C. H., 2019 (Le changement d'époque de 1979 - Quand commença le monde d'aujourd'hui).
De la Chine, Henry Kissinger, Fayard, 2012
La Société ouverte et ses ennemis, Karl Popper, Seuil, 2018
Le Suicide français, Éric Zemmour, Albin Michel, 2014
Le Testament de Dieu, Bernard-Henri Lévy, Grasset, 1979
Les Maîtres penseurs, André Glucksman, Grasset, 1977
No Society, Christophe Guilluy, Flammarion, 2018
 
SITES
Robert Steuckers (Euro-Synergies) http://euro-synergies.hautetfort.com/

PHILIP K. Dick et le Grand Reset en Occident

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Nouveauté:

PHILIP K. Dick et le Grand Reset en Occident

Par Tetyana Popova-Mozovska

Préface de Nicolas Bonnal

Dans les années 70 on évoquait au lycée un mage, un gourou, un écrivain qui sortait des catégories traditionnelles et scolaires mais n’entrait pas dans les nouvelles. Il faisait douter de la réalité du monde, de nos perceptions, et de notre humanité limitée à la consommation et à la perception de news. En outre il était perçu comme le prophète d’un futur effrayant et qui était déjà là. Bref, il était un oracle. Si Dostoïevski, Edgar Poe ou Balzac nous décrivaient un éternel présent qui venait du passé, cet écrivain mythique nous décrivait un éternel présent qui venait du futur.  On le jugerait comme prophète et non comme styliste ou « réaliste ».

Cet écrivain bien sûr est Philip K. Dick - et mes amis des sections scientifiques le considéraient comme un génie réservé à une minorité choisie. On citait surtout « Ubik » dont le nom résonne comme celui d’un dieu de l’étrange. Après des essais de lecture infructueux, je finis par découvrir ce monstre littéraire en 1982 grâce au film « Blade runner ». Échec commercial à sa sortie, cet opus fasciné (et pas seulement fascinant) devint ensuite le film-culte par excellence. Les puristes reprochèrent plein de choses à une œuvre qui dessinait les grands traits de notre époque mondialiste, dystopique et travaillée par l’image. L’altération de la réalité par les simulacres était là, tout comme la technologie dangereuse, la difficulté de définir l’homme dans le monde capitaliste unifié et la fabrication artificielle par les images d’une mémoire collective planétaire effaçant l’expérience individuelle. Cependant la lecture de Dick me demeurait difficile. J’attendis d’autres films « Total recall », « Pay check », « Minority report » pour avoir une idée plus précise de cet univers « riche et étrange », digne des visions de Shakespeare et du baroque du Quichotte. Le futur dystopique, la dégradation d’un paysage planétaire déglingué et surtout la fabrication d’une mémoire artificielle me semble être des axes essentiels des écrits de Dick. Et c’est là qu’est intervenue Tetyana, passionnée et sérieuse.

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Sérieusement et systématiquement Tetyana a relu ou lu tous les ouvrages de Dick susceptibles d’expliquer l’étrange réalité dans laquelle nous sommes plongés. Depuis un an, nous avons en effet assisté à une accélération de cette réalité marquée par le totalitarisme technologique et l’effondrement énergétique/économique ; tout cela grâce au virus et aux mesures comme ce reset qui l’accompagne, sorti de cerveaux planétaires et dangereux. Bref, nous sommes rentrés au moins dans les grandes villes dans l’univers de Dick – un univers souvent comique et menaçant, comme dit notre auteure.

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Tetyana a compulsivement a déniché les textes oubliés ou peu lus qui dessinent la réalité prévue par notre étrange prophète. Mais en bonne chrétienne elle a aussi insisté sur les contenus spirituels et « chrétiens-primitifs » de l’œuvre de Dick, dimension que beaucoup de critiques ont négligé ou oublié. De ce point de vue ce grand auteur pourrait être aussi un écrivain du « 8ème jour » quand nous serons réveillés du long sommeil impérial et ferré. Ce livre s'adresse donc à une élite « éveillée », et qui s’ignore encore.

Editions Tetyana, Amazon.fr. A paraître chez Avatar.

https://www.amazon.fr/dp/B096LPVB1R/ref=sr_1_1?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&dchild=1&keywords=BONNAL+DICK&qid=1622883747&sr=8-1

 

vendredi, 04 juin 2021

Un roman intéressant: La Luz del Norte

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Un roman intéressant: La Luz del Norte

Par Xuan Xosé Sánchez-Vicente

Je viens de terminer "La luz del norte", un roman de Carlos X. Blanco, écrivain et chercheur qui travaille fréquemment dans le domaine de l'asturien et de l'asturianisme.

Organisé en courtes unités narratives et avec une prose sans beaucoup de fioritures créatives ou transgressives, le roman est agréable et se lit bien, c'est-à-dire qu'il capte l'intérêt pour continuer à lire scène après scène.

La trame narrative est le contexte plus ou moins historique, dans le domaine de l'Espagne et des Asturies, allant de la défaite de Don Rodrigo au soulèvement de Pelayo et des Asturiens à Covadonga. Sur cette trame historique - racontée avec une liberté littéraire - est dépeinte la vie dans l'ancien royaume wisigothique (Tolède et Cordoue, fondamentalement), tant au niveau des protagonistes que sur le plan social : L'esclavage des chrétiens et des Goths et les violences qu'ils ont subies tant sur le plan physique qu'économique ; la connivence, de la même manière, avec les envahisseurs de la part des "traîtres" : les partisans de Witiza, comme Don Oppas, qui étaient ceux qui appelaient les envahisseurs Maures, ou les nobles qui se rendaient à l'envahisseur, comme le Goth Athala. D'autre part, la vie des asturiens libres est décrite : asturiens du centre et de l'est, asturiens vadiniens, dont le chef est Pelayo -goth et asturien à la fois- et cantabres libres, dirigés par le duc de Cantabrie, Alfonso.

Du point de vue de la narration de l'histoire, on alternera les épisodes ou les aventures de certains personnages qui ont des origines et des trajectoires différentes jusqu'à ce que, à la fin, ils soient regroupés à Covadonga et autour de Pelayo : Teud et Adosinda (la sœur de Pelayo), Teud et sa sœur Brunilda, Álvaro et Brunilda... Et, avec eux, des personnages historiques : outre Pelayo et Adosinda, les Oppas, Munuza, Alkama ?

Quant au reflet de l'histoire réelle dans la fiction romanesque, l'auteur utilise un squelette "réaliste" tout en incorporant des événements strictement inventés, qu'il accompagne de légendes sur Pelayo : sa naissance et ses racines, son voyage à Cordoue, la livraison d'Adosinda comme otage. Et, en même temps, l'invention d'un réseau de "moines sages et visionnaires" qui voient l'avenir et le réalisent.

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Il y a un point où l'auteur peut rencontrer des résistances ou des obstacles chez certains lecteurs, à cause du fond "idéologique" ou de la vision du monde qui structure la vision de l'histoire dans le roman : certains, du point de vue nationaliste, le trouveront trop "gothique" et "hispaniste" et, peut-être, trop chrétien. D'autres, du point de vue d'une vision particulière de l'Espagne, le considéreront comme trop nationaliste asturien.

En vérité, si le roman est lu d'un point de vue purement littéraire, il est plus proche d'un roman d'aventures que de tout autre chose, et ces obstacles disparaissent parce que la coloration idéologique est alors réduite à un simple élément de l'intrigue et à la création d'une atmosphère.

Source : Blog de Xuan Xosé

Version originale en asturien :

https://nacionalismuasturianu.blogspot.com/2016/06/una-no...

Informations sur l'éditeur :

https://editorialeas.com/producto/la-luz-del-norte-por-ca...

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Critique littéraire de La luz del norte, de Carlos X. Blanco

Antonio Ríos (Docteur en Philosophie et expert en littérature)

C'est un cliché, mais il est vrai, que la meilleure critique et le meilleur honneur que l'on puisse faire à une œuvre et au travail de son auteur, c'est de lui montrer qu'il a passé des heures et des jours avec son œuvre, et que ce temps loin de tout écran d'ordinateur ou de tout appareil moderne, ces heures devant son livre en silence, n'ont pas été seulement un bienfait et un plaisir, mais aussi un dialogue critique, de conformité et de désaccord avec l'auteur. Cela dit, nous abordons une critique littéraire de l'œuvre La luz del norte (EAS, 2016) de Carlos X. Blanco.

"La luz del norte" nous parle de ce qui fut le germe de la reconquête espagnole, donc le germe de l'Espagne elle-même, de l'Espagne catholique et impériale, la base de la future nation espagnole. Don Pelayo est le personnage principal autour duquel tourne ce roman. Pelayo est le sparring-partner du roi Rodrigo, avec lequel il a subi la défaite de Guadalete en 711, bien que le roman commence après cet événement historique. Pelayo est un noble de lignée gothique et asturienne -c'est ainsi qu'il est présenté dans le livre, suivant ou mélangeant certaines Chroniques, inconnues de moi- qui a commencé à unir Goths, Asturiens, Cantabres et Hispaniques dans les montagnes des Asturies, initiant la résistance et la reconquête d'une péninsule ibérique envahie par l'Islam.

En tout cas, Pelayo n'est pas le seul protagoniste de ce -appelons-le pour le moment- roman, mais d'autres personnages ont autant ou plus d'importance que Pelayo : le jeune Teud, compagnon d'armes de Don Pelayo, qui doit fuir Tolède, la capitale du royaume wisigoth dévasté par l'invasion musulmane ; Álvaro, hispano-gothique qui partagera la captivité et les épreuves de Tolède et Cordoue avec Brunhilda, la soeur de Teud. La noble et guerrière Adalsinda, sœur de Don Pelayo, joue un rôle tout aussi important dans l'histoire que Brunhilda. L'imbrication de ces personnages, qui passent essentiellement de deux en deux, est très réussie dans ce roman. Pelayo-Teud, Álvaro-Brunhilda, Adalsinda-Teud, Pelayo-Adalsina, etc... Cet entrelacement continu des personnages libère cette histoire de l'individualisme, de l'introspection qui caractérise habituellement les personnages des histoires modernes, même dans les récits d'aventure actuels. Même l'ermite Bartholomé ne cesse d'être accompagné, car il semble être toujours "connecté" à sa sphère magique, avec laquelle il communique avec les frères de l'Ordre. Le triomphe du bien sur le mal n'est pas seulement, dans ce roman, le triomphe du christianisme sur l'islam, mais c'est surtout le triomphe de la noblesse d'esprit, de la fidélité à un bien qui, oui, semble vivre de manière innée dans un ordre hiérarchique, comme celui-ci : asturien-cantabrique, wisigothique, hispanique, etc...

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À travers "La luz del norte", nous sommes insérés dans une péninsule ibérique dévastée par l'invasion musulmane et par la trahison des Wisigoths partisans de Witiza, et nous voyageons avec ses protagonistes à travers des villes comme Tolède, Emérita Augusta (Mérida), Cordoue. Bien que la description du paysage, des coutumes et de la variété des personnages ne soit pas très présente dans le roman - ce manque contribue à en faire une histoire très adaptée aux jeunes - nous avons une assez bonne idée de la différence des coutumes dans les différents territoires. L'auteur gère très bien le carrefour des coïncidences, des rencontres entre personnages et la composante de surprise qui ne devrait pas manquer dans un récit d'aventure, bien que ces rencontres soient parfois aussi improbables que celles des Persiles de Cervantes.

"La luz del norte" est un récit d'aventure. Mais je n'oserais pas le qualifier de "roman historique", car je pense que ce genre, si surfait de nos jours, ne parvient pas à rendre compte de ce qu'est ce livre. "Roman historique" est un terme déroutant en soi, car toute histoire qui sort du temps présent et dans laquelle on retrouve des personnages importants de l'histoire pourrait être considérée comme un roman historique, et donc des romans comme "La Flèche noire" de Stevenson ou "La Chartreuse de Parme" de Stendhal pourraient être considérés comme des "romans historiques", alors que, Dieu merci, ils ne le sont pas.

Bien que l'écheveau narratif de cette œuvre de Carlos X. Blanco soit unitaire et plein de caractère. La trame narrative de Blanco est unitaire et avec une structure forte, la division de l'oeuvre en tant de chapitres, les changements continus et drastiques de lieu, de personnages, etc... enlèvent à l'oeuvre le caractère de roman -qui est un genre moderne-, lui donnant plutôt le caractère de littérature épique classique, d'une part, et de conte moral et religieux miniaturiste dans le style des Cantigas d'Alfonso X, d'autre part (peut-être aussi -mais je ne le sais pas et un historien devrait en juger- dans le style des Chroniques sur la vie de Don Pelayo).

Assembler ces caractéristiques épiques et ce miniaturisme religieux avec le récit d'aventures pour les jeunes est le défi que, au-delà de la volonté de l'auteur, cette œuvre a en elle-même. Et je pense que l'œuvre sort très bien de ce défi... si nous n'étions pas en 2018 et si le monde n'était pas rempli de jeunes gens abrutis et planifiés par des adultes. Je vais nuancer cette pensée à la fin de cette critique. Allons de l'avant.

Le roman est donc un genre moderne, et "L'aurore boréale" n'est pas un livre moderne. Il ne cherche pas à séduire avec les artifices de la modernité, c'est pourquoi il a un caractère anachronique qui peut attirer et séduire autant de lecteurs qu'il peut en effrayer d'autres. Il est clair que le lecteur et le critique qui se sentent à l'aise dans la modernité seront effrayés par cette œuvre, le lecteur et le critique qui ont déjà senti la puanteur de la modernité et de la postmodernité seront attirés par "La lumière du Nord", bien qu'ils puissent être en désaccord avec certains aspects de l'œuvre.

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Il s'agit d'une œuvre à l'atmosphère positive, c'est-à-dire qu'elle convient parfaitement aux jeunes ou aux adultes qui veulent raviver leur esprit de jeunesse. Nous ne trouvons dans la pièce ni autodestruction complaisante, ni destruction complaisante. Il n'y a pas le moindre soupçon de nihilisme dans cette œuvre. À mes yeux, sur le plan littéraire, cela joue à la fois en faveur et en défaveur de l'œuvre, car montrer le nihilisme, avoir une certaine tendance à la noirceur - au-delà des personnages très perfides du roman - est important en tant qu'avertissement et affichage des dangers qui guettent l'homme depuis le siècle des Lumières. La noirceur de Kafka ou de Céline est donc fondamentale, et le nihilisme dont fait preuve Dostoïevski est essentiel pour montrer l'effet d'une lumière très vive.

Le problème est que la littérature actuelle a fait du nihilisme sa base, franchissant toutes les limites de mise en garde, et ce à tel point que le nihilisme s'est déguisé en joie et en positivité. La Luz del Norte (La Lumière du Nord) n'est pas coupable de cette dernière, qui est une œuvre claire et positive, sans déguisement, bien qu'il y ait des vêtements anciens. Qui ne se souvient pas un peu d'Homère la première fois qu'Alvaro porte un coup mortel à un ennemi (p.135) ou Adalsinda au sien (p.210) ? Malgré ces éclairs homériques, "La lumière du Nord" a un air moins tragique, car ce ne sont pas les dieux qui déterminent au hasard un destin. Ici, on sait de quel côté la victoire tombera.

Dieu l'a tracé avec cet Ordre des frères cachés - si présent dans le livre -, mais les hommes devront le certifier par leurs efforts. Là où le christianisme apparaît, le funeste destin grec ne peut respirer.

Malgré l'anachronisme de l'œuvre, La Luz del Norte -"La lumière du Nord". est avant tout, j'insiste, un récit d'aventure. L'aventure "pure", et "pure" au sens moral et religieux du terme, l'aventure qui a pour finalité le triomphe du bien sur le mal. L'œuvre est évidemment manichéenne, sans que cela soit dit de manière péjorative. Il ne s'agit pas d'une aventure moderne à la manière de Stevenson, par exemple, puisque l'époque quasi mythique, ou du moins fondatrice, dont traite le roman, ainsi que le contenu et l'objet fondamentaux du roman, sont distincts de l'aventure moderne plus prosaïque. Ici, il n'y a pas de trésor caché sur une île, ici il y a un message moral et religieux à présenter et à défendre.

"L'aurore boréale" laisse au lecteur un goût de Moyen Âge vu d'un romantisme germanique, dans lequel la pureté est peut-être trop étroitement liée à la race. De manière obsessionnelle, les Asturiens et les Wisigoths semblent voir dans certains Hispaniques, des traits raciaux ou de caractère qui pourraient faire penser que l'Hispanique a aussi du sang gothique ou asturien, bien qu'il faille dire que la race n'est pas toujours porteuse de pureté dans cette œuvre ; rappelons-nous les personnages d'Ikko et d'Alfakai, les esclaves berbères qui libèrent Teud et Adalsinda, et dont il est dit : "Que le ciel vous bénisse, pour toujours je saurai que tous les membres de votre race ne sont pas des gens au cœur dur, cruels, barbares, avides d'or, de terres, d'esclaves et de plaisirs" (p. 185 ), ou le même juif Bartholomé, qui semble râblé, petit, courbé face à la puissante figure de Pelayo, et pourtant il est grand par son esprit et sa noblesse, en fin de compte, les vertus les plus importantes qui brillent dans cette histoire. N'oublions pas que l'un des êtres les plus dépravés du roman est le frère de Witiza, l'évêque Oppas, manifestement un gothique. Malgré cet idéal moral qui est au-dessus de la race et qui révèle l'ordre catholique du monde, l'histoire se débat intérieurement entre cette vision et la vision raciale romantique allemande. Les cheveux noirs, les "dents de cheval", les lèvres d'une énorme laideur arabe, trop caricaturale, contrastent avec les cheveux dorés, les blanchâtres, qui sont comme un rayonnement idéal et divin.

Pour le lecteur moyen d'aujourd'hui, c'est-à-dire pour l'homme téléguidé, ces caractéristiques raciales et manichéennes peuvent sembler incompréhensibles ; cependant, je crois que c'est là l'attrait de cette histoire, dans la mesure où l'auteur s'introduit parfaitement dans une autre façon de penser, une façon de penser archaïque, que le romantisme a peut-être su voir avec nostalgie contre le triomphe croissant du politiquement correct, de la bureaucratie. C'est pourquoi "La Luz del Norte" ne devrait effrayer personne pour son manichéisme, car presque jusqu'à la post-modernité, le manichéisme était la façon dont la réalité était interprétée. Oui, il fut un temps où nous savions tous ce qu'était le bien et le mal, ce qu'était un homme et ce qu'était une femme.

D'autre part, le roman est imprégné d'une composante érotique qui se croise et se confond avec la composante idéale également. Cette composante érotique manifeste est peut-être l'aspect le plus moderne du roman. Souvenons-nous de Brunhild, nue et l'épée à la main devant son bien-aimé Álvaro, ou d'Adalsinda, se déclarant tout aussi nue, dans un éclair de blancheur devant Teud (l'auteur reprend ici la tradition -que j'ignore- selon laquelle les filles asturiennes se déclaraient devant les garçons et non l'inverse). Il appartient à chaque lecteur d'élucider s'il y a autre chose que de l'érotisme dans la façon dont les Arabes et les évêques Oppas assouvissent leur désir. Mais l'auteur n'a pas peur de l'inclure dans son livre. "C'est ainsi", a déclaré Benoît XVI lorsqu'il a vu "La Passion du Christ" de Mel Gibson. Et que cette époque de la conquête arabe était une conquête de vente d'esclaves, de trafic d'enfants et de belles filles de harem ne fait aucun doute pour quiconque connaît un minimum l'époque, la conquête arabe et l'islam.

À l'idéal de La Luz del Norte -"La lumière du Nord" - s'ajoute une composante magique qui imprègne l'ensemble de l'œuvre. Déjà le premier chapitre est le rite initiatique de Pelayo à Jérusalem, et tout ce qui se passe dans l'œuvre est vu dans les sphères magiques par les membres de l'Ordre des Frères Occultes, dont fait partie le juif converti Bartholomé, premier gardien zélé de la Grotte de Covadonga. Un Ordre qui prétend aller au-delà du christianisme, car son but est l'union de toutes les religions dans un idéal de pureté et de noblesse d'esprit. Très bien ficelé, l'auteur nous présente le berger de Liébana qui aide Bartolomé, peut-être le futur bienheureux de Liébana, qui finira par répandre la foi en présence de l'apôtre Santiago en Espagne.

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Ce roman, ce récit épique ou moral, a, en plus de nombreuses vertus littéraires, une vertu incontestable que, malheureusement, peu de gens pourront voir, c'est que ce livre ne doit rien à personne, il ne cherche pas à plaire, il ne cherche pas des lecteurs à tout prix. C'est parce que nous vivons dans une société où le langage et la pensée sont muselés, une société qui entend en quelques années anéantir les traditions millénaires, que ce livre peut faire peur à beaucoup plus de gens que ceux qui sont effrayés par l'enseignement dans les écoles qu'il y a des garçons avec et sans pénis et des filles avec et sans clitoris. Lorsque des livres comme celui-ci seront lus par les jeunes dans les écoles secondaires, notre société aura arrêté la spirale descendante qu'elle subit. J'ai bien peur que, pour le moment, ce ne soit qu'un rêve. 

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mercredi, 02 juin 2021

Sur la Guerre du Mexique

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Sur la Guerre du Mexique

par Georges FELTIN-TRACOL

Les Bonaparte n’ont pas de chance avec l’Hispanité. À l’apogée de l’Empire français en 1810, les troupes de Napoléon Ier subissent en Espagne une incessante « petite guerre » fomentée par l’or anglais et les prêches de l’Église catholique. Le foyer espagnol conduit l’empereur des Français à mener la guerre sur, au moins, deux fronts terrestres à partir de l’invasion de la Russie en 1812. Un demi-siècle plus tard, son neveu, Napoléon III, imagine une possible influence française notable en Amérique latine à l’encontre de la « doctrine Monroe ». Énoncée lors d’un discours prononcé devant le Congrès en 1823, ce discours justifie par avance l’hégémonie à venir des États-Unis sur tout le Nouveau Monde. En 1862, la Guerre de Sécession compromet cette vision américanocentrée endogène

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En contact avec quelques exilés cléricaux mexicains qui intriguent aussi auprès de l’impératrice Eugénie, Napoléon III parie sur l’instabilité politique permanente du Mexique pour réaliser « la grande pensée du règne » : établir aux portes des États-Unis une grande puissance catholique, conservatrice et latine capable avec l’Empire du Brésil de Pierre II, soutien de la cause sudiste, d’arrêter les velléités expansionnistes de Washington.

Depuis son indépendance en 1813, le Mexique connaît une succession d’insurrections, de coups d’État, de révolutions et de guerres civiles. Au milieu du XIXe siècle, un féroce conflit oppose les catholiques ultramontains aux libéraux anticléricaux républicains dont la figure de proue est Benito Juarez. Ce désordre politique permanent perturbe les intérêts financiers européens. Des prêteurs français, mais aussi espagnols et anglais, souhaitent être sinon remboursés, pour le moins indemnisés de leurs investissements. Les plus déterminés assaillent de réclamations les gouvernements de Londres et de Madrid ainsi que la Cour impériale aux Tuileries.

Une intervention extérieure d’origine financière

Tablant sur les luttes fratricides qui sévissent de part et d’autre du Rio Grande, Napoléon III voit dans ces demandes de remboursement un excellent prétexte d’intervention. Or, « ce dossier complexe […], Napoléon l’avait géré tout seul, sans enquêteurs, sans collaborateurs, sans informateurs impartiaux qui auraient pour lui permettre de confronter des pointes de vue contraires et, partant, de se livrer à une analyse critique de la situation (p. 419) ». Si la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne s’accordent pour accentuer les pressions sur le gouvernement mexicain, chacun garde ses arrière-pensées et cherche à flouer les deux autres …

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Les trois puissances de l’Europe de l’Ouest interviennent finalement au Mexique au nom d’intérêts économiques et de créances, Espagnols et Britanniques se désengagent toutefois assez vite de ce bourbier et laissent la France seule dans cette aventure militaire risquée. Dans un ouvrage remarquable, Alain Gouttman explique avec brio cette « opération extérieure » qui annule une fois encore le cri du futur empereur pour qui « l’Empire, c’est la paix ! »

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Le Second Empire plonge alors dans un inextricable imbroglio politique. Ne renonçant jamais à sa présidence, Benito Juarez incarne une farouche résistance nationale. Son intransigeance et son succès définitif en 1867 accroissent « son prestige et son statut de personnalité d’exception, austère et légaliste, inspirateur du sentiment national et véritable fondateur de la République mexicaine (p. 425) ». Cela n’évitera pas le Mexique de connaître plus tard d’autres révolutions. Le triomphe des Nordistes en 1865 obère le grand dessein napoléonien. En outre, Napoléon III croit que la population mexicaine souhaite un régime monarchique alors qu’elle aspire à la paix et à la prospérité. S’il soutient les catholiques conservateurs locaux, le souverain français choisit l’archiduc Ferdinand-Maximilien de Habsbourg – Lorraine comme empereur du Mexique. À peine intronisé, le nouveau monarque se détourne des coteries conservatrices et nomme dans son gouvernement des ministres républicains libéraux… Le frère cadet de l’empereur François-Joseph est « un rêveur, un poète, un artiste (p. 97) ». S’il « affiche volontiers un sens élevé de l’honneur, il n’a pas la fibre combative (p. 98) ». Pis, à Vienne, il ne cache pas son adhésion à « des idées politiques et sociales relativement “ avancées ” qui ne pouvaient que l’éloigner de la pesante monarchie autrichienne (p. 98) ». C’est un libéral qui estime que ses adversaires ont toujours raison. Son épouse, Charlotte de Belgique, entend s’investir dans le domaine public et compenser ainsi l’échec de son couple et les infidélités fréquentes de son époux. En 1866, après la défaite autrichienne de Sadowa, Maximilien lorgne clairement sur le trône de son aîné et envisage en vain une éventuelle abdication de ce dernier.

Prenant en grippe la présence militaire française, et en particulier le commandant en chef, le maréchal Bazaine qui agit en proconsul malgré bien des querelles avec les diplomates et les hommes d’affaires français, l’empereur Maximilien n’accepte de nommer un ministère réactionnaire qu’à la fin de son court règne quand les Français commencent à partir du Mexique. Or, les nouveaux dirigeants et leurs partisans se méfient beaucoup de leur souverain qu’ils savent par ailleurs velléitaire.

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Un terrain difficile

L’expédition militaire français au Mexique n’est pas une campagne plaisante. C’est une nouvelle guerre d’Espagne avec son lot d’atrocités, de massacres et d’exécution de prisonniers préalablement torturés. Les affrontements sont brefs et violents. « Le combattant mexicain était sobre, endurant, marcheur et cavalier infatigable, bon tireur et – à l’instar du soldat russe – difficile à déloger de derrière un retranchement (p. 215). » S’y ajoutent des conditions géographiques éprouvantes. Les soldats français découvrent un territoire organisé en trois ensembles topographiques et climatiques distincts. En venant par l’océan Atlantique, on rencontre d’abord les « Terres chaudes ». « C’est la façade tropicale humide du golfe du Mexique, affectée d’un climat extrêmement insalubre, où le vomito negro – la fièvre jaune -, qui règne de façon endémique, se manifeste avec violence pendant la saison des pluies, de mai à octobre. Dans cette région harassante, les indigènes sont seuls à survivre : les Européens y sont condamnés à plus ou moins longue échéance sinon toujours à la mort, du moins à la souffrance et à l’épuisement, quelle que soit la robustesse de leur constitution (p. 87). » Viennent ensuite les « Terres tempérées » qui « offrent […] le climat le plus doux et les lieux de séjour les plus agréables. On y trouve de belles haciendas, environnées de plantations de bananiers, d’orangers, de caféiers. C’est dans cette région que les richesses de la terre mexicaine sont le mieux exploitées (p. 88) ». Il y a enfin les « Terres froides » « avec sapins et chênes sur les pentes, blé, orge, maïs et pommes de terre dans les vallées, on pourrait se croire en Europe (p. 88) ». Au contraire des « Terres chaudes » propices aux épidémies, « Terres tempérées » et « Terres froides » sont plus hospitalières à la présence européenne.

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Dans ces conditions naturelles difficiles, il va de soi que « le type de combattant le mieux fait pour la guerre du Mexique […] était le soldat d’Afrique, le professionnel par excellence, qui arborait souvent sur sa manche les deux ou trois chevrons témoignant de ses quatorze ou vingt et un ans de service. Le régiment était sa famille, le drapeau son horizon. Lui-même était l’héritier du grognard de la Vieille Garde, blanchi, comme lui, sous le harnois. Il était le troupier français dans toute l’acceptation du terme, avec ses défauts mais surtout ses qualités. Au Mexique, si semblable à l’Algérie par la dureté de ses reliefs et de son climat, par la rareté de ses ressources, par la violence qui l’imprégnait tout entier, le soldat d’Afrique – zouave, chasseur d’Afrique, turco, zéphir ou légionnaire – était dans son élément (p. 216) ». Alain Gouttman traduit ces appellations. Surnommés les « Bouchers bleus » pour leur maniement redoutable du sabre et du couteau, les Bédouins et les Kabyles constituent les unités de zouaves hardis au combat. Ils sont en compétition permanente avec les « turcos », les tirailleurs algériens, qui ne font jamais quartier. Considérés comme de la « chair à canon, au sein d’une troupe que le commandement n’hésitait pas à lancer en avant pour s’assurer de la position de l’artillerie ennemie ou apprécier la précision de sa mousqueterie (p. 217) », les « zéphirs » désignent les soldats affectés aux bataillons disciplinaires. Les hauts gradés n’apprécient pas la Légion étrangère, cette « bohème du drapeau (p. 218) » dont les engagés sont des déclassés sociaux, des proscrits ou des aventuriers. Lui aussi chair à canon, le légionnaire joue à la bête de somme. Il obéit, se bat et réalise un travail de forçat. Or, c’est au cours de la guerre du Mexique que la Légion entre dans l’histoire. Un groupe de légionnaires s’illustre à Camerone, le 30 avril 1863. « Là devait naître un mythe, le mythe fondateur de la Légion, la parfaite illustration de son esprit si particulier, fait de sens du devoir, d’obéissance aux chefs et d’esprit de sacrifice perinde ad cadaver (p. 218). »

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Dans les forces expéditionnaires, on trouve aussi les six mille hommes de la « légion autrichienne ». Mise à l’écart des zones de combat, cette troupe forme une garde prétorienne impériale. « Garde d’honneur de l’impératrice (p. 270) », la « légion belge » participe au contraire aux opérations militaires. Pour mieux s’adapter aux contraintes des « Terres chaudes », l’état-major français a enfin recours aux « volontaires civils de la Martinique », à la « Compagnie indigène d’ouvriers du génie de la Guadeloupe » et au « bataillon nègre égyptien » formé « de Noirs originaires de la Haute-Égypte, mis à la disposition de la France par le vice-roi d’Égypte Mohamed Saïd Pacha, et dont la participation aux combats au Mexique constitue un épisode unique de l’histoire de l’armée française (p. 252). » En 1867, « le bataillon nègre égyptien est la dernière unité de l’armée française à quitter le sol du Mexique (p. 263) ».

La première contre-guérilla

Souvent vétérans des campagnes d’Algérie, d’Italie et de Crimée, les soldats français s’adaptent à une « guerre de coups de main et d’embuscades qui serait beaucoup plus tard dans les années 1950 – 1960, celles des commandos de chasse en Algérie (p. 237) ». Face à la guérilla mexicaine, un ingénieur civil suisse, Stoecklin, réunit autour de lui quelques forbans et autres gars violents et commence à pacifier les environs de Vera Cruz. Cette unité officieuse intègre peu après les « Diables rouges » des « Terres chaudes » du Tarnais Charles Louis Du Pin (1814 – 1868). Disposant « d’une large autonomie administrative et n’aura de comptes à rendre qu’au commandant en chef en personne (p. 242) », cette première unité de « contre-guérilla » se divise en deux escadrons de cavalerie. Le premier, les « colorados », rassemble les Français. Le second ne regroupe que des étrangers, en particulier des réfugiés sudistes. Pratiquant la « sale guerre », elle devient « la première unité de l’armée française à devoir, sous la pression de l’opposition parlementaire et de la presse, rendre des comptes sur sa manière d’obéir aux ordres de sa hiérarchie (p. 237) », car entrent ici les effets délétères de l’Empire libéral de Napoléon III. Au Corps législatif, l’opposition républicaine conteste en permanence l’envoi des troupes au Mexique. Ravie du retrait militaire français en 1867, « l’opposition républicaine trouverait un nouveau cheval de bataille dans la responsabilité personnelle dont elle chargerait aussitôt l’empereur (p. 417) ». Elle réprouve les actions de Du Pin. Relevé de ses fonctions et rapatrié, ce dernier laisse le commandement de son unité spéciale, terreur des juaristes et des bandits, à Gaston de Galliffet, le futur général massacreur de la Commune et ministre de la Guerre en 1899 dans le gouvernement de défense républicaine de Pierre Waldeck-Rousseau en pleine affaire Dreyfus.

La campagne du Mexique apparaît à cent cinquante ans de distance familière aux Français dont les troupes ont combattu sans succès une décennie en Afghanistan, et luttent maintenant au Sahel. Certes, ces opérations extérieures permettent l’aguerrissement des soldats, des sous-officiers et des officiers. L’échec du dessein mexicain de Napoléon III incite le Corps législatif à refuser la modernisation de l’outil militaire, ce qui débouchera sur la défaite de 1870 face à la Prusse et à ses alliés allemands. Patriotes seulement quand ils le veulent, les républicains ne feront aucun effort pour sauver un Second Empire pourtant conforté par un plébiscite récent, le 8 mai 1870.

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Contrairement à la « Ripoublique » actuelle, Napoléon III bénéficiait d’une indéniable légitimité. Ce parfait anglophone essaya d’étouffer dans l’œuf les ambitions planétaires anglo-saxonnes qu’il prévoyait. Enfermé aux Tuileries et déjà malade, il demeura incompris. « Si près des États-Unis et si loin de Dieu » selon un dicton, le Mexique garde malgré les tumultes de son histoire politique la vocation métahistorique de combiner pour la partie septentrionale de l’Hémisphère occidental l’héritage spirituel des empires maya, aztèque, habsbourgeois, espagnol et national.

Georges Feltin-Tracol

• Alain Gouttman, La guerre du Mexique (1862 – 1867). Le mirage américain de Napoléon III, Perrin, coll. « Pour l’histoire », 2008, 452 p.

lundi, 24 mai 2021

Enquête sur les actions secrètes d’Israël

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Enquête sur les actions secrètes d’Israël

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

En 2018, la prestigieuse maison d’édition étatsunienne Random House publiait un ouvrage remarquable désormais disponible en français. Avec Lève-toi et tue le premier (Grasset, 2020, 944 p., 29 €), Ronen Bergman s’intéresse au rôle majeur des différentes agences de renseignement d’Israël à travers l’exemple des assassinats ciblés ordonnés par le gouvernement de Tel Aviv au nom de la sécurité nationale.

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Qualifiées pudiquement de « liquidations », ces exécutions remontent à la préhistoire de l’État juif en Terre Sainte. Les organisations sionistes constituent très tôt un appareil clandestin de collecte des informations, puis d’élimination des opposants. Dans les années 1930 – 1940, certaines d’entre-elles telles l’Irgoun de Menahem Beguin ou le Lehi (« Combattants pour la liberté d’Israël »), plus connu sous le nom de « Groupe Stern », avec Yitzhak Shamir, montent des attentats contre les Arabes et/ou contre les Britanniques.

Dès son accession à l’indépendance en 1948, le nouvel État mise sur ses services de sécurité intérieure et extérieure, car il entend aussi protéger dans le monde entier les communautés de la diaspora juive. Si Ronen Bergman mentionne le YANAM, l’unité anti-terroriste de la police, ou le Lakam, le département d’espionnage du ministère de la Défense, il se concentre en particulier sur l’AMAN, la Direction du renseignement militaire de Tsahal, l’« Institut pour le renseignement et les opérations spéciales », le Mossad, et l’« Agence israélienne de sécurité », le Shin Bet ou Shabak, en pointe dans le contre-espionnage. Outre les moyens propres à l’« Armée de défense d’Israël », ces trois instances disposent des unités spéciales « Baïonnette » et « Césarée », de la Flottille 13 (les unités spéciales de la marine) et du fameux « commando d’état-major », le Seyeret Matkal. La nécessaire coordination lors des opérations combinées compliquées n’empêche pas la persistance d’une rude concurrence entre elles…

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L’auteur éclaire la longue histoire du renseignement israélien. Les désastres les plus cinglants restent l’attentat aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, l’absence de prévision de la Guerre du Kippour en 1973, l’exécution d’un innocent dans la ville norvégienne de Lillehammer en 1974, l’enlisement militaire au Liban dans la décennie 1980, l’assassinat du Premier ministre, Yitzhak Rabin, en 1995 ou la tentative ratée d’empoisonnement d’un dirigeant du Hamas, Khaled Mechaal, en 1997. Quant aux succès, les services secrets israéliens empêchent les spécialistes allemands en balistique de donner des missiles à l’Égypte de Nasser, réussissent le raid d’Entebbe en Ouganda en 1976 et réalisent une grande action-commando contre le siège de l’OLP en Tunisie en 1988. Ronen Bergman confirme par ailleurs que le héros de la Seconde Guerre mondiale, Otto Skorzeny, et le magnat de la presse, Robert Maxwell, collaboraient avec le Mossad. Il explique par ailleurs que l’armée et le Shin Bet ont d’abord toléré l’essor du Hamas dans les territoires occupés pour mieux briser la popularité du fer de lance de la résistance palestinienne, l’OLP nationaliste, marxisante et laïque.

Lève-toi et tue le premier insiste principalement sur l’exécution préparée et planifiée d’individus estimés dangereux par les services spéciaux. L’auteur constate un peu candidement qu’il est possible « avec l’assentiment tacite du gouvernement, de perpétrer des actes d’assassinats pour le moins sujets à caution, sans aucun contrôle des assemblées parlementaires ou des citoyens, et provoquant la mort de nombreux innocents (p. 22) ». L’Occident a beau avoir aboli la peine capitale, le bourreau poursuit sa tâche essentielle et prend maintenant les traits des professionnels du service Action. Cette lecture moraliste occulte le caractère souverain de l’ordre donné. Ce n’est pas un hasard si, au lendemain du 11 septembre, les États-Unis s’inspireront des procédures israéliennes pour les appliquer en Afghanistan, en Irak et en Syrie au moyen de drones plus en plus perfectionnés. L’hypocrisie qui sous-tend le monde occidental doit toutefois cesser. Appréhender ces meurtres programmés sous l’angle de la morale et du sacro-saint respect des droits de l’homme conduit à l’impolitique. Les États occidentaux ne s’indignent pas quand les forces israéliennes assassinent le fondateur du Hamas, le cheikh Yassine, ou un très haut-gradé syrien qui ne fait qu’accomplir son devoir de militaire. Si une autre puissance tentait d’empoisonner par exemple avec une substance radio-active des traîtres, cette même communauté occidentale s’en scandaliserait !

imentebbe.jpgL’amateur d’interprétations symboliques apprécie enfin d’apprendre que les quartiers généraux de l’armée et des services de renseignement résidaient à « Kirya-Sarona, le vieux quartier de Tel Aviv créé par la Société des Templiers allemands (p. 222) ». Influente en Palestine pendant l’entre-deux-guerres, la Société des Templiers œuvrait dans une perspective pangermaniste liée au projet ferroviaire Berlin – Byzance – Bagdad et, éventuellement, mystique en mêlant la rémanence de l’Ordre proscrit du Temple et un courant folciste secondaire qui concevait le Christ comme un Aryen de Galilée. Pourquoi donc cette implantation ? Y aurait-il dans ces salles un égrégore sevré de formules kabbalistiques ?

Malgré les obstacles posés par la censure militaire en vigueur, Ronen Bergman qui a néanmoins bénéficié d’un feu orange officieux, ne dévoile pas tout et présente son travail selon un point de vue progressiste israélien. Si Lève-toi et tue le premier plonge le lecteur dans les sombres méandres de la guerre secrète, il permet une certaine persuasion mentale. À l’instar des films d’action à grand budget d’Hollywood produits en accord avec le Complexe militaro-médiatique, ce livre cherche peut-être à survaloriser l’efficacité redoutable des structures de force de l’État hébreu afin d’instiller dans les esprits un avantage psychologique certain.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 215, mise en ligne sur TVLibertés, le 18 mai 2021.

mercredi, 19 mai 2021

Christophe Dolbeau: «Lorsque je parle de parias, je pense aux intouchables, aux lépreux, aux pestiférés de la politique» [Interview]

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Christophe Dolbeau: «Lorsque je parle de parias, je pense aux intouchables, aux lépreux, aux pestiférés de la politique» [Interview]

Ex: https://www.breizh-info.com/2021/05/16/164022/

Christophe Dolbeau, écrivain et correspondant de presse (il a collaboré à des journaux croates de l’émigration comme Studia croatica (Argentine), Hrvatska gruda, Nezavisna Država Hrvatska et Hrvatsko pravo), vient de publier une troisième édition de son livre « Les Parias », consacré aux fascistes, aux pseudos fascistes et aux « mal pensants ».

Un ouvrage édité chez Akribéia, qui nous emmène à la rencontre de figures maudites du 20ème siècle, non pas forcément en leur époque, mais surtout après eux…

Après Face au Bolchévisme, ou encore Des Gentlemens à part, voici donc un nouvel ouvrage à la rencontre d’hommes dont les parcours sont aujourd’hui inacceptables pour des hommes modernes parfaitement cernés par Xavier Eman dans sa dernière tribune libre.

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Breizh-info.com : Il s’agit de la troisième édition de votre livre Les Parias. En quoi était-il important d’écrire ce livre, et de le rééditer ?

Christophe Dolbeau : Confronté, à propos du fascisme ou de la Collaboration, à un réquisitoire et des anathèmes quasi unanimes, il m’a semblé nécessaire, voire indispensable, de proposer aux jeunes lecteurs une autre approche, que je souhaite moins hostile et plus objective. Je crois qu’il est temps de considérer les choses différemment. Ayant constaté par ailleurs que le public français ne connaît pas toujours très bien certains personnages que l’historiographie officielle tient pour secondaires, j’ai choisi d’évoquer quelques-uns de ceux qui me paraissent avoir néanmoins joué un rôle intéressant.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qu’un paria ? Qu’est-ce qui réunit tous les hommes dont vous évoquez la vie et le parcours ? Comment avez-vous opéré la sélection, car le monde du XXe siècle notamment regorge de Parias ?

Christophe Dolbeau : Lorsque je parle de parias, je pense aux intouchables, aux lépreux, aux pestiférés de la politique. En 1945, toutes sortes d’individus se sont trouvés vilipendés puis exclus du débat et même de la société. Porteurs de toutes les tares et définitivement infréquentables, beaucoup furent physiquement éliminés, tandis que d’autres aboutissaient en prison et que d’autres encore devaient fuir à l’autre bout du monde et s’y terrer durant de longues années. Les intellectuels n’échappèrent pas à la stigmatisation et nombre d’entre eux payèrent le prix fort. Voilà en quelques mots ce que j’entends par parias. Quant au choix que j’ai opéré, il est un peu arbitraire et se fonde surtout sur le côté relativement peu connu de pas mal de personnages. Certains noms ne disent probablement pas grand chose aux néophytes. Plus célèbres, quelques autres semblent familiers, mais sans qu’on les connaisse bien pour autant. J’ai aussi privilégié les parcours les plus étonnants.

Breizh-info.com :  Vous avez choisi de faire le distingo entre « fascistes et pseudo-fascistes » et « mal-pensants ». Expliquez-nous ?

Christophe Dolbeau : Oui car si l’on peut sans doute considérer un Mussert, un William Joyce ou un James S. Barnes comme d’authentiques fascistes, tel n’est pas le cas de Mgr Tiso ou de l’Indien Bose, ni de René Benjamin ou Pierre Hubermont. À force d’être galvaudé, le terme de fasciste n’a souvent plus aucune pertinence factuelle. C’est pour cela que je trouve utile de faire le distingo.

Breizh-info.com : Pourquoi n’y a-t-il que des hommes parmi les personnages que vous avez sélectionné ? N’y avait-il pas quelques femmes elles aussi parias ?

Christophe Dolbeau : Ne voyez dans l’absence de parias féminins, aucune misogynie de ma part. Cela tient surtout au fait qu’à l’époque à laquelle je me suis cantonné, il y avait très peu de femmes politiques, en tout cas de premier plan. Mais ce pourrait être une idée de présenter, dans un autre ouvrage, des femmes comme Jeanne Coroller, Maria-Odile Maréchal-Van Den Berghe, Gertrud Scholtz-Klink, Olga Medici ou Clara Franceschini. Mais cette fois, nous traiterions de personnages carrément inconnus du grand public !

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Breizh-info.com : Vous évoquez le parcours d’Eoin O’Duffy, militant irlandais qui intéressera particulièrement les lecteurs d’un journal au ton celte comme le nôtre. Pouvez-vous nous parler un peu de lui ?

Christophe Dolbeau : Fort peu connu chez nous, O’Duffy fut l’un des héros de l’indépendance irlandaise et l’un des principaux seconds de Michael Collins. Après s’être vaillamment battu contre les Britanniques, il sera le fondateur et le patron de la police de l’État Libre. Très attaché à l’héritage celtique de son île, il avait appris le gaélique grâce à des cours du soir. Grand partisan de la pratique du sport par les jeunes, il sera aussi, sa vie durant, l’infatigable promoteur du cyclisme et du handball dans son pays. Au plan politique, O’Duffy s’affichait comme un sympathisant avéré de l’Italie fasciste et de l’Espagne nationale. Après avoir offert à Mussolini de partir pour l’Éthiopie avec 1000 volontaires, il recruta une brigade de 700 hommes et s’en fut ferrailler contre les Rouges en Espagne. Honneur oblige, le contrat qu’il avait signé excluait explicitement tout engagement contre les Basques… Personnage courageux, idéaliste et très carré, le général est une figure sympathique. Énergique et charismatique, il était, hélas, dépourvu de la rouerie qui eut été nécessaire pour concurrencer Éamon de Valera.

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Breizh-info.com :  Finalement parmi tous les parias dont vous dressez le portrait, n’est-ce pas Perón qui a le mieux réussi ? Pourquoi d’ailleurs l’ériger au rang de paria alors qu’il a tout de même régné deux fois en Argentine ?

Christophe Dolbeau : De tous les parias que je mentionne, Perón est effectivement celui qui a le mieux réussi puisqu’il fut élu deux fois à la présidence de son pays. Si je le tiens tout de même pour un pestiféré, c’est pour plusieurs raisons. D’abord parce que cet obscur colonel, né au fin fond de la pampa, et son épouse, qui avait fait des ménages, ne furent jamais du goût de l’oligarchie locale ni de l’establishment mondial. Baroque et trop extroverti, l’officier ne plaisait pas ; il n’était pas du sérail. Dans l’après-guerre du Plan Marshall et de l’antifascisme triomphant, son justicialisme agaçait les puissants. Ce mélange de populisme, de nationalisme, de protectionnisme, de dirigisme et de corporatisme était à la fois incongru et contrariant. Il fut donc accusé de complaisance pour le nazisme et dénoncé urbi et orbi pour avoir donné asile à des fugitifs « fascistes ». Pragmatique, cette politique lui permit en tout cas d’importer de nombreuses compétences – l’exilé français Dewoitine permit ainsi à l’Argentine de devenir, en 1947, le 5e pays au monde à fabriquer son propre avion à réaction ! Comme si ces accusations de collusion avec le fascisme ne suffisaient pas, il fut en outre excommunié et même traité de suborneur. En raison de ses choix et des avanies qui en résultèrent pour lui, je crois donc que l’on peut bien le compter au nombre des parias.

Breizh-info.com :  Vous avez énormément travaillé sur la Croatie. Sur les fascismes. Quels sont les prochains objets de travaux à venir ?

Christophe Dolbeau : Cette année 2021 marque mon « jubilé croate » : il y a en effet 50 ans que je soutiens les patriotes croates et à cette occasion, j’aimerais bien voir rééditer mon livre La Croatie, sentinelle de l’Occident. Dans une version revue et complétée, bien entendu. À part cela, je travaille à un ouvrage traitant de la Guerre de Sécession et de l’épopée sudiste.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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mardi, 18 mai 2021

Thomas Rohkrämer’s Martin Heidegger: A Political Biography 

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Thomas Rohkrämer’s Martin Heidegger: A Political Biography 

Ex: http://www.counter-currents.com

Thomas Rohkrämer
Martin Heidegger: Eine politische Biographie
Paderborn: Ferdinand Schöningh, 2020

“Heidegger passes the comeback test with the grade of fully satisfactory on both sides.” 

— Carl Schmitt (1950) [1] [2]

“But what is essential is not counting but the right time — that is, the right moment and the right endurance. ‘For,’ as Hölderlin said, ‘the mindful god does detest untimely growth.'” 

— Heidegger, An Introduction to Metaphysics

Céline once said: “Stalingrad. There’s the catharsis for you. The fall of Stalingrad was the end of Europe. There’s a cataclysm. The epicenter was Stalingrad. After that you can say white civilization was finished, really washed up.” [2] [3]

Was he right about that? Stalingrad, the decisive battle for the Germans, was a tragedy and cataclysm, no doubt, but was it really “the end of Europe”? This remark — and this question — have stuck with me since I encountered it here at Counter-Currents last year [4]. It speaks to a problem that I’m most familiar with from the work of Heidegger: Do we have a future?

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At the end of the speech he gave when he assumed the rectorate of Freiburg University in May 1933, Heidegger foretells a future when “the spiritual force of the West fails, cracking in its joints, and its worn-out pseudo-culture collapses upon itself, dragging all forces into confusion and leaving them to suffocate in madness.” At this time, however, the cataclysm is not inevitable, for: “Whether such a thing happens or does not happen, that depends solely on whether we as a historical-spiritual Volk yet still again will ourselves — or whether we no longer will ourselves.” [3] [5] For Heidegger here, to truly “will” (or “want,” wollen, the German word is ambiguous) and assert “ourselves” is much more demanding than a thoughtless, vain, greedy insistence on the importance of one’s identity, power, or interests. For us to want and will ourselves, as a people, requires that we “know who we ourselves are,” and this knowing in turn can come only out of rigorous reflection on our Western historical Being — our heritage, our contemporary situation in its crisis, and our future possibilities — that is, it requires the guidance of a “thinking” of the peculiar sort that we now find at work in all of Heidegger’s writings. But, by the end of the war, in May 1945, it had long been clear that this extraordinarily noble effort at last-ditch resistance had failed.

Where then does that leave us, in Heidegger’s view? For a long time, on the basis of a slight acquaintance with his later work, I was of the opinion that, all-in-all, and despite the vague, dimly hopeful intimations of the future — such as his musings on a “homecoming race” (heimkehrenden Geschlecht) in his reading of poet Georg Trakl [4] [6] — Heidegger basically agreed with Céline: “we’re finished . . . really washed up!” But of late, other writings, such as Contributions to Philosophy (which contains the most focused and extensive reflection on what another, new, beginning or “inception” in our history would involve), along with entries in the recently published Black Notebooks from the late 1940s, make me reconsider this opinion. And now this new “political biography” by Thomas Rohkrämer provides much more support for a revision of our understanding of Heidegger’s postwar work. [5] [7]

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I had in fact given up reading Heidegger biographies decades ago on account of their unbearable, indignant tone, the way they play up the most trivial details of Heidegger’s rectorship for the sake of scandal, and especially their utter obliviousness to what is truly at stake in his political engagement and thinking. The authors of these books almost invariably seem to see themselves as self-appointed officials on Heidegger’s denazification “cleansing committee” (Bereinigungsausschuss), reconvened a half-century later — and in continuous session ever since — to prosecute him for sins that went undetected and unpunished the first time around. But Rohkrämer’s book is altogether different and worthy of your attention if you have interest in Heidegger — and even if you don’t, for it might spark one. (Yes, unfortunately, the book is in German, but perhaps a favorable review at Counter-Currents will induce the publisher to put out a translation sooner rather than later.) 

Rohkrämer’s account is dispassionate and sober, but yet utterly engaging at the same time, the latter by virtue of his keen sense for what the main issues are for Heidegger, as well as a talent for presenting them. He has clearly read — and, I now see, written [6] [8] — much about the men who were grouped together and designated members of the “Conservative Revolution in Germany” (Heidegger, Schmitt, Spengler, Ernst, and Friederich Georg Jünger, among others) on account of their common advocacy of nationalist, elitist, anti-liberal, and generally anti-modern metapolitical ideas in the 1920s and early 30s. 

However serious and deep Rohkrämer’s interest in his subject, he maintains a cool, scholarly, objective distance from it by means, for example, of a most frequent use of the word angeblich (“would-be,” “supposed”), in expositing Heidegger’s opinions (as in, “the Germans are the would-be ‘shepherds of being’”). 

While Rohkrämer is often critical of Heidegger’s ideas, his criticisms are not unduly obtrusive, for they come in the form of questions that illuminate the matter at hand, rather than serve the usual purpose of self-righteous posturing. For instance, in a discussion of Heidegger’s conception of the genuine work of art as something that opens and grounds a “world,” — with a Greek temple the prime example — Rohkrämer not only sees (as most readers do not) that art here is political in that it shapes the outlook of a community, he goes further and points out something absolutely crucial that Heidegger himself does not make explicit: that this community must be ethnically and culturally homogeneous. “A community founding work of art stands in tension with a pluralistic world. Can the ‘Greek paradigm’ again become alive for a multicultural nation, or is there not a clear affinity to a rigorously ordered community which is united in a communal belief?” [7] [9] And then, to elaborate the point, he considers Leni Riefenstahl’s Triumph of the Will and whether it is not the best contemporary analogue of the Greek temple for the way in which helps establish and unify a people.

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Rohkrämer’s treatment of Heidegger on art is just one instance of many where he takes up a theme of Heidegger’s work that is not obviously “political” to many or most readers — religion, “authenticity,” the Greek “inception,” technology are others — and shows how Heidegger’s concern with it is bound up with his radical völkisch metapolitics. This suggests that genuine philosophic thinking itself, for Heidegger, grows out of, or simply is, at root, the highest expression of the care for “one’s own.” [8] [10] 

But what I find most useful about this book is the attention paid to the question of the continuity of Heidegger’s ethnonationalist concerns after the war, which was our initial query here: do the peoples of the West have a future, in Heidegger’s view? Is his work still devoted to “another inception” in our history? And if so, how does he do this, after the war, under the oppressive conditions of the American occupation and the new German Bundesrepublik? And, further, if his focus on preparation for “another inception” is maintained throughout the post-war era, why is there the impression that he has given up serious efforts at the “salvation of the West” that he spoke of so movingly in 1937? [9] [11] This is a large constellation of questions, yes, but one might begin to orient oneself here by considering one question posed in a section title in chapter five, the most rewarding part of Rohkrämer’s book: “Continuity in Change: An Unsuccessful Denazification?” The following discussion is less a review of Rohkrämer’s excellent book, than my own rumination on these matters after an initial reading of the Black Notebooks and other texts from the years of occupation.

But first, what does it mean to speak of “völkisch metapolitics” — what is it that Heidegger is supposed to have “continued” or preserved after the war? For, admittedly, Heidegger never uses such a phrase to describe his own thinking or opinions — indeed he always resists, modifies, calls into question, or rejects altogether the use of such words in the meaning they carry in everyday “public” discourse. This holds true for concepts like “Volk,” “politics,” and “nationalism,” as it does for “being,” “world,” “truth,” “death,” “history,” “present,” “past,” “present,” and “future.” This state of affairs, the “uprootedness” or “fallenness” of all language from a stratum of “primordial” signification, is what makes the work of inquiry, understanding, and clarification both necessary and challenging. In any case, Heidegger articulates what we will call his “nationalist” preoccupations in this 1945 explanation of his motivations at the beginning of the preceding decade: “I then saw in the movement coming to power the possibility for an inner gathering and renewal of the Volk, and a way in which it could find its historical-Western determination.” [10] [12] Heidegger, as far as I can tell, never repudiates this “possibility” of German and Western renewal. However, from early on, he did indeed criticize and come to reject National Socialist public ideology and government policy as a way of actualizing this possibility. In other words, what we might call Heidegger’s ethononationalism is to be distinguished from “what is peddled about today as the philosophy of National Socialism” — although it might coincide with the “inner truth and greatness” of the latter that Heidegger affirmed in 1935 — and then reaffirmed in 1953. [11] [13)

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[14]

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Heidegger’s criticism of National Socialism can be boiled down to two interrelated points. First, aside from whatever virtues they may have possessed, “these people,” i.e., the leaders of “the movement,” were “too naïve” in their thinking (as Heidegger said in his 1966 interview with the magazine Der Spiegel.) [12] [16] There was no one sufficiently “prepared” or “educated” to understand the depth of the problem posed by modern, technological nihilism, and what would constitute an adequate response. Second, despite its initial will to confront technological machination, National Socialism became manifest as just another form of the “will-to-power,” the metaphysics that governs the planet — then and now — and which was most adequately thought and described by Nietzsche and Ernst Jünger respectively. After an intense, decade-long confrontation with Nietzsche, [13] [17] Heidegger concluded that the very “desire to overcome” nihilism, [14] [18] metaphysics, and modernity has paradoxically led the Germans to become more inextricably entangled in its web.

And, aside from these criticisms, Heidegger came to see that it was an “error” on his own part to have not realized that the time for a new beginning had not yet arrived. “The error of 1933 consisted in the fact that it was not recognized how little prepared the forces were, and how little historically suitable.” [15] [19] But he still insists that the decision in 1933 was “essential” and not an error “in the world-historical sense” because the National Socialist regime was never considered to be an ultimate end or goal, but only a transition to something else, and thus an experience that one must first pass through in order to learn the lesson that must be learned. Whatever the error (or errors — Heidegger gives various descriptions of “der Irrtum 1933”), this self-reflection does not occasion regret, self-reproach — and certainly not guilt — but only further inquiry into the origins of the contemporary crisis, with a view to preparation for another commencement. Although this guiding intention remains throughout his life, from at least the late 1920s until his death in 1976, both the sense of what is possible, and the manner in which it can be communicated, changes at certain junctures, most notably in 1945, with the defeat, occupation, and “denazification” of Germany.

imagesMHP.jpgHeidegger’s struggles under persecution during this era are of special interest for us today, given that we all now find ourselves subject to a new stage in what is basically the same process, what Stephen Paul Foster calls “Denazification, American Style [20].” Heidegger can help us confront this problem, for nobody has thought more deeply about this globalist-liberal attempt to irradicate the attachments to “one’s own” — family, Volk, race, community, land, heritage, customs, future — within the peoples of the West, and nobody has done more to prepare for a possible restoration of Western rootedness.

Like most Germans who held official positions in the Third Reich, Heidegger was called before a “cleansing committee,” commissioned to investigate and punish supposed wrongdoings. He recognized that the real aim of the authorities here was to make the Germans feel and think themselves “guilty” in their very being for the suffering that humanity had experienced in the preceding half-century. Heidegger viewed the effect and significance of the occupation, and even the specific efforts to purge him and his work, in the deepest and broadest of terms. “However terrible to bear the destruction and devastation which have descended upon the Germans and their homeland may be, all that never reaches to the self-annihilation which now threatens our being [Dasein] in the betrayal of thinking.” [16] [21] 

This process is to be understood as “self-annihilation” — and not simply the assault of foreign enemies — for a number of reasons. Heidegger’s own case was tried before his university senate, and so, as was typical with denazification tribunals, this was a case of “German against German.” [17] [22] And whereas earlier, in 1937, Heidegger saw Germany and Europe as threatened by the foreign, “the Asiatic” (whatever that means), now after the war it becomes clear that the Americans are most properly viewed as Europeans, and that the destruction of Europe — “the work of the Americans” — is in truth Europe’s “self-destruction.” [18] [23] 

Moreover, as talk of German “guilt” and “disgrace” dominate public life, Heidegger reprises his early critique of the Christian-moral understanding of “guilt” and responsibility as a way in which Dasein evades and conceals from itself a fundamental awareness of its own groundlessness — i.e., that nothing and no one is ultimately responsible for the way things are. [19] [24] He now speculates on how the “artificially staged” discussion of guilt is a “façade” that conceals the true crisis faced by Germany and the West. [20] [25]

So at age 51 — the prime of life for a philosopher and teacher — Heidegger was expelled from university life: forced into retirement, denied a pension, forbidden to take part in university activities, and worst of all, from his own point of view, denied permission to teach students in any capacity. [21] [26] Considering the magnitude of the atrocities suffered under the Americans and Soviets, one might believe Heidegger fortunate. 

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But for Heidegger, this ordeal was experienced not so much as a personal affront and loss, but as the annihilation of the possibility of “thinking” itself, and that means the annihilation of the possibility of any future for Germany and the West. [22] [27] This sense of what is at stake here rests upon Heidegger’s own peculiar understanding of what “philosophy” or thinking “can and must be,” and that is (according to An Introduction to Metaphysics [1935]): “a thinking opening of the paths and vistas of the knowing that establishes measure and rank, in which and out of which a Volk conceives its Dasein in the historical-spiritual world and brings it to fulfillment — that knowing which ignites and threatens and necessitates all questioning and appraising.” [23] [28] 

Along with Fichte, Shelling, and Hegel, Heidegger had considered the German university to be the “innermost determining center” of the Volk, the place where this national educational mission of philosophy is fulfilled. [24] [29] And he accordingly saw that this leadership role would be lost as authentic philosophy was replaced with “ersatz forms,” content to be the slave of “international moralism.” Newly vacant university positions could now be filled by the cultural Marxists who had left the country in the 1930s, and were now free to exact vengeance on Germany and the West, as Heidegger understood them. [25] [30]

For Heidegger, it was not only the Americans who failed to recognize that the destiny of the West depends entirely on the fate of authentic philosophic thinking. Under the “modern orders that have long prevailed” even the “nationalists of both young and old stamp” — and he here seems to include völkisch nationalists and radical conservatives — never acquired an adequate experience of “the world-wide historical determination of the Germans,” because they never seriously reflected on the questions such as: “who are we?” and “what is ‘our own?’” Heidegger now laments this “betrayal” because the Germans who have ascended to power under the victors are stridently hostile to any concern with the German heritage and destiny. 

It is not that they have become indifferent and simply unreflective, rather they have adopted the mission of the enemy: “to pursue like a shadow and hinder every awakening into our own.” [26] [31] Under occupation and denazification, the Germans have made what is most “their own” into their enemy. Heidegger illustrates this now commonplace state of affairs with an odd quotation from an order which Winston Churchill, as Minister of the Navy in WWI, gave to British forces. He directed them to view “their own” vessels as possible enemies: “Be prepared to shadow possibly hostile men-of-war and consider H. M. ships under your command from this point of view.” [27] [32]

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Heidegger believed that he was singled out for special persecution because of the danger that his thinking posed to the global liberal order. In a curious document (composed in 1946, but published posthumously in 2000), which presents itself as an unsent letter to an unnamed friend, Heidegger discloses — to us, readers of later generations — what he deliberately kept secret at the time. He writes, “Along with others, you wonder why my ‘denazification’ is still not finished. That can easily be explained. My being pushed to the side [Beseitigung] basically has nothing to do with Naziism. Rather, they sense something unsettling in my thinking, perhaps something uncanny, and they would like to get rid of it — that they at the same time take an interest in it, is only proof of this. . . . And as sharply as the Russians — i.e., European communistic technicism (which is not Russia) — oppose my thinking, just as clearly is it against the Anglo-American technocracy.” [28] [33] All contemporary ruling powers would thus discern a danger in Heidegger’s thought. 

At the same time, he hints here that beyond or beneath and against the planetary technocracy there lies something like a “secret Russia” — just as he elsewhere suggests that there is a “secret Germany” and a “secret Evening-land” (i.e., the Occident or West), which has not been destroyed in the war, indeed has not yet emerged. [29] [34] In 1945, Heidegger writes, “Everyone now thinks about our downfall [Untergang]. But we Germans cannot go under, because we have not yet arisen and must first pass through the night.” [30] [35] The question we are left with then is: how do “we” make it through the night of the world, how do “we” prepare ourselves for a new morning?

The anonymous — most likely fictive — correspondent appears to have asked why the formal denazification process has not been terminated, as if to inquire, “why is your case taking so long?” But Heidegger’s response to the question seems to rely on a different sense of the word “unfinished.” With their reeducation efforts, the occupation authorities surely intended to elicit from the “guilty” ones a total repudiation and repentance of the thoughts, opinions, commitments, tastes, attitudes, and sentiments that they associate with what they call “Naziism.” If this is so, Heidegger’s “denazification” would never be “finished,” at least in the sense intended by these authorities.

And this seems to be the point Rohkrämer has in mind when he speaks of Heidegger’s “failed” or “unsuccessful” denazification. Rohkrämer provides much evidence of Heidegger’s resistance to the pressure exerted upon him to recant, “apologize,” admit his supposed “guilt” and alter the anti-liberal, anti-democratic, anti-American, nationalist direction of his thinking. Moreover, after the war, in 1945, precisely when the saving justice of American liberalism is supposed to have cleansed the world of the scourge of “German nihilism,” Heidegger writes that we now experience the full “completion of nihilism” and that the possible future recovery has already been announced in, and only in, “the poetic thinking and singing of the Germans.” [31] [36] Whereas in 1934 Heidegger had spoken of the “darkening of the world” (Weltdüsterung) to describe the historical moment, he now under American domination in 1946 suggests that “the world’s night is approaching its midpoint.” [32] [37] And unlike Celine’s Journeythis “night” may very well lead to morning (although it may require a few hundred years.)

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So for Heidegger, the postwar period is truly a “needy time”: the philosopher who united thinking and teaching like no one before, and became the very greatest of teachers, found himself “deplatformed,” barred for the foreseeable future from lecture hall podium and the seminar. In this situation, there is no way Heidegger could openly educate those he calls “the ones to come” [33] [38] — die Zukünftigen — to enact a future “inception” and “homecoming” for Western man, and all of Heidegger’s postwar publications must be read with this in mind. Heidegger must now teach primarily through his writings, and these must, on the one hand, preserve and hold open essential possibilities for the “ones to come” who may live in the very distant future, and on the other hand, be sufficiently intelligible, interesting, and unoffensive to contemporaries that they are studied and preserved for that future.

Given the magnitude of these difficulties, the question as to how Heidegger carries out the task of saving the West in such an unpropitious time looms larger. In the note about his “unfinished” denazification, he claims, “I have been silent in thinking, not only since 1927, since the publication of Being and Time, but rather in this itself and constantly before.” [34] [39] Heidegger thus suggests that he always wrote for publication in a manner that somehow conveys what is essential, even as it preserves itself from both public distortion and persecution: by keeping silent.

This reference to meaningful silence may help explain, for example, why all explicit reference to das Volk — central even to the writings of the late 1930s — just disappears in the postwar publications (but not from the then-unpublished notebooks.) Heidegger obliquely calls attention to his deliberate silence about the Völkische in his response to an interview question about speeches he gave during his rectorate: 

I would no longer write the lines you quote. Already in 1934 I would no longer have spoken them. But I would still today and even more decisively than before deliver the speech on the “Self-Assertion of the German University,” although without the reference to nationalism. Society has stepped into the place of the Volk. But in that respect the speech would today be spoken into the wind just as it was then. [35] [40] 

Here we see how Heidegger adapts his discourse to altered historical circumstances, and that this adaptation requires consideration of what is politically appropriate and permissible to say, consideration of what is actual today (i.e., a liberal society of individuals in place of a Volk), and consideration of whether what one says will be heard and understood, or “spoken to the wind.” The circumstance that the Volk has been replaced by the liberal society of uprooted, historyless individuals would seem to render the possibility for an “inner gathering and renewal of the Volk” in the future especially problematic. [36] [43] 

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Rohkrämer helps us see how Heidegger and his compatriots on the political right modified their rhetoric in response to the difficulties posed by the oppressive post-war order. “One could no longer publicly express racism, but [other topics] — anticommunism, thoughts on the national community and the wishes for communal beliefs, the rejection of mass society, the call for an influential spiritual elite, cultural anti-Americanism, and the glorification of the Western tradition — could all very well be discussed.” [37] [44]

But here again, in this context, it is crucial to remind ourselves that throughout the post-war years, Heidegger never loses sight of the fundamental “errors” of National Socialism. I stress this point not as an “apologist” intent on preserving what remains of the academically respectable reputation of Heidegger (and the study of his works) from the presumed stain of fascism. Heidegger himself, and then also the public advocates managed or influenced by him, tried of course to put as much distance as possible between him and National Socialism. And we are grateful for their success: thanks to them, Heidegger’s stature as one of the greatest thinkers of the West has been established, his works are available everywhere, and many very helpful studies (including Rohkrämer’s) have been produced. The possibility of a new inception has thereby been handed down to us and future generations. 

Nevertheless, we must recognize that this respectability has been built upon misunderstandings, or partial, superficial understandings, that make aspects of Heidegger’s thinking appealing to the liberal sensibilities of his contemporaries, but which distort or conceal his ethnonationalism. In any case, for us, the serious meaning of his twofold criticism of National Socialism — again, that leaders were unprepared in their thinking, and that the movement was too early because metaphysics had not yet reached its completion through planetary technocracy — is that it points to the necessity of making the hitherto inadequate or missing preparations for a new inception.

Taking only his most public statements into consideration, this task does not appear to be anything one would recognize as “political.” Consider, for example, Heidegger’s famous reply to a menial journalist, who asked if philosophy could do anything about the movement towards an “absolute technological state”: “Let me respond briefly and somewhat ponderously, but from long reflection: philosophy will not be able to effect an immediate transformation of the current condition of the world. This is not only true of philosophy, but of all merely human hitherto thought and endeavor. Only a god can save us. The sole possibility is to prepare a preparedness [eine Bereitschaft vorzubereiten] for the appearance of the god in thinking and poetry, or for the absence of the god in decline.” [38] [45] 

MHnnnn.jpgWhat is not made explicit here is that only “a god” can save “us” because only a communal orientation to a god — and not a scientific doctrine or a constitution — can meaningfully unify the German Volk. This völkisch-political dimension to Heidegger’s discourse on gods is however indicated elsewhere, in the difficult, enigmatic writings which were, by their author’s intention, withheld from publication until long after his death, for example, Contributions to Philosophy: “A Volk is only a Volk when it receives its history as apportioned in the finding of its god — that god which compels it to go beyond itself and thus to become a being.” [39] [46] And this political dimension is also at issue, if only obliquely, in Heidegger’s commentaries on Hölderlin, in which the gods require the building of a “house” within the “dwelling site” that must be founded. The poet’s “hymns” about a homecoming of the Germans, and a “founding” of a community united through a god, replaces secular political-metaphysical discourse — such as Hegel’s Philosophy of Right — as a way of thinking about national renewal. [40] [47]

Thus Heidegger’s postwar focus on seemingly unpolitical topics — the essence of modernity, the problem of nihilism, technology, “poetic dwelling,” modern “homelessness,” language, and the origin and end of the history of the West — in fact serves the purpose of “preparation” for a new “inception,” a new form of ethnonationalist metapolitics in the future, at the right moment. In the conclusion of his book, Rohkrämer brilliantly describes this “continuity” of Heidegger’s concerns, and why they are subversive in a liberal, multicultural society: 

Like most right-wing intellectuals, Heidegger deradicalized himself, and yet he remained anti-democratic and elitist, because he expected an awakening of the sense for the holy only from exceptional poets and thinkers. He remained focused on the Völkische, because for him the important things could emerge only out of one, above all his own German tradition, and not out of the effect of a pluralistic mixing and cross-pollination. Also, his conviction that only a god could save humanity points to the denial of plurality: in his vision of an ideal future, men are unified in a communal belief in one god. For being-with-one-another, or at least a harmonious coexistence in a world with different ideals in cultures and sub-cultures, Heidegger offers no answer. [41] [48] 

According to Rohkrämer, then, Heidegger’s ideal future would presuppose ethnic, racial, and cultural homogeneity throughout the countries of the West, even as these are to be transformed and grounded anew through revolutionary, founding works of thinkers and poets. While that sounds right, it points to a further difficulty for us: what if the culture of “denazification” (i.e., “modernity”) brings ever more “pluralistic mixing,” such that “the holy heart of the peoples” (Hölderlin) — and thereby the West as a whole — dissolves into a multicultural dystopia?

Heidegger clearly saw that the trajectory of globalization was moving towards a world society and even a world government. [42] [49] And he clearly “hears,” and in his own way responds to, the “call to reflect on the essence of planetary domination” that he speaks of in his exchange with Ernst Jünger on nihilism. [43] [50] At the time that he writes this, in 1950, the peoples of Europe were still fairly homogeneous, and so it would not be surprising if many simply lacked awareness of the perils of encroaching pluralism. And in such a climate of moral opinion, no one, certainly not NSDAP members, was free to openly voice such concerns if he had them — as we today can surely appreciate. But given the depth of his preoccupation with the problem of a world society, and given the continuation of his völkisch concerns after the war, it is likely that Heidegger remains focused on the task of “preserving” and restoring the rootedness and integrity of the peoples of the West. [44] [51] And so we can now return to Heidegger’s postwar work and give it a much more careful reading, animated now by the hope that he can help us in our plight.

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Notes

[1] [52] Carl Schmitt, Glossarium: Aufzeichnungen der Jahre 1947-1951 (Berlin: Duncker & Humblot, 1991), p. 297. 

[2] [53] Interview in the Paris Review, June 1, 1960.

[3] [54] Martin Heidegger, Reden und andere Zeugnisse (GA 16), p. 107; tr. in The Heidegger Controversy, ed. Wolin, p. 29.

[4] [55] Unterwegs zur Sprache (Stuttgart: Neske, 1959), p. 80; tr. (by P. Hertz), On the Way to Language, p. 196. Of course, this translation renders “Geschlecht” as “generation.”

[5] [56] Thomas Rohkrämer, Martin Heidegger: Eine politische Biographie, Schöningh, 2020.

[6] [57] See Thomas Rohkrämer, A Single Communal Faith: The German Right from Conservatism to National Socialism (New York: Berghahn Books, 2007). From the little that I have just read of this earlier work of Rohkrämer, I can say that it is a rich and sensitive history of the “volkisch nationalist” and “conservative revolutionary” movement, both of which overlapped with each other, and prepared the way for — but ought not be identified with — National Socialism. It puts me in a mind to write another review article, one that focuses on the relation of atheism, anti-Judeo-Christianity, and völkisch-political religiosity in Heidegger and other thinkers of the German Right, a topic touched upon towards the end of my review here.

[7] [58] Rohkrämer, Martin Heidegger, p. 122. 

[8] [59] See, especially, Part Three of Heidegger’s wartime lectures on Hölderlin’s “Remembrance” (“Andenken”), titled: “The Search for the Free Use of One’s Own.” Hölderlins Hymne “Andenken” (GA 52); tr. (by. W. McNeill) Hölderlin’s Hymn “Remembrance.” 

[9] [60] “Europa und deutsche Philosophie.” In Europa und die Philosophie (Frankfurt: Klostermann, 1993), p. 41.

[10] [61] GA 16, p. 374.

[11] [62] Heidegger, An Introduction to Metaphysics, trans. Fried and Polt (Yale University Press, 2000), p. 213.

[12] [63] GA 16, p.677; tr. in The Heidegger Controversy, ed. Wolin, p. 111.

[13] [64] Heidegger’s multi-volume Nietzsche (tr. by D.F. Krell) and the condensed version of these lectures in the essay, “Nietzsche’s Word ‘God is Dead,’” (in Off the Beaten Track), along with his rectoral address, “The Self-Assertion of the German University” (see fn. 3 above), are in my opinion the best entryways into Heidegger’s thought.

[14] [65] Heidegger, Wegmarken (GA 9), p. 52; tr. (by W. McNeill) Pathmarks, p. 320.

[15] [66] Anmerkungen I-V (Schwarze Hefte 1942-1948)(GA 97), p. 147.

[16] [67] GA 97, p. 83.

[17] [68] GA 97, p. 80.

[18] [69] GA 97, p. 143.

[19] [70] See section 58 of Being and Time. Heidegger here deepens the understanding and critique of the “moral” understanding of guilt and conscience initiated by Nietzsche in the Genealogy of Morals. Heidegger is usually very reticent, for some reason, about the role of Judeo-Christian morality and metaphysics in the process of European “self-annihilation,” but it occasionally surfaces in the notebooks, for example, when he writes that Christendom (Christentum) has “nothing to do with the West, because it denies the domain of the Greeks (Griechentum)” (GA 97), p. 144.

[20] [71] GA 97, pp. 134-35.

[21] [72] Some of these sanctions were partially lifted in later years as Heidegger succeeded in making a “comeback” — as Schmitt calls it — to public respectability. Most notably, he was permitted to teach two lecture courses (in 1951/52 and 1955/56 at Freiburg University, both of which were later published as books and translated into English: Was heisst Denken? (What is Called Thinking?) and Der Satz vom Grund (The Principle of Reason). Both works, rambling and unfocused as they may have seemed on first glance (at least in comparison to the earlier Heidegger) will reward careful reading by die Zukünftigen as they consider how they must “prepare” themselves.

[22] [73] “It concerns the betrayal of thinking, and that means of the historical determination of the Volk” (GA 97), p. 83. Also, “It doesn’t concern my person, or even the possibility or impossibility of stepping out publicly, but rather only about the question as to whether my work will be used for the salvation of our own essence” (GA 97), p. 80. 

[23] [74] An Introduction to Metaphysics, p. 11.

[24] [75] See Heidegger’s 1934 lecture, “Die deutsche Universität” (GA 16), pp. 285ff.

[25] [76] Rohkrämer, Martin Heidegger, pp. 176, 231, and cf. Was heisst Denken, (GA 8), pp. 92ff.

[26] [77] GA 97, p. 84.

[27] [78] GA 97, p. 84.

[28] [79] GA 16, p. 421.

[29] [80] “But ‘Europe’ is not the Evening-land. The latter returns into the twilight and disappears for a long time in the world night. But it does not go under, because it cannot go under, since it has not yet emerged” (GA 97, p. 143). Also see Heidegger’s essay on the poetry of Georg Trakl (in Unterwegs zur Sprache; tr. On the Way to Language: “A discussion of his poetry shows us Georg Trakl as the poet of the still hidden Evening-Land.” (p. 81; tr. p. 197).

[30] [81] GA 16, p. 371.

[31] [82] GA 16, p. 390. 

[32] [83] “Wozu Dichter,” in Holzwege, 6th ed. (Klostermann, 1980), p. 267; tr. (Young and Haynes), Off the Beaten Track, p. 201.

[33] [84] “It is necessary to prepare the ones to come. Inceptual thinking serves this preparation as silent reticence of enowning. That thinking is only one way, in which the few venture the leap into be-ing.” Beiträge zur Philosophie (GA 65), p. 395.

[34] [85] GA 16, p. 371. 

[35] [86] GA 16, p. 657.

[36] [87] GA 16, p. 374.

[37] [88] Rohkrämer, Martin Heidegger, p. 176.

[38] [89] “Spiegel-Gespräch,” (GA 16), p. 671.

[39] [90] Beiträge zur Philosophie, (GA 65), p. 398; tr. (by Emad and Maly), Contributions to Philosophy, p. 257.

[40] [91] Seminare: Hegel—Schelling (GA 86).

[41] [92] Rohkrämer, Martin Heidegger, p. 239.

[42] [93] See for example the end of “Aniximander’s Saying” (composed in 1946, published in 1950): “Man is about to hurl himself upon the entire earth and its atmosphere, to arrogate to himself the hidden workings of nature in the form of energy, and to subordinate the course of history to the plans and orderings of a world government.” (Off the Beaten Track, p. 280.)

[43] [94] Wegmarken (GA 9), p. 425; tr. (by W. McNeill), Pathmarks, p. 321.

[44] [95] “Our historical Dasein experiences with increasing urgency and clarity, that its future has arrived at the naked either-or of a salvation of Europe or its destruction. The possibility of salvation however demands two things: 1. The preservation of the European peoples before the Asiatic. 2. The overcoming of their own uprooting and separation.” (“Europa und Deutsche Philosophie.”)

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[20] Denazification, American Style: https://counter-currents.com/2021/01/denazification-american-style/

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[42] here: https://counter-currents.com/what-is-a-rune-other-essays-order/

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Quelques facettes de la Contre-Révolution

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Quelques facettes de la Contre-Révolution

par Georges FELTIN-TRACOL

Cible permanente des antifas et d’autres groupes stipendiés d’Angers, L’Alvarium sait bousculer le Système. Ce « Centre communautaire d’actions sociales et culturelles » prend diverses initiatives. L’une d’elles fut d’inviter, le 27 mars 2021, Christian Bouchet, responsable des éditions Ars Magna, vétéran nationaliste-révolutionnaire et solidariste, et collaborateur régulier au magazine Réfléchir & Agir et à la revue Synthèse nationale. Son intervention portait sur quelques exemples méconnus de la Contre-Révolution.

Bouchet-200x300.jpgIl vient d’en publier le verbatim sous la forme d’une brochure intitulée Histoire mondiale de la Contre-Révolution de la Sainte Ligue à L’Alvarium. Le titre est un peu exagéré puisqu’il ne s’agit que d’une introduction générale à cette histoire passionnante à travers un nombre limité de précédents historiques. Christian Bouchet indique néanmoins des pistes qui mériteraient d’être explorées dans le cadre, pourquoi pas ?, des Cahiers d’Histoire du Nationalisme. Il invite avec raison son auditoire – et maintenant ses lecteurs – à se lancer dans cet élan mémoriel audacieux. Contre « le Grand Effacement (p. 10) » des souvenirs militants, il prévient « que pour la connaissance de notre propre histoire idéologique, nous ne pouvons faire confiance qu’à nous-mêmes, à nos recherches d’archéologues des idées et d’historiens des pensées interdites, car l’ennemi a enseveli dans l’oubli tant nos idées que notre histoire et cela sur la longue durée (p. 10) ». Oui, il y en a plus que marre de voir l’Opposition essentielle au Régime observée, scrutée, examinée, disséquée par les seuls universitaires hostiles qui en font, malgré leur profond mépris, un fonds de commerce rentable. Ces « profiteurs » du savoir homologué ne sont que des parasites dont les interprétations grossières déforment les faits. La mise à disposition de cette brochure est par conséquent la bienvenue.

Des pré-Contre-Révolutions

Christian Bouchet survole les Temps modernes et l’Époque contemporaine en se concentrant sur neuf exemples dont trois se rapportent pour le moins à des événements antérieurs à 1789. En 1935, Paul Hazard décrivait dans La Crise de la conscience européenne une césure intellectuelle majeure apparue entre 1680 et 1715. La célèbre « Querelle des Anciens et des Modernes » reflète ce nouveau contentieux.

La conférence débute par la Sainte Ligue aux temps des Guerres de Religion (1562 – 1598). Il est exact que la Réforme lancée par Luther en 1517 et que l’Église catholique romaine jamais relevée du Grand Schisme d’Occident (1378 – 1422) adoptera en partie avec le néfaste concile de Trente (1545 – 1563) représente l’aspect religieux d’une rupture globale avec l’esprit médiéval aussi malmené par l’invention de l’imprimerie, la mise en pratique de la perspective artistique et la découverte d’un autre continent à l’Ouest qui compromet d’ailleurs la poussée vitale de la Reconquista par-delà la Méditerranée.

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Christian Bouchet voit dans la Sainte-Ligue trois caractéristiques communes aux autres mouvements étudiées. « – Une alliance entre les classes populaires et aristocratiques; – un refus de tout compromis, de toute attitude considérée comme “ politique ”; – une affirmation que la fidélité à une idée est supérieure à celle que l’on doit à un monarque ou à un pays, d’où l’exil et d’où l’entrée au service de monarques étrangers (p. 12). » On peut cependant regretter qu’il ne mentionne pas l’excellent travail de Jean-Marie Constant, La Ligue (Fayard, 1996). Ce maître-livre précise que les Ligueurs, à l’instar de certains Huguenots, se défiaient de l’absolutisme royal naissant et voyaient dans la féodalité un ordre politico-social plus harmonieux. La Fronde des princes (1650 – 1653) ne serait-elle pas l’ultime réaction, certes très amoindrie et bien méconnaissable, de la mentalité ligueuse ? Et le parti dévot à Versailles au XVIIIe siècle ?

Le deuxième mouvement « pré-contre-révolutionnaire » concerne les Jacobites, c’est-à-dire les partisans, principalement écossais et irlandais, de la dynastie des Stuart. La soi-disant « Glorieuse Révolution » de 1688 chasse le roi d’Angleterre Jacques II, Jacques VII d’Écosse. Par le jeu des règles de succession réservées aux seuls protestants, la Grande-Bretagne revient en 1714 à l’Électeur du Hanovre, George Ier, fondateur de l’actuelle dynastie régnante usurpatrice. Durement réprimés, les soulèvements jacobites coïncident avec les jacqueries contre les enclosures et la privatisation des communaux. La caste bourgeoise de la City n’hésite pas à conduire un véritable « auto-génocide ». Réfugiés soit en Amérique du Nord, soit en France, les Jacobites y apportent la franc-maçonnerie opérative. Mieux, suivant Michel Vergé-Franceschi dans son Paoli. Un Corse des Lumières, (Fayard, 2005), les milieux jacobites en exil misent sur l’avènement du prétendant Stuart sur l’Île de Beauté, mais en 1736 est élu roi le baron Théodore de Neuhoff…

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Le troisième mouvement pré-anti-1789 s’applique aux « Loyalistes » des treize colonies d’Amérique du Nord. Certains de ces tories anglo-américains sont les descendants directs des exilés jacobites. En 1783, ils se réfugient au Canada, retournent en Angleterre ou prennent la direction des Antilles. Ils fuient l’obligation pré-totalitaire de prêter serment à la jeune république rebelle et le risque de se retrouver couverts de goudron et de plume.

Les Contre-Révolutions latines

Christian Bouchet aborde assez brièvement Chouans et Vendéens. Il passe vite sur l’« ultracisme » des ultra-royalistes du comte d’Artois. Il s’attarde sur la « Montagne blanche » et, sans le nommer, l’action « carlo-républicaine » « qui concilie royalisme légitimiste, tradition catholique gallicane, régionalisme et liberté démocratique, et qui préfère faire voter pour des candidats républicains que pour des louis-philippards (p. 25) ».

Retournant ensuite sur le continent américain, le conférencier mentionne les partisans fidèles à la couronne d’Espagne dans les vice-royautés. Il évoque en outre des Sudistes qui s’installent dans l’Empire du Brésil. La tentative de Napoléon III de fonder un second empire mexicain catholique et conservateur appartient aussi à la Contre-Révolution effective. Le problème reste le choix de désigner empereur le très libéral Maximilien de Habsbourg-Lorraine. Il est toutefois dommage que l’État national-catholique de 1859 à 1875 du président équatorien Gabriel García Moreno (1821 – 1875), les Cristeros du Mexique de la décennie 1920 et l’intégralisme brésilien dans les années 1930 soient oubliés, mais la conférence ne pouvait pas durer cinq heures…

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Christian Bouchet revient dans l’Ancien Monde dans le domaine ibérique. Il traite bien sûr du carlisme espagnol. Il fait découvrir le miguelisme, soit le légitimisme portugais. Jeune frère du roi Jean IV, Miguel s’oppose à sa nièce Maria soutenue par les libéraux et le bloc pré-atlantique (Grande-Bretagne et France de Louis-Philippe). Le Portugal connaît une guerre civile entre 1828 et 1834 qui se solde par l’échec de Dom Miguel. Le conférencier achève son exposé par l’Italie. L’occupation française anti-cléricale, puis l’annexion du Sud de l’Italie par le Piémont-Sardaigne sous couvert d’unification favorisent bien des révoltes populaires et paysannes. « Le santafédisme est une insurrection de masse pour la défense de la royauté et de la société pastorale, cette dernière se sentant protégée par le traditionalisme monarchique (p. 42). »

Faute de temps, l’intervenant écarte de son propos la Ligue du Sonderbund qui déclenche sans succès en 1847 la dernière guerre civile suisse ou les tenants du prince légitime du canton de Neuchâtel, à savoir le roi de Prusse, qui échouent en 1856. Il aurait aussi pu s’intéresser aux « Orangistes » belges, les partisans outre-Quiévrain du royaume uni des Pays-Bas dans la décennie 1830. Rappelons qu’il ne s’agit que d’esquisses et non pas d’un cours étalé sur toute une année universitaire… Dans un cadre plus vaste, le sujet pourrait-il s’étendre, d’une part, aux « Orangistes » unionistes de l’Ulster et, d’autre part, aux Boers des républiques afrikaner d’Afrique australe? Leurs combats n’étaient-ils pas contre-révolutionnaires?

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Face au public de L’Alvarium, Christian Bouchet ose enfin viser « l’ennemi principal, le seul dont tout découle, [qui] a toujours été, et est encore la vision libérale marchande de la société incarnée dans une classe sociale : la bourgeoisie (p. 45) ». Nul doute que cette affirmation peut heurter tous les suppôts d’une fantasmatique « union des droites » autour d’un programme libéral autoritaire et atlantiste. Sa conclusion a peut-être suscité la stupeur, voire l’indignation d’une partie de l’assistance. Il explique en effet que « notre nation n’est plus la nôtre quand elle défend des valeurs à l’opposé des nôtres et il est donc juste de la combattre même si c’est dans les rangs ennemis ou de l’abandonner pour aller combattre ailleurs pour l’idée (p. 46) ». Oui, il importe de toujours se souvenir de l’imposture de l’été 1914 afin de ne pas répéter l’erreur historique du camp nationaliste qui se fourvoya dans une « Union sacrée » fomentée par la République maçonnique. Celle-ci en profita cyniquement pour résoudre la question rurale, envoyer dans les tranchées comme chair à canon les enfants des campagnes et gaspiller finalement une paix acquise de vive lutte. Oui, même s’il cite Julius Evola, on voit surgir l’ombre de Monseigneur Jean de Mayol de Lupé (1873 – 1955), un autre grand contre-révolutionnaire avancé du XXe siècle.

Georges Feltin-Tracol

• Christian Bouchet, Histoire mondiale de la Contre-Révolution de la Sainte Ligue à L’Alvarium, Ars Magna, coll. « Le Lys Rouge », 2021, 48 p., 12 €.

09:38 Publié dans Histoire, Livre, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, contre-révolutuion, livre | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

samedi, 15 mai 2021

Tulipes d'orage - Le Roman de la langue de Philippe Barthelet

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Luc-Olivier d'Algange

Tulipes d'orage

Le Roman de la langue de Philippe Barthelet, éditions Pierre-Guillaume de Roux.

31vA3bR6sKL._SX313_BO1,204,203,200_.jpgLes grands livres poursuivent généralement un dessein autre que celui qui apparait de prime abord, laissant ainsi carrière à la surprise et à l'aventure. Là où l'on serait tenté de ne voir que des chroniques concernant l'usage de la langue française, se loge, comme dans un logis alchimique, une poétique et une métaphysique. Loin de n'être que le gardien du bon usage, tel que le conçoivent les professeurs et les académiciens, Philippe Barthelet veille sur le seuil, car la langue n'est pas seulement un instrument de communication (et l'on ne sait que trop à quoi elle se réduit souvent) mais une manifestation du Logos. Reprendre nos contemporains lorsqu’ils parlent et écrivent n'importe comment, en sabir pédant ou en traduidu, n'est pas seulement une question de forme, - ou bien elle l'est au sens le plus profond, la forme n'étant autre, par étymologie, que l'Idée, ainsi que le savaient les platoniciens, et après eux, nos théologiens du Moyen-Age.

Le Roman de la langue, dont Tulipes d'orage est le septième livre, n'est pas un addenda au dictionnaire, mais bien, comme son titre l'indique, une tentative romanesque et romane, de raviver la puissance des mots français et de contrebattre leur avilissement. Traité contre le ternissement, l'usure, la tristesse des vocables abandonnés à l'idéologie et à la publicité. Nous apprenons ainsi que la langue française, vivace, est de nature à traverser le pire hiver, celui où nous sommes, avec ses “auteures” et son écriture “inclusive”.

Chaque livre a son usage. Les uns nous distraient de ce que nous ne pouvons ou ne voulons voir, les autres nous informent, avec l'inconvénient, précisément, de porter souvent atteinte à la forme la plus heureuse de la pensée, qui, pour être, n'a besoin que de peu d'aliments, frugale par nature, et de pratique épicurienne. D'autres livres nous laissent songeurs, invitations au voyage. Plus rares encore ceux qui répondent à une attente essentielle et qui tiennent leur place, royale, aussi bien contre le temps qu'en faveur de ce qui, dans le temps, demeure et se perpétue, - disons la Tradition, qui vaut bien une majuscule, et dont nous apprenons, par ce roman de la langue, qu'elle n'est pas un conservatisme jaloux, une réaction morose, mais le cours même de la rivière, celle qui féconde les paysages qu'elle traverse, et dont les œuvres françaises sont les scintillements, les épiphanies, sous l'irrécusable et catholique soleil du Verbe.

9782363710222_1_75.jpgAu temps des identités abstraites, fabriquées et vindicatives, qui menacent de faire disparaître, de façon impure et compliquée, par décomposition, cette disposition providentielle que fut la France, il importe, plus que jamais, de ne pas se tromper de combat, et de fonder notre souveraineté, non dans ces mouvantes et fragiles institutions que les politiciens ravagent à loisir, mais dans la seule évidence qui peut encore en témoigner: notre langue, laquelle tient à distance le pathos, la lourdeur et le système, et nous donne ainsi la chance d'être moralistes, en évitant d'être moralisateurs.

La langue se dégrade à mesure que l'idéologie des moralisateurs l'imprègne. La fausseté, à la différence des mauvaises pensées, qui se donnent et apparaissent comme telles, ne peut se dire dans une langue juste. C'est une bien funeste illusion que de croire que notre bien, notre beau, selon la formule de Rimbaud, sont ailleurs que dans notre langue, d'imaginer la reconquête ailleurs que dans une Matinée d'ivresse, de vouloir une souveraineté qui ne fût dans une âme et un corps. C'est assez dire que dans ce roman de la langue française, que prolongent ces Tulipes d'orage, nous sommes plus proches de Rimbaud ou de Scève que du Bescherelle ou même du Littré, - c'est dire que nous sommes loin, comme le cerisier en fleur l'est de la folie des hommes dans le poème qui figure en exergue du Hagakuré.

Loin de ce monde, c'est bien dire au cœur du silence qui règne sur toute formule heureuse, à la façon d'un ciel sur le feuillage. Le Roman de la langue  de Philippe Barthelet guerroie contre la langue défigurée et appauvrie, non par un goût vétilleux de la correction, mais en appel à d'impondérables et indéfectibles richesses nues, - les plus hautes fidélités étant légères, comme le vent qui souffle où il veut.

Luc-Olivier d'Algange